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Full notice
Title : Annales de la Société libre des beaux-arts
Author : Société libre des beaux-arts (Paris). Auteur du texte
Publisher : bureau du Recueil des beaux-arts et de l'industrie (Paris)
Publisher : Carillan-Goeury et V. DalmontCarillan-Goeury et V. Dalmont (Paris)
Publisher : Impr. de DucessoisImpr. de Ducessois (Paris)
Publisher : A. JohanneauA. Johanneau (Paris)
Publisher : Librairie RenouardLibrairie Renouard (Paris)
Publication date : 1836
Contributor : Miel, François (1775-1842). Éditeur scientifique
Contributor : Sage, Alphonse. Éditeur scientifique
Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32694040r
Relationship : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32694040r/date
Type : text
Type : printed serial
Language : french
Format : Nombre total de vues : 6673
Description : 1836
Description : 1836 (T6).
Rights : Consultable en ligne
Rights : Public domain
Identifier : ark:/12148/bpt6k5425103n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, V-24388
Provenance : Bibliothèque nationale de France
Online date : 19/01/2011
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ANNALES
DE LA SOCIÉTÉ LIBRE
DES BEAUX-ARTS,
PUBLIÉES PAR CETTE SOCIÉTÉ,
ET MISES EN ORDRE
PAR M. MIEL,
L'UN DE SES MEMBRES.
TOME VI. — ANNÉE 1836.
AU BUREAU DU RECUEIL DES BEAUX-ARTS ET DE L'INDUSTRIE,
RUE NEUVE-DES-CAPUCINES, N° 13 BIS;
(liiez BACHELIER, quai des Augustins, n° 55; Dans les départemens et à l'étranger, chez les principaux libraires.
1836
AVIS AU RELIEUR.
Placer en tête du volume le contenu du présent cahier.
Réunir les quatre planches à la fin du volume.
Enlever les deux cartons numérotées XXXIII ( fin du deuxième cahier ) et LXXXI ( fin du quatrième cahier ) , leur contenu étant répété textuellement en tête des troisième et quatrième cahiers, sous la pagination courante.
Pour compléter les collections dépareillées s'adresser au bureau du Recueil des Beaux-Arts et de l'Industrie, rue Neuve-des-Capucines, n. 13 bis, où l'on peut se procurer les cahiers manquans.
N°1.■
ANNALES
DE LA SOCIÉTÉ LIBRE
DES BEAUX-ARTS,
PUBLIÉES PAR CETTE SOCIÉTÉ,
SOUS LA DIRECTION
DE M. MIEL,
L'UN DE SES MEMBRES,
ANNEE 1836. - 1re LIVRAISON.
AU BUREAU DU RECUEIL DES BEAUX-ARTS ET DE L'INDUSTRIE
RUE NEUVE DES CAPUCINES, N°13 BIS;
Chez BACHELIER , quai des Augustins, n° 53 ; Dans les départemens et à l'étranger, chez les principaux libraires.
1856
CONDITIONS DE LA SOUSCRIPTION.
La souscription pour 12 livraisons, ornées de gravures lorsque le texte l'exige, est de :
Pour Paris. ......... 12 fr.
Pour les Départemens et l'Etranger. . . . 15 »
AVIS.
LA SOCIETE LIBRE DES BEAUX-ARTS fait paraître successivement. à partir de 1836, textuellement ou par extrait, le résultat de ses travaux mensuels, dans des cahiers d'un plus ou moins grand nombre de pages formant appendice aux livraisons du Recueil des Beaux-Arts et de l'Industrie, lesquels contiennent les Mémoires, Notices et Rapports des Peintres, Statuaires, Architectes, Graveurs, Lithographes, Musiciens, Archéologues, Membres titulaires, correspondons ou honoraires, ainsi qu'un Précis des discussions qui ont lieu dans le sein do la Société.
Déjà un 1er volume a paru ; il renferme les travaux des années 1830 et 1831 ; il est accompagné de quatre belles gravures, dont l'une représente l'Intérieur du Salon de l'Empereur Napoléon, à Fontainebleau, à l'époque mémorable du 11 avril 1814, réduit avec le pantographe Gavard, d'après le dessin du général Athalin.
Le prix de ce volume est, pour Paris, 4 fr., pour les département, 5 fr., et pour l'étranger, 6 fr.
ANNALES
DE LA SOCIÉTÉ LIBRE
DES BEAUX-ARTS.
Paris, Imprimerie de A. BELIN, rue Sainte-Anne, 55
ANNALES
DE LA SOCIÉTÉ LIBRE
DES BEAUX-ARTS,
PUBLIÉES PAR CETTE SOCIÉTÉ ,
ET MISES EN ORDRE
PAR M. MIEL,
L'UN DE SES MEMBRES.
TOME VI. — ANNÉE 1836.
Se trouvent :
AU BUREAU DU RECUEIL DES BEAUX-ARTS ET DE L'INDUSTRIE,
RUE NEUVE-DES-CAPUCINES , N° 13 BIS;
Chez BACHELIER , quai des Augustins , n° 55 ; Dans les départemens et à l'étranger, chez les principaux libraires.
1856
TABLE DES MATIÈRES.
ANNALES DE LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS.
TOME VI. ANNÉE 1836.
La pagination du volume est divisée en deux séries.
La suite des nombres naturels entre parenthèses forme la première série et indique les publications qui, n'ayant pu être imprimées qu'à la fin de l'année, devaient cependant prendre place en tête du volume.
La suite des mêmes nombres saus parenthèses constitue la seconde série et correspond aux travaux successivement pnbliés pendant le cours de l'année.
Liste des Membres composant la Société libre des BeauxArts en 1836. (1)
Composition du bureau en 1836 (10)
Séance publique tenue à l'Hôtel-de-Ville, le 25 décembre 1836, sous la présidence de M. Malpièce (11)
Compte-rendu des travaux de l'année, par M. Turenne, secrétaire (13)
Distribution des récompenses (30)
LECTURES DE LA SÉANCE PUBLIQUE.
Considérations sur les monumens antiques de l'Amérique, par M. Ch. Farcy (35)
Notice sur Jean-Germain Drouais, peintre d'histoire, par M. Miel . (50)
II
Des Amateurs de musique et des Concerts d'amateurs, par M. Delaire. (63) et 120
TRAVAUX COURANS.
Sur le procédé du métal battu ou sphyrelaton des anciens, et sur les avantages de l'emploi de cet art à la reproduction des sculptures d'une dimension colossale, particulièrement de celles qui sont destinées à surmonter le sommet des édifices, par M. Hittorff 1
Rapport fait par M. Biet, sur l'ouvrage intitulé : Recueil des modèles les plus remarquables de Portes d'anciens édifices en Grèce et en Italie, par Thomas Leverton Donaldson, architecte anglais ..... 17
Notice sur feu Henry, peintre, commissaire-expert des Musées royaux, par M. Miel 29
Rapport fait par M. Du Vautenet, sur les Souvenirs de la Touraine, par M. A. Noël 35
Extrait du rapport fait par M. Alexandre Lenoir, sur le Cours complet d'ornemens dessinés et lithographies par M. Romagnési aîné 42
Essai sur la majorique (majolica) ou terre émaillée, adressé à la Société par M. Hensel, membre correspondant, peintre de S, M. le roi de Prusse 49
Notice sur feu Pomel, graveur, par M. Desains 67
Rapport sur une notice de M. Alexandre Dumège, membre de la Société archéologique de Toulouse, concernant la ville d'Aigues-mortes, par M. Biet 72
Relation d'un voyage artistique de Darmstadt à Munich, adressée à la Société par M. Felsing, graveur du GrandDuc de Hesse-Darmstadt, traduite de l'allemend par M. Müller 83
Rapport sur le recueil des travaux de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Châlons-sur-Marne, pendant l'année 1835, par M. Du Vautenet 102
Rapport fait au nom de la commission chargée d'organi-
III
ser les expositions départementales, par M. Huard (Je l'île Bourbon ) 113
Deux fables en vers, la Souris philosophe et le Naufragé, par M. Desains . 130
Rapport fait par M. Voizot , au nom de la commission chargée d'examiner un mécanisme proposé par M. de Saint-Mémin, conservateur du musée de Dijon, membre correspondant de l'Institut, pour réunir les panneaux disjoints des tableaux peints sur bois 141
Rapport fait par M. Biet, sur une notice intitulée Tindal, par M. le baron de Castellane, membre correspondant de la Société archéologique du Midi 145
Sur quelques monumens et morceaux d'art d'Anvers et de Bruxelles, par M. Bougron. 155
Rapport sur les Mémoires de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon, pour l'année 1835, par M. Miel.. i 169
Rapport sur les Mémoires de la Société d'Emulation de Cambrai, pour 1832—1833, par le même 177
Rapport fait par M. Malpièce, au nom de la commission chargée d'examiner les gravures à l'eau-forte offertes par M. Dunouy 185
Notice sur feu Capdebos, peintre d'histoire, par M. Guersant 187
Rapport fait par M. Gelée, sur un extrait de l'Echo de la Nièvre ( du 9 avril 1836 ) , adressé à la Société libre des Beaux-Arts 189
Rapport fait par M. Hittorff, sur la maison et le musée du chevalier Soane, architecte, à Londres 194
Rapport fait par M. Bidaut, sur les deux premiers cahiers des Annales de la Société royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts d'Orléans 200
Rapport fait par M. Pérignon jeune, sur trois recueils de l'Athénée des Arts offerts par l'Athénée à la Société 212
Notice sur Jean Guérin, peintre en miniature, par M. Desains 215
IV
Extrait des rapports faits par MM. Alexandre Lenoir et Miel, sur deux vues du vieux Paris, dessinées par M. Pernot et lithographiées par M. Champin, et sur deux vues du nouveau Paris, dessinées et lilhographiées par M. Champin 218
Rapport fait par M. Huard (de l'île Bourbon), au nom de la commission chargée d'examiner plusieurs couleurs soumises à la Société libre des Beaux-Arts 225
Rapport fait par M. Duplat, au nom de la commission des récompenses 232
PLANCHES.
I. — La Fontaine de Beaune, à Tours, dessinée et lithographiée par M. A Noël.
II. — Fragment antique tiré du cabinet de M. Lebas, dessiné et lithographié par M. Romagnési aîné.
III. — Appareil de M. de Saint-Mémin pour réunir les panneaux disjoints des tableaux peints sur bois, dessiné par M. Voizot et gravé par M. Ransonnette.
IV. —La Tour de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, dessinée d'après nature et gravée à l'eau-forte par M. Champin.
ERRATA.
Page 15, ligne 15, au lieu de propablement, lisez probablement.
Page 165, ligne 13, au lieu de Téniers le jeune, lisez Téniers le vieux.
Page 175, avant-dernière ligne, au lieu de cette impression, lisez cette impulsion.
Page 181, ligne 5, au lieu de plu, lisez plus.
Page 214, ligne 3, au lieu de d'outre, lisez d'outres.
Page 218, ligne 2 du titre, au lieu de fait, lisez faits.
Page 222, ligne 27, au lieu de to, lisez toutes.
Page 229, première ligne, et page 230, dernière ligne, au lieu de numérotée 6, lisez marquée C.
Sur quelques exemplaires de la planche représentant la Tour de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, au lieu de Pl. VI, il faut lire PI. IV.
COMPOSANT
LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ABTS.
MEMBRES TITULAIRES.
PEINTRES, DESSINATEURS ET LITHOGRAPHES.
MM. Abel (le Pujol , rue Albouy, 18, membre de l'Institut. Aubry , rue Neuve-des-Petils-Champs, 18. Beaume , rue d'Enghien, 10. Belloc, rue de l'Ecole-de-Médecine, 5. Blondel , rue Garancière, 6, membre de l'Institut. Bohm, rue de la Micbodière, 12. Bordier, rue de Grammont, 13. Buffet, rue Michel-le-Comte, 18. Caminade , rue do l'Observance, 8.
Carpentier, rue de Lancry, 10. Champin, rue Neuve-St.-Roch, 30.
Chasselat, rue de l'Abbaye, 3.
Chèry, rue Vieille-du-Temple, 122.
Cibot, rue des Beaux-Arts, 5.
Coutan, rue Saint-Lazare, 57.
Cossard, rue Saint-André-des-Arcs, 61.
Daguerre , rue des Marais-du-TempIe, 5.
Dauzats, rue Olivier, 6.
Dedreux d'Orcy, rue Taitbout, 9.
Dejuinne , rue des Grands-Augustins, 18.
Delaval, rue de Courcelles, 1
Soc. libre des Beaux-Arts, t. VI. a.
(2)
MM. Delorme, rue des Filles-du-Calvaire, 21. Demahis, rue Charlot, 45. Desains, rue Cassette, 8. Destouches, rue do la Planche, 18. Dreuille, rue Grange-Batelière, 17. Drolling , rue de Sèvres, 31, membre de l'Institut. Dupré, rue Cassette, 23.
Dubouloz, rue Sainte-Croix-de-Ia-Bretonnerie, 25, Dulac, rue du Four-Saint-Germain, 44. Duplat, rue Poupée, 9. Dupuis, rue Richer, 12. Duval-Lecamus, rue du Coq-Saint-Honoré, 7. Fradelle, rue des Saints-Pères, 16. Franque , rue Neuve-des-Mathurins, 11. Frémy, quai des Augustins, 17. Gorbitz, rue de l'Université, 84. Gosse , rue de Lancry, 7. Goyet (J.-B.), rue de l'Abbaye, 3. Goyet ( Eugène), rue de l'Abbaye, 3. Granger , cour de la Sainte-Chapelle, 9. Henry, expert des musées royaux, rue Montmartre, 128. Jacob, rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice, 14. Jolivard , boulevart Saint-Martin, 59. Justin-Ouvrié, rue de Bondy, 64. Kinson , rue Bleue, 13. Laby, rue Saiute-Anne, 18. Lapito , rue Neuve-des-Petits-Champs, 69. Laure ( Jules ), rue du Croissant, 10. Lecerf, rue Sainte-Croix-dc-la-Bretonnerie, 44. Léger, rue des Marais-du-Temple, 60. Lepaulle, rue des Martyrs, 27. Maillot, au Musée royal. Maille-Saint-Prix, rue du Cherche-Midi, 9. Marin-Lavigne, quai de la Mégisserie, 78. Mauzaisse , rue Neuve-Saint-Georges, 12. Milon, rue de Sèvres, 45.
( 3 ) MU. Montagny, rue Saint-Séverin, 10. Mozin, rue Hauteville, 39. Mulard, à la Manufacture des Gobelins. Noël, rue Sainte-Hyacinthe-Saint-Michel, 2. Nouviaire, rue Royale-Saint-Honoré, 8. Paris, rue Crussol, 17. Pérignon, rue Bergère, 7 bis. Pernot, rue Saint-Honoré, 343. Péron, rue de l'Abbaye, 3. Redouté , rue do Seine , 6. Ricois, quai Voltaire, 3 bis. Rioult, rue Grange-aux-Belles, 10. Rouget , rue Richelieu, 38. Rouillard , rue de l'Abbaye, 11. Schmitz, rue Saintonge, 40. Serrur, rue de l'Abbaye, 11. Steuben , quai Malaquais 13. Storelli , rue Saint-Honoré, 887. Tabariès, rue Amelot, 34. Thévenin, rue Grange-aux-Belles, 1. Thuillier, rue de Vaugirard, 22. Van-der-Burch, rue Saint-Jacques, 161. Vauchelet, rue Chariot, 19. Vavin ( Eugène), boulevart Saint-Martin, 59. Vinchon , rue Bleue, 11. Wachsmuth, rue des Beaux-Arts, 9.
STATUAIRES ET GRAVEURS EN MEDAILLES.
Bougron, faubourg Saint-Denis, 154. Caillouette, rue Cassette, 20. Chardigny, rue Pierre-Levée, 19. Desboeufs, rue de la Rochefoucault, 18. Dieudonné, rue Richelieu, 55. Elshoecht, au palais des Beaux-Arts. Fessard, rue du Pont-de-Fer-Saint-Sulpice, 14. Gatleaux , rue de Lille, 35.
(4)
MM. Gaulle, rue de l'Université, au dépôt des marbres du gouvernement. Guersant, quai Valmy, 109. Guionnet, rue de Lancry, 25. Laitié , rue de Vaugirard, 102. Molchneht, rue de Courty, 7. Montagny, rue des Juifs, 11. Pigalle, faubourg Montmartre, 31. Romagnési jeune, rue Saint-Sébastien, 34. Soyer, rue des Trois-Bornes, 28. Valois , rue de l'Abbaye, 11.
ARCHITECTES.
Biet, rue Hauteville, 24.
Blanchon, rue des Petites-Ecuries, 21.
Bourgeois, rue Montmartre, 168.
Bourla, boulevart Saint-Martin, 59.
Caillat, rue des Bernardins, 32.
Callet, rue de la Pépinière, 48.
Coussin, rue de Vendôme, 3.
Deschamps, rue d'Anjou, 52.
Dubois, rue Rochechouart, 43.
Dubut , rue de la Paix, 8.
Duquesney, rue de Babylone, 1.
Garnaud, cité d'Antin, 14.
Gourlier, rue de Seine, 6.
Grillon , boulevart Saint-Denis, 22 bis.
Guénepin , rue Croix-des-Petits-Champs , 25, membre de
l'Institut. Heurteloup, rue de Sèvres, 4. Hiltorff , rue Coquenard, 40. Huvé , rue de Choiseul, 4 bis. Lacornée , rue Saint-Romain, 2. Lenoir ( Albert ), rue d'Enfer, 34. Lusson, rue des Saints-Pères, 13.
(5)
MM. Malpièce, rue Mondovi, C.
Normand père, rue des Noyers, 33.
Philippon, rue Ncuve-Saint-Georges, 10.
Pierron, rue Saint-Honoré, 123.
Quantinet, rue de Seine, 6 bis.
Tavernier, rue Monsigny, 0.
Thiollet, place Saint-Thomas-d'Aquin, 3.
Toussaint, rue Saint-Martin, 228.
Turenne, rue Royale-Saint-Honoré, 18.
Van-Cléemputte ( Lucien ), passage Sainte-Marie, 11.
GRAVEURS.
Allais, rue de Sèvres, 155.
Burdet, rue des Saints-Pères, 27.
Bein, rue de l'Ouest, 20.
Cherrier, rue des Beaux-Arts, 9.
Delaistre, rue de Truffaut, 14, aux Batignolles.
Dien, rue Petits-Augustins, 26.
Dormier, rue de la Harpe, 127.
Forster , rue de Condé, 1.
Gelée, rue de Calais, 25, à Belleville.
Godefroy, rue Christine, 5.
Jazet, rue de Lancry, 7.
Leroux, rue de Fourcy-Saint-Marcel, 11.
Lemaître, quai de l'Horloge, 63.
Leisnier , rue Saint-Jacques, 277.
Mauduit, faubourg du Temple, 60.
Migneret, rue Grange-aux-Belles, 4.
Müller, rue de Tournon, 21.
Normand fils, rue des Noyers, 36.
Ollivier, rue de Condé, 1.
Pomel, rue du Temple, 45.
Ransonnelte, rue du Figuier-Saint-Paul, 8,
MUSICIENS.
Bienaimé, rue Dauphine, 20.
Delafage ( Adrien ), rue Chanoinesse, 14,
(6)
MM. Delaire, rue de Condé, 1.
Deldevez, rue du Faubourg-Saint-Martin, 120, Fontaine ( A. N. M. ), rue de l'Arbre-Sec, 46. Fontaine ( Louis ), rue du Paon-Saint-André, 1. Richelmi *, rue de la Michodière, 5. Stamaty, rue des Martyrs, 53. Tolbecque, rue de l'Arbre-Sec, 46. Vidal, rue Bleue, 32.
AUCHÉOLOGUES, HOMMES DE LETTRES, AMATEURS, ETC.
Aulnette Du Vautenet *, peintre, rue de Nazareth, 1.
Le colonel Amoros ( O * ), rue Jean-Goujon, 6.
Bidaut, homme de lettres, rue Casselte, 8.
Calmette, rue du Pont-de-Lodi, 5.
Le docteur Colombe, rue de l'Odéon, 21.
Debez, peintre, rue Saint-Lazare, 40.
Delafontaine, peintre, rue de l'Abbaye, 10.
Deligny, peintre, rue de l'Arcade, 32.
Farcy, homme de lettres, rué de Seine-Saint-Germain, 16.
Gavard *, ingénieur, rue du Marché-Saint-Honoré, 4. Huard ( de l'ile Bourbon), rue de Paradis-Poissonnière, 29.
Le docteur Gerdy, à l'hôpital Saint-Louis.
Le chevalier Alex. Lenoir *, antiquaire, rue d'Enfer, 34.
Miel *, homme de lettres, rue Sainte-Avoye, 57.
Mirault, id., faubourg Poissonnière, 17.
De Moléon *, ingénieur, rue des Capucines, 13 bis.
Pérignon *, officier d'artillerie, rue Albouy, 1.
Le docteur Robin-Massé, rue de Seine-Saint-Germain, 30.
Sauvé, rue Cléry, 60.
Vivet, rue du Roule, 15.
MEMBRES HONORAIRES.
Le comte de Rambuteau ( O * ), pair de France, préfet de
la Seine. Le comte de Chabrol-Volvic (G. C. * ), rue Madame, 27.
(7 ) MM. Le comte de Bondy ( C * ), pair de France, rue des TroisFrères,
TroisFrères,
Le chevalier Sir John Soane, architecte, à Londres.
Crépin, peintre de marine, rue Chilpérie,. S.
Coussin, peintre, faubourg Saint-Denis, 57.
De Montabert, peintre, à Montabert, près Troyes.
Ponce-Camus, peintre, rue Bretonvilliers, 3. Mmes Dabos, peintre, rue Meslay, 58 bis.
De Rumilly, rue Croix-des-Petits-Champs, 59.
Deligny, professeur do chant, rue do l'Arcade, 32. Mlles Millin, professeur au Conservatoire de Musique, rue Bourbon-Villeneuve, 24.
Jams, professeur de Piano, place Royale, 7.
MEMBRES CORREPONDANS.
Abadie *, architecte, à Angoulême.
Aubry-Lecomte, peintre et lithographe, à Compiègne.
Audouin, peintre, à Niort.
Boisselier, peintre, à Versailles, rue des Bourdonnais, 14.
Béhaeghel, id., à Agen.
Caplin, graveur, à Londres.
Capdebos, id., à Perpignan.
Chenavart, architecte et professeur, au palais de» BeauxArts,
BeauxArts, Lyon. Cheussey, architecte, à Amiens. Colson, peintre, à la Havanne. Delaborde, architecte, à Bayonne.
Délions, peintre, à Melun, faubourg du Palais-de-Juitice, 11 . Demadière-Miron, à Orléans. Donaldson, architecte, à Londres. Dunouy, peintre, à Jouy, près Versailles. Durand, architecte, à Reims. Felsing, graveur du Grand-Duc de Hesse-Darmstadt, à Darm ■
ttadt.
( 8) MM. Garnerey, peintre de marine, conservateur du Musée de Rouen.
Gélibert, peintre, fondateur et directeur du Musée pyrénéen, à Bagnère-de-Bigorre.
Gencourt, architecte, à Soissons.
Gosse, architecte, au Hâvre.
Grasset, inspecteur des monumens du département do la Nièvre, à la Charité-sur-Loire.
Hensel, peintre du roi de Prusse, à Berlin.
Hivonnait, directeur de l'Ecole de dessin, à Poitiers.
Itar, architecte, à Catane.
Jacquemin, peintre, directeur de l'Ecole de dessin, à Toulouse.
Kerchove, peintre d'histoire, à Anvers.
Keyser ( Nicaise ) , id. id.
Kirekhoff (le chevalier) , id. id.
Lantra, musicien, à Poitiers.
Lécuier, peintre, professeur à Evreux, rue de la Préfecture, 15.
Lemasle, peintre, à Saint-Quentin.
Mallay, architecte, à Clermont-Ferrand.
Mangin, rédacteur en chef de l'Ami de la Charte, à Nantes.
Mestier, amateur, à Orléans.
Mesnard, homme de lettres, à Nevers.
Monanteuil, peintre, à Alençon.
Mor de Fuentès, à Monzon, royaume d'Aragon, Espagne.
Ogée père, architecte, à Nantes.
Ogée fils, id. id.
Pagot, architecte, à Orléans.
Pensée, peintre, à Orléans.
Pouliquen, architecte, à Brest.
Le vicomte Raoul de Croï, conservateur des monument du département d'Indre-et-Loire, homme de lettres, à La Guerche.
Robin, musicien, à Poitiers,
Salmon, peintre, à Orléans.
(9)
MM. Le baron de Stassart, président du Sénat, à Bruxelles. Seyfried, maître de chapelle, à Vienne, Autriche. Suau pèree *, peintre, à Toulouse. Van Brée, peintre, directeur de l'Académie des Beaux-Arts,
à Anvers. Van Cléemputte (II.), architecte du département de l'Aisne,
à Laon. Voizot, professeur de mathématiques, à Châtillon-sur
Seine. Wild, peintre, à Epernay. Zacharie ( Léon ), amateur, à Boulogne-sur-Mer. Zanth, architecte, à Stuttgard.
AGENT DE LA SOCIÉTÉ. M. Martin, rue de Tourniquet-Saint-Jean, 1.
COMPOSITION DU BUREAU EN 1856.
MM. MALPIECE, architecte, Président.
ALLAIS , graveur, DELAIRE , musicien, MULLER , graveur,
Vice-Présidens (1).
ROMAGNÉSI, statuaire, TURENNE , architecte,
Secrétaires (1).
HUARD , amateur, DEMAHIS , peintre, GELÉE , graveur,
Secrétaires-Adjoints.
MAILLOT (*), peintre, Trésorier. VALOIS ( * ), statuaire, Archiviste.
(1) MM. Allais et Romagnési ayant été [obligés par leurs affaires de donner leur démission, ils ont été remplacés, le premier par M. Muller, le second par M. Turenne.
ANNALES
DE LA SOCIÉTÉ LIBRE
DES BEAUX-ARTS.
ANNÉE 1836.
SÉANCE PUBLIQUE TENUE A L'HOTEL- DE-VILLE, Le 25 décembre 1836. PRÉSIDENCE DE M. MALPIÈCE.
La séance est ouverte par l'allocution suivante du président :
« Messieurs,
» Les beaux-arts, autrefois le partage d'une classe privilégiée, pénètrent aujourd'hui dans tous les rangs de la société ; fruits de la civilisation, ils la perfectionnent à leur tour; ils sont devenus une partie essentielle de l'instruction européenne. Dans nos provinces, à l'étranger, de nombreuses académies fournissent aux arts, aux sciences, à l'histoire, de riches matériaux à mettre en oeuvre. De généreux citoyens fondent des musées, et des monumens s'élèvent dans nos villes pour les recevoir ; des magistrats éclairés établissent, ici, des expositions
( 12 )
publiques, là, des écoles de dessin , si utiles au développement de l'industrie , en même temps qu'elles répandent dans la population ouvrière le goût des belles choses et l'amour de l'ordre ; enfin, de précieuses découvertes et d'ingénieux procédés, applicables à la pratique des arts, ont offert de nouveaux sujets à nos méditations et à nos encouragemens.
» La Société libre des Beaux-Arts applaudit à ces progrès et s'y associe, ou plutôt, son institution les provoque et les propage ; la publication de ses travaux concourt à cet heureux résultat; elle met au nombre de ses plus intéressantes prérogatives celle de récompenser les efforts qui tendent au noble but qu'elle s'est proposé, la prospérité des arts et le bien-être des artistes ; elle espère ainsi mériter les suffrages de l'élite de la société parisienne , qui se presse chaque année à sa séance publique.
«Mais s'il est des services rendus aux arts que nous puissions et devions récompenser, il en est d'autres placés si haut, qu'ils ne peuvent trouver leur prix que dans la gratitude de tout un peuple. À ces mots, Messieurs, vous avez tous songé à cette galerie historique de Versailles qui va bientôt s'ouvrir à notre cursosité, à notre admiration et à notre orgueil , sanctuaire de gloire nationale, où sont rassemblés dans un même faisceau toutes les illustrations de notre pays. Qu'il nous soit permis, comme artistes, de devancer les hommages de la France
( 13)
attentive, et d'offrir les premiers à son royal auteur la vive reconnaissance de la patrie. »
La parole est donnée à M. Turenne, secrétaire, pour rendre compte des travaux de la Société. Il s'exprime en ces termes :
COMPTE-RENDU
DES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS.
PENDANT L'ANNÉE 1836.
« Messieurs,
» La Société libre des Beaux-Arts vous convie, chaque année, à venir entendre le compte- rendu de ses travaux. L'empressement que vous mettez à répondre à son appel et l'intérêt avec lequel vous suivez ses progrès sont pour elle des encouragemens qui soutiendront sa persévérance et redoubleront ses efforts.
Vous connaissez les principes que nous professons ; ils sont aussi les vôtres. Tout en accordant une entière liberté au génie, nous n'applaudissons qu'aux oeuvres belles, vraies et morales. Ce sont ces principes que nous cherchons à propager, et le meilleur moyen d'atteindre ce but était la publication de nos travaux.
Notre honorable collègue, M. Miel, dont le zèle
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laborieux ne redoute aucune tâche, a bien voulu accepter celle d'extraire de nos archives et de disposer en ordre méthodique, sous le litre d'Annales de la Société libre des Beaux-Arts, les matériaux destinés à l'impression. Le premier volume a vu le jour au commencement de cette année. Il comprend les travaux des années 1830 et 1831 , c'està-dire, un assez grand nombre de notices et de rapports sur des sujets variés. Il est de plus enrichi de quatre planches, dont les dessins et la gravure sont dus à l'obligeance de nos collègues MM. Hittorff, Gavard, Ollivier et Cherrier.
Pendant l'année 1836, nos travaux ont été publiés par cahiers mensuels. Parmi les rapports qui en font partie , quatre sont aussi accompagnés de lithographies ou de gravures, dues au talent et à la complaisance de MM. Romagnési ainé, Noël, Voizot, Ransonnette et Champin. Cette publication périodique devant continuer, il nous reste, pour compléter nos Annales depuis l'origine de la Société , à reprendre l'arriéré des années 1832 à 1835, dont les comptes-rendus et les séances publiques ont reçu d'ailleurs une publicité à part. La centralisation de toutes les impressions a été la suite naturelle du mode adopté.
Les publications de la Société auront pour résultat immédiat de propager le goût des arts dans les départemens et d'offrir aux artistes des documens précieux. Déjà le nombre de nos correspondans s'accroît dans une progression remarqua-
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ble. De toutes parts, des sociétés artistiques se fondent et se mettent en relation avec nous. Nous voyons aussi des magistrats municipaux provoquer des expositions d'objets d'art dans leurs cités. Nous mentionnerons entre autres M. Granier, maire de Montpellier, qui, désirant faire une exposition publique en cette ville et cherchant à connaître la meilleure marche à suivre pour réussir dans son projet, s'est adressé à la Société par l'intermédiaire de M. Dreuille. Une commission chargée d'examiner cette demande a proposé un programme qui a été approuvé par la Société, et qui, envoyé aux principales villes de province, pourra désormais servir de guide à l'organisation de toutes les expositions de ce genre(1). Espérons que l'impulsion donnée gagnera de proche en proche, et que, dans peu d'années, la plupart de ces localités auront leur école de dessin, leur musée et peut-être aussi leur salon.
C'est à cette réciprocité que nous sommes redevables de deux communications faites par M. de Saint-Mémin, conservateur du musée de Dijon et membre correspondant de l'Institut.
La première consiste dans l'envoi à la Société, de mains moulées en plâtre sur celles de la statué de Moïse, dépendante du monument appelé le Puits de Moïse et situé au milieu de la cour du cloître de l'ancienne chartreuse de Dijon. Cette figure polychrôme est l'ouvrage de Cloux Sluter, hollandais,
(1) Voyez, p. 113.
( 16 ) ymagier de Philippe-le-Hardi, duc de Bourgogne. L'artiste y travaillait en 1396. La reproduction imitative étant d'une prodigieuse fidélité, on s'est demandé si ces mains avaient été moulées sur nature, pour être ensuite copiées à loisir d'après ce moulage, ou bien si elles avaient été immédiatement copiées sur le modèle vivant. Une commission, composée de MM. Bougron, Farcy et Alexandre Lenoir, a été chargée d'examiner cette question , et, sur un rapport fait par ce dernier, la discussion s'est ouverte. MM. Bougron. Guersant, Alexandre Lenoir, Miel, Romagnési jeune et Valois y ont pris part. Tout en reconnaissant dans ces mains isolées un travail très-remarquable, qu'il est même permis d'appeler minutieux, eu égard au sujet élevé de la statue, la Société ne voit pas d'utilité pour l'art de rechercher de quels moyens matériels les sculpteurs des quatorzième et quinzième siècles ont pu s'aider pour atteindre à ce genre de mérite qui leur était familier. Qu'ils aient copié la nature immédiatement ou d'après des parties moulées sur elle, ou, ce qui est la supposition la plus vraisemblable, qu'ils aient combiné les deux moyens, peu importe. La statue de Moïse étant exécutée en pierre, ses beautés et ses défauts appartiennent au statuaire seul, et l'on ne pourrait lès discuter avec fruit qu'en présence de la figure entière. La Société n'en a pas moins adressé à M. de Saint-Mémin tous ses remercîmens pour cet intéressant envoi. La seconde communication est celle d'un ap-
( 17 ) pareil propre à réunir les panneaux disjoints des tableaux peints sur bois. Cet ingénieux mécanisme, objet d'un rapport rédigé, au nom d'une commission , par M. Voizot, membre correspondant (1), a fait comprendre l'inventeur dans la distribution des récompenses.
Des lectures sérieuses, de graves controverses ont occupé le plus grand nombre de nos séances. En tête des lectures, nous placerons le Mémoire de M. Hittorff, architecte, sur le procédé du métal battu ou sphyrelaton des anciens (2), et sur les avantages de l'emploi de cet art à la reproduction des sculptures d'une dimension colossale, particulièrement de celles qui sont destinées à surmonter le sommet des édifices. On s'entretenait beaucoup alors d'un projet de couronnement pour l'arc-de-triomphe de l'Etoile et de la statue à éle ver sur la coupole du Panthéon. La préoccupation publique a dû ajouter un intérêt d'à-propos aux divers autres mérites de cet écrit.
Mentionnons encore deux fables en vers de M. Desains, peintre, la Souris philosophe et le Naufragé (3). La peinture et la poésie étant soeurs, notre spirituel collègue a bien voulu remplir gaîment par ces opuscules une lacune de notre ordre du jour.
Un Mémoire où M. Romagnési jeune a recherché
(1) Voyez p. 141.
(2) p. 1.
(3) p. 136.
Soc. libre des Beaux-Arts, t. VI. a.
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les relations qui existent entre les beaux-arts et l'industrie , ne pouvait manquer d'intéresser beaucoup une réunion d'artistes. Ce sujet grave et fécond a donné lieu à plusieurs conférences sur la question ainsi formulée : L'état actuel de la société est- il plus ou est - il moins favorable aux beaux-arts que l'état des sociétés précédentes ? Et dans la société nouvelle, où les beaux-arts peuvent-ils trouver les élémeus les plus certains de prospérité? Ce texte a été développé avec étendue et discuté avec chaleur par MM. Coussin, Desains, Guersant, Huard, Maillot, Miel, Montagny et Valois. Ces diverses opinions seront analysées et pourront, s'il y a lieu, trouver place dans les publications de la Société.
L'étude des monumens anciens, source inépuisable d'inspirations, est un besoin pour les artistes et sera toujours l'objet de leurs méditations. Ce motif a déterminé M. Alexandre Lenoir à continuer la lecture de son Cours sur les Antiquités de Paris, dont quelques fragmens ont captivé l'attention de la Société pendant plusieurs séances.
La partie la plus curieuse de l'art après ses monumens, c'est son histoire. M. Miel a exposé l'historique du Conservatoire de Musique, à toutes ses phases, et celui des concerts français, depuis leur origine jusqu'à nos jours. L'histoire de l'art en France étant l'objet spécial de ses travaux, déjà connus de la Société, il en a mis sous nos yeux de nouveaux extraits. L'architecte Philibert De-
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lorme, le sculpteur Coyzevox, le peintre Drouais et le musicien Duport ont été l'objet de notices intéressantes. La Société a donné son adhésion aux récits et aux jugemens du biographe. Elle a de plus décidé que la notice sur le peintre Drouais, enlevé si jeune à la peinture et à la gloire, serait lue dans la séance publique de celte année (1).
M. Delaire s'est attaché à une spécialité de l'historique retracé par M. Miel; il a lu, sur les concerts d'amateurs en particulier et sur les amateurs eux-mêmes, un morceau piquant qui a fait ressortir les travers de quelques-uns et les bons effets que l'art peut attendre du zèle des autres. La Société a décerné à cet écrit la même distinction (2).
Par de belles considérations d'histoire, de philosophie et d'archéologie monumentale sur le continent américain, M. Farcy a montré que ce prétendu nouveau-monde était bien ancien. La multiplicité et l'importance des faits rappelés dans cette dissertation, dont l'intérêt a encore été augmenté par la lecture d'une lettre de M. de Châteaubriand sur le même sujet, ont aussi fait assigner à l'écrit de M. Farcy une place parmi les lectures de la séance publique (3).
Vous allez, Messieurs, entendre ces trois morceaux.
(1) Voyez p. 50.
(2) p. 120.
(3) p. 35.
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Une notice de M. Desains sur Jean Guérin, miniaturiste renommé, mort depuis peu (1) , a valu des félicitations à l'auteur, pour son empressement à se rendre l'organe des sentimens de la Société envers les célébrités artistiques qu'elle n'a pas eu le bonheur de compter parmi ses membres.
Les monumens de Bruxelles et d'Anvers, visités récemment par M. Bougron, lui ont fourni le sujet d'un itinéraire succinct, où il décrit en artiste les principaux ouvrages de peinture et de sculpture qui décorent ces deux villes si voisines de la France et trop peu connues peut-être des artistes français (2).
J'ai déjà parlé de nos relations avec les départemens et des premiers résultats qu'elles ont produits. Je vais jeter un coup-d'oeil sur celles que nous avons formées dans l'étranger.
M. Hensel, peintre du roi de Prusse, ayant fait des recherches très-étendues sur la majorique ou terre émaillée, les a consignées dans un Mémoire riche de faits et d'érudition, que plusieurs de nos travaux antérieurs relatifs à la même branche de l'art l'ont déterminé à envoyer à notre Société, comme membre correspondant (3). Cette importante communication a été accueillie avec d'autant plus de satisfaction, que notre institution doit
(1) Voyez p. 215.
(2) p. 155.
(3) p. 49.
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établir entre tous les artistes cet échange de travaux qui tend à faire profiter l'art en général de ce qui se fait d'utile dans chaque pays.
M. Donaldson, architecte anglais, notre correspondant, nous a transmis le second volume de son Recueil des Portes les plus remarquables des édifices anciens de la Grèce et de l' Italie. Le renvoi en a été fait à M. Biet, qui avait déjà rendu compte du premier volume (1).
Nous avons reçu de M. Godwin , ingénieur anglais à Brompton, un écrit dont il est l'auteur, sur la nature et les propriétés d'un béton qu'il appelle Concret, ainsi que sur ses applications à la construction. M. Dubois est chargé d'en donner un aperçu à la Société.
Le chevalier Sir John Soane, le Nestor des 'architectes de l'Angleterre , nous a fait hommage d'un livre publié par lui sur sa maison et son musée. Dans un rapport fait d'après la vue des lieux, M. Hittorff a fixé nos idées sur cette collection si importante (2). Citons seulement ici un sarcophage égyptien qui fut acquis et payé 50,000 fr. sur le refus du gouvernement anglais. « De telles » dépenses, dit le rapporteur, ne s'expliquent que par » la noble destination qu'il réservait à son musée. »
(1) Voyez p. 17. (2) p. 194.
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En effet, il en a fait don à la ville de Londres, en y ajoutant une dotation très-libérale pour l'entretien de ce riche dépôt. Les artistes britanniques ayant fait frapper une médaille en l'honneur de leur compatriote, la Société libre des Beaux-Arts s'est associée à leur reconnaissance, en décernant à ce généreux citoyen un diplôme de membre honoraire.
M. Felsing, graveur du Grand-Duc de HesseDarmstadt et membre correspondant , nous a adressé la relation d'un voyage artistique qu'il a fait en Allemagne, dans le but d'examiner les magnifiques constructions que le roi de Bavière fait élever en ce moment (1). Cette notice, traduite par M. Müller, a paru pleine d'intérêt et a été vivement applaudie.
Parmi les publications qui nous ont été envoyées par les sociétés savantes, nous mentionnerons :
Le Recueil des travaux de l'Athénée des Arts, examiné par M. Pérignon jeune (2) ;
Les Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, qui ont fourni à M.Biet, chargé d'en rendre compte, deux dissertations curieuses à l'occasion de deux notices, l'une de M. Alexandre Dumège, sur la ville d'Aigues-mortes (3) ; l'autre, de M. le baron de Castellane, sur une légende du moyen-âge, intitulée Tindal (4) ;
(1) Voyez p. 83.
(2) p. 212.
(3) p. 72.
(4) p. 145.
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Les Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, analysés par M. Alexandre Lenoir (1). Ces Mémoires, très-remarquables par le choix, la variété et l'ordre des matières, peuvent être cités comme un recueil-modèle ;
Ceux de l'Académie des Sciences, Arts et BellesLettres de Dijon, dont M. Miel a rendu compte (2) ;
Ceux de la Société d'Emulation de Cambrai, examinés par le même rapporteur (3) ;
Ceux de la Société des Sciences, Agriculture et Arts du département de la Marne, examinés par M. Du Vautenet (4) ;
Ceux de l'Académie royale des Sciences de Toulouse, dont l'examen en a été confié à M. Mirault;
Ceux de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts du département de l'Aube, qui ont été remis à M. Bidaut, pour en faire un rapport.
Enfin, les Annales de la Société royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts d'Orléans, qui ont été examinées par le même rapporteur (5).
Parmi les publications et les productions d'art dont les auteurs ont fait directement hommage à la Société, nous citerons :
(1) Voyez Annales de la Soc. libre Beux-Arts pour 1837, p. 1.
(2) p. 109.
(3) p. 177.
(4) 102.
(5) — p. 206.
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Les Souvenirs de la Touraine, ouvrage publié par M. Noël, notre collègue, en 1814, et dont il nous a offert le dernier exemplaire qui lut en sa possession. L'examen en a été fait par M. Du Vautenet (1) ;
Un Panorama de la ville de Paris, aussi par M. Noël;
Un Précis sur les pyramidions en bronze doré employés par les anciens Egyptiens comme couronnement de quelques-uns de leurs obélisques, par M. Hiltorff;
Plusieurs discours prononcés à la distribution des prix de l'école de dessin de Poitiers, par M. Hivonnait, directeur de cet établissement et membre correspondant ;
Une Méthode pour l'enseignement du dessin, basée sur le double principe du relief et de la gradation, par M. Dupuis. M. Delorme est chargé d'en faire un rapport ;
Plusieurs Mémoires adressés par M. Grasset, inspecteur des monumens historiques du département de la Nièvre, membre correspondant, entre autres un Extrait de l'Echo de la Nièvre, qui a donné lieu à un rapport de M. Gelée (2) ;
Un discours prononcé au congrès historique, par M. Alexandre Lenoir, sur les progrès techniques de la peinture ;
(1) Voyez p, 35. (2) p, 180.
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Une notice de M. Coulomb sur feu Jay, professeur de dessin et fondateur d'un musée à Grenoble, lue par M. Desains ;
Un Mémoire sur le projet de chemin de fer de Paris à Versailles, par M. Dubut, notre collègue. L'intérêt actuel de cet écrit, quoique tenant plus à la science qu'à l'art, a décidé la Société à charger M. Dubois, architecte, de lui en rendre compte ;
Plusieurs livraisons de l'ouvrage de M. Romagnési aîné, sur la sculpture d'ornement, intitulé: Cours complet d'ornemens dessinés et lithographiés, et dont M. Alexandre Lenoir a rendu compte (1) ;
Quatre lithographies que la Société des Amis des Arts de Strasbourg a fait exécuter comme application d'un système d'encouragement fondé sur des travaux effectifs ;
Une vue de la cathédrale d'Orléans, par M. Vander-Burch ;
Quatre vues de Paris ancien et moderne , par MM. Pernot et Champin, qui ont été l'objet de rapports faits par MM. Alexandre Lenoir et Miel (2) ;
Seize planches gravées à Peau-forte, par M. Dunouy, membre correspondant. Ce doyen des paysagistes, regrettant de ne pouvoir assister à nos séances, a fait cette offrande à la Société, comme gage
(1) Voyez p. 42. (2) p. 218
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de l'intérêt qu'il prend à ses travaux, quoiqu'absent. Il lui a offert en outre quarante exemplaires de la même collection destinés à être vendus au profit des artistes infortunés. M. Maipièce a fait un rapport sur cet envoi où l'art et la philanthropie ont une égale part ( 1) ;
Un recueil de Motets par M. Delafage, dont M. Delaire doit rendre compte;
La première partie d'un ouvrage ayant pour titre : Modèles de dessin linéaire, par M. Thiollet.
Exciter par des récompenses honorifiques la fondation d'institutions utiles aux arts, donner des encouragemens aux inventeurs des procédés nouveaux ainsi qu'aux perfectionnemens des moyens d'exécution, est une prérogative dont la Société est fière ; elle se félicite de pouvoir rehausser l'éclat de ses solennités par la distribution de ces récompenses. L'année 1836 a été féconde en résultats méritans. Une commission nombreuse, présidée par M. Gatteaux, a été chargée de les apprécier, et l'a fait avec discernement. (2). C'est donc seulement pour mémoire que je rappellerai ici les noms des lauréats. Le diplôme d'honneur décerné au chevalier Sir John Soane a déjà été mentionné.
La médaille d'or , dont nous sommes redevables à la libéralité de notre collègue M. de Moléon, a été accordée à M. Charles, pour la fondation de deux
(1) Voyez p. 185. (2) p. 232.
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écoles gratuites de dessin destinées aux ouvriers, dans les septième et huitième arrondissemens municipaux de la ville de Paris. MM. Dupuis et Caillouette auraient eu les mêmes droits à notre gratitude pour une école du môme genre qu'ils ont établie dans le troisième arrondissement. Le dessin y est enseigné d'après une méthode dont M. Dupuis est l'auteur, et les avantages de son application l'ont fait adopter pour les colléges royaux. Mais ces deux honorables professeurs étant membres de la Société, le réglement s'oppose à ce qu'ils reçoivent d'elle aucune récompense spéciale.
Des médailles d'argent ont été votées :
A M. Grasset, pour son musée à la Charitésur-Loire ;
A la mémoire de feu Capdebos, membre correspondant, pour un service semblable rendu à Perpignan, sa patrie ; ce témoignage posthume de notre estime est aujourd'hui le seul bien qui reste à sa famille ;
A MM. Schweighauser, de Strasbourg, Pannetier, Colcomb-Bourgeois et Soehnée frères, de Paris, pour leurs couleurs, reconnues supérieures aux colorans analogues employés jusqu'à ce jour. Toutefois MM. Soehnée ayant déjà obtenu pareille récompense pour un vernis de leur composition, ils ne recevront cette année qu'une mention honorable. Ces habiles chimistes, dont les succès ne ralentissent pas les efforts, viennent de soumettre à la Société d'autres couleurs qui deviendront l'objet d'un nouvel examen.
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Des médailles de bronze ont été accordées, l'une à M. Romagnési ainé, pour le commencement de son ouvrage sur la sculpture d'ornement, et l'autre à M. Mallay, architecte à Clermont-Ferrand, membre correspondant, pour un projet de restauration de l'église d'Issoire, où le caractère de l'architecture primitive est scrupuleusement conservé.
Deux mentions honorables ont été décernées, l'une à M. de Champflour, maire de la ville de Moulins, qui a provoqué une exposition publique d'objets d'art dans cette ville et réalisé des fonds pour l'acquisition de plusieurs tableaux; l'autre à M. de Saint-Mémin, pour son appareil destiné à rapprocher les panneaux disjoints des tableaux peints sur bois.
Il me reste, Messieurs, à vous entretenir des membres que la Société a perdus pendant le cours de cette année. Trois de nos confrères ne sont plus, MM. Henry, peintre et expert des musées royaux; Pomel, graveur, et Capdebos, peintre. Des notices nécrologiques, rédigées par MM. Miel(1), Desains(2) et Guersant (5), ont déjà payé respectivement à la mémoire de ces collègues le tribut de nos regrets.
De nombreuses admissions ont compensé ces pertes; ving-un nouveaux membres titulaires
(1) Voyez p. 29.
(2) p. 67.
(3) p. 187.
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ou correspondans ont été reçus parmi nous cette année.
Les nobles récompenses qui descendent du trône, et qui sont si encourageantes pour les artistes, sont venues chercher plusieurs de nos confrères. MM. Beaume, Franque, Jolivard et Lapito, peintres, et Abadie, architecte, ont été nommés chevaliers de la Légion-d'Honneur. M. le colonel Amoros vient d'ajouter l'un des prix Monthyon aux témoignages de reconnaissance publique qu'il a déjà reçus pour les perfectionnemens introduits par lui dans la gymnastique.
Tel est, Messieurs, l'historique de la Société pendant l'année 1836. Toujours empressée de contribuer par ses travaux, ses encouragemens ou ses exemples aux progrès et au développement des beaux-arts, double but de son institution, elle s'attachera de plus en plus à justifier sa réputation de sagesse et d'impartialité. »
Immédiatement après ce compte-rendu, les lectures arrêtées par la Société (1) ont eu lieu dans l'ordre suivant :
Considérations sur les monurnens antiques de l'Amérique, par M. Ch. Farcy ;
Notice sur Jean-Germain Drouais, peintre d'histoire, par M. Miel ;
Des Amateurs de musique et des Concerts d'amateurs, par M. Delaire.
(1) Voyez p. 19.
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Ces trois morceaux ont été écoutés avec une attention soutenue et vivement applaudis par une nombreuse et brillante assemblée.
M. le Président a ensuite procédé à la distribution des récompenses dans l'ordre mentionné au compterendu (1).
En remettant la médaille à M. Charles, il lui a dit : « Vous aviez mérité le suffrage de nos magistrats; « il vous manquait celui des artistes; je suis heureux « de vous l'offrir au nom de la Société libre des « Beaux-Arts. »
A l'appel de la médaille décernée à la mémoire de feu Capdebos , une scène attendrissante a ému l'auditoire. Sa fille, orpheline de dix ans, est venue recevoir la récompense. « La Société espère , lui a « dit M. le Président, que cette médaille vous portera « bonheur ; j'ai le bien vif regret d'offrir une branche « de cyprès au lieu d'une couronne de laurier qu'au« ait mérité l'artiste fondateur d'un musée dans sa « ville natale »
Lorsque M. Colcomb-Bourgeois s'est approché pour recevoir sa médaille, M. le Président, après avoir rappelé au lauréat que le talent était héréditaire dans sa famille , lui a exprimé le voeu de la Société, en ajoutant « qu'il rendrait aux artistes « un nouveau service , s'il pouvait perfectionner ses
(1) Voyez p. 26.
( 31 ) " produits sous le rapport de la modération des prix, « comme il l'a fait sous celui de la qualité. »
Cette distribution a eu lieu au milieu des marques réitérées de l'approbation générale.
La séance a été terminée par un concert à grand orchestre, organisé par les soins de M. Delaire, vice-président , et dans lequel plusieurs membres de la Société ont pu faire entendre des morceaux de leur composition. En voici le programme :
1° Ouverture de Guillaume Tell, musique de Rossini.
2° Deux romances composées par M. Bienaimé, membre de la Société, chantées par M. Berton; 3° Concerto de violon, exécuté par M. Leudet ;
4° Fragmens d'une Messe, musique de M. Bienaimé, avec choeurs et trio chanté par Mme Deligny, membre honoraire de la Société, M. Berton et M. Coussain.
5° Deux romances chantées par M. Achard ;
6° Air varié pour le violoncelle, composé et exécuté par M. Seligmann , premier prix du Conservatoire ;
7° Air de la Sposa fidele, musique de Pacini, chanté par Mme Deligny ;
8° Fragment d'un Stabat, musique de M. Delaire, avec choeurs et solo chanté par M. Achard.
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Le piano a été tenu par Mlle Millin, membre honoraire de la Société.
Un orchestre nombreux, conduit par M. Vidal, membre de la Société, a exécuté avec verve les divers morceaux de ce programme, où les virtuoses et les chanteurs ont rivalisé de talent et de goût.
LECTURES
DE LA SÉANCE PUBLIQUE.
Soc. libre des Beaux-Arts, t. VI.
CONSIDÉRATIONS
SUR LES
MONUMENTS ANTIQUES DE L'AMÉRIQUE , PAR M. CH. FARCY.
