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Titre : Annales de la Société libre des beaux-arts

Auteur : Société libre des beaux-arts (Paris). Auteur du texte

Éditeur : bureau du Recueil des beaux-arts et de l'industrie (Paris)

Éditeur : Carillan-Goeury et V. DalmontCarillan-Goeury et V. Dalmont (Paris)

Éditeur : Impr. de DucessoisImpr. de Ducessois (Paris)

Éditeur : A. JohanneauA. Johanneau (Paris)

Éditeur : Librairie RenouardLibrairie Renouard (Paris)

Date d'édition : 1850

Contributeur : Miel, François (1775-1842). Éditeur scientifique

Contributeur : Sage, Alphonse. Éditeur scientifique

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32694040r

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32694040r/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1850

Description : 1850 (T18)-1853.

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5425101t

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, V-24388

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 09/09/2008

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ANNALES

DE LA SOCIÉTÉ LIBRE

DES BEAUX-ARTS.


Paris —Imprimerie Bonaventure et Duccesois, 55, quai des Grands-Augustins.



Imp. hemercier, Paris.

H, J. M. DAGUERRE

Cormeilles, Ceine et Oise le 18 Novembre. 1787. Mort, à Bry-sur-Marne, le 10 Juillet 1851 .




ANNALES

de la Société libre

DES BEAUX-ARTS

TOME XVIII.

comprenant trois années académiques du 1er mai 1850 an 1er mai 1853.

PARIS CHEZ ALEXANDRE JOHANNEAU, LIBRAIRE,

RUE DE L'ARBRE-SEC, 15. 1855



NOTICE

SUR LA

SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS

PAR

M. DELAIRE.

La Société libre des Beaux-Arts est une réunion d'hommes voués, par état ou par goût, au culte des arts libéraux.

Fondée, en 1830, par un grand nombre d'artistes qui ont jugé nécessaire, dans les circonstances où ils se trouvaient, de s'associer pour apporter en commun les fruits de leurs méditations et de leur expérience, elle a pour but de contribuer au progrès des arts et au bien-être des artistes, par tous les moyens dont elle peut disposer et, notamment, par des conférences sur des questions spéciales d'art; par la publication de mémoires; par des séances publiques et des expositions d'ouvrages de ses membres ; par l'examen des expositions du Louvre, des travaux artistiques commandés par


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l'État, des inventions et perfectionnements relatifs aux beaux-arts; par des encouragements et distributions de médailles; enfin, par des observations soumises à l'autorité dans l'intérêt des artistes.

Régulièrement constituée par des statuts qui ont reçu la sanction du Gouvernement, elle se compose de membre titulaires résidents, de membres honoraires et de membres correspondants.

Elle est divisée en huit sections ou classes, savoir : 1° peinture, dessin et lithographie; 2° sculpture; 3°architecture; 4°gravure; 5° photographie; 6° musique; 7° archéologie, science et littérature; 8° amateurs.

Pour y être admis, il faut se présenter sous le patronage de deux membres résidents et adresser une demande par écrit au président. Cette demande doit contenir l'exposé des titres que le candidat croit pouvoir produire à l'appui de sa présentation ; elle doit être signée des deux présentateurs qui déclarent garantir, sous leur responsabilité personnelle, la moralité et la sociabilité du candidat.

Fidèle à son mandat, la Société libre des BeauxArts s'est constamment appliquée, depuis sa fondation, à remplir.les conditions de son programme, en alliant le respect pour l'antiquité avec le progrès contemporain ; en faisant tous ses efforts pour épurer et propager le goût des beaux-arts. Marchant ainsi dans la voie qu'elle s'est tracée, elle a eu de nombreuses conférences sur divers sujets qui ont


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donné lieu à des controverses approfondies, dans lesquelles plusieurs membres ont fait preuve d'une dialectique et d'un esprit philosophique remarquables. Ces discussions et les rapports faits sur les ouvrages qui lui sont envoyés par les Sociétés correspondantes de France et de l'étranger, sont insérés dans un recueil de ses travaux, publié sous le titre d'Annales, et qui forme aujourd'hui une collection de 18 volumes in-8°, ornés de planches, gravures et dessins 1. On y trouve, en outre, de savantes dissertations sur l'architecture polychrôme, la peinture encaustique des anciens, l'acropole d'Athènes, la musique, etc. Le compte rendu de chaque séance mensuelle de la Société paraît, d'ailleurs, tous les quinze jours, dans son journal la Revue des Beaux-Arts. Quant aux séances publiques annuelles, pour lesquelles, ainsi que pour celles particulières, M. le préfet de la Seine met à la disposition de cette Société des salles de l'Hôtel-deVille, la physionomie caractéristique de ces solennités est depuis longtemps reconnue et appréciée : les encouragements, les récompenses qui y sont distribués aux auteurs de découvertes, d'améliorations, de procédés utiles pour les beaux-arts ; l'ex- • posé sommaire de la situation morale et active de la Société; l'examen du salon; les poésies et la

1 Prix du volume : 3 fr., chez Johanneau, libraire de la Société, rue de l'Arbre-Sec, 15.


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musique, qui y figurent tour, à tour, excitent sans cesse l'attention et l'intérêt d'un auditoire nombreux et élégant.

Remplissant un devoir qui dérive de son institution, la Société libre des Beaux-Arts a saisi avec empressement l'occasion, chaque fois qu'elle s'est offerte, d'intervenir dans les grandes mesures d'ordre ou d'administration dont les arts pouvaient être l'objet. Ainsi, le Gouvernement ayant manifesté, en 1831, l'intention de faire exécuter de grands travaux et, entre autres, trois compositions pour la Chambre des. députés , elle émit l'opinion qu'ils devaient être répartis d'après un concours public, jugés par un jury spécial, ce qui fut fait, et elle a eu la satisfaction de voir deux de ses membres admis parmi les lauréats : M. Coutan a remporté le prix du Serment du Roi ; M. Vinchon, celui de Boissy-d'Anglas. De plus, à la demande même du Gouvernement, la Société libre s'est expliquée sur les modifications qui pourraient être apportées dans le règlement de l'École des BeauxArts et de l'Académie de France à Rome. Enfin , elle a soumis, en 1841, à la Commission de la Chambre des députés chargée d'élaborer un projet de loi sur la propriété littéraire et des oeuvres d'art, des observations sur plusieurs articles de ce projet. Mue par des sentiments de compassion pour de grandes souffrances ou d'admiration pour de grands talents, la Société libre des Beaux-Arts a usé de


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son influence et de ses ressources pour secourir les unes et rendre hommage aux autres. Afin de venir en aide aux victimes des inondations du Midi, en 1841, elle a formé une loterie d'objets d'arts à laquelle, non-seulement chacun de ses membres a apporté son tribut, mais encore une foule d'autres artistes qui ont répondu à son appel. C'est dans son sein qu'a été formulée, pour la première fois, la pensée d'association de secours entre artistes français, à l'instar de l'Angleterre. Associations toutes philanthropiques qui ne pouvaient être incorporées dans une essentiellement et uniquement artistique, mais dont les principes, appuyés par la publication d'un mémoire, ont été, ensuite, développés d'une manière si féconde, par M. le baron Taylor. C'est elle qui, s'emparant du noble projet conçu par les David, les Gérard, les Percier, les Fontaine, les Talma, les Grétry, d'élever une statue au Raphaël français, le Poussin, dans sa ville natale, les Andelys, a pris, en 1842, l'initiative d'une souscription pour réaliser cette oeuvre éminemment nationale, et, lors de l'inauguration de cette statue, qui n'a eu lieu qu'en 1851, elle a fait frapper une médaille à l'effigie du grand peintre, portant au revers : A Nicolas Poussin, né aux Andelys, ses admirateurs. 15 juin 1851. Des monuments funèbres à Reicha, dans le cimetière de l'Est ; à Montabert, à Troyes; à Daguerre, à Bry-sur-Marne, dus aux soins de la Société ou à la munificence de quelques-uns de ses


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membres, mais toujours avec le concours de celleci, témoignent de sa profonde vénération pour les génies qui sont la gloire du pays qui les a vus naître ou qui les a adoptés. Maintenant, elle s'occupe de l'érection d'une statue à Eustache Lesueur, dans la partie du jardin du Luxembourg où était situé le cloître que ce grand peintre habitait et qu'il a orné de ses belles pages de la vie de saint Bruno. Cette statue, dont le marbre a été fourni par le Gouvernement, figurera à la prochaine exposition.

Plusieurs membres de la Société libre des BeauxArts ont reçu des médailles d'or pour les ouvrages qu'ils ont envoyés aux expositions de Paris ou de la province; plusieurs ont été décorés de la croix de la Légion d'honneur ou d'ordres étrangers; plusieurs ont pris place dans les rangs de l'Institut.

En un mot, cette Société, qui a des relations dans tous les pays, qui envoie des délégués à tous les congrès, est un centre vers lequel convergent toutes les sociétés académiques des départements, et qui s'alimente des idées, des pensées de tous, pour les faire refluer, transformées et développées, vers la source d'où elles émanent.


LISTE DES MEMBRES

DE LA

SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS

EN 1855.

SECTION DE PEINTURE.

MM.

ABEL DE PUJOL * (de l'Institut), quai Jemmapes, 202. (18 octobre 1830.) AUBRY LECOMTE *, rue du Bac, 42. (18 octobre 1830.) . BALTAZARD, rue Louis-Ie-Grand, 31. (5 juillet 1842.) BELLOC *, rue de l'École-de-Médecine, 5. (4 juin 1833.) CARPENTIER (Paul), boulevard du Temple, 30. (18 octobre 1830.) CHAMPIN, rue des Pyramides, 2. (18 octobre 1830.) COLIN, rue de l'Est, 11. (18 mars 1851.) DELAVILLE, rue Beauregard, 45. (16 janvier 1814.) DELORME *, rue des Filles-du-Calvaire, 17. (18 octobre 1830.) DUBOULOZ, rue de Dunkerque, 69. (3 septembre 1833.) DUSSAUCE, avenue Dauphine, 13, plaine de Passy. (5 avril 1842.) GAVET, rue Croix-des-Petits-Champs, 31. (18 novembre 1845.) HESSE *, rue Cassette, 41. (4 décembre 1838.) HORSIN-DÉON, rue Chabannais, 1. (16 avril 1850.) JACOB *, rue de Vaugirard, 43. (18 octobre 1830) LABY, rue Sainte-Anne, 18. (28 octobre 1830.) LACROIX (Pierre), rue de Fleurus, 11. (6 avril 1852.) LEGENDRE, rue du Hasard-Richelieu, 15. (5 novembre 1839.) MAILLE-SAINT-PRIX, rue du Cherche-Midi, 9. (15 avril 1831.) MAILLOT *, rue de Chaillot, 99. (18 octobre 1830.) MONTAGNY, rue de la Harpe, 51. (28 octobre 1830.)


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SECTION DES AMATEURS : LITTÉRATURE, ARCHÉOLOGIE ET SCIENCES APPLIQUÉES AUX BEAUX-ARTS.

BIDAULT, chemin de la Gaieté, 11 (Vaugirard). (6 décembre 1831.) BLONDIN, rue Saint-Louis, 101 (Marais). (2 novembre 1852.) BONNEFOND, rue de la Chaussée - d'Antin, 45 (bis). (19 novembre 1850.) COLOMBE, rue Monsieur-le-Prince, 47. (7 mai 183.) FOURNIER (Léon), rue des Blancs-Manteaux, 20. (3 mai 1853) MAILLET, rue de l'Arbre-Sec, 15. (15 juillet 1845.) MIRAULT (père) *, faubourg Poissonnière, 23. (7 février 1832.. MONESTROL (de), à Bourg-la-Reine. (3 mai 1853.) MOULLARD DU COMTAT, rue du Petit-Carreau, 1. (18 novembre 1851.) MOULTAT, à la Banque de France, à Paris. (7 mai 1850.) ; NUZILLAT, rue Saint-Jacques, 106. (15 février 1853.) ROSIER, rue Paradis-Poissonnière, 56. (3 mai 1853.) SAUCLIÈRES (de), rue de la Michodière, 6. (16 avril 1850.) TAVEAU, rue de la Chaussée-d'Antin, 8. (3 avril 1855.)

SECTION DE PHOTOGRAPHIE.

CHEVALIER (Charles), cour des Fontaines, 3. (15 février 1853.) LEMERCIER, rue de Seine Saint-Germain, 57. (21 juillet 1846.)

MEMBRES HONORAIRES.

BARRAUD (Mme), rue des Saints-Pères, 3. (1840.) BIENAIMÉ, rue Monsieur-le-Prince, 39. (6 juillet 1852.) BIET, rue de l'Est, 22. (13 mars 1832.) - BRIEY-KORN (Mme), rue Labruyère, 27. (1840.) COUSSIN (Mme), rue Lamartine, 19. (1833.) FOY (Mme). (6 octobre 1846.) GENEST (Mme), rue Bergère, 20. (20 juin 1854.) HAUSMANN O. *, préfet de la Seine.


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KERR (Louisa) (Mme), à Londres. (20 avril 1852.) MULEER (Emma) (Mlle), quai des Augustins, 15. (21 juillet 1846.) RAMBUTEAU (le comte de) C. *. (1er octobre 1833.) ROLLOT (Honorine) (Mlle), rue de la Jussienne, 10. (21 septembre 1852.) ROHAULT DE FLEURY *, rue d'Aguesseau, 12. (2 novembre 1852.) ROUY (Mlle)*, rue de Laval, 23. (19 novembre 1850.) TAURIN (Mme), rue de Surennes, 37. (5 avril 1842.)

MEMBRES CORRESPONDANTS.

BÉZIERS-LAFOSSE, Saint-Servan (Ille-et-Vilaine. (16 janvier 18 14.) CHENAVARD, architecte a Lyon (Rhône). (3 juin 1834 ) CHERVIN, littérateur à Lyon (Rhône). (5 septembre 1854.) CHEUSSEY, architecte à Amiens (Somme). (6 décembre 1836.) CHIBOYS, place d'Orsay à Limoges. (16 juillet 1844.) COUDRAY-MAUNIER, à Chartres. (20 mars 1855.) DONALDSON, architecte à Londres. (6janvier 1835.) FELSING, graveur à Darmstadt. (1 octobre 1834.) FRAMERY (de) 0. *, Châtillon-sur-Seine (Côte-d'Or). (7 janvier 1837.) GELIBERT, peintre à Pau (Basses-Pyrénées,(6 janvier 1835.) GODWIN, architecte à Londres. (6 avril 1841.) GOSSE, architecte à Versailles. (4 août 1835. GWIT, Westminster. (6 novembre 1838.) HALTEMANN, architecte à Rome. (2 octobre 1838.) HENZEL, peintre à Berlin. (4 août 1835.) HIVONNAIT, peintre h Poitiers (Vienne). (7 octobre 1844.) ITAR, architecte à Catane (Sicile). (6 septembre 1831.) JOSE-NUNEZ DEL PRADO, en Bolivie. KRIESEYS, peintre à Athènes (Grèce). (7 octobre 1845.) LECERF, peintre à Thorigny-sur-Vire (Manche) (11 mai 1841.) LEPOITEVIN, à Versailles,place Hoche, 10 (21 janvier 1851 ). MAGNIN, compositeur de musique à Beauvais. (21 janvier 1851.) MANGIN, à Nantes (Loire-Inférieure). (6 janvier 1835.) MEADE FRÈRES, à New-York. (2 novembre 1852.)


XVI

MOR DE FUENTÈS, à Manson (Espagne). (1er avril 1834.) NIGOLINI, architecte à Naples. (5 août 1845.) PASSEPONT, peintre, à Auxerre (Yonne). (6 février 1855.) POULIQUEN, architecte à Brest. (1" avril 1834.) VARÈZE, peintre à Coste (Corse). (2 juillet 1839.) THÉVENOT, à Clermont-Ferrand. (16 avril 1850.) ZANT, architecte à Stuttgard. (1er juillet 1834.)

AGENT DE LA SOCIÉTÉ.

M. MARTIN, Hôtel-de-Ville.

RÉCAPITULATION.

Membres résidants titulaires. Peinture. 32

Id- Statuaires. 7

Id. Architecture. 18

Id. Gravure. 9

Id. Musique. 7

id. Amateurs. 14

Id. Photographie. 2

Membres honoraires. 15

Id. Correspondants. 30

134

COMPOSITION DU BUREAU

PENDANT L'ANNÉE ACADÉMIQUE 1854-1855.

Président. . . . . . . . . : . . M. DELAIRE *.

Vice-Présidents. MM. ROUGET * et Paul CARPENTIER.

CARPENTIER.

Secrétaire-Général . M. MOULLARD DU COMTAT.

Secrétaires-Adjoints MM. CHAUDET, de SAUCLIÈRÉS

et FOURNIER.

Archiviste. .M. COLIN.

Trésorier.. . ... .... . M. COLOMBE,


LISTE DES SOCIÉTÉS

CORRESPONDANT

AVEC LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS.

ACADÉMIE nationale de Metz.

ACADÉMIE des sciences, arts et belles-lettres de Caen.

ACADÉMIE des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse.

ACADÉMIE de l'Institut historique à Paris.

ACADÉMIE nationale , agricole, manufacturière et commerciale

de Paris. ACADÉMIE des sciences, arts et belles-lettres de Dijon. ACADÉMIE des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand.

Clermont-Ferrand. des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux. ACADÉMIE nationale des sciences, belles-lettres et arts, de Lyon. ACADÉMIE des sciences, belles-lettres et arts de Rouen. ACADÉMIE d'Arras. ACADÉMIE de Douai. ACADÉMIE des sciences et arts de Mâcon. ACADÉMIE des sciences et arts de Genève. ACADÉMIE des arts et métiers, à Paris. A CADÉMIE des beaux-arts de Saint-Charles de Valence (Espagne;


XVIII ASSOCIATION des artistes,' à Paris. ASSOCIATION rhénane, à Strasbourg. ATHÉNÉE du Beauvaisis, à Beauvais.

ATHÉNÉE des arts, sciences, belles-lettres et industrie de Paris. COMITÉ central des artistes, à Paris. CONSEIL des architectes, à Versailles. INSTITUT royal des architectes britanniques, à Londres. SOCIÉTÉ des sciences, belles-lettres et arts du département du

Var, à Draguignan. SOCIÉTÉ d'agriculture, sciences et arts du Puy (Haute-Loire). SOCIÉTÉ d'agriculture, arts et commerce de la Charente. SOCIÉTÉ des sciences, de l'agriculture et des arts de Lille (Nord). SOCIÉTÉ nationale et centrale d'agriculture, à Paris. SOCIÉTÉ d'agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l'Aube, à Troyes. SOCIÉTÉ scientifique, littéraire et industrielle de l'Auvergne. SOCIÉTÉ des Amis des arts et de l'industrie des départemens de l'Ouest, à Poitiers.

SOCIÉTÉ des sciences historiques et naturelles de l'Yonne.

SOCIÉTÉ nationale et centrale d'agriculture, sciences et arts du département du Nord.

SOCIÉTÉ d'Émulation de Cambrai.

SOCIÉTÉ nationale d'agriculture, sciences et arts de Douai.

SOCIÉTÉ des Antiquaires de l'Ouest, à Poitiers.

SOCIÉTÉ des Amis des arts de Reims.

SOCIÉTÉ philomathique, à Paris.

So CIÉTÉ d'agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne, à Châlons.

SOCIÉTÉ archéologique du midi de la France, à Toulouse.

SOCIÉTÉ des A mis des arts et de l'industrie de Poitiers.

SOCIÉTÉ des sciences, lettres et arts de Nancy (Meurthe)

SOCIÉTÉ des Amis des arts de Boulogne-sur-Mer.


XIX

SOCIÉTÉ lorraine de l'Union des arts de Nancy.

SOCIÉTÉ centrale d'horticulture, à Paris,

SOCIÉTÉ académique de Saint-Quentin.

SOCIÉTÉ d'encouragement pour l'industrie nationale, à Paris.

SOCIÉTÉ des sciences morales, des lettres et des arts de Seine etOise.

SOCIETE historique et archéologique de Soissons.

SOCIÉTÉ des Amis des arts du département de la Somme.

SOCIÉTÉ nationale d'agriculture, sciences et arts d'Angers.

SOCIÉTÉ libre du département de l'Eure, à Évreux.

SOCIÉTÉ d'agriculture du département de l'Ariége, à Foix.

SOCIÉTÉ des Amis des arts de la Rochelle.

SOCIÉTÉ des sciences et arts de Màcon.

SOCIÉTÉ des beaux-arts, a Nantes.

SOCIÉTÉ des belles-lettres et arts d'Orléans.

SOCIÉTÉ philotechnique, a Paris.

SOCIÉTÉ académique des Enfants d'Apollon, à Paris.

SOCIÉTÉ centrale des architectes de Paris.

SOCIÉTÉ des Amis des arts, à Rouen.

SOCIÉTÉ des sciences, arts, belles-lettres et agriculture de SaintQuentin.

SOCIÉTÉ des Amis des arts, à Strasbourg.

SOCIÉTÉ des sciences et arts de Strasbourg.

SOCIÉTÉ de chirurgie, à Paris.

SOCIÉTÉ des Amis des arts, à Paris.

SOCIÉTÉ médicale de l'arrondissement de Gannat (Allier).

SOCIÉTÉ pour l'instruction élémentaire, fondée en 1815, à Paris.

SOCIÉTÉ d'éducation de Lyon (Rhône).

FIN DE LA LISTB DES SOCIETES CORRESPONDANTES



ANNALES

de la Société libre

DES BEAUX-ARTS.

XVIIIe SÉANCE ANNUELLE ET PUBLIQUE.

Le dimanche 6 juin 4852. Présidence de M. DELAIRE.

LECTURES.

1° Compte rendu des travaux de la Société pendant les années 1818,49, 50 et 51, par M. MAILLET, secrétaire ;

2° Examen du Salon de 1852, par M. DE SAUCLIÈRES ;

3° Fragment sur les Beaux-Arts, pièce en vers , par M. VANDERBURCH, peintre ;

4° Fable, par M. DELAIRE.

DISTRIBUTION DE MÉDAILLES.

Médaille d'argent à M. CHAUDET, architecte, pour sa restitution des Propylées d'Athènes. ,

T. XVIII. 1


2

Médaille d'argent à M. PIERRAT, pour ses réparations des émaux de Limoges et des faïences de Bernard Palissy.

Médaille d'argent à M. TACHET , pour ses panneaux à peindre.

Médaille de bronze à M. L'HOEST, pour sa reproduction de bustes et statues en médailles et basreliefs.

Médaille de bronze à M. DURIN, pour son invention de l'eau fixative, dite Fixateur universel.

Mention honorable à Mme ÉLISA MANTOIS, pour sa préparation du blanc de zinc.

Rappel d'une médaille d'argent accordée à M. FISCHTEMBERG, pour ses crayons et pastels de mine de plomb.

CONCERT. Première Partie.

1° Sérénade pour piano et violon (A. Blanc), exécutée par Mlle Hersilie Rouy, membre de la Société, et M. Adolphe Blanc.

2° Les Oiseaux de Notre-Dame (Clapisson et Courcy); Comment l'Amour vient et s'en va, Ed. l'Huillier, romances chantées par M. Gozora.

3° Air de la Muette (Auber), chanté par Mlle Révilly, de l'Opéra-Comique.

4° Fantaisie pour flûte et piano (Coninx et Scard), exécutée par M. Coninx et Mlle Hellénie Bernard.

5° Pierre l'Hermite (Ed. Membrée), scène dramatique chantée par M. Edouard Beauce.

6° Air de Lucie, (Donizetti), chanté par Mlle Élise Lucas.


3

Deuxième Partie.

1° Variations pour le piano (Mozart), exécutées par Mlle Chassant.

2° Si j'étais homme (Clapisson), romance chantée par Mlle Révilly ;

L'Écho du bocage (Coninx), romance pour chant et flûte exécutée par Mlle Révilly et M. Coninx.

3° Grande valse pour le piano (Buisson), exécutée par Mlle Hersilie Rouy.

4° La Jeune Mère (G. de Monsigny), les Gages d'Amour (Marquerie et Tréfeu), romances chantées par M. Gozora.

5° Solo de violon exécuté par M. Adolphe Blanc.

8° Duo du Maître de Chapelle (Paër), chanté par Mlle Élise Lucas et M. Edouard Beauce.

Le piano, de la fabrique de M. Érard, sera tenu par Mlle Hellénie Bernard, et M. Pollet, membre de la Société.

ALLOCUTION DE M. DELAIRE

PRÉSIDENT.

MESDAMES ET MESSIEURS,

La Société libre des Beaux-Arts ayant été obligée,, par des circonstances impérieuses, d'interrompre, pendant plusieurs années, le cours de ses séances publiques annuelles, a éprouvé une vive satisfaction en vous appelant à cette solennité, qui, après une lacune regrettable, rattachera comme un anneau le passé et l'avenir.


4

Les associations d'artistes, les réunions d'hommes laborieux, travaillant en commun dans un même but, ont besoin comme les individus de se retremper de temps en temps au contact du monde et de puiser, dans ses encouragements, une énergie qui ranime leur zèle, qui excite leur émulation. Toutefois, notre compagnie, quoique privée pendant trop longtemps de vos sympathiques adhésions, et, malgré les émotions politiques que nous avons traversées, et auxquelles il était difficile de se soustraire , n'en a pas moins poursuivi la noble et laborieuse mission qu'elle s'est imposée : elle n'a pas cessé de veiller, comme une sentinelle avancée, à la conservation des saines doctrines de l'art, dont elle s'est constituée la gardienne. L'état sommaire de ses travaux, que M. le secrétaire va vous présenter, vous montrera qu'elle n'est pas demeurée inactive et, il faut espérer que, le calme ayant aujourd'hui succédé à l'orage, les esprits moins préoccupés d'intérêts matériels se porteront désormais plus généralement vers les sciences et les beaux-arts dont les conquêtes toutes pacifiques sont, peut-être, le seul moyen d'unir dans les liens d'une douce et véritable confraternité ceux qui se sont trouvés divisés par suite des troubles qui ont agité si souvent notre beau pays. Dans cette pensée, nous appelons à nous tous ceux qui ont un sens droit, un coeur ardent, un sentiment profond du beau et du bien ; tous ceux qui, en un mot, ont la conscience de leur haute destination morale.


COMPTE RENDU

DES

Travaux de la Société libre des Beaux-Arts.

Séance publique du 6 juin 1853.

M. MAILLET, rapporteur.

MESSIEURS,

Un écrivain célèbre du dernier siècle a dit avec raison : « Les beaux-arls élèvent l'âme, et la culture de l'esprit en tout genre ennoblit le coeur. » Ici, nous sommes entourés d'artistes et d'amis éclairés des arts. Nous venons donc avec confiance vous présenter le résumé sommaire de,nos travaux.

La Société libre des Beaux-Arts a été fondée avec l'autorisation du Gouvernement, au mois d'octobre 1830, par une réunion d'artistes de tous genres qui cherchaient à maintenir les saines doctrines de l'école antique et de la renaissance, et qui jugèrent nécessaire de combattre le mauvais goût de quelques novateurs. Le but de l'institution de la Société a été indiqué par ce simple programme : « Concourir aux progrès des beaux-arts et au bienêtre des artistes. »


6

Depuis plus de vingt ans, la Société ne s'est pas écartée de ce principe. Chaque année, elle s'est livrée à un examen consciencieux du salon, et, dans un rapport rédigé par une Commission composée d'artistes choisis dans chacune des spécialités, elle a signalé les oeuvres remarquables ou les tendances fâcheuses reconnues dans les différents genres. Elle s'est occupée des constructions nouvelles, des améliorations utiles, des découvertes et des inventions relatives aux arts : elle les a, autant que possible, propagées et encouragées. Vous en jugerez, Messieurs, par les récompenses qu'elle va décerner dans cette séance et dont je parlerai tout à l'heure.

Je commencerai d'abord par rappeler quels ont été les travaux de la Société pendant les dernières années.

Notre honorable vice-président, M. Péron, a proposé d'élever, par souscription, dans le jardin du Luxembourg, une statue au célèbre peintre Eustache Lesueur, surnommé le Raphaël français. Il a exprimé le désir qu'elle fût placée là où était l'ancien cloître des Chartreux, là où s'était retiré Lesueur, qui y a composé ses belles pages de la Vie de saint Bruno et qui y a terminé, à l'âge de trentesept ans, sa trop courte carrière, après avoir immortalisé son nom par des oeuvres admirables. La Société a accueilli avec empressement cette proposition, et notre collègue, M. Husson, statuaire, a déjà pris l'initiative en préparant un projet qui


1

sera soumis à la Commission chargée de la souscription, et qui lui a valu de justes éloges.

Nous nous félicitons beaucoup d'avoir la Préfecture de la Seine en tête des souscripteurs.

La Société libre des Beaux-Arts, qui avait donné son concours pour l'érection d'une statue en l'honneur du Poussin, aux Andelys, ville natale de ce grand peintre, a été représentée à l'inauguration qui en a eu lieu en 1851. Notre honorable président, M. Delaire, accompagné de plusieurs membres, a assisté à cette cérémonie, et avait préparé un discours qui n'a pu être prononcé, attendu l'heure avancée, mais qui a été publié dans la Revue des Beaux-Arts, et que nous regrettons de ne pouvoir reproduire, attendu les bornes qui nous sont prescrites.

Le savant auteur du Traité complet de la Peinture, M. Paillot de Montabert, peintre d'histoire, élève de David, décédé à Saint-Martin-ès-Vignes, département de l'Aube, a eu aussi l'honneur mérité d'un monument funéraire. Une souscription a été ouverte, à cet effet, dans le sein de la Société, dont il était l'un des Membres les plus distingués. Mais cette souscription eût été insuffisante, si M. Paul Carpentier, notre collègue, ancien ami de M. de Montabert, peintre distingué, que l'amitié, en cette circonstance, a rendu sculpteur, ne s'était pas chargé lui-même de suivre les travaux, de sculpter le buste de l'artiste et de remplir envers son ami ce qu'il a considéré comme un devoir. L'inaugu-


8 ration du monument a eu lieu en sa présence, et un discours a été prononcé par M. Gelée, membre du bureau. Nous rappellerons aussi que M. Paul Carpentier a rédigé la notice biographique de M. de Montabert, et qu'elle a été insérée dans le dix-septième volume de nos Annales.

Aujourd'hui encore la Société libre des BeauxArts a pris l'initiative d'une souscription nouvelle pour élever un monument modeste destiné à marquer la place où reposent les cendres d'un grand artiste, dont le nom ne peut pas périr, car il est attaché à l'une des plus heureuses, des plus brillantes inventions des temps modernes. C'est de Daguerre que je parle. Les arts déplorent sa perte récente : elle a été vivement sentie en France et à l'étranger ; en Amérique, les artistes ont porté son deuil ; partout on a payé à sa mémoire un juste tribut de regrets, et la Société, dans laquelle il a laissé un vide difficile à remplir, a exprimé sur sa tombe, par l'organe de M. Péron, vice-président, la douleur de tous les amis des arts.

La Société libre des Beaux-Arts a reçu de M. Nunez-del-Prado, l'un de ses membres correspondants en Bolivie, un grand nombre d'échantillons de marbre de ce pays. Ils nous sont parvenus par l'intermédiaire de M. le général Santa-Cruz, ministre de la république bolivienne.

Nous rappellerons d'ailleurs, à ce sujet, que la Société, qui est en relation avec un grand nombre


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de sociétés savantes des départements et de l'étranger, reçoit les publications de ces sociétés et leur transmet, en échange, les Annales qu'elle publie, annales qui composent actuellement 17 volumes ornés de portraits, plans et dessins. Les publications des sociétés correspondantes enrichissent journellement nos archives : elles sont toujours examinées avec soin et donnent lieu à des rapports souvent fort intéressants.

Indépendamment de ces rapports, trop nombreux pour que nous puissions les analyser, nous devons à plusieurs de nos membres des travaux remarquables, dont nous citerons quelques-uns :

Une dissertation sur une scène du Déluge de Girodet, par M. Aubry le Comte ;

Une notice sur les antiquités du département du Puy-de-Dôme, par M. Charles M allay, architecte ;

Un rapport de M. Tavernier sur la monographie de l'église de Saint-Sauveur de Dinan (Côtes-duNord), par M. Bezier-Lafosse ;

Une dissertation de M. Duplat sur le tableau de Nicolas Poussin, connu sous le nom de Diogène ;

Plusieurs rapports sur les congrès scientifiques, par M. Pernot ;

Un souvenir d'un voyage en Hollande, visite à la maison du czar Pierre le Grand, à Saardam, par M. Bourla, qui a fait aussi différents rapports sur des découvertes archéologiques et sur des monuments anciens :


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M. Delaire nous a communiqué un travail élégamment écrit, rempli d'heureuses citations, de pensées fines et judicieuses sur un sujet bien choisi : « Le goût, considéré sous le rapport des Beaux« Arts ; »

M. Bienaimé a fait, au nom de la Commission d'examen des produits de l'Industrie, un savant rapport sur les instruments de musique ;

M. Delorme a présenté, au nom d'un Commission spéciale, l'opinion de cette Commission sur les copies des fresques de Raphaël et de Michel-Ange ;

Nous citerons aussi de M. Vander Burch une dissertation sur le paysage envisagé comme genre spécial, et une autre sur la nature chimique des couleurs et sur leur emploi ;

M. Moultat, chargé d'examiner les numéros du journal anglais the Builder ( le Constructeur ) et les publications de l'Institut des architectes britanniques à Londres, nous a fait une série de rapports d'un véritable intérêt, en mettant sous nos yeux, les gravures des monuments décrits ;

M. Aulnette-Duvautenet, qui nous a fait, au nom de la Commission du Salon de 1851, un rapport excellent sur ce salon, et qui préside la Commission chargée de l'examen du Salon de 1852, dont M. Henri de Sauclières parlera dans celte séance, a lu à la Société la première partie d'un travail d'un haut intérêt sur le style ogival. La seconde partie fera l'objet d'une seconde lecture ;


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Nous devons mentionner aussi plusieurs dissertations de M. Garneray sur les toiles à peindre et sur la partie pratique de la peinture : elles révèlent les études et les recherches utiles de M. Garneray ;

M. Gelée nous a communiqué une série de gravures faites d'après des compositions de Nicolas Poussin, représentant les Travaux d'Hercule. Ce travail est on ne peut plus précieux pour l'art et fait beaucoup d'honneur à M. Gelée ;

Enfin, dans l'une de nos dernières séances, M. Bidaut a soumis un projet de monument en l'honneur des illustrations françaises de tous les temps, et en remplacement du Panthéon rendu au culte. Ce projet, renvoyé à une Commission spéciale, a été l'objet d'un rapport de cette Commission, qui a reconnu qu'au point de vue architectural M. Bidaut avait bien expliqué sa pensée et l'effet général qu'il s'est proposé à l'intérieur et à l'extérieur du monument; et tout en ne se dissimulant pas les difficultés d'exécution , à cause des grands travaux actuellement entrepris, elle a émis le voeu que ce noble projet pût se réaliser, et elle a conclu à ce que des remerciements fussent adressés à M. Bidaut.

Vous reconnaîtrez, Messieurs, par cet exposé succinct, que la Société libre des Beaux-Arts poursuit avec ardeur le noble but de son institution, et que, fidèle à sa mission, elle ne' néglige rien de ce


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qui peut concourir au progrès des arts et à leur propagation.

Messieurs, en avançant dans la vie, on voit tomber autour de soi bien des personnes aimées. La Société libre des Beaux-Arts a fait de regrettables pertes. Nous venons de vous parler de MM. Daguerre et Paillot de Montabert; nous avons perdu encore :

M. Drolling, célèbre peintre d'histoire, membre de l'Institut et de la Légion d'honneur, qui a terminé glorieusement sa brillante carrière, peu de temps après avoir achevé les belles peintures murales de la chapelle Saint-Paul à Saint-Sulpice, travail long et pénible qui a hâté sa fin prématurée ;

M. Crépin, peintre de marine, membre de la Légion d'honneur, qui a donné, en mourant, une dernière pensée à la Société, en lui faisant un legs, par testament; nous rappellerons ici que M. Crépin est l'auteur de la belle toile de la frégate la Bayonnaise, qu'on voit à la galerie du Luxembourg ;

M. Philippe Franck, modeste et consciencieux artiste, qui consacrait particulièrement son talent à la réparation des tableaux des anciens maîtres ;

M. Dreuille, peintre de genre, qui avait appliqué avec succès l'art à l'industrie ;

M. Allais, graveur ;

M. Duquesnay, architecte, qui a construit le remarquable embarcadère du chemin de fer de Strasbourg;


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M. Mulard, ancien élève de David, ancien inspecteur des travaux d'art de la manufacture des Gobelins, et l'un des fondateurs de la Société libre des Beaux-Arts , dont il a été deux fois vice-président.

Nous allons maintenant, Messieurs, vous rappeler les admissions nouvelles ; savoir :

Quatre architectes : MM. Rolland, Jay, architecte de la ville, professeur à l'École des Beaux-- Arts; Lepoittevin, architecte à Versailles ; et Félix Pigeory , directeur de la Revue des Beaux-Arts, qui a eu, l'année dernière, ; une mission importante; car il a été envoyé par le ministre de l'intérieur, sur les côtes de la Morée et de l'Asie Mineure, pour y étudier les monuments religieux et militaires édifiés par les Français des Croisades, depuis le XIe jusqu'au; XIVe siècle.

Nous avons reçu aussi, dans la section de peinture : MM. Sudre, Colin, Horsin-Déon et Pierre Lacroix ; dans celle de gravure, M. Bridoux, ancien premier prix de Rome ; dans celle, de musique, MM. Pollet et Alfred de Longpérier ; enfin MM. de Sauclières, Moultat, Bonnefons et Moullard, hommes de lettres et amateurs ;

Mlle Hersilie Rouy et Mme Kerr ont été admises comme membres honoraires ;

Enfin, l'Institut des architectes à Versailles a été admis comme Société correspondante.

Deux de nos membres ont reçu la décoration de la Légion d'honneur: M. Péron, peintre d'histoire.


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ancien élève de David, professeur à l'École de dessin, et M. Garneray, peintre de marine.

M. Hittorff a reçu du roi de Bavière la croix de commandeur du mérite de Saint-Michel, et du roi Guillaume, la croix de l'ordre de la Couronne de Wurtemberg.

M. Pigeory a obtenu la décoration de l'ordre d'Espagne de Charles III.

M. Rouget a obtenu une médaille d'or de la Société des arts de Poitiers.

Nous vous rappellerons, Messieurs, que la Société libre des Beaux-Arts a reçu, en 1851, de la munificence du gouvernement une subvention à titre d'encouragement.

Nous devons aussi une mention à M. Blouet, membre de l'Institut, Président de la Société centrale des Architectes à Paris, qui a adressé un rapport sur l'assainissement des habitations insalubres ; et à M. Armingault, l'un des directeurs de la publication intitulée : La Vie des peintres illustres, qui nous a fait hommage de la seizième livraison de cet important ouvrage.

Avant de terminer notre compte rendu, nous indiquerons les récompenses et encouragements que la Société va décerner dans cette séance :

Sur le rapport de M. Hittorff, et d'après l'avis de la Commission spéciale :

1° Une médaille de première classe à M. Chaudet, pour ses dessins sur les propylées d'Athènes ;


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2° Une médaille de première classe à M. Tachet, pour son invention de panneaux en bois destinés à la peinture ;

3° Une médaille de première classe à M. Pierrat, pour son procédé ingénieux de réparation des émaux et des vases de Palissy ;

4° Une médaille de bronze à M. l'Hoest, pour l'invention heureuse d'une mécanique au moyen de laquelle on peut opérer toutes sortes de réductions des rondes-bosses ;

5° Une médaille de bronze à M. Durin, pour son eau fixative, ou fixateur universel des dessins ;

6° Une mention honorable à Mme Élisa Mantois, pour la préparation du blanc de zinc destiné à la peinture ;

7° Rappel d'une médaille de première classe à M. Fischtemberg, pour sa préparation de crayons et pastels.

Ici, Messieurs, s'arrête le compte rendu des travaux de la Société libre des Beaux-Arts. Nous désirons que vous reconnaissiez son zèle et son amour pour les arts, ainsi que son dévouement pour les artistes qui peuvent contribuer à la gloire de la France.


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RAPPORT SUR LE SALON DE 1852.

M. DE SAUCLIÈRES, rapporteur.

MESSIEURS,

Votre Commission, avant de se livrer à l'examen du Salon, a cru devoir vous rendre compte des avantages et des inconvénients qu'entraîne, dans l'intérêt de l'art lui-même, le système de critique adopté jusqu'à présent dans les travaux de ses prédécesseurs.

Les motifs qui présidaient à l'institution de cette critique, il faut bien le reconnaître, n'existent plus ou du moins sont considérablement modifiés. Dans l'état actuel des choses, la presse a dû renoncer aux exagérations de toute espèce qui trouvaient place dans ses colonnes. Si elle reste encore au service de certaines coteries, si elle conserve encore ses prédilections plus ou moins inintelligentes des vrais principes de l'art, il n'en est pas moins vrai qu'elle n'offre plus, ou beaucoup moins, ces exagérations de parti pris de blâme ou d'éloge, dont l'apprécia-


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tion pouvait suffire à asseoir nos opinions sans avoir besoin de recourir à une argumentation plus directe.

Quelle que soit la juste susceptibilité d'une réunion d'artistes appelée à émettre une opinion sur les travaux de leurs confrères, nous n'avons pas hésité, Messieurs., à entreprendre une critique se renfermant dans l'application rigoureuse des principes irréfragables de l'art.

En restant dans cette voie, votre Commission a pensé que la Société libre des Beaux-Arts pourrait, tout en remplissant les obligations de son principe constitutif — l'intérêt et la dignité des arts — concourir au bien-être de ceux qui les cultivent.

L'habitude adoptée par certaines critiques de louer outre mesure les ouvrages d'amis, et de porter aux nues des médiocrités qui auraient dû rester . ensevelies dans l'oubli, est une manoeuvre qui peut réussir à tromper le bon sens public pour quelque temps, mais qui ne parvient jamais à corriger les erreurs et les incartades de ces médiocrités, tout en jetant le découragement et le désespoir dans le coeur de l'artiste consciencieux et modeste.

Laissant donc de côté et systèmes d'écoles et coteries organisées, acceptant toujours le mérite sous quelque forme qu'il se présente, adoptant tous les genres « hors le genre ennuyeux, » votre Commission, Messieurs, s'est mise consciencieusement à

T. XVIII. 2


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l'oeuvre,.et vient vous faire connaître le résultat de ses travaux.

Et d'abord, rendons à César ce qui appartient à César et à l'administration ce qui lui revient. —Le nombre des ouvrages admis, les exemptions en faveur de certaines catégories d'artistes, l'annexion au nom de l'exposant, sur le livret, de ses titres divers et du nom de son maître, sont autant d'innovations heureuses dont on doit savoir gré à l'administration, et votre Commission se plaît à lui rendre toute justice à cet égard.

L'aspect général du salon de 1852 paraît satisfaisant. On trouve, à l'examen,, des beautés de premier ordre ; mais en petit nombre, quant à la grande peinture.

Les tableaux d'histoire sont loin de se trouver en majorité, mais ils sont assez remarquables. Il y a une certaine pureté de formes dans les ouvrages où le nu domine, une habile exécution, des têtes pleines d'expression et de vérité.

Le genre aussi est traité avec goût ; on trouve des marines et des paysages d'un effet puissant et d'une harmonie bien entendue. On aperçoit dans ce pêle-mêle hétérogène de petites perles d'une exquise finesse. Quant aux portraits, plusieurs sont fort beaux. Les peintres de fleurs et de fruits ont également apporté le tribut de leur talent. L'aquarelle, le pastel et la gouache ajoutent leur contingent en facilité et en grâce. Il y a surtout des des-


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sins très-remarquables tant par la pensée que pai l'exécution. La miniature et la sculpture brillent aussi au milieu de toutes ces oeuvres.

Mais pourquoi faut-il que des ouvrages d'un mérite transcendant se trouvent entourés de pitoyables médiocrités ; c'est que toujours les systèmes aveuglent, c'est qu'il est plus facile de produire sans études, c'est que le besoin de vivre fait exécuter avec trop de précipitation, c'est qu'il ne devrait être permis qu'à des talents supérieurs d'avoir cet abandon, ce relâché dans les ouvrages que nous acceptons comme la première pensée d'un grand artiste.

Et ceci nous rappelle une anecdote que nous racontait l'autre jour notre aimable collègue, M. Rouget, avec l'esprit et le charme que nous lui connaissons tous et que nous regrettons de ne pouvoir rendre ici.

« Un jeune homme, nous dit-il, vint un jour chez moi, accompagné de son père, me demander de vouloir bien lui donner mes conseils.

—Monsieur, me dit le père, au bout d'une année d'études, mon fils pourra-t-il gagner de l'argent?

Avant de répondre, je demandai à cet homme quel était son état.

—Horloger, me répondit-il.

—Votre fils, lui dis-je alors, pourrait-il en gagner dans l'horlogerie après un aussi court espace de temps?


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—Cela serait très-douteux, me répondit le père—Alors,

père—Alors, pourquoi vous voulez en faire un peintre, n'est-ce pas? »

C'est ainsi que la plus belle carrière, celle des beaux-arts, de noble qu'elle devrait être dans son principe même, a pû déchoir pour avoir été cultivée par des nécessiteux souvent sans dispositions.

