Rappel de votre demande:


Format de téléchargement: : Texte

Vues 1 à 258 sur 258

Nombre de pages: 258

Notice complète:

Titre : Logique de Kant, traduite de l'allemand par Jh Tissot,.... Edition 2

Auteur : Kant, Immanuel (1724-1804). Auteur du texte

Éditeur : Ladrange (Paris)

Date d'édition : 1862

Contributeur : Tissot, Joseph (1801-1876). Traducteur

Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30673090c

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : In-8° , VII-248 p.

Format : Nombre total de vues : 258

Format : application/epub+zip

Description : Appartient à l’ensemble documentaire : CentSev001

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5400803z

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, R-39849

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 22/03/2010

Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 100%.





LOGIQUE DE KANT



DE

KANT

PAR J. TISSOT

DOYEN DE LA FACULTÉ DES LETTRES DE DIJON

SECONDE EDITION FRANCAISE

PARIS

LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE DE LADRANGE

RUE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS, 41

1862


(4010) SAINT-CLOUD. — IMP. DE Mme Ve BELIN.


AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR.

Peu d'ouvrages sont d'une brièveté aussi substantielle que la Logique de Kant. L'Introduction est à elle, seule une oeuvre de premier ordre. Le corps du traité, sans avoir la même originalité et une portée aussi féconde que l'Introduction, est un résumé complet, généralement fort clair et toujours profond de la logique scolastique, ou plutôt de la Logique absolument. L'appendice, où les trois dernières figures du syllogisme catégorique sont ramenées à la première, comme à la figure essentielle, unique même, puisque les autres n'en sont que des formes moins naturelles, et comme une transformation plus ou moins malheureuse, est un des meilleurs morceaux qu'on eût écrit depuis Aristote sur la théorie du raisonnement catégorique, et qui la complète de la manière la plus heureuse. Si cette théorie est ici présentée avec cette extrême concision qui rappelle les formules des sciences exactes, si elle exige une certaine contention d'esprit pour être bien saisie, elle devient par là même un sujet


VI AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR,

d'exercice intellectuel fort utile. Chaque formule est comme un thème que des maîtres habiles peuvent donner à expliquer, à développer, à résurmer, à formuler en d'autres termes à ceux de leurs élèves qui montrent le plus de vigueur, de pénétration, et de sévérité scientifique dans l'esprit.

Tout l'ouvrage enfin est comme un texte de méditation et de discussion infiniment propre à fortifier et à féconder une jeune et généreuse intelligence. Peu d'ouvrages présentent au même degré cette utilité.

Le public français en a sans doute jugé de la sorte, puisque la première édition est depuis longtemps épuisée. J'aurais donné plus tôt la seconde si je n'avais eu le projet d'y joindre in extenso tous les fragments où l'auteur traite de la science en général et de la philosophie en particulier, de la méthode et de la certitude. Ces fragments ont plus ou moins trait à la Logique, et j'en avais donné plusieurs, les uns en totalité, les autres sous forme d'analyse dans la première édition. Si je ne reproduis ici que celui qui a le caractère logique le plus marqué, c'est que je me propose de publier très-prochainement tous les autres à part : ils formeront une sorte de complément à la Logique du même auteur. Le volume eût été grossi démesurément par une addition aussi considérable. Par cette raison, et parce que les fragments dont il s'agit s'adressent plutôt à des maîtres qu'à des élèves, le volume eût perdu de son caractère essentiellement classique,


AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR. vu

tout en gagnant d'intérêt à d'autres égards. Je crois donc satisfaire à toutes les exigences en donnant à part et la Logique, et les Fragments qui s'y' rapportent moins directement que celui que nous reproduisons aujourd'hui.

Dijon, le 25 octobre 1861.


ERRATA.

p.

31,

1. 19, au lieu

de

: fut, Lisez : fût.

p.

42,

1. 19, —

qui est y, — qui y est.

p.

99,

note 7, —

sûr sensible, — sursensible.

p.

105,

1. 24, —

Bewcis grund, — Beweisgrund.

p.

177,

1. 3, —

change, — en change.

p.

179,

1. 5, —

partie, — partie qui.


INTRODUCTION.

I.

Idée de la Logique.

Tout dans la nature animée ou inanimée se comporte suivant des règles, mais ces règles ne nous sont pas toujours connues. C'est en vertu de certaines lois que la pluie tombe et que les animaux se déplacent. Le monde entier n'est proprement qu'un vaste ensemble de phénomènes réguliers; en sorte que rien, absolument rien, ne se fait sans raison. Il n'y a par conséquent point d'irrégularités à proprement parler ; quand nous en croyons trouver, nous pouvons dire seulement que les lois qui régissent les phénomènes nous sont inconnues.

L'exercice de nos facultés s'accomplit aussi d'après

LOG. 1


4 LOGIQUE,

sidérées a priori, c'est-à-dire indépendamment de toute expérience, parce qu'elles contiennent simplement, sans distinction d'objets, les conditions de l'usage de l'entendement en général, qu'il soit pur ou expérimental. D'où il suit en même temps que les règles générales et nécessaires de la pensée n'en peuvent concerner que la forme, et nullement la matière. La science de ces règles nécessaires et universelles est donc simplement la science de la forme de notre connaissance intellectuelle ou de la pensée. Nous pouvons donc nous faire une idée de la possibilité d'une telle science, de la même manière que nous nous faisons l'idée d'une grammaire générale, qui ne contient que la simple forme du langage en général, et non les mots qui constituent la matière des langues.

Cette science des lois nécessaires de l'entendement et de la raison en général, — ou, ce qui est la même chose, de la simple forme de la pensée en général, est ce que nous appelons Logique.

Comme science qui s'occupe de la pensée en général, indépendamment des objets qui en sont la matière, la logique peut être considérée :

4 ° Comme le fondement de toutes les autres sciences et la propédeutique de toute fonction intellectuelle. Mais, par cela même qu'elle ne s'occupe nullement des objets,


INTRODUCTION. 5

2° Elle ne peut servir d'organum pour les sciences. Nous entendons par organum l'indication de la manière dont une certaine connaissance peut être acquise, ce qui exige déjà une notion de l'objet de la connaissance à constituer suivant certaines règles. La simple logique n'est donc pas un organum des sciences, parce qu'un organum suppose la connaissance exacte des sciences, de leur objet et de leurs sources. C'est ainsi, par exemple, que les mathématiques sont un organum remarquable comme science qui contient la raison de l'acquisition de la connaissance par rapport à un certain usage rationnel. La logique, au contraire, en sa qualité de propédeutique de toute fonction intellectuelle et rationnelle en général, ne peut faire partie des autres sciences, ni anticiper sur leur matière; elle n'est que l' art universel de la raison (Canonica Epicuri) de mettre des connaissances en général d'accord avec la forme de l'entendement, et ne mérite par conséquent le nom d'organum qu'autant qu'elle sert, non pas à étendre, mais simplement à critiquer et à rectifier notre connaissance.

3° Mais, comme science des lois nécessaires de la pensée, sans lesquelles aucun usage de l'entendement et de la raison n'est possible, lois qui sont par conséquent les seules conditions sous lesquelles l'entendement peut et doit être d'accord avec lui-même, —lois et conditions nécessaires de son légitime usage, — la


6 LOGIQUE.

logique est un canon. Et, comme canon de l'entendement et de la raison, elle ne peut rien emprunter d'une autre science ni de.l'expérience; elle ne doit contenir que les lois pures a priori, qui sont nécessaires, et qui sont le partage de l'entendement en général.

A la vérité, des logiciens supposent des principes psychologiques dans la logique. Mais il est aussi absurde d'y introduire de pareils principes, que de dériver la morale de la conduite de la vie. Si nous prenions ces principes dans la psychologie, c'est-à-dire si nous les tirions des observations sur notre entendement, nous verrions simplement alors de quelle manière la pensée se manifesté, se produit, comment. elle est soumise à différents obstacles et à diverses conditions subjectives; ce qui nous conduirait à des lois simplement contingentes. En logique, il n'est pas question de lois contingentes, mais de lois nécessaires ; il ne s'agit pas de savoir comment nous pensons, mais comment nous devons penser. — Les règles de la logique ne doivent par conséquent pas être prises de l'usage contingent de l'entendement; elles doivent l'être de son usage nécessaire, usage qui se trouve en soi sans psychologie aucune. On ne demande pas en logique comment se comporte l'entendement, comment il pense, comment il-a pensé jusqu'ici, mais simplement comment il a dû. penser. La logique doit donc nous faire connaître l'usage


INTRODUCTION.

légitime ou l'accord avec lui-même de l'entendement.

D'après les explications qu'on vient de donner sur la logique, on peut facilement déduire les autres propriétés essentielles de cette science, à savoir :

4° Qu'elle est une science rationnelle, non pas simplement quant à la forme, mais quant à la matière, puisque ses règles ne sont pas prises de l'expérience, et qu'elle a aussi pour objet la raison même. La logique est donc la connaissance propre (Selbsterkenntniss) de l'entendement et de la raison, sans égard à l'objet possible ou réel de ces facultés, mais seulement quant à la forme. En logique, je ne puis pas me demander qu'est-ce que connaît l'entendement, combien de choses il connaît, ou bien j'usqu'où va cette connaissance : ce serait là une véritable connaissance de soi-même par rapport à l'usage matériel de l'entendementet qui fait en conséquence partie de la métaphysique, Il n'y a qu'une question en logique : Comment l'entendement se connaît-il lui-même?

Enfin, comme science rationnelle quant à la matière et quant à la forme, la logique est encore :

5° Une doctrine ou théorie démontrée : car, s'occupant, non de l'usage ordinaire, et, comme tel, purement empirique, de l'entendement et de la raison) mais simplement des lois nécessaires et générales de la pensée, elle repose, sur des principes a priori d'où


8 LOGIQUE;.

toutes ses règles peuvent être déduites comme règles

auxquelles toute connaissance de la raison doit être

conforme.

De ce que la logique doit être considérée comme une science a priori ou comme une doctrine pour un canon des fonctions de l'entendement et de la raison, elle diffère essentiellement de l' esthétique, qui, comme simple critique du goût, n'a pas de canon (de loi), mais simplement une règle (modèle ou patron à l'usage seulement de la critique), règle qui consiste dans l'accord universel. L'esthétique est donc la science des règles de l'accord des choses avec les lois de la sensibilité. La logique, au contraire, a pour objet les règles de l'accord de la connaissance avec les lois de l'entendement et de la raison. La première n'a que des principes empiriques : elle ne peut par conséquent jamais être une science ou une doctrine, si l'on entend par doctrine une instruction (Unterweisung) dogmatique par principes a priori, où l'on pénètre tout par l'entendement, sans données ultérieures prises de l'expérience, et qui nous donne des règles dont l'application produit la perfection désirée.

On a cherché, particulièrement les orateurs et les poëtes, à raisonner le goût, mais jamais on n'a pu prononcer un jugement décisif à ce sujet. Le philosophe Baumgarten, à Francfort, avait formé le plan d'une esthétique comme science, mais Home a


INTRODUCTION. 9

plus justement appelé critique l'esthétique, puisqu'elle ne fournit aucune règle a priori qui détermine le jugement dans une mesure suffisante, comme le fait la logique, mais qu'au contraire elle dérive ses règles a posteriori, et rend plus générales, par la comparaison seulement, les lois empiriques suivant lesquelles nous reconnaissons le moins bien et le mieux.(le beau).

La logique est donc plus qu'une simple critique : c'est un canon qui sert ensuite de critique, c'est-à-dire de principe pour juger toutes les fonctions intellectuelles en général, mais seulement en ce qui regarde la légitimité de ces fonctions quant à la simple forme, puisqu'elle n'est pas un organum, pas plus que ne l'est la grammaire générale.

Comme propédeutique de toute fonction intellectuelle, la logique universelle diffère aussi de la logique transcendantale, dans laquelle l'objet même est représenté comme objet de l'entendement seul ; la logique universelle, au contraire, se rapporte à tous les objets.

Si, maintenant, nous voulons embrasser d'un seul coup d'oeil tous les caractères essentiels qui appartiennent à la longue détermination précédente de la notion de logique, nous devrons nous en faire l'idée suivante :

La logique est une science rationnelle, non quant à la simple forme, mais encore quant à la


10 LOGIQUE.

matière; une science a priori des lois nécessaires de la pensée, non par rapport à des objets particuliers, mais par rapport à tous les objets en général : — elle est par conséquent la science de l'usage légitime de l'entendement et de la raison en général; science non subjective, c'est-à-dire exécutée non d'après des principes empiriques (psychologiques), mais science objective, c'est-à-dire faite d'après les principes a priori déterminant la manière dont l'entendement doit penser.

II

Divisions principales de la Logique. — Exposition, — Utilité de cette science. — Esquisse de son histoire.

La logique se divise :

En Analytique et en Dialectique.

L'analytique met à découvert par la décomposition toutes les opérations intellectuelles qui ont lieu dans la pensée en général. C'est donc une analytique de la forme de l'entendement et de la raison. Elle s'appelle aussi, à juste titre, logique de la vérité, parce qu'elle contient les règles nécessaires de toute vérité (formelle), sans lesquelles notre connaissance n'est pas vraie, considérée en elle-même, indépendamment des objets.


lNTRODUCTION. 11

A ce titre encore, elle n'est autre chose qu'un canon pour le jugement critique de la légitimité formelle de notre connaissance.

Si l'on voulait faire servir cette doctrine purement théorique et générale comme un art pratique, c'est-àdire si on l'employait comme organe, elle deviendrait alors une dialectique, une logique de l'apparence (ars sophislica, disputatoria), logique qui résulte du simple abus de l'analytique. Cet abus consiste à user de la simple forme logique, à simuler une connaissance vraie, dont toutefois les éléments (Merkmale) doivent être pris de l'accord avec les objets, par conséquent de la matière.

La dialectique était autrefois étudiée avec le plus grand soin. Cet art posait fallacieusement de faux principes sous l'apparence de la vérité, et cherchait, en conséquence de ces principes, à affirmer certaines choses d'après cette même apparence. Chez les Grecs, les dialecticiens étaient des avocats et des rhéteurs qui conduisaient le peuple comme ils voulaient, parce que le peuple se laisse égarer par l'apparence. La dialectique a donc été longtemps l'art de l'apparence; longtemps aussi a été enseigné en logique cet art de l'apparence sous le nom d'art de disputer. Pendant tout ce temps la logique et la philosophie n'ont consisté qu'à former certains bavards à tout colorer de la sorte. Mais rien ne peut être plus indigne d'un philosophe


12 LOGIQUE.

que l'étude d'une pareille science. La dialectique, ainsi entendue, doit absolument tomber en désuétude, et être remplacée dans la logique par une critique de cette apparence.

Nous avons donc deux parties dans la logique : l'analytique, qui exposé les critères formels de la vérité, et la dialectique, qui renferme les signes et les règles d'après lesquelles nous pouvons savoir que quelque chose ne s'accorde pas avec les critères formels de la vérité, malgré l'apparence contraire. En ce sens, la dialectique aurait donc encore une grande utilité comme cathartique de l'entendement.

On divise encore d'ordinaire la logique : En logique naturelle ou populaire, et en logique artificielle ou scientifique (logica naturalis; logica scholastica, seu artificialis).

Mais cette division n'est pas juste : car la logique naturelle ou la logique de la raison pure (sensus communis) n'est pas, à proprement parler, une logique; c'est une science anthropologique, qui n'a que des principes empiriques, puisqu'elle traite des règles de l'usage naturel de l'entendement et de la raison, règles qui ne sont connues que concrètement, et par conséquent sans en avoir une connaissance abstraite. — La logique artificielle ou scientifique


INTRODUCTION. 13

mérite donc seule le nom de logique, comme science des règles générales et nécessaires de la pensée, règles qui peuvent et doivent être conçues a priori, indépendamment de l'usage naturel et concret de l'entendement et de la raison, quoiqu'elles ne puissent d'abord être trouvées que par l'observation de cet usage.

Une autre division de la logique encore est celle en logique théorique et en logique pratique. Mais cette division est également illégitime.

La logique universelle, qui, comme simple canon, fait abstraction de tous les objets, ne peut avoir aucune partie pratique. Ce serait une contradiction in adjecto, parce qu'une logique pratique suppose la connaissance des objets auxquels elle s'applique. Nous pouvons donc appeler toute science une logique pratique : car dans toute science nous devons avoir une forme de la pensée. La logique universelle, considérée comme pratique, ne peut donc être autre chose qu'une technique de la science en général, — un organe de la méthode scolastique

Cette division donnerait donc à la logique une partie dogmatique et une partie technique. La première pourrait s'appeler science des principes (Elementarlehre); la seconde, méthodologie. La partie prati-


16 LOGIQUE.

sens commun : le sens commun est la faculté d'apercevoir les règles de la connaissance in concreto (dans l'usage), tandis que la logique: doit être la science des règles de la pensée in abstracto.

On peut cependant prendre la raison humaine en général pour objet de la logique, et en tant qu'elle fera abstraction des règles particulières de la raison spéculative, et qu'elle se distinguera par le fait de la logique de l'entendement spéculatif.

Quant à l'exposition de la logique, elle peut être ou scolastique ou populaire.

Elle est scolastique si elle est conforme au désir de savoir, à la capacité et à la culture de ceux qui veulent traiter la connaissance des règles logiques comme une science.

Elle est populaire, au contraire, si elle se prête aux capacités et aux besoins de ceux qui n'étudient pas la logique comme science, mais qui veulent seulement la faire servir à expliquer l'entendement. — Dans l'exposition scolastique, lés règles doivent être présentées dans leur universalité ou in abstracto; au contraire, dans l'exposition populaire, elles doivent être exposées en particulier ou in concreto. L'exposition scolastique est le fondement, ou plutôt la condition de l'exposition populaire : car celui-là seul peut


INTRODUCTION. 17

exposer quelque chose d'une manière populaire, qui pourrait l'exposer aussi d'une manière plus fondamentale.

Du reste, nous distinguerons ici l'exposition d'avec la méthode. La méthode est la manière d'entendre comment un certain objet, à la connaissance duquel elle doit s'appliquer, peut être parfaitement connu. Elle doit se tirer de la nature de la science même; mais, comme ordre nécessaire et déterminé de la pensée, elle ne peut changer. Le mot exposition signifie seulement la manière de communiquer ses pensées aux autres, et de rendre une doctrine intelligible.

De ce que nous avons dit jusqu'ici sur la nature et la fin de la logique, on peut à présent évaluer le prix de cette science et l'utilité de son étude, suivant une unité de mesure légitime et déterminée.

La logique n'est donc pas l'art général de prouver la vérité, ni un organe de la vérité ; — ce n'est point une science algébrique à l'aide de laquelle des vérités cachées puissent être découvertes.

Mais elle est utile, indispensable même comme

critique de la connaissance, c'est-à-dire pour le

jugement critique du sens commun et de la raison

spéculative, non pas pour enseigner les fonctions de

l'un ou de l'autre, mais seulement pour les rendre

LOG. 2


18 LOGIQUE.

correctes et les mettre d'accord avec elles-mêmes. Car le principe logique de la vérité est l'accord de l'entendement avec ses propres lois générales.

Quant à l'histoire de la logique, nous dirons seulement :

Que la logique moderne dérive de l'Analytique d'Aristote. Ce philosophe peut donc être considéré comme le père de la logique. Il la présente comme un organum, et la partage en analytique et en dialectique. Sa manière d'enseigner est très-scolastique, et tend au développement des notions les plus générales qui servent de fondement à la logique. Il y a là peu d'utilité, parce que à peu près tout y dégénère en pures subtilités. Le plus grand avantage qu'on puisse en retirer, c'est d'apprendre la dénomination des différents actes de l'entendement.

Au surplus, la logique, depuis Aristote, n'a pas beaucoup gagné quant au fond. Elle ne peut même gagner beaucoup à cet égard ; mais elle peut très-bien acquérir en exactitude, en précision et en clarté. — Il n'y a que fort peu de sciences qui puissent arriver à un état constant et fixe. De ce nombre sont la logique et la métaphysique. Aristote n'avait oublié aucune opération de l'entendement ; en cela nous


INTRODUCTION. 49

sommes seulement plus exacts, plus précis, plus méthodiques.

On a cru, à la vérité, que l'Organe de Lambert améliorerait beaucoup la logique ; mais il ne contient autre chose que des divisions subtiles qui, comme toutes les subtilités légitimes, aiguisent l'esprit sans être d'aucune utilité essentielle.

Parmi les philosophes modernes il y en a deux qui ont mis en vogue la logique universelle : Leibniz et Wolff.

Malebranche et Locke n'ont pas fait de logique proprement dite, puisqu'ils ne traitent que de la matière de la connaissance et de l'origine des notions.

La logique universelle de Wolff est la meilleure jusqu'ici. Quelques-uns, tels que Reusch, l'ont mise à côté de celle d'Aristote.

Baumgarten a bien mérité de la science en réduisant la logique de Wolff, et Meyer en commentant Baumgarten.

Au nombre des logiciens modernes doit aussi être compté Crusius; mais il n'a pas assez réfléchi à la véritable nature de la logique : car la sienne contient des principes métaphysiques, et dépasse ainsi les bornes de cette science. Outre cela, elle pose un critérium de vérité qui n'en est pas un, et laisse par le fait un libre cours à toutes sortes d'extravagances.


20 LOGIQUE.

De nos jours il n'y a pas eu de logiciens; célèbres. Nous n'avons besoin d'aucune nouvelle invention en logique, parce que cette science ne contient que la forme de la pensée.

III

Idée de la philosophie en général. — Philosophie considérée suivant l'idée de l'école et suivant l'idée qu'on s'en fait dans le inonde. — Condition essentielle pour philosopher, et fin qu'on doit se proposer en philosophant. — Problèmes les plus généraux et les plus élevés de cette science.

Il est quelquefois difficile d'expliquer ce qui fait l'objet d'une science. Cependant la science gagne en précision par la détermination rigoureuse de son idée. Ajoutons que l'on prévient par-là plusieurs fautes qui sont inévitables lorsqu'on ne peut distinguer cette science de celles qui lui ressemblent le plus.

Avant donc de chercher à donner la définition de la philosophie, nous devons examiner le caractère des différentes connaissances elles-mêmes, et, comme les connaissances philosophiques font partie des connaissances rationnelles, expliquer particulièrement ce qu'il faut entendre par ces dernières.

Les connaissances rationnelles sont ainsi appelées par opposition aux connaissances historiques.


INTRODUCTION. 21

Les premières sont des connaissances par principes (ex principiis), les secondes des connaissances par données (ex datis). — Mais une connaissance peut dériver de la raison et n'être cependant qu'historique ; comme si, par exemple, un simple littérateur apprend les productions de la raison d'autrui : de cette manière la connaissance qu'il a de ces productions intellectuelles est purement historique. On peut distinguer les connaissances : 1 ° Quant à leur origine objective, c'est-à-dire quant aux sources uniques d'où une connaissance peut émaner. Sous ce rapport toutes les connaissances sont ou rationnelles ou empiriques,

2° Quant à leur origine subjective, c'est-à-dire quant à la manière dont une connaissance peut être acquise par l'homme. Considérées sous ce dernier point de vue, elles sont ou rationnelles ou historiques, quelle qu'en soit d'ailleurs l'origine en soi. Une connaissance peut donc être historique subjectivement, bien qu'elle soit objectivement une connaissance rationnelle.

Il est dangereux, en ce qui regarde certaines connaissances rationnelles, de ne les savoir qu'historiquement; mais c'est indifférent pour d'autres. Par exemple, le navigateur sait historiquement les règles de la navigation par ses tables, et cela lui suffit. Mais. si le jurisconsulte ne sait qu'historiquement la juris-


22 LOGIQUE.

prudence," alors il est incapable de rendre la justice,

et bien plus encore de faire des lois.

Il suit de la distinction établie entre les connaissances rationnelles suivant qu'elles sont objectives ou subjectives, que l'on peut jusqu'à un certain point apprendre la philosophie sans pouvoir philosopher. Celui-là donc qui veut être un philosophe proprement dit, doit s'exercer à faire de sa raison un usage libre, et non un usage d'imitation et pour ainsi dire mécanique.

Nous avons dit que les connaissances rationnelles sont des connaissances par principes : d'où il suit qu'elles doivent être a priori. Or il y a deux espèces de. connaisances qui sont l'une et l'autre a priori, mais qui diffèrent cependant beaucoup : je veux dire les mathématiques et la philosophie.

On dit ordinairement que les mathématiques et la philosophie diffèrent entre elles quant à l'objet, en ce que les premières traitent des quantités, et les secondés des qualités. Tout cela est faux : la différence de ces sciences ne peut pas venir de leur objet, car la philosophie embrasse tout, et par conséquent les quantités ; il en est de même des mathématiques, en ce sens que tout a quantité. La différence spécifique de la connaissance rationnelle ou de l'usage de la


INTRODUCTION. 23

raison dans les mathématiques et dans la philosophie forme toute la différence entre ces deux sciences. Or la philosophie est la connaissance rationnelle par simples notions; les mathématiques, au contraire, sont la connaissance rationnelle par la construction des notions

Nous construisons des notions quand nous les exposons en intuition a priori sans le secours de l'expérience, ou lorsque nous nous donnons en intuition l'objet qui correspond à la notion que nous en avons. — Le mathématicien ne peut jamais se servir de sa raison suivant de simples notions; le philosophe, au contraire, ne se sert jamais de la sienne en construisant des notions. — Dans les mathématiques, l'usage qu'on fait de la raison est concret, mais l'intuition n'est pas empirique; cependant on s'y crée quelque chose a priori pour l'objet de l'intuition.

En cela, comme on le voit, les mathématiques ont un avantage sur la philosophie : c'est que leurs connaissances sont intuitives, tandis que celles de la philosophie sont discursives. Mais la raison pour laquelle nous considérons plutôt les quantités en mathématiques, c'est que les quantités peuvent être construites en intuitions a priori, tandis que les qualités ne peuvent être représentées en intuition.


24 LOGIQUE.

La philosophie est donc le système des connaissances philosophiques ou des connaissances rationnelles par des notions. Telle est l'idée que l'école se fait de cette science. Suivant le monde, elle est la science des dernières fins de la raison humaine. Cette idée élevée donne de la dignité, c'est-à-dire un prix absolu à la philosophie. Et réellement c'est la seule science qui n'ait qu'une valeur intrinsèque, et qui en donne à toutes les autres connaissances.

Enfin, cependant, l'on demande toujours à quoi sert de philosopher, et quelle est la fin de la philosophie, en considérant même la philosophie comme science, suivant l'idée de l'école?

Dans la signification scolastique du mot, philosophie ne signifie que capacité, habileté (Geschicklichkeit) ; mais avec la signification qu'on lui donne dans le monde, philosophie signifie aussi utilité. Dans le premier sens, la philosophie est une science de la capacité ; dans le second, c'est une science de la sagesse, c'est lalégislatrice de la raison : en sorte que le'philosophe est un législateur et non un artiste en matière de raison.

L'artiste en matière de raison, ou, comme l'appelle Socrate, le philodoxe, n'aspire qu'à une science spéculative, sans s'apercevoir par là combien la science


INTRODUCTION. 25

contribue à la dernière fin de la raison humaine ; il donne des règles de l'usage de la raison pour toutes sortes de fins arbitraires. Le philosophe pratique, celui qui enseigne la sagesse par sa doctrine et par ses exemples, est à proprement parler le seul philosophe: car la philosophie est l'idée d'une parfaite sagesse, qui nous fait apercevoir la fin dernière de la raison humaine.

La philosophie de l'école se compose de deux parties :

Premièrement, d'un effectif suffisant de connaissances rationnelles ;

Secondement, d'un ensemble systématique de ces connaissances, ou de leur union dans l'idée d'un tout. Non-seulement la philosophie permet une composition systématique aussi étroite, mais elle est même la seule science qui, dans le sens le plus strict, ait un ensemble systématique, et qui donne aux autres sciences une unité systématique.

Mais la philosophie dans le sens du monde (in sensu cosmico), peut aussi s'appeler une science des maximes suprêmes de l'usage de la raison, en tant qu'il s'agit, par maximes, du principe interne de l'option entre différentes fins.

Car la philosophie, dans le second sens, est même la science du rapport de toute connaissance et de l'usage de la raison à la fin dernière de la raison humaine, comme fin suprême à laquelle toutes les autres


26 LOGIQUE.

fins sont subordonnées, et dans laquelle elles se réunissent toutes pour n'en former qu'une seule.

Le champ de la philosophie ; dans ce sens familier, donne lieu aux questions suivantes :

1° Que puis-je savoir ?

2° Que dois-je faire ?

3° Que faut-il espérer ?

4° Qu'est-ce que l'homme?

La métaphysique répond à la première question, la morale à la seconde, la religion à la troisième, et l'anthropologie à la quatrième. Mais au fond, l'on pourrait tout ramener à l'anthropologie, parce que les trois premières questions se rapportent à la dernière. Le philosophe doit par conséquent pouvoir déterminer :

1° Les sources du savoir humain;

2° La circonscription de l'usage possible et utile de toute science ; et enfin,

3° Les bornes de la raison.

La dernière question est tout à la fois la plus importante et la plus difficile; mais le phiIodoxe ne s'en occupe pas.

Un philosophe doit réunir deux qualités principales:

1 ° La culture du talent et de la capacité, pour faire servir l'un et l'autre à toutes sortes de fins ;

2° L'habileté (Fertigkeit) dans l'usage de tous les moyens pour les fins qu'il se propose. Ces


INTRODUCTION. 27

deux choses doivent aller ensemble : car sans les connaissances on ne sera jamais, philosophe ; mais aussi jamais ces connaissances seules ne feront le philosophe, si l'union régulière de toutes les connaissances, de toutes les capacités, ne concourt pas à l'unité, et si la lumière ne règne pas dans leur alliance avec les fins suprêmes de la raison humaine.

Celui-là, en général, ne peut s'appeler philosophe, qui ne peut philosopher. Or, on ne philosophe que par l'exercice et en apprenant à user de sa propre raison.

Mais comment la philosophie doit-elle s'apprendre?

Tout penseur philosophe élève pour ainsi dire son propre ouvrage sur les ruines de celui d'autrui; mais jamais un ouvrage n'a été si solide qu'il fût inattaquable dans toutes ses parties. On ne peut donc pas apprendre la philosophie à fond, parce qu'elle n'est pas encore donnée. Mais, posé aussi qu'il en existât réellement une, celui qui l'aurait apprise ne pourrait pas dire qu'il est philosophe : car la connaissance qu'il en aurait ne serait toujours subjectivement qu'historique.

Il en est autrement en mathématiques : on peut en quelque sorte apprendre cette science ; car ici les preuves sont si évidentes que chacun peut en être convaincu ; aussi les mathématiques peuvent-elles, à cause de leur évidence, être considérées comme une science certaine et stable.


28 LOGIQUE.

Celui qui veut apprendre à philosopher ne doit considérer tous les systèmes de philosophie que comme des histoires de l'usage de la raison, et comme des objets propres à orner son talent philosophique. Le véritable philosophe, comme libre penseur, doit faire un usage indépendant et propre, et non un usage servile de sa raison. Mais il ne doit pas en faire un usage dialectique, c'est-à-dire un usage qui tendrait à donner aux connaissances une apparence de vérité et sagesse qu'elles n'auraient pas. C'est là une oeuvre digne des sophistes, tout à fait incompatible avec la dignité du philosophe comme possesseur et précepteur de la sagesse.

En effet la science n'a une valeur intrinsèque qu'à titre véritable d'organe ou d'expression de la sagesse. Mais, à ce titre, elle lui est tellement indispensable;, que l'on peut bien dire que la sagesse sans la science est la silhouette d'une perfection à laquelle nous n'atteindrons jamais.

Celui qui hait la science, mais qui aime d'autant plus la sagesse, s'appelle misologue. La misologie provient d'ordinaire d'un défaut de connaissances scientifiques, et d'une espèce de barbarie. Quelquefois aussi ceux-là tombent dans la misologie, qui d'abord ont couru après tes sciences avec une grande application et un grand bonheur, et qui cependant


INTRODUCTION. 29

n'ont pu trouver aucune satisfaction véritable dans tout leur savoir.

La philosophie est la seule science qui nous enseigne à nous procurer cette satisfaction intérieure : elle ferme en quelque sorte le cercle scientifique, et les sciences reçoivent d'elle seule tout leur ordre et leur ensemble.

Nous devons donc plutôt avoir égard, dans l'exercice de notre libre pensée ou de notre philosophie, à la méthode qu'il convient de suivre dans l'usage de notre raison, qu'aux principes mêmes auxquels nous sommes arrivés par elle.

IV

Esquisse rapide d'une Histoire de la Philosophie.

II n'est pas très-facile d'assigner la limite où cesse l'usage commun de l'entendement, et où commence son usage spéculatif, c'est-à-dire où la connaissance rationnelle commune devient philosophie.

Un caractère passablement sur cependant, c'est que la connaissance du général in abstracto est une connaissance spéculative, tandis que la connaissance du général in concreto est une connaissance ordinaire.


30 LOGIQUE.

— La connaissance philosophique est en effet la connaissance spéculative de la raison : elle commence donc ses recherches où; l'usage commun de la raison finit, c'est-à-dire dans la connaissance du général in abstracto.

Grâce à cette détermination de la différence entre l'usage commun et l'usage spéculatif de la raison, on peut juger si un peuple a été ou n'a pas été philosophe, et, en parcourant l'histoire des différents peuples, décider quel est celui chez lequel la philosophie semble avoir pris son origine.

Les Grecs, à ce compte, semblent être, de tous les peuples, les premiers qui aient philosophé, car ils sont les premiers qui ont essayé de cultiver leurs connaissances rationnelles d'une manière abstraite, en quittant les images au lieu que les autres peuples n'ont jamais cherché à se rendre sensibles leurs notions d'une manière concrète que par des images. Il y a encore aujourd'hui des peuples, tels que les Chinois et quelques Indiens, qui, à la vérité, traitent de choses qui sont exclusivement du domaine de la raison pure,.comme de Dieu, de l'immortalité de l'âme, etc., mais sans rechercher d'une manière abstraite, par des notions et des règles, la nature de ces objets. Ils ne font ici aucune distinction entre l'usage de la raison in concreto, et son usage in abstracto. — Chez les Perses et les Arabes, il se rencontre


INTRODUCTION. 31

un certain usage spéculatif de la raison ; mais ces peuples en tiennent les règles d'Aristote : ils les ont donc empruntées des Grecs. Dans le Zend-Avesta de Zoroastre (800 ans avant Jésus-Christ), on ne trouve pas la moindre trace de philosophie. On peut en dire autant, suivant toute apparence, de la sagesse tant vantée des Egyptiens : elle n'était qu'un véritable jeu d'enfant en comparaison de la philosophie des Grecs.

En mathématique comme en philosophie, les Grecs ont été les premiers à cultiver d'une manière scientifique et spéculative cette partie de la connaissance rationnelle, puisqu'ils ont démontré chaque théorème par éléments.

Le premier qu'on sache avoir établi l'usage de la raison spéculative, et dont les efforts se soient dirigés vers la culture spéculative de l'esprit humain, est Thalès, chef de la secte ionique. Il fut surnommé le physicien, quoiqu'il fût aussi mathématicien : en général les mathématiques ont précédé la philosophie.

Du reste, les premiers philosophes entouraient encore tout d'images et de figures : car la poésie, qui n'est autre chose que la pensée revêtue d'images, est plus ancienne que la prose. Par conséquent, dans les choses mêmes qui sont de purs objets de la raison, l'on dut primitivement parler d'une manière figurée, et n'écrire qu'à la façon des poëtes. Phérécyde, un


32 LOGIQUE.

pythagoricien, passe pour avoir été le premier qui

ait écrit en prose.

Après les ioniens, vinrent les éléates. Le principe fondamental de la philosophie éléatique et de son fondateur Xénophane, était que les sens ne donnent qu'illusion et vaine apparence, et que la source de la vérité est dans la raison seule.

Parmi les philosophes de cette époque se distingue Zénon, homme d'un grand sens, d'une grande pénétration et dialecticien subtil.

La dialectique était considérée anciennement comme l'art d'user de la raison pure par rapport aux notions dégagées, de toute matière sensible. De là les fréquents éloges de cet art chez les anciens. Par la suite les philosophes qui rejetaient totalement le témoignage des sens, durent nécessairement tomber dans beaucoup de subtilités, et la dialectique dégénéra en art de soutenir et de combattre toute proposition. Ce n'était donc plus pour les sophistes, qui voulaient raisonner sur toutes choses, et donner à l'erreur l'apparence de la vérité, que l'art de tout brouiller et de tout confondre. C'est pourquoi le nom de sophiste, par lequel on entendait, anciennement un homme capable de parler de tout avec raison et pénétration, devint si odieux et si méprisable, qu'on le remplaça par celui de philosophe.


INTRODUCTION. 33

Vers le temps, où l'école ionique florissait, apparut dans la Grande-Grèce un homme d'un génie singulier, qui non-seulement fonda une école, mais encore conçut et mit à exécution un projet qu'aucun philosophe n'avait jamais formé : cet homme était Pythagore, né à Samos. — Il fonda une société de philosophes, réunis en une communauté par la loi de la discrétion. Ses disciples étaient partagés en deux classes : en simples auditeurs (<iy.ouG[i.a-i;iy.oi), qui n'avaient pas le droit de dialoguer, et en auditeurs qui avaient ce droit, et qui pouvaient questionner (ày.poKf/.aTiy.Qt).

Dans ses doctrines on distingue l'exotérique, qu'il exposait à tout le monde, et une autre, l'ésotérique, qui était secrète, destinée aux seuls des membres de la communauté qu'il admettait dans sa société la plus intime, et qu'il isolait complétement des autres.

La physique et la théologie, par conséquent la science du sensible et du non-sensible, étaient en quelque sorte le véhicule de la doctrine secrète.

Pythagore avait aussi différents symboles, qui n'étaient apparemment que certains signes servant à ceux qui les employaient à s'entendre mutuellement.

Le but de la communauté ne semble avoir été que de purger la religion des croyances populaires,

LOG. 3


34 LOGIQUE.

de tempérer la tyrannie et d'introduire dans les Etats une meilleure forme de gouvernement. Cette communauté, que les tyrans commençaient à redouter, fut détruite peu de temps avant la mort de Pythagore, et la société philosophique dissoute tant par les persécutions ou la mort que par la fuite d'un grand nombre de membres : le peu qui restèrent étaient des novices; et, comme ceux-ci ne devaient pas avoir une grande part aux doctrines du maître, on n'en peut rien dire de certain. On prêta par la suite à ce philosophe, qui était en outre un très-fort mathématicien, beaucoup de doctrines qui ne sont certainement que des fictions. Les autres pythagoriciens les plus célèbres de cette époque sont : Phérécide, Philolaüs et Archytas.

