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Titre : Bulletin de l'Académie delphinale

Auteur : Académie delphinale. Auteur du texte

Éditeur : Impr. de Prudhomme (Grenoble)

Éditeur : Impr. AllierImpr. Allier (Grenoble)

Éditeur : Académie delphinaleAcadémie delphinale (Grenoble)

Date d'édition : 1870

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343964105

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343964105/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1870

Description : 1870 (SER3,T6).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Rhône-Alpes

Description : Collection numérique : Collections de la Bibliothèque municipale de Grenoble

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k454092z

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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BULLETIN

DE

L'ACADÉMIE DELPHINALE


L'ACADÉMIE DELPHIKALË es ©/eue. (ûome (y

IMl'IllMF.mE DE PRUDHOMME, RUE I.AFAYETTE, 14 JTHÈSUS/ p 187)

BULLETIN

DE

1870

GRENOBLK


iur>6-tï-71. (irenot.le, impr. d* Prudhomm*. T.


BULLETIN

DE

L'ACADÉMIE DELPHINALE 3* SÉRIE.

ÉTAT DE J/ACADÉMIE Al! 1" JANVIER 1871. BUREAU FOUR L'ANNEE 1871.

Président. II. Louis Gautier, président à la Cour d'appel.

Vice-Président. – M. Burdet, doyen honoraire de la Faculté de droit.

Secrétaire perpétuel. – M. Jules Taulikr.

Secrétaires-adjoints. – MM. Jules Mai.lein, avocat, et F. Crozet.

Trésorier perpétuel. – M. Pagks, conseiller à la Cour d'appel.


MEMBRES RÉSIDANTS.

aiVl. IHer:aT-D1~scRnncxs, conseiller it la Cour d'appel. 18:31; Du Boys (Albert), ancien magistrat.18:!ft l3uanEr, doyen honoraire de la Faculté de

droit. 183 1'.&ULIER, (JU]eS),propriétaire i8.8 AUZIAS (Théodose), avocat. 1839 1)UPOItT-I~AVILETTE président honoraire A

la Cour d'appei. 1839 DE VFNTAVON (Casimir), avocat. 184!I MAtasiEN, doyen de la Faculté des lettres.. 18411 PATRU, professeur à la Faculté des lettres. 18411 3itcanL (Louis), juge suppléant au tribunal

civil. l8dn CHARBO"1IŒL-SALLE, juge au tribunal civil. ]8411 I)r Lrnsrs (l'abbé), ancien curé de St-An-

dré. 1841 PIAT-Lo"1GCHAMP-DuPRR, avocat. 1842 CECnwisov (l'abbé), vicaire général 1844 SisTFnon, avocat.184(! IJENANTES, avocat. 184<i MACE. professeur à la Faculté des lettres. J85" FlssoNT, secrétaire de la Faculté de droit.. 1850 MAURELnERocHEBELLE (Albert). 185) 1 GAUTIER (Louis), président à la Cour d'ap-

pel. 18M PAQÈs (Adolphe), conseiller à la Cour d'ap-

pel. 185G DE BOURNET-I.AVAI., propriétaire. 185î MORELLET, propriétaire. 18M SA;NT-ANnÉOL (Fernand de), à Moirans. I8SO


MM. Petit, président a la Cour d'appel 1860 Couraïd, professeur à la Faculté de droit.. 1862 Bonafoiis, premier président à la Cour d'appel 1862 Riviee, conseiller à la Cour d'appel. 1862 Chaper, ancien capitaine du génie. 1863 Dupont-Delporte, propriétaire. 1863 Gahiel, conservateurde la Bibliothèque publique 1863 Mallbin (Jules), avocat. 1864 DE Galbert (comte Oronce), propriétaire.. 1864 ALBERT (Aristide), receveur municipal 1864 Caillemer (Exupère), professeurà laFaculté de droit 1864 Tbouiller, professeur à la Faculté de droit. 1866 DE Boissieu (Paulin), propriétaire 1867 CROZET (Félix), ancien avocat 18(V7 Valson, professeur à la Faculté des sciences. 1868 De Bérengeh (le marquis), propriétaire. 1869 Cottok (l'abbé) curé de Notre-Dame. 1869 Monavon, juge de paix. 1 86(1 Iîoistel, professeur à la Faculté de rlroit 1SH9 MEMBRES COMESPOIDMTI-

MM. Berriat-Saint-Prix (Charles), conseillera la Cour d'appel de Paris.

Pellat, doyen de la Faculté île droit de Paris. Tkrrebasse (Alfred de), ancien député, au Péajre de Roussillon (Isère).

Itier (Jules), receveur des douanes à Marseille. MONNIER DE I.A SlZMRANNK.


MM. Mai.let, recteur honoraire à Paris.

COURNOT, inspecteur général de l'Université. IIoux-Ferrand, homme de lettres à Paris.

SABATIER, curé de Sainte-Anne à Montpellier (Hérault).

Chérias (Jules), juge de paix à Barcillonnette (H.Alpes).

Metgé, avocat à Castelnaudary (Aude).

Uergerre, professeur de musique à Gien (Loiret). MASSAS (Charles de), littérateur à Paris.

Gau, curé à Ribiers (Hautes-Alpes).

Michelet, membre de l'Institut.

(-RIMAUD (Gustave), juge St-Marcellin (Isère). Ducoin (Auguste), avocat à Lyon.

Blanc (Célestin), peintre.

Beux (Gustave du), procureur général à Bordeaux.

Dunglas, ancien inspecteur de l'Académie de Grenoble.

Moléon (de) rédacteur en chef des Annales de l'industrie, à Paris.

Oalvet-Rogniat, ancien député de l'Aveyron. Kerkove (le vicomte), à Anvers (Belgique). Mont (du), ancien professeur d'histoire, a Fontainebleau.

Kerkove- Tarent (le vicomte Kugène de), à Anvers.

Schaekpens (Alexandre), archéologue à Maestriclit (Hollande).

Dewakdre (Henri), avocat à la roui- d'apjicl il<> Liège.

Le Bidart de ïhumaiuk (le chevalier Alphonse Ferdinand), à Liège (Belgique).

Hermenous (Lohis), à linyonne.

.Souué, professeur au Lycée d'Angoulènie.


MM. DARESTE DE LA Chavanne, doyen de la Faculté des lettres de Lyon.

Berriat-Saint-Prix (Félix), avocat à Paris. Jay (Emile), avocat à Paris.

CHEVRIER (Jules), à Châlons-sur-Saône.

Revellat (jeune), agent-voyerenchef de l'Ardèche. Philibert-Soupé, professeur à la Faculté des lettres de Lyon.

Cousin (Louis), à Duukerque.

Lalande, proviseur du Lycée de Vesoul.

Giraud (l'abbé Magloire), recteur de St-Cyr (Var). Guillaume, directeur du personnel au ministère de la guerre en Belgique.

Morik-Pons (Henri), à Lyon.

Bellik (Gaspard), juge suppléant au tribunal civil de Lyon.

ADVIELLE homme de lettres à Pont-Audemer (Eure).

Pillet (Louis), avocat à Chambéry.

F abbe (Adolphe), président du tribunal SaintEtienne.

Onofbio (Jean-Baptiste), président de Chambre à Lyon.

Lescœur (Léon), chef de bureau au ministère de l'instruction publique.

Gkki (Régis), à Voiron.

SAURET, supérieur du Petit Séminaire d'Embrun (Hautes-Alpes).

Keyillout, professeur à la Faculté des lettres de Montpellier.

yuiNSONNAs (le comte Emmanuel de).

Pallias (Honoré), secrétaire de la Société littéraire de Lyon.

Forey (Camille], à Kpierres près Aiguebelle (Savoie).


MM. LANCIA m Brolo, secrétaire de la Société académique de Palerme.

Bourdillon, ancien chefd'institution à Biol (Isère). TOURNEUF (Jules de), propriétaire.

Dubois (l'abbé,), curé de Saint-Denis (diocèse de Belley).

Ducis (l'abbé), archiviste de laHaute-Savoie, à Annecy.

OUILLAND (le docteur), à Chambéry,

Jalabert, doyen de la Faculté de droit de Nancy. CROZET (Joseph-Laurent de), à Marseille.

Hébert (Ernest), peintre d'histoire, directeur de l'Ecole française à Rome.

Labohde, curé de St-Cyprien (Corrèze).

Gallier (Anatole de), à Tain (Drôme).

CHEVALIER, directeur des hospices de la ville de Romans.

Chabrand, médecin à Briançon.

Limur (le comte de), propriétaire à Vannes (Morbihan).

Y'EYRON-LACROix.jugedepaixà à la Côte-St-Audré. Vallentin (Ludovic), juge d'instruction à Montélimar.

Gikaud, ancien député de la Brome.

Roussillon, docteur-médecin au Bourg-d'Oisans. Reviluod (Gustave), directeur de la Bibliothèque universelle et Revue Suisse, à Genève.

Gréau (Julien), propriétaire à Troyes.

Hrouchoud, avocat à Lyon.

Douglas (le comte de), propriétaire au cluiteau de Montréal près Xantua (Ain).

Roman (Joseph), trésorier de la Société française de numismatique et d'archéologie.

Lacroix, archiviste de la Drôine.

Brun-Dlhani), propriétaire à Crest (Dr6me).


MM. Reboud, médecin-major au 3' régiment de tirailleurs algériens, à Bône.

FLOUR DE St-Genis (Victor), vérificateur des domaines à Chambéry.

CHEVALIER fils (l'abbé), de Romans.

Follioley (l'abbé), principal du collège de Lesneven (Académie de Rennes).

Maignien (Edmond), à Grenoble.

Payas-Dumoulin (de), conseiller à la Cour d'appel d'Aix.

.Iouve (l'abbé), chanoine à Valence.

Tripier (l'abbé), à Chambéry.

Foras (le comte do),àThuisset près Thonon (H.Savoie).

Fivel (Théodore), architecte à Chambéry.

Lagahrigue (Fernand), consul à Nice.

Bérenger. avocat général près la Cour d'appel de Lj'on.

Mohkllet (Vincent), capitaine au long cours, à Yokohama (Japon).

Perrossier (l'abbé Cyprien), professeur au collége de Crest (Drdme).

ARNAUD, pasteur à Crest (Drôme).

CHANTRE (Ernest), archéologue à Lyon.

Galbert (Alphonse de), attaché à la préfecture de l'Isère.

Millien (Achille), homme de lettres à Beaumontla-Ferrière (Nièvre).

Hochas-d'Aiglun (Albert de), capitaine de génie, à Chambéry.

.Iussieu (Alexis de), archiviste à Chambéry.


LISTE DES SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES.

SOCIETES DE FRANCE.

Comité des Sociétés savantes au ministère de l'instruction publique.

Ai. Société d'émulation de Nantua.

Aisne. Société historique et archéologique de Chàteau-Thierry.

ALPES (Hautes-). Académie flosalpine à Embrun. AunE. Société académique de Troyes.

Bouches-du-Rhone. Académie des sciences, arts et belles-lettres d'Aix.

Calvados. Société académique de l'arrondissement de Falaise. Académie nationale des sciences, arts et belles-lettres de Caen.

CÔTE-D'OR. Académie de Dijon.

Doubs. Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon.

Drome. Société départementale d'archéologie et de statistique.

GARD.- Académie du Gard, à Nîmes.

GIRONDE. Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux.

Hérault. Académie des sciences et belles-lettres de Montpellier. Société archéologique de Béziers. Société archéologique de Montpellier.

Flle-et-Vilaine. Société académique de Rennes. Société archéologique d'Ille-et-Vilaine.

Indre-et-Loire. Société archéologique de Tou-


ÉTAT DB L'ACADÉMIE AU 1" JANVIER 1871. ~n'_n_- n

raine, à Tours. Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres du département d'Indre-et-Loire. Isère. Société de statistique, des sciences et des arts industriels de Grenoble.

JURA. Société d'agriculture et des arts de l'arrondissement de Dôle.

Loire (HAUTE-). Société d'agriculture, sciences, arts et commerce du Puy.

Loire-Inkérieure. Société académique de Nantes. Maine-et-Loire. Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers. Société industrielle d'Angers. Manche. Société nationale académique de Cherbourg.

Marne. Société d'agriculture, sciences et arts de Châlons. Académie nationale de Reims. Société des sciences et arts de Vitry-le-Français.

MOSELLE. Académie nationale de Metz.

Nord. Société de l'histoire et des beaux-arts de la Flandre maritime, à Bergues. Société dunkerquoise, à Dunkerque.

Oise. Société académique, à Beauvais.

Pyrénées-Orientales. Société des sciences, belleslettres et arts, à Perpignan.

Rhin (BAS-). Société des sciences, agriculture et arts du Bas-Rhin, à Strasbourg.

Rhône. Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon. Société d'agriculture, d'histoire naturelle et des arts utiles de Lyon. Société littéraire. Saône-et-Loire. Académie de Mâcon.

SARTHE. Société d'agriculture, sciences et arts, au Mans.

SAVOIE. -Académie nationale àChambéry. Société savoisienne d'histoire et d'archéologie, à Chambéry. –Académie de la Val-d'Isère, à Moutiers.

Savoie (Haute-). Société florimontane, à Annecy.


Seine. Athénée ou Lycée des arts. Société philotechnique.

Seine-eï-Oise. Société des sciences morales, des lettres et des arts de Seine-et-Oise, à Versailles. Seine-kt-ma.rne. Société d'archéologie, sciences, lettres et arts, à Melun.

Vah. Société des sciences, belles-lettres et arts du Var, à Tonton.

Yaccluse. Académie de Vaucluse, à Avignon. SOCIETES CTRAHGÈRES

ISeloique. Académie d'archéologie de Belgique, à Anvers. Société libre d'émulation de Liège. Espagne. Académie espagnole d'archéologie, à Madrid.

Suisse. –Société d'histoire et d'archéologie de (ienève.


EXTRAIT DES PROCKS-VERUAUX 1>E L'ACADÉMIE' PENDANT L'ANNÉE 1870.

Séance du 7 janvier 1*7(1.

Présidence de M. Burdct.

Présentation de M. le général Yermoloff comme membre résidant, en remplacement de M. Roux, démissionnaire.

Présentation de M. de Rochas d'Aiglun, capitaine du génie, comme membre correspondant.

Rapport de M. Morellet sur les titres de M. Charles de Lesseps fils, présenté comme membre correspondant.

Rapport de M. Crozet sur les titres de M. le baron Achille Raverat, présenté comme membre correspondant.

Election de MM. de Lesseps fils, de M. le baron Raverat, c'.e SI. l'abbé Clerc-Jacquier et de M. Chervin aîné, comme membres correspondants.

M. Gautier termine la lecture de son étude sur une prérogative du Parlement de Dauphiné.

M. Burdet lit un rapport sur un ouvrage de M. de StUenis, membre correspondant, sur les femmes célèbres de Savoie.

Séance du SI janvier 1H3O

Lecture d'une lettre de M. Auvergne, donnant sa dé-


EXTRAIT DES PBOCÈS- VERBAUX n ."r""1",m ,.l,i.· .7.,

mission de membre résidant, à raison de la surdité chronique dont il est atteint.

M. Maignien donne lecture d'une notice rédigée par son fils, membre correspondant, sur la découverte qu'il a faite du sceau du prieuré de St-Robert que l'on croyait perdu.

Rapport de M. Valson sur un ouvrage présenté par M. le général Yermoloff à l'appui de sa candidature comme membre résidant. Cet ouvrage est intitulé Mélanges et souvenirs d'histoire, de voyages et de littérature. Paris, 1858, 1 vol. in-8°.

Séance du 4 février 183O.

Lecture d'une lettre de M. le ministre de l'instruction publique, annonçant que la distribution des récompenses accordées aux Sociétés savantes des départements, à la suite du concours de 1869, aura lieu à la Sorbonne le 23 avril 1870, après trois jours de lectures et séances publiques.

Election de M. le général Yermoloff comme membre résidant.

Lecture par M. Cliaper d'un passage d'un Mémoire manuscrit de M. Farnaud, ancien secrétaire général de la préfecture des Hautes-Alpes, relatif à une tradition rapportée par M. Ladoucette dans son ouvrage sur )'histoire de ce département.

Lecture de il. Patru sur un ouvrage de controverse philosophique et littéraire de M. Robert. Cette lecture, destinée au concours de la Sorbonne, est soumise à l'approbation de l'Académie, qui l'admet au scrutin secret.


Séance du 1B février 1STO.

Après diverses observations relatives à l'administration de l'Académie, M. Maignien donne lecture d'un travail qu'il a fait, à la demande de M. de Douglas, sur les poésies de Calignon, rédacteur de l'édit de Nantes, dont M. de Douglas est sur le point de publier les œuvres inédites.

Héanceilu4mi>ii 1 HÎO

M. Caillemer lit un travail destiné aux lectures de la Sorbonne, sur la liberté de conscience à Athènes. Cette lecture est approuvée.

»i-bii<-<. <lu IN niuiB IH3U.

Election de SI. Albert de Rochas d'Aiglun, comme membre résidant, en remplacement de M. l'abbé Auvergne, démissionnaire.

Lecture de M. Morellet destinée au concours de la Sorbonne. L'auteur étudie les causes des réelles souffrances de la vie agricole, et présente comme remède l'extension d'un crédit foncier et agricole réel, auquel le notariat servirait d'intermédiaire. Cette lecture est adoptée.

Lecture de M. Patru sur la liberté d'enseignement à Athènes et à Rome. Observations de M. Caillemer sur cette lecture.

Séance <̃<̃ 1" avril 1N7O.

Après diverses observations sur des détails d'administration. M. Patru fait une seconde lecture sur la li-


berté d'enseignement à Athènes, et demande que cette lecture soit approuvée pour le concours de la Sorbonne, et que le choix lui soit laissé entre cette lecture et celle précédemment faite. La lecture est 'approuvée. (Séance du 13 mut 1WÎO

Désignation de MM. Macé et Gautier, sur l'invitation de M. le recteur de l'Académie, pour faire partie du jury chargé de décerner un prix annuel de 1,000 fr. institué par le gouvernement.

Lecture par M. Burdet, président, de la suite d'un travail sur la condition civile des femmes, sujet qui avait motivé une première lecture en vue du concours de la Sorbonne, ait mois de février 1869.

Séance du 1O Juin IHÏO.

Lecture par il. Boistel, membre récipiendaire, de son travail de réception, sur la théorie de la rente, les harmonies économiques et les données de Bastiat à ce sujet. Réponse à cette allocution, par M. Burdet, président, qui fait à son tour l'étude critique de la théori.' émise par le récipiendaire.

Nomination de M. de Vroil, de Reims, comme membre correspondant, après rapport oral de M. Macé. Ménnce du < jutHet IEVT1).

tënvoi par M. Arnaud, membre correspondant, du manuscrit d'une histoire de l'Académie de Die, dont il demande l'insertion au Bulletin. Décision de l'Académie Detphinale portant que le travail de _M. Arnaud


sera lu à l'Académie et publié ensuite au Bulletin, s'il y y a lieu.

Lecture de réception de M. MonaYon, nommé membre résidant. Le sujet choisi par l'auteur est l'éloge de Lamartine, dont la personnalité et l'œuvre sont étudiés à divers points de vue. Réponse au récipiendaire par il, Burdet, président.

Rapport oral de M. Caillemer sur les ouvrages littéraires envoyés par l'Académie de Christiania, notamment sur la vie de Thomas Becket.


REVUE DES PUBLICATIONS

REÇUES PAU L'ACADÉMIE DELPHINaLE PENDANT l/A.VN&E 1870.

1 yotice par le général Ouillacme, chef du personnel au ministère de la guerre de Belgique, sur quatre régiments Vallons au service du roi des Deux-Siciles. 2. Feuilles 7, 8, 9, 10 des Comptes-rendus des séances de la Société française de numismatique et d'arrhéologie de Paris,

3. Actes de l'Académie des sciences, lettres et arts de Bordeaux, 3* série, 30e année, 1868. 3e trimestre. 4. Recueil des Mémoires et documents de l'Académie de la Va) d'Isère (à )Ioutiet's). 1" vol., 3'tivraison;2' vol., 1™ et 2' livraisons.

5. Mémoires de la Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux (Rapport méthodique sur les progrès de la chimie organique pure en 1868, parle docteur }(icé) en feuilles.

6. Bulletin de la Société d'agriculture, sciences el arts de la Sarthe, 2" série, t. XI, 20e de lit colleclion; 1869, 3' trimestre,

7. Mémoire» de l'Académie impériale des sciences. arts et belles-lettres de Savoie, 18fi9, I. XI.


H. Procès^cerbal des séances du Couvres archéologique de France, 1868, 33' session.

9. Revue des Sociétés savantes; 'i' série, t. X", novembre1869.

10. Annales de la Société académique de liantes et de la Loire-Inférieure, 1869, I" semestre.

M. Mémoires de la Société littéraire du Lyon (1868). 12. Bulletin de la Société d'archéologie et de statistique de la Drfimo (5'année, janvier. 7e à 1 6e livraisons). 13. Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux (1869).

14. Programme du congrès des délégués des Sociétés savantes qui se tiendra à Paris du h au 9 avril prochain. 15. Programme du concours de la Société académique de Lille.

16. Programme de la Société llalavn de philosophie il' expérimentale de Rotterdam.

17. Annales de la Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres d'Indre-et-Loire (août, septembre, octobre, novembre et décembre 1869).

18. Mémoires de la Société dunkerqnoise, t. \1Y ( 1868-1 869).

19. Société des sciences et arts de Vitry-lo-Krançais, du 23 avril 1868 au 17 juin 1869.

20. Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Colmar (l 869).

21. La Mer morte ou Lac asphattite: brochure par M. Kugène Arnaud, de l'Académie du <iard; Nîmes, Clavel. 1 809.

22. Observations sur le Cartulaire de St-Hugon en Savoie, de M. Eugène Burnier; brochure par M. Pii.ot. 23. Mémoires de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Marne (1869).


24. Mémoires de l'Académie impériale des belloslettres et arts do J.yon (classe des sciences, 1869). 25. Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Saillie, 2" série, t. XI, 4e trimestre, 1869. 26. Mémoires de la Société française de numismaliqufi et d'archéologie de Paris; fascicules H à 17. 27. Revue des Sociétés savantes, décembre 1869. 28. Mémoires do la Société littéraire et archéologique de Lj-on (1869).

i'i. Mémoires do la Société d'archéologie, sciences et arts de l'Oise; 1 86'.», t. VII, 2' partie.

.'JO. Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux, 2e cahier du t. VI.

31. Annules de la Société d'agriculture des sciences, arts et commerce du l'uy; t. XXIX, 1868.

32. Comptes-rendus de lu Société française de mimi.>malique et d'archéologie, t. II, 1870; Paris. 33. Dictionnaire topographique du Morbihan (1870;. 34. Bulletin de la Société d'archéologie et de statistique de la Drôme, a* année, 17* livraison avril 1870. 3o. Le dernier héros du moyen-âge en Belgique, l'hilippe de Clèves, par le général Guillaume, membre correspondant (1871)).

3fp. Elude sur Clicquet-Hernache, économiste du 19' siècle, par M. Jules de Vroil Paris, 1870.

37. Discours du ministre de l'instruction publique à la réunion des Sociétés savantes 23 avril 1870. 38. Compte-rendu do la Société de bienfaisance pour l'enseignement dos bègues indigents, par M. Terme, député du Rhône,

39. Revue des Sociétés savantes, S' série, janvier et février 1870,


40. Annales de la Société d'agriculture, sciences, arts et lettres d'Indre-et-Loire, 109e année janvier, février, mars 1870.

41. Trois nouveaux Mémoires de la Société des sciences, agriculture et arts du Bas-Rhin, t. IY, 4* fascicule. 42. Actes de l'Académie de Bordeaux, 4e trimestre (1868).

43. Journal d'agriculture de la Cdte-d'Or, de janvier à mai 1870.

44. Annuaire de la Société philotechnique, 1869; Paris.

45. Bulletin de la Société de statistique de l'Iscrp, !!• série, t. II, 1r*et 2' livraisons.

46. Notice sur le corps du génie en Belgique au 1 8' siècle, par le général Guillaume, membre correspondant. 47. Envoi de divers volumes, entre autres, une Vie de Thomas Becket, en suédois et en latin, par l'Académie de Christiania (îiorwége).

48. Opinion de la province sur In question des arènes gallo-romaines découvertes rue Monge; Revue par M. Poxtin d'Amécourt.

49. Comptes-rendus de la Société scientifique et littéraire d'Alais (2 dernières années).

50. Bulletin et Mémoires de la Société archéologique d'IUe-et- Vilaine, t. VII (1870).

51. Actes de l'Académie des sciences, lettres et arts de Bordeaux.

32. Société des sciences, agriculture et arts du BasRhin (section agronomique), t. V, n° 1; 1870. 53. Généalogies et armoiries dauphinoises, par Edmond Maigkien, membre correspondant. – Grenoble. 1870 1" fascicule.


54. Brochure sur le marquis d'Aubais, par M. De Galuer, membre correspondant.

55. Revue des Sociétés savantes; mars, avril et mai 1870.

56. Annales de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Loire, t. XIII (1 869).

57. Bulletin de la Société académique du Var, t. III, nouvelle série.


MÉMOIRES ET RAPPORTS.



SUR LA PRÉROGATIVE

DU COMMANDEMENT DANS 1A PROVINCE

ATTRIBUÉE A LA PRÉSIDENCE DU PARLEMENT DE GRENOBLE en l'absence

OU GOUVERNEUR ET DU LIEUTENANT-GENERAL

Au Gouvernement île Daupliiné

ÉTUDE HISTORIQUE ET CRITIQUE Pau M. le PmSsiiiiot GAUTIER.

Séances des 10 et 17 décembre 1869 et V Janvier- 18ÏO.

Le 3U juillet 1716, le Parlement de Grenoble, les Chambres assemblées enregistrait des lettres-patentes du roi, données à Paris le 12 du même mois, et portant, suivant leur intitulé provisions de commandant dans la province du Dauphiné pour le premier ou le plus ancien Président de ce Parlement. EUes étaient précédées d'un préambule dont le texte, suivi de leurs dispositions, était ainsi conçu:

« Sur ce qu'il nous a été représenté par nos aînés et » féaux les gens tenant notre Cour du Parlement de i> Dauphiné, que de tout temps les rois nos prédéces» seurs ont confié le commandement de ladite pro» vince, en l'absence du gouverneur et du lieutenant» général en icelle, au premier Président, et, en son » absence, au plus ancien Président qui y préside, par


» un privilège partieulieraudil Parlement, et (ianslequel » il a été maintenu en IMi par le feu roi notre très» honoré seigneur et bisaïeul; les ordres lui ayant été » adressés pour la convocation des arrière-bans, levées » des milices, réformes de régiments, routes des trou» pes, ordres pour les Te Deuin, et généralement pour » tout ce qui concerne la police dans ladite province » nous nous sommes fait rapporter les titres sur les» quels lesdites représentations nous ont été faites, et à » l'occasion du commandement que nous avions donné, » le 7e avril dernier, au sieur comte de Mcdavy: et vou» lant régler pour toujours ce qui peut concerner le » commandement de ladite province, nous avons fait » attention au zèle à la fidélité et affection singu» lière avec laquelle notredite Cour de Parlement de » Dauphiné s'est toujours attachée au bien du service, » en ayant donné des preuves qui nous font espérer » qu'elle continuera à nous servir utilement à l'avenir. » A ces causes et autres à ce nous mouvant, de l'avis » de notre très-cher et amé oncle le duc d'Orléans, régent de notre royaume, nous avons notre-dite Cour de Par» lement de Dauphiné maintenu et confirmé, mainte» nous et confirmons dans la possession de ses an» ciens privilèges et, en conséquence, en tant que be» soin est et serait, nous avons ledit sieur premier Pré» sident en icelle, et, en son absence, le plus ancien » Président qui y présidera, commis, ordonné et établi, » commettons, ordonnons et établissons par ces pré» sentes, signées de notre main, pour commander dans » toute l'étendue de notredite province de Dauphiné, » avec pouvoir d'ordonner, tant aux habitants d'icelle, • qu'aux gens de guerre qui y sont ou seront établis, et


» dans toutes les places dudit pays, tout ce qu'ils au» ront à faire pour le bien de notre service, faire vi» vre les habitants en bonne union et concorde les uns » avec les autres, et lesdits gens de guerre en hou or» dre et police, suivant nos règlements et ordonnances » militaires; mander, convoquer et assembler par-de» vant lui, toutes fois et quantes le besoin le requerra, » les gens d'église, la noblesse, officiers, consuls, mai» res et échevins, syndics, bourgeois et habitants des » villes de notredite province, pour leur ordonner » ce qu'ils auront à faire pour notre service ouïr les » plaintes de nos sujets et sur icelles leur pourvoir et » faire administrer la justice suivant nos ordonnances » et règlements, tenir la main à ce qn'ilssoient observés » et généralement faire tout ce que nous ferions si » nous étions présent en personn3, encore que le cas » requît mandement plus spécial qu'il n'est porté par » lesdites présentes. Mandons et ordonnons à tous » nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, de lere» connaître. lui obéir et entendre, en ladite qualité de » commandant dans notredite province de Daiiphiné, » eu tout ce qu'il leur ordonnera touchant et concer» nant ledit commandement, toutes fois et quantes que » le gouverneur et notre lieutenant-général en notre» dite province de Dauphiné se trouveront absents, on » qu'il n'y aura point de commandant à qui il nous » aura plu de donner nos lettres de commission parti» culière pour aller commander nos troupes dans la» dite province pour le bien de notre service, et pa» reillement en cas que ledit commandant s'absente. » Nous entendons toutefois qu'aucun commandant, » de quelque rang et quelque dignité qu'il soit revêtu.


» ne pourra jouir du droit de préséance au Parlement » et autres honneurs particuliers qui n'appartiennent » qu'au gouverneur et au lieutenant-général de ladite » province, quand môme sa commission le porterait. » N'entendons aussi que semblable commission prive » le sieur premier ou plus ancien Président des hon» neurs qui lui sont attribués comme commandant na» turel en l'absence du gouverneur et du lieutenant» géneral, tels que celui d'avoir une sentinclle à sa » porte et autres, même lorsque ledit commandant par» ticulier sera à Grenoble. Donné, etc. Signé Louis, » et au repli: par le Koj-dan ph i ti le duc d'Orléans pré» sent, signé Pheiypeaux. »

Les dispositions de ces lettres-patentes que je viens de reproduire tout entières pour en montrer le sens et l'étendue, particulièrement au point de vue de la question d'histoire locale que je dois traiter, ne furent point reçues sans opposition et sans contrôle. Malgré le soin apporté dans la rédaction pour en déterminer les conditions etles effets, elles soulevèrent dans leur exécution desdifficultés sur lesquelles je pourrai rencontrer au cours de ce rapport quelques documents inédits ou peu connus qui ne seront peut-être pas sans intérêt. Malgré l'affirmation si positive qu'elles renferment du droit ancien consacré en faveur du Parlement de Dauphiné et de son chef, l'existence antérieure de ce droit et sa légitimité historique furent encore contestées. C'est à cet ordre de contradictions, venues sans doute de prétentions rivales, froissées par cette ingérence des gens de robe dans un commandement devenu l'attribut de la noblesse militaire, que se rattache le Mémoire dont l'Académie Delphinale m'a chargé de l'entretenir et dont elle iloit la


communication à M. le baron de ftirardot, secrétairegénéral de la préfecture de la Loire-inférieure. Cette pièce, qui porte le seul titre de Mémoire, sans autre indication sur l'objet qui s'y trouve traité. est un manuscrit de deux feuilles à grand format, d'une laigK et belle écriture du dernier siècle. Elle est suivie d'un extrait abrégé des commissions données pour le gonvernement et le commandement de la province en l'absence des gouverneurs et lieutenants-généraux, cet extrait écrit de la même main et sur trois feuilles du même papier.

Je reproduis ici le texte du Mémoire, qui est court et précis, et qui méritera certainement, aux yeux de l'Académie Delphinale, d'occuper une place dans son Bulletin. 4

MÉMOIRE (')̃

Le Parlement de Grenoble prétend que le premier ['résident ou l'ancien de cette Cour 11, de temps immé(') Extrait abrégé dus commissions données pour le gouvernement et commandement de la province en l'absence des gouverneurs et lientniants-généraux.

