L'INSURRECTION EN CHINE*
étrangers de s'échapper de Canton, et qui fit mettre la chaîne au cou à quelques hanistes, comme avertissement.
Informé à Macao de-ces événements, le capitaine Elliot, qui s'était toujours franchement prononcé contre le trafic de l'opium, enjoignit à tous les bâtiments marchands anglais de se concentrer près de l'île de Hong-kong, située à quelques lieues de l'embouchure de la rivière .de Canton, pour se mettre en élat d'opposer une résistance combinée, s'ils venaient à être attaqués dans un moment, où la marine de guerre britannique ne se trouvait représentée dans les mers de Chine que par un brick. Après l'expédition dé cet ordre, le surintendant partit bravement pour Canton , pour tâcher d'y couvrir ses nationaux de sa protection, et.pour y partager leur sort, conduite plus honorable qu'habile, car c'était se jeter volontairement dans un piège, au lieu de sauvegarder les véritables intérêts britanniques.
A"peine, en effet, M. Elliot eut-il atteint, à travers bien des dangers, le consulat anglais de Canton, que la police s'empressa d'établir des postes nombreux à toutes les issues des factoreries ', afin d'y tenir les étrangers bloqués. Elle fit en même temps sortir des maisons de ces derniers tous les domestiques et employés chinois qui s'y trouvaient. Enfin Lin ordonna de couper les vivres aux prisonniers, qui virent les vigueurs d'un blocus en règle s'ajouter aux ennuis de leur captivité.
Les négociants anglais comprirent celle fois qu'il n'y avait plus de résistance possible, et leur surintendant les requit, comme représentant de la reine, de lui livrer tout l'opium dont ils étaient détenteurs, en s'engageant toutefois envers eux, au nom du gouvernement britannique, à les faire indemniser en temps et lieu de la perte que devait momentanément leur causer cette livraison. La réquisition de M. Elliot ne rencontra plus que de l'obéissance; aussi le. surintendant s'empressa-t-il d'informer Je commissaire.impérial qu'il aurait vingt_ mille deux cent quatre-vingt-trois caisses d'opium à remettre au gouvernement chinois. C'était une valeur de cinquante à cinquanlecinq millions de francs que l'Angleterre allait porter au débit do la Chine, pour se la faire rembourser plus tard. Lin demeura, dit-on, lui-même stupéfait en apprenant que la contrebande avait atteint des proportions aussi colossales.
Les négociants des autres nations étrangères résidant à Canton imitèrent l'exemple des Anglais en faisant aussi leur soumission.
Les vingt mille caisses d'opium ne purent être livrées immédiatement ni toutes à la fois. Lin accorda des délais, en déclarant que la liberté ne serait rendue aux prisonniers des factoreries qu'après la remise de la moitié de l'opium, qui prit tout le mois d'avril à s'effectuer. Le 4 mai seulement le blocusdes factoreries fut levé; mais, contrairement aux conventions de Lin avec M. Elliot, seize des Anglais les plus compromis durent rester confinés dans leurs demeures jusqu'à la pleine et entière livraison des vingt mille caisses, qui fut terminée quelques semaines plus tard.
Toutes fières de la juste et éclatante satisfaction qu'elles venaient d'obtenir, les autorités cantonnaises voulurent rétablir le commerce légal entre Chinois et Européens , commerce qu'elles avaient le plus grand intérêt à voir reprendre. On fit donc des règlements nouveaux; on ferma aux étrangers plusieurs rues qui leur avaient été ouvertes antérieurement, et l'on annonça que les affaires allaient recommencer, mais que quiconque se livrerait désormais à la vente de l'opium serait puni de mort.
Le capitaine Elliot n'entendait pas accepter bénévolement l'humble position faite au commerce anglais par le gouvernement chinois, et, croyant de la dignité comme de l'intérêt de sa nation de rompre avec ce gouvernement, après les événements qui venaient d'avoir lieu, il déclara ne plus trouver désormais à-Canton de garanties de sécurité pour ses compatriotes, qu'il invita par une proclamation à quitter cette ville, où les lois nouvelles mettaient, selon lui, en péril leurs biens, leur liberté et leur existence. Le 24 mai 1839, le surintendant britannique et tous ses nationaux évacuèrent donc Canton pour se rendre à Macao , qui est situé à cent vingt kilomètres de ce port, et où ils étaient impatiemment attendus par leurs familles, inquiètes de leur longue détention.
CHAPITRE II.
Macao. —Les négociants européens de Canton se retirent clans cette ville. — Premiers insuccès de Lin. — Un Chinois tué par des matelots anglais. — Les mandarins veulent couper les vivres aux Anglais de Macao. — Ceux-ci se réfugient à Hong-kong. — Premières hostilités.—Édit de Lin. — Négociations. — Rupture complète. — L'amiral Kouan. — Combat de Shuenpi et défaite des Chinois.
Macao s'élève à l'extrémité d'une sorte de presqu'île fotunant la prolongation de la grande île de Héang-chan , qui est séparée du continent chinois par un long et étroit canal, dont l'entrée septentrionale est près de Canton. Le territoire portugais dépendant de
Macao n'a guère que treize à quatorze kilomètres de tour, et se trouve séparé du territoire chinois de Héang-chan par un mur peu élevé et aujourd'hui en ruines, traversant une espèce d'isthme dans toute sa largeur, qui est d'environ cent cinquante pas seulement à cet endroit, et se projetant même un peu dans la mer des deux côtés.