L'époque la plus importante de la philosophie grecque commence avec Socrate (400) : ce fut lui qui donna à tous les genres d'esprits spéculatifs, et par conséquent à l'esprit philosophique, une direction pratique toute nouvelle. Aussi a-t-il été jugé à peu près le seul de tous les hommes dont la conduite ait approché de Y idéal du sage.

Au nombre de ses disciples se remarque particulièrement Platon (348), qui donna une attention spéciale aux doctrines pratiques de Socrate. Parmi les disciples de Platon, Aristote fut le plus célèbre : il


INTRODUCTION. 35

donna une impulsion nouvelle et plus forte que les précédentes à la philosophie spéculative. Après les grandes écoles de Platon et d'Aristote, se présentent celles des épicuriens et des stoïciens, qui furent ennemis jurés les uns des autres. Les premiers faisaient consister le souverain bien dans la joie du. coeur, qu'ils appelaient volupté. Les autres ne le trouvaient que dans l'élévation et la force de l'âme, qualités qui permettent de se passer de tous les agréments de la vie.

Les stoïciens étaient du reste dialecticiens dans la philosophie spéculative, dogmatiques dans la philosophie morale, et montraient dans leurs principes pratiques, au moyen desquels ils répandirent le germe des sentiments les plus nobles, une dignité extraordinaire. Le fondateur de cette école fut Zénon de Cittium. Les hommes les plus célèbres de la même école, parmi les philosophes grecs, sont Cléanthe et Chrysippe.

Jamais l'école d'Epicure n'a pu atteindre à la renommée de l'école stoïque. Du reste, les épicuriens étaient très-modérés dans leurs plaisirs, et furent les physiciens les plus distingués parmi tous les savants de la Grèce.

Il faut encore remarquer ici que les principales écoles grecques eurent des noms particuliers. Ainsi l'école de Platon prit le nom d'Académie; celle d'A-


36 LOGIQUE.

ristote s'appela Lycée ; celle de Zénon, Portique (ctoïi), d'une promenade couverte qui donna son nom

aux stoïciens ; celle d'Epicure, Jardins, parce qu'Epicure enseignait dans des jardins.

Outre l'académie de Platon, il y en eut trois autres

qui furent fondées par ses disciples : la première eut pour chef Speusippe (339), la deuxième Arcésilas (239), et la troisième Carnéade (128).

Ces académiciens inclinaient au scepticisme : car Speusippe et Arcésilas fondèrent tous deux leurs doctrines sur le doute, et Carnéade alla encore plus loin qu'eux. C'est pour cette raison que les sceptiques, ces dialecticiens subtils, ont aussi été appelés académiciens.

Les académiciens suivirent donc, au moins en partie, le premier grand sceptique Pyrrhon (286) et ses successeurs. Platon leur en avait fourni des motifs en établissant le pour et le contre dans ses enseignements dialogiques, sans se prononcer lui-même, au moins d'une manière explicite et positive, quoiqu'il fût d'ailleurs très-dogmatique.

Si l'on fait commencer l'époque du scepticisme avec Pyrrhon, alors on à toute une école de sceptiques qui se distinguent essentiellement des dogmatistes dans leurs opinions et leur manière de philosopher, puisqu'ils prenaient pour première règle de tout usage philosophique de, la raison, qu'il faut s'abstenir de


INTRODUCTION. 37

juger, même dans la plus grande apparence de vérité, et avaient consacré ce principe : que la philosophie consiste dans l'équilibre du jugement, et nous apprend à découvrir la fausse apparence. — Il ne nous est resté des écrits de ces sceptiques que les deux ouvrages de Sextus Empiricus (4), où il a entassé tous les doutes de son école. 4°

La philosophie passa des Grecs aux Romains, mais sans rien acquérir ; les Romains ne furent jamais que des écoliers.

Cicéron (43 av. J.-C) était disciple de Platon en métaphysique, et stoïcien en morale.

Les plus célèbres des stoïciens sont: Epictète (il. 89 ap. J.-C), Antonin le Philosophe (484), et Sénèque (65 ap. J.-C). Il n'y eut de physicien parmi les Romains que Pline l'Ancien, qui a laissé une histoire naturelle.

Enfin, la science disparut aussi chez les Romains, pour faire place à la barbarie, jusqu'à ce que les Arabes, aux VIe et VIIe siècles, commençassent à cultiver les sciences, et remissent Aristote en honneur. Alors les sciences refleurirent en Occident. Aristote fut surtout étudié; on le suivit aveuglément.

Les scolastiques régnèrent dans les XIe et XIIe siè(1)

siè(1) vivait dans la première moitié du IIIe siècle de notre ère.

... (Note du trad.)


38 LOGIQUE.

cles; ils expliquaient Aristote, et retournaient ses subtilités à l'infini. On ne s'occupait que de vaines abstractions. Cette fausse méthode, scolastique disparut enfin à l'époque de la réforme. Alors il y eut des hommes d'un talent original et indépendant, de libres penseurs, qui ne s'attachaient à aucune école, mais qui cherchaient et prenaient la vérité partout où ils la trouvaient.

La philosophie doit une partie de son amélioration dans les temps modernes, d'une part à une plus grande étude de la nature, d'autre part à l'application des mathématiques à la physique. La méthode que l'étude de ces sciences fait contracter dans la conduite des pensées, s'étendit aussi aux différentes parties de la philosophie proprement dite. Le premier et le plus grand physicien des temps modernes fut Bacon de Vérulam. Il suivit dans ses recherches la voie de l'expérience, et fixa l'attention des savants sur l'importance et la nécessité des observations et de l'expérimentation pour découvrir la vérité. Il est du reste assez difficile de dire avec précision d'où vient l' amélioration de la philosophie spéculative. Descartes n'en a pas peu mérité, puisqu'il a contribué beaucoup à donner de la clarté à la pensée, en posant pour


INTRODUCTION. 39

critérium de la vérité la clarté, l'évidence de la connaissance.

Parmi les réformateurs contemporains les plus célèbres de la philosophie, et qui ont rendu les services les plus signalés à cette science, il faut compter Leibniz et Locke. Celui-ci a essayé de décomposer l'entendement humain, et de faire voir quelles sont les facultés et les opérations qui se rapportent à telle ou telle connaissance. Mais il n'a pas achevé son entreprise. Son procédé est dogmatique, quoiqu'il ait fait sentir l'utilité de commencer par mieux étudier la nature de l'âme et d'une manière plus fondamentale.

En ce qui concerne particulièrement la méthode dogmatique de Leibniz et de Wolff en philosophie, il faut convenir qu'elle était très-défectueuse ; elle est sujette à tant d'illusions, qu'il est nécessaire d'y renoncer entièrement et de la remplacer par une autre, la méthode critique, qui consiste dans l'étude du procédé de la raison même; dans l'analyse et l'examen de l'ensemble de nos facultés intellectuelles, pour savoir quelles en sont les limites.

De nos jours, la philosophie de la nature est dans l'état le plus florissant, et il y a, parmi les physiciens, de grands noms, par exemple, Newton. — Pour des philosophes modernes, on n'en connaît pas maintenant dont on soit sûr que les noms doivent rester,


40 LOGIQUE.

parce que tout passe ici comme une ombre. Ce que l'un fait, l'autre le défait.

En philosophie morale, nous ne sommes pas plus avancés que les anciens. En métaphysique, nous avons l'air de nous être embarrassés dans la recherche des vérités de cette espèce. Il règne maintenant une telle indifférence pour cette science, qu'on semble se faire honneur de parler avec mépris des recherches métaphysiques comme de vaines subtilités. Et cependant la métaphysique est la véritable philosophie, la philosophie proprement dite.

Notre siècle est le siècle de la critique.■'Reste à savoir ce qui résultera des travaux critiques de notre âge par rapport à la philosophie, et à la métaphysique en particulier.

De la connaissance en général. —Connaissance INTUITIVE, connaissance discursive ; intuition et notion, leur différence en particulier. — Perfection logique et perfection esthétique de la connaissance.

Toute connaissance est un double rapport qui tient d'une part à l'objet, et d'autre part au sujet. Sous le premier point de vue, elle se rapporte à la représentation, sous le second à la conscience qui est la con-


INTRODUCTION. 41

dition universelle de toute connaissance en général La conscience est proprement l'idée qu'une autre idée est en moi.

Dans toute connaissance, il faut distinguer la matière, c'est-à-dire l'objet, et la forme, c'est-à-dire la manière dont nous connaissons l'objet. — Un sauvage, par exemple, voit de loin une maison, dont l'usage lui est inconnu : cet objet lui est à la vérité représenté comme il pourrait l'être à un autre homme qui le connaît déterminément comme une habitation appropriée à l'usage de l'homme. Mais quant à la forme, cette connaissance d'un seul et même objet est différente dans chacun d'eux : dans l'un c'est une simple intuition, dans l'autre c'est intuition et notion en même temps.

La différence formelle de la connaissance repose sur une condition qui accompagne toute connaissance, — sur la conscience. Si j'ai conscience de mon idée elle est claire, si je n'en ai pas conscience, elle est obscure.

La conscience étant la condition essentielle de toute forme logique de la connaissance, la logique ne peut et ne doit s'occuper que des idées claires, et non des idées obscures. On ne voit pas, en logique, comment naissent les idées, mais seulement la manière dont elles s'accordent avec la forme logique. — La Logique ne peut pas non plus traiter des simples représentations


42 LOGIQUE.

ni de leur possibilité : c'est l'affaire de la métaphysique. Elle ne s'occupe que des règles de la pensée dans les notions, les jugements et les raisonnements. Sans cloute quelque chose se passe dans l'esprit avant qu'une représentation devienne notion : c'est ce,que nous ferons voir en son lieu. Mais, nous ne rechercherons pas l'origine des idées. La logique traite, il est vrai, de la connaissance avec conscience, parce que la pensée a déjà lieu dans une semblable connaissance. Mais l'idée ou représentation n'est pas. encore connaissance, quoique la connaissance suppose toujours la représentation. Et cette dernière ne peut absolument pas être expliquée : on ne pourrait le faire qu'au moyen d'une autre représentation.

Toutes les représentations claires, les seules auxquelles s'appliquent les règles logiques, peuvent donc se diviser quant à la clarté et à la non-clarté. Lorsque nous avons conscience de toute la représentation, mais non de toute la diversité qui est y contenue, alors la représentation n'est pas claire. — Prenons un exemple d'abord dans les intuitions pour expliquer le fait : nous apercevons dans le lointain une maison de campagne. Si nous avons conscience que l'objet perçu est une maison, alors nous nous faisons nécessairement aussi une représentation des différentes parties de cette maison, — des fenêtres, des portes, etc. : mais nous n'avons pas conscience de la


INTRODUCTION. 43

diversité de ses parties, et notre représentation de l'objet pensé; n'est en conséquence qu'une représentation obscure.

Voulons-nous en outre avoir un exemple de la nonclarté dans les notions ? soit alors celle de beauté. Chacun a une. notion claire de la beauté. Mais cette notion est complexe; elle comprend plusieurs éléments, entre autres que l'objet beau doit être quelque chose 1° qui tombe sous le sens, 2° et qui plaise généralement. Si nous ne pouvons pas nous rendre compte de la diversité de, ces: éléments du beau, et d'autres encore, alors la notion que nous en avons n'est pas encore claire.

Les Wolffiens appellent la représentation obscure une représentation confuse. Mais cette expression ne convient pas, par la raison que l'opposé de la confusion n'est pas la clarté, mais l'ordre. Toutefois, s'il est vrai de dire que la clarté est un effet de l'ordre et l'obscurité un effet du désordre, et qu'ainsi toute connaissance confuse est aussi une connaissance obscure, la réciproque n'est pas admissible : toute connaissance obscure n'est pas pour cela confuse. En effet, il n'y a ni ordre ni désordre, ni par conséquent confusion réelle ou même possible, dans les connaissances dont l'objet est simple.

En conséquence, les représentations simples ne deviennent jamais claires : non pas qu'il y ait en elles


44 LOGIQUE.

confusion, mais parce qu'elles ne contiennent aucune diversité. Quand elles ne sont pas claires on peut bien dire qu'elles sont obscures, niais non pas qu'elles sont confuses.

Dans les représentations composées, où il est possible de distinguer une diversité d'éléments, l'obscurité souvent ne tient pas de la confusion, mais bien de la faiblesse de la conscience. Quelque chose en effet peut être clair quant à la. forme, c'est-à-dire que je puis avoir conscience de la diversité dans la représentation; mais la clarté peut diminuer quant à la matière si le degré de conscience s'affaiblit, quoique l'ordre existe dans les éléments de la notion. Tel est le cas des représentations abstraites.

La clarté même peut être double :

1° Sensible. Elle consiste dans la conscience de la diversité dans l'intuition. Je vois, par exemple, la voie lactée comme une bande blanchâtre : les rayons lumineux de toutes les étoiles qui s'y trouvent, doivent nécessairement avoir frappé mes yeux. Mais la représentation que j'en avais n'était que claire ; elle ne devient lucide que par le moyen du télescope, parce que j'aperçois alors une à une les étoiles qui sont dans la voie lactée.

2° Intellectuelle. C'est la lucidité dans les notions, ou la lucidité intellectuelle. Elle repose sur la décomposition de la notion par rapport à la diversité


INTRODUCTION. 45

qu'elle contient. —C'est ainsi, par exemple, que dans la notion de vertu sont contenus comme éléments : a) celle de liberté, b) celle de soumission à la règle (au devoir), c) celle d'assujettissement des inclinations contraires à la règle. En résolvant ainsi la notion de vertu en ses éléments, on la rend lucide. Mais on n'ajoute rien par cette élucidation même à une notion; on ne fait que l'expliquer. Les notions ne sont donc pas améliorées, par la lucidité, quant à la matière, mais seulement quant à la forme.

Si nous réfléchissons à nos connaissances par rapport aux deux facultés fondamentales essentiellement différentes d'où elles naissent, la sensibilité et l'entendement, nous trouvons alors, sous le point de vue qui nous occupe, une différence entre des intuitions et des notions. Considérées sous ce rapport, toutes nos connaissances sont en effet ou intuitions ou notions. Les premières ont leur source dans la sensibilité, — faculté des intuitions; les secondes, dans l'entendement, — faculté des notions. Telle est la différence logique entre l'entendement et la sensibilité, que la sensibilité ne donne que des intuitions, tandis qu'au contraire l'entendement ne donne que des notions. On peut sans doute envisager encore les facultés fondamentales sous un autre aspect et les définir d'une


46 LOGIQUE.

autre manière, savoir : la sensibilité comme une faculté: de la réceptivité, l'entendement comme une faculté de la spontanéité. Mais cette espèce de définition n'est pas logique, elle est métaphysique.— On appelle ordinairement aussi la sensibilité, faculté inférieure; l'entendement, au contraire, faculté supérieure: par la raison que la sensibilité fournit simplement la matière de la pensée, tandis que l'entendement la met en oeuvre et la soumet à des règles ou notions.

Cette différence entre les connaissances intuitives et les connaissances discursives, c'est-à-dire entre les intuitions et les notions, sert de fondement à la différence entre la perfection esthétique et la perfection logique de la connaissance.

Une connaissance peut être parfaite quant aux lois de la sensibilité, ou quant aux lois de l'entendement : dans le premier cas elle est parfaite esthétiquement; dans le second, logiquement. La perfection esthétique et la perfection logique sont donc d'espèce différente : la première se rapporte à la sensibilité; la seconde, à l'entendement. La perfection logique de la connaissance repose sur son accord avec l'objet, par conséquent sur des lois universellement valables, et demande par conséquent à être jugée a priori d'après des règles. —La perfection esthétique consiste dans l'accord de la connaissance avec le sujet, et se fonde


INTRODUCTION. 47

sur la sensibilité particulière de l'homme. Il n'y a donc lieu, dans la perfection esthétique, à aucunes lois objectivement et universellement valables, par rapport auxquelles cette perfection puisse se juger a priori d'une manière valable universellement ou pour tout être pensant en général. Néanmoins, en tant qu'il y a aussi des lois universelles de la sensibilité, qui, tout en ne valant pas objectivement et pour tout être pensant en général, ont néanmoins une valeur subjective pour toute l'humanité, on conçoit aussi une perfection esthétique qui contient la raison d'un plaisir subjectivement universel. Telle est la beauté, qui plaît aux sens dans l'intuition, et qui, précisément par cette raison, peut être l'objet d'un plaisir universel, parce que les lois de l'intuition sont des lois universelles de la sensibilité.

Par cet accord avec les lois universelles de la sensibilité, le beau propre, absolu, dont l'essence consiste dans la simple forme, se distingue, quant à l'espèce, de l'agréable, qui plaît seulement dans la sensation par l'attrait ou l'émotion, et qui, par cette raison, ne peut être aussi que le principe d'une jouissance purement individuelle.

C'est aussi cette perfection esthétique, essentielle, qui s'accorde entre toutes avec la perfection logique, et s'unit le mieux avec elle.

Considérée en ce sens, la perfection esthétique, par rapport à ce beau essentiel, peut être avantageuse à


48 LOGIQUE.

la perfection logique. Mais d'un autre côté elle peut aussi lui être préjudiciable, en tant que nous ne regardons dans la perfection esthétique qu'au beau accidentel, à ce qui attire ou qui touche, qui plaît aux sens dans la simple sensation, et se rapporte non à la simple forme, mais à la matière de la sensibilité. Car l'attrait et l'émotion peuvent corrompre à un haut degré la perfection logique dans nos connaissances et dans nos jugements.

Sans doute qu'il reste toujours entre la perfection esthétique et la perfection logique de notre connaissance une espèce d'opposition, qui ne peut être parfaitement dissipée,. L'entendement veut être instruit, la sensibilité excitée, animée ; le premier aspire à la connaissance approfondie; la seconde, à la facilité de conception. Toutes les connaissances devant instruire, elles doivent, à ce titre, être fondamentales, en même temps qu'elles doivent intéresser. A ce dernier point de vue elles doivent aussi être belles. Si une exposition est belle, mais superficielle, elle ne peut satisfaire que la sensibilité, mais non l'entendement; si, au contraire, elle est fondamentale, mais aride, elle ne peut plaire qu'à l'entendement, mais pas en même temps à la sensibilité.

Comme c'est un besoin de la nature humaine, et que le but de la connaissance populaire exige que nous cherchions à réunir ces deux perfections, nous


INTRODUCTION. 49

devons aussi avoir à coeur de donner une perfection esthétique aux connaissances qui, en général, en sont susceptibles, et de rendre populaire par la forme esthétique une connaissance scolastique logiquement parfaite. En nous efforçant d'unir la perfection esthétique à la perfection logique dans: nos connaissances, nous ne. devons pas perdre de vue les règles suivantes': 1 ° que la perfection logique est la base de toutes les autres; qu'elle ne doit par conséquent pas être un pur accessoire d'aucune autre, oului être sacrifiée,; 2° qu'il faut surtout avoir égard à la perfection formelle esthétique (l'accord d'une connaissance avec les lois de l'intuition), parce que c'est précisément là ce qui fait le beau essentiel, le plus propre à s'unir à la perfection logique; 3° qu'il faut être très-circonspect en faisant agir l'attrait et le pathétique, au moyen desquels une connaissance opère sur la sensation et lui donne un intérêt, parce que l'attention peut être facilement détournée par là de l'objet, et reportée sur le sujet : d'où il pourrait résulter une influence trèspernicieuse sur la perfection logique de la connaissance.

Afin de ne pas rester dans le vagué des généralités concernant les, différences essentielles entre la perfection logique et la perfection esthétique de la connaisLOG.

connaisLOG.


50 LOGIQUE.

sance, et pour approfondir davantage plusieurs points particuliers, nous comparerons l'une et l'autre sous les;quatre aspects de la quantité, de la qualité, de la relation et de la modalité, seules choses dont il s'agit dans le jugement (critique) de la perfection logique de la connaissance.

Une connaissance est parfaite 1° quant à la quantité, si elle est universelle; 2° quant à la qualité, si elle est lucide; 3° quant à la relation, si elle est vraie; 4° quant à la modalité, si elle est certaine.

Considérée de ces points de vue, une connaissance est donc logiquement parfaite quant à la quantité, si elle a une généralité objective (généralité de la notion ou de la règle) ; — quant à la relation, si elle a une vérité objective; — quant à la modalité enfin, si elle a une certitude objective.

A ces trois perfections logiques correspondent maintenant des perfections esthétiques par rapport aux quatre moments principaux, savoir :

1° La géneralité esthétique. — Elle consiste dans l'applicabilité d'une connaissance à une foule d'objets qui peuvent servir d'exemples, auxquels peut se faire l'application de cette connaissance, et au moyen desquels on peut la faire servir en même temps à la fin de la popularité.

2° La luciditéesthétique. — C'est la lucidité dans l'intuition, au moyen de laquelle une notion abstrac-


INTRODUCTION. 51

tivement pensée est exposée ou expliquée in concreto par des exemples.

3° La vérité esthétique. - Une vérité simplement subjective, qui ne consiste que dans l'accord de la connaissance avec le sujet et avec les lois de l'apparence sensible, et n'est par conséquent qu'une apparence générale.

4° La certitude esthétique. — Elle repose sur ce qui est la conséquence nécessaire du témoignage des sens, c'est-à-dire sur ce qui est confirmé par la sensation et l'expérience. Il y a toujours, dans ces perfections, deux éléments qui forment par leur union harmonique la perfection en général, savoir : la diversité et l' unité. L'entendement donne l'unité à la notion, les sens à l'intuition. La seule diversité, sans unité, ne peut plaire. La vérité est donc la perfection principale, parce qu'elle est le.fondement de l'unité, par le moyen du rapport qu'elle établit entre la connaissance et l'objet. Dans la perfection esthétique même, là.vérité resté toujours la condition sine qua non, la suprême condition négative sans laquelle quelque chose ne peut généralement plaire au goût. Nul, par conséquent, ne peut espérer dé progrès dans les belles-lettres, s'il ne donne pour fondement à sa connaissance la perfection logique. C'est dans la fusion la plus intime possible dé la perfection logique et de la perfection esthétique en


52 LOGIQUE.

général par rapport à des connaissances qui doivent instruire et intéresser tout à la fois, que se montre aussi réellement le caractère et l'habileté du génie.

Perfections logiques particulières de la connaissance.

A

Perfection logique dé la connaissance quant à la quantité.—Quantité. — Quantité extensive, — intensive. — Etendue et fondamentalité ou importance et fécondité de la connaissance. — Détermination de -l'horizon de nos connaissances.

La quantité de la connaissance est ou extensive ou intensive : extensive, s'il s'agit de l'étendue de la sphère ou du nombre des sujets qu'elle comprend ; intensive, s'il s'agit de sa valeur, de son importance (Vielgültigkeit) ou de sa fécondité logique, en tant qu'elle peut être considérée comme principe de grandes et nombreuses conséquences (non multa, sed multum).

Quand il s'agit d'étendre nos connaissances, ou de les perfectionner quant à l'étendue, il est bon de considérer le rapport d'une connaissance avec nos fins et nos capacités. C'est ce que j'appelle détermi-


INTRODUCTION. 53

ner l'horizon de nos connaissances. Il faut, pour résoudre ce problème, établir le rapport de là quantité de toutes les connaissances aux capacités et aux fins du sujet.

Cet horizon peut se déterminer :

1° Logiquement, quant à la faculté de connaître ou à l'intelligence proprement dite par rapport à

l'intérêt de l'entendement. Nous avons alors à décider jusqu'où nous pouvons avancer dans la connaissance, quels progrès nous pouvons faire dans chacune d'elles, et jusqu'à quel point certaines connaissances peuvent servir, dans le sens.logique, comme moyen d'arriver à telles ou telles autres qui font l'objet spécial de notre étude.

2° Esthétiquement, quant au goût, par rapport à l'intérêt du sentiment. Celui qui détermine esthétiquement son horizon, cherche à régler la science sur le goût du public, c'est-à-dire à la rendre populaire, ou ne cherche, en général, qu'à acquérir des connaissances qui. puissent s'enseigner à tout le monde, et auxquelles les classes les moins instruites puissent trouver de l'attrait et de l'intérêt.

3° Pratiquement, quant à l'utile par rapport à

l'intérêt de la volonté. L'horizon pratique déterminé sous le point de vue de l'influence qu'une connaissance peut avoir sur notre moralité, est pragmatique et de la plus haute importance.


54 LOGIQUE.

En résumé, l'horizon de la connaissance peut se déterminer en partant de la triple idée de ce que l'homme peut savoir, de ce qu'il a besoin de savoir, et de ce qu'il doit savoir.

Nous ne traiterons ici que de l'horizon théorique ou logique. On peut le considérer sous deux points de vue, objectivement ou subjectivement.

Objectivement considéré, il est historique ou rationnel. Le premier est beaucoup plus étendu que le second; il est même d'une grandeur incommensurable; notre connaissance historique n'ayant pas de bornes. L'horizon rationnel, au contraire, peut être déterminé: c'est ainsi, par exemple, que l'on peut décider quelles sont les espèces d'objets auxquelles la connaissance mathématique ne peut pas s'étendre. Mais peut-on dire également, pour ce qui est de la connaissance rationnelle philosophique, jusqu'où peut aller la raison a priori sans aucune expérience?

Considéré par rapport au sujet, l'horizon est ou universel et absolu, ou particulier et conditionné (horizon privé).

Il faut entendre par horizon absolu et universel la coïncidence des bornes des connaissances humaines avec les bornes de la perfection humaine la plus haute possible. Ce qui revient à cette question : Qu'est-ce que l'homme, comme tel en général, peut savoir ?


INTRODUCTION. 55.

La détermination de l'horizon particulier ou privé dépend d'une.foule de conditions empiriques et de points de vue spéciaux, par exemple de l'âge, du sexe, de la profession, du. genre de vie, etc. Chaque classe d'hommes a donc son horizon spécial déterminé par ses facultés intellectuelles et par la fin qu'elle se propose;— chaque individu a de môme son horizon propre déterminé sur la mesure de ses facultés intellectuelles et de son point de vue personnel. Nous pouvons enfin concevoir encore un horizon de la saine raison, la raison naturelle ou native, le sens commun, et un horizon,de la science. Celui-ci a besoin de principes d'après lesquels il détermine ce que nous pouvons savoir et lie pas savoir.

Ce que nous ne pouvons savoir est au-dessus de notre horizon; ce que nous ne devons pas ou que nous n'avons pas besoin de savoir est en dehors de notre horizon. Ce dernier point de vue peut cependant n'être que relatif, quand, par exemple, nous nous proposons telles ou telles fins particulières, et que, pour les atteindre, certaines connaissances sont inutiles ou même contraires : car absolument, aucune connaissance n'est inutile, quoique nous n'en puissions pas toujours apercevoir immédiatement l'utilité. - C'est par conséquent une objection aussi insensée qu'injuste, que celle dirigée par les sots contre les grands hommes qui s'appliquent aux scien-


56 LOGIQUE,

ces avec zèle, en leur disant : A quoi bon? Quiconque aime la science et la vérité pour elles-mêmes, ne doit jamais s'adresser une semblable question. Une science ne donnerait-elle des éclaircissements que sur un seul objet, déjà elle serait assez utile. — Toute connaissance logiquement parfaite a toujours quelque utilité possible qui, quoique à nous inconnue jusqu'à ce jour, se révèlera sans doute à la postérité.

Si l'on n'avait été mû dans la culture des sciences que par le profit matériel qu'on pouvait en retirer, il n'y aurait ni arithmétique ni géométrie. — Nous sommes d'ailleurs tellement faits, que l'esprit trouve plus de satisfaction dans la connaissance pure et simple de la vérité que dans l'utilité qui en résulte. C'est ce qu'avait déjà remarqué Platon. L'homme sent surtout en cela son excellence, sa supériorité ; il sent ce que c'est que d'être doué d'intelligence. Des hommes qui n'éprouvent rien de semblable doivent porter envie aux animaux. Le prix interne des connaissances n'est pas à comparer à leur valeur externe, qui résulte de leur application.

Ce n'est donc que dans un sens relatif que, d'une part, nous n'avons pas besoin de savoir ce, qui est en dehors de notre horizon d'après les fins spéciales que nous nous proposons, et que, d'autre part, nous devons ignorer ce qui est au-dessous de notre horizon, en tant qu'il nous est nuisible.


INTRODUCTION. 57

On peut établir les règles suivantes relativement à l'extension et à la démarcation de nos connaissances.

1 ° Il faut se déterminer un horizon de bonne heure sans doute, mais pas avant de pouvoir le faire par soi-même, ce qui n'a pas lieu ordinairement avant l'âge de vingt ans.

2° Il ne faut en changer ni légèrement ni souvent.

3° Il ne faut pas mesurer l'horizon des autres par le sien propre, et ne pas réputer inutile ce qui ne nous sert à rien. Il serait téméraire de vouloir déterminer l'horizon des autres quand on ne connaît qu'imparfaitement leurs capacités et leurs desseins.

4° Il ne faut ni trop étendre ni trop circonscrire son horizon. Car qui veut trop savoir finit par ne rien savoir, et celui qui croit que certaines connaissances ne peuvent en rien lui servir se fait souvent illusion. Telle serait l'erreur du philosophe qui croirait n'avoir rien à apprendre de l'histoire.

5° Il faut chercher aussi à déterminer d'abord l'horizon absolu de l'espèce humaine (quant au passé et à l'avenir).

6° Déterminer aussi en particulier la place qu'occupe la science à laquelle nous nous livrons, dans le


58 LOGIQUE.

cadre de la science universelle. L' encyclopédie universelle est à cet effet comme la mappemonde des sciences.

7°Dans la détermination de son horizon particulier, il faut examiner soigneusement pour quelle partie de/la science universelle on a le plus d'aptitude et d'attrait; —quels sont les devoirs nécessaires qu'entraîne le choix qu'on se propose de faire ; quels sont ceux qu'il rend moins sévères ou dont il dispense..

8° Enfin, il faut toujours chercher plutôt à étendre son horizon qu'à le restreindre.

Le moyen d'étendre les connaissances consiste bien moins à diminuer le nombre des volumes, qu'à donner de bonnes méthodes pour les bien étudier. Il ne faut pas réduire le fardeau de la science, comme l'a fait d'Alembert, mais seulement l'alléger en nous donnant des forces. La critique de la raison, celle dé l'histoire et des écrits historiques; d'autre part, une méthode naturelle et un esprit vaste qui sait embrasser en gros les grandes perspectives de la connaissance humaine, et qui ne s'attache pas simplement aux détails, seront toujours les meilleures conditions pour abréger le travail de la connaissance sans rien retrancher de son objet. De cette manière, un grand nombre de livres deviennent inutiles, et la mémoire se trouve singulièrement soulagée.


INTRODUCTION. 59

A la perfection logique de la connaissance quant à l'étendue , est opposée l' ignorance, imperfection négative ou imperfection de défaut, qui est inséparable de notre connaissance, eu égard aux limites de l'entendement.

Nous pouvons considérer l'ignorance au point de vue objectif et au point de vue subjectif.

1° Objectivement prise, l'ignorance est on matérielle ou formelle. La première consisté dans le défaut de connaissances historiques ou de faits, la seconde dans le défaut de connaissances rationnelles.—On ne doit être absolument ignorant dans aucune partie, mais on peut s'attacher de préférence aux connaissances historiques ou réciproquement.

2° Subjectivement considérée, l'ignorance est ou savante, scientifique, ou commune.

Celui qui aperçoit clairement les limites de la connaissance, qui sait par conséquent où commencent les limites du champ de l'ignorance, est un savant ignorant: Celui, au contraire, qui est ignorant sans apercevoir les raisons des bornes de son intelligence, et qui ne s'en afflige nullement, est un ignorantignorant-, si je puis me servir de cette expression : il ne sait pas même, qu'il ne sait rien ; car on ne peut se faire une idée de son ignorance que par la science, comme un aveugle ne peut se faire d'idée des ténèbres où il est plongé qu'autant qu'il a été voyant.


60 LOGIQUE.

La connaissance de son ignorance propre suppose donc de la science, et rend en même temps modeste : au contraire, l'ignorance qui ne soupçonne pas même qu'elle ait quelque chose à savoir, est altière. C'est ainsi que l'ignorance de Socrate fut une ignorance célèbre c'était proprement la connaissance de son ignorance, suivant son propre aveu. Le reproche d'ignorance ne peut donc atteindre ceux qui possèdent beaucoup de connaissances, et qui s'étonnent cependant de l'infinité de choses qu'ils ne connaissent pas.

L'ignorance n'est pas blâmable (inculpabilis) en général dans les choses dont la connaissance surpasse notre horizon : elle peut être permise (quoique dans un sens relatif seulement) par rapport à l'usage spéculatif de notre faculté de connaître, en tant que les objets dépassent notre horizon, quoiqu'ils ne soient pas au-dessus. Mais l'ignorance est honteuse dans les choses où il est très-nécessaire et en même temps très-facile de savoir.

II y a une différence entre ne pas savoir quelque chose,'-et ignorer quelque chose, c'est-à-dire n'en prendre aucune notion. Il est bon d'ignorer beaucoup ce qu'il, ne nous est pas bon de savoir. Il faut encore distinguer ces deux choses de l'abstraction. On fait abstraction d'une connaissance quand on en ignore l'application ; on l'obtient in abstracto, et l'on peut mieux la considérer alors dans le général comme


INTRODUCTION. 61

principe. Faire ainsi,abstraction de ce qui, dans la connaissance d'une chose, ne rentre pas dans notre but, est utile et louable.

Ceux qui sont historiquement ignorants sont ordinairement savants rationnellement.

La science historique, sans détermination de bornes, s'appelle polyhistoire : elle rend ordinairement vain. La polynathie est la science des-connaissances rationnelles. Les deux réunies forment la pansophie. A la science historique appartient la science des organes de l'érudition,—- la philologie, qui comprend la connaissance critique des langues et des livres (la linguistique et la littérature).

La simple polyhistoire est une érudition cyclopique : l'oeil de la philosophie lui manque. Un cyclope en mathématiques, en histoire, en physique, en philologie, etc., est un savant qui possède toutes les parties de l'une ou de l'autre de ces sciences, de toutes ces sciences mêmes, si l'on veut, mais qui en croit la philosophie superflue.

Les humanités (humaniora) font partie de la philologie. On entend par humanités la connaissance des anciens, connaissance qui exige l'union de la science et du goût, dissipe la rudesse et la grossièreté, inspire cet esprit de sociabilité et d'urbanité qui fait le fond de 'humanité.

Les humanités ont donc pour objet la connaissance


62 LOGIQUE.

de ce qui sert à la culture du goût d'après les modèles antiques. L'éloquence, la poésie, la connaissance des auteurs classiques, etc., en font partie. Toutes ces connaissances humanistiques appartiennent à la partie pratique de la philologie, qui a pour but immédiat la formation du goût.

Mais nous distinguons le simple philologue de l'humaniste, en ce que le premier cherche chez les anciens l'organede l'érudition, tandis que le second y cherche l'organe de la formation du goût.

L'homme versé dans les belles-lettres, ou le bel esprit lettré (1), est un humaniste qui s'occupe des modèles contemporains que lui fournissent les langues vivantes : ce n'est donc pas; un savant (car les langues mortes seules sont des langues savantes), mais un simple dilettante, qui suit la mode en fait de connaissances de goût, et qui se soucie peu des anciens. On pourrait l'appeler le singe de l'humaniste. — Le polyhistorien doit, comme philologue, être linguiste et littérateur. Comme humaniste, il doit être classique et pouvoir interpréter les auteurs. Comme philologue il est cultivé; comme humaniste, civilisé.

En fait de science, il y a deux dégénérescences possibles du goût dominant : la pédanterie et l'afféterie (2). La pédanterie ne s'occupe des sciences que

(1) Kant dit en français le bel esprit. (Note du trad.)

(2) Kant se sert ici du mot français : galanterie. (N. du trad.)


INTRODUCTION. 63

pour l'école, et en circonscrit par conséquent l'usage. L'afféterie ne fait de la science que pour les cercles ou pour le monde, et la circonscrit par le fait quant à son objet. : :

Le pédant peut être considéré ou comme savant par opposition à l'homme du monde , comme un homme gonflé de savoir, qui n'entend rien au monde, c'est-à-dire à la manière de rendre sa science populaire ; ou comme un homme de talent, il est vrai, mais seulement quant aux formules (Formalien), et nullement quant à l'essence et aux fins. Dans ce dernier sens,; c'est un éplucheur de formules , si je puis ainsi dire, qui a l'air de pénétrer "au fond des choses, et de s'y tenir fortement, tandis qu'il n'en aperçoit que la surface et l'écorce. C'est; un imitateur maladroit, une caricature de l'esprit méthodique.

On peut donc appeler pédanterie la recherche pénible et minutieuse (micrologie) dans les formes. Et cette forme de la méthode scolastique, recherchée, employée et analysée hors de l'école, n'est pas particulière aux savants ; elle est commune à toutes les professions. Le cérémonial des cours, des sociétés, est-il autre chose qu'une affectation, qu'une recherche de formes? La précision, l'exactitude convenable, et qui mène au but, est de la fondamentalité dans les formes (perfection méthodique et scolastique). La pédanterie est donc une fondamentalité affectée, de


64 LOGIQUE.

même que l'afféterie, semblable à une coquette qui cherche à plaire, n'est qu'une popularité également affectée car l'afféterie cherche seulement à se faire aimer du lecteur, à ne pas lui déplaire, ne fût-ce que par un mot.

Pour guérir de la pédanterie, il faut posséder nonseulement la connaissance des sciences en elles-mêmes, mais encore celle de leur usage. Le véritable savant peut seul se garantir de la pédanterie, qui est toujours le lot d'une tête étroite.

En nous efforçant de donner à notre connaissance là perfection de la fondamentalité scolastique en même temps que celle de la popularité, sans tomber dans une fondamentalité ou dans une popularité affectée, nous devons avant tout faire attention à la perfection scolastique de notre connaissance (forme méthodique de la fondamentalité), et tacher à cet effet de rendre vraiment populaire la connaissance acquise méthodiquement à l'école. Cette popularité n'est atteinte qu'autant qu'on se fait entendre facilement et généralement sans que la profondeur en souffre : car il ne faut pas, sous prétexte de popularité,' sacrifier la perfection scolastique, sans laquelle toute science ne serait qu'un jeu et un badinage.