16 mars 1333.– Henry de Yillard, archevêque de Lyuii, premier gouverneur du Daupliiné, donna à lîéranger de Montaud, archidiacre de Laudève, un pouvoir absolu pour veiller à l'administrai io» de la justice par lettres du 16 mars 1333.

26 avril 1 3()G. Raoul de Laupy, gouverneur, nomma Guillaume, évêque de Genève, son vice-gérent au fait de radiuiuislration de la justice, et Guy Copier, bailly de Viennois, son vice-gérent pour la guerre.

136U. JouYey, vicomte de f.lerinont, fui lieutenant-général du


morial, le droit de commander la province en l'absence du gouverneur et du lieutenant-général, et que c'est un même; on n'a pas sa nomination; on ne sait pas par qui il fut nommé, mais il en conste par une ordonnance qu'il donna, le 12 vrier 1369, où il se qualifie de lieutenant de Raoul de Laupy, gouverneur.

19 août 1309. – Le vant que de quitter le Dauphiné pour aller en France, nomma pour gouverner en sa place un conseil qu'il composa de Guillaume, évèque de Genève; Disdier de Sassenage, chevalier; llumberl Pilati, prévôt de St-André, auditeur des comptes; G «y Copier, bailly da Viennois; Reynaud Reyniond, juge-majeur des appellations; Ainédée de la Motte, Reynaud Fallavel, chevaliers, et Jean de Salice, auditeur des comptes. 19 juillet 1371. Jacques de Viennes, obligé de s'absenter, nomma pour gouverner en sa place un conseil composé île Guy de Morges et Amédée de la Motte, chevaliers, Humbert Pilati, prévôt de St-André, auditeur des comptes, Reynaud ïteymond, juge-majeur des appellations; Jacques Rogny, juge-majeur du Graisivaudan, et Jean de Salice, auditeur des comptes,

̃4 octobre 1376. Charles de Bouville, gouverneur, devant s'absenter de la Province, établit un conseil pour gouverner le Dauphiné, composé de plusieurs chevaliers à la tête desquels il met Gobert Cartier, Gobertus Curtarius, vice-chancelier du Danphiné.

̃4 décembre 1385. Knguerrand d'Eudîn, nommé gouverneur du Dauphiné le 7 octobre 1385, ne pouvant venir en Dauphiné à cause des affaires dont le roy l'avait chargé, donna à honoré homme M* Robert Cordelier, conseiller du roy, pouvoir de gouverner la Province toutes et quantes fois il serait absent, en appelant avec lui les gens du conseil établis audit pays en tel nombre qu'il jugerait à propos.

ii mars 1390. Après la mort d'Knguerrand d'Eudin, le roy commit le conseil delphinal pour gouverner le Dauphiné pendant la vacance et ordonna que les lettres qui seraient expédiées seraient scellées du sceau des gens des comptes.

6 mai 1400. ̃ Geoffroy le Meingre donna pouvoir an conseil


privilège qui lui est particulier. Le principal et presque le seul titre qu'il pourrait avoir à présenter pour delphinal «le gouverner et administrer la Province pendant son absence.

25 octobre 1407. Guillaume Delaire, gouverneur, donna pouvoir an conseil delpMnal de gouverner la Province pendant son absence, comme les gens du conseil avaient accoutumé de faire pour les gouverneurs et lieutenants, et ce tant qu'il lui plairait.

ri août 1 i!4. Jean dWiigennes, nommé gouverneur du Daupbinë, passa procuration à plusieurs seigneurs de la Province pour prendre possession de son gouvernement, et ceux-ci donnèrent pouvoir au conseil delphinal de gouverner pendant son absence.

l*r février lilo. Après la mort de Guîchard Dai.phin, seigneur de Jaligny, le roy nomma le conseil delphinal pour gouverner pendant la vacance et par spécial au fait de la justice; cette nomination fut faite, ensuive de la lettre du conseil delphinal, écrite au roy, il lui disait qu'attendu le trépas du gouverneur, il n'avait plus puissance de gouverner et tenir la juridiction etjustice. 2o novembre 1 il6. Ilenry de Sassenage fut commis au gouvernement de Oauphiné par le dauphin Jeun; le dauphin Cliailes lui confirma cette commission, le 1er mai 1 117, quoiqu'il eùt nommé auparavant gouverneur Raoul deGaucourl.

17 février 1 il8. Le gouverneur étant a lisent et Henry de Sassenage, lieutenant, étant aussi obligé de s'absenter, nomma le conseil delphinal pour gouverner en son absence, et le qualifia son lieutenant.

27 mai 1420. Gilbert de La Fayette fut commis par dauphin Charles an gouvernement (lu Daupliiné jusqu'à ce que Raoul de Giiucourt fût sorti de prison de chez les Anglais.

i1* novembre li20. Randon de Joyeuse fut commis par le dauphin au gouvernement rlu Dauplimé; il fut ensuite fait gouverneur.

irr mai 1 121. Le conseil delphinal tenu a St-Marcellin, dans la maison de Jean de lîarral, trésorier général du Daupltiné, étaient seulement Jean Girard, président, ledit trésorier général et Etienne


prouver l'existence do ce privilège, sont les lettres-patentes du 16 juillet 1710.

Durand, conseiller delphinal, reçoit la renonciation de Siflrej Toloo de Ste-Jale, conseiller delphinal, qui résigne son office à cause de la résidence qu'il était obligé de faire ait consistoire delphinal, en se réservant cependant une pension et ses gages, conformément aux lettres-patentes du dauphin Charles. Ce conseil se qualifie de lieutenant et vice-gérant de Itandou de Joyeuse, gouverneur. 20 juin 1422. lïandon de Joyeuse nomma Jacques de MontMaur son lieutenant et gouverneur de Dauphiné pour icelui office exercer tant qu'il lui plairait, ensemble avec les gens du conseil dudit pays, selon l'usage il'iceluî et ainsi qu'il a été accoutumé de iaire, en se réservant lu donation des olïîces si aucuns éehéaïent; le mandement des lettres porte injonction d'obéir au lieutenant, sans parler du conseil.

27 février 1421.– Le même établit son lieutenant, pour gouverner avec le conseil delphinal, Jean Gascon

21 juin 1424. 11 nomma son lieutenant, Antoine de Sassenage, pour gouverner avec le conseil delphinal.

Toutes ces lettres portent la clause « Tant qu'il nous plaira. » 26 mars 1426. Le comte de Foix devant partir pour le Languedoc, nomma pour ses lieutenants et vice-gérents, savoir: les gens du conseil delphinal, pour ce qui concernait la justice tant seulement, et Elzéas Riga ml pour tout le surplus de l'exercice des fonctions de la charge de gouverneur.

31 août 1426. Jean Gérard, maître des requêtes, et Elïéas Itigaud, chevalier, furent lieutenants du uowie de Foix, gouverneur. Ils sont présents en cette qualité à un ariyt d'enregistrement de certaines lettres expédiées au nom du gouverneur, le conseil delphinal est qualifié aussi vice-géreut du gouverneur. Raoul de Gaucourt, qui avait été nommé gouverneur par le dauphin Jean, en I î)7, n'avait pu encore exercer son olliee, parce qu'il fut fait prisonnier chez les Anglais; il n'en sortit qu'en H28. Le comte de Foix donna sa démission et liaoul de Gaucourt fut do nouveau pourvu de l'office de gouverneur.

29 janvier 1 128.– Raoul de Caucourt, étant obligé de s'absenter, nomma pour son lieutenant Jean f.irard.


Elles furent données sur un exposé peu exact du Parlement portant que de tout temps le commandement de 13 janvier 1434. HumbcrL de Grolée exerçait les fonctions de lieutenant au gouvernement.

26 aoûl\i[ïï. Raoul de Gaueourl, avant de quitter le Dauphiné pour service fin roy, nomme Guillaume Juvénal desUrsins pour gouverner et administrer la Province en son absence. 9 août liil, Gaucourt avant été fait une deuxième fois prisonnier par les Anglais, et Juvénal des Ursins, biiilly de Sens, étant obligé de faire résidence en son bailliage, le dauphin Louis XI nomma Gabriel de. Bernes, seigneur de Forges, son maître d'hôtel, lieutenant pour gouverner et administrer la Province jusqu'au retour de Raoul de Gaucourt.

2 4 juin liiS. Louis XI, dauphin, nomma Eynard rie Clermont à la charge de ait gouvernement de Uauphiné, en récompense de ses bons et grands services et de ceux de ses prédécesseurs, à la place de Gabriel île Bernes qu'il désappointa et déchargea dudit office, du est-il dit, du gouverneur la lieutenance est indéfinie et n'est point fixée comme la précédente au retour du gouverneur.

Raoul de Gaucourt se démit ensuite de sa charge Louis de Laval y fut nommé par le (hiuphîn,

^H juillet i-iî»5. Le dauphin Louis XI donna à Reymoiul Eynard la charge de lieutenant-général au gouvernement de Dauphiné, vacante par la mort (TËynanl de Clermont.

Il faut observer que c'est la première fois qu'il a élé pourvu à l'office de lieutenant-général au gouvernement après sa vacance, lorsque le gouverneur résidait dans la province et ne devait pas s'absenter. C'est à cette époque que cette charge de lieutenant-général a commencé d'exister comme celle de gouverneur, et qu'on y u pourvu à chaque vacance. Avant Eynard de Clermont, c'était une commission qui n'existait qu'autant que les gouverneurs éluient ab- sents, et de cette époque aussi, c'est à-dire, depuis Eynard de Clermonl, les lieutenants furent nom niés par les dauphins on les roys de France el non par les gouverneurs comme auparavant, et si les gouverneurs nommèrent quelquefois en cas urgeul, il fallait rapporter au plus tôt les lettres de continnalion.


la province avait été confié au premier Président de cette Cour ou ait plus ancien que ce droit même avait 8 mars 1,124. Le gouvernement do Dan» Inné et la lieutenance étant vacants, Charles fut commis au gouvernement de Dauphiné, après la prise de François l*r, par lettres de la reynemère, régente du royaume, jusqu'à ce qu'il fût pourvu auxdites charges de gouverneur et lieutenant-général.

9 mai 1525. La même nomma à la lieulenance générale le marquis de Saluces.

17 mai 1526. François Ier nornma au gouvernement François de Bourbon, comte de Si-Paul.

5 avril 1554.– Antoine de Clermont fut pourvu de la lieutenance générale au gouvernement de Dauphiué.

i6 novembre 1590. Après la prise du maréchal d'Ornano, la noblesse deDauphiné, assemblée, nomma Arttis Prunier de St-André, président au Parlement de Grenoble, pour administrer, sous le bon plaisir du roi, les affaires de finance et police pendant les mois mai et juin; il fut confirmé dans l'administration au fait des finances et de la justice, jusqu'à ce qu'autrement fût ordonné par lettres d'Henry IV, dont lit date est ci-contre. Henry de Bourbon était gouverneur.

'S0 août V691 Le maréchal d'Ornano ét;inl obligé d'aller en Provence et Languedoc pour commander les troupes du roy, donna commission ait sieur Ennemond Rabot, seigneur d'IMins, premier Président au Parlement, comme chef de la justice et le plus ancien conseiller d'Etal qui étaiten Daupliiné, de gouvernerel administrer les affaires d'Ktat et police pendant son absence.

6 et lfi août lfil<>. Lettres-patentes de Louis XIII au l'arlement et à la Chambre des Comptes pour continuer leurs séances pendant les vacations, attendu l'absence de M. de Lesdiguières. maréchal de France, lieutenant-général au gouvernement de Hauphiné., et huit jours après son retour ou jusqii'aee qu'autrement fût ordonné parle rov, à l'effet de prendre soin, pendant ledit temps, des affaires de la Provime et contenir un chacun en son devoir. Depuis ces lettres, il ne parait auriine commission du gouvernement de la Province en faveur du Parlement jusqu'aux lettres-pa-


été confirmé en 1 644; et il est vraisemblable qu'en faisant expérlier ces lettres-patentes, l'intention du roy ne put être que de confirmer un ancien privilége, mais non de faire une innovation on peut le juger par les termes dans lesquels Sa Majesté s'y explique et en tant que de besoin est ou serait, établit et commet le premier Président ou l'ancien des Présidents pour commander dans la province lorsque le gouverneur et lieutenantgénéral sont absents, ou qu'il n'y aura pas de commandant par commission particulière pour commander les troupes.

On peut voir, par le relevé ci-joint à ce Mémoire et extrait abrégé des lettres, actes ou ordres remontant en l'année 1363 qui ont établi des commandants par intérim, que le Conseil delphinal n'a jamais été commandant-né de la province, et que, depuis 1-4-53, où, sous le règne de Louis XI, dauphin, il a pris le nom de Parlement, il n'a pas acquis plus de titre pour autoriser cette prétention, et il n'y a aucun acte qui ne dépose contre elle.

Tous ces différents actes établissent k la vérité que le commandement de la province a été confié dans des intérim à des militaires, des chevaliers, à des officiers même de la Chambre des comptes, quelquefois à un conseil que les gouverneurs mêmes avaient droit d'établir exprès, d'autres fois au Conseil delphinal et successivement au Parlement, mais toujours en nom collectif et jamais à celui qui le présidait. Presque toutentes de 1716, qui donnent au Parlement le droit de commander dans la province en l'absence des gouverneurs et lieutenants-généraux ou lorsqu'il n'y aura pas de commandant par commission ou par brevet.


jours le pouvoir de ces Conseils a été borné à l'administration de la justice, d'autres fois encore à celle de la police et des finances, mais aucun de ces actes ne prouve que ce pouvoir se soit étendu jusqu'au commandement des troupes.

La raison en est toute naturelle; lorsque les dauphins gouvernaient cette province, ils n'entretenaient aucunes troupes réglées en temps de paix ils en levaient seulement lorsqu'ils voulaient porter la guerre chez leurs voisins, et alors ils convoquaient leur noblesse qu'ils emmenaient avec eux. Pendant leur absence, ils chargeaient le Conseil delphinal du commandement, ou un chevalier qu'on mettait à leur tête; mais n'y ayant point de troupes, son autorité ne pouvait s'étendre sur elles, et au retour des expéditions, dès le moment que les dauphins étaient rentrés sur leurs terres, toutes les troupes à leur solde étaient licenciées. Le Parlement ne saurait donc tirer aucun avantage de tous les anciens titres qu'il pourrait citer, n'en pouvant surtout produire aucun qui justifie que celui qui le préside soit lieutenant-général de la province et commandant-né, ni qu'il en ait pris la qualité. La meilleure preuve qu'on puisse donner que ce droit ne lui était pas acquis, c'est que chaque fois qu'il était question de commander par intérim, on ne pouvait le faire sans un pouvoir ou une commission expresse, qui a été donnée, ainsi qu'on l'a dit plus haut, des fois à un conseil établi exprès, d'autres au Conseil delphinal, et quelquefois à des chevaliers; quelquefois encore il des officiers de la Chambre des comptes qui dans un temps se trouvait unie au Parlement et qui conséquemment se trouverait fondée à réclamer le même droit


s'il eût existe, on s'en fût prévalu dans l'occasion, et les nouveaux pouvoirs ou commissions ad hoc seraient devenus inutiles. ha Chambre des comptes ne réclame rien, le Parlement n'a pas plus de droits que cette Compagnie.

Il pourrait citer tout au plus une ou deux époques avant 1710, où la commission de commander a été donnée à son premier président. Depuis 1426 jusqu'à 1616, elle avait été donnée constamment à des militaires il est vrai qu'en 1590 et 1591 le sieur Prunier de Saint-André, président au Parlement, et le sieur Rabot d'Illins, premier président, furent commis au gouvernement, pour la police et finances, le premier choisi par la noblesse et ensuite confirmé par des lettres de Henri IV, et le second parle maréchal d'Ornano. Ce sont là les seules occasions où on peutdirequele premier président ou le plus ancien eurent lo commandement encore voit-on qu'il n'était question ni de militaires ni de troupes et de plus faut-il observer que toutes les anciennes lettres qu'on leur expédiait, poitaient toujours la clause expresse, pour commander tant qu'il nous plaira ou jusqu'à nouvel ordre, ce qui ne saurait prouver un droit bien établi.

Il n'y a donc que les lettres-patentes de 1716 dont il puisse se prévaloir; on ne saurait les regarder comme la confirmation d'un ancien privilége, puisqu'il n'en existe pas mais seulement une attribution d'un nouveau que la circonstance seule a favorisé; encore fallut-il, pour les obtenir faire valoir deux faux principes on y allègue une confirmation de 1644 qu'on ne connaît point, qui n'exista peut-être jamais; vainement on en a fait la recherche, elle n'a point été trouvée;


on y avance que les titres ont été rapportés, sans en citer aucun ni en donner aucun détail, ce qui semblerait prouver qu'il n'en existe pas ou qu'on a intérêt de les cacher, ne contenant rien de favorable aux prétentions du Parlement on y cite encore des ordres donnés au Parlement pour la convocation du ban et de l'arrièreban, pour les milices et les Te Deum ctd'autros anecdotes de cette espèce qui ne sauraient constater un droit établi.

Tel est le Mémoire que j'avais à soumettre à l'attention de l'Académie Delphinale. Je laisse à la note la nomenclature qui le suit et à laquelle j'aurai plus d'un emprunt à faire dans la suite des observations que je vais présenter.

La question qu'agite le Mémoire n'aurait qu'un intérét bien restreint s'il fallait uniquement l'envisager à raison de l'importance que pouvait avoir sa solution à l'époque où elle était posée, s'il ne s'agissait que de justifier la royale faveur obtenue par le Parlement de Dauphiné ou d'accueillir les objections élevées par d'autres amours-propres ou d'autres prétentions au privilége. Mais elle se rapporte à des institutions qui eurent un caractère exceptionnel et particulier à notre ancienne province, qui s'y établirent par des causes toutes locales, se développèrent et se modifièrent avec le temps, et qui, tout en rentrant peu à peu dans l'ordre commun aux autres provinces du royaume, conservèrent toujours la marque de leur origine. C'est dans cet ordre d'idées que j'ai voulu entreprendre l'étude dont l'Académie Delphinale m'a chargé et que les recherches àfaire m'ont paru véritablement intéresser notre histoire provinciale.


PRÉROGATIVE DU COMMANDEMENT DANS LA PROVINCE. .1 1.1

nuns urwnçuiiiiwises, i. i, [>. *uj.

J'ai été conduit à remonter ainsi jusqu'au premier établissement des gouverneurs du Dauphiné et jusqu'à l'organisation plus ancienne du Conseil delphinal, devenu plus tard le Parlement de Grenoble.

CHAPITRE PREMIER.

ÉPOQUE DU CONSEIL DELPHINAL.

1337 – 1453.

Quand ce magnifique seigneur du moyen âge qui s'appelait le dauphin Humbert Il, suivant jusqu'à leur dernier terme les tendances ambitieuses et les aspirations princièrcs de sa maison, voulut donner à son autorité le caractère et l'éclat de la puissance souveraine, il constitua lé Conseil delphinal à l'instar des Parlements de la royauté, dont il avait un moment recherché les honneurs et le titre suprême. Il en fit tout à la fois une haute Cour de justice et un Conseil d'Etat, lui donnant une autorité supérieure, une juridiction universelle (l), des attributions administratives et politiques. Il l'éleva au-dessus de tous les tribunaux et de tous les officiers de justice, dont il permit de lui déférer toutes les décisions et qu'il soumit tous et sur toutes choses à son obéis{'} Jurisdictionem ouiuiinoctain pisdem commisiimis. – Premières lettres d'institution du 22 février 1337. Valbonnays, Histoire du Dauphiné, t. 2, p. 328. Fauché-Prunelle, Essai sur les anciennes institutions briançonnaises, t. 1, p. 49u.


sance ('). Il le préposa au contrôle des finances (•), à la conservation de son domaine('),au règlement des droits féodaux (*). II lui confia la garde des châteaux et des forteresses, la mission de les réparer et de les reconstruire, et par suite la défense même du pays (E). Il l'investit de la direction de la justice criminelle et de la police (6), et lui conféra les pouvoirs les plus étendus sur l'administration des intérêts publics et privés (7), lui concédant, suivant la large expression de l'un de ses titres d'institution, la puissance du glaive et l'autorité plêmère (8).

(1) Volumus quod itoasiliuni sit majus superius super omnes judices et ofïiciules, et ad ipsum tanquam ad majus et superiiis recursus haberi possit, et sibi ut majori ab omnibus in omnibus obediatur. Ordonnance du 1" août 1340, Apud slatnta Delphinalia, $VA° à SU". Fauché-Prunelle, Essai cité, t. 1, p. 495. (*] Item quod ad pleniorem justitiam omnium negotiorum tangentium computa et factum peciinïse Mu^istri rationales et Compntatores ac Thesaurarii, vel eorum aliqui, si et quando f'uerit opportunum, debeant cum dicto eonsilio interesse et consilium liaberi cum eisdem. Ordinatio officiomm in donio Dalphimili. Valbonnays, Ilist. du Dauph., l. 2, p. 401.

{') Ibid., même page.

(*) El etiam super fendis et relrofeudis. Ibid.

(^ Castra et fortalitia nostra custuiliri el commun iri ac reparari et a?dilicari facîeudo. ld., ibid.

(B) Et quae nos tain in causis criiniiiiilibus qu.im civilibus pro regimine ac statu Dalpbinatus ac terrœ uostrae facere possnmiis. Id., ibid.

(7) Cuncta conimitlendo eis gnbernanda, regenda et terminanda, sicut nosmet possumus facere si persoualiter adessemus salvis et retentis nobis gratiis atque donis et alienationibns rerum nostrarum stabilium. Ordonnance du 2 lévrier 1337. Valbonnays, l. 2, p. 328.

f) Item quod dictum consilium debeai consilinm Oalpbinale re-


Cette compagnie, comme l'a fait judicieusement observer le président 1J0 Vnlboiiuays ('), étant ainsi chargée des affaires jrubliques et ayallt sous sa direction la guerre, la justice et les finances, comprit dans sa composition des personnes de profession diverse, de robe et d'épée, îles chevaliers et des docteurs, des maîtres ou auditeurs aux comptes et des trésoriers. Elle était cependant distincte du Conseil du gouvernement appeléle grand Conseil [*), dont quelques-uns l'ont cru sortie et où siégeaient entre autres l'évèque de Grenoble et les sénéchaux de la maison du Dauphin. Mais elle n'en fut pas moins dès son commencement, par la force et la généralité de ses attributions et de ses pouvoirs, une institution vivace et prédominante, qui resta inébranlable sur sa base et dut grandir encore en importance et en autorité, quand disparut, par la transmission du Dauphiné à la France, la puissance souveraine des dauphins de Viennois.

C'est dans cette situation qu'elle va bientôt se trouver en contact et en relation intime avec une autorité nouvelle établie sous l'inlluence du changement de régime politique, avec l'autorité des gouverneurs du Dauphiné.

sidens Gralianopoli appellari, cui de nustra scienlia eerta et spontanea volunlate concessimus nieri et mixli imperii atque glailii potesLitein, ao jurisdiclioneni omnimudam et aulboritatem plenariain in Loto Dalpliinatu ac tota tm'a nobis subjecta. Règlement précité de la maison du Dauphin de 13-iO. Valbonnays, t. 2, [>. 401. C| Valbonnavs, Histoire du Dauphine. Humbert II, t. 1, p. H.'>9. (1) mag~t~i Delpi,i~l~. [̃) Nostriiïii magnum eonsilium magnum consitiiini Delpliinale.Ordonnances de 1336 autres. – Valboimays, t. 2, p. 310. –Fauché-Prunelle, Imlitulions briançonnaises, t. 1, p. 493.


Le dauphin Charles, fils aîné du roi de France, substitué au litre et aux droits de souveraineté d'IIumbert II, avait pris possession de ses Etats, reçu en siyne de tradition l'épée du Dauphiué et la bannière de SaintGeorges j1). et, sur la réquisition des Barons et de la Noblesse, prêté dans le palais de l'évèque de Grenoble le serment de conserver les priviléges, les libertés, les franc-bises et les immunités de la patrie delphinale (*). Mais, après quelques mois de séjour en Dauphiné, il fut rappelé à la Cour de France par le sacre du roi Jean et laissa l'administration du pays à Henry de Villitrs, archevêque de Lyon, à qui le dauphin Humbert II avait réservé, par une clause expresse de l'acte de transfert de ses Etats, le titre de Vicaire ou Vice-Roi du Dauphiné (*), et que le nouveau Dauphin confirma, dit Valbonnays ('), dans ces fonctions qu'il exerça jusqu'à sa mort survenue en 1354.

Ce haut titre et cette puissance presque souveraine de vicaire et de lieutenant du prince avaient été plu(') InstrumentuDi traditionis factx in manus Domini Caroli Dalphini cnsis, gladii et vexilli Dalphinatus, que GralianojKili in sacrislia Saneti Aiuireae servabantur. 2o novembre 1355. Valb., 1.2, |). 021.

(*] Jurainenluni pnestitmu a Carolo Dalphino ad requisitionem Baronum, Bannetorum et aliorum nobiliitm, de observandis privilegiis et franchesiis Dalphinalus. I februarii 13K0. Valli., t. 2, p. 613.

(') Voluinus etiain quud [tevcrcndus in Cliristo pater Doinituis Henriciis de Villars, arcliiejtiscopus Lugdunensis, sit et maneat cum plenaria potestate sicut alias eidein concessimus nos dictus Dalphinus, vioarins ((tiandiu vixerit Dalphinatus. Vall> l. 2, p. fîOO. (') Ibid., p. 601.


sieurs fois attribués à Henri de Villars par Humbert II, en 1 335. lors de son voyage dans ses possessions d'Auvergne ('), la même année pendant son séjour à Paris ('), en 1339 durant un nouveau séjour dans cette ville)1), en 1 345 au moment de se rendre à Avignon pour solliciter du pape le commandement de l'expédition qui se préparait contre les Turcs ('), et enfin la même année, lorsqu'appelé par Clément VI au commandement de l'armée chrétienne, il partit pour la croisade, son dernier rêve de gloire et sa dernière déception (').

C'est surtout à l'occasion de ce lointain voyage qui devait retenir le dauphin au-delà des mers parmi toutes les chances de la guerre sainte, qu'Humbfirl Il avait donné à sou lieutenant les pouvoirs les plus amples (') Litlene Huuiberti Dalpliini quibus lleimntim de Villariis, episcopum Vivariensem, constituit lucum-teneiileni simm in loto Dalphinutu qu;tndlii i'ueril absens. 1-i mai lltllS. Valbonnays, t. 2, p. ÏM.

(*) Littene Huuiberti Dalphini quibus de novo constituit Henricum de Villariis, episc. Vivariensem loeuni-tenenlein ac procuratorem sutim ctim omnijnoda poteslate. 12 juillet 133">. Valb., l. 2, p. :199.

[*) LiU(M'ie Mariai de Bancio et Heorici de Villariis, Valentiniensis etDiensis episc., Regt'nlium Dalphinalus. 27 novembre 1 IJ39 Valb., t. 2, p. 388.

[*) Liltera* Itiunberti E>aipliint quibus lleuriciiiu de Villariis, arcliiepiseupom Lugdjnensem, constituit locum-lenenteui snum in Uelpinnatu ac iota terra sua quandiu absens fiieril. – (> avril 1345. Valb., t. 2, p. S06.

{') Litteriie quibus Ilumbertus Dalphinus in discessu suoad partes ultra marinas eonsliLuit de novu Heut'icuin de Villariis, vicarium suum generalem cum omnimoda potestate. 13 j nîllet 13i5. –Valb., t. 2, p. fj 13.


pour régir et administrer ses Etats. Dans les lettres d'investiture solennelle où il déclare l'instituer et le créer «on vicaire, son lieutenant général et particulier, seul régent, pasteur et administrateur de tout le Dauphiné ('), il lui départit les attributions princières, la disposition de ses châteaux et des places de guerre, les droits de justice, de grâce et d'amnistie, le recouvrement des impôts et la fixation des dépenses, la nomination et la révocation des magistrats et des officiers publics, l'appel et l'organisation des gens de guerre, la convocation des Barons et de la Noblesse, l'autorité sur tous les sujets, et le pouvoir réglementaire sous ses formes et dans ses applications diverses.

Je caractérise, en les résumant, ces délégations explicites de la puissance delphinale, tellesqu'elles furent transmises à Ilenrv de Villars, parce qu'elles sont natu relleiucnt devenues l'origine et le type de l'institution des gouverneurs du Dauphiné qui se succédèrent sans transition et sans nouvelle détermination de leurs pouvoirs.

Cette institution, qui plaçait ainsi les gouverneurs du Dauphiné dans une position exceptionnelle et supérieure en puissance à celle des gouverneurs des pro vinces de la monarchie française, était en harmonie (') Dominiiin tleimcum praïsentein VJcarinwi iiosu-um, Ruelorem, l'asturem et Adimnislratorem soluin et in solidum, ac locum iioslluin tenenteni generalem et specialem totïus Dalpltinalus et (iinnium et singularum Ten-umm, Marehiumn], Villaruin, locoriuii, hoimnum, subjecturiim et qiiot'iunciiiH|Uf> jurimn, actionuin et re(liiisitionuin nostrorum et nostraruni, quaniliu absentes erimus, tenore |>ra!seiifui]ii eonalitiiinuis et ereamus. Vall)onna)s. ibid.


avec la situation que les clauses de l'acte de transfert avaient faite aux Etats du Dauphin, destinés, non pas à former une province, mais à rester une principauté distincte, conservant son gouvernement et son autonomie, et désormais unie, mais sans incorporation, à la couronne de France.

La haute autorité des gouverneurs dut se manifester bientôt dans leurs rapports avec le Conseil delphinal, que ses attributions si générales appelaient à participer incessamment à l'exercice du pouvoir politique et administratif et qui devenait le gardien même de cette autonomie du Dauphiné où la vice-royauté conférée aux représentants du prince trouvait sa raison et sa cause. Investi (le l'autorité du souverain, à une époque où le pouvoir judiciaire ne se distinguait pas du pouvoir politique, le gouverneur eut son lit de justice au Conseil Delphinal, dont les arrêts furent rendus souvent en sa présence et toujours en son nom.

Le Conseil delpiiinil surveillait et réglementait la plupart des matières militaires, financières, administratives. Il le faisait par des arrêtés pris au nom et sous l'autorité du gouverneur. Celui-ci, de son côté, dans l'ordre souverain de ses pouvoirs, rendait souvent ses ordonnances au sein du Conseil delphinal, auprès duquel il se transportait ou qu'il mandait auprès de lui, et le texte portait qu'il avait préalablement entendu le rapport du Conseil ('). ou même reçu ses avis après grande et mûre délibération (').

(') Ad relationem cunte. Slatula belphuialia, passim.

(*) Cum inagna et insitura deliberalione Consilii Delpliinalis, in <lii;t fuerunt honorabiles et eirciiuispevti viri, e(c. Ibid., [>assiin, <-t s[>eeialiter, Ordiiialio yeneraiis, p. 1 V.


C'était d'ailleurs au Conseil delphinal, et plus tard au Parlement, qu'était confiée Ja garde des statuts et des ordonnances des gouverneurs, consignés dans son grand registre, qui restait enchaîné dans la salle principale de ses séances (').

C'est ainsi que.se trouvèrent intimement associées, dans l'exercice de leurs pouvoirs, ces deux autorités supérieures, placées cependant à des degrés inégaux et néanmoins jalouses de leur mutuelle indépendance. De cette union plus ou moins calme ou troublée, de ce concours à l'action politique et judiciaire, découla nécessairement, dans l'ordre de leurs situations respectives, un rapport particulier dont les deux termes peuvent se définir, protection du gouverneur assurant l'exécution des décisions du Conseil delphinal, assistance du Conseil delphinal vis-à-vis du gouverneur, suppléé dans ses fonctions par le Conseil lui-même. Mais cette suppléance, cette lieutenance, suivant l'expression latine de l'époque (vices gerens, locum tenens) sera moins un droit reconnu, consacré, qu'un devoir naturel de position, devoir imposé, tantôt par les convenances mêmes du gouverneur ot par délégation directe de son pouvoir, tantôt par la force même des choses et le besoin des circonstances, quand l'absence du gouverneur on la vacance du Gouvernement en réclamera l'exercice.