Ce qui frappe surtout d'une manière pénible dans le Salon de 1852, c'est l'absence des études sévères et des grands principes des anciens. Simplicité, naturel, beauté, convenance, harmonie, unité : principes éternels qui ont fait produire tant de chefs-d'oeuvre, et dont on ne s'écartera pas impunément. La véritable supériorité chez les anciens, comme chez les modernes, qui restent attachés aux éternels principes que la fantaisie ne parviendra jamais à détrôner, consiste dans le choix des formes et du sujet. Un art destiné à produire impression sur le sens de la vue a naturellement ses bornes, et doit se modifier en raison de la perfectibilité du sens auquel il s'adresse. La musique, comme la peinture et la sculpture, sont bornés dans leurs moyens d'action; le choix qu'ils ont à en faire, constitue toute leur perfection.

David a eu la gloire de régénérer l'École française, en faisant revivre ces principes, qui malheureusement ont été presque abandonnés : les salles des Antiques sont délaissées.


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La tendance vicieuse dont nous nous plaignons, c'est-à-dire, l'absence d'étude sérieuses, l'emploi du procédé du décor, la substitution de l'apparence à la réalité de l'imitation consciencieuse, le fracas éblouissant de la couleur et de la touche sont autant d'abus dont le Salon fourmille.

L'examen auquel nous allons nous livrer, nous donnera trop souvent l'occasion de constater la justesse de cette observation.

Nous parlerons d'abord de la grande peinture d'histoire, — à tout seigneur tout honneur.— Malheureusement, le seigneur a été cette année peu prodigue; mais enfin ce qu'il a donné renferme de bonnes choses.

La plupart de nos peintres d'histoire, occupés de ce qu'on appelle la peinture de place ou murale, restent souvent étrangers aux Expositions, et lorsqu'ils envoient leurs travaux, ils se trou vent toujours placés dans des conditions tout à fait étrangères à leur destination finale, et par conséquent contraire à leur effet.

La toile fort remarquable de M. Hesse, le Sermon sur la montagne, est dans ce cas. Toutes les qualités de la grande peinture d'histoire existent dans cette oeuvre, il y a de la foi et de la douceur dans quelques-unes des têtes qui écoutent le divin prêcheur; mais l'harmonie et la grâce de ce tableau sont malheureusement atténuées par un voisinage discordant. Peut-être le raisonnement inverse devrait-il s'appli-


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quer à la grande toile de la Prise d'un bastion desfortifications de Rome, de M. Horace Vernet. Indubitablement l'effet de ce tableau sera tout autre quand il sera isolé. La monotonie de la lumière crépusculaire disparaîtra un peu, mais il n'en sera pas ainsi de la teinte bleue qui domine. Pour être juste, nous devons dire que la grande toile de M. Horace Vernet renferme des qualités éminentes. Il y a des mouvements très-vrais et très bien observés dans les soldats qui tombent. Quelques têtes offrent des types militaires bien rendus.

Quel que soit les nombre restreints de tableaux véritablement historiques, l'Exposition a mis en. lumière des réputation nouvelles, comme elle a constaté les efforts infructueux des novateurs. Certaines compositions, comme les Incendiés de la Loire, en sont un exemple.. Ce grand tableau eût gagné infiniment à être petit. Les figures sont d'un assez bon sentiment, mais peu élevées. Cet ouvrage se sent de la précipitation et n'est pas assez sévèrement rendu. Robert et Géricault auraient certainement conçu autrement. Il y avait chez ces hommes un fond d'études sérieuses qui n'existe pas chez; l'auteur des Naufragés de la Loire, et très-certainement ils n'eussent pas étalé sur une grande toile un sujet qui ne comportait que la dimension ordinaire du tableau de genre.

Les derniers honneurs rendus aux comtes d'Eg— mont et de Horn , est une oeuvre grandement traitée


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les têtes sont pleines d'expression et ont le caractère qui convient au sujet: L'exécution est habile; c'est un des ouvrages les plus saisissants du Salon : la composition énergique de la scène, l'expression et la variété jointe à la pureté du dessin, à la puissance du modelé et de la couleur, en font une oeuvre, on pourrait presque dire digne de Rubens, à l'époque de sa Descente de croix et de ses plafonds de Whitehall. Au reste, l'auteur de ce tableau, M. Gallet, appartient à une école qui s'est toujours attachée à l'imitation consciencieuse, qualité si recommandable de l'ancienne école flamande.

Une composition d'une belle ordonnance , mais d'une couleur lourde et mate, est due au pinceau de M. Desgoffes. Le style en est bon, bien qu'il y ait dans le dessin des parties faibles. Le paysage est bien pensé, et les figures concourent à le faire valoir. On croirait cette peinture une fresque.

Parmi les jeunes réputations dont la bonne direction des études mérite toutes nos sympathies, il faut citer MM. Cabanel, Benouville et Landelle.

M. Jacquand a produit aussi un tableau d'un grand effet, d'un rendu qui ne laisse rien à désirer dans la composition et l'expression tout à fait à fait à la hauteur du style historique ; nous reprocherons seulement à son Saint Bonaventure une harmonie un peu jaune.

Le tableau des Femmes gauloises pendant l'invasion romaine présente également d'éminentes qualités.


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M. Glaize qui, jusqu'à présent, s'est fait connaître comme un coloriste procédant de Paul Veronèse et des maîtres, a voulu cette fois faire de la peinture sévère et sobre de couleur, de la peinture froide; il a réussi. Peut-être a-t-il eu tort de quitter son genre. Il aimait la lumière argentée, les belles étoffes, les fleurs épanouies, tous ces charmants prétextes de faire scintiller l'écrin de la palette,et nous trouvons pour notre part que c'était là un très-bel et très-noble emploi de la peinturé; il a peut-être eu tort de tenter autre chose. Quoi qu'il en soit M. Glaize, dans la nouvelle manière qu'il a voulu essayer, a su trouver de belles poses, des groupes heureusement contrastés, de la grandeur même.

La Samaritaine de M. Caminade, tableau composé et exécuté sont l'inspiration de Lesueur et du Poussin, est l'oeuvre d'un talent consommé et dont les années n'ont point diminué le mérite et le charme. Ces qualités se retrouvent à un aussi éminent degré dans son petit tableau du Tireur d'épines que dans sa charmante étude de femme.

Quant aux Bacchantes de M. Brune, elles manquent de chaleur et d'animation. Rien n'est pire qu'une orgie froide ! Les personnages font les gestes de l'ivresse sans être ivres. Nous aurions voulu les, voir les yeux noyés, le rire aux lèvres, pleins du dieu qui fermente, pêle-mêle roulés dans un tumulte joyeux, et non sagement assis comme des membres.


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d'une Société de tempérance. Remplissez donc la coupe, répandez les parfums, effeuillez les roses, brûlez l'encens, faites vibrer la lyre, frappez l'air de vos joyeux accords ; beauté, jeunesse, gaieté, bonheur, voilà ce qu'il faut montrer; il n'est pas besoin, comme aux banquets égyptiens, de faire asseoir un squelette parmi les convives. Cependant, Messieurs, malgré cette critique le tableau de M. Brune peut se classer parmi les plus recommandables du Salon. L'art sérieux y trouve en définitive son compte; il y a science, étude, volonté, connaissance des grandes traditions. M. Brune est un de ces hommes qui peuvent supporter la discussion et n'ont pas besoin d'une indulgence banale.

Citons maintenant MM. Duval le Camus fils, Charles Lefèvre, Pils, Verdier, Pluyette, Herbstoffer, Hunt, dont les travaux sont faits avec conscience et talent, quoique manquant peut-être d'un peu de valeur et de détermination dans certaines parties.

Nous devons aussi à M. Lefèvre le portrait en pied du baron Taylor, cet ancien ami dévoué des artistes.

Puisque nous parlons de portraits, nous profiterons de cette occasion, Messieurs, pour appeler tout particulièrement votre attention sur celui de Mme la duchesse de C***, si admirablement rendu par M. Léon Coignet. Peu de portraits modernes renferment à un si haut degré cette vérité de ton,


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cette harmonie d'ensemble et cette finesse de touche qui en font sans contredit un des plus beaux du Salon.

Nous sommes heureux de pouvoir donner aussi

les plus grands éloges à une tête de jeune homme sortie du pinceau si fin et si délicat de notre collègue M. Rouget. Cette toile, d'une exécution brillante et d'une couleur vraie, fait aisément reconnaître que notre collègue et ami a passé une partie de sa vie avec David. Il s'est pour ainsi dire imprégné du genre du maître , et il est évident que les ouvrages de M. Rouget, toujours travaillés avec soin, ont une valeur intrinsèque comme ceux de Gros, Ingres, Léon Coignet, Rouillard, etc.

Nous devons aussi des éloges aux portraits de MM. Benouville, Dubuffe fils, Pérignon, Chapelin, Hebert, Lehmann, Amaury Duval, Larivière, Muller, Tessier, etc., etc., qui sont habilement peints et faits pour plaire de plus d'une manière.

Nous citerons surtout le portrait de Geffroy en costume de Don Juan, par Amaury Duval. On ne saurait rien voir de plus fin ni de mieux modelé que cette petite tête et que les détails de ce costume Louis XIII. Toutefois cette perfection même nuit à l'effet de la scène, par la réalité qu'elle y apporte. Le fantastique a besoin d'un peu plus de vague, à moins d'y arriver comme Holbein, dans la Danse macabre ou Albert Durer dans son Cava-


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lier de la mort, par de bizarres inventions et des formes étranges.

Les tableaux de chevalet ne sont pas moins remarquables : il y a surtout deux jolies compositions de MM. Lehmann et Signol. Nous ne pouvons nous empêcher de faire observer cependant que dans l'une se trouve un peu de dureté et dans l'autre peut-être un peu de sécheresse. Ce sont ces manières de voir aux dépens de l'exacte vérité de la nature, ce chic (pardon de l'expression, mais elle rend notre pensée), qui nuisent tellement à la peinture moderne.

N'oublions pas MM. Meissonnier, le Mieris de notre époque, Delaisse, Duval le Camus père, Roqueplan, Leleu, Lepoitevin : ces artistes d'un mérite vrai et charmant ont exposé de délicieux cadres, pleins de vérité et de couleur. MM. Plaçant,. Fleury, Thuillier, Ziem, Holstein se font aussi remarquer par des mérites réels. Gudin, l'habile peintre de marine dont le talent vigoureux est d'une grande puissance, se sent un peu cette année de la précipitation. Le modeste peintre Bouton mérite aussi notre attention dans des oeuvres de petite dimension et faites avec une finesse pleine de vérité.

La Vue de la ville de Sisleron, de M. Lapito, donne le désir de voir les Alpes. Si elle est arrangée, il y a mis tant d'esprit que cela plaît. M. Lapito, a peut-être le défaut de soigner un peu trop la pein-


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ture qui manque ainsi de profondeur. Son Couvent de Spezzia a une grande harmonie, les lointains sont justes, mais la partie droite laisse un peu à désirer; ou ne devine pas assez qu'il doit exister un ravin entre le premier et le deuxième plan.

Comme on se promène avec plaisir dans les Montagnes de la Sabine de M. Flandrin! que les lignes en sont belles ! quel style ont ses arbres ! Le ciel, il est vrai, est un peu lourd; mais pour les figures, il est facile de reconnaître la manière de M. Ingres. En somme c'est une belle oeuvre, qui a seulement le tort d'arriver quelques années trop tard. Au temps de Bertin elle eût fait fureur.

M. Balfourier sera un de nos meilleurs paysagistes, s'il continue à étudier la nature et à s'inspirer des grands maîtres; il y a du dessin dans son Souvenir du vallon de Bruneval et un bon sentiment de couleur ; mais un trop grand abus d'un vert cru nuit à l'harmonie.

Quant à M. Gaspard Lacroix, il a tout fait pour nous dégoûter du paysage historique dans Mercure endormant Argus. Puisque les personnages appartiennent au domaine de la fable, pourquoi les faire si laids? Junon n'eût certes pas pris les yeux d'un tel Argus pour les mettre sur la queue du paon, qui fut depuis consacré à cette déesse, et nous devons savoir gré à Mercure d'avoir coupé une tôle aussi laide.

Les tableaux de M. Garneray, représentant les


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fastes de notre histoire maritime, sont d'un artiste consciencieux, qui ne cherche pas à faire de l'effet, et rend les choses avec exactitude. La grande toile de M. Morel-Fatio est dans le môme cas; on y voit vraiment les événements tels qu'ils se sont passés. Le tableau de M. Lecurieux est d'un bon caractère; mais nous voudrions certaines corrections de dessin et plus de franchise dans la couleur. On dirait de grandes détrempes ou des cartons de fresques. La Velleda de M. Cabanel est d'un bon style, même tout à fait historique, et se drape avec beaucoup de goût. Nous trouvons aussi des qualités dans le grand tableau de Moïse, mais ce sujet exige des caractères si grandioses, et les grands maîtres nous ont rendus si difficiles sur le haut style!

Quant à M. Justin Ouvrier nous n'avons que des éloges à lui donner. Ce sont bien là les eaux de la Tamise. Comme ces barques glissent. On reconnaît ce ciel gris qui donne le spleen ; les fabriques sont bien dessinées, celles du premier plan surtout ont une excellente couleur locale. Ce tableau gagne à être regardé.

La Villanella de M. Jalabert est une charmante petite perle d'un pied de haut ; tout se trouve dans ce petit bijou, beauté, pureté, sérénité; c'est fin, jeune, délicat, poétique, pénétrant comme la vérité, troublant comme un rêve.

M. Bezard est aussi un artiste de mérite; ses compositions sont sagement pensées et bien dans le ca-


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ractère religieux. Un peu plus de sévérité dans le style ajouterait pourtant de la valeur à ses ouvrages.

La sévérité dont nous parlons a été bien rendue par M. Timbal qui, lui aussi, comprend bien le sentiment religieux, et ajuste ses draperies avec goût et simplicité. Il ne faut pas chercher ici de la couleur, le mérite consiste dans la noblesse et la simplicité pleine de sagesse des caractères.

M. Landelle possède une bien belle faculté, celle de faire éprouver au spectateur le sentiment qu'il veut rendre.

M. Bellangé donne également beaucoup d'intérêt à ses scènes militaires, on est frappé des exemples de courage qu'il a su rendre. M. Beaune nous a accoutumés à de jolis tableaux, aussi voyons-nous la Jeune Marguerite avec plaisir.

Enfin, un des peintres qui a peut-être le plus d'admirateurs et le plus de détracteurs, c'est M. Courbet; nous nous contenterons de lui dire que nous doutons fort que les demoiselles qu'il a exposées cette année trouvent jamais des maris, à moins qu'elles n épousent des aveugles. Quant aux vaches, nous avions pensé jusqu'à présent qu'elles étaient plus grandes que les chiens; M. Courbet en décide autrement. Nous avouons humblement ne pas comprendre non plus son paysage :. nous ne pouvons donc pas l'apprécier.

Nous devons maintenant parler de la gravure, qui succède avec honneur aux Desnoyers, Richome,


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Forster, Massard, Henriquel-Dupont. Les oeuvres de mérite que nous avons examinées, Messieurs, et dont nous voulons parler, sont dues à MM. Laugier, Bridoux, Martinet, Saint-Eve et Juret.

L'observation faite au sujet de la grande peinture et des tableaux de place, généralement compromis à. l'exposition et par un mauvais jour et par des oppositions de voisinages inharmoniques, s'applique particulièrement cette année à la sculpture. Le calvaire destiné à faire retable au maître-autel de Saint-Vincent-de-Paul est un exemple frappant de l'inconvénient que nous avons signalé. Conçu dans une pensée toute mystique, dont on peut se rendre compte par la toile peinte exécutée provisoirement sur la place môme, ce groupe sculptural et l'ajustement des lignes accessoires avec leur ornementation symbolique ne présentent plus au Salon qu'une conception bizarre,que la couleur du bronze contribue encore à rendre plus inintelligible. Débarrassées de certains accessoires et rendues à la condition projetée, ces mêmes figures, sous la couleur de l'argent mat, produiront un effet tout autre. Probablement les mécontents ne reconnaîtront plus, une fois en place, les sujets de leurs critiques ; et cependant le talent consciencieux de l'artiste, aussi bien que la pensée créatrice si digne d'éloges, auront été compromis pour avoir cédé avec trop de complaisance peut-être aux exigences de l'industriel fondeur et ciseleur. Précisément en face de ce


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calvaire s'en trouve un autre dans des conditions aussi peu favorables à l'appréciation. Ici, les deux figures de la Vierge et de saint Jean, si remarquables d'ailleurs, se trouvent hors de proportion avec le Christ colossal qu'elles accompagnent. Cette disparité choquante influence nécessairement, et de prime abord, le jugement à porter sur ces oeuvres. Les statuaires se plaignent de l'ajustement de la sculpture dans les Salons où la peinture attire spécialement l'attention du public. Peut-être, en effet, la sculpture se trouve-t-elle ainsi un peu plus délaissée ; mais, si l'on considère qu'en définitive l'art plastique est destiné, avant tout, à l'ornementation de nos demeures aussi bien qu'à celle des grands monuments, et que des dispositions analogues à celles dont on se plaint lui sont inévitablement réservées, on conviendra que l'objection n'est pas fondée suffisamment.

Votre Commission, Messieurs, s'est plu à reconnaître l'habileté sans égale avec laquelle a été traitée la Sapho en marbre de M. Pradier. En s'inspirant toujours de la grande sculpture, comme il vient de le faire, cet artiste indique à tous la véritable route, et conserve le rang éminent où il a su se placer. Viennent ensuite la Méditation, de M. Diebold ; l'Ariane abandonnée, de M. Lecorné ; la Tragédie, sous les traits de Mlle Rachel, de M. Clésinger, et quelques autres marbres également bien traités. L'exposition de sculpture, plus châtiée que les


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les précédentes, est certainement l'une des plus, riches et des plus importantes que nous ayons vue.

Nous regrettons, Messieurs, que les limites de ce rapport ne nous permettent pas d'étendre notre appréciation à un plus grand nombre de travaux.

Nous ne terminerons pas cependant sans vous parler de l'architecture, qui ne se montre à nous, comme dans les Salons précédents, que par l'une de ses annexes : l'archéologie. Sans doute cette science nous prépare admirablement à contempler le grand art dans toute sa splendeur créatrice; mais où est-il? Nous ne le voyons poindre dans aucune des choses exposées. On y remarque la plus complète absence de pensées neuves , appropriées à notre climat, à nos besoins du jour, si différents de ceux des XIe, XIIe et XIIIe siècles surtout; ces besoins imposent à nos architectes des recherches qui sont ailleurs que dans des siècles qui n'ont aucune espèce d'analogie avec le nôtre.

La peinture et la sculpture demandent à leur soeur aînée de les appeler à parfaire le monument national qui doit rester debout, et à apprendre aux générations futures quels étaient les usages, les moeurs et la religion de notre temps.

Maintenant, Messieurs, si nous disons que l'exposition de 1852 est d'un aspect satisfaisant, qu'il y a même des beautés de premier ordre dans tous les genres, des compositions pensées et exécutées avec talent, avec bonheur même, nous disons aussi que

T. XVIII


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le désir de produire et peut-être la nécessité ont fait qu'il y a beaucoup d'ouvrages imparfaits. Nous avons vu les oeuvres d'anciennes renommées céder la place à des novateurs, d'un certain goût sans doute, mais qu'il serait dangereux de prendre pourexemples. Nous avons vu des sujets bien rendus, et devant lesquels pourtant on reste froid. Pourquoi en est-il ainsi?

Parce qu'il ne faut pas oublier qu'on peut avoir du talent, un bon style même et manquer de cette puissance que donne la nature; parce que en fin, ces oeuvres ne sont pas assez étudiées, et nous n'insistons tant sur la nécessité de bonnes études, d'études sérieuses, que parce que nous sentons vivement le besoin de revenir aux grands principes des anciens. Avec d'aussi riches souvenirs, d'aussi bous modèles, imités dans ce qu'ils ont de puissant, de vrai, d'élevé, l'école française, avec ses talents présents et ses talents à venir, doit être et doit rester la première école moderne.

Si votre Commission, Messieurs, a cru devoir faire entendre un langage parfois sévère, c'est que la valeur du plus grand nombre des ouvrages exposés lui permettait de se montrer exigeante. Mais elle est heureuse de pouvoir donner des éloges au grand concours de bons ouvrages que renferme le Salon de 18S2.

Il y a, Messieurs, il faut bien le reconnaître, dans cette famille des artistes une somme de vertus, de


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désintéressement et d'abnégation, dont on ne peut mesurer l'étendue.

Il nous reste à vous faire connaître, Messieurs, le nom de nos collègues, peintres, sculpteurs, graveurs et architectes qui ont pris part à l'exposition. Ce sont MM. Àbel de Pujol, Aubry le Comte, Balthazard, Dubouloz, Dussauce, Garneray, Gavet, Hesse, Milon, Mazin, Pernot et Rouget, qui soutiennent les rangs divers dans lesquels ils ont su prendre place, et représentent dignement notre section de peinture.

Dans la section de sculpture : MM. Bougron, Farochon et Molchneth. Dans celle de gravure : MM. Bridoux, Dien et Normand. Parmi les architectes : MM. Garnaud et Pigeory, qui ont aussi apporté leur contingent de travaux les plus recommandables qui aient été remarqués à cette solennité.


FRAGMENT SUR LES BEAUX-ARTS,

PAR

M. VANDERBURCH.

LES BEAUX-ARTS.

Inspiration sainte, émotion sublime, De quel nom appeler ce feu qui vous anime, Sujet, comme la fièvre, à des accès brûlants, Qui s'élève, superbe, au-dessus des talents? Sur ce globe terrestre, où Dieu mit l'harmonie, Ce généreux bienfait n'est-il pas le génie, Comme le pur aimant attirant tout vers lui, Répandant sa clarté, dès que son jour a lui? Dans ce livre sacré, l'artiste aussi peut lire : Puisant dans la nature un céleste délire, Il semble, en ces instants chers et mystérieux, Que notre âme s'élève en s'approchant des cieux ? D'une puissance occulte éloquente interprète, Sa voix de pôle en pôle étendra sa conquête. En tout genre, en tous lieux, voulons nous exceller, C'est cette voix du coeur qui se doit révéler ; Qu'est la main? du travail la savante ouvrière; Qu'est l'oeuvre sans pensée? un phare sans lumière.


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Au spectacle, au concert, ce n'est point un vain bruit Qui fait surgir un nom des ombres de la nuit; S'il n'émeut, il périt : dans notre siècle habile, L'instrument, sous nos doigts, est devenu docile; Champ immense et fécond, prodigue en ses amours, C'est l'image des fleurs qui renaissent toujours ; Mais ces accords touchants, dictés par la pensée, D'où s'échappe l'élan de notre âme oppressée, Prouveraient seuls qu'un Dieu donnait comme faveur, Le talent à la main, le sentiment au coeur.

Oui, c'est à vous, Beaux-Arts, que je rends cet hommage.

Du poëte badin, de l'écrivain, du sage,

Vous savez tour à tour interpréter l'esprit :

Le Créateur, pour vous, n'a pas encore tout dit,

Et l'heure qui succède à l'heure qui s'envole

Peut d'un talent nouveau voir briller l'auréole.

Mais, pour vous bien comprendre, il faut vous pratiquer,

Sentir ce feu divin qu'on veut communiquer ;

Tantôt avec l'archet faire entendre son âme,

Aux touches d'un clavier imprimer cette flamme

Qui, d'un être chétif, sait faire un être fort,

Étonner ou charmer par un suprême effort ;

Tantôt d'une voix noble exprimer le langage

De la vive douleur, ou du mâle courage ;

Prouver qu'avec l'étude et malgré le savoir,

Le premier des talents est celui d'émouvoir.

Dire comment lui vient cette fièvre soudaine,

Comment il doit céder au penchant qui l'entraîne,

C'est vouloir pénétrer les secrets éternels,

La naissance du grain qui nourrit les mortels.

Devant ces grands tableaux la. raison doit se taire

Ne l'interrogeons pas au delà de sa sphère,


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Trop heureux si, pour nous, en gardant le milieu, La nature a parlé le langage de Dieu ; Ce langage, en effet, n'est point dans la parole, Du génie inspiré, c'est l'auguste symbole; Il ravit à la fois et les sens et le coeur, C'est l'âme qui comprend son divin Créateur

Près de son chevalet, l'artiste qui compose. Peut-il avoir sans cesse un modèle qui pose ? L'imagination, par sa bouillante ardeur, L'excite, et le pinceau devient l'exécuteur : A l'ardeur de tracer d'illustres funérailles Ne reconnaît-on pas le peintre de batailles, Immobile témoin de combats meurtriers, Animant sa palette aux cris de ses guerriers? Electrisé, son coeur sent la plus noble étreinte, Et le panneau docile en a reçu l'empreinte.

L'art, qui de la pensée est le premier moteur. Peut décrire à la fois la peine et le bonheur ; Ici, c'est le crayon, traduisant la nature, Le vallon, la chaumière ou la forêt obscure ; Ailleurs, de l'ouragan c'est l'imposant tableau, L'image d'un ciel pur se reflétant sur l'eau, Le spectacle effrayant des malheurs de la guerre, Ou l'enfant endormi dans les bras de sa mère ; Ainsi, souvent poëte et peintre tour à tour, L'artiste nous émeut par l'horreur ou l'amour.

Vanhuysum, de ses fleurs, s'est fait une couronne, Salvator la gagna dans les champs de Bellone, Claude par l'harmonie, et le grand Raphaël, Avec le rédempteur rejoignant l'Eternel !

De ce flambeau vivant, à l'éclat salutaire, Vient s'inspirer aussi l'art de la statuaire,.


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Art noble, qui du temps sait braver les effets,

Et des siècles passés dévoiler les secrets.

Sur l'argile amolli, qu'il pétrit ou modèle,

Voyez, déjà l'artiste à nos yeux se révèle :

Une forme apparaît, se dessine, et soudain

Du bloc inanimé sort un chef-d'oeuvre humain.

Mais, afin d'obtenir une gloire durable,

On découvrit du point le calcul admirable,

Et le ciseau grossier, l'arrachant au repos,

Sembla donner la vie au marbre de Paros.

C'est ainsi qu'autrefois, descendu sur la terre,

Apollon vint de Rome orner le Belvédère.

Ainsi que, toujours belle, à nos regards épris,

Florence montre encor Vénus de Médicis ?

Du burin immortel, puis-je excepter la palme,

Les efforts assidus, les travaux pleins de calme

De cet art traducteur, épuisant jour et nuit

Le trésor, pour atteindre au talent qu'il poursuit?

Dois-je oublier aussi la grande architecture,

Ces temples, ces palais, dont la noble structure

Etonne les regards, et laissent en tous lieux

La trace des grands noms qu'honoraient nos aïeux ?

Mais le poëte aussi, de l'art est tributaire ;

De nos mauvais penchants, censeur héréditaire, Son génie à nos moeurs s'attaque, et chaque jour Peut du mal qu'il corrige effacer le retour : Honneur à lui, qu'il soit ou plaisant ou sévère, Le bien réalisé n'est point une chimère ; Talma, sur notre scène, a peut-être eu l'honneur De changer en vertu l'instinct d'un mauvais coeur. S'il peut mettre à profit sa puissance secrète. Le poëte est artiste, et l'artiste est poëte ; Cherchant la même gloire, amants de leurs travaux,


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Tous les fils d'Apollon tout fiers d'être rivaux : Despréaux, la Fontaine, et Racine et Molière, Ont illustré des arts la brillante carrière ; Combien d'autres grands noms en ce temps généreux Se disputent l'honneur d'être peintres comme eux ? Eh ! que ne doit-on pas à ces puissants génies Qui répandant partout des torrents d'harmonie, Des fleurs de leur printemps couronnaient nos autels, Et léguaient aux Français des lauriers immortels ? Les arts sont, ici-bas, un généreux partage, La grammaire éloquente et du peuple et du sage, Mais ainsi que la rose, amante du plaisir, On se pique à la ronce, avant de les saisir.

Interrogeons le coeur de ceux que la fortune Avait abandonnés sur la route commune ; Dans combien de combats n'ont-ils pas dû souffrir Pour arracher ce pain, qui devait les nourrir; Devant ce noble orgueil, plaçons le sacrifice; De l'aveugle destin, hélas ! c'est le caprice, L'Europe est le témoin que souvent dans nos murs Le génie est sorti des rangs les plus obscurs ! Aujourd'hui qu'a sonné l'heure de délivrance, L'artiste, dans le monde a conquis sa puissance; Le talent qui s'élève, armé de son labeur, A le droit d'aspirer à nos marques d'honneur ! Plutus dans ses foyers n'est pas toujours en veine; Mais l'amour de son art peut adoucir sa peine ; Grâce à Dieu, désormais, un généreux concours Assure à ses vieux ans un bienfaisant secours ! Des vrais progrès du siècle, éclatant témoignage, A ces nobles soutiens, rendons ce juste hommage, Car avec son génie et son coeur libéral, L'artiste n'ira plus mourir à l'hôpital !


LE CHAT ET LE PIANO.

FABLE 1.

Lise avait la perle des chats, Vivant en paix avec les rats Et s'engraissant à ne rien faire, Si ce n'est patte de velours, Encor n'était-ce pas toujours. Un matin, contre l'ordinaire, Dans un beau moment de gaîté, Tout en courant après des mouches, Il vint s'asseoir sur un forté Dont il fit résonner les touches, Et soudain il se dit : Ho ! ho ! Je joue aussi du piano, La musique m'est familière : Comme les talents sont innés ! Le soir il va sur la gouttière, A tous ses amis étonnés, Promettre force sérénades Que l'on traite de gasconnades. Cependant on cède au désir De voir comme il pourra s'y prendre,

1 Cette fable, composée par M. le Président de la Société libre des Beaux-Arts, a été récitée par lui pendant l'intermède de la séance musicale du mardi 29 octobre 1850.


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Et lui s'enivre du plaisir Que l'on va goûter à l'entendre. Mais à l'oeuvre, ses vains efforts N'obtiennent que des sons discords ;

Et, pourtant, il s'admire.

Chacun pour ne pas rire Se tient à quatre et s'agitant Fait quelque bruit. Le concertant. Tout surpris, en cherche la cause, Quand certain matou goguenard Lui dit : « L'ami, faites du lard. « Vous ne savez faire autre chose. »

Combien de gens comme ce chat Improvisé maître en musique, Dès leurs débuts en politique Se croient de grands hommes d'Etat.

J.-A. D.


NOTICE SUR DAGUERRE,

PEINTRE, INVENTEUR DU DIORAMA,

Officier de la Légion d'Honneur, membre de la Société libre des Beaux-Arts et de plusieurs Académies.

MESSIEURS,

La perte de notre honorable, de notre illustre collegue, de l'homme de génie, de l'auteur principal d'une des plus belles découvertes des temps modernes, a été non-seulement ressentie par vous, mais elle a été universelle; parce que l'utilité et les bienfaits de cette inappréciable invention ont porté avec elle le nom de son auteur dans toutes les parties du monde.

Louis- Jacques-Mandé Daguerre est né à Cormeilles-en-Parisis, département de Seine-et-Oise, le 18 novembre 1787. Dès son jeune âge il manifesta son goût pour la peinture ; ses parents cherchèrent à l'en détourner, mais ce fut inutilement,* sa résolution parut inébranlable. Son père, cédant à son vif désir, le plaça chez M. Dégotis, peintredécorateur de l'Opéra. Cet habile artiste ne tarda pas à remarquer les rapides progrès de son élève ;


44 sa confiance en ses moyens ingénieux, en son exécution facile, firent que le maître confia à son jeune disciple plusieurs décorations importantes : sa réputation s'établit, il fut recherché.

Daguerre fut chargé par l'administration du théâtre de l'Ambigu-Comique de la décoration scenique de plusieurs pièces ; on se rappelle encore celle du Songe , de la chapelle de Glenthorn, des Machabées, du Belvédère, de la forêt de Senart, d'Élodie, etc.; la magnificence de ces décorations furent pour ce théâtre autant d'éléments de succès.

Son grand talent pour la décoration scénique, ses inventions ingénieuses, le firent rappeler à l'Académie royale de musique. Daguerre y exécuta avec M. Cicéri les décorations de la Lampe merveilleuse, et put sans orgueil recueillir sa part du succès éclatant de cet opéra.

Ce fut vers 1822 que Daguerre s'associa avec son ami, M. Bouton, peintre modeste et très-habile, et fonda le bel établissement du Diorama. Les admirables tableaux qu'il offrit aux regards étonnés du public, par les effets magiques de la lumière passant du jour à la nuit, ne tardèrent pas à lui faire une réputation européenne : les étrangers venaient de très-loin pour jouir de ce spectacle enchanteur. Vous vous rappelez, Messieurs, la Vallée de Saanen. en Suisse, la Chapelle d'Holy-Rood, ce tableau lui valut la croix de la Légion d'honneur. Ensuite, on admira l'Abbaye de Roslin, avec son effet de brouil-


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lard et de neige, le Village d'Untersen, l'Incendie d'Edimbourg, le Déluge, une vue de Paris prise de Montmartre, le Tombeau de Napoléon à SainteHélène, le mont Blanc, la forêt Noire, le bassin central du commerce à Gand ; la fameuse Messe de minuit à Saint-Étienne du Mont ; la Vallée de Goldau et le temple de Salomon, en 1839; ce Tableau fut le dernier que produisit Daguerre. C'est cette même année qu'un incendie réduisit en cendres le Diorama, avec une grande partie des autres chefsd'oeuvre qui s'y trouvaient. Depuis ce sinistre, un semblable établissement ne s'est pas encore reformé avec toute l'importance et la magnificence que notre regrettable et éminent collègue avait su donner au Diorama, dont il était le créateur.

Maintenant, Messieurs, nous allons vous entretenir d'une importante découverte due au génie de Daguerre, et qui honore non-seulement la France, mais notre siècle : la découverte de la photographie ou daguerréotype. Nous devons ici entrer dans quelques détails pour vous faire connaître et son origine et l'association de Daguerre avec M. Niepce, qui s'occupait aussi de la même recherche. Vous savez qu'il s'agit de la fixation de l'image de la chambre noire. M. Niepce, homme instruit en physique, était un propriétaire retiré dans les environs de Châlonsur-Saône; il consacrait ses loisirs à des recherches scientifiques. L'une d'elle concernait une machine où la force élastique de l'air, brusquement échauffé,


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devait remplacer l'action de la vapeur. Cette invention fut soumise à l'examen de l'Académie des sciences , par une épreuve délicate et avec succès. Quant aux recherches photographiques de M.Niepce, elles paraissent remonter jusqu'à l'année 1814 ; sa première pensée était la fixation de l'image de la chambre noire, mais il y avait renoncé. Il supposait ce moyen impossible ; il se borna à la copie de gravures appliquées sur des substances sensibles à la lumière. M. Niepce nommait sa découverte héliographie. Quant à notre laborieux collègue Daguerre, il s'occupait et poursuivait sans cesse ses études sur de nouveaux effets de lumière appliqués à son Diorama. Pendant qu'il méditait sur ses savantes recherches, une idée soudaine vint frapper son esprit : cette idée fut de savoir s'il ne serait pas possible de fixer l'image de la chambre noire. Daguerre à ce moment ne se doutait pas des recherches du physicien de Châlon ; ses premiers travaux sur ce sujet datent de 1824, et ses premiers essais photographiques eurent lieu en 1 826. Ce fut à celte époque, dit M. Arago, que l'indiscrétion d'un opticien de Paris apprit à M. Niepce que Daguerre s'occupait du moyen de fixer l'image de la chambre obscure. Cette circonstance fut la cause première de leurs relations, à la suite desquelles ils conclurent un traité provisoire, enregistré le 14 décembre 1829, par lequel ils convinrent de se communiquer réciproquement leurs


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travaux relatifs à la question de fixer cette image. Ce traité entre deux hommes honorables a été exécuté religieusement. Dans cet acte notre collègue s'engageait à perfectionner le procédé de M. Niepce, et à lui donner tous les renseignements sur les modifications qu'il avait apportées à la chambre noire, ainsi que sur ses nouvelles découvertes et perfectionnements. Daguerre a tenu sa promesse, et la correspondance de M. Niepce, ne laissant aucun doute à ce sujet, prouve que ce dernier n'a été pour rien dans la découverte du daguerréotype. En effet, il résulte de sa correspondance avec Daguerre que celui-ci a trouvé la solution du problème.» Car, lui dit-il, vous avez la possibilité d'obtenir une image en quelques minutes et de pouvoir prendre une vue éclairée par le soleil, sans que le dérangement sensible des ombres et des clairs ait le temps de se déplacer. » M. Niepce employait douze heures pour obtenir la simple silhouette des objets, silhouette sans effet déterminé, c'est-à-dire d'un ton gris, uniforme sur toutes les parties.

On trouve encore dans la correspondance de M. Niepce, que Daguerre lui a indiqué les effets de la lumière sur l'iode mis en contact avec l'argent dans une lettre du 21 mai1831, dont M; Niepce a accusé réception le 24 juin suivant. Dans cette lettre Daguerre engageait M. Niepce à s'occuper du nouveau moyen. M. Niepce s'en occupa effectivement à plusieurs reprises, et toujours d'après les


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instances de Daguerre, mais le travail de M. Niepce avait été sans succès : il regrettait môme le temps que Daguerre lui faisait passer sur ce procédé, qu'il regardait comme impossible. Il est vrai qu'à cette époque il restait à résoudre les deux problèmes les plus importants : le premier était d'obtenir les clairs dans leur état naturel ; le second consistait à trouver le moyen de fixer les images. Ces deux problèmes, Daguerre les a complètement résolus depuis, par l'emploi du mercure.

Ici, le rapport de communication cesse par la mort de M. Niepce, arrivée le 5 juillet 1833.

Mais l'acte provisoire devint un acte définitif entre M. Isidore Niepce fils, le 13 juin 1837, comme héritier de M. Joseph-Nicéphore Niepce. Par cet acte, M. Isidore Niepce reconnaît que M. Daguerre lui a démontré son nouveau procédé. Il est aussi spécifié, dans cet acte, que le procédé portera le nom seul de Daguerre, comme en étant effectivement le seul inventeur.

Les rapports entre M. Niepce fils et Daguerre furent toujours les mômes que ceux qui avaient existé avec M. Niepce père, c'est-à-dire loyaux et sans détours de communication. Ces relations se continuèrent j usqu'en 1839, époque à laquelle une récompense nationale vint couronner la belle découverte et la déclarer du domaine public.

Nous pensons, Messieurs, devoir joindre ici la dernière lettre que M. Isidore Niepce a adressée à


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notre honorable collègue, comme témoignage des bons rapports qui existaient entre eux. Voici l'extrait de la lettre de M. Isidore Niepce, qui cherchait à faire des épreuves avec le procédé de son père, perfectionné par Daguerre.

Lux, le 1er novembre 1837.

« Vous aurez sans doute, mon cher ami,

été plus heureux que moi, et très - probablement votre portefeuille est garni des plus belles épreuves. Quelle différence aussi entre le procédé que vous employez, et celui sur lequel j'ai travaillé!... Tandis qu'il me fallait presque une journée pour faire une épreuve, vous, il vous faut quatre minutes. Quel avantage énorme !... Il est si grand, que bien certainement personne, en connaissant les deux procédés, ne voudrait employer l'ancien.

« Ce motif fait aussi que j'éprouve moins de peine du peu de succès que j'ai obtenu, parce que, bien que ce procédé puisse être décrit comme étant le résultat du travail de mon père, auquel vous avez également concouru, il est certain qu'il ne peut devenir l'objet exclusif de la souscription 4. Ainsi, je pense que l'on peut se borner à le mentionner, pour faire connaître les deux procédés, dont le vôtre seul doit obtenir la préférence, etc. »

Ce fut en 1839 que le gouvernement présenta à

1 A cette époque, on pensait à publier le procédé au moyen d'une souscription.

T. XVIII. 4


50 la Chambre des députés un projet de loi proposant d'acquérir, au nom de l'État, la propriété d'une découverte aussi utile qu'inespérée, et qu'il importait, dans l'intérêt des sciences et des arts, de pouvoir livrer à la publicité.

La Chambre des députés accueillit favorablement ce projet, et nomma une Commission chargée de l'examiner. Ce projet de loi tendait à accorder : 1° au sieur Daguerre, une pension annuelle et viagère de 6,000 fr. ; 2° au sieur Niepce fils, une pension annuelle et viagère de 4,000 fr., pour la cession faite par eux du procédé servant à fixer les images de la chambre obscure. Cette pension devait être reversible par moitié, sur les veuves de MM. Daguerre et Niepce. La différence qui existe entre les deux pensions, c'est-à-dire de 2,000 fr. de plus à Daguerre, provient d'une clause du contrat passé entre le ministre et MM. Niepce et Daguerre, clause par laquelle Daguerre s'engageait à faire connaître ses procédés de lumière pour ses tableaux du diorama, dont les effets étaient si magiques, et de plus, les perfectionnements apportés au daguerréotype.

La Commission, nommée par la Chambre des députés, était composée de MM. Arago (Etienne), Carl, Vatout, de Beaumont, Tournouër, Delessert (François), Combarel de Leyval et Vitet; elle nomma M. Arago, rapporteur. Les conclusions de ce savant et remarquable rapport sont l'adoption pure et simple du projet de loi du gouvernement.


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La Chambre des députés, -à l'unanimité, en vota l'acceptation, à titre de récompense nationale.

Ce même projet porté à la Chambre des pairs fut aussi accueilli par un vote unanime, et également à titre de récompense nationale, sur les conclusions du rapport fait par M. Gay-Lussac, au nom d'une Commission spéciale, composée de MM. le baron Athalin, Besson, le marquis de Laplace, le vicomte Siméon, le baron Thénard, le comte de Noé et Gay-Lussac.

Ces deux votes si honorables, donnés au nom de la France, sanctionnés par le chef de l'État, et salués de l'assentiment général, devaient être pour les auteurs de la découverte une bien vive et bien grande satisfaction.

Maintenant, si nous portons notre pensée sur le degré de perfection auquel cette belle découverte était alors parvenue, et que nous le comparions avec les résultats qu'on a obtenus depuis, et ceux qui pourront être obtenus par la suite, et de plus, en y ajoutant les diverses applications qu'on en fera, nous pouvons être convaincus que l'on ne peut pas en déterminer la limite, puisque tous les jours l'étude générale qui en est faite y apporte de nouveaux perfectionnements.

Si cette précieuse découverte est utile aux sciences, l'art du dessin doit aussi en retirer un grand profit; mais qui pourrait jamais calculer les immenses services qu'elle a déjà rendus et qu'elle


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rendra à l'humanité comme moyen consolateur, puisque en quelque secondes l'image fidèle d'un ami peut être obtenue; image précieuse qui peut consoler de son absence, et qui trop souvent peutêtre, sera le seul objet qui en restera : que de mères, au départ d'un fils chéri que la patrie appelle sous ses drapeaux pour la protéger ou la défendre, ne sera heureuse, pendant son absence, d'avoir l'image vraie de celui qu'elle aime, et qui la consolera pendant cette absence, ou, si elle doit être éternelle, de pouvoir l'arroser de ses larmes ! Oui, nous devons considérer cette précieuse découverte comme un des bienfaits que Dieu se plaît à verser sur l'humanité tout entière.

Si nous la considérons sous le rapport des services qu'elle rendra à l'archéologie, que de regrets n'éprouve-t-on pas qu'elle n'ait point été connue dès la plus haute antiquité ! Et sans remonter si haut, et bornant seulement nos regrets à la perte irréparable de tant de chefs-d'oeuvre en peinture, en sculpture, en architecture, que les beaux-arts ont produits en Grèce et dans ses colonies, pendant plusieurs siècles, et principalement sous celui de Périclès, où l'art semble avoir atteint son plus haut degré de perfection, que de morceaux précieux pour l'art et pour l'histoire, que de nombreux chefs-d'oeuvre dont nous ne possédons que quelques fragments, pour la plupart tout mutilés (encore nous trouvons-nous heu-


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reux de les posséder dans cet état), la masse ayant disparu sous le fléau dévastateur des guerres, des révolutions, du fanatisme religieux et de l'ignorance ! Répétons-le, nous ne pouvons avoir trop de regrets que la découverte de la photographie n'ait point été antérieure à ces siècles à jamais célèbres. Oui, si elle avait été connue à ces époques, nous ne serions pas réduits aux conjectures contradictoires des archéologues, conjectures souvent désespérantes par leur confusion et leur doute. Si, au contraire, nous possédions une image fidèle de ces monuments qui indiquât la place, le site exact qu'ils occupaient dans l'antiquité, de quel secours ne serait pas pour nous cette représentation fidèle et naïve obtenue par le daguerréotype ? Nous n'aurions pas d'incertitude, nous dirions : Voici la vérité, elle ne nous laisse aucun doute, aucune hésitation; nous nous dirions : Cette image est l'oeuvre de la lumière solaire qui, en la traçant elle-même, nous la donne vraie et exempte d'erreurs; enfin, nous dirions : Cette image est la justesse même !

Si, d'un autre côté, nous comparons la découverte daguerrienne avec celle de Guttemberg, nous devons reconnaître la supériorité de celle du peintre français ; car, si l'imprimerie a rendu de grands services à l'humanité en l'éclairant et en contribuant à la civiliser, elle lui a aussi été funeste, puisqu'elle a pu propager des erreurs, des équivoques, ali-


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menter des passions de toute espèce, servir l'égoïsme et l'orgueil, enfin contribuer au bouleversement des sociétés et des États, entretenir le fanatisme et apporter la discorde et la confusion parmi les hommes. La photographie a donc sur l'imprimerie cet avantage d'être toujours la vérité émanant de la lumière céleste ; elle ne se prête point, aux erreurs et aux caprices des hommes, ni à servir leur vanité et leur égoïsme ; elle exprimera toujours la vérité pure, la vérité qui peut être comprise par tous les peuples du monde entier.

