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Titre : Le langage parisien au XIXe siècle : facteurs sociaux, contingents linguistiques, faits sémantiques, influences littéraires / L. Sainéan

Auteur : Sainean, Lazare (1859-1934). Auteur du texte

Éditeur : E. de Boccard (Paris)

Date d'édition : 1920

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31278241c

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 1 vol. (XVI-590 p.) ; in-8

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Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5433966k

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-X-16522

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 21/08/2008

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A MA CIIKRK FKMMK

compagne inséparable de mes travaux


Sans sortir des bornes de la Monarchie, on peut trouver dans la Franco seule de quoi exercer toute la vivacité d'un savant. Poursatisfairo a l'activité de son esprit, il n'a qu'à approfondir les divers idiomes de nos provinces... La langue Limousine, si fameuse dans les siècles passés, le Provençal, le Gascon, le Languedocien, lui donneront bien autant à faire que le Lorrain, le Oûallon, le Pjcard, et le bas Norman. Le langage môme des habitants de la campagne, et du bas peuple des villes, dans les provinces les plus polies, et au milieu de la capitale, est un grand fond de réflexions pour des gens qui voudront bien comprendre que des termes qui nous font rire aujourd'hui ont fait autrefois les délices de la cour et les agréments du style...

Mais il n'y a rien de pareil à l'étendue d'imagination que demando la multitude prodigieuse des termes de chaque art, qui sont comme autant de langues différentes parmi la même nation. Le seul langage de la Marine, soit celui de l'Océan ou de la Méditerranée, donnera de quoi penser aux critiques les plus profonds ; celui des beaux Arts, qui ont rapport à la Peinture ou à l'Architecture, peut piquer leur sagacité ; aussi bien que celui du Blason et des Armoiries, qui est particulier à la seule nation Françoise. J'en dis tout autant de nos termes de Guerre, de Chasse et de Fauconnerie, qui marquent le génie noble et actif de nos François. On ne doit pas môme oublier le jargon de la bagatelle, qui a changé presque aussi souvent que le caprice des modes et les ajustements bizarres de chaque Règne...

C'est dans ces sources fé£ondes.nù l'adresse d'un habile étymologiste puise aisément Ui vérité; et cestk'rtsi qu'il la fait paraître au jour, quelque effort qu'elle fasse pour se dérobera* noWeux.

R. P. Bcsnicr, Discours tur là Scienéégqs Elymologies (en tête du Dictionnaire étymologique de Ménagé, ôd. 1750, p. xxîv).


PRÉFACE

\ ;Ce Volume cty't la série des reeborebes que j'ai entreprises, depuis, miiïb^d'années, sur les langues spéciales cl vulgaires de la France. Après avoir suivi l'évolution du langago des malfaiteurs depuis ses origines lointaines jusqu'au xix° siècle, j'ai constaté que les derniers vestiges, do cet idiomo (dont le caractère secret était la seulo raison d'être) so sont fondus dans lo langage populaire parisien de nos jours. Ce fait, d'Uno importance à la fois sociale et linguistique, a été lo résultat d'un contact plus fréquent et incomparablement plus faciloquo dans lo passé, entré les éléments sociaux Jos plus divers : V'OT leurs, gueux, soldats, ouvriers, fille.s. Les Mémoires do Vidocq ot les romans populaires qui s'en sont inspirés n'ont agi qu'en second lieu et sur un terrain déjà préparé.

A celte pénétration en grande masse du jargon dans le vulgaire se sont ajoutés do nombreux apports professionnels et provinciaux. Tous ces ingrédients ont contribué à transformer complètement l'aspect du parler vulgaire dans la secôndo riioilié du xix^sièclé. Infiniment plus abondant, plus original •et plus imagé que le bas-langage de la fin du xvine sièclèet du début du xixc — tel qu'il est reflété dans lo Dictionnaire de d'Haulel (1808) — l'argot moderne, autre appellation.donnée au vulgaire parisien de nos jours* a,fini par constituer un


VI11 PRKFACE

idiomo "unifié quo parlent dos millions do Parisiens et do Français.

C'est un fait aujourd'hui indéniable qu'à côté du français littéraire qu'on écrit plutôt qu'on ne parle, vibre et palpite cet autre français qu'on parle plutôt qu'un n'écrit. Cet intrus pénètre partout et s'impose par la fo.co même des choses. Il agit de plus en plus profondément sur le français littéraire do demain et dans une certaine mesuro l'avenir lui appartient.

Suivro pas à pas cette marebo progressive du parler vulgaire, examiner les facteurs sociaux qui ont influé sur son lexique, faire ressortir les créations nouvelles, les tours expressifs et les images originales qui lui donnent de la forco et du relief; noter son expansion eu dehors de Paris ot do la Franco; montrer enfin quelle influence il a eue de nos jours sur la langue générale : cellelâeho, difficile et délicalo, m'a tenté et ce n'est pas sans quelque appréhension que je me suis engagé dans cette voie nouvelle.

Dans un pays démocratique comme la France, lo langago populaire — on a peine à le croire — n'a pas encore pénétré dans les dictionnaires de la langue générale. Ceux-ci ne donnent en principe que les termes littéraires., particulièrement ceux du xvne et du xvine siècle. Us ne tiennent que faiblement compto des grands écrivains du xixe; à plus forte raison excluent-ils les acquisitions et les créations du langago vulgaire pendant cette période.

L'a conception de nos lexicographes est encore restée celle de nos historiens avant Voltaire. De môme que ceux-ci n'enregistraient que les faits et gestes des classes les plus élevées de la nation, do mémo nos faiseurs de dictionnaires continuent à no tenir compte qae de la noblesse des oeuvres littéraires, do leur langage poli. Ce n'est que subrepticement, et à contre coeur, qu'il s'y glisse de temps eu temps quelque rejeton de la petite bourgeoisie, voire même du menu peuple.

Un tel état de choses avait déjà frappé, à la fin du xvme siô'clo, un des esprits les plus avisés de l'époque, Sébastien Mercier. 11 ne craint pas d'écrire dans un chapitre spécial de son


rm: FACE IX

Tableau de Paris (t. VI, p. 172) : « Los Dictionnaires no contiennent pas tous les, mois usités parmi le peuple; ils sont insiil'tîsanls pour une foule d'expressions qui valent Itien celles que les poè'.es ol les prosateurs ont consacrées et qui tiennent à des pratiques curieuses et journalières ».

Rien, n'est plus significatif à cet égard que les excuses d'Arsène Darinesletcr pour avoir interrogé parfois là langue populaire dms sa thèse sur la Création des mois nouveaux (1877), p. 37 : « Nous aurons à citer plus d'un mol qu'on s'étonnera peut-cire do rencontrer dans une étude grave et sévère, mais il n'y a rien de vil dans la cilé de la science; la science purifie tout ce-qu'elle touche ». Il est vrai que le futur auteur du Dictionnaire, général s'empresse, d'ajouter : « La langue populaire, même dans ses créations les plus audacieuses et les plus grossières, relève do la philulogio au même titre que la langue commune, bien mieux, b plus juste titre que la langue commune et surtout que la langue littéraire ; car c'est une formation plus naturelle et soumise à des lois plus stables et plus fixes, moins troublées par les hasards do la volonté cl du parti pris ».

Chose curieuse ! La conception de la lexicographie a été plus large dans le passé "et est ailée se rétrécissant jusqu'à nous. Les ailleurs do la première édition du Dictionnaire de VAcademie (1 GOi) se montrèrent fort accueillants pour le langage populaire de l'époque. Los termes et surtout les locutions vulgaires y sont tellement fréquents qu'on a pu en extraire — clans un but satirique — tout un Dictionnaire des Halles (!69G). Dans les éditions ultérieures, on ar de plus en [dus décimé ce contingent.

lUçhelcl et Furctière, dans leurs Dictionnaires (1680-1G90), se sont également montrés très larges: ils ont accueilli non seulement des parisianismos, mais do nombreux proxincialismcs.

On a trop oublié de nos jours qu'un dictionnaire n'est pas un traité do rhétorique, mais un va*>lo répertoire où doit entrer la langue tout entière, littéraire ou vulgaire, écrite ou parlée. Un dictionnaire de la langue française doit embrasser


X PHÉFAOB

avec )a môme sympathie les mois populaires et les termes livresques : les uns et les aulros appartiennent au palrimoino national. Mon regrotté maître Gaston Paris rêvait vers la fin de sa vie un vaste inventaire qui comprendrait tous les mots qu'on pourrait recueillir, sans distinguer entre ceux qui ont disparu et ceux qui sont encore en usage, entre ceux qui sont « franciens » et ceux qui n'ont existé ou n'existent que dans les provinces, ni, bien entendu, entre ceux qui sont du « bon usago » et ceux qui sont familiers, vulgaires ou mémo argotiques (Mélanges linguistiques, p. 417).

L'Histoire de la langue française do M. Ferdinand Brunot est un des travaux d'ensemble les plus considérables de notro époque. OEuvre à la fois d'un érudit et d'un écrivain, cllo restera longtemps une base solide pour toutes les recherches sur la langue nationale. L'auteur y étudie les changements survenus dans la grammaire et dans le vocabulaire à la lumière des transformations sociales correspondantes et en connexion intime avec les progrès littéraires et intellectuels do la nation. J'ai essayé d'appliquer ces principes à un domaine infiniment plus restreint, mais qui emprunte un intérêt particulier du fait qu'il appartient à notre temps.

Mon ambition allait plus loin.'Etant donné la multiplicité des sources d'information, dont certaines sont restées difficilement abordables, ainsi que le peu de confiance qu'inspirent les recueils argotiques à cause de leurs références vagues ou incomplètes, j'ai désiré mettre à la portée des investigateurs futurs des matériaux abondants et sûrs.

Parmi ces sources, il en est uno qui a échappé jusqu'ici à l'attention des philologues. Ce sont les nombreux recueils connus sous le nom do Locutions vicieuses, qui se sont succédés pondanlTteulo la^remièrc moiUé du xixc siècle. J'en ai tiré largomcnl parti, soit pour fixer la date des mots nouveaux, soit pour en apprécier l'expansion ou le degré de popularité.

Ces ressources livresques n'achevaient cependant pas la là 1 iôjio. L'objet de ce travail étant essentiellement la langue parlée, dont,l'évolution s'est faite et continue à se faire en quel-


PREFACE XI

que sorte sous nos yeux, il importait do contrôler les données des sources avec la réalité vivante. Jo me suis efforcé de lo fairo partout où la chose était possible, c'est-à-diro en co qui concerne les classes professionnelles. L'enquèto a eu pour résultat d'infirmer ou d'approfondir les donnéos do mes prédécesseurs. On en appréciera l'clfet dans les chapitres consacrés à certains facteurs sociaux, par oxcmplo los bouchers et les saltimbanques. Et là mémo où ce contrôle n'était pas praticable, par oxcmplo dans les milieux des malfaiteurs, j'ai tâché de soumettre à une criliquo rigoureuse les théories et les faits. Des développements complémentaires ou dos inventaires bibliographiques, pour no pas trop encombrer le texte, ont été relégués dans des Appendices.

11 y aura bientôt cinquante ans que Littré a posé dans son Dictionnaire (1863-1872) l'important principe do l'historique, qui est devenu depuis la pierre angulaire do tout édifice loxicographiquo. Celle heureuse idée a germé... ailleurs. Kilo a été reprise ot élargie en 1879 par lo philologue anglais James-Henry Murray qui, gràco à cet autre principe de la division du travail, a produit l'oeuvre la plus vaste que possède jusqu'ici la lexicographie européenne : lo Neco Englisk Dictionary on historical principles (Oxford, 1888 et suiv.). Chez nous, lo Dictionnaire général (18881900), malgré d'oxccllfntes qualités de mélhodoct do classement, n'est en somme qu'un ouvrage didactique. Tôt ou tard l'admirable oeuvre do Lillré devra être ropriso sur dos bases nouvelles ct'conçue dans un esprit plus largo, conformément aux progrès do la science et do la démocratie. J'ai pensé que des études comme celle quo j'ai enlrepriso, pourraient faciliter la lâche du futur historien ou lexicographe de la langue nationale.

J'ai tiré parti des entretiens suggestifs avec mes confrère» F. Brunot et À. Meillct. D'excellents connaisseurs du langag > parisien — MM. Emile Pouget, Léon do Bercy (dopuis décédiy et surtout Jehan Rictus — m'ont plus d'une fois fait profiter do leur expérience du parler vulgaire. J'adresse aux uns et. aux autres l'expression do ma gratitude.


XII

P II K F ACE

J'aime il dire ici co que je dois à mon ami Henri Olouzot. Il a parcouru col ouvrage on manuscrit, on y mitant d'ulilos suggestions; on outre, Halzaeion forwnt, il a mis à ma disposition dos extraits suivis de la Comrdic humaine, oeuvre d'une valeur linguistique considérable ot qui a jusqu'ici échappé aux investigations de nos lexicographes.

Mosera-t-il permis, en terminant, do réaliser un vceu que je porte depuis longtemps dans mon coeur? Celui d'offrir le fruit de ces recherches, en humble hommage, au noble pays qui nous a accueillis, les miens el moi, avec sympathie, qui a toujours été ma patrie intellectuelle et qui est devenu l'unique patrie do mon enfant chérie.

Paris, (U'eomlire 1919.


TABLE DES MATIÈRES

PRÉEACE '. YII-XII

TAULE DES MATIÈRES xm-xvi

INTRODUCTION

1. — COUP DVEII. RÉTROSPECTIF (1-20) : Villon, 3-i. — Rabelais, 1. — Henri Estienne, 5-0. — Le Moyen de parvenir, 0-7. — La Comédie des Proverbes, 7-8. — Oinlin, S-9. — Le Burlesque, 9-10. — Philibert Le Houx, 101-2. - Le Poissai-.!, 12-19.

IL - PARISIANISME* (20-20) : Hichelet, 22-23. — Furetière. 23-21. — Mé*nage, 21. — Trévoiw, 21-25.

ill. — Locrnoxs VICIEUSES (20-10) : Michel, 28-59. — Desgranges, 29-31. — Derniers vestiges, 34-30. — D'Haute!, 30-39.

IV. — AliiiOI' ANCIEN ET MODERNE (41-45).

V. - Aiîiior PARISIEN (10-57): Expansion, 17-19. — Production littéraire, •19-57. — llirhepin, 50. — Bruant, 5(1. — Jehan Rictus, 51. — Poulot, 51. — Zola, 52-53. — Itosny aine, 53-51. — Courteline, 51. — Méténier, 51. — Ch.- IL Iliiseh, 55. — Périodiques, 55-57.

VI. — PARLERS PROVINCIAUX (58-00) : Gamin, 59-00. — Voyou, 00. — Gosse, 00-01. — DCguttcr, 01-01. — Piger, 01-00.

VIL — REFLETS SOCIAUX (07-72) : Fourbi, 09-71. — Ilabiot, 71-72.

VIIL — MÉTHODE (73-85) : Considérations critiques, 73-70. — Principes étymologiques, 70-85: Arsouiller, 70-77. — Bernique, 77-78. — Bisquer, 78-79. — Blague, 79-80. — Charabia, 80-81. — Fion, 81-81.

LIVRE PREMIER

GÉNÉRaÈITÉS

CHAPITRE PREMIER.- PRONONCIATION(87-101): I. Voyelles, 88-90. - 2. Diphtongues, 90-91. — 3. Consonnes, 91-91. — 1. Phénomènes spéciaux, 91-101.

CHAPITRE IL — DÉRIVATION (102-11S) : 1. Dérivation impropre, 102.

— 2. Composition, 102-101. — 3. Suffixes, 101-110. — Croisements, III 118. CHAPITRE III. - REMARQUES SYNTAXIQUES ,119-128) : I. Substantif, 119123.

119123. 2. Adjectif, 123-124. - 3. Verbe, 121-125.'— Particules, 125-126.

— 5. Formules négatives; 126-128.


XIV TAULE DES M.UIEKKS

LIVRE DEUXIÈME VOCABULAIRE. - FACTEURS SOCIAUX

Section I" : Classes légalement constituées. CHAPITRE PREMIER. - SOLDATS (131-162):

I. — Éléments constitutifs: 1. Richesse synonymique, 132-131. — 2. Termes jargonnesques, 131-135. — 3. Tonnes provinciaux, 135-137. — 1. Epithètes, 137-138. — 5. Ironie, 138-112. — C. Vie de caserne, 142-140.— 7. — Réminiscences littéraires, 110. — S. Souvenir historique, 1-16-147'.

II. — Expansion, 117-118. — Vocables algériens (148-162) : 1. Termes arabes, 153-159. — 2. Emprunts espagnols, 150-161. — 3. Emprunts italiens, 161-162. /

CHAPITRE II. — MARINS (163-180) : 1. Expressions caractéristiques, 163164. '-— 2. Mots de jargon, 164-165. — 3. Beuverie et débauche, 165-168. — 4. Vie pénible, 168-172. — 5. Appellations ironiques, 172-173. —6. Manoeuvres nautiques, 174-175. — 7. Choses do la mer, 175-178. — 8. Termes do pêche, 179-180.

CHAPITRE III. - OUVRIERS (181-208) : .

I. — Mécaniciens, 184-189.

II. — Imprimeurs (190-196) : I. Vieux mots, 190-192. - 2. Termes de. jargon, 192.•— 3. Formes vulgaires, 192-193. — 4. Vocables facétieux, 193194. — 5. Termes généralisés, 191-196.

III. — Cordonniers, 197-202. ( '•'

IV. - Bouchers, 203-208. '

LIVRE TROISIEME VOCABULAIRE. - FACTEURS SOCIAUX (suite)

Section IIe : En marge de la société.

CHAPITRE PREMIER. - APACHKS (210-223) : I. Procédés artificiels, 212-214. — 2: Mots nouveaux, 214-219. — 3. Termes spéciaux, 219-223'. CHAPITRE II. — GUEUX (221-230) : Termes spéciaux, 225-230. CHAPITRE III. - TRICHEURS (231-239) : 1. Nomenclature, 231-233

— 2. Variétés, 233-234. — 3. Termes spéciaux, 234-239. CHAPITRE IV. - CAMELOTS (240-242).

CHAPITRE V. — SALTIMBANQUES (243-251) : 1. Termes do jargon,'246247. — 2. Bohémiens, 248. — 3. Italiens, 248-249. — 4. Espagnols, 249-250.

— 5. Français, 250-254. - CHAPITRE VI. — CHIFFONNIERS (255-257) : 1. Sobriquets et noms, 255256.

255256. 2 Vocables isolés, 256-257.

CHAPITRE VII. — FILLES ET SOUTENEURS (258-266) : 1. Noms spéciaux', 259-262. — 2. Souteneurs, 262-266. -

CHAPITRE COMPLÉMENTAIRE. - LE CABARET (267-272) : I. Noms divers, 267-268. — 2. Sobriquets, 268-269. — 3. Termes spéciaux, 269-272.


TAULE DES MATIEKES XV

LIYIIK QUATRIEME . CONTINGENTS LINGUISTIQUES

CHAPITRE PREMIER. — PROVINCIALISME* (-27-1-3-2-2) :

A. - Patois du Xord: l. Wallon, "270 277. — 2. Normand, k?77--2SO. — 3. Picard, -J80--2S-2.

». - Patois de l'Oued: 1. Breton, -2S3--28t. — 2. Maine, >!i4-285. - 3. Anjou, 2S5-2'.)l. -* 4. Poitou, -201-202.

C. — Patois du-Centre : I. Rorry, 293-293. — 2. Orléanais, -208--290.

I). — Putois du XorJ-list: 1. Champagne, 301-30-2. — -2. Lorraine, Vosges, 30-2-303.

K. — Patois de l'Est'. I. Yonne, 3U-4-303. — 2. Dresse, 305-300.

F. - Franco-Provew;al i 1. Lyonnais, 307-309. — -2. Dauphiné, 309-310.

(ï. - Patois du Midi: l. Languedoc, 311-310. — 2. Provençal, 317-311). — 3. Gascon, Auvergnat, 319-32-2.

CHAPITRE II. - ARCHAÏSMES (3-23-327).

CHAPITRE III. - VOCABLES EMPRUNTÉS (338-347) : l. Vocables allemands, 333-3ii. —2. Vocables néerlandais, 344. — 3. Vocables anglais, 315. — 4. Vocables italiens et espagnols, 345-34G. — o. Emprunts orientaux, 3itî-3i7.

CHAPITRE IV. - MOTS ENFANTINS (343-353).

CHAPITRE V. - MOTS IMITAI-IFS (351-357).

CHAPITRE VI. - RÉSIDU OBSCUR (358-300).

LIVRE CINQUIEME

FAITS SÉMANTIQUES

CHAPITRE PREMIER. — PROCÉDÉS GÉNÉRAUX (30-2-360): I. Extension, 302-303. — -2. Restriction, 303. — 3. Métonymie, 303-301. — 4. Anoblissement, 304-305. — 5. Dégradation, 300.

CHAPITRE II. — MÉTAPHORE (307-394): 1. Métaphores techniques, 373 371. - 2. Corps humain, 371-377. — Animaux, 377-380. — i. Plantes, 381-385. — 5. Jeux, 385-391. — (5. Musique, refrains, 391-394.

CHAPITRE III. - IRONIE (395-413): I. Antiphrase, 395-397. —2. Hyperbole, atténuation. 391-400. — 3. Termes facétieux, 400-405. — 4. Sobriquets, 405-407. — 5. Noms propres, 407-410. — G. Noms de mépris, 410-412.

CHAPITRE IV. — EUPHÉMISME (413-410): 1. Jurons, 415.- 2. Corps humain,'415-110.

CHAPITRE V. -.JEUX DE MOTS (417-123): l. Calembours personnels, 419-120. —2. Calembours géographiques, 420-122. — 3. Quiproquos numériques, 422: ,

CHAPITRE VI. - SÉRIES SÉMANTIQUES (123-429).


XVI . TAULE DES .MATIEKES

LIVRE SIXIÈME

INFLUENCES LITTÉRAIRES

CHAPITRE PREMIER. - AP.OOT SCOLAIRE (133-118): 1. Latin dos écoles, 531-130. — 2. Éléments constitutifs, 130-113. — 3. État actuel, 115-550.

CHAPITRE II, — AmioT MONDAIN (15(J-102I : I. Éléments constitutifs, 551-557. — 2. Vocables éphémères, 157-102.

CHAPITRE III. - AuiiOT DES COI-LISSES (403-108).

CHAPITRE IV. — OMNIBUS YESTIOES (Î(19-'I7*2).

CONCLUSION (173-179). .

APPENDICES

A. — DICTIONNAIRES IJ'AROOT PARISIEN (181).

U. — ARGOT ET HAS-LANOAOE (18-2-583).

C. — LES MOIS cnus ET LA LANIHE POPI/LAIRE (181-180!. - i). _ \ns SUIUCKS ('587-503) : I. — Parisianisme*, i87r180. II. — Locutions vicieuses.. 580. 111. — Parlers provinciaux, 180-101. IV. — Patois. V.i 1-102. V. — Langues professionnelles, 102. VI. — Généralités, ■10-2-503. ,

E. — SlITlXES JARGONNESfjE-ES ET FANTAISISTES (505-108).

E. — LINUI/A IIUNC.V (100-5(Nl).

11. — Coi/i' n'ui:n. EN ARRIÈRE (521-521).'

I. — Éléments constitutifs (5HI-5I1): I. Emprunts dialectaux, 5U3-5U0. — 2. Etnpruiits populaires, 500-513. — 3. Emprunts étrangers, 513-511.

II. — Expansion du jargon (011-021): Action sur le lias-langage (515-5-21): ' !. Vocables, 510-510. -- "2. Pronoms personnels, 510-5-20. -=~ Particules, 521.

III. — Influences sur les parlers provinciaux (521-521). II. — ERREURS i;r FANTAISIES ARGOTIOIES (525-527).

1. — ARGOT DES TRANCHÉES (528-530) : Traits distinctifs (Changement «lu sens. — Modifications formelles. — Provincialisme.-;. — Mots de colonie-:. _ Tenues facétieux), 532-530. —- Expansion, 530. — Aperçu comparatif, 530538. — Données coniplémentaj.res,-538c,530. — Durée transitoire, 530.

AUDITIONS ET coimi-XTioNs/^l'^M?. .1 y \

INDEX DES MOIS. 513-57/X'-' '''~'>\

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INDEX DES IDÉES. 575-582.^ , . \ * >*tt

TAULI: Ai-t'iiMiÉrigiE itfsfiuTEiW EV'IIES ANONYMES, 583-500.


INTRODUCTION

^A pôle do la^'làriguo littéraire, et indépendamment d'elle, le larig'ag^p.ôpulaire continue à vivre et à se développer. Des divergences do prononciation, do grammaire et de vocabulaire séparent l'un de l'autre. L'ensemble de ces particularités constitue le langage populaire ou lo bas-langage parisien.

Un double caractère le distingue de la langue écrite: il se montre à la fois plus conservateur et plus mobile. Tout en gardant nombre d'archaïsmes, il est lo reflet immédiat des transformations sociales, du mouvement réel do la langue nationale. Ce n'est qu'après avoir fait un stage plus ou moins long dans le bas-langage, quelles mots nouveaux pénètrent dans la langue littéraire.

Avec l'avènement de la démocratie au xixe siècle, ce parler vulgaire acquit une importance sociale et linguistique inconnue jusqu'alors. Tandis qu'aux xvue-xvme siècles, il était réservé à peu près.aux effets comiques (style burlesque et poissard), cet idipmc vivant et imagé est devenu de nos jours l'organe d'une véritablo littérature sociale, forcément restreinte, mais qui compte d'ores et déjà plus d'une oeuvre intéressante.

D'une part, lo contact de plus en plus intime des différentes classes sociales ou professionnelles a eu pour résultat l'absorption par lo bas-langage do toutes les langues spéciales et techniques, ce-qui a donné à son vocabulaire une richesse et un pittoresque incomparables; d'autro part, l'importanco exceptionnelle prise par la -capitale a eu pour conséquence l'expansion de l'argot parisien dans lo pays tout entier.

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2 INTRODUCTION

Nous possédons, au début môme du xixe siècle, un répertoire à pou près complot du langage populairo do l'époquo : lo Dictionnaire du bas-langage par d'Haute!, 1808. Si on le cojnpare au lexique du parler parisien de la fin du môme siècle, on est surpris par l'abondance et l'originalité des éléments qui, en grand nombre el par des canaux différents, ont afflué dans l'argot au cours do cette centaine d'années. Faire ressortir ces alluvions multiples, montrer le rôle de chacun des facteurs sociaux et professionnels dans la constitution du vocabulaire parisien, tel est le but principal de ce travail.

Mais avant do l'aborder, et pour mieux comprendre l'état actuel de la question, nous allons essayer de jeter un .regard en arrière et suivre dans le passé les traces du vulgaire parisien.


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COUP D'OEIL RÉTROSPECTIF

Plus on remonte dans le passé et plus il devient difficile d'établir une démarcation entre le langage vulgaire et la langue littéraire. Souvent les deux se confondent et, à vrai dire, cette dernière no s'est définitivement fixée qu'en pleine époque moderne. C'est alors que commence à s'accuser nettement les divergences entre les deux langues, parlée et écrite, et que chacune d'elles commence à suivre un développement à part. Mais dès le xve siôclo on peut rechercher los traces du parler vulgaire en littérature et en relever quelques traits significatifs.

VILLON. — Le premier écrivain chez lequel on trouve des vestiges du langage populaire est le grand poète François Villon. Il était Parisien de Paris:

Né do Paris euiprès Pontoise...

et, comme tel, il aU'ectionnait les expressions vulgaires et la prononciation parisienne.

Il rime liobert avec poupart et Montmartre avec tertre, Henri Hslienne n'en revient pas: « Kl du langage de nos prédécesseurs,-qu'en dirons-nous? Quelles pensons nous qu'esInyent les oreilles d'alors qui portoyent patiemment Mon frère Piarro? Mon frère Robart ? La place Maubart ? Kt toutes fois nostre Villon, un dos plus cloquons do ce teins là. parle ainsi »?

Le poète appelle plaisamment la cire, estront de mouche (v. 1190); le garçon, marmoset (v. 1982), c'est-à-dire petit singe; le crachat, jacoppin (v. 731), ou jacobin ; les pierres, miches de saint Etienne (v. 1915), par allusion à sa lapidalion...

1. Apologie pour Hérodote, éd. Ristelhuber, t. II, p. 133.


4 INTRODUCTION

Il écrit tantinet (v. 1109), pour un polit pou, parisianisme toujours vivaco :

Combien qu'il n'ayme, bruyt ne noise, Si luy plaist il ung tantinet... "

et lunettes (v. G31), au sons d'yeux, métaphore qui coule de la rnème source que châssis ', châsse, oeil, dans lo bas-langage :

Folles amours font les gens bestes :

Salmon en ydolatria,

Samson en perdit ses lunelcs...

Il rime même une ballade aux femmes de Paris, « qui ont le bec si affilié » (v. 1539) :

Prince, aux dames Parisiennes De beau parler donne le prix , Quoy qu'on die d'Italiennes, H n'est bon bec que de Paris.

Et celte caractéristique de la Parisienne est restée classique.

RABELAIS. — C'est à un autre admirateur de Villon, au plus grand écrivain du xvic siècle, à François Rabelais lui-même, qu'on doit la caractéristique du Parisien. Il l'a fixée dans une phrase célèbre et presque d'un seul mot qu'il avait rapporté de ses voyages dans le Midi, le terme badaud (1. I, ch. XVII) : « Quelques jours après qu'ilz se fcurenl rafraîchis, Gargantua visita la ville [de Paris], et fout veu do tout le inonde en grande admiration. Car le peuple de Paris est tant sol, tant badaut, cl tant inepte de nature, qu'un basteleur, un porteur de rogatons, un mulet avec ses cymbales, un vieilleux au milieu d'un carrefour assemblera plus de gens que ne feroit un bon presclieur 2 evangelicque ».

Cetlo épitheto do badaut est toujours restée attachée aux

1. (If. il'llaut'.'l : c Châssis, pour besicles, lunettes. Go mot se prend aussi pour la vue, les yeux ». De môme, dans les patois, bernicles ou berniques signifie à la fois lunettes et yeux.

2. Au début du XVI 0 siècle, Kloy d'Amcrval dit la même chose à propos des Parisiens :

Plus prisent ung chanteur en place,

Quant ils ont, ou un bateleur,

Que cent docteurs de grant valeur 1

{La Deablerie, 1507, f° 1). III, r°) et, vers la fin du mémo siècle, Du Kail, dira: «... grand nombre do François, comme à Paris, il ne faut qu'un regardeur pour amuser lo reste» (Coûtes d'Eulrapel, ch. xxxui).


J^-gS**»****—

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Parisiens l, et l'auteur du Moyen de parvenir, après en avoir fait une injure (ch. LTII: « Ce fat cstoit tant niais, tant veau de disme, asne de plat pais, sot d'outre mesure, badaut de Paris... »), l'accole à la capitale elle-même, ch. LXXXVIII : « C'est celle (la pierre de touche) qui est à Paris, justement dans le Dadaudois... »

Oudiii note dans ses Curiosités (1610) : « La maladie des enfants de Paris, la teste plus grosse que le poing, c'est-à-dire hadauderie ».

HFXRI ESTIENXE. — Lo plus insigne philologue du xvi° siècle, Henri Estiennc, se préoccupe à maintes reprises du parler populaire Lo has-langage parisien de l'époque était très voisin de celui de la banlieue, langage rural, qu'Estienne met au-dessus du jargon des courtisans (Dialogues, 1578, t. I, p. 18) :

Si en ce langage rural Les mots sont prononcez fort mal, Mots sont pourtant de bonne race, Suivans des vieux François la trace.

Il s'en sert parfois lui-même, tel le terme enhasé 2 qu'il signale expressément comme parisianisme : « Il faudra toujours faire de l'empesché, voir de Venhasé, comme on parle à Paris 3. »

Ce mot que le Dictionnaire do l'Académie de 1094 qualifie de « bas », a été mis par Cyrano, en 16oi, dans la bouche même d'un paysan des environs de Paris, un des personnages du Pédant joué (acte II, se. II): « Acoutés, ol n'a que fare de faire tant Venhasée; ol n'a goule ne brin do bian ». Et Oudin ne l'oublie pas dans ses Curiosités (lGiO) : « Faire Venhasé. Témoigner d'cslre capable de beaucoup d'affaires ». Lo terme est d'ailleurs d'origine provinciale: en normand, hase signifie marécage, d'où enhasé, embourbé (pris à Paris au figuré).

1. Furctiôre (1690): c Iladaud. C'est un sobriquet injurieux qu'on, a donné aux habitans do Paris, à cause qu'ils s'attroupent et s'amusent à voir et à admirer tout ce qui se rencontré en leur chemin, pour peu qu'il leur semble extraordinaire. » — D'Hautel (1S08) : t Les badauds de Paris. Sobriquet injurieux que l'on donno aux Parisiens, à cause de leur frivolité et de la surprise qu'ils témoignent sur les clioses les moins dignes de fixer leur attention ».

2. Cf. lo Dictionnaire do Nicod (1606): ■ lùihasé, c'est embesoigné, celui qui est plein d'affairos et dn grands besoignes. Henri tfstienne... dit que ce mot est un mot Parisien; il est aussi en usage dans la Uasse-Normandie, où l'on dit : Cet hoinmo là fait Venhasé, c'est il fait l'affairé ».

3. l'récelleiur, éd. Huguet, p. 180


6 INTRODUCTION

Tout en faisant un choix, Henri Estionno tient à sauver les termes expressifs du langago populaire: «Quelle pitié sera co si nous voulons bannir autant do mots" que nous trouverons estro on usage entre le populaire, ot principalement quand il n'y en a point d'autros ou pour lo moins de si propres ? J »

Cela ne l'empêche pas do s'élever contre la prétendue suprématie du langage do la capitale sur celui des provinces : « Nous donnons tellemont le premier lieu au langage do Paris que nous confessons quo celui des villes prochaines qui sont aussi comme du coeur de la France, ne s'en esloigno gueres 2 ».

Et plus loin, en mettant le Parisien parmi les dialectes, il s'empresse d'ajoutor qu'il no faut pas croire « quo tout co qui est du crou do Paris soit recevablo parmi le pur et nayf lanj gage François 3 ». .

En somme, nous trouvons chez co grand ériidit do la sympathie aussi bien pour lo bas-langage parisien quo pour les parlcrs vulgaires en général, et des vues souvent justes sur le caractère archaïque dos formes et dos vocables populaires.

MOYEN DE PARVENIR. — Doux monumonts littéraires, l'un et l'autre du premier quart du XYiie.sièclo -^ le Moyen de parvenir et la Comédie des Proverbes — nous fourniront des rensoignements complémentaires sur lo bas-langago usuel à leurs époques.

Lo Moyen de parvenir, imprimé vers 1610, est un des 1K vres les plus étranges quo possède aucune littérature. C'est un mélange disparate d'esprit, d'ironio et do grossièroté, un banquet nionstro, où l'on offlouro tous les sujets, où l'on agite toutes les idées, sans s'arrôtor à aucunoj mais quoi quo soit lo mérite réel de cotte oeuvre, sa valeur linguistiquo lo dé-' passe encore. En ce qui toucho lo vulgairo parision riptam* ment, c'est uno des sourcos anciennes les plus abondantes»

S'agit-il do l'usage populairo, encore vivace^d'omployor le sujet au singulior avec le verbe au pluriel ? On y trouve do fréquentes allusions, notamment dans ce passage, ch. XLV ! « Comme, j'estions ontontifs : Et qui sommes-nous? —• Je

1. Conformité, éd. Feugère, p. 86. Voir aussi les pages Instructives que M. Clément consacre à notre sujet, dans son beau livre sur Henri Es tienne t p. 405 et sulv.

2. Précelience, éd.- Huguet, p. 169,

3. Ibidem, p. 180. ..'-*.


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sommes ce que je sommes : je jouons. — Et que jouons-je? — Je jouons ce que j'ons. — Et qu'ons-je? — J'ons ce que j'ons. — Ons-je en jeu? — Si je n'y ons, j'y fons. Foin, ces Parisiens-ey me troublent ».

La gorge ou le gosier y est désigné par l'expression éminemment vulgaire de chemin delà vallée (cli. V), répondant aux appellations plaisantes vallée tVAngoulèmc, vallée de Josapliat, que cite d'IIautcl ; plus loin (ch. VII), estoffer des masçhoires exprime la môme notion que do nos jours se caler les joues...

Qui s'attendrait d'y trouver des expressions populacières encore usuelles comme:

... après beaucoup de telles foutimasscrics capitulaires, il fut résolu (cb. XXIV)... Mon père qui avoit mangé de lu vache enrayée (cb. XXVIII)... Pleures donc, et chiez bien des yeux (ch. XV)...

Cette dernière expression réaliste reparaît dans la Comédie des Proverbes (acte I, se. VI) : « Mais patience passe science, il ne faut point tant ckier des yeuoe;y> et revient au xvmc siècle, sous la plume de Caylus : « La chambrièro de sa femme qui chiail des yeux dans un coin i ».

Elle est encore usuelle, à côté de chialer, pleurer (Rictus, Coeur, p. 30).

COMÊDIK DES PROVERBES. — Bornons-nous ici à ces romarques et passons maintenant à la Comédie des Proverbes, imprimée en 1G33, pièce amusante et spirituelle d'Adrien de Muntluc. Par le fond comme par la forme, cette production appartient au xvic siècle plutôt qu'au xvne: l'auteur, qui a souvent utilisé Rabelais, était un excellent connaisseur du vulgaire parisien, dont il reproduit avec bonheur les tours, les dictons, les tonnes particuliers.

s Pour du latin, je n'y enlens rien; mais pour du grès,-Je vous en casse 2 (acte I, se, IV):

Je croy que lu as fait ton cours à Asmcrcs, c'est où tu as laissé manger ton pain à l'asne... (acte I, se. VII).

1. OVULTCS badines, 1787, t. X, p. 30.

2. Cf. Oudin, Curiosités (1010) : c Casser du grez, c'est-à-diro fairo pou do choso do quoiqu'un. Vulgaire. J'en casse, jo. n'y ontens rien. Noslro vulgaire allonge le quolibet et dit : Je n'entens rien au Latin, mais du Grec j'en casse. C'est une allusion à grez. Vulgaire »,


8 INTRODUCTION

S'il prenoit ma querelle, il luy feroil rentrer ses paroles cent pieds dans le ventre... et luy donnerait une prébende dans l'abbaye de Valan (acte II, se. III).

Le pendait 1 II fait Jacques Desloges. Il a raison, il vaut mieux estre plus poltron et vivre d'avantage (ibid.).

Voici maintenant quelques expressions vulgaires :

Si tu y avois seulement pensé, je ferois de ton corps un abreuvoir à mouches l et te monstrerois bien que j'ay du sang dans les ongles (acte I, se. VII).

La marmite est renversée, il n'y a ny fric ny frac (acte II, se. III).

Entrez seulement, vous verrez qu'elle n'est point tant déchirée * (acte III, se. V).

C'est d'un bout à l'autre une source inépuisable de l'esprit populaire et tout particulièrement parisien.

ANTOINE OUDIN.— Cette source précieuse pour la connaissance du bas-langage parisien au début du xvue siècle a été largement mise à contribution par Antoine Oudin dans son livre le plus connu : « Curiosités Françaises pour supplément aux Dictionnaires, ou Recueil do plusieurs belles propriétez, avec une infinité do Proverbes et Quolibets, pour l'explication de toutes sortes do livres par Antoino Oudin, Secrétaire Interprète de Sa Majesté, Paris, 1610 ». . L'auteur, un des meilleurs pbilologucs do son époque, avait étudié à fond les auteurs du xvie siècle, tout particulièrement Rabelais, Marot, Ronsard, et surtout la Comédie des Proverbes, dont il a recueilli la plupart des citations proverbiales.

Dans un avis adressé Aux Etrangers il s'exprime ainsi : « Je déclare icy par une protestation très expresse que mon dessein n'est pas do déterrer les mofls ny d'offenser les vivans... Le seul but où je vise, et que j'estimo assez raisonnable, est de purger les erreurs qui se sont glissées dans la plupart des pièces qu'on a mises en lumière pour l'instruction des étrangers... Jo no touche point aux escrits des Anciens V

i. Oudin, Curiositet (16S0) : » Abreuvoir à mouches, une grande playe sus la teste, où les niousches peuvent Loire. » L'expression so lit dans lo poissard: Avec son tranchot escarmouche Tout en fesant des abreuvoirs ù mouches...

(Let Vorcherons, 1173, chant v).

2. Oudin: t Elle n'est pas trop de'chirée, elle est passablement belle. Vulgaire. 1 Expression ironique encore usuelle.

3. Oudin entend par t Anciens » les grands écrivains du xvic siècle, en premier lieu Rabelais, Ronsard et Montaigne


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dont la profondité surpasse tout à fait la faiblesse de mon entendement; mais, sans sortir do mes bornes, je me contente do dire que depuis peu nostre langue est tellement embellie que leur vieille façon d'escrire à peine est rcconnaissablo auprès celle du temps... »

La majeure partie du livre est consacrée à l'explication dos locutions vulgaires que l'auteur a pris soin de marquer d'un astérisque: « Pour ce qui est do l'étoile et du mot Vulgaire), il faut entendre que ce ne sont pas dos phrases dont on so doive servir qu'en raillant ». Ces Curiosités constituent aujourd'hui les éléments les plus utiles de l'ouvrage, qui est devenu pour nous une des sources le plus fréquemment consultées.

LE BURLESQUE. — Quelques années après la publication d'Oudin commence la période du burlesque (16i8-16b2), réaction générale contre « les grands genres .et les nobles sentiments ' ». Charles Sorel précède lo courant et s'y rattache intimement par son Histoire comique de Francion, parue en 1622, où il défend expressément l'usage des termes populaires (1. XI, p. 38o, éd. Colomboy) : « Dedans ce livre on pourra trouver la langue françoise toute entière et que je n'ai point oublié les mots dont use lo vulgaire. »

D'autre part, le burlesque a suscité uno dizaine de mazarinades écrites dans le patois, de la banlieue parisienne: les Agréables Conférences de deux païmns de Saint-Ouen et de Montmorency sur les affaires du temps, parues successivement do 16i9à 16G0. M. Uosset qui les a étudiées récemment 2, y voit, avec raison, une variété de la langue burlesque et « la variété la plus burlesque », distincte de la langue populaire proprement dite, telle que la parlaient les marchands des halles et les paysans de la banlieue.

Lo genre burlesque, représenté en premier lieu par Scarron

1. P. )irano\, Histoire de la langue, t. II I, p. 75. Voir eu dernier lieu, sur lo burlesque, l'étude de H. Heiss, dans le t. XXI (i'JOS) des liomanische Forschungen.

Voici les oeuvres burlesques qui présentent de l'intérêt sous lo rapport de la langue : Scarron, Virgile travesti, 1GIS. L. Richet, L'Ovide bouffon ou les Métamorphoses burlesques, 1G19. D'Assoucy, Ovide en belle humeur, 1G50. <!li. Le Petit, Chronique scandaleuse, iGoï.

2. Dans sa thèse sur Les Origines de la prononciation moderne t'tudiées au XVlb siècle, d'après la remarques des grammairiens et les textes en patois de la banlieue parisienne, 1911. L'Appendice donne l'édition critique des dix mazalinadesquo fJh. Nisard avait analysées dans son Etude, p. 321 a 3S4.


10 INTRODUCTION

cl (J'Assoucy. usait fréquemment, à côté d'archaïsmes, de mois et d'expressions des halles. Nous n'en voulons pour exemple que le terme gance, bande de liions, qui manque à tous les recueils lexicographiques des xvne au xvuie siècles ', hien qu'il ait pris un certain développement dans le poissard.

On le lit tout d'abord dans deux textes burlesques qui s<> complètent mutuellement 2. A propos de filous, l'un et l'autre se servent de l'expression lanterner la gance (des boulons). c'est-à-dire musor autour des boutonnières du^pourpoint pour les ouvrir et vider les poches subtilement.

De cette expression métaphorique on a lire gance, au sens de « filouterie » et de « bande de filous », acceptions qu'on rencontre pour la première fois dans le poème Cartouche (172u) do Granval, d'où il passa dans les diverses éditions au Jargon de l'Argot reformé, de 1728 à 1819. On le lit plus lard dans un écrit poissard de!76i: « Ces lurons de la ganse vont nous régaler de coco » 3, c'est-à-dire ces compagnons do la bande, ces filous.

Une autre.expression, ficher la gance. revient souvent dans les écrits poissards avec cette triple acception :

i° Provoquer des rixes (Vadé, Pipe cassée, 17i3, IIP chant).

2° Se chamailler, on venir aux mains {Les Porcherons, 1773, p. 158).

3° Causer du chagrin, ennuyer: « Dame, ça nous fiche la gance, et je sons escandalisés do voir attellor à la même charrue et manger au mémo râtelier do forts chevaux avec des rosses », Le Pacquet des mouchoirs. 17u0, p. 2G.

Ce terme curieux, ainsi que les locutions qu'il a produites, ont disparu à la fin du xvin 1' siècle.

PIIILIRKRT Li: Iluux. — Un grand nombre de ces expressions burlesques ont été recueillies par Philibert Joseph Le Roux, Français réfugié à Amsterdam où il publia son « Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial. Avec une explication 1res fidèle do toutes les Manières do parler Rurlesquos, Comiques, Libres, SaLyriqucs, Critiques et Proverbiales, qui peuvent so rencontrer dans les meilleurs Auteurs, tant Anciens que Modernes. Le tout pour faciliter

i. Gh. Nisard on parle soûl dans ses Parjfiiuniswei, p. 118 à 121.

2. D'Assoucy, Ovide en //elle hument', (l'J'jO, p. C0), et Charles Le l'élit, Cfirunique scandaleuse (1 .o'i), chapitre la Halle.

3. Amusement à In Grecque, ou les Soirées de lu Halle, ITOi, p 18.


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C^UP D'OEIL RÉTROSPECTIF 11

aux Etrangers, et aux François mômes, l'intelligence de toutes sortes de Livres ' ».

Cet ouvrage est constitué d'éléments divers. Le'Roux cite les principaux écrivains du xvi° siècle, « ces Auteurs qui ont paru dans le renouvellement des Lettres comme des phénomènes surprenans» : Rabelais, Marot, Ronsard y sont partout mentionnés. Viennent ensuite les plus connus auteurs comiques ou burlesques : Théophile', Scarron, etc; et. pour finir, des termes du bas-langage du début du xvnie siècle, audace dont il se défend dans son Avertissement: « Il y a aussi une longue liste de termes populaires qui n'est pas à dédaigner commo il pourrait le paraître d'abord. Combien de personnes distinguées qui ne sont jamais sorties do la Cour ou du grand monde et qui se trouvant quelquefois obligées de descendre dans certains détails avec des gens du peuple, ne comprennent rien à ce qu'ils leur disent ! Que ces personnes lisent le Dictionnaire comique, elles seront bientôt au fait de ce langage ».

Le Roux no se vante pas à tort, et les renseignements, souvent circonstanciés qu'il nous donne nous mettent parfois sur la trace de termes réputés obscurs. Ce que lui reprochait l'abbé Goujot 2 — « on no peut assez admirer la complaisance que l'Auteur a eue de s'humaniser avec le plus bas peuple, pour s'enrichir de ses façons de parler et do penser» — constitue aujourd'hui le plus grand mérite de cet ouvrage, dont nous allons donner quelques exemples.

Aigrefin, dans le style polisson, signifie un chevalier d'industrie, un faux joueur, un fourbe, un frippon. — ICgrefux, sobriquet qu'on donne aux officiers des régiments de soldats, lorsqu'ils sont en mauvaise ligure. Ces egrefins n'ont pour la plupart le sou cl sont tout le long du four enfoncés dans un café ou autre lieu public à se tirailler, et à faire des polissons.

Ce terme do la seconde moitié du xvti 0 sièclo 3, n'est que la prononciation parisien no d'agrifin, dérivé d'ctfjriffer, prendre avec les griffes (cf. jouer des griffes, voler avec adresse, d'Hautcl), d'où la notion de fripon, voleur ou de chevalier d'industrie 4.

1. C.etto première éililiou est do 1718 Le livre fut reimpiimô à Lyon en 1733 et à Paris (sous la rubrique Pampelune) en 1780.

2. Ilibliothèque Françoise, 17U, t. I, p. 292.

3. Voir les textes cités dans Drunot, Histoire de 11 langue, t. IV, p. 590.

4. Des deux sens antérieurs donnés à aigrefin par Cotgravo — i a certaine Turklsh coyno, also a fish... ^ — le dernier n'est qu'une prononciation ultérieure d'esclcfin; quant à l'acception de t monnaie orientale », qu'on lit exclusivement dans Rabelais, v. la tlevue des Etudes rabelaisiennes, t. VII, p. 400.


12 INTRODUCTION

Boutan. C'est un lieu de débauche... dans de petites rues écartées du grand inonde, dans une maison de mauvaise apparence... Les chambres y sont obscures, malpropres et sans meubles, parce que les jeunes gens qui y vont.., y font souvent du tapage et jettent tous les meubles par la fenêtre '...

liredindin. A Paris- il a passé en usage pour exprimer un carosse petit et en mauvais équipage, comme ceux des fiacres. On leur a donné ce nom, parce qu'en roulant sur le pavé, ils font un bruit enragé 2. Cf. ltichelet : « Dredindin. llol burlesque qui se dit en parlant. C'est une sorte de petit méchant carrosse a cinq sous par heure qu'on appelle plus ordinairement fiacre ».

Cabaret borgne. C'est un dicton en usage à Paris, pour dire un mauvais cabaret, taverne où l'on verse du mauvais vin, du ripopé et du guinguet; cabaret écarté et enfoncé dans une rue écartée du grand passage, comme dans un cul de sac, où ceux qui y vont boire sont empoisonnés 3.

Ces indications ont parfois un intérêt particulier, par exemple pour le mot classe. A quelle époque est-il devenu populaire? Littrô se borne à nous dire que ce terme a été employé, au xtve siècle, par Ucrsuire, avec le sens technique du latin classls, une des cinq divisions qui à Rome étaient imposées et jouissaient de droits politiques; qu'au xvi° siècle, Montaigne se sert du mot avec cet autro sens du latin classis, subdivision des élèves d'un collège. Le Dictionnaire de Furetière (1690) ne donne encore que ces deux acceptions.

A quelle époque commenco-t-il à désigner un rang social? C'est Le Roux qui nous rotiseigno : « Classe. C'est un mot fort à la mode (au début du xvnp siècle) qui a môme été approuvé par les plus beaux esprits de France, quoique au commencement il trouvât peu de partisans; cependant, comme on a remarqué qu'il était fort expressif, môme facile à la prononciation, il a trouvé sa place. On s'en sert au lieu do rang, ordre... »

LE IOISSARD. — Lo Dictionnaire comique de Le Roux, avec

1. Ménage, boucan : t On appelle ainsi à Paris et à ilarscille un méchant bordel ».

2. Dans le Bas-Maine, berdindin désigne le bruit que fait la sonnette d'une porte et mauvaise voiture (Dottin). Ce tenue est aujourd'hui restreint à la marine.

3. Oudin le donne déjà : « Cabaret borgne, taverne où l'on donne à boire sans fournir de viande et sans mettre do nappe sur la table ».


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ses nombreuses éditions, constitue en quelque sorte le point de transition du burlesque du xvn° siècle au poissard 1 de la seconde moitié du xviue. Ne cherchons d'ailleurs, entre ces deux genres, aucun rapport essentiel : le burlesque est avant tout une parodie, d'origine et d'allure essentiellement littéraires; le poissard est l'image de la vie des basses classes parisiennes, tout particulièrement des dames de la Halle et des harengères. « Le genre poissard, dit Fréron, n'est point un genre méprisable, et il y aurait certainement beaucoup d'injustice à le confondre avec le burlesque, celte platitude extravagante et facile du dernier siècle, qui ne pouvait subsister longtemps parmi nous. Le burlesque ne peint rien; le poissard peint la nature, basse si l'on veut aux regards dédaigneux d'une certaine dignité philosophique, mais très agréable, quoi qu'en disent les délicats... M. Vadé est le Téniers de notre littérature » 2.

Los harangères 3 avaient depuis longtemps une réputation fâcheuse. Au xve siècle, Guillaume Cîoquillart no les oublie pas (t. I, p. 179) :

Des injures lo tiltre est mis... I'ensez que ce filtre est prins Entre ces vieilles harangiercs...

Kt au xvic, Des Périors en fait le sujet d'un do ses Joyeuse Devis, nouvelle LXIIl: « Du régent qui combatit une liaraugero du Petit-Pont, à belles injures ».

Au xvnc, la première partie des Nouveaux Compliments de la place Maubcrt, des Halles, etc., IGii, porte comme titre: « Des Poissonnières et dos Hourgcoises » et offre des échantillons assez réussis du genro mis à la modo un siècle plus tard par les pochades de Vadé et de Lécluso.

i. Ce mot avait tout d'abord le sens do voleur, comme il résulte de ce passage de l'Esperun de discipline du Frère Antoine du Saix (Paris, 1532, fol. a III v) : « A quoy jusques icy très mal ont visé messieurs les poissards, je dis Milliers et prélatz ecclésiastiques ».

Ce sens primordial a toujours prévalu dans le jargon : Puisse, voleur, et poisser, voler, figurent dans le vocabulaire des Chauffeurs (1S00) et le vocable a gardé cette signification dans l'argot moderne : « Etre poissé, être pris en flagrant délit de vol » (Hayard).

C'est au XVII* siècle, que le mot fut appliqué aux harangères : t Poissarde, une vendeuse de marée, par mespris » (Oudin, lOlU;.

2. Année littéraire pour 1731, t, IV, p. 350.

3. Le mot avait un sons plus large à cotte époque : t Harangères. Ce sont toutes les femmes de la plus basse condition de Paris, comme vendeuses d'herbes, crieuses de vieux chapeaux, et autres canailles, qui chantent, mille injures aux passans, qui sont insolentes et effrontées • (Le lloux).


H INTHODUCTION

C'ost vers la môme époque (lG5l)quo Derthod, dans sa Ville de Paris en vers burlesques, nous donne.un « Compliment de / harangères do la Halle ».

Dire de grosses injures, c'était engueuler quelqu'un, verbe éminemment poissard, comme le prouve le titre d'une comédie-parade par Boudin, de 1751, dont l'héroïne est une marchande de maréo : -4 Madame Engueule ou les Accords poissards ». Le Père Desgrango proteste encore, en 1821, contre l'expansion de ce verbe expressif: « Engueuler, synonyme de mordre et d'injurior. Comme ce n'est quo dans les faubourgs qu'on a adopté ce mot, fermons-lui les portes de la ville, ou gare la contagion ! »

\| L'initiateur du genre poissard est Jean-Joseph Yadé(17191757) qui publia, dès 1713, le chef d'oeuvre du genre, la Pipe cassée, et les Bouquets poissards qui en font suite. Ecrits dans le langage imagé, énergique et brutal des dames de la Halle, ces deux petits poèmes obtinrent une vogue considérable. La réputation de l'auteur s'accrut encore par les Lettres de la Grenouillère (1719) et la pastorale de Jérôme et Fanchonnette (1755), qui gagnèrent los lecteurs par le naturel du sentiment et la vérité de l'expression l. Vadécst un des meilleurs représentants du réalisme au xviu 0 siècle. Ces scènes pittoresques, il les avait puisées dans les endroits populaciers par excellence :

Courtillc, Percherons, Villette ! C'est chez vous que puisent ces vers. Je trouve des tableaux divers, Tableaux vivans où la nature Peint le grossier en miniature.

{La I'ipe Cassée, Chant II)

Dans ses tableaux et ses dialogues, Yadé manie avec beaucoup de bonheur le bas-langage de l'époque qu'il avait recueilli delà bouche des débardeurs des ports de Paris, de celle des femmes des Halles et de la populace des faubourgs. Ce poissard ne diffère pas beaucoup do celui du xx° siècle. Beaucoup de termes vulgaires parisiens dont il usa pour, la première fois sont encore vivaces et plusieurs ont pénétré dans la langue générale. L'importance linguistique qui s'attache à ses écrits dépasse la portée du genre qu'il a rendu célèbre.

1. Nous les citons d'après les OEuvres de Vad'ô, édition donnée en 1875 par Julien Lemer, chez Garnier frères.


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C'est grâce à lui qu'ont été propagés quolquos-uns dos mots populaires quo nous allons passer on revue.

AGONISER, accabler d'injures, so lit tout d'abord dans le IIIe Bouquet poissard de Vadé : « Ne l'agonisons plus... », à côté d'agonir, dans une eoinédio du inèine, Les lïaeoleurs, 17oG, se. XIV: et Ah! ça, Monsieux, je suis reconnaissante; tiens, ma fille, sans ly pétais agonie par sle femme... »

D'IIautel domio celte dernière forme: « Agonir quelqu'un de sottises, l'injurier, l'invectiver de paroles sales et outrageantes ». La première a soulevé les protestations des grammairiens : « Agoniser est un verbe neutre qui signifie être à l'agonie... mais ne dites pas: il ['agonise du malin au soir, elle Y agonise de sottises, il le tourmente, il le vexe... », Michel, 1807 •.

Le passage du neutre à l'actif qu'a subi agonir ou agoniser est pourtant un phénomène courant dans ie développement historique de la langue: « Etre à l'agonie » devint « mettre à l'agonie » à force d'injures.

L'une et l'autre formes sont encore usuelles aussi bien dans les parlers provinciaux (Bcrry, Poitou, Normandie, etc.) que dans le langage parisien : « Ces zigues d'attaque qui... étaient agonises de sottises, traînés dans la boue... », Almanack du Père Penard, 189 i, p. 53. — « On ne trouvait assez de mots dans les journaux pour l'agonir », Bercy, XXIP lettre, p. 4.

BRINGUE, morceau, pièce, dans le IVe chant de la Pipe cassée de Vadé:

Ma pipo, dit-il, est cassée!

Ma pipe est en bringue, mille guicux !

D'IIautel donne le terme mettre en bringue, pour dire briser quelque chose, et il est oncore usuel dans les parlers provinciaux (Berry, Anjou, etc.), à côté do débringue, débraillé 2, ou être en débringue, avoir les vêtements déchirés.

1. On en lit l'écho dans l'anonyma Dictionnaire des locttlions vicieuses de 1835, et jusque dans Littré qui trouve agonir « du plus mauvais langage, » tandis que le Dictionnaire général noie qu'on dit à *ort agoniser pour agonir. . 2. i Cette allure débringuéé qui le rendait irrésistible, » Huysmans, Soeur Marthe, p. 19S. — Cf. aussi Michel, 1807 : t Mettre en bringue, débringuer ne sont pas français. On les emploie pour casser/démantibuler, friper. Ne dites pas : Mettre en bringue, débringuer une voiture, une armoire, un vieux meuble ; il est en bringue, il est débringué ; cet enfant a mis en bringue tous ses habits, ses livres ».


1G INTRODUCTION

Le mot brinyue est la forme nasalisée de brique, môme sens (cf. brimbe à coté de bribe) : « Voilà ma jolie pipe en briques! » dit-on à Genève (Humbert).

GOUAILLER, so moquer grossièrement, mot fréquent dans la littérature poissarde: « Je sais bien qu'il a fait une moquorie sur votre intention, mais alors qu'on gouaille pour badiner, ça n'est pas pour tout de bon », Vadé, Lettres de la Grenouillère, p. 82.

Gouailler est un fréquentatif do (jouer, gaver, gorger (cf. en français engouer), d'où se moquer de, quoiqu'un, associalion d'idées fréquente (cf. le bourguignon, bressan, dégouailler, dégoisor, parler beaucoup.)

Co verbe, comme le précédont, n'a pas trouvé grâce aux yeux des puristes: « Dire des gouailles, gouailler, gouailleur ne sont pas français. Se gausser de quelqu'un, railler quelqu'un, etc. », Michel, 1807. — « Gouailler. Barbarisme. Quel dommage que ce mot no soit pas français ! Depuis que railler a perdu sa popularité, son énergique successeur gouailler a fait son chemin, et je crains qu'en voulant l'assommer, tous les gouailleurs présents et futurs ne me blâment; n'importe, je le chasse ainsi que gouaille et gouailleur », Desgranges, 1821.

Malgré la condamnation des grammairiens, ce parisianisme du xviiie siècle est entré définitivement dans la langue générale, et il persiste dans la plupart des parlcrs provinciaux.

Son ancien synonyme gouger, plaisanter, signifie proprement gorger et so gorger d'aliments (sens de gouger en poitevin, Beauchet-Fillcau), et se lit dans une mazarinado parisienne de IGiO (éd. Rosset, p. 32):

JAXIN. — Ta parlé au Rouay? PIAIIOT. — Guian ouy. _,

JANIX. — Et y t'a bayé à deincr? PIAROÏ. — Banantandu. JANIX. — Malpeste, queme tu gouges...

i GUEULETON, repas copieux, dans le IIe chant do la Pipe cassée :

Chacun d'eux;suivi de sa femme,.,. Firent'un ample gueuleton.

Terme populaire très répandu : « 11 s'était payé... un gueuleton soigné, des escargots, du rôti et du vin cacheté... », Zola, Assommoir, p. 144.


COUP D'OEIL RÉTROSPECTIF 17

Et surtout dos termes relatifs à la bouverio, encore très usuels, comme godailler, paf et riboier, etc.

Un mot fort usuel dans le poissard esc faraud i (transcrit aussi fareau) pour petit maîtro, coquet ou amant: « Allez, mamcsello, que je dirai, ça est énutile, vlà tout, charchez dos farcauoe ailleurs » (Vadé, Lettres de la Grenouillère, p. 78). Vadé en trace ce portrait dans sa Pipe cassée, IVe chant:

Tout allait bien. Quand dos fareaux, Sur l'oreille ayant leurs chapeaux, (laiiue en main, cheveux en béquilles, Entrèrent sans façon...

Ce vocable est encore usuel à Paris et dans les provinces, pris parfois en mauvaise part ou ironiquement : « Au fond, ils se trouvaient farauds, ils goûtaient ce vent », Courtclino, Train, p. 2ib. « C'est un/a/*rt«rf qui so croit appelé à de hautes destinées », Père Peinard du 3 août,"1890, p. 10.

C'est un emprunt méridional: prôv. faraud, élégant, coquet, probablement identique à l'anc. prov.faraute, héraut 2. En espagnol, faraute, anciennement héraut, a acquis le sens familier de factotum, et en portugais, celui d'inlormédiaire ou d'intrigant.

Ajoutons que, dans le poissard, les termes littéraires sont souvent estropiés (comme il arrive aujourd'hui encore aux gens du commun) ou détournés de leur sens : Civiliser (Vadé, p. 30, 90) signifie-fairo des civilités, flatter; inventaire est pris pour éventaire (Vadé, p. 36, 56), etc.

On y rencontre des formations analogiques : consolance (p.. 76), doutance (p. 73), valissance (p. 72), à côté do capablement et capabletë (p. 42 et 89), otc. Des altérations lexiques, analogues à ce qu'on appelle ctymologies populaires. On lit dans le Ve chant des Porcherons (1773) :

Il m'est avis à moi que Vengrâisseitr •

Doit payer les frais de ce malheur,.

c'est-à-dire que 1' « agresseur » 3 doit payer les frais de l'esclandre.

i. De là le dérivé farauder, faire le faraud, faire le coquet (Les Porcherons, 1773, I« chant), encore vivaco (Anjou, Picardie, etc.).

2. De là, dans l'argot ancien, dés la fin du xvi« siècle : Pharo, gouverneur d'une ville {Jargon, 1623) ; faraud, monsieur, cl faraude, madame {Jargon, 1849).

3. Voici la note amusante qu'y ajoute,Ch. Nisard, Etude, p. 433 : c Engraisseur, le provocateur. Terme d'argot d'une grande profondeur, le soldat, soit qu'il tue, soit qu'il soit tué, servant à engraisser la terre ».,

2


18 INTRODUCTION

La grando réputation dont Vadê jouit jusqu'à sa mort (1787), lui suscita nombre d'imitateurs, parmi lesquels lo plus connu est Lécluso (1711-1792), dont les écrits poissards ont souvont été imprimés avec eoux du maître '. Le plus lu do sos ouvra*t ges, Le Déjeuner de la Hape'e, ou Discours des Halles et des Ports (1755), avait paru, dès 1748, sous lo litro de: Léclusàde ou les Déjeuners de la Râpée.

Touto une sério de publications allant do 1750 à 1790 — auxquelles il faut joindre» malgré sos allures littéraires, un poème en sept chants V tes Porcherons (1773), uno des meilleures productions du poissard, — ont enrichi ce genro qui nous ronsoigno abondammont sur le bas-langago du xviue srèclo et nous fournit dos donnéos précieuses pour toute une partio du vocabulaire national dérivée do cetto humble source 3.

N'oublions pas cet érudit spirituel qu'était lo comto do Caylus (1692-1765). Grand amateur du bas-langago, ot« franc Gaulois » (comme il s'appelle lui-même), il so plaisait dans la société des ouvriers et du menu peuple II on a rapporté les Ecosseuses (1739), où il a noté los comméragos dos femmes qui écossaient des pois, histoires qu'il a écrites malheureusement « avec un meilleur stylo et plus en français qu'elles n'étaient dites ». Do beaucoup plus importante, sous le rapport du langage populaire, est YHistoire de M. Guillaume cocher, racontant les avonturcs arrivées à des personnes lie tous états que le fiacre a servies. L'une et l'autre productions ont été insérées dans le Xe tome de ses OEuvres badines, Paris, 1787.

Un autre litlérateur jcélobrc, Sébastien Mercier, auteur dû

A. Par exemple, la belle édition in-l\ donnée à Paris par Didot, en 1196.

2. Publié dans les Amusemens rkapsodi-poétiques de Paris, 1173. . 3. Voici la liste des autres écrits poissards qui nous ont fourni des citations : ' "* .:••■'■:,

Le Paquet des mouchoirs, monologues en vaudeville et en prose, 1750 (attrj- \ bué à Vadé), où un savetier parle de soi} métier, de ses voisins, de s'os amis, do ses maîtresses.

Amusement à la grecque ou les Soirées de la Halle par un ami do *eii Yadé... Paris, 1764. . >■ ■ : . : ' '

-'• ^.Cahier des plaintes et doléances des dames de là Halle et des marchés de Paris, ; rédigé au grand salon des Porcherons... Ecrit à l'ordinaire par M. Josse, écrivain à la pointe Saint-Eustache, 1789. . * . .

Le dernier écrit de ce genre, Riche-en-gueule ou le nouveau Vadé (Paris,.. 1821); n'est qu'un pastiche des précédents. '_'"' -;..■-.

Ch. Nisard nous donne; dans son Etude, p. 319 à 3(6, des Notices et Extraits des principaux écrits en patois parisien. La plupart se trouvent actuelle- . ment à la Bibliothèque Carnavalet, Catalogue, t. VII, Appendice. On sait ■-,' que Ch. Nisard avait préparé un dictionnaire do ces divers écrits» qui fojt ;

brûlé au mois de mai 1871, pendant la Commune, en même temps que l'an-, , cienne bibliothèque de la vilto de Paris, riche de plus dô cent, mille volumes.


COUP D'OEIL RÉTROSPECTIF 19

Tableau de Paris (1781-1790), no goûtait pas moins les vocables et les expressions vulgaires, dont il prend la défense à dill'érentes reprises : « Les mots proscrits de la langue — c'est-à-dire los mots du bas-langage parisien — sont positivement dans toutes les boucbes, depuis les princes jusqu'aux crocbeteurs », proclame-t-il dans un passago de son Tableau de Paris. Kt, ailleurs, il proteste éloquonimcnt contre les lacunes arbitraires des dictionnaires courants, qui se taisaient un mérite — et se le font encore, h61ast — de supprimer « tous les mots usités parmi le peuple ».

Voici à peu près les sources essentielles où l'on peut puiser des renseignements sur l'état de la languo parisienne à la (in du xvine siècle '. Complétons maintenant ces données sommaires par l'historique des Parisianismes et celui des Locutions vicieuses.

1. C'est ici que s'arrêtent les recherches de Charles Nisard qui, dans son Etude sur le langage populaire ou palois de l'aris el de sa banlieue (1872), ainsi que dans ses Parisianismes {1876}, avait fourni la première enquête sur notre sujet.


Il

PAiUSIANlSMKS

Les particularités propres au langage parisien sont du ressort do la prononciation ou du vocabulaire. Le terme parisianisme, pris dans ce sens, manque à tous les dictionnaires, et pourtant il ne s'agit pas d'un néologisme. Le mot et la chose remontent à Henri Ksliennc : « J'ay dict sarment pour serment: c'est un petit parisianisme de la place Mauberl qui m'est venu en la bouche », dit-il dans un passage de ses Dialogues parus en 1578 l.

11 faut passer deux siècles pour rencontrer do nouveau co terme. En 1760, Desgrouais écrit dans la préface do ses Gasconismes: « J'ai d'abord eu quelques craintes, en publiant ces Gasconismes, qu'on no s'indisposât contre moi,-connue contre un censeur public. Mais, que fais-je après tout, que co qu'ont fait Vaugolas, le Père Itouhours et lant d'autres. Ils firent connaître à Paris les Parisianismes, comme je fais connaître à Toulouse les Gasconismes 2 ».

Au xixc siècle, le mot est plus courant, sans ètro très fréquent; il est surtout pris au sons d'expression parisienne, employée soit par le peuple soit par les milieux mondains.

Charles Nisard, dans un opuscule paru en 187G, traite « do quelques parisianismes populairos... dos xvn° et xvmc siècles », c'est-à-diro des mots, tours et locutions propres au langage parisien tel qu'on le parlait aux halles et aux ports de Paris jusqu'au seuil du xixft siècle.

Les frères Concourt écrivent, dans leur Journal du 14 septembre 1882, à propos du Khédive,^ petit-fils de Mohemot1.

Mohemot1. Dialogues du nouveau langage, éd. Feugère, t. I, p. 317.

2. On lit ce terme dans une lettre de Joseph Scaliger à Jacques-Auguste de Thou, du 6 avril 1584, à propos d'un de ses pamphlets en français contre ceux qui l'ont attaqué (éd. Tamizey de Larroque, p. 165) : « Quant au livre, il me suffit que vous l'aiez veu. Tant y a qu'il ne s'imprimera poinct. J'avais prié le sieur [Henri] Eslienne de corriger les gasconismes, s'il y" en a, comme il y en peut avoir... » •


PARISIANISMES 21

Ali : « C'est un Oriental à la barbe rousso... Il joue do la langue française .avec une parfaito connaissance de tous los parisianismes, pimentés d'une certaine gouaillerie sentant le ruisseau » '.

Tout récemment, Fr. Loliée, dans une étude nourrie sur le parler « fin do siècle »J, donne à ce même terme une acception plus étroite, en le réservant au langage des salons et des boulevards: « Ce [lux de parisianismes dont sont inondés les livres do Gyp, de Marni, do Lavedan, do Donnay, do Willy et de maints autres amuseurs » 3.

Malgré cette restriction, l'étude est intéressante et pleine d'aperçus nouveaux. F/autetir résumo ainsi ses idées sur un sujet très délicat, d'un intérêt linguistique plutôt négatif, mais qui n'en marque pas moins un des aspects le plus curieux do l'esprit parisien do nos jours *: « En somme, ces façons dédire, bien que très épbémères, ont leur aspect intéressant et qui prête à l'étude. Quand elles tombent juste, elles ont, une fois do plus, le mérite d'être on beureuso concordance avec le tempérament d'un peuple qui, par-dessus tout, aime la verve libre, lo trait court et vif, l'esprit d'ironie, la bonne bumour. Ont-elles passé do mode, elles conservent une valeur documentaire, comme expression d'un coin do moeurs, d'une catégorie d'individus ou d'une fraction d'époque. Parcelles fugaces de la vie parisienne, elles sont le reflot papillotant de ses goûts, de ses fantaisies, do ses plaisirs ».

C'est ainsi que lo mot parisianisme, après avoir été appliqué aux divergences de prononciation du langage parisien et surtout aux termes particuliers do son vocabulaire, a fini par désigner l'osprit parisien lui-même, cette ebose subtile et presque insaisissable, qui a produit tout un petit monde d'êtres de raison. La société mondaine, do nature essentiellement artificielle, a trouvé son expression dans une série de vocables et des tournures factices, qui, après avoir vu le jour dans les journaux, ont trouvé leur refuge dans les productions de la littérature mondaine. Pour la plupart épbémères,. ces « parcelles fugaces de la vie parisienne », comme les ap1.

ap1. des Concourt, t. VI, p. 217. Voir Max Fuchs, Lexique du Juunial <les (lu)icourt, Paris, 1911.

2. Dans la Revue des Revues de 1889, t. I, p. 465 à 4SI.

3. Ibidem, t. I, p. 477.

4. Ibidem, p. 481. Voir aussi, dans la dernière partie de notre travail, le chapitre consacré à l'Argot mondain.


2î INTRODUCTION

polio joliment M. Loliéo, mènent ainsi uno ôxistenco purement livresque.

Mais revenons à l'acception la plus commune du mot/)a/*tsianisme, celle do vocable particulier à Paris. D'IIautel nous en a fourni un rocucil abondant au début du xi\° siècle et nous en possédons dix, vingt autres pour la fin du sièclo ; mais pour connaître les vocablos antérieurs à son époque, il faut glaner dans les nombreux dictionnaires { qui se sont succédé depuis Colgrave (1611) jusqu'au Dictionnaire de Trévoux (1771).

Le Dictionnaire de Richelet, dans ses éditions do 1680 et 1728, nous offre la sourco principale, à côté de Fureticre (1690), Ménage (1691) ot Trévoux.

« Les grands Dictionnaires du xvue et du xvme siècle, remarque Gaston Paris 2, viennent bien souvent en aido à l'étymologiste en lui apprenant l'histoire, le sens primitif, et dans certains cas l'origine môme do beaucoup do mots ».

RICIIELET. — Champenois de naissance. Richelet vécut à Paris une quarantaine d'années (1660-1698). Il a parfaitement connu le bas-langage de la capitale et il cite souvent des mots du « menu peuple de Paris » qu'il faut éviter :

Michon. Mot du petit peuple do Paris 3 qui veut dire quelque peu de bien (1727).

Paumer. Ce mot est bas et du petit peuple de Paris. Il veut dire souffleter *.

Piautre. Ce mot est offensant et de la lie du peuple de Paris qui dit : envoyer quelqu'un au piautre, c'est-à-dire l'envoyer promener d'une manière outrageante et injurieuse*.

Rengaine. Ce mot est bas et du petit peuple de Paris. // a eu un furieux rengaine, il a eu un refus fâcheux.

1. M. W.-Heymann y a cueilli une récolte abondante. Voir son article < Parisianismes chez les lexicographes du xvi' au xvm« siècles, > dans la Zeilschrifl fur neufranzôsische Sprache, t. XXXV, 1909, p. 306 à 324.

2. Mélanges linguistiques, p. 513.

3. C'est un terme de l'Argot ancien : il figure déjà comme tel dans le Jar~ gon de l'Argot reformé de 1628.

4. Dans le jargon, ce mot a pris de bonne heure le sens de c prendre, » c'est-à-dire d'empoigner, sens encore vivace dans le bas-langage : t Y sont facilement paumés, > Rosny, Rue, p. 302.

5. Oudin, 1640, donne : t Envoyer au peautre, chasser une personne », proprement l'envoyer coucher (anc. fr. peautre, grabat), ce qu'on exprimait plu s explicitement par envoyer au diable du peaultre (dans l'Ane. Théâtre, t. lï, p. 9i). L'expression se lit encore dans Vadé (Pipe cassée, II* chant).


PARISIAN1SMES 23

liigri. Ce mot esl un mot injurieux du petit peuple de Paris. « C'est un rigvi », c'est à dire une espèce de vilain et de ladre l.

Ita'gnonner. Ce mot est du petit peuple de Paris pour dire gronder *.

/toupiller. Mot de Paris 3 mais qui est bas et burlesque, pour dire s'endormir immédiatement après le repas (1727).

Tïinrjlc. Terme de boucher de Paris, (l'est une barre de bois qui est au-dessus de l'étal de boucher et où il y a des doux à crochets pour pendre la viande.

Trolcr. Mot burlesque du peuple de Paris. C'est se fatiguer à courir çii et là, et le plus souvent sans fruit (1727).

Tranlran. Ce mot esl du petit.peuple de^ Paris et il signifie la manière ordinaire de faire une chose, de se gouverner en une chose.

Arrêtons-nous sur ce dernier terme. Oudin donne (lGiO) : « Le tranlran, le noeud do l'affaire ; il entend le tranlran. il n'est pas ignorant, il est fin ou habile. Vulgaire. » L'expression est tirée de la Comédie des Proverbes, acte II, se. IV : « C'est que tu n'enlends pas lo tranlran, car tu es maladroit. »

C'est une onomatopée, exprimant lo brint que fait le moulin lorsqu'on blute la farino. Rapellons ce refrain d'une ancienne chanson (citée par Hécart en 1831) :

I,on la la,

Liron fal, En lo sac et lo blé, Kn le Iran Iran Iran, Kn l'argent du meunier.

FURETIÈKE. — Le lexicographe et littérateur Antoine Furetière (IG20-IG88; était Parisien, ce qui rend ses remarques d'autant plus précieuses.

La troisième édition de Furetièrc, donnée par Basnagc en 1727, est la mieux fournie en parisianismes. Citons-en :

lirocanleur. Terme en usage parmi les peintres et les curieux à Paris. C'est celui qui achète et revend ou troque des tableaux, des médailles et autres curiosités.

Gobé. Mot bas et du peuple de Paris. C'est quelque chose de friand, d'excellent à manger \

1. Le mot remonte au XVI* siècle : i Enfans maigres et regrotni, » Bouchot, Serées, t. II, p. 92. Gotgrave donne : Regrouvi, affamé...

2. Terme encore vivace, donné a la fois par d'Hautel (1808) et par Desgrange?, 1821 : t Rognonner, pour murmurer, est un mot du peuple ».

3. Vioux mot do jargon, d'origine provinciale.

4. Cf. Dictionnaire' de l'Académie de 1694 :. « Gobet, morceau que l'on gobe. Il est vieux ».


34 INTRODUCTION

7'antin ou tantinet. Terme populaire qui se dit pour signifier une petite quantité Je quelque chose. Le peuple le dit à Paris...

Co dornior vocablo, on l'a déjà vu, so rencontro sous la plume du poète parisien Villon.

MÉNAGE. — Lo Dictionnaire étymologique do Ménage (1691) donne égaloment un certain nombro de parisianismes, à côté de nombreux ternios provinciaux, contributions précieuses pour la connaissance du bas-langage du xvue siècle :

Clique. Le petit peuple de Paris appelle ainsi une coterie, une société. L'origine du mot ne m'est pas connue '.

Fiacre. On appelleainsi, depuis quelques années (1650), un carrosse de louage; à cause de l'image S. Fiacre qui pend pour enseigne d'un logis dans la rue Saint-Antoine, où on loue les carrosses.

Gigue. Vieux mot qui signifie cuisse *. Nous disons en Anjou grande gigue pour grande cuisse et on dit, en Normandie et à Paris, grande gigue, d'une fille qui est maigre et quiest dispote, s'il m'est permis d'user de ce mot (et gigue, fille qui a de grandes cuisses).

Goret," petit pourceau. A Paris on appelle goret le premier compagnon d'un cordonnier, lequel tient la place du maître en son absence à l'égard des autres compagnons.

Gripesou. On appelle ainsi à Paris ceux qui reçoivent les rentes sur la ville pour les rentiers, parce que les rentiers leur donnent un sou par livre.

Mion. En Anjou, on dit un petit mignon et à Paris on dit un petit mion pour un petit garçon (v° mignon).

Ce dernier terme est un vieux mot du jargon, encore usuel dans le Berry : « Ces pauvres niions, sont-ils gentils ! » (Jaubort).

TRÉVOUX. — Le Dictionnaire de Trévoux qui, dans sa première édition (1752), n'a été qu'une refonte de l'ouvrag&de Furetièrc, a utilisé, pour.l'édition de 1771, les données pro-; vinciales de tous les lexiques antérieurs, auxquels il a ajouté plusieurs centaines de provincialismos do son propre fonds. Dans cet ensemble, à côté de la* Normandio et delà Champagne, Paris occupe une place d'honneur. En voici quelques exemples : '

\. Clique, substantif tiré du verbe cliquer, faire du bruit, désigne primitivement toute assemblée bruyante : c'est le pendant do claque, groupe d'applaudisseurs dans un théâtre.

2. Cf. Furetière. éd. 1727 : c Gigue. Fille gaye et enjouée qui saute, qui gambade. On dit à Paris et en: Normandie une grande gigue, c'est-à-dire une fille grande, maigre et alerte. On s'en sert aussi, en badinant et au pluriel, pour signifier des jambes : 'il a de grandes gigues. Il est bas i.


PARISIANISMRS 25

Gobille. Nom d'un jeu et d'une petite boule avec laquelle on joue ce jeu. La canette est un jeu fort en usage eu Bretagne et en Anjou.., La canette s'appelle à Paris gobille ' (v° canette). •

Guinguette. Petit vin, vin faible qui n'a point de force... C'est apparemment de ce nom qu'on appelle à Paris les petits cabarets des environs de Paris, où le peuple et les artisans vont se divertir, surtout les jours de fêtes.

liippcr. Terme usité dans les douanes et sur les ports des rivières, particulièrement à Paris. Il signifie'faire couler, à force de bras, sur les brancards d'un haquet, les balles, caisses ou tonnes de marchandises, pour les charger plus facilement.

Comme on lo voit, ces renseignements puisés chez les lexicographes du passé ne manquent pas d'intérêt. Ils éclairent ot complètent utilement des faits qui ont pour la plupai't survécu, soit dans lo bas-langage parisien, soit dans les parlers provinciaux de nos jours. À partir de la seconde moitié du xixc siècle, ce sont des recueils spéciaux 2 qui nous renseignent abondamment sur les parisianîsmos de la période qui forme l'objet do nos études.

1. Le mot est encore usuel dans le Lyonnais : c Gobille, jouet d'enfant fait de pierre ou do marbre en forme de boule. On l'appelle bille à Paris », Molard, 1811.

2. Voir l'Appendice A : Dhtionnaires de l'Argot parisien.


III

LOCUTIONS VICIEUSES

Depuis lo xvnie siècle jusque tout près de nous, il a paru, sous le litre do Locations vicieuses, nombre d'ouvrages ou d'opuscules destinés à corriger, soit de prétendues fautes de prononciation particulières au peuple, soit ce que leurs auteurs appelaient des barbarismes, c'est-à-dire des termes vulgaires inconnus au Dictionnaire de l'Académie.

Ces divergences orthoépiques ou lexicologiques accusent souvent une haute antiquité; souvent aussi elles représentent plus fidèlomont que les formes correspondantes de la langue écrite, la tradition linguistique. Mais le zèle de ces grammairiens et puristes (les deux sont d'ordinaire inséparables) allait de pair avec l'ignorance, du passé de la languo, insuffisance d'autant plus excusable que les connaissances philologiques, peu communes à leur époque, étaient difficilement accessibles à d'humbles instituteurs.

Notons cependant que, dès le xvie siècle, le philosophegrammairien Pierre de la Ramée (appelé généralement Ramùs) avait déjà fait entendre la voix do la raison en matière de langage et protesté contre les procédés abusifs des grammairiens réformateurs. A propos de la graphie qui doit êtro une représentation exacte de la « prolation populaire », il écrit ceci dans sa Grammaire de 1572 (p. 30) : « Le peuple est souverain soigneur do sa langue, et la tient comme un fief de franc alleu, et n'en doit recognoissanco à aucun seigneur. L'escole de ceste doctrine [à savoir des grammairiens qui prétendent refaire cl réglementer la langue] n'est point es auditoires des professeurs Ilebrieux, Grecs et Latins en l'Université de Paris, commo pensent ces beaux etymologiseurs; elle est au Louvre, au Palais, aux Halles, on Grève, à la place Maubert... l »

1. On lit dans les Scaligerana, 1667, p. 6, à propos de Catherine de Médicis : c La Royne mère parloit aussi liien son goffe parisien qu'une revendeuse à la place Maubert, et l'on n'eust point dit qu'elle estoit Italienne ».


LOCUTIONS VICIEUSES 27

Los recueils didactiques do Locutions vicieuses, malgré leurs exagérations, ne sont pas sans intérêt pour noire sujot et, comme ils appartiennent pour la plupart au xixc sieclo, ils nous ont souvent fourni dos indications utiles sur l'expansion des termes vulgaires, objet do leur réprobation. Comme ils ne tenaient aucun compte de la vio ot du mouvement de la langue, leurs protostations réitérées restèrent naturellement sans eifot. La plupart dos vocables qui oxcitaienl leur indignation ou leur vervo sont aujourd'hui courants, ot plusieurs ont passé ou sont on train do passer dans lo Dictionnaire do l'Académie. C'est là d'ailleurs une évolution naturelle que la langue a subie à toutes les époques, mais jamais peut être d'une manière aussi frappante qu'à la nôtro.

M. Charles Bally a fait récemment ressortir en termes heureux cette antinomie traditionnelle entre la langue écrite ot lo parler familier, ainsi que l'illusion dos grammairiens à considérer la première comme uniquement légitime et digne de leur intérêt: « Il vaudrait la. peine do montrera quels excès et à quelles erreurs a conduit cette fausse conception d'une langue classique. C'est (t'abord le fétichisme de la langue écrite, accompagné, bien entendu^ d'un mépris souverain de la langue parlée, qualifiée do vulgaire, et qui est pourtant la seule véritable, parce que la seule originelle. C'est la suporstition d'une langue classique immuable, proposée comme modèle à toute la postérité; enfin l'action néfasto du purisme, qui veille jalousement sur co palladium et frappe d'interdiction toute forme nouvelle qui s'écarte do la correction. Nul effort cependant no parvient à arrêter lo mouvement irrésistible de la poussée vitale et sociale qui détermine l'évolution du langage. L'idiome vulgaire et par'é continue sa marcho, d'autant plus sûre qu'elle est sonterraine, il coule comme une eau vivo sous la glace rigide do la langue écrite et conventionnelle,, puis un beau jour la glace craque, lo flot tumultueux de la langue- populaire envahit la surface immobile et y amène do nouveau la vio ot le mouvement !. »

Los recueils de Locutions vicieuses ont pullulé, et presque chaque département en a vu écloro un ou plusieurs. Lo premier en date qui soit arrivé à notre connaissance porto ce ti1.

ti1. Langage et la vie, Paris, 1913, p. 12.


28 INTRODUCTION

Ire « Les Gasconismcs l corriges, ouvrage utile à toutes les personnes qui veulent parler et écrire correctement et principalement aux jeunes g,eris. dont l'éducation n'est point encore formée, par Dcsgrouais, professeur au Collège Koyale, Toulouse, 17G6. »

Une seconde édition parut en 17fi8, une autre on 1792, une troisième en 1801, une quatrième et dernière en 1819. L'ouvrage fut suivi par des recueils similaires jusqu'à nos jours 2.

Une trentaine d'années après Dcsgrouais, Lyon eut son grammairien : « Lyônoisismes ou Recueil d'expressions vicieuses employées môme quelquefois par nos meilleurs écrivains, auxquelles on a joint celles que la raison ou l'usage a consacrées, par Etienne Molard, instituteur, Lyon, 1792. »

Cet opuscule, successivement grossi dans les éditions u'térieures de 1797, 180t, 1810 et 1813 3, est l'ancêtre des recueils autrement importants publiés de nos jours par Nizier de Puitspelu i (1903) et Ad. Vachet (1907).

MICHKL.—- La Lorraine eut son recueil dès le début du xix" siècle, grâce au zèle do J.-F. Michel, direoteur d'une école secondaire de Nancy : « Dictionnaire des expressions vicieuses usitées dans un grand nombre de départements et notamment dans la ci-devant province de Lorraine, accompagnées de leur correction, d'après la Ve édition du Dictionnaire de l'Académie, à l'usage de toutes les écoles, Paris, 1807. »

Tandis que les opuscules de ce genre gardent d'habitude un caractère grammatical et orlhoépiquc plutôt que lexicologiquo, le petit livre de Michel s'occupe souvent « des termes vicieux dont la signification assez arbitraire n'a pu toujours être exactement saisie, » et nous avons tiré parti de ses remarques.

Voici d'ailleurs en quels termes il expose le but de son livre (p. VI) : « Cet ouvrage tend à prémunir les jeunes gens et les personnes de tout sexe et de toute condition contre les vices

1. Nous avons déjà cité le passage d'une lettre do Joseph Scaligcr, do loSl, où figure pour la première fois le terme gasconisme.

2. Le dernier en date est intitulé : (lascouismcs cl choses de (lasagne par L. Pépin, Paris, 1893.

3. Voir sur Molard et les grammairiens lyonnais à la fin du xvni« siècle, l'étude de G. Latrcillo et L. Vignon, dans les Mélanges llntnol, 1901, p £1)7 à 257.

4. Gelui-ci utilisa, entre autres recueils de ce genre, un manuscrit de N.-F. Gochard, du premier (juart du xix* siècle.


LOCUÏTONS VICIEUSES 29

ordinaires du langage... Tous y trouveront le moyen do se corriger, en grande partie, des fautes qui échappent en parlant, de n'apporter dans la société que des termes avoués par le bon usage, et de s'exprimer, soit do vive voix, soit en écrivant, dé manière à no pas s'attirer les reproches que l'on fait à l'ignoranco et le ridicule qui l'accompagne. »

Passons sur les publications similaires plus rapprochées do nous et consacrées aux différentes provinces *, et arrêtonsnous un instant sur celles qui concernent l'usage parisien et qui nous intéressent de plus près. Malheureusement, ces répertoires — depuis celui de Hlondin (1823) et le Dictionnaire anonyme de 1835 jusqu'au tout récent recueil de l'abbé Vincent (1910) — ne fournissent aucune donnée qui vaille, se répètent les uns les autres et témoignent tous de la môme inintelligence des faits linguistiques 2.

DESGKAXGES. —- Pour faire ressortir la nature spéciale de ce genre de publications et en caractériser la tendance puriste, qui lient exclusivement compte de la langue littéraire 3 d'une époque donnée, en faisant complète abstraction de l'évolution sociale et des transformations linguistiques qui raccompagnent, nous allons choisir le moins insipide do ces opuscules, celui du révérend Père J.-C.-L.-P. Desgrauges, jésuite, portant ce titre significatif : « Petit Dictionnaire du peuple à Vusage des quatre cinquièmes de la France, contenant un aperçu comique et critique des trivialités, balourdises, mots tronqués et expressions vicieuses des <jens de Paris et des provinces..., Paris, 1821 ».

C'est le recueil le moins connu, mais à coup sûr le plus intéressant du genre. Il offre nombre de remarques utiles, curieuses et instructives,'présentées sous une forme plus ou moins burlesque, mais toujours piquante.

I. Nous citerons, aux Sources, celles qui nous ont rendu des services.

-. J.-N. Hlondin, Manuel de ta pureté du luni/aye ou Recueil alphabétique du corrir/c des barbarismes cl des néologismes, des locutions vicieuses et des locutions impropres, Paris, 18:!3.

Dictionnaire ailique cl raisonné du l>in<ja<jc vicieuv vu réputé videur... par un ancien professeur, Paris, iS3j.

Ahbê Glôm. Vincent, Le l'eril de fa langue française, Dictionnaire raisonné des principales locutions et prononciations vicieuses cl des principaux néoluginnes, Paris, 1910.

3. Telle <[u'olle est rellélccdans le Dictionnaire de CAcadémie. Cf. DesgranKos, v La desserre: « C'est ainsi qu'on appelle la débâcle de la Loire; or, desserre n'est français qu'en province, et où l'on n'a ni académie ni dictionnaire ».


30 INTRODUCTION

Non pas que son auteur témoigne de plus d'intelligence que ses prédécesseurs, mais il sait donner à sou oxposé une verve, une bonne humeur qui mérite l'indulgence : « C'est en rappelant à la masse, pour laquelle j'écris, ses fautes journalières, que je prétends l'obligera moins mal s'exprimer... Si, par mon Dictionnaire,' un de mes lecteurs s'en défait..., devenu puriste sans s'en douter, il se rira de ses amis et de ses proches que je cherche à extirper. »

Le recueil renferme, dans sa première partie, un « petit Dictionnaire du peuple, » p. 9 à 93, avec cette remarque : « Lç lecteur est prévenu que j'appellerai barbarismes tous les mots qui no sont pas français »; et, dans sa seconde partie, p. 94 à 1G2, une liste de «Phrases vicieuses, balourdises principales, sans raison ni sens, classées autant que possible par ordre alphabétique. »

On y rencontre certaines données qu'on n'est pas habitué de lire sous la plume de ses congénères.

Argot des boulevards :

/{affalé. Grand mot des boulevards \je suis raffale, pour il ne me reste rien, n'est pas français.

Ce ternie expressif, qui manque aux dictionnaires jusqu'à Uescherolle (1845), se rencontre, au début du xix,! siècle dans un écrit posthume du peintre-graveur Ambroisq Louis Garneray, Mes Pontons (1861), ch. II, dont la scène remonte à 1806: « Je vais te mener voir le quartier des rafales; connais-tu ça, toi, les rafales ? Comme ce mot, originaire des pontons, n'avait pas encore pris son essor et fait son entrée dans le monde, il m'était complètement inconnu... Avant tout, Bertaut, pourrais-tu m'expliquer d'où vient ce mot de rafale 1? — Pardi, c'est pas maiin à deviner. Est-ce qu'en terme de marine, rafaler ou affaler no signifie pas descendre quelque chose, se trouver sous le vent ? Kh bien ! un rafale est un garçon qui est en bas, qui est sous le vont de sa bouée. »

Argot des chiffonniers :

Guinche, veut dire guinguette, guincher est proche parent de bastrinquer. J'engage ceux qui ne veulent point prendre le genre d'éviter d'employer toute cette famille de mots et de la rejeter sur le tas d'ordures d'où les chiffonniers ont voulu les retirer, c'est à eux seuls qu'appartient de guincher. .


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LOCUTIONS VICIEUSES 31

Picaillpns, argent — Nous n'avons plus de picaillons — est un mot de négociant au crochet*.

Argot des faubourgs :

Arsouille et s'avsouiller sont des mots sublimes. Je conseille de les adopter et surtout de prendre l'air qu'ils indiquent, peut-être à l'instar des faubouriens. A propos des faubouriens, voilà un mot (c'est-à-dire faubourien) qui n'est pas non plus à dédaigner; on le souU're déjà sur le théâtre, à rien ne tienne qu'il s'introduise dans les salons. ' iïcorner, il a l'air de tn'écorner, en langage d'arsouille, veut dire blâmer. C'est du français de la mère Itadis a.

ICnrliumer, ennuyer. C'est du verbiage des faubouriens.

(iofjcr, le camarade la gobe. La charmante expression pour exprimer être dupe, être attrapé, n'est bon que sur les bancs de nos Rnniponneaux des barrières; en rentrant dans Paris, il faut l'oublier.

Juguler. Cela me Jugule, disent trivialement les gens, à bon droit, nommés arsouilles.

Argot des troupiers :

/laslringuer, aller au bastringue. Voilà du français de la Itapée ou de la Courtille. (les mots doivent la naissance à nos soldats.

llriquct, petit sabre, est Un mol de soldat.

l'équin, pour bourgeois. Barbarisme. C'est un mot de la soldatesque.

Platine pour langue. Barbarisme. Quelle platine il a! C'est une . phrase de soldat 3.

Vanner, en jargon du Cadet et du b'anfan, veut dire s'enfuir \

Emprunts provinciaux :

Charabia. C'est ainsi qu'on appelle les Auvergnats ou bien le jargon qu'ils parlent entre eux; mais charabia est du français des portes de l'a ris.

l'c'lra, pour paysan. Barbarisme. C'est du charabia Orléanais 5.

//(«/)«//, pour rapineur. Barbarisme usité à Orléans parmi les gamins.

Ce dernier mut est devenu le sobriquet de J'apprcnti-pcin1.

J'apprcnti-pcin1. nom méridional se lit déjà dans un écrit poissard de 1750 (v° Dict. général).

2. NToiu d'une gargotière de la Villctlc.

•'i. D'Ilautel su borne à dire : « Platine, pour dire une lionne langue, une vok forte, un gosier rustique, lia une bonne platine, se dit d'un grand babillard... d'un cricm* public qui fait do grands efforts de voix ».

4. Dans le Bas-Maine, se canner signifie s'agiter dans l'eau ou dans la poussière, un parlant des animaux et spécialement des oiseaux ijui battent l'euii avec leurs ailes (Dottin).

■i. Cf. Molard, 18H : t Vélra, homme grossier et ignorant. C'est un pétra. Je crois que co mot peut être remplace par coux de rustre ou tnananl ».


82 INTRODUCTION

tre: rapin, induit de rapiner, signifie à la fois avare (Lyon) <3t vaurien (Normandie).

Ces indications, on le voit, ne manquent'pas d'intérêt, aussi bien pour fixer la date d'introduction de tormes alors nouveaux que pour indiquer les milieux spéciaux où l'on s'en servait.

Que l'autour manque de sens pour tout ce qui concerne l'histoire do la langue, riori d'étonnant pour l'époque. Voici, • selon lui, deux « barbarismes », dont l'un et l'autre remontent cependant à Rabelais: v '

* •

Coronel, pour coloriel. Ce mot de coronel est peut-être français à Strasbourg ; mais à Paris, c'est un dialecte soldatesque. Oargamelle, pour gosier, est un barbarisme des plus grossiers.

Deux autres archaïsmes sont égalomont condamnés par ce censeur rigoureux :

Du pain d'amonition. J'engage nos lecteurs à dire pa5«* de munition, c'est un peu plus français 4. Armmétique, pour arithmétique, est une faute grossière.

Litlré remarquo à propos du premier : « Lo pouple dit d'ordinaire amonition, c'est un archaïsme: amunition se trouve dans Carloix et dans Paré ». Quant au deuxième, il remonte encoro plus haut: l'ancienne langue no connaît qvfarismétique, qu'on lit dans Brunctto Lalini, dans le Romande la Rose, et dans Orcsmc.M. Jcrosmo Dubois, «pôcheux du Gros-Caillou », écrivant à tnamescllo Nanetto Dubut, «blanchisseuse de linge fin », au sujet do Cadet Hustacho, le déclaro : _; « C'est un fignolcux/mais y fait trop le fendant, à causo qu'il a du bec, ot qui fait la rusmétique comme un abbé... * »

Certes, on ne saurait reprocher à notre grammairion d'igrio-- rcr on 1831 ces témoignagos historiques ; néanmoins, co qui ne laisse pas de surprendre c'est sa totale inintelligence du côté métaphorique oit rhétoriquo du langage • *7

On sait que lo vulgaire affection no les images grossières, les comparaisons banales : il assimile, par cxcinplo, lu roni.

roni. : i Vain de munition. Le peuple dit habituellement et par corruptîon pain d'amonition, » et Dictionnaire de locutions vicieuse» de 1835 :, t Manger du pain d'amonition,,. Ce barbarisme est fort en usagé parmi le», militaires ». Il l'était déjà au xvm* siècle, et Vadé, dans sa pièce des Jtàcolettre (1756), fait dire au soldat La Ramée, se. kvi ; t Vous sàvea htm le pain d'amonition que Je mangeons en campagne..* t

2. Vadô, Lettre* de la Orenouitlère, dans OEuvres, p. 80. '


LOCUTIONS VICIEUSES 33

deur d'une tête à celle d'une boule, et donne volontiers à l'imbécile des noms de cucurbitacées, tels que melon, cornichon, etc. Lésons de ces métaphores populaires échappe totalement à 'Desgranges :

Boule, l'amour lui a tourné la boule (p. 102). Ici boule veut dire tête. A rien ne tienne que par controverse on n'appelle un jeu de boules un jeu de têles ; alors les joueurs auraient des boules sur le cou, et feraient rouler leurs têtes pour abattre des quilles.

Cornichon, pris pour imbécile, n'est pas français. Un père qui traiterait son fds de cornichon, se ferait passer peut-être dans la famille des concombres ; à rien ne tienne qu'il ait épousé une citrouille.

On conçoit aisément, quo l'autour ignore une expression comme cracher, au sens de payer à regret, dont l'origine remonte au xvi° siècle :

Je lui ferai cracher de l'argent. Si le hasard voulait qu'un homme pût cracher de l'argent, je lui prêterais volontiers mon mouchoir...

Ou encore celle de croquer le marmot, pour attendre, dont on n'a pas oncoro donné une explication satisfaisante :

J'ai croqué le marmot pendant une heure. Il n'y a. qu'un ogre qui croque le marmot, encore est-ce un être imaginaire. Tout autre manière de l'entendre est une balourdise...

Mais comment ne pas être frappé du défaut de raison dont témoignent des plaisanteries comme les suivantes:

T'as joliment le fil. Quel fil ! Je l'ignore. C'est encore de l'esprit à la Fanfan. Ce n'est cependant pas un fil bien désirable, puisque les Normands ont le fil qui conduit à la potence.

Avoir le fil. c'est avoir l'esprit fin, tranchant, semblable au couteau qui a le fil ; c'est une image très ancienne, tirée do la coutcllorio: « Avoir la langue bien affilée », est du xne siècle et répond au « caquet bien affilé » qu'on lit dans Molière; Avoir du fil se trouve chez d'IIautcl (1808), accompagné de cette explication : « Etre fin, adroit et audacieux. Cet homme a un bon fil, un fameux fil, se dit d'un homme rusé, d'un fin matois... »

Nous sommes flambés. Vous croyez que les pauvres gens qui parlent ainsi sont brûlés, rien de cela. On se sert de ce mot sans rime ni raison; et c'est par l'adoption de pareilles expressions que les étrangers sont réduits à ne pas comprendre le bas-peuple.

3


34 INTRODUCTION

Flambé, pour perdu sans ressource, ruiné complètement, est une métaphore qu'on trouve déjà citée dans Oudin (1640): c'est un terme do joueur ou tricheur, synonyme do cuittj'rit, etc., images tirées de la cuisine pour exprimer une perte totalo et irréparable.

Tout plein de talents. Tout plein quoi ? Est-ce plein une bouteille ? Ce tout plein là est une balourdise.

Voici pourtant ce qu'en dit Vaugolas : « Tout plein, pour beaucoup, est fort bonne façon do parler... usitée à la Court et des bons auteurs ».

Kn somme, notre auteur partage les faiblesses et les illusions de tous 'les puristes qui prennent l'horizon borné de leur vision pour les limites mêmes de l'univers. Le sens de toute innovation lexique leur échappe et, faute de la comprendre, ils la condamnent ou s'en moquent.

En dépit de ces lacunes, le livre du Père Desgrangos n'en reste pas iroins la production la plus utile de toute cetto littérature didactique.

DERNIERS VESTIGES. — Cetto critique des Locutions vicieuses qui a duré près d'un siècle, a laissé partout des traces 1, mémo dans les oeuvres des lexicographes comme Beschcrcllo et Littré.

On ne lit pas sans surprise dans le Dictionnaire National du premier des affirmations aussi risquées quo celles-ci :

Embêter, Ce mot, quoique fort usité, estde la plus grande trivialité. C'est un barbarisme qu'on devrait bien remplacer par le mot kébéter, toutaussi expressif qu'embêter et plus régulièrement formé...

C'est là un simple écho du Père Desgranges: a Embêter quelqu'un n'est pas français. Ne dites pas : Tu m'embêtes, mais tu m'hébétés, il m'hébôte* ».

1. Une chanson comique de Haumaine ot Blondelct — Les Locutions vicieuses, grammaire du jour — fut débitée vers 1873 pa>* "'«rrin à l'Eldorado ; et Y'Almanach Hachette pour 1899 donne un recueil du 300 expressions.vicieuses, sous le titre : « Tâchons do parler français », avec les rubriques traditionnelles : « Ne dites pas... mais dites ».

En partant de ce dernier recueil, M. Itémy de Gourniont, dans son Esthélifjitede la tangue française, p. 143 et suivantes, après en avoir analysé historiquement un certain nombre — tels estaiue, colidor, (laiiquetle, cinlieme, etc. — arrive à cette conclusion : i Le mauvais français du peuple est toujours du français et parfois du meilleur français que celui des grammairiens ».

2. Ce terme se lit déjà chez d'Hautel (1808) : t Embêter, verbe populairo qui signifie ennuyer, impatienter, obséder ; embêter quelqu'un signifie aussi le cajoler, l'entraîner par des paroles séduisantes et trompeuses à faire ce quo l'on désire ».


LOCUTIONS YICIEUSES 35

Minable, misérable, qui fait pitié. C'est une mauvaise expression sous tous les rapports, puisqu'elle ne tient à aucune racine française ni étrangère qui en puisse faire comprendre le sens, et la rendre claire.

Ici, encore, Hescherello n'est que l'écho du Dictionnaire des Locutions vicieuses do 1835: « Minable. Nous repoussons ce mot parce que nous ne le croyons réellement digne que d'un langage minable. Nous ne l'avons jamais lu dans un ouvrage bien écrit, ni entendu dans la conversation des gens bien élevés. En vérité, notre langue peut bien faire le sacrifice d'un terme de mépris pour la pauvreté; elle en a tant d'autres à sa disposition ».

Il s'agit pourtant ici d'une métaphore assez transparente tirée de l'art militaire: Minable, c'est à-diro ce qui peut-être ruiné ou détruit, en parlant d'un rempart, sens technique remontant au xvc siècle (v. Dictionnaire générai); l'acception figurée appartient au xrxe siècle et on la trouve mentionnée pour la première fois dans le recueil de Michel do 1807 : « Minable, pour qui fait pitié: Il a l'air bien minable ». Lo tonne fut en vogue dans lo premier quart du xrxe siècle.

Voici maintenant deux exemples tirés do Littré :

Bouffer. Le langage populaire confond bouffer avec bâfrer... Mais ce n'en est pas moins une locution rejetée parle bon usage.

Il ne s'agit nullement d'une confusion. Bâfrer ou briffer a été remplacé par bouffer, tout simplement parce que ce dernier exprime l'action d'une manière plus expressive que les deux autres. Tandis que Uoisle se borne à noter en 1800 : « Bouffer, expression populaire pour manger », les grammairiens s'empressent de lo proclamer « barbarisme ' ».

Ce verbe n'en remonlo pas moins au xvi° siècle :

S'il <v<l vray, adieu lo earosuio, Au concile qui'sc fora.; Mais Homo tandis bouffera Dos chevreaux à la cliardoneUo...

(Maro'l, Eintre XJ.I11)

I. Cf. Michel, 1S07 : « Ihuffcr, pour manger n'est pas français... » — D'Haut«'l, ISOS: i Hou/fer, enller ses joues. Dans lo langage familier, bouffer signifie manger gloutonnement... » — MolarJ, 1811 : » Hutiffer, manger avec excès. Ce mot n'est pas français. C'est une expression d'écolier. Dites : baf/'rcr ». — Desgranges, 1821 : < Ihuffer. Barbarisme. Ne dites pas : Nous n'avons lien à bouffer ».


36 INTRODUCTION ■ ' , .

et Rabelais emploie son dérivé déjà populaire à l'époque de la Renaissance: «... quelques bribes, quelque boujffaige, quelqlio carreleure du ventre », 1. III, ch. XXIII.

Flageolet. Variété de haricots... Il serait raisonnable d'abandonner ce barbarisme et de dire fageolet. Aucun des patois n'a cette l barbare.

Celte assertion n'est pas tout à fait exacte: les patois du Nord disent flajole au lieu de fajote 1; d'ailleurs, le savant lexicographe s'est ici mépris sur l'identité de ces formes. Il s'agit en effet do deux mots différents. Le dialectal fageol reflète seul le latin phaseolus, tandis que flageole ou Jlageolet signifie tout bonnement « flûte », appellation facétieuse donnée à cette variété de haricots, d'une digestion difficile, par allusion au bruit des vents qu'ils occasionnent, au môme titre que les termes d'artilleur (dans le Loiret), de musicien et de pétard, dans le langage populaire parisien ou provincial 2.

Le mot n'est donc pas « une corruption de flageolet, qui est un diminutif de fageol » (Littré), ni « une altération par étymologie populaire de Jlageolet » {Dictionnaire général), c'est simplement une appellation nouvelle, uno saillie vulgaire.

Ces prétendus barbarismes se'réduisent, on le voit, à des applications métaphoriques des termes anciens de la langue, ou à des renouvellements habituels dans l'histoire de son lexique. '

D'IIAUTEL. — Un caractère à part, mais rentrant /juand même dans cet ordre d'idées, distingue l'oeuvre de d'IIautel que nous avons prise pour point do départ de notre travail. Elle porte ce titre : « Dictionnaire du bas-langage, ou des manièros de parler usitées parmi le peuple; ouvrage dans lequel on a réuni les expressions proverbiales, figurées et triviales; les sobriquets, termes ironiques et facétieux; les barbarismes, solécismes; et généralement les locutions basses et vicieuses que l'on doit bannir do la bonne conversation. Paris, d'IIautel, 1808 3 ».

D'IIautel, dont le nom ne figure qu'à titre d'éditeur de l'ou1.

l'ou1. Flore populaire, t. IV, p. 171»

2. Ibidem,

3. Le Dictionnaire du mauvais langage do J.»P. Holland (Lyon, 1813) est un simple décalque de celui de d'ilaulcl.


LOCUTIONS V1CIJÎUSES 37

vragc, en est en môme temps l'auteur. C'est un homme instruit et intelligent. Il partage au fond les tendances puristes de ses prédécesseurs. Son but n'est nullement de pénétrer l'esprit du langage populaire, mais (nous dit-il dans sa préface) « de signaler avec sévérité ces locutions basses et vicieuses, ces barbarismes nombreux, qui, sous le titre d'expressions familières, se glissent journellement dans la conversation; et de livrer au ridicule ces néologismes bizarres et de mauvais goût, ces termes impropres dont un usage pernicieux semble depuis quelque temps tolérer l'abus ».

Malgré ce caractère tendancieux, l'ouvrage est précieux et original : rien ou presque rien n'est emprunté au Dictionnaire de Uoiste, la publication la plus complète en ce genre paruo en 1800. D'IIautel a puisé à la source: « C'est au milieu dii peuple môme, ou pour mieux dire dans les différentes classes do la société, que l'on a recueilli les matériaux de cet ouvrage; et pour le rendre aussi complet que possible, on s'est aidé de tout ce que les dictionnaires français, tant anciens que modernes, pouvaient fournir sur ce sujet ».

Cette dernière remarque nous indique la réserve avec laquelle il faut l'utiliser. Nous sommes d'ailleurs à même, grâce aux travaux antérieurs, de discerner les matériaux originaux des rares emprunts faits par notre auteur.

Iiataclan, Mot baroque et fait a plaisir qui signifie ustensiles, instruments, outils nécessaires à la préparation, à la confection d'un ouvrage quelconque. 11 a emporté le bataclan, pour dire tous ses outils, tous ses effets.

Mot du dut) ut du xix° siècle ', de formation vulgaire (cf. Picardie, pataclan, bruit d'un corps qui tombe) et désignant des meubles qu'on remue avec fracas, d'où la notion usuelle d'attirail encombrant: la forme parallèlepataclan est usuelle à Reims (seule connue), en Provence (à côté de bataclan), etc.

/fouis. Terme bas et de mépris : cloaque, maison de débauche et de prostitution où les honnêtes gens se gardent bien d'entrer.

Le mot est aujourd'hui usuel tant sous cette forme, quo sous celle redoublée de bouis-bouis, cette dernière désignant tout particulièrement un théatriculo de bas-étage ainsi quo

1. Cf. Michel, IS07 : « Iiataclan n'est pas français. Ne dites pas : voilà tout le bataclan par terre, pour : Voilà tout par terre, quel fracas t »


38 INTRODUCTION

les marionetlcs qu'on y jouait (v. Litlré, Suppl.). Mot d'ailleurs d'origine provinciale: Bouts désigne, dans le Jura, urr taudis, et, dans la Bresse, un petit bâtiment où on logo les oies et les canards.

Débiner, décroître, aller en décadence, perdre sa fortune, son emploi, ses ressources, se laisser aller en guenilles: il est tout débiné,' pour dire : il a un habit tout déguenillé, il est dans la pénurie, dans le besoin. — Débine. Mot fait à plaisir et qui signifie délabrement, déchéance, misère, pauvreté': être dans la débine, être déchu de sa condition, être déguenillé, réduit aune extrême indigence.

Cette explication prolixe revient à dire que débiner signifie tomber dans la misère et débine, ruine, misère '. Ce n'est pas non plus « un mot fait à plaisir », mais une métaphoro empruntée aux opérations viticoles ; débiner la vigne, c'est la labourer une seconde fois pour en détruire les mauvaises herbes. Le vulgaire on a tiré des images de dépérissemont et de ruine, physique ou morale; de là :

1° S'affaiblir, se s'fentir malade (wallon : perdre ses forces);

2° Déchoir, d'où débine, misère, gène (mot passé dans le Dictionnaire de l'Académie de 1878);

3° S'en aller, se sauver: « Patron, Je débine... », Méténior, Lutte, p. 252.

lispbcc... Terme de mépris dont les gens de qualité se servent pour désigner un homme de basse extraction, un sot, un imbécile. On joint souvent ce mot à un substantif et l'on dit mie espèce d'homme, pour un fort petit homme ; une espèce d'auteur, pour un mauvais auteur.

Implication intéressante qui nous éclaire sur lé curieux développement do ce terme : on a dit tout d'abord espèce de sot, d'imbécile, etc., et comme le mot était suivi d'épitbclos toujours injurieuses, il a fini pur devenir lui mémo une injure: espèce de...

(îiries, forces, tours de bateleurs; signifie aussi grimaces, douleurs feintes et hypocrites.

C'est la dernière acception qui l'a emporté, aujourd'hui,

1. Cf. hkliimnaive. des locutions vicieuses de 1835 : t Cet homme est dans la débine, dans l'indigence. Le mot appartient au patois de Paris .qui l'aura conquis probablement sur l'argot. Il est de si mauvais goût que toute lersonne qui a un pou d'usage ne s'en sort jamais. Le principal tort de Kébine est do ne rien signifier de plus que d'autres mots que nous avons déjà, et ce tort-là est infiniment sérieux on grammaire- ».


LOCUTIONS VICIEUSES 39

dans le bas langage parisien et provincial ' : « En voilà des giries! ». Zola, Assommoir, p. 176. — Bruant, Rue, t. I, p. 33 : « C'est des giriest c'est des magnières... » v

Mais le sens, donné en premier lieu, par d'Hautel, est précieux et nous mol sur la trace do l'origine du mot. Son point de départost la Normandie,,où girie a encoro.conservé, outre le sens général de « grimace », celui de « farco, mauvaiso plaisanterio », à côté do girot, niais, l'un et l'autro dérivant de Gire, forme normande de.Gille, un des types do la comédie bouffonne (Saint-Gire> pour Saint-Gilo, est attesté en Normandie dès lo xue siècle, dans la vie do ce saint). Girie est donc primitivement une farce, un tour de Gille, tantôt niais et poltron (cf. lo normand girot, sot) et tantôt dégourdi, railleur, insouciant. Le mot représente un souvenir do$ anciennes farces provinciales.

On le voit, co Dictionnaire do d'Hautel est, do toutes nos sources, l'ouvrage lo plus riche, le plus sûr, le plus original. C'est uno véritable bonne fortune que de rencontrer, au début môme do notre exploration, un guido aussi oxpérimenté'ct aussi consciencieux.

Remarquons pourtant que si, en théorie, nos grammairiens puristes avaient tort, en pratique ils étaient parfaitement dans leur rôle d'opposor uno digue à l'onvahissement du néologisme qu'ils ont souvent confondu avec l'archaïsmo et le provincialisme. Lo temps s'est d'ailleurs chargé de remettre les choses en l'état ; la plupart des termes censurés sont aujourd'hui courants et leur fréquence est on raison inverse des protestations qu'ils avaient soulevées.

Sainte-Beuve, dans un article remarquable sur Vaugolas (écrit en 1863) a parfaitement saisi les différences profondes entre les tendances puristes du passé et les exigences autrement largos à notre époque on matière linguistique. Détachons-en co passage: « Le moment actuel est, à certains égards, tout l'opposé do celui de Vaugolas. Alors tout tendait à épurer et à polir : aujourd'hui tout semble aller on sens contraire, et un mouvement rapide d'intrusion so manifeste Alors tous les mauvais mois demandaient à sortir : aujourd'hui tous ■ - - » . .

t. Cf. Anjou, givie, mauvaise raison, mensonge, troiripcrio ; Berry : plaintes hypocrites, jérémiades ridicules ; Poitou : moquerie, hypocrisie ; Langros i « 11 m'a fait mourir de rire avec ses giries. Dites ; avec ses grimaces» (Mutson, 1823).


40 INTRODUCTION

les mots plébéiens, pratiques, techniques, aventuriers môme, crient à tue-tête et font violence pour entrer... Que de mots qui ne sont plus précisément des intrus et qui ont leur emploi légitime, au moins dans certains cas! Je les vois se dresser en foule, frapper à la porte du Dictionnaire de l'usage et vouloir en forcer l'entrée... Que l'Académie veuille y songer... l'usage se modifie et vario chaque jour: co n'est point par le silence et l'omission qu'il convient do le traiter. Il vit, il existe ; on ne l'élude pas. La fin do non recevoir, avec lui, a bientôt son terme. En adoptant des noms nouveaux, en multipliant des synonymes nombreux, voyants, saillants, excessifs, et en renchérissant à tout instant sur les anciens, l'usage ne fait, en somme, que répondre à des besoins et à dos caprices, ce qu'il importe de distinguer à temps... et au profit de tous.' ».

i. Nouveaux Lundis, t. VI, p. 394 et suiv.


IV

ARGOT ANCIEN ET MODERNE

Aussi loin qu'on puisse remonter dans le passé, c'ost sous lo nom de jargon que nous connaissons le langago des malfaiteurs, et cette appellation spéciale est encore vivace ; mais dès la fin du xvir 3 siècle, lo français commence également à désigner le jargon par le mot d'argot, terme tiré du jargon lui-mèmo, mais profondément modifié quant au sens. Do l'acception primordiale de corporation ou métier dos voleurs, argot finit par exprimor leur langue. Cette appellation, relativement moderne, n'est autre que la prononciation vulgaire d'ergot (do chapon), la « griffe » symbolisant le métier do voleur. Son sens spécial de « langago des malfaiteurs » resta en vigueur pendant tout le XVIII 6 siècle et jusqu'au milieu du xixe l.

Nous avons suivi ailleurs, à l'aide des documents, la longue histoire du jargon, depuis lo milieu du xve siècle jusqu'à nos jours. Bornons-nous à en relever ici deux résultats : le langage des malfaiteurs a tiré la substance do son lexique (son seul côté original d'ailleurs) du bas-langage, tout on modifiant lo sens et parfois la forme doses emprunts; réciproquement, des termes de jargon ont franchi do temps à autre les milieux criminels pour pénétrer dans lo bas-langage (et de là en littérature).

Go qui distinguo avant tout lo jargon, c'est son caractère essentiellement secret. 11 resta toi, malgré des indiscrétions isolées, jusqu'au xixc siècle. C'est alors quo Vidocq lo

1. L'emploi indifférent des termes '.jargon, argot et bas-langage a eu des conséquences fâcheuses et a produit toutes sortes de confusions. Voir à cet égard, notre article Jargon cl bas-langage, Question de méthode, dans la Revue de philologie française de 1914, ainsi quo l'Appendice B : Argot et llas-lanPour

llas-lanPour do clarté, nous désignerons par jargon exclusivement la langue des malfaiteurs, en réservant les appellations argot et bas-langage (devenus synonymes au milieu du xix» siècle) pour lo langage populaire parisien.


4» INTRODUCTION

mil en vogue par doux publications successives : les Mémoires, en 1828, et h's Voleurs, on 1837. Les Mcinoires, surtout, curent un long- retentissement, et les plus grands écrivains de l'époque, Victor-Hugo et Iialzac ■— à côté d'iùigône Sue — les mirent à contribution pour peindro les milieux criminels. L'immense popularité de leurs oeuvres ne laissa pas de dévoiler un langage resté jusqu'alors formé et accessible aux seuls initiés.

Kn perdant son caractère secret, raison unique d'existence pour toute langue spéciale, le jargon se fondit do plus en plus dans le baslangago parisien, et finit par on être absorbé. L'argot moderne devint alors une autre appellation du baslangage.

Cette intrusion de plus en plus forte des éléments jargonnesques dans le langage populaire parisien, existant depuis des siècles, est un fait linguistique de la plus haute importance. Lente et presque inaperçue dans la première moitié du xixc siècle, elle devint absorbante dans sa seconde moitié, au point de modifier l'aspect général de son lexique.

Nous avons donné'ailleurs le tableau d'ensemblo de cette influence du jargon sur lo bas-langage parisien; nos recherches ultérioures, loin d'en diminuer la portée, pourraient encore l'enrichir de nouvelles données.

A ces emprunts de la dernière heure, qui n'ont pas manqué aux siècles antérieurs, mais qui n'ont jamais atloint un tel nombre ni une telle intensité, vinrent s'ajouter des éléments tirés dos langues spéciales d'autres groupements sociaux: soldats, marins, ouvriers..., autant d'argots particuliers qui sont venus se fondre dans le creuset du langage populaire.

« J'ouvre le Dictionnaire de l'Académie— lit-on en 1825 — et j'y trouve lavdéfinition suivante du mot Argot: « Certain langage des gueux et des filoux qui n'est intelligible qu'entr'eux ». Combien de nos jours on a donné de l'extension à co mot! Il s'est élevé de l'espèce d'abjection qui le couvrait jusqu'aux professions honnêtes qui semblaient autrefois le proscrire. On ne peut pas dire qu'il se soit annobli entièrement, mais on ne rougit plus de le prononcer, «et il sert comme point de ralliement pour des choses et des individus d'ailleurs fort honorables » '.

1. G. Gillô, Ma Robe de chambre ou Mes Tablettes, Paris, 1825, t. II, p. 111 à 111 (chapitre i.ilitulé « Argot »).


ARGOT ANCIEN ET MODERNE 43

« Argot, maintenant (nous dit à son tour Vidocq on 1837) est un tonne générique destiné à exprimer tout jargon enté sur la langue nationalo, qui est propre à une corporation, à une profession quelconque, à une certaine classo d'individus... tels l'argot des soldats, des marins, des voleurs... ' »

Ces diiïérenls langages étaiont encore, à celte époque (1837), indépendants les uns des autres, et leurs points do contact à peine perceptibles. Au cours de quelques dizaines d'années, tous ces argots se rapprochent, se mêlent et finissent par s'absorber dans le langage populaire parisien, devenu l'organe unique de toutes les classes, de tous les groupements légalement constitués: soldats, marins, ouvriers; ou qui vivent on marge de la société: apaches, vagabonds, tricheurs, camelots et saltimbanques, filles et souteneurs 2.

Un bon observateur le constate, déjà en 1867, non sans une pointe d'ironie : « En France on parlo peut-être français ; mais à Paris on parle argot, et un argot qui varie d'un quartier à l'autre, d'une rue à l'autre, d'un étage à l'autre. Autant de professions autant de jargons différents... 3 »

Les progrès constants de la démocratie lo font même pénétrer do plus en plus dans les hautes classes, lui ouvrent les salons et l'introduisent sur les boulevards : « L'argot, c'est le français de l'avenir », déclare en 1873 Clotildo. dans la Famille lienoiton de Sardou, acte II, se. V.

Cette fusion dans la langue populaire des éléments linguistiques les plus divers est un fait accompli dans la seconde moitié du xi.\° siècle : « Tous les argots — écrit Banville en 1888 — celui des voleurs,, celui des peintres, ceux des mar«ns, des soldats, ont été mis en commun. Et tous les provinciaux comme les Parisiens, depuis le vieux lascar jusqu'à la jeune fille ingénue, parlent la même langue composite... Los classifications toutes faites ne serviraient plus à rien 4 ».

Avant. Banville, Charles Nisard. qui a le premior étudié le bas-langage parisien des xviie-xvme siècles, essentiellement dilférent de celui do notre époque, déclare expressément :

1. Vidocq, tes Voleurs, 1837, v" arguche.

2. Nous nous en tiendrons à cette répartition qu'on peut justifier par des raisons à la "fois sociales et linguistiques. Voir, pour un point de vue différent, lo livre récent de M. Alfred Nietforo, Le Génie de l'Argot, Paris, 1912.

3. Delvau, Dictionnaire de la langue verte, Paris, 1867, préface.

4. Dans le Figaro du 7 juillet 1888.


44 INTKODUGTION

« On ne parlera point ici do col ai't/ot parisien, décoré du nom do langue verte, et qui doit son origine au théàlre, aux cafés, aux bals publics, aux prisons, aux journaux mêmes et des mieux famés. Cet argot n'a pas et n'a jamais été, si ce n'est à de 1res rares exceptions près, le vrai patois parisien, onco'ro qu'il tendo do jour en jour à le devenir tout à fait ' ».

Kn présence do celte profonde transformation du bas-langage et de sa force d'expansion, les grammairiens delà vieille école domeurent saisis d'étonnemont : « Je désirerais bien savoir ce qui a contribué à répandre l'argot dans notre langueau point où nous le voyons aujourd'hui? » Toile est la question que formule un dos rédactours du Courrier de Vaugclas, journal consacré à la propagation universelle de la langue française, en 187t.

Mais comme une pareille question dépasse l'horizon des connaissances traditionnelles en matière de langue, elle reste sans réponse ou plutôt elle aboutit à cette conclusion désolante: « Que l'argot soit l'unique langage employé par les voleurs ontre eux et à peu près lo seul qui se parle dans les prisons et dans les bagnes, môme parmi les employés et les infirmiers, je n'y trouvo rien à redire; mais quand je vois ceux qui vivent dans la société honnête prendre plaisir, en quelque sorte, à émailler leurs discours de vocables d'une source aussi impure, je ne puis que m'en attrister profondément avec les gens de goût 2 ».

Les gens do goût, hélas ! ont toujours méconnu les transformations sociales et les innovations qu'elles entraînent dans lo vocabulaire. Comme les puristes, qui vivent plutôt dans le passé,- le besoin do renouvellement linguistique leur échappe. Ce mouvement de la langue est pourtant un des faits les plus naturels dans l'évolution de chaque idiome, et il s'impose à la fois par sa nécessité et par sa légitimité. Non seulement les mots usés sont remplacés par des vocables plus frappants, mais la force créatrico do l'esprit national so manifeste à chaque moment par dp nouvelles images, par des tours plus originaux de la pensée.

Certes, à aucune autre époque, cetlo création verbale n'a été aussi intense, ni aussi féconde qu'à la nôtre. On en est

i. Etude sur le langage parisien, Paris, 1872, p. 124. 2. Le Courrier de Vaugelas, V année, 1874, p. 105.


ARGOT ANCIEN ET MODERNE 45

rcilevablo à co fait historique quo dos facteurs sociaux, qui comptaient à peine dans le passe, ont de notre temps acquis une importance oxceptionnollo. La facilité toujours croissante des moyens de communication, matériels et intellectuels, n'a pas peu contribué, à son tour, à amener ces résultats inattendus.

lin dépit des protestations réitérées, le vulgaire parisien de nos jours s'est partout imposé: c'ost en fait la seule langue vivante, celle quo parle la nation toute entière, celle qui alimente aujourd'hui la chanson, le théâtre, le roman,

Celto influence universelle du bas-langage parisien a été judicieusement mise en lumière par un universitaire dans un discours, qui est un plaidoyer spirituel en faveur do l'argot : « Par delà la pénétration réciproque des argots, s'aperçoit leur influence sur la langue générale Qu'il faille en gémir ou s'en féliciter, l'argot est aujourd'hui partout. Les gens du mondo le parlent; les académiciens l'écrivent. Libre à M. Brunet ière do déplorer qu'on le laisse s'introduiro '. Ni lui, ni vous, ni moi n'y pouvons rien; et le bisontin Ch. Nodier 2 avait répondu d'avance: « Il n'appartient à personne d'arrêter irrévocablement les limites d'une langue et de marquer le point où il devient impossible do rien ajouter à ses richesses 3 ».

Dans son discours de réception à l'Académie française, le 18 février 1909, Jean Richopin, le maître du verbe, a fait l'apothéose do la langue.populaire, de « ces mots admirables, miraculeux, évocateurs, magiciens... du paysan, du soldat, du mendiant, du vagabond, du goussepin... », et Edmond Rostand, le poète délicieux, s'en est souvenu dans son Cliantecler.

i. L'auteur fait ici allusion à l'article de Ferd. Brunetière t De la déformation de la langue par l'argot », paru dans la Revue des Deux Mondes de 1881.

~. En tête do son Dictionnaire des Onomatopées, Paris, 1808.

3. Armand Wcil, L'Argot dans l'Université. Discours prononcé à la distribution solennelle des prix au lycée de Besançon, Besançon, 1905, p. x.


Y

ARGOT PARISIEN

Mélange du langage vulgaire avec les derniers vestiges du jargon des malfaiteurs de la première moitié du xix° siècle, l'argot parisien a vu encore grossir son vocabulaire par les contributions des langues spéciales — soldats, marins, ouvriers de toutes catégories — et surtout par des apports provinciaux. Ces derniers, très nombreux principalement dans la seconde moitié du xixe sièclo, ont été propagés dans \a. capitale par le va-et-vient incessant des contingents militaires et professionnels.

L'argot parisien ou lo bas-langage de nos jours — on ne saurait assez répéter leur identité foncière ' — est ainsi l'aboutissement des éléments linguistiques les plus divers : leur amalgame graduel s'est opéré pendant plus d'un demi sièclo et. leur fusion définitive, leur absorption, s'est effectuée en quelque sorte sous nos yeux.

Il n'y a en somme, aujourd'bui, qu'un seul argot, le langage populaire-parisien,, lequel, certains termes lecbniques mis à part, a englobé tous les autres. C'est lui qui est devenu, de nos jours, l'organe du peuple tout ontier, du cbemineau à l'ouvrier, du soldat à la fille, du voyou au malfaiteur. Tous ces groupements sociaux lui ont fourni leurs traits les plus caractéristiques, leurs termes les plus pittoresques, leur tours les plus frappants. De là. une riebesse et une originalité qui contrastent singulièrement avec le vocabulairo de 1808, tel qu'il est reflété dans le répertoire très complet de d'Hautel.

Ce sont/Ces qualités qui ont fait'sa fortune, lia vu rapidement s'étendre son domaine au-delà de la capitale et.il a pénétré en littérature par des voies multiples. Nous allons l'examiner sous ce double aspect.

1 Voir l'Appendice B : Argot et Bas-langage.


ARGOT PARISIEN 47

A. — Expansion.

Uans son mémorable discours.sur les « Pariars de France», Gaston Paris a excellemment mis en relief la voleur prépondérante de la langue de Paris et son action continue sur les parlers provinciaux: « De bonne beure il s'est formé des centres d'influence qui ont assimilé autour d'eux les parlers do la région voisine, en effaçant de plus en plus les petites différences qui auraient empêché de s'entendre. Le plus puissant de ces centres a été naturellement Paris, où était le foyeî principal de la vie nationale ; il a constamment agi des le moyen-âge, il continue d'agir sans cesse: par les relations devenues bien plus faciles et plus nécessaires, par l'école, par le livre, par le journal, le français littéraire, qui est on somme la langue de Paris maintenue autant que possiblo à un état archaïque et perpétuellement accru dans son vocabulaire par des emprunts faits au latin, au grec et à d'autres langues-, gagno chaque jour du terrain sur les anciens parlers locaux et régionaux, réduits au rang de patois, C'est là un fait qu'on peut regretter à certains points de vue, mais qui a d'immenses avantages pour la civilisation et pour l'unité nationale.l ».

Celte influence de la capitale sur la province est encore plus accusée do nos jours lorsqu'il s'agit du langago vulgaire de Paris et de son rayonnement à travers la France et hors do France.

Définitivement constitué vers 18o0, l'argot parisien, grâce à une facilité plus grande dos moyens de communications, franchit vite la capitale ot se répand dans les provinces,.où il gagne de plus en plus de terrain. Les parlers provinciaux s'en ressentent et los glossaires spéciaux, par-exemple le Dictionnaire patois de la Bresse Louhannaise et d'une partie de la Bourgogne par L. Guillemaut (1891) ou le Glossaire dès patois et des parlers d'Anjou, par Verrier et Onillon (1908), constatent tour à tour cette influence grandissante.

L'expansion du langage populaire parisien se fait d'ailleurs sentir des le second quart du xix° siècle. La IIIe édition du Dictionnaire du Roucid- donnée en 1831 par Hécart, est déjà plein do parisianismes que l'auteur relève comme tels :

1. Mélanges linguistiques, p. 439.

2. Le Roucfti est le patois parlé principalement à Valenciennes ; ailleurs, il 3e confond avec le Picard et le Wallon.


48 INTRODUCTION

Acre, aphérèse de sacré. On s'en sert à Paris d'où nos ouvriers ont pu le rapporter.

Arsoulc, homme de rien, homme méprisable. Mot introduit par les ouvriers qui ont voyagé.

Boucan, tapage... On dit faire un boucan sterlin, faire beaucoup de bruit. Ce mot n'est pas rouchi.

Brûle-gueule. Ce terme populaire est en usage partout.

Fashionable. Mot anglais qui équivaut à celui du petit-maître. Nouvellement admis à Paris, et qui commence à gagner les départements.

Grippe-Jésus... Kn France, on donne ce nom aux gendarmes, et surtout à Paris... On le donne assez généralement partout, depuis qu'ils ont été chargés d'aller à la recherche des conscrits et de les arrêter.

Minape, minable, qui a mauvaise mine, qui inspire la pitié... Aujourd'hui (1823), ce mot est à la mode; on s'en sert pourtant moins actuellement (1831).

Peinturlurer, peindre quelque chose de plusieurs couleurs... est devenu du style bouffon... C'est un mot populaire d'un usage général."

Saute-ruisseau. Nom dérisoire qu'on donne aux laquais qui se méconnaissent (sic). Ce mot est venu d'ailleurs.

Grâce au prestige exercé par la capitale, l'argot parisien se. répandit môme en dehors de France, dans les pays où l'on parle français.

Un Glossaire genevois, par Gaudy-Leforl, parut en 1820 ; dans l'édition qu'IIumbert en a donnée en 1852, le vocabulaire a été presque doublé en grande parlio par l'apport de termes parisiens : « L'ancien glossaire n'avait guère plus de deux mille mots, le nouveau en compte plus de quatre mille.»

Dans une savante étude consacrée au langage populaire suisse, M. Gustave Wissler nous apprend que ce parler romand fourmille d'argotismes parisiens : Arsouille'y est familier à côté de biture (et biturer, boire copieusement) et godailler; bouffer et boulotter, à côté de briffer; boucan et bousin ; môme schlinguer, puer, parisianisme récent... *

Dans la Suisse romande, commo partout ailleurs, c'est le service militaire qui a le plus contribué à faire pénétrer ces vocables dans le langage familier .-M. Léon Grangera fort bien

1. Dans les Romanische Forschungen, t. XXVII, 1910, p. 690 à 851 : * Das schweizerische Volksfranzôsisch », une des premières éludes qui tiennent compte des conditions à la fois sociales et psychologiques du sujet. Voir tout spécialement la IV* partie consacrée à la Lexicologie, et sur les emprunts parisiens, les pages 731 et 837 et suiv • • •


ARGOT PARISIEN 49

caractérisé l'influence considérable do, ce factour social sur lequel nous reviendrons : « L'argot est, dans la vie du soldat de la Suisse française, le langago courant, favori, celui qui seul exprimo véritablement les étals do l'âme, donno aux objets divors une nuance, une teinte, une valeur exceptionnelle... Nos troupiers apportent avec eux toute la provision do mots d'argot qu'ils connaissent et emploient dans la vie civile, et ils y ajoutent ceux qui sont proprement d'origine militaire. Certains soldats, aussi, venus de France, anciens légionnaires piuir la plupart, importent dans notre armée quantité de mots d'argot qui ensuite passent dans l'usage familier 1. »

Le langago populaire do la capitale s'est mémo fait sentir par delà l'Océan, jusqu'au Nouveau Monde, dans les anciennes colonies. Lo parler populaire des Canadiens français renferme des mots parisiens comme chiâler, pleurnicher (« expression acadienne ») ; chic, bien fait ; avoir du chien, avoir une tournure provoquante; épatant et épatrouillant, étonnant, etc. i.

M. Albert Dauzat a appelé à son tour l'attention sur cette influence du français parisien, qui s'impose aux provinces à la fois par le service militaire et par la presse : « Parmi toutes les influences externes qui ont agi sur les patois, celle du' français est de beaucoup la plus considérable, puisque la languo de Paris menace de détruire à bref délai tous nos parlers locaux. »

Cette action, particulièrement destructive sur les parlers indigènes des bassins do la Seine et do la Loire, n'a pas épargné non plus le Midi de la France, où la résistance fut plus vive,-par exemplo en Auvergne : « A l'heure actuelle, dans les patois les mieux conservés d'Auvergne — qui peuvent" compter parmi les plus indépendants — un bon tiers du vocabulaire est composé d'emprunts faits au français 3. »

B. — Production littéraire. V

„ L'entrée do l'argot parisien en littérature est encore plus

significative Au xvmc siècle, à vrai dire, le bas-langago avait

«

1. Léon Granger, <i Le langage militaire do la Suisse française, » dans Aus Leben und Sprache dér Schweizer Soldalen, zusammengestellt von Hanns Bâchtold, Baie, 1916, p. 65 à 72.

2. N.-E. Donne, Le Parler populaire des Canadiens français, Québec, 1909.

3. A. Dauzat, Essai de méthodologie linguistique dans le domaine des langues et des patois romans, Paris, 1906, p. 191,124 et 196. La seconde partie de cettothése, consacrée à l'élude des patois, est particulièrement originale et suggestive.

4


DO IXTKOHUOTION

aliment/- pendant une cinquantaine d'années un genre littéraire ; niais le poissard, malgré quelques oeuvres de mérite, n'avaii pas survécu à UWÙ vogue passagère. Il ne visait que certain? groupements isolés— les harangères, les bateliers— dont il cherchait à surprendre les manifestations extérieures, les grimaces et les injures, plutôt que la langue proprement dite. Tout autre est la tendance des oeuvres d'inspiration populaire écrites de nos jours dans l'argot parisien. Celle tendance est avant tout profondément sociale, embrassant des collectivités et visant à'en pénétrer la vio.touto entière, avec ses misères, ses faiblesses, ses espoirs el ses révoltes.

RioiiEiMN. — Le premier qui soit enlré dans cette voio féconde, l'initiateur de ce genro littéraire, fut Jean Richepin, le poèto de la Chanson des Gueux (1870). Si nous faisons abstraction de quelques sonnets bigornes et de certaines réminiscences littéraires, le futur académicien y emploie le langage vulgaire pour peindre la vie du mendiant, du vagabond, du voyou, de tous ces amoureux do la vie libre dont « la conscience -est en loques comme le costume. »

L'autour qui a vécu lui-même au milieu des nomades, so fait fidèlement leur éclio : « J'affirme hautement, déclare-l-il en tète du Glossaire argotique qui clôt son livre, que tous les se.ns présentés par co glossaire sont rigoureusement oxacls, puisés à la boucho mémo des gens qui s'expriment en argot 1 aussi naturellement que nous nous exprimons en français. » Aussi la Chanson des Gueiuo est-elle devenue, par sa grande richesse verbale, une des sources les plus importantes do l'argot de nos jours. Nous y avons largement puisé. •

Dans sa longue et féconde carrière, M. Richepin est souvent revenu aux humbles gens qui ont inspiré son promicr livre, et nous a successiveinent donné Le Paoé (1883), La Mer (188G) et Truandaille (1890). Jamais il n'a renié la profonde sympathie qu'il a toujours portée au langage populairo. Il l'a affirmée solennellement lors de son Discours de réception à l'Académie française, le 18 février 1909.

BRUANT. —• Toute une génération do chansonniers a défilé dans les cabarets artistiques de Montmartre. A côté do cou1.

cou1. en bas-langage. v


AUGOT PARISIEN 51

plots satiriques, humoristiques et surtout politiques, lu plainte des miséreux y u parfois retenti en vers d'une sincérité plus ou inoins profonde '. Parmi les chansonniers qui y débitèrent leurs oeuvres dans le langage populaire, dans l'argot parisien, relovons parmi les plus insignes, Hruant et Jehan Rictus.

Aristide Hruant publia son premier recueil do chansons et monologues en 1889, sous le titre : Dans la Rue; un autre, paru en 1897, Sur la Route, en forme le complément. Bruant est, après Riehepin, le chantre des miséreux, des habitués de l'assommoir et du pavé. Ses vers, habituellementd'une grande simplicité, s'élèvent graduellement avec le" sujet jusqu'à un certain lyrisme. Sa langue, du meilleur aloi, est comme un décalque du vulgairo parisien 2.

JEU. RICTUS. — Jehan Rictus, de son vrai nom Gabriel Randon, n'est pas seulement chansonnier, il est aussi poète, parfois grand poète. Son premier recueil, Les Soliloques du panu/'e„ 1897,'son livre récent, Le Coeur populaire, 1911, ont révélé un chantre, à la fois artiste et prolétaire, dont l'inspiration peut lutter avec cello do nos meilleurs lyriques. La poésie contemporaine olfre peu do pièces comparables à son poème du premier recueil, Le Revenant ; ni de plus poignant que la prière, La Jasante de la^Vieille, de son dernier livre. Celui-ci s'ouvro par la pièce, Le Piège, et se ferme par cette autre, Conseils-, poèmes qui accusent des préoccupations nouvelles. L'auteur des Doléances(1900) et des Cantilènedu Malheur (lld02) s'y est assagi... Il a tempéré sos accents âpres et désabusés do jadis par une commisération profonde et par un ardent désir d'apostolat 3. La langue du poète, savoureuse et pittoresque, est marquéo au coin du génie populaire; los trouvailles y abondent, mais aussi les mots crus et triviaux, qui gâtent souvent de belles envolées. *

POUI.OT. — Passons maintenant à la prose; mais avant de

i. Léon de Bercy, Montmartre et ses chansons, poètes et chansonniers, Paris, 1902, et Bertrand Alilk-iivoye, Anthologie des poêles de Montmartre, Paris, 1909.

2. Voir en dernier lieu, sur Bruant, un brillant article de Laurent TailLïide, dans son volume Plâtres et Marbres, Paris, 1913.

3. Alphonse Séché a consacré, à la poésie de Rictus, quelque pages cxcelk-nlcs, dans son livre : Les Accents de la Satire dans la Poésie comlctnporaine, Paris. 1912. M.Léon Bloy, dansf.es Dernières Colonnes de PEglhe (1902), avait antérieurement écrit, sur le Revenant de notre poêle, une quarantaine de pages, les plus enthousiastes qui soient sorties de la plume do cet âpre polémiste. ^ - .

i. Voir Appendice G : Les mots crus et la langue populaire.


52 INTRODUCTION

parler du premier chef-d'oeuvre qu'elle ait produit, il est juste de mentionner tout d'abord un ouvrage sans prétention, écrit par un contremaître de lîelloville, Denis Poulot, Il eut le promiel' l'idée d'étudier de près l'ouvrier des usines et de publier ses observations en 1870, sous le titre : Le Sublime l ou le Travailleur.

Son enquête porte non seulement sur les questions purement sociales et économiques, mais encore —et cela constitue pour nous le mérite de son livres — sur l'idiome parlé par celto classe des ouvriers en ter et des fondeurs, « langue bizarre, sorte de français en haillons, respirant surtout la misère emphatique et menaçante. » Il nous la fait connaître dans tout son réalisme : « Si ce langage des ouvriers est moins que fleuri, il est énergique ; nous le donnerons dans sa crudité, car la langue académique n'a pas d'expression pour traduire cette espèce de langue verte... Tous les travailleurs parlent l'argot de l'atelier. Il est regrettable que ce langage vert prenne un si grand développement; il est vrai que*nos -écrivains, nos dramaturges donnent l'exemple, les masses copient 2. »

ZOLA. — C'est l'ouvrage de Poulot qui a suggéré à Zola l'idée de son chef-d'oeuvre : L'Assommoir, paru en 1879. Le grand écrivain s'était longuement préparé pour peindre la vie populaire do certains quartiers parisiens habités par les ouvriers. Il avait étudié sur place le peuple des faubourgs, en prêtant une oreille attentive à son parler franc, brutal, mais pittoresque. Il compléta ensuite sa cueilletto personnelle parcelle qu'il trouva dans le livre do Poulot, ainsi que par les notes prises dans certains recueils de l'argot parisien, notamment dans le Dictionnaire de la langue perte do Delvau (1868) où il trouva le titre de son roman 3 : « Assommoir. Nom d'un cabaret de Belleville, qui est devenu celui do tous les cabarets, où le peuplo boit des liquides frelatés qui le tuent... 4»

1. Sublime est l'épi théte ironique do l'ouvrier fainéant/ivrogne et fanfaron.

2..Le Sublime, p. 17 et 47. "

3. Voir, sur ces emprunts et sur la composition de l'Assommoir, le volume instructif d'Henri JIas3is : Comment Emile Zola composait se.i romans, d'après ses notes personnelles et inédites, Paris, 190G. Cf. les pages 106 et suiv. (sur l'Assommoir), p. 187 à ISS (Expressions tirées de Poulot) et p. 331 à 311 (Vocablés de l'Argot parisien, notamment,d'après le livre de Delvau).

i. Le nom est cependant antérieur à Delvau : en 1830, Auguste Loynel avait déjà publié une romance en sept couplets intitulée: L'Assommoir de Belleville.


ARGOT PARISIEN , 53

La vie de l'ouvrier parisien, peinte avec l'intensité d'observation et la sincérité propre à Zola, était de nature à intéresser bautement le lecteur; mais ce qui fit la prodigieuse fortune do VAssommoir, ce fut cette forme uriginalo et colorée, ce stylo foncièrement populaire, qui pour la première fois se lisait en prose, et dans une oeuvre de cette envergure. Après des polémiques acliarnées sur la valeur morale et littéraire do ce roman célèbre, il fallait convenir que l'auteur avait pleinement atteint son but, tel que lui-même se l'était tracé l :

Montrer le milieu peuple et expliquer parce milieu les moeurs peuple... Un tableau très exact de la vie du peuple avec ses ordures, sa -vie lâchée, son langage grossier... Ne pas flatter et ne pas le noircir. Une réalité, aùjolumcnl exacte...

W Assommoir est à coup sur le plus chaste de mes livres. Souvent j'ai du toucher à des plaies autrement épouvantables. La forme seule a eiïaré. On s'est fâché contre les mots. Mon crime est d'avoir eu la curiosité littéraire de ramasser et de couler dans un moule très travaillé la langue du peuple. Ah! la forme, là est le.grand crime! Des' dictionnaires de cette langue existent pourtant, des lettrés l'étudient et jouissent de sa verdeur, de l'imprévu et delà force de ses images. Elle est un régal pour les grammairiens fureteurs. N'importe, personne n'a entrevu que ma volonté était de faire un travail purement philologique, que je crois d'un vif intérêt historique et social.

Cette oeuvre maîtresse, la première production durable en prose populaire, est jusqu'ici restée la plus importante. Sous le rapport linguistique, le style de Zola est l'imago fidèle du parler des ouvriers parisiens à la fin du xixc siècle 2.

HOSNY. — La voie féconde, frayée par Zola, ne fut pas suivie de sitôt.* Tout dernièrement seulement, un autre écrivain, maître du roman contemporain, M. J.-IL Rosny aîné, après avoir promené sa curiosité universelle dans les divers domaines do l'imagination et de la science, après avoir écrit de nombreux romans prébistoriques et sociaux, vient d'aborder, après Zola; la vie des basses classes de la société parisienne.

Après Marthe Baraquin, roman qui dépeint la condition misérable et doulourouso de la femme isolée dans lo gouffre parisien, proio inévitable du mâle, M. Rosny aîné nous a

1. H. Massis, p. 100.

2^ Nous citons l'Assommoir tour à tour d'après l'édition Charpentier (1877) et d'après l'édition illustrée qu'en a publiée Flammarion (1878).


i)\ INTRODUCTION

donné un roman do moeurs .apaehes et bourgeoises, Dans les /fr«?s (1913). Avec sa sobriété coutumièro, il y fait l'histoiro naturolle d'un entant îles rues, d'un voyou, devenu sucessivement cambrioleur et assassin. L'observation y revêt uno précision presque scientifique, rebaussée par une admirable connaissance des milieux populaires et populaciors. Ajoutez une notation linguistique parfaitement adéquate, l'auteur faisant parler à cbacun do ses personnages la langue qui lui est familière, le bas-langago parisien :

C'est ici le résultat de longues promenades dans les faubourgs, de stations nombreuses au fond de certains bars et de roderies en des lieux un peu loucbes. Je suis loin d'avoir épuisé le sujet : il peut nourrir une littérature copieuse...

Kn y déposant le fruit d'une enquête personnelle, longue et difficile, M. Rosny a donné à ses derniers romans un caractère documentaire à part. Ils nous fournissent d'ores et déjà des témoignages précieux sur les parlers des milieux qu'il a fréquentés, et celte valeur linguistique augmentera dans l'avenir.

CoiRTELixÈ. — Parmi les langues spéciales qui ont alimenté le vulgaire parisien de nos jours, l'argot des casernes est lo plus important comme nombre de termes et comme force d'expansion. La vie militairo a fourni à Georges Courteline, Moinauxdeson vrai nom, matière abondante à des fantaisies pleines d'humour et d'entrain: Les Gaietés de l'escadron (1886), Potiron (1890), etc. Mais nulle part le talent d'observation de l'auteur et sa verve satirique n'ont atteint un plus haut degré d'intensité quo.danscet admirable tableau do la vie de caserno qui porte ce titre: Le Train de 8 heures 47 (1888). On y admire à la fois une connaissance approfondie de l'âmo rustique, une fantaisie débordante de vie et surtout une langue d'une richesse et d'un coloris incomparables. Nous y avons largement puisé.

/ MKTÉNIER. — Les bas fonds do la société parisienne ' avaiont été antérieurement observés do près par Oscar Mélénier (mort en 1913). Sa situation spéciale, comme secrétaire d'un

1. Les nombreux écrits d'Henri Monnier, tout particulièrement ses Scènes populaires (1830), ont une portée plutôt littéraire quo linguistique.'


ARGOT PARISIEN 55

enmmissairo de polico à Paris, lui a permis do pénétrer dans ces milieux formés et d'en tirer la substance de quatre études d'argot parisien, qui parurent à Bruxelles en 1885, dans un volume intitulé La Chair, h. savoir: « La Casserole », « Confrontation », « L'aventure de Marins Dauriat » et « Kn famille » '. La languo qu'y parlent les malfaiteurs est cet argot parisien familier à toute la population de bas-étage do la capitale.

CH.-H. IIIRSCH. — Parmi les romanciers do notre génération, M. Charles Henry IIirsch a su se faire une place à part. Son esprit souple lui permet de se mouvoir avec aisance dans les milieux les plus divers. La vie des coulisses, de la caserne, des fortunés et des humbles, tout palpite dans son oeuvre féconde et séduisante.

Il a traité de main do maître, dans lo Tigre et Coqueliquot (1905), un des sujets les plus scabreux dos bas-fonds de la vie parisienne, lo milieu louche des souteneurs-assassins cl des filles. Non seulement les personnages .y sont peints d'après nature, mais la languo qu'ils parlent y est notée avec un grand souci d'exactitude, écho fidèle dos bastringues et des cabarets borgnes 2.

PÉRIODIQUES. — Il nous reste encoro, pour épuiser la sério des sources argotiques modernes, à dire quelques mots des périodiques écrits entièrement pu en grande partie dans le bas iangage parisien.

Lo premier en date est La Petite Lune (1878-1879), dans laquelle André Gill et Louis Grammont publièrent tout d'abord leurs poésieâ réunies plus tard sous lo titre : LM Muse à 13ibi (1881) ; organe et poésies sans grande importance d'ailleurs.

Aristide Bruant édita ensuite Le Mirliton hebdomadaire (1885-1891), suivi de la Lanterne (1896-1898). Ce dernier recueil mit au jour, do mars 1896 à février 1898, XLVI lettres, écrites en argot parisien par Léon do Bercy (sous le pseudonyme de « Bibi Chopin »), imago assez exacte de l'idiome

1. Ce volume fut réimprima sous le litre : La Lulle pour l'amour, Etudes d'argot, Paris, 1891.

2. Nonce Casanova s'était proposé, dans Le Journal à Néncssc(iQli), d'écrire un roman entièrement en lirgot parisien. Cet effort, digne d'attention n'a malheureusement pas abouti : son récit, d'ailleurs intéressant, est parsemé à chaque page d'anachronismes choquants qui trahissent un travail fait à coup do dictionnaires. Voir nos Sources de l Argot Ancien, t. II, p. 258.


56 INTRODUCTION

vulgaire fin de siècle, riche en tonnes et on expressions qu'on chercherait vainement ailleurs '.

Mais le plus important de ces périodiques et, à proprement parler, le seul qui ait exercé une influence réelle, c'est le Père Peinard, « Reflees hebdomadaires d'un gnialf », qui, en différents formats (allant do l'in-16 à l'in-8° ctàl'in-i°), parut à Paris de 1889 à 1900 2. Pendant cet intervalle, il eut pour unique rédacteur M. Emile Pouget.

Le. Père Peinard est le petit neveu du Père Duchéne* d'Hébert, le célèbre pamphlet révolutionnaire qui parut à Paris de 1790 à 1795 en feuilles non datées (30 et 355 numéros), portant cette légende: « Je suis le véritable Père Duchène, f... I » Lo style d'Hébert, cynique et violent, n'a que des rapports assez éloignés avec la langue populaire de l'époque; c'est plutôt du français de mauvais aloi, mais du français, entrelardé do bougres et de /outres, destinés à relever sa phraséologie généralement banale. Le ridicule de l'emploi par trop fréquent do ces chevilles n'échappait pas à leur auteur et voici comment il s'en excuse (n° 2, p. 6) : « Que ces écrivains bilieux qui se plaisent à grossir les objets, à tout exagérer; si f..., je pouvais mo défaire de ma mauvaise habitude do jurer. Si mes concitoyens mo passent mes li. et mes F., ce n'est que par rapport à ma bonhornmic, à ma fran-\ chise *. »

Le Père Peinard a' hérité do son aïeul l'esprit révolutionnaire et le langage grossier, mais il lui est infiniment supé1.

supé1. Bercy a bien voulu nous communiquer le recueil de ses Lettres argotiques; nous lui en exprimons nos vifs remerciements. — Léon de Bercy est mort en 1915.

2. La collection complète est assez rare ; un exemplaire est à la Nationale et un autre se trouve à la Bibliothèque Carnavalet. Grâce à l'obligeance de M. Pouget, qui a mis à notre disposition un exemplaire complet du Père Peinard, nous avons été à incinede l'utiliser avec fruit et sans perte de temps.

3. t Un bon fieu qu'était à la hauteur dans son temps (et qui est un peu mon grand-père), le Père Duchéne, était de mon avis, • lit-on dans lo Père Peinard du 9 novembre 1890, p. 6.

4. D'Hautel n'a pas oublié de donner le nom do ce pamphlétaire dans son Dictionnaire du bas-langage : t Duchéne, le Père Du Chcne. Nom apocryphe d'un vil folliculaire qui, pendant les troubles de la Révolution et à la faveur d'un stylo bas, grossier, trivial et populaire, vomissa't, dans une feuille ainsi intitulée, des imprécations et de sanglantes injures contre les premières autorités de l'Etat. Le peuple a fait justice do cet écrivain incendiaire, en le livrant au mépris qu'il mérite; et lorsqu'il veut parler d'une rage vaine, d'un courroux impuissant et dont on n'a rien a redouter, il dit : C'est la colère du pire Duchéne, et « Un Père Duchéne, pour dire un criard, un homme qui s'emporte sans sujet, et dont la colère n'est nullement à craindre ».


ARGOT PARISIEN 57

rieur pour le style et la langue Celle-ci est souvent le meilleur argot parisien, le parler des ouvriers et des Parisiens de bas-étage, écrit par un homme sorti du peuple et qui a passé sa vie au milieu des foules.

Le but qu'il poursuit, il l'expose ainsi en tète de sa fouille (21 fevr. 188,9) : « Les types des ateliers, les gas des usines, tous ceux qui peinent dur et triment fort, me comprendront. C'est la langue du populo que je dégolse, et c'est sur le mémo ton que nous jaboltons, quand un copain vient mo dégotter dans ma turno et que j'allonge mes guibolles par-dessus ma dovanturo pour aller siffler un demi-setier.chez le troquet du coin. Iïtro compris des bons bougres, c'est ce que je veux».

Le Père Peinard, doctrine et cynisme à part, ost devenu une mine abondante pour l'argot parisien de la fin du xixe siècle. Il offre sous ce rapport un véritable intérêt linguistique. Nous y avons puisé nombre do citations ainsi que dans son pendant lillérairp, YAlmanach du Père Peinard. « farci de galbeuses histoires et de prédictions épalarouflantes » (pour les années 1891 et 1896 à 1898), dont l'auteur est également M. Emilo Pouget.


VI

PARLERS PROVINCIAUX

Si les vocables parisiens ont de nos jours passé do plus en plus nombreux dans les parlers provinciaux, ceux-ci, à leur tour, n'ont pas eu une action nioint, intense sur le langage de la capitale. De tout temps des termes régionaux ont pénétré à Paris dans la langue générale; les recueils lexiçographiques ,qui nous ont fourni des parisianismos, renferment en même temps des renseignements abondants sur les apports dialectaux '. La préface posthume du Dictionnaire de Euretière (1600), écrite par un anonyme, contient celte, remarque importante pour l'époque : « Rien ne survirait plus à perfec-' tionner la science étymologique qu'uno recherche exacte des mots particuliers aux diverses provinces du royaume 3 ».

Des mots de terroir se sont donc fréquemment acclimatés à Paris, mais ils n'ont jamais atteint, ni comme nombre ni comme importance, la proportion des provincialismes do nos jours. Nous montrerons plus tard les raisons sociales do celte immigration. Pour le moment, il nous suffira de faire ressortir, par quelques exemples, leur abondance et surtout le nouveau développement qu'ils ont pris dans le milieu parisien.

Examinons en premier lieu les synonymes régionaux pour désigner l'enfant du peuple, et tout particulièrement l'enfant perdu de la rue, le polisson.

Celui-ci, quel que soit le nom régional qu'il porte —gamin ou voyou — est un plant foncièrement parisien : il a poussé dans le sol de la capitale où il a acquis un développement singulier. Tandio qu'Eugène Sue, dans ses Mystères de Paris, y voit « co type alarmant do la dépravation précoce, vérii.

vérii. ont été ri'cuoillis par M. \V. Hcymann, dans sa dissertation : Fianzvsischc hialelilworler des XVI bis X\'llt Jn/irhundert, fîiesson,'1903.

2. C.t. Ducaiifjc, Ulomtviutn, préface, cli. I.XXIII : « Qui linguai-iun vulgnrium otyinologias inqnirit, peculiaria provinciartim idioinata probe noscat nccossn est, cuui etymou quud a Groecis, aut Hebneis, vel a longinquis petit regionilms, a vieillis scnpc repetenduin sit ».


PARLERS PROVINCIAUX 5)

table graine de bagne», Victor Hugo, dans les Misérables,.Va poétisé sous le nom de Gavroche, gouailleur et narquois, mais « qui n'a rien de.mauvais dans le coeur ».

GAMIN. — Ce mot qu'on croit « né à Paris et spécial aux Parisiens des faubourgs ' », est d'origine franchement provinciale. Il vient du Centre et tout particulièrement du Berry : c'est un dérivé du berrichon gamer, chiper, dérober (« il a garni des fruits dans mon jardin, il m'a gainé vingt sous », (Jaubort), répondant exactement à ses synonymes gouspin et polisson?. .

Dans le Centre surtout, ^amt'/i est l'équivalent do « garçon » et se prend généralement en bonne part: « Un père dit de son. fils, et sans aucune acc.option défavorable, mon gamin, comme on dit ailleurs mon garçon ; jusqu'à 15 ou 16 ans au moins, une jeune fille est toujours une gamine et on ne l'appelle pas autrement chez nous » (Chambure). Chez le peuple parisien, gamina toujours eu ce sons général: « Les gens du peuple désignent quelquefois ainsi leurs propres enfants... ; mais il devient terme de mépris pour les enfants élevés avec soin », remarque Bescherello on 1845. La nuance défavorable l'a emporté: « Hardi et chipeur comme un gamin de Paris», écrit Balzac en 1886 3.

Victor Hugo, à qui ce mot vulgaire est redevable do sa brillante fortune, se vantait de l'avoir introduit en littérature : « Ce mot gamin fut imprimé pour la première fois et arriva de la langue populaire dans la langue littéraire on. 1831» C'est dans Un opuscule intitulé Claude Gùeuos que ce mot fit son apparition. Lo scandale fut vif. Le mot a passé 4 ».

Le poète se faisait illusion 5, attendu qu'il l'avait employé lui-même en 1831 dans Notre-Dame dp Paris. Quoiqu'il en soit, gamin se lit pour la première fois, en 1800, dans le Dictionnaire de Boiste, lequel Va tiré lui-même d'un « Dictionnaire des rimes » do Wailly, paru antérieurement.' L'un et

1. Dclvau, Dictionnaire, v gamin,

2. La dérivation de i'altpni. Getneiner, un simple soldat, que Liltré cite dans soh Supplément et que répètent encore lo DicL général et Meyer-ljttfobke . . (p. 277), ne soutient pas l'examen : le bas-langage du xix'siècle ignore tout emprunt direct ù l'allemand ; tout s'y oppose d'ailleurs : la forme, le sens,

la géographie...

3. La Maison de tiitùingelu éd. I8î>6. p. 23., •

4. Les Misérables] îll* partie, 1. I,. cit. vit.

8. Gomme l'a montré M. Edmond" Huguet, dans la tltvue de philologie française, t. XII, 1808, •


60 INTRODUCTION

l'aiilre expliquent le mot par « marmiton », acception assez humble quand on pense aux destinées ultérieures du gamin de Paris, à l'immortel gavroche.

VOYOU. — Cette appellation, relativement la plus récente, nous vient, à en juger par la finale, des patois de l'Ouest, et particulièrement de la Bretagne (cf. yabelou). Voyou est pour coyeur, comme le breton châti'ou est pour chàtreur et sonnou, pour sonneur. Le nom désigne l'enfant qui court la voie publique, le polisson, répondant h cheminot, le vagabond adulte.

Auguste Barbier s'en est servi le premier en 1830, dans ses ïambes (« La curée »):

La race do Paris, c'est le pâle voyou, Au corps cliôtif...

et Hescherolle le recueille en 1815 : « Voyou se dit populairement à Paris d'un enfant du peupler malpropre- et mal élevé ' ». Combien cette définition pâlit devant le portrait réaliste qu'en a tracé quelques années plus tard Louis Vouillol: « Le voyou, le parisien naturel, ne pleure pas, il pleurniche; il ne rit pas, il ricane; il ne plaisante pas, il blague; il ne danse pas, il chahute; il n'est pas amoureux, ilest libertin 2 ».

GOSSE-. — Do beaucoup plus compliqué est l'historique du synonyme gosse. Le jargon de la première moitié du xixe siècle donno ce terme sous les formes suivantes 3 :

Gonse, homme, individu, voleur (qui fait le niais), avec le féminin gonzessc, femme de voleur, femme en général, l'un et l'autre propagés par les filles et les troupiers, passé dans les parlers provinciaux : Languedoc, yon*o, courcuso ; Anjou, yotue, gamin, moutard, et yonsesse, drôlesso; Canada, yonse, moutard; faire le yonsc, pleurnicher pour obtenir quelque faveur, proprement faire le bambin : « Ne fais pas le yonse comme cela, lu m'ennuies à la fin» (Donno).

Gonse. yonec, un jeune homme, un individu quelconque, d'où le dérivé yoncier, individu, homme : goncier de pain d'épice, individu sans valeur, bon à rien (Rossignol).

Gosse, enfant, petit garçon (le yossc) ou petito fille (la yosse),

1. « Une empoigneusequi vous blague comme un voyou, » Goncourt, Journal, août 18S4. On y lit également : voyouerale, voyoucralie, voyouterie et voyoutisme.

2. h. Veuillut, Les Odeurs de Paris, 1866, 1. III, oli. iv.'

3. Voir nos Sources de l'Argot ancien, t. II, p. 362 à 303.


PARLERS PROVINCIAUX 61

et gosselin, petit enfant (gosseline, jeune fillo do quinze à scizo ans) se rencontrent pour la première fois dans des glossaires argotiques do 1827 à 18i9 '.

Sous cette dernière forme, le nom a passé des malfaiteurs aux ouvriers (gosse, apprenti, chez les typographes) et s'est généralisé dans le langage parisien : « Qui enlevait dans ses hras un camarade comme un gosse », Poulot, p. 99.

11 est des plus fréquent chez les auteurs en langue populaire (Hiehopin, Bruant, Jehan Rictus, etc.)> ot chez les écrivains parisianisanls (Guy de Maupassant, Daudet, Goncourt, Zola).

De Paris, co vocable s'est répandu dans les provinces : Saiul-Pol, gosse, enfant, moutard (« n'est usité que depuis une trentaine d'années ;>, Kdmont) ; Yonne, gosse, petit garçon, gai, vif, remuant, espiègle (Jossicr) ; Anjou, gosse, gamin, galopin (à côté de gonse), etc.

Tout en manquant aux dictionnaires — de Heschorello à Lillré et au Dictionnaire général — co mot est des plus usuels et constitue le dernier représentant de la nombreuse synonymie pour « enfant » que la langue populaire a tirée du jargon à dill'érentcs époques: mioche, mion, môme, polisson, ce dernier répondant exactement, quant au sens, à gosse, gonse (individu) voleur.

Ce nom qui remonte à l'italien gonzo> niais, a parcouru aussi bien en Italie qu'en Franco uno doublo évolution, littéraire ot jargonnesquo, sur laquelle nous reviendrons.

Veut-on maintonant apprécier l'enrichissement do certains do ces provincialismes, uno fois transplantés à Paris, il suflira d'envisager l'évolution sémantiquo des termes suivants.

DÉ<;OTTER. — Originaire de l'Anjou, ce terme du terroir a poussé do nouveaux rejetons dans le sol parisien.

C'est primitivement un mot particulier aux jeux d'enfants, ot, comme toi, il nous a été transmis par Ménage, Angevin d'origine, dans son Dictionnaire étymologique(v° galet): « Nos enfants appellent gais ou gaux deux pierres plantées ot po- • sées on telle distance que l'on veut, dans quelque grrtnde place où ils jettent avec des crosses, dont ils frappent et poussent une balle, ou autre chose, et partant proniptemont du lieu où ost leur gai, tàchont de la pousser jusqu'à l'autre gai...

I. Ibidem, l. II, p. lGfi, 173, 20S, etc.


62 INTRODUCTION

On a dit dégoter, pour dire commencer à pousser cetto balle, et dans noire province d'Anjou, quand celui qui. la pousse est sur le point de la pousser, il crie aux autres joueurs : Dègot s'en val et les autres joueurs lui répondent: Quand il voudra! »

D'IIautol nous donne la première application de ce sons technique : « Dégoter, terme burlesque fort usité parmi les écoliers, etqui équivaut à déplacer, chasser quoiqu'un de son poste, le. supplanter dans la placo ou le rang qu'il occupait. Il a beau faire, il ne le de'goiera pas. c'est-à-dire, quoiqu'il fasse, quelque peine qu'il se donne pour le déplacer, il n'y parviendra pas ».

Déplacer la bille de l'adversaire, servant de but, la faire sortir do son trou, do son got (comino on dit en Anjou et en Poitou), c'est là l'acception primordiale : goter, c'est faire des gots ou trous peu profonds creusés en terre pour ce jeu (Verrier et Onillon) ; et dégoter. chasser du got l l'objet qui sort de but, généralement une bille ou un palet.

Los écoliors en ont tiré, les premiers, uno application plus large : déplacer un camarade, le supplanter ; d'où l'acception générale donnée par lo Trévoux de 1771 : « Dégolter, déplacer. Ce mot ne se dit qu'en badinant ». 11 cite pourtant, à cette occasion, ce. passage, très sérieux, extrait des Observations sur les écrits modernes, par Desfontaines et Granot, 1740 (t. XXI, p. 120): « Les caries modernes ne s'accordent point avec les anciennes et elles dill'èrcnt mémo outre elles, on sorte qu'on dégote mille fois Paris ».

Ce sens est assez fréquent au XVIIIC siècle ; on le lit dans les Mémoires d'Argenson (v. Dict. général), dans Voltaire (v. Littré) et dans le Père Duchène d'ilébort (n° 42, p. 5): « On sait que pour boire, fumer, jurer, tout seigneur Allemand dégoteroit 16 Père Duchène ». ,

Hoisto lo donne avec ce même sens en 1800 : « Dégotter, chasser d'un poste, l'emporter sur », sens passé dans le Dictionnaire de l'Académie de 1835, qui l'a supprimé en 1878, mais encore vivace aussi Mon à Paris qu'ailleurs 2. Dans l'Assommoir, lorsque Goujet explique à Gervaise la supériorité

I. Ce got angevin est apparenté an \v;tllon gole, marécage, au lorrain çolel, petite nuire, etc. L'angevin <jot, creux dans la terre, répond exactement au synonyme berrichon guitille.

ii. Cf. dans l'Anjou, déguler, prenlre la place de, supplanter, surpasser, remporter sur, etc.


PARLERS PROVINCIAUX 63

écrasante do la machine sur l'ouvrier, il ajoute (p. 182) : « Hein! ça nous dégotte joliment! Mais peut-être que plus tard ça servira au bonheur de tous { ». '

Delvau l'explique ainsi : « Dêgotter, surpasser, fairo mieux ou pis ; étonner, par sa force ou par son esprit, des gens malingres ou niais ».

Lo développement sémantique ultérieur do co terme technique, tiré des jeux do gamins ou d'écoliers, comporte deux aspects différents, suivant qu'on envisage le mot dans les parlers provinciaux ou dans le bas-langage parisien.

A. — Dans les promiers, dcgoter signifie :

1° Tromper par finesse (llainaul), d'où dëgqté, fin, rusé (llécart); wallon de Mons, se dégoier, se dégourdir, se décrasser (Normandie : déniaiser).

2° Voler (Havre), sens déjà donné dans un glossaire argotiquo de 1810 ( « dêgotter, piller, enlever »), et encoro usuel: « A co fourbi-là ils gagnent do la bonne galette, degotent de ci de là quelques maigres pot3 de vin, « Père Peinard, 3 mars 1889; p. 3.

B. — Dans l'argot parision, dégoter a acquis ces sens nouveaux :

1° Découvrir, trouver (dans un glossaire argotique de 1816): « Il y a deux mois que je la cherche, j'ai fini par ia'dêgotter » (Virmaitro). — « Avec un peu de jugeotte, on dégotte la vérité », Père Peinard, 19 mai 1879, p. 1*

2* Apercevoir, regarder: « liiiï a. dégoté, il m'a fait signe », Météuier, La Lutte, p. 2i0.

Delesalle: « Dcgotte-nwi donc ça! signifie suivant le sens do la conversation engagée : Regarde moi donc ça ; cherche, ou trouve moi donc ça ».

3" Avoir bonno ou mauvaise tournure : « Dêgotter se dit do quelqu'un mal habillé: Tit la dêgottes mal » (-Vinnaitre). Ce sens est égalemont familier au Havre et en Bretagne: Avoir bonno tournuro avec ses habits (Havre), avoir une mauvaise tournure on marchant (l'iéchatel). Dans l'argot naval du Borda, dcgoter signifie bien porter la toiletto.

Le mot a donc parcouru l'évolution suivante: Déplacer la

1. « Une fantaiso, un imprévu qui nous dégote tous, » Concourt, Journal, -I mai IS00. — c Prud'homme admire le Rhin de Musset et demande si Musset a fait autre chose? Voilà Musset passé poète national et dt'gulant Béraub'er », Flaubert, Correspondance, t. IV, p. 32.


64 INTRODUCTION

billo ou un aulro objet servant do but, d'où : Prendre la place do quelqu'un, le supplanter ; — l'emporter sur, le surpasser; — en imposer par son intelligence ou par sa tournure; — enlever par ruse; — découvrir, Ircuver.

PIGER. — Ce terme a également subi à Paris uno évolution sémantiquo inconnue au terroir d'où il est sorti. Voyons toiit d'abord les acceptions de ce verbe au Centre et principalement dans le Berry :

1° Mesurer, et tout particulièromont, dans le jeu de bouchon, mesurer quel est le palet le plus près du bouebon : « 11 faut piger ; pigeons donc ! exclamation fréquente du jeu de bouchon dans les cas douteux » (Jaubcrt). On dit aussi faire la pige, se défier à courir, à jouer, etc. (Dolvau).

Ce sens est le premior attesté, en français, par d'IIautel(1808) : « Piger, Terme de jeu dont les écoliers, les enfants se servent dans les cas douteux, et qui signifie disputer, contester entre soi l'avantage de la partie, prétendre être le plus près du but, -vouloir l'emporter sur son adversaire: J'en pige, pour dire je gagne, je l'emporte, je fais des points dans cette parlie ».

De là : Pige, mosurc do longueur ' (Jaubert), et, chez les typographes parisiens, longuour d'une page ou d'une colonne: « Faire la pige, compter les lignes composées pour faire la mise en pages; la pige est de 30, 3o, 40 et 42 lignes à l'heuro » (Houtmy).

C'est le jeu de bouebon qui a produit les acceptions métaphoriques suivants :

2° Attraper, tromper (Herry, Anjou, Picardie), prendre l'argent à quelqu'un (Picardie), réduit au sens de « chiper » chez les écoliers parisiens : « On m'a pigé mon porte-plume » (Rigaud).

3° Pincer, surprendre, acception donnéo par un glossairo argotique de 1840. Son point do départ est le terme d'écoliers piger, prendre en flagrant délit: « Le pion m'a pigé à cramer une sèche et m'a collé pour dimanche » (Rigaud); ensuite,' son usage technique, chez les imprimeurs: Piger le trac, c'est

i. C'est à celte nolion quo sr rattache le sens jargonnesque : pige, année (Vidocq). Les autres acceptions : [uison (Dolesalle, llector-Fi'ance) et portefeuille (Delesalle) sont inexistants.

2. De là Delesalle et II.«France induisent un t pUjc, ...heure, etc. », qui est controuvé.


PARLERS PROVINCIAUX 65

surprendre la ruso (Boutmy). Ce sens et très usuel : « Poisson acuil p:gd sa femme avec Lanlier », Zola, Assommoir p. 506.

— « Ils fies flics] m'ont pigé... ils m'ont suivi », Ilosny, Hues, p. 385 '.

4° Battre, rosser (Berry, Haut-Maine, Normandie) : « Piger les côtes de quelqu'un, ci sopiger, se battre» (Jaubert), application ironiquo de la notion « mesurer ». Ce sens n'est pas attesté dans nos sources, mais on lit dans le Supplément de Liltré : « Piger, pop. battre, emp.loyé.à peu' près comme toiser ; les ouvriers nomment pige la toise dont ilsso servent ».

A ces sens, le bas-langage parisien a ajouté les suivants :

1° Saisir, attraper au vol: « On pige l'aspect d'un tableau, on va au théâtre, on essaye d'une aventure pour y piger des sensations, un regard décote... \>o\ivpiger d'un coup la bille (« la figure ») du bonhomme 2.

2° Prendre, puiser : « La babillarde ousquo je pige ces tuyaux », Père Peinard. 8 février 1891.

3° Regarder, voir: « Pigès-iu que c'est beau?» Delvau.

— « Quelle cuite, bon sang!— Non, pige-moi le coup! » Courtcline, Trahi p. 186. 3

Chez les imprimeurs,/?^/' la vignette, c'est regarder attentivement et avec intérêt uno scène ou une personno (Boutmy).

4° Dépasser, dans le jargon des canotiers do la Seine : « Avec sa périssoire il pige tous les canots » (Higaud), sens devenu général (on dit aussi faire la pige) : « Lo baluchon sur l'épaule, j'ai fait la pige 4 au Juif-Errant, j'ai trimardé sur les routes...»-"-«Il y a à Saint-Denis un bagne («atelier ») qui peut facilement faire la pige aux plus affreuses prisons», l'ère Peinard du 13 avril, 1890, p. 1 et du 3 août 1890, p. 7.

Voilà la floraison sémantiquo que le termo berrichon a fait éclorc dans lo sol parisien.

Kn partant de son sens primordial « mesurer la terre » (cn1.

(cn1. une caricature du Gavarni, du 27 janvier 1811 (v. Armelliault et Hocher, p. 133), un sergent de ville entraîne violemment un débardeur : « Toi, i" te repigerai !»

i. Loliée, l'ariiianismes fin de siècle, dans la Revue des Revues, lî>89, t. I, |>. i7!i.

3. Cf. Guy de Maupassant, Miss llarriet, p. 24 (uno artiste à une paysanne): « ICn ^arrivant à la maison, j'appelai aussi la mère Lecoclieur en braillant i'i luo-tcto : Ohé 1 olio, la patronne I Amenez-vous et pigt*mo\ çal •.

4. Cette expression n'a pas été comprise par nos argotistes : Delesallc la l'LMid par i aller plus vile ou faire mieux », et H.- France, par « tromper» :«tlraper ».

5


66 INTRODUCTION

suite tout autre objet), notre piger est identique à son homonyme piger, fouler aux piods, qui se renconlro déjà avec ce sens au xvie siècle. Delboullo cite ce texte do 1555 : « Petits arbustes freschemont versez ai piges aux piez ' ». Les'dcux termes représentent une prononciation provinciale, particulièrement berrichonne (comme bijer, pour biscr), de piser, fouler, battre la terre à bâtir (latinpisare) 2.

Il est intéressant do faire remarquer à nouveau que ectto série sémantique est, toute entière sorlio des disputes, contestations et rivalités des joileurs au bouchon, onfants et écoliers 3, exemple curieux de l'influence quo ces derniers ont exercé sur le développement du lexique.

Les termes dialectaux, que nous venons de prendre pour type appartiennent aux patois de l'Ouest et du Contre. Cependant toutes les provinces do France ont fourni des contributions au vocabulairo du bas-langagc,parisicn ; l'examen et la répartition de ces contingents régionaux formeront l'objot d'un chapitre spécial do notro travail.

. i. Romania, t. XXXIII, p. 593.

2. Au Havre.'piter, fouler avec le pied, figure dans lea jeux : t T'aspilil cri des enfants à leur camarade dont le pied a posé sur les rayes qui font les limites de certains jeux » (Abbé Maze).

3. Voici un pondant provincial de notre verbe t Vider, mesurer avec, le pied la distance d'un palet à un autre, d'une boute à une autre II faut pider\ — jeter au but pour savoir qui jouera le premier i A qui est-ce à piàer? — Terme de collégien : voler, dérober, filouter ; Quel est celui qui m'a pidé mon agate? i Gaudy-Lefort, Glossaire Genevois, 1827.


Vil REFLETS SOCIAUX

Le langage, organe social par excellence, est le dépositaire fidèle du passé en même temps qu'un témoin sûr des dernières transformations de la société, de ses besoins nouveaux, de ses aspirations les plus récentes. Les faits linguistiques gagnent à être envisagés à la lumière des faits sociaux.

On a vu plus haut quo lo mot classe, par exemple, n'a commencé à désigner lo rang social qu'assez tard, à la fin du xvne siècle, sou dérivé, déclassé, restant môme un produit de notre époque.

De même, pour saisir la valeur péjorative du mot espèce, il faut so rappeler qu'au xvinD siècle des personnes de qualité s'en servaient pour disqualifier los gens de basso extraction.

Dès lo début du xvnc siècle, le terme bourgeois, opposé à homme de qualité, était devenu une grosso injure. Francion, ainsi apostrophé par un page dans la cour du Louvre, s'en scandalise : « Alors luy et ses compagnons ouvrirent la bouche quasi tous ensemble pour m'appelcr bourgeois ; car c'est l'injure quo ceste canaille donne à ceux qu'elle estime niais et qui ne suivent point la Cpur. Infamie du siècle que ces personnes, plus abjectes quo l'on ne s<;auroit dire, abusent d'un nom qui a esté autrefois et est encore en d'aucunes villes passionnément envié ! » '.

Quelques années plus tard, en IGIO, Oudin note dans ses Curiosités : « Bourgeois, c'est-à-dire sot ou niais. »

Nous ne suivrons pas les vicissitudes ultérieures du mol 2. Ajoutons seulement que le mot, avec l'avènement de la démocratie, a repris sa valeur en désignant l'homme de la classe aiséo, le patron, lo mari 3.

,1. Charles Sorcl, Histoire comique de Francion, 1622, éd. Colombey. I. IV, p. HO.

2. Voir, là-dessus, un article de M. Conrad, dans la Revue de philologie française do 1913.

3. Lo mol est encore une injure dans la lioucho des artistes et des prolétaires.


68 INTRODUCTION

Dans le discours do Mirabeau du 26 janvier 1790, on lit pour la première fuis le terme aristocrate : l'orateur jette co titre aux privilégiés comme un affront; et cette défaveur survécut à la grande Révolution. Il n'y a pas de nos jours, pour la démocratie, de mot plus désobligeant qu'amto, l'injure la plus sensible dans la bouche des ouvriers ' : « Celte réponse provoque une explosion d'injuros : T'es l'un rnufe... espèce â'aristo, bon à rien, va donc... », Poulot, p. 19. Cette insulte descend tous les degrés do la hiérarchie sociale: « Pour l'ouvrier, un arixto est le Monsieur qui porte des gants gris-perle ; pour le voyou, c'est le voyou qui se paye un cigare de dix centimes ; pour le pégriot, c'est le voyou qui vient do ramasser un cigare à moitié fumé » (Rigaud).