Il faut, pour apprendre la véritable popularité, lire les anciens, par exemple les écrits philosophiques de Cicéron, d'Horace , de Virgile, etc.; parmi les mo-


INTRODUCTION. 68

dernes, Hume, Schaftesbury, Fontenelle, etc: tous hommes qui ont fréquenté la haute société, et qui avaient une grandeconnaissance du monde, condition sans laquelle on ne peut pas être populaire.. La véritable popularité exige en effet une grande habitude du monde, une grande connaissance des idées, des goûts et des inclinations des hommes, etc.; toutes choses auxquelles il faut constamment faire attention dans le choix de ses expressions. Cette condescendance pour la portée intellectuelle du public et pour le langage vulgaire (ce qui n'est point exclusif de la perfection scolastique quant au fond, mais regarde simplement la forme de la pensée, de manière à cacher l'échafaudage [c'est-à-dire la partie méthodique et technique de ce genre de perfection], à peu près comme on efface les lignes tracées au crayon après qu'on a écrit dessus), cette perfection vraiment populaire de la connaissance, est en réalité une grande et rare qualité qui témoigne de beaucoup de connaissance dans la science. Elle rend aussi, entre autres services, celui de soumettre.les apparences scientifiques à une nouvelle épreuve, à celle du sens commun : car l'examen purement scolastique d'une connaissance peut encore permettre de douter quelquefois si l'on a bien vu, complétement vu, et si la connaissance même possède une valeur universellement reconnue.

L'école a ses préjugés ainsi que le monde ; l'un ici

LOG. 5


66 LOGIQUE.

corrige l'autre. Il importe donc de faire contrôler une

connaissance par un homme qui ne tienne à aucune

école.

On pourrait encore appeler cette perfection de la connaissance, qui la rend d'une communication facile et universelle, extension extérieure ou quantité extensive d'une connaissance; en tant qu'elle est propagée au dehors au milieu d'un grand nombre d'hommes.

Comme il y a des connaissances nombreuses et diverses, on fera bien de se tracer un plan d'après lequel on coordonnera les sciences suivant leur accord le plus approprié à la fin qu'on se propose, et à la part proportionnelle qu'elles doivent y avoir. Si cet ordre ne règne pas dans l'extension qu'on cherche à donner à ses connaissances, la pluralité des connaissances n'est qu'une pure rhapsodie. Mais si l'on se donne pour but une science principale, et que l'on ne considère toutes les autres sciences que comme des moyens pour l'acquérir, alors la connaissance a un certain caractère systématique. Mais pour entreprendre un pareil plan, et pour travailler en conséquence à l'extension de ses connaissances, il faut chercher à bien connaître le rapport des connaissances entre elles. L'architectonique des sciences, qui est un système idéal dans lequel les sciences sont considérées par rapport


INTRODUCTION. 67

à leur parenté et à leur liaison systématique en un tout de la connaissance intéressant l'humanité, ! doit naturellement servir d'introduction.

Pour ce qui est de la quantité intensive de la connaissance, c'est-à-dire de sa valeur, de son importance, quantité qui se distingue essentiellement de la grandeur extensive de l'étendue de sa sphère, comme nous l'avons vu précédemment, nous ferons seulement les remarques suivantes :

1° Il faut distinguer la connaissance qui a pour objet la quantité, c'est-à-dire le tout dans l'usage de l'entendement, de la subtilité dans les détails (micrologie).

2° Il importe logiquement de donner une déno - mination à toute connaissance qui exige la perfection logique quant à la forme, par exemple à chaque proposition mathématique, à toute loi de la nature clairement aperçue, à toute explication philosophique légitime. — On n'en peut prévoir l'importance pratique, mais il faut y compter.

3° Il ne faut pas confondre l'important avec le pénible (Schwere, lourd). Une connaissance peut être difficile à acquérir sans avoir aucune importance, et réciproquement. La difficulté ne décide par conséquent rien ni pour ni contre le prix et l'importance d'une


68 LOGIQUE,

connaissance. Cette dernière qualité dépend de la nature et du nombre des conséquences qui résultent de la connaissance. Plus une connaissance a de grandes et nombreuses conséquences, plus elle se prête à l'application, plus aussi elle est importante. — Une connaissance sans conséquences importantes est une science creuse (Grübelei). Telle était, par exemple, la philosophie scolastique.

VII

B

Perfection logique de la connaissance quant à la relation.—Vérité. — De l'erreur et de la vérité en général. — Vérité matérielle et vérité formelle ou logique. — Critérium de la vérité. —Fausseté et erreur. Moyen de remédier à l'erreur.

Une perfection principale de la connaissance, et même la condition essentielle et indivisible de toute perfection de la connaissance, c'est la vérité. — La vérité, dit-on, consiste dans l'accord de la connaissance avec l'objet. En conséquence de cette simple définition de mot, ma connaissance ne doit donc être regardée comme vraie qu'à la condition de s'accorder avec l'objet. Or je ne puis comparer l'objet qu'avec ma


INTRODUCTION. 69

connaissance, puisque je ne le connais que par elle. Ma connaissance est donc appelée à se confirmer ellemême : car, l'objet étant hors de moi, et la connaissance en moi, je ne puis jamais juger que d'une chose, savoir : si ma, connaissance de l'objet s'accorde avec ma connaissance de l'objet. Les anciens appelaient diallèle un semblable cercle dans une explication. Aussi les sceptiques ont toujours reproché aux logiciens de tomber dans cette faute. Ils remarquaient, les sceptiques, qu'il en est de cette définition de la vérité comme de quelqu'un qui, à l'appui d'une assertion qu'il ferait en justice, en appellerait à un témoin que personne ne connaît, mais qui voudrait se faire croire en assurant que le témoin qui l'invoque est un honnête homme. — L'accusation était donc fondée. Seulement la solution du problème en question est absolument impossible pour tout le monde.

La question est donc de savoir s'il y a un critérium de la vérité, certain, général et applicable, et jusqu'à quel point il est tout cela : car c'est la le sens dernier de la question : Qu'est-ce que la vérité?

Pour répondre à celte importante question, il faut commencer par distinguer ce qui appartient à la matière de la connaissance et se rapporte à l'objet, de ce qui regarde la simple forme comme condition sans laquelle une connaissance en général serait impossible.


70 LOGIQUE.

Le point de vue objectif ou matériel étant ainsi distingué du point de vue subjectif ou formel, la question précédente revient aux deux suivantes :

1° Y a-t-il un critérium général matériel ?

2° Y a-t-il un critérium général formel? Un critérium général matériel de la vérité n'est pas possible; il est même contradictoire : car en tant que critérium général valable pour tous les objets, il devrait être absolument étranger, indifférent à toute diversité des objets, et servir, néanmoins, comme critérium matériel, à les distinguer, afin de pouvoir décider si une connaissance s'accorde précisément avec l'objet déterminé auquel elle est rapportée, et non avec tout autre dont il n'est pas question. C'est dans cet accord d'une connaissance avec l'objet déterminé auquel elle se rapporte, que doit consister la vérité matérielle: car une connaissance qui est vraie par rapport à un seul objet, peut être fausse par rapport à d'autres objets. Il est donc absurde d'exiger un critérium général, et cependant matériel, de la vérité, qui doive en même temps servir en faisant abstraction et en ne faisant pas abstraction de toute connaissance des Objets.

Quant auxcritèresgénéraux et formels, il est facile de voir qu'ils sont possibles : car la vérité formelle consiste simplement dans l'accord de la connaissance avec elle-même, abstraction faite de tous


INTRODUCTION. 74

les objets; et de leurs différences. Le critérium formel de la vérité n'est donc,autre chose que le caractère logique général de l'accord de la connaissance avec ellemême, ou, ce qui est la même chose, avec les lois générales de l'entendement et de la raison.

Ces critères généraux formels sont sans,doute insuffisants pour s'assurer de la vérité objective, mais ils en sont néanmoins la condition sine qua non. : Car la question de l'accord de la connaissance avec elle-même (quant à la forme) est antérieure à celle de l'accord de la connaissance avec son objet ; et c'est l'affaire de la logique.

Les critères formels de la vérité en logique sont :

1° Le principe de contradiction,

2° Le principe de la raison suffisante.

Le premier détermine la possibilité logique, le second la réalité logique d'une connaissance.

La vérité logique d'une connaissance requiert donc :

4°Que cette connaissance soit possible, c'est-àdire qu'elle ne soit pas contradictoire ; mais ce caractère de la vérité logique interne est purement négatif: car une connaissance qui se contredit est fausse à la vérité, mais elle n'est pas toujours vraie alors même qu'elle ne se contredit pas.

2° Qu'elle soitfondée logiquement, c'est-à-dire, 1° qu'elle ait un principe, et 2° qu'elle n'ait pas de • conséquences fausses.


72 LOGIQUE.

Ce second critériumde la vérité, caractère de la vérité logique externe, ou de la rationalité de la connaissance, est positif. Les deux règles suivantes reçoivent ici leur application.

1° De la vérité de la conséquence on peut conclure d'une manière négative seulement la vérité de la connaissance comme principe : en sorte que si une conséquence fausse découle d'une autre connaissance, cette dernière elle-même est fausse. Car si le principe était vrai, la conséquence devrait l'être également, parce que la conséquence est déterminée par le principe. Mais on ne peut pas conclure l'inverse, et dire que si d'une connaissance ne découlaient pas de fausses conséquences, cette connaissance serait vraie : car on peut tirer des conséquences vraies d'un principe faux.

2° Si toutes les conséquences d'une connaissance sont vraies, cette connaissance elle-même est vraie: car si la connaissance était fausse en quelque point, une fausse conséquence devrait aussi avoir lieu.

On conclut;donc bien de la conséquence à un principe, mais sans pouvoir déterminer le principe luimême sous le rapport de la vérité. Seulement, si toutes les conséquences sont vraies, on peut conclure que le principe déterminé dont [elles émanent est également vrai.


INTRODUCTION. 73

La première manière de conclure, celle qui lié donne qu'un critérium négatif et indirect suffisant de la vérité d'une connaissance, s'appelle mode apagogique (modus tollens).

Cette manière de raisonner, dont on fait souvent usage en géométrie, a l'avantage de démontrer la fausseté d'une connaissance par cela seul qu'on en tire une conséquence fausse : par exemple, pour faire voir que la terre n'est pas plate, je n'ai besoin que de conclure apagogiquement et indirectement sans établir de principes positifs et directs, que si la terre était plate; l'étoile polaire devrait toujours paraître à la même hauteur; or tel n'est point le cas : donc la terre n'est pas plate.

Dans l'autre manière de raisonner, positive et directe (modusponens), se présente l'inconvénient de ne pas pouvoir reconnaître apodictiquement l'universalité des conséquences, et de n'être conduit par cette espèce de raisonnement qu'à une connaissance vraisemblable et hypathétiquement vraie (des hypothèses), par la supposition que si plusieurs conséquences sont vraies, toutes les autres peuvent l'être également.

Nous pourrons donc établir ici trois principes, comme critères universels purement formels ou logiques de la vérité :

1° Le principe de contradiction et d'identité


74 LOGIQUE.

(principium contradictionis et identitatis), par lequel est déterminée la possibilité interne d'une connaissance pour des jugements problématiques,

2° Le principe de la raison suffisante (principium rationis sufficientis), qui sert de fondement à laréalité (logique) d'une connaissance; principe qui établit que la connaissance est fondée, comme matière de jugements assertoriques ;

3° Le principe de l'exclusion d'un tiers (principium exclusi medii inter duo contradictoria), qui sert de fondement à la nécessité (logique) d'une connaissance; — et qui établit qu'il faut nécessairement - juger ainsi et pas autrement,-c'est-à-dire que le contraire est faux. — C'est le principe des jugements apodictiques.

Le contraire de la vérité est la fausseté, qui s'appelle erreur en tant qu'elle est regardée comme une -vérité. Un jugement erroné (car il n'y a d'erreur ni de vérité que dans le jugement) est donc celui qui confond l'apparence de la vérité avec la vérité même.

Il est facile de voir comment la vérité est possible, puisque ici l'entendement fait ses lois essentielles. : Mais il n'est guère-plus facile de comprendre comment l'erreur est possible dans le sens formel du mot, c'est-à-dire comment la forme de la pensée contraire à l'entendement est possible, que de comprendre


INTRODUCTION. 73

comment une forcé quelconque doit s'écarter de ses lois essentielles. — Nous ne pouvons pas plus chercher la raison de l'erreur dans l'entendement même ou dans ses lois essentielles que dans ses limites, lesquelles peuvent bien être la cause de l'ignorance, mais non pas de l'erreur. Si nous n'avions pas d'autre faculté que l'entendement, nous ne nous tromperions jamais ; mais nous avons encore-une autre source indispensable de connaissances, la sensibilité, qui nous fournit l'étoffe de la pensée, et qui agit d'après d'autres lois que l'entendement. - Cependant la sensibilité considérée en elle-même ne peut être une source d'erreur, parce que les sens ne jugent absolument pas.

La raison fondamentale de toute erreur est donc unique, et ne doit être cherchée que dans l'influence occulte de la sensibilité sur l'entendement, ou, pour parler plus exactement, sur le jugement. Cette influence fait que, dans nos jugements, nous réputons objectifs des principes purement subjectifs, et par conséquent que nous prenons la simple apparence de la vérité pour là vérité même : car l'essence d'une apparence qui est dès lors réputée principe, consiste à regarder comme vraie une connaissance fausse.

Ce qui rend l'erreur possible, c'est donc l'apparence suivant laquelle le simple subjecif est pris pour l'objectif.

On peut bien, dans un certain sens, considérer aussi


76 LOGIQUE,

l'entendement comme cause de l'erreur, en tant qu'il ne donne pas l'attention nécessaire à l'influence de la sensibilité, et qu'il se laisse ainsi porter, par l'apparence qui en résulte, à regarder le principe de détermination subjectif du jugement comme objectif, ou à faire valoir comme vrai suivant les lois de l'entendement, ce qui n'est vrai que suivant celles de la sensibilité (intellectuelle).

La cause de notre ignorance n'est donc que dans les limites de l'entendement; notre erreur nous est donc imputable. Si la nature ne nous a départi que peu de connaissances, en nous laissant dans une ignorance invincible sur;une infinité de choses, elle n'est pourtant pas cause de nos erreurs. C'est notre penchant à juger et à décider, lors même que nous ne sommes pas en état de le faire, qui nous y précipite.

Toute erreur dans laquelle l'esprit humain peut tomber n'est que partielle, en sorte qu'il doit toujours y avoir quelque chose de vrai dans tout jugement erroné. Une erreur totale serait un renversement complet des lois de l'entendement et de la raison. Comment pourrait-elle provenir de l'entendement, et valoir, en tant que jugement, comme produit de cet entendement!

A l'occasion du vrai et du faux dans notre connais-


INTRODUCTION. 77

sance, nous distinguons la connaissance précise, et celle qui est vague où grossière.

La connaissance est précise, lorsqu'elle est conforme à son objet, ou qu'il n'y a pas lieu à la moindre erreur par rapport à cet objet; elle est vague, sans netteté, au contraire, s'il y a possibilité d'erreur, sans cependant que cette erreur soit un obstacle à notre dessein.

Cette distinction concerne la déterminabilité plus ou moins stricte de notre connaissance. - Dans Ie principe, il est quelquefois nécessaire de déterminer largement une connaissance, particulièrement dans les choses historiques ou de fait. Mais dans les connaissances rationnelles tout doit être déterminé strictement. Dans la détermination large, on dit qu'une connaissance est déterminée proeter, propter [ou relativement]. Il s'agit toujours, dans le but d'une connaissance, de savoir si elle doit être déterminée largement ou strictement. La détermination large laisse toujours place à l'erreur, mais cette erreur cependant peut avoir ses bornes assignables. L'erreur a particulièrement lieu dans le cas où une détermination large est prise pour une détermination stricte, par exemple dans les questions de moralité, où tout doit être déterminé strictement. Les Anglais appellent latitudinaires ceux qui ne déterminent pas leurs idées (1).

(1) Les latitudinaires en morale sont les casuistes trop faciles. (Note du trad.)


78 LOGIQUE.

Il faut distinguer la précision comme perfection objective de la connaissance, et qui consiste dans le rapport, parfait de la connaissance avec son objet, de la subtilité comme perfection subjective.

La connaissance d'une chose est subtile lorsqu'on y découvre ce qui échappe ordinairement à l'attention des autres. La subtilité exige donc une grande attention et une certaine forced'esprit. La vue de l'esprit subtil s'appelle perspicacité.

Un grand nombre blâment toute subtilité, parce qu'ils ne peuvent pas y atteindre ; mais en elle-même la subtilité fait toujours honneur à l'entendement ; elle est utile, nécessaire même dans l'observation des choses importantes.— Mais quand il n'est ni nécessaire ni utile de se livrer à de semblables recherches, parce que le but peut être atteint complétement et sûrement sans cela, la subtilité est alors généralement condamnée par le bon sens comme inutile (nugoe difficiles).

Le vague est à la précision comme la grossièreté à la subtilité.

La notion même de l'erreur, qui renferme, comme nous l'avons dit, celle de la fausseté et l'apparence de la vérité, fournit une règle importante pour s'en garantir : car aucune erreur n'est absolument nécessaire, quoiqu'elle ne puisse pas en fait (ou relativement)


INTRODUCTION. 79

être évitée; puisque nous ne pouvons pas ne pas juger, même au risque de nous tromper. Pour éviter l'erreur, on doit donc chercher à découvrir et à expliquer sa source, son apparence; ce qu'ont fait peu de philosophes. Ils n'ont cherché qu'à réfuter l'erreur, sans s'inquiéter de la prévenir en dénonçant l'apparence dont elle découle. Et cependant cette découverte de l'apparence et son explication auraient été un bien plus grand service rendu à la vérité que la réfutation directe de l'erreur même, puisque par là on n'en tarit point la source,, et qu'on ne peut empêcher que la même apparence, qui n'est pas connue, ne conduise à l'erreur dans d'autres circonstances : car alors même que nous sommes persuadés que nous nous sommes trompés, il nous reste toujours des scrupules toutes les fois que l'apparence, source de l'erreur, n'est pas dissipée, encore bien que nous puissions justifier ces scrupules dans une certaine mesure.

En expliquant l'apparence, on donne en outre à celui qui se trompe une sorte de satisfaction, on lui rend une justice qui lui est due : car personne ne conviendra qu'il s'est trompé sans avoir été séduit par une apparence de vérité qui aurait peut-être trompé un plus habile, parce qu'il s'agit là de raisons subjectives.

Une erreur où l'apparence est évidente, même pour le sens commun, s'appelle absurdité. Le reproche


80 LOGIQUE.

d'absurdité est toujours une personnalité qu'on doit éviter, particulièrement dans la réfutation des erreurs.

Celui qui affirme une absurdité n'aperçoit pas l'apparence qui cause cette évidente fausseté ; il. faut lui rendre cette apparence frappante; alors s'il persévère dans son opinion, il est sans doute absurde, mais alors aussi on doit cesser de raisonner avec lui. Il s'est montré par le fait également incapable et indigne d'entendre raison et d'être redressé. On ne peut proprement démontrer à personne qu'il est absurde; ce serait peine perdue. Si l'on prouve l'absurdité, alors on ne parle plus à l'homme qui se trompe, mais bien à l'homme raisonnable. IL n'est pas nécessaire de découvrir l'absurdité (deductio ad absurdum).

On peut appeler erreur inepte ( abgeschmackten ) celle que rien ne justifie, pas même l'apparence, comme on peut appeler erreur grossière (grober) celle qui trahit l'ignorance de connaissances ordinaires, ou qui décèle un défaut d'attention commune.

L'erreur de principes est plus grande que celle d'application.

Un moyen extérieur de reconnaître la vérité, c'est la comparaison de notre propre jugement avec le jugement des autres, parce que le point de vue subjectif


INTRODUCTION. 81

n'est pas le même chez tous ; ce qui peut servir à expliquer l'apparence. Si notre jugement n'est pas conforme à celui des autres, c'est comme un signe externe d'erreur. Ce fait doit nous porter à revoir notre jugement, mais non pas encore à le rejeter ; on peut avoir bien jugé dans la chose et mal seulement dans l'énoncé ou l'éxpression.

Le sens commun est aussi une pierre de touche pour découvrir l'erreur dans l'usage artiel (1). de l'entendement. Lorsqu'on se sert du sens commun comme d'une pierre de touche pour éprouver la légitimité de ses jugements spéculatifs, on dit,qu'on s'oriente sur le sens commun,

Les règles -générales à suivre pour éviter l'erreur sont:

1° De penser par soi-même;

2° De se mettre dans là position des autres,.et de considérer les choses sous toutes leurs faces;

3° D'être toujours d'accord avec soi-même.

On peut appeler la maxime de penser par soi-même, une façon de penser éclairée ; celle de se placer au point de vue des autres, une façon de penser étendue ; et celle d'être toujours d'accord avec soi-même, une façon de penser conséquente ou bien liée (bündige).

(1)Artiel, adjectif d'art; artistique,adjectif d'artistes.(N. du trad.)

LOG. 6


82

LOGIQUE.

VIII

C

Perfection logique de la connaissance quant à la qualité.—Clarté. — Notion d'un élément ou d'un signe (nota) logique en' général.— Différentes espèces de signes élémentaires. — Détermination de l'essence logique d'une chose. — Différence entre cette essence et l'essence réelle. — Lucidité, second degré de clarté. — Lucidité esthétique, lucidité logique. — Différence entre la lucidité analytique et la lucidité synthétique.

Toute connaissance humaine considérée par rapport à l'entendement est discursive ou générale ; c'està-dire qu'elle a lieu par des idées qui font de ce qui est commun à plusieurs choses le fondement de la connaissance, par conséquent au moyen de caractères, de signes, de notions élémentaires (Merkmale) (1).— Nous ne connaissons donc les choses que par des caractères ; et le reconnaître, précisément, procède du connaître.

Un caractère est ce qui, par rapport à une chose, constitue une partie de la connaissance de cette

(1) Tous ces mots sont pour nous synonymes : le plus propre, celui qui traduit littéralement Merkmale, est caractère on signe. Signe ne veut donc dire dans ce cas que : idée faisant partie d'une autre idée, idée élémentaire. L'auteur a suivi le langage de l'école, langage dans lequel on indiquait un élément de la compréhension totale d'une idée par le mot nota. Voyez, par exemple, la Logique de Hobbes. (N. du trad.)


INTRODUCTION. 83

chose; ou, ce qui revient au même, une idée partielle, en tant qu'elle est considérée comme connaissance fondamentale de l'idée entière.— Toutes nos notions sont donc des caractères, et toute pensée n'est qu'une représentation par des caractères.

Tout caractère peut être considéré de deux manières :

1 ° Comme représentation en soi ;

2° Comme faisant partie, en tant que notion partielle, de l'idée totale d'une chose, et par suite comme fondement de la connaissance de cette chose même.

Tous les caractères, considérés comme principes de connaissance, sont susceptibles d'un double usage, l'un interne ou de dérivation, l'autre externe ou de comparaison. Le premier consiste dans la dérivation, c'est-à-dire à se servir des caractères comme principes de la connaissance des choses, pour connaître ces choses mêmes. Le deuxième consiste à comparer deux choses entre elles suivant les lois de l''identité ou de la diversité.

Il y a plusieurs différences spécifiques entre les notions élémentaires; c'est sur ces différences que se fonde la classification suivante qu'on en fait.

1° Elles sont analytiques ou synthétiques, suivant qu'elles sont des notions partielles de ma notion


84 LOGIQUE.

réelle ( où je les pense déjà), ou suivant qu'elles forment des notions partielles de toute la notion purement possible ( notion qui ne doit se réaliser que par la synthèse de plusieurs parties). Les premières sont des notions rationnelles, les dernières peuvent être des notions expérimentales.

2° Coordonnées ou subordonnées.— Cette division des notions concerne leur liaison ou collatérale ou consécutive. Elles sont coordonnées en tant que chacune d'elles est représentée comme un signe immédiat de la chose; subordonnées au contraire en tant que l'une ne représente l'objet que par le moyen de l'autre. Le rapport de coordination s'appelle agrégat; celui de subordination, série. Le premier rapport, celui de l'agrégation des notions partielles coordonnées, forme la totalité de la notion, sans que, par rapport aux notions synthétiques expérimentales, cet agrégat puisse jamais être complet, parfait ; il ressemble à une ligne droite sans limites.

La série des notions élémentaires subordonnées aboutit d'une part (a parte ante), ou du côté des principes; à des notions inexplicables, dont la simplicité ne permet pas de décomposition ultérieure. D'autre part (a parte post), ou du côté des conséquences, elle est au contraire infinie, parce que, bien que nous ayons un genre suprême, nous n'avons pas à la rigueur d'espèce dernière.


INTRODUCTION. 85

La lucidité extensive, ou en étendue, augmente dans l'agrégat des notions coordonnées par l'addition de chaque nouvelle notion. Il en est de même de la lucidité intensive, ou en profondeur, dans l'analyse progressive des notions subordonnées. Cette dernière sorte de lucidité, indispensable pour la fondamentalité et l'enchaînement de la connaissance, est par cette raison la principale affaire de la philosophie, et doit être portée au plus haut degré possible dans les recherches métaphysiques.

3° Les notions qui font partie d'autres notions sont positives ou négatives ; nous connaissons par les premières ce qu'est la chose, par celles-ci ce qu'elle n'est pas.

Les notions négatives servent à nous garantir de l'erreur. Elles ne sont donc pas nécessaires dans le cas où il est impossible de se tromper. Elles sont trèsnécessaires, très-importantes, par exemple, par rapport à la notion que nous nous faisons d'un être tel que Dieu.

Au moyen des notions positives nous voulons donc comprendre quelque chose; au moyen des notions négatives, — auxquelles peuvent être ramenées toutes les notions partielles, —nous ne comprenons pas mal seulement, ou simplement nous ne nous trompons pas, dussions-nous ne rien pouvoir connaître de la chose.


86 LOGIQUE.

4° Des notions élémentaires sont importantes et fécondes, ou insignifiantes et vides.

Une notion a le premier de ces caractères lorsqu'elle est un principe de connaissances abondant en conséquences importantes, soit par rapport à son usage interne ou de dérivation, en tant qu'il est suffisant pour connaître beaucoup dans la chose même, — soit par rapport à son usage externe ou de comparaison, en tant qu'il sert à connaître la ressemblance d'une chose avec un grand nombre d'autres, comme aussi la différence entre cette chose et plusieurs autres.

Du reste, il faut distinguer ici l'importance et la fécondité logique, de l'importance et de la fécondité pratique, ainsi que de l'utilité et de l'emploi possible (Brauchbarkeit).

5° Les notions élémentaires suffisantes et nécessaires, ou insuffisantes et contingentes. Une notion de cette espèce est suffisante en tant qu'elle peut servir à distinguer une chose d'une autre chose ; elle est insuffisante dans le cas contraire, — comme, par exemple, le caractère de l'aboiement par rapport au chien. — Mais la suffisance ainsi que l'importance des caractères ne peuvent être déterminées que dans un sens relatif, par. rapport à la fin qu'on se propose dans l'étude.

Les caractères nécessaires sont enfin ceux qui doi-


INTRODUCTION. 87

vent toujours se retrouver dans la chose représentée. On les appelle encore caractères essentiels ; ils sont opposés aux caractères non essentiels ou contingents, qui n'entrent pas nécessairement dans la notion totale de la chose.

Il y a encore une distinction à faire entre les caractères nécessaires : quelques-uns conviennent à la chose comme principes d'autres caractères d'une seule et même chose; d'autres, au contraire, ne conviennent à une chose que comme conséquences d'autres caractères. Les premiers sont appelés primitifs et constitutifs (constitutiva, essentialia in sensu strictissimo). Les autres s'appellent attributs (consectaria, ratiocinata), et font, il est vrai, également partie de l'essence de la chose, mais en tant seulement qu'ils ne doivent être dérivés que de ses parties essentielles : c'est ainsi, par exemple, que les trois angles, dans la notion du triangle, dérivent des trois côtés.

Les caractères non essentiels sont aussi de deux espèces, suivant qu'ils concernent ou des déterminations internes d'une chose (modi), ou ses rapports externes (relationes) : ainsi, par exemple, l'érudition est une détermination interne de l'homme ; être maître ou valet, n'en est qu'une détermination externe.


88 LOGIQUE,

L'ensemble de toutes les parties essentielles d'une chose, c'est-à-dire la suffisance de ses notions élémentaires quant à la coordination ou à la subordination, en est l'essence (complexus notarum primitivarum interne dato conceptui sufficientium, est complexus notarum conceptum aliquem primitive constituentium).

Il ne s'agit pas du tout dans cette explication de l' essence réelle ou naturelle des choses, que nous ne pouvons nullement connaître ; car la logique, faisant abstraction de toute matière de la connaissance, par conséquent aussi de la chose même, n'envisage que l'essence logique (ou nominale) des choses. Et cette essence est facile à faire connaître : il suffit pour cela de la connaissance de tous les prédicais par rapport auxquels un objet est déterminé par sa notion ; au lieu que pour connaître l'essence réelle de là chose (esse rei), il faudrait avoir la connaissance des prédicats dont dépend tout ce qui fait partie de son existence, comme principes de détermination. — Si donc nous voulons, par exemple, déterminer l'essence logique des corps, il n'est pas du tout nécessaire de chercher à cet effet les données (data) dans la nature ; — il suffit de réfléchir sur les notions élémentaires qui constituent primitivement, comme pièces


INTRODUCTION. 89

essentielles (constitutivoe rationes), l'idée fondamentale de corps : car l'essence logique n'est pas même autre chose que la première notion fondamentale de, tous les caractères nécessaires d'une chose (Esse conceptus).

On distingue deux degrés de perfection dans la connaissance quant à la qualité. Le premier retient le nom de clarté; le deuxième peut s'appeler lucidité, et résulte de la clarté des notions élémentaires.

Il faut distinguer avant tout la lucidité logique en général de la lucidité esthétique.— La lucidité logique repose sur la clarté objective des caractères, et la lucidité esthétique sur leur clarté subjective. La première est une clarté par des notions, la seconde une clarté par des intuitions. La seconde sorte de lucidité consiste dans une simple vivacité (Lebhaftigkeit) et dans l'intelligibilité (Verstoendlichkeit), c'est-à-dire dans une simple clarté par des exemples in concreto (car beaucoup de choses peuvent être intelligibles, sans cependant être lucides; et réciproquement, beaucoup de choses peuvent être claires, et néanmoins difficiles à entendre, parce qu'il faut remonter jusqu'à des notions éloignées dont l'union avec l'intuition n'est possible que par une longue série).

La lucidité objective cause souvent l'obscurité subjective, et réciproquement. La lucidité logique est


90 LOGIQUE.

donc souvent contraire à la lucidité esthétique; et réciproquement, la lucidité esthétique est souvent nuisible à la lucidité logique, à cause des comparaisons et des exemples qui ne conviennent pas parfaitement, mais qui ne sont pris que par analogie.— De plus, des exemples en général ne sont pas des notions élémentaires, et ne font pas partie des notions totales ; ils n'appartiennent, comme intuitions, qu'à l'usage de la notion. Une lucidité par des exemples (la simple intelligibilité) diffère donc totalement de la lucidité par des notions comme caractères. —La parfaite clarté (Helligkeit) consiste dans l'union des deux lucidités, l'esthétique ou populaire, et la scolastique ou logique: car dans une tête lucide & ce point, on conçoit le talent d'une exposition, lumineuse des connaissances abstraites et fondamentales proportionnées à la force de compréhension du sens commun. En ce qui regarde plus particulièrement la lucidité logique, elle n'est parfaite qu'autant que toutes les notions partielles qui, prises ensemble, composent la notion totale, ont acquis de la clarté.— Une notion parfaitement ou complétement lucide, peut l'être quant à la totalité de ses coordonnées ou quant à la totalité de ses subordonnées. Dans le premier cas, la luciditéd'une notion est extensivement parfaite ou suffisante; c'est la lucidité de détail ou d'étendue (Ausführlichkeit). Dans le deuxième! cas, elle l'est


INTRODUCTION. 91

intensivement ; ce qui constitué la lucidité intensivement parfaite, la profondeur.

La première espèce de lucidité logique peut encore s'appeler perfection externe des caractères (completudo externa) ; et la seconde, perfection interne de ces mêmes caractères (completudo interna). La seconde ne peut s'obtenir que des notions rationnelles pures et des notions arbitraires, mais non des notions expérimentales.

La quantité extensive de la lucidité s'appelle précision (Abgemessenheit), en tant qu'elle n'est pas abondante. La lucidité des détails (Ausführlichkeit, completudo), jointe à la précision, constitue la justesse (cognitionem quoe rem adoequat), et la connaissance intensivement adéquate dans la profondeur, unie à la connaissance intensivement adéquate dans les détails et la précision, constitue la perfection absolue de la connaissance (consummata cognitionis perfectio) quant à la qualité.

Puisque l'oeuvre de la logique est de tendre claires les notions, on peut se demander de quelle manière elle y parvient.

Les logiciens de l'école de Wolff supposent que les connaissances ne s'éclaircissent que par l'analyse. Cependant toute lucidité ne tient pas à l'analyse d'une


92 LOGIQUES

notion donnée ; cela n'est vrai que pour les caractères qui sont déjà pensés dans la notion, mais non pour les caractères qui ne s'ajoutent à la notion totale que comme parties de toute la notion possible.

La lucidité de cette dernière espèce ne résulte donc point de l'analyse, mais, de la synthèse. Il y a en réalité une grande différence entre ces deux choses, former une notion claire, et former clairement une notion.

En effet, nous ne formons une notion claire qu'en allant des parties au tout. Il n'y a pas encore de caractères ; nous ne les obtenons que par la synthèse. De ce procédé résulte la clarté synthétique, qui étend en réalité le contenu de ma notion par l'addition qui y est faite d'un caractère intuitif (pur ou empirique). C'est ce procédé synthétique qu'emploient le mathématicien et le naturaliste pour élucider les notions : car toute lucidité de la connaissance mathématique proprement dite, ainsi que de la connaissance expérimentale, repose sur l'extension de cette connaissance par la synthèse des signes.

Mais lorsque nous rendons clairement une notion, alors la connaissance ne gagne rien, par cette pure décomposition quant à la matière ou au contenu, qui reste le même; seulement la forme est changée, puisque nous n'apprenons qu'à mieux distinguer ou à connaître d'une conscience plus claire ce qui était déjà dans


INTRODUCTION. 93

la notion donnée. Comme la simple enluminure d'une carte n'ajoute rien à la carte elle-même, de même le simple éclaircissement analytique d'une notion donnée ne l'augmente en rien.

La synthèse éclaircit plutôt les objets, et l'analyse les notions. Dans l'analyse le tout est donné avant les parties. C'est le contraire dans la synthèse. Le philosophe ne fait qu'éclaircir les notions données. — Quelquefois cependant il procède synthétiquement, quand même la notion qu'il veut éclaircir de cette manière est déjà donnée. C'est ce qui a lieu souvent dans les propositions empiriques, lorsqu'on n'est pas satisfait des éléments déjà pensés dans une notion donnée.

Le procédé analytique pour produire la lucidité, le seul dont la logique puisse s'occuper, est la première et principale condition pour l'élucidation de notre connaissance. Plus nos connaissances sont claires, plus elles sont fortes et puissantes. Toutefois l'analyse ne doit pas être poussée jusqu'à l'infiniment petit, de manière à faire disparaître pour ainsi dire l'objet en le réduisant en poussière.

Si nous avions conscience de tout ce qui se passe en nous, nous serions étonnés du nombre prodigieux de nos connaissances.

6° Quant à la valeur objective de notre connaissance


94 LOGIQUE.

en général, on peut établir les degrés progressifs suivants :

1 ° Le premier degré de la connaissance consiste à se représenter (vorstellen) quelque chose ;

2° Le deuxième, à se représenter avec conscience, ou à percevoir (percipere) ;

3° Le troisième, à connaître quelque chose par comparaison avec autre chose, tant sous le rapport de l'identité que sous celui de la diversité (noscere) ; 4° Le quatrième, à connaître avec conscience (cognoscere). Les animaux connaissent les objets, mais pas avec conscience;

5° Le cinquième, à entendre (intelligere), c'est-àdire à connaître par l'entendement en vertu de notions ou à concevoir. Ce fait est très-différent du comprendre (begreifen). On peut concevoir beaucoup de choses, quoiqu'on ne puisse pas les comprendre : c'est ainsi qu'on peut concevoir, par exemple, un mouvement perpétuel, dont l'impossibilité est démontrée en mécanique ;

6° Le sixième, à distinguer (erkennen) ou à pénétrer (einsehen) quelque chose par la raison (perspicere). Nous ne parvenons jusque-là que dans un petit nombre d'objets, et nos connaissances sont toujours d'autant moins nombreuses que nous voulons les perfectionner davantage. 7° Le septième enfin, à comprendre (begreifen,


INTRODUCTION. 95

comprehendere) quelque chose, c'est-à-dire, à connaître par la raison ou a priori ce qui suffit à nos fins. — Car tout notre comprendre n'est que relatif, c'està-dire suffisant pour une certaine fin ; absolument, nous ne comprenons rien. — Rien ne peut être compris que ce que démontre le mathématicien ; par exemple, que toutes les lignes dans un cercle sont proportionnelles. Et cependant il ne comprend pas d'où vient qu'une figure si simple ait ses propriétés. Le champ de l'intellection (Verstehens) ou de l'entendement est donc en général beaucoup plus grand que celui de la compréhension (Begreifens) ou de la raison.

IX

De la perfection logique de la connaissance quant à la modalité. — Certitude. — Notion de la croyance en général. — Mode de la croyance : opinion, foi, savoir. —Conviction et persuasion. — Retenue et suspension du jugement. — Jugement provisoire. — Préjugés , leurs sources et leurs principales espèces.

La vérité est une qualité objective de la connaissance; — mais le jugement par lequel on se représente quelque chose comme vrai,— le rapport de ce


96 LOGIQUE,

jugement à une intelligence donnée, et par conséquent à un sujet particulier,— constitue la croyance (Fürwahrhalten) subjective.

La croyance est en général certaine ou incertaine. La croyance certaine ou la certitude est accompagnée de la conscience de la nécessité. La croyance incertaine, au contraire, ou la non-certitude, est accompagnée de la conscience de la contingence ou de la possibilité de l'opposé de ce qu'on croit. — Or la non-certitude est insuffisante tant subjectivement qu'objectivement ; ou bien elle est objectivement insuffisante., mais suffisante subjectivement. Dans le premier cas, il y a opinion; dans le second cas, il y a foi.

Il y a donc trois sortes de croyance : l'opinion, la foi et la science.— L'opinion s'exprime par un jugement problématique, la foi par un jugement assertorique, et la certitude par un jugement apodictique. Car ce que j'opine simplement, n'est regardé dans ma pensée que comme problématiquement certain ; ce que je crois est affirmé par moi comme assertoriquement certain, mais non comme objectivement, nécessairement valable, quoiqu'il le soit subjectivement (ou pour moi seul); enfin, ce dont je suis certain est affirmé par moi comme apodictiquement certain, c'està-dire comme nécessaire généralement et objectivement (valant pour tout le monde), à supposer toute-


INTRODUCTION. 97

fois que l'objet auquel se rapporte cette croyance certaine soit une vérité purement empirique. Cette distinction de la croyance en trois modes, au surplus, ne regarde que la faculté de juger par rapport au critérium subjectif de la soumission d'un jugement à des règles objectives.