(') Grosso libro ollienato venerabilis curbe Parlamenti in qno describuntur statutâ et ordinaliones générales, factae per domimim Gubernatorem Delphinatus. Areh. corn, compul. 'ieneralia III, i11 45K v°. Fauché-Prunelle, Institutions briançonnaises. t. 1, p. *88.


Ce n'est pas que les gouverneurs, lieutenants délégués du prince, ne s'attribuent la faculté de se donner eux-mêmes des lieutenants de leur choix. Ce pouvoir ne leur sera pas d'abord contesté ils en useront dans les premiers temps, au moyen d'une désignation spéciale pour chaque absence, plus tard, par une délégation pour toute la durée de leur charge, jusqu'à ce que l'autorité du prince, Inquiète de cette faculté arbitraire érigée en droit trop absolu, la leur retire avec le temps par l'institution délinitive des lieutenants-généraux au Gouvernement du Dnuphiné à la nomination royale. Avant de déterminer le caractère et les effets de cette transformation, suivons, dans l'ordre chronologique de nos recherches et d'après les rares documents qui nous restent, le sort et le fonctionnement de la lieutenance des gouverneurs durant le siècle qui s'écoule entre deux faits mémorables de notre histoire, l'investiture du dauphin Charles et le séjour de Louis XI en Dauphiné. Le Mémoire anonyme dont nous contrôlons les données historiques, mentionne un pouvoir conféré le Ift mars 1 333, par Henry de Villars à Béranger de Montaud, archidiacre de Lodève, pour veiller à l'administration de la justice, et une autre délégation, datée du 26 avril 13G6, par laquelle le gouverneur Raoul de Laupy nu de Loupy aurait nommé Guillaume, évêque de Genève, son vice-gérant au fait de l'administration de la justice, et Guy Copier, bailli de Viennois, son vice-gérant pour la guerre.

Guy Allard, dans son livre les Gouverneurs el les Lieutenants- Généraux au Gouvernement de Datiphiné, ne fait aucune mention de cette commission ('), mais il (') M. l'ilot riiiditjue dans sa initiée dos LieuleiLmls-G^uéraiu


nous apprend (') que « Raoul de Loupy, voulant s'ab» senler de la province, commit par ses lettres du 19 » d'aoust I3C6, pour y gouverner, Guillaume, chèque » de Genève, Conseiller du Dauphin Didier deSosse» nage, chevalier Humbert Pilat, prévôt de l'Eglise St» André de Grenoble; Guy Copier, chevalier Reynaud » lieymon, juge des appellations de tout le Dauphi» né; Amédée de la Motle; lieynaud Falavel, chevnlier, et Jean de Salice co-auditeur delphinal. » 11 est à noter que, parmi les sept personnages appelés ainsi à suppléer le gouverneur durant son absence, trois appartenaient comme conseillers au Conseil delphinal: Didier de Sassenage, lieynaud lleyiuon et Reynaud Falavel.

L'auteur du Mémoire place en 1 369 (*), au lieu de 1 3 G C cette délégation et mentionne une ordonnance du \'J février de la même année, Joffrey, vicomte de Clermont, se qualifie aussi lieutenant de Raoul de Loupy, gouverneur (').

Il rapporle également que le 19 juillet 1371, Jacques de Vienne, successeur de Raoul de Loupy, obligé de s'absenter, nomma, pour gouverner en sa place, un conseil composé de Guy de Jlorges et de la Motte, chevaliers; Humbert Pila ou l'ilati, prcvôl de au Gouvernement de Dauphiné, insérée dans r\luianacfi de la Cour royale de Grenoble pour l'aimée 18i2; il rappelle que Hugues de Genève, seigneur d'Aulhon, avait été antérieurement qualifié de vice-gérant dit Gouverneur Guillaume de Vergy, dans nue ordonnance dit Dauphin du l°r août I3K9.

f1) Ritilinlhèque du Dauphiné, éditée par M. Gariel, t. l, p. 71. (*) M. IMIot donne la même date de l:J69.

(') II. l'ilot donne la date du février 1369,


St-André, auditeur des Comptes; Reynaud Reymon, juge majeur des Appellations; Jacques Rogny, juge majeur du Graisivaudan, et Jean de Salice, auditeur des Comptes (').

C'est encore dans l'appendice du Mémoire que nous trouvons une ordonnance de Charles de Bouville qui fut gouverneur après Jacques de Vienne, et qui, le 4 octobre 137C, sur le point de de la province, établit, pour la gouverner, un conseil composé de plusieurs chevaliers, à la tête desquels il met Gobert Cartier, Gobertus Cartarius, vice-chancelier du Dauphiné. Cartier était président du Conseil delphinal, et Guy Allard, à l'article qui le concerne dans le livre intitulé: les Présidents uniques et premiers Présidents du Conseil delphinal nu l'urhment de Grenoble ['), dit, à propos de lui « Je remarquerai que, déjà du temps de » celui-ci, les Présidents du Conscil avaient le gouvera nement de la province en l'absence du gouverneur » et du lieutenant; car, par les hommages rendus au roy Dauphin, en 1377, ce fat en la personne de ce » Robert Carlaire ('), tenant la place de Charles de Bou» ville, gouverneur.

Guy Allard interprète ici, au point de vue d'une auIre époque, le fait qu'il signale. Il ignore le titre cité (') M. Pitot désigne le juge du (jraisivaudan sous le nom de Jacques des Pays. 11 rapporte aussi que Gontier, évêque du Mans, et Bernard de Layre, chevalier, seigneur de Cornillon, sont qualifiés de lieutenants du gouverneur dans une ordonnance rendue par eux le 12 juillet 1370.

(') UibUolhèque du Dauphiné, l. I, p. 10!).

(*) II le nomme ainsi.


dans le Mémoire, et transporte à la qualité de Président du Conseil delphinal ce qui n'appartenait qu'à celle de chef du Conseil du gouvernement délégué par le gouverneur. A cette date, le droit que pouvait être appelé à exercer le Conseil delphinal ne se personnitiait pas dans son Président. Nous ne voyons pas du reste encore jusqu'ici le Conseil delphinal prendre le rôle de lieutenant du Dauphin. Mais nous touchons au moment où il va s'en saisir lui-même.

A la mort de Charles de Bonvillo, le gouvernement se trouva tout-à-coup vacant, a Le Conseil delphinal » étant à la Côte-Saint-André, dit Guy Allard, ordonna, • le 18 août 1385, que son sceau serait rompu, et que » le Conseil gouvernerait jusqu'à ce qu'il eût plu au » roy Dauphin de nommer un autre gouverneur. » Le même auteur rapporte que. par ses lettres du 26 du même mois, le roy Charles VI commit le Conseil delphinal pour gouverner jusqu'à ce qu'il l'eût pourvu d'un Gouverneur (').

Le texte de ces lettres a été retrouvé par M. Pilot, qui les a reproduites dansle bulletin de la Société de statistique de l'Isère ('). Nous voulons, dit le roy Dauphin » en s'adressant à ses ;imés et féaux les gens de son » conseil étant en Dauphiné, et nous vous mandons en » commettant par ces présentes que l'office de gouver» neur, jusqu'à ce qu'autrement y ayons pourvu, vous » exerciés etgouverniés bien et dnement et les causes » et hesoignes qui toucheront et regarderont ledit of» fice, délivriés et expédiés comme faisait et pouvait (') Bibliothèque du Danfhinê, l. 1. p. 170.

(•) ï' série, t. 1, p. 38(i.


» faire ledit sire de Bouville comme gouverneur avant » son trépassement. »

Voilà, pour la question agitée par le Mémoire, un fait essentiel que son auteur ne rapporte pas et qu'il a sans doute ignoré. Ce fait était d'ailleurs justifié par les circonstances et les attributions du Conseil delphinal, Qui pouvait mieux que lui se saisir ou être investi de l'autorité directrice, quand celle du gouverneur faisait défaut ? La souveraineté n'avait pas sur les lieux de représentants plus autorisés à prendre en main comme à recevoir la conduite des affaires publiques et à neutraliser par là les ambitions des seigneurs influents et les entreprises qui auraient pu troubler un Etat éloigné de la résidence royale. A la vérité, le roi Dauphin s'empressait de commissionner lui-même le Conseil delphinal, mais, loin de désapprouver ainsi l'acte par lequel ce conseil avait pris la gérance, il le sanctionnait suivant la forme du droit monarchique.

Le Conseil delphinal ne gouverna pas longtemps en vertu de cette investiture. Enguerrand d'Eudin fut pourvu du gouvernement par lettres patentes du 17 octobre 1 38!i et l'auteur du Mémoire rapporte que ce nouveau gouverneur ne pouvant venir en Dauphiné à cause des affaires dont le roi l'avait chargé, donna par une commission du 4 décembre suivant, dont il reproduit les termes, « à honoré homme, M* Robert Corde» lier, conseiller du roy, pouvoir de gouverner toutes » et qualités fois il serait absent, en appelant avec lui » les gens du conseil établis audit pays, en tel nombre » qu'il jugerait à propos. »

Guy Allard donne à cet égard quelques indications différentes. Après avoir mentionné, à la date du 4


décembre, la commission de Robert Cordelier seul. il njoule qu'Enguerrand d'Eudin, « le 20 du même » mois <le la même année, commit encore, pour le » même sujet, Jean Serpe; Guillaume Gelliuon » lirunel de Bernac, prieur de Saiut-Hobert llayinon de Theys, docteur aux lois; Bergeron de Hercules, » juge des appellations de tout le Dauphiné; Jacques » de Sainl-Gerraain, avocat fiscal Pierre Gellou, doc» teur aux lois; Antoine Tolosan, juge majeur du Vien» nois, conseillers du Dauphin ('). »

Mais ce que ni l'auteur du Mémoire ni Guy Allard n'ont remarqué, c'est que Robert Cordelier, qualifié Conseiller du roi, n'était autre, en 1385, que le président même du Conseil delphinal que les autres conseillers délégués étaient ceux qui composaient le conseil delphinal et qu'en réalité, ce conseil continuait à exercer, par la commission du gouverneur, l'administration supérieure qu'il avait prise pendant la vacance et que les lettres royales lui avaient confirmée. A la mort d'Enguerrand d'Eudin, en 1390, le Conseil delpbinal reprit de nouveau l'autorité directe, conformément aux lettres du 11 mars de cette année, par lesquelles le roi le commit pour gouverner jusqu'à a la nomination d'un autre gouverneur.

Le Conseil delphinal fut encore nommé pour administrer la province et y commander, le 6 mai 1 400, par lettres du gouverneur Georges le Meingre, dit Boucicaut (!) le 15 octobre 1400, par lettres du roi pendant {') Bibliothèque du Dauphiné, lieu cité.

(*) -M(fnioii-*j. M. Pilot, almanuch cité.


une nouvelle absence de Boucicaut (') et le 30 avril 1407, par lettres du gouverneur Guillaume de Layre ('). Suivant le texte de ces dernières lettres, reproduit par l'auteur du Mémoire, Guillaume de Layre charge le Conseil delphinal de gouverner pendant son absence, « comme les gens du conseil avaient accoutumé de faire » pour les gouverneurs et lieutenants, et ce en temps » qu'il lui plairait. »

Cette clause significative montre l'usage qui s'était établi d'attribuer, de reconnaître ou de confier le gouvernement de la province au Conseil delphinal par substitution aux gouverneurs et aux lieutenants des gouverneurs empochés de commander eux-mêmes. A Guillaume de Layro succéda Reynier Pot qui, suivant Guy Allard ('), confirma, le 21 octobre 1413, une ordonnance du Conseil delphinal, en le qualifiant de son lieutenant en ce gouvernement.

Jean Dangennes. nommé à la place de Reynier Pot, passa procuration, le 5 août 1414, à plusieurs seigneurs de la province pour prendre possession de son gouvernement qu'il ne devait jamais exercer, et ceux-ci donnèrent pouvoir au Conseil delphinal de gouverner en son absence ('). A sa mort et successivement à celle de son successeur, Guichard, dauphin d'Auvergne, le conseil delphinal fut commis parle roi-dauphin pour gouverner pendant chacune des vacances (•). L'auteur du Mémoire (') >1. Pilot, ib. Les lettres adjoignent au Conseil, Guillaume de MeuiHon, bailli ilu Briançonnais.

(') Mémoire. M. Pilot.

(!) Bibliothèque du Dauphiné, t. 1, p. 171. 1.

(*) FxLrait à la suite dit Mémoire.

(') Guy Allard, bihl. du Dauptiiné, t. 1, p. 172 et I":).


énonce que cette dernière commission, datée du 14 février 1415, fut expédiée ensuite d'une lettre écrite au roi par le Conseil delphinal, pour lui exposer qu'allendu le trépas du gouverneur il n'avait plus puissance de gouverner et tenir la juridiction et justice. L'auteur du Mémoire avance encore que ce fut plus spécialement au fait de la justice que le pouvoir fut conféré par le roi. Ces deux assertions du Mémoire semblent contredites par la teneur même des lettres de commission adressées au Conseil delphinal, lettres qui portent la date du 7, et non du 14 février 1415, et que M. Pilot a éditées dans le bulletin de la Société de statistique ('). Elles émanent, non pas du roi, mais du second fils de Charles VI, Jean, comte de Toulouse et de Poitiers, devenu récemment dauphin par la mort de son frère aîné, Louis, duc de Guienne. Elles ne répondent point à la lettre supposée écrite par le Conseil delphinal pour les provoquer et ne font aucune allusion à cette démarche. Elles chargent d'une manière générale les gens du conseil, auditeurs des comptes et trésoriers au pays de Dauphiné, de gouverner, foire et administrer la justice, avoir l'œil à la bonne garde, sûreté el tuition du pays et des sujets, et même nommer aux offices vacants, jusqu'à ce qu'il soit pourvu au gouvernement du pays de bonne et notable personne. Elles se terminent par un commandement exprès à tous les barons, vassaux, officiers et sujets, d'obéir et aider à ceux à qui la commission de gouverner est ainsi donnée.

Quoi qu'il en soit, au surplus, du doute survenu au (') série, t. 1, p. ^87.


T. VI. 3

Conseil delphinal sur son pouvoir sans délégation, pouvoir qu'il avait pris en main plus résolument à la mort de Bouville, on voit que l'usage de lui attribuer le gouvernement, en l'absence du gouverneur ou pendant la vacance du commandement, s'affirme de plus en plus et devient presque permanent.

Le Conseil delphinal est encore commis au gouvernement le 17 février 1418, par Henry, baron de Sassenage, devenu gouverneur en 1416 ('), et, dans une délibération du Ier mai 1421, il se qualifie de lieutenant et vice-gérant de tlandon de Joyeuse, gouverneur (').

Celui-ci, dans une ordonnance du 20 juin 1422, nomme Jacques, seigneur de Montrhaur, son lieutenant au gouvernement de Dauphiné, pour exercer cet office tant qu'il lui plaira, ensemble les gens du Conseil dudit pays, selon l'usage d'icelui et ainsi qu'il a été accoiltumé de faire (').

l,e 1 7 février 1 424, le même gouverneur nomme Jean Gascon, et le 21 juin de la même année, AntoineBérenger de Sasseuage, vicomte de Tallard, pour gouverner avec le Conseil delphinal ('). Un de ses successeurs, Mathieu de Foix, comte de Comminges, devant partir pour le Languedoc, désigne comme ses lieutenants et vice-gérants, par lettres datées de Montélimar, le 26 mars 142C, les gens du Conseil delphinal, pour ce qui (') Guy-Allard, Bibl. du Daiqihiné, l. 1, [>p. 172 et 173. – Mémoire.

(•) U., ibid. M. Pilot, foco cit.

(') Mémoire. M. Pilot, tliid.

(*) Mémoire. M. Pilot.

T VI t


regardait la justice, et Elzéar Rigaud, pour les autres affaires (').

Raoul de Gaucourt, qui fut nommé à la place du comte de Comminges, et qui durant son administration fit de fréquentes absences pour le service du roi et fut même deux fois prisonnier des Anglais, eut successivement divers lieutenants qu'il délégua lui-même, notamment Jean Girard; Humbert de Grolée, maréchal du Dauphiné, et en dernier lieu, Juvénal des Ursins, bailli de Sens et depuis chancelier du royaume. Il se trouvait pour la seconde fois prisonnier des Anglais, et Juvénal des Ursins avait été obligé de faire résidence en son bailliage lorsque le dauphin Louis, depuis leroi Louis XI, par lettres du 9 août 1441, commit Gabriel de Bernes, seigneur de Forges, son maître d'hôtel, pour gouverner et administrer la province jusqu'au retour de Raoul de Gaucourt (').

Ici commence l'intervention plus directe du prince dans la désignation des lieutenants du gouverneur.Jusqu'alors elle s'était bornée aux commissions délivrées au Conseil delphinal pendant les vacances ou les interrègnes du gouvernement.

Nous allons cependant retrouver encore une délégation émanée du gouverneur. Guy-Allard rapporte que Bertrand de Loupy, successeur de Gaucourt, voulant pourvoir à l'administration de la province pendant son absence et celle de son lieutenant, commit, par lettres (') Mémoire. – M. Pilol. – Guy-Allard, Mf. du Daupli., t. I, p. 174.

(') Guj-AUard, BibI. du Dauph., t. 1, p. 174. Mémoire. Extrait à la suite. M. Pilot.


du 27 août 1442, Olivier Flottard, maître d'hôtel du dauphin; Cassin Chaille, trésorier du Dauphiné; l'olier Vouzy, conseiller dolphinal Jean Dauran, juge cohimun de Carcassonne; Pierre More, juge maje du Viennois et du Valcntinois, et Gabriel Viens, commandeur de Saint-Gilles {').

Ce lieutenant du gouverneur, indiqué comme absent, devait être Gabriel de Bernes, nommé par le dauphin, et qui, d'après Guy-Allard ('), se dit encore lieutenant au gouvernement de Dauphiné, dans un acte de 1443. L'auteur du Mémoire relate, dans la note annexée, que le 24 juin 1445 « Louis XI, dauphin, nomma Eynard »de Clermont à la charge de lieutenant général au gou» vernement de Dauphiné, en récompense de ses bons »et grands services et de ceux de ses prédécesseurs, à »la place de Gabriel de Bornes, qu'il désappointa et » déchargea dudit office, du consentement, est-il dit, » du guuverneur. »

Ce n'est pas sans raison que j'ai distingue pour le sujet qui m'occupe une première époque se terminant au séjour de Louis XI en Dauphiné. De grands changements vont avoir lieu dans la situation des gouverneurs, dans la nomination des lieutenants au gouvernement, dans la position du Conseil delphinal qui va devenir, par une transformation importante, le Parlement de Dauphiné.

On rencontre d'ailleurs, au terme de cette période, un document précieux qui caractérise pendant sa durée (') Les gouverneurs du Dauphiné. Uibl. éditée par M. Gariel, t. 1, p. 176.

(*) Les lieutenants au gouvernement de Dauphint1. Ibid.


les pouvoirs corrélatifs du gouverneur et du Conseil delphincil, et qui résumera sur l'objet de nos investigations la pensée même et comme l'opinion officielle de l'époque.

Dans les dernières pages des preuves de l'Histoire du Dauphiné sous Humbert II et en note du titre de confirmation du transport du Dauphiné à Charles de France, Valbonnays rapporte en son'texte une consultation qui se trouvait aux registres de la Chambre des Comptes et qui datait du temps de Louis XI. J'en extrais littéralement ce qui suit

« Item est assavoir que pour ce que Messieurs les » Dauphins de France ne font point de résidence au » pays du Dauphiné pour garder ledit transport et pro» messes faites d'un côté et d'autre, qui contiennent » entre les autres clauses que nul homs ou subgets du » Dalphiné et terres nommées audit transport pour » choses qui soient assises hors du Dauphiné ou pour » contrait ou meffait hors dudit royaume, ne puissent » être traits ne convenus en aucune Cour dudit Royau» me, se non en cas que remission se dut faire par rai» son tant seulement, fut advisé pour le bien aussi du » Pays que Messieurs les Dauphins fairoient un Chef » d'office principal par-dessus tous les autres, qui s'ap» pelleroit Gouverneur du Dauphiné, auquel les sub» gets auraient recours en tous leurs affaires, exceptez » les cas ci-dessus réservés, lequel office seroit baillé à » un Notable et prudhomme Chevalier qui fairoit rési» dence audit Dalphiné, qui en l'absence de Monsieur » le Dauphin auroit toute puissance et autorité excepté » en trois cas, c'est assavoir en cas de crime de lèze» Majesté, en aliénation de patrimoine et en donnation


» et distribution des finances, excepté en petites snin» mes à employer à ce que toucherait le Gouvernement » et entretènement du l'ays. Et fut fait aussi et advisé » que ledit Gouverneur se gouverneroit par l'avis et » délibération du Conseil du Daupbiné. Et est et a tou» jours été ledit Conseil Lieutenant du Gouverneur,au » nom duquel se font audit Conseil toutes lettres, pro» visions et autres nécessaires, tant pour le fait de la police que autres touchant le gouvernement du » pays, et sembleroit de première face que plus Huthen» tique chose seroit et de plus grande crainte si les let» tres se faisoient au nom de Messieurs les Dauphins » comme se fait en Provence. »

Telle était donc la position du Conseil delphinal durant la période que nous avons parcourue. Il était tout à la fois le conseil obligé et le lieutenant du gouverneur c'était sa double prérogative.

De là, les conséquences réalisées dans l'application.

Le gouverneur présent, les règlements étaient arrêtés et les décisions prises par le gouverneur lui-même au rapport du conseil (Per dominum (jubeynatorem ad relationetn consîlii).

Hors la présence du gouverneur, le Conseil jugeait et décrétait au nom du gouverneur.

En l'absence du gouverneur qui déléguait des lieutenants de son choix, le Conseil recevait fréquemment cette délégation et exerçait alors le gouvernement dans tous ses attributs.

A défaut de délégation spéciale comme en cas de vacance, le Conseil delphinal se saisissait du gouvernement, sauf confirmation du roi-dauphin par des lettres


qui lui étaient directement adressées ou qu'il provoquait lui-même.

En réclamant cette délégation du souverain, il préludait à la prétention ouvertement manifestée dans la consultation rapportée par Valbotmavs, celle de procéder du dauphin et d'agir en son nom.

La royauté elle-même entrait volontiers dans cet ordre d'idées, et non-seulement elle se prêtait aux délégations directes réclamées par le Conseil delphinal, mais elle se mit progressivement à désigner les lieutenants des gouverneurs qui allaient devenir les lieutenants-généraux au gouvernement de Dauphiné. La période dans laquelle nous entrons verra s'établir ce nouvel usage.

CHAPITRE SECO.ND.

ÉPOQUES DU PARLEMENT DE DAUPHINÉ.

S 1". 1454-1530.

A la mort d'Evnard de Clermont, le Dauphin nomme directement à sa place, par lettres du 28 juillet 1455, Raymond Eynard, seigneur de Monteynard ('), et l'auteur du Mémoire fait observer que c'est la première fois qu'il a été pourvu à ['office de lieutenant-général au gouvernement après sa vacance, alors cependant que le gouverneur résidait dans la province et ne devait pas (') M. l'ilol, almauach cité de 1842.


s'absenter. Il ajoute que, dorénavant, il a été pourvu à chaque vacance à cet office par les Dauphins ou les rois de France, et que si les gouverneurs ont euxmêmes nommé encore quelquefois leurs lieutenants, ce n'est qu'en cas urgent et avec des lettres de confirmation données au plus tôt par le roi.

Les nominations ou délégations par le gouverneur ne furent pas toutefois aussi promptement abandonnées que le suppose cette observation trop absolue. Le 8 septembre 1 458, le gouverneur Louis de Laval désigna lui-même, pour son lieutenant, Jean Copier ('). -Son successeur, Jean, hastard d'Armagnac, eut successivement pour lieutenants choisis par lui, en 1 461 Guillaume de Vennac et Aymon Alleman, seigneur de Champ ('); et en 1462, Joffrey Alleman, seigneur de Chateauneuf et d'Uriage, dont la nomination fut confirmée par le roi Louis XI, le 15 mars 1465 ('). Louis XI pourvut ensuite lui-même, le 27 juin 146b, Galéas-Jlarie Sforce, fils du duc de Milan (') le 31 octobre 1472. Raymond Chastellet, bailli de Sens et maréchal de Dauphiné ('); le 14 octobre 1473, Louis Richard, seigneur de St-Priest, pendant une vacance du gouvernement le 23 février 1477, Pierre de Jon ('); (') M. Pilot, alm. cite de 1842.

(̃) Id. Ibid.

(') Guy Allard, bibliothèque du Dauphiné, t. 1. p. 195. – M. Pilot.

(') M. l'ilol, alm. cité. Guy Allard, lac. cit.

(') M. Pilot, ibid.

(•) M. Pilot, ibid.

(') M. Pilot, ibid.


et le 25 avril 1481, Raymond de Glandève, seigneur de Faulcon (').

Après ce dernier, Jacques Râteau, seigneur de Ceursey, est nommé, sur la proposition dugouverneur, François d'Orléans, comte de Dunois, par lettres de Charles VIII du 20 avril 14.84 et Hugues de la Palu, comte de Varax, est délégué directement par lettres du gouverneur, Philippe de Savoie, seigneur de Bresse, datées de Grenoble, du 29 avril 1487 (').

Lorsque, trente ans après, Bayard vint illustrer de son nom la charge de lieutenant au gouvernement de Dauphiné, il y fut appelé par le choix du gouverneur. Guy Allard place cette nomination à la date du 20 janvier 1514 ('). M. Pilot rapporte plus esactement que Bayard fut nommé par lettres du gouverneur, Louis d'Orléans, duc de Longueville, datées du 20 janvier 1515, et rétabli en 1523, par le gouverneur Guillaume Gouffier, à la place d'Erval que François 1" avait nommé le 26 .août 1515 (').

Mais M. de Tarrebasse, eu son Histoire de Bayart ('), le fait nommer lieutenant-général au gouvernement de Dauphiné, par le roi François I" lui-même, en s'appuyant sur un manuscrit de la bibliothèque impériale, et en ajoutant que jamais lettres-patentes ne furent enregistrées avec tant d'enthousiasme au Parlement de Grenoble que celles qui appelaient le Bon Chevalier à (') M. Pilot, afin, cité, de 18iï.

(') W., ibid. – Guy Allard, Bit!, du BaiipMn^, t. 1. p. 195. (') Guy Allard, Bibl. dt Dauphiné, t. 1, p. 201.

(") M. Pilot, alm. cité.

(•) Page 387.


succéder, en cette qualité, au seigneur du Molard, son parent.

Tl y a là quelque erreur ou quelque confusion au sujet du document invoqué. Bayard ne succéda point directement à Soffrey Alleman, baron d'Uriage, connu dans les guerres d'Italie sous le nom du capitaine Molard, qui avait été nommé, en 1 805, par Gaston de Foix, duc de Nemours, alors gouverneur, et après lequel, avant Bavard, Jean de Poitiers, seigneur de StVallier, avait été pourvu de la même charge par lettres du roi, du 1er mai 1512 (').

Quoi qu'il en soit de ces nominations, et bien que l'autorité du prince s'y montrât de jour en jour avec plus de suite et une tendance plus marquée à régulariser l'institution des lieutenants-généraux, il est certain que les gouverneurs continuèrent longtemps encore à donner des délégations spéciales, et il arriva même plus d'une fois que les lieutenants-généraux pourvus par le roi et les lieutenants commis par les gouverneurs se trouvèrent en présence et en conflit. Chorier, sur Guy Pape (s), rapporte qu'on a douté s'il fallait obéir aux lieutenants envoyés par les Dauphins, et dit que de son temps, c'est-à-dire un siècle après, toute controverse avait cessé, et que l'autorité n'était plus refusée ou contestée aux lieutenants commissionnés par le prince. L'action de la royauté s'étendait d'ailleurs, avec une progression continue, sur la direction des affaires publiques en Dauphinéel sur les pouvoirs des gouverneurs (') M. l'ilol. Guy Allard, lac. cil.

(̃) Sect. 3, p. fi3.


eux-mêmes. Ce n'était plus seulement la nomination des lieutenants-généraux qu'on leur enlevait, c'étaient leurs prérogatives, quasi royales, qu'on restreignait ou qu'on amoindrissait peu à peu.

Déjà pendant le gouvernement de Boucicaut, des lettres royales du 8 juillet 1 404 lui avaient défendu d'appeler auprès de lui les officiers du Conseil delphinal, et lui avaient prescrit de se transporter au Conseil quand sa présence y serait nécessaire aux affaires du roi ou du public (').

Sous le gouvernement de François, comte de SaintPaul, une autre dérogation fut apportée aux pouvoirs anciens des gouverneurs, à qui l'édit de François I", d'avril 1515, interdit la faculté de donner des lettres de provision d'offices, de grâce et d'abolition, en réservant ce droit à la royauté seule. Cette défense, renouvelée par une ordonnance du 26 mai 1331 fut cependant levée par une autre déclaration du roi Henri Il, du 1" mai 1535, en faveur de François de Lorraine, duc de (luise, nommé gouverneur du Dauphiné, après la conquête de la Savoie ('). Mais elle ne tarda pas à se reproduire et à prévaloir tout à fait.

Un arrêt du 15 mai 1580 décidera ultérieurement que les gouverneurs ne pourront plus s'entremettre du fait de la justice. Les gouverneurs ne conserveront on ce point qu'une simple prorogative, la préséance au Parlement, et les arrêts ne seront plus intitulés en leur nom. mais en celui du roi-Dauphin.

(') Bibl, du Dauphiné, t.l, p. 171.

(') Guy Allard, Bibl. du Dauphiné, t. ), |>|>. 182 et 183.


D'autres coups seront encore portés à leur puissance, jusqu'à ce que Louis XIII, poursuivant les restrictions entreprises par Charles IX et arrêtées par les plaintes du gouverneur Louis de Bourbon, duc de Monlpensier, profite de la mort de ce haut personnage pour révoquer, avant de lui nommer un successeur, les pouvoirs exceptionnels de sa charge, et pour régler, comme le dit Chorier, le gouvernement du Dauphiné à la forme des autres, sans toucher toutefois à la préséance des gouverneurs qui leur fut toujours accordée (').

Mais à travers ces modifications et ces vicissitudes, durant cette seconde période qui nous porte au milieu du XVI' siècle, que devient l'ancienne situation du Conseil delphinal, appelé souvent par délégation ou par droit direct aux fonctions de lieutenant des gouverneurs, pendant l'absence des titulaires ou la vacance de la charge ? 1

Aucun document n'atteste plus, on doit le reconnaîtra, la délégation ou l'immixtion du Conseil delphinal, devenu le Parlement de Grenoble, dans l'exercice du gouvernement. Cette désuétude, ou plutôt cette défaillance de l'usage antérieur s'explique par diverses observations.

L'institution des lieutenants-généraux et l'intervention plus fréquente du Dauphin ou du roi-Dauphin dans l'administration de la province tendent à supprimer, ou au moins à rendre très-rares les éventualités qui réclameraient l'exercice du pouvoir par le Parlement. La présence du gouverneur ou du lieutenant-gé(') Chorier, Etat politique, pp. 8 4 41, édition de 1697.


néral dans la province est désormais un fait constant ou presque constant, favorisé par l'habitude qui s'introduit d'avoir toujours un gentilhomme dauphinois, ou pour gouverneur,ou pour lieutenant-général. Les remplacements, en cas de vacance de l'une ou l'autre charge, s'opèrent avec plus de régularité et plus de promptitude.

Le besoin de l'unité, de l'individualité du commandement, se fait d'ailleurs, chaque jour, sentir davantage. Les fonctions du gouvernement échappent ainsi naturellement à un corps, à une assemblée mieux organisée pour délibérer que pour agir. Et les mêmes causes qui font cesser les délégations collectives éloignent de l'autorité directement exercée, cette compagnie plus nombreuse qui a succédé, sous le nom de Parlement, au Conseil delphinal.