Dans une caricature de Gavarni, du 11 mars 1833, doux rôdeurs de barrière sont en train do se disputer (l'un en bourgeron, l'autre en redingote déguenillée) : «Arisfo 7... Oui, arïstol» 2

Ainsi les vocables d'une langue reflètent fidèlement les vicissitudes mêmes de la société qui en fait usage. C'est là un des aspects de la question.

Il y en a un autre, ot de beaucoup plus compréhensif. L'ensemble do la nation est constitué par de nombreux groupemonts, parmi lesquols ceux qui s'adonnent aux arts et métiers méritent uno attention particulière. Ces facteurs sociaux, s professionnels ou techniques, ont toujours exercé une action féconde sur lo développement du lexique. Cette inlluonco a été particulièrement sensible au xix° siècle, surtout dans sa seconde moitié.

Les soldats, les marins, les ouvriers de tout genre ont chacun apporté au vocabulaire national leur contribution plus ou moins abondante, plus ou in.jins caractéristique. La langue que parlaient ces divers facteurs, tout en appartenant au fond national, s'était peu à peu colorée de nuances particulières ou s'était enrichie dans.ces milieux spéciaux «le notions nouvelles. Celles-ci ont alors réagi sur la langue générale,

t. Signalons la première protestation, chez un lexicographe, conlro l'acceplion péjoratif ilu mot peuple: t Du petit peuple. Nom de m-'iprU que l'on donne aux artisans, aux ouvriers delà plus liasse class; du peuple, qui, cependant, par leur industrie, leurs fatigues et leurs peines, font la fortune de nos gros négociants », d'flautcl, 180S.

2. Voir J. Armelliault et G. Bochcr, L'OEuvre de Gavarni,- Paris, H73, p. 3iS.


REFLETS SOCIAUX G9

action et réaction mutuelles qui sont la condition même de toute évolution linguistique : « Le principe essentiel du changement de sens, remarque un observateur sagace, est dans l'existence des groupements sociaux à l'intérieur du milieu où une langue est parlée... Il y a réaction constante du vocabulaire commun sur les vocabulaires particuliers et dos vocabulaires particuliers sur le vocabulaire commun l. »

Nous allons montrer, par quelques exemples, le développement de ces termes spéciaux et leur rejaillissement sur le langage populaire., parisien ou provincial. Nous les emprunterons de préférence au milieu dos casernes, dont le parler a exercé une influence considérable.

FOURBI. — Soit le mol fourbi, terme éminemment militaire, dont le sens initial est « nettoyage », abstrait do fourbir, nettoyer, polir en frottant, verbe technique attesté dès les premiers -monuments do la langue:

Ferez, segnor, des espées fourbies...

[Chanson de Roland, v, 1925)

Ce premier sens, synonyme d1'astiquage, est encore vivace : « Ce n'était pas celui-là qui s'abrutirait sur le fourbi, pour sur I... s'il n'avait que son pognon pour engraisser les marchands d'encaustique et do tripoli, oh bon ! alors, ils pouvaient crever 2. »

Ce tormo a produit les acceptions suivantes particulières aux soldats :

1° Métier militaire et tout ce qui s'y rapporte: bagage complet du troupier, service dans les casernes, etc : « Fourbi, mot universel susceptible de toutes les acceptions mais plus généralement usité pour désigner .l'ensemble de l'équipement militaire: « Mon brosseur fait bien mon fourbi »; faire le fourbi, vendre au soldat les menus objets dont il a besoin» (liinisty). lui voici un exemple : « Je voulais justement préparer ma revuo do détails pour ed'main, astiquer mon fourbi et tout, » Courteline, Gaietés, p. 10.

2° Volerïe, petit larcin des fourriers dans la distribution de vin ou d'eau-de-vio aux troupiers: « Fourbi a deux aceep1.

aceep1. Meillot, Comment les mots changent de sens, dans l'Année Sociologique, t. IX (1906), p. ï\ et 2."i.

2. Cité dans le Dictionnaire do Bruant, v* nettoyage.


70 " INTRODUCTION

lions : tantôt, il veut dire détournement, gain illicite; tantôt: choses, travaux, matériol, etc. » (Merlin).

3° Malice, habileté: « Connaître le fourbi, savoir une foulo de trucs à l'usage dos militaires pou scrupuleux » (Rigaùd). — « En vieux soldat sorti des rangs qui connaît le fourbi du métier, » Courtoline, Gaietés, p. 48.

4° Besogne embrouillée, difficile: « En voilà d'un fourbi arabe I »

Voilà les sens militaires proprement dits. Passons maintenant aux acceptions du môme mot dans le bas-langage :

i° Travail écrasant, faute d'ordre : C'en est d'un' fourbi dans cette boîte-là (Verrier).

2° Gratte, bénéfice accessoire et souvent illicite que se fait un ouvrier, un fonctionnaire, un employé quelconque, et spécialement, dans les hospices, petit détournement du comptable aux dépens des malades (Idem).

3° Affaire compliquée, opération délicate (surtout en mauvaise part) : « On se trouvait dans toutes sortes de fourbis, on finissait par so laisser pincer... Encoro dos fourbis tout ça. Jo me méfiais..», Zola, Assommoir, p. 191 et obi. — « Le populo en a plein... de turbiner pour les richards, il voudrait à son tour flânocher un brin; seulement il s'y prend mal; sale fourbi que celui des huit heures, » Père Peinard, 18 sept. 1890.

4° Piôgo, malice, dans l'argot du peuple : « Connaître son fourbi, être aguerri contro la malice des hommes et des choses » (Dclvau).

Effots, attirail, mobilier personnel : « J'ai mis tout mon fourbi dans uno malle » (Rossignol). En liresso, amas de choses : « 11 a laissé tout son fourbi » (Ferluaull) ; en Anjou, objet, mobilier : « Il a fallu déménager tout lo fourbi »; et aussi saint frusquin, avoir : « Il a mangé tout son fourbi » (Verrier et Onillon).

Aussi vrai jo me fous ilo la turbine A Doiblcr et de tout son fourbi...

(Bruant, Hue, t. II, p. 1i)

G0 Choso quelconque que l'on connaît (Hayard): « Nous cherchons le... machin, le... choso, quoi ! la fourbit... le truc, si vous préférez. — L'hommo comprit, il lâcha lo mot crû.» — Courtelino, Train, p. 183.

Fourbi ost ainsi devenu un des termes les plus compréhen-


REFLETS SOCIAUX 71

sifs du bas-langage. Son équivalent le plus complet est (rue, l'un et l'autre remontant très haut, mais n'ayant acquis tout leur développement que dans la seconde moitié du xixc siècle.

RABIOT. — C'est à proprement parler un torme de pêche, le nom méridional du fretin, du rebut do la pêche (Mistral). Propagé par des marins ou des soldais, co mot, sous la double graphie rabiot elrabiau, a considérablement enrichi sa sphèro sémantique. Ses nouvolles accoplions se sont développées autour do ces doux notions fondamentales :

A. — Notion de reste ou de résidu :

1° Co qui resto (de vin ou d'eau-de-vie) dans le bidon avec lequel on a fait la distribution aux matelots ou aux troupiers; vivres (viande, riz, biscuits, café, etc.). qui restent après la distribution faite à uno oscouado : Les escouades au rabiot l cri quo pousse le caporal « d'ordinaire » lorsqu'il y a du café en trop. Le rabiot est uno distribution de faveur.

2° Resto, en général : Aooir du rabiot, toucher un reliquat sur lequel on ne comptait plus (Virmaître). Cf. Bresse, avoir du rabiau, dans un marché, obtenir une diminution do prix (Guillemaùt), et aller au rabiau, au jeu, perdre des points (Idem).

3° Objets sans, valeur, bagatelle: Donner, dire dos rabiots* (on Normandio, sons noté par Dclboullo).

B. — Notion d'oxcédent,^o superflu :

1° Surplus: « yLersquo, dans un partage, chacun a'ou son compté, co qui resto ost du rabiot qui est encore à partager » (Rossignol).

2° Prolongation du servico militaire pour inconduito : Faire du rabiot, rester au corps après la libération de sa classe,' pour racheter les punitions'qu'on a encourues pendant son servico : « 11 acheva la journée dans des transes indicibles, poursuivi do l'atroce pensée qu'il allait faire du rabiot, so voytint déjà à Biribi cri train de casser des cailloux sur la roule, lodosdans uno capole griso», Courtcline, Gaietés p. 71.

3° Par extension, heures de travail dans un atelier, de servico dans un bureau* otc, après la fermeluro réglementaire. • i .

4° Bénéfico illicitosur les fournitures, petits profitssupplémcntairos dans les casernes : « Un rabiau minutieux sur le pain, sur lo sucroot les cafés livrée au percolatour... Lui regrettait


72 INTRODUCTION

surtout le rabiau, les fructueux tours de distribution, » Descaves, Sous-Offs, p. 56 et 133. — « Dans un coin, quatre boules de son empilées, rabiot dos hommes en permission, opéré sur la distribution do la veille,» Courlclino, Train p. 30.

5° Volerie, rapine, en général : « Y a toujours des bricoles de perdues qu'il faut payer, ou si on est à sec, faire du rabiot-, pour lôrs, c'est à qui soulèvera au voisin ce qui lui manque », Père Peinard, 28 sept. 1890, p. 4.

6° Bénéfice fait sur une dépense : « Y aura cinq francs de rabiot » (Verrier).

7° Petite quantité do marchandise que l'on ajoute a une posée, à une mesuro (Idem).

8° Invalide d'hôpital qui rend des services à ses compagnons (Rigaud) : c'est un aide surnuméraire.

Dans certaines do ces acceptions, rabiot touche de près à fourbi, et les deux se confondent lorsqu'il s'agit dos petits profils que prélève indûment le fourrier sur les vivres ou la boisson des hommes de troupe; par ailleurs, l'un et l'autre ont franchi le milieu des casornes.

Nous tâcherons de suivre de près, au cours de notre travail, ces différents apports spéciaux, lesquels, en débordant les milieux originaires, sont venus enrichir le vocabulaire du baslangage parisien.


VIII

MÉTHODE

Nous avons essayé d'exposer, dans îes pages qui précèdent, l'objet de ce travail, on insistant sur les sources multiples qui ont alimenté et fécondé l'idiome vulgaire do nos jours. Nous avons "montré et nous montrerons plus loin que les classes professionnelles ont été un facteur de premier ordre dans la constitution do son lexique, et que celui-ci s'est enrichi, en outre, d'éléments venus do tous les coins do la France. À ces apports d'ordre social s'ajoute le travail mental sur les matériaux déjà existants dans la langue, la création métaphorique, dont le domaine, embrassant une partie considérable do l'idiome national, est pour ainsi dire illimité. Nous voudrions, avant d'aborder ces divers éléments, soumettre à un examen critique los données de certaines de nos sources et établir ensuite quelques principes pour la recherche des origines des vocables vulgaires.

I Considérations critiques.

Dans une série de publications antérieure:* sur la formation historique du langage des malfaiteurs, nous avons recherché les erreurs, do fait ou de transcription, les contresens mi les coquilles, accumulés pendant des siècles et dont les recueils argotiquos do nos jours ont été comme obstrués.

Il ne peut pas être question celte fois d'un pareil travail critique. Nous avions à traiter alors d'un langago secret et conventionnel, dont los données avaient été altérées par des générations de copistes ignorants. ll,on était résulté un véritable chaos qu'il fallait tout d'abord débrouiller pour être à mémo d'y discornor lo vrai du faux, le réel do l'imaginairo.

Tout autre est l'état des choses actuel. Nous sommes main-


74 INTRODUCTION

tenant en présence d'un parler vulgaire qui a subi au xix 1? siècle des influences diverses et profondes. Une partie notable des éléments qui ont enrichi son vocabulaire appartient à notre époque et plusieurs môme sont venus s'y ajouter on quelque sorte sous nos yeux. Le point de vue ne peut ôtro qu'essentiellement différent.

Les recueils do parisianismes ne manquent pas. Pondant une trentaine d'années, ils se sont succédés à des intervalles assez rapprochés, offrant des matériaux abondants, des détails souvent fort utiles.

Lorsque do pareils ouvrages ont pour auteurs des hommes consciencieux, comme Lucien Rigaud (1881) ou Rossignol (1900), ils méritent pleine confiance : l'un et l'autre s'efforcent de puiser dans la réalité môme, c'est-à-dire dans les divers milieux parisiens.

Ce n'est malheureusement pas le cas de Georges Delesalle, qui, pour son Dictionnaire (189G), a utilisé, sans aucun discernement, tout co qui est tombé sous ses yeux.

Notre réserve est encore plus grande en ce qui touche les matériaux surabondants qui constituent Y Argot du AW'C siècle (1901) d'Aristide Bruant et Léon de Borcy, recueil copieux, mais dépourvu de toute critique. En le parcourant, on est frappé do son exubérance verbalo, de ses longues listes d'équivalents puisés, à tort et à travers, dans l'argot ancien et dans le langago populaire parisien. Kn ce qui louche le jargon, nous avons montré ailleurs combien les vocables cités par nos deux auteurs sont sujets à caution, s'ils no so réduisent pas àrun pur néant.

Ce n'est certes pas le cas des parisianismes disséminés dans leur recueil; et, copchdant, tout n'y est pas do bon aloi. Aux vocables usuols nos auteurs ajoutent souvent, pour faire série, nombre do termes analogiques, simples décalques obtenus par des rapprochements synonymiques. Ces mots surajoutés sont ou réellement contestables ou parfaitement superflus.

Soit pépin, au sens de caprice ou d'amourette, proprement graine d'amour. Bruant et Bercy, en confondant co mol avec son homonymo qui signifie « parapluie » insèrent dans lour Dictionnaire :

Caprice... Ombrelle, parapluie, pépin.

Dans uno des /.étires de Bercy, écrites dans l'argot parisien, on lit ce passage : « Ali î cette terrine/.., Ben, mon vieux, t'as une té-


MÉTHODE 75

terre... Mords-moi co saladier!... Où donc qu'on t'a salé comme ça la théière?... Et le fait est qu'il avait une soupière pas ordinaire.

On lit par suite daçis leur Dictionnaire : « Tète... saladier, soupière, théière, terrine, télerre... »

Ces prétendus synonymes sont tous calqués par voie analogique sur le ternie réellement vulgaire : liouillote ou cafetière.

De même, « argent », se disant vulgairement galette, nos auteurs ajoutent: biscuit cl gâteau: la misère étant désignée par panade et purée, ils y ajoutent; bouillie et bouillasse, confiture et marmelade, mousse et moutarde...

L'édition de 1827 du poème Cartouche, do Granval, donne : danser, puer (nos auteurs ajoutent : polker) ; Rigaud connaît, au môme sens, repousser (ils ajoutent: chasser), à côté do fouetter, puor (ils ajoutent : taper).

On conçoit dès lors la réserve qui s'impose devant cotte germination artificielle.

En dehors de cette synonymie factice, les recueils argotiques de nos jours renferment,des termes imaginaires, des interprétations douteuses, do fausses inductions ou des sens controuvés. On on trouvera le relevé dans une autre parlio de co travail 1; bornons-nous pour le moment à ces deux exemples :

Pige, 1° Heure; 2° Année; 3" Prison; <i° Portefeuille; 5° Faire la pige, aller plus vite ou faire mieux (Delcsalle).

Pige, piège : faire la pige, tromper, attraper. —Prison, argot des voleurs.—Heure... (II.-France).

Ilcbouis, cadavre. — lieboxiiser, tuer. — llibouit, oeil; anus (Delcsalle).

Itebouis, cadavre, argot des malfaiteurs. — llcbouiser, tuer. — Itiljouil, oeil, anus (II.-France).

De là; Cadavre, rebouis... (limant et Ilercy).

Ces significations n'ont jamais été appuyées par une citation ou indication do source, et pour cause. Elles sont inexistantes: Pige signifie exclusivement «année», sous unique donné par Vidocq; tous les autres sens sont faux. L'accoption d' « heure » est abstraite du terme typographique pige, nombro de lignes qu'on doit composer pondant une heure; colles de « prison et de « portefeuille » sont le résultat d'autres confusions analogues; quant h faire la pige, elle signifie simplement «surpasser », sens égaloment inhérent au simple piger.

I. Voir Appendice F : Erreurs et fantaisies argotiques.


7G INTRODUCTION

D'autre part, Rebouis, cadavre (d'où rebouiser, tuer) est probablement une transcription erronée de refroidi, cadavre, en mémo temps que ribouit, oeil, est une coquille pour reluit, oeil...

Ces tendances arbitraires et factices n'ont rien de commun avec le développement de l'argot parisien.

II Principes étymologiques.

L'objet principal de notre travail est de recbercber les facteurs sociaux, qui, au xixe sièclo, ont contribué à donner un cachot à part au langage populaire parisien. Go n'est que tout récemment qu'un des maîtres de la science linguistique a insisté sur l'intérêt qu'il y aurait à ne pas disjoindre ces deux ordres de recherches, la langue et la société qui la parle: « La considération des faits sociaux permettra, seule, de substituer en linguistique à l'examen des faits bruts la détermination des procès, c'est-à-dire à l'examen des choses l'examen dos actions, à la pure constatation do rapports entre phénomènes complexes, l'analyse des faits relativement simples considéré chacun dans leur développement particulier ' ».

Do là ces deux critères :

1° Considérer les vocables dans leur ambiance sociale;

2° Rechercher, autant que possible, leurs origines dans les sources indigènes, dans les préoccupations des classes laborieuses, dans les forces créatrices do l'intelligence nationale.

En partant de ces principes, nous allons étudier un certain nombre do termes vulgaires réputés jusqu'ici commo étant d'origine inconnue.

AnsouiLLER. — Le langage parisien tend à éviter non seulement la double consonne, mais encore la syllabe initialo re, qu'il change d'abord en cr et ensuite en «/', suivant des habitudes orthoépiques du parler vulgaire. Aux exemples que nous citons ailleurs, ajoutons arsouiller et s'arsouiller, qui remontent ainsi à resouiller, se souillera nouveau, se souiller complètement, d'où se vautrer dans la débauche, mener une vie de crapule et se conduire commo Ici. Avec cotte dernière acception, le verbe était courant à la fin du xvme siècle, commo

I. A. Meillet, élude citée, j>. 3.


MÉTHODE .77

le montre ce passago du Procès de Babeuf de l'an V: « Déjà j'en connais quelques-uns qui prétendent avoir arsouillé (vous savez toute la valeur de ce terme) dans la révolution, et sont tous prêts à se remettre à la besogne, pourvu que ce soit pour tuer les coquins de riches, d'accapareurs... », Pièces, t. II, p. 106.

Ce terme est encore usuel. De là le substantif verbal arsouillé, crapule, qu'on lit dans les Mémoires de Vidocq de 1828, Vers la môme époque, Maxime Du Camp en constatait la vogue dans l'argot parisien: « Ce mot arsouillé était fort usité à cette époque (1830-183o) dans le langage populaire do Paris... 2 ». De la capitale, le mot pénétra dans la plupart des parlers provinciaux: Berry, Bourgogne, Poitou, Picardie, Normandie, etc.

BERNIQUE. — L'ancienne langue, pour désigner la non valeur ou la nullité, disposait de nombreuses formules ou comparaisons, tirées surtout de la nature ou des objets do première nécessité. Le langage moderne parisien en a hérité un grand nombre qui feront l'objet d'un chapitre spécial. Remarquons pour le moment que.l'expression dépréciativo était parfois rendue par la notion «coquillage » (anc. fr. coquille):

Aubère ne broinc no li vaut II. coquilles...

(Mort Aimery de Narbonne, v. 2439).

Notre parler vulgaire, pour exprimer la même négation, se sert do bernique ou bcrniclcs. Cotte dernière forme, prépondérante au xvni 0 siècle 3, est ainsi définie par le Trévoux de 1771 : « Mot populaire pour dire rien : 11 s'attendait à avoir un gros profit, et il a bemicles ». Boiste, en 1800, donne encore bernicles, alors que la forme ultérieure bernique se lit déjà dans un écrit poissard antérieur, les Porcherotis, 1773, p. 134 :

Quand, mécontente est la pratique, A renseigne elle dit bernique...

Or, bernicle est le nom vulgaire du coquillage du genro patcllo, et bernique en est la forme usuelle on Bretagne 4. Le

1. « Un autre agent secret... arsouillé consommé, » Mémoires île Vidocq, t. III, p. 87.

2. Souvenirs littéraires, Paris, 1882, t. I, p. 32, note.

v 3. Lo mot se lit pour la première fois clans le petit glossaire argotique qui accompagne lo poème Cartouche do Granval (i'û'6) : « Brenicle, rien, non t. 4. K. Holland, Flore, t. XII, p. 20.


78 INTRODUCTION

nom do ces coquilles, qui pullulent sur los rochers et s'attachent innombrables aux flancs des navires, est devenu l'expression symbolique do la nullité, du néant: -« Bernique: Expression adverbiale qui veut dire que, croyant tenir quelquo chose, on no tient rien: Vous comptez sur lui? Bernique! » (Wailly, 1801). La formo primitive bernicles! représente le pluriel du même nom do coquillage et renforce ainsi la notion négatiye.

En somme, ce terme vulgaire, venu à Paris des côtes de la Bretagne, est, dans son acception figurée, une survivance des nombreuses tournures négatives ou déprécialives dont abondait l'ancienne langue 1.

BISQUER. — Ce mot populaire se lit fréquemment dans Vadé : « Fallait me dire ça plutôt, je n'aurais pas tant fait bisquer ma mère, la pauvre femme! » Lettres de (a Grenouillère, p. 93.

Co verbe, « banni du langage sérieux » (Littré), n'a pas naturellement trouvé grâce aux yeux des grammairiens :

On dit souvent: // bisque, je l'ai fait bisquer. Cela n'est point français. 11 endeve, il fume, il enrage; je l'ai fait fumer, endèver. — Michel, 1807.

Bisque); s'emporter follement, s'impatienter. Ce mot n'est pas français. C'est un terme d'écolier. Dites: peslcr.— Molard, 1810.

Bisquer. Mot trivial qui signifie ôtre mécontent. Bisquer est un barbarisme. — Desgranges, 1821.

Malgré ces protestations, le mot a fait son chemin: il est usuel à Paris et dans les parlcrs provinciaux.

Son origine méridionale est indubitable : le provençal biscà, endèver, signifie proprement prendre la chèvre ", ancienne métaphore 3 qu'on lit encore dans Régnier et Molière et qui est toujours vivace dans le langage des imprimeurs. L'oxistenco d'une forme bisco, chèvre (parallèle à bico) est corro1.

corro1. Moisy semble avoir entrevu cette origine; < L'on peut admettre que beniicle, qui s'est dit et se dit encore pour bemacle, espèce de coquillage très commune, et bernique, rien, soient devenus la dénomination métaphorique d'un objet sans valeur. Il est probable que bernique, connue le mot miette, qui en patois normand, a le même sens, a fini par signifier rien du tout ». — Dictionnaire du patois Normand, Gaen, 188'i, v° bernique.

2. Le wallon ardennais abisquer, accourrir précipitamment, remonte à la moine origino.

3. Cf. E. Kolland, Faune, t. V, p. I.i3 : t llisquev.,. de bisque, chèvre, mot qui a di'i exister, puisqu'on trouve bisquière, chovrière. » Littré et le Dicl. général, sans tenir compte de l'apparition récente du mot, lo rapprochent du Scandinave besk, aigre.


-MÉTHODE 79

borée par los dérivés dialectaux : bisquet, pâtre, chovricr (Dôle, Leconto), Vendée bisquien, domestiqua qui mène lo gros bétail aux champs (Lalanne), répondant à l'angevin biquart ; bisquière, gardousc do chèvres (Bourgogne, Littré,

Suppl.)

pendant do notre verbe, bigoter ', se dépiter, se lit déjà dans une mazarinado parisienne de 1659 : « Jarnicôton, tu me fras bigote», éd. Rosset, p. 17.'Cet autre emprunt (Dauphiné, bigota, pester) accuse la mémo imago tirée du naturel emporté do la chèvre ou du chovreau {bigue ou bigot dans les patois).

BLAGUE. — Termo militaire par excellence qui a pris rapidement une grande extension. Suivant les témoignages recueillis par Larchey, ce fut- Cadet Gassicourt qui, dans lo récit de la campagne do 1809, en fait le premier mention : « Les militaires ont inventé un mot pour exprimer un conte puérile ou ridicule, un mensonge, unegasconnado. Gela s'appelle blague, d'où l'on a fait dériver blaguer, blagueur, blagomane- ».

Ce caractère militairo est encore relevé en 1817 par Stendhal 3 et, vers 1810, par Balzac: « Co mondo dos choses françaises désigné sous le nom soldatesque de blague, mot qui sera repoussé de la langue, espérons-le, mais qui seul peut faire comprendre l'esprit de la Bohème i ».

Encore aujourd'hui lo mot est fréquent dans le langage des troupiers et on le lit souvent dans les écrits de Courtelino: « Jl faisait des blagues aux copains... Quelle blague! Touto la chambrée se mita rire... », Gaietés, p. 14 et 219.

Blague, hâblerie, du limousin blagou, bavardage, co dernior répondant au languedocien bagoul, même sons : la forme abrégée blague ost parallèle à bague (bagou) du langage des malfaiteurs do la mémo époquo 5. Lo sons des doux mots est

1. Oudin l'a accueilli dans ses Curiosité: (1610) : « Faire bigotter, motlre eu colère i; et on le lit dans la Muse Normande de David Ferrand (t. I, p. 43).

2. Voyage en Autriche, Paris, 1809 (cita par Larchey). Une annôo avant, d'ilautel mentionne exclusivememontles dérivés blaguerai blagueur, au sens de t mentir, hàbler, » etc.

3. Paris en 1817, paru en 1827 (dans Larchey) : t Cette vanteric égoïste et grossière que nous appelions blague parmi les officiers subalternes des régiments... * Et, dans la Correspondance du mémo (10 juillet 1818): t Dans le langage de l'armée française on appelle cela emporter son homme par la bla' gue, ce qui veut dire ! éblouir un caractèro faible. »

i. Un Prince de ta Bohême, éd. Lôvy, p. 187.

8. liagou, nom propre, so lit dans un opuscule argotique de 1700: i« Hat du Châlelet, Vidocq donne, en 1837, avec le mémo sens bagou et bague.


80 . INTRODUCTION

foncièrement le môme: « Ce mut-bagou qui désignait aulro fois l'esprit de repartie stéréotypée, a été détrôné par le mot blague », nous dit Halzac (cité dans Larchey).

L'identité depuis longtemps admise l entre blague, vessie de tabac, et blague, vanterie, se heurte, en dehors du sens, a une double difficulté chronologique et géographique: blague, vessie, est attesté pour la Bretagne dès 1771, tandis que blague, gasconnade, ne remonte pas au delà du xixe siècle et accuse une origine plutôt méridionale; d'autre part, le rattachement de blaguer au verbe archaïque braguer, se vanter, qu'on a souvent proposée 2, se heurte à une grosso difficulté sémantique: l'acception ancienne de braguer, celle de « se vanter », paraît inconnue aux patois (qui donnent généralement à ce verbe le sens de « culotter »).

Quoiqu'il en soit, le mot et ses dérivés firent fortune. Dès 1821, les grammairiens en proscrivent l'usage: a Blaguer, pour mentir, dans le baragouinage du peuple, mais n'est pas français; blagueur et blagueuse ne sont pas meilleurs que blaguer : ce sont des mots bas 3 ». Cette dernière remarque est encore répétée par Hcscherelle (1845): « Blague. Mot populairo et bas dont les personnes bien élovées évitent de se servir, si ce n'est dans une conversation très familière et par forme de plaisanterie ».

Admis par le Dictionnaire de l'Académie seulement on 1878, blague, vocable originairement soldatesque du début du xixcsiècle, au sens de gasconnade. désigne.aujourd'hui une plaisanterie où domine le scepticisme, l'ironie: elle caractérise surtout la faconde des journalistes et la verve de l'esprit boulcvardier... C'est le pendant et le substitut de bagou, parler abondant et facile, mêlé de fanfaronnade, du gamin et do l'ouvrier parisien.

CHARABIA. — Ce terme désigne primitivement,le patois des

1. Cf. Iîeschorelle (184.1): t lilague, nablerie... par allusion au contenu d'une vessie soufflée », et Fr. Michel (18;iG): « Blague, jactance... Quoi déplus semblable à une vessie gonflée do vent qu'un discours pompeux et vide? i

2. Entre autres, parGli. Nisard {Curiosités de l'élymologie française, 1869, p. 194 à 199) et en dernier lieu par Jeanroy (Revue de philologie française, t. XX, p. 290) : ni l'un ni l'autre no touche au sens do braguer dans les patois, seuls en cause, étant donné le caractère vulgaire, soldatesque, du mot.

3. Cf. aussi Dictionnaire hongrois (1822): c lilagueur. Go terme est employé pour designer une personne qui parle excessivement et qui, dans ses récils, ne respecte pas toujours la vérité. On se sert aussi des mots blague et blaguer. Ces trois mots doivent être proscrits cl remplacés par les mots bavard, bavardage, bavarder, quoiqu'il y ait une nuance qui en différencie le sens. »


MÉTHODE 81

Auvergnats qui apportèrent ce mot à Paris dans le premier quart du xixc siècle. Il manque encore à d'Uautelr mais Dcsgranges note, en 1821, et sa date récente et sa provenance, vulgaire : C'est « du français des ports de Paris », remarquc-t-il.

Etant donné ce caractère récent du mot, la dérivation de charabia de l'hispano arabe algarabia ', langue arabe, a l'air d'une simple facétie étymologique, malgré les autorités qui la soutiennent: la forme, la chronologie et l'extension géographique du mot s'y opposent également. Proposée par l'orientaliste hollandais Dozy, qui ignorait le pays d'origine cl le véritable sens du mol, il est inconcevable qu'une pareille fantaisie se lise encore dans le Dictionnaire général.

L'auvergnat charabia est inséparable du lyonnais charabarat, marché aux chevaux, maquignonnage (de Puitspelu), l'un et l'autre se rattachent à la famille nombreuse, de forme et de sens, qu'a fécondée autour de lui le type charivari que nous avons étudié ailleurs -.

Une de ses variantes provinciales, charaoièu (dans le Var) est précisément proche parent de notre charabia: le sens essentiel des vocables du type charivari, étant «bruit confus», conduit tout naturellement à celui do confusion linguistique, de baragouin ou de jargon inintelligible. Ce terme, essentiellement indigène, rentre ainsi dans son pays d'origine.

Fiox. — Pour finir, nous allons suivre les vicissitudes du terme vulgaire Jlon depuis ses humbles origines jusqu'à son plein épanouissement.

Le mol était déjà assez répandu à Paris, parmi les classes ouvrières, à la fin du xvnic siècle. Sébastien Mercier en parle avec enthousiasme en 1783:

« Un François enseignait à des mains royales à faire des boutons; quand lo boulon était fait, l'artiste disait: A présent, Sire, il faut lui donner le /Ion. A quelques mois de là: le mot revint dans la tète du Hoi ; il se mit à compulser tous les Dictionnaires, Hichelct, Trévoux, Furetièrc. l'Académie Française 3, ct-il ne trouva pas le mot dont il cherchait l'éxplieat.

l'éxplieat. K parlan son algaravia, » dans Gn'll. de la Rarre, éd. I'aui Moycr. p. 39,. F/é'Iitour rapproche l'csp. algarabia et ic fr. charabia (ce dernier aurait pu manquer).

2. Dans la Reçue des Etudes Rabelaisiennes, I. IX (1911), p. S.'iG à 2."iS.

3. Comme- notre mol no remonte pas au-delà du milieu du XVIIIe siècle, il n'est pas étonnant qu'il manque aux dictionnaires cités qui appartiennent

0


82 INTRODUCTION

lion. Il appella un Neuchàtelois ' qui était alors à la Cour, et lui dit : Dites-moi co que c'est que le Jîon dans la langue française ? — Sire, reprit la Neuchàtelois, le fion c'est la bonne grâce ».

« Graves auteurs, graves penseurs, vous n'ôtcs pas dispensés do donner h fion à vos livres; sans le Jîon vous ne serez pas lus. Le fion peut s'imprimer dans une page de métaphy. siquo comme dans un madrigal à Glycèro. Académiciens qui parlez de goût, étudiez le fion et placez ce mot dans votre Dictionnaire qui no s'achève point I 2 ».

Ce voeu de Mercier n'est pas encore exaucé. Le Dictionnaire de l'Académie, qui vient do donner asile à engueuler et épatant, n'a pas accueilli jusqu'à co ]ouv Jîon, co terme populaire par excellence.

Quoiqu'il en soit, voici les témoignages ultérieurs du mot :

Donner le fion à quelque chose s'emploie improprement et trivialement pour perfectionner, mettre la dernière main à quelque chose. — Michel, 1807.

Fion. Mot vulgaire dont le sens est fort borné et qui équivaut à peu près à poli, retouche, le dernier soin que l'on donne à un ouvrage afin de le perfectionner. // faut lui donner encore un petit fion, pour il faut encore ajouter à cet ouvrage quelque ornement pour qu'il soit parfait, il faut y mettre la dernière main. — D'Haute), 1808.

Fion, donner le fion à quelqu'un. Dites: grâce, tournure. — Molard, 1810.

Fion, il s'agit de donner un fion à celte a/faire, ce qui signifie une tournure, une subtilité. On dit encore: Cet homme a le fion, pour exprimer qu'il est rusé, adroit". Le mot fion est un barbarisme. — Langres, 1822.

Passons au sens. Le mot se rencontre dans un jeu de saulemouton très compliqué (il comporte vingt-quatre ligures différentes) :

1° Cri quo poussent les joueurs on sautant par-dossus le

la plupart au XVII*. Do nos jours, le terme est donné en passant par Littré, mais il manque au Dicl. général.

1. (Je « Neuchàtelois > est ici indiqué lout bonnement parce que l'ouvrage de Mercier s'imprimait à Neufchatel (sous la rubrique Amsterdam). M. J. Jeanjaquet, un des rédacteurs du Glossaire (l?s patois de la Suisse Homande, m'a obligeamment communiqué ceci: t D'après les renseignements que j'ai recueillis et ceux (Hic fournissent les matériaux du Glossaire, le mot fion n'existe pas actuellement à Neufchatel ni dans le'resto de la Suisse romande au sens que lui donne Mercier et qu'enregistre Liltrô. »

2. Le Tableau de Paris, Amsterdam (Neufchatel), 1782-1788, t. VI, p. 290.


MÉTHODE 83

mnutiin. Un joueur présente ses poings fermés à sos camarades jusqu'à ce que l'un d'eux, en sautant, le frappe en criant : Jîon!

2° Coup qui achève le jeu ou lui donne une autre tournure. Dans une variante de ce jeu, en sautant, on donne un coup do talon dans la parlio charnue du mouton, on criant: fionlx. Ailleurs, celte figuro du jeu s'appelle coup de pied ou coup d'éperon 2.

De là tout un développement sémantique qui a fait oublier ces humbles origines:

3° Coup de grâce, coup en général:

Le roi qu'est un vivant d'affût Fit tout trembler quand il parut; Par la sacrédiô, queu compère ! Pour ficher un fion, à. li le père !

(Vadé, Sur la prise de Menin en 1744).

4° Dernier coup de main donné à un ouvrage : « Bien essuyer et frotter un travail terminé est lui donner un coup de flou » (Rossignol).

5° Tournuro, bonne façon, chic. Ce dernier sens se prend aussi on mauvaise part ou ironiquement, d'où les acceptions péjoratives (affectation, ruso, mensonge) familières surtout aux patois: /tonner, faire le beau, et Jlonneur, élégant prétentieux.

Ce torme connu à Paris au xvme sièclo, avec son acception propre (Vadé) et figuréo (Mercier), s'est répandu au xixe siècle dans les parlers provinciaux do toute la Franco, mais exclusivement au sons métaphorique. En voici le tableau:

Normandio et Picardie: Avoir le/Ion, avoir l'adresse nécessaire pour réussir (Corblet).

Berry: Fion, poli que l'on donne à son ouvrago; — habile dans un travail quelconque (avoir le /Ion, avoir lo chic); — se dit aussi en mauvaise part: Cette alfairo prend un mauvais fion (Jaubcrt).

Anjou: Fion, dernière main mise à l'ouvrago: coup de Jlon ; — air affocté, cpquettoric: il/ait du/Ion (Verrier et Onillon).

Champagne, Marne : Fion, ruso, adrosse, savoir fairo (Gay).

i. Louis Isquieu, Les Jeux populaites de Venfance à tiennes, Rennes, I8S0, p. 33 et 6b.

2. Verrier et Onillon, Dictionnaire des putois de l'Anjou, t. IF, p. 463 (donne uno description détaillée dos différentes figures du jeu).


Si INTKODUCriON

Lyon: Fions, tours d'adresse, do grâce: « Quand le véloeipeteux a vu la llenoito, i s'est mis à faire des Jions » (l'uitspclu).

Daupliiiié: Fion, chic, tournure: «se donna lou Jioun, luire - le gracieux (Mistral).

Suisse, Vaud: Fion, orgueil, belie apparence, vanité: se bailli clou Jion, se donner des airs (llridel) ;■— Genève: Fiou. Termo d'écolier qui équivaut à (ini, achevé, terminé : C'est flou, voilà qui est flou (Ifumhcrt).

Fion n'a, aujourd'hui, dans la Suisse romande, — d'après l'ohligeanto communication de M. Jeanjaquet — que le sens de a brocard, mot piquant et désobligeant », comme dans les autres patois franco-provençaux '. Quant au ncuchàlolois Jion (de Mercier), M. Jeanjaquet pense que « ce mot n'a rien de spécifiquement suisse cl notamment rien de Xcuchâtelois ».

Venons maintenant aux origines du mot.

Nous avons montré que le sens primordial do Jion so trouve dans les différentes figures d'un jeu d'enfants où il désigne tantôt le cri des joueurs frappant leur camarado et tantôt le coup qu'on donne à ce dernier, coup qui met un terme au jeu ou le modifie. En partant do cette donnée essentielle, flou est une simple variante orthoépique 2 de Jion : Flon-jlon! Mots imaginés pour imiter le bruit que produisent les coups de bâton que l'on donne à quelqu'un (d'IIautel). Hichclet cite ce couplet (1680):

Si ta femme est méchante, Apprends-lui la chanson ; Voici comme on la chante Avec un bon h;\ton, , . Fion, fion !

La succession des sens est aiini toute indiquée: Cri pour frapper et le coup lui-même; do là, dernier coup de main, façon ou retouche donnée à un ouvrage; — soin méticuleux, impliquant une nuance plus ou moins prononcée d'exagération; — finalement, affectation matérielle (coquetterie) ou morale (adresse, ruse).

On le voit, cetlo recherche des vocables vulgaires dans leur

1. Ce sens s-e rattache probablement à une autre origine : cf. lias-Maine, fionnei; irriter, et affionner, agacer, elfrayer. eu parlant des animaux : i Les piqûres des mouches affîonnenl les bestiaux » (Dottin).

2. La double forme subsiste dans les patois do la Mayenne et ailleurs : Fionner et flonner, embellir (Dottin).


MÉTHODE 85

milieu et leurs attaches sociales peut devenir féconde en résultats positifs. Si le principe phonétique s'impose lorsqu'il s'agit de scruter les origines de la langue ou son évolution immédiate, co principo devient purement social et intellectuel dès qu'on aborde la période moderne du développement linguistique. Taudis que l'état phonétique (ou plutôt orthoépiqtio) du langage populaire est essentiellement resté le même depuis quatre siècles, le lexique a subi des changements considérables. Ces acquisitions modernes du vocabulairo relèvent en premier heu des créations populaires, des préoccupations d'ordre professionnel, du travail mental des foules. La rechercho étymologique, surtout pour les époques modernes, n'est en somme qu'un autre aspect de l'histoire sociale, do la psychologie.

Nous allons maintenant, à l'aide de ressources multiples 1, tracer un tableau d'ensemble de l'argot parisien ou du langage populaire de nos jours sous le triple aspect : grammatical, lexicologique et sémantique.

1. Voy. Appendice D : Nos Sources.



LIVRE PREMIER

GÉNÉRALITÉS

CHAPITRE PREMIER PRONONCIATION

Le parler vulgaire est, sous lo rapport do la prononciation, comme sous beaucoup d'autres, plus conservateur que la langue littéraire. L'état des choses est à cet égard .à peu près le mémo do nos jours qu'au xvie siècle. La plupart des divergences orlhoépiquos, particulières au langage parisien, représentent autant d'archaïsmes qu'on trouve encore yivaces dans los patois, tout particulièrement dans ceux du Gentro et dé l'Ouest. . ■.

Nous ne tiendrons compte quo des faits les plus frappants, en nous attachant à relever leur caractère parisien, attesté déjà commo tel par les vieux grammairiens 1 et lexicographes.

1. Nous les citons d'Après l'ouvrage fondamental de Thurot, De la prononciation française depuis le commencement du xvi» siècle, d'après les témoignages des grammairiens, 1881-1882. -,

On ne possède jusqu'ici aucun travail sérieux sur le sujet: les dissertalions allemandes de Lotsch (1895), de Wimmer (1900; et de Pfau (1901) portent sur les particularités orthoépiques de la langue moderne en tant qu'elles se reflètent dans les écrits de Zola, d'Erckmàn-Chatrian et de Gyp.

Quanta la partie correspondante de l'Elude de Gh. Nisard, elle est purement empirique, et il suffira d'en citer ces deux remarques: c Le patois parisien dénature les mots français plus brutalement, et à la manière des voleurs. La cause en est à la disposition de l'organe vocal du peuple de Paris.., à son affectation évidente à corrompre ou à forcer la prononciation régulière i (p. 128). —L c En général, le peuple se fait un mérite fanfaron de ne pas parler correctement i (p. 149). ■' . - ^ "

Voici les noms des-grammairiens qui ont noté la prononciation parisienne et les titres de leurs^ouvrages :

Bérâin, Nouvelles remarques sur la langue françoise, Rouen, 1675.

Estienne (Rob.), Traictê de la grammaire françoise, Paris, 1557. .

lîindret. L'art de bien prononcer et de bien parler la langue françoise, Paris,


SH GKNi;iuLin;s

Avis PRÊMMINAIHK. — En ce qui touche la transcription dos textes populaires, remarquons ceci.

I/ainuissemcnt graduel el aujourd'hui définitif, dans la langue parlée, de e médian ou final, ainsi (pie de certains liquides finales (t pour il), est généralement inarqué par des apostrophes, choz les auteurs poissards comme chez les écrivains populaires do nos jours. De là les nombreuses élisions qui donnent un aspect particulier à la prose et à la poésie parisiennes.

Nous avons cru devoir renoncer à cette notation, devenue aujourd'hui parfaitement suporllue, et rapprocher autant que possible la transcription des textes populaires de l'orthographe habituelle. Ce procédé d'unification avait d'ailleurs été déjà appliqué par Vadé, dans sa Pipe cassée, et il est à souhaiter qu'il se généralise pour débarrasser les écrits en langue vulgaire de cette singularité graphique qui n'a plus sa raison d'être.

1. — Voyelles.

A. — Sa réduction en e, devant /', a été caractérisée comme parisienne par GeolFroy Tory (1529) et La Mothc le Vayer(lGt7); ce dernier la trouve « plus efféminée et d'enfant de Paris qui change l'a en e ». Elle est encore vivaco (Bruant, Route, p. 160) :

De Montmertre à Montperno...

et cllo l'était déjà à l'époque do Villon.

Do même, en errière pour en arrière, qu'on rencontro dans les poésies de Marguerite do Navarre, est encore usuel (Rictus, Coeur, p. 70). tout on étant condamné par les grammairiens du xixcsiècle:

« Marcher en errière... Barbarisme ». — Michol, 1807.

« En errière, pour on arrière. Faute de prononciation. Quand j'entends dire à certains officiers que la bravoure plus quo

La Mothe le Vayer, Lettres louchant les nouvelles remarques sur la langue françoisf, Paris, 1017.

Ménage, Observations sur la langue française, Paris, 1G72.

Oudin (Ant.), Grammaire françoise rapportée au langage du temps, Paris, 1G33.

Peletier du Mans (Jacques), Dialogue de l'orthografe e prononciacion françoese> Lyon, lu55.

Tory (Geoffroy), Champ fleuri/, Paris, 1529.

Villecomte, Lettres modernes avec leurs réponses, Venise, 1751.


PRONONCIATION 89

l'érudition guide : En errière, ouvrez vos rangs! Jo voudrais leur fermer la bouche. Rappelez-vous, jeunos instructeurs de régiments, qu'on doit prononcer : En arrière ». Desgranges, 1821.

Desgranges rolôvc, oii outre, ertifice pour artifice (« voilà de la prononciation parisienne ! »), à côté de clerinctie, clarinette, etc.

Kt de mémo devant n, comme vinginec (Richepin, Gueuse, p. 183), pour vengeance: « Ecoutez le gamin de Paris quand il dit cinc' frincs cinquinte cindmes » (Nisard, Étude, p. 132). De là la prononciation minzingue pour manne^ingue, etc.

Plus rarement devant d'autres consonnes: Médème, pour madame, est déjà relevé par les anciens grammairiens: mégot, pour magot (phase intermédiaire maigot), au double sens, « excédent do reectto » (Larchoy) et « bout de cigarette encore fumable », appartient au xixc siècle (Bruant, Rue, t. I, p. 103).

La prononciation ormoire. pour armoire, était au xvnc siècle celle de « presque tout le petit peuplo de Paris » (Rieholet, 1680). Donnée par Oudin (1612) et relevée comme barbarisme par les grammairiens du xixe siècle, elle subsiste toujours (Rictus, Doléances, p. 240).

K. — La progression vers a. devant les liquides, est aujourd'hui moins fréquente que dans le passé : darrière. pour derrière, encore usuel, est dans Vadé (Jérôme et Fanchonnette, se. XI); mais la prononciation aile, pour elle (réduit parfois à a '), mentionnée par Rérain (IG75) comme celle « des filles ou des femmes de Paris », est encore vivacc (Bruant, Hue, t. I, p. 39):

Aile avait pus ses dix-huit ans...

Acouter, pour écouter, est un archaïsme : « Aucuns disent acouter, les aulros ascouter ; d'autres et plus communément escouter » (Nicot, 1606); mais le Tréooux remarque déjà : « Acouter n'est en usage que dans la populace ». Celto forme, très fréquente dans Vadé, est encore vivacc dans les provinces (Picardie, Berry, Bourgogne, etc.) et à Paris : « Acoule, ma belle,... c'est la dernière fois que je le dis », Rosny, Marthe, p. 8.

1. La prononciation elle comme el est ancienne et courante au xvr siècle (cf. Brunot, Histoire de la langue, t. I, p. 337, et t. II, p. 217).


90 GÉNÉRALITÉS

Le phénomène le plus important ost l'amuïssemcnt do Ve féminin entre deux consonnos. On le rencontre assez souvent des le xvie siècle: Robert Kstionne (1")57) donne à la fois chantier et charretier, plote ou pelote, pelouse (« prononcez presque plouse »), pelure (« prononcez presque plure »), etc. Cet amuïssoment devient tout à fait fréquent au xvu° siècle. Oudin, dans sa Grammaire françoise (1633), remarque expressément que Ve féminin « au milieu des mots se mange tout à fait » ; il progresse au xviii 0 et devient un fait accompli au xixe. Oudin transcrit déjà dmander, doant, achter, et le Trèooux (1752) romarque: « Philippe. Le pouple dit Phelippe et prononce Flipc ' ». La forme velà, prononcé olà, est déjà fréquente au XVe siècle.

La prononciation Jumelle, fomme, est archaïque (cf. Mystère du-Vieil Testament, v. 3071); donnée par Robert Estienno (15o7), elle est encore usuelle dans les provinces et à Paris : « Faut être louf de se trouer la peau pour une Jumelle », Rosny, Rues, p. 260.

D'IIaulel remarque, en 1808, au mot Jemelle : « Le peuple prononco/«me/te », et Desgranges, en 1821, y voit une « prononciation de paysan ».

I. — La prononciation ben et ren se rencontre, dès le début du xviie siècle, comme celle du « peuple de Paris » (cf. Thurot, t. I, p. 483). Ben est aujourd'hui général; ren, moins répandu, est usuel surtout dans les casernes (et dans les provinces): « Voyons... Vas-y, puisque tu ne fais ren», Courlclinc, Gaietés, p. 117.

Remarquons que militaire sonne mélétaire dans la bouche des gens du pouple 2, alors que mênuit, minuit, remonte au xvie siècle (mesnuit): « J'en ai connu qu'avaient vingt-huit sous pour s'abîmer les yeux jusqu'à ménuit », Rosny, Marthe, p. 93.

2. —' Diphthongues.

KAU. — La prononciation io fut longtemps en usage à Paris: « Les Parisiens... au lieu d'un seau d'eau disent un sio

1. De là, dans le bas-langage, flipe, canaille.

2. Mac-Nab, Chansons du Chql-Ni'lr, Paris, 1890, t. I, p. 18.


PRONONCIATION 01

d'io », remarquo Jacquos Pelletier en 1855. Ello n'a laissé quo des traces isolées.

Piau, peau : « Il n'a quo la piau ot l'os. C'est un mot iligno du plus bas peuple », Desgranges, 1821. Son dérivé, dépiauter, au sens do « dépouillor, deshabiller », est aujourd'hui, plus répandu: « 11 y on avait doux qui se dépiautaient à la sortie », Zola, Assommoir, p. 231.

Xiau, seau : « Lo peuple dit habituellement un siau », d'Hautol; « Siau, pour seau, prononciation basso », Desgranges, 1821.

Ajoutons l'expression être dans le siau, être perdu ': « Mon vieux, nous sommes dans lo siau.,. », Courteline, Train, p. 221.

EU. — La prononciation M, dans dos noms propres commo Ugène et Vstache, est depuis longtemps populaire (cf. Thurot, t. I, p. 522).

UI. — La réduction en i est un des traits les plus frappants du parler vulgaire : pis, puis, depis, depuis, etc.

Par contre, on prononce cheuoe, pour chez, et cetto diphlhongaison est relevée par Caillièrcs, en 1692, dans ses Mots à la mode, commo colle d'un « vieux seigneur de la Cour » (éd. Schenk, p. 35).

Elle se lit déjà dans la Satire Ménippée (p. 19 : « chascun cheuoe soi ») et Desgranges remarquo en 1821 : « Cheuoe pour choz. Les paysans disent cheuoe nous. C'est une faute grossière ».

3. — Consonnes.

■ Certains changements consonantiques, très fréquents jusqu'à la fin du xvnie siècle, semblent avoir complètement disparu au xixe. Ainsi l'alternance de r-s, et inversement de s-r, attestée par de nombreux témoignages dès le xvie siècle, se rencontre encore au xviue, dans les écrits poissards, mais n'a pas laissé des tracés dans le bas-langage de nos jours.

GROUPE DE CONSONNES. — On l'évite par divers procédés, dont lo plus habituol est la suppression do la deuxième consonne. Cette élimination est loin d'ôlro modorno: en 1687, Hindret

1. Elle est synonyme de cette autre, être dans le lac : « Le souper frit, le rata dans le lac, répandu sui? le plancher... », Courteline, Train, p. 68.


02 GÉNÉRALITÉS

remarque déjà que « la pelito bourgeoisie de Paris dît uno (abc, un cofe, du nuque, pour uno table, un cofro, du sucro». Le phénomène peut être :

a. — Initial: Osdner, obstiner: « Le peuple de Paris dit oslination, mais les honnêtes gens disent et écrivent Gbsdnadon », remarque Hichelct en 1G80. Cette prononciation ostincr, est encore dans Vadé (Jérôme et Fanchonnette, se. III), et elle est toujours vivace 'Hiclus, Coeur, p. 132).

De même, copain, pour corn pain, est très usuel; Vadé écrit copère, copagnie, etc.

b. — l'inal, cas extrêmement fréquent. On prononce aujourd'hui chambe (chambre), mufle (mufle), pif, gros nez (piiïre), râpe (ràble), nuque (sucre), fringue (tringle), etc.

Et de même: quate-, note, vote, aute, etc. (cf. Thurot, t. II, p. 280 et suiv.), à côté de paecque (parce que), petète (peutêtre), pus (plus), cette dernière prononciation attestée par Yaugelas comme ancienne, tandis que celle do fisse (fils) est attribuée aux Parisiens (cf. Thurot, t. II, p. 81).

Un autre procédé pour éviter deux consonnes de suite est leur assimilation. L'exemple le plus ancien est flemme, flegme, qu'on lit déjà au xnie siècle sous cette forme (v. Littré) ; le sens vulgaire de « paresse » ou « inertie invincible » ' répond à la qualité que la médecine ancienne attribuait au flegme, uno des quatre humeurs: « Le flegme rend l'homme endormy, paresseux et gras », nous dit Ambroiso Paré. Cette acception ne remonte pas au delà du xixc siècle: « Flème n'est qu'un barbarisme. La populace dit : il a la flème, pour exprimer qu'un homme est paresseux; mais ce mot n'est intelligible que pour les habitués de la souricière », Desgranges, 1821.

On dit, de même, catêchisse, catéchisme, et analogiquement : anarchisse, ardsse, etc.

LIQUIDES. — Leur alternance a produit des prononciations comme caneçon (caleçon), nandlles (lentilles), etc. La première est attestée par Itérain (IG75), la deuxième par Ménage (1650) 2 : l'une et l'autre sont encore vivaces : « Le peu1.

peu1. S'il a la flemme, c'est qu'il a un poil dans la main », Poulol, p. 08. — s il ne retournait à la boite, il avait la flème, » Zola, p. al.

2. Cf. Trévoux (17o2) : c Ménage prétend qu'il faut dire nanlilles avec les Parisiens, et non pas lentilles avec les Angevins. On doit dire au contraire lentilles, et nanlilles ne se dit que dans les provinces, par le peuple de Paris ou par des ignorans t.


PRONONCIATION 93

plo do Paris prononco nantilles, corn m o il dit caneçon au lion do caleçon », d'IIautol, 1808.

On dil collidor (corridor) ot à la bonne Jlanquette, à la bonne franquetlo (Moliôro), c'est-à-dire franchomcnt, tout bonnement, à côté do flanche, jou défendu, pour « manière franche », appellation ironique Vadé écrit nazi pour lazzi, 1 : « C'est un petit chien de cassoux qui a des sucrés nazis un peu trop do rcclief », Lettres de la Grenouillère, p. 80.

L'on dovient non s dans corlains patois (normand, etc.), d'où no dans le bas-langage parisien : « Au moment où no tendrait la palto, y aurait une sonnette », Rosny, Hues, p. 73.

Lo phénomène le plus important que présentent les liquides est lo mouillomont. La prononciation do 17 mouillée, généralement attribuée à « la petite bourgeoisie de Paris » (Hindret, 168,7), a définitivement triomphé, malgré les protestations des grammairiens depuis Hindret jusqu'à Litlré. Lo vulgaire prononce souyers (souliors) et escayer (escalior) : « Escayé, c'est ainsi que les paysans appellent un escalier... Souyd, pour soulier, cette faute appartient à la dernière classe du peuple », Desgranges, 1821.

On disait yard (liard) au xvme sièclo: « Bien des Parisiens disent un yard... », affirme lo grammairien Dumas en 1733, et celte formo se lit dans Vadé.

La fusion d'un./i, suivi d'un y, a toujours été considérée comme un parisianisme. Hindret, en 1687, reproche à « la petite bourgeoisie do Paris » de dire un pagnier (panier), prononciation oheorp yivaco, à côté de faignant (fainéant)-— « prononciation de.rustaud », Desgranges, 1821 '; — gna (il n'y a), se magner (manier), se mettre.en train, magnière (manière), ces trois derniers déjà dans Vadé (p. 41, 47 et 239). De môme : fignoler (finiolor), torgnole (torniolo), otc.

1. Au sens do gestes bouffons, comme dans ce passage au. Théâtre italien de Gherardi (t. III, p. 113) : c Pierrot, derrière elle, faisant lazzi d'être amoureux. ».

Quant au moderne nazi, maladie vénérienne (Rossignol), il remonte à lazi (Vidocq), proprement mal de Saint-Lazare, prison des filles.

2. On le lit, sous la forme Vian, dans une mazarinade parisienne de 1649 : • Nan ne serret tizé (== tiré) nno bonne parole de touay », Agréable conférence, éd. Rosset, p. 32. La forme moderne no est usuelle dans les casernes : < Mais no va vous donner une chambre pardi... Espérez un brin, nova dire », Leroy, Lieutenant Bernard, p. 93. "., ' "

3. C'est à tort que Génin a vu dans les graphies fainéant et faignant deux vocables différents, explication admise dans le Dictionnaire étymologique do Scheler. v '


94 OKNBIULITÉS

Amuïssomciit do / final : i, pour il ou ils, se roncontro déjà au xvie siècle (Tliurot, t. 1, p. 110); que (quoi), queque (quoique), qm'qiCiui (quelqu'un): « Il so trouve des raffineur.} qui souliennent qu'il faut prononcer kc'eun et kéque », proteste en 1080 Richelet.

CAS ISOLÉS. — Cintièmc, cinquième (étage): « Je loge au cintième. C'est ainsi que s'expriment les onfans de Paris », remarque Desgranges en 1821.•Prononciation encore vivaco : « C'est le gros caniche du tailleur du cintième, au fond du collidor », Monnier, Scènes populaires, p. 10 '.

Quèque se dit parfois quête (dans le poissard queute répond à queuque) qu'on lit dans Rictus {Doléances, p. 16).

Des prononciations commemcquier (métier)ou quiens(tiens) sont encore répandues. De mômecaloquet, chapeau 2 de femme (d'Uautel), est pour calotet (cf. calotte), à côté de calouquet, sobriquet do l'étudiant en médecine, d'après l'ancien béret qu'il portait.

Cracail (travail) et crottoir (trottoir) sont 3 assez répandus (Rictus, Soliloques, p. 80) :

Es-tu venu sercher du cracail?

Geule, pour gueule, est un archaïsme (Bruant, Bue, t. I, p. 19o). On le lit au xve siècle dans le Mystère de Saint-Quenler (v. 1G93), et au xvie. dans Brantôme.

Ajoutons gringue, pain (Rossignol), à côté de grigne * (« on dit à Paris la grigne de pain », Le Roux), d'où la forme analogique gringal 5 (d'après son synonyme brutal, du langage militaire).

4. — Phénomènes spéciaux.

MÉTATHÈSE. — Elle tend surtout à un moindre effort, soit on allégeant un groupe de consonnes soit en évitant une consonne initiale. Le premier but est atteint dans lusque (luxe),

1. Aussi avec le sens de casquette de souteneur (haute comme un cinquième élage), dans Richepin, Gueux, p. 171.

2. « Et sans même ôter son chapeau, un caloquet noir qu'elle appelait sa casquette... », Zola, Assommoir, p. 459.

3. A moins qu'il rie s'y agisse des formes contaminéessous l'influence analogique de crever et de crolle (Cf. croltard, trottoir, dans Delvau).

4. Ce c démouillement » de la nasale est fréquent dans l'ancien argot : sigue (signe), sorgue (sorgne), etc.

5. Paul Paillette, Tablettes d'un lézard, Paris, 1910, p. Si.


PRONONCIATION 95

Fclisque (Pé 1 ix), etc. La plus fréquente de ces interversions concerne la syllabe initiale re, qui devient cr ' cl ensuite ar. Ce phénomène est commun au langage parisien et à plusieurs papiers provinciaux, notamment au picard -.

Lalanne, dans la préface de son lexique des OEuvres de Brantôme, cite, d'après les manuscrits de notre historien (t. X, p. 163), entre autres particularités orthoépiques, pour la plupart usuelles à la Cour, celle cl'arregarder, pour regarder, forme qu'on relève fréquemment chez Jehan Rictus (Picard d'origine).

Arbour, rebours, est dans Vadé ; ar poser, reposer, revient souvent dans les poèmes de Jehan Rictus.

Voici quelques exemples lexicologiques : Arbif\ emporté {cirbiffer, rebilfer, est usuel dans le picard) ; arnif, police, à côté de renifle, Sûreté (llayard)'; arnaque, tromperie et police ou agent de police *, à côté d'arnaquer, frauder (Rossignol) proprement renâcler ; arsaul et arnaud, dépilé, formes parallèles h ressaut et renaud 5.

Inversement, mais très rare : remone, tapage (Rigaud), pour arinone, armonie (ironiquement).

Les mots, surtout monosyllabiques, commençant par une autre consonne quV, affectent également la métathèse : ed, ej, et pour de, je, te, etc. : « J'irai me balader eduant le café... Ylà edjà qu'il est huit heures... faut pas cor et plaindre... », Gourtcline, Train, p. 56, 61 et 66.

ABRÈGEMENT. — La tendance à retrancher la syllabe, initiale ou finale, des mots polysyllabiques est un des traits caractéristiques du bas-langage ; elle devient de plus en plus forte et frappe une partie considérable du vocabulaire. Etant donnée l'importance du phénomène, nous allons l'envisager do plus près.

1. t Eh ben, mon colon, dit Faës, faut croire que c'est le monde ertoume, puisque c'est les hommes ed la classe qui sont commandés de fourrage durant que les bleus n'en fichent pas une secousse », Gourteline, Train, p. 83.

-. Dans son Glossaire Saint-Polois [Wt), M. Edmont cite de nombreux exemples sous la double forme ar et re (p. 42 à 64 et 78 à 8i). Voir, à ce sujet, la dissertation de Kurt Dammeier, Berlin, 1903.

3. Ce mot se lit dans la dernière édition du Jargon, laquelle renferme nombre de termes vulgaires.

i. t Pas d'arnaque... on est seuls », Rosny, Rues, p. 2o6.

îi. L'ancien français connaît déjà arnauder, chercher noise, à coté du moderne reuauder, l'une et l'autre encore vivaces dans les patois (Maine, Anjou, etc.)


OG GKXKUAL1TKS

L'abrègement présente un triple aspect, suivant qu'il a lieu au début, à la fin des nuits ou aux deux à la fois.

A. — Kxemples d'aphérèses : lins (omnibus), chiner (échiner), travailler péniblement; core (encore), très usuel 1; chaud de vin (marchand), troquet (mastroquet) ot dingue (mannezingue) : « Chez le chaud de vin do la rue Croix IS'ivort », Méténier, La Lutte, p. 2o3.

Ainsi que les vocables suivants :

Hoche, Allemand, abréviation parisienne ùo caboche, simple sobriquet avant la guerre qui s'est généralisé depuis avec une nuance do mépris 2.

Hochon. coup sur la tète, même sens que cabochon 3 : « A renfort de bochons cherchant à les disperser », Père Peinard, 1er mars, 1891.

Gnole (pour tort/noie), giffle. tape, attesté déjà dans le poissard (Yadé, Pipe cassée, IIIe chaut). Gnole est également un mol de fripier : Gnole ou niole, chapeau d'homme retapé, c'est-à-dire auquel on a donné une lape, une gnole '.

Gnon'ipour oignon), coup, horion 5: « Celte fois il avait un gnon sur l'oeil, une claque amicalo égarée dans une^bousculade », Zola, Assommoir, p. 119.

Perlot, tabac à fumer, à côté de sempcrlot (Delvau, SuppL), en rapport avec semper, nom soldatesque du caporal ordinaire: « Ce qu'on s'embête! Pas seulement du perlot pour rouler une cibiche », Ilosny, Hues, p. 149.

Tatouille (ratatouille), volée de coups, association d'idées familière au bas-langage : « iNana empochait toujours des tatouilles de son père », Zola, p. 404.

ï Troufignon est abrégé en Jîgnon, d'où figne,fignard, fignot, à côté de troufion, d'où Jion, au double sens de derrière et

1. Surtout dans le langage militaire: t Nous y serons core avant toi », Gourteline. Gaietés, p. 9t. — Dans le même langage : faitement (parfaitement), tu'rel/e»ie/i/''(naturellement), etc.

2. Voir sur l'origine et les vicissitudes de ce parisianisme, notre Argot des tranchées, p. 9 à 13, 135-136 et l'Appendice final du présent ouvrage.

3. Cf. Iiossignol : a J'ai reçu un cabochon qui m'a fendu la tète ». En français, sorte de clou à tête : le mot exprime donc, dans le bas-langage, la contusion que laisse un coup fortement appliqué.

4. Cf. Normand, Vie de Paris, 18bM, p. 79 : c Une niolle est un chapeau d'homme relapé; les moiteurs sont marchands de vieux chapeaux ».

5. Dans le Lyonnais, oigne, coup sur les phalanges que reçoit le perdant aux jeu des goMlles (Puitspelu), est également abrégé d'oignon: cf. Limousin, ignou, articulation du gros orteil, propr. oignon : fa tous ignous à quaucun, saisir et torturer le poignet de quelqu'un entre le pouce et l'index (Mistral).


PRONONCIATION 97

do bète: « On serait de la viande à claques, des moulards et dos fions », Uosny, Hues, p. 230.

II. — Exemples d'apocopes: iïat-d'Af, bataillon d'Afrique-; estome, estomac ' ; fiche, ficher (« va le faire fiche »)',fortifes, fortifications; fripe, fripouille; yogues (goguenots), latrines, terme militaire 2; pagne (panier), lit, et poigne (poignée), force du poignet 3.

De même les vocables:

Bombe, bombance, mot soldatesque •: être en bombe, faire la bombe, s'amuser : « Les jours de la Sainle-Darbc, les artilleurs sont-en bombe » (cité dans Hruant, Dict., p. 21).

Claque (claquedent), bordel : « Quéquc tu veux quo nous allions au claque, nous savons môme pas oùsque c'est, » Courteline, Train, p. 135.

Colon, colonel (et terme vague de camaraderie entre les troupiers, généralisé) : « Mon pauvre colon, t'a pas de veine, » Courlelino, Gaietés, p. 21)2.

Douille, argent, proprement douillet (cf. argent mignon) : « Le négoce va-t-il, Monsieur Cbampignol, gagnez-vous de la douillet » La Bédollière, p. 77 *.

Estafe. taloche, mauvais coup (d'IIautdl), proprement estafilade: « // a reçu son cstaQe, se dit de quelqu'un à qui l'on a donné uno volée de coups de bâton, au moment où il ne s'attendait pas » (Idem). — a II a reçu son estafje. Cola n'est pas français », Desgranges 1821,

Flan, à la flan, à l'aventure/ sans chercher, c'est-à-dire à la Jlanquette (v. ci-dessus, p. 93) : « Etre à la flan, être bonne nature, sans cérémonies et sans manières » (Rossignol).

Mais aussi, ironiquement, de mauvaise qualité, détestable : « Tous ces fourbis de socialos à fo/7cm, les trois huit, le mini1.

mini1. forme abrégée parisienne a passé en Lyonnais. DePuitspelu y voit à tort « l'accentuation grecque cfôpa-/0« ».

-. « Quoi alors, où ce que c'est qu'on va pouvoir briffer? — Dans les goguesl hurla le brigadier », Courteline, Train, p. 82. •

Go terme de caserne est devenu familier à Rennes : Goguel interjection, réponse négative à un propos déplaisant. Voulez-vous me prêter ceci, me faire cela? — Goguel... C'est le mot de Cambronne, c'est le bran de Rabelais » (Goulabin).

Citons quelques autres apocopes usuelles dans les casernes : sous-off, caf-conce (café-concert), marchis, maréchal de logis (Merlin), etc.

3- Cf. Michel, 1807: « Pogne. poigne, ne sont pas français. Ne dites pas : Cet homme a une fameuse poigne, a le jyygnet.bien fort «.

I. De là : douillet; payer (Ro|sign«j){.£Q?GHi7/a;Yf, riche (flayard) : « 11 faut laisser financer le Père DouÛiar^i/rVo^ij^Alù.


98 GÉNÉRALITÉS

muni des salaires, etc. c'est des dérivatifs », Almanach du Père Peinard, 1894, p. Si.

Mare, dégoût, à côté de marée, même sens : « La musique, ça me dégoûte maintenant... J'en ai mare», Hirsch, Tigre, p. 91.

Mistoufle, mistoufe] misère, forme abrégée de mistouflet, mignon, appellation ironique (cf. Jura, miste, misère, proprement gentille, et Lorraine, iniston, mendiant, proprement mignon) : être dans la mistoufle (Rossignol). — « Le soleil rend la mistoufle moins cruelle aux purolins », Almanach du Père Peinard, 1887, p. 18. .

Le mot signifie, au pluriel, misères, tracasseries ' « Causer des ennuis à quoiqu'un ou le taquiner, c'est lui faire des misloufles Ï> (Rossignol).

Preu, premier, abrévalion familière aux enfants dans leurs . jeux: « Le joueur, attentif aux billes, s'écrie successivement : Coup de preu ! Coup de segue (second) I Coup do troisse ! » 2 Au sens généralisé : « 11 n'y a pas de danger qu'on le renvoie, lui, le preu.., lespreus de la capitale »,. Poulot, p. 95 et 190 3.

Rata, ratatouille, spécialement ragoût servi aux troupiers les jeudi" et les dimanches : « Son angoisse lui comprimait l'estomac, il rie toucha ni à son pain, ni à sa portion de rata... qu'il laissa se gélatiner lentement dans sa gamelle refroidie», Courtclino, Gaietés, p. 71. - _,,.

Soce, au double sens de société (Rictus, Doléances, p. 32) et de groupe de malfaiteurs : « Toute lu soce a pris la fuite, en voyant un chapeau do gendarme » (Rossignol).

Surse, attention (abrégé do l'interjection sur seisel). Mot d'alerte des employés pour avertir de l'arrivée du patron (Rigaud); faire la siirse, faire la sentinelle pour donner l'alarme dès que le patron apparaît; et avec le sens généralisé: «J'ai fait la surse, j'ai dégotlé mon voleur ». — « A force défaire la surse, les types ont paumé la mère Baudini », Père Peinard, 13 et 27 juillet 1890, p. 6 et 12 *.

Un autro groupe de ces apocopes a ou comme point de départ des abrévations 5 telles que : Aristo, aristocrate; typo,

1. De là emmislouflei', cnuuyer: t Le chapelet... d'éclipsés sociales, bougrement pénibles au pauvre monde, continue à nous emmistoiifler », Almanach du l'ère Peinard, 189", p. 23.

2. tësquieu. Jeux, p. OS.

3. Aussi avec le sens de premier étage : t II nous a loué son preu v.Mounier, Scènes populaires, p. 73.

4. On lit deguer, pour dégoûter, dans Bruant, DicL, p7 148.

5. Peut-être des termes militaires, d'origine italienne, comme lurco, etc.


•si^gisES* 3

PRON'ONCIATION 99 '

typographe, etc., qui ont produit à leur tour nombre do formes analogiques : Anarcho, anarchiste ; apëro, apéritif: avaro, avarie; camaro, camarade; garno, garni; sergo, sergent, etc., à côté do populo, populaire; prolo, prolétaire; proprie, propriétaire, etc.

Une classe spéciale, assez nombreuse, concerne la finalo ion. suffixo qui répugne à cause de sa fréquente monotonie. Cette répulsion est de vieille date. L'ancienne langue dit déjà eoelrace, extraction, formo qu'on lit encore dans Villon {Testament, str., XXXV).

Le vulgaire moderne dit de mémo : Administrace, émosse (émotion), occase, contravence et prëoence, explique (explication) et véflec (réflexion), etc.

C. — Exemples à la fois d'aphéroso et apocope : Binaise, combinaison (« Nous voudrions bien trouver une binaise pour arriver au même résultat », Père Peinard, 21 sept, 1890, p. 3); Père Péca, sobriquet du docteur dans le langage des troupiers, d'après ipécacuana. remède fréquent dans les infirmeries militaires.

Artichaut, porte-monnaie, est abrégé d'une part en artiche, même sens, et d'autre part, en fiche, bénéfice des commis de nouveautés (synonyme de (juelte). — Distoquette, membre vi-' ril, a donné à la fois bisto, écrit bistot ou bistaud, apprenti commissionnaire (venu de la province), appellation hypocoristique •, et quéquette, qui a gardé son sens libre 2.

La réduction des mots est uiî des traits saillants de l'argot des casernes, principalement lorsqu'il s'agit des jurons : sacré nom de Dieul devient scrongnegnieu ! dans la bouche du capitaine Ramollot. D'autro part, margis désigne le maréchal de logis, et salbinet (salle cabinet), à l'Ecole.polytechnique, signifie : Rendoz-vous au cabinet de l'officier de service pour prendre communication d'un ordre du commandant de l'Ecole. C'est à une tendance analogue qu'on est redevable du mot micameau, gloria, tasse do café mélangée d'eau-do-vie, terme fréquent dans les parlers de l'Ouest (Bretagne, Anjou, Mayenne 3) : il résulte de la fusion des mots mi-ca (fé) mi-eau,

ont-ils aussi été pour quelque chose dans cette propagation analogique. Cf. invalo, invalide, et Lazaro, Saint-Lazare : t Au fond, il se moquait pas mal d'être ilanqué au lazaro », Courteline, <iaietés, p. 303.

t. Cf. le synonyme berrichon bilaud, ternie familial et amical qu'on adresse à de tout petits garçons (de bile, mot enfantin pour verge).

2. Faire que'quelle, c'est faire l'acte vénérien.

3. t Micameau... Mot connu dans le Bas-Maine depuis 1830 » (Dottin).


100 • GÉNÉRALITÉS

composé rappelant le vespétro. espèce de ratafia stomachique fait d'eau-de-vio où l'on a fait infuser de l'angélique et do la coriandre, ainsi nommé d'après les vertus carminatives (vessopet-rof.) attribuées à cette liqueur. On appelle de môme aujourd'hui mêle'casse (abrégé en mêlé), un verre de cassis mêlé d'eau-de-vie.

ELARGISSEMENT. — L'addition d'une syllabe peut avoir lieu au commencement, au milieu ou à la fin du mot.

a. — Exemple de prosthèso, pour éviter une double conr sonne initiale, procédé aujourd'hui assez rare : Esqueletle, estatue, etc.

b. — Exemple d'épenthèse, ouvèrier. prononciation emphatique et ironique pour ouvrier *.

c. — Exemples de paragoge: Au lieur 2 de, « mot du baragouinage villageois » (Desgranges, 1821), est encore vivace (Bruant, Rue, t. II; p. 1.90).

Par contre, desur 3, dessus, est un archaïsme qu'on lit encore dans Le Menteur de Corneille (acte III, se. IV). Vadé l'emploie dans ses Lettres de la Grenouillère, et il est encore populaire (Rictus, Soliloques, p. 8G) : « Tu marchais môme dessur la mer... »

Une s paragogiquo se trouve dans l'expression quatre-2tjeux 4, autorisée par l'Académie et défendue par Littré. De là gyeuter, regarder, guetter (Rictus, Coeur, p. 170).

Le langage vulgaire ajoute cette s à tort et à travers. On lit dans le 1er chant de la Pipe cassée de Vadé :

Manon, fesantdela z-huppéc, Comme quand on a z-a do quoi, Dit, i mo faut un homme d'épée, Ne pense/, plus t'a moiL..

et ces « pataquès » sont toujours courants. t

Vu prosthélique résulte d'une agglutination analogue : Noeil. oeil (=uu oeil), à l'exemple de inamour (= m'amour), caresse, cajolerie; et, analogiquement, n'aoec, n'a (en a), etc. fréquents dans les poèmes de Jehan Rictus.

1. Dans l'Anjou, les paysans désignent par. dérision l'ouvrier dos villes par ovériau.

2. Cette y paragogique est dopuis longtemps reprochée aux Parisiens (v. Thurot, t. II, p. 81).

3. De même sus, sur (forme exclusivement vulgaire) est un archaïsme.

4. Cf. Zola, Assommoir, p. 28& : f huil-z-yeux ravissants •.


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PRONONCIATION , 101

ANALOGIE. —Dos prononciations vulgaires telles que ceusses, ceux, etc., sont déjà notées comme vicieuses par les grammairiens du XYIIIC siècle: « Il ne faut point imiter les Français qui prononcent ceusses; il faut dire ceux-ci... tf, remarque Villecomte en 1751. Encore vivace : « Comme ça, je ferai pas do concurrence à ceusses qui serclient de l'ouvrage », Rosny, Marthe, p. 172.

De même : Eusses, eux, eune, une-, etc. rolovés comme « fautes » par Desgranges (1821), et aujourd'hui très répandus. Ces parisianismes ont pénétré dans les parlers provinciaux; notons cette remarque sur leur intrusion dans l'Anjou: « Eusses, eux.. C'est une prononciation affectée qui nous est venue récemment des villes; les vrais patoisants n'en usent pas » (Verrier et Onillon).

On prononce également alorsse, alors : « Ecouter, chef, que je fais alorss », Courteline, Gaietés, p. 37.

Ajoutons : énutile, inutile, qu'on lit déjà dans Vadé (Pipe cassée, chant IV).

Remarquons finalomont que le til analogique, comme signe d'interrogation, a été induit de la troisièmo personne du singulier (a-/ in). Cette particularité du bas-langage qu'on trouve aussi en dehors de la forme interrogative (j'ainie-ti pour j'aime, etc.) se rencontre déjà dans les mazarinades parisiennes du xvii° siècle, et, plus tard, elle a pénétré, do Paris, dans plusieurs parlers provinciaux : Normandie, Lorraine, etc.

1. Voir Gaston Paris, Mélanges linguistiques, p. 270 à 280 : Ti, signe d'interrogation.


CHAPITRE II

DÉRIVATION

Tandis que la morphologie présente peu d'intérêt pour notre sujet — on en trouvera dans la syntaxe quelques particularités saillantes — la dérivation a pour nous, en revanche, une grande importance. En passant sur les détails connus, nous nous attacherons spécialement aux faits nouveaux ou moins connus jusqu'ici.

1. — Dérivation impropre.

Elle est représentée par des substantifs tirés :

a. —D'infinitifs: Bagou,' bavardage où il entre de la hardiesse et de l'effronterie (tiré de bagouler, parlor à tort et à travers), mot attesté dès la fin du xviue sicclo (v. Fr.-Michel), aujourd'hui très populaire ', appliqué surtout à l'élocution facile du gamin ou de l'ouvrier parisien i; briffe, nourriture 3, débine, misère, épate, pose, embarras \ flâne, flânerie, etc.

b. — De participes : Beuglant, café-chantant de bas-étage (les spectateurs y chantent en choeur avec les artistes), bequant ou becant 5 oiseau do basse-cour, poulet (proprement qui becqueté).

2. — Composition.

Elle revêt les aspects suivants :

a. — Composés dont le premier élément est un impératif: Abat-roin. vocablo rural; accroche-coeurs, terme métaphorique qui, après avoir désigné la boucle des cheveux appliquée coquettement sur la tempe des paysannes et des bourgeois, a

i. Balzac écrit à tort bagoull (d'autres bar/oiU)'. « J'attraperais parfaitement le bagoull de la tribune », L'illustre Caudissarl, 1832, t. VI, p. 327.

2. t Une drôlerie gouailleuse d'ouvrier parisien, pleine de bagou.,. CadetCassis avec son bayou parisien... », Zola Assommoir, p. oS et 135.

3. « Vlà la bviffe\ cria-t-il en riant », Hosny, Marthe, p. !).'!.

i. Bruant, Roule, p. 100 : « I fait de l'épate... i crâne... i pose... » 5. Bruant, Hue, t. II, p. 18, et liietus, Doléances, p. 52.


DÉRIVATION * 103

fini par être longtemps la coiffure des filles et des.soutonours 1; avale-tout-cru, goinfre et matamore 2; bouffe-la-balle, goinfre 3; brûle-gueule, pipe 4 au tuyau court (elle brûle la bouche du fumeur); cache-misère, vêtement ample servant à cacher des vêtements usés qu'on porte par-dessous (composé récent);' casse-poitrine, eau-do-vie ordinaire 5; croque-mort, appellation ironique ; croque-mitaine, vieil édenlé qui ne peut mâcher que des mitaines 6, épouvantail dont les mères menacent les enfants (dernier représentant parisien du moine-bourru); pique-assiette, parasite, néologisme censuré par les grammairiens 7; tord-boyaux, eau-de-vie ordinaire (Hayard). • b. — Justaposés" d'un adjectif et un substantif : Malfrein, mauvais sujet 8, répondant à l'ancien synonymomaugouvert, etc.

c. — Composés irréguliers, formés de phrases entières: Décrochez-moi-ça désigne à la fois le vêtement d'occasion 9, la boutique du fripier et le fripier lui-même, etc.

La phrase est parfois cristallisée en un seul mot : Catula, douanier, terme de mépris, d'après sa demande habituelle : qu'as-tu là ? — lustucru, quidam. très en vogue jadis (vers 1660), niais encore usuel, désignant un individu original (« l'eussestu-cru ? »); — quand est-ce, la bienvenue d'un nouvel ouvrier dans un atelier 10.

» :

1. Le mot manque encore à Bescherelle (1815).

2. D'Hautel donne : t Avale-tout-dru, glouton, goulu ».

3. Dans les parlers provinciaux : joufflu (Champagne), liomnie gros, court et ventru (Reims), etc.

4. t Elle riait... aux consommateurs fumant leur brûle-gueule, criant et crachant... », Zola, Assommoir, p. 366. — Le mot se lit dans Balzac, Colonel Chabert, 1832, t. X, p. 27 : i Une de ces humbles pipes de terre blanche nommées des brûle-gueules ».

5. ' Les tournées de casse-poitrine se succèdent... jusqu'à co que la dernière chandelle s'éteignit avec le dernier verre! » Zola, p. 271.

0. i Les Parisiens nomment croquemitaine une espèce d'ogre dont ils menacent les enfants. Ils disent à ceux-ci que les dents de ce personnage étant tombées, il ne pourra les manger, mais qu'il leur donnera le fouet et les renfermera dans un cachot jusqu'à ce qu'ils deviennent sages ». — A. de Çhesnel, Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés et traditions populaires, éd. Migne, Paris, 1836, V croque-mitaine.

7. Cf. Michel, 1807 : « Piquer l'assiette, pique-assiette ne sont pas français. Piquer les tables, parasite... Cette expression piquer l'assiette est fort usitée en Lorraine > ; et d'Haute!, 1808 : « Pique-assiette, sobriquet injurieux que l'on donne à un parasite, à un homme qui vit sur le commun ».

8. t Maintenant les fils de famille se mettent peut-être dans les malfreins », Bercy, XXX11» Lettre, p. 6.

9. « La belle toilette do madame Lorilleux,... les jupes fripées de mademoiselle Knmanjori, mêlaient les modes, traînaient A la file les décrochez-moi-ça du luxe des pauvres », Zola, p. 79.

10. • Le lendemain de l'embauchage, le fameux quand est-ce marche, tout le monde y prend son allumette », Poulot, p. 152.


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104 GÉNÉRALITÉS

d. — Composition à l'aide des particules:

a : Amocher, meurtrir, blesser.. (Rossignol), proprement rendre moche : « On s'alignera en grand... et après ça qu'on soye amoché ou pas... », Ilercy, XIVe lettre, p. 7.

dé: Débecqueter, vomir (faire débecqueter, écoeurer. Rossignol) ; débringuer, mettre en bringues, déchirer; décarcasser, etc.

é : EgnaJJer, étonner 1, proprement rondre gnaf ou confus; égnauler, émorvciller ", proprement rendre gniole ou niais, etc.

en: Embêter, dérivé souvent censuré par les grammairiens (cf. encore Balzac : « Il ne se laissa jamais embêter, mot de son argot », L'illustre Gaudissart, 1832, t. VI, p. 319); engueuler, dérivé poissard, et engueuscr, enjôler, c'est-à-dire séduire à la manière des gueux ou mendiants, ces deux derniers verbes remontant au poissard du xvnie siècle.

re : Repiger, rattraper 3, etc.

3: — Suffixes.

Lenombro des suffixes dans le parler vulgaire est de beaucoup plus considérable que dans la langue littéraire. Il importe d'en établir le classement suivant leurs origines ; on peut en distinguer plusieurs catégories que nous allons aborder successivement.

SUFFIXES FRANÇAIS. — Voici le tableau des suffixes communs à la fois à la langue parlée et écrite :

a. — Substantifs en:

ade : Brimade, cotonnade (oc mot usité dans le commerce », Michel), engueulade, lichade 4, rigolade, toquade ;

âge : Abattage, battage (« mensonge- »), boulottage, collage (« union illégitime Ï>), débinage, (« propos malveillant »), etc.;

aille: Pestaille, agent de police (Rossignol), copaille, pédéraste. (« Alors, qui qu't'attends? Une copaille», Mélénier, p. 80), compagnon de prison (de copain), etc.;

aison : Crevaison, agonie, etc. ;

ard: Pochard 5, ivrogne (dopoche: cf. sac à vin), etc. ;

1. « Tu \n'éghaffes\ riposte sardoniquement Jacques », lîosny, Hues, p. &9.

2. IUctus, Coeur. p. 15 : « Oh! maman, ce que je suis cynnulèl »

•î. « Quand tu to cavalcrnis pour l'Algérie, je le rcp'ujerai », Hosny, Marthe, p. 6.

i. « Voilà où menaient l'amour de la fripe, les lichndes et les gueuletons », Zola, p. 359.

5. c Va donc, sofilard, va donc avec tes pochants », l'oulot, p. 46.


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DÉRIVATION 105

asse : Chenasse (écrit aussi schnasse), visage, figure, vilaine figure, proprement figure do chien 1, etc.; -

alion : Dégoutation, personne ou chose dégoûtante 2, etc. ;

ëe: Flopée et tapée, grande quantité ; pochetée, même sens (et hèlise, ivresse), etc. ;

erie : Gniolerie, niaiserie 3; loufoquerie, hôliso, etc.;

eur: Bonisseur, annonceur forain ; noceur, qui aime à s'amuser; tombeur, lutteur forain, etc.;

ien : Faubourien, néologisme- censuré par Desgranges en 1821 (« Soijfer, pour boire, est un mot de faubourien et aussi français que faubourien lui-même »);

1er " Doulevardier, néologisme récent; troupier, autre néologisme censuré par les grammairiens 4;

ment : Boniment, chambardement, etc. ;

oir : Abattoir, etc. ;

oire : Achetoire, argent, monnaie, proprement ce de quoi on achète 5 ;

ure: Biture, ivresse; friture; revoyure, ce dernier remontant au poissard {Riche-en-Gueule, 1821, p. 109). Encore très usuel dans les parlers provinciaux $.

b. — Adjectifs en :

anl: Crevant, roulant, etc. ;

ard : Flëmard, mochard (môme sens que moche, vilain), soiffard (a ivrogne »), tortillard (« boiteux »), etc.;

asse: Dégueulasse, dégoûtant; chclasse, écrit aussi schlass, ivre 7, de cheuler, boire abondamment :

eux : Grincheux, vit.

c. — Adverbes en :

ment : Censément \ je supposo (« néologisme mal formé et

1. « Le pognon sera toujours le pognon, et qu'y ait dessus la quetchc à Madinguo ou la c/tennsse à Marianne », liercy, XIV' lettre, p. 5.

2. « Ce n'était pas possible, la dégoutation était si grande, l'odeur devenait telle... », Zola, p. 285. — c L'abomination de la dégoutation », (.ioncourt, Journal, 1b avril 1801.

3. i Cette gnolerie nous vient des Romains », Almanach du l'ère Peinard, • 891. p. 3.

i. (if. Desgranges, 1821: «C'est un vieux troupier. Troupier n'est qu'un mot de soldat ».

■>. Très usuel dans les provinces: « Sans acheloires on ne va pas au marché » (Hennés, Coulabin). — « Tu parles bien pour acheter, il faut avoir des ticheloives > (Anjou).

0. « A la rrvoyure, portez-vous bon terlous . (Berry). — « On prend habituellement congé des gens en disant : Jusqu'à la revoyure! » (Anjou).

7. « Va pas croire que je suis schlasfe... », Hercy, A7.f* lettre, p. 4.

8. ' Au mémo patelin ousquo nous restions cémentent porte à porte », Courteline, Gaiete's, p. 33.


106 GÉNÉRALITÉS

inutile », Vincent.; 1910); urfément, excellemment, parfaitement '.

d. — Verbes en:

ailler ; Chenailler, gronder, engueuler, proprement crier comme un chien '■ ;

er : Bambocher 3, s'amuser (« n'est pas français », Michel et Desgranges), synonyme do musarder, autre néologisme ; fauter, faire une faute, surtouten parlant d'une jeune fille séduite (déjà chez d'IIautel); sacquer, renvoyer un ouvrier, lui donner son sac;'soi/fer, boire avec excès (d'IIautel), réprouvé par Desgranges, mais très usueli;

ir: Bonir, dire, parler, proprement dire de bonnes.

e. — Diminutifs en:

cite : Casquette, gigolelte, à côté de comprenette, intelligence; causette (« n'est pas français ». Michel), risette;

iot : Cafiol, mauvais café (chez d'IIautel); loupiot, enfant, louveteau (proprement) : « Ça te chagrine tant.que ça, dis, d'avoir un loupiot ? » Méténier, p. 85;

on: Gueuleton, repas copieux, terme déjà usuel dans le poissard (v. ci-dessus, p. 16), et pognon, argent de poche (Iligaud) ou argent en général (Rossignol), proprement petite poigne au sens de poignée 5; — et des verbes comme gobichonner, courir les cabarets pour un bon repas (Iligaud), diminutif de gober, verbe employé dès 18i7 par Balzac: « Il se sentit capable des plus grandes lâchetés pour continuer à gobichonner (mot populaire, mais expressif) de bons petits plats soignés », Cousin Pons, t. XVII, p. 309;

ot : Bécot, baiser (proprement petite bouche) ; poivrot, ivrogne 6; — et des verbes comme crânoter, faire le crâne; gobeloter, boire, rire et chanter (Iligaud), de gobelot, forme provinciale pour gobelet.

1. « Il y a dans notre patelin (Saint-Quentin) un ziguequi débute urfément bien pour la vendaisonde tes Hanches t, l'ère l'einarj, 2'6 jauv. 1891, p. 6. — Cf. c Pour se rincer la dalle, il y aura des troquets très hurfes, à la mode de tous les patelins », Ibid., 28 janv. 1879, p. .'>. — Voir, sur ce mot, nos Sources, t. II, p. 210.

2. « Je n'ai pourtant rien fait pour que lu sois toujours à me chenailler », Vinnaitre, Supplément. — Dans le Jierry, co verno signifie: mener uno vie de chien; à Genève : secouer, tracasser; dans la Bresse : s'accoupler.

3. « Pour vivre strictement et non pour bambocher », Balzac, Cousine llette (IS17), t. XVII, p. 50.

\. c Klle soi/fait à tire-larigot », Zola, Assommoir, p. 4^7.

.'i. « Pas de pognon, pas d'oeil, c'est dur tout do môme », Poulot, p. 71.

<!. Hichepin, Citeur, p. 192.


DÉRIVATIONS 107

Quant à la dérivation savante, latine, elle n'a laissé que peu de traces dans le bas-langage. L'unique suffixe est iste qui a donné : Banquiste. saltimbanque riche, manchiste, mendiant (llayard), chanteur ou joueur, qui fait la quête devant les établissements de consommation, à côté de je m'en-fichiste, etc., ce dernier plutôt livresque, comme les quelques termes en isme (tels: loufoquisme, maboulisme, etc.) qu'on lit fréquemment dans le Père Peinard.

SUFFIXES VULGAIRES. — Ils sont, pour la plupart, communs au langage parisien et aux parlers provinciaux :

aque: Barbaque, viande(à côté de barbi), forme provinciale de berbi, brebis, etc;

oque: Chenoque, nigaud (écrit aussi schnock), proprement bèto comme un chien ' ; loufoque, fou, do loufe, imbécile, répondant exactement au synonyme provincial tnaloc (c'està-dire matoque), sot, forme parallèle à mastoc, lourdaud;

oche : Bidoche, viande (à côté de bide) ; gourdoche, pièce de cinq francs, répondant à mastoc, pièce de dix centimes, l'une et l'autre désignant la grosse pièce ; pczoche, sac où le garçon de banque enferme la recette (« releoeur de pesoche, garçon de recette » (Uigaud), à côté de pèse, argent, etc.

eux (pour eur): Galoaudeux. vaurien; gâteux, tombé dans l'enfance; tafouilleux, chiffonnier des bords de la Seine (Rigaud), proprement qui fouillo dans le tas d'ordures; cengeux 2, vengeur 3.

SUFFIXES ANALOGIQUES. — Mentionnons les suivants:

al: Chapal, chapeau (singulier induit du pluriol: .cf. cheval-chevaux), dans lo langage familier*; gigal, compagnon ouvrier (de gigue, gigot: cf. gigolo et social, ami); gringal, pain, à côté de gringue (voy. p. 91); — chialcr, pleurer (chicr des yeux), etc.;

adf: Dégueulatif, dégoûtant (Uigaud), modelé d'après dégoùtatif. otc;

icot, cot : Boscot, bossu (« diminutif badin et moqueur »,

I. 1{ ictus, Cwur, p. 88: » Spècode schnock, tu vas pas flancher I » — Cf. le composé schnockohol, ou poire de schnock, antipathique» sobriquet donné à l'Ailema tut, proprement niais qui amuse {boler, amuser) : « C'est encore un Schnoh'ih'd, un l'rusco, et i dit qu'il est Alsacien » (cité dans Hruant, Dicl., p. 17.)

-'• « Avec coite téte-là, ça doit être un vengeur *, Rosny, Marthe, p. 7.

3. Voir Appendice E: Suffixes jargonnesques ot suffixes fantaisistes.

i. Ce suffixe a acquis une certaine extension dans l'argot des'polytechnii-'i'-'iis : Gigal harical désigne, à l'Ecole, lo gigot aux haricots.


108 GÉNÉRALITÉS

d'Hautel), à côté âo-bossicot, mémo sons (dans l'Anjou), forme parallèle à bonicot, bon (d'Hautel), moricaud (cf. Arbicot, Arabe), Prusco, Prussien, etc.;

luche: Camerluche, camarade, campluche, campagne 1, l'un et l'autre très populaires.

pin (suffixe induit do galopin, gouspin) : Aucerpin, Auvergnat 2 ; marloupin, jeuno marlou (à côté de marloupatle et marloupiat, autres formes analogiques) ; youpin, juif (à côté de youte), etc.

Parmi les préfixes, es, abstrait de nombreux verbes méridionaux commençant par es (tels esbigner, esbroiiffèr, esquinter, etc.), est à son tour devenu formatif, mais avec une valeur purement intensive 3 : Esblinder, stupéfier (« dans le jargon des ouvriers », Rigaud), sens intensif de blinder, «' être ivre au superlatif», dans le même jargon 4: esbloquer, étonner, ébourriffer (« dans l'argot des soldats qui songent au bloc plus souvent qu'ils ne le voudraient », Delvau), même sens que bloquer, mettre au bloc, consigner, terme de caserno généralisé 5 ; esgourde. oreille, proprement gourde, appellation facétieuse très usuello*.

SUBSTITUTION DES SUFFIXES. — La tendance à confondre les suffixes a toujours caractérisé le parler vulgaire. Dans la Comédie des Proverbes, de 1030, Lydias reproebe déjà ce Ira-, vers à son valet Alaigre, (acte I. se. VII) : « Il est vray, Alaigre, tu fais toujours de comparitudes et des simitaisons qui n'appartiennent qu'à toy ».

La raison de ces substitutions n'est pas toujours apparente. Elles sont souvent inconscientes, comme les confusions fréquentes dans le poissard (circonférence, pour conféronce, con1.

con1. Floréal pomponne la campluche... Ceux qui ne geindront pas, si ça dégouline (la pluie)... ce sont les campluchards », Almananh du Père Peinard, 1891, p. 9 et lu.

2. « Un homme qui n'est ni Auverjnn ni Charabia », Privât d'Anglemont, Paris Anecdote, 1851, p. 66. — « Je m'habillerai en Auverpin, je parlerai fouchtra et vougri, je ferai n'importe quoi », Hichcpin, Truandaille, p. 72.

•V Ce rôle réduit du suffixe se trouve déjà dans les verbes argotiques esbalancer, jeter, et esbazir, tuer, que Vidocq donno avec lo môme sons que les simples balancer et baiir.

4. Des ouvriers, ce verbe a passé dans lo inonde de la galanterie. On lit dans le Tarn-Tarn do lS7.'i (cité par Larchéy) : « Ça m'étonne un peu, mais ce qui m'esbtinde, comme disent les cocottes de la haute... »

">. Hichcpin, Gueux, p. 181 : « Parait que je suis dabo I ça m'esbloque]... •

6. t Tu ne viendras pas me le crier dans les esgourdes », Hosny, Hues, p. 239. 'Je là esQourder, écouter (Hayard). . .


DÉRIVATION 109

fusion, pour profusion, etc.). Souvent aussi elles sont duos à l'analogie.

Une forme comme consolance, pour consolation, qu'on lit dans Yadé (p. 76), s'explique pour éviter la longueur du suffixe correspondant de la langue littéraire; on dit aujourd'hui, pour la môme raison, manifestance. Par contre, accueillance, doutance, oubliance, valissance (« valeur ») sont des formalions analogiques à l'aide d'un suffixe très populaire encore aujourd'hui : la vieille langue disait déjà aidance, pour aide, et celte forme est encore vivace.

La substitution étant un phénomène fréquent dans le baslangage, nous allons passer en revue les cas les plus frappants :

Artif ailles, nippes, à côté d'attifailles, l'une et l'autre formes encore vivaces dans les provinces : Anjou, Poitou, Yonne, etc.; elle était jadis usuelle à Paris : « Artifailles. Ce mot appartient à la dernière classe et remplace pour elle le mot attifets, parure de femme ; quant à artif ailles, j'ignore son utilité dans la conversation », Dcsgrangcs, 1821.

Bcard, calme (proprement béant), c'est-à-dire qui regarde niaisement avec la bouche bée; faire un bcard, c'est faire le simple spectateur 1 à une partie de jeu : « Quand trois amis sont réunis pour faire une partie et qu'ils ne veulent jouer qu'à deux, ils tirent au sort : celui qui ne joue pas/htï béardrt (Virmailre, Suppl.)

Même substitution dans Gascard (c'csl-à-diro Gascon), qui a la spécialité de la chine ou colportage (Coffignon, p. G6), et dans mastar'*, massif (c'est-à-dire mastoc) 3, et avec le sens de plomb, c'est-à-dire métal pesant (comme l'équivalent fourbesqua pesante, plomb): Kossignol donneminstar (variante influencée de mince), par allusion à la fouille de plomb.

Fricot, ragoût (de fricasse, influencé par haricot), bonne chère « mot bas et trivial » (d'IIaulel), qu'on lit pour la première fois dans le poissard. (Les Porcherons, 1773* p. 129).

En dépit des protestations des grammairiens 4, fricot et son

1. Et avec le sons généralisé, rester tranquille: « Et si lo daron fait de l'iiarmone, reste bcard t (dans Bruant, Dict., p. 21).

3. De là, dans le langage clos malfaiteurs, mnslaroufleur, voleur de plomb (fusion de mastar et de maroufle).

3. Avec ce sens dans Hielus, Soliloques, p. 58.

i. « Faire fricot, fricoter ne sont pas français. Le mot fricot s'emploie trivialement pour bonne chère: 11 y avait grand fricot à ce dincr... Fricoter et faire fricot se disent ordinairement dos gens qui se rassemblent pour faire quel-


110 GÉNÉRALITÉS

dérivé fricoter, faire bonne chère, sont encore très usuels à Paris et dans les provinces.

Frigousse, môme sens que fricot (à côté àefrigale, bonne chère, dans la vieille langue et dans les patois): « Frigousse. Mot baroque qui équivaut à fricot, bonne chère... signifie aussi ripaille, débauche» (d'Hautel). Commo fricot, la forme frigousse se lit pour la première fois dans le poissard (Les Porcherons, p. 136). Mot encore très usuel: « L'amour de la frigousse », Zola, Assommoir, p. 514.

Friot, frio, froid (induit de frisquet), forme très populairo: «Le/no estourbit les pauvres diables », Père Peinard, 25 juin 1891.

Gniole, niais: « Il n'est pas gnole, il est adroit, fin, rusé » (d'Hautel). — « A-t-il l'air gnolle .. Tous ces gnolles-\k sont des mois dignes de ceux qui s'entre-appellent arsouillcs », Desgranges, 1821.

Grafov.Uier S gratter, à côté de gradgner, même sens dans les poèmes de Jehan Rictus (Doléances, p. 73).

Monouille, monnaie : « Vu la morte-saison, la monouille sera aussi rare dans nos portes-braises que la justice dans les jupons des jugeurs», Almanach du Père Peinard, 1894, p. 21.

La variante en est menouille, forme influencée par menue (monnaie): « Le samedi quand on déballe la menouille de la paie sur la table », Poulot, p. 54.

Nigousse, nigaud, sobriquet du Breton bretonnant et du conscrit breton (dans le langage militaire).

Même substitution dans vigousse, vigueur analogue au correspondant (poitevin vigace), qu'on lit dans une lettre do Flaubert du 15 mai 1872: « Mais pour écrire congruement un vrai morceau, la vigousse et l'alacrité me manquent », Correspondance, t. IV, p. 117 2.

que bon repas en secret... Ce mot, dans ce sens, n'a pas de synonyme que faire gogaijle, terme populaire, ou se régaler en secret », Michel, 1807.

« Fricot. Barbarisme, Dites: du ragoût, de la fricasse >, Desgranges, 1821.

t Ils font fricot, ils fricotlcnl. Expressions triviales et non françaises pour ils font bonne chère », Blondin, 1823.

!. De même rigouiller, rigoler : cf. Anjou, bagouiller, bavarder ( = bagouler) et de'gringouilter, dégringoler.

2. Ajoutons: Feignasse, à coté de faignant, fainéflnt (Bruant, Dicl., p. 217), et fiasse, ami, pour fieu (1<1., p. 20); godasse, chaussure (pour godillot), mot usuel dans les casernes (Ilayard), etc.


v DÉRIVATION 111

4. — Croisements.

Deux mots synonymes, ou à peu près, se présentent en même temps à l'esprit : il en résulte une combinaison dans laquelle l'idée initiale est renforcée ou mise en relief. La plupart de ces contaminations appartiennent au lexique; niais parfois la fusion est d'ordre purement phonétique ou mor-~ phologique. Etant donné le rôle important que les unes et les autres jouent dans le bas-langage, un examen circonstancié s'impose.

A. — CROISEMENTS FORMELS.

Soit, par exemple, Masas, nom de la prison cellulaire démolie en 1900 qui avait remplacé la prison de la Force : il devient tour à tour Masaro, qui désigne la salle de police et tout particulièrement la prison militaire de la rue du Cherche-Midi, et Taxas, prison de Mazas, par contamination des synonymes Lazaro, prison de Saint-Lazare, et l'as, le Dépôt : « A Tazas... elle est seulement pas venue m'assister », Méténier, Lutte, p. 121.

Voici d'autres exemples:

ArtiJIot, artilleur: « Comme y aurait pas de grivetons, ni fantabossos, ni cavalos, niartijlots », Bercy, XXIXe lettre, p. 5. C'est uno'contamination de Jljlot fantassin (ce dernier tiré de Jifcrlin, soldat): « Kilo dit: dus fijlots ! y a rien de fait», Courteline, Train, p. 207. La finalo s'est ensuite propagée par voie analogique: gourdijlot, niais, gourde (Rossignol, Hayard).

Bistringue, môme sens que bastringue (chez les Français du Canada), contaminé par bistro, d'où la forme réduite bistingo, mentionné en 1856 par les frères Concourt ', et bustingue, hôtel garni où couchent les bateleurs, les savoyards, les montreurs de curiosités (sens déjà donné par le Jargon de 1819).

Fringale, faim-vallc, forme contaminée par fringuer, gambader: cotte maladie, rendant les chevaux très voraces. les fait tomber dans un état d'épilepsie dont ils ne peuvent sortir qu'après avoir mangé. Ce néologisme de vétérinaire est déjà mentionné par d'IIautol (« Le mot fringale no se trouve nulle 2

1. « La tournée finie, nous allons tous quatre diner dans un bistingo à la porte d'Autouil •, Goncourt, Journal du TS déc. 185G.

2. 11 est dans Michel 1807: « Frit l > i- ■' <'* '


112 GÉNÉRALITÉS

part »), ensuite par Desgranges (1821) : « Fringale, besoin oxlrèmo de manger, n'est pas français. Nos académiciens n'ont pas souvent la fringale, car ce mot n'a pas trouvé placo dans leur Dictionnaire '. Mieux vaut maie-faim ».

Dans le langage militaire: Capialont, capitaine (influencé $L\V Jïston), eltringlot, soldat du train des équipages militaires: c'est train, influencé par tringle, fusil.

B. — CROISEMENTS LEXIQUES.

Ceux-ci, fort nombreux, constituent une des parties caractéristiques du bas-langage. Suivant le dogré d'affinité do leurs éléments on fusion, on peut les répartir en trois catégories.

1. — Croisements de synonymes.

Celte contamination do doux termes apparentés donne à leur combinaison une valeur plus intense. C'est ainsi que bedondaine (Rabelais) représente une combinaison populaire de bedon cl bedaine; dans le vulgaire moderne, foultitude (fusion des synonymes foule et multitude) désigne une grande quantité : « Une foultitude d'autres panacées, plus loufoques qu'universelles, dans l'espoir de décrocher le bonheur », Almanach du Père Peinard, 1898, p. 2.

Voici d'autres exemples :

<Alboche, Allemand, sobriquet ironique postérieur à {tête de) boche, fusion de ce dernier avec Allemand 3.

Chelipoter, schlipoter, puer (de chelinguer et galipoter, faire ses besoins), qu'on lit à la fois clans Richepin (Gueuse, p. 172) et dans Jehan Rictus (Coeur, p. 194).

Louftingue, fou (des synonymes louf et tinguë) : « Je viens de gagner cent mille francs. — Il est louftingue! » Rictus, Numéro gagnant, p. 8.

Mannesingue, marchand de vin, contamination de mannequin, petit bonhomme, et singue, comptoir, le marchand de vin étant plaisamment conçu comme l'automate du comptoir en zinc 4. La forme parallèle, mannestringue (que Larchey

1. Il ne figure que dans l'édition de 1S35.

2. « Alorsse, le capislon l'a fait venir >, Bercy, XXXVI' lettre, p. 4.

3. Voir, sur ce mot, notre Argot des Tranchées, p. 129.

4. Voir d'autres hypothèses étymologiques dans le Courrier de Vaugelas, t. VIII (1878), p. 59, 113 et 133; A. Larchey, Suppl., p. XXI et 145.


DliiUVATION 113

cite dans son Supplément) est uno double contamination des synonymes mannezinijuc cl bastringue.

Le mot, ainsi que sa variante ' minzingue (qui en est la prononciation parisienne), est à peu près sorti d'usage et remplacé par maslroquct : « J'ai fini mon après-midi dans la cour du min:ingo ». Poulol, p. 72. — « C'est un mannczinyue de l'ancien jeu », Zola, p. 192.

Mômignard. petit enfant (de môme et mignard), et mômincltc, fillette (de môme et minette).

Pëlrousquin, le derrière (fusion des synonymes pétard et troussequin), et, ironiquement, paysan: « Vous voulez donc passer pour des pëtrousquins? » Méténier, Lutte, p. 246. — « Les pauvres ouvriers pétrousquins ont la tète farcie d'ignorance », Almanach du Père Peinard, 1894, p.. 54.

Petzouille, pèdaouiUc, le derrière (fusion des synonymes pétard ci cejouille), et, plaisamment, paysan, rustre: « Je crèverai dans la peau d'un cabot et d'un pède^ouille », Descavos, Soiis-oQ's, p. 127.

Ratiboiser, rafler ou décaver au jeu (fusion des synonymes ratisser et emboiser 1) : « lit le roi de coeur pour finir. La vole. Trois jolis points, hein, Desforges ? — Ratiboisé. La suivante. Je donne, coupez! » Frcscaly, p. 71.

De là: ratiboisé \ sans le sou (Virmailrc), et ratiboiser i, voler: «Les brigands dévalisaient les diligences, ratiboisaient le pognon de l'état, déquillaicnt les gendarmes », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 48.

/ Ribouldingue. fête, noce, vocable tiré do ribouldinguer, celui-ci représentant une fusion des verbes synonymes ribouler, rouler, et dinguer, rebondir 5.

Rigolboche, s'amuser de toute manière (fusion des verbes synonymes rigoler et bambocher), d'où rigolboche 6, très ri1.

ri1. autre variante, malzingue (dans Vidocq), s'explique par l'alternance habituelle des liquides.

2. Emboiser, tromper : c Mot bas et du menu peuple » (Le Roux). Balzac s'en est encore servi: » Emboisez-moi bien ces gens-là », Eugénie Grandet, p. 226.

3. Et, au figuré, ruiné : « C'est fini, le vieux monde est ratiboisé, le populo iui passera sur le corps ! » Père Veinard, 9 mars 1890, p. 5. — Ce vocable a été employé par Alph. Daudet et Guy de Maupassant (v. la thèse de Mary Burns, p. 88).

4. Ce verbe a acquis des sens spéciaux dans les parlers provinciaux: Ratiboiser, battre, rosser (Anjou), et briser un objet, détériorer quelque chose (Bas-Maine).

5. Voir, sur ce mot récent, notre Argot des Tranchées, p. 20 à 22.

6. C'était aussi le surnom d'une fille galante, célébrité do bastringue sous

8


114 GÉNÉRALITÉS

golo (Virmaîlre) : « C'est pas rigolboehe de plaquer son métier, son patelin, sa ïa.\n\\\Q», Almanac.lt du Père Peinard, 1891, p. 38.

Tripatouiller, (/'('patrouiller, tripoter eu tout sens (fusion des verbes synonymes tripoter et patrouiller ou patouiller), au propre et au figuré : « Vous n'allez pas bientôt finir de nie tripatrouiller, vous allez me chiffonner » (Virinaîtrc). — « On lui en fait endurer do cruelles à notre pauvre globe! On le (ripatrouille d'une sacrée façon ! » Almanaclt du Père Peinard, 1898, p. 20.

La forme rédih'lo tripatouiller ' signifie, modifier ou remanier, contre le gré de l'auteur, une oeuvre dramatique ou littéraire 2.

2. — Croisements de termes apparentés.

Un exemple curieux nous en est offert par lo franco-provençal, lyonnais ou dauphinois boustifaille, mangeaille, bonne chère, mot qui a pénétré partout à Paris 3 et dans les provinces 4. Il est déjà mentionné, en 1821, par Desgrangès: « Tu no fais que boustiffer 5, vive la boustifaille ! Tous ces mots-là sont des barbarismes enfantés par la populace ».

Ce mot représente une contamination de boujjaille: le borrichon possède, à côté de boustifaille, les formes parallèles boutifaille et bouffetifaille ; lo Limousin dit bouchifaio et bourdifaio 6, ce dernier répondant au manceau bourdifaille, au savoyard bortifaille et à l'angevin pourtifaille (à côté de bournifaille), tous au sons de provisions do mots sur une table, de copieuse nourriture, ce que le patois havrais exprime par gourdifaille (Languedoc, (jourdufaio). Les éléments qui entrent en combinaison no sont pas toujours apparents : tour à

le second Empire. Huysmans s'est servi du verbe correspondant : « Fallait laisser croire que vous rigolbochiez avec cette daine », Soeur Marthe, p. 272.

1. Emile Bergerat s'attribue la paternité de ce sens littéraire. Voir ses Souvenirs d'un enfant de Paris, t. III (1312), p. 320.

2. Rossignol cite en outre balifouillcr, s'embrouiller, patauger (t il bâtifouille au moins une heure »). lusion de batifoler et bafouiller; Virinaltre, palrifouiller, manier malproprement, fusion de palrojdller et fouiller, etc.

3. « C'est de la boustifaille et pas aujro chose » (caricatures de Gavarni du 2S juin 1S10). — « Autrefois on faisait un bon contrat (Je mariage), ensuite une bonne boustifaille », V. Hugo, Misérables, Ve partie, p. 602 — a Mettonsnous à table, il sent la boustifaille de loin », Zoln, Assommoir, p, 10i,

i. En Picardie, Anjou, Berry, Yonne, etc.

;>. Aujourd'hui boustifaille/', manger souvent, synonyme de bouloller.

G. A Genève, bourdifaille signifie grosso p:\tisseriect, figiirément, tète évaporée (Humbert); dans lo vaudois, bourdifalo a ce triple sens : 1« tripes, restes de viande; 2« panse; 3e canaille.


DKIUVATION 115

tour les notions bouche ou vessie (en provençal, bout), rebut (en provençal, borda) ou abondance-, etc. contaminent l'action du verbe bouffer à un degré excessif.

Voici une série d'autres croisements similaires :

Carapaler, marcher, en se traînant, se sauver (fusion do crapaud et patte.) c'est-à-dire tirer les pattes comme un crapaud, marcher à quatre pattes en tâtonnant 1 : « Dis donc, ma biche, faut nous carapatter », Zola, Assommoir, p. -IGi.

Chipie', terme du début du xixe siècle et d'origine vulgaire. Son sens a varié : « Qu'est-ce que le peuple entend par chipiie? Il n'en sait peut ètro pas plus que moi », écrit Desgranges en 1821. Erreur, il en sait plus: Femme avare (Bas-Maine), qui rapine sur tout, pingre (Champagne), mauvaise femme(Dresse, Bourgogne), etc.; à Paris : bégueule...

Le sens primitif en est hargneuse et voleuse comme une pie: chipie, c'est-à-dire chipe-pie, pie qui chipe (cf. voleuse comme une pie), d'où les acceptions secondaires de grippe-sou et de femme impertinente -. Son pendant normand et manceau est gripie(c'est-à-dire gripe-pie), chipie, méchante femme (Moisy), femme hargneuse, voleuse (Dollin), tandis que l'angevin chigripie, femme maigre et méchante (Ménièrc), représente la contamination à la fois parisienne et provinciale.

Cibige, cibigeoise, cigarette (contaminée par bige, bigeois, simple, ordinaire), aussi sous les graphies sibige (Rossignol) et sibiche 3 : « Quand on avait envie d'une sibiche, on la grillait », Père Peinard. 9 novembre 1890, p. 10.

Coinsto, abri (Hayard), fusion de coin et hosto, hospice : « J'aurai peut-être plus tard un coinsto pour moi seul », citédans Bruant, Dict., p. 4.

Dégueulbi/, dégoûtant (de dégueulasse et rebiffe), forme donnée par Bruant, à côté de dégueulbi: « Ils se disent que c'est dégueulbi de crever la faim », Père Peinard, 11 janvier 1891, p. 1.

De même frisbi, froid (Rossignol), fusion de frisquet et rebiffe, proprement froid à rebiffer.

Epastrouiller, étonner (d'épater et pastrouiller, forme dialectalo de patrouiller), d'où épastrouillant, merveilleux: «Une

1. De là : Carapatas (forme provinciale pour carapalaud), marinier d'eau douce (v. Larchey) : il carapate ou marche en se traînant. Le mot désigne aussi le soldat d'infanterie (Rossignol).

2. Cf. Dict. général: < Chipie... semble dérivé du radical de chipoter t.

3. Delvau cite encore sibijoile, cigarette, à côté de sibigeoise.


UG GÉNÉRALITÉS

découverte ëpast rouillante qui va réjouir tous les boit-sans - soif », Almanach du Père Peinard, 1891, p. 2o ; — à côté d'espatrouiller, mémo sens (« Espatrouillant exprime le coin-' hle de l'admiration », Virmaitre) : « Une bonne bougresse s'espatrouillait de ce que... », Père Peinard. 7 février 1892.

Epatou/ler, étonner {d'épater et patoufler, dialectal, patauger), forme alléguée par Bruant, à côté d'ëpataroujlei't même sens (d'épater et maroufler), d'où ëpataroullant, étonnant: « Finies, les géantes, les femmes torpilles, les nains et autres phénomènes épataroujlants... », Almanach du Père Pei-' nardt 1896, p. 22.

Mastroquet, marchand ' de vin (do mastoc, contaminé par stroc, setier), conçu comme un petit gros bonhomme qui débile dessotiers 2: « S'il [le sublime] est marié, il paie son boulanger,... son mastroquet jamais » "'oulot, p..G8.

Nigaudinos, petit niais, de nigaud* elchristaudinos, môme sens (c'est-à-dire Cliristi audi nos!), terme employé par Halzac (v. Larchey) et très usuel à Lyon (v. de Puslspelu).

Niguedouille 4, grand niais, de nigaud et andouille, au figuré (« barbarisme bas et vil », Desgranges, 1821) : « Nous sommes assez niguedouilles pour nous laisser piper », Père Peinard. 9 juin 1889, p. i.

Patagueule, ennuyeux, proprement bavard (fusion de pata[ti-patata] et gueule) : « C'est lui qui trouvait ça patagueule de jouer le drame devant le monde », Zola, p. 522.

Peinturlurer, peindro grossièrement en couleurs criardes : « C'ost un barbarisme », Desgranges, 1821 ; « Mot ironique et burlesque », Bescherello 1815. C'est la contamination do peinture et turelure, au hasard.

Hequirnpêtte., redingotto, de rtdingottc, prononciation vulgaire; et (cf. pet-en-l'air, sorte de veston) pe(tei, postérieur, la.premicre forme dans les Soliloques de Rictus (p. 53).

Tarabiscoter, réparer les moulures par des petits creux (ap1.

(ap1. mot se lit clans la dernière édition du Jargon do 1819.

2. Voir une autre ôtymologie dans le Supplément de Littré.

3. Cf. Oudin : c Le sieur de Sigaudis, de la Nigaudi'ere, vulg. un sot >.

i. La forme antérieurement attestée niquedouille (dans Régnai'J) est une variante que donne encore d'flaut'el (cf. le nom propre Sicod à côté de Niga.ux). A Vaud, on dit niguedouille et niquedandouille (Gallet). Le synonyme vulgaire jacdale, niais, répond au franc-comtois. Jacques Dailles.

5. On retrouve cet élément méprisant âansadjupèle, adjudant, à côté â'adjuvache, même sens, appellations ironiques qu'on entend souvent dans les casernes.


mv^

DÉRIVATION 117

pelés parles menuisiers tarabiscots) : tcrmo technique récent, fusion do tarauder ot rabiscoter, raccommodor (on Anjou et ailleurs, aussi sous la forme rabistoquer).

Yiauper, pleurer comme un veau (Rigaud), de oiau, veau, cljaper: « Quand le refrain recommença, plus ralenti et plus larmoyant, tous so lâchèrent, tous viaupèrent dans leurs assiettes... crevant d'attendrissement... Coupeau, soûl comme une grive, recommençait à viauper- ot disait que c'était le chagrin », Zola, Assommoir, p. 239 ot 326 l.

Viscope, casquette à longue visière comme en portaient les gens faibles de la vue (contamination do visière et télescope), d'où :

1° Visière do casquette, longtemps particulière au souteneur : « Tu en as une viscope à la bêche » (Rossignol).

2° Képi de troupier, schacko (Merlin).

Le plus récent de ces croisements est midinette, trottin (do midi et dînette), ces jeunes ouvrières sortant en grand nombre à midi, de leurs ateliers, pour déjeuner et prendre l'air (voy. une citation dans H.-France).

Un des plus anciens est brindesingues, dans la locution être dans les brinde^ingues, avoir une pointe de vin, être à demigris (d'Hautel), qu'on lit dans Vadé: « Tions, toi t'es déjà dans les brindezingues », Les Racoleurs, 17S6, se. XI. L'expression est encore vivace: « On s'était réuni pour portor une santé au conjungo, et non pour se mettre dans les brinde.<inQues », Zola, Assommoir, p. 112.

G'ost uno contamination provinciale du vieux mot brinde 2, toast, Uas-Maine, brindesis (co dernier répondant à l'italien bi-indisi) par un mot apparenté qui reste à déterminer. Il est intéressant de relever le sens généralisé du mot dans les parlcrs provinciaux. Tandis qu'en Normandie, bre^ingue et be^ingue (qui en est la forme réduite) signifie également « ivre », comme dans l'Anjou ber^ingue; le Lyonnais désigne par berzingue celui qui marche de travers, répondant à la fois au niançois marcher en brindisis, marcher de travers comme un

i. Lar.chey, en citant ce dernier passage de Zola, rend à tort ciauper par • faire la vie », interprétation erronée passée chez Virmaitre.

-'. La forme parallèle bringue (que donne déjà Coigrave) est encore vivace en JJretagne, où elle désigne la débauche des matelots, d'où bringuer, boire avec excès, en parlant des matelots :

Dès qu'il a son col bleu de matelot. Le soir mêmei bringue à terre.,.

(Nibor, Coli bleus, p. 98)


118 CÉNÉRALITÉS

ivrogne, et au genevois de bilingue, de travers (dans lo Suppl. do Littré, avec une citation do TôpfFor).

D'autres croisements ont pris dans le langage parisien une grande extension et plusieurs proviennent du milieu des casernes:

Cabombe, bougie (de camoufle et bombe), altérée en calbombe (Rossignol) cl cabande (Rigaud) : « Une espèce de guignol où y a des dessins qui passent dans un cadre quo, pour le voir, on éteint toutes les calbombes », Rercy, Ve lettre, p. G.

Lesbombe, prostituée (do lésée, même sens, et bombe), a côté de lésébombe, forme plus rare donnée par Rigaud : « Un coup de batterie avec une lesbombe », Méténier, Lutte, p. 216.

Et d'autre part:

Claquebosse, bordel (do claquedent et bosse) : « Jolie petite ville... Ça manque de claquebosse », Les Gaietés du Régiment (cité dans H.-France).

Fantabosse. fantassin, dont le bavresac fait la bosse sur son dos '. dans Jehan Rictus (Coeur, p. 90) : « Cabot fantabosse ed marine. »

Féebosse, vieille femme laide et méchante (semblablo à la féeCarabossé), dans Bruant {Rue, t. II, p. 110) : « Une féebosse qu'est pas du quartier... »

On voit le nombre considérable de ces croisements dans lo bas-langage parisien. La plupart sont assez transparents pour permettre de préciser les éléments lexiques qui entrent en combinaison; la formation des autres 2 — en très petit nombre d'ailleurs — n'apparaît pas assez claire pour faire entrevoir les raisons de leur contamination.

. i. Rigaud y voit un « aimable jeu de mots: fente à bosse,.. », etDannesteler f un calembour par à peu près sur fantassin > {Création des Mots nouveaux, p. 166).

2. Tels sont : _~-

Auverpinches, gros souliers d'Auvergnat (Iligaud).

Morbec, morbaque, vermine (nigaud) et enfant désagréable (Delvau), même sens que morpion.

Probloque, propriétaire (Rossignol, Hayard) : « On peut lécher les lieds des probloques et des flics... Et puis? » Rosny, Rues, p. 295.

Pébroque, pépin, parapluie (Hayard).


fH»***

CHAPITRE II

REMARQUES 'SYNTAXIQUES

Ces remarques seront de nature générale. On trouvera, dans les dissertations déjà mentionnées, des détails complémentaires qui échappent forcément à un examen d'ensemble '.

1. — Substantit.

NOMS COMMUNS TIRÉS DE NOMS PROPRES. — Procédé fécond qui a fourni au bas-langage nombre d'appellations dérivant des sources les plus variées. On pourrait les répartir ainsi :

A. — Noms de fabriquants ou industriels :

Bënard, pantalons à pattes d'éléphants, longtemps portés par les souteneurs (d'après le nom du tailleur qui en avait la spécialité) : « Je mo gonflais de pouvoir chanstiquer mon falzar à la Bénard conte un fondard à la mode... Avec un bënard à pattes d'un thur.ard... », Bercy, XLP lettre, p. 6.

Desfoux, casquette en soie, bouffante et de forme élevée, portée par les bouviers, toucheurs de^ bestiaux, laitiers, bouchers en gros, etc. longtemps adoptée par les souteneurs (appolée antérieurement daoid*-, l'un et l'autre noms de chapeliers voisins du Pont-Neuf) : « C'est pas la peine de f... tes desfoux sur-l'oeil... », Mélénier, Lutte, p. 191.

Eiistache, couteau de poche (d'après Eustache Dubois, coutelier de Saint-Etienne):'« On donne ce nom à une'cspècc particulière do couteau, dont se servent les gens de la plus basse condition », d'Hautcl, 1808 3.

Godillots, souliers d'ordonnance (du nom d'un fabricant de chaussures, fournisseur de l'armée en 1870), gros souliers,

1. La Neu/'ranzostiche Syntax de J. Haas (Halle, 1909) tient compte, dans une certaine mesure, du langage parisien.

2. t Les rouflaquettes bien cirées, la blouse do fil tirée aux épaules, le clavid crânement posé sur le front... »,Humbert, Mon bagne, p. 40.

3. En Anjou, uslache désigne un petit couteau à manche de bois (le couteau y porte le'nom de gmllaume) : cf. ustaches, ciseaux (Delesalle).

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120 - GÉNÉRALITÉS

terme militaire généralisé : « Je Imitais la semelle, rapetassant tous les godillots du village », Père Peinard, 13 avril 1890, p. 2.

B. — Noms généralisés de personnages réels : -' Bidard, veinard, riche bourgeois (d'après le nom de l'emballeur, gagnant du gros lot de l'exposition do 1878): c< Los bidards qui avez des paletots et des nippes de rechango », Almanach du Père Peinard, 1897, p. li.

Collignon, cocher, appellation plutôt injurieuse (un cocher do ce nom assassina en I8bo son voyageur) : « Les collignoiis pourraient écrahouiller les bourgeois tout leur content », Bercy, XXXVe lettre, p. 5.

J Poubelle, boite à ordures (Poubelle, préfet do la Seine, les imposa aux Parisiens en 1883) : « La bande faisait concurrence aux biffins ol fouillaient Icspoubelles», Rosny, Hues, p. 6.

Wallace, eau des fontaines publiques (du nom do Sir Richard Wallace, philanthrope anglais, qui dota Paris on 1872 d'une centaine do petites fontainos) : « Ça me fait mal au ventre de te voir pomper do la wallace », Méténier, Lutte, p. 216.

C.— Noms de lieux généralisés :

Chabanais, lupanar (situé à Paris rue de Chabanais), d'où tapage nocturne: « Il est rentré, il s'attendait à un chabanais monstre », Poulot, p. 72. — « Ah! reprit l'homme, est-ce une raison pour faire un chabanais pareil? » Courtolino, Train, p. 222.

Irlande, jeu de billes (au cent dix) : envoyer en Irlande, envoyer les billes à droite et à gauche (Delesalle). [_ Zanzibar, jeu de trois dés (qui se joue sur le comptoir.des marchands de vin): « Une vingtaine seulement s'cnquillent au sanzibar, chuz un bistrot des environs », Père Peinard, 1er mars 1891, p. 1. '

NOMS TIRÉS D'UNE FORME VERBALE. — L'exemple le plus connu est j'ordonne (Monsieur, Madame, Mademoiselle), appliqué aux personnes qui aiment à donner des. ordres : « C'est un monsieur j'ordonne. Sobriquet que l'on donne à un tatillon, h un jeune homme, fier et allier, qui commande ses subalternes avec hauteur et emportement, qui veut être obéi à la parole », d'Hautcl, 1808.

Voici un témoignage plus récent do cette oxprossion familière :.« Nana régnait sur ce tas do crapauds; elle faisait sa


REMARQUES SYNTAXIQUES 121

mademoiselle j'ordonne avec dos filles deux fois plus grandes qu'ollo... », Zola, Assommoir, p. 195.

Un autro oxemple, pâtiras ou pâtira, victime, c'est-à-dire celui qui va pâtir, remonte au poissard : « Quand vous tourmentez les riches, co sont les pauvres bougres d'ouvriers et les petites gens qui finissent par être le pâtira », La Guinguette patriotique, 1790, p. 5 '.

ABSTRAIT POUR CONCRET. — L'exemple le plus intéressant est jeunesse, au sons de « jeune fille ». Il remonte au xvie siècle (Vauquelin de la Fresnay); Racine l'a employé au xvne siècle (Plaideurs, acto III, se. IV): « Je suis tout réjoui de voir cette jeunesse », et Vadé, au xviu 8: « Ma maraine dit comme ça, qu'y gna pas de temps plus zenty pour une jeunesse que où ce qu'on se fait l'amour », Lettres de la Grenouillère, p. 91 2.

Voici quelques autres exemples :

Connaissance, maîtresse, dans la bouche des troupier-s : « Est-ce que tu le le figures que je vais... balayer l'écurie et rouler la litièro pendant que lu penseras à ta connaissance? » Courtelino, Gaietés, p. 26.

Gouvernement, femme, dans la bouche de l'ouvrier: «Quand un ouvrier parle de sa femme, il dit volontiers mon gouvernement » (Rigaud).

De même, idée, potite quantité (d'absinthe, do poivre, etc.); innocence, jeune fillo innocente, etc. On dit cet amour d'enfant (amour pour aimable) et, inversement, pour rendro plus expressifs des termes généraux : Aller son petit bonhomme de chemin, suivre tranquillement et modestement sa voie, expression déjà donnée par d'Hautel qui l'explique ainsi : « Faire

1. Ajoutons : Quiloitrne, fenêtre, dans l'argot des filles (allumer la quitourne, c'est mettre la lampe derrière le rideau de la fenêtre), et faire la quilourne, c'est appeler le client de sa fenêtre.

2. Le marquis d'Argenaon en prend la défense vers la même époque : c Pourquoi avoir banni du beau langage une expression populaire, une jeunesse, pour parler d'une jeune fille ou de plusieurs jeunes gens ensemble? Rien ne supplée à cela, et la langue en était d'autant plus riche... On entendait en même temps de bonnes et d'aimables qualités avee quelques défauts; enfin, cela présentait une image... De dire c!est une jeune personne, ne dit point cela. Quand on dit : C'est une jeunesse qui se divertit, c'est comme si on disait : cela se divertit parce que cela est jeune >. — Journal, éd. Jannet, t. V, p. 219.

Dans le B,rry, jeunesse s'applique également au bétail, au sens de jeunes bestiaux : t ha. jeunesse se vendait ben à c'te foire i (Jauberl).


123 GÉNÉRALITÉS

droitomenl sa besogne, n'entendre fincsso on rien, scconduiro avec prudence et probité ' ».

COLLECTIF POIR INDIVIDUEL. — Deux exemples, remontant au début du xviie siècle, sont encore vivaces:

Pays, compatriote : « Pais, c'est-à-dire homme du môme païs » (Oudin, IGiOj. —■ « lion jour, pays. Se dit eu saluant un compatriote. C'est mon pays, pour dire qu'il est né dans lo même pays que moi » (d'Hautel, 1808).

Furelière (1690) y voyait un « salut de gueux... du même pays » ; aujourd'hui, c'est plutôt un mot de soldat (féminin payse): « Nous étions pays, nés le môme mois », Courtelino, Gaietés, p. 33.

Populo, enfant : « Un populo, un petit populo, c'est-à-dire un enfant » (Oudin). — « Populo' 1, pour dire un petit enfant, un nouveau né: elle a fait un petit populo, se dit par dérision d'une fille qui s'est laissé séduire » (d'Hautel).

CHANGEMENT DE GENRE. — Los exemples les plus significatifs sont:

Chose, celui dont on ne se rappelle pas le nom, ou dont on ne veut pas so souvenir, terme vague par lequel on supplée à un nom propre.

Gouin, matelot débauché, masculin moderne induit do gouine, prostituée (mot qu'on lit déjà dans Ménage et qui est encore vivace) : « Gouin, masculin de gouine, a pris racine dans le Vendômois; mais le mâle est barbarisme, et la femelle est une épithèle dégoûtante », Desgranges, 1821.

Machin, môme sens que chose, appliqué surtout aux objets: masculin induit du primitif machine, qui a lo môme sens chez d'Hautel. C'est un terme sorti des milieux professionnels qui désignait tout d'abord les machines ou les outils indispensa1.

indispensa1. emploie des tournures analogues : « une sacrée coquine de soif » (Assommoir, p. 112), « un gueux de soleil » (p. 179), c un gredin de froid » (i>. 230), à coté de « Ce nom de Dieu de tremblement > (p. 499), t Un tonnerre de Dieu de cambuse » (p. 474), « un bruit de tonnerre de Dieu » (p. 531), etc.

Cette personnification des choses est do tous les temps : Du Fail parle de c sa bonne femme d'eschine » (t. II, p. 18), et Oudin rend la locution ton bougre de despit par « malgré toi ».

2. Les frères Goncourt emploient ce mot au sens de prolétaire, homme du peuple : « Un populo assistant par has-ml à la Chambre », Journal. lOdéc. 1893. — Aujourd'hui, le mot désigne la plèbe, la populace.


REMARQUES SYNTAXIQUES 133

bles à l'ouvrier, ot onsuito tout objet ou mémo toute personno dont le nom échappe '.

Manque est féminin dans le langage vulgaire et dans les parlers provinciaux: « Eli bon, monsieur Jérômo, je sis fâché à présont de vous avoir fait une manque do bienveillance », Vadé, OEuvres, p. 97. :

Do là: à la manque, défectueux, détestable, maladroit, bon à rien : « Les radicaux et les socialos à la manque avaient eu beau pistonner lo populo avec leur suffrago universel ot une salade do réformes à la flan », Père Peinard, 28 septembre 1890, p. il.

2. — Adjectif.

Dos adjectifs tirés des substantifs sont très fréquents dans le langage populaire moderne, mais un seul exemple remonte à la. fin du xvtii* sièclo, crâne, donné comme synonyme do fou et d'écorvelé par lo Dictionnaire de Féraud (1787) et que d'Hautcl définit ainsi (1808) : « Crâne. Tapageur, mauvaise tèto, vaurien ; mettre son chapeau en crâne, c'ost-à-diro sens devant derrière, à la façon des tapageurs cl des mauvais sujets ». Aujourd'hui, le mot a plutôt le sens do fier, hardi, avec les dérivés : crânement, fièrement, et crâner, affecter de grands airs : « Crâne donc pas et vas-y», Méténier, Lutte, p. 29.

Lo sens en est encore plus étendu dans les parlers provinciaux : bon, beau (Picardie), fameux, remarquable, do choix, appliqué môme aux objets (Berry).

Voici d'autres exemples :

Chicoré, de chicore) ivre, c'est-à-dire vert comme la chicorée, répondant au synonyme pistache, légère ivresse, par allusion au visage verdâtro de l'ivrogne (Bruant, Dicti}p. 270).

Farce, amusant, drôle : « Il est farce, pour il est farceur, c'est un farcour », Michel, 1807. — « Ça serait farce si sa chemise se fendait », Zola, p. 30. -

Mare, dégoûté, blasé (et mare! assez !), tiré de marée, dé-,

V

1. t Machin n'est pas français, se dit plus particulièrement d'un outil quelconque, dont on ne sait pas, ou dont on ne se rappelle pas le nom. On dit aussi quelquefois machine, dont machin dérive. Si j'avais un machin, une petite machine, je ferais un trou dans cet endroit, pour : Si j'avais une vrille, un •foret, etc. On abuse du mot Machin comme on fait du mot Chose : Monsieur chose, Madame chose, etc. On doit éviter av.ee soin d'employer un pareil langage, qui annonce ordinairement une éducation peu soignée ou, du moins, peu de'présence d'esprit... » — Michel, 1807. ' -■ '


124 GÉNÉRALITÉS

goût : « Je suis mare du jeu, j'ai joué toulo la journéo » (Ros.- signol).

Marlou, malin * (comme im souteneur), so lit dans Richepin (Gueux, p. lGi) : « I/oeil marlou, il entra chez lo zinguo... »

Ajoutons: Boeuf, énorme, à coté de monstre, colossal (« un succès boeuf, un succès monstre »); nature, naturel (« boeuf nature »); peuple, commun, trivial (« être peuple »); pocheté. crétin (de pochetëe, bêtise) ; rosse, méchant (comme un mauvais cheval), etc.

3. — Verbe.

PASSAGE D'UN ÉTAT A L'AUTRE. — Les verbes neutres agoniser et tomber ont acquis une valeur active dans lo bas-langage, le premier, dès le xvme siècle, lo deuxième de nos jours. Agoniser quelqu'un, l'accabler d'injures, est déjà fréquent dans le poissard, alors que tomber quelqu'un, le terrasser, vaincre un adversaire en luttant, nous vient du langage des athlètes forains, des tombeurs : « A preuve que moi, l'Asticot, je connais quéqu'un qui vous tombera quand vous voudrez », Richepih, Truandaille,-p. 70. De là, au sens généralisé, venir à bout d'un adversaire quel qu'il soit.

D'ailleurs, dans l'ancienne langue, tomber était souvent actif:

Mes la contraire et la perverse, Quant de lor gran estât les verse Et les tumbe autor de sa roe, Du sommet envers dans la boe...

lit-on, à propos des vicissitudes de la Fortune, dans le Roman de la Rose, v. 4911. Et au sens vulgaire moderne, dans une lettre de grâce du XÎVC siècle (v. Ducango) : « Icellui Giraut donna audit Manson un si grand coup sur l'cspaule que il le tumba par trois fois en la charrièro». Est encore dans Ronsard (v. Liltré). Il s'agit donc en l'espèce d'un vénérable archaïsmo qui mériterait de revivre aussi dans la langue littéraire 2.

D'autre part, s'amener a lo sens neutre d'arriver, venir, sens très populaire.

De pareils changements sont d'ailleurs fréquents à~ toutes, les époques de l'histoire do la langue.

1. Un glossaire argotique de 1829 écrit merlou (c voleur roué, rusé »), soug l'influence de merle (cf. c'est un fin merle).

2. Nous passons sur l'usage vulgaire de conjuguer les verbes neutres avec avoir (i il a tombé >), tendance dérivant également du passé.

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REMARQUES SYNTAXIQUES 125

CHANGEMENT DE CONJUGAISON. — Exemple, mouccr, mouvoir, qui remonto au xvie siècle, vivace encore à Paris et dans les parlcrs provinciaux (Anjou, Berry, etc). Do là mouvette, dénonciateur, proprement homme remuant l : « Les mots changent aussi selon le quartier; un délateur, qui est une casserole à Montparnasse, sera une mouvette à Montmartre, et une bourrique à Grenelle », Rossignol, p. VI.

PLURIEL SUBSTITUÉ AU SINGULIER. — L'emploi d'une construction comme façons remonte au xvie siècle. Henri Ëstienne constate, par la bouche do Philausone, quo « les mieux parlans » parmi les courtisans disaient: j'allons, je venons, Je soupons, etc. et Coltophile de répondre : « Vous m'estonnoz merveilleusement, de me dire qu'un si vilain langage soit ordinaire aux gentilshommes courtisans ». Plus loin, il met ces « façons de langage » parmi «les plus élégans barbarismes et solecismes », et Philausone va jusqu'à comparer un toi « courlisariisme, en matière de langage» à « quelque bel atticisme 2 ».

La vérité est que cet usage, à toutes les époques éminemment rustique et populacier, était très répandu au xvie siècle, même parmi les personnnes instruites 3. Le Moyen de parvenir s'en moque 4, et François de Callières déclare nettemont, à la fin du xviie siècle : « Si un homme de qualité disoit, f estions à Paris et j'en partismes pour Versailles, il parleroit comme le menu peuple 5 ».

Ajoutons que l'omission du pronom-sujet, encore courante au xvic siècle, est aujourd'hui commune au langage enfantin, rustique et vulgaire.

4. — Particules.

PRÉPOSITIONS. — Les gens du commun se servent de l'expression histoire de (au sens de « pour »), pour signifier une action à laquelle on attache peu d'importance : « A l'hôpital les médecins faisaient passer l'arme à gauche aux malades trop détériorés, histoire de no pas se donner l'embêtement de les guérir », Zola, Assommoir; p. 121.

1. Cf. d'IIautel: %. Marie mouvette, petite fille turbulente », sens encore vivace dans l'Anjou.

2. Dialogues, éd. Liseux, t. I p. 172-173, et t. II, p. 286.

3. Voir Brunot, t. II, p. 335.

4. Cf. ci-dessus, p. 6.

5. Du bon et mauvais usage, Paris, 1693, p. 135.


126 GÉNÉRALITÉS

De même, rapport à, à cause de, qu'on lit dans Yadé : « Je vous le pardonne rapport au sujet de la cause... », OEuvres, p. 272; et exemple plus moderno dans Balzac, Goriot, p. il: « Vous veillerez au lait, Christophe, rapport au chai. »

ADVERBES DE QUANTITÉ. — La notion « beaucoup » est généralement rendue par celle de volée de coups (c'esl-à-diro par la môme notion que représente étymologiquement beaucoup lui-même): Une flopée d'enfants, une grande tapée d'ouvrage (cf. Michel, 1807: « Il a une bonne tapée, beaucoup, une grande quantité, n'est pas français »).

La môme notion est exprimée par tout plein, beaucoup, expression empruntée aux mesures de capacité, qu'on lit couramment au XVIe et xviic siècle : « On dit encore tout plein de bons mots venant de luy », Despériers, Nouvelle XLVII. — a Tu prends de la peine tout plein », Comédie des Proverbes, acte II, se. III. Cette locution adverbiale, est donnée par Oudin (16i0), et Vaugclas la considère encore comme « une fort bonne façon de parler ». D'Ilautel y voit une « locution vicieuse » ; elle est toujours vivaco dans les parlers provinciaux.

Do môme, et le pouce, davantage (sans compter le reste), est aussi un souvenir des anciennes mesures : « Et faire le glorieux, tout au long de l'aune, pouce et tout », lit-on chez du Fail '. Celle locution est également usuelle dans les provinces et à Paris : « La Déclaration dos Droits formulée il y a un siècle et le pouce », Almanach du Père Peinard, 1898, p. 2.

FORMULES NÉGATIVES. — L'ancienne langue possédait un très grand nombre de formules pour renforcer la négation ou pour exprimer l'insignifiance, la petitesse ou la nullité. C'étaient des comparaisons tirées de la nature (animaux, plantes, minéraux), des parties du corps humain ou des objets de première nécessité (nourriture, monnaies, etc.) 2

Le langage populaire moderne a conservé plusieurs do ces formules que nous allons examiner suivant leur provenance.

Dans l'argot parisien ou provincial, ces tournures servent en même temps à exprimer un-refus, l'inutilité ou l'incrédulité. Elles dérivent de sources très variées, à savoir :

a. — Noms de plantes, principalement racines et fruits ali1.

ali1. d'Eulrapel, t. II, p. 55.

2. (I. Droyling, Die Ausdrueksweisen dei' iibei'lriebenen Verkleintrung Un aitfranzijsischen Karlepcs, 1S88. lion travail que nous avons mis à profil.


REMARQUES SYNTAXIQUES 127

mcntairos : navet, nèfle, pomme, vadis otc, sur lesquelles noua reviendrons. v

b. — Noms'do coquillages très communs, comme les be'rnacles, qui, sous leur forme bretonne bernicle ou bernique, sont devenus à Paris, dès le xviii 0 siècle, l'expression du néant (v. ci-dessus, p. 77).

c. — Noms de parties du corps. — Les noms vulgaires de certaines parties spéciales du corps ont fourni des formules fréquentes de négation, on premier liou le membre viril :

Noeud! mon noeud ! « Propos que les voyous ont sans cesse à la bouche, et qu'ils trouvent plus énergique, sans doute, que des navets ! du flan l des nèfles! qui en sont les variantes adoucies » (Rigaud).

Peau, la peau ! rien ! ' « Alors c'est pour la peau quo j'ai tiré cinquante-neuf mois et quinze jours de service ? » Courtelinc, Gaietés, p. 291. — « Et tout ça pour arriver à quoi? . à la peau ! » Idem, lYain, p. i82 2.

Ce terme est souvent renforcé : { Peau de balle 1 non, point, dans le langage, des troupiers, ensuite généralisé (la formule est souvent complétéo par balai de crin)'. « Aussi, pour nous aller pieuter à la caserne, c'est peau de balle et balai de crin, et variétés diverses, » Courtolinc, Train, p. 88. — « Pour ce qui est des éclipses de lune, peau de balle et balai de crin! On en sera privé ectto année, » Almanach du Père Peinard, 1897, p. 23.

Peau de noeud ! rien, jamais do la vio : « 11 est poli, peau de noeud! On n'a jamais vu do particulier moins poli » (Rigaud). .

Tringle, tringue, rien (Ilayard), la tringle, pour la tringle, même signification (Bruant) : « Le trèpe pourra pas y voir que tringue, » Bercy, XIVe lettre, p. 6. "

Les noms provinciaux des testicules', — mes blosses ! mes burnes ! — jouent lo môme rôlo négatif.

d. — Noms de pâtisseries, surtout légèros :

Flan, du flan \ non, jamais, réplîquo à une demande imL

imL Larchey, Suppl. : « Peau, rien, zéro. La peau est co qui a lo moins de valeur dans la bête. — Peau de balle, rien... Mot à mot ventre creux ».

2. La peaul rien, est parfois abrégée en lapl (écrit Idpedans Bruant, et lapp dans Hossignol): » Il m'a fait travailler pour lapp, je suis malheureux, je n'ai que lapp » (Rossignol); * Lo im.jor verra bien quo t'as juste lape et quo tu veux tirer au flanc », Bercy, XXXVI* lettre, p. 0. — Sous cette forme abré* , gée, le mot a passé dans l'argot des polytechniciens: • Il entend lap » (voir Cohen, dans Mémoires de la Société de Linguistique, t. XV, 1908, p. 17G et 191).


128 GÉNÉRALITÉS

portunc ou intempestive : « Exclamation particulière aux ga mins qui ajoutent souvent et de la galette! » (Rigaud) : « Sur quoi, du flan! la peau! » Richcpiii, Truandaille p. 71.

L'ancienne langue employait, avec le même sens dépréciatif, les synonymes flamiche et gastel, gâteau.

Dans le picard « n'y connaître flan » signifie n'y connaître goutte (Corblet); et en Bourgogne, nlflet! non! du tout! dans le langage des écoliers : « Ali ! tu crois que je vas t'en bailler ? Niflet! » répond à nifflettes, petites pâtisseries à. la crème, mot usuel à Provins (Fertiault).

e. — Nom do monnaies, comme valeur dépréciative fréquente dans l'ancienne langue '. Dans le parler vulgaire de nos jours, c'est le cas de dalle, écu ou dater flamand, qui, après avoir désigné l'argent en général, comme dans ces vers de Pierre Durand (cités dans Larchcy) :

Faut pas aller chez Paul Niquet ;

Ça vous consomme tout votre pauve dalle...

a fini par signiûer un rien : a Le populo entrave que .dalle, » Bercy, y7//efc^e, p. G.

C'était, dès le xvie siècle, une monnaie d'argent flamande — «dalle, monnoyeenAllemaignc, » Tabourot. Ib87 — d'une valeur variant de trois à cinq francs 2, qui devint au début du xixe siècle équivalent d'argent monnayé, et, une fois ce sens oublié, de non-valeur, de néant.

Ce genre de tournures était destiné dans l'ancienne langue à renforcer le manque de valeur qui va de l'insignifiance à la nullité, au néant. Elles se retrouvent en grande partie dans le langage populaire moderne, tandis que la langue littéraire en a à peine gardé des traces.

L fit, Dreyliog, p. G7 à 87, et Eustachc Doschamps, OEuvres, t. III, p. 41, à propos des Flamands (dont la menue monnaie s'appelait mile)'. « Leur souverain n'ont prisié uno mite. »

2. Le mot se lit ave-, ce sens, dans la Satyre Mér.ippée.


LIVRE DEUXIEME

VOCABULAIRE. — FACTEURS SOCIAUX

SECTION PREMIERE

CLASSES LÉGALEMENT CONSTITUÉES

Si l'on compare le bas-langage parisien du commencement du xixe siècle, tel qu'il est représenté dans le Dictionnaire de d'Ilautcl, avec ce qu'il est devenu à la fin de ce même siècle, on est surpris de l'énorme accroissance de son vocabulaire, de cette exubérance verbale qui rappelle parfois celle du xvie siècle. Mais tandis que la langue de la Renaissance est plutôt de source savante et étrangère, que la richesse de son lexique est surtout puisée dans les langues classiques et dans l'italien, le bas-langage parisien de nos jours est presque entièrement indigène. 11 a continuellement augmenté ses ressources par des apports de la province et notamment par des contributions des classes professionnelles.

Les professions et les métiers ont concouru à toutes les époques à enrichir la langue nationale. C'est là un fait constant. Mais celte influence n'a jamais été aussi féconde ni aussi générale que dans la seconde moitié du xixc siècle.

Plusieurs raisons expliquent cette évolution: avènement de la démocratie; facilité de plus en plus grande, vers le milieu du xixc siècle, des moyens de communication, roules ou chemin de fer; clVacement des distinctions sociales du passé en même temps que du particularisme des anciens corps de méliers; contact de plus en plus fréquent des diverses classes professionnelles, entraînant le mélange graduel de leurs langues spéciales, lesquelles finissent ainsi par être absorbées dans le langage populaire parisien.

Nous allons étudier la répercussion successive de ces facteurs

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130 FACTEURS SOCIAUX

sociaux, nombreux et divers, sur le lexique du bas-langage, et tout d'abord nous y discernerons un doubla groupe social, suivant que leurs représentants appartiennent aux classes légalement constituées ou bien qu'ils vivent plus ou moins en marge de la société.

Il va sans dire que nous ne passerons pas en revue l'ensemble des classes professionnelles. Sous le rapport linguistique qui nous occupe, un petit nombre seulement a exercé une influence réelle et, parmi celles-ci, l'armée, la marine et la classe ouvrière ont été particulièrement fécondes. En outre, comme ces groupements ne possèdent pas à proprement parler des langues spéciales, mais simplement des terminologies propres, des vocabulaires à part, nous rechercherons seulement quels de ces éléments, professionnels ou techniques, ont franchi leur milieu spécial pour se généraliser dans le bas-langage.

De toutes les corporations parisiennes reconnues par la loi, une seule —colle des bouchers — a possédé jusqu'à ces dernières années, une véritable langue spéciale ', c'est-à-dire une déformation systématique du langage courant; mais le louclierbem, actuellement en voie de disparition, n'a laissé aucune trace sérieuse dans le parler vulgaire.

Ajoutons quo les vocabulaires spéciaux dos soldats, des marins, des ouvriers, appartiennent au xixe siècle, et que tous ont subi l'action efficace du jargon, qui a pu ainsi pénétrer par des canaux différents dans le vulgaire parisien et provincial.

1, Voir, sur la théorie des langues spéciales, l'étude pénétrante et suggestive que leur a consacrée M. Arnold Van Gennep (étude réimprimée dans son volume, Religions, Moeurs et Légendes, deuxième série, Paris, 1909, p. 285 à 316).


ç^sgîSïï'ï"

CHAPITRE PREMIER

SOLDATS

Le service militaire obligatoire a exercé une influence des plus marquante sur la constitution du bas-langage. Los contingents ruraux ou provinciaux, d'une part, par leur long séjour dans les casernes, ont rapporté, à leur retour dans leurs foyers, des expressions et des termes particuliers à ce milieu; d'autre part, par leur dispersion à travers la France, les contingents parisiens ont été le grand facteur de l'expansion des termes d'argot de la capitale dans les provinces. Nous avons déjà relevé l'importance de ce rôle.

On sait la part considérable qu'a eu l'élément militaire dans la formation du vocabulaire roman. L'action de la soldatesque s'est fait ultérieurement sentira différentes époques, mais elle n'a jamais été aussi intenso qu'à la nôtre.

11 n'y a pas d'ailleurs bien longtemps que la langue des casernes possède un vocabulaire à part '. Son lexique ne s'est développé que dans la seconde moitié du xix° siècle, époque à laquelle remontent plusieurs recueils do cette languo spéciale*, ainsi qu'une littérature qui va s'augmentant de jour en jour 3.

Ace fond s'ajoute le petit stock des termes algériens importés par les troupes coloniales et dont plusieurs sont devenus familiers, grâce au contact rapide des différentes classes sociai.

sociai. des capitaines Vidal et Delmart (La caserne, Moeurs militai' »'"?, Paris, 1833) est encore étranger au vocabulaire ultérieurde nos troupiers, ainsi que ceux de Jules Noriac (Le 10ll Régiment, 1858) et d'Emile Gaboriau (Le !■■!' Hussard, 1861).

2. Paul Ginisty, Manuel du Réserviste, Paris, 1882, et Léon Merlin, La langue verte du troupier, Palis, 188G.

Et, à titre comparatif, Paul Horn, Die deutsche So/datensprache, Giessen, 1905.

3. Georges Gourteline, Us Gaietés de l'escadron, 1886, Le Train de S h. $7, Vie de caserne, 1888; Potiron, 1890. Voir, sur ces ouvrages, co que nous en avons dit ci-dessus, p. 51.

Lucien Descaves, Sous-O/fs, Roman militaire, Paris, 1890 (40e éd. 1901). Les nombreux écrits de Charles Leroy (dont le plus connu est Le Capitaine R(imollol) sont moins importants sous le rapport linguistique. Major H. de Sarrepont, Chants et chansons militaires de la France, Paris, 1887.


132 FACTEURS SOCIAUX

les et grâce aussi à l'influence considérable de la presse. Nous consacrerons un chapitre à part à ce glossaire africain l.

I. — ELÉMENTS CONSTITUTIFS.

1. — Richesse synonymique.

• Les termes les plus nombreux du vocabulaire militaire se rapportent à la prison, à la salle de police. Celte synonymie exubérante jette un peu d'ombre sur la vie des casernes et trahit la facilité avec laquelle les gradés dispensent les châtiments à leurs subordonnés. Des types, comme l'adjudant Flick si admirablement peint par Courteline, n'apparaissent pas comme des exceptions : « C'était la terreur do la caserne, dont on n'osait plus pousser une porte ni tourner un angle de mur sans craindre de se trouver nez à nez avec lui, rencontre au bout de laquelle, inévitablement, il y avait pour le rencontré quatre jours de salle de police. Pourquoi Ces quatre jours? pour rien! ou pour tout, ce qui revient au même 2 ».

Voici cette nomenclature :

Bloc, salle de police : « On dit : mettre et mieux/... au bloc » (Merlin). « Dépêchez-vous donc..., dit complaisamment le brigadier, vous allez vous faire fiche au bloc », Courteline, Gaietés, p. 56 3.

Botte, rappelant l'ancien synonyme boite aux cailloux, pour prison (qu'on lit encore chez d'Haulel) : « Coucher à la boîte; boulotter de la hotte, être souvent puni, grosse boite, prison » (Ginisty). « Et tout de suite la danse commençait, la'manne céleste des nuits de boite et des basses corvées », Courteline, Train, p. 27.

On dit aussi boîte à musique, expression répondant à l'ancien synonyme violon*, salle do police.

Boucle, terme parallclo à malle : « Un militaire mis à la salle de police est bouclé » (Rossignol). « Vous savez, me dit

1. Tout récemment, le langage militaire a connu un renouveau dans les tranchées, pendant los années 19ti à 1910. Voir, sur cette (lernfërc phase, l'Appendice final sur l'Argot des tranchées.

2. Courteline, Train, p. al.

3. Ce terme a produit lu dérivé, déjà mentionné (p. 103), esbloquer, stupéfier, lequel a passé des casernes dans le bas-langage. .

4. Balzac s'en sert, dans la IIIe partie do ses Splendeurs des courtisanes (éd. 18r)'i, p. 4) : « Les inculpés sont amenés au coips-dc-gardo voisin et mis dans ce cabanon nommé par le peuple violon, sans doute parce qu'on y fait de la musique : on y crie et on y pleure ». Voir, sur la véritable origine do ce terme, nos Sources de l'Argot ancien, t. I, p. 73 a 74, et t. II, p. 407.


SOLDATS 133

le commissaire do police, à la sixième contravention c'est la... boucle » (cité dans Bruant, Dict., p.. 369).

Clou, terme énergique qui désigne les différentes salles de discipline (Ginisty) : « Coller au clou, mettre en prison » (Merlin).

Et au sens généralisé, comme plusieurs autres termes de cette catégorie (Rictus, Soliloques, p. 27) : « Y me ferait f... au clou par prudence ».

Grosse, sous-entendu boite;jeter à la grosse, emprisonner: a Grosse caisse, prison, dans le jargon du régiment » (Rigaud).

Ilosteau (prononcé aussi ous(o), terme provincial qui désigne à la fois l'hospice et la prison : « Quand on n'a pas plutôt le képi sus le cabochard, faut pas crâner... on vous colle à Yousto, comme des tambours », Bercy, XXXVI'' lettre, p. 4. Avec le sens généralisé (Bruant, Route, p. 116): « Qui voulait me conduire à V/iosto. »

Jettard (écrit aussi schtard), c'est-à-dire endroit où l'on jet te (terme déjà donné par un glossaire argotique de 18i6) : « Pour la joie, c'est midi! On les fout au jettard, quand is rigolent », Bercy, XLC lettre, p. 7. — « A l'ours ! A dix heures du soir? Tu te ficherais de ma figure. Tiens, vlà comment je vais .y descendre au jetardiVA ce disant, il s'applique du bout dos doigts une claquo sonore sur la bouche >, Courtcline, Gaietés, p. 213.

La<aro, terme apporté dans les régiments par les souteneurs qui avaient leurs marmites à Saint-Lazare : « Alors le malheureux... enfilait sa blouse, et s'en allait finir son rêve au huaro », Courtcline, Gaietés, p. 12S.

Malle, appellation rappelant l'ancien synonyme cojfre (masSÎ.S) qu'on lit déjà dans une ballade en jargon chez Villon, en mémo temps qu'enrnallcr, emprisonner (« Enmalés en collVe, en gros murs... ») — « Nom de Dieu, il faut on finir, tout le peloton couchera à la malle co soir », Courtcline, Gaietés, p. 23.

Mamro, salle de police, prison, sens généralisé, d'après Mazas, nom de la prison cellulaire démolie en 1P00 (v. ILl'Yance).

Ours, proprement lieu ténébreux où l'on passe la nuit sur de l.i paille (lieu comparé à une tanière d'ours) : « La Bpscotto, fourré à Vours par une température pareille, c'est la congestion forcée », Courtcline, Gaietés, p. 32.


134 FAGTEUSS SOCIAUX

Ce mot a passé dans l'argot des polytechniciens et des élèves de Saint-Cyr.

La série synonymique n'est pas finio; il faut y ajouter les emprunts faits au jargon (auquel remontent certaines des appellations déjà citées, telles que malle), à savoir : Lourde ou grosse lourde, salle de police (Merlin), proprement porte, grosso porte, et mite, prison {mitard, dans Rossignol et Hayard) : « Le colon de la f... au mite », Père Peinard, 7 juin 1891.

Ces exemples suffiront à montrer la richesse de cctto synonymie; passons maintenant aux éléments divers qui ont contribué à former le fond du vocabulajre des casernes.

2. — Termes jargonesques.

De nombreux termes de l'argot ancien sont entrés dans la langue militaire d'où ils ont passé dans le bas-langago et les parlers provinciaux. Il suffira do les mentionner ici, en renvoyant au bilan d'ensemble que nous en avons tracé ailleurs ' : Blaoin, mouchoir; camoufle, chandelle (« le dernier couché éteint la camoufle », Ginisty); cuiller*, main (« toucher la cuiller, donner une poignée de main », Merlin); culbute 3, culotte; cric, eau-de-vio; douilles, cheveux; frangin, frère {frangine, soeur); frottin, billard 4; gage, cheval; gonzesse, maîtresse de troupier; grioier, soldat, et griffeton 1, troupier, appellation plutôt méprisante, passée dans le bas-langage (Rictus, Coeur, p. 137); limace, chemise; ménesse, maîtresse de troupier; pieu, lit (et pieuter 6, se coucher); pioncer, dormir; poisser, se. faire poisser, se faire prendre on flagrant délit; radiner, rentrer, arriver, aller; rond, argent; trèfle, tabac.

En revanche, plusieurs vocables de troupier ont passé dans

1. Voir dans nos Sources de l'Argot ancien, t. II, p. 207 à 261 : « Les survivances de l'argot ancien ».

2. C'est le correspondant français du synonyme jargonnesque louche, main, terme qu'on lit déjà dans le dossier du procès des Coquillards (145S). Voici un exemple choisi en dehors des casernes : t On rigole, on chante, on pi jue un chahut et l'on serre la cuiller à plusieurs mineurs en leur glissant une pièce de vingt balles », l'ère Peinard, 10 août 1890.

3. La citation do Courtelino (Sources, t. II, p. 228) est à rcclifiei ainsi : t Mon pau'ieux... je veux pas ertirer ma culbute ».

4. » Ce farceur-là c'a tiré les pieds par dessus lo mur pour aller fairo un frottin au caoua », Courteline, Train, p. 155.

3. t Je resterai simple griffeton pendant tout mon congé », Descaves, SousOffs, p. 34.

6. Tiens, vlà comme nous allons pieuter à la caserne », Courtelino, Train, p. 88.


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SOLDATS 135

l'argot des prisons et figurent comme tels dans Vidocq (1828 et 1837):

Boule de son. pain de munition : « C'était du pain noir mêlé do son ; aujourd'hui, pain mêlé de farine de seigle, de forme ronde, distribué tous les jours aux prisonniers » (Rossignol).

Bouillante, soupe, appellation ironique : « Elle n'est guère bouillante lorsque vous êtes de garde et qu'un camarade vous l'apporte à une lieue de la caserne » (Merlin). Le mot se trouve déjà dans un glossaire argotique de 1827.

Cavaler, se cavaler. partir au galop, se sauver, expression appartenant primitivement aux troupes à cheval : « Vous allez me faire le plaisir de cavaler au corps de garde », Courteline, Potiron, p. 14.

Terme devenu populaire: « Je suis en retard, je pie cavale » (Rossignol).

Elioeir de hussard, nom donné par les fantassins à là mauvaise eau-de-vie, à l'eau-de-vie de grains que l'on vendait dans Jes cantines (H.-Franco). -

Hirondelle de potence, gendarme, appelé jadis hirondelle de grève ou hussard de la guillotine.

Landau à baleines, parapluie : « Quand on voit des pékins qui se balladent avec leurs pépins et s'empêtrent les uns dans les autres, on s'écrie : « Attention! Vlà un encombrement de landaus à baleines! ' » Cette appellation se lit déjà dans la dernière- édition du poème sur Cartouche (1827).

Planche au pain, banc des accusés, allusion à la planche à pain des troupiers, laquelle, dans les casernes, est suspendue horizontalement au plafond, au-dessus de leur lit.

3. — Termes provinciaux.

Les patois ont fourni un certain nombro de termes, qui, après avoir modifié leur forme et leur sens dans ce nouveau milieu, ont passé ensuite dans le bas-langage parisien et provincial. Tels sont :

Bidoche, viande, portion de viande et spécialcmeut morceau de boeuf bouilli, l'ordinaire du soldat : « On n'en mange pas tous les jours de la bidoche chez toi? » Descaves, Sous-Ofifs. p. 11. — « Faut mo rendre un service... J'ai besoin de bidoche», Rosny, Rues, p. 131.

1. Langue verte du troupier (cilô dans H.«Franco).


136 FACTEURS SOCIAUX

Ce mot ', qui signifie proprement viande de mouton (cf. Berry, bide, vieille brebis), figure avec le sens de « viande », dans un glossaire argotique de 18i6, et cette acception généralisée est celle du bas-langage (Ricbepin, Gueux, p. 171) : « Trop de bidoche autour des boyaux... »

De même, dans les provinces, par exemple dans l'Anjou : « Bidoche. viande. Mot de la langue des casernes et d'introduction récente » (Verrier et Onillon).

Bricheton. pain, et brichet (Hayard), répondent au normand d'Euro brichet, pain d'une ou deux livres de forme variée qu'on fait expressément pour les bergers (Robin) : « Via ton bricheton et ta bidoebo ». Courtelino, Gaietés, p. 309.

Terme généralisé : « Pain, dans le jargon des ouvriers » (Rigaud) et des gueux (Riehepin, p. 171) : « Deux ronds de bricheton dans l'estomac... »

Brignolet, même sons que le précédent (pour bringolet : cf. le poitevin bringue, morceau do pain) : « Le troupier dit aussi que son pain est du briebetou, du brujnolet », Lacroix (dans Larcbey). — « Pas de brignolet, à se coller enlro les mandibules », Le Sans-culotte (cité dans Rigaud).

Mot également généralisé : « Un coup de jus, mon vieux birbe, et une croûte de briynolet », Huysmans, Soeur Marthe, p. 71. ^ Goguenot avec ses deux acceptions :

1° Gobelet en fer blanc et marmite de campagno, cbez les troupiers d'Afrique : « Holà les goguenots. burla lo clairon des zouaves; qu'on se dépècbe! J'ai lo gosier sec comme une pierre à fusil », Camus, t. I, p. 272.

C'est là le sens primordial 2, encore vivace eu Normandie : goguenot, pot à cidre (répondant au manceau coquenol, coquille de noix).

2° Récipient en for blanc servant au régiment de tinette, sens universellement connu et qu'on lit déjà dans le Jargon de 1819 (« goguenot, pot de nuit »). 11 a passé dans les parlers provinciaux : baquet d'ordures (Anjou), lieu d'aisanco (Bresse), etc.: aussi, sous la forme abrégée gogue, déjà mentionnée.

Pèquin. civil, dans la bouche du troupier, mot qui date du premier Empire 3 : « Pc'guin. pour bourgeois. Barbarisme.

{. Dans leHas-Maino, ondit bidale, à côtôde tiWoc/ic(l>as-dc-Calais, bidcllc),

2. Conservé aussi dans r/oguenot, mortier (Merlin).

3. Voir l'anecdote citée par Littré, au mol péquin, à propos de Talloyrand.


SSp^*7*

SOLDATS^ 137

C'est un mot de la soldatesque », nous dit Desgranges, en 1821 ; mais, dès 1808, d'IIaulel, tout en citant l'usage spécialement militaire, attribue au mot une acception plus large : « Pèquin, terme injurieux qui équivaut a ignorant., sot, imbécile; homme intéressé, avare au dernier degré. C'est aussi un sobriquet que les soldats so donnent entre eux. » Ce sobriquet, appliqué aux civils, vient du Midi, oiipéquin signifie « chétif, malingre», épithetc dérisoire donnée aux bourgeois. Ce terme, sur l'origine'duquel on a étrangement divagué ', se trouve ainsi être de provenance indigène.

Voici quelques exemples : « Il y avait toute une révolution dans l'épilbèlede pékia, si facilement jetée au visage du bourgeois », Vidal et Delmarl, Caserne, p. 371. — « La Garde Impériale est pulissonnée dans toute la ville!... Les péquins l'embêtent », Iialzac, Un ménage de garçon, 1842, l. VI, p. 270. — « En entrant à la caserne, il faut déposer ses frusques de pékin.... » Abnanach du Père Peinard, 1896, p. 38 2.

Ratatouille, ragoût serw aux troupiers les jeudis et les dimanches : « Il va payer à dîner et cela vaudra mieux que la ratatouille du quartier », Vidal et Delmarl, Caserne, p. 131.

Terme populaire, au sens de <( mauvais ragoût ». Desgranges en fait déjà mention en 1821 : « Ratatouille 3, mauvaise fricassée. Ce mot est un barbarisme ». , * Le simple tatouille n'a gardé, dans le bas-langage, que le sens métaphorique de « raclée de coups », mais, à Genève, ce mot signifie encore, « piquette, ripopée ». C'est un dérivé de tatouiller, verbe encore vivace dans plusieurs patois, au sens de « salir » (Normandie), de « patrouiller ou se baigner » (Anjou) ', etc. Ce verbe semble avoir été usuel à Paris dans le premier quart du xix° siècle, et Desgranges en fait mention <'ii 1821 : « Tatouiller est un barbarisme. No dites plus : Il l'a tatouille dans la boue, mieux vaut jeté ».

4. — Épithètes.

Comme tous les vocabulaires spéciaux, celui des casernes

tiG mot so lit pour la première dans la Correspondance du général Hardy de lî'.»7 à 180:2, imprimée un 1901, p. 13S. ,

1. Dans l.e Courier de Vnugelas, t. VU, 1370, p. il.71, [il, 1V7 et 177.

-■ Kn Anjou, pe'quln a fini par signifier quidam, particulier; au figuré, f'itil son i>c'r/uin, il so Robe (Verrier et Onillon).

3. ViRiiy, dés 183."), lui donne asile dans Grandeur et servitude militaires.

V Cf. Dict. général: c Ratatouille, emprunté du provençal moderne ralatouIho, d'origine inconnue t. Lo mol provençal est tiré du français.


138 FACTEURS SOCIAUX

fait un usago fréquent de qualificatifs pour désigner des objets particuliers à ce milieu. Tels :

Bancal, sabre recourbé do cavalerie : « Voilà M. Granger qui apporte le bancal » (caricature do Gavarni, 1841). — « Ils frôlaient alternativement de leurs coudes et do leurs bancals des devantures baissées », Courteline, Train, p. 178.

Brutal, canon : « Le brutal, nom burlesque que l'on donne à une pièce de canon : As-tu entendu ronfler le brutal? » (d'Hautel). En patois normand, brutal est très fréquemment appliqué à des choses : un outil est brutal, une machine est brutale, lorsque leur usage est dangereux, quand on s'en sert sans précautions (Moisy).

Réchauffante, capote. D'Hautel, on 1808, donne à ce mot « trivial et burlesque » le sens de perruque (avec lequel il a passé dans le vocabulaire de Vidocq).

Souffrante, allumette : « Les souffrantes au clair, ceux qui en ont! » Courteline, Pciiron, p. 17.

Et do même : Collant, caleçon; fumante, cigarette (appelée aussi sèche); grimpant, pantalon *; soufflant, clairon, etsoa/- flante, trompette, etc. ■'

5. — Termes ironiques. .

L'ironie joue un grand rôle dans le vocabulaire des casernes, très riche en appellations facétieuses qui témoignent de la bonne humeur de nos troupiors. Voici un premier groupe:

Le havresac y est appelé armoire à poils et, lorsqu'il était fait de peau, veau et Azot\ de dernier très fréquent : « Désespérant de mon projet et voulant en finir, j'ai lavé jusqu'à mon Asor... Le mauvais drôle avait vendu jusqu'à son havre* sac », Vidal et Dclmart, Caserne, p. 91. •

Le peloton d'exécution, c'est le bal (« allor au bal »), qu'on lit chez d'Hautel avec un sens apparenté : « Donner le bal à quelqu'un, lo gronder, le châtier rudement ». La punition, cran, y est identique à une consommation : « distribuer des crans ». Lo manche à balai y est un bâton de maréchal, et, inversement, lo hautbois y devient un manche de balais, tandis que le trombone est assimilé à uno seringue!.

V

1. Dans Richopin (Gueux, p. 178): i Un grimpant et des ripatons... », pendant du synonyme vulgaire montant (eelui-ci dans Vidocq).

2. Inversement, en normand, saquebute, seringue, .signifie primitivement trombone. * »


SOLDATS 139

Le fusil porto le nom de clarinette i. Cette appellation est déjà donnée par d'IIautel en 1808, avec cot exemple : «Prendre la clarinette de cinq jpieds signifie se faire soldat, s'enrôler ». La balle, c'est la dragée, la prune ou le pruneau.

Lo garde-magasin est appelé garde-mites ou miteux.

Le lit s'enrichit de toute uno synonymie facétieuse. Il est assimilé tantôt à un panier % (d'où pagnoter 3, se coucher), et tantôt à un portefeuille (Rossignol) : se fourrer dans le portefeuille répond à se bourser, se coucher (Rigaud). Une farce très usitée dans les casernes consiste à mettre le lit du bleu en portefeuille « de façon qu'il n'y puisse entrer plus loin que les chevilles et qu'il emploie une partie de sa nuit à tente»- de remettre un peu d'ordre dans des draps qui s'ohrouloront d'un côté tandis qu'il les déroulera de l'autre... » (Courleline, Gaietés, p. 303).

Ajoutons . Plumard 4, c'est-à-dire lit-de plumes (par allusion à la dureté de la paillasse), d'où se plumarder s, se coucher. '

Voici maintenant un autre groupe :

Bidonner, boire, lo vin étant distribué aux troupiers (et aux marins) dans un bidon : « Passe-moi donc la vinasse... nous allons bidonner uri coup », Courleline,Train, p. 92.

Avec le sens généralisé : « Tu ne ferais pas mieux de travailler, au lieu d'être toujours à bidonner chez le marchand de vin? » (Hébert, dans Bruant, p. 61).

Caisson, tète et cervelle, d'où se faire sauter le caisson, se suicider (le caisson saute lorsque la poudre s'en fia in mo), expression devenue populaire : « Le caporal s'est fait sauter le caisson *t en se tirant sous lo menton un coup do revolver », Père Peinard, lct déc. 1889, p. 3.

1. c Faut-sa coller l'as de carreau sus le rabe, décrocher sa clarinette et descende sus le$ rangs i, Bercy, XXXVI* lettre, p. 5. — Cf. Larchey, Suppl., préf. XXVllt : « Le peuple appelle le fusil clarinette de cinq pieds, parce qu'il appelle troubadour le soldât qui en joue sur tes champs de bataille. » Les deux expressions sont chronologiquement indépendantes, troubadour étant un sou* venir de l'école romantlq'ue.

2. t Je vais vous mettre dans votre panier, dit le caporal », Descaves, SousOffs, p. 86.

3. « Ahl (a, que que tu fabriques? C'est-y que tu vas pagnoiterf » Courleline, Gaietés, p. 12.

4. c Calmé nel, il dégringole de son plumard », Courteline, Train, p. 72.

5. t Les plus casaniers auront des envies folles d'aller plumarder dans les pré3 i, Atmanach du Pèrefeinard, 1894, p. 17.

6. Les frères Concourt notent dans leur Journal du 23 nov. 1867: • Il s'est fait sauter te caisson (propos entendu sur le boulevard) » —Cf. Richepln, Glu, p. 6: 111 ne s'était pas non plus fait sauter le caisson ».


140 FACTKURS SOCIAUX

Harnais, vêtement (Rossignol), et harnacher, habiller (Rruant), unt passé des casernes dans le vulgaire parisien : « Alors on jn'a payé des harnais neufs, un fendant et un alpague en velours », Bercy, III" lettre, p. 5

Marcher, faire une marche militaire a acquis lésons figuré de consentir, d'accepter, acception passée dans le langage des imprimeurs, des ouvriers et des filles : je marche! je ne marche j>as ! je suis, je no suis pas d'accord.

Pied de banc, sergent dans une compagnie (un banc a quatre pieds et uno compagnie quatre sergents) : « Les bleus s'alignent tant bien que mal; le pied de banc les compte, les recompte .. », Almanach du Père Peinard, 1891, p. 40.

Dans l'argot policier, avoir les pieds dans le dos, c'est ètro suivi par un agent (Rossignol).

Souper, on avoir assez, en être excédé, sens très répandu dans les casernes : « Souper de la,fiole de quelqu'un, être fâché avec un camarade; dans le mémo sens on emploie indifféremment les mots caillou, hure, kilo, matricule, (jueule, etc. » (Ginisty).

Pour comprendre cette acception spéciale, rappelons le nom ironique que les troupiers donnent à la soupe, la bouillante, qui est plutôt tiède (v. ci-dessus). Ce sens particulier est devenu d'un usage général : « J'ai soupe de ma femme, de sa société, de sa conversation » (Rossignol).

Voici quelques citations : « T'as donc soupe do battre la semelle?... Le populo a l'air d'avoir soupe pour do bon, d'ètro'le dindon do la farce », Père Peinard, 5 juillet 1891 et 10 avril 1892.

Trujjard, soldat, les Inities ou pommes do torro garnissant souvent l'ordinaire du troupier : « Vous savez bien qu'elle no fait jamais l'oeil (« crédit »)aux truffards », Camus, t. I, p. 40.

Terme devenu populaire :,« Le trujjard.,. se plie sans trop de rouspétance aux exercices, gardes, travaux de propreté », Almanach du Père Peinard, 189t, p. 41.

De même : Carotte, visite du docteur au régiment (do l'expression tirer une carotte au médecin) : c'est le moment de prétexter une maladie imaginaire, pour se faire exempter du service (d'où carottier, soldat qui évito les manoeuvres et les corvées); Ghaussettes ', gants, à côté du mains courantes, pieds

1. Gf. le synonyme allemanl ILindirhuh, gant, proprement chaussette do la main.


SOLDATS l'il

ou souliers; jus de chique, cafi^ (Merlin), d'après la couleur; mati'iculer, voler (« lo numéro matricule étant la seule marque de propriété au régiment », Merlin); permission de minuit, gourdin au bout ferré 1; tableau d'avancement, listo des hommes punis déposée au corps de garde; torcher, manger (cf. se torcher les babines), etc.

L'expression (aider une basane, à l'origine propre aux troupes à cheval, exprime un geste de défi ou de mépris que les soldats exécutent sur la cuisse (autrefois couverlo do basane) : « Kt tandis que du revers de [a main il se caressait lo menton, de l'autre il se giffla la cuisse, taillant une basane gigantesque au nez du colonel absent », Courtoline, Gaietés, p. 197.

Cette expression a passé dans le bas-langage: « Tailler une basane, goste familier des gamins qui se frappent la cuisse du revers de la main droite » (Virmaîlre). 1 Tirer au flanc, chercher à esquiver le servico (même sens que carotter), à côté du synonyme tirer au cul, user de prétextes pour paresser (la marche de flanc, c'est le repos) : « T'arriveras là-bas, tu passeras la visite, on saura que tu (ires au flanc et on te renverra illico au quartier avec quinze jours do prison... Tu coucheras à la boite ce soir pour t'apprendre à tirer au cul. Ah! çarottier, ah! fricoteur », Courleline, Gaietés, p. 80 et 130.

Quelquos-unes do ces appellations plaisantes remontont plus haut, telles :

Bannière, chemise dont les pans flottent au vent (jadis la bannière était blanche)-; Oudin donne (1610) : « Bannière d'Orléans, des lambeaux,,un habit déchiré. »

Poulet d'Inde, pour chevals, qu'on lit déjà dans Yadé (Premier bouquet poissard).

Platinei pour langue bien pendue, appellation donnée comme «soldatesque» par Desgrangos (1821), tandis que d'Hautel l'attribue au bas langage en général : « Il a Une bonne platine, se dit d'un grand habilleur, d'un homme qui parle avec une grande volubilité et pondant longtemps, d'un crieur public qui fait de grands effets de voix ». Le mot désigne proi.

proi. l'o.ur traverser la zone militaire... il s'était muni d'une permission de minuit, un fort gourdin au bout ferré » (cité dans Bruant, Dict., p. 35).

-. • Le fantassin n'a qu'à penser à lui, et non tout d'abord an poulet d'Inde que le cavalier doit toujours soigner », Vidal et Delmart, Caserne, p. 17.


■142 FACTEUKS SOCIAUX

proment une plaque, une chose largo et plate, rappelant l'ancienno exprossion synonyme plat de la langue, ot son correspondant argotique platue, langue (terme qu'on lit dans le Jargon do 1628) : « Si tu devenais député, tu as une fibre platine », Balzac, Un me'nage de garçon, 1812, t VI, p. 308.

Touto une série do sobriquets sont donnés aux différentes armes: Blaireau, conscrit; boucs de régiment, sapeurs; chien de quartier, adjudant (il est le seul gardien rcsponsablo do la caserne); écrevisse de rempart, lignard (à cause du pantalon garance); marsouin, soldat d'infanterie do marine; '— citrouilles-, dragons (par allusion a leur casque), et chaudronniers, cuirassiers (cf. marmite, cuirasse); — pieds blancs, fantassins, appelés aussi pousse-cailloux, image de la marche sur les routes fraîchement chargées.

6. — Vie de caserne.

La vie fermée du troupier se reflète sous ses différents aspects dans les expressions :

Cafard, sorte de spleen des casernes qui travaille la tète du troupier ou du gradé (Ginisty) : c'est le nom d'un insecte, la blatte orientale, application analogue à araignée, hanneton, etc.

Classe, contingent arrivé à sa dernière année de service; être de la classe, appartenir à celle qui sera la première renvoyée dans sus foyers : « Lorsqu'un soldat en est venu là, il ne craint plus ni punition ni souffrances d'aucune sorte, et il oppose à tous les coups de la fortuno son irréfutable et stoïque argument : Bah! je suis de la classe! » (Ginisty). — « No le fais donc pas de bile! Pus que quatre ans à tirer et tu seras de la classe », Courleline, Gaietés, p. 234.— « La prison, ça compte sus le congé, et y a toujours la classe qui est là pour un coup. La classe! mot magique, cautère,moral du troupier », Idem, Train, p. 245.

Connaître, la connaître (ou la connaître dans les coins); sous-entendu la théorie, être au courant de, au fait de, et par suite: n'ignorer aucune des roueries militaires, savoir esquiver l'ennui du métier (Ginisty). — « Sentencieusement il ajouta : Tu la connais dans les coins, mais c'est pas tout de la connaître, il faut savoir la pratiquer... Encore un qui la connaît », Courleline, Gaietés, p. 224 et 305.

On dit, avec le mêrne'sens, être à la hauteur (sous-entendu


SOLDATS 143

du service ou du métier militaire), être irréprochable sous le rapport de la tenue et de l'instruction (Cinisty), être au courant du métier (Morlin). C'est une application particulière de l'expression littéraire : être à la hauteur de la situation ', généralisée dans le bas-langage sous la forme abrégée des casernes (aussi avec le sens : avoir les poches bien garnies) : « Suffit! on est à la hauteur, mon bonhomme. . », Zola, Assommoir, p. 45. —« Des gas à la hauteur ont mis la choso en train », Almanach du Père Peinard, 1896, p. 27.