C'est ainsi, par exemple, que la croyance à l'immortalité serait simplement problématique, si nous agissions comme si nous devions être immortels; assertorique si nous croyions que nous sommes immortels; et apodictique enfin si nous étions tous certains qu'il y a une autre vie après celle-ci. • Il y a une différence essentielle, que nous allons faire connaître, entre opiner, croire et savoir ou être certain.

1° Opiner. — L'opiner, ou le croire par des raisons qui ne sont suffisantes ni subjectivement ni objectivement, peut être considéré comme un jugement provisoire (sub conditione suspensiva ad interim) dont on ne peut pas facilement se passer. Il faut nécessairement opiner d'abord avant d'admettre et d'affirmer ; mais il faut aussi se garder de prendre une opinion pour quelque chose de plus que pour une simple opinion. — L'opinion est en général le début de toute notre connaissance. Quelquefois nous avons un pressentiment obscur de la vérité; une chose peut renfermer pour nous le signe de la vérité ; une chose LOG. 7


98 LOGIQUE.

nous semble avoir les caractères de la vérité ;— nous pressentons la vérité avant de la connaître avec une certitude déterminée :

Mais dans quel cas y a-t-il proprement simple opinion ? — Dans aucune des sciences qui ont pour objet des connaissances a priori : par conséquent pas dans les mathématiques, ni dans la métaphysique, ni dans la morale, mais uniquement dans les connaissances empiriques, en physique, en psychologie, etc. ; car il est contradictoire d'opiner a priori. Y aurait-il rien de plus ridicule, par exemple, que d'opiner en mathématiques ? Ici, comme en métaphysique et en morale, il y a science ou ignorance. Les choses d'opinion ne peuvent donc jamais être que des objets d'une connaissance expérimentale, connaissance possible en soi, il est vrai, et qui n'est impossible pour nous qu'à cause des limites empiriques des conditions de notre faculté d'expérimenter, et du degré de cette faculté : ainsi, par exemple, l'éther des physiciens modernes est une chose de simple opinion ; car j'aperçois à l'occasion de cette opinion, comme à l'occasion de toute opinion en général, quelle qu'elle puisse être, que l'opinion contraire pourrait peut-être se démontrer. Ma croyance est donc ici insuffisante, objectivement et subjectivement, quoique, considérée en elle-même, elle puisse être complète.

2° Croire [dans le sens étroit, foi]. — La foi ou la


INTRODUCTION. 99

croyance d'après un principe subjectivement suffisant mais objectivement insuffisant, se rapporte aux objets dont on ne peut non-seulement rien savoir, mais encore rien opiner ; dont on ne peut pas même pénétrer la vraisemblance, mais dont on peut simplement avoir la certitude qu'il n'y a pas de contradiction à les penser comme on le fait. Tout le reste est ici une libre croyance 'qui ne peut être nécessaire qu'au point de vue pratique a priori,— croyance par conséquent de ce que j'admets par des raisons morales, mais avec la certitude que le contraire ne pourra jamais être démontré (1)..

(1) La foi n'est pas une source particulière de connaissance : c'est une espèce de croyance imparfaite avec conscience. Elle se distingue., lorsqu'on la considère comme restreinte à une espèce particulière d'objets (qui n'appartiennent qu'à la foi), de l'opinion , non par le degré, mais par le rapport qu'elle a, comme connaissance, avec l'action. C'est ainsi, par exemple, que le négociant doit, pour conclure un marché, ne pas simplement opiner qu'il y aura quelque chose à gagner, mais le croire; c'est-à-dire que son opinion sur l'entreprise est suffisante sans être certaine. Or si nous avons des connaissances théoriques (du sensible), où nous puissions parvenir à la.certitude, et par rapport à tout ce que nous pouvons appeler connaissance humaine, cette connaissance doit être possible. Nous avons aussi de ces connaissances certaines, et même parfaitement a priori, dans les lois pratiques ; mais ces lois se fondent sur un principe sursensible (celui de la liberté), et, en nous-mêmes, comme principe de la raison pratique. Mais cette raison pratique est une causalité par rapport à un objet également sursensible, le souverain bien, que nous ne pouvons nous procurer dans le monde sensible. Néanmoins la nature, comme objet de notre connaissance théorique, doit s'y rapporter : car la conséquence ou l'effet de celte idée doit se trouver dans le monde sensible. — Nous devons donc agir de manière à réaliser cette fin.

Nous trouvons aussi dans le monde sensible les traces d'un ordre rai-


100 LOGIQUE.

Les matières de foi ne sont donc pas :

a) Des objets de la connaissance empirique. La foi qu'on appelle historique ne peut donc être propresonné,

propresonné, nous croyons que la cause cosmique agit aussi avec sagesse morale pour le souverain bien. C'est là une croyance qui est suffisaute pour l'action, c'est-à-dire une foi. — Or si nous n'avons pas besoin de cette foi pour agir d'après des lois morales, puisqu'elles sont données par la raison pratique seule, nous avons besoin d'admettre une sagesse suprême pour objet de notre volonté morale, sur lequel nous ne pouvons nous empêcher de régler nos fins en dehors de la simple légalité de nos actions. Quoiqu'il n'y ait là aucun rapport objectif nécessaire avec notre libre arbitre, le souverain bien est cependant l'objet subjectivement nécessaire d'une bonne volonté (même humaine), et la foi que cet objet peut être atteint est nécessaire à cet effet.

Entre l'acquisition d'une connaissance par expérience (a posteriori) et par la raison (a priori), il n'y a pas de milieu. Mais entre la connaissance d'un objet et la simple supposition de sa possibilité, il y a un milieu, à savoir, une raison empirique ou une raison rationnelle d'admettre cette possibilité par rapport à une extension nécessaire du champ des objets possibles en dehors de ceux dont la connaissance est à notre portée. Cette nécessité n'a lieu qu'en ce sens, puisque l'objet est connu comme pratiquement nécessaire et par la raison pratique : car c'est toujours une affaire accidentelle que d'admettre quelque chose en faveur de la simple extension de la connaissance théorique. —Cette supposition pratiquement nécessaire d'un objet est celle de la possibilité du souverain bien comme objet du libre arbitre, par conséquent aussi la supposition de la condition de cette possibilité (Dieu, la liberté, et l'immortalité). Telle est la nécessité subjective d'admettre la réalité de l'objet à cause de la détermination nécessaire de la volonté. Tel est le casus extraordinarius sans lequel la raison pratique ne peut subsister par rapport à sa fin nécessaire ; et il y a' lieu de reconnaître ici pour elle une favor necessitatis dans son propre jugement. Elle ne peut logiquement acquérir aucun objet, elle ne peut que repousser l'obstacle à l'usage de cette idée, qui lui appartient pratiquement.

Cette foi est la nécessité d'admettre la réalité objective d'une notion (du souverain bien), c'est-à-dire la possibilité de son objet, comme


INTRODUCTION. 101

ment appelée foi, c'est-à-dire dans le sens opposé à la certitude, puisqu'elle peut être certaine. La croyanceà un témoignage ne diffère, ni quant au degré, ni quant à l'espèce, de la croyance par expérience personnelle.

b) L'objet de la foi n'est pas non plus un objet de la connaissance rationnelle (connaissance a priori), soit théorique, par exemple les mathématiques et la métaphysique, soit pratique, comme la morale.

On peut, il est vrai, croire les vérités rationnelles,

objet nécessaire a priori du libre arbitre.— Si nous ne faisons attention qu'aux actions, nous n'avons pas cette foi nécessaire. Mais si nous voulons, par des actions, nous mettre en possession de la fin par là possible, nous devons admettre alors que cette fin est absolument possible. — Je puis donc dire seulement : Je me vois forcé par ma fin, suivant les lois de la liberté, à reconnaître possible un souverain bien dans le monde, mais je n'y puis forcer aucun autre par des raisons (la foi est libre).

La foi rationnelle ne peut donc jamais aboutir à la connaissance théorique : car il n'y a qu'opinion partout où la croyance est objectivement insuffisante. Cette foi rationnelle est simplement une supposition de la raison sous un rapport subjectivement pratique, mais absolument nécessaire. L'intention conforme aux lois morales conduit à un objet déterminable par raison pure. La supposition de la réalisation possible de cet objet, et par conséquent aussi de la réalité de la cause propre à produire cet effet, est une foi morale, ou uns croyance libre mais nécessaire, dans le but moral d'accomplir ses fins.

La confiance en la fidélité aux engagements (fides) est proprement la foi subjective qu'ont deux parties qui contractent ensemble qu'elles tiendront leur promesse. Confiance et croyance ont lieu, la première quand le pacte est fait, la seconde quand on doit le conclureEn

conclureEn cette analogie, la raison pratique est en quelque sorte le promettant ; l'homme, celui auquel la promesse est faite; et le bien attendu par suite de l'oeuvre, la chose promise.


102 LOGIQUE.

mathématiques sur témoignage, tant parce que l'erreur n'est pas.possible ici, que parce qu'elle peut être facilement découverte ; mais on ne peut cependant pas les savoir de cette manière. Les vérités rationnelles philosophiques ne peuvent pas même être crues, elles ne peuvent qu'être sues : car la philosophie ne sait ce que c'est que la simple persuasion. — Pour ce qui est de l'objet de la connaissance rationnelle pratique en morale, je veux parler des droits et des devoirs, il n'y a pas non plus lieu à la simple foi : on doit être parfaitement certain si quelque chose est juste ou injuste, conforme au contraire au devoir, permis ou défendu. En fait de morale, on ne peut rien laisser à l'incertitude, rien résoudre au péril de violer la loi morale. Par exemple, ce n'est pas assez pour le juge qu'il croie simplement que celui qui a commis un crime l'a réellement commis : il doit le savoir (juridiquement), sans quoi il décide sans certitude.

c) Il n'y a donc d'objets de foi que ceux à l'occasion desquels la croyance est nécessairement libre, c'est-à-dire pas déterminée par un principe objectif de vérité, indépendant de la nature et de l'intérêt du sujet.

La foi ne donne donc, par les principes purement subjectifs, aucune conviction que l'on puisse faire partager, et ne commande aucun assentiment univer-


INTRODUCTION. 103

sel, comme le fait la conviction qui résulte de la science. Moi seul je puis être certain de la valeur et de l'invariabilité de ma foi pratique ; et ma foi à la vérité d'une proposition, à la réalité d'une chose, est ce qui, par rapport à moi, tient simplement lieu d'une connaissance sans être cependant une connaissance.

L'incrédule moral est celui qui n'admet pas ce qu'il est à la vérité impossible de savoir, mais qu'il est moralement nécessaire de supposer. Cette sorte d'incrédulité a toujours son principe dans un défaut d'intérêt moral. Plus le sentiment moral d'un homme est grand, plus ferme et plus vive doit être aussi sa foi en tout ce qu'il se sent forcé d'admettre et de supposer par intérêt moral, sous un point de vue pratiquement nécessaire.

3° Savoir. — La croyance qui dérive d'un principe de connaissance valable tant objectivement que subjectivement, ou la certitude, est empirique ou rationnelle, suivant qu'elle se fonde ou sur l'expérience soit personnelle, soit étrangère, ou sur la raison. Elle se rapporte donc aux deux sources dont toutes nos connaissances dérivent : l'expérience et la raison.

La certitude rationnelle est ou mathématique ou philosophique ; la première est intuitive, la seconde discursive.

La certitude mathématique s'appelle aussi évidence, parce qu'une connaissance intuitive est plus


104 LOGIQUE,

claire qu'une discursive. Quoique les connaissances rationnelles mathématiques et philosophiques soient également certaines en elles-mêmes, la certitude de l'une de ces sciences est cependant différente de la certitude de l'autre.

La certitude empirique est primitive (originarie, empirica), quand je suis certain de quelque chose par expérience propre ; elle est dérivée (derivative empirica), quand je suis certain de quelque chose par l'expérience d'autrui; c'est cette dernière sorte de certitude empirique qu'on appelle ordinairement certitude historique.

La certitude rationnelle se distingue de la certitude empirique par la conscience de la nécessité qui l'accompagne ; — c'est donc une certitude apodictique, tandis que la certitude empirique n'est au contraire qu'une certitude assertorique. — On est rationnellement certain de ce que l'on connaît a priori. Nos connaissances peuvent donc concerner des objets de l'expérience, et néanmoins leur certitude peut être en même temps empirique et rationnelle quand nous connaissons par des principes a priori une proposition empiriquement certaine.

Nous ne pouvons pas avoir une certitude rationnelle de toutes choses ; mais il faut la préférer à la certitude empirique toutes les fois qu'on peut l'obtenir.

Toute certitude est ou médiate, ou immédiate, sui-


INTRODUCTION. 105

vaut qu'elle a besoin d'une preuve, ou qu'elle n'en a pas besoin, ou n'en est pas susceptible— Quel que soit le nombre des connaissances qui ne sont certaines que d'une certitude médiate ou par démonstration, il doit y avoir aussi dans notre esprit des connaissances indémontrables ou immédiatement certaines, d'où toutes les autres doivent émaner.

Les preuves sur lesquelles repose toute certitude médiate d'une connaissance sont ou directes on indirectes (c'est-à-dire apagogiques). — Lorsque je prouve une vérité par des principes, j'en donne une preuve directe ; quand, au contraire, je conclus de la fausseté d'une proposition à la vérité de son opposée, j'en donne une preuve apagogique. Mais pour que cette dernière preuve soit valable, les propositions doivent être contradictoires, ou diamétralement opposées ; car deux propositions qui ne seraient opposées que contrairement l'une à l'autre, pourraient être fausses toutes deux. Une preuve qui sert de fondement à. la certitude mathématique s'appelle démonstration ; et celle qui sert de fondement à la certitude philosophique est une preuve acroamatique. Les parties essentielles d'une preuve, en général, sont la matière et la forme, ou le fondement de la preuve (Beweis grand) et la conséquence.

La science, c'est-à-dire l'ensemble systématique d'un ordre de connaissances, résulte de la certitude.


106 LOGIQUE.

La science est opposée à la connaissance commune, c'est-à-dire à l'ensemble d'une connaissance comme simple agrégat. Le système repose sur une idée du tout, qui précède les parties; dans la connaissance commune, au contraire, les parties précèdent le tout. — Il y a des sciences historiques et des sciences rationnelles.

De toutes les observations que nous avons faites jusqu'ici sur la nature et les espèces de croyances, nous pouvons tirer ce résultat général : que toute notre conviction est ou pratique ou logique.— Lorsque nous savons que nous sommes exempts de tous principes subjectifs, et que la croyance est cependant suffisante, alors nous sommes convaincus, et logiquement convaincus, ou par des raisons objectives (l'objet est certain).

La croyance complète par des raisons subjectives, qui valent autant, sous le rapport pratique, que des principes objectifs, constitue aussi la conviction, nonseulement logique, mais encore pratique (je suis certain) ; et cette conviction pratique ou cette foi morale de raison est souvent plus ferme que le savoir. Dans le savoir on peut encore faire attention aux raisons contraires à la proposition qu'on adopte, mais non pas dans la foi, parce qu'il ne s'agit pas ici de rai-


INTRODUCTION. 107

sons objectives, mais de l'intérêt moral du sujet (1).

La persuasion (Ueberredung), qui est une croyance fondée sur des principes insuffisants, dont on ignore s'ils sont simplement subjectifs ou bien encore objectifs, est opposée à la conviction (Ueberzeugung).

La persuasion précède souvent la conviction. Il est un grand nombre de connaissances à l'occasion desquelles nous n'avons que la conscience de ne pouvoir juger si les raisons de notre croyance sont objectives ou subjectives. Afin de pouvoir passer de la simple persuasion à la conviction, nous sommes obligés de refléchir, c'est-à-dire de voir à laquelle de nos capacités intellectuelles se rapporte notre connaissance; et alors nous examinons si les principes sont ou non suffisants par rapport à l'objet. Nous restons dans la persuasion à l'égard d'une multitude de choses ; dans

(1) Cette conviction pratique est donc la foi morale de raison, qui seule est appelée foi dans l'acception la plus stricte du mot, foi qui doit être opposée au savoir et à toute conviction théorique ou logique en général, parce qu'elle ne peut jamais s'élever jusqu'au savoir. La foi historique, au contraire, ne doit pas, ainsi qu'on l'a déjà remarqué, être distinguée du savoir, puisque, comme une sorte de croyance théorique ou logique, elle peut même être un savoir. Nous pouvons admettre une vérité empirique sur le témoignage d'autrui avec la même certitude que si nous y étions parvenus par des faits de l'expérience personnelle. S'il y a quelque chose de trompeur dans la première espèce de savoir empirique, il en est de même dans la dernière.

Le savoir empirique historique ou médiat repose sur la certitude des témoignages. Pour n'être pas rejetable, un témoignage doit être authentique et intègre.


108 LOGIQUE,

quelques-unes nous nous élevons jusqu'à la réflexion (Ueberlegung); dans.un très-petit nombre jusqu'à l'examen (Unter suchung). — Celui qui sait ce qu'il faut pour être certain, ne confondra pas facilement la persuasion et la conviction, et ne se laissera pas non plus persuader facilement. — Il y a une raison déterminante pour l'adhésion, qui résulte de raisons objectives et subjectives, et la plupart des hommes ne distinguent pas celte action mixte des deux sortes de principes.

Quoique toute persuasion soit fausse quant à la forme (formaliter), à savoir, lorsqu'une connaissance incertaine paraît certaine, elle peut néanmoins être vraie quant à la matière (materialiter). Elle se distingue aussi de l'opinion, qui est une connaissance incertaine, en tant qu'elle est réputée incertaine.

La force de la croyance se met à l'épreuve par les gageures ou les serments. C'est assez d'une suffisance comparative pour parier ; mais pour faire serment, il faut une suffisance absolue fondée sur des principes objectifs, ou du moins une croyance subjective absolument suffisante;

On fait souvent usage des expressions : adhérer à un jugement, retenir son jugement, le suspendre, l'émettre, etc. Ces locutions et autres semblables pa-


INTRODUCTION. 109

raissent indiquer qu'il y a de l'arbitraire dans notre jugement, puisque nous tenons quelque chose pour vrai parce que nous voulons le tenir pour vrai. On demande donc si la volonté a quelque influence sur le jugement.

La volonté n'a aucune influence immédiate sur la croyance : ce serait absurde. Quand on dit que nous croyons volontiers ce que nous désirons, ce n'est pas dire autre chose, si ce n'est que nous nous complaisons dans nos désirs, par exemple un père dans les voeux qu'il fait pour ses enfants. Si la volonté avait une influence immédiate sur ce que nous désirons, nous nous repaîtrions constamment des chimères d'une félicité parfaite, et nous, les tiendrions toujours pour vraies. Mais la volonté ne peut pas lutter contre les preuves convaincantes de vérités qui sont contraires aux voeux qu'elle forme et aux inclinations qui la sollicitent.

En tant que la volonté excite l'entendement à la recherche d'une vérité ou l'en détourne, on doit lui reconnaître une influence sur l'usage de, l'entendement, et médiatement aussi sur la persuasion même, puisque celle-ci dépend si fort de l'usage de l'entendement.

Mais pour ce qui est de différer ou de retenir son jugement, ce n'est que la résolution de ne pas faire d'un jugement purement provisoire un jugement défi-


11O LOGIQUE.

nitif et déterminant. Un jugement provisoire est un jugement par lequel je vois, il est vrai, plus de raisons pour la vérité d'une chose que contre cette vérité, mais tout en m'apercevant bien que ces raisons ne suffisent pas pour fonder un jugement déterminant ou définitif. Le provisoire est donc un jugement purement problématique porté avec conscience de ce caractère.

La suspension du jugement peut avoir lieu par deux raisons : ou pour rechercher les motifs d'un jugement déterminant, ou pour ne juger jamais. Dans le premier cas, la suspension du jugement est une suspension critique (suspensio judicii indagatoria); dans le second cas, elle est sceptique (suspensio judicii sceptica) : car le sceptique renonce à tout jugement, tandis que le véritable philosophe ne fait que suspendre le sien, en tant qu'il n'a pas de raisons suffisantes de regarder une proposition comme vraie.

Pour suspendre à propos ou d'une manière raisonnée son jugement, il faut une longue habitude de juger et de réfléchir, habitude qui ne se trouve guère que dans les personnes d'un certain âge. C'est une chose, en général, très-difficile que de s'abstenir de juger, tant parce que notre entendement est si désireux de s'exercer par le jugement et d'étendre ses connaissances, que parce que nous sommes toujours plus portés à croire certaines choses que d'autres;


INTRODUCTION. 111

mais celui qui souvent a dû revenir de ses jugements, et qui, par ce moyen, est devenu prudent et prévoyant, ne jugera pas si promptement, crainte d'être obligé de revenir encore par la suite sur son jugement. Cette rétractation est toujours pénible, et fait concevoir de la défiance pour toutes les autres connaissances.

Nous remarquerons encore ici qu'autre chose est de tenir son jugement en doute, et autre chose de le tenir en suspens. Dans ce dernier cas, j'ai toujours un intérêt à la chose, tandis que dans le premier il n'est pas toujours conforme à mon but et à mon intérêt de décider si la chose est vraie ou si elle ne l'est pas.

Les jugements provisoires sont très-nécessaires, indispensables même pour l'usage de l'entendement dans toute méditation et dans toute recherche ; ils servent à diriger l'esprit dans les investigations, et à lui mettre en main les matériaux sur lesquels il doit s'exercer.

Lorsque nous méditons sur un objet, toujours nous devons juger provisoirement d'abord, et anticiper, flairer en quelque sorte, la connaissance qui nous est donnée en partie par la méditation ; et lorsqu'on se livre à des recherches, on doit toujours se faire un plan provisoire, sans quoi les pensées vont à l'aventure. On peut donc établir des maximes pour la recherche d'une chose. On pourrait encore les nommer


112 LOGIQUE.

anticipations, parce qu'on anticipe par des jugements provisoires sur les jugements définitifs qu'on devra porter plus tard. — Comme ces jugements ont leur utilité, il est convenable de donner des règles pour bien juger provisoirement.

Il faut distinguer les jugements provisoires des préjugés.

Les préjugés sont des jugements provisoires en tant qu'ils sont admis comme principes — Tout préjugé doit donc être regardé comme un principe de jugements erronés. Les préjugés engendrent, non pas des préjugés, mais des jugements erronés. — Il faut donc distinguer la fausse connaissance qui résulte d'un préjugé d'avec sa source, c'est-à-dire d'avec le préjugé lui-même; Ainsi, par exemple, la signification des songes n'est pas en elle-même un préjugé, mais bien une erreur qui résulte de la règle admise trop largement, que ce qui arrive quelquefois arrive toujours et doit toujours être regardé comme vrai; et ce principe, qui comprend la signification des songes, est un préjugé.

Quelquefois les préjugés sont de véritables jugements provisoires ; seulement ils ne doivent pas valoir pour nous comme principes ou comme jugements définitifs. La cause de cette illusion consiste en ce que


INTRODUCTION. 113

l'on répute faussement pour objectifs les principes subjectifs, par défaut de la réflexion qui doit précéder tout jugement. Car nous pouvons bien admettre plusieurs connaissances, par exemple des propositions immédiatement certaines, sans les examiner, c'est-à-dire sans rechercher les conditions de leur vérité; mais nous ne pouvons et nous ne devons même porter notre jugement sur rien sans réfléchir, c'est-à-dire sans comparer une connaissance avec la faculté de connaître dont elle doit sortir (la sensibilité ou l'entendement). Si nous admettons des jugements sans cette réflexion, nécessaire même où il n'y a pas lieu à examen, nos jugements sont des préjugés, ou.des principes pour juger par des causes subjectives qui sont faussement regardées comme des raisons objectives.

Les principales sources des préjugés sont l'imitation, l'habitude et l'inclination.

L'imitation a une influence générale sur nos jugements : c'est une forte raison pour tenir vrai ce que d'autres nous donnent comme tel. C'est donc un préjugé que de dire : Ce que tout le monde fait est bien. — Pour ce qui est des préjugés qui résultent de l'habitude, ils ne peuvent être déracinés qu'à force de temps, puisque l'entendement, retenu dans son jugement par des raisons contraires, s'est insensiblement accoutumé à une façon de penser opposée.

LOG. 8


114 LOGIQUE.

Mais si un préjugé d'habitude est en même temps d'imitation, l'homme qui s'y trouve livré en guérit difficilement. — Un préjugé d'imitation peut aussi s'appeler l' inclination à l'usage passif de la raison, ou au mécanisme de la raison, au lieu de son usage spontané et régulier.

La raison est à la vérité un principe actif qui ne doit rien emprunter de la simple autorité d'autrui, pas même de l'expérience, pour que son usage soit pur. Mais la paresse d'un grand nombre d'hommes fait qu'ils marchent plus volontiers sur les pas des autres que de se tracer leur propre route en faisant usage de leur entendement. Ces hommes ne peuvent jamais être que des copies ; et si tous se comportaient ainsi, le monde resterait stationnaire : il est donc nécessaire et très-important que la jeunesse ne se fasse pas servile imitatrice, comme il arrive souvent.

Plusieurs choses encore nous portent à nous habituer à l'imitation, et font ainsi de la raison un sol fécond en préjugés. A ces auxiliaires de l'imitation appartiennent :

1° Les formules, qui sont des règles dont l'expression sert de modèle à l'imitation. Elles sont du reste extrêmement utiles, et les esprits lucides y tendent toujours;

2° Les dictons, dont l'expression est si riche et si pleine de sens qu'il semble impossible d'en dire


INTRODUCTION. 115

davantage en aussi peu de mots. Ces expressions (dicta), qui doivent toujours être empruntées de ceux auxquels on accorde une sorte d'infaillibilité, servent ainsi de règle et de loi. — Les dicta de la Bible s'appellent sentences yax' êEoXnv ; -

3° Les sentences, c'est-à-dire les propositions qui se recommandent et qui conservent souvent leur autorité pendant des siècles comme produits d'un jugement mûri et vérifié par l'expérience ;

4° Les canons ou sentences doctrinales universelles qui servent de fondement aux sciences, et qui expriment quelque chose d'élevé et de réfléchi. On peut encore les exprimer d'une manière sentencieuse, afin de leur donner plus d'agrément;

5° Les proverbes, qui sont les règles populaires du sens commun, ou les expressions des jugements populaires; —mais ils ne servent de sentences et de canons qu'au vulgaire.

Parmi les préjugés scientifiques qui naissent des trois sources précédentes, particulièrement de l'imitation, nous distinguerons, comme les plus ordinaires :

1° Les préjugés d'autorité, — au nombre desquels il faut compter :


116 LOGIQUE,

a) Le préjugé qui tient à la considération des personnes. — Lorsque, dans les choses qui reposent sur l'expérience et le témoignage, nous faisons porter notre connaissance sur la considération que nous avons pour d'autres personnes, nous ne tombons pas dans un préjugé; car, en fait de choses de cette nature, comme nous ne pouvons pas tout connaître par nousmêmes, ni tout embrasser avec notre entendement propre, nous basons nos jugements sur la considération due aux personnes. — Mais, si nous fondons nos jugements, en fait de connaissances rationnelles, sur la considération que nous accordons aux autres, ces connaissances ne sont pour nous que de véritables préjugés, car les vérités rationnelles valent anonymement ; il n'est pas question de savoir qui est-ce qui a dit cette chose, mais qu'est-ce qu'on a dit. Qu'importe qu'une connaissance soit ou ne soit pas de noble origine! Et cependant, le penchant à la considération des grands hommes en matière scientifique est trèscommun, tant à cause des limites de la pénétration ordinaire, que par le désir d'imiter ce que nous croyons grand. Notre vanité se trouve encore indirectement satisfaite par le respect que nous portons à quelque homme de génie. De même que les sujets d'un despote puissant sont fiers d'être tous traités par lui de la même manière, puisque le plus petit peut, se croire égal au plus grand, tous deux n'étant également rien


INTRODUCTION. 117

en présence du pouvoir illimité de leur maître, de même les adorateurs d'un grand homme se jugent égaux, en ce sens que la supériorité qu'ils peuvent avoir les uns sur les autres, considérée quant au mérite de cet homme, est réputée insignifiante.

b) Le préjugé qui tient du respect pour le nombre (Menge). — Le peuple est très-porté à ce préjugé: ne pouvant juger du mérite, des capacités et des connaissances des personnes, il s'en rapporte volontiers au jugement de la multitude, parce qu'il suppose que ce qui est dit par tous ne peut manquer d'être vrai. Cependant, ce préjugé n'existe en lui que pour les connaissances historiques ; en matière de religion, chose à laquelle il s'intéresse le plus, il s'en rapporte de préférence au jugement des prêtres.

C'est une chose remarquable, que l'ignorant a un préjugé pour la science, et que le savant, à son tour, a un préjugé pour le sens commun.

Lorsque le savant a parcouru une grande partie du cercle des sciences sans retirer de son travail la satisfaction qu'il s'en promettait, il entre alors en défiance contre les sciences, particulièrement contre les spéculations dans lesquelles les idées ne peuvent être rendues sensibles, et dont les fondements sont chancelants, comme, par exemple, en métaphysique. Cependant, comme il croit que la clef de la certitude doit se trouver quelque part, il la cherche alors dans


118 LOGIQUE.

le sens commun, après l'avoir cherchée si longtemps et si vainement dans la science.

Mais cet espoir est fort trompeur car, si la raison cultivée ne peut atteindre à aucune connaissance sur certaines choses, assurément la raison brute sera plus malheureuse encore. C'est surtout en métaphysique que l'appel au sens commun est inadmissible, parce que rien n'y peut être exposé in concreto. Mais il en est autrement en morale. Non-seulement toutes les règles peuvent être données in concreto en morale, mais la raison pratique se révèle en général plus claire et plus juste par l'organe du sens commun que par l'usage de l'entendement spéculatif. Le sens commun juge souvent plus sainement en matière de moralité et de devoir que le sens spéculatif.

c) Le préjugé qui vient du respect pour l'antiquité. — C'est un des plus imposants.— Nous avons sans doute raison de juger favorablement de l'antiquité; mais nous n'avons pas raison de lui vouer un respect sans bornes, de faire des anciens les trésoriers des connaissances et des sciences, d'élever le pris relatif de leurs écrits à un prix absolu, et de nous en rapporter aveuglément à leur direction. — Estimer ainsi les -anciens outre mesure, c'est rappeler l'entendement à son enfance, et négliger l'usage des talents qu'on possède. — On se tromperait beaucoup si l'on croyait que tous les anciens ont écrit aussi classique-


INTRODUCTION. 119

ment que ceux dont les ouvrages nous sont parvenus. Comme le temps blute tout, et ne garde que ce qui a une valeur réelle, nous devons admettre avec quelque fondement que nous ne possédons que les meilleurs ouvrages de l'antiquité.

Plusieurs raisons font reconnaître et durer le préjugé en faveur de l'antiquité.

Si quelque chose dépasse notre attente calculée sur une règle générale, on s'en étonne d'abord, et cet étonnement se convertit souvent en admiration. C'est ce qui arrive avec les anciens, lorsqu'on trouve chez eux quelque chose qu'on n'y cherchait pas, qu'on n'attendait même pas d'eux, eu égard au temps où ils vivaient. — Une autre cause, c'est que la connaissance de l'antiquité prouve une érudition, une lecture qui s'acquiert toujours une certaine considération, quelque commun et insignifiant que puisse en être l'objet, — Une troisième raison, c'est la reconnaissance que nous avons pour les anciens de ce qu'ils nous ont frayé le chemin à un grand nombre de connaissances. Il semble juste de leur en témoigner une gratitude particulière, dont souvent nous dépassons les justes bornes. — Une quatrième raison enfin, c'est l'envie qu'on porte aux contemporains : celui qui ne peut réussir avec les modernes prise haut les anciens, afin que les modernes ne puissent pas s'élever audessus de lui.


120 LOGIQUE.

2° Le préjugé opposé au précédent est celui de la nouveauté. — Quelquefois le respect pour l'antiquité croule avec le préjugé qui lui était favorable : c'est ce qui arriva au commencement du XVIIIe siècle, lorsque Fontenelle eut embrassé le parti des modernes. — En fait de connaissances susceptibles d'extension, il est très-naturel que nous ayons plus de confiance dans les modernes que dans les anciens ; mais ce n'est là qu'un jugement dont le principe n'est lui-même qu'un simple jugement provisoire. Si nous en faisons un jugement définitif, c'est alors un préjugé."

3° Préjugés d'amour-propre, ou égoïsme logique, qui fait que l'on dédaigne l'accord de son propre jugement avec le jugement des autres, comme critère superflu. Ces préjugés sont opposés à ceux de l'autorité, puisqu'ils consistent en une certaine prédilection pour ce qui est un produit de notre entendement propre, par exemple pour un système qui nous appartient.

Est-il bon et utile de laisser subsister des préjugés? et doit-on même les favoriser? — C'est une chose éonnante que cette question puisse se faire encore, surtout pour ce qui est de favoriser les préjugés. Favoriser un préjugé, c'est tromper quelqu'un dans un but d'utilité. — Laisser des préjugés intacts, passe


INTRODUCTION. 121

encore; car qui peut se flatter de découvrir et dissiper tous les préjugés ? Mais de savoir s'il ne serait pas convenable de travailler de toutes ses forces à leur extirpation, c'est une autre question. Il est sans doute très-difficile de combattre utilement les préjugés anciens, et qui ont jeté des racines profondes, parce qu'ils sont eux-mêmes leurs répondants, et, en quelque sorte, leurs propres juges. Aussi, cherche-t-on à justifier la paix qu'on accorde aux préjugés en faisant ressortir les inconvénients qui pourraient résulter de leur abolition. Mais qu'on ait le courage de braver ces inconvénients, et le bien se fera sentir plus tard.

X

De la probabilité. — Définition du probable. —Différence entre la probabilité et la vraisemblance. — Probable mathématique et probable philosophique. — Doute — subjectif et objectif — Méthodes de philosopher : méthode sceptique, dogmatique, critique. — Hypothèses.

La théorie de la certitude de notre connaissance comprend aussi celle de la connaissance du probable, qui est comme une approximation de la certitude.

Il faut entendre par probabilité une croyance fondée sur des raisons qui approchent plus ou moins de celles


122 LOGIQUE,

qui produisent la certitude, niais qui en sont plus près, en tout cas, que les, raisons à l'appui de la proposition contraire. Cette explication fait ressortir la différence qui:existe entre la probabilité (probabilitas) et la vraisemblance (verisimilitudo) : dans la probabilité, les raisons de préférence ont une valeur objective; dans la vraisemblance elles n'ont, au contraire, qu'une valeur subjective. — Il doit donc toujours y avoir dans la probabilité une unité de mesure qui serve à l'apprécier. Cette unité de mesure est la certitude. Car devant comparer, ces principes insuffisants pour la certitude avec ceux qui suffisent; je dois savoir ce qui constitue la certitude. — On manque de celte unité de mesure dans la vraisemblance, puisqu'on n'y compare pas les raisons insuffisantes avec celles qui suffisent, mais seulement avec les raisons du contraire.

Les moments de la probabilité peuvent être ou homogènes pu hétérogènes. Ils sont homogènes comme dans les connaissances mathématiques, où ils peuvent être nombres ; ils sont hétérogènes comme dans les connaissances philosophiques, où ils doivent être pesés, c'est-à-dire appréciés d'après leur influence. Mais cette influence ne s'apprécie elle-même que par les obstacles qu'elle-rencontre dans l'esprit.

Les moments hétérogènes ne donnent pas de rapport avec la certitude, mais seulement le rapport d'une apparence à une autre. —- D'où il suit que le mathé-


INTRODUCTION. 123

maticien seul peut■■■■déterminer le rapport de raisons insuffisantes; le philosophe doit se contenter de l'apparence d'une croyance, purement subjective et pratiquement suffisante; car la probabilité ne peut pas s'estimer dans la connaissance philosophique, à cause de l'hétérogénéité des raisons : — ici les poids ne sont pas. tous pour ainsi dire estampillés. C'est donc de la probabilité mathématique seule qu'on peut dire proprement qu'elle est plus de la moitié de la certitude.

On a beaucoup parlé d'une logique de la probabilité (logica probabilium); mais elle n'est pas possible. Si le rapport des raisons insuffisantes aux raisons suffisantes ne peut se considérer mathématiquement, alors toutes les règles ne servent à rien. On ne peut donc pas donner d'autres règles tout à fait générales de la probabilité, si ce n'est que l'erreur ne se trouvera pas d'un seul côté, mais qu'une raison d'accord doit se trouver dans l'objet. Une autre règle c'est que si de deux côtés opposés il y a erreur en égal nombre et degré, la vérité est dans le milieu.

Le doute est une raison contraire ou un simple obstacle à la croyance, obstacle qui peut être considéré subjectivement ou objectivement. Subjectivement considéré, le doute est quelquefois pris comme un état


124 LOGIQUE,

d'un esprit irrésolu ; et objectivement, comme la connaissance de l'insuffisance des raisons de croire. Sous ce dernier point de vue, il s'appelle une objection, c'est-à-dire une raison objective de regarder comme fausse une connaissance réputée vraie.

Une raison opposée à une autre, mais qui n'a qu'une valeur purement subjective, est un scrupule. — Dans le scrupule on ne sait pas si l'obstacle à la croyance a un fondement objectif ou purement subjectif, par exemple, seulement dans l'inclination, l'habitude, etc. On doute sans s'expliquer clairement et déterminément la raison du doute, et sans pouvoir s'apercevoir si cette raison est dans l'objet même ou seulement dans le sujet. — Pour dissiper ces scrupules, il faut les élever à la clarté et à la déterminabilité d'une objection. Car la certitude est amenée à la lucidité et à la plénitude par des objections, et personne ne peut être certain d'une chose si des raisons contraires ne sont pas appréciées de manière à pouvoir déterminer pour ainsi dire la distance où l'on est encore de la certitude. — Il ne suffit donc pas qu'un doute soit dissipé : on doit aussi le résoudre, c'est-à-dire faire comprendre comment le scrupule est né. Sans cela le doute n'est que dissipé, mais non levé, — le germe du doute persiste toujours. — Nous ne pouvons sans doute savoir, dans beaucoup de cas, si l'obstacle à la croyance a en nous des raisons objec-


INTRODUCTION. 123

tives ou seulement des raisons subjectives, et nous ne pouvons par conséquent pas lever le scrupule par la découverte de l'apparence, puisque nous ne pouvons pas toujours comparer nos connaissances avec l'objet, mais souvent entre elles seulement. C'est donc modestie de ne présenter ses objections que comme dés doutes.

Il y a un principe de doute qui consiste dans cette maxime: Se proposer, en traitant des connaissances, de les rendre incertaines. Ce principe tend à faire voir l'impossibilité de parvenir à la certitude. Cette manière de philosopher est le scepticisme. Elle est opposée à la méthode dogmatique, au dogmatisme, qui est une confiance aveugle en la faculté qu'aurait la raison de s'étendre a priori sans critique, par pures notions, uniquement pour obtenir un succès apparent.