Depuis plus de trois siècles, depuis la découverte d'un prétendu nouveau monde par Christophe Colomb, l'hémisphère que nous habitons s'était accoutumé à considérer cet autre hémisphère comme sortant à peine de l'enfance, A l'exception de la civilisation européenne qui s'est implantée si rapidement sur plusieurs points de ces contrées, le savant, comme l'homme du monde, ne pouvait séparer l'Amérique de l'idée d'un état sauvage ou demi-sauvage, attestant la jeunesse de ses peuples et contrastant avec la vétusté de ses forêts. Bien qu'on ait gardé le souvenir des merveilles du Pérou et du Mexique, bien que l'histoire ait recueilli les preuves d'une civilisation anéantie par des conquérans plus avides d'or que de science, l'imagination nous représentait toujours les plages américaines parées des charmes de l'adolescence, couvertes de forêts vierges, offrant, pour ainsi dire, à nos regards un sol neuf comme ses habitans. La mémoire, venant en aide à l'imagination, faisait aussitôt revivre les incas, ces enfans du soleil, leurs moeurs naïves, leurs costumes si restreints et pourtant si pittoresques, ces guerriers qui ne connaissaient point le
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fer, ces femmes demi-nues qui ne connaissaient point la honte, et dont quelques plumes brillantes formaient le vêtement en même temps que la parure. Tout enfin réveillait dans notre esprit cette idée de nouveauté, trop justifiée au reste par l'état d'ignorance ou de barbarie de l'immense majorité des peuples ou peuplades qui couvrent l'Amérique.
Et pourtant, au sein de ces bois impénétrables où le feu est obligé de suppléer la hache impuissante, au milieu de ces déserts où nous pensions que la main de l'homme n'avait jamais rien construit, gisent des édifices nombreux, imposans par leur caractère ou par leurs dimensions gigantesques, édifices qui, selon l'expression si belle et si pittoresque de M. de Chateaubriand, « dominaient autrefois les forêts, et qui portent maintenant des forêts sur leurs combles écroulés. »
Du nord au sud du continent américain, des explorations plus ou moins récentes, plus ou moins complètes, ont fait connaître des monumens de natures diverses, dignes d'attirer l'attention de l'artiste en même temps que celle de l'historien.
Les États-Unis du nord offrent de nombreux vestiges de tumuli ou grands tertres élevés pour servir de sépultures, semblables à ceux du nord de l'Asie, et d'immenses circonvallatïons en terre, produits d'une grande puissance de bras, mais qui n'ont aucun rapport avec les admirables monumens en pierre du Mexique ou de l'Amérique centrale, ni avec ceux du Pérou dans l'Amérique du sud.
(37 ) Les circonvallations dont il s'agit sont si nombreuses, qu'on ne peut parcourir 20 milles, surtout dans la grande vallée de l'Ohio, sans en rencontrer; elles ont, avec des formes très-variées, de un à trente arpens d'étendue. Les Indiens actuels sont tout-à-fait étrangers à ces sortes de travaux; ils n'en savent nullement l'origine; et, dans certains fossés ou sur certains tertres, on trouve des végétations auxquelles les naturalistes assignent un millier d'années.
Parmi ces espèces de fortifications en terre, il faut citer celle qui est située près de Chillicothe, laquelle occupe cent acres de superficie et a une muraille en terre de vingt pieds d'épaisseur et de douze pieds de hauteur, avec un fossé ou tranchée d'environ vingt pieds, Il en existe d'autres trèsremarquables, depuis l'embouchure du Cataragus dans le lac Erié ; c'est une ligne de fortifications qui s'étend dans une longueur de 50 milles vers le sud, et qui n'est interrompue que par des espaces vides, de 4 à 5 milles. Dans la partie occidentale de l'état de New-York , on voit les traces de fortifications du même genre qui paraissent avoir embrassé au moins cinq cents acres.
Les tumuli du nord sont généralement plus petits que ceux du sud. Les premiers n'ont que dix à douze pieds de diamètre, sur quatre ou cinq de hauteur; les autres ont de quatre-vingts à quatrevingt-dix pieds, et couvrent une surface de plusieurs arpens. Il existe presque vis-à-vis Saint-Louis
( 38 ) un tumulus de deux mille quatre cents pieds de circonférence à sa base, et de cent pieds de hauteur. Le long du Mississipi et de ses affluens, il y en a au moins trois mille, dont les plus petits n'ont pas moins de cent pieds de diamètre.
Ces tumuli et ces circonvallations. qui rappellent les mouvemens de terrain exécutés pour les antiques sépultures dans le nord de l'autre hémisphère, et aussi la vaste muraille élevée entre la Tartane et la Chine, auraient-ils donc une origine commune?
Quelques rares murailles en pierre ont été aussi reconnues ; elles sont construites à la manière dite cyclopéenne, c'est-à-dire, formées de blocs non taillés, ajustés les uns sur les autres selon leurs angles saillans ou rentrans, et que les peuples modernes se sont ordinairement plu à attribuer à des races de géants.
Parmi d'autres ruines plus importantes, on cite celles d'une ville antique dans l'état de Kentucky. Ces ruines occupent cinq à six cents arpens ; mais tous les travaux dont il reste des vestiges sont en terre. D'après les couches épaisses de terreau qui les recouvrent, et les forêts de troisième ou quatrième crue, de 500 ans chacune, qui y ont pris naissance, ces ouvrages doivent avoir environ 2000 ans, et assurément rien n'empêche de croire que, lorsqu'ils ont été abandonnés, ils avaient 500 ans ou 1000 ans d'existence, ce qui les rendrait déjà contemporains des siècles homériques.
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Bans l'état de Massachusetts, il existe sur le bord du Mississipi une antiquité d'un autre genre ; c'est un grand rocher tout couvert de caractères inconnu», sculptés en creux, et qu'on a supposés être phéniciens. En d'autres lieux, on trouve d'autres rochers sculptés, et aussi des roches branlantes semblables à nos monumens druidiques ou celtiques.
L'Amérique du sud nous offre ses merveilles monumentales, mais dans un espace plus restreint. Le Pérou presque seul, comme l'Amérique du centre, a des monumens en pierre, dont la description est trop généralement connue pour qu'il soit nécessaire de la reproduire ici. Je me contenterai de rappeler la forteresse de Cusco, celle de Tumbez , le château de Cannar, le temple du soleil à Cusco, celui de Callo ; le mur de pierre de trente milles de longueur, près de Huacache ; les canaux de cent vingt et cent cinquante lieues de long, pour le simple arrosement des pâturages ; les huacas ou mausolées péruviens, et surtout les deux célèbres chaussées de cinq cents lieues chacune. Ici, l'histoire semble tenir de la fable. L'inca Huayna Capac, vainqueur de tous ses ennemis, veut visiter ses provinces. Ses sujets, pour rendre plus commode son voyage triomphal, lui font sur-le-champ une route de cinq cents lieues en droite ligne, comblant les vallées, abaissant les collines , rassemblant et alignant les rochers pour soutenir les terres, avec une habileté et une rapidité prodigieuse. Arrivé aux confins de ses états, l'inca, pour varier ses
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plaisirs, désire revenir par le bord de la mer; aussitôt ses peuples lui construisent comme par enchantement une autre route d'égale longueur, dont on admire encore aujourd'hui la solide construction. Ces oeuvres colossales ne rappellent-elles pas aussi cette immense muraille d'Asie, construite à peu près dans le même système ?
Dans la Nouvelle - Grenade, on trouva, lors de la conquête, sinon des monumens, du moins une civilisation avancée ; le temps partagé en semaines, en mois et en années; des calendriers gravés sur pierre et des colonnes pour connaître les heures par le soleil ; c'est là aussi qu'on trouva la seule fonderie de métaux.
Au Brésil se montrent quelques débris d'édifices en briques et quelques roches sculptée» des plus remarquables, telles que celles de l'embouchure de l'Amargoso, et aussi celles de l'Arvoredo, dont les caractères prétendus phéniciens et taillés en creux n'ont pas moins de quarante pieds de hauteur et se voient d'une demi-lieue en mer.
Dans le centre de l'Amérique méridionale, contrées moins explorées, on trouve à peine quelques tertres ou tumuli qui rappellent ceux du nord, et quelques rochers couverts de figures symboliques. Naguère on avait signalé l'existence prétendue d'une immense ville déserte, au milieu des montagnes du Chili, pour faire sans doute le pendant de la célèbre Palenque du Mexique ; mais c'est une mystification scientifique qu'on avait essayée, et ce
(41 ) n'est pas la première de ce genre. Il y a quelques années, ou signala près de Monte-Video un tombeau grec, un casque et une épée , qui d'après l'inscription, grecque aussi, avaient appartenu indubitablement à l'un des capitaines d'Alexandre-leGrand. Par malheur, le faussaire s'était trompé dans le calcul des olympiades.
Le Mexique, voilà surtout la terre classique de la civilisation et des arts en Amérique, et c'est depuis peu de temps seulement qu'elle a éveillé l'attention du monde savant. Il s'agit non-seulement de Palenque, la ville déserte, aux huit lieues d'étendue, aux temples de granit, aux sculptures colossales en stuc, et où, chose singulière, un admirable bas-relief en marbre atteste un culte de la croix ; il s'agit non-seulement de Mitla, la ville des morts, aux murailles de mosaïque, aux colonnes monolithes, aux ornemens grecs, mais encore d'une foule d'autres monumens et oeuvres de sculptures épars ça et là dans toute l'étendue du pays. Un coup-d'oeil sur les antiques constructions du Mexique nous fait voir d'immenses tumuli, soit en terre, soit en pierre et chaux, soit en briques, les uns sans issue apparente, les autres avec une galerie transversale ou avec deux galeries en croix, voûtées, en ogive ou à plein cintre, revêtues ou non de pierres régulièrement taillées et de dalles sculptées ; des téocallis ou grands autels découverts, de 50, 60 ou 80 pieds de haut, de diverses formes, en pierres taillées, revêtus d'un solide enduit, orien-
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tés, à plate-forme unie ou à plate-forme portant un temple, depuis quatre corps en retraite l'un audessus de l'autre jusqu'à huit corps-, des pyramides quadrangulaires, différentes de celles de l'Egypte, malgré la similitude de leurs principes, d'un seul corps ou de plusieurs corps en retraite, avec des escaliers sans repos ou avec une rampe diagonale montant d'un corps à l'autre; des sépultures souterraines construites en pierre et plus ou moins ornées; l'admirable pyramide de Papantla et le monument plus admirable encore de Xochicalco, sur une colline taillée en plusieurs terre-pleins, sans aucun escalier extérieur et avec des souterrains taillés dans le roc ; une forteresse presque européenne , d'une demi-lieue de circuit, sur le haut d'une colline de 600 pieds à pic ; des ponts de construction cyclopéenne , un entre autres dont l'arche est formée de deux pierres curvilignes ; des aqueducs en pierres taillées; une foule de statues et bas-reliefs sculptés en pierre calcaire, en granit, en jade, en porphyre; enfin, les monumens presque grecs de Mitla, les monumens à demi égyptiens de Palenque, ceux du Yucatan et de l'Ushmal qui ne sont pas moins étonnans, et quelques autres qui rappellent par leurs formes certaines constructions indiennes et chinoises.
Je ne pourrais essayer , sans risquer de faire un volume, de détailler ici le mérite ou le caractère même d'une petite partie de ces ouvrages. Je n'en dirai que quelques mots. Ces ouvrages sont assurément
( 43 ) de diverses époques , comme les productions des arts chez les autres nations; les uns sont grossiers et barbares ; les autres au contraire sont d'un goût et d'une exécution qui font honneur aux. peuples qui nous les ont laissés. Là, comme en Egypte, les sculptures qui tiennent au culte sont stationnaires, et celles qui se rattachent à la vie usuelle sont plus variables, et généralement plus avancées.
En architecture , il faut citer le caractère grave et majestueux et la solidité de construction des édifices de Palenque ; la grâce, la richesse et la singularité des palais de Mitla; la beauté de masse des constructions pyramidales du Mexique proprement dit, et particulièrement l'admirable assemblage des grandes pierres qui forment l'assise inférieure de la pyramide de Xochicalco, sculptées avec une richesse extrême, et dans les joints desquelles, selon l'expression des voyageurs, on ne pourrait passer la lame d'un couteau.
En fait de sculpture, on doit signaler certaines idoles taillées avec un fini parfait dans les matières les plus dures, telle qu'une petite tête en quartz veiné vert et blanc, que M. Galindo, gouverneur d'une province de l'Amérique centrale, voulut bien récemment me laisser dessiner, le jour même où il partait pour Londres. Le modelé, le style et l'habileté d'exécution appliquée à une matière si dure, sont évidemment d'une époque d'art fort avancée. Je citerai aussi des bas-reliefs en marbre ou en granit d'une exécution assez satisfaisante , selon les
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dessins que nous possédons, et surtout les basreliefs du monument de Xochicalco, dont les figures sont entourées d'un rebord saillant dans tout leur contour, contrairement au creux qui cerne les bas-reliefs de l'Egypte.
En fait de plastique, je mentionnerai les reliefs en stuc qui ornent le grand temple de Palenque, et où la suavité des formes est aussi remarquable que l'étonnante finesse et complication des accessoires; quelques terres cuites, quelques vases, et surtout une petite tête casquée que l'art grec, à part l'élévation de style, ne répudierait pas.
Les monumens de Palenque, de même que ceux de l'ancien Mexique, sont construits sur le même principe que ceux de l'Egypte , c'est-à-dire, en talus. Ce principe de solidité, joint à la qualité et aux dimensions des matériaux généralement employés, devait leur assurer une durée égale , et cependant ils sont plus dégradés ; la raison veut qu'on en conclue que leur antiquité est au moins aussi grande.
Les hiéroglyphes sculptés sur les édifices de Palenque n'ont rien de commun par leur forme avec les hiéroglyphes égyptiens ; en outre, ils sont en relief au lieu d'être en creux. Ce qui n'est pas moins remarquable, c'est que les hiéroglyphes aztèques, ceux du peuple de Montezuma, écrits sur papier d'agave , n'ont pas non plus avec eux d'analogie de forme. Cela conduit à reconnaître leur extrême antiquité. La comparaison que j'en ai faite amène
(45 ) aussi une donnée historique qui n'est point à négliger; clans les manuscrits hiéroglyphes aztèques, on voit fréquemment la représentation graphique des anciens autels ou téocallis qui servaient au culte ; sur l'escalier est souvent un guerrier aztèque , montant, la lance et la torche à la main, pour détruire le temple qui s'élève sur la plate-forme. Il faut reconnaître là l'action des vainqueurs qui exterminent jusqu'au culte des vaincus. C'est ainsi que la religion des Toltèques et des autres populations américaines que nous commençons à connaître vers le sixième siècle, religion qui prescrivait des offrandes de fruits et de fleurs aux dieux du pays, fut remplacée par l'horrible culte des Aztèques ou Indiens de Montezuma, dont les dieux ne pouvaient se rassasier de sang humain.
Il faut remarquer encore qu'à Palenque , le système des édifices consacrés au culte est totalement différent de celui du reste de l'ancien Mexique. A Palenque , tous les temples sont couverts, et il n'y a point de pyramides proprement dites ; dans le nord du Mexique, au contraire, tous les temples sont découverts; ce sont d'immenses autels pyramidaux, qui ont conservé dans la langue espagnole le nom d'oratoires (lieux de prière), et sur la plate-forme desquels se célébraient les cérémonies religieuses, à la face du ciel et en présence des peuples rassemblés à leur base.
Une chose importante à observer dans l'étude des diverses races d'hommes, c'est la forme de la tête
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des anciens habitans de Palenque, représentés dans leurs bas-reliefs en marbre, en granit ou en stuc. Non seulement ils semblentmacrocéphales, comme certaines populations d'Asie, mais encore la ligne depuis le bas du nez jusqu'au haut du front décrit pour l'ordinaire un quart de cercle presque parfait. Ce caractère, qui se retrouve chez des nations d'Amérique et d'Asie, est ici incomparablement plus prononcé qu'ailleurs. C'était leur type de beauté. Si l'on parvenait à trouver dans les fouilles quelque crâne bien conservé, ce serait un grave sujet d'étude pour les physiologistes en même temps que pour les historiens.
Naturellement, on se demande à quels peuples sont dus ces restes d'une civilisation passée, soit que cette civilisation ait été originaire du pays lui-même, soit qu'elle ait été le résultat d'anciennes communications avec les autres parties du monde.
M. de Humboldt dit que lorsque les Aztèques, peuples de Montezuma, vinrent, au douzième siècle, occuper les contrées mexicaines, ils trouvèrent ces grands monumens debout, et les attribuèrent aux Toltèques, arrivés sur le plateau du Mexique vers le sixième siècle, sans être certains cependant qu'ils n'avaient pas été élevés par des peuples antérieurs. Celte hypothèse de M. de Humboldt donnerait donc déjà à ces monumens plus de 1300 ans. J'appuierai cette hypothèse par une considération qui semble décisive: c'est que ces mêmes Toltèques, chassés du nord vers le sud par les hordes septentrionales de
( 47 ) l'Asie qui passèrent en Amérique , il n'en faut pas douter, antérieurement au sixième siècle, en même temps que d'autres hordes fondaient sur l'Europe, c'est que ces Toltèques, dis-je, n'avaient rien construit de semblable dans le nord, où l'on ne trouve aucun vestige en pierre. Les monumens dont il s'agit sont donc nécessairement plus anciens qu'eux. Quant à ceux de Palenque, leur âge ne peut être moindre ; le souvenir en était totalement perdu lors de l'arrivée des Européens, au quinzième siècle ; les historiens de la conquête n'en entendirent jamais parler, et leur découverte au milieu des déserts est si moderne que, dans bien des esprits, c'est encore un problème.
Mais si l'on admet que les Tartares et Mongols ont passé, selon l'assertion de M. de Humboldt, du nord de l'Asie dans le nord de l'Amérique avant le sixième siècle et qu'ils ont continué leur migration pendant les siècles suivans ;
Si l'on admet que les Chinois, d'après leurs annales compulsées par M. de Guignes, ont commercé avec l'Amérique dès le cinquième siècle ;
Si l'on admet que les Norwégiens et les Islandais ont fondé, dès le dixième siècle, des colonies à Terre-Neuve et au Labrador, où l'on retrouve en ce moment même les ruines d'églises chrétiennes que ces colonies y élevèrent plus de 480 ans avant les premiers voyages de Colomb ;
Si, dis-je, ces faits et d'autres que je passe sous silence, corroborés par des recherches récentes sur diverses langues d'Amérique, sont admis, pourquoi
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regarderait-on comme fabuleux ou impossibles certains voyages de l'antiquité vers cette partie du monde? Rien n'établit positivement qu'une communication quelconque entre les peuples de l'Asie et l'Amérique centrale, placée en face d'eux sous la même latitude, n'ait pas pu avoir lieu. Au contraire, le passage a pu s'effectuer de plusieurs manières, soit du côté de l'orient, par cette ceinture d'îles qui traverse le grand Océan, soit du côté du nord, par une progression continentale, soit même du côté de l'occident , à l'aide de quelques terres intermédiaires qui depuis se seraient enfoncées sous les eaux. Les navigations des Phéniciens et des Carthaginois, qui remontent aux temps les plus anciens, les envois réguliers de flottes aux contrées d'Ophir et de Tharsis par les ordres des rois Salomon et Hiram, les transplantations des tribus d'Israël et leurs mouvemens probables à travers l'Asie, les traditions concernant l'Atlantide appuyées par certaines circonstances trop peu étudiées, telles que les courans circulaires de l'Océan atlantique et ces forêts de joncs sous-marins que Christophe Colomb rencontra sur sa route, végétations singulières indiquées sur les cartes du XVI°siècle entre les onzième et trentecinquième degrés de latitude nord : toutes ces notions, quoique plus ou moins vagues et par conséquent non concluantes, forment toutefois un ensemble de données qui deviennent imposantes par leur nombre et par leur concours. Plus les connaissances ethnographiques font de progrès, plus les
( 49 ) migrations des peuples, antérieures aux temps historiques, acquièrent de probabilité.
La nature conjecturale de la question et l'espace restreint de mon cadre ne me permettent pas, Messieurs, de fatiguer votre attention par de plus longs développemens ; mais c'est pour moi une conviction que, dans la plus haute antiquité et aussi dans les temps modernes antérieurs à la découverte de Colomb, l'Amérique, ce nouveau monde tout aussi vieux que l'ancien, avait été visitée, peuplée, civilisée par plus d'une nation des trois autres parties du globe ; et je crois non moins fermement que cette antique civilisation de l'Amérique centrale, où les arts fleurirent d'une manière si remarquable, fut anéantie par la même cause et dans le même temps que la civilisation romaine était remplacée en Europe par les ténèbres du moyen-âge.
Il reste un souhait à former ; c'est qu'une expédition de savans et d'artistes , pris parmi les hommes les plus éclairés, voient de leurs yeux ces anciennes constructions prêtes à disparaître sous les efforts lents, mais irrésistibles, des siècles; qu'ils aillent explorer, avec l'appui d'un gouvernement ami des sciences et des arts , ces ruines si vieilles recouvertes d'une végétation toujours jeune. Leurs travaux seuls pourront assigner à ces monumens leur véritable caractère et déterminer l'époque où ils furent érigés par des peuples qui ne sont plus.
Soc. libre des Beaux-Arts, t. VI. d.
NOTICE
SUR
JEAN-GERMAIN DROUAIS,
Peintre d'Hisloire,
PAR M. MIEL.
Messieurs,
DROUAIS (Jean Germain), peintre, naquit à Paris, le 25 novembre 1763. Il était fils et petit-fils de peintres. Son père, membre de l'Académie de Peinture et premier peintre de MONSIEUR, frère du roi, depuis Louis XVIII, s'était fait une juste réputation par ses portraits. Sa mère peignait aussi en miniature. Ses parens jouissaient d'une aisance honorable, et leur maison était fréquentée par tout ce qu'il y avait de distingué dans les arts.
Le père de Drouais reconnut bientôt les rares dispositions de son fils. Si je ne craignais pas, disait-il un jour, l' aveuglement de la prévention paternelle, je prédirais que cet enfant deviendra un Raphaël. Il en confia la culture à Brenet, peintre d'histoire, qui avait de bons principes, étant élève de Vien, et qui, lié avec David dans sa jeunesse, occupait l'atelier de celui-ci pendant son premier séjour à Rome.
En 1780, David était revenu d'Italie, précédé d'une renommée sans égale. Il ouvrit une école à
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Paris. Drouais y entra le premier, ou plutôt, il y attendait le professeur. Ses progrès furent rapides et soutenus. L'austère enseignement d'un maître formé sur l'antiquité classique convint au disciple. Non moins studieux qu'heureusement organisé, Drouais, que les avantages extérieurs de sa personne et la position sociale de sa famille semblaient convier aux jouissances du monde, se dérobait aux plaisirs de son âge. Il passait les journées à peindre et une partie des nuits à dessiner, à faire des lectures , à se rendre familière la connaissance des costumes et des monumens. Pour satisfaire plus à son aise cette ardeur laborieuse, il avait quelquefois recours à des ruses. Ainsi, sous un prétexte quelconque, comme d'aller étudier des peintures au château de Versailles, il se faisait croire absent de Paris et ne reparaissait chez ses parens que pour leur donner la journée du dimanche. Se sauvant par là de toutes les distractions du dehors, échappant même aux empressemens et aux soins de sa famille, il se laquemurait dans son atelier et travaillait sans relâche pendant des semaines entières, n'ouvrant sa porte, sur un signai couvenu, qu'au modeste pourvoyeur de ses repas. Un jour pourtant on avait obtenu de lui la promesse de descendre au salon en toilette ; il avait même consenti à livrer sa tête au coiffeur. Mais entrevoyant tout-à-coup les conséquences de cette concession pour la suite de ses travaux, il change de résolution, prend des ciseaux, coupe la boucle déjà frisée et se rend impossible
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pour long-temps toute apparition dans le monde. Il était doué d'une voix agréable et comme il avait aussi un goût naturel pour la musique , on lui conseillait de l'apprendre.Non, dit-il, je veux être peintre, et je n'ai pas trop de toute ma vie pour le devenir.
Une telle force de volonté présageait de grands succès, maïs elle inspirait aussi de vives craintes. Madame Drouais avait perdu, dans la force de l'âge, un mari qu'elle chérissait; elle venait de perdre une fille de quinze ans, aussi distinguée par sa beauté que par ses talens et ses vertus. Depuis ce double veuvage, elle était seule avec sa soeur, mademoiselle Doré, femme excellente, amie dévouée. Toutes deux avaient concentré leurs affections sur le jeune artiste , et elles ne vivaient que pour lui. Elles réunissaient leurs instances pour l'empêcher d'altérer sa santé par l'excès du travail ; David lui prêchait aussi la modération dans la seule chose dont il fît abus. Mais il était dévoré par la passion de la gloire. Vaincre ou mourir était sa réponse, et il ajoutait : Il faut que je sois peintre ou rien. Son ambition était d'égaler les plus grands maîtres dans l'art de peindre, et de soutenir ou même de rehausser encore,, s'il était possible , l'honneur de l'école française.
Son premier tableau fut le Retour de l'Enfant prodigue. Il n'avait pas dix-sept ans lorsqu'il le peignit. C'était le sujet proposé pour le concours du grand prix de peinture en 1782. Drouais voulut le traiter de son côté, suivant toutes les don-
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nées du programme, dans la vue de se préparer plus spécialement à la lice académique avant d'y entrer. Madame Drouais ayant fait présent du tableau à l'église de Saint-Roch, sa paroisse, on l'y voit encore aujourd'hui. Ce coup-d'essai fait distinguer, dans plusieurs de ses parties, la fermeté et la maturité d'un maître.
L'année suivante (1783), Drouais concourut pour le grand prix. Le sujet était la Veuve de Naïm. Les concurrens pour l'Académie de Rome sont assez dans l'usage de se faire voir entre eux leurs tableaux, la veille de l'exposition publique. Celte communication anticipée , effet d'une impatience bien naturelle, n'est pas sans inconvéniens. Blasé sur une composition dont ses yeux ne se sont pas détachés depuis trois mois, le jeune artiste, peu exercé à juger, prend aisément le change sur le mérite des compositions rivales. Outre qu'il ne saurait être de sang-froid, la seule impression de la nouveauté suffit pour lui exagérer la valeur de celles-ci aux dépens de la sienne. C'est ce qui arriva à Drouais. Après avoir parcouru les peintures du concours, il revit son ouvrage sous la préoccupation d'une infériorité relative, et dans son premier mouvement, il déchira la toile , puis il en porta tristement les lambeaux à son maître. « Qu'avez-vous fait ? lui dit David; vous avez cédé le prix à un autre. " — «Vous êtes donc content? reprit Drouais, et sur la réponse affirmative : « Hé bien! j'ai le prix, poursuivit l'élève consolé ; votre suffrage est celui que j'ambi-
(54) tionais le plus; l'année prochaine, je ferai mieux.» Drouais s'était mis hors de concours. Mais le tableau lacéré fut réparé avec soin, de manière à conserver à la fois les traces de ce talent et de cette modestie. Il appartient à M. Valois, parent de Drouais et l'un de nos habiles statuaires. A ne le considérer que comme morceau d'art, il est très-remarquable; car à l'exception de quelques parties subordonnées où l'on aperçoit plutôt de l'embarras et de la fatigue que de la faiblesse, c'est à peine si de la Veuve de Naïm à la Cananéenne il y a un progrès sensible.
La Cananéenne aux pieds du Christ fut le sujet du concours en 1784. Tout le monde sait comment Drouais le traita. Cet ouvrage d'un élève occupe une place éminente au musée du Louvre, parmi les chefs-d'oeuvre des maîtres. Toutes les qualités du peintre d'histoire s'y trouvent réunies et permettent de le comparer à une page du Poussin. En le voyant, professeurs, disciples, simples spectateurs, furent saisis d'admiration. Le prix fut décerné à l'auteur, d'une voix unanime, par les concurrens aussi bien que par les juges. Ses camarades le couronnèrent de laurier et le portèrent en triomphe dans les rues de Paris, depuis l'académie jusqu'à là maison de sa mère, puis de là chez son maître ; l'ovation ne se termina qu'à la lueur des flambeaux. Les journaux retentirent de ce triomphe et les poètes le chantèrent ; ceux-ci disaient que le vainqueur était de ses rivaux et l'exemple et l'amour. Mais tant de succès n'enflèrent pas la vanité
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du jeune lauréat ; Drouais se conserva toujours modeste, toujours simple.
II partit pour l'Italie avec David, qui avait résolu d'aller peindre ses Horaces à Rome. L'aspect des chefs-d'oeuvre rassemblés dans la métropole des arts lui fit éprouver l'impression qu'il doit toujours produire sur l'artiste qui sympathise avec les maîtres ; la présence du sien dut encore fortifier cette impression en l'éclairant. Toutes les merveilles dont il était entouré avaient d'abord attiré ses regards; mais bientôt il ne vit plus que l'antique et Raphaël. Le Soldat blessé, figure de grandeur naturelle, qui orne aujourd'hui le musée de Rouen, fut peint sous ces nouvelles influences-, on applaudit au sentiment énergique du guerrier romain qui brave son ennemi en succombant sous ses coups, et chez qui la fierté triomphe de la douleur.
La déférence du disciple pour son guide était sans bornes ; ses sentimens éclatent avec vivacité dans une lettre qu'il écrivait de Rome, le 14 août 1787. « Aucune parole, dit-il, ne peut rendre la beauté de » l'ouvrage que M. David vient d'achever. Italiens, » Anglais, Allemands, Russes, Suédois, que sais-je ? » toutes les nations l'envient à la France. Je suis » à la veille de perdre un maître si utile à ceux qui » ont le bonheur de le connaître ; vous jugez quelle » est ma peine et celle que je ressentirai lorsqu'il » sera parti." L'admiralion , le dévoûment et la reconnaissance ne sauraient s'exhaler d'un coeur généreux dans un langage plus expressif. De son côté,
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voici ce que David écrivait : « Je pris le parti d'ac» compagner Drouais autant par attachement pour » mon art que pour sa personne. Je ne pouvais plus » me passer de lui. Je profite moi-même à lui don» ner des leçons, et les questions qu'il me fait seront » des leçons pour ma vie. »
A Rome, Drouais se levait tous les jours à quatre heures du matin et travaillait jusqu'à la nuit quelquefois sans avoir pris aucune nourriture pendant tout le jour, d'ordinaire n'ayant mangé qu'un morceau de pain, afin de ne pas interrompre la séance du modèle, qu'il retenait en lui donnant le dîner du pensionnaire. Il joignait à cette ardeur une extrême facilité pour tout apprendre. On lui fit sentir la grande utilité pour un artiste de connaître les langues anciennes, qui ne lui avaient pas été enseignées dans son enfance; il se mit sur-le-champ à l'étude du latin, et en moins de trois ans, quoiqu'il n'y pût consacrer que quelques heures par semaine, il fut en état de lire Tacite.
Une vie si courte et si occupée offre peu d'événemens au biographe ; mais à défaut de faits et de documens historiques, la correspondance de Drouais le montre tout entier , et il n'en est que plus intéressant. Fidèle à la maxime de l'école d'Apelle, Nulla dies sine lineâ, il a toujours le crayon à la main et il provoque l'inspiration par le travail. Ce qu'on a réuni de ses dessins, croquis, esquisses, premières pensées jetées sur le papier, remplirait plusieurs
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porte-feuilles, et tout y est du genre le plus élevé-, car telle était la nature de son talent, en rapport arec la noblesse et la beauté de ses traits. A Rome, son temps est partagé entre les études de son art et les souvenirs de sa famille. Nous le voyons au comble de la joie en recevant sur la terre étrangère le portrait de sa mère peint par sa tante ; nous le voyons rempli d'attentions délicates pour toutes deux; empressé d'envoyer à celle-ci, musicienne et peintre, un choix des nouveautés musicales; lui racontant avec ivresse les triomphes de Païsiello, dont il disait « qu'il s'estimait heureux d'avoir passé quelques » heures dans la compagnie d'un si grand homme ; » se félicitant de pouvoir procurer de temps en temps à ses camarades l'occasion de l'admirer, en les conduisant au spectacle. On prétendit que Drouais quittait le théâtre immédiatement après le lever du rideau, pour courir à son atelier pendant que les autres se divertissaient. On avait dit aussi que, dans le temps de ses concours à Paris, il profitait de sa position de fortune pour accaparer les modèles. La cordialité des rapports qu'il entretint toujours avec ses émules réfute ces assertions. Drouais les combattit à armes courtoises et les vainquit loyalement, en conservant leur affection et leur estime, louant avec effusion tout ce qu'ils faisaient de bien, repoussant avec la modestie la plus vraie tout ce qui pouvait marquer sa supériorité sur eux. Mais son immense et noble ambition, l'idée qu'il s'était faite
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des difficultés de son art, les inquiétudes qui durent être la suite de l'une et de l'autre, expliquent tout. «Ma manière de vivre, écrivait-il dans une lettre » datée de Rome, est ici comme à Paris. Je n'ai » d'autres plaisirs que de travailler, de voir les » belles choses et de lire. L'on ne peut pas être dans » ce pays-ci sans avoir de la mélancolie. J'en avais » aussi à Paris ; mais j'étais aussitôt distrait par beau» coup de choses. Ici l'on n'a positivement qu'à pen» ser à son talent. Heureux les gens qui y pensent » et qui sont gais ! »
Voici comment il s'exprimait dans une autre lettre, sur le premier de ses ouvrages auquel il ait attaché une véritable importance artistique: «La Saint-Louis » approche, où nous faisons une exposition de nos » oeuvres. Vous saurez ma réussite ou ma honte. Je » suis dans une terrible transe, d'autant plus que je » suis attendu. » L'oeuvre attendue était Marius à Minturne ; elle surpassa l'attente générale, et son apparition excita un enthousiasme universel. Le célèbre Goëthe, qui était alors à Rome, a retracé les transports d'admiration par lesquels fut salué ce tableau, « égal dans plusieurs parties, dit-il, au Ser» ment des Horaces, supérieur même dans quel» ques-unes, et qui n'est resté quelque peu au» dessous que dans le dessin. » Un accueil semblable lui était réservé à Paris. On y reconnut aussi un air de famille avec les Horaces. Le poëte Arnault y puissa l'idée de sa première tragédie. La
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vogue du peintre était devenue populaire dans sa patrie avant son retour; on voyait en lui un second David. On juge aisément des espérances que l'école française put fonder sur cette continuation de talens supérieurs. Hélas! Drouais ne devait pas les réaliser. Philoctète dans l'île de Lemnos exhalant ses imprécations contre les dieux fut sa dernière peinture.
Il en préparait une autre qui devait mettre le sceau à sa réputation. Celle-ci représentait en grandes proportions ( 16 pieds de large sur 11 de haut) et avec une énergie toute romaine Caïus Gracchus sortant de sa maison, accompagné de ses amis, pour aller apaiser la sédition où il périt. La composition arrêtée, le trait fixé sur la toile, les études presque achevées, l'auteur éprouva une critique qui lui fut très-sensible. Son maître, qu'il était dans l'usage de consulter, quoiqu'absent, sur tout ce qu'il faisait, trouva que le sujet n'était pas suffisamment accusé, et qu'on pouvait y voir tout aussi bien Régulus repartant pour Carthage. Cette remarque n'avait peut-être qu'une apparence de justesse, puisque dans le cas même où quelques analogies d'ordonnance et de mouvemens auraient pu introduire de l'incertitude, le caractère des expressions devait la faire disparaître. Mais Drouais, pour qui David était un oracle, s'en affecta vivement.
Le moment de son retour approchait; on s'occu-
( 60 ) pait des préparatifs nécessaires pour le recevoir. David lui avait cherché lui-même un atelier et devait l'y installer à son arrivée. On avait si longtemps compté, dans sa famille, les années de séparation ; on ne comptait plus que les mois ; bientôt on n'allait plus compter que les semaines et les jours. Ainsi s'exprimait la tendresse d'une mère. Mais celui qui était l'objet de tant de voeux, ne devait plus revoir la France. L'excès du travail avait épuisé ses forces et allumé son sang. Quoique sa constitution fût des plus robustes, une fièvre inflammatoire se déclara ; la petite vérole s'y joignit ; il succomba, au bout de quelques jours , à la violence du mal. Il mourut le 13 février 1788, avant d'avoir accompli sa vingt-cinquième année.
Le peintre Ménageot, directeur de l'Académie, lui avait prodigué pendant sa maladie des soins paternels. Ses camarades l'avaient gardé et veillé à l'envi les uns des autres. Ils pleurèrent en lui leur ami, leur modèle, et ils lui érigèrent un tombeau dans l'église de Sainte-Marie in via latâ. Le monument fut exécuté par le sculpteur Michalon, l'un d'eux. Il consiste en une stèle surmontée du portrait de Drouais en médaillon, audessous duquel est un bas-relief qui représente la Peinture, la Sculpture et l'Architecture consacrant son nom à l'immortalité, emblème touchant de ce concert de regrets.
Deux épitaphes, l'une en français, l'autre en latin,
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furent inscrites sur le mausolée. En voici la copie littérale :
LES PENSIONNAIRES DE L'ACADÉMIE DE PRINCE
CONSACRENT CE MONUMENT DE LEUR DOULEUR
A J. G. DROUAIS , PEINTRE ,
NE A PARIS, LE 25 NOVEMBRE 1763,
ENLEVÉ PAR UNE MORT PRÉMATURÉE,
LE 28 FÉVRIER 1788, AUX GRANDES ESPÉRANCES DE SA PATRIE ET A LA TENDRE AMITIÉ DE SES JEUNES RIVAUX.
D. O. M.
I. G. DROVAIS. PICTORI
DOMO. LVTETIAE. PARISIORVM
QVI
IN. MAGNA. PATRIAE, SVORVMQVE. SPE
IAM, MATVRVS. MERITIS
IMMATVRA. MORTE. DECESSIT
IDIBUS. FEBRUVARII. MDCCLXXXVIII
ANNOS. NATUS. XXIV. MENSES. II. DIES. XIV
GALLI. IN. REGIA. VRBIS. ACADEMIA. SODALES
DOLORIS. SVI. MONVMENTVM
P. P. COLLEGAE. AEMVLO. AMICO.
Personne ne fut plus sensible que David à la perte de Drouais. Il disait que c'était le seul de ses disciples qui jusqu'alors l'eût compris entière-
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ment, le seul dont les ouvrages fussent capables de troubler son sommeil, et il s'écriait : J'ai perdu mon émulation. Quant à madame Drouais, désormais inconsolable, elle s'entoura des ouvrages de son fils, ouvrit son salon à-tout visiteur français ou étranger qui se présentait pour les voir, les montrant avec orgueil, les expliquant avec larmes, et trouvant jusqu'à sa mort, dans cet hommage incessamment rendu sous ses yeux au génie moissonné dans sa fleur, le seul adoucissement aux douleurs maternelles.
Cette commune affliction, ces honneurs spontanément décernés par des émules, ces inscriptions si honorables, ces souvenirs si vifs et si tendres, prouvent que l'homme valut l'artiste, et que Drouais ne fut pas moins recommandable par son caractère que par son talent.
DES
AMATEURS DE MUSIQUE
ET
DES CONCERTS D'AMATEURS,
PAR M. DELAIRE.
Ce morceau, le troisième dans l'ordre des lectures de la séance publique, a été publié dans le recueil de la Société pour cette année.
(Voyez ci-après p. 120).
ANNALES
DE LA SOCIÉTÉ LIBRE
DES BEAUX-ARTS.
ANNÉE 1836.
SUR LE PROCÉDÉ DU MÉTAL BATTU
OU
SPHYRELATON DES ANCIENS,
Et sur les avantages de l'emploi de cet art à la reproduction des sculptures d'une dimension colossale, particulièrement de celles qui sont destinées à surmonter le sommet des édifices,
PAR M. HITTORFF.
Messieurs,
Les frais énormes où l'on fut entraîné par la fonte des statues équestres de Henri IV et de Louis XIV, élevées, la première, sur le Pont-Neuf, la seconde, sur la place des Victoires, ainsi que les autres ouvrages de sculpture coulés en bronze
Soc, libre des Beaux-Arts.—1836. 1
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dans ces derniers temps, me suggérèrent l'idée de faire des recherches sur les moyens d'arriver aux mêmes résultats sous le rapport de l'art, mais avec des dépenses beaucoup moindres. Les études auxquelles je me livrai dans cette vue, sur la foi des auteurs anciens et d'après un grand nombre de monumens antiques, m'eurent bientôt fait reconnaître que le procédé de la fonte n'avait pas été employé seul pour reproduire en bronze ou en métal précieux les sculptures exécutées dans la Grèce et dans l'Italie , surtout lorsqu'il s'agissait d'oeuvres colossales.
La fonte massive ou pleine, sans noyau, la fonte dans un moule à noyau, avec une épaisseur de métal plus ou moins considérable, le métal repoussé au marteau ou sphyrelaton , enfin le métal plaqué, tels furent les procédés divers mis en usage chez les anciens. Je ne m'occuperai ici que du sphyrelaton, que j'examinerai dans l'antiquité, à l'époque de la renaissance et de nos jours.
La haute ancienneté de ce procédé ne peut être contestée. Les objets métalliques dont parle Homère sont toujours travaillés avec le marteau, qui est l'instrument de Vulcain. Si le poète décrit un bouclier enrichi d'ornemens en relief, le travail n'en est pas obtenu par la fonte, mais à l'aide du marteau. L'invention du sphyrelaton appartient à l'époque intermédiaire entre l'enfance de l'art, où les fontes se font en plein, et son développement le plus avancé. Il exige une habileté pratique dans la manipulation des métaux, qui suppose des con-
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naissances déjà nombreuses et variées, et les difficultés ont dû augmenter à raison des progrès de l'art dans l'imitation de la forme humaine. Quand Pausanias parle de la statue de Jupiter élevée à Sparte, et attribuée à Léarque de Rhegium, il dit qu'elle n'est pas d'une seule pièce, mais qu'elle se compose de parties fabriquées séparément à coups de marteau, puis ajustées les unes aux autres avec des clous. On ne peut méconnaître dans cette description le résultat d'une application du sphyrelaton. Quelque légèreté que l'on puisse donner au métal par la perfection du moule à noyau, elle n'atteindra jamais celle de la feuille de cuivre repoussée. Du moule le mieux exécuté, il sortira toujours des parties pleines et tellement épaisses, que tout fragment de cette fonte , mis en parallèle avec un morceau battu de même métal, paraîtra comparativement plus ou moins massif. De là l'économie de matière et par conséquent de dépense, qui dut faire préférer ce procédé pour l'exécution des colosses. Le colosse de Babylone, dont parle Dio - dore de Sicile, devait être un produit du sphyrelaton. Le colosse en or consacré à Jupiter par Cypselus et destiné par lui à Olympie, était également repoussé au marteau. Quand on considère le grand nombre de colosses en toutes sortes de métaux, qui durent être exécutés au moyen du sphyrelaton, on peut affirmer que cette manière de travailler les substances métalliques fut d'un usage multiplié chez les Grecs, et qu'elle était en vogue au temps de Phidias et de Polyclète.
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On trouve dans la plupart des musées beaucoup de fragmens précieux en sculpture exécutés par le moyen du moulage au marteau, et qui font voir que la pratique en fut presque générale à toutes les époques de l'antiquité, surtout pour les statues en or et en argent. L'exécution de ces morceaux montre, dans le sphyrelaton, la faculté de reproduire, avec toute la perfection désirable, les modèles les plus beaux et les plus compliqués de l'art statuaire. Il doit suffire de citer les objets trouvés récemment à Berthonville, près de Bernay, et que possède le Cabinet des Antiques, chefsd'oeuvre de sculpture, dont plusieurs furent exécutés par ce procédé.
Un grand nombre de productions en or, en argent et en cuivre, également relevés au marteau et appartenant à différentes périodes de la renaissance, présentent les mêmes preuves de la perfection dont ce travail est susceptible. Benvenuto Cellini nous a laissé à cet égard de précieuses notions. Le sphyrelaton était le procédé favori de l'orfévrerie, alors l'école de presque tous les arts, et les opérations de celle-ci se liaient particulièrement avec celles de la sculpture en métal. Le procédé du repoussé était fort pratiqué en France aussi bien qu'en Italie, et si les Italiens l'emportaient , c'était plutôt par la beauté et le bon goût du dessin que par l'habileté manuelle. Un des défauts que Benvenuto reproche aux artistes français et allemands qui travaillaient à Paris, consistait dans la mauvaise jonction des pièces de métal
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battu dont les statues se composaient. On y employait ordinairement la méthode de Léarque de Rhegium, précédemment rappelée, c'est-à-dire les clous et les rivures, qui dissimulaient mal l'assemblage. C'est du moins ce que Benvenuto donne à entendre, lorsque, parlant d'une figure en argent haute de six pieds, qui représentait Hercule portant le globe terrestre, et que François 1er destinait en présent à Charles-Quint, il dit que c'était surtout par l'art des joints que péchait ce grand ouvrage. Il paraît que le secret de l'artiste florentin fut de substituer la soudure aux rivures.
Le sphyrelaton fut peu à peu délaissé, à mesure que l'ait de la fonte fit des progrès. Benvenuto a été lui même un de ceux qui contribuèrent à ce résultat, étant devenu un très habile fondeur ; néanmoins l'orificeria fut toujours son art de prédilection. Entre autres documens qu'il nous a lais ses à cet égard, le fait suivant, relatif à l'économie procurée par ce procédé, n'est pas un des moins curieux. Le roi François 1er fit mettre à sa disposition 300 livres pesant d'argent, pour être employées à une statue de Jupiter. L'artiste devait exécuter en même métal les statues des douze grands dieux, et il avait déjà fait les modèles de trois de ces statues. La matière ne lui fut donc pas livrée pour une seule figure, mais à charge d'emploi pour les autres et d'en tenir compte. Après avoir exécuté son Jupiter, l'artiste n'appliqua pas le reste du métal à la confection d'une des autres figures, mais il en fit un grand vase à deux anses ,
6 haut de trois pieds. On en peut conclure qu'il n'employa pas plus de trois ou quatre cents marcs d'argent à la statue de Jupiter, laquelle drapée à micorps, tenait un globe dans une main, un foudre dans l'autre, et avait plus de six pieds de haut.
Ce n'est pas ici le lieu de soumettre à un calcul rigoureux les détails par trop techniques d'une telle économie ; d'ailleurs, les circonstances font varier les élémens de ce calcul. Ainsi les statues en métal battu dune médiocre dimension peuvent se passer d'une armature en fer, tandis que les colosses doivent être montés sur des armatures plus ou moins puissantes, ou exigent au moins des traverses et des tenons pour empêcher les vacillations. A tout prendre, on peut poser en fait que la différence du sphyrelaton à la fonte en moule à noyau, est, quant au poids et à la dépense du métal, dans le rapport d'environ 1 à 5.
C'est bien ici le lieu de regretter que la sculpture en or et en argent, si multipliée et si généralement adoptée en Grèce et en Italie, que les ouvrages en bronze doré, comme la statue de MarcAurèle , les chevaux de Venise, et les précieux fragmens découverts à Lillebonne, aient perdu la vogue dont ils jouirent. Cette répugnance des modernes pour un emploi semblable de la dorure, que les anciens, nos maîtres, recherchaient, comment l'expliquer, si ce n'est parce que souvent, en matière de goût, on attribue à un sentiment éclairé du beau , une opinion qui n'est qu'un préjugé ou qui résulte d'une habitude aveugle ? Pin-
7 dare a dit que l'or est le roi des métaux, et qu'il brille au milieu d'eux comme la flamme dans les ténèbres. Si de nos jours le bronze et le fer ont détrôné l'or, ils ne lui ont pas ravi sa beauté ni son prix. Sans doute, on ne reverra plus ces temps éminemment propices aux arts, où tout un peuple imposait silence à Phidias, qui voulait mettre l'économie au nombre des raisons de préférer une matière moins précieuse pour l'exécution de la Minerve destinée à orner le Parthénon. Mais il ne faut pas désespérer de voir refleurir tôt ou tard un genre de sculpture, qui permet de réunir à la perfection artielle des oeuvres de la plastique l'attrait des matières les plus précieuses, et qui assurerait aux artistes de nouvelles ressources et à l'art de nouveaux effets.
Vers le milieu du siècle dernier, plusieurs grands ouvrages de sculpture au repoussé se sont produits avec éclat. Le sphyrelaton, qui n'est plus guère connu en France que dans l'orfévrerie, n'a jamais entièrement cessé d'être pratiqué au-delà des Alpes et du Rhin. La statue colossale de saint Charles Borromée, haute de plus de 60 pieds, érigée sur les bords du lac Majeur, et celle de l'Hercule Farnèse, haute de 31 pieds, placée au-dessus de la belle cascade de Wielhelmshoehe, près de Cassel, sont d'importans exemples de cette pratique conservée. Si leur exécution n'offre pas toute la perfection désirable, elles sont d'une beauté suffisante pour les localités qu'elles décorent. Sur un vase d'argent exécuté à Vienne en 1828, le bas-
8 relief de Thorwaldsen représentant le Triomphe d'Alexandre a été admirablement reproduit au repoussé, quoique les figures n'eussent pas plus de 18 lignes de hauteur. Je citerai encore, comme une production récente et fort estimable de l'art français, la Vierge en argent faite à Marseille par le même procédé, et qui a occupé un rang distingué à la dernière exposition de. l'industrie.
Mais c'est particulièrement dans les monumens érigés en 1789 et depuis 1816 dans la capitale de la Prusse, que l'on peut reconnaître tous les mérites du sphyrelaton. Le quadrige qui surmonte la porte de Brandebourg, à Berlin, composé d'un char, de quatre chevaux de 11 pieds de haut et d'une Victoire ailée double de la grandeur naturelle , exécutés sur les modèles du célèbre sculpteur Schadow par le moulage au marteau, est un ouvrage d'art très remarquable. On en a vu les chevaux à Paris, où Napoléon les fit amener comme un trophée de la gloire de nos armes, qu'il destinait à l'arc de triomphe de l'Etoile. Les artistes français furent unanimes sur la perfection du travail. Le public confirma ce jugement sans le savoir, en donnant des éloges à l'auteur de la statue équestre de Henri IV, en plâtre, élevée sur le Pont-Neuf en 1814 , et transportée ensuite au Louvre ; le cheval en avait été moulé sur un des chevaux du quadrige de Berlin.
Quand on compare la dépense à laquelle ce grand monument donna lieu et qui n'atteignit pas, pour les quatre chevaux , le char et la Victoire, la
9 somme de 60,000 francs, avec le prix d'environ 200,000 fr. qui a été payé pour le groupe à peu près semblable, mais d'une dimension moindre, qui couronne l'arc du Carrousel, on est étonné d'une différence aussi énorme ; on l'est encore plus de ce qu'un procédé aussi avantageux que le sphyrelaton n'ait pas été employé chez nous dans les mêmes circonstances.
Ayant été à portée de suivre moi-même l'exécution de plusieurs figures que le roi de Prusse fit faire en 1820, et qui furent exécutées sous la direction de M. Schinckel, son premier architecte, j'ai pu étudier la pratique de ce genre de sculpture. Voici un exposé des moyens employés, 1° pour reproduire le modèle, soit dans sa grandeur réelle, soit au double, au triple ou au quadruple de cette grandeur; 2° pour repousser le métal au marteau; 3° enfin pour réunir les parties préparées séparément.
Reproduction du modèle. Le modèle étant moulé en plâtre, on commence par établir sur ses principales parties des lignes horizontales et perpendiculaires. A droite et à gauche de chacune de ces lignes, on pratique un rebord en terre, de façon à laisser entre les deux rebords un espace libre formant un canal d'à-peu-près un pouce de large. Après avoir passé dans l'intérieur de celte rigole un pinceau chargé d'huile, on y coule du plâtre, lequel s'adapte naturellement et de la manière la plus immédiate à la surface du modèle. Le plâtre sec, on enlève la lame , et la fendant en
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deux avec précision dans le sens de sa longueur, on a sur cette section médiaire le contour le plus exact de la ligne qu'il s'agissait de relever. On applique ensuite le profil de cette section sur une surface plane formée par des planches assemblées, et en suivant ce profil avec une pointe, on a un tracé qui est identiquement la ligne relevée. Cela fait, rien ne devient plus facile que de transporter cette ligne sur un autre assemblage de planches en l'agrandissant à l'aide d'ordonnées ou de carreaux, selon le rapport qu'on veut établir entre la grandeur du modèle et celle de la copie. Il ne reste plus qu'à découper l'une ou l'autre surface, suivant le carton réel ou le carton agrandi, pour avoir une reproduction de la ligne telle qu'elle est dans le modèle ou sur une échelle plus grande. En multipliant ces relevés, on obtient autant de lignes qu'on le juge convenable, c'est-à-dire, autant de règles ou de calibres au moyen desquels l'ouvrier peut estamper son travail et obtenir matériellement une imitation parfaite du modèle, soit dans ses dimensions véritables, soit sur une échelle double, triple et quadruple. D'où il suit que le modèle peut être fait à la moitié, au tiers ou au quart de la grandeur de l'exécution, tandis que pour la fonte, le modèle doit toujours être exécuté de la grandeur de l'objet qu'il s'agit de reproduire, opération qui augmente considérablement le travail et qui le rend beaucoup plus coûteux par cette simple disposition préparatoire.