Gauche, jusqu'à la gauche, jusqu'à la mort : « Vous serez consignéy«sr/M'à la g...! vous entendez bien, n'est-ce pas?/KSqiCù la gauche...! C'était son mot ce jusqu'à la gauche, une exprossion de caserne qui no signifie pas grand'chose, mais impliquait évidemment en lui une idée confuso d'éloignement, personnifiait l'éternité en son imagination vague do vieil ivrogne... Un jour garde de police, un jour garde d'écurie, et commo ça jusqu'à la gaucher), Courtelino, Gaietés, p. 23 et 32.

Dans les parlcrs provinciaux, par exemple on Anjou, jusqu'à la gauche, a acquis le sens général de complètement, à fond : « Il te l'a engueulé jusqu'à la gauche » (Verrier et Onillon).

L'expression est du ressort militaire. Les groupements (seclion, peloton, compagnie, etc.) se rassemblent habituellement i>n deux rangs, numérotés do la droite à la gaucho. Chaque homme s'aligne sur son voisin de droite. Si l'un d'eux doit rentrer ou sortir, pour rectifier l'alignement, tous ceux qui sont a sa gauche doivent rentrer ou sortir également — et ce mouvement s'opère jusqu'à la gauche, jusqu'au dernier.

Une autre locution, passer l'arme à gauche, pour mourir, se rattache à un même ordre d'idées : en vie, lorsque le soldat est dans le rang, il porto lo fusil à sa droite; passer l'arme à gauche, c'est dévier de l'ordre usuel, rompre le rang, mourir.

Cette expression s'est généralisée dans le bas-langage : « Bien sûr, elle sauverait son homme, tandis qu'à l'hôpital les médecins faisaient passer l'arme à gauche aux malades '1 trop détériorés* histoire do ne pas se donner l'embêtement do i les guérir », Zola, Assommoir, p. 124. — « Rien que pour j cotte semaine, c'est trois pauvres troubades qui viennent de j passer l'arme à gauche », Père Peinard, 7 déc. 1890, p. 8. . J

1. Larchey,Supplément, explique à tort être à la hauteur par être de la haute, dans une bonne position.


144 F.VCTKUHS SOCIAUX

Son pendant antérieur est descendre la garde, mourir, métaphore devenue de bonne heure populaire : « Descendre la garde! Expression plaidante cl figurée qui signifie, parmi le peuple, tomber d'un lieu élevé, s'eiwiller dans l'autre monde, laisser ses os dans une all'airc d'une batterie quelconque », d'Hautel, 1808. — « Il a descendu la garde à Marcngo. Cola veut dire en langue soldatesque qu'il est mort à Marcngo; mais descendre la garde n'est pas français », Dosgrangcs, 1821.

Voici un exemple de cotte généralisation : « Merci, marchand do coco, dit l'enfant qui reprit haleine, sans vous je descendais la garde », La rîédollière, p. 7G.

On dit, avec le même sens, défiler la parade : « Hoche questionnait Gervaise d'un air do doute, en lui demandant si elle était bien sûre qu'il n'eût pas dé/ilè la parade derrière s.m dos », Zola, Assommoir, p, 160.

Meinbrer, manoeuvrer dur, c'est-à-diro peiner do tous ses membres, aux exercices militaires : ce S'arrètant tous les trois pas pour contempler .. les camarades qui membraient... », Çourleline, Gaietés, p. 131.

On dit, avec le môme sens, pivoter, faire un pas à droite ou un à gauche, en avant ou eu arrière, c'est-à-dire tourner comme siir un pivot : « Alors, tu to figures bonnement que j'aurais picoté trois heures dans la pluio ot dans la saleté... et tout ça pour on arriver à quoi? à la poau? », Courtelino, Train, p. 182.

Pour exprimer ce même travail machinal, on dit, ironiquement, faire le Jacques, c'est à-dire faire l'imbécilo: c'est manoeuvrer en décomposant une! deusses! troisses! (« s'applique do préférence aux exercices de l'école du soldat », Ginisty).

C'est de ces exercices que dérivo l'expression un temps trois mouvements: « Il commandait : Portez!... armes! Un temps trois mouvements ! Un! » Courtelino, Gaietés, p. 129.

Expression généralisée : « Un chouette copain est là qui en deux temps trois mouvements envoie le type à Dache... Une douzaine de zigues d'attaque ont radine à la piôle ot en deux temps et trois mouvements tout le bazar était dans la rue », Père Peinard. 20 avril 1890, p. 1 et 21 fév. 1892, p. i.

Midi! C'est midi! midi sonné! midi moins cinq! pour dire il est trop tard! ça ne sert à rien, c'est inutile!\expression plaisante de refus ou de négation, en usage dans les casernes : « Tu comprends bien que pour pagnoter au quartier, là-


SOLDATS 115

bas au patolin, à Saint-Mihiel, c'csl inacacho Ql~midi sonne ! lu no voudrais pas! » Courtclino, Train, p. 8G.

expression fréquemment généralisé dans le bas-langage : « Tant qu'à s'étaler sur l'herbe aux endroits qu'y a pas do feuillage, c'est midi! » Bercy, AT//e lettre, p. o.

Planche, dans l'expression avoir du pain sur la planche, avoir des vivres, et, figurément, avoir des ressources prépa rées pour Pavonir : expression prise des troupiers qui reçoivent leur portion de pain pour quatre jours, en le gardant sur une planche suspendue au-dessus de leur lit (v. ci-dessus, p. 13o).

Reçue, être de la revue, èlro déçu, la revue militaire et surtout les préparatifs qu'elle exige étant une corvée pour le sddat. Cnurlelinc nous en a donné une description pittoresque) :

Le jour de la revue arriva

Depuis quatre heures du malin, les hommes lavaient le plancher à grande eau, grattaient la planche à pain du bout de leurs couteaux, enduisaient de cirage les pieds du lit, et récuraient au Irip)li les gourmettes des shakos et les coquilles de sabre. Toutes les cinq minutes, dans un vacarme de portes qui battent et retombent, dos sous-officiers entraient, suant, hurlant, jurant des « sacré nom <le Dieu » et accablant de jours de boîte le malheureux homme de chambre qui, ne sachant plus auquel entendre, galopait comme un aflulé, dans les criailleries .continuelles de : « L'homme de chambre, à l'eau ! L'homme de chambre, au cirage I L'homme de chambre, au coup de balai ! — Gaietés de l'escadron, p. 1G0.

De là, passé dans le bas-langage, comme expression du désappointement : « Fais le casquer d'avance ou sans quoi tu serais de la revue... Ah! c'est que nous avons été de la revue! » horcy, IVe lettre, p. 5, et IIIe lettre, p. 7.

Celte locution trouve son pendant au xvie siècle dans estre du guet qu'on lit chez du Fail (t. II, p. 228) : « jo cuyday... estre du guet d'après minuict », c'est-à-dire être allrapé, être dupe do, sens ' qui résullo de cet autre passage de Brantôme (t. I, p. 260) ; « Il est bien vray qu'il [le connétable do Bourbon] fut fort compris dans le traiclé de Madrid; mais le roy [François Ier] le rompit tout à trac, quand il fut do retour en France, si bien quo M. de Bourbon fut du guet et eut la cassade ».

1. Voir Revue du AT/' siècle, t. III, p. 24 23.

10


146 FACTEURS SOCIAUX

7. — Réminiscences littéraires.

L'époque du romantismo a laissé quelques traces isolées :

Piquer une romance, dormir, ronfler (Merlin), expression devenue populairo : « Quand qu'on a envie dépiquer eune romance... », Bercy, XVIIe lettre, p. t.

Troubade, troupier, pioupiou, forme abrégée do troubadour, lo troubadour des romances, terme très populaire: « La mère glissa au nouveau troubade lé maigre boursicot qu'ello a pu réunir a force do ljardcr », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 39.

On lit ce mot dans le Journal des frères Goncourt (2 soplomb. 1863) : « Il avait encoro son habit de troubade sur lo dos ».

8. — Souvenir historique.

L'unique rappel au passé semble être faire suisse, boire seul, sans inviter ses camarades, c'est-à-diro s'isoler pour boire copieusement — « boire comme un suisse, c'est-à-dire beaucoup » (Oudin) — à la manière des Suisses de la garde royalo, fameux biberons qui préféraient pourtant se régaler en compagnie : « Lans, tringuo! à toy, compaing! » s'écrient les Suisses de l'époque de Rabelais. Quoiqu'il en soit, le fait de se divertir seul est considéré comme infamant dans le milieu des casernes.

Voici quelques citations dans leur ordre chronologique :

/ ■ ■ .

« Le soldat a pour point d'honneur de ne-jamais manger ou bbire

seul. Cette loi est tellement sacrée que celui qui passerait pour la violer serait rejeté de la société militaire, et on dirait de lui ; // boit avec son suisse *, et le mot est une proscription », Vidal et Delmart, p. 351. v

a Faire suisse. Ce mot,'à la caserne, équivaut à une injure indélébile. Faire suisse, c'est vivre seul, mesquinement, en égoïste, sans relations amicales et sans appuis; c'est entasser son prêt, lésiner, thésauriser, s'imposer des privations volontaires ou dépenser sournoisement son argent loin des autres, sans jamais songer à offrir la moindre consommation.à un paysouà un camarade de lit seryiable et dévoué. Faire suisse est une insulte si grande que, lancée obstinément à la tête d'un troupier, elle le force ou à renoncer à ses habitudes ou à changer de compagnie », Camus, t. I, p. 277.

1. Sous cette forme, la locution n'est donnée qu'ici: en est-elle la primitive? Il est permis d'en douter. , ' • .


SOLDATS i'i7

« Ali! vous n'en savez rien? continua Jliirluret; ch bien, moi, je m'en vais vous le dire. (Jasignilie purement et simplement que vous (Mes un goinfre et un pure, qui cachez vos provisions dans un lit qui n'est môme pas le vôtre, pour les dévorer sournoisement, à l'insu de vos camarades !

A ces mots, un murmure s'éleva :

— Hou ! hou ! Il fait suisse! Il fait suisse!

— Parfaitement, reprit lluduret, vous vous conduisez d'une façon ignoble, et si vos camarades vous passaient en couverte, ce n'est fichtre pa,s moi qui les en empêcherais », Courteline, Gaietés, p. 05.

Comme lo reste de cette nomenclature, l'expression a passé dans lo bas-langage : « J'ai du bon à boire et ça m'ennuie do' faire suisse... Du madère, les amis ! un velours au palais et chaud sur l'estomac... », Hirsch, Le Tigre, p. 51.

Tous ces éléments constitutifs du vocabulaire militaire sont donc exclusivement indigènes. Nous verrons plus loin qu'il s'y est ajouté nombre d'éléments orientaux importés par les régiments d'Afriquo.

II. — EXPANSION.

, A toutes les époques, des mots de soldats ont franchi la caserne pour se généraliser dans la langue : Alarme et alerte, comme battre l'estrade et en venir aux mains, pour citer quelques exemples, ont appartenu primitivement à la sphèro militaire.(

Do nos jours, l'influence de ce vocabulairo spécial a été autrement intense.

Nous avons déjà nmntré par une série d'exemples — tels bayou, fourbi et rabiot — comment ces termes foncièrement militaires ont acquis, une fois passés dans le langage populaire, des acceptions et des nuances nouvelles. D'autre part, en ce qui louche les vocables des casernes que nous venons de passer en revue, nous avons partout noté leur incursion dans le parler vulgairo parisien. En somme, peu d'entre eux sont restés confinés dans leur milieu spécial; la grande majorité a pénétré dans là langue populaire. Nous ferons la même constatation pour les mots algériens dont une grande partie est devenue populaire.

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14 8 FACTKUKS SOCIAUX

I)o plus, les soldats ont été les principaux propagateurs dos mots parisiens dans les provinces, et cela au point do modifier profondément l'aspect du vocabulaire dialectal. Lo langage populaire parisien a vu ainsi s'élondro do plus en plus son horizon jusqu'à se confondre avec les limites mémos du pays tout entier et franchir môme celui-ci pour pénétrer hors de Franco, dans les pays où l'on parlo français '.

Une action aussi considérable répond d'ailleurs à l'importance grandissante do co facteur spécial, la nation armée, dans la démocratio moderne, ainsi qu'au rayonnement magique de la capitale aux yeux des provinciaux.

1. Voir ci-dessus les remarques de Léon Granger sur le langage militaire de la Suisse romande. L'auleur y cite, entre autre, ces exemples: « Le brichelon, le brignol, plus rarement le brûlai, signifient le pain. Ces termes sont très employés. Autres termes concernant l'alimentation : Ja/fe pour soupe, buloche pour viande (le singe est la viande de conserves), becqueter pour manger, terme lo plus récent (autrc3 expressions : bon/fer, boutolter, briffer).,, le capistoH;le capitaine, le cabot, lo caporal... >


CHAPITRE COMPLEMENTAIRE

VOCABLES ALGÉRIENS

C'est encore aux troupiers, aux régiments d'Afrique, qu'on est redevable do l'introduction de tout un stack do mots arabes ot hispano-italiens, venus de l'Algérie.

Un premier contingont, les termes arabes, remonte à l'organisation militaire dos indigènes après la conquête définitive do.la province africaine. Les bataillons d'infanterie légère d'Afrique, institués dès 1831, furent primitivement au nombre de trois, surnommés les Zéphirs, c'est-à-dire agiles comme le vent, les Chacals et les Chardonnerets. Tandis que cette dornièro appollation a complètement disparu, colle do C/tacals est devenue le surnom des Zouaves, d'après leurs clameurs sauvages imitant le cri de cet animal rusé et maraudeur. Plus tard, furent organisés les régiments des tirailleurs algériens, les Turcos et les Zouaves, et les escadrons do cavalerie, indigène, les Spahis et les Chasseurs d'Afrique, les Chass'd'AfK

Les Zéphirs sont surtout connus aujourd'hui sous le nom do Batd'Af. bataillon d'Afrique, ou encore sous celui do Joyeuse : « Les Zéphirs, qu'on nomme aussi Joyeux, so recrutent dans tous les régiments d'infanterie et cavalerie, et forment une petite légion fougueuse, irascible, hostile aux règlements, rebelle au devoir, qui approvisionne très consciencieusement les prisons et les conseils de guerre, » Camus, t. I, p. 6.

Ce bataillon est constitué des conscrits ayant subi une peine infamante avant leur entrée au corps ainsi que des soldats indisciplinés, des fortes têtes, qu'on envoie on Afrique pmr casser des cailloux, c'est-à-dire percer et entretenir les routes. On leur laisse la barbo, mais on leur rase la tèto, d'où

1. Voir A. Camus, Les Bohèmes du drapeau. Types de l'armée d'Afrique : Zéphirs, Turcos, Spahis, Tringlots, deux vol. Paris, 1863; et, pour les spahis, Marcel Frescaly (Palat). Le VI* Margouillat, Paris 1882. — Cf. Valéry-Mayet, Voyage au sud de la Tunisie, 2« éd., Paris, 1887. — Georges Darien, Biribi, Armée d'Afrique, Paris, 1890.


150 FACTEURS SOCIAUX

la sobriquet de tête de veau, C'ost ce qu'on appelle liiribi, le bataillon de discipline d'Afrique.

Voici quelques citations dans leur urdro chronologique : « Les sept-dixièmes de l'armée tournent mal; et si les familles no se hâtent de les faire remplacer..., bon nombre vont en Afrique prendre l'air des compagnies de discipline ou, pour parler comme au régiment, rouler la brouette à liiribi », Gabnriau, 1801, p. 9.

« Casser ta trompette à présent! Un effet de grand équipement que tu couperais pas du Conseil et d'un an au moins . de liiribi », Courtcline, Gaietés, p. 30.

Kt ([u.uicl ou vt'ut fairo îles épates, .

C'est peau «le zôlii. Ou vous fout les fers aux i[u;ilo pattesA liiribi.

(Hruant, llue, t. II, p. 51).

Uneoxplicalioa plausible, étant donnée l'origine récente du mot, est celle-ci : le travail du disciplinaire, à liiribi, consiste à casser des cailloux sur la roule et à faire des terrassements; ces cailloux ont été assimilés aux coquilles de noix du biribi, jeu de bonnetcur, bien connu des Arabes. On dit avec le niènfle sens : casser du sucre sur la (jrand'route (Courteline) et les pierres cassées, ou morceaux de micre, sont payées à ^quatre sous le mètre cube.

C'est par l'intermédiaire de ces troupiers africains que nous sont venus des termes tels que :

Bazarder, vendre ses effets de linge et chaussures aux brocanteurs arabes des bazars : « Au bataillon d'Afrique, la fréquence de ce délit en fait une vertu du corps; tout conscrit doit une fois au moins vider son havre-sac, » Camus, t. I, p. 1G8.

Sens généralisé : Vendre à bas prix et en bloc dos objets * dont on veut se défaire. « Elle aurait bavardé la maison, elle était prise de la rage du clou, » Zola, Assommoir, p. 361.

Cfiaparder, aller au fourrage, marauder, c'est-à-dire rôdor, en guettant la proie, comme le chat-pard ou lo chat-tigre d'Afriquo. Sens militaire qui s'est généralisé dans le bas-langage, voler: « En nous promonant à la campagne, nous-avons chapardé des cerises » (Rossignol) 2.

1. De même, bazar, effets de troupier, d'où mobilier, en général : t La cambuse brûlerait, elle aurait fichu en personne le feu au bazar », Zola, Assommoir, p. 343.

2. Parmi les terme*; importé-? d'Afrique, on( range généralement aussi

^-*e*S0'


VOGADLKS AL6ÉRIKNS 151

Aux régiments des Zona vos, se rallacho, on outre, quelques expressions traditionnelles dans les chambrées qui ont rayonné au dehors des casernes. Ce sont : Dachc ou Plumeau, légendaires perruquiers dont les noms, passés en proverbe, viennent du refrain d'une chanson des Zouaves '.

On dit aussi : Envoyer à Dache, envoyer promener: « Dans les casernes, on renvoie les hâbleurs, les raseurs, les importuns à Dachc, perruquier des zouaves 2. —« Aller donc raconter cola à Dache! » (Merlin) — « Un chouette copain est là qui, en deux temps trois mouvements, envoie le type à Dachc, le perruquier des zouaves, » Père Peinard, 20 avril 1890, p. 1.

Parmi les chansons militaires, recueillies par Sarrcpont, se trouve « Le conte à Plumeau », p. 73:

Les Français sont bravos !... <ja c'est du nouveau !... Faut lu dire à Plumeau Le [)oi'rui|iiiordos zouaves ! Et si Plumeau y est pas, qu'on s'adresse à Dache!

Ce nom a pénétré aussi dans les parlers provinciaux : en Anjou, dache! marque l'incrédulité ironique, ou un refus dédaigneux. '

Les termes algériens que nous allons maintenant examiner remontent, non pas à l'arabe proprement dit, mais à un mélange linguistique, d'arabe et d'européen, le sabir.

Ce jargon des soldats algériens à peine francisés est connu sous lo nom de sabir 3. C'est un mélange d'arabe, de français, d'italien et d'espagnol, c'est-à-diro des idiomes les plus rochichslrae,

rochichslrae, (en sabir) : t Corvée de chichslrac, corvée de quartier, c'est-à-dire balayage, nettoyage des cuisines, cours et autres lieux • (Merlin). C'est probablement l'arabe algérier. chichma, latrines, influencé par le synonyme Scheissdreck, seul mot allemand familier aux casernes.

1. Cf. Bruant, Dictionnaire, v. Comment. Sous forme d'interrogation avec idée d'incrédulité, de moquerie ou de refus, Chez qui? Chez Dache? Chez Plumeau?

Au mot jamais. Avec idée de moquerie ou de supériorité : Chez qui? Chez Hache? Chez Plumeau?

Au "mot oui Interrogation dans un sens de moquerie, d'ironie ou de refus : Chez Dache? Chez Plumeau?

Au mot quand? Interrogatif et dans un sens ironique: Chez Dache 1 Chez Plumeau ?

2. Voir le récent volume de Paul de Semant, Dache, Perruquier des Zouaves, Paris, 1916.

3. Nous ne possédons aucun travail sérieux sur le sabir. Il n'y aurait à citer que l'article t La langue sabir » de Mac-Çarthy et Varnier, dans le journal l'Algérien du 11 mai 1852, et les notes superficielles du Général Faidherbe dans la Récite scientifique du 26 janvier 1S84.


ir>y FACTKUIIS SOCIAL'X

pandus dans les conlréos du X.-O. de l'Afrique. Véritable linyiia franco-l dont le nom est tiré de la répliquo constante des Levantins et des Algériens : mi no sabir, moi non savoir (je ne sais pas) qu'on lit déjà dans Molière {Bourgeois Gentilhomme, acte IV, se. X):

So li sabir, ti resnomlir; Se non sabir, tazir, tazir !

Le sabir, comme toutes les langues internationales, réduit les formes grammaticales à leur dernière expression. L'infinitif y résume touto la conjugaison et tel mot y devient le représentatif de toute une catégorie du lexique: « En général, chaque mot y caractérise non pas une idée, une chose, un fait, mais un ordre d'idées, de choses, de faits. C'est ainsi, que bono, seul ou accompagné do la négation no, tient lieu de la moitié des adjectifs des langues ordinaires » (Mac-Carthy et Varnier).

Voici maintenant quelques citations accompagnées parfois d'échantillons do sabir:

Le sergent d'escouade fut chargé d'entamer avec Ben-Salem un' dialogue en sabir... Il faut songer à lui offrir le diffa 1, vous m'entendez... c'est mon camarade et je tiens qu'on fasse une ripaille d'Arbicos. — Sabir! sabir ! bezef! répondirent en riant les auditeurs de l'ancien zéphir. Ces trois mois fréquemment employés sous la tente, signifiaient: iVous comprenons très bien! » Camus, t. I, p. 176 et 203.

Nos Arabes ont peu de mots français à notre service, miis quelques mots italiens. Le sabir supplée à ce qui manque... Nous ne saurions résister au plaisir de citer la phrase en sabir dont notre chamelier s'est servi pour nous raconter l'événement : Arbi djemel, moi fousil, fantasia bezef, ce qui peut se traduire ainsi : Un Arabe a voulu voler mon chameau, j'ai pris mon fusil et j'ai tiré » — Valéry-Mayet, p. 37 et 68.

Sarrepont cite, p. 167, un échantillon plus complet de cette langue mixte, un fragment de récit, où un disciplinaire turco expose en sabir comment les Français ont pris en 1830 la villo d'Alger qui, antérieurement, avait résisté aux attaques des Espagnols et des Anglais :

1. Voir l'Appendice E : Lingua franca.

2. G'est-à-dirc le festin (en arabe, daydfeh): t Nous avons eu l'occasion de prendre la di/fa avec plusieurs marins indigènes », Valéry-Maycf, p. H. — c Ce fut pour la tribu l'occasion de diffus et de fantasias interminables », A. Dau loi, Contes du Lundi, p. 1S4.


VOCABLKS .ILOÉIUENS 153

Itrimo Sbagnoul venir fazir guerra... boum ! boum I Sbagnoul meskin .. macach trabadjar ' l)ono... no p vler chiapar l'Algir !... andar...

Venir [ngliss... fazir bo-oum!...bo-oum!... bouin!... medfa-grandi, liezcf la foumfî !... no poder chiapar l'Algir... andar !...

Venir Francis... chouïa-chouïa ! fazir basla: pi! pi! pan!... pi! pi ! pan ! basta ! Tout de suite chiapar l'Algir !... Francis bono chiapar l'Algir!

Les quolquos termes arabes, on le voit, y sont comme noyés au milieu d'une nomenclature à la fois espagnole, italienne et française.

I. — Termc3 arabes.

Le fonds des vocables importés par les soldats d'Afritjuo 3 eri relativement important, mais ces termes n'ont pénétré 0:1 français que dans la seconde moitié du xi.\e siècle *, et tout particulièrement après 1860. Ils s'acclimatèrent si rapidement que des mots comme maboul, des expressions comme kif-kif, sont compris, nou seulement à Paris; mais d'un bout à l'autre de la France. Quelques-uns de ces apports orientaux acquirent mémo, une fois transplantés, des acceptions et des nuances inconnues au pays primitif, à l'arabe algérien: phénomène sémantique que nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises. Un nouvel exemple suffira.

Soit lascar, équivalent arabe du troupier ou piou-piou, de l'arabe a'sker, .àrmée et soldat, qui désigne proprement le b.>n soldat, qui a longtemps servi': « Le titro de lascar, soldat, a pour leTurco une sonorité prestigieuse, » Camus, t. I, p. 171.

Soldat on général:.« A peine dormait-on encore. Levé à quatre heures ot demie, les lascars y étaient encore quand sonnait l'extinction des feux », Courteline, Gaietés, p. 169.

Kt tout spécialement, soldat qui connaît toutes les ficelles du métier: « Ah! voloux de métier où tout le monde com1.

com1. Il ne trouve pas bon à travailler ».

2. ^anon (en arabe, rr.edfaa).

3. M. Paul Casanova, professeur d'arabe au Collège de France, a bien voulu nous éclairer sur la provenance africaine de ces termes spéciaux. Ils manquent au Dictionnaire étymologique des riwls d'origine orientale de Marcel Dç'vic. Paris, 1877. Nous citons les vocables africains d'après J.-J. Marcel, Dictionnaire français-arabe des ditlectes vulgaires d'Alger, d'Egypte, de Tunis et du Maroc, 2- éd., Paris, 1869.

i. La Conquête d'Alger racontée par un sergent de Zouaves (Paris, 18H) n'en renferme aucun.


154 FACTEURS SOCIAUX

mande sans qu'il y ayo seulement un lascar pour savoir de quoi qu'y retourne ! » —Courloline, Gaietés, p. 12.

Ou par contre, ironiquement, soldat paresseux, débauché, insoumis : « Eh! eh ! mes lascars, il y a du bon... ce soir. Attendez un peu,.tas de vermine, je m'en vais vous montrer comment on fait des hommes», Courteline, Gaietés, p, 118. « Ces deux lascars se sont bien payé ma figure et ils m'ont fait monter à l'échelle comme un bleu, » Idem, Train, p. 102.

De là ces dill'érentes acceptions dans le bas-langage :

lu Gaillard, brave (synonyme de colon), dans Bruant, Route, p. 38 : « Va, Kamoneau, va, mon lascar... »

2° Homme rusé, malin: « Trois cents cinquante !... T'as donc marché dedans, bougre de lascar! Ah! zut! je no joue plus ». Zola. Assommoir, p. 200.

3° Individu, en général, surtout expérimenté et énorgiquo : « Est-coque le lascar n'avait pas jusqu'à une bague d'or au petit doigt? » Zola, p. 522. — « Quatre maîtres d'hôtel, quatre grands lascars, à favoris immensos », Mirbeau, Journal cVune femme de chambre, p. 261. • i° Homme débauché, insoumis : « Nom qu'on donne à tout homme de mauvaises moeurs, à tout réfractairo, à tout insurgé... » (Dolvau) : « Des marins... do sacrés lascars qui no boudent pas sur le plaisir, » Mirbeau, p. 213.

En Provence, lascar est un terme injurieux pour mauvais matelot.

Le sens favorable s'est encore conservé en Bretagne, choz les marins : « Chez les matelots boulonnais, lascar ne signifie plus que malin, rusé : il est pris en bonne part après avoir été une grande injure » (l)eseille). A Dôlc, lascar est un ternie très vague, servant à désigner un individu, un type ; pris souvent en mauvaise part (Lccomlo).

Envisageons tout d'abord un premier groupe do vocables arabes qui ont pénétré dans la langue populaire:

Arbi, Arabe (et tirailleur algérien), en algérien a'rabij, aussi, sous forme diminutive Arbicot, d'où, par aphérèse, bicot (Rossignol): « Eh YArbi, combien la viande, crie un zéphir en belle humeur... une ripaille WArbicos », Camus, t. I, p. 10 et 203. — lie. train des Zouaces :


VOCABLES ALGÉRIENS 155

Pan, pan, l'-Arôj, Les Chacals sont par ici ! Les Chacals et les Vitriers' N'ont jamais laissé le colon nu-pieds...

La forme abrégée, bicot, désigne lo tirailleur algérien.

Barca, assez (ar. barkah) : « Ali ! Et puis, barca! je dirai au major que j'ai mal à lagorgo », Courteline, Gaietés, p. 105.

Déni, nom qui figure en tète des tribus arabes {ben, fils, pi. bentj): les Beni-Yousouf, c'est-à-dire les enfants ou les hommes de la Iribu de Yousouf. La langue populaire on forme divers composés plaisants : Beni-coco, imbécile (« être de la Iribu des béni-coco », Merlin); bèni-boujje-tout, gendarme (Rictus, Soliloques, p. 17).

Béni-Mouffetard, sobriquet donné par les troupiers d'Afrique aux faubouriens de Paris, et particulièrement aux habitants du faubourg Saint-Marceau : « Le nez est franchement béni-mouOetard, camard, aux narines ouvertes, point bridé, spirituel » (C. de Perrière, 1873, cilé dans Larchcr).

Bezef, beaucoup (de l'algérien bi'^ef 2, abondamment) : « Picaillons, pas bezef dans le métier » (Ginisty). — « La GuilInumeltc, cependant, demeurait contemplant dans sa main ouverto les cinq francs soixante de voyage. A demi voix... il dit enfin : c'est pas besef, » .Courteline, Train, p. 58.

Mot devenu populaire : « Y a bexef... tout un matelas de fall'os, » Rosny, Hues, p.-178. — « Des pauvres affiches, trois heures après l'affichage, il n'en restait pas bexef, » Père Peinard, 1" févr. 1891, p. 3.

Cahoua, café (de Par. q alloua h), à côté de caoudji (algérien qahouadji, cafetier), déjà mentionné : « Cécile a pas voulu qu'on suce auto chose que du c'ahoua, » Rercy, XLIIP lettre, p. 1. — « Le kahoua d'Ibrahim le cahouadji est bono bezef, » Valéry-Muyet, p. 35. *

Chou'ia-chou'ia, doucement : « La répétition du mot est fréquente dans la langue arabe populaire d'Algérie» (Casanova) : chowjéh cfioutjélt, mémo sens : « Ah, bon non, en voilà assez! — chotiya ! choutja ! — Knlevez-lc, » Courteline, Train, p. 70.

Cleb, chien, à côté do kàlb, nom arabe du chien, terme devenu tout à fait populairo (Rossignol) : « liât ben-kelb! ArI.

ArI. Vitriers ou Casse-carreaux est In scl.ri<[U;?( donné au (jhasseurs à pied (v. Delvau sur l'origine de ce nom).

2 Par l'intermédiare des ï.ovaniins, ce mot a passé d> bonne heure en Italie; Oudin (lie'herches, 1612) donne déjà : a bizze/f'e, en quantité.


156 FACTEURS SOCIAUX

ricrc, tas des chiens ! » Camus, t. I, p. 185. — « On aurait dit un cleb ' échappé de la fourrière... On a bien fait de s'arrêter... ça habitue le cleb à notre odeur, » Rosny, Hues, p. 98 et 321.

Gourbi, hutte de branchages et de terre sè.'he, cornmo colle des Kabyles et des Arabes cultivateurs. Ce mot se lit à la fois dans Bruant (Rue, t. II, p. 55), à propos de Biribi, et dans Jehan Rictus (Doléances, p. 16), avec le sens généralisé de logis ou demeure primitive.

Kif-kif, pareil, tout comme (algérien ktjf), mot répété de même que chouïa-chouia (adverbe : pareillement, de même)..

1° Dans 5>'. bouche d'un Algérien : « Arbi bono, kif-kif Francis, je suis un bon arabe, ami des Français, nous dit il humblement », Yaléry-Mayet, p. 09.

2° Dans le langage des casernes : « Tu m'as fourré au pieu, kif-kif eune maman, » Courtclinc, Gaietés, p. 16. — « C'est pas dégoûtant à la fin que c'est kif-kif toutes les fois. » Idem, Train, p. 69.

3° Des troupiers, l'expression a passé chez les ouvriers : « Les compositeurs emploient l'expression kif-kif', pour dire qu'uno chose est la même qu'une autre: c'est kif-kif, c'est équivalent, c'est la môme chose » (Boutmy). — « Sans calendrier... on vivoterait à l'aveuglette kif-kif les animaux », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 2.

Cette locution est devenue tout à fait populaire, surtout sous sa formo complète : kif-kif bourriquot 2 : « Une fois frusques, on leur apprend à marcher, à parler, à saluer... Pour le reste, c'est kif-kif bourriquot », Almanach du Père Peinard. 1896, p. 38.

Maboul, fou, toqué (algérien, mahboul. fou): « Des clameurs et des rires au milieu desquels nous distinguons nettement les mots spahis maboul », Valéry-Mayet, p. 83. — « C'est-y que t'es maboull dit le chef. — Je suis pas maboul. que je réponds », Courtclinc, Gaietés, p. 35.

Mot devenu tout à fait populaire: « File était un'peu ma1.

ma1. en a tiré le dérivé: débet, mander (Rossignol), c'est-à-dire dévorer comme u» chien, à celé de dehjer, manger (II.-France: klebjer), co dernier croisement des .synonymes clébrr et manger: t Pas un rotin, pus rien à débet' et nib de porlot! Ah! j'étais bath! » (cité dans Uruant, Dicl., p. 'Mi), Ce mot se lit déjà dans un glossaire argotique de 1840.

2. Voir, pour l'origine libre do celte expression, l'explication qu'en donne Rossignol. — Le Dictionnaire de la langue franque (1830) donne: bouriqua, âne, et le (iénôral Faidherbe, dans l'article mentionné, cito cette phrase en *«• bir : « Sbanloul clnpar(a volé) bourrico •.


VOCABLES ALGÉRIENS ' 157

boule », Huysmans, Soeur Marthe, p. 48. Il a passé dans les parlers provinciaux : Bretagne (Dôle) Anjou, Bresse, etc.

Macache, non, pas du tout (ar. algér. makanch = classique makdinch) \ « Expression négative: macache argent, pas d'argent; macache bezef, pas beaucoup » (Ginisly).

Voici quelques exemples du milieu des casernes : « Macantsche, en ta maboul? Non, tu es fou ! » Camus, t. I, p. 11. — « Débouta trois heures du malin! Ah! macache! » Courleline, Gaietés, p. 158. — « D'abord, à partir d'aujourd'hui, (lui les permissions ! macache les permissions ! rasibus les permissions! » Idem, Train, p. 258.

On dit, avec le môme sens macache bono (v. ci-dessous): « Tète des galonnés quand on sonne l'exercice; macache-bono, y avait plus personne », Père Peinard, 17 août, 1890, p. 5.

Smalah, famille nombreuse, marmaille (de l!ar. algér. jmala = class. ^amala, famille d'un chef et son mobilier). Terme devenu populaire et figure, comme tel, dans la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie.

Se'rouel, pantalons larges ol flottants comme les portent les Zouavcj, de l'ar. algér. serouâl, culotte, pantalon (l'algérien cherouâl est la prononciation africaine du turc chalwâr) cl pantalons en général : « Les baguenaudes de mon se'rouel sont déglinguées » (Rossignol). Cf. Valéry-Mayet, p. 10: « En Tunisie, le pantalon bouffant au-dessus du genou, séroual, collant sur la jambe, va jusqu'à la choville ». Rappelons (pic charivari, au sens do pantalons de cavalier (garnis do cuir onlro les cuisses et do boutons sur les côtés), emprunt du russe charivari/, pantalons Reliants, dérivo de la mémo source orientale.

'/.ébi, membre viril (ar. xebbi, mon membre: algérien, àob, ;obr, niembro viril); zèbi morto, impuissant: « Bahl objecta l'ancien lurco, quand il sera entre deux belles moukercs, il ne restera pas longtemps zébi-morto ; moi je vous le dis » (cité dans Bruant, DicL. p. 261).

L'expression peau de xébi (tobi) est une formule de refus : rien ! « Peau de zëbi, ce mot qui se dit souvent, môme dans les cafés-concerts, ne veut toujours rien dire do la façon dont il est employé » (Rossignol).

Voici quelques citations: « Eh bon, je vas préparer peau de ballo et peau de sèbie... Vous signeriez donc des billots? — Je vas y signer peau de <èbie ». — « Ici, les hommes cd la


1ÔS FACTEURS SOCIAUX

classe, comme vlà moi, ont tout juste peau de sêbi. peau de balle et balai de crin ! Courleline, Gaietés p. 10, 261 et 296.

Le mot est parfois francisé en zèbre (Yirmaîlre, Suppl.)ou réduit en *ébe (Rictus, Coeur, p. 88).

Passons maintenant à un deuxième groupe d,e vocables restés confinés dans le milieu des casernes :

Barda, fourniment (limant), liavresac du troupier (Rossignol), de l'ar. bardait, bagages : « Le barda ne io fait pas caponncr », Camus, t. I, p. 196.

Chéchia, bonnet rouge, à la façon des Turcos (de l'algérien châchiijeh. bonnet, proprement do mousseline), mot employé par limant, à propos dcXazcsou tirailleurs algériens {Route, p. 92): « Ils vont la chéchia sur l'oreille, Marchant au son do la nouba. »

Goum, contingent de combattants fournis par les tribus' algériennes, de l'ar. algérien goum (class. qaum), troupe, dans Sarrepont, p. 172 : « Un vieux goum d'Àrbis... »

Guitoune, maison (de l'ar. algér. guitoun. tente de voyage = class. kitoun): « Où vas-tu? — Je rentre à la guitoune » (Rossignol).

Kasba, citadelle et palais d'un souverain, de l'ar. algér. qasb'ahou qaçaba, château: « Ce qui frappe dès l'abord dans la ville moderne doGafsa, c'est la kasbah, citadelle, tout un quartier entouré do murs crénelés », Valéry-Mayet, p. 107.

Kébir, chef do corps (Merlin), de l'ar. kebir, grand : « lui remerciement do l'officier kébir », Camus, t. 1, p. 210. — « Il a été a la caserne avec ses cinq loupiots et il a dil.au kébir..., » Bercy, lettre XXXVI' 1, p. 7.

Au sens généralisé (prononcé aussi kibir) pour chef ou patron : « Le grand kibir des agents do police est le préfet » (Rossignol).

Mnucala. fusil (Merlin), de l'algérien tnokahâlah, carabine, fusil: « Le lurco est maître do son moucala, et il le manie presque aussi bien que l'instructeur lui-même », Camus, t. I. p. 182. — « Les Arabes sont armés d'un fusil à pierre, la Ion guo moukhala », Yaléry-Mayot. p. 70.

'Nouba 1, musique des turcos (sur des airs populaires arabrs (v. ci-dessus v° chéchia).

I'Itécy, calotte des chasseurs d'Afrique (de Par./eW, coill'ure

1. Ce mot ïi (lui, lui aussi, par devenir populaire pendant la Grand*' Guerre. Voir nolro Aryol des Tranchées, p. b7.


VOCABLES ALGÉRIENS 159

de Foz) : « Est-ce que je porte mon phêcy comme uno tourte, gronda-t-ii » (cité dans Bruant, Dict., p. 287).

Terme passé à l'Ecole polytechnique, où le phêcy est aujourd'hui remplacé par le calot.

Roumy, chrétien {ouroumy, roumy, nom quo les Algériens donnent aux Grecs et aux chrétiens) et soldat nouvellement débarqué en Afrique', de l'ar. lioum, Rome, Romain, catholique : « Les Arabes savent quo les lioumis cachont le schaouch, que derrièro lo sabre, il y a le bâton », Camus, t. I, p. 211.

Toubib, médecin major (IL-France), de l'ar. algér. tebyb (class. tabyb), à côté de toubib-, élève de l'école do chirurgie militaire (Bruant, Dict.. p. 181): « Puis h toubib. — Ah! le docteur... ». Frescaly, p. 55. — « Tout Français est réputé tebib, médecin », Valéry-Mayet, p. 10.

Youcli, juif algérien, juif en général (yhoudi) : « C'est un youdi qui fourguait delà brocante.,. » (cité dans Bruant, Dict.. p. 58).

Un autre nom africain du juif, deldinek, se lit dans co passage: « Les juifs... quiens, quand quo j'en renconte un... je l'appelle youdi, youpin, mercanti, deldinek, eq coetera », Bercy, XIVe lettre, p. 1.

M. Casanova y voit une déformation do l'ar. alger. na'ldinek, Dieu maudisse !

Ajoutons le suffixe dji (écrit aussi tji ou ji), fourni par le sabir et propagé par nos troupiers d'Afrique. Caoudji \ café (proprement cafetier, à côté de caoua), en a été lo point de départ et a produit par voio analogique cogneyi, cognac \ et fromyi, fromage 5, ainsi que cabji, caporal 6, à côté de cabot ; croeji, soulier, à côté do croquenot (Bruant, Dict., p. 411); pétgi, pétard (Rigaud), etc.

II. — Emprunts espagnols. Nous venons do passer en revue les vocables arabes du .s«-

1. M. Krescaly a risqué lo dérivé derownker, dégourdir: « Tous les services incombent aux jeunes ofliciors pour les riérottmiser plus vile », p. 20.

2. Macé, Mes Lundis, p. 2.i0, donne- lo mot.sous la forme altérée, trombif, iiiëdivlii (passée riiez Delcsalle et H.-France).

3. « Aux IJult-d'Af, quand on veut lioirc unn tasse de café, faut Venir ^ la ciUiline, et la mère Tambour vous sert ça avec un air grognon: Faut casquer, les joyeux, sans ta nisco do c<iowtji\ » Métônicr, l.ulie, p. 93.

I. « Allons, Firmin, encore un coup do cor/neyi, ça t'n donnera des forces »

(dans limant, Dict., p. 112). '■>. Hictus, Cirur, p. dI8 : t Ht du fromyi dans les doigts do pied... • <>• « Tous les cabgis et les pieds de banc l'ont tenu à l'oeil t, Bercy, A'.YAT/C

lettre, p. 4.


160 KACTEUKS SOCIAUX

bir; voici maintenant les aulrcs éléments de ce langage polyglotte, et en premier lieu les ingrédients espagnols :

Agua ', eau (Rossignol): « A s'a f... de Vagoua à toute à riicure », Bercy, XXVI* lettre, p. 7.

Bourricot, âne de petite taille, en Algérie (esp. borrico): « Un de ces tout petits ânes qui sont si communs en Algérie et qu'on désigne là-bas sous le nom de bourriquots », A. Daudet, Tartarin, p. 114. Nous avons déjà montionné la locuti n sabir « kif-kif bourriquot ». Cette dernière forme s'est généralisée (à côté de bourriquet) : « On charge sur les bourriquots tout co qu'il y a.vait de précieux dans la turne ». Aima.- nach du Père Peinard, 1891, p. 50.

Champoreau. en Afrique, sorte de café concassé cl fait à froid ; en France, dans les casernes, café froid ou chaud (Merlin). C'est un mélange do liqueurs, ou de café au luit et de rhum, dérivant do l'espagnol champorro 2, mélange (cliampurrar, altérer par mélange, frelater des eaux-de-vic) : « Le temps d'aller se gargariser avec un champoreau ou un petit sou, dont un calvados impétueux ranimait les vertus équivoques », Descaves, Sous-OJfs, p. 31.

Fantasia, divertissement équestre des cavaliers militaires, particulièrement des cavaliers arabes (proprement fantaisie 3) : « A la première/antost'a, je tâcherai d'en ramasser d'autres, répondit notre héros », Camus, t. I, p. 201. — « Abd-Allah, spahi, Arabe ou plutôt Hcrbcre de Soussc, interprèlo plus do sabir que de français, Tunisien dans l'unie, autrement dit un peu couard, fantasia bczef, faiseur d'embarras », Valéry-Muyet, p. 77.

C'est un terme caractéristique en Algérie et en Tunisie: Fantasia y désigne l'ostentation, la parade, l'éclat, mais aussi l'arrogance, la morgue, l'embarras.

Moukère, mouqueira, femme, maîtresse, prostituée (do l'esp. mujer, prononcé moukhère) : « Avec eux nous séduirons les moukeiras, qui, vous le savez, s'alfolent de tout ce qui brille... licl homme, au dire des moukeiras qui l'adorent », Camus, t. I, p. 67 et 174. — « Il y rôde bien dos mouqueires, un tas do moricaudes », Méténior, Lutte, p. 92.

1. « Toi bibir lagua » est un des échantillons du sabir donnés par le Général Faidherbe (article cité).

2. On a inventé un docteur portant ce nom : « Un bienfaiteur de l'humanité, le docteur Champoreau, a inventé le breuvage qui porto son nom », Sarreponl, p. 153.

3. i Si les gosselines pouvaient s'attifer gentiment, s'enrubaner à leur fantasia », Almanach du l'ère Peinard, 18'Jl, p. 11.


VOCABLES ALGÉRIENS 161

Presto, promptement, et sulito, subitement, vocables qu'on lit fréquemment dans le Père Peinard: «... jésuites qui, chassés par la porte, rentraient sobito par la fenêtre... », 20 janvier 1897.

Arrêtons-nous à ces quelques emprunts positifs. D'autres ont été allégués, niais ils ne résistent pas à l'examen l.

III. — Emprunts italiens.

Basta, assez ! (Merlin) : « Quant au perlot, basta, y a plus plan de fumer », Père Peinard, 23 juin 1889.

La forme francisée baste! a été usuelle auxvie siècle (Guill. Uouchct) et au xvne (Corneille et Molière): elle ost encore vivace dans la marine. *

Voici maintenant les termes levantins :

Dono. bon: « Bono! Bono!... criaient les turcos au choeur, ce qui signifiait: Très bien! » Camus, t. I, p. 221. — « Bono! déclara Hurluret, en suçant-.lb retour de ses fortes moustaches », Courtolino, Train, p. 30.

Surtout dans les locutions, bono besef, très bien ; macachebono, ce n'est pas bien : « Mecantsche bono, c'est un mauvais procédé, réplique lo conscrit impatienté », Camus, t. I, p. 179. — « On n'en pouvait* rien tiror quo des bono besef, macache bono », A. Daudet, Contes du Lundi, p. 168.

Citons ce refrain de la chanson d'une négresse et d'un zouave:

Maçache bono ! Répondit la négresse;

Macache bono! Répondit lo turco... 2

Locution devenue populaire, comme expression du refus : « Ils nous lâchent la bride s'ils savent que nous n'en profiterons

1. On lit dans La Défeme de ta langue française do M. A. Dauzat (Paris, 1912, p. 60) : t (îo n'est pas un hasard cependant si l'Espagne a donné à l'argot moderne ses mendigos et son agita — devenus mendigol et agout (écrits à tort avec <) — en y joignant le mot frio : le froid est particulièrement sensible en Castllle, et les Espagnols sont particulièrement frileux ».

On ne voit pas bien comment, de la Gaslille, frio aurait pu pénétrer dans le lias-langage parisien (frio et frisquet, synonymes, sont d'ailleurs le môme mot, v. ci-dessus, p. 110). Remarquons en outre (\u'agoul, forme provinciale pour égout, emprunt intérieur, n'a rien de commun avec agoua, importation . récente d'Afrique; et que mendigo se trouve dans lo même cas que frio (v. l'appendice E).

2. Cite parO.Tliurau, Der Refrain in der franzosischen Chanson, Berlin, 1901, p. 298,

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162 FACTEURS SOCIAUX

pas pour faire du chabanais ; sinon macache bono, c'est comme des dattes », Père Peinard. 7 février 1892, p. 5. i Mercanti, marchands algériens de denrées et liquides, à la suite des armées (c'est le pluriel de l'it. mercante, marchand) : « Les mercantis, ces providences ambulantes des corps expéditionnaires, avaient expédié leurs provisions », Camus, t. I, p. 146.

Le mot se prend fréquemment au sens péjoratif de traficants (v. H.-Franco). Il tend à devenir français.

Turco, tirailleur algérien, proprement Turp, au sons do mahométan (Bruant, Route, p. 190) : « La grande tenue du Turco, »,

Cette nomenclature, que nous pouvons maintenant embrasser dans son ensemble, n'est pas dépourvue d'intérêt. Los trois couches que nous y avons discernées — vocables arabes, espagnols et italiens — sont certes do valour inégale. Les termes arabes importés du nord de l'Afrique en forment le fond, tant par le nombre que par les notions qu'ijs représentent. Une bonne partie d'entre eux ost venue onrichir le vocabulaire du bas-langago parisien. Cotto influence n'est d'ailleurs pas restée confinée au lexiquo; on a relevé ailleurs les traces d'ordre morphofogiquo qui dérivent de la môme source. '-

Ces emprunts du sabir algérien (dont quelques-uns comme gourbi% smalah et turco* ont fait leur enlréo dans la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie) constituent la plus récente couche' d'une influencé orientale qui, à différentes époques, a pénétré en France, non pas directement de l'Orient, /nais plutôt par l'intermédiaire de l'Espagne et de l'Italie.

1. Elle vient de s'enrichir récemment de nouveaux éléments que les troupi-rs d'Afrique ont apportée en France, dans les tranchées, pendant les deux premières anuées de la Grande Cluorro, Voir, à cet égard, notre Argot des tranchées, p.,56 à 59 et l'Appendice final du présent ouvrage.


CHAPITRE II

MARINS

Do tout temps les matelots ont fourni des termes pittoresques dont abonde leur langage :

Los mathurins ont une langue, Où le verlië n'est point prison. L'image y scintille à foison, Or vierge dans sa rude gangue, i

Des vocables, comme aborder, bas-fonds, calme, échouer, etc., ont primitivement appartenu aux gens de la mer.

Dans la constitution du langage parisien de nos jours, le contingent fourni par les marins est un des plus importants 2. Des ports et des villes maritimes, ces termes spéciaux, grâce à la facilité des communications et au mélange fréquent des classes sociales, se sont répandus à Paris et dans tout le.pays.

. I. — Expressions caractéristiques.

Les marins ont tiré du vocabulaire nautique des images frappantes qui souvent n'ont pas franchi le milieu spécial où elles ont été créées. En voici quelques-unes (d'après Bonnefoux et Pans) :

litre pris dans la balancine, se trouver dans une situation forcée et pénible; compter ses chemises, vomir par l'effet du mal de mer (allusion à la position penchée); n'avoir ni quart ni gamelle, n'avoir rien à fairo à bord ; jeter un coup de sabord, donner le coup d'-oeil du maître, vérifier l'ouvrage (sabord, fenêtre, et, au pluriel, yeux); suijD'é, qui porte des vête-/

1. nicheptn. La Mer : t Parler Matliurin ».

2. Nos sources :

Jal, Glossaire nautique, 1818, et Bonnefoux et Paris, Dictionnaire de mafine, lS'iO. — E. Deseille, Glossaire du f.atois des matelots Moutonnais, 1884. — <j. do la Landello, Le langage des marins, 1859.

Abbé G. Mazo, Elude sur le tangage de ta banlitue du Havre, Le Havre, 1903. — A. Dagnot et J. Malhurin, Le parler ou langage populaire Cancalais, SaintServant, 1900.

Jean Richcpin, La Mer, 1876, et Yanno NMbor (Albert Robin), La Chanson des Cols-bleus, Chants populaires de la flotte française, 1901.

Louis Roycr-liebab, Les Forçats dt la mer, vingt-quatre heures deborde'e,\W&.


164 FACTEURS SOCIAUX

1 ments élégants ou neufs, semblable au navire dont la carène a été cnduiu£do suif (de là suijfard ', bien mis, élégant); — . tremper le ne* dans le vinaigre, ossuyer une tempête 2, etc.

II. — Mots de jargon.

De toutes les langues spéciales, colle des marins est la plus originale, n'ayant fait au jargon que des emprunts isolés auxquels ils ont généralement imprimé un cachet à part. Ce sont les termes suivants:

liocard, chez les marins, cabaret de bas-étage, nom tiré du jargon (Vidocq):

Dans leurs hamacs, et dans leurs locards, j'ai dormi.

(Richepin, Mer, p. 5).

Desgranges le mentionne déjà comme tel en 1821 : « Un bocard, en langue de marin, est uno tabagie où vont les filles do joie ; mais ce mot n'appartient qu'à la racaille ».

Enoergner, duper, attraper : « Ce mot s'emploie familièrement dans le sens d'embarrasser, en parlant des choses, ou, au figuré, dans le sens d'une position fâcheuse, difficile ou seulement désagréable, on parlant des personnes » (Bonnefoux). Lo terme signifie proprement encitadiner (de l'argot vergue, ville): pour lo marin, la vie urbaine a quoique chose d'embarrassant, de pénible, dont il s'empresse de sortir, de se déoergner. Le Parisien 3, aux yeux des matelots, esllo beau parleur, mais il passe pour niais, novice (il désigne, dans les bâtiments, uiv pauvre sujet et quelquefois un mauvais sujet).

Redouiller, vexer, ennuyer (Bonnefoux), c'est proprement faire des cheveux, des douilles.

Inversement, la marine a fourni au jargon des lormes libres (tels que godiller), et toute uno nomenclature pour ex1.

ex1. Est-il assez sttîffard, l'animal? » Zola, Assommoir, p. 523.

2. i L'autre nuit, si vous m'aviez vu tremper le net dans le vinaigre avec la solide équipe du Bleu-Blanc.-Rougo, je ne renâclais pas », A. Daudet, Petite Paroisse, p. 133.

3. « Un marin, c'est celui-là, Yoyez-vous, qui n'est ni pioupiou ni Parisien, sauf votre respect; un homme comme moi, quoi !» 0. de la Lalandelle, Les Gens de mer (cité dans H.-France).

« Parisien, sorte d'injure à un matelot. Désignation, dans les bâtiments, d'un pauvre sujet, et quelquefois d'un mauvais sujet. Cela vient sans doute de ce que le plus grand nombre de jeunes gens de la capitale qui allaient s'embarquer arrivaient dans les ports avec des vices et peu de dispositions pour un métier qui demande de la forco, de l'agilité, un goût décidé, au lieu d'étro énervés », Willaumoz, Dictionnaire de marine, IIl« éd., 1831, v° Pari sien.


MARINS 165

primer l'escroquerie : arcasse, drague, etc., tandis que des noms de vaisseaux {corcette, frégate, etc.) y désignent l'amour anliphysique.

III. — Beuverie et débauche.

La vie pénible dos marins s'épanche souvent dans des ripailles, dans des orgies. Plusieurs de ces termes ont produit des métaphores aux acceptions défavorables. La mauvaise réputation des matelots est ancienne, et tout particulièrement celle du calfat. qui désigne un fainéant, un salaud. Au xvie siècle, gallefrelier,'nom du calfat chez Rabelais, est devenu ultérieurement une appellation du coquin, du misérable, du vagabond, à peu près ce que la langue moderne exprime par gouin, mauvais matelot, mauvais garnement.

De là une première catégorie de vocables désignant la débauche:

Biture, cuito, proprement dose de boisson excessive, dans la locution: prendre {se flanquer) une biture 1, s'enivrer, être très ivro. Dans le langage maritime, biture désigne la portion déterminée d'un câble, « qui doit se filer librement d'ellemême, après qu'on a laissé torpber l'ancre sur laquelle il est étalingué; de là, chez les matelots: dose do liquide ou de boisson spirilueuso prise avec abondance » (Bonncfoux).

Chez les matelots boulonnais: s'en donner einebiture, s'enivrer (Deseillo). Un gabier composa une Barcarole de la biture, chantée par l'armée de lorre (Sarrcpont, p. 114).

Des marins, l'expression a passé dans le bas-langage: « Encore une biture à la clef », Descaves, Sous-offs, p. 69. — « Ah! mon salaud, dit le conteur, tu parles d'uno biture. Et quand ils ont dégotté le Champagne, mince de bombe! Seulement voilà, quand is ont été cillasses, is s'ont foutu à goualcr comme des perdus », Liart-Courtois, p. 213.

Il est à remarquer que le sens du mot s'est généralisé dans les parlers provinciaux. Biture désigne, on Dresse, un repas copieux (Guillemaut) et, à Nantes, une grande quantité de nourriture. 2: « Se flanquer uno bonne biture de patates frites »

1. On m a tire : se bUurcr, s'enivrer (et manger copieusement, boulottor, dans l'argot do Polytechnique) : c Tous les jours il se biture » (Briollet, 't:nis Uruant, Dict., p. 195).

2. A Polytechnique, biluret aujourd'hui vieilli, désignait à la fois une nourriture copieuse et uno grande quantité. (« On disait une biture d'objets pour un grand nombre », Argol de l'X).


166 FACTEURS SOCIAUX

(Euilel). Colto dernière acception s'est enectre généralisée dans l'Anjou, où le mot s'applique à une pèche fructueuse : « J'avons pris du gardon, en masse, y en avait une biture » (Verrier et Onillon).

Bordée, débauche prolongée, proprement route que fait un navire au plus près, sans virer do bord {tirer ou courir des bordées, louvoyer en chaugeant des amures).

i° Chez les matelots : « Courir ou tirer cine bordée, faire la noce (Deseille).

2° Chez les soldats : « Tirer une bordée, octroyer une permission ou prolonger celle qu'on a » (Ginisty), pour aller courir les mauvais lieux : (( Ces bordées duraient six journées », Courtoline, Gaietés, p. 156.

3° Chez les ouvriers, débauche de cabaret : courir une bordée, s'absenter do l'atelier sans permission pour aller courir les cabarets: « lié, arrivez-vous, c'est Kiche-eivGueulo qui régale; la bordée est commencée... Il tire une bordée de quatro ou cinq jours », Poulol, p. 73 et 8t. — « Le zingueur lâchait l'ouvrage, commençait une bordée qui durait des journées et des semaines. Oh! par exemple, des bordées fameuses, une revue générale de tous les maslroquets du quartier, la soûlerie du matin cuvée à midi et repiucée le soir, les tournées de casse-poitrine se succédant, se perdant dans la nuit », Zola, Assommoir, p. 330.

4° Chez les filles, noce, ainusoment : « Ils finissaient par accepter les bordées do Nana », Idom, Assommoir, p. 197. ; llosse, synonyme do biture, désigne proprement un fort cordage servant à tondre un câble, d'où, chez les matelots, partie désordonnée de plaisir ou de débauche, sens figuré familier au bas-langago: « La partio s'annonçait très bien, pas une bosse à tout avaler, mais un brin de rigolado... Ah! nom de Dieu! oui, on s'en flanque une bosse!... Vrai, on voyait les bedons se gonfler à mesure », Zola, Assommoir, p. 70 !et 228.

Le terme nautique s'est greffe sur son homonyme do la langue générale: « Se faire une bosse, locution basse et triviale qui signifie ribotter, s'empilfrcr, se mettro dans les vignes du Seigneur », lit-on déjà dans d'IIautel (1808); et dans les parlers provinciaux, se faire une bosse, so rassasier (Anjou), etc.

Rappelons l'expression bitte et bosi.e! le dernier commandement relatif à l'amarrage du navire qui vient do mouiller


MARINS 1G7

une ancre: « Il emporte l'idée d'achèvement, il emporte aussi celle du repos. Or, le repos pour le marin, c'est la terre et ses plaisirs; si bien que bitte et bosse! est encore le cri du matelot qui fait bombance dans un cabaret » (Do la Landclîe, p. 279).

De là bosser, s'amuser, chez les matelots et los soldats : « Histoire de dire le lendemain : Vrai alors, ce que/CM bosse hier! », Gourteline, Train, p. 292.

Drive, dérive, débauche (« être en drive ») : En drive, ou en dérive, se dit proprement d'un navire flottant au gré du vent, des lames et des courants. Chez les matelots boulonnais, s'en aller à la dérive, c'est être fort malade, et s'en aller en dérive, en débauche (Desoille).

Vadrouille, drôlesse, proprement balai fait de vieux cordages servant à nettoyer le pont des navires, d'où fille qui traîno dans les ports de mer ou prostituée de tavernes. Do même, à Mée, dans îa Haute-Bretagne, on appelle drague l une femme vagabonde et de mauvaise tenue (Leroux).

Mot devenu populaire : « Sou loup de père l'appelait vadrouille », Zola, Assommoir, p. 428.

De là, vadrouillér, traîner dans les bouges, aller de cabaret en cabaret; et le dérivé secondaire vadrouille., promenade de débauche (en parlant des filles) : « Elle aulenàit des types ignobles qui la lâchaiont aussitôt... Ces vadrouilles devenaient * de plus en plus clairsemées », Rosny, Afaiihe, p. 43.

Les parlérs provinciaux (Anjou, Bresse» etc.) disent, avec le même sens, badrouiller d'où, la prononciation negligéo parisienne badouiller, courir les bastringues : badoullle, homme lâche, et badottillard, viveur, noceur : « Les boUsingots se firent viveurs... Ils prirent le noble nom do badouillardSi Pour cire bon badoliillard, il fallait passer trois'ou quatre nuits au bal, déjeuner toltto la journée Ot courir en costume de masque dans tous les cafés du quartier latin jusqu'à minuit... », Privât d'Anglcmonl, 1854, p. 189.

Le sons primordial du verbe est : se traîner dans la farige, barboltor (Havre i vadrouille/', mémo sens, à côté de se vaudra 1, se vautrer).

Ce sont les marins normands ou bretons qui ont ititrodtlit dans le bas-langage les termes désignant des bouges ou de mauvais licuS:, termes qu'ils avaient eUx-mênies recueillis de la bouche des matelots anglais : '

1. Inversement, la drague est appelée Marie-Salope, à la Hochelle.


"5S!"*3&i

168 FACTEURS SOCIAUX

Bpxon, lupanar (mot donné par Vidocq), répondant à l'anglais vulgaire boseon, cabinet particulier do taverne. On lit ce vocable dans Jeh. Rictus (Doléances, p. 198).

Bousin, cabaret b,orgne, terme donné par d'Hautel (1808) : « Bousin, terme bas et incivil qui signifie tintamarre, tapage, bruit scandaleux, esclandre; et par extension, tripot, lieu de débauche et de prostitution. Cette maison est un vrai bousin, pour dire qu'elle est mal gouvernée, que chacun y est maître; faire un bousin de tous les diables, c'est-à-diré un vacarme, un bruit extravagant que font ordinairement les gens vifs et emportés lorsqu'ils sont en colère et les ivrognes dans leurs orgies ».

Le mot désigne tout d'abord la débauche des matelots et spécialement le bouge, théâtre de leurs orgies; en second lieu (contrairement à la filiation donnée par d'IIautel et Liltré) le bruit ou le désordre qui les accompagnait : « Un vrai bousin, leur chez eux, à cette heure », Zola, Assommoir, p. 417.

Le terme a pénétré en français par rintermédiairo du patois normand, qui l'a reçu à son tour de l'anglais populaire bowsing, cabaret borgne, celui-ci d'origine jargonnesquo : bowsing kcn, maison de boisson, brasserie, se lit dans le plus ancien recueil du cant donné en 1566 par A. Harman.

Le dérivé bousingot, d'unprimilif bousing, a le même sens que bousin : « Il allait à « La Puce qui renifle », un petit bousingot où il y avait un billard », Zola, Assommoir, p. 336.

Bousingot désigne, en outre, le petit chapeau do matelot en cuir bouilli et les jounos républicains après la révolution de 1830 (qui l'avaient adopté). En normand, bousingot a acquis le sens d'homme petit et mal fait.

IV. — Vie pénible.

Voici les termes qui se rapportent à la vie duro des matelots :

Affaler, tomber, s'affaisser : « Un bâtiment s'affale lorsqu'il perd sous le vent, c'est-à-dire que, malgré ses efforts pour s'éloigner d'un point situé sous lo vent, il lui ost impossible d'y réussir et même qu'il va toujours on s'approchant; do là, être affalé sous le vent, se trouver dans une position lâcheuse ou désagréable » (Bonnefoux).

Généralisé dans la langue populaire : « Du premior coup do


MARINS 109

poing, je l'ai affalé... Je suis fatigué, je vais m'affaler sur mon pieu » (Rossignol).

Barder : i° Sens nautique, pousser loin de la bonne voie : « Le vent les a bardées contre la pilo du pont » (Verrier),

2° Sens généralisé : Courir vite (du cheval), aller de côté et d'autre (d'une voiture rapide), la première acception usuelle dans le Bas-Maine; la seconde, dans la Brosse; do là: ça barde, ça va, ça convient : « On s'arrangera. Et ça barde, vous autres? — On marche! » Rosny, Rues, p. 241.

Dans les casernes barder veut dire manoeuvrer, comportant une idée do fatigue, d'excès : « On barde, je ne dis pas, mais la rovue de demain est supprimée », Descaves, Sous-Offs, p. 21.

En Languedoc, barda, signifie plaquer, jeter contre, jeter à terre violemmont, proprement couvrir de boue (de 6a/'c/, boue).

Bourlinguer, vivre péniblement (d'où bourlingue, position précaire), terme nautique dès la fin du xvme siècle au sens de : éprouver de la fatigue à cause du mauvais temps ou des manoeuvres longues et pénibles : « Bourlinguer est un de ces verbes énergiques perpétuellement dans la bouche des matelots » (De la Landcllc, p. 201).

Voici quelques exemples de cette acception technique :« Moi, j'ai bourlingué dans les pèches d'Islande... Tu fais beaucoup de bruit et pas beaucoup de travail comme tous les Mocos. ça en fout pas une datte! Ah! si ça serait les Bretons, pour bourlinguer, y a pas comme eusses », Boyer-Robab, p. 66 ot 7o.

Ce verbe a acquis, dans le bas-langage parisien, le sens de renvoyer quelqu'un, d'où bourlingue, congé, renvoi, et bourlingueur, patron grincheux, ayant toujours la menace à la bouche (IL-Krance). Le patois normand dit, de môme, boulinguer, envoyer promoncr.

Ecoper, boire « dans le jargon des typographes » (Delvau), proprement vider avec une écopo l'eau qui entre dans une chaloupe ou dans un canot. Le sons de « boire » a amené celui d'attraper des roproches, des coups, etc., môme évolution do sens quo pour trinquer, boire et être la victime, payer les pots cassés.

1° Dans les casernes, recevoir une punition ' ou des horions (Merlin) : « Jo dis, répondit lo brigadier, quo j'ai c'eopé de deux jours pour l'avoir annoncé comme permissionnaire de

1. Ht, aussi, attraper une avarie, une blnssure, ut:e maladie (synonyme d'c'trenner).


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170 - FACTEURS SOCIAUX

dix heures... », Courteline, Gaietés, p. 213. — « Il avait écopc de deux jours sur le terrain des manoeuvres », Idem, Train, p. 74.

2° Chez les ouvriers, ironiquement (aussi avec une nuance favorable) : « Avant de commencer, j'ai ëcopé mon abattage (c'est-à-dire : j'ai reçu des éloges pour mon travail) », Poulot, p. 177. — « Ceux qui écopcnt... ce sont les prolos », Almanach du Père Peinard. 1891, p. 51.

3° Chez les apaches et les filles : être condamné à la prison (Delcsalle) : .« J'y ai rendu service à un moment où il allait écoper », Méténicr, Lutte, p. 92.

Embarder, faire une embardée, c'est-à-dire lancer un bâtiment dans le vent ou en travers, et faire entrer un bateau sous l'arche d'un pont ou dans le sas .d'une écluse (proprement l'euvaser, l'embourber, sens du provençal embardâ). Cette doubleoicception nautique, l'une propre à la navigation maritime, l'autre à la navigation fluviale, a fourni au baslangage les sens suivants :

1° Tergiverser, dans l'argot des Ouvriers (Delvau); chez les marins, embarder signifie « se tromper ».

2° S'engager dans une affaire (II.-Franco) ou dans un endroit : « J'ai embardé dans une carrée », lîeauvillier, Mémoire (dans le Figaro du i août 1873).

3° Sous la variante dialectale, embarber '. onlr-er (Rossignol), le terme a acquis le sens généralisé d'entrer quelque part : « Alors tout d'un coup, on a embarbé dans le truc... Le domestique le fait embarber dans le cabinet de son singe », Hcrcy, lettre XXe, p. 7, et lettre XXXVe, p. 7.

Pagaie, désordre, à côté de pagaie et pagaille, variantes déjà données par XaTrëooux (1703) : « Enpagale, on pagage ou pagaille, précipitamment,' sans ordre », et représentant autant de prononciations locales. Lu pagaye est une sorte do rame courte, à large pelle, en usage sur les pirogues indiennes, malaises, etc.; on pagaue,you en pagaie, vite, en désordre, sans soin ni précaution (commo sur ce genro d'embarcations) ».

I. Elle est usuelle, par exemple, dans l'Yonne: t Embarber, en navip;alio^, faire pénétrer en droiture l'avant «l'un bateau dans l'ouverture «l'une écluse on dans l'arche d'un pont, sans battre h droite ni à gauche, sans raser la barbe des parois » (Jossier). Celte dernière explication est une véritable élyniolo^ie populaire. — Uue forme parallèle, embarquer, est donnée par II.-France.


MARINS 171

Le terme naiilique et son application figurée remontent donc à la fin du xvnc siècle : « En pagaie correspond à l'idée de désordre, de confusion, de précipitation. On arrive ainsi en tas, en paquet, pèle-mèle, lorsqu'on est pressé par le temps, par la marée. Quiconque fait quoique ce soit avec pou de soin, le fait en pagaie... Le matelot qui s'habille à la hâte, s'habille en pagaie... » (De la Landello, p. 315).

Des marins, l'expression passa tout d'abord .chez les troupiers : Mettre en pagaie, mettre en désordre : « Farce qu'au régiment les anciens font aux conscrits, qui trouvent leurs lits arrangés en bascule; d'où des culbutes et des occasions de se divertir aux dépens des bleus » (Iligaud).

L'expression, au sens généralisé, est encore vivace dans le bas-langage : « Il s'est aubade avec un chineur qui fourguait des tapis d'Afrique et il y a foutu sa camelolte en pagaille » (cité dans Bruant, Dict., p. 307).

On en a induit Pégale, Mont-de-piété (Rossignol), conçu comme un endroit plein de désordre, de confusion : « Tes boniments lu peux les porter au Pégale! Tu verras si on le prêtera dessus » (cité dans Bruant, Dict., p. 322.)

En Anjou et ailleurs : En pagaille, en pagaie, en pégale, en désordre : « Il a jeté tous ses vêlements en pagaie, il s'est étalé en pagaie » (Verrier et Onillon); à Cancale, pagaille, désordre : « Il a tout foutu en pagaille; larguer en pagaille, laisser tomber » (Daguct et Mathurin).

Rafale, miné (matériellement ou physiquement), se dit proprement du navire qui a subi une rafale et, figurément, du matelot allaibli ou privé de tout (Bonnefoux). Cette acception métaphorique est déjà donnée par Desgrauges (1821), qui l'appelle « grand mot des boulevards ». Le mot se lit dans Vidoeq et il reste populaire : « Il gardait aux autres une licre rancune de s'être laissé rafalcr en deux ans », Zola, Assommoir, p. 310.

Rapiquer, repiquer, diriger un navire au plus près du vent, venir au vent (Deseille); de là, rapiquer, revenir :

1° Chez les marins : rapiquer au vent, venir au vent; repiquer au truc, reprendre service (Desoille); et piquer au cent, se dit d'un navire qui se lance dans le vent.

2° Chez les troupiers : repiquer au truc, recommencer et spécialement se rengager; repiquer à la corcée, revenir à la charge : « Mon pauvre salaud, demain tu n'y couperas pas,


172 . ' FACTEURS SOCIAL'X

faudra faire ton sac comme les camarades et repiquer à la corvée », Courteline, Gaietés, p. 328.

3° Dans le bas-langage, au sens généralisé, revenir : « Une fois la praline posée, ne repique plus au turbin », HogierGrison, Le Monde où l'on vole, p. 303.

La forme parallèle rappliquer est également d'origine technique (« appliquer dé nouveau ») au sens do revenir, retourner, très usuel dans le bas-langage et particulièrement dans les casernes : « Le chef et moi, nous rappliquons à l'hôpital », Courteline, Gaietés, p. 33.

Ce terme a passé des casernes dans le français provincial.

Souquer, serrer fortement les noeuds, les tours d'un cordage : Souque un coup pour accoster, fais effort pour atteindre le but; souque dur! se dit à un rameur pour forcer sur les avirons (Deseille). Dans le bas-langage, le terme a ce double sens : 1° frapper, rudoyer; 2° travailler dur, trimer (v. les exemples dans H.-France).

V. — Appellations ironiques.

Le langage des marins est riche en métaphores plaisantes, qui ont passé pour la plupart dans le bas-langage :

Baderne, vieille baderne, homme usé, gâteux, et spécialement vieux matelot qui n'est plus propre au service : « En attendant qu'il devienno eine vielle baderne, le cambusier se montre souvent un gas à tous crins » (Deseille, p. 32). Le sens nautique proprement dit est vieille tresse, molle, flasque, hors de service, qu'on place sur certains objets lourds pour amortir le choc occasionné par le roulis ou pour garantir des frottements certaines parties du navire. Cette épilhète est souvent appliquée aux anciens militaires retraités.

liadingue, surnom donné à Napoléon III, d'après sa barbiche au menton, semblable au cordage nommé habituellement martingale : « Il l'appelait liadingue par blague, pour se ficher de l'empereur », Zola, Assommoir, p. 2155.

Celte corde qui relie les flottes au câble bordant les filets, s'appelle bandingue, à Boulogne (Deseille), et badingue, à Fécamp (Littré).

liigorneau, soldat d'infanterie dans la marine, d'après le nom du coquillage qu'on trouve sur les côtes do la Manche.

Bitte, le membre viril, proprement cheville: peau de bitte,


MARINS 173

formule négative qui équivaut à « rien », analogue à celle de peau de balle (Rigaud).

Bossoirs, fortes pièces de bois qui supportent l'ancre à la proue : « Le bateau s'achève, montre ses bossoirs très gracieusement arrondis; leur forme sert aux comparaisons les plus galantes... eine paire ecl bossoirs, seins- (Doseille, p. 8). Le terme désigne surtout les seins rebondis (qu'on nomme aussi avant-scènes) : « C'est la belle-soeur de noire hôte... elle en a des bossoirs ; c'est gros comme une pelote, rond comme une buée... », Vidocq, Mémoires, éd. Villiod, t. I, p. 302.

Cabillot, soldat à bord do navire, proprement cheville : allusion aux chevilles de fer ou do cuivre qu'il faut fourbir tous les malins à bord des navires de guerro.

Craquelin, gringalet, désigne proprement le navire dont la membrure, trop légère, joue et craque à la mer.

Galipot, poix-résine pour enduire les vergues, signifie excrément (v. IL-France), d'où galipoter, faire ses besoins (en Anjou : manier avec une idée de dégoût).

Péniches, gros et larges souliers, chez les militaires, répondant aux synonymes populaires bateaux et mamois (c'està-dire bateaux marnois) ; cf. inversemont, sabot, barque, navire: « Aller dans le sabot, s'embarquor, s'enrôler sur nier, parlir pour les îles, prendre la profession de marin » (d'Ilautol).

Kafiau, infirmier, gardo-iaalade : c'est le nom d'un petit canot à rames dont or» se sert pour les promenades clans les ports, d'où le sons d'embarcation médiocre et de pou de valeur ; de là, aussi, choso de peu d'importance, camelote (Uelvau).

Tasse, dans l'expression grande tasse, mer : « La mer est dite parfois grande tasse; boire à la grande tasse, so noyer » (Ueseille). Cette expression so lit déjà chez d'IIautel (v° tasse) : « Boire un coup à la grande tasse, pour so noyer, se jeter à l'eau. » Le termo est encore vivace à Brest, à Loricntet ailleurs : « Les capitaines sont cause que do pauvres bougres [do matelots], souvent pères de famille, font lo plongeon dans la grande tasse », Père Peinard, G mars 1892, p. 3.

Les locutions grande tasse et boire à la grande tasse sont également usuelles au Canada (Donne)-.


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174 ' FACTEURS SOCIAUX

VI. — Manoeuvres nautiques.

Parmi les vocables de marins dont le sens s'est généralisé dans le bas-langage, une première série désigne les opérations nautiques proprement dites : .

/[(fourcher, s'ancrer, prendre du repos: « Vient-on passer quelques heures ou peu de jours dans une baie dont on comple appareiller vivement, on ne jette qu'une seule ancre...; mais si le temps ne manque pas, si l'on peut prendre ses aises, on s'ajjburche,... on tient solidement au fond par les deux chaînes-câbles de tribord et de bâbord, dont on a élongé les touées » (De la Landelle, p. 299).

De là, ces deux applications générales : Se retirer des affaires (Dclvau) et ne plus raccrocher, en parlant des filles (Virmaitre).

Amarrer, attacher un navire, frapper une manoeuvre; de là :

1° Attacher, lier en général : amarrer une échelle', un étui, un paquet, dans le parler populaire normand (Moisy).

2° Accrocher : « On le dit peu causeur, mais je vais quand môme tâcher de Y amarrer par des boniments pour savoir ce qu'il a dans le ventre » (Rossignol).

3° Manoeuvrer, puur tromper ou voler (Bruant, Route, p. 118) : « Et pour amarrer les chopins... »

4° S'attacher quelqu'un, en parlant des fi lies : « J'ai amarre un chouette gonce qui casque tout le temps » (Virmaîtro).

Appareiller, faire les manoeuvres nécessaires pour quitter le mouillage, d'où l'idée de sortir : « Cinquante synonymes so présentent pour exprimer celle féconde idée du départ qui joue une si grande place dans la vie nomade du marin : appareiller, faire voile... lever l'ancre, démarrer, déraper, filer son câble, (lier son noeud, prendro la mer, prendre le large....» (De la Landelle, p. 182 et 218).

Caler, plonger dans l'eau (en parlant d'un navire) ou laisser aller une voile le long des mâts. De ce double sens dérivent les acceptions :

1° S'en aller, surtout sous la forme itérative caletcr : « Je suis pressé, je calete » (Rossignol). — « Caldes ! Kt plus vile que ça » (Rictus, Na gagnant, p. 7).

2" Mourir, surtout sous la forme intensive calancher : « Il est bien malade, il va calancher » (Rossignol). — « C'est la ca-


MARINS 175

mardo qui embrasse un pauve gas qui calanche, » Bercy, XIII* lettre, p. 6.

3° Reculer, céder, cesser (cf. «caler la voile, s'accommoder, 1 parler doucement, s'appaiser », Oudin), acceptions familières )\ surtout aux parlers provinciaux (Anjou, Poitou, Berry, etc.).

4° Chômer, être oisif, en parlant des imprimeurs, acception déjà donnée par d'Hautcl (« Caler, terme typographique, faire le paresseux »), qui mentionne également les dérivés: Calance, « terme d'imprimerie, interruption que l'un met sans nécessité, dans son travail, pour satisfaire à une humeur oisive et vagabonde », et caleur ', « paresseux, ouvrier enclin à la dissipation et à la fainéantise » (do même: Normand, caleux, fainéant, et ailleurs). En dehors de celte acception technique, caleur désigne le garçon do café qui travaille en extra (Delesalle).

Déraper, détacher l'ancre du fond, d'où lâcher prise, partir (sans déraper, sans s'arrêter): « Il travaille un mois sans déraper, » Poulot, p. 76.

VII. — Choses de la mer. >

Une dernière série terminera celte nomenclature technique. Elle comprendra les choses de la mer.

Câble, terme important du vocabulaire nautique qui a fourni plusieurs métaphores : Avoir un tour dans ses câbles, éprouver un dérangement de sanlé. surtout lorsqu'il en ré- ( suite difficulté de marcher (Non nofoux) ;/?/(?/' un câble j>ar le \ bout, pousser le câble en dehors du navire jusqu'au bout, \ alin de partir d'urgence ; de là, faire les préparatifs d'un voyage précipité, se sauver et. enfin, mourir.

Calebasse, dans l'expression vendre la calebasse, livrer un secret, dénoncer 2 : c'est une métaphore nautique, la calebasse ou pelote étant un artifice do brûlot.

Cette locution, commune au bas-langage parisien et pro).

pro). Momoro, Traité élémentaire de l'imprimerie, 1793, v° caleur: * P,e terme s'applique aux compagnons indolents et ivrognes qui n'aiment | oint le travail, (|ui ne font que niaisor dans une imprimerie, détourner les autres du travail, en jasant avec eux, en leur contant des pînux ».

2. l'.î. le Trévoux (1703) :«On dit proverbialement frauder la calebasse, pour dire tromper son compagnon, boire ce qui est dans la calebasse en son absence ». Cette locution n'a rien de commun avec celle que nous citons et qui est encore vivaca.


17G FACTEURS SOCIAUX

vincial, a été condamnée par les grammairiens : « Vendre la carabasse. Expression populaire. Dites dénoncer le mystèroou le pot aux roses », Molard (1810). — « Vendre lu calebasse, c'est... Parbleu, je n'en sais rien ; le dira qui pourra », Desgranges (1821).

Le sens du mot qui figure dans celte locution a été parfois généralisé: Calbasse i, tout ce qu'on possôdo (Vallée d'Yères) ; au Havre, manger la calbasse^ c'est se ruiner. La notion d'avoir, mobilier, a conduit à celle de « chambre » que colbasses, acquise parmi les apaches parisiens : « Je prends mes clous et je plaque la colbassê », Méténier, Lutte, p. 122.

L'expression cendre la calebasse a, comme pendant, éventer la mèche, môme sons (devenue, sous l'influence analogique de la première, vendre 2 la mèche) qu'Oudin donne, en 1610, sous la forme « descouvrir la mèche, descouvrir la malice ou la finesse ». La mèche, comme la calebasse., joue un rôle dans la pyrotechnie nautique.

On en a tiré une autre métaphore, être de mèche avec quelqu'un, être d'accord avec lui, être son complice, expression qu'on lit pour la première fois dans le Vocabulaire de Vidocq.

Cambuse, magasin dans l'cnlr.epont d'un navire où l'on tient les vivres, où l'on distribue les rations a l'équipage; de là, cabaret mal tenu et bougo, petit logis : « La cambuse pouvait manquer de pain; ça ne le regardait pas. 11 lui fallait sa pàléo malin et soir... », Zola, Assommoir, p. 1165.

Dans l'Anjou, la cambuse est généralement une cave où plusieurs ouvriers se mettent ensemble pour y déposer leur vin; et, dans le HasMaino, ce mot désigne la voiture du saltimbanque.

Carabiné, soudain et violent (comme un coup de carabine), en parlant du vent; de là, 1res fort, excessif: « Mon vieux, je mo suis payé une cuite carabinée » (Virmaîlre).

Carrée, foyer où l'on fait la cuisine dans les bateaux (chez les mariniers do la Loire); de là, logis, chambre: « Des grandes carrées toutes pleines d'air et do soleil », Borey, A'AA" lettre,

P. 7L'argot ancien en a tiré les dérivés : décamr, sortir, et

1. Rossignol donne : « Calebasse, objets,marchandises, produits d'un vol».

2. Cf. Littré, v° mèrke : t Au lieu d'éventer la mèche, le poi>ulairc dit souvent vendre la mèche. C'est absurde •. Il n'y a rien d'absurde dans ce genre d'altérations : leur raison d'être peut nous échapper, niais elles n'en existent pa3 moins.


MARINS 177

encarrer, entrer, le premier, attesté dès la fin du xvme siècle, a pénétré dans les parlers provinciaux : Anjou, Berry, etc.; le dernier est cité dans Vidocq.

Chibis, prison ; faire cliibis, s'évader d'une prison avec le concours d'un camarade, expression qu'on lit dans Richepin (Gueuse, p. 85) et dans Bruant (Rue, t. Il, p. 54).

A l'école navale du Borda, cliibis désigne la salle de police: c'est la forme abrégée de cachibis, petits casiers placés sous la dunette et destinés aux pipes et au tabac. Dans l'Anjou et ailleurs, cagibi (ou cabigi), petit retrait quelconque, bicoque; à Mayenne, polit réduit, petite loge, hangar.

Chique, pipe du matelot, morceau de tabac qu'il mâche; de là plusieurs métaphores : Poser sa chique, se taire (et, par extension, mourir), dans Bruant (Rue, t. II, p. 51); couper la chique à quelqu'un, l'interrompre brutalement, lui couper la parole : « L'espoir l'a lâche, rien de tel... pour vous couper la chique do l'espérance », Père Peinard, 20 juillet 1890.

Le mot se lit tout d'abord chez d'IIautel (1808): « Une chique de tabac. On appelle ainsi une pincée de tabac que les marins, les soldats et la plupart des journaliers mettent dans leur bouche pour en prendre toute la substance. »

Le même lexicographe donne également le dérivé chiquer, manger de grand appétit : ' « Chiquer, au propro, mâcher du tabac en feuille; au figuré, prendre ses repas habituels et, par extonsion, endôver ou pester contre quelqu'un, le railler, se moquer de lui. On dit d'un homme pauvre qui n'a rien à mettre sur la dent, qu'il n'a pas de quoi chiquer. » Un chiqueur est un marin rond de sa tournure et sans façons dans ses manières et son langage; c'est aussi un gros mangeur.

Chiquer, manger beaucoup, proprement mastiquer, se trouve dans la plupart des parlers provinciaux : Anjou, Bresse, Normand d'Yères 1, etc.

Gabari, modèle do la courbure que doit avoir une pièce de

1. Cf. Michel, 1807 : « Chiquer n'est pas français. Ne dites pas : // a chiqué les vivres, pour il a Lien mangé tout ce qu'on avait servi. On no dit pas non plus : Chiquer du tabac, pour mâcher du tabac ». Ce mot se lit fréquemment ' chez Balzac dans l'expression chiquer les légumes, pour manger en général:

« Va chercher des gâteaux... nous, verrons... la manière dont lu chiqueras les légumes », Un ménage de garçon, 1842, t. VI, p. 82.

2. Dans son Glossaire, Delboulle fait remarquer à ce propos : « Rabelais a employé le vorbo en ce sens » (remarque que répèle Guillomaul). — Krreurl I.c verbe chiquer ne remonte pas au-delà du xix» siècle.

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178 FACTEURS SOCIAUX

bois, dans les constructions navales; do là modèle en général : « S'il joue avec plus fort que lui et qu'il gagne, voilà le gabari des malins, il n'a pas un jeu brillant, mais il est bien affûté », Poulot, p. 135.

Le mot désigne également l'arceau sous lequel on fait passer les wagons chargés ; de là, être passé au gabari, perdre au jeu : « Mon pauvre Auguste, t'es passé au gabari. Ramené au jeu, femme et patron sont vite oubliés, » Poulot, p. 74.

Noeud, dans l'expression filer son noeud, partir, s'en aller ' : la vitesse d'un navire étant mesurée par les noeuds faits sur une corde légère qu'on jette à la mer do demi-heure en heure, l'on file un certain nombre de noeuds dès que l'on est en marche (De la Landelle, p. 157) : « Vous, mon garçon, dit le nouvel adjudant en s'adressant au Parigot,... je vous conseille de filer votre noeud sans rouspéter... » (cité dans Bruant, Dict., p. 317).

Ralingue, cordage cousu autour des bords d'une voile pour la fortifier contre l'action du vent, désigne, sous la forme relingue, le forçat, le relégué (par allusion aux pelotes dont les forçats entouraient leurs pieds pour éviter les meurtrissures des fers, pelotes appelées jadis patarasses) et le bagne (voir Bruant, Dict., p. 42 et 228).

Redresse, fort cordage qui sert à relever un bâtiment incliné ou abattu ; de là à la redresse, malin, rusé; mec à la redresse, homme fort et courageux, prompt à l'attaque ou à la riposte, débrouillard (dans lo langage des apaches et des souteneurs) : « A vous bons bougres et girondes copines, gas à poil et lurons à la redresse, trimardeurs... lo Père Peinard vous serre la boucle... » — « Les fistons à la redresse ne couperont pas dans un pareil pont... », Almanac/i du Père Peinard, 189t, p. 15 et 1896,-p. 2.

Ajoutons quo c'est aux marins qu'on doit l'origine et l'expansion de certains termes du bas-langage, comme Bourguignon 1, surnom du soleil, qu'on trouve en Poitou et même dans les contrées éloignées do la mer. Nous reviendrons sur cette curiouse appellation qu'on lit pour la première fois dans les Mémoires (1828) de Vidocq.

i. Et filer, tout court, au même sens : filer à l'anglaise.

2, Voici une autre application de ce nom : e Bourguignon, nom quo les marins qui naviguent dans la mer du Nord, particulièrement les torreneuviers, donnent aux glaces détachées, ainsi qu'aux plus gros glaçons isolés, qu'ils rencontrent dans leur route i, Willaumez, v° bourguignon.


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VIII. — Termes de pêche.

Lo vocabulaire de la pèche a égaloment fourni un certain nombre de mots qui se sont généralisés dans le bas-langage. Nous avons déjà cité lo mot rabiot et son curieux développement sémantique. En voici quelques autres :

Didier, commencer à mordre à l'hameçon : « Est-ce que ça biche? » expression particulière aux pêcheurs. Vachet cite ces vers( Glossaire, p. 46) :

Velu sur un tableau dos pécheurs à la ligne,

Qui se sont mis tout nus, pour mieux voir si ça mord,

Quand on n'a pas d'habits, ça biche mieux encore.

De là, agréer, aller bien, aller à souhait, convenir : « Tant qu'on est à la colle, ça biche..., mais du coup qu'on est marida, tout va de traviole », Bercy, XVIe lettre, p. 5. — « Les travaux des champs, ça ne biche plus $, Père Peinard, 1891, p. G.

Dans lo parler lyonnais, auquel le mot appartient en propre (cf. bichée pour béquée), il a, en outre, les applications métaphoriques suivantes : goûter, tàter. obtenir et prendre quelqu'un en faute, lo saisir sur le fait (Vachol).

Empiler, ou monter des hameçons, les attacher aux fils déliés (appelés empiles); de là tricher au jeu, tromper, voler : « Celui qui dans un partage n'a pas eu ce qui lui revenait s'est fait empiler » (Rossignol).

Rappelons que la notion de mystifier et de tromper est rendue par des termoa tirés de la pèche (cf. monter an bateau) : bachot et galiote, tricherie au jeu de billard, désignent proprement des bateaux pour petite pèche ou pêche à la ligne.

Marée, dégoût ', répulsion (allusion à l'odeur du poisson peu frais): cf. Anjou, marée fraîche, nouvelle désagréable. De là, marer écrit aussi marrer 2, être dégoûté, s'ennuyer : « Tu me fais marrer quand tu viens raconter eq't'as été trompette », Courtcline, Gaietés, p. 18.

El, ironiquement, s'amuser: « Ce qu'on s'est mare à la

1. Abrégé parfois en mare : t La musique, ça mo dégoûte maintenant... J'en ai mare », ilirsch, Le Tigre, p. 9i.

2. « A Tazas où quo jo me marrais... », Méténier, Lutte, p. 121. — La graphie marrer (== marer) est visiblement influencée par marri, fâché, notion synonyme.


180 FACTEURS SOCIAUX

foire du Trône ! Viens-y donc demain... » (cité dans Bruant, Dict., p. 21).

Trifouiller, brouiller, fouiller, avec désordre et indiscrétion (comme le définit d'Hautel en 1808), est familier à la plupart des parlers provinciaux : Champagne, Berry, Picardie, etc. Desgranges le condamne en 1821 comme « barbarisme ». C'est primitivement un terme de pèche : trifouiller Veau, c'est la troubler, en Anjou (Ménièré), d'où trifouil, désordre, bouleversement, forme parallèle aux synonymes provinciaux tribouiller et tribouil (anc. fr. tribouller, agiter en remuant, et tribouil, agitation).

Ce verbe a, en outre, dans le langage parisien, le sens de rosser, c'est-à-dire do tripoter les côtes (d'où trifouillée, raclée) : « Il faut peut-être que je mette des gants pour la trifouiller », Zola, Assommoir, p. 129.

Arrêtons ici le bilan do ces apports nautiques. Le nombre des termos que les masins ont fourni au bas-langage est considérable. Ils se distinguent à la fois par leur abondanco et leur variété. Les marins normands, bretons, boulonnais, les mariniers de la Seine et do la Loire, ont chacun contribué à enrichir notre vocabulaire. Les ports de Paris qui ont déjà joué un rôle dans la constitution du poissard au xvm 0 siècle, ont été au xixe le creuset où se sont concentrés et fondus ces éléments linguistiques venus à la fois du Nord, de l'Ouest et du Centre.

Ces contributions nautiques ombrassent la vie entière de nos matelots : leur labour pénible comme leurs délassements bruyants, leur bonne humeur et leur esprit primosautier.

On pourrait, à l'aide de ces apports professionnels, reconstituer le milieu spécial lui-même sous ses aspects les plus divers : sombreou gai, d'une gaieté débordante, calme ou agité, comme l'élément qui le baigne, comme la mer ollc-mêmo, source de vie ou de mort.


CHAPITRE III

OUVRIERS

A côté des soldats et des marins, les ouvriers de toute catégorie ont alimenté, dans des proportions plus ou moins considérables, le langage parisien.

Les différentes classes professionnelles avaient chacune jadis une langue spéciale fortement imprégnée d'éléments jargonnesques : Couvreurs, maçons, moissonneurs, ouvriers en soie et ouvriers drapiers, peigneurs de chanvre, tailleurs de pierre, terrassiers, etc. Mentionnons, parmi les plus connus, le tunodo, argot des chiffonniers et couvreurs de la Basse-Bretagne ; le mourmé, argot des tailleurs de piorre et maçons savoyards, à côté du faria, jargon des ramoneurs savoyards ; le terratchu, argot des lerrassiors et séranceurs vaadois, do Sainte-Croix, dans la Suisse romande; le bellod, langue des peigneurs do chanvre du Haut-Jura, et le canut des ouvriers en soie lyonnais; l'argot des moissonneurs do Montmorin, dans les Hautes-Alpes '.

C'étaient là de véritables jargons, c'est-à-dire des languos secrètes et accessibles aux seuls professionnels, aux membres des corps do métier strîcteinont fermés. Cet état de choses a complètement disparu avec les facilités et la rapidité des moyens do communication. Les conditions d'isolement do jadis uno fois éliminées, il s'en est suivi un contact do plus en plus fréquent entro les différentes classes professionnelles et, par suite, un mélange graduel de leurs particularités linguistiques.

1. Voir, pour de plus amples détails, notre Argot Ancien, p. 17-18, 2fi0«261 ' t 317, et un article bibliographique très nourri de J. Pesormaux, dans la lievue de philologie française, t. XXVI, 1912, p. 77 à 91. Tout récemment, dans un important travail, Les Argots des métiers franco-proiençaux (£23* fasc. de la Uibliolheque de l'Ecole des Hautes-Etudes, Paris, 1917), M. Albert Dauzat a tëuni en un corpus les nombreux renseignements épars sur ces idiomes professionnels restés secrets, dont il analyse minutieusement les éléments constitutifs.


182 FACTEUHS SOCIAUX

Los métiers et professions ne disposent plus aujourd'hui de langues spéciales, mais de simples nomenclatures, de vocabulaires techniques, dont les principaux éléments ont pénétré et se sont fondus dans la langue populaire.

Ce serait à la fois uno tàcho malaisée et inutile que d'énumérer les nombreuses catégories d'ouvriers. On on a relevé plus de deux cents pour Paris. Un petit nombre seulement a exercé une action réellement efficace; les autres — par exemple, les tailleurs, les couvreurs, les maçons, les ouvriers du bâtiment, etc. — n'ont fourni que des contributions isolées et à pou près négligeables. Nous n'en tiendrons compte que si ces termes de métier ont rayonné en dehors de leur sphère technique. En voici un exemple :

La pièce de cinq francs porte, chez Yidocq, le nom de roue de derrière, et celle de deux francs, roue de devant, suivant le diamètre respectif de ces roues. Or, ce sont là des termes de cocher, attestés comme tels dès le xvme sjècle: « Lo monsieur, pour me faire voir que c'est un bon franc jeu, me coule dans la main une roue de derrière, à compte », Caylus, Histoire de M. Guillaume, cocher, 1787, p. 15. — « Je mettais mes roues de derrière dans mon petit sac de cuir (note : « Expression de cocher pour dire pièce de cinq francs) », [Cuisin] Les Cabarets de Paris, 1821, p. 102.

Ce terme spécial fit fortune cl se généralisa dans le baslangage :

1° Dans la bouche d'un apache : « Vlà que j'éclaire trois fafi'es, trois millets, sans compter une pile de roues de derrière, des larantéquems et des sigues », Urissac, Souvenirs de bagne, 1886, p. 43.

2° Dans celle d'un rôdeur de barrières (Richepin, Gueux, p. 28) : « J'ons eine roue de derrière... »

3° Dans celle d'un ouvrier : « Des ouvriers sortaient toujours... lorsque le mari arriva on se dandinant, il avait étouffé doux roues de derrière, deux pièces de cent sous neuves, une dans chaque soulier », Zola, Assommoir, p. 427.

Le nom est également familier au français provincial: Lyon, roue de charrette, écu de cinq francs (Puitspelu); Languedoc, rodo de darrië, pièce de cinq francs (Mistral). Ajoutons que le slang possède la même métaphore : a hind coach wheel (une roue de derrière), pour une pièce de cinq shillings;


OUVRIERS 183

et a fore coach wlieel (une roue de devant), pour une pièce de deux shillings et demi '.

En tenant donc compte exclusivement des influences linguistiques efficaces des classes professionnelles, nous allons passer en revue les catégories suivantes : mécaniciens, imprimeurs, cordonniers* bouchers» les seules qui, à titre divers et dans des proportions inégales, ont agi sur la langue .populaire parisienne 2.

1. C'est des cochers que vient également l'expression s'acheter une conduite, s'amender, s'assagir, sens généralisé passé dans la langue vulgaire : « Il a acheté une conduite; il est des chouettes maintenant », Poulet, p. 80. On dit ironiquement, d'un noceur qui se range : ii s'est donc acheté une conduite ? , ■

2. P. Séhillot, Légendes et curiosités des métiers, avec 220 gravures, Paris, 1895. Série de monographies professionnelles envisagées sous le rapport pittoresque et traditionnel. Voir notamment celles relatives aux Bouchers, Cordonniers et Imprimeurs.


I

MÉCANICIENS

Nous possédons sur lo langage dos ouvriers en fer et dos fondeurs une excellente monographie due à un liommo du métier, Denis Poulot, contre-maître à Belloville puis constructeur de machines-outils à La Villette. Il a eu l'occasion d'étudier pendant un quart do sièclo ces milieux laborieux, et tout particulièrement lo sublime, type de l'ouvrier paresseux, ivrogne et tapageur. Il a noté, avec un grand souci d'oxactitude, l'idiomo spécial que parlent les mécaniciens, « languo bizarro. sorte de français en haillons », sur laquelle il revient à différentes reprises. Il a appelé surtout l'attention sur l'influence considérable du jargon sur lo langage des ateliers '.

Se livrer à un art mécanique, c'était jadis se dégrader, mécanique, ou artisan, étant autrefois synonyme de seroile. Le Nouveau Coutumier général du xvie siècle le déclare explicitement, t. II, p. 872: «Si aucuns desdits nobles ou annoblis usent d'arts mécaniques et contreviennent à l'état do noblesse par pauvreté, ilssoront privez de la franchise de leur noblesse pour le lemps qu'ils auront méchanisé... »

On saisit dès lors la valeur péjorative do mécaniser, avilir, que Palissy applique môme aux choses, p. 371: a Les verres sont mèchanises, en telle sorte qu'ils sont vendus et criés par les villages ». Aujourd'hui encore, le mot 2 a le sens d'insulter, de rudoyer : « Coupeau voulut le raltrapper. Plus souvent qu'il se laissât mécaniser par un paletot ! Il n'était seulomen{. pas payé, celui-là! » Zola, Assommoir, p. 491.

De nos jours, avec lo développement colossal des machines, le métier des métallurgistes a fourni des contributions importantes au bas-langage, et tout d'abord une série de termes pour la notion « travailler » :

1. Voir ci-dessus, p. oi à 52, et l'Assommoir de Zola.

2. Balzac appelle mécaniser, vexer, une « expression soldatesque » (voy. Larchey).


MÉCANICIENS 1S5

Boutonner, travailler (Rossignol), proprement maintenir à l'aide do boulons ou grosses chevilles do fer : « L'aU'ameur qui fait boulonner los pauvres bougres pour la digue... Is gagnent des fois moins que ceux qui boulonnent dans les usines », Bercy, lettre XIe, p. (i, et lettre XXIIIe, p. 7.

Maillodier, travailler (Rigaud), c'est-à-dire enfoncer avec une mailloche ou gros maillet do bois, terme passé dans le langage des souteneurs: « Nos marmites vont pouvoir mailloche/' sur le talus », Merlin, p. 50.

Marner, travailler péniblement l, comme ceux qui curent les fossés en on rejetant, la marne (Rictus, Soliloques, p. 200): « Jo veux pus marner, je veux vivo ma vie... »

Masser,' travailler dur (Hayard), c'est-à-dire enfoncer avec uno masse ou gros marteau, môme image que maillocher : « Quand un travailleur do province arrive à Paris, il ne peut pas toujours y rester, il y a trop à masser... Quand ils no massent pas, vous ne les payez pas », Poulot, p. 52 et 140. — « Six mineurs qui vonaiont do masser à onze cents mètes sous terre », Bercy, lettre XXIe. p. 6.

Ce mot figure dans un glossaire argotique do 1816; il est très populaire (Rictus, Coeur, p. 13) : « ïouto la journée il a massé... »

Turbiner, même sens, proprement tourner rapidement comme une turbine ou roue hydraulique, terme technique adopté par les malfaiteurs et passé, par l'intermédiaire de coux-ci, dans le bas-langago (ainsi que son dérivé turbin, travail pénible).

Le terme le plus récent pour « travail » est bouleau (écrit aussi boulot), mot également d'origine technique. Employé tout d'abord par les ébénistes du faubourg Saint Antoine 2, il a vite fait fortune et fut accueilli par tous les ouvriers en bois et autres: « Des viocs qui ne sont pas assez moelloux pour fairo dos bouleaux cotonneux... », Bercy, VIIIe lettre, p 6.

Ce terme, inconnu avant 1890, a déjà passé dans les provinces, par exempîo à Lyon, où Vachet donne même le dérivé bouloter, travailler, inconnu au parlor parisien.

Voici quelques autres emprunts tirés des industries mécaniques :

1. Le.mot figure dans un Dictionnaire d'argot de 1346. II a passé des agriculteurs aux ouvriers.

2. « Bûcher le bouleau, attaquer avec énergie une pièce de bois, argot des sculpteurs » (Virmaitre).


1S6 FACTKUKS SOCIAUX

Alaiscr. écrit aussi aléser, polir la surface d'un corps de pompe, a fourni au bas-langage le mot laisdû ou lésée, prostituée (Kigaud): « Il avait uue laisse, ce gueux, et.je vous prie de le croire, une famouse! » Ilichopin, Truandaille, p. 110.

Les mécaniciens disent plaisamment aléser son cylindre, le polir intérieurement, pour être très malade: « Il paraît qu'il est en train d'aléser son cylindre; on m'a dit qu'il n'avait pas seulement de quoi acheter de la tisane », Poulol, p. 181.

Caler, mettre d'aplomb (une machine, une pierre, un meuble), d'où la notion do bien-être matériel: se caler les joues, fairo un bon repas, expression très usuelle chez les marins (Doseille) et ailleurs : « Le reste du temps il se calait paisiblement les joues avec des tartines do pain », Courleline, Gaietés, p. II.

Le sons métaphorique général 3o lit chez d'Hautel : « Se caler, se mettre dans ses meubles, sortir de l'état d'indigence où l'on se trouvait », et il est spécial au participe calé: « Etre bien ou mal calé, être bien ou mal dans ses affaires ».

Ce dernier emploi a été censuré par les grammairiens : « Vous voilà bien calé. Expression triviale quo l'on emploie ordinairement pour: vous voilà bien avancé », Michel, 1807. — « Ce sont gens bien calés, pour riches, à l'aise, n'est que du français do province colporté à Paris », Desgranges, 1821.

L'acception de fort, solide, a passé dans l'argot des écoliers, en même temps que le dérivé recaler, refuser à un examen (proprement renforcer, pris ironiquement).

Huile de coude (ou /««7e de bras '), la force musculaire assimilée à une machine qu'on graisse: « Plus on mot de l'huile de coude, plus ça reluit », Zola, 'Assommoir, p. 392.

Siffler au disque, demander l'ouverture de la voie du chemin do fer : « Pendant huit jours la voie était fermée, il avait beau siffler au disque, rien », Poulot, p. 19.

Expression généralisée dans lo monde do la galanterie au sens de solliciter quelque chose : « Rien à faire de cotte femmelà. J'ai sifflé au disque assez longtemps. Pas mèche. La voie est barrée. — Pardieu ! .vous, Axel, nous savons votre façon de siffler au disque, dit Christian, quand il out compris cette expression passée de l'argot des mécaniciens dans celui do la haute gornmo », A. Daudet, Rois en exil, p. 181.

Piston, haute protection, recommandation (les coups de pisl.

pisl. de Maupassant1", dans Pierre et Jean (p. 42), mot l'expression huile de bras dans la bouche d'un petit bourgeois.


MECANICIENS 187

ton font avancer la machine à vapeur), terme usuel surtout parmi les éeolîors (d'où les dérivas : pistonnait el pistonner): « Sans compter les recommandations, il faut là aussi (au concours) des pistons », Uôval, Soutiennes, p. 10.

Tarauder, .battre, rosser, proprement percer des écrous, terme de mécanicien passé, avec son sens mélaphoriquo, dans les parlers provinciaux (Anjou, Herry, Champagne, etc.) : « J'ai été bien taraudé hier... Tous les jours obligé do la tarauder », Mélénier, Lutte, p. 219 ot 2G9.

Citons encore le mot bastringue dont les vicissitudes sémantiques sont des plus curieuses. C'est primitivement un terme do métier dont le sens et l'origine sont malaisés à établir. Le Hoiste de 1800 l'ignore, et pourtant le mot remonto à la fin du xviue siècle '.Voici les étapes qu'il a parcourues :

1° Machine à imprimer les toiles au c)lindro. Nom donné en 1799 par les ouvriers do la manufacture do toiles peintes de Jouy, dirigée par Obcrkampf, à une nouvelle machine construite par Samuel Widmer, neveu d'Oberkampf, d'après des modèlos anglais: « M. Oberkampf fut le premier à constater par un calcul exact que le produit du bastringue (nom donné par les ouvriers à la nouvolle machine) représentait le travail de 42 graveurs • ».

Plus tard, en 1810, Widmer, ayant construit une nouvelle machino à imprimor (d'après un modèle qu'il avait vu à Manchester), celle ci fut désigné.o à Jouy sous le nom de bastringue anglais 3. Son inventeur généralisa le terme ; il écrit dans une lettre datée d'Aarau, le 19 juillet 1809: « Au bastringue de Munster j'avais trouvé la racle bien placée... *. De là, bas(ringuer, imprimer les toiles au rouleau: « Los échantillons que nous avons vus à Jouy do toiles bastringue'es, avec du noir et du blanc dedans, se font de la manière la plus naturelle 5 ».

Co sens technique a laissé quelques traces isolées :

a. — Scie en acier trempé spécialement pour scier le fer, acception particulière aux mécaniciens, allusion au bruit

1. Le Dictionnaire général le donne comme tel, mais sans citer de référence.

-\ Alfred Labouchèr»., Oberkampf (1738 1815). Paris, s. d., p. 128. Communication obligeante de M. Henri Glouzot.

3. Idem, ibid., p. 190. ' '

4. Lettres écrites d'Alsace par S. Widmer (17S8-1809), publiées par S. T., Mulhouse, 1911, p. 11.

5. Ibidem, p. M./12.


188 FACTEURS SOCIAUX

qu'elle fait (Virmaîtro). Tenue adopté par îcs voleurs, chez lesquels il désigno, en outre, l'étui contenant des limes, scies, etc. que les malfaiteurs tenaient caché dans l'anus (Vidocq).

b. — Charrette ou mécaniquo démantibulée (en Anjou). Dans l'Aunis, bastringue désigne l'établi qui sert aux tonneliers à ajuster les morceaux d'un fond de futaille (L.-E.-Moyer, Glossaire de l'Aunis, 1870, p. 70).

2° Le premier lexicographe qui en fasse mention est d'IIautel, 1808, qui consacre à not.ro mot cet article intéressant: « Bastringue. Nom donné primitivement à une contredanse qui a été longtemps en vogue à Paris. Ce mot a reçu depuis une grando extonsion : le peuple, à qui il a plu, s'en est emparé, et l'a appliqué à des choses de nature différente. Un bastringue signifie tantôt un bal mal composé, tantôt un mauvais joueur de violon ; puis, une maison de désordro, un mauvais lieu. Un bastringue est aussi une petite mesure qui équivaut à peu près à ce que les buveurs appelaient autrefois un canon, dont la capacité répondait à celle d'un verre moyen : boire un bastringue signifie donc vulgairement boire un verre de vin ».

En 1821. Desgranges remarque, à propos de bastringuer, aller au bastringue: « Voilà du français de la Râpée ou de la Courlille. Ces mots doivent la naissance à nos soldats ».

L'acception de bal de faubourg, déjà indiquée par d'Haulel," est encore vivace : « Un petit marchand do vin qui avait un bastringue au fond de son arrière-boutique... Fifinc ne dansait pas un chahut de bastringue », Zola, Assommoir, p. 78 et 214.

Mais le sens le plus général est tapage, vacarme : « Eh ! zut alors... voilà le bastringue qui commenco », "Courteline, Gaietés, p. ii.

Surtout, bruit discordant, en parlant d'instruments: mauvais violon (Boulogne), mauvaise fanfare ou orchestre bruyant (Lyon), à côté de bataclan, mobilier (Anjou).

Le terme bastringue, primitivement technique, accuse une provenance provinciale allemande, probablement alsacienne ', comme le montrent les variantos wabstringue, wastringle 2,

1. Le Dictionnaire des patois alsaciens (Te Martin et Lienhardt (Strasbourg, 1899-1907) semble pourtant ignorer ce vocable technique.

2. Variantes données par les Albums d'outils (cités dans la dissertation de Gadc, Handwerksnamen im I'ransosishen, Kiel, 1898, p. C2).


MÉCANICIENS 189

avec le sens de racloir ou rabot servant à racler des surfaces étroites.

Un dos tonnes les plus récents qu'on doit aux mécaniciens est bc'eane, qui a successivement désigné ;

1° Machine à vapeur, surtout mauvaise (« rafistolée par les Auvergnats de la rue de Lapp, qui marche comme une montre réparée par un charron », Virmaîtro), locomotive démodée qui fait le service dans les gares: « Il dit quo c'est vexant de conduire une bécane », Poulot, p. 88 '.

2° Bicyclette: « Allons-nous faire un tour de bécane? » (Virmaîtro).

C'est un emprunt provincial apporté à Paris par un des ouvriers immigrants qui venaient de l'Ouest : dans l'Anjou bécane, parallèle à bécotte, est le nom"de la chevrette (cf. Poitou, beque, chèvre, et Yonne, bicane, vieille bique). On sait qu'en français, chècre désigne métaphoriquement diverses machines à levier ainsi quo différents genros de supports ou d'appuis h, basculo.

Ces images so trouvent à la base de nos appellations : la machine à vapeur ou locomotive est portée par un grand cadre ou châssis reposant sur deux ou trois paires do roues; la bicyclette, à son tour, n'est qu'un siège à deux roues qu'on fait mouvoir en appuyant sur une pédalo.

On verra ailleurs que les ouvriers de toute catégorie ont joué un rôle important dans l'importation des provincialismes à Paris, où ils viennent constamment faire un stage professionnel plus ou moins long.

i. Cf. A. Daudet, Jacques, p. 302 : « Ils [les ouvriers en ferj ne parlaientpas comme tout le monde, se. servaient entre eux d'une espèce de jargon que l'enfant trouvait bas et laid. Une machine s'appelait une bécane, les chefs d'atelier des contrecoups, les mauvais ouvriers de la chou/ligue t.


II

I iMPRIMKURS

Leur vocabulaire technique a déjà appelé l'attention des lexicographes du xvme siècle. Philibert le Houx et le Trévoux (1752) en citent des exemples ; et à la fin du même siècle, le libraire-imprimeur François Momoro on donne le premier recueil par ordre alphabétique dans son Traité élémentaire de Vimprimerie, publié en 1793. Au début du xixe siècle, d'Ilautel lui consacre plusieurs articles de son Dictionnaire, et, de nos jours, on en a publié des recueils spéciaux '. Nous en tiendrons compte pour démêler les éléments constitutifs de ce langage spécial.

1. —v Vieux mots.

L'argot des imprimeurs a conservé nombre d'archaïsmes :

Caristade, secours en argent que l'on donne-aux passants (Boutmy), c'est-à-dire charité, aumône, sons donné déjà par Richelet qui ajoute : a il no se dit qu'en riant » (en faisant venir le mot de Pesp. caridad).

Le mot représente un croisement du languedocien caristat, aumône, et d'estrade. C'est primitivement un terme do gueux, encore vivace, avec des acceptions spéciales, dans les parlers provinciaux : Yonne, caristade, aumône et mauvaise farce ; Anjou et Maine, courir la calistrade, vagabondor, courir le guilledou ; à Rennes, chercher la calistrade, se dit d'un pique-assiette qui se présente dans les maisons à l'heure des repas (Goulabin).

Cliècre, mauvaise humeur 2 : « Boeuf, exprime une colère plus accentuée que chèvre » (Boutmy). La locution gober la cltèore, se mettre en colère (Boutmy), répond à l'expression synonyme prendre la chèvre, qu'on lit fréquemment dans les Satires do

1. Eugène Boutmy, Dictionnaire de la langue verte typographique, Paris, 1878.

2. A coté Je chevroiifi. irascible (Boulmy). Cf. d'Ha.itel : t Cfievrolin, liomme qui prend facilement la chèvre, qui n'entend pas le badinage. Ternie typographique ».


IMPRIMEURS 191

Régnier : « Prendre la chèvre, bouder, se fàchor. Colto expression, autrefois comique, n'est plus maintenant on usago que parmi les imprimeurs où elle a conservé son acception primitive. Ainsi en terme typographique-, gober une bonne chèvre, signifie cire très en colère, se fâcher sérieusomont » (d'Hautel).

Micliaut, somme : foire un michaut, dormir un somme (Houtiny) : « Michaut, terme d'imprimerie qui se dit ironiquement aux compagnons lorqu'ils sont accablés de sommeil » {Trévoux). — « Avoir michaut, avoir envie de dormir ; faire son michaut, dormir un somme» (d'Hautel).

Le môme nom, au xvie siècle, servait à désigner la tète, appellation facétieuse vulgaire qu'on lit dans un traité de nié-, decine populaire de l'époque « Pour le mal de (ente » :

Pour le guarir prendre vous fouit De bon vin sans faire la heste Et l'avaliez, soit froid ou chaut ; Puis vous couchez le cul en haut, Et que la teste pende en 1ms : Ainsi sera guary michaut t.

Le mot est identique à Michaut, nom propre d'homme, appliqué plaisamment à cette partie du corps.

Parangonner, aligner ensemble des caractères d'imprimerie de forco différente, proprement les mettre en comparaison, sons ancien du mot : se parangonner, se consolider en s'appuyant, s'arranger de façon à ne pas tomber lorsqu'on se sent peu solide sur ses jambes (Boutmy).

Heliration, action d'imprimer le second côté d'une feuille, terme qui remonte, avec ce sens technique, au xvie siècle {v. Dict. général) : Etre en retiration désigne l'état de l'ouvrier typographe qui commence à vieillir et qui trouve difficilement de l'ouvrage (Virmaître). «

Trie, signo quo se font entre eux les ouvriers typographes pour s'esquiver do l'atelier et alle_r,chez le marchand de vjn : faire le trie, déserter à un signal donné l'atelier, pour aller prendre des forces cirez le marchand do vin (Rigaud). Lo mot est donné par le Trévoux (1752) : « Trie, espèce de terme d'ar-. got. C'est un mot inventé par les compagnons imprimeurs qui leur sert île signal pour quitter leur ouvrage et aller faire la débauche». Le règlement do l'rmprimerio de 1618 dé1.

dé1. vraye Médecine qui guarit de tous maux, Rouen, 1602, p. o.


192 FACTEUKS SOCIAUX

fend déjà le trie dans son article 31 (v. Fr.-Michel, p. 407). Le mot signifie réunion, triage, avec ce dernier sens encore vivaco dans le langage des chiffonniers et dans les patois du Centre

2. — Termes de jargon.

Ce qui distingue l'argot moderne des types, ce sont les nombreux éléments qu'il a tirés du jargon et auquel il a souvent su imprimer un cachet particulier : Barboter, voler des sortes ; casquer, payer plus souvent qu'à son tour ; s'enquil1er, être embauché ; gail, cheval ; morasse, épreuve faite à là brosse d'une page do journal ; planquer, cacher des sortes, etc.

En revanche, c'est du langage des imprimeurs que dérive le terme jargonnesque marron, en flagrant délit de vol, qu'on lit pour la première fois chez Vidocq (1837). Marron désignait l'ouvrier typographe qui travaillait clandestinement ainsi quo le libelle ou l'ouvrage publié sans permission (sens déjà donné par le Trévoux de 1752); aujourd'hui, le mot désigne l'ouvrier compositeur travaillant pour son propro compte chez un maître imprimeur (Boutmy).

3. — Formes vulgaires.

Les formes vulgaires sont peu nombreuses, mais caractéristiques :

Batiau, projet, provision de sortes, prononciation vulgaire de bateau, c'est-à-dire galée. Parler batiau, c'est parler des choses de sa profession, c'est-à-dire, pour les typographes, des choses de l'imprimerie ; jour de batiau, celui où le compositeur fait son bordereau et arrête son compte do la semaine ou de la quinzaine (Boutmy).

D'Hautel consacre au mot cet articlo intéressant : « Batiau. Terme consacré parmi les imprimeurs et qui signifie gain, profit, bonne affaire, avantage que l'on retire d'une chose sur laquelle on faisait fonds; faire son batiau, calculer une affaire de manière à y trouver son compte... Dans l'imprimerie, les compositeurs appellent feuille de batiau, celle sur laquelle ils n'ont fait que quelques pages...; batioter, comploter dans l'atelier où l'on est omployé ; balioteur, ouvrier intrigant, batiotage, cabale d'ouvriers contre le maître ».


IMl'UlMKlIiS 103

Pian, conte, menterie, et piauler, dire dis piaux, mentir (l)outiny\ proprement peau, c'est-à-dire rien (cf. l'expression négative la peau'.) : « Pian, terme d'imprim ?rie dont on se sert pour dire que ijm*!(jn'nu dil un mensonge; on dit aussi couler su jn'au, pour dire qu'on cause, plutôt que de travailler », Moinoro (17!t.'î).

'j. — Vocables facétieux.

Ajoutons les appellations plaisantes :

Ilarbe, ivresse, passion du vin chez les ouvriers imprimeurs : « Les lundis, mardis, mercredis de chaque semaine, outre les 'dimanches, sont les jours consacrés h prendre la barbe, e'està dire se priser, se. soûler (acnir la barbe, être complètement ivre). Lorsque quelqu'un tient des discours déraisonnables, ou l'ait des propos ridicules, on lui demande s'il a la barbe. Toutes ces locutions ne sont usitées qui; parmi les imprimeurs. — S'cmbarber. prendre la harhe. Terme bâe'chico-lypographique qui signifie faire débauche de vin. se griser à perdre la raison », d'IIaulel, 1808.

Au xvm* siècle-, cette expression facétieuse avait, une application plus générale, comme le témoigne Philibert le Roux : « lîarbe fleurie, signifie lîacchus. le «lieu du vin, quelquefois aussi un buveur à rouge trogne, qui, à foret; de boire, a la face fleurie et enluminée. — Un homme enibarbé, dans le style populaire, signifie un homme ivre, imbu de vin ».

.D'ailleurs, la réputation des imprimeurs comme bons biberons a laissé une autre trace: c'est soulorjrapltie, ivresse complète : « Si je donne les dix francs aux-ouvriers, Monsieur, ils feront de la soaloyraphie. et adieu votre typographie, plus de journal », Halzae, Un (jr.and honune de province à Paris, eh. XVII.

Cette expression ' est devenue d'un usage général : « 11 y a bien deux ans qu'il n'a pris son poteau télégraphique... souIcujraplne complète... », l'oulol, p. ut. — « On liche d'abord sans (rop se causer, en silence; puis eu s'épaississanl, les langues se dégourdissent, la souloijrapliie monte... », Almanach du Père Peinard, i89t, p. 40.

Loup, dette criarde : faire un loup, c'est prendre à crédit,

). «Alors GiTvaise tut un soupir de soulagement, heureuse de Io savoir enfoui en repos, cuvant sa toulograpftie sur deux bons umtelajs », Zola, Asiummoir, p, 157. — Le mot se lit déjà dans le Vocabulaire de Vidoeq (1837).

13


194 FACÎKUUS SOCIAUX

principalement choz le marchand do vin (Houtiny). Ce sens est déjà donné par d'Hautel : « Faire un loup ou des loups. Jargon typographique, qui signifie fairo d\is dettes criardes, devant au marchand do vin, au boucher, au boulanger, a la fruitière, etc. C'est surtout pour les marchands de vin que les loups sont los plus redoutables ».

Ours, imprimeur à la presse « à cause de la rusticité, do la grossièreté que l'on imputo à la plupart do ces ouvriors. Co sens donné par Richelot est vieilli : le mot signifie aujourd'hui bavardage ennuyeux » (Boutmy).

Sinyc, ouvrier compositeur (Virmaître) : « C'est lo nom que les imprimeurs à la presse donnent aux compositeurs qui ne font pour ainsi-dire quo copier les manuscrits et (ceux-ci) pour se venger de ces derniers, les appellent ours » (d'Hautel).

Symbole, crédit : avoir, demander symbole (Boutmy), mot déjà donné par d'Hautel: « Dans le jargon typographique, ce mot équivaut à crédit ». C'est une application burlesque du symbole des Apôtres, analoguo au credo, crédit, sons qu'on lit déjà dans Rutebeuf et qui est encore vivace dans le parler vulgaire.

5. — Termes généralisés.

Certaines expressions figurées dos typos n'ont pas franchi la sphère professionnelle; telle démonter ses balles .*" « Expression technique; au propre, l'action que'font les imprimeurs en détachant les cuirs cloués au bois des balles ; au figuré, et parmi les ouvriers do cette profession, cette phrase signifio s'en aller en langueur, dépérir à vue d'oeil, approcher du terme de sa carrière» (d'Hautel).

D'autres termes ont, par contre, trouvé une application plus générale : -

Bloquer, remplacer provisoirement un signe typographique par un bloc, d'où, par extension, manquer, faire défaut, faillir ; bloquer le mastroquet, c'est ne pas payer lo marchand de vin. Ce double sens se lit choz d'Hautol : « Bloquer, au propre, terme d'imprimerie, suppléor à une lettre manquante par une autre lettre que l'on renverso ; au figuré, oublier quoiqu'un dans une distribution où il avait droit : on l'a bloqué, on a pris sa part, on l'a totalement oublié ».

Carton, dans la locution de carton, de peu de valour : correcteur, compositeur de carton, inhabile, qui ne connaît


IMPRIMEURS 195

pas son métier; do là, de mauvaise-qualité ou condition : miche de carton, amant de passage qui esquive à payer; cire carton, revenir sans argent, en parlant des filles (Bruant, Rue, t. Il, p. 92).

Le dérivé se dc'eartonner, s'affaiblir, devenir poitrinaire, est une image tirée des relieurs : « Quoi donc que t'as, ma vieille ? Ça va pas ? On dirait qu*o tu te décartonnes » (cité dans Bruant, Dict., p. 151).

Cran, encocho faite à la lettre pour on distinguer le sens, est devenu l'expression do la mauvaise humeur : aooir son cran, être on colèro(Boutmy), aussi être à cran, môme sens : « On no sait vraiment comment la conlentor, elle est toujours à cran; d'un bout do l'année à l'autre, elle rogne », Bercy, XVIe lettre, p. S.

L'ouvrier compositeur est toujours grognon : le gourgousseur ost un type bien connu dans les imprimeries. De là plusieurs synonymes typographiques pour exprimer le crescendo de la mauvaise humeur: Avoir son boeuf,- gober sa chèvre, aooir son cran, et gourgousser, ce dernier exprimant le degré le plus élevé : « se répandre en récriminations do toutes sortes et à propos de tout » (Boutmy). C'est un emprunt provincial : dans lo Bas-Maine, gourgousser signifio gronder sourdement comme une marmite qui bout (en Anjou faire entendre dos glouglous ; en Picardie : commencer à bouillir).

Marque-mal, homme do mauvaise mine, proprement nom du receveur des feuilles à la machine (Bruant, Route, p. S2). Mèche, travail: demander mèche, offrir ses services dans une imprimerie. Voici ce qu'en dit d'Hautel: « Mèche, en terme de typographe, lorsque les ouvriers viennent à proposer leur service au prote de l'imprimerie, ils demandent s'il y a mèche, c'est-à-dire si l'on peut les occuper. Les compositeurs demandent s'il y a mèche pour la case, et les pressiers, s'il y a mèche pour la presse ».

Le travail est ici assimilé à la mèche d'uno chandelle, d'uno lampe, c'est-à-dire à la matière qui les alimente; de là. la locution populaire, il n'y a pas mèche, il n'y a pas moyen, l'une et l'autre expression généralisées dans lo baslangage :

1° Chez les ouvriers en général : « Y a-l-il mèche? y a-t-il moyen ? —~ Il y a pas mèche. Beaucoup d'ouvriers, quand ils demandent à un patron s'il a do'l'ouvrage à leur donner, di-


196 FACTEURS SOCIAUX

sont : y-a-t-il mèche? » (Rigaud). — « Peux-tu me fairo travailler chez toi ? — Il n'y a pas mèche, il n'y a pas d'ouvrage » (Rossignol).

2° En dehors du monde ouvrier : « Y a-t-il mèche d'aller au théâtre à l'oeil ? .— Non, il n'y a pas mèche. — Prête-moi un louis? — 11 n'y a pas mèclie, je n'ai pas le sou » (Rossignol).

Saint-Jean, ensemble dos outils d'un compositeur ; prendre^ son saint-Jean, quitter l'atelier (Saint-Jean-Porte-Laline est le patron des imprimeurs) : « On appelle saint-Jean les outils d'un imprimeur » (d'Ilautel, 1808). Ce terme est devenu synonyme de saint-frusquin (Rigaud).

Sorte, mystification, histoire drôle et interminable, proprement tout le stock des lettres d'un même caractère, d'une môme sorte : « Conter une sorte, c'est narrer une histoire impossible, interminable, cocasse et que tout le monde raconte à peu près dans les mêmes termes » (Boutmy).

Ce sens est déjà donné par d'Ilautel : « Sorte, plaisanterie, conte fait à plaisir ; c'est une sorte, une bonne sorte, un conte en l'air ».

Terme généralisé dans le bas-langage : « Les galonnés lui faisaient dos sortes, asticotant les pousse-cailloux pour qu'ils so payent sa tète, » Père Peinard, 13 mars, 1892.

Voilà les éléments constitutifs de ce curieux langage des typos, dont l'influence restreinte ne méritait pas moins d'être retenue dans cette revue d'ensemble des sources techniques du vulgaire parisien.


III

CORDONNIERS

Parmi les compagnons cordonniers nommés dans les statuts de la communauté, approuvés et confirmés par lettres patentes en 1573, on trouve le Carcassonnais, dit le Pontif. Ce sobriquet se généralisa ensuite pour un mauvais cordonnier, pour un savetier (d'Haute!), aujourd'hui maître-cordonnier. Cette appellation plaisante, qui fait allusion à son tablier do cuir professionnel, trouve ses pendants dans plusieurs autres surnoms tels quo :

Gniaf, forme réduite do gna/re (« cordonnier en vieux, » à Lyon), proprement goinfre, le gnafron, ou glouton, étant lo compère du guignol dans les marionnettes lyonnaises : cf. d'une part, le prov. gnafld. bâfrer, et d'autre part, lo picard gnafrde, grande quantité d'aliments, soupe, ragoût, etc. (Jouancourt). Ce sont là des formations onomatopéiques, comme le montre cetlo chanson populaire (E. Rolland, t. I, p. i67) :

Une jeune fille, dans un vert pré,

Par accident a déchiré :

Kilo a déchiré son ynoufl-gnouffe,

Et son gnaff-gnaff,

Et son soulier.

Voici deux citations : « Les hoquets d'un gnaff abruti par l'eau-dc-vio poivrée ». Cuisin, Les Cabarets. 1821, p. I. — « Ceux qu'y disent qu'il n'y a rien à faire, c'est des gniaf s ! » llosny, Hues. p. 303.

Lo terme est moderne 1 et d'origine provinciale; on lo lit pour

1. Llttrô cite, d'après Lacurne, un texte du XIII« siècle, où la leçon gnaf n'est nullement certaine (elle y alterne avec gnif, gnouf, gnauf) et dont le ■sens est obscur. Wilfried Clialleniel, dans sa brochure Tailleurs et cordonniers de Domfront (1G9I), Flers-do-l'Orne, 1909, p. 10, note, prétend que t le ynmf était dans l'argot du temps (1C91) l'ouvrier cordonnier, et le pignouf, l'apprenti ». L'auteur n'appuie celte assertion d'aucune preuve documentaire. Quant à l'expansion du mot, dans les parlers provinciaux, voir Chr. Tliorn.t Quelques dénominations du cordonnier en français, étudcdegéugral'iiio linguistique) » {Arcltiv fur dus Sludiuin der iicucrn Sprachen, t. CXX1X, 1012, p. i.'iO suiv.).


^•sSigSgS?

198 FACTEURS SOCIAUX

la première fois chez d'Hautol : « Gnaf, sobriquet que l'on donne à un savetier ».

Le sens primordial de « goinfre » se retrouve dans les appellations parallèles :

JJouif, bouffie, nom plaisant donné au cordonnier ou au savetier, à Paris et dans les provinces (Berry, Maine, etc) : en Anjou, on dit bouij et bouifvc, et cette dernière forme est la primitive (dérivée d'un verbe bouifrer, croisement des synonymes bouffer et bâfrer) : « Comment, toi, bouif... tu ne connaissais pas la savate? » Doscaves. Sous-ofifs, p. 76. — « Rupelasseur de savates si vous préférez, gnouf ou mieux • bouffie », Almanach du Père Peinard. 189i, p. 33.

Galifard, cordonnier (Rigaud), proprement glouton, terme provincial : « Il a mangé comme un galifard; il faut dire, selon les circonstances, il a mangé comme un glouton, comme un gouliafre, comme un ogre », (Mulson), Langrcs, 1822.

Le correspondant français, sabrenas ou sabrenaud, également d'origine dialectale', semble représenter la même épitbèto. Oudin (1612) donne sabre, savetier, et, en Dauphiné, sabourin, désigne le cordonnier (cf. sabourd, savourer/."

D'autres sobriquets ont comme point de départ le trait commun — la saleté — entre le chiffonnier et le savetier {b if fin désigne l'un et l'autre). L'appellation suivante s'y rattache : Pignouf. nom de l'apprenti cordonnier, ensuite lourdcau, rustre. Le mot représente un croisemont de pignou, chiffonnier % (dans le Berry), et gnouf, forme parallèle à gnaf. Le sens figuré de « plcutro, goujat » est populaire : « Iït dire que ce méchant populo n'en veut rien savoir I Vrai c'est pignouf de sa part », Père Peinard. 3 mars, 1889, p. 2.

En français, pignàuf désigno l'homme à l'esprit étroit et mesquin : « Le haut du pavé appartient aux gniafs, aux pignoufs », Goncourl, Journal. 2 octobre 186t. — « Il paraît que tu étudies le pignouf; moi, je le fuis, je lo connais trop. Ce moi pignouf a sa profondeur; il a été créé par les bourgeois exclusivement, n'est-ce pas ? » Lettres de Georges Sand à Flaubert 3, 17janvier 1809. — « Je passerai pour un pignouf

1. Chabreno: et chabrenaul, savetier, se trouvent dès 1630 dans la Mute Normande de David Kerrand, et la forme correspondante parisienne dans l'Agréable Conférence de 1G59 (éd. Kosset, p. 13) : « (îuillot le sabrenaul ».

■2. A. (ienève, pignouf est l'appellation dérisoire du pioupiou, du soldat du centre dans la réserve (cf. biffin, chiffonnier, savetier et fantassin).

3. Celui-ci écrit à son tour le 11 oct. 1870 (Correspondance, t. IV, p. 46) « La France va suivre l'Espagne et l'Italie et In pignouflisme commence ».


fpSP*"

CORDONNIERS 199

aux yeux de Christine », Thcuriet, Tante Aurêlie, p. 128. Rappelons que certaines appellations, données aux savetiers, chouflique et choumaque, sont allemandes, cette profession étant souvent et depuis longtemps exercée chez nous par des gens do cette nation. Dans une ancienne farce, le savetier porte le nom de lancement, c'est-à-dire Landsmann. compatriote allemand (Ancien Théâtre, t. I, p. 226) :

Et puis il faut au lancement

De l'argent, pour mes carrelcures...

Citons maintenant quelques termes de métier plus ou moins généralisés :

Astiquer, polir, lisser les semelles des souliers à l'aide' de Vastic; delà, nettoyer, vernir le fourniment militaire. Terme de cordonnier étendu à l'ensemble de l'uniforme de l'armement : un soldat bien astiqué, et. plaisamment, un bourgeois bien astiqué, dont la mise est soignée.

Baquet de science, appellation ironique pour baquet où les cordonniers mettent tremper les vieux cuirs, les vieilles chaussures ; baquet d'eau, dans le langage des ouvriers : « Si tu no veux pas marcher mieux que ça, je te f... dans un baquet de science. » Poulet, p. 181.

Botter, aller, au pied, à la jambe, d'où, figurément, convenir, plaire : « Si cette idée botte les aminches, qu'ils me la fassent savoir », Père Peinard, 30 juin, p. 5. — « De ne rien faire, c'est justement ce qui me botte », Rosny, Marthe. p. 172.

On disait chausser, avec la même acception métaphorique : f< Je ne chausse pas à son point, c'est-à-dire je ne suis pas de mesmo humeur, de mesmo volonté, de m os me nature », Oudin, Curiosités. 16i0.

Manique, pièce de cuir qui protège la main du cordonnier, du savetier : tirer la manique, faire le métier de cordonnier ; c'est un homme de la manique, c'est un cordonnier, un savetier. Do là :

1° Métier do cordonnier : « Sur quoi bavassor à deux bouiffos qu'on étaient... Pardine, on a parlé manique, » Père Peinard, b juillet, 1891.

2° Profession, on général : « Il (l'ouvrier sublimo) parle manique du matin au soir », Poulot, p. 97. ,


200

FACTEURS SOCIAUX

3° Moyen, procédé : savoir la maiiiquc, savoir s'y prcmlre ' : « Je ne savais pas comment m'y prendre pour atteler un cheval, mais maintenant je connais !a ntani<[ue », Delhoullo. 1886.

Un exemple curieux de généralisation sémantique nous est oll'ert par rebouiser, terme dérivant de la même sphère technique. VAX voici les étapes intermédiaires :

Les cordonniers polissaient la semelle avec un brunissoir de buis, le bonis, pour la rendre plus luisante: de là donner le bonis, faire valoir, que Philibert Le Houx définit : « Manière de parler parisienne qui signifie donner le bon air à quoique chose, donner un oeil aisé, agréable; signifie aussi donner un beau tour à un discours, dorer la pilule ».

Citons ces deux témoignages' de l'époque : « C'est z'iin tendre amant qui a fait jouer ste machine pour donner le bonis à mon cher père », Théâtre des boulevards, t. 1, p. 1)1). ■— " « Faut que son père et sa mère lui ayons ben doi\në le bonis quand ils l'avons faite », l'aequet des mouchoirs, 17")0, p. 23.

C'est surtout le composé rebouiser qui a subi de forts changements sémantiques. Le sens initial en est donner le bonis, la façon, le vernis, d'où :

1° Réparer de vieux souliers ; de là ribouis, vieux soulier (et savetier) : « T'as rien à loi sur le dus. pas seulement les ribouis ». Méténier, Lutte, p. l'.U. — « Le ribouis n'est pas tout à fait xnx savetier, c'est plus ou moins : c'est le fabricant de dit/j-fatit, soulier redevenu noeuf», Privât d'Anglemont, p. ll\o.

2° Nettoyer et lustrer un chapeau (Litlré).

Les sens figurés sont nombreux (tromper, rabrouer, etc.) dans le poissard du xvin 1' siècle-, mais ils n'ont laissé que cotte acception dans le bas-langage parisien : regarder, considérer attentivement : « Rebouiser. Regarder quelqu'un depuis la tète jusqu'aux pieds, l'examiner d'une manier»; atl'eetée et de mauvais dessein » (d'Ilaulel).

Certains sens poissards du verbe sont encore vivaces dans quelques parlers provinciaux ; en Anjou, rebouiser signifie contrecarrer, reprendre, redresser (Verrier et Onilton); à Troyes, rebouiser, c'est réprimander sèchement (Mulson).

Ajoutons que la forum ribouis, vieux soulier (qui remonte-à re1.

re1. l'hililtert I.e, Houx : « Du dit d'un homme adroit <[it"/7 enlt-tol ti i- <inir/ue ».

-. Voir, pour c<>s sens ]ioiss':iïds, <!li. Ni^U'î, 1'nrhiniihnie.*, p. !!l à 37.


COltDONNlKKS 201

bonis) a produit analogiquement les doux synonymes suivants : lïipatin, soulier grand et largo (patin, soulier à semelle, do bois), à eôlé do ripaton, vieux soulier '. et, plaisamment, pied, jambe (jouer des ripatons, décamper), acception passée dans les par lers provinciaux (Anjou, Lyonnais, etc.) : paton désigne le morceau do cuir qu'on met en dedans du soulier, au bout do l'ompoigno : « Alors, lentement traînant sa paire do ripaton.fi «'veillés, elle descendit la rue... », Zola, Assommoir, p. oiM.

liigadin, gros soulier, à coté de rigodon, mémo sons (.Rossignol), proprement soulier on bois: gadin, godon, bouchon en liège ou eu bois (au jeu de bouchon), répondant au synonyme galoche, bouchon et gros sabot (Riehepin, Gueux, p. 173) : « Mes rigadins font .des risettes... »

Finissons par une remarque psychologico-linguisliquo. On lit dans Y Histoire de.la cordonnerie de Senfoldor ce passage : « Une chose assez curieuse, c'est que chaque métier imprime aux artisans qui l'exercent un caractère particulier, une nature spéciale. Le boucher est généralement grave et plein do son importance, le peintre en bâtiment est étourdi et bamboclu.'ur. le tailleur est sensuel, l'épicier stupide, le portier curieux ol bavard, lo cordonnier et le savetier, enfin, sont gais, égrillards, parfois" ayant toujours un refrain à la bouche... » 2

Dans une farce du xvi,! siècle, celle d'un savetier nommé (lalbaiu 3, celui-ci no fait que chanter et répliquer par des chansons aux griefs do sa femme.

Kl lo fameux savetier lîloudeau do Des Périers (Nouvelle xix) « qui no fut oncq en sa vie melaucholié que deux fois, et comment il y pourveut. »

(lotte constatation n'est pas toujours confirmée par la lan1.

lan1. là ripnlon'i''.; réparer de vieilles chaussures, terino passé à l'LVole l'ûlylf!chriii|Hi' avec lo sons généralisé du « l'accommoder, réparer 'les habits » cl même, avec l'acception figurée : « Ou ripulonnc un éditiro en le recrépi«saut, on rip lionne un livre en publiant une édition revue et corrigée. P, 11. do la liédolliére, Vlicnlr l'ol'/terltnique (dans La Français i>cinls jnir euxinhnes, 1S10-1S12, t. V, p. li'i). Mais lorsque l'auteur y ajoute : «... réparer, lâche dont s'acquittait avec succès un tailleur nommé lîipalim, longtemps b'i-'é aux frais <|e l'Ktat, dans les combles du casernement », c'est là un p'rsonii ifjo inventé de toutes pièces pour le besoin de l'étymolo^ie, et dont l'Ari/ol île /'.Y s'en est fait l'écho : c Hipatoii, synonyme de tai!,eur... Le mot a beaucoup vieilli t.

-'. Cité dans Joseph Ijarbeivt, Le Traciil en l'runce, I';:ris, lSSii-IS'JO, t. Y. 1». i;:i.

;j. Ancien Ihé'Ure franchis, t. II, p. M. La farce est de l.'iiS.


202 FACTEURS SOÛIAUX

gue : à côté de cliabrenas l, étourdi (comme un savetier) du patois havrais, il y a lo manceau choumacre, individu triste, de caractère peu ouvert (Picard., choumaque, savetier), et déjà au xvic siècle, le savetier avait cette réputation d'esprit chagrin. Voici do quelle façon lo caractérise M.,de la Porte, Parisien, dans ses Epilhètes. 1571, f° 368 v° : « Savetier, lk>- bclineux, carreleur, pauvre, rovaudour, mechanique, rapetasscur, maussade, incivil, rapieceur, mâcherive et gaussour».

Nous voici loin de l'humeur chansonnière du Savetier du fabuliste (La Fontaine, 1. vin, fable 2) :

Un savetier chantait du matin jusqu'au soir, C'était merveille do le voir,' Merveille do l'ouïr...

Il s'agit donc plutôt d'une différence de tempéraments et les extrêmes ici, comme ailleurs, se touchent.

1. Dans la Mayenne, sabrehas désigne un individu d'une conduite peu régulière, attirant l'attention par le tapage, le dcsorJre, Cf. nigaud : « Ilouif, faiseur d'embarras ; faire du bouif, prendre de grands airs ».


IV BOUCHERS '

De tous les corps de métier, celui des bouchers ost le seul qui dispose d'un langage conventionnel ou plutôt d'un procédé défurmaleur dos vocables de la langue générale. Ce parler spécial des bouchers no possède, quant au vocabulaire, aucun élément original et consiste uniquement dans la modification formelle des mots courants. C'est un genro particulier de transposition do l'initiale et do la finalo de certains termes, une sorte d'anagramme qui se complique d'amplifications d'une nature spéciale

On a essayé d'en établir les modalités 2, dont la plus générale est de remplacer la consonne initiale par un l et de la reporter à la fin du mot avoc une terminaison aléatoire (surtout ème) : « Doucher » devient ainsi loucherbème ; « truc », luctrètnc, etc.

Cet ème est souvent réduit a e'ou i : «jargon » devient alors lai'fjonji; « prince », lincepré (aujourd'hui, inspecteur des boucheries), etc.

Parfois, mais plus rarement, on décompose le mot en deux éléments séparés par du : nonzesse du yon pour ijonzesse (llayard).

Ce sont, on le voit, des procédés primitifs pour déguiser les mots, procédés qui no diffèrent pas essentiellement de ceux employés par les écoliers pour arriver au mémo but 3.

Dos altérations analogues au loucherbème se retrouvent dans l'argot des marchands de porcs, des marchands de grains, otc. au Tonkin *. Le procodé anagrammatiquo tout

1 Nous avons pu contrôler los données souvent confuses et erronées de nos devanciers, grâce aux- renseignements obligeants de M. François l,econte, vice-président du Syndicat des bouchers en détail île Paris.

2 Voir à cet égard le Dictionnaire de Bruant, v° jargon, et la préface de Rossignol, p. vit à xt.

3. Le Ducliat en fait déjà mention dans le Dictionnaire de Ménage, y argot. •I. Voir le llulletin de l'Ecole française de Vlïilrâme-Orient, t. V. !>• 47 etsuiv


20i FACTEURS SOCIAUX

pur ost d'ailleurs 1res usuel dans le slang anglais, dans la germania el dans un argot savoyard '.

On a étrangement exagéré chez nous la portée el l'influence de ce jargon des bouchers.

D'une part, on en a isolé les procédés pour en faire autant de jargons qui n'ont jamais existé que dans l'imagination de leurs auteurs 2 ; d'autre part, on est allé jusqu'à en fabriquer des vocabulaires.dans lesquels les neuf dixièmes des termes sont purement illusoires 3.

On a enfin attribué au loucherbètne plusieurs mots qui n'en peuvent mais 4.

Par exemple, loufoque, fou, est à tort envisagé comme une anagramme : c'est une simple amplification de loti/, imbécile, emprunt méridionnal, qu'on lit déjà dans les Scènes de la vie de Bohème de Murger, ch. xix : « La lettre de son ancienne maîtresse commençait par ces mots : Mon gros Louf-Louf! »

Il est difficile do-.piéeiser l'époque où les boucliers ont commencé à scjservir de ce langage. M. François Leconte pense qu'il remonte à 1852, lors de la liberté commerciale de la boucherie qui jela une grande perturbation dans un commerce où la concurrence était jusqu'alors inconnue. Les mots furent alors déformés pour permettre aux bouchers do correspondre avec leurs garçons et de leur faire écouler à la clientèle les morceaux qu'ils voulaient voir partir.

Cependant les témoignages positifs nous autorisent à le faire remonter plus haut et à en fixer l'usage vers i82o, dale où nous pouvons relover les premières traces dans la langue des malfaiteurs 5.

1. Cf. noire Anjot Ancien, p. iS.

■2. Dans lo journal L'Eclair du 21 janvier 1S97, M. Alph. Huinliorl distingue le jar, ou argot pur, <le l'aiior/ir/ des loucherions, argot «lus bouchers, et do Yamo île {/o, ou argot routier, l'argot «les saltimbanques et des pénitenciers militaires. —D'autre part, Larcliey (préf., p. vtrr, et Dict.) mentionne un parler eu kn\, un autre en loin, un troisième en loque, un quatrième en luche, un cinquième en dun, etc. Cf. Nyrop, Grammaire, historique, t. I, p. 14'J : « Il y a eu aussi des parlers en lem, en rama, en mard "et en gué... »

3. Voir, dans le Supplément de Larcliey, le Vocabulaire du lanjonji, p. SCI à 279.,11 suffit d'en citer cet exemple : Loben^ lonnehem. lonhlem pour t bon » --trois formes également erronnées, au lieu de l'unique lonbem qu'on lit dans une lettre argotique de 18."i2 (cf. nos Sources, t. 11, p. 194).

4..Dans l'article Janjon, d'ailleurs intéressant, du Dictionnaire de Limant, p. 27t à 278, figurent, entre autres exemples douteux, focard et tinyo, prétendues déformations de fou (alors qu'il s'agit de termes provinciaux) et lesbombe, mis à tort eu rapport avec femme (cf. ci-dessus, p. 118).

•;>. Feu Marcel Scliwob s'était 'étrangement fourvoyé eu cherchant, dans le fouctierl/ètne de nos jours, une des ressources pour éclairer les obscurités de l'ancien jargon. Voir notre Aryot Ancien, p. 40-47


BOUCHERS 205

Le Nouveau Dictionnaire d'argot de 1829 donne, en effet, lanterne, fenêtre (pour vanter ne) et tousse, gendarme (pour pousse) ; on lit Lorcefé, prison (pour La Force), dans les Mé' moires do Vidocq de 1829, et "le Vocabulaire du même (1837) renferme linspré, prince, et largue, femme (c'est-à-dire largue pour marque): Halbert d'Angers ajoute, en 1819, laumir, perdre (pour chaumir), etc.

Kn somme, une demi-douzaine de termes de celte source, Ce polit stock fut plus tard augmente par quelques" intrusions nouvelles. Dans le Mémoire 1 de Bcauvilliers, garçon boucher devenu apachc, on lit ce passage : « Mon mignon (ma maîtresse) connaissait l'anglais, l'allemand, très bien le français, l'auvergnat et l'argot que je lui apprenais de la boucherie... »; et plus loin : « Mon Dartagnan - file le luclrème dans la porte... », c'est-à-dire la clé, déformation du (rue 3.

On a beaucoup exagéré le nombre de ces infiltrations. Tandis que les Etudes d'argot (1891) d'Oscar Méténier, qui a connu de près les milieux criminels, eu sont presque dépourvues, les fragments suspects, insérés par Maeé dans son Musée criminel (1890). abondent on pareilles déformations, dernière ressource dos malfaiteurs pour échapper à la curiosité importune.

Les lexiques d'argot n'ont pas peu contribué, par leur manque de critique, à multiplier artificiellement ces prétendus emprunts. On lit arantqué et argongi, à côté de larautquë et largonji (ces deux derniers seuls exacts) dans Larchey, Delesalle et Virmaître, tandis que Delvau donne ranckë, pièce de deux francs (pour laranteque, quarante sous) ; Hector France insère les mêmes termes à la fois aux lettres i et L

Rossignol, seul, nous en donne un relevé exact, dans lequel dominent presque exclusivement les noms de nombre : leudé(2), loilré (3), latquë'(i), lincé (5), lixdè (10), linvé (vingt) et laranteque (40).

Ajoutons-y graoudjem, ou graouK, charcutier, forme abrégée do gras-double ; latronspème, patron, et lope 3, pédéraste

1. Publié dans lo Fiyaro'du i août 1873, sous le titre : « Notes d'un volour ».

i:!. Nom «l'un gardon «les halles, complice do Bcauvilliors. -

3. Voir les hypothèses fantaisistes, sur l'origine de luctràne, dans lîigaud, Larchey (Supphin.) et Dclesallo.

V. « I.o vendredi saint, les loucherbèines cl les i/raowsfont la bombe » (cité dans Bruant, Dicf., p. 9S).

S. La déformation latronspème KO lit dans Bruant (Hue, t. II, i>. 17S) ; celle do lope, dans Hirsch {Le Tigre, p. 132 et 311). — Dans le langage du soldat genevois, lope désigne par dénigrement le premier lieutenant, et demi-lope, le simple lieutenant (Henri Mercier).


206 FACTEURS SOCIAUX

(= cope, pour copaille) — tout au plus une douzaine de pareilles déformations l qui n'ont d'ailleurs laissé aucune trace dans le bas-langage.

Si l'influence du laryonji a été insignifiante sur le jargon des voleurs et à peu prés nulle sur le langage populaire parisien, il a par contre laissé quelques vestiges en littérature.

Tout une partie de la Chanson des gueuse de Richepin est intitulée : « Au. pays de laryonji » et son autre « Sonnet bigorne » se termine par ces vers :

Je nie camoufllc en pélican. J'ai du pellard à la tignasse. Vive la lampagnc du cam !

Il en explique le mécanisme dans le glossaire argotique qui clôt ses poèmes.

Calullo Mondés, dans son roman Goy (1896), a tiré un curieux parti du-laryonji. Un gueux ivre, du nom de Ralier, y parodie affreusement lés litanies do la Vierge. Tandis que le Père Prémice psalmodiait (t. I, p. 277) :

Sainte.Marie, priez pour nous, Sainte Mère de Dieu, Sainte mère de s Vierges, Mère de Jésus-Christ, Mère do la divine grâce, Priez pour nous !

l'ivrogne éjaculait à son tour :

Sainte Lariemucho, jacte pour nosorgues!

Sainte daronne du Dabuchc,

Daronnc très lurepoquo,

Daronne girolidc,

Daronne épatante,

Marmite remplie des tliumes de la Sainte-Essence,

Jacte pour nosorgues !

Nous avons reproduit cette page pour montrer jusqu'où peut aller la fantaisie do certains auteurs... Tout lo morceau

i. Mentionnons encore ces curieuses déformations analogiques qu'on trouve dans le Supplément de Larchey : Fignedé, anus, mot qui ;i subi l'influence de lignedé (= digne), comme phalangekes, doitft (= phalange), celle de luillerkèt (= cuiller) : « Jo lui trempe une phalangettes dans la inirette », Le Bourg (dans le Gaulois, 3 oct. 188!).


BOUCHERS 207

est un exemple grotesque d'un prétendu argot quo l'auteur inet dans la bouche d'un truand. Rendre :

Mère do la divine grâce,

par :

Marmite remplie des thunes de la Sainte-Essence,

est le comble de l'absurdo... Ajoutons que Jacter, parler, n'a jamais eu le sens de « prier », et il est piquant de faire remarquer qu'Hector France corrobore ce sens fictif par l'emploi qu'on fait Catulle Mondes ' !

Tandis que les poèmes de Jehan Rictus ignorent totalement, et pour cause, le largonjî, bruant a cru devoir en émailler ses chansons : lacromuche, maquereau (Hue, t. II, p. G2) ; larantequé, quarante (t. II, p. 93); latronspèmes, patrons (L II, p. 178); lirondgème, gironde (t. II, p. 76); naquer du Jlat ilasquer (t. II, p. 97), etc. 2

Actuellement co jargon est beaucoup moins employé dans les bouchorios parisiennes ; les jeunes bouchers l'ignorent.

Si lo jargon récent des bouchers n'a eu aucuno action réelle sur le bas-langage, leur vocabulaire spécial y a laissé quelques termes professionnels qui ont pris, dans ce milieu, une extension plus ou moins importante. Tels sont :

Gobct, quartier de boeuf (Itigaud), morceau de rebut que se disputent à vil prix les gargotiers de bas-étage (Larchcy, Supplément), proprement bouchée, ce qu'on gobe.

Jacques, mollets (Virmaître), et jacquots, môme sens (Dclesalle), appellation plaisante déjà ancienno : « Un Jacques, und pièce de rosty, qu'a traisné longtemps à la broche, qui est dure et vieille cuiltc. C'est ainsi quo nos rostisscurs l'appellent entre eux », Oudin, 1610.

Nivet, déchets d'abattoir et de boucherie, est donné par Iieschorclle avoc cette acception spéciale : « bénéfice illicite et caché qu'un agent, un mandataire, obtient sur un marché qu'il fait pour autrui ».

1. Cf. aussi lo chapitre final des Messieurs les Ronds-de-cuir par Courteline : « Ht pourquoi donc laquépem? — G'esl de l'argot dos boucliers. Ça veut dire paquet ».

2. Ajoutons : LUA, le membre (=r bitte) : « l'eau de tibi, non, no pas, dans le jargon du régiment » (Nigaud); — lubê, chosolte, alïairo (= but) : t faire le petit lubé, fai.e l'amour » (Hayard); — loitbé, le moinbro (= bout) et chose, machin (limant, Hue, t. II* p. 97) : « J'en ai mon pied de ce loubé-lh... i


208 FACTEURS SOCIAUX

Réjouissance, os que les bouchers pèsent avec la viande. Autre appellation ironique passée dans le bas-langage pour désigner une femme maigre.

Par contre, c'est le bas-langage qui a fourni aux boucliers de la halle le mot pampine, 'viande de qualité inférieure (Larchey, SupjiL). En ell'et. ce mot est déjà donne par d'Hautol : <( Pampine. terme bas et trivial, surnom que* l'on donne parmi le peuple à une fille de mauvaise vie. » Aujourd'hui, lo même terme désigne, ironiquement, la soeur de charité (Nigaud). Son acception primordiale est habine ' : « Sa bouche comme les pampines d'une vache qu'a la foire ». Riches engueule. 1821. p. 30.

Comme on le voit, le parler artificiel des bouchers est resté à peu près isolé. On peut à la rigueur en faire abstraction dans une apprécatiou générale de l'influence que les facteurs professionnels ont exercée sur le développement du langage parisien.

1. (-f. le manceau papiiiei', remuer souvent les lèvres, prier en lonnuuil les lèvres.


LIVRE TROISIEME

VOCABULAIRE. — FACTEURS SOCIAUX

(suite)

SECTION DEUXIEME

EN MARGE DE LA SOCIÉTÉ

Les classes dites dangereuses — malfaiteurs, gueux, filous, souteneurs, etc. — ont exercé une influence considérable sur le vocabulairo du langage populaire parisien de nos jours. Elles lui ont fourni le contingent le plus abondant et le plus original. Comment l'argot des voleurs, qui a conservé son caractère strictement fermé jusque dans la première moitié du xix° siècle, s'est-il, dans sa secondo moitié, torrenliollement déversé dans le parler vulgaire de la capitale? C'est là un fait social et linguistique du plus haut intérêt. Il y a eu certes, à toutes les époques, des infiltrations isolées entre ces .deux langages essentiellement différents, mais ce n'est qu'au xixn sièclo qu'ils se sont fondus à peu près intégralement, en tic constituant qu'un seul idiome parlé par toutes les basses classes de la population parisienne.

Le fait, en lui même, no saurait nous surprendre. Le môme phénomène s'ost passé chez les autres peuples romans, Italiens et Espagnols, dont les dictionnaires ont absorbé la plupart des vocables argotiques du fourbesque et delà yermania. Il no s'est pas d'ailleurs produit, chez nous, ni d'un seul coup ni sans intermédiaires. Les principaux facteurs cri ont été les filles, les soldats, les ouvriers, les profcssionels de la ruo — •saltimbanques, camelots, etc. — et cet enfant perdu du pavé, le voyou.

Essayons de démêler le rôle joué par chacun do ses agents iU\ propagande dans la constitution du parler vulgaire.

14


CHAPITRE PREMIER

APACHES

Chaque siècle a fourni un nom particulier aux malfaiteurs, aux larrons. Lo plus usuel aujourd'hui, celui do voleur, no dato que du début du xvie siècle: « Audict an... couroienl parmy le royaume de France plusieurs maulvais garçons appelez voleurs », lit-on dans lo Journal d'un bourgeois de Paris, sous l'année 1816. C'était jusqu'alors un ternie de volerio ou de fauconnerie, arl qui a fourni nombre de métaphores (déluré, leurrer, piper, etc.). Ce sens technique du mot, «chasseur au vol avec des oiseaux de proie », est encore sensible dans ces vers de Guillaume Coquillart (t. II, p. 207) :

Danseurs, mignons, fringâns et gentz, Chasseurs, vollcurs, tous telles gens...

Cotte appellation a empiété de plus en plus sur l'ancien synonyme larron, sans pourtant réussira lcsupplantor entièrement. Ce n'est que tout récemment que voleur a vu apparaître un nouveau rival, Yapache. qui est d'ailleurs un voleur doublé d'un souteneur et d'un assassin. Ce nom no figure encore dans aucun dictionnaire avant 1906, lorsqu'il est donné par le Supplément du Nouveau Larousse illustré ; et quant aux recueils de l'argot parisien, oii le lit pour la première fois en 1910 dans l'Appendice au Vocabulaire d'Hector France.

On on est redevable à un reporter du Matin, Victor Moris, qui. lo lança en 1902. Il fit rapidement fortune, bien que la vogue du roman do Cooper, les Apaclies (tribu de PeauxRouges fameuse par sa férocité), fut passée depuis bien longtemps. Le nom est aujourd'hui universellement admis. Aristide Bruant lui donne encore, en 1897, son acception othnique de « sauvages d'Amérique » (Route, p. 114) :

Et des loucherbèmes on sauvages Qui vont guinclier le soir en pince-cul Avec des gonzesses c\\,Apachc$...


Al'ACHES Ml

Kn l'JOîi, K. Villitiil consacre lu première étude aux Apaclies parisiens et un des derniers romans de Hosny aîné, Les lïafales. porte comme sous-titre « Moeurs apadtes ». l

Passons sur les vicissitudes antérieures du jargon 2 et abordons immédiatement son état actuel 3.

A partir de 1850, ou à peu près, l'ancien argot des malfaiteurs se fond de plus en plus dans la langue populaire parisienne. Plusieurs termes du jargon tombont en désuétude, d'autres subissent des modifications formelles plus ou moins curieuses. L'argot moderne n'est plus constitué que de simples réminiscences du passé ou d'expédients externes comme l'altération des finales. Il est mémo allé, sous ce dernier rapport, jusqu'à s'approprier certaines déformations de l'argot des boucliers, mais qui ne semblent avoir eu qu'une durée épbémèrc.

An ce qui loucbe l'altération des finales, il ne s'agit pas do suffixes proprement dits, mais plutôt de croisements, do fusions analogiques. Voici quelques exemples:

Dalanstiquer, jeter (contamination de balancer et ramastiquer, ramasser) : « On balanstique un vieux chapeau » (Rossignol) ; do là, analogiquement, cltanstiquer, changer : « A chaquo coup qu'on nous cltanstique de condition », Liard-Courtois, Souvenirs de bagne, p. 137.

Balinstringuer, jeter do haut en bas (Larehoy, Suppl.), fusion de balancer et bastringuer.

Galetoiue, argent, fusion do galette et do talmouse (« gâteau » = argent) : «Quand la galetouze a rappliqué, aurait fallu tortorcr », Méténicr, La Lutte, p. 120.

Morningue, bourse (H.-France), fusion dos synonymes mornifle ot sïngue, à côté de morlingue, monnaie (Rigaud) et

1. E. Villiod, Les Plaies sociales. Comment on nous lue..Comment on nous vole, Paris. 1905, p. 309 à 320 : les Apaches.

2. Voir Appendice E : Coup d'oeil on arrière.

3. Oscar Mélénier, La Lutte pour l'Amour, Paris, 1891. — Heamillier, Soles (Vun voleur, mémoire autobiographique (dans le Figaro du i août 1S73), et Lo Rourg, dans le Gauloisàu. 3 oct. 1881 (i Conversation entendue chez un charcutier do la rue des Martyrs »).

Les Me'moires de Canler (1S02), de Claude (1881), de Goron (1897-1899), de I'tossignol (1900), anciens chefs ou inspecteurs-de la Sûreté, sont dénués de valeur linguistique.

Le chapitre quo Maxime du Camp consacre aux malfaiteurs (dans son Paris, ses fonctions, ses organes, sa vie, 1876, t. III, p. 3 à SO) est un tissu do données superficielles ot d'étymologies absurdes. L'article' de Louis Latzarus sur les Malfaiteurs parisiens (Revue de Paris, 1912, t. III, p. S25-S16) est purement descriptif.


313 FACTEURS SOCIAUX

surtout porto-monnaie ; « Je fouille mon nwiiingue, rien ! j'étais moule ! » Méténier, Lutte, p. 122.

Tortorer, manger (de tortiller et picorer, becqueter): «J'ai pas besoin de saigner pour tortorer», Méténier, Lutte, p. 117.

Au bagne de la Nouvelle, cabot, caporal, devient cabzir (cf. vizir), et fagot, forçat, analogiquement, fag<ir : « Pour un fagzir, vous n'avez pas l'air débrouillard », lloissac, p. 56.

Quant aux enrichissements ultérieurs à I8u0, ils sont plutôt factices et nous allons en examiner les différents aspects.

1. — Procédés artificiels.

La création des termes nouveaux par des procédés artificiels est de nature éminemment livresque. Leur action réelle est restée à peu près insignifiante, mais ils n'en ont pas moins continué à encombrer les recueils d'argot moderne. On y remarque tout d'abord une tondanco do-plus en plus accusée à la synonymie, véritable germination factice, oeuvre en grande partie des argotistes de nos jours.

Pour désigner l'ancien forçat ou le camaradedu bagne, Vidocq donne exclusivement le terme fagot ; un petit dictionnaire d'argot do 18ii ajouta les synonymes coteret et falourde, obtenus par simple réflexion analogique. Ces ternies, transcrits depuis par tous les recueils argotiques, n'en sont pas moins restés confinés dans le domaine livrosque. Lo Dictionnaire do Rossignol, qui reflète seul la réalité, ignoro cette floraison artificielle.

La survcillancodela haute police, romplacéeaujourd'huipar l'interdiction de séjour, porte, chez Vidocq, lo nom do canne. On y ajouta : trique et bâton (lo promier, seul, se trouve chez Rossignol).

La dernière édition du Jargon, celle de 1819, donnait : lampion, sergent do ville (d'après son attitude raide et sa mission de guider le passant). Les recueils d'argot moderne ont ajouté bec de gaz, chandelle et cierge (ces deux derniers dans lo lexique suspect de Macé), mais aucun de ces synonymes ne se trouve.chez Rossignol. L'expression bec de gaz, calquée sur celle do lampion, paraît seule en usago : « Si j'y trouvais deux becs de gaz... », Méténier, Lutte, p. 19G. — « Tu dovrais savoir que je" no parle pas pour les becs de gaz », Rosny, Rues. p. 79. .


APACHES 213

Vidocq donne à l'agent de police le nom do 'raille, c'est-àdire racloir ou râteau à long mancho. On en a ultérieurement induit raclette et râteau, l'un etl'aulro chez Rossignol.

Ajoutons que certains de ces décalques sont d'ailleurs do fausses inductions ou do simples jeux do mots: Bourrique, agent de police, calqué d'après l'ancien synonyme roussin, qui signifie proprement perfido (comme les hommes aux cheveux roux, selon la croyanco populaire), n'a rien do commun avec l'âne, le roussin d'Arcadie '. De mémo, casserole, dénonciateur, se rattache réellement à casser (le morceau), avouer, dénoncer, proprement manger, d'où plaisamment remuer la casserole, faire une fausse déclaration.

Les recueils et écrits d'argot contemporain, par leur manque de critique, ont beaucoup contribué à fausser le véritablo aspect des choses. Ils ont souvent déguisé le manque d'originalité du parler des voleurs de nos jours par uno richesse lexiquo apparente, formée, soit par des transcriptions erronées, soit surtout par des vocables suspects, douteux ou faux.

Déjà la dernière édition du Jargon do 1819, oeuvre d'un illettré, fait montre d'une ignorance surprenante dont un seul exemple pourra donner idée :

« Bois au dessus de Voeil-jard, savoir et entendre l'argot », qui n'est autre choso que la transcription absurde do ce passage du Dictionnaire de Boiste do 18i3 : « Argot, s. m., langage particulier des filous... ; (fam.) entendre l'argot, se dit d'un homme adroit, intelligent, mais sans probité. —T. do jard. bois au dessus de l'oeil... », c'est-à-diro, qu'en termo do jardinage, argot désigne le-bois.au dessus do i'oeil ou du bourgeon.

Notre édilour«a ainsi amalgamé deux sens foncièrement différents pour en faire un assemblage inextricable 2.

De beaucoup plus funeste a été l'influenco des écrits suspects du policier Gustave Macé (mort en 1901).

Nous avons montré ailleurs 3 la source absolument trouble

1. Do mémo, flèche, fléchard, sou, semblent calqués sur (lique, fliquard, sou (dans Vidocq : fligadier, sou et (ligue à dard, sergent de ville), proprement sergent, à l'instar de soldai, sou: « Vous n'avez pas une flèche a mettre dans le commerce », Méténier, p. 240. — t Ça no coûte que cinq fléchante », Brissac, p. 56.

Le nom a passé des malfaiteurs aux ouvriers et aux soldats : c Deux flèches do semper » (Rigaud).

2. On doit l'explication do co galimatias à M. Esnault, dans la Revue de philologie française, t. XXVII, p. 163.

3. Voir Sources de l'Argot ancien, t. II, p. 45 à SI et 74 à 75 (la plupart des vocables qu'on y cita remontent à Macé).-


314 FACTEURS SOCIAUX

du loxiquo inséré dans son ouvrage Mes Lundis on prison (1889). Co vocabulaire est le résultat d'une mystification do la part d'un détenu espagnol l'aslilla, qui a servi à notre policier un singulier mélange de la ijermania de son pays et d'un argot do fantaisie. Voici un fragment du dialogue entre le mystificateur et sa victime (p. 2(io) :

PASTILLA. — J/argot espagnol se rapproche de l'argol français.

MACK. — Dans ce glossaire, je constate la présence d'expressions nouvelles et peu répandues.

PASTILLA. — En voulez-vous une copie .' Vos agents le compléteront.

Comme ce recueil a eu une influence absolument désastreuse dans le domaine de la lexicographie argotique, on ne saurait assez insister sur son caractère fantaisiste. Nous résumerons plus loin ' ceux de ces éléments erronés ou aventureux qui ont passé dans les Dictionnaires do Delesallc 2 et de Rruant. On y trouvera en même temps le relevé de quelques autres échantillons d'un jargon purement imaginaire, qui témoignent avec quelle désinvolture certains écrivains de nos jours ont traité l'argot des malfaiteurs.

En parcourant les tableaux correspondants do notro Appendice 3 et les témoignages que nous venons d'alléguer, on peut se convaincre qu'en co qui concerne les voleurs, l'argot moderne ne le cède guère à l'ancien : l'invention et les erreurs des copistes ignorants s'y rencontrent do part et d'autre. On pourrait môme dire que la tendance à la fiction est plus forte do nos jours, et pour cause.» Les voleurs modernes ne disposent pas, eommo les anciens, d'une langue spéciale ; ils se servent, comme les autres classes professionnelles, du bas-langage, quitte^ à le compléter par quelquos termes de métier qui d'ailleurs n'ont rien d'original.

2. — Mots nouveaux.

Ce qui distingue ces mots nouveaux, c'est leur manque d'originalité, la plupart n'étant que de simples réminiscences ou des rapprochements analogiques avecPancienno nomenclature.

i. Voir l'Appendice F : Erreurs cl fantaisies argotiques.

2. Dans la partie argot-français ou français-argot.

3. Voir Appendice F : Erreurs e( fantaisies argotiques.


APACHES 315

La notion d' « assassiner », par exemple, est rendue par :

Apaiser, torme favori de Lacenaire, répondant à soulager, assassiner, d'un glossaire argotique de 18b0 el rappelant la grande soûlasse, assassinat, proprement le grand soulagement, expression du fameux voleur Cornu (cité dans Vidocq).

Dégringoler, terme parallèle à descendre; abattre d'un coup do fusil, on parlant dos chasseurs : « Pour lors los Anamilos usent do tous les trucs pour descendre nos petits soldats », Père Peinard, 10 novembre 1889, p. 3,

Saigner, expression qui sent l'abattoir (elle appartient aux bouchers), à côté de sonner, assommer en cognant la tête contre le mur ou le pavé, ce qui produit un retentissement analogue au battant d'uno cloche.

La notion d'« arrêter » est représentée par :

Ceinturer, c'est-à-dire entourer d'une ceinture, sangler : « Obligé de les ceinturer toutes deux », Méténier, Lutte, p. 217.

Cercler, proprement pincer au demi-cercle, ce qu'on exprimait avant par arquepincer : « Ils ont tout do même réussi à en cercler trois », Bercy, XXXIP lettre, p. 7.

Ramasser, c'est-à-dire cueillir dans le tas (Richcpin, Gueuse, p. 175).

La prison est désignée par :

Ballon, terme nouveau, tandis qu'emballer, arrêter, se lit déjà dans un glossaire argotique do 1829 et est encore populairo ' : « Y a pas quatre jours qu'elle sort du ballon », Méténier, Lutte, p. 31.

Case, dans l'expression vulgaire bouffer de la case, être emprisonné, qu'on lit dans Bruant (Hue, t. II, p. 48).

Les malfaiteurs appelaient en outre bonde, c'est-à-dire bondon, une sorto-de fromage rond, fabriqué à Neuchâtcl, qui est lo fromage réglementaire dans les prisons (suivant Yirmaitre) : de là le nom de la prison centrale, appelée aussi la Centrouse aux bondes.

La notion de « voler » — si abondamment représentée dans l'ancien argot— compte à peine quolqucs innovations : Effaroucher, c'est-à-diro fairo disparaître, se lit dans la dernière édition do Cartouche (1827) et chez Henri Monnier (v. Rigaud); faire, et surtout fabriquer sont usuols (Rictus, Doléances, p. 10):

1. « Elle envoie chercher un sergot et le fait emballer >, Almanach du Père l'einard, 1897, p. 44.


216 FACTEURS SOCIAUX

I.o. jiôgro. s'ôcliino A fabriquer los porto-monnaie.

Les différents genres de vol ne diffèrent pas aujourd'hui de ceux de l'époque do Yidocq. La nomonclaluro a peu varié : lo /ourdie, ou pickpocket de nos jours, s'appelait jadis fourchette, car il fouille les poches avec deux doigts seulement; lo monte-en-l'air, ou camhrioleur moderne, rappelle le chevalier grimpant do Yidocq, ces cambrioleurs opérant d'habjtude dans les chambres de domestiques situées aux étages supérieurs : « Les monte-cn-Vair sont des zigues et j'en suis », Méténier, Lutte, p. 123.

Cambrioler, c'est faire une condition, c'cst-à-diro dévaliser une chambre : « Nous faut lo valant et lo caroublo pour faire condition d'un farfouillard chic », Méténier, Lutte, p. 122.

Cetto dernière expression est tirée du langage des domestiques : Etre en condition, c'est-à-dire en service mensuel ou • annuel, à des conditions convenues, par opposition à l'ouvrier occupé à la journée. Lp mot fut adopté, sous la forme abrégée condice, tout d'abord par les filles et les souteneurs (Bruant, Rue, t. II, p. 118) : « Et tu l'amènes à la condisse... »

De là il passa chez les apaches et les forçats, chez ces derniers avec le sens spécial do cellule de bagnard pendant le transport à la Nouvelle-Calédonie.

Certains genres do vol ont laissé des traces isolées, tout particulièrement lo vol à l'échange : Charrier, voler quelqu'un en lo mystifiant (Yidocq), s'est généralisé avec lo sens do « plaisanter » (Rictus, Coeur, p. 88) : « Sans charrier... nous voilà chez"nous... »

Et le compagnon du charrieur, l'américain, escroc qui feint d'arriver d'Amérfquo avec de l'argent, a fourni l'expression oeil américain, pour oeil vif, attentif, perspicace '.

La police de sûreté est appellée tantôt renifle ou renifjette (Hayard) et tantôt renâcle (Rossignol), c'est-à-dire collo qui a le flair. Préoccupation constante des malfaiteurs, ils lui donnent les épithètes les plus désobligeantes, comme pestaille et surtout vache ; parfois les mômes noms — poule, sonne, tante — désignent à la fois le pédéraste et la police (Richepin, Gueux, p. 176).

i. Cf. Balzac, Père Goriot (1834): « Vous me faites l'oeil américain » (OEuvres, 1843, p. 445).


APACHKS 217

L'ancicnno appollation rôtisse a subi la mémo déconsidération, sous les formes dérivées : rousselette, rien, moins quo rien (IFayard); roustamponne, chose vilaine ou qui no vaut rien (Rossignol), mot composé de rousse, police, ot tamponner, battre à coups de poing (Uolvau) : « Des jobards prétendent que, pour ramasser des rentes, y a pas do truc qui vaillo Pélovago des lapins; tralala, c'est do la roustamponne! » Almanach du Père Peinard, 1897, p. 38.

La mémo appellation ancienne a fourni d'autres dérivés à la langue parisienne :

Rouspétery résister en grommolant, proprement faire du pétard contre la rousse ou la police. Terme familier aux agents et passé do ceux-ci aux soldats, aux filles, aux ouvriers (Rictus, Doléances, p. 18) : « A quoi bon de rouspéter 1... »

Rouspétance, résistanco indignéo faito à un agent de police : « I/individu qui fait rébellion lorsqu'on l'arrête, fait de la rouspétance » (Rossignol).

Terme policier généralisé dans la langue populaire.

Chez les troupiers : « Vous êtes une forto tète, à ce que je vois; vous voulez fairodo la rouspétance »,Courtolino, Gaietés, p. 164.

Chez les ouvriers : « Rouspétance,mauvaise humeur, dans lo jargon des ouvriers » (Rigaud).

Ajoutons les vocables :

Batte, bath, beau,-joli, proprement, battant (neuf), mot d'apacho et do fîllo : « Bon, tu sais que t'as été bath.'.. C'est bath! déclara Rosalie », Rosny, Rues, p. 14 et 47.

Ce vocabloa fait fortune en passant successivement :

Chez les troupiers: « Ah bah! une bath garnison hein? » Courtcline, Train, p. 156.

Chez les typos : Balte, très bien (Boutmy).

Choz les ouvriers on général : « Et les gas lui ont donné un bath coup d'épaule », Almanach du Père Peinard, 189i, •p. 36.

On lit pour la première fois ce motl dans une pièco argothique en vers, l'Assommoir de Belleoille, do 1830. C'est une forme abrégée do batif (dans Yidocq), parallèle à battant, mémo sons (dans Oudin), expression vulgaire d'origino techi.

techi. manque encore à Fr.-Michel (1856).


218 FACTEURS SOCIAUX

niquo : cf. battandier, batteur de chanvro, et dans Pancienno languo, battre comme toile.

Comme ses synonymes chouette et rupin, le mot bath est partout populaire : « Un bon patron ost bath, du bon vin est bath, le bon fricot est bath; être bien, c'est être bath » (Rossignol).

Blase, nom patronymique, proprement blason (ironiquement) : « Je pronds la piaule sous faux blase », Méténier, Lutte, p. 195.

Bingre, bourreau (« qui n'ost pas petit-fils de bourreau », Rossignol), nom euphémique : c'est la forme nasalisée do bigre, parallèle à l'angevin bouingre. pour bougro (Rruant, Hue, t. II, p. 76).

Bourrache, la Cour d'Assises, qui fait suer le malfaiteur comme la plante sudorifique de ce nom; par contre, la Cour de Cassation s'appelle lïebectage, c'ost-à-dire réconfort, guérison: le voleur en attend l'amélioration do sa situation critique.

Centre, nom propre (Rossignol), point capital pour la sûreté du voleur.

Mastic, individu, synonyme de mastoc (cf. au Canada, une face de mastic, pour une figure replète et d'un jaune pâle) : « Qu'est-ce que ça peut bien être quo co mastic-\k ? » Ilirsch, 4e Tigre, p. 252.

Pâmeur, poisson (« hors do l'eau il so pâme », Rigaud) : « Pas plus de traînée qu'un becquant dans l'air ou qu'un pâmeur en Seine », Ilirsch, Le Tigre, p. 172.

Père la Tuile, Diou, par allusion aux tons rouges de la brique, même représentation que son synonyme plus ancien Hariadan Barberousse * : « Tiens, regarde donc le ratichon qui bécote le Père la Tuile qui pionce sur l'arbalète » (Virmaître, SuppL).

Poteau, chef de bande, représentant moderno de Varchisuppôt du royaume de l'Argot.

Badiner, rentrer, arriver, verbo tiré de radin, gousset, commo les synonymes engainer, arriver (Hayard) et rengainer, rentrer (Rigaud): « L'autre soir...je radinais à la piaule», Méténier, Lutte, p. 226.

Terme passé chez les troupiers : a Nous radinons à SaintMihiel, des canassons à ramener », Courtolino, Train, p. 73.

1. Voir, sur ce nom, nos Sources de l'Argot ancien, t. II, p. 3T3. l


APACHES 319

lit, par rinttirmédiairc do ceux-ci, généralisé dans le peuple (Hruant, Hue, t. I, p. 182),

lUgolo, revolver, proprement joyeux compère (appellation ironique) : « Qu'on m'embête, je regarde pas à un coup do lingue ni à faire aboyor le rigolo », Rosny, Marthe, p. 6.

Sucre de pomme, pince à effraction (Rossignol), allusion à la forme de l'outil.

Lo jargon des forçats est le môme que celui des voleurs, quoique termes spéciaux mis à part '. Contentons-nous de mentionner les deux suivants qui ont vu s'élargir leur sphère primitive :

Perpète, perpétuité, dans l'cxprossion à perpète, condamné à porpétuité, a passé dans lo bas-langage : « Vous voudriez que ça duro à perpète », Père Peinard, 20 mars 1891. — « Tous les jours on voit monter lo bouillon salé (il s'agit de l'Océan)... puis il so baisse pour se relovcr à nouveau, ot ainsi à perpète », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 30.

Tirer, terme de bagne, pour subir uno condamnation, une peine, proprement tirer des longes, faire plusieurs années do prison : « Lo ralichon, qu'a-t-il mangé (= avoué) pour tirer vingt, longes? » Mémoires d'un forban, 1829, p. 81. —«Je tire cinq berges à la Centrouse de Melun » (Virmaîlro).

Terme passé tout d'abord chez les troupiers : « L'idée do tirer quinze jours à l'ombre... Oui, commo ça, je tire de la cellule... » — « No to fais donc pas de bile! Pus que quatre ans à tirer et tu seras de la classo », Courtelinc, Gaietés, p. 219 et 306.

Ensuite généralisé : « Il y a tiré quatre berges, le malheureux », Père Peinard, 3 janvier, 1892, p. 2.

3. — Termes spéciaux.

La décapitation par Ja guillotine, adoptée lo 20 mars 1792, produisit toute uno nomenclature, d'origine en grando partie vulgairo, qui fit rapidement fortune.

1. Voir II. Brissac, Souvenirs de prison et de bagne, Paris, 1880 (livre d'un journaliste qui a pris part à la Commune). — Liard Courtois, Souvenirs de bagne, 1905 (l'auteur, anarchiste, fut condamné à cinq ans de travaux forcés). — Alph. Ilumb.ert, Mon bagne, 1912(journaliste et homme politique, condamné en 1871 aux travaux forcés à perpétuité, fut amnistié en 1879). . Les ouvrages de Jean Garol (Le Bagne, Nouvelle Calêdonie, 1903) et do Paul Mirmahde (Forçais el Proscrits, 1897), ce dernier, ancien directeur de la Nouvelle, n'ont.qu'une valeur pittoresque.


320 FACTEURS SOCIAUX

Le terme le plus général, raccourcir, guillotiner, remonto à cetto époquo' : « Raccourcir. Mot révolutionnaire qui signifie trancher la tète à quelqu'un, lui faire subir lo supplice do la guillotine » (d'IIautel).

On le lit fréquemment dans le pamphlet d'Hébert : « Grand jugement du Père Duchêne qui condamno Louis lo Traître à être raccourci avec l'infâme Antoinette et toutes les bêtes féroces de la ménagerie, pour avoir voulu mettre la Franco à feu ot à sang et fait égorger les ciloyons », Père Duchêne, n° 165, p. 1.

Et dans les Pièces du procès Babeuf do la môme époquo, t. I, p. 131 :

Nous vous raccourcissons, Vos tètos tomberont, Dansons la carmagnolo ! '

Aujourd'hui, ce terme est encore très usuel: « Oh! la crapule, quelle canaille, en voilà un qui ne l'aura pas volé si on le raccourcit », Poulot, p. 161. — « Tous poussèrent un cri d'horreur. En voilà un, par exemple, qu'ils seraient allés voir raccourcir avec plaisir ! » Zola, Assommoir, p. 278.