D'un autre côté, le choix des lieutenants-généraux et des gouverneurs émanant de la royauté, se porte à peu près exclusivement sur les membres de la noblesse militaire. Un seul, le cardinal de Tournon, fait exception sur cette liste des lieutenants-généraux que nous pourrions continuer, et figurent, avec les noms des grandes familles du Dauphirié, des Clermout, des Alleman, des Bressieu, des Monteynard, des Saint-Vallier, des lîoutières, ceux des maisons princières de Savoie ou de Milan. Il semble qu'il n'y ait plus de place pour les chevaliers-ës-lois et les magistrats des cours de justice. Il faudra les guerres de religion et les troubles publics qui vont marquer la (in du XVIe siècle, pour rendre à la magistrature, à l'élément civil, sa part d'influence et de pouvoir dans les éventualités de l'administration ou du gouvernement de la province.


Ce sont, du reste, les beaux jours et comme le dernier éclat de la chevalerie française et de la féodalité guerrière. Les légistes sont encore relégués au second plan, où par des travaux moins brillants. mais plus féconds, ils préparent à la gestion et a la direction des intérêts publics de nouvelles destinées.

S 2. – 1551-1644.

Les temps sont proches où vont apparaltre au milieu des épreuves sociales les grandes et austères figures des Michel de Lhôpital et des Mathieu Mole. Le Dauphiné pourra produire à côté d'elles les premiers Présidents de son Parlement, Truchon, Rabot et St-André. Ces trois éminents magistrats, qui s'élevèrent à la hauteur des situations difficiles que leur fit le malheur des temps, vont prendre une part active au gouvernement de la province pendant un demi-siècle, tantôt par un concours influent et des conseils utiles, tantôt par l'exercice même de la lieutenance générale.

C'était l'époque où les dissensions religieuses, devenues des discordes civiles, déchiraient la province, la livraient aux horreurs de la guerre, affaiblissaient et divisaient l'autorité. Les princes de la maison de Lorraine ou de la maison de Bourbon, qui se succédaient dans la charge uominale de gouverneur du Dauphiné, étaient retenus loin de leur gouvernement par les agitations ou les intrigues de la Cour, et laissaient presque constamment l'exercice de leurs fonctions aux lieutenants-généraux, qui se voyaient disputer leur titre, leur commandement et même leur vie par les chefs des bandes


protestantes. Hector de Pardaillan, seigneur de la Mothe-Gondriu, était à peine pourvu de la lieutenance générale, en 1561, qu'il était massacré à Valence par les huguenots, sur l'ordre de François de Beaumont, baron des Adrets, qui se nommait des lieutenants en prenant lui-même le titre de colonel des légions de Dauphiné, Provence, Lyonnais et Auvergne, et de général en chef des compagnies assemblées pour le service de Dieu, la délivrance du roi et de la reine sa mère, et la conservation de leurs états ès-dits pays, et qui écrivait aux magistrats des villes du Dauphiné, en joignant la menace au commandement, qu'ils n'eussent à obéir qu'à ses ordres, et à n'y reconnaître d'autre gouverneur que lui ('). Laurent de Maugiron, que le roi choisit pour succéder à Gondrin, parce qu'il était, dit Chorier ('), zélé catholique, sage politique et cher à toute la province, n'ayant pas tardé à compromettre son influence par l'ardeur de sou zèle, fut destitué deux ans après, etBertrand de Simiane, Baron de Gordes, fut mis en sa place pour donner à l'autorité du gouvernement plus de mesure et plus de crédit. Gordes trouva sur le premier siégedu Parlement un homme aux conseils éclairés et sages qui lui prêta, dans plus d'une circonstance, un puissant concours. C'était le premier Président Truchon, qui, suivant l'expression de Chorier, était savant dans les lettres et dans l'art du gouvernement (') juge incorruptible et politique infatigable dans l'action (*) « Il y eut toujours, dit cet (') Cliorier, Histoire du Dauphiné, t. 2, p. 157.

(') Ibii.

(̃) Histoire d'Arlus Prunier de St-André, manuscrit appartenant à M, le comle de St-Ferriol, f" 11.

(') lbid., 13.


» historien, une grande correspondance entre Gordes et » le président Truchon, et leur union conserva longtemps » celle de la province ('). » Ils se rendirent ensemble à l'assemblée que Charles IX réunit à Moulins, d'où sortit l'édit célèbre de ce nom, et se firent, sous la pression de l'autorité du roi, des réconciliations plus apparentes que sincères entre les Coligny, les Guise et d'autres personnages importants du royaume ('). Ils figurèrent encore ensemble, comme les chefs inséparables de la province, à la procession générale qui eut lieu le 21 juin 1567, pour remercier Dieu de la protection qu'il avait accordée à Grenoble dans les circonstances fâcheuses des années précédentes ("). Le premier Président Truchon fut l'uu des garants de l'emprunt que le baron de Gordes contracta à Lyon pour subvenir à la défense du pays, après un nouveau soulèvement des protestants (4). Ce fut Truchon qui fit approuver à Gordes le projet d'une négociation avee les protestants, quelque temps avant la paix conclue à Longjumeau entre le prince de Coudé et le roi (B). Lorsque, plus tard, le baron deGordes fit, aux ordres envoyés par Charles IX à l'époque de la Saint-Barthélemi, une réponse que l'histoire a trop longtemps oubliée, ce fut le premier Président Truchon qui, dans le sein du Parlement dont il était le cœur comme la télé, contribua à la (') Chorier, Hist. du Davph., l. 2, p. 602.

(̃) M. Jules Taulier, Notice historique sur le baron de Gordes, p. 40.

(•) Ibii., p. 41

(') Ibii., p. 43.

(') Ibid., p. 59.


vertueuse détermination du lieutenant-général ('). Ce fut encore lui qui soutint le baron de Gordes lorsque celui-ci reçut à Lyon, à la cour du prince Dauphin d'Auvergne devenu gouverneur du Dauphiné, un accueil blessant quand il n'aurait dû obtenir que des louanges, et qui l'empêcha de se démettre d'un commandement qu'il devait conserver dans l'intérêt et pour la sécurité du Daupliiné ('). Le premier Président Truchon prenait ainsi, dans toutes les circonstances de ces temps de trouble et do péril, une part si notable à la direction des affaires publiques, qu'elle a laisser une trace profonde dans le Parlement comme dans la province, et illustrer encore la vieille influence politique de cette compagnie.

Et ce n'étaient pas seulement les gouverneurs ou les lieutenants-généraux qui s'inclinaient devant la puissance morale du Parlement pour y chercher un appui c'était encore l'autorité supérieure, l'autorité royale elle-même qui la reconnaissait, et loin de s'en montrer jalouse et de songer à l'amoindrir, s'en servait officiellement et à toute occasion. Plus d'un document de l'époque en fait foi. Charles IX, envoyant après la Saint-Bai thélemi le maréchal de Dampville en mission dans les provinces de Lyonnais, Dauphiné, Languedoc et Provence, s'adressait aux magistrats du Parlement de Grenoble, qu'il priait de l'assister, aider et favoriser de leurs bons et prudents conseils et avis, selon qu'ils pourraient juger et connaître qu'il en aurait be(') M. J. Taulier, Notice historié sur la baron de Gordes, p. 91.

(') Ibid., p. 109.


soin pour l'exécution des devoirs de sa charge, suivant le bon zèle et singulière affection qu'ils avaient toujours portés au bien des affaires et service du roi ['). Henri III, à son tour, réclamait plusieurs fois leur concours et leur action directe pour prévenir les résistances à l'autorité royale, assurer les changements jugés utiles, même dans les commandements militaires ('), maintenir ou rétablir l'ordre et la soumission si gravement compromis ou si souvent troublés sous son règne, leur recommandant en termes exprès, entremêlés d'ordres et de prières, de lâcher de retenir ses sujets, et par leurs bonnes exhortations, et par autres moyens qu'ils connaîtraient y être propres, en l'obéissance et fidélité à laquelle Dieu les obligeait envers leur roi (*)

Après Truchon, qui suivit bientôt dans la tombe le baron de Gordes, l'inlluence que nous venons de signaler ne devait ni s'épuiser ni s'affaiblir elle allait se personnifier en deux hommes d'un haut mérite, appelés tour à tour à la présidence du Parlement et à l'administration du pays. C'étaient Ennemond Rabot, soigneur d'Illins, qui remplaça, dans la première présidence, Jean de Bellièvre, son beau-père, successeur de Truchon, et Artus Prunier, seigneur de Saint-André et de Virieu, qui, d'abord Conseiller et Président au Parlement de Grenoble et ensuite premier Président au {') Lettres au Parlement de Dauijhiné, du 10 septembre 1572, publiées par M. Pilot dans le bulletin de la Société de statistique, volume cité, p. 388.

(') Lettres du 6 septembre 1575, ibid.

Lettres au Parlement du 20 septembre lt>75 publiées par M. Pilot dans le bulletin de la Société de statistique, vol. cité. p. 38».


Parlement de Provence, remplaça le premier Président d'Illins i la tête de la Cour souveraine du Dauphiné. L'un et l'autre exercèrent successivement les fonctions de lieutenant-général, non-seulement par voie de conseil et d'autorité morale, mais par commission directe. Dans cette attribution, Saint-André précéda Rabot il la reçut lorsqu'il n'était encore que Président. C'était après la mort d'Henri III, quand Henri de Navarre, devenu le roi Henri IV, disputait à la Ligue le royaume que lui assurait le droit de sa naissance. Le Dauphiné était partagé. François de Bonne, depuis le duc et connétable de Lesdiguières, combattait pour le roi à la tête des protestants. Le lieutenant-général de la province, le capitaine corse Ornano, connu sous le nom du colonel Alphonse, tenait aussi pour le roi avec les catholiques restés fidèles à la succession royale. Jacques de Savoie, marquis de Saint-Sorlin, prenait la qualité de gouverneur du Dauphiné pour la Ligue les ligueurs occupaient la ville de Grenoble, dévouée alors au duc de Mayenne qui, pendant l'exercice des fonctions de la lieutenance générale dont il avait été pourvu avant Ornano, y avait su conquérir de vives et générales sympathies. Ornano avait transporté le siège du gouvernement dans la ville de Romans où le Parlement avait été transféré. Une partie de cette compagnie n'avait pas voulu quitter la ville capitale de la Province, mais le premier Président d'Illins et le président de StAndré, suivis de quelques officiers du Parlement, avaient rejoint Ornano. Saint-André jouait, surtout auprès du lieutenant-général, un rôle actif et influent il avait la confiance du roi qui avait recommandé à Ornano de ne rien faire dans les occasions importantes


sans en avoir conféré avec lui (l). Mais bientôt Ornano, étant allé guerroyer dans la Bombe, avait été fait prisonnier et conduit à Auxonne. Il fallut pourvoir à son remplacement durant sa captivité il importait aux royalistes catholiques d'avoir, à côté du chef militaire protestant, un chef du gouvernement qui représentât et rassurât leurs intérêts. On s'assembla Ifi 24 avril 1 590, dans la ville de Vienne, et la voix unanime de la noblesse dauphinoise déféra l'exercice intérimaire de la charge de lieutenant-général au Président de Saint-André, avec un pouvoir absolu d'ordonner et de disposer des affaires d'Etat, de la police et des finances. Ces pouvoirs lui furent confirmés le 20 novembre suivant, dans une nouvelle assemblée plus nombreuse et plus solennelle qui fut tenue à Voiron, et où siégèrent les représentants des dix villes de la province. Ce choix fut approuvé parLesdiguières, qui garda le commandement des armes, et ratifié bientôt par le roi lui-même ('). Le Président de Saint-André administra la province de concert avec Lesdiguières qui, dans les circonstances importantes, prenait toujours son conseil ou son suffrage, ce qui fait dire à Chorier qu'ils étaient les deux puissances du pays, et qu'étant unis, rien ne pouvait leur résister (3). Il intervint, par ses députés, à la conférence de Vienne où fut conclue entre les royalistes et les ligueurs une trève de deux mois. La convention le (') Histoire de Saint-André par Chorier, manuscrit de M. le comte de Sl-Ferriol,35 et autres.

(') Chorier, ibid., C 38 et s. Histoire du Dauphin. t. 2, pp. 739, 741, 742.

(*) Histoire de Saint- André, 41.


qualifia de surintendant des affaires d'Etal au pays dt Dauphiné. en l'absence du seigneur Alphonse, lieutenantgénéral. eut la plus grande part à la capitulation de Grenoble, où il fit son entrée à côté de Lesdiguières, et reçut, pour le roi, le serment de fidélité des habitants ('). Cette ville lui dut sa pacification et la réparation des ruines qu'un long siège y avait accumulées. Mais bientôt le colonel Alphonse fut mis en liberté, et Saint-André, appelé au poste de premier Président du Parlement de Provence, alla prendre une part active aux évènements de ce pays où continuait aussi la lutte du Roi et de la Ligue (').

Cependant Ornano, absorbé par les affaires de la guerre hors du Dauphiné, ne pouvait vaquer aux fonctions de sa charge de lieutenant-général et avait besoin d'être suppléé ou remplacé dans la direction de la province. "Etant à Valence, sur le point d'aller secourir la place de Berre qu'assiégeait le duc de Savoie, il jeta les yeux, pour lui substituer ses pouvoirs, sur le premier Président d'lllins, homme, dit Chorier, que sa verlu ne rendait pas moins célèbre que sa dignité, et il lui déféra la surintendance, en son absence des affaires d'Etat, de lapoticf et des finances ('). Illins différa de remplir cette délégation jusqu'à ce que sa provision eût été communiquée à Lesdiguières, qui l'approuva. Peu de temps après, le roi, ayant donné à Ornano le commandement de l'armée de Provence, sanctionnait la nomination du premier président d'IUins, et augmentait son autorité (1) lIistoire de Saint-André, manuscrit cité, P" 42 et i'.l. [') Ibid., {" 45, 46 cl suivants.

(') 20 août 1591. Chorier, Uist. du Danphmi, t. 2, p. 739.


en lui attribuant la lieutenance générale elle-même, par lettres de commission du 21 mars 1»U2. En devenant lieutenant-général au gouvernement de Dauphiné, Illins ne cessa pas d'être premier Président du Parlement de Grenoble la dignité et l'exercice des deux charges furent ainsi cumulées sur sa tète, et l'une put sembler la conséquence et l'attribut île l'autre; l'ancien pouvoir intérimaire reconnu uu conféré autrefois au Conseil delphinal parut revivre dans le magistrat placé à la tête du Parlement. Au surplus, d'après l'appendice du Mémoire qui relate la commission donnée par le maréchal d'Ornano au premierPrésidontd'Illins, celui-ci aurait été choisi par le lieutenant-général comme chef de la justice et le plus ancien conseiller d'Etat qui était en Dauphiné pour gouverner les affaires d'Etat et police pendant son absence. Ainsi la position de chef du Parlement fut l'une des deux causes déterminantes de la désignation du premier Président de cette Cour; elle fut même la première. Il n'en fallait pas davantage pour flue le précédent servît en d'autres occurrences. C'est de la sorte que le temps forme les privilèges par les précédents qui s'imitent et se répètent jusqu'à ce que ledroit s'affirme comme une conséquence et reçoive la consécration officielle d'une institution politique. Aussi GuyÀllaril dans sa nomenclature des gouverneurs et des lieutenants-géuéraux, dit-il à propos d'Illins « Après » lui, les autres premiers Présidents de ce Parlement » ont été commis par nos rois pour gouverner la pro» vince en l'absence du gouverneur et du lieute» liant (')̃ »

(') Bibliothèque du Daiqiliiné, «litee par M. fariel, t. I, p. 205.


Au premier Président Rabot d'Illins succéda Artus Prunier de Saint-André qui, après avoir résigné ses fonctions de premier Président du Parlement de Provence et avoir reçu le titre de conseiller d'Etat, fut mis à la tête du Parlement de Grenoble, par lettres du 17 novembre 1603, et occupa ce siège jusqu'à sa mort survenue le mai 1616. « Pendantsa première présidence, » Saint-André, dit M. Hochas ('), s'employa avec Les» diguières à pacifier et à rapprocher les partis dans » notre province; par suite des priviléges de sa charge, » il y commanda plusieurs fois en l'absence de ce der» nier et lui fut adjoint dans toutes les opérations que » nécessita l'exécution de l'édit de Manies. » Lesdiguières avait été, en effet, pourvu de la lieutenance générale depuis 1597 (') ou 1598 ('), sous le gouvernement de François de Bourbon, prince de Conti, auquel succéda Claude de Bourbon, comte deSoissons. Pendant la minorité de celui-ci, Lesdiguières fut investi en 1613 d'une délégation encore plus ample des fonctions du gouvernement, par une commission royale qui lui conféra le commandement du Dauphiué ('). C'est pendant la durée de cette autorité que seraient intervenues des lettres-patentes, indiquées dans l'appendice du Mémoire et adressées au Parlement et à la Chambre des Comptes « pour continuer leurs séances pendant les » vacations, attendu l'absence de M. de Lesdiguières, Biographie du Dauphiité, t. 2, p. 31 1

(•) lbiil., t. 2, P. 208.

(•) Guy Allard, Bibl. du Daufh., l. 1, p. 208. M. l'ilot, AInianach de 1842.

(*) Biographie du Datiphintf, toc. cit.


» maréchal de France, lieutenant-général au gouverne» ment de Dauphiné, et huit jours après son retour ou » jusqu'à ce qu'autrement fût ordonné par le roi, à » l'effet de prendre soin pendant ledit temps des af» faires de la province et contenir un chacun dans son » devoir. »

Ces lettres-patentes, curieuses pour notre sujet, en ce qu'elles ne sont point données sous forme de commission pour l'exercice du gouvernement pendant l'absence du lieutenant-général, mais qu'elles supposent au contraire cet exercice de droit en ordonnant les mesures destinées à le faciliter, sont emplacées par l'auteur du Mémoire à la date du 6 et du 16 août 1616. C'est sans doute une erreur, et il est probable qu'elles doivent être fixées au mois d'août 1617. Pendant les vacations de 1616, le maréchal de Lesdiguières était en Dauphiné et préparait cette fameuse expédition entreprise pour aller secourir le duc de Savoie contre le gré et la défense du roi. Il ne partit de Grenoble que le 19 décembre 1616 ('), passales Alpes au cœur de l'hiver et revint triomphant. Il était en Dauphiné dans l'été de 1617 où il célébra son mariage avec Marie Vignon. Mais au mois d'août 1617, et cette fois par les ordres du roi, il repassa les monts pour une expédition nouvelle d'où il revint au mois d'octobre suivant. C'est à l'occasion de cette campagne que le roi dut adresser au Parlement les lettres-patentes qui assuraient en ses mains l'autorité sur la province, privée momentanément de son chef. En 162), Lesdiguières, avant de partir pour un voyage (') Videl, Histoire du coniiélabh de Lesdiguières.


qui dura jusqu'en 1G22 et pendant lequel il participa avec les troupes royales au siège des places protestantes de l'Ouest et du Midi, eut à pourvoir à l'administration et au gouvernement du Dauphiné. Voici ce que raconte à ce sujet son historien Videl (') « II avait remis et » comme partagé l'autorité de sa charge entre Frère, » premier Président, àqui la dignité de son office attribue » la fonction des en leur absence, » et Morges, gouverneur de Grenoble, leur ayant donné » l'entière direction de tout ce qui concernait le service » du roi en cet endroit, bien assuré qu'il ne pouvait » mieux satisfaire à son intention que par l'établisse–» ment d'un si bon ordre. En effet, comme le premier » Président avait cette prérogative et qu'il est tenu pour » l'un des plus habiles hommes du royaume, Morges » avait de la créance et de l'autorité à cause de son gou)) vernement, outre qu'il faisait profession de la religion » prétendue réformée. »

Ce témoignage d'un contemporain du secrétaire de Lesdiguières, est remarquable à notre point de vue. Il constate avec autorité l'existence de cette prérogative qui, partant de l'influence du président Truchon, arrive, a travers la commission régulière du président d'Illins et le concours effectif du président de SaintAndré, à devenir un droit incontesté chez le président Frère. Ce droit, d'ailleurs, procède, comme nous l'avons vu, des anciens pouvoirs du Conseil delphinal associé par 'son institution au gouvernement même du Daupbiné. Le gouverneur et pour lui la lieutenant-général (') Page 37 i.


avait la première place au Parlement; le premier Président qui venait après lui prenait naturellement la seconde place au gouvernement, et remplaçait, en cas d'absence, le gouverneur dans ses hautes fonctions, comme il le remplaçait chaque jour au Parlement dans la direction de la justice.

Quant à la participation du gouverneur de Grenoble aux fonctions de la lieutenauce générale, auxquelles il fut chargé de concourir avec le premier Président, elle s'explique, comme un fait isolé, par la nécessité de donner à cette époque des garanties aux protestants. Nous allons toutefois rencontrer un autre fait de même genre qui fut peut-être la conséquence du premier et qui devint l'occasion d'un conflit rapporté par Chorier dans les termes suivants (')

« Le comte de Disimieux, gouverneur de Vienne, as» pira à l'honneur d'exercer dans son gouvernement, » en vertu des lettres-patente: qu'il en avait obtenues, » toutes les fonctions du gouvernement général et d'en » avoir tous les droits, à l'exclusion du premier Prési» dent du Parlement qui est commandant-né sur toute » la province, à l'absence du gouverneur général et du » lieutenant du roi. Mais le Parlement ayant délibéré » par arrêt du 4 septembre 1644, que très-humbles re» montrances seraient faites au roi et que, cependant, » il se maintiendrait dans sa possession, il n'y a pas été » depuis troublé. L'autorité du gouvernement s'affai» blit dans les mains de plusieurs gouverneurs; elle est » plus forte dans celles d'un seul. »

(') Ctiorier sur (inj Pape, section 3, |»[K 0." à (i7.


.\otre attentiou s'arrête surtout à cette année 1644, qui, pour notre sujet, ouvre une nouvelle époque, sur un document plus décisif présenté par le l'arlement comme une consécration officielle de son privilége, rappelé dans les lettres-patentes de 1 71 6 placées en tête de cet écrit, contesté et révoqué en doute par l'auteur du Mémoire, qui n'y voit qu'un titre controuvé, vainement recherché, supposé ou tout au moins occulté, à raison des dispositions défavorables qu'il pouvait contenir. Ce titre existe cependant il a été retrouvé dans les archives de la province, par M. Pilot, qui l'a publié dans le bulletin de laSociété de Statistique, avecd'autresdocuments que nousavonsdéjà invoques ou que nous pourrons invoquer encore ('). C'est une lettre du roi Louis XIV datée de Paris, le 31 janvier 1644, et portant la suscription à Monsieur de Saint-André, conseiller en mon Conseil d'Etat et Président en ma Cour de Parlement de Grenoble. Le magistrat ainsi désigné était Laurent de Prunier de Saint- André, fils du premier Président dont nous avons signalé le rôle important au siècle précédent, et père de Nicolas de Saint-André qui occupera bientôt avec un éclat digne de son aïeul le même poste que lui. Dans cette lettre, on expose, au nom du roi, qu'étant bien aise de conserver autant qu'il est possible toutes choses dans les anciens ordres, et s' étant fait informer comme ceux qui dépendent des charges du gouver(') Vol.tité, pp. 391,193.

S 3.– 1644-1716.


neur de sa province du Dauphiné et de son lieutenantgèiiéral en icelle ont été expédiés en l'absence de l'un et de l'autre, il a résolu par l'avis de la royne régente de laisser l'autorité d'y pourvoir au premier ou plus ancien Président de sa Cour du Parlement de Dauphiné, estimant qu'il est difficile que ce pouvoir qui a accoutumé d'être exécuté par une seule personne soit partagé à plusieurs personnes, comme il le fut en l'année 1C42, sans qu'il arrive quelque confusion. « C'est pourquoi, porte le texte de la commission, je vous fais cette lettre pour » vous dire que l'intention de la royne, Madame ma » Mère, et la mienne est qu'en l'absence de mon cousin le duc de l'Ediyuières ('), et du sieur comte de Tour» non (') et jusqu'à ce qu'il y ait un premier Président sur les lieux, vous, comme le plus ancien Président de y> madite Cour, donniez tous les ordres qui ont accoutumé » d'être faits par le gouverneur et mon lieutenant-général » en ladite province, tout ainsi et en la même manière ̃k qu'il a été fait avant l'ordonnance donnée par le feu » roi, mon seigneur et père, pour faire exercer ledit » pouvoir par ledit premier l'résident et par les inten» dants de la province, chacun dans un département » séparé »

On voit par la lettre dont nous venons de reproduire les principaux passages, qu'un nouvel élément de rivalité et de conflit était survenu par suite de l'institution récente des intendants, dont l'application au Dauphiné {') François de Créqui de Bonne, petit-fils du connétable et gouverneur du Dauphiné.

({* Lieutenant-général au gouvernement de Dauphiné.


remonte à 1628. Le partage de l'exercice intérimaire du gouvernement, entre le chef du premier corpsjudiciaire et le nouveau représentant de l'autorité administrative, parut d'abord la conséquence naturelle de la distinction des pouvoirs qu'on venait de consacrer. Mais cette innovatiou, qui dut froisser le I'arlementdans sa suprématie et le sentiment de sa dignité, ne fut pas heureuse et vint se briser contre le crédit de cette compagnie. II est remarquable que les deux litros qui ont plus spécialement sanctionné sa prérogative, ont été accordés, l'un sous la minorité de Louis XIV, l'autre sous la minorité de LouisXV, au moment où les Parlements deux fois comprimés reprenaient leurs prétentions avec leur influence, grflee au besoin qu'avaient de leur concours et de leur appui deux régences qui débutaient.

Louis XIV, devenu majeur, devait toutefois confirmer le droit qui avait été rendu dans son intégrité au Parlement de (ireniiblo. Deux événements qui intéressaient son règne en donnèrent successivement l'occasion, en ÎGCO la paix avec l'Espagne etla conclusion du mariage du roi avec l'infante Marie-Thérèse, en 1661 la naissance du Dauphin.

Par un acte daté d'Aix, le !t février 1660, et expédié dans les provinces pour être solennellement publié, le roi faisait annoncer qu'une bonne, ferme, stable etsolide paix avec amnistie et réconciliation entière et sincère avai! été établie et accordée entre lui et le roi catholique des Espagnes, leurs vassaux, sujets et serviteurs en tous leurs royaumes, pays, terres et seigneuries de leur obéissance, et défendait expressément à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles fussent, d'entreprendre, attenter et innover aucune chose au contraire ni au préjudice


d'icelle, sur peine d'être puni sévèrement comme infracleurs de paix et perturbateurs dit repos public. Quand la lettre de cachet, comme on disait alors, parvint en Dauphino. elle n'y trouva, ni le duc de Lesdiguières qui en avait le gouvernement, ni le duc de Sully qui avait le titre de la lieutenaneb générale. Ces grandes charges étaient devenues les dignités de la haute noblesse, et la haute noblesse, retenue par les attractions royales, pratiquait peu, loin de la Cour, le devoir de la résidence. Le soin de remplir le mandement du roi fut dévolu à celui qui était appelé à remplacer le gouverneur et le lieutenant-général et la proclamation fut faite au nom de Denis le Goux de la Bcrchère, chevalier, marquis de Santlienay, conseiller ordinaire dit roi en tous ses conseils, premier Président en sa Cour du Parlement de Dauphiné, commandant en l'absence de MM. le Gouverneur et le Lieutenar.t-général en ladite province. Dans cette pièce, publiée par M. Pilot (') et datée du 1 4 février 1 6fiO, le premier Président fait connaître les circonstances qui ont accompagné la conclusion de la paix et du mariage du roi opérée parle cardinal Mazarin avec tant de zèle, de prudence et de conduite, et prescrit, avec l'exécution des ordres du roi, l'assistance et le concours aux cérémonies religieuses et aux démonstrations de l'allégresse générale que doit exciter la nouvelle d'évènements aussi heureux. La proclamation se termine par un ordre adressé aux gouverneurs des villes et places de la province de faire tirer le canon, de faire mettre sous les armes tous les habitants el soldats, et de faire (') Bulletin de la Société de Statistique, vol. cité.


tout ce qui pourra signaler la réjouissance publique d'une paix si désirée, si glorieuse et si avantageuse. Pendant l'année qui suivit cet acte offiuiel du commandement confié au premier Président, la situation de l'autorité publique n'avait pas changé, lorsque vint encore de la Cour de France une nouvelle, destinée à un éclatant accueil. Louis XIV venait d'avoir un héritier direct, celui qu'on appela plus tard le grand Dauphin, parce qu'il était le fils du grand roi. -L'annonce de cette naissance dut être transmise au commandant du Dauphiné avec les ordres expédiés, pour qu'elle fût solennellement acclamée et célébrée dans la province dont le nom consacrait le droit d'aînesse dans la transmission de la couronne et la lignée royale.

Voici, à cet égard, les documents inédits que j'extrais du Livre blanc du Parlement de Grenoble, registre destiné aux affaires intérieures de cette compagnie et conservé encore aux archives de la Cour impériale. « Le 15 novembre 1661, les Chambres étant assem» blées, a été représenté par M. le premier Président » comme, pendant la levée de la Cour, il a reçu par » un courrier exprès deux lettres du roi du 1er de ce » mois, l'une adressée au Parlement, et l'autre à lui. » comme commandant dans la province, par lesquelles, » en actions de grâces de la naissance de Monseigneur » le Dauphin, sa Majesté veut, etc. signé Le Goux. » Denantes, du l'ilion, syndics. »

La lettre au commandant dans la province contient les passages suivants, plus particulièrement relatifs à notre sujet

« Monsieur de la Berchère, Mon intention est » que, non-seulement vous assistiez, avec ma Cour de


» Parlement de Dauphiné, au Te Deum qui seracélé» bré dans l'église cathédrale de Grenoble, mais aussi »qu'en l'absence du gouverneur et de mou lieui tenant-général en ma dite province de Dauphiné, »vous teniez la main à ce que les officiers des corps » de justice et autres s'y trouvent. Je vous recom» mande aussi de faire tirer le canon, de faire faire » des feux de joie, de donner et faire donner dans »toutes les villes et places de ma dite province toutes » les marques d'allégresse et de réjouissance publiques » qu'un sujet si important peut mériter de votre zèle et affection accoutumés pour tout ce qui regarde le »bien de mon service et ma satisfaction Donné à » Fontainebleau, le 1" novembre 1661. Signé Louis, et plus bas, Le Tellier f). »

A la suite, on lit au même registre, avec la mention en marge Concernant le Gouvernement

« Teneur de la lettre du roi à M. de la Berchère, » premier Président, lequel nous l'a remise cedouzième » décembre 1 061 pour être enregistrée

« Monsieur de la Berchère, m'ayant été fait instance » de la part de mes dix villes de ma province de Dau» phiné de leur permettre de s'assembler pour délibé» rer sur le présent qu'elles désirent faire à mon fils » le Dauphin et ayant bien agréables les sentiments que ceux desdites villes font parattre en cette occa» sion, je vous écris cette lettre pour vous dire que je »trouvebon que vous permettiez ladite assemblée, vous » recommandant de tenir la main à ce qu'après que la(') Livre blanc, f*« 161 à 1C4.


» dite délibération aura été prise sur ce sujet, les dé» putés de ladite assemblée se séparent et retournent » es dites villes dont ils seront, et la présente n'étant pas à autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur » de la Berchère, en sa sainte garde. Ecrit à Fontaine» bleau, le dix-neuvième jour de novembre 1661. » Signé Louis. Et plus bas, Le Tellier (*). »

Ces dcux documents prouvent qu'à l'époque où ils ont été écrits, l'exercice de l'autorité du gouvernement par le premier Président du Parlement en l'absence du gouverneur et du lieutenant-général était un fait acquis, un droit reconnu par le pouvoir royal. Au surplus, cette fonction de la part du premier Président dfi la Berchèrc ne s'était pas bornée à l'organisation des réjouissances publiques, comme on peut l'inférer du passage suivant, de Chorier sur Guy Pape

« II fut dit par arrêt du 1 mai 1580, conformément t » à l'ordonnance de Blois, que les gouverneurs ne poura raient s'entremettre (lu fait de la justice, et depuis, » un père se plaignant de son fils, il fut dit, aussi par » arrêt, qu'il se pourvoirait aux juges ordinaires, et non » au commandant, comme il l'avai*. fait M. le premier » Président de la Berchère, comme commandant, avait «fait emprisonner dans l'arsenal, sur la plainte du » sieur de Brunel, le sieur de Rhodet, son fils (*]. » Ainsi, les fonctions de commandant, exercées même par le premier Président, étaient distinctes des fonctions judiciaires, bien qu'elles en fussent la conséquence et le Parlement revendiquait pour la justice, contre son (') Livre lSlaiic,103.