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Repoussage au marteau. Il faut l'exécuter à froid ; le métal est alors plus malléable, et il reste plus compact que si on le travaillait à chaud. L'ouvrier exercé parvient à façonner librement et au simple coup-d'oeil la lame de cuivre destinée à représenter chaque partie du modèle. Le grand soin consiste à ne pas trop amincir le cuivre avant de le vérifier avec le calibre, afin que la matière ne puisse pas être en défaut dans les endroits où il y a le plus à repousser. Les habiles n'y manquent jamais. Il y en a qui acquièrent une telle habitude, que leur imitation offre une fidélité comparable à celle des praticiens qui travaillent le plus soigneusement le marbre. La forme des marteaux et des enclumes est ce qu'il y a de plus essentiel dans cette main-d'oeuvre, l'ouvrier devant s'en servir pour battre, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, sa plaque de métal, afin de lui faire prendre les formes variées de toutes les parties d'une figure ou de tout autre objet qu'il exécute. Comme le nombre et la diversité de ces instrument dépendent toujours de l'objet à reproduire, l'expérience et l'adresse de l'exécutant peuvent seules en diriger la fabrication et la rendre la plus avantageuse pour arriver à une exécution facile et exacte.
Réunion des parties. Les tables en cuivre dont on se sert pour le repoussé, étant d'une grandeur très circonscrite, les grands morceaux de sculpture sont préparés en plusieurs parties qu'il faut ensuite réunir. Pour cela, on découpe les parties à joindre en forme de redens qui s'engrènent
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de part et d'autre , puis on les joint au moyen d'une soudure en cuivre jaune, en ayant soin de placer ces soudures dans les endroits appareils, où il y a le plus de surfaces planes et qui présentent le plus de commodité. Si l'on voulait cacher les jonctions dans des plis ou des angles rentrans, on augmenterait inutilement la difficulté du travail, puisque les traces de la soudure sont imperceptibles.
Les armatures en fer, quand on est dans le cas d'en faire usage, n'ayant rien de particulier, et l'enveloppe de cuivre rendant leur adhérence facile, de plus longs détails en ce qui les concerne, seraient superflus. Tel est le précis du sphyrelaton, procédé qui offre pour la reproduction du modèle statuaire plus de ressources que la fonte, plus môme que la traduction en marbre. Dans l'une, le retrait de la matière et la nécessité du ciselage. sont un double obstacle à l'imitation identique; dans l'autre, un éclat de marbre, une légère inadvertance du praticien peuvent compromettre le résultat et quelquefois l'endommager d'une manière irréparable. Les mêmes causes d'imperfection n'existent pas dans l'emploi du moulage au marteau ; car aucun de ces inconvéniens n'y est à craindre, et les accidens qui peuvent survenir dans le cours de l'exécution, sont toujours réparables.
Observez que la pratique de ce moulage avait été entièrement abandonnée à Berlin depuis 1789, lorsqu'on l'y a reprise , et cela faute d'occasions
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d'en faire usage. Quoique l'habile architecte ait eu à recréer tout en 1816, les difficultés furent bientôt vaincues, et le groupe, composé de deux griffons, de neuf pieds de hauteur chacun, attelés à un char, et d'une figure d'Apollon de douze pieds et demi de proportion , groupe qui surmonte le principal fronton de la nouvelle salle de spectacle due au talent du même artiste, fut exécuté avec le plus grand succès. Les modèles, la matière, le travail du repoussoir, l'armature en fer, la plinthe, les frais de pose à une élévation de cent pieds, tout cela ne coûta ensemble qu'une somme d'environ 60,000 fr. Un Pégase ailé de dix pieds de hauteur, qui couronne le fronton opposé, ne coûta que 18,000 fr., y compris la pose, et la dépense de deux figures ailées, hautes de onze pieds quatre pouces, ne s'éleva pas à 15,000 fr. pour chacune.
Ces résultats doivent paraître concluans pour faire juger que le sphyrelaton ne laisse rien à désirer quant à la partie artielle, et qu'il présente des différences énormes quant à la dépense, même dans la comparaison entre objets d'une dimension moyenne. Ils sont encore plus concluans pour l'application de ce procédé aux figures éminemment colossales, comme celle qu'il s'agit d'élever au sommet de la lanterne du Panthéon, comme les sujets de sculpture qui doivent surmonter un jour l'arc de l'Etoile.
Dans la fonte d'une figure de 25 à 30 pieds de proportion, les frais du modèle, du métal, et
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souvent de l'établissement spécial d'une fonderie avec ses fourneaux, joints aux chances de la nonréussite , suivent une sorte de progression cubique. Une semblable figure exécutée au moyen du moulage au marteau n'exige aucun établissement particulier, aucune construction de fourneaux, ne présente aucune chance de non-réussite, et comme la matière ainsi que la main-d'oeuvre n'augmentent que dans une progression superficielle , c'est-à-dire, dans le rapport du développement des surfaces, la différence entre les dépenses occasionnées par l'un ou par l'autre de ces deux procédés serait immense. De plus, le colosse du Panthéon devant être élevé à 226 pieds de hauteur, si l'on considère la différence des frais de transport et de pose qui résulterait de celle des poids , la statue en fonte pouvant peser de 30 à 35 milliers, tandis que la même statue en cuivre repoussé n'en pèserait peut-être que le cinquième ou le quart, on trouvera un nouveau surcroît d'avantage , lequel aurait lieu non-seulement sous le rapport de l'économie , mais encore et bien plus utilement sous le rapport de la construction qui doit porter la statue. Il y a plus; cette dernière considération, appréciée à sa juste valeur, eu égard à la solidité de l'édifice qu'un tel poids pourrait compromettre, cette considération seule ferait peut-être juger l'emploi de la fonte , sinon impossible , au moins très hasardeux (1)
(1) M. Gosse, architecte du Hâvre et membre correspondant de
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A ces motifs il faut ajouter celui de l'égalité de durée dans le cuivre repoussé au marteau et dans le bronze ciselé, égalité démontrée par les fragmens de sculpture de la plus haute antiquité exécutés par les deux procédés, et qui nous sont parvenus dans un état de conservation pareil.
Il serait donc dans l'intérêt de l'art comme dans celui du gouvernement, de faire exécuter en cuivre relevé au marteau tous les morceaux de sculpture d'une dimension colossale. Cette branche de la plastique s'accréditant en France par suite d'une application aussi capitale et aussi apparente, la possibilité de faire exécuter en bronze un plus grand nombre d'ouvrages remarquables de nos sculpteurs en éveillerait propablement le désir, et le talent de nos artistes pourrait être plus souvent employé à orner les sommités de nos édifices publics par le riche couronnement de la statuaire monumentale.
C'est pour atteindre ce but, messieurs, que j'ai adressé depuis 1830 le fruit de mes recherches à l'administration compétente ; un accusé de réception a été jusqu'à présent le seul résultat.. Cependant la question semble assez importante pour avoir pu mériter d'être soumise à l'examen des artistes distingués et bien capables, que l'administration pouvait consulter, et dont
la Société libre des Beaux-Arts, m'a cité une Renommée en cuivre repoussé, qui formait girouette sur la Maison-de-Ville, a Bruxelles; elle avait quinze pieds de hauteur, et deux hommes pouvaient la porter facilement.
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l'opinion, si elle avait été favorable, aurait certainement contribué à la résurrection et au perfectionnement du moulage au marteau en France. Les applications de cet art eussent été, dans de nombreuses circonstances, incontestablement plus avantageuses que le procédé de la fonte, seul en usage chez nous, et dès lors son emploi eût été préféré, en même temps que le gouvernement y aurait trouvé les moyens d'exercer le talent de nos artistes dans un genre de travail où nos voisins nous ont surpassés, mais ou il n'a pas dépendu de nous de devancer nos rivaux. Du reste, ce qui n'a pas encore été fait, se fera peut-être à la suite de la communication que je viens d'avoir l'honneur de vous faire. Déjà l'architecte de l'arc de triomphe de l'Étoile est venu recueillir chez moi quelques renseignemens sur le sphyrelaton, dont j'ai essayé de vous retracer sommairement les phases historiques et les procédés techniques.
RAPPORT
FAIT A LA SOCIÉTÉ LIBRE
DES BEAUX-ARTS,
PAR M. BIET, ARCHITECTE,
Sur l'ouvrage intitulé ;
A COLLECTION OF THE MOST APPROVED EXAMPLES OF DOORWAYS, FROM ANCIENT BUILDINGS IN GREECE AND ITALY, ETC. , BY
THOMAS LEVERTON DONALDSON, AUCHITECT ;
OU
Recueil des modèles les plus remarquables de portes d'anciens édifices en Grèce cl en Italie, etc., par Thomas Leverton Donaldson, architecte.
C'est une opinion assez généralement admise , que l'architecture a fait chez nous des progrès remarquables, depuis un intervalle de temps qui embrasse à peu près le premier tiers du dix-neuvième siècle.
Toutefois, lorsque je parle de progrès, je ne veux pas dire qu'avant cette époque, l'art n'eût point acquis en France un degré éminent d'élévation, digne d'exciter l'admiration des étrangers à la vue de nos monumens. Un grand nombre d'édifices justement renommés, construits dans les siècles antérieurs, viendraient contredire, par leur imposant témoignage, ce qu'une telle assertion aurait d'erronné.
Je n'entends pas non plus exprimer que les moSoc. libre des Beaux-Arts. 2*
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numens de notre époque présentent une supériorité marquée d'importance ou de perfection sur ceux des âges précédens. Sans que j'aie besoin de me prononcer à cet égard, ni de m'exposer à éveiller, par un jugement hasardé, les susceptibilités des artistes habiles qui se sont distingués de nos jours , j'émettrai l'opinion qu'il n'en peut être pour les ouvrages d'un siècle, considérés collectivement, autrement qu'il n'en est pour les oeuvres personnelles des individus ; c'est-à-dire que quel que soit le mérite d'actualité que les contemporains leur reconnaissent, ces ouvrages ne peuvent être classés positivement dans le temps où ils ont paru, et que c'est à la postérité seule à fixer le rang qu'ils doivent tenir dans la série des productions célèbres. Cette vérité ne sera point contestée, si l'on se ré-» mémore que chaque siècle à son tour s'est proclamé le siècle par excellence, et que cependant aussi chaque siècle a vu son influence décroître devant l'éclat plus brillant, réel ou factice, de celui qui lui succédait.
Ce que l'on doit entendre ici par progrès, c'est un perfectionnement dans l'exercice de l'art, qui se rapporte plus à l'entente et au choix des élémens de détails ou aux procédés d'exécution qu'à la faculté directe d'invention, dans la composition proprement dite.
Ce mérite des ouvrages de notre époque tient aux études plus approfondies que les artistes ont faites, dans ces derniers temps, non-seulement des formes de l'antiquité, mais encore de celles qui appartiennent spécialement aux différons âges. Il faut le re-
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connaître ; sauf quelques exceptions malheureuses dont aucun siècle n'est exempt, on remarque beaucoup moins de nos jours, dans les oeuvres des hommes véritablement instruits, les anachronismes fréquens ou les alliances bizarres de style qui déparent d'anciens ouvrages, très-intéressans d'ailleurs , et qui, sous d'autres rapports, ont justifié leur célébrité.
Ce trait sera caractéristique pour notre époque; il la distinguera particulièrement des siècles passés, et dût-elle n'avoir que ce mérite, ce sera toujours pour elle un honneur signalé d'avoir ramené l'art dans une voie rationelle, hors de laquelle le génie lui-même ne peut que s'égarer. Car, sans unité, sans couleur locale, sans formes précises appropriées, sans une intention raisonnée, je dirai même philosophique, qui doit se montrer jusque dans les oeuvres les plus légères, les ouvrages d'imagination ne sont que des lazzis de fantaisie , qui empruntent de la mode un moment de vogue, mais qui ne laissent point d'impression profonde dans les souvenirs du vulgaire.
Ce retour à des doctrines plus sévères, à un système d'idées plus logique, ne pouvait résulter que des études partielles et spéciales faites et méditées avec discernement, sur les différens styles qui caractérisent chaque siècle, chaque pays et chaque genre particulier. C'est dans cette vue que des artistes laborieux se sont consacrés exclusivement, les uns à l'étude des monumens antiques, les autres à celle des types les plus remarquables des peuples modernes.
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Le premier en France qui, à une date déjà reculée, donna l'élan dans ce genre de recherches intéressantes, fut Desgodets. Au milieu des pompes de l'architecture de Louis XIV, cet habile artiste avait senti qu'au faste et à la grandeur qu'elle avait déployés, il manquait encore le mérite de la pureté et de la correction, défaut qui la tenait, malgré ses prétentions, au-dessous des chefs-d'oeuvre de l'antiquité. Il entreprit une réforme, en allant sur le sol antique recueillir les plus beaux modèles de l'architecture romaine. Ses efforts n'ont pas été infructueux. De son temps même, des artistes scrupuleux, entre lesquels nous devons distinguer Blondel, Chambray, d'Orbay, s'attachèrent à introduire dans leurs ouvrages et dans l'enseignement la sévérité des formes élémentaires des monumens antiques.
L'exemple de Desgodets fit naître le goût des explorations de l'antiquité. L'Académie qui en avait reconnu l'utilité, les encourageait en faisant de ce travail une partie de la tâche imposée aux pensionnaires de Rome. Mais les temps de vertige de la régence et du règne de Louis XV en interrompirent le développement. La révolution, qui avait reporté les idées vers les souvenirs de l'antiquité, ne fut pas pour cela plus propice à en faciliter l'étude, parce qu'au milieu des orages de ces temps malheureux, les artistes furent abandonnés à leurs propres forces, et que ce n'était qu'au travers de mille dangers qu'ils pouvaient se hasarder dans des excursions lointaines. Ce n'est pas sans une profonde émotion qu'on se rappelle les fatigues inouies que
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le malheureux Delagardette eut à supporter, avant d'amener à fin son intéressant ouvrage sur les monumens antiques de Pestum, la seule publication remarquable en ce genre, qui, à celte époque, ait paru en France. Il a fallu à la commission scientifique d'Egypte l'appui de l'armée d'Orient pour arriver à son but, et ce fut le seul résultat archéologique obtenu pendant toute la carrière de Napoléon. Ce n'est guère que depuis 1814 que la paix s'étant rétablie en Europe, les artistes français sont parvenus à réaliser des voyages de long cours. J'aurais à citer un grand nombre de noms recommandables et dont plusieurs appartiennent à notre Société, si je devais énumérer les hommes studieux qui se sont dévoués, depuis quinze ou vingt ans, aux recherches d'antiquités en Italie, en Sicile, en Grèce et jusqu'en Asie.
Si la France doit se glorifier d'avoir donné la première impulsion aux explorations artistiques , il faut rendre celte justice à l'Angleterre , qu'elle n'a point tardé à en suivre l'exemple , et qu'en cette matière, comme en beaucoup d'autres, elle a développé les moyens actifs qu'elle a généralement le bon esprit d'appliquer à toutes les entreprises dont elle a entrevu l'utilité. Le bel ouvrage de Stuart et Revett sur les antiquités d'Athènes, entrepris et exécuté à grands frais, confirme cette vérité, aussi bien que la continuation non moins intéressante que la Société des Dilettanti de Londres y a donnée dans un ouvrage posthume, qui a été traduit en français par notre savant et laborieux collègue, M. Hittorff.
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Mais, quoique les ouvrages de Stuart et de Desgodets comprissent ensemble les architectures grecque et romaine, et parussent offrir le tableau complet de l'art antique, ils ne firent, à leur apparition, qu'éveiller la curiosité sans la satisfaire entièrement. Une fois excitée, l'avidité du public artiste pour ce genre de recherches alla croissant; nombre de voyageurs érudits s'élancèrent sur les traces de leurs heureux prédécesseurs ; les anciens sols de Rome et d'Athènes furent exploités de nouveau.
On ne tarda pas à reconnaître que les premiers explorateurs n'avaient ni tout vu, ni tout décrit, et qu'aux représentations des édifices les plus intéressans il manquait souvent des détails importans, dont l'omission avait rendu ces publications nonseulement incomplètes, mais encore imparfaites, surtout lorsque l'ordonnance de ces détails doit, comme il arrive presque toujours, donner, en quelque sorte, la clé de la disposition générale.
Dans un rapport très-remarquable que M. Hittorff a fait en 1831 à la Société, au sujet des beaux travaux de M. Itar dans l'Acropole d'Athènes, notre collègue a fait ressortir l'avantage de ces documens pour faire entièrement comprendre l'esprit ingénieux de l'architecture grecque. Il loue particulièrement M. Itar du zèle et des soins qu'il a mis dans la reproduction des procédés de construction, et dans les parties essentielles d'exécution que Stuart et Revett avaient omises pour la plupart. Il recommande notamment à l'attention de la Société la belle
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porte du temple de Minerve Poliade, qui seule ferait un monument, et qui était restée inédite jusqu'à MM. Itar et Invood ; oubli d'autant plus inconcevable, que c'est un des exemples les plus frappans de la grâce parfaite et de l'exquise délicatesse du goût simple, mais élevé, des architectes grecs.
De ces judicieuses réflexions , il résultait naturellement cette conséquence, que désormais le genre d'investigation dont les artistes voyageurs doivent attendre le plus de succès, est celui qui se dirigera vers les études spéciales des détails des monumens, reproduits sur des échelles convenables, plutôt que vers les effets d'ensemble, connus pour la plupart, et dont les figures, rendues dans de trop petites dimensions, ne peuvent être appréciées.
Plus tard, M. Hittorff a eu l'occasion de corroborer cette théorie, lorsqu'il a fait connaître au public français les précieux résultats que la Société archéologique de Londres a obtenus par l'application de ces mêmes principes, dans l'excellent ouvrage qu'elle a fait paraître comme suite aux monumens de l'Attique. Par un rapport que j'ai fait à la Société en 1833, j'ai essayé de faire apprécier ce que l'on doit d'éloges au mérite et à l'habileté des auteurs, et de reconnaissance au zèle infatigable du traducteur.
C'est sous l'empire des mêmes idées que M. Donaldson, architecte anglais, l'un des collaborateurs de cette dernière publication, vient à son tour d'entrer en lice. Son attention s'est portée principalement
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sur des parties de détails des édifices anciens. Il s'est particulièrement attaché aux grandes portes des monumens, objet capital, dont la disposition plus ou moins recherchée ajoute à l'aspect imposant des temples, soit ceux qui sont précédés par des péristyles saillans, soit ceux qui ne s'annoncent que par des frontispices sans portiques.
Pénétré du rôle important que les portes jouent dans l'ordonnance des édifices, cet artiste a eu la pensée de rassembler en un recueil les dessins de toutes celles qui ont acquis de la célébrité, c'est-àdire, non-seulement des portes retrouvées dans les anciennes constructions, mais encore de celles qui dépendent des bâtimens modernes les plus cités, et d'en présenter au public la restauration telle qu'elle résulte tant des fragmens existans que des traditions des auteurs qui en ont parlé ou qui les ont décrites.
Le premier volume de cette collection a déjà paru à Londres ; il y a obtenu le suffrage que méritait le zèle éclairé de son auteur. Il n'a pas été moins bien accueilli à» Paris, où l'intérêt s'en est accru par l'utile coopération du talent de M. Ollivier, graveur, l'un de nos collègues, que par un esprit de discernement très-judicieux et dénué de préjugé national, M. Donaldson a reconnu digne d'être son interprète auprès de ses lecteurs français.
A titre de membre correspondant de la Société libre des Beaux - Arts, M. Donaldson lui a fait hommage d'un exemplaire de son ouvrage, et c'est par suite de cet envoi que je suis aujourd'hui chargé
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du rapport que j'ai l'honneur de vous soumettre.
Il me serait difficile de présenter à la Société une analyse méthodique de cet intéressant ouvrage, et plus encore, de lui rendre un compte détaillé des matières qu'il renferme ; car il me faudrait pour cela faire l'énumération des articles nombreux qui le composent et passer en revue la série des exemples divers qu'il rapporte, ce qui excéderait les bornes d'un simple aperçu.
Ce premier volume ne contient que des portes antiques. L'auteur les a rangées, autant que possible, dans l'ordre chronologique, depuis les édifices grecs les plus anciens jusqu'à ceux des plus beaux temps de la splendeur romaine. Il décrit les formes et les détails de constructions, selon ce qu'il a retrouvé sur place, ou en s'appuyant des opinions les plus accréditées, lorsque les restes existans ne suffisaient pas pour en opérer les restaurations. Mais, comme je l'ai déjà fait observer, il m'est impossible de reproduire ces descriptions, et, en supposant même qu'il y eût eu possibilité, j'aurais cru convenable de n'en rien faire avant que l'ouvrage entier n'ait paru, parce qu'il est des considérations d'ensemble dans sa composition que je ne pourrais aborder jusque là qu'imparfaitement. Au surplus, je me réserve d'entrer dans cet examen, si la Société le juge à propos, après la publication du second volume, qui ne tardera point à paraître.
Cependant, je crois devoir m'arrêter un moment sur un point de critique qui déjà s'est attaché au recueil de M. Donaldson.
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Quelques personnes ont pensé qu'un ouvrage qui lie se compose que de fragmens isolés d'édifices, avait peu d'intérêt en lui-même, parce que ne présentant ces objets qu'indépendamment des monumens auxquels ils appartiennent, ils ne rendent pas compte de l'effet harmonique qui en a décidé lé motif et qui en détermine le mérite. Ces mêmes personnes vont jusqu'à dire qu'un tel ouvrage a des dangers pour l'instruction, parce qu'il exposé les étudians à faire des choix bizarres entre des modèles qui sont loin d'avoir un égal degré de perfection.
A cela on peut répondre que l'ouvrage de M. Donaldson serait mal compris, s'il était envisagé comme un ouvrage élémentaire. Cet artiste n'a écrit que pour les architectes instruits. Son but n'a été que de remplir une lacune qui existe dans des ouvrages renommés, dont les auteurs s'étant attachés seulement, aux effets d'ensemble, ont négligé les parties de détails , parties essentielles cependant, où l'on se trouve arrêté lorsqu'on en vient aux applications.
Sans vouloir ici diminuer l'intérêt qui s'est porté sur des ouvrages justement appréciés, comme ceux de Desgodets et de Stuart, disons néanmoins qu'une grande part du succès qu'ils ont obtenu était due à la nouveauté et au piquant, des matières qu'ils traitaient, autant qu'au mérite immédiat de leur exécution. Tout n'était pas non plus de premier ordre dans ces collections ; mais c'est avec sagesse que leurs auteurs se sont renfermés clans le rôle de narrateurs et d'historiens fidèles. Quelque abondante qu'ait été leur récolte, il restait encore à recueillir
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après eux, et c'était précisément aux omissions qui leur étaient échappées, qu'il devenait plus important dé se reporter. C'est une partie de cette tâche que M. Donaldson s'est imposée. Nous ne pousserons pas la prévention jusqu'à dire qu'après lui il ne restera rien à trouver par d'autres ; mais loin de déprécier le zèle de ceux qui se résignent à ne venir qu'en seconde ligne, encourageons leur dévoûment, et n'allons point leur faire subir une comparaison défavorable d'autant plus injuste, qu'hormis l'antériorité, le travail des seconds n'a eu ni moins de mérite, ni moins de difficultés que celui des premiers.
Un ouvrage tel que celui de M. Donaldson peut être assimilé, pour son utilité directe, aux collections spéciales qui ont contribué si puissamment à l'avancement des sciences physiques et naturelles.
Un tableau général de l'histoire universelle ne dispense pas de l'histoire particulière des peuples. Un traité complet de pathologie n'empêche point l'étude spéciale des diverses maladies. En un mot, c'est aux recueils spéciaux, aux dissertations de détail , à des discussions en apparence stériles pour le vulgaire, mais fructueuses pour l'érudit, que les sciences doivent leurs progrès les plus réels. L'étude des arts, et notamment celle de l'architecture, n'est point en dehors de ce principe. Enfin, pour dire ici toute ma pensée, je préfère les ouvrages de spécialité directe et de détails usuels , aux ouvrages de théorie purement spéculative, dont les développemens ne sont trop souvent fondés que sur des hypothèses systématiques lancées sans réflexion , re-
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produites à satiété, qui faussent les idées et compliquent les principes fondamentaux des Beaux-Arts. Ne pouvant, je le répète, examiner en détail les portes antiques, j'ai fait précéder le compte succinct que j'en ai rendu, de considérations générales naturellement suggérées par le travail de M. Donaldson, et qui m'ont paru propres à le faire apprécier comme publication artistique très-importante pour les progrès de l'art. La Société peut donc, dès à présent, se faire une juste idée du mérite qu'elle doit attacher à ce recueil, et elle reconnaîtra certainement que l'hommage qu'elle a reçu est un de ceux auxquels elle doit attacher le plus de prix ; ce qu'elle pourrait témoigner à l'auteur en lui adressant ses félicitations directes avec ses remercîmens, et en lui exprimant l'intérêt qu'elle mettra à accueillir la suite de l'ouvrage.
La Société ayant apprécié, sur le rapport de M. Biet, tout le mérite du genre de publication entrepris par M. Donaldson, et désirant encourager ce genre de communication avec les correspondans, a décerné à l'architecte anglais une médaille, dont il a été fait mention dans la séance publique de 1835 (1). Cet artiste a depuis adressé à la Société le second volume de son livre. M. Biet a encore été chargé d'en rendre compte, et il se propose d'examiner dans ce second travail, plus particulièrement qu'il ne l'a fait dans le premier, les détails de l'ouvrage.
(1) Voir le Compte-rendu, des travaux de la Société pendant l'année 1835.
NOTICE
SUR FEU M. HENRI,
PEINTRE,
L'UN DES COMMISSAIRES-EXPERTS DES MUSÉES ROYAUX, MEMBRE HONORAIRE DE LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS
PAR M. MIEL.
MESSIEURS,
L'usage où vous êtes de payer un tribut à la mémoire de vos confrères décédés a, cette fois encore, atteint son louable but. La démarche que vous nous avez chargés, M. Pérignon et moi, de faire auprès de madame Henry, si elle n'a pas consolé cette veuve, a du moins adouci ses regrets. Sous l'impression récente d'une si grande perte, elle n'a pu nous exprimer ses sentimens que par un hommage aux vertus privées de celui qu'elle pleure. C'est à nous à consacrer quelques mots aux faits publics qui ont honoré la vie de notre collègue.
Thomas Henry naquit à Cherbourg en 1766. Il quitta cette ville encore jeune et vint à Paris, où il fut placé dans les bureaux du ministère de la marine. Mais la nature l'avait fait artiste. Tout le temps que pouvait lui laisser son emploi, il le donnait à l'étude de l'art. Vous savez tous à quel rang il s'est placé parmi les paysagistes. Mais ce qui n'est pas aussi connu, c'est qu'il commença très-tard , et sans avoir passé par aucun noviciat, la pratique de
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la peinture. A trente-cinq ans, il prit le pinceau, et il fut peintre.
Ayant analysé avec soin le travail technique et les procédés manuels des différens maîtres, il se livra particulièrement à la connaissance matérielle des tableaux. Il voyagea dans cette vue en Italie, en Allemagne,en Belgique, en Hollande; il visita les galeries et les cabinets les plus célèbres de ces pays; il perfectionna son goût par la comparaison et acquit un profond savoir, qui le rendit un des connaisseurs les plus éclairés en ce genre. Sa décision sur les différens mérites d'une peinture faisait loi. Il vous initiait dans tous les secrets du faire pratique, et comme il exprimait ses idées avec autant de clarté que d'agrément, vous le quittiez convaincu et toujours plus instruit. Les théories qu'il développait, les remarques qu'il faisait, les conseils qu'il donnait, ont été souvent utiles aux artistes euxmêmes, et ce qu'il savait si bien démontrer, il l'appliquait avec un rare bonheur à la restauration des tableaux, art où il excella.
Une spécialité aussi précieuse fit de lui un des arbitres les plus considérés dans le commerce des tableaux. C'est à lui que s'adressaient de toutes parts les souverains et les particuliers possesseurs d'une galerie et désireux de l'enrichir. Le Musée royal de Paris se l'attacha en qualité d'expert. Il s'acquitta de ces commissions et de ces fonctions avec autant de discernement que d'exactitude et de probité.
Il avait observé dans ses compatriotes une aptitude naturelle aux arts du dessin, et surtout à la couleur,
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disposition dont il était lui-même une preuve trèsremarquable. L'idée lui vint d'en aider le développement par la vue de bons originaux en tous genres, c'est-à-dire,de fonder un musée à Cherbourg. La création d'un tel établissement par un simple particulier est une entreprise colossale, et dont il y a bien peu d'exemples dans l'histoire de l'art. Plus à portée que personne, par ses connaissances et sa position, de former une collection choisie, il se complaisait dans son projet. Cette occupation, toute patriotique, semblait adoucir la perte de deux fils enlevés à sa tendresse dans l'âge où leurs premiers succès réalisaient les espérances paternelles. C'était pour sa ville natale un don inappréciable. Il sut encore en relever la valeur par la manière dont il l'offrit.
En 1831, l'autorité municipale de Cherbourg fut prévenue qu'une personne qui désirait rester inconnue:, avait l'intention de donner à la ville quelques tableaux pour servir de modèles aux jeunes gens qui se sentiraient du goût pour la peinture. On demandait si l'administration consentirait à recevoir ces tableaux et a les placer convenablement. La réponse ne pouvait être douteuse. Les envois commencèrent; ils se succédèrent sans interruption; bientôt la grande salle de la mairie se trouva trop petite, et les envois continuaient. Ces quelques tableaux s'élevèrent à plus de cent-soixante, dans le meilleur état de restauration, richement encadrés, appartenant à toutes les écoles et à toutes les époques ; trente-deux des écoles italiennes, sept de l'école espagnole, cinquante-un des écoles flamande et hol-
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landaise, un de l'école anglaise, soixante-deux de l'école française. Quant aux maîtres compris dans la collection, nous citerons, entre autres, Fra Angelico di FiesoIe, Ghirlandaio, l'Albane, le Guerchin, Michel-Ange de Caravage, le Gaspre, Ribera, Murillo, Van Dyck, David Téniers, Philippe de Champagne, Paul Brill, Vandermeulen, Poussin, Lebrun, Lesuenr, Joseph Vernet, Greuze, David, Girodet, Prud'hon. Plusieurs des peintres dont les ouvrages y occupent une place, sont encore vivans ; plusieurs font partie de notre Société. Un édifice spécial devenait nécessaire pour loger toutes ces richesses ; la construction en fut votée par le conseil municipal, et comme le donateur ne pouvait pas demeurer long-temps ignoré, le nom de Henry fut salué par d'unanimes acclamations. La reconnaissance publique lui décerna un buste en marbre, qui devait être exécuté par un de nos premiers statuaires. Mais Henry, aussi désintéressé que modeste, refusa cet honneur, déclarant que le témoignage d'estime qu'il recevait de ses concitoyens était tout pour lui. Le conseil, réduit à l'impossibilité d'exprimer autrement sa gratitude, décida que la galerie porterait le nom de Musée-Henry. L'ouverture s'en est faite sous cet honorable patronage, le 29 juillet 1835, au milieu d'un immense concours de peuple.
Vous vous rappelez, Messieurs, avec quel intérêt M. Pérignon nous retraça les circonstances de cette solennité. L'éloquent discours prononcé par le maire de Cherbourg nous fut lu par notre collègue. A la suite de cette lecture, qui trouva chez vous tant de
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sympathie, vous avez décerné à Henry le titre de membre honoraire de votre Société, et, dans votre séance publique du 6 décembre 1835, vous avez solennellement proclamé cet exemple de libéralité civique. Cédant aux instances de ses compatriotes, Henry devait aller, dans le courant de l'été prochain, visiter son musée, et jouir de sa noble inspiration dans le lieu même où elle avait si utilement et si brillamment fructifié. Le 7 janvier 1836, il avait cessé de vivre. Il était âgé de soixante-dix ans. Entre les regrets universels que sa mort a fait éclater, écoutons la voix de ses compatriotes. Voici ce que le maire de Cherbourg écrivait à madame veuve Henry, le 11 janvier 1836 : «Vous perdez un » époux que l'excellence du caractère recommandait " à vos plus douces affections. Nous perdons, nous, " habitans de Cherbourg, notre bienfaiteur, celui qui » mérite à si juste titre le nom de grand citoyen, » celui que nous aurions été si heureux de voir au » moins une fois parmi nous, entouré de nos homma» ires et recevant le tribut de notre reconnaissance.» Voici maintenant en quels termes le même fonctionnaire se rendait publiquement l'interprète des habitans de Cherbourg : «Le gouvernement avait » été informé de la généreuse et patriotique action » de M. Henry, les journaux de la province, ceux de » la capitale, avaient retenti d'éloges mérités; aumi» lieu de ce concert de louanges, le gouvernement est » resté muet. Triste effet des préoccupations politi» ques ! Sans doute une distinction quelconque, que « M. Henry recherchait si peu, n'aurait rien ajouté à Société libre des Beaux-Arts. 3*
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» la gloire qu'il s'est acquise ; mais l'autorité se serait » honorée elle-même dans l'accomplissement spon» tané d'un acte de justice. »
Un tel voeu, Messieurs, exprimé au nom de toute une ville par son premier magistrat, est la plus digne récompense d'une belle vie.
Depuis que cette notice a été présentée à la Société libre des Beaux-Arts, le conseil municipal de la ville de Cherbourg, désireux d'honorer autant qu'il était en lui la mémoire de M. Henry , a fait célébrer, le 30 janvier 1836, un service solennel, auquel ont assisté toutes les autorités constituées et une grande partie des habitans.
Le conseil municipal a décidé en outre :
1° Qu'une tablette de marbre serait placée sur la façade de la maison où M. Henry est né, avec une inscription indicative de cette circonstance ;
2° Que le nom de Thomas Henry serait donné à la rue qui communiquera du faubourg au quai ouest du bassin , et dont l'alignement sud est déjà formé par la maison et les murs du jardin qui se trouvent à l'extrémité de la place Divette.
RAPPORT
FAIT A LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS, PAR M. DU VAUTENET,
SUR LES
SOUVENIRS DE LA TOURAINE,
PAR M. A. NOEL, Peintre, Membre de cette Société.
MESSIEURS,
Parmi les nombreux avantages d'une association telle que la nôtre , il en est un qui a déjà été apprécié plus d'une fois ; c'est qu'il n'est jamais trop tard pour l'entretenir d'un bon travail, et qu'auprès d'elle le principal à-propos réside dans le mérite des ouvrages. Le rapport que vous m'avez chargé de faire sur les Souvenirs de la Touraine, publiés par notre collègue M. Noël, est une preuve de cet intérêt durable. Quoique la publication remonte à une douzaine d'années, la date du livre s'est rajeunie pour vous par le don que vous venez d'en recevoir.
L'un des emplois les plus heureux de la lithographie a certainement été la publication des recueils de sites et de monumens , que des dessinateurs consciencieux ont pu par ce moyen reproduire et multiplier sans intermédiaire, ou, pour parler plus exactement, sans la nécessité de se faire traduire par une main trop souvent infidèle. Celte ingénieuse découverte, en abrégeant les travaux, et surtout en économisant les premières mises de fonds, permet à d'habiles gens de devenir ainsi leurs propres édi-
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teurs, et double les jouissances des amateurs, en mettant à la portée de tous celte originalité qui fait le plus grand charme des productions artistiques. Au nombre des premiers travaux publiés et des plus remarquables, malgré les difficultés que présentait alors un art nouveau et dont les ressources n'étaient pas encore connues , il faut mettre les Souvenirs de la Touraine en première ligne.
La Touraine, si belle de ses beautés naturelles, si riche en monumens et en souvenirs de notre histoire, était d'autant plus faite pour attirer l'attention des explorateurs, qu'elle était moins connue sous le rapport des monumens et des arts. De nombreux restes de constructions antiques y attestent le passage des maîtres du monde : on y montre même le champ de bataille où Charles-Martel détruisit l'armée des Sarrasins. Tours , Amboise, Loches, Chinon et vingt autres lieux renferment dans leurs enceintes de précieuses ruines historiques, où brillent encore de toutes parts, sous des formes diverses, les richesses de l'architecture tour-à-tour romaine, tudesque, arabe et gothique. Le séjour de nos rois dans la plus riante contrée de la France et à l'époque de la renaissance, devait y ajouter un nouvel éclat. La beauté et la galanterie y donnèrent rendez-vous à tous les arts dans les belles demeures de Chenonceaux, d'Ussé, d'Azay-le-Rideau , dont nous jouissons encore, et dans un grand nombre de châteaux successivement habités par les monarques français. Là, malgré les ravages du temps et des révolutions, de beaux débris intéressent, alors même
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que le goût ou la pureté des lignes conservées ne fait pas naître une sensation plus élevée.
Publié en 1824, l'ouvrage de notre collègue, non moins estimable sous le rapport de l'art que par l'intérêt des notices historiques et par l'exécution typographique , a été recherché curieusement par les amateurs , par les habitans riches de ce beau pays, et l'orgueil tourangeau a dû en être pleinement satisfait ; car nous aimons à retrouver dans l'histoire les traditions avec lesquelles notre enfance fût bercée , comme aussi à contempler la représentation fidèle des lieux, si bien connus auxquels elles se rattachent.
On conçoit que dans un travail de cette nature, sorte de promenade pittoresque, l'ordre à suivre avait en lui-même peu d'importance. M. Noël paraît avoir suivi celui selon lequel ses dessins prenaient place dans son porte-feuille. Ainsi parlant de Paris, il est entré dans le département d'Indre-et-Loire par le cours de la Loire, et la première ville importante qui s'est offerte à ses yeux était Amboise, avec ses aspects variés , son origine antique et tant de vestiges des faits de notre histoire. Les délices de son château, construit sur le plateau qui fut occupé par le camp de César, ont fourni la matière de plusieurs dessins et de notices où se montre l'intelligence de l'histoire, en même temps qu'une saine critique des traditions locales et des opinions archéologiques.
De ce point, l'explorateur, en suivant les bords de la Loire, arrive à Tours, où l'attend une ample moisson : la tour de Charlemagne, reste imposant de l'ancienne, et célèbre église de Saint-Martin ; Saint-
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Gatien , église métropolitaine élevée sur remplacement où fut érigée la première chapelle chrétienne par les soins de saint Lidoire, deuxième évêque de Tours ; Saint-Julien, dont la fondation originaire est due à Grégoire de Tours, l'historien des premiers temps de la monarchie ; les restes de la fameuse abbaye de Marmoutier et ceux du Plessis-lèsTours, dont le souvenir le plus cher est sans doute cette assemblée des Etats-généraux, qui, en 1506, y décerna à Louis XII le beau surnom de Père du peuple. Un des monumens décrits par M. Noël et représentant une fontaine de la ville de Tours, dite de Beaune ou du Marché, est reproduit ici par la lithographie (1). Le bassin est de forme octogone ; les parois sont en pierres volcaniques d'Auvergne. Au milieu s'élève une pyramide, d'où l'eau s'échappe par quatre jets. Une grande quantité de sculptures et d'arabesques en décorent les marbres. Ce précieux monument, dont l'érection remonte au commencement du XVIe siècle (1506), fut élevé par les soins de Jacques de Beaune, seigneur de Samblançay, gouverneur de la Touraine. Tout porte à croire qu'il est du aux frères Juste, nés à Tours. Le tombeau des enfans de Charles VIII dans la même ville, et celui de Louis Xll et d'Anne de Bretagne à Saint Denis, ont classé ces artistes au premier rang parmi les sculpteurs français.
En continuant à descendre le fleuve, plusieurs monumens antiques se présentent, entre au(1)
au(1) planche I.
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tres les escaliers de Saint-Georges, l'aquéduc de Maillé, et ce pilier carré de quatre-vingt-six pieds de hauteur, entre Luynes et Langeais, connu sons le nom de Pile-Cinq-Mars, que l'opinion la plus probable des archéologues donne comme un monument funèbre élevé peut-être à la mémoire de cinq généraux romains : Quinque Martes.
En remontant les intéressantes rives du Cher, on trouve la plus belle et la mieux conservée des demeures royales qui couvraient la Touraine. Chenonceaux, grâce aux circonstances heureuses qui l'ont fait passer successivement entre des mains conservatrices et amies des arts, n'est pas moins remarquable par le goût qui a présidé à ses embellissemens, que par son admirable situation et par les souvenirs illustres qui s'y rattachent. Aussi a-t-il occupé tour-à-tour les crayons des poètes et des artistes, et excité le vit' intérêt des voyageurs, charmés par les attraits d'un si beau séjour.
Après Chenonceaux, le manoir royal le mieux conservé est le château d'Ussé, situé sur la rive de la Loire, entouré de bois et baigné par deux rivières, dominant à la fois le cours de la Loire et celui de l'Indre. Egalement échappé aux désastres de la révolution, il a retrouvé dans ses propriétaires le goût éclairé qui sait conserver et embellir sans dénaturer. Non loin de là, sur les bords de l'Indre , se trouve la petite ville d'Azay-le-Rideau, dont le château méritait , par la beauté des détails de son architecture , de trouver place dans ce recueil, ainsi que celui du Coudray-Montpensier, célèbre de plus par le
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séjour qu'y lit Jeanne-d'Arc, en attendant l'audience qu'elle sollicitait du roi, ou, selon d'autres, après lui avoir été présentée vers les fêtes de Pâques, en 1429 ; Charles VIl l'y aurait fait enfermer pendant quinze jours, afin de la soustraire aux regards et aux tentatives des Anglais pour l'enlever. Mais c'est au château de Chinon qu'elle fut présentée au monarque, et les ruines de cette demeure doivent à ce fait historique un intérêt qui ne s'affaiblira pas. Notre collègue en a su tirer un bon parti; ses dessins rendent avec une grande exactitude et avec le charme du talent les débris de la dernière retraite où Charles VII, menacé d'être réduit à abandonner son royaume que les Anglais avaient envahi, vit tout-à-coup sa bannière relevée par le bras d'une jeune fille, instrument de la Providence qui n'a jamais abandonné les destinées de la France. Une autre femme , celle qui fut surnommée la Belle des belles , avait aussi contribué puissamment à ranimer le courage abattu du chef de la nation, que nos éternels rivaux n'appelaient, dans leur amère dérision, que le roi de Bourges. Agnès Sorel a dû à l'élévation de son caractère et à l'heureux ascendant qu'elle exerça sur son royal amant, les éloges de ses contemporains et la reconnaissance de la postérité. La ville de Loches possède encore son tombeau. Le recueil de M. Noël ne pouvait mieux se terminer que par la planche qu'il en a donnée, et par les détails pleins d'intérêt que sa notice contient sur l'existence et la mort de cette femme célèbre ; détails dont nous n'hésiterions pas à repro-
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duire ici les plus importans, sans la crainte de former un double emploi avec une autre excellente notice qui vous fut envoyée, en 1831, par votre honorable correspondant M. Raoul de Croï, conservateur des monumens du département d'Indre-et-Loire, et que vous avez publiée dans le premier volume de vos Annales (1). Espérons que ce moyen de publicité, offert par vous à vos collègues de tous les pays, déterminera ce savant à vous communiquer la suite de ses travaux , et à faire jouir des résultats de ses recherches et de sou érudition les amis des arts et des sciences qui s'y rapportent. Si le beau travail dont vous m'avez confié l'examen , venait de voir le jour, la Société libre des Beaux-Arts eût été heureuse de concourir à son succès par un suffrage quelle n'accorde qu'aux bonnes choses. Mais ma voix, faible écho de la voix publique , n'a plus qu'un tribut d'éloges bien superflu à payer à l'éminent talent de son auteur. Cependant, Messieurs, je pense que vous témoignerez dignement à M. Noël la satisfaction que vous a fait éprouver l'hommage précieux du dernier exemplaire de son ouvrage, en faisant insérer dans vos Annales l'aperçu que je viens de vous en donner.
La Société, adoptant ces conclusions, a voté l'insertion du rapport dans un des plus prochains cahiers de ses Annales.
(1) Annales de la Société libre des Beaux-Arts, tom. 1, page 192 et suiv.
EXTRAIT DU RAPPORT
FAIT A LA SOCIÉTÉ LIBRE
DES BEAUX-ARTS,
Par M. le chevalier Alexandre LENOIR, SUR LE
COURS COMPLET D'ORNEMENS,
dessinés et lithographiés PAR M. ROMAGNESI AÎNÉ.
MESSIEURS ,
J'ai à vous rendre compte d'un ouvrage remarquable dont vient de vous faire hommage M. Romagnési aîné , statuaire et ornemaniste; cet ouvrage est intitulé : Cours complet d'ornemens dessinés et lithographiés ; il doit être composé de cent-vingtcinq lithographies.
Un recueil du genre de celui-ci manquait aux écoles de dessin ; il manquait aux ateliers des sculpteurs-ornemanistes. On sait que depuis long-temps l'art de sculpter l'ornement a été négligé en France, et livré à une routine qui appartient à l'ouvrier plutôt qu'à l'artiste. Cependant les anciens, tout en le plaçant au second rang, l'appréciaient presque à l'égal de la statuaire.
Quand l'académicien Bachelier institua , en 1765, l'école gratuite de dessin, il avait en vue le perfectionnement des arts qui s'appliquent à l'industrie , et particulièrement celui de la sculpture décorative.
43 Dans cette petite académie philantropique , on recevait indistinctement les enfans des familles pauvres qui montraient des dispositions et du goût pour le dessin. Mais l'institution n'a pas complètement atteint le but que le fondateur s'était proposé. Les élèves étaient dépourvus de bons modèles; on ne leur donnait à copier que les choses les plus médiocres. On aurait peine à concevoir comment, dans une école publique et sous des maîtres dont plusieurs eurent du talent, l'étude du dessin a pu être aussi long-temps sous l'empire d'une telle direction, si l'esprit de routine et les pratiques qui en sont la suite n'expliquaient tout.
Le recueil de M. Romagnési , considéré comme ouvrage didactique , remplit donc une lacune importante dans l'enseignement artiel ; mais quand même il aurait été exécuté plus tôt, la manière de composer et de sculpter l'ornement devait suivre la marche générale de l'art. Cette corrélation entre l'art proprement dit et sa partie décorative se manifeste depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. Vous chercheriez vainement dans les sculptures de nos édifices modernes ce goût large, assuré, et cet effet positif produit par la connaissance parfaite de l'optique et de la perspective aérienne, résultat dont vous êtes frappé dans les chapiteaux du temple de Jupiter Stator, ainsi que dans une grande patère et dans une belle frise du même temple, qui se trouvent dans la collection de M. Romagnési, planches 5, 18 et 20. Mais, sans remonter jusqu'aux temps anciens, vous admirerez l'intelligence du sculpteur
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qui tailla, sous la direction de Claude Perrault, les ornemens de la colonnade du Louvre. Si , en examinant le même édifice, vous portez vos regards sur les ornemens sculptes qui décorent la belle partie construite par Pierre Lescot, votre admiration sera plus grande encore. Éclairé par ces comparaisons, vous serez justement autorisé à critiquer la sécheresse des sculptures du Panthéon. Aussi en parlant des chapiteaux des colonnes qui en supportent la coupole, M. Romagnési observe que les deux rangs de feuilles d'acanthe de la partie inférieure sont d'un fini trop précieux, et que leurs fibres sont trop scrupuleusement exécutées. «Voilà, ajoute-til, » la sécheresse atteinte et le bien dépassé. »
Depuis que cet artiste a mis au jour son recueil, il devient facile d'éviter cette maigreur de style ; car les élèves auront sous les yeux des exemples du grand goût qui caractérise l'antiquité. Remarquons en même temps un mérite d'à-propos dans l'époque saisie par l'auteur pour la publication de son recueil ; c'est un point sur lequel il insiste. « Quand » le gouvernement , dit-il , s'occupe de nouvelles » constructions monumentales et de la restaura» tion des anciens édifices, il n'est pas sans utilité » de présenter une collection de sculptures qui » retracent les plus belles productions de cette » seconde, mais très-importante branche de l'art. » Après avoir établi l'utilité de l'ouvrage dont M. Romagnési poursuit assiduement l'exécution, examinons-le en lui-même. Il est divisé en deux suites, l'une élémentaire, l'autre chronologique.
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La partie chronologique, composée de cent planches, montre la progression de la sculpture décorative, en développant les styles divers de toutes les époques chez tous les peuples. L'auteur fait entrer dans son recueil des planches de tous ces styles, « l'égyptien , le grec, le romain, le bysantin, le go« thique, celui de la renaissance, ceux de Henri IV, « de Louis XIII et de Louis XIV, ceux de Louis XV « et de Louis XVI, qui se distinguent des précédens « par une imitation trop exacte de la nature. »
Ici se présentent naturellement deux réflexions.
On observe d'abord que la dernière phrase du passage cité n'est pas complètement juste. Personne n'ignore que sous les règnes des deux derniers monarques, les ornemanistes, qui suivaient l'impulsion de mauvais goût donnée aux arts, loin d'être timides dans l'exécution de leur travail, avaient adopté un mode facile et expéditif qui n'empruntait rien à la nature. C'était un laisser-aller dans la composition et dans la forme, qu'on a exprimé de nos jours par un terme d'atelier assez burlesque , mais que j'appelle le style romantique. Les exemples les plus frappans de ce libertinage de sculpture décorative existaient particulièrement à SaintLouis-du-Louvre, dans les ornemens exécutés par Robillon, sur les dessins de Germain, qui était l'orfèvre du roi et qui s'en crut l'architecte ; à SaintRoch, dans les travaux ornemanesques de Monteau et de Charpentier ; à Saint-Sulpice , dans ceux de Messonnier, qui eut la prétention d'être à la fois peintre , sculpteur , architecte et orfèvre.
En second lieu, on se demande comment ces mo-
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dèles de toutes les époques, rais indistinctement entre les mains des élèves, n'altéreront pas la pureté de leur goût. Mais cette influence a son correctif dans un texte raisonné. Les citations que nous en avons faites prouvent le discernement de l'auteur, et les élèves, sous un tel guide, ne s'égareraient qu'autant qu'ils voudraient s'égarer.
Il nous reste à jeter un coup-d'oeil sur la partie élémentaire. Celle-ci contient vingt-cinq feuilles, dont les sujets ont été puisés dans les monumens antiques les plus célèbres, c'est-à-dire, dans, ce que l'art offre de plus parfait.
Le goût pour les ornemens est un des attributs qui distinguent l'homme des autres animaux. Le sauvage recherche les bijoux ; il en pare ses membres demi-nus; en tatouant son corps, il le couvre de dessins bizarres et se croit plus beau ; il sculpte aussi les vases à son usage. Le berger, en gardant son troupeau, taillera sur sa houlette quelques feuillages de l'arbre sous lequel il a. l'habitude de se reposer, ou quelques unes des fleurs dont il aura formé un bouquet pour son amie. Après une victoire sur un rival ou sur une bête féroce, l'homme des champs tressera des couronnes pour ies attacher à la muraille de sa chaumière; dans une fête, il entrelacera des feuilles de chêne, de vigne ou de lierre pour en orner la porte de sa maison. Cela est même si naturel que l'on peut dire, sans être taxé d'exagération, qu'une insensibilité absolue pour ce qui est ornement dénote une ame roide et sèche. Voilà l'origine des ornemens de l'architecture. Les premiers modèles en furent of-
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ferts par la, nature, toujours belle et riche dans ses productions. Les différentes parties des plantes et des arbres, feuilles, fleurs et fruits, en fournirent les élémens. Plus tard, les figures d'animaux et la figure humaine y prirent leur place. De là l'arabesqne, composition agréablement capricieuse, employée en peinture et en sculpture comme ornement des vases, des autels, des bâtimens même, chez les Grecs, les Romains, les Égyptiens, les Perses, les Indiens, les Chinois , et jusque chez les anciennes populations de Palenque et de Mitla, au Mexique. Les ornemanistes grecs tenaient à ce que les ornemens qu'ils peignaient ou sculptaient fussent beaux ; mais ils songeaient surtout à ce qu'ils fussent appropriés au caractère de l'édifice. C'est ce que l'ouvrage de M. Romagnési fait ressortir avec évidence. On trouve, pl. 1, 2, 3, des ornemens choisis provenant du temple d'Erechthée ; pl. 5 et 6, des études de corniches et de consoles ; pl. 7, une corniche du temple de Jupiter-Olympien, et une autre du plafond du temple de Minerve-Poliade; pl. 8, une superbe frise du temple de Neptune , tous morceaux de l'art grec. La planche 4 se compose de modèles romains. Un fragment lithographié ci-joint donne une idée de l'exécution (1).
Ce n'est pas devant une réunion d'artistes que j'entreprendrai de passer en revue les caractères des architectures diverses et les modifications historiques ou artistiques qu'elles ont subies. Il me suffira
(1) voyez planche II.