C'est un sens éminemment populaire; cf. Oudih (1640): « On lui a accourci d'un pied,.c'est-à-dire on lui a tranché la teste » 2.

A coté do racourcir, on lit de nombreux synonymes dans la feuille d'Hébert, dont la plupart accusent une origine vulgaire incontestable. Citons lo.$ suivantes qui sont universellement connues :

Mettre la tête à la -fenêtre, c'est-à-dire à la fenêtre de la guillotine, dont le châssis peut se mouvoir verticalement dans uno coulisse (variante : mettre.la tête à la lunette) : « Que la Convention établisse uno douzaine de tribunaux pour faire mettre promploment la tête à la fenêtre à la louve autrichienne, à l'infâme Brissot et aux autres coquins qui ont trahi lo pouplo et allumé la guerre civile... Que la Convention fasse promplemenl mettre la tête à la lunette à l'infâme Brissot, à la louve autrichienne... », Père Duchêne, n9 278, p. 1 et n° 286, p. 1.

1. Aucun recueil lexicoRraphique de l'époque révolutionnaire ne donne ce terme (il manque au Dictionnaire général).

2. David Marlin, Parlement Nouveau, Strasbourg, 1G37, ch. LX (t Du Bourreau •), cite cette expression avant Oudin : * L'office du bourreau est de... leur (aux malfaiteurs) trancher la teste, les décapiter, décoller ou faire cardinaux en Grève, accourcir d'un demi-pied... *


APACHES 231

expression oncoro vivaco : « Oh ! faut avoir un rude coeur au vontro pour pas cancr qu'on va mettre le nez à la fenêtre .. », Méténicr, Lutte, p. 289.

Cctto locution est également d'origine vulgairo. David Martin monlionno uno expression analogue relative à la pondaison : « L'office du bourreau est do pendre haut et court les criminels ou malfaitours, les hranchor, les noyer sur un noyer, les fairo danser sous la corde, lour donner lo moino par le col, les faire regarder par une fenêtre do corde, les estrangler... ' »

Sébastien Mercier, à propos des fêtes do la Raison, attribue cotte métaphore et quelquos autres aux Montagnards : « L'air retentissait du rugissement do ces tigres ; les mots de guillotine, de rasoir national 2, de mettre ta tête à la petite fenêtre, de raccourcissement palrioliquo, termes mignons des montagnards, frappoient tour à lour toutes les oreilles3».

Mercier a oublié une autre expression devenue également populairo -.rouler sa tête dans le sac, aujourd'hui cracher (ou éternuer) dans le sac (ou dans le son), c'est-à-dire dans le sac do sciure destiné à étaneher le sang du supplicié.

On la lit dans la feuille d'Hébort : « Braves Sans-culottes, vous allez voir aujourd'hui (16 octobre 1793) sauter la tète de l'abominable furio qui vouloit vous accabler do fers... No l'abandonnez pas jusqu'à ce que sa tête ait roulé dans le sac », Père Duchêne, n° 298, p. 7.

Kilo subsiste toujours : « Ce matin, à quatre plombes et mècho, Guigno-à-Gaucho a crache dans le sac, place de la Roquette », Méténior, Lutte, p. 288. — « Tèternuerai dans le son et on me conduira ensuito au Champ de navets », Beauvillier, Mémoire (dans le Figaro du 4 août 1873).

Hébert emploie finalement, avec lo môme sens, deux autres métaphores tirées des noms do jeux d'enfants : jouer à la boule et jouer à la main chaude, allusion à la posture du patient, le condamné, mis sur la bascule, ayant les mains attachées derrière lo des : « Je craindrais toujours les tètes couronnées jusqu'à ce que je joue à la boule* avec elles... Les bons avis

1. Ouvr. elle. Cf. Oudin (1010), v° feneslre : t Regarder par une feneslre de Chanvre, i. o. estro pendu ».

2. Terme qu'on lit souvent dans le Père Duchêne.

3. S. Mercier, te Nouveau Paris, 1799, t. Vf. ch. GLXVI : Fêtes de la Raison.

■4. Cette expression se rencontre fréquemment dans le vocabulaire des bri-' gands Chauffeurs de l'an 1800 (voir nos Sources, t. II, p. 92 et 96).


322 FACTEURS SOCIAUX

à la Convention pour qu'on fasse promptoment jouer lo général à la main'chaude, attendu qu'il est lo chef do tous les brigands», Père Duchêne, n° 171, p. 7, et n° 263, p. 1.

Cette dernière expression est donnée par d'Haulcl : « Jouer à la main chaude. Au propre, mettre une main dorrière son dos, commo au jeu de la main chaude. Le pouplo, dans les temps orageux de la Révolution, disait, en parlant des nombreuses victimes que l'on conduisait à la guillotine, les mains liées derrière le dos, ils vont jouer à la main chaude ».

Elle a également survécu : « Kncore un que je voudrais voir jouer à la main chaude », Méténier, Lutte, p. 290.

L'unique survivance du passé est veuve, potence ou gibet ', terme appliqué à la guillotine après l'abolition de la pendaison : « Je trouverai des guibolles pour marcher devant la veuve », Méténier, Lutte, p. 149.

Ajoutons que les termes policiers encore vivacos remontent également à un passé plus ou moins éloigné : Violon et souricière sont déjà usuels à l'époque révolutionnaire et le premier, au sons do corps de garde, accuse une association d'idées très ancienne 2; ligotte et panier à salade sont dans Yidocq et ont passé dans la langue générale:.« Ce surnom do panier à salade vient de ce que, primitivement, la voituro était à clairevoie do tous côtés, les prisonniers devaient y être secoués absolument comme des salades 3 ».

L'argot des voleurs do nos jours ne vit donc que de souvenirs du passé, de décalques de l'ancien vocabulaire ou d'expédients purement formels. En fait, il n'existe plus à l'état de languo spéciale, mais tout simplement commo un des nombreux aspects de l'idiome populaire parisien.

Depuis que le jargon, avant de disparaître commo langago fermé, a trouvé un dernier refuge dans le bas-Iangago, on peut dire quo l'argot proprement dit, celui dont les malfaiteurs se sont servis pendant des siècles, est mort,' bel et bien

1. Viotor Hugo donne à ce mot le sons de corde à pendre {Misérables, 1. V, p. 206) : * Grimper par ce tuyau avec cette veuve »), et cette acception erronée a passé chez Rigaud et ailleurs.

2. Voir nos Sources, t. I, p. 73 à 74. Cf. Balzac, Splendeur des Courtisanes. 1846, III« partie, p. 4 (éd. 1855) : « Les inculpés sont emmenés au corps-degarde voisin, et mis dans ce cabanon nommé par lo peuple violon-, sans doute parce qu'on y fait de la musique ; on y crie et on y pleure ».

3. Balzac, ouvr. cité, p. 2.


APACIIES 933

mort. Les apaches parlent essentiollomont la mémo langue quo les autres basses classes do la société parisienne

Ce n'est pas là confondre le jargon avoc le bas-langage, comme le croyait Darmestcter '. Il ne s'agit nullement d'une confusion, mais do la fusion ciFectivo do ces deux catégories linguistiques. Elles no forment aujourd'hui qu'un seul idiome populaire, qu'un organe unique, commun à tous les groupements sociaux, légalement ou illégalement constitués.

1. « Confondre la langue populaire avec l'argot, parce qu'elle renferme des mots d'argot, c'est commettre la même erreur que si on la confondait avec la langue savante sous prétexte que des mots savants y sont entrés », Arsène Darmesteter, La Création des mots nouveaux, t877, p. 39.


CHAPITRE II

GUEUX

Les mendiants ont fourni à toutes les époquos des contingents aux bandes de malfaiteurs. Ils ont eu do bonne heure une organisation hiérarchique qui a passé au royaume de l'Argot. Leurs fausses maladies pour apitoyer les âmes sensibles ont provoqué à différentes reprises les protestations indignées des écrivains. Eustache Deschamps fulmine contre eux au xivc siècle et au début du xvi°, le célèbre Corneille Agrippa les crible de son ironie indignée:

« 11 y a un autre genre de scélérats qui professent la mendicité : ce sont ceux qu'on nomme par dérision Gueux à miracles, par la raison qu'ils sont sains ou malades, quand il leur plaît. En effet, ces marauds des saints n'ont-ils pas les secrets pour se blesser, pour s'estropier, pour enfler, pour se couvrir tout le corps de plaies, de chancres et d'ulcères ? Tous ces maux-là no durent que lo jour; et il n'est pas sans exemple, qu'on ail quelquefois surpris la nuit ces impotens dansant, buvant, faisant grande chère et bonne vie aux dépens de leurs bienfaiteurs, à la sottise et à la crédulité desquels ils choquent le verre sans se lassor » .'.

Des cette époque, leur langage secret se confond avec celui des voleurs, et lo mystère dauphinois des Trois Doms, représenté on 1309 à Romans (Drômo), nous on fournit un curieux témoignage. Des bèlitres. comblés d'aumônes par les trois doms ou seigneurs, se félicitent do leur aubaine (v. 4983 et suiw):

Î.H rnEMitn PAUVI\E.

Que to pombln de uostre advoir ? Avons nous |iour fore granl cherc ? NVssn pas pour fore deltvoir, Kl gaudir broucr sus l'oncliicrc ?

1. De Vanitate Scientiarum, Cologne, lb27, ch. LXV (t Mendicité" ») ; nous citons d'après la version de Gucdcvillc, Leyde, 1726, p. 830 à 847. Gclto page


(lUicux 225

Si nostre, mille no n'est fiore,

Nous luy remplirons sa fouilbuse.

Que te sainble de la matière? *

f.lC SIXONl) PAUVRE.

Je ne scey sus <[uoy l'on proupose, - S'on pouvoit avoir une louse.

Pour auberl (ju'on inist sus la dure. Nous serions bien.

Les vocables relevés so trouvent déjà dans lo jargon des Coquillards dijotmais de 1155 ol dans les Ballades en jargon de Villon do 1157. '

Termes spéciaux.

Le nombre dos termes particuliers aux mendiants qui ont passé dans le bas-langage parisien n'est pas considérable, mais caractéristique. Voici les plus significatifs : i Arlequin, rogatons ramassés dans les restaurants et vendus dans les marchés aux.miséreux: « C'est avec les rogatons qu'on compose Tes arlequins. Le nom vient de ce que ces plats sont composés de pièces et de morceaux assemblés au hasard, absolument comme l'habit du citoyen do Hergamc », Privât d'Auglcmonl, 1851, p. 13. -r- « Kilo tombait aux arlequins, dans les gargotes borgnes, où, pour un sou, elle avait des tas d'arêtes do poisson mêlées à des rognures de rôti gâté », Zola, Assommoir, p. 110.

Ce mot se lit pour la première fois, en 1828, dans les Mémoires t\o Vidocq (t. IV, p. 95) : « Un arlequin qu'il avait acheté au marché do Saint-Jean, » avec celte noto : « Petit tas do viandes mélangées que l'on vend à la hallo pour les chats, pour les chiens et pour les pauvres ».

Balader ou balladci\ aller demander l'aumône, mot de gueux par excellence :« ... qui permettent que les frères puissent trucher ot hallader cinq ou six luysans ( ----- mois) », lit on dans le Jaryon de l'Argot réformé do 1028, p. 50.

Ce verbe qui signifie proprement chanter des ballades (sens usuel en moyen français) fait allusion à une pratique des

pou cotuuio peut cire ajoutée, aux nombreux textes sur la Cour des Miracles '|u'on trouvera dans nos Sources, t. I, p. ol à î)6, 2i5 et 297.

t. Rappelons sur les Gueur les recueils poétiques de lticliopin, limant et Jclian Itietus.

15


2 2G FACTEURS SOCIAUX

mendiants de jadis: ils contrefaisaient les aveugles et allaient par les villes jouant de la vielle et chantant des ballades dans les carrefours. Le Liber 'Vag itorum de 1510 parle, dans son XXVIIIe chapitre, des musiciens aveugles qui jouent sur le luth, devant les églises, chantant des airs relatifs à des pays qu'ils n'ont jamais vus et font un conte sur l'origine de leur cécité.

■ Du sens do mendier, en allant d'un endroit à l'autre, balader acquit l'acception générale de se promener sans but, acception devenue populaire ', donnée comme telle déjà par Vidocq (1837) et aujourd'hui courante à Paris et dans les provinces 2. .

lingueuser, séduire par de belles paroles, à la manière des gueux qui, pour s'attirer la bienveillance charitable, affectaient des airs humbles et cajoleurs. Ce verbe se lit fréquemment dans le poissard du xvin 0 siècle, et tout particulièrement chez Yadé : « A c'te heure-ci que Cadet Ifustache vous a engueusée, y sembe quand je vous parle d'amiquié, ça vous dévoyé », Lettres de la Grenouillère, p. 92.

De môme dans lo pamphlet révolutionnaire d'Hébert : « Ceux qui vous engueusent avec leurs complimcns... vous ontils jamais parlé ce langage ? » Père Duchène, n° 111, p. 5.

Le mot était très populaire dans le premier quart du xix° siècle, d'où la censuro répétéo des grammairiens: « Engueâser, pour amorcer, onjôler, bercer, empaumer, etc. Ne dites plus : 11 m'a engâeusé, c'est un honuno qui cherche à engueuser tout le monde », Michel, 1807. — « Ce joli mol d'engueuser n'a jamais trouvé grâce qu'aux oreilles do nos Midas du bas peuple », Desgrangos, 1821.

Litlré le qualifie do « terme populaire cl bas » et, comme loi, il est absent du Dictionnaire général ; mais il continue à être vivaco dans lo peuple, à Paris et en France.

Patjs> compatriote, sens aujourd'hui usuel surtout parmi les soldats, était, au début du xvin 0 siècle, un terme favori des gueux : « Pays'osl aussi un salut do gueux, un nom dont ils

1. C'est à tort qu'on y voit un emprunt méridional: t L'argot de Paris connaît ballade, déguisé sous la graphie balade, au sens de flânerie... Il parait emprunté au Midi où balado signifie fête patronale où l'on danse... », Nyrop, Urammaire historique, t. IV, p. 339. — La forme balade, ballade, est archaïque : c'est celle du xve siècle (Charles d'Orléans).

2. Le Glossaire de ta Mayenne, de Dottin, donne à la fois: se balader, flâner, courir les boutiques, et balauder, colporter une nouvelle.


GUEUX " 227

s'appellent l'un l'autre quanti ils sont du mémo pays. Ainsi, iis disent, pour signifier bonjour un tel, bonjour pays ! adieu, pays ! adieu un tel » (Philibert Le Roux).

Plusieurs autres do ces termes spéciaux se rapportent aux noms donnés par les iucndianls aux petites pièces qu'ils recevaient comme aumône :

Pied, denier, mot qu'on lit dans la Vie généreuse (159G) et dans le Jargon de VArgot (1628), proprement pied de nez, appellation ironique qui exprime le désappointement des mendiants espérant recevoir d'avantage: cf. «avoir un pied de nez, cslre ou demeuré fort cslonné; faire un pied de nés, faire une honlo ou un affront » (Oudin, lGiO)..Ce mot de gueux a survécu, au xix° siècle, tout d'abord chez les voleurs ( « retenue faite par les tireurs », Vidocq) ; ensuite, part, compte : « J'ai quatre atouts dans mon jeu, j'ai mon pied » (Rossignol).

Pclot, sou (écrit à tort pelaud), forme parallèle à pelot, petit poil, c'est-à-dire un rien, une bagatelle : « Il no s'en fauldra un pelct, » lit-on dans Rabelais (I. III, ch. xu).

Chez les mendiants : « Une infirmité... de quoi ramasser des pélos à pleine sébile », Richepin, Truandaille, p. 113.

Chez les apaches : « Piaule pas, dit-il, pour dix pélos, je lui rendrai vingt ronds », Rosny, Unes, p. 77.

Chez les troupiers : « Ça y est... fais voir les pélauds », Goui'telino, Gaietés,.p 2oG.

Sens généralisé : « J'avais quelques pélos en poche, je risquai le paquet », Almanacli du Père Peinard. 1891, p. 31.

Rèche, sou. proprement âpre au loucher, répondant à l'ancien synonyme des gueux herpe ou herpelu, liard, qu'on lit dans la Vie généreuse. (159G) et dans Guillaume Bouchot (1598). Le mol est familier aux apaches et aux filles : « Toutes ces histoires do qualro ruches no mènent à rien », Rosny. Hues, p. It9.

Il est devenu d'un usage général : « Je suis sans le sou, je n'ai pas un rèche » (Rossignol).

Rotin, sou, proprement déconvenue (de roter, être étonné ou dans une grande colère), rappelant l'ancien synonymo pied (v. ci-dessus). Mol passé chez les voleurs (Vidocq), les ouvriers ot le bas peuple (Bruant, Route, p. 110) : « T'as pas le rond. t'as pas lo rotin? »

Lo bâton a joué un rôle important dans la vie du gueux :


228 F ACTE Ull SOCIAUX

i! lui servait à la fois comme appui dans ses courses vagabondes et comme instrument pour l'aire ses tours ou subtilités de métier. De là cette double uni ion :

1° Mendier ou vagabonder, sens de l'ancien mol billier, mendier, proprement aller avec son bâton ou bille, qu'on lit dans le Roman de la Rose :

10171. Lors s'i puôent■ alor billier,,. ■

De même, (rucher, gueuser, du Jargon (1028), répond au fourbcsq'uc truccare. vagabonder (de triteco. Imlon de gueux).

2° L'expression tour de bâton remonte à la même source. Elle a passé dans la langue littéraire dès le xvie siècle. On la lit dans les Joyeux Devis do Des Péficrs (uouv. XVI) : « Bcauforl qui, de son costé, entendoit le tour de baston. voyant la grande privante que luy faisoit le inary et le gracieux accueil que luy faisoit la jeune femme,... trouve aisément l'occasion, en devisant avec elle, de la conduire au propos d'aimer ».

La Monnoye, en commentant l'expression, l'explique ainsi : « qui... entendoit le tour du baston, c'est-à-dire qui éloit adroit. Proverbe tiré du petit bâton avec lequel les joueurs de gobelets font des tours de passe-passe » l.

Moisant de Brieux, dans son opuscule Les origines de plusieurs façons de parler triviales (1G72), pense que notre expression fait allusion au bâton des maîtres d'iiôtel : « Lllo peut tout aussi bien faire allusion au bâton d'buissier ou mieux encore au bâton des juges suppléants, qui, loutcs les fois qu'ils étaient appelés à remplacer les titulaires dans le temps de la féodalité, grovoient les plaideurs de quclquo dépense surorogatoire ».

Borcl, dans son Trésor (IGOii), est d'un autre avis (v° baston): « Tour du baston. c'est-à-dire du bas ton. parce qu'on promet tout bas et dit à l'oreille à ecluy avec qui on traite, que s'il fait réussir l'affaire, il y aura quelque ebose pour luy audelà de ses prétentions ».

Remarquons qu'à partir du xvii° siècle, notre expression a subi une évolution dosons.

Oudin la définit ainsi dans ses Curiosités (IGiO) : « Le tour

I. Celle explication se lit encore clans lo Dictionnaire des proverbes ilo Quitard (Paris, 1S42, p, 123), dajis Iiescherelle et dans Litlré (v bâton) : i // suit bien te tour du bâton, il est lin et adroit, il sait faire sa main, locution prise des joueurs do passe-passe, qui ont d'ordinaire en main un petit bâton ».


GUEUX 229

de baston, c'est-à-dire ce que l'on lire d'un office, par subtilité ou invention ».

Philibert Le Roux est plus explicite dans son Dictionnaire comique (1718) : « Tour de bâton, c'est le savoir faire d'une personne, les profits qu'elle a l'adresse de faire dans son métier. En France, les'fermiers généraux, les intendans, lés gens de robe appellont tour de bâton, ce qu'est friponnerie, volerio, ot voilà sa véritable signification ».

Et d'Hautel répète à son tour (1808) : « Tour de bâton, espèce de correctif que l'on donne aux monopoles, aux exactions, aux friponneries que se permettent corlainos gens dans leur emploi. L'homme probe a en horreur le tour de bâton ».

Mais la signification primordiale est celle qu'on lit chez Des Périers, à savoir subtilité, finesse. Le tour de bâton était en effet un dos trucs des mendiants du bon vieux temps, et voici ce qu'on lit à ce sujet dans la Vie généreuse des Mercelots, Guetta et fîoesmiens, contenant (a façon de vivre, subtilités et gergon (Lyon, 1590, p. 9), à propos de l'initiation d'un jeune mercelot :

Lors me présentent un baston à deux bouts et une balle, voir si je metlrois bien ma balle sur le dos, nie défendre des chiens d'une main, et de l'autre mettre la balle sur le dos en înesme temps,, et aussi si je scavois jouer du baslon à deux bouts selon l'an limite cousiume, en disant : Je desrobcraij bien. Je ne sçavois rien alors, mais ils me monslrerent fidèlement et avec beaucoup d'att'eelion ce que dessus et outre m'apprindrent à faire de mon baslon le faux montant, le râteau, le quigehubin, l le bracelet, l'endosse, le courbicr, et plusieurs autres bons louts.

Ce sont là de « subtiles et sublimes tours de baston, qui se peuvent comprendre par l'expérience, » ajoute on note l'éditeur qui signe « Pechon do Huby, gentilhomme breton ».

Le passage cité d'un des monuments du jargon du xvic siècle explique à la fois le sens do « tour subtil » ou « finesse de métier » que tour du bâton a dans la nouvelle do Des Périers, ainsi que son acception ultérieure notée par jios lexicographes.

Cette expression proverbiale, — commo cette autre subtilité de gueux, Vnrlilo jduiner la poule sans crier 2, qui remonte

1. Proprement altrapo-rl'ieii : tour sulitil du liatori pour faire taire les chiens.

"2. Celle expression se lit fréquemment aux xvi'-xvif siècles, dans BraitlOme, Tallomunt des Beaux, etc. Voir ces d-xtes dans lo Dictionnaire de Fiv


230 FACTEURS SOCIAUX

également au xvic siècle et dérive de la môme source — est un curieux souvenir do la vie dos gueux du passé, lorsqu'ils constituaient une véritable hiérarchie, ayant leurs coutumes spéciales, leurs rites d'initiation et leur enseignement professionnel.

Mendiants et malfaiteurs ont do tout temps été on rapports intimes. Aux xv°-xvie siècles ils se sont souvent associés et confondus, en adoptant mutuellement leurs languos spéciales. Do nos jours, par leur vie vagabonde, les gueux ont été un des facteurs intermédiaires les plus efficaces pour l'expansion des termes do jargon dans l'argot parisien.

Michel, au mot aguige-omie, goujat, proprement attrape-poule (dans la Vie généreuse de 1596).


CHAPITRE III TRICHEURS

Les jeux de hasard sont souvent mentionnés dans le dossier des Coquillards dijonnais de 1155 et leur jargon renfermo de nombreuses appellations pour désigner les filous chargés de dépouiller les naïfs. Les vocables duper et piper, qui ont passé dans la langue générale dès le xvic siècle, ont été primitivement des termes de jargon, de même que fourbe et pigeon1.. Voleurs, gueux et filous sont inséparables.

L'argot des tricheurs ou des joueurs sur le tapis vert porto le nom do langue verte, expression qu'on lit pour la première fois dans lo prologue d'un mélodrame do Marc Fournier, Les Nuits de la Seine, joué en juin 1852 à la Porte-Saint-Martin. Dans ce prologue, intitulé Le Professeur de Langue verte, un personnage, nommé lloncoveaux, s'exprime ainsi: « Ah! oui, à propos, parlons d'argot! Vous ne savez pas? Depuis notre séparation j'ai fait des progrès étonnants dans les mystères de la roulotte. D'un bout do l'Allemagne à l'autre, on m'a proclamé docteur en langue verte. On appelle ainsi, Madame, la langue cabalistique du tapis vert. Je l'enseigne à tous les fils de famille de Rade et de Brunswick. J'ai eu l'honneur de l'expliquer mémo à des têtes couronnées ».

On sait quo Delvau en a abusivement étendu lo sens spécial à tout le vulgairo parisien dans son-Dictionnaire de la langue verte (18GC), et celte accoplion nouvelle a fait fortune.

I. — Nomenclature.

Lo plus ancien synonyme du tricheur osifloueur qu'on lit dans les Ballades en jargon de Villon sous la forme même de floar, h côlé do. celle plus fréquente froart.

1. Cf. Outlin (1G10| : € Un pigeon, une dupe, un homme qui se laisse attraper ou tromper on quelque hreland ou hordnl. Métaphore, Le )rir/con est au colombier, il est attrapé, il est pris i.


232 FACTEURS SOCIAUX

L'unoct l'autre ' remontent an verbe /rouer, trieber au jeu, qu'on rencontre également clans les Ballades:

Pour (l(iul)tcde frotter auv. arquoss, Gardez-vous dos co lires niussis !

Ce verbe représente une métaphore tirée du cri des oiseaux nocturnes —frou! J'rou! — et particulièrement de la chouette, association d'idées du même ordre que piper : on frotte avant do piper pour leurrer les oiseaux 2.

Les mois flouer, filouter au jeu, et//o«<?«/'sont restés confinés dans le jargon, d'où ils passeront, dans la première moitié du xix° siècle, dans le bas-langage parisien..Heschorcllc ne les donne que dans son Suppléaient (1815), et ce n'est qu'on 1878 qu'ils passèrent dans le Dictionnaire de l'Académie 3.

FiC synonyme piper, ég.". ionien t métaphore d'oiseleur, avec le sens de tromper aux dés, se lit tout d'abord dans le dossier des Coquillards (lioo) et dans les Ballades en jargon de Villon (Iib7), avant de faire son apparition dans des textes littéraires du dernier quart du xvi° siècle.

Les voleurs étaient donc en même temps des lloueurs. C'est ce que prouve également le mot flou., qui a commencé par désigner le voleur subtil avant de devenir le synonyme de tricheur: « Un filou, c'est-à-dire un pjppcur ou voleur » (Ondin, 1G10).

Le terme y//ou est moderne. 11 remonte au début du xvnc siècle ', et sa finale nous renvoie à la Hrctagne, à l'instar de gabelou et de voyou : c'est la prononciation provinciale de Jileur. c'est'1.

c'est'1. dos liquides ost un des phénomènes les plus fréquents, commun à la fois au vulgaire parisien et aux parlers provinciaux (v. ci-dessus, p. 93).

2. Homme frotter-flouer ne remonte lias au-delà du xv« siècle (terme foncièrement différent de l'ancien homonyme froer, briser), il est illusoire de le rattacher au lat. frattdare (v. Meyer-Liildte, Dictionnaire, n° 3181).

.'). Balzac s'en ost le premier servi : t Nous sommes flottes >, Cousine Welle (dans OEuvres, 1856, t. XV] I, p. 173).

4. Vers la môme époque, on rencontre nu homonyme, filou, au sens d'air de chanson (v. Fr.-Michel), qu'on lit également dans la Comédie des Chansons de lOiO, acte V, se. l> :-

Pour vous endormir la hello, J'ay dit cent fois le filou,.. C'est également un dérivé de filer, dont le sens correspondant ressort de ces vers de Richepin (La Mer, p. 21") :

Ecoute filer dans la nuit L'air qui hrise, le Ilot qui luit, "Et le haleau qui se halance, El tache à filer des chansons.


TRICHEURS 233

à-dirc dojlleur de laine, quo Philibert Le Roux donne comme synonyme do notre mot. Un fileur de-laine, c'était un voleur de manteaux, un détrousseur de passants dans les rues, ce qu'on appelait au xvie siècle un (ire-laine.

Un arrêt du Parlement, en date du 16 août 1623, qualifie les voleurs d' « hommes hardis se disant filous ». Aux témoignages groupés par Fr.-Michel ajoutons celui-ci à peu près contemporain do l'apparition mémo du mot et tiré de la Comédie des Proverbes, acte II, se. II : « Et voyant qu'il me faisait la moue, je l'ay appelle... chien do filou, preneur do tabac ».

Aujourd'hui, les tricheurs portent généralement le nom de Grecs, appellation déjà attesté au xvni0siècle, dans lo Trévoux de 1752: « Grec, terme do bonnetcur où de filou. Ils appellent Grecs ceux qui suivent leurs tours infâmes, et qui les pratiquent ». Au xixc siècle, lo nom est donné par Vidocq (1837) et il ligure en français pour la première fois dans le Supplément de Ilcscherelle (1850).

II. — Variétés.

Do nos jours, la tricherie se pratique surtout dans les foires et les marchés. Les jeux d'adresse par excellence y sont:

l.c bonneteau, jeu do trois cartos (deux rouges et une noire), dernier truc de l'ancien bonneteur, nom du xvin 0 siècle ainsi défini par lo Trévoux do 1752: «' lionneteur, filou, trompeur, surtout au jeu... Apparemment on a appelé ainsi ces filous, parce qu'ils bonnettent les gens pour les engager au jeu et les filouter, c'est-à-dire qu'ils leur font des civilités, qu'ils les préviennent d'honnêtetés pour les attirer au jeu ».

Dans lo « bonneteau », le compère qui amorce la proie, porto lo nom do comtois, c'est-à-dire comte, appellation ironique do la dupe, devenue analogiquement baron et marquis et, par corruption, contre.

Pour opérer, les bonneteurs sont généralement au nombre de trois: lo bonnetcur, qui tient le jeu, trouvant presque toujours le moyen do dissimuler la bonne carlo; Ccnyaijeur, qui ponto pour allécher les naïfs (v. ci-dessous), et lo nonneur, qui guette l'arrivée do la police.

2° Lo calot, jeu do trois coquilles creuses sous l'une desquelles lo teneur place une petite boule, lo représentant moderne du biiibi.


234 ' FACTEURS SOCIAUX

Ce mot calot est d'origino provinciale : dans le patois de l'Ouest, il désigne la coquille de noix et la noix elle-même.

La boule de liège, dans ce jeu, est dite aussi robignolle (proprement testicule), nom passé au jou'lui-même; de là, robignol, très amusant (Rigaud), comme les boniments des compères pour attirer les dupes : « Robignol. Mot employé comme superlatif d'admiration pour une chose extraordinaire qui dépasse l'imagination : Une évasion audacieuse, c'est robignol » (Virmaîtrc).

Lo termo général, pour désigner le truc qui empêche de gagner dans les jeux de hasard, c'ost arnaque'. « Faut avoir l'atout et Varnâque et du fil et un tas de choses », Richepin, Truandaille, p. 71. C'est un'dérivé d'arnaquer, frauder, machiner, prononciation vulgaire de renâcler: la tricherie est conçuo commo une subtilité qui fait rechigner la dupe.

Varnâque se joue sur la voie publique et sur les boulevards extérieurs '. Ce jeu de hasard est une vraie duperie, le gagnant étant presque toujours Vengayeur (v. ci-dessous), qui partage le profit avec ses complices.

III. — Termes spéoiaux.

Le plus ancien termo de tricheur est truc, qui a acquis de nos jours un développement considérable et appartient probablement au même ordre d'idées. On le rencontre, au sens do « ruse » dès le xne siècle, dans les Miracles do Gauthier do Coincy, fol. 201- v°: ■

Do truc savoit plus et de guilo Que toutes celcs de la ville...

sens conservé au xv* (Lo Franc, Champion des dames, fol. 100 r°) :

Soyez sagement escolée De faire le trucq si couvert, Que cliascun ait la bien aléc, Kt fust il diable de Vauvcrt.

lit aujourd'hui encoro vivaco: « Truc. Façon d'agir, bonno ou mauvaise, synonyme de ruse, tromporio »(Boutmy) : « Leur charité est un fameux truc... », Mirbcau, p. 338.

I. Voir la description dans Virmallro, p. ltt.


TRICHEURS 235

Le sens initial du mot a dû être coup, coup d'adresse, peutêtre au jeu de billard (appoléV/'MC dans certains endroits).

Suivons maintenant l'évolution du terme dans le parler vulgaire, où il a acquis les acceptions suivantes :

1° Habileté, savoir-faire; avoir le truc, savoir s'y prendre : « J'ai le truc de chaque commerce», Balzac, L'illustre Gaudissart, 1832, t. VI, p. 328.

2° Ficelle, secret du métier, chez les saltimbanques: débiner le truc, révéler le secret d'un tour (Delvau).

3° Entreprise, métier qui fait vivre.

Chez les voleurs : Truc, manière do voler, profession de voleur (Vidocq).

Chez les tricheurs: Truc, jeu do hasard, pratiqué dans la banlieue : « On appello truqueurs ces gens qui passent leur vio à courir do foire en foire, do villago en village, n'ayant pour toulu industrie qu'un petit jeu do hasard », Privât d'Anglemont, p. 90.

Chez les filles : Truc, raccrochage (Richopin, Gueux, p. 187).

Clioz les troupiers : équipement (synonyme de fourbi): « J'ai mon truc à matriculcr pour à ce soir; si c'est pas fait, je ramasserai de la boite », Courteline, Gaietés, p. Si.

1° Commerce infime on plein air, petit trafic do toute sorto d'objets do vieux-neuf, d'antiquités : « Le gamin de Paris fait tous les petits commerces qu'on désigne sous l'appellation do trucs » (cité dans Rigaud).

5° Objet quelconque, chosoen général (synonymode/oHfM) : « Nous arrivons dans uno ospèce de sale truc, grand à peu près comme vlà la chambre», Courteline, Gaietés, p. 23.

Les doux termes suivants remontont également au passé:

Eclairer, miser au jeu, c'est-à-dire éclairer le tapis, mettre les onjeux en évidence sur la table, sens attesté dès loxvi 0 siècle 1, à côté iYéclaireur, compère du grec chargé do dénichor des dupes (Rigaud). Le verbe a acquis le sens général de :

1" Donner do l'argent, payer d'avance (dans l'argot des filles).

2° Payer on général: « Tu me dois trois francs, éclairehkstu éclairé la dépense? » (Rossignol). — « Y faut éclairer, c'est six francs, sans compter la casso », Monsolet, Voyous, p. 18.

I. Bsclairer, donner do l'argent, so lit, au xvic siècle, dans (lyre Foucault (v. F. Hrunot, f.c xvi* siècle, p. 2H, note).


336 FACTEURS SOCIAUX

Ce tonne a'produit plusieurs vocables analogiques : Allumerl, payer : « Celui qui solde une dépense, allume » (Rossignol) ;

— Bougie, pièce de cinq francs en argent : « Combien qu'i y faudrait des bougies pour s'éclairer? » (cité dans Bruant, p. 27).

— Veilleuse, pièce d'un franc, et demi-veilleuse, pièce de cinquante centimes: « Je trouve une demi-veilleuse », Monsolet, Voyous, p. 48.

Engailler ou engager, allécher au jeu, faire du boniment (Uayard), d'où engayeur, complice du bonneteur qui mise pour engager les pontes à jouer; il est aussi indispensable aux camelots pour fairo valoir leur marchandise truquée.

\Àengayeur- est le descendant moderne do l'ancien gailleux, filou, qu'on lit déjà dans les Ballades de Villon :

Gayeu.v, bien faietz en piperie,

Pour ruer les ninars au Ioing...

i

Engrainer, allécher au jeu, proprement répandre les grains dans un champ pour attirer les oiseaux, image analogue à celle des synonymes frouer et piper : « Autour des jeux do hasard, dans les fêtes, il y a toujours des compères qui misent pour engrainer le jeu, le mettre en train et engager les poiros à faire do même » (Rossignol).

Delà, lésons général d'attirer quelqu'un, do s'insinuer près de lui, sens depuis longtemps populaire 3.

Flancher, jouer, spécialement un jeu de hasard, le bonneteaufoii le calot, proprement jouer franchement ou à la (bonne) flanquclle ', sens ironique; de là: jouer aux cartes ou à tout autre jeu sur les places publiques (Rossignol) ; flancher au gadin, jouer au bouchon (Dclvau); — trichor; — blaguer, plaisanter (Rossignol), sens déjà donné par un glossaire argotique de 1810.

Le dérivé flanche a acquis un grand développement ; il signifie :

1. On dit aussi, analogiquement, illuminer pour payer (v. un exemple dans II.-France). C'est là une formation analogique purement livresque.

2. Un autre sens est consigné dans Rossignol : « ICngat/etir, individu qui par ses plaisanteries arrive à fairo mettre quelqu'un en colère. Kngaycr est synonyme de faire endèver, taquiner ». C'est le snintongeais enqailler, maire on colère, proprement faire prendre la chèvre (de gnille, chèvre), verbe qu'on lit déjà chez d'Aubigné : « Mes désirs s'engaÙlenl sans cesse. . > (OEuvres, t. III, p. 300).

.5. Voir Nisard, Etude, p. 307.

i. Vidocq donne à la fois flancher et flanquer pour jouer franchement.


TRICIIKUUS 237

1° Jeu, surtout clandestin: grande flanche, jeu de roulotte et de trcnto-ct-un(Vidocq).

2° Boniment do camelot: « Pour faire le camelot, pas besoin d'apprentissage, il est vrai ; de l'aplomb, du bagou, voilà ce qu'il faut; être assez à l'oeil pour vanner des flanches d'actualités, brailler par les rues et faire le boniment au public », Père Peinard, 23 février 1890, p. 2,

3" Discours, en mauvaiso part, article do journal : « Maintenant que j'ai dégoisé mon petit flanche sur la kyrielle d'années », Almanach du père Peinard, 1894, p. S. — « Toutes les semaines le Père Peinard y va de ses flanches », Père Peinard, 4 janvier 1891, p. 2.

4° Ulague, plaisanterie (dans un glossaire do 181G).

5" Cbosc mauvaise (dans le même).

0° Chose quelconque que l'on connaît (Rossignol) : « C'est mon flanche : fricot et vinasse », Descaves, Sous-ojtfs, p. 180.

Palisser, décaver, ruiner au jeu, même sens que nettoyer et rincer, d'où dépouiller complètement : « Elle le fouilla, lui ratissa la monnaie », Zola, Assommoir, p. 427.

Expression synonyme de ratiboiser, rafler tous les enjeux (au baccara), d'où ironiquement maltraiter, rouer de coups: (lliclus, Doléances, p. 38) : « On me ratiboise, on me saigno, on mo viole!.. »

Ser ou sert, signal convenu parmi les tricheurs (mot déjà donné par Vidocq), forme abrégée de service, qui a un sens analogue : « facilité do filouter au jeu » (Larchey, Suppl.). Un synonyme plus récent e^t duce : « Le complice d'un escroc au jeu do cartes envoie la duce à son compèro, pour lui dire la carte qu'il doit jouer » (Rossignol).

Envoyer la duce l est la même chose que faire le télégraphe, tricherie de grec (Larchey, Suppl.).

Verre en fleurs, ouvert en fleur, au jeu do l'écarté, jeu superbe, la main pleine de belles cartes ou d'atouts: il y a quatre ou cinq combinaisons où le pigeon est toujours attrapé. 2 De là: monter le vert en fleur, tendre un piègo (Rigaud), se

1. On pourrait en rapprocher le provençal dttsso, conduit, tube par lequel s'écoule l'eau d'un vase ou d'une fontaine.

2. Itogier-Grison, Le Monde oit l'on (riche, p. 212. Dans ses Mémoires, ch. i,xix, Vidocq, parle déjà du verre en fleur, et dans la dernière édition du poèmo de Cartouche (1827), on lit : « Mouler un ver (sic), mentir pour découvrir la vérité ».


338 FACTEURS SOCIAUX

monter le vert en fleur, s'illusionner (Dcllesalu); croire que c'est arrivé (Virmaîlrc). expression d'origino obscure K

Le jeu do caries a été très fécond sous ce rapport : il a fourni nombre d'applications métaphoriques. Retenons celles qui se rapportent à notro sujet.

Arche, prendre l'arche, prendro on faisant une lovée, par allusion h. pont, couper une carte avec l'atout; do là:

1° Ennuyer, importuner quelqu'un : « Moi, ça commençait à me fendre Varche », Monselet, Voyous, p. 48.

2° Se tourmenter: « Il avait bougrement l'air de se fendre l'arche.,.- il balançait ses châsses », Méténior, Lutte, p. 291.

Banque, mise de celui qui, aux jeux do hasard, tient le jeu contre tous les autres, terme passé chez les marchands forains:

1° Métier de saltimbanque: « Nous verrons si tu as des dispositions pour la banque... los premiers six mois tu seras bien nourri/ bien vêtu; au bout do ce temps, lu auras un sixième de la manche », Vidocq, Mémoires, éd. Villiod, t. I, p. 11.

De là l'exprossion faire de la banque, aussi avec le sens: faire valoir la marchandise, fairo le boniment; et le dérivé banquiste, forain, propriétaire d'une grande baraque, saltimbanque.

2° Escroquerie, tromperie (banquiste, escroc).

Comète, ancien nom do la manille (une des cartes y portait la figure d'une comète). Le carabin de la comète était jadis le joueur qui risquait un coup, d'où l'acception de filou : « On nous prends bien plus tôt pour des carabins de la comète! », s'écrie un des personnages de la Comédie des Proverbes, acte III, se. I. Aujourd'hui comète désigne le grec qui opère luimômo, ensuite le vagabond, le sans-asile; filer (ou refiler) la comète, c'est se coucher à la belle étoile : « J'étais fatigué de filer la comète, j'en avais assez de la belle », Méténior, p. 121.

Couper, couper dans le pont, couper lo jeu de cartes à l'endroit où lo tricheur lui a donné uno courbure impercopliblo (cf. être heureux à la coupe, gagner en trichant) ; de là :

1° Tomber dans un piège (sens usuel parmi les malfaiteurs): « Il y en a deux en surbine et un autre tricard, ils n'y couperont pas », Méténier, Lutte, p. 196.

1. Voir, pour des essais d'interprétation, le Supplément de Larchey.

2. Lo condamné à être guillotiné.

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ÏIUCHEUKS 239

2° Eviter adroitement une fatigue ou un travail (à la casorne) : « Tout l'art Je celui qui la connaît consiste à couper à tout ce qu'il a raison do craindro » (Ginisly); n'y pas couper, aller on prison ou à la salle de police. — « Ils trouvaient mille prétextes pour couper à l'exercice », Descavcs, SousOffs, p. 06. — « Si vous êtes pincé, vous n'y coupe* pas moins de soixante jours », Courteline, Gaietés, p. il.

3° Eviter, on général: « Si jamais y on avait un de vous autres qui donnait un potoau, je promots qu'tV n'y coupera pas d'avaler sa fourchette... La prouve, c'est que les traîtres n'y couperaient pas d'avoir mon couteau dans le ventre », Rosny, Rues, p. 179 et 318.

i° Croire naïvement : « Couper, accepter comme vrai une chose qui n'est pas, croiro à la véracité d'un récit plus ou moins vraisemblable ; Je ne coupe pas, je n'en crois rien » (Boutmy) : « Dites y qu'eue ne coupe pas dans les boniments d'Adolpho », Méténior, Lutte, p. 91. — « Faut-il couper dans les prédictions do Nostradamus ? Evidemment non ! » Aimanach du Père Peinard, 1894, p. 37.

Faucher, pordre tout son argent au jeu, par allusion au tapis vert, d'où fauché, ruiné, sans le sou (synonyme de coupé), sens généralisé (Rictus, Doléances, p. 12).

Vade, somme avec laquelle un des joueurs ouvre le jeu de brelan, a acquis le sens de foule de curieux, de rassemblement :

Chez les forains : « Le camelot fait un vade pendant que des complices fouillent les poches des badauds » (Virmaîtro).

Chez les malfaiteurs (déjà dans Vidocq) : « Toute la vade qui grouillait autour de moi », Méténier, Lutte, p. 291.

Ces données trouveront un complément éventuel dans le chapitre suivant.


CHAPITRE IV

CAMELOTS i

Descendant moderne de l'ancien cocsinclot, polit mercier, le camelot2en a essentiellement gardé le métier: ii est avant tout mcrcclot, colporteur, soit ambulant comme marchand de bimbeloteries ou d'habits 3, soit stable comme employé de magasins de mercerie.

Colporter des marchandises, en courant les rues ou la campagne, c'est cliiner, proprement s'échiner en portant des fardeaux, travail pénible.

De là des acceptions multiples:

1° Courir les rues, pour acheter de vieux vêlements ou pour vendre des chiffons (Rossignol).

2° Travailler çà et là, trimbaler (Bruant, Route, p. 51). « Rémononcq... allait chiner (le mot technique) dans la banlieue de Paris... Le métier de chineur, tel est le nom des chercheurs d'occasion, du verbe chiner, aller à la recherche des occasions et conclure do bons marchés avec des détenteurs ignorants », Ralzac, Cousin Pons (1817), t. XVII, p. iG7 et 4G8.

3° Travailler avec ardeur, travailler en général (Rictus, Coeur, p. 28): « ... de malheureux qui chinent et psinont sus la torro ». ■ . ■ ""

1° Railler, critiquer, persifler : « Rlaguer, plaisanter quelqu'un est le chiner » (Rossignol).

1. Voir A. Cofflgnon, Paris vivant. Le Pavé parisien, Paris, s. d. ch. IV: Les Camelots (p. 47 à 12). — Richepin, Le Pavé, Paris, 18SG, p. 342 à 3G9: Les Camelots.

2. On ne voit pas sans surprise Meyer-Liibke (Dictionnaire, n°402l) rattacher, d'après Mistral, notre camelot au provençal camalo, portefaix, mot turc d'introduction récente et exclusivement usuel dans les Alpes-Maritimes où il a été importé par les marins.

3. t II y a trois variétés de chineurs à domicile : le chineur au ballaclage, au moyen d'une balladeuse ou petite voiture qui se déplie et formp un bazar ambulant ; le chineur en ballot, qui offre en vente des articles de mercerie, et le chineur à la boileme, nom d'un petit éventaire que déjeunes-garçons portent devant eux au moyen d'une courroie passée en bandoulière i (Coffignon).


CA.UKL0TS 2'il

Ce dernier sens rappe.Ho le synonyme ancien froller sur la balle, médire do quelqu'un, c'est-à-diro frotter sur la balle, du jargon des morcelais, qui fut adopte au xvne siècle, par les malfaiteurs.

Le mot a pénétré dans les parlors provinciaux, où il a acquis parfais des acceptions plus larges: en Anjou, chiner signifie vendre des denrées de porlc en porte (« se dit des gens qui vont do ferme en ferme, la hotte sur le dos, chercher des oeufs, des poules, etc. pour les revendre », Verrier et Onillon); dans le Itas-Maine, chiner, c'est à la fois travailler avec ardeur, faire l'article ou attirer des pratiques dans un magasin et demander l'aumône avec instance (Uoltin); en Normandie (Manche), chiner, quêter, demander, aller à la récherche do quelque gain ou profit (il s'y attache un certain sentiment do défiance), quêter pour une oeuvre commune (Deaucoudroy).

Une autre expression familière aux camolols est fusiller, vendre à vil prix des marchandises volées, c'est-à-dire les écouler en coup de fusil, à n'importe quel prix.

Los marchands d'habits ambulants, les chineurs, après leur ronde, venaient dégorger leurs marchandises dans le grand réservoir du Temple ', dans le quatrième carré appelé jadis Foret noire, affecté aux fripiers. On y parlait un argot spécial: un franc, c'était un point ; une pratique, un gonse, et marchander, se disait râler : « Les râleuses sont les courtières lâchées par le marchand du Temple sur le gonse pour le forcer à acheter ». C'est do là que vient l'expression courante, un décroches-moi-çà, qui désignait à la fois la boutique du fripier et sa marchandise.

Les habits en mauvais état y portaient différents noms:

Fripe, vêlement usé, chiffon, mot archaïque (frepe) et dialectal (fripe), devenu un terme injurieux : « Oh! la \'\C\\\Q fripe, disait-ello, se servant d'un mot qu'elle retrouvait soudain dans l'air do la brocante », A Daudet, liois en exil, p. 276.

Do là fripouille, gueux, canaille (sens déjà familier' à Vidocq), parisianisme très répandu (v. Mary Burns, p. 81), passé dans les parlers provinciaux : « Il y a trop do fripouilles h côté do quelques bons ouvriers », Poulot, p. il.

Panas, habit usé jusqu'à la trame et ne pouvant servir qu'aux chiffons (la langue littéraire no connaît que le dérivé

1. Félix Mornand, La Vie de Paris, 1855, p. 179-180 : L'argot du Temple. Voir notamment p. 180. Le marché du Temple datait de 1809.

1G


-'ï'-i FACTKl'llS SOCIAUX

/tenaille, las de loques), d'où panailleuoe, brocanteur, surtout en dehors des fortifications où so tiennent les marchés aux puces ou marché pouilleux (comme les appelle le peuple de Paris).

Palouillc, habit à l'état de chillon (sens du bourguignon ' et lyonnais pâte)'. « A Paris, il no faudrait pas songer à écouler la patouiller>, Goffignon,p. 78.

Los camelots stables ou employés do nouveautés ont fourni l'expression da«s les grands prix (ou dans les grandes largeurs), employée tout d'abord aux qualités des draps ou.soieries, et ensuite à l'excellence-d'une chose: « Il finit par être convaincu; • sur quoi, retourné comme un gant, il s'amusa dans les grands prise, gloussant, toussant... », Courtolino, Train, p. IG2.

Los camelots so divisent en nombreuses catégories suivant les produits qu'ils vendent — les baveuse, par exemple, vendent du savon à détacher, surtout le long des quais — ou selon l'habileté avec laquelle ils travaillent.

Un mot cher aux camelots est vanne ou vanneau, article vendu au rabais et à perle (allusion à la vanne de décharge): « Le camelot forain met son article on vonto au moyen des vanneaux », Coffignon, p. G2. — « Los camelots disent faire une vanne, lorsqu'ils vendent un journal qui annonco une fausse nouvelle à sensation » (Virmaîtro).

Le mot désigne également lo jeu truqué du grec : « Faire gagner quelqu'un à un jeu arnaqué est lui faire une vanne » (Rossignol). Ce sens est déjà donné par Vidocq: « Faire un vannage, faire gagner d'abord celui qu'on veut duper plus tard. Ce terme n'est employé que par les voleurs et joueurs de province ». Mémo imago que la précédente, tirée du vanneur qui nettoie les grains en les secouant.

Ce vocable do camelot a fait fortune pour désigner tout ce qui est faux. On dit, dans ce sens, pousser le vanne ou casser un vanne : « C'est comme quand on nous pousse le vanne qu'on va démolir Mazas... A me cassait un vanne qui va t'étranglcr ». Bercy, III 0 lettre, p. 6, et XVe lettre, p. 7.

Le camelot doit encore être onvisagé sous un autro aspect : nous voulons dire dans ses rapports intimes avec le forain. Mais alors il so confond avec cotte nouvelle classe sociale, que nous allons aborder.

1. Pour la Lorraine, Je mot est déjà relevé par Michel (1807) : « Patte, pour haillon, vieux linge, n'est pas français ».


CHAPITRE V

SALTIMBANQUES

Au moycn-âgc, les saltimbanques élaionl parfois représenlés par des jongleurs, menant on laisse des ours, des singes, et débitant sur les places publiques des drogues merveilleuses. ' Ils attiraient les passants par des boniments semblables ù ceux de nos camelots forains.

Le type du jongleur, au xinc siècle, est Rutobeuf, auteur du premier boniment que nous connaissions: Le Dit de t'Herberie, pastiche des parades que débitaient les marchands d'orviétan. Kn voici le début :

Seigneur qui ci estes venu, Petit et grant, joue et chenu, II vos est trop bien avenu !

Sachiez de voir, Je ne vos vuel [tas'desovoir : IJien le porrez aparsouvoir

Ainz que m'en voize. Ascciz vos ! Ne faites noise, Si escouteiz, c'il ne vos poize. •

Je suis uns mire...

Suit l'énumération des pays éloignés ou fictifs, jusqu'aux confins du monde, d'où ïc jongleur a rapporté des pierres précieuses qui ressuscitent de la mort et des herbes merveilleuses qui guérissent instantanément la fièvre, la goulto, la pierre, la surdité :

Et ce voz saveiz homme sort, Faites le venir à ma cort : Ja iert touz sainz.

Rutobeuf nous a laissé un autre boniment en prose qui mérite d'être cité commo le plus ancien modèle du genre :

Belc gent, je ne suis pas de ces povres preecheors ne de ces po1.

po1. Far.il, Les Jongleurs en France au moyen-âge, Paris, 1910.


2\ \ FACriîl'IUS SOiM.Vl'X

vres héritiers qui vont par devint ces mosliers... Or, estez les chaperons, tendez les oreilles, regardez mes hérites... Ces herhes vos ne les mangerez pis... Vos me les métrez trois jars dormir en lion vin blanc; se vos n'avez blanc, si prenez vermeil; se vos n'avez vermeil, prenez chastain; se vos n'avez chastain, prenez de la bêle yauc clere ; quar tel a un puis devant son huis, qui n'a pas un tonel de vin dans son celier... Et je vos di par la passion... que vos serez gariz de diverses maladies et divers mehainz, de totes fièvres quartaincs, de tôles gotes sans palazinc, do l'engeleure du cors, de la vainc du cul s'ele vos débat ; quar se mes pères et ma mère estoienl au péril de la mort, il me demandeient la ineillor herbe que je lor peusse doner, je lor doncroie ceste. En tel manière vens j\3 mes herbes et mes oignemenz ; qui voldra si en preingne, qui ne voldra si les lest. l

Dans la seconde moitié du xvie siècle, nous trouvons un autre échantillon du genre, très peu connu ol qui mérite de l'ôtro. Il se trouve dans le dernier des Mystères, dans la Vie de Saint Christophle du poète dauphinois Antoine Chevalet, Paris, 1530 (Mauloué y est le nom du batoleur):

LK ROY DE DAMAS

Sces tu nulles chançons nouvelles ? Voulontiers les vnuldrois ouyr, Pour la compaignio rosjouyr. Si tu sces rien, que l'on voye.

MA.UI.OUK

Je faiz d'une chievre une oye, D'ung pourceau un molin à vent, Et d'un franc diz sols bien souvent.

Et en s'adressant aux auditeurs do la Cour, il leur débite ce boniment (IIe journée, fol. K v°) :

Seigneurs, voici la pourtraicture Du glorieux sainct Alipantin, Qui fut escorché d'un patin Le jour de karesmo prenant !

Après voici sainct Pimponant Avec sainct Tribolandeau, Qui furent tous deux d'un seau d'eau Decillez, dont ce fut dommage...

1. Nous en citons le texte d'après l'édition récente d'Edm. Parai, dans Mimes français du \m* siècle, 1910, p. 61 à 68.

^.^m


SALTIMU.VNQUKS 245

Si vous aviez iiUonlion Do les avoir, je vous les liuillo Les doux pour trciis deniers et maille.

Au XYII-XYMIC siècle, le lieu d'élection des saltimbanques est le l'ont-Neuf, où des charlatans débitent des drogues, do l'orviétan. C'est l'âge d'or des fêtes et des spectacles forains.

De nos jours ', les exhibitions sont à pou près les mêmes, et lo principal attrait de la foire reste toujours la parade, lo boniment. On en trouvora do nombreux échantillons dans les écrits mentionnés en note. Bornons-nous à citer lo suivant qu'on lit dans Richepin :

Accroupi, les doigts tripotant trois cartes au ras du sol, le pif en l'air, les yeux devants, un voyou en chapeau melon glapit son boniment d'une voix à la fois traînante et volubile... « C'est moi qui perds. Tant pire, mon petit père! Hase le banquier! Encore un tour, mon amour. Vlàle coeur, cochon de bonheur ! C'est pour finir. Mon fond qui se fond. Trèfle qui gagne. Carreau, c'est le bagne. Coeur, du beurre pour le voyeur. Trèfle c'est tabac ! Tabac pour papa. Qui qu'en veut ? Un peu, mon neveu I La v'Ià.? Le trèfle gagne ! Le coeur perd. Le carreau perd. Voyez la danse ! Ça recommence. Je le mets là. Il est ici, merci. Vous allez bien? Moi aussi. Elle passe. Elle dépasse. C'est moi qui trépasse, hélas. Regardez bien ! C'est le coup de chien. Passe. C'est assez ? Enfoncé ! 11 y a vingt-cinq francs au jeu 1 etc.. » (Le Pavé, p. 353).

Lo monde des forains, la banque, est nettement divisé en deux classes : la grande banque, sorte d'aristocratie foraine dont l!oxploitation exigo d'importants capitaux et qui dirige dos ménageries, des cirques, des manèges, etc. ; ot la petite banque, composée do marchands forains, de camolots, de merlifichcs, etc.

Les éléments sont nombreux et variés. Léon do Rercy les a résumés dans ces vers (cités dans Bruant, Dict., p. 6i) :

1. Privât d'Anglemonl, Paris anecdote, 1854, p. 92 et suiv. — Jules Vallès, La Itue, 1S6G, p. 01 à 17G, et Richepin, Le Pavé, — Victor Fournel, Ce qu'on voit <l<ins les rues de Parts, 1I« éd. 1861, "p. 132 à 131 : Industriels et saltimbanques. Tous ces auteurs citent des exemples pittoresques de boniments.

Les écrits d'Escudier (Les Saltimbanques, 1874). do Gampardon (Les Spectacles de la foire, 1S77) et de Hugues Lo Itoux (Les Jeux de cirque et la vie foraine, 18S9 "'ont qu'une valeur technique.

Deux forains, MM. Alexandre (i lo roi des bonisseurs ») et Pérodin, nous ont fourni oralement de précieux renseignements complémentaires.


ÏMO FACTEURS SOCIAUX

Dans la banque ils sont tous frangins ; Guincliours de Uu-tousi>, manouelios, Aniai|iiPiirs, postigours, maïuuns, Lévriers, },rt''aiUs, faiissi's-oniielics, Tarottièrcs, nègres, llatnbours, Solliceurs de vannes à la manque, Hicotsj meïliliehos, tombeurs... ' Ils sont tous frangins dans la banque.

Do mémo, les exhibitions : Hercules, femmes phénomènes, avalours d'épées, mangeurs do feu, nains, géants, etc.

Les forains ont exercé une action importante sur lo développement du bas-langage qu'ils ont enrichi d'une nomenclature originale et pittoresque. Los bateleurs avaient jadis laissé des traces isolées dans la langue: en italien, bagatella signifie à la fois tour do bateleur et bagatelle; on français, manifjançe, manoeuvre artificieuse, signifie proprement tour do manche, par allusion aux oscamotours qui font disparaître habilement différents objets dans leur manche (on dit encore, au Languedoc, faire entre mari et manigue, faire enlro la main et la manche, c'est-à-dire rapidement, subtilement). Manigance est un terme méridional (dérivé de manigo, Nice, manigue. manche) qui a passé en français au xvie siècle.

Tout autrement considérable a été de nos jours l'influonce des forains, dont nous allons passer en revue les élémonls constitutifs.

1. — Termes de jargon.

Los forains ont de bonne heure adopté l'argot des malfaiteurs. Voici un témoignage curieux de la première moitié du xixe siècle : « Argot. Langage usité généralement parmi les bateleurs, les baladins, les sauteurs, les escamoteurs, les chanteurs et parmi tous les autres saltimbanques qui composent la classe nomade des banquistes... Ce langage sert aux saltimbanques dans toutes les circonstances qui n'admettent pas la publicité ou qui intéressent les secrets do lour profession » %. Voici ces termes de jargon :

Bouline, quête simulée faite dans les foires par les truqueurs pmr stimuler le zèlo des badauds (Rigaud): « Alors les tru1.

tru1. plupart do ces termes seront expliqués au cours de ce chapitre.

2. Elouin, Trébuchet et Labat, Nouveau Dictionnaire de police, Paris, 183S, t. I, p. 39.


SALTIMBANQUES 3'i7

quours .font ce qu'ils appellent uno bouline, c'est-à-dire une collccto entre eux », Privât d'Anglomonl, Paris anecdote, 18oi, p. 96. Le mot signifie « bourse » dans Vidocq.

Cambrousier, paysan, campagnard (la dupe habituelle du forain) : « M. Hébard captivant l'attention dos cambrousiers : c'est ainsi que les forains nomment les paysans... Le tour est fait, le cambrousier a été mis dedans », Privât d'Ànglemont, p. 93 et 97. Le mot désigno, dans Vidocq, le marchand forain lui-môme ainsi que le voleur de campagne.

Condc, permission de tenir des jeux do hasard dans les fêtes foraines ou sur la voie publique (sens déjà donné par Vidocq) : « Avoir un comté, c'est être autorisé à stationner sur une place publique pour y débiter de la marchandise ou y exercer un métier » (Rossignol).

Landière, boutique de foire (« terme des marchands forains et des voleurs do campagne », Vidocq).

Lègre, fèto foraine, et lëgrier, marchand forain (les deux dans Vidocq), à côlé de légreur, forain qui lient un jeu dans les foires et qui annonce, pour allécher le public, dos lois imaginaires (Virmaîtro).

Lègre est abrégé d'allègre (sous-entendu endroit), les marchés étant pour les malfaiteurs une source de revenus, do joie; dans la germania, alegria désigno le cabaret et, dans l'argot roumain, ueselie, c'est-à-dire allégresse, est le nom de toute réunion publique l.

Miquel, dupe : « On appelle monter miquel, prendre uno 1 dupe et la vider..., lui faire croire qu'on, va l'enrichir et la | ruiner », J. Vallôs. Rue, p. 165. *

Rabouins, surnom donné par les forains sérieux aux roulolticrs bohèmes, proprement diables (sens du mot dans Vidocq).

Satou, matériel du forain, propromont du bois (sens du mot en jargon).

Tortouse, corde, d'où gambilleur de tçurtouse, danseur de corde, acrobate (déjà dans Vidocq).

1. Behrens (lieitruge zur franzôsischen Wurtgeschichte, 1910, p. US) trouve notre étymologie peu probanto et propose, à son tour, l'allcm. Lûger, dépôt, dépôt de marchandises : « L'acception ultérieure de foire — ajoute-t-il — que le mot possède on roman (« «m Komanischen ») est facilement compréhensible ». — Le vocable est exclusivement jargonnesquo (il ligure pour la première fois.dans Vidocq) elle jargon ignore tout emprunt allemand.


248 FACTEUHS SOCIAUX

2. — Bohémiens.

Les Hohémiens sont nombreux parmi les forains, qui les accablent do leur mépris, en les considérant comme indignes d'appartenir à la corporation. Ils n'ont laissé, dans ce vocabulaire technique, que les traces do leur nom ethnique: Manouches ou Romanichels 1, ce dernier, abrégé en Romani et Romanigo. désigne particulièrement les bohémiens forains. Ceux-ci parcourent les campagnes en qualité de vanniers, rétameurs, marchands do vieilles ferrailles, mais en réalité ils vivent en exploitant la population rurale. Leurs femmes disent aussi, à la foire, la bonne aventure, la bonne ferle, c'est-à-dire la bonno fortune : « Si le paysan est défiant à l'égard du camelot, il craint les romanigos ou romanichels, ces bohémiens qui s'en vont par les routes, on volant à la tire, sous prétexte do dire la bonne ferte », Coffignon, p. 58.,

3. — Italiens.

Parmi les étrangors qui pullulent dans la corporation foraine, les Italiens et les Espagnols sont les plus nombreux. Leur action a été féconde et les termes dont ils ont enrichi le vocabulaire des forains sont frappants et ont fait fortune 2. Voici tout d'abord les emprunts italiens :

Palque, tréteau (de l'italien palco) : flamber ou flancher en palque, travailler en foire sans baraque ni voiture (IL-France).

Postiche, ou poslige, parade do forain. C'est le prologue quo les saltimbanques jouent devant leur baraque pour allécher le public en l'amusant aux bagatelles de la porte et qui finissait invariablement ainsi ... « Entrez, messieurs, mesdames, entrez; vous y verrez ce quo vous n'avez jamais vu ; et cela ne coûte que deux sous. Deux sous! Il faudrait ne pas avoir deux sous dans sa pocho, etc. » 3

i. On lit dans le Dictionnaire de police, déjà cité, au mot Rornamkhel (sic) cette explication déconcertante : « Maison où logent ordinairement les saltimbanque.*, les voleurs ». Elle est d'ailleurs tirée du glossaire des Mémoires d'un Forçat (1828). — c Le mot romanichel qui, dans l'argot parisien, désigne le bohémien, est la corruption de romani tchave, gars bohémiens i, I\ Mérimée, Carmen, fin.

2. Voir, à titre de comparaison, l'argot des forains de Rome, dans Niceforo et Sighele, La mala vita a Roma, Turin, 1898. .

3. Privât d'Anglemont, p. 92. De là les dérivas :

Postiger, faire In postige, rassembler la foule sur la voie publique, allécher les passants et leur vendre un article quelconque à un prix qui semble


SALTIMBANQUES , 249

Lo mot postiche csl déjà donné par Vidocq. Comme plusieurs autres termes de cetto catégorie, lo vocable a fuit fortune on dehors du monde forain où il signifie:

Chez les typographes : « Postiche, ou parado, plaisanterie en parole ou en action, bonne ou mauvaiso; quelquefois faire une postiche, c'est chercher noiso, faire des reproches » (Boulmy).

Dans le bas-langago on général, terme synonyme do boniment: « Faut voir los postiches qu'il (lo politicien) va débiter entre lo café et lo pousse-café, dans dos gueuletons où l'on bouffe bien », Père Peinard, 21 mars 1889, p. 2.

4. — Espagnols.

L'espagnol a fourni aux forains un des nombreux synonymes du boniment :

Pallas. dans l'expression faire pallas, faire montre ou parade, répond à l'espagnol vulgaire hacer pala, se mettre devant quelqu'un pour occuper son attention pendant qu'on lo vole, image tiréo du jeu do la paume, proprement recevoir et renvoyer la paume avec lo battoir (pala), sans la laisser rebondir par lorre : « Son pallas ne variait pas : Voulez-vous, disait-il, vous amuser en société ? achetez ma poudre, c'est un secret que m'a légué un de mes aïeux... », Ch. Virmaîtro, Paris oublié (cité dans H.-Franco). — « Finis, les bonissours époilants, qui faisaient la parade devant des baraquetlcs gondolantes... Ils vous envoyaient des palas qui n'étaient pas dans un sac... », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 22.

Ce terme do forain, qui fait allusion aux boniments des camelots, a également élargi sa sphère on franchissant son milieu spécial. 11 a passé :

v Chez les typographes : « Pallas, discours emphatique ou plutôt amphigouriquo; pallasser, faire des phrases, discourir avec emphase; pallasseur, qui a l'habitude de faire des pallas » (Boutmy)..

dérisoire, mais qui en réalité est largement rémunérateur (Goffignon, p. 49). Posticheur, nom du camelot qui, sur la voie publique, fait du boniment pour attirer les passants et leur vendre sa camelote. On dit aussi poslijateur, ce dernier repondant a l'italien vulgaire posleggiaiore, charlatan (t en jargon », Oudin, 1642). Le postijaleui; lo premier dans la hiérarchie des camelots, est naturellement doué d'une grande facilité d'élocution et d'un'aplomb imperturbable.


250 FACTEURS SOCIAUX

Dans lo bas-langage, en général : « Mossiou le mairo débagoulinc un/ja^as patriolicard », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 40.

L'expression faire pallas signifie (déjà chez Vidocq) faire le grand seignour, do l'embarras avec pou do chose ; aujourd'hui, faire dos manières (Rossignol). On la lit déjà dans une chanson argotique do 1835 ', et do nos jours, dans Bruant (Rue, t. II, p. 28): « Vrai, c'est pas pour faire du pallas... »

Co mot pallas, remarque Hayard, a doux significations : comme substantif, il veut diro discours, bonimont ; comme adjectif, il signifie beau, suporbo : « C'était un couplo palus... », Richepin, Truandaille, p. 52.

5. — Français.

Le contingent français ost naturellement lo plus important et quelques-unes de ces contributions ont profondément pénétré dans la langue (cf. boniment) :

Battre comtois, servir do compère (comtois) à un forain, c'est-à-dire feindre le niais pour mieux attraper la dupe : « Dans les fêtes, aux abords des baraques de lutteurs, il y a toujours des spectateurs qui demandent un gant ou caleçon pour lutter avec le plus fort do la troupe ; on s'imagino que c'est un adversaire sérieux, mais ce n'est qu'un compère qui bat comtois, et qui se laisse toujours tomber pour avoir sa revanche à la représentation suivante afin d'attirer le public » (Rossignol). — « J'avais alors pour passetemps... do battre comtois devant la baraque do lutteur tenue par Dubois », Richepin, Truandaille, p. 15.

Cette expression est calquée sur la locution jargonnesque' battre Vantiffe, feindre le niais, dissimuler, proprement battre l'ostrade pour demander l'aumône, d'où la notion de « feinte » attachée au verbe battre -,

Do là, feindre, mentir, sens généralisé :

Chez les malfaiteurs : « Un voleur bat cotntois lorsqu'il ne vout pas comprendre los questions qu'on lui fait et ne dit

1. Voir nos Sources de l'Argot ancien, t. II, p. 185.

2. Victor Hugo (Les Misérables. 1. VII, ch'. II) se trompedonc en soutenant : t Pas une métaphore, pas une étymologie de l'argot qui ne contienne une leçon. Parmi ces hommes battre veut dire feindre; on bal une maladie ; la Kjuse est leur force ».


SALTIMBANQUES 251

co qu'il pense » (Rossignol). — « Kn attendant, je vais baKrc comtois... », Vitlocq, Mémoires, t. III, p. 2o '.

Dans le bas-langage : « Uno femme bat comtois lorsqu'elle fait des infidélités à son homme et qu'elle jure qu'elle lui est fidèle » (Rossignol).

Aussi, sous la forme abrégéo battre, mentir : « Ne L'inquiète pas, jo battrai si bien que je défie le plus malin de ne pas me croire... T'as beau battre, on no m'en conte pas à moi », Yidocq, Méjnoires, t. III, p. 29 2.

La locution battre comtois est parfois altérée en chiquer contre (do chiquer, battre), mentir, simuler, également devenue populaire : « Tu n'as pas besoin de me chiquer contre en plaidant lo faux pour savoir le vrai » (Rossignol).

Boniment, long discours do forain pour attirer le public dans uno baraque , parade de pitre dont nous avons cité des échantillons : « L'ouvrier mixte aime les fêtes do banlieue et écoute le boniment de Paillasse », Poulot, p. 59. '

Ce terme de forain est devenu très populaire, au sens do discours artificieux pour convaincro ou séduire : « Dopuis lo député en tournée électorale jusqu'à l'épicier qui fait valoir sa marchandise, tout le monde lance son petit boniment » (Rigaud).

Chez les malfaiteurs : « Je lui détaillerai mon petit boniment.... », Méténier, Lutte, p. 146. —« J'ai prêté locho pour entraver le boniment du garçon qu'on allait brancher », Lettre argotique, 1837 (dans Sources, t. H, p. 191). — « On me prenait pour un mylord et j'envoyais bien mes boniments », Rrissac, Mon bagne, p. 44.

Chez le peuple, qui l'applique surtout aux candidats électoraux : « Ceux qui prennent la parole, dégoisent leur boniment sans^magnes, ni flaflas... », Almanach du Père Peinard, 1890, p. 31. » Ce ternie, déjà donné par Vidocq (1837), manquo encore à

1. Dans l'édition des Mémoires par Villiod (1912), t. II, p. 17, on lit fautivement : bàtlre comptoir.

2. De là, battage, mensonge, batteur, menteur, dérivés également devenus populaires :

«ïhez les ouvriers imprimeurs : * Hallage, plaisanterie, mensonge; batteur, qui fait des mensonges » (Boutmy.)

Dans la languo populaire,: « C'est donc des menteries... j'ai coupé dans le pont... c'est donc du battage... Hein, quel battage que ces fêtes de Tours et co gueuleton épastrouiliant donné on l'honneur des chemins de fer •, l'ère Peinard, S oct. 1890, et 2 nov. 1890, p. 2.


*3S§p

252 FACTEURS SOCIAUX

Bescherello (1845). Tandis que Littré le caractérise comme « mot très vulgaire et qui est presque d'argot », lo Dictionnaire général le donne déjà à titre do néologisme familier.

C'est un dérivé de bonir ou bonnir, dire, parler, proprement dire de bonnes histoires, mot adopté par les voleurs et qu'on lit déjà dans les Mémoires (1828) de Yidocq.

Il est encore vivace chez les forains : « Lo camelot bonnit pour vendre sa camelote... «(Rossignol), d'où il a passé dans lo peuple : « J'en reviens à ce que je to bonissais dans le commencement de ma babillardo », Bercy, Xe lettre, p. 7 l.

Caravane, réunion de voitures d'une tribu de nomades ou d'un grand établissement (cirque, ménagerio), a aussi le sens de voilure de forain, de roulote, sorte de maison roulante où il vit et meurt : « C'était un des meilleurs flambeurs de la caravane» (cilé dans Bruant, Dict., p. 11G).

Elle porto souvent le nom de maringote : « La maringote, dans le principe, était la voiture du mareband forain courant la province, et ce n'est que par extension et depuis une quarantaine d'années que l'appellation a été dontiéo à la voilure des saltimbanques. Cette voituro est par eux quelquefois nommée la caravane, le chez soi » *.

Lo mot est très répandu dans les parlers.provinciaux, dans lesquels maringote désigne habituellement une voilure légère à doux roues : « Cochard dit qu'on les nomme ainsi parce que les promières se sont faites à Maringucs, en Auvergne » 3.

Castelet, baraque do polichinelle ou de guignol, proprement petit caslol, d'où castelier, imprésario de. pareilles baraques (H.-France).

Drague, fonds do saltimbanque, baraque do foire, table d'escamoteur (H.-Franco), d'où dragueur, banquiste, escamoteur, qui drague ou soutire l'argent des badauds, des dupes.

Entresort, baraque de forain (on y entre et on on sort continuellement) : «On appelle entresort, dans lo monde des saltimbanques, lo théâtre en toile ou on planches, voituro ou baraque,

1. De là bâtisseur, nom ilu pitre'(fui fait lo boniment, et, ironiquement, licau parleur (Hayard) : • fies entendez-vous sur les tréteaux? Le bonisseur aboie, la paillasse glapit..», Vallès, Hue, p. 93.

2. Note d'fvlinonrf de Ooncourt, au chapitre VU des Frères Zemgano (1879), roman do saltimbanques.

3. Citô par Nizier du Puitspolu, L°. lAltrê de (a Grand'Côle, 1903.


SALTIMBANQUES .253

dans laquelle so tiennent les monstres... Le mot est caractéristique... On enlro. on sort, voilà », Vallès, Rue, p. 119.

Flambeau, comédie foraine, parade, avec de nombreuses acceptions secondaires :

1° Savoir faire, expérience : « Avoir le flambeau, c'est être très habile dans un métier » (Vinnaître).

2° Noeud d'une affaire : Je sais où est le flambeau (Idom).

3° Jeu do cartes : « Fais voir ton flambeau, je vais te dire si tu as gagné » (Rossignol).

4° Alfaire, chose quelconque que l'on connaît (Hayard : « Go qu'il a fait n'est pas un chouetto flambeau (Rossignol). — « Ça sera toujours cl môme flambeau », Bercy, IXe lettre, p. 5.

Avec les dérivés : Flamber, installer un établissement forain, jouer la comédie, amuser le public; flambeur, comédien de foire, flamboter, jouer aux jeux de hasard (Rossignol), et flamboteur, tricheur (Hogier-Grison).

Merliflche, forain ambulant, proprement mirifique, merveilleux (anc. fr. et pop. mirliflque), terme qu'on lit dans Richepin, Gucuoe, p. 11 : « On nous prend pour des merliflches... »

Mcrligaudier, vagabond qui est un peu saltimbanque : « Ce n'est pas pour des prunes qu'on m'appelle Merliflche', mon père était merlû/audier », Richepin (cité dans Bruant, Dict., p. 435).

En Picardie, merliyaude a le sens de mélangé, en parlant des aliments non solides et des boissons (cf. arlequins)', dans la Dôle (Jura), mirlicodin désigne une personne naïve et cocasse (Leconto).

Pélican, paysan, proprement homme long et dégingandé (allusion à la taille du pélican) :

Je me tiens souvent les jours do foire, Sus la place où so trouve el marché, Jo fais le boniment à l'auditoire, Au pélican endimanché 1.

Pctrousquin, sobriquet donné au paysan et au bourgeois (par les troupiers), désigne le badaud, le public, dans l'argot des salli m banques :« Lorsque les autres enfants balbutient papa, maman, et jouent à la poupée, lui — l'enfant des forains — il entortille déjà le pétronsquin, on faisant la manche, il sait attraper le public eu faisant la quête... Alors, malheur aux pauvres pêtrousquins, particuliers qui s'aventurent à jouer!

1. Henry Baguet, Auloui' de Jaquemart, Chansons el monologues Moulinois, suivis de la l'urée el d'un gbssaire argotique, Moulins, 1906, p. 100.


254 FACTEURS SOCIAUX

Ils sont rançonnés sans merci », Privât d'Anglemont, 18ai, p. 94 et 96.

Pingouin, public, proprement tas d'imbéciles (l'oiseau a une apparence stupide) : « Vois-tu le pingouin, comme il s'allume? » Eugène Sue (cité dans Rigaud).

Pitre, paillasse de foire, aide de saltimbanquo (forme rouergato de piètre, chétif, misérable, gueux) : « Le père Godard avec son pitre... », Vidocq, Mémoires, éd. Villiod, t. I, p. 17.

Terme généralisé au sons de bouffon, d'amuseur do société.

Tomber, terrasser, vaincre un adversaire en luttant, verbe neutre passé de bonne heure au sens transitif ; delà tombeur, lutteur qui terrasse tous ses advorsaircs, athlète forain : « un tombeur d'hercules ».

Trèpe, treppe, affluonce, foule, proprement trépignement (du français ancien et dialectal 2, treper, trépigner), terme commun aux saltimbanques ot aux voleurs parisiens (Vidocq) : « Boniment susceptible de faire un treppe, c'csl-à-dirc un rassemblement autour du camolot », Coffignon, p. 92. — « Le irèpe à pas rendu aujourd'hui, faut le ropincor par ailleurs ». Méténier, Lutte, p. 219.

Le terme est devenu populaire : « Treppe, rassemblement do mondo... Dans un café où il y a beaucoup do clients, il y a du treppe » (Rossignol). — « Y a guère quo la Toussaint qu'y a du trèpe dans les cimotières », Bercy, XXXIVe lettre, p. 5.

Voyageurs. C'est le nom qu'on donne aux marchands forains qui font la province, en opposilion à ceux qui ne font que Paris et la banlieue (Rossignol).

Le nombre de ces termes spéciaux, qui ont trouvé accès dans le langage populaire, est, comme on le voit, assez important. Des professionnels de la rue, ce sont les camelots et les forains qui lui ont fourni quolqucs-uucs de ses contributions les plus caractéristiques. Il faudrait y ajouter le concours apporté dans co sens par l'enfant perdu do la voie publique, le voyou 3, mais l'influence de co dernier a été d'ordre trop général pour être précisée par dos oxomplcs 4.

1. Voir, sur tomber, co que nous avons dit ci-dessus, p. 1:24.

2. Cf. Desgranges (H21) : i Treper sur quelqu'un pour dire marcher. Voilà un mot du Niais de Sologne >.

3. Voir Victor Pourncl, Ce qu'on voit dans les rues de Paris, 2" éd. 1S07, p. 34S360 : Le gamin de Paris.

4. Cf. Ghar'es Monselct, Les Voyous (dialogue que nous citons d'après l'Aimanach de la lailyue verte pour 1868), et A. Machard, L'Epopée au faubourg, Les cent gosses, Paris, 11)12,


CHAPITRE VI

CHIFFONNIERS

Los chiffonniors forment une population à part, vivant pèlornclc, conservant des moeurs étranges. L'ivrognorio est leur passion : après lo débit de la hotte (où ils mettent tout ce qu'ils trou vont do bon dans le tas d'ordures), la plupart d'entre eux passent le reste do la journée à boire '.

Gomme tout groupement qui vit en marge de la société, les chiffonniers se servent d'une langue spéciale, du jargon, qui était jadis d'un usage général parmi eux, comme lo témoigne une curieuse romance de 18o0, Y Assommoir de Beïlemlie%, « Tous les chiffonniers savent et parlent argot », c'est-à-dire jargon, déclarait déjà on 1842 Emile de la Bédolliere 3. Les chiffonniers bretons de la Roche Dorricn se servent également d'un argot particulier étudié par N. Quollion (1896).

Sobriquets et noms.

Coite petite industrie ot ceux qui la pratiquent ont oxcité la vorvo ironique des écrivains; de là toute une nomenclature facétieuse, pour la plupart livresque et inconnue aux chiffonniers eux-mêmes : Amour ou Cupidon, chevalier du crochet, philosophe, etc., désignant lo chiffonnier, et cabriolet, cachemire d'osier ', carquois (cf. Cupidon), etc., désignant sa hotte 5. Ajoutons parfait amour du chiffonnier, eau de vie vendue dans les assommoirs, et cette appellation qu'on lit chez d'Hautel : « Une (ingère au petit crochet. Nom quo l'on donne par

1. Jules Barberol, le Travail en France, t. VI : I-e chiffonnier. — Louis Paulian, la Hotte du chiffonnier, Paris, s. il. (purement technique).

2. Voy. Sources de l'Argot ancien, t. II, p. 199 à 201.

3. Les, Industriels, métiers et professions en France, Paris, 1842, p. 175.

4. Colle expression se lit dans la dernière édition du Jargon de 1849.

t>. Un essai critique sur le vocabulaire des chiffonniers parisiens a été fait par Otto Driesen, dans FesUchrift Àdolf Tobter, 1908, p. 135 à 152.


250 FACTEURS SOCIAUX

raillerie aux gons qui ramassent les chiffons do côté et d'autre, avec un petit crochet enté au bout d'un bâton».

Leur appellation vulgairo est bifjln, chiffonnier : « Voici les biffais qui passent le crochet au poing... », Riehcpin, Pavé, p. 72. '

Ce nom est lire de biffe, chiffon, sens remontant à l'étoffe rayée en usage du xme au xvie siècle. La biffe, dont on faisait alors des robes cl des manteaux, était un drap léger en laine peignée de choix, d'une qualité spéciale, exempte de bourre et do déchois. Kilo se fabriquait dans le Hainaut et à Douai, de même à Provins ot à Paris ' : « Biffes rayées de Provins », est cité par Du Cange, sous l'année 1293, et un fabliau de l'époque nous dit (éd. Méon, t. IV, p. 179) :

Qui veut sa robe do bruticlc, D'esearlate ou de violete, Ou biffe de bonne manière.

La dégradation du sens a été le résultat do la fabrication en qualités inférieures. Oudin, on 1610. explique déjà bifferies par mauvaises marchandises, ot le patois do la Mayenne connaît encore biffer au sens de « tromper » (Dottin). Au xixe siècle, biffe, chiffon 2, a produit biffer, ramasser des chiffons; biffln, qui désigne le chiffonnier, ot, ironiquement, lesavelier (la salelé est commune aux deux métiers) ainsi que le fantassin, dont le sac rappelle la holto du chiffonnier: « Un pauvre bougre une fois la dèchc noire arrivée, se faisait bifjln (savotier) », Père Peinard, 23 février 1890, p. 2.

Le nombre des termes que les chiffonniers ont fourni au baslangage est fort restreint. Citons les suivants :

Choquote, os gras recueilli par les chiffonniers, servant à la fabrication de la gélatine ot des phosphates. Do là, au sens généralisé, choso agréable, bonne : « On prend tout à la bonne et les incommodités deviennent de la choquotte », Riehcpin, Pavé, p. Gl.

Rogate, viande ou plutôt rognures do viande ramassées dans les ordures (appelées aussi quiqui), proprement rogaton, a acquis lo sens figuré de mauvais, laid, défectueux : « Je

1. Voy. F. Bourquelot, Elude sur les foires de Champagne au xn\ xtu" et xiV siècle, Paris, 1805, t. I, p. 231 à 231.

2. Son diminutif biffelon, billet (do chemin de fer, de loterie, de théâtre), proprement petit chiffon : « T'as les biffetonsf » Gourleline, Train, p. 2i'i.


CHIFFONNIERS 257

chine ce qui me semble roupe et rogate », Bercy, XXXIVe lettre, p. 5.

Triquer, Irier des chiffons. C'est" un terme des flotteurs do la Nièvre : trier, et spécialement trier marque par marque les bûches avancées par le flot, afin do pouvoir établir les piles de chaquo marchand. De là attriquer. acheter des effets volés, terme de chiffonnier passé dans le jargon (on le lit pour la première fois dans Vidocq), et dont le sens propre est : soumettre les objets dérobés à un triage.

Kn somme, peu de chose. Le rôle des chiffonniers, par leur vib vagabonde, a été plus efficace comme propagateurs des mots d'argot dans l'idiome parisien que comme créateurs de termes nouveaux.


ciiAPrrnH vu

FILLES ET SOUTENEURS

Los filles ont été un des intermédiaires les plus actifs pour l'expansion des termes spéciaux dans le bas-langage. Leur contact avec les soldats, les ouvriers, les apacbes, a facilité la propagation et la fusion des divers ingrédients linguistiques.

Elles-mêmes possèdent un petit vocabulaire spécial, dont on a eu tort de contester l'existence : « On a prétendu que toutes les prostituées de Paris avaient un argot ou jargon qui leur était particulier, et à l'aide duquel elles communiquaient ensemble, comme les voleurs et les filous de profession... Il est faux que les filles aient un argot particulier; mais elles ont adopté certaines expressions, en petit nombre, qui leur sont propres, et dont elles se servent lorsqu'elles sont entre elles. Ainsi les inspecteurs du bureau des moeurs sont des rails, un commissaire de police un flique, une fille publique jolie est une girondc ou chouette, une fille publique laide est un roubion; elles appellent la maîtresse d'un liomme sa laryue, et l'amant d'une fille publique son paillasson l ».

Ceci fut écrit en 1836. Quelques années plus tard, en 18U, un autre médecin spécialiste déclarait tout le contraire et insérait dans son livre ifh « Vocabulaire pour comprendre"le langage des souteneurs et des filles publiques 2 ». Les termes s'y confondent souvent avec ceux employés par les malfaiteurs : tels breme, carte d'inscription ; carme ou carlo. argent; rousse, inspecteur de police; fine, réunion de souteneurs, etc.

Le plus important de ces termes.est rel'appe, promenade sur le trottoir (donné par Vidocq comme « terme des filles pu4bliques »), mot qui vient en droite ligne des Cliaull'eurs de l'an 1800, qui désignaient ainsi la grande roule où ils guettaient

i. Parcnt-Duchalelet, De la Prostitution dans la vilh; do Paris, I8ÎG, p. 137, 2, I)r Aimé Lucas, Les dangers de la prostitution, Paris, 1841, p. 31 à 3.S. (!f.

p. 32 : « Si l'on vcul désigner quoiqu'un mal vêtu, on dit, il joua la ruine,

il est de la détosse, c'csl-à-diro en détresse >.


FILLES ET SOUTENEURS 259

les passants. Le vocable a passé dans le parler vulgaire et dans la langue générale : « Après avoir fait laretappetoute la nuit», •(ioncourtj Journal, l> février 1808.

N'oublions pas qu'en 1815, dans un opuscule consacré aux filles publiques du Palais Koyal, on lit déjà un chapitre, d'ailleurs insignifiant, intitulé: « Termes d'argot » l. Celte courte liste présente l'intérêt d'être profondément influencée par le jargon et d'avoir ainsi contribué à l'expansion de celui-ci dans le parler vulgaire 2.

1. — Noms spéciaux.

Plusieurs des appellations qui désignent les filles sont caractéristiques et remontent assez haut:

Grue. Terme injurieux et attesté, au sens actuel, dès le. début du xv 11 siècle (dans Godefroy) : « Icellui Girard appela la suppliante deux ou trois fois yrus ! grus ! et pour ce qu'elle n'entendoit pas que c'étoit à dire des dites paroles, demanda audit Girard que c'esloit à dire ; lequel Girard lui dist que c'esloit à dire ribaude, en l'appellant par plusieurs fois : grus, ribaude! grus, ribaude! »

Le mot désigne proprement la femme qui, par coquetterie, redresse et tend cou comme font les grues. Cou de grue, au sens défavorable, se lit déjà au xu° siècle, dans le Miserere de Hcclus do Molliens, str. cxxxn :

Kntaut clia, orguious, cous de tjrue !'

C'était l'allure habituelle des femmes libres ou des galants. Dans le « Sermon joyeulx des foulx » du xV siècle, on lit à propos des amoureux (Ancien Théâtre, t. IL p. 212) :

«)c trouve aussi à mon propos Une autre mianlité do loi/. Qui s'en vont do tuiyl par les rues, Kslandanl les col/, connue urnes!

Chameau. C'est pour uuo raison analogue que ce terme dé1.

dé1. Palais-ltoyal ou les Filles en bonne fortune, Paris, ISiti (tonnes d'argot, p. lâi-U':!). Un opuscule do P. Cuisiu porte à peu près le iiièuie titre : Les Nymphes du Palais-lloyal, leurs moeurs, leurs expressions d'argot... Paris, 1815. Les expressions d'argot ne figurent que sur le titre.

2. Cf. Charles Virmaltre, Paris impur, 1890, et Jean de Merlin, La Déhauche à Paris, 1900.

Nous avons déjà parlé des romans sociaux de Ilosny aîné et Je Ch.-H. Ilirsch (v. ci-dessus, p^ 53 et S1}).


2G0 • FACTEURS- SOCIAUX

signe également la femme de mauvaise tournure. On lit dans un « Sonnet contre une viejllc courtisane » du Sieur de Sygogne:

Vostrc teste ressemble au marmmizet «l'un cistre... Vos Ire loiiiçuo encolure à colle d'un chameau.

Par contre les deux appellations qui suivent sont des mots d'amitié :

Biche. Nom caressant que l'on donne aux jeunes filles et dont l'emploi remonte au xvmc siècle : « Vous n'êtes pas ici tout seul ? Vous soupez donc ?... laquelle de nos soeurs est de la partie? car vous êtes un courreur de biches », Comte do Caylus, Oeuvres, t. X, p. 21).

Le mot n'a donc pas été créé en 1837 par Nestor Moquoplan, comme le prétend Delvau.

On on trouve l'origine métaphorique dans ce passage de la comédie Les Hscoliers (lô'89) do François Porrin (acto IV, se. III) :

Au vieil temps... la craintive fille...

Vorgogneuso baissoit la teste

Et n'osoit voir un homme en front :

Mais maintenant nos filles vont

Plus effrontées que des biches

Qui Initient des deux flancs les friches.

Cocotte. Le terme so lit, avec son sens général, chez d'Hautol (1808) : « Mot flatteur et caressant que l'on donne à une petite fille. Mot enfantin pour diro une poule ' ». Mais l'acception moderne était déjà usuelle au xviuc siècle : « Une certaine Adclino qui représente aux Italiens et plusieurs autres cocottes de même espèce », lit-on dans le Cahier des plaintes et doléances de 1789, p. 16.

Ajoutons pierreuse, ainsi défini par d'Ilautel : « Prostituée dans le plus bas degré. Go sobriquet a été donné à ces femmes, parce qu'elles font ordinairement leur honteux commerce dans les lieux où l'on bâtit et où il y a grand nombre do pierres ».

Le nom a été censuré par les grammairiens: « IHcrrcuse. Nom donné aux filles des rues. C'est un barbarisme », Desgranges, 1821. 11 est encore usuel (limant. Itue, t. Il, p. 81).

Les autres appellations 2 sont modernes :

1. Kn revanche, le mol poule, depuis quelques années, rcinplaco complètement cocolle.

2. Parmi les appellations spéciales citons : llrique, prostituée de bas-étage,


FILLES ET SOUTENEURS 261

Marmite, nom do la fille dans ses rapports avoc lu souteneur qu'elle paie et nourrit: « Faire bouillir la marmite, fournir d'argent pour maintenir ou nourrir une famille » (Oudin, 1610). Ce nom se trouve mentionné pour la première fois dans le petit vocabulaire déjà cité du médecin Aimé Lucas (p. 31): « Le souteneur appcllo la prostituée qui lui donne l'argent sa marmite. Kilo est, selon qu'elle lui rapporto plus ou moins d'argent : marmite de cuivre, de fonte, de carton... ».

Iiouchie, sale prostituée (Rigaud) : « L'amante do coeur d'une vieille rouchie des grands quartiers », Poulot, p. 128. — « Cette rouchie avec ses oripeaux », Zola, p. 406.

Go mot remonte à rouchi, gredin (dans Vidocq), et celui-ci au sens primitif de « chien » que rouchi a dans le bellau, argot des peigneurs de chanvre du Bas-Jura.

Morue, pendant de la nomenclature ichtyologique concernant le souteneur : « Les femmes sont des ponifs, dos crevettes à filets, des morues », Poulot, p. 131.

Le client ou l'amoureux payant de la fille, c'est le miche, la dupe, le simple : « Les filles appellent un miche l'homme qu'elles font monter chez elles et qui paye », Le Palais Royal, 1815, p. 122. — « Lorsqu'une fillo a raccroché un homme qui a été avec elle, elle a fait un miche», Dr. Lucas, 1811, p. 32. — « Kilo lui persuade que son miche l'a quittée à cause de lui », Poulot, p. 130.

Le nom était déjà usuel au XVIII" siècle: « Miche se dit d'un sot qui so laisse duper. On le montre au doigt en disant : Voilà le michél C'est un terme bas et qui n'est connu que du pcuplo », Dictionnaire de Trccoux, 1752. — « Il faut cependant trouver quelque miche qui prenne la moitié de st'onfant >i. Comte de Caylus. Ecosseuses (dans Oeuvres badines, l. X. p. 552). rM ichii.cal la prononciation vulgaire de Michel, nom traditionnel de la dupe, du niais ; au xV siècle, michault désignait le cocu, dans fiuillaumc Coquillarl (t. I. p. 111) :

Pont osliv (JUVIIO a nom Denise ' Kt so'i niary Jehan ou Tliihault, Kl néanmoins pour sa deviso Porto un M (jui fait Michault.

proprement i>oil de brique, qui a les cheveux roux (Ilossiguol) : — flihochettse, prostituée rapace (Uignml), contamination île flibustier et buloehrute. Celle i|ui appelle lo client île sa fenêtre, fait la quiloume, la fen<Mre(« celle (|iii tourne t|.


203 FACTKURS SOCIAUX

Faire lemichelet, c'est'aujourd'hui palper les femmes dans une foule (Rigaud) ; au xv° siècle., faire le saule michelet, c'était faire l'amour (Coquillarl, t. I, p. 103).

Ce michelet est tout bonnement le pendant de michaut et de miche (prononciation populaire de Michel).

Le commerce de la prostitution est généralement désigné par persil (aller au persil, ou faire persil, c'est raccrocher les passants) : « On dit d'une prostituée qui se promène pour trouver pratiques, elle va au persil, elle arrache du chiendent, elle ? donne du vague... Si son commerce ne va pas, cllo dit que le persil ne pousse pas ; si au contraire, le commerce va bien, alors le persil est en fleur », D 1' Lucas, 1811, p. 33.

Le sons en est : aller chercher de l'argent, pour acheter du persil et on assaisonner la soupe (cf. marmite), répondant à aller aux e'pinards, en parlant d'un souteneur, recevoir do l'argent de sa marmite.

L'expression a d'ailleurs franchi le monde des filles pour faire incursion dans le langage des mondaines et des salons: Faire son persil a signifié aller aux Bois de bonne heure, pédostreinent, sur le sol fraîchement arrosé : « Aujourd'hui, on monte le matin !... il n'y a plus do Rois !... on no fait plus son' \j persil », Gyp, Ohc! la Grande Vie ! 1891, p. 153.

2. — Les souteneurs.

Le pendant do la fille est le souteneur que le Trévoux (1752) définit ainsi : « Celui qui soutient. On ne le dit que de ceux qui ont de mauvais lieux. C'est celui qui a soin défaire payer celui qui les fréquente. Les souteneurs que les filles de joie payent pour empêcher le désordre sont ordinairement euxmêmes des coquins qui les pillent, les volent, les maltraitent et leur font.dix fois plus de mal que celui qu'elles cherchent à éviter ».

On rencontre fréquemment ce nom dans les écrits poissards : Vadé, Les Porcherons, etc. '

Il portait encore, au XVIII 0 siècle, le nom de rjucrlichon ou i/reluchon : « C'est ainsi que l'on appelle ramant favorisé se1.

se1. Louis Puiliruaiul, Les Malfaiteurs île profession, Paris, IS'JI, cli. V : I,cs souteneurs. — ClKirlcs-l.ouis l'Iiilipiio, lluliu de Mwil/'iirnaase, Paris, l'.liïl. Tout récemment, M. Ftancis lîurco s'ost fait une spécialité do ce momie louche. Voir son roman Jésus la Caille (1911). '


FILLES ET SOUTENEURS 263

crôtement par une femme entreleniie ou qui se fait payer par d'autres amants », Tréooux, 1752. — « Un essaim de ces animaux rongeurs, que l'on nomme guerluchons, assiégeait continuellement sa maison, la pilloit et partageoit toutes les faveurs do la danseuse », Caylus, (Euores, t. XI, p. 33.

Le plus ancien exemple se lit dans le poème Cartouche ou le Vice puni (172o), de Nicolas Ilagot dit Grandval, ch. IV : « Je voulais la tuer, elle et son yreluchon ».

Ce nom, d'origine obscure, était déjà usuel dans la seconde moitié du xvi° siècle. Pierre Viret parle, en 15G0, d'un saint Grelichon ', et Henri Estienno, en loGG, d'un saint Guerlichon qui guérissait du mal de la stérilité. Ce prétendu saint « se vante d'engroisser bravement autant do femmes qui le viennent aborder, pourveu qu'elles facenl leur devoir, c'est-à-dire que pendant le temps de leur neufvaino faillent point cliascuu jour plusieurs fois de s'cslendre sut luy tout do leur long... » 2

Au xixc siècle, le mol est donné- par d'Haute!, cl il est encore vivacc sous la doublo forme yreluchon et yuerluchon (v. II. - Franco) : « Apprends un peu, bougre de yreluchon, que la blouse est le plus beau vêtement, oui! le vêtement du travail! » Zola, Assommoir, p. i-90.

Son équivalent moderne plus fréquent est marlou (nom provincial du ina(ou), qu'une facétie de 1830 explique ainsi : « Un marlou, c'est un beau jeune homme, fort, solide, sacbanl tirer la savate, se mettant fort bien, dansant le chahut et le cancan avec élégance, aimable auprès des filles dévouées au culte de Vénus, les soutenant dans les dangers imminents » 3.

Terme du bas-langage très répandu : « Dire que celle gueuse-là en élail tombée à ce point, pour suivre quelque marlou qui devait la battre », Zola, Assommoir, p. 403. — « (> marlou s'étendait en hauteur et boitillait », I\osny, Marthe, p. 78.

F/ancien équivalent maquereau — avec sa forme abrégée moderne mac* (limant, Hue, t. II, p. 08\. fém. maca et les

1. Traiclc delà vraye cl fausse religion. loGO, 1. VI F, ch. XXXV.

i. Apologie d'Hérodote, éd. llistcllmhcr, t. Il, l>. 321,

•l. Cinquante mille, roleurs de plus a l'aris ou Itéclnmations des anciens martoits de h capitale confie l'ordonnance île. M. le Préfet (le police, concernant les filles piddii/iia, parle IH'UU Tliôoitoiv, aucion caurjn, l'aris, I8a0, |>. ':>.

I. Mec, meij, iiar contre, est ('lis au jargon : un uv:c à la colle forte (iinag' 1


SBJ^,

264 FACTEURS SOCIAUX

cliiiiinulifs maquet (ldom, t. I, p. 200) ot macrotin — ainsi quo son synonyme également ancien poisson d'aoril, qu'on lit dans la Diablerie ded'Amerval (1307, fol. B III v°):

Vieil ça, ' le cliiof des niftYcns. Houlicr, [jutior, numeroau infâme, Do maint homme et de mainte famé Poisson d'apvril, vieil tost à moy !

ont produit toute une nomenclature ichlyologique désignant le souteneur :

Barbeau, abrégé en barbe (diminutif barbillon) et amplifié on barbiset : « L'homme qui reçoit do l'argent d'une prostituée est un barbillon, un meg », Dr. Lucas, 1841, p. 32. — «Pas un barbiset qu'aurait osé pousser un coup de vague », Méténicr, Lutte, p. 156.

Brochet, abrégé en broche (Bruant, Hue, l. Il, p. 119), avec le diminutif brocheton et le dérivé s'embrochiner, se collor avec une femme (Virmaitre).

Dauphin, abrégé en daufe, d'où daujlcr, soutenour (Bruant, Rue, t. I, p. 205); a donné, aussi, par jeu de mots: dos fin, ou simplement dos 1 (Bichepin, Gueux, p. 191): « C'est nous qu'est le dos... », à côté-do dos vert,- par allusion aux bandes vertes qui sillonnent le dos du maquereau, 3 appellation déjà usuelle dans le poissard (Les Porcherons, 1773, Ve chant):

Do ce dos vert * de Jolicreur, Le ton fanfaron et gouailleur, Tout drès d'abord m'a fait comprendre (Ju'i voulions faire queute esclandre.

Une dernière appellation du soutenour, celle-là d'origine provinciale, est costau (écrit costaud) qu'un glossaire argotique de 1810 donne sous la forme costel; « IJ voulait devenir le chef d'une bande réelle, un meg, un costaud, une terreur », Bosny, Hues. p. 7.

empruntée au menuisier, suvnommà pol-à-colle) désigne un souteneur à poigne, redoutable, *.-n opposition à mec à la mie de pain, sobriquet du souteneur initia Iroit ot craintif.

1. Lucifer, en apostrophant Satan.

12. De là dossière ou daussiere (cf. dauphin à côté de dos fin), prostituée d'un dos, d'un souteneur.

3. Uruant, v° maquereau, donne d'autres synonymes ; rhuenne, écaillé, goujon... Ce sont là des parasites forgés analogiquement et dont ce dictionnaire abonde.

4. Guy de Maupassant le met dans la bouche d'une drùlesse parisienne [liel-Ami, p. 119) : ♦ Elle lui tourna les talons en déclarant : « Je ne fréquente pus les dos verts ».


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jjrpssoFILLES SOUTENEURS 265

Le mot désigne proprement le fort, qui a dos côles : <r On a enterré des plus costauds quo loi... il a des gas costauds », Rosny, Rues, p. 28 et 7u.

Les costauds de Villctte sont les forts, les vigoureux, comme les Nervi, les apachos de Marseille, en chemises molles et pantalons à la hussarde. Go nom a fait fortune, en franchissant le monde louche auquel il appartient on propre pour pénétrer dans d'autres milieux sociaux, par l'intormédiaire des filles et des troupiers.

La Terreur, c'est le surnom que porte lo plus fort cnlre les souteneurs d'un môme quartier : « Une Terreur peut se payer des béguins tant qu'il veut, — il finit par se laisser prendre par dos flics », Morlin, p. 120.

Cotte appellation se lit déjà, avec un sens rapproché, dans les écrits de Vadé : « Faut Pappolor Monsieur la l'erreur à cetto heure-ci », Racoleurs, se. XX.

Lo souteneur de barrière, vers 1875, était reconnaissable à ses pantalons à pattes d'éléphant, dits bênards ' (du nom du fabricant); à sa-casquette très hauto, à trois, à cinq, à six ponts, nommés en dernier lieu l def* ou desfous (du nom du chapelier) ; à ses mèches collées sur les tempes et appelées tour à tour : accroche-coeurs, appellation, rustique et provinciale, adoptée tout d'abord par les filles galantes et passée de celles-ci aux souteneurs; —faces, terme do la langue générale (« Faces. Ce nom so donne improprement aux boucles de cheveux qui couvrent les oreilles », Michel, 1807); — r/uiclies, allusion à la guiche de chartreux, bando d'étoile attachée de chaque- côté do la robe pour la fermer ; do là, nom du souteneur et do sa caste 4; —patères, c'ost-à-dirc tempes semblables aux crochets qui retiennent les rideaux; — et finalement rouflaquettes, appellation récente, d'origine provinciale :« Un seigneur a rouflaquettes, petit et crapuloux, la veste ouverte sur le chandail », Ilosriy, Marthe, p. 78.

La forme primordiale ronfle (Ilruant, Dict., p. 113) est d'origino provinciale : en Normandie,- faire le rouble, c'est

1. t Avec un bênavd a pattes d'un thunard », Hercy, XLh lettre, p. 0.

i. Cf. Virmaitre, Varis impur, p. 136 : t De 1830 à IS18, lacasquelle île souteneur se nommait une patente; de 1848 à 18o5, on l'appelait un david; atijoitril'liui(t890), les souteneurs portent la casquette plaleà lar^o visière ».

3. i Alors on m'a pavé un def américain, tout ce ou'il v a de gandin i, Ueicv, lit' lettre, p. U.

4. Itichepiti, Ciueu.v, p. 101 : c Gare au bataillon de lu quh'he... »


266 FACTEURS SOCIAUX

prendre un air arrogant, se pavaner (cf. tiffes, cheveux, proprement attifets)l.

Si longtemps quo sa marmite travaille, qu'elle est sur le tas (terme emprunté 2 aux métiers), le souteneur roule son existence fainéante; mais une fois qu'elle est arrêtée ou malade, il est sur le sable, à sec et sans savoir quoi faire 3. De mangeur de blanc i, qu'il était, il devient mangeur de rouge, assassin: « Les criminels à Paris ont leur pépinière : ce sont les souteneurs. Tout souteneur est du plant de criminel » 5. Devenu apache, le souteneur ne recule pas devant sa première victime, Monsieur le bon (Bruant, Rue, t. II, p. 191).

Ce facteur social impur, la fille, a donc joué, lui aussi, un rôle intermédiaire'assez important pour la propagation des mots nouveaux, venant tour à tour des malfaiteurs et des troupiers, des matelots et des ouvriers. La part qu'elle a ainsi prise, jointe à sa propre contribution, no pouvait être négligée dans l'examen d'ensemble des nombreux éléments., qui put concouru, chacun pour sa part, à former le langage populaire de nos jours.

1. Lo bal ou rendez-vous des souteneurs aux noms ichlyologiques portait en conséquence le nom d'aquarium, et la partie des boulevards entre la Porte Saint-Denis et la Madeleine, celui de Uanr de Terre-Neuve ; la pèche des morues y avait lieu do quatre heures du soir à une heure du matin : « Le soir, l'ouvrier [sublime] viendra voir le dénié du Hanc de Terre-Neuve, il trouvera là ses all'aires dans les prix doux J, l'oulot, p. !29. Mais ces appellations paraissent tout simplement livresques.

2. Celle image très expressive sur le las semble empruntée à la corporation des repousseurs sur métaux. La pièce que l'ouvrier repousse ou cisèle repose sur une masse de plomb qui s'ajoute à l'enclume.

^ H. C'est ce qu'on exprime par calandriner, traîner la misère (verbe déjà donné par Fr.-Michcl) ou caler le sable (Iligaud) ; fusion do caler (cf. caletrr) et balandriner, se balladcr, proprement colporter son balandrin ou balle de mercier.

-I. Celle appellation se lit déjà chez d'IIaulel : « Mangeur de blanc, libertin, lâche et paresseux, qui n'a pas honte de se laisser cntrclonir par.les femmes r*. ;i. Piiybarattd, ouvrage rild, p. 91.


CHAPITRE COMPLEMENTAIRE

LE CABARET

Lo rendez-vous général de tous ces professionnels — ouvriers, soldais, matelots., filles, malfaiteurs — est le cabaret, véritable creuset où so sont mèléos et fondues les langues spéciales. A côté dos casernes qui réunissent les éléments sociaux les plus divers, à côté do la rue où germent et se développent les excroissances des grandes capitales, le cabaret a agi efficacement sur cette fusion des classes et des idiomes. Il mérite de clore cette enquête à la fois sociale et linguistique. '

1. — Noms divers.

Commençons par les appellations données au cabaret : Guinguette, cabaret, bal de barrières, sur lequel le Trévoux de 1782 nous donne- ces renseignements: « Ce terme est nouveau et bas, mais il est fort en usage. Il a pris naissance avoe le siècle. On entend par là un petit cabaret dans les faubourgs et environs de Paris où los artisans vont boire Pété'les dimanches cl les fêtes ».

Il cite, a celte occasion, ces deux vers du poème de Grandval, Cartouche ou Le Vice puni, de H2o:

Vaillant dans los combats, sçavunts dans les retraites, Forme dans los malheurs, sobre, dans les guinguettes...

et n'oublie pas d'en donner l'origine : « Ce mot vient apparatnmont de co qu'on ne vend dans ces cabarets que du méchant petit vin vert qu'on appelle yuinyuet, tel qu'est celui qui se recueille aux environs do Paris ».

t. I". Guisin, Les Cabarets de. Paris ou l'homme peint d'après nature... Petits tableaux do mojurs philosophiques, palans, comiques, mêlés do couplets et do diverses poésies légère."?, Paris, |S2l. — (!et opuscule offre un tableau inoral des cabarets do Paris : son intén'-t linguistique <'st fort mince.


.268 FACTEURS SOCIAUX

Celle origine est contestable. Une comédie do 1697 (v. le Dict. général) en fait le nom d'un quartier do Paris, d'un quartier latéral probablement (cf. guingois, do travers).

Guinche, cabaret et bal do barrière: « On dansait au guinche de la rue du Fouarre », Méténicr, Lutte, p. 187. Le mot désigne proprement un cabaret borgne : Gonève, guinche, louche (de guenchir, obliquer).

Bastringue, même sens que le précédent, terme dont nous avons déjà exposé le curieux historique.

Aujourd'hui, le cabaret de bas étage s'appelle bibine, proprement débine, la taverne de la misère: « Tâche de te traîner jusqu'à la bibine du père Thomas », Méténicr, p, 151.

Il porte surtout le nom significatif d'assommoir : c'est là qu'on consomme les fortes boissons alcooliques que le peuple a dénommées casse-poitrine et tord-boyaux, eau-do-vie très forte, dans laquelle le camphre, le poivre l et lo vitriol 2 se mélangent en doses différentes : « Les assommoirs sont des mines à poivre », Poulot, p. 181. — « Toujours du vin, jamais da casse-poitrine... Sa chopinc de tord-boyaux [mr jour », Zola, Assommoir, p. 185 et 436.

Les appellations do trois-six 3 ou de Jtl en quatre se rapportent à un ancien modo d'évaluation des alcools (\efil en trois se lit chez d'Hautol « pour dire de l'eau-dc-vic, du roide, du sacré chien tout pur »): « Si la paye fondait dans le jll en quatre.^ on la buvait limpide ot luisante comme du bol or liquide », Zola, p. 366.

2. ~ Sobriquets.

Lo marchand de vin a souvent excité la verve populaire, qui a envisagé tantôt son attitude machinale -— le mannedingue, c'est le mannequin du zinc, comme le rnann'estringuc est le mannequin du bastringue — tantôt sa corpulence: le mastroc ou mastroquet, c'est le marchand mastoc, lo gros bonhomme qui débite des strocs ou sotiers.

Une autre appellation, bistro, est d'origino provinciale

1. VA avec lo sons d'ivre : t Gervaiso était poivre • , Zola, Assommoir, p. 41S. On se sert plus souvent, dans ce cas, du dérivé, poivrot, ivro et ivrogne.

2. Comme le précédent, vitriol désigne à Paris l'eau-dc-vie : « Après trois ou quatre tournées de vitriol pour se donner do l'aplomb, ils vinrent nous trouver », Poulot, p. 4.

3. limant, Hue, t. I, p. lf)9 : « Mon papa qu'adorait lo trois siv et la vnrle... «


LE CABARET 269

(Anjou et Poitou, petit domestique destiné à garder les bestiaux dans les champs) : « Je vous retrouverai chez lo bistro », Méténier, Lutte, p. 2oi. — « Ces homnios jeunes qui vaguent autour du café-concert, du cinéma, du bistro et du bar », Itosny, Hues, p. 9.

Le mot a probablement désigné au début l'aide du marchand de vin et ensuite le patron lui-même.

3. — Termes spéciaux.

L'expression générale de boire, et surtout de boire à l'excès, est rendue par des images correspondant aux occupations professionnelles: Un marin prend sa biture et lo typographo prend la barbe ; un cocher, avant de se mettre en roulo, graisse les roues; un boulanger ou un mécanicien chauffe le four- « T'as donc chauffé le four hier? » Poulot, p. 72. '

Ajoutons l'expression également technique faire cracher ses soupapes, c'est-à-dire laisser échapper par le» soupapes le trop plein de vapeur: « Si ses soupapes ont craché le dimanche, le lundi il a mal aux cheveux... Deux tournées de quatre sous, puis ses soupapes crachent », Poulot, p. 57 ot 93.

Dans la langue populaire, on exprimo cette gradation par les doux métaphores suivantes :

Einéchcr, s'émécher, se griser (comme la mecho d'une lampe s'imbibe d'huile,, avant d'être alluméo): « A la cloche, fêtais éméché », Poulot, p. 72.

Allumer, s'allumer, se griser, s'échauffer par le vin : « 11 laissait l'autre s'allumer,... lui se piquait lo nez proprement, sans qu'on s'en aperçut », Zola, Assommoir, p. 271. •

Cette dernière imago répond à celle (déjà monlionnéo) do chauffer le four, d'où cuite, pour ivrosse complote, la quantité des liqueurs chauffant l'estomac de l'ivrogne.

1, Les mécaniciens des chemins de fer disposent d'ailleurs de toute une nomenclature technique pour désigner les étapes multiples de la simple griserie à l'ivresse complète (Poulot, p. 5i) :

1° Attraper unepeliteallumette ronde, il est tout chose;

2° Avoir son allumette de marchand de vin, il est bavard, expansif ;

3» Prendre ?on allumette de campagne, co bols de chanvre souffre des deux bouts : il envoie des postillons et donne la chanson bachique ;

i* Il a son poteau kilométrique : son aiguillette est afl'olée, mais il retrouvera son chemin ;

5" Enfin, lo poteau télégraphique, lo pinacle : soulographic complète ; ses roues patinent, pas moyen do démarrer...

Mais toute cetto nomenclature est bien livresque.


270 FACTEURS SOCIAUX

Son synonyme culotte*, excès de boisson, a une origine probablement soldatesque : avoir ou prendre une culotte, être soùl5 exprime la même idée que les équivalents avoir son sacnu s'en donner plein la ceinture-. L'expression est donnée par Desgranges (1821) : « Prendre une culotte, c'est en langage bas, s'enivrer. Celle culotte-\k n'est pas de mise à l'Académie ».

Une autre expression pour boire (beaucoup) est étrangler un perroquet ou étrangler un pierrot, suivant qu'on prend un verre d'absinthe (= verte) ou de vin blanc : « L'homme se leva d'uno lablodo bistro où il achevait d'étrangler un perroquet », tlosny, Marthe, p. 79.

On disail, do même, un polichinelle, grand verre d'eau-deuo : « En servant un polichinelle en deux verres », Cuisin, Cabarets, 1815, p. lu, avec cette note: « C'est ainsi que les fiacres nomment une chopine (demi-lilre) en deux verres ».

Boire do l'eau-dc-vio ou du vin blanc, le malin à jeun, c'est, croit le vuigairo, tuer le vei". chacun do nous porterait en soi un ver qu'il convient de tuer par des libations matinales. Celte croyance est ancienne, ot le Journal d'un bourgeois de Paris sous François Ilt en fait déjà mention (juillet 1519) : « Par quoy il s'ensuyt qu'il est expédient do prendre du pain et du vin au matin, au moings en temps dangereux, do peur de prendre le ver ».

Celte expression en rappelle une autre: charmer les puces, boire beaucoup le soir avant de se mettre au lit (« par ce moyen nous ne sentons pas les puces qui nous mordent », Oudin> 1610), fréquente chez les écrivains du xvi° siècle (du l'ail, 3 Bouchot 4, etc.) et encore vivace : « S'ils gobeloluicnt depuis six heures, ils restaient tout de même comme il faut, justo à ce point où Von charme ses puces, » Zola, Assommoir, p. 3G3.

1. iLe lendemair. de culotte, le zingueur avait mal aux cheveux », Zola, p. 158. L'expression se lit dans Balzac, Ménage de garçon, 1812, t. VI, p. 99 '. « Les deux anciens troupiers s'étaient, pour employer une de leurs expressions, donné une culotte ».

2. Philibert Le Houx note celte expression comique : t Culotte de Suisse signifie à Paris certains verres à pattes dont on so sert pour hoire. Ori les nomme ainsi parce qu'ils ont la forme d'une culotte de Suisse ».

3. « Après avoir embrassé et charmé les puces, il dort sur toutes ses deux oreilles », Contes d'Entnipel, ch. XVIII.

■4. Bouchot emploie brider les puces, avec le même sons [Serées, t. IV. p. 183).


LE CABARET 271

Nous venons d'énumérer les locutions vulgaires exprimant l'action de s'oniVrer ; une autre série se rattacho à l'étal d'ivresse.

Ce qui i'rappo, chez l'ivrogne-, c'est son nez couvert de rubis et do boutons, ce nés à pompettes, l comme le décrivent déjà Rabelais et du Kail ; on dit encore aujourd'hui : aooir son aigrette, sa cocarde, son panache, son plumet, son pompon: « Avec çà, que l'ouvrier, échiné, sans le sou... avait tant de sujets de gaieté, et qu'on était bienvenu do lui reprocher une cocarde de temps à autre, prise à la seule fin de voir la vie eh rose... Elle quitta les hommes qui achevaient de se cocarder », Zola, Assommoir, p. 228 et 320.

C'est au même ordre d'idées que se rapporte l'expression : avoir un coup de soleil, être à demi gris, que donne déjà d'Hautel, en faisant remarquer que la plupart des aubergistes et marchands de vins prennent pour enseigne le proverbe « le soleil luit pour tout le mondo ».

Après' la trogne rubiconde, c'est à la tète de l'ivrogne que se rapportent des expressions comme aooir son casque * ou prendre le casque, en réservant casquette pour un état d'ivresse moins avancé.

On disait jadis se coiffer ou être coiffé : « Coiffer signifie aussi quelquefois s'enivrer. Cet homme n'est pas accouslumé à boire, il no faut qu'une chopine de vin pour le coiffer » (Fureticrc, 1090). On lit encore dans l'AmpIujtrion do Molière (acte III, se. II) : .

Quel est lo cabaret honnête. Où tu t'es coiffé le cerveau '!

Avant Molière, Jodello, dans sa comédie Eugène (1352), en parlant d'Alix qui s'était grisée de crainte de se morfondre, dit (acte II, se. I): « Elle avait son heaume coiffé,.. »

Kl dans une lettre de rémission de juillet 1150 on lit : « Que ledit suppliant estoit embeguinê, qui estoit à dire qu'il estoit yvro, » c'est-à-dire que sa tète était couverte d'un béguin ou d'une coiffe. 3

1. « Du temps dos robes à pompettes », Ancien Théâtre, t. II, p. lî>9. Cf. se pimpelolei\ boire copieusement (Larchey), proprement s'attifer, sens du mot dans la viclllo langue.

2. e II me demande si je veux ni'humectur, je lui réponds comme ça que j'aUmon casque », Monsclct, Voyous, p. 47.

3. Les notions d'« ivresse i cl de i caprice amoureux » se confondent, coiffe désignant à la fois l'amoureux et lo sonl (Oudiii); aujourd'hui, béguin désigne


272 - FACTEURS SOCIAUX"

L'homme très ivre est plein ou raicle : il est alors blindé, cinglé (Rossignol) ou cuirassé, et lancé ou prêt à partir pour la gloire. Il a son jeune homme, c'est-à-dire il a ingurgité un de ces brocs do quatre litres que les mastroquets appelaient jeune homme, moricaud ou petit père noir.

Ce vocabulaire spécial est richo en pareilles personnifications : une dame blanche, c'est une bouteille de vin blanc ; une demoiselle, une demi-bouteille de vin rouge (en Normandie, c'est un décalitre d'eau-de-vio et la bouteille dans laquelle on lo sert) ; une fille, une boutoille do vin boucht'c, et une fillette, une demi-bouteille; une mominctte, une petite absinthe.

Voilà les facteurs sociaux qui ont contribué, chacun pour son compte, à enrichir le vocabulaire du langage parisien de nos jours. Grâce à ces intermédiaires multiples, notre vulgaire a acquis cette variété et colto abondance qui lui donnont une physionomie si caractéristique. Celte féconde élaboration s'est accomplie presque toute entière au cours du xix° siècle et avec une rapidité parfois vertigiucuso, à la suite des transformations sociales d'une portée considérable. Nous sommes maintenant à même d'en apprécier les effets permanents et transitoires.

plutôt une passion ou toquade : « Tout le mondo disait en riant à fiervaise que Goujot avait un béguin pour elle », Zola, Assommoir, p. 100. Gc béguin répond exactement à coqueluche, capuchon de femme et personne aimée. Avoir un béguin, aimer quelqu'un, se lit dans la dernière édition du Jargon do 1819.


7

LIVRE QUATRIEME

CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Après avoir suivi les traces nombreuses laissées dans le bas-langage par les facteurs sociaux et notamment par les classes professionnelles, il nous reste à compléter notre enquête en étudiant les apports des différentes provinces, les emprunts étrangers et les archaïsmes encore vivaces. Si ces derniers contingents représentent la continuité do la tradition linguistique, les deux premiers se rattachent intimement aux facteurs sociaux déjà étudiés.

C'est toujours, en effet, à des professionnels, venus des quatre points cardinaux à Paris, où ils font un séjour plus ou moins prolongé, que sont dues l'introduction et l'expansion des termes des provinces ou des régions limitrophes de la France. On no saurait assez insister sur co va-ot-vient, à la fois social et linguistique, qui, au xix° siècle tout particulièrement, a acquis uno importance capitale.

Dans la seconde moitié de ce siècle, le courant entre la provinco et la capitale atteint le maximum de sa force d'expansion. Son effet se dessino dans une double direction : d'une part, il apporte au bas-langage parisien de nombreux éléments du terrçir ; et d'autre part, il finit par imposer à peu près partout dans les provincos l'argot do la capitale. Le prestige quo la métropole a do tout temps oxcrcô sur le resto du pays a répandu jusquo dans les parlers provinciaux les plus éloignés ce langage populaire parisien qui a fini par tout absorber : le jargon des malfaiteurs, les argots professionnels, les parlers provinciaux.

18


CHAPITRE PREMIER

PROVINCIALISMES

Entre 1850 et 1870, grâce aux nouvelles voies de communication (chemins de fer et routes nationales), l'émigration régionale vers Paris devient particulièrement intense. De nouveaux venus accourent do toutes les régions du Nord comme du Midi, de l'Ouest comme do l'Est. Après un séjour plus ou moins long dans la capitale, ils rentrent presque tous dans leur pays, non sans avoir laissé des traces dialectales dans le vocabulaire parisien.

Le classement de ces éléments d'après leur provenance est une. tâche malaisée et parfois impossible. Nous allons néanmoins en essayer un triage en gros, en tirant parti des nombreuses ressources dont on dispose actuellement pour l'étude des parlers provinciaux et des patois. 1 Quelques critères s'imposeront dans le choix do ces termos.

Du nombre considérable do provincialismes que donnent les dictionnaires d'argot parisien, particulièrement ceux do Delvau, Delosallo et Bruant, nous n'admettrons dans notre texte que ceux que nous aurons pu authentiquer à l'aide do nos sources, en réservant pour les notes les vocables dépourvus de références.

Dans notre dénombrement nous ferons abstraction des termos du terroir qu'on trouve exclusivement choz dos écrivains à tendance régionalisto*, et des mots rustiques (amiteuse, - i

1. La liste des glossaires régionaux, donnée à l'Appendice, peut être complétée par la liibliographie des patois gallo-romans do Dehrcns, Paris, 1893 (un Supplément pour les années 1S92 à 1902 a paru en 1903 dans la Zeilschrift fttr neufranz'jsische Sprache, t. XXV,.p. 1% à 266).

2, Voir, à cet égard, les dissertations suivantes : Lotseh, Ueber Xola's Sprachyebrauch, Greifswald, 1895. — K. La m prédit, Die mumlarllichen Worlc In tien Romanen und Erznhlungen von A. Theuriel, Programme, Herlin, 1900. — Olof liosson, Quelques recherches sur la langue de Gin/ de Mat/passant, Lu ml, 1907. — Stcph. Hartmann, La langue de Richepin, Programme, Kornenbourg, 1910. — K. Froy, La langue de J.-K. Iluysmans (dans Mélanges Drunot, 1910, p. 163


PROVINCIALISMES 275

besson, chapuser, olc), familiers aux romans champêtres de Georges Sand. l

Remarquons finalement, la tondanco à franciser certains termes picards : amacher, maquiller un objet (Ifayard), à côté d'arnaquer, frauder au jeu (forme provinciale do renâcler), et pichenette, chiquenaude (Zola, Nana, p. 161), à coté du picard piquenote (c'est-à-dire piquenaude) : « D'une pichenette ello avait soufflé la vie au momichard », Père Peinard, 27 juillet 1890, p. 4.

Certains de ces provincialismes appartiennent au passé et sont depuis longtemps populaires :

AJfutiauoe, « termo populaire signifiant bagatelles, affiquets, etc. » (Trévoux, 17G2), est donné par d'IIautel et est encore vivace : « En voilà des femelles avec leurs chiffons! Je m'asseois sur les affutiaux », Zola, Assommoir, p. 409.

Fignoler, « ou fignioler, raffiner, vouloir par présomption surpasser les autres dans tout ce qu'on fait, enchérir sur eux par des manières afFectécs. C'est un terme d'écolier et du. peuple... » (Trévoux, 1752). Encore usuel aveclo double sens, parfaire avec soin et se parer avec recherche : « Des bijoux... tout c'était fignolé », Zola, p. 212. Le flgnoleux était, à la fin du XVIIIC siècle, le petit maître, à Ja mise élégante et au langage aifecté.

Voici maintenant les provincialismos du langage parisien classés suivant leur provenanco régionale.

à 188). — Mary Burns, IM. langue d'Alphonse Daudet, Paris, 1916, la dernièro et la plus copieuse de ces monographies.

Voir, en outre, les utiles Noies lexic dogiques publiées par M. F. BaldenspciRer dans la Revue de philologie française, t. XVII, 1903 et suiv.

1. Voy. la dissertation de Max Boni, Georges Sand's Spr'ache indem Romane Les Maîtres Sonneurs, Berlin, i89o, et tout récemment L. Vincent, La langue et te nie de Georges Sand dans les romans champêtres, Paris, 1910.


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A. — Patois du Nord. 1. — WALLON.

Le wallon est à peine représenté dans l'argot parisien.

Brader, vendre de vieilles choses au rabais : « Quand un soldat vend à vil prix des marchandises qu'il n'a pas payées, il brade. Argot des camelots » (Virmaître, SuppL). A Lille, brader, c'est vendre à vil prix, perdre sur. tin marché (en wallon, gâter, gaspiller) : « Il se fait chaque annéo à Lille, le premier lundi de septembre., un marché qu'on appelle la Braderie, parce qu'on n'y vendquo des objets ternis, salis, troués, tachés, etc., en un mot brades » (Vormessc).

Sorlot. soulier (Rigaud), répond au sorlct du Hainaut (anc. fr. soleret), mot provincial qu'on lit dans Jch. Rictus (Soliloques, p. 111): « Eune liquette, un tub, des sorlots... »

Ajoutons :

Bourgeron. courte blouse de toile que portent les ouvriers : « Il change de cotte et de bourgeron tous les huit jours », Poulot. p. 31. C'est un diminutif de bourge (cf. cotteron, petite cotte), sorte de tissu : « Unes autres elles do vermeil et yndo cendaus, enkiovrée de bourges fringies de soie et ruban de fil », Document de 13b9 (dans Dehaisnos, Histoire de fart en Flandre, p. 408). Go mot flamand a été propagé par les marins normands qui disent aussi bougeron(d'où lo guernesais boujarron) et bergeron, cclto dernière formo dans Hcscherelle qui définit ainsi lo mot : « Petite casaque do toile... dont se couvrent les gens qui travaillent sur les ports ». De. là, co sens spécial donné par Rigaud : « Bourgeron, petit verre d'oau-devio, ration accordée aux marins ».

Le wallon a, en outre, fourni toute urïe nomenclature propro à l'industrie houillère. Plusieurs do ces termes spéciaux remontent au xvie et au xync siècles. Nous ne tiendrons compte quo des vocables introduits do nos jours de la Belgique wallonno (Liège, Namur, Mons) et dont la plupart se lisent


ys

PROVINCIALISMES 277

dans le roman de Zola, Germinal (1885), unique oeuvre littéraire qui en ait tiré parti. Voici ces wallonismes ' :

Coron, maison 2 de mineur (construite par la compagnie houillère), prononciation populaire du dial. carron (anc. fr. quarron), carreau, pierre ou brique carrée qui sert à ces constructions. Dans le Hainaut, les houilleurs désignent par coirelle ou quarel « la quatrième » partie qui compose la couverture pierreuse d'une houillère (Morand, p. 147), et à Mons, la querière est la pierre tirée de la houille servant à la bâtisse des maisons rustiques (Sigart).

Galibot 3, dans les houillères, le manoeuvre qui porte au fond de la mine (Littré, SuppL). Le liégeois galba, goinfre, répond au picard galaubi, galibiau, gamin, mauvais sujet.

Porion, maître mineur, surveillant dans une houillère, môme mot que porion, poireau, légume dont on fait peu de cas, métaphore fréquente dans l'ancienne langue. Cetto appellation ironique se trouve dans Beschorello et Littré 4.

Terri 5, à Mons, monticule formé autour des fossés à charbon *.

2. — NORMAND.

Les termes qui dérivent de cetto source sont nombreux 7 : Attignoles, boulottes de viande do porc hachées et cuitos au

four, qui se vendent chez les charcutiers (Richepin. Gueuse,

p. 79).

1. Voir, à ce sujet, Morand le Médecin, L'Art d'exploiter les mines de charbon de terre, Paris, 17C8, et B.onnans, Vocabulaire des houilleurs liégeois, Liège, 1863. Pour le Hainaut, le Glossaire do Hécart (1833) et, pour Nainur, celui de Sigart (1870).

2. Zola, terminai (éd. 1890), p. 197 : « Do tous les corons arrivait une cohue de mineurs ».

3. Ibidem, p. 8 ' t J'ai tout fait là-dedans, galibot d'uliord, puis lierscheur, quand j'ai eu la force de rouler, puis haveur pendant dix-huit ans ».

4. Ibidem, p. 2i : t Un porion, le père Uichotnmc, un gros à figure de bon gendarme ». — Ajoutons-y cette citation du Père Peinard, du 2 mars (890, p. 2: « Quant aux portons..., ce sont des fourneaux qui ne doivent leur place qu'à leur rosserie ».

5. Ibidem, p. 7 : t En bas du terri un silence s'était fait ».

6. Nous donnons en note les provincialismes suivants qui manquent à nos sources :

Hique et bouc, pédéraste (mot donné par Bruant), même sens en wallon. Cholelti', le membre (Id.) : Hainaut, balle de bois qu'on pousse avec une crosse. Drisse, colique (Id.) : mémo sens dans le Hainaut. Hcafoler, écaler (Id.), do même dans le Hainaut. Oaloufe, glouton (Virmaltre, Suppl.) '. inéme sens dans le Hainaut.

7. Voir surtout les Glossaires do Moisy (1883) et de Delbonlle (1870).


278 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

En Normandie, atignole, liâtignolle, mémo sens (Moisy), aussi avec l'acception figurée de coups : « Il a reçu de rudes attignoles » (Virmaître). Le mot normand est identique à hâtille (dans Rabelais, hastille) qui désigne à la fois la broche pour rôtir et la viande rôtie.

Bagnole, voiture do place (Rossignol), vieille voiture (Hayard), répond au normand bagniole, banniole, carriolo, mauvaise voiture (de banne, grand tombereau) : « On va te chercher une bagnole... sois gentil », Hirsch, Le Tigre, p. 333.

Delvau et Bruant donnont en outre au mot l'acception de taudis, bouge (sons également provincial : Picardie, Anjou, Champagne), que nous n'avons pas retrouvé dans les textos populaires.

Berlaude, viando de mouton dure et coriace (à cause du grand âge do la bête), répond au normand berlaude, vieille vache stérile (en picard : vieille brebis).

Blosses. testicules (se graisser les blosses, fainéanter, Bruant, Dicl., p. 217), proprement grosses prunes, sens du normand bloce, prune, prunelle (anc. fr. beloce). Le mot est surtout employé dans la formule de refus: mes blosses! (Bruant, Dict., p. 387).

Carfouiller 1, fouiller jusqu'au fond (Delvau, SuppL), répondant au havrais carfouiller, chercher en remuant divers objets (Ilaigneré).

Chignole, voiture à bras : « Les marchandes de quatro-saisons seraient pus forcées de faire la courso à la chignole », Bercy, A'AAT 0 leltre, p. 5. Kn normand, chignolle désigne la manivelle (chignoller, tourner) d'où, en français, chignolle, fuseau de passementier.

Eberluer, étonner (Delvau), en normand, éblouir, donner la berlue (Cotgravo donne déjà le mot commo normand) : « Il demeure tout éberlué sur le trottoir », Iluysmans, Soeur Marthe, p. 313.

Foucade, lubie, coup do tète : « Après ces foucades on la reprenait par charité », Zola, Assommoir, p. 416. Ce terme a pénétré dans d'autres parlers provinciaux : Anjou, foucade, accès do colère, frénésie ; Bas-Maine, mauvaise humeur, bouderie; Yonne, caprice, désir brusque; Poitou, colère, iinpa1.

iinpa1. cite, on outre, la forme parallèle cafouiller^ remuer en tous sens et bredouiller (double sens familier au picard), d'où cafouilleux, bote, sot (proprement bredouilleur|.


. PROVINCIALISME?; 279

tience, etc. Mais le mot est essentiellement normand (dérivant de Jonc, troupeau) où il signifie: 1° course désordonnée d'un troupeau de moulons, de boeufs, etc., laissés en liberté dans les pâtures ; 2° espèce do panique et d'effarouchement dont la cause n'apparaît pas toujours; de là 3° coup de tête, action irréfléchio (Moisy). C'est en outre un mot moderne, Littré et le Dict. général s'étant trompés sur son historique *.

Gaviot, gosier (même sens en normand et ailleurs) : « Au lieu de se serrer le gaviot, elle aurait commencé par se coller quelque chose dans les badigoinces », Zola, Assommoir, p. 415.

D'Hautel remarque, au mot gaoion, gosier : « On dit vulgairement et par corruption gaoiau », et Desgranges ajoute en 1821 : « Gaoiau. pour gosier, barbarisme. Il s'en repasse par le gaoiau. Phrase triviale ». ,

Guibolle, jambe, surtout longuo jambe : « Les lendemains de culotte... lo malin, il se plaignait d'avoir des guibolles de coton... Jusqu'au jour on avait joué dos guibolles », Zola, Assommoir, p. lo8 et 432.

La forme parallèlev/mtio/me se trouve dans Richopin (Gueux p. 166); celle de guibon, qu'on lit au xvme siècle dans Caylus {OEuvres, t. X, p. 23 : « Kilo lui donnoit des coups de souliers sur les guibons ») et que Granval écrit déjà en 1725 2, remonte en dernier liou au normand guibon ou gibon, les deux chez David Ferrand 3. La îormegibon nous met sur la trace de l'origine du mot, dérivant do giber, agiter, verbe ancien encore vivaco dans les patois, par exemple en Anjou, où il a le sens do « ruer, re'gimber, lancer des coups de pieds ».

Maronner,, grogner, gronder (même sens dans les patois du Nord et ailleurs) : « Pour faire maronner sa femme », Poulot, p. 201. D'Hautel en fait mention (v° marmonner) : <;( Le peuple dit par corruption maronner », et Desgranges (1821) trouve que ce vocable « est du faubourg Saint-Antoine ».

1. Littré (suivi par lo Dict. général) confond foucade avec foin/adc, i'our fougue, que Michel cite en 1807 : » Ne dites pas Quand sa fougade le prend. Faute très commune. Quand sa fougue lui prend ». Dans le passage que Littré cite de J'ean Auffray (mort 1788), foucade est probablement pour fou(jade. Cf. Dictionnaire des locutions vicieuses, 183a, v6 fougade : « Je le recon-, nais à cotte foucade, pour à cette fougade... accès do gaieté, de colore, do tristesse qui vient subitement... Fougade appartient a la famille do fougue ».

2. Voir Sources de l'Argot uncien, t. J, p 333, et i. 11, p. 371. Le m t a donc passa au jargon du bas-langage provincial.

3. Voy. La Muse Normande, 1030, éd. Ilémon, t. II, p. C2. ùl t. IV, p. 197. Fr.-Micliol, Elude, p. 212, cite guibon sous la fornio erronée guibon.


280 CONTINGKNTS l INGUISTIQUKS

Potin, commérage (sons normand du mot qu'on roncontro déjà fréquemment dans la Muse Normande de David Forrand) : « Potin, dans quelques localités, se dit familièrement pour verbiage, caquet : Voilà bien du potin ; à quoi bon tant de potin », Bescherolle, 1845. *

3. — PICAKD.

Voici les provineialismes qui accusent cette origine - :

Balocher, flâner, proprement osciller, vaciller, d'où la notion de se promener en se dandinant ; à Saint-Pol, le mot signifie flâner et travailler mollement, 3 insouciamment (Riebopin, Gueux, p. 175).

De là,-en picard, balochard, celui qui se balance d'un côté et d'autre en marchant, et individu sans énergie à la démarche nonchalanto qui ne travaille qu'avec insoucianco et pour ainsi dire machinalement (Edmont), ce dernier répondant à un des sens du parisien balochard, ouvrier spirituel et insouciant, qui préfère le mastroquet à l'atelier (on dit aussi balocheur). L'autre acception de balocher, faire la noce (d'où balochard, noceur et type de carnaval), en dérive.

Balouf, fort (Larchey, Supplément, en cite doux exemples, avec ce sens, comme adjectif et comme adverbe), lourdeau (Virmaitre), proprement homme aux joues larges et plates (sons du mot en picard; dans le Hainaut, les balouf es désignent les lèvres du dogue). C'est un substantif devenu ad^ jeclif.

Bistouille, mélange d'eau-de-vie ot de café (Bruant, Dict., p. 173), forme commune à Saint-Pol (d'où bistouiller, boire au cabaret). On dit en Anjou, bistrouille, dont l'acception propre

1. Mots isolés cités par Delvau, Bruant, etc. :

Cadouille, gourdin, mot usuel parmi les marins (Est-ce « chat douillet », appellation ironique?)

Capet, capiot, chapeau (forme normano-picarde).

Decarpiller, partager un vol commis en commun (Hayard) : Norm. dêcarpiller, séparer, dégager. .Grotte»1,'remuer les tiroirs, ouvrir et fermer des portes (Delvau) : Norm. groler, remuer, branler.

Gniff, clair, limpide : du vin gniff (Delvau) ; — Norm. uif, clair, pétillant : du cidre nif (Moisy).

2. Voir les Glossaires de l'abbé Corblet (1851) et d'Edouard Edmont (1887).

3. De même, dans le Bas-Maine, balocher, bambocher, piener une vie débauchée (Dottin).


PROVINCIALISME* 2SI

est mélange, surtout mauvais mélange (voy. embistrouiller)

Bistouille, bagatelle conlo, mensonge (sens du mot à SaintPol). a côté do bistrouille, mémo sens : « Jacques reprit de sa voix âpre qu'alourdissait la traînerie du voyou : Tout ça c'est de la bistrouille... Je pars après domain », Rosny, Rues, p. 377.

Le sens propre du mot est celui de conte ' graveleux (« dire des bislouilles, » Delboulle). Le composé tarabistouiller, importuner (H.-France, qui cite un exemple de Raoul Ponchon), représente un croisement de deux synonymes : bistouiller, embrouiller, et tarabuster, molester.

Caliborgne, à côté de calorgne, calouche, borgne, louche : de môme en Picardie, Maine, Anjou, Rerry, etc. Calorgne esl donné par d'Haulel (« mot burlesquo et satirique pour dire un bigle, un myopo »), les- autres par Dosgranges (1821) : « Caliborgne, calouche et calorgne. Tout cola est du baragouinage. Il n'y a que le mot louche qui soit admis dans nos dictionnaires ».

Canichotte, chambre petite et mal tenue (répondant au picard canichou, cachette, et carnichotte, coin, niche) : « C'est dos canichottes grandes comme un blave où qu'on crève », Bercy, XXXIIIe lettre, p. 6. De là canijatte, même sens (Bruant, Dict., p. 80), à côté do la forme plus usuelle calijatte, cachot: «J'ai boulotte de lu calijatte », Méténier, Lutte, p. 121 2. La formo primitive est donnée par Desgranges (1821): « Caniche, pour niche, est un barbarisme de province.

Ciioucarcle, petit tombereau,.dans le langage des casernes (Merlin), du picard chouque, souche, désignant principalement le timon sur lequel est montée cette charrette à bras (en marine, chouque est le nom du billot sur lequel s'appuient les mâts supérieurs).

Dringue, colique (Bruant, Dict., p. 115), et, au figuré, peur, répondant au picard dringue, foire (dringuer, jaillir).

Muche, timide, réservé, en parlant d'un jeune homme (« dans l'argot des petites dames, » Delvau), de muche, taciturne, prononciation picarde du dial. musse,-môme sens.

Raquer, payer: « Quel est celui de nous qui va raquer la

1. Le sens primordial de bisCouille, en normand (voy. Bruant, p. 40a), eét testicule, d'où la notion de bagatelle et de blague.

2. Voir sur cette expression le Supplément de Virmaitre. .


282 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

déponso ? » (Rossignol). Le sons propre du mot en picard esl cracher, d'où le sens de payer à contre coeur (à l'exemple de cracher au bassin). l

1. Ajoutons les mots isolés.

Boudiné, nombril (Bruant), et broque, le membre (« broche »), môme sens on picard.

Clique, colique (Delvau), de même en picard, et cloquer, péter (Bruant), proprement glousser, sens du dernier en picard.

Da.uder, daudinev, battre (Bruant); cf. picard daudiffer, rosser.


B. — Patois de l'Ouest. 1. — BRETON .

Commençons pur noter le terme blague (à tabac), écrit blaque, par le Trévoux (1771): « Vessie où l'on mol le tabac pour le tenir frais. Ce mot est on usage en Bretagne ». Boiste, en 1800, donne: « lilade ou blague, (laque, poche de pélican pour mettre du tabac ». La forme primordiale blaque est encoro usuelle dans le pays wallon : « Blague, poche à tabac. Le patois prononce blaque... ce qui me fait penser que le mot n'est pas du pays; en effet, avant les blagues, on se servait des vessies de porc pour cet usage », Hécart, 1833. , Cette forme du mot, son sens spécial et la province où le mot est dès l'abord notée par les lexicographes rendent fort douteuse Porigino germanique (allem. Balg, peau on général) qu'on donne habituellement à ce mot. *

Voici les emprunts bretons récents :

Doche, mère (Rossignol),, surtout dans la bouche des souteneurs (Rictus, Soliloques, p. 156) : « Pleure comme eune doche abandonnée ». Bans l'IUe-et-Vilaine, doche a le sens de catin et dé poupée .(Atlas linguistique), à côté de done (de l'it. donna), Aot^XU parait une déformation; à Rouen, au xvne siècle, on disait par notre docque, par notre Dame! (Muse Normande,t. I? pi.'11). Dolesalle cite une forme dauche qui est jupe contamination sous l'influence du synonyme daussière (dans Vidocq, dossière).

Fayot ou fayol, haricot blanc et sec, ternie de marin dont il constitue la principale nourriture; de là, le sobriquet donné aux marins de carrière (Nibor, Chants, p. 226) : « Ridé comme un vieux fayot ». Le mot s'applique aussi aux fèves de marais que l'on sert aux forçats ou aux détenus.

1. Cette étymologie se lit déjà dans le Journal de la langue française de 1839, IIIe série, t. II, p. 166. L'auteur, Burnouf, hésite entre « le gaulois bulga, petit sac do cuir, et l'allem. Iialg, sac de cuir ».


2<Si CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Le dérivé fayusse, haricot, désigne en Brotagno et chez les matelots boulonnais une fête, avec repas, donnée par le maître à son équipage avant de partir pour une longue pèche (Deseille) ; à Paris, fayousse s'appliquait à un jeu d'enfants, ainsi décrit par d'Hautel: « Jouer à la fayousse, jeu auquel se divertissent les petits enfants, les écoliers et notamment les petits polissons des rues et qui consiste à introduire autant de pièces que l'on peut d'un seul coup dans un petit trou fait en terre que l'on nomme pot ' ».

Ce jeu était encore usuel dans la seconde moitié du xixe sicclo : « Kt lu t'arrêtes sur le boulevard du Temple pour jouer à la fayousse;.. », Bédollicro, p. 77: — « Gavroche allant, venant, chantait, jouait à la fayousse, grattait les ruisseaux».. Victor Hugo, Misérables, IIIe partie, 1. I, ch. xni, p. 269.

Galetouse, galtos, gamelle, chez les marins et chez les soldats (Merlin), du mot breton galette, seau.

Groumer, grogner : « Y a quantité de renaudeurs qui groument après le dévidage des saisons », Almanach du Père Peinard, 1898, p. 20. Dans lo boulonnais, groumer, c'est murmurer (Deseille).

Ce mot se lit déjà plusieurs fois dans une mazarinade parisienne do 1639 (éd. Rosset, p. 18 et passim): « Jarnigué, Janin. groume le mouay comme un chian... Morgue, Piarot, tu me laisses comme ça groumer... » C'est une prononciation provinciale de l'anc. fr. grommer, gronder -.

2. — MAINE.

Celte région a fourni les vocables suivants 3: Chipette, chiffon (sens du mot en manceau) et lesbienne : ça ne vaut pas chipette, rien ; de mémo en Bourgogne (Bresse), belle chipette, rien (Guillemaut).

Digue, la diguet, rien: « Celui qui ne possèdo rien n'a que la digue «(Rossignol). — « Ailes étaient venues là pour la digue... », Bercy, ÏVe lettre, p. o. Expression tirée du jeu des osselets : cf. Bas-Maine, digue, pelil caillou dont se servent les

1. Kt ailleurs : « Dig, do;/, savattel Terme de jeu dont se servent les enfants, les écoliers en jouant à la faillousse ».

2. Le mot gromiau, gamin (Delesalle), signifie proprement grognon. Ajoutons : Bine, hotte (Delesalle) : à Dol. bine, ventre. *

3. Voir les Glossaires de Montesson (3e éd- 1899) et de Doltin (1S99).


PROVlNOULISMES 285

onfants pour jouer (Jouer à la digue, jott analoguo aux ossolcts).

Gouvgousser, se plaindre, grogner, terme usuel chez les typographes (v. ci-dessus, p. 195).

Oribus, chandelle de résine (mot manceau et poitevin): « J'avais remplacé la lumièro électrique par la lumière fumeuse et primordialo des oribus », Mirbeau, Les 31 jours d'un neurasthénique, p. 115.

Petoche, mema sens quo le précédent, mot venu du Maine ou de la Normandie. Zola, Assommoir, p. 472, s'en sort au figuré : être en petoche autour de quelqu'un, le suivre assidûment, le flagorner.

Ribouler, rouler, et tout particulièrement rouler les yeux, même sens dans le Ras-Maine.

Pigoche, morceau de cuivre et ordinairement écrou avec lequel les enfants font sauter un sou placé par terre on le frappant sur les bords (Dclvau): dans le Haut-Maine, pigoche signifie pointe (et pigocher, piquer, aiguillonner).

Tiolée, grand nombre d'enfants, marmaille et grand nombre : « Les tiolées de gosses... La tiolée do mufleries », Père Peinard, 9 et 16 novembre 1890. — « Us regardèrent celte tiolée de nigauds », Huysmanns, Soeur Marthe, p. 249. Mot donné par Desgranges (1821) : « Thiolée ou chiolée d'enfants. Barbarisme. Dites : une ribambelle. Cela vaut mieux ». Dans le Bas-Maine, tiaulée, grande quantité (Yonne, troupe bruyante d'enfants), Normandie, quiaulée, longuesuite, séquelle (« eune quiaulée d'enfants », Moisy). Le mot dialectal signifie primitivement « nichée de petits chiens » : Bas-Maine, chiau et quiau (fém. chiaule et quiaule), petit chien •'.

3. — ANJOU. Les vocables de cette source sont nombreux et intéressants.

1. Do même :

Accoufler, s'accoufler, s'accroupir (Dolvau) : Haut-Maine, s'accoufler, mémo sons (Montosson), comme, en Languedoc, s'acouflà, se coucher dans son nid, s'accroupir sur ses petits. C'est une variante do s'acouver, s'accroupir comme une poule qui veut couver.

ISerlauder, aller de cabaret en cabaret (Delvau) : Bas-Maine, berlauder, flâner (Berry, s'amuser à des riens).

Digonner, grogner (Delvau) : Maine, piquer, quereller continuellement (Dottin).

Groller, gronder (Id.), même sens en manceau. La forme parallèle grouler, grommeler, est donnée par Michel (1S07).


280 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Nous en avons déjà cité quelques-uns qui ont acquis à Paris un développement considérable, par exemple dc'goter. Kn voici d'autres:

Balandrin, balle de colporteur: « Ils étalent leur balanclrin à môme le chemin et appellent les passants... », 0. Hébert (cité dans limant, Dict., p. il), lui Anjou, balandrin désigne le colporteur et ce qu'il porte (se balandi'incr, se promener lentemont).

lierdouille, bedaine (sens de l'angevin berdouille) : « T'as la berdouille gonflée comme une biche », Hichcpin, Pavé, p. 75. La forme primitive est bcdoidlle, variante morphologique de bedaine.

Bige ou bigeois, bèto, dupe (mot vulgaire passé dans les dernières éditions du Jargon de 1836 et 1819): en Anjou, bigeois, sot, naïf (« dans nos faubourgs on dit la pèche est bigeoise pour la fille est bèlo », Méniôro), à côté du berrichon biget, chevreau.

Bûmes, testicules (Rossignol), même sens en Anjou (où burne désigne proprement une grande corbeille de paille): mes bûmes! formule de refus (limant, Dict., p. 387).

Cabèche, cabocho, tête (forme angevine) : « Couper une cabèclie..., c'est ça du velours », Méténier, Lutte p. 24. — « Elle n'a pas ta cabèche)), Rosny, Rues, p. 159.

Canfouine, bicoque, sens du mot en Anjou ot dans le Iias.Maino

Iias.Maino Savoie, canfouin, taudis) : « Des canfouines noires

avec des escailliers pleins d'ordures », Bercy, XXXIIIe lettre,

p. 5. — « Ah, je donnerais mes tripes toutes chaudes pour

rentrer dans la canfouine », Hirscb, Le Tigre, p. 150.

Castapiane, blenorrhée, dans l'argot des casernes (Delvau, SuppL, et limant, Dict., p. 41G): en Anjou, castapia, même sens, croisement de caste (pour casse), flaque, et cataplâme, calaplasmo (cf. norm. castafouine, excrément, et manceau keste, diarrhée).

Claviot, crachat épais, forme citéo par d'Hautel, à côté de gtaviot, plus usuelle (Rossignol) : « Vous qui jeltoz.,. un gla' viau sur la face des traîne-misères... On aurait profite de la circonstance pour coller un glaviol sur la tronche aux fripouilles », Père Peinard, 23 févr. et 14 sept. 1890, p. 3. En Anjou, claviot, même sens et en môme temps hameçon (cf. Reims, glaviot, à côté de grachat, crachat).

Crosser, critiquer, vilipender (Rossignol), et se carrer, af-


PROVINCIALISME 28/

fecter do grands airs (Bruant, Dict., p. 12). En Anjou, crosse/' signifie glousser (la poule, quand elle glousse, est ébouriffée et sauvage).

Dèche, misère l, ruine {battre la dèche 2, traîner la misère, décliner), sens du mot en angevin : « Dans la dèche il a fait de bonnes réflexions », Poulot, p. 7i. — « J'en ai assez de battre la dèche », Rosny, lîues, p. 15t. — « Quelle dèche, quel décalissage, mes amis ! » Zola, Assommoir, p. 389. Le mot angevin signifie primitivement tare héréditaire, maladie congénitale (« il a une dèche de sa mère »), celte dernière acception étant .commune au poitevin et au provençal.

Déglingue, ruine : tomber dans la déglingue, être tout à fait par terre (Virm /îre); déglingué, débraillé (Ilictus, Doléances, p. 13), et déglinguer, déchirer (Rossignol). On dit, en Anjou, en parlant d'une maison ou d'une sanlé, qu'elle est en déglinde (à Lyon, délinguer, décliner, décroître, s'affaiblir, mourir).

Dégouliner, tomber goutte à goutte, s'épancher (par exemple, les larmes le long de la joue), verbe déjà familier au poissard : « C'est qu'étoit de plus divartissant, c'étoit ces jeux d'iau de vin qui dégoulinoient tant qu'à des noces », Vadé, OEuores, éd. 1787, t. II, p. 300.

Ce vocable, répandu dans les pàrlers provinciaux, revêt en Anjou la double forme: dégouliner et découliner, tomber lentement et goutte à goutte, en parlant d'une source, ou d'un vase trop plein, glisser sur une pente, sur la glace, etc., proprement glisser le long d'une colline..

Embistrouiller, embrouiller (même sons en Anjou): « Les grosses légumes ont tellement do roublardise pour nous embistrouiller qu'on ne distinguo pas le blanc du noir », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 44.

Faramineux, étonnant, extraordinaire. Littré, dans son Supplément, écrit pharamincuûs et remarquo ceci : « Mot qui paraît avoir été en usage à la cour de Louis XV et qui n'est usité aujourd'hui qu'en certaines contrées ». Cette remarque est fondée sur ce passage des Souvenirs de la marquise de Créquy (apocryphes d'ailleurs, et publiés par Decourchamp

1. Delesalle et Bruant donnent, on outre, au mot l'acception dei< dépense i, d'où dédier, dépenser.

2. Expression employée jiar Guy de Maupassant, qui la met dans la bouche d'une fille parisienn?, Toine, 1903, p. 32 : t Elle avait dit à Paulin que je battais la dèche treize mois sur douze ».


288 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

on i837), à propos dos convulsionnairos de Saint-Médard: « Aussitôt qu'ils voyaient arriver lo chovalior do Folard, dans leur cimetière ou dans leur galetas, les cris pharamineux, les bonds, les sauts de corps et les contorsions y centuplaient .. » Le mol a, dans ce passage, lo sens encore usuel dans l'Anjou « horrible, épouvantable », et se rapporte à une croyance vulgaire : faramine y désigne la bête sauvage ' ou nuisible en général, et spécialement bête faramineuse y est. comme dans le Rerry, l'épilhète appliquée aux loups-garous et autres animaux fantastiques.

Dans le bas-langage parisien, l'accoption du mot, atténuée, est devenue synonyme de prodigieux, stupéfiant : « Ses prédictions [de Nostradamus] avaient un succès faramineux », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 37. — « Malgré mes premières prévisions, la récolte ne sera pas faramineuse », Père Peinard. 7 août 1892, p. o 2.

C'est là le dernier reste d'une superstition très répandue dans l'Ouest, et particulièrement dans la Vendée, touchant la bâte faramine : « Animal fantastique qui, pendant le jour, habile les nuages, et qui ne descend que la nuit sur la terre pour manger des serpents ou pour troubler, par do mauvais rêves, le sommeil des enfants » (Favre).

Flauper ou floper, battre, et flopée, grande quantité (proprement volée de coups), de môme en Anjou et ailleurs : « Toute la flopée de mioches suivait en ordre », Zola, Assommoir, p. 197.

Si je te flaupais, tu sais pourquoi...

(Bruant, Rue, t. II, p. 27).

Le patois de l'Yonne possède à la fois flauper et flauber, battre à coups redoublés, ce dernier déjà donné par Philibert Le Roux (1718).

Gadin, et gadiche, bouchon et jeu de bouchon (gadiner, abattre le bouchon chargé de gros sous, Virmaîtro), dérivent de l'angevin gade, quille placéo dans un rond qu'il faut abattre. Le terme gadin désigne à Lyon un caillou, au jeu de

1. Cette origine véritable est déjà indiquée dans le Dictionnaire des patois de l'Anjou de Verrier et Onillon, t. I, p. 380 : anc. fr. faramine, bote sauvage (v. Godefroy), du bas-Iat. feramen, pi. feramina, source de faramine.

2. Edmond Rostand s'en est souvenu {Chaniecler, acte III, se. I) :

... Je vois venir la file Des coqs pharamineux...


PR0VINCIAL1SMES 289

boulos: « Lo mot lyonnais que jo ne crois pas ancien, est-il le mémo avec déviation du sens ? » so demando Nizier du Puitspelu. On peut répondre affirmativement, le caillou jouant un rôle analoguo dans lo jeu de boules : quand l'enjeu se compose do ferrailles au lieu de sous, le bouchon est remplacé par une pierre conique beaucoup plus grosse '.

Galipette, saut, cabriole (do môme en Anjou) : « Kn co caslà écoute..., faut nous tirer des galipettes », Courtcline, Train, p. 147. — « Dans tous les patelins on fait des galipettes, lo mardi gras », Père Peinard, 8 février 1891, p. 1.

Galurin, et galure, chapeau et surtout chapeau de hauto forme (plutôt ironiquement), rapproché de l'angevin calouret, calotte, coiffure (en Poitou : mauvais chapeau). Au Canada, caluron est une casquette qui ne recouvre que le sommet de la tèlo (Dionne).

Grôle, et grolon, soulier, savate (grôle a le même sons en Anjou et en Normandie) : « Les bouilles auront un turbin du diable pour rapetasser les bouts de grolons usés... », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 13.

Dans le jargon du Temple, le mol avait en outre l'acception méprisante d'apprentie : « (la rapioteuse à la râleuse), La grolle, va-t-en vite essayer cet amour d'habit à mossicu », Mornand, p. 181. Avec le sens de « trottin », on dit également groule (Rigaud), groulasse (Bruant), répondant aux formes méridionales groulo. groulasso, vieille savate.

Guenard (prononcé gnard), porte-carnier, rabatteur, en terme de chasseur (Rigaud) : en Anjou, guener, marcher h. travers l'herbe mouillée, traverser un taillis, des broussailles par un temps humide ; de là, terme- de chasse analogue au synonyme fr. brousser, traverser les fourrés pour forcer le gibier à passer à l'endroit où sont les chasseurs.

Hosteau (écrit aussi osto), avec les acceptions suivantes :

1° Logis, hôtel garni : « Osto. Mot baroque qui signifie maison, ménage, son chez soi: Aller à Vosto, revenir à l'osto, pour aller à la maison, retourner chez soi » (d'Hautel). — « A Yhostx> on me gardera ma clé ! » (Rictus, Doléances, p. 13).

2° Asile, hospice (sens donné par un glossaire argotique de 1816).

1. Bescherelle donne gadin au sens de « coquille », et Delvau, avec celui de mauvais chameau qui lombo eu loques.

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290 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

3" Hôpital militaire, infirmerie: « Ça vaut bien un peu do ruai, s'y mVuvoyenl à Voustoau avec toi, mon gosse! » Courtolino, (idiotes, p. 38t.

1° Salle de police, prison (vny. ci-dessus, p. 133).

Ces sens sont aussi communs à l'angevin hostoau ou oustoau, et au provençal ouslau,- maison, hospice, hôpital. La conservation de Vs devant t indique plutôt un emprunt du Midi.

Moutard, polit garçon, parfois malpropre et bruyant, mot donné par un glossaire argotique do 1827 (il figure déjà dans le Beschercllo de 1845). En Anjou, on dit à la fois moutard et moustot, gamin, ot dans le Boulonnais, moustafia (Deseille), co dernier répondant au languedocien moustafa, moustafard, enfant au visage barbouillé ', c'est-à-dire sali avec du moût, à côté do moutet, petit enfant, marmot, dans l'Isère (Mistral). Les deux formes parallèles sont de simples variantes orlhoépiques : meust se prononce moût en Vivarais. Moutard désigne donc tout d'abord le marmot malpropre 2, morveux (cf. dans Rabelais « plus baveux qu'un pot à moustarde »), ensuite, le petit enfant en général, et, ironiquement, le jeune homme : « Sa camaraderie avec les moutards », Frères Goncoûrt, Journal du 7 janvier 18b9.

Plancher, plaisanter: « Terme populaire qui équivaut à se moquer de quelqu'un, le persifler » (d'IIautel): en Anjou (et en Blésois), plancher a le même sens que flancher, fléchir, céder ; faire la planche, c'est ménagor la chèvre et le chou (d'où planche, individu faux et hypocrite).

Renauder, gronder de colère, grogner (Rossignol), d'où renaud, colère, noise et bruit, do l'angevin renauder, gronder, en parlant dos chats dans la saison de leurs amours (renaud, colère) : « Il est vexé et renaudele reste de la semaine », Pou1.

Pou1. là le terme correspondant parisien écrit moustapha par Littrô, qui l'explique ainsi : t Mot populaire pour dire un gros homme barbu, tiré sans doute d'un général turc de ce nom... »

2. Behrens [Beitrâge, p. 175), à propos du franco-provençal moulet, motet, petit garçon, trouve suspect le point de départ moût, attendu que le mot simple n'a pas ce sens ; quant à moutard, il y aurait substitution de suffixe et simple rapprochement populaire de t moust ».,Pour ces raisons spécieuses, l'auteur propo.. comme étymologie le franco-provençal mouto, moto, motte de terre, en rappelant le provençal bouset, petit bonhomme, proprement crotte de .chèvre, etc.

F,a première objection ne résiste pas à l'examen, et (le dernier exemple qu'allègue l'auteur (bouse n'a pas non plus le sens figuré de bouset) le prouve suffisamment. L'explication qu'il donne du parisien moutard est trop subtile pour être prise en considération.


PROVJNPIAMSMPS 291

lut, j>. GO, — ce 11 renaiulait à propos do tout.,, », Zola, Assommoir, p. 309.

I,o terme est déjà donné par d'Ilautel (1808) : « Henauder. maugréer, rechigner, regimber », et censuré parvDesgranges (1821) : « Henauder. Ce mot est le cousin germain de bis(juer et ne vaut pas mieux ».

Tiiujo, timbré, toqué (Hayard), répondant à l'angevin lingot, vieux vaso ébreché '.

4. — POITOU.

Quelques emprunts seulement :

Calot, au sons fondamental de coquille de noix (sens principalement poitevin 2 du mot), d'où :

1° Coquille creuse, dans le jeu do trois coquilles (voy. p. 233).

2° Grosse bille do marbre avec laquelle jouent les enfants (Delvau).

3° OEil rond : « Qu'est-co que t'as à ribouler des culots comme un meulard qu'on va saigner? » Ilirseh, Le Tigi'e, p. 2i3.

1. Ajoutons :

Deil, bedaine (s'empiffrer le beil, tricher, Hogier-Grison), de l'angevin beille, gros ventre.

Bicanat, paysan (Bruant), proprement qui marche de travers, de bicaner, en Anjou, boiter.

Douel, trou (Bruant, v* bouchon), môme sens en Anjou.

Bourdin, âne, baudet (Bruant), môme sens en Anjou.

llouzou, singe (Id.), répond à l'angevin bouzou, saligaud (Berry, tout petit enfant); Lyon, boson, enfant gros et lourd.

Broc, brocot, coup (Id.) : Anjou, broc, fourche en fer, et broquer, frapper avec un objet fourchu.

Cabasser, bavarder, cancanner (Delvau), môme sens en Anjou. Delvau ajoute : « signifie aussi tromper et même voler » : la première acception est archaïque, la deuxième, inexistante.

Cocambo, oeil poché (Bruant) : en Anjou, concombre.

Dégoûter, tomber, dépérir (Delesalle) : en Anjou, s'épancher, sortir à flots.

Uégrimonner, se démener, s'agiter (Delesalle) : en Anjou, grimonner, faire des efforts répétés, se fatiguer beaucoup. • . ■

Dériper, s'en aller (Bruant, v église et mort) : en Anjou, dériper, dévaller, descendre rapidement.

Ginguer, envoyer des coups de jambe (Larchey) : en Anjou, ginguer, ruer, lancer des coups de pied.

Gnac, dispute (Bruant) : en Anjou, niagre, noise (Yonne, gnac, dent).

Moufionner, se moucher (Delesalle), proprement renifler avec un bruit particulier (sens du mot en Anjou*.

l'éyou, savetier (Id.) : eu Anjou, peuille, loque.

Bichonner, rire (Delvau) : en Anjou, richogner, sourire.

2. Au sens de c noix », le mot est beaucoup plus répandu, et il est déjà donné comme provincial par Furetière (1690) : t Calot. C'est ainsi que les enfants nomment la noix, parce qu'on l'appelle.ainsi presque par toute la campagne ».


203 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Citons un dernior sens « compte, affaire », qu'on roncontro dans un écrit poissard do 1750, Le Paquet des mouchoirs, p. Il : « Ça no soroit pas lo calot du public qu'on nous oblige d'agir do même envers leur endroit ». C'est là probablement une accoption induite du jeu du calot, acception encore usuelle dans le Ilas-Maino uni l'a sphère du mot a été. élargie): « Calot, paquet de caries; faire le calot, préparer les cartes, tricher au jeu ; faire son calot, Varranger pour avoir la meilleure part, faire son affaire» (Dottin). llans le Hainaut, faire son calot, c'est fairorscs affaires, tirer parti d'une chose qu'un autre dédaignerait.

Vcsiner, à côté de oexouiller, puer (Delvau, Bruant) : Poit. cezouncr, vesser.

Zigouiller, tuer à coups de couteau : « Si on cane, c'est eusses qui viendront nous zigouiller », Rosny, Rues, p. 211. — « On no peut pourtant pas [a^igouiller pour y refaire son billet », Rictus, Numéro gagnant.

En Poitou, zigouiller signifie couper avec un mauvais couteau, en faisant des déchirures comme avec une scie (Anjou, sigailler, couper malproprement comme avec un mauvais outil, en déchiquetant). L'acception initiale est celle de couper avec une scie (en Saintonge, xigue-zigue désigne un mauvais couteau).

Le vocable, en s'acclimatant à Paris, a passé du sens do scier ou couper maladroitement à celui de couper la gorge, c'est-à-dire qu'ira tout simplement passé des objets aux êtres humains '.

1. Ajoutons :

Godelle, pipe (Delôsalle) : en Poitou, couteau (Aunis : scie à lame large).

l'ine, le membre (même sens en Poitou, proprement pomme r\\n);'piner, pinocher, s'accoupler (Bruant).

Ilaquin, prostituée (Bruant), proprement requin, sobriquet du douanier et de l'huissier (ils dévorent tout).


C. - Patois du Centre, i. — BERRY.

Cette province a fourni le contingent le plus nombreux et les contributions de cetto origine sont souvent d'une grande importance'. Nous avons déjà cité gamin et piger ; voici les autres emprunts berrichons 2 :

Abat-foin, ouverturo pratiquée dans le plancher des granges pour faire descendre le foin (mot devenu français), et abafointe. ébahi : « Quand la bonne femme lui a fichu son sac, il s'y attendait si peu qu'il en est resté abafointé » (cité dans Bruant,- Dict., p. i73). Le sens figuré remonte au berrichon tomber dans Vabat-foin, être coulé à fond, être déchu de sa fortune ou de son intelligence. C'est une imago tirée de l'économie rurale.

Agricher, saisir subitement, arrêter : « Il se sauvait, je l'ai agriché par un abatis » (Rossignol). — « Ces petites bestioles quand elles vous agrichent, se cramponnent à notre peau », Père Peinard, 8 juin 1893, p. 4. En Berry, agricher, accrocher, agripper: « Ce petit s'agriche aux cottes de sa mère» (Jaubert); dans le Bas-Maine, le verbe signifie saisir avec les dents (de gricher, grincer, Dottin).

Arcanderie, embarras, difficultés. « Y a rion à gagner avec toutes ces arcanderies-lh », Méténier, Lutte, p. 97. Le mot signifie proprement métier ou marchandise â'arcandier, petit commerçant ambulant (Berry et ailleurs), à coté de hari1.

hari1. particularités orthoépiques jadis propres aux Parisiens sont aujourd'hui encore usuelles dans le Berry. Telle la prononciation de payer, pour payer, que Bèze reprochait jadis au menu peuple do Paris et qu'on lit encore, sous la forme poij'er, dans une mazarinade de la banlieue de Paris de 1650 (voy. Nisard, Etude, p. 158). Robert Estienne {Grammaire françoise, p. 10) mentionne déjà pajer, payer, dans quelques villages voisins de Paris.

Dérivent de la même source les formes pajel, pour paillel (tas de paille), et pajol, pour paillot (paillasson), l'un et l'autre au sens de lit (en Berry, avec celui de « grabat s) : < On s'a plumé dans un bon pajol tout en laine... Se pagnoter à deux dans le même pajet? Midi ! i (dans Bruant, Dict., p. 293).

2. Voir le Glossaire du Comte Jaubert (1864 à 1869).


294 CONTINGENTS LINGUISTIÇUES -

cancler, eliamaillor sur dos vétilles (Delvau) et ne pas faire un travail d'un coup : « L'ouvrier qui fait un loup et veut le réparer, haricande sa pièce » (Virmaîlre, Suppl.). Cf. le gâtinais aricandier, commerçant ou industriel ambulant, mal outillé, mal pourvu de marchandise.

Babouinc, babine (Berry, même sens), d'où se babouiner, ou se caler les babouines, manger: « Le samedi de paie, ils se trouvaient ensemble, on lui a fait une connaissance, on babouine le zing de la paie », Poulot, p. 82.

Barbaque, viande : « N'allons pas dans ce restaurant, il y a do la mauvaise barbaque » (Rossignol) ; et surtout viande de mauvaise qualité (Hayard) : « Le gonce est aspic... Il no briffe que delà barbaque », Rosny, Rues, p. 165. Se dit ironiquement du corps humain : étaler sa barbaque, tomber (Hayard). Le mot signifie proprement viande do brebis : Berry, barbis, brebis. La forme provinciale barbi ost donnée par Bruant.

Beurlot, maître-cordonnier d'une petite maison (Rigaud), à côté de beurloquin, patron d'une maison de chaussure de dernier ordre (Idem) : « Dans les boutiques des gnafs ou des ribouiseurs, le patron se nomme beurloquin » (Virmaitre, Suppl.). En Berry, berloquet désigne le vieillard qui bat la berloquo(et berloquin^ en Anjou, le saint frusquin ; Bas-Maino : le petit mobilier). Desgranges note, on 1821 : « Beurloques> breloques. Faute do prononciation ».

Biger, embrasser : « On no bige pas son petit homme avant do partir? » Méténier, Lutte, p. 250. Forme commune on Berry, dans l'Anjou et ailleurs.

Bide otbidon, ventre, gros ventre (Berry, bide 1, gros ventre, et bidon, petit ventre), dans Rictus (Soliloques, p. 7G); « Ah l enfonce-toi les poings dans le bide... »

Bringue, femmo dégingandée : « Donner congé à elle ot à sa grande bringue do soeur », Zola, Assommoir, p. 11. Le mot est le môme quo le tonne de manège bringue, choval mal

1. Avec ce eens, on lit déjà le mot dans linc moralité du début du xvi« siècle, la Condamnation de Dancquel de 1507 :

Je n'ay mangé que tout u point : Encôr y a il un boyau vuydo, — Aussi avez-vous belle bidet...

(Ed. Jacob, Recueil de farces, p. 317J

L'éditeur moderne commente ainsi le mot : c Terme d'argot, trogne, face enluminée ». Explication purement fantaisiste.


PROVINGIALISMES 295

bâti, l'un et l'autre d'origine provinciale: en Berry, bringue (comme en Anjou et ailleurs) désigne à la fois un cheval mal bâti, une rosse 1 el une grande femme de mauvaise tournure.

Ce dernier sens, usuel dans les parlers provinciaux, est attesté à Paris dès le début du xixe siècle : « On dit improprement d'une fille ou d'une femme do grande taille et qui a l'air d'un homme : c'est une grande bringue, c'est une grande dégfngandée », Michel, 1807. — « Une grande bringue. Terme injurieux et de mépris qui signifie une grande fille de mauvaise tournure », d'Haulcl, 18082.

Carcan, rosse, (même sens en Berry et ailleurs); dans Rictus, Coeur, p. 121 : « A turbiner pire qu'un carcan ».

Chigner, pleurnicher (même sens en Berry) : « Je. veux savoir pourquoi que tu chiynes », Méténicr, Lutte, p. 79. Le mot est donné par Michel en 1807 : « Chigner n'est pas français. On l'emploie pour répandre des larmes pour rien ou par feinte, geindre, pleurnicher ». Il se lit déjà dans Hébert : « Kt toi, loujouis grognant, toujours chignant, quelle source do pleurs et de jérémiades pour ton génie larmoyant! » Père Duc/iêne, 73e lettre, p. 3.

Clampin, fainéant, paresseux (môme sens en Berry) : « Arrive, clampinl je paye un canon de la bouteille », Zola, Assommoir, p. 435. D'IIautel relève déjà le mot : « Clampin. pour dire boiteux. C'est aussi un sobriquet que l'on donne aux campagnards qui, sous un air niais et indolent, cachent beaucoup de finesse et de subtilité ». L'acception de « boiteux » est encore vivace on Picardie et en Champagne. Desgranges se borne à diro en 1821 : « Clampin est une expression triviale qui exprime rien en français ».

Cocotte, avec ce triple sens :

1° Mal d'yeux, fièvre aphteuse (même sens on Berry et ailleurs, proprement poule qui est sujette à ce mal), à côté do gogolte, oeil malsain, vuo affaiblie par l'ôgo (la vue do la poule est faible).

2° Gonorrhéc, syphilis (et gogotlé), désigne, dans le Berry et ailleurs, une maladie des bêtes à cornes.

1. Avec ce sens péjoratif, l'angevin dit à la fois biringtie et birogue, à côté de bhv, l)ourri(|uo.

2. Lo petit glossaire wallon, du dic.hé de Bouillon, envoyé en 1790 par le curé Aub.ii à Grégoire (éd. Gazier, p. 212), donne déjà bringue, femme sans honneur. — Dans le Gâtinais, bringue désigne une brebis vieille et stérile.


296 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

3° Malpropre (Delvau), comme un poulailler, d'où cocotter, gogotter, puer (Rigaud)

Déluré, dégourdi (mot passé en français), forme berrichonne {déluré, alerte, dégagé, .laubert) pour déleurré, qui ne revient plus au leurre, en parlant d'un faucon. Le mot est déjà donné en 1807 par Michel : « Allure, déluré ne sont pas français. Ne dites pas': C'est un gaillard bien allure, c'est un déluré compère, pour il est bien madré, c'est un fin matois. Il est familier >>; et Blondin cito comme populaire, en 1823. cette expression « un jeune homme déluré ».

Dépoitraillé, qui a la poitrine découverte d'une manière indécente (Zola, Assommoir, p. 193 et 497) : Berry, Poitou, etc., môme sens.

Dringue, vêtement, redingote (Delvau, SuppL), répondant au berrichon dringuet terme do mépris (« une vieille dringue ») ; Anjou, déringue, redingote.

Flube, peur, et fluber, avoir peur, proprement siffler (sens de fluber en Berry et en Poitou) : le poltron siffle pour se donner l'air crâne. De là flube, sifflement, terme de chasse, analogue à frousse : « Il a le flube, chuchota Pctite-Rosso », Rosny, Rues, p. 28.

Focard, fou (Ilayard): Berry et Poitou, foucard, extravagant (cf. ci-dessus, p. 278, foucade).

Galoche, bouchon et jeu du bouchon (même sens on Berry et ailleurs).

Gouille, dans l'expression, à la gouille, à la volée, au jeu des billes (Delvau); de là envoyer à la gouille, jeter quelque chose en Pair, au hasard : « Dans un baptême, le parrain envoie à la gouille des dragées aux enfants » (Rossignol); envoyer à la gouille, envoyer promener (Delvau). Dans le Berry, gouille désigno une mare, un creux d'eau, d'où le nom appliqué au trou peu profond qui sort à jouer aux billes.

Ligorgniot, Limousin et garçon maçon (Rossignol), les Limousins exerçant fréquemment ce métier. En Berry, ligougnat désigne celui qui vient du Limousin ou de l'Auvergne (on dit : « parler ligougnat »); et ligoustrat ' y est un sobriquet donné aux ouvriers des pays montagneux, du Centre do la France, qui ont l'habitude d'émigrer chaque année vers Paris, tels, par exemple, les maçons (qu'à ce litre on appelle même à Paris

1. Forme contamihee de ligougnat et fouchlra.


PROVINCULISMES 297

Marchais et Limousins), les chaudronniers* les portefaix, etc.

Mascander, frapper avec violence (Berry, mascander. fracasser., briser, mettre en morceaux) : « Les voisins l'avaient surpris en train de mascander la malheureuse », Méténier, Lutte, p. 207.

Mercandier, boucher qui vend de la basse viande (Rigaud), proprement petit marchand, sens du mot en Berry et ailleurs.

Mite, chassie, miteuse, chassieux ', môme sens en Berry (en Anjou, mite, chatte : cf. « chassieux comme un chat do mars», Oudin) : « Tout lemondo connaît ce souhait ironique : Je vous souhaite une bonne année, la mite à l'oeil... la morve au nez » (cité dans Bruant, Dict., p. 99).

Le dérivé miteux est donné par d'IIautel (1808) et le mot primitif par Desgranges (1821): « IL a la mitte à l'oeil est un barbarisme. Chassie est le seul mot français. Dire de la cire et des yeux cirés ne vaut pas mieux quo mitte ; mais c'est assez parier d'une humeur dégoûtante ». .

Panou/le et panouf, fourrure dont on garnit le dessus des sabots (sons du mot berrichon). On le lit dans Bruant {Rue, t. II, p. 98): « ... ribouis en panoufe... » Delvau donne à panoufle le sens de vieille femme ou vieille chose sans valeur (cf, le mot suivant).

Panuche, prostituée (Rigaud), maîtresse d'une maison de tolérance (Virmaître) : « Vlà la panuche qui rapplique », Méténier, Lutte, p. 277. Larchey explique le mot par « femme bien mise » (Hayard : femme élégante). En Berry, panuche signifie la fourrure dont on garnit le dessus des sabots, proprement guenille (cf. prov. panoucho, chiffon et femme en haillons). Les acceptions citées ci-dessus sont donc ironiques.

Raffut, grand bruit, esclandre (Rossignol), même sens en Berry et ailleurs : « Tu piges lo raffut quo ça devait faire », Bercy, XXIII* lettre, p. 6.

Reniquer, pleurnicher, endèver (Delvau, SuppL), répondant au berrichon reniquer, renâcler, grogner : « Il était fâché, je commence à reniquer », Lo Bourg, dans Le Gaulois du 3 octobre 1881.

Riclot, soulier : « A m'a payé des bath riclots » (cité dans Bruant, Dict., p. 411)..En Berry, riquer, se dit du bruit quo

1. Hector Franco donne, on outre, miteux; misérable. Cf. en Anjou, vùteux, 'gueux, c'est-à-dire mendiant chassieux.


298 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

font les semelles des souliers neufs eu marchant : « Nos villageois aiment beaucoup les souliers qui riquent » (Jaubert).

Riper, prendre, voler : il lui a ripé sa galette (Vifmaître). En Berry, riper, se dit, au jeu. pour gagner le tout, faire rafle (Hector France); de là ripât ou ripeur, écumour des bords de la Seine. Le sens propre en est pousser ou retourner des masses pesantes avec des leviers, glisser en arrière, répondant à ripeur, déchargeur des pièces de vin, à Bercy, ou des charbons de bateaux, aux portes de la Villette et de Crimée (Rossignol). Ce dernier sens est déjà donné par lo Tréooux de 1752: « nipper. Ternie usité dans les douanes et sur les ports des rivières, particulièrement à Paris ».

Roupeites, testicules (Rossignol), même sens en Berry.

l'aia, mijaurée, proprement tante (sens du mot en Berry) : « Un vrai serpent! gentille et faisant sa tata, et vous lichant comme un petit chien ! » Zola, Assommoir, p. 395 '.

2. — ORLÉANAIS.

Cette province a fourni au xvie siècle touto une série de termes que Cotgravc signale comme « orleanois » et qui sont devenus français : tels bougonner, escogrijfe, saligaud, etc. Les emprunts modernes sont peu nombreux :

Abalobé, étonné, ébahi 2 : « Quel potin ! j'en suis encore tout abalobé » (cité dans Bruant, Dict., p. 173). Môme forme dans Porléanais (abalobé. ahuri); Blésois. aberlobè, qui a l'air bête (Eudel) ; Berry et Poitou, éberlobé, étourdi, braque ; Anjou, ébélobé, ahuri. La forme primitive berrichonne, éberlobé, représente un croisement à'ébaubi (anc. fr. abaubi) et berlu (cf. éberluer, étonner).

Aguicher, attirer, allécher par des oeillades : «Si tu Vaoals

1; Ajoutons :

Digue, rosso (Bruant) : Berry, cheval petit et maigre (comme une binuc).

Chézeau, maison (Delesalle) : en Berry, le mot est vieilli.

Chignon, bout de pain (Bruant) : do même en Berry.

Clos-cul, dernier né d'une famille (Delesalle) : en Berry, dernier né d'une couvée.

Grignote!, pain (H.-France) : cf. Berry, gvigne, grignon do pain.

Guch», perchoir (Bruant) : môme sens en Borry {gtteher, jucher, des poules).

Trifjouille, désordre (Id.) : Berry et ailleurs, confusion, trouble.

Vezon, prostituée (Id.) : en Berry, femme évaporée, extravagante, proprement guôpe, bourdon.

2. Philibert Le Roux explique erronément esbalobc par « réjoui, transporté de joie et do plaisir, gui, joyeux », en cllant ce passage du l'amasse'des Muses : ' J'en suis tout esbalobé ».