Daguerre, pendant le long et laborieux travail qu'exigea sa découverte, s'était beaucoup préoccupé de la coloration des objets; il se demandait s'il ne serait pas possible de l'obtenir. Cette question a été pour lui une bien longue et bien vive préoccupation ; mais cette gloire qu'il ambitionnait est destinée à un autre, si jamais elle peut être obtenue. Daguerre ne la croyait pas impossible, mais il assurait que ce ne serait pas par les moyens qu'il avait employés qu'on pourrait l'obtenir. Il nous communiqua une fois le résultat de ses études à ce sujet ; il nous fit part d'une expérience très-curieuse : il était parvenu à trouver des substances qui avaient la propriété, lorsqu'elles étaient étendues sur du papier, fixé sur une bande de carton, d'absorber séparément les trois couleurs primitives, le rouge, le jaune et le bleu (on sait que la lumière blanche est le résultat de l'achromatisme parfait de ces trois cou-


55 leurs). Pour obtenir cet effet merveilleux, il avait préparé trois cartons, l'un pour absorber le rayon rouge de la lumière solaire; un second, pour le rayon jaune, un troisième, pour le rayon bleu. Muni de ces trois bandes de carton et placé dans une pièce entièrement privée de jour, mais dans laquelle il pouvait voir par une ouverture pratiquée au mur et qu'il fermait à volonté, il présenta ensemble ses trois cartons à la lumière du soleil, et, au bout de quelques minutes, il les retira dans l'intérieur de la pièce, et referma l'ouverture; mais quelle fut sa surprise ! les trois substances qui avaient absorbé de la lumière les rayons, rouge, jaune et bleu, étaient lumineuses ; et, dit-il, il se manifesta dans cette pièce obscure une clarté égale à celle d'un rayon de soleil qui y aurait pénétré.

Il nous expliqua ensuite la difficulté et, pour ainsi dire, l'impossibilité de préparer un subjectile, soit en papier, soit en métal, propre à recevoir une image colorée par le moyen de ces mêmes substances, et de les combiner entre elles aux places où elles devraient être pour absorber tant de parties du rayon rouge, tant du jaune, et tant du bleu, afin d'obtenir ces millions de teintes et de tons différents qu'offre la nature des objets, selon la formation de leurs molécules ; formation et disposition qui déterminent chez elles cette variété infinie de couleurs et de nuances, dont le nombre est vraiment incalculable. Il nous fit encore remarquer que la couleur,


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que développe chaque objet dans la nature ne lui est pas propre, mais tient à la disposition des molécules qui le constituent, et qui, par leurs dispositions, ont la propriété d'absorber de la lumière une partie plus ou moins grande des trois principes colorants qui la composent; principes qui, à leur état d'équilibre parfait, ne donnent aucune sensation colorante, mais seulement le noir et le blanc, qui est leur achromatisme complet.

Notre illustre collègue apportait dans ses travaux une attention très-grande et y réfléchissait longtemps; il se rendait compte de tout, rien n'était confié au hasard, tout était analysé, pesé, et mûri par un sévère examen. Aussi, quand il exposait ses chefs-d'oeuvre au public, il était sûr de l'effet qu'ils devaient produire. Ne soyons donc pas surpris d'apprendre que, quand il méditait les divers effets de ses admirables tableaux du Diorama, il y travaillait avec tant d'assiduité, il craignait tant d'être distrait, qu'il était quelquefois trois à quatre mois sans mettre le pied sur le seuil; et même, en prenant ses repas, il était tellement préoccupé de son travail, qu'il ne s'apercevait pas de ce qu'on lui servait.

La nuit, il se levait et allait dans son atelier pour méditer et pour chercher, par différentes dispositions, à modifier, à perfectionner les divers effets qu'il combinait : on peut dire et on conçoit que cet amour du travail était chez lui un besoin


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irrésistible de satisfaire le sentiment fin et délicat qui caractérisait ses productions.

Les effets merveilleux des tableaux du Diorama, joints à sa belle et inespérée découverte, lui valurent la plus honorable, la plus glorieuse des récompenses, celle accordée au nom de la France, et à l'unanimité par les grands pouvoirs de l'État. Mais lorsque les secrets de la daguerréotypie furent livrés au domaine public, c'est alors qu'il reçut d'illustres suffrages, et des témoignages d'estime de plusieurs souverains , et de plusieurs Académies étrangères.

Le roi Louis-Philippe conféra à Daguerre le grade d'officier de la Légion d'honneur ; le roi de Prusse , le nomma membre de l'ordre du Mérite de Prusse, et lui adressa un souvenir de sa munificence. L'empereur de Russie lui.fit remettre un gracieux présent.

Les membres des Académies d'Edimbourg, de Vienne, de Munich et de New-York lui envoyèrent les diplômes de titulaire dus aux suffrages unanimes de ces Sociétés.

Daguerre, désirant prendre un peu de repos, alla se fixer à la campagne, aux environs de Paris ; son caractère studieux, aimant l'élude et la tranquillité, lui fit faire l'acquisition d'une charmante habitation à Bry-sur-Marne ; il l'embellit encore par son goût artistique : dans cette retraite délicieuse il passait des jours heureux avec sa digne et respectable compagne, et l'étude dont il ne pouvait se


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séparer, ne l'empêchait pas cependant de rendre des services à ses paisibles habitants, de les aider de ses bons avis dans le conseil municipal, dont il était membre. Il se plut aussi à orner la petite église de Bry : mais cet ornement conçu par Daguerre, devait transformer, pour l'oeil, cette église de village en une vaste basilique. Il fit construire derrière le choeur une pièce de trois à quatre mètres de profondeur et de toute la largeur de l'église; elle est éclairé par le haut : ce petit espace contient un tableau qui représente une vaste église gothique ; la vue en est prise du jubé qui y est représenté, et qui fait suite à l'église réelle. Ce tableau donne une idée de ceux de son Diorama de Paris, il produit un effet magique ; c'est à s'y tromper sous le rapport de l'illusion, et l'oeil se plaît à plonger dans l'intérieur de ce vaste édifice artificiel.

Daguerre, quoique n'habitant pas Paris, était visité par des artistes étrangers qui faisaient le voyage de France exprès pour lui témoigner leur admiration; il en est venu même de l'Amérique, au nombre desquels se trouvaient deux frères , MM. Méade, qui maintenant sont membres de notre Société. Ces deux habiles photographes voulurent emporter avec eux le portrait de l'homme qu'ils venaient vénérer, et le faire connaître à leurs compatriotes, en le reproduisant par la lithographie. Daguerre y consentit, et ils obtinrent le portrait de notre éminent collègue, avec un de ses appareils.


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Cette épreuve remarquable par sa belle réussite a été vue et admirée de plusieurs d'entre nous ; elle nous laisse sa ressemblance si parfaite, qu'en la voyant on croirait l'entendre parler ; cette épreuve est d'autant plus précieuse, qu'elle le représente presque à la fin de son existence, fin prématurée à laquelle on était loin de s'attendre ; car quelques mois après il fut frappé de mort subite, le 10 juillet 1851.

Lorsque la mort vint frapper notre regrettable collègue, il était dans la force de l'âge et de la santé ; vous vous rappelez que trois semaines auparavant il avait fait plusieurs voyages à Paris pour venir prendre part aux travaux d'une de vos Commissions.

Cette perte fut un sujet de regrets universels. Lorsque la nouvelle en arriva en Amérique, les photographes de cette vaste partie du monde adressèrent à la veuve les marques du plus touchant regret, et voulurent rendre à la mémoire de Daguerre des marques d'honneurs, en portant le deuil pendant huit jours : preuve éclatante de leur admiration et de leur reconnaissance; de plus, ils ouvrirent une souscription pour lui élever un monument digne de leur affection et montrer aux nations étrangères que les photographes de l'Amérique étaient les plus grands appréciateurs et admirateurs de la découverte daguerrienne.

La tranquillité, le repos que notre laborieux col-


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lègue recherchait à la campagne, n'avait pas pour but le désir de l'inactivité, mais le besoin de méditer avec calme sur ses divers projets de perfectionnement. Daguerre cherchait toujours le moyen d'obtenir des épreuves instantanées. Vous vous rappelez, Messieurs, qu'en 1844, dans votre séance du 30 janvier, il nous chargea de vous communiquer son espérance sur de nouvelles substances qu'il avait trouvées, et dont la sensibilité était si prompte qu'il se proposait d'obtenir la représentation d'un cheval lancé au galop : l'effet était tellement instantanée (disait-il), qu'il le comparait à la rapidité de la lumière de l'étincelle électrique. Daguerre, trèsdifficile sur la perfection et la facile application de ses découvertes, n'avait probablement pas encore atteint le but qu'il se promettait, car il ne nous en a plus reparlé : il est probable encore que l'extrême promptitude que d'autres ont obtenue sur ce point l'aura satisfait. Cependant nous croyons qu'il a ignoré le beau résultat que l'on obtient maintenant sur un objet extrêmement fugitif, une vague en mouvement.

Daguerre s'occupa encore du perfectionnement de la peinture au pastel ; il chercha à rendre ce procédé solide, c'est-à-dire à fixer cette peinture de manière à l'empêcher de se détériorer, de pouvoir la toucher sans crainte de l'endommager, et par conséquent ne plus avoir besoin de la garantir, en la couvrant d'une glace ; mais la difficulté de lui


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conserver son beau velouté, son aspect mat si précieux, et cela sans produire de taches, était un obstacle bien difficile à surmonter : il l'aurait probablement vaincu, si le ciel lui eût accordé quelques années d'existence de plus.

Lorsque la mort le frappa, il était occupé d'un nouveau procédé de peinture monochrome; cette peinture s'exécutait sur verre, et se voyait de l'autre côté; la glace lui servait de vernis. Les essais que nous avons vus étaient faits avec du noir, dont l'effet était d'une vigueur incomparable : les clairs étaient obtenus au moyen de la transparence de la couche plus ou moins épaisse de ce noir, et en plaçant un corps blanc derrière la peinture.

Plusieurs paysages, exécutés par ce procédé , étaient achevés, et un autre à moitié terminé est resté sur son chevalet. Quant à ses moyens d'exécution et à la préparation du gluten dont il se servait pour broyer son noir, nous n'avons pas de notions à cet égard.

Daguerre a pu jouir sur cette terre d'une gloire que peu d'hommes ont goûtée, gloire pure et bien méritée : sa conscience a dû en savourer toutes les douceurs. Mais Dieu n'a pas voulu qu'il restât plus longtemps avec nous ; il nous en a séparés, en rappelant à lui l'âme qu'il avait confiée à son corps périssable ; espérons que cette âme immortelle jouit du bonheur de contempler la présence de son


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Créateur; ce spectacle de l'Être suprême doit le récompenser éternellement des travaux utiles qu'il nous a laissés, et qui contribueront toujours à honorer le génie et l'esprit humains.

PAUL CARPENTIER.


RAPPORT

DE M. MARTIN D'ANGERS

sur les annales de l'académie des Sciences, Belles-Lettres et arts de Clermont-Ferrand.

(Mai, juin, juillet et août 1850.)

MESSIEURS ET CHERS COLLÈGUES,

Déjà, une première fois, j'ai dû vous rendre compte de cette publication. Il me souvient que la part des arts y était fort petite, pour ne pas dire nulle, et que je n'avais à vous entretenir que de regrets plus ou moins stériles. Depuis cette époque, le terrain s'est fécondé; la moisson est aujourd'hui plus abondante, et je m'en réjouis bien sincèrement.

Les deux livraisons des Annales de l'Auvergne, que j'ai sous les yeux, renferment quelques travaux dignes d'intérêt, au point de vue artistique.

On y parle d'abord d'une fresque découverte dans la sacristie de la cathédrale de Clermont-Ferrand, par M- Mallay, membre correspondant de notre Société ; puis d'une voie romaine, découverte dans un champ dépendant de la terre de Biauzat, arrondissement de Gannat (Allier).


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Messieurs, ce dernier fait me paraît d'autant plus authentique qu'à deux kilomètres de Biauzat, qui m'est parfaitement connu, dans la terre d'Idogne, dépendant du château de ma belle-mère, on a trouvé, l'année dernière, à un mètre au-dessous du sol, des salles de bains romains, des médailles, des pièces à l'effigie des empereurs, des poteries et des briques romaines; et que, tous les jours, on y découvre encore des vestiges du passage du peupleroi, allant combattre Vercingétorix, le défenseur de Gergovie, la vieille cité des Arvernes.

Sans quitter l'Allier, je vois, dans la publication que j'analyse, qu'il est question d'une description pittoresque de Chantelle-le-Château, par M. Boudant, membre correspondant de notre Société. Puis, rentrant en Auvergne, je trouve la communication d'un titre découvert par M. Cohendy, dans les Archives de la Préfecture de Clermont. Ce titre, dit M. le docteur Nivet, présente quelque intérêt relativement à l'existence et à l'exploitation des eaux thermales de la Bourboule et du Mont-Dore, en 1463.

Plus loin, c'est M. le général Marey-Monge qui communique à l'Académie de Clermont des recherches sur le tombeau de Syphax, dans la subdivision de Batna, province de Constantine.

Vous trouverez bon, je l'espère, mes chers collègues, que je vous donne quelques détails historiques sur ce personnage célèbre.


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Syphax, roi des Massessy les ou de la Numidie occidentale, prit parti pour les Romains, pendant la seconde guerrepunique (212 ans avant J.-C.), mais fut vaincu deux fois par Massinissa, et obligé de se réfugier en Espagne : cependant, il recouvra ses États dans la suite. A la persuasion d'Asdrubal, dont il épousa la fille, Sophonisbe, il fit alliance avec Carthage (204), peu après que Massinissa se fût déclaré pour les Romains. Il fut battu et pris près de Cirtha par Massinissa, qui s'empara de ses États et de sa femme, puis, livré à Scipion et conduit à Rome, pour orner le triomphe du vainqueur. Il mourut peu de temps avant la cérémonie (203 ans avant J.-C).

Je reviens aux Annales et j'y trouve un rapport de M. Martial Lamotte, et un autre de.M. Nivet sur des recherches qu'ils ont faites et qui constatent, d'une manière identique, la présence de l'arsenic dans les eaux minérales. Ces travaux sont fort curieux et leur lecture intéresserait vivement, j'en suis sûr, ceux de nos collègues qui s'occupent de chimie. M. Walchner, chimiste allemand, fut le premier, disent ces messieurs, qui signala la présence de l'arsenic dans les dépôts formés par les eaux minérales ferrugineuses d'Allemagne. Depuis, plusieurs chimistes ont fait des recherches pour découvrir ce métalloïde dans différentes sources de France, et ils y ont réussi.

D'après M. Cheyalier, chimiste de Paris, la décour

T. XVIII. 5


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verte de l'arsenic dans les eaux minérales date de 1839 : elle est due à M. Tripier, pharmacien major à Alger, qui reconnut que les eaux thermales d'Hamom Mescoutin, qui alimentent les bains dits bains Enchantés ou bains Maudits, contenaient de l'arsenic.

Je regrette, Messieurs, que les étroites limites dans lesquelles je suis obligé de me renfermer ne me permettent pas de vous citer quelques fragments de ces intéressantes recherches.

Après ces rapports, vient une légende sur la fête de Saint-Georges, au village de Désertines, prés Montluçon : elle est racontée avec esprit et gaieté par notre collègue M. Mallay qui, pour un instant oublie l'archéologie, et se fait chroniqueur agréable; puis il redevient lui-même, et dans un rapport sur les Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Chalon-sur-Saône , il parle en maître de cette science qu'il possède si bien.

Viennent ensuite de curieuses observations de M. Bellier de la Chavignerie sur les lépidoptères de l'Auvergne, qui forment des centaines de familles diverses et méritent une étude toute particulière de la part des peintres et surtout des entomologistes.

Ces observations font bientôt place à d'autres sur la météorologie, faites à Clermoht - Ferrand par M. H. Lecoq, professeur d'histoire naturelle de la ville, qui commence par dire que jusqu'ici personne


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ne s'était occupé de la météréologie du plateau central de la France, et que les lieux mêmes où Pascal fit mesurer la pesanteur de l'air, avaient été, sous ce rapport, complètement oubliés..

Puis il rend compte à l'Académie de ses nombreuses expériences sur le baromètre, le thermomètre, l'hygromètre, lecyanomètre, les vents et l'udomètre. Tous ces instruments lui ont permis, dit-il, d'arriver à des données assez exactes sur les variations de la température,, le cours des astres, l'apparition et la modification des arcs-en-ciel, la formation des nuages, des brouillards, leur densité, la forme de leurs globules, l'épaisseur de leurs couches et l'état de leur surface supérieure ; l'apparition du givre, de la gelée blanche et du verglas ; de la pluie, dont il a pu noter la grosseur des gouttelettes, leur direction et la rapidité de leur chute ; la neige et le grésil dans lesquels il a distingué la forme des cristaux et de leurs masses agglomérées, l'épaisseur des couches qu'elles ont formées à l'époque de leur fusion ; les orages, les trombes, la grêle et tous les phénomènes électriques, même les aurores boréales; et enfin quelques époques de la feuillaison ou de la floraison des végétaux; des migrations des animaux, et en général les phénomènes périodiques de la nature.

Messieurs, je n'ai point la science nécessaire pour analyser d'une manière plus complète et plus rationnelle ce long mémoire si riche d'observations pratiques.


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Je crois vous avoir indiqué sommairement son importance.

J'ajouterai seulement, pour l'honneur de M. Lecoq, le savant professeur, qu'il a fait construire lui-même à Clermont un observatoire, dans lequel il a poursuivi ses minutieuses études météorologiques, pendant deux mois entiers, depuis le 1er janvier 1850 jusqu'au 28 février inclusivement, tous les jours et aux principales heures de la journée.

Ici se termine l'examen des deux livraisons des Annales de l'Auvergne qui m'avaient été confiées : j'en demande le dépôt aux archives, et j'exprime le voeu qu'on adresse des remerciements au président de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Clermont-Ferrand.


NOTE

sur

un portrait peint de Bernardin de Saint-Pierre

PAR M. PAUL CARPENTIER,

lue à la seance du, 21 janvier 1851.

MESSIEURS,

Permettez-moi, avant de vous faire la communication du portrait peint de Bernardin de SaintPierre, de vous lire cette note, pour vous faire connaître les causes qui ont contribué à la production de ce portrait ; elle servira aussi à son historique.

Ayant lu, en 1843, les ouvrages de cet illustre écrivain, je fus tellement impressionné par l'admiration que j'en éprouvai, que je voulus posséder son portrait peint; ma première démarche fut d'aller à la galerie de Versailles, pour le voir et en prendre une copie ; mais quel fut mon désappointement de ne trouver à la place qui lui est destinée que le nom de cet homme illustre je fis des re-


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cherches à Paris, je m'adressai à son ami, M. Aimé Martin, qui a mis ses oeuvres en ordre et les a publiées ; il avait aussi épousé la veuve de Bernardin de Saint-Pierre. Sur le motif de ma visite, il me dit d'abord qu'il n'existait aucun portrait peint; que le portrait de Bernardin avait été fait deux fois, mais au crayon ; l'un, par Girodet, et l'autre, par Lafitte. Il se rappela cependant qu'il avait été peint en petit, et me promit de le faire rechercher. Quelques mois après, je lui fis une nouvelle visite à ce sujet, et il me montra une toile sur laquelle le célèbre écrivain était peint en pied avec sa famille, qui se composait alors de sa seconde femme et trois enfants, Paul et Virginie de sa première femme, et un troisième au berceau. Une chose qui me frappa d'abord, en voyant ce tableau, ce fut de trouver tous les détails du vêtement, le même noeud et le même arrangement dans la cravate, que dans le portrait fait par Girodet; ces rapports étaient si frappants que je ne pouvais concevoir que la nature ait donné deux fois absolument les mêmes dispositions dans les draperies, et cependant M. Aimé Martin m'avait assuré que tous les deux avait été faits d'après nature. C'était une erreur de sa part, car quelque temps après, exprimant à la veuve de Bernardin de Saint-Pierre ma préoccupation à ce sujet, elle me dit : J'ai prêté dans le temps ce tableau à M. Girodet, et c'est d'après lui qu'il a fait son dessin. Vous devez penser, Messieurs, quelle fut ma joie du,


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trait de lumière qui venait éclairer mon doute, et de posséder la source pure où Girodet avait puisé lui-même, pour faire son dessin : dessin tout poétique, il en a fait une tête d'ange.

L'auteur de ce tableau naïf et vrai était une amie de la famille; elle avait étudié la peinture sous Fabre et Gérard ; elle se nommait Mlle Elisabeth Harvay. Elle peignit ce tableau en 1803. Il m'a été confié, et je l'ai eu en ma disposition pendant deux ans. Il est de petite dimension, la tête de Bernardin de Saint-Pierre n'a de hauteur que huit centimètres et demi ; mais le portrait que j'ai fait est grand comme nature et en buste; Bernardin devait avoir, à cette époque, soixante-six ans. J'ai conservé une petite esquisse de la composition générale de ce tableau,.où Bernardin est représenté dans son cabinet de travail. Je pense, Messieurs, qu'il ne vous sera pas indifférent de jeter un coup d'oeil sur les détails. On m'a assuré qu'ils étaient d'une grande exactitude.

Enfin, après plus de trois ans de persévérance dans les recherches et les nombreuses études qu'a exigées ce travail, suis parvenu à faire une espèce de création ; mais la peine que je me suis donnée a été bien récompensée, puisque j'ai eu la satisfaction d'apporter quelque adoucissement aux derniers moments de la veuve de cet homme célèbre. Cette excellente femme, dont les conseils m'ont été trèsutiles pendant mon travail, m'a fait demander ce


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portrait 1 pour l'avoir près d'elle, dans sa dernière maladie, et sa vue s'est éteinte en le regardant!

Je vais, Messieurs, vous soumettre et vous communiquer ce portrait et l'esquisse du tableau original.

M. Carpentier a fait hommage de ce portrait au musée de Versailles, où il est placé maintenant.


RAPPORT DE M. MOULLARD DU COMTAT

SUR LES PROCÉDÉS DE M. DE MONESTROL

RELATIFS

AU TRAVAIL DES MATIÈRES CÉRAMIQUES.

MESSIEURS ET CHERS COLLÈGUES,

Conformément à la décision prise par vous dans la séance du 18 janvier 1853, la Commission de neuf membres que vous avez nommée pour vous faire un rapport sur les procédés de M. de Monestrol, relatifs à sa nouvelle méthode de travailler les matières céramiques, a dû se mettre à l'oeuvre ; et dès le 4 février dernier, elle se réunissait chez l'un de nous, à l'effet de nommer son président et son secrétaire, de déterminer la marche de ses opérations, et de préciser le jour où les expériences seraient faites. Au jour indiqué, elle s'est transportée à Sceaux, dans la manufacture de cet honorable industriel, où elle a trouvé quelques-uns de nos collègues, attirés sur les lieux par l'intérêt de la découverte. Votre Commission, reçue avec la plus exquise politesse et la plus parfaite déférence de la part de M. de Monestrol, croit devoir lui


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adresser ses remerciements, et comme celui-ci vient de résumer, dans un tout récent brevet d'invention, l'ensemble le plus complet du résultat de ses persévérants travaux, elle a été à même de constater, par une série d'expériences des plus concluantes, les avantages qui doivent résulter de ces précieuses découvertes.

M. de Monestrol, savant observateur, géologue et chimiste distingué, homme de dévouement, faisant l'application du résultat de ses veilles et de ses sacrifices aux arts et à l'industrie, M. de Monestrol a pensé avec raison que le sol que nous foulons aux pieds et sur lequel l'homme est attaché pour y développer son intelligence dans la plénitude de sa sphère, devait lui fournir tous les moyens de splendeur. Partant de ce principe, M. de Monestrol a conclu que la matière première qu'il devait employer était partout, et qu'il ne s'agissait plus que de faire l'application de ses théories pour arriver à de magnifiques résultats. En effet, c'est cet incommensurable réservoir composant le globe terrestre; c'est ce mélange de terres et de métaux naturellement disposés partout, qui deviennent le grenier d'abondance de l'industriel dont nous nous occupons. Si nous soumettons à l'analyse les matières premières que M. de Monestrol emploie, nous retrouvons toutes les terres primitives, tous les métaux connus. Ces mêmes terres primitives, ces mêmes métaux purs étant donnés, il faudrait un


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travail long, dispendieux, et sans doute impuissant, pour reproduire ces mélanges divers qui constituent les pierres, les sables, les argiles, oeuvres de la Divinité, dont la puissance invisible commence où celle de l'humanité s'arrête.

La nature a eu soin de renfermer çà et là quelques échantillons de terres ou de métaux sans mélange; partout ailleurs elle a varié à l'infini les mélanges de ces mêmes principes dans des proportions qui changent sur le sol, à chaque pas.

Toute terre primitive, silice, alumine, chaux, etc., est blanche ; chaque métal, fer, cuivre, argent, or, etc., a une couleur qui lui est particulière; en outre, chaque métal, suivant qu'il est combiné plus ou moins avec l'oxygène, prend un aspect terreux et varie de couleur. Le mélange des oxydes métalliques et des terres primitives produit encore des changements de couleurs. Citons, en effet, quelques exemples. Soit le fer : le fer, à l'état naturel est gris ; oxydé à la rosée ou par l'acide acétique, il est jaune d'ocre; combiné avec l'acide sulfurique, il forme des cristaux verts; ces cristaux verts, soumis à une forte chaleur, deviennent rouger-sang, sous forme terreuse; ce même produit, soumis à une température plus élevée, passe du marron au brun, du brun au noir, et l'oxyde rouge de fer mélangé ou peroxyde noir devient violet.

Si nous prenons le cuivre : le cuivre est jaune, soumis au feu, il donne un oxyde marron ou un


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peroxyde noir; uni à la silice par la fusion, il devient vert ; ses sulfates et ses nitrates sont bleus ; fondu avec la silice, à l'abri de l'oxygène, il donne un rouge écarlate.

L'or : l'or est jaune, son oxyde est brun; fondu avec la silice, il devient pourpre ou violet, etc., etc. Ces quelques faits sommairement constatés ont paru à votre Commission nécessaires pour vous faire parfaitement saisir la base sur laquelle repose le système de M. de Monestrol.

Sans s'inquiéter, au préalable, des terres ou des métaux qui composent le sol sur lequel il veut opérer, M. de Monestrol prend une quantité arbitraire de matières premières, soit sables, cailloux ou terres ; il les réduit en poudre, puis il calcine celte poudre à la température rouge pour en dégager, par la combustion, les matières organiques, liquides ou gazeuses ; il pulvérise de nouveau en ajoutant une certaine quantité de fondants en proportion suffisante pour obtenir, par la chaleur, la fusion ou la liquéfaction complète de la poudre calcinée ; le résultat de cette fusion est une masse assez dure pour faire feu sous le briquet, et dont la couleur naturelle dépend des oxydes métalliques naturellement contenus dans les matières premières employées, et de l'état de ces mêmes oxydes métalliques.

A la surface du sol, à quelques mètres de distance ou à quelques centimètres de profondeur, la ma-


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tière première donne des résultats analogues pour la masse, mais différents pour les nuances ou les tons.

Tout minerai, assez peu riche en métal pour être exploité par les métallurgistes, est, pour M. de Monestrol, un puissant agent, un fécond auxiliaire.

Vous connaissez actuellement, Messieurs, les éléments de la découverte de M. de Monestrol; nous allons chercher à vous faire connaître, par un simple aperçu, le par tique peut en retirer l'avenir, sous le rapport des arts et de l'industrie, et par conséquent du développement et de la richesse nationale.

Pour obtenir à son gré des masses de toutes couleurs et de toutes nuances, M. de Monestrol fait choix des terres pures et des métaux affinés, s'appuyant ainsi sur ce qui est déjà du domaine de la science et de l'industrie, pour élever à la même hauteur les éléments les plus communs et les plus dédaignés.

Après avoir obtenu des masses de toutes couleurs, M. de Monestrol les pulvérise une dernière fois; chaque poudre est amalgamée avec des matières agglutinantes, solides, qui peuvent disparaître par l'action du feu, et dans des proportions telles, que l'addition de ces agents leur laisse l'aspect et l'état pulvérulents, tout en leur communiquant la possibilité d'être solidifiés, jusqu'à un certain degré de


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résistance, par la seule pression ; résistance qui peut être poussée à l'égal du bois, avant le travail de confection des divers objets qu'on se propose de produire.

Passons en revue quelques pierres naturelles, et constatons le succès des moyens employés pour en obtenir, nous pouvons dire, la reproduction :

Les agates, par exemple, ces corindons si variés par leurs nuances, que l'on nomme cornalines, quand elles sont blanches ou roses; onyx, lorsque elles sont noires et blanches; malachites, quand elles sont vertes, etc., formées par couches si minces, si tranchées et surtout si nombreuses. Soit une agate donnée, un onyx, par exemple ; constatons l'état de sa cassure par le nombre et les nuances de ses couches, en traçant, ainsi qu'il suit, le registre de sa structure :

Blanc transparent 1/2 millim. d'épaisseur.

Gris n° 4 1 —

Gris n° 2 1/4 —

Blanc mat 2 —

Blanc transparent 1/5 —

Noir 1 —

Gris n°3 2 —

Gris n° 1 1 —

Blanc mat 2 —

Quelques poudres exactement nuancées suffisent, à l'aperçu seul de ce registre ou tableau, pour


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qu'un manoeuvre, le premier venu, puisse contraire la pierre.

Il prendra avec une mesure de capacité convenue, au moyen d'un tamis :

1° De quoi répandre dans le moule de la pierre, une couche de blanc transparent de 1/2 millimètre d'épaisseur.

2° Une couche de Gris n° 4, de 1 mill. d'ép. 3° — Gris n°2, de 1/4 —

4° — Blanc mat 2 —

8° — Blanc transp. 1/5 —

6° — Noir 1 _

7° — Gris n°3 2 —

8° —- Gris n°1 1 —

9° — Blanc mat 2 —

10° — Etc., etc.

Puis, par l'action, d'une presse, il solidifiera la pierre au degré de dureté convenable à l'emploi qui doit en être fait.

Passons à une seconde espèce de pierre, d'un aspect tout opposé : les granits ou les porphyres, d'une structure analogue.

Soit donné par exemple, un échantillon de porphyre rouge d'Orient. Le fond est rouge-sang, il est parsemé de petits cailloux blancs, concassés, dont la surface de chacun peut être d'un millimètre carré— Voulez-vous en reproduire l'aspect?

Vous prenez la poudre rouge qui forme le fond

Blanc mat

2

Blanc transp. Noir

1/5 1

Gris n° 3

2

Gris n° 1

1

Blanc mat

2

Etc., etc.


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de la pierre; vous y ajoutez une quantité suffisante de poudre blanche, granulée, au préalable, en grains blancs, passés au crible d'un tamis de tissus convenable; vous mêlez le tout en le remuant avec la main dans,, un récipient; vous répandez ensuite ce mélange dans le moule de la pierre ; vous solidifiez le contenu, et le porphyre est reproduit.

La reproduction de l'aspect des divers marbres s'obtient d'une manière analogue et toujours aussi simple.

Vous avez compris. Messieurs, la facilité avec laquelle la structure des pierres est formée ; nous allons vous donner un aperçu des ressources offertes aux arts et à l'industrie par le moyen ingénieux que M. de Monestrol emploie pour les travailler.

La poudre, pressée à la main sous de petits outils, par des enfants, se transforme instantanément en boutons, cette branche de l'industrie dont on compte, en France seulement, les marchands par cent mille, et les consommateurs par trente-six millions; les mille petits objets de fantaisie si variés et si recherchés, etc., etc.

Les blocs de pierres qui, au préalable, ont été rendus d'une consistance égale à celle du bois, sont, avec une indicible facilité, débités à la scie, au tour ou au ciseau, et prennent à peu de frais les formes les plus gracieuses, en produisant des manches de cachets, de cannes, de parapluies, de couteaux; des plaques et des boutons de portes; des arti-


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cles de bureaux, des socles de bijoux, des colonnettes, etc. ; et tant d'autres objets d'un usage si multiplié.

Tous ces produits, soumis dans un four de con struction particulière à l'action de la chaleur rouge, prennent une dureté bien supérieure à celle du verre, et qui peut être poussée beaucoup plus loin encore, si c'est nécessaire à la confection de quelques produits spéciaux.

Comme vous en êtes déjà frappés, Messieurs, le sujet d'investigation dont vous avez chargé votre Commission, est des plus intéressants; aussi estelle heureuse de vous faire part longuement de ses impressions.

Vous avez voulu que votre Commission fût composée de chimistes, de sculpteurs, d'architectes et de graveurs ; votre rapporteur a dû recueillir les observations de ses collègues, suivant leurs spécialités, les voici :

En rendant à l'art céramique une méthode générale d'utiliser tous les éléments qui composent la terre ; en réduisant à des procédés si simples son mode d'action, M. de Monestrol a mérité de prendre place à côté et au rang des Bernard Palissy.

En créant des pierres qui réunissent l'aspect de toutes les pierres naturelles ; en déterminant, à son gré, leur grain et leur dureté, M. de Monestrol aurait beaucoup fait pour la sculpture; mais en trouvant, en même temps qu'il compose les blocs

T. XVIII.


82 de ses pierres, le moyen si prompt et si simple de reproduire les formes les plus pures des dessins en relief, il donne à l'art un nouvel essor, une puissante impulsion ; il rend à la civilisation un éclatant bienfait, et la société reconnaissante doit lui en tenir compte.

M. de Monestrol a fait plus encore pour la peinture. Grâce à lui, et pour une somme d'argent bien minime en comparaison de l'oeuvre, il est possible de construire en pierres , un parquet, un pavage , un dallage mosaïque reproduisant le dessin et le coloris du plus riche tapis ; ses procédés appliqués aux vitraux sont de ces découvertes , de ces applications qui caractérisent leur siècle.

A l'énoncé seul des ressources que la découverte de M. de Monestrol offre à la sculpture et à la peinture, l'architecture voit et distingue de primeabord le riche butin qui doit lui revenir dans les innombrables applications qui pourront en être faites aux décors des édifices publics et particuliers.

Enfin, le commerce et l'industrie réclament leur large part des bienfaits que ce travail présage.

Tels sont, Messieurs, les sentiments sous l'impression desquels votre Commission signale à votre sympathie l'oeuvre de M. de Monestrol ; elle vous engage à en accepter avec empressement le patronage, elle vous demande pour l'auteur la plus haute récompense qu'il vous soit possible de dé-


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cerner, et elle émet le voeu, qu'au bruit de nos applaudissements sympathiques, les hommes qui sont à la tête du gouvernement tournent leurs regards vers celui que l'accord unanime des membres de votre Commission signale comme ayant bien mérité de la Société libre des Beaux-Arts.

Le Secrétaire général rapporteur, I. MOULLARD,

Membres de la commission :

MAILLET, PAUL CARPENTIER, DUSSAUCE, HUSSON , BOURLA, GELÉE, ROLLAND, BONNEFONDS et MOULLARD.


RAPPORT

DE M. MARTIN D'ANGERS

sur plusieurs numéros de L'INVESTIGATEUR,

de février 4848 à juillet 1849.

MESSIEURS ET CHERS COLLÈGUES ,

Depuis que j'ai l'honneur d'être chargé du compte rendu de celte importante publication, je n'y ai trouvé matière qu'à un seul rapport, les arts y occupant une place plus minime que les sciences et les lettres.

Aujourd'hui, pourtant, je suis moins dépaysé; la mine est plus abondante, et j'en suis tout joyeux, aimant à voir les arts occuper la place d'honneur qu'ils méritent, eux qui jouent un si grand rôle dans l'histoire de toutes les nations.

Gloire aux Société savantes et littéraires qui comprennent le mouvement artistiques et le favorisent ! Ces assemblées sont, à mon sens, plus complètes, plus lettrées, plus progressives que les autres. Estil, en effet, un progrès, dans la sphère de l'intelligence, dont l'art ne puisse revendiquer une part plus ou moins large ? Les sciences devraient tou-


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jours s'allier à ce qui les embellit et les popularise : d'ailleurs, quelle science est préférable à celle qui conduit à l'imitation parfaite de la nature, à la reproduction exacte de tous les chefs-d'oeuvre du Créateur?... Quoi de plus beau encore que cette langue musicale, vrai complément de la parole, qui remue toutes les fibres de l'âme en exprimant des idées et des sensations qu'aucune autre langue ne peut traduire ! Les savants et les littérateurs parlent au jugement et à l'esprit; les artistes à l'imagination et au coeur. Le monde, sans les arts, serait fort ennuyeux, ma foi ! Je comprendrais alors la passion des déserts, le Misanthrope de Molière!... Rien ne peut remplacer les jouissances qu'ils procurent, et l'on ne saurait trop faire pour en répandre le goût dans toute la France.

Cela dit, je reviens à l' Investigateur, et d'abord, dans les 162° et 163° livraisons—février et mars 1848—je trouve un mémoire fort étendu, de M. de la Pylaie, sous le titre de : Visite à l'ancienne fortification de Borghstadt, nommée depuis camp de Q. Cicéron, situé à l'occident du bourg d'Assche, auprès de Bruxelles.

Ce travail est remarquable à plus d'un titre ; il est riche d'aperçus historiques, d'observations archéologiques, statistiques et géologiques : le style en est coulant, la narration facile, attrayante.

On trouve dans M. de la Pylaie l'artiste et l'érudit : ces deux qualités se balancent et s'entr'aident


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merveilleusement. C'est là ce que j'appellerais la littérature de l'art , qui est , sans contredit, la plus colorée, la plus poétique et la plus instructive.

Messieurs, quand on considère la sphère où nous vivons d'un point de vue aussi élevé, je dis qu'on a des droits à l'estime et à l'admiration de toutes les natures d'élite.

En effet, rien n'est plus beau que de consacrer son talent à l'analyse, à la glorification des oeuvres du génie : voilà ce qu'a fait M. de la Pylaie. J'extrairai de son Mémoire quelques parties saillantes, mais qui ne pourront vous donner, Messieurs, qu'une idée fort imparfaite de cet excellent travail.

« Borghstadt, c'est-à-dire la ville fortifiée, se « trouve à un kilomètre environ du bourg d'Assit che, du côté de l'occident.... Cette fortification « fut révélée au monde savant par Vangestel, dans « son Histoire de l'Archevêché de Malines; mais per« sonne ne s'en étant plus occupé depuis, elle est « restée dans l'oubli jusqu'en 1845, où M. Gales" loot reconnut ses vestiges, et publia ensuite à son « sujet, dans les Mémoires de l'Académie des « Sciences de Bruxelles, une intéressante notice, « accompagnée d'un plan. Il est à remarquer, dit« il, que les habitants de la commune d'Assche " ignoraient alors com plètement l'existence de cette « forteresse, quoiqu'elle fût si près du bourg... »

Ici M. de la Pylaie s'étend sur la description des lieux qu'il a visités et qui a voisinent Borghstadt,.


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On sent que c'est un voyageur heureux de ce qu'il a vu et plus heureux encore de le raconter à ses lecteurs.

« Je me rappellerai toujours avec plaisir, dit-il, « ma visite au joli bourg d'Assche, qui est, par " rapport à Bruxelles, le Saint-Germain ou le Ver« sailles des Parisiens, mais surtout à Borghstadt et à « Kalec-Hoven qui sont, pour les antiquaires, une «source de jouissances... »

« Kalec-Hoven, c'est-à-dire les fours à chaux, oc« cupent de vastes champs dont tout le sol est rempli « de morceaux de briques, de tuiles, de tessons de « toute espèce ; et si l'on creuse à deux pieds de « profondeur, on découvre les fondements de di« vers édifices ; ceux-ci sont épars. On y a trouvé « aussi de nombreuses pièces de monnaies à l'effigie « des empereurs, depuis Auguste jusqu'à Anas« tase Ier inclusivement, qui mourut, comme on le « sait, l'an 518 de l'ère chrétienne... »

Arrivé à l'enceinte fortifiée de Borghstadt, M. de la Pylaie en fait une description des plus détaillées et des plus pittoresques, que je regrette, Messieurs, de ne pouvoir vous transcrire ici tout entière.

Ce qu'il vous suffit de savoir, c'est que cette, fortification offrait des moyens de défense très-compliqués et très-sûrs, des travaux gigantesques pleins d'intérêt pour les architectes et les archéologues...

Le narrateur entre ensuite dans de hautes considérations pour prouver que Borghstadt, par sa


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position comme par sa forme., devait être un oppidum, ou refuge d'un accès difficile, et non point un camp romain, comme le prétend Galesloot. Entre autres excellentes raisons, il en fournit une qui me paraît péremploire, à savoir que les Romains donnaient à leurs camps de préférence une forme carrée, à moins que commandés par la disposition des lieux, il ne leur fallût la modifier : or, Borghstadt présente, dans son enceinte, une forme à angles arrondis; puis son plateau, environné de forêts entrecoupées, d'accidents de toute sorte, ne permettait guère l'approche d'un camp...

« Il me paraît indubitable, ajoute M. de la Py« laie, qu'à l'arrivée de César dans cette partie sep-, " tentrionale de la Belgique, la population se ré" fugia sur le plateau de Borghstadt, qui devenait « son dernier asile, et qu'alors l'armée romaine prit " position sur la plaine de Kalec-Hoven pour en « faire l'attaque; puis, lorsqu'elle en fut maîtresse, « ce fut pour s'assurer, à l'avenir, la possession « de cet oppidum, que les vainqueurs fondèrent « l'établissement important dont on voit tant de « débris, et où l'on a même découvert, en divers « endroits, une espèce de pavé, en creusant le sol « à un demi-mètre de profondeur. »

Le savant archéologue termine son travail en essayant de prouver, que le camp de Q. Cicéron devait être à Castres, plutôt qu'à Borghstad; et il y réussit fort bien , selon moi. Pour preuves il accu-


89 mule des faits, et rien n'est entêté comme un fait.

Je n'ai rien trouvé dans ce mémoire qui ne fût digne d'éloges, et sa lecture m'a constamment intéressé.

Dans la 170e livraison de l'Investigateur—janvier 1849, je trouve un fort bon travail, de M. Frissardj sur les ports des anciens, mais si concis qu'il est presque impossible d'en faire l'analyse ; je vais vous en citer quelques fragments pour vous en donner, Messieurs, une idée satisfaisante. Voici son introduction :

" Un très-ancien historien, Sanchoniaton, nous « dit que : des ouragans ayant tout à coup fondu « sur des arbres de la forét du Tyr, ils prirent feu ; or, « dans ce trouble, Ousoüs s'étant saisi d'un tronc « d'arbre, le dépouilla de ses branches, et osa le « premier se hasarder sur mer. A cet arbre unique « on substitua le radeau-, en y ajoutant des parois, « on obtint la galère, qui ne contenait d'abord « qu'un seul rang de rameurs. Douze cents vais« seaux de ce premier modèle abordèrent sur les « rivages de Troie, portant les Grecs et leurs « alliés.

« Un charpentier de Corinthe, Aminoclès, ima« gina d'installer trois rangs de rameurs en les éta<< géant les uns au-dessus des autres. Cette idée, qui « donna naissance aux trirèmes, ne fut pas stérile : " on construisit des galères qui avaient quatre, cinq,


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« six. sept, huit et même dix étages de rameurs. « Alexandre en porta le nombre jusqu'à douze, en « inventant les dodécadères.

« Lorsque la navigation eut ainsi pris son essor, « il fallut songer à choisir et à établir des abris, des « retraites pour les flottes nombreuses ; l'art de « construire les ports est donc de la plus haute anti« quité. »

Vous voyez, Messieurs, que le récit marche avec rapidité ; que c'est un résumé très-clair où les faits abondent.

Je poursuis en analysant le mieux qu'il m'est possible.

Les Egyptiens avaient peu de ports, parce qu'ils redoutaient les étrangers, surtout les Grecs, pour lesquels ils avaient une grande aversion.

D'après Aristote, Tite-Live, Strabon et d'autres historiens, les Phéniciens sont considérés comme les inventeurs de la navigation ; ils étaient essentiellement commerçants et colonisateurs.

Puis viennent les descriptions des ports de la Nouvelle-Tyr, de Carthage, de Tunis, de Carthage la Neuve, Carthagène, Alexandrie, Rhodes, Athènes, Corinthe, Syracuse, Messine, Tarente , Brinduse , Otrante, Bari, Trani, Bartella, Ancône, Rimini, Ravennes, Nisita, Pouzzolle, Misène, Terracine, Astura, Antium, Anzo, Ostie, Civita-Vecchia et Gênes.

11 est curieux de suivre M. Frissard dans cette


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immense galerie de constructions antiques, si bien décrites par l'auteur.

Ses conclusions sont assez dignes d'attention pour être citées.

« Il résulte, dit-il, de ce rapide examen des « ports construits par les anciens, qu'ils nous sur" passaient de beaucoup en grandeur et en magni« ficence. Non-seulement leurs ports étaient remar" quables par les bonnes dispositions des ouvrages « extérieurs et intérieurs, par la solidité et l'étendue « de ces ouvrages, mais encore par le grandiose, la « beauté des formes architectoniques, par le choix « et le luxe des matériaux. On voit que la marine « était une des principales causes de leur puissance ; « qu'ils pouvaient disposer de grands moyens « d'exécution; qu'ils consacraient de fortes sommes « à ces ouvrages, dirigés par leurs premiers magis« trats ; mais on reconnaît aussi le talent, le génie « des auteurs de ces projets, bien conçus et bien « étudiés; ils savaient observer les causes natu« relies de destruction sans cesse agissantes ; ils « savaient appliquer les sciences et les arts à ces « ouvrages, dont ils reconnaissaient toute l'impor« tance.