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de dire que M. Romagnési n'omet rien de ce qui s'y rattache. La niche d'un saint, le soubassement qui en supporte la statue , le dais dont elle est couronnée, tous les détails d'un intérieur d'église, voûtes, cintres, ogives, jubés, clés pendantes, cartels, bas-reliefs, stalles, tombeaux; les décorations du portail de l'édifice; d'autres ornemens tirés de maisons particulières, toujours d'après des modèles de choix, enrichissent les planches 30, 31, 32, 33, et rapprochent ce que chaque époque a produit de meilleur. L'auteur donne quelquefois des exemples qu'il a pris lui-même sur la nature, et dont l'application lui sert à rectifier et à signaler cretaines erreurs commises par ses devanciers.
Je me résume. La collection des ornemens dessinés et lithographiés par M. Romagnési est du plus haut intérêt pour l'étude de la peinture ou de la sculpture décorative. Si, dans cette suite remarquable, on rencontre quelques morceaux plus faibles que les autres, c'est la faute de l'imprimeur plutôt que du dessinateur. En somme, il serait bien à désirer que le gouvernement reconnût l'importance d'un tel travail, et qu'il souscrivît ponr un certain nombre d'exemplaires à distribuer entre les écoles consacrées au dessin de l'ornement, à Paris et dans principales villes de France.
ESSAI
SUR LA MAJORIQUE (MAJOLICA)
OU TERRE EMAILLÉE,
ADRESSE A LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS,
PAU M. HENSEL,
Membre correspondant, peintre de S. M. le Roi de Prusse,
Berlin, avril 1836. Messieurs,
L'accueil inattendu dont vous m'avez personnellement honoré pendant mon dernier séjour à Paris, en m'admettant au nombre de vos correspondans étrangers, et l'intéressante lecture que j'ai faite, depuis mon retour à Berlin, des Comptes-rendus annuels de vos travaux depuis 1830, me donnent la confiance d'offrir à la Société libre des Beaux-Arts un faible tribut de ma reconnaissance. C'est dans cette vue que j'ai l'honneur de lui adresser un Essai sur la majorique (majolica) ou terre entaillée, qui m'a paru se rattacher à plusieurs de ses travaux antérieurs. Le curieux rapport de M. Mirault concernant la peinture en émail sur lave de Volvic émaillée et les détails que ce mémoire contient sur la marche progressive de cette découverte précieuse dont la France se glorifiera, ainsi que sur les heureuses et utiles applications que M. Hittorff, un de nos collègues , en fait aujourd'hui en grand (1) ;
(1 )Compte-rendu des travaux de 1833, p. 35.
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l'intérêt avec lequel la Société a examiné le beau vase de faïence mis sous ses yeux par M. Grasset, un de ses correspondans nationaux (1) ; la savante dissertation de M. Farcy sur un vase de terre trouvé au Mexique, dans les ruines de l'antique Palenque, parmi des débris d'anciennes poteries (2) ; enfin, la notice si vraie et par cela même si dramatique de M. Miel sur Bernard Palissy, inventeur des émaux en France (3), m'ont fait penser que des recherches faites directement sur la majorique en Italie rentraient assez dans la nature des travaux de la Société, pour qu'il me fût permis de compter sur sa bienveillante attention.
On a beaucoup discuté sur l'origine de la majorique et sur celle de son nom. Mais on est resté à cet égard dans une ignorance ou au moins dans une incertitude complète. Ce qui est certain, c'est que l'Europe ne reçut des porcelaines étrangères qu'après que la route navale aux Indes orientales eut été trouvée, et elle en possédait alors elle-même depuis long-temps. Nous suivrons donc l'opinion de Vasari, Passeri et autres, qui disent que l'invention de l'émail appliqué sur la terre glaise est purement toscane.
Luca della Robbia, né à Florence en 1388, peut être nommé l'inventeur de la majorique, comme son contemporain Jean de Bruges fut celui de la peinture à
(1) Compte-rendu des travaux de 1834, p. 10.
(2) . . . Id p. 25.
(3) . . . Id. . p. 35.
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l'huile. Tous deux avaient des prédécesseurs ; mais ils ont perfectionné ces arts au point d'en être appelés les créateurs.
L'art de la poterie, base de la majorique, se trouve florissant, dès la plus haute antiquité, en Toscane et dans d'autres parties de l'Italie. Il y était favorisé par le terrain du pays. On trouve des vases et des vaisselles de tous les genres et de tous les temps, en quantité innombrable, jusqu'au temps des rois goths, et ces pièces nous présentent les mêmes terres employées plus tard par Luca della Robbia et par les fabriques de Pesaro, Gubbio, Castel-Durante et Urbin ; même on a remarqué les vestiges d'un vernis semblable. Mais les guerres avec les Lombards, les invasions des Allemands et tant d'autres troubles qui désolèrent l'Italie, ont tari les sources où nous aurions pu puiser les moyens de nous remettre sur la trace de l'invention. Voilà pourquoi nous nous trouvons dans une obscurité profonde.
La première lueur certaine remonte au quatorzième siècle. En 1300, la hauteur des églises reconstruites amena l'usage d'en couvrir les façades avec des terres peintes et vernies, qui recueillaient les rayons du soleil dans leurs formes concaves pour les réfléchir avec éclat, et c'est sans doute ici que nous devons chercher le vrai commencement de l'art en question. On a trouvé à cette époque une nouvelle espèce de vernis, et les artistes qui la possédaient sont distingués, dans les chroniques, des potiers proprement dits. Dès ce moment, on commença à couvrir la terre glaise crue d'une terre
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blanche et fine, propre à recevoir les couleurs, et il s'en forma un usage totalement différent de celui que les anciens en avaient fait.
Vers l'an 1450, cette demi-majorique se montre en même tems que la peinture sur verre, sous le règne des Sforce. Ces princes bienveillans et spirituels, portés à soutenir chaque industrie, prenaient un soin particulier de leurs fabriques de vases, la vaisselle d'argent n'étant encore que rarement en usage et celle de l'Orient étant inconnue. On travailla dès-lors d'après des dessins ; mais les objets en étaient encore très-simples. Des arabesques, des armoiries, occupaient tout le fond de la vaisselle, ou, si l'on veut aller plus loin, le portrait en buste de quelque dieu ou déesse, saint ou sainte, maître ou maîtresse du pays ou du coeur, remplissait ce champ. On avait l'usage gracieux de présenter à son amie, pendant les grands banquets, un de ces vases rempli de fruits ou de confitures. Les femmes en couche recevaient des soupes dans des terrines ornées de sujets en rapport avec leur situation. Des paroles en vers ou en prose expliquaient le sens des emblêmes. Le dessin est encore sec et dur ; mais les imperfections de la peinture sont couvertes par la beauté du vernis , qui brille d'un éclat extraordinaire et montre toutes les couleurs de la nacre. La plus belle majorique du temps suivant n'a pas reproduit cet éclat. On y a trouvé une espèce de jaune ressemblant à l'or. On y employait avec beaucoup d' art la limaille d'argent et celle de cuivre.
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Vers la fin du 15e siècle, nous apercevons une nouvelle branche de manufacture. On fait des plats de dessert ornés de fruits d'or en relief sur un fond blanc, de portraits en profil, de chiffres, d'emblêmes de famille, de figures de saints, en relief aussi. L'or y est travaillé avec un art qui malheureusement s'est bientôt perdu.
Une fabrique surtout se distingue vers l'an 1480, en produisant des figures entières et même des compositions. La vaisseille est d'une terre fine, couleur de chair, très dure, et on y trouve des trous pratiqués, à ce qu'il paraît, pour suspendre les pièces au moyen de cordes qu'on y attachait, ce qui prouverait qu'elles ont servi dans le principe comme ornemens. Le revers est grossièrement teint d'un vernis jaune; mais la peinture est toujours exécutée sur un beau fond blanc. L'honneur de ce progrès appartient à Pesaro, comme le prouvent d'abord les portraits des princes qui gouvernaient cet état avant 1500, comme le prouve surtout un beau rouge qu'on ne rencontre, ni dans la porcelaine orientale, ni avant 1518 dans les produits de Gubbio, où se trouvaient les plus anciennes fabriques après celle de Pesaro. Ainsi lorsque Crescimbeni prétend que ce rouge était un indice caractérisant la peinture de l'ancien Urbin , il veut dire seulement que toutes ces villes appartenaient au même état.
Enfin, vers le commencement du XVIe siècle et sur la fin du règne des Sforce, la majorique fine, inventée depuis long-temps à Florence à l'usage de
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la sculpture, fut employée pour faire de la vaisselle. En voici le procédé.
On met la terre glaise dans le fourneau sans ajouter du blanc, cette couleur étant produite par le vernis même mêlé d'étain et de plomb , vernis qu'on ajoute à la terre après qu'elle s'est légèrement endurcie. Le produit est plus cher à cause de l'étain, mais aussi plus beau ; car celui-ci donnant la blancheur tandis que le plomb donne l'éclat, ces deux qualités réunies produisent un effet bien supérieur à celui de la simple terre blanche.
Vasari dit avec raison que tous les siècles suivans doivent de la reconnaissance à l'inventeur, Luca della Robbia. Florence, Alvarni, Bolsène et presque toutes les villes toscanes nous montrent de superbes retables comme des témoignages de son génie et de sa gloire, et Berlin possède une suite de représentations intéressantes dans ce genre;
Ce fut au commencement du 15e siècle que le jeune Luca, fils de Simone di Marro, entra d'abord comme apprenti chez le fameux orfèvre Florentin Léonardo di San-Giovanni ; mais bientôt il abandonna cette carrière et nous le voyons élève du grand Lorenzo Ghiberti, auteur des portes que Michel-Ange jugeait dignes d'être celles du paradis. Dès ce moment, le jeune artiste avait trouvé la route convenable à son génie. A peine âgé de quinze ans, nous le voyons honoré de la confiance de Sigismondo Pandolfo Malatesta, un des premiers seigneurs de Rimini, qui le chargea d'orner une chapelle et un monument dans celte ville. Deux ans après , Pierre de Médicis fit
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construire un orgue magnifique au-dessus de la porte de la sacristie de Santa-Maria dei Fiori, à Florence, et telle était la gloire que Luca avait déjà acquise par ses ouvrages précédens, qu'on le chargea des sculptures en marbre pour la décoration de cet orgue. Il exécuta plusieurs choeurs de musique avec une vérité frappante; l'expression des têtes était si naturelle, qu'on croyait entendre les différentes harmonies. On trouve une semblable perfection dans un grand tableau de Jean de Bruges au musée de Berlin.
Luca della Robbia fut dès-lors chargé de tant d'ouvrages, qu'il désespéra de pouvoir les exécuter tous en marbre ou en bronze. Dominé par le désir de mettre au jour tout ce qu'il avait en tête, il chercha une matière plus facile à traiter et capable néanmoins de rendre ses idées. Il imagina de se servir de la terre glaise; puis cherchant encore le moyen de soustraire celle-ci aux influences du temps et des élémens, il trouva le secret de l'émail. Ses premiers essais eurent pour sujets la Résurrection et l'Ascension. Bientôt il entreprit de colorer ses figures, toutes blanches jusqu'alors ; il en orna des bâtimens humides qui ne souffraient pas d'autres peintures ; il imita ainsi, probablement sans la connaître, la coutume des anciens Grecs, en réunissant les deux arts amis.
Pierre de Médicis fut un des premiers qui mirent en usage ces figures colorées. Il en fit orner la frise et le plancher d'une chambre, dans un palais bâti par son père.
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La réputation du nouvel art était faite ; elle se répandit bientôt non-seulement en Italie, mais dans tout le monde ; Luca engagea ses deux frères Octavien et Auguste à abandonner le ciseau, pour l'aider dans ses entreprises.
Il essaya aussi de peindre en couleur d'émail sur une surface plane, et les ornemens en fleurs qu'il exécuta de cette manière auraient pu rivaliser avec la nature. Mais bientôt fatigué de n'imiter que des objets inanimés, il fit de riches compositions de figures, quand la mort interrompit le cours de ses travaux en 1430.
Les frères de Luca lui ont fait honneur en propageant partout son art, et le fils d'Auguste, nommé Luca d'après son oncle, hérita de la gloire de son oncle et de celle de son père.
André, autre neveu de Luca, se distingua comme lui en travaillant sur différentes substances. Il fit de belles sculptures en marbre et de superbes tableaux en terre cuite pour diverses églises d'Arrezzo ; il exécuta aussi plusieurs tableaux du même genre pour l'église et d'autres localités du rocher de Vernia, lesquels se sont parfaitement conservés dans cet endroit désert, où aucune autre peinture n'aurait duré même pendant un petit nombre d'années. Il termina en 1528 une longue vie irréprochable , laissant une énorme quantité d'ouvrages précieux. Vasari, qui nous a transmis ces détails, ajoute qu'étant enfant, il avait entendu ce vieillard, mort à quatre-vingt-quatre ans, se glori-
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fier d'avoir été un de ceux qui avaient porté le cercueil de Donato.
Deux de ses fils reçurent dans le monastère de Saint-Marc, à Florence, l'habit de dominicain des mains de Savanarole, auquel la famille della Robbia avait toujours été attachée. C'est à elle que nous devons des médaillons et les plus fidèles portraits qui existent de cet homme fameux, dont on montre encore la cellule à Saint-Marc.
Jean della Robbia, autre fils d'André, avait suivi la profession de son père ; mais ayant perdu par la peste trois fils pleins de talent, il chercha des consolations en se réunissant pieusement à ses frères. Luc et Jérôme se partagèrent ses entreprises, et le premier eut la bonne fortune d'attacher le nom d'une famille déjà célèbre à celui du plus grand artiste de tous les temps ; ce fut lui qui, suivant le désir de Raphaël, orna les planchers de ses belles loges. L'histoire fait aussi mention de deux soeurs, Lisabetta et Speranza.
Jérôme, après avoir honorablement lutté avec Sansovino, Bandinelli et autres, alla en France sur l'instigation de quelques marchands. Là il fut surtout occupé dans les palais de François 1er, et les traces de son activité s'étendent jusqu'à Orléans. Devenu riche, il fit venir son frère Luc, qui lui fut bientôt ravi par la mort. Isolé de nouveau, il sentit le besoin de revoir sa patrie. Il revint à Florence en 1553 ; mais trouvant le duc Cosme en guerre avec Sienne et peu disposé en faveur des arts, il retourna pour toujours en France. Là s'éteignit eu lui sa
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famille, ainsi que l'art qu'elle avait inventé et étendu.
Après avoir jeté un coup-d'oeil sur l'histoire des différens membres artistes de cette famille intéressante, nous allons examiner comment cet art s'est propagé.
Quand, par la découverte de Luca, on eut trouvé un fond plus avantageux pour la peinture que l'ancienne demi-majorique, les premiers artistes ne dédaignèrent plus de s'en servir. On inventa de nouvelles couleurs, surtout du vert de toutes les nuances, et ces progrès mirent les peintres en majoriqne à même de rivaliser avec les peintres à l'huile.
Vers l'an 1550, cet art avait acqnis son plus haut degré de perfection, qui dura environ 30 ans. L'oeil est enchanté par la finesse, le clair-obscur et les nuances les plus tendres qu'on a su produire. Déjà les auteurs contemporains s'épuisent en éloges sur cet art charmant, et le noble vénitien Thomas Garjoni prétend que Faenza et Pesaro ne méritent pas moins de louanges que Pline n'en donne à Arretium, Surrentum, Pergame et Cos.
Même au-delà des Pyrénées, on pratiqua la nouvelle invention. Alphonse del Agliva demande que les vases espagnols soient mis à côté de ceux d'Athènes et de Corinthe, de Pise et de Pesaro. Cervantes cite la vaisselle de Pise, en désignant des objets gracieux, et nous savons que la majorique italienne était connue plus que de nom en Espagne. Le duc d'Urbin Guidobald II fit exécuter beaucoup de Vases à boire, pour eu faire cadeau aux rois de ce
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pays. Étant lui-même amateur et connaisseur, il prenait une part active aux oeuvres de ses artistes. C'est lui qui fit une collection précieuse de dessins de Raphaël à l'usage de ses fabriques, et qui engagea les premiers artistes de son temps à s'en occuper. Battista Franco, connu pour avoir été attaché à un théâtre fondé à Rome par Anguillara, traducteur des Métamorphoses d'Ovide, et Raphaël del Colle ont laissé une grande quantité d'esquisses pour des vases. On dit même que ce dernier a peint de sa propre main plusieurs vaisselles pendant son long séjour à la cour ducale, ce qui, dans la suite, a donné lieu de les attribuer à Raphaël d'Urbin, erreur d'autant plus facile à commettre, que celui-ci avait été maître de Raphaël del Colle, et que l'un et l'autre aimèrent une belle Fornarine.
Près des bords du Metauro, dont le lit offre une fine terre blanche , se distinguaient alors les fabriques d'Ermignano et de Castel-Durante. Vasari compare la terre glaise dont elles se servaient à celle qui était en usage du temps de Porsenna.
C'était ici que, d'après cet auteur, le célèbre Orazio d'Urbin travailla la plupart des superbes vases que possède le trésor de l'église de Lorette , vases dont la reine Christine de Suède fut tellement éprise, qu'elle offrit en échange une vaisselle d'argent de même grandeur. Son offre ne fut pas acceptée. Le reste des ouvrages disponibles d'Orazio vint à Florence par héritage. Crescimbeni loue beaucoup cet artiste, et Boldi en parle dans un éloge académique sur Urbin, prononcé en présence de François-
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Marie II, fils de Guidobald ; il y met ces vases à côté de ceux de la Grèce antique, pour la forme, la couleur et le vernis.
Le frère d'Orazio travailla avec lui. Plus tard, appelé à Florence par le grand duc de Toscane, il introduisit dans cette ville, qui avait vu inventer le vernis, la vraie manière de peindre les vases.
Antérieurement, la Flandre et la Grèce avaient reçu des colonies de majoristes. Le chevalier Piccolpasso, un des premiers peintres en vaisselle de Castel-Durante, dans un manuscrit traitant de la majorique, orné de beaucoup de peintures et surchargé de citations arabes ou grecques, nous a conservé les noms de quelques artistes qui ont concouru à transplanter cet art. Trois frères, Giovanni, Tiseo et Lazio, le portèrent de Castel-Durante à Corfou-, Guido de Saviano le porta à Anvers. Le manuscrit durantin parle aussi de fabriques à Rimini, Faenza, Forli, Bologne, Spello et Città-Castellana, où l'on préparait les couleurs d'une manière différente, nommée alla castellana.
A Gubbio, cet art avait été introduit, en 1490, par un gentilhomme de Pavie, Georges Andreoli, sculpteur et peintre en majorique, qui travaillait avec ses deux frères Salimbeno et Giovanni.
Le fils du premier, Vincenzo, vulgairement appelé Mastro Cencio, s'était réuni aux autres, et cette famille distinguée possédait, avec l'estime générale, non-seulement l'amitié personnelle des princes de Feltri, mais aussi les meilleures places dont les ducs d'Urbin et d'autres princes italiens disposaient, pla-
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ces qui passèrent même à leur postérité. Cette famille paraît avoir été le plus long-temps propriétaire de ce rouge et de cet or dont nous avons parlé plusieurs fois.
A Pesaro, l'usage de ces couleurs fut perpétué par un artiste distingué, Girolamo Lanfranco , à qui se joignit un jeune homme très-habile, nommé Ferenzio.
Le fameux Pietro della Francesca, qui porta le nom de sa mère, ayant perdu son père avant sa naissance, fut long-temps au service du duc Guidobald Feltri et sans doute il a beaucoup travaillé pour ses fabriques. Du moins nous savons par Vasari, qu'il a peint pour ce seigneur plusieurs petits tableaux avec de très-belles figures. Il était surtout cité pour la perspective.
A Sienne, l'on montre encore à la bibliothèque deux vases gothiques en demi-majorique, décorés de fleurs peintes, héritage des templiers qui habitaient cette ville. La majorique fine n'y fit pas moins de progrès , quand elle eut la vogue. Un beau code de 1528, écrit sur parchemin et orné de miniatures, nous a conservé les règles et les fêtes du métier, ainsi que les noms des maîtres de ce temps. Le métier avait une église à lui appartenante, dédiée à ses patrons, San Jacopo e Filippo, où l'on tenait toutes les conférences et où l'on célébrait de grandes fêtes au premier de mai, usage qui s'est maintenu jusqu'à nos jours. L'église des Osservanti possède aussi un des plus beaux autels de Luca della Robbia.
Une autre ville se distingua en même tems que
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Sienne. C'est Asciano, patrie du féroce Caccia, que le Dante nous montre dans son Enfer. Luca trouva ici une fabrique avec de bons fourneaux, ce qui lui permit d'achever un grand tableau pour l'église des Minori conventuali, représentant la Vierge avec l'ange Raphaël, le jeune Tobie et saint Antoine, tous peints de grandeur naturelle et avec les couleurs les plus brillantes.
A Urbin, Federigo Brandani avait perpétué l'art de Luca et donné la preuve du plus grand talent dans une Crêche qu'on voyait à San-Giuseppe. Dans la même ville, on cite, pour la vaisselle, un Maître Rorigo, qui se distingua en imitant fidèlement la manière de Raphaël. Après sa mort, il fut remplacé par son fils, de qui on trouve des vases peints dans sa douzième année et portant la date de 1619.
Nous voici arrivés au triste point de la décadence. L'art secondaire devait tomber avec l'art principal. Le dessin devient faible ou exagéré et ne trompe qu'au premier moment par un vernis illusoire. Le nouvel or, le nouveau pourpre sont à ceux d'autrefois dans le rapport du fard avec le teint naturel. Tâchons de saisir les causes de cette décadence.
Quand, sous le règne du pape Alexandre VI, la peinture grotesque eut été remise à la mode par Morto da Feltri, et portée à son plus haut point de perfection dans les loges de Raphaël, on s'en servit aussi avec beaucoup de succès pour la majorique. Mais bientôt ces jeux d'une riche fantaisie dégénérèrent en difformités monstrueuses, et le sens qu'on y avait mis d'abord, se changea en non-sens. Rien
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ne pouvait être plus agréable à ces peintres à la douzaine, et nous les voyons se surpasser à l'envi en créations fantastiques qui font l'effet de visions de fièvre , ne. montrant que bien rarement un rayon d'esprit ou de gaîté.
Une autre cause de décadence fut l'imitation des paysages flamands. Les fonds historiques une fois abandonnés, on s'appliqua à une imitation scrupuleuse de pierres et de feuilles ; on finit par abandonner tout-à-fait la peinture d'histoire, l'ame et l'imagination ayant fait place à une froide exécution.
L'art vieilli végéta ainsi quelque temps, jusqu'à ce que nous, le retrouvions rajeuni, et si non tout-àfait régénéré, du moins reprenant une nouvelle vigueur. Il avait eu son origine dans les églises. Des serviteurs de l'église lui donnèrent une seconde vie. Les cardinaux Chigi et Stopponi en tentèrent la régénération.
Le premier érigea, vers 1714, une fabrique dans ses terres, à San-Quirigo, avec l'assistance du peintre et fondeur Piezzentili, qui, natif du pays de Lorette, avait formé son goût par la vue des vases de la Fontana. On examina la terre ; elle fut trouvée propre à cet usage et même tout-à-fait semblable à celle dont était formée une madone de Luca della Robbia, vénérée dans la contrée, ce qui fit supposer que ce grand artiste pouvait l'avoir achevée sur le lieu même. Après la mort de Piezzentili, le cardinal fit venir de Sienne le romain Giovanni Torchi, qui travailla long-temps pour lui avec beaucoup de succès. Mais comme il ne vendit rien et donna tout à ses
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amis, ses produits ont été peu connus. Après Torchi, Campani devint si fameux, que les habitans de Sienne l'appelaient le Raphaël de la majorique. On trouve dans les palais et galeries de Sienne de belles preuves du mérite et des efforts de ces hommes pour la régénération de l'art. Mais la plupart de leurs ouvrages, entremêlés de plus anciens, ont été achetés, il y a quelques années, par un Anglais à un très-haut prix.
Le cardinal Stopponi, légat du pape, avait tâché de relever les fabriques jadis si fameuses de CastelDurante. Il eut autant de succès qu'on peut l'attendre dans une époque défavorable aux arts. De toutes parts on fit venir des dessinateurs et des peintres. On s'attacha à inventer des couleurs ; on retrouva même un rouge fort ressemblant à celui qui avait signalé la plus belle époque. Mais bientôt ces dernières tentatives cessèrent tout-à-fait en Italie, et nous devons chercher ailleurs les progrès de l'art d'émailler. La porcelaine, inventée en Saxe par Boetticher et répandue dans toute l'Europe, offre une matière plus pure pour l'application des couleurs. La magnificence et la beauté de la vaisselle de Saxe ont acquis leur plus haut degré, si toutefois on pouvait donner la préférence, pour le choix et le style de la peinture, à une époque de décadence. La patrie de Bernard Palissy ne pouvait rester en arrière. Quelques artistes français, parmi lesquels on distingue plusieurs femmes, entr'autres Mme Jacotot, dont le nom est aujourd'hui européen, paraissent avoir atteint dans cet art les limites du possible.
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Messieurs, j'avais écrit cet Essai à Rome, en 1826, afin d'éveiller dans ma patrie l'intérêt public pour la collection de majorique de feu le chevalier Bartholdy. Mon but a été atteint. Ce trésor précieux, qui nous montre le commencement, le progrès et la décadence de l'art, a été acquis par le musée de Berlin, où ce même Essai et le catalogue raisonné écrit en même tems par moi, ont servi à la commission chargée de disposer la collection dans cet établissement. J'avais le dessein de compléter ces notices, quand je fus frappé de voir qu'à Paris la peinture en émail sur la pierre de lave, employée à l'architecture, pouvait un jour surpasser tout ce qu'a fait l'Italie dans ce genre d'application. Cette conviction me décide à vous offrir mes remarques, tout incomplètes qu'elles sont. C'est un aperçu de ce que les temps passés ont produit, lequel nous fera mieux apprécier ce que notre temps peut produire de supérieur. Que la Société libre des Beaux-Arts, qui s'est occupée avec tant d'intérêt de cette régénération, en s'associant par ses encouragemens aux résultats remarquables déjà obtenus par M. Hittorff dans la peinture sur lave émaillée, veuille donc bien accepter avec indulgence ce faible hommage.
La lecture de ce Mémoire, riche de faits et d'érudition, a été entendue avec un vif intérêt. Une communication aussi importante, de la part d'un correspondant aussi distingué que M. Hensel, a été accueillie par des applaudissemens d'autant plus empressés, qu'un des objets de la Société libre des
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Beaux-Arts est d'établir entre les artistes étrangers et les artistes français ces échanges de travaux, qui tendent à faire profiter l'art en général de ce qui se fait d'utile dans chaque pays. La Société a décidé à l'unanimité que l'Essai sur la majorique serait publié dans le plus prochain cahier de ses Annales.
NOTICE
SUR FEU M. POMEL,
Graveur, membre de la Société Libre des Beaux-Arts, PAR M. DESAINS.
Messieurs,
Une réunion aussi nombreuse que la nôtre ne peut malheureusement se flatter de voir s'écouler un temps considérable, sans éprouver dans son personnel des pertes toujours sensibles. La fin prématurée de notre collègue M. Pomel, graveur, vient rappeler encore à la Société libre des Beaux-Arts cette dure conséquence de sa constitution.
Pomel (Claude-Joseph) naquit à Dôle, département du Jura. Ses parens, qui vivaient honnêtement du produit d'un petit négoce, envoyèrent à Paris leur fils, à peine parvenu à sa huitième année. L'intelligence dont cet enfant était doué, le fit profiter de l'intruction élémentaire qui lui fut donnée avec soin. Lorsqu'il fut question de choisir un état, on crut devoir diriger le jeune homme vers l'imprimerie. Il exerça en effet pendant un certain temps l'état d'imprimeur. Mais cette occupation, bien qu'honorable et intéressante, ne satisfaisait pas entièrement le goût de Pomel ; son penchant pour le dessin et surtout pour la gravure lui causait, par intervalles, de grandes distractions. Il finit donc par faire, sans autre guide que ses dispositions naturelles et sa bonne volonté, des essais divers et
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encourageans. Un peu plus tard, son travail devint assez lucratif pour que ses parens fussent persuadés qu'il n'avait point failli en préférant à toute autre profession la culture d'un art destiné désormais à l'emploi de sa vie entière.
La gravure de Pomel présentait habituellement un mélange de pointillé et de tailles.Il résultait de sa manière d'opérer un effet net et brillant, qui faisait rechercher ses ouvrages dans le commerce ordinaire d'estampes. Aussi les productions de cet artiste, sans être de premier ordre, se vendaient toujours avec facilité. De ses nombreuses planches, nous citerons six sujets tirés des Incas, d'après les dessins de Chasselat, membre de notre Société ; les Quatre Saisons ; Atala ; l'histoire d'Esther ; Geneviève de Brabant ; quatorze Stations, d'après des dessins faits en Italie, et quantité de sujets de dévotion. Mais son plus beau titre est de s'être associé directement à la gloire de son pays en gravant beaucoup de bonnes planches pour la Description de l'Egypte. Pomel y consacra son burin pendant tout le temps que dura l'exécution de cet ouvrage, immortel trophée de nos victoires sur les antiques rivages du Nil. Telles sont les destinées de la France que ses artistes pourraient, sans sortir de sa propre histoire, exercer toujours leur talent sur dés sujets dignes de la postérité.
Comme tant d'autres hommes de mérite, Pomel n'est pas très-connu ; sans doute il le serait davantage, si la trompette de là renommée sonnait toujours juste-. L'artiste modeste ne prit pas grand cha-
69 grin de cette espèce d'obscurité-, il avait du talent, il eut de la philosophie, et sut se contenter de l'estime des gens de bien. Tous ceux qui ont eu des relations avec Pomel s'accordent dans leurs regrets et dans leurs éloges ; tous parlent de lui comme d'un ami sûr, d'un homme loyal et généreux. A l'époque où nous vivons, messieurs, de pareils témoignages valent bien la célébrité, si souvent usurpée par les coteries, si souvent outragée par les envieux.
Pour améliorer sa fortune sans abandonner son travail de prédilection, notre confrère fit utilement le commerce des estampes modernes. Au bout de quelques années, il vendit son fond avec avantage et conçut le désir bien naturel d'aller jouir tranquillement, à la campagne, du fruit de ses travaux et de son économie. Il venait de se fixer au village de Villemonble, près Paris, avec son épouse, espérant un avenir conforme à ses goûts. Mais la mort mit son terrible veto sur des projets si légitimes. Le 18 mars 1836, tandis que la famille heureuse se disposait à célébrer la fête de son chef, lorsque l'amitié choisissait en secret les fleurs les plus douces et préparait l'expression de ses voeux, Pomel fut frappé d'une attaque d'apoplexie, à la quelle il succomba peu après, âgé seulement de cinquantecinq ans.
Cette mort, devenue encore plus déplorable par ces circonstances, a mis en deuil les parens et les amis de notre honorable collègue. S'il est pour eux une consolation, elle doit se trouver dans le souvenir et peut-être aussi dans la publicité des qualités
70 de celui qu'ils regrettent et que nous regrettons avec eux. Heureuse la Société libre des Beaux-Arts, si l'hommage rendu par elle à la mémoire de l'honnête homme, de l'artiste laborieux, peut adoucir l'amertume des larmes que sa perte fait répandre!
La Société archéologique du Midi a adressé à la Société libre des Beaux-Arts les premiers cahiers de ses publications. M. Biet a été chargé d'examiner ce recueil et d'en rendre compte. Mais la richesse des matières, leur variété et leur importance sont telles que le rapporteur n'a encore pu communiquer à la Société que des fragmens, s'étant attaché à faire ressortir par des analyses de quelque étendue les Mémoires qui peuvent intéresser particulièrement les artistes ; car un des plus grands avantages des relations qui s'établissent entre les sociétés académiques, est un échange continuel de lumières entre les sciences, les lettres et les arts. Désireux de marcher dans cette voie et de satisfaire une curiosité justement impatiente, non moins jaloux de témoigner à la Société archéologique du Midi notre empressement à rendre public le concours de nos efforts avec les siens, nous n'attendrons pas le résultat du travail d'ensemble par lequel notre collègue se propose d'enchaîner les différentes parties de son rapport ; mais nous publierons séparément quelquesuns des articles détachés qu'il nous a lus. Le suivant a trait à une question d'archéologie qui a été long-temps controversée ; c'est une raison pour
72 que ce morceau excite l'intérêt du lecteur, comme il a captivé l'attention et obtenu le suffrage de la Société.
RAPPORT
SUR UNE
NOTICE DE M. ALEXANDRE DUMÈGE,
Membre de la Société archéologique de Toulouse ,
COSCERNANT LA VILLE D'AIGUES-MORTES, PAR M. BIET.
Messieurs,
Au nom célèbre d'Aigues-mortes, la pensée se reporte naturellement vers le règne de saint Louis, époque mémorable par deux causes opposées ; l'une de prospérité» qui signale les éclatantes vertus de ce prince justement vénéré; l'autre de désastres, qui rappelle l'issue malheureuse des croisades , entreprises par ce monarque dans des momens, d'éxaltalion pieuse, mais où il trouva la fin de sa carrière, hors delà brillante et sans reproche.
Au nom d'Aigues-mortes se rattache encore le souvenir dé deux monarques , non moins fameux dans l'histoire, François 1er et Charles-Quint, qui eurent une entrevue dans les murs de cette ville, où ils signèrent, en 1538, une trêve de dix années, laquelle ne devait pas durer, parcequ'il n'était ni dans le caractère de ces deux princes ni dans les
73 moeurs du temps, de persévérer dans une aussi longue inaction.
C'est le tableau des faits brillans et des incidens curieux qui accompagnèrent ces deux grands évènemens que j'aurais à dérouler, si je voulais suivre l'auteur du Mémoire dans les détails historiques où il est entré, et qui en font l'objet principal. Mes auditeurs y trouveraient l'énumération des travaux immenses que saint Louis entreprit, malgré les difficultés du sol et de l'emplacement , pour donner à la bourgade d'Aigues-mortes ou Eauxmortes un port vaste et sûr, capable de contenir la nombreuse flotte des croisés ; je passerais ensuite à la description des solemnités qui eurent lieu dans cette ville, à l'occasion assez rare et toujours remarquable de l'entrevue d'un empereur et d'un roi ; je pourrais encore suivre l'auteur dans ses explorations autour de la forteresse, pour reconnaître le gisement de ses antiques fortifications, dont il annonce que des parties considérables sont encore bien conservées, ce qu'il justifie d'ailleurs par des vues exactes qu'un artiste qui le secondait a prises sur les lieux; enfin, je raccompagnerais aussi dans ses excursions plus lointaines pour étudier le sol environnant et les productions du pays, contrée rebelle, où l'art est partout forcé de combattre la nature; côte aride, brûlée par les ardeurs du midi, qui n'offre à l'oeil qu'un mélange de lagunes infectes et de plaines sablonneuses, où se montre déjà le mirage, cette singulière illusion d'optique, que la nature a placée là comme pour donner à l'Euro-
74 péen un avertissement salutaire, mais toujours négligé, des déceptions qui l'attendent sur le rivage africain.
La Société me dispensera, je pense, de lui présenter les détails de ces récits qui n'appartiennent pas assez directement à ses travaux, et que je ne saurais d'ailleurs m'engager à reproduire avec le talent que l'auteur de la notice y a déployé, comme historien et comme littérateur. Il me suffit de les annoncer et de le» indiquer à ceux de nos collègues qui seront curieux d'y recourir. Je m'arrêterai à un seul point, qui, moins piquant en apparence que ceux que j'écarte, est fort important en lui-même et d'un intérêt spécial pour ceux d'entre nous qui s'occupent d'antiquités, puisqu'il se rapporte à un fait archéologique, ou plus exactement, à une discussion scientifique qui n'a été éclaircie que dans ces derniers temps.
C'était une opinion accréditée, il n'y a pas encore long-temps, que la mer qui baignait les murs d'Aigues-mortes, au temps de saint Louis, c'est-à-dire, vers l'an 1248, s'en est éloignée depuis, dans un intervalle de près de 600 ans, et qu'elle en est aujourd'hui à une distance considérable qui ne permettrait plus de faire un port de cette ville.
C'était, disait-on, par le retrait successif des eaux de la mer que cet effet s'était produit; et ce retrait lui-même, on l'attribuait à une cause physique, à l'action rétrograde que le mouvement de rotation de la terre imprime aux substances aqueuses répandues a la surface du globe. Cette opinion date à-
75 peu-près du XVIIe siècle, époque où les sciences physiques et mathématiques ayant acquis un grand développement, il était devenu de mode de les faire entrer dans toutes les discussions. Comme à tout ce qui est nouveau et nous frappe par le merveilleux, le vulgaire s'est attaché à celte idée. Il y a plus ; des écrivains de renom, historiens et savans, ont établi le fait et l'ont répété à l'envi les uns des autres; Voltaire et Buffon l'ont appuyé de leur autorité, et cette croyance s'est ainsi propagée sans autre réflexion jusqu'à nos jours. Ce n'est que récemment que d'autres auteurs moins crédules se sont refusés à admettre une assertion fondée seulement sur une tradition non approfondie. Il doit être bien entendu que ceux-ci n'ont pas prétendu nier que la mer ne fût maintenant à distance des murs de la ville ; le fait matériel est irrécusable. Mais ils ont pensé qu'on pouvait l'expliquer par des circonstances purement locales, sans être obligé de recourir à l'auxiliaire de considérations éloignées. C'est le développement de cette opinion que je me propose de mettre sous vos yeux.
Les premiers doutes sont venus de la théorie même à laquelle on rapportait le phénomène. On peut en effet observer d'abord que la puissance de l'action centrifuge est très-variable à la surface de la terre, et qu'elle va toujours en s'affaiblissant depuis les régions équatoriales jusqu'aux pôles, ou elle s'annulle entièrement. Cette première réflexion est une raison suffisante pour se faire une idée des variations qu'elle doit éprouver aux différens points
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dû globe, et pour ne pas lui attribuer la principale influence dans les changemens de configuration que l'on a remarqués sur les côtes, ni même pour qu'on puisse assigner exactement la part qu'elle peut y prendre.
De plus, il a été reconnu que ces altérations sont aussi très-variées, et que généralement beaucoup ne s'effectuaient point comme la cause motrice qu'on leur assigne semblerait l'indiquer. Le mouvement de rotation de la terre se faisant d'occident en orient, l'action rétrograde des eaux à la surface du globe devrait être d'orient en occident. Si sur certains points les déformations des rives de la mer semblent confirmer cette règle, sur un grand nombre d'autres la marche inverse paraît être observée.
Ainsi, selon la théorie, l'Océan atlantique devrait tendre à s'écarter du rivage européen pour aller envahir les côtes orientales de l'Amérique ; la Méditerrannée devrait se porter vers le détroit de Gibraltar. Or chacun sait que tout au rebours, des étendues considérables dé côtés vers le nord de l'Europe, telles que le Zuyderzée, la Hollande, le Danemarck, sont menacées d'être submergées par l'Océan, tandis que les côtes de Narbonne et de Perpignan semblent s'être découvertes; car des traditions anciennes, qui remontent jusqu'à l'historien Polybe, parlent de ports attenans à ces villes, dont il ne reste plus de traces aujourd'hui.
Sans prétendre récuser entièrement faction physique, admissible en théorie, mais jusqu'à présent purement hypothétique, du mouvement successif
77 des masses fluides à la surface du globe, et sans qu'il soit besoin d'une dissertation scientifique plus approfondie, d'où il pourrait résulter que rien n'est moins rigoureusement démontré que l'obligation du déplacement des mers par suite de ce principe, on peut considérer que, si cette cause devait entrer en ligne de compte pour Aigues-mortes, son effet aurait dû être progressif, et conséquemmeut se faire sentir régulièrement au fur et mesure de la succession des temps. Or il est de notoriété historique qu'au milieu du XVIe siècle, 300 ans après saint Louis, les flottes turques sillonnaient encore la rade d'Aigues-mortes et que leur chef, le fameux Barberousse, descendait dans son port pendant une trêve, avec autant de facilité que CharlesQuint y avait abordé et que les croisés s'y étaient amarrés. De ce fait on peut conclure que si l'abaissement de la mer s'est opéré par la cause physique qu'on lui attribue et d'une manière continue depuis saint Louis, de deux choses l'une : ou les bâtimens turcs ne sont point venus dans le port d'Aigues-mortes de 1539 à 1540, ce qui serait contraire aux documens historiques ; ou le retrait de la mer ne s'est opéré que depuis cette époque, ce qui réduirait à moins de 300 ans le temps qu'elle a employé à se retirer. Cette dernière hypothèse compliquerait encore bien davantage l'explication théorique du phénomène, parce qu'elle supposerait à la force motrice une vitesse d'action que l'observation ne justifie pas. Cette rapidité serait énorme, surtout si l'on devait admettre que la distance de la ville
78 à la mer fut aussi grande que plusieurs auteurs l'ont supposé. Il est remarquable que sur ce point les historiens ne s'accordent même pas; les uns, comme Velly, ont fait cet intervalle de deux lieues ; l'abbé de Vertot l'a porté jusqu'à quatre; un écrivain postérieur, M. Ducange, l'a réduit à une demilieue. Ces étranges contradictions entre des écrivains à-peu-près de même temps, sur un fait qu'il semble si facile de vérifier, s'expliquent néanmoins par une disposition locale; c'est qu'il existe entre les murs d'Aigues-mortes et la mer un espace vague, rempli par des lagunes variables et des attérissemens mouvans, qui rendent encore indécis de nos jours le point réel qui marque la limite ostensible du rivage; en sorte qu'il serait toujours fort difficile aujourd'hui de répondre positivement à cette question: Quelle est la distance exacte de la mer aux murs d'Aigues-mortes ?
Je ne pousserai pas plus loin la discussion des considérations théoriques dont un plus grand développement excéderait les bornes de notre spécialité, et je couperai court aux objections par lesquelles on pourrait encore combattre victorieusement l'opinion du retrait de la mer. A l'exemple de l'auteur de la notice, je me hâte de rentrer dans l'examen des recherches locales qui, pour Aiguesmortes particulièrement, doivent prouver que l'éloignement ou l'abaissement des eaux n'a jamais existé, et que la côte est encore ce qu'elle était au siècle de saint Louis et bien long-temps auparavant.
Il est juste, ainsi que l'a fait notre auteur, de rap-
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porter à qui il appartient le mérite des premières observations précises faites sur les lieux; c'est M. E. di Pietro, savant Italien, qui fut le premier explorateur attentif de la côte d'Aigues-mortes. Il rapporte dans un ouvrage qu'il a publié sur ce sujet, mais qui est peu répandu, que l'on retrouve encore les restes d'anciens ouvrages de maçonnerie qui attestent, à n'en pas douter, que les étangs d'eaux mortes qui avoisinent certaines parties des murs de la ville, ont été autrefois rendus navigables ; que cet effet a été obtenu au moyen d'une enceinte de murs qui formait le port proprement dit; que ce port communiquait à la mer par un large canal d'une grande longueur, dont il existe aussi de nombreux débris qui paraissent très-anciens, et dont le genre de construction se rapporte à celui des fortifications du temps de saint Louis.
Ce serait une tâche fort longue que celle d'énumérer en détail les recherches archéologiques nombreuses et délicates qui établissent ces faits; l'auteur de la notice en a cité quelques-unes textuellement; il y a joint ses propres observations sur les lieux, faites avant et après qu'il eut eu connaissance du travail de M. di Pietro, et qui en confirment la justesse et la sagacité.
Il ne m'est permis ici ni de l'imiter ni de le suivre. Je me borne à énoncer les faits importans que les deux savans explorateurs sont parvenus à reconnaître, savoir, que diverses parties de ces ruines existent toujours et qu'elles sont connues des habitant sous des dénominations qui en rappellent l'an-
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cien usage. Ainsi on retrouve des fragmens du Grau Louis ou port Louis, de la Grande Roubine ou vieux canal ; ainsi on voit encore, dans de vieilles maçonneries, tant au débouché du canal vers la mer qu'à son autre extrémité au pied des murs de la ville, les traces de scellement d'énormes anneaux de fer auxquels étaient amarrés, d'un côté, les vaisseaux qui stationnaient dans la rade, et, de l'autre, ceux qui étaient introduits jusques dans l'intérieur du port. Ces témoins parlans, situés aux deux bouts opposés des ouvrages maritimes érigés par saint Louis, sont des preuves irrécusables que déjà, dès ce temps, la distance de la ville à la mer n'était pas différente de ce qu'elle est aujourd'hui ; que ce ne fut qu'à force d'art que l'on parvint à créer un port factice dans des marécages ; que ce port et le canal d'arrivée attenant ont dû se remplir et disparaître sous les attérissemens, lorsqu'on a cessé de les réparer et de les entretenir ; enfin, qu'il n'est pas nécessaire de supposer que la mer s'est retirée, pour expliquer comment il n'y a plus dé port devant les murs d'Aigues-mortes. Il n'est pas hors de propos de rappeler qu'au mois d'avril dernier, un journal rapportait l'article suivant : « On vient de faire à Aigues-mortes une » découverte qui doit vivement intéresser là curio» sité. Une galère, de soixante-douze pieds de lon» gueur sur neuf de largeur, a été trouvée à sept » pieds de profondeur dans un fossé creusé pour » élever une chaussée sur le Ridourle. Les madriers » sont dans un état parfait de conservation. On en » compte quatre-vingt-un de chaque côté. Cette
81 » galère faisait infailliblement partie de l'expédition " de saint Louis pour la Terre-Sainte; elle se trouve » sur le lieu où était amarrée la flotte des croisés, » A part la dernière assertion qui paraît hasardée, ce document vient à l'appui des opinions émises par l'auteur de la notice, en prouvant que les lagunes situées aux environs de la ville ont été jadis navigables, et qu'il ne s'agirait encore aujourd'hui, pour restituer le port, que de creuser de nouveau ces bas-fonds et de rétablir les murs d'enceinte des étangs et du canal qui les mettait en communication avec la mer. «C'est à ce résultat qu'on arriverait, dit notre auteur, lequel pourrait de nouveau devenir une source de prospérité pour le Languedoc, si la loi, rendue le 27 décembre 1809, était exécutée. » Je suis loin de blâmer ce voeu patriotique ; mais je crois pouvoir exprimer qu'il est douteux de le voir jamais accompli. La raison en est simple. Si l'on examine la position géographique d'Aigues-mortes, on la trouve située tout près de l'embouchure du Rhône, fleuve impétueux qui charrie et rejette avec violence sur les bords de la mer des alluvions limoneuses, que chasse ensuite vers la ville le courant d'est, constant sur cette plage. Ainsi se sont formés les bancs de sable, les langues de terre et les marécages qui divisent la grève. Ce sont ces obstacles que saint Louis eut à vaincre, et qu'il faudrait surmonter de nouveau et combattre opiniâtrément, si l'on voulait rétablir le port. Il est présumable que ce sont là les motifs qui l'ont fait abandonner peu à peu, et qu'à moins de circonstances extraordinaires, dont ce Société libre des Beaux-Arts. 6*
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n'est point ici le lieu de faire la recherche, on préférera long-temps encore les places de Toulon et de Marseille, établies sur les riches côtes de la Provence, au pays inculte et au climat insalubre d'Aigues-mortes.
En m'arrêtant à l'article de la notice que je viens de développer, mon but a été, non pas précisément de signaler un fait nouveau, puisque la solution véritable de la question était déjà connue, mais d'en propager l'explication; ce que je crois d'autant plus utile, que l'erreur existante était plus accréditée et qu'elle subsiste encore dans nombre d'ouvrages que l'on imprime journellement pour l'instruction de la jeunesse. Je ne dois pas omettre de signaler en cette occasion le service rendu par la science archéologique. Cessant de s'en rapporter à des traditions accréditées par le prestige de grands noms, elle est entrée franchement dans le chemin de la vérité avec l'unique secours de l'expérience et de l'observation. C'est par des travaux de ce genre qu'elle poursuivra ses succès et qu'elle triomphera de l'erreur. Hommage soit rendu aux savans zélés que l'amour de la vérité soutient dans cette route laborieuse! La routine et les préjugés sont aussi des attérissemens qui encombrent les voies du progrès, et dont il importe en tout temps, quoiqu'il en coûte, de déblayer le terrain de la science.
RELATION
D'UN VOYAGE ARTISTIQUE
DE DARMSTADT A MUNICH,
ADRESSÉE
A LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS,
PAR M. FELSING,
Membre correspondant,
Graveur de Son Altesse le Grand-Duc de Hesse, Traduite de l'allemand par M. MULLER,
Darmstadt, mai 1836.
Le 25 septembre 1835, je quittai Darmstadt, accompagné de mon frère, heureux de pouvoir profiter de la saison la plus favorable pour me livrer au charme que procurent les beautés de la nature et au plaisir non moins vif d'observer le mouvement des arts dans la contrée que j'avais entrepris de visiter.
Allemand de naissance, depuis long-temps je me reprochais d'avoir vu, en fait d'art, tout ce que l'Italie et la France possèdent de plus remarquable, et d'avoir négligé jusqu'alors de voir par moi-même les productions de ma patrie , d'examiner les travaux de l'école de Munich , d'observer surtout les créations colossales qui s'y exécutent en ce mo-
84 ment. Ce voyage devait donc me promettre plaisir et instruction. Je puis dire que cet espoir s'est réalisé au-delà de mon attente.
A Ratisbonne, j'eus déjà un avant-goût du sentiment des arts que le roi de Bavière se plaît à développer et à propager dans ses états ; j'en pus juger par l'activité avec laquelle on travaille à la construction du monument appelé la Walhalla.
Cet édifice occupe le sommet d'une colline, à une lieue de la ville, dans un site que la nature semble avoir créé pour une pareille destination. De ce lieu on voit s'étendre à perte de vue la plaine la plus riante, arrosée par le Danube, couverte de moissons et de pâturages. Les fleurs de cette colline sont ombragées par de vieux chênes dont le front séculaire se détache sur l'azur du ciel, comme pour justifier le nom et le but de ce monument. En effet, c'est sous la dénomination de Walhalla que les vieux Germains désignaient le ciel. L'idée que nos pères s'étaient faite du séjour des bienheureux, fut la première pensée de ce sanctuaire consacré par le roi à la mémoire des grands hommes qui se sont illustrés dans toutes les contrées de la patrie germanique.
Depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, toutes les nations ont élevé des monumens commémoratifs aux rois qui les ont gouvernées , aux guerriers qui les ont conduites à la victoire. Ces monumens, somptueux ou modestes, conservent et retracent le souvenir des hommes illustres. L'Angleterre les honore dans l'église de
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Westminster ; la France leur a dédié son Panthéon. Mais jusqu'ici, il faut le dire, la grande et noble Germanie, si riche en illustrations de tous les genres, était le seul pays civilisé qui semblât avoir encouru envers elles le reproche d'oubli ou d'ingratitude. Grâce à la munificence d'un Louis de Bavière, l'Allemagne aussi aura bientôt, dans sa Walhalla, un lieu spécialement consacré à la mémoire de ses hommes célèbres.
Ce temple, entièrement construit en marbre blanc, répond à sa haute destination. A l'extérieur, il est supporté par cinquante-huit colonnes d'ordre dorique. Le fronton de la façade principale sera dé coré d'un bas-relief de proportions colossales, représentant un sujet allégorique. Un autre bas-relief, pour le fronton de la façade postérieure, reproduira la bataille d'Hermann. A l'intérieur, une frise, qui se développe dans tout le pourtour, doit être ornée de bas-reliefs figurant l'histoire ancienne de la Germanie, depuis son origine jusqu'à l'introduction du christianisme. Ces bas-reliefs , confiés au sculpteur Wagner, à Rome, touchent à leur fin. De plus, centquarante piédestaux attendent autant de bustes de personnages illustres ; plus de cent de ces bustes , exécutés par les plus habiles sculpteurs de l'Allemagne, sont terminés.
La forme architectonique de ce monument est grecque ; elle imite exactement le Parthénon. Des critiques allemands ont blâmé le choix du type grec pour un monument tout national, tout germanique. Je ne suis pas de cet avis, et, tout en parta-
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geant l'opinion de ceux qui trouvent le style gothique plus approprié au culte chrétien., ce motif même me porte à lui préférer le type grec pour un objet qui, plus que tout autre, se rapproche des usages de l'antiquité. Je n'ignore pas les plaintes qui s'élèvent généralement contre l'imitation servile et le manque d'originalité de l'art moderne; mais je n'en suis pas moins persuadé que plus le goût s'épure en nous , plus le sentiment du beau s'y développe , plus aussi nous sommes, malgré nous, entraînés par le sentiment vers l'étude et l'imitation des formes classiques de l'antiquité ; en sorte qu'à moins d'un de ces génies supérieurs qui, en tout temps, font exception à la règle, l'artiste fera sagement de puiser ses inspirations dans ces types inimitables, toutes les fois que des convenances spéciales ne l'obligeront pas à s'en écarter. Lorsque la Walhalla sera livrée à sa destination, l'inauguration des images, à qui l'honneur d'y être admises aura été décerné, se fera de la manière la plus solennelle. Les femmes célèbres ne seront pas exclues de ce sanctuaire d'immortalité ; le buste de la princesse Amélie de liesse montrera bientôt à l'étranger que l'Allemagne sait rendre un égal hommage au génie et à la vertu dans l'un et l'autre sexe.