(̃) Chorier sur Guy Papy, sect. '.i, p. 75.


l} .u. T. VI. 5

premier Président lui-même, commandant dans la province, ce qui était du ressort de la justice.

Le successeur immédiat du premier Président de la Berchère fut Nicolas Prunier de Saint-André, marquis de Virieu, ancien ambassadeur près la seigneurie de Venise, celui-là même qui donna son nom à la grande et belle avenue établie aux frais du Parlement, et servant d'entrée à la ville de Grenoble du cùlé des Alpes. Il exerça aussi le commandement dans la province, mais par une commission spéciale qui luifutdonnéeen 1677 (26 février), alors qu'il était Président au Parlement de Mauphiné, et dont il était ainsi déjà pourvu quand il fut nommé, par lettres du 9 août 1679, à la dignité de premier Président ('). C'est à lui que furent adressées, en qualité de commandant pour le service du roi en sa province de Dauphiné, des lettres datées du camp de Valenciennes, le 18 mars 1077, et de St-Germain-enLaye. le 22 décembre 1678, pour faire célébrer la prise de Valenciennes et la paix conclue avec les Pays-Bas. C'est encore à lui, qu'en la même qualité, en 1 683 et 1690, le roi écrit au sujet des rapports qu'il doit avoir avec le maréchal-de-cainp de Saint-Ruhe et le lieutenant-général Catinat, envoyés successivement en Dauphiné pour y prendre le comniiindementdes troupes (*). Il paraît qu'il était encore investi des deux fonctions de la première présidence et du commandement à l'époque de sa mort. Le livre Blanc mentionne cet évène(') Chorier, ibid., pp. OS à 07. (iuy Allard, Met. (lu Dauphiné, édition de M. (]ariel, l. *}, p. i:i8. – M. Rochas, Biograplaie du Dauphiné, t. 2, [). 3l:S.

(') Bulletin de la Société de xlalhHtjiie, vol. cité.


ment en ces termes: « Le 21 août 1092, jour de ven» dredi, environ les onze heures du soir, est décédé » messire Nicolas de Prunier de Saint-André, premier Président, et en cette qualité commandant dans la » province en l'absence de messieurs les gouverneur » et lieutenant-général pour le roi en cette province (*).» Après Pierre Pucelle qui succède à Saint-André et occupe peu de temps la première Présidence, cette charge est donnée, en 1li!)4. à l'intendant du Lyonnais, Pierre de Bérulle, dont le nom reparaîtra avec le même honneur et avec éclat aux derniers jours du Parlement. Il eut aussi, en sa qualité de chef de cette Compagnie, le commandement de la province, comme l'attestent des ordonnances concernant la police dans la ville de Grenoble, rendues à la date du 13 novembre IG!)7, ainsi qu'on le lit au Ilecueil des Edits, appelé Recueil Giroud, « par monseigneur l'ierre de Démlle vicomte de » Guyancourt, conseiller du roi en tous ses conseils, » premier Président du Parlement de Dauphiné et cotn» mandant pour sa Majesté en ladite province (*). » C'est la même année, 1097, que Chorier écrivait dans son livre intitulé: Etat politique du Dauphiné « En » l'absence des gouverneurs généraux, leur autorité » est dans les mains des lieutenants-généraux. Et ceux» ci étant absents de la province, le premier Président » ou celui qui tient sa place exerce cette charge et en » fait les fonctions ('). Plus loin, il dit encore « En » l'absence du gouverneur général ou du lieutenant de (') Livre Bliim-, 232.

(•) Recueil îles Eilils, t. {, il» 237.

(') Chorier, F.lat politique, t. 1, pp. 8 à 11. l.


» roi, le premier Président en fait toujours les fonc» tions. Le Conseil delphinal n'avait pas si absolument » ce droit qui a tant d'honneur et qui donne tant d'é» clat. Les gouverneurs se nommaient eux-mêmes leurs » lieutenants, et Henri de Sussenage étant obligé de » faire un voyage hors (le la province, nomma son lieu» tenant, en son absence, le Conseil delphinal. Ce fut » l'an 1418. L'avant fait assembler à cet effet, le 17 du » mois de février, il commanda à chacun de lui obéir » comme à lui-même. Mais cet honneur ne regarde pas » aujourd'hui tous les officiers collectivement il est at» taché à la personne du premier Président ou de celui » qui est à la tête du Corps lorsqu'il est absent ('). » Ainsi la prérogative du Chef du Parlement de Grenoble était désormais consacrée par des usages anciens et une possession vérifiée. Il lui manquait toutefois la sanction légale qui devait en faire une iustitutiou régulière. Ce fut quelques années après, durant la première Présidence de Pierre do Bérulle, que le Parlement obtint les lettres-patentes de 1 71 G que nous avons placées en tête de cet écrit. >"ous n'avons pas de détails précis sur les circonstances au milieu desquelles le Parlement crut devoir solliciter cet acte de la puissance royale. Il est permis toutefois de les conjecturer. Une double cause devait amener des occasions de lutte ou de conflit. Il n'était pas sans exemple que le gouverneur de Grenoble eût participé au commandement de la province pendant l'ahsence du gouverneur et du lieutenant-général, ainsi que nous l'avons vu sous Lesdiguièros. Nous avons aussi rappelé la prétention du (') Chorier, Etat politique, l. 1, |>[>. 71-72.


gouverneurde Vienne. L'autoritémilitaireque lesgouverneuis des villes représentaientplus particulièrement audessous d u gouverneur de la province et du lieutenant-général, ne considérait pas sans quelque jalousie le commandement mis aux mains d'un officier de robe. chargé de faire tirer le canon et de mettre en mouvement la milice. Elle dut plus d'une fois réclamer contre l'usage et en contester la légitimité, alors surtout que la noblesse de la province, en possession d'avoir au moins l'une des deux placesde gouverneur ou de lieutenant-général, en était quelquefois écartée par une désignation simultanée de personnages étrangers appelés à occuper l'une et l'autre, et n'était plus investie que des fonctions de gouverneurs des villes, alors aussi que la première Présideuce était plus fréquemment conférée à des magistrats venus des autres provinces, comme les deux frères Le Goux de la ISerchère, Pierre Pucelle et Pierre de Bérulle. De là, des prétentions froissées que l'autorité du Parlement ne pouvait dominer qu'avec l'appui de l'autorité royale.

D'un autre côté, le roi, en l'absence du gouverneur et du lieutenant-général, et peut-être pour éviter ces conflits, donnait parfois à des militaires des commissions pour commander dans la province, Ces commandants oommissiorinés exerçaient certainement sans opposition matérielle le pouvoir qui leur était dévolu. Mais le Parlement, soucieux de ses droits, ne voyait pas sans regret et sans quelques murmures le privilége de son chef annihilé par un commandant à qui l'on refusait le droit de séance au Parlement, réservé au gouverneur et aux lieutenants-généraux. L'antagonisme se traduisait surtout par des difficultés de rang dans les cérémonies pu-


PRÉR0GAT1VE DU COMMANDEMENT DANS LA PROVINCE. 1 1- 1-11 1. 1 1

bliques, difficultés d'autant plus graves à cette époque que les questions de préséance cachaient presque toujours des questions de pouvoir.

Aussi rencontrons-nous dans les lettres-patentes le règlement de ces litiges sous le double rapport que nous venons d'indiquer. Le roi n'accorde le commandement au premier Président du Parlement, et à son défaut, au Président qui le remplace, que lorsqu'on l'absence du gouverneur et du lieutenant-général il n'y aura point de commandant commissionné par lui mais en même temps il réserve au premier Président la préséance et les honneurs qui lui sont attribués commeeoinmandantnatureldans la province, ris-à-vis du commandant commissionné, dont la présence mêinn à (Irenoble ne ptéjudiciera point à cette préséance et à ces honneurs. Ainsi, après le gouverneur et le lieutenant-général, la dignité appartient toujours au premier Président du Parlement, commandant uaturel, mais le commandement effectif ne lui est jamais déféré qu'à défaut de commandant commissionné et présent.

$4-- 1716-1791).

Nous avons vu le droit du Conseil delpliinal, puisdii Parlement et des officiers placés à sa tête. se former avec le temps et les usages jusqu'à sa oonsécration et son règlement. en 1716; nous allons le voir fonctionner depuis cette époque non toutefois sans conteste sur quelques détails et dans certaines occasions. Moins de deux ans après les lettres-patentes du VI juillet 1 7 1 6, une circonstance peut-être unique jusquV


lors se présentait. Il y avait un commandant commissionné pour la province; mais gouverneur, lieutenantgénéral, commandant et premier Président se trouvaient à la fois absents. Joseph Artus de la PoypeSaint-Jullien de Grammont présidait le Parlement comme le plus ancien Président. Soit qu'il éprouvât des difficultés au sujet du commandement de la province, soit qu'il redoutât quelque conflit ou qu'il voulût faire reconnaître son droit, il s'adressa au régent, et le livre Blanc nous fait connaître en ces termes la réponse qu'il reçut: « 27 mai 1718. En suite de la lettre que M. le » président de (Jramrnotit, second Président en la Cour, a reçue de monsieur le maréchal de Villars, par l'ordre » de S. A. lt. monseigneur le duc d'Orléans, régent, » concernant le commandement de la province, en l'ab» sence de messieurs les gouverneur, lieuteuant-géné» rai. commandantetpremierprésident, il a été ordonné » à moi, syndic soussigné, passant dans les Chambres, » le vendredi, 27" mai 1718, d'enregistrer ladite lettre dans le présent livre. – A Paris, le -17 mai 1718. » J'ai lit à S.A. R., Monsieur, la lettre que vous me faites » l'honneur de m'écrire, du 12. S. A. Il. confirme l'au» torité on vous êtes de commander dans la province, aussi bien à toutes les troupes qu'à tout le reste. » Ainsi, Monsieur, jusqu'à ce que M de Jlcrtavy (') y » soit retourné, le commandement est très-légitime» ment entre vos mains, et en de très-bonnes mains » pour les grandes qualités qui sont en vous. Je m'ac(') Lu comte de Mêdavy, coiiiiiiaudjiit dans les pi'gviiR'es de Dau|>hiné i't ik' l'mvence, en 1720, suivant 11. l'Uni. l,a lettre cidessus indique un coininandt'iiH'iil antérieur.


» quitte avec grand plaisir des ordres que S. A. R. m'a » donnés ce matin sur cela, et suis toujours avec plus » d'attachement que personne du monde, Monsieur, » votre très-humble et très-obéissant serviteur.-Signé: » Le M. duc de Viu.AHS.(Iuiixet, syndic ('). » Le président de Grammont, qui avait pris tant de soin à faire reconnaître son droit par le régent, se retrouve, six ans après, appelé de même à exercer le commandement à l'époque du mariage du duc d'Orléans, fils du régent, qui venait d'être nommé gouverneur du Dauphiné, et il met à profit cette circonstance pour poser de nouveau la prérogative et réclamer tous les honneurs militaires du commandement.

Voici ce que nous lisons encore au livre Blanc du Parlement:

« Copie de la lettre écrite par Monseigneur le duc d'O)'» léans à Monsieur de Grammont, président et com» mandant dans la province. » (En marge «J'ai re» tiré l'original, ce 23 juillet 1724. Grammont. ») » Monsieur, j'ai reçu les deux letlres que vous m'a» vez écrites, le 6 et le 9 de ce mois. Je vous remercie » des sentiments que vous me témoignez à l'occasion » de mon mariage et des. heureuses suites que vous » vous en promettez. A l'égard de ce que vous me de» mandez dans votre seconde lettre, que mes gardes » vous accompagnent lorsqu'il y aura quelque cérémo» nie publique, j'y consens et je donnerai d'autant » plus volontiers les ordres nécessaires à ce sujet, que (') Livre Blaiii-, I" 28t.


»les honneurs que je juge convenable de faire rendre » à celui qui, comme commandant-né, en mon absence, » me représente dans la province, tomberont, dans la » circonstance présente, sur une personne à quije suis »bien aise de donner des témoignages particuliers de » ma considération. Je suis, Monsieur, votre affectionné » à vous servir. -Louis d'OiuÉAxs. La P.ondamim:, » syndic ('). »

La faveur si gracieusement accordée par le duc d'Orléans au président de Grammonlconcordail avec la décision prise, à la même époque, par le secrétaire d'Etat de la guerre au sujet des difficultés qui s'étaient élevées entre les autorités militaires et le magistrat commandant, sur les honneurs à lui rendre. Par lettres écrites à celui-ci et au gouverneur de Grenoble, le 30 et le 31 juillet 1724, il fut décidé que le présidentde Grammont serait traité sur le pied réglé par les ordonnances pour un lieutenant-général des armées du roi, commandant en chef dans une province qu'il serait en droit de conserver une garde de cinquante hommes; que, pour lui, les tambours devraient appeler; que, lorsqu'il entrerait dans une place pour la première fois, la garnison serail sous les armes, le gouverneur particulier irait le recevoir à la porte, lui ferait tirer cinq volées de canon, tant à son entrée qu'a sa sortie, et lui demanderait le mot ce jour-là seulement (!).

(1) Livre Blanc nlu l'arlement, (•̃ 313-3U.

(*) Miiinoives et tîU'es à l'appui, remis à MM. du t'iirlemenl par le Président de Granimunt. Bulletin de la Soctété as &lalisl\que, sol. cité, pp. :ï"7 et suiv.


Ce règlement, qui ménageait à la fois les prérogaiives du magistrat et les susceptibilités militaires, fut immédiatement exécuté, et la garde de cinquante hommes, commandée par un capitaine, sans drapeau, se présenta à la porte du président de Grammont, qui la renvoya sur-le-champ en s'en tenant à une simple sentinelle.

Mais bientôt la venue en Dauphiné du comte de Sassenage, qui en avait été nommé lieutenant-général, fit cesser les fonctions autoritaires du président de Grammont.

Il fut appelé à les reprendre cinq ans après par le départ du comte de Sassenage pour Paris, et à les exercer au mois de septembre 1729 à l'occasion de la naissance du Dauphin, fils de Louis XV. Le président de Grsmmont a raconté lui-même en ces termes l'incident qui se produisit en cette circonstance «Quelques jours » après, il fut question défaire chanter un Te Deunià à » Notre-Dame sur cette heureuse naissance. s'éleva une e w diflieulté par la noblesse qui prétendit que je devais » assister au Te Deum, non à la tète du Parlement, » mais à la tête de la noblesse, l'épée au côté, et de » tous les militaires qui étaient dans cette ville. Mes» sieurs du Parlement désirèrent que je demeurasse à ma place et à leur tète, sur les raisons que je ne » tenais le commandement que par une conséquence » que j'étais premier président; je deférayà leur senti» ment, ce qui ne plut pas à la noblesse, qui, pour tout » ce qu'il y en a de considérable dans la ville ne se » trouvèrent point dans la grande salle des Jacobins, » qui est à rez-de-chaussée, où j'avais fait inviter ladite noblesse et tous ceux qui voudraient me prendre et


» me suivre quand j'irai mettre le feu au bûcher qui » était élevé à la GreneRe. Il est vrai que quelques-uns » d'eux me firent dire que si j'y voulais aller en habit » do commandant, avec l'épée au côté, ils s'y ren» draient. Je ne trouvai pas il propos de déférer à la » proposition, et j'assistai à cette cérémonie avec la robe » rouge et le mortier. Cela me donna lieu d'écrire à » mondit sieur d'.ingervilliers, et, par une lettre du » 12 octobre 1729, j'eus la satisfaction de voir que ma » conduite avait été approuvée. Au mois d'octobre » de cette même année, je lis mon entrée à l'arsenal » pour la première fois ('). »

Nous renconlrous, au sujet de cette visite, dans un autre registre du Parlement, intitulé: le livre llleu, le curieux document queje transcris ici

« C octobre 172!). Verbal de l'entrée faite à l'arsenal » de Grenoble par M. le président de Grammont, com» mandant dans la province

» Artus-Joseph de la l'oype-Saint-Jullion de Gram» mont, second président du Parlement de Daupliiné, » commandant en chef dans In province,

» Ayant résolu de faire notre entrée aujourd'hui, » sixième octobre 172!), dans l'arsenal de la ville de » Grenoble, et d'en faire la visite nous avons fait aver» tirM.le marquis de Marcieu, qui en est le gouver» rieur, pour nous y recevoir, el étant parti à cet effel » de nôtre hôtel, accompagné de M. le président de » Barrai, de M. le président de ('Imponay, de M. de (') Mémoire il MM. «lu l'adtMiieM, rit-jà rivé. Bulletin de (a SocUtéde slalisiique, loc. cil., 1>. 381.


» Marnays-Beauvais, doyen du Parlement, et de plu» sieurs Messieurs et autres ofliciers dudit Parlement, » qui nous ont fait l'honneur de nous suivre dans leurs » équipages, et étant arrivés sur le pont-levis dudit ar« se uni, nous y avons trouvé M. le gouverneur, lequel » est venu au-devant de nous et s'est avancé sur ledit » pont, pour nous y recevoir, l'espace d'environ le tiers » dudit pont, nous avons mis pied à terre, avec » Messieurs les officiers dudit Parlement qui nous ac» compagnaient, et de là étant entré dans ledit arsenal, » nousy avons trouvé sur la place la garnison sous les » armes, les tambours appelants, el l'instant il a été tiré cinq volées de canon pour nous saluer. Et ayant » commencé notre visite par le magasin à poudre, qui » est à la droite de l'entrée dudit arsenal, nous y som» mes entré, accompagné seulement do M. le gouver» neur, de M. de Busany, de l'artillerie, » et de M. de lit liaume, major dudit arsenal de là » étant monté par l'escalier qui conduit à la salle d'ar» mes, il uous a pris une faiblesse qui nous a empêché » de continuer notre visite et nous a de nous re» tirer sans que M. le gouverneur ait eu le temps de » nous demander l'ordre. Les tambours ont appelé à » notre sortie comme à notre entrée, et il a été pareil» Icment tiré cinq volées de canon, en conformité de la » lettre écrite par M. le marquis de Breteuil, secrétaire » d'Etat de la guerre, auditsieurde Mareieu, le 30 juil» let 1724, servant dérèglement, de laquelle lettre sera » insérée une copie au bas du présent verbal, aussi » bien que de celle à nous écrite par M. de Breteuil. De » tout quoi nous avons dressé le présent pour servir ce » que lie raison, et nous l'avons signé avec Messieurs


» les officiers qui nous ont accompagné. Ainsi signé » Lipoype-St-Jui.uen, B.vbral, Lacroix DE SAYVE, CHA» PONAV DE BeAUVAIS-MarNAIS MONTVTLUER I.EUSSE» DESCOTES, Brenier, REYNAUD, de Vaulx, DE REVEL (').» On voit par ce procès-verbal, si exactement et si minutieusement rédigé, avec quelle sollicitude le président effectif et le Parlement lui-même, représenté par ses principaux officiers s'appliquaient à constater l'exercice du commandement militaire, et l'observation des instructions officielles données pourle cérémonial et l'étiquettc de cette fonction. Ces détails formalistes, cette réception décrite dans ses moindres actes, ces pas comptes pour le rapprochement de l'autorité militaire et ilu commandant magistrat; ces rappels des tambours et ces volées de canons à l'entrée et à la sortie ces visites toutes militaires à l'intérieur où le président pénètre seul avec les officiers de l'arsenal; ces regrets de n'avoir pu donner l'ordre, signe suprême du commandement, tout indique l'importance attachée par les membres du Parlement à l'exercice d'une prérogative qu'ils avaient mis tant de prix à faire consacrer, et la résistance des officiers militaires à subir, de la part d'un magistrat, un commandement que toute la puissance de l'autorité royale et l'intervention répétée du princegouverneur et des secrétaires d'état de la guerre avaient pu seules leur faire accepter. On était bien loin de ces temps où le magistrat faisait alterner le harnais et la robe, où le premier président Sotfrey Caries, jurisconsulte snvanl et guerrier éprouvé, faisait des miracles de (') Uvre Rien du Parlement, 17. î.


bravoure et recevait du roi Louis XII l'accolade de chevalier sur le champ de bataille d'Agnadel. Les forces étaient devenues séparées comme les pouvoirs. Le vieux magistrat, descendant de son siège pacifique pour inspecter un arsenal, se sentait ému en face de l'appareil militaire; il épuisait sa virilité à visiter une poudrière et s'arrêtait pris d'une défaillance soudaine aux premiers degrés de la salle d'armes. La vieille prérogative du Parlement semblait frappée d'impuissance dans son dernier triomphe.

Nous la verrons cependant prévaloir plus d'une fois encore et bientôt obtenir comme un frivole succès dans une lutte de préséance au théâtre, on le président de Grammont sera moins acteur que témoin. Il avait été, en 1730, appelé, par son mérite et ses longs services, au poste do premier président, qu'il occupa jnsqu'en 1739. Pendant les premières années qui suivirent cette élévation, il continual'exercice ducoininandement dans la province jusqu'en -1732, où le marquis de Jlaillebois vint faire enregistrer au Parlement sa commission de commandant. A l'occasion de cette commission et de celle du comte de Cambis, qui le remplaça, le premier président de Grammont eut de nouvelles plaintes à faire et des réclamations à exercer ausujet des atteintesque semblaient porter à sa prérogative les pouvoirs étendus conférés aux nouveaux commandants. Ses démarches n'eurent pas de succès et ses demandes furent écartées par l'application des lettres-patentes de 1716. Il se contenta de protester en remettant au Parlement un Mémoire auquel nous avons fait quelques emprunts, et où, en signalant les usurpations des commandants sur la prérogative du Parlement et la négligence du pre-


mier président de Bérulle, son prédécesseur, à les pré veuir, il raconte ses propres efforts et les luttes qu'il a soutenues. C'est en t73C,duns les derniers temps de sa vie, et alors quo ses forces semhlaient s'être épuisées dans les labeurs de sa carrière et l'ardeur des conflits, que se place l'épisode que nous allons rapporter en copiant encore le livre blanc.

« 14" mat 1 730. Cejourd'hui quatorzième mai mil » sept cent trente-six, la Cour a ordonné l'enregistre» ment du placet présenté à Sa Majesté et de la ré» pouse de M. d'Angervilliers pour maintenir le pre» mier ou plus ancien président dans le droit d'avoir la la première loge à la Comédie et dans tous les hon» jieurs attribués au commandant naturel, même dans » le cas où ily."i un autre commandant par commission » particulière de Sa Majesté, pour que leurs prétentions » et droits honorifiques soient constatés à perpétuité. » Sire,

» Les officiers de votre Parlement de Oronoble, peu » sensibles à l'intérêt, n'ont point abusé par leurs » plaintes des moments précieux de Votre Majesté, coni sacrés à la gloire de la nation et au bonheur de ses » sujets; ils ont trouvé dans leur zèle des ressources » que le peu de produits de leurs charges et la médio» crité de leurs bienssembleraient leurrefuser; ilssont » infiniment plus attentifs aux prérogatives attachées à » leur corps; elles engagent une partie de la noblesse » du Dauphiné à y entrer, et la probité et le désintéres» sèment ont toujours été une suite de la manière dont »> est composé.

» Le privilège de commander dans la province, at» trihué au premier ou plus ancien président en l'ab-


» sence du gouverneur et du lieutenant-général, distin» gue votre Parlement de Dauphiné de tous vos autres » Parlements ce privilége fait partie de l'institution du » Conseil delphinal; il lui a été continué comme Parle» ment par les rois vos prédécesseurs et par votre au» guste bisayeul, et Votre Majesté, dès les premières » années de son glorieux règne, a bien voulu le confir» mer par ses lettres-patentes de 171 G. Elles portent » qu'en l'absence du gouverneur et du lieutenant-gé» néral de Dauphiné, le premier ou plus ancien prési» dent aura le commandement dans cette province, et » lorsqu'il plaira à Votre Majesté de donner commis » sion pour y commander les troupes, elle n'entend pas » que semblable commission prive le premier ou plus » ancien président des honneurs qui lui sont attribués » comme commandant naturel, même lorsque le com» mandant particulier sera à Grenoble.

» C'est dans les assemblées publiques que ces hon» neurssont le plus remarqués. 51. de Béruile, premier » président, prit la première loge à la comédie, et y fit » mettre ses armes; M. le comte de Médavy, comman» dant pour lors dans la province, ne la lui disputa pas » et en fit faire une pour lui à l'amphithéâtre. 51. le >> président de Grammont, qui lui a succédé, ne prit » point de loge ta Comédie; son âge avancé semblait » l'en écarter. M. de Maillebois, envoyé pour comman» der dans la province, prit la première loge qui se » trouva vuide. M. de Cambis, qui commande actuelle» ment, a aussi pris la première loge. M. de Grammont, » quelque temps après, on ne sait par quel motif, en» voya prendre la seconde loge et fitmettreses armes; » mais le lendemain, le Parlement lui ayant représenté


» qu'il donnait atteinte à un droit honorifique dont il » lui était comptable, il les titôter.

« La crainte que cette démarche de notre t>remier » Président ne puisse être regardée comme une posses» sion, nous met dans la nécessité de porter nos justes » plaintes au pied du trÔne, plus distingué par lajustice » qui y préside que par l'éclnt qui l'environne. » « Les officiers du Parlement n'envient point il lIon» sieur deCambis, qu'ils estimentet qu'ils considèrent, » les honneurs dont Votre Majesté voudra bien le com» bler; mais ils osent la supplier que ce ne soit pas à » notre préjudice et en donnant atteinte à un privilége dont ils ont toujours joui. »

« Leur zèle, qui ne s'est jamais démenti dans les » temps les plus orageux, leur donne nue juste con» fiance qu'il plaira à Votre Majesté de maintenir lc » premier ou plus ancien Président de votre Parlement de Dauphiné dans le droit d'avoir la première loge à » la Comédie et dans tous les honneurs attribués au » commandant naturel, même au cas où il y a un au» tre commandant par commission dans fa province, » en conformité des fettres-pat~ntesde Votre Majesté, » du 12 juillet 1716. Nous sommes, avec un profond » respect, Sire, do Votre Majesté, les très-humbles, » très-fidèles et très-obéissants serviteurs et sujets, les » gens tenant votre Cour de Paiement, aides et finances » (le Daiipliiiié. »

« 12' mai 1736. Copie de la réponse de Monsieur t<Dangervi)iiersauPar)ement,ausujetduptt)cetque » la Compagnie a présenté au Roi pour maintenir le » premier ou plus ancien Président dans tous les droits ') honorifiques attribués au commandant naturel.


« A Versailles, ce 12 mai 1736.

'Messieurs,

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur » de m'écrire le 20 mars, accompagnée d'un placet que la Compagnie présente au roi pour maintenir le pre» mier ou plus ancien Président dans le droit d'avoir » la première loge à la Comédie et dans tous les hon» neurs attribués au commandant naturel, même dans » le cas où il y a un autre commandant par commission » particulière de Sa Majesté. J'ai cru devoir, dans le » temps de la réception de votre dépêche, ne pouvoir mieux faire que de m'en remettre à ce que j'avais dit » à M. Bon, député du Parlement, et dont je sais qu'il »a rendu compte à la Compagnie. Je vous supplie de » croire que je n'aurai rien de plus à cœur que de vous marquer le respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, »Ilessieurs, votre très-humble et obéissant serviteur, n Dangervilliers.

» Barral, Franquières, syndics ('). »

Le livre Blanc ne mentionne point les termes de la communication orale qui avait été faite au député du Parlement et à laquelle la réponse du Ministre se réfère avec une singulière réserve. On voulut peut-être éviter de donner une solution officielle à une question dont le sujet paraissait peu en rapport avec les habitudes judiciaires et l'austère dignité de la magistrature. On ne pouvait pas déposséder le commandant militaire de sa loge, jet le premier Président avait cessé d'occuper la sienné. Il fallait seulement ôter au fait le caractère d'un t')LnTeB)anc,f'37iet372.


précédent engageant l'avenir et dissiper les appréhensions du Parlement qui craignait de voir s'établir une possession d'où l'on pourrait, plus tard, tirer une conséquence contraire à l'étendue de sa prérogative. Les assurances données suffisaient à sauvegarder les priviléges du Parlement, qui parut en être satisfait. Plus d'une occasion va d'ailleurs se présenter pour cette Compagnie devoir le commandement dans la province exercé par ses chefs. Les deux Présidents de Barrai et de Chaponay qui accompagnaient le Président de Grammont dans sa visite à l'arsenal, seront tour h tour appelés, par leur rang d'ancianneté, à remplir les mêmes fonctions, et les deux successeurs de ce dernier dans la première Présidence, Henri de Piolenc et Amable-Pierre-Thomas deBérulle, en seront également investis. J'ai rencontré, à ce sujet, quelques indications curieuses à plus d'un titre, dans un document intéressant dont je possède une copie complète, et qui est intitulé Verbal dressé en exécution de l'arrêté de la Cour, du avril I 764, de ce qui s'est passé au sujet de l'édit du mois d'avril 1 703 et de la déclaration du 24 du meme mois et du décret de prise de corps décerné par la Cour, les Chambres assemblées le 14 octobre de la même année, contre Charles-Louis-] oachim ChasteliierDumesnil, lieutenant-général des armées du roi et lieulenant-géneral commandant la province.

Je no rappellerai pas ici, avec les circonstances rapportées par ce procès-verbal, la présentation des édits qui soulevèrent l'opposition de la plupart des Parlements de France; les remontrances très-vives adressées au Iloi par celui de Grenoble; l'arrivée du marquis Dumesnil avec les ordres les plus rigoureux et les pouvoirs


les plus absolus; les mesures violentes qu'il employa pour l'enregistrement des édits; la résistance non moins énergique du Parlement, qui multiplia les protestations et dont les arrêts furent cassés par le conseil du roi et biffés sur les registres par le lieutenant-général; le décret de prise de corps porté contre celui-ci et la radiation qu'il en fit opérer lui-même; les principaux officiers du Parlement mandés à Versailles pour se rendre à la suite du roi, et bientôt tous les membres de la Compagnie exilés, par lettres de cachet, à Fontainebleau, à Melun et a Nemours, où cependant le gouvernement ne tarda pas à leur manifester des dispositions plus favorables et des intentions conciliatrices. Des députés désignés par les trois divisions du Parlement furent admis à présenter des observations aux ministres du Roi. A la suite de ces observations, ils représentèrent que le bien du service de S. M. exigeait indispensablement que le marquis Dumesnil, dans aucun temps, ne pût faire les fonctions de lieutenant-général commandant de la province de Dauphiné, et ils saisirent ainsi l'occasion de rappeler et d'invoquer l'ancienne prérogative du Parlement, à laquelle ils attachaient toujours une si grande importance, et qui pouvait, dans la circonstance, trouver une application nouvelle.

« MM. les Députés, dit le procès-verbal, représentè» rent encore que le commandement de cette province » était attaché au Parlement pour être exercé par le gouverneur, à son défaut, par le lieutenant-général, » et en leur absence par le premier Président, et successivement celui qui présidera la Compagnie que » le Parlement avait été confirmé dans cette préroga» tive par Sa Majesté et tous les rois ses prédécesseurs.