« Nous sommes loin d'avoir à notre disposition « les mêmes moyens d'exécution ; nous n'avons ni " les bras de nos soldats, ni ceux des armées vaince cues, ni les tributs des peuples soumis. L'ingé« nieur doit donc suppléer, autant qu'il le peut,


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« aux ressources matérielles qui lui manquent, par « son intelligence éclairée, par l'étude des anciens « et des modernes; il doit enfin chercher à conci« lier l'utilité avec l'économie dans les travaux qu'il « est appelé à diriger, et qui doivent, comme ceux « des anciens, contribuer à la gloire et à la pros« périté du pays. »

Ainsi termine M. Frissard, qui me paraît un homme trés-éclairé, bon observateur, théorico-praticien, analyste sage et concis, ami du beau, du grand, du sublime.

Dans la 172e livraison—mars 1849, je trouve un examen de l'ouvrage de M. Dennis sur les villes et les tombeaux de l'Étrurie ;

(Article traduit de l'Athenoeum, journal de Londres), par M. Alix.

La première partie de ce travail traite assez à fond de la religion de l'Étrurie, qui avait beaucoup de rapport avec le mysticisme sombre et despotique de l'Egypte et autres systèmes théologiques d'Orient : on y fait l'énumération de tous les dieux qu'adoraient les Étrusques, ennemis héréditaires des Romains, et chez lesquels, malgré cette antipathie traditionnelle, les dominateurs du monde envoyaient étudier leurs enfants, comme à la véritable source de toutes les sciences La deuxième

partie traite des villes et des tombeaux.

" Dans les cités des Étrusques, dit M. Dennis, la « prospérité et les précautions sanitaires étaient


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« maintenues par un système sur l'écoulement des « eaux dont il reste encore des vestiges dans plu« sieurs localités de l'Étrurie. La grande cloaque « constatera, dans tous les temps, les soins que « les Étrusques donnaient à l'art de construire les « égoûts et les canaux, objet qui paraît avoir été « négligé par les Grecs... Le talent particulier des « Étrusques pour tout ce qui a rapport aux canaux, « excavations, et pour donner aux rocs des formes « soit agréables, soit utiles, est un fait qui est resté « dans les souvenirs de toute personne qui a visité « celte contrée. Leurs tombeaux étaient générale« ment placés dans des souterrains, et, sauf quel« ques exceptions, creusés dans des rochers, à la « manière des Égyptiens et d'autres peuples orien" taux. » M. Alix, après avoir cité ce passage, dit que ce qui appartient plus particulièment aux Étrusques et ce qui a le moins participé des influences étrangères, c'est sans contredit leur architecture.

« Nous savons, ajoute-t-il, peu de chose sur « son histoire, si ce n'est que les Étrusques ont été « les maîtres des Romains, Lorsque ceux-ci vou« laient élever un édifice public, ils envoyaient en « Étrurie chercher des constructeurs. Ce qui existe « encore dans l'architecture étrusque consiste en « murailles et portes de villes, en canaux, égoûts, « ponts, voûtes et tombeaux. »

« Rien, dit M. Dennis, ne donne une plus haute « idée de la puissance et de la grandeur de cet an-


94 « cien peuple que les murailles de ses villes. Ces « immenses constructions, en pierres énormes, « avaient, sans aucun ciment, une telle solidité, « qu'elles ont résisté depuis trois mille ans à la « main destructive de l'homme, aux efforts des « tempêtes, aux tremblements de terre et à l'in« fluence plus destructive encore des intempéries « atmosphériques; ces constructions semblentdes« tinées à durer jusqu'à la fin des temps et présen" tent une beauté, une perfection de travail qui « n'ont jamais été surpassées... ; »

Après cette nouvelle citation, M. Alix dit que le trait caractéristique des sépulcres de l'Étrurie c'est d'être construits sous terre—; qu'un autre caractère de ces tombeaux c'est d'être en général une sorte d'imitation des demeures des vivants, soit à l'intérieur , soit à l'extérieur, soit enfin sous les deux rapports : que quelques-uns ressemblent à des temples, et pouvaient être les sépulcres des familles remplissant les fonctions sacerdotales ; qu'il est même probable que les peintures dont les murs étaient revêtus indiquaient le style des décorations intérieures des maisons; qu'enfin, les plafonds et les murs, où l'on voyait sculptés des coffres, des sièges, des bancs, des tabourets, des flèches et autres armes, et jusqu'à des sièges à bras avec leurs marchepieds, le tout taillé dans le roc vif, démontrent qu'à l'analogie avec les maisons, il ne manquait que la lumière du jour.... M. Alix,


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d'après M. Dennis, passe légèrement sur les arts plastiques et la peinture chez les Étrusques ; il finit en disant qu'ils excellaient dans les ouvrages en terre, dans l'art de fondre et de ciseler le bronze, dont ils étaient regardés comme les inventeurs en Italie ; enfin dans la fabrication des ustensiles pour le service domestique et des instruments de guerre.

Messieurs, ce travail, bien qu'assez court, renferme, comme vous le prouvent plusieurs extraits, nombre de détails intéressants sur l'art chez les Étrusques, et mérite, à l'égal des précédents, une attention toute particulière.

En parcourant avec un soin scrupuleux les autres livraisons de l' Investigateur, je n'y ai rien vu qui pût vous intéresser directement. «

L'histoire et les sciences n'étant point de notre domaine, j'ai dû restreindre mon examen à la partie purement artistique.

Je regrette seulement, moi musicien, de n'avoir rien découvert, dans cette publication, si riche sous beaucoup de rapports, qui eût trait, de près ou de loin, à un art dont la langue m'est plus familière que celle de l'architecture.


RAPPORT

DE M. AUGUSTE MAILLET

sur les Mémoires de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts, séant à Douai, centrale du département du Nord, années 18484849 ; et sur les tomes XIX (2e partie), et tome XXII des Mémoires de la Société d'Emulation de Cambrai.

MESSIEURS ,

Les ouvrages dont je viens vous entretenir contiennent un grand nombre d'écrits sur l'agriculture et les sciences; mais les arts n'y occupent qu'une petite place. Cependant, lorsqu'on voit les nombreuses compagnies littéraires des départements produire, chaque année, de forts volumes accompagnés de cartes, plans et gravures, on ne peut qu'applaudir aux efforts généreux des hommes qui cherchent à propager les connaissances utiles, et qui lèguent aux générations futures le fruit de leurs études, de leurs méditations et de leurs travaux.

Si la France conserve la prééminence sur les autres nations, si notre langue est devenue presque universelle, c'est aux grands écrivains, aux poëtes, aux orateurs, aux artistes dans tous les genres qu'il faut en attribuer l'honneur ; car s'il est vrai de dire


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que la langue française soit plus souple et exprime mieux que toute autre les diverses nuances de la pensée, cela seul n'eût pas suffi pour la répandre en Europe : il a fallu encore qu'elle servît à exprimer les nobles conceptions de l'esprit humain, en même temps que les arts nous élevaient au premier rang.

Lorsque les Sociétés correspondantes avec celle des Beaux-Arts nous adressent leurs publications, je ne puis, Messieurs, que regretter l'époque où nous pouvions nous-mêmes leur transmettre des Annales contenant ce que nous avions fait, et j'appelle de tous mes voeux le moment où nous serons en mesure de les continuer.

Le volume des Mémoires de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de Douai contient une notice historique sur une famille d'artistes douaisiens, par M. À. Cahier, membre résidant de la Société. La famille dont il est question est celle de M. Bra, sculpteur distingué. " A une époque déjà reculée, « dit l'auteur de la notice/ venait de Tournai à « Douai un sculpteur, d'origine espagnole, qui « s'était distingué dans les Pays-Bas, où l'on ren« contre encore, sous les voûtes de beaucoup d'égli« ses, des sculptures en bois qui témoignent, à un « degré remarquable, de l'étendue de son talent.

« Cet artiste, du nom de Bra, créa à Douai un « atelier, y travailla pendant d'assez longues an« nées, et ne le quitta que pour aller finir sa vie


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Philippe, son fils, se fil connaître dans le XVIIIe siècle, par de nombreux ouvrages de sculpture.

Son petit-fils, François-Joseph, né à Douai, le 15 novembre 1749, se fixa dans sa ville natale, après avoir étudié à Paris. Plusieurs monuments sont ornés de corniches, de trophées, de moulures délicates qui permettent de juger de son talent. Marié à l'âge de vingt ans, il eut quinze enfants, dont plusieurs moururent en bas-âge, et parmi lesquels se distingua Eustache-Marie-Joseph Bra, né à Douai, le 22 mai 1772. Celui-ci s'éleva au rang de nos premiers statuaires. Au Salon de 1807, le jury lui décerna une médaille d'argent. Il travailla ensuite au Louvre, à l'arc de triomphe du Carrousel, puis au château de Fontainebleau. Partout il s'est fait remarquer par l'heureuse composition de ses bas-reliefs, par la science du modelé et une grande pureté de goût. Cet artiste estimable est mort en 1840, à l'âge de 68 ans; mais il a laissé un fils, Théophile-François-Marcel Bra, né à Douai, le 23 juin 1797, et qui poursuit, avec succès, la même carrière que ses ancêtres, après avoir remporté le second grand prix au concours de 1818.

J'ai cru, Messieurs, devoir vous présenter cette rapide analyse de l'intéressante notice de M. Cahier; car c'est un fait digne de remarque que cette quintuple génération d'artistes qui, dans la même famille, et sans interruption, ont manié avec talent, depuis deux siècles environ, le ciseau du sculpteur.


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Indépendamment de cette notice, le volume dont je parle contient un morceau important intitulé : « Documents sur l'Université de Douai, de 1699 à « 1704 » ; puis un article philologique, les Cris de Douai; mais ces écrits n'étant pas relatifs aux arts, je me borne à les mentionner. Je citerai aussi trois fables en vers de M. Derbigny, qui ne manquent ni de grâce, ni de finesse. Ce sont, du reste, les seules pièces de poésie qu'on trouve dans un volume de plus de 500 pages ; encore ont-elles été envoyées par un membre correspondant, ce qui porterait à croire que la langue des dieux n'est guère en usage chez les Douaisiens.

J'ai, Messieurs, peu de chose à vous dire des Mémoires de la Société d'Emulation de Cambrai. Le tome XIX (2° partie), accompagné de deux cartes de la province du Cambrésis, ne renferme rien qui puisse intéresser les artistes. On n'y trouve qu'un glossaire topographique de l'ancien Cambrésis et un grand nombre de chartes en langue latine, suivies de savantes notes explicatives. Le tout est précédé d'une introduction et témoigne de l'étendue des connaissances, ainsi que de la patience et des laborieuses recherches de l'auteur, M. Le Glay, membre correspondant de l'Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres).

Le tome XXII des Mémoires de la même Société forme un volume de près de 700 pages, avec plusieurs planchas et un portrait de François Vander-


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Burch, ancien archevêque de Cambra. La plus grande partie de ce volume est remplie par des articles sur les sciences et sur l'agriculture. J'y ai remarqué cependant deux rapports intéressants sur un concours d'éloquence et sur un concours de poésie. Le premier concours sur cette question : Les tendances religieuses au XIXe siècle, est suivi de l'ouvrage couronné. Quant au concours de poésie, il n'a donné lieu qu'à une mention honorable décernée à l'auteur d'une pièce de vers sur les crèches et les salles d'asile. Le concours reste ouvert pour l'année 1851.

J'ai aussi à mentionner une notice sur la vie de Vander-Burch, archevêque de Cambrai, ainsi que sur les fondations de charité dont il a doté la ville de Cambrai. Ce prélat, né en 1567, fut élevé, en 1615, au siège de Cambrai, qu'il occupa jusqu'à sa mort, c'est-à-dire jusqu'en 1644. Un demi-siècle plus tard, ce même siège fut rempli par l'un des hommes les plus illustres du règne de Louis XIV, par l'auteur de Télémaque. Le nom de François Vander-Burch est resté populaire et honoré dans le Cambrésis.Nous voyons avec plaisir que ce même nom figure sur la liste des Membres de la Société libre des Beaux-Arts ; car notre honorable collègue Vander-Burch* est un arrière-neveu du pieux prélat.

Messieurs, je termine ce rapport, en vous proposant le dépôt aux archives des trois volumes dont je viens de vous entretenir.

* Il est mort en 1854, vivement regretté.


RAPPORT DE M. HITTORFF

Sur la Restitution des Propylées d'Athènes,

PAR M. CHAUDET, architecte.

MESSIEURS ,

Parmi les travaux d'architecture et d'archéologie qui vous ont été soumis à différentes époques, et sur lesquels vous avez demandé des rapports spéciaux, aucun travail ne rendait moins nécessaire une semblable appréciation individuelle. En effet, jamais peut-être il ne vous avait été présenté d'aussi nombreux et beaux dessins et des commentaires aussi détaillés, que ceux qui composent l'ensemble des documents sur les propylées d'Athènes, dont M. Chaudet est l'auteur.

Les séances multipliées auxquelles la plupart d'entre vous ont assisté, et où étaient exposées les admirables pages représentant et l'état actuel des magnifiques entrées de la cité de Minerve, et l'état de leur splendeur primitive, doivent encore vous être présentes. L'attention assidue et recueillie que vous avez prêtée à la lecture de l'intéressant mémoire


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dont l'habile investigateur d'un des plus remarquables édifices de l'antiquité grecque avait accompagné ses dessins, n'a pu s'effacer non plus, et la plupart des membres de notre Société se souviennent sans doute avec intérêt, des discussions instructives soulevées par quelques-uns d'entre vous, et des explications verbales et complémentaires auxquelles ces discussions donnèrent lieu de la par de M. Chaudet.

Mon opinion personnelle ne pourra donc rien ajouter à l'opinion déjà émise par la Société sur l'important travail dont il s'agit. Beaucoup de nos collègues l'ont étudié, et c'est, je l'avoue, une grande satisfaction pour moi, que d'être assuré que, quelque avantageuses que puissent être les conclusions de mon rapport, vous les adopterez, parce qu'elles seront la reproduction de vos justes louanges et de votre jugement déjà prononcé.

En rendant hommage au talent de M. Chaudet comme artiste, vous avez distingué également en lui l'homme pénétré des devoirs de l'amitié. Dévoué bien au delà de la mort à celui qu'il nomma son ami, il consacra à son souvenir plusieurs années d'un travail assidu, dont il répandit, avec une rare abnégation, les glorieux fruits sur la tombe de M. Titeux.

C'est en effet avec cet architecte, pensionnaire de l'Académie de France à Rome, artiste d'un talent éminent et d'une ardeur infatigable pour son art,


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que M. Chaudet commença ses investigations, depuis les rochers abruptes qui servent de base inébranlable aux propylées d'Athènes, jusqu'au faîte de cette majestueuse construction qui forme l'entrée dans l'enceinte sacrée de son acropole. C'est au milieu des investigations si difficiles, si minutieuses, si arides souvent et si attrayantes cependant, par toutes les phases de l'espoir déchu et des appréhensions réalisées qu'offrent ces recherches dans leurs continuelles alternatives, que ces artistes réunirent leurs efforts.

Mais avant d'avoir atteint leur but, l'un d'eux succomba à la peine, et l'autre eut le triste sort en partage, avant la réalisation du beau et brillant rêve, de retirer des décombres et de reconstruire un des plus magnifiques édifices de l'antiquité, de marquer d'une modeste pierre tumulaire la place, où fut enseveli le corps de son ami !...

C'était une cruelle et navrante épreuve, et il faut féliciter M. Chaudet d'avoir eu assez de force pour ne pas s'être laissé aller au découragement, et pour avoir continué seul des recherches commencées à deux, alors que la mort qui venait de frapper son collaborateur, son compatriote, son ami enfin, avait eu pour cause certaine les fatigues et les périls attaches aux travaux mêmes auxquels ils s'étaient livrés ensemble.

Vous savez, Messieurs, que M. Titeux comptait présenter à l'Institut de France la restauration des


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propylées d'Athènes comme son travail de pensionnaire, et que ce fut M. Chaudet qui, après avoir terminé les dessins commencés par son infortuné camarade, et en avoir fait d'autres dont les matériaux seuls avaient été réunis en commun, les présenta tous au nom de M. Titeux aux membres de l'Académie des Beaux-Arts, qui furent tellement touchés de cette démarche qu'ils accordèrent une récompense publique et au talent de M. Chaudet et à sa belle action.

M. Chaudet vous a soumis tous ces dessins, puis d'autres dont les matériaux furent recueillis par lui seul, et enfin un travail plus important, plus difficile et plus intéressant pour l'histoire de l'architecture, celui de la restitution de l'ensemble et des détails des propylées athéniennes.

Il serait sans objet, Messieurs, de vous énumérer de nouveau tous les documents- qui composent cette vaste entreprise, de vous rappeler la belle exécution des dessins, le caractère de vérité et de scrupuleuse exactitude qui les distingue. Soit que l'auteur vous ait présenté l'état actuel de l'édifice sous toutes ses faces et dans ses moindres parties , soit qu'il vous ait montré les plans, coupes, élévations et les vues perspectives du monument restitué, vous avez eu partout une satisfaction à exprimer, une approbation à donner; soit enfin que, guidé par les auteurs anciens et les voyageurs modernes , M. Chaudet. ait cherché à éclaircir des points dou-


105 teux, soit sur le temple de la Victoire Aptère ou sans ailes, élevé à la droite des Propylées, soit sur les accessoires de cet édicule, ou bien encore sur le piédestal élevé à gauche , puis sur la pinacothèque placée du même côté et le petit bâtiment opposé à cette dernière, ou enfin sur les majestueux emmanchements, le chemin en pente, les colonnes extérieures et intérieures, les portes, les autels, les dallages, les parois des murailles, les poutres et les caissons en marbre des plafonds, la charpente et les tuiles en bois et en marbre des couvertures, toujours et en toutes choses, les recherches de M. Chaudet vous ont paru remarquables et les conclusions qu'il en a tirées conséquentes et judicieuses.

Non pas que le doute ne soit admissible sur plusieurs points adoptés et défendus par l'auteur, mais comme, loin de produire ses idées d'une manière tranchante et absolue, il les exprime avec une grande réserve, on voit qu'il ne saurait les soutenir quand même, lorsque des raisons et des faits péremptoires pourraient être invoqués pour les combattre et les détruire.

Du reste, le nombre de ces points discutables de quelqu'importance est très-restreint; ils se réduisent pour ainsi dire à trois, et ont rapport : 1° à,la destination primitive des admirables sculptures en haut relief trouvées parmi les restes du temple de la Victoire Aptère ; 2° à l'emplacement que devaient occuper les figures équestres des fils de Xénophon, dont


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parle Pausanias, et 3° à l'admission d'un portique à la droite des propylées lorsqu'on sort de l'acropole. Sans élever ici une discussion à ce sujet, en produisant les opinions contraires à la manière de voir de M. Chaudet, il me suffira de dire que les raisons sur lesquelles sont fondées les nouvelles conjectures de cet architecte paraissent en général plausibles et qu'elles prouvent surtout, lors même qu'elles pourraient être justement contredites, son louable zèle pour scruter avec soin les travaux de ses prédécesseurs et ne pas les admettre légèrement. C'est une qualité rare à rencontrer, et je dirai même un devoir que la plupart des artistes et des savants ne remplissent pas ou peu. Beaucoup ne font de nouvelles restitutions et de nouveaux livres qu'avec des restitutions et des livres anciennement faits, s'inquiétant peu d'entasser erreurs sur erreurs et de rendre impossible de les extirper, une fois que le temps les a consacrées et qu'elles ont pris racine.

Sous ce rapport également, le travail de M. Chaudet mérite d'être distingué et rien n'y manquerait si la partie décorative des édifices de la Grèce y avait été appliquée avec le même soin et le même talent qui ont présidé aux études purement architectoniques du beau monument dont il a fait choix. Non pas que cet artiste ait passé sous silence les traces de coloration qui se sont conservées sur cet édifice, il les a recueillies au contraire et leur


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énuméralion forme tout un chapitre de son mémoire ; toutefois il s'est attaché de préférence aux formes, aux proportions, à la construction, qui composent indubitablement les principaux éléments des monuments d'architecture; et les vicissitudes des propylées athéniennes ayant fait perdre aux restes de cet édifice la plus grande partie des couleurs originaires, l'esprit positif de M. Chaudet a reculé devant cette partie de sa tâche, qui offrait ici plus d'hypothèses à appliquer que de réalités à constater et qui aurait exigé une suite d'études spéciales que le terme de son séjour en Grèce ne lui permettait pas d'entreprendre.

Certainement, comme plusieurs de nos collègues l'ont remarqué, la restitution des propylées d'Athènes , telle que la présentent les dessins de M.Chaudet, n'est pas complète. L'aspect de ce monument n'offre pas le caractère distinctif que devait y ajouter la brillante et harmonieuse coloration de la partie architecturale, et par- dessus tout l'application des peintures tirées de l'histoire et de la poétique mythologie des Hellènes, accessoires qui pénétraient l'âme de vénération et qui inspiraient les plus nobles pensées à tous ceux qui, après avoir été admis dans la pinacothèque pour y contempler les oeuvres de Polygnote, s'arrêtaient dans le magnifique vestibule à double colonnade, pour y admirer les immortelles peintures de Protogène.

Ce n'est en effet qu'en étudiant les monuments


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grecs dans leur rapport avec les principes fondamentaux, qui y furent toujours appliqués, et parmi lesquels domine le concours des trois arts, l'architecture, la peinture et la sculpture, pour composer une oeuvre véritablement complète, ce n'est qu'alors, dis-je, qu'on comprend l'importance extraordinaire que les plus grands hommes de l'antiquité mettaient à créer de pareils ouvrages et à y attacher leurs noms.

Les propylées auraient eu besoin, sans doute, d'être restituées de la sorte, car les peintures décrites par Pausanias comme exécutées sur les parois de la pinacothèque,nous montrent que ce petit édifice formait une station sacrée, un premier lieu de recueillement, une espèce de chapelle , sacellum, richement ornée de sujets héroïques et mythologiques.

Ces sujets, tirés de la guerre de Troie, et qui représentaient les héros les plus particulièrement protégés par Minerve; puis Persée portant la tête de la Gorgone, qui brillait sur l'égide comme sur la poitrine de la divinité protectrice d'Athènes, étaient autant de scènes choisies à l'effet d'inspirer une grande vénération pour le culte de la grande déesse et une sainte terreur contre toute profanation de ses sanctuaires.

Ce choix confirme non-seulement le but d'employer la peinture à l'embellissement des édifices, mais il prouve la volonté de s'en servir pour les


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caractériser davantage, pour agir plus efficacement, plus directement sur les sens, que ne pouvaient le faire les formes architecturales seules.

Il en était ainsi des propylées proprement dites, de cette magnifique construction, dit Pline, qui conduit au temple si célèbre de Minerve « celeberrimo loco Minervoe delubri », et que Protogène décora, selon le même auteur, de peintures où cet artiste représenta les navires sacrés : le Parolus et l'Hammoniade, deux compositions que Cicéron et Pline citent parmi les chefs-d'oeuvre les plus renommés de l'art antique. En désignant les parois latérales du vestibule des propylées comme ayant été décorées de ces oeuvres immortelles , on ne saurait trouver nulle part des places plus propices pour y représenter les splendides appareils de ces vaisseaux sacrés, que celles qu'offrait ce majestueux portique à travers lequel se dirigeaient toutes les pompes religieuses des Athéniens. Aucune autre décoration ne pouvait être plus en harmonie avec les processions des Panathénées , composées des vainqueurs dans les courses, précédées par les vierges aux mystérieuses corbeilles. Quel attrayant et imposant spectacle en effet, pour les habitants d'Athènes, lorsque graves et recueillis, passant sous un ciel de marbre, semé d'or et d'azur, ils voyaient encadrées dans de belles colonnes ioniques les nobles images de leurs ancêtres : les uns prêts à partir pour une destination à la fois religieuse et politique,


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les autres prêts à débarquer à la suite de leur mission glorieusement remplie !

La peinture appliquée de la sorte aux édifices et pour les embellir de la manière la plus brillante, et surtout pour servir à immortaliser les belles actions humaines, à l'effet de les propager en les faisant aimer et imiter de génération en génération, la peinture, ainsi appliquée, n'est plus une décoration dont l'absence puisse être regardée comme indifférente à l'étude de l'architecture. On comprend qu'avec l'idée préconçue d'une semblable application, elle a dû avoir une grande et indubitable influence sur la forme des monuments. C'est, en effet, ce que ferait supposer, dans les propylées athéniennes, la grande largeur des portiques latéraux destinés aux piétons, par rapporta la largeur moindre du chemin central réservé aux chars et aux cavaliers; cette disposition étant parfaitement d'accord avec le but de laisser voir très-avantageusement les peintures sur les parois où elles devaient être exécutées, et où Protogène les exécuta en effet.

Quoi qu'il en soit de l'absence de cette précieuse et significative décoration et de celle de la coloration des masses et des détails du monument, on ne peut nier, et je m'empresse de le proclamer, que, comme restitution des propylées, comprenant l'étude purement architectonique des formes, des proportions et de la construction, elle est et sera toujours un


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travail des plus remarquables dans son genre. Aussi, Messieurs, l'auteur ayant déjà recueilli vos éloges mérités, j'ose exprimer le désir que vous veuilliez bien lui accorder une distinction plus flatteuse, parce qu'elle le. mettra à môme de conserver un souvenir durable de l'accueil que vous avez fait à son travail et du jugement que vous en avez porté; j'ose, dis-je, exprimer le désir de vous voir décerner à M. Chaudet la médaille d'argent de votre Société.


DISCOURS

pour

l'Inauguration de la Statue du Poussin, aux Andelys,

le 15 juin 1851.

MESSIEURS,

La Société libre des Beaux-Arts de Paris vient avec bonheur se joindre aux autorités religieuses et civiles, ainsi qu'aux autres corps savants réunis dans cette solennité, pour payer un juste tribut d'admiration, non-seulement à l'artiste éminent, mais encore à l'homme de bien. qui cherchait dans son art des moyens de moraliser.

La noble pensée, que vous avez conçue d'élever une statue à Nicolas Poussin, dans la ville où il est né, et qu'il a illustrée par son génie, a vivement ému cette Société, qui s'est empressée d'ouvrir, dans son sein, une souscription pour participer à l'accomplissement d'une oeuvre qui éveillait, toutes les sympathies. En effet, une compagnie qui s'attache, selon l'esprit de son institution, à conserver les anciennes doctrines consacrées par le temps, tout en provoquant le progrès des recherches modernes,


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et qui professe surtout un grand respect pour la dignité de l'art antique, ne pouvait demeurer indifférente, lorsqu'il s'agissait de rendre un éclatant hommage à la mémoire du maître qui recommandait expressément à ses élèves l'étude de l'antique négligée depuis près d'un demi siècle, et ces élèves s'appelaient Lebrun, Lesueur ; de celui qui, voué au culte du vrai et du beau, fit toujours preuve d'un goût pur,et sut allier la grâce à la sévérité; en un mot, de l'un des plus des plus grands peintres d'histoire que la France ait possédés et dont un grand nombre de belles compositions, attestant son heureuse fécondité, brillent dans notre musée du Louvre.

Comme à tous les hommes d'élite, les tracasseries de l'ignorance et de l'envie ne lui ont pas manqué; mais, ainsi qu'il l'a représenté dans un de ses tableaux, le Temps enlève et soustrait la Vérité à leurs atteintes cruelles.

Messieurs, la Société libre des Beaux-Arts espérait pouvoir réaliser la proposition de l'un de ses membres, de déposer aujourd'hui une couronne de bronze sur le front du Raphaël français ; mais elle a connu trop tard l'époque de celte cérémonie d'inauguration pour prendre une détermination : elle a dû renoncer à son projet, bien que les frais en aient été votés, et n'a plus qu'à vous exprimer son désir, que le bon exemple donné par cette ville soit suivi et que toutes les localités de France, devenues la patrie d'hommes célèbres par leurs vertus ou leurs

T. XVIII. 8


Plan des fondations et du monument élevé à Jques Nlas PAILLOT de MONTABERT, par ses collégues de la Société libre des Beaux- Arts.

à Saint Mar tinès - Vignes. Commune de Troyes en 1851

Imp. E. Chardon ainé. de rue Hautefeuille l'éd


RAPPORT

DE M. GELÉE

sur l'inauguration du monument élevé à la mémoire

DE PAILLOT DE MONTABERT.

MESSIEURS,

J'ai à vous rendre compte de ce qui s'est passé dans la commune de Saint-Martin-ès-Vigne, voisine de Troyes (Aube), dont elle paraît être l'un des faubourgs, à l'occasion de l'érection du monument élevé à la mémoire de Paillot de Monlabert, notre très-regretté collègue; monument placé sur la tombe de cet illustre citoyen.

Je suis en mesure de vous donner tous les renseignements que j'ai recueillis sur la marche des travaux exécutés d'après votre décision, à partir du jour où la proposition vous en a été faite par notre ami Paul Carpentier, dans votre séance ordinaire du mardi 5 décembre 1850, jusqu'à ce jour. Mais, comme cette narration doit nécessairement renfermer beaucoup de détails, j'ai jugé convenable de ne pas mêler ces détails purement administratifs avec l'historique de la cérémonie de l'inauguration, dont vous devez


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désirer entendre la lecture. Moi-même, témoin des vives sympathies que vos délégués ont rencontrées de toutes parts au chef-lieu du département de l'Aube, j'éprouve le besoin de vous en entretenir, remettant à une autre séance le rapport particulier sur tous les accessoires.

Notre laborieux confrère Carpentier qui, depuis bien des semaines, travaillait à sculpter sur la pierre les traits de Montabert, et qui, pour cela, habitait Troyes, où il surveillait en même temps les travaux, nous fît savoir que le jour de l'inauguration était fixé,, d'accord avec les autorités, au lundi 22 septembre 1851. A cette nouvelle, votre bureau dut s'empresser de faire un appel à ceux de nos collègues pour lesquels le sacrifice de quelques journées était possible, afin qu'ils se rendissent à la cérémonie en temps voulu. Malheureusement, l'époque arrêtée se trouvait être précisément celle que choisissent d'habitude les artistes pour leur pérégrination annuelle, et il nous a été impossible de réunir les personnes qui s'étaient à peu près engagées à faire le voyage. Ajoutons que, pour surcroît de contrariété, notre vice-président, M. Péron, le seul de nos présidents présents à Paris, et sur lequel nous comptions, se trouva retenu chez lui par un mal qu'il éprouvait déjà depuis quelques jours et ne put nous prévenir de ce fâcheux contre-temps que la veille de notre départ. Cependant, le temps pressait. On ne pouvait remettre ; il fallut donc


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surmonter cet obstacle et prendre quand même le chemin de fer, dès le matin du dimanche 21 septembre. — Les motifs qui empêchaient notre viceprésident de partir ne lui avaient pas permis non plus de s'occuper du discours qu'on devait prononcer. Le lendemain, nous fûmes donc obligés, le soir même, à notre sortie, des wagons, de prendre la plume et de jeter sur le papier quelques lignes véritablement improvisées. Nous pensâmes alors que, dans une circonstance semblable, ce qu'il y avait de plus sage à faire était de laisser parler notre coeur et de ne pas viser à l'esprit ni faire des phrases. Aussi est-ce le coeur seul qui a dicté le discours que vous allez bientôt connaître.

Le lundi 22, à dix heures du matin, nous nous rendîmes, M. Paul Carpentier, M. Rolland et moi, au lieu du rendez-vous, commune de Saint-Martin-ès-Vignes, où nous trouvâmes, sous les armes, une compagnie de sapeurs-pompiers, avec tambours et musique, qui se rendaient à l'église. —Peu après, MM. les officiers de la garde nationale, légalement convoqués, arrivèrent; — puis vinrent successivement les autorités, M. le maire de Troyes; celui de Saint-Martin-ès-Vignes; le juge de paix, beau-frère du défunt, ainsi que son neveu, M. Paillot ; — enfin une députation assez nombreuse de la Société d'Agriculture, des Sciences, Arts et Belles-Lettres du département de l'Aube.

Toutes les personnes invitées officiellement furent


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placées au milieu du choeur de l'église, et, sur l'invitation du maire de la commune, qui vint nous chercher, nous allâmes nous placer en tête, comme représentants de la Société libre des Beaux-Arts.

A 11 heures précises commença une grande messe solennelle. M. l'abbé Coffinet, secrétaire de l'évêché, homme érudit et d'un goût éclairé, grand amateur des beaux-arts et qui avait connu l'auteur du Traité complet de la Peinture, exprima son désir d'invoquer les bénédictions du ciel sur Paillot de Montabert, dont il se rappelait le noble caractère. Ce fut lui qui officia en personne avec toute la pompe déployée dans la cérémonie des grandes fêtes de l'Église. — Rien n'a manqué à cette pieuse célébration!... La dignité du sacrifice, la richesse des habits sacerdotaux, le chant des prêtres, l'harmonie des orgues, jointe à la précision d'une musique militaire remarquable, ont donné à cette touchante cérémonie un caractère de recueillement et de fête tout à la fois ! — On se sentait fortement impressionné et heureux ! Vous comprendrez cela, Messieurs ; ce n'était pas à une cérémonie funèbre, que nous assistions, mais bien plutôt à une fêle religieuse ! à l'apothéose en quelque sorte de l'homme que nous avons connu et aimé! — à son passage d'une vie laborieuse vers la postérité qui le récompensera .

Le saint sacrifice étant terminé, le cortège, devenu plus nombreux, s'est dirigé vers le cimetière, où


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déjà la foule attendait, malgré la.pluie qui n'a pas cessé ; on remarquait un grand nombre d'habitants de Troyes, que la distance ni le mauvais temps n'avaient pu retenir.

Là, devant la place qu'occupe la dépouille mortelle de Paillot de Montabert, le clergé, pour dire les prières, se plaça en cercle faisant face au modeste monument.

Ce monument vous est connu, Messieurs; les dessins vous en ont été soumis. — Vous vous rappelez sa simplicité, qui répond si bien à la vie entière de celui dont il indique la dernière demeure. Il se compose d'une large et belle pierre recouvrant le caveau qui contient le corps, et d'une autre pierre monumentale, verticalement posée, portant sur sa face principale un médaillon sculpté en relief, représentant, de grandeur naturelle et d'une ressemblance parfaite, le profil de feu notre collègue Paillot de Montabert.

Sous ce médaillon, on lit l'inscription suivante gravée en creux :

« Ici repose JACQUES-NICOLAS PAILLOT DE MON« TABERT, membre de la Légion d'honneur, peintre " et homme de lettres, auteur du Traité complet de « la Peinture; né à Troyes, le 6 décembre 1771 « —décédé à Saint-Martin-ès-Vignes, le 6 mai 1 849.

« Ses collègues de la Société libre des Beaux-Arts, « de Paris, ont élevé ce modeste monument à « sa mémoire, en reconnaissance des importants et


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« nombreux services qu'il a rendus aux beaux« arts, par ses immortels travaux. »

Plus bas, on voit représentés l'étoile de l'immortalité et le tracé des neuf forts volumes composant l'ensemble du grand ouvrage écrit par de Montabert. Derrière cette suscription et à la hauteur du médaillon, notre collègue, Paul Carpentier a sculpté la tête antique de la Niobé mère, que donne de Montabert comme type du beau ; cette tête est représentée ayant devant elle l'instrument orthographique qui la mesure : ingénieuse idée pour faire connaître l'instrument sous le rapport de la forme et de la manière dont on s'en sert.— Cette production, ainsi que le médaillon, font le plus grand honneur au talent de l'artiste, notre collègue, Paul Carpentier.

On a aussi gravé, sous ce bas-relief, les inscriptions suivantes :

" L'orthographie appliquée à la représentation « de la figure humaine; tome VI, chapitre 275. »

Plus bas, on lit :

« Le Conseil municipal de la commune de Saint" Martin-ès-Vignes, sur le voeu exprimé par la « Société libre des Beaux-Arts, de Paris, a, par délibé« ration, en date du 18 mai 1851, accordé à l'unani« mité la concession gratuite et à perpétuité de ce « terrain en faveur de Jacques-Nicolas Paillot de « Montabert, le savant auteur du Traité complet « de la Peinture.»

J'ai pensé, Messieurs, qu'il était nécessaire de


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vous donner un examen rapide de" ce qui était représenté sur la pierre monumentale devant laquelle le clergé était réuni : on entonna de nouveaux chants et l'on dit encore des prières sur cette tombe vénérée; puis on en fit le tour, en l'aspergeant avec de l'eau sainte. — Après cette bénédiction, M. l'abbé Coffinet mit des parfums dans un encensoir et refit de nouveau le tour du monument, dont il encensa toutes les parties. Ce fut alors que, sur un signe qui nous annonçait que la cérémonie religieuse était entièrement terminée, je me suis avancé pour prononcer le discours suivant : « MESSIEURS,

« La Société libre des Beaux-Arts assiste ici plutôt « de coeur que personnellement; son vice-prési« dent, M. Péron, qui avait été désigné pour venir « prononcer sur cette tombe quelques paroles, a « fait connaître hier seulement que, gravement in" disposé, il ne pouvait accomplir sa mission ni « même préparer le discours d'usage.

« Permettez-moi, Messieurs, quoiqu'il me soit « impossible de suppléer à l'éloquence de notre " honorable vice-président, de me rendre, à sa « place, l'organe de la Société dont je suis l'un des « secrétaires.

« Les restes du savant qui repose sous cette tombe, « sont ceux d'un sage auquel la ville de Troyes « doit à jamais s'honorer d'avoir donné le jour : " Jacques-Nicolas Paillot de Montabert y est né le


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« 6 décembre 1771. — Le ciel semble avoir réuni, « concentré en cet illustre citoyen, toutes les fa" veurs qu'il ne répand d'ordinaire que sur plu« sieurs ! Aussi les beaux-arts lui doivent-ils le « plus glorieux, le plus utile monument qui leur « ait été élevé : Le Traité complet dé la Peinture, ou« vrage incomparable en nos temps modernes, et « dont les grands principes n'avaient réellement été " observés et développés que pendant les dernières « périodes de l'art grec., alors que les artistes célè« bres de ces temps, qui ont précédé et suivi le « siècle de Périclès, semblaient avoir donné à l'art le « plus haut degré de perfection qu'on pût atteindre. « C'est à de Montabert, à sa prodigieuse pénétrait tion, à son savoir éminent, à ses longues et labo« rieuses études que nous sommes redevables de la « connaissance des principes qui guidaient l'art " chez les Grecs, et que nous retrouvons si heureu« sèment développés et renfermés dans son im" mortel ouvrage! ouvrage qui sera toujours le « guide le plus sûr pour maintenir l'art dans les « règles du beau et le rendre bienfaisant et civilisait teur. Son influence s'étendra dans tous les pays où « les beaux-arts sont cultivés ; il doit servir de Code, « et, si l'on peut s'exprimer ainsi, devenir l'Évangile " des artistes véritablement consciencieux.

« Le modeste et savant de Montabert était mem«

mem« de la Société libre des Beaux-Arts, de Paris,

« depuis 1830, époque de sa fondation. Ses col-


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« lègues, voulant honorer sa mémoire et lui témoi« gner leur reconnaissance, ont ouvert une sous« cription pour qu'une pierre monumentale fût « élevée sur le lieu où reposent ses cendres : dans « l'hommage qu'elle lui rend, elle est heureuse de " pouvoir remercier le conseil municipal de cette « commune de s'être associé à elle pour honorer « un savant compatriote, en décidant que le ter« rain où il repose était accordé gratuitement et à « perpétuité. — La Société, touchée de cette déci« sion, l'a fait graver sur le monument même pour « en perpétuer le souvenir.

« Les membres de la Société libre des Beaux« Arts ont voulu aussi que la religion vînt rehaus" ser le caractère de cette cérémonie, en priant « Dieu de vouloir étendre sa divine protection sur « ce monument.

" II n'est sans doute pas nécessaire d'entrer dans « les détails de la vie de l'artiste et de l'homme de « lettres ; le souvenir des éminentes qualités qui « caractérisaient celui dont nous déplorons la perte " est gravé dans le coeur de tous ceux qui l'ont « connu. — La ville de Troyes elle-même ne vient« elle pas de glorifier sa mémoire, en donnant son « nom à l'une de ses rues ?

« Nous rappellerons seulement qu'il fut le dis« ciple du célèbre David ; que ces deux hommes « se comprirent dans les hautes questions d'art qui « les préoccupaient ; que l'élève peintre, en rece-


124 « vant les leçons du grand maître comme praticien, « dictait, en échange, à David, son ami, d'excel« lentes règles de philosophie, relatives au prin« cipe éternel de l'unité dans les arts, principe aussi « immuable que Dieu même, et sans lequel il ne « peut exister ni beauté ni harmonie.

« De Montabert ! que ces quelques paroles, pro« noncées au lieu où reposent tes cendres, montent « vers ta céleste demeure, ainsi que le sentiment « d'admiration et de reconnaissance que nous t'ex. « primons au nom de tes collègues et de tous les « vrais amis des beaux-arts. »

Ce discours terminé, M. Schitz, artiste peintre, professeur à l'école de dessin de Troyes, a parlé au nom de la Société d'Agriculture, des Sciences, Arts et Belles-Lettres dont il était l'organe. — Dans son discours, qui ne nous a pas été communiqué, mais que les journaux de la localité ont reproduit comme le nôtre et qui alors sera déposé imprimé dans nos Archives, M. Schitz raconte succinctement, et d'une manière attachante, toute la vie de notre bon de Montabert; vie d'observation, de travail, de persécution et de douleur en approchant de sa fin. C'est une sorte de notice nécrologique, et l'auteur, en la lisant, nous laissait parfaitement voir, par son émotion, combien il regrettait celui dont il faisait l'éloge.

Avant de se séparer, M. Gérard-Fleury, président de la Société d'Agriculture, au nom de laquelle


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on venait de prononcer un discours, a voulu témoigner ses sympathies aux représentants de la Société libre des Beaux-Arts dans une allocution que je dois vous faire connaître, puisque c'est à nous, vos délégués, qu'elle a été adressée. La voici : « MESSIEURS,

« Permettez-moi, avant de quitter ce triste lieu, « permettez-moi seulement un dernier mot, pour « vous dire, au nom de la Compagnie que j'ai « l'honneur de présider, combien nous sommes « tous heureux de l'hommage par vous rendu à la « mémoire de l'écrivain correct et érudit, de l'ar« tiste éminent dont, nous aussi, nous avons été « les collègues.

« Vous avez eu raison, Messieurs, de croire à « l'empressement que mettraient à se réunir à vous, « dans cette circonstance, les membres de la Société « académique de la patrie de Mignard et de Girar« don; dans un pays qui s'honore de compter au" jourd'hui parmi ses enfants, les Gauthier, les « Simart, les Biennourri ; dans un département qui, « chaque année, aide, encourage, par des subven« tions, les glorieux débuts dans les arts des jeunes « hommes qui, eux aussi, pourront devenir des « illustrations.

« Je me complais dans ces espérances ; j'en suis « fier, Messieurs, pour mon pays et pour ses jeunes « pensionnaires, et je suis heureux de le proclamer « au pied de ce monument élevé à la mémoire de


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« Paillot de Montabert, en face de ce médaillon, " qui nous rappelle si parfaitement ses traits.

« La postérité n'oublie jamais les grands artistes; « et ce sera toujours avec un légitime orgueil et « une sorte de reconnaissance que leurs compa« triotes prononceront leurs noms. »

Cette fois, tout était terminé — on se sépara, se félicitant mutuellement de s'être connu à l'occasion d'une cérémonie dont chacun conservera longtemps le souvenir.

Nous ne tardâmes pas, ce même jour, de nous rendre chez le généreux curé de Saint-Martin pour le remercier, au nom de la Société, et de son zèle et de tout ce qu'il avait fait pour donner à la cérémonie un luxe qu'on ne déploie jamais que dans les circonstances extraordinaires. Ce digne ecclésiastique, qui refusa toute espèce d'honoraires pour lui, nous dit n'avoir fait que ce qu'il avait cru devoir faire envers la mémoire d'un homme de bien dont il avait su apprécier l'immense savoir et, plus encore, la grande bonté.

Ici, Messieurs, ma narration pourrait être terminée ; je vous demande cependant d'y ajouter quelques mots; je serai court :

La reconnaissance nous a imposé un noble devoir ; c'est une belle chose que les éloges donnés à la mémoire des morts, qui ont largement rempli leur carrière; mais, de ces éloges mérités, on ne saurait, souvent sans injustice, en exclure les vivants. Sans


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doute, alors on doit être très-circonspect, afin de laisser au temps le soin de la consécration des faits ; aussi, je ne vous demande qu'à soumettre à vos réflexions et le nom de notre bon collègue, Paul Carpentier, et ce qu'il a fait pour de Montabert: c'était son intime ami, j'en conviens, mais jusqu'à quel point a-t-il poussé le dévouement! vous le savez? démarches de toutes sortes, sollicitations, perte de temps considérable, grands sacrifices d'argent ; fatigue de corps, fatigue d'esprit; rien n'a pu l'arrêter pour remplir jusqu'au bout l'obligation que son amitié lui imposait!—Pour trouver des dévouements semblables, il faudrait presque les aller chercher jusque dans les temps antiques !... Je m'arrête, Messieurs. Ménageons la modestie!... mais vous penserez avec moi qu'une Société comme la nôtre doit être fière de compter des hommes de ce caractère parmi les hommes qui la composent.


DEUXIÈME PARTIE DU RAPPORT DE M. GELÉE

SUR LE MONUMENT DE MONTABERT.

MESSIEURS,

A notre séance du mardi, 21 octobre dernier (1851), j'ai eu l'honneur de vous donner la relation exacte de ce qui s'est passé à St-Martin-èsVignes, près de Troyes (Aube), lors de l'inauguration du monument que nous avons élevé à la mémoire de notre collègue, feu Paillot de Montabert; et, pour ne pas distraire votre attention, je me suis borné à ne vous parler que de la cérémonie qui a eu lieu à cette occasion ; cérémonie dont chaque personne présente conservera longtemps le souvenir. Mais je me suis réservé de vous entretenir plus tard de ce qui a rapport aux travaux exécutés pour l'érection de ce monument selon les vues de la Société. Ce complément indispensable, Messieurs, je viens vous le donner.