La vue de la Walhalla ne fit qu'augmenter mon impatience de voir Munich ; j'y arrivai le lendemain.
En entrant dans la capitale de la Bavière, on est saisi d'admiration par la grandeur et la magnificence
87 des édifices publics, les uns en construction, les autres achevés depuis peu. L'architecture se présente ici comme la base solide sur laquelle viennent s'appuyer les autres branches des beaux-arts, en s'harmonisant avec elle dans un style sévère et grandiose.
Après l'architecture, il faut mentionner la peinture à fresque et la peinture encaustique comme les plus importantes décorations de l'art monumental, celle-ci cultivée avec tant de succès par les anciens (1), l'autre si savamment pratiquée par les grands maîtres de l'école d'Italie. Vient ensuite la peinture sur verre qui semblait, il y a encore peu d'années, perdue à jamais, et qui reparaît aujourd'hui à Munich, grâces aux progrès de la chimie, avec un éclat supérieur à tout ce qui avait été produit de plus beau à aucune autre époque (2).
La statuaire en bronze s'est aussi élevée en Bavière à une hauteur remarquable, et sous peu elle donnera naissance à des oeuvres qui l'emporteront peut-être sur ce que les siècles passés nous ont transmis de plus colossal en ce genre.
La sculpture , la peinture à l'huile et les autres branches de l'art suivent, chacune dans sa sphère,
(1) Et récemment retrouvée par notre savant collègue M., de Montabert, dont les ordonnateurs des travaux de Munich reconnaissent avoir emprunté les procédés. ( Note du traducteur. )
(2) L'auteur ignorait sans doute les progrès que cette peinture a aussi faits en France depuis plus de quinze années, malgré le peu d'occasions qu'on a eues de l'appliquer en g and. (Idem.)
88 cette impulsion et s'empreignent insensiblement de ce grand caractère qui, parti d'en haut, se communique à tout, en maintenant dans tous les arts ce principe d'unité qui leur sert de lien et les fait valoir l'un par l'autre. C'est ce principe, si fécond en résultats puissans, qui , appliqué sur une vaste échelle, a donné à l'art bavarois sa physionomie distincte , et lui permet dès à présent de tenir son rang entre les écoles dignes de ce nom.
Il faut remarquer toutefois que, sur le grand nombre d'artistes employés aux monumens bavarois, la majeure partie, quoique allemands, sont étrangers à la Bavière ; mais tous leurs ouvrages, sans exception , portent essentiellemement le cachet de l'école de Munich. Ne sait-on pas d'ailleurs que c'est l'éducation plus que le lieu de naissance qui détermine la nationalité de l'artiste ? Or cette éducation, ou plutôt, cette importation des beaux-arts au sein de la Bavière émane directement du roi, dont le goût judicieux et sévère dirige lui-même l'impulsion et l'application; aussi l'entend-on souvent parler avec complaisance de ses artistes, et les noms de Léon de Klenze et de Pierre Cornélius, incrustés en lettres d'or dans le vestibule de la Glyptothèque, à côté du nom du roi, ne font pas moins d'honneur au caractère de ce monarque, que le mausolée du duc de Saxe-Weimar, placé entre les sarcophages de Schiller et de Goëthe, n'honore ce dernier prince. De telles distinctions accordées, de tels honneurs rendus aux illustres morts, excitent parmi les vivans, le noble désir de les imiter.
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Léon de Klenze, Gaertner (1), Ohlmüller et Zyppland sont les architectes auxquels le roi a confié l'exécution des édifices qu'il fait construire avec tant de magnificence. Ces édifices reproduiront, au centre de l'Allemagne, les plus belles oeuvres de l'art grec, italien, byzantin et gothique, chacun d'eux rappelant respectivement le style et les caractères de l'art à ses diverses époques. Cornélius, Schnorr, Hess, Kaulbach, Neher et beaucoup d'autres, sont chargés d'animer ces constructions par la peinture ; Schwanenthaler et d'autres sculpteurs en décorent les murs par l'art statuaire. La destination de ces monumens est aussi variée que leur forme.
Je cite en première ligne la Bibliothèque, la Pinacothèque et la Glyptothèque, vastes dépôts qui contiendront, outre les collections relatives aux sciences et à l'histoire naturelle, les musées de peinture, de sculpture et d'antiquités. Un bâtiment pour l'université, un collège, un séminaire, une maison religieuse de dames, un odéon, un bazar, un hôtel des postes, quatre églises, et d'autres édifices de moindre importance, répondent à des besoins spéciaux, tout en contribuant à l'embellissement de la capitale. Il faut y joindre un obélisque en fonte et le monument du feu roi Maximilien consacrés, le premier aux mânes des 30,000 Bavarois
(1) M. Gaertner a fait ses premières études à Paris, chez MM. Percier et Fontaine. (Note du traducteur.)
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qui ont péri dans la campagne de Moscou, le second à la mémoire d'un prince cher aux habitans de la Bavière.
Ce goût prononcé pour les constructions nouvelles n'empêche pas le roi de veiller avec soin à la conservation des vieux monumens. Par suite des agrandissemens de la ville à diverses époques, une ancienne porte, la porte d'Isaac, se trouve aujourd'hui presqu'au centre, et devait en Conséquence être démolie. Par les considérations historiques qui s'y rattachent, le roi s'est opposé à sa destruction. II a ordonné qu'elle fût au contraire réparée avec soin, et une grande salle ménagée dans l'intérieur a été décorée d'une fresque qui représente la marche triomphante d'un duc de Bavière rentrant par cette même porte, après une victoire qu'il avait remportée en 1322 aux environs de Muhldorf.
Mais rien n'excite plus l'étonnement du voyageur que le nouveau palais qui servira de résidence au souverain. La partie principale est terminée, et sa façade imposante est d'un effet admirable. Les portes sont en bronze et les escaliers en marbre blanc. Les carreaux des croisées, en verre de Bohême, ont cinq pieds d'élévation. La magnificence de l'intérieur surpasse tout ce que j'ai vu de plus riche en France et en Italie. Tous les appartemens sont décorés de peintures, les unes à fresque, les autres à l'encaustique. Ceux de la reine reproduiront des sujets tirés des poëtes allemands modernes ; ceux du roi, des sujets fournis par les poëtes de l'antiquité. Dans l'une et l'autre série, la décoration des salles com-
91 mence toujours par les poëtes les plus anciens;
Cette occasion, si rare de voir de grands travaux en peinture à la fresque et à l'encaustique exécutés nouvellement, me permit de juger de ceux-ci dans leur ensemble» je reconnus les avantages de ces deux espèces de peinture qui, n'exigeant pas de vernis, laissent voir les tableaux à leur véritable point de vue, sans qu'aucun reflet de lumière blanche ne vous oblige à vous détourner pour en saisir l'ensemble. Un autre résultat de l'absence du vernis, c'est que les couleurs conservent mieux leur éclat primitif et font paraître les tableaux généralement plus lumineux que quand ils sont peints à l'huile. Par ces motifs, ces deux genres me paraissent préférables pour tout ce qui concerne la décoration monumentale. La peinture à l'huile au contraire me semble mieux appropriée à ce qui demande une exécution plus délicate, un fini plus précieux, ou aux effets séduisans qui tiennent à l'alliance de la couleur avec le clair-obscur.
Les appartemens du rez-de-chaussée contiendront des scènes tirées du poème des Nibelungen. On y travaille en ce moment. L'exécution en est confiée au peintre Schnorr, qui a déjà terminé deux salles. Dans la première, il a représenté isolément ou par petits groupes les grandes figures épiques de ce poème national, comme pour servir d'introducteurs aux personnes qui viendront visiter cette partie du palais. En cela il a imité le musicien qui résume dans l'ouverture d'un opéra les principales situations de la pièce. Mais l'analogie a été trouvée trop sensible, et
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cette idée n'a pas reçu du public l'accueil dont l'auteur s'était flatté ; ce qui prouve combien il faut de réserve pour ne pas franchir les limites où les arts doivent réciproquement se renfermer. Une partie de cette royale demeure est à peine achevée, que déjà l'on commence une autre aile ; celleci contiendra les grands appartemens. Une de ces salles doit avoir une hauteur de quatre-vingts pieds, et être supportée par des colonnes en porphyre ; vingt statues, fondues en bronze, dorées au feu et représentant les ancêtres du roi, doivent former la principale décoration de cette salle. Les esquisses en sont faites par Schwanenthaler, et plusieurs modèles exécutés sous sa direction ne tarderont pas à être coulés par les mains du fondeur Stigelmayer. Ainsi tous ces travaux se mènent de front avec une rapidité qui tient du prodige.
Le jardin de ce nouveau palais, au lieu d'être entouré d'une grille, l'est d'une galerie vitrée qu'on appelle les arcades, où les promeneurs peuvent s'abriter en cas de pluie. Cette galerie aussi est ornée de fresques qui représentent, d'un côté, l'histoire de la Bavière, de l'autre, une série des plus beaux sites de l'Italie. C'est dans ce lieu, accessible à tout venant, que l'on peut mieux observer combien le peuple prend intérêt à ces représentations où, tout en se promenant dans ses heures de loisir, il peut s'instruire de ce qui le touche le plus comme Bavarois.
Des quatre églises que j'ai mentionnées plus haut, la première, la chapelle du Saint-Sacrement, est adossée au château. Le style de cet édifice est
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le gothique de la première époque. Klenze, qui en est l'architecte, se propose de le faire décorer aussi à l'intérieur dans le caractère des premiers temps de l'art chrétien. La voûte de la nef est imitée des plus anciens monumens de l'architecture byzantine. Il en sera de même pour la peinture ; Hess, qui en est chargé , s'applique à bien se pénétrer de l'esprit du temps. Cette époque de ferveur religieuse, dans la crainte de profaner les choses sacrées, n'osa faire parler l'art que dans un langage symbolique. De là l'emploi de l'or, qui sert de fond à tous les sujets religieux de cette même époque, comme emblême de la lumière et de la majesté divine.
La seconde église est celle de Saint-Louis ; elle s'élève sur les plans de Gaertner, dans le style byzantin. Sa forme très-élégante est rehaussée par l'éclat des matériaux employés à sa construction, qui consistent en une pierre calcaire d'une blancheur éblouissante. Deux clochers d'une forme légère s'élèvent au-dessus de la façade et seront terminés dès la prochaine campagne ; les statues du Christ et des Apôtres orneront le pourtour de l'édifice; une nef très-vaste recevra des fresques sur ses murs ; Cornélius en a déjà esquissé les cartons. Une de ces fresques, le Jugement dernier, surpassera en hauteur la fameuse composition de Michel-Ange. L'ensemble de la décoration de ce temple doit rappeler l'art au 15e siècle, où la matière épurée par la forme put enfin s'allier avec la pensée religieuse.
La troisième église, exécutée par Ohlmüller dans un des faubourgs de la ville, est dans le style gothi-
94 que pur, et se distingue autant par son plan que par les savantes combinaisons qui abrègent les détails de sa construction, grâce à l'emploi intelligent de la terre cuite, qui est la seule matière mise en usage dans son intérieur. Cet habile architecte peut ainsi donner à ses proportions une hardiesse extrême. Tout l'extérieur est construit en pierre de taille. C'est ici que la peinture sur verre, cette compagne obligée des édifices gothiques, doit surtout étaler ses merveilles et devenir le plus bel ornement. Les vitres destinées à cette église, de quarante pieds de hauteur, s'exécutent en ce moment à la manufacture royale des porcelaines, d'après les cartons de Ruben et de Strandolphe. Trois sont déjà terminées, et leur effet surpasse en éclat ceux des cathédrales de Fribourg et de Cologne. Les sujets représentés sur ces vitraux se rapportent à la vie de Jésus-Christ et à celle des Apôtres. En harmonie parfaite avec l'architecture, ils doivent produire une vive impression sur l'ame des fidèles.
La quatrième église, confiée au talent de Zyppland, reproduira une basilique romaine ; mais ce n'est que depuis peu que la première pierre en a été posée. Le style de cet édifice remonte aux premiers temps du culte chrétien en Italie, époque où après avoir détruit les monumens du paganisme, on fit servir leurs débris à la construction des basiliques. Dans le voisinage des édifices grecs de la Pinacothèque et de la Glyptothèque, cette église semblera aussi appartenir aux oeuvres de l'antiquité classique.
La Glyptothèque a la forme d'un temple antique;
95 elle sert de sanctuaire aux productions de la sculpture tant ancienne que moderne. Le roi, dès sa jeunesse, comme prince héréditaire, avait déjà conçu le projet de ce monument, et il s'était imposé dans ce but la plus sévère économie sur ses dépenses personnelles. C'est ainsi qu'il est parvenu à satisfaire son goût pour les arts, en érigeant ce monument et en le dotant des nombreuses acquisitions qu'il avait faites dans l'intervalle, tant en Grèce qu'en Italie. Les fresques, qui en décorent les salles, sont consacrées aux dieux de l'Olympe, ou bien elles sont tirées des temps héroïques de l'ancienne Grèce. Ces travaux ont été les précurseurs de l'école de Munich.
La Pinacothèque, sans contredit le chef-d'oeuvre de Klenze pour la pureté du style, est consacrée aux productions de la peinture. C'est un choix des meilleurs tableaux que possède la Bavière, ou que le roi a successivement acquis ; car, dans les galeries de Munich et de Schleisheim, les bons ouvrages sont trop écrasés par le voisinage des productions médiocres. C'est pourquoi on va faire un remaniement dans toutes ces galeries, et créer, pour les élaguer, des musées secondaires dans quelques villes de province.
L'espace total de la Pinacothèque est calculé pour contenir jusqu'à 1,600 tableaux. Une série de neuf vastes salles, éclairées par le haut, est destinée aux tableaux de grandes dimensions ; vingt-trois petites salles, éclairées par les côtés, recevront les tableaux de proportions moindres.
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Une galerie parallèle contiendra, dans une suite de fresques, l'histoire de la peinture, c'est-à-dire, les bustes des peintres célèbres avec des sujets tirés de leur vie-, cette partie de l'édifice rappellera les Loges du Vatican. Pour que tout, dans ce bel édifice, soit en parfaite harmonie avec sa destination, le jardin qui en dépend sera orné des statues des plus grands maîtres de la peinture. A l'aspect de cet ensemble, on pourra se croire, sauf l'absence du laurier et du citronnier, transporté dans une des plus belles villas d'Italie.
En prenant en masse ces constructions, on trouvera l'équivalent et même plus dans quelques capitales de l'Europe. Mais, lorsque l'on considère que ce qui fut là le produit successif des siècles, s'effectue ici sous un seul règne, en moins de vingt années de paix et de prospérité, on ne saurait refuser son tribut d'admiration à de tels résultats obtenus en si peu de temps et avec de si faibles moyens. Que d'autres s'appliquent à en signaler les défauts ; il y en a beaucoup sans-doute, et, dans des travaux de cette importance, cela était inévitable. Mais que sont ces taches légères et éparses, eu égard à l'harmonie du tout, eu égard surtout à la puissante impulsion que de telles entreprises ont imprimée au génie des artistes autant qu'aux progrès de l'art?
N'ayant considéré ces travaux que sous ce dernier point de vue, je devrais peut-être m'abstenir de les examiner sous le rapport de la dépense. Cependant je né puis m'empêcher de citer à ce propos notre grand poëte. « Les rois qui bâtissent, dit Goëthe,
97 font écouler le grain du laboureur. » La vérité de cette maxime vient de se confirmer en France. On peut dire que le rétablissement de l'ordre et de la prospérité date du jour où le gouvernement ordonna l'achèvement des monumens commencés sous Napoléon. Il en est ainsi en Bavière. Cette masse de travaux n'y tourne pas uniquement à l'avantage des artistes; la population tout entière s'en ressent. Aux environs de Munich, plus de 30,000 ouvriers trouvent leur existence dans ce mouvement. Plus loin, les carrières du Tyrol sont dans une activité extraordinaire. Les transports par terre et par eau, les fabriques, les ateliers en tout genre, la production et l'achat des matières premières, tout s'est ranimé; toute l'industrie du pays y gagne, et cette capitale, si déserte en d'autres temps, a reçu de ces travaux une vie nouvelle. Des occupations laborieuses ont banni les habitudes d'une mollesse indolente ; d'utiles commandes ont pris la place des aumônes que jadis le prince était obligé de faire distribuer aux malheureux. Puisse enfin ce siècle calculateur comprendre que les arts aussi sont un des premiers besoins de la société, et que leur encouragement n'est pas si coûteux qu'on le pense !
Je terminerai cette revue par un coup-d'oeil sur la direction de l'école de Munich, et par une visite à l'exposition publique ainsi que dans quelques ateliers de cette ville.
Naguère, l'étude des arts, fort négligée en Bavière , se traînait dans les ornières de la routine, Cornélius, frappé de cet état de choses, conçut le Soc. libre des Beaux-Arts. 7.
98 projet d'y remédier , secondé en cela par la tendance des esprits et par la fermentation qu'opéra parmi les jeunes élèves l'arrivée de quelques uns de leurs devanciers revenant de Rome. Ceux-ci aidèrent puissamment à ramener les premiers dans la voie des études consciencieuses ; mais cet élan s'arrêta d'abord à l'imitation minutieuse des oeuvres de l'ancienne école allemande et de la primitive école italienne. Les intelligences bornées s'attachèrent servilement à cette reproduction matérielle. Cependant quelques hommes d'un génie supérieur, sortis de la foule et perfectionnés à Rome, s'adjoignirent à Cornélius dans ce noble but. C'est ainsi que la nouvelle école fut fondée par Cornélius, Schnorr et Hess. Les circonstances favorisèrent singulièrement cette impulsion. Les nombreuses commandes nécessitées par les monumens que le roi fait construire, toutes peintures de grandes dimensions, obligèrent bientôt les jeunes artistes, mieux que n'auraient fait tous les avis, à réformer cette manière mesquine et à voir grandement la nature. La pratique de la fresque ne tarda pas non plus à achever cette heureuse réforme. La fresque est donc plus utile au progrès de l'art, comme on le voit par cet exemple, que tout autre genre de peinture. Mais, par cette raison même, elle est moins à la portée du vulgaire ; les beautés qu'elle doit exprimer sont graves, sévères, quelquefois abstraites, et elles exigent, pour être appréciées, des connaissances plus profondes que la peinture à l'huile, laquelle est plus à la portée de tout le monde et semble s'adresser davantage aux sens,
99 comme une simple idylle est généralement mieux comprise qu'un poème épique.
Les tableaux à l'huile, exposés cette année dans les salles de l'académie, ne m'ont offert qu'un faible intérêt. La cause en est toute naturelle; les plus habiles artistes sont occupés à la décoration des monumens. Toutefois, dans ce genre aussi, l'art porte le cachet de l'école. Outre les cartons de Cornélius, Schnorr vient de se signaler de nouveau par une grande composition représentant l'entrée triomphante de Frédéric Barberousse à Milan. L'histoire nationale est dignement représentée par Hess, qui a déjà acquis dans ce genre une réputatation méritée, en reproduisant les fastes de l'armée bavaroise. Son tableau de l'entrée du roi Othon à Athènes est un des plus beaux ornemens de cette exposition-, mais il est juste de reconnaître que ce tableau n'est pas encore à la hauteur des belles pages que les David, les Gros, les Gérard, les Girodet, ont exécutées sous Napoléon, et qui, réunies bientôt au musée historique de Versailles, rehausseront à double titre la gloire de la nation française.
Quoique les monumens publics de Munich témoignent assez de l'activité des artistes, j'étais curieux de faire une excursion dans les ateliers de plusieurs d'entre eux. Un des plus distingués parmi les jeunes peintres, est Kaulbach ; il me fit voir un carton qu'il venait de terminer. Ce carton représente la bataille que l'armée romaine livra aux Huns, et dont une ancienne légende rapporte que l'on avait vu, pendant la nuit qui suivit le combat, les cadavres des deux
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armées se lever spontanément pour le recommencer dans les airs. Le peintre s'est emparé habilement de cette terrible donnée, et il a composé cette scène avec une effrayante vérité. Le champ de bataille devant les murs de l'ancienne Rome est couvert de cadavres. On voit les uns s'élever dans les airs en brandissant leurs armes, d'autres les ramasser parmi les débris, les groupes s'excitant mutuellement. Du côté des Romains, déjà convertis à la foi chrétienne, tout se passe avec calme et dignité; du côté des Huns, c'est lé tumulte et la fureur. Le général romain , terrassé par deux jeunes combâttans , lutte encore sous la bannière du christianisme. En face de lui, la figure sauvage d'Attila, debout sur un grand bouclier porté par plusieurs des siens, se prépare au combat, dont la mêlée principale se presse autour de ces deux chefs et se renforce continuellement par l'arrivée de nouveaux fantômes. Cette conception hardie et originale ne se distingue pas moins par la chaleur des mouvemens que par la correction du dessin, si bien que la couleur ne peut y ajouter qu'un faible surcroît de mérite. Le comte Razinski, grand amateur des arts , vient de charger l'artiste de lui en faire le tableau de proportion colossale. Cette peinture aura vingt pieds de haut.
Je passe sous silence beaucoup d'autres productions plus ou moins recommandables , pour ne pas trop allonger cette notice.
Après avoir visité dans tous ses détails la capitale de la Bavière, je repris le chemin de ma petite rési-
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dence, vivement édifié de tout ce que j'avais vu. C'est en effet un fait bien remarquable de nos jours que cette école, si jeune encore, se signalant par de tels résultats, tous dirigés vers un but commun, tendant tous à honorer le culte divin, à enflammer l'amour de la patrie et à rendre au génie les honneurs qui lui sont dus. On y voit l'histoire sainte dans les églises, l'histoire nationale dans les monumens , l'histoire de l'art dans les musées, et dans la demeure royale les plus sublimes productions de l'intelligence hnmaine à toutes les époques.
Ce morceau, écrit en langue allemande, a été adressé par l'auteur à M. Muller, son ami, qui l'a traduit en français, et qui en a lu la traduction à la Société ; celte lecture a été écoutée avec le plus vif intérêt. On était curieux de connaître l'impression produite sur un artiste de profession par les immenses travaux qui s'exécutent en Bavière, sous la direction personnelle du roi, et dont les voyageurs parlent avec tant d'enthousiasme. Mais quand on eut appris que M. Felsing, se partageant entre deux affections, avait remis une copie de son manuscrit au Cercle des Arts de Darmstadt, sa patrie, et qu'il avait destiné l'autre copie à la Société libre des Beaux-Arts, l'assemblée s'est montrée justement sensible à ce témoignagne d'estime. Après avoir voté des remercîmens au traducteur, elle a décidé à l'unanimité que l'écrit de l'honorable correspondant serait inséré textuellement dans un des plus prochains numéros de ses Annales.
RAPPORT
SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ
D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS
DE CHALONS-SUR-MARNE,
PENDANT L'ANNÉE 1835 ,
PAR M. DU VAUTENET.
Messieurs,
Protéger l'industrie, favoriser le développement de toutes les pensées utiles par des récompenses et surtout par la publicité, le plus fructueux des encouragemens, tel a été l'esprit qui a présidé à la fondation de toutes ces associations instituées sous les dénominations diverses d'agriculture, de commerce, de sciences, d'arts et de littérature. L'action vivifiante qu'elles exercent, en éclairant l'opinion publique et souvent l'autorité elle-même, se fait particulièrement remarquer lorsque les orages politiques viennent ébranler le sol de la patrie et menacer l'avenir de la société. On conçoit mieux alors l'importance que peuvent acquérir ces centres d'ac-
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tivité, autour desquels se groupent toutes les nobles intentions, tous les sentimens généreux, où se donne rendez-vous, sans acception de parti, tout ce qui porte un coeur plein de l'amour du bien.
Née dans des circonstances analogues, mue par le même esprit dans la spécialité qui lui est propre, la Société libre des Beaux-Arts a pris part au mouvement général; en le secondant par les moyens de publicité qu'elle vient de fonder, elle doit agrandir son influence ; elle n'oubliera jamais qu'il est de l'essence des beaux-arts de faire du miel de toutes choses.
La Société d'Agriculture, Sciences et Arts du département de la Marne, partageant cette manière de voir, vous a adressé le compte-rendu de ses travaux et de sa dernière séance publique : cet hommage n'est de sa part qu'un retour de bons procédés, puisqu'elle avait reçu de vous un envoi pareil. Ces échanges de communications et les relations qui en résultent vous paraîtront sans doute précieuses à cultiver dans l'avenir ; l'utilité s'en accroîtra à mesure que les travaux des sociétés correspondantes vous seront mieux connus, et qu'ils se rapprocheront davantage de votre spécialité.
Fidèle à son titre par excellence, le compte-rendu des travaux dont je vous entretiens s'ouvre par ceux qui ont rapport à l'agriculture. Plusieurs instrumens aratoires , inventés ou améliorés dans le cours de l'année 1835, ont fixé l'attention de la Société ; elle en a établi les avantages et elle a excité le zèle des inventeurs par de judicieux encouragemens, entre au-
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tres par une médaille d'or à l'auteur d'une charrue perfectionnée.
Un assez grand nombre de Mémoires lui ont été adressés dans le cours de la même année, sur des sujets divers d'économie politique , de sciences et d'arts ; ils attesteraient au besoin l'activité intellectuelle du département, et, dans tous les cas, l'utilité de l'institution qui la stimule. Parmi ces travaux, il en est qui mériteraient plus particulièrement votre intérêt ; telles sont les recherches archéologiques de M. Pavillon Pierrard et sa notice sur une patère antique trouvée à Montchenat, canton de Verzi, près de Reims. Le fond de cette patère présente trois bas-reliefs où l'auteur a cru reconnaître l'emblème des cérémonies du mariage, et dont il assure que le style est du meilleur goût. Cet objet d'antiquité a été acquis pour une riche collection en Angleterre.
Un membre correspondant, M. de Montureux, a envoyé une note sur un moyen de répandre les connaissances utiles dans les campagnes et parmi le peuple des villes, moyen dont la singularité aurait pu provoquer le sourire de l'assemblée ; mais la Société, dont le but est grave, paraît l'avoir pris au sérieux, tout en manifestant la crainte qu'abusé par une illusion d'homme de bien, l'auteur n'ait pas aperçu les obstacles inhérens à l'exécution de son projet. Frappé de cette immense quantité d'estampes grossières fabriquées dans les départemens de la Meurthe et des Vosges et qu'on y débite par milliers aux habitans des campagnes, M. de Montureux a
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demandé s'il ne serait pas possible de substituer à ces dessins insignifians des sujets dont la vue dirigeât les idées vers les perfectionnemens de la science agricole. Il voudrait que cette pensée mnémomique s'étendît à l'impression des toiles destinées à la tenture des habitations et même à l'habillement des classes populaires, qui auraient continuellement sous les yeux la forme des instrumens aratoires perfectionnés ou nouvellement introduits dans la pratique , accompagnée de légendes explicatives. Il faut convenir que le côté bizarre de cette conception devrait nuire à son application, et je crois que le Journal des Connaissances utiles, ainsi édité en meubles et en vêtemens, pourrait bien ne pas se relever d'un tel coup. Mais il faut convenir aussi que la pensée de M. de Montureux repose sur un principe puissant et rationnel. Long-temps encore les images seront pour le peuple des campagnes le seul livre bien compris , et même pour le paysan qui sait lire une représentation de l'objet doit en faciliter l'intelligence. Le succès de toutes les publications pittoresques vient à l'appui de cette assertion ; par elles se propage l'instruction dans toutes les classes; la vue de ces dessins variés excite la curiosité et fait arriver le savoir jusqu'à l'âge le plus ennemi de l'étude. C'est surtout au sein de la Société libre des Beaux-Arts qu'une idée de ce genre pourrait être fécondée et porter des fruits; car, pour réussir, elle n'a peut-être besoin que d'une modification artistique , modification que la
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spécialité de vos travaux vous met sur la voie de trouver.
La Société d'Agriculture de Châlons ouvre chaque année des concours sur des questions d'intérêt général. Il paraît que, cette année, le petit nombre des Mémoires qui lui ont été adressés sur les sujets proposés par elle n'a pas permis de décerner les prix. Dès deux questions relatives, la première aux moyens de prévenir les inconvéniens dés contrats d'assurance contre l'incendie, la seconde aux améliorations dont l'institution de la garde nationale est susceptible dans le double intérêt du pouvoir et des libertés publiques , la première seulement a été remise au concours pour l'année prochaine. Un assez grand nombre de médailles d'or et d'argent et de mentions honorables ont été distribuées dans la séance à des communes entières, pour avoir exécuté , sur la plus grande étendue et avec les procédés les plus économiques, les réparations de leurs chemins vicinaux. Ce genre de récompenses, transporté de l'individu à la masse, est d'un emploi neuf et ingénieux ; son application aux chemins vicinaux vient même seconder utilement l'administration publique, au moment où elle porte son attention spéciale sur cet objet. De semblables encouragernens ont été accordés à des travaux de statistique départementale, à la découverte de la salicine, faite par un chimiste du département, à l'invention d'une machine très-avantageuse pour débiter les bois de placage, à divers établissemens industriels d'une utilité reconnue , enfin à une notice géologique sur le
107 département de la Marne. Un programme des prix proposés pour l'année 1836 termine le compterendu.
J'espère, Messieurs, avoir à peu près satisfait par cette rapide analyse à l'obligation que la mission de rapporteur m'imposait, en ce sens que vous pouvez apprécier l'importance et le but des travaux de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Châlons. Il me reste à vous entretenir du discours remarquable par lequel son honorable président a fait l'ouverture de la séance. Le sujet, quoique étranger à notre spécialité, est du ressort de toutes les spécialités, ou plutôt, en dehors de toutes ; car l'exercice de la charité publique, nécessité sociale, impérieuse et, universelle, est un de ces remèdes malheureusement impuissans contre la plaie du paupérisme, qui semble grandir en proportion de la commisération générale et s'étendre avec la civilisation, comme si l'inégale répartition des faveurs de la fortune devait être la conséquence dérisoire de la prospérité publique. En voyant le petit nombre de ceux que les chances, de la vie ont privilégiés, en considérant d'un autre côté la force numérique et matérielle dé ceux que le sort paraît avoir déshérités, on est obligé de reconnaître avec le philantrope auteur du discours, qu'il existe des liens impérissables qui rattachent l'homme à l'homme. Une sorte d'attraction entraîne la pensée du riche vers les douleurs du pauvre, et lui fait un devoir de le secourir, comme elle force le pauvre à se réfugier vers le riche , en lui inspirant la crainte de perdre un appui dont sa faiblesse
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lui révèle le besoin. Il faudra reconnaître encore qu'en descendant comme en remontant l'échelle des positions sociales, partout où nous trouverons la sensibilité très-développée, nous verrons la charité suivre la même progression; et, par un de ces effets singuliers qui n'étonnent pourtant qu'au premier coup-d'oeil, c'est aux deux points extrêmes qu'elle paraît plus active : d'abord, chez les classes élevées qui réunissent à une longue possession des dons de la fortune une éducation perfectionnée , classes auxquelles il faut joindre celles où le sentiment des arts ouvre le coeur aux impressions profondes ; ensuite et sans transition , dans la partie la plus infime de la société. Le pauvre, en effet, oublie facilement sa misère pour voler au secours d'une infortune plus pressante. Eminemment compâtissant, parce qu'il a l'habitude de souffrir, naturellement imprévoyant, chez lui l'esprit de calcul ne s'oppose point au développement de la sensibilité, et cette dernière circonstance lui est commune avec les classes élevées que la possession des richesses laisse sans inquiétude sur l'avenir. Mais si l'inégalité est inhérente aux conditions de l'ordre social, il faut en conclure que la charité doit entrer en première ligne dans l'action gouvernementale et dans les prévisions des lois, problème difficile à résoudre et sur la solution duquel l'exemple de l'Angleterre doit rendre fort circonspect; car l'impôt des pauvres n'a fait là qu'élargir la plaie au lieu de la circonscrire , et il est devenu une charge tellement pesante que, dans certaines paroisses, il s'élève au double de l'im-
109 pôt personnel et mobilier qui lui sert de base.
L'auteur du discours distingue la charité publique de la charité privée, tout en reconnaissant les rapports et la simultanéité d'action qui les unissent. Il s'attache à démontrer l'insuffisance de la dernière, et les vices qui altèrent trop souvent l'exercice de l'autre. Il voudrait que les hospices, effroi de l'indigent honteux, fussent restreints à l'indispensable, et que leur luxe se résolut en secours à domicile mieux appropriés à tous les besoins.
La première de toutes les charges dont il faudrait soulager le pauvre, est celle qui résulte d'unions trop fécondes, pensée déjà mise à exécution par l'établissement des salles d'asyle, dont l'auteur du discours cherche à perfectionner l'institution en y ajoutant un réfectoire, et où les enfans pourraient être admis à bourse entière, à fraction de bourse et à pension entière, pension modique que l'artisan malaisé payera volontiers, si elle est proportionnée à ses ressources. Cette première éducation de l'enfance, établie d'abord et très-pratiquée en Angleterre, a été importée chez nous, il y a quelques années ; mais elle n'y a pas encore obtenu tous les développemens que son utilité lui promet.
Après avoir parcouru la série des moyens employés par la charité publique, l'auteur arrive aux colonies agricoles, que l'exemple heureux de la Hollande préconise mieux que tous les efforts de l'éloquence. Instituées en 1818 avec de faibles ressources, elles se présentent dès l'année 1820, au moyen d'une association, propriétaires de 800 hectares de
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terres vaines et vagues ou bruyères, sur lesquelles 1400 colons se trouvaient répartis en 200 ménages, et les produits s'élevaient alors à 192,000 francs. A partir de cette époque et à l'aide d'un emprunt, dont le mode de remboursement fut ingénieusement combiné, les progrès de l'établissement furent tels, qu'au 1er janvier 1829, les produits étaient de 648,000 fr. ; que la colonie entretenait 7000 individus; qu'au 1er juillet 1830, le nombre des colons était de 8500. Tous les ans, un grand nombre de mendians, après avoir satisfait à leurs obligations comme colons, devenaient fermiers de la Société. Enfin, la mendicité semblait à la veille de disparaître du royaume par des moyens doux et humains, et, ce qu'il y a de remarquable, non-seulement sans aucun secours de la part du gouvernement, mais même en allégeant ses dépenses, la Société s'étant chargée de l'entretien des enfans-trouvés et d'un grand nombre de détenus, à des conditions qui procurent, une économie considérable à l'État.
Cet exemple donné par les Hollandais et le succès de leur persévérante philantropie ont dû nécessairement exciter l'émulation parmi les amis de l'humanité. La France en compte un grand nombre. Des écrivains distingués, des administrateurs d'un haut mérite, ont proposé plusieurs projets et des plans divers de colonies agricoles, d'autant plus séduisans qu'ils apparaissent comme le remède le plus direct aux deux grandes plaies du sol et de la société. La France, en effet, possède une immense étendue de terres vaines et vagues, qui
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n'attendent que des bras et l'intelligence de l'homme pour devenir productives. Si la pensée généreuse de rattacher l'indigent isolé à la terre, cette nourice commune, est praticable quelque part, ce devrait être dans notre patrie.
Je le répète, messieurs, ces questions de philosophie politique sont étrangères aux arts, et si j'ai insisté sur l'une d'elles, qui se rattache en définitive au grand problème de l'ordre social, c'est pour vous démontrer la portée des travaux auxquels se livre l'asociation châlonnaise, et à quel point il peut devenir intéressant pour vous d'entretenir avec elle des rapports suivis. Il n'est aucune branche des connaissances humaines qui n'ait ici ses représentans. Mais il est permis à la Société libre des Beaux-Arts de rappeler à la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Châlons, que les arts font aussi partie de son titre , et que nombre d'artistes célèbres sont nés sur son sol, patrie du grand Colbert. Ces considérations et ces souvenirs la détermineront sans doute à diriger désormais vers votre spécialité une partie de ses efforts. Dès aujourd'hui, je pense qu'il convient de lui envoyer, en échange de son compterendu, le premier volume de vos Annales , de lui exprimer votre désir de la voir exercer sur les beaux-arts, dans son département, une influence aussi vivifiante que sur les sciences et l'agriculture, et de lui offrir votre concours pour atteindre ce but dans toutes les circonstances où il pourra lui paraître utile , telles que fondation d'écoles de dessin, expositions d'objets d'arts, créa-
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tion de sociétés artistiques, de musées, et autres institutions propres à encourager et à propager les beaux-arts.
Les conclusions du rapporteur ont été unanimement adoptées par la Société.
RAPPORT
FAIT A LA
SOCIETE LIBRE DES BEAUX-ARTS.
PAR M. HUARD ( DE L'ILE BOURBON),
Au nom de la Comission chargée de rechercher les meilleurs moyens d'organiser des expositions départementales (*).
Messieurs,
Le but de la Société libre des Beaux-Arts a été , dès son origine, de propager le goût des arts dans toute la France. Les expositions départementales peuvent conduire au double résultat d'éclairer les masses, en répandant parmi elles l'amour des belles choses, et de procurer aux artistes un moyen presque infaillible de placer utilement leurs ouvrages , en les faisant distinguer mieux qu'aux exhibitions annuelles du Louvre, où tant de productions remarquables se trouvent en concurrence. Ce genre d'avantage sert particulièrement à développer l'essor auquel l'obscurité d'un nom nouveau aurait pu nuire, et les encouragemens que l'on accorde au talent timide ou incertain contribuent quelquefois à faire naître des hommes de génie. Sans un regard bienveillant de Cimabué , Giotto eût pu n'être toute sa vie qu'un gardeur de chèvres.
La Société libre des Beaux-Arts, qui est, pour
(*) Membres de la Commission : MM. Desains, Dreuille, Farcy, Guersant, Lemaîlre, Milon, Thiollet, à qui MM. Huard et Müller se sont adjoints; rapporteur, M. Huard.
Soc. libre des Beaux-Arts. 8
114 ainsi dire, la fondatrice des expositions départementales , en a depuis long-temps apprécié les heureux effets. Il lui appartenait de préparer un travail réglementaire sur ces expositions, afin de pouvoir l'adresser aux autorités locales et le communiquer aux villes qui la consulteraient sur les meilleurs moyens d'organiser ces solennités, en assurant à la fois la propagation générale de l'art, le bien-être particulier des artistes et l'intérêt de la localité. Sur la demande que M. le maire de Montpellier nous a faite, par l'entremise de M. Dreuille , un de nos collègues, une commission spéciale a été nommée pour cet objet. Cette commission a envisagé toutes les questions qui s'y rattachent et les a toutes discutées.
Elle a d'abord posé celle de savoir si un certain nombre de villes doivent s'entendre pour former leurs expositions successivement, de manière que les ouvrages puissent passer d'une ville dans une autre. Au premier coup-d'oeil et avant tout examen, cette mesure paraissait sage ; approfondie, elle est tombée d'elle-même. On a reconnu que la ville qui eût été la dernière à organiser son exhibition, n'aurait eu que le rebut de ses devancières, et que probablement elle n'aurait pu ouvrir son Salon que dans les jours brumeux de l'hiver. D'ailleurs, le but d'une exposition est de réunir le plus grand nombre de visiteurs possible, et l'on sait que, dans chaque ville, il y a une époque où les curieux et les industriels affluent. La commission a pensé qu'il convenait de laisser à la sagesse de l'autorité locale et
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des conseils municipaux le soin de fixer l'époque de l'exposition, pour qu'elle fût en rapport, soit avec la fête patronale du lieu, soit avec la foire annuelle ou toute autre circonstance favorable.
La seconde question examinée a été celle de savoir si les villes doivent supporter les frais de transport des objets qui leur sont envoyés. La solution semblerait ne devoir pas être l'objet d'un doute. Si donc la commission a cru devoir mettre en discussion un point aussi peu problématique , c'est que plusieurs villes, après avoir annoncé qu'elles recevraient et renverraient à leurs frais tous les ouvrages qui leur seraient expédiés, ont ensuite élevé des contestations, tant parce que le jury institué au sein de ces villes avait exclu quelques uns de ces ouvrages, que parce que quelques autres étaient trop volumineux. La commission a pensé que les deux cas pouvant être prévus, ils devaient tous deux être pris d'avance en considération.
Sur le premier, elle a été d'avis que pour ne pas intimider les artistes qui craindraient un refus, et ne pas empêcher parla l'envoi des bons ouvrages, il fallait que les villes s'obligeassent à payer les frais de transport, quelle que pût être la décision ultérieure du jury ; autrement, il faudrait avoir un jury ambulant, ce qui est impraticable.
Sur le second cas , la commission a pensé qu'afin de prévenir toute discussion, le programme des villes devait fixer le maximum du poids, pour chaque sculpture, et celui des dimensions, pour chaque tableau.
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Le placement des morceaux est devenu à son tour l'objet d'un examen ; la commission a jugé nécessaire que les produits de l'industrie fussent séparés de ceux des arts libéraux, d'abord, parce que ce mélange n'est pas d'un effet heureux pour la vue, ensuite, parce qu'il provoque entre les artistes et les industriels une certaine rivalité relativement aux places accordées à leurs oeuvres, rivalité qu'on doit éviter dans l'intérêt privé comme dans l'intérêt public ; car les arts ne. fleurissent que sous l'empire de de la concorde. En conséquence, les villes qui ne peuvent disposer que d'une seule pièce, devront la diviser en deux sections distinctes, l'une pour les arts, l'autre pour l'industrie.
Plusieurs villes ont eu la pensée de ne vouloir admettre dans leur exposition que les productions d'artistes régnicoles; le résultat a dû les faire revenir de cette détermination exclusive. Les arts sont cosmopolites; ce qui fait la gloire d'une exposition, c'est le grand nombre des bons ouvrages, n'importe le pays d'où ils viennent.
Pour émouvoir l'aine de l'artiste, il ne suffit pas de lui offrir la perspective mercantile de vendre ses productions. Un appel fait ainsi pourrait demeurer infructueux. Pour que l'artiste produise de grandes choses, il faut lui promettre, ou au moins lui faire pressentir une noble récompense, celle à laquelle il est le plus sensible, l'honneur. Il est donc indispensable que la ville décerne aux auteurs qui se sont signalés , des médailles et des mentions honorables; cette distribution, faite solennellement
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et avec impartialité, devient un aiguillon puissant, et le vrai moyen de donner naissance aux oeuvres distinguées. De là cette nouvelle question : Qui sera juge des exposans ? sera-ce un jury spécial ou le conseil municipal ?
Après une mûre délibération, votre commission s'est prononcée contre le jury, qu'elle regarde, en fait d'art, comme une institution abusive et par l'effet de laquelle le talent peut souvent succomber. Elle a pensé qu'il valait mieux établir, pour les expositions, une commission composée des autorités municipales, auxquelles s'adjoindraient des artistes, des amateurs et des industriels. Cette réunion ne voyant ni avec les yeux d'une spécialité, ni avec ceux de la camaraderie, doit nécessairement être plus impartiale, moins accessible aux préjugés de la mode, moins exposée aux intrigues d'un individu, aux influences d'une coterie, en un mot, plus équitable. Chargée, en outre, de diriger le placement des objets, elle offrirait toutes les garanties désirables. En présence de ces garanties, les artistes se décideraient plus volontiers à soumettre leurs pro ductions au jugement du public, n'ayant pas à subir le caprice d'un premier venu, qui place à droite ce qui devrait être à gauche, en haut ce qui devrait être en bas, dans l'ombre ce qui devrait être dans la lumière, et vice versa.
Enfin, votre commission a été d'avis qu'il ne fallait pas, surtout dans les villes qui ne sont encore qu'à leur début, prolonger trop la durée de l'exposition. Le temps doit être en rapport avec le nombre
118 et les habitudes de la population. Il faut, s'il est permis de s'exprimer ainsi, que l'exposition abandonne le publie avant que le public ne l'abandonne; car en toute chose et particulièrement dans les arts, mieux vaut inspirer le regret que la satiété.
Pour que les expositions départementales soient aussi brillantes qu'elles sont susceptibles de l'être, ce n'est pas assez que la liberté et la justice président à leur organisation; il importe encore que les programmes des villes soient exactement observés. A cet égard, la commission a pensé qu'il pourrait être utile de dresser un résumé de tous les programmes des différentes expositions qui ont eu lieu dans les départemens depuis un certain nombre d'années, et d'en combiner les dispositions avec les résultats de son propre travail, qu'elle propose de formuler comme il suit :
1 ° Déterminer irrévocablement, par le programme, l'époque de l'ouverture de l'exposition ainsi que sa durée ; ne pas la prolonger au-delà du terme fixé;
2° Admettre le plus libéralement possible les productions des artistes et des amateurs, quel que soit le lieu de leur origine;
3° Indiquer, comparativement aux frais que l'administration peut faire et à la grandeur du local, le maximum du poids des sculptures et des dimensions des tableaux ;
4° Faire connaître à temps le délai dans lequel les objets d'art seront reçus et le lieu où ils devront être déposés, à Paris ;
5° Prendre l'engagement d'acquitter les frais de
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transport, tant pour l'arrivée que pour le retour ; s'obliger également à une indemnité envers les artistes dont les ouvrages auraient pu être détériorés ;
6° Former une commission composée des autorités locales et du conseil municipal, avec adjonction d'artistes, d'amateurs et d'industriels, laquelle examinerait les ouvrages, présiderait à leur arrangement, en séparant les produits des arts libéraux d'avec ceux de l'industrie, et décernerait aux auteurs des médailles d'or, d'argent ou de bronze et des mentions honorables, qui seraient publiquement et solennellement distribuées; cette commission serait de plus autorisée à traiter, sans frais, de la vente des objets dont les auteurs auraient indiqué le prix ;
7° Et, comme complément de toutes ces dispositions, provoquer l'établissement de sociétés artistiques, la fondation de musées, etc., dans toutes les villes où il y aura des expositions.
Ces propositions ont reçu l'approbation unanime de la Société, qui a décidé que le rapport serait inséré textuellement dans le plus prochain cahier de ses Annales, et qu'il serait imprimé séparément pour être adressé, non-seulement aux villes qui ont déjà des expositions, mais encore à celles qui, pouvant en avoir, ne jouissent pas encore de cet avantage. En même temps, la Société a exprimé le désir que l'exemple donné par les premières soit bientôt suivi par les autres.
DES AMATEURS DE MUSIQUE
ET
DES CONCERTS D'AMATEURS,
PAR M. DELAIRE.
A l'exception de quelques organisations imparfaites pour qui la musique n'est qu'un vain bruit, tous les êtres animés sont sensibles à ses effets. On dit d'eux qu'ils aiment la musique ; mais on ne peut pas les appeler amateurs.
Selon J. J. Rousseau, l'amateur de musique est celui qui, sans être musicien de profession, fait sa partie dans un concert pour son plaisir et par amour pour la musique. Cette définition, comme on le voit, restreint beaucoup la signification du mot. Grammaticalement parlant, le mot devrait s'appliquer à toutes les personnes dont le goût pour la musique est reconnu ; mais il n'en est pas ainsi. Le titre d'amateur n'appartient qu'à celles qui ont des connaissances acquises dans cet art et qui le cultivent pour leur agrément, tandis que les autres en font leur profession ; c'est ce qui distingue les amateurs des professeurs. Les uns et les autres méritent le nom d'artistes lorsqu'ils sont parvenus à un talent supérieur; mais le titre seul d'amateur
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suppose une certaine habileté soit dans la composition, soit dans le chant ou sur les instrumens.
Le meilleur juge en musique est sans contredit l'amateur, qui joignant à une position indépendante un goût naturel et des connaissances acquises, souj met les procédés de l'art et les principes de la science à l'examen de ses lumières et de sa raison. Il prononce avec la hauteur de vue qui résulte toujours d'une étude générale, où tout se combine et s'enchaîne-, de plus, il juge avec impartialité. Beaucoup de professeurs, hommes de goût, théoriciens savans, compositeurs habiles, possèdent aussi toutes les qualités nécessaires pour être de justes appréciateurs des produits de leur art ; mais il leur manque la principale, une position désintéressée; ils caressent les préjugés favorables à la profession qu'ils ont embrassée, sans en être dupes, mais parce qu'ils sentent qu'il est de leur intérêt que d'autres y croient. D'ailleurs, ils dirigent ordinairement leurs idées et leurs travaux vers un seul genre, lequel devient pour eux un objet de prédilection quand ils y réussissent , ce qui pour l'ordinaire les rend exclusifs ; car l'amour de nous-mêmes ne nous fait estimer que ce que nous aimons à faire, et nous n'aimons à faire que ce que nous faisons avec succès.
Le privilège d'amateur, comme tous les privilèges, est usurpé par plus d'un croque-note. L'un, soi-disant violoncelliste, sue sang et eau dans un orchestre pour déchiffrer sa partie ; mais son genou, blanchi de colophane, atteste que son archet se
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promenait ailleurs que sur les cordes. L'autre, violoniste intrépide, joue d'un bout à l'autre, dans un quatuor, le second violon d'un autre quatuor placé par malice sur son pupitre, et ne s'apercevant pas du tour, croit bonnement qu'il y a quelque faute dans sa partie, parce qu'il est arrivé à la fin une mesure ou deux avant les autres. J'ai connu un bassoniste de nom , qui faisait un essai de doigter pendant que la symphonie poursuivait sa marche, et qui continuait de jouer après que les autres s'étaient tus, par la raison que ceux-ci ayant fini, il avait aussi le droit de finir. On cite un amateur couronné qui ne voulait pas s'assujétir à compter les pauses, parce qu'un roi, selon lui, ne devait jamais attendre. Que dirai-je des chanteurs? L'un, de la meilleure foi du monde, trouve à la romance un charme inexprimable ; mais c'est la romance avec accompagnement de soupirs et d'oeillades, douce sympathie qui fait battre les coeurs en contre-temps de la mesure et observer des silences qui ne sont point écrits. L'autre colporte de salon en salon sa provision de roulades et de fioritures; il trépigne ou se pâme suides gammes chromatiques ascendantes et descendantes; pour lui toute la musique est là. D'autres ne prisent que les compositions surannées, et jugent du mérite d'une partition sur la poussière de sa reliure , comme on juge de celui de la noblesse sur la vétusté d'un parchemin. Tous ne connaissent guère que la musique où ils brillent, sans s'inquiéter du reste , et ils s'enivrent des louanges que leur petite cour prodigue à leur talent. Ces innocens travers et
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quelques médians concerts de province, où l'artiste unique de l'endroit fait tour-à-tour les solos de hautbois, de clarinette et de flûte, ont jeté quelque discrédit sur les amateurs et sur leur musique. De là le proverbe : Dieu vous garde du vin du crû, d'un dîner sans façon et d'un concert d'amateurs. Mais comme, en dépit de l'adage, un dîner sans façon, offert cordialement, peut avoir plus d'attraits qu'un splendide repas soumis à l'étiquette, comme le vin du crû peut venir d'un bon crû, il y a tel concert d'amateurs qui peut être fort remarquable, et presque tous les concerts d'amateurs, pour peu qu'ils aient été passablement organisés , ont tourné en définitive au profit de l'art.
Si le goût de la musique s'est répandu dans tous les pays et dans toutes les classes de la société, c'est surtout à ces concerts qu'on en est redevable. Les populations entières d'Allemagne et d'Italie sont capables d'exécuter des symphonies d'instrumens et des choeurs de voix. En France, une portion notable des habitans de Paris et de la province a fait des études musicales plus ou moins sérieuses. A Paris, un hôtel est-il habité par trois familles ; on est à-peu-près sûr d'y trouver six pianos. Le nombre des amateurs, dans la stricte acception du mot, n'en est pas moins rare ; on aime telle ou telle musique , mais on n'aime pas la musique. Pour les particuliers opulens, elle est un objet de mode ou de luxe, qui flatte moins le goût que l'amour-propre. Pour quelques jeunes dames, c'est un exercice amusant qui offre un objet à leur vivacité naturelle, ou
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qui leur permet de donner un libre cours à leur pétulance; elles s'élancent, comme de légères sauterelles, clans le champ des croches et des doublescroches; courez après et vous les atteindrez, si vous pouvez.
Il fut un temps où les amateurs avaient en général plus de zèle que d'habileté. Riches pour la plupart, ils faisaient du patronage et s'entouraient d'artistes qui les flattaient pour en tirer parti. Tel était, peu de temps avant la révolution, ce fameux baron de Bagge, heureux maniaque qui ne vivait que pour son violon, sur lequel il croyait exceller. Il eût été dommage de le tirer de son erreur, si douce pour lui, si profitable aux artistes qu'il payait généreusement pour recevoir ses conseils. Tel avait été, trente ans avant, le fermier-général Lapouplinière, devenu célèbre par son amour pour les arts et pour les plaisirs ; les concerts qu'il donnait, vers 1760, commencèrent la réputation de Gossec, qui, à l'âge de 23 ans, fut choisi pour les conduire, sous la direction de Rameau.