» depuis le transport du Dauphiné à la Couronne que » M. de Grammont, premier Président, ensuite M. de » Barrai, second Président, et après eux, M. de Piolenc, » premier Président, à qui avait succédé M. de Bérulle, » en avaient rempli les fonctions avec distinction, et » que le Parlement suppliait Sa Majesté d'en laisser le » libre exercice à M. de Bérulle et, en son absence, à » celui qui présiderait la Compagnie. »

Ce vœu fut accompli. Le Parlement tout entier fut accueilli dans une audience royale où il fut admis à renouveler ses remontrances. Les édits furent retirés ou modifiés. La Compagnie, autorisée à reprendre ses sièges, rentra bientôt dans la province où elle trouva le commandement vacant. La mort du marquis Dumesnil, survenue dans l'intervalle à Paris, leva toute difficulté et flt disparaître tout sujet de conflit ou de retour sur le passé. La prérogative du Parlement, couronnant son triomphe, s'exerça sans obstacle comme sans conteste. Et le procèa-verbal, lu aux Chambres assemblées et approuvé par elles, fut clos en ces termes, le 13 août 1764:

« M. le premier Président, en arrivant dans cette pro» vince, en prit le commandement qui, par son départ, » se trouve dévolu à M. de Chaponay, qui en remplit les » fonctions à la satisfaction de tous les ordres de la » Province. »

La même année, la lieutenance-générale fut donnée au maréchal de Clermont-Tonnerre, d'où elle passa en survivance au duc de G4e«aont-Tonnerre son fils, qui l'exerçait en 1788, lorsqu'intervint entre le Parlement et la Royauté ce dernier et mémorable^conflit qui rappela celui de 1764 et qu'ensanglanta la Journée des


tuiles. Ce fut le symptôme précurseur du violent orage qui bientôt emporta tout dans sa tourmente, Royauté et Parlements, édits et remontrances, institutions et priviléges.

CONCLUSION.

Ici s'arrêtent nos investigations et se termine notre tâche, dont le résultat diffère des conclusions présentées par l'auteur du Mémoire. Le droit reconnu par les lettres-patentes de Louis XV au Parlement de Dauphiné, et personnifié dans son chef, n'est point, sans doute, pour le temps antérieur et durant les quatre siècles écoulés depuis la réunion du Dauphiné à la France, un droit absolu, régulièrement défini et uniformément appliqué mais il a sa racine dans le passé, son explication dans les institutions mêmes du pays, son origine dans les rapports du Conseil delphinal ou Parlement et du gouverneur de la province, sa formation dans une suite de précédents qui, pris isolément, sont sans force, mais qui, recueillis dans leur succession et rapprochés les uns des autres, ont une signification et une portée décisives. Comme tous les droits nés de l'usage et du jeu des institutions, il a subi l'action du temps et l'influence des faits, il s'est modifié et transformé mais dans ses changements extérieurs et sous ses divers aspects, il a conservé les traces de sa filiation et maintenu sa lignée.

Ce serait mal juger ses titres et son caractère que de le considérer exclusivement quand il ne nous apparaît plus que sous l'ombre vaine d'une dignité sans vigueur et


d'une puissance condamnée, malgré les velléités de sa vieillesse, aux honneurs du repos. C'est aux âges de sa vie militante et de son action progressive qu'il faut se reporter, comme nous l'avons fait, pour apprécier l'utile influence que ce droit exerça et qui fut sa justification et, comme on dirait aujourd'hui, sa raison d'être, soit qu'il préservât le pouvoir monarchique des envahissements féodaux, soit qu'il soutînt le drapeau de l'autorité au sein des discordes civiles, soit qu'il protégeât le territoire national lorsque les armées passaient la frontière pour porter la guerre chez l'ennemi du dehors. Cette prérogative, ce commandement d'interrègne, fonctionnait alors comme le symbole vivant de l'autonomie de la province qui se gouvernait elle-même par ses magistrats quand les représentants directs du prince n'étaient point présents, et qui constatait ainsi la tradition de ses propres libertés, tout en sauvegardant l'exercice de l'autorité publique.


SCEAUX

DU PRIEURÉ

DE SAINT-ROBERT DE CORNILLON PAR M. MAICNIEN f.ls

Membre correspondant de l'Académie Delphinale

rapport lu à la séance du HX janvier 1 NTO. Parmi les documents inédits relatifs au Dauphiné, publiés par l'Académie Delphinale, on remarque que le sceau du prieuré de Saint-Robert n'est pas mentionné dans son cartulaire. Deux causes expliquent cette lacune la première, c'est que le savant éditeur de cette publication, M. le chanoine Auvergne, n'a eu entre les mains que des copies récentes; la seconde, c'est que les quelques actes anciens existant dans divers dépôts, sont dépourvus de ces fragiles monuments. C'est ce qui a pu faire croire que ce sceau était à jamais perdu. J'ai été assez heureux,en dépouillant quelques liasses relatives à la nomination aux cures du diocèse, de le découvrir, appendu à un acte de 1419, donné par Aymon de Chissé pour la nomination du curé de NotreDame-des-Vignes. Un heureux hasard voulut que l'Evêque de Grenoble n'eût pas son sceau avec lui, et, d'après le titre que je vais citer, il remédia à cet oubli en scellant cette pièce du sceau du prieuré de Saint-Ho-


bert, pièce où nous en trouvons l'exemplaire unique, partout ailleurs introuvable.

En voici ladescription:

+ SIG. CONVENTUS PRIOR (atus) (sancti Robe) IITI. La sainte Vierge debout, couronnée, tient l'Enfant 1 Jésus; à ses pieds, le prieur du couvent, ou plutôt un Evêque, la mître en tête, tient sa crosse de la main gauche.

Voici la transcription intégrale de l'acte auquel est appendu ce précieux fragment sigillaire

Reverendo in Kpisto Patri et Domino, Ay. Dei et apostolice sedisgratiaGrationopolitano episcopo. Percevallus de Balma humilis prior, prioratus sancti Roberti subtus Curnillione dicte Grationopolis dyocesis nos ipsum cum reverencia et honore, cum ecclesia curata de Vineis vacet ad presens per liberam resignacionem domini Gileti de Verconcio nuper in nostris manibus factam peripsum dominum Gilectum ultimum priorem et curatum prioratus et ecclesie predictede Vineis id circo paternitati vestreharum serie, presentamus fratrem Franciscum Argoudi monachum dicti prioratus nostri sancti Roberti priorem que dicti prioratus et ecelesie tanquam sufficientem et ydoneum ad curam et regimen dicte ecclesie de Vineis gubernandum paternitati vestre supplicando rogantes, quatenus ad nostri presentaciouem ipsum fratrum Franciscum, si placet, instituere dignetur, ipsa vestra paternitas ad regimen cure ecclesie memorate. Comictendo eidem Francisco curam et regimen in spiritualibus, ecclesie de Vineis supradicte, prout acthenus extitit consuetum in quorum testimonium sigillum conventus sancti Roberti in absentia nostri presentibus duiimus apponendum.


Datum in sancto Roberto die decima septima mensis aprilis, anno Domini millesimo quatercentesimo decirao nono.

Cet acte nous montre que Perceval de la Balme était déjà prieur de Saint-Robert en 1419, c'est-à-dire cinq ans plus tôt qu'on ne le croyait, puisque, selon le cartulaire et le nécrologe de ce couvent, on ne le trouve mentionné, pour la première fois, qu'en 1424. Mais là ne se borne pas ma petite découverte. Dernièrement, en m'occupant de recherches de cette nature, j'ai mis la main sur une quittance passée par le prieur de Saint-Robert et scellée du sceau du couvent. Celui-ci, moderne, est plaqué en cire rouge. Dans un cartouche se trouvent les armes du prieuré, armes inconnues jusqu'à présent sur un fond d'azur, on remarque un dauphin et deux fleurs de lys en chef, l'écu accolé d'un bâton prieurial.

Je crois devoir ajouter ici les noms de quatre nouveaux prieurs qui viendront grossir les listes déjà données

Guillaume Regnaud, prieur 1 541

Claude Caries 1574

J.-B. Millière 1782

Rousselet 1783

Pour terminer ma petite communication, j'ajouterai ce renseignement Guigues-le-Gras, qui fonda le prieuré de Saint-Robert, avait été enterré, comme on le sait, dans ce monastère. L'inscription suivante: HIC GUIGO CRASSUS DELPHINVS PRIMVS ET MONACVS MAGM PIETATIS, mise sur son tombeau, est publiée dans le» ouvrages de Valbonnais et de Chorier, mais l'épitaphe de ce même prince, placée sur un mausolée lors des


réparations du couvent de Saint-Robert en 1662, n'est rapportée, que je sache, que dans le voyage littéraire de deux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, (P. Martène et Durand), et, dans tous les cas, fort peu connue. Je crois devoir la reproduire ici

D. 0. M.

GUIGO COMITIS

ANASTASIS.

QUAM CERNIS TUMULI EFFIGIEM,

VIATOR,

MONUMENTUM EST, NON SEPULCRUM,

GUIGONIS COMITIS ALBONENSIS,

MEMORISE ADOBNATUM.

1S COGNUMENTO CRASSUS,

INCLÏT^E STIRPIS PROLES ET PARENS,

DELPIIINORUM CAPUT

TANTO SPLENDORE NOBILITAVIT NEPOTES,

UT EORUM DIGNITAS

AD FRANCORUM THRONUM.

FACTA SIT NECESSAIIIUS GRADUS

NEC ALITER EXSTINGUI POTUERIT

CLARISSIMUM DELPHINORUM NOMEN,

QUAM REGIA SOBOI.E EVASERIT 1MMORTALK

AUDI AMPI.IIjS.

GUIGO CARNALI POSTERITATE 1LLUSTBIS,

SPIRITEALI FELICIOR,

DUM S. ROBERTI CtS* DEI ABBATIS.

FILIOS ADOPTAT

IN PROPRIO CASTRO INSTITUIT,

HOC MONASTERIUM CORNIMONENSE,

UBI TOT FILIOS COELO EDUCAV1T,

QUOT ALIUS HONACHOS.

ET CARNALIUM NEPOTUM LINEA DEFICIENTE

IN SPIRITUALIUM FILIORUM SUCCESSIONE


UT CORN1UONENSES C0ENOB1T* CONCREGATIONIS S. MAURI OPTIMI PARENTIS MEMORIAM

NON DEFECIT.

AUDI ET M1RABE.

flUlDO TANTUS DUM CRESCERE CUPIT,

M1NUITUR TOTUS

ET ABJECTO MUNDO AC StlT'SO,

HUJUS C(ENOBI[ FACTUS ALUMNUS

ET AUCTOB.

JAM LUGE VIATOR.

GUIDO VIR MAGN.« PIETATIS,

UT TRADIDERUNT MAJORES,

ET OPERA CONTESTANTUR,

MORTI DEBITUM SOLVIT XIIII. CALENDAS FEBRUARII LABENTE SOECULO XI

UBI CONSEPULTA MEMORIA

JACERE VIDEBATUR

E TENEBR1S VIKDICABE CUPIENTES,

INSTAURATO MONASTERIO,

E VETERI TUMULO COLLECTAS

IN HUNC LOCUM HONORIFICE TRANSTULERUNT

ANNO REPARAT* SALUTIS MDCLXII.


DE

LA THÉORIE DE LA RENTE ET DES

HARMONIES ÉCONOMIQUES

LECTURE DE BÉCEPTION FAITE A L'ACADÉMIE DELPHIiULE Par M. BOISTEL

Agrégé à la Faculté de droit de Grenoble

Séance du 10 Juin 1870.

Messieurs

Appelé par vos suffrages à l'honneur de partager vos travaux, je viens vous apporter. un peu tardivement sans doute l'expression de ma profonde reconnaissance et le premier tribut de mes études personnelles. Vous le savez, deux événements de nature bien diverse m'ont longtemps et à plusieurs reprises tenu éloigné de Grenoble et m'ont empêché d'acquitter plus tôt cette double dette. Mais ils n'ont pu amoindrir la gratitude que m'avait inspirée l'honneur de votre choix. Cette distinction est pour moi le couronnement de l'accueil si bienveillant et si universellement gracieux que j'ai reçu dans votre belle cité grenobloise. Etranger à cette ville, y arrivant inconnu, inexpérimenté, j'ai trouvé de


toute part les encouragements les plus sympathiques, les conseils les plus éclairés, enfin tout ce qui pouvait faciliter la tâche que je venais remplir au milieu de vous. Je me suis senti tout de suite mêlé au mouvement intellectuel d'une population spirituelle, éclairée, sensible à toutes les beautés de l'art et de la nature, et sachant rendre vivement ses impressions. Autant j'admirais avec bonheur les splendeurs de vos belles montagnes autant j'étudiais avec délices les trésors accumulés dans votre musée, l'un des plus riches que possèdent nos provinces; autant je me plaisais à goûter le charme de ces conversations sérieuses et animées où tous les sujets sont abordés, quittés et repris avec aisance, et où l'on trouve toujours quelque profit pour l'intelligence et pour le cœur car, Messieurs, il faut bien le dire, on cause généralement mieux en province qu'à Paris; les esprits sont plus calmes, ils ne sont pas surexcités par la vie fiévreuse de la capitale, parla multiplicité des relations et l'abondance des nouvelles. On prend l'habitude de mieux développer ses pensées; on se forme à l'art, non moins important, d'écouter et de laisser parler. Et de la sorte l'échange et le commerce des idées est plus complet et plus fructueux. Au-dessus de tout cela, on est trop heureux et trop honoré de trouver, dans des Sociétés comme la votre, un champ ouvert à des travaux de plus longue haleine, à des pensées plus élevées et plus mûries, à des recherches plus patientes. Je voudrais, Messieurs, pouvoir promettre à vos savants mémoires un tribut moins indigne de vous. Mais, hélas] je ne puis même pas espérer que le nombre de mes travaux et la durée de ma collaboration rachèteront quelque peu leur insuffisance. Un événement, qui n'est


pourtant pas un contre-temps à tous les points de vue, rend bien probable que ma première lecture dans cette assemblée sera la dernière. Puissiez-vous y voir du moins une preuve de ma volonté de bien faire et un motif suffisant pour me conserver parmi les vôtres à titre de membre correspondant

J'ai pensé, Messieurs, qu'en m'appelant à prendre ma part dans vos travaux, vous désiriez surtout que je vinsse vous apporter le fruit des études qui ont plus spécialement attiré mon esprit. Aussi je me propose de traiter devant vous un sujet qui se rattache en même temps à la philosophie du droit et à l'économie politique et que j'intitulerai la théorie de la rente et les harmonies économiques.

La théorie de la rente, Messieurs, a été la pierre d'achoppement pour beaucoup de systèmes économiques. Bastiat, ce grand génie méconnu, ainsi que l'a nommé un philosophe célèbre a essayé de montrer qu'elle n'est pas une dissonnance au milieu de l'harmonieux concert du plan divin dans les lois économiques. Et parce que sa théorie sur ce point n'est peut-être pas d'une rigueur parfaite, la grande masse de ses successeurs a abandonné tout le système de Bastiat, si beau, si grand et si vrai, et, d'autre part, on regarde généralement comme un fait acquis que la rente est une antinomie irréductible dans l'ordre économique. J'uis les théoriciens du socialisme sont venus et, poussant les données reçues jusqu'à leurs dernières conséquences, ils ont dit la rente, qui est l'apanage caractéristique de la propriété foncière, est, de l'aveu de tous les économistes, une suprême injustice; donc la propriété est injuste la propriété, c'est le vol elle doit disparaître de la surface de la terre.


Devons-nous, Messieurs, partager le désespoir des économistes el courber la tête devant les conclusions serrées des socialistes? Telle est la question que je me propose d'examiner avec vous aujourd'hui. Dieu veuille que les circonstances ne lui donnent pas, tôt ou tard, un immense intérêt pratique)

Mais d'abord, qu'est-ce au juste que la rente, dans le sens qu'on donne à ce mot en économie politique? La rente, c'est ce qui, dans la vente des produits du sol, est payé au propriétaire en sus des frais de production, de l'intérêt des capitaux engagés et des risques de l'entreprise. Si l'on suppose la terre donnée à ferme, la rente n'est pas, comme on le croit souvent, tout le fermage payé au propriétaire, mais elle en est une partie ce que gagne le fermier dans son exploitation représente les frais actuels de production, les risques de l'entreprise et l'intérêt des capitaux actuellement engagés dans l'exploitation ce qui est payé au propriétaire représente d'abord l'intérêt des capitaux engagés anciennement dans la terre pour le défrichement, la mise en culture, l'amélioration mais il y a en outre un autre élément qui entre dans ce prix, c'est ce qu'on appelle la rente. Comment cet élément apparait-il dans la culture de la terre, tandis qu'il n'existe dans aucune autre entreprise ? Quelle en est l'origine? Comment peut-on démontrer sa présence? C'est Ricardo qui a donné la forme la plus complète à cette démonstration. Supposons un marché alimente dans la stricte mesure de ce qui est nécessaire à sa consommation par deux catégories de terres (pour plus de simplicité), dont les unes sont fertiles et produisent à bon marché, et les autres, plus stériles, produisent plus chèrement. Suppo-


sens que, pour les premières, le prix de revient de l'hectolitre de blé soit, tout compris, de 12 francs, et qu'il soit de 15 francs pour les secondes. Ceci posé, je dis en premier lieu que le prix de vente du blé sera uniforme pour tout le marché et en second lieu qu'il sera déterminé par le prix de revient du blé le plus cher. D'abord, le prix sera uniforme, car, d'une part, on n'achètera pas du blé plus cher tant qu'il y en aura de moins cher à côté, et, d'autre part, aucun vendeur, s'il est sûr de vendre (et c'est l'hypothèse, puisque nous supposons l'offre du blé égale au besoin), n'abaissera son prix au-dessous de celui des autres vendeurs. Je dis ensuite que le prix sera en définitive le prix de revient des terres les moins fertiles. En effet, si, à un moment donné, le prix de vente descendait au-dessous de ce prix de revient, immédiatement on cesserait de cultiver les terres moins fertiles, cette culture ne pouvant se faire qu'avec perte, et les prix se relèveraient si, au contraire, à un moment donné, les prix de vente s'élevaient au-dessus du prix de revient des plus mauvaises terres cultivées, on en cultiverait immédiatement de moins bonnes encore, puisque les prix seraient encore rémunérateurs pour elles, et les prix redescendraient au niveau du prix de revient de ces terres de la dernière qualité.

Il résulte de ces observations que les propriétaires qui produisent à bon marché, à 12 francs par exemple, vendant toujours leur blé au prix des propriétaires les moins favorisés, et ceux-ci recouvrant au moins leur prix de revient, qui est de 15 francs, les premiers toucheront toujours une certaine somme au-dessus du prix de revient de leur blé, soit 3 francs dans l'exemple cité.


C'est là ce qu'on appelle la rente, et voilà quelle est son origine.

Ce que nous disons des terres plus ou moins fertiles s'appliquera aussi aux terres plus ou moins éloignées du marché.

La rente est donc produite par ce fait que certaines terres ont sur d'autres des avantages naturels, soit de fertilité, soit de proximité du marché, que rien ne peut compenser.

Est-ce à dire, comme on l'a maintes fois prétendu et comme beaucoup le prétendent encore aujourd'hui, que le public paie au propriétaire ces avantages naturels de sa terre? Non certainement, on ne paie pas ces avantages naturels, dont l'utilité est immense et ne peut être évaluée avec précision. Ce qui le démontre, c'est que, si toutes les terres avaient les mêmes avantages, étaient également fertiles et rappruchées du marché, il n'y aurait pas de reste, et les prix s'abaisseraient au prix de revient de ces terres plus favorisées. On paie, au contraire, tels ou tels propriétaires à raison de l'absence des mêmes facultés dans les terres de leurs concurrents. Le résultat apparent est le même mais il est très-important de déterminer avec une exactitude scrupuleuse quelle est an fond la cause véritable de la rente. Contre la rente ainsi établie, les objections n'ont pas manqué au nom de la morale ou du droit naturel. Au tem ps de Bastiat, c'est-à-dire vers 1848, l'objection était ainsi formulée Le propriétaire qui reçoit la rente se fait payer pour la collaboration des forces naturelles de la terre, collaboration qui est toute gratuite pour lui et qui n'est pas le produit de son travail. Or, l'homme n'a jamais droit qu'au produit de son travail travail


actuel représenté par les frais de production et les risques de l'entreprise ou travail passé représenté par l'interêt de capitaux. Donc le propriétaire qui se fait payer sa rente, se fait payer ce à quoi il n'a aucun droit. Donc, disait Proudhon, la propriété, c'est le vol. Et une fois les prémisses posées, il était tout à fait logique, en admettant toutefois que toute propriété produisît une rente, ce qui n est pas exact d'après la démonstration même que je vous ai exposée plus haut. A cette objection, on aurait pu être tenté de répondre, en démontrant comme je le faisais tout à l'heure, que le propriétaire ne se fait pas payer la collaboration .des forces de la nature; car, s'il n'y avait pas à côté de lui des terres plus mauvaises mises en culture, il ne toucherait aucune rente. Mais cette réponse n'aurait rien résolu, car les adversaires de la rente auraient pu s'écrier (et ils n'ont pas manqué de le faire) « C'est vrai, les propriétaires ne se font pas payer la collaboration des forces de la nature. Non; mais ils se font payer sans rien donner en échange, pas même le produit de ces forces naturelles. Ils se font payer à raison du malheur de leurs voisins. Ce n'est plus le vol simple; c'est le vol compliqué d'inhumanité »

Bastiat avait essayé de faire tomber l'objection en niant l'existence de la rente au sens où ses adversaires l'entendaient. Non, disait-il, les propriétaires ne se font pas payer pour la collaboration gratuite des forces naturelles; bien au contraire, ils ne trouchent même pas l'intérêt de leurs déboursés anciens; car les capitaux employés pour le défrichement et les améliorations des siècles passés sont bien plus considérables que le capital qui correspond à la part du propriétaire dans les


produits du sol, et cela par la raison bien simple que ces défrichements et ces améliorations se feraient maintenant à bien moins de frais et que les propriétaires ne peuvent s'en faire payer que sur le pied de la valeur actuelle. La réponse, Messieurs, était loin d'être péremptoire et Bastiat ne pouvait toujours pas expliquer la différence entre les terres fertiles et les terres plus rebelles. Pourquoi les propriétaires des premières auraient-ils le droit de toucher, sous forme de rente, l'intérêt d'anciens déboursés que ne touchent pas les propriétaires des secondes? Bastiat, d'ailleurs, se réfutait lui-même Si les défrichements et améliorations n'ont plus aujourd'hui qu'une valeur de tant valeur qui est représentée dans le revenu des terres infertiles, les propriétaires des autres terres n'ont pas droit à plus tout ce qu'il se font payer en plus est volé à la communauté.

Bastiat essayait encore d'une autre réponse il s'efforçait de démontrer que la rente tend a disparaître par les progrès de la culture et de la civilisation. Il est bien vrai qu'elle tend à disparaître mais ce n'est là qu'une tendance. Actuellement, si la rente est un désordre, le désordre existe et tant qu'on n'aura pas fait disparaître la rente, la propriété sera souverainement injuste et devra disparaître elle-même. Il faut même aller plus loin et affirmer hardiment que la rente ne disparaîtra jamais complètement. La loi que signale Bastiat est ce qu'on a très-bien appelé une loi-limite, un état dont tout le monde s'approchera toujours de plus en plus sans jamais l'atteindre pleinement; de même que l'intelligence humaine peut s'avancer toujours dans la connaissance de l'infini sans jamais arriver à l'embrasser


dans toute son immensité. Les réponses de Bastiat étaient donc insuffisantes, il faut bien le reconnaitre. Est-ce à dire, Messieurs, que toute réponse soit impossible, et que ses adversaires, économistes et socialistes, doivent avoir raison? J'espère vous démontrer le contraire, et je crois devoir pour cela distinguer deux points de vue où je me placerai successivement le point de vue purement économique et le point de vue moral.

Au point de vue purement économique, le principe de la réponse se trouve dans Bastiat lui-même, dans sa théorie même de la valeur. Considérée à ce point de vue, la rente s'accorde parfaitement avec l'ensemble des grandes harmonies économiques. J'ai cherché vainement cette réponse dans la bouche de Bastiat et je m'en étonnerais si je ne savais que son beau livre est demeuré inachevé, et que l'ensemble n'en a pas été complètement coordonné.

Le principe général de l'économie politique, à la démonstration duquel ce grand ouvrage est consacré, c'est que les services s'échangent contre des services. Toutes les transactions de la vie sociale se ramènent à des échanges mutuels de services; et la valeur doit se définir le rapport entre deux services échangés. Si nous mettons deux objets en présence, et si nous voulons savoir leur valeur relative, nous n'avons qu'à nous demander si le service que je vous rends en vous donnant le mien est le même que vous me rendez en me donnant le vôtre, ou combien il faudrait donner d'objets d'un genre pour équilibrer le service rendu en donnant un des autres objets.

Si l'on veut chercher la relation qui existe entre les


services rendus et le travail humain, ou, comme diraient les mathématiciens, évaluer les services en fonctions du travail on arrive à cette conséquence, que Bastiat a posée, mais dont il n'a peut-être pas assez tiré parti c'est que le service rendu est proportionnel, non pas au travail fait pour produire l'objet, mais au travail épargné à l'acquéreur par son acquisition. Il faut comprendre sous le mot travail le travail actuel ou passé pour embrasser le rôle que jouaient dans la production les capitaux, qui ne sont que du travail accumulé. Je vous cède un diamant que j'ai trouvé en me promenant sur le bord de la mer et qui ne m'a donné que la peine de me baisser pour le ramasser. Que vous demanderai-je en échange? Je puis vous demander peut-être l'équivalent de cent journées de travail, et vous n'aurez pas à vous plaindre, puisqu'il vous faudrait bien tout ce travail pour aller chercher vous-même le diamant aux lieux de production, ou son équivalent pour payer ceux qui le cherchent. En vous le donnant, je vous épargne ces cent journées de travail; je vous rends donc un service égal à ces cent journées, et vous avez avantage à traiter avec moi peu importe ce qu'il m'a coûté. Réciproquement, si j'avais mis quatre cents journées à le produire ou à le trouver, je ne pourrais toujours vous demander que cent journées, parce que vous pouvez facilement en trouver pour ce prix, et que le service rendu, le travail épargné, n'est pas supérieur à cette valeur.

Les produits du sol sont exactement dans la même condition. Moi, propriétaire d'une terre fertile qui produit du blé à 12 francs l'hectolitre, je vous le vendrai 1b francs, parce que le service que je vous rends, le.


travail que je vous épargne, est exactement égal à 15 francs; parce que vous ne pourriez pas. sur le marché, vous en procurer à un prix inférieur. Je puis même dire que vous êtes bien heureux de traiter avec moi; car, si je ne vous vendais pas mon blé, vous seriez obligé, pour produire celui dont vous avez besoin de vous adresser à des terres encore moins bonnes ou plus éloignées que celles qui produisent à 15 francs, et le prix du blé monterait à 16 ou 17 francs. Il est donc vrai de dire que je vous rends un service au moins égal à celui que représenterait pour vous la somme que vous me payez. La grande loi de l'économie politique se vérifie encore ici les services s'échangent contre des services égaux.

S'il était resté sur le domaine purement économique, Bastiat pouvait triompher avec un légitime orgueil sa formule embrassait tous les cas, et la rente ne formait pas une dérogation choquante à ses principes Mais il avait une ambition plus haute il voulait démontrer aussi l'harmonie entre la morale et l'économie politique. Et, au point de vue moral, au point de vue juridique, la rente l'embarrassait beaucoup, comme elle embarrasse encore beaucoup les défenseurs peu profonds de la propriété.

Il est, Messieurs, une théorie très-généralement admise de nos jours pour l'explication et la légitimation de la propriété. C'est notamment la théorie admise par M. Thiers dans son livre si remarquable sur ce sujet; c'est celle que Bastiat admet implicitement à chaque page de ses oeuvres. Ce système fonde la propriété sur le travail l'homme, dit-on, a droit à tout ce qu'il produit par son travail, et n'a droit qu'à cela. Dès lors, la propriété, récompense du travail, de l'effort méritoire,


est souverainement juste, admirablement proportionnée au mérite de chacun. – Cette doctrine est séduisante au point de vue moral, et pourtant elle n'est pas suffisamment établie et ne saurait justifier la propriété dans toutes les conditions où elle est admise sans conteste par le sens commun de toutes les nations. C'est ce que j'ai essayé de démontrer ailleurs ('). Pour le moment, je. veux me placer seulement, pour la juger, au point de vue qui nous occupe.

Et, tout d'abord, voici la grave objection qu'elle soulève ou, pour mieux dire, l'impasse infranchissable où elle enferme les économistes-moralistes. Si la propriété est uniquement fondée sur le travail, il faut démontrer nécessairement que la valeur d'un objet est proportionnelle au travail qui l'a produit. Or voici que Bastiat lui-. même nous a démontré que la valeur de tout objet est proportionnelle, non pas au travail qu'il a coûté au producteur, mais au travail qu'il épargne à l'acquéreur; et le même auteur nous a signalé la diveigence trèsgrande qui peut exister entre ces deux quantités, comme dans le cas de la trouvaille d'un diamant. Le voilà donc amené, pour soutenir li légitimité de la propriété, à soutenir l'égalité complète et absolue de deux quantités dont il a démontré l'inégalité évidente dans beaucoup de cas. C'était tenter l'impossible, et il ne faut pas s'étonner qu'il n'y ait pas réussi. 11 ne faut s'étonner que d'une chose, c'est qu'il n'ait pas vu le vice radical, l'incompatibilité essentielle de la théorie juridique de la propriété. Alors il ne serait pas revenu sans cesse sur cette idée, bien séduisante il est vrai, que l'homme se (*) Cours de tiroil naturel.


fait payer seulement à raison de sou travail actuel ou passé qu'il ne touche jamais rien pour ce qu'il a acquis gratuitement. Mais il aurait dit avec le bon sens public: dès que l'acquéreur paie exactement la valeur du travail qui lui est épargné il n'a pas à s'inquiéter de savoir comment le vendeur est parvenu à lui épargner ce travail. Dès qu'il donne seulement l'équivalent du service qu'il reçoit, ce qu'il aurait donné à tout autre pour le recevoir il ne peut pas se plaindre qu'on ait violé son droit, qu'on ait manqué à aucun devoir envers lui. Il aurait appliqué cette idée à la rente et aurait remarqué que le propriétaire des terres fertiles, rendant le même service que le propriétaire des terres stériles, pouvait se faire payer également. Tant mieux pour lui s'il produit à moins de frais. II aurait ajouté cette observation que je n'ai vue faite nulle part et qui a une grande importance s'il profite, lui, des forces naturelles meilleures de sa terre, le public en profite aussi, puisque laprésence doses produitssurle marché dispense de recourir à la culture de terres plus mauvaises encore ou plus éloignées, qui ferait encore monter le prix du blé. Il y a profit de part et d'autre, et l'équité se trouve parfaitement sauvegardée.

Mais, en trouvant ainsi une justification facile de la rente, et pour pouvoir l'invoquer, il aurait fallu abandonner sans retour la théorie qui fonde la propriété sur le travail et trouver à ce droit une autre base plus large et plus solide, plus conforme aux données instinctives de la raison commune. 11 aurait fallu dire avec tint, qui l'a à peu près indiqué, mais surtout avec Rosmini qui l'a complètement démontré, que la propriété est fondée sur le respect pour la personnalité humaine.


L'homme ne doit pas faire de mal à son semblable qui n'a pas démérité c'est un des principes fondamentaux de la morale universelle. Or, lorsqu'une personne a pris possession d'un objet et l'a affecté à la satisfaction de ses besoins physiques ou moraux, lui enlever cet objet, c'est lui causer une douleur semblable à celle qu'elle éprouverait si on lui ravissait une partie de sa substance ou de ses moyens d'action naturels. Donc, si la prise de possession primitive a été licite, on ne peut pas violer la propriété de la personne sans commettre un crime contre elle donc un respect absolu est dû à la propriété, du moment qu'elle trouve son origine dans le fait d'une occupation légitime.