Vous vous souvenez, sans doute, que les premières dispositions datent du 5 décembre 1850,


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époque à laquelle notre collègue, Paul Carpentier en fit la proposition. Vous avez alors jugé convenable de nommer une Commission composée de huit membres, dont je dois vous rappeler aujourd'hui les noms; ce sont : MM. Péron et Dreuille, peintres; Gatteaux et Husson, statuaires; Hittorff et Félix Pigeory, architectes ; Mirault et Bidaut, hommes de lettres. — Cette Commission s'est réunie deux fois chez notre président, M. Delaire, pour examiner et approuver, s'il y avait lieu, les plans et les modèles de sculpture que lui soumettait M. Paul Carpentier, qui voulait bien se charger de la direction des travaux. Après diverses modifications que cette Commission a jugé utile d'apporter à ses plans, elle en a arrêté l'exécution, ainsi que la rédaction des inscriptions qui devaient être gravées sur la pierre monumentale.

Depuis le commencement de l'année, les travaux ont été poussés avec toute la célérité possible jusqu'à leur entier et parfait achèvement, c'est-à-dire jusqu'au 18 septembre dernier, quatre jours avant celui fixé par les autorités pour l'inauguration.

Maintenant, Messieurs, permettez-moi d'entrer dans certains détails, que vous ne sauriez ignorer, puisqu'ils concernent le monument: ils vous intéresseront, je le pense, car ils vous feront connaître tous les soins apportés à l'exécution des travaux, pour rendre ce tombeau aussi indestructible que la mémoire de l'homme de bien qu'il recouvre. T. XVIII. 9


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Le terrain que nous a concédé le Conseil municipal de Saint-Martin-ès-Vignes, par délibération en date du 18 mai 1851, étant de 4 mètres, on a tracé, selon le plan, un parallélogramme de 2 mètres 20 centimètres de longueur sur 1 mètre 80 centimètres de largeur ; les travaux de terrassement ont été creusés jusqu'à une profondeur de plus de 2 mètres, où l'on a trouvé le sol primitif qui a la dureté du rocher ; c'est un gravier roulé, pétrifié avec le terrain d'alluvion et qui forme une espèce de béton naturel. C'est sur un sol aussi solide qu'a été commencé le premier travail, qui consiste en deux murs en béton, un de chaque côté, d'une épaisseur de 40 centimètres ; ils ont été élevés seulement à la hauteur de 1 mètre 50 centimètres ; puis on a suspendu ce travail pendant dix jours, pour juger, après ce temps, si les conditions imposées à l'entrepreneur étaient bien observées. Ce premier ouvrage, dirigé par M. Legrand, dont nous aurons à vous parler bientôt, ayant été reçu comme bon, c'est alors seulement qu'on a pu s'occuper de l'exhumation du corps ; mais, auparavant, on a commencé par déposer, dans l'intervalle des deux murs, une couche de gravier d'environ 10 centimètres de hauteur, et c'est sur cette couche qu'a été déposé le cercueil en chêne, parfaitement bien conservé, qui contient les restes de notre savant collègue, Paillot de Montabert.

A ce moment, Messieurs, le nouveau lieu de sé-


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pulture a été béni par le curé de Saint-Martin-èsVignes, qui, ayant contribué puissamment à reconnaître, avec exactitude, la place qu'occupait le corps dans le cimetière, avait assisté à son exhumation. — Cette cérémonie religieuse accomplie, le cercueil a été recouvert d'une couche du même gravier jusqu'à la hauteur des murs latéraux. — A partir de ce point, il a été élevé en maçonnerie un demi-cylindre dans toute la longueur au-dessus du gravier, pour former le moule intérieur de la voûte; sur ce demi-cylindre, à la place où devait être posée la pierre monumentale, on a construit deux chaînes de voûte en briques, et, ce travail fait, on a continué à verser du béton dessus, lequel, se soudant à celui des murs de chaque côté, est venu recouvrir le demi-cylindre qui lui servait de moule, ainsi que les deux chaînons en briques, en formant intérieurement une voûte plein-cintre de 10 à 12 centimètres d'épaisseur et se terminant au-dessus par une surface plane.

Ces travaux sont restés au repos pendant une quinzaine de jours, toujours dans le but de s'assurer de la solidité des constructions. Alors, ce qui avait été fait ayant été trouvé bien conditionné, on a dû s'occuper, avant la pose de la première assise, du placement de la médaille d'argent votée par la Société, dans sa séance du 2 septembre dernier.

Pour cette médaille, il a fallu faire exécuter un


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coin exprès, afin d'obtenir, à son revers, l'inscription portant des lettres en relief.

Cette médaille a été enfermée entre deux dalles en pierre de 12 centimètres de côté sur 25 milimètres d'épaisseur ; dans l'une, on a creusé une petite cuvette de 1 centimètre de profondeur pour la recevoir, et elle a été recouverte par l'autre dalle. Le tout a été placé dans un dégagement fait à même le béton, par M. Carpentier lui-même, entre les deux chaines en briques, et scellé avec du ciment, sous l'axe du monument; puis on a immédiatement placé le soubassement, qui bientôt reçut la belle pierre portant les sculptures et les inscriptions. Le tout a été entouré d'une haute et forte grille dont la solidité protégera complètement, et pendant un long espace de temps, cette sépulture qui nous est si chère.

Le moment est venu de vous dire combien nous ont été utiles les conseils si bons et si désintéressés de deux membres de la Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l'Aube : MM. Lebasteur, ingénieur en chef, et Legrand, agent-voyer en chef du département. Ce dernier a fait le plan des fondations que le premier a approuvé, en disant que ces fondations pourraient supporter un monument dix fois plus haut, sans crainte de le voir se déranger de sa ligne d'aplomb. Enfin, M. Legrand a poussé l'obligeance au point de suivre les travaux jusqu'à leur fin. Nous pensons que la Société libre des Beaux-Arts voudra, dans des lettres spéciales.


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reconnaître l'excellence des bons avis donnés par M. Lebasteur et les soins apportés par M. Legrand à la surveillance des travaux.

Les plans du monument, y compris ceux des fondations, indiquant la place où est déposée la médaille; les papiers du Conseil municipal relatifs à la concession gratuite et à perpétuité du terrain sur lequel est construit le tombeau ; la soumission de l'entrepreneur des constructions ; enfin, toutes les pièces utiles seront déposées aux Archives de la Société pour servir de renseignements.

Les quatre premiers cinquièmes du paiement total du monument, ainsi que la dépense du personnel de l'église de Saint-Martin-ès-Vignes, ont été faits, par notre trésorier, avec les fonds provenant de la souscription créée à cet effet ; le cinquième et dernier payement doit être versé entre les mains de l'entrepreneur à la fin de décembre prochain.

MM. les membres du clergé n'ont rien demandé pour eux-mêmes ; ils ont voulu contribuer, par la pompe du culte, à honorer la mémoire de l'homme dont ils possèdent les cendres M. le curé n'a rien accepté non plus pour le service de l'exhumation et la bénédiction de la tombe nouvelle ; des remerciements devront lui être adressés comme représentant l'autorité religieuse de la commune.

J'en demanderai autant pour le maire de SaintMartin-ès-Vignes, dont le zèle ne s'est pas ralenti un seul instant.


134 Je terminerai ce rapport, en vous donnant un aperçu de la dépense faite pour l'exécution du monument de Montabert; cette dépense figurera au compte de fin d'année sur le registre du trésorier de la Société. Le voici :

Pour le monument. . . . 972 f. 60 c.

Pour la médaille 34 00

Pour le service d'inauguration 69 50

Ce qui fait un total de. . 1076 10 non compris les travaux de sculpture et autres dépenses imprévues. Ces chiffres sont de la plus grande exactitude.

Il ne me reste plus qu'à vous dire que la délibération du Conseil municipal de la ville de Troyes, relative au changement de noms des rues dites du Coq et du Domino qui doivent, à l'avenir, n'en porter qu'un seul, celui de Paillot de Montabert, est à la date du 12 août dernier, et concorde avec l'époque de l'érection du monument funéraire.

18 novembre 1851.


RAPPORT

DE M. AUGUSTE MAILLET

SUR LE BULLETIN DE L'ATHÉNÉE DU BEAUVAISIS pour le second semestre de 1849.

MESSIEURS,

Le Bulletin de l'Athénée du Beauvaisis pour le second semestre de 4849, dont il vous a été fait hommage, et dont vous m'avez chargé de vous rendre compte, contient : 1° le compte-rendu des travaux de l'Athénée pendant ledit semestre • 2° une étude biographique sur Mendelssohn Bartoldy ; 3° une dissertation sur le siège de Beauvais, siège soutenu héroïquement, en l'an 1472, contre le duc de Bourgogne; 4° une étude sur la vie et les ouvrages de l'abbé Dubos ; 5° deux morceaux de poésie.

La notice sur Mendelssohn, de M. Victor Magnien, retrace rapidement la vie et les oeuvres principales de ce savant compositeur, que le monde musical regrette tant, et qui, comme Charles-Maria de Weber, mourut si jeune, si plein d'avenir, et déjà couvert de gloire, à l'âge de 58 ans.

Notre honorable collègue, M. Martin d'Angers,


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nous a donné connaissance, dans le temps, d'un article qu'il a écrit sur Mendelssohn, et l'auteur de la notice dont nous nous occupons a fait mention de cet article à la fin de son travail.

La dissertation sur le siège de Beauvais peut être consultée avec avantage par ceux qui s'occupent d'histoire ; mais il n'y est question ni d'art ni d'archéologie, et je ne crois pas devoir m'y arrêter.

Quant à l'élude sur la vie et les ouvrages de l'abbé Dubos, c'est un morceau savamment travaillé, d'une importance majeure, et qui appelle l'attention.

Jean-Baptiste Dubos a légué à la postérité un grand nombre d'ouvrages, parmi lesquels on distingue l'Histoire de la Ligue de Cambrai et l'Histoire de l'Établissement de la Monarchie française. Sa vaste érudition, ses lumières, sa sagesse lui avaient attiré une telle considération, que les ministres, les plénipotentiaires, les publicistes se plaisaient à le consulter, et Voltaire l'appelait Varron-Dubos. Il n'était pas seulement profond politique et historien distingué; car il a publié, en 1719, un ouvrage en plusieurs volumes, intitulé : Réflexions critiques sur la Poésie et la Peinture. « Ce qui fait la bonté de cet « ouvrage, dit l'auteur du Siècle de Louis XIV, c'est « qu'il n'y a que peu d'erreurs et beaucoup de ré« flexions vraies, nouvelles et profondes. » Cependant, l'abbé Dubos n'était ni poète ni peintre ni


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musicien ; mais il avait beaucoup lu, vu, entendu et médité. Il possédait le sentiment de l'harmonie et de la beauté dans la littérature et dans les arts. C'est lui peut-être qui a donné à Voltaire, dit l'auteur de la notice, l'idée de la Henriade; car il avait indiqué ce sujet comme pouvant offrir toutes les ressources nécessaires à un poëme épique. Ici nous pensons que l'auteur se trompe. En effet, l'ouvrage de l'abbé Dubos a été publié en 1719. Or, Voltaire, né au mois de février 1694, avait alors plus de 25 ans, et il avait commencé son poëme étant âgé de 21 ans à peine : il y travaillait en 1716, étant enfermé à la Bastille.

Tous les biographes ont parlé plus ou moins longuement des ouvrages de l'abbé Dubos ; tous se sont arrêtés sur les Réflexions critiques sur la Poésie et la Peinture; mais aucun, je pense, n'avait donné une notice aussi complète et aussi bien faite que celle qui est insérée dans le Bulletin de l'Athénée du Beauvaisis.

Les deux morceaux de poésie légère insérés dans ce Bulletin ne manquent ni de grâce ni de fraîcheur. L'un d'eux, intitulé : Les Cloches du Village— forme une espèce de petit poëme, qui n'a, il faut le dire, rien de remarquable comme invention, mais dont l'idée est rendue naïvement. L'auteur, M. Mareschal, peut être comparé à un peintre qui aurait traduit sur la toile une pensée commune avec le pinceau de l'Albane.


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Messieurs, l'Athénée du Beauvaisis paraît nous envoyer régulièrement ses publications, et je pense que nous lui adressons, en échange, celles de la Société libre des Beaux-Arts. Cependant, je remarque que notre Société ne figure pas au nombre de celles qui correspondent avec l'Athénée du Beauvaisis. Cet état de choses devrait être régularisé.

Provisoirement, je propose le dépôt à nos Archives du Bulletin,dont je viens de vous entretenir, et qui augmentera le nombre de bons ouvrages que nous possédons.


RAPPORT

DE M. AUGUSTE MAILLET

SUR LE BULLETIN DE L'ATHÉNÉE DU BEAUVAISIS pour le premier semestre de 1850.

MESSIEURS,

Je viens vous rendre compte du Bulletin de l'Athénée de Beauvaisis, pour le premier semestre de 1850.

Le morceau le plus important, et qui remplit la majeure partie du volume, a pour titre : Résumé historique de la Musique en France, par M. Victor Magnien, président de l'Athénée du Beauvaisis.

L'auteur commence par faire remarquer que l' Histoire de la Musique en France ne peut guère dater que du règne de Charlemagne, qui fit venir de Rome les chantres Théodose et Benoist, lesquels arrivèrent porteurs d'un antiphonaire noté par Grégoire le Grand. Ce pontife fut le réformateur des modifications apportées par saint Ambroise au système tonal des Grecs.

M. Magnien parle ensuite de Rémi d'Auxerre, et de Hucbald, moine de Saint-Amand, qui travaillèrent, vers la fin du IXe siècle, à des Traités sur la


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Musique, espèces de manuels que possède encore aujourd'hui la bibliothèque Saint-Victor. Il cite aussi Odon, abbé de Cluny, qui se fit connaître par un écrit intitulé : Dialogus de Musica, et Gui d'Arezzo qui vint un siècle plus tard. Il donne de curieux renseignements sur les troubadours provençaux, et après avoir successivement examiné les productions des différents artistes qui se sont distingués dans l'art musical, dans les siècles suivants, il arrive au savant florentin, Jean-Baptiste Lulli, qui eut le bonheur de travailler sur les ouvrages inimitables de Quinault, le maître en poésie lyrique.

En effet, Messieurs, ce fut pour Lulli un immense avantage d'avoir rencontré un pareil poëte, car Quinault se pliait avec une docilité extrême aux idées du musicien. Il possédait, à un très-haut degré, le talent de la déclamation ; et Lulli, à ce qu'on rapporte, lui faisait souvent réciter ses vers jusqu'à ce qu'il eût saisi les inflexions de sa voix, pour les faire passer dans son récitatif.

Quinault a fait un grand nombre d'opéras, parmi lesquels on distingue Alceste, Isis, Thésée, Alys et surtout Armide. Si Boileau a été injuste envers lui, la postérité l'a bien vengé. Voltaire, qui en a parlé souvent avec admiration, disait: « Si l'on trouvait dans l'antiquité un poëme comme Armide ou comme Alys,avec quelle idolâtrie il serait reçu! Mais Quinault était moderne. »

Assurément le talent de Lulli a beaucoup ajouté


1 41 aux grâces du poête; mais celui-ci a contribué à faire briller l'artiste qu'il inspirait. Ses vers sont scandés si juste, ses brillantes périodes ont un tour si harmonieux, qu'il semble que le chant s'y adapte tout naturellement. Anacréon, le tendre Anacréon n'a jamais rien écrit de plus frais, de plus gracieux, que ces vers d'Hiéron dans l'opéra d'isis, que je viens de citer :

Ce fut dans ces vallons, où, par mille détours, L'Inachus prend plaisir à prolonger son cours,

Ce fut sur ce charmant rivage Que sa fille volage

Me promit de m'aimer toujours. Le zéphyr fut témoin, l'onde fut attentive, Quand la nymphe jura de ne changer jamais ; Mais le zéphyr léger et l'onde fugitive Ont bientôt emportéles serments qu'elle a faits...

La grâce, chez Quinault, s'allie à la vigueur, lorsque la situation l'exige. Ainsi, par exemple, il fait dire à Méduse, dans une imprécation à Minerve :

Pallas, la barbare Pallas,

Fut jalouse de mes appas, Et me rendit affreuse, autant que j'étais belle ; Mais les traits étonnants de la difformité

Dont me punit sa cruauté,

Feront connaître, en dépit d'elle,

Quel fut l'excès de ma beauté. Ma tête est fiere encor d'avoir pour ornement

Des serpents, dont le sifflement

Excite une frayeur mortelle.

Je porte, etc.


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Je pourrais facilement multiplier les citations, mais ma digression est déjà longue, et je me hâte de revenir à mon sujet.

M. Victor Magnien poursuit son résumé historique de la musique jusqu'à nos jours. Il parle de Rameau et de son système d'harmonie, de Gluck et de Piccini, qui divisèrent en deux camps ennemis et rivaux les musiciens et les amateurs de l'un ou de l'autre maître. Enfin, il examine et juge les modernes. Je ne chercherai pas, Messieurs, à discuter l'opinion de M. Magnien, attendu que je ne veux pas imiter les écrivains qui parlent des arts sans les connaître, et que j'avoue mon ignorance en musique ; mais je puis dire que le résumé qui nous occupe est bien écrit, révèle de studieuses recherches et paraît avoir été consciencieusement médité.

Les morceaux qui suivent le résumé dont je viens de vous entretenir ne sont pas relatifs aux arts. L'un, de M. Mahu, traite du commerce de la ville de Beauvais. Un autre, de M. Léon de Duranville, a pour titre : Récits du moyen âge. Les détails qu'il contient peuvent avoir quelque intérêt pour ceux qui s'occupent des légendes anciennes et qui cherchent à découvrir le sens de ces naïves inventions. Mais nous ne croyons pas devoir nous arrêter sur ce sujet.

J'ai remarqué aussi un article de M. Henri Dottin, intitulé : Profil littéraire et scientifique de la province. C'est une critique des littérateurs et surtout des


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archéologues des départements, critique assez spirituelle, mais qui est singulièrement placée dans un recueil d'une Société de province.

Enfin, ce recueil contient deux morceaux de poésie légère et une traduction d'une ode d'Anacréon. Ces poésies ne manquent ni de grâce ni d'élégance, mais elles, n'ont rien de saillant, et je me borne à les mentionner.

Vous voyez, Messieurs, que l'Athénée du Beauvaisis publie, à l'expiration de chaque semestre, un bulletin intéressant. Nous ne pouvons donc que nous applaudir de le compter au nombre de nos Sociétés correspondantes, et je termine en proposant le dépôt aux Archives, du nouveau recueil qu'il nous a adressé.


DU PROGRÈS

DANS LES BEAUX-ARTS,

PAR M. BIDAUT.

Le mot progrès est un de ceux avec lesquels on abuse la multitude irréfléchie et confiante : il cause beaucoup de déceptions. Nous allons essayer de montrer les choses comme elles sont, afin de diminuer, s'il est possible, le nombre des dupes des preneurs de ce mot :

Avancement, marche en avant.

Tel est le sens de ce mot sous tous les rapports ; mais c'est surtout comme marche vers le bien qu'on l'emploie généralement. Aujourd'hui il est le mot d'ordre d'un grand nombre de ceux qui embrassent les professions libérales et qui vont toujours en avant sans vouloir s'arrêter; sans reconnaître que l'esprit humain, comme toutes les autres oeuvres du Créateur suprême, ne peut atteindre qu'un degré de perfection ou de maturité au delà duquel il s'affaiblit et s'éteint.

Cette triste vérité est cependant rendue évidente


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dans l'ordre physique, par la marche de la terre devant l'astre du jour et par le développement des germes, leur croissance, leur fécondation, leur flétrissure et leur décomposition; elle peut aussi se reconnaître dans l'ordre moral, chez les grandes nations qui ont brillé sur la terre depuis les temps historiques.

Ces nations ont commencé faiblement, se sont accrues, se sont élevées, ont tenu le premier rang par leur sagesse, par leur force et par leurs lumières ; puis elles sont descendues plus ou moins vite, et n'existent plus dans le souvenir des peuples modernes que par les grands faits qu'elles ont accomplis et par les monuments élevés par elles sur le sol qu'elles ont habité.

Dans l'ordre intellectuel, la marche alternativement progressive et décroissante est moins facile à saisir. Cependant qu'est-il arrivé depuis que les peuples ont des historiens ?

L'époque incertaine à laquelle vivait Homère, était assurément celle de la haute civilisation, pour le peuple inconnu chez lequel il avait puisé les innombrables connaissances dont il fait preuve dans ses ouvrages.

Entre Homère et le siècle de Périclès se trouve un long intervalle où l'ignorance et la barbarie couvrent le monde connu : toutes les sciences, tous les arts sont enfermés dans les collèges des prêtres de l'Egypte, d'où une langue mystérieuse et sacrée ne

T. XVIII. 10


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les laisse entrevoir qu'au très-petit nombre d'étrangers qui obtiennent la faveur de l'initiation.

Le siècle de Périclès, préparé par les sages et par les lois qu'ils avaient données aux Grecs, imprima l'essor à l'intelligence humaine, qui brilla alors d'un si vif éclat dans toutes les parties, qu'après 400 ans il éclaire encore Virgile, Horace, Ovide, Lucrèce, Cicéron, Tacite, Pline, etc., et met ensuite 500 ans à s'éteindre complètement en Europe. Puis vient un long temps de ténèbres : les arts et les sciences ne sont plus cultivés par personne; nul ne sait plus

lire ! L'industrie, le commerce, l'agriculture

même n'existent plus. Les seigneurs et les moines, seuls propriétaires du sol, habitent, sur les éminences, des refuges fortifiés construits par les Francs-Maçons nomades (mystérieux conservateurs de l'art de bâtir), servis par les serfs du voisinage qui, eux et leurs chétifs troupeaux, sont abrités dans des huttes où la lèpre, la famine et la peste les déciment tour à tour.

Tel est, pendant une longue période, malgré les efforts de Charlemagne, de Robert et de PhilippeAuguste, l'état déplorable où se trouve cette Europe si belle, si riche d'habitants, de culture et de monuments sous les Romains, et dont partout le sol s'est recouvert de solitudes, de ruines, de forêts, de marécages, de bêtes féroces et de brigands, plus redoutables qu'elles.

Mais les cloîtres, seuls lieux habités alors avec


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sécurité, ont reçu et caché une partie des connaissances humaines, et après un sommeil de mille ans elles en sortent et se répandent sur la surface du monde entier, au moyen de l'imprimerie, procédé beaucoup plus rapide que celui des copistes de l'antiquité ; et après de longues études et de nombreux essais, le grand siècle de Louis XIV surgit. Préparé par ceux de Léon X et de François 1er, il peut être considéré comme l'époque de l'apogée de l'intelligence humaine appliquée aux sciences morales, à la littérature et aux beaux-arts dans les temps modernes; car il a produit une réunion inouïe d'hommes illustres dont les travaux n'ont point été surpassés ni même atteints.

Mais, à cette grande époque, et depuis, l'esprit humain a-t-il dépassé certaines limites atteintes par les génies de la première époque ? Non ; car

Dans la poésie, Homère ;

Dans l'éloquence, Démosthène ;

Dans la médecine, Hippocrate;

Dans les arts d'imitation, Phydias et Appelle n'ont point été atteints par les plus habiles de leurs émules des XVIe XVIIe et XVIIIe siècles, supérieurs au nôtre.

Ce que nous savons de l'état des arts utiles chez les anciens prouve qu'ils avaient poussé très-loin la fabrication des étoffes, des meubles, des ustensiles, etc. ; la grandeur, la beauté, la somptuosité de leurs monuments, et ce que l'histoire nous apprend des travaux d'Archimède atteste qu'ils


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possédaient les sciences mathématiques à un trèshaut degré. Nous ne pouvons, d'ailleurs, contester leur supériorité sous ce rapport, puisque les livres qui contenaient leurs procédés sont perdus.

Si maintenant on examine pourquoi le beau, le bon, l'utile, le sage, le bien enfin dans tous les genres, ne se conservent point constamment dans le monde, on est forcé de reconnaître que l'esprit humain obéissant à la loi générale que nous avons indiquée plus haut, marche à sa ruine fatalement sans pouvoir l'éviter, poussé par son activité, sa curiosité, son avidité de connaissances nouvelles, qui l'empêchent de s'arrêter aux limites du bien, au delà desquelles il descend, à la lueur de trompeuses lumières, dans le gouffre des ténèbres où il s'endort pour une longue suite de siècles pendant lesquels il se repose, reprend de nouvelles forces et s'apprête à renaître, sous un autre climat, pour éclairer un nouveau peuple.

Les Chinois font exception à cette loi considérée comme universelle ; mais ils sont peut-être les seuls habitants du globe qui aient su et savent encore résister à l'entraînement fatal, et s'arrêter aux bornes, sinon du possible, du moins à celles de l'utile, depuis les temps les plus reculés, grâce à la sagesse de leurs institutions. -

Les autres anciens et grands peuples éteints auraient peut-être.suivi l'exemple des Chinois, sans l'affreux système de guerre d'extermination qui a


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été pratiqué depuis les temps historiques, et qui a détruit partout successivement les connaissances acquises par les peuples vaincus. Sans ce système, les découvertes de l'esprit humain se seraient probablement répandues plus tôt sur toute la surface du monde habité, comme elles tendent à se. répandre aujourd'hui ; sans lui il n'y aurait point eu d'éclipse intellectuelle à déplorer en Europe, et les travaux de tous les temps, profitant à tous les lieux, nous procureraient des jouissances plus variées et plus vives que celles que nous possédons, puisque nous n'avons fait que retrouver une partie des idées et des procédés des anciens dans la science de la vie.

Il n'en a pas été ainsi, et le monde sera peut-être éternellement privé de beaucoup de connaissances possédées par les peuples qui nous ont précédés dans la haute civilisation.

Sous le rapport des beaux-arts, objet spécial, de notre travail, il est heureusement resté, malgré les efforts des iconoclastes, des barbares et du temps, assez de monuments antiques pour que les artistes et les littérateurs des XVIe, XVIIe° et XVIIIe siècles aient pu s'en inspirer et produire, à leur tour, des oeuvres dignes de l'admiration universelle.

C'est un grand bonheur pour les temps modernes; car tous les hommes qui se sont distingués de nos jours, sont ceux qui ont su appliquer les principes de ces grands maîtres à des oeuvres utiles à la gloire ou à l'instruction de leur patrie. Et le


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grand nombre de ceux qui cultivent aujourd'hui les arts d'imitation ne peuvent mieux faire, s'ils veulent éviter la décadence de l'art, que de suivre l'exemple qui leur a été donné par ces dignes émules des supériorités de tous les temps.

Il est à désirer que les grands poëtes et les grands artistes de l'antiquité et leurs émules des trois derniers siècles soient nos inspirateurs et nos guides. Ils ont posé les bornes qu'on ne saurait franchir sans danger; c'est devant elles qu'il faut s'arrêter, rester, étudier, méditer, s'inspirer; car là se trouve ce que l'esprit humain a produit de meilleur, ce qui peut le mieux faire éclore les grandes pensées et stimuler les grands talents.

Notre époque est celle du progrès dans les sciences physiques et les procédés industriels; sous les autres rapports, elle est celle de la diffusion, de l'expansion, des connaissances acquises par nos devanciers.

Cette part est belle, sachons en jouir ! Imitons la sagesse des Grecs héritiers du grand siècle de leur patrie. Adoptons des types choisis parmi ce qui a été fait de meilleur et de plus beau avant nous, et, s'il n'est plus possible de faire mieux, conservons du moins les beaux modèles en tous genres ; au lieu de tenter vainement de les dépasser, apprenons à nous les approprier, et, pour obtenir avec eux des succès durables, souvenons-nous toujours que l'art d'écrire et celui de peindre sont des dons de la Divinité qui


151 ne doivent être employés que pour l'amélioration et le bonheur des peuples; ne travaillons plus, même dans les sphères les moins élevées, sans avoir fait un choix réfléchi du sujet, sans être animé du désir de plaire, d'intéresser ou d'instruire par la représentation d'un fait ou l'expression d'une idée dignes d'être connus.

Le sujet choisi, ne le traitons jamais sans soin, sans étude, sans respect pour le public et pour nousmêmes; gardons-nous surtout de copier servilement et crûment la nature brute et laide, comme elle se présente quelquefois, mais sachons la parer et l'ennoblir, comme l'ont toujours fait les vrais artistes.

Raphaël, Michel-Ange, Poussin, Lebrun, Lesueur, David et leurs émules ont prouvé qu'il est possible et du devoir des artistes de rendre attrayants les sujets les plus sévères... Imitons-les : représentons la Divinité de manière à la faire aimer, et ceux qui méritent d'être honorés, de manière à inspirer le désir de marcher sur leurs traces.

Enfin, ne produisons partout et toujours que les beaux types et les bons exemples. Mettons-les sous les yeux de la jeunesse, afin de former son goût et d'épurer ses moeurs,

Telle est la tâche que doivent s'imposer les hommes qui aspirent noblement à l'estime et qui prétendent l'obtenir pour prix de leurs travaux; car de bonnes études, une exécution soignée et


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l'application habituelle du talent à la moralisalion des peuples sont aujourd'hui les véritables éléments des succès et le seul progrès désirable et possible pour les écrivains et pour les artistes pénétrés de la dignité de leur mission.

Ne nous laissons donc point abuser par les promoteurs d'un autre progrès : ils trahissent leur impuissance par leurs oeuvres. Ne pouvant s'élever à la hauteur des grands siècles de la littérature et des arts, ils descendent dans les profondeurs des Xe, XIe et XIIe siècles, pour y chercher des inspirations. Laissons-les s'égarer dans ces catacombes de l'intelligence, mais ne les y suivons pas.


NOTICE NECROLOGIQUE

SUR

M LE COLONEL FRANCESCO AMOROS,

MARQUIS DE SOTELO,

Créateur de la Gymnastique physique et morale,

DÉCÉDÉ MEMBRE DE LA. SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX ARTS

le 9 août 1848,

PAR M, BIDAUT, l'un de ses collègues.

Nous venons, Messieurs, vous entretenir de l'un de nos anciens collègues, le colonel Amoros.

Créateur d'une gymnastique nouvelle, à la fois morale et physique, il fut le fondateur ou le promoteur des nombreux gymnases militaires et civils, établis en France et chez les autres peuples de l'Europe, depuis 1817 jusqu'au 9 août 1848, jour où il succomba à une apoplexie foudroyante, à l'âge de 78 ans.

Né à Valence, en Espagne, le 19 février 1770, de la noble famille de Sotelo, M. Amoros parcourut avec distinction la carrière des armes; il était colonel d'un régiment, lors de l'invasion de son pays par l'armée française, en 1808.

Avant cette époque, et pendant les loisirs de la paix, frappé de l'insuffisance de l'éducation donnée


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en Europe à la jeunesse de toutes les professions, pour combattre l'énervation progressive de l'espèce humaine, surtout dans les villes, et du dédain des peuples modernes pour la gymnastique des anciens Grecs, malgré ce que la tradition nous apprend des avantages qu'ils en retiraient pour la force et la beauté des populations, M. Amoros avait imaginé et appliqué à l'éducation de l'infant don François de Paule le système de gymnastique physique et morale qu'il a complété et professé depuis avec tant de succès en France, où les troubles de son pays l'avaient déterminé à venir se fixer et à solliciter sa naturalisation.

Pénétré de reconnaissance pour l'hospitalité qu'il recevait, ami éclairé de l'humanité, animé du noble desir de la gloire méritée par les services rendus, et doué, par la nature, de l'énergie nécessaire pour satisfaire ce désir, M. Amoros se livra tout entier au perfectionnement du système qu'il avait conçu et essayé en Espagne. Après de longs, de nombreux et dispendieux essais, il offrit, en 1816, à sa nouvelle patrie, comme tribut de sa gratitude, le résultat de ses veilles, c'est-à-dire le plan mûri, développé et appliqué, par lui, dans un local provisoire, d'une gymnastique propre à moraliser les esprits, en même temps qu'à fortifier les corps.

Ce plan accueilli, étudié, apprécié, encouragé par tout ce que la France possédait alors d'hommes supérieurs, fut approuvé généralement; et la gym-


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nastique physique et morale de M. Amoros, qui, suivant les rapports de toutes les commissions spéciales chargées de l'examiner, a pour but et pour résultat de loger des âmes saines dans des corps robustes, de faire à la fois de bons soldats pour tous les dangers, de bons citoyens pour toutes les professions, fut adoptée par le Gouvernement, en 1817.

Bientôt, elle fut enseignée, sous ses auspices, dans le Gymnase normal militaire et civil de la place Duplex, aux soldats de tous les corps de l'armée, aux élèves de tous les collèges et aux enfants de toutes les conditions, qui y trouvèrent la force, l'agilité, l'adresse, le courage, l'énergie, l'héroïsme même, la sagesse, la bonté, et, par suite, la beauté des formes et la grâce du mouvement.

Tous ces avantages étaient dus à l'ingénieuse, à l'heureuse alliance, toute nouvelle alors, que M. Amoros avait su faire de l'enseignement des principes de la morale avec celui des exercices corporels, constamment présentés aux élèves comme moyens d'être utiles aux autres, en même temps qu'à eux-mêmes.

Pour fortifier cet enseignement en le rendant permanent, la salle des exercices était décorée, dans tout son pourtour, d e médaillons contenant, en gros caractères, les principales maximes de la sagesse antique et moderne. Les exercices en commun s'y faisaient toujours en chantant de beaux vers sur les devoirs


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des individus envers le Créateur, le prochain et la patrie 1.

De bons principes de conduite, de bons procédés pour surmonter les périls, tels étaient les deux résultats principaux de la méthode pratiquée par M. Amoros avec ses élèves ; mais la santé du corps et celle de l'esprit, mais la beauté des formes, des poses, des mouvements, les facilités de la marche en dérivaient nécessairement et présentaient à tous un attrait irrésistible.

Vous avez pu vous en convaincre, Messieurs, en assistant aux exercices auxquels M. Amoros nous conviait quelquefois.

Heureux du bien qu'il avait fait à la jeunesse dans son grand Gymnase militaire et civil, mais désireux d'étendre les bienfaits de la gymnastique sanitaire et réparatrice aux corps énervés et aux âmes assoupies, M. Amoros fonda, en 1835, à ses frais, avec de grands sacrifices et avec une sollicitude toute paternelle, le Gymnase civil de la rue JeanGoujon, particulièrement consacré aux classes aisées de la capitale 2. C'est là qu'un grand nombre de personnes languissantes et désespérées retrouvè1

retrouvè1 vers avaient été composés par M. Brès, l'un des membres les plus distingués de la Société, mort en 1 832, ou choisis par lui dans les oeuvres de nos meilleurs poëtes.

2 Deux anciens membres de la Société, MM. Thiolet, architecte, et Molchnet, sculpteur, prêtèrent alors à M. Amoros le concours de leurs talents pour l'édification et la décoration de la façade de ce gymnase.


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rent bientôt l'énergie de l'âme et du corps, source certaine de la santé, le premier des biens, et de la beauté, avantage si précieux dans le monde.

M. Amoros jouissait alors de la considération due à ses utiles travaux ; il était loué, encouragé, soutenu par les ministres, par les savants, par les médecins ; tous avaient reconnu l'immense service qu'il avait rendu en créant une gymnastique appropriée aux besoins des peuples modernes, et surtout en alliant l'enseignement de la morale à celui des exercices corporeis. Il avait le grade de colonel dans l'armée française; il était officier de la Légion d'honneur et décoré de plusieurs ordres d'Espagne. Il était inspecteur des gymnases de France ; tous les gouvernements lui avaient demandé des modèles et des instructions pour la gymnastique de leur pays; enfin} l'Académie des sciences morales lui avait décerné un prix pour son système d'éducation morale et physique.

Tels furent, pendant vingt-cinq années, les travaux utiles., les services honorables, les succès mérités de notre vénérable collègue.

Cette courte notice est un hommage rendu à sa mémoire.


NOTICE

SUR DES STATUES DE M. GATTEAUX PAR M. HUSSON.

MESSIEURS,

Deux statues en marbre, nouvellement placées dans le jardin des Tuileries, ont attiré votre attention ; vous avez bien voulu me charger de vous exprimer mon opinion sur ces figures dues au ciseau de notre collègue, M. Gatteaux. Je vais tâcher de m'acquitter de cette honorable mission.

Ces statues ont déjà obtenu le rang qui leur était dû. L'une,—le Triptolème—fut exposée au Salon de 1830; l'autre,—la Pomone,—à celui de 1844. Les artistes et les connaisseurs ont admiré alors la grâce et la souplesse d'exécution qui font le principal mérite des deux figures aujourd'hui l'objet de notre examen.

M. Gatteaux, auquel nous sommes redevables de plusieurs médailles, ne se doutait pas, avant 1825, du rang qu'il devait occuper plus tard comme statuaire, et l'on peut dire qu'il le devint par circon-


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stance, bien qu'il eût fait d'ailleurs d'excellentes études en sculpture. Son ambition se bornait à être l'un des premiers parmi les graveurs en médailles, lorsqu'une occasion lui révéla que lui aussi pouvait prétendre à un rang distingué parmi les statuaires.

En 1826, le conseil municipal de la ville de Nîmes l'avait prié de donner des renseignements sur ce que pourrait coûter l'exécution de la statue en bronze du chevalier d'Assas. Il s'empressa de répondre avec toute l'obligeance que vous lui connaissez,, et fut ensuite invité à se charger lui-même de l'exécution de la statue. Sa modestie le porta d'abord à refuser; mais l'insistance qu'on y. mit le détermina à accepter ce travail, qui lui fit beaucoup d'honneur.

L'exposition de cet ouvrage fut un événement dans les arts. On vit, non sans étonnement, un graveur de grand mérite, il est vrai, donner à une statue un mouvement aussi hardi que bien inspiré. Encouragé par ce premier début, M. Gatteaux composa son Triptolème, qui fut exposé au Salon de 1830.

Cette statue a toute la simplicité qui convient au sujet; la pose en est noble ; l'artiste a su donner à son oeuvre un caractère individuel, sans manquer aux belles formes de la sculpture antique. L'aspect pourrait paraître un peu lourd, si l'on ne se rendait compte de la pensée qui a dominé notre collègue : représenter un homme fortement constitué, l'homme


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des rudes travaux, le génie de l'Agriculture.

Plus tard, M. Gatteaux fut chargé de la statue de Bisson. Cinq ans après, M. Gatteaux exposa une statue de Minerve d'une grande dimension. Le sujet était beau., mais difficile à traiter; il y a dans cette oeuvre les excellentes qualités que nous avons déjà signalées dans les ouvrages de M. Gatteaux.

Puis parut la Pomone au Salon de 1844, statue remplie de grâce et que l'on regrette de voir exposée en plein air, tant l'on craint qu'un malheur n'atteigne cette charmante étude, qui ferait si bien l'ornement d'une belle galerie. Le statuaire a su donner à sa Pomone un caractère de simplicité qui n'exclut pas la grâce ; debout et coiffée de feuilles et de fruits, elle tient dans sa main gauche une guirlande qui vient reposer sur une corbeille placée près d'elle et qui remplace heureusement le tronc d'arbre classique. La nature de cette statue, est puissante et ferait supposer que l'artiste a eu l'intention de nous montrer que les travaux de la campagne sont nécessaires au développement des forces ainsi qu'à ceux de la santé ; la même pensée a inspiré le Triptolème.

Nous ne pouvons, Messieurs, qu'adresser des félicitations à M. Gatteaux pour le don qu'il a fait de ses deux statues : elles augmentent le nombre des bons ouvrages que contient le jardin des Tuileries.


RAPPORT

DE M. PAUL CARPENTIER,

sur un ouvrage de M. Horsin-Déon, ayant pour titre : De l'a

Conservation et de la Restauration des Tableaux peintsà l'huile.

MESSIEURS,

Notre collègue, M. Horsin-Déon, vous a offert un ouvrage dont il est l'auteur, lequel a pour titre : De la conservation et de la restauration des tableaux peints à l'huile. Ce travail, dont vous avez bien voulu me charger de vous rendre compte, m'a paru digne de fixer votre attention sous plusieurs rapports.

C'est une oeuvre consciencieuse dans sa spécialité. En effet, si l'on réfléchit à la mission de l'artiste qui se voue à la conservation et à la réparation des tableaux, on reconnaîtra qu'elle est très-délicate et difficile; elle demande : 1° l'abnégation complète de sa propre manière d'opérer, soit dans la couche, soit dans le sentiment relatif à l'exécution, pour ne s'identifier qu'avec la manière du maître dont l'oeuvre lui est confiée ; 2° une conscience et une prudence très-grandes, pendant tout le temps du travail ; 3° enfin, beaucoup d'habileté dans la pratique

T. XVIII. 11


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et les moyens techniques de l'art de la peinture, et une profonde connaissance des différentes manières des maîtres des diverses écoles.

"Vous concevez, Messieurs, que les connaissances dont nous venons de vous parler sont indispensables au peintre qui se consacre à la restauration des tableaux. Assurément M. Horsin-Déon les possède; car sans elles il lui aurait été impossible d'entrer dans tous les détails que contient son livre, relativement aux diverses méthodes des maîtres qui ont illustré leur pays dans le Midi et le Nord de l'Europe; il explique la manière d'agir pour la réparation des oeuvres de tel ou tel peintre, selon les procédés pratiqués par eux et dans leurs écoles. S'il nous avait été possible, sans sortir des limites d'un simple rapport, d'entrer dans plus de développements, nous l'aurions fait ; mais nous croyons qu'un aperçu, général suffit pour vous en donner une idée; que d'ailleurs une simple analyse aurait été insuffisante; c'est donc à l'ouvrage lui-même qu'il faut avoir recours pour apprécier et utiliser les connaissances nécessaires à l'artiste qui se livre à l'art de la réparation des tableaux, et aussi aux amateurs de galerie, pour la conservation des peintures, souvent précieuses, qu'ils possèdent, et dont malheureusement, faute d'indications à cet égard, ils hâtent involontairement la perte ou la détérioration, en les confiant à l'industrie ignorante d'ouvriers inexpérimentés, qui ont usurpé le titre de


165 peintres réparateurs, titre qui ne peut appartenir qu'à un véritable artiste.

Le livre de M. Horsin-Déon est divisé en trois parties : la première traite du rentoilage et de l'enlevage; la deuxième du nettoyage des tableaux, et la troisième de la peinture de restauration; chacune de ces parties est elle-même divisée en plusieurs chapitres. Dans cet ouvrage, comme nous avons eu l'honneur de vous le dire, les amateurs de tableaux pourront puiser les connaissances qui leur sont indispensables non-seulement pour la conservation de leur galerie, mais encore pour se garantir de la fraude qui se glisse dans le commerce des tableaux, et dont ils sont souvent victimes.

Notre collègue, dans son ouvrage, ne traite pas seulement de la conservation et de la restauration des peintures, il entre dans quelques considérations se rattachant soit aux principes, soit à des questions relatives à l'histoire de l'art. Celle qui concerne l'école française et son commencement nous a paru écrite avec soin et remplie de recherches consciencieuses.

Nous vous signalerons encore, Messieurs, comme très-intéressantes, des notices sur huit peintres célèbres; savoir: Rigaud, Largillière, Greuze, Lantara, Jean Cousin, Antoine Watteau, Latour et Grimoux. Ces notices, placées à la fin de plusieurs chapitres, font diversion aux détails minutieux dans lesquels l'auteur n'a pu s'empêcher d'entrer pour expliquer


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les divers procédés employés dans l'art qu'il traite, et pour développer non -seulement les divers moyens connus, mais encore ceux que sa propre expérience lui a suggérés.

Il nous reste une observation que nous croyons utile d'adresser à notre collègue relativement aux couleurs de sa palette pour retoucher les peintures qu'il se propose de réparer; cette observation est relative au blanc de plomb qu'il conseille d'employer. Vous vous rappelez que votre commission des couleurs, dans les rapports qu'elle vous a faits sur le blanc de zinc, a constaté que le blanc de plomb était susceptible de se détériorer par une infinité de causes; ces rapports vous ont indiqué que la partie carbonique de l'huile peut l'attaquer, et qu'il peut encore l'être par les divers gaz répandus dans l'air, tandis que le blanc de zinc avait résisté à tous ces agents destructeurs; nous pensons donc qu'il suffit de signaler à notre collègue ces causes fâcheuses pour lui voir préférer le blanc de zinc à celui extrait du plomb.

Nous croyons encore utile de lui rappeler le chapitre 622, tome IX, du Traité complet de la peinture; ce chapitre traitant de l'art de nettoyer et de réparer les peintures, il y trouvera de bons avis relatifs au sujet des vernis, cause de tant de ravages et de dégradations pour les tableaux, parce qu'il faut les renouveler et les enlever trop souvent ; il reconnaîtra aussi, avec M. de Montabert, que la cire pure


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est bien préférable, sous beaucoup de rapports, pour obtenir le lustre remplaçant le vernis, et particulièrement sous celui de la conservation des peintures ; il y verra que, pour retoucher les parties endommagées., on doit employer le procédé encaustique, ou seulement des couleurs préparées à la cire, au lieu de celles broyées avec des huiles fixes.

Nous ne doutons pas que M. Horsin-Déon, dont nous avons pu apprécier le vif désir de voir l'art du réparateur de tableaux se perfectionner, ne réfléchisse et ne médite sur les améliorations qu'il pourrait encore obtenir.

En terminant, Messieurs, nous concluons en vous priant de vouloir bien adresser à notre collègue des remerciements pour le don de son livre, et d'en ordonner le dépôt aux Archives, comme ouvrage très-utile à consulter.