Vu de sa grande rade , qui est mal abritée et semée de bas-fonds près de terre, Macao se dessine en amphithéâtre, et déploie dans le lointain sa longue et pittoresque ceinture, de maisons à colonnades et à façades blanches , qui S'étendent en demi-cercle le long d'un quai magnifique, nommé la Praïa-Grande. La ville est admirablement encadrée par plusieurs collines que couronnent les forts de la-Guia, du Monte , de San-Francisco, de Dona-Maria , de Mongha et l'ancien couvent de la Penha. '
Le spectateur qui, du sommet d'une de ces élévations, promène le regard autour de lui ,' découvre à ses pieds la cité catholique et son beau panorama d'églises, de couvents, de grands cl vieux édifices entourés d'arbres séculaires ; le bazar chinois aux ruelles sales et étroites, et le jardin Marques, où Camoëns écrivit ses pages immortelles. Il aperçoit autour de la ville des essaims de jonques aux formes variées, et une chaîne de petites îles rocailleuses, dont plusieurs servent de repaires aux pirates si nombreux .dans ces parages; le port intérieur, compris entre Macao et i'île de Lapa, mouillage des grosses embarcations et souvent aussi des bateaux à vapeur anglais ou américains qui font depuis.quelques années le trajet de Canton et de Hongkong à Macao ; puis enfin il distingue dans Je lointain le mur de séparation dont nous avons parlé, et une petite ville-chinoise que les Portugais appellent Casa-Branca à cause de la blancheur de ses maisons. ' . .
La6population de Macao se compose d'environ quarante mille Chinois , qui habitent le quartier du Bazar ' et deux ou trois sales villages ou faubourgs; de cinq à six mille blancs, noirs ou métis, originaires en partie des colonies portugaises de l'Inde; enfin d'une soixantaine de Portugais nés en Europe et d'une petite garnison de . deux cent cinquante hommes. Le Macaïste proprement dit est un singulier mélange de sang chinois, européen, malais, indien et nègre ; c'est un type peu gracieux, qui annonce la dégénération. Le seul trait indélébile, que ce produit si croisé ait conservé de l'origine européenne de ses ancêtres se retrouve dans son orgueil de race; aussi n'est-ce pas sans surprise que vous entendez parfois quelque pauvre hère, bien plus Chinois qu'autre chose, décliner un des noms les plus ronflants , les plus nobles de Portugal, et traiter ses frères du Céleste Empire avec un profond mépris.
Macao est grandement déchu de son ancienne importance commerciale et maritime. C'est. aujourd'hui une ville presque morte; le voisinage de Hong-kong lui a porté le dernier coup. Mais en 1839, avant la création de cette colonie britannique, un assez grand nombre de familles anglaises habitaient, comme nous l'avons dit plus haut, le vieil établissement portugais; car le séjour de Canton était encore interdit, à celte époque, aux Européennes.
L'arrivée simultanée de tous les négociants anglais relâchés des factoreries tira pour quelque temps Macao de son silence et de son calme habituels. 11 s'y fit de nouveau des affaires importantes. La colonie se reprit à vivre, mais c'était une activité fiévreuse et inquiète qui venait de s'emparer de sa population. On se sentait à la veille de graves événements, on attendait avec anxiété des nouvelles de Canton et du terrible commissaire impérial, qui depuis son arrivée avait marché de succès en succès jusqu'au moment du départ des Anglais. Depuis lors s'ouvre pour lui une phase politique nouvelle au bout de laquelle l'attend la disgrâce. Ce diplomate, qui déclarait naguère avec hauteur aux barbares étrangers que la Chine pouvait parfaitement se passer de leurs produits, mais que les autres nations, au contraire, devaient leur existence à leur commerce avec le Céleste Empire, ce superbe Lin commence maintenant à laisser percer dans ses proclamations le regret que lui cause la cessation de la vente des marchandises chinoises aux Européens. L'arme dont il s'est servi contre les Anglais vient de se retourner contre lui-même. La trésorerie de la province éprouve un déficit terrible dans ses recettes. Ce commerce étranger, si avantageux à la Chine , mais pour lequel le commissaire impérial a affiché un si souverain mépris, ce commerce qu'il a interrompu par des mesures violentes, refuse de reprendre maintenant que le gouvernement chinois voudrait le voir recommencer dans les limites de la légalité. La contrebande de l'opium, au contraire, en dépit des édits, a décuplé dans toute la province, au grand désappointement et au grand'courroux de Lin.
Et cependant les vingt mille caisses livrées par les Anglais avaient été anéanties en présence des principaux fonctionnaires de Canton. On en avait précipité le contenu dans des fosses remplies d'eau , de chaux et de sel, suivant les instructions venues de Pékin, et l'oeuvre de destruction s'était accomplie avec une précision , avec des soins tellement minutieux, qu'elle avait duré plusieurs semaines.
Les autorités chinoises firent afficher à Macao une proclamation par laquelle elles sommaient les navires qui avaient abandonné leur
1 Le bazar de Macao a été complètement détruit par un incendie dans la, «uit du 4 au 5 janvier 1S56*
. ' Les factoreries de Canton sont de vastes corps de bâtiments parallèles, séparés les uns des autres par des passages dont l'une des extrémités aboutit aux environs de la rivière et l'autre à une rue chinoise, appelée rue des Treize Factoreries. Elles sont habitées par les étrangers.