Ces deux méthodes sont vicieuses si elles deviennent générales; car il y a un grand nombre de connaissances dans lesquelles nous ne pouvons procéder dogmatiquement; et, d'un autre côté, le scepticisme, en renonçant à toute connaissance affirmative, paralyse tous nos efforts pour acquérir la connaissance du certain.

Autant donc le scepticisme est nuisible, autant la


126 LOGIQUES

méthode sceptique est utile et juste, en n'entendant par là que la manière de traiter quelque chose comme

incertain, et de le réduire à la plus haute incertitude dans l'espoir de trouver la trace de la vérité sur cette voie. Cette méthode n'est donc proprement qu'une simple suspension du jugement. Elle est très-utile au procédé critique, qui est la méthode de philosopher suivant laquelle on recherche les sources de ses affirmations ou de ses objections, et les raisons qui leur servent de base; — méthode qui donne l'espoir de parvenir à la certitude.

Le scepticisme n'a pas lieu en mathématiques ni en physique. Il n'y a que la connaissance purement philosophique qui a pu lui donner naissance ; cette connaissance n'est ni mathématique ni empirique. — Le scepticisme absolu donne tout comme apparence. Il distingue donc l'apparence d'avec la vérité, et doit avoir un signe de distinction, et par conséquent supposer une connaissance de la vérité; en quoi il se contredit lui-même.

Nous avons observé plus haut, touchant la probabilité, qu'elle n'est qu'une simple approximation de ! la certitude. — Tel est aussi, et en particulier, le cas avec les hypothèses, au moyen desquelles nous ne pouvons jamais parvenir, dans notre connaissance,


INTRODUCTION. 127

à une certitude apodictique, mais toujours seulement à un degré de probabilité tantôt plus grand, tantôt moindre.

Une hypothèse est une croyance du jugement touchant la vérité d'un principe, eu égard à la suffisance des conséquences; ou, plus brièvement, la croyance d'une supposition comme principe.

Toute croyance se fonde donc-sur une hypothèse, en ce sens que la supposition, comme principe, est suffisante pour expliquer par là d'autres connaissances comme conséquences ; car on conclut ici de la vérité de la conséquence à la vérité du principe. Mais cette espèce de conclusion ne donne pas un critérium suffisant de la vérité, et ne peut conduire à une certitude apodictique qu'autant que toutes lés conséquences possibles d'un principe admis sont vraies; d'où il suit que, comme nous ne pouvons jamais déterminer toutes les conséquences possibles, les hypothèses restent toujours des hypothèses, c'est-à-dire des suppositions, à la pleine certitude desquelles nous ne pouvons jamais atteindre. — Cependant, la vraisemblance d'une hypothèse peut croître et s'élever, et la foi que nous lui accordons, devenir analogue à celle que nous donnons à la certitude, lorsque toutes les conséquences qui se sont présentées à nous jusqu'ici peuvent s'expliquer par le principe supposé; car alors il n'y a pas de raison pour que nous ne devions pas


128 LOGIQUE

admettre que toutes les conséquences possibles qui en dérivent peuvent également s'expliquer. Nous regardons alors l'hypothèse comme très-certaine, quoiqu'elle ne le soit que par induction.

Ouelque chose cependant doit être certain apodictiquement dans toute hypothèse, savoir :

1 ° La possibilité de la supposition même. — Si, par exemple, pour expliquer les tremblements de terre et les volcans, on admet un feu souterrain, cette sorte de feu doit être possible, ne brûlât-il pas comme un corps enflammé. — Mais, lorsqu'à l'aide de certains autres phénomènes, on veut faire de la terre un animal dans lequel la circulation d'un liquide intérieur produit la chaleur, c'est une pure fiction, et non une hypothèse; car les réalités s'imaginent bien, mais non les possibilités: elles doivent être certaines. 2° La conséquence. — Les conséquences doivent découler légitimement du principe admis, autrement l'hypothèse n'aurait enfanté qu'une chimère.

3° L'unité. — Une chose essentielle pour une hypothèse, c'est qu'elle soit une, et qu'elle n'ait pas besoin d'hypothèses auxiliaires pour la soutenir. —Si une hypothèse ne pouvait subsister par elle-même, elle perdrait par ce fait.; beaucoup de sa probabilité; car,; plus une hypothèse est féconde en conséquences, plus elle est probable, et réciproquement. C'est ainsi que l'hypothèse principale de Ticho-Brahé ne suffi-


INTRODUCTION. 129

sait pas pour expliquer beaucoup de phénomènes, ce qui rendait nécessaires plusieurs autres hypothèses secondaires. On pouvait déjà présumer par là que l'hypothèse adoptée n'était pas un principe légitime. Au contraire, le système de Copernic est une hypothèse qui explique tout ce qu'elle doit expliquer, tous les grands phénomènes cosmiques qui se sont présentés à nous jusqu'ici; nous n'avons pas besoin d'hypothèses subsidiaires.

Il est des sciences qui ne permettent aucune hypothèse, par exemple les mathématiques et la métaphysique. Mais en physique elles sont utiles et indispensables.

APPENDICE.

Distinction entre la connaissance théorique et la connaissance pratique.

Une connaissance est appelée pratique par opposition à une connaissance théorique et à une connaissance spéculative.

Les connaissances pratiques sont ou :

1° Impératives, en tant qu'elles sont opposées aux connaissances théoriques; ou bien, elles contiennent :

2° Les raisons d'un impératif possible, comme opposées aux connaissances spéculatives.

Est impérative en général toute proposition qui

LOG. 9


130 LOGIQUE,

exprime une action libre possible, par laquelle une certaine fin doit réellement être atteinte. — Toute connaissance donc qui contient un impératif est une connaissance pratique, et doit être appelée ainsi par opposition à la connaissance théorique : car des connaissances théoriques sont celles qui exposent, non ce qui doit être, mais ce qui est;— et qui par conséquent n'ont point l'agir pour objet, mais l'être, l'exister.

Si nous considérons maintenant les connaissances pratiques par opposition aux spéculatives, elles peuvent aussi être théoriques, en ce sens que des principes impératifs seulement peuvent en être dérivés. Considérées sous ce point de vue, elles sont pratiques quant à la valeur (in potentia), ou objectivement. — Nous entendons par connaissances spéculatives celles dont on ne peut tirer aucune règle de conduite, ou qui ne renferment point de principes pour des impératifs possibles. Il y a une foule de ces propositions purement spéculatives, par exemple en théologie. — Ces connaissances spéculatives sont donc toujours théoriques, mais pas réciproquement : toute connaissance théorique n'est pas purement spéculative; considérée sous un autre point de vue, elle peut être aussi en même temps pratique.

Toute connaissance tend, en dernier lieu, à la pratique, et la valeur pratique de notre connaissance


INTRODUCTION. 131

consiste dans cette tendance de toute théorie et de toute spéculation, par rapport à son usage. Mais cette valeur n'est qu'une valeur inconditionnée, si la fin à laquelle l'usage pratique de la connaissance se rapporte est une fin qui soit elle-même inconditionnée ou absolue.—L'unique fin absolue et dernière, à laquelle doit se rapporter en définitive tout usage pratique de notre connaissance, est la moralité, que nous appelons, par cette raison, l'absolument pratique. Cette partie de la philosophie qui a pour objet la moralité devrait s'appeler philosophie pratique vax' èEoXnv, quoique toute autre science philosophique puisse aussi avoir une partie pratique, c'est-à-dire contenir, relativement aux théories établies, une instruction pour leur usage pratique concernant la réalisation de certaines fins.


PREMIERE PARTIE.

THÉORIE GÉNÉRALE ÉLÉMENTAIRE.

CHAPITRE PREMIER.

DES NOTIONS (1).

§ 1. Notion en général; différence entre la notion et l'intuition. — Toute connaissance, c'est-àdire toute représentation rapportée avec conscience à un objet, est ou intuition ou une notion. — L'intuition est une représentation singulière (reproesentatio singularis); la notion est. une représentation générale (reproesentatio per notas communes) ou réfléchie (reproesentatio discursiva)

Connaître par notions c'est penser (cognitio discursiva).

(1) Voy. Critiq. de la raison pure, trad. fr. 2° édit. t, I, p. 87 à 152.

(Note du trad.).


DES NOTIONS. 133

Observations. —1° La notion est opposée à l'intuition, car c'est une représentation générale ou de ce qui est commun à plusieurs objets, par conséquent une idée susceptible d'être contenue dans celles de plusieurs choses différentes.

2° Parler de notions générales ou communes c'est tomber dans une pure tautologie : — cette faute a sa raison dans une division vicieuse des notions en universelles, particulières et singulières. Ce ne sont pas les notions elles-mêmes qui peuvent être divisées de la sorte ; — on ne peut distinguer ainsi que l'usage qu'on en fait.

§ 2. Matière etforme des notions. — Il faut distinguer dans toute notion la matière et la forme. — La matière des notions est l'objet, leur forme est la généralité.

§ 3. Notion empirique et notion pure. — La notion est ou empirique ou pure. — Une notion pure est celle qui n'est pas prise de l'expérience, mais qui provient aussi de l'entendement quant à la matière.

Vidée [proprement dite] est une notion rationnelle, dont l'objet ne peut se rencontrer dans l'expérience.

Observations. — 1° La notion empirique provient des sens par la comparaison des objets de l'expérience, et ne reçoit de l'entendement que la forme de la gé-


134 DES NOTIONS.

néralité. — La réalité de cette notion repose sur l'expérience réelle, dont la notion procède quant à la matière ou contenu. — C'est à la métaphysique à rechercher s'il y a des notions intellectuelles pures (conceptus puri), qui, en cette qualité, ne procèdent que de l'entendement, sans l'intervention de l'expérience.

2° Les notions rationnelles ou Idées [proprement dites] ne peuvent absolument pas conduire à des objets réels, parce que tous les objets de cette espèce doivent être contenus dans une expérience possible. Mais elles servent à guider l'entendement par la raison relativement à l'expérience et à l'usage le plus complet possible des règles de la raison ; ou bien encore à faire voir que toutes les choses possibles ne sont pas des objets de l'expérience, et que les principes de la possibilité des objets de l'expérience ne sont pas applicables aux choses en soi, ni même aux objets de l'expérience considérés comme choses en soi.

L'Idée contient le prototype de l'usage de l'entendement, par exemple l'Idée de l'univers (tout cosmique), Idée qui doit être nécessaire, non comme principe constitutif pour l'usage empirique de l'entendement, mais seulement comme principe régulateur pour obtenir l'accord universel de l'usage empirique de l'entendement. Elle doit donc être regardée


DES NOTIONS. 135

comme une notion fondamentale nécessaire, soit pour compléter objectivement les opérations intellectuelles de la subordination [des notions], soit pour les regarder comme illimitées. — Aussi l'Idée ne s'obtient pas par composition; car le tout est ici avant la partie. Il y a cependant des Idées qui sont susceptibles d'une approximation: telles sont, par exemple, les idées mathématiques, ou Idées de la génération mathématique d'un tout, qui se distinguent essentiellement des Idées dynamiques. Celles-ci diffèrent totalement de toutes les notions concrètes, parce que le tout se distingue des notions concrètes par l'espèce et non par la quantité (comme dans les notions mathématiques).

On ne peut donner une réalité objective à aucune Idée théorique, ou prouver cette réalité, si ce n'est à l'Idée de liberté ; la raison en est que la liberté est la condition de la loi morale, dont la réalité est un axiome. — La réalité de l'Idée de Dieu ne peut donc être démontrée que par celle de la loi morale, et par conséquent que sous le rapport pratique ; c'est-à-dire qu'il faut agir dans la supposition de l'existence d'un Dieu. — Cette réalité ne peut donc être démontrée que dans ce dessein.

Dans toutes les sciences, principalement dans les sciences rationnelles, se trouve l'Idée de la science, l'idée de son esquisse ou de son plan général, par


136 DES NOTIONS.

conséquent la circonscription de toutes les connaissances qui en font partie. Une telle Idée du tout, — qui est la première chose à laquelle on doit avoir égard dans une science, et qu'il faut rechercher, — est l'architectonique de la science, comme, par exemple, l'idée de la science du droit.

L'Idée de l'humanité, l'Idée d'une forme de gouvernement parfaite, d'une vie heureuse, etc., manquent à la plupart des hommes. — Un grand nombre n'ont aucune idée de ce qu'ils veulent, et se conduisent par instinct et par autorité.

§ 4. Notions données (a priori ou a posteriori) et notions formées. — Toutes les notions sont, quant à la matière, ou données (conceptus dati) ou formées (conceptus factitif). — Les premières sont données ou a priori ou a posteriori.

Toutes les notions données empiriquement où a posteriori s'appellent notions d'expérience; celles qui sont données a priori s'appellent [proprement] notions (Notionen) (1).

Observations. — La forme d'une notion, en tant

(1) C'est précisément cette distinction qui nous avait fait adopter dans la première édition le mot concept, comme traduction du mot Begriff, qui est la notion en général ou improprement dite. Mais Kant ne se servant jamais du mot notion, il laisse par le fait sans application la distinction qu'il donne ici. Nous n'y donnerons nous-même aucune suite, et nous emploierons partout en général le mot notion pour rendre le mot Begriff, comme étant moins étranger à notre langue commune, scientifique même, que le mot concept. (N. du trad.)


DES NOTIONS. 137

que représentation discursive, est toujours formée ou factice.

§ 5. Origine logique des notions.— L'origine logique des notions, quant à la simple forme, repose sur la réflexion et sur l'abstraction de la différence des choses qui sont indiquées par une certaine représentation. De là, la question de savoir quelles sont les opérations de l'entendement qui forment une notion, ou, ce qui est la même chose, quelles sont les opérations de l'entendement requises pour la production d'une notion à l'aide de représentations données ?

Observations. — 1° La logique générale, faisant abstraction de toute matière de la connaissance par des notions, ou de toute matière de la pensée, ne peut considérer la notion que par rapport à sa forme, c'est-à-dire seulement au point de vue subjectif. Elle ne considère donc pas comment une notion détermine un objet par un caractère ou signe (Merkmal, nota), mais seulement la manière dont ce caractère peut être rapporté à plusieurs objets. — La logique générale n'a donc pas à distinguer la source des notions, ni à faire connaître comment elles prennent naissance comme représentations, mais seulement la manière dont les représentations données deviennent des notions dans l'acte de la pensée. Ces notions peuvent, du reste, contenir quelque chose


138 DES NOTIONS.

tiré de l'expérience, ou imaginé, ou emprunté de la nature de l'entendement. — Cette origine logique des notions, — origine quant à la simple forme, — consiste dans la réflexion par laquelle une représentation devient commune à plusieurs objets (conceptus communis) comme forme indispensable au jugement. On ne considère donc en logique que la différence de la réflexion par rapport aux notions.

2° On traite en métaphysique de l'origine des notions par rapport à leur matière, suivant laquelle une notion est ou empirique, ou arbitraire, ou intellectuelle.

§ 6. Acte logique de la comparaison, de la réflexion et de l'abstraction. — Les actes logiques de l'entendement, par lesquels les notions sont produites quant à la forme, sont:

4° La comparaison, c'est-à-dire le rapprochement par la pensée des représentations entre elles par rapport à l'unité de conscience ;

2° La réflexion, c'est-à-dire l'attention à la manière dont différentes représentations peuvent être comprises en une conscience unique ; enfin,

3° L'abstraction ou la séparation de tout ce par quoi les représentations données se distinguent.

Observations. — 1° Pour faire passer des représentations à l'état de notions, il faut donc pouvoir comparer, réfléchir et abstraire; car ces trois opé-


DES NOTIONS. 139

rations logiques de l'entendement sont les conditions essentielles et générales de la production de toute notion quelconque. — Je vois, par exemple, un pin, un saule et un tilleul : en comparant d'abord ces objets entre eux, j'observe qu'ils diffèrent les uns des autres par rapport à la tige, aux branches, aux feuilles, etc.; mais, si je ne fais ensuite attention qu'à ce qu'ils ont de commun, la tige, les branches, les feuilles mêmes, et que je fasse abstraction de leur grandeur, de leur figure, etc., je forme alors la notion d'arbre.

2° On n'emploie pas toujours convenablement en logique le mot abstraction : on ne devrait pas dire abstraire quelque chose (abstrahere aliquid), mais abstraire(1) de quelque chose (abstrahere ab aliquo).

Si, par exemple, dans un drap écarlate, je ne fais attention qu'à la couleur rouge, je fais alors abstraction (j'abstrais) du drap ; si de plus je fais abstraction de ce drap comme drap, et que je ne pense à l'écarlate que comme à un morceau de matière, alors je fais abstraction d'un plus grand nombre de déterminations, et ma notion est aussi devenue par là plus abstraite; car plus on omet, dans une nolion, de caractères distinctifs des choses, en d'autres termes, plus le nombre des déterminations dont on fait abstraction est grand, plus la notion restante est

(1) Ou faire abstraction. (Note du trad.)


140 DES NOTIONS.

abstraite. On devrait donc appeler proprement abstractives (conceptus abstrahentes) des notions abstraites : un plus ou moins grand nombre d'abstractions ont eu lieu dans ces notions (elles ne sont plus que ce qui reste après que ces abstractions en ont été faites). C'est ainsi, par exemple, que la notion de corps n'est pas proprement une notion abstraite : si je ne pouvais pas, au contraire, y faire des abstractions, je n'en aurais pas la notion autrement (que sans ces notions que j'en abstrais); et cependant je puis bien y faire abstraction du volume, de la couleur, de la solidité ou de la fluidité, en un mot, de toutes les déterminations spéciales des différents corps (quoique les corps n'existent point sans ces déterminations).—- La notion la plus abstraite est celle qui n'a rien de commun avec toute autre notion. Cette notion est celle de chose : ce qui en diffère est rien, elle n'a donc rien de commun avec quoi que ec soit.

3° L'abstraction n'est que la condition négative sous laquelle des idées universellement valables peuvent être produites : la condition positive sont la comparaison et la réflexion; car il n'y a pas de position qui soit le fruit de l'abstraction : — l'abstraction l'achève seulement et la renferme dans ses bornes déterminées.

§ 7. Matière et circonscription des notions. —


DES NOTIONS. 141

Toute notion, comme notion partielle, est contenue dans la représentation des choses ; comme fondement de connaissance, c'est-à-dire comme signe élémentaire, ces choses sont contenues en elle.—- Sous le premier point de vue, toute notion a un contenu, une matière; sous le second, une circonscription (1 ).

La matière et la circonscription des notions sont entre elles dans un rapport inverse : plus une notion embrasse de choses sous elle, moins elle en renferme en elle, et réciproquement.

Observation. La généralité ou la validité générale de la notion ne tient point à ce que la notion est une notion partielle, mais à ce qu'elle est un fondement de connaissance.

§ 8. Etendue de la sphère des notions. — La circonscription ou la sphère d'une notion est d'autant plus grande qu'un plus grand nombre de choses peuvent être comprises sous cette notion, et conçues par son moyen.

Observation. Comme on dit d'un principe en général qu'il contient sous lui la conséquence, on peut dire aussi de la notion, comme fondement ou principe de connaissance, qu'elle contient sous elle toutes les choses dont elle a été abstraite ou tirée. Par

(1) C'est ce qu'on appelle autrement : compréhension et extension des idées. (Note du trad.)


142 DES NOTIONS,

exemple, la notion de métal contient celles d'or, d'argent, de cuivre, etc. — Car si toute notion, comme représentation universellement valable, contient ce qui est commun à plusieurs représentations de choses différentes, toutes ces choses, en tant qu'elles sont contenues sous elle, sont représentées par elle. Et c'est en cela même que consiste l'utilité d'une notion. Plus donc le nombre des choses représentées par une notion est grand, plus la sphère de cette notion est grande aussi. C'est ainsi que la notion de corps a une extension plus grande que la notion de métal. *

§ 9. Notions supérieures et notions inférieures. — On appelle supérieures (conceptus superiores) des notions qui contiennent sous elles d'autres notions qui, par rapport aux précédentes, sont appelées inférieures. — Un caractère de caractère, — un caractère éloigné, — est une notion supérieure; la notion en rapport avec un caractère éloigné, est une notion inférieure.

Observation. Des notions n'étant supérieures ou inférieures que relativement (respective), une seule et même notion peut être en même temps supérieure et inférieure, pourvu qu'on l'envisage sous différents rapports. C'est ainsi, par exemple, que la notion d'homme est supérieure par rapport à la notion


DES NOTIONS. 143

de cavalier (1), et inférieure par rapport à la notion d'animal.

§ 10. — Genre et espèce. — La notion supérieure s'appelle genre (genus) par rapport à la notion qui lui est inférieure. La notion, inférieure, par rapport à la notion qui lui est supérieure, s'appelle espèce (species).

De même que les notions supérieures et inférieures, les notions de genre et celles d'espèce ne se distinguent point les unes des autres dans la subordination logique par leur nature, mais seulement par leur rapport respectif (termini a quo ou ad quod).

§ 11. Genre suprême. — Espèce dernière. — Le genre suprême est celui qui n'est espèce sous aucun rapport (genus summum non est species), de même que l'espèce dernière est celle qui n'est genre à aucun égard (species, quoe non est genus, est infima).

En conséquence de la loi de continuité, il ne peut y avoir ni espèce dernière, ni espèce la plus prochaine.

Observation. Quand nous concevons une série de plusieurs notions subordonnées entre elles, par exemple les notions de fer, de métal, de corps, de substance, de chose, — nous pouvons toujours obtenir

(1) Je fais ici une substitution; l'auteur met: cheval. V. § 10 et surtout § 12-14. (Noie du trad.)


144 DES NOTIONS,

des genres supérieurs ; — car chaque espèce peut toujours être regardée comme genre par rapport à sa notion inférieure, par exemple la notion de savant par rapport à celle de philosophe, — jusqu'à ce qu'enfin nous arrivions à un genre qui ne puisse pas être espèce à son tour. Et nous devons pouvoir parvenir en définitive à un tel genre, parce qu'il doit y avoir, à la fin, une notion suprême (conceptus summus) dont rien ne peut plus s'abstraire, à moins de faire disparaître la notion totale. — Mais il n'y a pas de notion dernière, ou le plus bas possible (conceptus infimus), ou d'espèce dernière, sous laquelle aucune autre ne serait plus contenue, parce qu'une telle notion est impossible à déterminer. Car, bien que nous ayons une notion que nous appliquons immédiatement à des individus, il peut néanmoins y avoir encore, par rapport à cette notion, des différences spécifiques que nous ne remarquons pas, ou dont nous ne tenons pas compte. Il n'y a de notion dernière que comparativement et pour l'usage, qui n'ont par conséquent cette valeur que par convention, pour ainsi dire, ou parce qu'il est accordé qu'on ne descendra pas plus bas.

La loi générale suivante vaut donc par rapport à la détermination des notions d'espèce et de genre : Il y a un genre qui ne peut plus être espèce; mais il n'y a pas d'espèce qui ne doive plus être genre.


DES NOTIONS. 145

§ 12. Notion plus large et notion plus étroite. — Notions réciproques.— La notion supérieure est aussi appelée plus large ; l'inférieure, plus étroite.

Des notions qui ont des sphères identiques sont appelées réciproques (conceptus reciproci).

§ 13. Rapport de la notion supérieure à l'inférieure, — de la plus large à la plus étroite, — La notion inférieure n'est pas contenue dans la supérieure : car elle contient plus en soi que la supérieure; mais elle est cependant contenue sous elle, parce que la supérieure renferme le fondement de.la connaissance de l'inférieure.

§ 14. Règles générales concernant la subordination des notions. — Les règles générales suivantes régissent l'extension logique des notions.

1 ° Ce qui convient ou répugne aux notions supérieures, convient on répugne aussi aux notions inférieures contenues sous celle-là.

2° Réciproquement : Ce qui convient ou répugne à toutes les notions inférieures, convient ou répugne à leur notion supérieure.

Observation. —Ce en quoi des choses conviennent, découle de leurs propriétés générales, et ce en quoi elles diffèrent entre elles, a sa raison dans leurs propriétés particulières. On ne peut donc pas conclure que ce qui convient ou répugne à une notion inférieure, convienne ou répugne aussi à d'autres notions LOG. 10


146 DES NOTIONS.

inférieures qui appartiennent, avec celle-là, à une notion plus élevée. On ne peut donc pas conclure, par exemple, que ce qui ne convient pas à. l'homme, ne convienne pas non plus aux anges.

§ 15. Condition de la formation des notions supérieures et des inférieures : abstraction logique et détermination logique. — L'abstraction logique continuée donne toujours naissance à des notions supérieures ; au contraire, la détermination logique continuée fait toujours naître-des notions inférieures.

— La plus grande abstraction possible donne la notion la plus élevée ou la plus abstraite, celle dont aucune détermination ne peut plus s'abstraire. La détermination ne peut plus s'abstraire. La détermination parfaite suprême donnerait une notion universellement déterminée (conceptum omnimode determinatum), c'est-à-dire une notion qui ne serait susceptible d'aucune détermination ultérieure.

Observation. Comme il n'y a que des choses singulières ou des individus qui soient universellement déterminés, il ne peut non plus y avoir que des connaissances universellement déterminées comme intuitions, mais non comme notions : la détermination logique ne peut jamais être regardée comme parfaite par rapport aux notions (§ 11, obs.).

§ 16. Usage des notions in abstracto et in concreto.

— Toute notion peut être employée généralement et


DES NOTIONS. 147

particulièrement (in abstracto et in concreto). — La notion inférieure est employée in abstracto par rapport à sa notion correspondante supérieure (puisqu'elle est considérée comme en étant abstraite) : c'est ainsi que la notion de cheval, dans le sens propre, n'emporte pas celle d'animal. La notion supérieure est employée in concreto par rapport à sa correspondante inférieure (puisqu'elle la contient) : c'est ainsi que la notion d'animal emporte aussi celle de cheval.

Observations. 1° Les expressions d'abstrait et de concret se rapportent donc moins aux notions en ellesmêmes — car toute notion est une notion abstraite — qu'à leur usage (1). Et cet usage peut avoir aussi différents degrés, suivant que l'on traite une notion tantôt plus, tantôt moins abstractivement ou concrètement ; c'est-à-dire suivant que l'on en retranche ou que l'on y ajoute tantôt plus, tantôt moins de déterminations.

Par l'usage abstrait, une notion se rapproche plus du genre suprême ; par l'usage concret, elle se rapproche plus de l'individu.

2° Lequel de ces deux usages est préférable ?—On ne peut rien décider à cet égard : la valeur de l'un n'est pas moindre que celle de l'autre. Par des notions très-abstraites nous connaissons peu dans beaucoup

(1) C'est ce que l'auteur a fait voir encore dans sa réponse à Eberhard (Ueber eine Entdeckung, etc.), 2e édit.., pag. 26, note. (N, du trad )


148 DES JUGEMENTS,

de choses ; par des notions très-concrètes nous connaissons beaucoup dans un petit nombre de choses : — en telle sorte que nous gagnons d'un côté ce que nous perdons de l'autre. — Une notion qui a une grande sphère est, en cette qualité, d'un usage si étendu qu'on peut l'appliquer à un grand nombre de choses ; mais, par la même raison, elle contient d'autant moins d'éléments en elle. C'est ainsi, par exemple, que dans la notion de substance je ne pense pas autant de notions élémentaires que dans la notion de craie. 3° L'art de la popularité consiste à trouver le rapport entre l'idée in abstracto et l'idée in concreto dans la même connaissance, par conséquent entre les notions et leur exposition ; en cela consiste le maximum de la connaissance par rapport à l'extension et à la compréhension.

CHAPITRE II

DES JUGEMENTS (1),

§ 17. Définition du Jugement en général. — Un jugement est l'idée de l'unité de conscience de diffé(1)

diffé(1) Critiq. de la raison pure, 2e édit. en franc. 1.1, p. 24-31,

152-202. (Note du trad.)


DES JUGEMENTS. 149

rentes idées, ou l'idée de leur rapport en tant qu'elles composent une notion.

§ 18. Matière et forme des Jugements.— Les éléments essentiels de tout jugement sont la matière et la forme. La matière consiste dans des connaissances données et liées pour l'unité de conscience en un jugement. La forme du jugement consiste, au contraire, dans la détermination de la manière dont les différentes idées, comme telles, appartiennent à une conscience unique.

§ 19. Objet de la réflexion logique, — la simple forme des Jugements. — La logique, faisant abstraction de toute différence réelle ou objective de la connaissance, ne peut donc pas plus s'occuper de la matière des jugements que du contenu des notions. Elle n'a donc à considérer que la différence des jugements par rapport à leur simple forme.

§ 20. Formes logiques des Jugements ; quantité, qualité, relation et modalité. — La différence des jugements par rapport à leur forme est de quatre espèces ; la quantité, la qualité, la relation et la modalité; ce qui donne précisément autant de sortes de jugements.

§ 21. Quantité des Jugements : universels, particuliers, singuliers. — Par rapport à la quantité, les jugements sont ou universels, ou particuliers, ou singuliers, suivant que le sujet, dans le jugement, est


150 DES JUGEMENTS.

entièrement ou partiellement renfermé'dans la notion du prédicat, ou qu'il en est entièrement ou partiellement exclu. Dans un jugement universel, la sphère d'une notion est entièrement comprise dans celle d'une autre ; dans un jugement particulier, une partie de la notion est comprise dans la sphère de l'autre ; et dans le jugement singulier enfin, une notion, qui manque de sphère, est par conséquent renfermée simplement comme partie dans la sphère d'un autre.

Observations. 1° Les jugements singuliers doivent être appréciés dans l'usage, quant à la forme logique, de la même manière que les jugements universels : car, dans les uns comme dans les autres, le prédicat se dit du sujet sans exception. Par exemple, dans la proposition singulière : Caïus est mortel, il ne peut pas plus y avoir d'exception que dans la proposition universelle (1 ) : Tous les hommes sont mortels ; car il n'y a qu'un Caïus. -

2° Par rapport à l'universalité d'une connaissance, il y a une différence réelle entre les propositions générales et les propositions universelles ; mais cette différence ne concerne pas la logique.

Les propositions générales sont celles qui contiennent simplement quelque chose touchant ce qu'il y a d'universel dans certains objets, et qui ne renferment

(1) La mineure du syllogisme catégorique. (N. du trad.)


DES JUGEMENTS. 151

par conséquent pas des conditions suffisantes de la subsomption : par exemple la proposition : On doit rendre les preuves fondamentales. Les propositions universelles sont celles qui affirment universellement quelque chose d'un objet (I).

3° Des règles universelles le sont analytiquement ou synthétiquement : celles-là font abstraction des différences ; celles-ci, au contraire, les considèrent, et par conséquent déterminent à cet égard. — Plus un objet est conçu simplement, plus prompte est l'universalité analytique d'une notion possible en conséquence.

4° Quand des propositions universelles ne peuvent être considérées dans leur universalité sans être connues in concreto, elles ne peuvent servir de règle, ni par conséquent valoir heuristiquement dans l'application : elles ne sont que des problèmes servant à la recherche des principes universels de ce qui a été connu d'abord dans des cas particuliers. Par exemple, la proposition : « Celui qui n'a pas d'intérêt à tromper, » et qui sait la vérité, la dit, » ne peut être considérée dans son universalité, parce que nous ne connaissons la limite de la condition du désintéressement que par

(1) Par exemple : Toutes les planètes décrivent une ellipse. On peut dire cependant que l'idée générale est la compréhension de l'idée universelle, tandis que l'idée universelle est l'extension de l'idée générale. V. Krug, Log., p. 158. {Note du trad.)


152 DES JUGEMENTS,

l'expérience, à savoir, que des hommes peuvent tromper par intérêt, par la raison qu'ils ne s'attachent pas fermement à la moralité. C'est l'observation qui nous apprend à connaître les faiblesses de la nature humaine (1).

5° Il faut observer, touchant les jugements particuliers, lorsqu'ils doivent être considérés par la raison, et qu'ils ont par conséquent une forme rationnelle, et pas simplement une forme intellectuelle (abstraite), que le sujet doit être alors une notion plus étendue que le prédicat (conceptus latior) (2). — Soit le prédicat = toujours , le sujet — toujours : alors la figure suivante

représente un jugement particulier : car quelque chose de ce qui appartient à A est B, et quelque chose du

(1) Ce qui veut dire qu'il y a des propositions qui sont universelles dans l'expression, mais qui, dans la pensée, sont sujettes à des exceptions réelles ou possibles. (Note du tract.)

(2) C'est-à-dire que des propositions particulières quant à l'expression, peuvent être en réalité universelles. Ce qui arrive toujours quand la proposition est indéfinie et en matière nécessaire. La propo sition indéfinie en matière contingente est tantôt universelle, tantôt particulière, suivant la nature des choses. {Note du trad.)


DES JUGEMENTS. 153

même A est non B ; — ce qui est une conséquence de la raison.—Mais soit

alors tout A, pour le moins, peut être contenu sous B s'il est plus petit que B, mais non s'il est plus grand : il n'est donc particulier que fortuitement.

§ 22. Qualité des jugements: affirmatifs, négatifs, indéfinis (limitatifs). — Quant à la qualité, les jugements sont ou affirmatifs, ou négatifs, ou limitatifs, c'est-à-dire indirectement affirmatifs. Par exemple: L'âme est immortelle, Le vice n'est pas louable, L'âme est non-mortelle.

Dans les jugements affirmatifs, le sujet est pensé sous la sphère du prédicat ; dans un jugement négatif, le sujet est pensé hors de la sphère du prédicat; dans un jugement limitatif, le sujet est placé dans la sphère d'une notion qui est en dehors de la sphère d'une autre notion.

Observations. 1° Le jugement limitatif n'indique pas seulement qu'un sujet n'est pas contenu dans la sphère d'un prédicat, mais qu'il est en dehors de la sphère de ce prédicat, et dans l'autre sphère indéfinie. Par conséquent cette sorte de jugement représente la sphère du prédicat comme limitée.


154 DES JUGEMENTS.

Tout le possible est ou A, ou non A. Si donc je dis que quelque chose n'est pas À, par exemple que l'âme humaine est non-mortelle, que quelques hommes sont non-savants, etc., ce sont là des jugements indéfinis ou limitatifs : car je ne décide pas par-là, hors de la sphère finie A, à quelle notion l'objet appartient, mais seulement qu'il est dans la sphère étrangère à A ; ce qui n'est proprement aucune sphère, mais seulement la contiguïté d'une sphère à l'infini, ou la limitation même. — Quoique l'exclusion soit une négation, la limitation d'une notion est cependant une action positive. Des idées positives d'objets limités sont donc des bornes.

2° Suivant le principe de l'exclusion de tout tiers (exclusi tertii), la sphère d'une notion relativement à une autre sphère l'exclut ou la comprend. — Or, comme la logique ne s'occupe uniquement que de la forme du jugement, non des notions quant à leur contenu, la distinction entre les jugements limitatifs et les jugements négatifs n'appartient pas à cette science.

3° Dans les jugements négatifs, la négation affecte toujours la copule; dans les jugements limitatifs, elle n'affecte pas la copule, mais le prédicat. C'est trèssensible en latin : par exemple, anima non-est mortalis, — anima est non-mortalis.

§ 23. Relation des jugements : catégoriques, hy-


DES JUGEMENTS. 155

pothétiques, disjonctifs. — Quant à la relation, les jugements sont : ou catégoriques (1), ou hypothétiques, ou disjonctifs, suivant que l'un des termes du jugement est subordonné à l'autre comme le prédicat l'est au sujet, ou comme la conséquence l'est à son principe, ou comme les membres de la division le sont à une notion divisée.— Dans le premier rapport, le jugement est catégorique ; dans le deuxième, hypothétique, et dans le troisième, disjonctif (exemples : Caïus est savant; — Si Caïus est. vertueux, il n'est pas menteur; — Caïus est malade ou n'est pas malade).

§ 24. Jugements catégoriques. — Le sujet et l'attribut forment la matière du jugement catégorique. — La forme, par laquelle s'établit et s'exprime le rapport (d'accord ou de répugnance) entre le sujet et l'attribut, s'appelle copule.

Observation. Les jugements catégoriques forment, il est vrai, la substance des autres jugements; mais il ne faut pas croire, avec la plupart des logiciens, que les jugements hypothétiques et les jugements disjonctifs ne soient autre chose que des espèces de jugements catégoriques, et qu'ils puissent s'y ramener. Ces trois espèces de jugements reposent sur des fonctions logiques de l'entendement essentielle(1)

essentielle(1) mot catégorique veut dire absolument énonciatif. (N. du trad.)


156 DES JUGEMENTS,

ment différentes, et par conséquent doivent être considérées quant à leur différence spécifique.

§ 25. Jugements hypothétiques. — La matière des jugements hypothétiques résulte de deux jugements qui sont entre eux comme principe et conséquence. Celui de ces jugements qui renferme le principe s'appelle antécédent (antecedens, hypothesis, conditio, prius) ; l'autre celui qui est subordonné au premier, est le conséquent (consequens, thesis, conditionatum, posterius) ; et l'idée de cette espèce de liaison de deux jugements entre eux pour former l'unilé de conscience est appelée la conséquence. C'est la conséquence qui constitue la forme des jugements hypothétiques.

Observations. 1° La conséquence est donc aux jugements hypothétiques comme la copule est aux jugements catégoriques.

2° On ne peut convertir un jugement hypothétique en un jugement catégorique ; ils diffèrent essentiellement l'un de l'autre. Dans les jugements catégoriques, rien n'est problématique, tout y est au contraire assertorique. Il n'en est pas de même dans les jugements hypothétiques : la conséquence seule est assertorique. Je puis donc, dans ces derniers., unir entre eux deux faux jugements [et avoir par leur moyen un autre jugement vrai] : car il ne s'agit ici que de la légitimité de cette liaison, de la forme de la conséquence ;


DES JUGEMENTS. 157

c'est en cela que consiste la.vérité logique de ces sortes de jugements. — Il y a une différence essentielle entre ces deux propositions : Tous les corps sont divisibles; et, Si tous les corps sont composés, tous les corps sont divisibles. Dans la première, j'affirme sans condition ; dans la deuxième, j'affirme sous une condition exprimée problématiquement.

§ 26. Modes de liaison dans les Jugements hypothétiques : modus ponens et modus tollens. — La forme de la liaison dans les jugements hypothétiques est de deux sortes : l'une positive, ou plutôt affirmative (modus ponens), et l'autre négative (modus tollens). Elle s'énonce ainsi : 1° Posito antecedente, ponitur consequens, 2° Sublato conséquente, aufertur antecedens. En d'autres termes : Si l'antécédent est vrai, le conséquent l'est également (modus ponens); Si le conséquent est faux, l'antécédent l'est aussi (modus tollens).