RAPPORT

DE M. BELLOC,

Au nom de la Commission des couleurs sur les toiles à peindre inventées par M. Garneray.

MESSIEURS,

La commission que vous avez chargée de l'examen des toiles de M. Garneray s'est assemblée le 23 décembre, au soir.

Étaient présents : MM. Péron, Carpentier, Maillot, Belloc et Duplat, archiviste.

Dans cette première séance, on a examiné avec attention les échantillons présentés par M. Garneray, et les spécimens de toiles à peindre préparés chez les principaux marchands de couleurs de Paris. On a reconnu que le procédé de M. Garneray l'emportait, comme souplesse et comme solidité : ses toiles, bien réellement hydrofuges, ne se brisent ni ne se percent sous la pression du pliage ou du froissement. Restait à examiner si elles se prêtent également bien à l'exécution de la peinture.

Un membre de la commission a montré un ta-


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bleau qu'il venait d'exécuter sur la toile Garneray. II affirme n'avoir rencontré aucun obstacle à l'exécution, dans ce nouveau mode de préparation. Beaucoup d'artistes avaient déjà fait cette épreuve avec un égal succès.

M. Garneray, appelé au sein de la commission, vers la fin de la séance, a déclaré, qu'après le rapport satisfaisant fait sur son procédé par l'Académie des beaux-arts, et après la flatteuse approbation du savant M. Chevreul, il n'avait plus à désirer que le témoignage unanime des artistes en faveur de la facilité d'exécution de peinture qu'offraient ses toiles.

Un membre de la commission a proposé, qu'avant de rien conclure, on se réunît de nouveau en plein jour, afin de s'assurer le concours de M. Daguerre, qui habite la campagne ; ce qui a été arrêté.

Cette seconde réunion a eu lieu le 6 janvier 1851.

Étaient présents : MM. Daguerre, Maillot, Bareswill, Carpentier, Belloc.

La discussion étant ouverte, un membre a émis des doutes quant à la durée de la peinture sur une toile aussi élastique. Il a fait observer qu'en peignant on éprouvait le besoin de rencontrer des surfaces un peu résistantes. Un autre membre a opposé à cette observation une expérience faite sur une toile de grande dimension, excessivement élastique, enduite d'une pâle ligneuse, et qui, depuis vingt ans, dans les conditions les plus défavorables, n'a


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présenté aucun des inconvénients redoutés. Un membre a fait aussi remarquer que la Société ne pouvait se prononcer contre toutes les toiles à peindre qui sont dans le commerce, vu le préjudice qui en résulterait pour les marchands, lesquels appliquent divers procédés.

En résumé, la commission, se ralliant à l'opmion déjà exprimée par l'Académie des beaux-arts, prenant en considération le témoignage de plusieurs artistes éminents, et s'en référant à la science pour apprécier les qualités de la composition servant à enduire les toiles, pense que les travaux de M. Garneray méritent encouragement et reconnaissance ;

Que ces toiles n'offrent aucun obstacle à l'exécution de la peinture qui y est bien adhérente;

Qu'elles sont hydrofuges au plus haut degré;

Et que, sans rien préjuger sur l'avenir, il y a tout lieu de croire que ce procédé offre les garanties désirables pour la préservation et la conservation des tableaux.


RAPPORT

DE M. AUGUSTE MAILLET

sur le tome 23 des Mémoires de la Société d'Émulalion de Cambai, (première et deuxième partie).

MESSIEURS,

Vous avez bien voulu me charger d'examiner les dernières publications de la Société d'émulation de Cambrai et de vous rendre compte du résultat de cet examen.

Le tome XXIII des mémoires de cette Société, publié en 1852, est divisé en deux parties. La première ne comprend que le compte rendu de la séance publique du 27 octobre 1850, et plusieurs morceaux sur l'agriculture, les bestiaux, les sucreries, les instruments aratoires, etc. Aucun de ces sujets ne rentrant dans le cercle de nos travaux, je n'ai rien à vous en dire.

La seconde partie, beaucoup plus étendue, a fait l'objet d'un volume de 500 pages, dont plusieurs pièces méritent notre attention. Il s'ouvre par un compte rendu de la séance publique tenue le 18 août 1851 ,sous la présidence de M. Alcibiade Wilber t.


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Ce compte rendu est suivi d'un rapport remarquable sur le concours de prose, par M. Wilbert, et d'un rapport sur le concours de poésie, par le secrétaire général, M. Lefrancq. Il y a, dans chacun de ces rapports, une juste appréciation des pièces envoyées aux deux concours, des observations consciencieuses et des pensées élevées. Je ne puis ici donner l'analyse de ces rapports, mais ils témoignent de la pureté du goût de leurs auteurs pour la bonne littérature.

Je mentionnerai aussi un morceau important intitulé : Considérations sur l'Architecture, par M. de Baralle, architecte. L'auteur insiste pour que tout artiste sérieux s'occupe de l'architecture dans ses rapports avec l'industrie, le commerce et l'agriculture : il voudrait que les études fussent dirigées spécialement vers les constructions utiles, telles que usines, marchés, entrepôts, gares et stations de chemins de fer, etc. Ce serait, suivant lui, créer une architecture nationale plus nécessaire que celle qui a pour but l'élévation des monuments fastueux, a Plus d'arcs de triomphe, dit-il, ni de temples élevés à lagloire, » p. 363, 2e partie.

Nous ne saurions admettre cette doctrine, car elle tend à négliger l'art proprement dit, et si nous suivions de pareils conseils, nous arriverions à la décadence des arts. Il vaut mieux, je crois, imiter les anciens, et tâcher d'allier la beauté et l'utilité ; car il est important de maintenir l'art à la hauteur où eux-mêmes l'avaient porté.


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J'ai remarqué aussi, Messieurs, quelques articles d'histoire et d'archéologie; mais ils ne concernent guère que l'ancienne province du Cambrésis, et sont plutôt curieux pour des chroniqueurs que pour des artistes.

En résumé, je propose le dépôt aux archives du tome XXIII des mémoires intéressants de la Société d'émulation de Cambrai.


RAPPORT

DE M. DELAIRE

SUR UN OPUSCULE DE M. MARTIN D'ANGERS L'AVENIR DE L'ORPHÉON.

MESSIEURS,

Le rapport que je viens vous faire sur la brochure intitulée : De l'Avenir de l'Orphéon, qui vous a été offerte par notre collègue M. Martin d'Angers, ne saurait aborder plus convenablement son sujet qu'en reproduisant la belle période d'introduction de cette brochure. M. Martin s'exprime ainsi :

« Un homme s'est rencontré d'une haute intelligence , d'une grande activité, d'un zèle à toute épreuve; véritable philanthrope qui s'est imposé la noble mission de moraliser le peuple par le pouvoir de la musique; cet homme, c'est Wilhem, qui a sacrifié son repos, sa santé, les plus belles années de sa vie à la mise en action d'un des plus vastes projets qui honorent l'humanité. Mille obstacles, mille rivalités l'attendaient sur la route, obstruaient le passage; mais qui peut effrayer une volonté d'ai rain? qui peut arrêter dans son vol le génie tout-


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puissant? Devant lui, tôt ou tard, les barrières tombent, les montagnes s'aplanissent !...

« Si le génie c'est la patience, comme l'a dit un grand philosophe, Wilhem le possédait au plus haut degré, car de longs déboires, de cruelles déceptions ne purent jamais le faire renoncer à son idée fixe, l'ébranler dans sa ferme résolution. Il se rappelait sans cesse cette belle parole de Napoléon, que tout le monde connaît : « le mot impossible n'est pas français! il faut le rayer du dictionnaire. »

« Aussi le succès vint-il un jour couronner ses efforts, et il put se dire alors : « J'aurai passé sur la terre en faisant un peu de bien. » En effet, il apportait à la jeunesse, sous le manteau de l'harmonie, un cours de morale douce, aimable, facile à suivre; il venait l'instruire en l'amusant, développer en elle l'instinct du beau, l'élever à ses propres yeux, verser clans son âme des jouissances inconnues, un bonheur sans mélange. N'avait-il pas le droit de se croire un des bienfaiteurs de l'humanité? Pourtant il était d'une simplicité patriarcale, d'une modestie rare, perfectionnant son oeuvre par acquit de conscience, ne croyant jamais avoir assez fait pour l'art qui lui devait beaucoup; usant les dernières années de son existence à reculer le but qu'il avait atteint. Quand la mort vint frapper à sa porte, il la reçut avec le calme de l'honnête homme, mais en regrettant de laisser inexécutés quelques plans nouveaux, fruits d'une longue expérience. Il légua cet héritage


174 à son élève et ami M. Hubert, persuadé que ce jeune artiste saurait le faire fructifier au centuple. Il l'avait désigné pour son successeur. Cette.dernière volonté d'un mourant fut regardée comme sacrée par MM. les membres du conseil général de la Seine. Il appartenait donc à M. Hubert de poursuivre une oeuvre gigantesque, consacrée depuis longtemps par un succès populaire. Élevé dans les idées de son excellent professeur, confident de toutes ses pensées, cheville ouvrière de l'Orphéon, il était sans doute fort capable de continuer et de perfectionner cette belle institution» »

Vous le voyez, Messieurs, c'est un hommage rendu en beaux et bons termes, non-seulement à un homme d'élite, mais encore à des sentiments de persévérance dans le bien, de fermeté pour l'accomplir, qu'il est toujours utile de mettre en relief comme exemple.

Je regrette de rencontrer à la suite une phrase sur laquelle je vous demande la permission de m'arrêter un instant, parce que, bien qu'étrangère au sujet traité, elle a de l'importance au point de vue du principe général qui régit les lettres et les arts. Je lis : « Si le génie c'est la patience, comme l'a dit un grand philosophe, » et je réponds : En émettant la pensée que le génie c'est la patience, pensée dont le plus léger examen démontre le peu de justesse, Buffon s'ignorait lui-même ; car il était incontestablement un homme de génie, et il puisait dans son.


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organisation un élément de ce génie bien autrement puissant que la patience. Or, quel que soit le respect dû à l'autorité d'un grand nom, le droit d'examen demeure imprescriptible, et si, avant d'écrire, M. Martin, doué d'une riche imagination, avait interrogé ses sensations, ses souvenirs; s'il s'était reporté mentalement à l'état expansif qu'il éprouve lorsqu'il trouve et élabore d'heureuses inspirations; s'il avait recherché de nouveau la nature et les qualités qui constituent une composition musicale considérée comme chef-d'oeuvre, alors, loin d'employer la forme dubitative, il aurait reconnu que la patience n'est pas l'élément principal créateur des oeuvres caractérisées par la qualification de génie. Non, la patience n'est pas le génie.

En effet, le génie se compose de deux éléments contraires : l' imagina lion et la réflexion; l'une vive, ardente, causée par une expansion chaleureuse organique; l'autre calme, froide, résultat tout moral d'une application intellectuelle. D'où il suit que la patience acquise par la réflexion n'est qu'un agent secondaire, un simple correctif des écarts de l'imagination, qui, livrée à ses impulsions, s'épuise en vains efforts. Le génie est donc le produit de deux actions essentiellement différentes, tempérées et fécondées par leur union.

Pardonnez-moi, Messieurs, cette digression en faveur de mon désir de voir en foutes choses prévaloir les idées nettes et précises; en ce qui


176 Concerne les artistes, il est fâcheux que les principes d'esthétique sur lesquels reposent toutes les belles créations d'art laissent encore de l'incertitude dans les esprits, et je crois qu'il est du devoir de chacun, selon ses facultés, de débarrasser la vérité des erreurs qui la voilent. M. Martin l'a bien compris de même, en rappelant quelque part, dans l'écrit dont nous nous occupons, le felix qui potuit rerum cognos cere causas de Lucrèce, que je traduis ainsi : « Heu« reux qui peut remonter à la source des choses; » et, à cette occasion, je sens le besoin de vous soumettre une observation relative à la citation de la belle parole de Napoléon, que tout le monde connaît : « Le mot impossible n'est pas français, il faut le « rayer du dictionnaire. »

Assurément cette sentence a reçu une certaine grandeur de la pensée qui l'a dictée, et qui sied assez à un conquérant, à un monarque stimulant le courage de ses sujets qu'il entraîne aux combats; mais elle n'est pas exacte en ce qui concerne les arts ; car on ne saurait franchir impunément les limites fixées par la saine raison.

Maintenant, je poursuis mon examen et je vois d'abord un portrait de Wilhem , de la touche la plus gracieuse; vous allez en juger par vous-même.

Ensuite, et après une appréciation consciencieuse du mérite du fondateur de l'Orphéon et de 'son digne successeur, ainsi que des résultats obtenus par l'un et l'autre jusqu'à ce jour, il ajoute qu'il


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reste beaucoup à faire et que l'on- s'est trop arrêté à la surface, sacrifiant plus au brillant qu'au solide; alors, en véritable artiste épris de son art, il lui prédit un avenir magnifique :

" Eh bien! s'écrie-t-il comme inspiré, eh bien! notre croyance à nous qui ne sommes pas prophète, est que, dans peu d'années, cet art divin aura fait, en France, un pas immense dans l'opinion des intelligences d'élite, et qu'il sera regardé comme un levier puissant, une science pleine d'attrait par ceux-là même qui l'appelaient en souriant « une « futilité. » Alors, des hommes éminents par leur savoir et leur position sociale ne diront plus avec une certaine emphase (ce que nous avons entendu de nos propres oreilles) : « Nous ne voulons pas « faire des musiciens de notre jeunesse française, » car il sera vraiment honteux, s'il ne l'est pas déjà, d'ignorer les éléments d'un art si vénéré chez les anciens. On se glorifiera du titre de musicien comme de celui de bachelier es lettres, ès sciences, de docteur en droit, en médecine, parce qu'une fois initié aux secrets charmants de l'harmonie, par exemple, à ses calculs infinis basés sur les mathématiques, chiffrés comme elles, mais conduisant à des résultats moins arides, on se dira : « Nous sommes « encore sur notre terrain; c'est encore de la « science que nous cultivons en nous jetant dans « les bras de cette maîtresse adorée qu'on appelle

« la Musique. »

T. XVIII. 12


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Sans partager tout à fait l'enthousiasme de M. Martin d'Angers, je ne suis pas éloigné de croire que nous pourrons arriver en France à une époque où chacun se glorifiera du titre de musicien, et on aura raison; parce que la musique est un moyen de véritable civilisation, d'autant plus facile qu'il se présente sous des formes attrayantes, et sa propagation dans les masses agira plus efficacement, produira plus de réformes, anéantira , ou du moins amortira plus de mauvaises passions que les harangues les plus morales, les homélies les plus touchantes, les prescriptions les plus sévères, Biais en induire que le litre de docteur en musique, s'il était admis parmi nous, équivaudrait, par son importance, à celui de docteur en droit, en médecine, ressemble un peu aux. illusions de l'amour paternel. Sans doute, la science musicale considérée dans son ensemble théorique et pratique, qui se compose d'esthétique, d'acoustique et de composition dans ses diverses branches, n'est pas moins ardue, pas moins intéressante que les autres sciences ; toutefois, son utilité, même dans l'hypothèse d'une influence morale, est moins positive, moins directe, moins essentielle, attendu qu'elle n'a pas pour objet immédiat de sauvegarder la fortune ou la vie des individus ; seulement, elle sert à charmer celle-ci, à la rendre plus douce, en la moralisant ; c'est encore une assez belle destinée. Quant à ceux qui appellent la musique une futilité, il n'y a qu'une réponse à leur


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faire, c'est que, vraisemblablement plus initiés au culte de Barême qu'à celui d'Apollon, l'art est pour eux lettre close.

Faisant la part de la critique, M. Martin signale dans la méthode Wilhem une lacune qu'il regarde comme urgent de combler, en y ajoutant des solfèges chantants progressifs, à une, deux et trois voix, dans le genre de ceux de Lemoine, Garaudé, Catrufo, Fétis, Massimino, Choron; puis, il indique l'extension qu'il serait possible et convenable de donner à l'institution de l'Orphéon , prenant pour modèles les procédés d'enseignement usités depuis Luther en Allemagne, et qui ont introduit le goût musical dans les habitudes allemandes : vous allez voir comment.

« Enfin, nous croyons inappréciable, pour les progrès de l'art, cette habitude prise depuis Luther chez les catholiques comme chez les protestants, de faire chanter tout le peuple dans les églises, et même les militaires, qu'on voit en corps, musique en tête, assister tous les dimanches à l'office divin.

" Ainsi, partout et tous les jours dans les temples, les théâtres, les écoles, les tavernes, sur les places publiques, à la porte des hôtels, jusque dans les diligences, on fait ou l'on entend de la musique depuis un temps immémorial : comment alors ne pas devenir musicien? comment résister au torrent qui vous entraîne, aux flots d'harmonie qui vous assiègent ? C'est un enseignement pratique de tous


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les instants, une seconde nature empiétant inces samment sur la première et commandant en reine.

« Qu'aujourd'hui le goût musical soit un caractère distinctif, un type des moeurs allemandes, nous le croyons sans peine; mais les moeurs primitives des Germains étaient barbares comme leurs chants, et si elles sont plus douces maintenant que chez beaucoup d'autres peuples, si les liens de famille y sont plus indissolubles, les rapports sociaux plus faciles que partout ailleurs, c'est assurément à la musique qu'ils le doivent, et celle-ci doit elle-même la popularité dont elle jouit au bon système d'enseignement adopté dès le principe et suivi de génération en génération, toujours en progressant. Ces observations pratiques nous amènent naturellement à conclure que la France, comme l'Allemagne, possède les éléments d'un bel avenir musical, et que, du jour où l'on voudra sérieusement se mettre à l'oeuvre, on sera tout étonné des rapides progrès qui seront le prix de nos généreux efforts. »

Ainsi donc il demeure constant que les Allemands, auxquels nous cédons aujourd'hui le pas, nous ont acceptés jadis pour leurs maîtres, et que leur remarquable supériorité, sous le rapport de la science et de l'exécution musicales, dépend moins d'une organisation privilégiée, d'une aptitude spéciale, que d'un enseignement bien dirigé et, surtout, d'un caractère studieux et docile.

En somme, les développements et perfection-


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nements qu'exige l'Orphéon, suivant M. Martin, consistent premièrement, dans l'adoption de l'un des solfèges cités plus haut; secondement, dans la création d'écoles supérieures pour compléter l'éducation des élèves qui se distinguent le plus dans les écoles mutuelles primaires et annoncent une vocation artistique ; troisièmement, dans les moyens d'utiliser les talents formés dans les premières, qui seraient, comme les anciennes maîtrises, une pépinière vivace de jeunes chanteurs d'une immense ressource pour les théâtres, les églises, les concerts.

Quatrièmement, enfin, dans la séparation des fonctions de directeur et d'inspecteur, par la raison concluante d'incompatibilité, un directeur ne pouvant s'inspecter lui-même.

L'utilité des solféges progressifs est évidente." Quant à l'école supérieure réclamée, je ne comprends pas bien la nécessité de cet intermédiaire pour arriver au Conservatoire, qui est l'école supérieure de chaut par excellence. Du reste, l'emploi fréquent de masses chorales dans les cérémonies, et môme dans les réunions de famille, ne saurait être trop approuvé et sollicité.

Messieurs, si, dès le commencement de ce rapport, j'ai cru devoir contester la vérité de l'assertion de Buffon à l'égard du génie, je m'empresse, en revanche, de reconnaître, avant de terminer, que ce philosophe célèbre a dit plus justement : « le style, c'est l'homme; » j'en trouve la preuve dans l'écrit


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que je viens d'analyser. En effet, sous la transparence des expressions apparaissent les sentiments intimes, dominants de l'auteur. Son style suave, placide, brillant sans éclats qui offusquent, et tout empreint, tout saturé, si je puis m'exprimer ainsi, de l'amour du bien, révèle une organisation d'une grande analogie avec celle du créateur de l'Orphéon, dont il a décrit les éminentes qualités d'une manière si persuasive.


RAPPORT

DE M. ROLLAND

SUR L'OUVRAGE DE M. CHENAVARD, ARCHITECTE A LYON,

intitulé :

LYON ANTIQUE RESTAURE.

MESSIEURS,

Le 20 mai 1851, vous m'avez fait l'honneur de me communiquer, pour vous en faire un rapport, l'ouvrage de M. Chenavard. J'aurais dû satisfaire à votre désir depuis longtemps; des empêchements bien involontaires ne l'ont pas permis; je vous prie de m'excuser.

Le travail de M. Chenavard se compose d'un atlas comprenant un précis historique sur la ville de Lyon, et cinq feuilles gravées représentant la cité antique sous divers aspects.

Le texte, très-substantiel, rédigé avec netteté et une parfaite connaissance des faits anciens, embrasse la période historique appartenant à la domination romaine. M. Chenavard rappelle l'origine de Lyon : les Phéniciens, ces grands colonisateurs, à la recherche des mines de l'intérieur de notre continent, remontant le Rhône, furent les premiers fondateurs


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de la cité Lyonnaise. Le Lugdunum grec exista jusqu'à ce que Plancus, général romain, y réunissant les Viennois, chassés par les Allobroges, en fît le Lugdunum romain. Sous les Romains, il devient le centre de la domination des empereurs dans les Gaules, et du mouvement religieux qui devait plus tard rayonner sur les nations environnantes. Vers l'an 734, on voit Agrippa y établir sa résidence; Auguste y habite un palais impérial, y construit des bains publics, une naumachie, un théâtre.

Lugdunum reconnaissant élève un temple à la mémoire de son bienfaiteur, et place l'heureux empereur au rang des dieux. Les gouverneurs de la cité favorisée s'appliquent, à l'envi, à en rendre le séjour de plus en plus agréable : ce seul fait de l'établissement par l'empereur Claude d'un aqueduc de 84,000m de long, débitant 500,000h d'eau par vingt-quatre heures, donne la mesure de la magnificence des édifices publics et de l'importance de la ville à l'époque romaine. Mais toute oeuvre humaine est périssable!... Cent ans après sa fondation, sous Nicon, Lugdunum est détruit par un incendie : palais, théâtre, maisons, tout disparaît.

Une ville dans une position heureuse et qui est le centre d'un grand commerce se relève d'elle-même : Lugdunum fut rebâti; il retrouve bientôt sa prospérité, et devient, sous Antonin, aussi grand, aussi brillant qu'il l'avait été. Il fut détruit une seconde fois : Sévère, vainqueur d'Albin, son compétiteur


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à l'empire, et dont les Lyonnais avaient embrassé la cause, n'avait pour eux qu'une passion : la vengeance. Par ses ordres impitoyables, la ville est rasée, ses habitants passés au fil de l'épée. Dès lors, à la fin du IIe siècle, Lyon, ruiné, cessa d'être la capitale des Gaules.

M. Chenavard suit et décrit les phases heureuses ou malheureuses de la cité romaine, avec l'amour de l'artiste, la science de l'archéologue. Le précis qu'il nous offre est à la fois attachant et instructif. Nous en recommandons la lecture.

La seconde partie du travail de M. Chenavard comprend, nous l'avons dit, cinq planches gravées.

La première représente le plan de Lyon antique, restauré. L'auteur annonce qu'il y a placé chaque monument d'après des vestiges encore existants, et d'après ce qu'en ont dit les historiens de Lyon. Tout porte à croire que les indications sont exactes : la situation des édifices, leurs rapports, leurs distributions intérieures dénotent de la part de M. Chenavard une grande connaissance des localités et des usages anciens; édifices publics, palais, maisons, tout nous paraît aussi bien interprété que rendu.

La deuxième planche offre une vue géométrale de Lugdunum, suivant une ligne parallèle au cours du Rhône. C'est bien la cité romaine telle que l'imagination peut la concevoir; seulement, on n'y trouve pas assez l'habitation du peuple; la ville semble trop n'être formée que de monuments ; à


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notre avis, pour compléter l'ensemble, il faut, par la pensée, créer les maisons privées entre les édifices publics qu'on aurait dû y placer. Toujours et partout les uns sont inséparables des autres.

La planche troisième est une vue prise perpendiculairement au cours du Rhône. Cette gravure a le même mérite que celles dont nous venons de parler; elle laisse aussi les mêmes regrets.

La planche quatrième est un recueil des principaux restes des monuments romains qui ont aidé M. Chenavard à faire le travail qui nous occupe. Le sujet capital est un théâtre, dont les vestiges se rencontrent dans l'enclos des Minimes, au sud-ouest de la ville. La restauration de cet édifice, de grandes proportions, est très-judicieuse; les dispositions générales et de détail nous paraissent parfaitement d'accord avec les usages anciens.

La cinquième et dernière planche est également un recueil de fragments antiques se rapportant spécialement aux aqueducs. Les arcades encore debout au vallon d'Ecully, et les constructions de Chaponost, représentées par la gravure qui termine l'ouvrage de M Chenavard, donnent une idée de la grandeur des édifices consacrés par les anciens à l'approvisionnement et la distribution des eaux. La restauration de ces aqueducs est bien entendue : l'archéologue, l'artiste et le constructeur ne peuvent que les louer et en profiter.

Telles sont, Messieurs et chers collègues, les im-


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pressions que m'a laissées l'examen dont vous avez bien voulu me charger.

J'ai l'honneur de vous proposer que des félicitations et des remerciements soient adressés à M. Chenavard sur son ouvrage : Lyon antique restauré. Je vous propose également de déposer cet ouvrage aux archives de notre Société.


NOTICE NÉCROLOGIQUE

SUR A. F. DREUILLE,

PEINTRE,

PAR M. PAUL CARPENTIER.

MESSIEURS ,

La perte que nous venons de faire de notre regrettable collègue Dreuille sera longtemps sentie parmi nous, et nous pouvons dire que la Société libre des Beaux-Arts a perdu en lui l'un de ses membres les plus assidus à ses travaux.

Auguste-François Dreuille est né à Moutpellier, le 3 octobre 1796. Son enfance et sa première jeunesse se ressentirent beaucoup des agitations de l'époque, et ses parents ne s'occupèrent que trèsmédiocrement de son instruction première; il fut pour ainsi dire livré à lui-même. C'est peut-être cet étal d'isolement qui détermina, dès ses premières années, cette disposition à la méditation que nous lui connaissions, et qui se développa davantage par l'effet des circonstances et des épreuves qu'il eut plus tard à supporter.

En 1811, a l'âge de quinze ans, il s'engagea


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comme volontaire dans les pupilles de là garde impériale, où il resta deux ans, pendant lesquels il commença l'élude des premiers éléments de son instruction; à dix-sept ans, il fut envoyé à Boulogne, et reçut dans cette ville le grade de sergent dans les fusiliers de la jeune garde. En 1813, il fit la campagne d'Allemagne et assista à la bataille de Leipsick. En 1814, il obtint son congé, et revint malade et exténué de fatigues à Montpellier, où des soins paternels et le repos rétablirent sa santé.

Après avoir retrouvé ses forces, Dreuille continua les études qu'il avait commencées dans les deux premières années de son engagement; il les continua seul, avec le secours de divers ouvrages didactiques. Ses goûts le portant à l'étude du dessin, il entra à l'école publique de sa ville natale, où il reçut les premiers principes de l'art : il se livra au travail avec ardeur, et arriva jusqu'à dessiner la bosse. Ces premiers essais lui plurent, parce qu'il imitait avec justesse tout ce qu'il copiait. Dans l'intervalle des classes, il dessinait d'après nature, soit le paysage, soit des ornements d'architecture; il tenta aussi de faire au crayon les portraits de quelques amis, et ses succès lui attirèrent des conseils et des compliments encourageants. Vous savez tous, Messieurs, combien il est difficile à un commençant de se défendre de certaines illusions, surtout quand il reçoit des félicitations sur ses progrès et ses dispositions naturelles. Dreuille, sans trop


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consulter le degré d'avancement de ses études eu dessin, ainsi que celles qui s'y rattachent, n'hésita pas à prendre la palette et les pinceaux ; il se fia à ses propres moyens, à son sentiment, à son jugement, et dans cette persuasion il s'engagea dans la carrière si difficile de la peinture, sans qu'un ami généreux et expérimenté dans l'art des couleurs vînt lui donner des avis de nature à lui faire faire des progrès plus rapides; mais enfin, à force de travail et de persérance, il acquit la pratique, et se créa des ressources pour pousser ses études plus loin.

En 1818, il quitta Montpellier et se fixa à Paris, sans autre moyen d'existence que son talent. Son caractère droit, honnête ; ses manières affables, son instruction étendue ne tardèrent pas à lui donner quelques amis dont les conseils lui furent utiles ; mais il leur laissait ignorer son extrême pauvreté; la position gênée dans laquelle il s'est trouvé pendant ses premières années à Paris, était telle qu'il avait à peine de quoi se nourrir.

Maintenant, nous allons apprécier notre regrettable collègue dans toute la force de son talent, et voir ce que peut une volonté ferme sur une intelligence comme la sienne ; nous allons voir l'homme qui aspirait à devenir artiste habile en son art, abandonner la palette et les pinceaux (dans l'espoir de les reprendre plus tard), et cela pour se créer une position indépendante. Dreuille, doué d'une


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âme aimante, s'était uni, en 1828, à une excellente femme qui exerçait le commerce de broderie. Remarquant que les divers dessins qu'on employait pourraient être de meilleur goût, et modifiés selon les règles de l'art, il se livra tout entier à celte étude, et créa de nouveaux modèles de broderie qui, sous le rapport de la beauté et de la disposition, sortaient de la routine ordinaire : il les fil exécuter, et ils fixèrent l'attention des personnes de la haute société; bientôt sa maison acquit une grande réputation à Paris, et les dames de distinction ne voulurent plus avoir que de ses produits. La renommée de la maison Dreuille s'étendit au loin : elle reçut des commandes des cours étrangères. Ajoutons que ce succès fut encore couronné à l'Exposition de l'industrie à Paris, où le jury des récompenses lui décerna deux médailles : l'une, en 1839, et l'autre, en 1844.

Enfin, en 1847, Dreuille se trouva, par suite de son intelligence et de son travail, avoir acquis une fortune modeste et honorablement méritée; il quitta le commerce et vendit son fonds pour vivre tranquille et indépendant, en se proposant de se livrer à son goût dominant pour la peinture; mais le ciel en avait ordonné autrement; ses projets de retraite heureuse auprès de sa compagne chérie ne purent se réaliser. Une maladie termina prématurément sa carrière, le 8 janvier 1852.

Dreuille fut un des membres fondateurs de la


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Société libre des Beaux-Arts; il a été son secrétaire sous la présidence de M. Huvé. Vous vous rappelez ses bonnes et amicales relations avec chacun de nous, son zèle, son activité et la justesse de ses idées. Nos Annales conservent de lui des rapports très-remarquables: nous mentionnerons particulièrement celui sur le Traité complet de la peinture, qui lui valut de l'auteur, M. de M. Montabert, une lettre de satisfaction et de remerciement.

Nous lui devons aussi une intéressante notice sur le tableau du Passage des Thermopyles, de Louis David; dans ce travail, il a réuni des notes historiques qu'il avait recueillies de trois des principaux élèves de David, et qui auraient peut-être été perdues pour la postérité, car aucun écrit sur cette célèbre production du grand peintre ne les a mentionnées.

Vous vous rappelez encore les deux rapports qu'il nous a faits sur le précieux ouvrage de notre collègue M. Pernot, concernant les dessins et recherches historiques sur les enseignes, drapeaux, étendards, pavillons, pennons et cornettes de France, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours.

Dreuille a laissé quelques peintures exécutées sur des toiles de petites dimensions; on remarque avec plaisir dans ses compositions que le geste et la pantomime de ses personnages ont toujours une vérité


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significative; cette condition essentielle à l'art, il la possédait.

Dreuille a exposé à plusieurs salons du Louvre. Voici le nom des divers sujets qui y ont figuré :

1831. —■ Louis XII élu père du peuple, aux États généraux, en 1506.

1833. — L'Adultère repentante.

1848. — La Promenade interrompue; la Douleur, la Méditation; Avant le départ; Diane de Poitiers demandant la grâce de son de père.

Et en 1849, — un Combat de coqs.

Dreuille a laissé plusieurs ouvrages non terminés, qui révèlent ses projets et témoignent de son amour des arts.

Les regrets de ses col lègues se joignent aux larmes de sa veuve.

T. XVIII.

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RAPPORT

SUR UN BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE L'OUEST,

PAR M. ROHMULT DE FLEURY.

MESSIEURS ,

En me demandant un rapport sur un bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, je suis convaincu que vous vous êtes trompés d'adresse; car c'est à notre confrère Lenoir, ou à bien d'autres plus compétents que moi qu'il aurait dû aller. Je vais cependant essayer de vous faire connaître, en peu de mots, la brochure intéressante qui vous est envoyée.

Cette Société, autorisée par décision ministérielle du 24 février 1835 a pour objet : la recherche_, l'élude, la conservation et la description des antiquités et des documents historiques dans les pays compris entre la Loire et la Dordogne, pays si riches de monuments anciens, et qu'il est d'autant plus important de conserver que naguère la main des barbares, et aujourd'hui encore la main destructive du temps en diminue le nombre si rapidement.

Depuis quelques années, heureusement, la France


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a senti qu'il fallait sauver ce qui lui restait de richesses nationales accumulées par les efforts incessants de dix siècles, où l'intelligence et la foi ont enfanté des prodiges. Le comité des monuments historiques de Paris a donné naissance à des sociétés locales dont les soins persévérants lui viennent continuellement en aide.

Le bulletin que j'analyse contient deux rapports : l'un de M. de Chergé sur les monuments historiques de la Vienne, l'autre de M. de Bussière sur la restauration de la façade sud du palais de Justice à Poitiers.

Notre-Dame de Poitiers a été l'objet de trèsimportantes réparations dues à M. Joly, dont le talent paraît devoir décider le gouvernement à intervenir encore dans l'achèvement de l'oeuvre qu'il a si bien commencée.

Sainte Radégonde, cette sainte reine de France, vénérée tout particulièrement dans le Poitou et l'Anjou, méritait bien que la charmante église qui lui est consacrée fût classée parmi les monuments historiques qui participent aux encouragements du gouvernement. Cette vieille église, dont la crypte renferme le tombeau de la sainte, a reçu une réparation intelligente qui lui a rendu son véritable caractère en replaçant au-dessus de la crypte l'autel qui diminuait l'ampleur majestueuse de sa nef.

L'église de Saint-Nicolas de Civray, dont la magnifique façade allait tomber en ruines, a été l'objet


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d'une restauration qui dénote autant de patience que d'habileté. Cette façade a été démolie pierre à pierre; chacune d'elles a été numérotée; celles tout à fait détruites ont été remplacées ; celles qui n'étaient que légèrement frustes ont été conservées ; il ne reste plus qu'à raccorder les nouvelles sculptures avec les anciennes.

La coupole de Charroux présentait un autre genre de difficultés : une des premières était d'arriver au sommet de la tour, isolée sur ses huit faisceaux de colonnes, et supportant, depuis soixante hivers, la pluie et les vents : une bonne couverture en plomb nous sauvera encore ce monument.

La restauration de Saint-Pierre de Chauvigny fait, dit-on, le plus grand honneur à M. Joly, architecte, qui a eu le malheur d'avoir à son aide des espèces d'ateliers nationaux, malgré lesquels il a pu conduire à bien une oeuvre hérissée de tant d'autres difficultés.

A Saint-Hilaire de Melle, M. Segrétain, en respectant avec scrupule les parties essentielles et l'ornementation de l'église, a su refaire, à peu près à neuf, un bijou monumental. (Ce sont les expressions de M. de Chergé.)

M. de Bussière, en rendant compte des travaux du palais de Justice, entre dans des détails qui, pour pouvoir être appréciés par vous, auraient besoin d'être accompagnés des dessins; et il exprime une pensée bien sage, dont l'oubli pendant longtemps a


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été cause de restaurations inintelligentes, plus dangereuses que la ruine même : c'est que les monuments que le temps nous a conservés doivent rester ce qu'ils sont pour être une page véridique de l'art et indiquer un millésime exact de leur date.

Tel est, Messieurs, le résumé de l'intéressant travail dont vous m'avez confié l'examen, et qui doit faire naître le désir de voir multiplier nos relations avec des sociétés qui s'occupent d'objets aussi utiles que la Société des Antiquaires de l'Ouest.


TRAVAIL DE M. BOURLA

sur LES BAINS ROMAINS DE SAINTES (CHARENTE-INFÉRIEURE);

ANALYSE DE CE TRA VAIL PAR M. MOULLARD DU COMTAT.

MESSIEURS,

M. Bourla a donné lecture d'une notice sur les bains romains découverts à Saintes en 1851 et 1852. Notre collègue rend compte de cet intéressant travail et entre dans les détails des fouilles qu'il a fait faire sur les bords de la Charente, au quai de la Rouselle, en aval de la ville. Il commence par soumettre les plans, coupes et dessins de ces fouilles générales, car il est parvenu à mesurer et dessiner l'ensemble des différentes pièces qui composaient ce balneum, dépendant d'une riche villa romaine située hors l'enceinte de l'antique Mediolanum.

Entrant dans l'examen des travaux qui ont été faits lors de ces fouilles importantes, notre collègue fait connaître tout ce qui a été trouvé en objets curieux. Il parle de l'ensemble de ces bains, dont malheureusement on n'a pu conserver qu'une seule


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salle, le reste ayant été démoli pour établir des constructions modernes. Ce n'est qu'après bien des soins que notre collègue est parvenu à compléter ce travail, dont il s'est occupé pendant seize mois de séjour en cette ville, en notant successivement les découvertes de chaque jour.

Il serait difficile de suivre M. Bourla dans tous les détails techniques qu'il nous a donnés; nous nous bornerons à faire remarquer que ces bains sont d'une grande importance, puisque, quoique incomplets, ils présentent un ensemble qui se compose, sur le devant : 1° d'un atrium ou vestibule d'entrée;, dont le pavement est fait en petites briques rouges, posées de champ et en épis ; il a été trouvé une base de colonne. Sur la partie du devant on a découvert plusieurs gargouilles recevant les eaux de services de ces différentes salles. Ces gargouilles, par leurs dispositions, annonçaient d'autres salles sur la droite. On voit ensuite la salle nommée apodyterium, où l'on se déshabillait; puis, à côté, la troisième salle, nommée tepidarium : c'était cette pièce que Pline nommait la salle du milieu, intermédiaire, tiède entre celle froide et celle chaude. Le pavement est en mosaïque de marbre noir et blanc, formant des compartiments de figures géométriques carrées, parallélogramme et triangulaires, avec filets et frises de feuilles d'olivier.

A gauche était la quatrième salle spacieuse, nommée laconicum. C'est la partie la plus remar-


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quable de ces fouilles, à cause du fourneau nommé hypocauste, qui chauffait cette salle en dessous ; elle avait 11m 10 de long, sur 6m 30 de large. Au fond, à gauche, une baignoire d'eau chaude, à côté, à droite, dans une vaste niche, était le piédestal recevant le vase d'airain, le laconique ou laconicum, qui formait le bain d'étuve sèche que Vitruve nomme concamerata sudatio. Cette salle était carrelée en petits carreaux de terre cuite noire, de forme hexagone et en losanges. Notre collègue nous présente les divers fragments de ces matériaux, qu'il a pu conserver ; on remarque la dureté du ciment et la finesse d'exécution de la pose.

La. cinquième salle, dont l'entrée est par la salle du milieu, est la seule pièce conservée sur la demande de M. Bourla; elle se nomme frigidarium. Elle contient la piscine ou baignoire à l'eau fraîche, et elle est assez grande pour que plusieurs personnes puissent s'y baigner. Le réservoir de cette salle se termine par un mur, au centre duquel est une niche circulaire, et au milieu de cette niche est une vasque à jet d'eau, posée sur un piédouche.

Le pavement de la salle est également en mosaïque de marbre noir et blanc, formée de dessins triangulaires et différents du premier pavement. A l'entrée, il y a des carreaux hexagones et en losanges. La baignoire construite au-dessus du sol est recouverte, en dedans et en dehors, de mosaïques en marbre blanc. Nous devons mentionner aussi les


201 deux seuils des portes, en forme demi-cylindriques, ayant 0,16e de hauteur; puis, au milieu, des ornements de feuilles et de fleurs en mosaïques de marbre noir, blanc et de couleur.

Enfin, la sixième salle à droite était, d'après l'opinion de M. Bourla, celle que l'on nommait vasarium, et qui devait contenir les trois réservoirs d'eau froide, tiède et chaude. Ils devaient, selon l'usage, communiquer entre eux pour le service des bains. M. Bourla, qui a étudié avec soin ces fouilles, pense que, d'après l'inspection des lieux, l'ensemble de ce plan, la disposition des gargouilles, il devait y avoir d'autres salles sur la droite, entre autres celle que l'on nommait aquarium, et servant de réservoir général ; c'était l'endroit où les eaux se filtraient avant d'aller dans les réservoirs particuliers du vasarium.

Notre collègue entre ensuite dans de savantes explications sur la construction des différentes parties de ces bains. Il parle des divers mortiers et ciments qui les composent; il examine la construction des fourneaux de l'hypocauste, exécutés en terré cuite; il établit la comparaison avec d'autres fourneaux décrits par M. de Caumont; il traite des différents genres de mosaïques, de leur origine, de leur emploi par les Romains; il termine par des considérations sur les enduits des murs, sur les stucs ou peintures à la fresque, dont il nous représente des dessins ainsi que des fragments importants,


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dont les couleurs, après tant de siècles, ont encore tout leur éclat et leur fraîcheur primitive. Ce résultat serait à examiner par nos collègues de la section de chimie.

Cette communication sur un monument antique, dont on doit la découverte au hasard, captive l'attention de l'assemblée.

Des remercîments sont adressés à M. Bourla.


NOTICE SUR DROLLING

PEINTRE

PAR M. ROUGET.

MESSIEURS,

La perte que la Société libre des Beaux-Arts a faite, dans la personne de Drolling, est et sera longtemps sentie par ceux qui savaient apprécier son talent.

Les premiers succès de Drolling étaient dus aux bons principes artistiques qu'il avait reçus de son père, peintre de genre très-distingué. Il n'est personne, dans le monde des arts, qui n'ait entendu parier des chefs-d'oeuvre de Drolling père ; ce sont deux tableaux : l'un, représentant une maîtresse d'école; l'autre, un intérieur de cuisine, d'une telle vérité qu'il a pu passer pour égaler les meilleurs tableaux de l'école flamande. Drolling fils continua ses études sous le grand maître David ; ses progrès furent rapides, et il put s'élever à la hauteur d'un peintre d'histoire. Il concourut pour le grand prix de peinture qu'il remporta, et après avoir séjourné à Rome pendant le temps prescrit, il revint en France, et y produisit de très-beaux ouvrages.

Je citerai la Mort d'Abel, composition pleine de vigueur et empreinte d'un très-beau caractère;


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Le tableau de Polixèue, dont la tête est d'une si belle expression;

Orphée et Eurydice, où rien n'est plus heureux de pensée et de grâce que le groupe d'Eurydice enlevée par Mercure. Orphée est aussi d'une expression de douleur bien sentie.

Abordant ensuite le genre religieux, Drolling peignit, pour l'église Notre-Dame-de-Lorette, Jésus, enfant, prêchant parmi les docteurs ; cette composition indique que les sujets de l'histoire religieuse étaient plus appropriés à la nature du talent de Drolling; ici il n'a pas à chercher une élévation dans le style héroïque grec, et ses vraies dispositions sont peutêtre plus à l'aise; nous trouvons sagesse, simplicité et vérité noble dans les différents caractères de tous ces doctes personnages. Cette oeuvre est exécutée avec habileté et est très-remarquable.

Je citerai aussi le Bon Samaritain, ainsi qu'un plafond qui est au Louvre, où il y a de belles parties. Je passerai sous silence des ouvrages qui ne sont pas assez présents à ma mémoire, mais je dirai, sans craindre de me tromper, que Drolling peignait aussi très-habilement le portrait; c'est une qualité que n'ont pas tous les peintres d'histoire. Je rappellerai notamment celui de' son collègue et ami Huyot, architecte, membre de l'Institut : la ressemblance est parfaite, et l'altitude d'une vérité qui lui appartient.

Un bel ouvrage se recommande à notre attention,


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c'est un plafond représentant Louis XII, proclamé père du peuple. J'ai le souvenir aussi d'un tableau bien commencé : le président Brisson poursuivi dans une émeute, ouvrage que Drolling peignait dans son atelier, et que l'oeuvre capitale qui l'appelait à Saint-Sulpice ne lui a pas permis d'achever. Ce dernier ouvrage, qui se compose des principaux événements de la vie de saint Paul, a probablement contribué à hâter sa fin : il y avait épuisé toutes ses forces.

Cette chapelle suffît à perpétuer la mémoire de son auteur; le côté représentant la Conversion de saint Paul est traité de main de maître, et rend bien l'idée que l'on peut se faire de cette scène, où le saint terrassé est frappé d'aveuglement; la pensée est noble et saisissante, l'exécution est ferme et les accessoires d'une heureuse vérité. L'autre partie, saint Paul devant l'Aréopage, peut laisser à désirer plus d'élévation dans la figure principale et dans quelques têtes ; mais cette scène est bien entendue. L'apothéose complète, par son harmonie , cette grande et belle oeuvre.

Toute la chapelle est peinte à la cire, procédé qui donne moins d'éclat à la couleur, mais nous avons à admirer dans ces peintures murales d'abord, le sentiment religieux, élevé et vrai, puis, la beauté de l'ensemble.

Le caractère du talent de Drolling était une noble simplicité, préférable à l'affectation d'une


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prétendue pureté, qui s'éloigne de la vérité.

David seul avait compris ce beau idéal, plein de naturel, qui est aujourd'hui repoussé par des novateurs, dont il aurait, à plusieurs titres, apprécié le talent, mais dont il eût peut-être blâmé les singuliers goûts.