PROVINCIALISMES 299

pas aguiché, il t'aurait laissé tranquille ». Rnsny, Marthe. p. 39. lui Vendômois, aguicher, c'est guetter, surprendre par ruse (anc. fr. guiche. ruse); en «Anjou, regarder du coin de lVil.

Chahut, danse éclievelée et bruyante, d'où tumulte, nom induit de chahuter, à Vendôme, crier comme un chahuant. Le verbe et lo nom sont déjà relevés par Desgranges (1821) : « 11 aime à diahuter, il danse en chahut. Voilà des mots de la guinguette ». Lo premier lexicographe qui donne le mot est Bescherelle (18io) : « Chahut, nom d'une danse extrêmement indécente que la police interdit dans tous les lieux publics (et chahuter, danser le chahut »). Lo chahut a succédé au cancan, dont il est l'exagération : « Fifine... ne dansait pas un chahut de bastringue.-., elle s'enlevait, retombait eu cadence... », Zola, Assommoir, p. 179.

Pétras, paysan, rustre (Delvau), vocable donné par d'Ilautel (1808) : « Pétras, Mot vulgairo et trivial qui signifie balourd, ignorant, grossier personnago ». Nom censuré par Desgranges (1821) : « Pétra, pour paysan, barbarisme. C'est du charabia Orléannais ». Mot très usuel dans les parlers provinciaux (Anjou, Berry, Poitou, etc.) au sens de butor, lourdeau.


D. — Patois du Nord-Est. i. — CHAMPAGNE.

Le plus ancien emprunt champenois est dégraigner, mépriser (môme forme et même sons en champenois; en picard, ciégrigner), qu'on lit à la fois dans une mazarinade do 1619 : « Ha, guay Janin, où vas-tu si vite, y semble que tu nous dégraignc.A y> Agréable Conférence, éd. Rosset, p. 2. Et dans un écrit poissard do 1750: « Si c'est à causo que jo rafistolons ses vieux passifs, que ne dégraigne-t-y de môme son horlogeux quand il lui a rembouisé queuque patraque? » Le Paquet des mouchoirs, p. 3.

Los emprunts modernes sont plus importants ' :

Anderlique, tonneau de vidange (du champenois danderlin, tandelin) : « Je sors de chez nicher, j'étais pour la réparation... dos anderligues... Le général A... c'est Vanderlique du grand monde ». Poulot. p. 103 et 167.

L'équivalent français tandelin, hotte en bois, également d'origine dialectale (lorraine), est donné comme toi par Michel en 1807 : « Tandelin, vaisseau de bois en forme de hotte qui sort à transporter la vendange. Ce mot est consacré par l'usage en Lorraine et n'a point de synonyme » 2.

Bajaf, gros butor : « Gros bajaf, est synonyme do poussah » (Virmaîlre). Kn champenois, bajas signifie sot, goujat (BasMaine, bajard, homme pesant, empêtré).

Camboler, tomber en chancelant (Dclvau, Larchey), d'où cambola (pour cambolard), faux épileptique(H.-France), à côté de chamboler, chanceler 3 comme un homme ivre (sens du mot en Champagne et on Lorraine): « Chambouler se dit improprement d'un homme ivre: il chamboule, il est ivre, il chancelle », Michel, 1807.

\. Voir le Glossaire de Tarbé (I8bl) et do Baudouin (1877). •

2. Voir, sur l'origine du mol, Belirens, Beltrâge, p. 203-204.

3. Delesalie donne à chamboler le sens de « flAner », et Bruant celui de • fainéanter • — acceptions suspectes.


PROVINCIALISME 301

Cheulard, ivrogno, mot tiré du champenois cheuler, boiro * d'un trait (Verduno-chalonnais, trop boire, se soûler): « Sois tranquille, on no m'y repincera plus avec ces cheulards-là », Poulot, p. 47. — « Les camarades avaient beau le blaguer, il restait à la porte, lorsque ces cheulards-là entraient à la mine à poivre », Zola, Assommoir, p. 48.

De là : dictasse, soldasse, ivre: « Va pas croire que je suis soldasse », Bercy, XLIe lettre, p. 4.

Déhotter, partir (llayard): Reims, dèhotter, débourber un charriot ; wall. de Mons, ébranler, faire sortir ; Hainaut, tirer d'un mauvais pas, au propre et au figuré (cf. Michol, 1807 : « Enhotté, pour embarrassé : vous voilà bien enhotté »).

Frapouille, guenille, môme sens en champenois et en lorrain : « Frapouille, pour haillon, vieux drapeau, drille : Le papier se fait avec de vieux frapouilles, ramasser des J'rapouilles», Michel, 1807. Avec l'acception parisienne do fripon (abrégé parfois en frape) dans Bruant (Rue, t. I, p. 200). On dit ironiquement une bonne frape pour un bon drille.

La forme parallèle parisienne est fripouille, au sens propre, gucnillo [fripe, chiffon), et, au figuré, gueux, misérable.

Galifard, commissionnaire (dans le jargon des marchands du Temple) : « Les galifards sont des façons de commissionnaires saute-ruisseau qui prêtent aux clients les marchandises vendues ; il y a aussi des galifardes », Normand, p. 180. Proprement goinfre (sons du champonois galifard) : « Il a mangé comme un galifard. Il faut dire selon les circonstances il a mangé comme un glouton, comme un gouliafre, comme un ogre », Mulson, 1822. Le terme champenois répond au languedocien gala fard, galouflard, vorace, goulu.

Gicler, et gigter, jaillir (Champagno, gicler, Berry, gigler, etc.): «Y a pas d'errour, ça va gicler [la pluie], gare la sauce! » Courtclino, Train, p. 93. — « L'une avait le nez arraché, le sang giglait par terre », Zola, Assommoir, p. 231.

Littré, dans son Supplément, donne le mot sous sa double forme *; il est déjà relevé par Mulson (1822): « Il prossal'orango ot lui gicla du jus dans l'oeil. Servez-vous du mot lancer ».

1. Proprement sucer, en parlant des enfants : t Ce mot cheuler n'est pas français; il s'applique aux enfants qui, ayant été sevrés, ont contracté l'habitude de sucer leur langue ou leur pouco », Mulson, Langres, 1S22.

2. En voici une troisième : » Quel meilleur moment pour fêter l'année nouvelle que celui où le vin nouveau giscle des pressoirs? » Almanach du Pire Peinard, 1894, p. 25.


302 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Liquette, chemise (Rossignol), proprement morceau d'étoffe (sons champenois du mot) : « Il l'avait prise... sans une liquette. à se f... sur le dos », Méténier, Lutte, p. 189. — « Maintenant, apprête ta liquette », Rosny, Hues, p. 239.

Lopin, crachat (môme sens en champenois) : « Ousqu'est la liberté si on peut pus laisser tomber un lopin en omnibus? » (cité dans Bruant, Dict., p. 133). Mot provincial passé également dans la technologie ayee lo sens de masse de fonte.

Pichenet, petit vin acide, vin d'une mauvaise provenance ou d'une mauvaise récolte (Baudouin), proprement aigrelet, piquant (pour piquenet), vocable devenu parisien : « C'est pas un mauvais garçon ; quand il a un verre de pichenet dans le fusil il n'y est plus... Ils maquillent bien \e pichenet, encore mieux le vitriol », Poulot, p. 143 et 158.

TiJJes (écrit aussi (ifs), cheveux (Rossignol), proprement ajustement de la tête (sens du champenois tiffe). c'est-à-dire attifet (Rictus, Coeur, p. 157) : « Avec ses tifs blonds, sa tète nue... » Dans l'ancienne langue, liffer avait le sens do coiffer, friser, sens encore vivace dans certains patois (cf. wallon do Bouillon, 1790, tiffer, coiffer, Gazicr, p. 251).

Trouille, colique (Bruant, p. 115) et, au figuré, peur ' ; Si lu ne vas pas, c'est que tu as la trouille (Rossignol): « Y a * ceux qui ont la trouille », Rosny, Hues, p. 13.

Le mot répond au champenois (rouiller, péter (Baudouin), d'où aussi trouilloter, puer (Hayard):.« Elle devait avoir mangé ses pieds, tant elle trouillota.it du goulot », Zola, Assommoir, p. 470. 2

2. — LORRAINE, VOSGES.

Quelques termes isolés :

Couaclie, ou couèche (couetche), sorte de prune violette, ali.

ali. donne un troisième sens ; trouille, souillon de cuisine, femme malpropre.

2. Ajoutons :

Chapttiser, tailler du bois (Delvau) : même sens en Champagne el ailleurs.

Cholet, pain blanc (Delesalle) : Champ, chotlal, pain mollet et blanc (Berry, chaulfit, de la couleur de la chaua).

Cliché, colique (Bruant) : Champ, cliché, diarrhée.

Couiner, grogner, gémir (Id.) : même sens en Champagne el ailleurs.

llngner, geindre (Delesalle) : de' même en Champagne et ailleurs.

Mouveler, broncher (Id.) : Champ, moujfeler, remuer.

Rairadine (à la), mauyais (Bruant) : Cf. Champ, rafarder, mystifier (Vallée d'Yères, chercher à obtenir quelque chose par ruse).


• PROVINCIALISMES 303

longée, particulière à la Lorraine : couetche ou quetche, de l'allemand dialectal Quetsche (forme littéraire Zwetschke); dans le langage parisien, le mot désigne ironiquement le visage : sucer la couetche, embrasser (Bruant).

Dinguer, aller frapper le pied du mur, en parlant d'une toupie qui a subi un choc (Esquieux, p. 10), du vosgien dinguer, rebondir avec un bruit sonore (Lorraine, dinguer, tinter ; Yonne, sonner une cloche et sauter en courant). L'expression envoyer dinguer, tirée du jeu de la toupie, a été généralisée ' : renvoyer, congédier brusquement jLittré, Suppl.).

De là, dingue : aller à dingue, tomber, et envoyer à dingue, culbuter, terrasser (^Bruant, Dict.. p. 420 et 423), ci dingo, fou, proprement fêlé: « T'es donc dingo 1? » (Bruant, Dict., p. 412).

Frousse, peur, même sens dans les Vosges, proprement onomatopée qui exprime un départ rapide {froust !), l'envolée subito d'un oiseau en froissant les branchages: « Alors, vous n'avez pas la frousse*? dcmanda-t-elle », Rosny, Rues, p. 76.

C'est proprement un terme de vénerio (frouste, en Champagne), avec ses deux sens : 1° bruit d'un animal qui sort brusquement de son buisson i, d'un oiseau qui s'envole tout à coup, et, par analogie, d'une personne qui s'échappe ; 2° peur : a\foir la frouste (Baudouin).

Polard, ou paulard, pénis (Rossignol), termo enphémique, proprement poulard, du lorrain paule, poule.

Rombier, vieux, vieillard (Rossignol), proprement grondeur, tiré du lorrain romber, gronder so'urdoment.

Ronfle, soufflet (le messin rouffe a le môme sens, de rouffer, ronfler, souffler avec bruit, en parlant du vont) : , « Au lieu de trouver dos exploits à vanter, il n'a rencontré que des rouffles, quo dos coups do pieds à décriro, que des craquignoles à peindre », Père Duclîesne, 53e lettre, p. 6. Lo mot désigne, en outre, une sorte de brimade : coup en tournant sur le sommet de la têto, à l'Ecolo des Arts et métiers (H.-Frauce). Son dérivé, rouflée, volée do coups, raclée, est un tonne do troupier (« recevoir une rouflée », Higaud).

1. Delvau en induit l'acception douteuse de c flâner, se promeuer i, en ajoutant cette autre qui semble réelle : t Dinguer, n'être pas d'aplomb, dans l'argot des coulisses', où l'on omploio ce verbe à propos des décors et des machinistes ».

2. Go terme do gibier est, on français, brosser ou brousser.


E. — Patois de l'Est. 1. — YONNE.

Contributions nombreuses et caractéristiques :

Arpette, apprenti et apprentie (Yonne, arpette, gamin, polisson) : « Je fraye pus avec... les marloupins et les arpettes », Bercy, 7Ve lettre, p. 5. Le sens propre du mot arpette, comme de sa forme parallèle arpiau, est rapace, voleur (du primitif arpe, griffe, d'où arpiori).

Bergosse, mouton (Rossignol): Yonne, bergasse, mémo sons.

Cabot, chien, proprement chien de petite taille (sens du mot dans l'Yonne; en Anjou et à Lyon, méchant petit chien): « Tu fais comme un cabot qui rongo son os, tu grognes et tu montres les crocs », Père Peinard, 17 nov. 1889, p. 6.

Cltariboter, avec les acceptions suivantes :

1° Embrouiller, d'où charibotage, écriture embrouillée : « Ils savent lire un charibotage », Mélénier, Lutte, p. 120.

2° Embarrasser, sens à'enchariboter. terme provincial employé par Victor Hugo: « Vous avez l'air tout enchariboté », Le Roi s'amuse, acto II, sç. n.

3° Railler: « J'aimo pas les gens qui charibotent tout le temps » (cilé dans Bruant, Met., p. 323).

Le sens primordial de charboter ou c/iaribotcr est celui de grouiller l comme une nichée d'escarbots (appelés charbots ou charibots dans les dilférents patois). La forme bourguignonne est encharboter, que le Trëooux de 1752 explique ainsi: « Encharboté, embarrassé, brouillé, sans ordre. Tabourot qui étoit do. Dijon, s'est servi, au ch. xxi do ses bigarrures, A.'encharboté, comme d'un mot français ».

Flancher, faiblir, manquer do force, chanceler dans ses résolutions, sens du mot dans l'Yonne (proprement clro flasque, sans vigueur) : « Tu hésites, tu flanches » (Rossignol).

1. De là, dans le vulgaire parisien, charibolée, grand nombro : t Elle a une éharibolée d'enfants » (Virmaltre).


PITOVINCIALISMES ' * 305

.*

Fouailler, lâcher, reculer, dans l'argot des typographes (Boutmy): Yonne, fouailler, faiblir, êtro sans force (proprement étriller). Le mot se trouve déjà dans Yidocq.

Gabegie, fraude, mot bourguignon passé au français. Co provincialisme du début du xixe siècle se lit dans Michel (1807; : « Gabgie. On donne improprement ce nom à toute espèce de profit illicite. C'est une gabgie, il fait la gabgie là dedans. C'est une filouterie, c'est un filou, il trompe, il vole...» Il est aussi donné par d'IIautel (1808): « Gabegie, micmacs, intrigue, manigance : il y a là dessous de la gabegie, pour dire quelque chose qui n'est pas naturel, quelque manègo ».

Le bourguignon gabegie répond au languedocien gabusio, malversation, fraude, l'un et l'autro apparentés à l'anc. fr. cabuser, tromper.

Gargarousse, gorge (répondant au gargari de l'Yonne), dans Richepin (Gueuse, p. 175). ~

Redouiller, riposter, mot donné par d'IIautel: « Se redouil1er, riposter à des propos injurieux ou répondre vigoureusement à des voies de fait, en vonir aux mains ». Dans l'Yonne, redouiller, signifie houspiller (de douiller, choquer une billo, etc.). ' Au jeu do cartes, redouiller, c'est rovonir à la couleur (une redouille, un retour dans une couleur déjà jouée).

2. —. BRESSE.

Cette proviheo a fourni plusieurs termes :

Caboulot, cabaret infime, proprement petit réduil, pauvre gité, sens du mot dans la Bresse (caboulot) ot dans lo Jura (cabourot et caboulot), cô qu'on dit cabiole en Berry, en Savoie etc. « Lo mot a une vingtaine d'années », écrit Delvau en 1866, ot Rigaud cite ce passago d'un écrit de 1860 intitulé Ces Dames ru Caboulot. Mot pittoresque du patois franc-comtois qui a obtenu droit do cité dans l'argot parisien... Le caboulot de la'ruo des Cordiors, qui est lo plus ancien do tous, s'ouvrit en 1852 ». Co mot a passé au français : « Les gens de

1. Ajoutons]

Aponiehé, assis (Delcsalle) : Yonne, accroupi.

Càrièr, aller & la selle (Delvau) : de même dans l'Yonne, à côté de canots,

lieux d'aisance, propr. poulailler (cf. Yonne, anas, immondices, d'ans, cane).

Drille, drouille, colique (Bruant) t Yonno, drille, drouille, colique, diarrhée.

au


306 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

talent qui n'ont pas traîné dans Iccaboulot », Goncourt, Journal, 13 dée. 1865.

Margalou, individu qui exerce toutes sortes de petits commerces (H.-Franco) : Brosse, margalou, morne sens que margoulin, maquignon, revendeur, en mauvaise part (à Fribourg, margaler signifaVcrotter).

Pégot, paysan (Bruant): Bresse,pégo, rustaud (cf. Landes, pégot, niais, sot).


F. — Franco-Provençal, i. — LYONNAIS.

Les emprunts au parler lyonnais ont trouvé une largo expansion, dans le langage populaire, comme nous l'avons prouvé par le terme bicher, déjà cité. Les autres apports ne sont pas moins intéressants :

Bafouiller, bredouiller, et bafouillage, bavardage, mots populaires très répandus, du lyonnais barfouiller, barboter et bavarder, parler mal (Vachet). Ce provincialisme est relevé par Molard en 1810 : « Barfouiller, barfouillage. Dites : barboter, barbota^e. C'est l'action des oies par laquelle elles chorclient à manger dans des ruisseaux bourbeux, en y fourrant le bec. Au figuré, c'est mettre les mains dans l'eau en l'agitant ». Le sens essentiel du mot est barboter dans l'eau, ensuite barboter en parlant.

Cabosser, bossuor (du lyonnais cabosser, môme sens). Mot donné par'Molard en 1810 : « Cabosser, déformer. Il a cabossé la boîte de sa montre. Ce mot est un vrai barbarisme. Dites: bossuer ». Terme passé au français; Bescberolle (1815) l'accompagne de celte remarque : « Ce verbe cabosser est très familier et tout a fait populaire surtout dans l'Ouest de la Franco ». La forme parallèle crabosser, citée par Deslesalle, répond au lyonnais carabosser (Anjou, crabosser, écraser).

Décaniller, se sauver : « Moi, j'ai décanillé, joVavais pas douze berges », Méténier, Lutte, p. 120. — « Veux-tu décaniller de là ? » Zola, Assommoir, p. 409.

A Lyon, décaniller, même sens (Puitspelu), proprement jouer des canilles (les gônes appellent canilles les jambes, proprement petitos cannes), synonymo tà'escaner, se sauver, qui présento la même image. Ce verbe est déjà donné par Desgranges en 1821 : « Je l'ai fait décaniller, disent bien des gens. C'est un barbarisme. Le mol de déguerpir est celui qui convient; décamper serait mieux encore que décaniller ». Il a passé dans plusieurs parlera provinciaux: Berry, Anjou, etc.


JÎ08 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Flapi, fatigué, freinte. Terme lyonnais devenu populaire.

Gandoiïcs, fariboles, sens figuré donné par Desgranges, 1821 : « Conter des gandoisrs, pour faire des contes. Voilà du français des provinces ». Cf. Molard, 1810 : « Il raconte des gandoi.ses, dos farces, des plaisanteries ». C'est la forme provinciale du nom de la oondaise, poisson d'eau douce peu estimé, d'où l'acception figurée do « bagatelle ».

Gandouse, gadoue (Uigaud), même sens en lyonnais.

Gooille, bille ou boule à jouer, dans les jeux d'enfants, (même sens à Lyon). Mot donné par Molard en 1810 : « Gobille. Jouet d'enfant fait de pierre ou do marbre, en forme de boule. On l'appelle bille à Paris ».

Grafigner, égraligner (Delvau), même sons en Lyonnais et dans les patois de l'Ouest : « Elle saute aux yeux de sa bourgeoise et la gra figue », Zola, Assommoir, p. 232. Delesalle donne au mot, en outre, le sens de saisir et ramasser des cbilTons.

Margoulin, colporteur de campagno et mauvais ouvrier : « Il n'y a que des margoulins, cl puis on ne gagne pas sa vie là-dedans », Poùlot, p. 70. De là : margoulinage, achat dans les conditions médiocres; ot margouliner, faire de petites affaires (Bruant) : à Lyon, margoulin, colporteur (en Languedoc, ouvrier jeune, et surtout mauvais ouvrier, ou petit charretier).

Molard. large crachat, proprement meulard, meule de grande dimension : « Quand il s'étale sur le trottoir, on dit: Quel beau molard! » (Virmaître). — « Vous aurez quatre jours pour lancer des molards sur les rangs » (dans Bruant, DicL, p. 133).

Ramonât, petit ramoneur savoyard, nom donné par Desgranges (1821): « Ranionat> pour ramoneur de cheminée. Faute » ; et d'IIautel l'explique ainsi (1808) : « C'est sans doute pour.imiter la manière des petits savoyards qui ont habitude d'annoncer dans les rues en criant : Ramona la chemina de haut en bas! »

Cette exclamation figure déjà dans un des Cris de Paris du xvie siècle':

Puis verrez des Piemontoys A peine saillis des escailies • Crians : Ramona hault et bas ! Voz cheminées sans escalle. 2

1. A peine sortis des écailles, c'est-à-dire encore tout jeunes. - 2. Echelle. — D'après Franklin, L'Annonce et la Réclame, p. 156,


FROVINCIALISMKS 309

Itapiat, avaro, grippe-sou (aussi sobriquet dos Auvergnats et des Savoyards) : « Je les connais tous, ces rapiats-lh », Balzac, Cousin Pons, 18t7, t. XVII, p. 107. — « Ah! non, pour sur ces rapiats [les Lorilleux] n'étaient pas larges des épaules, et toutes ces manigances venaient de leur rage à vouloir paraître pauvres », Zola, Assommoir, p. 2oG. Même sens à Lyon. En Suisse, le mot signifie galeux (appliqué aux pieds des chevaux) et, en Normandie, vapiat désigne le voleur, le vagabond.

liessauter, tressauter, mettre en colère, et faire du ressaut, faire de la résistance, se gendarmer (Rossignol) : Lyon, ressauter, tressauter (en français, sauter de nouveau).

Ronclionner, grommeler, gronder sans cesse (mot très usuel) : môme sens à Lyon; en Dauphiné, roncha, ronchina, grommeler, gronder '.

2. — DAUPHINÉ.

Notons les emprunts suivants :

Cosse, grande paresse, synonyme de flëme, et cossard, fainéant, répondent aux appellatifs de la Vienne, cosse, buse et cossard. chouette (Rolland, t. III, p. 13), oiseaux indolents par excellence: « Je t'ai pas écrit, j'avais la cosse » (dans Bruant, Dict., p. 217). — « Le sabottage, les Anglais l'ont pigé aux Ecossais, car les Ecossais sont cossards », Almanach du Père Peinard, 18.98, p. 30.

Enquiquiner, ennuyer (Dauph. enquiquina): « Ce qui l'enquiquinait le plus, c'était un petit tremblement de ses deux mains », Zola, Assommoir, p. 431. En Anjou, enquiquiner, mémo sens.

Galapiat, vaurien : « Un galapiat, un traîneur de rapière en chambre », Courleline, Gaietés, p. 118. En Dauphiné, galapia, goiufre et mauvais sujet (d'où le mot a passé, avec ce dernier sens, dans la plupart des patois du Centre et du Nord): « Galapia. Ce mot signifie un rustre, un Savoyard », Mulson, 1822.

1. Ajoutons :

Bardane, punaise (Bruant) : même sens en Lyonnais et en Dauphiné.

Chouîgner, pleurer, gémir (lu.) : de même à Lyon.

Mouniche, sexe (Id.), proprement petite guenon. Dans le Hainaut, monte fie a le même ssns (t A Valenciennes, ce n'est qu'un terme familier... c'est un nom d'amitié qu'on donne aux jeunes filles >, Hécart).


310 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

GouliaJ)e ou gouillafre, goinfre (Delvau) : « Gouliafre, celui qui mange sans mesure et sans propreté », d'Hautel (1808) et « Galafre, gouliafre et gouiaQe. Mot do cuisine pour exprimer gourmand. Ce sont des barbarismes », Dcsgranges, 1821. Le dauphinois et lyonnais gouliafre, gouiafre, goinfre (donné déjà par Oudin 1G40: Un gouiaffre, un gourmand) est encore usuel dans le Borry, en Champagne, etc.

Mandate ou mandole, gifle, claque (« envoyer uno mandate, «eler une mandate »), proprement amande, sons du dauphinois mandolo. Le mot se lit dans les Soliloques (p. 48) de Jehan Rictus.

Pingaud, gentil, joli, élégant (lïayard), proprement mignon comme la pie (Dauphinois pingo).

Sabourin, mauvais ouvrier, gâcheur : « Il n'y a que des sabourins dans son échoppe, pas un capable », Poulot, p. 93. En Dauphiné (comme dans lo Poitou et l'Anjou), sabourin désigne le savetier '.

1. Ajoutons :

Gouiou, gamin (Delvau) : Dauph. gouiou, garçon, fém. goyo, jeune fille.

Pimpions, espèces monnayées (Larehey) : Dauph. pimpio, même sens, proprement noyaux (cf. Somme, pimpin, pépin, et MarneK pipion, pépin, Rolland, Flore, t. V, p. 75).


G. — Patoie du Midi, i. — LANGUEDOC.

Le languedocien avait déjà fourni au poissard nombre de termos dont quelques-uns ont disparu du langage populaire, tels que :

Flogner, flatter (Lang. flaugna, mignarder), qu'on lit dans la comédie poissarde de 17oi, Madame Engueule, se. VIII : « Suzon pour ton épouse ! Tu viens donc encore de flogner son aloyau ».

De même, estourouiller, s'étaler, et galaminer, se dorloter, se délecter— Lang. s'estourouia, se couchor au soleil (se tourouia, se chauffer), et se galamina^ se câliner au soleil (de se gala, se réjouir et mino, chat), en parlant des chats ' et des poules — qu'on rencontre dans un pastiche poissard de 1821, le Riche-en-Gueule, p. 198 :

Si je suis à la promenade A m'estourouiller au soleil, Soudain mon coeur bat la chamade Et fait un tic-tac sans pareil.

Quant au lit je me galantine, Le soleil s'éloigne de moi Et toujours sa peste de mine 2 Met tous mes sens en désarroi.

Voici maintenant outre bisquer et faraud, entrés dan3 la langue générale, les emprunts provençaux encore usuels :

Agater, aux sens multiples :

1° Allécher, amadouer (Bruant), du Lang. agati. mémo sens, proprement attirer par des chaltories ;

2° Plaisanter, blaguer quelqu'un, s'on moquer (Rossignol), acception ironique comme la suivante;

1. Nisard, Parisianismes, p. 103 ot 107, donne d'estourouiller et de galaminer des interprétations erronées et des étymologies fantaisistes.

2. G'est-à-diro la mine de sa maîtresse.


312 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

3° Recevoir dos coups, être pincé (II.-Franco).

Cacher, avaler, manger (Lang. cacha, casser avec les dents), sons qu'on lit dans Bruant {Route, p. 37): « C'est dégoûtant co que nous cachons... » Lo terme répond à son synonyme populaire casser (la croûte).

Cascaret, homme de mine malheureuse ou d'apparence chétive (Delvau), mot donné par d'Hautol (1808) : « Nom baroque et injurieux que l'on donne à un homme do basse extraction ; ce nom ne s'applique qu'aux animaux, particulièrement aux chiens et aux cochons ». C'est Je languedocien cascarel, cocon inachevé qui claque sous le doigt (proprement l grelot) et homme décrépit, homme étourdi, écervolé, taquin. Kn Picardie, cascaret désigne un homme ou un animal do chélivo taille (en Gâtine. un fou, un toqué).

Emberlificoter, empêtrer, embarrasser, entortiller.

1° Au sens propre : « Il s'emberlificota dans les jupons qui lui barraient le chemin et faillit tomber », Zola, Assommoir, p. 182.

2° Au figuré : « Les vérités les plus simples sont les plus difficiles à comprendre — ot cela parce que, vous autres de la haute, vous emberlificotez tellement les choses que vous faites perdre le nord au populo », Almanach du Père Peinard, 1896, p. 38. C'est le languedocien embarlificouta, cmberlificouta, même sens (croisement d'emberlifa, engluer, et do patricouta, patrouiller), terme passé dans la plupart des parlers provinciaux : Normandie, Picardie, Rorry, Champagne, Yonne, etc. Ce provincialisme méridional a déjà été relevé par Mulson (1822): « Le voilà embarlijîcotédans uno mauvaise affaire; ils sont embarlifleotés dans un.compte de société auquel personne n'entend rien. Le mot embarlijlcoter est un barbarisme Dites: lo voilà impliqué... ils sont embarrassés ».

Flingot, fusil de troupier: « Cinq ans de forcés au jlingot, cinq ans de servico militaire » (Rigaud), à côté do flingue, môme sens (« cette forme est particulière aux marins », Rigaud) : « Ça ne me battait pas d'aller faire connaissance avec le flingot... et de trimballer Azor », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 33.

En Languedoc, flingo, flingue, signifie houssine, petite ba1.

ba1. Michel, 1807 : « Cascarinelle n'est pas français; on l'emploie au lieu de cliquette et de caslagntlle... »


PROVINCIALISME 313

guette (do flinga, claquer, on parlant d'un fouet), ce qui répond aux synonymes vulgaires bâton creux et tringle, fusil (v. le Dictionnaire do Bruant).

Outre lo sens de fusil (d'où flingard, soldat d'infanterie de ligne) et colui figuré d'estomac qu'on bourre (« se garnir le /lingot, manger »), flingot désigné encore le couteau de boucher (Larchey, Suppl.), appelé aussi fusil de boucher l.

Frisquet> froid, très froid (Lang fresquet, assez frais): « Cet hivor il n'a pas (ah frisquet » (Rossignol). Ce mot (déjà donné par un glossaire argotique de 1827) a passé dans .les parlers provinciaux: Norm. frisquet, d'un froid vif et piquant (« un vent frisquet », Moisy).

G al faire t goinfre et vaurien (du rouergat gai faire, goinfre, proprement calfat): « Il n'aimait pas les corbeaux [c'està-dire les curés], y a lui crevait le coeur de porter ses six francs à ces galfatres-lh », Zola, Assommoir, p. 79. Le mot est déjà donné par d'Hautel (1808): « Gai faire, sobriquet que l'on donne à un garçon d'hospice, à un garçon d'auberge ». En Bourgogne, galfatre désigne le mendiant.

Galéjade, chargo pour mystifier (v. Mary Burns, p. 28), répond au Lang. galejado, plaisanterie.

Gousse, tribade (Rossignol), du Lang. gousso, chienne.

Grafignade, mauvais tableau (« dans le jargon des marchands de bric-à-brac » (Rigaud). du Lang. grafignado, égralignure, griffonnage.

Ligousse, épéc, « terme baroque cl facétieux » (d'Iïautel), du Lang. ligousso, rapière, vieille épée. Le mot est encore vivace dans le Bas-Maine: ligouche, grand et long couteau, sabre, épée.

Lipette, maçon (Rossignol), du Lang. lipet (lipeto), friand : « Servir les lipettesf Ça fait-trop de gâchis », Bercy, XLVI* lettre, p. 7. Hayard donne, en outre, à lipette le sens de K client naïf.» et Rigaud celui de « prostituée portée sur sa bouche ».

Loffe ou touffe, vesse (Rossignol), du Lang. lo/l, loufo,- môme sens; de là loujfer, vesser et dèlouffer, vomir (Rossignol), à côté de loufiarder, vesser sourdement (Virmaitre).

1. Suivant Behrens [Beitrâge, p. 107), le parisianisme (lingot viendrait de l'allem. provincial Flinke (prononciation bavaroise de Flinte, fusil); quant à l'acception secondaire de » fusil de boucher ». il renvoie au wallon /lin, silex — l'une et l'autre conjectures superflues (étymologie passée dans Meyerr.iibke, n° 3371). Le français parisien ignore les emprunts allemands et le sens dérivé s'explique de soi-même.


314 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Lofe ou loufe, sol, fou (du Lang. lofl, loufo, nigaud, imbécile), à côlé do la forme amplifiée loufoque, d'où loufoquerie, sottise : « Un type loufoque, celui-là », Mirbeau, p. 109. — t< Kn roule, il sentit la loufoquerie de son acte», Rosny, Rues, p. 131.

Ce sons, qui n'est que l'application figuréo du précédont, se lit déjà dans un document «argotique de 1790: « Crois-tu que je suis si loff'c que de débiner? » Le Rat du Châlclet, p. 18.

Lofai ou loufiat, dérivé du précédent, offre des sens multiples:

1° Imbécile, goujat, sens déjà donné par d'Ifautel (« avoir l'air un peu lofiat ») : « C'était un homme sale, un lofiat », Huysmans, Soeur Marthe, p. 122.

2° Aide compagnon du chef d'un chantier (Bruant).

3° Garçon de restaurant ou de café (Rossignol) : « Eh ! làbas, le loufiat, si lu nous servais deux vulnéraires », Méténier, Lutte, p. 30.

Marida, mariéo (Lang. marido) et mariage (Rictus, Coeur, p. 71): « Ou sera maqués au marida ».

Mascot, garçon inexpérimenté (Lang. mascot, maladroit) : « Do dire que je suis mascot, ça. no serait pas vrai », Rosny, Marthe, p. 52. A côté de mascotte, vierge et féticho de joueur: Lang. mascolo, sortilège au jeu, guignon.

Patafioler, empoigner, surtout dans l'expression « que le diable vous patafiole ! » qu'on adresse à quelqu'un dont on n'est pas satisfait et à qui cependant on ne veut rien dire de désagréable. Cette locution se complète ainsi : « Que le bon Dieu vous bénisse! » à quoi on ajoute : « Et que lo diable te patajiole ! » Elle est déjà donnée par difautel : « Mot baroque et intorjectif qui marqueTimpaticnce et le mécontentement: Que le bon Dieu te patafiole! pour que le bon Dieu te bénisse ». — « Aux gardes-du-commerce : que le bon Dieu les patafiole ! » (caricature de Gavarni, dans le Charivari du 18 décembre 1810).

lion jour, bon an, les bonnes gens, Que le diable vous patafiole !

(Richepin, Gueux, p, 3i).

Cette locution, commune à la plupart des parlors provinciaux, remonte au languedocien, où patafioulâ signifie empoigner.

^--■îr**S? 3*


PROVINCIALISMES 315

Patricoter, tripoter, intriguer et patricolage, tripotage, intrigue — le premier dans Saint-Simon, le dernier chez J'Ai*- gensuii (voy. Liltré et Suppl.) — remontent au Lan g. pati'icol, patrigot, bavardage, proprement Loue délayée (sens de ces mots en savoyard). Ces termes sont encore usuels.

L'acception primordiale est colle du bourguignon, bressan. palrigoter, patauger, barboter. Cf. Mulson, 1822: « Palrigoter, palrigotage. On dit d'un cabaretier qui môle du vin du midi avec du vin du pays, qu'il fait du palrigotage, qu'il patrigote son vin. Servez-vous dos mots mélange, mélanger, tripotage, tripoter ».

Pingre, chiche (Lang. pingre, piètre, mesquin), mot déjà donné par d'Hautel (1808): « Pingre, pour dire avare, ladre » et censuré par Desgranges (1821): « C'est un pingre, pour signifier avaricieux, n'est qu'un barbarisme ».

lioubignolcs, testicules (Rictus," Coeur, p. 11)1), du Lang. roubignoli, même sens.

liousdr, gagner au jeu, décaver son adversaire (Lang. rousd, proprement rôtir, flamber), être perdu ou dans un état désespéré : « Un joueur de billes qui a perdu tous ses jouets est panne ou rousd » (Ësquieu, p. 1 i et G8). Le dérivé rous(issure désigne une chose sans valeur '.

Ce verbe a aussi le sens do voler : « L'ouvrier se laisse rousdr par le patron... Ça n'a pas empêché les grinches de la ville do nous rousdr les dorniers sous », Père Peinard, 5 oct. 1890 et 1er mars 1891, p. 5.

Roustons, testicules (Rossignol) : Lang. roustoun, même sens.

Tambouille, petite cuisine (Delvau), ragoût de ménage (Rigaud): Lang. tambouio, gargotage, victuailles apprêtées.

Touillaud, gaillard (Delvau), mot déjà donné par Oudin (« un bon compagnon ») et par Philibert Le Roux : « Ce mot se dit d'une personne qui est grosso et grasse, qui est dodue, en bonne santé; on dit c'est un gros touillaud, un homme réjoui, un roger-bontemps, un sans souci ». C'est .le Lan"g. touiaud, mouflard, mailu, gros garçon.

Toute uno sério de mots, dérivant du languedocien présentent une assibilation initiale à la place du préfixe esp... et surtout est...

I. t Avez-vous.vu les chevaux que Bois-1'Héry lui a fait acheter? De la rouslissure, ces bétes-là », Daudet, Nabab, p. 13.


3 H) CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Voici les plus usuels :

Schbèbe, beau, admirable : « lien nmi je trouve que c'est schbèbe », Bercy, XVP lettre, p. 7. Le mot répond hesbaba (cf. Lang. csbabuchi, ébahir).

Schpile, beau cl réussi, bien fait (« dans l'argot des ouvriers », lligaud), d'où schpiler, réussir un ouvrage (ld.), répondant au Lang. cspila, tiré à quatre épingles: « J'ai lu la babillarde que tu y a fait... Ah! ya, c'est sehpile... C'est schpilc quanta retirent leurs harnais pour faire de la gymnastique », Bercy, /rc lettre, p. 7 et XLI/I* lettre, p. 7.

Sclttosse, dans l'expression monter un schtosse, mentir avec de la malice, chercher à mystifier (Rigaud), monter le coup, mol courant dans les ateliers: « Pour faire le lundi et ne pas avoir son sac, on monte an schtosse au patron en lui disant que l'on va à l'enterrement de son père » (Virmaître). Lo mot reflète le Lang. estosso, entorse ; de là se schtosser, se soûler (Rigaud).

Schtouille, syphilis: « Quand on est mûr, on fait des couenncries... On rapplique à la piaule vidé, vanné, sans un rèche et souvent avec la schtouille », Bercy, XXXIIIe lettre, p.-G. C'est le sens figuré du Lang. esloulh, jachère^ champ moissonné encoro couvert de chaumes (fà de la estoul/i, faire du ravage).

Schtourbe, misère 1 : « Il faut que je fasse revenir une guitare d'Espagne pour remplacer celle que la schtourbe m'a fait fourguer », A. Laborie (cité dans Bruant, Dict.,p. 320), à côté du Verduno-chalonnais chtourbe, mort (Fertiault), et du morvandeau chtourber. mourir.'Ces mots remontent au Lang. estourbe, trouble, mêlée, estourbi, assommer, tuer (d'où également èstourbiv) 1.

{. II.-France donne le mot sous la forme lachlourbe, misère, et Rossignol sous celle de jiourbe, éteint, mort.

2. Ajoutons :

lier ri. hotte de chiffonnier (Delesalle) : Lang. berri, hotte, grand panier.

Chabier, s'évader (Larchey, p. xm) : Lang. chabi, éconduirè, égarer.

Dardelle, gros sou (Delvau), à côté de dardune, cinq francs (II.-France) Lang. dordeno, pièce de deux, liards ou do six deniers.

/.o»/j«/,'cnfaiit (Delesalle) : Lang. loubat, jeune loup.

Scarabomber, étonner, stupéfier (scarabombe, élonnenient, Rigaud), peutêtre une contamination du fr. bomber et du prov. escaraboula, ébranler avec fracas, effrayer.


l'ROVINCUUSMKS 317

2. — PUOVEMJAL.

Nous mentionnerons ailleurs quelques-uns do ces omprunls devenus très populaires (tel esbigner ou esquinter). Citons maintenant les autres :

Ikirouf on baroujle, tapage (JYiire du barouf, llayard), du marseillais baroufo, altercation, rixe, gourmade: « Tant qu'à la momicharde, lu penses qu'a doit en faire un barouf ! » Bercy, XXXIP lettre, p. 5. — a A peine a-t-ello f... le nez au vent que subito on entend lobaroufle », Père Peinard, 15 janvier 1893, p. 1. Kn Anjou cl ailleurs, le mot est un parisianisme : barouf, mémo sens (« ce mol est d'importation récente »); à Dol, en Bretagne, barouf, vacarme (Leconte). 'Bidoche, nom donné au cheval de bois qu'on voit dans les fêles foraines, mot répondant au provençal bidosso, balançoire.

Camisards, soldats des compagnies de discipline, d'après la blouse blanche qu'ils portent (camisard, qui est en chemise) : a On appelle les zéphirs... camisards » (Rossignol). Rien de commun, historiquement, avec les Camisards des Cévenncs (qui portaient un sarrau de toile blanche), bien que les deux appellations soient méridionales.

Chambarder, renverser, bouleverser, bousculer (d'où chambard et chambardement, branle-bas, tapage, bousculade) : « Dans un moment do colère, j'ai chambardé par la fenêtre tout ce qu'il y avait dans les meubles » (Rossignol). Plus rarement, chamberter, renverser, briser (Fr.-Michel), et surtout s'amuser en bouleversant ' : « Quand les troupiers mettent les lits en bascule, qu'ils chahutent toute la chambrée, ils cfiambertent les camarades » (Virmaître).. Le provençal connaît la forme chambarda, bousculer, et le gascon, celle de chamberta, renverser.i

Foulard, étoffe do soio ou de soie et coton (dont on Tait des mouchoirs, des fichus, etc), offrant ordinairement des dessins variés. C'est proprement étoffe foulée (prov. foulât), appella1.

appella1. donne, en outre, « chamberler, commettre des indiscrétions », acception inconnue ailleurs.

2. De la Landelle, p. 325, considère chambarder (a chavirer, mettre sans dessus-dessous, faire vacarme »), terme très usité à bord, comme un emprunt fait à l'argot parisien.


31S CONTINGENTS LINGUISTIQUES

tion parallèle à celle Je drap foulé (ou du foulé), sorte do drap léger d'été. La forme foulard est pour foulai, conimo brocart pour brocat (cf. brocalelle). Ce mot que le Dictionnaire de l'Académie ne donne que dans l'édition de 1878, remonte en fait au xviuc siècle l.

Goule, bouche, gosier, sons donné par d'Uautel et très usuel dans les parlers provinciaux (Richepin, Gueux, p. 28). Le mot est censuré par Desgranges en 1821: « Goule pour gueule. Malgré sa douce prononciation, ce mot n'est pas français : nous ne connaissons quo gueule et bouche. Goule, goulette et gouline sont des mots enfantins ». C'est un ancien emprunt méridional qui a toujours été populaire. On le lit dans la Pipe cassée de Vadé, et, plus anciennement, dans lo Moyen de parvenir.

Moco, homme du Midi, Provençal (dans la bouche des marins), en opposition au Ponanlais ou Hrelon ; expression fréquente dans les Chants de Nibor (p. 105, 1GG, etc.). Comme les Provençaux emploient fréquemment la locution moco (c'està-dire em'aco 2, "avec cela), les marins des ports de l'Océan donnèrent le sobriquet de moco aux Provençaux du littoral et à ceux do Toulon en particulier (Mistral). Terme fréquent chez les écrivains provençalistes (v. Mary Rurns, p. 31).

Mourre, museau, visage (prov. mourre, même sens), terme méridional employé par Richepin (Gueux, p. 186) : « Et puis après? J'ai uno chouette mourre »... Oudin cite l'expression: « Donner sur le mourre, donner un soufflet ou une gourmade », et ce sens de coup sur le museau se lit encore dans les Mémoires do Vidocq (t. III, p. 375) : « il to saluerait d'une mourre quo tu en verrais 36 chandelles ».

Picaillons, argent monnayé (avoir despicaillons, avoir des écus), terme d'origine méridionalo, picaioun, encore usuel à Paris et dans les provinces (Rerry, Poitou, Picardie, étc). Le nom remonte au poissard (Paquet de mouchoirs, 1750, p. 39) : « J'on parfois queutes picaillons... »

Le Père Dcsgrangcs y voit en 1821 « un mot de négociants au crochet », c'est-à-dire de chiffonniers. C'était priinilivo^.

priinilivo^. Schtnidlin, Catholicon ou Dictionnaire universel de la langue françoise (Hambourg, 1771): « Foularl, dans le commerce des soieries, sorte de tafetas des Indes Orientales qu'on fabrique à la mosaïque ».

2. Les recueils de Delvau, Hayard et Bruant citent l'expression comm'aco, commac, comme ça,- c'est-à-dire corne aco.

^-assjm^


PROVINCIALISMES 319

mont le nom d'une petite monnaie savoyarde ou piémontaise. Ramas (écrit aussi rama), ehaîne-maîtrosse à laquelle vonaient aboutir la nuit toutes les chaînes des galériens (Dolesalle) et dortoir du bagne (Rossignol): mettre au rama, enchaîner, au bagno (Dolvau, Suppl.). A Marseille, ramas a le même sens, proprement rameau.

3. — GASCON, AUVERGNAT.

Voici, pour finir, quelques emprunts venant de l'Auvergne, de la Guyenne, du Limousin.

Rappelons que les Auvergnats, les moins aisés, chaque année, au printemps ou à l'automne, quittent leur village pour aller exercer, surtout à Paris qui est leur rendez-vous, les métiers les plus variés, principalemment ceux de charbonnier, de portefaix ou de commissionnaire. Le Parisien appelle l'Auvergnat tour à tour:

Auverploumé, propremment Auvergnat (lourd comme le) plomb (en gascon, ploum) : « Des Aiwerplons qui n'entravent que dâla l'arguche », Père Peinard, 30 nov. 1899; abrégé en Ploume: « Le Ploume en bavait, il n'en revenait pas », Bercy, VIe lettre, p. 15.

Foachtra, d'après son juron habituel (fichtre)! et vougri, ces doux désignant à la fois l'habitant de l'Auvergne et son patois (vougre est la prononciation gasconne de bougre) : « Savez-vous parler fouchtra ou vougri ? » Richepin, Truandaille, p. 71.

Mais le nom le plus populaire à Paris pour désigner le patois auvergnat est charabia, 1 mot donné par Desgranges en 1821. Ce patois est caractérisé surtout par la fréquence des sibilantes *, par exemple cherrer, pour serrer. Ce dernier vocable a pénétré dans l'argot parisien au sens de serrer la gorge, d'étrangler : « S'il no rapplique pas, c'est moi qui irai lui cherrer le kiki », Rosny, Rues, p. 77.

C'est un vocable de charcutier (plusieurs sont auvergnats) : serrer la viande, le sang, etc., en faisant du boudin, c'est

1. Voir, sur ce mot, ci lessus, p. 80. Cf. Balzac, Cousin Pons (1847), t. XVII, p. 467 : t Les affaires se traitaient en patois d'Auvergne dit charabia ».

2. A. Daudet, dans l'Immortel, met ces paroles dans la bouche du frotteur Teyssëdre, un Auvergnat : « Meuchier Achlier... Ch' est votre garchon » (p. 5 et 6}. ~ ' " " ■ '


3^0 COXTIMiE.NTS UNOUIST HJUKS

trop on mettre : d'où celte autre acception de cherrer, exagérer. Ce dernier sens l'a emporté 1.

Les autres emprunts de'ces régions sont:

Bastaud (écrit aussi bastos), au double sens :

1° Soulier et coup de soulier : « J'allais le fabriquer aux bastauds quand j'entends des iliques », Le Bourg, dans Le Caidois, 3 oct. 1881.

2° Testicules (Rossignol), figure dans une formule de refus habituelle: « Turbine tout seul à celte heure ma vieille ! Moi, peau de bastaud! » Richepin, Truandaille, p. 118. On appelle, au bagne,môme bastaud, un individu aux moeurs inavouables (l)elvau, Suppl.).

Le mot, avec ce double sens, remonte au gascon bastot, grand panier, d'où la notion de sabot et celle des testicules (ce dernier analogue au synonyme angevin burn.es, déjà mentionné).

Cagnotte, petite cuve propre à fouler les vendanges (sens donné exclusivement par Deschorelle) et corboillo où les joueurs déposent les enjeux (acception récente). Le mot cagnoto est usité, avec le premier sons, dans le département de Lot-et-Garonne (Littré, Suppl.).

Chabrol, mélange du vin avec du bouillon (Littré, Suppl.) : Mary Burns, p. 21, cite des exemples do Daudet, E. Le Roy, P. Marguoritte, etc. En Gascogne, fa chabrol, c'est mêler du vin au bouillon de la soupe et la boire (locution dérivant do cette autre : beure à chabro, boire dans son assiette à la manière des chèvres).

Charbougnas. abrégé en bougnas, charbonnier, habituellement Auvergnat : « Alors on a pris à l'oeil, chez le boulanger, le charbougna et Yépicemar », Père Peinard, 26 janv. 1890, p. 2. La forme abrégéo se lit dans Rictus (Coeur, p. 74): « Un bath garno chez un bougna... »

Chetibes, écrit aussi chtibesou schtibes, bottes (Delvau): « On aurait dit des schtibes d'égoutier » (cité dans Bruant, Dict., p. 67). De là enchetibër, mettre en priso... c'est-à-dire en botte: « Anchtibê, arrêté, mis en prison : Tu connais le môme Bidoche, eh bien! il a été anchtibê co matin par les rousses » (Rossignol). C'est le gascon estibaus, grandes bottes que portont les pêcheurs ou chasseurs dans les étangs.

3. Voir notro Argot drs Traitchécs, p. 117 et 139.


PROVINCIALISMES 321

Estringoler, étrangler, dans la locution burlesque : que le diable t'cstringole ! « imprécation quo l'on fait contre quelqu'un dans un mouvement d'humeur et qui équivaut à que lo diable t'emporte » (d'Hautol). C'est un souvenir du poissard ', répondant au synonyme que Case te quille du burlesque, l'un ot l'autre tirés du gascon : estrangoulà, étrangler, et que Vase te quilhe!

Galupe, prostituée, et galupier, souteneur, répondant au gascon galupo, bateau plat (môme association d'idées que le synonyme coroette), termes employés par Richepin (Gueux, p. 171 et 179).

Gougne, prostituée (Bordeaux, goun/ia*, truie) ot pièce do cinq francs (même évolution de sens quo le synonyme chatte). Dérivés : gougnafias et gougnajîer, paillard : « Ils s'appuient sur l'estomac des gougnafiasses » (Richepin, Truandaille, p. 55), à côté de gougnot paillard, et gougnotte, tribade (exemples dans Bruant, Dict., p. 315 ot 427).

Gouine. prostituée (Rossignol), répondant au gascon gouino, coureuse: « C'est une franche gouine, nom injurieux que l'on donne à une femme qui s'adonne au vice, à la crapule, à une prostituée » (d'Hautel). —« Voilà alors quo ma sacrée gouine saute, aux yeux do sa bourgeoise et qu'elle la graffigno », Zola, Assommoir, p. 232 Le mot est déjà donné par Ménage, qui,y voit un diminutif do gouge.

Goyo, prostituée (gasc. gouio, jeune fillo) : « Les brochelons et les petites gogos de la Chapelle et de Saint-Ouen », Bercy, IIP lettre, p. 7.

Mcnelte, bigotto (« sobriquet qu'on donne aux fausses dévotes », d'Hautel), mot encore vivace on Poitou: en limousin, menet, dévot outré, meneto, dévote, béguine, proprement chat, chatte, personnification de l'hypocrisie.

Ragougnasse, mauvais ragoût 3, ratatouille (Guyenne, ragougnasso, même sens) : « Elle vient nous servir pour douze sous uno ragougnasse », Méténier, Lutte, p. 93.

Le mot a, on outre, ces deux sens métaphoriques :

1° Bagatolle (Rigaud), mensonge: « On ne coupait pas dans

1. t Non, le diable m'estringole, si j'ons bu plus d'un poisson d'eau-devie >, Poissardiana, s. d., p. 43.

2. Le berrichon gogne, prostituée, remonte à la même source.

3. Le mot argagnasses, menstrues (Rossignol), de même dans les DeuxSèvres (Beaucbet-Filleau), simple ^variante phonétique de ragougnasse, eu est une application ironique.

21


822 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

sos ragougnasses [de Noslradamus] », Almanach du Père Pei-" nard, 1895, p. 37. Do mémo, au Havre, ragougnasse, troupe do vauriens (Maze).

2° Malversation, fraude (évolution de sens analogue à fricot): « G'esl au 1er chasseurs qu'on a découvert la ragougnasse : on a coffré le marchcf », Père Peinard, 3 juillet 1892, p. 5. '

Ainsi, les apports régionaux affluèrent à Paris do tous les pays de France, et plus particulièrement de l'Ouest, du Centre et du Midi. Ils constituent un ensemble considérable, mémo si on omet les vocables donnés sans référence par les recueils de l'argot parisien.

Par leur nombre et par leur importance, ces contributions dialectales rappellent celles du xvie siècle, où Rabelais, Desv Périers, Montaigne. d'Aubigné ont fourni chacun une moisson plus ou moins abondante. Mais tandis qi/e les termes patois représentent chez eux un courant exclusivement littéraire, les provincialismes du xixe siècle sont le résultat du contact direct entre Parisiens et Provinciaux. Aussi les conséquences de ce double état de choses sont-elles radicalement dilférentes. Alors qu'un petit nombre seulement des termes dialectaux de la Renaissance ont passé des oeuvres des grands écrivains dans la langue générale, les apports régionaux du xixe siècle, par leur infiltration orale, sont appelés à se généraliser de plus en plus.

Ils constituent, d'ores et déjà, un des côtés les plus pittoresques du vulgairo parisien.

i. Ajoutons:

Fadard, élégant (Dolesalle) : Limous. fadard, insipide, sot. Mounin, petit garçon, apprenti (Delv^u), et mounine, petite fille (Rigaud) : Gasc. mounin, singe, mounino, guenon.


CHAPITRE II

ARCHAÏSMES

Le parler populaire s'est toujours montré plus conservateur que la langue littéraire. iNous avons déjà constaté ce caractère particulier à propos de la prononciation et de certains phénomènes de morphologie et de syntaxe. D'autre pari, plusieurs expressions, encore usuelles parmi le peuple, se lisent déjà chez les écrivains du xvie siècle, et notamment dans cette étonnante production de la fin de la Renaissance qu'est le Moyen de parvenir.

D'autre remontent plus haut.

Conséquent, par exemple, au sons d'important, de considérable, est toujours vivace: « Une pancarte portant en lettres conséquentes d'une hauteur de 20 à 2o centimètres une déclaration... », Courteline, Gaietés, p. 303.

Sébastien Mercier prend la défenso du terme à la fin du xviii 0 siècle : « Le peuple dit une affaire conséquente, un tableau conséquent, pour dire uneaU'aire importante, un tableau de prix... Les grammairiens et les journalistes proscriront le terme conséquent. Presque tout le monde s'en servira, et il faudra bien qu'il soit accepté du moins-dans la conversation » '.

Les grammairiens et les lexicographes, depuis d'IFautel jusqu'à Littré, n'ont pas, en effet, cessé de protester contre ce soi-disant barbarisme ; il ne s'en porto guère plus mal et' n'a jamais cessé d'être populaire.

Il l'a été dès le xvie siècle Rabelais s'en sert dans la dédicace du Quart livre, adressée au cardinal de Ghâtillon : « Soranus Kphosicn, Oribasius. Claude Galon, Ali Abbas, autres auteurs consequens pareillement ».

L'acception vulgaire do l'adjectif a suivi un développement

1. Tableau de Paris, 1782, t. X, p. 92.


32i CONTINGENTS LINGUISTIQUES

parallèle à conséquence, devenu, déjà au xvie siècle, synonyme d'importance : « Choses de très grande conséquence », écrit Amyot; « un fait de grande- conséquence », dit Montaigne (v. Liltré) ; do là. chez Molière « des affaires do la dernière conséquence » (Don Juan, aclel, se. 3). •

De même, espérer est 1res employé au sens d' « attendre », acception usuelle dans la vieille langue, conservée dans les pa.lois: « J'ai su hier... qu'elle m'espérait à la gare », Descaves, Sous-offs, p. IGi.

Ce sens se lit déjà chez du Fail : « Le moine nsseuré.., qu'il n'y alloit de sa vie, comme il avait espéré », Discours d'Eutrapel, ch. XX ; et Boschcrclle remarque : « Espérer s'emploie quelquefois, non sans quelque grâce, avec un nom de personne pour régime dans le sens d'attendre : « Je lis, je me promène, je vous espère » (Madame de Sévigné).

Cependant les puristes décrètent le contraire: « Espérer, pour attendre, ne vaut rien. Les gens du Midi de la France disent : Espérez-moi un moment, espérez-le au café ; mais tout cela est on ne peut plus mauvais », Desgranges, 1821.

Le poissard était riche eu archaïsmes qui no semblent plus en usage, tels que définition pour fin, terme, et parlement pour conversation, discours, sens qui remontent au moyenâge: « Que je fasse parler ma mère à votre mère, afin que je voyons la définition de tout çà », Vadé, Lettres de la Grenouillère, p. 90. — « Comme j'avions entendu le commencement de leur parlement ». Journal de la Happée, 1790. n° 1,

P- 4.

Ces termes sont encore vivaces dans les parlers provinciaux (Anjou,. Rorry, Lyon): définition, fin et parlement, bavardage.

Ce ne sont nullement dus « mots bizarres », comme le [icnse IS'isard (Étude, p. 30o et 311), mais de vénérables archaïsmes : « Tous leur parlemens fu de Rcrtain as grans pies », lit-on dans une chanson do geste du xiu" siècle (v. Litlré), cl Amyot écrit encore : « Ne l'un ne l'autre no l'ait... que ce procès soit venu jusquos à difjlnition de jugement », Ûcmosthènes, eh. XXII.

De môme s'écaloanter, s'écraser (anc fr. escravanter) : « Je veux ravircr à mont tout de mémo, c'est énuti.lc et puis tout de suite la gueule du hachol, pan ! s'écaloantre conlro la pile », Vadé, Lettres de la Grenouillère, p. 83.


AKCHAÏSMES 325

Plusieurs formes archaïques sont également vivaces :

Cercher. pour chercher: « Ma femme a été vous sercher une voiture », Mélénier, Lutte, p. 212. — « Je rappellerai toute ma vie... que l'es venu me sercher à la porte », Courteline, Gaietés, p. 1G. — « Et puis, quoi, il ne te serche pas, y n'est pas sur ton chemin », Rosny, Rues. p. 79.

Flume, flegme, crachat (avoir des /lûmes, s'engorger, Delesalle);

Delesalle); femme, ternie de mépris (Bruant). Le mot se lit

sous celte forme dans les Serées de Bouchot l, et le grain.mairien

grain.mairien (1687) la note déjà comme parisienne : « La

petite bourgeoisie de Paris dit des/'lûmes pour des flegmes ».

Naicr, noyer : « Il ne pouvait pas se laisser nayer », Zola, Assommoir, p. 112. Robert Kslienno (1529) renvoie de nayer à noyer, et Richelet (1680) note à cet égard : « Néier, noyer. L'un et l'autre so dit, mais néier est le mot d'usage, et il n'y a plus que les poètes qui se servent de noyer, y étant contraints par la rime ». fin dernier lieu Desgranges remarque en 1821 : « Se neyer, se noyer, prononciation défectueuse adoptée par. quelques-uns de nos modernes puristes ».

Après ces remarques préliminaires, nous allons passer en revue les principaux archaïsmes encore vivaces, en commençant par les trois groupes d'appellalifs si caractéristiques relatifs à l'argent, à la nourriture et aux coups.

A. —• La notion de monnaie est exprimée par :

Jaunct, pièce d'or, mot déjà donné par Oudin (« un escu d'or », à cause de la couleur) : « Kst-ce assez chouette des jaunets de proprio ? » Mélénier, Lutte, p. 86. On lit le mot aussi chez d'Ilàutel (1808) : « Jaunets, pour dire des louis »; et il est également conservé dans le patois (Poitou, etc.).

Pécune, argent, nom remontant à l'ancienne langue. Il est donné par d'IIautcl (1808) et par la dernière.édition du Jargon (1819), dans laquelle les termes vulgaires foisonnents.

Quibus 3, qu'on lit dès le xv" siècle dans les Cent Nouvelles nouvelles, n° LXXVIII : « 11 peut en la façon comme dessus moyennant de quibus »..., et auparavant dans le Mistère de Saint Quentin, v. 7438 ot suiv. (dialogue entre le geôlier et le bourreau) :

1. • Il est tout plein de flume, il est clique », t. 11, p. 22.

2. Ge qui explique l'erreur ilo Dclosalle : « Ce mot pécune est français, tuais n'est usité que dans le monde des malfaiteurs J.

3. Altéré parfois en gib (Bruant) ou gibe : t J'avais pas de gibe », Mélénier, l.ultc, p. 121.


326 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

MATAGOT. — Seigneurs, comment l'cntendez-vous ?

Il me fault avoir de qùibus. ■ ItiAOAi,. — Quel de'quibus '( MATAOOT. — Argentibus.

Emmenerés vous mon prisonnier

Sans moy baillier quelque denier ?

Ajoutons-y les noms do monnaies spéciales servant encore à désigner l'argent monnayé en général :

Blafard, pièce d'argent (Richepin, Gueuse, p. 1G3) : « Un écu flambant, un blafard de cinq balles... » Ce vocable dési- , gnait jadis une pièce de monnaie de 20 deniers tournois, frappée par le dauphin, le futur Charles VII, roi de France (v. Littré, Suppl.).

Dalle, daler flamand, nom donné par Vidocq avec la valeur d'écu de six francs, lequol, après avoir désigné dans le vulgaire parisien l'argent on général, a fini par exprimer la non-valeur (v. ci-desstls p. 128).

Escalin, ancienne petite monnaie d'argent, désigne aujourd'hui une pièce d'argent ou d'or, et, sous la forme abrégée escale, une somme de trois francs: « Je consacrai mon dernier escalin à lui offrir do prendre sa moitié d'une pinte de genièvre », Vidocq, Mémoires, l. I, p. il. — « Tu les à raqués une escale, trois balles », Hercy, VIe lettre, p. io.

Monaco, ancienne mohnaie d'argent et do cuivre aux armes du prince de Monaco, désigno aujourd'hui l'argent on général : avoir des monacos : « Il n'y a qu'un seul moyen pour faire rapliquor les monacos dans sa profonde : faire trimer les outres à son profit », Almarlach du Père Peinard, 1891, p. 33.

Patard, pièce de deux sous (d'Hautel), aujourd'hui surtout sous la forme pétard, sou (Rossignol), mot qu'on lit déjà dans Villon.

H. — La notion de maïujer, et surtout celle de manger avidement, est représentée par :

Bâfrer, manger goulûment i « Voir les autres bâfrer no lui remplissait pas précisément le ventre», Zola, Assommoir, p. 436. Ce mot se lit dans Rabelais (1. I, ch. IV) : « Los tripes fourent copieuses... fust conclud qu'ilz les baufreroient sans rien y perdre ».

Briffer, mangor avidement : « Quoi alors ? Où c'est quo c'est qu'on va pouvoir briffer ? » Courtoline, Train, p. 82. ■—


ARCHAÏSMES 837

« Rien qu'à ce souer on a briffé pour soixante ronds », Rosny, Marthe, p. 176. Ce verbe se rencontre chez du Fail : « Oh, le bon appétit! Tenez comme il briffe », Propos rustiques, ch. XII;

Casser, manger (c'est-à-dire casser sa croûte), se lit déjà chez Des Péfiers (Nouv. CV) : « Ouy dea, dit-il, Messieurs, je le feray ; mais quej'aye disné. Elcassoit toujours »... et plus tard dans le Moyen de parvenir (ch. LX) : « Quand les moines disnent, il y en a un qui... leur fait lecture... et ainsi legendand, il barhillonne les oreilles de ses confrères qui cassent la bribe sans songer à ce que dit ce pauvre lamponnier ».

Le mot se lit fréquemment dans le poissard : « Savions déjà cassé trois ou quatre gigots, cinq ou six cochons de lait, et une pièce de boeuf à la mode », Vadé, OEuvres, p. 80.

Empiffrer, s'empiffrer, se gorger d'aliments : « Manger avec vivacité à la manière des goinfres et des dindons » (d'Hautel). Ce verbe est attesté dès le xvic siècle, à côté du primitif se piffrer, qu'on lit sous la forme réduite se pif fer dans un poème poissard do 1773, Les Porcherons (p. 179) : « On rit, on se p[ffe> on se gavo... »

Ci — La notion de coup est à son tour rendue par :

Gifle, soufflet, ancien mot au sens de « joue » (avec cotte dernière acception encore dans Searron). Le sens actuel est donné dès le début du xixe siècle: « Gijfe, donner une giffe. Co mot n'est pas français. Donner un soufflet, donner une mornifle. Ce dernier est populaire », Michel, 1807. — « Gijjïe, pour momifie, tape, taloche : donner une gif fie à quelqu'un, appliquer un soufflet ;gifflêr, soufllctcr », d'Hautel, 1808.

Momifie, gifle (Rossignol) : « Momifie, pour dire boufflet : appliquer une momifie » (d'Hautel). Le mot se lit déjà, avec co sens, dans la Comédie des Proverbes, acte II, se. 3 : « 11 m'a menacé de mo gratter où il ne me démangerait pas, do me donner momifie ». Desgranges constate en 1821 que « Donner une momifie est un barbarisme ». Le mot survit d'ailleurs dans les parlera provinciaux : Herry, Normandie, etc.

Plamuse, forto gifle (dans Rabelais, plameuse), coup de poing sur le visage qui aplatit le museau, vocable usuel dans les parlées provinciaux (Champagne, Lyon, etc.). Desgranges, en 1821, cite le mot sous la forme plumus : « Il t'a repassé un fier plamus. Tâchez de trouver plamus dans le Dictionnaire [do l'Académie] et vous saurez co que ce mol veut dire ».


328 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Torgnole, c'ost-à-dire torniolè, coup sur la tèto, proprement vertige, tour (de main), sens du vieux mot tomiole : le coup, appliqué fortement, fait tourner celui qui le reçoit. Co vocable qu'on lit dans le poissard (Les Porc fierons. 1773, p. loi) est encore très usuel : « Quand le père était las de la battre, la mère lui envoyait des torgnoles pour lui apprendre à bien se conduire », Zola, Assommoir, p. 386.

Oudin donne, avec ce môme sons, reoire-Marion, soufflet (encore vivace dans le Berry), terme qui signifie un changement brusque, un revirement '• « Garde que je ne te donne un si beau reoire-Marion que la terre' t'en donnera un autre », Comédie des Proverbes, acte III, se. 5. Le mot est usuel dans la plupart des parlers provinciaux : Picardie, Normandie, Berry, etc.

Voici maintenant la liste de; archaïsmes encore usuels dans le vulgaire parisien :

Anglais, créancier, mot du xvie siècle (Crétin, Marot) : « No passons pas devant ce troquet, c'est un Anglais » (Rossignol). Cf. Oudin (IGiO) : « Il y a des Anglois en ceste rue-la, c'est-à-dire je n'y veux pas aller, j'y dois do l'argent à quelqu'un ? » »

Aria, ou harria, embarras, remonte au xvc-xvi° siècle (Coquillard, l'alsgrave), aujourd'hui très populaire: « Six francs de perdu sans compter Varia! » Méténier, Lutte, p. 129. Le mot est noté comme vulgaire dès le début du xixe siècle : a Arria, pour embarras; ne dites pas : il s'est jeté dans des arrias dont il ne se tirera pas », Michel (1807). Il est très usuel dans les parlers provinciaux : Normandie (« vacarme »), Berry, Anjou (« entreprise difficile »), etc.

Dadigoinces, lèvres, joues : « Au liou de se serrer le gaviot, elle aurait commencé par se coller quoique chose dans les badigoinces », Zola, Assommoir, p. 507. Le mot est dans Rabelais (1. I, eh. XI) : « Les petitz chiens... luy Ieschoicnt les badigoinces », et il survit dans plusieurs parlers provinciaux.

Bagotier, individu qui attend les voyageurs dans les gares et suit au pas de course leur voiture pour aider à décharger ot monter les bagages. Ce mot est donné pour la première fois

1. Voir sur l'origine historique de cette appellation, Pasquiof, Recherches sur la France, 1. VU, ch. xxvn.


ARCHAÏSMES 329

par Rossignol (1900) et Jehan Uiclus s'en est récemment servi (Coeur, p. 116).

Le terme n'en remonte pas moins au xvi° siècle cl on le lit dans le Prologue de la Comédie des Proverbes : « Couvrezvous, bagotiers, la sueur vous est bonne ». Cette expression ne ligure dans aucun dictionnaire ancien, mais elle a été recueillie par Oudin, qui l'interprète au petit bonheur (lGiO): « Couvrez-vous, bagotier, cela co dit à un niais ' qui lient son chapeau à sa main. Vulgaire ».

Le sens du mot est « portefaix » et dérive do bagot, forme parallèle à bagage, également vivace dans le vulgaire parisien» Faire des bagots, c'est monter et décharger des bagages, expression qu'on lit également dans Jehan Hictus (Soliloques, p. 121).

J Brocante, travail qu'un ouvrier fait, en dehors de sa journée, synonyme de bricole, proprement ouvrage de rencontre, semblable aux menus objets que vendent les brocanteurs (nom tiré de brocanter, troquer, xvne siècle, anciennement brocant, bague, probablement bague d'occasion) : ci Tous les ouvriers appellent improprement brocante un ouvrage inattendu et de peu do valeur, qu'ils font pour leur compte pondant les heures du repos, sans nuire à l'intérêt du maître qui paye leur journée: Il a fait une brocante qui lui a valu trois livres. Ce mot qui n'est pas français, n'a point de synonyme dans ce sens », Michel, 1807.

J Carabin, aujourd'hui étudiant on médecine, était au xvnxviuc siècle le sobriquet donné au garçon chirurgien, au frater, appelé plaisamment carabin de Saint-Côiue, c'est-àdire carabinier do saint Côme (patron des chirurgiens), expression analogue à artilleur de la pièce humide : « Klle se serait fait hacher quo de confier son homme aux carabins », Zola, Assommoir, p. 132.

Cassine, baraque, maison mal tenue (même sons en Anjou, Hcrry, Champagne, etc.). Dolvau donne ces doux acceptions spéciales : maison où le service est sévère (dans l'argot des domestiques paresseux) et atelier où le travail est rude (dans l'argot des ouvriers gouapeurs). D'Hautol en indique révolution : « Co mot signifiait autrefois une petite maison do campagne; maintenant il n'est plus usité que parmi le peuple, qui

I. De là, l'interprétation erronée <lo Lacurtm : t llayotier, niais, nigaud ».


330 CONTINGENTS LINGUISTIQUKS

l'emploie par dérision pour dire un logement triste et misérable, un troiij une maison où l'on n'a pas toutes ses aises ». Lo mol se lit dans Rictus, Soliloques, p. 238 : « Dans ces cahutes, dans ces cassines... »

Claquedent, et par abréviation claque, tripot de bas-étage, maison do tolérance, ce dernier rappelant le pays Claquedent, lieu où l'on tremble de froid, où l'on sue la vérole (Oudin) : « Y a pas moyen de dormir ici ! Nous allons aller au claquedent », Courlelinc, Train, p. 135. ■— « Bastringues, claquedents, caf-cancos, orphéons... ont donné à l'ouvrier le goût de la loupe ». Père Peinard, 22 juin 1890, p. 3.

Cracher, payer malgré lui : « Faire cracher quelqu'un, lo forcer à payer une chose qu'il ne doit pas, lui soutirer do l'argent », d'IIautel. 1808. Forme abrégée de l'expression : cracher au bassin, rendre gorge, qu'on lit chez Rabelais et chez les écrivains du xvie siècle '.

Dégobillcr, vomir, remonte au xvie siècle (desgobiller, dans Gotgrave) : « Il vous degobitle les insultes UJS mieux choisies », Pou lot. p. 80. D'Hautel donne le mot: « Dégobiller, vomir les viandes qu'on a prises avec excès, rengorger le vin dont on s'est enivré »; mais Desgranges le condamne en 1821 : « Derjobiller, degobillis, dègobillage. Voilà du poissardi-coehonidégoùlanl ! » Ce verbe est conservé dans les parlcrs provinciaux.

Ecorner, médire (sens surtout usuel dans le poissard) et blâmer, acception réprouvée par Desgranges : « Ecorner, en langage d'arsouille, veut dire blâmer. C'est du français delà mère Radis ».

Ecrabouiller, écraser, remonte au xvi 6 siècle (Rabelais), également vivacodans les provinces: « Le papa Coupeau..» s'était écrabouillè la tète sur le pavé ». Zola» p. 4t. Desgranges le condamne: « Ecrabouiller et escrabouiller. Rarbarisino indigne d'être relevé ».

Emblème, mensonge : « Théodore me répond : je suis malade. ■— Des emblèmes! », Almanack de la langue verte, pour 1808, p. 48. Le mol avait, au xvue siècle* le sens de discours

1. (!f. Puitspelu, Lillré do la (lrand'C>jtet v» cracher : i Cracher au bassinet, donnor do l'argent. Métaphore tirée du service du .mousquet, alors-qu'il fallait mettre pour amorce un peu de poudre au bassinet, dont on fait ici une équivoque avec le bassin qu'on promène dans les quêtes >. Celle explication est erronée et chronologiquement inadmissible, l'expression étant antérieure à l'introduction du mousquet.


ARCHAÏSMES 331

emphatique : « Je ne fesas que ruminer à pari mouay la belle emblesme que je devas faize au Kouay », Agréable Conférence 1G1-9.. éd.- Hosset, p. 33. Il est donné par Michel. 1807 : « Faire des emblème* pour rien n'est pas français. On veut dire par là faire de longs discours ». Son dérivé, embtêmer, induire en erreur, est rejeté par Desgranges en 1821 : « C'est un mol inventé par les artistes du Pont-Neuf et adoplé en unanimité par leurs amis, los négociants au petit crochet ». Le jargon s'en est en ell'et emparé à celte époque, et le vocabulaire de Vidocq (1837) donne: « Emblème, tromperie; cmblèmer, tromper ».

Emboisjer, tromper, attraper. Vieux mot donné par d'Ilautel et encore employé par Halzae (v. Dicl. gênerai). Philibert Le Houx le qualifie en 1718 de « mot bas et du menu peuple, il signifie enjôler », cl Vadé s'en sert: « Les garçons du jour d'aujourd'huy savent si bien emboiser les filles », Lettres de la Grenouillère, p. 75.

Fiston, fils (comme interpellation amicale) : « Oui, mon fiston! » Ce diminutif se lit chez du Fail, qui le met dans la bouche d'un habitant de Latnballo : «Par ma fé, mon doux amy, mon Jiston, c'esloit ma merc qui m'a icy envoyé », Discours d'Eutrapel, ch. VIII.

Flotte, eau, proprement flot, sens ancien du mot qu'on lit dans limant (lioute, p. 9) : « Hoiro de la flotte toute note semaine, i. » Et aVec le sens figuré de grand nombre : « Toute la flotte (l'atelier en enlier) a été manger une friture; nous étiorjs uney/o^e, pour nous étions un tas » (Virniailro).

F'rimousse, visage, plutôt en mauvaise part : quelle frimousse ! Cotgrave donne phrijmouse qu'on lit encore dans Michel (1807) : « Frimouse, pour trogne. Il a une plaisante frimouse, il a une bonne grosse frimouse. Il est populaire ». La forme actuelle est duo à l'influence analogique de mousse, museau, variante picarde de mon.se, celle dernière courante.

Fripe, bonne chèro (do friper, avaler goulûment, verbe attesté dès le xvi°-xvn° siècle) : « Frippe, mangeaille, ce que chaque ouvrier apporte à Palolior pour dîner ». d'Hautcl. 1808. — « Voilà menaient l'amour de \a fripe, les lichades et les gueuletons », Zola, Assommoir,, p. 3o'J. Le même mot désigne dans les patois le ragoût, la friandise, et en Anjou, en Poitou, otc, tout ce qui se mange sur le pain.

Ganjamclle, gosier, terme populaire alleslé dès le xv« siè-


339 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

ele, employé au xvip par Rabelais, et encore vivace : « Les dragées lui chatouillaient la gargainclle », Zola. Assommoir, p. 479. Le mol a été censuré par Desgranges en 1821 : « Gargamclle, pour gosier, est un barbarisme des plus grossiers ».

Gazouiller, sentir mauvais: « Dans l'air chaud, une puanteur fade montait de tout ce linge sale remué. — Oh ! là, là, ça gazouille, dit Clémence, en se bouchant le nez », Assommoir, p. 118. Desgranges, en 1821, connaît déjà ce parisianisme au sens de salir: « Prends garde de gazouiller ta robe. J'avais toujours cru que les oiseaux seuls gazouillent 1, néanmoins à Paris on gazouille des robes, des eil'els, tout enfin ».

Le mot se lit déjà dans Urantôme, t. IX, p. Gl (éd. Lalanno) : « Il ne faut se vanter de nous gazouiller de vos ordures ». La variante en est gassouillcr 2, salir et barboter dans les flaques d'eau (mot censuré par Michel en 1807), l'un et l'autre remontant au Normand gasse, bouc, et gaze, vase, bourbier.

Gosse, bourde, mcnsongc(« surtout dans la bouche des écoliers », Delvau) : « Gosse n'est pas français ; gosserie ou g.ausse.rie ne valent guère mieux », affirme Desgranges en 1821. La graphie gosse (le dérivé gosscur se lit chez du Fail) est celle du xvie siècle, la forme parallèle gausse est celle du verbe gausser, qui a toujours été considéré comme un terme vulgaire: « Un homme du monde no dit point se gausser de quelqu'un, pour dire s'en moquer », remarque de Caillières, on 161)3. L'acception primordiale on est « gaver », 3 comme dans une comédie de Larivey (Le Laquais, acte IL se. 2) : « Ha. glouton, tu to gosses! »: et ce sens est encore vivace dans plusieurs patois : Bas-Maine, gausser, se gorger, et Lorraine. gosser, gaver, par exemple un dindon.

Itou, aussi, pareillement: « Klle peut bien faire ce qu'ello voudra... et moi itou », Kosny, Hues, p. 33. D'Hautcl le qualifie de « mot paysan ». Sous la forme e'tou ou itou (encore vivace dans les patois), on lit le mol dans Vadé et dans le Moyen de parcenir.

I. Cf. Nyrop, Grammaire, t. IV, p. 32S : t Gazouiller... a pris le sens de t puer i. (Jette signification, si peu poétique et si éloignée.du ramage des oiseaux, est due à l'influence du mot gaz ». Ce dernier mot n'est attesté que •lés la fin du xvn° siècle.

•2. Et avec le sens figuré dans la mazarinade do iiH9 : t Knfin, Sire,... vos soudars les avan si ban eslrillez, qui n'a pu que frizo pour vous; y z'avan gouspillé, (fasvtiille les bans (biens) », Agréable Conférence, p. 7.

3. Voir, sur cetto association d'idées, les mots guitailler et goui/er, p. 10.


ARCHAÏSMES 333

Lic/ier, boire en se délectant, proprement lécher, ancienne forme attestée dès le xnc siècle et encore vivace en Bcrry, Picardie, etc.

Litron, lilre de vin (Rossignol), mot donné par Nicot (1006) et qu'on lit dans Vadé : « Je buvais un litron de pafl'e à voire chère santé, » Compliment, 1755.

Louper, qui avait dans la vieille langue le sens de se livrer à la boisson, boire beaucoup (comme on latin lupari), signifie plutôt aujourd'hui paresser, dormir (chez les marins et les ouvriers) : « Pour louper, faut louper en chien » (Riehcpin. Gueux, p. 170).

D'où loupe 1, paresse: « S'il a la flemme, c'est qu'il a un poil dans la main, la loupe l'a mordu... En train de tirer une loupe derrière une machine », Poulol, p. 68 et 100. Mais le sens primordial reparait dans le dérivé loupiat, ivrogno (Zola, Assommoir, p. 316).

Machabe'e, cadavre et spécialement de noyé : « Il tournait au sécot, il se plombait avec des tons verts do macchabée pourrissant dans une mare », Zola, Assommoir, p. 430. La forme macabre, un mort (Uoutmy), particulière au langage des typographes, rappelle la fameuse représentation allégorique du Moyen-Age: « L'an mil ccccxxm fut faietc la Danse Macabrce aux Jnnoccns l », qu'Oudiu définit ainsi (1G10) : « La Danse Macabëe, ou plus vulgairement Macabre, la mort. On dépeint une danse où des squelettes mènent danser toutes sortes de personnes ».

Cette forme Macabre, variante populaire du nom biblique Machabèe, se retrouve ailleurs : Mequebê désigne, dans les Vosges, le nuage qui ressemble à une gigantesque branche de fougère (Sauvé), ce qu'on appelle « abro macabre » dans le Morvau cl « âbre Maccltabé » eu Vendômois. Dans ce dernier patois, comme dans le Itas-Maine, macabre signifie lourd, maladroit, difficile, en parlant d'un outil, d'un chemin, d'un travail. L'identité do celte triple forme — macabre, macabce et macabre— est donc hors de doute; mais on ignore l'origine de l'appellation danse macabre. 3

I. Beschcrello remarque (IS45) : f Loupe se dit d'un ouvrier paresseux, par allusion h celui qui travailla à la loupe s. Cotte explication a passé dans le Dictionnaire de làttré.

S. Journal d'un bourgeois (te l'aris, éd. Tuotcy, p. 103,

3. Voir en dernier lieu, sur ectto question tant controversée, la lllecjps


334 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Mitan, milieu, vieux mot encore usuel au xviG-xvuc siècle, fréquent dans Vadé et dans les parlers provinciaux : « Ils se figuraient que la terre est plate comme une limande et occupait le milan de l'espace », Alinanach du Père Peinard, 1894, p. 2.

Patelin, pays, lieu de naissance, terme employé surtout par les soldats : « Nous étions pays, nés le môme mois au mémo palelin », Gourteline, Gaietés, p. 33; généralisé ensuite dans le bas-langage: « J'ai roulé ma bosse dans tous les patelins », Alinanach du Père Peinard, 1894, p. 33. Ce sens remonte à celui do langage insinuant (comme celui du héros de la farce du Patelin), sens qu'on lit dans la xvH des Satires de Régnier :

Le pauvre tu détruis, la veuve et l'orphelin, Et ruines chascun avec ton patelin.

Remarquons que, dès la fin du xvie siècle, le jargon s'en empare, sous la forme vulgaire pacquelin (formo encore vivace dans l'argot des imprimeurs) en lui donnant le sens do « pays », qui n'est devenu usuel dans le bas-langage qu'au xixe siècle '.

Pichet, pot de vin (Delvau), sens du mot dans la vieille langue et encore vivacc (tlicliepïn, Gueux, p. 27) : « Un pichet de vin qui sent la meure ». Dans les parlers provinciaux (Herry, Gâtine. etc.). pichet désigne un broc de faïence, un pot à eau.

Rafistoler, raccommoder (Littré cite un exemple de Itérenger), mot cité par d'Haute] : « Afislolcr, verbe du vieux langage qui signifie ajuster, orner, oinhcllir. Le peuple dit rafistoler ». Desgranges le censure en 1821 : « liajistoler, pour arranger quelque chose, est un barbarisme », et le Dict. de l'Académie de 1878 le qualifie de « très familier ».

Comme terme vulgairo, rafistoler se trouve déjà dans une mazariuade de 1G49 (v. Dict. général),' tandis i\u'aJlslolcr, encore donné par Rcscherelle (1845), remonte au xv" siècle et se lit dans Guillaume Coquillarl.

Rigoler, s'amuser, rire., très vieux mot que Desgranges qualifie en 1821 de « trivialité ».

Tas, prison, c'est à-dire las de pierres: « Je m'en vais chez le commissaire pour qu'il fasse mettre Janot dans un las de pierres », Guillemin. Le mariage de Janot, 1780, se. xix.

Noies d'histoire littéraire de G. Iluot, intitulée La Danse Macabre, Paris, 1918 (Extrait du Moyen-Age, II" série, t. XX, 1917). i. Cf. nos Sources, t. Il, p. 242 et 412.


ARCHAÏSMES 335

L'ancienne langue disait dans le même sens, boîte aux cailloux : « Il commanda que le curé fast mené en la prison. Quand locuré vit qu'on le voulait bouter en la boeste aux cailloux », Cent Nouvelles nouvelles, n° xcvi. Expression encore vivace au début du xvne siècle : « Je croy qu'ils sont ceux qui mcttert le monde dans la boeste aux cailloux », Comédie des Proverbes, acte III, se. 7.

Ajoutons les expressions suivantes:

Il y a de l'oignon : « Locution basse et triviale tirée d'une ebanson populaire, pour il y a quelque ebose là-dessous, on trame quelque, mauvaise affaire » (dllautel, 1808), et aujourd'hui : H II y a de l'oignon, ça va mal. les affaires vont se gâter, les coups et les pleurs sont à la tombante » (Rigaud).

Celte locution que donne déjà Oudin (« Il y a de l'oignon, c'est-à-dire il y a quelque mal caché, quelque chose qui ne va pas bien. Vulgaire ») remonte au xvi° siècle! On la lit dans la Satire Ménippée (p. 381) :

Que plus on ne brigue Estre de la Ligue De satneto Union. Car ne leur desplaise. Puisqu'on prend les Seize, Il y a de l'oignon.

L'expression a laissé une autre trace : oignon, coup, tape, giile (souvent abrégé en gnon), sens fréquent à Paris et dans les parlcrs provinciaux (v. ci-dessus, p. 96).

Perdre le goût du pain, mourir : « Il a perdu le goût du pain, pour dire qu'un homme est mort ou qu'il est malade » (Philibert Lo Itoux); cl faire perdre le goût du pain, tuer, assassiner, cotte dernière locution se lit déjà dans la Comédie, des Proverbes (acte I, se. 6): « Cependant que nous nous' amusons à la moustarde et à conter dos fagots, les voleurs gagnent la guérite... Je crains qu'ils n'ayent fait perdre le goust du pain à Philippin et qu'ils ne l'ayent envoyé en paradis en poste » '.

L'une et l'autre expressions sont encore vivaces : « Elle, pas trop bonne non plus, mordait et griffait. Alors on se tréi.

tréi. encore cet exemple tiré du Père Duchéne do 17'J2, n° 181, p. 1 : « La grande colère du Père Duchéne de voir (ju'on veut brider le peuple et exciter du désordre à Paris, afin d'avoir l'occasion de faire perdre le goût du pain aux Sans-culottes ».


33G CONTIXt'.KVrS LINGUISTIQUES

pignait dans la chambre vitlo îles peignées à se faire panser le goût du pain », Zola, Assommoir, p. 415. — « Y aura pus ni riche ni pauvre, de sorte quo personne n'aura des raisons pmiv faire passer le <joùt da pain à son voisin... Deux troubades du .'15e de ligne se sont fait passer le goût du pain », Père Peinard, 21 nov. 1889, p. 2.

Cette expression découle d'uno observation psychologique très juste. L'inappétence, indice pour le peuple de graves maladies, s'annonce par le dégoût du pain, l'aliment par excellence. Aujourd'hui encore, c'est quand le paysan ne peut plus avaler son pain, quand il rebute sur le pain, qu'il fait appeler le médecin l.

Faire du plat, courtiser, faire la cour à uno fomno (Rossignol), locution qu'on lit dans les Soliloques de Jehan Rictus (p. 132) : « Ils so tordent, y gueulent, y se font du plat ».

L'expression répond au synonyme ancion Jouer du plat, c'est-à-dire du plat de la langue, en parlant d'une femmo galante, expression qu'on lit dans Guillaume Coquillart (t. II, p. 129): « Donner du plat de la langue, llatter, parler avec éloquence » (Oudin); « enjôler par des beaux discours » (d'IIautel). De là: plat, cajolerie amoureuse: « Mon Polyte y avait du plat », Méténicr, Lutte, p. 23o.

Faire son quem, faire l'important, dans un glossaire de 1828 (Sources, t. H, p. 165) et dans le langage populaire de la fin du xvme siècle : « J'étions plus citoyens actifs... que los marchands de motions qui faisant tant de leur quem dans leur tric-trac », Jour irai des Halles, 1790, n° 2 (dans Nisard, Parisianismes, p. 183).

On disait à la môme époque et avec le môme sens, faire son queuqiCun ''. « Il fait bien son quelqu'un ou son quelque chose. se dit d'un parvenu, d'un présomptueux qui s'en fait trop accroire,'qui est dur avec les subalternes dont naguèros il était l'égal», d'IIautel, 1808.

Sous la première forme l'oxprossion remonte au xviesiècle: « Faire du quem, se monstrer le grand gouverneur, per quem

1. Do Puitspelu y voit le souvenir d'une coutume traditionnelle: t Au moyen-àge on présentait du pain à la bouche d'une personne mourante ou évanouie, pour s'assurer si elle avait déjà perdu ou non le goût du pain. Cette action est décrite dans plusieurs romans de chevalerie «. Le Lillré de la Grand'Côte, v° pain.

2. Nisard en cite un exemple de 1782 (Parisianistnes, p. 183).


ARCHAÏSMES 337

omnia geruntur et administrantur », nous dit Robert Kstionno en lot'J, et Henri Etienne est encore plus explicite: « Il y a longtemps qu'on a dict en lalinizant liperquam, comme faire du f/ueni, ou faire le liperquam, au lieu do dire Iwj per quem » '.

Les archaïsmes, on le voit, sont abondamment représentés dans le vulgaire parisien. Ils y constituent un fond traditionnel qui forme la contrepartie du courant provincial et néologique.

1. Dialogues du nouveau langage italianisé, t. Il, p. 3H.

■i .'


CHAl'ITHH III

VOCABLES EMPRUNTÉS

Lo vocabulaire du langage parisien a été surtout constitué — nous l'avons fait remarquer à plusieurs reprises — par des ressources indigènes. Le nombre dos termes venus du dehors est très réduit et, le plus souvent, ils no sont arrivés à Paris qu'après un stage plus ou moins long dans les provinces limitrophes de la France. Ces vocables pourraient donc rentrer à la rigueur dans la catégorie dos provincialismes que nous venons d'étudier. C'est le cas tout particulièrement des mots allemands.

1. — Vocables allemands.

Parmi les emprunts que le français dû xixe siècle a faits à l'allemand moderne, se trouvent plusieurs termes techniques militaires {blokhaus, dolman, képi, schabraque), ou des vocables sortis des brasseries ' parisiennes (bock, chope, choucroute), catégories de mots qui sortent do notre cadre 2.

Les seuls qui pourraient nous intéresser seraient — suivant le Dictionnaire général (p. 1G) — blague, gamin et mastoc. Remarquons que le premier vocable a une toute autre origine, comme nous l'avons montré 3, et que l'étymologio allemande du dernier est plus que douteuse 1; quant à gamin, il n'a rien de commun avec l'allemand : c'est un provincialisme venu à Paris du Centre de la France 5.

1. De môme que bréchetelle, gâteau sec et cassant qu'on mange en buvant de la bière (Delesalle) : c'est l'allem. Bretzel, craquelin.

2. Ajoutons : Guette, argent et spécialement remise ou primo accordée à un vendeur sur certaines marchandises avariées : c II s'apperçoit que la gueltè tire à la fin », Poulot, p. 129. Rictus écrit guellre (Soliloques, p. 41).

3. Voir'ci-dessus, p. 79.

i. Le mot semble représenter un croisement de malon, lourdoau (Genève) et de son synonyme massif : dans le Maine, on dit mastaud; au Canada, maslac, et en Normandie, maslaflu. L'italien possède également la double forme: maslacco. rustre, à côté du (sicilien) malaccu. Dans les patois du Nord, masloc désigne surtout le gros sou.

5. Voir ci-dessus, p. 59.


VOCAHLKS EMPRUNTAS 330

Il n'en ost pas moins vrai quo la soldatesque a joué à toutes les époques un rôlo actif dans l'introduction des vocables allemands. Au xvie siècle, c'est schelme, coquin, mot encore vivaco dans lo Hainaut ; au xvne, c'est chenapan, bandit, encoro usuel; au xvme, c'est « capoat mac, diction quo les François ont inventé do la langue allemande, qui signifie tuer, couper la tète, mettre en désordre » (Philibert Lo Roux). Celte expression ost aujourd'hui employée dans le Hainaut {être capot, être tué) et à Lillo : « Etre capot mak, être endormi, mort » (Vermesse); elle répond à l'allemand kaput machen, abîmer, ruiner. D'autre part, en Anjou, faire capout, c'est tomber mort ou comme mort (au Havre, succomber, mourir), tandis qu'à hyon, faire capout signifie tuer (Puitspelu).

Le juron des Lansquenets — dass dicli Gott!, (prononcé vulgairement (ass tic cot) ', que Dieu te... ! — survit dans le verbe dasticotter, qu'Oudin (lu'10) expliqué par « parler allemand », c'est-à-dire une langue étrangère (l'allemand étant inintelligible en Franco à colle époque). Une mazurinade de 1619 porto ce titre: «Question cardinale plaisamment agitée du dasthicotëe (c'est-àdiro du baragouin) entre un Hollandois et un Suisse et décidée par un François ». De là parler jargon, idiome secret et inintelligible aux profanes, dans une ode burlesque de 1661i.

La notion de parler obscurément a amené celle de contestalion ou de discussion inutile, développement de sens fort bien énoncé par Philibert Le Roux (1718) : « Tastigoter, mot inventé pour parler un langage inconnu et obscur, parler baragouin comme le haut-allemand, parler vite, contredire, chagriner, impatienter ». C'est dans les parlcrs provinciaux que ce verbe est encore vivaco, avec ces différentes acceptions : Bas-Maine, tastigoter, parler difficilement (Doltin); Picardie, testicotèr, discuter, contester (Corblet); Lyon, testicotô, contester aigrement et à propos de vétilles (Puitspelu).

Le grarnmairien Mulsori do Larigres (1822) remarque à cet égard : « Tasticoter. Ce mot n'est pas français. Servez-vous, si vous vouloz, du terme asticoter ». Dans lo Doubs, le sens primitif du verbe s'est complètement effacé: « Tastigoter, prendre et reprendre, fouiller » (Beauquier).

i. D'où la double forme : daslicoter et tasticoter, à coté de la variante tastiyoter. 2. Fr.-Mlchel, Dictionnaire d'argot, p. 136.


3'iO CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Le seul loi'ino du xvnie siècle de cette provenance qui soit encore on usage, est loustic, nom du bouffon dans les régiments suisses (au service de la France avant 1792) qui amusait les soldats en les préservant de la nostalgie. Le mot désigna ensuite le plaisant des casernes qui fait rire les compagnons par ses blagues, ses saillies ; et finalement, lo farceur, en général: « Ce Laigrepin était un loustic à froid, terreur des bleus et des naïfs,vivant dans la seule recherclio d'une mystification nouvelle, d'une scie inédile à monter », Courteline, Gaietés, p. 221.

Le mot loustique signifie, à Genève, gai, joyeux: « Les premiers jours du printemps nous rondent loustiqucs » (Humbert). C'est là le sens menu de l'allemand/«srt#, qui a subi en France une évolution spéciale.

De nos jours, plusieurs do ces vocables soldatesques sont devenus d'un emploi général, tels : Frichti, fricot (allom. Friihstiick), terme de caserne; au sens généralisé : « Frichti, ragoût aux nommes de terre, dans l'argot des ouvriers » (Dclvau) et « repas de famijle, ragoût de ménage » (Rignid): « Il y a une femme qui s'occupe au frichti », Méténier, Lutte, p. 263. — « Il suffit que chacun ait du bon frichti pour se garnir le fusil », Almanach du Père Peinard, 1897, p. 10.

Ce mot a passé dans plusieurs parlcrs provinciaux : Picardie., frichti, festin, bonne chère; Yonne, repas (« j'avons fait un bon frichti ») ; Cancale, fristi, festin, régalade (danser le J'risti-, souffrir jusqu'à en trépigner).

Iiinguer, battre, rosser, d'où ringuëe, raclée : « Mettre quelqu'un à la ringuée, le battre » (H. France). A. Genève, ringuer a le môme sens, mais dans le pays de Vaud il signifie lutter, répondant à l'allemand ringen.

Sel dague, coup do baguette, appliquée jadis aux soldats allemands comme peine disciplinaire: Ce terme, admis par l'Àcadémio en 1835, a acquis un sens plus général dans certaines provinces : dans-le Hainaut, Varan la schlague, tu auras des coups ; de là schlaguer, donner la schlague, battre, rosser, acception généralisée à Genève: « Il fit l'insolont et fut schlague » (llumborl).

Les plus courants de ces vocables du bas.-langage sont les suivants ' :

1. La brochure de Gustave Pfeifler (t>iê. nèugennanischen Beslandteile derfranzosischen Sprache, Stutgard, 1902) est un tecuell empirique dénué d'intérêt.


VOCABLES KMPRUNTÉS 341

Schnique ou chenique 1, gonièvre, eau-de-vio ordinaire 2, mot aujourd'hui courant : « Il jettait son petit verre de schnik dans le gosier », Zola, Assommoir, p. 211. — « Je prendrais bien un glasse ed pive ou du chenique », Rosny, Rues, p. 236.

Terme très vivaco dans le Hainaut et à Lille (avec les dérivés : cheniquer, boiro beaucoup de chenique, et cheniqueur, buveur de chenique, en parlant surtout des marins), comme dans le Boulonnais, sous la forme parallèle sc/tnip : «... du bidon là, le riquiqui, \oschnip, le ^chnap : vlà ce qui dégralte le conduit des boyaux » (Deseillo, p. 32).

Celte dernière variante, particulière aux marins, représente l'aspect bas allemand de Schnapps, en français schnape ou schnaps, tord-boyaux, également usuels à Paris et dans les provinces : « Elle a toujours la gueule rouge, vu qu'olle suce par jour au moins un litre doschnipp, et du bon ! » Père Peinard, 17 juillet 1892, p. o.

Schnouf, labac en poudre, attesté tout d'abord dans le jargon des Chauffeurs d'Orgèrcs (Eure-et-Loire) de l'an 1800 et encore usuel, tant au sens propre (« tabac à priser ») qu'au figuré : « Schnouf, coup, gifle: si tu no restes pas tranquille, je vais te détacher un schnouf » (Rossignol). Evolution sémantique analogue à celle de tabac, au sens de bourrade.

La forme wallonne sinouf. tabac à priser, a produit le croisement cichnouf,- chisnoujfe, sischnouffe, coup, gifle, tape, forme et sens également populaires (Hayard) : « Et aïe donc là! pas des chisnouffes pour enfant! de belles mûres à la mode », Bercy, XL 6 lettre, p. 5.

Ajoutons le verbe schnouper, boire (Bruant), proprement priser du tabac.

Rappelons maintenant quelques noms do monnaies de môme origine. '

Dirlingue, sou (Bruant), à côté de dringue, pièce de cinq francs (Rossignol), l'un et l'autre répondant à l'allemand Dreiling,' pièce de trois fonins.

1. Do l'allemand alsacien Schnick. Voit sur ce vocable et les termes apparentés, Behrens, Beitrâge, p. 48 à 10.

2. Le synonyme kirsch, eau-de-vie de cerises, est une abréviation de kirschwasser, mot usuel sous cette forme an XVIII» siècle et introduit par les distillateurs alsaciens (v° Dicl. général).


343 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Fenin '.centime, d'après l'allemand Pfennig, prononciation vulgaire fenig.

Fiferlin, ou fifrelin, peu de chose, bagatelle (« Ça no vaut pas un fifrelin »), répondant à l'aHomaïul Pftfferling, bagatelle (proprement champignon). De même, dans les parlers provinciaux: wallon de Mous, fïferlin, bagatelle, atomo (Sigard) ; Picard, flferlin, rien, pas la moindre chose : « Jo n'ai point pris un fl ferlin, je n'ai rien pris » (Jouancoux); Nantes. JifeurUn, quantité minime : a Je n'ai pas gagné seulement un flfeurlin » (Ëudol); Anjou, fifrelin. très petite quantité, presque impondérable (« Ce mot est de la langue des potards », Verrier et Onillon).

De là cette quadruple acception :

1° Centime (Bruant): « Celte fois, c'était fini. Pas un fifrelin, plus un espoir », Zola, Assommoir, p. 428.

2° Petit oiseau : « Dans la valléo de la Somme, on emploie fiferlin au sens d'oiseau très petit; les chasseurs disent : « Je n'ai point tué un fiferlin » (Jouancoux).

3° Soldat novice, dans le jargon des voyoux: Faire la paire au fiferlin, être tombé au sort (Rigaud). A Nantes, grand fifeurlin se dit d'un homme sans énergie (Eudel).

4° Canotier novice, dans le jargon des canotiers (Rigaud).

L'invasion allemando de 1815 a laissé des traces dans le vocabulaire provincial qui ont passé ensuite dans le bas-langage parisien. Voici les plus usuelles:

Carlofle, pomme de terre (en Anjou, cartouffe), à côté de crompire. usuel dans le Nord do la France et dans le Centre, ce dernier reflet de l'alsacien grombir (allemand Grunclbirne), l'un et l'autre très employés, surtout dans le langage des casernes : « Ce qu'il y a de meilleur dans lo gigot, c'est les cronipires! dit Amélie, en désignant les pommes do terre dorées qui baignaient dans le jus », Méténier, Lutte, p. 285.

Clielof, dans l'expression aller à chelof, aller dormir, aller se coucher, expression très répandue dans les parlers de la Picardie, dullainaut, etc : « Terme importé parles Allemands, dans l'invasion de 1815 » (Corblet). On le lit pourtant déjà chez d'Hautel (1808) : « Faire schloff, pour dire dormir, se

i. Delesalle donne à la fois : Faine, sou, fainin, centime, et fenin, même sens. Le dernier seul est réel.


VOCABLES EMPRUNTÉS 343

laisser surprendre par lo sommeil ». C'est à coup sur un terme de la soldatesque de l'épnquo, encore usuel à Paris sous la double forme schloff (d'où schloffer, dormir) et chcnof, ce dernier également connu dans le filésois (dans la Mayenne, clienope, mauvais lit) : aller au chnof, aller se coucher (Eudel) : « Il est auchenof », Méténier, Lutte, p. 169. — « Alors, j'ai filé, je suis allé schloffer un brin », Zola, Assommoir, p. 343.

Chouflique l, savetier, do l'allemand Schuliflicker,, môme sens, d'où, chez les imprimeurs, mauvais ouvrier (et chouflique, mal fait) : « comme c'est chouflique, saboté, c'est pas possible », Poulot, p. 14o. La plupart des choufliques étant allemands, le mot a fini par signifier leur languie '-.

Choumaque 3, cordonnier, do l'allemand Schumacher, dans la plupart des patois (Picardie, Anjou, Franche-Comté, Lorraine).

Tarteifle, surnom donné aux Allemands (d'après leur juron ordinaire : ter teifel! diantre !).

En dehors de cette influence allemande que Paris a ressentie à travers la province, les dictionnaires d'argot donnent quelques vocables judéo-allemands : Choule, synagogue (Bruant); mimele. chatte (Rossignol), et surtout youte. juif (Rossignol: yit), prononcé youtre, avec, le dérivé: youtrerie, synagogue (Rossignol), et ladrerie, avarice:-« Nostradamus était youtre de famille cl natif do Marseille », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 37. — « Un peu do youtrerie ». Goncourt, Journal, 17 avril 1886.

À en croire Guillemaut, ioutre serait déjà acclimaté dans la Bresse, en Bourgogne.

Ajoutons l'unique particule: Nisco, non, point « dans l'argot des faubouriens; ils disent aussi nix » (Delvau). « Nisco! nous ne voulons pas bûcher pour les autres », Père Peinard, 27 juillet 1890, p. 8.

La négation allemande correspondante est niclits, prononcé vulgairement nix, qui a produit dans les parlers provinciaux celle triple série phonétique :

4. Voir une citation de Richepin, dans H.-France, v° shouflik (sicy.

2. fif. parler landsman, dans l'argot des ouvriers parisiens, c'est parler la langue allemande "(Delvau). A Genève, lanchebroler (de laiv^heproke =: allem. Landsprache), c'est hre louiller, jargonner une langue (Humbert), proprement parler allemand.

3. Voir ci-dessus, p. 202.


344 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

Nice, en Bcrry, Yonne, etc., non, pas du tout.

Nisco, on Normandie., négation ou refus ironique, et nisque, non, non pas (« cette négation, commo cello qui précède, se dit dans un sens ironique, et exprime aussi lo plus souvent une idée de dédain », Moisy); Bcrry, Anjou, etc.; Mayenne, nisque, nisquelte, bernique! (Dottin); nisco, point, rien, pas du tout (« marque un rofus net et déterminé. Ex. Il voulait» ça, mais nisco! » Vorrier et Onillon).

Nisco, môme sens à Lyon, croisement des deux formes antérieures.

Remarque finale sous le rapport morphologique : un terme comme choucrouteman, mangeur de choucroute, sobriquet de l'Allemand et de l'Alsacien (Rossignol), a produit analogiquement: flouman, filou (pour /loueur) ot arrangeman, dupe, tricheur (invariable), etc. Mais ce sont là des formations plutôt livresques l.

2. — Vocables néerlandais.

Les quelques mots flamands qui ont passé dans le vocabulaire parisien ne viennent pas directement du hollandais, mais exclusivement du français provincial parlé dans les Flandres. Les deux suivants se trouvent déjà dans Yidocq et jouissent encore d'une certaine expansion 2:

Bausse, patron, du wallon de Mons boss, bozine, chef, maître, maîtresse d'un établissement et surtout d'une auborge ou d'un cabaret (« flamand bâas, bâasine, même sens », Sigart). A Paris et dans les provinces, patron d'une manufacture, d'une usino.

Dringuelle. pourboire (même sens en Picardie et à Lille: flamand, drinkengeld ; cf. Poyard, Flandricismes (1811): « Dringuelle, pour petit présent, petite largesso qu'on donne aux domestiques, ouvriers, etc., pour boire un coup ».

.La forme parallèle haute-allemande, tringuelte, est encore usuelle à Genève (Humbcrl), et on la lit déjà choz J.-J. Rousseau.

1. Ainsi que les autres exemples cités par Bruant : Aller chez Bourtnan (pour aller à la bourre) et aller chez Tronchman (pour aller à la tronche), expressions au sens libre, à côté de aller chez Driffeman, aller manger (pour passer à briffe), et aller chez Grincheman, Yoler (pour grincher).

2. Voir nos Sources, t. II, p. 220 et 331.


YOCOnLKS KMPRUXTES

3. — Vooables anglais.

Lo nombre extrêmement réduit tlos apports anglais dans le vulgaire parisien est du fait des matelots normands ou liretons : tels, boxon, lupanar, et bousin ou bousingot, cabaret de matelots, ce dernier ayant pris une certaine extension dans la langue générale. Ajoutons :

Angliche, appellation plutôt ironique do l'Anglais (prononciation parisienne à'english ) : « Si j'avais quoique milleds. j'irais chez les Anglichcs », Ilosny, Rues, p. 303. — « Il y a belle" lurette que les Français singent les Angliches », Almanachdu Père Peinard, 1898, p. 2o.

Sterling, excellent, de première qualité icomme la livre sterling), sens de l'adjectif anglais sterling; en français, d'un usage plutôt ironique : une pile sterling*, une forte volée (Rossignol). Cette application facétieuse est d'ailleurs déjà attestée dès la fin du xvue siècle (v. Dict. général).

Nous ne parlons pas naturellement ici de Pituluence anglaise qui s'est exercée, au xixe siècle, dans le domaine de l'industrie, des sports, delà mode 2. Ces nombreux emprunts sortent pour la plupart du cadre de nos recherches 3: mais comme le bas-langage subit de plus en plus l'action des milieux ambiants, nous en parlerons dans la dernière partie de cet ouvrage.

4. — Vocables italiens et espagnols.

Les emprunts du bas-langage à l'italien comptent à peine; les emprunts espagnols sont nuls. Les plus importants dans les deux catégories.ont été introduits par les armées d'Afrique 4. Citons, en outre, comme italianismes vulgaires, au xixe siècle:

Came, viande de mauvaise qualité (de Pilai, carne, viande,

1. Victor Hugo met cette expression dans la bouche de ThénarJier (Misérables, t. III, p. 391) : t Dans cette abominable gargolte où l'on faisait des sabbats sterling ».

2. Voir l'ouvrage récent d'Ed. Bonnaffé, Dictionnaire étymologique et historique des Anglicismes, Paris, 1920.

3. Les emprunts anglais qu'énumére Ad. Hamdorf (Die liestandleile désmodernen pariser Argot,- Berlin, 1SS6, p. SI à S3) — tels bar, box, boy, cant, etc. — sont restés étrangers à la langue populaire. Ou lit chicman, tailleur (dans VAlmanach des débiteurs de 1850, p. IIS), et mufleman, goujat (dans Iluysmans. Soeur Marthe, p. 100): ce sont des composés livresques calqués sur des mots comme gentleman, sportsman, etc.

4. Voy. ci-dessus p. 159 et 161.-


34G CONTINGENTS LINGUISTIQUES

en général), apparaît pour la première fois avec ce sens dans le vocabulaire do Yidocq (1837). La plupart des papiers provinciaux prennent également le mot en mauvaise part ', d'où l'acception figurée do charogne, appliquée, injurieusoment à une méchante femme ou à un mauvais cheval : « Ah ! la carne ! voilà pour la crasse! » Zola, Assommoir, p. 30. — « Pour une rosse, l'os une rosse... et pour une came, t'en es une fameuse », Rosny. Marthe, p. 39.

Le mot a, de plus, le sens défavorable de « paresseux » (de môme, à Nantes, Kudel), clans ce vers de Bruant (Rue, t. II, p. 206) : « On fait sa came, on fait sa sorgue... »

Mariol ou mariolle, malin, roublard (de l'ital. tnariolo, fripon), qu'on lit dans des glossaires do la première moitié du xixe siècle (1827) 2. Le mot est aujourd'hui très populaire : a C'est pas seulement qu'il est costaud, mais mariolle », Rosny, Hues, p. 15.

Le vocable désigne, chez les imprimeurs, non seulement un homme difficile à tromper, mais un ouvrier très capable (Boutmy). Ce parisianisme a fait son chemin on province : à Lyon et ailleurs, mariol signifie intelligent, habile.

Piccolo, petit vin, léger, aigrelet (on dit aussi piccolet), parisianisme passé dans les provinces (Bresse, etc.) : « Le piccolo gisclc des pressoirs », Almanach du Père Peinard, 1897, p. 6.

Notons aussi que les Italiens et les Espagnols ont laissé plusieurs termes dans le vocabulaire des forains parisiens. C'est probablement par leur voie que se sont introduits dans le bas langagedes vocables comme mariol, alors que carne et piccolo remontent aux bouchers et marchands do vin originaires de PJtalio ou bien aux mercand qui accompagnent les armées coloniales.

S. — Emprunts orientaux. Il no peut être question ici que des termes algériens intro1.

intro1. les passages qui suivent, came ost pris en bonne part : t Los bouchers étaleront dos boeufs, ries montons, des veaux à leurs devantures : cette carne dndue mettra l'eau à la bouche du pauvre inonde i, Almanach du Père Veinard, 1891, p. 0; et ailleurs : « Y a des épieemars partout, des marchands de bricheton aussi; la carne ne manque pas non plus », l'ère Petnard, 6 oct. 1889. p. 3.

2. Rappelons -d'nillnurs que mariol est un des italianismes que Henri Estienne reproche aux courtisans dans ses Dialogues du nouveau langage françois italianisé(1578), éd. Liseux, t. I, p. 101 : c C'est un foifant, c'est un mariol ».


VOCABLES EMPRUNTÉS 3't?

diiits dans la capitale par les troupiers des armées d'Afrique. Nous en avons'dressé ci-dessus un hilan qui n'est pas sans importance. Plusieurs de ces vestiges du sabir s nit parvenus a une grande popularité (par exemple, lascar et maboule), et il ne serait pas étonnant que certains d'entre oux pénétrassent dans la langue générale, grossissant ainsi le stock de termes orientaux accumulés pendant des siècles.

Ces emprunts étrangers ont pénétré dans le langage parisien par do multiples intermédiaires. Un tout petit nombre seulement de ces vocables exotiques ont elFeetivonient réussi à prendre racine, ia plupart des autres y mènent une existence plus ou moins éphémère.

Ces éléments du dehors, par leur insignifiance numériquo et sémantique — quelques cas isolés mis à part — forment ainsi un contraste frappant avec les sources indigènes indéfiniment variées et d'une richesse inépuisable.


CHAPITRE IV

MOTS ENFANTINS

Charles d'Orléans a réuni dans une do ses chansons (la r.x\mc) la plupart des termes enfantins qui avaient cours au début du XV siècle:

Quant n'ont assez fait dodo Ces petitz enfanchonnés, Hz portent soubz leurs lionnes Visages plains île 6060. C'est pitié s'il font jojo Trop matin, les doulcinés, Quant n'ont assez fait dodo Ces petitz onfanclumnés. Mieux aimassent à #0.70 Gésir sur molz coissinés, Car ilz sont tant poupines! Hélas ! c'est gnogno, gnogno, Quant n'ont assez fait.dodo.

Ces mots du premier âge sont de tous les temps et de tous les pays '. Formés par la réduplication delà première syllabe, leurs acceptions peuvent varier indéfiniment.

Soit, par exemple, coco, dont les sens se répartissent ainsi :

I. Objels^plus bu moins ronds:

1° OEuf de poule; dérivé coquard : « Mot enfantin pour signifier oeuf frais; ce mot n'est pas français à ce sujet », Desgranges, 1821.

2° Gorge, gosier : « Alors il se le vidait [le verrp] dans le coco... », Zola, Assommoir, p. 355. — Estomac, ventre: « Des types qui n'ont rien dans le coco depuis deux jours », Père

i. Les Curiositez d'Oudin (1650) offrent le premier témoignage pour les suivants : « Dada, mol d'enfant, un choval. — Du lolo, mot d'enfant, de la • bouillie. — Dit nanan, mot enfantin, de la viande. — Un loulou, un chien, mot enfantin; faire toutou, se cacher en jouant comme font les petits enfants ». _


MOTS KNJ'ANTIXS 3'* 9

Peinard, 23 février 1890, p. t. — Tète (cf. oeuf, lètc, dans le jargon des voyoux, Uigaud): « Ça tu chatouille les belles frusques,'çu le munie lo coco », Zola, Assommoir, p. 409. —■ OEil, surtout oeil poché, sens de coquard (Dolvau).

3" Souliers d'enfant (avec ce sens dansUétifdo la bretonne).

II. Sens hypocoristiqiies ou péjoratifs, appliqués aux êtres :

1° Poulet (fem. cocotte, poule): dans la Mayenne, le mol désigne le dernier venu d'une couvée.

2° Nom d'amilié « que l'on donne aux petits gardons » (d'IIautol) : fém. cocotte, donné aux petites filles'.

3° Mignon (ironiquement), homme singulier, original i : « G'ost un joli spectacle! Ah ! ils sont propres, les cocos! » Courteline, Train, p. 257. Dans l'Anjou, coco signifie individu qui a l'air nigaud.

1° Cheval, dans la -langue des troupiers (cf. poulet d'Inde), et cocotte, jument.

La multiplicité des formes va parfois de pair avec la variabilité des sens.

Nanann'si, en français, que le sens de « friandise » : « Nanan, terme dont les petits enfants se servent quand ils demandent des friandises, des sucreries : Taisez vous, vous aurez du nanan » {Trévoux). Mais son sens primordial do « nourrice » est encore vivace dans la Suisse romande, et, dans le Hainaut, faire nanan (wallon, nâner), c'est faire dodo. La variante, nénet, sein, désigne la nourrice en saintongeais, el le « dodo » en Suisse, tandis que ninetle signifie femme légère (en provençal, fillette et poupée), nounë, enfant (Bruant), et nounou, nourrice, même sens primordial que nanan.

De même, tata, grand-papa (en Narbonnais), désigne généralement la tante (Dolvau) et, au figuré, la mijaurée: « Gentille et faisant sa tata, et vous lichant comme un petit chien », Zola, Assommoir, p. 395.

Ajoutons ces exemples :

Baba, ébahir : « Il est comme baba la bouche ouverte, so dit par raillerie d'un niais, d'un sot qui a toujours la bouche béante » (d'Uautel, v° bouche). — « Mais eux, l'ayant rejoint,

• 1. Lo mot cocos désigne également les disciplinaires coloniaux (Bruant), 'os fortes têtes de l'armée.


350 CONTINGENTS LINGUISTIQUES '

demeurèrent baba, stupéfaits do reconnaître en lui l'éteigneur de réverbère communal », Courteline, Train, p. 186. Le mot a été censuré par Desgranges en 1821 : « Baba, j'en suis resté tout baba. Quand j'aurai su ce que veut dire baba, j'en préviendrai nos lecteurs ».

Bibi est le substitut enfantin du pronom de la première personne : ça c'est pour bibi et bibi c'est moi. C'est en même temps un nom caressant que l'on donno aux enfants, impliquant la notion de petit, d'où ces deux sens secondaires ' : Fausse clé (de petite dimension) et petit chapeau de femme démodé (Bruant).

Gaga désigne proprement l'enfant qui parle en grasseyant, en traînant la Voix, d'où enfant gâté et, spécialement, un gâteux, un crétin. C'est aussi lo sobriquet des habitants de Saint-Etienne.et du patois sléphanois, parlé primitivement par les bouilleurs et les forgerons de Saint-Etienne. Gogo, imbécile, crédule, n'en est qu'une variante.

Kiki. gosier, abréviation de quiquiriqui (cf. en provençal, cacaraca, gosier, proprement coquerico) : « Je l'ai chipée délicatement par lo kiki et j'y ai demandé... », Méténier (dans Bruant, Dict., p. 214).

Quiqui, poulet (variante de coco) '. « Est-ce que jo te touche pour trembler comme un quiquil » Zola, Assommoir; p. 427. Le mot désigne encore les déchets d'os et de viande des restaurants dont on so sert pour faire du bouillon gras : « Les tueurs d'animaux de la campagne, avant lo quiqui du matin, boivent un verre de sang », lit-on dans le Journal des Goncourt, juillet 18S6. Les notions do petitesse et do non-valeur s'y rattachent :

1° Petit, sous la forme renforcée riquiqui (en provençal, re? quiqui), gringalet, être petit et faible (en Anjou), spécialement petit doigt et petit verre que l'on prend après le repas (sens du mot dans loBcrry), ensuite eau-do-vie de qualité inférieure: « Tiens, pour te guérir, je t'apporte une goutte de riquiqui », La femme comme on en voit peu, 1789 (cité dans Larchcy). — « Je lis venir, pour l'adieu, une topetto de riquiqui et deux verres », Cuisin, Les cabarets, 181b, p. 110. — « La vieille rapporte son riquiqui dans sa poché», Zola, Assommoir, p. 365.

1. Dans l'argot des imprimeurs, Uibi signifie Cïliarcnton (c'est la première syllabe redoublée de Uirélre) : « On envoit à Uibi ceux dont les pallas sont ou paraissent insensés » (Boutmy).


MOTS ENFANTINS 351

2° Chose mal faite ou de qualité inférieure : « Avoir l'air riqidqui, être ridiculement habillé » (Delvau).

Titi, terme enfantin pour désigner un poulet ou la volaille, fut appliqué jadis au gamin parisien, au voyou : « Nom populaire donné à Paris aux jeunes ouvriers dos faubourgs », dit le Bescherelle de 18i5 (définition passée dans Littréj.

Tutu, le derrière ', prononciation enfantine de calcul (cf. tototte, pour cocotte). Le mot so trouve dans Jeh. Rictus (Coeur, p. 62).

Cette répétition de la syllabo initiale est la caractéristique du langago enfantin :

Cancan, canard, d'après son cri: quanquan ! quanquanl (d'IIautel), ensuite, nom d'une danse libre (qui a précédé le chahut) : les canards se dandinent en marchant. Le languedocien anedoun désigne à la fois le caneton et une ancienne danso lascive.

Chichi, bruit, tapage (que font les petits oiseaux ou les insectes), d'où manières ostentatives, affectation : faire des chichis, affecter de grands airs : « A quoi ça servirait? Tu ferais des chichis et des manières », Ilosny, Rues, p. 367.

Papote, bouillie d'enfant (ailleurs papauté) : « Pourquoi employer les mots papauté, bebëe et autres semblablos ? C'est donner aux enfants la peine d'apprendre un jargon qu'ils doivent oublier quelques années plus tard. Ils prononceraient aussi facilement le mot soupe que papauté, le mot joujou que bebêe 2 », Mu (son, Langrcs, 1822 3.

Papoter, jaser (en ancien français, papeter), bavarder, surtout à voix basse, répond au synonyme angevin bqboter, caqueter, cancaner.

Piou-piou désigne à la fois le poussin et le îinlassin.

Popotte (variante de papotte), panade pour les enfants (sens angevin du mol), désigne à Paris une cuisine surtout pauvre:

i. Do là lulu, dans le langage des danseuses, garniture do mousseline qu'elles mettent autour do leurs maillots (voir (les exemples dans Mary Uums, p. 93).

2. Ce mot enfantin désigne la poupée. Le lUct. yé/iéral le rapproche de l'anglais baby, petit enfant : l'un et l'autre termes sont des créations indigènes indépendantes.

3. De là empapaouler, ennuyer : c Vous rigolez ici, mais vous vous empapaoulerez au peloton do chasse » (cité dans bruant, Met., p. 197). — Et au sens libre (en parlant des pédérastes) : * A Ghàloii3 ousqu'on pratique l'empapaoutage, grande largeur », Père Peinard, 3 janv. 1892, p. 2.


352 CONTINGENTS LINGUISTIQUES .

faire la popotte, se réunir pour faire un maigre repas à frais eommuns (Nigaud). Mut passé dans l'argot des casernes: réunion d'officiers et de soldats pour manger en compagnie.

Teuf-teuf, automobile (à pétrole), d'après le bruit d'échappcment du moteur (comme l'échappement de la locomotive).

Ces deux derniers exemples rentreraient tout pussi bien dans l'onomatopée, domaine apparenté au langage enfantin.

Un dés exemples les plus anciens est Jift, vidangeur, le « maistre Fify » de Rabelais, qu'on lit déjà dans l'ordonnanco du roi Jean II du 30 janvier 1351 : « Vuidangeurs ou maistres fiji... » '.

On tire parfois des mots d'aspect enfantin, en redoublant la finale de certains vocables, avec l'aphérèse de leur initiale: les noms propres Albert, Ernest, Gustave deviennent ainsi Bébevt, Nénesse, Gugusse. Les termes suivants accusent co procédé :

Bibine, liquide de mauvaise qualité et cabaret de bas-étage (de débine) : « Du piccolo nature au lieu de tord-boyaux et de la salo bibine des bistros », Père Peinard. 22 janvier 1890, p. 2.

Boubouille. pauvro cu'\sinot(dû pot-bouille), Rigaud.

Gingin. esprit (d'engin) : avoir du gingin. être ingénieux. De là ginginer, faire des oeillades (Rigaud), ou des effets do crinoline en marchant (Dclvau): « Des femmes qui ginginaient des hanches », Huysmans, Soeur Marthe, p. 159. I Gnangnan, indolent (de faignant, fainéant): « Kilo serait restée gnangnan à regarder les chemisos se repasser toutes seules », Zola, Assommoir, p. 2ti.

Gnagnard, lambin (de Jlgnard, derrière), pendant du précédent.

Gnognot, niais (de fignot, le derrière: cf. tflgnoteau, belo), et gnognotte, fadaise, niaiserie: « Ma vieille, los longorons du Nord, c'était de la gnognotte», I'oulot, p. 115.

Pepée, poupée: « Ah! une jolie pépèe, comme disaient les Lorilleux... », Zola, Assommoir, p. 3G8.

Pépctte, bouillie (de soupclte ?) et, au pluriel, argent comptant ou sous en général : « Ceux-ci n'ayant pas la profonde farcie de pe'pettcs », Almanach du Père Peinard, 1S91, p, 17.

Zvzette, une petite absinthe (tiré d'anisette): « Dans les cau1.

cau1. Métiers et Corporations, t. I, p. 40.


MOTS ENFANTINS 353

tinos de lavoir, les blanchisseuses s'offrent à quatre heures une petite zé<ettc de trois sous » (Virmaîlre).

Zoxofte, argent (depè*e, pezotte), Rossignol.

Zouzou, zouave.

Ces exemples complètent ceux que nous avons cités sur l'aphérèse dans le premier livro de notre travail.

Le langago parisien, comme tous les parlers vulgaires, abonde en ce genre de créations primaires ou spontanées. Nous n'avons fait qu'effleurer un sujet, qui présente un intérêt à la fois psychologique et linguistique.

23


CHAPITRE Y

TERMES IMITATIFS

Tandis quo les vocables enfantins représentent des mots oxpressifs formés généralement par la répétilinndes syllabes primordiales, les onomatopées tendent à reproduire approximativement les sons et les bruits émis par les choses ellesmêmes. Leur sphère sémantique peut être illimitée, comme celle des mots enfantins.

Soil paf ou paffe, qui exprime le bruit d'un coup ou d'une chute (Vadé, Jérôme et Fanchonnette, se. XIV) : « PaJJ'! y se jette dans l'iau ».

En voici les sens :

i° Claque, soufflet (d'après le bruit) : « Monsieur de la Brèche mo voit dans les douleurs, tire l'épée à la main nue et cric, crac, zin, zon,pijF, paQ\.. », Vadé, Racoleurs, se. XIX.

2° Confus, stupéfait (effet consécutif du précédent) : rester

3° Eau-de-vie commune (qui assomme) : « C'est comme si je buvais un litron do paffe à votre chère santé », Vadé, Compliment, 1755..

Aujourd'hui, avec le sens de complètement ivre : « Son chauffeur et lui étaient pafs », Poulot, p. 189.

De là s'cnpajfer, se remplir jusqu'à la gorge, so gorger, se soûler (d'IIautol), dérivé du xviuc siècle : « EmpaJJez-vous honnêtement pour avoir un polit grain de goguette dans la tète, mais no vous soûlez-pas... », Lettres du Père Ducfiéne, 75fl lettre, p. 4. Cf. Michel (1807): « Empajfer, s'empaffer. Expressions basses, triviales, qui ne sont point françaises. Elles signifient boire avec excès do l'eau-devic ou d'autres liqueurs, s'enivrer, so soûler ».

La forme pouf n'en est qu'une variante et exprime également lo bruit d'un corps ou d'une chute; do là ce double sens :


TERMES IMITATIFS ' 355

1° Au xviiie siècle, dépense exagérée : « Cela fait pouf. Diction usitée à Paris, signifie cela brille, cela fait figure, cela donne dans la vue, cela a de l'éclat, cela est beau, magnifique, grand, noble, cela fait du bruit, du fracas. Parlant d'une personne qui se distingue par sa dépense », Philibert Le Roux (1718).

2° Aujourd'hui, dette qu'on n'a pas l'intention de payer : « Boire à pouf, c'est-à-dire boire sans payer », Desgranges (1821). — « Faire un pouf, c'est pour lui .[le sublime] uno gloire... C'était très rarement que tous ne retournassent pas au travail, les poufs étaient impossibles », Poulot, p. 08 et 1G7. — « Elle brûlait le quartier, elle avait des poufs tous les dix pas », Zola, Assommoir, p. 363.

La forme renforcée patapouf rend aussi le bruit d'une chute lourde, d'où le sens de lourdaud : « Patapouf. Barbarisme. Un gros patapouf n'est pas français », Desgranges, 1821. Le mot répond à- pôufiasse, terme de mépris qui désigne une grosse femme malpropre, uno prostituée de basétage.

Le synonymo da patapouf est patatras, dont la varianto patatrot désigne une course rapido ou fuite éperdue : « Faire patatrot, se sauver, s'enfuir » (Rossignol). — « Quand ils ont vu qu'on voulait faire le patatrot », Bercy, XLIV° lettre, p. 5. — « Les fliqucs se mettent à me faire un patatrot jusque sur la Butte », Le Bourg, dans Le Gaulois, 3 oct. 1881.

Le mot patraque n'en est qu'une variante : patrac oupatatras exprime un pas pressé ou le galop d'un cheval, ensuite le fracas causé par un objet qui tombe. De là la notion de machino déréglée, objot insignifiant ou vieille décrépite: « Patraque, breloque, curiosité de peu do valeur. Vieille machine qui n'est plus à la mode : la plupart des montres do cuivre sont des patraques. Ce mot n'est quo du style familier. On dit populairement d'uno vieille femme quo c'est une vieille patraque » (Trévoux, 1752). Aujourd'hui, être patraque, c'est no pas bien se porter, sans être malade.

lit de mémo :

Clamser ou cramser, mourir : « Je liens pas encore à claniscr. moi », Courlelinc, Train, p. 202. — « Si je vous refuso de la nourriture, vous clamserez », Rictus, N° gagnant, p. 18.

Avec les variantes: clapser, crapser et crampser: « Lo dabc était clapsé », Mélénior, Lutte, p. 120. Les deux autres


356 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

formes se lisent dans Richcpin (Gueux, p. 192) et dans Bruant {Hue, t. II, p. 12t).

Claquer, crever, mourir : « Si j'en claque pas, j'aurais de la chance... », Méténier, Lutte, p. 56. Aussi avec le sens de manger avidement, manger en général : « J'ai faim, tu sais... Faut me trouver quoique chose à claquer », Zola, Assommoir, p. 428.

, Claques, sahots plats (en Bourgogne, nippes, défroques), à côté do cliques, même sens, d'où prendre ses cliques et ses claques, prendre ses vêtements cl sa chaussure, so sauver: « Lorsque l'autre a vu le sang..., elle a pris ses cliques et ses claques », Zola, Assommoir, p. 191.

Le synonyme de claques est croquenots, souliers : « Le droit do sécher les croquenots au poêle do la maison », Méténier, Lutte, p. ibi. — « Un petit qui traînait des croquenots do facteur », Rosny, Rues, p. 23. C'est une forme renforcée de croquer, variante do craquer, produire un bruit sec.

Voici quelques autres termes de cette catégorie :

Bloum ! onomatopée exprimant le bruit sourd d'une chute, d'un choc (en Anjou), désigne à Paris le chapeau haut do forme (à l'exemple.de claque, chapeau qui s'aplatit), par allusion au bruit produit par cotlo sorte de chapeau haut do forme quand le ressort so détend (Rictus, Soliloques, p. 59) : « Ton bloum, i dato du grand Kmpiro... »

Boum! qui imite le bruit d'un orchestre:

Sonnez trompettes, en avant la musique, Dzing, boum, boum...

est devenu lo cri par lequel lo garçon annonce au consommateur qu'il s'apprête à lo servir.

Burque, dans l'oxpression appeler burque, vomir : « Celui qui fait des efforts pour vomir, prononce exactement burque » (llossignol); en Anjou, beuc ! exprime le bruit d'un rot {faire beuc, roter). Cf. Oudin (1010) : « Appeler luoet, c'est-à-dire vomir : la voix de celui qui rend gorge approche du mot... »

Ilouste ! (prononcé ouste!), cri pour chasser un chien ou un autîo animal importun et, par dérision, un homme; dïlautel cite la forme complcto : « Ilouste à la paille! espèce d'interjection i.mpérativo et très incivile par laquelle on enjoint à • quoiqu'un de so retirer au plus vito d'un lieu ou d'uno place dont il s'est omparé mal à propos; à la paille! terme de sol-


TERMES IMITATIFS 357^

clat qui se dit quand l'exercice est fini et qui équivaut à allezvous-en, allez vous reposer ».

Schpromme ou schproume, tapage : « On no s'entend plus, avez-vous fini de faire du schpromme ? » (Rossignol).

A côté de schprdute, même sens : faire du schproute (Rossignol).

Vlan! onomatopée imitant un bruit soudain, une action subite et particulièrement un coup appliqué à quelqu'un : « L'accoucheuse, là-dessus, lui a làcbé une baffre, vlan! en plein museau! » Zola, Assommoir, p. 232.

La formule complète est : vlin-vlan! exprimant une suito du bruit: « A ebaquo instant vlin-olan! C'est la lourde qui s'ouvre... », Père Peinard, 28 sept. 1890, p. 2

Ziny ! zingue! bruit ou son que rendont des verres heurtés ou brisés, d'où tapage, vacarme : « Aussi ce que j'en ai fait un singue. Que tabac I » Bercy, XLHI* lettre, p. 5.

Finalement les formes redoublées:

Bamban, son d'une grosse cloche en branle et sobriquet du boiteux, par allusion à son balancement en marche: « Elle s'interrompit pour montrer Gervaise, que la pente du trottoir faisait fortoment boitor. —Rogardo-là! S'il est permis!... Oh! la hamban ! » Zola, Assommoir, p. 78.

Jiamboulat Nègre, désigno primitivement le tambour des Nègres et la danso lascive qu'ils exécutent au son do ce tambour (le dialectal, normand, bamboler signifie se balancer, en parlant des cloches): « Avance ici, Bamboula, fit lo sergent en s'adressant'au Nègre qui vendait ses cacahucttes, offre la marchandise à ces damos » (dans Bruant, Dici., p. 330).

Itadadamc, rododome, bruit (Bruant).


CHAPITRE VI

RÉSIDU OBSCUR

On no tiendra compte, dans lo dénombrement suivant, quo des termes qui ne remontent pas au-delà du xixe siècle.

Chelinguer, transcrit aussi sclielingucr ou. schlinguer, sentir mauvais, surtout de la bouche ou des pieds : « Est-ce loi qui sçhlingucs, qui peut scldingotcr ainsi? » (Rossignol). Ensuite, avec le sens généralisé de puer: « Il chelingue rudement ton linge », Zola, Assommoir, p. 182.

Ce parisianisme qu'on lit pour la premièro fois dans un glossaire argotique de 1816 ', a passé dans plusiours parlers provinciaux : Vallée d'Ycre et Pléchalol, Yonne et Hrosse, etc.

Dalaar, pantalon, à côté do faUar.. Suivant Rigaud, co dernier nom désigne un pantalon do toile quo l'ouvrier met par dessus lo dalzar : « Tu m'a erliré mon faUar », Courtcline, Gaietés, p. 21. Dolvau cite en outre la formepantalzar, pantalon (« dans l'argot des faubourions »), forme qui reste suspecte. La finalo est certainement celle do basai' (« vêlement d'occasion »), mais les éléments initiaux sont obscurs.

Doulosse, chapeau : « A s'a payé un bloum, un bath doulousse », Bercy, iVc lettre, p. i. Peut-être nom propre do chapelier.

Gandin, duperie, tromperie, dans l'expression monter un gandin, monter le coup : « Les filous qui exploitent les environs dos gares do chemin de fer, montent des gandins aux naïfs qui débarquent de leur province » (Virmaitrc, Suppl.). Co sens a passé chez les troupiers de l'armée d'Afrique (v. Larchcy) et chez les revendeurs du Temple qui montent des gandins à leurs clients, en chauffant Tarlicle et en les harcelant pour le faire acheter (Yirmaîlro).

1. f'e mot se rencontre dans une lettre de Flaubert «lu II mars I8G8: « Mon brave ami Théo schlingue actuelli'inenl d'une si formidable façon <|iie la société s'écarte de lui; jo lo crois profondément malade et en suis inquiet ». Correspondance, t. III, p. îili.


RÉSIDU OBSCUR 359

MasMe, monnaie : « Amasser ou avoir do la masille, pour avoir do l'argent, être à son aise », d'Hautcl, 1808. Ce même lexicographe dit ailleurs, v° argent : « On donne vulgairement à ce précieux métal des noms plus bizarres les uns que les autres : de Vaubert, du baume, de la masille, du sonica, des sonnettes. Tous ces mots servent alternativement à désigner l'or, l'argent, le cuivre, en tant que ces métaux sontmonnoyés et qu'ils ont une valeur nominale».

Le mot est encore vivace dans les parlers provinciaux : Picardie, masille. argent, mauvaise monnaie de cuivro (SaintPol, vieille monnaie do cuivro qui n'a plus cours); Borry : mauvaise monnaie de cuivre(«il m'a payé avec de la masille»); Genève : argent en espèces (« avoir des rnasilles »), et sous les formes mesailles, mesuailles (« termo'de collégiens ») et mesons, espèces sonnantes : il est fiche, il a des mesons (« dans le langage des collégiens, meson signifie polit monceau de cuivro », Humbert). Le languedocien, mousil, argent, quibus, répond à l'angevin mousille, ramilles, menues branches, et menus objets, surtout menue monnaie '.

Polochon, traversin, dans le langage des casernes. Le mot se lit pour la première fois dans la dernièro édition du Jargon de VArgot Aa 1819.

Pcrlot, tabac à fumer, à côté do semperlot 2 et do semper 3, nom du caporal\)rdinaire daïis les casernes: « Co qu'on s'embclo! pas seulement du perlot,pour rouler uno cibicho », Uosny, Hues p. 119.

Certaines nomenclatures professionnelles, comme celles dos chilfonnicrs et des camelots, recèlent nombre de mots énignmliques. Citons-en :

I3u.lt vieux papier, sale, et caron, chiffon bleu 1; — fruge.

1. Dans lo Berry, mazillc et mazetlc désignent la fournil (mazillière, fourmilière); dans la Haute-JJrelagno, méziltc, \o mésange (Sébillol). Lo sons do la « menue monnaie • ferait alors allusion à la petitesse.

2. « EU! ltocambole, par ici! Un cornet do semperlot », Humbert, Mon bague, p. I3G.

3. (If. ltigaud : « Semper, tabac à fumer. C'est une déformation abrevialivo do superfinus, suporlin, nom sous lequel les soldats désignent lo caporal ordinaire; ils no manquent jamais de [dire du superfinas et, par abréviation, semper ».

t. La liédollière, p. 171 : « Les fabricants de carton et de papier achètent pour leur usage les avons, vieux papiers sales, le gros lui, toiles en lil grossières et sales »,


360 CONTINGENTS LINGUISTIQUES

provision sur la vcnle chez les employés do commcrco, à côté do fruche, marchandise disqualifiée (H.-France); — gar~ dantie, rognure, morceau de coupon do soie (Larchoy); — roumie, vieille croûte de pain.

Finalement, quelques vocables isolés : kenep, ivrogne (« faire au kenep, c'est voler les dormeurs sur les bancs », Bruant) — manioal, charbonnier * ; — roubion, femmo laide et prostituée (Rigaud), etc.

Il serait facile d'augmonter cette liste do termes d'origine inconnue, obscure ou douteuso, qui constituent un résidu plus ou moins important dans tout idiome, littéraire ou vulgaire. Bornons-nous aux exemples quo nous venons de citer et arrêtons ici notre enquête sur les contingents linguistiques du vulgaire parisien. «•

1. Almanach des débiteurs pour 1850, p. 119.


LIVRE CINQUIÈME

FAITS SÉMANTIQUES

Nous venons d'étudier les contributions linguistiques proprement dites du vocabulaire parisien, ses créations spontanées comme ses emprunts aux parlers vulgaires et aux idiomes limitrophes de la France, ses survivances du passé et ses nouvelles acquisitions. Nous avons relevé, d'autro part, les apports des classes sociales et professionnelles, sourco abondante du lexique.

Il nous reste, pour embrasser l'ensemble de ce vocabulaire, à aborder los phénomènes d'ordre sémantique. Certains de ces faits ont déjà été mentionnés à l'occasion des facteurs sociaux; il s'agit maintenant de les onvisagor dans leur généralité.

Nous allons rapidement passer en rovuo les faits secondaires pour nous arrêter aux procédés féconds, comme la métaphore, qui, à elle soûle, a fourni à la langue populaire un grand nombre de ses mots évocateurs d'images 4. '

1. Voir, en dernier lieu, la Sémantique do M. Kr. Nyrop, t. IV de sa Grammaire historique de la langue française, Paris, 1913. L'auteur tient souvent compte, dans ce travail remarquable, dos faits correspondants du vulgaire parisien.


CHAPITRE PREMIER

PROCÉDÉS GÉNÉRAUX

Los faits sémantiques les plus fréquents sont d'une part l'extension et de l'autre, la restriction du sens des mots. La métonymie ainsi que l'anoblissement et la dégradation n'en sont que des aspects particuliers.

1. — Extension.

La généralisation du sens est un fait courant. C'est ainsi quo les vc'rbes de l'argot parisien qui signifient « travailler » — boulonner et turbiner, maillocher et masser — ont appartenu on propre aux mécaniciens avant d'être adoptés par les autres ouvriers; buriner vient des graveurs et bouleau, travail en général, a tout d'abord désigné le travail spécial des sculpteurs on meubles du faubourg Saint-Antoino.

Fiscal, élégant, riche ', signifie proprement zélé pour lo fisc, exempt do fraude. C'est un terme administratif généralisé dans lo langage vulgaire et dont on peut suivre les différentes étapes dans les parlors provinciaux: dans lo Berry, il signifie régulier, légal («celle affairo n'est pas bien Jlscale »); honnôlo, loyal, dans l'Anjou (<( il n'ejt guère Jlscal ») ; dans la Mayenne, d'un prix élevé, do bonne qualité, convenable; en Berry, en bon élat, bien portant (« depuis sa dernière maladie, il n'est pas bien Jlscal »), d'où « le temps n'est pas bien fiscal », on Blésois.

A lire-lariyot, ancienno expression de beuverie, s'est généralisée dans le baslangago : « S'en donner à tire-larigot, s'en donner à coeur joie, se rassasier do plaisir, en prendre tout son

1. « Après <;a nous cavalons du côté du Temple, en pinçant un feston un peu fiscal» (c'est-à-dire en marchant de travers), Monselct, Vvyous, p. 219.


PROCÉDÉS GÉNÉRAUX 3G3

soûl » (d'Hautol). Voici un exemple do cet élargissement l do plus en plus étendu : « Faites des lois sur la prosse, faites-en h tire-larigot », Père Peinard, 20 avril 1890, p. 3.

2, — Restriction.

Les oxomples do spécialisation du sens abondent : Case, prison, proprement cabane, à l'exemple du synonyme cabanon; tortiller, manger l, c'est-à-dire tortiller du bec, à côté de bouloter, manger pour vivre, proprement rouler doucement son existenco (diminutif de bouler, rouler) : ça boulotte, ça va, on so porte assez bien, d'où vivoter, prospérer 3; cheveu, souci, chagrin, c'est-à-dire choveu blanc, etc.

3. — Métonymie.

La métonymie qui exprime l'effet par la cause, l'abstrait par le 1 concret (et inversement),, etc., offre une source abondante d'extensions sémantiques.

Bâche, lit, grabat, proprement couverture, d'où se bâcher, so coucher, (« il est tard, je vais me bâcher »); — baptême, tète, surtout lo haut do la tète (qui reçoit lo baptême); — baver et roter, ètro ébahi (sens fréquent dans la bouche des troupiers) ; — cracher, pérorer, pendant de l'ancien baver, bavarder (d'où tenir le crachoir, pérorer longuement) ; — face, sou, argent (« avoir des faces », Boutiny); —fourneau, vagabond, sot (proprement mendiant habitué des fourneaux do charité); — gifle, tape, proprement joue, sens encore réprouvé par Desgrangos (1821): « G(Qe et gifjler. Barbarismes. Or, donner des giffes, gifjler quelqu'un, tout cela est du galimatias » ; — margauder, dénigrer la marchandise (on français, jaser, en parlant do la pie); — noce, débauche, c'est-à-dire débauche do noce; — marteau, fou (et maillet, mémo sens), c'est-à-dire qui a reçu un coup do marteau ou de maillet; — meule, sans lo sou (proprement molairoï cf. rien à mettre sous la dent): « J'étais meule », Mélénicr, p. 122.

1. De mémo a Lyon : « Les patrons, les marchands sont presses, ils viennent vous demander du travail pour eux à tire-larigot » (Vaclict).

2. Si les délicats n'avaient rien tortillé depuis trois joins... », Zola, p. 4IG.

3. t Pendant une année encore la maison boulotta... Lo ménage semblait devoir boulotler... t, Zola, p. 303 et 107.


3G4 FAITS SÉMANTIQUES

D'abord, moi, j'ai pas lo rond, Je suis meule..,

(Bruant, Rue, t. I, p. 195).

Sapin, fiacre, sons déjà mentionné par Mercier ' et censuré par Desgranges en 1821 (« Sapin, voiture do place. Barbarisme »), très usuel à côté de l'acception do « cercueil », celle-ci plus récente 2; —tremblement, bataille et attirail accessoire (« tout le tremblement ») ; — tuile, accident ou obstacle imprévu (comme la tuile qui tombe du toit sur la tête dû premier passant venu) : « Par le temps qui court on ne sait pas co qui arrive; une tuile vous'est vite tombéo sur la tronebe, on peut être sucré demain ! » Père Peinard, 22 juin 1890, p. 8.

4. — Anoblissement.

Lo relèvement du sens de certains mots est un fait d'ordre social et se produit lorsque ces mots changent de milieu. Plusieurs, termes propres aux ' malfaiteurs, en passant aux classes professionnelles, sont ainsi devenus honorables:

Costaud ou cosleau, épithèto particulière au souteneur, est devenu l'expression de la force physique, de la virilité: « L'été... mince qu'on est cosfeau... » (Bruant, Route, p. G9).

Mec ou meg. qui désigne spécialement l'apache, a acquis dans lo bas-langage Pacception do gaillard, d'individu on général, surtout d'une certaine importance : « Ce môme va fairo un rude meg », Uosny, Rues, p. 92.

Poteau, chef de bande, complice de voleur sur lequel on peut compter, est devonu l'appcllalif vulgaire do l'ami intime, du camarade (aussi sous la forme abrégée pote): « Tu es un vrai frère... Non, un poteau simplement », Méténicr, Lutte, p. 180.

Zigue a tout d'abord désigné un « mauvais camarade » et ce sens injurieux est encore vivaco dans certains parlcrs vulgaires, par exemple dans le wallon de, Mons (« laid gigue », Sigart). Le mot, qui n'est que l'aspect provincial (morvandeau, suisse) de gigue, signifie à la fois « gigot » et « personne mal bâtie »..Le sens favorable a résulté do l'emploi

1. « Les fiacres qu'on n'appelle plus que dos sapim », Mercier, Tableau de Parts, t. X, p. 213. -2. « Un fichu r.tle qui sonnait jolieinont le sapin », Zola, p. 374.


PROCEDES GENERAUX

fréquent (et ironique) du qualificatif bon zigue, bon corrvpa gnon, d'humeur accommodante: « On appelait les camarades qui avaient l'air bon zigue... », Zola, p. 230. De \h.zigue l, tout court, au sens de camarade, surtout de bon camarade, acception qu'on lit pour la première fois dans Vidocq (1837).

Les formes dérivées : gigole, gigolelte, proprement petite gigue ou jambe mince, d'où fille grande et maigre, a lésons de grisolle des bals publics, de fille des rues, alors que son amant, le gigolo, à l'cxomple de costau, est devenu synonymo de beau 2 (Rictus, Coeur, p. 11): « Gn'y a pas d'erreur, c'est gigolo... », à peu près même sens que zigoteau, autre dérivé de signe, qui signifie malin (« faire le zigoteau »).

Au xvic-xvne siècle, penard ou vieux peaard désignait « un vieillard malicieux et desbauché » (Oudin), et ce sens se lit encore chezd'IIautel. Aujourd'hui, le mot (écrit surtout peinard) a adouci sa signification. Peinard ou Père Peinard, c'est l'homme paisible, circonspect; en père peinard, c'est-à-dire discrètement, doucement 3.

Un exemple curieux d'une pareille atténuation est fourni par le mot bougre. Ce vocable n'est plus uno injure, mais tout simplement l'équivalent d'homme ou d'individu: c'est un bon bougre, c'est un homme franc.et jovial. De plus, il s'y ajoute souvent uno nuance do commisération : Un pauvre bougre est un individu digne de pitié. Le féminin est tantôt défavorable (« une vilaine bougresse ») et tantôt sympathique: « Ah, petite bougresse! » dit-on d'une fiflclle espiègle. Enfin, l'adverbe bougrement exprime un haut degré d'intensité, en mauvaise comme en bonne part.

1. Fr. Géniu (Récréations philologiques, 18oG, t. II, p. 71) voyait dans zigue un souvenir d'un prétendu peuple Zigues (probablement les Uzes ou Comans) que les Chroniques de Romanie (éd. Buchon, p. 93) mentionnent à coté de Bulgares, souvenir conservé t au fond de la tradition populaire depuis la conquête de Gonstantinople et l'établissement des Français en Morée i. Cette explication en l'air a passé chez Vitu (Le Jargon du AT* siècle, 1881) et dans le Supplément do Larchcy.

2. Le patois angevin offre une évolution analogue : Dringue, bringue, grande personne mal bâtie ou méchante; — dringuel, vif, alerte, bien tourné, bien campé, soigneux de sa personne, coquet sans excès, pimpant, sémillant (synonyme do muscadin)-

3. Les dictionnaires argotiques (I)elesalle, etc.) expliquent peinard par : « 1' Individu qui fait un travail pénible; ;><> Vieillard débile et souffreteux ». Ces acceptions sont controuvees.


36G FAITS SÉMANTIQUES

5. — Dégradation.

La dépréciation de certaines expressions, commo la réhabilitation de certaines autres, ont également pour raison le changement du milieu social.

C'est ainsi que des mots honnêtes, en passant dans lo langage des malfaiteurs, y acquièrent une valeur louche : Faire et travailler y signifient voler et assassiner, le vol y étant une affaire ou un ouvrage. Ces termes figurent dans le- vocabulaire dos Chauffeurs (1800) et dans celui de Vidocq (1837), et faiseur, au sens d'escroc, a même pénétré dans la langue générale. L'ancien jargon disait pour voler, gagner, et gain, vol, se. lit dans les Ballades de Villon. Béroaldc de Verville en fait mention: « Les enfans de la Malte appellent gaigner tout ce qui vient do surcroist ot qu'ils sçavent prendre; ainsi entre eux sorrer un manteau, destourner une bourse, est gaigner, comme entre les picoreurs et les voleurs qui'exercent ce mestier... » '.

Voici un autre exemple :

Champêtre, signifie, dans le vulgaire parisien, drôle, amusant, comme l'agreste ou le rustique aux yeux des citadins. Dans les parlcrs provinciaux, co vocable a, par contre, lo sens de superbe, d'avantageux: en Anjou, une affaire champêtre 2, c'est une bonne affairo ; et à Lyon, le mot est synonyme do gai, agréable, chic : « Lo Lyonnais aime tellement la verdure, les prés, la campagne, que le mot champêtre revient souvent dans son langage » (Ad. Vachet).

Ces différentes catégories embrassent un bon nombre défaits du lexique: mais leur fécondité est loin d'égaler celle des grands facteurs sémantiques, en premier lieu la métaphore, dont nous allons aborder les multiples aspects.

1. Le Valais dix Curieux, Paris, 1012, p. 54.

2. On dit avec le môme sens champignol : c L'affaire est champignole, lionne, avantageuse » (Verrier et Onillon). A Paris, champignol a le même sens ironique que champêtre. : c Ce truc do verres de couleur à la rampo, c'est champignol », Bercy, XUIl* lettre, p. 4.


CHAPITRE II

MÉTAPHORE

Lo domaine do la métaphore, embrassant à la fois la nature vivante et la naluro morte, est pour ainsi dire illimité. Elle puise ses images dans toutes les sphères de l'activité sociale. Chaque profession, chaque métier lui fournit ses comparaisons.

Soit la notion mourir. Les soldats la rendront par avaler sa cartouche, et les marins, par avaler sa gaffe l. Les uns et les autres étant de grands fumeurs, l'exprimeront aussi par poser sa chique (à bâbord) et casser sa pipe 2, locution passée dans le vulgaire parisien 3. D'autre part, pour les habitués des cafés, mourir, c'est dévisser son billard 4, alors que lo miséreux dira lâcher la rampe (do l'oscalier), lui qui domoure, qui perche habituellement'dans les derniers étages des maisons parisiennes.

Pour la notion de travailler, surtout travailler péniblement, c'est .l'agriculture qui a fourni les termes de marner, proprement amender le sol arabica l'aide do la marne 5, et de piocher, proprement remuer la terre arable, synonymes d'abattre ou bûcher, travailler comme un bûcheron.

V

1. C'est-à-dire cesser de tenir le canot accosté, lâcher le point fixo auquel on se tenait, en d'autres termes et par rapport au canot t faire la mémo chose'que filer son câble, par rapport au navire • (De la Landello, p. 167).

2. Un vieux tabac, c'est un vieux soldat, et champ de tabac est le nom du cimetière militaire. — Suivant Rigaud, casser sa pipe, mourir, ferait une allusion à un usage emprunté au cérémonial des funérailles des évoques (sa crosse brisée figure dans lo cortège funèbre). — Fr.-Michel va plus loin : « Dans l'origine, cette expression a dû signifier se casser le cou, pipe ayant autrefois le sens de gosier, de gorge ><

3. c Si le père Alexandre casse sapipe,,\a vous demande en mariage », Poulot, p. 159. — « Nostradamus a vécu et a cassé'sa pipe à Salon, petit patelin à un saut de puce de Marseille •, Almanach du Père Peinard, 1894, p. 37.

i. « Ah! ils ne seront pas longs à dévhser le billard : avec des trous dans la santé on ne va pas loin », Père Peinard, 23 janv, 1871, p. 2.

5. f Uno fois qu'on avait marné (à la caserne) pus que d'habitude... », JJercv, XXXVI' lettre, p. 0. On le dit surtout des ouvriers (Higaud) et des filles":

Fora depis hier, que j'ai rien béquille, Et j'ai marné toute la soirée.

(Rictus, Doléances, p. 11). '


368 • FAITS SÉMANTIQUES

Lcs_équivalents vulgaires pour argent, surtout pour argent monnayé, représentent une riche synonymie qu'on pourrait répartir ainsi :

1° Expressions tirées de la botanique: Noyaux, éeus (répondant au lyonnais pignolles, pièces de monnaie, proprement pignons de pin), terme remontant au poissard ' ; — oseille, répondant aux synonymes fourbesques agreste, verjus, et argutne, oignon : « C'est tout do suite qu'y me faut do l'oseille », Mélénier, p. 2i9; — radis, sou : « En décembre, un soir, on dîna par coeur. 11 n'y avais plus un radis », Zola, p. 30 (voy. aussi Mary Burns, p. 88).

Le poissard disait, en outre, cresson 2, pour argent, et le souteneur emploio encore une expression analogue : aller aux èpinards, c'est, pour lui, recevoir de l'argent do la fille qu'il protège, tandis qu'elle-même va au persil 3, à la recherche du client et -'c sa gratification.

2° D'après le son métallique : Sonnette, argent (Rossignol), pièce de cent sous (Virmaître), pendant du poissard roulette*, est donné par d'IIautel et on le lit déjà dans une chanson du xvie siècle (v. Larchey, Suppl.) ; — vaisselle, appellation poissarde 5, aujourd'hui vaisselle de poche (Delvau); 4- zinc: « Qu'on mette son sine dans uno tire lire », Poulot, p. 76.

3° D'après la forme plate : Galette, terme courant, à côté de palet, pièce do cinq francs : « Ils venaient raquer un palet un glasse de bière », Bercy, Lettre XVIIe, p. 4.

4° La notion d'argent monnayé se confond souvent avec celle de « nourriluro » : Blé (Hayard) et gruau 6, le premier répondant au blé battu des paysans, le deuxième, au synonyme provençal griùu : « J'ai mis un peu do gruau à gaucho », Bercy, A'Ve lettre, p. 7; —fricot (Rossignol), abrégé

1. « Je vas chez M. Evrard pour toucher mes noyaux », Gaylus, t. X, p. 6». — t Faut diablement se fouler pour amasser des noyaux », La lîcdolliûrc, p. 77.

2. t Je ressemble au médecin de surines (syringue), point de cresson, point de lavement », Paquet de mouchoirs, 1750, p. 39. Cf. la note de la p. 2: t Noyau s, cresson, poussier (=: poussière), morue (= momifie?), argent, picaillon, sont tous synonymes en langage de3 Halles ».

3. Larchey (Suppl.) allègue que dans le midi de la France, « du Uousstlion à la Provence, on dit vulgairement persil pour argent ». C'est uno affirmation en l'air (le Trésor do Mistral l'ignore).

4. « Si queuque chien vient vous engueuser avec ses roulettes, je prendrons les roulettes ot l'engueuseux », Journal de la Iiapie, 1790, n° 3» p. 2.

5. Les Vorcherons, 1773, p. 176.

6. Le synonyme argotique grain, é«u, est attesté des le xv« siècle.


MÉTAPHORE 369

en fric ', et pépette, même sens que potage (dans l'argot des joueurs).

Ou bien elle remonte à la notion de « gras » : Beurre, dans la locution faire son beurre, gagner de l'argent (Rossignol) ; — gras ou graisse (d'où dégraisseur, garçon de recette, Rossignol) ; — huile, avec ce sens dès le xvne siècle (v. Fr. Michel), etc.

6° Notions isolées: Achetoire, ce qui sert à acheter, pendant ào quibus; — braise, avec laquelle on fait bouillir la marmite (cf. i°) ; — os. pendant de nerf: « Justement j'ai de l'os », Méténier, p. 84; —pognon, ce qu'on empoigne (voy. p. 106), etc. 2

Passons maintenant aux notions abstraites.

Les termes exprimant « l'ennui » sont sortis de la boutique du barbier : Barber ou raser quelqu'un, l'ennuyer (d'où la barbe! et rasoir, ennuyeux), à côté de bassiner (d'où bassin, agaçant) : « Es-tu bassin! dit Gervaise sans se fâcher », Zola, p. 181.

Celle de « misère » est exprimée par :

1° Bouillie ou potage des miséreux : Mouise, proprement soupe (d'où mouisard, miséreux. Rossignol) ; à côté des pendants ironiques limonade (« être dans la limonade ») et mélasse (« tomber dans la mélasse », Rossignol) ; — panade, « mot inventé par les matins de la place Mau,bcrt : a-t-il l'air panade! » (Desgranges 1821): « S'ils s'en trouvent dans la panade », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 51 ; —purée, d'où purolin, miséreux (Rossignol).

Et ironiquement : Pommade (« être dans la pommade », Dolesalle), et tourbe, c'est-à-dire tourbe limoneuse (« je suis dans la tourbe jusqu'au cou », Rossignol).

2° Graisse do porc: Panne, mot 3 déjà donné par un glossaire do 1810 (cf. Eurpille, 18ou : Panne, voy. dèche, débine) : « Lantier flairait la panne ; ça l'exaspérait de sentir la maison déjà mangée... », Zola, p. 3G9. Do là panne, misérable, sans le sou (et, au jeu de billes, fichu, perdu).

La notion de « peur » est représentée par des termes de

1. « Maintenant mùssieu gagne du fric i, Bercy, A* 17* lettre, p. 5.

2. Le vulgaire parisien possède, en outre, plusieurs ternies tirés à différentes époques du jargon : Auberl, bille, carme, douille, peze, plâtre, etc., que nous avons étudiés dans le glossaire des Sources de l'Argot ancien.

3. Mot passé dans l'argot des coulisses {panne, bout de rôle) et des ateliers de peinture (panne, mauvais tableau).

34


370 FAITS SÉMANTIQUES

chasse, comme frousse, qui fait allusion à la poursuite du cerf à trayers les bois les plus épais (voy. p. 303) et trac, qui exprime l'action défouler un bois, poursuivre le gibier de tous côtés à la fois : chasser à la traque' 1. ; C'est de la chasse que dérive également l'expression d'attaque, qui se dit d'un homme bien musclé, plein de vigueur, à l'exemple du chien d'attaque., chien sur lequel on peut compter pour lever et poursuivre le gros gibier 2: « Quand il commence dans un atelier, il est d'attaque... C'est un de mes pays qu'est d'attaque », Poulot, p. 92 et 174. (

Au sens généralisé et appliqué aux choses, « rigoureux » (Richepin, Gueux, p. 180): « Fait vraiment un froid d'attaque... » ; Enfin, la notion d'excellence, le degré superlatif d'une chose, j est parfois tirée de certains apprèls culinaires: Aux petits oi' gnons ou aux. petits oignes, excellenl, supérieur, l'oignon jouant un grand rôle dans la casserolodu populaire parisien 3; — aux pommes, soigné, très bien, par allusion au bifteck ou au navarin aux pommes de terre : bath aux pommes 4, tout ce qu'il y a de mieux, le nec plus ultra en toutes choses (Virmaitre).

Deux autres expressions synonymes dérivent de sources différentes:

Aux oiseaux, parfait., très soigné, formule qu'on lit chez d'ifautol : « C'est aux oiseaux. Locution populaire et triviale qui signifie c'est très bon, excellent, c'est ce qu'il faut, tout «ce qu'on peut désirer. Ainsi pour exprimer qu'un homme est très bien fait, qu'une femme est très belle, on dit qu'f7 est aux oiseaux, qu'e//d est aux oiseaux » 5.

1. Cf. Michel, 1307 :'t Trac pour traqui. No <lilos pas aller au Irac, chasser an trac. Faute très commune. Allez à la traque, chasser à la traque ».

2. Suivant le Dtcl. général, notre expression se rattacherait à chef d'attaque, musicien d'un orchestre ou d'un choeur que les autres doivent suivre pour l'attaque do la note qui commence un passage.

3. ' Un garçon boucher... lui administre une dégelée aux petits oignons... », l'ère Peinard, 9 juin 18S9. — * Voilà alors que ma sacrée couine saule aux yeux de sa bourgeoise et qu'elle la grafligne, et qu'elle la déplume, ohl mais aux. petits oignons \ » Zola, p. 192. — « Je réglerai son compte, et ce sera aux petits oignons », Itosny, Marlli?, p. 40.

4. c Une chouette histoire balh aux pommes dont les aininchos médiront des nouvelles », Père Peinard, 21 juillet 1S89. — c Si seulement il pourrait y avoir éclipse de purée! Voilà qui serait Luth aux pommes », Almanach du Père Peinard, 1897, p. 23.

o. On lit cette expression dans le G:ilanl Savetier do Saiiit-Firmin, 1802, se. I : t Ca me parait bien tapé aux oiseaux, mamselle. Fourrez un peu la


MÉTAPHORE 371

L'expression remonte à un refrain joyeux, comme celui de la chanson « La noce de la bécasse ot de la perdrix » :

Et ronron là, , Tire larifla ;

Aux oiseaux, Tire larigotl.

De derrière les fagots, excellent, supérieur, métaphore vinicolc, le bon vin se mettant à la cave derrière les fagots 2 : « On dit d'un ami que l'on veut régaler, qu'on lui fera boire une bouteille de vin de derrière les fagots » (d'IIautol).

La notion de « mauvais, exécrable » est représentée par des formes dépréciatives:

A la noise, expression tirée de salade à la noise, salade très acre et, figurément, chose mauvaise, de nulle valeur: « C'est des salades à la noise, des boniments qui ne tiennent pas debout... Tout ça, c'est des raisonnements à la noise... », Bercy, IIIe lettre, p. 6. et XVIW lettre, p. G.

La locution est elle-même une altération populaire de (c/'<2sson) alénois, comme l'ont souvent noté les grammairiens : « Espèce do cresson qui vient dans les jardins, et non à la noise, commo on le dit fréquemment par corruption » (d'IIautol). Très piquant, ce cresson sert à relever le goût des salades ; do là, salade à la noise.

A la mie de pain, chose insignifiante, répondant au synonymo ancien lesche de pain : « Vous avez deux jours de salle de police, ot avec un petit motif qui ne sera pas à la mie depain », Gourteline, Gaietés, p. 19. Chez les imprimeurs, un ouvrier peu habile est un metteur en page à la mie de pain (Boutmy); chez les malfaiteurs, un mec à la mie de pain est un souteneur qui ne sait pas tirer profit do sa marmite (II.-France).

Tarte ou tartelette, môme valeur dépréciative (« faux », dans Vidocq) : « C'en est une [bonne soeur] qu'est tarte dans ce qu'elle est... à rôder partout », Hirsch, Le Tigre, p. 120. L'ancienne langue disait également (Roman de la Hosc) :

11151. No valurent une tarde...

main sous l'empeigne pour voir tout le fini do l'ouvrage i. Plus lard, dan3 César Mrotleau, 1832, de Balzac : t Un grand appartement meublé aux oiseaux ! i OEuvres, t. VI, p. 19a.

1. Voy. Mélusine, t. I, p. 532. Un autre couplet, avec le refrain Aux oiseaux, est cité par Bruant, V bon.

2. Cf. Diderot, Jacques le Fataliste (éd. Tuillard, 1822, p. 185) : • Deux bou. teilles, de celles qui sont au fond, derrière tes fagots ».


372 , FAITS SÉMANTIQUES

Ou bien oncore par : à la graisse d'oie, sens ironique analogue h. panne, misère.

Il est parfois malaisé de débrouiller l'origine de quelquesunes do ces métaphores. * Pour exprimer la notion d' « expérimenté » ou de « malin », on se sert des locutions tirées de la marine (ètre'à la redresse), des casernes (être à la hauteur), de la douane (être à la sonde) etc. Mais d'où viennent les deux expressions synonymes qui suivent ?

Etre à la roue, être malin, au courant d'une besogne: « Un vieux sondeur qui est à la roue de tous les trucs », Bercy, /À'e lettre, p. 5. — « Un zigue, très à la roue, leur coupa la chique... », Almanach du Père Peinard, 1891, p. 46.

S'agit-il ici d'un jeu do mots sur roué ou bion l'expression

est-elle d'origine professionnelle?

t Faire monter à Véchelle, mystifier un naïf ou crédule:

I « Bout s'assombrit n'aimant hjen qu'on le mystifiât et qu'on

1 lejît monter à l'échelle », Courtelinc, Train, p. 152. De là le

sens de mettre, en colère : « Si l'on plaisante un ami et qu'il

se fâche, il monte à l'échelle » (Rossignol).

Mais on ne saurait préciser le milieu où cette expression à pris naissance '.

Souvent l'image, étrange ou obscure au premier abord, est corroborée et éclairée par le rapprochement des faits analogues: Cocotte, sorte de casserole en fonte, vocable qui n'est pas attesté avant le xixc siècle (« ce mot n'est pas français », Michel, 1807), est le mémo que le lermo enfantin co~ cotte, poule, métaphore confirmée par le béarnais garioulet, petit pot où l'on fait cuire de la viande, des légumes (de gario, poule). Cet ustensile de cuisine a queue a été tout simplement assimilé à une petite poule 2.

Etant donné l'étendue du domaine métaphorique, un classement s'impose. Nous allons l'envisager sous quelques aspects d'ensemble. '

i. Des formules analogues — monter à l'arbre, mystifier (voy. Larchey, Suppl.) et faire monter dans son chêne,' faire enrager (Verrier et Onillon) — feraient plutôt croire à une signification générale et sans caractère nettement professionnel (cf. pourtant, monter à l'échelle, être guillotiné, c'est-àdire monter à l'échelle do l'échafaud, Larchey). On dit aussi : être à la roulette.

2. Le Dict. général voit, dans cocotte, casserole, un dérivé de coque, coquille. Cependant, cocotte, poule, et cocotte, pot à queue, sont inséparables sous le rapport chronologique et Bémantrque.


MÉTAPHORE 373

1. — Métaphores techniques.

Les imagos tirées des arts et des métiers présentent un intérêt particulier. Aux exemples déjà cités, ajoutons :

Criquer, se criquer, se sauver, fuir : « On criait au voleur, je me suis crique » (Rossignol). Se criquer, en parlant de l'acier, c'est se fendiller sous l'influence du refroidissement pondant le forgeage.

Dégommer, terme do manufacture (débarrasser la soieécrue do la gomme dont elle est naturellement imprégnée), signifie, au figuré, supplanter, destituer et mourir : dégommé, mort, c'est-à-dire usé par les excès, répondant à décati, affaibli par l'âge ou la maladie (décatir, enlever lo lustre ou le brillant).

Enfrayer, enchanter, proprement entortiller (au tissage, c'est préparer la lainesur des cordes neuves): a Ah! Fathma!.... Tu m'en/rayes!... lu m'engueuscs!... T'es trop bath! »Hirsch, Le Tigre, p. 146.

Enture, tromperie, et enturer, tromper : « Celui qui m'a vendu cette pièce de vin m'a enturé » (Rossignol). — « Quand on a été assez pied pour se laisser enturer, on n'a à s'en prendre qu'à soi », Bercy, XXXVIIP lettre, p. 7. — « Se faire enturer, perdre son argent au jeu, être volé » (II.-France).

Gomme terme agricolo, enture est l'action d'insérer une cnto sur une tige, et comme application en joaillerie, opération frauduleuse consistant.à couper la partie d'un bijoux qui porte le poinçon do l'administration du contrôle et à le souder à une autro pièce de bas titre.

Estamper, tromper, escroquer, proprement estamper un bijou (au lieu de le fondro) : « Pensez donc, des sergots trouvant qu'on fait bien iVestamper un proprio », Père Peinard, 19 oct. 1890. — « Vous m'ayez assez estampe, crapule ! » Rictus, Numéro gagnant, p. 7.

Greffer, jeûner, souffrir do la faim, proprement végétor comme la portion vivante du végétal qu'on implante sur un autro végétal: « Je greffais pourtant assez souvont »,'Méténier, Lutte, p. 121. — « Ali ! c'est une saio saison — la Toussaint — pour tous les pauvres bougres qui greffent », Bercy, AA'A7VC lettre, p. G.

Moche, laid, vilain, proprement à l'état brut comme la soio


374 FAITS SÉMANTIQUES

non tordue, dite soie on moches l : « Une personne laide est moche, une vilaine pièce de théâtre est moche » (Rossignol).

2. — Corps humain.

Les parties principales du corps humain sont représentées, dans le langage populaire, par des images plus ou moins grossières, plus ou moins frappantes.

La multiplicité do ces comparaisons s'explique par le fait que chaque état social, chaque métier a ou recours aux images qui lui étaient les plus familières. Soit, par exemple, la notion de tête: les marins en feront une boussole; les soldats, un caisson, etc. Remarquons d'ailleurs qu'une nuance comique est commune à toutes ces appellations, inventées par le peuple pour tuurner en raillerie les défauts physiques du prochain.

TÈTE. — Sa forme ronde ou ovale a été assimilée à des objets correspondants empruntés tour à tour :

1° A des fruits, comme poire et pomme; — à des cucurbitaçées: Calebasse, citron"-, citrouille, coloquinte 3; — à des plantes alimentaires du genre oignon, comme ciboulot, très usuel.

2° A des récipients plus ou moins arrondis: Bouillote et cafetière, burette et fiole; — bourrichon, c'est-à-dire semblable . à une bourriche (d'où monter le bourrichon*., monter la tète à quelqu'un); — tirelire, métaphore déjà usuelle dans le poissard : « Nous donnions sur les tronches et les tirelires », Caylus, t. X, p. 2'i.

3° A des objets ronds : Houle, image donnée par d'IIaulel, censurée par Desgranges en 1821, aujourd'hui très populaire 5;

— bobine: « Il a dans la bobine une invention », Poulot, p. 8t;

— bobêchon, petite bobèche ou tôle du chandelier (se monter lebobcchon c, se monter la tète, s'emballer, s'illusionner).

). Klyniologic proposée par M. Dauzat dans la Itevue de philologie française, t. XXV, p. 186.

2. t Ne te casse pas la citron à chercher, lu no trouveras pas » (Hossignol).

3. t Avoir une araignée dans la coloquinte •.

4. « Oh ! je rie me monte pas le boitrrîi'hon, je sais que je no ferai pas de vieux os », Zola, Assommoir, p. 18'i. Cf. Flaubert. Correspondance, t. IV, p. 113 (15 mai 1872) : t Que je suis démonté! Mon pauvre bourrichon est à bas ».

5. « Klle ne voulait pas perdre la boule à son tour i, Zola, p. 4SI.

6. e Tu te montes le bobêchon, et tu prends des vessies pour des becs de ga* », Père Veinard, 2.'j sept.'1802, p. 3.

1


, MÉTAPHORE 375

La notion « tète» se confond souvent, dans le parler vulgaire, avec celle de « visage » ou de « figuro » : de là, balle et trvnbine'^, qui les désignent l'un et l'autre; —bobine, bobinette, tète, qui donne par aphérèse binette 2, physionomie, mot passé dans la langue générale.

NEZ. — Le nez, tout particulièrement le grand ou gros nez, a été tour à tour comparé à un piton (Richepin, Gueuse, p. 160), à une targette ou à un tasseau (Rossignol), à un tube (Hayard).

Le terme le plus récent est blair, forme abrégée de blaireau (cf. pinceau, nez, dans liruant) : « Eh, fit l'autre'qui le prit de haut, c'est toi qui pues. T'as le blair bien délicat ce matin », Courteline, Train, p. 202.

L'expression la plus usuelle est pif \ c'est-à-dire pirïro ou fifre, qui a tout d'abord désigné celui qui a un gros nez (sens encore vivacc dans les parlers provinciaux) : « Un gros pijfre, c'est-à-dire un gros homme enflé do ventre et de visage » (Oudin ICiO). Ajoutons que le batteur d'or appelle pifre son gros marteau.

D'autre part, le nez rouge de l'ivrogne est assimilé à une betterave (sens déjà donné par Philibert Le Roux), à un topinambour et à mie vilelotle (Larchey).

On a tiré de cet organe les notions de :

1° Colère: Avoir quelqu'un dans le nés, c'est le détester, et faire son nés, bouder, ; — tube, dépité, tubard, colère, et tuber. être de mauvaise humeur (Bruant) 4.

2°Querollo violente : Se manger le nos, se battre avec acharnement : « Avant six mois ils se mangeront le nés », l'oulot, p. 100. Delà: se bouffer le blair, mémo sens (Virmaitre).

I. On lit dans hi Correspondance de Flaubert, t. IV, p. 187 (déc. 1873) : « Voyez-vous ma vieille treindiine près des fouis baptismaux il eolé du poupon, do la noiirriri' et d.js parents? "

-'. Suivant le tiiel. yàiéral, Mnelln sérail un mol de In fin du xvn« siècle et dériverait de llincl, eoitïeur de. Louis XIV. Or, hinetle, lèlc. physionomie, '■néon» inconnu à lieschcrolle (ISI'i), n'est attesté ou littérature que dans la seconde moitié du xixc siècle. Aucun texte sûr ne fait mémo mention do l'existence d'une hinelle, perruque (voy. Fr.-Michel). On lit pour la première fois lohine, figure lisible, dans un glossaire argotique de 1810, et binelle, ligure, dans la dernière édition du Jargon (1819).

:Î. « I.o frio pourra bien s'aviser encore de nous geler le pif t, Almanach du père Veinard, lifOl, p. 13.

5. Larchey cite, en outre, piffer, n'être pas content, être «le mauvaise humeur, et, à on croire Itigawd, s'e'pitmier, avoir du chagrin, représenterait la même inëtaphoio (de piton, ne/,).


37G FAITS SÉMANTIQUES

3° Beuverie : ne piquer le nes{, se.soûler: « S'il se pique le nés, il se le piquo proprement », Poulot, p. II.

OEIL. — L'expression la plus répandue est mirette, propremont petit miroir, désignant tout d'abord la pupille et ensuite l'oeil en général : « Tu crois que je travaille pour tes minettes », Méténior, Lutte, p. 123. Ce mot très populaire se trouve déjà dans la dernière édition du Jargon de 1819.

Sous lo rapport de la rondeur, les youx sont assimilés à dos billes à jouor : callots, yeux (Rossignol); sous celui de la vivacité de l'éclat, cet organe es!, rendu par la notion do « lampe » : quinquet. seqs déjà donné par d'IIautel 2 : « Un bec rose, des quinquets luisants », Zola, p. 450. — « Le populo commence à ouvrir les quinquets ». Père Peinard, 9 juin 1889, p. 4. Une métaphore analogue se rencontre fréquemment dans les patois: le berrichon châlin, le poitevin chaleuil et le lyonnais chelu désignent à la fois la lampe rustique et l'oeil.

L'acception de « crédit » que le mot oeil a acquis dans la langue moderne 3, est probablement un souvenir de l'ancien proverbe juridique (donné au xvi° siècle par Gabriel Meurior) : « Un seul oeil a plus de crédit que deux oreilles n'ont d'audivi », proverbe qu'Antoine Loysel commente ainsi :

Tesmoins qui l'a vu est meilleur Que cil qui l'a ouy, et plus seur 4.

De là, à l'oeil, gratis, répondant h pour la frime, rien, c'està-dire sur la vue, sur l'apparence.

JAMBES. — Los jambes longues et grêles ont été comparées tantôt à des cliquettes (flayard), tantôt à àésjllsdefer, à des pincettes ou à des fuseaux 5 et tantôt à des fiâtes 6, des flageolets 1; de là, se tirer de fiâtes, ou se tirejlâter. décamper, déguorpir.

1. Ou se piquer te blair (Rkhepin, Gueux, p. 1G8). — De là, en Anjou, pichenette, ribotte (t avoir une pichenette >), c'est-à-dire piqnre.

2. c Quinquet, espèce de lampe ainsi nommée 'du nom de son inventeur. Vulgairement ce mot so prend pour la vue, les yeux; ainsi, pour exprimer qu'une personne est borgne, on dit qu'il lui manque un quinquet, qu'elle n'a plus qu'un quinquet » (d'IIautel).

3. t Je lui avais deujpmdé de me faire avoir de l'ail chez un marchand do vin... Dans les assommoirs l'oeil est crevé », Poulot, p. 141 et 158.

4. Instilutes couslumieres, éd. Laboulaye, 1846, t. IJ, p. tb2.

5. Cf. d'IIautel : t Fuseaux, il est monté sur des fuseaux, se dit en plaisantant d'une personne maigre ot qui a do grandes jambes sans mollets ».

G. Cf. Phil. Le Roux (1718) : c Flûte se dit, par ironie, d'une personne qui a de longues j?mbes sèches et toute d'une venue ».

7. Cf. d'IIautel : « Flageolets, être monté sur des flageolets, signifie plaisamment avoir lus jambes minces, iluettes et sans mollets ».


MÉTAPHORE 377

Chaque métier y a ajouté sa contribution : le charbonnier les a appolées/araero/is; le charpentier, merlins; le charretier, brancards (Rossignol) ; les gamins, guiches, c'est-à-dire bâtonnets amincis par les deux bouts, au jeu du bâtonnet (Richepin, Gueuse, p. 123).

Les jambes sont encore désignées par la paire, d'où l'ox>

l'ox> se faire la paire, s'enfuir, se sauver* ; ou par le train

d'onze heures (au jeu de loto, onze signifie les jambes), d'où

l prendre le train onze, d'onze heures, c'est aller à pied, flâner.

.GOROE. —La gorge ou le gosier est comparé à un cornet, à la dalle (d'où l'expression 2 so rincer la dalle, boire), à un sifflet, celui-ci déjà attesté dans le poissard {LesPorcheroiïs, Ve chant), et à un tube, qu'on applique également au nez: « Nous allons nous nettoyer hjube à Ménilmontant », Poulot, p. 209.

MAIN. — La main est désignée par cuiller, terme très usuel (rappelant le synonyme louche du jargon), ou par pince : « Ce soir je viendrai te serrer la pince », Méténier, p. 83. La main grande et large, est comparée à un battoir de blanchisseuse (cf. d'Hautol : « Il a les mains comme des battoirs, se dit d'une personne qui a do grosses et vilaines mains ») : « Elevant au-dessus de sa tète ses deux battoirs gantés do hâle, il vociféra: vive la classe ! » Courtcline, Train, p. 7i.

OREILLE. — L'oreille est assimilée à uno écouane ou lime plate:.« Tâchez voir de bien ouvrir vos escouanes », Rosny, Rues, p. 179. Et lorsqu'elles sont larges, à des feuilles de choux (Rigaud).

VENTRE. — Les mômes métaphore» sont communes à l'estomac et au ventre : Fanal ou fusil, empruntés l'un à la marine, l'autre à l'armée, d'où n'avoir rien dans le fanal, être à jeun, etso bourrer le fusil, manger : « Uno fois le fanal rempli... », Père Peinard, ier mars 1891, p. 5.

S. — Animaux.

Les animaux domestiques, et tout particulièrement le chien et le chat, ont fourni à la langue nombre d'images frappantes 3. Relevons colles qui rentrent dans notre sujet.

1. « Je les ferai pincer... ils auront beau se faire la paire », Méténier, p. 196.

2. t N'est-ce pas, il fallr.it bien se rincer un peu la dalle, pour la débarrasser clos crasses do la veille >, Zola, Assommoir, p. 159.

3. Vôy. nos monographies sur Le Chai et le Chien (Halle, 1903-1907) sous le rapport do la création métaphorique.


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olS FAITS SÉMANTIQUES

ciiiKN. ■— Le nom do cet animal a toujours servi à exprimer des qualités défavorables: avarice., gourmandise, méchanceté, paresse, vagabondage. Do l'appellalif du chien ou de ses synonymes dérivent les termes suivants :

Cabotin, « sobriquet injurieux qui signifie histrion, bateleur, comédien ambulant... » (d'Hautel). Le terme, du début du xix° sièclo, n'est qu'une métaphore tirée de cabot, variété de chien (Littré, Suppl.).

Cagnc, chienne hargneuse, désigne à la fois le poltron et la paresse ou le paresseux : « Cagne, c'est le comble do la paresse, plus forte que la flemme qui présente un état passager » (Rigaud). Ce mot, au sens de l'ancien cagnard, est déjà donné par d'Hautel (1808).

Chien, et surtout sacré chien tout pur, eau-de-vie commune 1: « On appelle vulgairement l'eau-dc-vie du sacré chien tout pur, du fil en trois, de Peau-de-vie piquante et d'un degré très élevé. On désigne aussi cette liqueur sous le nom de rude » (d'Hautel). C'est cette dernière épitbèto qui explique l'expression (aujourd'hui raide) : « Cette rosse de Père Michel nous a fait goûter du chien qu'il venait do recevoir », Poulot, p. 177. — « Une mine à poivre do la barrière Saint-Denis où l'on buvait du chien tout pur », Zola, Assommoir, p. 51.