C'est bien là ce qu'ont admis les législations de tous les peuples qui consacrent la propriété fondée sur l'occupation, sans s'inquiéter aucunement du travail qu'elle a coûté ou qu'elle n'a pas coûté au possesseur. Les utopistes mêmes, que je combats, admettent sans difficulté cette doctrine pour la propriété mobilière on ne conteste pas la propriété pour le chasseur, l'inventeur d'une pierre précieuse, le dompteur d'un animal domestique. Celui qui a pris possession d'un objet mobilier sans maître a, aux yeux de tous, le droit d'en jouir par lui-même et d'en retirer tous les avantages. lors même qu'il ne lui aurait coûté aucun travail et s'il veut échanger cet objet, devenu inutile à ses besoins, pour lui en donner un autre en échange, on ne lui demandera pas ce qu'il lui a coûté de peine, mais uniquement quelle peine il épargnera à son acquéreur. s

Nous dirons de même pour le propriétaire du sol l'homme heureux qui a trouvé une terre fertile non en-


core appropriée, et qui s'en est mis en possession, cet homme a droit à jouir sans être inquiété de tous les avantages qu'il s'est assurés par la position qu'il a su prendre. Qui lui refusera le droit de jouir aussi largement que possible du bénéfice de la fertilité naturelle du sol, de nourrir, par exemple, quinze bouches sur son domaine, tandis que son voisin moins favorisé, n'en peut nourrir que douze? Et par suite, s'il vient vous offrir ses produits sur le marché, comment irezvous vous enquérir du travail plus ou moins grand qu'ils lui ont coûté, lorsque vous n'en demandez pas compte à tout autre propriétaire? Pourquoi ne jouiraitil pas, sous forme d'échange, des avantages de sa terre, comme il peut en jouir en nature? De quel droit voulez-vous le faire souffrir en lui enlevant des avantages sur lesquels il a légitimement compté1? Au moment où il s'est mis en possession, il ne nuisait à personne; il rendait même service à la communauté de ses semblables en mettant en culture une terre qui, sans lui, serait longtemps peut-être restée inculte. La terre est meilleure qu'une autre I C'est qu'il a été plus habile ou plus heureux laissez-lui la récompense de son habileté, ou respectez le décret de la Providence qui avait sans doute ses desseins en le favorisant.

Comment peut-on échapper à ce raisonnement? Ah Messieurs, c'est qu'il y a au fond de beaucoup d'esprits, même des meilleurs, une doctrine dont ils ne se dou-. tent pas. qu'ils rejetteraient bien loin si elle leur était proposée ex professa il y a la doctrine surannée et décriée de Itousseiu sur la communauté primitive des biens, sur la vocation de tous les hommes à la propriété collective de tout notre monde. Le vieux levain fermente


toujours. On se laisse facilement séduire par l'idée de voir tous les hommes appelés à jouir ensemble de tous les biens de ce monde. Bastiat lui-même, qui combat Rousseau si énergiquement, se plaît à faire ressortir la gratuité des forces de la nature il se complaît dans cette doctrine quo ces dons gratuits restent dans la communauté primitive où ils étaient. Il cherche timidement à plaider les circonstances atténuantes en faveur du travail et à innocenter les larcins faits à cette communauté, à raison du travail, infusé dans les objets appropriés. Quoi d'étonnant que, semant le communisme à l'origine de tout, on le récolte à la fin du raisonnement, et qu'on ne puisse échapper aux serres violentes de ses partisans'? On oublie trop facilement que Dieu a placé l'homme en cette vie dans un état d'épreuve et de lutte, qu'il ne lui a pas offert gratuitement les jouissances de ce monde qu'il doit les conquérir par l'effort individuel. L'homme n'a droit aux forces de la nature que s'il les a domptées, s'il en a pris possession. Avant le premier fait d'occupation, il n'est pas vrai de dire que tous ont droit à tout; ce qui est vrai, bien au contraire, c'est que personne n'a droit à rien. Donc le premier occupant a parfaitement le droit de disposer absolument de ce qu'il a acquis, et il ne blesse les droits de personne en prenant possession de sa chose et en en tirant, dans son intérêl, tout le parti possible.

Je n'insiste pas. Messieurs, sur une objection qui s'appliquorait à toute propriété comme à la propriété foncière, et qui les ferait sombrer toutes dans le même naufrage. ït me suffit d'avoir montré que le fait de la rente ne crée pas à la propriété foncière une situation différente de toute autre propriété. C'était le seul point de vue auquel je devais me placer dans ce travail.


J'ai hâte d'arriver à une objection plus grave au moins en apparence, à une accusation plus formidable. Le crime du propriétaire-rentier est plus grand que nous ne le pensons C'est un crime irrémissible il faut absolument, au nom de la justice, que la rente disparaisse de la surface du monde au profit de l'humanité, et, faute de pouvoir en tarir la sourie, ce qui est impossible, il faut l'absorber entièrement par l'impôt. L'impôt sur la rente, tel est aujourd'hui le dernier mot de ses adversaires; j'entends de ceux qui raisonnent encore et cherchent dans les données de la science un soutien sérieux pour leurs opinions.

Celui qui trouve un diamant, celui qui possèdo une force musculaire exceptionnelle, un talent hors ligne, peut se faire payer sans scrupule, quoiqu'il ait travaillé moins que les autres producteurs; il profite sans doute d'une supériorité accidentelle sur eux et de la rareté de ses dons; mais, en apportant ses produitssurle marché, il diminue du moins cette rareté et la souffrance sociale qu'elle représente.

Le propriétaire-rentier ne peut pas avoir la conscience aussi tranquille, il ne se contente pas de profiter. en la diminuant, de la difficulté générale qu'on a à se procurer des produits pareils aux siens. Il aggrave encore le mal dont il profite. S'il vendait son blé au prix de revient, soit à 12 fr., tandis que d'autres propriétaires ne peuvent le donner qu'à 15 fr., le blé se trouverait à un prix moyen entre les deux prix; par exemple, en supposant des quantités égales fournies par les deux catégories de terres, le blé serait a 13 fr. 50 c., en moyenne, la moitié des consommateurs le payant 12 francs et l'autre moitié le payant 15 fr. En touchant sa


rente, il fait payer tout le blé 15 fr. donc il aggrave la situation du public, dont il profite ('). M. WolkofT formule très-bien l'objection (') « Nous ne dirons plus au propriétaire voici un paiement pour l'aide que vous a prêtée gratuitement la nature, c'est un gain auquel vous avez droit comme propriétaire heureux; mais nousdirons: voici un paiement à cause de la peine que quelqu'un se donne et que vous ne vous donnez pas gain provenani d'une gêne sociale qu'il aggrave. » Sans doute, dit-il ailleurs ('), il ne peut être obligé à se contenter de 12 fr. car, s'il ne prenait pas sa rente, son acheteur la gagnerait en revendant, mais il doit la reverser à la communauté sous forme d'impôt. » Une comparaison très-exacte peut nous faire toucher au doigt la situation ('). Un pays ne possède que deux fabriques de bougies; l'une vient à brûler. La valeur des bougies double presque en conséquence, et le confrère du malheureux incendié gagne beaucoup au delà des profits normaux pendant trois ou quatre ans, jusqu'à ce que la concurrence ait fait de nouveau baisser le prix. Voilà une souveraine injustice dans la répartition des richesses ce que le fabricant incendié a perdu est payé par le consommateur, qui supporte l'augmentation du prix; passe encore pour ce résultat. Mais cet argent, au lieu de venir soulager l'incendié, va tout entier dans la poche de son confrère, qui ne fait rien de plus pour le gagner.

(') V. Wolkoff, Opuscules sur ta rente foncière, in-8~, Paris, (.Mihnmin,i8M,p.M.

(') Opuseules aur la rente foncière, p. 148.

(')Y.tM(f.,p.94.

V. ibid., p. 106.


A cette injustice criante, il y a un remède dans le jeu des institutions sociales perfectionnées, dans le fonctionnement des compagnies d'assurances. Le fabricant épargné, prévoyant que le feu pouvait l'atteindra lui aussi, se sera assuré il aura payé ou il payera des primes annuelles qui absorberont le bénéfice au malheur de son voisin, et qui, par les mains de la compagnie, iront réparer les pertes de celui-ci. lie la sorte, l'argent se retrouvera où il aura dû aller, et l'injustice sociale sera réparée. C'est pour arriver au même résultat qu'on propose l'impôt sur la rente: le propriétaire ne peut pas se refuser à recevoir du public sa rente; car, nous l'avons dit, s'il ne la recevait pas, un autre la prendrait; mais il peut et doit la rendre au public sous forme d'impôt, employé pour les besoins communs. Je prends l'argument tel qu'on nous le donne, et j'accepte la comparaison. La conclusion à laquelle on prétend arriver est-elle irréfragable pour cela? Remarquez bien, Messieurs, comment la question doit se poser pour être rigoureusement discutée. Il ne s'agit pas de savoir s'il y a, dans la rente ou dans certains phénomènes économiques, quelque chose qui paraît injuste, contraire au sentiment du mérite et du démérite mais s'il y a là une injustice dont l'homme soit responsable et dont la société ait le droit do poursuivre le redressement par les moyens coercitifs qui sont en son pouvoirs. Qu'il y ait du mal dans le monde, et que le bien et le mal ne soient pas répartis toujours suivant le mérite ou le démérite de chacun, c'est un fait perpétuellement vrai et reconnu de tout temps par les observateurs les plus superficiels de toutes les nations. C'est une loi de cette vie, complètement incompréhensible pour


celui qui n'a pas une foi solide, une foi absolue dans la sagesse, dans la justice de la Providence et dans le résultat final de ses desseins mystérieux. Mais comme nous nous soumettons aux mille maux qui affligent l'humanité, nous devons aussi nous soumettre à la répartition qu'en fait le Créateur dans sa sagesse éternelle. Sans doute, chacun de nous peut volontairement, sous l'inspiration de la charité fraternelle, atténuer les souffrances de ceux qui l'entourent; c'est une noble mission que Dieu nous a départie et le dévoppement de ces belles vertus est l'une des raisons impérieuses des misères de ce monde. Mais aucune autorité humaine n'a le droit de changer par la contrainte la distribution des souffrances établies par Dieu d'en soulager les uns en en chargeant les autres; le législateur terrestre n'a que le droit de corriger les écarts produits par l'injustice humaine, en forçant chacun à respecter le droit d'autrui Or, je dis que les inégalités résultant de la rente ne sont nullement le fait des propriétaires; que, s'iln'y a pas injustice de leur part à recevoir la rente, il n'y a pas non plus injustice à la garder et que, par conséquent, la société n'a pas le droit de la leur enlever par la contrainte sous la forme d'un impôt obligatoire. La rente n'est pas le fait des propriétaires, car elle est le produit du mécanisme irrésistible de l'offre et de la demande sur le marché. Les propriétaires ne peuvent être blâmés de la recevoir, car elle doit nécessairement être touchée par quelqu'un: si ce n'était par eux, ce serait par des intermédiaires; mais leur abandon ne profiterait pas au consommateur. Il n'y a pas injustice de leur part à la garder, car ils n'enlèvent rien à personne ils se contentent seulement de recevoir la valeur


du service qu'ils rendent, peu importe qu'elle soit supérieure au travail qu'il leur a coûté. On m'arrête ici et l'on prétend qu'ils aggravent le mal dont ils profitent, car, si tous renonçaient à la rente, la moyenne des prix baisserait. Mais je réponds qu'il en est exactement de même pour tous ceux qui vendent au prix courant une valeur dont la création leur a coûté beaucoup moins: si celui qui a trouvé un diamant le donnait pour rien, la valeur moyenne des diamants diminuerait d'autant sur la place va-t-on dire qu'il aggrave le mal de la rareté des diamantsîOn ne l'a jamais prétendu, il la laisse ce qu'elle était ainsi que leur valeur, et certes rien ne l'oblige à la faire baisser gratuitement. Il en est exactement de même du propriétaire qui touche une rente pour son blé; il n'augmente pas le prix que vaudrait le blé si le sien n'était pas sur le marché, il le laisse ce qu'il serait sans cela et c'est précisément parce que le prix reste le même qu'il touche une rente. L'argumentation que nous combattons consiste tout simplement à compter deux fois le même élément pour grever le passif du malheureux propriétaire. On éonstate la rareté du blé qui produit pour lui un prix élevé, à raison des désavantages des cultures auxquelles on est obligé de se livrer et ensuite on vient mettre cette cherté sur le compte des propriétaires-rentiers qui ne la font pas du tout, mais qui s'abstiennent seulement, comme c'est leur droit évident, d'offrir des cadeaux au public pour faire baisser les prix. En somme, ils sont bien les maîtres de porter ou non leur blé sur le marché. de le consommer ou bien de le vendre, c'est ce qu'on oublie trop facilement. S'ils l'y portent, ils rendent un service qu'ils ont bien le droit de se faire payer à sa valeur cou-


rante, et l'on ne peut rien leur demander de plus. Je vais même plus loin je vous ai déjà montré qu'ils rendent un service plus grand encore; car ils empêchent le blé de monter à un prix encore plus haut, par suite de la nécessité où l'on serait, si leur récolte n'était pas sur le marché, de cultiver des terres encore moins fertiles. Le public profite donc autant qu'eux de la vente de leurs produits; et, loin de se plaindre d'une injustice, il ne peut pas leur reprocher môme la moindre inégalité dans la distribution des valeurs.

Enfin, j'ai dit que si les propriétaires enrichis peuvent être moralement tenus de secourir leurs frères moins heureux, la société n'a pas le droit de les y forcer et de leur prendre leur rente par un impôt obligatoire. Je pourrais me borner à vous dire, du moment qu'ils ne violent pas un droit, la société ne peut rien exiger d'eux; car il est généralement admis et j'ai démontré ailleurs (') que la société ne peut réprimer que la violation des droits sans pouvoir imposer jamais un devoir de bienfaisance. Mais j'aime mieux faire un appel direct à votre conscience en vous faisant toucher au doigt cette vérité dans le cas particulier que nous discutons. Pour cela, je reviens à la comparaison fournie par les adversaires de la rente, aux deux fabricants de bougies dont l'un profite de l'incendie qui a ruiaé l'autre. Peut-on .dire que ce fabricant viole un droit quelconque en profitant du haut prix atteint par les bougies? Et puisque le mécanisme des assurances est le moyen de compenser l'inégalité signalée, pourrait-on le forcer par une des voies de contrainte sociale à contracter une pa(') V. Cours de droit naturel, Pans, Thuriu, 1870.


reille assurance? Tout le monde répondra non car ce serait violer la liberté, violer l'indépendance de la propriété. 11 en est exactement de même du propriétaire à l'égard de sa rente; il pourrait abandonner sa rente volontairement ou la rendre au public, il ferait peutêtre très-bien au point, de vue moral. Mais comme il n'y a pas là un devoir juridique, comme il ne viole aucun droit en la gardant, on ne pourrait pas lui imposer ce sacrifice en le forçant à la verser à l'Etat sous forme de contribution. La comparaison même de ceux que je combats se retourne contre leurs prétentions. Donc, disons-nous, à aucun point de vue on ne peut soutenir l'illégitimité de la rente et si elle ne peut pas, comme le veulent les communistes, amener la suppression de toute propriété, elle ne peut pas non plus justifier un impôt spécial qui l'absorberait, ainsi que le demandent certains socialistes et un grand nombre d'économistes,

Monsieur le Président,

Laissez-moi me féliciter tout particulièrement d'entrer dans cette Compagnie sous les auspices de celui qui fut longtemps mon chef et le guide de mes travaux. Vous avez, Monsieur le Doyen, accueilli et encouragé mes débuts dans ma carrière; vous avez toujours suivi et soutenu mes études, et vous voulez bien encore maintenant vous intéresser aux résultats de mes recherches personnelles. Aussi, soyez assuré que, parmi les nombreux sentiments de sympathie respectueuse et de dévouement qui vous ont suivi dans votre retraite, il n'en est pas de plus sincères et de plus profonds que les miens. Dieu merci, cette retraite n'est pas complète et


absolue, et après tous les services que vous avez rendus à la science du droit dans la vie active, vous nous promettez de nouveaux travaux, fruits de vos loisirs et de vos études plus calmes et plus tranquilles. Tous seront heureux d'entendre encore votre voix et de recueillir encore les enseignements d'un maître vénéré.


A LA LECTURE DE RÉCEPTION DE M. BOISTEL

N FarM.BURDET, Président de l'Académie.

Séance ilu'lO Juin lfOO.

I c, i r

Monsieur, .< J .0'

La lecture que nous 'venons d'entendre augmentera les regrets que va concevoir l'Académie en apprenant, le jour même de Votre installation, qu'à peine le lieu Il qui vous rattachait à elle vient d'être scellé;' qu'il faut songer à le rompre et que vous êtes appelé à suivre loin d'elle une nouvelle carrière. L'Académie verra néanmoins dans le 'choix qu'on vient de faire de vous pour vous associer aux travaux de la grande école de droit de Paris, une preuve nouvelle et éclatante de votre mérite, et elle s'applaudira d'avoir par son choix devancé le suffrage dont vous avez été l'objet. Notre Compagnie a été ainsï fidèle au but de sa création, qui est de mettre en relief et d'honorer dans cette ville de Grenoble tous les talents et toutes les espérances qui cherchent par de nobles efforts à se révéler si court qu'ait été votre séjour parmi nous, il y laissera des tra-

RÉPONSE


ces et des souvenirs que nous nous rappellerons avec plaisir quand la renommée viendra nous entretenir de vos nouveaux succès, et nous espérons que l'Académie Delphinale sera aussi l'une des réminiscences de votre jeunesse que vous aimerez à conserver. A C'est comme jurisconsulte, sans doute, mais plus encore comme philosophe et comme moraliste, que vous aviez fixé les regards de l'Académie. Ne vous contentant pas d'expliquer les textes des Codes dans notre Faculté de droit, vous y aviez entrepris un cours de droit naturel où vous.n'aviez pas craint d'aborder les plus hautes questions de droit naturel, de morale et d'économie politique. Vous avez donné un corps à votre doctrine et présenté un système complet et arrêté sur ces matières ardues, dans l'ouvrage que vous avez publié et que vous avez intitulé Cours de droit naturel et de philosophie du droit, suivant les principes de Rosarini, et vous venez encore d'aborder, dans le discours que vous avez lu à cette séance, une thèse spéciale sur la rente et sa légitimité, qui rentre dans le même ordre d'études et montre la profondeur des méditations que vous y avez consacrées. i,

Ces travaux, Monsieur, sont de ceux qui plaisent à l'Académie Uelphinaleetqui vous recommandaient à son choix, et dans ce temps où l'on rencontre souvent des hésitations si fâcheuses sur les vérités sociales les plus essentielles, comme sont celles qui touchenlàla constitution de la famille et la propriété, on ne saurait trop louer les efforts que vous avez faits pour jeter dans l'esprit de la jeunesse d'abord et ensuite dans le public lu connaissance des bases primordiales et des grands principes qui portent le monde en définitive; vous les ex-


posez sur un ton si convaincu et avec des apparences si honnêtes et si séduisantes par l'esprit de justice et d'équité qui brille dans toutes vos déductions, qu'on désire au moins tout d'abord pouvoir accepter vos programmes comme une œuvre à laquelle il ne faudrait rien retoucher.

Vous n'ignorez pas cependant vous-même les diftlcultés de cette oeuvre. Vous avez abordé tous les systèmes anciens et nouveaux sur le droit de propriété notamment, et sans vous laisser arrêter un instant par les idées de Rousseau,' ni même par celles plus récemment émises par MM. Laboulaye et Thiers, dans des ouvrages qui ont eu du retentissement; vous vous êtes cru assez fort pour repousser tous les systèmes de communisme et de socialisme par des efforts nouveaux et par des moyens qui vous appartiennent en propre. Vous avez voulu être original en vous associant sur quelques points à un philosophe italien, et vous avez cru mieux placer le terrain de la lutte avec les nombreux ennemis qui attaquent aujourd'hui cette base suprême de l'ordre social, la propriété, qu'on ne l'avait fait avant vous. Je n'ai pas la prétention d'entrer ici dans une discussion approfondie de votre système, et je dois me borner à de simples indications sur la manière dont vous avez posé les questions. Le système du contrat social primitif avec lequel Rousseau tenta, dans son temps, d'ébranler les basés de la propriété, telles que les avaient laissées le droit romain et le droit féodal, a été doctement réfuté par vous. Vous n'avez pas mieux voulu vous arrêter à celui préconisé par 11, Thiers qui serait l'occupation par l'homme de la chose dont il veut être propriétaire, soutenue par la possession et le travail. Vous


faites observer avec raison qu'il y a des cas nombreux de propriété où cette condition de travail ne serait pas remplie, même en tenant compte du travail accumulé des générations précédentes qui pourraient former ce capital. Vous excluez également le droit à la propriété que quelques-uns puisent dans le droit de satisfaire les besoins. Ce que vous approuvez semble être ceci: que l'occupation en toute matière mobilière ou immobilière, quand elle est légitime, c'est-à-dire, quand elle n'a pas pour objet une chose appartenant déjà à autrui, a de tout temps établi entre l'occupant et la chose un rapport ordinairement fécondé par le travail, mais pouvant s'en passer, et que dès lors il doit suffire du respect auquel a droit la personnalité humaine, pour que nul ne puisse dépouiller le premier occupant, car le premier des droits naturels est celui-ci c'est qu'on ne doit pas causer un mal immérité à une personne humaine. Or, comme l'occupant possesseur^serait lésé si on le privait, contre sa volonté, de la chose qu'il a occupée, l'action dirigée contre lui devient par là même naturellement illicite, et c'est là qu'est la vraie sauvegarde de la propriété c'est là où elle puise l'idée d'un droit fondé sur la justice absolue qu'il ne faut pas espérer trouver ailleurs (p. 270).

11 y a un autre système, cependant, qui a beaucoup d'approbateurs, c'est celui qui rattache la propriété à la société elle-même, considérée comme un droit naturel primordial. L'homme seul peut bien, à la rigueur, être considéré comme autorisé par les lois naturelles à s'emparer et à devenir par là légitime propriétaire d'un animal sauvage ou d'une chose mobilière créée par la nature mais quand il s'agit de l'occupation perma-


nente et séparée du sol, ses forces isolées ne suffisent pas à donner à cette occupation un caractère suffisant de certitude et de durée pour qu'on puisse y voir les éléments de ce qui est à nos yeux le droit de propriété. Aussi voit-on partout, en remontant aussi haut que les connaissances historiques le permettent, l'homme vivant, non pas seul, mais au moins à l'état de trihu agglomérée, et prenant possession du sol, non à l'état individuel, mais par le moyen de la tribu tout entière représentée par ses chefs.1 Pendant longtemps, la tribu n'a qu'une action commune pout' jouir et posséder au nem de tous les membres qui la composent, et ce n'est que bien tard, lorsque le progrès des idées fait prévaloir dans la tribu l'idée qu'elle a pour but de procurer à chacun de ses membres plus de bonheur individuel et des prérogatives plus larges, qu'on essaiede partager entré les membres le terrain commun mais toujours à certaines conditions réservées dans l'intérêt de l'ensemble de la tribu. Voilà comment la propriété s'est formée, d'après les notions historiques, au moins chez les Romains dont nous avons été les successeurs, et nous la voyons encore sous nos yeux dans les tribus arabes, à ce point de sa formation. Il est très-curieux de voir l'autorité française intervenir, encore aujourd'hui, pour forcer les chef* de la tribu à partager entre ses mëmbres'le sol occupé.' "!i>? 8

M. Boistel a connu ce système, mais il refuse de l'admettre, parce qu'il rie voit dans la tribu qu'un pouvoir arbitraire qui pourrait-, dans ses partages et ses attributions, organiser la propriété d'une manière injuste, et lui donner ainsi une origine contestable. A ses yeui, ce système, en confondant le droit du propriétaire avec


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celui de la société, provoque des attaques contre la société elle-même, à laquelle on impute tous les vices d'une organisation qui fait prévaloir, à la longue, les intérêts des uns sur ceux dec autres, et surtout ceux d'une classe sur d'autres classes subordonnées. Cependant les sociétés, en créant à leurs membres des droits de propriété, ont bien entendu que ces membres auraient dans l'avenir, par ce droit, des prérogatives assurées et que nul ne pourrait remettre en question. La société n'a gardé que le droit nécessaire pour garantir parla force collective les possessions assurées à chacun, et en réservant seulement le droit de reprendre les parties de cette propriété qui seraient indispensables à l'existence sociale en indemnisant alors le possesseur. j.ji(

Faut-il dire maintenant avec M. Boistel (p. 261) que c'est là une théorie brutale qui ne rend raison de rien et ne saurait satisfaire l'intelligence; que si la propriété est illégitime, la nécessité ne la rendra pas juste que si la société ne peut exister sans elle, il vaudraitmieux sacrifier la société que de consacrer une injustice?. Ceci est bien grave. Dans tous les cas, je le répète, je me borne ici adonner une idée deSithéories de l'auteur dans l'ouvrage qu'il a publié. f( *Jbo;

C'est à l'aide des mêmes théories qu'il a présenté à l'Académie ses réflexions sur la rente. Là, il s'est trouvé aux prises avec les objections d'un économiste, bl. Bastiat, qui semblait d'abord devoir lui causer quelque, embarras eu égard aux idées qu'il a adoptées sur le fondement de la propriété.

Bastiat disait «Mais en respectant le droit de propriétaire, dû à des considérations de justice, d!occupa-


tion et peut-être de travail accumulé par le possesseur actuel et ses prédécesseurs, il faut au moins qu'en re-, tour le propriétaire, ne se fasse payer, àtitre de revenu, que ce qui est la juste indemnité de son travail, soit son prix de revient, en y comprenant l'intérêt du capital qu'il a dépensé. Si, après avoir eu cela, il demande encore une rente qui ne serait plus alors la représentation de ses actes, il grève ses voisins moins heureux et le public, et il leur cause à son tour un déplaisir dont le respect à la personnalité humaine devrait le porter à s'abstenir.

M. Boistel vientde nous montrer l 'exagération de cette conséquence. Il trouve que le propriétaire est à l'abri de reproche quand même il vend la chose ou ses produits plus chers que le prix de revient, pourvu qu'il ait épargné à l'acquéreur les dépenses qu'il eût dû faire pour obtenir lui-même la chose, s'il n'avait pas trouvé à l'obtenir de lui.

Cette explication est suffisante pour que l'acquéreur n'ait pas le droit de se plaindre et n'ait aucun droit contre son vendeur.

La propriété n'étant fondée que sur le respectde la personnalité humaine, le vendeur a droit à ce respect quand même il n'a fait aucun travail. L'acquéreur qui en a besoin est toujours bien heureux de la trouver à des conditions qui lui conviennent.

Bastiat va beaucoup trop loin quand il .dit que le propriétaire ne doit obtenir sa rente qu'à titre d'échange que le propriétaire qui a retiré le prix de son travail et le revenu de son capital ne doit pas faire payer l'emploi des forces naturelles du sol ou de l'objet qu'il possède.


Bastiat n'a pas même raison quand il dit que ce que le propriétaire se ferait payer en sus du prix de son travail et de son capital, serait justement compensé par un impôt établi sur lui au profit du public.

Le propriétaire qui aurait vendu ainsi plus que la valeur de l'équivalent du produit de son travail et de son capital, ne fait point pour cela un gain injuste qui appelle aucune compensation. Cette prétention socialiste serait la mort de toute industrie et détruirait tout effort personnel. Dès lors que l'acheteur a librement payé son prix en appréciant les convenances dont il est seul juge, il n'appartient à personne de scruter la position du vendeur qui a eu les périls et risques de la chose et qui doit jouir des bonnes fortunes de la chose comme il subit les mauvaises, sans quoi le ressort qui imprime à la société la vie et le mouvement se détendra, et les sociétés dans lesquelles de telles idées pourraient prévaloir tomberont promptement dans l'impuissance et le néant.

M. Boistel a défendu avec succès ces théories; qu'il me permette de lui demander cependant si ce système de justice absolue, qu'il a adopté comme le fondement de la propriété, qu'on ne doit pas causer un mat immérité à une personne humaine, si flatteur au premier coup d'œil, ne prête pas un peu le liane à ces sophismes. »«u3 i N'en concluera-t-on pas qu'en supposant que le propriétaire ait le droit de vendre cher1 ses produits, il ferait mieux, pour ménager le principe moral sur lequel repose son titre, de les livrer à meilleur marché? Que, s'il a vendu cher, et s'il ne rend pas à l'Etat, par l'impôt, cette espèce de trop perçu, il doit au moins


en tenir compte, par des actes de bienfaisance qui, à défaut d'une soumission volontaire, devraient au besoin lui être imposés?

Que s'il avait occupé beaucoup plus de biens qu'il ne lui en faut pour suffire à tous ses besoins, considérés même de la manière la plus large, on pourrait bien, à la rigueur, lui représenter qu'il cause aussi à ses concitoyens un mal immérité en les privant des moyens d'occuper et de posséder à leur tour des biens qui leur seraient de la plus grande utilité?

Que, de même si, dans ses possessions, il en est qui ne soient pas utilisées par lui, il n'y aurait pas d'inconvénient A en laisser la jouissance à d'autres, qui en tireraient un meilleur parti?

Je ne veux, Monsieur, par ces observations, qu'appeler vos réflexions et vous prouver que j'ai examiné sérieusement un travail considérable et qui méritait par son importance une étude approfondie. Lorsqu'en des matières aussi graves, on veut inaugurer, comme vous le faites, des idées nouvelles, il faut s'attendre à la critique, il faut même l'appeler, et je suis sûr que vous ne verrez dans celle que je vous adresse que la preuve de l'intérêt que m'inspirent vos travaux et de mon désir de faire rectifier les parties qui pourraient sembler contestables.

J'ai pu, Monsieur, comme chef du corps auquel vous apparteniez à Grenoble, apprécier la valeur des débuts que vous avez faits dans cette ville il y a quelques années je suis heureux que les circonstances me rendent encore l'organe de l'Académie Delphinale pour me permettre de vous donner en son nom une nouvelle marque de la haute estime que vous avez su lui inspirer.


LAMARTINE

(ESQUISSE LITTÉRAIRE)

Discours de réception prononcé à l'Académie Delphinale Par M. Gabriel tlONAVO.N.

Bé..n.:t- du 1" juillet IN7O

Messieurs

Appelé par votre extrême bienveillance à sortir de mon obscurité pour participer à l'heureux éclat dont vos talents et vos travaux savent remylir ce sanctuaire des lettres, ce n'est pas sans une. émotion bien légitime que je viens prendre place parmi vouset recevoir la succession d'un de vos membres, distingué par les qualités du goût, la solidité «lu «avoir et la variété de l'érudition.

Je me borne à recueillir son héritage, et je ne me e dissimule pas que les titres me font défaut pour aspirer à le remplacer. Je suis dominé par le sentiment de mon insuffisance quand mon regard passe tour à tour, de cette réunion d'esprits d'élite, à la place qu'occupait mon prédécesseur, place enviable et choisie qui m'honore sans m'en rendre digne.


Cette adoption flatteuse, qui me rattache à votre docte Compagnie et que d'autres pouvaient mériter bien mieux que moi, cette précieuse désignation, qui fut pour vous, Messieurs, le prix de sérieux et estimables travaux, votre indulgence m'en fait don. Je sens vivement, veuillez le croire, la reconnaissance que je vous dois; et ce tribut de gratitude que vos usages m'imposent l'obligation de vous exprimer aujourd'hui publiquement, vous ne pouvez douter que mon cœur ne vous l'ait depuis longtemps payé. Et comment ne seraisje pas fier d'entrer dans cette enceinte où régnent à la fois les préceptes du goût littéraire et les plus nobles traditions de la dignité morale? Comment ne serais-je pas enorgueilli de m'asseoir à cette école où le bien dire et le bien faire s'apprennent aux mêmes leçons? Mais, à la profonde reconnaissance que m'inspire votre choix indulgent, vient se' joindre la crainte trop fondée d'être impuissant à justifier vos espérances. Aussi, ne pouvant trouver mes titres que dans votre bienveillance, il me convient plus qu'à personne, il m'appartient avant tout d'abriter sous l'égide d'une amitié, non moins précieuse que flatteuse pour moi, l'honneur inespéré que je reçois de l'Académie Delphinale. Peut-être aussi, Messieurs, en m'accueillant dans vos rangs, avez-vous voulu encourager et (s'il m'était permis de me servir d'un mot ambitieux) avez-vous voulu glorifier en moi l'amour constant et le culte désintéressé des choses littéraires, de ces belles spéculations, de ces nobles études qui élèvent le cœur, qui agrandissent l'âme et qui sont en même temps le plaisir le plus délicat de l'esprit. Si l'amour des lettres est le seul titre que votre indulgence ait pu me découvrir, permettez-


moi du moins de m'en parer. Toutefois, je dois voir dans la faveur que je reçois aujourd'hui, non une récompense acquise et méritée, mais, en réalité, un appel fait à ma bonne volonté. Vous voulez, en moi dont l'insuffisance est actuellement si manifeste, susciter de nobles désirs pourque mes efforts viennent un jour légitimer vos suffrages. Vous vous montrez trop confiants, peut-être mais vous faites voir au moins, par cet exemple créé cette fois à mon profit, avec quel zèle élevé vous tentezd'inspirer, même au plus faible, l'ardeur pour les œuvres de la pensée et pour les travaux de l'esprit. Aussi, Messieurs, il m'a semble que je ne pouvais mieux répondre à l'inspiration bienveillante, à la noble sollicitude et à l'intention qui ont guidé votre choix, qu'en venant célébrer devant vous, en termes le moins indignes possible, la mémoire du grand poète dont la France a eu récemment à porter le deuil. La tombe de Lamartine n'est fermée que depuis une année, et l'impression profonde causée par cette perte irréparable est encore toute vive dans le monde des lettres.