David ne contrariait jamais les dispositions de ses élèves; tel pouvait prétendre au beau style antique; tel autre pouvait briller par une noble vérité ; c'est ce que le grand maître appréciait avant tout, et ce qui fut le caractère dominant du talent de Drolling.

Drolling appartenait à cette partie des élèves de David qui réhabilitèrent les sujets religieux , qu'on avait longtemps négligés pour ne s'occuper que des hauts faits de l'histoire grecque et romaine.

Les beaux arts ont perdu en lui un disciple zélé, et ses élèves un habile maître. Des hommes de talents se sont formés à son atelier.

L'Association des artistes s'honorait de l'avoir dans ses rangs. Il avait compris tout le bien que pouvait faire cette noble institution.

Il fut aussi l'un des fondateurs de la Société libre des Beaux-Arts, qui est associée de principes à l'Académie, dont il était un membre dévoué. Enfin, il est du nombre des peintres qui font honneur à l'école française.


RAPPORT

sur les MÉMOIRES de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Nancy,

PAR M. F. A. PERNOT.

MESSIE URS,

En acceptant l'offre que vous avez bien voulu me faire de vous rendre compte des travaux de la Société des sciences, lettres et arts de Nancy, j'ai d'abord suivi un goût de prédilection que j'ai depuis longtemps pour tout ce qui se rattache à cette belle et importante cité, puis j'ai voulu remplir une lacune restée dans mon rapport sur le congrès scientifique tenu à Nancy.

Je ne parlerai pas des articles de sylviculture, d'agriculture, de médecine et d'éducation... Mais les arts, l'archéologie et l'histoire ne seront pas oubliés.

M. de Haldat, vieillard respectable de la famille de Jeanne d'Arc, secrétaire perpétuel de l'Académie, a lu un mémoire ayant pour titre : Examen d'un tableau attribué à Callot, tableau conservé dans une des principales églises de Nancy.

M. de Haldat ayant eu occasion de voir à Rome,


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dans le palais Corsini, quelques tableaux de Callot, se rappela qu'il y avait à Nancy une peinture ayant le même faire, la même touche et le même coloris. C'était un sujet représentant l'une des scènes les plus touchantes de la Passion du Christ : c'est celle qui, dans la collection gravée par Callot, est placée la sixième, avec ces vers latins :

Quid Simon huic tentas oneri succedere solus? Ille potest tante pondera ferre crucis.

Elle représente le Christ succombant sous le poids de l'instrument du supplice, et au moment où Simon est appelé au secours de l'auguste victime. « La figure du Juste condamné, dit M. de Haldat, " est digne et vénérable ; mais son accablement est « extrême. Notre habile compositeur n'a pas pro« fité de la noble pensée du chef de l'école romaine, « qui, dans son tableau de l'Escurial 1, a représenté « Jésus dans les mêmes angoisses, mais embrassant « sa croix en signe du sacrifice volontaire qu'il fait « de sa vie pour le salut du monde... Aux violen" ces indignes exercées par les soldats, Callot a « ajouté celle du bourreau qui pousse le Christ « du pied, tandis qu'il le tire violemment avec une « corde dans le sens contraire... Après s'être étalé « au pied du Calvaire, le cortège s'engage dans un « défilé profond, précédé d'un cavalier portant un

1 Tableau désigné sous le nom de Spasimo.


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« étendard. Les spectateurs de cette scène immense « ne sont pas moins nombreux que les acteurs ; ils « forment des groupes variés dont les figures, « quoique petites, concourent à l'effet général par <« leur animation. »

Cette description faite d'après le tableau, ignoré longtemps pour être de Callot, convient également à la gravure, non-seulement dans l'ensemble, mais dans les moindres détails. Cependant, vous me permettrez de penser et vous penserez aussi vous mêmes, Messieurs, que ce ne serait pas une raison pour que le tableau fût du graveur célèbre; mais, d'après les détails que donne le savant critique, il y a dans certaines parties des changements de détails que ne se permettrait pas un copiste qui aurait pris pour guide la gravure de Callot. Il paraît que, comme couleur, Callot aurait eu quelque rapprochement avec les Flamands ; cela ne serait pas étonnant. J'ai moi-même vu ce tableau dans l'église antique de Saint-Epvre, où il est arrivé par suite d'une donation d'un membre de la famille de Callot, qui, après ses voyages en pays étrangers, en Italie surtout, vint s'établir et mourir à Nancy. On croit qu'il provient de la succession d'une demoiselle Callot, l'une des descendantes de la famille du héraut d'armes de Lorraine, cette demoiselle ayant déclaré qu'elle avait plusieurs tableaux de Callot, que ses ancêtres conservaient comme de précieux souvenirs.

T. XVIII. 14


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Remercions donc M. de Haldat de ses recherches., de ses réflexions faites dans l'intérêt matériel de l'art, pour prouver que, malgré le silence des biographes du spirituel et habile graveur, rien n'a pu interdire à l'homme, d'un si grand talent l'usage du pinceau. M. de Haldat ajoute :

« En effet, de ce qu'un artiste a créé une oeuvre " immense, de ce qu'il a beaucoup gravé, est-il lé« gitime de conclure qu'il n'ait jamais peint? Ce « raisonnement serait contredit par des faits au« thentiques qui prouvent que des graveurs de pro« fession se sont livrés à la peinture... Il suffirait de « nommer Rembrandt, également illustre dans les « deux arts, Lucas de Leyde, Albert Durer, les Ca« rache, et beaucoup d'autres. »

D'ailleurs, il y a un tableau de Callot qui décore l'une des salles du musée de Florence ; il y en a un conservé dans la collection du prince d'Esterhazy; à Nancy même, plusieurs personnes en possèdent. Ce sont des sujets qui ont du rapport avec des gravures rares et recherchées. Ils sont très-variés, et la touche, les costumes, la composition font reconnaître le célèbre graveur.

J'ai été heureux de trouver dans un compte rendu des travaux d'une société plus littéraire qu'artistique un mémoire qui pût autant vous intéresser. Il y est question aussi d'une grande composition, ou tableau mural, de la même église Saint-Epvre, où se trouve le tableau de Callot.


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Ces sortes de décorations monumentales sont plutôt du domaine de l' archéologie que de la peinture proprement dite. Mais l'archéologie appelle aussi toute notre attention/C'est par cette science qu'on pourra conserver, soit les monuments eux-mêmes, soit au moins leurs souvenirs. Aussi nous voyons dans le volume des mémoires de la Société des sciences et lettres de Nancy, un rapport des plus intéressants pour l'art religieux.

C'est un inventaire des objets contenus autrefois dans le trésor de l'église de Saint-Nicolas-de-Port. Voici comment s'exprime M. Digot :

« Les archéologues attachent aujourd'hui la plus « grande importance à la publication des inventai" res, où sont énumérés et décrits le mobilier et « les objets d'art qui appartenaient autrefois aux « églises ou aux monastères... Un hasard heureux « nous ayant mis entre les mains l'inventaire du « trésor de l'église de Saint-Nicolas, inventaire « dressé en 1584, nous n'avons pas hésité à le pu« blier... »

Il nous semble qu'il est nécessaire de vous dire un mot sur l'église de Saint-Nicolas située à quelques lieues de Nancy : « Vers la fin du XIe siècle, « dit M. Digod, les Turcs Seldjoucides détruisirent « la ville de Myre ; et le corps de saint Nicolas, qui « avait été évêque de cette ville, fut transporté à « Bari, dans le royaume actuel de Naples, sur les « côtes de la mer Adriatique. Un seigneur lorrain


RAPPORT

DE M. GATTEAUX

sur un volume intitulé : Description, historique et graphique du Louvre et des Tuileries, offert par M. Texier à la Société libre des Beaux-Arts.

MESSIEURS,

Pour rendre compte du volume que M. Texier vient de livrer au public et dont il a fait hommage à la Société libre des Beaux-Arts, il suffît de citer ce qu'il en dit lui-même dans l'avant-propos qui le précède.

En quelques pages d'un style très-précis et trèsclair, M. Texier donne un aperçu des divers changements opérés dans les bâtiments du Louvre et des Tuileries, depuis leur fondation jusqu'à l'année 1830; et il arrive à nous faire connaître le motif qui l'a porté à publier à part une grande partie du texte et des planches du premier volume de l'ouvrage très-important et très-utile de M. le comte de Clarac, intitulé : Musée de Sculpture antique et moderne.

« Quand M. de Clarac fit imprimer son histoire « du Louvre, il était préoccupé, dit M. Texier, de « l'idée qu'un jour, etc.


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« Nous devons en outre les deux dernières plan" ches à l'obligeance de M. Fontaine. »

Après avoir rapporté les propres paroles de M. Texier, c'est pour nous un devoir, que nous remplissons bien volontiers, de compléter les renseignements qui ont rapport à celle publication; aussi sommes-nous heureux de dire que M. Texier, qui pendant vingt années a été le collaborateur infatigable de M. de Clarac, pour la partie matérielle de son ouvrage, a redoublé encore de zèle et d'ardeur après la mort de son ami, pour la conduire à bonne fin, et que, dans des circonstances très-difficiles, il est parvenu à atteindre le but Honorable qu'il s'était proposé.

Pour mettre en tête du volume une biographie de M. de Clarac, il s'est adressé à M. Alfred Maury, écrivain érudit et investigateur studieux. Cette notice nous fait parcourir rapidement la carrière de cet homme distingué qui, d'abord sous-lieutenant de cavalerie dans l'armée de Condé, put cependant se rendre familières les principales langues de l'Europe; qui revenu en France étudia à fond les langues anciennes et les sciences naturelles : puis devenu en 1808 précepteur des enfants du roi Murat, eut l'honorable mission de diriger et de décrire les fouilles de Pompéi.

Sous la Restauration il passa en Amérique avec le duc de Luxembourg, et c'est par ses remarquables dessins que nous avons appris combien est


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imposant l'aspect d'une forêt vierge du Brésil. De retour à Paris, Louis XVIII lui fit l'honneur de le choisir pour successeur à Ennius Visconti dans les fonctions de conservateur des antiques du Musée du Louvre. C'est là qu'en face des chefsd'oeuvre de la sculpture, il conçut l'idée de la grande entreprise qui l'a occupé pendant vingt-cinq ans, qu'une mort prématurée a laissée interrompue et que M. Texier vient de terminer aux applaudissements de tous les artistes, de tous les antiquaires, et aussi de tous ceux qui apprécient des sentiments de dévouement et de reconnaissance exprimés longtemps encore après la mort de celui qui en est l'objet.

Je ne crois pas pouvoir mieux terminer ce rapport qu'en empruntant encore les paroles de M. Texier; il considère « la publication qu'il offre « au public comme l'accomplissement d'un devoir, « puisqu'elle peut appeler les regards sur les trait vaux qui se modèlent et qui s'exécutent ; et « qu'elle ajoute aussi à l'éclat que les arts ont tou« jours jeté dans la capitale, puisqu'elle en fera « mieux apprécier toutes les richesses. »

Je propose de voter des remercîments à M. Texier, pour l'hommage qu'il a fait à la Société libre de» Beaux-Arts de l'ouvrage qu'il vient de mettre au jour, et de lui exprimer combien elle lui sait gré des sentiments qui l'ont guidé dans son entreprise


XIXe SÉANCE ANNUELLE ET PUBLIQUE.

Le dimanche 19 juin 1853 Présidence de M. DELAIRE.

LECTURES.

1° Allocution de M. le Président.

2° Compte rendu des travaux de la Société libre des Beaux-Arts pendant l'année académique 18521853, par M. Moullard du Comtat, secrétaire-général.

3° Érection de la statue d'Eustache Lesueur, pièce en vers, par M. Maillet.

4° Examen du Salon de 1853, par M. Horsin Déon.

5° Un Portrait, pièce en vers, par M. Vanderburch.

6° Les Dogues et le Chien-Berger, fable, par M. Delaire.

DISTRIBUTION DES MEDAILLES.

1° Une mention honorable à M. Guiot, pour ses procédés d'imitation des anciens vitraux.

2° Une médaille de bronze à M. Tolosa, pour ses panneaux en carton, remplaçant les ardoises à élude.

3° Une médaille de bronze à M. Cotel, pour ses perfectionnements d'emballage des objets d'art.


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4° Une médaille d'argent à M. le marquis de Monestrol, pour sa nouvelle méthode de travailler les matières céramiques.

CONCERT.

Première partie.

1° France et Espagne (Samary), trio pour piano, flûte et violoncelle, exécuté par Mlle Rollot, membre de la Société, MM.de Vroye, première flûte au Théâtre-Lyrique, et l'auteur.

2° Air de la Pie Voleuse (Rossini), chanté par M. Edouard Beauce.

3° Air de l'ltaliana in Algeri (Rossini), chanté par Mlle Semiglia.

4° La Harpe éolienne (Kruger), Rondo graziozo; sur Marco Spada, composés et exécutés sur le piano par l'auteur.

5° Fleurs de l'an dernier (Guérin et Clapisson), couplets du Roi d'Yvetot (Adam), romances chantées par M. Derval.

6° Air du Pere Gaillard (Reber), chanté par Mlle Andréa Favel.

7° Ouverture de Guillaume Tell, arrangée pour deux pianos à quatre mains et orgue, par Charles Pollet. Exécutée par Mmes Rollot, Foy (Delamorinière), membre de la Société, MM. Nollet, Mulheim et l'auteur.

8° Histoire en 3 couplets (Courcy et Clapisson), chansonnette chantée par M. Lincelle.

Deuxième partie.

4° Hommage à Boieldieu (Samary). Duo sur la Dame Blanche, pour piano et violoncelle, exécuté par Mlle Rollot et l'auteur.

2° Bianchina, canzonetta (Gordigiani), chantéc par Mlle Semiglia.

3° Air du tambour-major du Caïd (A. Thomas), chanté par M. Edouard Beauce.


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4° Fantaisie pour la harpe (E. Nollet), composée et exécutée par l'auteur.

5° Air de Marco Spada (Auber), chanté par Mlle Andrea Favel.

6° Variations sur l'air dActéon (Tulou), exécutées par M. de Vroye.

7° Le Langage des Cloches (Courcy et Clapisson).

Les pianos, de la manufacture d'Érard, seront tenus par Mmes Rollet, Foy, Noblet, etc. Et l'orgue, de la fabrique de M. Alexandre, par M. Charles Pollet.

ALLOCUTION DE M. DELAIRE,

PRÉSIDENT.

MESDAMES ET MESSIEURS,

La Société libre des Beaux-Arts doit, aux termes de ses statuts, se réunir annuellement en séance publique pour soumettre le résultat sommaire de ses travaux aux amateurs éclairés des arts qu'elle convie à cette solennité. En conséquence, elle vient aujourd'hui comme précédemment, vous faire connaître sa situation et ses nouveaux titres à vos sympathies.

Poursuivant avec zèle et persévérance la tâche qu'elle s'est imposée de contribuer, selon ses facultés, à la prospérité des beaux-arts, elle ne néglige aucun des moyens à sa disposition pour atteindre


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ce noble but : ainsi elle s'est empressée de rendre un éclatant hommage à la mémoire d'artistes éminents qui se sont illustrés pendant leur vie, et notamment du célèbre Daguerre, l'un de ses membres si regrettable, et dont les restes mortels ont été couverts d'un monument érigé par ses soins. Ses rangs s'élargissent-, ses relations avec les société savantes et artistiques de France et de l'étranger s'étendent chaque jour davantage, et l'honneur de correspondre avec elle est revendiqué par des artistes de tous les points du monde civilisé, d'où résulte un libre échange de communications qui féconde, nourrit et fortifie le talent de tous.

Les inventions et les questions relatives à l'art, mûrement examinées par des commissions compétentes et consciencieusement appréciées dans des réunions mensuelles, deviennent ensuite l'objet de récompenses qu'elle décerne aux inventeurs, ou de rapports qu'elle publie dans ses Annales et dans son journal, la Revue des Beaux-Arts. Enfin, elle s'occupe constamment de l'étude des oeuvres d'art exécutés dans Paris ou dans les départements ; elle ouvre des conférences sur divers sujets se rattachant à l'art, et elle adresse des observations respectueuses à l'autorité, toutes les fois qu'il s'agit d'actes dans lesquels l'intérêt de l'art est engagé.

Telle est la mission que la Société libre des Beaux-Arts s'est donnée; telle est son action, telle est sa vie.


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Et quand l'isolement de l'individu rend ses efforts infructueux, décèle sa faiblesse, anéantit son courage, le concours intelligent d'artistes liés entre eux par des sentiments d'estime et d'amitié, la mise en commun de pensées, d'expérience et de goût, acquièrent, une puissance qui profite, sans nul doute, à l'art. C'est alors qu'on peut diriger sa marche, signaler les écueils à éviter, les palmes à cueillir. C'est alors qu'on peut conserver et mettre en lumière le précieux dépôt des doctrines anciennes, tout en recherchant et en accueillant les perfectionnements réels, et à défaut d'une direction morale des beaux-arts qui manque peut-être dans les institutions de la France, la Société libre remplit celte lacune, grâce à la considération dont elle est entourée, à l'influence dont elle jouit et à l'assistance bienveillante du gouvernement.

Elle espère que l'état de calme, de paix, de sécurité, de prospérité publique dans lequel nous vivons actuellement favorisera le développement des beaux-arts, et elle veillera à ce qu'ils se maintiennent dans une sphère élevée, afin d'assurer à notre belle patrie une des supériorités intellectuelles conquises par elle depuis longtemps, et la splendeur d'une gloire, sinon la plus brillante, du moins la plus désirable.

Il ne nous reste plus qu'un voeu à exprimer, c'est de mériter les suffrages de l'auditoire distingué qui se presse dans cette enceinte.


COMPTE RENDU

DES TRAVAUX FAITS PENDANT LA SESSION 1852-53, PAR M. MOULLARD DU COMTAT,

secrétaire général.

MESSIEURS,

Fidèle à ses anciennes traditions, la Société libre des Beaux-Arts satisfait à l'obligation que lui imposent ses statuts, en nous confiant le soin de vous rendre compte des travaux académiques dont elle s'est occupée pendant la dernière session.

Les années précédentes, nos devanciers venaient comme nous, aujourd'hui, puiser dans le jugement d'une réunion nombreuse et choisie l'approbation du passé et des encouragements pour l'avenir. Cette mission a été remplie par des collègues dont la plume spirituelle et l'érudition supérieure à la nôtre leur faisaient trouver quelques sympathies parmi vous ; et lorsqu'il nous a été déjà permis de voir tant de fois votre approbation, souvent même vos applaudissements, couronner leurs efforts, il est certain pour nous que, si jamais ils ont fait appel à votre générosité, jamais aussi elle ne leur a fait dé»


223 faut. Encouragés par ces antécédents, qu'il nous soit permis d'espérer nous-mêmes que votre indulgence nous soit acquise.

La Société libre des Beaux-Arts, dont la fondation remonte à 1830, a traversé bien des orages auxquels elle a survécu parce qu'elle y est restée toujours étrangère. Dans les moments les plus difficiles, elle n'a cessé de poursuivre sa mission. Pouvait-elle rester inactive le jour où, grâce à l'énergie du gouvernement, les discordes s'apaisent, le calme renaît et les beaux arts occupent une belle page dans notre histoire nationale?

La Société pouvait-elle rester indifférente, lorsque nos expositions et nos musées offrent tant de chefs-d'oeuvre ; lorsque l'achèvement du Louvre semble attester aux siècles passés la puissance du siècle actuel ; lorsque tous les fleurons de la grande couronne des beaux-arts sont partout recherchés et embellis; lorsqu'enfin les beaux-arts eux-mêmes sont placés sous la direction immédiate du ministère d'État et de la maison de l'Empereur? Non, sans doute, et plus que jamais, la Société libre des Beaux-Arts, forte de son passé, a dû pouvoir compter sur l'avenir, pénétrer dans une voie où elle ne peut trouver que de la reconnaissance et de l'honneur en déployant sa bannière, où se trouve inscrite cette immortelle devise : Progrès des Arts, bien-être des Artistes.

C'est sous l'influence de ces principes que nous


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avons accompli les travaux dont nous allons vous soumettre l'analyse.

Nous devons à M. Bidault un remarquable travail ayant pour titre : Du Progrès dans les Beaux-Arts. Cet écrit, dans lequel notre collègue démontre qu'en ce monde, tout naît, croît et brille un moment, décroît et tombe ensuite, sert de base à l'auteur pour déduire que l'esprit humain, comme toutes les oeuvres du Créateur, ne peut atteindre qu'un certain degré de perfection au delà duquel il s'affaiblit et s'éteint.

Malgré une terrible maladie qui l'a tenu pendant neuf mois éloigné de nos séances, notre honorable président, M. Delaire, n'a pu laisser écouler une session sans nous gratifier de quelques fables, du genre de celle que vous allez bientôt apprécier.

M. Chaudet nous a fait de savantes et spirituelles communications sur les propylées de l'acropole d'Athènes.

Nous devons à M. Pernot ses rapports sur les mémoires de la Société d'Émulation de Cambrai, du journal de l'Institut historique, et ses savantes communications par suite de ses missions auprès des congrès scientifiques de France, en sa qualité de délégué de la Société libre des Beaux-Arts.

A M. Maillet, de savants rapports sur les travaux de nos sociétés correspondantes, et sa poésie sur l'érection de la statue d'Eustache Lesueur, auquel les honneurs de la séance ont été réservés.


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M. Bourla, par de savantes recherches archéologiques, a plus d'une fois enrichi nos séances de ses communications; nous pouvons citer, entre autres, celles sur les bains romains découverts à Saintes; celles du théâtre qu'il a fait construire dans cette ville en 1852; celles, enfin, sur l'ancienne église Sainte-Geneviève, sur les tombes royales qu'elle renfermait et sur celle de la sainte patronne de Paris.

Nous devons à M. Dussauce des rapports, au nombre desquels nous remarquons celui sur les ardoises factices et les panneaux imperméables de M. Tolosa, auxquels la Société a cru devoir accorder une récompense dans la solennité de ce jour;

A M. Vanderburch, plusieurs pièces de vers d'une originalité remarquable ;

A M. Moultat, les comptes rendus du journal anglais The Builder, lequel a été plus tard confié à notre jeune confrère, M. Blondin;

A M. Charles Chevalier, ses communications sur la photographie, et ses propositions tendant à maintenir dans une saine doctrine l'invention daguerrienne ;

MM. Vavin, Tessier, Rolland, Paul Carpentier, Gelée, Alfred de Longpérier, Pollet et Bonnefonds ont donné plus d'une fois l'occasion de faire apprécier le jugement qu'ils portaient sur les oeuvres soumises à leur examen.

Nous devons à M. A. Péron, notre vice-présiT.

vice-présiT. 15


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dent, la direction active de la Société qu'il a dirigée pendant neuf mois avec zèle.et dévouement; nous lui devons aussi le sujet de ses conférences sur l'origine et le progrès des arts en général, comparés avec l'origine de la littérature française; enfin, son remarquable rapport sur le projet de la Société libre des Beaux-Arts d'élever, par suite de la souscription qu'elle ouvrait dans son sein, une statue à Eustache Lesueur, dans le jardin du Luxembourg, à l'endroit môme où se trouvait l'ancien cloître des Chartreux; à cette même place où Lesueur, incompris et persécuté, acheva ses vingt-deux compositions de la vie de saint Bruno, et où il mourut ensuite en 1655, à l'âge de 38 ans. Cet appel, entendu par la ville de Paris et la Commission départementale, augmenta nos ressources d'une somme de 7,000 fr., et le rapporteur put s'exprimer ainsi : « En élevant « un monument à Eustache Lesueur, dans le jardin « du Luxembourg, sur l'emplacement même où se « trouvait jadis la Chartreuse, la Société libre des « Beaux-Arts accomplit une tardive et équitable « réparation ; mais en s'associant par une généreuse « subvention à cette oeuvre patriotique, la Ville de « Paris paye une juste dette à la mémoire d'un de « ses glorieux enfants. "

Nous-même, enfin, s'il est permis de nous citer, nous avons été assez heureux, dans nos préoccupations administratives, pour représenter le bureau dans le sein de plusieurs commissions, et d'être


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chargé de présenter quelques rapports à la Société. C'est par suite de deux de ces rapports que la Société va décerner dans cette séance des récompenses: l'une à M. Guiot, pour les procédés au moyen desquels il imite les anciens vitraux ; l'autre, à M. le marquis de Monestrol, pour sa nouvelle méthode de travailler les matières céramiques.

Les relations de la Société libre des Beaux-Arts avec les sociétés scientifiques, littéraires et artistiques ont été non-seulement entretenues cette année, mais encore elles ont augmenté. Nous pouvons constater aujourd'hui 62 sociétés qui nous envoient leurs bulletins ou leurs mémoires, en échange de nos Annales. Ces mêmes envois ont fait l'objet de divers rapports, ou ils le seront à la prochaine session.

En nous tenant au.courant de leurs travaux, les sociétés correspondantes nous ont prouvé le prix qu'elles attachent à ces relations de bonne confraternité, et les savants, les littérateurs et les artistes nous ont donné un témoignage de la confiance qu'ils ont dans l'impartialité de nos appréciations.

Puisque la limite de ce compte rendu ne nous permet pas de faire une analyse complète des oeuvres que nous avons reçues, qu'il nous soit du moins permis d'adresser publiquement aux sociétés correspondantes, nos soeurs, nos remercîments comme témoignage de bonne confraternité.

En dehors de ces correspondances, nous avons


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reçu des envois individuels, tels que la gravure représentant le portrait de Mlle Henzel, par M. Henzel père ; celui de M. Battar, ancien membre honoraire, gravé par M. Berri, son gendre ; deux lithographies représentant, l'une le portrait de Daguerre, l'autre celui de MM. Meade, frères, nos correspondants de New-York; un album de notre correspondant, M. Chenavard, architecte du département du Rhône, ayant pour titre : Lyon antique et restauré.

Cet atlas, comprenant un précis historique sur la ville de Lyon, et cinq feuilles gravées représentant la cité antique sous divers points de vue, a été de la part de notre confrère M. Rolland, le sujet d'un rapport qu'il a terminé en disant que l'auteur a décrit toutes les phases, heureuses ou malheureuses de la cité romaine, avec l'amour de l'artiste et la science de l'archéologue. Nous avons également reçu un album impérial d'Haïti renfermant les portraits en pied de l'empereur Faustin 1er et de l'impératrice Adelina, ceux des membres de la famille impériale, et ceux des grands dignitaires de l'empire. Cet ouvrage, remarquable par le fini de l'exécution, nous vient de M. Hartmann de New-York, qui en a fait hommage à la Société par l'entremise de MM.. Meade frères.

En dehors des travaux purement techniques de la Société, il nous reste à vous signaler, Messieurs, ceux faits hors de nos séances, soit individuelle-


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ment par chacun de nos collègues, soit collectivement au nom de la Société.

M. Félix Pigeory s'est fait remarquer par l'habile direction du journal la Revue des Beaux-Arts, organe officiel de la Société libre, décoré l'année dernière de l'ordre d'Isabelle la Catholique; il reçoit cette année le titre d'architecte de la ville de Paris, et M. le préfet de la Seine lui confie l'érection de plusieurs établissements.

M. Rohault de Fleury achève la direction d'un mausolée que lui a confié la Société, pour conserver à la mémoire et au respect de tous des restes qui lui sont chers, et est chargé par le gouvernement de la prochaine restauration de l'Opéra.

M. Aristide Husson, dont l'habile ciseau justifie le grand prix de Rome obtenu par lui en 1830, orne l'église Sainte-Clotilde de la statue du premier roi chrétien, décore le foyer de l'Opéra-Comique du buste de Sedaine, coopère à la grande oeuvre du tombeau de l'Empereur, par deux génies d'une remarquable beauté, et trouve encore le moyen de figurer au Salon de cette année par la statue d'Eustache Lesueur, qu'une session prochaine aura l'honneur d'inaugurer.

M. Charles Pollet se fait remarquer par l'ouverture de Guillaume Tell, réduite par lui pour orgue et deux pianos à huit mains, morceau d'ensemble destiné aux honneurs de cette séance.

M. Paul Carpentier, dont la palette de peintre


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d'histoire s'est transformée en ciseau de sculpteur, a trouvé dans les sentiments de son coeur tout ce que le flambeau de l'amitié a pu éclairer de noble et de sublime pour sculpter le médaillon de son ami Daguerre, sur une tombe sacrée, pour gratifier la veuve éplorée du buste de celui qu'elle regrette, et pour décorer la bibliothèque de Troyes de celui de M. Paillot de Montabert, son autre ami ; générosité qui lui a valu le titre de membre correspondant de la Société d'agriculture, belles-lettres et arts du département de l'Aube.

M. Dujardin a l'initiative des plans du Palais de cristal au carré Marigny.

M. Hittorff se distingue dans la construction du Cirque Napoléon. Il publie son bel ouvrage sur la peinture polychrome des Grecs. Il est chargé des embellissements du bois de Boulogne, et voit ses oeuvres couronnées d'un plein succès par sa nomination de membre à l'Académie des beaux-arts.

M. Blascosoler , membre correspondant , est nommé graveur de la reine d'Espagne et directeur de l'Académie royale des beaux-arts de la ville de Valence.

M. Dien expose au salon le portrait de M. Labrouste, et est chargé, par le ministre de l'intérieur, de l'exécution de plusieurs fac-similé de dessins de Raphaël, faisant partie de la collection du musée du Louvre.

M. Vanderburch expose une belle toile faite d'a-


231 près nature, représentant les bords de la Seine près d'Argenteuil.

M. Dubouloz termine un tableau commandé par le ministre de l'intérieur, ayant pour sujet saint Germain l'Auxerrois délivrant, par miracle, des prisonniers dans la ville de Ravennes.

M. Thuiller apporte au salon de cette année un contingent de trois paysages pris dans le départe-' ment de l'Orne', dans celui de l'Isère et dans les montagnes du Dauphiné.

M. Pernot fait recevoir au salon une aquarelle du château dans lequel naquit Marie Stuart, ainsi qu'un dessin dont le sujet représente une vallée des Vosges.

M. Rouget peint le maréchal Soult entouré des souvenirs de l'empire et lisant le Mémorial de SainteHélène.

M. Desboeufs fournit au salon le buste de l'Empereur et la statue de Pandore.

M. Gelée expose le portrait d'Eustache Bérat, d'après M. Melotte de Rouen.

M. Dussauce concourt puissamment à la gloire et à la prospérité nationale, par l'application qu'il fait de son talent à l'industrie. Depuis vingt-cinq ans ses modèles occupent une place honorable à toutes nos expositions, et sont pour le fabricant qui les emploie une cause principale des premières récompenses qu'il obtient.

A l'Exposition universelle de Londres, notre col-


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légue a dû porter haut le drapeau de la France, puisque le jury a décerné la grande médaille à l'habile fabricant qui a produit ses oeuvres, et qu'il a été nommé chevalier de la Légion d'honneur. Espérons que M. Dussauce ne tardera pas à recevoir lui-même la récompense due à ses longs et utiles travaux.

Comme artiste décorateur, M. Dussauce a rendu aux beaux-arts des services non moins éclatants. Pendant quinze années il a étudié avec soin et persévérance les procédés de peinture encaustique à la cire des anciens. Guidé par le plus noble désintéressement, il a rendu ses procédés publics, tandis que deux de ses confrères tenaient les leurs secrets, et il vient de terminer, en ce qui concerne sa spécialité, les peintures de l'église Saint-Vincent-dePaule, sur lesquelles se trouvent les remarquables oeuvres de MM. Picot et Flandrin,

De concert avec notre ancien collègue, M. Vau— chelet, M. Dussauce exécute, en ce moment, les peintures décoratives des voitures du sacre, et nous ne doutons pas que son travail ne reçoive l'approbation générale.

Comme d'usage, la Société a nommé dans son sein une commission à l'effet d'émettre son avis sur le salon de 1853. Nous n'avons pas à devancer cette lecture; elle va bientôt vous être soumise par le rapporteur choisi par elle, M. Horsin-Déon, auteur' d'un, excellent ouvrage sur la conservation et la


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restauration des tableaux, dont nos annales doivent publier l'analyse.

Dans la dernière session, la Société libre des Beaux Arts avait ouvert une souseription pour élever un monument à l'inventeur de la photographie. Cet appel fut entendu de tous les artistes, et il eut pour résultat de couvrir nos listes des noms les plus honorables. Par suite de ce concours, l'offrande du riche se joignit à l'obole du pauvre, et nous vîmes une partie de ce sexe qui fait le plus bel ornement de nos séances publiques, s'empresser, comme partout où il y a quelque bien à faire, à prendre part à cette bonne oeuvre.

Le succès dépassa bientôt nos espérances, et notre appel, entendu aux États-Unis d'Amérique, devint pour nous la preuve que les âmes généreuses n'ont qu'une manière d'agir lorsqu'il s'agit de soulager l'infortune ou de conserver de précieux souvenirs.

Le 4 novembre dernier, la Société libre des Beaux-Arts se rendait à Bry-sur-Marne , à l'effet d'inaugurer le monument qu'elle élevait à la mémoire de Daguerre. Arrivée sur les lieux, elle y trouvait une population jalouse de participer avec l'autorité municipale elle-même à ce public hommage, rendu par des artistes à un artiste célèbre.

Arrivés devant la tombe, et après les bénédictions religieuses, M. A. Péron a fait entendre au mieu de l'assemblée recueillie, un discours dans


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lequel la vie de Daguerre était simplement racontée, ses travaux savamment appréciés.

« Observateur passionné de toutes les beautés « naturelles, dit-il, de quelles oeuvres Daguerre ne « devait-il pas être l'auteur ! Doué d'une organisa« tion singulièrement appropriée au rôle que la « Providence lui destinait, quels effets de repré« sentation ne devait-il pas produire ! Rappelons« nous ici le trait de cet homme de la campagne, « qui, devant le diorama de l'église Saint-Germain« l'Auxerrois, fut saisi de surprise et jeta un sou « sur la peinture pour s'assurer si vraiment l'es« pace n'était pas devant lui.

« Daguerre, dit encore notre honorable vice« président, possédait, à un prodigieux degré, la « mémoire locale. Cette vérité se trouvait démon« trée toute entière dans son diorama de la Forêt« Noire, prise de nuit par un clair de lune; sur le « premier plan se trouvait un feu presque éteint, « paraissant abandonné par des voleurs courant « l'aventure. A cette vue on était saisi d'une sorte " de terreur ; c'était à ne pas se risquer dans le " bois; on se»sentait atteint du frisson de la peur « et de la nuit. Daguerre était là, entendant les « exclamations sourdes de l'admiration, car tout « le monde se croyait en danger, et il avait suffi à « Daguerre pour produire un pareil tour de force, « de se promener la nuit dans la forêt et d'y pren« dre quelques notes. »


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Toutes ces oeuvres, Messieurs, sont bien de nature à satisfaire une ambition d'artiste, quelque grande qu'elle soit, mais tant d'honneurs ne pouvaient suffire à Daguerre; ses grandes oeuvres pouvaient périr; il sentait dès lors le besoin d'une seconde renommée pour conquérir l'immortalité, et ce furent ses expériences sur les applications de la chambre obscure qui lui en ouvrirent les portes en le proclamant le père de la photographie.

Il nous est pénible, Messieurs, de vous attrister par des paroles de deuil; mais notre devoir nous y appelle, et l'on ne saurait du reste, jamais trop parler de ceux que l'on a connus, que l'on a aimés et que l'on regrette. Le temps, dans sa marche rapide, a moissonné parmi nous trois collègues que nous aimions à voir et à, entendre :

M. Léger, graveur, qui, l'un des premiers , donna l'impulsion aux progrès de la fonderie et de la gravure en lettres; qui devança dans cette partie les Didot, dont il était lui-même parent. Artiste entièrement voué à son art , il obtint plusieurs médailles à nos expositions, et mourut dans sa quatre-vingt-septième année, après avoir noblement rempli sa carrière.

Peu de jours après, nous rendions les derniers devoirs à M. Rouillard (Jean-Sébastien), peintre, né à Paris en 1189. Élève de David, il fit un grand nombre de portraits, parmi lesquels nous pouvons citer ceux de MM. Lanjuinais, Becquet, Pasquier,


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de Montesquieu, Bellard, commandé à notre collègue par le conseil de l'ordre des avocats ; enfin celui de M. de Villèle, vrai chef-d'oeuvre, qui augmenta beaucoup sa réputation. Il exécuta aussi les portraits de Louis XVIII, de Charles X et du duc d'Angoulême. Il remporta la médaille d'or de première classe au salon de 1827, et fut nommé plus tard chevalier de la Légion d'honneur. Bon et dévoué collègue, il emporte avec lui les regrets unanimes de ceux qui l'ont connu.

Cette tombe n'était pas encore fermée que nous avions à déplorer la perte de notre collègue Jacques-Marie Huvé. Né en 1783, élevé à l'école du malheur, le jeune Huvé se livra de bonne heure à l'étude : à quatorze ans, il donnait des leçons de mathématiques et subvenait à ses besoins personnels. En 1808, il était conducteur des travaux à la Madeleine; puis inspecteur en chef en 1817. Les principaux établissements confiés à ses soins furent la Salpétrière, l'hôpital Necker, les Enfants-Malades, l'hospice Beaujon, la Pitié, l'Amphithéâtre général, et enfin l'Hôtel-Dieu. Devenu l'architecte de Louis XVIII, il fut nommé, en 1827, celui de l'Administration des Postes. En 1837, il était membre honoraire du Conseil des bâtiments civils. Déjà chevalier de la Légion d'honneur en 1835, il fut promu au grade d'officier en 1846. Plusieurs sociétés savantes et artistiques tiennent à honneur de compter M. Huvé parmi leurs adeptes; c'est ainsi


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qu'il fut appelé deux fois à la présidence de notre Société; qu'il fut reçu dans la Société centrale des architectes, et que la mort de M. Percier laissant une place vacante à l'Institut, M. Huvé l'occupa vers l'année 1838. Tout semblait lui sourire, lorsqu'en 1840, il vit se briser une union qui, pendant vingt-cinq ans, avait été pour lui une source constante de bonheur domestique. Privé d'une compagne dévouée, il chercha la consolation dans une inépuisable charité; action généreuse qui l'exposa quelquefois à jouer le rôle de dupe; et lorsque ses amis le lui faisaient apercevoir, il répondait avec bonté : « Mieux vaut donner à celui qui n'a pas « besoin, que de refuser à un malheureux privé « du nécessaire. » Ce fut le 22 novembre 1852 que mourut cet homme de bien, sans qu'aucun indice eût pu faire pressentir un tel malheur. Lorsque sa famille pénétra le matin dans sa chambre, on trouva son livre placé près de lui : sa figure était calme et souriante; sa famille le crut endormi; il était mort.

Tel était , Messieurs , le collègue que nous avons perdu. Puissent ces quelques paroles être le témoignage sincère de nos vifs regrets, et l'énumération de ses belles qualités être une fleur de plus à ajouter à sa tombe !

Des notices nécrologiques sur MM. Daguerre, Rouillard et Huvé sont le sujet des préoccupations de MM. Paul Carpentier, A. Péron et Chaudet.


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S'il nous était donné l'espérance de trouver un adoucissement à l'amertume de nos regrets, nous chercherions cette consolation parmi les noms honorables qui sont venus fortifier nos rangs et nous prêter leur appui.

MM. Bienaimé et Rohault de Fleury, fondateurs de la Société, membres résidants depuis plus de vingt années, pendant lesquelles ils ont rendu d'immenses services à la Société, ont été proclamés membres honoraires par le voeu spontané de leurs collègues, guidés qu'ils étaient envers eux par un acte de reconnaissance et un témoignage d'estime.

Au nombre des membres honoraires reçus pendant cette session se trouve aussi Mlle Honorine Rollot, professeur de piano, répétiteur au Conservatoire de musique, dont vous pourrez admirer le talent dans cette séance.

Parmi les membres résidants, nous pouvons citer M. Adolphe Blondin, jeune homme dont l'avenir est plein d'espérance; M. Vergner, ingénieur civil; M. Nuzilliat, chimiste; M. Charles Chevalier, dont l'amour pour les beaux-arts est connu, et la réputation comme opticien faite depuis longtemps; M. Alfred Chaudet, architecte, qui apporte à notre section d'architecture, déjà si riche, le tribut de ses connaissances; M. Léon Fournier, chimiste; M. le marquis de Monestrol, peintre d'abord, puis géologue, chimiste et minéralogiste distingué; enfin, M. Rosier, déjà membre de plu-


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sieurs sociétés savantes, littéraires et artistiques.

La liste de nos membres correspondants est venue, elle aussi, s'accroître d'une manière avantageuse, par la double réception de MM. Meade frères, photographes à New-York.

Chaque année, Messieurs, la Société distribue, dans sa séance publique, des encouragements aux auteurs de découvertes ou d'applications utiles aux arts. Une commission composée d'hommes spéciaux et éclairés a étudié avec soin les perfectionnements qui nous ont été présentés, et, après avoir soumis ces rapports à notre commission des récompenses, la Société libre des Beaux-Arts a cru devoir honorer de ses faveurs les procédés qui lui ont paru constituer un progrès réel ou qui peuvent devenir d'un emploi utile dans la pratique des arts.

C'est par suite de ces décisions que M. Guiot reçoit, dans la solennité de ce jour, une mention honorable pour les procédés au moyen desquels il imite les anciens vitraux ; que M. Toloza reçoit une médaille de bronze pour la confection de ses ardoises factices et de ses panneaux imperméables ; que M. Cotel reçoit une médaille de bronze, pour les perfectionnements de son système d'emballage de tableaux et pour son rouleau cylindrique perfectionné ; qu'enfin M. le marquis de Monestrol reçoit, comme étant la plus haute récompense que la société décerne, une médaille d'argent, pour sa méthode de travailler les matières céramiques ;


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méthode aussi ingénieuse que simple, et dont le résultat est appelé à recevoir les plus belles applications par l'imitation exacte de toutes les pierres naturelles.

Tel est, Messieurs, l'exposé rapide des travaux de la Société libre des Beaux-Arts ; puisse-t-il nous concilier aujourd'hui votre suffrage, comme les années précédentes ! Forts de votre sympathie, nous marcherons toujours d'un pas plus ferme, vers le but de notre institution, c'est-à-dire vers la grandeur de la France, le triomphe du beau et du vrai. Nous appelons donc de tous nos voeux le jour où nous pourrons voir s'unir à l'industrie sagement organisée les saintes doctrines de l'art, qui seules peuvent conserver, dans toute sa pureté, l'éclat de notre école, l'une des gloires de notre patrie.


EUSTACHE LE SUEUR.

ÉRECTION DE SA. STATUE,

PAR M, AUGUSTE MAILLET.

Les beaux-arts ont brillé dans des siècles divers, Et de leur vif éclat ont rempli l'univers. Au temps de Périclès, les Zeuxis, les Appelle, Et les Parrhasius, Phidias, Praxitèle,

Ont illustré la Grèce et buriné leur nom Au temple d'Erechtée, au front du Parthénon. Plus tard, chez les Romains, les Muses adorées A leur aimable joug soumirent ces contrées Qui portèrent au loin le culte des beaux-arts, Sous le règne puissant du second des Césars. Après un long sommeil on les vit reparaître, Reprendre leur flambeau, resplendir et renaître Au temps de Léon dix et de François premier, Où de la gloire on sut retrouver le sentier; Age heureux, appelé l'âge de Renaissance, Age qu'on peut nommer l'aurore de la France ; Age où l'art prit chez nous un véritable essor, Mais encore incertain, lent et timide encor. Bientôt l'éclair jaillit, le grand siècle commence Et franchit promptement l'âge d'adolescence ; Le laurier du poëte en nos climats fleurit, Notre horizon s'étend; l'art s'élève et grandit. Dans ce siècle où les arts, au temple de mémoire, Disputaient aux anciens les palmes de la gloire, Où la France, prenant enfin les premiers rangs, Tenait la lice ouverte à ses nobles enfants, Paris donna le jour à de puissants génies, A qui l'art enseigna ses douces harmonies. Jeune encore, l'un d'eux conquit par ses succès, Le glorieux surnom de Raphaël français.

T. XVIII.. 16


242 Son habile crayon, tenu d'une main sûre, Ne s'écartait jamais de la belle nature. Toujours pur, toujours vrai, simple, mais saisissant, Soit que dans un tableau sublime et ravissant, Il présente saint Paul, orateur dans Ephèse, Ralliant à sa voix tout le Péloponèse ; Soit que de Phaëton il décrive le char, C'est toujours Le Sueur. Voyez avec quel art, Variant ses sujets, groupant ses personnages, Il ouvre à saint Bruno ses immortelles pages. Des têtes, des contours la noble expression S'allie heureusement à la correction. Chaque détail concourt au but qu'il se propose : Ici nous admirons l'attitude ou la pose ; Là, d'un plan bien conçu le choix ingénieux Et la suavité d'un pinceau gracieux. Toujours avec justesse il traduit sa pensée : Si d'une draperie artistement placée, Il expose aux regards les plis longs ou flottants, Elle semble du corps suivre les mouvements. Il serait sans rival et sans égal peut-être, S'il eût eu, par bonheur, un Titien pour maître ; Si de son coloris les tons harmonieux Du ciel vénitien reproduisaient les feux; S'il eût, en Italie, avec les grands artistes, Deviné les secrets des puissants coloristes. Sur sa tombe déjà deux siècles ont passé, El depuis lors encor nul ne l'a surpassé.

Quand la mort lui ravit son épouse adorée, D'un cloître il adopta l'austérité sacrée. La vie avait pour lui perdu tous ses appas, Car il est des amours qu'on ne remplace pas. Les yeux noyés de pleurs, n'aimant plus que l'étude, Il traîna son chagrin dans une solitude.