En présence de celte conception péjorative, il est intéressant de faire ressortir la réaction qui s'est manifestée, au xixe siècle, en faveur du chien, auquel le parler vulgaire rattache toute une série d'acceptions plus ou moins'favorables :

1° Terme d'amitié (surtout sous la forme redoublée chienchien), Le chien du commissaire, c'ost "son secrétaire fidèle, inséparable; le chien du régiment, c'est le caporal ou brigadier, appelé aussi caboti, c'est-à-dire chien tout court, et martyr. Ces deux dernières appellations sont prises' plutôt on mauvaise part.

2° Caprice de; coeur, passion (dans les Deux-Sèvres, il a Vieil chien signifie il paraît passionné) : avoir un chien j>our un homme, en être épris (dans l'argot des filles). .

3° Elégance, coquetterie (séduisante ou provoquante) :- faire du chien, faire beaucoup do toilette : « Elle boitait, la mà1.

mà1. l'Anjou, liait le ou quiaule désigne également l'eau-de-vie commune (rr chien) : Cf. tiole, terme de mépris qu'on donne en Anjou à un chien (t va donc, sale tiole ! »).

2. a-Le cabot, accompagné du sergent de semaine, faisait l'appel t, Mmntiach du Père Veinard, lSO'i, p. 39.


MÉTAPHORE 379

tiuo, mais ollc avait tout do mémo du chien », Zola, p. 147.

Do môme, bichonner, arranger coquettement, proprement friser comme un bichon: « Se bichonner-n'est pas français, s'adoniser : Il aimo à se bichonner, cette femme est sans cosso à se bichonner » (Michel, 1807).

4° Audace, courago (Bruant, Route, p. 3G) : « Non ! Faut qu'ils ayent du chien dans le ventre... »

C'est à la voix du chien quesc rattache le sons do « revolver », donné à azor et à basset, à côté du synonyme aboyeur : « Un gonec qui te mettrait sous le blair uno paire à'asors à six coups... via qu'i font aboyer asor », Bercy, XXIX et XXXe lettre, p. 6 et 7. r Cette môme voix a fourni au parler vulgaire la notion do bavarder (cf. jaspiner) : Jappe, languo bien pendue, bavardage {avoir de la jappe, bavarder), terme censuré par Desgrangés en 1821 : « Tu n'as que la jappe. La jappe n'est pas français. On no peut diro japper que dans le sens d'aboyer ». Très usuel encore dans les parlers provinciaux.

CHAT. — A l'encontre du chien, la langue s'est montrée très sympathique au chat qu'ello a comblé de caresses. Les noms du chat ont généralement fourni des mots d'amitié, de gentillesse, mais aussi de lubricité (cf. chatte et minette) et do friandise. Citons, parmi les noms hypochoristiques du chat, celui do monte (abrégé de moumoute), qui est devenu un des synonymes de la beauté: « T'es si monte avec ta peau en satin », Hirseh, Le Tigre, p. 317.

Le nom enfantin du chat, mistigris (proprement chat gris), désigne à la fois le valet do trèfle et l'apprenti des peintres en bâtiments (Kigaud).

BOUC. — Animal lascif par excellence et exhalant une odeur désagréable, le bouc a fourni ces deux notions :

1° Maison de débauche: Bocard, bordel, terme usuel parmi les marins, censuré par Desgranges en 1821 (« co mot n'appartient qu'à la racaille »), parallèle au synonyme antérieur boucan, donné en 1G1)0 comme un mot parisien par Ménage ( qui en avait entrevu l'origine : « peut-être de buccus. comme lupanar do lupa »). Dans les parlers provinciaux, boucard est le nom du bouc (dans l'Yonne), comme bocan. bouc, à Genève (« la chèvre et son bocan », Gaudy-Lefort, 1827).

2° Odeur forte (cf. Oudin, iGiO : « Un bouc, un luxurieux, un puant »), d'où emboucaner, puer (Rossignol), et s'emboucaner, s'ennuyer (Delvau, SuppL).


380 FAITS SÉMANTIQUES

CANE. — La cano a donné le dérivé moderne cancr, avoir peur, répondant au synonyme ancien faire la cane, dont s'est servi Rabelais qui on donne en même temps l'explication (1. 111, cii. vi) : « ... advenant le jour do bataille plus tost se mettraient au plongeon comme canes, avecquos les bagaiges, que avecques les combalans... » Ce verbe a été censuré en 1821 par Desgranges: « Canner (sic), fuir, lâcher le pied, n'est pas français. Je l'ai fait caner; ah! tu canes, toi. C'est une expression des habitués de la Courtillc ».

Il est très usuel : « Alors, tu crois que je vais caner devant ces a,ndouilles? » Rosny, Hues, p. 25.

LAPIN. — Les vertus prolifiques du lapin on font le repré- > sentant du mâle : un rude lapin, c'est un fort gaillard. L'expression poser un lapin, ne pas payer une femme galante (ensuite, ne pas aller à un rendez-vous, manquor à une promesse), remonte à l'argot des cochers des messageries, chez lesquels lapin désignait lo voyageur ou la marchandise transportée en fraude de la compagnie. x

LOUP. — Le nom du loup a fourni les notions de :

i° Detto criarde (et créancier), sens de loup dans l'argot des imprimeurs (louvetier, homme endetté): « Au loup! au loup! crie-t-on dans un atelier quand un créancier vient réclamer son dû » (Boutmy).

2° Pièce manquée ou mal faite, chez les tailleurs, c'est-àdire travail gâché, d'où la notion do bévue (louper, rater, manquer) : « Comment, c'est vous qui faites un loup si grossier » ? Poulot, p. 47.

RENARD. — Le renard a fourni les notions de :

1° Vomissement (cf. queue de renard, vomissement qui laisse une longue traînée), d'où les expressions: cracher un renard (Hayard), faire un renard (Rossignol) et piquer un renard, toutes synonymes do renarder, vomir, et répondant à l'ancien escorcher un renard (Rabolais).

Ces expressions ont été blâmées par les grammairiens : «.Faire un renard, pour vomir, voilà une nouvelle expression. Il en résulte que bientôt on dira renarder ' », Desgranges, 1821.

t 2° Vagabondage : faire le renard, faire l'école buissonnicre, et tirer au renard, esquiver un exercice, une corvée.

1. On le disait déjà dans les provinces (au xvni 8 siècle) : * Renarder vaut autant en Champagne qn'écorcher le renard i {Trévoux, 1752).


MÉTAPHORE 381

4. — Plantes.

Nous avons déjà relevé le rùlo que certains noms do végétaux jouent dans la désignation vulgaire des notions tête et argent.

D'autres ont un caractère dépréciatif qui va jusqu'à exprimer la non-valeur ou la nullité. Elles rentrent dans la catégorie des formules négatives, variées et multiples, dont abonde le langage vulgaire et dont nous avons déjà traité. Nombre de ces expressions négatives ou dépréciatives remontent à l'ancienne langue :

Navet, des navets, expression de la non-valeur dans les plus anciens monuments * de la langue (ancien français naveau), par cxemplo dans le Roman de la Rose :

18843. Mez toz diz ne vaut deus notez.

Au xve siècle, Coquillart s'en sert à propos des étudiants débauebés (t. II, p. 247) :

Et mectont la main au bonnet, Afin qu'on voit les anneaulx, Pour dire * « J'ay ung affiquet •>, Et n'ont pas vaillant deus naveaulx.

La formule courante encore au xvic siècle (Marot, Des Périers, etc.), survit dans lo parler vulgaire: « Des navets! non, jamais, terme de refus dans le jargon des voyous » (Rigaud). « Obé! les gendarmes, obé! des navets », II. Monnier, Scènes populaires, p. 84. — « Te prêter cent sous? — Des navets ! » (Dclesalle).

Nèfle, des nèfles, môme sens négatif (ancien français nesplé), dans Elle de Saint-Gille, éd. Fôrster :

335. Eties l'entent, ne la prise une nesple.

Dans la comédie Les Esprits (1579) de Larivoy (acte II, se. 3): « Et où prendrois-jo deux mille escus? Deux mille ne/les! Tu as bien trouvé ton hommo de deux mille escus ! »

Pasquier en cite la valeur dépréciative au xvie siècle : « On a dit par forme d'injure advocaciau de nèfles » (dans ses Lettres,, t. II, p. 797); et Oudin, au xvir 3, la donne comme

1. Voir la dissertation déjà citée do Dreyling.


382 FAITS SKMANT1KUES

vulgaire : « Des nèfles. On se sert de ce mot pour dérision d'une personne- qui demande ou qui propose quelque chose ».

Do même, de nos jours : « Des nèfles, chose sur laquelle on compte et qu'on n'aura pas » (Rossignol). Aussi comme expression du néant : « A toutes les fenêtres y avait dos drapeaux, et des tas de lampions et des guirlandes!....Au jour d'aujourd'hui, des nèjles! » Bercy, À7Â'e lettre, p. 5.

Comparaison exprimant l'inutilité : c'est comme des nèfles, c'est inutile.

Pomme, des pommes, même symbole de l'insignifiance, (lu néant, dans l'ancienne langue (Roman de la lïose) : ,

•1717. L'on ne doit pas croire fol homme Do la value iVune pomme.,.

Aujourd'hui, avec le même sens symholiquo (Rictus, Soliloques, p. 8G): « Oh! là, là, gna rien de fait.. , des pommes! »

Do même, dans la formule, c'est comme des pommes, expression usuelle surtout parmi les troupiers : « ça ne sert à rien, ça ne se fera pas ! » (Ginisty).

Passons maintenant aux formules particulières à la langue moderne :

Anis, de l'anis, de l'anis dans une c'eope, formule surtout de refus ' : « Tu aras de l'anis dans une ccope, tu essuieras un refus et recevras des coups » (Hécart). — « De l'anis! Phrase de l'argot des faubouriens qui l'emploient en réponse à quelque chose qui leur déplait ou ne leur va pas » (Delvau, v° du vent).

Datte, des dattes! formule négative (Rictus, Soliloques, p. 33). Surtout dans la formule comme des dattes, c'est inutile : « C'est bon, c'est bon, c'est, dit le brigadier,... tu sais, tu peux te palper, c'est comme des dattes pour ête reçu au rapport », Courteline, Gaietés, p. 70. — « Et si, pour se dégourdir, on a l'intention d'aller prendre l'air, c'est comme des dattes, on se fouille », Père Veinard, 28 janvier 1891.

Panais, des panais, même sens figuré que des navets : fi Formule négative équivalente à non,jamais; on dit en allongeant: Des panais, Rosalie! » (Rigaud). — « Veux-tu me prêter cent sous? — Des panais, tu te f...rais de ma fîolo » (Virmaître). ,

Patate, des patates, avec la même acception do refus ou

1. Même valeur symbolique en italien provincial : t Far gli aneli, far fichi. Pregati a far qualcosa, moslrarsiritrosi, o farla di mala voglia » (Petrocchi).

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MÈTAPHORK 383

d'inutilité : « Trente-deux jours à tirer au lieu do vingt-huit? Des patates ! » Courleline, Potiron, p. 9. — « Je n'ai pas parlé pour des patates », Rosny, Marthe, p. (H.

Cotte locution exprimant le peu de cas qu'on fait de quelque chose, trouve son pendant dans celle de pour des prunes qu'on lit dans Molière (Sganarellc, se. XVI) : « Si je suis affligé, ce n'est pas pour des prunes.., »

Ikulis, des radis ! des petits radis ! formule de refus (Bruant).

Tomate, des tomates! autre formule de refus (Idem).

Les expressions botaniques suivantes font allusion à la forme :

Artichaut, portefeuille, porte-monnaie (surtout sous la forme abrégée artiche), semblable à la plante qui a la forme d'une bourse fermée (Bruant, Rues, t. II, p. 119) : « On leur fait Vartiche et les poches... »

Baguenaude, poche, rappelant la gousse vésiculeuse du baguenaudier : « Faut en finir avec ces petites cochonneries qui ne vous mettent pas seulement une tuno dans la baguenaude », Rosny, Hues, p. loi.

Salsifis, doigts longs et maigres (comme les feuilles de cette plante) : « Quelques bonnes poignées de salsifis sur la tronche », Méténicr, Lutte, p. 190.

Pour exprimer la grosseur, le langage populaire a l'expression :

Tronche, fille gaillarde, proprement tige do bois, d'où tronche/', faire l'amour (Bruant).

Retenons les notions de :

1° Tendresse : Chou, et redoublé, chouchou, enfant chéri, terme de tendresse adressé par les mères à leurs enfants, répondant à mon trognon ! trognon de chou! « Chou chou. Nom amical et caressant que l'on donne aux petits enfants. On dit aussi : mon chou » * (d'IIautcl). De là chouchouter, chouter, caresser, cajoler, et chouterie, caresse : « Au lieu de vous chouchouter, elle vous a fait aller comme un valet », Balzac, Un ménage de garçon, 1842, t. VI, p. 267.

2. A côté de t trognon de chou, sobriquet que l'on donne aux petites personnes laides et contrefaites; un petit trognon, termo de mépris pour dire une fille do petite taille et replète; j'en fais autant de cas que d'un trognon de chou, pour dire que l'on n'a aucune considération pour quelqu'un » (d'Hautel). -


3S4 FAITS SÉMANTIQUES

2° Imbécilité : Melon, imbécile, ancienne métaphore qu'on lit déjà dans VIliade (chant II, v. 235), où Thorsile adresse aux Grecs l'injure de TTC'TTOVJ:, melons ! A toutes les époques, les cucurbitacées — cornichon, gourde, etc.— ont fourni les expressions de la bêtise, que symbolisent également les synonymes navet et panais.

3° Coups: Oignon (abrégé souvent en gnon, voy. p. 96), coup qui fait pleurer • ou plutôt allusion à la bosse (grosse et jaune comme un oignon) provoquée par le coup, à l'exemple du vendéen ècJialotle, rossée, roulée; — châtaigne, gifle, coup et spécialement qui marque le visage, à côté de marron, coup de poing (Rossignol), par allusion à la couleur de la partie contusionnée : coller un marron 2 ou laisser tomber des châtaignes, pour donner des coups. L'ancienne langue disait aussi prune (acception restée en Normandie), dans la Passion de Gréban :

1053*2. Encore aront Hz cesto prune... s

Mentionnons finalement les locutions :

Faire le poireau, attendre longtemps sur ses jambes, c'està-dire être planté comme un poireau : « Il doit rire, s'il ost toujours à faire le poireau sur la route », Zola, p. 87. De là, poireauter, faire le poireau.

Manger des pissenlits par 4a racine, mourir, être enterré, répondant au synonyme lyonnais manger les salades par le trognon (Puitspelu); en Anjou, on dit: « Avant peu il ira manger des nauiauoe par la racine ». Lo champ des navets désigne les terrains communs du cimetière, et, à Paris, le cimetière d'Ivry.

Tirer une carotte, soutirer de l'argent par un mensonge : la carotte est très lente à sortir et lo terrain, se couvrant de mauvaises herbes, est d'un nettoyage difficile pour en permettre l'arrachage; de là, notro métaphore qui remonte au xvme siècle : « Tirer des carottes à quelqu'un, locution basse et tout à fait populaire qui signifie sonder quelqu'un avec

i. c Attraper l'oignon, séparer deux personnes qui se battent et recevoir le coup destiné à l'adversaire », Virmaitre, Suppl.

2. f Si j'avais été par là, je lui aurais collé illico quelques marrons sur la gueule.», Père Peinard, 29 juin 1890, p.,H. i

3. Le synonyme limande, tape, fait allusion à la forme plate du poisson : c Si elle pinçait son faignant, vlanl une limande par la figârô », Poulot, p. 172.

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MÉTAPHORE 385

adresse, le faire jaser, le tourner on tout sens, afin do savoir ce qu'il n'a pas dessein de révéler, ce que l'on appello d'une manière moins triviale tirer les vers du nés » (d'Itautel). L'expression est particulièrement usuelle dans le langage des casernes : Carotte, mensonge pour tromper adroitoment; carotter, éluder la manoeuvre et les corvées (et carottier, celui qui carotte le service), répondant aux synonymes fricoter et fricoteur.

5. — Jeux.

Los jeux des adultes et surtout ceux des enfants ont fourni nombre d'expressions métaphoriques. Certaines remontent assez haut.

Le jeu do quilles, par exemple, a donné dès le xve siècle quille, au sens de « jambo », et la locution trousser ses quilles, se sauver. La langue moderne en a retenu déquillcr, renverser une quille avec la boule qu'on lance et l'onvoyer audelà des limites du carré du jeu, d'où les acceptions :

i° Chasser d'une place, d'un poste, d'une fonction (v. Littré).

2° Estropier : « Ah ! l'Hiver !... ce qu'il a tant fait de déquillcr des prolos, c'est rien do le dire », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 22.

Le jeu do paume a fourni, à son tour, les expressions : faire la balle de quelqu'un, lui convenir, et faire sa balle, faire ses profits, ses affaires '.

Il avait antérieurement donné l'expression enfant de la balle, qui désignait dès l'abord le fils d'un joueur do paume, d'où enfant élevé dans la profession de son père, qui connaît par suite toutes les finesses du métier : « On désigne sous ce nom les enfants d'un teneur de tripot » (d'Hautel). Aujourd'hui, on le dit, chez les comédiens, d'un acteur né et élevé au théâtre ; et, chez les imprimeurs, d'un ouvrier compositeur dont le père était lui-même typographe et qui, depuis son enfance,, a été élevé à l'imprimerie (Boutmy).

Oudin mentionne en 1610 les images tirées du jeu do barres : « J'ai barres sur vous, c'est-à-dire j'ay quoique advar.tage sur vous. La niétaphore est tirée du jeu des barres où, après avoir atteint celui qu'on poursuit, on dit j'ai barres sur vous. — Donner barre, c'est-à-dire arrester la course ou le cours ».

1. « Ça ne fait pas sa balle », Almanach au Père Peinard, 1897, p. 48.

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3S(3 FAITS SEMANTIQUES

La langue moilorno y a ajoulé d'autres métaphores qui sont connues; la dernière en date est se barrer, s'enfuir, se sauver (même sens que jouer anse barres): « Voulez-vous cous barrer, oui ou non? » Courtelino, Train, p. 21o. — « Celui qui me la soufflerait, ferait bien do se barrer dans un autre patelin », Rosny, Marthe, p. iïo.

Nous avons relevé ailleurs les métaphores tirées des jeux d'enfants ou d'écoliers, tel que le bouchon (d'où dérive piger), le saute-mouton (point do départ de donner un fion) et surtout le jeu do billes qui a donné, en dehors de dègolcr (déjà mentionné), les vocables :

Chiquer, battre, proprement lancer avec le pouce la bille de marbre ou de terre cuite — appelée chique (par Oudin, iOiO), nom encore usuel dans le Rerry, la Lorraine, etc. — d'où lancer des coups, frapper. Ce sons figuré se rencontre tout d'abord dans des documents jargonnesques (Chauffeurs, 1800), il est aujourd'hui populaire aussi bien au sens de « battre » qu'à celui de « feindre » (sens modelé sur battre, voy. cidessus, p. 251).

Mabe ou mape, prononciation vulgaire de marbre, désignant la petite bille de marbre avec laquelle jouent les enfants. La variante mibe ou mipe n'en a gardé que l'acception métaphorique : « Mipe, défi, bravade. Terme d'écoliers : faire un mipe ', défier un camarade au jeu, jouer au plus habile, à qui sera le plus fort, qui l'emportera » (d'Hautel). — « Mibe ou mibre, tour do force quelconque, chose où l'on excello, dans l'argot des gamins: c'est mon mibe! c'est mon triomphe! » (Delvau).

Rabibocher, se rabibocher, au jeu de billes, regagner ce qu'on a perdu : « Quand les enfants jouent aux billes, ceux qui ont perdu disent au gagnant : « Veux-tu nous rabibocher ? (Virmaître). De là :

1° Se réconcilier entre enfants (Rigaud). 2° Se raccommoder pour quelque temps, en parlant d'un ménage on désaccord : « C'était le diable pour se rabibocher, avant d'aller pioncer chacun dans son dodo », Zola, p. 3G9. — « Les amoureux, ça se chamaille, c'est connu ; après, on se rabiboclic », Rosny, Marthe, p. 61.

3° Faire.la paix avec un ami lorsqu'on est fâché (Rossignol).

1. On lit dans Gotgrâve (1611), v.inib: < Faire le mi1-, to do a thing foolishly, or ill-favouredly, unhandsomely to go about it ».

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MÉTAPHORE 387

4° Rajuster à la hâte, raccommoder vito et sans beaucoup de soin (H.-France). Avec ce sens, le parler bressan dii rabobicfier et le patois manceau, rapiboter, celui-ci se rattachant à pibot, nom manceau du jeu do bouchon (en Anjou pibot désigne la toupie).

Le jeu de l'escarpolette a donné balancer au double sens :

1° Renvoyer, congédier : « Si vous voulez continuer à commencer votre semaine le jeudi, je vous balancerai », Poulot, p. 97. Ce verbe se dit aussi pour quitter, plaquer une maîtresse, etc.

2° Hcrner, mystifier quelqu'un; d'où balançoire 1, mystification ; envoyer à la balançoire, onvoyer promener quelqu'un, s'en débarrasser : « Est-ce qu'on envoie le monde à la balançoire, est-ce qu'il est défendu de s'amuser comme on l'entend? » Zola, Assommoir, p. 334.

Le jeu de toupie a fourni, à son tour, l'expression envoyer dinguer, c'est-à-dire faire sauter la toupie le long d'un mur: « Lo jouet est envoyé à la dingue, quand un choc violent d'une autro toupie le fait sauter assez haut dans l'air » 2. D'où les sens généralisés :

1° Congédier, renvoyer : « Un patron envoie dinguer un ouvrier qui ne fait pas son affaire (Rossignol).

2° Envoyer promener (aussi envoyer à la dingue) : « Le forgeron s'était offert pour lui montrer, mais l'autre l'avait envoyé dinguer », Zola, p. 133. — « Un tas de chaises que j'ai envoyées à dingue », Bercy, XLIe lettre, p. 6.

3° Faire tomber bruyamment 3 sur le pavé : « Je Yenvoie dinguer sur le trottoir », Méténier, Lutte, p. 234.

Parmi les jeux des adultes, le jeu de cartes a été le plus fécond. Il a enrichi la langue, et tout particulièrement l'idiome parisien, d'une foule de termes et locutions caractéristiques que nous allons passer en revue.

Citons tout d'abord le mot rencart, rebut, dont Desgranges fait mention en 1821 : « Il faut mettre ces objets au rancart. Cela veut dire no pas se servir des choses, les laisser de côté ;

1. Victor Hugo s'en est servi (Misérables, t. III, p. 393) : « Ah, râla Thénardier, la bonne balançoire ».

2.' Esquieu, ouvrage cité, p. 10.

3. c Quand deux hommes se battent et que l'un tombe sur le pavé, sa tête dingue » (Virmaltre).

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3SS FAITS SKMAN11QUKS

mais rancart n'est pas français ». Ce terme, ainsi que le verbe rencarter, rejeter, remonte au poissard (Vado, Jérôme et Fanchonnet, se. iv et v) :

Mais fiour faire un lion souldart, Faut mette ta tendresse au rencart.,. Tiens, ma pauvre soeur, tu n'a pas de raison De rencarter un lion luron.

La locution mettre au rancart, c'est-à-dire mettre de côté, est très usuelle * : « J'ai mis vingt francs au rancart pour payer mon terme de loyer ; mon vélocipède, étant trop vioux, ie l'ai mis au rancart » (Rossignol).

Cette expression est tirée du jeu de cartes: rencart, cartes qui rentrent et qu'on écarte, et rencarter, éliminer des cartes do son jeu. C'est la forme parisienne do recarter (d'où rccart), encore usuelle comme terme de jeu do cartes (par exemple dans l'Anjou), au sens itératif d'écarter et d'écart : « Recarter, pour écarter des cartes. Vice de prononciation », Desgranges, 1821. La forme nasale parisienne a subi la contamination du synonyme rentrer (des cartes). Le parler normand de la Vallée d'Yèrcs a encore conservé la forme primitive « mettre au recart, de coté, au rebut » (Dclboulle).

Voici maintenant quelques autres applications dérivant de cotlo source :

As. argent: être à l'as, avoir beaucoup d'argent (cf. avoir des as dans son jeu, avoir chance de gain). Le mot figure dans de nombreuses locutions métaphoriques (qu'il est parfois malaisé d'expliquer) : Aller à l'as, tomber à terre (sur son as do pique); — bouffer à l'as, jeûner, et passera l'as, escamoter, ne pas payer, ne ri<m toucher (sens venu peut-être du jeu de bonneteau où les enjeux mis sur l'as passent dans la poche du grec); — veiller à'l'as, ouvrir l'oeil, faire attention (par comparaison de l'oeil à un as). — As de carreau, havresac (d'après la forme carrée), et as dépique, anus et extrémité du croupion (au figuré, homme propre à rien) : fichu comme l'as de pique, contrefait, Atout, avec lo double sens : . v

1° Force physique, sens déjà attesté dans le poissard : « De

1. Rencart ou rancard a, en outre, le sens de renseignement: « Un agen de police dirait : On m'a donné un rancard où se réunissent des voleurs » (Rossignol). De là rencarder, renseigner: « Qui t'a rencardéï » Itosny, Rues, p. 165.


MÉTAPHORE 389

quoi donc qu'i se môle ? Faut renoncer quand on n'a pas A'atout », Vadé, Complément, 1755.

2° Coup, coup violent, par allusion au coup porté au jeu par la carte maîtresse. Ce dernier sens qui se lit déjà dans une farco du xvie siècle (v. Kr.-Michol), est donné par d'Hautel : « Atout. Terme burlesque qui équivaut'à mornifle, talocho, horion: il a reçu un fameux atout, pour dire il a été rossé, équippé d'une belle manière ». Encore très usuel : « Ne fais pas le fondant... Empoche ça. Et atout! atout! atout! » Zola, Assommoir, p. 462.

Couleur. La couleur de la carte — rouge (carreau ot coeur) ou noire (pique et trèfle) — qui joue un rôle si important dans le jeu, a donné naissance à la locution être à la couleur, avoir de quoi répondre à l'attaque, être au fait, au courant d'une chose : « Tous étaient à la couleur, quand ils l'apercevaient de loin, ils prévenaient... Les sublimes qui sont à la couleur ne s'y laissent pas prendre », Poulot, p. 172 et 196. — « Et comme elle demandait aux ouvriers si Coupeau n'allait pas sortir, eux qui étaient à la couleur, lui répondirent en blaguant que le camarade venait tout juste de filer », Zola, p. 521.

Plus usuelle sous la forme abrégée être à la coule, être renseigné, mis au courant l et aussi être malin (Hayard).

La métaphore a fait fortune sous cette forme; nous la retrouvons tour à tour :

Chez les ouvriers métallurgistes 2, où elle signifie êtro bien au fait de la fonderie : « Quand il est entré là dedans, on ne savait rien faire, ça commence à venir, on les a mis à la coule », Poulot, p. 97.

Chez les imprimeurs : Etre à la coule, être rompu aux us et coutumes do l'imprimerie (Boutmy).

Chez les autres ouvriers : expérimenté, malin, qui sait son

1. Dolvau ot Larchey, faute d'avoir saisi l'origine de notre locution, l'interprétont au petit bonheur : c Etre à la coule, être d'un aimable caractère, d'un commerce agréable, doux, coulant... signifie aussi savoir tirer son épingle du jeu, être dupeur plutôt que dupe »... (Delvau). — e Etre à la couleur, être convenable, faire bien les choses », et t être à la coule, être insinuant, sachant se couler entre les obstacles, agir de complicité » (Larchey). — c Etre à la couleur, faire les choses convenablement, c'est-à-dirè se mettre de la couleur do la. personne que l'on veut choyer » (H.-France).

2. La métaphore serait-elle plutôt du ressort technique, la coulée ou la coule étant l'opération la plus délicate de la fonderie, opération pratiquée par les ouvriers les plus habiles? Dans ce cas, l'expression aurait passé des métallurgistes aux imprimeurs et aux ouvriers, et l'image appartiendrait plutôt au chapitre que nous avons consacré aux mécaniciens.


390 FAITS SÉMANTIQUES

métier: « L'énergie et la finasserie des zigues à la coule », Père Peinard 1S déc. 1889.

Le mot a passé ensuite choz les camelots, malfaiteurs, etc. : ce Des hommes à la coule, des gonces redoutés », Rosny, Hues, p. 95. — « Voilà. On va mottre une date. J'aime mieux faire les choses à la coule », Id., Marthe, p. 10. — « S'il avait été au courant, à la coule, il aurait su que le promior truc du camelot, c'est de s'établir au coeur môme do la foule », Richepin, Pavé, p. 41.

Do Paris, cotte expression a passé dans les parlcrs provinciaux : Yonne, être à la coule d'une chose, savoir la manière do s'y prendre pour la faire (Jossior) ; Anjou, à la coule, au courant (« il est tout à fait à la coule, il était ben à la coule, do son commerce », Verrier et Onillon) ; Verduno-chalonnais, être à la coule, ètro malin, rendre des points aux autres (Fertiault).

Drogue, sorte de jeu de cartes dans les chambrées ou les corps do garde, très en usago aussi parmi les matelots. Les perdants sont condamnés à porter sur le nez, et jusqu'à ce qu'ils se fassent relover en gagnant à leur tour, une sorte de petite pince en bois qui leur, serre les narines : pendant ce temps on dit qu'tVs droguent (Ronnefoux). De là, droguer, attendre, en faisant les cent pas, quelqu'un qui ne vient pas, piétiner sur place, s'ennuyer à attendre.

Le verbe est donné par d'IIautel : « Faire droguer, être retenu malgré soi dans un lieu où l'on n'est pas à s.)n aise, y attendre quelqu'un, planter le piquet ». Il a été censuré par les grammairiens : « Faire droguer quelqu'un, pour dire faire attendre longtemps, n'est pas français », Michel, 1807. — « Droguer, pour signifier attendre, n'est pas français. C'est un mot de soldat », Desgranges, 1821. Le terme est aujourd'hui partout populaire, à Paris comme dans les provinces.

Sec, dans l'expression en cinq secs, au jeu d'écarté, en cinq points secs, d'une seule partie et sans revanche, locution qui exprime une opération rapide (ainsi complétée dans les casernes: en cinq secs et trois mouvements).

Tierce, au jou do piquet, réunion de trois cartes de la même couleur, désigne :

. 1° Des agents de police en nombre (ils vont habituellement par deux) : « Galetons, il y a de la tierce » (Rigaud).

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MÉTAPHORE / 391

2° Bande do malfaiteurs : « Toute la tierce y passera », Méténier, Lutte, p. 19G.

3° Association de faux monnayeurs, généralement trois (lo fabricatcur, l'émetteur et un complice de réserve), Yirmaîlro.

Le jeu de piquot a fourni uno autro locution, quinte et quatorze 1, réunion de cartes qui fait souvent gagner une partie, devenue l'appellation plaisante de la syphiljp, qui porto aussi le nom facétieux de gros lot 1. Oudin note en 1640: « Jouer au piquet, par métaphore, faire l'acte vénérien », tandis que d'Hautel no connaît que : « Avoir quinte et quatorze, avoir beau jeu dans une affairo, avoir de grandes espérances do succès ». Le sens libre actuel en est une application ironiquo: « S'il y a des femmes assez salopes pour avoir envie de ton cuir, grand bien leur fasse! ça les regarde. Quant à moi, mon vieux, à ton aise; libre à toi de te faire fader, quinte, quatorze, la capote et le point ; ce n'est pas moi qui te soignerai, bien sûr! » Courteline, Train, y. 60.

6, — Musique, refrains.

La musique a fourni un petit nombre de termes : A la clé, endroit de la portée 3 où l'on indique les accidents (« trois dièzes à la clé »), est devenu, dans le parler vulgaire, uno formule explétive après avoir désigné une tâche difficile : « Ils éviteront les grands arbres quand y aura do l'orage à la clé », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 17. — « Kh^damo, -si nous changeons, c'est pour amélioror notre sort, avoir un peu plus do bonheur à la clé... Crac, on écope... deux jours do caisse à la clé », Père Peinard, 1889, 24 mars, p. 4 ot 28 sept. 1890, p. 2.

Flûte ! marque l'impatience, le dépit ou le refus dédaigneux \ synonyme do sut, représentant moderne de l'ancien

1. On ajoute souvent pour renforcer l'expression : et le point.

2. Cf. d'Hautel : t Gagner le gros lot, sens libre et malhonnête que l'on s'abstient d'expliquer ».

3. Cf. Dolvau : t A la clé. Façon de parler des comédiens, qui entendent fréquemment lour chef d'orchestre leur dire : t II y a trois dièzes ou trois bémols à la elê », et qui ont retenu l'expression sans en comprendre le sens o.xact. Ainsi : Il y a des femmes ou des côtelettes r'i la de' signifie simplement : II y a des femmes ou dos côtelettes ».

i. De là, envoyer flâler, envoyer prgniencr : * Elle envoyait joliment (lùter lo inonde », Zola, Assommoir, p, 416.


393 FAJTS SÉMANTIQUES

ut : « Ut ! ' Sais-tu la musique ? Oui. Et bien ut ! Quolibet qui, d'une farce comique, est passé parmi le peuple; so dit à quelqu'un que l'on est ennuyé d'entendre et équivaut à va to promener » (d'Hautel). Dans le Berry, ut est encore synonyme à'ouste ! et se confond avec la note do musique homonyme, d'où la plaisanterie : jo lui dis ut en musique (prononcé : je lui dis-^-M^...)

Certains refrains populaires sont tirés (ou rapprochés) do plusieurs mots usuels.

Luron, représente un refrain do chanson populaire qu'on lit à. différentes époques :

Au xvie siècle (Leroux de Lincy et Fr.-Michel, Recueil de farces, moralités et sermons joyeux, 1837, t. III) :

Avant lure lurote, Avant lure luron. ,

Mon Dieu que jo suys vray luron !

Au xviie siècle {Comédie des Chansons, 1610, acto V, se. 5) :

Dansons la titre luron, Jamais si bon temps nous n'aurons !

Au xvme siècle (Vadé, Jérôme et Fanchonnette, 17ub, se. 7) :

Vcnte-t-cn, luron, lurette, Flatlc-t-cn, luron, lurv.

C'est là un rapprochement par simple assonance avec luron. gaillard, qui remonte égalemont au xvi° sièclo et accuse une toute autre origine. Le refrain coqueluiron se lit déjà dans Eustache Deschamps (OEuvres, t. IV, p. 231).

Biribi. autre refrain populaire dans lequel Biribi altornc avec Barbari ou Barbarie, nom des Etats barbarosques au nord do l'Afrique. L'exemple le plus ancien so lit dans lo Paris ridicule do Claude Lo Petit, 1648 (à propos du général Castelar):

Car pour s'acquérir du renom, La faridondaine, La faridondon ; A Plaisance il bat l'ennemi,

Biribi, A la façon do Barbari, Mon ami.

1. Les termes libres ganta/iuche, tribado (Bruant), ol gumahucher (« iambero inter feminalia », Delcsalle; Hainaut, prendre un baiser à la manière des pigeons), dérivent de l'ancien gama ut, qui désignait la note la plus élevée de la 1,'amme. Dans l'ancienne nomenclature erotique, la musique joue un rôle a'/sez important.


MÉTAPHORE 393

Et dans un opéra-comique de Vadé, le Poirier, 1752, se. xiv :

Il connaît votre intention, La faridoiutaine, la faridondon, Il va la seconder aussi, Biribi, A la façon do Barbari, mon ami.

Ce refrain a peut-être influencé l'acception spéciale — « bataillons do discipline d'Afrique » — donnée de nos jours à Biribi, e'est-à-diro Barbarie, Afrique.

Voici maintenant quelques autres de ces refrains qui ont été généralisés :

Faridon, faridondaine, misère, miséreux : « Etre à la faridon, être dénué do toutes ressources ; être à la faridondaine, être dans la purée la plus complote » (Virmaître). — « En attendant, je suis à lafaridon », Bercy, 7ère lettre, p. 7.

Emploi ironique d'un refrain connu (Vadé, Le Poitier, 1752, se. xiv) :

Il connaît votre intention,

La faridondaine, la faridondon.

Lanlaire, envoyer faire lanlaire, envoyer promener : « J'étais chez Corneveaux, ot j'y ai pas fait long feu, j'ai envoyé le bazar se faire lanlaire », Père Peinard, 5 juillet 1891, p. 3.

C'est encore un refrain vide de sens (Vadé, Racoleurs, se. I):

O gué Ion la lanlaire, Vogue la galère, Lanière, lanière,.. •

Son synonyme est lanturlu, autre refrain de vaudeville quoScarron explique ainsi [Virgile travesti, éd. Furnc, 1. VII, p. 275):

Latin, le désordre entendu, Leur répondit lanturlu (Ce mot, en langage vulgaire, Veut dire allez-vous faire faire... Je no sçaurais honnêtement Vous l'expliquer plus clairement).

Philibert Lo Roux (1718) attribuocet emploi au « menu peuple do Paris,» et il est encore vi'vaco : « Dans le langago po1.

po1. Isrelanlaire. Mot inventé pour exprimer le pou do cas qu'on fa|t d'une chose ou pour so moquer d'une personne », Le Houx, Dict. comique, ma.


394 FAITS SÉMANTIQUES

pulaire, lantuvlu équivaut à aller à diable, aller vous faire fiche » (d'IIautel).

Tourlourou a été de bonne heure employé comme nom d'amitié ou comme sobriquet (Comédie des Chansons, IGiO, acte II, se. 1) :

Jamais nous no Jicurons

Du km vin sous la lyo.

11 s'en va dans le trou, IJedon don, nia gonti' tourclourcltc;

Autant on forez-vous, Bedon don, mon gonti tourclourou.

Aujourd'hui, tourlourou désigne le jeune soldat galant, le gaillard bon-vivant, et tourlourette. la grisette, la fille étourdie : « Il aurait fait rire les carafes, quand il imitait lo tourlourou, les.doigts écartés, le chapeau en arrière », Zola, Assommoir, p. 232.

C'est encore un refrain connu :

Allons, ma toinlourelte ! Allons, mon tourlourou !

refrain parallèle à celui de (urelureau, employé par du Fail avec lo sens de « mignon » '.

Turlutinc, nom plaisant donné par les soldats ù la soupe trempée au café noir, appellation tirée d'une chanson do chambrée (Sarrepont, p. loi).

Voilà les sources principales où le peuple parisien a puisé ses métaphores. Ces comparaisons et images abondent dans son langage, comme dans tous les parlers vulgaires. Nous n'avons fait que relever les cas les plus frappants, les phénomènes les plus saillants, dans ce vaste ensemble qui embrasse tout le domaine linguistique.

1. Coules el Discours d'Eulrapel, éd. Assézat, t. II, p. 96 : t C'est mon petit turclurrau, dist Lupold, pour le faire parler... » L'édition postérieure de iu'JT lui substitua lurelutcau, refrain de la même origine.


CHAPITRE III

IRONIE

L'ironie joue un rôle considérable dans lo vulgaire parisien. Nous avons déjà à plusieurs reprises rencontré ses traces multiples, à l'occasion de l'étude des différents facteurs sociaux. Il importe maintenant do l'envisager dans son ensemble et sous ses divers aspects, allant de la simple plaisanterie à la raillerie insultante. Le burlesque, le comique, la satire so côtoient à chaque pas dans co domaine Les exemples abondent. Essayons de les grouper sous un certain nombre de rubriques. x

1. — Antiphrase.

L'essence mémo de l'ironie est d'exprimer le contraire de ce qu'on veut faire entendre. De là, la fréquence des antiphrases dans lo langage populaire.

Bomber, travailler, proprement faire la bombe ou la noce

(Bruant, Houle,'l. II, p. 98) : « Au lieur que moi faut que je

bombe », à côté do bossers turbiner (appliqué spécialement

"aux filles) : « Ce que ça mo rendrait contente de bosser pour

toi », Ilosny, Hues, p. 157.

Campagne, dans l'expression aller à la campagne, faire un séjour forcé à la prison de Saint-Lazare, en parlant des filles arrêtées par lo service des moeurs. Cf. d'Ilautel, v° campagne : « Les pauvres gens, en allant à Bicètro, disent qu'ils vont à leur maison de campagne ».

Comédie, dans l'expression être à la comédie, chômer, être dans le dénùmont ; envoyer à la comédie, faire chômer : « C'est y pas vexant d'envoyer les ouvriers à la comédie ?... Voilà bientôt quinze jours que je suis à la comédie », Poulot, p. 09 et 114.

Crème, vaurien : « D'un arsouille, on dit il est crème » (Hossignol).


396 FAITS SÉMANTIQUES

Calot, applomb, toupet, proprement cadetl, dernier né (sens exclusif donné par J'Hautol), dans Bruant, Route, p. 160 : « Il a de l'estomac, du culot... »

Dans le jeu du billard, être culot, c'est être inférieur à son adversaire, avoir moins de points que lui.

Faquin, chic, bien mis, sens mentionné par d'IIautol (1808) et censuré par Desgranges : « Faquin, pour paré, n'est pas français. Jacques était faquin dimanche. Cette phrase est mauvaise. Un faquin est un être vil et non pas un homme bien mis ». L'acception ironique, encore très usuelle dans les parlers provinciaux,, trouve son pendant burlesque dans le « mignon du port, faquin », d'Oudin (1610) et dans des équivalents comiques du poissard (Vadé, Pipe cassée, Ier chant):

On sait que sur lo pont aux Blés Maints forts à bras sont rassemblés,.. Ces beaux muguets à brandevin...

ainsi que dans l'angevin fcrlampier, frelampier et petit faraud.

Fringues, fruequns, nippes, d'où fringuer, habiller (Rossignol). L'acception de ce dernier to'rmo était faire l'élégant, coqueter (d'où fringant, coquet, et fringue, toilette recherchée), acception encore usuelle dans lo poissard (Les Porcherons, 1773, p. 130).

Harmonie, tapage, prononcé aussi harmone • : faire de Vharmone, pendant affaire de la musique, faire du vacarme, parler fort et s'emporter.

L'ancienne langue disait aubade, au sens de « charivari » (dans Régnard), puis « volée de coups » (Philibert Le Roux), aujourd'hui plutôt dispute, injures (d'où auhader, injurier): « Après Y avoir aubadde dans les grands prix, ils la collent dans un sapin et la l'envoient », Bercy, XXV 0 lettre, p. 7.

Marer, se marer, s'amuser, proprqmcnt s'ennuyer (cf. s'amuser comme un rat mort) : « Ce qu'on s'est mare à la foire du Trône! » (dans Bruant, p. 21).

Rien, au sens de beaucoup, très (« une dos expressions les

\. c A Paris on appelle culot\n dernier éclosdo la couvée, aussi le dernier enfant d'une femme », Ménage, 1090.

2. lligaud donne encore une autre variante : « Paire de la remone, faire le rodomont, parler très haut et chercher à imposer, dans le jargon des voyous : Ça a l'air do mecs solides, faut pas faire de bi remone ». Faire de l'harmonie, pour faire du tapage, se lit déjà dans un glossaire argotique do J827.


IRONIE 397

plus courantes parmi le peuple : être rien chic, être très élégant; être rien bath, être très joli » Rigaud) : « Elles sont rien drôles !... Tiens ! v'ià Pauline ! ah ben! non, on va rien se tordre ! » Zola, Assommoir, p. 31 et 435.

Sublime, ouvrier fainéant,* violent et ivre (suivant la définition, de Poulot qui en a écrit la physiologie).

C'est au môme ordre d'idées que se rattachent certaines formules ironiques qui expriment un refus ou une affirmation contraire :

Ce que Je tousse ! par contre, c'est ainsi, je m'entends bien : « Ah bien ! il n'est point poivre, non, c'est que Je tousse! disait Nana embêtée », Zola, p. 373. D'Hautel expliquo ainsi cette formule : « Je tousse ! ce que je tousse ! Cela ne durera quo jusqu'à tant que j'aie toussé, pour dire est sans consistance, no fera aucun profit ».

// pleut! non, jamais! « Voulez-vous me rendre un service? — // pleut! » (Rigaud). Cette formule — aussi écoute s'il pleut — exprime en outre :

i° Une chose douteuse, sur laquelle on ne peut compter, sens déjà donné par d'Hautel: « Des écoute s'il pleut, des promesses vaines, des espérances incertaines... » Sous un aspect tant soit peu différent : « Encore une menterie de Coupeau, elle pouvait aller voir s'il pleuvait ! » Zola, Assommoir, p. 427.

2° Attention, silence! il y a du danger, voici du monde (Ilayard) « Il pleut! Vlà les vaches! crie une voix de mue », Uosny, Rues, p. 204. Cette acception est surtout usuelle chez les compositeurs typographes et chez les forains : « Quand un pitro allonge par trop son boniment, le patron lui dit : Ecoute s'il pleut (silence!) », Virmaitre.

2. — Hyperbole, atténuation.

Le parler vulgaire alfecto souvent des expressions exagérées, des hyperboles: abominable ou affreux, au sens de grand ou fort; massacre, grand et gros ou grande quantité et gaspillage De même, dans le langage parisien, cadavre et carcasse désignent le corps de l'homme, le corps vivant ', acception qui remonte au poissard %.

1. Ailleurs, au sens plutôt défavorable : Anjou, cadavre, grand corps mal b;lti (dans la Mayenne : individu do haute taille, etc.).

2. Vadô, Pipe cassée, III" chant, ot Les l'orcherons, 1773, p. 175.


39S FAITS SÉMANTIQUES

De là, à Paris et dans la province, se refaire le cadavre, se réconforter, et promener son cadavre, se promener en flânant (Delesalle) ; Lyonnais, un beau cadavre, pour dire une belle charpente (Puitspclu) ; Bournois, que cadabre ! quel type ! quel farceur ! (Roussey).

De carcasse, corps vivant, dérive se décarcasser, se donner beaucoup de mouvement pour parvenir à un but (dans le ITainaut : manger beaucoup et avec grand appétit). Go terme parisien qui manque encore à nos dictionnaires, est déjà donné par Desgranges (1821): « Se décarcasser, se donner beaucoup de mouvement. Barbarisme. Ne dites pas: Qu'est-ce qu'il a à se décarcasser, mieux vaut à se tourmenter, à se démener ».

Voici deux autres exemples qui rentrent dans cette catégorie:

Epater, étonner. Boiste (1800) ne connaît que le sens d'aplati (« nez épaté, verre épaté»); d'IIautel (1808) donne le verbe avec son acception plus généralo : « S'épater, tomber à plat ventre : Il s'est épaté dans le ruisseau ». Du sens de tomber sur lo nez, on a passé à celui d'ébahir, d'où épatant, étonnant (cf. le synonyme renversant), qui manque encore à Bcschercllo (184b) et n'a été admis que tout récemment par l'Académie.

Epoiler ', s'époiler, s'étonner (Hayard), d'où époilant, épatant (Rossignol), proprement s'arracher le poil (« le chat s'est époilé )i), accusant ainsi la même tendance hyperbolique.

A l'inverse de l'hyperbole, l'atténuation de l'expression peut atteindre son point extrême, lo néant: c'est ce qui est arrivé à nombre de vocables dont la valeur positive a été réduite à leur dernière expression, et qui, do mots positifs qu'ils étaient, sont devenus des négations pures et simples 2.

C'est à cette double tendance que se rattachent certains chiffres exprimant le minimum ou le maximum indéterminés. Le phénomeno, très fréquent en ancien français 3, n'a laissé que de faibles traces dans le parler vulgaire de nos jours.

1. Bruant donne, en outre, s'épauler, avec ce sens (la forme reste suspecte), et se poiler, rire, s'amuser.

2. Voy. ci-dessus, p. 126.

3. Cf. A. ltauschtnaier, Ueber den figtirlichen Gebrauch der Zahlen im Alt franzosischen, Erlangen et Leipzig, 1892.


IP55S—

IRONIE 399

C'est ainsi, par exemple, que quatre désigne une évaluation minime approximative : à quatre pas d'ici, un de ces quatre malins, tiré à quatre épingles, etc.; par contre, cent, en chiffres ronds, devient l'expression du grand nombre, du maximum l :

Faire les cent coups, c'est mener une vie désordonnée, commettre les plus grands excès, expression donnée par d'Hautel : « Faire les cent coups, donner dans de grands écarts, faire des fredaines impardonablos, se porter à toutes sortes d'extravagances, mener une vie crapuleuse et débauchée». /

Etre aux cent coups, c'est être très irrité, outré, bouleversé : « En face d'eux... il faisait le chien couchant, guettait sortir leurs paroles, était aux cent coups quand il les croyait fâchés », Zola, Assommoir, p. 87.

On renchérit parfois en disant: commettre les cent dix-neuf coups 2 ou par contre, comme dans les parlers provinciaux, faire les quatre-vinyt-dix-neuf coups, faire du vacarme, culbuter ou briser tout ce qui se trouve sous la main (Normandie), se livrer à toutes sortes do débauche (Anjou).

La.grande quantité s'indique parfois par: cinq de.... dix de..., quinze de... 3, et faire grande toilette est rendu par : se mettre sur son dix-huit, « expression burlesque et vulgaire qui signifie s'endimancher, se parer de ses plus beaux habits » (d'Hautcl).

Les variantes sont : se mettre sur son trente-ct-un 4, se mettre sur ses trente-six', se mettre en grande toilette (Puitspolu) et se mettre sur son quarante-deux (Dclvau).

Ces approximations montrent qu'il s'agit tout bonnement d'expressions numériques assez vagues comme celles do l'ancien français 6.

Dans le patois de la Mayenue, vingt-deux, désigne un homme très fort (Dottin), et dans le langage parisien, le con1.

con1. dans la vieille langue {Li lloinans de Claris et Laris, v. 121-2) : « De joies U larmes plora... «

2. t Nation, ravie do voir ses parents se manger, se sentant excusée à l'avance, commettait les cent dix-neuf coups », Zola, Assommoir, p. 261.

3. Voy. Uruant, DicL, p. 379.

i. « Dos cortèges interminables de messieurs et de dames sur leur' trenteel-un. l'air très comme il faut », Zola, Assommoir, p. 71.

0. Comparer l'expression : Voir trente-six chandelles... enfant do trente-six pure (ppur bâtard), etc.

G. Voy, Rauschmaier, p. I0i>.


400 FAITS SÉMANTIQUES

Irc-maîtro ou lo patron 1: « II pleut! Exclamation par laquelle un compositeur avertit ses camarades de l'irruption intempestive dans la galerie du prote, du patron ou d'un étranger... Dans quelques maisons,, il pleut! est remplacé par vingt-deux ! Pourquoi vingt-deux f On n'a jamais pu le savoir » (Boutmy). Parfois, vingt-deux annonce l'entrée dans l'atelier du prote, et quand c'est le patron, lo compagnon, placé le plus près de la porte, crie : Quarante quatre! Le chiffre est doublé en raison de l'importance du singe (Virmaître).

Finalement, à la six-quatre-deux indique un travail sans soin, fait à la diable, c'est-à-dire de plus en plus mauvais : « Le ménage irait à la six-quatre-deux, elle s'en battait l'oeil », Zola, Assommoir, p. 358.

3. — Termes facétieux.

Le nombre des vocables plaisants, des termes facétieux est considérable.

La voléo de coups, par exemple, est tour à tour exprimée par dandine et danse ou dégelée 2, par purge 3, par peignée (cf. se crêper le chignon) ou raclée \ à côté de pile, ce dernier censuré par Desgranges 5. La botte est assimilée à un flacon ou gobelet, à une pompe, etc.; les grands souliers, à des bateaux, des marnois, des péniches. Le soldat, à cause de ses mouvements automatiques, est désigné par marionnette, poupée, guignol.

Do môme, la notion de maladresse est progressivement rendue par boulette ou brioche* et par gaffe (« accroc »); celle do tomber (et échouor), par l'amasser un bouchon, une bâche ou une pelle, etc.

Villon et les Mystères appellent anges de grève les sergents du bourreau que le Journal d'un bourgeois de Paris (15151536, p. 319) nomme les valets du deable. Trancher la tète,

1. Lo terme jargonnesque vingt-deux, couteau, encore usuel, fait probablement allusion à son prix : « vingt-deux r sous.

2. < Elle finissait par se ficher des dégelées comme du reste », Zola, p. 415. Uf. d'ilautcl : « Jl est de'yelé, il est mort... »

3. % Administrer à la gonzesse une purge d'importance », Méténier, p. 74.

4. Terme agricole : binage qui consiste à racler le sol avec la houe.

5. « l'iter, pour battre, et donner une pile à quelqu'un. Tout cela n'est pas français ».

0. Voy. le Dict. général sur ces sons figurés des mots boulette ot Moche.


IRONIE 401

c'était (nous dit Oudin, 1G40) faire cardinal en Grève et « on huj a fait porter le chapeau rouge, c'cst-à-dirc il a eu la teste tranchée ». La pendaison se disait mariage (et marieuse, lo bourreau), à côté A"épouser la veuve, être pendu, anciennos métaphores à la fois populaires et jargonnesques '. Cette mémo notion était rendue par l'expression facétieuse qu'on lit dans Rabelais : être fait évêque des champs (donnant la bénédiction avec les pieds aux passants).

Détachons un premier groupo :

Caillou, tête chauve : « Plus de mousse sur le caillou, quatre cheveux frisant à plat dans le cou », Zola, p. 472.

Consolation, eau- de-vie (prétendue consolation 2 de l'ivrogne, elle est plutôt son casse-poitrine, son tord-boyaux)'. « Il no retombait d'aplomb sur ses pattes qu'après son premier verre de consolation, vrai remède dont lo feu lui cautérisait les boyaux », Zola, p. 3o2.

Danseur, dindon, par allusion à certaines exhibitions des bateleurs de foiro qui faisaient danser ces oiseaux sur des plaques de tôle échauffées : « Danseur, terme d'argot qui signifie un dindon... on l'appelle vulgairement un jésuite, parco qu'on attribue l'introduction de cet oiseau en Europe aux Jésuites envoyés comme missionnaires de l'Inde » (d'Hautel).

Fumiste, mauvais plaisant, mystificateur (par allusion *a l'exploitation des propriétaires par les fumistes); de là, fumisterie, blague: « Sapeck était le roi des fumistes... » (dans limant, Dict., p. 327). — « La révision, c'est une fumisterie dégoûtante montée pour nous faire poireauter ». Père Peinard. 22 sept. 1889, p. 2.

Gloria, liqueur cliaudo composée de café et d'eau-de-vie ou de rhum (mot nouveau qu'on lit dans Halzac : voy. Larchey). Cet emploi burlesque de l'hymne liturgique Gloria inexcelsis se lit déjà dans une farce de VAncien Théâtre (t. î, p. 220):

(l'est droit gloria filia Pour laver SPS dons.,.

1. Voir, sur foules ces expressions, le glossaire des Sources de l'Argot ancien.

2. Consolation esl également le nom ironique que les bonnetcurs donnent à une partie de cartes jouée en wagon au retour des courses : les parieurs y perdent toujours, car l'art consisto à y substituer dès le début une autre carte à la carte qu'on a montrée aux joueurs (v. Larchey, Supplément, et Rossignol). »

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402 FAITS SÉMANTIQUES

Jambe, la jambe! tu m'ennuies (Rictus. gagnant, p. G) :

LA MÈRE VIDAL. — Mossieur ramasse la caisse et va rigoler avec la crème qu'il fréquente. LE PÈRE VIDAL. — Oh! la jambe...

On dit plaisamment: ça me fait une belle jambe, ça m'avance bien. Cf. Philibert Le Roux (1718) : « On dit de celui qui se propose de faire une chose dont on no tirerait aucun avantage : Cela ne me rendra pas la jambe mieux faite ».

Lo poissard disait, avec le même sens, la quille! On lit ce dialogue dans lo Porteur d'eau, 1739.. se. iv :

MARGOT. — Quand j'aurai reçu tout le restant, ma mère, nous verrons ça.

BOURGUIGNON. — Je n'ai pas besoin du reste, moi ; je ne suis pas difficile.

MADAME ROGNON. — Oui, la quille !

Laver, vendre * par besoin d'argent (donc à perte ou au rabais), analogue à rincer, lessiver, perdreau jeu: « Il a lavé sa montre, ses boucles » (d'Hautol). — « Les parents lui confisquaient lo noeud ef allaient le laver », Zola, p. 173.

Ombre, dans l'expression à l'ombre, en prison : « Si les autres savaient qu'il a été à l'ombre, ils le feraient balancer », Poulot, p. 83i Oudin donne l'expression sous sa forme plus complète: « Il esta l'ombre de peur de hasle, c'est-à-dire il ost en prison ».

Pacier, lit malpropre, spécialement lit de caserne, nid à puces : « Rappelle où qu'est mon pucier », Courtelinc, Gaietés, p. 11. Le synonyme poussier, grabat, signifie proprement poussier de paille (Rictus, Coeur, p. 38) : « Le pauve matelas, Je pauve poussier... »

Rossignol, marchandise démodée, primitivement « sobriquet donné par les libraires aux ouvrages qui restent perchés sur le casier dans les solitudes de leurs magasins » (Balzac, cité dans Larchey).

Itoupion, commis de nouveautés :• il tient lo milieu entre le commis vendeur et le bistot (Delvau, Suppl.), à coté de roupiou, remplaçant bénévole d'externe (dans les hôpitaux de

1. Dans le poissard, ce verbe signifie dépenser : i II inc donna encore un gros ôcu... que nous lavons chez M. Chapelain t, Giylus, t. X, p. 23. — On appelait lavabe, c'esl-à-dire lavable, des billets ù prix réduit pour lo servico de la claque (voy. Larchey).


IRONIE 403

Paris), proprement roupilleur, grand dormeur. A Mayenne, roupillon désigne le vieillard impotent '.

Santé, substitut récent et atténué de culot: tu en as uno santé! cf. d'Hautel : « Il jouit d'une parfaite santé, locution équivalente et satirique pour dire qu'un homme est simple d'esprit, qu'il est dénué d'intelligence... »

Scie, chose qui fatigue par sa répétition uniforme, proprement agacement causé par un travail monotone (la scie revient toujours en grinçant sur elle-même), mot donné par d'Hautel : « Scie. Terme équivoque et satirique qui signifie bernement, brocard, dérision; se prend aussi pour ennuyeux, rude, pénible ».

Son synonyme rengaine, de la même époquo 2, est sorti des casernes, et le mot est toujours usuel parmi les troupiers : « Alors Ilouro... entamait quelque bonne rengaine patriotique que les copains reprenaient en choeur », Courteline, Gaietés, p. 176.

Tante nu ma tante, Mont-de-piété, appellation facétieuso: « Je porto ma toquante chez ma tante, mon oncle en aura soin », argot du peuple (Virmaîlre). — « Tiens! la vieille va chez ma tante». Zola, Assommoir, p. 300.

Cette appellation plaisante se lit déjà fréquemment dans Balzac : « Ma tante... lui prêta neuf cents francs », La Muse du département, 1813. OEuvres, t. VI, p. 468. — « Eh ma tante?... Le plan !... quoi vous ne connaissez pas le Mont-depiété? » Cousin Pons, 1817, OEuvres, t. XVII, p. S3o 3.

Tire-jus, mouchoir de poche : « Il arrivait les bras ballants, les goussets vides, souvent même sans mouchoir; mon Dieu! oui, il avait perdu son (ire-jus, ou bien quelque fripouille do camarade le lui avait fait », Zola, Assommoir, p. 342.

Ce terme, usuel aussi dans les parlcrs provinciaux, est donné par d'Hautel : « Tire-jus, mot burlesque et trivial qui signifie mouchoir à moucher» 4.

1. La variante, rouffîon, exprime la même chose (Berry, rouffionner, ronfler).

2. Cf. Michel, 1807 : « Rengaine, n'est pas français. On appelle ainsi une vieille chanson que tout le monde sait et répète : C'est une rengaine, c'est une vieille rengaine, c'est toujours la même rengaine... Il est familier >.

3. Ailleurs, Balzac lui donne l'acception de bordel : i Allons achever la soirée chez ma tante », César lliiotteau, dans OEuvres, t. X, p. 307.

4. Le mémo lexicographe donne : i Madame lire-monde, mot baroque et singulièrement Imrlesque qui signifie sage-femme ». Ce vocable est encore usuel à Paris et dans les provinces.


40i FAITS SÉMANTIQUES

Tourlousine, voléq,v proprement tour de danse (cf. tourelou) : « Non mais, lu piges qu'on aille chez le robin à chaque coup qu'eune Je nos ménesses aurait reçu une tourlousinc ! » Bercy, XIVe lettre, p. 7.

Voici maintenant un second groupe de ces expressions comiques :

Bain de pieds, bagno, Nouvelle Calédonio, proprement excédent d'une tasse de café qui déhorde dans la soucoupe, d'où plaisamment déportation (pour aller à la Nouvelle on traverse la mer). On dit prendre un bain de pieds ou aller se lacer les pieds, aller à Gaycnne aux frais de l'Etat : « Pour une babiole de rien on vous envoie vous laver les pieds », Almahach du Père Peinard, 1896, p. 48. — « C'est moi qui irai lui cherrer lo kiki, et ça ne finira plus par un bain dans le lac », Hosny, Hues. p. 77.

Boîte à dominos, cercueil, proprement boite à os, les dominos se nommant des os (sens donné par Rossignol) : « La nuit venuo, il [Nostradamus] dévisse sa boite à dominos », Aimanach du Père Peinard, 1891, p. 37. Bourrique, dans l'expression tourner en bourrique, abrutir i'" quelqu'un: « Jo vous dis que ces gaillards-là me feront tour\ neren bourrique », Gourtcline, Train, p. 58.

Brosser, dans l'expression se brosser le ventre l, se passer d'une chose désirée, répondant aux expressions synonymes s'en torcher le nez ou s'en torcher les babines, co dernier déjà usuel au xvie siècle 2. Oudin cite encore doux autres équivalents: « Torchez-vous-en le bec, vous n'aurez pas ce que vous souhaitez... Torcher sa barbe d'une chose, no la pas obtenir ». Cotte expression est considérée par Desgranges comme une « des fleurs de rhétorique cb'ffonnierc» ; elle est très usuelle: « Elle avait le coeur tout gonflé, en ne voulant pas avouer qu'eue se brossait le ventre depuis la veille », Zola, p. 120. — « S'ils renversent la pitance, tant pis pour eux, ils se brossent », Almanach du Père Peinard. 1896, p. 43. Cerf, dans se déguiser en cerf, se sauver rapidement: « Ça

1. Cette expression manque à d'Hautel qui donne comme équivalent : « Ça fait brosse. Locution baroque ot très usitée parmi lo peuple pour faire entendre à quelqu'un qu'on ne veut pas lui accorder ce qu'il demande, qu'il est venu trop tard pour avoir part à quelque chose dont on faisait la distribution, qu'il s'en passera ». ,

2. i Co gentilhomme la mangea (la bouillie) si diligemment qu'il n'eut loisir de se torcher les babines t, Des Péricrs, LXII* nouvelle.


IRONIE 405

ne lui arrivera plus; à la prochaine occasion, il se déguisera en cerf y>, Poulot, p. 45.

Giroflée à cinq feuilles, gifle à main ouverte (dont on compare plaisamment les doigts aux fouilles de giroflée), expression déjà usuelle dans le poissardl : a La giroflée à cinq feuilles en plein sur le bec », Poulot, p. 190. On dit aussi giroflée à cinq branches (Rossignol), de môme dans les provinces: Anjou, Normandie, etc.

Panthère, dans faire sa panthère, so promener d'un côté et do l'autre, dans l'atelier, être distrait et flâner les outils sur l'épaule, aller d'un cabaret à l'autre: « H'ihï fait sa panthère », Poulot, p. 1902.

Pierre à affûter, pain (dans le jargon des bouchers, Bruant, Dict.. p. 3i6), pendant du synonyme miches de Saint Etienne, pierres (par allusion au martyr du saint lapidé).

Polichinelle, dans la phrase avoir un polichinelle dans le tiroir, être enceinte : « La potite connaissance qui attend triste, souvent avec un polichinelle dans le tiroir », Père Peinard, 3 sept. 1889, p. 3.

Siroj) de grenouilles, eau, pendant do l'ancien grenouiller, boire, ivrogner, que de Caillèros 3 relève comme mot bas et populaire (Fr.-Mi'ehel cite, avec le même sens, rataflat de grenouilles) : « Au Sénégal... on collait à chacun juste un demi\ilvc da sirop de grenouilles pour la journée »,A/ma/iac/ttf a Père Peinard, 189i, p. 42. — « Tout ce sirop de grenouilles que l'orage avait craché sur ses abatis », Zola, Assommoir, p. 88.

Te deuin, dans chanter un te deum raboteux, recevoir des ooups de bâton : « Sa femme l'a bousculé, ils se sont cognés... il lui a fait chanter un te deum raboteux que c'était ça », Poulot, p. 75. expression déjà usuelle dans le poissard : « Il y a bien apparence que la tante de mamselle Godiche lui aura chanté un te deum raboteux », Caylus, t. X, p. 25.

4. — Sobriquets. Le cordonnier et surtout le savotier ont excité la verve

1. t Baliet Galonnet... lui couvrit la jouo d'une giroflée à cinq feuilles, qui claqua comme mon fouet », Caylus, t. X, p. 22.

2. Cf. A. Daudet, Jacques, p. 112 :> i II passait tout son temps à rôder dans le faubourg, d'un cabaret à l'autre, à faire su panthère, comme disent les ouvriers parisiens, par allusion sans doùteà comouvementdo va-et-vient qu'Us voient aux fauves enca^és... au Jardin îles l'iantes i.

■'t. « 11 est indécent à des gens île (jualilé d'aller, l'onimo on dit, grenouiller dans les cabarets t, Des mois à tu mo<le, Paris, 1092, p. 212.


400 FAITS SÉMANTIQUES

populaire, do mémo que le marchand do vin ou le chiffonnier ont été gratifiés d'épithètes facétieuses dont nous avons tonus compte aillours.

Lo savetier est, en outre, plaisamment appelé bijoutier sur le genou ' ou bijoutier en cuir, ce dernier répondant à l'orfèvre en cuir (qu'on lit chez Oudin, 16i0).

Le tailleur, ot spécialement celui qui ravaude des habits, so dit aujourd'hui à Paris mangeur de prunes ou pique-prunes (Rossignol), appelé jadis crocque-prunes (Oudin) ou gobe-prunes (Fr.-Michel). Dans ces composés, prune est synonyme d'ordure 2, de sorte que les appellations mentionnées répondent exactement à cet autre sobriquet pique-poux ou croquepoux, à côté do pique-puces, ce dernier, comme plusiours dos précédents, déjà usuel dans lo poissard (Pipecassée, Ill°chant) :

Mousquetaires des pique-puecs! Jardin à poux, grenier à puces !

« Les trois tailleurs so mettent à lui rabatlro les coulures... par ainsi nous tombons sur les mangeurs de prunes, que c'étoit comme une petito bénédiction... Nous allons leur dire qu'ils no craignent rien, parce que nous sommes bons pour tous les pique-poux », Caylus, t. X, p. 23 et ïi.

Ces facéties remontent assez haut dans ta passé. Dans une lettre do grâce do 1386 (citée dans Du Cange), on lit un sobriquet analogue : « Icellui charpentier criant à haulte voix aux diz cousturiers : Or ça, chetis percepouoe, prenez chascun un bon baston ».

Le coiffeur porte le surnom de merlan, jadis .donné au perruquier, « à cause de la poudre qui couvre ordinairement ses habits » (d'Hautel), et dont il enfarinait lo client comme le merlan avant d'ôtro mis dans la poêle à frire. Dans l'opéracomiquo do Vadé {Les Raccoleurs, 1756, se. n), la fille Javotle, en s'adressant à Toupet « gascon et garçon frater », qui se prétend «porteur d'une figure heureuse », lui dit: « Ah! oui, forte heureuse, et si heureuse que ma mère forait bon de vous pendre à sa boutique en magnère d'enseigne : un merlan comme vous so verrait de loin ; ça ly porterait bonheur, ça y attirerait des pratiqués ».

1. En Anjou, bijoutier désigne ironiquement le casseur do macadnm.

2. Cf. Oudin : i Prune de prophétie, c'est-à-diro des crottes d'animal, des gringuenauldes. Vulgaire ». Le dérivé pruneau possède encore ce sens scatologique. , *


IHONIE 407

Tandis que l'ouvrier tailleur est surnommé boeuf, à Paris goret désigne lo premier ouvrier cordonnier ou le contromailrc menuisier; Pouvrior ébéniste s'appelle pot-à-colle, qui est aussi lo sobriquet du menuisier.

Pour finir, disons que. dans les animaux domostiques, lo cochon, à cause do sa vie fainéante, est appelé baron et monsieur (dans lo Iîerry), gentilhomme et noble (en Normandie); d'autre part, ministre désigne tantôt le porc (Lyon), tantôt l'àno (Iîerry) et tantôt lo mulot (dans l'armée d'Afrique), ce dernier étant chargé des affaires de l'Etat, des munitions et bagages dos colonnes expéditionnaires. Ces appellations purement facétieuses ont parfois été à tort interprétées comme des réminiscences du passé '.

5. — Noms propres.

, Des noms de personne sont parfois plaisamment donnés à des objets.

La canne ou trique est désignée par des noms de baptême ; Jacques ou Jacqueline -, Joséphine ou Marie, etc. Le nom de Jérôme, gourdin (Delvau), remonte au poissard: « Sans Quartier s'est mis en colère; Gilles l'a rossé avec un Jérôme do bonne mesure », Théâtre des Boulevards, 1756, t. I, p. 162.

La tinette ou le baquet de salubrité porte, dans les casernes, les sobriquets de Jules ou Thomas 3, ce dernier devenu populaire au sens de vase de nuit i : « Le matin... toussant... et lâchant do la pituite, quelque chose d'amer comme chicotin qui lui ramonait la gorge. Ça ne manquait jamais, on pouvait apprêter Thomas à l'avance », Zola, Assommoir, p. 431.

Ce sont là, on ne saurait assez le répéter, des facéties vulgaires, des noms donnés par un loustic do chambrée, et il serait tout à fait déplacé d'y voir des équivoques sacrés 5. Un

1. Cf. du Puitspelu : * Noble, porc. Souvenir de la haine du paysan contre lo noble i. — Comte Jaubert : t Ministre, baudet. Souvenir des guerres de religion, faisant allusion aux ministres protestants ». Dans le xxxiv» conte do Ylléptaméron, le nom de cordelier sert de sobriquet au cochon, mais il s'agit là d'une simple plaisanterie.

2. Colle ci désigne également le sabre de cavalerie, appellation plaisanto commune à la langue populaire de tous les temps.

3. De là passer la jambe à Jules ou « Thomas, vider et nettoyer les baquets de salubrité, corvée des casernes.

4. Ce sens se lit dans Vidocq..L'expression vulgaire aller voir la mère (ou la veuve) Thomas trouve son pendant dans lo synonyme anglais to pay a visit lo Mrs. Jones (en allemand, Tante Meier).

5. Yoy. Fr.-Michel, Étude sur l'Argot, p. 397, et encore récemment Nyrop, drammaire hUloii'jue, t. IV, p. 303 et 380.


4 08 FAITS SKMANUQriiS

exemple analogue de vervo populaire est Thomas, estomac, qu'on lit déjà dans Rabelais, 1. V, eh. X.LVII : « Mangera il do l'herbe aux chiens pour descharger son Thomas ? » Ce sobriquet trouve son pendant dans le fourbesque slefano, estomac (proprement Klienne) que donne Oudin '.

Passons maintenant aux personnes.

La prude ou la béguoulo est désignée par Julie ou Sophie, d'où faire sa Julie ou sa Sophie, alFecter de la modestie, faire des façons : « Il est si bon garçon et puis il n'aurait plus fallu que ça qu'il fasse sa Sophie », Poulot, p. 1G. — « Il le trouvait un peu piorrot, l'accusant do faire sa Sophie devant le vitriol », Zola, Assommoir, p. 320.

Lo sot ou l'imbécile se dit Joseph, Jacques ou Jean, pendant. Aajean-fesse ou jean-f... (Rictus, Doléances, p. 25) : « Tas do josephs. tas de Jacques, tas do mandrins... »

Ces sobriquets sont de tous les temps et s'appliquent à des noms do baptême devenus communs à cause do leur fréquence. Montaigne à déjà fait cotte remarque : « Chaquo nation a quelques noms qui se prennont, jo ne sais comment, en mauvaise part; et à nous, Jehan, Guillaume, Benoîst », Essais 1. I, ch. XLVI.

Los marins appellent lo soleil Jean Bourguignon ou Bourguignon tout court, et ils ont partout propagé co sobriquet, à Paris comme en Poitou et le pays wallon (Bruant, Route, p. 70) :

Tous les matins, au point du jour, C'est Jean Bourguignon qui mo reveille...

co qui répond au synonyme vaudois Jean le Roux (Dian Rosset), appelé Pol dans la Manche et Colin on Picardie 2.

Cette appellation trouve ses pendants ailleurs : dans lo BasMaine, on lui donne lo nom do Michaud (Dottin); à Lyon, celui do Vaganay; en Dauphiné, Durand sorte de sobriquet que les travailleurs donnent au soleil {Durand se leva, Durand se val coucha, Mistral) — tous noms très fréquents et tombés dans le domaine public.

Les surnoms distribués généreusement aux peuples étrangers sont également nombreux.

Le procédé lo plus fréquent est de faire ressortir leur plat national favori: Choucroute, Allemand; Rosbif, Anglais;'

4. Recherches italiennes, 1642 : t Slefano, estomac, en jargon >. 2. P. Sebillot, Le Folklore de France, t. 1, p. 35.


IIIOMU 409

Macaroni, Italien ', etc. Mais co sont là !os appellations d'origine plutôt livresque.

L'hagiographie populairo, si copieuse jadis, connaît encoro quolques noms de saints imaginaires:

Saint-Lâche ou le bienheureux Saint-Lâche, patron dos paressoux, procho parent do Saint-Longis ou Saint-Longin, individu paressoux, nom qu'on lit dans Y Intrigue des Jllous, 16t7, aclo llf, se. 4 :

Jo suis un vray Longis D'est rc encore à courir jusqu'à vostre logis.

Oudin note « un longis, un homme extrêmement long dans ses affaires », répondant a la locution synonyme moderne avoir les côtes en long, être paresseux, les paysans croyant que celto disposition des côtes est propro aux loups, co qui les oblige à se retourner tout d'une pièce.

Saint-Lundi, dans faire la Saint-Lundi, manquer à son travail, continuer le lundi les amusements de dimanche (cf. Oudin : faire le lundy des savetiers, ne point travailler le lundi) : « Coupeau pouvait fairo la Saint-Lundi des semaines entières », Zola, Assommoir, p. 415.

Sainte-Touche, le jour de la paye qui est le samedi pour les ouvriers: «On célébrait la Sainte-Touche, quoi! uno sainte bien aimable, qui doit tenir la caisse au paradis... Les jours de Sainte-Touche, elle ne lui regardait plus les mains quand il rentrait », Zola, Assommoir, p. 342 et 435.

Remarquons quo dans saint-frusquin, l'épithète a été ajoutée analogiquement d'aprbs saint-crépin, qui désigne les outils d'un compagnon cordonnier (saint Crépin étant le patron de la confrérie) et, par extension, de toute autro profession.

Parmi les noms propres donnés aux bêles, mentionnons celui de Gaspard, qui désigne le chat 2 ou le rat (dans l'argot des chiffonniers). Avec co dernier sens, le nom est aussi connu à Lyon : « Gaspard nom d'un énorme rat légendaire qui était censé habiter la cavo de l'Hôtel do Ville » (Puitspolu).

Dos noms géographiques pris en mauvaise part, Cayenne est à peu près le seul qui soit devenu populairo. On désigne à

i. « Un Macaroni qui vivait y a bougrement des années, Machiavel, l'a dit dans un chouette petit bouquin i, Père Peinard, 22 sept. 1889, p. 3.

2. Delvau donne à Gaspard l'acception'de t malin •, acception remontant à la notion do chat mâle. Le sens de « rat » a été appliqué pendant la guerre aux rats des tranchées.


410 FAITS SÉMANTIQUES

Paris, sous ce nom, un atelier éloigné do Paris, uno usine ou fabrique située dans la banlieue (pour les ouvriers le travail est un supplice et l'atelier un bagne) : « Kn général, l'ouvrier appelle l'atelier échoppe, boite et mémo Cayenne », Poulol, p. Ii2.

6. — Noms de mépris.

La bonhomie cède parfois la place au dédain plus ou moins accusé. Ces appellations injurieuses, ces termes de mépris se rapportent naturellement aux êtres vivants.

L'enfant, surtout le nouveau né ou l'enfant on bas-âge, est désigné par gluant, lard (c'est-à-dire cochon) ou lardon et petit salé.

La fille publique est tour à tour envisagée :

1° Par rapport au bois du lit : Punaise, ou vieille punaise est une injure des plus fréquentes dans l'ancienne langue (voy. Fr.-Michcl).

2° Par rapport à la banalité : Chausson (il va à tous les pieds) ou plutôt vieux chausson, appellation très usuelle dans les parlcrs vulgaires, à côté de panuche et panoujle, prostituée, vieille femme (Rigaud), proprement chausson '.

3* Par allusion à l'usure : Gerce (nom tiré de gercer, perdre la fraîcheur de son teint), appollatif courant dans l'argot des casernes: « Où que sont les gerces de ces pays-ci? » Courtcline, Train, p. 160.

4° Par allusion à son manque do personnalité: Toupie (on la fait tourner comme une toupie), appellation qui remonte au poissard (Les Porcherons, 1773, p. 155) cl reste encore très usuelle dans le vulgaire parisien et dans les parlcrs provinciaux 2.

Le patron est habituellement nommé singe par les ouvriers : « Le singe a pris un contremaître », Poulol, p. 70. C'est aussi le nom du mari ou de l'amant : « J'ai dégoté un singe qui me met dans mes bois », Mélénier, Lutte, p. 283.

Le cheval, et surtout la rosse, est désigné :

1° Par des noms tirés de la volaille : Canasson et poulet,

1. Et de môme dans les parlers provinciaux : Mayenne, sagrole, gros sabot et femme de moeurs légères ; Lyon, garaude, femme de mauvaise vie (en provençal, guêtre); Languedoc, garoulo, gvoulo, vieux soulier et femme sans ordre, à côté de guelo, guêtre et prostituée.

2. Cf. en provençal, baudujo, toupie et prostituée.


IHONIE 411

termes do troupiers passés dans l'usage vulgaire (Rictus, Doléances, p. 11).

2° Par des noms tirés du hétail : Bique, chèvre, c'est-à-dire cheval petit ot maigro comme une chèvre.

3° Par des noms injurieux tels que « charogne » (carcan, carne) ou des objets sur quatre pieds servant de soutien (tréteau).

C'est surtout par mépris que des appellations désignant certains termes particuliers au règne animal ont été appliquées a l'homme. Le bétail a donné brouter, manger (d'Hautel), ot broute, mangeaillc et pain (Dolvau), usuel aussi dans l'Anjou, le Rerry, etc.; le sanglier, luire, tête, figure, visage de l'homme: se ratisser la hure, pour se faire la barbe (d'Ifautel); le chion, muffe, mufle, d'où vilain muffe et, absolument, muffe, aux sens figurés do :

1° Grossier, malhonnête (Richcpin, Gueux, p. 175) : « Vous allez me ramasser? Ah! c'est rnuf.'... »

2° Goujat, pleutre, expression très employée dans la classe des ouvriers : « Elle se prend surtout pour crétin, lâche et pignouf... les muffes, les aristos, les mouchards de la boîte... Pour le sublime, les contre-maîtres sont des muffes », Poulot, p. 33, 68 et 71. — « Des muffes l'empêchaient d'exécuter proprement son travail », Zola, Assommoir, p. -ICI.

3° Ouvrier (Dolvau), ot particulièrement maçon (Fr.-Michel).

Mais c'est surtout la volaille qui a fourni le plus grand nombre de ces appellations méprisantes :

Abatis, mombres ' : « En style vulgaire, les oxlrémités supérieures, les mains, les doigts: on lui a donné sur les abatis pour on l'a corrigé, châtié. On dit aussi pour menacer un enfant mutin qui s'expose à la correction qu'il se fera donner sur les abatis » (d'Hautel). — « Si je mo casse un abatis aujourd'hui, ça sera pas dans la boite », Poulot, p. 73.

Ailes 2, ailerons, les bras (Rossignol) : « On appelle ailerons vulgairement les mains, les doigts : il se fera donner sur les ailerons. On ne so sort de cette façon de parler que par menace, pour faire entendre que l'on se propose de rabattre la jactance ot l'orgueil d'un impertinent, d'un présomptueux »

1. On dit ironiquement numéroter ses abatis,s'apprêter à être roué de coups, pendant do la locution synonyme numéroter ses os (Tviarchey).

2. Le jargon et le fourbesque disent également aile, bras.


413 FAITS SÉMANTIQUES

(d'IIautol). — « Kilo avait do sacrés ailerons, cotlc dessaléo do Clémence ! » Zola, Assommoir, p. 155.

Dec, boucho : se refaire le bec, prendre un bon repas (d'IIautol).

De là, becqueter et béquiller, manger, proprement piquer avec le bec : « Dis-donc, viens-tu bequeter? » Zola, p. 135. — « Le singo, il a do quoi béquiller », Poulot, p. 69.

Plumes, cheveux (Rossignol), se faire des plumes, se fairo du mauvais sang, c'est-à-dire se faire des cheveux ; d'où déplumé, chauve.

L'ironie, on le voit, présente des aspects très variés. Kilo parcourt différents degrés et puise à des sources multiples. Des faits sémantiques à première vuo déconcertants trouvent en elle et par elle l'explication la plus simple et la plus naturelle.

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CHAPITRE IV

EUPHÉMISME

Un double procédé sort à éviter les tonnes triviaux ou inavouables. Le premier, d'ordre formel, consiste à atténuer ou déguiser les mots do ce genre, procédé fort usuel dans les jurons : Bougre devient ainsi bigre et f...re dù\ienl fouchire ou fichtre ! marquant la surprise, Pinquiéludo ou Pétonnemcnt : diantre ! morbleu !

L'autre procédé, de beaucoup plus fréquent/ d'ordre lexicologique, tend à substituer au mot grossier des équivalents plus ou moins convenablos.

Soit, par exemple,/...re. Le vulgaire qui n'y attacbe aucun sens desbonnète, emploie fréquemment ce verbe, surtout dans les mouvements de vivacité ou de colère, au sens essentiel de flanquer ou jeter violemment (d'où l'acception de « perdu » qu'en a le participe) et de se moquer (d'où foutaise, niaiserie, et foutriquet ', gringalet). Depuis le xvie siècle, on substitue à ce terme libre l'équivalent euphémique ficher (« d'un fréquent usage parmi les Parisiens », d'Hautel) qu'on lit à plusieurs reprises dans le Moyen de parvenir (ch. LXXVI) : ce vorbe a hérité les différentes acceptions du primitif. Los plus anciens exemples so rencontrent dans la Pipe cassée do Vadé (chant II et III) : « Et comme on dit ficher le camp ».

Un autre terme do cotte catégorie, m...., très fréquent dans la conversation vulgaire, se prête, selon l'intonation, à rendro les émotions les plus variées : admiration, colère, ennui, indignation, surprise, tristesse. Il est parfois simplement négatif, équivalent à pou près à a zut », acception déjà notée par d'IIautel (1808): « il/... Mot ignoble et grossier dont le bas peuple se sert au sens négatif ; pour dire qu'on ne défé1.

défé1. mot se lit fréquemment dans le Père Duchêne d'Hébert (v. Littré, Suppl.). Cf. Desgranges : « Foutriquet. Barbarisme. On dit d'un blanc-bec ennuyeux : C'est un petit foutriquet. Ce mot s'est échappé de l'écurie pour entrer dans le cabinet ».


•'« 14 FAITS SÉMANTIQUES

rcra pas à une demande, qu'on n. se soumettra pas à une chose qu'on exige ».

Il a do nombreux substituts euphémiques : la (plus) fine, équivalent qui remonte au xvie siècle (Choliôrcs); miel, moutarde, etc. (leurs dérivés emmieler, emmoutarder J, ont le sens d' « ennuyer »). Le plus important est mince (négativement: mince alors!), marquant l'étonnement, l'admiration, l'incrédulité et l'ahurissement : « De tous les coins les blagues partaient: Cochon do bonheur! Mince de secousse! >> Courlelino, Gaietés, I7G. — « Eh bon ! mince alors, nous sommes frais! » Idem. Train, p. 78.

L'acception do « beaucoup » qu'a encore mince de (voy. Higaud) répond aux synonymes triviaux : une chie'e..., à chier partout.

Un autre équivalent, pour le sens dérivé « ennuyer », est enrhumer que donne également d'ifautel et que condamne Desgranges (« c'est du verbiage des faubouriens »).

Quelques-unes de ces appellations euphémiques remontent au passé. Telles les expressions pour menstrues, cardinal et marquis, dont fait déjà mention le médecin lyonnais Laurent Joubort : « Les autres femmes disent avoir son cardinal 2, pour la couleur rouge, et les autres son marquis, d'autant quo cela marque les chemises et les linceus » 3.

L'atténuation tend à voiler l'horreur d'une action réprouvable ou fatale.

Voici quelquos exemples :

Tourner l'oeil, s'endormir, pour mourir.: « Pendant huit jours Coupeau fut 1res bas. La famille, les voisins, tout le monde, s'attendaient à le voir tourner de l'oeil d'un instant à l'autre », Zola, Assommoir, p. i244.

D'autre part, chez les malfaiteurs, apaiser (le mot favori de Lacenaire), endormir et refroidir, au sens de « tuer » (Rictus, Coeur, p. 109 : « Je l'ai appaisée la vieille, la vieille »),

1. Cf. d'Hautel : « Tu l'emmielles. Locution très usitée parmi le bas peuple pour dire à quelqu'un que ses discours, ses remontrances ennuient ou déplaisent >. — « Qu'est-ce qu'il a à m'emmoularder, cet enclouô de singe? » Zola, Assommoir, p. 337.

2. Cf. Otidin, Curiosité: (1610) : i Le cardinal est logé à la molle, c'est-à-dire cette femme a ses mois. Vulgaire ». ' >

3. Erreurs populaires et propos vulgaires touchant la médecine, Bordeau, 1530, II« partie, p. 193.

4. De là Sophie Tourne l'oeil, la Mort: « Oui, c'était bien une dame qui avait enlevé Coupeau, et cette dame s'appelait Sophie Tourne l'oeil, la dernière bonne amie des.pochards i, Zola, Assommoir, p. 451.


KUPIIKMISMK 415

à côté do soulager, tuor, et soûlasse, assassinat, proprement soulagement (Vidocq).

Une action défavorable est parfois exprimée par un terme général : Faire, ou fabriquer, c'est arrêter quelqu'un; le donner., c'est le dénoncer, c'est-à-dire le donner à la police, dont les agents sont alors simplement désignés par ces mess l(ieurs). De même en être, c'est être de la police ou être pédéraste 2, les sobriquets des uns et des autres se confondant parfois (des mots comme sonne ou tante les désignont tous les deux).

Envisageons maintenant quelques faits d'ensemble qui rentrent dans cette catégorie.

1. — Jurons.

L'expression sacré est tantôt déformée en acre, devenu une exclamation pour avertir de se taire ou do se méfier (Rictus, Coeur, p. 176: « Acre! c'est Julien, mon mari! ») et tantôt en crë! qui garde sa valeur d'exécration : Cré nom de Dieu ! « Cré coquin ! bégaya-t-il, quel coup de soleil! » Zola, p. 149.

Son synonyme cristi ! est déformé en cres ! ou cresto! et, combiné avec lo précédent, il donne sapristi ! qui est à son tour déformé en sanrelotte ! ou sabre de bois ! déformations déjà mentionnées par d'Ilautel: « Sacrebleu! sacredié ! sacrelotc ! sacristie ! saprebleu ! sapristie ! interjections basses et vulgaires, espèces de juremens qui expriment la surprise, l'étonnement, le regret, le dépit, le mécontentement.. Sabre de bois! interjection badine et populaire, juron dont on se sert pour intimider ou faire peur aux enfants, on leur fait croire que l'on est irrité contre eux? 3 ».

2. — Corps humain.

Les noms crus de certaines parties du corps humain sont remplacés par des équivalents plus ou moins généraux. „ Le membre viril est ainsi désigné par bogue (gros anneau

1. Ileclor Franco écrit à tort cémals'se, la brigade des sergents do ville.

2. Ses désignations sont pour la plupart euphémiques : Jésus, c'est-à-dire innocent, d'où jeune garçon (sodomite), à côté de Christ, synonyme de bo.ron (Rossignol), et de grippe-jésus, gendarme.

3. Voir, dans la Mclusine de Gaidoz et Rolland (t. III et IV), une riche collection de jurons populaires.


ilG FAITS SÉMANTIQUES

do fer muni de pivots), dauf (« pince »), proprement dauphin, pafK (Rossignol) ou paffut (Virmaitre), proprement espadon; tringle, etc. Wattô est souvent rendu par la notion « travailler durement » : bourriquer, ourser, etc. /

Les testicules sont des ballots, synonyme au*paquet de mariage de Rabelais : se graisser les ballots, fainéanter (Richepin, Gueux, p. 193), et ballot, sot (« couillon »).

L'anus, c'est le cadet 2, Voeil (d'où mon oeil ! formule dé refus ou marque d'incrédulité, Delvau) ; le trou de balle, le pétard ou le prussien (« il est tombé sur son prussien »), souvenir de là première invasion dos Prussiens en France en 1792; le pot à moutarde 3 (Rossignol), appellation ancienne qu'on lit dans la Passion de Gréban (v. 7615) :

Je suis content, pour tous potages, Seulement de garder les gages Et regarder les lieux de loing, Ou au fort de bouter mon groing Dedans le pot à la momtarde.

1. t Mon paf! i est une formule de refus, analogue à « mon noeud i! (Voy. Bruant).

2. c C'est un torche-cadet se dit d'un papier inutile ou pour marquer le mépris qu'on fait d'un mauvais ouvrage >, d'Hautel.

3. On dit aussi moutardier : « Hein ! dit-il, tu fais la traînée, bougre de trognon! Je t'ai entendue danser d'en bas... Allons, avance! Plus prés, nom de Dieu! et en face; je n'ai pas besoin de renifler ton moutardier », Zola, Assommoir, p. 350.


CHAPITRE Y

JEUX DE MOTS

Los jeux do mois se rencontrent assez fréquemment dans l'ancienne langue comme dans celle de nos jours. C'est ainsi que tailler une bavette, pour bavarder (cf. bave, « mot populaire pour babil », Fureticro), est un calembour déjà donné par Philibert Le Roux : « Quand les femmes s'assemblent pour caqueter, on dit qu'elles vont tailler des bavettes».

I)'aulres remontent plus haut :

La locution Jeter du coeur sur le carreau, c'esl-à-diro sur le parquet (« rébus populaire pour signifier vomir, après avoir mangé avec excès », d'Hautel), jeu de mots tiré des cartes, se lit déjà dans la Comédie des Proverbes de 1633, acte II, se. 2 : « Je le forai renoncer à la triomphe et coucher du coeur sur le carreau». Oudin la donno sous la forme encore usuelle.

Credo, crédit : « J'ai credo chez le bistrot, le credo est coupé » (Virmaître), jeu de mots déjà courant au xvie siècle (Colleryc, Poésies, p. 238) :

Prendre à credo, les marchans font un groing Mesgre et plus sec qu'un viel boyteau de foing,..

et qui remonte au xme siècle (Rutebeuf).

Galle, dans Princesse de Galle, rapproché do galle. La harangue de Junon dans le Jugement de Paris en vers burlesques par d'Assoucy, 1648, chant III, débute ainsi :

Je viens braver ces deux carognes, Qui, pleines de galle et do rognes, Mo disputent l'honnête prix...

et Pallas de répondre:

Si j'estois Princesse de Galle, Ainsi que t'a dit ma rivalle...

Paradouse, pour paradis, remonte au xine sièclo, où on lo lit dans le Roman de Renart (v. 30342) :

27


418 FAITS SÉMANTIQUES

Li sainz Esperiz Do la seue ame s'entremetc Tant qu'en paradouze la meto, Deux lieues outre Paradiz, Où nus n'est povre ne maudis.

Un jeu do mois analoguo —je te dis et je te douze — se lit dans la Comédie des Proverbes (1633), et Molière, dans son Médecin malgré lui (acte II, se. 1), le met dans la bouche de la nourrice Jacqueline comme Vadé, dans la boucho d'uno marchande de poisson : « Quand je vous dis et quand je vous douze, moi, que vote sargent n'y touchora pas », Les Racoleurs, 1756, se. v.

Un des jeux do mots le plus ancien sur un nom propre est celui do Mathieu salé (déjà dans le roman â'Isaïe le Triste du xive siècle) pour Mathusalom, en ancien français Matusalé, qu'on lit dans le Fierabras :

2157. Celé cambre fist faire... Matusah',

Cette forme se rencontre dans Eustache Deschamps ', Villon 2, etc., et le calembour est encore populaire : « Que je dévisso la rampe ou que je devienne aussi vieux quo Mathieu Salé, ça ne tire pas à conséquenco », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 23.

Comme la vieille langue confond à peu près raiponce (écrit responcé) avec réponse (écrit response), on y lit fréquemment ce jeu de mots J qu'Oudin commente ainsi : « Nous no manquons pas de raiponces. C'est uno allusion à responses, pour dire nos valets nous respondent insolemment ot mal à propos. On ajoute : Il ne faut point aller aux Halles ». Lo vulgaire moderne emploie parfois salade avec ce sens.

Les calembours suivants appartiennent au parler populaire moderne :

Boudin, dans faire du boudin, bouder, calembour qu'on lit chez d'Hautel, pendant de : a Et moi saucisse, je suo quand je turbine » (Richepin, Gueux, p. 172).

Casquette, argent perdu au jeu (do casquer, payer à contre

4. OEuvres, t. III, p. 183 : Mallhussalé qui tant fut ancien...

2. Testament, v. 64: Vivre autant que Mathusalé.

3. c II ne fut jamais moins de responces, on les a toutes mangées en salade », Tahureau, Dialogues, éd. Conscience, p. 24. — t Quand je remasche les reponces dont elle m'a traité, je les trouve si aigres que je ne les puis avaler », Comédie des Proverbes, acte III, se. 5.


JKIX DE MOTS 419

coeur), ot jacquette, bayard (do jacqueter, bavarder), l'un et l'autre donnés par Bruant.

Casserole, dénonciateur (do casses*, dénoncer, sons jargonnesque) d'où remuer la casserole, dénoncer (Virmaitro).

Flanelle, client de hipanar qui ne consommo pas, c'est-àdiro flâneur amoureuv, sons généralisé : « Faire flanelle, rester des heures dans un débit devant la mémo consommalion » (Rossignol). — « Dans la grande salle il n'y avait plus que quelques flanelles », Méténier, Lutte, p. 20. — « Flanelle! Flanelle! y n'ont pas lo sou, sortez-les », Courtclino, Train, p. 214.

Habillé de soie, porc, à cause de ses soies.

Malagauche, maladroit : « Fichu malagauche, commont diable que t'a fait ton compte? » Courtclino, Train, p. 223.

Mirobolant, synonyme do mirifique, qui a transporté son sens à nujrobolan, fruit exotique. Ce mot du xix° sicclo est fréquent chez Balzac l.

Prendre un billet de parterre, s'étaler par terro.

Voici maintenant quelques aspects différents du sujet.

1. — Calembours personnels.

Co genre do calembours est fondé sur dos rapprochements avec des noms propres de personnes: • Beniard, le derrière, répondant à l'arc saint Bernart de l'ancienne langue : « Passer par l'arc saint Bernart, se gaster d'ordures et faire son cas dans ses chausses » (Oudin). Calembour amené par l'ancien homonyme bernard, breneux, anus. _

Fiaque, lo derrière, allusion à saint Fiacre qui passait pour guérir lo fie qui vient au fondement.

Grec, tricheur, appelé aussi graisseur et suijfard, par calembour avec grèce, le monde des tricheurs (prononcé graisse), d'où fairo de la graisse ou du suif, c'est arranger les cartes de façon à avoir tous les atouts pour soi.

Rebecca, prude, personne revèche : « Une petite Rebecca, une petito fillo récalcitrante ot indocile » (d'Hautel). Calom1.

Calom1. Les jovialités les plus mirobolantes, puisqu'on a remis en honneur ce vieux mot drolatique », Cousin Pons (dans OEuvres, 1816, t. XVII, p. 383).

Et aussi sous sa forme adverbiale : « Meubler mirobolammenl sa maison », Cousine Belle (dam OEuvres, t. XVII, p. 7).


420 FAITS SÉMANTIQUES

bour tiré do l'ancien verbe se rebéquer, répliquer avec insolence : « Queu chienne de lîebccca ! si je me mets sur ta carcasse, je te sacrifie », Poissardiana, p. il. —- « lîebecca. barbarisme. C'est un nom donné à une méchante femme qui a l'abord rovècho, mais ce mot n'est pas français », Desgranges, 1821.

Saint-Pierre, dans abbaye de saint-Pierre, nom do cinq dalles do granit (pierres) placées devant la Roquette, sur lesquelles on montait à Téchafaud.

Saint-Père, tabac (Rossignol), jeu de mots sur semper. tabac à fumer, à côté de Saint-Dome (ftigaud), abrégé de saint Domingue, pays du tabac.

2. — Calembours géographiques.

Co genre de jeux de mots est fréquent en moyen français '. Les Cent Nouoelles nouvelles, par exemple, emploient dans la Lxxvne nouvelle, aller à Mortaigne. pour mourir, expression qu'on lit également dans la Comédie des Prooerbes (acte II, se. I) : « Prcnds-y garde et que je ne t'envoyo à Mortagne ou à Quancallo poscher des buistres ». Mortagne est un canton do l'arrondissement de l'Orne.

Les Curiosités d'Oudin (lGtO) en donnent do nombreux oxemples, dont nous citons le suivant, à propos do Cachait, nom d'un petit village près de Paris : « Aller à Cachait, se tenir caché do pour que les serg<ms no nous fassent payer nos dettes ou nous mettre en prison ».

Dans la langue moderne, les calembours géographiques sont également fréquents. Dans l'argot des typographes, mettre la composition sur lagaléc, c'est aller en Galilée, tandis que remanier un long alinéa, c'est aller en Germanie (c'est-à-dire « jo remanie »), et faire des bourdons, aller à Saint-Jacques.

Angouléme, la vallée d*Angouléme ou de Josaphat. gosier (d'Hautcl), jeu do mots sur aualoire, môme sens, calembour donné sous une autre forme par Oudin : « Allé en Angoulcsme, par allusion à engoulé, c'est-à-dire avallé, bu ou mangé ». On disait antérieurement (voy. Fr. Michel), avec le mémo sons, faire passer par la forest d>Angoulcsme.

^. Voir Adolf Toblor, Vermischte lieilvâge zur Gramvialik, 2« éd., 2" série, Leipzig, 1906, p. 211 à 263 : Expressions figurées et jeux do mots en ancien français. — Waltcr Bokomann, Der franiosische Euphvnlsmus, Berlin, ÎS'JD, p. 43 à 4!j.


JEUX DE MOTS 421

Château-la-Pompe, eau : « Ah! non, merci, de l'eau à microbes ! Pas de Château-la-Pompe dans une maison pareille », Michel Provins (cité dans Bruant, Dict., p. 171). ^

Empoigne, dans foire d'Empoigne, vol à force de poignet : acheter à la foire d'Empoigne, voler, et revenir de la foire d'Empoigne, rentrer les poches pleines d'objets volés (Rigaudj, jeu do mots sur Ampoigne, villo de la Mayenne, et l'homonyme d'empoigner : « J'ai acheté mon tabac à la. foire d'Empoigne » (Rossignol). — « Elle lui demanda d'où venaient ces rubans. Hein?... cllo les avait achetés à la foire d'Empoigne? » Zola, Assommoir, p. 470.

Ce calembour remonte au poissard (Les Porchcrons, 1773, VIIe chant) :

Pour nous je no sommes jamais en grogne tîonlro un chaland do. la foire d'Empoigne 1; A cause que par ce qu'on a de bien, Faut-il qu'aux autres on ne prête rien ?

et il trouve son pondant dans un jeu do mots de Noël du Fail (Oeuores, t. I, p. 314) : « ... devant que les meschans juges... ayent desployé leurs vonalitez et passé par la forest de Grip... », c'ost-à-dirc avant qu'ils aient dépouillé leurs victimes.

Navafin, navet et ragoût do mouton aux pommes de terro et aux navels (Dclvnu).

Nazareth, pour nez, est déjà mentionné par Oudin (1640) : « Du vin de Nazareth, du vin qui passe à travers du nez lorsque l'on rit on buvant ». Desgranges (1821) y voit « un mot inventé par les troubadours de la Courlillc ».

Rouen, dans aller à Rouen, courir à sa ruine 2, et envoyer à Rouen, ruiner : « Eh bien, les amis, vous voulez donc couler l'atelier, vous voulez m'envoyer à Rouen? » Poulot, p. 100.

'Fours, dans aller à "fours, retourner, revenir 3, et prendre la route de Versailles, verser, en parlant d'uno voiture * et

1. Un chaland de la Foire d'Empoigne, c'cst-à-dirc un filou. Nisard (I'ari$ia~ nisme, p.- 111) explique à tort être de la foire d'empoigne par t être porté aux attouchements grossiers à l'égard des femmes ».

2. Higaud ajoute ces deux acceptions : Manquer une vente (dans le jargon des commis en nouveautés! et ctro sifflé (dans le jargon des comédiens).

3. « Je no peux pas aller à Tours avant trois marques » (cité dans Bruant, /><>/., p. 393).

4. « Arrivé au pont d'Austcrlitz, vlà le hourdin qui s'emballe et la bagnole qui chahute si tellement quo je me dis à part *inoi : Mon vieux Bibi, si ça continue, ou va prendre lit route de Versailles » (Bruant, Dicl., p. H9).


422 FAITS SÉMANTIQUES

des personnes qu'elle contient, cette dornièro expression répondant à l'ancien synonyme aller à Versailles, être renversé, dont se sert Furetière : « Les promenades à Saint-Clou, à Mcudon et à Vaugirard estoient fort fréquentes, qui sont les grands chemins par où l'honneur bourgeois va droit à Versailles, coinmo parlent les hons gens », Roman bourgeois, éd. Fournicr, p. 82.

Waterloo, au sens de « derrière », par allusion à wator-closol : « Je te vas secouer le Waterloo » (Rigaud). — « Eh bien, ça va gentiment et sans coup de botte dans le waterloo », Huysmans, Marthe, p. 120.

3. -- Quiproquos numériques.

Certains jeux de mots sont tirés des chiffres :

Cinq et trois font huit ', boiteux (allusion à son allure inégale) : « Il s'était tiré do l'aventure avec... une claudication légère, un traînage do la quille gauche qui lui donnait un balancement de grosso canne, ajoutant je ne sais quoi de piteusement misérable à ce qu'avait déjà sa personne de grotesquo et de repoussant : Cinq et trois huit! Cinq et trois huit! » Courtcline, Train, p. 20.

Cinq et quatre, deux soufflets (Delvau) : « Donner cinq et quatre, la moitié de dise-huit, donner deux soufflets: le premier d'avant main, n'est que do quatre doigts, et un second de revers, tous les cinq frappant à la fois ». Cette expression facétieuse se lit déjà dans la Comédie des Proverbes, se. I, acte 7 : « Je le conseille do no point tant empiler, si lu ne veux que je le donne cinq et quatre, la moitié de dise-huit ».

Dix-huit, soulier remis à neuf (jeu de mots sur deux fois neuf). Chez les tailleurs, le mot désigne un habit retourné, sens qu'on lit déjà dans le poissard : « Oh ! daine, c'est un diti-huil, ç'ti là; mais qu'impurlc? tout sert en ménage », Le Paquet des mouchoirs, 17(50, p. 80.

Quarante-cinq, vitres brisées: « Quarante-cinq! Exclamation burlesque et ironique lorsqu'on enlcnd tomber quelque chose de fragile comme par oxcmple les vitres d'une fenêtre ou quelque porcelaine » (d'IIautcl). — « Los vitres brisées volent en éclats dans la chambre : Quarante-cinq ! répètent quelques voix dans lo voisinago », Vidocq, Mémoires, t. IV, p. 328.

I. On dit, avec le même sens, six et trois font »»<•«//" (Poulot, \\. ltl).


CHAPITRE VI SÉRIES SÉMANTIQUES

L'association des idées qui se trouve à la base des faits sémantiques que nous venons d'examiner, joue également un rôle important dans la production des séries d'idées parallèles ou analogiques 1. Ces séries diffèrent suivant lo groupement social et les préoccupations des classes professionnelles.

Soit, par exemple, débiner. Ce verbe est attesté à Paris dès le début du xixe sièclo, avec le sens de déchoir, tomber dans la misère (voy. ci-dessus p. 38); et dans les parlers provinciaux, avec celui de s'enfuir, se sauver, images tirées do l'opération agricole correspondante : débiner une vigne pour détruire los mauvaises herbes. A ces acceptions encore courantes s'est ajoutée la notion de « médire » que débiner a pour la première fois chez Vidocq (1828), sens également rendu par les synonymes bêcher (chez le même) et jardiner\ torme plus récent que les deux autres (« blaguer quelqu'un, c'est lo jardiner », Rossignol), triple série logique appartenant en propre aux milieux criminels, mais également devenue populaire.

Tout autrement fécond est lo développement logique, dans les parlers vulgaires, do certains termes très usuels et de leurs corrélatifs do la langue générale. Nous allons passer en revue quelques représentants do co genre.

1. — Manger.

Voici la série des idées parallèles qui se rattachent à ce verbe et à ses congônèros :

1. Marcel Schwob, qui a le premier fait ressortir l'importance de la filiation syn onymique dans le domaine du jargon, cite des exemples souvent sujets à caution. Tel le suivant [Mémoires de la Société de Linguistique, t. VII, p. 50) : t Le mot marmite, femme, défiguré au point de vue morphologique, donne marmotte .. Marmotte, représentant une nouvelle idée, donne par dérivation synonymique taupe •. Or, cette dernière appellation est précisément la plus ancienne (on la lit déjà chez d'IIautel : « Taupe, terme de mépris qui signifie courtisane et vile prostituée ») et c'est sur elle que s'est modelé marmotte, le plus récent de ces synonymes.


424 FAITS SÉMANTIQUES

i? Attraper, duper, sons représenté par les vocables suivants :

Fricotter, chez les troupiers, éluder le sorvice militaire ou faire des bénéfices illicitesK (proprement faire bonne chère) et, chez les imprimeurs, prendre des lettres dans les casses des autres, ce qu'ils appellent chiquer des sortes (Buutmy).

Fripon désigne à la fois le gourmand et le filou, comme son synonyme italien scrocco, le parasite et l'escroc.

Gainer, chiper, en Bcrry, a le sens de manger, en Bretagne (voy. Hector-France).

Gober, c'est-à-dire gober l'hameçon, attraper et se laisser attraper,êtro dupe.

Gourrer, tromper, escroquer, sens argotique attesté dans les Ballades on jargon do Villon et employé antérieurement comme terme vulgaire 2. Il a, comme point de départ, la même notion : le normand gourrer signifie encore aujourd'hui se gorger, s'emplir de nourriture (proprement manger avidement comme les gorets).

2° Aimer passionnément: Manger (des yeux)quelqu'un, \ogober, etc.; — et être infatué, se croire : se gober, se gourrer, elc.

3° Subir une peine (la prison, etc.) : Bouffer de la. case ou boulolter la calijattc, à côté do manger do la prison, manger de la misère (Delesallo).

4° Recevoir des coups : Gober, mémo sens (« si tu continues, lu vas gober »); Normandie gourrer, bourrer de coups (proprement gorger).

Do là, l'acception.ironique de « soufflet », que possède bauffrée (proprement gorgée ou portion i de nourriture), des le xve siècle. On lit dans une lettre do grâce de 1469 (voy. Du Cangc) : « Le suppliant dist que si on faisoit son devoir, on baillcrbit à icellui Julien une baujffrde au long des joues ».

Et, vers la même époque, Guillaume Coquillart s'en servait à son tour (t. II, p. 103) :

Lil Ilusée

Ne tachoit sinon à pignor

Et do lasclicr quelque bauffrèc,

A mordre ou à csgratigner..

i. « Un double do la battorio bi'i il était, vient d'être,rétrogradé pour avoir fait sauter dès bons do porlot et fricotter sur l'ordonnance... Le fricottage, <;a se pratique sur une échelle double », Vèïc Peinard, 3 janv. 1892, p. 2 cl 3.

2. Voy. nos Sources, t. I, p. Ho, et t. Il, p. 36y.

3. Cf. pâtée, volée do coups (« donner, recevoir la pâU'e », ltigaudj, et don-


SÉRIES SEMANTIQUES. 425

On dit aujourd'hui avec lo môme sens baffe ou ba(fre, l'une et l'autre forme populaire.

La promicro se lit déjà dans le poissard : « Là-dessus allô m'a encore appliqué une baffe dessus le visage », Yadé, Gretiouillière, p. 8i. Elle est encore usuelle : « Aujourd'hui je me suis contenté de t'envoyer deux baffes », Rosny, Rues. p. 2i0.

La deuxième forme est plus fréquente : « Il m'a tellement fait des niches que jo lui ai flanqué des baffres » (Rossignol). — « Je sais pas ce qui m'a retenu d'y f... une baffre! » Méténicr, p. 1G0. — « L'accoucheuse, là-dessus, lui a lâché une baffre, vlan, en plein museau », Zola, Assommoir, p. 232.

La mémo notion est ironiquement rendue par des noms de pâtisserie, et c-cla dès le xve siècle, dans Villon (v. 1070) :

Item, à Jehan Raguier je donne, Qui est sergent, voire des Douze, Tant qu'il vivra, ainsi l'ordonne, Tous les jours une Udlemouse, Prise à la table de Uailly...

Cette talmousey pâtisserie et soufflet, trouve son pendant dans la croquignole de Rabelais (wallon, croquette, proprement chose à croquor), ainsi que dans le synonyme bignet, aujourd'hui beignet, qu'Oudin explique ainsi : « Manger de bignets après la Pentecoste, c'est-à-dire recevoir des coups ; c'est une allusion à bigne, qui signifie coup sur la teste ».

Le vulgairo parisien connaît quelques autres appellations facétieuses de ce genre :

Dariole,. soufflet, coup do poing (Delvau) : « Dariole, au propre, espèce de pâtisserie légère; au figuré, et seulement on style vulgaire, coup, mornifle que l'on donne avec la main » (d'Uautel). Ce vocable a élé censuré par Desgrangos : « Dariole. Voilà ifn mot que MM. les sociétaires do la Courtillo emploient. Selon eux, une dariole est une correction appliquée avec la main ;.mais en définitif il n'y a pas des darioles à recevoir que chez le pâtissier ».

Pain, soufflet * ou coup de poing sur la figure : coller un pain, donner un soufflet (Delvau) ; lâcher un pain, flanquer

ner de l'avoine, rouer de coups (Delvau), répondant au berrichon avoinei; régaler, prendro un bon repas, et ironiquement, donner des horions en guise de régalade (Jauberl).

, 1. La graphie paing (Larchey, etc.) s'explique par un rapprochement arbitraire do poing. Cf. Rigatid : « Pain, soufflet. Le mot traduit le bruit produit par un soufflet bien appliqué ». Autre confusion avec pan!

oy-


426 FAITS SÉMANTIQUES

un coup do poing ou une giflo (Rossignol). — «Vaudrait mieux qu'on no voie plus la bande... ! Ça finiraVpar des pains », Rosny. Rues, p. 20.

Tarte*, giflo (Rossignol). Oudin mentionne : « Une tarte aux pommes, un coup sur la teste qui fait élever uno bosse ».

Ajoutons-y la série synonymique « potage » et « coup » :

Soupe, dans tremper une soupe, battre quelqu'un (Rossignol), d'où trempe, raclée, volée de coups, répondant aux synonymes :

Ratatouille, raclée (proprement bouillie) : « Je vais te faire une ratatouille numéro un » (Virmaîtro), à côté de la forme abrégée tatouille, tripotée: « Il eut d'autant plus mérité une tatouille fadée, qu'il en a poussé de raides », Père Peiiïard. 15 juin 1890, p. 3.

Tambouille, raclée (proprement soupe) : « Je vais te f... uno tambouille quo... » (Virmaître).

En provençal, panado signifie à la fois panade et momifie.

Nous n'avons pas encore épuisé la sphère sémantique de la notion manger. Dans le jargon, on y rattache l'idée d'avouer ou de dénoncer : manger le morceau, qui a servi de point de départ à toute une série synonymique : casser le morceau, ou casser du sucre 2, se mettre à table 3, servir à table, tortiller, série logique particulière aux malfaiteurs, qui voient dans la trahison une consommation ou un repas servi, en un mot, un acte d'ordre culinaire. f*. L'explication qu'en donne Fr.-Michel est do pure imagina' lion : « Manger le morceau, révéler un crime eu un délit, dénoncer. Allusion à Judas Isc.ariolc, de qui Jésus disait, pendant qu'ils mangeaient ensemble : « C'est celui qui met la main dans le plat, qui me trabira ».

L'origine proposée par Victor Hugo (dans ses Misérables, 1. VII, ch. n), n'est pas moins fantaisiste: « Dans ce monde des actions sombres, on se gardo le secret. Le secret, c'est la chose de tous. Le secret pour ces misérables, c'est l'unité qui

\. Bruant {Dicl., p. 129) cite merengueule, coup sur la figure, fusion de merinque et (ca!se-)gueute.

2. Et de là, analogiquement, piler du poivre, médiro (Delvau).

3. Cette expression et les précédentes ont passé du jargon dans le baslangage par l'intermédiaire des troupiers : « Donc, le chauffeur quo j'avais pincé s'est mis à table, comme on dit... Il a mangé le morceau, Apres m'avoir donné des renseignements, — il m'a initié au mot de passe des espions •, Galopin, Les Poilus de la .9', p. 70,


SÉRIES SÉMANTIQUES 427

sert do baso à l'union. Rompre lo secret, c'est arracher à chaque membre do cette communauté farouche quelque chose do lui-memo. Dénoncer, dans l'énergique langue d'argot, cela se dit : manger le morceau. Gomme si le dénonciateur tirait à lui un peu do la substance do tous ot se nourrissait d'un morceau de la chair de chacun ». <kr

Ces rapprochements ne manquent pas d'intérêt et lour sériation peut jeter quelque jour sur des associations d'idées qui déroutent à première vuo.

C'est lo cas, par exomplo, do la notion do ruine complète, d'état désespéré, pour l'expression do laquelle on a ou recours à des opérations culinaires :

Cela est flambé, c'est-à-dire perdu; II est fricassé, c'est-à-dire perdu; Cela est frit, c'est-à-dire perdu...

triple équation qu'on lit déjà dans les Curiosités d'Oudin (1610). Et ces métaphores sont déjà familières à l'ancienno langue, comme dans la « Farce du frèro Guillobort » (Ancien Théâtre, t. I, p. 315):

Muchez-vous tost en quelque lieu, S'il vous trouve, vous estes frit.

La langue moderne y ajouté : cuit, fumé, rousd (rôti), etc.

Or voici l'explication qu'on donne de certaines do ces expressions :

« Etre frit, cire condamné, être perdu, ruiné. Allusion aux flammes éternelles dont les prédicateurs effrayaient lo peuple : « Vecy deux dyablcs qui portent uno poëlle, afin que je sois frit dedans en pardurableté » (La fleur des commandements de Dieu, extrait d'un sermon do Pierre do Cluny, cité par Ch. Nisard) ». — Rigaud.

« Etre fumé, être tout à fait sans ressources. Cette expression vient de l'aspect que représentent les misérables, dont les habits, flétris par un long usage ot par les injures du temps, prennent uno teinte sombro, commo s'ils eussent été exposés à la fumée ». — Fr.-Michel.

Un simple coup d'oeil sur la série logique correspondante fait justice de pareilles divagations.


428,. FAITS SÉMANTIQUES

2. — Boire.

Certaines acceptions métaphoriques du verbe manger sont également familières à celui de boira K tout particulièrement la notion de « recevoir des coups » que possède boire ci trinquer (ce dernier aussi : subir une punition, la prison, etc.), comme, en provençal brinda, faire brindes, signifie à la fois boire et souffrir. Oudin cite la locution proverbiale : « Qui fait la faute, la boive » ; de même, boire un affront, c'est le supporter avec patience.

Voici quelques exemples : « Qu'est-ce que ça te fiche? C'est pas toi qui trinqueras? » Rosny, Hues, p. 79. — « Oui, c'est toi, demandc-t-il, qui veut trinquer de ses deux jours?... Si nous ne sommes pas rendus à notre poste à l'heure fixe et que nous trinquions de quinze jours de prison, qui c'est qui les fera? » Courtcline, Train, p. 68 et 212.

Dans ce sens, trinquer est, dans les casernes, synonyme à'e'coper, qui accuse le mémo point de départ (voy. p. 169).

3. — Fumer.

La notion de « coups » se rattache également à la notion « fumée » : Prendre la pipe, recevoir des reproches ou des coups (Rossignol), et passer à tabac, être roué do coups par les agents de police (Hayard).

Tabac*, comme le provençal petun, a également le sens de bruit que possède aussi foin 3 : « Faire du foin, crier, faire des épates » (Rossignol); do mémo poussière: a Faire de la poussière; faire des embarras; mener un grand train » (d'IIaiiteiy.

Un recueil copieux de parallélismcs sémantiques de ce genre pourrait être d'un grand secours pour la recherche étymologique et rendre évidentes dos associations d'idées qui échappent au premier abord à lîexamen.

Remarquons finalement que le langage parisien est, comme

1. Cf. le manceau cheniquer, boire (du sclinick) et dérober.

2. « Garçons! dit le sergent en rentrant radieux... y aura du tabac celte huit. On a surpris le mot des Prussiens i, A. Daudet, Coules du lundi, p. 31.

3. Ei'rit aussi foitan : « Les conscrits se réunissaient pour faire le plus de fouan possible », Père Veinard, i" mars 1891, p. 1.


SÉRIES SÉMANTIQUES 429

tous les idiomes vulgaires ', d'une richesse inépuisable pour exprimer certaines idées qui lui sont particulièrement familières. Telles sont, par exemple, les notions argent (monnayé), enfant, ivresse et surtout volée de coups — notions qui sont rendues par un très grand nombre de synonymes. De même, les noms des parties du corps y sont très diversement représentés.

Nous avons relevé, au cours de ces recherches, les critères multiples qui ont présidé à cette vaste nomenclature. L'index des idées qui clôt cet ouvrage embrassera l'ensemble de ses aspects variés.

1. C'est ainsi que, dans le parler de la Suisse romande, la notion averse est rendue par dix-sept synonymes; celle de grande quantité, par vingt-quatre; celle de volée de coups, par trente-deux. Voy. l'ctutlo citée de Wissler, p. 807.

D'autre part, M.-H. Tappolet a recueilli, dans les cantons de Fribourg et do Vaud, cent soixante-dix expressions pour une t volée de coups », dont trente deux ont passé dans le parler vulgaire de ces cantons. Cf. Bulletin du Glossaire des patois de la Suisse romande, Lausanne, 190G, p. 3 à 8.



LIVRE SIXIEME

INFLUENCES LITTÉRAIRES

Les jargons spéciaux aux classes cultivées appartiennent pour la plupart à notre époque, tout on ayant des attaches dans le passé. Nous les étudierons surtout dans leurs rapports avec le langago populaire, qui en constitue naturellement le fond. Une répercussion do haut en bas s'est faite, à son tour, sentir, et lo parler vulgairo en a retenu quelques vestiges. Cette influence mutuelle mérilo d'arrêter notre attention.

Les ateliers de peintres, par oxemple, ont fourni au baslangage lo terme chic, à côté do galbeux l, élégant, beau ou bien mis (Rossignol), et rapin, joune élève; les courses, celui do tuyau, renseignement confidentiel, renseignement on général (avoir des tuyaux, être informé do bonne part), et de record, exploit sportif (battre le record, arriver le premier).

Voici un exemple curieux d'un terme livresque devenu populaire: « Lantimèche, imbécile, jocrisse, dans l'argot des faubouriens » (Delvau) : « Lantimèche, nom d'amitié, sobriquet tout intime : Père Lantimèche, Mère Lantimèche. Les concierges des deux soxes se donnent volontiers entre eux du Lantimèche » (Rigaud).

La Bibliographie de C Argot d'Yvos-Plessis cite, au n° 174, La blague de Lantimèche, fou roulant d'amphigouris, quolibets, jeux do mots, pointes, etc., par Adrien M., président d'une société d'imbéciles, Paris, 1856.

Lo vocable a passé dans les provinces : « Lantimèche, nom bouffon, sans signification précise, que les hommes du peuplo à Amiens se donnent parfois entre eux par plaisanterie : Père Lantimèche » (Jouancoux, t. II, p. 114). —■ « Lantimèche. Appellation ou interpellation familière et un peu ironiquo que l'on

l. « Le spectacle sera galbeux à reluquer », Almanach du Père Peinard, 1897, p. 23. — < Almanach du Père Peinard, farci de galbeuses histoires et de prédictions epatarouflantes » (titre).


432 INFLUENCES LITTÉRAIRES

adresse en Anjou à un individu quelconque, à un indifférent. Exemple : To vola, lé, laniimèche! » (Verrier et Onillon).

Ce nom burlesque est l'écho lointain d'une controverse chirurgicale sur lo modo dô cautérisation en usage au début du xixe siècle. Dans le Dictionnaire des Sciences médicales do 1819, en GO volumes, l'article mcm'&ttsfto/i (c'est-à-dire cautérisation par la combustion d'un corps facilement inflammable) a pour auteurs Percy et Laurent, deux chirurgiens illustres du temps de Napoléon Ier. On y lit ceci, t. XXXIV, p. 478: « Les chirurgiens qui se sont certainement refusés à se servir à notre exemple de la mèche... ne la regardent pas comme un m'oxa et que pour cela on a plaisamment appelés pères antimèches ». En d'autres termes l'adversaire de l'emploi chirurgical de la mèche, ironiquement Y antimèche, est devenu Pappcllatif plaisant de l'imbécile ou du quidam. '

Nous allons successivement aborder les langues spéciales des écoles, des salons, des coulisses, et suivre 'les traces qu'elles ont laissées dans l'idiome vulgaire. Un chapitre complémentaire donnera l'essentiel sur les autres sources, littéraires ou artistiques, qui ont fourni des contributions au baslangage.

2 Nous devons l'indication do cette source à l'obligeance amicale du Dr Dorveaux. — Lo sens que Larchcy donne au mot (i Lantimeche, allumeur de becs de gaz ») et qui a passé dans d'autres recueils, est controuvô, comme il résulte de son explication : * Jeu de mots. Le gaz n'a pas de môche ».


CHAPITRE PREMIER

ARGOT SCOLAIRE

L'argot scolaire de la période enfantine est encore purement formel : c'est un procédé de déformation et non pas, à proprement parler, un jargon. Les écoliers on bas âge s'en sont partout servi, et de tout temps. Nous avons, pour le début du xvme siècle, ce témoignage do Lo Duchat : « A Metz, les enfans ont cnlr'cux une espèce do jargon ou d'argot, qui consiste à allonger chaque syllabe do leur discours de doux autres syllabes, dans la première desquelles domino un R et dans l'autre un G. Par exemple, pour dire : Vous êtes un fou, ils diront : Vousdregue esclregue undregue foudregue ». i

De nos jours, le procédé a légèrement varié : les syllabes déformalives sont tantôt degue (dogo) tantôt pi et tantôt av ou va. Dans ce dernier cas, il porte lo nom do javanais ou langue de Java. Exemple : lo mot oiseau devient tour à tour avoisaveau, oipiseaupi et oidogoiseaudogo.

Employé tout d'abord dans les écoles enfantines et dans les ateliers (Rossignol), le javanais passa chez les filles. Larchoy cite co témoignage do Goncourt : « Javanais, Argot de Bréda où la syllabe va, jetée dans chaque syllabe, hache pour lo profano lo son cl le sens des mots, idiomo hiéroglyphique du mondo dos filles qui lui permet do se parler à Poreillo — tout haut ».

Co langage conventionnel paraît avoir joui d'une certaine vogue vers 1800. Il était alors tout à fait parisien do parler javanais sur los boulovards, dans les boudoirs et dans certains salons d'accès facile. En 1868, Victor Noir mit même au jour une Gazette de Java, où on lit ceci : « Mais, nous domandera-t-on, qui parle le javanais? — A peu près tous les Parisiens ».

Suit une série d'articles dans celte jolie langue signés du

1. Dans Mcnngc, Dictionnaire étymologique, v° argot,

28


434 INFLUENCES LITTÉUAIKES

nom du rédacteur en chef cl do ses collaborateurs, Georges Santon et Henri Cliabrillat. Heureusement, col enfantillage s'est arrêté au numéro I !

Dans les milieux scolaires aussi, h Javanais et autres procédés déformateurs ont beaucoup perdu do leur vogue. Mais il existe un jargon des collégiens et des étudiants, qui est réellement unolanguo à part, faite d'archaïsmes, do provincialismes ou do termes do la langue générale employés dans un sens spécial. Avant d'en examiner les éléments constitutifs, nous allons jeter un coup d'oeil sur lo passé.

1. — Latin des écoles.

Dans son Liore de la Deablerie, imprimé à Paris en lb07, lo curé de Bélhuno Eloy d'Amcrval raconte « comment Salhan fait demonstranec à Lucifer do tous les maulx que les mondains font selon leurs estatz ». L'auteur y consacre un chapitre spécial à un banquet d'étudiants parisiens, au cours duquel il mentionne quelques termes d'argot latin-français.

« Gomment plusieurs escoliers peu esludient et font grans chicros » :

En après ilz font les grans chicros, Car ilz ont bonnes gibessieres ; Mangent chapons et gelines Aux belles sausses camelines, Huy bouillis, demain en pastô. Du rostis dedens un bon hastt ; Et aussi les tendres poulctz ■t ,Qui sont tant frians morceletz, Pour mengor en la fin de table. C'est donc la paraphe notable, Qui s'appelle Gallinarum. M'entens tu, maistre aliborum ? Faux villain, fils de vieille pute, Il est escrit en PInsiitutc. Tu doibs croire tout seurement v

Qu'ilz en mengent largement Et mengeront, n'en fais point doubto. Ja ne s'en faindront somme toute Et fussent ilz chiers comme cresme, Si ce n'est en temps de caresme. Non pas des poulailles samplus, Nenny, il leur fault bien plus : Grasses oyes, cochons, goretz,

**srf


AKGOT SCOLAIRE 435

Voire haroncs blancs, au besoins;, Reste* qui vont fouillans du gruing Qu'un dit foui-fîlbj fourftllos ; Et puis ont des volibosos, CVest-à-dire belle volaille...

OuUre plus, scez tu bien qu'ilz ont Iloutintcvra, rapimonles. Entons tu bien ces entremet/.? lîoulinlcrra. cuunins, lapereaulx ; ll'ipimontes, lièvres, elievreaulx.

Et la chose qu'ilz prisent mieuls, Que joublioyo, ainsi în'aid'Dieu, Turbicapul, (jui vault beaucoup. lion vin monte au cerveau acoup, Sans luy n'ara ja bonne feste, Pourtant rappelle on trouble teste '.

Cet argot scolaire du début du xvie siècle est, on lo voit, assez composite : à côté du latin gallinarum, poulets, on rencdntro des composés forgés tels que rapimontes, lièvres ou chevreaux, et turbicaput, vin qui monte à la tète; du latin macaroniquo : boutinterra, lapins, et volibosos, volaîflo do bois;'à côté d'un terme franchement populaire: fourfilly fourfillos, cochons (tiré du vulgaire ou provincial fourfouiller, fouiller avec son groin).

Une vingtaine d'années après d'Amerval, nous possédons un témoignage beaucoup plus complet sur l'argot scolaire do la Renaissance française ; on en est redevable à Mathurin Cordicr, un des pédagogues les plus méritoires do l'époque. Dans son livre De corrupti sermonis emendatione (1530), Cordier donne lo jargon latin des écoliers du collège do Navarre, accompagné de la traduction française et de l'équivalent en bonne latinité. En passant sur les nombreux passages de latin do cuisine que cite notro auteur, arrêtons-nous à ceux qui ont un caractère argotique plus ou moins prononcé:

Bombycinum meum est nimie largum. Mon pourpoint 2 est trop large. Nîmis taxas est thorax meus (p. 79). Cf. aujourd'hui,' dans l'Aude, boumbasi, gros gilet à manches, proprement gilet on bombasin.

1. Le Livre de la Deablerie, Paris, 1507, fol. M II, r§

2. L. Massebieau (Les Colloques scolaires au XVI' siècle et leurs auteurs, Pa* ris, 1373, p. 210) rend a tort bombycinum par « poitrine ».


43G INFLUENCES LITTÉRAIRES

Primarius dabit hodie campos. Le principal donnera congé aujourd'hui pour aller jouor aux champs. — liaient ad campos. On a congé pour aller jouer aux champs. — Quando faciunt uniim doctorem, habebimus ad campos. Quand on fera un docteur, nous aurons campos (p. 159).

Cordier omet do donner l'équivalent classique, et pour cause. C'est une création d'écoliers qui a fait fortune au xvie siècle : Rabelais Marot, Dos Périers, du Fail s'en servent à plusieurs reprises au sens do « congé ». Avoir campos, c'est prendre la clef dos champs, être dispensé de venir en classe, en allant se divertir aux champs. Le terme, sous la forme campo ou campos, est encore vivace, dans le langage I des écoliers et des employés: « 11 se hâte do nous donner \ campo », Réval, ' Séoriennes, p. 130. 2

Chifravit missam. 11 a chifré la messe, c'est-à-dire il n'a pas esté à la messe. —Chif ravit unwn dimidium panis. Il a chifré un demy pain, c'est-à-dire l'a dcsrobé. — Chif ravit me de loco. Il m'a frustré do mon lieu ou do ma place (p. 3u). — Volo me deschifrare. Rec.uperandasuntmihidictataproeceptoris(p. 179).

Encore un terme d'écolier — proprement biffer les chiffres, d'où les acceptions d'omettre, dérober, frustrer — qui excite l'indignation du bon Cordier: « Utinarn chif rare cl deschifrare, coeteraque ejusdem farinai ad Gotlios esso relcgata ! Quid enim est ineptius, quid ahsurdius, sive barbare dicas chifrare, sive Gallice chifrer? ISxlirpato igilur, o pueri, non solum barbaricas cjusmodi namias et absurdas voces, verum etiam Gallicas ! Vidi enim per mullos, qui etiam in colcberrimo illustrium virorum coelu seso maxime ridiculos facerent, qui a non possent talibus abstinere ' adeo haïrent quae et pessima et rudibus annis percopta sunl ! »

Ce verbe au sons do « frustrer » est attesté dès le xve siècle : « Dont seront chifres et privez de loyers de la vie éternelle », Mer des hystoires, t. 1, f° 120\ Au xvie siècle on le lit dans une moralité (Ancien Théâtre, t. II, p. G8) :

Y aie verrait trop mal à point, Si .aie chiffroit de son gaignage,

4. Les citations de ce chapitre sont tirées de trois ouvrages de Gabriolle Réval: Se'vriennes (1900), Un lycée de jeunes filles (1901) et Lycéeium (1902).

2. Et avec le sens généralisé-: c Quand les députés ne se donnent pas campos... ils s'amènent vers les deux heures et s'e3bignent vers les cinq ou six plombes », Almanach du Père Peinard, 189i, p. 21.


ARGOT SCOLAIRE 437

c'est-à-diro s'il me frustrait do son gain, do son profit. Lo mot est cncoro vivaco en Poitou {chiffrer, gratter) et on Limousin (clrifra, biffer, effacer).

Mittere ad Galathas. Jo l'onvoioray bien au grat. Ablegabo te quo clignus est (p. 208).

Proprement : Envoyer au galetas (bas-lat. galathas) ou au comble delà maison, c'est-à-diro envoyer paîtro.

ATon solum arrachavit, sed etiam moulamt. Non modo vapu* lavit sed et durissimo vapulavit (p. 168).

Arracher ost ici au sens de « fesser » (c'est-à-dire arracher la peau) et mouler, « rosser » (c'est-à-diro mouler les os), l'un et l'autre douloureusement ironiques.

Est pylades vel pelagus. Il est pelé, il est tondu (p. 167).

Joux do mots chers aux écoliers do tous les temps.

Ta liabcs tortillon. Tu as tort. Non rectefacis (p. 166).

Henri Kslicnno relève, d'une part, le caraclèro spécial de cet argot, et, d'autre part, sa tendance à franchir le milieu scolaire : « Tant s'en faut que telles façons do parler aillent jusqu'à la Cour, qu'aucunes d'icelles no passent pas l'Université de Paris... Il y a plusieurs mots que Paulro partie d[e la ville n'entend pas, si l'exposition ne luy est apportée de là » '.

Rappelons qu'on est également redevable aux milieux sco-' laires - des expressions comme motus / ou le suffixe fréquent en ibus (cf. coquibus, lordibus, rasibus).

Ce latin des écoles a laissé quelques survivances. Nous avons déjà cité campos ; ajoutons-y les termes suivants :

Cancan, reflet do quamquam : « On nomme ainsi, en lermo de collège, uno harangue latine faite en public par un jeune écolier à l'ouverture de certaines thèsos. Ces sortes do harangues ont été appelléos do la sorte, parce qu'elles commençoieht souvent par lo mol latin quamquam » (Ménage). Voici deux témoignages de l'époque : « Si bien nous voulons considérer l'insolence do ceux auxquols il semble, sous l'ombre d'un quamquam de collège, quo chascun soit bien tenu à eulx »,

1. Deux Dialogues, t. II, p. 292.

2. C'est do la même source que dérive le bressan faire rapiamus; chiper au jeu (Ferliault), mot d'écoliers devenu populaire en Bourgogne et ailleurs : Lyon, faire rapiamus, enlever tout, et rapiamus, avare, grippe-sou (c Barbarisme plaisant forgé par les clercs qui ont transformé rapere en retpire », du Puitspelu): rapiamus, voleur (c comme on voit, le Lyonnais sait lo latin », Vachet).


438 INFLUKNCKS LITTÉRAIRES

Charles Kslicnno, Paradoxes, IIIe déclamation (cité dans Ménage). — « Ces braves parleurs .. abbrcvioroienl leur quainquetm », Bouchot, Serc'es, t. Il, p. 207.

Do là, bruit et propos malveillants qu'on colporte: « Faire un quanquan, faire un grand quanquan de quelque chose, c'est faire beaucoup de bruit, beaucoup d'éclat d'une chose qui n'en vaut pas la peine », Philibert le Roux, 1718.

Acciper, au sens do prendro : « Terme très en faveur parmi les écoliers dont ils ont fait par corruption chiper, qui n'est pas d'un usage moins fréquent parmi eux » (d'IIautel). Le mot est encore vivaco dans les patois avec des acceptions analogues : prendre, saisir, attraper (en Berry) ; chiper, escroquor (en Normandie) ; recevoir dans ses mains un objet lancé, par oxcmple une balle (en Anjou). C'est le latin accipere, venu par l'intermédiairo des écoliers. On lit ce mot dans un conte do Des Périors, où deux écoliers emportent les ciseaux d'un tailleur :

L'un d'eux advisa une paire de ciseaux en assez belle prise, dont son compaignon estoit le plus près ; auquel il dit en latin, en le guignant de la teste : Accipe. Son compaignon, qui cntcncloit bien ce mot, et le sçavoit bien mettre en usage, prend tout doulccment ces ciseaux et les met soubz son manteau, tandis que le tailleur estoit amusé ailleurs, lequel ouytbien ce mot Accipe, mais il ne sçavoit qu'il vouloit dire, n'ayant jamais esté à l'cscolle... (Nouv.LXXXlY).

Chiper, prendre, dérober: « terme d'écolier qui signifie prendro avec adresse, dérober avec subtilité » (d'IIautel). Lo mémo lexicographe rattacho le mot à l'ancien synonyme acciper, co qui est au moins probable 1 : lo languedocien a la double forme acipa ou achipa et cipa ou chipa, au sens de gripper, dérober. Co terme scolaire que Desgranges, en 1821, considère comme un « barbarisme » est devenu d'un usage général: « En termes d'écolier et dans le langage populaire, chiper signifie dérober une chose do peu do valeur; faire, par espièglerie, un petit larcin excusable : chiper une plume. Co mot se trouve dans Rabelais 2 », Bescborolle, 1815.

i. On lit dans le Dictionnaire général ; » Chiper. Peut-être dérivé de l'anc. franc, chipe, lambeau (cf. chiffe). L'anc. franc, a chiffrer dans un sens analogue ». Hypothèse appuyée d'une erreur : chiffrer, frustrer, n'a rien de commun avec chiffe: v. ci-dessus, p. 136.

2. Cette allégation est fausse : Rabelais ne connaît que chippe, navire. Le mot chiper ne remonte pas au delà du xixe siècle. On le lit dans Iîalzac, Un


ARGOT SCOLAIRE 439

C'est do la mémo époque que dato l'expression Pays Latin, nom don 116 au quartier des écoles : « Terme burlesque pour exprimer une Université, ou quelque aulro lieu do cette nature. Les rois du pays Latin ont pour sceptre une fe'rule (Mainard) », écrit au début du xvme siècle, Philibert Lo Roux. Do Caillcres en fait mention à son tour: « Co qui est mien, ce qui est vôtro, sont des expressions venues du quartier do l'Université, qu'on appelle autrement lùpays Latin». Le terme est resté populaire au xixe siècle, et Henry Murgcr à chanté « notre beau Pays Latin ».

2. — Éléments constitutifs

Passons maintenant aux éléments constitutifs de cet argot scolaire.

A. — Relovons on premier lieu quelques archaïsmes :

Copain, mot d'écolier devenu d'un usage général. La forme (en ancien français compain) et lo sens de « camarade » appartiennent au xvme-xixe siècle. De l'acception de compagnon do collège avec lequel on met tout en commun, lo terme passa à celui de camarade, compagnon préféré, surtout dans lo langage des casernes. Bescherollc, en 1845, désigno copain comme « néologisme do collège ».

Piquer un chien, faire un somme, dormir pendant lo jour, expression particulière aux polytechniciens. C'est le pendant moderno de dormir en chien, que Rabelais explique ainsi (1. IV, ch. LXIII): « C'est dormir à jeun on hault soleil comme font les chiens ». Los polytechniciens donnent le sobriquet do pique-chien au sergent-major préposé à la gardo de leur écolo : « On les appelle ainsi parce qu'ils n'ont rien-à faire et qu'ils passent leur journée à dormir... » (L'Argot de l'X). « Il me paraît que vous étiez en train de piquer un chien... — Oh, mon Dieu, une modeste romanco, un reste de gueule de bois d'hier », Frescaly, p. 272. Expression passéo dans lo langage populairo : Alphonse Daudet, Flaubert et Guy de Maupassant s'en sont servi (v. Mary Burns, p. 87).

xLcs Saint-Cyrions, à leur tour, ont conservé une autre appellation du passé: Anspessade, soldat do première classo, à Saint-Cyr, nom de l'aide de caporal dans l'ancienno armée, "

ménage de garçon, 1842 (OEuvres, t. VI, p. 261) : t ... form6 le plan do chipper les cinquante mille francs ».


440 INFLUENCES L ITTKH AI11ES

tormo remontant, par sa forme lancespessade, au xvi" siècle.

B. — Notons, après les vieux mots, quelques termes do jargon :

Capon, terme d'écolier, se dit d'un enfant rapporteur au collègo : « Les écoliers appellent ainsi celui do leurs camarades qui va so plaindre ou rapporter au maître» (d'ilaulel). Co sons remontoà celui do classe de gueux, acception d'origine jargonnesque l.

Colle, question spécieuse posée à un candidat dans un examen, dans le but de l'embarrasser: ficher une collet poser uno question embarrassante plutôt que difficile. C'est une acception spéciale du sens que le mot a dans lo bas-langago: « Colle, bourde, mensonge », et « ficher la colle, c'est persuader, cajollcr, en faire accroiro », suivant Oudin, qui ajoute : « Mot de jargon ».

En effet, avec le sens do mensonge, lo mot so lit déjà dans le jargon des Coquillards (1155): « Aulcuns d'eulx s'entre mettent d'aulcun mestier ou marebandiso, faingnant qu'ils en vivent, qui lour vouldroit aulcuno eboso demander, et appellent cela leur cole », Sources, t. I, p. 98.

Et, plus tard, dans lo Jargon de l'Argot do 1628: « Les Courtaux do boutanebe trollent dessus leurs courbes (« épaules '») quelques outils... pour ce que leur colle en soit plus francho (c'est-à-dire plus persuasive) », Ibid,-, t. I, p. 220.

Ainsi dans la Comédie des Proverbes, à peu près de la même époquo (1633) : « Escoulez surtout, fichez luy bien vosire colle, et qu'elle soit franebe » (acte III, se. vu).

En dornier lieu, lo mot et la locution se lisent cbez d'IIautcl : « Colle, bourde, mensongo, gasconnade; donner une colle, faire des contes, so tirer d'une mauvaise affaire par quelque subterfuge ».

En partant de la notion primordiale do « inenlcric », passée du jargon au bas-langago, le mot acquit, dans l'argot scolaire, cello de simulacre d'oxamen, où lo colleur eberebo à coller, à embarrasser l'élève, à le mottro à bout d'arguments, à le réduire au silence, ot, comme conséquence do son mutisme, le punir, le consigner : « Je lui ai poussé uno colle au sujet do Julien l'Apostat », Réval, Lycée, p. 245. — « Si on s'avise do mo questionner sur la politesse, je suis collée », Idem, Sévriennes. p. 7.

i. Voir nos Sources, t. I, p. 52, ot t. II, p. 225.


ARGOT SCOI.AIRK 441

Le terme scolaire est donc d'origine jargonnesquo l et il accuse uno métaphore vulgaire: a Colle, bourde, nionlorio ainsi dito parce qu'une attrapo est comparée à une chose qui colle » (Lillré).

Rupin. Go mot, devenu parisien, a pénétré jusque chez les polytechniciens : à PX, rupin est synonyme à*épatant, et rupiner blanc, à froid), c'est être tout à fait épatant. Il y a même produit une nouvelle déformation: rousbar, rousbi (et hyperousbi), môme sens que rupin : Quel type rousbi ! *•

Turne, chambre où travaillent les élèves internes : « Impossiblc do quitter ma turne », Réval, Séoriennes, p. 70.

C. — Ensuite, un petit stock de termes provinciaux :

Brimer, infliger une épreuvo vexatoire aux nouveaux arrivés, au régiment ou dans les écoles militairos : à Mayenne-, brimer, c'est battre, tourmenter, punir (do brime, mecho de fouet), Doltin.

Le verbe friper a longtemps été particulier aux écoliers : « On dit proverbialement dans quelques collèges, surtout on Normandie, qu'un écolier fripe sa leçon, fripe ses classes, pour dire qu'il se dérobe do la classe, qu'il manque d'y aller » (Tréoousc). Dans ce sens, friper, proprement manger goulûment, répond au synonyme fricoter, éviter le service, dans les casernes.

Fripon de collège, marmiton, nom qu'on lit, entre autres, dans la « Farce du Badin qui se loue » (Ancien Théâtre, t. I, p. 193) :

Baillez nioy, je vous pry, la clef De la cave et du celier, Du pain, du lard et de l'argent ; Je m'y monstreray diligent : J'ay esté frtppon d'ung collège.

Et dans la Satire Ménippée, p. 98 : « Au lieu que nous soulions vcoir tant do fripons, friponniers, juppins, galoches, marmitons par les collèges... »

Ramicher, se ramîcher\ « Terme d'écolier: regagner au jeu ce qu'on y avait perdu. Ramicher son camarade, lui rondro

1. Cf. Dictionnaire général: t Colle, menterie. Sans doute par allusion à la glu pour attraper les oiseaux ». Explication erronée comme la suivanto : « Lo sens spécial qu'a pris coller, dans l'argot des écoliers,... provient probablement du jeu de billard •, Nyrop, Grammaire historique, t. IV, p. 93.

2. Voir l'étude citée plus loin de M. Cohen sur l'argot do l'X, p. 182, 186 et 192, et nos Sources, t. II, p. 207 à 211.


4 13 INFLUENCES LITTERAIRES

une partie do ce qu'on lui avait gagné, pour lo mettre on élat de s'engager dans une nouvelle partie » (d'Hautel). Lo mot signifie proprement rentrer ou faire rentrer dans sa miche, dans son argent, sens encore conservé dans les papiers provinciaux : Picard, ramicher, regagner au jeu ce qu'on avait perdu, d'où la doublo acception: se rattraper (Hcrry) ou refaire sa fortune (Champagne), et se réconcilier (Picardie), cette dernière aussi familière au langage parisien : « Ramicher. Réconcilier des gens fâchés; se ramicher, so dit des amants qui se reprennent après s'être quittés » (Delvau). Rigaud cite une forme amplifiée ramamicher, favoriser une réconciliation.

Hetoquer, refuser à un examen : « Etre rctoqué, ne pas être admis », Michel, 1807. En Normandie, ce verbe signifie rabrouer (comme lermo de forestier); à Maubeuge, rapprocher do la souche (do toc, tronc d'arbre).

D. — Finalement des créations isolées qui sont devenues d'un emploi général :

Calotte, tape sur la tète, surtout dans le langage des écoliers et des gamins, remarque expressément Beschcrollo on 1815.

Collégien, terme qui remonte lui-même au xvme siècle (Trévoux) et que Desgranges condamne encore en 1821 : a Collégien. On entend par là les élèves du même collège; mais collégien est sorti du cerveau creux de quelque professeur ultra-émérite ».

Escafc. coup de pied, on termo d'écolier : « Terme de collège de Paris. Coup de pied au eu, coup de pied qu'on donne au ballon »(Richclet, 1680). C'est un abrégé à'escafignon, proprement coup de soulier.

Gniole, éraflurc faite par une toupie en mouvement à une .autre toupie: « Mot dont se servent les écoliers de Paris quand ils jouent à la toupie. C'est la marque du for qu'on y imprime » (Richclet. éd. 1728). Par extension, se dit pour « coup » : c'est un abrégé de torniolc.

Un mot qui so rattacho à cette même catégorie est sorbonne, qui, dès le début du xixe siècle, a acquis, dans le vulgairo parisien, l'acception de tète: « Sorbonne, pour dire lo chef, la loto ; quand il a mis quelque chose dans sa sorbonne, le diable ne lui en ferait pas sortir, so dit d'un homme opiniâtre, entêté », lit-on chez d'FIautel (1808). Et le mot est toujours


AKCOT SCOf.AIHK '113

resté en usage (Rossignol): « Fôle-toi la sorbonne pour dos mu lies pareils », Poulot, p. 97.

Le jargon s'en est emparé après 1825 ; on le lit successivement dans les Mémoires (1828) do Vidocq, dans les Mémoires d'un Forçat (1829) et dans la dornière édition du Jargon de l'Argot (1819), celle-ci donnant en plus sorbonner. penser.

C'est Vidocq qui a introduit, ontre les deux synonymes sorbonne et tronche, l'un vulgaire et l'autre jargonnesque, cotte différenciation sémantiquo: « La sorbonne est la letc qui pense, qui médite; la tronche est la tète lorsque le bourreau l'a séparé du tronc. Je crois qu'il serait difficile d'exprimer d'une manière à la fois plus concise et plus énergique deux idées plus dissemblables».

On en trouve l'écho chez tous les romanciers qui ont écrit sur les malfaiteurs, depuis le Dernier jour d'un condamné do Victor Hugo (1828) jusqu'aux Misérables (18G2), en passant par le Père Goriot (183i) et le Vautrin (18i7) de Balzac.

Cette démarcation est purement fictive : sorbonne désigno la tète aussi bien sous le rapport physiquo qu'intellectuel. 11 suffira, pour s'en convaincre, de se reporter aux exemples du bas-langage cités ci-dessus ainsi qu'à ces passages jargonnesques:

Il vaut encore mieux retourner au pré que le taule ( « bourreau ») ne joue au panier avec notre sorbonne. — Vidocq, Mémoires, 1828, t. I, p. 224.

Sorbonne, tête: porter la sorbonne à Chariot, aller à l'échafaud (c'est-à-dire porter la tête au bourreau). — Mémoires d'un Forçat, 1829, Glossaire, v° sorbonne.

Je paumerai (« perdrai ») la sorbonne si ton palpitant ne fade (« partage ») pas les sentiments du mien. — Lettre argotique de 1837 (citée dans les Voleurs de Vidocq, préface, p. XI).

La prétendue synonymie, établie par Vidocq et consacrée par nos littérateurs, a naturellement passé chez les lexicographes do l'argot qui en ont encore accentué la divergence: « Sorbonne. la tète, parce qu'ello méditp, raisonne et conseille le crime », affirme Delvaij en 1866. — « Autrefois sorbonne, c'était la tète sur les épaules, la têto qui pense; l'autre, la têto coupée, était la tronche. Mcssiours les assassins, qui no sont jamais sûrs do conserver cette partie si essentielle de leur individu, avaient créé deux mots pour exprimer los deux manières d'ôlre do la tète », Rigaud, 1878.


444 INFLUENCES LITTERAIRES

3. — Etat actuel.

A l'époque moderne, il y a lieu do distinguer 1,'argot des collèges ou lycées de celui des écoles spéciales' de l'enseignement supérieur (Normale, Polytechnique, Saint-Cyr). Ce dernier renferme nombre d'éléments du premier, mais l'inverse a également lieu.

C'est ainsi que colle, examen préparatoire, simulacre d'examen, a certainement passé des lycées à l'Ecole polytechnique; en rovancho, la'ius, discours, appartient en propro à celle dernière. Arnault, premier professeur de littérature à l'école (1830-1831), aurait donné comme devoir à ses élèves un discours sur le roi de Thèbes Laïus et ses malheurs. 16 nom fit fortune : « Le mot laïus, né à Polytechnique, franchit hardiment les murs; dans sa marche en avant, il écraso à SaintCyr le pauvre mot de brouta, que le souvenir d'un ancien maître 2 faisait appliquer au discours français; il poursuit sa conquête, entre de vive force à l'Ecole Normale, prend d'assaut les lycées, la presse et la tribune. Quel professeur, quel journaliste, quel homme politique ignore aujourd'hui l'art du laïus 1? » (Albert Lévy, p. x). — « Un laïus sur l'immortalité... Ne compte pas sur moi pour un laïus de circonstance», Réval, Séoriennes, p. 7 et 292.

Du sens.de devoir français (piquer un laïus), le mot finit par désigner tout discours : faire du laïus, c'est parler pour no rien dire. On en a môme tiré un verbe (laïusser, discourir), et un nom d'agent (laïusseur, un homme qui parle trop), de môme qu'à Saint-Cyr, brouta a donné les synonymes correspondants : broutasser et broutasseur.

Dans ce même ordre d'idées, bahut, botte et bamr ont tout

1. Albert Lévy et G. Pinet, VArgot de l'X, illustré par les X, Paris, 1891, et Marcel Cohen, La langue de l'Ecole polytechnique (dans les Mémoires de la Société de Linguistique, t. XV, 1908, p. 170 à 192). — Eudcl, L'Argot de Saint-Cyr, 1893. — Armand Weil, L'Argot dans l'Université, Besançon, 1905. — Sous le rapport comparatif: Fréd. Kluge, Die Studentensprache, Strasbourg, 1898.

Les écrits de H. Rolland, L'Ecolier, 1840 (dans le tome II des Français peints 'par eux-mêmes), d'Ed. Ourliac, Physiologie de l'écolier (1841) et d'Alph. Karr, Fort en thème (1853) — sont sans importance pour notre sujet.

2: Du nom de Brouta, excellent orateur et professeur à Saint-Cyr. — Par contre, Brulium, nom du Prytanée militaire de la Flèche, et brution, élôve du Brutïum, font allusion à la discipline sévère de l'école, où l'on reçoit une éducation à la Brutus.


AIIGOT SCOLAIKE i45

d'abonl désigné les collèges avant do passor aux grandes écoles. Notons cependant l'évolution spéciale du premier; à Polytechnique, bahuter, c'est faire des brimades aux conscrits (faire du tapage, à Saint-Cyr), et baliutë y signifie chic: un col baladé est un col plus haut que ne le permet le règlement, c'est-à-dire qui fait du tapage '.

La notion de travailler avec ardeur est généralement rendue par des expressions du langago vulgaire, bûcher et piocher: « Depuis dix ans je bûche... Moi jo no bûcherai pas, je veux ménager nia cervelle », Réval, Sévrienncs, p. G et il. — « Ai-je pioché ma nomenclature? » Idem, ibid., p. G.

Ou encore par des termes spéciaux:

Pomper, travailler ferme et vite, à Saint-Cyr (et chez les imprimeurs), par allusion à la manoeuvre de la pompe qui exige des efforts prolongés pour amener l'eau : pompe, travail suivi et théorio; corps de pompe désigne l'état-major de l'école do Saint-Cyr; pompier, travailleur assidu et (dans les lycées) élève qui se prépare au baccalauréat.

Potasser, travailler avec beaucoup d'application 2, préparer assidûment un examen, proprement bouillonner d'impatience ou de colère, sens vulgaire du mot (allusion à l'effervescence que produit la potasse dans certaines réactions) : « Je suis allé à Dresde potasser mon allemand», Réval, Sëvriennes, p. 2G3.

Des lycées, le mot passa à Saint-Cyr, où les élèves ont adopté pour deviso cette formule chimiquo: S -j- KO (souffre ot potasse). Et par l'intermédiaire des étudiants, chez les souteneurs, en parlant du métier des filles (Bruant, Rue, t. II. p. 92).

D'autre part, être calé, c'est ètro instruit, et spécialement connailreparfaitoment les matières qui figurontau programme d'un examen 3; on dit aussi être ferré, abrégé d'être ferré à glace, être très habile, très savant dans une science ou un métier (d'IIautel), image tirée des chevaux ferrés à glace, que les fers garnis de crampons empêchent de glisser.

Le contraire d'être calé, c'est sécher, ne pas faire un dovoir, ne^as aller en classe (être séché, échouer à ur exa1.

exa1. sens est indépendant de celui usuel au xvi* siècle : c A quel jeu jouons-nous ? Tout de bon ou pour bahulter? » [ComéJie de Proverbes, act. II, se. V). Oudin note ce dicton dans ses Curiositez (16S0): « Faire comme les ba~ huiliers, c'est-à-dire faire bien de bruit et peu de besogne ».

2. Dans la Mayenne, potasser signifie faire du nmivais travail (Dottin).

3. Par contre, recaler signifie, ironiquement, refuser à un examen, synonyme de relaper : t Si j'étais recalée au concours? > Réval, Sëvriennes, y. 16,.


440 INFLUENCES LITTÉIUIKES

men), répondant au synonyme vulgaire, être à sec, n'avoir rien à dire, no pas savoir. Celte expression est très fréquente dans la bouche des collégiens et des étudiants: « Sécher est le seul verbe qu'ils connaissent: il sèche les devoirs, il sèche les classes, il sèche tout, quitte à être, lui-même, un fruit sec » (Armand Weil, p. IV).

Un aulro verbe qui a pris une extention considérable dans ce langage spécial, c'est piquer, attraper, faire, cic: piquer un laius, faire un discours; piquer une sèche (cf. sécher) ou une huître, rester court, no pas savoir répondre; piquer un phare 1 (on écrit habituellement fard) ou un soleil, rougir do confusion ou do honte.

Quelques détails, maintenant, sur la constitution de cet argot des écoles supérieures.

i° Sous le rapport formel, l'argot scolaire, tout comme lo parler vulgaire, affectionne les apocopes : géographie), mathématiques), philo{sophie), etc. Bachot, pour bachelier et baccalauréat, est tiré de bachelier; bas-ojf, sous-officier, appelé anciennement bas-officier ; bleau est l'élève de l'école d'application do Fontainebleau et l'école elle-même; BouleMiche, Boulevard Saint-Michel, etc. A Saint-Gyr, fanatique) désigne à la fois l'enthousiaste et la pompe ou l'éclat do la tenue.

Le terme lo plus récent de cette catégorie est tala, élève do l'Ecole Normale ayant des principes religieux et pratiquant : « Un tala est un homme qui-va-^-à la messe 2 ».

Topo a passé, du sens primordial de croquis topographique, à celui de « papier écrit » et de « discours écrit ». seules acceptions aujourd'hui usuelles.

2° Sous le rapport syntaxique, l'emploi d'adjectifs commo substitutifs est fréquent : paternel pour père, maternelle pour mère (et école maternelle), etc.

Dans l'argot de l'X, les objets nouveaux portent le nom de leurs introducteurs, officiers ou professeurs : crapouillat, corbeille à papier (d'après lo major Crapouillat), et roslo, bec de gaz (d'après lo général Rostolan); le lavis y est désigné par

1. Voir Cohen, p. 185. Cf. cependant le synonyme piquer un cinabre, dans le langage des ateliers de peinture.

2. Explication donnée par M. Ern. Philipot, dans Nyrop, Grammaire historique, t. III, p. 397.


ARGOT SCOLAIRE 447

jodot, d'après M. JoJot, professeur do" lavis '. Ce dernier terme a acquis une grande extension, exprimant tout ce qui lave et tout ce qui mouille: l'eau, les larmes, la pluie. Son dérivé jodoter veut dire « pleuvoir » et « pleurer ».

3° Les facéties et jeux de mots y sont également en honneur :

Cocon, camarade de la même année à Polytechnique, est assimilé à un cocon de ver à soie, qui est soigné par le mayuan, fonctionnaire chargé de veiller à l'alimentation des polytechniciens.

Cacique, le premier de la promotion, à l'Ecole Normale, appellation facétieuse d'après le nom des anciens chefs mexicains : « Pendant un an, elle sera la wcique de la troisième année », Réval, Sëoriennes, p. 2G0.

Crotale, chef de salle, sergent,, ce dernier dovenu, dit-on, par un mauvais calembour, serpent, d'où, analogiquement crotale9-. Cf. cependant, caïman, maître d'éludé à l'Ecole Normale, et crocodile, élève étranger à Saint-Cyr.

Equianglc, équilatc'ral, équipollent, indifférent, jeu de mots sur égal : « De tout le reste, il s'en bat l'oeil ! Tout maintenant lui est c'quilatéral », Almanach du Père Peinard, 1897, p. 49.

Fumiste, civil ou vêtement de civil, dans la bouche du polytechnicien et du saint-cyrien.

Gog, problème, dans le langage polytechnique (proprement goguenots, lieux d'aisance): « On a-baptisé aussi, et par calembour, du nom de gog ces problèmes qu'on donne souvent comme sujet de composition à l'admission et qu'on appelle dos lieux... géométriques » (Argot de l'X).

Jus, discours, et juter, discourir (évolution analogue à baver).

Taupin, aspirant à Polytechnique (terme de mépris), proprement mineur, d'où taupinière, école préparatoire aux écoles spéciales: la taupe est l'ensemble des taupins, constituant la classe de' mathématiques spéciales.

Zèbre, choval: « Courir comme un zèbre » (do là se zoubrer, se mettre en tenue de cheval). Vocable primitivement de casernes (Merlin), passé dans le monde de la galanterie.: « Lavaux? Mais c'est le zèbre delà duchesse... Ce mondo parisien est extraordinaire, son dictionnaire se renouvelle à cha1.

cha1. Cohen donne, à la p. 179 de son étude, la liste de ces noms propres devenus noms communs.

2. Mem, p. 186.


448 INFLUENCES LITTÉRAIRES

que saison, zèbre, un zèbrel Qu'est-ce que cela peut vouloir dire?... C'est le zèbre delà duchesse. T'ai-je dit que nos mondaines appellent ainsi l'ami garçon oisif, discret, rapide, qu'on a toujours sous la main pour les courses, les démarches délicates dont on ne peut charger un domestique? » A. Daudet, Immortel, p. 74 et 172.

4° Le rôlo important des mathématiques dans l'enseignement polytechnique explique la présence do nombreux termes scientifiques.

L'algèbre a fourni : X, qui désigne à la fois les mathématiques (les X), l'Ecole polytechnique (fX) cl le polytechnicien {un X); et monôme, promenade en file indienne que les élèves exécutent notamment à l'époque des examens (cf. Rigaud, v° faire).

La géométrie a donné à son tour: Cube, élève de secondo année (de mathématiques spéciales), et tangente, épéc attachée au flanc du polytechnicien (elle est tangente à sa cuisse), et surveillant aux examens écrits du baccalauréat. Ce dernier terme rentre dans plusieurs expressions (qui ont franchi leur milieu spécial), comme prendre la tangente, se détourner; s'échapper par la tangente, trouver un faux-fuyant: « Los rayons du soleil se tireflùtent par la tangente sans se donner la peine de dégeler nos abatis », Almanach du Père Peinard, 1897, p. 10.

Sublimer, c'est, à Polytechnique, travailler pendant la nuit, ruminer les problèmes do mathématiques transcendantes, et système ou Père système, à Saint Cyr, désigne le premier de la promotion.

l')° Ajoutons finalement quelques noms moins transparents :

Bizuth, élève do première année, dans les écoles spéciales: « Le terme bizuth, est employé partout par les étudiants; il est difficile de déterminer s'il a réellement pris naissance dans lo milieu polytechnicien » (Cohen, p. 181).

Le nom parait être uno appollation méprisante, analogue à pipo et, comme celui-ci, venu des collèges. Delvau, dans son Supplément, donne, comme terme de collégien, pigut, au sens de lieux d'aisance; or le moyen français bégude, petite auberge (Colgrave), répond au Normand bijule, cahute, cabane. Bizuth désignerait donc la mémo chose que bahut, boite, c'est-à-dire l'Ecole, et ensuite celui qui la fréquente.

Pipo, polytechnicien, désignation étrangèro aux élèves


ARGOT SCOLAIRE ' 4'l9

oux-mômcs (qui disent un X): « Lo mot est usité surtout dans les lycées... les polytechniciens ne l'emploient guère, ils lui trouvent conimo un petit air moqueur » (Argot de l'X). — « Vous verrez mes pipos... et mes petits bleaux... », Réval, Séoriennes, p. 110. Son origine reste obscure '.

Potache 2, collégien, lycéen (appellation également obscuro) : « Sur les gradins, dos potaches... conspuant les femmes... Je t'ai vuo avec une jeune potache », Réval, Séoriennes, p. 214 et 217.

Comme on le voit, l'argot des écoles a plusiours procédés en commun avec lo langage populaire; de là, entre eux, dos rapports multiples. Certains termes scolaires, comme chiper et copain, sont devenus d'un usago général.

1. Lo mot est peut-être lo même que pipo3, verge do l'homme (de pipeau, tuyau), d'où nom d'amitié ou de mépris donné à un enfant et à.un jeuno homme, répondant à bistaud, jeune apprenti, également d'origine hypochoristiquo (du dialectal bile, bisle, membre viril).

2. Les dictionnaires d'argot citent une forme parallèle pot à chien, mais celle-ci reste suspecte.

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CHAPITRE II

ARGOT MONDAIN

L'argot des salons et dos boulevards, tout en empruntant sa substance au bas-langage, renferme un grand nombre do créations artificielles et de vocablos éphémères. Chaque époque y est représentée par dos termes bizarres ou empreints d'exagération.

Au xvie siècle, Henri Esticnno, à propos de mots excessifs, fait diro à Philausone, partisan do l'influenco italienne en matière do langago: « 11 vous faudra avoir ordinairement à la bouche ce mot infiniment, ou ce mot extrêmement, et dire : Je vous suis infiniment obligé. Mais j'ouy un jour un sot, passant bien plus outre, en disant à une damoisollo: Vous me plaisiez infiniment en toute sorte d'infinité; mais elle incontinent luy rendit bien son change, lo payant de la mesme inonnoyc : Vous me déplaisez extrêmement en toute sorte d'extrémité » '.

Au XVII 8 siècle, lo langago dos Précieuses abonde en pareils tours emphatiques : énouvantablemant) furieusement, terriblement y reviennent à chaque pas, et Molière les cite fréquemment 2. Voici un exemple du langage quintessencié do l'époque tiré du Sicilien do Molièro (se. II) :

— Ah! Monsieur, c'est du beau bécarre

— Que diantre veux-tu dire avec ton beau bécarre?

— Vous savez que je m'y connois; le bécarre me charme : hors du bécarre, point de salut en hirmonie...

Co mémo nom désignait lo dandy vers 1885 : « Lo bécarre doit êtro grave, raido, gourmé, porter un faux col do vingt contimètres, saluer d'un gesto automatique, paraître n'avoir

1. Deux Dialogues du nouveau langage français ilalianizé, Paris, 1518, éd. Liseux, t. I, p. 117.

2. Voir Livet, Lexique de Molière, t. II, p. 133 à HO, et notamment lo piquant chapitre que M. Ferd. Drunot a consacré à la t Préciosité i, dans son Histoire de la langue, t. III, p. G6 à 74.


ARGOT MONDAIN 451

que trente ans, no pas danser cl n'affoclor aucune frivolité de manières ou de luxe » (Hector France).

Sous le Directoire, les merveilleux, appelés par le peuple incroyables et muscadins, affectaient non seulement une mise bizarre mais une prononciation affectée et grasseyante : c'est incoyablc! répondaient-ils constamment. Voici le portrait qu'en trace d'IIautel (v° genre) : « Pour parvenir à ce quo l'on nomme le bon genre ou le suprême bon ton, il faut d'abord maniérer son langage et grasseyer en parlant ; prendre un air hautain, délibéré et suffisant ; occuper continuellement la conversation de sa personne, de ses qualités, de son savoir, de ses goûts, de ses fantaisies; parler tantôt do son coiffeur, de son tailleur, de son boîtier; puis de ses maîtresses, de chevaux, de speclacles... Enfin, tout ce qui est ridicule, oulré, insipide et féminin, doit se trouver réuni dans co qu'on appelle un homme du bon genre ».

L'argot boulcvardier a poussé jusqu'au grotesque cette tendance à l'exagération. Catapulteux, obéliscal, etc. signifient joli, superbe : « Jamais femme ne sut mieux porter des chapeaux catapulteux », GiUilas, 3 août 1888. — « Ce drame pyramidal, obéliscal et granitique qui m'a" fait frémir », Almanach du Hanneton, 186G.

1. — Éléments constitutifs.

Le jargon tout d'abord et ensuite lo langage parisien ont oxercé sur l'argot mondain une influence considérable. Les éléments quo lui a fournis lo langage des malfaiteurs sont particulièrement frappants.

Des 1837, Yidocq constatait, dans" la préface de ses Voleurs, que « les dandys et les petites maîtresses» parlaient la langue des assassins et des voleurs presque aussi bien qu'un émule do Carluucho et do Mandrin : « La langue argolique n'est plus celle des tavernes et des mauvais lieux, elle est aussi celle des théâtres ; encore quolques pas et l'outrée des salons lui sera permise ».

En effet, quelques années plus tard, on 1814, Labiche, dan3 uno comédie-vaudeville en un acte, Deux Papas très bien, ou la Grammaire de Chicard, met dans la bouche de ses personnages des phrases comme celles-ci{ :

1. Labiche, OEuvres, t. I (1889).


452 INFLUENCES LITTÉRAIRES

Je dialoguerai aujourd'hui d'une façon un peu mouchique (p. 382).

Poupardon et sa fille peuvent abouler quand bon leur semblera (p. 383).

J'y ai songé...j'ai trouvé ton blot...

Quanta la dot, cinquante mille balles...

Béret montagnard, la blague en sautoir et la bouffarde aux gencives, (p. 391).

Vous serez paumé, je ne vous dis que ça, vous serez paumaqué (ib.).

Dis donc, la petite te guigne... Allume, allume! (p. 4H).

Alors... en avant les quilles ! (p. 428).

Et lorsque lo provincial M6dard qui n'entend rien a ces phrases venues do Paris, « le foyer du beau langage », demande étonné à son ami Tourterot:

 Paris tout le monde parle donc comme ça?

Celui-ci do répondre :

—Tout le monde?... Ah ( non; les gens de la haute seulement, ceux qui donnent le ton... Il y a dix huit mois, quand j'étais passer une quinzaine avec mon jeune homme, alors simple carabin, je sentais mon Chàtellerault d'une lieue, j'étais ce qu'on appelle un vrai cruchon; mais peu à peu je m'y suis mis, je me suis fait présenter dans les meilleures sociétés.

Veut-on se former une idée do co qu'était alors ce « beau langage », on lo trouvo tout ontior, termes et exemples à l'appui, dans une facétie do 1886, écrite en style lintamaresque, Paris à vol de canard, « impressions do voyage dans les 13 arrondissements de la capitale ».

Son auteur, Eugène Furpillc, s'exprime ainsi, sur le langage parisien do l'époque: « La langue parlée à Paris cl dans les environs est plus variable qu'un baromètre, et change solon les temps, selon les latitudes surtout. L'argot des coulisses, l'argot d'atolior, l'argot de bureau, l'argot do caserne se mêlent, se confondent et se croisent en tout sens avec l'argot des salons, celui dos halles et celui des magasins. On trouvera à la fin de co volume un recueil choisi de termes les plus pittoresques empruntés à ces divers jargons qui caractérisent d'une façon si étrango l'époque actuelle ».

Fidèlo à sa promesse, Furpillc nous donne un Dictionnaire de la langue bleue ou Glossaire franco-parisien, « à l'usage des touristes peu familiarisés avec la boaulé de l'idiomo capitalcsquo », Ce recuoil nous fournit sur lo langago mondain do


ARGOT MONDAIN 453

l'époque d'amples indications, dont voici quelques échantillons :

' ■ . •. .

Abouler. Verbe qui exprime l'abondance et la locomotion : J'aboule rue Bréda... Phrase des plus usuelles.

Batte pour belle. Adjectif de la belle langue des faubourgs SaintGermain et Saint-IIonoré : « Chère marquise, que vous étiez balte hier soir au raout de l'ambassade » 1

D'autor et d'achar. Manière élégante, en môme temps qu'elliptique, d'exprimer la hardiesse... « Comment vous y prendrez-vous', duchesse, pour faire avaler la chose à votre mari? — Ohl baronne, je lui signifierai ça d'autor et d'achar ».

Gouape. Sentiment instinctif qui pousse l'artiste, le poète, en un mot l'homme d'intelligence, qu'un travail manuel dégraderait par sa vilité, à lézarder paisiblement, pendant des jours et des mois entiers, sous prétexte de « chercher des idées ».

Pante. Locution amicale par laquelle le spéculateur de toute classe désigne le public payant, devant lequel il exécute ses petits tours de gobelet : « Allons, messieurs les panles, it nous manque encore 20.000 souscripteurs d'actions ».

Pègre. Expression aristocratique : « La haute et la basse pègre », comme qui dirait le faubourg Saint-Germain et le quartier Mouffetard ».

Ilupe. Style noble. Objet qui n'est pas piqué d'éléphants.

Toc, se dit de quelque chose qui est très chic : « La marquise est assez, toc, n'est-ce pas, cher ? — Mais oui, cher, je la trouve très batte ».

Oulro ces oxomples d'origine jargqnnosquo, on y lit plu* sieurs vocables do caractèro franchement vulgairo:

Ailerons, les pieds et les mains : « Si tu bouges, je te casse les ailerons ».

Blague. L'esprit de notre temps".

Boniment. Agaceries orales et en plein vent que les pitres adressent à « Messieurs les militaires et à Messieurs les enfants », pour les engager à « suivre le monde » et à venir contempler « la belle Elise (35 mètres de façade) ». Manière dont les feuilletonistes du lundi rendent compte des pièces de théâtre.

fipatanl. Recrue de comparaison canine destinée à peindre Félon* nemcnl.

Fadard, homme qui met proprement sa cravate;

Flan, du flan. Formule de réponse respectueuse d'un fils à sa mère, dans le 1" arrondissement ; dans le IIe arr., on dit des navets\ et dans le III 0, des pruneaux I

Loupe. Voy. gouape, farniente, etc.


451 INFLUENCES LIÏTÉltAIRES

Moucheron, aimable enfant.

Singe. En style ouvrier, celui qui fait la paye tous les samedis.

Ce langage mondain du milieu du xixe siècle avait donc déjà adopté les expressions les plus caractéristiques du bas-langage.

La môme impression nous vient d'une revue dol'annéo 1861, Le Plat du Jour, par Em. Blum et Al. Flan, dans laquelle un dos personnages s'appcllo Argot (1er acte, se. x):

JOCRISSE. — Que vient faire l'Argot dans celle affaire?

LA KEVUE. — C'est un des produits de l'année... Jamais il n'a pris autant d'extension que cette fois...

JocmssE. — C'est égal, Argot, vous n'aurez pas mon suffrage... Je vous trouve ignoble et ceux qui vous propagent ont tort... Si cela continue, l'argot se serait infiltré dans toutes les classes, et, le temps aidant,... dans quelques vingt ans d'ici, du train dont vous prospérez, voici comment s'exprimeront ces grandes dames dont nous sommes si fiers à présent...

Kt, dans la scène suivante, la marquise et la duchesse parlent l'argot boulevardicr do l'époquo, mélange de jargon et do bas-langago.

La mémo année, Amédéo Marteau, lançait, sous le pseudonyme do Marccllus, uno série do Satires contre lo faux luxe, le théâtre, los journalistes.

La Xe, intitulée « Lo langage d'aujourd'hui », est consacrée à l'argot boulevardicr :

C'était avant lo romantisme, Aux poètes étincelants, Dont les vers sont tout ruisselants De fantaisie et d'inouïsme... '

Alors on écrivait do belles choses d'un stylo simple, grand et fort; mais, maintenant, les étrangers, nourris aux beautés des écrivains classiques, venant en France, y entendront parler :

Dans les journaux et dans le inonde, L'admirable argot que voici : — Racine est une balançoire, Je vous le dis bien carrément ; Corneille a du chic, oui vraiment, Mais jo déleste son grimoire...

1. Suivant Delvau, cette expression -- ruisselant d'inouïsme — appartiendrait au poète romantique I'Iiiloxène Boycr ( 1820- 1SG7».


ARGOT MONDAIN 455

x Avez-vous lu la Silhouette ?

Mon cher, un article tapé, Edmond About est attrapé De la façon la plus chouette ! Séjour i me botte; il est ficelle. Mais il charpente joliment Un grand drame à compartiments. Je pionce en lisant La L&ndelle...

Dans les Précieuses du jour, comédie en un aclo par Emile Villars, 1865, il s'agit toujours d'argot mondain : «L'argot qui, de l'atelier, du club, dos boudoirs interlopes, par uno cont&gion chaque jour plus subtile, s'introduit dans beaucoup do salons parisiens » (Préface).

L'auteur, frappé par celte influenco croissante do l'argot :— « ce langage idiot et infect » — écrit sa pièce, dont l'argot est l'idéo même. Lé" mot désigne ici non pas le jargon, mais tout simplement le bas-langage. En voici un échantillon (p. 27) :

SAINT-HIPPOLYTE. — Vous étiez sur le turf dimanche... oh ringuait a tout casser ! J'ai empoché quelques monacos, et sans cet animal de Fritz qui a failli casser sa pipe,,.

I\INA Marthe). — Casser sa pipe... Le marquis a des mots» • JIARTHE. — Oh! c'est déjà vieux!... ça a de la barbe !... On a dit depuis-: casser son crayon, et on dit maintenant : lâcher la rampe, ou remercier son boulanger, ou dévisser son billard. __

Personne n'a plus profondément saisi le vido de cet osprit mondain quolo délicieux poèlo de Chantecler. 11 apersonnifié, dans lo Mcrlo, lo dandy boulevardicr, cet ironisto en herbo ot déjà désabusé, sans coeur et sans cervello, qui raille tout faulo do rien comprendre et croit que

... tout bec un peu chic se doit être un peu mufle.

On no l'ontond siffler quo dos rengaines comme celle-ci :

Nous n'y couperons pas, mes enfants (acte I", se. ne). Dans ton pont, toi-même, tu coupas 1? (acte II, se. v). Tout ça, c'est des vieilles escarpolettes (acte I, se. iv).

ou émcllrc des saillies :

La grive est un oiseau si grivois qu'il s'esbigne, De pour d'être rôti dans des feuilles do .vigne.

(Acte I, se', iv).

I. Victor Séjour, auteur do quelques drames à grands spectacles (1821.-1874)


456 INFLUENCES LITTÉRAIRES

Ou le vieux jardinier va chez le mastroquet, Et, pour tuer un ver, étouffe un perroquet.

(Acte I, se. iv).

Mais oui, mon vieux ! C'est l'heure où l'horizon vermeil, — Si j'ose m'exprimer ainsi, — pique un soleil !

(Acte II, se. v)

Lo pocto, par la boucho do Chantccler, s'élôvc contre son penchant inepte à tout ridiculiser, parce que tout lui Schappo, ot contre sa manio de parer ces blaguos de pitro avec des bribos argotiques recueillies dans lo ruisseau :

LA PINTADE. — La Libellule. LE MERLE. — Mince alors!

il no fait quo dos mots et no cesse de parader avec son «jargon nonchalammont voyou», et lorsque Chantccler, impatienté, lui demande (acte I, se. iv) :

Ah! pourquoi donc toujours descendre a des argots ?

il s'on tire par un calembour :

C'est pour vous faire un peu grimper sur des ergots.

Finalement, las do son. langago factice :

Ton bagou, c'est du chiqué !

ot de ces étcrnols lazzis, échos ineptes du gamin parisien, Chantccler lui dit franchemont son fait (acte IIF, se. v):

Toi tu connus, par quelque matin blême, Un Moineau de Paris : tu nous l'a dis toi-même. C'est ce qui t'a perdu. Depuis, la peur le tient - De n'être pas toujours très « moineau parisien » !...

Désormais. toujours, sans trêve,

Moineautaut jour et nuit, moineautant même en lève, Condamné toi-même à mo'moautor sans fin Pour faire le moineau, lu feras le serin I...

C'est en vain quo tu mets Ion gros hec do travers. 'Tu veux cueillir les mois d'argot? Ils sont trop verts! Chaque grain que tu prends lo crève aux mandibules : Les raisins de Paris sont des grappes do huiles ! N'ayant pris au Moineau quo sou truc ot son tic, Tu n'es qu'un sous-farceur et qu'un vicc-ioustic!

lit pénétrant dans les profondeurs do l'Ame du véritable « moineau » parisien, du gamin héroïque qui sait donnor sa


• ARGOT MONDAIN 457

vie à l'heure décisive, l'illustre écrivain fait ressortir, par la bouche deChantecler, le fonds d'extrême sonsibilitéquodéguiso li raillerie de Gavroche en rapport avec le vide quo cache lo persiflage du perroquet mondain :

Tu veux imiter lo Moineau ? Mais sa blague

N'est pas une prudence, un art de rester vague,

Un élégant moyen de n'avoir pas d'avis :

Il a toujours des yeux furieux ou ravis.

Et veux-tu maintenant la clef d'or qui remonte

Comme un joujou charmant sa blague jeune et prompte ?...

C'est que ses cris railleurs sont des cris attendris,

C'est qu'il est libre et fier, c'est qu'il croit, c'est qu'il aime...

Il faut savoir mourir pour s'appeler Gavroche! Mais vous qui, sans gaieté, parce que sans amour, Vous êtes figuré que la mauvaise humour l'eut remplacer la bonne humeur, et qu'on détrône Le pierrot lorsqu'on n'est qu'un nègre qui rit jaune, Et que nous confondrons, ô lourdauds sautillants, Vos mots d'esprit qui sont des éteignoirs brillants, Avec ces traits du coeur qui sont des étincelles. Vous pouvez-vous fouiller — si vous avez des ailes !

2. — Vooables éphémères.

Au xix° siècle, c'est l'Angleterre qui fournit une bonne partie des noms désignant les héros do l'élégance : le lion, lo dandy, tefashionable. lo smart.

Ce dernier nom et son pondant lo snob ont produit les dérivés smarteux ot smartif. h côté do snoboye, au sons d' « élégant », très usuel dans ce monde spécial qu'on appelle dans les journaux les « horizontales de grande marque ». Celles-ci sosont d'ailleurs forgé un langage franco-anglais, dans lequel la rue Uréda, jadis lo quartior do oos dames, s'appelle HrédaStreet, et leur commerce, biznesse (anglais business) : « Blsenesse est très usité par les filles publiquos qui, au lieu do dire, lorsqu'elles sortent lo soir: Jo vais truquer, disent: Je vais faire mon bisenesse. C'est plus Régence » (Rossignol).

Il est alors tout naturel quo le souteneur y porto le nom moins élégant de flsli, poisson '...

1. C'est au môme monde qu'appartient rastaquouere, abrégé en rasla, de l'espagnol américain rastracuero, tratne-cuir (sobriquet des parvenus), appliqué surtout aux Argentins et brésiliens qui dépensent sans compter. Le rasla a remplacé lo milord de jadis : « Vous devez avoir la fleur des raslas de la colonie », Theuriet, Fleur de A'/ïv, p. 11'».


458 'NFLUENCES LITTÉRAIRES

Le jargon des demi-mondaines s'est d'ailleurs toujours ressenti de leurs relations multiples et fugaces : « Toutes les professions masculines avec lesquelles elles sont en contact permanent donnent à leur langage une teinte polyglotte ot cosmopolite » (Delvau, Préface, p. XIV). Le milord, le prince russe, lo brésilien y ont tour à tour laissé des vestiges.