Vers 1770, Lapouplinière étant mort, Gossec rassembla à l'hôtel Soubise les débris de la Société, et créa le Concert des amateurs, qu'il dirigea pendant quatre ans. C'est à l'ouverture dé ce concert, principalement destiné à faire entendre de la musique étrangère, que fut jouée la première symphonie de Haydn ; c'est pour cette société que Gossec composa les siennes. Le fameux Saint-Georges, si connu par son adresse dans tous les exercices du corps et par l'asssaut qu'il fit avec le chevalier d'Eon,
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compositeur de musique et violoniste habile, était chef d'orchestre à ce concert, qui rassemblait, au dire de Grimm ; la meilleure et la plus brillante compagnie de Paris.
L'Opéra en conçut de l'ombrage et porta plainte au gouvernement contre le Concert des Amateurs ; le prévôt des marchands appuya ces plaintes. Heureusement, les musiciens avaient dressé leurs tentes à l'hôtel Soubise, et le prince de Rohan, à qui on proposa de leur retirer sa salle, s'y refusa ; néanmoins, ils ne tardèrent pas à se séparer.
Plus tard (en 1780), se forma la Société de la Loge Olympique, composée de tous les amateurs de musique dans la noblesse, la magistrature et la haute finance, auxquels s'étaient réunis les professeurs les plus distingués du temps. Parmi les amateurs exéculans figuraient le comte d'Ogny, directeur général des postes; le chevalier de Coste, officier des gardes françaises ; de Sorcy, officier des gardes suisses; Savalète, garde du trésor royal; de Lahaye, fermier-général, etc.
Les concerts de cette société , sous la protection de la reine Marié-Antoinette, avaient lieu aux Tuileries, dans la salle qui suit celle des Maréchaux. Les hommes et surtout les femmes y paraissaient dans de fort grandes toilettes et portaient l'ordre de la Société, qui consistait dans une lyre brodée en paillettes sur l'habit, comme les grands ordres. La cour, pour marque de la protection qu'elle lui accordait, avait voulu que les gardes françaises fissent le service auprès d'elle.
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Les sis symphonies de Haydn, dites de la Loge Olympique, furent composées exprès pour cette société et acquises par elle. Ce fut Imbault, membre de l'orchestre et marchand de musique, qui les fit graver. La seconde symphonie concertante de Viotti y fut exécutée, sous la direction de l'auteur, par Guérillot et M. Grasset, fort jeune alors, et que nous avons vu, depuis, conduire avec tant de supériorité l'orchestre du Théâtre Italien. La décoration de la Légion-d'Honneur vient d'être accordée à cet artiste, juste et tardive récompense de son beau talent et de ses longs services.
L'orchestre de la Loge Olympique eut successsivement pour chefs Navoigille aîné et Bertheaume. Quant aux solistes, la Société était riche en talens du premier ordre, et il suffira de nommer, comme instrumentistes, Viotti, Mestrino, Jarnowick, Duport, Punto, Michel Lefebvre, Ozi, Devienne, Sallentin, Clementi, Dusseck, Cramer, Bezozzi, comme chanteurs, David, Babini, Lays, Rousseau, Chéron, mesdames Todi, Mara, Saint-Huberti, Renaud, pour qu'on se fasse une idée de l'intérêt que devaient inspirer ces concerts et de l'effet -qu'ils devaient produire. La révolution de 1789 en amena la dissolution.
Lorsque l'orage révolutionnaire fut un peu calmé, le souvenir de la Loge Olympique donna à quelques amateurs l'idée de la faire revivre. Ils se réunirent et formèrent, en l'an VII, l'association musicale connue sous le nom de Concerts de la rue de Cléry, qui eut par la suite une réputation euro-
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péenne. Un comité nommé par les sociétaires formait l'administration. MM. de Bondy, ancien préfet de la Seine, Joseph de Caraman, Cherubini, Grasset, Bréval, Pérignon, Plantade, Frédéric Duvernoy, de Crisnoy, Devillers, etc., en on fait partie. L'orchestre était dirigé par M. Grasset, le chant par M. Plantade ; aux répétitions, M. Cherubini tenait la partition, pour faire rectifier les fautes qui pouvaient se trouver dans les parties. Les symphonies de Haydn, principalement celles qui furent composées et exécutées à Londres, pendant le séjour qu'y fit cet homme célèbre, eurent le plus grand succès à ces concerts. Leur exécution fut jugée parfaite par un auditoire composé de tous les vrais amateurs français et étrangers. Le chef de l'orchestre s'appliquait surtout à faire observer les nuances, le plus grand charme de la musique. Il était bien récompensé de ses soins, plus encore peutêtre par le religieux silence des écoutans que par leurs transports. L'intérêt que cet auditoire éclairé paraissait prendre au résultat, électrisait amateurs et professeurs, qui rivalisaient de zèle et d'efforts pour s'en rendre dignes.
Le nombre des exécutans était de soixante-dix à quatre-vingts personnes. La recette se composait d'environ six cents abonnemens, au prix de 72 fr., ce qui, pour douze concerts, en portait le chiffre à plus de quarante mille francs. A la fin de l'année, quand on avait acquitté toutes les dépenses, il restait toujours en caisse une somme de deux mille francs ou cent louis, pour les premiers frais de l'année suivante.
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Haydn, qui contribuait le plus au lustre de ces réunions, fut invité par la Société à faire le voyage de Paris. Après quelques échanges de lettres à ce sujet, il parut décidé à se rendre aux voeux des sociétaires, qui en reçurent l'espérance avec une joie inexprimable, et s'empressèrent de remettre à M. Mallet, banquier, l'un d'eux, 2400 fr., afin de les faire passer à Vienne et de les mettre à la disposition de l'illustre compositeur, pour les frais de son voyage. A cette occasion, un jeton d'or fut frappé et le nom de Haydn gravé dessus ; la médaille lui fut envoyée comme un gage de reconnaissance pour la promesse qu'il venait de faire à la Société. Telle était alors l'exaltation des esprits, que sans nul doute sa réception eût été un triomphe pour lui comme pour l'art. Mais l'honneur qu'on s'était promis ne devait pas se réaliser. Une lettre du prince d'Esterhazy annonça que la santé de Haydn s'affaiblissant de jour en jour, le réduisait à l'impossibilité de se mettre en route. A cette lettre étaient jointes les partitions originales d'une Messe et d'un Te Deum, que Haydn offrait à la Société , en témoignage de son affection. Celleci, fière du cadeau, se hâta de donner connaissance de cette faveur, en faisant exécuter les principaux morceaux des deux chefs-d'oeuvre.
Des actes entiers d'Iphigénie en Tauride et d'Orphée furent entendus à ces concerts et firent d'autant plus de plaisir que Garat les chantait et que les choeurs étaient rendus avec beaucoup de précision, tandis qu'à cette époque, l'exécution en
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était fort négligée à l'Académie royale de Musique. Kreutzer aîné, Rode, Baillot, Romberg, Frédéric Duvernoy, Domnich, Ozi, Delcambre, Sallentin, Devienne, Lefebvre, Dalvimare, Hummel, y rivalisaient de talent; Blangini, Martinelli, Parlamagni, Adrien, mesdames Bolla, Strina-Sacchi, Branchu, Armand, Duret, y faisaient entendre leurs belles voix; MM. Raoul, de Bondy, de Jumilhac, de Sorcy, Devillers, de Crisnoy, étaient au nombre des exécutans. C'est là que fut dite pour la première fois, en 1801 (an X), la première symphonie de Reicha.
L'excellente organisation de ce concert semblait lui promettre une longue durée ; mais les circonstances extérieures ne lui étant pas aussi favorables , on se sépara, et pour conserver le souvenir de cette réunion musicale, l'une des plus intéressantes et des mieux administrées que l'on puisse citer, le mobilier et le fonds de musique furent partagés. La Messe de Haydn et. son Te Deum formèrent les deux principaux lots. Le Te Deum devint le partage du chef d'orchestre, qui le garda précieusement ; la Messe fut acquise par le Conservatoire, à qui elle fut cédée par celui que le sort en avait favorisé.
Vers 1815, une nouvelle société s'organisa sous le nom de Concert des Amateurs. Ses réunions eurent lieu, clans l'origine, rue de GrenelleSaint-Honoré, puis, au Wauxhall d'été. Elle donnait six concerts pendant l'hiver seulement, et mêlait un acte de bienfaisance à ses plaisirs, en Soc. libre des Beaux-Arts. 9
130 montant avec soin, à la fin de la saison, un concert au profit des pauvres.
L'orchestre fut conduit, dans le principe et assez long-temps, par M. David, violoniste amateur très distingué ; ensuite par M. Barbereau, qui n'en a quitté la direction que pour aller à Rome, après avoir obtenu le grand prix de composition musicale; puis, par MM. Sauvage, amateur, Guénée, artiste, Vergne, compositeur qui donnait de belles espérances, mais que la mort a enlevé subitement aux arts et à l'amitié ; enfin par M. Tilmant, l'un de nos meilleurs violonistes.
Cette société s'est fait des titres à la reconnaissance publique. C'est de son sein que Mlle Jawureck, mesdames Leroux-Dabadie , Cinti - Damoreau et Dorus-Gras, après y avoir essayé leurs forces, ont pris leur essor vers la carrière orageuse, mais brillante, du théâtre. Plusieurs jeunes artistes, tels que MM. Halma, de Bériot, Haumann, y ont jeté les fondemens de leur réputation, en se faisant entendre avec succès devant un public habituellement exigeant, bien que pour lui ce ne fût pas un droit qu'à la porte on achète en entrant. En 1826, on y donna un concert au profit des Grecs ; plusieurs morceaux de musique furent composés pour cette solennité, une ouverture, par Vergne, un chant grec, par M. Chelard, ancien pensionnaire de l'Académie de France à Rome, et une grande scène lyrique avec choeurs, par M. Delaire. En 1828, une symphonie et des fragmens du Stabat de ce dernier compositeur, y furent favorablement accueillis. C'est
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au Wauxhall que la romance si connue du Borysthène a été chantée pour la première fois en public, par M. Lavigne, alors acteur à l'Académie royale de Musique, actuellement directeur du grand théâtre de Bordeaux. On y a aussi eu les prémices des deux jolies romances concertantes, l'une avec la flûte, l'autre avec le hautbois, composées par M. Panseron. Les airs suisses, si agréablement chantés par madame Stockhausen, s'y sont aussi produits en public pour la première fois.
Cette société a eu ses phases de prospérité et de décadence; elle a fini en 1829. Mais, pendant qu'elle faisait de vains efforts pour résister au principe désorganisateur qu'elle renfermait dans son sein, une autre s'élevait, par les soins de M. Cherad, sous le titre d'Athénée musical.
Les concerts de l'Athénée s'ouvrirent le 29 décembre 1829, à l' Hôtel-de-Ville de Paris, sous les auspices de M. le comte Chabrol de Volvic, alors préfet de la Seine. Notre collègue, M. Miel, prononça le discours d'ouverture. L'orchestre était conduit par M. Chelard. Le but de l'institution était de propager le goût et l'étude de la musique en France, et d'encourager l'exercice de cet art dans ses trois principales branches, la composition, l'exécution instrumentale et le chant. Pour cela, elle devait être à la fois académique et philharmonique : aca démique, en ce qu'elle devait accueillir toutes les communications, favoriser toutes les publications tendant à augmenter les connaissances musicales, et unir par des liens de confraternité tous les ama-
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teurs, musiciens, peintres, poëtes, littérateurs, administrateurs, en un mot, toutes les personnes qui pouvaient être utiles à l'établissement par leur position sociale, leur fortune ou leurs talens ; philharmonique, en ce qu'elle devait non-seulement donner des concerts propres à former le goût par le rapprochement des différentes écoles, mais encore remplir le vide laissé dans les églises par l'absence des maîtrises pour l'exécution de la musique sacrée. Ce dernier objet rendait à l'art son application primitive et sa plus noble destination. Six solennités musicales religieuses devaient avoir lieu par an, à des époques fixées par les convenances de l'église. Une messe de M. Chelard fut exécutée à SaintRoch. Mais peu de temps après, ce compositeur, maître de chapelle du roi de Bavière, fut rappelé à Munich, et la partie de son projet relative à la musique d'église, n'eut pas de suite. Quant aux concerts, ils étaient originairement divisés en trois parties. La première était consacrée aux jeunes auteurs, qui avaient ainsi l'occasion de soumettre leurs travaux à un nombreux auditoire, et d'acquérir de l'expérience en même temps que de la réputation. La seconde partie était composée de morceaux de maîtres, dont les ouvrages anciens ou non publiés par la gravure étaient offerts aux jeunes artistes comme étude et au public comme objet d'intérêt ou d'instruction. La troisième était réservée aux curiosités musicales historiques, traditionnelles et comparatives. Cette dernière partie a été supprimée. Plus tard, M. Fétis en a repris l'idée, qu'il a su ren-
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dre féconde, sous le titre de Concerts historiques.
Après le départ de M. Chelard, la direction de l'orchestre fut confiée successivement à MM. Barbereau, Girard, Grasset, et enfin à notre collègue M. Vidal, qui s'acquitte de ces fonctions avec un mérite d'autant plus louable, que tous les exécutans ne sont pas des maîtres. Il est vrai qu'avec des chefs de pupitre tels que MM. Urhan, Becquié, Seuriot, Vaslin, Michu, Coninx, Vény, Butteux, Cocken, Mengal, etc., le commandement du chef est toujours compris. Le piano était tenu originairement par MM. Rigel et Massimino, à qui a succédé mademoiselle Millin, membre honoraire de la Société libre des Beaux-Arts. MM. Kalkbrenner, Field, Lizt, Herz, Hiller, Labarre, Habeneck, Servais, Batta, Beppo, Beer, Dabadie, Stephen, Dérivis, Wartel, Richelmi, membre de la Société libre des BeauxArts, Geraldi, Huner, mesdames Dabadie, Casimir, Dorus-Gras, Falcon, Deligny, Leroy, et beaucoup d'autres qu'il serait trop long de citer, se sont fait entendre à l'Athénée. Plusieurs compositions de jeunes auteurs y ont eu plus ou moins de succès. Enfin, M. Onslow en a accepté la présidence.
L'Athénée musical, conçu sur un vaste plan, réunit tous les élémens d'une prospérité durable. Il peut rendre d'éminens services à la musique, s'il s'attache à faire entendre des compositions inédites et des chefs-d'oeuvre oubliés, en évitant d'ailleurs toute comparaison entre son orchestre et d'autres orchestres avec qui il n'a pas la prétention de rivaliser, en remplissant surtout d'importantes lacunes.
154 II n'y a plus aujourd'hui de ces fondations religieuses qui entretenaient un grand nombre d'artistes et faisaient naître l'émulation par l'existence honorable et paisible qu'elles leur assuraient ; il n'y a plus de ces grandes fortunes qui vivifiaient les arts ; enfin, le gouvernement est forcé d'être économe.
Dans un tel état de choses, les arts doivent faire, comme l'industrie, un appel à l'esprit d'association. En Allemagne, les sociétés musicales sont nombreuses; déjà plusieurs villes de France ont des réunions philharmoniques ; celles de Toulouse, Perpignan, Poitiers, Niort, Dijon, Lyon, Marseille, Caen, Nancy, Lille, Douai, etc., sont très-remarquables. Qu'il se forme une association générale entre les sociétés lyriques de France et de l'étranger ; que ces sociétés se réunissent à certaines époques, dans des villes désignées, pour y donner des fêtes musicales, à l'imitation de ce qui se fait au-delà du Rhin et en Angleterre. Plusieurs de ces solennités ont eu lieu dans* le nord et dans le midi de la France; qu'elles se multiplient sur toute sa surface ; les avantages qui doivent en résulter pour l'art seront immenses.
Au surplus, le feu sacré n'est pas prêt à s'éteindre, et pour ne parler ici que de la capitale, tant qu'on y comptera des amateurs aussi distingués que MM. Ohslow, de Sayve, Bonjour, de Festhamel, de Feltre, de la Moscowa, Athanase et Armand d'Otrante, Pillet-Will, Amédée Raoul, etc., pour la composition; MM. Ardisson, de Jumilhac, de Trémont, de Raysant, Raoul père, Camille Nugues, Lu-
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rin, Gosselin, Louvrier, Curie, etc., pour la partie instrumentale ; Mr et Mme Orfila, Mmes Merlin, Molinos, Dubignon, etc., pour le chant ; MM. Sauvo, Miel, Delécluze, Bottée de Toulmon, etc., pour la critique et l'histoire, l'art musical aura des interprètes et des soutiens. Mais si le goût de la musique s'est plus étendu, si môme nous sommes plus initiés que nos pères dans la pratique de l'art, nous n'avons plus, il faut l'avouer, leur enthousiasme ; où ils se passionnaient, nous sommes tièdes, et, par une de ces compensations qui ne sont que trop ordinaires, nous avons perdu en ferveur ce que nous avons pu gagner en nombre et en habileté.
DEUX FABLES
PAR M. DESAINS.
Le temps des vacances est la morte saison ponr les sociétés académiques. La plupart des membres sont dispersés et s'occupent de toute autre chose que de travaux relatifs aux sciences et aux arts. En un mot, les rapporteurs s'amusent, et quand les rapports inscrits à l'ordre du jour sont appelés, personne ne répond.
La Société libre des Beaux-Arts a éprouvé ce désappointement dans sa deuxième réunion de septembre, et la séance semblait courte. Heureusement M. Desains, peintre, auteur d'une foule de jolis contes et de fables ingénieuses, était présent. Invité par le président à remplir les lacunes de l'ordre du jour par quelques productions de sa veine facile, cet honorable collègue a récité avec sa complaisance accoutumée les deux fables qu'on va lire.
C'est sans tirer à conséquence que nous les insérons dans nos Annales. De fréquentes excursions hors de notre domaine spécial, même dans le champ de la poésie, cette autre peinture, deviendraient abusives ; mais nous ne doutons pas que nos lecteurs ne nous sachent gré de celle-ci. Ils y trouveront une pensée utile et même un mérite d'à» propos. Car les deux apologues ont pour objet de
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corriger cette déplorable manie de découragement moral qui semble avoir saisi notre époque, et dont nous voyons trop souvent se renouveler les exemples.
LA SOURIS PHILOSOPHE.
Victime do l'appât trompeur,
Une souris, jeune imprudente, Un jour mordit la noix qui lâchait la détente
D'un trébuchet, instrument de malheur. Sans force à ce moment, la pauvre prisonnière,
Après avoir fait maint effort
Pour sortir de la souricière,
Dans sa plainte accusait le sort,
Qui la venait frapper de mort
Dès le début de sa carrière. « Tant de jours de plaisirs m'étaient encor promis ! Se disait-elle en son petit langage : On ne voit point de chats dans ce logis ;
Combien avec mes bons amis, Tout entière livrée aux ébats de mon âge, N'aurais-je pas rongé de lard et de fromage ! Il n'y faut plus songer. Mais quoi ! si tôt finir ! Je suis à mon aurore ; est-ce à moi de mourir? Qu'une vieille souris, dont la queue est pelée, Et par qui la maison de souris fut peuplée,
Qui n'attend plus que le trépas,
Accomplisse sa destinée Sous la griffe du temps ou de l'homme ou des chats ,
Ce n'est que la commune chance.
Mais moi, dont le bonheur commence, Qui suis dans la saison où règne la beauté,
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Qui devais rendre heureux par ma fécondité Le beau souriceau qui m'adore, Je ne veux pas mourir encore. » Et puis d'un long abattement Sa doléance était suivie ; On gémirait à moins. Avec la faim pourtant, Tout-à-coup lui revient l'envie De ronger jusqu'au dernier grain La noix, cause de son chagrin. « Pourquoi, dit-elle, ici ne pas faire bombance? La Parque ayant filé le dernier de mes jours, Je n'en mourrai ni plus ni moins, je pense, Et quand j'aurai rempli ma panse, Ma foi, les coups du sort me paraîtront moins lourds. » Aussitôt fait que dit ; la noix est avalée. A peine la souris s'est-elle régalée, Qu'elle fait pour sortir un nouveau mouvement, Sans en espérer autrement
Le succès de son entreprise. Mais, ô bonheur ! ô surprise ! Du repas qu'elle a pris loin de se repentir,
Elle s'en trouve bien plus forte, Et poussant son museau sous le seuil de la porte, Fait tant que cette fois elle peut l'entr'ouvrir, Et s'enfuir !
Dans le malheur il faut de la philosophie ;
Le désespoir n'est bon à rien : Il nous met hors d'état de profiter du bien, Que peut nous présenter la fortune adoucie. O vous, qui pâtissez des maux de cette vie, Vous, qu'un Sort malheureux afflige en ce moment, Gardez de donner prise au découragement ; Patientez un peu ; le Temps sur son passage
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N'apporte pas seulement le souci ;
Les plaisirs, le bonheur aussi,
Sont une part de son bagage.
Puisqu'on no peut toujours souffrir,
Attendez la fin do l'orage
A l'abri de votre courage;
Un meilleur temps va revenir.
LE NAUFRAGÉ.
Lorsqu'au sein du péril on no perd point la tête, Qu'on sait apprécier l'homme avec qui l'on traite, De se tirer d'affaire on trouve le moyen , Et dans maint embarras où le destin nous jette, La présence d'esprit change le mal en bien.
Un Français de nos jours, éprouvant un naufrage , Dans le commun malheur conserva son courage, Et tandis que chacun, d'épouvante glacé, Livre aux flots dévorans une facile proie, Lui, de quelque débris qu'à la hâte il emploie, Il se fait un radeau ; puis ayant ramassé , Par un soin prévoyant, les menus ustensiles
Qu'il croit lui pouvoir être utiles , En implorant le ciel, il se confie à l'eau. Le jour même, il aborde en un pays nouveau. « Je suis sauvé , dit-il ; Dieu permet que je vive. Les restes du vaisseau jetés sur cette rive Y semblent mis exprès pour me porter secours ; Aussi du désespoir garantissant mes jours , Avec la fermeté que mon salut réclame, Je saurai me construire une habitation, Où je pourrai long-temps , comme feu Robinson , Vivre sans médecin , sans journaux et sans femme.
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Je puis même , en suivant la voix de la raison, N'être pas sans bonheur sur ces lointains rivages; N'y rencontrant plus l'homme et ses mille défauts, Je ne verrai jamais do duels, d'échafauds , Ni tous ces préjugés absurdes et sauvages
De mon pays civilisé. »
Lorsqu'il a bien moralisé Sur l'état de nature et ses beaux avantages, Il est pris au collet par des anthropophages , Près d'assouvir sur lui leur féroce appétit. Beaucoup en pareil cas auraient perdu l'esprit ; Pour notre voyageur ce fut tout le contraire. Il invoque à longs cris l'astre de la lumière , Promène autour de soi des regards effrayans, Et lorsqu'il croit ses traits, ses gestes menaçans, Suffisamment empreints de fureur prophétique , Il tire de sa poche un briquet phosphorique. Le souffre au fond du tube allant bientôt chercher
Une flamme vive et propice, Lui-même avec audace allume le bûcher
Disposé pour le sacrifice. Or, il avait pensé qu'adorateurs du feu , Ces monstres ébahis se seraient fait reproche De croquer un humain qui portait dans sa poche
Un échantillon de leur dieu. Il ne fut pas trompé dans son attente. On fit plus : la couronne alors était vacante, On exprima le voeu de l'en voir investi ; Et, bien que de régner il ne soit pas facile ,
Il aima mieux, en homme habile ,
Servir de roi que de rôti.
RAPPORT
FAIT A LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS,
PAR M. VOIZOT,
Au nom de la commission chargée d'examiner un mécanisme proposé par M. de Saint-Mémin ,
POUR RÉUNIR LES PANNEAUX DISJOINTS
DES TABLEAUX PEINTS SUR BOIS (1).
Messieurs,
Notre honorable collègue , M. Pérignon , a présenté à la Société un mécanisme imaginé par M. de Saint-Mémin , conservateur du musée de Dijon, ayant pour objet de réunir les panneaux disjoints des tableaux peints sur bois. M. le Président a nommé une commission spéciale pour examiner ce mécanisme. Chacun de vous a senti l'importance de la question. Il suffit de songer aux nombreux tableaux peints sur bois dans les écoles italienne, flamande et hollandaise , pour en comprendre tout l'intérêt.
Jusqu'à ce jour, les moyens mis en usage pour réunir les panneaux disjoints avaient généralement consisté à poser derrière le tableau un parquet rendu adhérent au bois, après qu'on avait rapproché et affleuré ces panneaux, double condition à remplir d'abord. L'emploi de ce procédé réussit dans quel(1)
quel(1) de la commission, MM. Cossard, Desains, Dubois, Dubouloz, Maillot, Miel, Pérignon et Voizot ; rapporteur, M. Voizot.
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ques circonstances ; dans d'autres, il aggrave le mal, en occasionnant de nouvelles fissures ; dans tous les cas, il exige beaucoup d'expérience, de dextérité, et son usage peut donner au hasard. Le nouveau mécanisme, au contraire, est d'une application facile et toujours sûre.
Il se subdivise en appareils indépendans les uns des autres (1). Chacun d'eux est composé de quatre planchettes, dont deux a, a (fig. 1 ) sont fixées par une extrémité sur le panneau P, les deux autres a' a' sur le panneau P', alternant ainsi de l'un à l'autre panneau. Une traverse b ou b' porte sur deux entailles pratiquées dans chaque couple de planchettes fixées sur le même panneau. Les deux traverses b, b' sont liées par une vis de pression c, destinée à rapprocher les panneaux séparés.
A l'autre extrémité de chaque planchette sont deux vis d, e, dont l'objest est d'affleurer les mêmes panneaux après leur rapprochement. L'une de ces vis e, incrustée dans un petit dé de bois f (fig. 2) adhérent au panneau P', par exemple, sert, lorsqu'il y a lieu, à le ramener vers la planchette correspondante ; l'autre vis d, fixée dans la planchette et tournant sur une rondelle d'acier g, sert au contraire à pousser le panneau en avant.
Une entaille ménagée en e, e', à l'extrémité libre de chaque planchette, permet le mouvement de la vis de rapprochement.
Lorsque par le jeu des vis d, e, d', e', les pan(3)
pan(3) pl. III.
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neaux ont été affleurés, on desserre la vis de rapprochement c.
Quand les choses sont arrivées à ce point, M. de Saint-Mémin colle ensemble les deux panneaux, puis il enlève l'appareil, qui ne tient lui-même au bois que par de la colle forte. Mais votre commission ne verrait aucun inconvénient à laisser, au moins dans beaucoup de cas, l'appareil fixé au tableau, et à substituer à la colle, entre les panneaux, un peu de mastic.
Le nombre et les dimensions des appareils à employer pour un tableau donné, dépendent de la grandeur de ce tableau. M. de Saint-Mémin en applique trois de 9 pouces de long sur 5 de large au tableau qu'il a fait présenter pour exemple , et dont les dimensions sont de 28 pouces de long, dans le sens de la fissure, sur 3 ou 4 lignes d'épaisseur.
Il résulte de ces détails que le mécanisme proposé se compose, au fond, de deux systèmes de vis, l'un pour rapprocher- les panneaux, l'autre pour les affleurer. Par là, il satisfait aux deux conditions du problême. Sous le rapport de la précision , vous savez que l'usage de la vis est la limite de l'art, en même temps qu'il est à la portée de la main la moins exercée. Aussi la manoeuvre s'opère-t-elle sur le tableau à l'envers, sans que la vue ait besoin d'être interrogée ; le doigt seul, promené en-dessous le long de la fissure, suffit pour diriger l'action. De plus, la force employée s'exerçant lentement et étant appliquée dans le voisinage de la ligne de jonction des panneaux, sur un champ très-peu étendu, une rupture nouvelle est impossible.
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L'intérêt artistique qui s'attache à cette invention nous dispense d'insister sur la modicité du prix du mécanisme proposé. Nous dirons seulement que si nous avions à établir sur ce point une comparaison entre le procédé nouveau et les moyens usités jusqu'à présent, elle serait de beaucoup à l'avantage du procédé nouveau.
En conséquence, votre commission vous propose de donner votre assentiment à l'appareil de M. de Saint-Mémin, qui vous a déjà fait l'envoi de deux mains fort curieuses, moulées en plâtre sur une statue de Moïse (1) ; de voter de nouveaux remercîmens à ce savant distingué, pour l'intéressante communication qui est l'objet du présent rapport ; enfin, de l'engager à continuer de vous faire connaître ses ingénieuses et utiles inventions, d'autant plus précieuses pour les artistes qu'elles sont entièrement désintéressées et que leur auteur les livre sans réserve à la plus grande publicité. Votre commission vous propose aussi l'insertion de ce rapport dans les Annales de la Société.
Ces propositions sont accueillies par des applaudissemens et unanimement adoptées.
(1) Voyez le Compte-Rendu des travaux de la Société pour 1836.
RAPPORT
FAIT PAR LA SOCIETE LIBRE DES BEAUX-ARTS,
Par M. BIET,
SUR
UNE NOTICE INTITULÉE TINDAL,
Par M. le baron de CASTELLANE , Membre correspondant de la Société archéologique du Midi..
Parmi les notices, toutes remarquables, dont se composent les Mémoires de la Société archéologique du Midi, il en est une sur laquelle l'attention s'arrête presque involontairement, parce qu'elle présente un rapport d'actualité avec le goût qui domine dans un grand nombre des productions artistiques de notre époque. Je veux parler de la tendance qu'ont les poètes et les artistes de nos jours à se reporter vers les sujets tirés du moyen-âge, principalement vers ceux qui se rattachent au genre mystique, genre assez vague de sa nature et dont il n'est pas facile de se former une notion bien précise. L'idée la plus nette qu'il présente à l'esprit est sa connexité avec le genre poétique , en tant que dans celui-ci on considère le privilége de donner libre carrière à l'imagination. C'est donc par la latitude qu'il laisse ou qu'il paraît laisser à la faculté d'invention, que le genre mystique plaît aux artistes et séduit le public. TouteSoc. lib. des Beaux-Arts. 10.
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fois, cette fécondité variée est plus apparente que réelle, parce que les élémens de composition, sortant de l'ordre des effets naturels, ne tombent plus sous les sens et se refusent à l'analyse. Si donc quelques scènes mystérieuses deviennent admissibles dans l'art, ce n'est guère qu'en vertu de traditions reçues ; mais alors l'artiste change de terrain ; il n'agit plus directement par la puissance de son génie-, il s'étaye sur une influence secondaire, dont il ne doit user qu'avec une extrême circonspection.
Ce serait une étude aussi curieuse qu'instructive que celle qui s'attacherait à rechercher, pour tous les temps, dans quel esprit était conçu, chez les peuples divers, ce qu'on peut appeler la poétique sacrée ; mais pour remonter à la source, il ne faudrait rien moins que développer l'historique des différens cultes, dérivant eux mêmes des moeurs, des climats et des diverses périodes de civilisation où ils ont pris naissance. Le trait principal qui frapperait dans cette longue énumération serait la diversité des croyances et le mélange souvent burlesque du sublime avec le bizarre ; les discordances même seraient fréquentes dans les oeuvres des poètes les plus célèbres comme dans les compositions des artistes les plus fameux, parce que de tout temps les productions d'art et de littérature ont reflété les idées fondamentales des peuples en morale et en religion. Cette étude montrerait de plus que l'impression des fictions sur l'esprit du vulgaire prend un caractère de profondeur et de
147 durée d'autant plus prononcé, que le point de vue moral d'où elles émanent est plus élevé.
La légende de Tindal nous reporte au mysticisme chrétien du dixième au onzième siècle. L'auteur de la notice s'est proposé de remettre en lumière un vieux manuscrit en langue romane provençale, portant la date de 1466, et que possède la ville de Toulouse. On croit généralement dans le pays que ce manuscrit a pu inspirer au Dante quelques passages de la Divine Comédie. Assurément cet emprunt n'affaiblirait en rien le mérite de l'illustre poète; mais cette circonstance pourrait donner un intérêt de plus à l'ouvrage dont il s'agit. Nous allons en juger.
La fiction qui lui sert de base n'est pas neuve ; elle ne l'était pas même à l'époque où cette fable remonte-, il y est question d'une descente aux enfers. Depuis Homère, qui a compris ce voyage parmi ceux d'Ulysse, peu de poètes se sont fait faute d'envoyer, à son imitation, leur principal personnage en visite aux sombres bords. Les chroniqueurs et les légendaires du moyen-âge ont eu recours à ce genre de merveilleux, qui s'alliait avec les extases mystiques ; il n'était pas rare alors de rencontrer des gens d'un caractère grave, comme Grégoire de Tours, par exemple, qui, prenant les rêveries d'un délire ascétique pour une réalité, racontaient sérieusement qu'eux où leurs amis avaient été transportés, en chair et en os, dans les abymes de l'enfer ou dans le brillant séjour du paradis, débitant les choses les plus étranges sur ce qu'ils y avaient vu et entendu. C'était
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le plus ordinairement à de saints personnages ; à de pieux solitaires, que la faveur de ces voyages était réservée. Ces récits venant d'aussi bonne source, la foi publique n'en suspectait point l'authenticité. Nombre de voeux, de conversions, de donations surtout , en devenaient pour l'Eglise un résultat très-positif.
Tindal est un jeune chevalier des premiers temps du moyen-âge. La chronique ne fixe point l'époque précise de son existence ; elle le représente comme l'un des modèles les plus accomplis de la beauté corporelle,doué de tous les dons physiques et de tous les avantages de la fortune, si enviés dans le monde ; mais, par compensation , elle le déclare atteint des vices et des défauts qui trop souvent accompagnent ces prérogatives. Riche , de grand lignage, beau parleur, vanté partout dans les exercices de la chevalerie , Tindal est en même temps enclin à la perversité, menant une vie déréglée, et, pis que tout cela, frondeur audacieux des choses saintes ; ses paroles et ses actions occasionent de grands scandales.
Il plut à Dieu, dit la chronique, de mettre un frein à ses déréglemens. Il advint que notre héros, si toutefois on peut lui donner ce nom, fut atteint d'un mal subit. Une longue agonie s'empare de ses sens; il arrive à toute extrémité; on est sur le point de l'enterrer, lorsque tout-à-coup il revient à la vie. Ses premiers regards se portent vers le ciel; ses premiers gestes expriment des sentimens religieux ; ses premières paroles sont des prières, la
149 demande des sacremens , l'abandon de tous ses biens aux pauvres et à l'Eglise. Un changement aussi inattendu stupéfie les assistans. Mais leur étonnement est changé en une vénération profonde par le récit qu'entame le moribond de tout ce qu'il a vu et entendu pendant le court voyage de son ame hors de son corps.
Son ame s'est trouvée soudainement transportée en enfer, au milieu des affreux supplices de ce séjour, et prête à en subir elle-même les tortures; mais ayant imploré avec confiance la miséricorde divine, elle en obtint son pardon et son retour à la vie , sous la condition d'effacer, par l'édification de sa conduite future, les scandales de sa vie passée. Pour lui faire apprécier l'étendue du bienfait qu'elle reçoit, Dieu lui envoie son ange gardien, avec mission de lui faire parcourir les demeures des damnés, puis celles des élus, afin qu'elle compare les tourmens auxquels elle échappe avec les félicités qui l'attendent, si elle se rend digne de les mériter.
Là commence une longue suite de tableaux, les uns d'un aspect horrible , les autres d'une riante couleur. Je ne suivrai point l'auteur dans ces descriptions fantastiques, rendues fort piquantes par le tour naïf et original de la langue romane ; j'affaiblirais l'effet de cet idiome que le langage moderne ne peut remplacer. J'ajouterai seulement que le récit emprunte plus d'intérêt au charme du dialecte provençal qu'à la nouveauté ou à la puissance de l'invention.
La poétique du chroniqueur ne sort guère
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des traditions les plus communes sur l'enfer, transmises d'âge en âge par les nourrices et les confesseurs. Ce sont toujours des diables crochus, à queues et à cornes, armés de fouets, de fourches et d'instrumens de supplices, avec lesquels ils tourmentent les damnés. La fiction la plus neuve et à laquelle l'auteur s'attache avec une sorte de complaisance , est celle d'un grand diable du nom de Lucifer , de gigantesque dimension, vomissant feux et flammes, dont l'haleine fétide aspire les ames par milliers, pour les rejeter ensuite et les engloutir de nouveau dans l'abyme de ses entrailles embrasées. Plus loin, l'ame est obligée de passer sur un pont hérissé de pointes acérées ; les difficultés de ce passage sont telles qu'on n'en peut triompher sans de cruelles souffrances ; mais, à l'aide de son génie céleste, l'ame les surmonte. Elle franchit aussi un cloaque immonde rempli de vipères , de serpens et d'autres monstres créés par l'imagination de l'auteur pour rendre plus horrible la représentation de l'enfer. Si c'est dans cet amas d'idées bizarres et plus ridicules que terribles, que l'auteur de la notice a cru voir quelque analogie avec le poème du Dante, je n'hésite point à affirmer que le désir d'illustrer une oeuvre nationale lui a fait illusion. Certes, si le poète italien n'eût puisé qu'à des sources de ce genre, l'effet de son oeuvre aurait été bien moindre. Ce n'est point à l'aide d'une telle fantasmagorie que le sublime créateur de la Divine Comédie excite les émotions les plus diverses. Il émeut par les hautes inspirations morales dont il a su embellir son poème.
151 Le chroniqueur n'est pas plus heureux clans ses descriptions du paradis ; la faculté d'invention y est peut-être encore moins riche et moins variée , comme si l'imagination de l'homme était plus habile à renchérir sur le laid qu'elle n'est apte à exprimer les perfections du beau. Les merveilles du séjour des bienheureux sont empruntées à la poésie orientale, dont le goût, à cette époque, s'était répandu en Europe par les récits des croisés. Ainsi il est question de palais aux murailles resplendissantes d'or et d'argent, d'arbres rares dont les fruits sont des diamans, de campagnes diaprées des pierreries les plus précieuses, et, chose remarquable, tout s'adresse aux sens dans ces magnifiques descriptions. Si ce ne sont pas les voluptés du paradis de Mahomet, dont la pruderie des ames dévotes se serait effarouchée, ce sont encore des idées de sensualité et de plaisir, propres surtout à caresser les faiblesses et l'orgueil des puissans. Pour les princes admis dans ces demeures, il s'agit toujours de se vêtir d'habits somptueux, de tenir cour plénière, d'être entourés d'hommages et de respects ; seulement la foule des courtisans se compose du choeur des bienheureux chantant les louanges du Très-Haut ; mais les distinctions de rangs y sont conservées et les classifications établies comme elles l'étaient sur la terre. Il y a loin de cette hiérarchie féodale, perpétuée jusque dans le paradis, aux inventions du Dante, dont le génie, préludant à la philosophie moderne , annonçait dans des temps encore barbares la fusion de toutes les classes sous le niveau de l'éternelle justice.
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Au milieu des enchantemens dont l'ame de Tindal est éblouie, elle s'étonne de trouver au séjour de l'éternelle félicité les ames de deux rois qu'elle a connus, et qui n'avaient laissé sur la terre qu'un assez mauvais renom. L'ange lui apprend que s'étant convertis à temps et ayant fait à l'Eglise, en témoignage de leur repentir, des dons importans, leurs fautes leur ont été remises. Il l'invite à se rappeler cet acte de la miséricorde de Dieu et à le redire aux mortels. Cette explication du divin cicerone est caractéristique ; c'est la-morale directe de l'ouvrage ; c'est le but nettement prononcé dans lequel il a été écrit par le zélé chroniqueur.
Je m'arrête à ce trait. Le reste est la conclusion que l'on prévoit et que j'ai fait pressentir, savoir, le retour de l'ame dans le monde et le tableau édifiant de sa conversion, tournant à la gloire et surtout au profit de l'Eglise.
Cet aperçu, Messieurs, vous a déjà fait apprécier l'ouvrage sous le rapport littéraire. Loin de le considérer comme ayant fourni des inspirations à la Divine Comédie, vous devez être frappés du soin que Le Dante a pris pour éviter, tout en puisant dans le fonds commun des idées d'alors , les puérilités absurdes où ses devanciers avaient fait consister le génie de l'invention. Ce rapprochement confirme aussi la distinction que j'ai indiquée, sur le degré d'effet produit par un ouvrage d'art dans le genre mystique, selon la hauteur de son point de vue moral. Quant au point de vue pittoresque, il est juste de déclarer que la composition de Tindal pourrait
153 offrir aux artistes quelques sujets originaux et piquans. Un autre mérite que je m'empresse de lui reconnaître, c'est qu'elle est franchement de son époque; ce sont bien les croyances du temps, dans toute leur naïveté. On n'y trouve nulle part ces mélanges grotesques de théogonies diverses, qui abondent dans beaucoup d'oeuvres du moyen-âge et qui en détruisent l'intérêt. Ce caractère d'unité et la vivacité naïve de la langue romane répandent un charme particulier sur cette chronique. Mais si le genre mystique a des difficultés en poésie , il en a davantage en peinture et plus encore en sculpture ; ces difficultés s'y accroissent par l'impossibilité de rendre avec des images sensibles les phénomènes surnaturels. L'imagination parvient à s'en figurer l'idéal; mais la couleur et le ciseau n'en peuvent reproduire que très-imparfaitement la forme matérielle. En cela, comme en tout, les artistes de l'antiquité nous ont transmis les meilleurs exemples. Au lieu de se perdre dans des conceptions fantastiques, ils ont sagement appliqué à la représentation de la divinité les types les plus parfaits de la beauté physique, la seule que l'homme puisse apprécier et rendre. Michel-Ange et Raphaël, en se maintenant dans le même système, ont aussi chez les modernes fixé le véritable style religieux; leurs magnifiques ouvrages, toujours exempts des exagérations grotesques ou monstrueuses, sont compris, sentis, admirés par toutes les intelligences. Ils n'ont pas moins contribué que les chefsd'oeuvre de l'éloquence sacrée à épurer les dogmes.
154 Sous peine de divagation, c'est toujours à la judicieuse poétique de ces grands maîtres qu'il en faut revenir. Hors de la ligne qu'ils ont tracée, il n'y a plus qu'absurdités ou puérilités. Quoi qu'aient pu dire et faire les imprudens novateurs qui, dans ces derniers temps, ont affecté de retourner aux bizarreries du moyen-âge, leurs oeuvres en ce genre n'offrent rien de piquant ni de neuf. Afin de faire passer de telles rêveries, il ne faudrait pas moins que ce qui leur manque à tous et n'est plus à leur usage, le séduisant vernis de la langue romane, pour en adoucir les crudités.
SUR
QUELQUES MONUMENS ET MORCEAUX D'ART
D'ANVERS ET DE BRUXELLES,
PAR M. BOUGRON.
Si l'on ne connaissait la force des anciennes habitudes, on pourrait être surpris qu'un pays situé à soixante-dix lieues de Paris, renfermant un grand nombre de monumens précieux, possédant une foule de chefs-d'oeuvre de Rubens, de Van-Dyck et des autres grands maîtres de l'école flamande, ne soit pas visité plus souvent par les artistes français, Préocupés, les uns par les souvenirs qu'ils ont rapportés d'Italie, les autres parle désir d'y aller puiser des inspirations, ils négligent pour la plupart d'explorer d'autres contrées , comme si l'on ne pouvait étudier qu'à Rome ou à Naples. Une excursion que je viens de faire en Belgique m'a prouvé que le peintre, le sculptenr ou l'architecte parisien pou vait trouver bien plus à sa portée des objets non moins dignes d'attention et d'étude.
Les paroles ne pouvant donner qu'une idée trèsimparfaite des produits des arts d'imitation, surtout lorqu'ils sont d'un ordre élevé , je n'entreprendrai pas de décrire les monumens que j'ai admirés à Anvers et à Bruxelles pendant un trop court séjour. Je me bornerai à un aperçu rapide, en regrettant de n'avoir pu voir que ces deux villes
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belges et de n'avoir même qu'entrevu, pour ainsi dire, l'une des deux.
La cathédrale d'Anvers, sous l'invocation de Notre-Dame, possède quatre grands tableaux de Rubens, la fameuse Descente de croix, réputée son chef-d'oeuvre, et une Elévation en croix, placée en pendant. Ces deux peintures colossales sont accompagnées chacune de deux autres tableaux également peints par Rubens et formant volets, que l'on ouvre à certaines heures, usage conservateur dont il existe plusieurs exemples. L'Assomption de la Vierge, peinture qui est aussi d'une très-grande dimension, décore le maîtreautel. Elle fut exécutée pour la chapelle de la Vierge, dans l'église des Jésuites. Rubens disait que c'était son oeuvre de prédilection. Un autre tableau de lui dans la cathédrale a pour sujet la Transfiguration.
Entre autres peintures importantes dont la même église est ornée, j'ai remarqué celle qui, placée derrière le maître-autel, représente la Mort de la Vierge. J'ignore de quel maître est cette belle production.
Il reste peu de fragmens des magnifiques vitraux qui décoraient cette église; ils ont été remplacés par des carreaux de verre blanc.
La chaire à prêcher, tout en chêne sculpté, est à peu près semblable à celle de Sainte-Gudule à Bruxelles, dont je parlerai en son lieu.
La cathédrale d'Anvers renferme un grand nombre de confessionnaux, aussi en chène sculpte,
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ornés de deux ou de quatre statues du même bois et du plus beau travail. Je citerai une chapelle, ou plutôt un emplacement de chapelle dont les murs latéraux sont recouverts par une boiserie formant corps d'architecture, et réunissant trois confessionnaux de chaque côté ; les six confessionnaux portent chacun deux belles statues allégoriques et trois portraits en médaillons, de Pères de l'Eglise. Au fond est le tombeau d'Ambroise Capello, septième évêque d'Anvers, qui vécut de 1597 à 1676: la statue de ce prélat est d'un bon travail, mais d'un aspect lourd.
La tour de la cathédrale, achevée en 1018, passe pour être la plus haute de l'Europe ; on la compare à celle de Strasbourg. Les Anversois font observer que cette dernière est bâtie sur une élévation, tandis que celle d'Anvers repose sur un sol plat, sinon creux. Sa hauteur totale est de 446 pieds.
L'église des Jésuites, sous l'invocation de SaintCharles, fut terminée en 1621 , après avoir été sept ans en construction. Sa façade est extrêmement riche ; on y a déployé le plus grand luxe de sculpture , tant en statues qu'en ornemens. Le goût de l'architecture et de la sculpture n'est pas toujours bien sévère ; mais on y trouve de grandes beautés et tous les caractères de talens originaux. La tour est d'un style plus simple que la façade.
Dans l'intérieur, il y a une fort belle boiserie sculptée, que surmonte une suite de tableaux de même grandeur, offrant les portraits des Apôtres ; quelques uns de ceux-ci sont admirables. La cha-
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pelle de la Vierge, tout en marbre, est enric hie par les statues en marbre blanc de la Vierge, de sainte Catherine, de sainte Anne, de sainte Christine , de sainte Suzanne et de saint Joseph, patron et patronnes des fondateurs de cette chapelle. On y voit de beaux confessionnaux et un tableau représentant l'Enfant Jésus adoré par les Anges, peint par I. I. V. Opseal, en 1693. Les galeries supérieures sont belles et spacieuses.
Dans l'église de Saint-Jacques, j'ai remarqué de beaux vitraux, une Elévation en croix que je crois pouvoir attribuer à Rubens, les statues de saint Pierre et de saint Paul, en marbre ; une balustrade d'autel en marbre blanc, admirablement sculptée; le Christ à la colonne, groupe en marbre d'une exécution vraie ; la chapelle de la Vierge, tout en marbre noir et blanc, avec de grandes colonnes torses richement et finement sculptées ; la chaire à prêcher ; une peinture du Christ mis au tombeau ; enfin un monument funèbre sculpté par Mic. V. Voovf, en 1701.
Dans l'église de Saint-André, l'autel principal est surmonté par un groupe de figures en marbre représentant Jésus mis au tombeau, et où il y a beaucoup de vérité. Parmi un grand nombre de statues, j'ai distingué celles du Père-Eternel, de saint Pierre, de saint Jean et de saint Luc, en marbre. Je citerai aussi, en regrettant d'ignorer les noms des auteurs de ces beaux ouvrages, une balustrade d'autel en marbre blanc et une autre en bois, parfaitement sculptées.
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La chaire est moderne, tout en chêne; elle représente la Vocation de saint Pierre et de saint André. Jésus est sur le bord de l'eau, ainsi qu'un des deux frères; l'autre est encore dans la barque, remplie de poissons et de filets. Les accessoires sont sculptés avec un grand soin, même minutieux ; les figures sont aussi parfaitement exécutées, mais elles manquent d'originalité.
Un petit monument funèbre m'a paru admirable; c'est une espèce d'écusson en marbre, composé d'architecture et de sculpture, encadrant le portrait peint d'une princesse du nom de Marie Stuart, probablement Marie II, reine d'Angleterre. Cette princesse, née en 1662 et fille aînée de Jacques II, épousa Guillaume-Henri de Nassau, prince d'Orange, et passa en Hollande ; elle y resta jusqu'en 1689, époque où elle fut proclamée reine d'Angleterre. Elle protégeait les arts et les sciences ; son portrait, bien conservé, donne l'idée d'une belle personne. Elle mourut, à trente-trois ans, de la petite vérole.
Dans l'église de Saint-Augustin, il y a un tableau, le Martyre de sainte Apollonie, qui m'a paru de Rubens, et plusieurs autres peintures remarquables.
L'église du Calvaire a de belles boiseries sculptées. Le maître-autel en marbre, érigé en 1670, est enrichi des statues, aussi en marbre, de saint Pierre et de saint Paul, ainsi que des médaillons de saint Augustin, de saint Grégoire, de saint Ambroise et de saint Jérôme ; ces belles sculptures paraissent de
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la même main, et ne portent point de nom d'auteur. De chaque côté sont placés les tombeaux de Warwick et de son épouse, Anne Damart ; une statue en marbre d'un autre monument funèbre porte le nom de I. P. Van-Baurscheit. Plusieurs figures des Pères de l'Eglise ornent le choeur; celles des Apôtres surmontent les colonnes de la nef.
L'Hôtel-de-Ville est d'un caractère mâle et original. Il est décoré de belles statues en marbre avec des attributs dorés, représentant la Justice et la Prudence. Le millésime 1564, écrit en lettres d'or dans la partie la plus apparente de l'édifice, indique la date de son achèvement.
Le Musée appelle l'attention spéciale du voyageur. La collection des peintures n'est pas très-nombreuse; elle se compose seulement de 228 ouvrages ; mais il y en a d'inestimables.
On y conserve dix-huit tableaux de Rubens, entre lesquels je citerai l' Adoration des Mages, grande peinture où j'ai cru reconnaître beaucoup de parties peintes par J. Jordaens : Jésus montrant ses plaies à saint Thomas, où la manière du maître diffère un peu de celle que nous lui connaissons, et deux volets dont il est accompagné, lesquels sont des portraits représentant Nicolas Rockoz, bourguemestre d'Anvers, ami de Rubens, et Adrienne Perez, son épouse : le Christ descendu de la croix, demi-figures ; le corps de Jésus-Christ, posé sur une pierre, est soutenu par la Vierge, saint Jean et saint Joseph d'Arimathie, derrière lesquels on voit la Madeleine ; cette peinture est une de celles qui donnent la plus
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haute idée de la puissance du génie de Rubens : la Vierge, l'Enfant Jésus et saint Joseph, tableau qui ornait autrefois la salle des réunions de la corporation de saint Luc, et qui est, à ce qu'on croit, un présent de Rubens à cette corporation, dont il était un des doyens : le Christ en croix, l'un des plus beaux ouvrages du même maître : la Sainte Trinité; Jésus-Christ mort y est soutenu par son père; le peintre a vaincu dans ce tableau une grande difficulté, en faisant voir les jambes et les cuisses du Christ en raccourci complet: enfin, la Communion de saint François , peinture admirable et que je ne serais pas étonné d'entendre préférer à la Descente de croix ; elle est d'une exécution toute différente de la manière propre à Rubens. Ce tableau fut payé 750 florins; la quittance que Rubens en donna, sous la date du 17 mai 1619, est conservée par une famille d'Anvers.
Van-Dyck, voué aux plaisirs et même à la débauche , a moins produit que son maître. On a de lui au musée d'Anvers : le Christ en croix ; le Christ mort sur les genoux de la Vierge , le même sujet, traité différemment et peint en Italie, suivant la tradition ; un autre Christ en croix de petites dimensions; le portrait de César-Alexandre de Scaglia , l'un des négociateurs au congrès de Munster : ce portrait, placé autrefois dans l'église des Récollets d'Anvers, est le seul de Van-Dyck qui soit dans le musée de cette ville ; car il est douteux qu'il ait peint celui de l'évêque Maldère, qu'on lui attribue.
Soc. lib. des Beaux-Arts. 11.
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Ce musée renferme cinq tableaux remarquables d'Ottavio Van Veen ou Otto Venius, qui fut maître de Rubens, et dont le musée du Louvre ne possède aucun ouvrage. Ces tableaux sont : saint Nicolas secourant une famille tombée dans la détresse , un Miracle de saint Nicolas, la Vocation de saint Mathieu, Zachée sur le figuier, et saint Luc défendant la doctrine du Christ, tableau peint pour la corporation de Saint-Luc. Ces ouvrages ont conservé toute leur fraîcheur. La manière d'Otto Venius est très-reconnaissable ; il ne paraît point que Rubens , quoique son disciple, ait cherché à l'imiter. Un journal a rapporté qu'un tableau mis en vente, il y a peu de temps, à Lokeren , et adjugé moyennant la somme de trente francs, fut ensuite reconnu pour être d'Otto Venius et qu'on en offrit à l'acquéreur jusqu'à vingt-cinq mille francs.