§ 27. Jugements disjonctifs. — Un jugement est disjonctif quand les parties de la sphère d'une notion donnée se déterminent mutuellement dans le tout, ou se servent de complémeut l'une à l'autre pour former un tout.

§ 28. Matière et forme des Jugements dis jonctifs. — Les jugements donnés qui servent à former le jugement disjonctif, en sont la matière, et sont appelés les membres de la disjonction ou de l'opposition.


158 DES JUGEMENTS.

La forme de ce jugement consiste dans la disjonction même, c'est-à-dire dans la détermination du rapport des différents jugements qui s'excluent mutuellement et constituent dans leur ensemble la totalité des membres de la sphère entière d'une connaissance divisée.

'"Observation. Tous les jugements disjonctifs présentent par conséquent différents jugements qui forment en commun une sphère de notions, et ne produisent chaque jugement que par la limitation de l'autre par rapport à toute la sphère. Ils déterminent donc le rapport de chaque jugement à toute la sphère, et en même temps par là le rapport respectif de ces différents membres de division (membra disjuncta). —- Un membre n'en détermine donc ici un autre qu'autant qu'ils, se tiennent ensemble comme parties d'une sphère entière de la connaissance, hors de laquelle on ne peut rien concevoir dans un certain rapport.

§ 29. Caractère propre des jugements disjonctifs. — Le caractère propre de tous les jugements disjonctifs, et qui sert à les distinguer, quant à la relation, de tous les autres jugements, particulièrement des jugements catégoriques, consiste en ce que les membres de la disjonction sont tous des jugements problématiques dont on ne peut concevoir autre chose, si ce n'est que, comme parties de la sphère


DES JUGEMENTS. 159

d'une connaissance, ils forment tous ensemble cette sphère, et que chacun d'eux est le complément des autres dans la formation du tout (complementum ad totum). D'où il suit que la vérité doit être comprise dans l'un de ces jugements problématiques; ou, ce qui est la même chose, que l'un d'eux doit être assertorique, parce que la sphère de la connaissance ne contient plus rien en dehors d'eux sous les conditions données, et qu'ils sont opposés les uns aux autres. Il ne peut donc y avoir en dehors d'eux quelque autre jugement qui puisse être vrai, ni parmi eux plus d'un seul jugement qui puisse avoir ce même caractère de vérité.

OBSERVATIONS GENERALES.

1° Dans un jugement catégorique, la chose dont l'idée est considérée comme une partie de la sphère d'une autre idée subordonnée, est regardée comme contenue sous cette notion supérieure, par conséquent la partie de la partie est ici comparée au tout dans la subordination des sphères.

Mais dans les jugements disjonctifs, on va du tout à toutes les parties prises ensemble. — Ce qui est contenu dans la sphère d'une notion supérieure est aussi contenu dans une partie de cette sphère. Si, par exemple, l'on dit, par disjonction : Un savant est savant ou historiquement ou rationnellement, on af-


160 DES JUGEMENTS,

firme alors que ces deux dernières notions sont les parties de la sphère de la notion de savant, mais qu'elles-ne font point partie l'une de l'autre, et que chacune d'elles est complète dans son espèce (quoiqu'elle ne soit qu'une partie de la sphère totale de la notion supérieure).

2° Pour qu'un jugement disjonctif soit vrai, il ne doit pas y avoir d'autres.alternatives possibles que celles qui sont exprimées. On ne pourrait pas dire, par exemple : Caïus est blanc, ou jaune, ou cuivré.

— La logique générale pure n'admet que des jugements disjonctifs à deux parties ou dychotomiques.

3° Les alternatives des jugements disjonctifs doivent être coordonnées et non subordonnées, parce que les coordonnées seules s'excluent, et non les subordonnées. Ainsi l'on ne peut pas dire, par exemple : Caïus est un savant ou un théologien.

- 4° Dans les jugements disjonctifs, on ne considère pas la sphère de la notion divisée, comme contenue dans la sphère des divisions, mais bien ce qui est contenu sous la notion divisée, comme contenu sous un des membres de la division.

C'est ce qui peut être rendu sensible par le schème suivant de la comparaison entre des jugements catégoriques et des jugements disjonctifs.

Dans les jugements catégoriques, X, ce qui est contenu sous B, est aussi contenu sous A :


DES JUGEMENTS.

161

Dans les jugements disjonctifs, X, ce qui est contenu sous A, est aussi contenu sous B ou sous C, etc.

B

G

D

E

Là division fait donc voir, dans lès jugements disjonctifs, la coordination, non des parties de la notion totale, mais de toutes les parties de sa sphère. Ce qui est différent : car dans ce dernier cas je pense plusieurs choses par une seule notion, tandis que dans le premier cas je ne pense qu'une seule chose par plusieurs notions, par exemple le défini par tous les signes de la coordination (qui servent à définir).

§ 30. Modalité des jugements : problématiques, assertoriques, apodictiques. — Quant à la modalité, point de vue par lequel le rapport de tout le jugement à la faculté de connaître est déterminé, les jugements sont ou problématiques, ou assertoriques, ou apodictiques. Ils sont problématiques si le rapport de l'attribut au sujet n'est conçu que comme

simplement possible, assertoriques si le rapport est

LOG. 11


162 DES JUGEMENTS,

conçu comme existant; enfin apodictiques si ce rapport est conçu comme nécessaire.

Observations. 1° La modalité ne fait donc connaître que la manière dont quelque chose est affirmé ou nié dans un jugement; comme dans les exemples suivants : L'âme humaine peut être immortelle ; — l'âme humaine est immortelle; — l'âme humaine doit être immortelle.

Le premier de ces deux jugements est problématique, le second assertorique, le troisième apodictique. — Cette détermination de la simple possibilité, de la réalité ou de la nécessité de la vérité du jugement, ne regarde donc que le jugement luimême, mais nullement la chose sur laquelle il porte.

2° Dans les jugements problématiques, c'est-à-dire dans ceux, où le rapport du prédicat à l'attribut n'est que possible, le sujet doit toujours avoir une sphère plus petite que le prédicat.

3° La distinction entre le jugement problématique et le jugement assertorique est la base de la véritable différence entre les jugements et les propositions, différence qu'on a mal à propos fait consister dans la simple expression par des mots, sans lesquels on ne pourrait jamais juger. Dans le jugement, on conçoit le rapport de plusieurs idées à l'unité de conscience simplement comme problématique ; dans une proposition, on le conçoit au contraire assertorique-


DES JUGEMENTS. 163

ment : une proposition problématique est une contradiction in adjecto. — Avant d'avoir une proposition, je suis cependant obligé de juger, et je juge un grand nombre de choses que je ne décide pas ; mais s'il faut que je décide, aussitôt mon jugement se détermine comme proposition. — Il est bon, du reste, de juger d'abord problématiquement avant d'accepter le jugement comme assertorique, afin de le mieux examiner. Il n'est pas non plus toujours nécessaire à notre dessein d'avoir des jugements assertoriques.

§ 31. Des Jugements exponibles. — Les jugements qui contiennent en même temps une négation et une affirmation, mais de telle sorte que l'affirmation apparaisse clairement et la négation obscurément, sont des propositions exponibles.

Observation. Dans le jugement exponible, par exemple dans celui-ci : Peu d'hommes sont savants, il y a d'abord un premier jugement négatif dissimulé : Beaucoup d'hommes ne sont pas savants ; et de plus un jugement affirmatif: Quelques hommes sont savants. — Comme la nature des propositions exponibles dépend uniquement des conditions du langage, suivant lesquelles on peut exprimer tout d'un coup deux jugements, il est juste d'observer qu'il peut y avoir dans notre langue des jugements qui peuvent être exponibles non pas logiquement, mais grammaticalement.


164 DES JUGEMENTS.

§ 32. Des Propositions théoriques et des Propositions pratiques. — On appelle propositions théoriques celles qui se rapportent à un objet et déterminent ce qui lui convient ou ne lui convient pas.

Les propositions pratiques au contraire sont celles qui énoncent l'action par laquelle un objet est possible, comme en étant la condition nécessaire.

Observation. La logique ne doit traiter des propositions pratiques que par rapport à la forme, en tant qu'elles sont opposées aux propositions théoriques. Les propositions pratiques, quant au contenu, et en tant qu'elles se distinguent des propositions spéculatives, appartiennent à la morale.

§ 33. Propositions indémontrables et Propositions démontrables. — Les propositions démontrables sont celles qui sont susceptibles d'être prouvées ; celles qui n'en sont pas susceptibles sont dites indémontrables.

Des jugements immédiatement certains sont indémontrables, et doivent être par conséquent réputés propositions élémentaires.

§ 34. Des principes. — Des jugements a priori immédiatement certains peuvent s'appeler principes, en tant qu'ils servent à démontrer d'autres jugements, et qu'ils ne sont eux-mêmes subordonnés à aucun autre. C'est pour cette raison qu'on les appelle principes (commencements).


DES JUGEMENTS. 165

§ 35. Principes intuitifs et Principes discursifs : axiomes et acroames. — Les principes sont intuitifs ou discursifs.— Les premiers peuvent être exposés en intuition , et s'appellent axiomes (axiomata) , les seconds ne s'expriment que par des notions, et peuvent être appelés acroames (acroamata)

§ 36. Propositions analytiques et Propositions synthétiques. — Les propositions analytiques sont celles dont la certitude repose sur l' identité des notions (du prédicat avec la notion du sujet). — Les propositions dont la vérité n'est pas fondée sur l'identité des notions peuvent s'appeler propositions synthétiques.

Observations. 1° Exemple d'une proposition analytique : Tout x auquel la notion de corps (a + b) convient, est aussi susceptible de l'étendue (b).— Exemple d'une proposition synthétique : Tout x auquel la notion de corps (a +b) convient, est susceptible de Y attraction. — Les propositions synthétiques augmentent la connaissance materialiter ; les propositions analytiques ne l'augmentent que formaliter. Les premières contiennent des déterminations ; les deuxièmes ne contiennent que des prédicats logiques.

2° Les principes analytiques ne sont pas des axiomes : car ils sont discursifs. Les principes synthétiques ne sont des axiomes que lorsqu'ils sont intuitifs.

§ 37. Propositions tautologiques. — L'identité des notions dans des jugements analytiques peut être


166 DES JUGEMENTS.

ou explicite ou implicite. Dans le premier cas les propositions sont tautologiques.

Observations. 1° Les propositions tautologiques sont virtuellement vides ou sans conséquences : car elles sont sans utilité et sans usage. Telle est, par exemple, la proposition suivante : L'homme est homme : Si je ne sais rien dire de l'homme si ce n'est qu'il est homme, je n'en affirme rien.

Les propositions implicitement identiques, au contraire, ne sont point vaines ou sans conséquences : car elles développent par une explication le prédicat, qui était implicitement compris dans la notion du sujet.

2° Les propositions sans conséquences ne doivent pas être confondues avec les propositions vides de sens, qui n'offrent rien à l'entendement parce qu'elles ne portent que sur la détermination de qualités occultes.

§38. Postulats et Problèmes. — Un postulat est une proposition pratique immédiatement certaine, ou un principe qui détermine une action possible, dans laquelle on suppose que la manière de l'exécuter est immédiatement certaine.

Les problèmes sont des propositions démontrables, pu qui, comme telles, expriment une action dont la manière de l'exécuter n'est pas immédiatement certaine.


DES JUGEMENTS. 167

Observations. 1° Il peut aussi y avoir des postulats théoriques en faveur de la raison pratique. Ce sont des hypothèses théoriques nécessaires au point de vue final de la raison pratique, telles par exemple que l'existence de Dieu, la liberté de l'homme, et une autre vie.

2° Aux problèmes appartiennent : la Question, qui contient ce qui doit être fait ; 2° la Résolution, qui contient la manière dont la question doit être résolue ; et 3° la Démonstration, qui a pour objet de faire voir que ce qui devait être est en effet.

§ 39. Théorèmes, Corollaires, Lemmes et Scholies. — Les Théorèmes sont des propositions théoriques susceptibles de preuve, et qui en ont besoin.

— Les Corollaires sont des conséquences immédiates de propositions antérieures. — On appelle Lemmes des propositions qui ne sont pas étrangères à la science dans laquelle elles sont supposées comme démontrées, mais qui sont néanmoins empruntées à d'autres sciences. — Enfin les Scholies sont des propositions purement explicatives, qui par conséquent n'en font pas partie comme membres d'un tout systématique.

Observation. Les moments essentiels et généraux de tout théorème sont : la Thèse et la Démonstration.

— On peut du reste établir cette différence entre les théorèmes et les corollaires, que ceux-ci sont conclus


168 DES JUGEMENTS.

immédiatement, tandis que ceux-là sont, au contraire, déduits, par une série de conséquences, de propositions immédiatement certaines.

§ 40. Des Jugements de perception et des Jugements d'expérience. — Un jugement de perception est purement subjectif. — Un jugement objectif formé de perceptions est un jugement d'expérience. Un jugement formé de simples perceptions n'est possible qu'autant que l'on énonce l'idée (commeperception) : par exemple, si je perçois une tour, et que je dise qu'elle me paraît rouge. Mais je ne puis pas dire elle est rouge : car ce ne serait pas là un jugement purerement empirique, mais aussi un jugement d'expérience, c'est-à-dire un jugement empirique par lequel je forme une notion d'objet. Par exemple encore si, en touchant une pierre, je dis que je sens de la chaleur, c'est un jugement de perception ; si je dis, au contraire, que la pierre est chaude, c'est un jugement d'expérience. — Le caractère de ce dernier est de ne pas attribuer à l'objet ce qui est simplement dans mon sujet : car un jugement d'expérience est la perception d'où résulte une notion d'objet ; par exemple, si des points lumineux dans la lune se meuvent, pu dans l'air, ou dans mon oeil.


DU RAISONNEMENT. 169

• CHAPITRE III.

DU RAISONNEMENT, (1).

§ 41. Du raisonnement en général—- On entend par l'acte de raisonner cette fonction de la pensée par laquelle un jugement est dérivé d'un autre. —Un raisonnement en général est la dérivation d'un jugement d'un autre jugement.

§ 42. Raisonnements immédiats et Raisonnements médiats. —- Tous les raisonnements sont ou immédiats ou médiats.

Un raisonnement immédiat (consequentia immediata) est la dérivation (deductio) d'un jugement d'un autre jugement sans le secours d'un troisième (judicium intermedium). Le raisonnement médiat a lieu lorsqu'on se sert d'une autre notion encore, outre celle que contient en soi un jugement, pour en dériver une connaissance.

§ 43. Raisonnement de l'entendement, Raisonnement de la raison, et Raisonnement du jugement. — Les raisonnements immédiats s'appellent

- (1) Voy. Critiq. de la raison pure. 2e édit. en franc. T. H, p. 11-18.

(Note du trad.),


170 DURAISONNEMENT.

aussi raisonnements intellectuels [ou de l'entendement] ; tous les raisonnements médiats sont, au contraire, ou des raisonnements rationnels [ou de la raison], ou des raisonnements dujugement.—'Nous parlerons d'abord des raisonnements immédiats ou intellectuels.

SECT. I..— DES RAISONNEMENTS DE L'ENTENDEMENT.

§ 44. Nature propre des Raisonnements intellectuels, - Le caractère essentiel de tous les raisonnements immédiats, le principe de leur possibilité, ne consiste que dans le changement de la simple forme des jugements ; tandis que la matière des jugements, le sujet et le prédicat, reste invariablement la même.

Observations. 1° De ce que dans les raisonnements immédiats la forme seule, et non la matière du jugement, est changée, ces raisonnements diffèrent essentiellement de tous les raisonnements médiats, dans lesquels les jugements se distinguent aussi quant à la matière, puisqu'ici doit intervenir une nouvelle nolion comme jugement intermédiaire, ou comme notion moyenne (terminus medius) à l'aide de laquelle on déduit un jugement d'un autre. Si, par exemple, je dis : Tous les hommes sont mortels, Caïus est donc mortel, ce n'est pas là un raisonnement immédiat: car ici j'emploie tacitement, pour obtenir la conclusion, ce ju-


DU RAISONNEMENT. 171

gement moyen : Caïus est un homme, et la matière du jugement est changée par cette nouvelle notion.

2° Dans les raisonnements immédiats, il. faut aussi faire, à la vérité, un jugement intermédiaire ; mais alors ce jugement est purement tautologique, comme par exemple dans ce raisonnement immédiat : Tous les hommes sont mortels, quelques hommes sont hommes; donc quelques hommes sont mortels. La notion moyenne est une proposition tautologique.

§45. Modes des Raisonnements intellectuels. — Les raisonnements d'entendement [que nous appellerons désormais raisonnements immédiats], se.rangent sous toutes les classes des fonctions logiques du jugement, et sont par conséquent déterminés dans leurs modes principaux par les moments de la quantité, de la qualité, de la relation et de la modalité. De là la division suivante de ces raisonnements.

§ 46. I. Raisonnements immédiats par rapport à la quantité des jugements (per judicia subalternata). — Dans les raisonnements immédiats per judicia subalternata, les deux jugements diffèrent quant à la quantité, et le jugement particulier est alors dérivé du jugement général en vertu du principe : La conclusion du général au particulier est valable (Ab universali adparticulare valet consequentia).

Observation. Un jugement est dit subalternatum lorsqu'il est compris sous un autre, comme, par


172 DU RAISONNEMENT.

exemple, le jugement particulier sous le jugement général.

§ 47. II. Raisonnements immédiats par rapport à la qualité des jugements (per judicia opposita). — Dans les raisonnements immédiats de cette espèce, le changement concerne la qualité des jugements, mais par rapport à l'opposition. — Or, comme cette opposition peut être de trois sortes, il en résulte la division particulière suivante du raisonnement immédiat: 1° par jugements opposés contradictoires ; 2° par jugements contraires, et 3° par jugements subcontraires.

Observation. Les raisonnements immédiats obtenus par jugements équivalents (per judicia oequipollentia) ne sont pas à proprement parler des raisonnements, car il n'y a lieu à aucune conséquence : ce n'est qu'une pure substitution de mots qui indiquent une seule et même notion ; les jugements restent les mêmes quant à la forme. Exemple : Tous les hommes ne sont pas vertueux, et—Quelques hommes ne sont pas vertueux. — Ces deux jugements disent absolument la même chose.

§ 48. A. Raisonnements immédiats (per judicia contradictorie opposita), — Dans les raisonnements immédiats par jugements opposés contradictoirement, et qui, comme tels, forment la véritable opposition, l'opposition pure et simple, la vérité de l'un


DU RAISONNEMENT. 173

des jugements contradictoires se déduit de la fausseté de l'autre, et réciproquement : — car la véritable opposition, celle qui ne contient ni plus ni moins que ce qui est nécessaire pour l'opposition, a lieu dans ce cas. En vertu du principe de l'exclusion d'un tiers, deux jugements contradictoires ne peuvent pas tous deux être vrais en même temps, mais ils ne peuvent pas non plus être faux tous deux en même temps. Si donc l'un est vrai, l'autre est faux, et réciproquement.

§ 49. B. Raisonnements immédiats (per judicia contrarie opposita).—Les jugements contraires ou qui répugnent, sont tels que l'un affirme universellement et que l'autre nie universellement aussi le même du même. Or, comme chacun d'eux dit plus que ce qui est nécessaire pour détruire l'assertion de l'autre, et comme la fausseté peut se rencontrer dans cet excédant, tous deux à la vérité ne peuvent pas être vrais, mais ils peuvent être faux tous deux. -— On peut donc, par rapport à cette espèce de jugements, conclure seulement de la vérité de l'un à la fausseté de l'autre, mais pas réciproquement.

§ 50. G. Raisonnements immédiats (per judicia subcontrarie opposita). — Les jugements subcontraires sont tels que l'un affirme ou nie particulièrement ce qu'un autre nie ou affirme au même titre.

Comme tous deux peuvent être vrais en même temps,


174 DU RAISONNEMENT.

mais qu'ils ne peuvent pas en même temps être faux tous deux, on peut conclure de la fausseté de l'un à la vérité de l'autre, mais pas réciproquement.

Observation. Dans les jugements subcontraires, il n'y a pas lieu à une opposition stricte : car on n'affirme pas ou l'on ne nie pas dans l'un touchant les mêmes objets, ce qui est nié ou affirmé dans l'autre. Dans ce raisonnement, par exemple : Quelques hommes sont savants, donc quelques hommes ne sont pas savants, l'affirmation du premier jugement ne tombe pas sur les mêmes hommes que la négation du second.

§ 51. III. Raisonnements immédiats quant à la relation des jugements (per judicia conversa, seu per conversionem). — Les raisonnements immédiats par conversion, se rapportent à la relation du jugement, et consistent dans la transposition du sujet et du prédicat dans les deux jugements, en telle sorte que le sujet d'un jugement devienne le prédicat de l'autre jugement, et réciproquement.

§ 52. Conversion simple et conversion par accident. — Dans la conversion, la quantité des jugements change ou ne change pas.— Dans le premier cas, la proposition convertie (conversum) est différente de la proposition convertissante (convertente) quant à la quantité, et la conversion s'appelle conversion par accident (conversio per accidens) ; —


DU RAISONNEMENT. 175

dans le deuxième cas, la conversion s'appelle [simple ou] pure (couversio simpliciter talis)

§ 53. Règles générales de la conversion. — Les règles des raisonnements immédiats par conversion sont les suivantes:

1° Les jugements universels affirmatifs ne sont convertibles que par accident : — car le prédicat, dans ces jugements, est plus étendu que le sujet, en sorte qu'une partie seulement de ce prédicat est contenue dans le sujet.

2° Tous les jugements universels négatifs se convertissent simplement : — car ici le sujet est tiré de la sphère du prédicat.

3° Toutes les propositions particulières affirmatives se convertissent simplement : — car dans ces jugements, une partie de la sphère du sujet est subsumée au prédicat, et par conséquent une partie de la sphère du prédicat peut se subsumer au sujet.

Observations. 4° Dans les jugements universels affirmatifs, le sujet est considéré comme un contentum du prédicat, puisqu'il est compris dans sa sphère. Je puis donc conclure seulement de la manière suivante : Tous les hommes sont mortels; par conséquent quelques-uns des êtres compris dans la classe des mortels sont des hommes. — Mais si les jugements universels négatifs se convertissent simplement, c'est parce que deux notions, universellement


176 DU RAISONNEMENT.

contradictoires entre elles se contredisent dans une égale extension.

2° Si plusieurs jugements affirmatifs universels sont aussi convertibles simpliciter, la raison n'en est pas dans leur forme, elle est dans la propriété particulière de leur matière, comme, par exemple, les deux jugements suivants : Tout ce qui est immuable est nécessaire, et Tout ce qui est nécessaire est immuable.

§ 54. IV. Raisonnements immédiats par rapport à la modalité des jugements (per judicia contraposita). — Le raisonnement immédiat par contraposition consiste dans cette transposition des jugements, dans laquelle la seule quantité reste la même, tandis que la qualité change. — Ce mode de conclusion ne regarde que la modalité des jugements, puisqu'un jugement assertorique s'y convertit en un jugement apodictique.

§ 55. Règles générales de la contraposition. — Sous le rapport de la contraposition, tous les jugements universels affirmatifs se contraposent simplement : car si le prédicat comme contenu dans le sujet, par conséquent toute sa sphère, est nié, une partie aussi de cette sphère, c'est-à-dire le sujet, doit être également niée (1).

(1) Par exemple : Tous les hommes sont mortels; donc nul être immortel n'est homme. La proposition particulière négative se contra-


DU RAISONNEMENT. 177

Observations. 1° La métathèse des jugements, par conversion et celle par contraposition sont donc opposées entre elles en ce sens que la première change seulement la quantité, et la seconde seulement la qualité.

2° Les raisonnements immédiats ne se rapportent qu'aux jugements catégoriques.

Sect. II. — Des raisonnements de la raison.

§ 56. Du Raisonnement rationnel en général. — Un raisonnement de cette espèce est la connaissance de la nécessité d'une proposition [conclusion], par la subsomption de sa condition [mineure] à une règle générale donnée [majeure].

§ 57 Principe général du Raisonnement rationnel. —Le principe général sur lequel repose la validité de toute conclusion peut s'exprimer par la formule suivante : Ce qui est soumis à la condition d'une règle, est soumis à cette règle elle-même (1).

Observation. Le raisonnement rationnel établit d'abord une règle générale et une subsomption à la •condition de cette règle. — D'où l'on voit une la conclusion n'est pas contenue a priori dans le singulier ,

pose ainsi: Quelques historiens ne sont pas véridiques, — donc quelques personnes non véridiques sont des historiens. (N. du trad.) (1) Au moyen de cette condition. - (N. du trad.)

LOG. 12


178 DU RAISONNEMENT.

mais bien dans le général, et qu'elle est nécessaire sous une certaine condition. —- Le fait que tout est soumis au général et peut se déterminer par une règle générale, constitue le principe de la rationalité ou de la nécessité (principium rationalitatis seu necessitatis).

§ 58. Eléments essentiels du Raisonnement rationnel. — Tout raisonnement de la raison comprend essentiellement les trois parties suivantes :

1° Une règle générale qu'on appelle majeure (propositio major) ;

2° La proposition qui subsume une connaissance [le sujet de la conclusion ou le petit terme] à la condition [le moyen] de la règle générale, et qu'on appelle mineure (propositio minor) ;

3° Et enfin la proposition qui affirme ou qui nie de la connaissance subsumée, le prédicat de la règle [l'attribut de la conclusion ou le grand terme], — et qui est la conclusion (conclusio).

Les deux premières propositions, prises ensemble, forment les prémisses ou propositions premières.

Observation. Une règle est une assertion soumise à une condition générale. Le rapport de la condition à l'assertion, c'est-à-dire la manière dont celle-ci est soumise à celle-là, est l'exposant de la règle.

La connaissance que la condition a lieu (de quelque manière que ce soit), est la subsomption.


DU RAISONNEMENT 179

Ce qui a été subsumé à la condition, joint à l'assertion de la règle; est le raisonnement.

§ 59. Matière et forme du Raisonnement rationnel.— Les prémisses constituent la matière du raisonnement; la conclusion, par la partie, contient la conséquence, en constitue la forme.

Observation. 1° Dans tout raisonnement rationnel il faut donc observer d'abord la vérité des prémisses, et ensuite la légitimité de la conséquence. — On ne doit jamais commencer, dans la réfutation d'un raisonnement de cette espèce, par rejeter la conclusion , il faut toujours rejeter d'abord soit les prémisses, soit la conséquence, s'il y a lieu.

2° Dans tout raisonnement rationnel, la conclusion est donnée en même temps que les prémisses et la conséquence.

§ 60. Division des Raisonnements rationnels (quant à la relation), en catégoriques, hypothétiques et disjonctifs.—Toutes les règles (jugements) contiennent l'unité objective de la conscience de la diversité de la connaissance; elles renferment donc une condition sous laquelle une connaissance appartient,, avec une autre, à une conscience unique. Or on conçoit trois conditions de cette unité: 1° comme sujet de l'inhérence des signes ; — 2° ou comme raison de la dépendance d'une connaissance par rapport à une autre connaissance ; 3° ou bien enfin comme union des par-


180 DU RAISONNEMENT,

ties en un tout (division logique). Il ne peut donc y avoir non plus que trois sortes de règles générales (propositiones majores) à l'aide desquelles la conséquence d'un jugement est dégagée au moyen d'un autre jugement.

De là la division de tous les raisonnements rationnels en raisonnements catégoriques, hypothétiques et disjonctifs.

Observations. 1° Les raisonnements rationnels ne peuvent être divisés ni quant à la quantité, car toute majeure est une règle, et par conséquent universelle; — ni quant à la qualité, car il est indifférent que la conclusion soit négative ou affirmative ; — ni quant à la modalité, car la conclusion est toujours accompagnée de la conscience de la nécessité,'et par conséquent a toujours le caractère d'une proposition apodictique. — Resté donc la relation, comme le seul principe de division possible des raisonnements.

2° Un grand nombre de logiciensn'admettent que les raisonnements catégoriques comme raisonnements ordinaires, et regardent tous les autres comme extraordinaires : ce qui est sans raison, et même faux : car tous trois sont des produits également légitimes de la raison, mais résultant de procédés rationnels essentiellement différents.

§ 61. Différence propre entre les'Raisonnements rationnels catégoriques,les hypothétiques et les dis-


DU RAISONNEMENT. 181

jonctifs.— La différence entre ces trois, sortes; de raisonnements réside dans la majeure, — Dans les raisonnements catégoriques, la majeure est catégorique; elle est hypothétique ou problématique dans les raisonnements, hypothétiques, et disjonctive dans les raisonnements disjonctifs.

I. § 62. Raisonnements catégoriques. - Il y a dans tout raisonnement catégorique trois notions principales (termini) :

1° Le prédicat (dans la conclusion), qu'on appelle grand terme (terminus major), parce qu'il a une sphère plus grande que le sujet, et qui est dans la majeure ;

2° Le sujet (dans la conclusion), qu'on appelle petit terme (terminus minor) dans la mineure ;

3° Un signe moyen (nota, intermedia), qu'on appelle moyen terme, (terminus medius), parce qu'il sert-à subsumer une connaissance à la condition de la règle. OBSERVATION. Cette différence dans les termes n'a lieu que pour les raisonnements rationnels catégoriques, parce qu'ils sont les seuls qui concluent à l'aide d'un terme moyen ; les autres, au contraire, ne concluent que par la subsomption d'une proposition problématique dans la majeure, et assertorique dans la mineure.

§ 63. Principes des Raisonnements rationnels


182 DU RAISONNEMENT.

catégoriques. — Le principe sur lequel reposent la possibilité et la validité de tout raisonnement rationnel catégorique est celui-ci : Ce qui convient au signe [caractère, idée élémentaire] d'une chose, convient aussi à la chose même ; et ce qui répugne au signe d'une chose, répugne aussi à la chose même {Nota notoe est nota rei ipsius ; repugnans notes repugnat rei ipsi).

Observation. Du principe ci-dessus établi découle clairement le principe : diction de omni et nullo; il peut par conséquent valoir comme principe suprême pour les raisonnements rationnels en général, et pour les raisonnements catégoriques en particuliers

Les notions de genre et d'espèce sont donc des signes généraux de toutes les choses qui sont soumises à ces notions. De là la règle : Ce qui convient ou répugne au genre ou à l'espèce, convient ou répugne aussi à tous les objets qui sont compris sous ce genre ou sous cette espèce. Cette règle est précisément le dictum de omni et nullo.

§ 64. Règles pour les raisonnements rationnels catégoriques. — De la nature et du principe des raisonnements rationnels catégoriques découlent les règles suivantes de ces sortes de raisonnements :

1° Dans tout raisonnement rationnel catégorique, il ne peut y avoir ni plus ni moins de trois termes


DU RAISONNEMENT, 183

principaux (termini) : car je dois lier ici deux notions (le sujet et le prédicat) à l'aide d'un signe moyen. 2° Les prémisses ne peuvent pas être toutes deux négatives (ex puris negativis nihil sequitur) : car la subsomption dans la mineure doit être affirmative, comme indiquant qu'une connaissance est soumise à la condition de la règle.

3° Les prémisses ne peuvent pas être toutes deux particulières (ex puris particularibus nihil sequitur) : car alors il n'y aurait pas de règle, c'est-à-dire de proposition universelle d'où l'on pût dériver une connaissance particulière.

4° La conclusion se règle toujours sur celle des prémisses qui est la plus faible (conclusio sequitur partent debiliorem); c'est-à-dire sur la proposition négative et sur la proposition particulière des prémisses. — Donc :

5° Si l'une des prémisses est négative, la conclusion doit être négative ; et

6° Si l'une des prémisses est particulière, la conclusion doit être particulière.

7° Dans tout raisonnement rationnel catégorique, la majeure doit toujours être universelle, — la mineure toujours affirmative; — d'où il suit enfin :

8° Que la conclusion doit se régler quant à la qualité sur la majeure, et quant à la quantité sur la mineure.


184 DU RAISONNEMENT.

Observation. Il est facile d'apercevoir que la conclusion doit toujours se régler sur la proposition prémisse particulière et négative.

1° Si je fais la mineure particulière seulement, et que je dise : Quelque chose est contenu sous la règle, je ne puis dire autre chose alors dans la conclusion, si ce n'est que le prédicat de la règle convient au sujet de la mineure, parce que je n'ai pas subsumé autre chose à la règle, — D'un autre côté, si j'ai une proposition négative pour règle (majeure), je dois alors conclure négativement ; car si la majeure dit : Tel ou tel prédicat doit être nié de tout ce qui est soumis à la condition de la règle, la conclusion doit aussi nier le prédicat de ce qui avait été subsumé (du sujet) à. la condition de la règle.

§ 65. Raisonnements rationnels catégoriques purs, et Raisonnements catégoriques mixtes. — Un raisonnement rationnel catégorique est pur lorsqu'aucune conclusion immédiate ne s'y trouve mêlée, et que l'ordre régulier des prémisses est conservé ; dans le cas contraire, on l'appelle impure ou hybride (ratiocinium impurum vel hybridum).

§ 66. Des Raisonnements mixtes par la conversion des propositions. — Figures. — Au nombre des raisonnements mixtes doivent être comptés ceux qui se forment par la conversion des propositions, et dans lesquels par conséquent la place de ces proposi-


DU RAISONNEMENT. 185

lions n'est pas régulière. Tel est le cas des trois dernières figures du raisonnement rationnel catégorique.

67. Des quatre figures du syllogisme. — On entend par figures quatre manières de conclure, dont la différence est, déterminée par la place particulière des prémisses et de leurs termes ou notions.

§ 68. Principe de la détermination de la différence des figures par la position différente du moyen terme. — Le moyen terme dont la place nous occupe ici peut être : 1° Le sujet de la majeure et l'attribut de la mineure, ou 2° l'attribut des deux prémisses, ou 3° le sujet des deux prémisses, ou 4° l'attribut de la majeure et le sujet de la mineure. — La distinction des quatre figures est déterminée par ces quatre cas: S indique le sujet de la conclusion, P le prédicat de la conclusion, et M le moyen terme; en sorte que le schème des quatre ligures peut s'exposer ainsi :

M P S M

P M S M

M P

M S

PM M S

S P

S P

S P

S P

§ 69. Règle de la première figure comme seule régulière. — La règle de la première figure est que :


186 DU «RAISONNEMENT.

la majeure est universelle, lamineure affirmative. — Et comme ce doit être la règle générale de tous les raisonnements catégoriques, il, s'ensuit que la première figure est la seule régulière, qu'elle sert, de fondement à toutes les autres, qui toutes peuvent s'y ramener, en tant du moins qu'elles sont valables, par la conversion des prémisses (metathesin proemissorum).

Observation. La première figure peut avoir une conclusion de toute qualité et de toute quantité. Dans les autres figures, il n'y a de conclusions que d'une certaine espèce; quelques-uns de leurs modes en sont exclus. Ce qui fait déjà voir que ces figures ne sont point parfaites, mais qu'elles sont sujettes à certaines restrictions qui empêchent que la conclusion n'ait lieu dans tous les modes, comme il arrive dans la première figure.

§ 70. Condition de la réduction des trois dernières figures à la première.—La condition de la validité des trois dernières figures, sous laquelle un mode légitime de conclusion est possible dans chacune d'elles, tient à ce que le moyen terme occupe dans les propositions une place telle que, par des conséquences immédiates (consequentias immediatas), la validité de ces figurés peut résulter des règles de la première. — De là les règles des trois dernières figures.


DU Raisonnement 187

§ 71. Règle de la deuxième figure. — Dans la deuxième figure la mineure reste la même; la majeure doit donc être convertie, mais de manière qu'elle reste universelle (1), ce qui n'est possible qu'autant qu'elle est universelle et négative (2) ; mais si elle est affirmative, elle doit être contraposée (3). — Dans les deux cas la conclusion est négative (sequitur partem debiliorem) (4).

Observation. Règle de la deuxième figure : Ce à quoi répugne le caractère d'une chose, répugne à la chose elle-même. — Ici, je dois donc d'abord convertir, et dire : Ce à quoi répugne un caractère, répugne à ce caractère même; -— ou bien je dois convertir la conclusion de cette manière : La chose même répugne à ce à quoi répugne un caractère de la chose; par conséquent cela répugne à la chose même (5).

(1) Parce que deux propositions particulières ne peuvent former un raisonnement. Voy. de plus règle 7°, p. 183. (Note du trad.)

(2) Aucun être fini n'est saint; or Dieu est saint : donc il n'est pas un être fini. (Note du trad.)

(3) Tout animal est un être organisé (nul être non organisé n'est animal); or la pierre n'est pas un être organisé : donc la pierre n'est pas animal.

— Nul cercle n'est triangle ; or le triangle isocèle est un triangle : donc le triangle isocèle n'est pas un cercle. (Note du trad.)

(4) aee, aoo. (Note du trad.)

(5) Je suis obligé de conserver ces tournures pénibles dans notre langue, afin de mettre en formule la construction de la figure. L'allemand porte : ce à quoi un caractère d'Une chose répugne, à cela répugne la chose même; par conséquent il répugne à la chose même.

(Note du trad.)


188 DU RAISONNEMENT.

§ 72. Règle de la troisième figure. — Dans la troisième figure la majeure est directe; par conséquent la mineure doitêtre convertie, de telle sorte néanmoins qu'il en résulte une proposition affirmative; ce qui n'est possible qu'autant que la proposition affirmative est particulière (1) : — la conclusion est donc particulière (2).

Observation. Règle de la troisième figure: Ce qui convient ou répugne à un caractère, convient ou répugne aussi à quelques-unes des choses sous lesquelles ce caractère est contenu. — Je dois d'abord dire ici qu'il convient ou répugne à tous les subordonnés de ce signe.

§ 73. Règle de la quatrième figure. — Si, dans la quatrième figure, la majeure est universelle négative, elle est convertible simpliciter il en est de même de la mineure, comme particulière : par conséquent la Conclusion est négative. Si, au contraire, la majeure est universelle affirmative, elle ne se convertit ou ne se contrapose que per accidens, et par conséquent la conclusion est particulière ou négative. — Si la conclusion ne doit pas être convertie (PS changée en SP), la transposition des deux prémisses (meta(1)

(meta(1) la règle 7e ci-dessus, p. 183. (Note du trad.)

(2) Tous les hommes sont mortels ; or tous les hommes sont des êtres finis : donc quelques êtres finis sont mortels. (Note du trad.)


DU RAISONNEMENT. 189

thesis proemissorum) ou leur conversion (conversio) doit alors avoir lieu (1).

Observation. Dans la quatrième figure on conclut que le prédicat se rapporte au moyen terme, le moyen terme au sujet (de la conclusion), par conséquent le sujet au prédicat ; ce qui ne conclut absolument pas, mais bien en tout cas la réciproque.— Pour rendre la conclusion possible ou obtenir cette réciproque, la majeure doit être prise pour la mineure, et vice versa; et la conclusion doit être convertie, parce que dans le premier changement le petit terme est transformé en grand terme.