La nomenclature indigène du fashionable n'est pas moins féconde :

Cocodès, successeur trivial du dandy, fit son apparition vers 1803, féminin cocodèle, nom do source vulgairo et de la mémo origine enfantine que son synonyme cocotte: cocodèteou cocodaque est le cri do la poule qui pond et la poule elle-même.

Gandin, jeune élégant, nom tiré d'un personnage des Parisiens de (a décadence (185i) do Théodore Barrière

Le nom est devenu l'expression môme du chic : « Un def américain, tout ce qu'y a de gandin », Bercy, IIP lettre, p. 5.

Gommeux, remplaçant du cocodès, appelé aussi poisseux, pommadin, petit crevé, boudiné, grelotleucc, derniers représentants plus ou moins ridicules de ce qu'on a appelé « les héros du chic et do la distinction vestimenlalo »' : « Tout lo Royal gommeux et l'Impérial grelotteux avait été conviés à coite crémaillère des plus vlan. Les horizontales de la grando marquo étaient représentées par... », Gil Blas, 29 janvier 188b.

Quant au monde élégant lui-môme, le monde sélect, le high-life, il est également caractérisé par des vocables plus ou moins factices et changeant du jour au lendemain.

L'expression la plus générale, qui a pris do nos jours une extension considérable, est chic, terme d'atelier pour exprimer une certaine habileté 2 de main dans les arts, d'où tournure avantageuse, élégance, distinction. Cette acception, particulière au xixc siècle, romonte à une autre plus générale de finesse, adresse (acception encore.vivaco), colle ci attestée, dès le xvi° siècle, dans une des Satyres de Du Lorens (XII, p. 97):

J'use dos mots de l'art, jo mets en marge hic ; J'espère avec lo temps <(uc j'entendrai le chic.

Mais l'origine du mot reste obscure. Il a produit de notn1.

notn1. Lolice, dans la Revue des llevues de 1899, t. I, p. 109: t Elude sur le parler fin do siècle ». f

2. Mais aussi : artific, facilita banale ; de là, du chiqué, artificiel, factice.


AKGOT MONDAIN 459

broux dérivés : chicarcl, cliicanclard chicocandarcl ', 1res chic. Ce vocable et ses dérivés ont vite fait fortune. Voici quelques témoignages dans leur ordre chronologique :

Les mots de chicard, chouette, rupin, chicandard, sont employés pour exprimer la perfection par les ouvriers parisiens. — La Bedollière, 1842, p. 74 note.

Un déjeuner chicocaniard, — Labiche, Deux Papas très bien, 1844 (OEuvres, t. I, p. 379).

Chique, au figuré, synonyme de chouette, truc, etc. Ce mot a produit à son tour les expressions suivantes qui ne s'emploient que dans les réunions les plus blasonnées : chiquandard, chiquoquandard, chiquandouillard, etc. — Furpille, 1855, p. 187.

Hescherolle romarquo on 1815 : « Le mot chic s'applique aujourd'hui à presque tous les genres do professions ». Ce mot do la a dernière familiarité » est aujourd'hui très usuel dans tous les milieux : « Lo lendemain on enterra Bois; tout l'escadron était là... c'était chic; oh! c'était très chic... », Courtelinc, Gaietés, p. 39.

Lo mol chic a récemment produit un composé copurchic. très chic, élégartt à la dernièro mode, c'est-à-dire portant un chapeau do foutre à la Hubons 2, d'où copurchisme. élégance suprémo (H.-Franco) : « Les pieds ont cinquante centimètres, une pointure copurchic », Figaro, 23 octobre 1886. — « Les gommôux anglais vont adopter lo bracelet : co sera bientôt le dernier cri du copurchisme », La Nation (passage cité dans II.-Franco). . En dohors de chic et de ses.dérivés, le vocabulaire boulevardior renferme toute une série do synonymes, créations artificielles, productions éphémères dos périodiques : les unes mort-nées, les autres vivant ce quo vivent les roses, fort peu dépassant une vogue passagère. Nous les passerons on revuo à titre do bizarreries linguistiques (ce sont pour la plupart des onomatopées) :

Ah! chic (cri admiratif) : « A côté do lui, Amaury représente un pschutleux du dernier vlan, loul ce qu'il y a de plus ah! avec des vestons tropcourtsetdes pantalons trop étroits», Figaro, G septembre 1883.

1. Fusion probable de chicandard et coco, personnage infatué.

2. t Copurchic, nom qui venait de pur, grand chapeau do foutro inventé par Itubcns et fort cher aux étudiants, et de chic, le tout relié ensemble, ainsi (ju'il ressortait du préfixe en sens copulatif co, de cuin, avec ». — Edgar Montcil, La Bande des Copurcldcs, 1SSG (cité dans II.-France).


4G0 INFLUENCES LITTÉRAIRES

Choc, forme parallèle à chic, prononcé tschock : « Le tschock, lit-on dans le Gaulois do 1887, est l'expression parisienne qui a remplacé pschutt, lequel avait remplacé vlan, qui lui-même avait remplacé chic ».

Pschutt, autre synonyme de chic (variante orthoépique do chut)! cri d'admiration comme ah! désigne à la fois le monde élégant, le high-life, et le jeune élégant, le pschutteucc, le genre, le pschuttisme, le code de l'élégance rafinéc, lapschutterie: « Tu es tout à fait pschutt »/ Theuriet, Charme dangereux, p. 208. — « Le chic est mort, vive le pschutt! Qu'cst-co que la pschutt? On ne le sait pas exactement, et c'est ce mystère qui en fait tout le mérite. Le pschutt, c'est le chic ou à peu près », Gaulois, janvier 1883. — « Le pschutt vivra-t-il? Aura.t-il une fortune aussi longuo que la gomme, le gratin 1, la crème, le chic, et autres dénominations que la modo apporto et remporte ? » Voltaire, janvier 1883. — «La foire do Neuilly a maintenant son jour pschutt », Figaro, 29 janvier 1888. — « Un bal blanc... où avait défilé la crème do Phorizontalismo et lo gratin du pschuttisme », G il Blas, 10 novembre 1886.

Tchink, synonyme de chic, pour l'année 1884, onomatopée analogue à tschock ! « A propos, chôro Madame, vous savez qu'on no dit plus pschutt, ni vlan, ni ahl... On dit tchink. Ainsi, les mardis aux Français sont tchink.,. Moi, je suis tchink et le baron ne l'est pas », Octave Feuillet, 1881 (cité dans lo Supplément de Larchey).

Sgojj', chic, n'est que la finale do SlrogofF, beau, chic, souvenir des splendeurs do la mise en scène do Michel SlrogofF, au théâtre du Châtolct : « La préoccupation do la gomme des salons est do no pas rester au chic quand on est au pschutt, d'oser... tenter le vlan ou lo sgoff », Ferdinant Brunot, dans Petit de Jullcville, Histoire de la langue et de la littérature française, t. VIII, p. 83u.

Tscholte, chic, simple variante orthoépique de tschoc .' « Les tschottes sont une catégorie de gommeux, le dessus du panior des beaux jeunes gens du jour », Journal pour rire, 1883, n° 439.

Vlan, synonyme do chic, à partir do 1867, est, comme les précédents, une onomatopée : « Les trois mondaines qui so

I. Le dessus du panier du monde qui s'amuse, la (leur du monde selecl.


ARGOT MONDAIN 4G1

trouvaient au dernier bal do l'Opéra appartiennent à tout ce qu'il y a do plus vlan dans la société parisienne », Gaulois, mars 1886. — « La sortie du public vlan des restaurants de nuit », Merlin, Débauche à Paris, p. il.

Zing, autre synonyme du chic, forme parallèle à (chink, l'une et l'autre exclamation d'étonnement et d'admiration : « On ne dit plus chic, à ce qu'il paraît. C'est rococo, c'est bourgeois; et quand une femme a du genre et de l'élégance, on dit qu'elle a du sine », Evénement, 18 août 1866.

Ces multiples équivalents du dernier ton de l'élégance sont d'origine purement livresque. Lancé par tel ou tel chroniqueur de journaux, le nouveau qualificatif remplace quelque temps son prédécesseur pour céder bientôt sa place à une autre fanlaisio de scribe, laquelle, à son tour, rentre dans lo néant. Le mot est ici, comme ailleurs, le reflet fidôlo de la chose qu'il désigno ; des préoccupations aussi frivoles no peuvent trouver d'autres expressions que des termes enfantins, des exclamations niaises ou des consonances grotesques '.

Une autre leçon se dégago do ces excentricités linguistiques. « On a essayé — remarque M. Loliéc, p. 480 — depuis un quart do siècle bien dos qualificatifs pour, exprimer lo dernier ton do Péléganco : c'était vlan, c'était pschult, c'était sine, c'était rubis, c'est smarl (je laisse de côté époilant qui n'a pas vécu). Chic seul aura survécu et nous suffit ».

En d'autres termes, l'unique expression qui l'a emporté sur ce flot do vocables bizarres, est précisément colle qui a des racines dans lo passé cl qui a été adoptée par la majorité do la nation. C'est au peuple, et non pas aux snobs, qu'on est re1.

re1. de ces vocables éphémères ont été pris au sérieux par do savants romanistes. On lit cette articlo clans le Supplément à Delvau par Fusticr (1833) : t Ningle, fille publique: « Les souteneurs... se réjouissent de voir les jours diminuer et par conséquent les nuits augmenter, double avantage pour les fils de Neptune et leur ningles ».

C'est là uno abréviation familière de ningliger, prononciation vulgaire pour négliger, désignant tout bonnement une femme en négligé. Or voici ce qu'en pense M. 13elirens, dans ses Deilrâge zur franzôsischen W'orlgschichU, I9i0, p. 183 : t Ningle, prostituée, est donné par lo Supplément de Saclis comme terme do la langue vulgaire. C'est sans doute n'ingle, c'est-à-diro ingle, avec l'agglutination de l'article indéfini : Inglec&l l'allom. lîngel qu'on rencontre souvent comme terme hypocoristique. Aussi longtemps qu'où n'aura dos données sur l'expansion du mot en français, on ne saura décider s'il a clé pris do l'anglais ou du gerinaniquo continental >.


4a^

403 INFLUENCES LITTÉRAIRES

devable des acquisitions linguistiques réelles, permanentes, définitives.

M. Loliée qui a relevé ce nouveau genre de parislnianismes — des façons de dire imprévuos, des imagos avonlureuses, des vocables bizarrement expressifs, en état de renouvellement perpétuel... qui sont comme la mousse pétillante et éphémère de l'esprit parisien — conclut ainsi son étude pleine de faits et d'idées: «Les caprices do langage où s'amuse la fantaisie des gens du dernier gratin, des copurchics et des viveurs. Il existe de celte espèce toute une littérature ', dont la provinco n'est pas moins friande que la capitale, et qu'à l'étranger les raffinés de Saint-Pétersbourg se piquent de connaître aussi à fond que ceux de Paris. Elle s'adapte do préférence au ton et aux habitudes do la flâne boulovardière. Les « journaleux », en outre, les « métaphysiciens do l'atelier » et les plumitifs de tout sexe n'en dédaignent pas l'emploi... Il y a trop de caprices d'oxpression dans tout cela pour qu'il n'en roule une large dose au fleuve do l'oubli!... Tous ces volumes fantaisistes dont on s'amuse, à l'heure présente, seront complètement illisibles dans une trentaine d'années... La meilleure partie de leur agrément est destinée à s'évaporer aussi vite que le parfum d'actualité dont ils furent l'émanation directe ».

1. Voici les ouvrages fin de siècle que cile de préférence l'auteur :

Gyp, Le petit Bob, Paris, 1882.

Lucienne (M. Donnay et J. Marni), Dialogues de courtisanes, Paris, 1S92.

Lavedan, Leurs soeurs, Paris, 1392.

Marni, Comment elles nous lâchent, Paris, 1892.

Willy, Maîtresse d'esl/iète, Paris, 1897.


CHAPTIRE III

ARGOT DES COI/LISSES

Noire but n'est nullement de tracer ici l'historiquo de cet argot spécial, d'ailleurs encore insuffisamment connu, ni d'en analyser les éléments constituais, lâche malaisée à l'heure actuelle. Nous voulons simplement, tout en faisant ressortir les vocables qu'il a tirés du bas-langage, source primaire d'où dérivent toutes les langues spéciales, relever les termes qu'il a fournis à son tour à la langue parisienne.

Remarquons que le jargon des malfaiteurs, comme on l'a déjà vu au chapitre précédent, a do bonne heure pénétré dans les coulisses, et, s'il faut ajouter créance aux Mémoires do Mademoiselle Dumcsnil, il aurait déjà été familier aux acteurs du xviue siècle '. À différentes reprises, les pouvoirs publics sont intervenus, pour en arrêter le flot de plus en plus grossissant. Une circulaire du ministère de l'Intérieur, en date du 30 octobro i8u3, avertit les directeurs qu'ils no doivent plus tolérer que les artistes intercalent dans leurs rôles des phrases en argot; une autre circulaire du 21 avril 1858, adressée par lo Ministre d'Etat aux directeurs des théâtres, prévient ceux-ci que la commission de censure a reçu des instructions sévères contre l'introduction au théâtre des termes empruntés à l'argot. Kt en conséquence la piccod'Kmilc Villars, dont nous venons do parler, fut interdito en 18GG par la censure 2.

C'est généralement par l'intermédiaire du langage populaire parisien que los mots du jargon ont passé au théâtre.

1. Voir nos Sources, t. II, p. 248 note.

2. Cf. Yvcs-Plessis, Ribliographie de l'Argot, n° 110 et 180. Voir, en outro, su? l'argot au théâtre, n° 207 propos de la Famille Benoilon do Sardou, 18G5), n» 215 (à propos de la pièce d'Emile Villars, 1805), n« 319 et 320 (sur 1 envahissement do la littérature dramatique par l'argot).


4Ci INFLUENCES LITTÉRAIRES

Des termes ' — comme être- mouche cl toc, être parfaitement mauvais dans le rôle dont on est chargé; une panne, pour un mauvais rôle; cabotin, pour un pièlro comédien; avoir le trac, le ta/, le taffetas, ressentir en scène une grande émotion, une grande peur ; enfant de la balle, acteur qui est né au théâtre d'une famille de comédiens, etc. — ont passé du parler vulgaire dans le langage des coulisses.

Mentionnons quelques vocables spéciaux aux coulisses : Appeler Azor, siffler un acteur ; cascade, plaisanterie scénique, trait ou geste comique (ajouté par l'acteur au texte ou aux intentions do l'auteur) ; ours, mauvaise pièce, et tartine, longue tirade; Romain, claqueur payé (souvenir des théâtres do Rome) ; tape, insuccès; Mine, organe puissant (« avoir du sine »).

Par contre, l'argot des coulisses a fourni au bas-langage :

Ficelle, moyen usé et rabattu dont on se sert pour amener un effet (allusion aux ficelles cachées avec lesquelles on manoeuvre les marionnettes : elles ne remuent qu'autant qu'on lire les ficelles), d'où ectto double acception :

1° (comme substantif) Moyen artificiel et plus ou moius secret, ruses du métier, qu'il s'agisse d'un comédien ou d'un carnolot.

2° (comme adjectif) Malin, rusé,* sens attesté ù;\i lo début du xixc siècle : « Etre ficelle. Métaphore populaire qui signifie friponner avec adresse; unajicelle, un escroc » (d'Hautcl). — « On en voyait de grands [enfants], l'air ficelle, de gros, ventrus... », Zola, Assommoir, p. 163 — « Si on était ficelle, on raflerait des montres », Rosny, Hues. p. 72.

Cette expression n'a pas manqué d'être censurée par Desgranges en 1821 : « Ficelle. Barbarisme qui signifio trompeur, rusé. G'ost donc à tort qu'on dit : Notre voisin a l'air un peu ficelle. Les cordiers no font pas de ces ficelles-là ».

Cette remarque du grammairien puriste dénote, comme d'habitude, l'ignorance de l'origine et de l'évolution spéciale du mot ; mais on est surpris de trouver la même méconnaissance do sa valeur techniquo chez un investigateur aussi érudit quu fou Nizier du Puitspclu : « Etre ficelle, être d'une probité médiocre : M. Finochon est un homme qui a de l'estoc (c'est-à-diro do l'intelligence), dommage qu'y soye un peu

1. Cités d'après Arthur Pougin, Dicttonnatre hhlorique tt pittoresque du théâtre, ."ar.'i, 4885.


ARGOT DES COULISSES 405

ficelle. Je me demande quelle analogie on a pu voir entre un monceau do ficelle et un filou? Possible quelque vague analogie do consonance tout simplement » '.

Four, échec eomplct, fiasco d'une pièce; de là, insuccès en général. Faire four s'est dit tout d'abord des comédiens qui refusaient de jouer et renvoyaient los spectateurs quand la recette ne couvrait pas les frais (c'est-à-dire, ajoute Littré, rendaient la salle aussi noire qu'un four) ; ensuite, do nos jours, échouer, en parlant d'une pièce de théâtro, et de toute oeuvre ou entreprise : « J'ai demandé une avance d'argent à mon patron, j'ai fait four ». (Rossignol). Voici quelques autres citations : « Nous faisons four, dit Lousteau en parlant... la langue des coulisses », Balzac, La Muse du département, 1843, t. VI, p. 391. — « Il est certain maintenant que les roussins ont fait four », Père Peinard, 8 janvier 1890, p. 5. — « Qui n'a pas conscience du four énorme qu'elle vient do faire en philosophio » ? Réval, Sëvriennes, p. 22.

La même notion est rendue dans l'argot des coulisses par :

Veste, échec au théâtro : quelle reste! dira-t-on d'unopièco qui est tombée sous les sifflets ou qui a succombé sous l'ennui ; remporter sa veste, échouer piteusement et sans chance de retour, en parlant d'un acteur ou d'une pièce 2, ensuite, no pas réussir, en général : « Le pêcheur qui n'a pas pris du poisson, remporte une veste » (Rossignol) ■— « Dans le vingtième arrondissement, ils ramasse^ une belle veste [électorale], ça leur tiendra chaud pour cet hiver », Père Peinard, 29 septembro 1889, p. 3.

Le plus important do ces emprunts est maquiller, se farder, qui s'est dit tout d'abord des actrices, terme passé ensuite aux femmes du monde. Aucun dictionnaire jusqu'à Littré ne donne ce mot que Furpille n'a pas oublié do noter en 1850 (Vidocq donne déjà maquis, fard) : « Se maquiller, réparer dos rides l'irréparable outrage » 3.

1. Lillrd de la Grand' Côle, v° ficelle. Cf. Sigard, Glotsaire du wallon de Mons IS70: « Ficelle, substantif et adjectif, petit voleur. On a, selon les uns, voulu désigner par ce mot, ceux qui no méritent pas précisément la corde. Selon d'autres, ce mot provient d'un droit do ficelle ou emballage que percevaient los négociants et qui n'a pu être aboli que par un décret do Napoléon I". M. Schcler soupçonne une corrélation entre fil et filou. Il cite la locution vulgaire avoir le fil »,

2. L'origino de cette expression éminemment théâtrale remonte à une piôco Les Hloiles, jouée au Vaudeville vers 1855 (v. II.-France).

3. Sons dérivé : Maquiller, frelater, frauder, tricher, en parlant du marchand do vin, du restaurateur de tableaux, du maquignon.

30


46G INFLUENCES LITTÉRAIRES

On le lit quelques années avant dans Théophile Gautier : « La plupart de ces dames se maquillaient, comme disent les actuelles lorettos de Paris », Constantinople (éd. princeps, 18b3), éd. 1881, p. GO.

C'est un vénérable archaïsme qu'on rencontre dès le xn" 3 siècle: « le vis masquiMes » do la chanson d'Antioch Ï (v. Littré, Supplément), signifiant visago rougi ou noirci, rendu méconnaissable. Go verbe au sens de se noircir, se déguiser en se barbouillant, a dû longtemps se maintenir dans le parler vulgaire. C'est là quo l'a puisé le jargon, qui s'en était emparé dès le xvne siècle, en lui donnant l'acception do « voler » ou « travailler (au sens argotique): « Courlaux de boutancho sont des compagnons d'estat, dont les uns ne maquillent quo durant l'hyver... et quand l'esté est venu, ils disent: Fy du maquillage... » — Le Jargon de l'Argot reformé. 1628, p. 30.

Cette métaphore est foncièrement jargonnesquo : pour lo malfaiteur, se déguiser et voler ou travailler étaient des termes synonymes; il était forcé, pour pratiquer son métier, de prendre foules sortes de déguisements, de se rondre méconnaissable. Lo fourbosque se sort delà môme image : camuffare, voler, signifie proprement se déguiser, se masquer.

Le jargon du xvne siècle cl l'argot des coulisses du xixc ont tour à tour puisé dans l'idiome populaire, où nombre d'archaïsmes à l'état latent n'attendent qu'une occasion propice d'entror en circulation. Un exemple curieux à côté do maquiller, est le bagotier de nos jours qui à fait sa réapparition après une éclipse do plusieurs siècles (v. ci-dessus, p. 329).

Parmi les types du théâtre, citons en premier lieu Bobèche, pitre qui vivait sous l'Empire et la Restauration, dont le nom survit dans l'expression vulgaire : chez Bobèche? comment ? quand? où? (avec une nuance d'incrédulité, d'ironio ou de refus) ; ches Bobèche l jamais (avec idée de moquerie ou de supériorité) '.

Dumanet, soldat naïf et crédule, représente un personnage du vaudeville des frères Cogniard, La Cocarde tricolore, joué en 1831 : dans cette pièce, Dumanol est un jeuno soldat à qui l'on fait croire les bourdes les plus invraisemblables.

La plus récente de ces créations est Gédéon, type du dégéi.

dégéi. Dictionnaire, p. 116, 273 et 319,


ARGOT DES COULISSES 46?

néré physique et intellectuel, souvonir do Gèdèoïi Gueuled'empeigne, qui a figuré pendant quelque temps dans les journaux comme réclame de Ba-Ta-Glan.

Ces types popularisés par les caricatures sont nombreux. Bornons nous à citer ceux qui ont définitivement acquis droit de cité dans le bas-langage. Les synonymes vulgaires du parapluie : Pépin (quand il est vieux et démodé), riflard et robinson (désignant des modèles de grande dimension) sont des souvenirs do ce genre. Dans un vaudeville de Picard, La Pelite ville, 1801, un des personnages, Riflard, paraît sur la sceno avec un énorme parapluie : « L'ondée reprenait, la noce venait d'ouvrir les parapluies, et, sous les riflards lamentables, balancés h la main des hommes, les femmes se retroussaient... », Zola, Assommoir, p. 78.

Tandis que robinson, vaste parapluie, rappellerait colui do Robinson Crusoé, dans une pièce de Pixérécourl (1805), le pépin scrah ainsi nommé d'après Pépin, personnage qui entrait en scène armé d'un grand parapluie, dans Romainville ou la Promenade du dimanche, vaudeville joué aux Variétés le 30 novembre 1807 : « Voici votre pépin, et voici votre tube », Courtcline, Gaietés, p. 200.

La Fille de l'air, ancienne pièce du Boulevard d,u Temple, a fourni la locution jouer de la fille de l'air, se sauver : « Il a joué de la fille de l'air, y a pas ou mèche d'y f... le grappin dessus... Les paysannes no so gênaient pas non plus pour accrocher aux branches des arbres les ccusses qui ne purent jouer de la fille de l'air », Père Peinard, 21 août 1890, p. 5, et 1 févr. 1891, p. G.

C'est dans lo mélodrame jadis célèbre de l'Auberge des Adrets, représenté à l'Ambigu comique en 1823, qu'on trouve Robert Macairo, type de la friponnerie audacieuso et cynique, rôle créé par Frederick Lemaître (Rictus, Coeur, p. 17): « Les pénards, les maries, lo macaircs... »

Le vaudeville des frères Cogniard, la Cocarde tricolore, joué le 19 mars 1831, a popularisé, avec la caricaturo du soldat crédulo Dumanet, celle du grognard aux sentiments exagérés, Chauvin, devenu ensuite le type du civil palriotard, personnage ridicule dont le nom a passé de Franco en Europe.

Rappelons finalement quelques noms ou surnom? je danseurs fameux (entre 1830 et 18G0), devenus populaires : Uah'


4G8 INFLUENCES LITTÉKAIUES

ckard l ot Ghicard 2, types do carnaval à la modo dans los bals masqués vers 1830 et 1810 ; Clodoche 3, personnage habile dans l'art do se désarticuler (à la modo vers 1810); — Rigolboche, sobriquet d'une danseuse excentrique (18u5-18G0). Le théâtre a été une force incomparable de diffusion pour certains mots nouveaux entendus on commun par un grand nombre d'hommes. Gaston Paris a écrit à co sujet une pago suggestive dont il nous sera permis do citer co passage : « Lo théâtre, dans ce genre, a dos effets prodigieux : uno foulo do locutions, do métaphores, de sobriquets, aujourd'hui employés couramment, proviennent do pièces do théâtre souvont tout à fait oubliées. Pondant dos mois, des milliers de spectateurs ont été émus, indignés, égayés par uno oxpression heureusement délournéo de son sens : ils l'ont répétée dn so revoyant, ils en ont semé leurs entretiens ; peu à peu elle est entrée dans leur langue ot s'est répandue autour d'eux. Une pièce à succès fait son tour de France : le mot nouveau sera ainsi transporté dans toutes les grandes villes, qui seules renouvellent le langage dans une société comme la nôtre » A.

i. Voir ci-dessus, p. 280.

2. Et avec le sens généralise : « Dans sa danse de chicard enragé... i, Zola, Assommoir, p. 433.

3. c Ils évoquaient à eux trois l'idée d'une figure de quadrille d'un (rio de clodoches », Gourteline, Train, p. 190.

4. Mélanges linguistiques, 1909, p. 288/


CHAPITRE IV

DERNIERS VESTIGES

Lo roman a fourni, à son tour, nombre de types qui ont fait fortune.

Dans la Princesse de Babylonc do Voltaire, Cador joue le rôle d'un ami fidèle et dévoué. Ce nom a passé au chien, à l'cxemplo de ses synonymes Azor et Médor (également d'origine littéraire) : « Si lu les voyais, les pauvres cadors, comme ils triment, ça te ferait do la peine aussi », Bercy, A'A7e lettret p. 5. — « Sont après vous commo des cadors... » (Rictus, Doléances, p. 15).

Nous avons déjà cité lo nom récent à'Apaclie, d'après un roman do Fenimoro Cooper.

Tout le monde connaît pipelet, nom de concierge, souvenir d'un personnage des Mystères de Paris (1844) d'Eugèno Sue : « Dans co bougo, M. Pipelet, le portier, momentanément absent, était représenté par Madame Pipolot », t. 1, p.- 163. — « Le pipelet intervient et le ravale », Poulot, p. 131.

Lo gavroche, nom du gamin parisien, blagueur et spirituel, est, comme on sait, un personnage des Misérables do Victor Hugo : « Bataillon do gaoroches », lit-on dans lo Journal des Goncourt du 22 septembre 1870.

C'est dans Les Misérables (1. I, cb. xiv) que Victor Hugo attribue lo mot connu au général Cambronne, à la bataille de Waterloo. Lo héros, enveloppé de toutes parts et sommé do se rendre, aurait répondu : « La garde meurt et no se rend pas », co que la tradition a condensé en une expression vulgaire énergique ainsi rapportée par lo romancier : « Un général anglais, Colvillo selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves Français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde! » On a ensuito identifié le nom du fameux général avec lo sons du mot qu'il aurait prononcé.

Le plus récent de ces types généralisés est bazouge, croquemort, nom d'un personnage de l'Assommoir de Zola : « Le


470 INFLUENCES LITTÉRAIRES

père Dasouge, un croque-mort d'une cinquantaine d'an/iéos, avec son pantalon noir taché de bouc, son manteau noir agrafé sur l'épaule, son chapeau de cuir noir cabossé, aplati dans quelque chute », Assommoir, p. 100. — « Le bazouge, l'oeil enluminé, fredonnait un refrain joyeux », La Petite Presse (cité dans Bruant, Dict., p. 57).

Le nom d'un autre personnage, Mouquette, dans le Germinal de Zola, est pris au sens de « derrière » (Rictus, Coeur, p. 61), par allusion au gesto de celte fille devant les troupes envoyéos pour mater les insurgés.

Le mot pandore, gendarme, type créé par Gustave Nadaud, doit son existence à une chanson (1850), dont chaque couplet se terminait par ce refrain :

Brigadier, répondit Pandore, Brigadier, vous avez raison...

refrain et type devenus populaires : « Deux pandores l'agrippent et le portent dehors », Père Peinard, 1 mars 1891.

Et (a soeur ? réponse ironique à un importun. Cette rengaino débitée à tout propos est le souvenir d'un couplet de chanson populaire commençant par ce vers (voy. Rigaud) : « Et ta soeur esUollo heureuse ? »

Pas de ça, Lisette! formule de négation ou do refus, remonterait à une chanson do Déranger (cf. pourtant Larchey) : « AhI mais non ; pas de ça, Lisette! c'est vieux jeu », Richepin, Truandaille, p. 167.

Tartetnpion, individu quelconque. Ce nom do fantaisie aurait été mis en circulation par le Charivari do 1810 à 18o0, « où certains articles mettaient toujours en scène les personnages imaginaires de Tartetnpion et Barbanchu » (Larchey, Supplément).

Quelques souvenirs historiques:

Balthazar, repas copieux, allusion au festin de Balthazar dont fait mention la Bible (Rictus, Coeur, p. 16): « Mais ce balthazar est vito fini... »

Charlemagne. sabrc-baïonnello (Merlin) : « Jo pouvais le piquer avec mon charlemagne », Henri Brissac, p. 41-. De tout temps on a donné aux épées des chevaliers les noms do personnages célèbres du passé.

Mazagran, café servi dans un verre (souvenir do la défense du blockhaus do Mazagran en 1810): « Dans mon ma*a-


DERNIERS VESTIGES 471

gran jo mets do l'eau-de-vie, ça me fait un gloria », Courteline, Gaietés, p. 225.

Sarrasin, ouvrier typographe non syndiqué : il est considéré comme infidèle '.

Trafalgar, coup de Trafalgar, désastre ou simplement bagarro (souvenir do la défaite navale de Trafalgar du 21 octobre 1805) : « Jo vais dire mon sentiment sur le trafalgar do 1871 »... « Quand rapplique un janvier, on se dit : Ça sera-t-il pour coite année le coup de Trafalgar? » Père Peinard, 17 mars 1889, p. 1, et 3 janv. 1892.

Ajoutons : Conduite de Grenoble, action do chasser à coups débutons -, locution d'origine incertaine 3, comme celle qui se rattache à Chaillot, ancien village des environs immédiats de Paris (aujourd'hui quartier du xvie arrondissement) dovenu, on ne sait pourquoi, le point de mire des sarcasmes des Parisiens : A Chaillot! exclamation qu'on adresso aux importuns, {envoyer à Chaillot, envoyer promener, se débarrasser d'un importun), et ahuri de Chaillot*, quo donno d'IIautel (« étourdi, jeune écervelé »), l'une cl l'autre encore usuelles: « Dis donc ne fais pas la gueule! Tu sais a Chaillot les rabatjoie!... Lorsqu'elle ne parlait plus, elle prenait tout de suite la tète d'un ahuri de Chaillot, les yeux grands ouverts... S'il mo fiche un abalage,,/e l'envoie à Chaillot », Zola, Assommoir, p. 337, 3Gi et 4oi. .

L'escrime a fourni l'expression : pincer quelqu'un au demicercle (le demi-cercle est une sorte de parade), le surprendre, l'arrêter au passage au moment où il no s'y attend pas : « Bah ! tant pis! Rira bien qui rira le dernier: je le repincerai au demi-cercle », Courtcline, Train, p. 102.

Mentionnons finalement ces doux termes scientifiques qui ont subi des vicissitudes diverses en passant dans lo bas-langage :

Système, qui a tout d'abord désigné le système norvoux ou

1. Les forçats appellent mahomel la bourse secrète qu'ils portent sous leur chciuiso (voy. Uelvau, Suppl.).

2. On lit fréquemment celte locution dans lo l'ère Duchéne d'Hébert : i Indiqué do voir toutes les trahisons des ministres, j'ai été trouvé le roi pour l'engager à leur faire la conduite de Grenoble >, n» 91, 1791, p. 7.

3. Michelct (Histoire de France, t. II, p. 75) l'attribue au caractère rude des Dauphinois.

4. l.o Iloux do Linc.y, dans son Livre des Proverbes (t. I, p. 331), cite sans explication « Ahuri de Chaliran, tout rstoimly sortant du bateau ».


"S3^r

472 INFLUENCES LITTÉRAIRES

la comploxion individuelle (taper sur le système, énerver), fut onsuito appliqué à la cervelle ou à la tète (se faire sauter le système), et finit par signifier une opinion ou une idée en général (Je sommes point dit mêm°. système). Ce n'est pas tout : « Système. Un mot fort en crédit chez les ouvriers qui le mettont devant un autre avec le sens do : dans le goût de, comme chez, semblable à : système Jardinière, habillement complet... système ballon, grossesse, etc. Le champ est vaste, aussi est-il très exploité » (Rigaud).

Type, c'est-à-diro type ethnique, a acquis une acception tout à fait vague : quidam, individu, pris tantôt en bonne part (type épatant) et tantôt surtout en mauvaise part (sale type). Le féminin typesse partage celte double nuance du mot. Les doux formes ont passé dans les parlcrs provinciaux.

Le tableau que nous venons de tracer embrasse, dans son ensemble, le développement successif du langage populaire parisien au cours d'un siècle (1800-1900), un des plus féconds de l'histoire de la langue. Nous en avons suivi les acquisitions multiples et recherché, en tant que faire se pouvait, leur point de départ social, linguistique et psychologique. La masse des faits qui viennent d'être analysés no laisse pas d'être imposante. Il est temps maintenant de préciser les idées générales qui s'en dégagent et d'esquisser à grands traits la phase récente où vient d'entrer la langue parisienne sous l'influence des événements grandioses et tragiques que nous venons do traverser.


CONCLUSION

Lo langage populaire parision pout être étudié d'une manière à peu près suivie depuis le xve jusqu'au xixe siècle. Au cours de ce long espace do temps ses rapports avec la langue littéraire présentent des caractères singulièrement variés.

Au xve et xvie siècles, les deux idiomes se confondent souvont : Villon, Rabelais, offront des traces do parisianismes, c'est-à-dire de manières de diro particulières au menu peuple de Paris.

Au x\iie siècle, une démarcation do plus en plus notte s'établit entre la langue écrite et lo langage courant, qui finit par être relégué dans le burlesque. Ce genre qui flourit dans la seconde moitié du xvne siècle, est lui-memo une réaction contre un courant littéraire épuré, trop exclusivement digno et grave. Le burlesque suscite, à son tour, les dix Mazarinades de 1G19 à 1660, écrites dans lo patois de la banlieuo parisienne.

Uno centaino d'années plus tard, vers 1743, Vadé inauguro le genre poissard qui jouit,d'une grande vogue pendant la seconde moitié do xvm 0 siècle. Ces oeuvres poissardes, écrites dans lo langago des halles, sont assez nombreuses, grâco à l'auteur de la Pipe cassée ot à ses imitateurs. Elles présentent un certain intérêt pour l'historique des vocables vulgaires qui font aujourd'hui partie de la langue générale.

Mais lo burlesque ot lo poissard ne sont on somme quo des manifestations isolées ot partiollos. Ils no roflètont quo certains aspects do l'idiomo vulgaire ot n'onvisagent que des milioux spéciaux, en dphors, on quoique sorto, du courant général de la langue populaire.


474 CONCLUSION

Il faut arriver au xixc siècle, et principalement à sa seconde moitié, pour constater le,développoment intégral du vulgaire parisien. La transformation est profonde. Des affluents, nombreux et divers, alimentent le vocabulaire et lui apportent, en même temps que la richesse et l'abondanco, la variété et le pittoresque. C'ost là uno véritable révolution qui établit un contraste frappant entre l'idiome parisien des siècles passés et celui de nos jours.

A quels changements d'ordre social répond cette surprenante évolution linguistique ?

Les circonstances ont été multiples. On pourrait y entrevoir en premier lieu la disparition, au début du xixe siècle, des anciennes corporations. Les cloisons étanches qui les séparaient, une fois tombées, un rapprochement de plus en plus effectif s'opéra entre les hommes de métier, une interpénétration des classes professionnelles et des autres classes sociales. Les groupements mémo qui jusqu'alors se tenaient à l'écart, par exemplo les malfaiteurs et les filles, trouvèrent le moyen de jouer un rôle dans celle môléo sociale.

En second lieu, et vers la même époque, les facilités de plus en plus grandes des moyens de communication amenèrent une affluence inusitée de provinciaux à Paris, do gens de métier surtout, qui y apportèrent nombre de termes du terroir.

De là, pour le langago parisien, une triple source d'enrichissement :

1° Les vocabulaires professionnels et techniques des divers métiers déversèrent leurs termes les plus caractéristiques dans le torrent de la langue populaire qui sut les absorber et les dominer.

2° Les. patois, principalement ceux du Centre, de l'Ouest et du Midi do la France, fournirent, à leur tour, un contingent do vocables dialectaux qui affluèrent à Paris, en mémo temps que les provinciaux qui vinrent y séjourner.

3° Les languos spéciales on marge do la société — jargons des malfaiteurs, des gueux et des filles — passèrent à peu près intégralement dans le langage parlé des basses classes do la société parisienne Celte influence graduelle et systé-


CONCLUSION 475

maliquc peut ctro suivie pas à pas depuis sos humbles débuts jusqu'à sa pénétration définitive.'

Les facteurs sociaux, qui ont servi d'intermédiaires dans celle oeuvre do constitution linguistique, furent tour à tour les soldais, les marins, les ouvriers. Nous avons suivi, au cours do nos recherches, les traces multiples que ces facteurs ont laissées dans la langue populaire.

Les soldats ont été les agents les plus efficaces, et leur action (comme d'ailleurs celle des marins et des ouvriers) s'est manifestée par une double voie. La vie militaire a tout d'abord facilité l'expansion des termes de jargon en dehors des milieux spéciaux, la caserne étant do nos jours leur grando propagatrice, tant à Paris qu'en province. Puis, elle a, après ce rôle d'intermédiaire, exercé une action fécondo et fourni, par elle-même, au langage parisien tout un stock de vocables nouveaux.

Cette action intenso de la nation armée vient do se renouveler, sous nos yeux, pendant la grande Guerre do 1914 à 1910. Lorsque, à la voix do la palrio en danger, ses fils accoururent do tous les points du territoire et des colonies les plus lointaines, ces éléments divers, réunis dans les tranchées, suscitèrent les mêmes phénomènes de transformation linguistique '.

Après le service militaire, la presso a été un agent de diffusion do premier ordre. Répandu par millions d'exemplaires, lu et relu jusque dans les demeures les plus humbles, le journal est devenu, comme le pain, un objet de première nécessité. Son influence et sa force d'expansion ont été incalculables. 11 a contribué à propager les parisianismes jusqu'aux régions les plus éloignées de la capitale.

Un relevé systématique des néologismes répandus par les périodiques do Paris et de la province pendant un laps de temps déterminé, serait fort instructif. Un bilan do ce genre, limité à un seul jour et uniquemont à Paris, a été tenté, il y a uno vingtaine d'années, par M. Kerd. Hrunot. Go tableau des mots nouveaux, relevés datis les quotidiens parus le

I. Voir Appendice I : Argot des TrancMes.


47G CONCLUSION

1G mai 1899, no laisse pas d'ôtro suggostif', surtout sous le rapport do la languo vulgaire, des parisianismcs.

L'influence du bas-lan^ago parision, parlout considérable, s'est exercée cependant avec des caractères différents et des degrés variables sur la province, sur les pays où l'on parle français et sur la langue littéraire ollo-mcmo.

Les parlers provinciaux et les patois en ont subi tout d'abord le contrecoup. Nous avons fait ressortir à plusieurs roprises le prestige incomparable de la capitale aux yeux des provinciaux ot, par suite, les incursions continuelles des parisianismcs dans leurs idiomes locaux.

Plus intense et autrement destructive a été l'emprise du vulgaire parisien sur les patois, dont la pbysionomie a souvent été profondément modifiée. Mais à côté de celle action délélèro, on a tout récemment fait valoir le rôle préservatif du français de Paris pour ralentir l'agonie des patois : « Dans leur pauvreté génétique, dans leur misère actuelle, les parlers [vulgaires] — nous n'en exceptons pas la langue illustrée par Mistral — ont recours à la grande pourvoyeuse qu'est la langue littéraire 2 ». Ce nouveau point de vue complèlo l'autro.

Les parlers français de la Belgique, de la Suisse romande et du Canada, une de nos anciennes colonies, se ressentent aussi fortement do la langue do Paris, qui y a laissé de nombreux vestiges remontant à diverses époques. Les apports les plus récents datent do la veille de la grande Guerre et ils n'ont pas cessé do s'accroître pendant les années 1914 à 191G.

Quant à l'action do l'idiome vulgaire sur la langue littéraire, le problème est plus complexe et mérite d'être examiné de plus près.

L'Académie, dans la première édition de son Dictionnaire (1G94), a largement admis les mots populaires. -Elle a non seulement tiré parti des Curiosités d'Oudin, parues un demisiècle auparavant (1640), mais elle a directement utilisé les matériaux recueillis par Chapelain dans les milieux populaires et populaciers de Paris.

1. Histoire de la langue et de la littérature française des origines Jusqu'à 1900,' publiée sous la direction do L. Petit de Jullcville, t. VIII, p. 841 à 850.

2. J. Gilliéron, Éludes de géographie linguistique, Pathologie et thérapeutique verbales, Neuve ville (Suisse), 1915, p. 13.


CONCLUSION 477

La deuxième édition da Dictionnaire, parue on 1718, est en recul, comme les tirages ultérieurs do 1740 el 1762. L'édition do l'an Vil (1798) —où figurent asticoter, bernique, cocasse, pacant, pleutre — renferme en appendice, les mots « que la Révolution et la République ont ajoutés à la lauguo ». Mais co sont exclusivement des ternies politiques et littéraires (un mot typique comme raccourcir, si évocatcur pour l'époque, y fait défaut).

Au XIXe siècle, les éditions do 1835 et 1878 présentent un intérêt particulier pour le nombre important de parisianismes admis dans le corps du Dictionnaire:

(1835) ftastringue 1, bichonner, blaser, bougonner, cabotin, casquette, chique et chiquer, collégien, crâne (adj.), croque-mort, deçà ver, dégoter, foulard, fringale, gamin, luron, riboter, sapin (« voiture »).

(1878) Bisquer, blague, charabia, chipie, croque-mitaine, déluré, escalope, faraud, faubourien, flageolet (« haricot »), (limer, flouer, fricot, gabegie, gâteux, gouailler, grincheux, limousine, loustic, macabre, mamour, maronner, minable, mioche, moutard, panne, poigne, rafistoler, rancard, rapin, rococo, troupier.

Dans la future édition du Dictionnaire figureront : engueuler et épatant (déjà admis), à côté probablement do Bcche et Poilu.

C'est ainsi que la langue générale s'enrichit et s'enrichira de plus en plus en puisant à la source vive do l'idiome populaire. Avant d'admettre un vocable, elle en exige préalablement le stage plus ou moins long dans lo vulgaire parisien, qui représente le reflet immédiat des transformations linguistiques et sociales.

Cependant, la langue littéraire n'attend nullement cette pénétration tardivo et en quelque sorte officielle des vocables populaires: elle se les approprie promptement et on grand nombre. Quolques-uns des meilleurs écrivains du xixe siècle, Balzac en tête, en ont donné l'exemple, surtout dans le genro

4. Les vocables on italiques remontent au-delà du xix« siècle.


47S CONCLUSION

narratif et épislolairc : la Correspondance de Flaubert 1, comnio le Journal des Goncourt, les romans d'Alphonse Daudet, comme ceux de Guy do Muupassant, abondont en expressions vulgaires, en parisianismes.

L'expression générale do peur, entre autres, a depuis longtemps perdu sa valeur sensible, et la langue populaire lui a successivement substitué des équivalents plus ou moins énergiques. Les derniers venus dans celte voie synonymique sont trac et frousse, métaphores tirées l'une et l'autre de lâchasse. La première, parisienne, exprime l'angoisse de la bête traquée; la dernière, champenoise ou lorraine, reproduit l'inquiétude de l'oiseau qui, pour échapper au chasseur, s'agite vivement à travers les arbres en froissant les branches 2.

Ce sont, on le voit, des images fortes et évocalriccs. Les écrivains s'en sont emparés. Trac, qui se lit dans le Nabab de Daudet, est devenu d'un emploi général. Quant h frousse, il a fait depuis longtemps son chemin. Le mot figure à la fois dans la Petite paroisse de Daudet (p. 237 : « Ces quelques minutes de frousse lui comptaient comme les plus atroces do sa vie »), dans le Journal des frères Goncourt (7 oct. 1888 : «'Je sais qu'il a la frousse... »), dans Guy de Maupassant, etc.

Ici les écrivains dovancent les lexicographes. Le mot .frousse manque non seulement à nos dictionnaires, mais les recueils même do parisianismes donnent sur son compte des renseignements insuffisants et parfois illusoires : « Frousse, peur, dans l'ancien argot », so contente d'imprimer Rigaud, dans son Dictionnaire d'argot moderne (1881).

C'est ainsi que les genres littéraires, qui s'inspirent de la vie courante, de la vie en général, ont recours à la langue parlée ou vulgaire, expression immédiate des besoins et des bouleversements sociaux. Le roman et le théâtre, par leur dialogue, image plus ou moins fidèle de la réalité ; les lettres familières, la chanson parisienne (cette dernière appartenant en propre au xixe siècle et différant foncièromont de la chani.

chani. sur le style de la Correspondance, les Recréations grammaticales -et littéraires de Paul Stapfer,, Paris, 1909, p. 141. 2. Gf. ci-dessus, p. 303 et 370.


CONCLUSION 479

son populaire qui remonte au passé), y lèvent une contribution abondante et incessamment renouvelée.

11 faudrait parcourir les monographies consacrées à la langue des écrivains célèbres du xixe sièclo ' pour mesurer la portée de cette importante action du vulgaire parisien sur la langue littéraire do nos jours.

De môme que le français moderne continue et perpétue le latin de la plèbo, c'est-à dire la langue parlée do Rome et des provinces, de même, aujourd'hui, c'est le parler du peuple, voire de la populace, qui féconde la languo littéraire, le français de l'avonir. En dépit des censures des grammairiens, c'est 1 idiome vivant, le vulgaire parisien, qui renferme les germes des enrichissements futurs de la langue générale

1. Voir ci-dessus, p. 274 à 273, la liste de ces travaux et notre Table alphabétique des auteurs.


Mi

«


APPENDICES

APPENDICE A

DICTIONNAIRES D'ARGOT PARISIEN

Voici la liste des Dictionnaires d'argot qui se sont succédés, nombreux et de valeur inégale, dans la seconde moitié dx xixe siècle :

1SG0. — Lorédan Larchoy, Les Excentricités de la langue française, porte, à partir do la sixième édition, 1872, le'titrc définitif: Dictionnaire historique d'Argot, pourvu, depuis 1880, d'un Supplément, réimprimés successivement l'un et l'autre jusqu'en 1888-1889.

18GG. — Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte. Argots parisiens comparés ; deuxième édition, 1807 ; troisième édition, augmentée d'un Supplément par Gustave Fustier, 1883.

IS78. — Lucien Rigaud, Dictionnaire du jargon parisien; la deuxième édition, 1881, est intitulée: Dictionnaire d'Argot moderne.

1891. — Charles Virmaitrc, Dictionnaire d'Argot fin de siècle, avec un Supplément paru vers 189G.

189G. — Georges Delesalle, Dictionnaire Argot-Français H Français^Argot, préface de Jean Ilichepin.

1898-1910. — Hector France, Vocabulaire de la langue verte, Archaïsmes, Néologismes, Dictons, Locutions populaires.

1901..— Rossignol, Dictionnaire d'Argot. Argot-franeuis, français-argot.

(Sans date). — Napoléon Hayard, Dictionnaire d'Argot,

1901. — Aristide Bruant (et Léon de Bercy), L'Argot au XXe siècle, Dictionnaire français-argot.

Nous renvoyons à notre deuxième volume des Sources de l'Argot Ancien, 1912, pour l'appréciation critique de ces divers recueils 1.

i. I.cs Ikirisianisrnes de Villatte (Berlin 1890), souvent réimprimés, renferment, avec la substance des principaux lexiques.cités, la quintessence de leurs coquilles, bévues et mots fantaisistes. La dernière édition, donnée en 1912 par Rudolf Meyer-Itiefslahl et Marcel Flandin, est plutôt en recul, les nouveaux éditeurs n'ayant pas tenu compte des progrès réalisés par les études argotiques dans les premières années du xxe siècle.

31


APPENDICE B

ARGOT ET BAS-LANGAGE

L'argot et le bas-langage ont désigné, jusque vers le milieu du XIXe siècle, deux catégories linguistiques foncièrement différentes, le jargon des malfaiteurs et le parler vulgaire. Ces deux idiomes, malgré des croisements plus ou moins fréquents, ont longtemps gardé un caractère à part et des tendances absolument divergentes. Ce n'est que de nos jours et grâce à des raisons d'ordre social que ces deux langages se sont rapprochés et à peu près fondus en un idiome unique : l'argot parisien. Constitué depuis des siècles, le vulgaire parisien, grossi en dernier lieu des différents argots professionnels en môme temps que des survivances de l'ancien jargon des malfaiteurs, est aujourd'hui parlé par le menu peuple de Paris et de la France.

A l'appui de cette unification qui est comme l'aboutissement de nos recherches, nous avons apporté des preuves multiples et pérëmptoires. C'est là un fait accompli qu'on ne saurait plus mettre en doute, mais qui est loin d'être généralement reconnu. On continue à établir une stricte démarcation entre le langage populaire et l'argot des classes en marge de la société. Celte distinction, parfaitement réelle dans le passé, n'existe plus aujourd'hui, et il n'est peut-être pas superflu d'insister à nouveau sur la fusion définitive du jargon dans le vulgaire parisien. Dans le Père Peinard, très curieux périodique en langue populaire, celte question est soulevée par une lettre de Nancy du 30 novembre 1890, à propos de l'altitude des agents en présence ues affiches du journal. On y lit ceci:

Faut dire que chez nous, si les roussins ne sont pas doux comme des agneaux, en revanche ils sont bêtes comme des dindons. Pour moi, vois-tu, à ton boniment ils n'y comprenaient que des bûches. Puis, dis donc, c'est peut-être des overploms qui n'entravent que dalle Varguche.

Cette dernière phrase provoquera note suivante de la rédaction :

Des Auvergnats qui ne comprennent rien à l'argot. C'est de l'argot pur ça, nom de Dieu ! Ceci dit pour les types qui rabâchent que le Père Peinard jacasse en argot. Mon jactage est à la flan, c'est celui des bons bougres de l'atelier, il diffère autant de l'argot des académiciens que du vrai argot.


ARGOT ET BAS-LANGAGE- 483

Pas tant que le croit notre publiciste. La phrase qu'il relève appartient tout autant au bas-langage parisien ou a l'argot moderne que sa propre' phraséologie : overplom, à côlé de auverpi'n, entraver et dalle sont des parisianismes ' au même droit que jactage, à la /lan et le reste-,

La confusion, habituelle chez nos littérateurs, entre le langage paiisien ou l'argot moderne et le jargon des malfaiteurs, a produit des assertions comme les suivantes, a propos de la Chanson des Gueiiv de Hichepiu et de VAssommoir de Zola, oeuvres écrites dans un excellent vulgaire parisien:

On no s'expliquo guère que dos poètes comme M.Jean Itichcpinse soient plu à écrire dos poèmes entiers on argot 3. — Hugues Rebell, dans la Revue Universelle Larousse do 1001, p. 797 (« La langue populaire chez nos écrivains »).

L'argot employé par Zola est plutôt poncif et hors d'usage. C'est un idiome excessivement variable que ce jars ou jargon. Ceux qui usent de ces vocables étranges se proposent surtout de parler une langue à eux, une langue secrète. Il s'agit de ne pas être compris par tous, de se faire entendre de seuls initiés. — Edmond Lopelletier, Emile Zola, sa Vie, son OEuvre, ' Paris, 1900, p. 300.

Au xve siècle, maître François Villon n'aurait pas autrement caractérisé le jargon réellement secret, celui-là, des Coquillards dijonnais de l'an 1-ioo. Le vieux poète, il est vrai, était autrement renseigné que ne l'est notre littérateur en ce qui touche le vulgaire moderne qu'il prétend secret, peut-être parce qu'il est parlé et compris par les neuf dixièmes des Parisiens et des Français.

Il n'existe plus aujourd'hui de langue secrète parmi les malfaiteurs. Ceux-ci parlent le même idiome vulgaire que les autres classes du menu peuple, honnêtes ou malhonnêtes : soldats, marins, ouvriers, voleurs, etc. Notre ouvrage, d'un bout à l'autre, est une confirmation de cette fusion définitive de divers argots professionels dans le bas-langage parisien.

i. Voir l'Index de cet ouvrage.

2. i.a Muse à Mbi d'André Gill (1879) est suivie de c l'Art de se conduire dans la société des pauvres bougres > par la Comtesse de R'ottenville. On y lit à la page 82 : t Vous parlerez au peuple la langue du peuple, et vous ne confondrez pas la langue énergique, expressive et colorée du travailleur avec l'argot des coquins... La langue du bagne et celle de l'atelier, ce n'est pas la mémo chose. Pas d'erreur! *

VA l'auteur nous en fournit, dans la Conclusion, ce témoignage. Le vicomte Gontran qui s'efforce de séduire la comtesse, l'appelle momignarde, et celle-ci,, outrée, s'écrie : t Momignarde est un mot de bagne, une expression do grinches fil d'escarpes I Le mot exact, le_ seul vrai, le seul beau, celui du peuple, c'est gosseline ».

Hélas ! f/osselin se lit pour la première fois dans la dernière édition de Caqlouche île 1827 et dans celle du Jargon do 1849. C'est donc des malfaiteurs que ce mot, « le seul vrai, le seul beau », a passé dans la langue du peuple.

3. G'est-à-diro, suivant l'auteur, dans le langage des Voleurs,


APPENDICE G

LES MOTS CRUS ET LA LANGUE POPULAIRE

Les expressions triviales sonl fréquentes dans le vulgaire parisien, comme clans tous les idionns populaires. A force d'en user et abuser, on finit par n'y attacher aucune idée deshonnôte. Certains mots crus sont devenus pour les gens du peuple de véritables tics qu'ils répèlent à chaque instant pour exprimer les sentiments les plus divers.

Au xvie siècle, la liberté de langage, môme en littérature, était beaucoup plus grande, comme les limites de la décence plus larges, que de nos jours. Dans Gargantua et Pantagruel, par exemple, frère Jean, type de moine resté peuple, se sert de mômes mots énergiques que le vulgaire.

Aujourd'hui, à chaque instant, on entend dans la populace des exclamations triviales, surtout d-'origine scatologique, servant à exprimer le comble de l'indignation, de la colère, du découragement ou, tout simplement, une contrariété quelconque, une surprise, etc. Leur fréquence a fait croire que le cynisme est inhérent au parler vulgaire, qu'il en est inséparable.

Il n'est pas sans intérêt de r.echercher jusqu'à quel point une pareille considération a influencé certains écrits de l'argot parisien.

Nous avons montré que le Père Peinard, le plus important des périodiques en langage populaire de nos jours, avait hérité du style grossier et violent de son aïeul le Père Duchêne d'Hébert (1790-1795).

Dès le début do l'apparition du Père Peinard, la grossièreté de son langage choqua plusd'un lecteur: dans le n°10,du 20avril 1889, un jeune lecteur assidu du Père Peinard commence ainsi sa protestation :

A chaque phrase qu'on trouve on lisant votre organe, on rencontre des mots vraiment par trop grossiers.

Et son rédacteur, M. Pouget, de répondre:

Qu'est-ca que tu veux? Je tartine comme je bavasse.à mon échoppe avec les clients, ou que je m'échauffe chez le troquet en buvant une chopotte... Mais, sacré tonnerre, j'ai pas eu d'éducation, j'ai pas usé mes fonds


LES MOTS CRUS ET LA LANGUE POPULAIRE 485

do culottes sur les bancs des écoles, et je m'en plains pas, nom d'une pipe !

Quelques mois plus tard autre protestation (n° 35, du 20 octobre 1S89).

Lecteur assidu de votre journal..., j'en approuve entièrement l'esprit; mais ce que j'approuve moins, c'est la forme qui me semble un peu grossière.

Réponse:

Si tu avais un peu plus vécu, tu saurais que chaque patelin, chaque société, chaque profession a son argot spécial. Pourquoi le mien qui est celui de la grande foule travailleuse qui ne cherche pas midi à quatorze heures, l'oflusque-t-il?... N'oublie donc pas, mille bombes! que je suis un bouiffe, et un bouille ne parle pas comme une vieille moule d'académicien... Tu ne réfléchis donc pas qu'une grande partie de mes lecteurs prennent mon canard parce qu'ils sont contents de voir un turbineur dire, sans magnes et sans grands mots, ce qu'il a dans la caboche ?

M. Pouget est, on le voit, embarrassé dans sa défense et tourne autour de.la question. La vérité est qu'il a hérité ce tic du Père Duchêne. De môme que celui-ci, pour excuser son style grossier, se disait vieux marchand de fourneaux, de même notre gazetier, qui a passé les deux baccalauréats, s'abrite derrière" son bouiffe. Personne ne lui contestera que chaque métier a son langage spécial et qu'il faut éviter les grands mots en s'adressant aux masses, mais on n'entrevoit pas le rapport entre ces prémisses et la conclusion: qu'en usant du langage vulgaire, il faut nécessairement être grossier, cynique, ordurier.

Cet abus devient autrement choquant lorsqu'on le rencontre dans une oeuvre destinée à vivre, dans les poèmes de Jehan Rictus. Le procédé y est tellement fréquent qu'on dirait qu'il fait partie de la poétique réaliste de l'auteur. Nous avons demandé à Jehan Rictus de s'expliquer lui-même sur ce point délicat. Voici les raisons qu'il en donne dans une lettre de 1915 :

En ce qui concerne les traits comiques et violemment ôrduriers de mes poèmes, je vous confirme que. c'est très sagacement voulu de ma part.

1° Parce que la langue parisienne offre ce caractère de gouaille et de tristesse mêlées (voyez la langue des tranchées avec cette gaieté qui raille la mort perpétuelle et les souffrances de la guerre).

1° Parce que le Peuple qui parle cette langue est un grand artiste inconscient qui a le don d'images comme nui poète ne l'aura jamais.

3° Et encore une fois parce que c'est arbitrairement et par puritanisme qu'on a, à une certaine époque, expurgé, du langage ses vocables grossiers... réforme qui a eu pour résultat l'appauvrissement du vocabulaire poétique.

La terreur du terme crû et populaire nous a donné, en poésie, un Niagara


480 APPENDICES

d'alexandrins inoxpressifs ot sans couleur. Je. vous cite une parole do Millet quo vous connaisse/, peut-être: « La trivialité, maniée par un Artiste, est un signe do force ot do génie. ».

Pour moi, j'aime mieux n'importe quoi que la banalité de l'expression. Au moins l'obscénité, le cynisme d'une expression appliquée à un fait vivant a pour avantage' de détruire l'expression conventionnelle et trop ressassée, donc morte.

Impossible de s'égarer dans la rhétorique rimée quand on manie la langue populaire à la fois souffrante, humoristique, saignante, sale, horrible, suave, enfin qui traduit toute la gamme des sensations humaines.

Ces raisons, par trop générales, sont loin d'être persuasives. L'auteur confond l'énergie avec la rudesse et la grossièreté, la vivacité avec la brutalité et la scatologie. VAX persistant dans celle voie, Jehan Rictus finira par ironiser ses inspirations les plus élevées. Kn abordant dernièrement des problèmes éducatifs d'une véritable portée sociale, comment ne s'aperçoil-il pas qu'en procédant ainsi, il en détruit lui-même l'efficacité, que son lecteur, intéressé par la gravité du sujet, retombe lo'.it à coup dans le banal, dans le burlesque l ?...

li Voici, à titre documentaire, un extrait du curieux chapitre intitula Les'gros mots, qu'Henri Barbusse a inséré clans son roman récent, Le Feu. Barque, garçon livreur parisien, entame avec l'auteur un entretien qui roule sur notre sujet (p. 182 à 183) :

t Dis donc, toi qui écris, lu écriras plus tard sur les soldats, tu parleras de'nous, pas?

— Mais oui, iils, je parlerai de toi, et des copains, et de notre existence.

— Dis«moi donc...

Il indique de la tète les papiers où j'olais en train de prendre des notes. Le crayon en suspens, je l'observe et l'écoute. Il a envie de me poser une question.

— Dis donc, sans te commander... Y a quéque chose que je voudrais le demander. Voilà la chose : si tii fais parler les troufions dans ton livre, est-ce que tu les feras parler comme ils parlent, ou bien est-ce que tu arrangeras ça, en lousdoc? C'est rapport aux gros mots qu'on dit. Car enfin, pas, on a beau être très camarades et sa-ns.qu'on s'engueule pour ça, tu n'entendras jamais deux poilus l'ouvrir penJa.nt une minute sans qu'i se disent et qu'i répètent des choses que les imprimeurs n'aiment pas hçzcf imprimer. Alors quoi? Si tu ne lo dis pas, ton portrait ne sera pas ressemblant : c'est comme qui dirait que tu voudrais les peindre cl que tu no mettes pas une des couleurs les plus voyantes partout où elle est. Mais pourtant ça se fait pas.

— Je mettrai les gros mots à leur place, mon petit père, parce que c'est la vérité.

— Mais, dis-moi, si tu les mets, est-ce que des types de ton bord, sans s'occuper de la vérité, ne diront pas que l'es un cochon?

— C'est probable, mais je le ferai tout de môme, sans m'occuper de ces types.

— Veux-tu mon opinion? Quoique je ne m'y connais pas en livres r c'est courageux, ça, parce quo ça se fait pas, et ce sera très chic si lu l'oses, mais t'auras de la peine au dernier moment, t'es trop polit... C'est même un des défauts que je te connais depuis qu'on se connaît i.


APPENDICE 1)

NOS SOURCES

Nous avons esquissé plus haut à grands traits les principales oeuvres littéraires que le langage populaire de nos jours a inspirées ou fécondées. Voici maintenant nos autres sources d'informations.

I. — PARISIANISME*. — Les Parisianismes ont été recueillis, dans la seconde moitié du xixe siècle, par toute une série de lexiques qui vont de Larchey (1865) à Druant (1901). Relevons en premier lieu le Dictionnaire de la langue verte d'Alfred Delvau (1866), qui se distingue par le piquant des explications et l'indication précise des milieux sociaux ; et le Dictionnaire du jargon parisien de Lucien Rigaud (1878), qui témoigne de beaucoup d'exactitude et de recherches originales. Tandis que toutes ces publications fourmillent d'erreurs en ce qui concerne le jargon ou l'argot ancien, elles nous donnent par contre des renseignements dignes de confiance pour tout ce qui touche le développement du langage populaire parisien \iu xixe siècle Elles forment ainsi le complément indispensable du Dictionnaire du bas-langage de d'Hautel (1808).

Nous avons déjà également relevé les parisianismes donnés par les vieux dictionnaires jusqu'à la fin du xvme siècle. Le xixe s'ouvre avec le Dictionnaire universel de la langue française (1800) de Boiste, qui résume tous ses prédécesseurs: Féraud, Restaut, Galtel, de Wai.lly... Les nombreuses éditions de ce lexique, utile encore aujourd'hui, ont été tenues au courant: la IIIe, de 1808, considérablement augmentée, n'a pourtant rien de commun avec le Dictionnaire de d'Hautel de la môme année; à partir de la Ve édition, 1834, l'ouvrage a été revu par Charles Nodier.

Dans son « Avertissement » de 1800, Boiste déclare avoir eu pour objet:"

■ 1° D'ajouter à la nomenclature du Dictionnaire de l'Académie tous les mots admis par les autres dictionnaires anciens et modernes, avec l'indication de leurs auteurs.

2° De séparer le néologisme de la néologie, c'est-à-dire de désigner par dos indications précises les mois nouvellement adoptés depuis l'Académie et qui font aujourd'hui partie de la langue, ceux qui ne


488 API'KNDICKS

peuvent être employés qu'avec circonspection, mémo dans le style familier, et ceux qui doivent cire rejetés.

Le Dictionnaire de lîoisle a rendu des services; sa première édition surtout est importante pour la fixation chronologique des néoIogismes. En passant sur les ouvrages analogues de Laveaux (1820) et de Napoléon Landais (lS3i) qui n'ont rien ajouté d'essentiel à celui de Hoiste, nous arrivons au Grand Dictionnaire critique do la langue française par Bescherelle, paru en 18io- 18-iO '. C'est à coup sûr l'ouvrage lexicographiquc le plus important jusqu'à Littié. Sous le rapport des acquisitions verbales de la première moitié du XIXe" siècle, il est môme plus riche - et plus utile à consulter que Liltré lui-môme. Tandis que toutes les publications similaires", antérieures ou postérieures, rejettent systématiquement les termes vulgaires, Bescherelle s'est proposé d'embrasser la langue nationale toute entière. La préface, où il expose son programme, mérite encore d'être méditée, et particulièrement ce passage:

Travaillant pour la Nation, le livre que nous voulions lui consacrer devait contenir tous les mots qui sont à son usage, c'est-à-tlire que toutes les classes de la société devaient y être représentées, et chacune d'elles y trouver son vocabulaire spécial. Et pourquoi, en effet, en aurions-nous exclu telle ou telle classe de mots, les mots, par exemple, qui appartiennent aux arts et métiers? Ces mots, dit-on, n'ont pas grand crédit dans la langue littéraire. Mais est-ce que le Dictionnaire universel d'une langue, comme le remarque très bien Cb. Nodier, est « un ouvrage de bonne compagnie, destiné seulement à l'usage des salons, une espèce de Gradus ad Parnassum pour les jeunes gens qui se proposent do suivre la carrière des lettres ? » Non : le Dictionnaire d'une langue, ce premier livre de toute nation civilisée, est le livre de tout le monde. Expression complète du monde social, il doit renfermer tous les mots qui sont à l'usage de tous. La langue n'est pas uniquement faite pour rendre les opérations de l'esprit et les mouvements du coeur, mais aussi pour exprimer l'étendue de l'action de l'homme sur l'univers que Dieu lui a donné pour domaine. Mépriser Wailleurs le vocabulaire des arts

1. La première édition 1843 porte ce titre : Dictionnaire national ou Grand Dictionnaire critique de la langue française par Bescherelle aine (resté incomplet," l'avis aux souscripteurs annonçant que l'ouvrage ne sera pas continué sous celte forme). La II' édition, parue en 1845-181G en doux volumes in-4°, est intitulée ' Dictionnaire national ou Dictionnaire universel de la langue française. G'est l'édition que nous citons, souvent réimprimée dans la suite. Une dernière édition, refondue et augmentée, a paru en 1S92-1893, en 4 volumes in-4°, sous ce titre : Nouveau dictionnaire national ou Dictionnaire universel de la langue française.

2. Dans le t Supplément » qui clôt chaque volume, on trouve pour la première fois les termes d'origine jargonnesque, tels que chantage, flouer, etc.

Bescherelle a utilisé (souvent textuellement et sans les nommer) les travaux lexicographiques antérieurs ou contemporains, notamment, en ce qui touche les archaïsmes et les provincialismes, le Complément du Dictionnaire de l'Académie (1845). Voir, pour les autres sources,VExamen critique du Dictionnaire Universel de M. Bescherelle aîné par M. Poitevin (Paris, 1SS4) et là Réponse à la réclamation de M. Poitevin par Bescherelle, de la moine année.


NOS SOURCES 489

et métiers, c'est mépriser la langue essentielle do la civilisation ; car ce n'est pas par les lettres ni par les sciences i[ue la civilisation a commencé, mais bien certainement par les métiers Kt c'est quand le peuple lit, quand le peuple s'instruit, qu'on voudrait lui retirer dans le Dictionnaire l'explication des mots les plus essentiels de son langage! Un tel dédain, de nos jours, serait un anachronisme aussi révoltant qu'insensé. Notre nomenclature est donc la plus abondante, la plus riche qui se soit encore rencontrée en aucune languo dans aucun Dictionnaire. Et il sera facile do s'en convaincre, quand on saura que, non content do prendre à tous les dictionnaires connus les mots qu'ils avaient enregistrés dans leurs colonnes, nous avons encore été chercher ceux qui leur manquaient dans les livres de tout genre, excursions fortuites et vagabondes qui ne nous ont pas demandé moins des quinze plus belles années de notre vie. Tous ces mots, ou anciens ou nouveaux, que la négligence ou le dédain des lexicographes avaient laissés en oubli dans les trésors de la parole, nous les avons glanés selon que l'adresse nous les faisait rencontrer, ou que le hasard pouvait nous les offrir dans le désordre et l'immensité d'une langue vivante et qui s'enrichit chaque jour de nouvelles conquêtes. Nous n'en avons rejeté volontairement aucun, par le seul motif qu'il ne serait pas d'une nécessité absolue ou qu'il serait surabondant. Notre intention n'a pas été de réformer la langue, mais de la présenter avec ses caprices, ses anomalies, ses irrégularités, ses beautés, ses défauts, en un mot, telle que la nation l'a faite.

Celte largeur d'idées est malheureusement reste'e isolée. Le Dictionnaire de Lillré, qui a fait époque et dont l'importance est ailleurs, demeure, quant aux termes vulgaires, de beaucoup moins copieux et moins instructif que Beschcrelle, bien que dans l'intervalle le langage populaire parisien n'ait cessé de s'enrichir et de réagir de plus en plus sur la langue générale.

II. — LOCUTIONS VICIEUSES. — Nous avons mentionné plus haut la plupart de ces recueils, depuis Desgrouais (1768) • jusqu'à l'abbé Vincent (1910). On peut en trouver un relevé à peu près complet, suivant les régions de la France et les pays où l'on parle français (Belgique, Suisse), dans la Bibliographie des patois gallo-romans de Behrens (1893). Les publications provinciales nous ont fourni des

renseignements complémentaires.

i

III. — PARLERS PROVINCIAUX. — Nous rangeons sous cette rubrique les ouvrages qui nous ont renseigné sur le français provincial. Ils tiennent le milieu entre les recueils des locutions vicieuses et les,dictionnaires dialectaux proprement dits. Les voici suivant la date de leur apparition :

1. Voir en dernier lieu, sur les Locutions vicieuses dans lo Midi de la France, la thèse récente d'Emile Ruperf, La Renaissance provençale (1800-1860), Paris, 1918, p. 142 et suiv. : t Grammairiens et Lexicographes >.


4(90 APPENDICES

1780:I79'i. Lettres à Grégoire sur les Patois de France. Documents inédits sur la langue, les moeurs et l'état des esprits dans les diverses régions de. la France, au début de la Révolution, par A. Gazier, Paris, 1880.

1812. S. A. J. Hécart, Vocabulaire rouchi-français. Valenciennes, 1812; IIe édition, 1S2G ; IIIe édition (plus que doublée), 1834.

1S20. (Gaudy-Lefort), Glossaire genevois... avec les principales locutions défectueuses en usage dans cette ville, Genève, 1820 ; IIe édition par Jean Humbert, 1827; la IIIe édition, deux fois plus volumineuse, parut sous le titre: Nouveau Glossaire genevois, Genève, 1842.

1822. (Mulson), Vocabulaire langrois, Langres, 1822.

1823. (Remacle), Dictionnaire wallon et français, dans lequel on trouve la correction do nos idiotismes par la traduction en français des pbrases wallonnes, Liège, 1823 ; IIIe édition, 1852.

1838. Comte Jaubert, Vocabulaire du Berry et des provinces voisines, Paris, 1838 et 1842 ; 11e édition, Paris, 1S55-185G. La IIIe édition sous le titre Glossaire du-Centre de la France, Paris, 18G4-ISG9.

1845. E. Saubinet, Vocabulaire du bas-langage rémois, Reims, 1815.

1851. P. Tarbé, Recherches sur l'histoire du langage et des patois de Champagne, Reims, 1851.

1851. Abbé C. Coi blet, Glossaire du patois picard, Paris, 1851.

1S57. C. D. Montesson, Vocabulaire des mots usités dans le Haut-Maine^ Paris, 1857 ; IIe édition, 1859 ; III 8 édition, 1899.

1802. Callet (P. M.), Glossaire Vaudois, Lausanne, 18G2.

1804. Reauchet-Filleau, Essai sur le'patois poitevin ou petit Glossaire de quelques-uns des mots usités dans le canton de Chcf-Boutonne et les communes voisines, Mello, ISOi.

18GG. J. Sigart, Glossaire étymologique Monlois ou Dictionnaire du wallon de Mous et de la plus grande partie du llainaut, Rruxelles, 18GG; IIe édition, 1870.

1867. L. Vermesse. Vocabulaire du patois Lillois, Lille, 18G7.

I8G7. L. Favre, Glossaire du Poitou, Niort, 1807;

18G9. L. Mignard, Vocabulaire de la Bourgogne, 1809.

1873. J.-13. Jouancoux, Essai sur l'origine et la formation du patois picard... 1873.

1870. Y. Delboulle, Glossaire de la Vallée d'Yères, Le Havre, 1870 Supplément, 1887).

1877. A. Raudoin, Glossaire du patois de la forêt de Clairvaux, Troyes, 1877.

1878. Ed. de Cbambure, Glossaire du Morvan, 1878.

1879. Cli. Reauquier, Vocabulaire étymologique des provincialismes du Doubs, Paris, 1879.

1879. G. Robin, Le Prévost, Passy.et de Rlosseville, Dictionnaire du patois normand en usage dans le département de l'Eure, Evreux, I879-1S82.

1852. S. Jossier, Dictionnaire des patois de l'Yonne, Auxerro, 1882. 1S83. C. Ménièrc, Glossaire étymologique du pahis angevin, Angers, 1883. 1881. Paul Eudel, Les locutions Nantaises, Paris, 1881.

1885. IL Moisy, Dictionnaire du patois normand, Caen, Paris, 1885.

1891. A. Dagnet, Le Vocabulaire Manccau, Laval, 1891.

1891, Cb. Rigarné, l'atois cl locutions du pays de Ikaunc, Reaune, 1891.


NOS SOURCES 491

1891. II. Coulabin, Les locutions populaires du bon jiays de Rennes, en Bretagne, Rennes, 1891.

1S92. A. Thibault, Glossaire dy pays Blésois, Paris, 1892. •

1893. P. Martellière, Glossaire du Vendômois, Orléans, 1893.

1893. A. Lediou, Petit glossaire du patois de Démuin, Paris, 1893.

189G. F. Fertiault, Dictionnaire du langage populaire Verduno-Châlonnais, Paris, 1890.

1901. D. Haigncré, Le patois boulonnais comparé avec les patois du Sord de la France, Paris, 1901.

1902. L.. Guillemaut, Dictionvairc patois de la Dresse Louhannalse ou Recueil par ordre alphabétique des mots patois et des expressions du langage populaire les plus usitées dans l'arrondissement de Louhans (Saônc-et-Loire) et une partie de la Bourgogne, avec l'origine et l'ctymologie des mots, Louhans, 189i-I902.

1903. Nizier du Puitsiiolu, Le Liltrè de la Grand'Cote >, à l'usage de ceux qui vculc'nt lire et écrire correctement, Lyon, 1903.

1903. Paul Eudel, Vocabulaire btésois, Blois, 1903. ■

1900. Dagnet et Mathurin, Le langage Cernerais (Itte-et-Vitatne), 190G.

1907. A. Vachet, Glossaire des gonesde Lyon, Lyon, 1907.

1908. A. J. Verrier et R. Onillon, Glossaire étymologique et historique des patois etdesparlers d'Anjou, Angers, 1908.

1909. N.-E. Dionne, Le Parler populaire des Canadiens français, Québec, 1909.

1910. Gh. Lecomtc, Le Parler Dolois. Etude et glossaire des patois comparés de l'arrondissement de Saint-Malo... suivi d'un relevé de locutions et de dictons populaires, Paris, 1910.

1910. IJ. G. de Beaucoudray, Le langage normand au début du A"A'« siècle, Paris, sans date.

IV. — PATOIS. — Les recueils dialectaux proprement dits sont peu nombreux. C'est qu'il n'est pas toujours facile de démêler le français provincial du parler rustique de la môme région: les deux se côtoient souvent et se pénètrent mutuellement. On a pourtant essayé de le faire. D'une part, Nizier du Puitspelu nous a donné un lexique du bas-langage Lyonnais (déjà mentionné), une douzaine d'années après son Dictionnaire du patois Lyonnais (1889); d'autre part, M. I'Mmont, a établi, dans son Lexique Saint-Polois (1897), une stricte démarcation entre le parler des faubourgs et celui des campagnes de la Picardie. Citons encore pour la Franche-Comté, Ch. Itoussey, Glossaire du parler de Iiournois, Paris, 1894.

Généralement, les deux aspects linguistiques se trouvent réunis, comme dans le Glossaire des parler du Bas-Maine de C. Dotliii (1899), ainsi que dans la plupart des recueils qui figurent sous la rubrique précédente. Ce dernier ouvrage, par l'exactitude de la transcription

1. Nom do la voie qui longtemps fit communiquer la ville de Lyon et le plateau do la Croix-Housse. — Voir, sur cet ouvrage, nos t Elymologics lyonnaises », dans la Revue de philologie française, t. XXII, do 1908.


492 APPENDICES

et l'abondance des matériaux, a ouvert une période nouvelle aux éludes dialeclologiqucs, qui ont trouvé leur couronnement dans V Allas linguistique delà France, par J. (îilliéron et 11. Kdmont, 1902 a 11110. dette magnifique publication renferme, dans ses 11)20 cartes, des matériaux précieux recueillis dans les meilleures conditions scientifiques, dans six cent cinquante localités, embrassant toutes les régions île la Franco et des pays limitrophes, Suisse romande el Belgique.

(le riche répertoire ', étant donné son but spécial, n'embrasse pourtant qu'un nombre limité de mots et de types morphologiques : il esl forcément incomplet. Aussi, sous le rapport ilu vocabulaire et de la sémantique, les vieux recueils patois gardent-ils, pour le lexicographe, une valeur que rien no saurait suppléerS;.

V. - IJAMUIKS PUOI<ESSIONNKU,KS. — Les travaux qu'on a consacrés jusqu'ici aux parler» des soldats, des marins, des ouvriers, etc. ont été mentionnés aux chapitres correspondants de notre travail 3.

VI. — tiiÔNKHAMTiîs. — Nous no possédons pas encore une bibliographie du langage parisien, celle de Paul Incombe * excluant la langue,"el celle d'Yve Plessis 5 n'en tenant compte qu'insuffisamment. Les milices bibliographiques que nous avons données au cours do ce livre, en pourront tenir lieu provisoirement. Ajoutons-y ces publications collectives (sans grande portée d'ailleurs) :

Paris ou te Livre du Cent-ct-un, 1831 à 1831. 15 vol. iu-8° (t. V, Herl, Le Compositeur typographe, vil. VII, (l. S, Oulrepont, Le damin de Paris).

Souvenu Tableau de Paris ait XIX" siècle, 1831 à 1835, 7 vol. in-8' (t. 1, N. Urazior, Le Chiffonnier, el t. VI, Th. Muret, Le Quartier latin; (lli. I)eglény, Le Lanya'jc à la mode [pur verbiage]).

Les Français peints par cu.v-vu'mes, Paris, 1810 à I8k\ 8 vol. in-8" (l, II, II. Hollaud, L'Ecolier; .Iules Jauiu, Le Gamin de Paris; .!. dadimir, Le t'ompositrur typographe ; et t. V, M. delà Hédollièro, L'Armée, el l;Ecole polytechnique),

lit linalcment la série do portraits littéraires publiés sous le titre de « physiologie », 1res a la mode vers 1840 (184I-18Ï2 in-10°) :

1, Une Table ric'ailléc, formant ello-mome un tjros volume, parue on 1912, est destinée à on faciliter la recherche.

2, Happolons, pour les patois du Mi<H de la France, l'inépuisable Trésor do Mistral (ISTOISSO).

3, On trouvera, i\ la tin do cet ouvrage, un Index alphabétique des noms d'autours et des publications anonymes.

*. Ilibliographie parisienne. Tableaux île moeurs (IGOO-iSSO), Parie, I8S7. Cf. Marins llarroux, Essai de Itibliogi'aphie ciitiyttc des généralités de l'histoire de Paris, 1910.

S. Ilibliogràphifi raisonnée de l'Argot, Paris, 1 î>01.


NOS SOUHCKS- 4î)3

Kd. Ourliac, Physiologie de l'Ecolier, Paris, 1841.

Louis Huart, Physiologie de l'Etudiant, IS11E.

IS11E. Physiologie du Gamin de Paris, 1842.

Const. Moisand, Physiologie de ïltnprimcur, 1842.

Emile Marco do Saint-Hilairo, Physiologie du Troupier, 1811.

L'ouvrage de Ch. Simond (Paris de iSOO à 1900, 2 vol. in-4°), de pure vulgarisation, ne donne aucun détail sur le langage parisien au cours du xix° siècle.

Le Catalogue de la bibliothèque Carnavalet, série 66 (Appendice a l'Histoire littéraire) renferme les rubriques : Le langage parisien, Heau langage, Langage populaire, Styles poissards, Argots divers, Patois des environs de Paris. Assez médiocre au point de vue linguistique, ce Catalogue est plus riche sous le rapport géographique, historique, social et pittoresque.

Nous arrêtons en principe la bibliographie à 1900; ce n'est qu'exceptionnellement que nous citons des ouvrages parus ultérieurement. Un appendice spécial sera consacré au renouveau de la langue populaire dans les tranchées pendant les années 1914 à 1916.


APPENDICE E

SUFFIXES JARGONNESQOES ET FANTAISISTES

Le bas-langage compte quelques suffixes d'origine argotique :

Anche: calanche, mort » ; fortanche, (bonne) fortune, etc., à côté d'inche qui n'en est que la prononciation parisienne (= ainche) : anùnche 2, ami, etc.

Go, igo (cf. mézigo, moi, dans le Jargon de 1628) : mendigol, mendiant 3, à côté de Parigot, Parisien », etc.

Mur (cf. guichemar, guichetier, dans le vocabulaire des Chauffeurs de 1800) : boulangemar, boulanger ; épicemar, épicier, ce dernier encore vivace 5; officemar, officier, etc.

L'historique de ce suffixe est très curieux et mérite de nous arrêter. Abstrait des noms propres (comme Iladamard, Jacquemard, etc.), on n'en rencontre tout d'abord que l'unique vestige mentionné dans le jargon des Chauffeurs d'Orgères (1800). Une trentaine d'années plus tard, Vidocq enregistre, dans ses Voleurs (1837), les deux nouveaux exemples suivants: bossmar, bosse; cochemar, cocher. lit c'est tout. '

Mais il lui était réservée une singulière fortune. Balzac, qui avait puisé ses connaissances jargonnesques dans Vidocq, s'empara de notre suffixe et en fit l'exposant d'un langage secret de son cru :

Que veux-tu? Que dois-je faire ? dit madame de San-Esteban dans l'argot convenu entre la tante et le neveu. Cet argot consistait à donner des terminaisons eu ar ou en or, en al ou

i. Go suffixe alterne avec ance : calanec, chômage (chez les imprimeurs), etc.

2. t Tu as toujours été pour moi un aminche, un poteau, un social t. Méténier, Lutte, p. 218. — t Que je dise aux aminches une histoire que j'ai entendue dans les montagnes de l'Auvergne >, Atmanach du Père Veinard, 1894, p. 48.

3. Richepin, Gueux, p. 53 : t Vlà les mendigols, les indigents... i. Do la, lo dérivé mendigotler, mendier: t Pas besoin d'aller mendigotler, d'aller tendre la main et pleurnicher », Père Peinard, 20 juillet 1890, p. 3.

4. t Vous êtes là deux cents Parigots », Môlénicr, Lutte, p. 249.

5. t Vous allez chez Y épicemar acheter une livre do sucre i, Père Peinard, 29 juin 1890, p. 4. Lo mot se lit dans Jehan Rictus [Coeur, p. 97;.


SUFFIXES JARGONNESQUES ET FANTAISISTES 495

on i, de façon à défigurer les mots, soit français soit d'argot, en les agrandissant. C'était le chiffre diplomatique appliqué au langage '.

L'auteur nous en offre plus loin un exemple :

Voici, monsieur, dit-elle à monsieur Gault, en lui donnant une bourse pleine d'or, voici pour soulager les pauvres personnes. — Quel chiqucmar! lui dit a l'oreille son neveu satisfait.

Ces lignes furent écrites en 1846. Quelques années auparavant, vers 1830, nous raconte Privât d'Anglemont, une association d'artistes et de littérateurs, les bousingois devenus badouillards, établis à Paris dans une maison de la rue Childebert, aux allures singulières et au langage étrange, avaient adopté, entre autres bizarreries, cette finale mar: « Quant au reste de la langue, on se bornait a retrancher la dernière consonnance, pour y substituer la syllabe »iar. On disait cpkemav pour épicier, boulangemar pour boulanger, cafèmar pour café, ainsi de suite. Celait de l'esprit dans ce temps-là. D'où venait celte syllabe-là? Mystère »2. - t ,

Le mystère n'est pas impénétrable, et on a vu que des traces isolées, en remontent jusqu'à 1800. Ce suffixe mar, induit des noms propres, a joué dans le jargon lui-môme un rôle absolument effacé et limité à deux ou trois exemples que nous venons de citer. Ces vestiges isolés ne justifient nullement les divagations qu'ils ont entraînées chez certains argolistes 3.

Une autre exagération, plus singulière encore, concerne le pritendu suffixe argotique vaiche. Celui-ci est totalement inconnu aux recueils jargonnesques jusqu'en 1850; de plus, l'ouvrage sur l'Argot de Fr.-Michel, qui date do 1836, n'en contient aucune trace 4. On est tout bonnement redevable de son existence à nos littérateurs, et il n'est pas sans intérêt desuivrelesphases de cette propagation factice.

Dans la comédie-vaudeville de Labiche, Deux Papas très bien ou La Grammaire de Chicard (1814), on lit ce passage: « Ah! ah!

1. Dernière Incarnation de Vautrin, Paris, 1817, p. 62.

2. Privât d'Anglemont, Pans anecdote, 1831, p. 190.

3. Cf. Moreau-Ghristophe, Le Monde des Coquins, Paris, 18G3-1S65, t. I, p. L'22 : c Quand on veut exprimer un mot français en argot et qu'on no lui connaît pas de signification propre, on le syncope par exemple avec la terminaison mar; par là il s'argotiso et devient intelligible ».

Assertion purement fantaisiste qui a été répétée par Rigaud (1S8I) : s La plupart des mots de la langue régulière, qui n'ont pas d'équivalents en argot, se forment au moyen de l;f désinence mar i.

4. Le Dictionnaire d'argot de Rossignol (1901) on est également dépourvu, tandis que celui de Hayard (1907) renferme cette donnée unique : t Fade, fadtmuche, partage, part.


-~=«>OESigKjSEj

49G APPENDICES

encore ensemble ! Eh bien, mais ça biche !... Vous aurez là un gendre soignemuckc-! » '.

Ce soignemuche. pour soigné, y côtoie « un déjeuner chicocandard » (p. 379), «sa paternité si rococolte » (p. 381) et d'autres curiosités de ce langage mondain de l'époque, qui représente, comme ses avatars ultérieurs, une chose éphémère et factice 2.

Plus tard Victor Hugo, dont les Misérables sont devenus une source d'erreurs pour tout ce qui touche le langage des malfaiteurs, a fait sienne cette fantaisie :

Le plus souvent, afin de dérouler les écouteurs, l'argot se borne à ajouter indistinctement à tous les mots do la lengue une sorte de queue ignoble, une terminaison en aille, en orgue, en iergve ou en ucke. Ainsi : Xouziergue trouvaille bonorgue ce gigolmuche ? Trouvez-vous ce gigot bon ? Phrase adressée par Cartouche à un guichetier, afin de savoir si la, somme offerte pour l'évasion lui convenait (l. Vil, ch. II).

Est-il besoin de faire remarquer que la phrase citée par Victor Hugo n'a jamais existé que dans sa féconde imagination i 3. tt l'on excepte aille, finale exclusive des pronoms nous et vous dans l'argot ancien, iergue et orgue sont des éléments déformaleurs modernes s'altachant exclusivement aux pronoms ; reste uche, qui appartient à la fois au jargon et au français (coqueluche, merluche, perruche, etc.).

Le gigotinuche de Victor Hugo est tout aussi fictif que les formations analogues ultérieures (Hichepin, Gueux, p. 187) :

J'ai bien quéquo part un camcrluchc, Qu'est dabe dans la magistratmuche...

Ce sont là des fantaisies de poètes qui no tirent pas à conséquence. Malheureusement, elles ont été prises à la lettre 4 et ont induit en erreur des philologues éminents :

On peut reconnaître l'argot français 5 à ce Irait que la plupart des mots

1. OEuvres, 1889, t. I, p. 417.

2. Voir ci-dessus notre étude sur l'argot mondain.

3. Go qui n'a pas empêché d'être prise comme autorité par Morcau-Chiistophe, Le monde des Coquins, 1865, t. I, p. 222. Gf. aussi H.-France, v° iergue. On no voit pas sans surprise ce passage invoqué comme source sur l'existence du suffixe au xvm* siècle : c Catlouclio demande à 6on geôlier s'il a trouvé bon un gigotmuche », lit-on dans le mémoire sur l'Argot de Scliwob et Guycsso {Mémoires de la Société de Linguistique, t. VII, p. 43).

4. Dans le Journal à Nénesse (1911) de Non«e Casanova, roman soi-disant parisien, on lit : bonheurmuche (p. 97), boulevardmuche (p. 85), fidèlentuc/ie (p. 138), latinmuche (p. 91), sanglot,'muche p. 74), etc.

5. C'est à-diro : le jargon des malfaiteurs.


SUFFIXES JARGONNESQUES ET FANTAISISTES 407

qui le composent sont formés contrairement aux lois de la dérivation française, à l'aide des suffixes qu'elle n'a jamais connus : mar, muche. etc. » *

Nous pouvons ajouter, en toute connaissance de cause, ni le jargon non plus.

Dans l'argot proprement dit, l'emploi des suffixes est très général ; on y trouve, par exemple, go, iergue, lem, mar, muche, ongue, etc. Ces suffixes dont l'origine parait impénétrable, s'ajoutent non seulement aux mots d'argot, mais aussi aux mots appartenant à la langue littéraire: labago, mendigo, magistralmuche, habitongue 2.

Remarquons que labago « là-bas n se rencontre tout d'abord dans Vidocq (1837) et que habitongue, habitude, également moderne, est pourvu d'un élément déformaleur (absolument isolé) et nullement d'un suffixe; quant à magislralmuche, il appartient au monde des chimères, tandis que mendigo représente, à lui seul, la réalité.

Tout aussi fantaisiste est un autre suffixe, skoff, induit des noms propres russes finissant en ko/f 3, tels que Aksakov, Gortchakov, etc. • Ce suffixe est ainsi devenu banal et on l'attache indifféremment à des noms ethniques, comme dans ce dialogue entre deux matelots bretons : , •

— Mais touè quéquo t'avais donc imaginé, pour aller naviguer chez les Russiens?

— Pelles les plutôt Rusco/fs, si tu veux, mais pas Russiens, ça y se proche trop de Prussiens...

— Mais Ruscoffs, ça y sonne comme Vruscofs *...

De là, un prétendu suffixe skoff' 3, « dans le jargon des filles entretenues, chez qui la mode, pour le moment, est de russifier certains noms. C'est ainsi que beguinskoff, signifie celui qui est l'objet d'un caprice ; bobimkoff, entietencur sérieux, celui qui lient la bobine de la destinée d'une femme; mdchinskoff, le premier venu H (Rigaud).

Suffixe, comme on le voit, purement fantaisiste, lequel pourtant a laissé une trace dans le langage parisien : rttfjinskoff, synonyme

t. Darmestetor, La Création des mots nouveaux, p. 39.

2. Nyrop, Grammaire historique de la langue française, t. III, p. 193 (cf. 1.1, p. 88).

3. On lo lit fréquemment sous les caricatures de Gavarni : 1 Nous soupons chez Véry, Chozikoff et moi (12 juillet 1810)... Mossieu est là avec mossieu Machinliofct l'attaché prussien (8 niai 1813) », cité dans Armelhaut et Bocher, L'OEuvre de Gavarni, 1873, p. 51. et 215. — Cf. aussi nazikoff, maladie vénérienne (Rossignol), à côté de nazi, môme sens.

4. Louis Royer-Hebiali, Les Forçats de la mer, 1905, p. 247.

5. Cf. Nyrop, Grammaire historique, t. 111, p, 176 : t II est difficile do savoir quels sont les mots russes (ou polonais) qui ont pu servir de modèle ».

Le point de départ a été la flnalo des noms propres analogiques — par exemple limkoff — propagée ensuite par lo monde de la galanterie.

32


498 APPENDICES

de rupin ou de'chic, ternie qu'on lit souvent dans le Père Peinard l.

llupinsknff a pissé du monde de la galanterie dans celui des ouvriers. Son pendant antérieur, usuel surtout parmi les bohèmes et les rapins, a été chor-nosn/f ou koxno/f, chic, superbe, qui a joui d'une certaine vogue ù l'époque de Balzac : « Les peintres... faire des tableaux, oh ! mais des tableaux ! enlin de vrais tableaux, des tableaux finis, chouettes, koxno/f et choenosoff'*- », Pierre Grassou, 1839, p. 72.

Des noms russes en no/f et en so^plus ou moins fantaisistes — Kokosonoff et Choconoso/f — en ont été le point de départ pour désigner le chic particulier des boyards russes pendant le second tiers du xixc siècle. Vocables d'ailleurs éphémères comme tous ceux qui ont alimenté le langage mondain ou l'argot boulevardier.

i. t J'ai pris mon papier à lettre rupinskoff et j'ai répondu la babillarde suivante à cet ahuri de Chaillot... Hein, les eamaros, j'avais-l'y raison de dire en commentant que la sociale prend une tour mire rupinskoff », l'ère Peinard, 13 août 1889, p. 2, .et 6 mars 1892, p. 3. — « lié donc, les lions fieuic, Je turbin le plus rupinskoff, à l'heure actuelle, est de s'atteler à la... conquête de la Liberté », Almunach d i Père Peinard, 1S98, p. 2.

2. Aussi avec le sous généralisé : i Cette situation choenoso (sic) », Balzac, Cousine Belle, 1810, p. 10. — Dans une note du Pays latin de Murger(éd. Ginisty, p. 452), on lit que Carvaud, directeur de la Gloserie des Lilas, inventait des mots pour ses affiches. Ainsi le quadrille de l'Hôtel des haricots était t exhilarant et ranchoenosof » (Privât d'Anglemont, La Gloserie et Lilas, Paris, 1818).


APPENDICE F

LINGUA FRANCA «

Dès le xvie siècle, I;i langue franque servait de moyen de communication entre les différents éléments ethniques de la Méditerranée et tout particulièrement dans l'Afrique du Nord, en Algérie et en Tunisie, pays où elle est encore vivacc, tandis qu'elle est presque inconnue dans le Levant.

Dans la seconde moitié du xvue siècle, le révérend Père Pierre Dan, auteur d'une Histoire de t'a Barbarie 2 et de ses Corsaires (Paris, IG37), mentionne déjà cet idiome international: « L'on parle ordinairement en Alger, à Tunis, à Salé et autres villes de corsaires de Harbarie, trois sortes de langues différentes. La première est l'Arabesque ou la Mauresque, qui est celle du pays ; la seconde est la Turque... et lu troisième celle qu'ils appellent le Franc 3, dont on use communément pour se faire entendre: ce qui est un barraguin facile et plaisant, composé de français, d'Italien et d'Espagnol », (p. 102) \

Cet état de choses est resté à peu près le môme jusqu'au premier quart du xixc siècle. La langue franque était exclusivement compo1.

compo1. Hugo Schuchai'ilt a publié, sous ce litre, un travail fondamental, paru dans la Zeitschrifl filr romaninhc Phitolnnie, t. XXXIII (1909), p. 44U à 461. Nous en avons utilisé les données, en les complétant par nos propres recherches.

2. Ou Etats barbaresques, c'est-à-dire le Maroc, l'Algérie et la Tunisie.

3. Franco, désigne dans le sabir tout étranger venant particulièrement do l'Europe occidentale.

4. Celte caractéristique n'est que l'écho affaibli de la description circonstanciée qu'en donne un géographe espagnol du début du xvif* siècle : « La tercera lengua que en Argel se usa, es lo que los Moros y Turcos llaman franco..., una mezcla de varias lcnguas cristianas y de vocablos que por la major parte son Italianos, y Epafioles, y alcunos Portugueses de poco aca... y juntando a esta confusion y mezcla la niala pronunciacion de los Moros y Turcos, y no sabon ellos variar los mode i y casos como los crislianos, cuyos sou piopiios aquellos vocablos y modos de liablar viene a ser el liablar franco de Alger, casi una geiigonca, o a los menos un liablar de negro bocal, Iraydo a Espaila de nuovo. Esto hablar franco es tan gênerai, que no bai casa do no su use ». — Kr. Diego de Ihedo, Tupographia e llistoria gènerai île Ai-gcl, Valladolid. 1012, f°2i (ci'.é par Cleiiienciii, dans son édition de Don Quijole, t. 111, p. 213, Madrid, 1833), à propos de co passage du roman do Cervantes (1"« partie, ch. xi.t) : t ... et cual me dijo en lengua que


500 APPENDICES

sée d'éléments italiens, espagnols et arabes. La conquête française y ajouta le français dans des proportions de plus en plus prépondérantes. On peut trouver des renseignements utiles, à cet égard, dans un opuscule imprimé à Marseille en 1830 et intitulé: « Dictionnaire de la langue franquc oupelil mauresque, suivi de quelques dialogues familiers et d'un vocabulaire des mots arabes les plus usuels, à l'usage des Français en Afrique ».

Voici ce qu'en dit l'auteur anonyme dans sa préface : « La langue franquc ou petit mauresque, très~répanduc dans les états Iîarbaresques, est encore employée par les habitants des villes maritimes dans leurs rapports avec les Européens. Cet idiome diffère suivant les villes où il est parlé, et le petit mauresque en usage à Tunis n'est pas tout à fait le même que celui qu'on emploie a Alger; tirant beaucoup'de l'italien dans la première de ces régences, il se rapproche au contraire de l'espagnol dans celle d'Alger ».

Le but de l'auteur était de faciliter les communications des Français avec les habitants du pays « sur lequel ils vont combattre ».

On y lit les mots suivants qui actuellement sont tous ou a peu près représentés dans le sabir algérien et ont passé, par l'intermédiaire de celui-ci, dans l'idiome parisien: Agoita, eau; baron fa, dis-, pute et se quereller; baslu, assez; cabassa, tête; carne, chair; maboul, foti; menante, marchand; mouchère, femme; mouchucliou, fils; nouba, garnison; nada, point, rien; presto, promptement; subito, aussitôt, subitement.

Rappelons en dernier lieu le parti que Molière a tiré dans la cérémonie turque de son Bourgeois Gentilhomme (1670), de la langue franque entrelardée d'un turc plus ou moins fantaisiste. Les paroles du début ;

Se li sabir, Ti respoudir, Se non sabir, Tazir, tazir...

s'entendent encore dans la bouche des Algériens et des Tunisiens.

on toda la Berberia y aun en Conslantinopla se habla entre caulivos y inoros, que ni es morisca ni caslellana, ni de otra nacion alguna, sioo una mczcla do todas las lenguas, con la cual todos nos cnlcndcmos ».


APPENDICE G

COUP D'OEIL EN ARRIÈRE

Nous avons suivi ailleurs le développement séculaire du jargon depuis sa première apparition documentaire, le dossier des Coquillards dijonnais de 1455, jusqu'aux documents contemporains. Tout en renvoyant à ces études détaillées, nous allons donner ici une série d'aperçus nouveaux, fruit de recherches ultérieures, sur les éléments constitutifs de celte langue secrète et sur ses influences multiples.

A. — Éléments constitutifs.

Le jargon était déjà définitivement constitué au xvc siècle et le XVIe n'a fait qu'en continuer la tradition. Maître Chevalet s'inspire en grande partie de Villon pour les éléments jargonnesques de son Mystère de saint Ckristophle (1527), et, antérieurement, il avait retouché dans le même esprit les scènes des Ujrants dans le Mystère des trois Doms, c'est-à-dire des trois martyrs Séverin, Exupère et Félicien, mystère joué à Romans en 1809 l :

Machehourre, tiers tyrant:

715. Oncques jamais un homme si malin

Ne se trouva, et fust il tartarin, '

Entre mes mains, tant fust il fort ou ferme, Sachant parler jargon ou jobelin, Que je n'en fisse, comme on fait d'un bcllin...

Le second tyran :

8S0. Mince iVaubcrt...

Dans la comédie « non moins docte que facétieuse », la Néphélo1.

Néphélo1. Mystère des trois Duins, éd. l'.-E. Giraud et Ulvsse Chevalier, Lvon, 1887, p. 31.


502 API'KNDICKS

coaigie ou la Nuée des Cocus, de Pierre Le Loyer (1579), sorte de renie satirique des travers sociaux du xvi° siècle, apparaît tour à tour un Chicanoux, un Astrologue, un Alchimiste, an Enfant de la Malte... chicun exposant les cotés ridicules de son métier. Voici ce que dit l'Enfant de la Matte :

Un ijon matoys à bien parler je suis, Qui ay la main et le pied bien agiles A enterver * et à faire après gille. Le vray gibier des renards inliuniains Qui vont fonsant ce feslu * rpje je crains.

Et comme son compagnon ne peut le comprendre, il lui révèle les ruses du métier : la tricherie au jeu, en y alléchant des marchands naïfs, et le vol à la .tire :

L'autre moyen dont Hz usent ensemble, C'est au l'alays où le monde s'assemble, Ou aux marchez, aux foires ou aux lieux Où le peuple est fréquent et copieux : Là gardez bien surtout vostre fouitlouze 3, Si vous avez au dedans quelque chouze.

Voilà leur travail pendant le jour :

Et sur la nuict ilz usent d'un autre tour,

C'est qu'au passant qui alors se promène,

Hz embironti le volant r> et la laine. '

Des termes même attestés ultérieurement — comme anec, eau (aujourd'hui lance) — remontent, de par leurs origines, à la môme époque; au xve siècle, anse veut diro angoisse, et l'acception jargonnesque nous ramène à la procédure criminelle, lorsque le condamné à la prison perpétuelle était tenu « au pain de doleur et à eaue d'angoisse » ou à la question de l'eau c.

Le jargon a ainsi conservé de vénérables archaïsmes. Le terme malingre, attesté comme argotique par Houchet dès le xvie siècle, apparaît comme nom propre dès le xnt". Mais en littérature on ne le rencontre qu'au xvne et le Trévoux de 1762 prétend encore que

L C'est-à-dire : à entendre le mélicr do voleur et à le pratiquer.

2. Mot à mot : donnant le fétu (nom plaisant de la barre avec laquelle !o bourreau rouait les condamnés).

3. Mot de*"jargon pour c poche ».

4. « Embii", c'est dosrober, mot matoys », note de Le Loyer. Vocable inconnu aux documents jargouncsqu.es, réporulaiit au vieux mot aubier, dérober,

5. Manteau en général, à coté de laine, manteau en laine.

6. Voir Pierre Champion, François Villon, Paris, 1913, t. I, p. 98.


COUP D'OEIL EN ARRIÈRE 503

ce « terme populaire... est tiré du Jargon de l'Argot, où les gueux s'appellent malingres... » *.

De même, les piètres, gueux estropiés (ou prétendus tels) de la Cour des Miracles, évoquent l'ancien mot peeslre (lat. pedestyem), proprement piéton, mot qu'on trouve dès le, xme siècle employé avec le sens figuré de « commun, chélif, misérable » dans les écrits du satirique picard Gautier de Goincy.

Des associations d'idées sont souvent particulières au jargon, accusant une mentalité à part et'difierente de celle du parler vulgaire et des patois. Aux exemples déjà cités ajoutons le suivant :

Savoie, bOurse, ligure dans un glossaire jargonnesque inédit du xvic siècle (dans les papiers 2 du chirurgien Rasse des Noeux), répondant au fourbesque scarpa, soulier (« en jargon, bourse » 3, Oudin) et zavalta, savate (« en jargon, une escarcelle », Idem).

I. — EMPRUNIS DIALECTAUX.

Le fonds du vocabulaire jargonnesque est le français parlé à Paris ou dans les provinces. Les patois du Nord et du Sud de la France, ainsi que le bas-langage parisien, ont été également mis à contribution.

Ce sont surtout les patois du Nord (Picardie, Normandie, lîretagne) et de POuest (Maine, Anjou, Poitou) qui ont alimenté le vocabulaire de l'argot ancien s. La Normandie et le Poitou ont été les véritables foyers du royaume de l'Argot. Ces patois expliquent une grande partie du lexique jargonnesque et plusieurs éléments restés jusqu'ici obscurs ou d'origine inconnue y trouvent leur solution. Tels:

Adragucr, boire, dans deux ballades en jargon de Villon :

Pour mieulx abbattre et, osier le brouillart, Adragucrcnt de Grenoble maint crupault De rumatin...

C'est un dérivé du provincial drague, pie (mot déjà connu à l'an1.

l'an1. Revue de philologie française de M. Clédat, do 1911 à 1914, a publié une série d'études sur l'Argot ancien par A. Dauzat (« Les emprunts do l'argot »), G. Esnault (« Los lois de l'argot i), Ein. Pliilipot (« Contribution à la lexicographie do l'argot ancien ») et L. Sainéan (« Les emprunts de l'argot », « Argotica », t Jargon et bas-langage »). Nous avons tiré parti de ces contributions récentes.

2. Voir Revue de philologie française, t. XXVII, 1913, p. 298.

3. 11 est curieux do lire, à co sujet, cet article du Catholicon do Lille, glossaire latin-frangnis du xv« siècle « l'era, eskerpe, laisse, bourse ».

4. M. A. Dauzat a essayé do répartir par régions ces emprunts dialectaux (Revue de philologie française, t. XXV, 10il, p. 298 à 303).


50V APPENDICES

cienne langue), accusant la môme méthaphore que picv, boire, son synonyme antérieur *.

Itlesche, mercier, à côté de blesquin, jargon des Ulesches, forme remontant à des variantes provinciales blec, féminin blèche: Cotgrave donne h la fois « poire blecyue » et « poire bletle », ainsi que t/lesche, ramolli, d'où l'idée d'imbécile ou sot, c'cst-a-dire qui se montre tel pour mieux attraper les autres. Les formes blesse, mercier (encore conservé dans le bcllaud) et blesque (que suppose le dérivé blesquin) sont autant de provincialismes, dont les restes subsistent toujours dans les patois, s'appliquant aux poires trop mûres, molles et grises (v. Rolland, Flore, t. Y, p. 27)-.

Cholelte, chopine (1628) : c'est le dialectal piche, chopine, diminutif picholelte, petite chopine: « boire une picholetle de vin ». Ces termes sont encore vivaecs a Genève.

Coues, maison (1596; chez Villon : coi/s), répond à l'ancien français « chambre coie », chambre close, aujourd'hui, en Bretagne, coues, latrines* 2.

Crosle, écuelle de gueux, dans la Vie Généreuse (1590), est mentionné dans un inventaire de 1521 (« Trois crolles à manches et couvercles », Gay, Glossaire). La forme angevine crâne, vase servant à faire la quête, se lit dans la a Moralité de la Charité » (Ancien Théàire,t. III, p. 414):

Une seule petite aulmosne

Que no te seut mettre en la crosne...

Duron, patron, père, proprement radoteur, sens du mot en Anjou (Mayenne, daronner, murmurer), répondant au synonyme prônier. On lit ce mot dans le Père Duchêne de 1791, n° 45, p. 2: « J'arrive donc aux Tuileries ; mais f... je ne me permis pas de me familiariser avec le daron... à cause du respect qu'on lui doit ». En 1808, d'Hautel remarque que daron est « le sobriquet que les ouvriers donnent à leurs bourgeois » et qu' « un daron se dit aussi d'un homme de la manique, d'un cordonnier ». v

Esgourne, oreille (1836), proprement large rarne, sens de l'angevin gournas, gourneau (l'initiale es y a une valeur simplement intensive). Ajoutons que le sens libre de gourner dans la « Yie généreuse » (Sources, t. I, p. 103: « Lime gourne rivage ») est une application particulière de l'angevin gourner, terme de petite batellerie, manoeuvrer le gourneau ou la longue gâche. « Gourner, gouverner, ne se dit que sur les bords de la Loire », remarque le Trévoux de 1771.

1. Rapprochement fait par Em. Philipot (Essai sur la langue de du Fail, p. 147).

2. EtymoloRie proposée par Gaston Esnault (Revue de Philologie française, t. XXVII, 1913, p. 178) : le breton chouez, maison, est tiré du jargon.


COUP D'OEIL KN ARRIÈRE 505

Mousse, excrément, est tiré du breton mous, ordure, mot donne par le Nomenclator de 1633 et qu'on lit déjà dans des fragments bretons manuscrits du xive siècle »,

L'ancien mot proye ou proais, le derrière, de la Vie généreuse (1590) et du Jargon (1628), représente un artésien prois, môme sens, qu'on lit au xmQ siècle dans Watriquet de Couvin (v. Godefroy) et dans Le jeu de la FcuUlêc d'Adam de la Halle (éd. Langlois, v. 1090):

Li PÈRES, — Ami! or tien chocroquepois \ LE DERYÉS 3. — Ai je fait le noise dcm prois ? *

Les patois du Sud, ceux de la Provence et du Languedoc, n'ont pas moins enrichi ce vocabulaire spécial. Entre'autres emprunts, relevons toute une série do termes commençant par es — esbrouffe, par exemple — souvent communs au Sud de la France et au Nord de l'Italie, mais que le jargon a tirés surtout du Languedoc, devenu à son tour un des foyers du royaume de l'Argot.

C'est le Midi de la France, et tout particulièrement la Provence, qui a servi d'intermédiaire entre les différents argots romans, qui y ont puisé leurs éléments communs. Tel bazir, tuer et mourir, commun à la fois au jargon (dans celui-ci dès le xve siècle), au fourbesque (d'où il passa en italien) et à la germania (vasir), tous reflets du provençal basi (bazi), mourir, crever, d'origine obscure s. C'est le jargon qui en a tiré le plus grand nombre de formes dérivées dont une — abasourdir — a pénétré en français dès le xvne siècle.

Deux des noms que Villon donne, dans ses Ballades en jargon, à ses compagnons de la Coquille, dérivent également du Midi :

Beroars, imbéciles, pendant d- benars, sots, c'est-à-dire qui se sont faits attraper:

Car le bizac, a voir advis, Fait aux beroars faire la moe...

c'est-à-dire, vraisemblablement : « Car le bourreau, après avoir été averti, fait faire la moue aux pendus », la face tournée vers le soleil (Bail. VI).

Spelicans, éveillés, pendant de saupieçuets, subtils, épithètes appliquées aux tricheurs ou voleurs habiles (IIIe Ballade) :

1. Voy. A. Thomas, dans Romania, t. XLIII, p. 80-81.

2. Bâton et coup de bâton.

3. Synonyme ancien du fou.

4. D'après l'indication d'Em. Philipot (Revue de la philologie française, t. XXVII, p. 305).

5. La provenance du celtique (du vieil irlandais bas, morl), proposée par Thurneysen, est illusoire : il s'agit, en effet, d'un dérivé bazir (et non pas bassir qu'aurait seul donné le vocable celtique), abstraction faite du critère chronologique, cette famille de mots ne remontant pas au-delà des xv«-xvie siècles. Le mot bazir est encore vivaco en Poitou au sens do disparaître, mourir (Beauchet-Filleau), à côté de son dérivé bazoter, chanceler (Favre).


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500 APPENDICES

Spclicans, Qui, PU tout temps, Avancez dedans le pnwis,..

L'un et l'autre termes reflètent les vocables méridionaux: barouard (balounrd), balourd, et rsprlucant, éveillé, intelligent.

Ajoutons que le mol bnuisxc, prostituée, qu'on lit dans le vocabulaire des Chauffeurs de 1800, est un emprunt du provençal : buisso, même sens (de bouissa, s'accoupler). Bnurhe, femme' ou fille, aie même sens dans les argots franco-provençaux -.

II. — KMPKL'NTS POPULAIRES.

Le bas-langage a fourni, à son tour, plusieurs termes au jargon. Bornons-nous à mentionner les suivants :

Argoté, qui se croit malin, sens donne* par le Jargon de 18ïO : c'est une prononciation vulgaire tVcrgotc, pourvu d'ergots, qui sait se défendre. Voici quelques témoignages chronologiques :

« Argoté, pour dire dégourdi, fin, subtil et madré. C'est un luron argoté, signifie c'est un fin matois, qui sait l'aire tourner a son avantage les circonstances les plus défavorables »', d'IIaiilel, 1808. — « Cet homme est argolë, proprement fin, astucieux. Ce mot-là n'est que du français de contre!.1..i. le », Desgranges, 1821. — « Argoté. C'est une commère bien argotèe. Dites : C'est une commère bien ergotée, qui a bec et ongles, qui attaque et se défend bien », Blondin, 1823.

Beurre, argent, chez Vidocq (1828). Dans le bas-langage, faire son beurre 3, c'est*faire son profil, gagner beaucoup d'argent dans son commerce (souvent par des moyens peu délicats), et beurre signifie argent monnayé, écu (avec ce sens encore à Genève), dans une chanson de 1813 (citée dans Larchey) :

Nous voilà dans le cabaret A boire du vin clairet,

A cet' heure Que j'ons du beurre.

1. Ce mot se lit dans une pièce jargonnesque, te Rat du Chdlelet, de 1190 : * Oui, j'ai été fait en travaillant la bauche », c'est-à-dire j'ai été pris en volant li femme.

2. e Ce mot est répandu depuis 1P. Lorraine, dans la plupart des argots jurassiens et savoyards jusqu'en Dauphiné i, A.Dauzat, Les Argots des métiers, p. 38.

3. Le proverbe cité par Vidocq : 'Avoir du beurre sur ta tête, être couvert de crimes, proverbe qu'il attribue aux voleurs juifs, est en réalité allemand: « Wer Butter auf derH Ko[jfe bat, der gehe nicht in die Sonne » (cité dans Dûringsfeid, Sprîchwôrler der germanischen und romanischen Sprachen, Leipzig, 1813, t. I, p. 146). On y fillègue à tort comme proverbe français : « Si


COUI' D'iKIL EN ARIUÈRE 507

Voici deux autre témoignages-vulgaires antérieurs à Vidocq: « Quand elles (les filles) ont fait une honne récolte, elles disent que le beurre a bien rendu, le benne veut dire l'argent », Le Palais Royal, 181;'i, p. 12i. — « lia voulu m'enfonce)' de mon beurre, L'nfoncer oui pris pour tromper, et beurre, pour argent. Tout cela est archi-m invais », Desgranges, 1821.

Chevalier grimpant, nom ironique donné au cambrioleur, dans Vidocq (1837). C'était, au xvnr siècle, le nom du laquais qui montait derrière les carosses; on lit dans le Cahier des plaintes et doléances des daines de la Halle, de 1780, p. 11 : « Une vingtaine de chevaliers grimpants aussi insolents que leurs maîtres ».

Cosni, mort, qui a passé au xvr- siècle au jargon, est d'origine populaire et déjà attesté en littérature. Haïf s'en est servi (OEuvres, éd. Marty-Laveaux, t. V, p. 180):

Tout est cosni ', la bergerie

Ha moins de chèvres que de boucs.

Il figure également dans un Coq à l'asne mentionné au mois de décembre 1585 dans les Registres-Journaux de Pierre de l'Kstoile (éd. des Bibliophiles, t. II, p. 207). Arnault raconte à Thôni ce qu'il a appris de la Ligue :

On devoit massacrer Thoni ; Il fusl bien prest d'estre cosni Cellui qui vient à la Tournello.

lin jargon, le vocable se lit pour la première fois dans la Vie généreuse de 1506. C'est un emprunt du languedocien cauni, trépassé (proprement retiré dans un terrier), d'où cosne, mort, et cosnir, mourir, attestés ultérieurement eu jargon.

Douilles, cheveux, terme que donne un glossaire argotique de 1829, est le pendant de douillets, môme sens, qu'on lit dans l'Histoire de M. Guillaume cocher, de Caylus (OEuvres badines, t. X, p. 23) : <c Un qui vouloit me prendre par les douillets ».

Lapin ferré, gendarme (« terme des voleurs normands », Vidocq), désigne, dans le Cahier cité ci-dessus, le soldat de la maréchaussée, par allusion à son cheval 2, p. 3o : « Que j'étions bète de nous exposer pour vous aux bayonnettes des lapins ferrés ».

Marpaud, vaurien, mot dont le jargon s'est emparé de bonne

vous avez du beurre sur la tête, n'allez pas au soleil », qui ne se trouve que chez Vidocq ot que celui-ci a entendu dans la bouche des juifs allemands.

1. Marty-Laveaux (Langue de la Pléiade, t. I, p. 356) explique à tort ce cosni par » cornu ».

2. Cf. d'Hautel (1808) : c Un lapin ferré, nom burlesque que le peuple donne à un cheval ».


508 APPENDICES

heure, a toujours été un mot parisien, attesté dès le xvc siècle ' dans la Passion de Gréban :

21038. Etc'est par ce villain marpault

A qui Dieu doint sanglant mal an !

Des Périers s'en sert au xvie {OEuvres, éd. Latour, t. J, p. 132):

Si l'on t'a faict quelque aulmosno liioa grasse, Dire n'eu fault combien en sçais de grâce. Avec telz biens, cnllé comme un crapault, Et remonté tout ainsi qu'un marpault, Tu vas et cours çà et là par ces rues.

Au xvni 0, Philibert Le Roux en accuse l'usage parisien: « Marpaud, mot de Paris, pour sot, niais, nigaud, badaud », et, au début du xixe, d'Hautel en précise l'acception: a Marpaud, sobriquet injurieux et méprisant que l'on donne, à Paris, aux hommes qui fréquentent les mauvais lieux ».

Dans le jargon, depuis 1628, marpaud a désigné tour a tour l'individu en général, le gueux-voleur, le maître, et, dans un glossaire argotique de 1828, il signifie amant d'une fille publique, acception qui rappelle celle donnée par d'Hautel en 1808. Le sens ancien du mot est encore usuel dans les parlers provinciaux (Anjou, Herry, etc.), mais, à Caricale, marpaud désigne le petit gamin, le vaurien 2.

Môme, enfant, garçon (Vidocq), mot donné comme vulgaire en 1821 par Desgranges : « Môme, Barbarisme. Tu es un petit môme, est une faute ». Le sens initial « niais » est encore vivace dans certaines provinces (Genève, morne, sot, niais). Bescherelle, en 1845, note: « Môme, enfant détenu pour vol; pop. gamin ». La première acception appartient seule au jargon.

Regoût, soupçon (1790), a le sens de « dégoût » dans le poissard du xvme siècle (Vadé, Jérôme et Fanchonnette, se. XIV) :

Vlà ce que c'est que de faire trop la fière. Falloit pas li bailler du regoût.

Remoucher, regarder (Vidocq), terme parisien dès le xvme siècle : a y avons remouché trois garçons tailleurs », Vadé, Raccoleurs, 1756, se. X. — « On évite de se trouver trop souvent dans le même endroit, crainte d'être remouché », Gaylus, OEuvres, t. X, p. 176.

1. Dans le Parnasse satyrique du XV' siècle (éd. Schwob, p. 53), lo mot est pris avec un sens libre :

Mais maintenant le douloureux marpault i Devient rétif, percluz et misérable... Cf. Palsgrave, 1530, éd. Génin, p. 252 : » Parsone y vie favoured, Marpault •. 1 2. L'acception étymologique survit dans le bourbonnais « méchante tnarpaille », mauvais repas (Deseille), accusant ainsi une évolution analogue à fripon, goinfre et filou.


COUP D'OEIL EN ARRIÈRE 509

Le mot est encore vivace dans les parlers provinciaux, par exemple en Anjou : remoucher, regarder (« Remouche donc la bonique », Manière).

Serviette, canne (Vidocq), désigne, dans le poissard du xvme siècle, la canne en jonc : « Le commissaire l'a déjà menacée pour m'avoir donné des coups de serviette », Pompigny, Il y a un remède à tout, 1783, se. IX.

Vanner, s'en aller, dans le vocabulaire des Chauffeurs (1800), appartient au bas-langage de la fin du xviue siècle *. On lit ce mot dans une comédie de 18022 et Desgranges le donne, en 1821, comme terme militaire 3. H est encore vivace dans les patois : fierry, vanner, filer, disparaître. C'est une image tirée de l'économie rurale: nettoyer le blé à l'aide du van, en en faisant disparaître la poussière, les pailles, les ordures.

Le jargon a parfois conservé certains termes vulgaires qu'on ne rencontre plus aujourd'hui que dans quelques coins oubliés du pays. C'est le cas de mor/ier, manger, qu'on trouve attesté, comme terme spécial, dès le xvi° siècle, à la fois chez les argotiers et chez les écrivains de l'époque (Rabelais, du Fail, etc.). Le ^ens initial survit dans le champenois morfiUer, mâcher, et dans le picard morfalier, manger avidement en ouvrant fort la bouche et en appuyant fortement les dents les unes contre les autres (Hécart). De nos jours, le mot de jargon a passé directement dans le langage populaire parisien.

Le terme est foncièrement vulgaire, non seulement en jargon, mais aussi dans le fourbesque (morjire) et dans la germania (muflir). On le retrouve, ailleurs, dans quelques patois allemands (Bavière, murfeln, mâcher avec les lèvres fermées) et jusqu'en roumain : molfâi et morfoli, mâcher, grignoter. Ce dernier idiome exclut nécessairement tout type ancien germanique et renvoie, comme les formes parallèles, à une origine imitative, exprimant le .mouvement des joues lorsqu'on mâche lentement, surtout chez les personnes qui n'ont pas de dents 4.

i, Ch. Nisanl en cite trois exemples, tirés des écrits poissards de 1191, dans ses Parisianismes, p. 206-207. Ajoutons d'Hautel : « Vanner, pour esquiver, s'échapper, s'enfuir ».

2. c C'est dit, Javotte, tu peux vanner; vanne, vanne! » Sainl-Firmin, Le yalanl Savetier, se. 1.

3. Voir ci-dessus, p. 31.

4. Braune, qui ne disposait pas de tous les éléments comparatifs, avait risqué un type ancien-haut-allemand murphjan (dans la Zeitschrift fôt romanische Philologie, t. XXI, p. 216). Tout récemment, Meyer-Lûbkc, dans son Dictionnaire étymologique, pose hardiment un langobard mor/Jan tout court. Or, ce vocable germanique, hypothétique ou prétendu réel, s'évanouit devant ces deux faits :


510 APPENDICES

(l'est ainsi que plusieurs vocables vulgaires, dont le jargon s'est emparé, fout retour au bas-langage. .Mais l'indication de la source précise dos termes de celte catégorie n'est pas toujours facile. Voici quelques exemples :

Halle, franc, se trouve clans le vocabulaire des Chauffeurs (1800), mais ce mot se lit, vers la môme époque, dans une comédie de SaintFirmin: « Ce giain de six balles que je vous baillons en avance », Le galant Savetier, 1802, se. IX, et, quelques années plus tard, d'IIautel le donne comme vulgaire: « Un grain de six balles, pour dire un écu de six francs ». On serait donc disposé à attribuer ce mot au bas-langage; mais le terme grain ', écu, qui l'accompagne dans les textes cités, est franchement jargonnesque (cela dès le xvc siècle) et entraine la provenance argotique de l'autre.

Escoffer, tuer, remonte également au vocabulaire des Chauffeurs, mais d'Haulel le donne déjà, en 1808, avec cette remarque: « Ce mot a plusieurs significations dans la langue populaire. On l'emploie pour dérober, voler, et souvent aussi pour perdre, tuer, assommer. C'est autant d'escof/iê, pour c'est autant de pris, de volé, de perdu. On dit d'un homme qui est mort, assommé de coups, qu'il a été escoffié ». Les sens cités sont communs au languedocien escoufia, qui signifie (d'après Mistral) :

1° Terme de berger, enlever ou tondre la laine qui est autour des mamelles des brebis et gêne pour les traire;

2° Dépouiller complètement, mettre un joueur à sec, décaver, dérober, voler;

3° Confisquer, supprimer;

4° .«'rapper sur la tête, tuer.

Il est hors de doute que le ternie vulgaire, étant donnée sa sphère sémantique, est pris au languedocien et non pas au jargon des Chauffeurs ; que ceux-ci l'ont directement reçu des voleurs provençaux qui se trouvaient dans leur bande.

De plus, en 1821, Desgranges prétend qu'escoffier « est un mot inventé par nos militaires en Espagne », et que « c'est du français de soldat ». L'indication est intéressante, mais la dérivation de l'espagnol est illusoire 2, comme d'ailleurs celle de l'italien ' qu'on a également alléguée.

1» Cette famille de mots ne remonte pas au-delà du xv'-xvie siècle ;

2° Son existence en roumain exclue péremptoirement toute provenance ancienne germanique. t

i. Celui-ci encore vivace : t pièce de cinquante centimes » (Virmaitre Supplément).

2. En espagnol, escofiar signifie exclusivement t coiffer ».

3. En italien, seuffiare ayant le sens de « dévorer, bâfrer i, une dérivation de cette langue est insoutenable : t Comment ne pas reconnaître l'italien à travers des décalques aussi transparents q\i'escoffier...f » demande M. Dau-


COUP D'OEIL EN ARRIÈRE 511

Quant au sens étymologique du mot languedocien, escoper signifie décoiffer, enlever la coi Ile, d'où dépouiller ou tuer quelqu'un. Fie jargon dit, avec la nu* me métaphore : esnipowlter, assassiner (.< ternie des voleurs du Midi », Yid'ieq), proprement enlever le capuchon (sens de l'italien scapnt-r.bire). On pourrait donc se demander si le rapport « oter la coiffe, le capuchon = tuer » ne représente pas cette fois une métaphore particulière aux argoliers.

Il peut également arriver qu'un terme du jargon et un mot populaire dérivent indépendamment l'un de l'autre de la même source.

Soit, par exemple, esquinter, éreinter. D'une part, on lit ce mot, comme le précédent, dans le vocabulaire des Chauffeurs, et il a produit dans le domaine du jargon quantité de dérivés (esquinte, abîme ; esquintement, effraction ; esquinleur, cambrioleur, etc.) ; d'autre part, il n'apparaît dans la langue vulgaire que [dus tard. Les recueils lexicographiques l'ignorent tous jusqu'au Dictionnaire général, qui le donne à titre de néologisme récent.

On pourrait donc croire que le mot était nouveau dans le bas-langage lorsqu'il fit son entrée dans la langue générale. Il n'en 'est rien. Le tenue en question se trouve dans La Caserne de Vidal et Delinart, de 183:5 (v. Larchey) et chez Delvau (1806): « Esquinter, éreinter, battre, dans l'argot du peuple; s'esquinter, se fatiguera travailler., a marcher, à jouer... »

Quant au sens, esquinter a celui d'éreinter (dans le vocabulaire des Chauffeurs) e*. d'enfoncer, briser (chez Yidocq), acceptions qui sont celles du languedocien esquinta l, échiner, fatiguer beaucoup et déchirer, mettre en lambeaux (s'esquinta, se harasser, se battre à coups de poings ; esquintât, brisé de fatigue).

Ce qu'on vient de dire pourrait s'appliquer aussi à esbrouffe, air important, embarras (et ses dérivés) qu'on lit dans un glossaire argotique de 1827 et chez Yidocq. Suivant les références par trop vagues de Larchey, le mot avait été employé, dès 1831, par les frères Cogniard, et, en 1833, par Pierre Borel. Ce terme, qui, comme esquinter, a passé de Paris dans la plupart des parlers provinciaux, dérive également du Midi 2: esbroufe, grand air, embarras, jactance, proprement ébrouement d'un cheval qui souffle des naseaux (estât, dans la Revue de philologie française, t. XXVII, p. 12. — Le sens correspondant s'y oppose nettement.

1. Gomme ce mot manque à l'ancien provençal, on ne saurait le faire remonter à un latin populaire hypothétiquetexquintare, partager en cinq (v, Dicl. général). A. notre avis.il s'agit d'une forme intensive du primitif guinlà, donner la cinquième fa<;on à la terre, labourer pour la cinquième fois, do sorte que esquinter représenterait une métaphore agricole analogue au synonyme ancien ahaner, s'esquinter.

2. L'italien sbru/fare (c rejeter de l'eau par les narines ») elsbruffo(€ gorgée d'eau qu'on rejette •) no possèdent que des acceptions matérielles et ne sauraient donc-être l'origine immédiate du vocable esbroufe (comme on l'a allégué, Revue de philologie française, t. XXV, p. 286).


512 . APPENDICES

broufa, sortir avec violence d'un vase, éclater en paroles, faire de l'embarras).

Il se peut ddnc que le ternie vulgaire et le mot argotique soient indépendants l'un de l'autre. C'est aussi le cas de gonze, au sens de « niais » (et « miche ») qu'on lit déjà dans le llagot de La Fontaine (acte IV, se. III):

Monté sur doux tréteaux, l'illustre Tabarin Amusait autrefois et la nymphe et lo gonze... '.

et dans Vadé (/I'e Bouquet poissard):

Allez, gonze, S'il est fiché, vous, vous êtes fichu...

Ce mot est directement tiré de l'italien gonzo, nigaud, tandis que le terme argotique gonse, individu (dans Vidocq), devenu populaire (sous la double forme gonse et gosse), dérive du fourbesque gonzo, bourgeois, rustre

Voici encore s'esbigner, se sauver, terme très usuel qui n'est attesté en jargon qu'à partir de 1836, tandis que le chansonnier Désaugier (mort en 1827) s'en est déjà servi dans sa Parodie de la Vestale, acte II, couplet vu (l'opéra de Sponlini fut représenté à Paris en 1807):

Et l'amant qui se sent morveux Voyant qu'on crie à la garde. S'esbigne en disant: Si je tarde...

C'est en français un emprunt fait au languedocien ou gascon s'esbigna, décamper, prendre la fuite (de bigao, vigno, vigne), répondant à l'italien dialectal et fourbesque sbi'gnare (« courir, en jargon », Oudin, 1642), en italien sbignare, s'enfuir à la hâte, sortir de la vigne à toutes jambes 2. De Paris, le mot se répandit dans la plupart des parlers provinciaux: Berry, Bas-Maine, Anjou, Picardie, Normandie.

1. M. Dauzat écrit ceci en 1917 à propos de gonze (dans sa monographie sur Les Argots de Métiers, p. 23) : « M. Sainéan cite l'exemple le plus ancien dans Vidocq; M. Niceforo l'a relevé antérieurement, dans ies Mémoires de la Clairon. Nous l'avons retrouvé un siècle plus tôt dans le Ragotin... »

Or, voici ce qu'on lit dans le glossaire de nos Sources de l'Argot ancien (1912), t. II, p. 362 : t Gonze... du fourbesque gonzo, bourgeois, rustre (en italien, niais). Mot déjà employé par La Fontaine et Vadé »... (voy. t. I, p. 68-69). Et au renvoi indiqué : t Au sens d'individu, gonze se lit dans le Ragotin do La Fontaine, acte IV, se. m » (suivent les six vers du texte).

2. C'est le pendant du synonyme démurger, s'en% aller (172b), du berrichon ou manceau démurger, faire sortir d'un lieu, proprement franchir les murgées ou tas de pierres dans les vignes. On lit ce mot dans le' poissard {Les Porcherons, 1773, p. 168) : t A grands pas démurge et se sauve »,


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Il est donc probable qu'esbigner a passé du bas-langage au jargon, de môme que jaspiner, jaser, que donne Philibert Le Houx (1718). Granval, en 1725, l'introduisit dans son poème Cartouche, avec l'expression jaspiner bigorne, parler argot, qui passa ensuite chez d'Hautel (1808). Vidocq caractérise le mot, en 1837, comme « terme des voleurs parisiens », alors que Desgranges dit en 1821 : « Jaspiner est un mot qui remplace jaser, quoique tous deux soient français, le premier appartient plutôt au peuple qu'à notre langue; il ne convient pas dans le style châtié, on peut mettre ce mot avec jaboter ». Kt le mot est toujours resté populaire: « On n'a pas entendu ce qu'y jaspinail », Courteline, /Vai'n, p. 119. — « Usjaspinevont de l'espoir du populo »: Almanach du Père Peinard, 1894, p. 17.

Ce parisianisme a passé dans les parlers provinciaux. Son sens primitif est « aboyer », comme le prouve le primitif jasper, japer, qu'on lit chez d'Assoucy :

Laisser ceste beste importune Tout son soûl jaspera la lune... *

Voilà quelques-uns des problèmes qui se posent à propos de rapports entre le jargon et le bas-langage. Remarquons encore que les Glossaires argotiques, à partir de 1827, ainsi que les deux" dernières éditions du Jargon (celle de 1836 et celle de 1849) ont admis nombre de mots vulgaires, la barrière entre ces deux catégories linguistiques ayant commencé à fléchir dès celte époque.

III. — EMPRUNTS ÉTRANGERS.

Le nombre des emprunts étrangers de l'argot est absolument limité et leur source là plus ancienne est l'italien 2, dont on pourrait fairo remonter l'influence jusqu'au xve siècle, c'est-à-dire jusqu'à l'époque même de la constitution en France d'un jargon. C'est ainsi que le terme arton, pain, qu'on lit déjà dans le dossier des Coquillards dijonnais de 1455, a pu être importé de l'Italie, le grec ne commençant, à être connu en France qu'au début du xvic siècle (Budé, Rabelais). Remarquons cependant que le fourbesque qui possède arlimbaldo dès le xve siècle (Pulci), ne connaît la forme arlone qu'au xvie- 3.

1. Le Ravinement de Proserpine, 1653, p. Si.

2. D'après les recherches de M. Dauzat (Revue de philologie française, t. XXV, p. 2SG-2S7), le terme foigne, guerre, de la Vie généreuse (1596), ainsi que les vocables modernes, esbasir, tuer, esçapoucher, assassiner, et jonie, jour (les deux dan3 Vidocq), dériveraient de cette source (it. fogna cloaque, senlinc ; sbasire, mourir; scapucaiare, ôter le capuchon; giorno, jour).

3. Cf. G. Huet, clans le Moyen-Age, ]P série, t. XVII, 1913, p. 363 : € Le mot arton qui se retrouve dans les autres argots romans, ne serait-il pas venu d'Italie, qui a toujours eu, d'une façon ou d'une autre, des rapports avec l'hellénisme ? >

33


511 Al'l'ENDICKS

Une autre supposition est plausible : le ternie du jargon reflète peut-être le bas-latin artona,-\n\i\ béni — c'est-à-dire le grec moderne «ÎTOVX — qu'on lit dans une vie de saint Sévère (citée dans Du (lange), mol que les argoliers auraient pris avec un sens profane. Quoiqu'il en soit, l'origine grec iVarlon est hors de doute (on ne saurait hésiter que touchant sa source immédiate) et c'est le mot du jargon qui a passé dans les parlers vulgaires aussi bien rn France qu'en Italie et en Espagne '.

Il est superflu de revenir sur l'invraisemblance d'une origine giecque pour pier, boire, déjà proposée par les humanistes du xvi° siècle. Des considérations chronologiques cl morphologiques s'y opposent également: 1° Un a Jehan qui pic » figure déjà dans le livre de la Taille de Paris, de 1292 : or, à celte dale, il n'y a pas trace du grec en Italie, moins encore en France ?; 2) Le français ignore un emprunt verbal direct du grec, les termes jargonnesques de celle origine étant tous Jes substantifs (arlon, cric, ornic) 3.

A la mémo époque remonte l'influence espagnole (des voleurs do la Péninsule se trouvant dans la bande des Coquillards), influence d'ailleurs restée isolée au xve siècle.

Quant a l'allemand, il <jst resté complètement étranger au jargon, qui n'a eu du reste aucun contact avec les argots germaniques, le rolwelsch et le cant.

lî. — Expansion du jargon.

L'influence du jargon s'est exercée da'ns les sens les plus divers. Relevons tout d'abord, en passant, les éléments qu'il a tour à tour fournis aux autres argots romans : germania, fourbesque et calao; ensuite, aux langues spéciales indigènes, réservées aux différents corps de métier, surtout en Bretagne et dans le domaine francoprovençal. Ces derniers sont comme imprégnés de vocables argotiques. Il suffira de renvoyer aux détails que renferme à cet égard notre Argot Ancien (UJ07) et le îécent travail d'Albert Dauzat sur les Argots de métiers franco-provençaux s (1017).

1. Le basque arloa, pain de maïs, de la même source, e.=t emprunté de la germania, et non pas inversement (comme le croyait Diez). L'origine du mot n'est nullement t inconnue >, comme l'allègue encore récemment Meyer-Lûbke {Dictionnaire étymologique, n° 6S9).

2. Mcyer-Lûbkc va jusqu'à poser un type piare, Loire, qui n'a jamais existé en dehors de l'imagination des grammairiens (Dictionnaire, n° 017b).

3. Cf. A. Dauzat, Les Argots de métiers franto-provençaux, p. 32. Voir aussi ci-dessus le mot adraguer et, en dernier lieu, mon article dans la Revue du XVI' siècle, t. Y. p. 80 à 88.

4. Dans cette publication exécutée dans les meilleures conditions scientifiques, les suggestions étymologiques de l'auteur ne laissent psis de surprendre. Ses rapprochements avec l'allemand (o. 59 à 62) sont pour la plu-


coup D'OEIL EN ARRIÈRE 515

Plus profonde encore fut celte influence sur les parlers provinciaux et tout particulièrement sur le langage populaire parisien, dans lequel se fondirent de nos jours les derniers vestiges du jargon. Knvisageons de plus près ces survivances d'un idiome resté à peu près secret pendant plus de quatre siècles *.

F. — ACTION SUR LE BAS-LANGAGE.

Parmi les sources où a puisé le langage populaire parisien au xixc siècle, le jargon occupe une place absolument prépondérante. Sous le titre de « Survivances de l'argot ancien » nous avons tracé ailleurs le tableau d'ensemble de ces emprunts.

Si ce tableau- peut être retouché sur quelques points en ce qui

part illusoires et les nouvelles étymologies grecques qu'il propose, no résistent pas à l'examen.

ho polir, voler (des Ilallades en jargon de Villon) et le polir, voler et vendre (de la germania) viendraient du grec jioXeïv, vendre. Cependant, la notion jargonnesque « vendre », c'est-à-dire « vendre des objets volés », remonte en fait à celle de « voler i, qui en est le point de départ, et ce sens primaire écarte définitivement toute dérivation du grec.

De même Vacque, dé (du dossier des Coquillards de 145b) remonterait, par l'intermédiaire du lorrain argotique ocoue, t écu de trois livrés », au gr. ô'yxo;, poids (p. 31) : t Le Larousse nous donne, avec trois variantes, le mot ocque, oque, oke, comme désignant une unité de poids dans différents pays orientaux... Ce mot demi-français se trouve dans l'argot lorrain des fondeurs... Il semble bien que ce soit Vacque, dé, des Coquillards, tiré directement du sens poids... »

En d'autres termes (et par Un.étrange renversement de l'ordre chronologique), c'est le lorrain argotique ocque (noté à peine au xvut» siècle) qui serait la source du jobelin acque, atteste dès le milieu du xv siècle, et cet ocque lorrain refléterait un t mot demi-français i oque, poids. Or ce dernier n'est que le russe oque, mesure de capacité, mot emprunté au turc oka (arabe, oukia), môme sens. Où y a-t-il là une trace quelconque du grec ô'yxo;?

1. Le jargon a pénétré jusqu'au prétendu langage martien. Mademoiselle Hélène Smith, spirite et jnédium renommée de Genève, se croyant transportée dans la planète Mars, en rapporta une quarantaine de phrases, formant un vocabulaire do 300 mots qu'elle prétendait avoir appris dans celte planète. On y constata surtout du français plus ou moins altéré, de l'allemand et de l'anglais, du magyar et de l'arabe, et finalement du jargon (n° 79 : daLe, maître; 80: durée, terre; 91 : Irimazi, force, etc.). Voir le livre do Victor Honry, Le Langage martien. Elude analytique de la genèse d'une langue clans un cas de glossolalie to^nambulique, Paris, 1901.

En ce qui touche les rapports entre l'argot ancien et la littérature, notamment l'influence de Vidocq sur les grands romanciers du xix' siècle, voir André Le Breton, « Los origina'ux de la Comédie humaine » (dans la Revue de l'aris du 1er févr. 1905, p. 59S) et la récente étude de Guslavo Charlior, « Comment fut écrit Le dernier jour d'un condamné » (dans la Revue d'histoire littéraire de la France, t. XXII, 1915, p. .321 à 360, principalement p. 333 à 336 et 342 à 345) sur les sources argotiques de ce roman do Victor Hugo, paru en 1828, quelques mois avant les deux premiers tomes des Mémoires de Vidocq et des Mémoires d'un Forçat, l'un et l'autre mis à contribution par notre romancier. M. Charlier ne touche pas à la chanson argotique finale du Dernier jour d'un condamné, dont la source reste inconnue et qui a été ultérieurement reproduite par Vidocq dans la préface de ses Voleurs (1837).


510 APPENDICES

regarde l'antériorité de certains termes vulgaires (comme nous l'avons déjà fait à plusieurs reprises), il garde toute sa valeur dans les contours généraux. Nos recherches ultérieures en ont encore élargi le cadre, dans lequel nous ferons rentrer les faits nouvellement acquis. Voici ces détails complémentaires.

1. — Vocables.

Allumer, regarder, terme policier (1791) devenu populaire: « Je l'ai allumé pendant deux heures. Allumer, dans cette phrase veut dire espionner quelqu'un. C'est le mot favori de ces nobles agents que des insolens nomment mouchards », Desgranges, 1821.

Ance, eau, sous la forme lance, au double sens d'eau et de pluie : « De la lance? il l'espérait pirbleu bien », Courteline, Train, p. 90. De là, lancuquiner, pleuvoir . <c Vingt gueux de sort ! pourvu maintenant qu'y ne vienne pas à laneequiner, c'est ça que ça serait un sale coup! » Idem, p. 90; et lansquinade, pluie continuelle : « Les lansquinades de l'automne, non plus que les giboulées de mars, n'effaroucheront plus personne », Almanack du Père Peinard, 1898, p.-23.

Arquepincer, preivlre sur le fait: a Les gendarmes étaient toujours à ses trousses, sans jamais l'arquepincer », Almanach du Père Peinard, 1894, p. 48. — « Et puis, si on est arquepincé? » Rosny, Hues, p. 149.

Attiger, meurtrir de coups, très populaire: « Mon pauvre copain était atligé qu'il en avait le ventre violet... Les plus rogneux conviennent que la vieille guimbarde sociale à été vilainement attigée », Père Peinard, 16 août 1891, p. 2, et 8 janvier 1893, p. 1. — « Marche ! ou tu sauras comment ]'atlige les bourins », Rosny, Marthe, p. 177.

lierge, année, est devenu populaire dans tous les milieux.

Chez les apaches : « Il y a des gas costauds... Pense donc qu'il a seize berges..'. Dans le tas, y avait un birbe de soixante cinq berges », ■ Rosny, Rues, p. 75 et 303.

Dans les casernes : « Trente-deux jours à tirer... Pourquoi pas six marques tout de suite? Pourquoi pas une berge ou deux ? » Courteline, Potiron, p. 9.

Dans le bas-langage en général (Rictus, Coeur, p. 71): « À trentetrois berges, en pleine jeunesse... »

Callot, client grincheux (Delyau, Supplément), proprement gueux teigneux ; cf. Yonne, callot, homme accablé par la peine, le travail, la misère:' « Pore callot, pauvre homme » (Jossier).

Cric, eau-de-vie: « UnpeliUverre de cric... ça me donne du chien... L'heure étaitpassée où le cric lui donnait des couleurs », Zola, Assommoir, p. 185 et 430.


COUP D'OEIL EN ARRIÈRE 517

Le mot cric est surtout usuel parmi les troupiers et sa forme parallèle croc l, même sens, parmi les.marins, l'un et l'autre tirés des formules jadis en usage pour trinquer 2.

FaJer, avoir en partage, avoir de la chance : « Tu t'estimes veinard, fade d'an chouette dcot... » (Itichepin, Gueux, p. 120). Le mot a acquis nombre d'acceptions plus ou moins ironiques :

1° Etre bien partagé ou bien pourvu (ironiquement): « Le PèreBignard aurait pu être mieux fade en moyens d'apitoyer les passants... 11 n'avait qu'une jambe de moins », Richepin, Truandaille, p. 109.

2° Augmenter une punition, dans le langage des casernes (voy. Bruant., Dkt, p. 30).

3° Etre dans un bel état (ironiquement), être blessé, être fichu : « Non, mais vrai, nous sommes fades!.,. T'es pas fou de nous emmener balader parce temps-là.. Quand on est fade, comme vous l'êtes, de soixante jours de prison, ce n'est pas pour qu'on s'épaississe le sang à dormir comme des pourceaux », Çourteline, Train, p 137 et 276. — « Elle tira une langue sanglante et déchirée... Ah! t'es fadée, on peut le dire », Hirsch, Le Tigre, p. 137.

4° Etre ivre : avoir son fade ou être fade, être soûl (Bruant, Dict., p. 270-271).

5° Faire le compte à quelqu'un, l'assommer: « Lui ou moi, y en a qui doit fader l'autre », Hirsch, Le Tigre, p. 312.

Garnafle, ferme (Vidocq), survit sous la forme gorinfle, masure de campagne (Hayard): « C'est un vieux... y vit seul dans une gorinfle », Itosny, Rues, p. 163.

Gau, pou (1628), est encore usuel: « Pire que des gaus sur un macchabée », Rosny, Hues, p. 151. De même dans les parlers provinciaux : gau, pou, dans les Vosges (Atlas linguistique).

Gourer, tromper, avec ce sens déjà dans les Ballades en jargon de Villon, passa dans la langue vulgaire dès le xviue siècle : « Arlequin gouré » est le titre d'une pièce jouée à la foire Saint-Laurent en 1750. Au xixe siècle, son emploi devint général dân' le bas-langage : « Gourer, trompsr, duper, attraper: 11 s'est laissé gourer » (d'Hautel). De là, les protestations des grammairiens :

Gourer, pour tromper, n'est pas français. On dit cependant goureur... -^- Michel, 1807.

Gourer. H m'a gouré, pour dire il m'a trompé. Expression vicieuse. — Molard, 1811.

Gourer, pour tromper, est un barbarisme. C'est se gourer soi-même que d'employer ce mot. — Desgranges, 1821.

1. Parfois amplifié en crocmole : t Je m'étais enfilé pas mai de croquemole et de pive dans le col » (H. Brissac, p. 41). La finale est d'origine jargonnesque : cf. largemole, largeur, dans le mourmé do la Haute-Savoie, et andrimola, mère, dans le fourbesque du xv siècle (Pulci). .

2. Voir nos Sources de'l'Argot Ancien, t. I, p. 218.


518 APPENDICES

Ces protestations témoignent de l'expansion du mot dans la langue parlée du premier quart du xixc siècle.

En français, gourer a restreint dès le xvme siècle son sens, s'appliquant spécialement aux pharmaciens : falsifier des drogues. Bescherelle donne, en outre, comme figuré et populaire, l'acception de tromper (« se laisser gourer »).

Jacter, parler: « On/'actera ailleurs... l'as j acte comma une gourde », Ilosny, /tues, p.'163 et 250. Mot devenu populaire: « Fort bien, lu nous jades ça en douce », Almanach du Père Peinard, 1896, p. 32.

Palpitant, coeur (1725), mot créé par Granval, aujourd'hui d'un usage fréquent. On le lit dans Richepin (Gueux, p. 190), chez Jehan Rictus (Doléances, p. 50) et ailleurs : <( Kt je tape pas pour amuser les mômes. Ça sera en plein palpitant, ma belle », Ilosny, Marthe, p. 6.

Papelard, papier (1833), aujourd'hui journal : « La spécialité des camelots de la rue est le papelard, c'est-à-dire le papier sous toutes ses formes : canards, journaux, livraisons illustrées, listes de tirages, etc. » (Coffignon, p. 111). — « Y sont mieux organisés, t'as qu'à lire le papelard », Ilosny, Rues,.p. 303. Le sens initial se retrouve dans les parlers provinciaux: Lyon,' papelard, papier (Vachel).

Paumer, prendre, attraper : « Est-il possible que nous soyons assez gourdes, pour nous, laisser paumer au boniment? » Père Peinard, 5 oct. 1890. — «,Y sont facilement paumés », ftosny, Hues, p. 302.

Piôlé, boisson : « Trop souvent le défaut de piôlc s'accompagne du manque de croustille », Almanach du Père Peinard, 1897, p. (5.

Plan, forme réduite de plant, cachot (dans les Hullades en jargon de Villon), au sens de Mont-de-piété, dès le xvinc siècle (cf. clou, prison et Mont-de-piélé) : « Mettre au plan, au lieu de potier en .gage, n'est pas français », déclare Desgranges en 1821. Avec ce sens, déjà dans le poissard (Les Porcherons, 1773, p. 182) :

Oui, je parle qu'aile a mis on plan, Son crucifix et son coulant l.

Plombe, heure: « Un soir,... il pouvait ôlrc huit plombes,.. », Almanach du Père Peinard, 1894, p. -il.

Pâlichon, prêtre : « Tous les ratichons du monde ne peuvent lion contre la vérité », Almanach du Père Peinard. 1891, p. 2.

Rouscailler, faire l'acte vénerie nj mener une vie libertine, proprement parler fort (cf. conversation criminelle), aujourd'hui réclamer violemment (synonyme de rouspéter). Le sens libre est attesté dans le jargon dès 1628 (le synonyme enterver réunit les deux sens) 2:

1. Coûtant, bijou populaire appela coiiiinunômcnt croir de Jeannette.

2. Voir nos Sources, t. II, p. 337.


COUP D'OEIL EN ARRIÈRE 519

« Elle reçut encore une danse... Il l'empêcherait bien de rouscailler, lorsqu'il devrait lui casser les pattes », Zola, Assommoir,, p. 469.

Le mot a pénétré dans les parlers provinciaux: Mayenne, liressc, etc.

Surùine, police (Vidocq), avec le dérivé surbin, policier (ce dernier inconnu au jargon): « Dimanche je fus arrêté par un de la surbine... Je me rebiffe, parbleu 1 cinq ou six surbins me sautent dessus », Père Peinard, 16 août 1891.

Nous avons déjà fait ressortir les problèmes qui se posent parfois sur l'attribution première de ces vocables. Ce doute disparait pourtant lorsqu'il s'agit de termes d'origine franchement jargonnesque comme le suivant qui accuse un cachet particulier:

Chanter on faire chanter quelqu'un, expression donnée par Vidocq, mais qu'on J-it auparavant chez d'Hautel : « Faire chanter quelqu'un, locution burlesque qui signifie soutirer, rançonner quelqu'un; lui faire payer par ruse ou par force une chose qu'il ne devait pas ». . Ht cependant, l'expression n'en est pas moins d'origine jargonnesque. Elle remonte à la notion de faire des aveux, en parlant d'un criminel mis a la torture : « Il le faut faire chanter, c'est-à-dire il faut qu'il parie ou qu'il confesse » (Oudin, 1G40), et, en dernier lieu, ,à celle de « parler » que chanter a déjà dans les Ballades en jargon de Villon:

Coquillnrs, amans à Iluol, Monys vous chante que gardez Que n'y laissez et corps et. pel.

Celle notion primordiale est commune à tous les argots romans et même au jargon anglais, dont,le nom de cant en est lui-même un souvenir *. *

Les dérivés maître chanteur et chantage se lisent tout d'abord chez Vidocq, et Bescherclle les donne, en 1845, dans son Supplément (chantage a passé, dans le Dictionnaire de VAcadémie de 1878).

2. — Pronoms personnels.

Iticn ne saurait mieux accuser la grande influence du jargon sur le bas-langage que la généralisation dans ce dernier des déformalions pronominales propres à l'argot ancien. Les voici dans leur ordre chronologique :

Mcziguc, mézigo, moi (1028), clans Hiclus, Soliloques, p. 43: « Mais le pus grand nombre... l'est comme mèziguc... ». La variante mézigo se lit dans limant {/tue, t. H, p. 67).

i. Voir noliv Argot Ancien, |>. OS-GO.


520 APPENDICES

Monière, mognère, moi, longnère, toi, calqué sur mézière, tczicre, etc. (1628) : « Que que vous jactez core sur mon guère ? » (cité dans Bruant, Dicl., p. 321). La forme (ouguère est dans Jehan Rictus (Coeur, p. 150), à côté de'maniasse ou mogniasse, moi, togniasse, toi, songniasse, lui (Bruant, /fus, t. Il, p. 71): « Y a pas deux comme mon g niasse au mille ».

Monorgue, moi (répondant aufourbesque monarca), tonorgue, loi, sonorgue, lui, /e»r orgue, eux : « La flotte (« l'eau ») est pour /eio' or^ue aussi », Rosny, /lues, p. 2-io. —: « La fin du monde après monorgue... », Bruant, Rue, t. Il, p. 72.

Les finales déformatives — nière ou gnière et orgue — sont devenues à leur tour des noms au sens d' « individu », de « personne », d' « homme ». Les deux se trouvent déjà dans Vidocq (1837) et elles sont encore vivaces ' : « Acre! dit Gobiche, vlà des nions... Le gnière a décarré*... c'était dans l'autre rue », Rosny, Rues, p. 74 • et 324. — « Celui qui mangera sur l'orgue, y peut commander les croqueinorts, il est refroidi d'avance », Idem, p. 179.

De même, gniasse, abstrait de montasse ou soniasse, moi ou lui: « N'ayez plus qu'à vous barbouiller \c gniasse, le torse et les pattes », Richcpiiij Truandaille, p. 71. — Raoul Ponchon (dans Bruant, DicL, p. 204): « C'est un tas de sales guiasses... »

Le plus ancien de ces suffixes d'altération pronominale est an qu'on lit fréquemment dans les IJallades de Villon (vostre an, voz ans, etc.) et qu'on retrouve dans le Jargon de 1628 (monan) jusquà Vidocq; Bouchet seul transcrit han et cette variante (donnée par une source secondaire) a souvent induit en erreur 2.

1. Cf. Victor Hugo, Misérables, 1. VII, ch. n : « Pour eux [les malfjiteurs] l'idée de l'homme ne se sépare pas de l'idée de l'ombre. La nuit se dit la sorgue; l'homme, l'orgue. L'homme est un dérivé de la nuit ».

Cet orgue est tout simplement la finale moderne, abstraite du pronom argotique, qui n'a rien de commun avec l'ombre ni avec la nuit.

2. M. Dauzat y voit l'allemand Hahn : t L'expression j'ai parlé à son han, j'ai parlé à lui (Bouchet) ne signifierait-elle pas à l'origine j'ai chanté à sou coq, ce qui représente l'allont. Hahn? » Hevue de philologie française, t. XXV (1911), p. 184.

Tout récemment, ce mémo suffixe a suggéré à M. Gasfott Lsnaull (ibidem, t. XXVIII, 1911, p. 215) ces déductions surprenantes: « Le mot liant a. en Normandie... un emploi spécial : Han = Fantôme, Révoltant... Je traduis donc mon liant, Ion liant, etc. =r Mon fantôme, Ton double-, Son spectre, noire Ame en peine, et je vois dans cette métaphore hardie... la stupéfaction du Gueux qui en croyant un autre côni, et qui le retrouve sur le trimard, plus ou moins squelettique, traînant « son cadavre »... Est-il étrange quo la croyance aux revenants soit exprimée dans le lexique dos malfaiteurs du bon vieux temps? Co qui serait « mentalité spéciale », oc serait qu'ils n'eussent pas cru les éléments du spiritisme.., »

Finalement, M. Dauzat est revenu sur ce sujet, dans ses Argots de métiers franco-provençaux, 1917, p. 42, à propos do vos ans, vous, et do men y$, moi, des Hallades en jargon de Villon : i Le premier nom est certainement an — année, vos ans ayant été pris dans le sens de « votre personne ». Le second est plus obscur : c'est peut-être un substantif verbal do iisir, avec un sens obscène ».


COUP O'OEIL EN ARRIÈRE 531

3. — Particules.

Plus curieuse encore est l'intrusion de quelques particules argotiques devenues populaires :

Gy, oui, attesté dans le jargon dès 1(328 : « Gy I ça y est !... » Couiteline, Train, p. 96.

Hein ! si qu'y reviendrait,., si qu'y reviendrait ! Tout d'un coup... gi... en sans façon...

(Hictus, Soliloques, p. 72).

Nib, rien, nib de graisse, pas d'arg.jnt; c'est nib, c'est impossible (Rictus, Soliloques, p. 62): « Nib! T'en veux pas pour un empire... »

Cette dernière particule a acquis un développement à la fois formel et sémantique :

1° Silence! c'est-à-dire rien: nib ! nibe / nibë! (DclesaUe, H.-France Itigaud : assex!).

2° Vol, envisagé comme une bagatelle (ironiquement = rien): coup de nib; faire un nib, commettre un vol adroitement (Rruant).

3° (Nibé) Affaire (Hayard), c'est-à-dire vol: « Je crois que j'ai décollé un nibé... C'est pas un nibé de gosses... Y a des nibésh faire par ici », Itosny, Rues, p. 163, 165 et 301.

4° Affaire, chose, chosette : faire le petit nibé, faire l'amour (Bruant) ;'

5° (Niber) Regarder * : « Nibe la gonzesset regarde la femme, dans le jargon des rôdeurs de barrière » (Itigaud).

Voilà les différents aspects de l'action du jargon sur le bas-langage de nos jours. Il faudrait y ajouter encore nombre de suffixes de la môme source qu'on a déjà relevés.

Celle influence est loin d'être épuisée; mais d'ores et déjà elle nous apparaît considérable. ïïn somme, si le parler vulgaire de notre temps diffère essentiellement de celui du premier quart du xixe siècle, c'est en grande partie au jargon qu'il eh est redevable. Celui-ci a trouvé dans le bas-langage son dernier refuge, en même temps qu'un nouvel épanouissement sous le rapport formel et sémantique.

II. — INFLUENCE SUR LES PARLERS PROVINCIAUX.

L'action du jargon sur les parlers du Nord et du Sud a été féconde

1. Les recueils d'argot (Delesallc, Bruant, H.-Franco) citent en outre : Nif, rien; nifé, assez, .et ni fer, cesser, se taire — formes suspectes comme puisôes uniquement dans Macé.


522 APPENDICES

et intense. Celte infiltration provinciale a généralement eu comme point do départ Paris et comme intermédiaires, nous l'avons déjà fait remarquer, en premier lieu, les soldats. Depuis le wallon jusqu'aux parlers des Basses-Alpes, on peut en suivre les traces. Nous l'avons fait ailleurs, et il suffira de donner ici quelques renseignements complémentaires.

Voici, à ce titre, le relevé des termes jargonnesques dans le wallon de Mons, ville de Belgique, dans la province du Ilainaut (d'après Sigart, 1870) : .

Aboulcr, venir, accourir (sens parisien) *i

Auber, argent, écus: « C'est eine commère qu'a brament des aubers » (sens parisien).

Evoques, argent: « Il a brament des broqttcs » (sens parisien).

Cambrôw.hc, fille do moeurs faciles (Havre, cambrouse, mauvaise servante).

Camelote, avantage, bonne fortune, opération lucrative (sons induit de camelote, inareliandise volée); camelotlier, au sens de voleur, est attesté dès la fin du XYI 0 siècle: « Il y a beaucoup do mots parmy les jargons dos Gueux, Iileschcs et Camelotlicrs, lesquels sont lirez du Grec, et le tout pour le service dos compagnons qui veulent trafiquer à tout prendre », Béroalde de Vervillo, Le Palais des Curieux, 1012, p. 5i.

Capon, vaurien, mauvais sujet, souvenir dos gueux filous appelés capo)\s. Cf. Micbel (1807) : « Capon, caponner ne signifient point, comme plusieurs le croient, làcbe, faire le poltron, saigner du nez. Capon veut dire hypocrite : faire le capon; il se dit aussi ô'u? joueur fin et rusé. H est capon à ce jeu-là ». Do morne, en Anjou, camilht, gueux (c'est-à-dire, camelot) est le survivant moderne do l'ancien coesmelot, à côté du dijonnais (Iioaune), cayen, terme, injurieux analogue au vieux mot pied plat .2, répondant au caesme 3 do l'Argot; et le normand d'Yères, inarcandicr, homme qui fait tous les métiers pour vivre, pauvre hère, est lo.souvenir des gueux raarcandiers do jadis.

Caniche, prison, de mémo à Lille et dans lo Ilainaut: « Tiras al caniche (Hécart) ; dans le lias-Maine, caniche, maison (cf. inversement, hosleau, maison ot prison), à coté de caslu (castouillc, caslorinc), chambre do sûreté, violon : « mettre en castu » (I)ottin), répondant aux termes jargonnesques carruche, prison, et castu, hospice et prison.

1. Cf. Desgranges, 1812 : « Abouler, pour donner. Faute. Aboulc-nous cela est très mauvais «.

2. Bigame, Patois cl locutions du pays de lieaunc, 189 t. On y lit ailleurs armaniol, bohémien, mendiant (c'est romaniol, bohémien et trésor caché, dans Vldocql, et ces détails relatifs au Coire ; * Le Grand Coiro était un personnage fantastique très populaire à lioaune. Une fois par an, le jour de la Saint-Aubin, cet illustre seigneur faisait, monté sur son char, une entrée triomphale dans notre ville, distribuant à tous ceux qui couraient à sa rencontre, des cchau'lcs et des brioches.,. »

3. On lit coè'me, au sens do « mauvais sujet « dans lo Journal d'un informateur de police do mai 17S3 (cité dans le Journal «lo linrbior, I. VIII, p. 28J) : « Monsieur Argcnson est exlraordiuaircmcnt cauteleux, et lo Moncrif, qui est un coeme dangereux, met en usage Ions les ressorts du malhonnête homme pour servir son patron ».


COUP L'OEIL EN ARR1ÊKE b'23

Mouscaille, matière fécale (sens parisien).

Nibergue, rien, « Voz avé nibergue »; et dans la formule de refus ou do négation : « Nibergue dain lé cabusette » (rien dans la laitue pommée).

Quelpoique, rien, (se lit dans Vidocq, reste isolé).-

Zig, mauvais camarade: laid zigue. Terme d'injure. C'est là l'acception primordiale d'un mot, dont le sens fut plus tard pris en bonne part *.

Grâce au bas-langage parisien, les mots de jargon ont pénétré jusque dans le Nouveau Monde. Le parler populaire des Canadiens français en compte un nombre assez important. Voici ceux que renferme le recueil récent de Dionne - :

Abouler, payer une dette (sens parisien dont fait déjà mention Desgranges, 1S12 : « Abouler, pour donner. Faute»).

Balader, se balader, marcher en affectant un certain air d'importance.

Iioss, maître, bourgeois, patron, chef d'usine, directeur, propriétaire.

Chenu, mesquin, de qualité inférieure: « C'est chenu, cela ne vaut pas grande chose. (Emploi ironique : cf. dans la vallée d'Yères, « ah ben ! c'est chouette! c'est très mal », Dclboulle).

Ctiouclte, digne d'admiration : « Cola est chouette ».

Fouillousc, poche, escarcelle : « Va chercher mes ciseaux dans le sac aux fouillouscs ». (Terme parisien donné en 1807, pour la Lorraine, par Michel : « Fouillousc, vieux mot hors d'usage : Il avait de beaux écus en fouillousc, en poche »).

'/Agite, bon compagnon, d'humeur accommodante : « Louis est un bon zigue, je m'accorde bien avec lui ».

Quant aux patois du Sud, il suffit d'ajouter ces quelques détails. En Provence, on appelle plaisamment lous apostos, les cinq doigts (c'est-à-dire les apôtres); Moussu Aubert lojo pas, il n'y a pas d'argent, par un jeu de mots entre le nom propre Aubert, Albert, et son homonyme jargonnesque (aubert, argent). Des termes comme creo (crtto, cruclo), chair, viande (en jargon crie), sont connus dans les Alpes. On sait d'ailleurs que de nombreux vocables de celte origine se trouvent jusque dans les Hautes-Alpes, dans la commune de Montinorin.

Le parler spécial des moissonneurs do celte commune est imprégné d'éléments jargonnesques, comme d'ailleurs tous les argots de métier: Argot des fondeurs de cloches de la Lorraine (mormé), argot des maçons et peigneurs de la Siusse romande (terralchu), argot des peigneurs de chanvre du Jura méridional (Ocllaud), argot des ra1.

ra1. qu'a Do', blaviit, mouchoir, a fini par désigner toute étofïe blanche (Lccomtc), et qu'à Langros, Mulson note dès 1822 le mol turne (attesté dans lo vocabulaire dos Chauffeurs do 1800) : t II est logé dais une misérable turne. Servez-vous des mots huile ou baraque •.

2. Le parler populaire des Canadiens fiançait, Québec. 19J9.


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524 * APPENDICES

moneurs savoyards (faria), argot des maçons et tailleurs de pierre de Morzine (ménédigne), de Samoëns (mourmé) et de la Tarentaise (terralsu), etc. '

L'influence exercée par le jargon sur les différents courants, linguistiques a été, on le voit, très importante. Lorsque les sources multiples du français — parisien, provincial, romand et d'outre-mer — seront en nombre suffisant, celte action jargonnesque apparaîtra plus intense encore. De futures investigations compléteront et élargiront les contours du tableau que nous avons tâché pour la première fois d'embrasser dans son ensemble.

1. Voir, à ce sujet, les indications bibliographiques que nous ayons données ci-dessus, à la page 181.


APPENDICE H

ERREURS ET FANTAISIES ARGOTIQUES

Les dictionnaires d'argot sont encombrés d'erreurs et de fantaisies. Commençons par celles qu'on lit dans le lexique de Macé (1889), en les groupant sous les rubriques suivantes :

COQUILLES: Calbonde, chandelle (pour calbombe); entafle, église (pour entîffc) > flamand, ami (pour fanandel); louzc, cuiller (pour louche); sabir, bois (pour sabre) ; ventouse, fenêtre (pour venterne). J

EPITIIÈTKS : Affamée, bourbe; baiseuses, lèvres; boitard, temps; brillard, pièce «le dix francs; chahutant, lit; coureuse, plume; criarde, lime, scie, serrure; curieuse, préfecture de police ; discrets, rideaux ; emoucheur et epafeur. revolver ; gaillardes, joues ; griffante et griffonnante, plume; grillante, cigarette; gueusard, rideaux; impénétrable et indompté, coffre-fort; indiscrète et insipide, fenêtre; moqueuse, serrure; palpeur, juge, prenante, main; récalcitrant, coflïe-fort; redoutable, Dieu; sévère, propriétaire; siante, chaise; tàleuse, fausse clé; tireuse t commode; trembleur, lit; vieillot et viochard, fauteuil; volante, police.

EXPRESSIONS FANTAISISTES : Embarras, serrure ; godets, yeux ; hôtesse, morgue ; litarge, eau ; modeleur, danseur ; palanquin, hôtel meublé ; pingre, propriétaire; soubassements, pieds; tournevis, gendarme ; train et tripoli, eau-de-vie.

DÉRIVÉS SUSPECTS : Accarcuse, commode ; barbottier. canapé ; biffard, bourgeois ; bidouard, ventre ; brouillolte, nuit et lanterne ' ; brunette, nuit ; fouinctte, juge; frimassard, froid ; gueuliber, chanter; rembasle, rentier 3, vasoler, pleuvoir.

TERMES DOUTEUX: Dichet, mensonge; cesonard, cousin*; cotelard, difficile;

i. Un exemple curieux du chaos de nos dictionnaires d'argot, en ce qui concerne le jargon, c'est le mot fonfe, tabatière, unique forme donnée par Vidocq (Iranscrit foufe, fauve dans l'édition du Jargon de 1849; Voici coque ce mot est devenu dans les dernières réimpressions de Larcbey : « Fauffe, fanve, tabatière (Vidocq). On dit aussi fauve, fouffe, fauffe, fausse. Peu de mots ont été plus altérés. — Fausse, tabatière (Habasse) ».

2. Delesallc et Bruant donnent brûlotte avec ce dernier sens.

3. U'est-à-dire rcnd^batles, pour « rentier ». Voici le passage: « Ce sont ses prenantes qui ont ébasi la rambasle » (Macé, Musée criminel, dialogue à la Morgue entre trois mineurs criminels).

4. Delcsallo : cesonard (Bruant : cosenard).


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526 APPENDICES

digclette, bague 1; dombeur, pince; jaugnard, or; pingler, arrêter, et pinglcur, doigt ; vilqucls, rideaux 2.

Il faul y ajouter les vocables que nous avons cités ailleurs 3, ainsi que les suivants appartenant en propre aux autres dictionnaires d'argot et tout particulièrement à Delesalle et à Bruant (ainsi qu'à Hector France) :

COQUILLES : Ferlandier, bandit (= fcrlampier) ; flaubcrl, occasion, jeu, travail (=3 flambeau?); flouser, puer-(= schpuserl); flochcr, (lâcher, plaisanter (= flancher) ; fouillotter, sentir mauvais (= trouillotcr) ; friques, vieux vêtements, à côté de froques (= frusques) ; louche, police (= lotisse), et louchonnc, lune (= louchante) ; paleron, pied (= paturon) ; rapiolc, prostituée (= rupiolc) ; ringre, pain (= gringue) ; roue, juge d'instruction (— rouin) ; roupiner, voler (= goupiner) ; saoullc, vaurien (= saboulc);- sourdochc, lanterne (= sourdolle, potence) ; trucsin, maison do prostituée (= boeson).

EPITHÈTES : Battante, cloche, sonnette; clair, oeil; étamë, récidiviste; faibtochc, allumette en bois ; fendante, porte ; gobeuse, bouche ; imberbe, vierge; incurable, condamné à mort; ingrat (être), ne pas savoir voler; inutile, notaire; ondoycuse, cuvette; ramassé, condamné ; reniflant et renifloir, nez; sét ieux, médecin; tortillante, vigne; soutirantes, bottes; tendeusc, araignée; vagabonde, araignée; vigoureuse, locomotive; volante, plume, dépêche; voltigeante, plume, poussière.

TEIIMES FANTAISISTES: Fente, bouche; fleuron, mensonge; fusain, prêtre; foualaison, canne ; guignon, juge; grippe, signe de reconnaissance, do ralliement ; jarretière, chaîne de montre ; jeu, assassinat; opérateur, bourreau (et opérer, guillotiner/; pique-escouanne, boucle d'oreille; paniquer (w), avoir peur ! ; piquet, juge de paix ; piquette, fourchette; rebucher, renvoyer; rebuter, excuser; retrousser, recevoir; réverbère, cerveau ; sacagné, sacoche et canif de pickpocket pour les couper (= sac à niais) ; teinte de bois, vagabond; vergogne, colère; vermicelles, veines.

MOTS DOUTEUX (dans Delvau, Rigaud, Delesalle, etc.): liacreusc, poche, bastimage, travail ; bouffclcr, bavarder : chilome, museau ; croche, main ; faflard, passeport; faitrè, perdu"; fondrière, poche; fouillonnc, cassé; fournion, vermine ; franguetlicr, tricheur; friauche, condamné à mort qui s'est pourvu en cassation " ; gallibàlon, vacarme, rixe ; gerbiercs, fausses clefs ; gilquin, coup de poing ; iffle, syphilis ; matatane, salle de police ; surtaille, sûreté, police ; tromboller, aimer.

1. Bruant cite à l'appui des vers do Léon de Bercy. Ce dernier a souvent puisé dans Macé : voir, dans Bruant, les mots 1 bouche • (boccabelle), « difficile • (colelard), « inori » (croni), etc.

2. Remarquons que plusieurs des termes factices de Macé — tête à chagrin, revolver ; colifichet et dentelle, pain, etc.,— n'ont été accueillis par aucun de nos lexicographes.

3. Sources de l'Argot ancien, t. II, p. J5-51 et 14-75 (ta très gramlo partie do ces derniers remontent au lexique de Macé).

i. On lit ce prétendu vocable d'argot dans les Mémoires d'un forçat de 1828. 8. Acception donnée par Rigaud (« sous le coup d'une condamnation t, Delesalle). 6, Sers donné par Delvau (c assassin •, r,archoy, Suppl.).


ERREURS ET FANTAISIES ARGOTIQUES 527

Ce n'est pas tout.

Pour Certains écrivains l'argot des voleurs est devenu un doinaine ouvert à toutes les fantaisies. Ils rivalisent avec.les lexicographes, qui, d'ailleurs, s'empressent d'accueillir leurs élucubrations comme autant de données positives.

C'est ainsi que, dans Les Monstres de Paris (1880) de Pierre Mahalin, on lit que chinoise»' jaspin signifie parler argot (peut-être pour jaspiner chinois) et cette trouvaille a été consignée dans Itigaud.

D'autre part, dans Les Microbes humains (1886) de Louise Michel, deux apaches qui assistent à une exécution, échangent leurs impressions dans un argot du pays d'Utopie (p. 02) :

— Quoi qu'il a dcfloquê • le camaro qu'on defreluque ? *

— J'en sais rien, y parait que c'était un gros rondard 3.

Les Sco'ets de Paris d'Edmond Lepelletier surtout abondent en pareilles mystifications qu'Hector France et Bruant ont accueillies dans leurs dictionnaires. Voici quelques extraits :

Là-dessus, Touzart, qui n'est pas nière, n'a pas entendu qu'on gueule trop fort au charpentier...

G'est-adire qu'on appelle la police. Or, cette dernière expression est inexistante ; la seule réelle est crier au charron, crier au secours (Ilossignol, Hayart), c'est-à-dire crier au voleur.

La variante que cite Micé dans son Musée criminel (p. liO: « Il n'est pas le temps de chanter au charpentier... »), n'est pas moins suspecte, et, naturellement, on la lit aussi chez Lepelletier *.

Non moins factice est une autre expression dans le passage suivant du même romancier:

La bataille allait prendre une tournure plus sérieuse, carNib avait dit à voix basse... Escarpe; à (a capatrat, vieux liasses! (Tapez à la tète, vieux frères).

Cette interprétation est absolument fantaisiste: il s'agit de la location escarper à la Capahult assassiner sou complice (à lu manière de Capahul, fameux brigand de la bande des Chauffeurs), nom que Lepelletier a transforma eu capatrat, en lui attribuant le sens de « téle », forme et acception également inexistantes, qui ont néanmoins passé dans le recueil de Hector France, d'où Uruant a induit à son tour un équivalent: « Tète... capatrat 5 ».

1. « Qui a-t-il tué lo camarado » (uolc de Louise Michel).

2. i Qu'on abîme » (/</.).

3. « Un riche » (M.).

■i. Voir lo Dictionnaire d'Hector France, V clvinler.

!>. Tout aussi fantaisiste est l'appellation do perruquier de la sérieuse, au sens do bourreau, du même Lepelletier (voy. II.-France).


APPENDICE I

ARGOT DES TRANCHÉES

Au début de l'année 1915, je me trouvais dans une situation analogue à celle que décrit notre cher maître François Rabelais au Prologue de son Tiers livre.

Jadis, en Grèce, du temps de Diogène le Cynique, Corinlhe étant menacée par Philippe, les habitants déployèrent un zèle extraordinaire, en travaillant aux fortifications et défenses, en nettoyant, apprêtant et aiguisant toutes les sortes d'armes possibles. Pour ne pas être seul « ocicux entre ce peuple tant fervent et occupé », le philosophe s'en prit à son tonneau qu'il fit rouler de cent -manières.

Kn une semblable occurence, du temps de Rabelais, la Champagne étant envahie par Charles-Quint en 1541, Maître François — « considérant partout en ce très noble Royaulmede France, de çà, de là les mons, un chascun aujourd'huy soy iuslanlement exercer et travailler, part à la fortification de sa patrie et la défendre, part au rcpoulsement des ennemis et les offendre » — se mit à remuer son « tonneau diogenic », afin d'en tirer, pour l'inspiration de ses compatriotes, le vin généreux de son Tiers livre (1546). .

De mémci en août 1914, le pays tout entier s'était levé comme un seul homme contre l'ennemi envahisseur et brutal. Pendant que la jeunesse et les hommes mûrs étaient accourus à la frontière, ceux de l'arrière, les hommes de cinquante ans passés (dont j'étais), s'efforçaient de se rendre socialement utiles.

Faute d'un concours actif que m'interdisait l'état de mes yeux, et pour ne pas rester seul oisif au milieu de l'agitation générale, je voulus moi aussi rouler mon tonneau l diogénique... ou plutôt philologique.

\. Un tonneau aurait certes été fort commode dans Paris bombardé par les gothas et le super-canon. A chaque alerte, nous descendions à la cave, emportant la caisse do manuscrits, parmi lesquels- la copie du présent ouvrage. Et lorsqu'aux jours sombres do l'été 1917, nous avons cherché un refuge à Aix-les-Bains, la précieuse caisse nous y a accompagnés. En septembre, le train qui nous ramena à Paris, prit.feu, mais on put une fois do plus sauver les manuscrits, qui échappèrent ainsi au bombardement, à l'incendie, aux aléas des déplacements. Ilabent sua fala libella


ARGOT I>ES TRANCHÉES 529

Je venais de mettre la.dernière main au présent ouvrage, lorsque mon attention fut attirée par le renouveau de la langue populaire et l'intérêt qu'elle suscitait dans tous les milieux pendant ces moments tragiques.

Des millions de combattants, venus de tous les coins de la France, de la métropole, des provinces et des colonies, vivaient en commun depuis des mois dans les tranchées. Ces masses d'individus étaient animés de la môme pensée et parlaient la même langue populaire, celle de Paris ou celle des provinces. Des échanges s'ensuivirent, des modilicalions ou des nouveautés se firent jour. C'était une occasion unique pour surprendre sur le vif le processus des transformations linguistiques. J'ai essayé de le faire.

Les journaux parisiens étaient remplis de scènes de la yie pénible des tranchées ', mais aussi et surtout de l'inaltérable bonne humeur de nos poilus (le nom commençait à se répandre), dont témoignaient les nombreuses lettres arrivées du front et souvent écritesen langue populaire.

Ce furent ces lettres qui me fournirent la matière d'un premier article « La Langue et la grande Guerre », que le Temps du 29 mars 1915 inséra sous le titre modifié : L'Argot des Tranchées. Cet article appella l'attention des littérateurs, des philologues, des historiens 2 sur un sujet d'actualité s'il en fut; de plus, il intéressa vivement les peilus eux-mêmes qui s'empressèrent d'adresser à l'auteur nombre de renseignements complémentaires et maints journaux du front.

Ces nouveaux matériaux donnèrent lieu à un deuxième article mieux documenté et plus riche en idées générales. J'y donnais en moine temps un aperçu des éléments constitutifs de ce langage populaire.

Les deux articles, accompagnés des matériaux qui en furent le point de départ, et pourvus d'un glossaire-index, formèrent le petit volume.paru en 1915 chez de Hoccard sous ce titre: L'Argot des Tranchées d'après les Lettres de Poilus et les Journaux du Front. C'était le premier jalon tracé dans une voie où allaient s'engager nombre d'amateurs etd'érudits.

Plusieurs publications similaires se sont depuis fait jour, parmi lesquelles il suffira de citer les deux dernières en date:

Albert Dauzat, L'Argot de la guerre, d'après une enquête auprès des officiers cl des soldais, Paris 1918 (295 pages)

1. Consultez l'ouvrage intéressant de Jean Vie, La Littérature de Gueire. Manuel méthodique et critique des publications de langue française (août 1914 — août 19IG), Paris, 1918, p. 253 : La vie de tranchée.'

2. Voir tes communications faites au Temps, do fin mars 1915, par M. Georges Gourtolino propos de crapouillot) et de M. Ant. Thomas (à propos de chandail). M. Gcor'fjs Lenotro y a ultérieurement envisagé le sujet dans un article intitula • Le Littré des Poilus » {Le Temps du 29 oct. 1917).


530 . APPENDICES

Le volume de M. Dauzat est très curieux. L'auteur s'y attache exclusivement h l'information orale. 11 y affiche un mépris par trop exagéré poui' la documentation écrite. Pourtant, une oeuvre comme Le Feu de Barbusse vaut, môme au point de vue linguistique, au moins autant qu'une enquête auprès des officiers. Encore ce procédé serait-il de mise s'il s'agissait uniquement d'-dvaluer le degré d'expansion de ces termes spéciaux, tache d'ailleurs malaisée et complexe en raison de la valeur transitoire de ces vocables et de leur variabilité d'un régiment à l'autre; mais pour en fixer la date d'introduction, la méthode suivie par l'auteur nous paraît décevante. Etant donné la fragilité de la mémoire humaine, le témoignage oral reste toujours sujet a caution; tout au plus pourrait-il être invoqué comme ressource subsidiaire, à côté du document écrit, seul décisif en celte matière.

Nous possédons une vingtaine de recueils de parisianismes, qui vont de 1800 à 1910, c'est-à-dire presque jusqu'à la veille de la grande Guerre. Or, tout ce qui manquait à ces recueils, je l'ai considéré comme récent dans la bouche de nos Poilus, et, en tout état de cause, c'est à eux qu'on en doit la mise en relief et l'expansion.

D'ailleurs, M. Dauzat n'oppose à mon critère chronologique que les affirmations sur parole de X> d'Y, de Z, affirmations qui, comme les siennes, n'ont et ne peuvent avoir qu'une valeur aléatoire. Et la preuve? la voici.