A Paris, nous connaissons Quinten Metsys, dit le maréchal d'Anvers, par son Joaillier pesant des pièces d'or. On admire au musée d'Anvers son plus important ouvrage, le Christ au tombeau, où les figures sont de grandeur naturelle. Ce tableau est accompagné de deux volets, dont les sujets sont la Tête de saint Jean-Baptiste sur la table d'Hérode et saint Jean l'Evangéliste dans l'huile bouillante. Ces productions forment un des plus précieux monumens de la peinture au XVe siècle : on peut les considérer comme les chefs-d'oeuvre du maître. D'après une tradition généralement adoptée, Quinten Metsys était un habile forgeron, avant de se livrer à la peinture ; il entreprit cette étude afin d'épouser la
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fille d'un peintre qui voulait pour gendre un homme de son art. Le corps des menuisiers fit faire les tableaux dont il s'agit, en 1508, pour le prix de trois cents florins ; soixante ans après , ils furent vendus le triple. On dit que leur auteur, quoique dans une situation peu fortunée , refusa une offre considérable que Philippe Il lui lit faire pour ses ouvrages, Né à Anvers en 1450 environ, il mourut dans la même ville en 1529. Son épitaphe se lit à l'entrée principale de la cathédrale , et sa pierre tumulaire est conservée sous son oeuvre, au musée. Près de Notre-Dame , il existe un puits encore surmonté d'ornemens en fer forgés par Quinten Metsys.
Michel Coxie , né à Malines en 1497, mort à Anvers en 1692, élève de Bernard Van-Orley, fut surnommé le Raphaël de Flandre. Cependant je n'ai remarqué que deux de ses ouvrages, le Christ triomphant de la Mort et du Péché et le Martyre de saint Etienne, que le peintre fit, dit-on, à l'âge de quatre-vingt-deux ans. La collection du Louvre n'a point d'oeuvres de ce maître.
Elle n'en possède pas non plus de Vriendt, qui fut aussi surnommé le Raphaël de Flandre, et, je crois , à plus juste titre. François de Vriendt, dit Frans Floris , né à Anvers en 1520 , mourut dans cette ville en 1570. Il a peint saint Luc devant son chevalet; c'est le portrait de Rich-metter Stelt, son ami, peintre lui-même : la Vierge adorant Jésus , à qui elle vient de donner la naissance : la Chute des Anges rebelles. « L'exécution de ce
» tableau, dit le livret du musée, doit faire re» gretter que le sujet ait jeté l'auteur dans un amas » de bizarreries et d'idées fantastiques. Les Anges » qui précipitent leurs compagnons réprouvés , at» testent cependant combien il méritait le surnom » de Raphaël. » J'ajouterai que le peintre a su réunir avec "un rare bonheur lés parties qui sembleraient les plus hétérogènes ; que l'agencement des réprouvés est admirable, et que les détails fantastiques sont parfaitement traités.
Le roi Guillaume fit présent au musée d'Anvers , en 1823, d'un tableau du Titien, dont le sujet est Le pape Alexandre VI présentant à saint Pierre l'évêque de Paphos , de la famille vénitienne des Pesaro, auquel il avait conféré le grade d'amiral de ses galères, destinées à faire la guerre aux Turcs. Quand un Borgia occupe la chaire pontificale , on n'est pas surpris de voir un évêque de Paphos général des milices du Saint-Siège.
Il n'y a point d'ouvrages de Martin de Vos dans la galerie du Louvre. Elève de Frans Floris et du Tintoret, Martin de Vos vivait de 1524 à 1604. J'ai noté, entre ses nombreux tableaux, le Christ confondant l'incrédulité de saint Thomas et la Décollation de saint Jean-Baptiste. Sa manière rapelle quelque peu celle de Frans Floris ; mais il lui est inférieur.
Le musée renferme deux tableaux de Franck le vieux ; quatorze de François Franck, un de Jérôme et cinq d'Ambroise. Ces trois derniers Franck étaient frères, et natifs d'Hérentals. Ambroise vivait
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encore en 1600. Des grands tableaux de François conservés au musée d'Anvers , je citerai seulement la Nativité de Jésus et la Prédication de saint François. Les trois petits tableaux de ce maître qui sont au musée de Paris, l'Histoire d'Esther, l' Histoire de l'Enfant prodigue et le Christ entre les deux larrons, me paraissent préférables.
La famille Snoeck offrant des ornemens d' église à l'abbé de Saint-Michel, par Corneille de Vos, fait regretter qu'il n'y ait dans la galerie du Louvre aucun tableau de ce maître, qui vivait en 1619.
Nous ne possédons rien non plus de David Téniers le jeune , né à Anvers en 1610.
Jean-Erasme Quellin, né dans la même ville en 1629, manque aussi au Louvre. Il était élève de son père, qui avait étudié sous Rubens. Son tableau de la Piscine de Bethsaïde est son chef-d'oeuvre ; il est, par ses dimensions , un des plus extraordinaires que l'on connaisse, et une des plus fastueuses compositions que la peinture ait produites.
Quatre bustes en marbre , exécutés par Arthur Quellin , Kerrickx , Louis Willemsens et P. VanBaurscheit, sont les seules sculptures du musée d'Anvers.
Une chaise ayant appartenu à Rubens est enfermée dans une montre vitrée. On l'a préservée ainsi des atteintes des jeunes peintres, qui en arrachaient le cuir par petits morceaux , afin de posséder des reliques du grand maître.
Un intérêt d'orgueil national s'attache aussi à la belle maison qui fut habitée par Rubens, et dont il avait été lui-même l'architecte.
166 Anvers est encore aujourd'hui une ville de dévotion. On y voit au coin des rues un grand nombre de statues de la Vierge dans des niches décorées. Des Crucifix sont aussi placés en beaucoup d'endroits. Sur une des plus grandes places, qu'on nomme la place de Mer, on érigea, en 1635, un Christ en croix, de bronze, haut de trente-trois pieds, supporté par un piédestal de marbre. Ce monument, qui devait être intéressant pour les artistes, n'existe plus ; j'ignore à quelle époque il a été détruit.
Je dirai peu de chose de Bruxelles, où je ne suis resté qu'un jour, et qui au surplus est la plus connue des villes de la Belgique.
L'église de Sainte-Gudule, bâtie en 1047 par Lambert, surnommé Baldéric, duc de Brabant, est un monument précieux que l'on restaure en ce moment. J'y ai remarqué la chapelle de la Vierge, tout en marbre noir et blanc ; des tombeaux trèsriches, aussi en marbre noir et blanc, qui renferment les dépouilles mortelles de plusieurs ducs de Brabant et de leurs épouses; de magnifiques vitraux représentant divers souverains des Pays-Bas ; des confessionnaux ornés de statues d'un beau travail; enfin, la chaire à prêcher, qui paraît avoir servi de modèle à celle de Notre-Dame d'Anvers. Adam et Eve, chassés du paradis terrestre, sont placés sous le monument, soutenu par des arbres et arbrisseaux sur lesquels sont perchés des oiseaux et des singes. On y voit des fleurs, des fruits et des animaux de toute espèce. Cette chaire et celle de la cathédrale d'Anvers sont tout en chêne; la sculpture en est
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vive et originale ; mais elle n'est pas toujours de bon goût. La chapelle du Saint-Sacrement, composé bizarre de boiseries, sculptures, dorures, étoffes, etc., est tout-à-fait de mauvais goût.
Le jardin botanique est un établissement particulier. L'édifice est d'un caractère spécial et d'une belle ordonnance, construit en brique et en une pierre du pays qui ressemble à du marbre noir. Ces constructions sont peintes en blanc, à l'huile-, car on peint tout dans ce pays, maisons, palais et même statues. Les serres sont superbes; on pourrait croire qu'elles ont servi de modèles à celles que l'on vient de construire chez nous au Muséum d'histoire naturelle.
Je me trouvais à Bruxelles précisément le jour de l'ouverture de l'exposition nationale des beauxarts. Elle dure un mois ; l'entrée coûte un franc les dix premiers jours, et cinquante centimes les vingt autres. A Bruxelles comme à Paris, on est privé de la vue des anciens tableaux pendant l'exposition des modernes, ces derniers recouvrant les autres. Les ordonnateurs belges, qui ont imité l'administration française dans une chose que celle-ci fait à regret, auraient dû aussi se rappeler qu'en France on fait aux étrangers les honneurs du salon, et placer mieux plusieurs ouvrages français. J'ajouterai qu'un certain uombre de productions belges tiendraient bien leur place au salon du Louvre. Le roi Léopold, dans son discours d'ouverture des Chambres, s'est montré satisfait de cette exposition, et il a manifesté l'espoir de voir bientôt les artistes belges hériter de la gloire de l'ancienne école flamande.
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En attendant que cette noble espérance se réalise, j'engagerai nos émules de la Belgique à faire des études en France sur l'art de disposer une composition; par compensation, je conseillerai à certains peintres français d'étudier la vérité et la naïveté de l'école flamande; enfin, je dirai à tous qu'ils doivent chercher des inspirations dans les monumens antiques et dans les productions des grands maîtres. La vue des chefs-d'oeuvre, en Flandre comme en Italie, fera toujours sentir aux artistes le besoin d'être vrais et originaux, qualités plus nécessaires aujourd'hui qu'elles ne le furent jamais, le temps et les succès de la froide imitation étant passés sans retour.
RAPPORT
SUR LES
MEMOIRES DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES,
ARTS ET BELLES-LETTRES DE DIJON
POUR L'ANNÉE 1835 ,
PAR M. MIEL.
Messieurs,
L'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon, fidèle à une précieuse habitude, nous a envoyé ses Mémoires pour 1835. Disons-le tout d'abord ; cet intéressant recueil laisse quelque chose à désirer pour nous. Il nous est permis de regretter que le volume ne contienne pas de travaux plus en rapport avec notre spécialité. Sans un chapitre extrait d'une Histoire du président de Brosses, qui rappelle le voyage de ce personnage en Italie et qui mentionne les arts par occasion, il ne serait question des arts que dans le titre. Des dissertations philosophiques et scientifiques très-remarquables, des morceaux littéraires qui ne le sont pas moins , remplissent bien le livre, et je tâcherai de vous en donner un aperçu. Mais je crois me rendre l'interprète de vos sentimens en exprimant d'abord, nonseulement le regret, mais même quelque étonnement de ce qu'un corps savant aussi distingué, dans une localité aussi riche en monumens des arts, en institutions artielles et en artistes de talent, dans une ville où une exposition départementale pourrait
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être régulièrement organisée et avoir tant de succès, ne s'impose pas l'utile obligation de consacrer toujours quelques feuillets de ses annales à la branche des connaissances humaines que vous cultivez de préférence.
Dans un Mémoire qui a pour titre Ambroise Paré au 19e siècle , M. Vallot passe en revue particulièrement les phénomènes d'histoire naturelle qui peuvent tromper les sens de l'observateur, phénomènes dont le père de la chirurgie française a admis un assez grand nombre comme des prodiges réels, ce qui lui va valu le reproche de crédulité; c'est-là ce qui explique l'intitulé de la dissertation. Mais il est juste d'ajouter que les exemples cités ne se rencontrent que dans les genres les plus obscurs et qui n'ont été bien définis que dans ces derniers temps. Toute la science physiologique de notre illustre Cuvier ne l'a pas toujours garanti des ruses pratiquées par les marchands de curiosités naturelles pour falsifier les êtres. Si donc Ambroise Paré accueillit quelquefois le merveilleux dans certains faits mal observés, ce ne fut pas par une crédulité ignorante ; ce fut plutôt parce qu'il connaissait mienx qu'un autre toute la puissance de la nature. L'auteur de la dissertation y développe un vaste savoir , une lecture immense , une rare saga cité d'observation. Médecin et naturaliste, il recommande l'étude de l'histoire naturelle aux jeunes médecins ; j'oserai , disciple de Jussieu et de Cuvier, la recommander aussi aux jeunes artistes.
Une visite à Clairvaux, par M. Mongis, pro-
171 cureur du roi à Arcis-sur-Aube, intéresse toutes les classes de lecteurs. Lorsque la sollicitude publique se porte sur les différens systèmes pénitentiaires conçus par la philantropie moderne et que le gouvernement en fait étudier le régime dans tous les pays, on éprouvera quelque satisfaction en apprenant que nulle part peut-être ce problème d'économie sociale n'approche plus de sa solution qu'en France et à Clairvaux même. Le visiteur s'attache surtout à l'examen des institutions destinées à l'amélioration morale des détenus ; il parcourt les ateliers de travail, les écoles et la chapelle. « C'est » une grande et sage pensée, dit-il, d'avoir mis » partout le vice puni par la terre, en présence du » ciel qui pardonne au repentir. » Néanmoins, la religion et l'instruction ne lui semblent pas les moyens de moralisation les plus efficaces ; le seul qui le soit réellement, c'est le travail, et surtout le pécule qui en est le fruit, leçon immédiate et démonstrative de ce que peut la bonne direction des facultés intelligentes. Dans un rapport très-intéressant de M. le docteur Ferrus sur les maisons d'aliénés, il est souvent question des services obtenus par le travail, comme moyen favorable à la guérison des fous; l'application aux criminels est une déduction toute logique, puisque l'impulsion qui porte au crime est un mouvement de démence. Quant à la solitude absolue, au silence absolu , si en faveur de nos jours , outre que l'emploi en est inhumain , il paraît illusoire ; car ces hommes, condamnés à ne plus parler, pensent encore, et ils pensent au mal.
172 Telle est du moins l'opinion à laquelle les lumières et l'expérience du magistrat qui vient de visiter la prison de Claivaux, donnent une double autorité.
Un appareil destiné à mesurer la quantité de pluie tombée sur divers points du département de la Côted'Or et la quantité de l'évaporation correspondante, a fourni à M. Bonnetat, ingénieur en chef du canal de Bourgogne, le sujet d'un Mémoire utile à la météorologie.
M. Peignot, à qui les recherches de longue haleine ne font pas peur, a dirigé les siennes vers l'origine de la philotésie, ou l'usage de boire à la santé. « L'homme, dit-il, ne se borne pas , comme les » animaux, à satisfaire isolément et gloutonnement » les besoins impérieux de la faim et de la soif. Sa « raison, l'intérêt de sa santé, son état de sociabilité, » l'ont conduit à faire du repas un point de réunion " pour la famille et pour les amis. L'usage de boire à " la santé et de porter des toasts n'est pas un des » moindres agrémens de la table.» L'auteur retrouve cet usage chez tous les peuples, à toutes les époques de l'histoire. Il en résulte des tableaux de moeurs et des récits d'anecdotes piquantes , où l'érudit et l'homme du monde trouvent également à profiter.
Dans le fragment déjà cité de l' Histoire du président de Brosses , on voit ce jeune magistrat parcourant l'Italie avec cinq autres Bourguignons, espèce de caravane qui fit dire à un cardinal que Rome n'avait pas vu à la fois tant de Bourguignons depuis l'invasion des Barbares. Ceux-ci n'étaient rien moins que barbares ; c'était ce que la Bourgogne
173 civilisée avait alors de plus docte , de plus poli et de plus spirituel ; Lacurne et Sainte-Palaye étaient du voyage. Quelques notions sur la peinture et les peintres, sur la musique et les musiciens de cette époque en Italie (1737), donnent à M.Foisset, auteur du morceau, des droits particuliers à nos remercîmens , puisqu'il s'adresse à notre spécialité.
L'Histoire critique de la littérature anglaise , par M. Mezières, est analysée avec talent par M. Legeay. Plusieurs de ses opinions et de ses jugemens trouveront ici de l'écho. « Dans les arts, » dit-il, les règles ne sont autre chose que le suffrage » des peuples éclairés réduit à sa plus simple expres» sion. » C'est une de nos maximes fondamentales.
M. Jules Pautet semble ne pas l'admettre , et c'est tant pis pour lui comme pour nous. Doué d'un véritable talent, ce jeune écrivain s'obstine à marcher sous la bannière des plus ardens détracteurs de nos grands poètes ; ses vers s'en ressentent. Dans l'Orage , la Vie, pièce trop mêlée de mal et de bien, le bien appartient à l'auteur, le mal à son patronage.
Mais quelle grâce soutenue et quel charme de coloris dans la jolie fable intitulée le Feu du Foyer ! Elle est de M. Bressier, poète qui prouve chaque année, comme le fait chez nous un de nos collègues , qu'on peut s'exercer avec succès dans l'apologue , sans avoir la folle prétention d'imiter l'inimitable. Vous avez souvent accueilli l'aimable muse de M. Desains ; permettez-moi de vous présenter celle de M. Bressier; toutes deux sont de la même famille.
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LE FEU DU FOYER,
FABLE.
Près de mon feu , le coude appuyé sur ma table,
Seul, rêvant au hasard, je savoure à loisir
Du dolce far niente le facile plaisir.
Changeons de jouissance, oui, rimons une fable:
Ce travail est si doux ! il me coûte si peu!
Le sujet en est là, devant mes yeux , le feu :
Le feu dont la chaleur entretient dans ma chambre
L'atmosphère do juin à la fin de décembre.
Combien de plaisirs je lui doi ! C'est un fidèle ami qui me tient compagnie, M'occupe, me distrait, qui seul a de la vie Quand tout est immobile et muet prés de moi. Observons ses progrès : une flamme bleuâtre Qui du chêne voudrait embrasser le contour, S'échappe faible encore , éclaire à peine l'âtre,
Paraît, disparaît tour-à-tour. Bientôt elle grandit, serpente, se déploie, Et pour la dévorer enveloppe sa proie. Dans les flancs du vieux tronc l'air long-temps comprimé Siffle ou gronde en sortant de son gîte enflammé;
Et, changée en brûlante écume, La sève cherche à fuir l'ardeur qui la consume.
Si l'édifice du foyer A son centre miné par la flamme ennemie S'écroule, le vainqueur languit sans énergie,
No trouvant plus à guerroyer. Aussitôt je saisis mes pincettes fidèles ; Mes tisons rapprochés au vorace élément
Donnent un nouvel aliment;
Annoncé par l'éclat d'un millier d'étincelles, Le combat recommence avec acharnement. Que reste-t-il au dénoûment De cetle guerre rallumée ? Un débris de chêne noirci, Dés cendres et de la fumée.
Que de débats fameux se terminent ainsi !
Ecoutez maintenant la prose de M. Nault, dans un écrit des plus sérieux , ayant pour titre : Nouvel
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apologétique , ou Vue générale de la Religion chrétienne considérée dans ses preuves et dans sa doctrine, lequel a pour objet l'examen d'un ouvrage publié à Dijon, en 1835, par M. l'abbé Lacoste, et intitulé : Preuves de la Religion exposées dans leur enchaînement et leur suite. Voici le commencement de cet écrit : « En ces temps , où le long » conflit des opinions et la pente des moeurs vers » les intérêts matériels semblent avoir laissé les » esprits dans l'indifférence sur les questions qui » ne se résolvent pas dans le bien-être de notre » existence passagère , une apologie de la religion » est-elle opportune? Un tel livre peut-il produire » des fruits ? Nous n'en doutons nullement. Sous » l'apparence de cette langueur générale dans la » recherche de la vérité , la question religieuse se » fait jour parmi les esprits avancés ; elle préoccupe » les hommes d'intelligence et d'avenir, qui sont » frappés du vide que le défaut de croyances laisse » dans une société réduite à recevoir sa direction » du caprice , des volontés et du hasard des événe» mens. Ils sentent qu'un point d'appui aux opinions » humaines est une condition de repos en ce monde, » que la raison de l'homme est impuissante à le » prendre en elle-même, et qu'il faut le chercher » en dehors des conceptions mobiles de notre sa» gesse. C'est donc le devoir d'un ecclésiastique » instruit à fond des preuves du christianisme et » des moeurs du siècle, de seconder cet ébranle» ment donné aux esprits , cette impression provi» dentielle. La génération contemporaine a mis en
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RAPPORT
SUR LES
MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DE CAMBRAI,
POUR 1832 — 1833, PAR M. MIEL.
Messieurs,
Dans une de vos précédentes séances, je vous entretenais de Dijon ; je dois, dans celle-ci, vous parler de Cambrai. Ces deux villes , considérées comme localités propices aux arts , ont entre elles de nombreux rapports. Egalement fidèles au culte de leurs grands hommes, elles s'enorgueillissent, l'une de Bossuet, l'autre de Fénelon. Sous les auspices de ces noms illustres, leurs académies rassemblent et publient de bons travaux ; mais celle de Cambrai est la plus artiste des deux, ainsi que l'annonce sa devise : Honos alit arles. Par ses soins s'est formée-une Société des Amis des Arts, dont l'appel s'adresse au talent de tous les pays, de tous les genres, et qui, à la suite d'expositions bisannuelles, fait des acquisitions importantes. J'ai sous les yeux le catalogue de l'exposition qui a eu lieu l'été dernier ; elle se composait de 306 morceaux, parmi lesquels ont figuré les productions de plusieurs de nos collègues. Des articles de critique, insérés dans un journal du pays, en ont rendu compte avec goût et indépendance. Ainsi la Société des Amis des Arts et la Société d' Emulation réunies forment, à Cambrai, une institution complète. Par cet heureux Soc. libre des Beaux-Arts. 12
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concours, des encouragemens utiles vont chercher l'artiste ; des prix permanens attendent l'écrivain livre' à l'étude des antiquités locales ou nationales ; une lyre d'argent est offerte au poète. En 1827, l'inauguration du mausolée de Fénelon m'a porté bonheur ; elle m'a inspiré une ode qui me fit obtenir cette lyre.
Le précis de la séance publique commence le volume de Mémoires, et le discours du président, M. le docteurLeglay, ouvre la séance. « S'il existe, dit-il, » un peuple que déchirent les funestes divisions, et » qui, parvenu à une phase inouïe de civilisation, s'a" gite mécontent du présent et inquiet de l'avenir, » il n'est peut-être qu'un remède à cette fièvre dés» organisatrice. Substituez partout aux vaines et » décevantes théories de la politique le goût et » l'amour des lettres et des arts ; faites pénétrer, » par leur moyen, dans tous les rangs de l'ordre » social une instruction douce, morale et appro» priée à la situation de chacun; que les bons li» vres, que les morceaux d'art, avoués par la raison » et le droit sens, deviennent populaires; que des » bibliothèques rurales soient élevées dans les » moindres communes ; qu'au sein de nos villes, la » charité soit aussi empressée de déposer un bon » ouvrage dans l'asile du pauvre, que d'y porter de » l'argent et du pain. » Cette gravité de pensée et de style vous prouve, Messieurs, que l'école de Fénelon s'est continuée à Cambrai. Vous avez déjà pu reconnaître à Dijon et à Bordeaux combien sont puissans les exemples du génie dans les lieux qu'il a rendus illustres.
179 Le prix de la lyre d'argent offre un intérêt tout particulier ; il est si universellemeut ambitionné, que cinquante-cinq-pièces de vers ont été envoyées au dernier concours. Le rapport en a été fait avec esprit et impartialité par M. Delcroix , poète distingué lui-même. Le résultat du jugement a dû procurer aux Cambrésiens une double satisfaction. Leur lyre a été décernée à un de leurs compatriotes, M. Henri Carion, pour sa pièce intitulée : Une des sept merveilles du Cambrésis. Deux pièces rivales de celle-ci, le Vieillard grec, par M. Durand de Modurange, et Charles 11 à Marie de France, par M. Charles Lafont, ont été récompensées chacune par une médaille d'or.
Un Discours sur les Duels anciens et modernes a obtenu le prix d'éloquence, sur le rapport de M. Henri Leroy. La question, épuisée par J.-J. Rousseau sous le point de vue moral , a été envisagée par l'auteur sous le point de vue historique. Lorsque la loi romaine, c'est-à-dire,la raison écrite s'est établie dans presque toute l'Europe , le duel continue à subsister; il reste comme sanction du point-d'honneur, dont le code se forme des traditions de la féodalité , « sans doute , ajoute " le rapporteur, pour qu'il soit vrai de dire que " ce qu'il y a de plus barbare protége ce qu'il y a » de plus absurde. »
Une médaille est décernée au jeune peintre Dowa, pour le portrait de Mme Emile de Girardin, qui a précédemment obtenu la lyre d'argent. Une autre médaille au jeune sculpteur Hollain, qui,
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sans autre guide que la nature, a sculpté un Christ en bois pour le cimetière de son village. L'administration municipale ayant reconnu dans cet essai des dispositions innées, a procuré à l'artiste les moyens de les cultiver par l'étude, et l'a placé dans l'atelier de M. David, à Paris. « Puisse» t-il, second Franqueville, dit le rapport, acquérir » une illustration qui se reflétera sur Cambrai ! » Un tel voeu est tout-à-fait athénien.
M. Béthune-Houriez a fait le rapport sur les objets d'économie agricole. J'y ai remarqué une note de M. Debaralle, architecte de la Ville, sur la déplantation et la replantation de grands arbres , procédé qui n'a rien de hasardé dans son application, rien de fortuit dans ses résultats, et qui peut être fort utile en beaucoup de circonstances.
Une dissertation de M. Emile Tordeux sur d'anciennes monnaies trouvées par un pécheur dans la rivière d'Hespre, à Avesnes; une notice du savant belge baron de Reiffemberg, sur Jehan de Molinet, historien et poète ; un mémoire de M. Gourdin, professeur de mathématiques au collége de Cambrai, sur un moyen simple, sûr et prompt de déterminer la contenance d'une chaudière, seul et sans y descendre, solution importante pour un pays de brasserie ; tous ces travaux , par leurs résultats nombreux et variés, montrent combien la Société d'Emulation tient à justifier son titre.
On a dit depuis long-temps qu'il y avait une providence pour les gens qui lisent. Personne ne le prouve mieux que M. le docteur Leglay. Aussi
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heureux qu'infatigable dans ses recherches, il retrouve les lieux, les faits, les chartes du moyen-âge, dont il recompose l'histoire. Aucun archéologue n'a fourni dans ces derniers temps aux annales de sa province un contingent plus riche et plu exact. Il vient de mettre la main sur des vers inédits de La Fontaine, traductions libres de seize inscriptions latines à la louange de Louis XIV, et probablement les derniers produits de la muse du grand poète. Ces inscriptions et ces traductions, placées en regard sous le titre général de Galerie historique des conquêtes de Louis XIV, forment un ensemble des plus curieux.
M. Edouard Leglay, élève de l'Ecole royale des Chartes, marche dignement sur les traces de son père. Il a rendu intelligible, en l'annotant, uue complainte romane : De Engerran vesque de Cambrai ki fu, ou sur Enguerrand de Créqui, évêque de Cambrai, dont la mémoire est chère au pays, parce qu'il y favorisa les libertés municipales dès le treizième siècle ; une notice sur ce prélat populaire ajoute à l'intérêt du morceau. De plus, le jeune savant a traduit en langue française l'Incendie de l'abbaye d'Origny, épisode du poème roman de Raoul de Cambrai. Ces fragmens se recommandent et comme monumens de la poésie des trouvères cambrésiens, et comme peintures des moeurs de l'époque.
Dans deux dissertations finement analytiques, l'une sur Paul-Louis Courier et ses divers écrits, l'autre sur Hoffmann et ses contes fantastiques,
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M. Maignien, professeur de rhétorique au collége de Cambrai, a fait preuve d'une instruction solide et d'un goût délicat. Helléniste, il examine l'influence que l'étude approfondie de la langue grecque a exercée sur le style du premier, en faveur de qui il semble d'ailleurs trop prévenu. Tout en rendant justice à un talent devenu original par une heureuse reproduction des formes grecques, il faut pourtant convenir qu'on n'y reconnaît plus la libre allure de notre langue contemporaine, et il est douteux que la postérité confirme le jugement du critique, qui associe le nom de Courier aux noms de Pascal et de Labruyère. Quant à l'auteur des contes, il est aussi l'objet d'éloges mérités, mais excessifs. Le critique pense que la lecture de ces compositions doit être surtout profitable par la vérité. J'avoue que je ne conseillerais jamais de l'aller chercher là ; je craindrais qu'elle ne fût troublée ou défigurée par les fumées du tabac et les flammes du punch. Une note sur les travaux littéraires de la Société d'Emulation, par M. Wilbert, nous apprend que M. Maignien a publié des écrits sur les sympathies en matière d'art, sur l'imitation dans les arts, etc. Comme ses doctrines paraissent en rapport avec les nôtres, nous examinerons la suite de ses travaux avec un intérêt de confraternité.
Un écrit en prose sur le vrai, le beau et le moral dans les arts, première pensée de celui que j'ai eu l'honneur de lire à votre séance publique de 1835 (1 ),
(1) Voyez Annales de la Société libre des Beaux-Arts pour 1835, p. 56.
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et un petit dialogue en vers, l'Homme et la Nature, badinage lu aussi par moi dans une séance publique, à Cambrai, m'ont fait retrouver, parmi les publications de l'académie cambrésienne, mon faible tribut de correspondant.
Il est regrettable pour les amis des bons vers que M. Delcroix n'ait fourni au volume d'autre contingent poétique qu'une petite fable, la Fauvette, qui a pour morale le bonheur d'une douce médiocrité, mais dont l'idée n'est pas neuve. En revanche, nous lui devons la connaissance d'un journal écrit à la Guyane par Gilbert-Démolières, un des déportés de fructidor, et adressé à sa mère avec une carte de l'île de Cayenne et une vue de l'habitation de l'auteur ; morceau d'un grand intérêt politique et historique, qui caractérise à la fois le lieu, l'époque et l'homme. « C'est aujourd'hui, » dit l'exilé, l'anniversaire de nos malheurs; ce » sera à Paris un jour de joie , parce qu'on ne » réfléchit pas ; mais c'est le jour où la liberté a été » anéantie, où le corps législatif, déjà garrotté, s'est » encore fait resserrer ses chaînes, lion muselé qui » se rappelle inutilement sa force. Je suis plus libre » que lui dans mon désert. Ah! pleurons d'avoir vou» lu le bonheur de notre patrie ; pleurons sur elle ; » elle est en proie aux tigres. Oui, les tigres qui » viennent jusque dans nos terres cultivées et près » de nos habitations, sont moins cruels. S'il fal» lait cesser d'être humain et sensible pour être » libre, je renoncerais à la liberté. »
Je termine par cette belle citation. L'abondance
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et la diversité des matières contenues dans le volume académique, le talent qui a présidé à leur rédaction, le rapport direct de beaucoup d'entre elles avec nos travaux , vous font entrevoir dès aujourd'hui la valeur et la portée des relations qui s'établissent entre la Société libre des Beaux-Arts et la Société d'Emulation. Pour mon compte, Messieurs, je vous remercie de m'avoir procuré l'occasion d'offrir un juste hommage au zèle et au talent de collègues que j'ai l'honneur de connaître presque tous personnellement.
Après cette lecture, M. Miel a déposé sur le bureau, pour être distribués entre les membres présens, un certain nombre d'exemplaires de son Ode à la Ville de Cambrai, sur l'inauguration du monument érigé à Fénelon, pièce pour laquelle la lyre d'argent lui fut décernée. Les gravures de ce monument, qui accompagnent la brochure, ont beaucoup intéressé la Société. On sait que la figure du prélat et les trois bas-reliefs historiques dont se compose le mausolée, sont cités parmi les ouvrages les plus remarquables de M. David.
RAPPORT FAIT PAR M. MALPIÈCE,
Au nom de la Commission chargée d'examiner
LES GRAVURES A L'EAU-FORTE
OFFERTES PAR M. DUNOUY (1).
Messieurs,
M. Dunouy, membre correspondant de la Société, le doyen des peintres paysagistes, dont le mérite est bien apprécié dans le monde artiste, regrettant de ne pouvoir contribuer activement aux travaux de la Société, lui a fait hommage de deux exemplaires d'une suite d'eaux-fortes de paysages, contenant seize planches gravées par lui, d'après des études faites sur nature en Italie et aussi d'après ses propres compositions, qu'elles reproduisent heureusement. Ces eaux-fortes sont exécutées avec cette touche spirituelle qui caractérise ce genre de gravure et le talent de l'auteur. M. Dunouy ajoute à cet envoi quarante autres exemplaires du même ouvrage, pour être mis en vente au profit d'artistes malheureux.
Plusieurs planches de cette collection sont connues dans le commerce, bien qu'elles n'aient point été émises par M. Dunouy ; elles avaient été données par l'auteur. Cette circonstance ne permet
(1) Membres de la commission : MM. Chéry, Jolivard, Malpièce, Ransonnette et Vivet; rapporteur, M. Malpièce,
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peut-être pas de les considérer comme une publication nouvelle. Toutefois, votre commission, afin de remplir l'objet philanthropique du donateur, vous propose de faire déposer les quarante exemplaires de ce recueil chez un éditeur d'ouvrages d'art, et de faire connaître par la voie des journaux artistiques, ainsi que par vos Annales, cette suite d'eaux-fortes, que M. Dunouy doit augmenter bientôt d'un nombre encore plus grand, destiné au même usage.
Le modique prix de dix francs, que coûteront les seize premières planches, permet de penser que tout amateur ou artiste qui voudra à la fois faire une bonne action et posséder un ouvrage intéressant, s'empressera d'acquérir celui-ci (1).
Les succès obtenus par notre collègue dans les expositions publiques l'ont placé au rang des paysagistes les plus distingués de son temps ; les noms de Demarne, de Dunouy et de Swebach resteront gravés dans la mémoire des artistes, comme leurs tableaux se trouvent dans les collections choisies.
La commission vous propose unanimement d'exprimer à notre collègue la reconnaissance de la Société, pour l'hommage qu'il a bien voulu lui adresser ; de le féliciter du noble emploi qu'il fait de son talent et de ses ouvrages, et de lui donner l'espérance que son exemple trouvera des imitateurs.
Ces propositions ont été vivement accueillies par l'assemblée.
(1) Cet ouvrage se trouve chez Christi jeune, marchand d'estampes, rue de l'Abbaye-Saint-Germain, n. 12.
NOTICE
SUR FEU CAPDEBOS,
Peintre d'Histoire, PAR M. GUERSANT.
Messieurs,
Pierre-François Capdebos naquit à Perpignan, le 27 février 1795. Ses études dans le dessin et la peinture furent solides. Elles furent aussi très-variées et lui procurèrent des succès dans plusieurs branches de l'art. Cependant la peinture d'histoire était celle qu'il cultivait de prédilection.
Il exécuta plusieurs tableaux de dévotion, parmi lesquels on a distingué un Saint François d' Assise, une Sainte Thérèse, un Saint Vincent de Paul. Il peignit un grand nombre de portraits, et comme il était excellent physionomiste, la ressemblance y était parfaite. En 1814, la ville de Perpignan le chargea de faire ceux de Charles X, du duc de Bordeaux et de Henri IV. Les scènes familières traitées par son pinceau tiennent une place honorable dans les cabinets des amateurs. Ses lithographies sont fort estimées. Il dirigeait, en 1830, à l'École de Médecine de Paris, un travail anatomique intéressant pour l'art auquel il s'était voué ; la révolution de juillet le fit interrompre.
Il était digne de faire partie de la Société libre des Beaux-Arts ; car il en avait deviné le but et la direction. Il avait compris d'avance que le vrai moyen de propager le goût et l'élude des arts est l'établissement d'écoles de dessin et de collections
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d'objets d'art dans les principales villes de province. Aussi une pensée toute patriotique le dominait depuis long-temps; c'était celle de former un musée dans sa ville natale. A force de peines et de sacrifices, il parvint à la réaliser. Il y consacra plusieurs années de sa vie, le fruit de ses économies et toutes ses facultés. C'est là qu'il plaçait son avenir et les espérances de sa famille. Le 1er mai 1833, jour de la fête du Roi, le musée de Perpignan fut ouvert au public.
Capdebos espérait finir ses jours dans le lieu de sa naissance, embelli et enrichi par ses soins; car c'est à son zèle et à son exemple que la ville est redevable de la plupart des dons précieux qu'elle a reçus depuis. Par arrêté du 1er janvier 1836, l'autorité municipale de Perpignan le nomma directeur et conservateur du musée qu'il avait créé. On le nomma en outre professeur de dessin à l'école gratuite de cette ville, choix mérité par ses services comme par son talent. Membre de la Société libre des Beaux-Arts et de la Société française de Statistique universelle, l'un des fondateurs de la Société philomathique de Perpignan, il rendit utiles à ses concitoyens tous les instans de sa trop courte existence. Il mourut à Paris, le 31 juillet 1836, des suites d'une attaque d'apoplexie.
La Société libre des Beaux-Arts a décerné à la mémoire de cet honorable collègue un témoignage public de son estime, en lui accordant une médaille d'argent pour la fondation d'un musée dans sa patrie (1).
(1) Voyez p. 234.
RAPPORT
FAIT PAR M. GELÉE ,
SUR UN EXTRAIT
DE L'ÉCHO DE LA NIÈVRE
Du 9 avril 1836, Adressé à la Société libre des Beaux-Arts.
Messieurs,
Chargé de vous présenter un rapport sur un simple extrait de journal , je ferai en sorte qu'il soit court, comme le texte même qui en est l'objet. Ce n'est pas que l'on ne puisse s'étendre longuement sur un fort petit volume , si le contenu mérite un tel examen, et il en pourrait être ainsi relativement à l'extrait dont il est question; car il embrasse une grande étendue de vues conformes en tous points à celles dont notre Société s'est occupée fréquemment et s'occupe encore tous les jours.
Dès le début, l'auteur nous montre son désir de voir tout chef-lieu de département devenir le centre d'une sorte de république fédérative pour les lettres, les sciences et les arts. Vous vous rappelez que, dans la première année de notre institution , le même point fut traité par plusieurs de nos collègues, et notamment par MM. Bidaut et Guersant. Si l'utilité de nos travaux avait besoin d'une preuve, elle ressortirait de ce fait seul, puisque
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l'organe de l'un des départemens les moins avancés dans les arts, reconnaissant le même intérêt que nous, se rencontre avec nous dans le même voeu. Le rédacteur regrette que les départemens français se trouvent en arrière des provinces anglaises et allemandes. « Là, dit-il, des localités peu cou" sidérables, de simples bourgades sont pourvues « d'académies, de bibliothèques et de musées, en « sorte que les Allemands et les Anglais, sans « sortir de chez eux, peuvent se livrer, pour ainsi « dire, en famille, à ces études graves et profondes « qui leur donnent un rang si élevé dans le monde « savant. » Ces regrets ne vous semblent-ils pas sortis de cette enceinte? Ne sont-ils pas l'écho de ceux qu'exprimait, il y a quatre ans, notre honorable collègue M. Muller, dans ses intéressantes recherches sur les sociétés artistiques de l'Allemagne ? Enfin, nous reste-t-il autre chose à faire qu'à approuver de tels sentimens et à féliciter l'écrivain sur la manière dont il les énonce? Plein d'espoir dans l'avenir de la France, il voit dès aujourd'hui chaque département, recevant des provinces voisines un mouvement d'émulation, grandir en civilisation et faire de notre belle patrie, pour les arts libéraux, ce qu'elle est depuis long-temps pour les lettres et les sciences, un vaste foyer de lumière, auquel viendront s'éclairer les autres parties du monde. Il vous est permis, Messieurs, de vous rendre cette justice , que la première impulsion vient, de vous; votre correspondance la soutient; vos publications la stimultent encore; vos Annales éveil-
191 lent de toutes parts les sympathies artistiques; un grand nombre de nos villes départementales, la Belgique, l'Allemagne, l'Angleterre, vous fournissent d'illustres et zélés coopérateurs.
Au surplus, le temps seul peut, à l'aide d'un état de paix prolongé, nous procurer cet ensemble d'institutions si désiré, et il y aurait de l'injustice à exiger plus de promptitude dans le résultat. Rappelez-vous en effet le résumé statistique qui vous fut présenté en 1832. Alors six départemens s'occupaient des arts avec succès; vingt venaient en seconde ligne ; treize se plaçaient au troisième rang; les quarante-sept autres laissaient à peine voir leurs noms à travers cette teinte noire inventée par un savant de nos jours, pour signaler l'ignorance ou plutôt l'indifférence au savoir. Quoique cette situation remonte à peu d'années, le nombre de ces derniers est déjà diminué sensiblement, et plusieurs des autres, par des créations de sociétés d'amis des arts, d'académies, de musées, d'expositions publiques, se sont élevés à la hauteur des premiers.
Si celui de la Nièvre, dont nous nous occupons spécialement, n'est pas à ce niveau, il manifeste un mouvement notable qui tend à l'y élever. Son industrie variée, ses fabriques nombreuses, son activité pour l'exploitation des fers, son commerce riche et animé, l'ont placé très-haut dans l'échelle industrielle et commerciale ; mais ces avantages même ont pu retarder le développement d'idées plus abstraites et empêcher qu'on ne se livre avec une
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certaine ardeur, dans cette contrée, à la culture des beaux-arts, qui demande du loisir, des méditations solitaires, de la continuité, et ce calme de la pensée sans lequel on ne saurait rien produire de suivi ou d'approfondi. Le moment est arrivé où les esprits commencent à se diriger vers des travaux d'un autre ordre, avec l'aide de quelques hommes dévoués qui honorent le département en s'honorant eux-mêmes.
Je pourrais vous citer plusieurs noms très-recommandables ; je me bornerai à un seul, parce qu'il est bien connu de vous, qu'il se rattache à votre spécialité, et qu'il vous rappelle un de vos correspondans les plus éclairés et les plus actifs, M. Auguste Grasset. La douleur que nous avons tous éprouvée lorsque., par une cruelle méprise, nous crûmes avoir à déplorer sa perte, a donné la mesure de l'estime que nous lui portons. Infatigable dans ses travaux , il agrandit sans cesse le musée qu'il a fondé à la Charité-sur-Loire et que la ville de Nevers, chef-lieu du département, envie à cette localité secondaire.
Nous savons que ce musée renferme non-seulement beaucoup d'objets concernant la mammalogie, l'ornithologie et plusieurs autres branches de l'histoire naturelle, mais qu'il contient encore divers fragmens d'archéologie et un grand nombre de curiosités dont quelques unes, envoyées à la Société libre des Beaux-Arts parle propriétaire, ont fixé votre attention. Nous savons aussi que cette collection augmente continuellement d'intérêt, parce que des
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voyageurs et des savans recommandables se plaisent à l'enrichir. Le musée de M. Grasset est ouvert au studieux et au simple curieux. Sa maison est, pour ainsi dire, à la disposition du public. Il pousse luimême l'obligeance et le devoûment jusqu'à envoyer les morceaux précieux de sa galerie chez les personnes qui ne peuvent pas venir les étudier sur place.
Sans doute il faudrait avoir vu le musée dont il s'agit pour en parler d'une manière convenable; votre rapporteur avait eu l'intention de le visiter cette année , afin de rendre son travail plus précis et plus complet-, il ne l'a pas pu. Mais d'après les notions que vous en avez recueillies par ceux de nos collègues qui ont pu le voir, vous pouvez vous étonner vous-mêmes que le fondateur n'ait pas encore reçu de la Société une récompense ou un encouragement. J'ai parcouru le recueil de nos Comptes-rendus ; le nom de M. Grasset n'y figure pas à ce titre. A la vérité, l'institution de nos médailles est d'une date trop récente pour que nous ayons pu en décerner à tous ceux qui auraient mérité cette distinction ; mais je pense que, pour être justes, nous devons porter M. Grasset au nombre des premiers candidats sur la liste de cette année.
Cette conclusion est adoptée par la Société, qui ordonne en conséquence le renvoi du rapport de M. Gelée à la commissiou des récompenses.
Soc. libre des Beaux-Arts, 13
RAPPORT
FAIT PAR M. HITTORFF,
SUR LA MAISON ET LE MUSÉE
DU CHEVALIER SOANE, Architecte à Londres.
Messieurs,
Parmi les envois faits cette année à la Société libre des Beaux-Arts, il en est peu qui montrent autant que celui dont je vais vous entretenir, à quel point votre institution étend de jour en jour sa juste renommée , et combien les étrangers les plus distingués en apprécient le but et les travaux. Il s'agit du livre intitulé : Description de la Maison et du Musée du chevalier Soane, dont cet artiste n'a fait tirer que cent exemplaires, et dont un exemplaire vous est offert par lui. Avant de me livrer à l'examen de cet ouvrage curieux,je pense que quelques notions sur son auteur , un des premiers architectes de l'Angleterre, pourront vous intéresser.
Sir John Soane est né en 1756, à Reading, dans le Berkshire. Il étudia l'architecture sous le célèbre Dance, professeur à l'Académie royale de Londres, auquel il devait un jour succéder lui-même dans la carrière de l'enseignement public avec tant de succès. Comme élève, il obtint toutes les couronnes académiques, et de plus, en 1777, la récompense inusitée en Angleterre d'être pensionné par le roi Georges III, pour faire le voyage d'Italie. Pendant
195 son séjour dans ce pays, jadis si fécond en grands hommes et toujours si riche de leurs immortelles productions, il étudia avec ardeur les admirables restes de l'architecture antique et les oeuvres des temps modernes, non moins dignes d'admiration. Plusieurs projets importans le firent distinguer dans la patrie de Brunelleschi, de Léon-Baptiste Alberti et de San-Gallo. Nommé membre de l'Académie de Florence et de celle de Parme, il fut élu plus tard membre de l'Académie impériale de Vienne, puis membre de la Société royale de Londres, de la Société des Antiquaires et de l'Académie royale. Il exécuta dans s'a patrie beaucoup de constructions particulières et plusieurs édifices publics. Mais l'agrandissement ou plutôt la reconstruction presque entière de la Banque de Londres est l'ouvrage qui contribua le plus à sa réputation.
Ce fut en 1788, quelque temps après son retour d'Italie, qu'il en fut chargé. «Le goût et le savoir, » écrit à ce sujet un auteur anglais , avec lesquels il » remplit sa tâche, firent voir que le choix de l'ar» chitecte ne pouvait être meilleur. » Ce début fut doublement heureux ; car le jeune artiste trouva dans les directeurs de l'établissement des hommes comme il y en a trop peu, qui secondèrent toutes ses vues, pensant avec raison que l'auteur d'un projet , devenu son propre juge, se jugera aussi sevèrement et avec une capacité moins incertaine que ne peut le faire toute autre personne étrangère à l'art. Une grande économie alliée à de grandes beautés fut le résultat et la récompense de cette sage con-
196 chiite. L'irrégularité du terrain et beaucoup d'inégalités dans la hauteur du sol offraient toutes sortes de difficultés. Mais elles n'empêchèrent pas l'artiste de distribuer l'intérieur de la manière la mieux entendue et la plus commode pour les besoins du service. De vastes salles, des cours spacieuses, variées de forme et de dimensions, plusieurs rotondes d'une noble simplicité, surmontées de dômes et de voûtes en pierre, les effets calculés de la lumière et de la perspective, présentent les aspects les plus divers ; mais la reproduction souvent heureuse d'une foule de beaux motifs et de détails charmans, puisés dans les restes de l'architecture antique et parfois dans l'architecture orientale moderne, n'offre peut-être pas cette fusion complète qui devrait imprimer au tout le caractère de l'unité et de l'individualité. On rapporte que Canova, après avoir rendu un éclatant hommage au talent déployé dans ce monument, avait dit n'y découvrir qu'un défaut, c'était que, dans ses nombreuses parties, ouvrage d'un architecte unique, il y avait de quoi faire une belle réputation à plusieurs architectes. Cette observation fine et juste en contient à la fois l'éloge et la critique. Parmi les édifices publics exécutés par M. Soane, je citerai encore, mais à un autre titre, la Chambre du Conseil ( Council-office) et les Cours de Justice de Westminster ( Law-Courts at Westminster). Dans ces constructions, où l'architecte aurait dû avoir une plus grande marge de liberté et de confiance, puisque ses preuves étaient faites, il ne rencontra que contrariétés, tracasseries, tribulations
197 de toute espèce, et il vit son travail hérissé de toutes ces épines qui font acheter aux artistes la couronne de laurier par la palme du martyre. De nombreux projets changés par le caprice des ordonnateurs et contre la conviction de l'auteur, des exigences incompatibles avec l'art et son but, en un mot, tout ce qui peut gêner la raison et le talent, se réunit pour entraver l'exécution de ses vues. Écoutons-le lui-même.
« Mon projet, dit-il, commencé à Rome dès 1779, » ayant reçu la sanction royale en 1794, je le regar» dais comme définitivement arrêté, lorsque lord » Granville, un des lords-commissaires de la Tréso» rerie, m'annonça avec regret que l'état des finances » forçait le gouvernement d'ajourner les travaux. Il » ne me fit redemander mes plans qu'en décembre » 1798 ; je les lui portai; il me pria de les lui laisser, » après les avoir examinés et approuvés de nouveau. » Plusieurs mois après, ils me furent renvoyés. Ils » étaient restés entre les mains de M. Wyat, nommé " nouvellement Directeur général des. Travaux pu» blics, qui se croyait en droit, par les prérogatives » de sa place, de juger des projets d'architecture. » Sous cet administrateur, on fit plusieurs construc» tions à la Chambre des Lords, entre autres une » chambre temporaire et beaucoup de logemens » d'employés. La Direction générale ayant été sup» primée après sa mort, on institua un bureau de " Travaux publics, composé d'un directeur et de » trois architetes, Le palais de Hampton-Court et » les bâtimens de Westminster furent placés sous
198 » ma surintendance, avec mission de les inspecter » deux fois par an. A la suite de ces inspections, je » découvris que la nouvelle chambre temporaire » était construite en bois recouvert de plâtre. J'ap« préhendai donc et j'avertis souvent que si par » malheur le feu se déclarait au milieu d'une si » grande quantité de matières combustibles, tous » ces bâtimens, ainsi que les habitations voisines, » deviendraient la proie des flammes. Eu outre, les » pièces étaient étroites, sombres et malsaines. Je fis » des plans pour remédier à ces défauts et à ces dan» gers; mais on resta sourd à mes observations. Le » 16 octobre 1834, toutes mes craintes furent réali» sées. Un incendie éclata dans ces constructions de » lattes et de plâtre qui avaient été l'objet de mes in» quiétudes, et détruisit entièrement la Chambre des » Lords, celle des Communes, la Chambre peinte, et » menaça même la salle de Westminster. Ainsi je » m'étais appliqué pendant cinquante-quatre ans, de» puis 1789 jusqu'en 1833 , à faire des projets pour » les deux Chambres du Parlement, dont quel» ques uns ont été exécutés. Sur les murs de ma » maison et dans mes cartons, on peut voir quelques » centaines de ces projets, dont plusieurs sont pour » moi des sources de délices infinies et d'amers » déplaisirs. Je m'étais flatté de reconstruire ou de » restaurer plusieurs de ces édifices et de les déco» rer par des sculptures monumentales, par des pein» rares Historiques, par des bustes et des bas-reliefs » en l'honneur des exploits de nos guerriers et » des talens de nos législateurs. J'espérais par de
199 » tels témoignages de la reconnaissance nationale » inspirer les plus sublimes conceptions aux artis» tes des trois royaumes; je me flattais de les leur » faire réaliser dans la production d'ouvrages qui » pourraient, en devenant d'éternelles sources d'é» mulation pour les actions héroïques, former à » jamais une suite de modèles pour l'étude des arts » en Angleterre et procurer aux artistes d'utiles tra» vaux pendant long-temps. J'ai vu s'évanouir » toutes mes espérances. »
En songeant que ces regrets sont ceux d'un illustre octogénaire, et que ces chagrins ont pesé sur lui pendant la plus grande partie de son existence, tout artiste doit se faire une vertu de la résignation. J'arrive maintenant à son livre , dont l'examen sommaire achèvera de vous faire connaître l'homme. Ce livre est une description de la maison de cet artiste, habitation commode et agréable, musée précieux et instructif. Cette description est accompagnée d'un grand nombre de plans et de vues. L'auteur nous apprend que l'objet de cette publication a été de montrer en premier lien l'étroite liaison qui existe entre la peinture, la sculpture, l'architecture, la musique et la poésie; puis de faire voir que les monumens d'art qu'il y a reunis doivent être étudiés suivant la disposition qu'il leur a donnée, cet ordre d'étude étant le plus propre à développer méthodiquement les connaissances des jeunes artistes; enfin, de leur rappeler que si l'architecte aspire à une réputation durable, il faut que son intégrité, comme celle de
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la femme de César, non-seulement soit sans tache, mais ne puisse pas même être soupçonnée.