§ 74. Résultats généraux sur les trois dernières figures. Des règles données pour les trois dernières figures il suit que

1° Dans aucune d'elles il n'y a conclusion universelle affirmative, mais que la conclusion est toujours ou négative ou particulière ;

2° Il se mêle'à chacune un raisonnement immédiat (consequentia immediata), qui, à la vérité, n'est pas expressément indiqué, mais qui cependant doit être tacitement entendu ; —d'où il suit aussi que

(1) Nul triangle n'est formé de quatre lignes; or tout espace compris entre quatre lignes est une figure : donc quelques figures ne sont pas des triangles.

Pour faire mieux sentir la différence entre les quatre figures, il vaudrait encore mieux prendre un raisonnement unique, auquel on ferait subir successivement les formes des quatre figuras. (N. du trad.)


190 DU RAISONNEMENT.

3° Ces trois derniers modes de raisonnement ne sont pas purs, mais hybrides, puisque tout raisonnement pur ne peut avoir plus de 'trois termes (1).

II. § 75. Des raisonnements rationnels hypothétiques. — Un raisonnement hypothétique est celui dont la majeure est hypothétique, — Elle se compose par conséquent de deux propositions : 1° d'un antécédent, 2° d'un conséquent; et l'on conclut ou suivant le modus ponens, ou suivant le modus tollens.

Observation. 1° Les raisonnements rationnels hypothétiques n'ont donc pas de moyen terme, mais on y indique seulement la conséquence d'une proposition par l'autre. — La majeure de ce raisonnement contient donc la conséquence de deux propositions exprimées explicitement, dont la première est une prémisse, la deuxième une conclusion. La mineure est un changement de la condition problématique en une proposition catégorique.

2° D'où il suit que le raisonnement hypothétique ne se compose que de deux propositions, et qu'il n'a pas de moyen terme ; que ce n'est par conséquent pas un raisonnement rationnel proprement dit, mais plutôt une simple conséquence immédiate à démontrer par un antécédent et un conséquent, quant à la matière ou quant à la forme (consequentia imme(1)

imme(1) I'APPENDICE ci-après.. (Note du trad.)


DU RAISONNEMENT. 191

diata demonstrabilis [ex antecedente et conséquente] vel quoad materiam quoad formant) (1).

Tout raisonnement rationnel doit être une preuve ; or le raisonnement hypothétique n'est qu'un fondement de preuve: d'où il suit clairement qu'il ne saurait être un raisonnement rationnel.

§ 76. Principe des raisonnements hypothétiques. — Le principe des raisonnements hypothétiques est ainsi conçu : A ratione ad rationatum, a negatione rationati ad negationem rationis, valet consequentia.

III. § 77. Des raisonnements rationnels disjonctifs.—Dans les raisonnements disjonctifs, la majeure est disjonctive, et, comme telle, doit avoir des membres de division ou de disjonction.

On y conclut : 1° ou de la vérité d'un membre de la disjonction à la fausseté des autres ; 2° ou de la fausseté de tous les membres moins un à la vérité de ce seul membre. Dans le premier cas le raisonnement se fait par le modum ponentem ou ponendo tollentem; dans le second cas, par le modum tollentem ou tollendo ponentem.

Observation. 1° Tous les membres de la disjonction pris ensemble, un seul excepté, forment l'opposition contradictoire avec ce membre unique. Il y a donc

(1) Voy. Krug, Logik, p. 262. {Note du trad.)


192 DU RAISONNEMENT.

ici une dichotomie suivant laquelle, si l'un des deux termes de l'opposition est vrai, l'autre doit être faux, et réciproquement.

2° Tous les raisonnements disjonctifs qui ont plus de deux membres, sont donc polysyllogistiques : car toute vraie disjonction ne peut être qu'à deux membres, ainsi que la division logique; mais les membres subdivisants sont placés, pour plus de brièveté, parmi les membres divisants.

§ 78. Principe des raisonnements rationnels disjonctifs. -—Le principe des raisonnements disjonctifs est le principe de l'exclusion d'un tiers, qui est ainsi conçu : — A contradictorie oppositorum negatione unius ad affirmationem alterius, — apositione unius ad negationem alterius, — valet consequentia.

§ 79. Dilemmes. — Un dilemme est un raisonnement rationnel hypothétiquement disjonctif, ou un raisonnement hypothétique dont le conséquent est un jugement disjonctif. - La proposition hypothétique dont le conséquent est disjonctif, est la proposition majeure; la mineure affirme que le conséquent per omnia membra est faux, et la conclusion affirme la fausseté de l'antécédent. — A remotione consequentis ad negationem antecedentis valet consequentia.

Observation. Les anciens employaient beaucoup le dilemme, et l'appelaient argument cornu. Ils savaient


DU RAISONNEMENT. 193

par ce moyen pousser un adversaire à bout, en exposant tous les partis qu'il pouvait, prendre, et en le mettant en contradiction avec lui-même sur tous les points, quelque opinion qu'il adoptât. — Mais ce n'est là qu'un art sophistique, bien plus fait pour soulever des difficultés que pour les résoudre ; ce qui est souvent très-facile.

Si donc on voulait réputer faux tout ce qui présente des difficultés, on se ferait un jeu facile de tout rejeter. — II est bon, à la vérité, de faire voir l'impossibilité de la thèse opposée à celle qu'on admet; mais il y a néanmoins quelque chose d'illusoire, en ce qu'on fait passer l'inintelligibilité de la thèse pour son impossibilité. — Les dilemmes ont donc quelque chose de captieux, lors même qu'ils concluent rigoureusement. Ils peuvent être employés pour défendre, mais aussi pour attaquer des proposa tions vraies.

§ 80. Raisonnements formels et raisonnements cryptiques (ratiocinia formalia et cryptica). —- Un raisonnement rationnel formel est celui qui renferme tout ce qui est régulièrement exigé pour un raisonnement, non-seulement quant à la matière, mais encore quant à la forme, et qui est intégralement exprimé. — Les raisonnements rationnels cryptiques (ou déguisés) sont opposés aux formels. Au nombre des raisonnements cryptiques peuvent être comptés ceux dans

LOG. 13


194 DU RAISONNEMENT.

lesquels les prémisses sont transposées, ou auxquels il manque une prémisse, ou bien enfin ceux dans lesquels le moyen terme n'est lié qu'à la conclusion. — Un raisonnement, cryptique de la deuxième espèce est celui dans lequel l'une des prémisses n'est pas exprimée, mais seulement pensée : on l'appelle syllogisme tronqué ou enthymème. — Ceux de la troisième espèce sont appelés syllogismes contractés.

Sect. III. — RAISONNEMENTS DU JUGEMENT.

§ 81. Jugement déterminatif et jugement réflexif. — Le jugement est de deux sortes, suivant qu'il est déterminatif ou réflexif. Le premier passe du général au particulier ; le second, du particulier au général.— Celui-ci n'a qu'une valeur subjective : car le général auquel il va en partant du particulier, n'est qu'un général empirique, — un simple analogue du général logique.

§ 82. Raisonnements du jugement réflexif.— Les raisonnements du jugement sont certains procédés syllogistiques pour passer des notions particulières aux notions générales. — Ce ne sont par conséquent pas des fonctions du jugement déterminatif, mais bien du jugement réflexif. — Ils ne déterminent donc pas l'objet, mais la manière de réfléchir sur l'objet pour parvenir à la connaissance.


DU RAISONNEMENT. 195

§ 83. Principe de ces raisonnements. — Le principe 'des raisonnements du jugement est celui-ci : Plusieurs choses ne peuvent convenir en une seule sans un principe commun; mais ce qui convient de cette manière à plusieurs choses, provient nécessairement d'un principe commun.

Observation. Les raisonnements du jugement, qui se fondent sur ce principe, ne peuvent, par cette raison, valoir pour des raisonnements immédiats.

§ 84, De l'induction et de l'analogie, — les deux espèces de raisonnements du jugement. — Puisque le jugement va du particulier au général, pour dériver des jugements généraux de l'expérience, par conséquent non a priori (empiriquement), il conclut : ou de plusieurs choses d'une espèce à toutes les choses de cette espèce, ou de plusieurs déterminations et propriétés en quoi s'accordent des choses d'espèce identique, aux autres déterminations et propriétés en tant quelles appartiennent au même principe. — La première espèce de raisonnement s'appelle raisonnement par induction; la seconde, raisonnement par analogie.

Observations. 1° L'induction conclut du particulier au général (a particulari ad univers ale) d'après le principe de la généralisation, qui est ainsi conçu : Ce qui convient à plusieurs choses d'un genre, convient aussi à toutes les autres choses du même genre].


196 DU RAISONNEMENT.

L'analogie conclut de la ressemblance particulière de deux choses à la ressemblance totale, d'après le principe de la spécification. Des choses d'un genre au sujet desquelles on connaît plusieurs caractères qui s'accordent entre eux, s'accordent pour le surplus que nous connaissons dans quelques individus de ce genre, mais que nous n'apercevons pas dans d'autres.

L'induction va des données empiriques du particulier au général par rapport à plusieurs objets. — L'analogie, au contraire, passe les qualités données d'une chose à un plus grand nombre de qualités de la même chose. — Une seule chose dans un grand nombre de sujets, donc dans tous : Induction. — Plusieurs choses dans un sujet (qui sont aussi dans un autre), donc aussi le reste dans le même sujet : Analogie. — Ainsi, par exemple, l'argument en faveur de l'immortalité, qui consiste à partir du développement parfait des facultés naturelles de toute créature, est un raisonnement par analogie.

Dans le raisonnement par analogie, on n'exige cependant pas l'identité du principe (par ratio). Nous concluons par analogie seulement qu'il y a des êtres raisonnables dans la lune ; mais nous n'en concluons pas qu'il y ait des hommes. — On ne conclut pas non plus par analogie au delà du troisième terme de comparaison.

2° Tout raisonnement rationnel doit donner la né-


DU RAISONNEMENT. 197

cessité : l'induction et l'analogie ne sont donc pas des raisonnements de la. raison, mais seulement des présomptions logiques ou des raisonnements empiriques. On obtient bien par induction des propositions générales, mais pas des propositions universelles.

3° Les raisonnements du jugement sont utiles, indispensables même, pour l'extension de notre connaissance expérimentale. Mais comme ils ne donnent jamais qu'une certitude empirique, nous devons nous en servir avec circonspection.

§ 85. Raisonnements rationnels simples, et Raisonnements composés. — Un raisonnement rationnel est simple s'il n'en comprend qu'un seul ; composé, s'il en comprend plusieurs.

§ 86. Ratiocinatio polysyllogistica. — Un raisonnement composé, dans lequel plusieurs raisonnements sont unis entre eux, non par la simple coordination, mais par la subordination, c'est-à-dire comme principes et conséquences, forme une chaîne de raisonnements rationnels, ratiocinatio polysyllogistica.

§ 87. Prosyllogismes et épisyllogismes. Dans la série des raisonnements composés, on peut conclure d'une double manière : ou des principes aux conséquences, ou des conséquences aux principes. Le premier procédé s'appelle raisonnement par épisyllogismes; le second, par prosyllogismes.

Un épisyllogisme est donc un raisonnement, dans la


198 DU RAISONNEMENT.

série syllogistique, dont une des prémisses devient la ■conclusion d'un prosyllogisme, c'est-à-dire la conclusion d'un syllogisme qui a l'une des prémisses du premier pour conclusion.

§ 88. Sorite ou chaîne syllogistique. — Un syllogisme formé de plusieurs autres syllogismes abrégés et rattachés entre eux de manière à former une conclusion unique, s'appelle sorite on chaîne syllogistique. Cette chaîne peut être progressive ou régressive, selon que l'on va des principes plus proches aux plus éloignés, ou des plus éloignés aux plus proches.

§ 89. Sorites catégoriques et Sorites hypothétiques. — Les sorites progressifs, comme les sorites régressifs, peuvent être de plus, ou catégoriques ou hypothétiques. — Les premiers se composent de propositions catégoriques comme d'une série de prédicats ; les seconds, de propositions hypothétiques comme d'une série de conséquences.

§ 90. Raisonnements délusoires, — Paralogismes, — Sophismes (1). — Un raisonnement rationnel qui est faux quant à la forme, quoiqu'il ait l'apparence d'un raisonnement juste, est un raisonnement délusoire (fallacia). — Un pareil raisonnement est un paralogisme si l'on se trompe par là soi-même : c'est un sophisme si l'on cherche à tromper les autres.

(1) Voy. Crit. de la raison pure. 2e édit. en franc., t. I, p. 287 et suiv.; t. II, p. 1-267 283-342. (Note du trad.)


DU RAISONNEMENT. 199

Observation. Les anciens s'occupaient beaucoup de l'art des sophismes : on en distinguait un grand nombre d'espèces, par exemple le sophisma figurae dictionis, où le moyen terme est pris en différents sens ;

— la fallacia a dicto secundum quid ad dictum simpliciter; — le sophisma heterozeteseos, elenchi ignorationis, etc., etc.

§ 91. Saut dans le Raisonnement.— Le saut dans le raisonnement ou la preuve consiste à lier de telle sorte l'une des prémisses avec la conclusion, que l'autre prémisse est omise. Un tel saut est légitime si chacun peut facilement suppléer la prémisse sousentendue ; mais il est illégitime si cette subsomption n'est pas claire. — C'est ici un signe éloigné uni à une chose sans signe intermédiaire (nota intermedia).

§ 92. Petitio principii. — Circulus in probando.

— On entend par pétition de principe l'admission d'une proposition pour principe de preuve, comme proposition immédiatement certaine, quoiqu'elle ait encore besoin de preuve. — Et l'on commet un cercle dans la preuve lorsqu'on donne la proposition qu'on voulait prouver pour principe de sa preuve propre.

Observation. Le cercle dans la preuve n'est pas toujours facile à découvrir, et cette faute n'est jamais plus fréquente que lorsque les preuves sont difficiles à donner.


200 DU RAISONNEMENT.

§ 93. Probatio plus et minus probans, — Une preuve peut prouver trop ou peu. Dans le dernier cas, elle ne prouve qu'une partie de ce qu'elle devrait prouver ; dans le premier, elle va jusqu'à prouver ce qui est faux.

Observation. — Une preuve qui prouve trop peu, peut être vraie, et n'est par conséquent pas à rejeter. Mais si elle prouve trop, elle prouve au delà de la vérité, et par conséquent ce qui est faux. Ainsi, par exemple, l'argument contre le suicide où il est dit que celui qui n'a pas donné la vie ne-peut l'ôter, prouve trop : si ce principe était vrai, nous ne pourrions tuer aucun animal. Il est donc faux.


SECONDE PARTIE.

MÉTHODOLOGIE GÉNÉRALE.

§ 94. Manière et méthode. —Toute connaissance et tout ensemble de connaissances doit être conforme à une règle : ce qui est sans règles est en même temps sans raison. — Mais cette règle est ou celle de la manière (liberté), ou celle de la méthode (contrainte).

§ 95. Forme de la science. — Méthode. — La connaissance, comme science, doit aussi se régler d'après une méthode : car qui dit science dit ensemble de connaissances comme système, et non simplement comme agrégat. — La science exige donc que la connaissance soit conçue systématiquement, et par conséquent formée suivant certaines règles.

§ 96. Méthodologie. — Son objet et sa fin. — De même que la doctrine élémentaire en logique a pour

(1) Voy. Critiq. de la raison pure, t. II, p. 404-437. (N. du trad.)


202 MÉTHODOLOGIE

objet les éléments et les conditions de la perfection d'une connaissance par rapport à son objet, — de même la méthodologie générale, comme deuxième partie de la logique, doit au contraire traiter de la forme d'une science en général, ou de la manière de procéder pour faire une science avec la diversité de la connaissance.

§ 97. Moyen d'obtenir la perfection logique de la connaissance. — La méthodologie doit exposer la manière dont nous pouvons arriver à la perfection de la connaissance. — Or, une des perfections logiques essentielles de la connaissance consiste dans la lucidité, la fondamentalité, et un tel ordre systématique de la connaissance qu'il en résulte un tout scientifique. La méthodologie devra donc avant tout donner les moyens d'atteindre ces perfections de la connaissance

§ 98. Conditions de la clarté de la connaissance — La lucidité des connaissances et leur liaison en un tout systématique, dépend de la clarté des notions, tant par rapport à ce qui est contenu en elles que par rapport à ce qui est contenu sous elles.

La conscience claire de la matière des notions s'obtient par leur exposition et leur définition ; — la conscience claire de leur circonscription ou extension s'obtient au contraire par leur division logique. Nous traiterons donc d'abord des moyens de donner de la clarté aux notions par rapport à leur matière.


GÉNÉRALE. 203

I. Perfection logique de la connaissance par définition, exposition et description des notions.

§ 99. Définition. — Une définition est une notion suffisamment éclaircie et déterminée (conceptus rei adoequatus in minimis terminis ; complete determinatus).

Observation. La définition ne doit être considérée que comme une notion logiquement parfaite; car elle réunit les deux perfections essentielles d'une notion, la lucidité, l'intégralité et la précision dans la lucidité "(quantité de la lucidité).

§ 100. Définition analytique et définition synthétique. — Toutes les définitions sont ou analytiques ou synthétiques. — Les premières sont des définitions d'une notion donnée; les secondes sont des définitions d'une notion formée (1).

§ 101. Notions données et notions forméesa priori et a posteriori. — Les notions données d'une définition analytique sont données ou a priori ou a posteriori; de même que les notions formées d'une définition synthétique, le sont ou a priori ou a posteriori.

§ 102. Définitions synthétiques par exposition ou par construction. — La synthèse des notions formées, d'où résultent les définitions synthétiques, est ou la synthèse de l'exposition (des phénomènes), ou

(1) On le forme en le définissant. (Note du trad.)


204 MÉTHODOLOGIE

celle de la construction. Celle-ci est la synthèse des notions formées arbitrairement , la première est la synthèse des notions formées empiriquement, c'est-àdire de phénomènes donnés qui en sont comme la matière (conceptus factitii vel a priori, vel per synthesim empiricam).—-Les notions formées arbitrairement sont les notions mathématiques.

Observation. Toutes les définitions des notions mathématiques, comme aussi (quand d'ailleurs des définitions sont possibles en fait de notions empiriques) celles des notions de l'expérience, doivent donc se faire synthétiquement : car, même dans les notions de la dernière espèce, par exemple dans les notions empiriques d'eau, de feu, d'air, etc., je ne dois pas décomposer ce qui est contenu en elles, mais je dois apprendre à connaître par l'expérience ce qui leur appartient. — Toutes les notions empiriques doivent donc être considérées comme des notions formées, dont la synthèse n'est pas arbitraire, mais empirique.

§ 103. Impossibilité des définitions empiriquement synthétiques. Comme la synthèse des notions empiriques n'est pas arbitraire, qu'elle est empirique, et qu'en cette qualité elle ne petit jamais être parfaite (parce qu'on peut toujours découvrir dans l'expérience un plus grand nombre de caractères de la notion), les notions empiriques ne peuvent donc être définies.


GÉNÉRALE. 205

Observation. Les notions arbitraires formées synthétiquement sont donc les seules qui puissent se définir. Ces définitions de notions arbitraires, qui nonseulement sont toujours possibles, mais qui sont aussi nécessaires, et qui doivent précéder tout ce qu'on peut dire à l'aide d'une notion arbitraire, peuvent aussi s'appeler déclarations [ou explications], en tant que l'on explique par là ses pensées ou que l'on rend compte de ce qu'on entend par un mot. C'est ce qui se pratique chez les mathématiciens.

§ 104. Définitions analytiques des notions par la décomposition des notions, données a priori ou a posteriori. —Toutes les notions données, qu'elles le soient a priori ou a posteriori, ne peuvent être définies que par l'analyse : car on ne peut rendre claires des notions données qu'autant qu'on en rend successivement claires les notions élémentaires. — Si toutes ces notions élémentaires d'une notion complète donnée sont claires, alors la notion sera parfaitement claire elle-même ; si en même temps elle ne contient pas trop d'éléments, elle sera de plus précise, d'où résultera une définition de la notion.

Observation. Comme on ne peut être certain par aucune preuve si l'on a épuisé par une analyse complète tous les éléments d'une notion donnée, toutes les définitions analytiques doivent passer pour incertaines.


206 MÉTHODOLOGIE

§ 105. Expositions et descriptions. —Toutes les notions ne peuvent donc ni ne doivent être définies.

Il y a des approximations de la définition de certaines notions : ce sont d'une part des expositions (expositiones), et d'autre part des descriptions (descriptiones). Exposer une notion c'est faire connaître continû ment (successivement) les signes ou éléments dont elle se forme, tant qu'on peut en trouver par l'analyse.

La description est l'exposition d'une notion en tant que cette exposition n'est pas précise.

Observations. 1° Nous pouvons ex poser une notion ou l'expérience (c'est-à-dire un fait). La première de ces expositions se fait par analyse, la deuxième par synthèse.

2° L'exposition n'a donc lieu que dans les notions données, qui sont par là rendues claires; elle se distingue ainsi de la déclaration ou explication, qui est une représentation claire de notions formées.

Comme il n'est pas toujours possible de rendre l'analyse parfaite, et comme en général une décomposition doit être imparfaite avant d'être parfaite, une exposition imparfaite, comme partie d'une définition, est aussi une vraie et utile exposition d'une notion. La définition n'est toujours ici que l'idée d'une perfection logique que nous devons chercher à atteindre.

3° La description ne peut avoir lieu que dans les notions empiriques. Elle n'a pas de règles déterminées,


GÉNÉRALE. 207

et ne contient que les matériaux pour la définition. § 106. Définitions nominales, Définitions réelles — Par pures explications de noms ou définitions nominales il faut entendre celles qui contiennent le sens qu'on a voulu donner arbitrairement à un certain mot, et qui par conséquent, n'indiquant que l'essence logique de leur objet, servent simplement à le distinguer d'un autre objet. — Les explications des choses ou les définitions réelles sont au contraire celles qui suffisent à la connaissance des déterminations internes d'un objet, en exposant la possibilité de cet objet par des signes internes.

Observations. 1° Si une notion est suffisante intrinsèquement pour distinguer la chose, elle l'est aussi extrinsèquement sans aucun doute ; mais si elle estinsuffisante intrinsèquement, elle peut cependant suffire, quoique à certains égards seulement, sous le rapport extrinsèque, à savoir, dans la comparaison du défini avec autre chose ; mais la suffisance extrinsèque illimitée [ou absolue] n'est pas possible sans l'intrinsèque.

2° Les objets d'expérience ne sont susceptibles que de définitions de nom. — Les définitions nominales logiques des notions intellectuelles données sont prises d'un attribut ; les définitions réelles, au contraire, sont prises de l'essence des choses, du principe premier de la possibilité. Les dernières contiennent par conséquent ce qui convient toujours à la chose, son


208 MÉTHODOLOGIE

essence réelle. — Des définitions purement négatives ne peuvent donc pas non plus s'appeler des définitions réelles, parce que, si des signes négatifs peuvent aussi bien servir que des signes affirmatifs à la distinction d'une chose d'avec une autre, ils ne peuvent cependant servir à faire connaître la possibilité intrinsèque d'une chose.

En matière de morale, on doit toujours chercher des définitions réelles. —Il y a des définitions réelles en mathématiques : car la définition d'une notion arbitraire est toujours réelle.

3° Une définition est génétique lorsqu'elle donne une notion par laquelle l'objet peut être exposé a priori in concreto : telles sont toutes les définitions mathématiques.

§ 107. Conditions principales de la définition. -— Les conditions essentielles et générales de la perfection d'une définition se rapportent aux quatre principaux moments de la quantité, de la qualité, de la relation et de la modalité.

1° Quant à la quantité, —pour ce qui regarde la sphère de la définition, — la définition et le défini doivent être des notions réciproques (conceptus reciproci), et par conséquent la définition ne doit être ni plus ni moins étendue que son défini.

2° Quant à la qualité, la définition doit être une notion développée, et en même temps précise.


GÉNÉRALE. 209

3° Quant à la relation, la définition ne doit pas être tautologique, c'est-à-dire que les signes définis doivent être, comme principes de connaissance du défini, différents du défini lui-même; et enfin,

4° Quant à la modalité, les signes doivent être nécessaires, et non convenir par expérience.

Observation. La condition que la notion de genre et la notion de la différence spécifique (genus et differentia specifica) doivent constituer la définition, n'est valable que par rapport aux définitions nominales dans la comparaison, mais non par rapport aux définitions réelles dans la dérivation.

§ 108. Règles pour l'examen des définitions. — Dans l'examen-des définitions il y a quatre opérations à faire : il faut chercher si la définition,

1° Considérée comme proposition, est vraie ;

2° Si, considérée comme notion, elle est claire ;

3° Si, comme notion claire, elle est aussi développée; enfin,

4° Si, comme notion développée, elle est en même temps déterminée, c'est-à-dire adéquate à la chose même.

§ 109. Règles des définitions.— Il faut suivre, pour bien définir, les règles qui servent à critiquer les définitions. — On cherchera donc :

1° Des propositions vraies,

LOG. 14


210 MÉTHODOLOGIE

2° Et dont le prédicat ne suppose pas déjà la notion de la chose ;

3° On en recueillera plusieurs, on les comparera avec la notion même de la chose, et on verra celle qui est adéquate,

4° Enfin on regardera si un signe ne se trouve pas dans l'autre, ou s'il ne lui est pas subordonné.

Observations. 1° Ces règles, comme on le pense bien, ne valent que pour les définitions analytiques.— Mais comme on ne peut jamais être certain, dans ces sortes de définitions, si l'analyse est parfaite, on ne doit considérer la définition qu'à titre d'essai, et ne l'employer que comme si elle n'était pas une définition. Avec cette réserve, on peut néanmoins s'en servir comme d'une notion claire et vraie, et tirer les corollaires de ces signes. Je pourrai donc dire que la définition convient aussi à ce à quoi convient la notion du défini ; mais pas réciproquement, puisque la définition ne définit pas le défini.

2° Se servir de la notion du défini dans la définition, ou donner la définition pour fondement de la définition, c'est ce qui s'appelle définir par un cercle (circulus in definiendo).

II. Condition de la perfection de la connaissance

PAR LA DIVISION LOGIQUE DES NOTIONS.

§ 110. Notions de la Division logique. -—Toute notion contient sous elle une diversité homogène ou


GÉNÉRALE. 211

hétérogène. — La détermination d'une notion par rapport à tout le possible qui est contenu sous elle, en tant que ce possible est divers, s'appelle division logique de la notion. — La notion supérieure s'appelle notion divisée (divisum), et les notions inférieures, les membres de la division (membra divisionis).

Observations. 1° Partager une notion et la diviser, sont donc deux choses bien différentes. Je vois dans la partition (au moyen de l'analyse) de la notion ce qui est contenu en elle; dans la division je considère tout ce qui est contenu sous elle (1). Ici je partage la sphère de la notion, et non la notion elle-même. Il s'en faut donc beaucoup que la division d'une notion en soit la partition ; de plus, les membres de la division contiennent plus en eux que la notion divisée.

2° Nous allons des notions inférieures aux notions supérieures, et nous pouvons ensuite redescendre de celles-ci aux inférieures, au moyen de la division.

§ 111. Règle générale de la division logique. — Dans toute division d'une notion il faut faire en sorte,

1° Que les membres de la division s'excluent ou soient opposés entre eux ;

(1) Dans la partition d'une idée, on en énumère les idées élémentaires, on en fait connaître la compréhension; dans la division, on énumère au contraire les espèces (logiques ou réelles) contenues dans l'idée comme genre. La première opération se rapproche plus de la définition et du jugement analytique que la seconde. (Note du trad.)


212 MÉTHODOLOGIE

2° Que, de plus, ils appartiennent à une notion supérieure commune,

3° Et qu'enfin tous ensemble forment la sphère de la notion divisée, ou lui soient équivalents.

Observation. Les membres de la division doivent se distinguer les uns des autres par l'opposition contradictoire, non par une simple opposition (contrarium).

§ 112. Codivisions et Subdivisions. — Différentes divisions d'une notion, faites de points de vue divers, s'appellent codivisions ou divisions collatérales ; et la division des membres de la division s'appelle subdivision.

Observations. 1° La subdivision peut être continuée indéfiniment ; mais elle peut être finie comparativement. La codivision s'étend aussi à l'indéfini, particulièrement dans les notions d'expérience: car, qui peut épuiser toutes les relations des notions ?

2° On peut aussi appeler la codivision, une division d'après la différence des notions d'un même objet (des points de vue), de la même manière que la subdivision peut s'appeler une division des points de vue mêmes.

§ 113. Dichotomie et Polytomie. — Une division à deux membres s'appelle dichotomie; si elle a plus de deux membres, polytomie.

Observations. 1° Toute polytomie est empirique ; la dichotomie est la seule division par principes a


GÉNÉRALE. 213

priori, — par conséquent la seule division primitive : car les membres de la division doivent être opposés entre eux; cependant la contre-partie de tout A n'est autre chose que non-A.

2° La polytomie ne peut être enseignée en logique : elle dépend de la connaissance de l'objet. Mais la dichotomie n'a besoin que du principe de contradiction, sans qu'il soit nécessaire de connaître, quant à la matière, la notion que l'on veut diviser. — La poIytomie a besoin de l'intuition, soit de l'intuition a priori, comme en mathématiques (par exemple dans la division des sections coniques), soit de l'intuition empirique, comme dans la description de la nature. — Cependant la division par le principe de la synthèse a priori ou la trichotomie renferme :

1° La notion comme condition,

2° Le conditionné,

3° La dérivation du conditionné par rapport à la condition.

§ 114. Différentes Divisions de la Méthode. — Pour ce qui est de la méthode elle-même dans le travail et le traité de la connaissance scientifique, on en distingue de plusieurs sortes principales que nous pouvons donner ici d'après la division suivante.

§115. a) Méthode scientifique et Méthode populaire. — La méthode scientifique ou scolastique se distingue de la méthode populaire, en ce qu'elle


214 MÉTHODOLOGIE

part de; propositions fondamentales élémentaires; tandis que la méthode populaire part de l'habituel et de l'intéressant. La première tend à la fondamentalilé, et écarte par conséquent tout élément hétérogène; la seconde a pour objet la conversation.

Observations. Ces deux méthodes se distinguent donc quant à la manière, et non quant au style seulement; la popularité dans la méthode est donc autre chose que la popularité clans l'expression.

§ 116. b) Méthode systématique et Méthode fragmentaire. — La méthode systématique est opposée à la méthode fragmentaire ou rhapsodique. Lorsqu'on a pensé suivant une méthode, qu'on.a suivi cette méthode dans l'exposition des matières, et que le passage d'une proposition à une autre est clairement indiqué; alors on à traité une connaissance scientifiquement. Si au contraire, ayant pensé méthodiquement, on n'a pas suivi de méthode dans l'exposition de. la pensée, cette manière peut s'appeler rhapsodique.

Observation. L'exposition systématique est opposée à l'exposition fragmentaire, comme l'exposition méthodique à la tumultuaire. Celui qui pense méthodiquement peut exposer sa pensée systématiquement ou fragmentairement. L'exposition extérieurement fragmentaire, mais méthodique au fond, est une exposition aphoristique.


GÉNÉRALE: 215

§ 117. c) Méthode analytique et méthode synthétique. — La méthode analytique est opposée à la méthode synthétique. La première part du conditionné et du fondé, pour s'élever aux principes [a principiatis ad principia); celle-ci, au contraire, descend des principes aux conséquences, ou du simple au composé (du conditionnant au conditionné). On pourrait appeler la première régressive, la seconde progressive.

Observation. La méthode analytique s'appelle aussi méthode d'invention.— La méthode analytique est plus appropriée à la popularité; la méthode synthétique plus appropriée à un traité scientifique et systématique de la connaissance.

§ 118. d). Méthode syllogistique et Méthode tabulaire. — La méthode syllogistique est celle qui consiste à présenter une science sous la forme d'un enchaînement de syllogismes. La.méthode tabulaire ou par tableaux est celle par laquelle on représente l'édifice entier de la science, de manière à faire voir facilement l'ensemble.

§ 119. e) Méthode acroamatique et Méthode érotématique. — La méthode est acroamatique toutes les fois qu'on se borne à enseigner en parlant seul; elle est érotématique si l'on interroge en enseignant. — Cette dernière méthode se subdivise en dialogique ou socratique et en catéchétique, suivant que les


216 MÉTHODOLOGIE GÉNÉRALE.

questions s'adressent à la raison ou à la mémoire.

Observation. On ne peut enseigner par la méthode érotématique que par le dialogue socratique, dans lequel deux interlocuteurs se questionnent et se répondent mutuellement : en sorte qu'il semble que le maître lui-même soit aussi disciple. Le dialogue socratique enseigne par questions, puisqu'il apprend au disciple à connaître les principes de sa propre raison, et le provoque à y donner son attention ; par la cathéchèse commune, au contraire, on ne peut pas enseigner; on peut seulement questionner sur ce que l'élève a appris acroamatiquement. — La méthode catéchétique vaut donc seulement pour les connaissances empiriques et les rationnelles, et la méthode dialogique, au contraire, pour les connaissances rationnelles.

§ 120. Méditer. — J'entends par méditer, réfléchir ou penser méthodiquement. — La méditation doit accompagner toute lecture et toute instruction. Pour bien méditer, il faut d'abord se livrer à un' examen préliminaire de la question, tâcher d'en saisir toute la portée et l'ensemble, et ensuite conduire et exposer les pensées avec ordre, ou les lier suivant; une méthode.

FIN DE LA LOGIQUE.


APPENDICE

LA FAUSSE SUBTILITÉ DES QUATRE FIGURES DU SYLLOGISME DÉMONTRÉE.

1762.

§ 1er. — Notion générale de la nature des Raisonnements rationnels. — Juger, c'est comparer à une chose un signe ou caractère. La chose même est le sujet, le signe est le prédicat. La comparaison est exprimée par le mot lien est ou être, lequel, lorsqu'il est employé absolument, indique le prédicat comme un signe du sujet; mais s'il est accompagné du signe de la négation, il fait entendre que le prédicat est opposé au sujet. Dans le premier cas, le jugement est affirmatif ; dans le second, il est négatif. On comprend facilement que lorsqu'on appelle le pré-


218 APPENDICE.

dicat un signe, on ne veut pas dire par là que ce soit un signe du sujet [un de ses caractères] ; il n'en est ainsi que dans les jugements affirmatifs. On veut donc dire que le prédicat doit être considéré comme un signe d'une chose quelconque, quoiqu'il répugne à son sujet dans un jugement négatif. — Soit, par exemple, un esprit, la chose que je conçois; la composition, un signe ou caractère de quelque chose; le jugement, Un esprit n'est pas composé, présente ce signe comme opposé à la chose même.

On appelle signe médiat le signe du signe d'une chose : ainsi la nécessité est un signe immédiat de Dieu; mais l'immutabilité est un signe de la nécessité, et par conséquent un signe médiat de Dieu. D'où l'on voit facilement que le signe immédiat joue le rôle d'intermédiaire (nota intermedia) entre la chose elle-même et le signe éloigné, parce que ce n'est que.par son moyen que le signe éloigné est comparé à la chose même. Mais on peut aussi comparer un signe à une chose par le moyen d'un signe intermédiaire négatif, dès qu'on reconnaît que quelque chose répugne au signe immédiat d'une chose. La contingence répugne, comme signe, au nécessaire ; d'un autre côté, le nécessaire est un signe de Dieu; on reconnaît, par conséquent, au moyen d'un signe intermédiaire que la contingence ne convient point à Dieu. Je puis donc donner maintenant la définition


APPENDICE. 219

réelle suivante d'un raisonnement rationnel : Un raisonnement rationnel est un jugement porté au moyen d'un signe médiat, ou, en d'autres termes : Un raisonnement rationnel est la comparaison d'un signe à un sujet au moyen d'un signe intermédiaire.

Ce signe intermédiaire nota intermedia) s'appelle aussi, dans un raisonnement rationnel, le terme moyen {terminus medius). On-sait assez ce que sont les autres termes d'un raisonnement.

Si, pour connaître clairement le rapport du signe à la chose dans ce jugement : L'âme humaine est un esprit, je me sers du signe intermédiaire raisonnable, et que je voie par ce moyen que la qualité d'être un esprit est un signe médiat de l'âme humaine, il doit nécessairement y avoir trois jugements, savoir :

1° Être un esprit, est un signe d'être raisonnable;

2° Être raisonnable, est un signe de l'âme humaine;

3° Être un esprit, est un signe de l'âme humaine : car la comparaison d'un signe éloigné avec la chose même n'est possible qu'au moyen de ces trois opérations.

Les trois jugements mis en forme se présenteraient ainsi :

Tout être raisonnable est esprit ; l'âme de l'homme est raisonnable : par conséquent l'âme de l'homme est esprit. C'est là un raisonnement rationnel affir-


220 APPENDICE;

matif. Quant à ce qui concerne les raisonnements négatifs, il est également évident que si je ne connais pas toujours d'une manière suffisamment claire l'opposition d'un prédicat et d'un sujet, je dois me servir, quand je le puis, d'un moyen terme pour rendre par là mon idée plus lucide. Supposez que l'on me soumette ce jugement négatif : La durée de Dieu n'est mesurable par aucun temps, et que je ne trouve pas que ce prédicat, comparé immédiatement avec son sujet, me donne une idée suffisamment claire de l'opposition : je me sers alors d'un signe tel que je puis me le représenter immédiatement dans ce sujet; je compare le prédicat à ce signe, et, par le moyen du signe, le prédicat à la chose même. Être mesurable par le temps, est une chose qui répugne à tout ce qui est immuable , mais l'immutabilité est un signe de Dieu : donc, etc.

Ce raisonnement mis en forme serait ainsi conçu : Rien d'immuable n'est mesurable par le temps ; or, la durée de Dieu est immuable : donc, etc.

§ 2. De la Règle suprême de tout Raisonnement rationnel. —On voit, d'après ce qui vient d'être dit, que la règle première et universelle des raisonnements rationnels affirmatifs est que le signe du signe est un signe de la,chose même (Nota notae est etiam nota rei ipsius), et celle de tous les raisonnements négatifs de même espèce, que Ce qui


APPENDICE. 221

répugne au signe d'une chose, répugne à la chose même (Repugnans notoe repugnat rei ipsi). Ni l'une ni l'autre de ces deux règles n'est susceptible d'aucune démonstration ; car une preuve n'est possible que par un ou plusieurs raisonnements rationnels; vouloir démontrer la formule suprême de tout raisonnement rationnel serait raisonner d'une manière fautive : il y aurait ce qu'on appelle un cercle vicieux. Mais si ces règles contiennent le principe universel et dernier de tout mode de raisonnement rationnel, ce n'est évidemment qu'à la condition de contenir la raison dernière et unique de la vérité des autres règles admises jusqu'ici par tous les logiciens comme règles premières des raisonnements rationnels. Le dictum de omni, principe suprême de tout raisonnement rationnel affirmatif, équivaut à celui-ci : Ce qui est affirmé universellement d'une notion l'est également de toute notion contenue sous la première. La raison en est claire.