M. Dauzat, ayant dépouillé les missives de ses 19o correspondants, a élaboré aux pages 241 à 389, un vocabulaire, qu'étant donné les conditions méticuleuses de sa mise en oeuvre, on pourrait croire irréprochable. L'auteur y a rigoureusement distingué les parisianismes courants d'avant-guerre (ils y sont pourvus d'un astérisque) des mots nouveaux de guerre ou prétendus tels. Or la moitié presque de ces termes, confrontés avec nos documents écrits, se révèlent comme des parisianismes bien et dûment attestés auparavant, dix, vingt, trente ans cl plus. Il serait trop long d'en faire ici le bilan complet; les exemples suivants suffiront :

Double, sergent-major; piston, capitaine, et zèbre, cheval, donnés comme « mots nouveaux de guerre » se lisent dans la Langue verte du troupier de Léon «Merlin (188S) ; cure-dents, baïonnette, à côté de cadouitle, bâton, et de chetouille, blennorhagie ', se rencontrent déjà dans le Dictionnaire de Bruant (1901), et singe, viande de conserve, dans celui d'Hector France (1898).

Si, d'autre part, on défalque-de ce vocabulaire les termes algériens, tous antérieurs à la guerre, à l'exception de cagna, qui précisément, comme on le verra, n'a rien de commun avec l'Orient ; les

t. Tous ces termes manquent avec raison au recueil cité ci-dessous de Oaslon Ksnault.


AUGOï DES TKANCHËES 531

quelques provincialisme:* récents (déjà relevés dans mon opuscule) et les appellations facétieuses, toutes connues depuis les deux premières années de la Guerre, que reste-t-il en dernier lieu? Une douzaine de curiosités éphémères, empruntées à l'argot de l'armée de Salonique et a celui des prisonniers dans les camps d'Allemagne, vocables mort-nés et déjà oubliés. *

En définitive, et pour méritoire qu'elle soit, celte enquête de M. Dauzat n'a rien ajouté d'essentiel aux connaissances déjà acquises sur l'argot des tranchées ; elle a par contre multiplié les chances d'erreurs en ce qui concerne la date d'emploi de ces termes spéciaux, a cause de l'absolue confiance de l'auteur dans les dires de ses correspondants.

Gaston Ksnault, Le Poilu tel qu'il se, parle. Dictionnaire des termes populaires récents et neufs, employés aux armées en 1914-1918, étudiés dans leur élymologie, leur développement et leur usage, Paris, 1919 (G03 pages).

C'est le plus copieux des recueils parus jusqu'à ce jour, très fouillé et digne d'attention. Une riche nomenclature, presque exclusivement spéciale aux tranchées, y est amplement documentée et commentée. M. Ksnault a utilisé à la fois l'information orale et le document écrit, en les contrôlant mutuellement. Cet excellent procédé, pratiqué d'un bout à l'autre de son livre, lui a fourni des résultats qu'on peut considérer comme acquis. Une comparaison de ce recueil avec le précédent fera manifestement ressortir les excessives superfluités (parisianismes courants), les nombreuses lacunes (vocables de tranchées) et les curiosa plus ou moins fallacieux de l'Argot de la guerre de M. Dauzat.

Le volume est en outre pourvu d'une bibliographie assez complète pour nous dispenser d'autres détails 2.

Ce recueil de M. Ksnault clôt, avec la signature de l'armistice, un genre de publications occasionnelles, dont l'intérêt ira en dé1.

dé1. ost superflu d'insister sur la partie étymologique du travail do M. Dauzat. Un seul exemple suffira (p. G2). Le provincialisme barbaque, viande, adopté par les troupiers, serait le roumain bericc, mouton : t Lo mot daterait de la guerre do Crimée, époque à laquelle notre corps expéditionnaire de la Dobromlja n'avait pour toute viande que le mauvais terbec d'Orient ». Or, il s'agit en l'espèce du berrichon barbi, brebis, pourvu du suflixo aque : Ihubaque désigne la viande, dure et coriace, comme celle d'une vieille brebis, de môme que son équivalent bidoche (voy.- ci-dessus, p. 133 et 201).

2. Une mention spéciale, sous le rapport du pittoresque et de la vie, revient au volume de François Décheletle, VAnjot des l'oilus, Dictionnaire humoristique et philologique du langage des soldats de la grande guerre de lOit... Paris, 1918 (XI, 2ù8 pages). « C'est au hasard des mots — dit dans la préface M. 0. I-cnôtrc — une suite de tableaux de guerre peints avec verve et belle humeur par un soldat qui a vu la guerre sous tous ses aspects ».


533 Al'l'KNIlICKS

croissant avec la perspective de plus en plus lointaine des grands événements qui leur ont donné naissance *.

TRAITS DISTINCTIFS. — L'argot des tranchées n'est que l'aspect le plus récent de la langue populaire, parisienne ou provinciale, en usage dans les tranchées pendant les premières années de la grande Guerre (1911-1916). 11 consiste principalement en innovations formelles et sémantiques plutôt qu'en créations proprement dites, ainsi que dans la généralisation de maint vocable apporté des provinces ou des colonies. Examinons brièvement ces divers éléments.

A. Changements de sens. — La guerre a eu pour conséquence d'élargir, anoblir ou dégrader la sphère sémantique de certains mots déjà usuels, mais employés avec un sens spécial. Le nom de Boche, pour Allemand, est un des exemples les plus frappants des changements de sens que peut subir un mot, en pénétrant dans des milieux différents. Voici clans leur ordre strictement chronologique et attesté par des témoignages écrits, les diverses ambiances qu'il a traversées avant d'acquérir sa valeur ethnique actuelle :

1° Dans le monde de la galanterie, récalcitrant : « Hoche, mauvais sujet, dans l'argot des petites dames-qui le préfèrent au muche, excellent, délicieux, parfait » Delvau, Dictionnaire de la langue verte (1866). C'était là une abréviation parisienne de caboche (v. ci-dessus p. 96).

2° Dans les milieux professionnels, et spécialement chez les imprimeurs, les ouvriers typographes luxembourgeois, flamands ou alsaciens allemands, étaient désignés par têtes de boche, mot à mot tête de récalcitrant, tête dure « parce qu'ils comprennent assez difficilement (dit-on) les explications des metteurs en pages 2 ».

3° Dans les milieux ouvriers, et longtemps après la guerre de 1871 (pendant laquelle boche, encore totalement inconnu, est toujours remplacé par Prussien), on dit Boche, pour Alleman 1, par abréviation de tête de boche et par analogie avec le synonym.3 tête carrée, « Allemand ou Alsacien » (Delvau, 1866). Le Père Peinard (1890 à 1900) ignore encore absolument le nom de Boche avec ce sens 3

i. Si.la méthode qui a présidé ali choix des matériaux du lexique de M. Esnault mérite des éloges, il en va tout autrement quant aux explications étymologiques .qui accompagnent la plupart de ces vocables. Celles-ci sont parfois étranges et la terminologie de l'auteur sui-generis. Citons ces deux exemples : t C'est classe, c'est réglé, do l'arabe khelas, asse'z » (p. 1(33) et < Ploum, idiot, do l'allem, plump, grossier ».

.Or, classe, avec le sens indiqué, est une application spéciale du tonne militaire classe (voy. ci-dessus, p. U2) et ploum, abrégé d'Auverploume, Auvergnat, reflète le gascon ploum, plomb (ibit., p. 319). Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d.onc de vocables foncièrement indigènes.

2. Eugène Bjutmy, Li langue verle typographique, Paris, 1871.' — Cf. Virmaitre, v° Alboche : * Autrefois les ouvriers disaient boche pour qualifier un lourdeau >.

3. Par contre, on y.lit souvent le synonyme Alboche, Allemand, croisement d'Allemand et de (tête de) boche.


ARGOT DES TRANCHÉES 533

qu'on rencontre écrit pour la première fois dans une lettre argotique de Léon de Bercy (1890).

4° Dans les milieux militaires et populaires, dès le début de la guerre de 1914, le nom de Hoche devint Pappellalif ethnique général des Allemands, et, de sobriquet simplement ironique qu'il était avant la guerre, il fut empreint dès ce moment d'un caractère d'abomination '.

C'est ainsi que chaque milieu social a imprimé à ce nom une valeur spéciale. Individuel et professionnel tout d'abord, Boche a fini par se généraliser et se dégrader.

Un exemple contraire nous est offert par le mot : Poilu. Avant la guerre c'était l'épithète banale qu'on donnait au maie (souvent dans les milieux peu honorables):

Les poilus du quartier...

(Bruant; Route, p. 110).

Cependant, Balzac l'emploie fréquemment au sens d'intrépide, et dès 1834, dans le Père Goriot, le mentionne deux fois ; « Avez-vous eu beaucoup de gens assez poilus... pour y aller sans souffler mot? » (éd. 1843, p. 432), et « Vous êtes fort, carré, poilu, vous avez mon estime » (p. 440).

Le sens essentiel de poilu est celui de maie, c'est-à-dire homme à poils, à tous poils et à tous crins, sens qui se rattache à une croyance populaire, ancienne et universelle; sur le rapport intime entre les poils et la virilité, la force physvque.

Rabelais, à propos de Pantagruel (I. II, ch. II) : a II est né à tout le poil, il fera choses merveilleuses », et le médecin lyonnais, Laurent Joubert, dans, ses Erreurs populaires et propos vulgaires touchant la médecine (Bordeaux, 15V9, p. 30 et 47) pose ces deux questions de psychologie populaire : « S'il est vray que l'homme tondu ait moins de force ? » et « Pour.iuoy dit-on de celuy qui est brusq et vergalant qu'il est né à tout le poil? »

Ce dernier sens était encore très usuel à la veille de la guerre, qui en a fait un nom glorieux, synonyme par excellence du brave, du guerrier.

1. M. T. Suratb dans un article contradictoire {« Le mot Boche », dans la Revue Universitaire de 1915, p. 430 à 411), n'arrive à son tour à aucun résultat concluant. Il sépare arbitrairement les divers sens de boche et ne tenant aucun compte de leurs milieux successifs, il y voit autant'de vocables différents, auxquels il attribue des étymologies fantaisistes :

1° Hoche, mauvais sujet, serait altéré de moche;

2° Boche (dans c tête de boche ») serait le flamand bosch, bois, et c'est de la région bilingue du Nord que serait venue t la vieille expression francoflamande tète de boche! »

3» Boche, Allemand, est tiré d'Alboche, etc.

L'auteur n'apporte aucun témoignage sérieux : c Je n'ai d'autre preuve à invoquer, dit-il, que la notoriété publique i. Le bonhomme c Oui-dire i est une méchante autorité en matière étymologique.


534 APPENDICES

Remarquons que les termes techniques militaires qui se sont généralisés depuis la guerre, les erapouillots l et les marmites, accusent les mômes images que les crapaudeaur du xv° siècle et les « bombes en marmites » des artilleurs de Louis XIV. Et si f'anam désigne en dernier lieu Paris, c'est que depuis longtemps Panama était devenu synonyme d' « élégant », de « gandin » (l)elvau, 1860), d'où la ville des dandys, nom primitivement ironique, devenu ensuite une expression de tendresse.

Le filon 2, veine, chance, mot cher aux poilus, qui sont alors vernis 3, favorisés par le sort; bagoter*, marcher, faire des bagols, c'est-à-dire monter et décharger des bagages ; et les fouillées, vocable déjà mentionné dans les traités d*art militaire du xvue siècle où il est question, pour les camps, de latrines établies sous la fouillée 5. Ajoutons panard 6, pied, emploi spécial du français panard, cheval dont les pieds de devant sont tournés en dehors.

lî. Modifications formelles. — Le suffixe ard jouit d'une préférence marquée et se substitue à d'autres ou s'ajoute à la finale du mot : pinard, vin ordinaire, c'est pineau ; double, sergent-major, est devenu doublard, etc.

Les formes abrégées — branco, brancard; convalo, convalescence; penne, permission 7 — répondent à l'un des procédés les plus familiers au langage parisien.

A côté de vernoche, verni, on a fdocher, abrégé a]'effilocher, se débrouiller en toute circonstance s.

G. Provincialismes. — Le nom de la pipe, quenanpe (ou hnope), accuse un verbe quenauper, mâcher, répondant à l'allemand provincial (peut-être alsacien) knaupeln, mâcher du bout des dents, à l'exemple de chiquer, mâcher une chique dé tabac.

L'appellation la plus répandue pour le petit abri creusé en terre,

1. t... Le~crapouillol a l'air de courir après vous et de vous sauter dessus, et éclate dans la tranchée môme... •, Barbusse, Le Feu, p. 231.

2. t Y a des malins gars qu'ont le filon... et qui trouvent le joint pour coller quéque chose dans la voiture de la compagnie... J'en connais un qu'a deux liquettes neuves et un caneçôn », Le Feu, p. 194.

3. t Vous savez pas, dit Pépin, les gars de la 9', ils sont vernis! Une vieille les reçoit pour rien », Le Feu, p. 80.

■i. t Eile .connaît pas le danger, des fois a bagote presque en première ligne », Le Feu, p. 62.

5. Communication obligeante du Dr Paul Dorvcaux.

6. c II me fait des péniches, un peu plus tu verrais mes panards à Iravers celles-ci », Le Feu, p. 8t. •

7. c On avait nos deux paquets do pansements et les brancos nous ont encore balancé z:un », Le Feu, p. 59. — t J'irai en convalo », p. 61. — « Ma perme était pour Mont-Saint-Èloi », p. 109.

8. Cf. L'Écho des Marmites, III» année, n° 10, p. 9 : f Filochei; c'est se débrouiler dans toutes les circonstances : Trouver un lit dans une maison où l'on refuse tout le monde, couper à une revue, escamoter le matériel des voisins aux avant-postes, dégoter une bouteille de vieille mirabelle... C'est l'adaptation là plus complète du fameux système D ».


ARGOT DES TRANCHEES 535

dans les tranchées, cagna, est à coup sûr le savoyard (et suisse) cngna, cachette, proprement trou ou s'abrite les chiens. Dans l'argot militaire de la Suisse romande, un abri est désigné par gnotle l (abrégé de cagnotte), ce qui corrobore l'élymologie. Les zouaves qui sont en grande partie des provinciaux, ont emporté ce mot du terroir savoyard et l'ont porté jusqu'en extrôms Orient 2. Les autres synonymes pour « abri dans les tranchées » (en dehors des mots algériens antérieurs gourbi, guitoune et kasba) sont tous indigènes : calebasse et camigeolte 3 (Picard, carmuchotte, petit chenil), ce dernier exprimant la même notion que le franco-provençal cagna; cagibi et guignol, l'un et l'autre transportés en Algérie comme cagna.

LTn des noms de l'obus, macavoué 4, est proprement le nom provincial, berrichon ou vendéen, du « matou » (macaou 5 transcrit macau et macou) et répond exactement au synonyme gros noir 6.

Jj-ï vocable bobard, blague 7, niaiserie, répond au manceau bobard, niais (on a dit tout d'abord « propos bobard », et ensuite bobard tout court).

I). Mots des colonies. — La guitoune et le gourbi, antérieurs à la guerre (v. ci-dessus, p. 156 et 158) ont été particulièrement appliqués aux abris dans les tranchées. Casba s y désigne une demeure' analogue, et nouba, une fête, une noce (synonyme de bombe), souvenir de la musique des Turcos.

H. Termes fanUieur. — Ils abondent dans le parler des Poilus, la blagîo étant très en faveur dans les tranchées, comme jadis dans les chambrées. Ce sont habituellement des saillies individuelles ou des fantaisies éphémères. La baïonnette porte, à côté de Rosalie, les surnoms plaisants de cure-dents ou fourchette, de lire-bochè ou

t. Voir L. Granger, dans Aus Leben und Sprache des Schweilzer Soldaten, p. G9 : « Une gnotle, un abri ». t

2. On est allô jusqu'à attribuer à cagna une origine annamite : cai-nha, maison (voy. l'Intransigeant du 12 févr. 1916).

3. Voir, pour ces deux vocables, le recueil de Gaston Esnault.

-i. * Une marmite et un macacoué... Ma tête a passé, je peux dire, entre les éclats », Barbusse, Le Feu, p. 59.

5. « Hier, y avait un petit macaou qui ronronnait du côté de la 7*. Je suis sur qu'ils ont croûte ce mw:aou », Barbusse, Le L'eu, p. 203.

G. M. Ksnault a tort do mettre en doute l'existence de macavoiiet, obus, diminutif du dhlcctal macaou, matou, répondant au synonyme allemand « Kalzen, surnom des obus allemands qui passent au-dessus des tranchées » : (Delcouit). Los plaisanteries qu'il se permet à cette occasion, dans sa préface, sont loplacées (les turlupinadçs sont, hélas! habituelles à cet argotiste) et se* rapprochements étymologiques, p. 330, inadmissibles.

7. * Tout ça, c'est des bobards. On nous l'a trop fait », Barbusse, Le Feu, p. 43.

8. € Tu les vois guetter... les portes des casbas pour voir si des fois des poilus n'en sortent pas en douce », Barbusse, Le Feu, p. 123,


53G APPENDICES

tourne-boche ; le fusil y est désigné pir arbalète, lance-pierres l ou seringue, etc. 2

EXPANSION. — Les termes militaires vont vite, ceux des tranchées comme leurs aines. A peine mis en circulation, ils se répandent en dehors du pays. C'est ainsi que les vocables récents de nos poilus sont déjà devenus familiers aux soldats de la Suisse romande : « Un certain nombre de mots, en usage dans l'armée française à l'heure actuelle, ont peu à peu franchi le seuil de notre frontière. C'est ainsi que l'on dit déjà dans certains bataillons, le^'us pour le café (ou le chocolat) du matin, le cuistaud pour le cuisinier, becquc~ terd°.s clarinettes, se passer de nourriture, etc. 3 ».

Dans le langage du soldat genevois, noté récemment par Henri Mercier 4, figurent: La cuistance, la cuisine ; l'arbalète, la seringue, le fusil ; la casba, la caserne; trouver le bon filon, avoir de la chance, trouver une heureuse combinaison; être verni, avoir de la chance ; ne t'en fais pas..., ne te fais pas de soucis, ne t'énerve pas ! en écraser, dormir, etc.

Le langage militaire de la Suisse romande est ainsi imprégné d'éléments argotiques antérieurs à la grande Guerre, auxquels se sont ajoutés les vocables récents des tranchées, témoignant ainsi de leur rapide pénétration.

APERÇU COMPARATIF. — L'argot allemand des tranchées offre de curieux points de comparaison avec le nôtre 5. Ce qui frappe tout d'abord dans cet idiome récent de l'armée allemande, c'est la grande place que tiennent les engins de mort. Notre 75 y figure en tête : ils l'appellent le petit Gustave (« kurze Gustav M), nom répondant à celui de petit Français de nos coloniaux. Les soldats allemands désignent en outre nos crapouillots par lévriers (a Windhunde »), leurs projectiles venant les frapper avant qu'ils aient entendu le départ du coup.

Les obus de gros calibre, les marmites, y portent les noms de cou1.

cou1. Demain, va falloir... nettoyer ses frusques et son lance-pierres », Barbusse, Le Feu, p. 90.

2. Voir, pour d'autres détails, mon opuscule sur l'Argot des tranchées.

3. Léon Granger, dans A us Leben und Sprache des Schweilzer Soldalen, p. 70.

4. Ibidem, p. 72-73.

5. L'argot de nos poilus et celui des tranchées allemandes sont les plus importants de la guerre actuelle, tous les deux datant do la première heure et continuant la tradition militaire du passé. Une comparaison sommaire s'imposait; en voici les sources :

= Karl Bergmann, Wie der Feldgraue spricht, Giessen, 191G.

Otto Behrens, Die Fliegersprache, Stuttgard, 1916.

Otto Mausser, Deutsche Soldatensprache, Ihr Atifbau und ihro Problème, Strasbourg. 1917.

René Delcourt, Expressions d'argot allemand et autrichien, Paris, 1917 (résumé des ouvrages précédents).

Voir aussi, dans le Temps de sept. 1915 .un curieux article t L'Argot des tranchées allemandes », que nous avons mis à contribution.


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ARGOT DES TRANCIIKES 537

leuvres (« ftliivlscldeiche »), par allusion à la lenteur de la marche du projectile, la caisse à charbon (« Kohlenkasten »), la sale ùêle noire et la truie noii^e (u schwarze Sau »), l'obus dégageant, en éclatant, une épaisse fumée* noire. Les deux dernières appellations répondent à nos gros noir et macavouel (« petit matou »), à côté de sac à charbon, gros obus (Ksnault). Nos obus de 220 et de 155 y sont qualifiés gros Gottlieb et Auguste le gargouilleur (« Gurgelaugust »), h côté de li grosse lierlha, qui désigne la pièce allemande de 42 centimètres.

La balle de fusil, à cause de son bruit très particulier, y est connue sous le nom de mouche, d'abeille, de moineau, appellations familières aussi à nos poilus. « Une balle est appelée abeille de cimetière)), nous dit Y Echo des Marmites (IIIe année, n° 10, p. 10); on dit aussi abeille tout court, ou mouche, pour petit éclat d'obus (Esnaull).

La mitrailleuse, à elle seule, y possède une abondante nomenclature: Orgue de barbarie (« Drehorgel ») et casseur de cailloux (« Steinldopfer »), à côté de machine à hacher la viande (« Fleischhackmaschine »), celui-ci répondant à notre machine à coudre et moulin à café (« Kafeemiihle »).

Ce sont là des images prises sur le vif et qui s'imposent à l'attention. Aussi plusieurs de ces métaphores sont-elles communes aux soldats allemands et à nos Poilus:

Un tic-tac mat s'impose au milieu de cette mêlée de bruits. Ce son de crécelle lente est de tous les bruits do la guerre celui qui vous point le plus le coeur.

, — Le moulin à café ! Un des nôtres écoute voir: les coups sont réguliers tandis que ceux des Boches n'ont pas le même temps entre les coups ; ils font: tac... tac-tac-tac... tac... tac... tac.

— Tu te goures, fil à trous ! C'est pas la machine à découdre : c'est une motocyclette qui radine sur le chemin de l'Abri 31, tout là-bas (Barbusse, Le Feu, p. 227).

C'est les 120 longs. Ils sont sur la lisière du bois, à un kilomètre. Des baths canons, mon vieux, qui ressemblent à des lévriers gris. C'est mince ot fin du bec, ces pièces-là. T'as envie de leur dire madame. C'est pas comme le 220 qui n'est qu'une gueule, un seau à charbon, qui crache son obus de bas en haut. Ça fait du boulot, mais ça ressemble, dans les convois d'artillerie, à des culs-de-jatte sur leur petite voiture (Idem, ibidem, p. 235).

L'argot allemand appelle le Français Kalmùser (proprement rêveur, misanthrope), pendant de Boche ; ou encore Parlewuh (du français parlez-vous?) et Wulewuh (du français voulez-vous?), à côté de Ohlala (des plaintes des blessés) et Tuhlômong (du commandement : tout le monde aux créneaux!)

En somme, de part et d'autre, même tendance Ma niétaphore, à


038 APPEN'DICES

la personnification, à la facétie; mais l'importance historique et le pittoresque « l'emportent dans notre argot des tranchées.

DONNÉES COMPLÉMENTAIRES. — Hien que l'argot des tranchées ait été l'objet de recherches répétées, il s'en faut de beaucoup qu'on en ait épuisé les trouvailles. La raison en est que ces vocables spéciaux ou appellations facétieuses diffèrent en passant d'un corps d'armée à l'autre, d'une arme à l'autre.

M. Kd. Champion, l'éditeur bien connu, sous-lieutenant au 26e bataillon de chasseurs à pied, nous a fait parvenir en mars l'JIO les termes suivants comme usuels dans son bataillon (j'y ajoute des explications complémentaires) :

Bibendum, ballon observateur, proprement gros bonhomme (d'après une marque de pneumatiques très connue).

Bougnat, obus do gros calibre. Proprement bougnas, charbonnier auvergnat, appellation parallèle aux synonymes gros noir et macavouet.

Costaud, obus de gros calibre. Proprement gaillard.

Eugène, surnom du 75 : « Pour les Boches, où il y a de Y Eugène, il n'y a pas de plaisir ».

EU de fer barbelé, eau-de-vie, même sens que fd de fer ou fit tout court.

Marguerite, surnom de la mitrailleuse : « La mitrailleuse s'appelle parfois Marguerite, et la mitrailleuse boche, la Maxime ou la Danlc de chez Maxime ».

Mailloche, obus de gros calibre, proprement gros maillet.

Schwarz, artilleur boche. Cousin à Fritz 2.

Vermorcl, sorte de torpille boche: « Les Boches envoient maintenant des vcrmorels ». Nom do l'appareil-réservoir contre les gaz asphyxiants.

'/.igouilleux-ou nettoyeur: « C'est ainsi qu'on désigne presque officiellement la vague chargée de nettoyer la tranchée... » Proprement celui qui massacre un ouvrage, association d'idées apparentée à celle de bousiller 3, tuer, massacrer.

Tous ces vo'cables manquent au recueil d'Esnault, le plus complet

1. Le latin des légionnaires abondait également en images expressives : Tentorium, tente, y était remplacé par papitlionem, papillon (d'où pavillon); au lieu d'occidere, tuer, ces premiers légionnaires disaient par euphémisme allevare, proprement apaiser, soulager (comme les malfaiteurs et les apaches de nos jours). Les métaphores zoologiques —aries, cuniculus, mutculus, scorpio, tesludo — désignaient autant d'appareils et de manoeuvres du ressort militaire des sièges et des fortifications.

Voir sur l'argot des soldats romains, d'après les témoignages des historiens, des grammairiens et des glossateurs, .deux travaux récents : J.-Kempf, Romanorum sermonis caslrensis reliquix colteclx et illustratm (Supplément aux « Jahrbùcher fur klassische Philologie », 1901, p. 337 à 40)) et Heroeus, Die vomanische Soldatensprache (dans l'« Ârchiv fur lateinische Lexicographie », t. XIr, 1902, p. 25b à 280).

2. c Une fusillade intensive, furieuse, inouïe, battait les parapets do la tranchée... Fritz en met. I crâi,nt une attaque, i s'affole. Ah! ce qu'il en met! » Barbusse, Le Feu, p. 237.

3. t Si j'étais bousillé, elle pleurerait Joutes les larmes de son corps... Les shrapnells de 77, ça te démolit l'épar.le et ça te fout par terre, mais ça te bousille pas », Barbusse, LetFeu, p. 172 et 220.


ARGOT BIOS TIUNCIIKES 539

eu la matière. L'n fait, l'argot des tranchées est inépuisable, les mois usités dans un secteur restant parfois inconnus à l'autre.

Celle dispersion des centres de création verbale a fini par nuire à l'expansion des vocables de cette catégorie. Le fait que certains sont restés confinés dans un secteur unique, explique à la fois et leur durée éphémère cl leur disparition définitive *.

Dumiiî TRANSITOIRE. — Kn somme, dans cette dernière phase de la langue populaire, le vulgaire parisien côtoie les parlers provinciaux et les vocables coloniaux. La plupart des mots qui pourraient passer pour nouveaux, sont antérieurs à la guerre et ont conservé leur sens, comme godasse (forme récente de godillot), terme très répandu 2 ; d'autres ont pris une nuance plus ou moins significative : Hoche et Poilu. . -

Tout ce vocabulaire se ressent naturellement du milieu où il a pris naissance : de la, une copieuse nomenclature pour désigner les armes, les canons, les obus. Chose curieuse! Ces engins meurtriers sont représentés par des expressions plaisantes et facétieuses, témoignant ainsi une fois de plus de la belle humeur des combattants dans les tranchées.

Combien de ces vocables survivront aux événements qui leur ont donné naissance ? Une douzaine peut-être, parmi lesquels Boche et poilu, gnole et pinard, filon et verni, cagna, etc., tous mots auxquels nos poilus ont imprimé un caractère a part.

.Mais si la majeure partie de ce vocabulaire spécial est fatalement condamnée à b'oubli, on retrouvera l'argot des tranchées dans une oeuvre moins éphémère. Le Feu d'Henri Barbusse (1910) est un roman vécu, qui nous offre, avec la description réaliste de la vie pénible des poilus, une image fidèle de leurs pensées et de leur langage: « Le môme parler, fait d'un mélange d'argots d'atelier et de caserne et de patois, assaisonne de quelques néologismes, nous amalgame, comme une sauce, à la multitude compacte d'hommes qui, depuis des saisons, vide la France pour s'accumuler au Nord-Kit (p. 19) ».

Ce «Journal d'une escouade » est d'une réelle valeur littéraire et linguistique. Il transmettra aux générations futures, avec les horreurs de la gueçre, les derniers échos de l'argot des tranchées.

^. Quelques lapsus à corriger dans mon opuscule : Bobosse, pour fantabosse, fantassin : (« Quand les bobosses ont mis les voiles », quand les fantassins sont partis); bonhomme, synonyme de poilu; saucisse, ballon d'observation.

2. Aussi dans la Suisse romande : t Les souliers s'appellent des grollons, des godillots, des grolles, des ramegMj/t&des croquenols, mais le terme le plus récent et le plus spdcifiquoment'îrilli'Sï|^ist godasse. Tout fantassin qui se respecte dira qu'il met ou qu\l^nlrbnc^ses\rodasses », Léon Granger, p. 68



ADDITIONS ET CORRECTIONS

P. 38. — Giï/çi,*/or ce s... Lire: Giries, farces.

P. 47..— iprépçddêrance de la langue de Paris... Le prestige de la ' c'dpitnle et son influence sur le reste du pays et du monde sont attestés à toutes les époques. Paris jouit déjà dans les Chansons de geste d'une grande renommée comme centre idéal de la France. Voir, à ce sujet, Leonardo Olschki, Paris nach den altfranzôsischen nationalen Epen, Topographie, Stadtgeschichle und lokale Sagen, Heildclberg, 1913 (cf. ch. vin : Langage parisien, et ch. ix : Peuple parisien).

P. 49. — Donne (et p. 173)... Lire : Dionne.

P. 52. — Assommoir. Ce nom se lit, avant Zola, dans Le Sublime de Poulot (voy. ci-dessous, p. 376, note 3).

P. 79. — Dôle (et ailleurs)... Lire Dol, en Bretagne.

P. 113. — Rigolboche... Lire : rigolbocher.

P. 118. — Voici l'explication des mots contaminés cités en note :

Auverpinches, littéralement « pinces ou jambes d'Auvergnat », acception ironique. Morbec, croisement de morpion et bec; la forme morbaque a

subi l'influence de brisaque, enfant turbulent. Probloque, c'est-à-dire « proprio en bloc », propriétaire en

général. Pébroque, fusion de pé(pin) et de broc(ante), parapluie d'occasion.

P. 119. — Chapitre n... Lire : chapitre ni.

P. 172. — Bigorneau. La forme abrégée bigor désigne, à Polytechnique, l'artilleur de marine.

P. 175. — Artifice de brûlot... Voy. Abbé Maze, v° calebasse.

P. 195. — Etre à cran. Métaphore tirée plutôt des armes à feu : être à cran, c'est être prêt à faire feu, d'où la notion de « colère » et de « fâcherie ». L'image a donc passé des casernes aux ateliers de typos.

P. 236. — Engayeur... Ce nom du complice du.bonneteur signifie proprement : qui met en colère, qui fait rechigner la dupe, association d'idées analogue à celle d'arnaquer, frauder.

P. 998 et 349. — Tala, mijaurée et tante... Mot enfantin commun au langage parisien et aux parlers provinciaux -

P. 317. — Bidoche, cheval (de bois), môme acception péjorative que carne, rosse, sens propre du mot bidoche (« carne »).

P. 351. — Tili, poulet .. C'est plutôt un dérivé enfantin tiré par répétition de la finale de petit.

P.

119.

p.

172.

p.

175.

p.

195.

<^


513 ADDITIONS ET COKUECTIONS

P 357. — Bamboula. Sobriquet du tirailleur Sénégalais pendant la grande Guerre.

P. 411. — /loitsbi, synonyme de rupin. C'est une altération de rubis, chic (cf. la citation de la p. 401).

P. 478. — Parmi les poètes contemporains, Paul Verlaine use souvent de parisianismes. Notons en passant {OEuvres complètes, 1900, S vol.) :

Dans les (roquets comme en ces bourgades, J'avais rôdé...

(l'o'emes saturnins, t. II, p. 262^.

Totirblair flaire, âpre et subtil, Et l'étamine et le pistil.

(L'Impénitent, t. II, p. 204).

Moi, de ne plus venir ni jeudi ni dimanche,

Tiens, au fait, do ne plus venir du tout, bath /tanche !

(Dans les Limbes, t. III, p. 51)-

Tes boniments toujours les mêmes.

(Ibidem, p. 34).

0 rouspétance Détestable. Ne réponds pas et fais le mort.

(Ibidem, p. 33).

Cognes et flics...

(Invectives, t. III, p. 308).

La douille manque à la caserne.

(Ibidem, p. 309).

Des constatations analogues, et sur une échelle plus grande, pourraient se faire dans l'oeuvre de feu Laurent Tailhade et chez maint autre poète de celte école.

P. 481. — Voici la plus récente de ces publications : Henri Bauche, Le Langage populaire, Grammaire, Syntaxe et Dictionnaire du français tel qu'on le parle dans le peuple de Paris avec tous les termes d'argot usuels, Paris, 1920. Travail d'un amateur intelligent, d'un bon observateur. Les remarques grammaticales sont purement empiriques, mais souvent fines et originales. Le lexique donne la plupart des mots actuels du vocabulaire parisien avec des explications substantielles. En somme, livre curieux et suggestif, offrant unp image assez fidèle du langage populaire dans le premier quart du xxe siècle.


INDEX DES MOTS

Abafoinlé, 293. Abalobii, 298. Abasourdir, 305. Abat-foin, 102. Abatis, 411. Abattage, 10 i. Abattoir, 103. Abattre, 307. Abeille (« balle »), 537. Abouler, 452, i54, 520, 523. Aboyeur (« revolver »), 379. Abreuvoir à mouches, 8. [Accareuse], 525. Acciper, 438. Accouder (s'), 285. Accroche-coeurs, 102, 205. Accueillance, 109. Achetoires, 105,369. Acouler, 89. Acquc, 535. Acre, 48, 415. .Adjunèlc, 110. ;

Adju vache, 110. Administrace, 99. Adraguer, 503. Affiire (« vol »), 30G. Affaler (s'), 108. [Affamée], 423. Aflistoler, 33i. ■Affourcher (s'), 174. Affuliaux, 275. Agater, 311. Agoniser, 15. Agoua, 100, £00. Agout, 101. Agricher, 293. Aguicher, 298.

Ah! (« chic »), 459.

Aidaace, 109.

Aigrefin, 11.

Aigrette (avoir son), 271.

Aile (a bras »), 411.

Aileron, 41, 454.

Alaiser, 186.

Alboche, 112, 532.

Aile, 89.

Allumer (« payer »), 230 ; (« regur-* der »), 452, 510 ; (s1), 269.

Allumette, 269.

Allure, 290.

Amarrer, 174.

Amener (s"), 124.

Américain (oeil), 21.

Aminche, 494.

Amiteux, 274.

Amocher, 104.

Amonition, 32.

Ainour (« aimable »), 121; (« chiffonnier »), 255.

Anarchisse, 92.

Anarcho, 99.

Ance, 502, 510.

Anchtibcr, 320.

Anderlique, 300.

Ange de grève, 400.

Anglais (« créancier »), 328.

Angoulème (vallée d'), 7, 420.

Auis, 382.

\nspessade, 439.

Apache, 210, 409.

Apaiser (« tuer »), 215, 414, 538.

Apéro, 99.

Aponiché, 305.

Apôtres (« doigts »), 523.

1. Nous avons mis entre crochets les mots aux sens douteux ou controuvés, et entre parenthèses, les coquilles ou transcriptions fautives.


INDKX DKS MOTS

Appareiller, 174.

Aquarium, 2CG.

Arbalète (« fusil »), 530.

Arbi, 152, 154.

Arbicot, 108.

Arbif, 95.

Arbour, C 5.

Arbre (mouler à )'), 372.

Areaaderie, 293.

Arcasse, 165.

Arche, 233.

Archisuppôt, 218.

Arganasses, 321.

Argot, -13, 240.

Argoté, 50G.

Aria, 328. [, Arislo, 08, 98.

Arismélique, 32.

Arlequins, 225.

Armoire à poils, 438.

Armone, 95.

Amacher, 275.

Arnaque, 95, 234, 541

Arnaquer, 95, 275.

Arnaud, 95.

Arnif, 95.

Arpelte, 301.

Arpion, 304.

Arposer, 94.

Arquepincer, 215, 516.

Àrrangeman, 344.

Arsaut, 95.

Arsouille, 31, 48, 76-77.

Artichaut, 99, 383.

Artiche, 99.

Arlifailles, 109.

Arliflot, 111.

Artilleur (iron.), 36. ^' Arlisse, 92.

Arton, 513-514.

As, 388.

Asnicres (faire son cours à), 7.

Assommoir, 52, 268, 541.

Astiquer, 199. V Atout, 388-389.

Attaque (d'), 370.

Altifailles, 109.

Attiger, 516.

Attignoles, 277.

Auberl, 359, 3G9, 501, 522, 5£3.

Aule, 02. \- Autor et d'achar (d'), i54. t Auverpin, ION, 483.

Auvorpiuches, 118, 5il.

Auvcrploume, 319, 483.

Avale-loul-cru, 103.

Avaloire, 052.

A vaut-scènes, 173.

Avaro, 99,

Avoine (iron.), 4*25.

Azor, J38; (appeler), 464; (« revolver »), 379.

Baba, 319.

Babouine, 294.

Babouincr (se), £94.

Bâche, 363.

liacher (se), 303. V Bachot, 179,416.

[Macreuse], 526.

Badaud, 4, 5.

Baderne, 172.

Badigoinces, 328.

Badingue, 172.

Badouillard, 167, 495.

Badouille, !67.

Badouiller, 167.

Bafouiller, 307.

ftaff(r)e, 425.

BâfTrer, 326.

Bagnole, 278.

Bagot, 329.

Bagoter, 534.

Bagolicrj 328, 466.

Bagou, 102, 147. 456.

Baguenaude, 383.% V' Bahut, 444, 448.

Bahuter, 445.

Bain de pieds (iron.^, 404.

[Baiscuses], 525.

Bajaf, 300.

Bal (iron.), 138.

Baladage, 241.

Balade, £26.

Balader (se), 225-226, 523.

Balancer, 387.

Balancine (être pris dans la), 103.

Balançoire, 387, 454.


INDEX DES MOTS

llalamlrin, 280. Balnndrinur, 2C0. Dahiisliquci', 211. Balinslringuer, 211. • Dalle (« figure »), 375; (« franc »), 452,510. Halle (froller sur la), 241 ; (l'aire sa;, 385; (enfant de la), 385, 40*. Dalle, voy. peau. Dallon (« prison »). 215. BÏllol (« niais »), 410. Ballots (« testicules »), 410. Dalochard, 28, 407. Dalocher, 280. Dalouf, 280. Palthazar, 470. Bamban, 352. Bambocher, 100, 113. Bamboula, 357, 542. Bancal (« sabre »), 138. Bannière (« chemise »), 141. I Banque, 238, 245. i- Banquiste, 107, 238. Baptême (« tôte »), 303. Baquet de science, 199. Barbaque, 107,294,531. Barbe (« ivresse »), 193, 2C9. " Barbe (la) ! 309. Barbeau, 204. Barber, 309. Barbiset, 201. Barboter, 192. [Barboltier], 525. Barca, 155. Barda, 158. Bardane, 309. Barder, 109.

Baron (« tricheur »), 233. Baroufe, 317, 500. Barrer (se), 380. Barres (avoir), 385. Basane (tailler une), 141. Bas-off, 440.

. Basset (« revolver »), 379. Bassin (« ennuyeux »), 369. Bassiner, 309. '

Basla! 101, 500. ' Baslaud, 320. [Baslimage], 520.

■■' Bastringue, 111, 113, 187-189, 2GS, 477. Basti'inguer, 30, 31. * Bataclan, 37. Bal-d'Af, 97, 119. Bateau (« large soulier»), 173, 400;

(monter uu), 179. Halh, 217, 454,542. Baliau, 192. Ihtifouiller, 114. [Bâton], 212. Bâton (tour de), 227-2Î9. BcUon de maréchal (iron.), 138. Battage, 101, 251. [Battante], 520. Battoirs (« mains »), 377. U Battre comtois, 250-251. Baucbe, 500. Bauffrée, 42i. Baume, 359. Hausse, 344. Bave (« babil »), 417. Baver (en), 303. Bavelte (tailler une), 417. Baveux, 242. Bazar, 150, 444. Bazarder, 150. Bazir, 505. Bazouge, 4C9. Béard, 109.

Bébée, 351. vy Bec (« bouche »), 412.

Bec de gaz, 212.

L-v.ane, 189.

Bécant, 102.

Bécarre, 450. *• Bêcher, 423. 1/ Bécot, 100.

Becquant, 102.

Becqueter, 148, 412, 530. V Béguin, 271.

Béguinskoff, 497.

Beigne, 425.

Beignet (« soufflet »), 425.

Beil, 291.

Ben,90.

Bénard, 119,265.

Benars, 505.

Beni-bouffe-tout, 155.

35


510

INDEX DES MOTS

Béni coco, 155.

Beni-Mouflelard, J55.

liéquant, 102.

Béquiller, 412.

Berdouille, 2SG.

Berge (« Snnée »), 510.

Bergcron, 270.

Bergossc, 304. l>

Derlaude, 278.

Bcrhuder, 285.

Bernard, 419.

Ueroars, 505, 500.

Bcrri, 310. •

Bernique, 77-78, 127. t

Ilellc'rave (« nez »), 375.

Beuglant, 102.

Beurloquin, 291.

Beurlot, £04.

Beurre (« argent »), 309, 50G.

Beurre sur la tôle (avoir du), 500507.

500507. 52, 155, 101. Bibendum, 538. Bibi, 350. Bibi, 350. Bibine, 208, 352. Bicanet, 291. Biche, 200.

Bicher, 179, 307. !

[Bichet], 525. Bichonner, 370, 477. Bicot, 155. Bidard, 120. Bide, 294. Bidoche (« viande »), 107, 135, 148,

531. Bidon, 291. Bidonner, 139. Bidosse (« cheval de bois »),317,

512. [Bidouard], 525.

[Biirardj, 525. I

Biffe, 250. ^

Biffelou, 250. t Biffin, 250.

Bigc(ois), 115, 280. Biger, GG, 291. Bigor, 541. Bigorneau, 172, 541.

Bigoler; 79. Bigre, 413.

, Bijoutier (iron.), 400. Billard (dévisser son), 307, 455. Bille (« argent »), 3G9. Binaise, 99. Bine, 28i. Binette, 375. Bingre, 218.

Bique (« rosse »), 298, 411. Bique et bouc, 277. Biribi, 149-150, 392-393. [Biscuit], 75. ,

Bisness, 457. Bisquer, 78-79, 477. Bistaud, 99, 419. Bistingo, 111. Bisloquelte, 09. Bibtot, 449. Uistouille, 280-281. Bislriugue, 111. Bistro, 111,208. Bitte, 172. Bitte el bosse, 100. Bilurc, 48, 105, 105, 100, 209. Bilurcr (se), 48,105. Bizulh, 418. Blafard, 326.

Jllaguc, 79-80, 283, 338, 454, 477. Blair, 375, 512. Blaireau, 142. Blanc (mangeur do), 200. Blase, 218. Blavin, 131, 523. Blé (« argent »), 3G8. Blcau, 410. DIéche, 501. Mesquin, 501. Blesse, 504. Bliudc; 272. Blinder, 108. Bloc, 132. Bloquer, 108, 191. Blosscs^(mes) ! 127. Blot, 452, Bloum, 350. Bobard, 535. Bobèche, 40'.'. Bobèchon, 374.


INDEX DES MOTS

J47

Bobine (« tète »), 374. 0

Bobinskoff, 497.

Bobosse, 539.

Bocard, 161, 379.

Boche, 90, 532-533, 539.

Bochon, 90.

Boeuf(adj.), 121.

Boeuf (« grande colère »), 190,195; (« ouvrier tailleur »), 407.

Bogue (euph.), 415.

Boire (« trinquer »), 428. -*

Bois au-dessus de l'oeil jard, 213.

[BoilardJ, 525. U Boite, 132, 24*, 418.

Boite à dominos, 404.

Boite aux cailloux, 335.

Bombe (« bombance »), 97, 118, 535.

Bomber, 395.

Bon (Monsieur le), 200.

Bonde, 215.

Bonhomme, 529.

Bonhomme de chemin (son petit), 121.

Bonicot, 108.

Boniment, 105, 250, 251, 252, 454, 542. t/Bonir, 100, 252. U Bonisseur, 105, 252.

Bonneteau, 233.

Bono, 152, 157, loi. '

Bordée, 100.

Boscot, 107.

Bosse (= hausse), 523.* I- Bosse, 100.

Bosser, 107.

Bossoirs, 173. t- Boiter, 199.

Boubouille, 352.

Bouc de régiment, 142. U Boucan, 12,48, 379.

Bouchon (ramasser un), 400.

Boucle, 132. «..- Boucler, 132.

Bouel, 291.

Itoudiu (faire du), 418.

Boudiné, 282.

Boudiné, 458.

Bouffarde, i52.

Bouffe-la-balle, 103.

Bouffer, 35, 48, 148, 424.

[Bouffeler], 520.

Bougie (« pièce de cinq francs »),

23G. Bougnat. 320, 538; Bougre, 365. Bouif, 198, 202. Bouillante, 135, 140. [Boujllasse], 75. [Bouillie], 75.

Bouillotte (« tète M), 75, 374. Bouis (donner le), 200. Bouisse, 50O. Boulangcmar, 491, 495. Boulanger, (remercier son), 455. Boute (« tète »), 33', 374 ; (jouer à

la), 221. Boule de son, 135. Bouleau, 185, 302. Boule-Miche, 410. Boulette, 400. Boulevardier, 105. Bouline, 240. Boulonner, 185, 302. Boulollage,104. ^-Boulot, voy. bouleau. Boulotler, 48, 148, 303, 42i. Boum I 356 Bourdin, 291. Bourgeois, 67. Bourgeron, 276. Bourguignon, 178, 408. Bourlingue, 109. Bourlinguer, 109. Bourrache, 218. Bourrichon, 374. Bourricot, 150, 100. Bourrique (« délateur »), lib ;

(« agent do police »), 213. Bourrique (tourner en), 401. Bourriquer, 410.. Bourscr (se), 139. Bousiller, 538. Uousin, 18, 108. Bousingol, 108, 495. Boussole (« tète »), 374. Bouslifaille, 114. Boustifer, Ut. Botizou, 291.


5i8

INDEX DES MOTS

Boxon, 103. Brader, 270. !/ HraisCj («argent »), 3G9. Brancards (« jambes »), 377. Branco, 534. Brèchclellc, 338. Bredindin, 10. V Brème, 258. Itrichet, 130. Brichelon, 130, 148. Briffe, 102. Briffer, 48, 118, 320. Brignol, 144. Hrigoolel, 130. [Brillard], 525. Brimade, 10 i. lirimer, 411. Brindezinguc, 117. Bringue (<c briade »), 117 ; (« morceau »), 15, 10 ; (« femme dégingandée »), 294-295.. Bringuer, 117. ltrioche, 400. Brique, 200. Briquet, 31. Brisaque, 5il. Brocante, 329. Brocanteur, 23. Broche, 2G4. Brocheton, 204. Broc(ol), 291. Uroques, 522. Brosser (se), 404. [Brouillolte], 525. Brouta, 441. Broute, 411. Brouter, 411, v Brûle-gueule, 48, 103. [Brûlollc], 525.^ [UrunelleJ, 525.

Brutal (« canou »), 138; (« pain »), 148. i

Brutitim, 444. Brutiou, 441.

Bûche (ramasser une), 400. i. •Ilùch'ir, 307,445. Bal, 359.

Burette (« tète ->), 374. Buriner, 302.

Bûmes, 280; (mes) I 127. fiurque, 350. Bus, 90. Buslingue, 111.

(Gabande), 118.

Cabaret borgne, 10.

Cabasscr, 291.

Caboche, 280.

Cabillot, 173.

Cabji, 159.

Câble, 175.

Cabochon, 90.

Caboinbe, 118.

Cabosser, 307, 307.

Cabot, 148, 159, 304, 378.

Cabotin, 378, 401, 477. '

'Caboulot, 305.

Cabriolet, 255.

Cabzir, 212.

Cachan (aller à), 420.

Cachemire d'osier, 255.

Cache misère, 103.

Cacher (« manger »), 312.

Cacique, 447.

Cadavre (« corps »), 397»398.

Cadet {« anus »), 410.

Cador, 409.

Cadouillc, 280, 530.

Cafard, 142.

Caf-conce, 97.

Cafetière (« tète), 75, 374. .

Gufiot, 100.

Cafouiller, 207.

Cagibi, 177, 535.

Gagna, 530, 535, 539.

Gagne, 378.

Cagnotte, 320.

Cahoua, 155.

Caillou (« chauve »), 401.

Caïman, 447.

Caisson (se faire sauter le), 139,

371. Calancc, 175, 19 t. ualiinclie, 494. jiilancher, 174. Jalandrincr, 200. Jalbombe, 118. Calbondo). 525.


INDEX DES MOTS

549

Calebasse (« lôle »), 374; (« abri »), L'Capon, 410, 522.

535. Calebasse (vendre la), 175-17G. Cale, 18G.

Caler, 180; (les joues), 7, 18G. - Caletcr, 171. Càleur, 175. Caliborgne, 281. Calijatte, 281, 421. Callot, 51G. Caloquet, 94. Calorgne, 281.

Calot (jeu), 2S3-23&, 291-292; (« béret »), 159; (pi. « yeux »), 370. Calotte, 442. Calouche,281. Calouquet, 94. \r- Cimaro, 99. Cambronne, 409. Cambrouche, 522. Cambrousier, 2-t7. Cambuse, 170. Camelot, 240, 522. Camelote, 522. Cainelottier, 522. Catncrluclic, 108. Camigeotle, 535. Camisards, 317. (^Camoufle, 13 i.

Campagne (aller ;i la), 395. Campluche, 108. Campos, 430, 437.

Canasson, 410. '

Cancan (« danse »), 351 ; (« commérage »), 437-438. Caneçon, 92. L Carier, 305.

Canfouinc, 280. . Caniche, 281. Canicholte, 281. Canijattc, 281. Canne, 212. Caoua, 159. Caoudji, 155, 159. Capabicté, 17. (Capalral), 527. Capel, 280. Capiol, 280. Capislun, ll<2, 148,

Capout (faire), 339.

Carabin, 329.

Carabiné, 170.

Carapatas, 115.

Carapaler, 115.

Caravane, 252.

Carcan (« rosse »), 295, 411.

Carcasse (« corps »), 397.

Cardinal (« manstrues »), 414.

Cardinal en grève (faire), 401.

Carfouiller, 278.

Caristadc, 190.

Carlo, 258.

Carme, 309.

Carne, 315-310, 500; (« rosse »),

411, 541. Caron, 359. Carotte, 148, 384. Carotter, 141, 385. Carottier, 140, 385. Carquois (iron.), 255. Carrée, 170. ^artofle, 312. Carton (de), 194. Cartouche (avaler sa), 307. ]aruchc, 522. ]asba, voy. kasba. Cascades (faire des), 461. Mascaret, 312. 3ase, 215, 303, 424. îasque, 271. v

Masquer, 192. iasquelle, 100, 477; (« ivre »), 271;

(« argent perdu au jeu »), 418, lasse-poitrine, 103, 308. !asser (« manger »), 327. lasser des cailloux, 149. !asser du sucre, 150, 420. lasser le morceau, 419. )asscrolc (« dénonciateur »), 55,

125, 313, 409. lassiue, 329. lastapiane, 280. lastclet, 252. laslu, 522. lalapullcux, 451. ialécliisse, 92. îalula, 103.


550

INDEX DES MOTS

Causette, 106. ' \s Cavalcr fsc), 135. Cayenno, 409.

Ceinture (s'en donner plein la), 270. Ceinturer, 215. (Gemaisses), 415. Censément, 105. y

Centre (« nom »), 218. Cerclier, 225. Cercler, 215.

Cerf (se déguiser en), 404. (Cesonard), 525. Ceusses, 101. Chabanais, 120. Chabicr, 310. Chabrol, 320. Chacals, 149.

V Chahut, 299. [Chahutant], 525.

V- Chahuter, 299. Chaillot*(à)! 471. Chambard, 317. Chambardement, 105, 317. Chambarder, 317. Chambe, 92. Chamberter, 317.

V Chambolcr, 300. , Chameau (iron.), 259. Champêtre (« drôle »), 306. Champignol, 360. Champoreau, 160.

ls Chand, 00.

[Chandelle], 212.

Chanstiqucr, 211.

Chantage, 488, 519. U Chanter (faire), 519.

Chanteur (maître), 519

Chapal, 107. t< Chaparder, 150.

Chapeau rouge (faire porter), 401.

Chapuser, 275, 302.

Charabia, 31, 80-81,310,477.

Charbougnas, 320.

Chardonnerets, 149.

Charibotagc, 30t.

Charibotéc, 304.

Chariboter, 304. " Charlemagne, 470.

[Charpentier], 527.

Charrier, 210/470. . Charrieur, 216.

Châsse, 4. ■'

Chasse-d'Af, 149.

Chasser, 75.

Châssis, 4.

Chat, 379.

Châtaigne (« coup »), 381.

Château-la-Pompc, 421.

Chatte, 379.

Chaudronnier (iron.), 142.

Chausser, 199,

Chaussettes, 140. ■

Chausson (vieux), 410.

Chauvin, 407.

Chéchia, 158.

Chelasse, 105,301.

Chelinguer, 112, 358.

Chelipoter, 112.

Chelor, 342.

Chemin de la vallée, 7.

Chemises (compter ses), 1G3.

Chenailler, 100.

Chenasse, 105.

Chenique, 341.

Chenof, 313.

Chenoque, 107. U Chenu, 523.

Cherrer, 319.

Che'tibes, 320.

Chetouille, voy. schtouille.

Cheulard, 105.

Choux, 91.

Chevalier du crochet, 255.

Chevalier grimpant, 210, 507

Cheveu (« souci »), 363.

Chèvre (gober la), 191, 105.

Chèvre (« rosse »), 411.

Chézeau, 208.

Chialcr, 7,49, 197.

Chibis (faire), 177. U Chic, 59, 431, 458-450,401.

Chicandard, 459.

Chicard, 459, 408.

Chichestrac, 151. « Chichi, 351.

Chicinan, 345.

Chicocandard, 459.

Chicorée, 123.


INDEX DES MOTS

551

Cliiôe, 414.

Chien (avoir du), 49, 378; (piquer un), 439; (sacré), 378.

Chien du quartier, 142, 378.

Chien dur régiment, 378.

Chier des yeux, 7.

Chiffonnier (parfait amour du), 255.

Chifrer,43G.

Chigner, 295.

Chignole, 278.

Chignon, 298.

(Chilome), 520.

Chiner, 90, 210,241.

Chineur, 240.

Chioléo, 285.

Chiper, 438.

Chipette, 281.

Chipie,'115, 477.

Chique, 177, 307, 477.

Chiqué, 450.

Chiquer (« mâcher »), 177; (« battre »), 380; (contre), 251, 380.

Chiquer dos sortes, 424.

Chisnouffc, 311.

Choc, 400.

Chocnosof, 498.

Chocolle, 250.

Cholet, 302.

Cholelte, 277, 501. t Chose, 122.

Chou, 383.

Choucarde, 281.

Chouchouter, 383.

Choucrouteman, 314, 408. > Chouette, 218, 258, 455, 459, 523'.

Choufiique, 199, 343.

Ghouia-chouia, 150.

Chouigner, 309.

Choule, 313.

Choumaque, 199, 202, 313.

Chozikoff, 497.

Christ, 415.

Christaudinos, 110.

[Chuconc], 204.

Cihige, 115.

Cihoulot, 374.

Cichnouf, 341.

Cierge, 212.

Cinahrc (piquer un), 110.

Cinglé (a très ivre »), 272.

Cinq et quatre, 422.

Cinq et trois, 422,

Cinquinlc, 89.

Cinlième, 31.

Circonférence (« conférence »), 108.

Citron (« tôle »), 374.

Citrouille (« tète »), 142, 374.

Civiliser, 17.

[Clair], 520.

Clampin, 295.

Clamser, 3c5.

Clapser, 355.

Claque, 97.

Claqucbosse, 118.

Claquedent, 330.

Claquer, 350.

Claques, 35G.

Clarinette, 139.

Classe (sociale), 12, 07.

Classe (milit.), 142 ; (c'st), 532.

Claviot, 280.

Clé (à la), 391.

Cleb, 165.

Clcbger, 155.

Clerinette, 89.

Cliché, 302.

Clique, 21.

Clique (« diarrhée »), 282.

Cliques, 350.

Cliquettes (« jambes »), 37G.

Clodoche, 408.

Clos-cul, 298.

Clou (« monUle-piété »), 133.

Cocatnbo, 291.

Cocarde (avoir sa), 271.

Cocarder (se), 271.

Coco, 348.

Cocodès, 458.

Cocon, 417.

Qocollc (« casserole »), 372.

Cocotte, 200, 295, 349.

Cocotier, 290.

CoC-me, 522.

Coeur sur le carreau (jeter du), 417.

Cofe, 92.

Cogne, 512.

Cogncgi, 159.

Coinslo, 115.


652

fNDEX DES MOTS

Coire, 522.

Col basse, 170.

Collage, lOi.

Collant? 138.

Colle, 440-441.

Collégien, 412, 477.

Collidor, 34, 92. V Colîïgnon, 120.

Colon, 97, 154.

Coloquinte (« tôle »), 374.

Comac, 318.

Comédie (iron.), 395.

Comète, 238.

Comprenelte, 106. t*

Comtois, 233, 250-251. i*

Condé, 247. U

Condico, 210. I

Condition (faire), 216.

Conduite (acheter une), 183. Voy. Grenoble.

[Conûture), 75.

Confusion (« profusion »), 108.

Connaissance («maltresse »), 121.

Connaître (là), 142.

Conséquent 323.

Consolance, 17, 109. U Consolation (iron.)/ 401.

Contravance, 99. i>

Conlrc, 233, 261. ts

Convalo, 534. . U

Copallle, 104. U Copain, 02, 439.

Copurchic, 459. -

Coquard, 348.

Coro, 96. ' " i

Cornet (« gorge-»), 377. U Cornichon, 33> 384. *v .

Coron, 277.

Coronel, 32. . Corvette, 165, 321.

Cosni, 607.

Cosaarde, 309.

Cosse, 309.

Costaud, 264-265, 368,638. \.

(Cotelard), $26.

Coteret, 212.

Cotonnade, 104.

Couôché, 302. *

Couei, 604.

Couiner, 307. -

Coule (à la), 389-390.

Couleur (à la), 389. - ' .

Couper,-238-239, 455.

Coups (faire*les cent), 399.

[Coureuse], 525.

Crabolter, 307."

Cracher (« payer »), 33> 330 ;(« bavarder »), 363.

Crachoir (tenir le), 363.

Crampser, 355.

Cran (« punition»), 138; (à), 195, 541. t- Crâne, 123, 477. *<• Crânement, 123. ^ Crâner, 123.

Crânoter, 106.

Crapouillat, 446.

Crapouillot, 634.

Crapser, 354.

Craquelin, 173.

Cravail, 94.

Crôl4l5.

Credo, 417.

Crème (iron.), 395.

Cresson (« argent »), 368.

Cfes(to) I 416'. .'

i* Crevaison, 104. ir Crevant, 105. U Crevé (petit), 458.

[Criarde], 625.

Cric, 134, 616.

Crie, 614,623. -

Criquer (se), 373. i Cristi I' 416.

Croc (« cau-de-vie »), 610. . [Croche], 620.

Crocji, 169.

Çrocmole, 616. *

Crocodile («élève étranger »), 447.

Crollo, 604.

Crompire, 342,

CroqucmHaine, 103, 477, \,CfoquôMnorl, 103.

Croquenot, 169,356,477.

Croque-poux, 400.

Croque-prune», 400.

Crosse, 280: >

Crotale, 417.


INDEX DES MOTS

553

Grôttoir, 91; v

Cube, 448. - Cuiller (« main »), 134.

Cuirasse (« 1res ivre »), 272.

Cuistance, 536.

Cuistaud, 536.

Cuit (« perdu »), 427. ^Cuild, 269.

Cul (tirer au), 141.

Culbute, 134. .

Culot, 396. . Culotte, 270.

Cupidon (iron.), 255.

Cure-dents (a baïonnette »), 530, 535.

Curieuse, 525.

Dabo, 515,

Dache, 151. '

Dalle (« monnaie »), 123, 326, 483; U* (« gorge »), 377.

Dalzar, 358.

Dame (blanche), 272.

Dandiné, 400.

Darïso (« volée de coups »), 400.

Danser (« puer »), 75.

Danseur (« dindon »), 401.

Dardolle, 316.

Dardune, 316.

Dar!ole,426.

Daron, 504.

Darrjêre,89.

Daslicoller, 339.

Dattes (des) ! 382.

Dauche, 283.

Dauder, 282.

Daudtner, 282.

Daufe (« souteneur »), 201 ; (ouph.), 410.

Dauder, 261.

Dauphin, 264.

Daùsslêre, 264, 280.

David, 110,265. .

Débequctôr, 104.

Débtoage, 104, 'Débine, 38,102, /Débiner, 38,423.

Débringué, 15,104.

Décaniller, 307,

Décarcasser (se), 104, 398.

Décarpiller, 280.

Décarrer, 176.

Décartonner, 195.

Décatir, 373.

Dèche, 287.

Déchiré (pas trop), 8.

Déclassé, 67.

Déoouliner, 287.

Décrochez-moi çà, 103, 241. *

Def, 265.

Défiler la parade, 141.

Définition (« On »f, 324.

Dégelée, 400.

Déglingue, 287.

Dégobiller, 330..

Dégommer, 87.3.

Dégoter, 61-64, 286, 386, 477.

Dégouler, 291.

Dégouliner, 287.

Dégoûtation, 105.

Dégraigner, 300.

Dégraisseur (« garçon de recette »)",

369, ■ Dégrimonner, 291. .., -

Dégringoler, 216. Déguer, 04. Dégueulasse, 105,115. Dégueulatif, 107, 115. . Dêholler, 301. Deldinek, 159. Délouffcr, 313..

Déluré, 296. '.

Demi-cercle (pincer au), 471. Demolselio, 272. Démurger, 612. Depis, 91. Déplumé, 412. Dépoitraillé, 296. Diguiller, 385. Déraper, 175. Dériper, 291. Dérive, 167. . Déroumiser, 169. Descendre (« assassiner »), 216. Descendre la garde, 144. Desfoùt, 110, 265. Desur,100. Détosse, 258.


554

INDEX DES MOTS

Dévergner, 104.

[Digelelle]. 525.

DigODiier, 285.

Digue (la), 284.

Dingo, 303.

Dinguer, 113, 303; (envoyer), 387.

Dirlingue, 3il.

[Discrets], 525.

Disque (siffler au). 180.

Dix-huil (se mettre sur son), 339 ;

(« soulier remis à neuf»), 422. Doche, 283. ' (Dombeur), 520. Donner (« dénoncer »), 415. Dos, 264. Dos fin,' 20i.' Dos vert, 20i. Dossiére, 264. Doubiard, 534.

Double (« sergent major »), 530, 534. Douille (« argent »), 97, 3G9, 512. Douilles (« cheveux »), 134, 104,

507. Douillets (« cheveux »), 507. Doulosse, 358. Doutance, 17, 109. Dragée (« balle »), 139. Drague, 105, 107. Drille, 305. Dringue, 252,281. Dringue (« redingote »), 290. Dringuelle, 344. Drisse, .277. Drive, 167. Droguer, 390 Drouille, 305. Duce, 237. Dumanet, 400, 467. Duper, 231.

Eberluer, 278. Ecafoter, 277. [Ecaillé], 204. Ecalvantrer (s'), 324. Echelle (faire monter a), 372. Eclairer, 235. l Ecopcr, 109, 428. Ecorner, 31, 330. Ecrabouiller, 330.

Ecraser (en), 530.

Ecrevisse de rempart, 142.

Ed, 95.

Edjà, 95.

Edvajil, 95.

Effaroucber, 215.

Egnaffer, 104.

Egnoler, 104.

Egrefin, 11. ; Ej, 95.

Elixir de hussard, 135.

Embarber, 170.

Embarber (s'), 193.

Embardée (faire une), 170.

Embarder, 170.

Embarguer, 170.

[Embarras], 525.

Emberlificoter, 312. V^mbôter, 34, 104.

Embistrouiller, 281, 287.

Emblème, 330.

Emboiser, 113, 331.

Emboucaner, 379.

Embrochiuer (s'), 264.

V Eméchcr (s»), 269. Emmerder, 414. Emmieller, 414. Emmislouflerj 98. Emmoutarder, 414. Emossc, 99. [Emoucheur], 525. Empaffer (s'), 354. Empapaouler (s'), 351.

^ Empiffrer (s'), 327. Empiler, 179. Empoigne (foire d'), 421. Encarrer, 177. Encharibolé, 301. Enchetiber, 320. Endormir (« tuer »), 414. Enfrayer, 373. Engalncr, 218. Engayer, 236.

Engayeur, 233, 234, 236, 541. Engruiner, 236. Engraisseur, 17.

V Engueulade, 104.

V Engueuler, 14, 104, 477. Engueuscr, 101, 220.


INDEX DES MOTS

.55

Enhasë, 5. Enholter, 301. Knquiller (s'), 102. Enquiquiner, 309. Enrhumer, 31, 414. (i^ntafle), 525. :. Entresort, 252. Enturer, 37^?. Énutile, 101. Envergner, 161. Epaslrouilla'il, 49, 115. Epastrouille*. 115. • Epatant, 49, 451, 477. Epatarouflan;, 116. Epataroufl.er, 116. Epate, 102. Epater, 115, 318. [Epatcur], 525. Epatoufler, 116. (Epauler), 398. Epiccmar, 494. 495. Epinards (aller aux), 202, 3G8. Epitonner (s'), 375. Epoilant, 40t. Kpoiler (s1), 398. Equiangle> 417. Equilatéral, 417. Equipollent, 447. Errière (en), 88, 89. Ertifice, 89. Esbasir, 513.

Esbigncr(s'), 317,455, 512. Esblihdcr, 108. Esbloquer, 108, 132. /Esbrouffe, 505, 511. Escafc, 442. Escale, 320. Escalin, 320. Escapoucher, 511, 513. Escarpolette, 455. Kscaycr, 93. Escoffior, 610, 511. Escouanne.377. Escrabouiller, 330. Esgourde, 108. Esgourne, 504. Espàtrouillant, 116. Espèce, 38. Espérer, 324.

!/ Esqûelelle, 100. Esquinter, 317, 511. Estafe, 97. Estamper, 273.

V Estalue, 34, 100. Estoffer les raaschoires, 7, Estome, 97. Estourbir, 316. Estourouiller, 311. Eslringolcr, 321. Eslront de mouche, 3. [Etamô], 526.

1/ Elernuer dans le sac, 221.

Et ta soeur ? 470. VEtre (en), 415.

Eugène, 538.

Eune, 101.

Eusses, 101.

Eustache, 119.

Evêqùe des champs (être fait), 401.

Explique, 99.

Fabriquer, 215, 415.

Faces (« accroche-coeurs »), 265 ;

(« argent »), 363. Fadârd, 454. Fader, 517. (Faflard), 526. Fagot, 212.

Fagots (de derrière les), 371. Fagzir, 212. [Faibloche], 526.

V Faignant, 93, 110, 352. (Faine), 312.

Faire, 215, 366, 415; (ne pas s'eu),

536. Faiseur, 366. Failement, 96. (Failrc), 526. Falourdo, 212. Falzar, 358. Fana, 446.

Fanal (« ventre »), 377. Funtttbosse, 118. Fantasia, 152, 160.' Faquin (« chic »), 396. Faramineux, 287-288. v Faraud, 17, 477. Farce (adj.), 123.


556

INDEX DES MOTS

Fard (piquer un), 446.

Faridon, 393. ■

Faubourien, 105, 473. ' Faucher, 239. ■-' Fauler, 100.

Fayot, 283.

Fayousse, 281.

Féebosse, 118,

Feignasse, 110.

[Fendante], 52G.

Fenêtre (mettre la tète à la), 220221.

Fenin, 310.

(Ferlandier), 52G.

Ferré à glace, 415.

Ferte (bonne/, 248.

Feuille de chou, 377.

Feuillées, 534.

Fiacre, 24.

Fiaquc, 419.

Fiasse, 110.

Ficelle, 455, 404-465. ,- Fiche, 97. , Ficher, 413. • Fiferlin, 111, 342.

Fifl, 352.

Fiflôt, 111.

Fignard, 90, 352.

Figne, 90.

Fignedé, 206.

Fignoler, 93.

Fignon, 96.

Fignot, 96.

Fil (avoir le), 33.

Fil en quatre, 538. - Fileur, 414.

Fille ( « bouteille » ), 272.

Fillette ( « demi-bouteille » ), 272.

Fille de l'air (jouer de la), 407. ' Filocher, 531.

Filon, 534, 539.

Filou, 232-233.

Fil de fer, 370.

Fiole ( « tète » ), 374. ' Fion (donner le), 81-84, 380.

Fion ( « derrière » ), 90.

Fiscal, 302.

Fish, 457. 'Fiston, 112, 331. \

(Flacher), 525,

Flacon ( « botte » ), 400.

Flageolet ( « haricot » ), 30,477.

Flageolets ( « jambes » ), 370.

(Flamand), 525. » .

Flambé ( « être » ), 33, 34, 427.

Flambeau, 253.

Flambeur, 253.

Flamboler, 253.

Flan la), 97, 483; (du), 127, 454,

Flanc (tirer au), 141.

Flanche, 93, 230, 542.

Flancher, 230, 304.

Flâne, 102.

Flanelle ( « mauvais client » ), 419,

Flanquelte (à la bonne), 34, 93, 230,

Flapi, 308.

Flasquer, 207.

(Flaubert), 520.

Flauper, 288.

Fléchard, 213.

Flèche, 213.

Flémard, 105.

Flôme, 92.

[Fleuron], 520.

Flibocheusc, 201.

Flic, 542. ' Fligadjcr, 213.

Flingot, 213.

Flipe, 90.

Flique, 213, 258.

(Flocher), 520.

Flogner, 311.

Flopée, 105,120, 288.

Floper, 288.

Flotte ( «eau » ), 331. V Flouer, 232, 477, 488. , .VFloueur, 231.

Flouman, 344.

(Flouser), 520.

Flube, 290.

Flume, 325.

Flûte! 391.

Flûtcr, 391.

l'ocard, 20i, 290.

Foigne, 513.,

Foin ( « bruit » ), 428

[Fondrière], 52G. \y Fortanchc, 494.


INDEX DES MOTS

557

Fortifes, 97.

Fouaillcr, 305.

Fouan, 428.

[Foualaison], 520.

Foucade, 278-2719. U Fouchlra, 319.

Fouchlre, 413.

Foueler ( « puer » ), 75.

(Fouinette), 525.

(Fouillonner), 526.

(Fouilloter), 52G.

Fouillouse, 523.

Foulard, 317, 477.

Foultiludc, 192. £-* Four ( « échec » ), 465.

Four (chauffer le), 209.

Fourbi, 69-71, 147, 235. '

Fourche, 210.

Fourchette ( « baïonnette » ), 535.

Fourneau, 303.

(Fournion), 520.

Foutaise, 413,

Foutimasserie, 7. U Foutre, 413.

Foulriquet, 413.

Français (pelil), 530.

Frangin, 131.

(Frangucltier), 520.

Frapc, 301.

Frapouille, 301.

Frégate, 105.

(Friauche), 520.

Fric, 309. • Fricassé (être), 427.

Frichti, 310.

Fricot, 109, 477; (« argent »), 308

Fricoter, 109, 110, 3S5, 421.

Frigousse, 110.

[Frimassard], 525. U Frime, 370. (^Frimousse, 331.

Fringale, 111, 477.

Fringue, 390.

Frio, 110, 101.

Fripe (« bonne chère ») 331; (« (ïi pouille »), 97, 241.

Friper, 211.

Fripouille, 241,301.

Fripon, 424.

Fripon de collège, 441.

(Friques), 526.

Frisbi, 115. u Frisquet, 110, 313.

Frit (être), 427.

Friture, 105.

Fritz, 538.

Fromgi, 159.

(Froques), 520.

Froltin, 134.

Frouer, 232, 236. ^ Frousse, 313, 370, 478.

Fruche. 3C0.

Fruge, 359. /-" Frusques, 526.

Fumante, 138.

Fumé (être), 427.

Fumelle, 90, 377.

Fumerons ( «jambes » ), 377.

Fumiste, 401, 447.

[Fusain], 526.

Fuseaux ( « jambes » ), 376. U Fusil ( » ventre » ), 377.

Fusiller ( « vendre à vil prix» ), 241,

Gabari (passé au), 177.

Gabegie, 305, 477.

Gadichc, 288.

Gadin, 200.

Gaffe, 400 ; (avaler sa), 307. VGaga, 350.

Gagner ( « voler » ), 306.

Gail,' 192.

[Gaillardes], 525.

(iain ( « vol » ), 300. . Galafre, 310.

Galaminer, 311.

Galapiat, 309.

Galbeux, 431.

Galéjade, 313.

Galetouze, 211, 284. .

Galette ( « argent » ), 75, 308.

Galfatre, 313.

Galibot, 277. - Gai i fard, 198,301.

Galilée (aller en), 420.

Galiolc, 179.

Galipette, 289.

Galipot, 173.


558

INDEX DES MOTS

Galipoter, 173. " Galle (princesse de), 417. Gallefreticr, 165. [Gallibàlon], 526.

Galoche ( « bouchon » ), 200, 294. Galoufe, 277. Galupe, 321. Galure, 289. Galurin, 289. . Galvaudeux, 107. Gamahucher, 392.

Gamelle (n'avoir ni quart ni), 163. Gainer, 42 i. v Gamin, 59, 338, 477. Gance, 10. Gandin ( « tromperie » ), 358;

( « dandy » ), 458. Gandoise, 308. Gandouse, 308. Gardanne, 360. Garde-mites, 139. Gargamello, 32, 331. Gargarousse, 305. Garnafle, 517. Garno, 99. Gascard, 109. Gaspard, 409. Gassouiller, 332. Gâteau ( « argent » ), 75. Galeux, 107, 477. Gau, 617. Gauche (jusqu'à la), 143; (passer

l'arme à), 143. Gausse, 332. Gaviot, 279. Gavroche, 59, 457, 409. * Gaye, 134. Gazouiller, 332. Gédéon, 460. Gëo, 446. fGcrbièrc], 620. Gerce, 410.

Germanie (aller en), 420. Gi, 621. Gibe, 325. Gicler, 301. Gifle, 327, 383. Gigal, 103. Glgler, 301.

: Gigoletle, 106, 365..

Gigolo, 365.

[Gigotmuche], 496.

Gigue, 24.

[Gilquin], 526..

Gingin, 352.

Ginginer, 352.

Ginguer, 291.

Ginguelle, 25.

Girie, 38, 541.

Giroflée à cinq feuilles, 405.

Gironde, 258.

Glaviot, 286. v '

Gloire (prêt à partir pour la), 272. »Gloria, 401.

Gluant, 410.

Gna, 93.

Gnac, 291. ^ Gnaf, 197. U Gnagnan, 352.

Gnagnard, 352.

Gniesse, 520.

Gnière, 520.

Gnif, 280.

Gniole ( « niais » ), 110 ; (« gifle »),

106; (« éraflure »), 442; ( « cau-dcvio »), 539.

Guiolerie, 105.

Gnognpt» 352.

Gnognolte, 352. v' Gnon, 00.

Gobelet (« botte »), 400.

Gobeloter, 100.

Gobe-prunes, 406. ^Gobcr, 31, 424.

Gobet, 23, 207.

[Gobeuse], 526.

Gobichonncr, 100.

Gobille, 25, 308.

Godailler, 17, 48.

Godasse, 110, 639.

Godelle, 292.

[Godets], 525.

Godiller, 164. V- Godillot, 119, 539.

Gog, 447.

Gogotte, 295.

Gogotter, 290.

Gogucnot, 130, 447.


INDEX DES MQT.S

&59

dogues, 97,130.

Gommeux, 458.

Gonce, 60. . .

Gonse, 00, 241, 512.

GODZC, 512. \> Gonzesse, 60, 134. '

Goret, 2t, 407. t" G03SC, 60, 61, 512.

Gosse (« bourde »), 332.

Gossclin, 61,483. U Gouailler, 16, 477. U Gouape, 454.

Gougcr, 16.

Gougnaflas, 321..

Gougnc,*321.

Gougnot, 321.

Gouillafre, 310.

Gouilte (a la), 206.

Gouin, 122.

Gouioc, 122, 321.

Gouiou, 310.

[Goujon], 264.

Gouliafre, 310.

Goule, 318.

Goum, 158.

Gourbi, 156, 162, 535.

Gourde, 384. •

Gourdiflot, 111.

Gourdoche, 107.

Gourer, 421, 517-518. .Gourgousser, 105, 2£6.

('tourner, LOI.

Gourrcr, 421, 617-518.

Gouspin, 69.

Gousse, 313. ' Gouvernement (« femme »), 121.

Goyo, 321.

Craflgnade, 313.

Gruflgner, 308.

Grafouiller, 110.

Grain (« écu »/, 368, 510.

Graisse (« argent »), 369 ; (« triche rie »), 410.

Graisse.d'oie la), 372.

Graisseur, 419.

#Graoudjem, 205. _

'Gratin, 460.

Grec, 233, 410.

Grèce (« graisse »), 419.

Greffer (a jeûner »), 373. Grelotteux, 458. Greluchoji, 262-263. Grenoble (conduite de), 471. Grenouiller, 405. Grez (casser du), 7. [Griffarde], 525. [Griffonnante], 525. Griffelon, 134. Grigne, 94. Grignolet, 298. - [Grillante], 525. Grimpant, 138. Grincheux, 105. 471. Gringal, 94, 107. Gringue, 94. Grip (forestde), 421. [Grippe], 526. Grippe-Jésus, 48,415. Grippe-sou, 24. Grivier, 134. Grole, 289. Grolle, 289. Groller, 280, 284. Grolon, 289, 539. Gromiau, 285. Grosse, 133. - Groulas30, 289; Croule, 289. Groumer, 284. Gruau-<« argent »), 368. Grue, 259. Guche, 298. Guelte, 99, 338. Guenard, 289. Guerluchon, 203. 1/Gueuleton, 16, 100. [Gueuliber], 525. '

[Gueusard], 525.

V Guibolle, 279.

Guiches (« accroche-coeurs »), 265;

(« jambes »), 377. Guignol (« soldat u), 400; (« abri »),

635. [Guignon], 520., Guinche, 30, 268.

V Guinguette, 207. Guitoune', 158, 535. Gy, 621.


560

INDEX DES MOTS

Habillé de soie, 419.

Harengôre, 13.

Ilariadan Barbe-rousse, 218.

llaricander, 29i.

Harmonie (iron.), 390.

Harnacher, 140.

Harnais, 140.

Harria, 328.

Hauteur (à la ), 142, 372.

Hirondelle de potence, 135.

Histoire de, 125.

Hogner, 302.

Homme (avoir son jcune)j 272.

Hoslcau, 115, 133, 289-290.

[Hôtesse], 525.

Houste! 350.

Huet (appeler), 356.

Huile (« argent »), 309.

Huile de coude, 180.

Hure, 411.

Hurle, 100.

Idée (« petite quantité »), 121.

(Iffle), 520.

[Imberbe], 52Q.

[Impénétrable], 525;

Incroyable, 451.

[Incurable], 520.

[Indiscrète], 525.

[Indompté], 525.

[Ingrat], 520.

Innocence (« innocente »), 121.

[Insipide], 525.

[Inutile], 520.

Inventaire (« éventaire »), 17.

Irlande, 120.

Itou, 332.

Jacdalc, 110. Jacoppiu, 3.

Jacqueline (« trique »), 407 ; (c< sabre »), 407. Jacques (« mollets »), 207. Jacques (« imbécile »), 408. Jacques Desloges (faire), 8. Jacqueter, 419. Jacter, 207. Jaffe, 148.

Jambe (la) 1 402.

Jappe, 379.

Jaquette (« bavard »), 419.

Jardiner, 423.

[Jarretière], 520.

Jaspiner, 573.

(Jaugnard), 520.

Jaunet, 325.

Javanais, 433-434.

Jean (« Sot »), 408.

Jean Bourguignon, 40S.

Je-m'en-fichisle, 107..

Jérôme (« gourdin »), 407.

Jésuite (« dindon »), 401.

Jésus, 415.

Je te dis et je le douze, 418.

Jeltard, 133.

[Jeu], 520.

Jeunesse, 121.

Jodo, 447.

J'ordonne (Monsieur, Madame, Mademoiselle), 120.

Jorae, 513.

Joseph (« imbécile »), 408.

Joséphine (« trique »), 407.

(Jtourbe), 310.

Joyeux, 149.

Juguler, 31.

Jules (« baquet »), 401.

Julie (faire sa), 418.

Jus («café )>),419, 530;(«discours »), 417.

Kasba, 159, 535, 530. Kebir, 159. Kelb, 155. Kenep, 3C0. Kibir, 158. Kif-hif, 153, 150. Kiki, 350. Klebjer, 150. Knope, 534. KoxnoJT, 498.

Labago, 497. Lpc (dans le), 91. Lacromuche, 207. Laiséc, 118, 180. Laïus, 441.


INDEX DES MOTS

561

Lampion, 212.

Lance (« eau »), 502, 5IG.

Lancé (« très ivre »), 272.

Lance-pierres, 53G. i^ Lansquiner, 510.

Landau i haleines, 135.

Landière, 247.

Landsman (parler), 243.

Langue verle, 231.

Lanlairc (envoyer), 393.

Lanterne, 205.

Lanlimèchc (Père), 431-132.

Lanlurlu, 393.

Lap, 127.

Lapin (poser un), 3S0.

Lapin ferré, 507.

Lapp, 127.

Laquépcm,-207.

Larantéqué, 205, 207.

Lard, 410.

Largeurs (dans les grandes),

Largonji, 203, 205, 207.

Largue, 205, 258.

Lascar, 153-15 1.

Latqué, 205.

Latronspôme, 205, 207.

Laumir, 205.

Lavabe, 402.

Laver (« vendre »), 402.

Lazaro, 99,111, 133.

Lègre, 247.

Lesbombe, 118, 204.

Lésée, 118, 180.

Lessiver (« vendre »), 402.

Leudé, 205.

Libi, 207.

Lichade, 104. t/Licher, 333.

Lieur (au), 100.

Ligncdé, 200.

Ligomiot, 290.

Ligollc, 222.

Ligousse, 313. U Limace, 134.

Limande (« coup »), 384.

Limonade (« misère »), 809.

Lincé, 205.

Linspré, 203, 205.

Linvé, 205.

Lipelte, 313. Liquelte, 302. Lirondgème, 207. Lisette (pas de ça), 470. [Lilarge], 525. Litron, 333. Lixdé, 265. Loffe, 314. Lofiïat. 314. Loilré,'205.. Lombem, 204. Longis, 409. Lope, 215.

Lopin (« crachat »), 302. Lorcefé, 205. Lot (gros), 391. Loubat, 310. Loubé, 207. (Louche), 520. Loucb'.'bem, 203. 2-42. (Louchonne), 520.

Loufe (« fou »), 112, 204, 314;

(« vesse »), 313. Louflarder, 313. Loufiat, 314. Loufoque, 204. Loufoquerie, 105. Loufoquisme, 107. Louftingue, 112. Loup,193, 380. I* Loupe (« paresse »), 333, 454. Louper, 333,380. Loupiot, 100. Lourde, 134. Lousse, 205. Loustic, 310, 477. (Louze), 525. Lubé, 207. Luctrèmc, 205. Luillerkès, £06.

Lunette (mettre la tôle à la), 2£0. Lunettes, 4. Luron, 392, 477. Lusquc, 94. Luslucru, 103.

Mab, 380. -" Maboule, 150, 347, 500. **• Mac, 203.

36


562

INDEX DES MOTS

Maca, 203.

Macabre, 333, 477.

Macache, 157, 101.

Macairo, 4G7.

Macaou, 535.

Macaroni, 419.

Macavouet, 535, 537. V, Machabé, 333. \ • Macliin, 122.

Machine à découdre, 537.

Machinskoff. 497.

Macrolin, 204.

[Magislratmuchc], 496, 497.

Magner (se), 93. .

Magnière, 93.

Maillet (« fou »), 303.

Mailloche (« obus »), 538

Maillocher, 185, 302.

Main-chaude (jouer à la), 221-222.

Mains couranles, 110.

Malagauche, 419.

Malfrein, 103.

Malingres, 502-503.

Malle, I32,l?.;3, 13 i.

Malzingue, 113. [y Mamour, 100, 477.

Manche de balai, 138.

Manchisle, 107.

Mandolc, 310.

Mandriu, 408.

Maneslringuc', 112, 208. (/ Manger de la vache, enragée, 7.

Manger le morceau, 120.

Mangeur de prunes, 400. -

Manifestance, 109.

Manigance, 210. U Mauique, 199.

Matiival, 300. - u Manuezingue, 112, 208

Manouche, 248. LManque

LManque 123; (à la), 123.

Mape, 380. U

Maq;;d, 204.

Maquiller, 405-100.

Marcandicr, 522.

Marcher, Iin. \->

Marchis, 97. {,

Marc, 98, 119.

Mare, 123.

Marée, 123, 179.

Marer (se), 396.

Margalou, 300.

Margaudcr, 303.

Margis, 99.

Margouillat, 119.

Margoulin, 308.

Marguerite, 538.

Mariage (« pendaison »), 401.

Marida, 314.

Marie (« trique »), 407.

Marieux, 404.

Maringolc, 252.

Mario!, 310.

Marionnette (« soldai »), 400.

Mariou, 12i, 203.

Marloupalle. 10S.

Maloupiat, 108. "

Marloupin, IGS.

[.Marmelade], 75.

Marmite (« cuirasse»), 112; («fille»), 201, 4z3; (« bombe »), 531.

Marmosel, 3.

Marmot (croquer le), 33.

Marmotte (« fille »), 423.

Marner, 185, 367.

Marnois, 173, 100.

Maronner, 279, 477.

Marpaud, 507-508.

Marque-mal, 195.

Marquis (« menâmes »), 4141 (« tricheur »), 233.

Marrer, 179, 39c.

Marron (« coup »), 192, 38i-,

Marsouin, 112. «.

Marteau (« fo;i »), 303.

Martyr (« caporal »), 378.

Mascander, 297.

Mascol, 314.

Mascotte, 31 i-.

Massacre, 397. Masser, 185, 362.

Maslar, 109.

Maslaroulleur, 109.

Mastic, 218. Mas lue, 208, 338. Maslroque!. 113, 110, 208, 450. [Matalane], 526. !M°alernc!le, 440.


INDEX DES MOTS

G63

Math, 446.

Mathieu salé, 418.

Malriculer, 141.

Mazagran, 470.

Mazaro, 111, 133. -

Mazille, 359.

Mec, 3G4.

Mécaniser, 181. &• Mèche (vendre la), 17G; (cire 170; (y avoir), 195.

Môdème, 89.

Meg, 304.

Mégot, 80. '

ls Mélccasse, 100.

Mélasse (« misère »), 309.

Mélélairc, 90. •

Melon (« bote »), 384.

Membrer, 144,

Mendigot, 101, 491, 497.

Ménesse, 134.

Ménelle, 321.

Menouille, 110.

Ménuit, 90,

Méquier, 94.

Mcrcandier, 297.

Mercanti, 102, 500.

Merde! 413.

Mercngueule, 420.

Merlan (« coiffeur »), 400,

Merlifiche, 253.

Merligaudier, 253.

Merlins («jambes »), 377.

Merlou, 124.

Mess (ces), 415.

Meule, 303.

Mézigo, 491, 519.

Méziguc, 519.

Mibe, 380.

Micamcau, 99.

Michaut (faire un), 191.

Miche (« argent »), 442.

Miche, 201.

Michelet (faire le), 202.

Miches de saint Eslienne, 3.

Michon, 22.

Midi! 141.

Midinette, 117.

Mie de pain (à la), 371.

Miel (eupli.), 414.

Mignard, 113.

Mikel, 247.

fllimelc, 343.

Minable, 35, 48, 477. ^ Mince! 414.

Mince alors ! 414.

Minette, 379.

Minisire (« mulet »), 407. ! de), Minslar, 109.

Minzingue, 89, 113. t" Mioche, 01, 477.

Mion, 24, 01.

Mipe, cSG.

Mirelte, 370.

Mirobolant, 419.

Misligris, 379.

Misloufle, 98.

Mitan, 334.

Mitard, 134.

Mile, 134, 297.

Miteux, 139, 297.

Mochard, 105.

Moche, 373.

Moco, 318.

[Modeleur], 525.

Molard, 308. ^ Môme, 113, 508.

Mômignard, 113,483.

Môminelte, 113, 272.

Monaco, 320..

Moniasse, 520.

Moniôrc, 520.

Monôme, 418.

Monorguc, 520.

Monouillc, 110.

Monstre (adj.), 124.

[Moqueuse], 525.

Monte-cn-1'air, 210.

Morasse, 192.

Morbac, 118, 541.

Morbec, 118,511.

Morfier, 509.

Moricaud, 107, 272.

Morlingue, 211.

Momifie (« monnaie »), 327.

Morningue, 211.

Morlaigne (aller à), 420.

Morue, 201.

Moucala,' 158.


564.

INDEX DES MOTS

Moucliachou, 500.

Mouche (« mauvais »), 404 ; (« balle »), 537, i- .Moucheron, 455..

Mouchique, 152.

Moufiouner, 291.

Mouise, 309.

Moukère, 100, 500. \y Moulin à café (« mitrailleuse »), 533.J3-7

Moumoute, 379.

Mouniche, 309.

Mouquére, 100.

Mouquclle, 470.

Mourro, 318, 470.

Mouseaille, 523.

[Mousse], 75. ^

Mousse (« excrément »), 505. '■■•

Moustapha, 290. v Moutard, 290, 477.

Moutarde (eupb.), 414.

[Moutarde], 75.

Moutardier, 410.

Moule, 379.

Mouver, 125.

Mouvcter, 302.

Mouvelte, 125.

Muche, 281,532. >. Muf(fe), 92, 411.

Mufleman, 345.

Naier, 325. ,

Nanan, 348, 319.

Nantille, 92.

Naquer du fia, 207.

Nature (adj.), 124.

Navarin, 421.

Navet, 381.

Navels (des)l 127, 381; (champ des),

384. Nazareth (« nez »), 421. Nazi, 93. Nazikotr, 497. Nulles (des)! 127, 381. Nerf (« argent »), 309. Nez (se piquer le), 370 ; (se manger

le), 375. Nib, 520. V

Nibé, 520.

Niber, 520.

Nibergue, 523.

Niêre, 520.

(NiO. 520.

(Nifé), 520.

(Nifer), 520. '

Nigaudinos, 110.

Niguedouille, 110.

Nigousse, 110.

Niugle, 401.

Niole, 90.

Niquedouille, 110.

Nisco, 313.

Nivet, 207.

Nix, 343.

No, 93.

Noce, 303.

Noceur, 105.

Noeil, 100.

Noeud (mon) I 127 ; (filer son),

178. Noir (gros), 537. Noix (à la), 371. Nonneur, 233. Nonzesse de gon, 203. Noie, 02.

Nouba, 158, 500, 535. Nounc, 319. Noyaux (« sous »), 308.

Obéliscal, 451.

Occase, 99.

Offioemar, 491.

OKil (<ï 1'.), 370; (américain), 210 ;

(« anus »), 410. Oignon (« coup »), voy. guon ; (il y • a de 1'), 335. Oignons (aux petits), 370. Oiseaux (aux), 370. Ombre 1'), 402, [Ombrelle], 74. fOmloycuse], 52G. [Opérateur], 520, Orfèvre en cuir, 400. Orgue, 520. Oribus, 285. Ormoire, 89. Os (<( argent »), 309. Oscille (« argent , 3G8.


INDEX DES MOTS 565

Ostincr, 92. Oslo, 2S9. Oubliauce, 109.

Ours (« prison»), 133; (« pressier »), 194; (u mauvaise pièce »), 4US-. Ourser, 410. Ousleau, 133. Ouvôricr, 100. Ouvrage (« vol »), 306. Overplom, voy. Auverploume.

Paceque, 02.

• Facquelin, 33i. Paf, 354. PalTe, 354. Paflut, 410. Pagaie, 170-171. Pagaille (en), 171. Pagaie, 170, 171. Pagne, 97. Pagnicr, 93. Pagnolcr, 139.

Paijer, 293. t

Paillasson, 258.

Pain (perdre le goùldu), 335-330.

Pain (« soufflet »), 425.

l'aire (faire la), 377.

Pajet, 293.

Pajot, 293.

[Palanquin], 525.

(Paleron), 520.

Palet (« écu »), '38$.

l'allas (faire), 49; (« superbe »),'

250. . Pallasser, 249. Palpitant (« coeur »), 518. Palquc, 218. [Palpeur], 525. Pàmeur, 218. Pampine, 208.

Panache (avoir son), 271. '

Panade (« misère »), 75, 309. Panais, 384 ; (des) I 382. Panant, 53 i. Panard, 534. Panas," 2il. Pandore, 470.

• l'anier («lit »), 139. {/■ Panier à salade. 222.

[Paniquer], 526. ' Panne (« misère »), 309, 372 ;

(« bout de rôle.»), 309, 401. ' Panne, 309, 477.

Panoufle, 297, 410.

(Panlalzar), 350. • Panle, 454.

Panthère (faire sa), 405.

Panuche,297, 410.

Papelard, 318.

Papote, 351.

Papoter, 351.

Paradouze, 417.

Parangonner, 191.

[Parapluie], 74.

Parigot, 484. .

Parisianisme, 20, 21, 22.

Parisien, 104.

Parlement (« discours »), 324.

Parterre (prendre un billet de), 419.

Patatioler. 314.

Palagueule, 110.

Patapouf, 355.

Patarasses, 178.

Palard, 320.

Patates (des) ! 382.

Patatras! 354.

Pâtée (« volée de coups >•), 424.

Patelin, 331.

Patente (« casquette »), 212.

Palèrcs, 205.

Paternel (« père »), 440.

Pâliras, 121.

Palouille, 212.

Patraque; 355.

Patricoler, 315.

Palrifouiller, 114.

Palrigoter, 315.

Paumaquer, 452.

Paumer, 22, 452, 518.

Pays. 128, 220.

Pays Latin, 439.

l'eau (la)! 19.7.

Peau de balle, 127, 173.

Peau de bille, 172.

Peau de libi, 207.

l'eau de noeud, 127.

l'eau de zébi, 157.

Pébroque, US, 541.


566

INDEX DES MOTS

Péca (père), 99. " Pécune, 525. '

Pèdezouille, 113.

Pégale, 171.

Pégot, 306. I Pègre, 451.

Peignée, 400.

Poinard (Pore), 365. U Peinturlurer, 48, 116.

Pélican, 253.

Pelle (ramasser une), 400.

Pelot, 227.

Péniche (« soulier large »), 173, 400

Pépce, 352.

PépeUcs, 352, 369.

Pépin (« caprice »), 74. U Pépin (« parapluie »), 467. \, Péquin, 31, 136.

Perce-poux, 406.

Père La Tuile, 218.

Père noir (petit), 272.

Porlot, 96, 359.

Perme, 534.

Permission de minuit, 141.

Perpôlc, 219.

Perroquet (étrangler un), 270.

[Perruquier de la sérieuse], 527.

Persil (aller au), 262, 368.

Peslaille, 104, 216.

Pétard, 113.

Petôte, 92. •

Pétgi,159

Petoche^^esC <,$->■ V Pétras, 31, 299.

Pélrousquin, 113, 253.

Pètzouille. 113.

Peuple (adj.), 68, 124.

Poyou, 291.

Pèze, 35, 309.

Pezoche, 107.

Pezotte, 353.

Phalangekés, 200.

Pharamineux, 287.

Phare (piquer un), 446.

Phécy, 158.

Philo, 446.

Philosophe (iron.), 255.

Piau, 9i, 193.

Piaulre, 22.

Picaillons, 31, 318, 368.

Piccolo, 3iG.

Pichet, 334.

Pichenet, 302.

Pichenette, 275.

Pied (« denier »), 227.

Pied de banc, 140.

Pieds blancs, 142.

Pier, toi, 514. \s Pierreuse, 200.

Pierrot (étrangler un), 270.

Piètres, 503.

Pieu, 13i.

Pieuter, 134. U Pif, 92, 375.

PilTer (se), 327.

Pige, 04, 75 ; (faire la), 64, 65, 75.

Pigeon, 231.

Piger, 01-06, 75, 380. u Pignouf, 198.

Pigoche, 285.. ( • Pile (recevoir une), 400.

Piler du poivre, 426.

Pimpions, 310.

Pinard, 531, 539.

Pinceau (« nez »), 375.

Pincettes (« jambes »), 370.

Pine,. 292.

Pingaud, 310.

[Pingler], 520.

[Pingleur], 520.

Pingouin, 254.

Pingre, 315.

[Pingre], 525. w Piocher, 307, 415.

V Piôle, 528.

t' Pjoncer, 131, 455. \s Pîoupiou, 351.

V- Pipe (casser sa), 307, 453 ; (prendre la), 428.

Pipelet, 409.

Piper, 210, 231, 232, 230.

V Pipo, 448-419. Pique-assiette, 103. Pique-chien, 439. [Piquc-escouanne], b:lô. Piquc-pouï, 400. Pique-prunes, 400. Pique-puces, 406. •


INDEX DES MOTS 567

Piquer, voy. cinabre, fard, phare, sèche, soleil.'

[Piquet], 520.

[Piquette], 520.

Pis, 91.

Pissenlits (manger des), 381.

Pistache (« ivresse »), 123.

Piston, 180, 530.

Pilon (« nez .»), 375. l'Pitre, 251.

Pivoter, 141.

Plamusse, 327. !- Plan, 518.

Planche (avoir du pain sur la), 115. I

Planche au pain, 135. '

Planquer, 192.

Plat (faire du), 330.

Platine, 31, 141. - Plilre 309. I

Plein (« très, ivre »), 272.

Plein (tout), 31, 120.

Plcut-il ! 397. '

Plombe (« heure »), 518.

Ploume, 532.

Ploume, 319.

Plumard, 139.

Plumardcr, 139.

Plumer la poule sans crier, 229.

Plumes (« cheveux »), 412.

Plumet (avoir son), 271. U Pochard, 10 i.

Pochelé, 121.

Pochclée, 105. U- Pognon, 100, 309.- v Poigne, 97, 477.

Poi.jcr, 293.

(Poilcr), 398.

Poilu, 533, 539.

Poiit ,« franc »), 211.

Poire (« tête »), 374.

Poireau (faire le). 384.

Poireauter, 381.

Poisser (se faire),134. i

Poisseux, 158.

Poisson d'avril. 201.

Poivre, 208.

Poivrot, 100. 203.

Polard. 303.

Polichinelle, 270; (dans lo ventre), 405.

Polir (« vendre*»), 515.

[Polker], 75.

Polochon, 359.

Pommade (« misère »), 369.

Pommadin, 458.

Pommes (aux), 370 ; (des) ! 127-, 382.

Pompe (« botte »), 4C0 ; (« travail suivi »), 445.

Pomper (« travailler dur »), 445.

Pompon (avoir son), 271,

Pontife, 197. ' Popote, 351.

'Populo (« populaire »), 99, 122; (« enfant »), 122.

Poriou, 277.

Portefeuille (« lit »), 139. ' Postiche, 248.

Posliger, 248.

Postijaleur, 249. ~' Polachc, 449.

Pot-à-colle, 407.

Pot-à-moularde, 410.

Potage (« argent »), 309. '•' Potasser, 445.

Pote, 301.

Poteau, 218, 301.

Polin, 280.

Poubelle, 120.

Pouce (et le), 120. . ■

Pouf, 354.

Poufiassc, 354.

Poule (« cocolte »), 200 ;. (« pédéraste »), 210.

Poulet d'Inde, 141,410. >

Poupée (« soldai »), 400.

Pousse-cailloux, 142.

Poussier (« argent »),• 3G8.

Poussière (« tapage »), 428* -.. .

[Prenante], 525.

Prcslo, 101, 500. ' Prcu, 98.

Provence, 99.

Prix (dans les grands), 242.

Probloquc, 118, 511. t.

Prolo, 99.

Pronier, 501. ...,-.:.


508

INDEX DES MOTS

1 ' Proprio, 99.

Proye, 505. *

l- Prune (« balle »), 139; (« ordure »), 406.

Pruneau, 139.

Prussien, 532.

Prussien (iron.), 416. '•' Pschutt, 460,401.

Puces (charmer les), 270.

Pucier (« lit »), 402.

Punaise (vieille), 410.

Purée (« misère »), 75, 369.

Purge (« volée de coups »), 400.

Purolin, 369.

Pus, 92.

Quand est-ce, 103. Quarante-cinq, 422. Quale, 92. Quatre, 399. Quelpoiqne, 593. Quem (faire son), 336. Qucnanpe, 534. Quéque, 94. ' Quéqueltc, 99.

Qucuqu'un (faire son), 330. Quibus, 325. Quiens, 94.

Quille (« jambe »), 385, (la)! 401. Quinquct (« oeil »), 376. Quinte et quatorze, 391, Quiqui, 250, 350. Qjilournc, 121, 261.

Rabc, 92.

Rabibocher (se), 386.

Rabiot, 71-72, 147.

Rabiscotcr, 117.

Raboutas, 217.

Raccourcir, 220.

Raclée, 400.

Raclette, 213.

Radadame, 357.

Radiner, 134, 218.

Radis (« argent »), 308; (des)! 127,

383. Rafale, 20, 171. Rafiau, 173. Rafradinc (à la), 302.

Raffut, 297.

Rafistoler, 334, 477.

Ragougnasse, 321.

Raide (« très ivre »), 272.

Raille, 213.

Raiponse, 418.

Râler, 3il.

Ralingue, 178.

Rama, 319.

Ramamicher, 442.

[Ramassé], 520.

Ramasser, 215.

Ramicher (se), 4il.

Ramona, 308.

Rampe (lâcher sa), 307, 455..

Rancard, 388.

Rancart, 388, 477.

Rapiamus (faire), 437.

Rapiat, 304.

Rapin, 431, 477.

(Rapiole), 526.

Rapiquer, 171.

Rappliquer, 172.

Rapport à, 120.

Raquer, 181.

Raquin, 292.

Raser (« ennuyer »), 369.

Rasoir (« ennui »), 309.

Rasla(quouère), 457.

Rata, 98.

Ratatouille, 137; (« raclée »), 420.

Râteau, 213.

Ratiboise, 113.

Ratiboiser, 113,237.

Ralichon, 518.

Ratisser, 113, .237.

Rebecca, 419.

Rcbifïe, 115.

Rebouis, 75, 76.

Rebouiscr, 75, 76, 200.

[Rebuchcr], 525. '

[Rebuter], 52G.

[Récalcitrant], 525.

Recaler, 445.

Réchauffante, 138.

Rèchc, 227.

Record, 431.

Rcdouillcr, 101, 305.

[Redoutable], 525. >


INDEX DES MOTS

569

Redresse la), 178, 372.

Rëflec, 56, 99.

Refroidir (« assassiner »), 414.

Regoût, 508.

Réjouissance, 208.

(Rembasle), 525.

Remone, 95, 396.

Remoucher, 508.

Ren, 90. .

Renâcler, 216.

Renard (faire un), 380.

Rcnauder, 290. •

Rancard, 388.

Rencart, 387-388.

Rengaine, 22.

Rengainer, 218, 403.

(Reniflant), 526.

Renifle, 216.

Reniquer, 297.

Repiger, 104.

Repiquer, 171.

Repousser (« puer »), 75.

Requimpelte, 110.

Ressauter, 309.

Retape, 258.

Retaper, 445.

Retiration, 191.

Rctoqucr, 442.

[Retrousser], 526.

(Réverbère], 526.

Revoyure, 105.

Revue (être delà), 144.

Ribouis, 75, 76, 200.

Ribouldiogue, 113.

Ribouler, 113, 285.

Rîchonner, 291.

Riclot, 297.

Rien (iron.), 390.

Riflard, 467.

Rigadin, 200.

Rigolade, 10 i*.

Rigolbochc, 113, 468.

Rigolbocher, 113.

Rigoler, 113, 334.

Rigolo, 219.

Rigri, 23.

Rincer, 402.

(Ringrc), 526

Ringucr, 310.

Ripaton, 200.

Ripper, 25, 298.

Riquiqui, 350.

Risette, 106.

Robignol, 234.

Robinson, 467.

Rododome, 357.

Rogate, 256.

Rognonner, 23.

Romain, 464.

Romance (piquer une), 146.

Romanichel, 248.

Romaniol, 522.

Rombier, 303.

Ronchonner, 309. '

Rond, 134.

Rosalie,- 535.

Rosbif, 408.

Rosse, 124.

Rossignol, 402.

Rosto, 446.

Roter (« être ébahi »), 363.

Rotin, 227.

Roubignolcs, 315.

Roubion, 258, 360.

Rouchi, 261.

Roue (à la), 372.

Roue de derrière, 182.

Roue de devant, 182. .

(Roué), 526.

Roues (graisser les), 269.

Rouen (aller à), 421.

Rouffion, 403.

Rouflaquette, 265.

Roufie, 503.

Rouflée, -303. •

Rouge (mangeur de), 266.

Roulant, 105.

Roulette la), 372.

Roulottes (« sous »), 368.

Roumi, 159.

Roumie, 360.

Roupeltcs, 298.

Roupiller, 23.

(Roupiner), 526. * '

Roupion, 402.

Rousbi, 441, 5(2.

Rouscailler, 518.

Rouspétance, 217, 542.

fa.


570

INDEX DES MOTS

Rouspéter, 217. Rousse, 217, 25S. Rousseletle, 217. ïtoussin, 313. Roustamponne, 217. Rousli (être), 427. Rousfir, 215. Roustons, 315. Rubis (« élégant »), 461. Rup, 454.

Rupin, 31, 218, 411, 459. Rupinskoff, 497-498.

Sabir, 151-153, 499, 500.

(Sabir), 525.

Sable (être sur le), 2G0; (caler le), 200.

Sabord (jeter un coup de), 103.

Sabouriu, 310.

Sabre de bois ! 415.

Sabrenaud, 198.

Sac (rouler sa tôle dans le), 221; (avoir son), 270.

[Sacagné], 520.

Sacquer, 106.

Sacrebleu I 415.

Sacrclole! 415.

Saigner, 213.

Saint-Crépin, 409. . Saint-dome, 420. *

Saint-frusquin, 196, 409.

Saint-Jacques (aller à), 420.

Saint-Jean, 196.

Saint-Lâche, 409.

Saint-Longis, 409.-

Saint-Lundi, 409. •

Saint-Père, 420.

Saint-Pierre (abbaye de) 420.

Sainte-Touche, 409.

Salade, 418.

[Saladière], 75.

Salbinet, 99.

Salé (petit), 410.

Salsifis (« doigts »), 383.

Sanlé (« culot »), 403.

(Saotille), 520.

Sapin (« fiacre »), 3Gi, 477 ; (« cercueil »), 364.

Saprebleul 415.

Saprelotte ! 415. Sapristi ! 415. Sarrasin, 471. Sato;i, 217.

Saucisse (« ballon »), 539. Saupîquetz, 505. Saute-ruisseau, 48. Savate (<< bourse »), 503. Scarabomber, 316. Sclibèbe, 310. Schlague, 340.

Schlasse, 105, 301. --

Schliuguer, 48, 358. Schlipoter, 112. Schloffe, 3'*2. Schnaps, 341. Schnipe, 311. Schniquc,3il. Schnock, 107. Schnockobol, 107. Schnouf, 311. Schnouper, 311. Schpile, 315. Schpromme, 357. Schproule, 357. Schtard, 133; Schtosse, 315. Schtouille, 315, 530. Schlourbc, 315. Schwarlz, D38. Scie,' 403.

Scrogneugncu ! 99. Seau (être dans le), 91. Seau à charbon, 537. Sec ( en cinq), 390. Sèche (piquer une), 440. Sécher (« être à sec »), 445-446. Sempcr, 359. Semperlol, 96, 359. Ser, 237. [Sérieux], 520. Sergol, 99.

Seringue (« trombone »), 138; (« fusil »), 530. Séroucl, 157. Sert, 237.

Serviette (« canné »), 509. [Sévère], 525. Sgoff, 400.


INDEX DES MOTS

571

[Sianlc], 525.

Siau (dans le), 91.

Sibiche. 115.

Sibige, 115.

Sifflet (« gorge »); 377.

Singe (« patron »), 410, 45-i ; (« ouvrier compositeur »), 190; (« viande de conserve »), 148, 530.

Sirop de grenouilles, 405.

Sischnoufe, 311.

Six et trois, 422.

Six-qualre-deux, 400.

Smalah, 157, 169.

Smart, 457, 461.

Snoboyc, 457.

Socc, 90.

Soiffard, 105.

Soi (Ter, 106.

Soldat (« sou »), 213.

Soleil (avoir un coup de), 271 ; (piquer un), 416, 456.

Son (cracher dans le), 221.

Sonde (à la), 372.

Sogniasse, 320.

Sonica, 359.

Sonne, 210,415.

Sonner, 215.

Sonnettes (« argent »), 359, 308.

Sonorgue, 520. •

Sophie (faire sa), 408.

Sophie lourne-de-l'oeil, 414.

Sorbonne (« lèto >>), 412, 443.

Sorlot, 270.

Sorte, 196.

[Soubassements], 525.

Soufflant, 138.

Soufflante, 138.

Souffrante, 138.

Soulager, 215,415.

Soûlasse (grande), 215, 415.

Soulographie, 193.

Soupapes (faire cracher ses), 209.

Soupe (tremper une), 426.

Souper (en), 140.

[Soupière], 75.

Souquer, 172.

Sourdoche], 526.

Souricière, 222.

Sous-off, 97. Souteneur, 202. [Soutirante], 526. Souyer, 93. Spahis, 149. Spelicans, 505-E06. Sterling, 345. Stroc, 268: Subito, 161. Sublime, 52, 397. Sublimer, 448. Sucre de pomme, 219. Suif (« tricherie »), 419. Suiffard («élégant »), 163; («tricheur »), 419. Suisse (faire), 146-147. Suque, 22. Surbine, 519. Surse, 98. [Surtaille], 526. Symbole (« crédit »), 194. Système, 471-472 ; (père), 448.

Tabac (« vieux soldats »), 367 ; (passer à), 428.

Tabe, 92.

Table (se mettre à), 426; (servir à), 426.

Tableau d'avancement, 141.

Taf,404.

Taffetas, 464.

Tafouilleux, 107.

Tala, 446.

Talmouse (« gifle »), 425.

Tambouille, 315, 420.

Tandelin, 300.

Tnngente, 448.

Tante, 216, 415; (ma), 403.

Tantinet, 4, 24.

Tape (« échec »), 404.

Tapé, 455. •

Tapée, 105, 120.

[Taper], 75.

Tarabiscoter, 116.

Tarabistouiller, 281.

Tarauder, 187.'

Targette (« nez >>), 375.

Tarte (« mauvais »), 371 ; (« gifle »), 420.


572

INDEX DES MOTS

Tarteifle, 343.

Tartcmpion, 470.

Tartine (« tirade »), 164.

Tas (« prison »), 334 ; (sur le), 260.

Tasse (grande), 173.

Tasseau (« nez »), 375.

Taslicoler, 339.

Tata, 298, 349,542.

[TàteuseJ, 525.

Tatouille, 90, 137, 420.

Taupe (« fille »), 425 ; (« ensemble

de taupiDs »), 447. Taupin, 447. ïazas, 111.

Te deuin raboteux, 405. [Teinte de bois], 520. Télégraphe (faire le), 237. [Tondeuse], 526. Terre-Neuve (banc de), 206. , Terreur, 265. Terri, 277. [Terrine], 75. Teuf-teuf, 352. [Théière], 75. Thomas (« baquet »), 407. Ti? 101. Tjche, 99. Tierce, 390. Tiffes, 260, 302. 'fine, 258. Tingo, 204, 291. Tiolée, 285. . Tire-boche, 535. TireUflter (se), 376. Tire-jus, 403. Tirelarigot, 302. Tirelire (« tôle »), 374. Tiremonde (Madame), 403. Tirer, 219. [Tireuse], 525. Tili, 351, 542. Toc, 454, 401. Tomates (des) ! 383. Tomber (actif), 121, 254. Tombeur, 105, 251. Tongniasse, 520. Tongnière, 520. Tonorgue, 520. Topinambour'(« nez »), 375.

Toquade, 104.

Torche-cadet, 410.

Torcher, 141 ; (se), 404.

Tord-boyaux, 103, 208.

Torgnole, 93, 328.

[Tortillante], 520.

Tortillard, 105.

Tortiller, 303; (dénoncer), 420.

Torlorer, 212.

Torlousc, 247.

Toubib, 159.

Touillaud, 315.

Toupie (« fille »), 410.

Tourbe (« misère »), 309.

Tourlourou, 391."

Tourlousine, 404.

Tourne-boche, 536.

Tourner de l'oeil, 414.

[Tournevis], 525.

Tours (aller à), 421.

Tousse (ce que je) ! 397.

Trac, 370, 401, 478.

Trafalgar, 471.

[Train], 525.

Train d'onze heures, 377.

Tran-tran, 23.

Travailler (« voler »), 300.

Tremblement (« attirail »), 304.

[Trcmbleur], 525.

Trempe (« raclée »), 420.

Trenlc-et-un (se mettre sur son), 399.

Trôpe, 251.

Tréteau (« rosse >;). 411. .

Tribouille, 298i

Trie, 191.

Trifouiller, 180.

Tringle, 112, 127,410.

Tringlot, 112, 119.

Tringue, 23, 92, 127.

Tringuelle, 314.

Trinquer,'128.

Tripat(r)ouiller, 114.

[Tripoli], 525. '

Trique, 212.

Triqucr, 257'

Trois-six, 208.

Trôler, 23.

[TrombifJ, 159.

Trombinc, 375.


INDEX DES MOTS'

573

[Trombollerj, 520.

Tronche, 383, 443.

Troncher, 383.

Troquet, 90, 542.

Troubade, 140.

Troubadour, 139, 146.

Trou do balle, 410.

Trouille, 302.

Trouiller, 302.

Trouilloter, 302.

Troupier, 105, 477.

Truc, 234-235, 459.

Trucher, 228.

[Trucsin], 520.

Trufïard, 140.

Truqueur, 235.

Tschink, 4G0.

Tschock, 400.

.Tscholt, 400.

Tubard, 375.

Tube (« nez »), 375 ; (« gorge »),

477. Tuile (« accident »), 301. Turbiner, 185, 302. Turco, 98, 149, 102. Turluline, 394. Turne, 441, 523. Tutu, 351. Tuyau, 431. Type, 473. Typo, 9S.

Urfémcnt, 100. Ustaclie, 91. Ustachcs, 119.

Vacho (« agent de police »), 256. Vade, 239. Vadrouille, 107. Vadrouiller, 107. [Vagabonder], 520. 'Vaisselle ( « argent »), 308. Vulissauce, 17, 109. Vanne, 242. Vanneau, 242. Vanner, 31, 509. [Vasoler], 525. Valan (abbaye de), 8.- Veau (« havresac »), 138.

Veilleuse, 236.

Vengeux, 107. '

[Ventouse], 525.

Ver (tuer le», 270, 450. '

[Vergogne], 526.

[Vermicelles], 520.

Vermorel, 538. ' "

Verni, 534, 536, 539. '

Vernoche, 534.

Vert en fleur, 237.

Versailles (prendre la route de), 421.

Vespétro, 100.

Veste (remporter une), 405.

Veuve (« guillotine »),222.

Veziner, 292.

Vezon, 298.

Vezouillcr, 113, 292.

Viau, 117,

Vianper, 117.

[Vieillot], 525.

[Vigoureuse], 520.

Vigousse, 110.

[Vilquets], 526.

Vinaigre (tremper le nez dans le),

104. Vingl-deux, 399. Vingince, 89. [Yiochard], 525. Violon, 132, 232. Viscopë, 117. Vilclotte (« nez »), 375. Vitriers, 155. Vitriol, 208.

Vlan 1357; («chic »), 400-401. [Volante], 525, 520. Voleur, 210. [Voltigeante], 520. Vote, 92. Vougri, 319. Voyageurs, 254. Yoyou, 00.

Wallacc, 120. Vv'aterloo, 422.

X (P), 448.

Yard, 93. Vit, 343.


574 INDEX DES MOTS

Voudi, 159. Youpin, 108. Youle, 108, 313. Youtre, 313.

Zanzibar, 120.

Zébe, 158.

Zébi, 157.

Zèbre, 158 ; (« cheval »), 447,

530. Zéphirs, 149. Zézelte, 352. / .

Zigoteau, 305.

Zigouiller, 292.

Zigouilleux, 528.

Ziguo, 364, 533.

Zinc! 357, 305; (« chic »), 401; (« argent »), 308; (« organe puissant D), 401.

Zingue,96, 117, 357.

Zozotte, 353. . Zouave; 149.

Zouzou',-353.

Zut ! 392.V ;


INDEX DES IDÉESAGRICULTURE

IDÉESAGRICULTURE médire (débiner cl bêcher); misère (débirc) ; travailler dur (marner et publier)

ALLÉCHER (au jeu) : 10 (attirer les .oiseaux en répandant des grains), cngrainer; 2« (faire eudèver), cagayer". Yoy. tricher.

ALLEMAND : 1^ (lole carrée), Boche et Albochç, 2o (plat national), Choucroute; 3" (juron), Tartei/le.

AM.EII (s'en) : 1" (plonger), calcter; 2° (jouer des jambes), dccaniller ; 3° (marins), démarrer; (marins d'eau douce)*, se carapater. Voy. sauver (se).

AMI, voy. camarade.

AMUSER (S'): lf' (soldats), faire la bombe; 2o (marins), bringuer, faire la bordée et vadrouille)' ;3° (ouvriers), faire la noce.

ANIMAUX = bouc: lascivité (boucan et bocard) et mauvaise odeur (cf. emboucaner) ; — brebis (vieille) : viande coriace (barbaque et bidoche); — chat : gentillesse (monte) et lubricité (minette); — chèvre: irriter (engayer, Ligoter ou bisquer) et rosse (bique) ; — chieu : altitude provocante (du chien), paresse (cagne), débauche (gousse) et dévorer (cléber); — loup : dette criarde, échec et ivrognerie (louper), paresse (loupe); — renard : vomissement et vagabondage; — truie: débauche (gougne).

Axus: (euphémismes) 1° cadet; 2" moutardier; 3° oeil; i° pétard; 5° (iron.) prussien.

ARGENT: 1° (uourriturc), blé et

grain, beurre et braise, fricot ou michon et pépette, oseille et radis; 2° (forme plate), galette cl palet; 3° (forme ronde), os ou noyaux et pimpion ; i° (son métallique), sonnette ou vaisselle de poche et zinc; 5° (poids), pàze ; G° (douillet ), douille ; 7° (poignée), pognon; S° (moyen d'achat), achetoires (cf. de quibus).

ARRÊTER: la (3angler), ceinturer; 2° (pincer au demi-cercle), cercler; 3o (cueillir sur le tas), ramasser.

ASSASSINER : 1° (euphém.), endormir et apaiser ou soulager (cf. le synonyme allevare des légionnaires romains) ; 2° (effet), refroidir; 3° (chasseurs), descendre ' et dégringoler ; 4° (bouchers), saigner; 5° (apaches), sonner.

ATTENDRE (longtemps) : 1° (jeu de cartes), droguer; 2<> (faire le poireau), poireauter; 3° (marmotter d'impatience), 'croquer.le marmot.

AUDACE: (toupet), du chien; 2° (jeu de cartes), atout; 3° (cadet), culot; 4° (iron.), estomac ou santé.

AVARE: 1° (galeux), rapiat ; 2« (épingle), pingre.

AVOUER (un méfait) : 1° (i\ la torture), chanter (d'où chantage et maître chanteur); 2° (cuisine), manger le morceau ou se mettre à table.

BAISER : (petite bouche), bécot (cf., lat. osculum).

HANDE (de malfaiteurs): 1» (noeud), gance; 2° (jeu de piquet), tierce; 3° (société), soce.

BAQUET (de salubrité) : 1° (réci1.

(réci1. les mots en italiques dans l'index qui précède. Les en-tetes suivis du signe = représentent des notions primaires ou des idées générales.


576

INDEX DES IDEES

pient), gogucou yogucnot ; 2>> (\von.), Jules ou Thomas.

BARBOTER = bredouiller et tripoter.

BATEAU = mystification (monter un bateau); — pédéraste (corvette). Voy. manoeuvrer et soulier.

BATTRE, voy. coups.

BAVARDER : lo cracher ou tenir le crachoir et tailler une bavette', 2° (aboyer), japper et jaspiner.

BEAU : lo (tisserands), bath (cf. ballant neuf) ; 2« (chatte), moute (cf. mignon); 3°( étonnant), schbùbc; 4° (ii quatre épingles) schpilc.

BEAUCOUP (grande quantité) : lo (volée de coups), flopée et tapée (çf, beaucoup); 2o(iron.), ne»; 3° (euphém.),mince de... (cf. chiée); 4° (nichée de petits chiens), tiolée, ou (nichée de petits crapauds), charibolée.

BÈTE : [o (végétaux comestibles), cornichon et gourde, navet et panais, poire et truffe; 2o (paquet), ballot; 3» pied (cf. bôle comme ses pieds); 4° (noms propres), Jacques ou Joseph, etc.

I3OIRE (un affront), voy. subir.

BOIBE (copieusement) : 1° mécaniciens), se chauffer le four (cf. cuite); 2° (marins), écoper (cf. trinquer) et prendre une biture ou une bosse; 3° (soldats), prendre une culotte (cf. sac à tîm);4° (imprimeurs), prendre une barbe; 5" (cochers), graisser les roues; Qo(uneabsinthe), étrangler un pierrot ou étouffer un perroquet. Voy. ivre et ivresse.

BORDEL : lo (bouc), bocard et boucan; 2° (boite), boxon; 3° (bouge), bousin et claquedent. La plupart de ces termes, comme ceux pour la débauche, dérivent des marins ponantais, normands ou bretons. Voy. amuser (s') et débauche.

BOUCHE : (volaille), bec.

BOUILLIE = raclée (soupe et trempe, ratatouille et tambouille); — misère (purée, etc.).

BOUTEILLE: lo (personnifiée), fille, ou fdlette, dame (blanche) ou ntgre&se; 2° (marins), damc-jeanne ou Christine,

BRAS (volaille), aile ou aileron.

BOURSE : 1° (arliehaul), artichc; 2° (mornifle), morlingue.

BREDOUILLER (= barboter) : bafouiller.

BRUIT : lo (bordel), boucan, bousin et chabanais; 2° (danse bruyante), chahut; 3« (tabac), foin ou fouan et tabac; 4° (iron.), harmonie; 5° (rixe), baroufeel raffut; 0° (onomatopées), radadame, schpromme ou schproule et zinc.

CABARET : lo (nom du quartier), guinguette; 2o (où l'on danse), bastringue et guinchc;3° (de bas-étage), bibine et assommoir; 4° (petit réduit), caboulot.

CABARETIER : lo (mannequin du comptoir), mannezingue; 2° (masloc du selier), maslroquet ; 3o (provincialisme), bistro (primitivement domestique).

CAMARADE : lo (grande ou grosse jambe), zigue et poteau; 2° (écoliers), copain.

CANAILLE : 1° (haillon), frapouille ou fripouille; 2° (iron.), crème.

CAPRICE (amoureux) : lo (coiffe), béguin; 2o chien.

CASQUETTE : lo (noms de fabricants), david et desfoux ; 2° patente; 3o (haute de cinq étages), cinlicme ; 5° (visiôre) viscope.

CERCUEIL : lo (boîte à os), boite à dominos;2° (bois), sapin.

CHAMBRE : 1° (marins), carrée et cambuse; 2° (malfaiteurs), colbasse (= calebasse), condisse (=condilion) et turne ; 3° (ouvriers), canichotte et canfouine.

CHAPEAU : 1° (nom de fabricants), doulosse ; 2° (démodé), galurin ; 3« (haul-de-forme), tube; 4° (onomatopée), bloumet claque (qui s'applatit).


INDEX DKS IDÉKS

677

OUASSK =r peur (frousse et trac).

CIIAUSSOV (vieux), voy. fille.

CHEVEUX : 1° (douillets), douilles; "to (attifels), tiffes; 3o (volaille), pluma (d'où déplumé, chauve).

CHIC : lo (exclamations), ait! pscliutl ! tsphincl; ! tschoel;! vlan! 'c° (coquet), cocOilcsvl cocodettc;3o (ù la mode), galbcux et gommeux, juteux et smarleux; i» (musique), bccarrc;î)0 (UiiSAlro), gandin HJ"(hoa.), faquin; 7a (malfaiteurs), rupin, hurf ou urf.

CoLKiiR (èlrc) : 1° (soldats), cire à cran; 2° (imprimeurs), gober sa chèvre, Voy. fâcher (se).

COMMÉRAGE : (écoliers), cancan.

CONGÉDIER : lo (jeu de l'escarpolette), balancer; 2° (jeu de toupie), envoijer dinguer.

CONVENIR : l« (cordonniers), botter ou chausser; 2° (soldats), marcher; 3° ^pêcheurs), bicher.

CORDONNIER : lo (goinfre), bouiffe, {inaf, gaiifard et tabrenas ; 2o (chiffonnier, à cause de la saleté commune aux deux métiers), liffin et pignonf; 3° (iron!), bijoutier (orfèvre) en cuir.

CORPS DU GARDE, voy. prison.

COUPS (vivant): (iron.), cadavre et caicasse.

COUPS: 1° (porlion de nourriture), baffre et pain; 2° (pâtisserie), beigne cl Variolertarte et talmouse; S°trace livide): châtaigne et marron, mandolc et mitre, oignon et gnon; 4° (vertige), torgniole et gniole ; 5° (fumée), chisnouffe et tabac ; 0° (joue), gifle ; 7° [forme plaie), limande; fc° (jeu de cartes), atout; 9" (onomatopées), clarue, paf, tope. Voy. volée de coups.

COURAGE,'voy. audace.

CRACHAT : 1° (petit glaive), glavio'; 2o (grande meule), molard; 3° (niasse . lopin.

CRACHER =bavarder et payer(raquer).

CUISINE = dénoncer [manger le morceau, etc.); — élat désespéré [cuit, frit, ele.); — argent (fricot, pèpette, etc.); — maladresse [boulette), Voy. nourriture et pâtisserie.

DANSE: lo (cane), cancan ; 2o (hibou), chahut.

DÉBAUCHE : Jo (marins), bordée et bosse, bringue et vadrouille; 2° (soldats), bombe; 3° (ouvriers\ noce.

DÉGOÛT : (pécheurs), marée.

DÉNIER: I» (déconvenue), pied (cf. pied de nez) et rotin (cf. en voler) ; 2° (petit poil = bagatelle), pelot ; 3° (àpre au loucher), rèche.

DÉNONCIATEUI» : lo (jeux de mois), bourrique et casserole; 2° (écoliers) capon; 3° (remuant), mouvclte.

DÉNONCER, voy. avouer.

DERRIÈRE (!e) : 1° bernard (cf. bren) cl moutardier; 2° (pétard), pc'troussequin ; 3° (iron.), prussien; 4° (eiiph.), iroufignon ou troufion, abrégé en fignon cl fion ou fignard el gnard.

DISCOURS (captieux) : 1° (forains), boniment el flambeau, pallas el postiche ; 2« (camelots), flanche cl vanne; 3° (polytechniciens), laïus el brouta'.

DOIIMIR : (expressions livresques) 1° (soldats), piquer une romance ; 2° (polytechniciens),piquer un chien (cf. nsoy. fr. dormir en chien). Voy. lit.

EAU : lo (flol), flotte; 2° 'cm trouble), vase; 3o (angoisse du malfaiteur mis à la question de l'eau), ance ou lance; i" (iron.), sirop de grenouilles ; f» 8 (jeu de mots), Château La Pompe.

KAU-I E-YIE : lo (effet), casse-poitrine el lord-loyaux;2° (rude*, chien ou sacré chiai; 3° (toast), oie et croc; io (mode d'évaluation), lioissix et fil-cn-quotrc; 1° (iuu.), consolation; Co (qui assomme), puffe; 7° (pelit verre), riquiqui.

37


578

INDEX DES IDEES

ECHEC : (théâtre), four et veste.

EMPRISONNER : 1° boucler et coffrer ; 2° emballer et enchetiber. \'oy. prison.

ENCHANTER : (entortiller), en/Vrtj/er.

ENFANT : 1° (miellé .— petitesse), mioche ou mion, 2° (masque = laideur), môme (cf. moy. iï. marmoset); 3° (moût = baveux), moutard; 4° (vagabond), voyou; 1° (voleur), gamin, gosse, gouspin, polisson.

ENFUIR (S'), voy. sauver (se).

ENNUYER : 1° (barbiers), barber et bassiner, canuler et raser ; 2° (marée), se marrer ; 3° (monotonie), scier ; 4° (euphém.), emmieller et enrhumer.

ESCROC : 1° (griffe), aigrefin ; 2° maître chanteur et faiseur ; 3* ^tricheur), Grec.

ETONNER : 1" (rendre confus), égnaffer et (rendre niais), égnauler; 2° (renverser), épater et épataroufier, épastrouiller et espalrouiller ; 3° (mettre au bioc ou à la consigne), csbloquer ; 4° (griser), csblinder ; 5° (s'arracher le poil), s'époiler ; 6° (donner la berlue), éberluer.

ÉVITER (une corvée) : R (jeu de cartes), couper à ; 2° (manger), fricoter; 3° (tirer une carotte), carotter.

EXCELLENT (degré superlatif) : 1° (plat favori), aux petits oignons ; 2° (refrain), aux oiseaux! ■

EXPÉRIMENTE, voy. malin.

FAUCONNERIE = dérober (voler) ; — tromper- (piper et ficher).

FIGURE :' 1° (bobir.e), binette ; 2° (vilaine), chenasse (litt. visage de chien).

FILLE (publique) : 1° (nom do tendresse), biche et cocotte ; 2° (fée), fébosse ; 3° (mauvaise tournure), chameau et grue; 4° (teigne), gerce ; 5° (à la surface polie), laisèe ou lésée ; 6} (pourvoyeuse de souteneur), marmite (cf. aller au persil) ; 7° (automatisme), toupie ; 8° (guenille), panoufe ou panuche. Voy. tribade.

FORMULES NÉGATIVES: 1<> (plantes), des navets ! ou des nèfles ! des pommes! ou des dattes ! 2» (coquillages), bernique! 3o (pâtisserie), du flan ! 4° (monnaie), dalle ; fj° (jeux d'enfants), la digue ! 0" (membre), balai de crins, noeud ou tringue. ; 7° (testicules), peau de balle ! la peau ! ou lappe ! 8° (irun.), i7 pleut l Qo (soldats), midi !

Fou : 1° (imbécile) loufe et loufoque ; 2° (fêlé), dingo ou tiiigo ; 3° (qui a reçu un coup), maillet ou marteau.

FOULE : 1° (forains), trêpe ; 2° (tricheurs), vade ; 3° (ouvriers), foultitude.

FUMER = coups (tabac ); — embarras (poussière) ; — tapage (foin).

GENDARME : 1° (altitude raide), bec de gaz : 2° (geste brutal), co^ne et flique ; 3° (racloir), raille et râteau ; 4° (pédéraste), pestaille et poule ; (injure), vache ; G° (livresque), pandore.

GORGE (gosier): 1<> (creux), cornet, fanal et fusil ; 2° avaloire et (par jeu de mois) vallée d'Angoulême.

GORGER (se) = se moquer ou railler (gausser, gouger et gouailler).

GOURDIN : 1° (noms propres), Jérôme ou Jacques, Jacqueline ou Joséphine ; 2° (iron.), permission de minuit.

ÙUENILLE, voyi canaille cl tribade.

GUILLOTINER : 1° (action), raccourcir ; 2° (effet), cracher (ou eternuer) dans le sac (dans le son) ; 3° (lunette de la machine), mettre le nez à la fenêtre ; 4° (altitude), jouer à la boule ou à la main chaude.

HOTTE DE CHIFFONNIER (synonymes facétieux) : Amour et Cupidon, etc.

IMBÉCILE, voy. bêle.

INDIVIDU : 1° (malfaiteurs), gonse ou marpaud, gniasse ou gnière ; 2" (soldats), pêquin ; 3° (ethnique), type ; 4° (filles), miche; 5° (ouvriers),


INDEX DES IDÉES

5i0

machin; C° (livresque), Lantimeche; 79 (caricature), Tartcmpion.

INJURIER : (poissard), agoniser et engueuler.

INSIGNIFIANCE, voy. formules négatives.

IRRITER:(secabrer), bisquer, bigO' ter et engayer (cf, prendre la chèvre).

IVRE : lo (gradation), allumé et émêché; 2° (léte : cf. mal aux cheveux), avoir son aigrette ou sa cocarde (son plumet ou son pompon), sa coiffe ou son casque ; 3" blindé, chargé, cinglé ; 4° paf ou pfeî», tance ou parti, raide ou jonrf ; 5° chicorée et (<fm a une) pistache ; O (sac à vin), pochard ; 7° (eau-de-vie), poivrot ; 8° (qui suce), cheulatd et c/ielasse ou schlasse, Voy. boire.

IVRESSE (état d'): 1° (imprimeurs), barbe et soulographie ; 2° (marins), biture; 3° (ouvriers), c««te (cf. ivre). Voy, boire.

JAMBE : 1° (gigue), guibolle ; 2° (longues et grêles), pincettes ou fuseaux; 3° (maigres), /?«7es ou flageolets ; 4° (grosse), poteau ; 5° (les deux), la paire.

JEÛNER : 1° (végéter), greffer ; 2° (jeu de caries), bouffer à l'as ; 3° (iron.), se brosser le ventre, etc.

LAID : 1° (poire ' bielle), blèche ; 2° (soie en moches), moche.

LARRON : 1° (fauconnerie), voleur; \ 2° (livresque), apache.

LIT : 1° (couverture), bâche (d'où se bâcher, se coucher); 2° paniet (d'où se pagnoter, se coucher) ; 3° bourse et porte feuille ; 4° plumard; 5° pie» (d'où se pieu/e»-) et piau (d'où pioncer, dormir) ; 6° (nid à puces), pucier ; 7° (poussier de paille), poussier.

LUBIE : (course désordonnée des bestiaux), foucade.

MAÇON : 1° (mufle), muffe ; 2° (goinfre), lipcllc ; 3° (Limousin), ligorgnot.

MAIS : io cuiller ; 2° (large), ^«ftoir, ■ '

MALADRESSE : 1» (cuisine),.î-oM/e/fe; 2° (pâtisserie), br', v«e '; 3» (accroc), gaffe.

MALIN : 1« (soldats), à la hauteur ou qui la connaît ; 2° (marins), à la redresse; 3° (douaniers), à la sonde; 4° (joueurs), à la couleur ou à la coule ; &° (comédiens), ficelle ; 6Q (tricheurs), qui a le truc; 7° (malfaiteurs), à la roue, roublard ; 8» (souteneurs), marlou.

MANGER = duper (fricoter et gourer) : — aimer passionnément (gober) ; — subir une peine (bouffer ou bouloltcr).

MANGER : 1<> (béqueler), béquiller ; 2° (enfler les joues), bâfrer et bouffer ; 3° (pour vivre) bouloter ; 4° (malfaiteurs), briffer et morfier ; 5° (marins), chiquer ; 6' (comme les chiens), cléber ou (comme les cochons), gourer.

MANOEUVRER (le navire) = faire 1' « alto » (godiller et courtier). Voy. bordel.

MAQUEREAU : 1° (nomenclature ichlyologiquo), barbeau et brochet, dauphin ou dos vert, etc. ; 2° greluciton et souteneur; 3° marlou (proprement matou), etc.

MAUVAIS : 1» (défectueux), à la manque; 2<> (sans valeur), à la mie de pain ou à la noix (cf. cresson alénois), tarte ou tartelette, 3° (chiffonniers), rogate et roupe ; 4° (relieurs), de carton ; 5<> (dépréciatif), rousselette et roustamponne (de rousse, police).

MÉDIRE : 1° (opérations agricoles), bêcher, débiner, jardiner ; 2° (colporteurs), chiner.

MEMBRE (viril) : 1° (gros anneau), bogue ; 2° (pince), dauf ou dauphin; 3° (espadon), paf ou paffut. Voy. formules négatives. MEMBRES : (volaille) abolis.


?)!sO

INDEX DES IDEES

MVADIF.R : (vagabonder avec son bllou),J>itlicr ou trucher.

MKNI'I-.'JK : 1° (soldats), blague ; 2° (lypos), piuii ; 3° (malfaiteurs), battage; 4° (pop.), couLtir et (vieilli) emblème.

MENSTRUES : (euphémismes), cardinal, et marquis, etc.

MENTIR: (tricheurs), battre comtois (altère en chiquer contre) ou battre (tout court).

MIE (de paiu), voy. etifaal et mauvais.

MISÈRE : 1° (bouillie), mouise, panade et purée (d'où purotin) ; 2° (graisse de porc), panne, (iron.) pommade et tourbe ; 3° (débinage de Ja vigne), débine ; 4° (refrain), fartdon ou faridondaine ; 5° (iron. = gentille), mistoufe; G° (tare héréditaire), deche; 7° (trouble), schtourbe, (iron.), limonade et mêlasse.

MON'T-DE-PIÉTÉ : 1» (prison), bloc et clou ; 2° (désordre), pégale ; 3" (facétieux), ma tante.

MOQUER (se) : (se gorger, se gaver), gouaillcr, gouyer et gausser.

MOURIR : 1° (soldais), descendre la garde, passer l'arme il gauche; 2° (marins), fder son cable par le bout ; 3° (fumeurs), casser sa pipe et poser sa chique ; 4° (joueurs), dévisser son billard ; 5° (miséreux), lâcher la rampe ; 0" (pop,), perdre le goût du pain ; 7° (s'en aller), calancher; 8° (euph ), tourner de l'oeil ; 9° (onomatopées), claquer ou clamser, c'apser ou crapser.

MYSTIFIER : 1° faire monter à l'échelle; 2° (pop.), monter des bateaux ; 3° (malfaiteurs), charrier.

MYSTIFICATION : lo bateau ; 2* (fumistes), fumisterie ; 3° (jeu d'escarpolette), balançoire ; 4° (imprimeurs), sorte.

MUSIQUE = exclamations de refus (flûte! zut l); —- érotisme (gamahucher). NEZ : 1° (pinceau), blair ; 2° (piffro),

(piffro), 3° (pointe), pilon ; 4° (support), tasseau) 1° (conduit 1, tube.

NOURRITURE (portion do) — soufflet (baffre ou bau/f'rée et pain). Voy. pâtisserie.

Nox VALEUR, voy. formules négatives.

OEIL : 1° (lampe), <iuiuquct)kc (miroir), iniretle, 3° (besicles), lunettes; 4° (châssis», châsse ; î>° (billes), callots.

OREILLE: 1° (gourde), csgourde ) 2° (gourneau), csgourne ; 3° (lime plate), esouane ; i° (large), feuille de chou.

I'AIX : 1° (soldats), brichelon oi brignolet ; 2° (ouvriers), gringue ou gringal; 3° (bouchers), pierre à affûter (cf. inversement, miches de saint Ltienne, pierres).

PANTALON: 1° (culotte), culbutant ou culbute ) £° (nom de fabricant), benard; 3° (ouvriers), dalzar ou falzar.

PARAPLUI.: : (théâtre), pépin, riflard cl robinson.

PARESSE : 1° (flegme), flème ; i° (chienne), cagne ; 3° (buse), cosse; 4° (ivresse), loupe. PARTIR, voy. aller (s'en). PÂTISSERIE =r gifle {beigne et dariolc, talmouse et tarte) ; — maladresse (brioche). Voy. formules négatives.-

PAYER: 1° (à contre coeur), cracher ou raquer (cf. rendre gorge); 2° (au jeu), allumer ou éclairer ; 3° (être attrapé), casquer.

PAYSAN : 1° (le derrière), pétrousquin et pctzouillc; 2° (allure), pélican ; 3° (pop.)j pacant cl pet ras.

PÉDÉRASTE: 1° (compagnon), copaille ou lope\2a (bateau), corvette et frégate (cf. godiller et gourner) ; 3° (innocent, iron.), Jésus; 4° (iron.), tante.

PERDU (sans ressources): (opéralions culinaires), cuit, flambé, frit. • PÉRORER : cracher ou tenir le cra«s*5â'

cra«s*5â'


INDEX DES IDEES

581

choir (cf. iine, fr. baver el motl. bavarder).

PERSONNIFICATION- nr soleil (Jean Jiuurguignon); — facétieuse: bouteille (Christine), gourdin (Jérôme), Iritjiie (Jacqueline), tinette (Jules ou Thomas.)

l'KL'it : 1° (chasse), (Iule (« siffllement »), frousse (« froissement des branches ») et trac (« action de traquer ») ; 2° (tremblement), la/' ; 3° (colique), trouille.

PHYSIONOMIE, voy. figure.

PLUIE : flotte et lance. Voy. eau.

POCHE: 1° (gousse), baguenaude; 2° (fouilleuse), fouillouse.

POLICE : 1° (qui aie flair), arnaque ou arnif; (malfaiteurs), rousse; 3° (euphém.), ces mess ou qui en est; 4° (pédéraste), poule, sonne, tante; 5° (injure), pestaille ou vache.

Piusox (salle de police ou corps de garde): 1° (récipient), boite ou caisse et malle (cf. ace. ïr. coffre massiz), à côté de boucle el clou; 2° (consigne), bloc; 3° (hospice),hosteau (cf. anc. jargon castu); 4° (endroit sombre), jet tard et ours; La (jeu de mots), ballon (cf. emballer) et case (cf. cabanon) ou tom/e (« bondon »); 6° (facétieux', l'i'o/on (cf. anc. fr. psaltérion); 7° (soldais), grosse ou grosse lourde ; S0 (filles), /aiaco (SaintLazare : cf. mazaro, Mazas).

PROMENER (se): 1° (vagabonder en chantant des ballades), se balader ; 2° (flâner, .se dandiner), balocher. . •

PROSTITUÉE, voy. fille.

PUER : 1° (de la vermine), danser ; 2° fouetter; 3° (pop.), chelinguer el chelipolcr ; 4° (provincialismes), gazouiller et trouilloter.

QUIDAM, voy. individu.

RAPIDEMENT: 1° (jeu d'écarté), en cinq secs ; i. 0 (soldats), un temps et trois mouvements.

RAILLER, voy. moquer (se).

RENVOYER, voy. congédier.

REPAS : 1° (petite gueule),gueuleton

(cf. anc fr. harnoijs de gueule, provisions de bouche); 2° (souvenir biblique), ballhazar.

RÉCONCILIER (se): 1° (jeu de billes), se rabibocher ; 2Q (écoliers), se rami' cher.

REVOLVER : 1° (aboyeur), azor ou basset; 2° (joyeux), rigolo.

RIEN, voy, formules négatives.

ROSSE : 1° (chèvre), bique ci gaillc; 2° (volaille), poulet (d'Inde) et canasson ; 3° (charogne), carcan et carne 4° (support), tréteau.

RUINÉ : 1° (jardinage), coupé o fauché; 2° (dent molaire), meule. Voy. perdu.

SALLE I>E POLICE, voy. prison.

S.VIVKR (se) : 1° (soldats), se cava1er; 2° (marins), ftler son câble ou mettre les voiles ; 3° (métallurgistes), se criquer; 4° (jeu d'enfants), se barrer ; 5° (pop.), faire la paire.

SAVETIER, voy. cordonnier.

SOLDAT : 1° (automatique), poupée, marionnette et guignol ; 2" (nourriture), truffant; 3° (ordinaire), fifrelin et troufion ; 4° (grive), grivier ou grifeton ; 5° (troubadour), troubade (cf. clarinette, fusil).

SOLEIL (personnifié) : 1° (marins), Jean-Bourguignon 2° (dans les provinces), Durand, ilichaud,ele,

SOULIER: 1° (bruit), claque et cro~ quenot ; 2" (bouchon), gaàin et riga' din ; 3° (large), baleaut marnais et péniche ; 4° (fabricant), godillot ou godasse.

Sou, voy. denier.

STUPÉFIER, voy. étonner.

SUBIR (une peine) : lo (mqnger), bouffer ou boulottcr (cf. manger de la prison); 2» (traîner le boulet des bagnards), tirer ; 3° (boire), êcoper ou trinquer.

Surpasser: 1» (jeu de billes), dégoter; 2° (jeu de bouchon), piger ou faire la pige.

TAILLEUR: (irou.), mangeur de


582 INDEX DES IDÉES

prunes cl croque-poux ou piquepour.

TAPAGE, voy. bruit.

TERRASSER : (faire tomber), tomber.

TESTICULES: 1° (paquet), ballots; 2° (grosses prunes), blosses (proprement bcloces) ; 3° (corbeilles), burnés et bastaud. Voy. formules négatives.

TÈTE : i° (rondeur), boule ou bobine, bobechon, cibouiot ou citron, coco ou coloquinte; 2° (récipient), bouillotte ou cafetière, bourrichon et caisson ; 3° (livresque), sorbonne ; 4° (malfaiteurs), tronche.

TINETTE, voy. baquet.

TR.VVAIL : 1° (ébénistes), boulot; 2° (imprimeurs), mèche.

TRAVAILLER : lo (mécaniciens), boulonner, mailloche)', masser et turbiner ; 2° (agriculteurs), marner ; 3° (colporteurs), chiner-, -1° (marins), bourlinguer el souquer ; 5° (écoliers), bûcher el piocher; 0" (iron.), bomber et bosser.

TRIBADE : lo (truie), gougnotte et gouine ; 2° (chienne), gousse ; 3' (bateau), galupe; 4° (chiffon), chipetle ; 5° (musique), gama'uche.

TRICHER: 1° (vpleric), flouer ou frouer et piper; 2° (renâcler), arnaquer. Voy. allécher au jeu.

TRIPOTER (= barboter) : patricoter. '

TRIQUE, voy. gourdin.

TUER, voy. assassiner.

TROMPER : 1" (enter), enturerj^, 2° (manger), fricotter on gojtre%}\l 3° (faux bijoux), estamper. /^

YAURIKN, voy. canaille. /l> / „

/ ,- '" " * )

VÉGÉTAUX = argent (blé cl grain, cresson, oscille el radis); — bèlise (melon, etc,) ; — bourse (arliche); — cercueil et voilure (sapin); — chambre (colbassc) ; — coups (marron et mûre,oignon, etc.).

NON-VALEUR, (dattes, etc.). Voy. formules négatives.

VENDUE (à vil prix) : 1° laver et lcssivcr;2° (camelots), fusiller(écou1er en coups de fusil) ; 3° (armée d'Afrique), bazarder.

VENTRE: 1° (marins), fanal; 2° x (soldats), fusil.

VIANDE (surtout coriace): 1° (de vieille brebis), barbaque et bidochc; 2° (île conserve), singe.

VIGOUREUX : 1° (chasse), d'attaque; 2° (qui a des côtes), costcau.

VISAGE : (rondeur), balle et trombine ou coucche. Voy. figure.

VOITURE : 1° (manivelle), chignollc et roulotte; 2<> (bois), sapin; 3» (ambulante), baladeuse, 4° (de forain), maringotc; 5» (tombereau), bagnole (petite banne).

VOLAILLE = bouche (bec) ; — bras (aile) ; — cheveux (plumes); — membres (abatis) ; — rosse (canasson) ; etc.

VOLÉE DE COUPS: 1° (ragoût), ratatouille ou tatouille ; 2° (potage), soupe et trempe ; 3° (iron.), danse ou toarlousine, etc.

VOLER : 1° (faire disparaître), effaroucher; 2° fabriquer ou faire; 3° (écoliers), chiper.

VOMIR: 1°-(marins), compter ses [fhëtiiises ; 2° (longue traînée), faire ou'pjqficr un renard ;"3° (jeu de cartes),'•jV^ du coeur sur le carreau. I y ■ •"> \ h ' ; -ij


TABLE ALPHABÉTIQUE

DES AUTEURS, DES ANONYMES ET DES COLLECTIONS 1

Adam de la Halle,* 505.

Agréables Conférences, 9, et passim.

Agrippa (Corneille), 224.

Albcrt-Lévy, 444.

Alexandre, 24;>.

Almanach des débiteurs, 345, 3G0.

Almanach du Hanneton, p. 451.

Almanach du Père Peinard, 57, et

passim. Almanach Hachette, 34. Amenai (Eloy cl*), 4, 2G4, 434, 435. Amusement à la Grecque, 18, etpassim. Amyot, 324. Ancien Théâtre, 199, 201, 259, 271,

401, 427, 430, 441, 504. Anglemont (d'), voy. Privât d'Anglemont.

d'Anglemont. (marquis il'), 02, 121, 315. ArgotdeVX, 105, 201, 444, 447,449. Arlequin gouré, 517. Armelhault etBocher, voy. Gavarni. Assommoir de Belkville, 52, 217. Assoucy (d'), 9, 10, 417, 513. Auberge des Adrets (L'j, 467. Aubigné (Agrippa d'), 23G, 322. Atlas Linguistique, 492, 517.

Baguet (Henry), 253.

Baïf, 507.

Baldensperger (F.), 275. '

Bally (Ch.), 27.

Balzac (II. de), 42, 59, 79, 102, 103, 104, 106, 113, 126, 132,137,142, 177,184, 193,210,222,232,235,

240,270,309^319,331,371,383, 401,403,419,438,443,405,477, 494, 495, 498, 533.

Banville (Th. de), 43.

Barberet (Jules), 255.

Barbier (Auguste), 60.

Barbier (Edmond-Jean-François), 522.

Barbusse (Henri), 486, 530, 534, 539.

Barrière (Théodore), 458.

Barroux (Marius), 492.

Baucho (Henri), 542.

Baudoin (A.), 490.

Baumaine, 34.

Beauchet-Filleau, 490, et passim.

Beaucoudray (B. G. de)f491, et passim.

Beauquier(Ch.), 490.

Beauvillier, 205, 201, et passim.

Behrens (D.), 247,274,290,300,313, "344, 461, 481, 4S9.

Behrens (Otto), 536.

Bérain, 87, 89, 92.

Béranger, 470.

Bercy (Léon de), XI, 51, 55, 56,74, 75, 245, 246, 533, et passim.

Bergerat (Emile), 114.

Bergmann (Karl), 536,

Beroalde de Verville, voy. Moyen de parvenir et Palais des Curieux.

Bert (V.), 492.

Berthod, 14.

Bescherelle, 34, 35, 488, 489, etpassim.

t. Les anonymes, les périodiques et les collections sont en itqliques.


5Si

TADLE ALPHABÉTIQUE

Bo/.e (Théodore rte\ 303. Uifîarné (Ch.), 490, 522.

nidiuiin ((i.-x.), 29, uo, r.oo.

Bloy (Li'-'iit), 51.

Bliini (Km.), 451.

Boisto (P. <!.), 37, 398, -487, 488, cl

passim. Bokomaun (Waltor), -5-20. BonnalVé (Kd.),3i5. Bonnelbux, 103, ot passim. Borol.(Pierre), 228, 511. Bormans, 277. Boni (Max), -275. Itossim (Olof), 274. Bouchot (Guill.), 23, ICI, 270, 325,

438, 5-20. Boudin, 14.

Boulet (Kd. do), -250, 493. Boutmy <ïîu£.), 19, ot passim. Boyor (Philoxèno), 454. Brantôme, 91, 95, 145, 329, 332. Brauiie (.Th.), 509. Brazior (X.), 492. Brissac (II.), 219, 470, 517. Bruant (Aristide), 50, 51, 74, 75,

204, 4SI, 487, 52G, ot passim. Brunetièro (Ferd.), 45. Brunot (Ford.), x, 9, .11, 89, 125,

. 235, 450, 4G0, 475, 47C. Burns (Mary), 113, 275, 313, 318,

320, 351, 439.

Cabarets de Paris (Les), 2G7, Cahier des plaintes, 1S, 260, 507. Giillères (François de), 91, 125, .405,

439. Callet (P. M.), 116, 490. Campardon, 245. Camus, 149, et passim. Canler, 211. Carco (Francis), 262. Garol (Jean,), 219. Cartouche ou Le Vice puni, 226, 237,

483. Casanova (Nonce), 55, 96. Casanova (Paul), 153, 159. Catholicon, 503.

dialogue de la Bibliothèque Carnavalet, 493.

Cayhis (Comte do), IS, ot passim.

Cent .\iiitcelk:< nouvelles, 325, 335.

Cor\anlos, \W.

t'es U'itiKS, 3ti5.

Chidlomol (WillViod), 197.

Chamliuro (Kij. do), 490, ot passim.

Champion (Kd.), 53S.

Champion (Pierre), 502.

Cha])olain (Joaiu,'470.

Charivari, 470.

Charles d'Orléans, 319.

Charlior .GustayoJ, 515.

Chosnol (A. do), 103.

ChevalonÀnt.), 2'i't, 501.

Cinquante mille voleurs, 203, 501.

Claude, 211.

Clédat, 503.

Clou/.ot (Henri), xn, 187.

Cocli'ird (X.-F.t, 28, 252.

Coilkmon (A.), 210, 210, 518.

Coaniard (Frères), 4(50, 467, 510.

Coùcn (Marcel), 441, 444, 446, 447, 448.

Coincy ^Gautier de), 23i, 503, ot passim.

Collerye, 417.

Comédie des Chansons, 232, 392, 394.

Comédie des Proverbes, 7, 8, ot passim.

Complément du Dictionnaire de l'Ac idémie, 488.

Condamnacion de Bancquetz, 294.

Conquête d'Alger, 153.

Conrad, 67.

Cooper (Fenimorc), 210, 469.

Corblet (Ahhô), 490, ot passim.

Corneille (Pierre), 100, 161.

Coquillard(Guil.), 13,210, 261, 262, 334, 336, 381, 424.

Coquillards (dossiers dos), 225, 232, 440, 483.

Cordier (Mathurin), 435, 437.

Cotgrave (Ilanille», 11,22, 23, 298, 331, 386,448,504.

Coulahin (H.), 491, et passim.

Courrier de Vavgelas, .44, 112, 137.

Courteline, 5i, 207. 529, et passim.

_,-c#f


TABLE ALPHABETIQUE

5S5

Cris de Paris, 308.

Cîuisin (P.), "2.VJ, '207, et passim.

Cyrano, 5.

i).i.!fiipt (\.\, u).), i71, m, m.

Dammeior (Kurt), 05. Dan (Père Pierre), 409. Dariou ((iourtes), 140. Darmosteter(A.), ix, 118, -2-23. 400,

407. Daudet (Alpb.), «1, 113, 15-2, ICO,

llil. ICI, ISO, 180, -275, 315, 310,

3-20, 478. Dau/.at (AlliiTt). W, ICI. 181, 374,

Iti.j. 528, 430, 448,5u3, 500, 510,

511,51-2,513, 514, 515,5-20,5-20,

531. Dehaisiios, -27C. Deglény (Cli.\ 40-2. IK'laporto, 202.

Delboulle (V.), 400, et passim. Déeholetlo (Fr.), 531. Delosallo (Georges), 74, 4SI, 520, ot

passiut: Delcourt (Rom'1), 530. Delvau (Alfred), 231, 458, 481, 487,

ot passim. Desaugior, 512.

Deseaves (Lucion), 131, et passim. Deschamps (Eust.), 128, 224, 418. Deseille (E.), 103, ot passim. Desormaux (J.>, 181. Desgrangos (Père), 20, 35, et passim. Desgrouais, 28, 480. Des Périers, 12G, 201, 228, 322, 327,

404, 438, 508. D'Hautel, vu, 30, 30, 487, et passim, Devic (Marcel), 153. Dictionnaire de l'Académie, ix, 47G,

477, et passim. Dictionnaire de la langue franque,

150, 500. Dictionnaire des Halles, ix. Dictionnaire des locations vicieuses,

20, et passim. Dictionnaire des sciences médicales,

432. Dictionnaire général, xi, ot passim.

Dictionnaire Langrois, 80.

Diderot, 371.

Diego do Ha-do, 400.

Diiv. (Fr.), 511.

Dioimo (X.-K.). 40, 00, 401, 523.

Doimay (M.), 21.

Dorvoaux (Paul}, i32.

Doltin, ((!.) iOl, ot passim,

Droyling lC), 120, 12S.

Driesen (Otto), 255.

Du Camp (Maxime), 77, 211.

Du Gange, 58, 124, 250, 400, 424.

Du Fa if, 120, 115, 270, 324, 327, 331,

304, 421. Du Lurons, 458. Dumas (Louis), 03. Dumosnil (M"'->, 403. Durand (Pierre), 128. Duringsleld, 500. Du Sais (Ant.), 33.

ii'.7o des Marmites, 534, 537.

Edmont (E.) 401, 402, et passim.

Elouiu, 240.

Erekman-Chatrian, 87.

Escudier, 245.

Esnault (Gaston), 213, 503, 504, 520,

531, 532, 535. Esquieu, 83,08, 315,387. Estienne (Charles), 438. Estienne (Henri), 5, G, 20, 125, 203,

337, 340, 437, 450. Estienne (Robert), 87, 00, 293, 325,

337. EtoUrs (Les), 4G5. Eudel (Paul", 444, 400, 401. Evénement (U), 401.

Faidhorbe (Général), 151, 150, 100. Faral (Edmond), 243, 244. Favre (L.), 400. Féraud, 123, 487. Fertiault (P.), 491, et passim. Feuillet (Octave), 400. Figaro (Le), 450, 400. Fille-de l'air (La), 4G7. Flaubert (Gustave), G3, 110, I9S, 351, 374. '


58G

TABLE ALPHABÉTIQUE

Flandin (Marcel), 4SI, 439, 478.

Fournel (Victor), 245, 25i.

Français peints par eux-mêmes, 402.

France (Hector), 4SI, et passim.

Fréron, 1).

Frescaly (Marcel», 149, et passim.

Froy (E.), 274.

Fuchs (Max), 21.

Furetière, ix, 23, 24, 422, et passim.

Furpille (Eugène), 3G9/452. 454, 459,

405. Fustier (Gustave), 401, 481.

Galioriau (Emile), 131, 150.

G ado, 188.

Galopin, 420.

Garneray (Louis), 30.

Gattel, 487.

Gau<!y-Lefort, 48, GO, 379, 490.

Gaulois (Le), 400, 401,

Gautier (Théophile), 400.

Gavarni, 05,08, 114, 138, 314, 497.

Gay, 83.

Gay (Victor), 504.

Gazier (A.), 490. x

Génin, 93, 365.

G>1 Blas (Le), 451, 458, 400.

Gill (André), 483.

Gill et Grammont, 55.

Gillé (G.), 42.

Gilliéron (J.) 470, 492.

Ginisty (Paul), 131, 498, et passim.

Concourt (Frères), 20, 00, Gl, G3,

105, 111, 122, 139,144, 140, 198, - 220, 313, 350, 433, 478. Goncourt (Edmont de), 252. Goron, 211. Goujet (Abbé), 11. Gourmont (Réniy de), 3î. Granger (Léon), 48, 148, 535, 530,

539. Granval. 10, 75, 77, 513, 518. Gréban,3S4, 410, 508. Guillemaut (L.), 47, 491, et pasiim. Guillemin, 334.

Guinguette patriotique (La), 121. Guy de Mâupassant, 61, 65, 113,

180,265,274,287, 439, 478.

Gyp, 21, 87, 202, 402.

Haas (G.), 149.

Haigueré (IX), 491.

Hamdoif (Ad.), 345.

Harman (A.), 1G8.

Hartmann (Stophan), 2?i.

Hayard (Napoléon), 481, et passim.

1 [écart (J. A. G.), 490, et passim,

Hélène (Smith), 515.

Henry (Victor), 515..

Heni'us, 538.

Heymann (W.), 22, 58.

Hindret, 87, 91, 93,325.

Hirsch(G!i.-H.), 55, et passim.

Ilistorical bktionary, xi.

Ho'gior-Grison, 172, 237.

Hoi-n (Paul), 131.

Huart (Louis), 492.

Huet (G.), 334, 513.

Hugo (Victor), 42, 59, 114,222,250,

284, 304, 345, 387, 420, 443,

409, 490, 515, 520. Hugues Le Roux, 245. Huguet (Edmond), 59. Humbert (Alphonse), 119, 204, 219,

559". Humbert (J.), G, 48, 114, 340, 344. Huvsmans (J.-K), 15, 114, 157,274, '278, 283, 314, 345, 352, 422.

Intrigue des filous, 409.

Jal (Auguste), 163.

Janin (Jules), 492.

Jargon.de l'Argot, 10, 22, et passim.

Jaubert (Comte), 490, et passim.

Jeanjaquet (J.), 82, 84.

Jeanroy (Alfred), 80.

Jodelle, 271.

Jossier (S.), 490, et passim.

Jouancoux, 490.

Joubert (Laurent), 144, 533.

Journal de la langue française, 283.

Journal de la Râpée, 308. .

Journal des Halles, 336.

Journal d'un bourgeois de Paris, 210,

270, 333, 400. Journal pour rire, 400.


TAULE ALPHABÉTIQUE

587

Karr (Alphonse), 444. Kemiif (J.). 538. Kluge(Fréd.), 511.

La Hi'ilnUu.ro (K. do), 07, 144, 201,

255, 281, 359, 308.- Labiche, loi, 459, 495. Labouehère (Alfred), voy. Oberkampf.

Oberkampf. 215, 414. Laconil)c(Paul), 492. Lacurno, 329. Ladimir (J.), 492. La Fontaine, 202, 512. La Landolle (G. de), 103, 164, 107,

1G9, 171,174,17.8,317,307,492. La Monuoye, 228. La Mothe Le Vayer, 88. Lanipreclit(E.), 274. Landais (Napoléon), 488. Larchey (Lorédan), 201, 481, 487, et

passim. Larivey, 332, 381. Latrcil'e et Vignon, 28. Latzarus (Louis), 211. Laveaux, 488. Lavedan (Henri), 21, 402. Le Bourg, 200, 211, 320, 355. Ledieu (A.), 491. Le Breton (André), 515. L'Ecluse, 18, et passim. Lecomte (Ch.),491, et passim. Leconto (François), 203, 204. Le Duchat, 203, 433. Le Loyer (Pierre), 502. Lenôtre (Georges), 529,-531. Lepelletier (Edmont), 483, 527. Le Petit (Claude), 9, 10, 392. Leroux (Alcide), 187. Le Roux (Philibert), 10, 12, ot passim. Le Roux de Lincy, 471. Leroy (Charles), 131. Le Roy (E.), 320. Lespinasse, 352. Lestoille (Pierre de ), 507. Liard-Courtois, 165, 219. Liber VagaCorum, 226.

Littré (E.), x, 35, 3G, 176, 488, 489.

Livet (Cli.), 450.

Loliée (Frédéric), 21, 05, 458, 461,

402. Lotsch, 274. Loynel (Auguste), 52. Loyset (Ant.) 370. Lucas (Aimé), 258, et passim. Lucienne (M. Donnay et J. Marni),

402.

Mac-Nah, 90Mac-Carthy,

90Mac-Carthy, 152.

Machard (À.j, 254.

Macé (Gustave), 205, 213, 214, 521,

525, 520, 527, et passim. Madame Engueule, 14, 311. Mahalin (Pierre), 527. Marc Fournier, 231. Marcel (J.), 153. Marco de Saint-îlilaire, 493. Margueritte (P.), 320. Marni, 21, 454. Marni (J.), 402. Marot (Clém.), 8, 11, 35, 328. Martellièro (P.), 491. Martin et Lienhardt, 188. Martin (David). 220, 221. Marty-Laveaux, 507. Massebieau, 435. Massis (Henri), 52, 53. Mausser (Otto), 530. Mazarinades, 9, 473. Maze (Abbé), 103, 511. Meillct (A.), xr, 09, 70. Mélanges Brunot, 28, 274 .u Mêlusine, 371,415, Mémoires d'un Forban, 219. Mémoires d'un Forçat, 248, 143, 526. Ménage (Gilles), 24, et passim. Mondes (Catulle), 206, 207. Ménière (C), 490, 509. Mercier (Henri), 205, 536. Mercier (Sébastien"*, vin, 18, 19, 81,

83, 221, 323, 364. Mérimée (Prosper), 248. Merlin (Jean), 259, 461. Merlin (Léon), 131, et passim. ■


588

TABLE ALPHABÉTIQUE

Métcnier (Oscar), 54, 55, 205, 211, et

passim. Moyer (L.-E.), 188. Meyer-Lùhke, 59, 232, 2-iO, 500,

514. Meyer-Riefstahl, 581. Michel (Francisque), 3G7, 407, 420,

427, 495. Michel (J.-F.), 28, 29, et passim. Michel (Louise), ■527. Michelct, 471. Mignard (L.!. 490. Millouvoye (Mertrand), 51. Mirabeau, 08.

Mirbeair. 151, 231, 2S5, 314. Mirniande (Paul), 219. Mistral, 3G8, 492, et passim. Moisant de lirieux, 228. Moisand (Gonst.), 493. Miusy (IL), 190, et passim. Molard (Etienne), 28, et passim. Molière, 75, 93, 152, 101, "271, 321,

383, 418, 450, 50.0. Momoro (François), 175, 190, 193. Moulue (Adrien de), voy. Comédie

des Proverbes. Monnier (Henry), 54, 91, 98, 215,

381. . Mouselet (Gh.), 251, 302, cl passim. Montaigne, 322, 324, 408.' Monteii i Edgar), 459. Montesson (G.-R.\ 490, clpassim. Morand (I)r.), 277. Moreau (Ghristophe), 495,496. Mornaml (Félix), 90,241. Morris (Victor), 210. Mulson, 39, 301, 312, 339, 351, 490,

523. Moyen de parvenir, G, 7, et passim. Muret (Th.). 492. Murger (Henry), 20l, 439, 498. Muse Normande, 79, 279, 280. Mystère des Trois Doms, 224. Mystère de Saint-Quentin, 9't, 325.

Nadaud (Gustave), 470.

Nation (La), 459.

Nihor (Yanne), 103, et passim.

Niceforo (Alfred), 43, 248.

Nicot, 5, 89.

Nisard (Gli.), 9, 10, 17, 18, 19, 20, 43, 8(1, 87, 89, 200, 230, 293, 311, 324, 330, 421, 509.

Nodier (Gh.), 45, 487, 488.

Noir (Victor), 433.

Noriac (Jules), 131.

Nouveau Tableau de Paris, 492.

Nouveaux Compliiiiens, 13.

Nouveau Dictionnaire d'Argot, 205.

Nyrop (Krystofer), 2<Jl, 220, 332, 301, 407, 441, 440, 497.

Oherkami>f, 187.

.OIschki (Lconardo), 541.

Oudin (AnL),-8, 9, 88, 470, clpassim.

Ourliac(K«l.), 411, 492.

Oulrepont (G. S.), 492.

Paillette (Paul), 94.

Palais des Curieux, 300, 522.

Palais lloyal, 250,.507.

Palissy, 184.

Paquet de mouchoirs, 10, 1S, 200,

292, 300, 318, 308,422. Palsgnive, 508. Paré (Amhroise), 92. Parent-DuehiUelet, 258. Paris ou le Livre de Cent et un, 492. Paris (Gastou), x, 22, 47, 101, 408. Parnasse salyrique, 5(18. Pasquicr (Etienne), 328i 381. Paulian (Louis), 255. Pelletier du Mans (Jacques), 88,91. Pépin (L.), 28. s

Père Duchéne, 3G, 02, 220, 221, 222,

220,295,335.351,413,471,484,'

485,501. -Péroditi, 245. Perrière (G. de), 155. Perrin (François), 200. Petite Presse (La), 470. Pfau, 0, 8.

Pieilïer (Gustav;, 310. Philippe (Gh. Louis), 110. Philipot (Eni.), 410, 503,.501, 505. Physiologie, 492.


TABLE ALPHABETIQUE

589

Picard (Louis-Benoit), 467. Pixérécourt, 407. Poissardiana, 321,4-20.

Poitevin, ISS.

Pompigny, 509.

Ponchou (Raoul), 5-20.

Vorcherons (Los), "28, ot passim.

Porteur d'eau, 402.

Pouge.t (Emile), x, 50, 182, 48i,

485. Pougiu (Arthur), 404. Poulot (Denis), 51, 52, at passim. Poyard, 314. Privât d'Anglcmont, 107, -215, 495,

498, et pasùm. Provins (Michel), 421. Puitspelu (Nizionlu), 28, 81/90,97,

330, 330, 401, 491. Pulci, 513, 517. Puyharaud (Louis), 2G2.

Quellien (N.), 255, Quitard, 228.

' Rabelais (François), 4, 8, 11, 32, 3G, 112, 14G, 1G5, 177,227, 322,323, 320, 327, 328, 330, 332, 352, 380, 408, 410,438,439,473, 181, 5ÔG, 513, 528, 533.

Ramus (Pierre), 2G.

Rasse des Nirux, 503.

RU du Chdtclct, 79, 314.

Rauschmaier (A.). 398, 399.

Rcholl (Hugues), 4S3.

Reclus de Mol lions, 259.

Regnard (Jean-François), 390.

Régnier (Malhurin), 78, 331.

Reniaclo(L.), 490.

Restant, 487.

Rétif de la Rretonne, 319.

Réval, 130, et passim.

ltvuc (/•; philologie française, 503, et passim.

ttickc-cn-giioile, 18, 105, 208, 311.

Richélet Pierre), ix, 22,23, olpassim.

Richepin (Jean), 15, 50, 103, 200, 240, 215, 274. 483, et passim.

Richet (L.), 9.

Rictus (Jehan), xi, G3. 95, 207, 485, 480, et passim.

Rigaud (Lucien), 74, 427, 481, 487, et passim.

Rippert (Emile), 489.

Rolland (Eugène), 30, 77, 78, 195, 31(9,501..

Rolland (II.), 444, 492, 310.

Rolland (J. F.), 3G.

•Robin (G.), 490.

Romaiiiville, 107. ,

Roman de la Rose, 124, 228, 371, 381, 382.

Roman du Renard, 417.

Ronsard, 124.

Roqueplan (Nestor), 230.

Rosny (J.-II.), 53, 51, 211, clpassim.

Rosset, 9.

Rossignol, 74, 205, 211, 481, et passim.

Rostand (Edmond), 45, 288, 455, 45.7.

Rousseau (J.-J.'j, 341.

Roussey(Cu.)> 398,491.

Royer-Rehab (Louis), 1G3, 109,497.

Rutoboeuf, 243, 244, 417.

Saint-Simon, 315.

Sainte-Reuve, 39.

Saint-Firmin, 370, 509, 510.

Sand (George). 275.

Sardou, 43, 4G3.

SarrepontUI. de), 131, 15S, 100, 105,

394. Satire Ménippéc, 91, 12S, 335, 441. Saubinet (12.), 490. Sauvé, 333.

Scaliger (JoseplO, 20, 28. Scalitjcrani, 20. Scarron, 9, 11, 327, 393. Scheler, 93, 105. Rchmitllin, 318.

Schwob (Marcel), 20i, 123, 190, 508. Schuchardt (Hugo). 499. Séhillut (Paul». 183. 408. Séché (Alphonse), 51. Semant (Paul de), 151. Seufelder, 201. Sévigué, (M»e do), 324.


59C

TABLE ALPHABETIQUE

Sigart (J ), 4G5, 490, 52-2-523. Sorel (Ch.), 9, G7. Stendhal, 79.

Sue (Eugène), 42, 58, 254, 4G9. Stapfer (Paul), 478. SurantT.}, 533.

Tabourot (Etienne), 128, 304. Thaureau (Jacques), 418. Tappolet (E), 429. Tailhade (Laurent), 51, 542. Tarbé (P.), 490, et passim. Tallement des Réaux, 229. Theuriet (A.), 199. 274, 457, 4G0,542. Théâtre des boulevards, 200, 407. Théâtre italien, 93. Thibault (A.), 491. Thomas (A.), 505, 529. Thorn (Chr.), 197. '' Thurau (G.), IG8. Thurot (Ch.), 87, 90, 91, 92, 98, 100. Thurneysen, 505. Tobler (Adolf), 420. Tory (Geoffroy), 88. Trccoux (Dictionnaire dt), 24, 25, et passim,

Vachet (Adolphe), 28, 179, 438,491,

518. Vadé. 14, 15, 473, et passim, Valéry-Mayet, 149, et passim. Vallès (Jules), 245. Van Gennep (A.), 130. Vaugelas, 120. Verlaine (Paul), 542. Yermesse (L.), 490. Verrier et Onillon, 47, 491, cUp(/Sn ,

sim. /'^ "

Veuillot (Louis). 00. /■•>?,

Vie (Jean), 529.

Vidal et Delmart, 131,511, clpassim.

Vidocq, vit, 41, 43, 205, 216, 422, 451, 494, 506, 515, et passim.

Vie de Saint Chrislophle, 245, 245.

Vie généreuse (La), 227, 229, 230, 504, 505, 507.

Vigny (Alfred de), 137.

Villars (Emile), 455, 463.-

Villate (Césaire), 481.

Villecomte, 88, 101.

Villioù, 211.

Villon, 3, 4, 24, 88, 99, 133, 225, 231,232, 230,320, 3G6, 400,418, 425, 489, 473, 483, 501, 503, 50i, 505,515,517,518,519,520.

Vincent (Abbé), 29, 10G.

Vincent (L.), 275.

Viret (Pierre), 2G3.

Virmaitre (Ch.), 259, 481, et passim.

Vitu (Auguste), 365.

Vocabulaire des Chauffeurs, 258, 49 i, 506, 509, 510, 511, 523, 527.

Voltaire, 469.

Voltaire (Le), 460.

Wailly (de), 59, 487. YVatriquet de Cauwin, 505. Weil (Armand), 45, 44i, 446. Widmer (Samuel), 187. Willaumez, 16 i, 178. Willy, 21, 462. Winmier, 87. Wissler (Gustav), 48, 429.

Yve-Plessis, 431, 4G3, 492.

"Zola(Emile), 52, 53, 87, 122, 274, •è.77, 469, 470, 483, et JCISM'HI.

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PUBLICATIONS PHILOLOGIQUES HE M. SAINEAN

QUELQUES APPRÉCIATIONS :

L'Argot Ancien (1453-18o0). Ouvrage couronné par l'Inslilut (Prix de linguistique Volney). Paris, 1907.

Le teimo d'argot a fini par prendre en français un sens très vague, très élastique : chaque groupe social a son argot, langage plus ou moins factice où figurent des mots inconnus au français proprement dit, et où les mots français sont souvent pris dans une acception détournée. Primitivement le mot argot s'est appliqué, dans notre pays, à la « classe » et non à la « langue » des malfaiteurs. C'est un terme collectif, dont M. Sainéan a fort bien élucidé l'origine. Donc c'est à la langue des malfaiteurs, étudiée dans ses monuments les pius anciens et les plus authentiques, que M. Sainéan a consacré le livre que nous nous proposons de faire connaître et auquel l'Institut a décerné en 1908 la plus haute récompense dont il dispose dans l'ordre des études linguistiques, le prix Volney. M. Sainéan a eu à sa disposition les matériaux nouvellement donnés au public par les lexicographes et les éditeurs de textes ; il a, pour les mettre en oeuvre, une connaissance générale des langues et des patois les plus divers que son laborieux devancier, Francisque Michel, était loin de posséder au même degré. Aussi ingénieux que Schwob et Guieysse, il est guidé par un principe excellent, dont ils ne se sont pas toujours inspirés, celui de procéder historiquement : aussi se gardet-il d'attribuer arbitrairement à l'argot ancien les tendances qui ne se manifestent que dans l'argot de nos jours. L'introduction de M. Sainéan est de tout point excellente. J'y louerai surtout le chapitre intitulé : Critique des sources, où il montie combien les recueils et impressions inodefnes ont altéré, par suite des fautes typographiques, l'ancien vocabulaire argotique.

,Méticuleusement documenté, M. Sainéan a soumis à une analyse approfondie l'argot ancien de France, tant au point de vue lexicographiquo qu'au point do vue sémantique. Il repousse la plupart des rapprochements q.u'on a proposés entre certains termes d'argots et des termes celtiques, grecs, latins, hébreux, bohémiens, etc. ; et il proclame que, malgré quelques points de contacts avec l'argot d'Italie (le furbesco), d'Espagne (la germania), de Portugal (le calao), l'argot do France est un produit foncièrement indigène. M. Sainéan s'efforce de réduire l'élément mystérieux de l'argot. Il n'y aurait plus, en ell'et, de mystère si l'on acceptait sans réserve l'idée maîtresse de son livre : l'argot a emprunté sou vocabulaire au français commun ou dialectal, qu'il a parfois conservé tel quel, et plus souvent détourné de son sens propre par le jeu capricieux de l'imagination. L'étude des éléments originaux est fort bien conduite et fort intéressante : c'est un manuel de sémantique argotique où l'auteur fait preuve de beaucoup de perspicacité et éclaire singulièrement le sujet.

Antoine THOMAS, Journal des Savants, octobre 1909, p. 437 à 44b.

On a beaucoup écrit sur l'argot français ; mais presque aucun des auteurs qui s'en sont occupés n'a appliqué à ce sujet, difficile entre tous, les règles d'une, bonne méthode philologique. M. Sainéan applique aux sources une critique exacte et les principes de la linguistique. L'objet du livre reste important et les conclusions de l'auteur présentent beaucoup d'intérêt. Le vocabulaire argotique apparaît désormais beaucoup moins étrange et moins romantique qu'on ne se plaît-souvent à l'imaginer. Le mérite essentiel de l'ouvrage de M, Sainéan est dans la détermination précise des sources dia-


lectales et étrangères du vocabulaire argotique et dans l'application de la méthode philologique à l'étude des sources. Après son livre, l'étude scientifique de l'argot est fondée et l'ère des amateurs est Unie.

A. MEILLET, llallelin de la Société de linguistique de Paris, novembre 1003.

Sources de V Aryol Ancien. Ouvrage couronné par l'Acalcmic française (Prix Saintour). Paris, 1912, 2 vol.

L'étude des sources argotiques était déjà une des parties les plus solides de l'Aryot ancien (1907). On ne peut donc que se féliciter si l'auteur a persévéré dans cette voie et nous donne aujourd'hui un ouvrage qui est le fruit de longues et consciencieuses recherches et qui met à la portée de tous l'édition critique et, on peut lo dire, définitive, des textes'argotiques importants antérieurs à IS30. Vaut-il ajouter que l'ouvrage est édité avec goût et imprimé avec soin ?

M. Sainéan a poursuivi l'oeuvre d'épuration qu'il avait si bien commencée dans l'argot ancien : il a passé les documents au crible d'une critique serrée et justement sévère pour les fantaisies modernes dont l'argot a été l'objet. Les deux introductions qui ornent chaque volume constituent une excel 1 -nte histoire bibliographique de l'argot ; la seconde, qui embrasse le xix« siècle dans son entier, remet au point bien des vérités méconnues...

A. DAI'ZAT, Revue de Philologie française, 1" fisc, de 1913.

Depuis Marcel Schwob la question do l'argot n'a guère avancé jusqu'à Y Argot Ancien de M..Sainéan. Kt voici que reprenant le travail où Schvvob l'avait laissé, M. Sainéan réunit toutes les sources de l'argot depuis les plus anciennes jusqu'aux plus récentes, en donne une édition critique, en discute la valeur et les résume enfin dans un glossaire historique et étymologique de l'argot. On a désormais, en deux volumes maniables et élégants, toutes les données utiles pour étudier l'argot. Avec ses introductions et ses discussions de détail des mots, M. Sainéan a fait l'histoire de l'argot, et son livre sera désormais la base de toute élude nouvelle de la question.

Depuis le milieu du xix° siècle, l'argot a cessé de se développer. Il n'y en a plus que des survivances, dont beaucoup ont du reste passé dans ce que M. Sainéan appelle le bas-langage et même dans la langue de tout le monde. Telle est l'histoire développée par. M. Sainéan, et qu'on lira avec un vif intérêt.

Pour avoir fait un pareil livre, qui représente un travail considérable, M. Sainéan mérite la reconnaissance de tous ceu\ qui s'intéressent à la théorie des langues spéciales et à l'histoire du vocabulaire fram ais. A. MEILLET, Hullelin de ta Société de Linguistique de l'eris, octobre i'J!3

L'Argot des Tranchées. Paris, 1915.

I^es mots étudiés par M. Sainéan avec sa compétence bien connue sont répartis en six sections: Archaïsmes, provincialisme.*, mots et sens nouveaux, noms facétieux, termes coloniaux, mots de jargon. De curieuses -pièces documentaires et un lexique-index terminent ce petit volume.

I.co.i CLKDAT, llecue île pliiloluftie française, I. ixx, 1310, p. 318.

Cet ouvrage est jugé pxact/^U^ôlnJifct pÏKles connaisseurs expérimentés du « front ». / -' '''■:

Jean v/:/ï« /^{éraluire (ft'Aacire, Pari?, 1918, p. 2ul.

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