La maison et le musée consistent en un bâtiment central d'environ trente-quatre pieds de large sur quatre-vingt-quatre pieds de profondeur, auquel ont été ajoutées successivement deux parties latérales peu étendues. Dans cet édifice, que surmontent trois étages au-dessus du rez-de-chaussée, élevé sur un soubassement, se distribuent en tous sens et sous toutes les formes une cinquantaine de pièces, porches, vestibules, galeries, salles, cabinets, colonnades, cryptes, musées, escaliers, cours, etc., qui renferment un nombre infini de morceaux d'art, fragmens d'architecture de toutes les époques, modèles des principaux monumens antiques, sculptures de tous genres, depuis le simple vase jusqu'à la statue d'Apollon, médailles, collections de pierres gravées, peintures, dessins, livres d'art et de littérature les plus rares et les plus magnifiques. On ne peut, sans l'avoir vu, se faire une idée des combinaisons auxquelles on a eu recours, afin de placer dans ces espaces, généralement fort restreints, cette énorme quantité de richesses artielles, en maintenant chaque morceau à portée de la vue, selon le degré de finesse qu'il offre. C'est surtout ici que M. Soane a su répandre la lumière avec une véritable magie, soit quant à la direction des rayons lumineux sur les objets qu'il s'agissait d'éclairer et au parti qu'il a tiré de leurs reflets propres ou de lenr réflexion par des miroirs, soit relativement à l'emploi ingénieux des verres colorés. Les motifs architec-
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toniques de chaque pièce, variés dans leurs formes et leurs dimensions, ont le caractère particulier qui convient aux principales productions d'art qui y sont rassemblées. Ainsi une réunion de colonnes antiques offre l'ordonnance d'une colonnade; les restes de constructions claustrales motivent un oratoire à côté des ruines d'un monastère; les tombeaux et urnes funéraires ornent des catacombes et une crypte; un admirable sarcophage en albâtre, rapporté d'Egypte par Belzoni, est déposé dans une chambre sépulcrale ; le buste de Shakespeare et un monument élevé à Pitt sont entourés d'objets d'art relatifs à ces hommes célèbres. Vous voyez que le Musée Soane contient non-seulement tout ce qui peut servir à l'éducation d'un architecte, mais encore tout ce qui peut la rendre attrayante. Il a fallu plus de trente années de sollicitude, de soins et de sacrifices pour le former. Un tel ensemble serait partout très-précieux; mais il est d'un prix inestimable en Angleterre, où les élémens nécessaires à l'enseignement de l'architecture, renfermés dans un seul établissement public, l'Académie royale, sont comparativement nuls ou du moins très-incomplets. La partie des tableaux et des dessins se compose de près de cent maîtres, parmi lesquels figurent, avec les noms des plus illustres artistes anglais, ceux de Ghiberti, de Michel-Ange, de Raphaël, de Paul-Véronèse, de Rubens, et de beaucoup d'autres célébrités de l'Italie, de la Hollande et de la France. Enfin, la bibliothèque, outre les livres et les manuscrits précieux par leur rareté
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ou leur origine, entre lesquels les magnifiques ouvrages d'art exécutés en France sont les plus nombreux et occupent le premier rang, contient tout ce qui a été publié d'intéressant ou d'utile en éditions illustrées par la gravure. Mais rien ne semble mettre plus en évidence la générosité de M. Soane que l'acquisition du sarcophage égyptien, monument d'art et d'archéologie, le seul de cette importance et dé cet intérêt, qu'il acheta, après le refus du gouvernement, moyennant la somme de 50,000 francs. La noble destination qu'il réservait à son musée explique de telles dépenses. Aussi, peu de temps après celle-ci, le possesseur de tant de trésors fit connaître le but de sa persévérance à les amasser. Il en fit don à la nation. Il voulut que sa collection servît à jamais au développement d'un art qu'il avait tant aimé, et aux progrès duquel il serait heureux de concourir encore au-delà du terme de sa vie mortelle.
A côté de ce bel exemple de dévoûment civique, vient se placer un acte non moins glorieux, et qui honore autant les architectes britanniques que leur vénérable doyen. Je veux parler de la médaille qu'ils lui ont votée, et dont ils vous ont offert l'an passé un exemplaire (1). Cette médaille qui porte d'un côté les traits du chevalier Soane et de l'autre une vue de son oeuvre favorite, la Banque d'Angleterre, fut frappée le 24 mars 1835 et présentée à cet artiste au milieu d'un immense concours de specta(1)
specta(1) Annales de la Soc. libre des Beaux-Arls pour 1835, p. 19.
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leurs. S. A. R. le duc de Sussex, qui devait présider à cette ovation , mais qui en fut empêché par sa cécité, s'en excusa par une lettre infiniment flatteuse pour l'artiste, à qui il donne le titre d'ami. M. Donaldson, correspondant de notre Société, dans un discours où respire l'éloquence de l'ame, après avoir rappelé les grands services que le chevalier Soane a rendus à l'architecture pendant sa longue et irréprochable carrière, tant par les édifices qu'il a construits que par son professorat et par la fondation d'un musée, déclara que les artistes de l'Angleterre avaient voulu honorer l'art par l'art, c'est-à-dire, par un monument numismatique, ouvrage de l'un d'eux , qui transmettrait à la postérité la plus reculée et aux nations les plus éloignées le nom de Soane. En l'absence du duc de Sussex, le chevalier Wiattville offrit au noble vieillard trois épreuves de la médaille, or, argent et bronze. M. Soane les reçut et répondit à cet hommage avec une profonde émotion. Voici la substance de sa réponse :
« il est des occasions où la difficulté de s'énoncer » devient plus expressive que l'éloquence même. » Je vous prie donc de juger de ma reconnaissance » par la satisfaction que vous éprouvez à embellir, » comme vous le faites, le terme de ma longue » carrière. La vie d'un artiste a ses lumières et ses » ombres. Parmi celles-ci se trouve le déplaisir né » d'une lutte courageuse contre les fantaisies du » client qui l'emploie, et des changemens qu'il lui » faut accepter pour satisfaire le faux goût d'un pa-
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» tron puissant. Parmi les autres il compte avec » orgueil la prééminence de son art, qui se lie à " toutes les gloires du monde civilisé et qui élève » des monumens impérissables. Après beaucoup » d'espérances déçues, je goûte aujourd'hui une » grande consolation dans le témoignage d'estime » et d'affection que vous m'offrez. Vous avez fait » de ce jour le plus heureux de ma longue vie. En » commémoration de ce beau jour et dans l'espoir » d'encourager d'autres personnes à contribuer au » soulagement de nos confrères malaisés, je ferai » distribuer annuellement en ce lieu, par les admi» nistrateurs de mon musée, maintenant national, » la somme de 150 livres sterling (3,600 fr.) entre » les architectes dans le besoin, leurs veuves et » leurs enfans. Une fois encore, je vous prie de » recevoir mes bien vifs et bien sincères remercî» mens. »
Après cette réponse et pour exprimer de nouveau sa gratitude au corps assemblé des architectes, M. Soane donna en outre à l'Académie d'architecture de Londres une somme de 250 livres sterling (6,250 fr.), et à l'Institut des architectes britanniques une autre somme de 750 livres sterling (18,750 fr.), pour être employées de la manière la plus utile aux progrès de l'architecture. La fondation d'une médaille d'or, qui portera le nom du donateur et qui devra être tous les ans la récompense d'un ouvrage marquant d'architecture ou concernant l'architecture, fut le résultat de cette nouvelle donation.
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Ainsi se termina cette journée. L'antiquité et les temps modernes, aux époques du plus vif enthousiasme pour les arts, ne citent rien de plus glorieux. Félicitons-en notre époque. De votre côté, Messieurs, ajoutez par votre sympathie un nouveau prix aux nobles distinctions dont M. Soane a été l'objet. Que l'illustre vieillard reçoive de vous, aux mêmes titres et en échange du précieux exemplaire qu'il vous a directement adressé, le diplôme de membre honoraire de la Société libre des Beaux-Arts. Ce sera faire un acte aussi honorable pour l'Angleterre que pour la France ; ce sera resserrer les liens d'estime qui unissent les deux pays, et concourir, comme le veut votre institution, à la gloire des arts.
Cet intéressant rapport, vivement applaudi dans tout son contenu, a été renvoyé à la commission des récompenses.
RAPPORT
FAIT PAR M. BIDAUT,
Sur les deux premiers cahiers des Annales de la Société royale
DES
SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS D'ORLÉANS.
Messieurs,
Ces deux cahiers vous ont été envoyés en échange des Comptes-rendus de vos séances publiques. Composés de Mémoires sur divers sujets, ils ne contiennent que deux rapports relatifs aux beaux-arts.
Le premier renferme de curieux documens sur la porte Saint-Jean, qui faisait partie de l'ancien rempart d'Orléans, et dont la démolition a été ordonnée en 1833. Persuadé que la disparition des édifices et monumens anciens est un malheur pour les localités, parce qu'elle détruit l'intérêt des voyageurs en même temps qu'elle désaffectionne les habitans, l'auteur du Mémoire a pensé qu'il était du devoir d'un ami des arts et de sa ville natale, de mettre les générations futures à portée de regretter en connaissance de cause ce qui existait, ou d'applaudir à ce qui aura été mis à la place. C'est avec cette double intention qu'il a retracé, dans une notice historique fort bien faite, la cause, l'époque et les détails de la construction de la porte Saint-Jean, monument du XVe siècle, dont il donne aussi un
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plan et une vue, pour en conserver complètement le souvenir.
En 1486, Louis XII, alors duc d'Orléans, ordonna l'érection de cette porte dans le nouveau rempart qu'il fit élever du côté du nord pour agrandir la ville et mettre ses faubourgs à l'abri des ravages exercés alors par les Bourguignons. Il en posa la première pierre ; mais l'enceinte nouvelle ne fut terminée qu'en 1517, sous le règne de François 1er. Elle se composait d'un porche voûté de cinquantequatre pieds de long, y compris un portail intérieur évasé, placé en avant de la porte en bois, et d'un autre portail extérieur où se relevait le pont-levis. Elle était flanquée de deux demi-tours de quarante-huit pieds de diamètre, et dont les murs avaient douze pieds d'épaisseur. Au milieu du portail extérieur se voyait une niche très-bien sculptée et du même travail que la façade du musée actuel. Une belle statue de saint Jean y était placée ; mais cette image, mutilée pendant les guerres de religion, ne présentait plus guère d'intérêt lorsqu'on l'a retirée de sa niche.
L'aspect de la porte Saint-Jean était sévére du côté de la ville, imposant et majestueux du côté de la campagne, tant par la masse de sa construction que par la régularité de son ordonnance. Son revêtement, ainsi que celui des deux tours, était en pierre de taille bien appareillée.
En 1794, on célébra à Orléans, comme par toute la France, la fête de la Liberté ; le char, escorté de licteurs, passa sous cette porte ; mais la déesse,
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représentée par la fille d'un limonadier de la ville, fut renversée du char et faillit être écrasée sous la voûte , dont la hauteur n'avait pas été toisée par les ordonnateurs de la fête. Le soir, il y eut motion au club pour démolir l'édifice. Mais la défense en fut prise par un. orateur mieux avisé, qui s'exprima ainsi : « Il faut se garder, » citoyens, de démolir les monumens élevés par nos » pères et de leurs deniers pour se mettre à l'abri » des tyrans et des invasions de l'Europe esclave; » il faut conserver les fortifications de la ville ; non » pas qu'elles soient bien propres à la défense dans » l'état actuel de la science militaire, mais parce que » les erreurs de nos pères ont servi à donner de » meilleures idées et peuvent en inspirer encore. » La porte Saint-Jean fut ainsi sauvée, au moins pour quelque temps.
Elle devait être démolie en 1810 avec les portes Bourgogne et Madeleine ; mais elle fut alors préservée de nouveau et même réparée sur la demande d'un ami des arts, comme étant la mieux conservée et pouvant transmettre à la postérité le type des fortifications du temps de Louis XII.
L'auteur du Mémoire aurait voulu qu'on tirât un parti utile du monument, en affectant les logemens qu'il contenait à un service public ; ce voeu, que vous partagerez sans doute, n'a point été réalisé; la démolition de l'ancienne construction est déjà fort avancée, si elle n'est pas entièrement consommée.
Le second Mémoire est relatif à la découverte,
209 faite récemment, près de Charsonville, de médailles antiques et de quelques autres objets sur lesquels il est difficile de se former une opinion arrêtée.
L'auteur du Mémoire établit d'abord les preuves de l'existence d'une grande voie romaine de Chartres à Meung-sur-Loire, passant près d'un lieu où se trouve encore un grand nombre de pierres druidiques. Ce chemin, aujourd'hui enfoui à cinq pieds de profondeur, avait dix-huit pieds de large. Les pavés qui le recouvrent encore sont en pierre étrangère au pays et liés par un ciment que le temps n'a pas altéré. Il est présumable que des habitations gallo-romaines ont existé le long de cette voie faite à si grands frais. Cela expliquerait la découverte des médailles et des autres morceaux antiques, dont l'auteur du Mémoire s'est occupé. Voici un précis de cette découverte et de quelques circonstances qui s'y rattachent. Une planche gravée en reproduit les principaux objets.
Il y a peu d'années, la sécheresse ayant permis de nettoyer et de creuser la mare du village de Cravant, peu distant de l'ancienne voie romaine, on déterra des tombes en pierre, des ossemens épars et des médailles romaines de moyen bronze, correspondant aux règnes de Vespasien et de Commode. L'une de ces médailles se trouvait dans le crâne d'une des têtes ; c'était probablement le denier de Caron mis dans la bouche du défunt, et que la pulvérulence des os intérieurs avait laissé passer dans cette cavité. En mars 1832, un fermier du hameau de Villeserie, à l'est du chemin actuel de Meung à
Soc. libre des Beaux-Arts. 14
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Charsonville, découvrit, prés de la ferme de La Brède, les nombreuses médailles qui font le sujet principal de la notice. Il sentit en labourant quelque résistance sous le soc, et bientôt il reconnut qu'elle était produite par une masse oxidée que le choc avait disjointe, et qui offrit alors des médailles éparses et d'autres encore agglomérées. Elles avaient été renfermées dans un coffre de bois, dont on a retrouvé quelques filamens et l'anse en bronze, d'une forme assez gracieuse. On trouva aussi, près des débris du coffre, un petit instrument en argent à bas titre ; sa forme laisse indécise la question de savoir s'il servait de cuiller dans les sacrifices, ou s'il était employé comme graphium ou style; il est déposé au musée d'Orléans avec l'anse du coffre. Quant aux médailles, elles étaient en très-grand nombre ; 619 ont été examinées; la plupart sont de moyen et de petit bronze ; très-peu sont en argent et du petit module. Les plus anciennes sont de Vespasien, et les plus récentes de Postume et de Victorin. Quelques-unes sont assez rares ; de ce nombre, sont un moyen bronze de Trajan, un de Marc-Aurèle, un d'Antonin-Pie, deux de ManliaScantillia, et deux de Postume. En 1833, des terrassiers, creusant des fossés près des bâtimens de Thorigny, trouvèrent plusieurs cuillers en bronze d'une forme analogue à celles dont nous nous servons pour manger. Plus récemment, vers la lisière de la forêt de Marchenois, près de Josne et de l'ancien château de Brion, un fermier a déterré un petit cavalier antique en bronze formé de quatre pièces
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distinctes. Le cavalier est placé sur son cheval ; les pieds du cheval s'appuient sur une plaque ; l'animal est en marche, si l'on eu juge par sa jambe droite plus avancée que la gauche. Une espèce de cornet est passé dans le bras gauche du cavalier.
Cette statuette a-t-elle été dégradée, ou bien estelle seulement une ébauche sortie brute de la fonte? L'état assez satisfaisant des pieds et des jambes du cavalier, qui auraient été, ou moins altérés, ou plus probablement mieux terminés que le reste du corps, autorise le doute, en laissant incertaine l'époque du monument. Mais la solution de la question a peu d'importance ; car si la découverte de cet objet peut être de quelque prix pour les antiquaires, elle ne saurait intéresser, sous le rapport de l'art, une société d'artistes.
RAPPORT
FAIT A LA SOCIETE LIBRE DES BEAUX-ARTS ,
PAR M. PÉRIGNON JEUNE ,
Chef d'escadron d'artillerie,
SUR
TROIS RECUEILS DE L'ATHÉNÉE DES ARTS,
OFFERTS PAR L'ATHÉNÉE A LA SOCIÉTÉ.
Messieurs,
Les relations de la Société libre des Beaux-Aris avec la plupart des sociétés qui s'occupent des arts en général et qui leur donnent appui, sont l'objet de nos soins particuliers. Elles sont aussi un des moyens d'arriver au résultat principal que nous nous proposons, la propagation du goût des arts et de tout ce que cette noble tendance entraîne avec elle d'utile ou d'honorable pour l'humanité.
Sous ce rapport, l'Athénée des Arts seconde bien nos vues; il marche dans la même voie que nous , avec d'autres moyens à la vérité, mais vers le même but. En vous rendant compte des trois recueils dont il vous a fait hommage , j'ai dû vous signaler avant tout cet accord heureux et les effets qui ne peuvent manquer d'en ressortir.
Toutefois, l'Athénée des Arts, comme l'indique son institution , s'occupe plus particulièrement de poésie et de lectures relatives à l'étude des belleslettres ; mais il donne aussi ses soins aux arts en
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général, à tout ce qu'ils produisent de beau et de grand , sans négliger les objets d'un usage matériel.
Le premier des trois recueils contient le procèsverbal de la 101° séance publique de l'Athénée. Cette ancienneté de fondation montre déjà des intentions soutenues et la volonté ferme d'arriver au bien, volonté qui suffit presque toujours et qui manque le plus souvent. On y trouve plusieurs pièces de vers d'un talent remarquable, et un rapport intéressant sur le concours ouvert par l'Athénée pour l'examen de celte question : Quelle est l'influence de la scène sur les moeurs en France ? Après deux années de concours, dont la première fut infructueuse, le prix, consistant en une médaille d'or de la valeur de 300 fr., a été décerné à madame Caroline Ratyé. Une médaille accordée par l'Athénée à M. Fischtemberg, pour ses crayons économiques, devient une confirmation de l'encouragement donné précédemment par la Société libre des Beaux-Arts au même fabricant. Les membres de notre section d'architecture liront avec intérêt les détails d'un appareil diviseur ou modèle de garde-robe, imaginé par M. Dalmont, architecte, dont le but est d'assainir les habitations et de préserver les propriétaires et les locataires de maladies nombreuses , en les mettant à l'abri de l'inconvénient grave et journalier de la mauvaise odeur.
Le second recueil contient une grande quantité de pièces de vers. Il renferme aussi trois rapports sur des objets d'utilité. L'un concerne un lit de mine ou appareil de sauvetage pour les ou-
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vriers mineurs blessés ou asphyxiés, inventé par M. le docteur Valat, de Montpellier. Le second est relatif à un système particulier d'outre imperméables, de l'invention de M. Gagin, pouvant contenir toute espèce de liquide et le conserver pur. Ce résultat, si l'expérience en grand le confirme, sera d'un grand secours pour les voyageurs. L'armée cherche aussi depuis long-temps un meuble semblable pour le soldat, et elle n'a pas encore été pleinement satisfaite des essais qui lui ont été présentés jusqu'à ce jour. Le troisième rapport traite de jumelles ceintrées, composées par M. Chevalier, ingénieur-opticien, et dont l'objet est d'ajuster à volonté, selon l'écartement variable des yeux, les deux lorgnettes jumelées, en laissant la faculté de placer les verres au point précis de la vision.
Le troisième recueil ne contient que des pièces de poésie ou des morceaux de prose, dont le plus grand intérêt est dans l'à-propos, ainsi que dans la manière dont ils sont présentés et lus par leurs auteurs.
Chaque séance trimestrielle de l'Athénée se termine par un concert, dont le programme est développé à la fin de l'exposé des travaux du trimestre.
Telle est, Messieurs, la substance des trois recueils dont j'avais à vous entretenir. Comme ma tâche n'était pas d'entrer dans l'examen détaillé des travaux de l'Athénée, connus d'ailleurs par beaucoup d'entre vous qui en sont membres, j'ai pensé qu'il me suffisait de mettre en relief les points communs à cette institution et à la Société libre des Beaux-Arts.
NOTICE
SUR JEAN GUÉRIN,
Peintre en miniature,
PAR M. DESAINS,
Messieurs,
Un dos devoirs les plus touchans de la Société libre des Beaux-Arts est de payer à la mémoire de ses membres décédés un hommage public de son estime et de ses regrets. Une de ses plus précieuses prérogatives est de pouvoir étendre ce tribut à tout artiste qui, sans lui avoir appartenu nominativement, s'est placé hors ligne dans une spécialité quelconque, et dont la perte en est une pour l'art. A ce titre, Jean Guérin a droit à une mention dans nos Annales. Les admirateurs du talent ainsi que de la dignité de l'homme la liront avec intérêt.
Jean Guérin, parvenu à la vieillesse, a terminé, le 8 octobre 1836, en Alsace, sa patrie, où il s'était retiré depuis peu d'années, une carrière signalée par une foule de belles actions et de beaux ouvrages. Il était peintre en miniature ; mais il traitait ce genre avec un savoir et un sentiment poétique dignes des plus grands peintres d'histoire. Tout le monde apprécie la belle suite de portraits de généraux et autres personnages célèbres, qu'il exécuta pendant notre première révolution, et notamment la tête si martiale de Kléber, qui seule est un poème.
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David professait pour ce beau talent une estime particulière. Sur le point de marier une de ses filles, il voulut devoir le portrait de la jeune fiancée au pinceau de Jean Guérin. Celui-ci, justement fier de ce choix, consentit volontiers, mais à condition que le peintre des Sabines poserait lui-même le modèle. Nous n'avons pas besoin de dire que cet ouvrage fut un des meilleurs de l'habile miniaturiste.
Dans les momens difficiles où Guérin s'est trouvé, on a vu toujours en lui l'homme énergique et l'ami véritable de son pays. Modèle du citoyen et du garde national par son dévouement, son courage et son abnégation personnelle, il faisait partie d'une compagnie de grenadiers de la section des Filles-SaintThomas. Dans une circonstance triste et périlleuse, il fit un rempart de son corps à l'infortuné Louis XVI. Bienfaisant et généreux, il a souvent soulagé l'infortune, et il n'imposait à ses obligés qu'un silence honorable pour sa modestie. Ce noble caractère lui fit des amis dévoués de presque tous les hommes qui, depuis plus d'un demi-siècle, ont marqué par d'éminentes qualités sociales; il est mort entouré de leurs portraits; sa chambre en était, pour ainsi dire, tapissée. « Je vis toujours avec mes amis, di» sait-il ; ils ne sont pas absens pour moi. » Ainsi ses derniers regards ont été des souvenirs d'amitié.
Jean Guérin était d'une stature élevée ; sa figure vénérable, miroir d'une belle âme, portait l'empreinte de la sagesse et du courage. Il avait fait de son art une étude sévère; il était d'ailleurs profon-
217 dément instruit ; aussi sa conversation, toujours spirituelle et forte , était souvent enrichie de citations heureuses et d'élans d'un enthousiasme sincère pour ce qui est beau et bon. Nous laissons à des hommes plus âgés et plus familiers avec les détails de sa vie, si capable de servir d'exemple, le soin d'écrire une biographie entière. Mais c'est pour nous un besoin, surtout comme artiste, de déposer, dans le sein de la Société libre des Beaux-Arts, nos justes regrets, persuadé que nous verrons sympathiser avec nous tous ceux de ses membres qui ont eu, même sans intimité, le bonheur de connaître ce peintre éclairé, ce généreux citoyen, cet excellent homme.
EXTRAIT DES RAPPORTS
FAIT PAR
MM. ALEXANDRE LENOIR ET MIEL,
SUR
DEUX VUES DU VIEUX PARIS,
Dessinées par M. PERNOT, et lithographiées par M. CHAMPIM,
ET SUR DEUX VUES DU NOUVEAU PARIS,
Dessinées et lithographiées par M. CHAMPIN.
Messieurs,
Ce que les architectes sont dans l'usage de faire pour la restauration des monumens antiques, un peintre vient de l'exécuter avec succès , pour une ville tout entière, la plus historique de nos villes, la capitale de la France. Les édifices que le temps, les révolutions politiques et les variations dans les moeurs ont successivement fait disparaître, M. Pernot les a restitués à force d'investigations. Dans deux dessins de trois pieds sept pouces de large sur deux pieds cinq pouces de haut, il a reproduit deux vues du vieux Paris , c'est-à-dire de Paris tel qu'il était du 14e au 16e siècle, avant l'époque où les progrès des arts préparèrent les modifications qui l'ont fait ce qu'il est aujourd'hui. Une de ces vues, prise des tours de Notre-Dame, développe aux regards du spectateur la partie de la ville qui
219 s'étend dans l'intérieur de l'île de la Cité, la rive droite de la Seine avec ses quais qui n'ont pas changé, et une portion de la rive gauche. L'autre vue est prise de la tour de Nesle telle qu'elle existait alors, et montre l'ensemble des constructions qui s'élèvent sur la rive droite, avec celles de la pointe de la Cité.
Pour réussir dans cette entreprise d'archéologie nationale, il a fallu se livrer à d'immenses recherches. Quelque peine qu'ait pu donner l'exécution graphique d'un aussi vaste panorama en l'absence de la plupart des objets représentés, le travail d'érudition a dû l'emporter en difficulté sur le travail d'art. Tout ce que l'artiste a eu à consulter d'anciens tracés figuratifs est, pour ainsi dire , incalculable. Le vieux plan de la tapisserie, un tableau du 14e siècle, représentant l'abbaye St.-Germaindes-Prés, une partie du vieux Louvre et de ses alentours , la topographie conservée à la bibliothèque du roi, un plan de Paris sous François 1er., un sous Charles IX, une gravure sur bois dans la Cos mographie de Belleforest, un plan qui date du commencement du règne de Louis XIV. etc. tels sont les documens généraux dont l'artiste s'est principalement servi. Pour les détails , il a eu recours à de vieilles estampes, à quelques peintures du musée royal, et à tous les écrits spéciaux sur les. antiquités parisiennes. Quelquefois il a eu la possibilité de relever les dessins de certains monumens que l'autorité avait eu soin de faire prendre avant d'ordonner les démolitions ; d'autres fois, il a pu faire
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lui-même ces portraits conservateurs. Versé dans l'étude de l'architecture à toutes les époques, il a pu redonner à chaque édifice son caractère primitif et individuel.
Les principaux objets de la première vue sont la Sainte-Chapelle, qui s'élance avec sa flèche gothique, d'une admirable élégance, au-dessus des toits de la Cité ; le Palais-de-Justice et la tour de l'Horloge, alors de forme ronde ; les futaies du jardin du roi, qui couvraient la pointe occidentale de l'île, ombrages vénérables sous lesquels Saint-Louis aimait à rendre la justice, comme sous les chênes de Vincennes. Le massif de ces arbres cache l'îlot du passeur, aujourd'hui la place Dauphine, où les Templiers expirèrent d'une mort si héroïque. Un remblai a fait disparaître l'ilot, et c'est là que fut établi le terre-plein du Pont-Neuf. On voit encore à gauche la tour de Nesle, rappelant à l'historien des scènes de sang ou de débauche, à l'artiste des souvenirs d'un intérêt plus attrayant, par le séjour du célèbre Benvenuto Cellini dans l'hôtel dont cette tour dépendait, lequel occupait l'emplacement de la Monnaie. Du même côté, les Grands-Augustins ; plus loin, l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, le plus ancien monastère des Gaules chrétiennes, et l'église de Saint-Sulpice ; cette somptueuse paroisse était à-peine alors une petite église de village. Dans le fond, le Pré-aux-Clercs, la plaine de Grenelle et le mont Valérien. En rentrant dans la ville, on voit les églises de Saint-André-des-Arcs et de Saint-Séverin, dominée par l'enceinte fortifiée de Philippe Auguste,
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puis les clochers des douze paroisses entassées dans la Cité, puis la riche tour de Saint-Jacques-de-laBoucherie, alors en construction, devenue célèbre depuis dans les fastes de l'art et dans l'histoire de la science. À droite, au-delà de la rivière, le vieux Louvre, à la fois forteresse et prison, tel qu'il avait été bâti par Philippe-Auguste, avec ses vingt-trois grosses tours, dont chacune avait sa destination et son usage. Dans le voisinage de ce château, les hôtels du Petit-Bourbon et d'Alencon. Du même côté, la porte Saint-Honoré, et dans le lointain, la colline de Montmartre , avec son église et son monastère. La seconde vue présente, sur le premier plan, une des tours du Louvre, où s'attachait la chaîne qui barrait la rivière jusqu'à la tour de Nesle. Dans le coin du tableau, à gauche du spectateur, le clocher de Saint-Germain-l'Auxerrois, d'où partit le signal de la Saint-Barthélemy. Au-dessus des quais, les tours de Saint-Jacques, de Saint-Merry, de SaintJean-en-Grève et de Saint-Paul, avec d'autres églises, et au loin, la Bastille; plus loin encore, l'abbaye Saint-Antoine. Près de la rivière, en face du pont aux Changeurs, le Châtelet, monument de tous les âges et dont la fondation remonte à César. Au-dessous du pont aux Meuniers, clans le milieu de la Seine, le moulin de la Monnaie, Puis reparaissent les édifices de la Cité ; le pont Saint-Michel, écrasé sous le poids de ses vieilles maisons; l'Hôtel-Dieu, monument de piété et de philanthropie. Au-dessus du tout s'élèvent majestueusement l'église et les tours de Notre-Dame, qui laissent voir à droite, dans le lointain, l'abbaye Saint-Victor.
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Cette recomposition de notre vieille capitale fait honneur au zèle, au savoir et au talent de M. Pernot. Ses deux belles mines de plomb ne laissent rien à désirer de ce qui caractérise la physionomie religieuse et féodale de Paris au moyen-âge, où l'on voit de toutes parts surgir les églises à côté des donjons, comme pour indiquer que le seul refuge contre l'oppression était le sanctuaire. Ces deux pages renferment dans leur cadre un nombre considérable de faits historiques, par la représentation des lieux où ils se sont passés. Placées ostensiblement dans la bibliothèque de la ville de Paris, elles offrent des recherches toutes faites, établies sur des documens authentiques, et qui épargneront désormais beaucoup de travaux difficultueux aux artistes ainsi qu'aux écrivains.
Indépendamment de ces deux dessins généraux, M. Pernot a exécuté soixante-dix représentations spéciales destinées, soit à faire connaître avec plus de détails les édifices des deux vues qui sont susceptibles de développemens, soit à signaler les monumens non contenus dans ces vues, tels que le charnier des Innocens, les thermes de Julien, la foire Saint-Germain, les portes Saint-Denis, SaintMartin, Saint-Michel, de Bussy, beaucoup d'églises, tous les abbayes, tous les collèges de notre vieille université, etc. La collection sera bientôt complète, et la gravure ou la lithographie en rendra les reproductions accessibles à toutes les fortunes.
Déjà les deux grandes vues ont été lithographiées avec un rare talent et clans des dimensions assez
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étendues, par M. Champin. C'est lui et M. Pernot qui ont fait hommage à la Société des deux belles épreuves qu'elle possède. Remercions ici, Messieurs, ces honorables collègues. Remercions aussi, au nom des arts et de ceux qui les cultivent, le premier magistrat de la capitale, M. le comte de Rambuteau, dont le nom décore la liste des membres de notre Société, ainsi que M. Laurent de Jussieu, secrétairegénéral de la Préfecture de la Seine. Ces messieurs ayant compris sur-le-champ l'intérêt et la portée de ce travail, en ont mis les résultats sous les yeux du conseil municipal et en ont décidé l'acquisition pour la bibliothèque.
Donner à ces beaux résultats un attrait de plus par le contraste, c'est-à-dire opposer, dans deux vues correspondantes, le nouveau Paris au vieux Paris, était une idée fort naturelle et qui a pu se présenter à l'esprit de plusieurs artistes. M. Champin l'a réalisée dans deux lithographies de mêmes dimensions que celles du vieux Paris et qui sont comme le complément de ces dernières. Les deux vues sont prises de Notre-Dame, l'une de la galerie qui surmonte le portail, dans l'intervalle qui sépare les deux tours, l'autre de la tour méridionale. Dans l'une, le premier plan est donné par les colonnettes même de la galerie, entre lesquelles on découvre au. loin la ville. Dans l'autre, l'objet qui frappe le plus les regards est la coupole du Panthéon. Ce monument somptueux de l'art contemporain donne lieu tout d'abord au rapprochement curieux dont je viens de parler, rapprochement pour lequel il n'est
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pas même besoin de recourir au vieux Paris, puisque plusieurs des anciens édifices les plus remarquables, Notre-Dame, Saint-Germain-des-Prés, la Sainte- Chapelle, la Conciergerie, Saint-Eustache, etc., se retrouvent dans le nouveau, entourés de constructions modernes. Si ce n'est plus cette confusion originale de l'ancien Paris, c'est une cité assainie, agrandie, regagnant en sécurité, en agrémens, en nobles aspects et en vastes espaces, ce qu'elle peut avoir perdu en désordre pittoresque et en détails historiques. Je n'insisterai pas sur les particularités de ces dessins, dont l'exactitude peut être constatée par tout le monde. J'ajouterai seulement que, dans cette intéressante représentation, on revoit la tour de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, parure architecturale d'une grande ville à toutes les époques, et que, sur le rapport de M. Gatteaux, notre collègue, membre du conseil municipal de la ville de Paris, une administration conservatrice de nos anciens monumens vient d'acquérir, non seulement pour la sauver de la ruine, mais encore pour en faire le principal ornement d'une grande voie publique, la rue Louis-Philippe. Afin de faire mieux apprécier ce bienfait récent, M. Champin a lui-même exécuté à part une jolie eau-forte de l'édifice, dont il a bien voulu enrichir nos Annales (1).
(1) Voyez pl. IV.
FAIT PAR
PAR M. HUARD (DE L'ILE BOURBON),
Au nom de la Commission chargée d'examiner plusieurs couleurs soumises à la Société libre des Beaux- Arts (1).
Messeiurs,
En 1835, plusieurs chimistes fabricans de couleurs, MM. Schweighauser, de Strasbourg, ColcombBourgeois, Soehnée frères et Pannetier, vous ont envoyé divers échantillons de couleurs perfectionnées par eux , afin d'avoir un rapport de la Société libre des Beaux-Arts sur ces produits. La commission que vous aviez chargée de les examiner, s'est long-tems et sérieusement occupée de cette tâche importante. Chacun de ses membres a fait séparément les expériences nécessaires, de manière que les résultats comparés amenassent une solution, Cette solution devait être telle que l'artiste pût connaître toute la valeur de sa palette, comme les Rubens, les Téniers, les Berghem, dont les productions sont parfaitement conservées, et que la peinture ne fût pas exposée aux tristes effets qu'ont éprouvés les ou(1)
ou(1) de la commission : MM. Carpentier, Daguerre, De laval, Huard ( de l'île Bourbon) , Justin-Ouvrié, Maillot, Milon, Mirault, Pérignon, Pierron, Redouté et Rouillard ; rapporteur, M. Huard.
Soc. libre des Beaux-Arts. 15
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vrages (Se certains peintres de Venise et Padoue, où les tons bruns dominent seuls aujourd'hui.
La commission, dont plusieurs membres étaient versés dans la chimie appliquée aux arts, avant d'aborder la question principale, a commencé par constater un fait ; c'est que la manière de préparer les couleurs sur la palette peut contribuer à leur ôter de leur vertu, soit par le mauvais mélange des unes avec les autres, soit par l'influence des huiles plus ou moins dessicatives.
Les expériences qui sont venues ensuite ont demandé plus ou moins de temps; voilà pourquoi la commission n'a pu présenter son travail à la Société l'année dernière; les expérimentateurs n'avaient pas encore une opinion suffisamment arrêtée.
Tous les moyens possibles ont été employés par eux. Chacun a essayé dans l'atelier son expérience particulière. Tandis que l'un plaçait les mêmes couleurs sur trois bandes de papier légèrement gommé, la première exposée à toute l'intensité de la lumière , la seconde placée dans un endroit fermé, la troisième soumise au gaz hydrogène sulfureux; un autre posait, sur des toiles préparées en même temps et par le même apprêteur, d'abord, toutes les teintes primitives, puis au-dessous, les teintes mélangées; un troisième, après avoir broyé lui-même les couleurs, les déposait sur deux morceaux de verre exposés au soleil ; ensuite, pour vérifier matériellement les élémens constitutifs de ces couleurs, la commission les a décomposées par l'analyse chimique; enfin, elle les a couchées sur des papiers gommés, dans l'ordre suivant : la couleur
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naturelle, la même couleur passée à l'acide nitrique , la même passée à la lessive de potasse. Tous les membres ont coopéré à ces examens.
Les échantillons de M. Schweighauser ont appelé les premiers l'attention de la commission, à raison d'une question soumise par ce chimiste et qui n'avait pas encore été résolue, celle de savoir s'il était possible de reconnaître quelques différences entre les provenances de la matière première de la garance d'Alsace et de celle d'Avignon.
Jusqu'à nos jours, les marchands de couleurs n'employaient que les garances d'Avignon, et même , il y a peu d'années, la plupart ne croyaient pas que celles d'Alsace et de Hollande pussent servir. Aujourd'hui ces colorans ont acquis une grande faveur, bien méritée par la franchise de leurs tons et par leur fixité. Après un examen attentif, dirigé sur les échantillons éprouvés, la commission a procédé à l'ouverture d'un paquet cacheté donnant la clé de chaque provenance, et elle a dès-lors complètement partagé l'opinion émise par Schweighauser, qu'il n'existe aucune différence sensible entre la garance d'Avignon et celle d'Alsace.
Une des couleurs sur lesquelles la commission a le plus particulièrement porté son intérêt, est la laque, couleur jusqu'ici très-peu solide et qui cependant ne peut être remplacée sur la palette par aucun autre colorant. MM. Schweighauser, Colcomb-Bourgeois et Soehnée frères ont cherché les moyens de lui donner de la fixité. Voici le résultat des expériences. Toutes les laques, même celles du commerce,
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ayant été prises séparément, ont été réduites en poudre et plongées dans de l'acide nitrique à 32° ; sept d'entre elles ont plus ou moins pris l'aspect du minium (deutoxide de plomb); la laque carminée du commerce a entièrement disparu, ne laissant à l'acide qu'une légère teinte de terre de Sienne brulée ; aussi, dès cette première épreuve, celle-ci a été mise hors de concours; car, à la lessive de potasse, elle s'est changée en un rouge de Prusse sale. Les laques des chimistes qui nous soumettaient leurs produits ont été présentées à la lessive de potasse à 36° ; celles de M. Schweighauser ont pris une teinte rosée, et celles de M. Colcomb-Bourgeois, un ton légèrement violacé; un gramme de chacune de ces laques ayant été broyé à l'eau gommée, puis délayé dans un décagramme d'eau pure, a offert, couché sur du papier, de riches teintes carminées légèrement violacées, mais transparentes. Celles du premier ont moins d'intensité que les autres, mais elles présentent une teinte plus pure; étendues de nouveau sur du papier et tenues pendant cinq heures dans une atmosphère de gaz acide sulfureux, elles n'ont pas varié. Chose remarquable, l'épreuve la moins favorable à toutes les couleurs a été celle de la lumière. Nous devons ajouter que les laques dont nous parlons n'en ont éprouvé aucune altération.
Après toutes ces expériences, la commission a conclu que les laques de M. Schweighauser avaient bien résisté aux réactifs et qu'elles avaient donné de belles teintes, lumineuses, brillantes, qui ont la propriété d'approcher le plus près possible du rose
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élémentaire. La laque foncée, numérotée 6, a toute la force du carmin fixe et de plus une grande transparence; elle est de la plus grande beauté. Les autres laques sont supérieures à toutes celles qui ont été fabriquées jusqu'à ce jour ; il ne leur manque plus qu'un peu d'intensité.
Le carmin fixe de garance de M. Colcomb-Bourgeois est très-solide ; plus beau que la laque carminée ordinaire, il peut être employé à l'huile et à l'aquarelle : on en obtient une grande fermeté de ton; très-fixe, il a résisté à toutes les épreuves. Ce carmin a l'avantage d'être le complément de la laque précitée , celle-ci servant pour les clairs, celui-là pour les ombres vigoureuses.
Les frères Soehnée ont présenté une nouvelle couleur de leur composition, le chrysochrôme, pour remplacer la gomme-gutte. Décomposé, le chrysochrôme présente les mêmes avantages que cette dernière ; cependant il doit lui être préféré pour l'aquarelle, tant sous le rapport de la malléabilité que sous celui d'une teinte citrine approchant du jaune élémentaire. Quant aux autres couleurs des mêmes chimistes, les expériences, quoique généralement favorables, n'ayant pas donné des résultats aussi satisfaisans, la commission a jugé que de nouvelles épreuves étaient nécessaires à une solution définitive, et qu'il était prudent, dans l'intérêt des chimistes comme dans le sien propre, d'ajourner son rapport à l'année prochaine.
Le vert émeraude de M. Pannetier réunit le double mérite d'être très-beau et très-solide ; il a
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résisté à toutes les épreuves ; il présente un ton très-harmonieux et d'un emploi facile. Les deux jaunes d'antimoine du même fabricant offrent les mêmes avantages et peuvent remplacer le jaune de Naples ; ils ont une plus grande intensité et ce n'est qu'à la lumière qu'ils ont légèrement fléchi. Il faut ajouter que jusqu'ici cette couleur avait été trèsmauvaise, et l'on doit encourager les efforts de M. Pannetier pour fixer ses jaunes, sans contredit les meilleurs qui se trouvent aujourd'hui dans le commerce.
Les couleurs de Mars de M. Colcomb-Bourgeois, le violet, le jaune, l'orangé, le vert et le brun, connues depuis longues années par leurs qualités supérieures, sont très-solides ; elles peuvent être employées à l'huile comme à la gomme.
D'après cet exposé, votre commission croit de justice et de convenance, d'accorder à ces chimistes un témoignage de satisfaction, au nom de la Société libre des Beaux-Arts, plus à portée que toute autre d'apprécier leurs perfectionnemens. Nous devons même vous faire connaître que les produits de l'un d'eux ne sont pas encore en circulation, parce qu'il ne veut les y mettre qu'après avoir eu l'assentiment de la Société. Elle vous propose en conséquence de. décerner :
1° Une médaille d'argent à M. Schweighauser, de Strasbourg, pour avoir obtenu des laques d'un magnifique ton rose, rose presque élémentaire , et plus particulièrement pour sa laque foncée, numérotée 6 ;
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2° Une médaille d'argent à M. Colcomb-Bourgeois , pour son carmin fixe de garance, qui, malgré son prix élevé de 300 francs la livre, mérite encouragement autant pour sa pureté que pour sa vigueur;
3° Une médaille d'argent à M. Pannetier , pour son vert émeraude et surtout pour avoir amélioré d'une manière très-sensible le jaune d'antimoine, qui peut et doit même remplacer le jaune de Naples ;
4° Enfin, à MM. Soehnée frères, qui ont déjà reçu de vous une médaille d'argent pour leurs vernis, une mention honorable pour leur jaune chrysochrôme, supérieur à la gomme-gutte.
Ce rapport, qui a été entendu avec un vif intérêt par la Société est renvoyé à la commission des récompenses.
RAPPORT
FAIT
A LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS,
PAR M. DUPLAT,
Au nom de la Commission des récompenses (1).
Messieurs,
La commission que vous avez nommée pour vous faire connaître les travaux honorables qui pourraient mériter les récompenses et encouragemens que vous accordez annuellement aux services rendus aux arts, vient de terminer son travail pour l'année 1836. Onze questions présentées par M. le président de la Société ont été l'objet d'investigations sérieuses. Plusieurs d'entre elles avaient donné lieu à des rapports particuliers , accueillis par la Société et soumis à un nouvel examen. Une seule n'a pas paru mériter qu'on y donnât suite; une autre ayant trop d'analogie avec un travail antérieurement récompensé par vous dans le même auteur, a été écartée , mais par ce motif seul ; une troisième a été ajournée jusqu'à plus ample information. Il reste donc huit questions que la commission a jugées dignes d'un examen spécial.
(1) Membres de la commission : MM. Biet, Delorme, Forster, Gatteaux , Grillon, Hittorff, Huard, Justin-Ouvrié, Maillot, Mirault, Péron, Ransonnette et Valois ; rapporteur, M. Duplat.
233 La Société a déjà donné des témoignages de satisfaction à plusieurs amis des arts qui ont fondé des écoles de dessin ou des musées. Pour entrer dans ses vues et partageant d'ailleurs son opinion, la commission a mis ces fondations en première ligne. A ce sujet, elle doit vous signaler divers établissemens artistiques et philantropiques à la fois dans la ville de Paris, qui sont de nature à produire les résultats les plus heureux. Deux écoles de dessin sont particulièrement consacrées aux ouvriers qui, après leur journée, viennent employer quelques heures à se perfectionner par l'étude du dessin que le professeur a mise à leur portée. Ce perfectionnement de l'éducation ouvrière est dû à la générosité et au dévoûment de M. Charles, qui a fondé ces écoles, contenant cinq ou six cents élèves, et qui y a donné ses soins gratuitement pendant plusieurs années. En les visitant, vos commissaires ont été émerveillés des succès des élèves. C'est à des fondations de ce genre que nous devrons le perfectionnement de l'industrie ; le goût des arts se répandra ainsi dans les masses, en adoucira les moeurs et contribuera puissamment à leur bien-être. Deux de nos collègues, MM. Dupuis et Caillouette, ont les mêmes titres à la reconnaissance des amis des arts et de l'humanité, par des fondations et des soins semblables. Mais M. Charles n'appartenant pas à notre Société , doit vous être recommandé seul. Aussi la commission n'a pas hésité à le placer en tête de la liste des personnes dignes de récompenses, et à vous proposer de lui accorder la médaille d'or fondée par M. de Moléon, notre collègue.
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M. Grasset, dont le zèle ne se ralentit pas, vient d'acquérir de nouveaux droits à la gratitude des amis des arts, en formant un musée archéologique à la Charité-sur-Loire (1). La commission l'a jugé digne d'un témoignage de haute estime, en lui accordant la première médaille d'argent.
Les récompenses publiquement décernées ne sont pas seulement profitables aux personnes qui en sont l'objet; elles sont encore un stimulant par l'exemple qu'elles donnent. La commission a pensé que vous ne refuseriez pas à feu Capdebos, notre collègue, celle que son dévoûment pour les arts lui a méritée, Comme vous l'avez appris par la notice qui vous a été lue sur ce digne artiste (2), il était créateur du musée de Perpignan, établissement qu'il avait commencé en y mettant vingt-cinq tableaux, sa propriété. Nous honorerons sa mémoire en accordant à madame veuve Capdebos ce témoignage ostensible et durable de notre considération et de nos regrets.
Des dessins relatifs à la restauration de l'église d'Issoire ont aussi intéressé particulièrement la commission, par leur harmonie avec l'architecture de cet édifice remarquable. Les restaurations sont si rarement d'accord avec les constructions primitives, que la Société doit applaudir aux efforts de M. Mallay, auteur de ces dessins, et l'encourager à persévérer dans cette voie conservatrice de nos monu(1)
monu(1) p. 189,
(2) p. 187.
235 mens, qui, chaque jour, perdent leur caractère d'originalité par des restaurations mal conçues.
Il manquait à l'enseignement du dessin des modèles d'ornement d'une bonne exécution et d'un choix varié. M. Romagnesi aîné vient de remplir cette lacune par l'ouvrage qu'il met au jour et sur lequel il vous a été fait un rapport avantageux (1). La commission, qui a examiné avec attention cette première partie de l'ouvrage, l'a jugé digue d'un premier encouragement.
Les artistes ont trouvé un ami et un protecteur des arts dans M. de Champflour, maire de la ville de Moulins, qui s'est empressé de mettre à leur disposition le local de la bibliothèque, ainsi que la salle du conseil attenante, pour y faire une exposition publique d'objets d'art. Ce fonctionnaire n'a pas borné là sa bienveillante sollicitude; il a provoqué, de la part du conseil municipal, le vote de fonds pour subvenir aux frais nécessités par le transport des objets d'art ; enfin, il a ouvert une souscription d'actionnaires pour l'acquisition de tableaux. Dès l'année dernière, le zèle de ce magistrat avait été couronné d'un succès dont plusieurs de nos confrères ont eu à se féliciter. La commission, persuadée qu'on ne saurait donner trop de publicité à de tels actes, vous propose de mentionner d'une manière distincte M. de Champflour dans votre séance publique.
Le mécanisme ayant pour objet de réunir les pan(1)
pan(1) p. 43,
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neaux disjoints des tableaux peints sur bois, a trouvé approbation dans la commission. Il avait obtenu le même accueil dans la Société, lorsque, par un rapport spécial (1), il a été donné connaissance à celleci des avantages de cette invention , due au zèle de M. de Saint-Mémin, conservateur du musée de Dijon, qui a déjà mis sous vos yeux plusieurs objets intéressans pour les arts.
Après avoir entendu le rapport de M. Huard sur les couleurs (2), la commission en a complètement adopté les conclusions; elle vous propose en conséquence de décerner les médailles qui y sont mentionnées, en invitant toutefois les chimistes et les industriels qui s'occupent de ces matières à faire de nouveaux efforts pour mettre, par la modération des prix, leurs produits à la portée de tous les artistes.
Un des hommes les plus recommandables , tant par son talent comme architecte que par les sacrifices immenses qu'il a faits pour les arts, vous a envoyé un ouvrage représentant les vues diverses d'une espèce de sanctuaire élevé par lui aux beauxarts dans son pays, et pour l'entretien duquel il a fondé une rente perpétuelle. Cet artiste honorable est sir John Soane, architecte anglais, dont l'ouvrage a été l'objet d'un rapport intéressant fait par M. Hittorff (3). La commission a cru ne pouvoir mieux reconnaître d'aussi précieux services qu'en
(1) Voyez, p. 141.
(2) — p. 225.
(3) — p. 190.
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vous proposant d'offrir à cet illustre étranger, à ce généreux citoyen , un diplôme de membre honoraire de la Société.
Si l'analyse du travail de la commission, dont je viens de vous donner lecture, suffit pour vous faire apprécier le mérite utile qu'elle a jugé digne de récompense, vous voudrez bien, Messieurs, donner votre assentiment à ses dispositions, qu'elle résume ainsi qu'il suit :
Diplôme de membre honoraire de la Société libre des Beaux-Arts.
A sir John Soane , architecte anglais, membre de la Société royale de Londres , de l'Institut des architectes britanniques, etc. pour la donation d'un musée à la ville de Londres et la fondation d'une rente perpétuelle destinée à l'entretenir.
Médaille d'or fondée par M. de Moléon.
A M. Charles, pour la fondation de deux écoles gratuites de dessin, particulièrement consacrées aux ouvriers, dans les septième et huitième arrondissemens de la ville de Paris, pouvant contenir six à sept cents élèves, auxquels ce professeur a donné ses soins gratuitement pendant plusieurs années.
Première médaille d'argent.
A M. Grasset, inspecteur des monumens historiques du département de la Nièvre , membre correspondant de la Société libre des Beaux-Arts, pour la fondation d'un musée archéologique à la Charité-
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sur-Loire et pour son zèle constant à propager les beaux-arts dans son département.
Deuxième médaille d'argent.
A la mémoire de feu Capdebos, peintre d'histoire, pour les services qu'il a rendus aux arts, en fondant un musée dans la ville de Perpignan, sa patrie.
Troisième médaille d'argent.
A M. Schweighauser, de Strasbourg, pour les perfectionnemens qu'il a apportés dans la fabrication de ses laques de garance.
Quatrième médaille d'argent.
A M. Pannetier, de Paris, pour la qualité supérieure de ses jaunes d'antimoine et de son vert émeraude.
Cinquième médaille d'argent.
A M. Colcomb-Bourgeois, de Paris, pour la solidité et l'intensité de son carmin fixe de garance.
Première médaille de bronze.
A M. Mallay, architecte à Clermont-Ferrand, membre correspondant de la Société libre des Beaux-Arts, pour son projet de restauration de l'église d'Issoire, conçu dans le style de l'architecture primitive de ce monument.
Deuxième médaille de bronze.
A M. Romagnesi aîné, sculpteur, pour les livraisons qui ont paru de sa collection d'ornemens
239 lithographies , collection utile à l'enseignement publie par la variété des choix, et la beauté de l'exécution.
Première mention honorable.
A M. de Champflour, maire de Moulins, pour avoir établi dans cette ville la première exposition publique d'objets d'art.
Deuxième mention honorable.
A M. de Saint-Mémin, conservateur du musée de Dijon, membre correspondant de l'Institut, pour l'invention d'un mécanisme ingénieux, dont l'objet est de réunir les panneaux disjoints des tableaux peints sur bois.
Troisième mention honorable.
A MM. Soehnée frères, de Paris, pour les perfectionnemens qu'ils ont apportés dans la fabrication du jaune de chrôme.
La Société discute ces propositions l'une après l'autre et vote individuellement sur chacune d'elles. Elle les adoptes toutes, et elle décide en outre que les récompenses seront distribuées dans sa séance publique du 25 décembre 1836 (1).
(1) Voyez, en tête du volume, le Compte-rendu de celte séance.
FIN DU TOME SIXIÈME.
FRAGMENT ANTIQUE , tiré du Cabinet de Mr Lebas.
anne la Soc. libre des Beaux Arts.
Tome VI. PL.II.