La notion qui en contient d'autres sous elle en est toujours abstraite comme un signe ; mais ce qui convient à cette notion, et qui est un signe d'un signe, est par conséquent aussi un signe des choses mêmes dont elle a été abstraite, c'est-à-dire qu'elle convient aux notions inférieures qu'elle contient sous elle. Il suffit d'avoir quelques connaissances en logique pour apercevoir facilement que ce dictum n'est vrai qu'en


222 APPENDICE.

conséquence du principe que nous venons d'énoncer, et qu'il rentre par conséquent sous notre première règle. Le dictum de nullo rentre à son tour sous notre seconde règle. Ce qui est nié universellement d'une notion l'est également de tout ce qui est contenu sous cette notion, car celte notion qui en contient d'autres n'est qu'un signe qui en a été abstrait. Or, ce qui contredit ce signe contredit aussi lés choses mêmes auxquelles il se rapporte : donc ce qui contredit la notion supérieure doit aussi contredire les notions inférieures qu'elle contient sous elle.

§ 3. Des Raisonnements rationnels purs, et des Raisonnements rationnels mixtes. — Chacun sait qu'il y a des raisonnements immédiats, puisqu'on peut connaître immédiatement, sans moyen terme, la vérité d'un jugement en partant d'un autre jugement. Aussi ces sortes de raisonnements ne sont-ils pas des raisonnements rationnels. C'est ainsi, par exemple, qu'il suit directement de la proposition : Toute matière est muable, que ce qui est immuable n'est pas matière. Les logiciens admettent plusieurs sortes de ces raisonnements immédiats : les principaux sont, sans aucun doute, ceux qui ont lieu au moyen de la conversion logique et par la contraposition.

Quand donc un raisonnement rationnel n'a lieu qu'au moyen de trois propositions, d'après les règles qui ont été exposées pour toute espèce de raisonne-


APPENDICE-. 223

ment rationnel, j'appelle ce raisonnement un raisonnement rationnel pur (ratiocinium purum). Mais s'il n'est possible qu'à la condition qu'il y ait plus de trois jugements liés entre eux de manière à former une conclusion, il est alors mixte (ratiocinium hybridum). Supposez donc qu'entre les trois propositions principales il faille intercaler une conséquence immédiate, et qu'il soit par conséquent besoin à cet effet d'une proposition de plus qu'il n'est nécessaire dans un raisonnement rationnel pur, alors lé raisonnement est hybride. Supposez, par exemple, que quelqu'un raisonne de la manière suivante :

Rien de ce qui est corruptible n'est simple ;

Par conséquent rien de simple n'est Or, l'âme humaine est simple : Donc l'âme humaine n'est point corruptible. Ce ne serait pas là un raisonnement rationnel composé à proprement parler, parce qu'un raisonnement composé doit être formé de plusieurs raisonnements rationnels; tandis que celui-ci contient, outre ce qui est exigé pour un raisonnement rationnel, une conclusion immédiate obtenue par la contraposition, et renferme ainsi quatre propositions.

Mais dans le cas même où il n'y aurait que trois jugements exprimés, si la conséquence ne pouvait cependant se tirer de ces jugements qu'au moyen d'une conversion logique légitime, d'une contrapo-


224 APPENDICE.

sition ou de tout autre changement logique opéré dans l'une des prémisses, ce raisonnement rationnel serait également hybride; car il ne s'agit pas ici de ce que l'on dit, mais de ce qu'il est nécessaire de penser pour que le raisonnement soit légitime. Soit donc le raisonnement suivant :

Rien de corruptible n'est simple ;

L'âme humaine est simple :

Donc elle n'est pas corruptible.

Ce raisonnement n'est légitime dans sa conséquence qu'autant que je puis dire, en convertissant légitimement la majeure: Rien de corruptible n'est simple, par conséquent rien de simple n'est corruptible. Le raisonnement reste donc toujours mixte, parce que la force de la conclusion repose sur l'introduction secrète de cette conséquence immédiate, que l'on doit avoir au moins en pensée, si on ne l'énonce pas.

§ 4. Ce qu'on appelle la première figure du syllogisme ne contient que des raisonnements rationnels purs, et les trois autres figures que des raisonnements rationnels mixtes. — Si un raisonnement rationnel est formé , immédiatement d'après l'une de nos deux règles suprêmes exposées plus haut, alors il a toujours lieu dans la première figure. La première règle est donc ainsi conçue : Un signe B d'un signe C d'une chose A est un signe de la chose elle-même. De là trois propositions.


APPENDICE 225

C B

C a pour signe B. — Ce qui est raisonnable est esprit ;

A C

A a pour signe C. = L'âme humaine est raisonnable :

A B

Donc A a pour signe B. — Donc l'âme humaine est esprit

Il est facile de faire d'autres applications semblables de cette règle, comme aussi de celle des raisonnements négatifs, et de se convaincre que si ces raisonnements sont conformes, ils appartiennent toujours à la première figure : je puis donc me dispenser d'entrer dans des détails qui seraient fastidieux.

On aperçoit facilement aussi que ces règles des raisonnements rationnels n'exigent pas qu'on intercale entre ces jugements une conclusion immédiate tirée de l'un ou de l'autre, pour que l'argument doive être concluant; ce qui fait voir que le raisonnement rationnel dans la première figure est d'espèce pure.

IL NE PEUT Y AVOIR DANS LA DEUXIEME FIGURE QUE DES RAISONNEMENTS

mixtes (hybrides).

La règle de la deuxième figure est celle-ci : Ce qui répugne au signe d'une chose répugne à cette chose même. Cette proposition n'est vraie que parce que ce à quoi un signe répugne, répugne aussi à ce signe; mais ce qui répugne à un signe répugne à la chose même; donc cela répugne à la chose même, à quoi répugne un signe d'une chose. Il est donc évident que c'est uniqueLOG.

uniqueLOG.


226 APPENDICE,

ment parce que je puis convertirsimplement la majeure comme proposition négative, que la conclusion est possibleau moyen de la mineure. Cette conversion doit donc y être sous-entendue : autrement mes prémisses ne concluraient pas. Biais la proposition obtenue par la conversion est une conséquence immédiate de la première; et comme cette proposition est intercalée dans les prémisses, le raisonnement rationnel comprend quatre jugements, et par conséquent est un raisonnement hybride. Si je dis, par exemple :

Nul esprit n'est divisible ;

Or toute matière est divisible ;

Donc aucune matière n'est esprit,— je raisonne juste; — seulement la force du raisonnement tient à ce que, de la première proposition Nul esprit n'est divisible, découle, par une conséquence immédiate, cette autre proposition : Donc rien de divisible n'est esprit; et, en conséquence de celle-ci, la conclusion dernière se trouve légitime, d'après la règle générale de tout raisonnement rationnel. Mais comme l'argument ne conclut qu'en vertu de la conséquence immédiate qui se trouve intercalée dans les prémisses, cette conséquence en fait donc partie, et le raisonnement comprend les quatre jugements que voici :

Nul esprit n'est divisible, et

( Par conséquent rien de divisible n'est esprit) ;


APPENDICE. 227

Or toute matière est divisible : Donc aucune matière n'est esprit.

LA TROISIÈME FIGURE NE PEUT CONTENIR QUE DES RAISONNEMENTS RATIONNELS MIXTES.

La règle de la troisième figure est la suivante : Ce qui convient ou répugne à une chose convient ou répugne aussi à quelques-unes des choses contenues sous un autre signe de cette chose. Cette proposition n'est vraie que parce que je puis convertir (per conversionem logicam) le jugement dans lequel il est dit qu'un autre signe convient à cette chose ; ■ce qui rend l'opération conforme à la règle de tout raisonnement rationnel. Soit, par exemple:

Tous les hommes sont pécheurs ;

Or tousses hommes sont raisonnables:

•Donc quelques êtres raisonnables sont pécheurs.

Il n'y a ici raisonnement que parce que je puis conclure de la manière suivante au moyen d'une conversion per accidens en partant de la mineure : —(Par conséquent quelques êtres raisonnables sont hommes. Alors les notions sont comparées d'après la règle de tout raisonnement rationnel, mais seulement au moyen d'une conclusion immédiate intercalée ; ce ■qui donne le raisonnement hybride suivant :

Tous les hommes sont pécheurs ;


228 APPENDICE.

Or tous les hommes sont raisonnables, et

(Par conséquent quelques êtres raisonnables sont hommes) :

Donc quelques êtres raisonnables sont pécheurs.

La même chose est facile à reconnaître dans les raisonnements négatifs de cette figure : je ne m'y arrêterai donc pas, pour plus de brièveté.

LA QUATRIÈME FIGURE NE PEUT CONTENIR QUE DES RAISONNEMENTS RATIONNELS MIXTES,

Le mode de conclusion dans cette figure est si peu naturel, et se fonde sur un si grand nombre de conséquences intermédiaires possibles, qui doivent être conçues comme intercalées, que la règle générale que je pourrais en donner serait très-obscure et peu intelligible. Je me contenterai donc de dire à quelles conditions il peut y avoir ici conclusion. Les raisonnements rationnels négatifs de cette espèce ne concluent que parce que l'on peut changer, soit par la conversion logique, soit par contraposition, la place des extrêmes, et parce qu'on peut en conséquence penser après chaque prémisse sa conclusion immédiate, de manière que ces conclusions reçoivent le rapport qu'elles doivent avoir en général dans un raisonnement rationnel en vertu de là règle commune. Mais je ferai voir que les raisonnements affirmatifs ne sont pas possibles dans


APPENDICE. 229

la quatrième figure. Le raisonnement rationnel négatif, tel qu'il doit être proprement conçu, revient au mode suivant :

Aucun imbécile n'est savant,

(Par conséquent nul savant n'est imbécile) ;

Quelques savants sont pieux,

(Par conséquent quelques hommes, pieux sont savants) :

Donc quelques hommes pieux ne sont pas imbéciles.

Soit maintenant un syllogisme de la seconde espèce (affirmatif):

Tout esprit est simple ;

Tout ce qui est simple est incorruptible :

Donc quelque chose d'incorruptible est un esprit.

Il est clair ici que le jugement conclusion tel qu'il est conçu, ne peut en aucune façon dériver des prémisses. C'est ce qu'on aperçoit facilement si on le compare avec le moyen terme. Je ne puis dire: Quelque chose d'incorruptible est un esprit ; en effet, de ce qu'il est simple, il n'est pas pour cela un esprit. De plus, les prémisses ne peuvent être tellement disposées par aucun changement logique possible, que la conclusion, ou seulement quelque autre proposition dont elle découle comme une conséquence immédiate, puisse être dérivée, si les extrêmes doivent avoir leur place dans toutes les figures suivant une règle invariable,


230 APPENDICE.

et une place telle que le grand terme soit dans la majeure, le petit dans la mineure (1). Et quoique, en changeant entièrement la place des extrêmes, de manière que celui qui auparavant était le grand devienne le petit et réciproquement, il soit possible de déduire une proposition d'où découle la conclusion donnée; il est cependant nécessaire alors d'opérer une transposition totale des prémisses, et le prétendu raisonnement rationnel de la quatrième figure contient bien les matériaux qui doivent servir à la conclusion, mais non à la forme : il n'y a donc pas là de raisonnement rationnel suivant l'ordre logique, dans lequel seul la division des quatre figures est possible; ce qui est tout différent dans lé raisonnement négatif de la même figure, On devra donc dire : Tout esprit est simple ; Tout ce qui est simple est incorruptible, (Par conséquent tout esprit est incorruptible) : Donc quelque chose d'incorruptible est un esprit, Cette conclusion est tout à fait juste; mais un pareil raisonnement se distingue de celui qui serait fait dans

(1) Cette règle se fonde sur l'ordre synthétique suivant lequel le signe éloigné est* d'abord comparé avec le sujet, et ensuite le signe plus proche. Cependant, quelque arbitraire que puisse être cet ordre, il devient inévitablement nécessaire dès qu'on veut avoir quatre figures. Car, s'il est indifférent qu'on mette le prédicat de la conclusion dans la majeure ou dans la mineure, la première figure ne se distingue absolument pas de la quatrième. On trouve dans la Logique de Crusius, p. 600, observation, une faute semblable.


APPENDICE. 231

la première figure, non par la place différente du moyen terme, mais en ce que l'ordre des prémisses est changé (1), ainsi que celui des extrêmes, dans la conclusion. Mais cela ne constitue point le changement de la figure. On trouve une semblable faute à l'endroit cité de la Logique de Crusius, ou l'auteur croit avoir conclu, et même naturellement, dans la quatrième figure, en conséquence de cette, liberté de transposer les prémisses. N'est-il pas un peu honteux pour un esprit supérieur de se donner tant de peine pour améliorer une chose mutile? Ce qu'il y aurait de mieux à faire, ce ne serait pas de l'améliorer, mais de l'anéantir.

§ 5. La division logique des,quatre figures du syllogisme est une fausse subtilité. — On ne peut disconvenir que la conclusion ne soit légitime dans ces quatre figures. Mais il est incontestable qu'à l'exception de la première, elles ne déterminent la conséquence que par un détour et au moyen de propositions intercalées par des raisonnements immédiats, et que la même conclusion serait possible dans

(1) Car si une proposition est majeure parce qu'elle contient le prédicat de la conclusion; alors, en ce qui concerne la conclusion propre qui découle ici immédiatement des prémisses, la seconde proposition est la majeure, en même temps que la première est la mineure. Mais dans ce cas la conclusion n'a lieu en définitive, suivant la première figure, qu'autant que la conclusion est tirée, au moyen d'une conversion logique, de la proposition qui suit immédiatement le jugement tacite. -


232 APPENDICE.

la première figure à l'aide du même moyen terme, par un raisonnement pur et sans le secours de conclusions immédiates. On pourrait donc penser que les trois dernières figures sont à la vérité très-inutiles, mais ne sont pas fausses. Néanmoins on en jugera autrement si l'on fait attention au but que les logiciens se sont proposé en inventant ces figures et en les exposant. S'il s'agissait d'envelopper une multitude de raisonnements parmi des jugements principaux, de telle façon que si quelques-uns étaient exprimés, d'autres fussent sous-entendus, et qu'il fallût beaucoup d'art pour juger de leur accord avec les.règles du raisonnement, on pourrait bien encore alors inventer, non pas précisément plusieurs figures, mais cependant plusieurs raisonnements énigmatiques qui seraient autant de casse-tête passables. Mais le but de la logique n'est pas d'envelopper les idées; au contraire, elle se propose de les développer, de les exposer d'une manière évidente, et non pas énigmatique. Ces quatre espèces de raisonnements doivent donc être simples, sans mélange, et sans conclusion tacite accessoire : autrement on ne pourrait leur reconnaître le droit de s'annoncer dans un traité de logique comme des formules de l'exposition la plus claire d'un raisonnement rationnel. Il est également certain que jusqu'ici tous les logiciens les ont regardés comme des raisonnements rationnels simples, ne


APPENDICE. 233

pensant pas qu'il fut nécessaire d'y introduire d'autres jugements : autrement ils ne leur auraient jamais accordé ce droit de bourgeoisie. Les trois dernières figures sont donc vraies comme règles du raisonnement rationnel en général; mais il est faux qu'elles contiennent un raisonnement simple et pur. Cette irrégularité, qui fait un droit d'obscurcir les idées, tandis que la logique a pour but propre de tout ramener à l'espèce de connaissance la plus simple, est d'autant plus grande qu'il est nécessaire de recourir à un nombre plus considérable de règles particulières (chaque figure ayant besoin de règles spéciales) pour ne pas se briser dans ses soubresauts. Dans le fait, on n'a jamais dépensé plus d'esprit de combinaison et de pénétration à une chose plus inutile. Les modes qui sont possibles dans chaque figure, indiqués par des mots bizarres qui contiennent en même temps des lettres pleines de mystère, servant à faciliter la conversion des modes des trois dernières figures en ceux de la première, seront pour l'avenir un monument curieux de l'histoire de l'esprit humain, lorsqu'un jour la rouille vénérable dé l'antiquité étonnera et affligera par ses industrieux et vains efforts une postérité mieux enseignée.

Il est facile aussi de découvrir la première occasion de cette subtilité. Celui qui d'abord transcrivit un syllogisme en trois propositions les unes au-dessous


234 APPENDICE.

des autres, y vit comme un échiquier, et chercha quel serait le résultat de la transposition du moyen terme. Il fut aussi surpris en apercevant qu'il y avait toujours un sens raisonnable, que celui qui trouve un anagramme dans un nom. Il n'était pas moins, puéril de se réjouir de l'une de ces découvertes que de l'autre, surtout en oubliant qu'il n'en résultait rien de nouveau pour la clarté, mais, au contraire une augmentation d'obscurité. Telle est cependant la nature de l'esprit humain : ou il est subtil et tombe dans des niaiseries, ou il s'attache témérairement à de trop grandes choses et bâtit des châteaux, en Espagne. Parmi les penseurs, l'un s'attache, au nombre 666, l'autre à l'origine des animaux et des plantes ou aux secrets de la Providence. L'erreur dans laquelle ils tombent tous les deux est de goût très-différent ; ce qui n'est qu'une conséquence de la différence des esprits.

Le nombre des choses qui méritent d'être apprises augmente de jour en jour; et bientôt notre capacité sera trop faible et notre vie trop courte pour en apprendre seulement la partie la plus utile. Les richesses qu'il s'agit d'acquérir sont trop abondantes pour qu'on ne doive pas négliger, rejeter même une infinité de bagatelles inutiles. Il eût donc été mieux de ne s'en charger jamais,

Je m'abuserais fort si je croyais qu'un travail de


APPENDICE. 235

quelques heures pourra renverser un colosse qui cache sa tête dans les nuages de l'antiquité, et dont les pieds sont d'argile. Mon dessein est donc uniquement de dire pourquoi je suis si court dans ma logique, où je ne puis pas tout traiter d'après ma manière de voir, obligé que je suis au contraire de faire plusieurs choses pour me conformer au goût dominant : c'est afin d'employer à l'acquisition réelle de connaissances plus utiles le temps que je gagne ici.

Il y a encore une autre utilité dans la syllogistique : c'est que par son moyen on peut vaincre,, dans une dispute, un adversaire inconsidéré. Mais comme ceci regarde l'athlétique des savants, art qui peut être d'ailleurs très-utile, quoiqu'il ne soit pas très-avantageux pour la vérité, je n'en parle pas ici.

§ 6. Observations finales. — Nous savons donc que les règles suprêmes de tous les raisonnements rationnels conduisent immédiatement à celte disposition des notions qui constitue la première figure; que toutes les autres transpositions du moyen terme ne donnent une conclusion légitime qu'autant qu'elles conduisent, par des conséquences immédiates faciles, à des propositions liées entre elles suivant l'ordre simple de la première figure; qu'on ne peut conclure d'une manière simple et sans mélange que dans cette première figure,-parce qu'elle seule, toujours contenue d'une manière secrète dans un raisonnement


236 appendice:

rationnel par des conséquences occultes, renferme la vertu de conclure, et que le changement de position des notions ne fait qu'occasionner un détour plus ou moins grand qu'il faut parcourir pour apercevoir la conclusion; enfin, que la division des figures en général, en tant qu'elles doivent contenir des raisonnements purs et sans mélange de jugements intercalés, est fausse et impossible.

L'explication que nous venons de donner fait voir assez clairement, pour que nous puissions nous dispenser d'insister sur ce point, comment nos règles fondamentales universelles de tout raisonnement rationnel contiennent en même temps les règles particulières de la première figure, et comment, en partant de la conclusion donnée et du moyen terme, on peut ramener tout raisonnement rationnel de l'une des trois dernières figures à un mode de conclusion simple de la première, sans pour cela passer par les longueurs inutiles des formules de la réduction, de manière à conclure soit la conclusion elle-même, soit une proposition d'où elle découle par une conséquence immédiate.

Je ne finirai pas ce petit travail sans ajouter quelques observations qui pourront plus tard avoir leur utilité.

1° Je dis donc qu'une notion lucide (1) n'est pos(1)

pos(1) fait ici allusion à la synonymie qu'il a établie, en traitant


APPENDICE. 237

sible que par un jugement, de la même manière qu'une notion complète n'est possible que par un raisonnement rationnel. Il faut en effet, pour qu'une notion soit lucide, que je connaisse quelque chose comme signe [ou caractère] d'une autre chose. Mais cela même constitue un jugement. Pour qu'il y ait lucidité dans ma notion de corps, je me représente l'impénétrabilité comme un caractère clair de cette notion. Or, cette représentation n'est autre chose que cette pensée : Un corps est impénétrable. Il faut seulement remarquer ici que ce jugement n'est pas la notion claire elle-même, mais l'acte par lequel elle devient réelle : car l'idée qui résulte de cet acte relativement à la chose même, est lucide. Il est facile de faire voir qu'une notion parfaite n'est possible que par un raisonnement rationnel; il suffît de se rappeler le § 1 de cette dissertation. On pourrait donc aussi appeler notion lucide celle dont la clarté résulte; d'un jugement, et notion complète celle dont la lucidité résulte d'un raisonnement rationnel. Si la perfection est de premier degré, le raisonnement rationnel est simple; si elle est de second ou de troisième degré, elle n'est alors possible que par une série de raisonde

raisonde clarté des connaissances dans son Introduction à la logique, entre différents degrés de clarté d'une notion, suivant que l'analyse de sa compréhension est plus ou moins approfondie. Il fait aussi allusion aux rôles de l'entendement et de la raison tels qu'il les a établis dans la Critique de la Raison pure. (Note du trad).


238 APPENDICE,

nements que l'entendement unit à là manière d'un sorite. Cette observation met à découvert un vice essentier de la logique telle qu'on la traite communément, puisqu'il y est question des notions claires et parfaites avant qu'on y ait traité des jugements et des raisonnements, quoique les premières ne soient possibles que par les seconds.

2° Il n'est pas moins évident que l'intégralité des notions n'exige pas une autre faculté de l'âme que la lucidité (puisque c'est la même capacité qui reconnaît quelque chose comme signe immédiat d'une autre chose, et dans ce signe un autre signe encore, qui est par conséquent employé pour penser la chose au' moyen d'un signe éloigné); il est également clair que l'entendement et la raison, c'est-à-dire la faculté de connaître lucidement et celle de faire des raisonnements rationnels, ne sont pas des capacités fondamentales différentes : toutes deux reviennent à la faculté de juger; seulement, quand on juge médiatement, on raisonne.

3° Il résulte enfin de ce qui précède que la capacité suprême de connaître repose absolument et uniquement sur celle de juger. En;conséquence, lorsqu'un être peut juger, il a par le fait même la faculté suprême de connaître. Si l'on est autorisé à lui refuser celle-ci, c'est aussi qu'il ne peut pas juger. C'est pour avoir négligé ces considérations, qu'un savant célèbre


APPENDICE. 239

a reconnu aux animaux des notions lucides. Un boeuf, dit-on, possède aussi dans l'idée de son étable une représentation claire de l'un des signes ou caractères de l'étable même, de la porte : il a donc une notion lucide de l'étable. Il est facile d'apercevoir la confusion qui règne ici. La lucidité d'une notion ne consiste pas dans la claire représentation de ce qui est le signe d'une chose, mais bien en ce que le signe d'une chose soit reconnu comme signe de cette chose. La porte fait assurément partie de l'étable, et peut lui servir de signe ; mais il n'y a que celui qui porte ce jugement : Cette porte fait partie de cette étable, qui ait une notion lucide du bâtiment, et ce jugement est, à coup sûr, au-dessus de la faculté de l'animal.

Je vais plus loin, et je dis qu'il y a une différence totale entre distinguer des choses les unes des autres, et connaître la différence des choses. Le dernier acte n'est possible que par des jugements, et ne peut être le fait d'aucun animal non-raisonnable. La distinction suivante peut être d'une grande utilité. Distinguer logiquement, c'est reconnaître que A n'est pas B; ce qui n'a jamais lieu que par un jugement négatif ; distinguer physiquement, c'est être porté à des actions différentes par des représentations diverses. Le chien distingue le rôti du pain parce qu'il en est affecté différemment (différentes choses occa-


240 APPENDICE.

sionnent des sensations différentes), et la sensation dite au premier est dans le chien une raison d'un désir différent de celui qui résulte de la sensation due au second (1), en conséquence de la liaison naturelle des inclinations et des représentations. On peut de là prendre occasion de méditer sur la différence essentielle des animaux raisonnables et des animaux non raisonnables. Si l'on pouvait apercevoir ce qui constitue la faculté secrète au moyen de laquelle le jugement est possible, on pourrait résoudre la question. Mon opinion actuelle est que cette faculté ou capacité n'est autre chose que celle du sens intime, c'est-à-dire celle de faire de ses propres représentations un objet de ses pensées. Cette faculté ne peut être dérivée d'une autre; elle est fondamentale dans le sens propre du mot, et ne peut appartenir, ainsi que je l'ai dit plus haut, qu'à des êtres raisonnables. Mais elle est la base de toute faculté cognitive supérieure. Je conclus d'une manière qui doit plaire à ceux qui aiment l'unité dans les connaissances humaines. Tous les jugements affirmatifs sont soumis à une formule générale, à la

(1) C'est là un fait d'une très-haute importance, et qu'il ne faut pas perdre de vue dans l'examen de la nature animale. Nous n'apercevons dans les animaux que des actions extérieures dont la différence indique en eux des déterminations de désir distinctes. On ne peut conclure qu'un pareil acte de connaissance précède dans leur sens intime, tout en admettant qu'ils aient conscience de l'accord ou du désaccord de ce qui se trouve dans une sensation avec ce qui peut se rencontrer dans une autre, et qu'ils en jugent en conséquence.


APPENDICE. 241

proposition de l'accord : Cuilibet subjecto competit proedicatum ipsi non oppositum. Tous les raisonnements rationnels affirmatifs sont soumis à la règle : Nota notas est nota rei ipsius; tous les raisonnements rationnels sont également soumis à celle-ci : Oppositum notae opponitur rei ipsi. Tous les jugements qui sont soumis immédiatement aux propositions de l'accord ou de la contradiction, c'est-à-dire dans lesquels ni l'identité ni l'opposition n'est aperçue par un signe intermédiaire (par conséquent pas au moyen de l'analyse des notions), mais immédiatement, sont des jugements indémontrables ; ceux, au contraire, dans lesquels l'identité ou l'opposition peut être connue médiatement sont démontrables. La connaissance humaine est remplie de ces sortes de jugements indémontrables. Quelques-uns précèdent toujours toute définition, lorsque, pour pouvoir définir, on se représente comme un signe quelque chose appartenant à ce que l'on connaît de prime abord et immédiatement dans un objet. Les philosophes qui procèdent comme s'il n'y avait d'autres vérités fondamentales indémontrables qu'une seule, se trompent donc. Ceux-là ne se trompent pas moins, qui accordent trop libéralement le caractère de propositions premières a d'autres propositions qui ne le méritent point.

FIN DE L'APPENDICE. LOG. 16



TABLE DES MATIÈRES.

Avertissement du traducteur . V

INTRODUCTION.

I. Idée de la logique 1

II. Division principale de la Logique. — Exposition. —Utilité de cette science. — Esquisse de son histoire.. 10

III. Idée de la philosophie en général. — Philosophie considérée suivant l'idée de l'école et suivant l'idée qu'on s'en fait dans le monde. — Condition essentielle pour philosopher, et fin qu'on doit se proposer en philosophant. — Problèmes les plus généraux et les plus élevés de cette science 20

IV. Esquisse rapide d'une Histoire de la Philosophie 29

V. De la connaissance en général. — Connaissance intuitive, connaissance discursive; intuition et notion, leur différence en particulier. — Perfection logique et perfection esthétique de la connaissance 40

VI. Perfections logiques particulières de la connaissance. A. Perfection logique de la connaissance quant à la quantité. — Quantité. Quantité extensive, intensive. — Etendue et fondamentalité ou importance et fécondité de la connaissance. — Détermination do l'horizon de nos connaissances 52

Vif. B. Perfection logique de la connaissance quant à la relation. — Vérité. — De l'erreur et de la vérité en général. Vérité matérielle et vérité formelle ou logique. — Criterium de la vérité. — Fausseté et erreur. — Moyen de remédier à l'erreur. ...... 68

VIII. C. Perfection logique de la connaissance quant à la qualité'.— Clarté. —Notion d'un signe (nota) logique en général.— Différentes espèces de signes élémentaires. — Détermination de l'essence logique d'une chose. — Différence entre cette essence et l'essence réelle. — Lucidité, second degré de clarté.—Lucidité esthétique, lucidité logique. — Différence entre la lucidité analytique et la lucidité synthétique 82


244 TABLE DES MATIÈRES.

IX. D. Perfection logique de la connaissance quant à la modalité.— Certitude. — Notion de la croyance en général. Mode de la croyance en général: opinion, foi, savoir. —Conviction et persuasion. — Retenue et suspension du jugement. — Jugement provisoire. — Préjugés, leurs sources et leurs principales espèces. 95

X. E. De la probabilité. —Différence entre la probabilité et la vraisemblance.—Définition du probable. — Probable mathématique et probable philosophique. — Doute subjectif et objectif. — Méthode de philosopher: méthode sceptique, méthode dogmatique, méthode critique. 121

Appendice. Distinction entre la connaissance théorique et la connaissance pratique 129

PREMIÈRE PARTIE

THÉORIE GÉNÉRALE ÉLÉMENTAIRE.

CHAP. I. Des notions 132

§ 1. De la notion en général, différence entre la notion et l'intuition ib.

§ 2. Matière et forme des notions 133

§ 3. Notion empirique et notion pure... ib.

§ 4. Notions données et notions formées 136

§ 5. Origine logique des notions 137

§ 6. Acte logique de la comparaison, de la réflexion et de l'abstraction. . . . 138

§ 7. Matière et circonscription des notions 140

§ 8. Etendue de la circonscription des notions 141

§ 9. Notions supérieures et notions inférieures. 142

§ 10. Genre et espèces 143

§ 11. Genre suprême.— Espèce dernière ib,

§ 12. Notions plus larges et Notions plus étroites.— Notions réciproques 145

§ 13. Rapport de la notion supérieure à l'inférieure, de la plus large

à la plus étroite ib.

§ 14. Règles générales concernant la subordination des notions. . ib, § 15. Condition de la formation des notions supérieures et des

inférieures: abstraction logique et détermination logique. . . . 146 § 16. Usage des notions in abstracto et in concreto ib.

CHAP. II. Des jugements 148

S 17. Définition du jugement en général ib.

§ 18. Matière et forme des jugements ib.

§ 19. Objet de la réflexion logique, — la simple forme des jugements. 149 § 20. Formes logiques des' jugements: quantité, qualité, relation et modalité ib.


TABLE DES MATIÈRES. 245

§ 21. Quantité des jugements: généraux, particuliers, singuliers. .140 § 22. Qualité des jugements: affirmatifs, négatifs, indéfinis. . . 153 § 23. Relation des jugements: catégoriques, hypothétiques, disjonctifs 154

§ 24. Jugements catégoriques 155

§ 25. Jugements hypothétiques 156

§ 26. Modes de liaison dans les jugements hypothétiques 157

§ 27. Jugements disjonctifs ib.

§ 28. Matière et forme des jugements disjonctifs ib.

§ 29. Caractère propre des jugements disjonctifs 158

§ 30. Modalité des jugements: problématiques, assertoriques, apodictiques

apodictiques

§ 31. Des jugements exponibles. . 163

§ 32. Des propositions théorétiques et des propositions pratiques. 164 § 33. Propositions indémontrables et propositions démontrables, ib.

§ 34. Des principes ib.

§ 35. Principes intuitifs et principes discursifs, axiomes et acroames. 165 § 36. Propositions analytiques et propositions synthétiques. . . . ib.

§ 37. Propositions tautologiques ib.

§ 38. Postulats et problèmes 166

§ 39. Théorèmes, corollaires, lemmes, et scholies . . 167

§ 40. Des jugements de perception et des jugements d'expérience. . 168

CHAP. III. DU RAISONNEMENT 169

§ 41. Du raisonnement en général ib.

§ 42. Raisonnements immédiats et raisonnements médiats. . . . . ib. § 43. Raisonnement de l'entendement, raisonnement de la raison et raisonnement du jugement ib.

SECT. I. DES RAISONNEMENTS INTELLECTUELS OU DE L'ENTENDEMENT. 170

§ 44. Nature des raisonnements intellectuels ib.

§ 45. Modes des raisonnements intellectuels 171

§ 46. I. Raisonnements immédiats par rapport à la quantité des jugements (per judicia subalternata). ib.

§ 47. II Raisonnements immédiats par rapport à la qualité des jugements (per judicia opposita) 172

§ 48. a) Raisonnements immédiats (per judicia contradictorie opposita ) ib.

§ 49. b) Raisonnements immédiats (per judicia contrarie opposita). 183

§ 50. c) Raisonnements immédiats (per judicia subcontrarie opposita) ib.

§ 51. III. Raisonnements immédiats quant à la relation des jugements ( per judicia conversa, seu per conversionem) 174

§ 52. Conversion simple et conversion par accident ib.

53. Règles générales de la conversion 175

§ 54. IV. Raisonnements immédiats par rapport à la modalité des jugements (per judicia contraposita) 176

§ 55. Règles générales de la contraposition ib.


246 TABLE DES MATIÈRES.

SECT. II. DES RAISONNEMENTS DE LA RAISON 177.

§ 50. Du raisonnement rationnel en général ib.

§ 57. Principe général du raisonnement rationnel ib.

$ 58 Eléments essentiels du raisonnement rationnel 178

§ 59. Matière et forme du raisonnement rationnel 179

§ 60. Division des raisonnements rationnels quant à la relation,

en catégoriques, hypothétiques et disjonctifs ib.

§ 61. Différence propre entre les raisonnements rationnels catégoriques, les hypothétiques et les disjonctifs 180

§ 62. I. Raisonnements catégoriques 181

§ 63. Principes des raisonnements rationnels catégoriques ib.

§ 64. Règles pour les raisonnements rationnels catégoriques. . . . 182 § 65. Raisonnements rationnels catégoriques purs et raisonnements

catégoriques mixtes. . 184

§ 66. Des raisonnements mixtes par la conversion des propositions!

— Figures ib.

§ 67. Des quatre figures du syllogisme 185

§ 68. Principe de la détermination de la différence des figures par

la position différente du moyen terme... ib.

§ 69. Règle de la première figure comme seule régulière ib..

§ 70. Condition de la réduction des trois dernières figures à la

première 186

§ 71. Règle de la deuxième figure 187

§ 72. Règle de la troisième figure 188

§ 73. Règle de la quatrième figure ib.

§ 74. Résultats généraux sur les trois dernières figures 189

§ 75. II. Raisonnements rationnels hypothétiques 190

§ 76. Principe des raisonnements hypothétiques 191

§ 77. III. Raisonnements rationnels disjonctifs ib.

S 78. Principe des raisonnements rationnels disjonctifs 192

§ 79. Dilemmes ib.

§ 80. Raisonnements formels et raisonnements cryptiques 193

SECT. III. Raisonnements du jugement 194

§ 81. Jugement déterminatif et jugement réflexif ib.

§ 82. Raisonnements du jugement réflexif ib.

§ 83. Principe de ces sortes de raisonnements 195

§ 84. De l'induction et de l'analogie; les deux espèces do raisonnements

raisonnements jugement ib.

§ 85. Raisonnements rationnels simples et raisonnements rationnels composés 197

§ 86. Ratiocinatio polysyllogistica ib.

§ 87. Prosyllogismes et épisyllogismes ib.

§ 88. Sorite ou chaîne syllogislique 198

§ 89. Sorites catégoriques et sorites hypothétiques ib.

§ 90. Raisonnements délusoires, — Paralogismes. — Sophismes.. ib.

S 91. Saut dans le raisonnement 199


TABLE DES MATIÈRES. 247

§ 92. Pelitio principii. — Circulus in probando ib,.

93. Probatio plus et minus probans 200

SECONDE PARTIE.

MÉTHODOLOGIE GÉNÉRALE.

§ 94. Manière et méthode 201

§ 95. Forme de la science. — Méthode ib.

g 96. Méthodologie, son objet et sa tin . ib.

g 97. Moyen d'obtenir la perfection logique de la connaissance.. 402 § 98. Conditions de la clarté de la connaissance ... ib.

I. Perfection logique de la connaissance par la définition,l'exposition et la description des notions ib.

g 99. Définition .. 203

§ 100. Définition analytique et définition synthétique ib.

g 101. Notions données et notions formées a priori et a posteriori, ib. g 102. Définitions synthétiques par exposition ou par construction, ib. g 103. Impossibilité des définitions empiriquement synthétiques. 204 g 104. Définitions analytiques des notions par la décomposition

des notions données a priori ou a posteriori 205

g 105. Expositions et descriptions 206

g 100. Définitions nominales et définitions réelles 207

g 107. Conditions principales de la définition .' 20S

§ 108. Règles pour l'examen des définitions 209

§ 109. Règles des définitions ib.

II. Condition de la perfection de la connaissance par la division logique des notions ? 210

g 110. Idée de la division ib.

111 Règle générale de la division logique 211

g 112. Codivisions et subdivisions 212

g 113. Dichotomie et polytomie ib.

g 114. Différentes divisions de la méthode 213

g 115. a Méthode scientifique et méthode populaire ib.

g 116. b Méthode systématique et méthode fragmentaire 214

g 117. Méthode analytique et méthode synthétique 215

§ 118 . d Méthode syllogistique et méthode tabulaire ib.

119. e Méthode acroamatique et méthode érotématique ib.

g 120. Méditer 210

APPENDICE A LA THÉORIE DU RAISONNEMENT CATÉGORIQUE.

La fausse subtilité des quatre figures du syllogisme démontrée... 217 § 1. Notion générale de la nature des raisonnements rationnels.. ib.

g 2. Règle suprême de tout raisonnement rationnel 220

g 3. Des raisonnements rationnels purs et des raisonnements rationnels mixles 222


248 TABLE DES MATIÈRES.

§ 4. Ce qu'on appelle la première figure du syllogisme ne contient que des raisonnements rationnels purs, et les trois autres que des raisonnements rationnels mixtes 224

Il ne peut y avoir dans la deuxième figure que des raisonnements mixtes ( hybrides) 225

La troisième figure ne peut contenir que des raisonnements rationnels mixtes 227

La quatrième figure ne peut contenir que des raisonnements rationnels mixtes 228

§ 5. La division logique des quatre figures du syllogisme est une fausse subtilité 231

6. Observations finales 235

FIN DE LA TABLE DES MATIERES.