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Là, sombre en sa cellule, aprèsun tel malheur, Les beaux-arts pouvaient seuls alléger sa douleur, Il reprit ses pinceaux, sa palette féconde ; Mais éteint en sa fleur, il disparut du monde. Par un coupable oubli, cet artiste éminent Jusqu'ici, dans nos murs, n'a pas un monument Qui puisse à l'avenir conserver la mémoire De ses nobles travaux, de son nom, de sa gloire. Mais le génie, en France, a des amis nombreux, Des amis pleins d'ardeur, et c'est au milieu d'eux Que naguère a surgi la première pensée De remplir dignement la place délaissée, La place où Le Sueur a terminé ses jours, Où du modeste cloître apparaissaient les tours, Là même où s'élevait la croix de la Chartreuse. Honneur donc à celui dont la voix généreuse, Appelant le concours d'un habile ciseau, Enrichira Paris d'un chef-d'oeuvre nouveaux Honneur à toi, Péron ! D'une école brillante Tu soutiens noblement la doctrine savante. C'est toi qui convias notre Société A rendre à Le Sueur un honneur mérité ; C'est toi qui le premier as présenté la liste D'une souscription pour l'immortel artiste. Et toi, notre collègue, Aristide Husson, Dont l'oeuvre, en ce moment, décore le Salon, Ton nom va se trouver joint à celui du maître Que ton ciseau hardi semble faire renaître; Et chacun, en voyant les traits de Le Sueur, Répétera le nom du peintre et du sculpteur. Bientôt un piédestal recevra la statue ; Du grand peintre les traits frapperont notre vue, Et rediront encore aux siècles éloignés Qu'en France les talents sont toujours couronnés.


RAPPORT SUR LE SALON DE 18 5 3,

lu le 19 juin à l'Assemblée générale annuelle de la Société libre des Beaux-Arts,

PAR M. HORSIN-DÉON,

Peintre, Restaurateur des tableaux des Musées impériaux, secrétaire de la Société libre des Beaux-Arts, etc.

Les peuples anciens ont vu tour à tour chez chacun d'eux, à des époques différentes, les arts briller d'un éclat dont la vivacité bientôt affaiblie a pâli graduellement pour finir par s'éteindre. Quand cette divine clarté, véritable phare de l'humanité, a disparu complètement, elle a fait place aux ténèbres de la barbarie qui n'ont laissé après elles que ce que nous avons trouvé en Grèce : des souvenirs confus, des débris et des esclaves.

La communauté des langues, la reproduction indéfinie de la pensée humaine par l'imprimerie, la gravure et la lithographie ; enfin, les rapports si multipliés entre les peuples modernes, les mettent sans doute à l'abri d'un malheur aussi complet. Mais on peut reconnaître chez eux qu'en se vulga-


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risant, l'art a perdu son caractère élevé; qu'il s'est abaissé pour se mettre à la portée de tous, qu'enfin sa tendance n'est plus à s'élever, mais à s'étendre.

Quiconque s'en occupe sérieusement doit suivre avec inquiétude cette décadence progressive ;' il doit aussi en rechercher les causes et en combattre les effets.

Faite dans cet esprit, la critique sera plus utile et plus respectable, et nous osons espérer en prenant la plume, que la gravité de l'idée qui nous préoccupe donnera à nos assertions quelque autorité ; suppléera à la faiblesse de l'expression ; qu'enfin la sincérité en fera, s'il y a lieu, pardonner la sévérité.

Considérations générales.

S'il est vrai que la France fut devancée dans la noble carrière par l'Italie ; si elle n'a point de Michel-Ange, de Raphaël, elle peut du moins opposer aux maîtres immortels de ce pays classique une foule d'artistes justement célèbres qui, depuis trois siècles, l'ont dotée d'une école sans rivale dans l'art du dessin. Cependant les beaux-arts ont eu en France des intervalles de langueur. Le bien-être est nécessaire à l'artiste ; sous son heureuse influence, la pensée peut se développer dans toute sa liberté,. conserver sa force, et atteindre au sublime. Mais une position difficile lui ôte son ressort ; la lutte


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incessante avec les difficultés de la vie l'accable et l'humilie; les discordes civiles l'épouvantent. Mais sans nous occuper de ces causes sur lesquelles nous ne pouvons que gémir, nous en indiquerons quelques autres.

On s'approche des hauteurs de l'art, accessibles seulement au génie, lorsque la nature est soigneusement étudiée, que la pensée est grande, que le goût est épuré. Malheureusement, parmi les artistes consciencieux surgissent des novateurs, hommes de talent qui, souvent, s'éloignent de la nature en voulant se singulariser. Or, toute nouveauté est séduisante et trouve des imitateurs qui espèrent rencontrer le succès et la fortune en suivant les routes non frayées, au risque de fouler aux pieds les règles de l'art et du goût ; c'est ainsi que se franchit l'intervalle au delà duquel se rencontre le bizarre.

Chaque génération apporte avec elle des moeurs nouvelles. A l'époque la plus florissante de l'art (au XVIe siècle), les maîtres formaient leurs élèves en les faisant participer aux travaux dont ils étaient chargés; ils apprenaient sous leur direction à ordonner un tableau, à établir ses plans, à lier ses incidents; ils se familiarisaient avec la magie de la lumière et des ombres, l'effet, l'harmonie, la convenance et l'expression. On travaillait alors avec la seule préoccupation que produit l'amour de la gloire.

Aujourd'hui que tout tend à la spéculation, l'ate-


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lier est une école où, moyennant une prime, on apprend le métier de la peinture. En supposant que la fortune, des protecteurs, ou une persévérance énergique mettent l'élève à môme de créer une oeuvre de quelque importance, il faudra qu'il cherche ailleurs que dans l'atelier du maître la véritable science de l'art. Cette éducation incomplète, beaucoup plus que le mauvais goût des amateurs, a contribué à la dégénérescence de la grande peinture historique. Pour que les hommes doués d'une organisation exceptionnelle deviennent des artistes éminents, il faut qu'ils ne soient pas réduits à se procurer une vie précaire par des oeuvres que leur juste orgueil désavouerait; il leur faut de ces grands travaux qui élèvent l'âme et soutiennent le talent. Nous regorgeons de médiocrités : nous les verrons disparaître quand de grandes compositions remplaceront dans nos expositions cette multitude de portraits qui fatigue la vue sans rien dire à l'esprit. Aujourd'hui encore, les novateurs triomphent; nos jeunes artistes rejettent loin d'eux les études sérieuses comme un frein incommode. Et pourtant, s'il est vrai que l'industrie de notre pays soit sa véritable richesse, le bon goût dans les arts du dessin est de nos jours d'une plus grande importance qu'en aucun temps; car la véritable supériorité de l'industrie française est due à l'éducation artistique qui distingue nos ouvriers et la place au premier rang.


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Puisque les produits de l'art ne sont plus renfermés dans l'enceinte des églises et des palais ; puisqu'il est devenu une nécessité populaire, nous devons, plus que jamais, veiller à sa prospérité. N'oublions pas que Carlo Maratte, Pietro de Cortone, Tiepolo , et autres obtinrent, comme les idoles du jour ( les réalistes ) , de grands succès et peut-être avec plus de justice ; mais que ces succès mêmes hâtèrent la perte de la prééminence de l'Italie.

Quoi qu'il en soit, sollicitons pour nos artistes la protection du pouvoir : heureusement nous ne sommes pas encore à la veille de voir succéder les ténèbres à la lumière. Souhaitons donc qu'ils soient soutenus, encouragés et récompensés avec munificence,

Il y a trois classes d'artistes également dignes d'intérêt : les élèves, les professeurs et les illustrations, qui sont les professeurs des professeurs. Aux élèves appartiennent les encouragements, car de leurs rangs doivent sortir les hommes d'exception. Nos provinces peuvent pourvoir à l'existence des moins privilégiés; elles réclament en vain des professeurs de talent. Leurs collèges, leurs écoles en sont privés : que ces places soient réservées , et, selon leur importance, distribuées aux artistes secondaires , suivant le mérite. Ils deviendront ainsi des hommes utiles à la société; car, grâce à eux, le goût et l'intelligence des arts pénétreront dans toutes les classes.


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L'administration dégagée envers eux pourra, par des travaux dignes de la France, entretenir l'émulation parmi nos illustrations, et obtenir des chefsd'oeuvre qui maintiendront sa haute renommée artistique. Nous n'éprouverons plus la douleur de voir les artistes dont elle s'honore abandonner les honneurs de nos Salons à des médiocrités, ou à des étrangers. Conduite que nous ne pouvons que blâmer, car quels que soient les griefs qui légitiment leur abstention, l'amour de la gloire et de la patrie doit toujours dominer dans le coeur du véritable artiste.

Qu'importent à MM. Vernet, Ingres, Delaroche, Coignet et autres, les attaques de l'ignorance? attaques qu'ils pourraient braver hautement et auxquelles leurs ouvrages seraient une réponse victorieuse. D'ailleurs, en se retirant devant des clameurs qu'ils devraient mépriser, s'ils ne peuvent rien perdre d'une renommée justement acquise et bien établie, ils laissent écraser les artistes plus faibles qui marchent à leur suite dans la route du bon goût. L'égoïsme est un mauvais conseiller, il tue l'âme ! et l'âme morte, l'artiste n'est plus. Sa gloire restera bien incomplète, le pays devra peu à sa mémoire, s'il ne lui lègue des élèves dignes de lui succéder. En luttant contre l'envahissement du mauvais goût, en soutenant le droit du talent naissant, le véritable artiste se fait respecter et fait respecter les autres. Que nos notabilités artistiques se montrent,


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et elles ne tarderont point à reconnaître que la vraie puissance appartient à l'homme de génie dont le coeur est droit. Maigre ces abstentions regrettables, les rangs de nos artistes semblent se presser et s'augmenter. L'intérêt se partage entre eux, mais il se fixe particulièrement sur les tableaux de chevalet et de genre. On remarque bien parmi les grandes pages quelques bons tableaux, mais ils sont rares. Nous l'avouons avec d'autant plus de regret qu'aucun de ces derniers n'appartient à la nouvelle école. Tous nos jeunes artistes affichent l'indépendance, tous semblent dédaigner les systèmes, tous prétendent céder au génie particulier qui les inspire, tandis qu'ils ne sont, pour la plupart, que les pasticheurs inintelligents des maîtres qui les ont précédés.

Quand M. Delacroix entreprit la lutte qu'il a soutenue contre l'Institut, il semblait être victime d'un parti pris ; aussi rencontra-t-il de nombreux adhérents. On aime l'audace en France, et l'opprimé y rencontre toujours des sympathies. En effet , M. Delacroix possède de véritables qualités de peintre; personne sans passion ne peut le nier; le Salon devait donc lui être ouvert sans conteste. Il n'en fut pas ainsi ; les refus multipliés qu'il subit, lui et son école, aigrirent les partis. Les roman tiques accusaient avec quelque raison les classiques de partialité. De nous seuls, disaient-ils, peuvent naître l'indépendance et le progrès. Eh bien! depuis plusieurs


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années,M. Delacroix triomphe; les portes du Salon s'ouvrent d'elles-mêmes pour lui et ses adhérents ; la presse presque tout entière est soumise à l'influence romantique; et nous cherchons en vain l'apparence du progrès. Certes, il ne saurait se rencontrer dans les trois esquisses qui ont été exposées cette année par M. Eug. Delacroix, et encore moins dans le tableau de M. Matout. Cependant cette commande, qui est peut-être la plus importante du Salon, ne doit pas avoir été faite à la légère. MM. Gigoux, Ar. Dumaresque, Gustave Moreau et autres peuventils prouver la supériorité du romantisme? Non, certainement; au contraire, il devient évident que l'art languit sous sa domination, que chaque année la décadence de la grande peinture historique est de plus en plus sensible, sans qu'aucun frein lui soit opposé.

Que les novateurs se le persuadent bien, leur prétendue originalité n'est, le plus souvent, que l'imitation de telle école ou de tel maître; le progrès ne peut être là : le vrai moyen d'y arriver, c'est de résumer tous les systèmes, de les appliquer tous et chacun suivant la convenance du sujet. L'homme de génie sait voir et comprendre, il pressent les idées, se les approprie et les réalise.


282 Grande peinture.

Mlle Rosa Bonheur est un peintre original, car elle n'a pris des maîtres anciens que le procédé. C'est en étudiant la nature qu'elle a acquis ce dessin énergique et pur, cette couleur blonde, argentine et vraie que nous admirons dans son beau tableau du Marché aux chevaux, joyau du Salon !... C'est qu'en effet des qualités d'un caractère élevé s'y font remarquer; sa composition a du mouvement, du tumulte sans confusion, du pittoresque sans affectation. Sa couleur est puissante et brillante. Elle a tiré un excellent parti de la poussière et des brouillards du matin pour produire des effets de lumière piquants; mais elle l'a fait avec tant d'art et de goût qu'il semble qu'elle ait copié scrupuleusement la nature.

Le tableau de Jacquand, l'Amende honorable, est un des plus remarquables du Salon. Agenouillé, un jeune religieux abjure, ses erreurs. Le supérieur de son ordre, entouré de tous ses frères, aux physionomies austères et pénitentes, reçoit son serment. Ce tableau bien ordonné est composé avec sagesse. Son effet est saisissant, quoique sa couleur généralement vigoureuse nuise peut-être à son harmonie. Mais seule, la figure du jeune condamné ferait oublier bien des défauts s'ils existaient, tant M. Jacquand


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a su exprimer dans cette figure-l'humiliation calme d'une âme rompue par l'habitude de la retraite, de la méditation et de la prière.

M. Gallait représente noblement l'école flamande ; ses oeuvres doivent prendre rang parmi les meilleures du Salon. Son tableau des Derniers moments du comte d'Egmont est d'une exécution consciencieuse et savante ; sa couleur a de la suavité. Sa composition est peut-être moins heureuse, mais la figure du comte est belle, noble ; elle exprime bien toutes les tristesses d'une âme énergique qui, dans peu d'instants, doit violemment quitter la terre sans avoir rempli sa sainte mission. L'effet de ce tableau a du piquant, mais ce piquant n'est obtenu que par des sacrifices qui, souvent, conduisent au mensonge. C'est surtout dans le tableau du Tasse, plein de poésie d'ailleurs, que cet effet est faux en tous points.— Pourquoi cette chaleur de tons dans un antre de misère, froid et humide, où le soleil même semble n'entrer qu'à regret? Mais puisqu'un de ses rayons, par hasard, y pénètre, comment expliquer qu'un reflet n'arrive pas jusqu'aux traits du pauvre prisonnier dont les mains sont si vivement éclairées? Il y a là évidemment erreur.

M. Lazerges, dans un style bien différent, mais qui n'en mérite pas moins nos éloges, nous fait assister aux Derniers moments de la Vierge. Ce beau tableau


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est composé avec sagesse; fidèle interprète de la pensée de Bossuet, M. Lazerges a judicieusement écarté de sa composition tout emportement dramatique. L'âme bénie de la sainte mère de Dieu quitte son enveloppe terrestre et s'élève au ciel au milieu du silence et du recueillement. Cette scène, rendue par le peintre avec âme, est plus émouvante peutêtre par la faiblesse d'une couleur harmonieuse.

La Charité, par M. Cibot, est aussi d'une bonne école. Ce tableau est bien conçu : il y a de la grandeur, c'est en un mot une oeuvre consciencieuse, recommandable à plus d'un titre.

M. Benouville donne de sérieuses espérances ; son tableau de Saint François d'Assise mourant doit être cité en première ligne. Il règne dans cette composition un calme, une austérité qui émeuvent ; la figure du saint est pleine de mansuétude, on y lit la paix d'une âme pure, soutenue par l'espoir d'une éternelle félicité. Cette peinture d'un style élevé est sagement conçue ; son effet est heureusement approprié au sujet : c'est en un mot de la grande peinture dans un petit cadre.

Le tableau de M. Robert-Fleury, les Derniers moments de Montaigne, semble plutôt être l'oeuvre d'un élève de Rubens ou de Van Dyck que celle d'un artiste de notre époque. Les succès obtenus par M. Fleury pourraient justifier son style, son sen-


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timent; mais l'histoire de l'artnous apprend que d'ordinaire le temps, qui classe les artistes, réserve le second rang à celui qui cherche dans les oeuvres d'autrui ce qu'il doit chercher dans le seul grand maître à imiter : la nature.

On remarque de M. Winterhalter un tableau dont le sujet est tiré des romances de M. Emile Deschamps. Il est gracieux, il séduit tout d'abord; mais le style conventionnel de l'artiste le rend bien - tôt monotone.

La mort d'Agrippine, par M. Duveau, offre de belles parties; c'est l'oeuvre d'un homme qui a étudié consciencieusement son art, mais peu son sujet. On ne pourrait dans son tableau reconnaître la civilisation si renommée des. Romains. Est-il donc nécessaire de faire tant d'efforts pour obtenir l'effet et le mouvement? Non, car la vérité, la pensée émeuvent plus que les formes convulsives.

M. Hamon est un peintre gracieux ; ses figures sont naïves, spirituelles, bien dans le caractère de son sujet; sa couleur, quoique faible, est harmonieuse et jette sur sa toile un vaporeux qui n'est point sans charme.

Les tableaux de MM. Heim, Chenavard, Pils, Hesse méritent aussi une mention particulière.


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Citons encore avec éloge parmi les peintres d'histoire les oeuvres de MM. Chopin, Picot, Hébert et MmeBrune.

Peinture de genre.

Nous avons dit que l'intérêt se fixait particulièrement sur les tableaux de chevalet et de genre. En effet, le Salon renferme une foule de ces délicieuses productions dont la variété de style offre mille jouissances au public, et principalement aux amateurs qui se les disputent avec empressement. Cet accueil bienveillant stimule l'artiste et fait régner dans cette fraction de l'art une émulation qui ne se rencontre dans aucun autre genre. Les uns cherchent à force de grâce et d'esprit à attirer les regards; les autres prétendent atteindre le même but par l'excentricité, et quelquefois par le scandale, certains d'avance de l'appui que donnent toujours à la médiocrité la sottise et l'envieuse ignorance.

M. Courbet est le type de ces singulières réputations; nous ne parlerons pas de ses Lutteurs, tableau repoussant dont nous ne pouvons expliquer la présence au Salon ; mais de ses Baigneuses, peinture qui blesse encore plus le goût que la décence. M. Courbet se dit avec orgueil élève de la nature, nous voulons bien l'en croire, mais il y a la belle et la laide ; l'imitation de cette dernière conduit au bas, au trivial, au repoussant; c'est sans doute sous le patro-


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nage de celle-là que M. Courbet a fait ses études, car l'autre, au contraire, apprend à aimer le beau, la naïveté, la simplicité, la conscience; et M. Courbet, par système sans cloute, semble ignorer toutes ces choses.

M. Antigna n'est pas élève de la nature, son maître est M. Delaroche, mais il fait nature. Rien n'est réjouissant comme sa Ronde d'enfants ; rien n'est plus spirituellement touché. Quelle gaieté répandue sur tous ces frais visages ! Quel entrain, quel mouvement il a su donner à ces joyeux enfants ! C'est certainement là. non-seulement de la bonne peinture, mais encore un tableau qui, sans commentaire, plaît à tous.

Fortune et Bonheur. Les enivrements du bonheur maternel révèlent à une jeune châtelaine le vide de son coeur et la fausseté des jouissances du luxe et de la vanité. Tel est le sujet du charmant tableau de M. Compte-Calix ; les expressions y sont heureuses et l'exposition des sentiments bien sentie ; la composition en est peut-être un peu théâtrale, son effet obtenu par des oppositions trop vigoureuses, mais ces légers défauts sont rachetés par des qualités qui assurent à M. Compte-Calix de vrais succès.

M. Meissonnier a décidément changé sa manière : ses tableaux sont toujours de délicieuses productions spirituellement touchées, mais nous doutons que la

T. XVIII. 17


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nouvelle voie dans laquelle il s'est engagé lui continue l'empressement honorable avec lequel ont été accueillies ses oeuvres plus finies et plus consciencieuses, Quoi qu'il en soit, c'est à l'influence de son beau talent que nous devons cette foule de charmantes productions qui ornent chaque année notre Exposition. Ce n'est pas là son moindre titre de gloire.

M. Le Poittevin nous émeut par des compositions fantastiques. Ses idées larges, jointes à une exécution facile et brillante, donnent à ses productions un caractère original et saisissant.

On remarque de M. Verlat un Bûcheron attaqué par un ours. Ce tableau, d'un bon style, est touché avec énergie, sa couleur est puissante et vraie.

M. Roëhn sait donner tant d'attraits aux plus misérables demeures ; il les rend si pittoresques, leurs habitants ont des moeurs si douces, qu'il est impossible de ne pas croire que le bonheur réside au milieu d'eux.

Les tableaux de M. Schlesinger attirent tous les regards : celui de la Ressemblance garantie est en effet une délicieuse création; il règne dans celte peinture une gaieté, un brillant, une fraîcheur de ton vraiment séduisante.


259

Le talent de M. Bellangé ne vieillit pas, sa touche est toujours ferme et spirituelle ; sans le comparer à M. H. Vernet, qui est le peintre inimitable des armées, qui donne une si grande idée de leur puissance et de leur gloire fastueuse, on peut dire que M. Bellangé est le peintre par excellence du grognard de notre vieille garde. M. Vernet est vrai dans l'ensemble, M. Bellangé l'est dans les détails, et un caractère distinctif de son talent est d'avoir rendu avec une vérité rare un type militaire aujourd'hui perdu, qui rappelle des souvenirs toujours chers aux Français.

M. Cha vet a exposé trois petits charmants tableaux, tous trois d'une bonne couleur et enrichis de figures élégantes et gracieuses. M. Chavet n'est pas à l'apogée de son talent; chaque année le progrès se remarque dans ses délicieuses oeuvres.

A MM. Plassant, Guillemin, Billotte, Frère, nous adressons les mêmes éloges , les mêmes encouragements.

Les petits tableaux de M. Trayer n'attirent point les regards; sa peinture est modeste comme les jeunes filles dont il nous offre l'image. Son dessin est juste, sa couleur d'une grande vérité quoique sans éclat. Mais ce qui distingue ses peintures c'est l'âme, la vie qui anime ses figures.


260

Les oeuvres de M. A. Leleux sont comme toujours d'une couleur de vieux tableaux poussés au noir. Elles ne sont pas sans mérite , et si M. Leleux pouvait apercevoir une seule fois la nature, il deviendrait certainement un artiste de mérite.

Dans les peintures de M. Stevens spirituellement touchées et bien entendues d'ailleurs, nous retrouvons le même travers. Pourquoi du rembranesque dans nos rues parisiennes et surtout le matin du Mercredi des Cendres ?

M. Biard possède une certaine originalité, il est toujours amusant dans le choix de ses sujets; malheureusement l'exécution ne répond pas toujours à ce qu'ils promettent; cependant il a des imitateurs. M. Meuron et M. Knaus, l'un Suisse, l'autre Allemand, lui dérobent même jusqu'à ses défauts. C'est pousser un peu loin la servilité.

M. Bouton, a comme toujours, exposé de petits intérieurs piquants d'effet et spirituellement touchés.

Les tableaux de M. Dauzats ont du brillant; leur effet est bien entendu ; la couleur en est vraie, la faiblesse des figures qui enrichissent ses intérieurs nuit seule à leur agréable aspect.


261

M. Aug. Delacroix intéresse aussi par ses séduisantes compositions.

Nous adressons de môme nos éloges à MM. Duval-le-Camus, Bouvin, Baron, Monginot, Ziem, Schendel, Willems, Mlle Élise Wagner et autres.

Portraits.

Nous avons élevé la voix contre le grand nombre de portraits qui encombrent nos Expositions, mais non contre ce genre de peinture dont nous apprécions tous les avantages, et connaissons toutes les difficultés. Un bon portrait est chose rare, bien peu de Salons en offrent de réellement remarquables,; et surtout d'aussi séduisants que celui de Mme la baronne Gaston d'Hauteserve. Ce portrait, par M. Ed. Dubufe, est une oeuvre complète : couleur, harmonie, grâce, tout s'y trouve réuni.—Le portrait en pied de M. l'amiral Makau, par M. Larivière, fixe avec justice l'attention générale.

Celui de M. Guizot, par M. Mottez, est une peinture remarquable.

S. M. l'Empereur, par M. Lépaulle, offre de belles qualités.

M.Benouville s'est aussi distingué dans ce genre de peinture, ainsi que MM.Rouget, Balthasar et CompteCalix, dont les oeuvres figurent avec distinction au


262

Salon, quoiqu'elles aient été reléguées au troisième rang.

Les portraits de M. Roller méritent une mention particulière.

MM. Antigna, Chaplin, Landelle, Giraud, P. Cabanel, Vetter, Mme Bibron ont aussi produit des oeuvres qui les recommandent à l'attention publique.

Paysage.

La peinture de paysage n'a plus aucun caractère d'école; presque chaque exposant, pris en particulier, semble être à la recherche d'un style, d'un effet que son pinceau formule avec incertitude. Les paysages modernes, en général, n'offrent aucun parti pris ; tout y est vague, indéterminé. Si quelques parties heureuses s'y rencontrent, elles semblent plutôt le résultat du hasard que celui de la pensée. Notre Salon est à peu près veuf de ces belles pages que le génie mûrit, de ces beaux sites qui paraissent destinés à être la retraite paisible des héros et des sages. Nos. paysagistes veulent être vrais, disent-ils, et croient l'être parce qu'ils nous offrent des lieux sans poésie et d'une couleur impossible.

Combien le beau paysage de M. Watelet est préférable à ceux des réalistes, des spiritualistes ! Non, la peinture n'a pas pour but seulement de reproduire le terre-à-terre des objets que la nature offre, dans une perfection désespérante.


263 Nous croyons comme M. Watelet, que la pensée est l'âme d'un tableau et que l'art doit en dissimuler l'arrangement sans l'affaiblir, et en conservant à l'inspiration toute sa spontanéité.

La Vue d'Amsterdam de M. Justin Ouvrié est pour nous, par cette raison, un des plus beaux tableaux du Salon ; son effet est bien entendu, sa couleur harmonieuse et vraie. C'est une oeuvre consciencieuse, qui mérite tous nos éloges.

Les beaux paysages de M. J. Coignet attirent aussi et consolent les regards de tous les hommes de goût. Sur eux on repose sa vue fatiguée, avec bonheur. On est réjoui de l'habileté de la brosse de l'artiste, de l'esprit avec lequel il exprime chaque chose. Dans. ses oeuvres rien n'est donné au hasard, tout y est compris, calculé, et en face de ces belles peintures on sent qu'une pensée créatrice peut seule suppléer aux ressources bornées de l'art.

Les Sources de l'Alphée, par M. Bertin, sont encore une agréable et belle page dans laquelle la science s'allie parfaitement à l'art.

La Vallée d'Ardennes, par M. Courdouan, est un beau tableau, d'un effet saisissant et d'une couleur chaude, vigoureuse et transparente. Nous voudrions pouvoir féliciter de même sans réserve M. J. Nouël,


264

sa vue prise dans la Vallée de Très-Auray renferme de bonnes choses; l'effet en est heureux ; les eaux sont transparentes ; il y a de la vérité dans la couleur, mais il y règne une incertitude dans la touche, un manque de fermeté qui jette sur tout ce tableau un cotonneux fatigant. M. Français a plus de fermeté et d'harmonie, sans être pour cela plus complet; conséquence de ce malheureux système qui fait du procédé l'objet principal de l'art, quand il n'est et ne doit en être que l'accessoire obligé.

La Vallée de la Touque, par M. Troyon, est d'un bon effet, la touche en est large et vigoureuse, ses animaux ont du mouvement et sont bien compris ; son paysage a de la profondeur, sa couleur est brillante et souvent vraie, mais peut-être un peu prétentieuse.

Par M. Mozin, la Vue du port de Honfleur est un tableau bien ordonné et d'un bon effet.

On remarque aussi les animaux de M. Paris, ainsi que les oeuvres de M. Vander Burch, Lapito, Aug. Bonheur, Cibot, Cabat, Viollet-le-Duc, Ziam, de Bar, Daubigny, Ponthus-Cinier, Curzon, Benouville, Chevandier, de Valdrome, qui tous figurent avec avantage au Salon. N'oublions pas non plus les excellents dessins de M. Pernot.


265

Sculpture.

La sculpture est moins capricieuse dans sa marche, et plus conservatrice des belles formes. L'obligation qui lui est imposée, de nous rendre sensible et attrayante sous tous les aspects la beauté des objets qu'elle offre à notre examen, la maintient plus réservée et plus sévère.

Si cette année l'Exposition n'offre aucun ouvrage d'un mérite supérieur, néanmoins nous pouvons en citer de très-estimables.

Le groupe de la Pudeur qui cède à l'Amour, par M. Debay fils, est d'un bon style. La composition en est heureuse et bien pensée.

La Vérité, par M. Cavelier, est un beau marbre que l'habile ciseau de l'artiste a fait vivre.

L'Abandon, par M. Jouffroy, dont la pose laisse peut-être à désirer, est remarquablement étudié et d'une belle exécution.

Par M. Desboeuf, un buste en marbre de l'Empereur, d'un beau caractère. Une gracieuse figure de Pandore d'une exécution remarquable.

M. Husson a pleinement justifié le choix que


266

notre Société a fait de son habile ciseau pour l'exécution de la statue destinée au monument que sa généreuse initiative élève à notre immortel Le Sueur. Cette figure est belle d'arrangement, la tête est fine, naïve et noble en même temps ; tout y est bien compris, bien dans le sentiment, et dans le caractère de l'illustre et malheureux artiste qu'elle représente.

A M. Carpentier, la Société doit aussi le buste de notre regrettable collègue Daguerre, dont chacun admire la surprenante vérité. Dans cette oeuvre remarquable, M. Carpentier prouve qu'il maniel'ébauchoir avec autant d'habileté que le pinceau.

Nous avons encore remarqué les beaux groupes de M. Lechesne. Sa Chasse au sanglier, sou Combat sont composés admirablement et exécutés avec énergie.

Les Lutteurs de M. Ottin, le groupe de M. Sornet méritent nos éloges, ainsi que les oeuvres de MM. Dieudonné, Calmels, Barre, Dantan jeune, Moreau, Huguenin, Lequesne, Pascal, Marcelin, Santiago Farochon, Chenillon, Oliva, Travaux.


2 67

Gravure.

Nous serons bref sur la gravure, qui se soutient et mérite des encouragements. L'oeuvre la plus importante en ce genre est celle de M. Henriquel Dupont ; elle ne lui a pas coûté moins de dix années de travail.

Cette gravure est exécutée avec le sentiment délicat que l'on reconnaît à cet artiste distingué. On y remarque de belles têtes, mais un travail un peu trop gros empêche de trouver dans cette oeuvre toutes les finesses que l'on aimerait à y rencontrer.

Citons comme oeuvres remarquables et dignes d'éloges celles de M. Blanchard pour sa Marguerite, d'après Ary Scheffer qui laisse peu à désirer; de MM. François (frères), qui ont l'heureux privilège de n'exercer leurs beaux talents que d'après les oeuvres de M. Paul Delaroche.

De M. Martinet, sa gravure d'après Raphaël est fine et spirituelle. De MM. Dien et Bein, dont les fac-simile sont exécutés avec tant d'art. De M. Gelée dont le portrait du poëte, peintre et musicien Bérat, est touché avec âme et fermeté. Enfin, de MM. Pollet, Desjardins, Lemaître et autres.

Tel est le résultat des jugements que nous avons portés et qui ont été affermis par l'opinion de connaisseurs impartiaux sur les oeuvres du Salon, et


268

sur les tendances de l'art en France. Nous aurions pu ajouter beaucoup d'autres critiques, si nous n'avions voulu éviter de paraître détracteur outré des choses et des hommes.

Sans être prodigue d'éloges, au moins ceux que nous avons donnés avec sincérité prouvent que le beau nous inspire autant l'enthousiasme, que le mauvais et le médiocre nous font éprouver de dégoût.


UN PORTRAIT.

PAR M. VANDERBURCH.

Le genre du portrait devient spéculateur,

Mais lorque de l'étude il remonte à la source,

L'artiste ne doit plus marcher au pas de course.

Il unit le génie à l'art imitateur.

Malgré des justes traits, malgré l'anatomie,

Principes sans lesquels on rie peut exceller,

Un portrait, fût-il beau, peut ne pas ressembler

S'il ne rend avant tout la physionomie :

Peintre, écrivain, poëte, afin de le tracer,

Que le vrai caractère à l'esprit se dévoile ;

Un vieil adage a dit pour y faire penser :

« Travaille en ton cerveau, c'est la première toile. »

Devant vous et d'après cet exorde exigeant,

Peut-être, en poursuivant, suis-je bien téméraire ;

Mais, en famille, ici, d'un regard indulgent

J'espère qu'on verra ce travail tributaire.

L'être que mon crayon dessine en ce moment, Vit depuis très-longtemps en ce monde fragile, Nous décèle en tous lieux son esprit versatile,


270

Et pose toujours mal, si ce n'est en dormant : De ce vaste univers, chétive créature, C'est pour ses qualités et ses légers défauts, Qu'il ne compta jamais dans la race des sots : Badin ou cauteleux en jouant l'imposture, Il sait par intérêt varier sa figure, Devenir patient, habile observateur, Etre avec naturel très-calme ou très-joueur ?

Afin de s'assurer de l'objet qui le tente,

II sait joindre la grâce au regard séduisant,

Donner un doux accent à sa voix suppliante,

Et faire avec adresse un geste caressant :

Digne enfant de Vénus, innocent communiste,

Quand certain mal l'assiège et le tient en éveil,

Pour ses pauvres voisins, comme pour l'optimiste,

Que de jours sans repos, que de nuits sans sommeil !

Aussi, dès que le calme a remplacé l'orage,

Et que la paix succède à de rudes combats,

Grâce à l'épanchement de ses joyeux ébats

Il ramène au foyer le gentil badinage ?

Des contrastes piquants c'est le vivant tableau ;

Quittant le coin du feu pour courir dans la neige,

Contre les maux nombreux de notre grand troupeau

Il semble qu'Esculape ici bas le protége?

Subtil au dernier point, chez lui-même voleur,

Il faut se défier de ses lents artifices ;

Il sait les combiner pour servir ses caprices,

Et les exécuter en fin escamoteur :

A-t-il un avant-goût de mainte friandise,

Sa mémoire le sert et dirige ses pas ;

Suivant alors l'instinct qui toujours le maîtrise,

On le voit ponctuel aux heures des repas,


271

Patelin, égoïste, après une caresse

D'un trait de perfidie il faut se défier;

Un baiser confiant peut se faire expier

Par un gage piquant de sa vive tendresse.

Infidèle et jaloux, poltron ou courageux ;

Il est peu soucieux des tracas qu'il nous donne,

Est toujours fort soigneux de sa chère personne,

Et devient par caprice actif ou paresseux :

Passant de ce repos à la folie extrême,

Coureur ou casanier, souvent enclin au mal,

Heureux dans sa maison, c'est la maison qu'il aime, .

Il s'y plaît d'autant mieux qu'il n'a point de rival.

D'un naturel adroit, mais plein de défiance

Il évite en trompant qu'on puisse le trahir,

Du tendre attachement il n'a que l'apparence,

Et par entêtement sait se faire obéir?

Dans ces jeux, ces combats, ce caractère étrange,

Ce charmant hypocrite, et cet utile ingrat,

Heureux, si j'ai tracé sans blâme et sans louange,

Quelques traits de l'enfance, et l'esprit de mon chat?


LES DOGUES ET LE CHIEN-BERGER.

FABLE

Je me souviens qu'un jour, Pour une bagatelle, Deux chiens de basse cour Se prirent de querelle Avec un chien-berger, habitant du canton, Qui, de les fréquenter osait prendre le ton. Comme ils se promenaient eu bonne intelligence, La conversation tomba sur la naissance ; Tout aussitôt nos deux bourgeois, Fiers d'être issus de forte race, Pour mettre chacun à sa place, Firent, bien haut, sonner leurs droits :

L'un, du fameux Cerbère, Se vanta d'être un descendant ; L'autre prétendit que son père, Se nommait Turc ou Soliman, Était un prince musulman. Le paysan Dit : Il n'importe guère,

Cette fable, composée par M. le Président de la Société libre des Beaux-Arts, a été récitée par lui dans la séance publique de cette Société, le dimanche 19 juin 1853,


273

Je suis chien de berger Et me crois tout autant.

Si je n'ai pas votre tournure.

Votre museau, votre encolure,

Comme vous, j'ai bon pied, bon oeil, A remplir mes devoirs je mets un noble orgueil,

Et, sans avoir la mine rogue D'un dogue,

Faisant la guerre à tous passants,

A défaut d'illustres ancêtres,

J'obtiens l'estime de mes maîtres

Par tous mes soins intelligents. Pour ne pas riposter, l'insulte était trop forte ;

Aussi, le fit-on ; mais de sorte

Qu'il ne fut besoin d'arguments;

Car chacun riposta... des dents.

Qu'on ne dispute pas sur le rang, la noblesse ; Le plus noble est celui qui l'est par la sagesse.

J.-A. DELAIRE.

T. XVIII. 18


DE

L'ORIGINE DE LA PEINTURE,

PAR

M. AUGUSTE MAILLET.

La fable, ingénieuse en douces rêveries,

Sous le voile léger de ses allégories,

A l'aide d'un mensonge avec art emprunté,

Souvent laisse entrevoir un peu de vérité.

Elle dit qu'Apollon, le dieu de la lumière,

A tracé des beaux-arts la divine carrière ;

Que lui-même a conduit au pied du Mont sacré

Des neuf aimables soeurs le groupe révéré;

Que c'est lui qui choisit le séjour de la Grèce,

Et fit vibrer sa lyre aux rives du Permesse.

Les arts, pour prospérer, ont besoin d'un air pur,

D'un soleil éclatant, d'un ciel brillant d'azur.

Dans les heureux climats que la chaleur féconde,

Où la brise embaumée agite toujours l'onde,

Les arts ont pris naissance, et, dans leur noble essor,

Ont répandu partout leur précieux trésor.

De myrtes toujours verts, de lauriers couronnée,


27 S

La Grèce leur ouvrit une ère fortunée :

C'est là qu'ils ont paru, c'est là qu'en'leur berceau, L'amour a mis aux mains d'une femme un pinceau.

Au couchant de Corinthe, en l'antique Achaïe Près des coteaux riants de l'opulente Asie. S'élevait Sicyone, où brillèrent jadis Les talents, le génie et les arts réunis. Pamphyle, Pausias et le divin Apelles Y parèrent leurs fronts de palmes immortelles. De ces peintres, hélas ! les noms seuls sont restés ; Nous ne connaissons pas leurs tableaux regrettés. C'est là que Pausias fut aimé de Glycère, Jeune Grecque aux yeux vifs, à la taille légère, A qui Flore enseigna l'art d'assembler les fleurs, De nuancer les tons des diverses couleurs, De former des bouquets, d'élégantes guirlandes, De parer les autels de pieuses offrandes ; Le goût seul la guidait, et l'assemblage heureux De ses fleurs composait un choix harmonieux. Pausias imitait, et ses pinceaux habiles Sur la toile fixaient les guirlandes fragiles .

Avant ce siècle d'or, avant ces heureux temps Où la Grèce brilla par d'illustres talents, Sicyone était pauvre, et la modeste ville N'avait pas aux beaux-arts encore ouvert d'asile. Ses simples habitants, sous leurs rustiques toits, Des Muses ignoraient les bienfaisantes lois. D'un artisan grossier la main industrieuse Façonnait lentement l'argile limoneuse ; Vivant dans une douce et calme obscurité, Sa fille l'a conduit à l'immortalité; Sa fille, dont le nom conservé d'âge en âge, Obtint dans l'Hellénie un légitime hommage,


276

Avait reçu des cieux une rare beauté,

Et surtout l'art de plaire en sa simplicité.

Les anciens la nommaient la vierge de Corinthe :

De lauriers toujours verts sa tête encore est ceinte ;

Et, quoique trois mille ans sur sa tombe aient passé,

Le nom de Dibutade est encor prononcé.

Un jeune homme adorait cette vierge charmante,

Un doux lien devait l'unir à son amante;

Mais avant ce beau jour un rigoureux destin

Loin d'elle l'appelait dans un pays lointain.

Ils déploraient tous deux ce funeste voyage :

Le fiancé déjà devait fuir le rivage,

Les adieux terminaient un lugubre festin.

Il allait s'éloigner, quand sur un mur voisin,

Du mélèze enflammé la lumière éclatante

Vint dessiner ses traits aux yeux de son amante;

Dibutade aussitôt saisissant un charbon,

Qui devint dans ses mains un docile crayon,

Reproduit les contours d'une tête si chère.

Heureuse encore elle est, dans sa douleur amère,

De conserver les traits d'un visage adoré,

Pendant les longs tourments d'un retour espéré ;

D'adoucir, s'il se peut, les chagrins de l'absence,

Et de l'objet aimé rapprocher la distance.

L'art de peindre parut, commença dès ce jour,

Et le premier portrait fut tracé par l'amour.

FIN DU XVIIIe VOLUME

DES ANNALES DE LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS.


TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS LE XVIIIe VOLUME

DES

ANNALES DE LA SOCIÉTÉ LIBRE DES BEAUX-ARTS.

Notice sur la Société libre des Beaux-Arts, par

M. Delaire v

Liste des membres de la Société libre des BeauxArts XI

Membres honoraires XIV

Membres correspondants, XV

Composition du bureau pendant l'année académique

1854-1885. XVI

Liste des sociétés correspondantes. . XVII

XVIIIe séance annuelle et publique, tenue le dimanche 9 juin 1852. Présidence de [M. Delaire. . . 1

Allocution de M. Delaire, président 3

Compte rendu des travaux de la Société libre des

Beaux-Arts, par M. Auguste Maillet 5

Rapport sur le salon de 1852, par M. de Sauclières. 16

Fragment sur les beaux-arts, par M. Vanderburch. 36

Le Chat et le Piano, fable par M. Delaire 41

Notice sur Daguerre, par M. Paul Carpentier. 43


278

Rapport de M. Martin d'Angers sur les Annales de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand (mai, juin, juillet et août 1850). 63

Note sur un portrait peint de Bernardin de SaintPierre, par M. Paul Carpentier. 69

Rapport de M. Moullard du Comtat sur les procédés de M. de Monestrol relatifs au travail des matières céramiques 73

Rapport de M. Martin d'Angers sur plusieurs numéros de l' Investigateur, de fév. 1848 à juillet 1849. 81

Rapport de M. Auguste Maillet sur les Mémoires de la Société d'agriculture, sciences et arts, séant à

Douai, Centrale du département du Nord, années 1848-49 ; et sur les tomes XIX (2° partie), et tome XXII des Mémoires de la Société d'Emulation de Cambrai 96

Rapport de M. Hittorff sur la restitution des Propylées d'Athènes, par M. Chaudet, architecte. . 101

Discours de M. Delaire, président, pour l'inauguration de la statue de Poussin, aux Andelys , le 18 juin 1851 112

Rapport de M. Gelée sur l'inauguration du monument élevé à la mémoire de M. Paillot de Montabert. 115

Deuxième partie du rapport de M. Gelée sur le mo- .

nument de M. Paillot de Montabert 128

Rapport de M. Auguste Maillet sur le Bulletin de l'Athénée du Beauvoisis pour le second semestre de 1849 135

Rapport de M. Auguste Maillet sur le Bulletin de l'Athénée du Beauvoisis pour le premier semestre

de 1850 139

Du Progrès dans les beaux-arts, par M. Bidaut. . 144 Notice sur M. le colonel Amoros, marquis de Sotelo,

par M. Bidaut 153


279

Notice sur des statues de M. Gatteaux, par M. Husson. 158

Rapport de M. Paul Carpentier sur un ouvrage de M. Horsin-Déon, ayant pour titre : De la conservation et de la restauration des tableaux peints à l'huile 161

Rapport de M. Belloc, au nom de la Commission des couleurs , sur les toiles à peindre inventées par M. Garneray 466

Rapport de M. Auguste Maillet sur le tome XXIII des Mémoires de la Société d'émulation de Cambrai

Cambrai et deuxième partie) 469

Rapport de M. Delaire sur un opuscule de M. Martin d'Angers, intitulé : l'Avenir de l'Orphéon. . . 172

Rapport de M. Rolland sur l'ouvrage de M. Chenavard, architecte à Lyon, intitulé : Lyon antique restauré , . . . . 183

Notice sur A. F. Dreuille, peintre, par M. Paul

Carpentier 188

Rapport sur un Bulletin de la Société des Antiquaires

de l'Ouest, par M. Rohault de Fleury 194

Travail de M. Bourla sur les bains romains de Saintes (Charente-Inférieure). Analyse de ce travail par M. Moullard du Comtat 198

Notice sur Drolling, peintre, membre de l'Académie

des Beaux-Arts, par M. Rouget 203

Rapport de M. Pernot sur les Mémoires de la Société

des sciences, lettres et arts de Nancy 207.

Rapport de M. Gatteaux sur un volume intitulé : Description historique et graphique du Louvre et des Tuileries, offert par M. Texier, à la Société libre des Beaux-Arts 214

XIXe séance annuelle et publique, tenue le dimanche

19 juin 1853. Présidence de M. Delaire 217

Allocution de M. Delaire, président. ...... 219


280

Compte rendu des travaux de la Société libre des Beaux-Arts, pendant l'année académique 18521853, par M. Moullard du Comtat, secrétairegénéral 222

Eustache Le Sueur. Erection de sa statue. Pièce en

vers par M. Auguste Maillet 241

Rapport sur le salon de 1853, par M. Horsin-Déon. 244 Un portrait, pièce en vers par M. Vanderburch. . . 269 Les Dogues et le Chien-Berger, fable par M. Delaire. 272 De l'Origine de la peinture, pièce en vers par M. Auguste Maillet 274

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.