Il m'a paru qu'il était digne de vous, digne de vos travaux et de vos traditions académiques, de mettre à profit cette solennité pour vous associer à la pensée qui m'est venue d'adresser un religieux hommage à cette haute renommée et de tresser une humble couronne pour sa pierre tumulaire.

Je ne me dissimule pas combien cette tâche est imposante et considérable, combien, par sa richesse même et par sa grandeur, elle offre de difficultés et dépasse la mesure de mes forces. Mais n'est-ce pas déjà un honneur que de l'avoir entreprise? Je m'étudierai d'ailleurs à la proportionner à ma faiblesse, et votre indulgence


me tiendra compte de mon effort. On l'a dit c'est d'en bas qu'on apprécie les statues je saurai garder la distance et me tenir dans la perspective. L'image de Lamartine s'élève déjà rayonnante et magnifique dans l'admiration des hommes. S'il y a témérité à moi de tenter de l'évoquer devant vous, posant dans son attitude immortelle, le sentiment sympathique et respectueux qui m'inspire sera mon excuse; et d'ailleurs. Messieurs, une couronne, quelque simple et indigente qu'elle soit, déposée sur une tombe, vaut toujours par sa pieuse destination.

Lamartine 1. Quel essaim de hautes pensées, de nobles souvenirs, d'images et de mélodies, ce nom n'éveille-t-il pas? Cher nom. a dit un poète Cher nom, grand nom, beau nom, qui résume à la fois Tout ce qu'ont de plus doux les langues et les voix! ne forme-t-il pas, comme un emblème éclatant des plus beaux dons et des plus rares puissances de l'esprit? Les merveilleuses facultés dont Lamartine était doué eussent, en effet, pu suffire à remplir et à illustrer plusieurs existences.

Tour-à-tour poète, et poète sans égal, voy-ageur, diplomate, orateur, historien, homme d'Etat, publiciste, il a touché à toutes les grandes choses contemporaines; il s'y est associé pas ses écrits ou par ses actes. A chaque pas, en remontant le cours des événements, on retrouve son influence ou son nom. Deux physionomies bien distinctes composent cette noble et imposante figure qui brilla d'un éclat si vif pendant une période de trente •années, et dout vingt autres années d'injustice et d'ou-


bli ne purent consommer le déclin. Elles s'unissent pour signaler à la postérité cette haute intelligence à laquelle il fut donné d'exercer, sous un double aspect, un double ascendant sur son époque. L'homme littéraire et l'homme politique se montrèrent également en lui avec un puissant relief d'autorité, d'inspiration, de force et de grandeur. L'homme politique appartient à l'histoire, et sa noble mémoire peut sans crainte en attendre les arrêts.

Pour nous, restreignant notre cadre dans ses plus simples limites, nous n'avons à nous occuper ici que de l'homme littéraire, de ce maître de la lyre qui régna par droit de sublimité et de prestige sur toute une génération d'écrivains et de poètes. Mais, du moins, il nous est permis de constater en passant cette merveilleuse ubiquité du Génie parcourant si glorieusement tant de voies diverses. L'antiquité en eût fait une légende ou un mythe, et elle sera l'étonnement de la postérité qui commence par l'illustre poète: Il y aura de l'amour et de l'enthousiasme dans le culte dont l'admiration des hommes ne cessera d'entourer sa mémoire. Autant qu'à leur esprit, il parlera à leur cœur. Ses chants immortels traverseront les siècles comme un souffle ardent de foi, d'espérance et de tendresse et, si l'on peut prévoir que le retentissement de son éloquence de tribune puisse un jour s'affaiblir, que sa couronne civique puisse se faner et s'effeuiller au vent des âges, Lamartine n'en gardera pas moins pour diadème impérissable l'étoile radieuse qui illumine les fronts prédestinés. Quel homme – et quel début Un midi sans burore, Un coup de foudre immense et qui résonne encore!


ou plutôt ce fut dans une gloire parée de toutes les grâces et de toutes les splendeurs de l'aube que se leva, en 1820, le génie de Lamartine. Son avènement au milieu de la liltéiature terne et languissante de l'époque eut la lumière d'une apparition. C'étaient, a dit un éminent écrivain, le ciel rouvert sur la Poésie, la flamme rallumée sur les autels de l'Amour. La source des larmes, si longtemps glacée, se remettait à jaillir. Le jeune poète se révélait, dès son premier livre, comme le psalmiste des générations nouvelles. Son inspiration passait comme un souffle de fraîcheur et de rajeunissement, comme une palpitation d'ailes qui effleurait mollement les âmes. Leurs rêveries secrètes, leurs sentiments inexprimés, leurs voix intérieures, trouvaient en lui un divin organe. C'était le sunt lacrymœ rerum de Virgile, le flebile nescio quid d'Ovide, traduits en poèmes. Et quelle sublimité naturelle 1 quelle suavité dans l'abondance! quelle pureté de souffle! 'quelle facilité dans l'essor quelle manière transparente et large de peindre et de refléter la nature 1. Au centre de ce ravissant mélange de cantiques et d'élégies rassemblés, le Lac, argenté par la lune, se dessinait dans son contour harmonieux, -site unique entre tous ceux du monde poétique, chefd'œuvre d'art et de coeur qui ne sera jamais surpassé! Certes, le culte d'admiration ou, pour mieux dire, d'adoration dont furent tout d'abord entourées les Méditations poétiques, était aussi légitime qu'il était enthousiaste. Mais il ne faudrait tenir aucun compte, dans l'histoire littéraire, des époques et de leurs dispositions souvent toutes différentes, pour ne pas reconnaître la situation favorable des esprits à l'heure de ces immortels débuts.


Au moment où naissait le siècle et où disparaissait le siècle précédent, d'affreuses et sinistres tempêtes avaient grondépartout surle monde social. Au milieu desdébris des règnes écroulés, au sein de tant de ruines amoncelées, devant ces coups, prodigieux de la Fortune, qui renouvelaient dans une journée la face des empires, en présence de ce siècle chassé par l'orage, dont l'écume emportait dans sa course les mœurs, les rois, les dieux. et que venait d'engloutir le torrent des âges, les hommes flottant parmi les événements et s'abandonnant à de téméraires présomptions ou à des découragements profonds, s'étaient accoutumés a se glorifier ou à souffrir outraiiiesure.ja<!iDt !Îi-

Mais quand la paix succéda à ces bouleversements destructeurs, l'expression des pensées et des sentiments de l'âme fut l'écho mélancolique de l'orage. Au dehors régnaient le calme et le silence;, mais de grands bruits, de sourdes rumeurs, se faisaient encore entendre au fond des cœurs. Chacun rentrait dans sa conscience comme dans une habitation dévastéé par la guerre. Les lettres durent, en conséquence, servir d'interprètes à ces dispositions intérieures, à cet état moral. La littérature dut se pénétrer de ce souffle poétique répandu sur ces générations élevées dans le sang et dans les larmes, et ramenées à l'idéal par les angoisses et par les austères enseignements de la douleur. Elle prit pour caractère dominant la subtile et profonde analyse des plus tristes et des plus poignantes pensées de l'homme; «Ile se plut il traduire ses découragements ou ses révoltes elle donna une large place à des éléments renouvelés plutôt que foncièrement nouveaux, se parant des teintes d'un style rajeuni par l'influence souveraine


de Chateaubriand la mélancolie, l'inquiétude, le désenchantement, les troubles de la passion, les orages du cœur, la satiété, le dégoût consommé et raffiné de la vie, l'obsession du néant final et de l'universelle vanité, sentiments maladifs que corrigeaient et relevaient la soif de l'idéal et les élans de la foi régénérée qui rêve l'immortalité.

C'est au milieu de ces tendances générales c'est comme pour satisfaire à ce besoin des âmes altérées de croyance en présence des amertumes du doute, qu'est née la poésie profonde et tendre de Lamartine, et les circonstances avaient trop bien préparé les esprits pour que son succès ne fût pas immense, immédiat, unanime. Elle apparut, cette noble muse, dans le chaste éclat de sa grâce virginale, et c'est bien à elle que put exactement s'appliquer l'expression virgilienno Vera incessu patuit Dea.

Elle vint rajeunir une Poétique vieillie qu'elle emporta loin des ornières de l'imitation et du convenu. Elle agrandit le domaine de l'art en lui ouvrant des perspectives plus étendues et de plus vastes horizons. L'imagination affranchie put déployer librement ses ailes; la sphère des images poétiques s'élargit devant elle. A sa voix, le sentiment de la nature, jaillissant d'une veine plus intime, devient plus vif, plus profond, plus touchant. Mais à la majesté des tableaux, à la grâce des détails, s'associe toujours quelque pénétrante et sympathique impression morale, quelque haute pensée religieuse qui fait flotter l'âme humaine au-dessus de la matière, et qui mêle sans cesse aux magnificences des scènes ou des descriptions physiques, toutes les richesses et tous les enchantements de l'idéal.


En un mot, la révélation de cette merveilleuse poésie fut comme une lumière céleste projetée dans les ombres humaines.

Aucune Ivre, en effet, n'avait encore traduit en si adorables accords, exprimé en notes plus musicales, plus suaves et plus attrayantes, les grâces de l'aurore et les charmes mélancoliques du couchant, les murmuresdes eaux, les soupirs des brises, la beauté fragile, le coeur inapaisé, les mystères de la solitude, toutes les. aspirations et toutes les inquiétudes de l'âme.

Aussi la jeunesse s'enivra de ce magique breuvage, de ce nectar de l'inspiration et de la rêverie que, lui versait le poète. Ses vers émurent délicieusement les imaginations fraîches, naïves et sensibles, et surtout les. cœurs féminins, toujours plus prompts à l'enthousiasme comme à l'attendrissement. Ailés et chantants, ils prirent leur essor et voltigèrent oiseaux mélodieux et charmants, sur les lèvres des jeunes femmes, entre un sourire et un baiser. Epandus ainsi qu'une rosée printanière, ils firent éclore les nobles pensées comme, uns moisson de fleurs; ils firent couler les plus belles et les, plus pures larmes comme des perles de l'écrin du coeur. Ils pénétrèrent dans les âmes comme un rayonde soleil, y portant la flamme, l'émotion et l'amour.

Ces poétiques paysages, baignés de suaves clartés, ces brises italiennes toutes chargées des molles senteurs des. orangers, ces étoiles qui se miraient dans les golfes que, rasait la nacelle berçant les couples amoureux, toute cette délicieuse mise en scène idéalisée dans une discrète mesure et colorée d'un prestige romanesque, aida puissamment à la consécration rapide des Méditations poéliques. Les jeunes gens, les jeunes filles, lesfemmex,


s'enthousiasmaient jusqu'à l'adoration. Cet enthousiasme embrasa le monde littéraire avec la rapidité de l'étincelle électrique. Jamais succès n'eut de proportions pareilles. La publication des Nouvelles Méditations ne tarda pas à l'augmenter et à l'accentuer encore. Le poète suivait sa marche ascensionnelle et triomphante. Aux Méditations succédèrent les Harmonies, oi'i l'aile de sa muse atteint les plus sublimes hauteurs et semble mêler son vol au rayonnement des étoiles. II y a dans ce recueil des pièces d'une ineffable beauté et d'une mélancolie grandiose. Jamais, depuis Job, l'âme humaine n'a poussé, en face des redoutables mystères de la vie et de la mort, une plainte plus éperdue, plus désespérée, que dans les Novissima Verba.

Nous ne pensons pas qu'aucune langue possède un monument poétique dont le lyrisme soit d'un jet plus splendide que celui des Harmonies. Le poète y déploie une imagination éclatante, mélancolique et radieuse qui monte puissamment et s'enfonce dans les solitudes du ciel comme le condor, et qui y plane naturellement comme le cygne.

La part faite, si on le veut, aux négligences et aux inégalités, plus nombreuses encore que dans les Méditations, les magnificences dont ce beau livre étincelle peuvent soutenir la comparaison avec les richesses poétiques de tous les peuples et de tous les âges. Ce n'est pas l'ode savante, précise, ornée du lyrique romain c'est tour-à-tour le psaume éploré de David, et le vaste déploiement d'une poésie toute nouvelle qui, comme une autre voie lactée, ruisselle dans l'étendue avec un éclat radieux. Quelle large haleine et, par moment, quel tourbillon I Comme l'esprit de cette poésie est éthéré et


sublime! Comme il monte à Dieu sur les ailes de la prière, de l'extase et de l'inspiration I. C'est l'encens du temple envolé de l'or des encensoirs et s'élevant en nuage odorant. C'est l'amour, c'est le sentiment à la fois si puissant et si fragile, continué dans le ciel, purifié, immortalisé I. Quelle limpidité: quelle cliastetél quels élans nobles et purs! quelle chaleur d'ame I Le poète ne vole pas seulement vers les hautes cimes, il plane dans l'éther, tant son inspiration est divine. Ce mélange d'amour et de piété, de volupté et de tristesse, fait le charme et l'originalité de ces beaux chants, harmonieux échos de cette mélancolie sacrée où le doute de la raison s'efface devant les clartés de l'espérance et la certitude de la foi-

Lamartine oublie toutes les formes convenues de l'ancienne école lyrique. Avec son âme seule, élevée à la poésie par ce rayonnement vers son cœur d'enfant, du cœur de sa mère, par la Bible apprise sur ses genoux, par l'inlluence déjà ressentie d'une époque exceptionnelle et intellectuellement tourmentée, il regarde la nature, il regarde l'humanité, et il éprouve en lui des vibrations intimes, profondes, mélodieuses, qu'il rend dans une langue idéalement suave et naturellement abondante où tout caresse, étoune, enivre l'esprit et l'oreille.

Sa lyre sait trouver au fond des âmes un écho divin et y émouvoir toutes les cordes des tendresses humaines elle y pleure, elle y chante elle a les larmes de la terre et les accents du ciel.

Avec une mélancolie méditative dont on ne rencontre chez aucun de ses devanciers les notes intimes et touchantes, les teintes vaporeuses et vaguement


nuancées il suit les ondes fugitives emportant vers les rives inconnues, vers les profondeurs de l'infini, la nef passagère et fragile de la destinée humaine.

Tantôt il se laisse amoureusement bercer par les murmures de la mer de Sorrente ou par les soupirs des brises d'Italie. Sa poésie se revêt et s'imprègne alors d'une douceur facile et abondante, disons mieux, d'une douceur céleste qui se joue aux ondulations, aux mollesses, aux mélodieuses modulations, et qui défie l'harmonie musicale de jamais verser plus d'enchantement dans une parole humaine.

Cette forme magique cette cadence enchanteresse vous pénètre et vous ravit, et il y a un charme prestigieux dans cette respiration du vers qui, variant sa sonorité ou son murmure, s'enfle et s'abaisse comme la poitrine de l'Océan tressaillant aux rayons de l'astre nocturue. Ou se laisse aller à cette mélodie que chante le chœur des rimes comme à un chant lointain de tuatelots ou de sirènes. Lamartine est sans contredit le plus grand musicien de la poésie.

Notons un trait à propos de ces divins paysages si suavement éclairés par la lune du cap Misène et du golfe de Baya, ou par l'astre amoureux qui projette ses tremblantes clartés sur ce lac, confident immortel des tendres rêveries et des élans passionnés d'Elvire. Nous avons bien desclairs de lune dans notre littérature, des clairs de lune délicieux et élyséens (qu'il nous suffise de citer ici notamment Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand), mais ceux de Lamartine ont quelque chose de plus profond et comme de douloureux; on y sent le regret du ciel. on y sent régner ce mystère de tristesse secrète qui, au milieu des sensations les plus déli-


cieuses, avertit l'homme de la rapidité de ses heures fugitives et des fragilités douloureuses du rêve de la vie, et qui associe la mélancolie de la nature à l'éternelle mélancolie de sa pensée.

Tantôt le poète, saisi d'admiration devant le firmament semé de globes étincalants, écoute, comme autrefois Pythagore, les sphères roulant harmonieusement dans l'espace radieux. Puis il contemple l'homme, cet atome pensant qui connaît ces merveilles de la nature et s'ignore lui-même. Inquiet de ce mystère de grandeur et d'inexprimable misère, il interroge tour à tour le passé et le présent et fait parler toutes les grandes voix de la création.

Il ne faut pas croire, en effet, que Lamartine, parce qu'il y a toujours chez lui une vibration et une résonnance de harpe éolienne, ne soit qu'un mélodieux Lakiste et ne sache que soupirer mollement la mélancolie et l'amour. S'il a le soupir, il a la parole et le cri; il domine aussi facilement qu'il charme. Cette voix angélique, qui semble venir des profondeurs du ciel, sait prendre, quand il le faut, l'accent mâle de l'homme. Aussi tantôt il assiste aux suprêmes entretiens de Socrate, calme devant la mort, et recueille pieusement, sur ces lèvres que le trépas va sceller à jamais, tout le miel de la sagesse antique. Tantôt il cherche, avec une sympathie ardente, à comprendre et à traduire ces génies énigmatiques, objet à la fois d'entraînement et de terreur, qui ont le mieux représenté, dans notre époque, la curiosi'.é inquiète de l'esprit, les agitations maladives du cœur; ces âmes douloureuses dont le prototype est ce Child-Ilarold poursuivant à travers d'aventureux voyages l'idéal décevant de ses désirs immenses


et toujours inassouvis, trompant ses déceptions et ses souffrances par des périls sans cesse renaissants et par des sacrifices héroïques en faveur du réveil de la Grèce.

Comme à Byron, la noble terre qui entendit la voix de l'aveugle divin du Mêlés, la patrie des Miltiade et des Démosthène s'agitant et se levant pour conquérir sa liberté, inspire à notre poète une hymne d'enthousiasme. Mais, bien différent du chantre de Manfred et de Lara, tandis que ce géniedu doute selivre à desaccès d'ironie orgueilleuse et satanique devant l'aîuvre inexpliquée de Dieu et le mystère de la destinée humaine, Lamartine fait monter, de tous les êtres jusqu'à Jéovah, comme un sublime cantique, le concert de l'universelle prière. Il prêle à toute la création une lyre et une voix. L'étoile, le lac, le brin d'herbe, fleur, tout chante, tout soupire, tout prie. Bientôt il montre au chevet du chrétien les ombres de lu mort jouant avec les premières lueurs de l'immortalité. Attendri, prosterné, il colle ses lèvres aux pieds adorésdu Crucifix; ou, se mêlant à ces exilés volontaires (lui peuplent les pieuses solitudes, il répète leurs chants nocturnes et partage leurs calmes extases

Cœurs tendres, approuvez Ici l'on aime encore

Mais l'amour épuré s'allume Sdr l'autel!

ou bien il va avec le Solitaire s'agenouillersur la montagne pour bénir le seigneur en saluant le premier rayon du jour ou bien il traduit en strophes adorables de simplicité et de grâce Vllynwe de l'enfant à son réveil. La philosophie qui se dégage de ces inspirations nobles et pures, et qui en forme comme le rayonnant som-


met, joint la mansuétude à l'élévation. Elle n'est pas l'écho d'un système ou le produit d'une étude comparée des théories plus ou moins mensongères que la raison humaine s'est fatiguée à construire; mais, comme ses pures senteurs agrestes qui s'exnlcnt des bois remués par les vents, elle résulte, sympathique et naturelle, des diverses impressions de la vie, de la douleur qui se prosterne ou de la joie qui rend grâce. Jamais la philosophie chrétienne ne s'est exprimée avec plus de pompe et d'éloquence et n'a trouvé de plus beaux élans. Plus intime dans les Méditations, plus brillantet plus lyrique dans les Harmonies, le poète rend sans cesse les aspirations les plus élevées, les postulations les plus idéales de l'âme.

Cette manière large et vague convient à la haute spiritualité de sa nature: l'âme n'a pas besoin d'être sculptée comme un marbre grec. Des lueurs, des sonorités, des souffles, des blancheurs d'opale, des nuances d'arcen-ciel, des bleus lunaires, des gazes diaphanes, des draperies aériennes souVvées et gonflées par les brises, suffisent à la peindre et à l'envelopper. C'est pour Lamartine que semble avoir été fait ce mot des anciens Musa ales.

Le goût. qui craint l'excès même dans le beau, pourrait parfois sans doute s'inquiéter de cette richesse surabondante d'une pensée et d'une langue qui se prodiguent sans mesure une logique inexorable et rigoureuse pourrait vouloir parfois écarter ces nuages d'or qui enveloppent l'idée comme une éclatante draperie et y exigerait peut-être plus de précision et do solidité. Mais bientôt, séduite et comme enchaînée par une poésie si spontanée, si sincère, si éclatante, d'une grâce si


idéale, d'une verve si mélodieuse, la critique est désarmée par l'admiration.

Lamartine est un poète d'instinct, ou, pour mieux dire, c'est la poésie méme c'est la Muse qui parle avec son âme et qui chante dans sa voix. Lorsque sa lyre éclate dans toute sa puissance, on trouve dans ses accents une facilité d'allure si merveilleuse, des effets de sons si mélodieux, une grâce suprême enfin si naturelle et si inspirée, qu'on ne peut que s'extasier devant ce talent inné et sans rival qui a pu dire si justement de lui-même'.

Je chantais, mes amis, comme l'homme respire.

Comme l'oiseau gémit, comme le vent soupire,

Comme l'eau murmure en coulant

Ses vers se déroulent avec une cadence harmonieuse, comme les lames azurées d'une mer d'Italie ou d'Ionie roulant dans leurs volutes transparentes des branches de lauriers, des fruits d'or tombés du rivage, des reflets de ciel, d'oiseaux ou de voiles et se brisant sur la plage en étincelantes franges argentées. Ils tombent avec tant de mollesse ou s'élancent en notes si musicales et si légères, que l'oreille se croirait bercée aux sons d'une harpe éolienne. Aussi souples et ductiles que transparents, ils suivent toutes les ondulations de la nenséo comme l'écharpe de gaze suit les mouvements du sein qu'elle révèle en le voilant, comme l'eau courante, les mille sinuosités de la rive. Et l'on peut dire de ces vers inimitables d'une forme si ailée et en quelque sorte spiritualisée, qu'ils s'exhalent ainsi que des sons ou de», parfums.

Comme ce nectar de l'abeille qui change en miel 1;«


poussière des fleurs, ou comme cette liqueur régénératrice qui convertit le plomb en or, notre poète a un souffle chaud et puissant qui enfle les mots, les rend légers, les colore et les lance tout chatoyants de nuances prismatiques. Il devine, par une intuition spontanée de son génie, en quoi consiste le charme des paroles et par quel art on bâtit avec elles des édifices enchantés.

Le poème de Jocelyn a été une phase aussi imprévue qu'admirable des facultés poétiques de Lamartine. Le succès fut immense, mais, en réalité, ne pouvait rien ajouter à la renommée de l'auteur. Du premier coup, l'admiration avait donné au poète tout ce qu'elle peut accorder à un homme; elle avait épuisé pour lui ses Heurs et ses encensoirs. Aucun nouveau rayon n'avait à accroître son auréole, et les splendeurs de son midi n'ajoutaient rien aux feux de son aurore.

Ce doux poème est véritablement une épopée domestique où les émotions les plus tendres, mêlées à de salutaires enseignements, sont prodiguées et épanchées en larges sources dont rien n'altère le généreux courant. Mieux encore, c'est la pure épopée de l'âme où ne sont pas racontées les brillantes aventures d'un héros, mais les souffrances obscures d'un humble cœur inconnu, combattu et dompté par le devoir, exalté et ennobli par le sacrifice. Délicat chef-d'œuvre, plein de sensibilité, de tendresse et de larmes, d'une blancheur alpestre, virginal comme la neige des cimes immaculées où aucun souffle impur n'arrive, et où l'amour, qui s'ignore lui-même tant il est chaste, pourrait être contemplé par les anges. Nul succès ne fut plus sympathique, nul livre plus avidement lu et plus baigné de pleurs.


La manière du poète semble avoir acquis dans Jocelyn l'apogée de ses développements. Au milieu de certaines négligences de facture, elle y déploie une abondance admirable et une ampleur majestueuse. Le vers ne procède plus par distiques ou par courtes périodes; il se déroule en vaste nappe comme un fleuve imposant qui, coulant à pleins bords, semble toujours prêt à submerger ses rives.

Plus tard, dans la Chute d'un Ange, poème grandiose et inégal, et dans les Recueillements poétiques, vibration prolongée d'une lyre qui allait se vouer au silence, le Meuve apparaît toujours aussi large, aussi profond et aussi impétueux seulement, son cours, moins limpide, charrie plus do gravier et semble charge de plus de limon. >i,

Après avoir clos ces belles œuvres et déposé sa lyre, le poète avait passé à la vie publique et à l'action, comme Byron mettant un terme aux rêveries de ChildIlarold, et venant évoquer le Génie de la Grèce et de la Liberté, sous les murs de Missolonghi.

Le nom de l'auteur de Lara, comme par l'effet d'une influence et d'une attraction fraternelle, revient ainsi sous notre plume à côté du nom de Lamartine. On a bien souvent établi une comparaison entre ces deux poétiques émules, entre le vol et la hauteur de leur lyrisme.

Ils offrent, en effet, une ressemblance saisissante, ressemblance qui tient sans doute à la secrète affinité de leur génie mais également aux circonstances extérieures qui ont ouvert de nouvelles sources à leur inspiration. En effet, au moment Byron a commencé ses chants, au moment où il a créé


Lara, le Siège de Corinthe, la Fiancée d'Abydos, le Corsaire, le Giaour, Child-llarold, le monde oriental venait pour ainsi dire d'être révélé et de s'offrir comme une mine nouvelle à la poésie. La fusion des magnifiques images de l'Orient et des sentiments rêveurs du Nord ne pouvait manquerd'imprimer un caractère particulièrement remarquable aux productions de l'esprit. Ce point de contact nouveau et imprévu entre les régions du soleil et celles de l'Aquilon, entre les brillantes demeures des Génies et des l'éris et les nébuleux palais des héros d'Ossian, cette alliance d'un mythisme plein de fééries aux sombres mélancolies de l'Ame contristée par une nature rigoureuse, cette révélation mutuelle de deux mondes, c'était une poésie toute faite. Cette poésie, en effet, riche de variété et de contraste, a entendu des chants de volupté au berceau de l'aurore et sous ce ciel éternellement azuré où les orangers fleurissent, et des gémissements de mort aux brumes du pôle. Elle a un paradis de roses comme SaMi et un enfer de glaces comme le Dante elle touche à la fois toutes les cordes qui ont vibré sur la lyre. Elle peut dire, comme l'âme délivrée de ses liens l'infini, c'est moi

Quoi qu'il en soit, de cette source toute moderne d'inspiration qui a nécessairement réagir sur le génie de Byron et sur celui de Lamartine (comme elle a réagi plus tard sur le génie de Victor Hugo, témoin les Orientales), et exercer son influence sur l'auteur de la Fiancée d'Abydos comme sur l'auteur du Voyage en Orient et du Dernier Chant du pèlerinage d'Harold, il est impossible de ne pas reconnaître entre eux une de ces parentés intellectuelles une de ces intimes sympathies d'organisation et de sentiments qui sont plus rares en-


core et plus saisissantes que les ressemblances physiques. Cependant, modifié par les circonstances au milieu desquelles ils étaient placés et qui ont présidé à leur éducation comme à la conduite de leur vie, leur essor presque égal, mais diversement dirigé, laisse entre eux une dislance-incommensurable, du moins dans les compositions qui portent le plus expressément le sceau de leur physionomie poétique.

liyron, plus passionné, plus véhément, plus impérieux, plus enclin aux suggestions d'un inflexible orgueil, plus difficile à satisfaire, aigri par la sécheresse d'une société stérile et rétrécie qui ne répondait pas à toutes les exigences de son cœur, transforme souvent la Muse en Némésis et mèle à ses hymnes les plus purs l'expression d'une ironie cruelle et d'une sanglante amertume. Le regard dont il embrasse la création est pareil à celui qui tomba des yeux du mauvais esprit quand il fut dépossédé de ses natives merveilles. On sent qu'il porte avec impatience un sceptre et une couronne de feu. S'il surprend jusque dans le sein de la divinité le secret des célestes harmonies de l'univers, on croirait que c'est pour l'étouffer à jamais et l'anéantir. Il y a en lui, comme dans l'Eblis des contes arabes. un instinct de destruction, une ambition de néant, un génie de scepticisme qui étonne et qui épouvante. Nul ne s'enfonce plus que lui dans la voie désespérée et dans la funèbre horreur de la Forêt dantesque. Quand vous suspendez sa lecture, vous diriez sortir de l'antre de Trophonius avec des souvenirs qu'aucune langue humaine ne peut rendre, mais dont l'impression incurahle consterne le cœur pendant toute la vie. Aux accents de cette muse sombre et passionnée, tou-


tes les âmes formées pour l'exaltation et la douleur se sentent percées du glaive à deux tranchants de la haute poésie. Les abimes du cœur sont mis à découvert dans ces plaintes altières du Génie errant qui dit ses souffrances aux sables des déserts et aux vagues de l'Océan. Les blessures de ce coeur ulcéré semblent teindre de sang les ruines célèbres, les rochers solitaires, les autels des dieux tombés, et cette poussière funéraire qui fut jadis Argos, Corinthe, Athènes ou Lacédémone. On peut dire que le panthéisme,. cette religion dangereuse mais séduisante des coeurs qui adorent, dans le monde visible, la beauté active et infinie, a trouvé en lui son Homère. Le poète, suspendu entre le ciel et l'enfer, chante l'énigme de la destinée mortelle, et sa muse se joue entre deux éternités.

Lamartine, aigle de la même famille, ou plutôt cygne au blanc plumage, se berce sur les Ilots purs de son beau Lac ou s'élève d'un vol immense jusqu'aux régions de l'inaltérable azur, sachant planer aussi au-dessus des abîmes et traverser le nuage qui porte la foudre. Ce n'est pas assez pour lui de donner une âme à la matière, si, dans son transport religieux, il ne donne à cette âme une divine et providentielle intelligence, et s'il ne l'enveloppe d'une atmosphère où se respirent éternellement l'espérance et la tendresse. Les autres poètes aspirent à l'idéal; Lamartine aspire à idéaliser encore. Ses pensées se convertissent naturellement en enthousiasme et en prière, et sur sa lyre ne cesse de vibrer l'hymne des grandeurs divines. Sa muse cherche en elle-même et dans la création qui l'environne des degrés pour monter à Dieu, des expressions et des images pour le révéler à elle-même, ou pour se révéler à lui.


Parvenu aux plus hautes régions du ciel, il voudrait y transporter, vivante et belle comme le ciel même, la création qu'il s'estfaite et qu'il offre dans un acte d'adoration à l'éternel Auteur des choses.

Il a bien aussi les pathétiques soupirs, les plaintives rêveries du Nord, les gémissantes tristesses de la harpe d'Ossian ou ces lamentations bibliques que répétait la harpe d'Israël aux saules des fleuves de Babylone mais il a en même temps la pure teinte et le reflet charmant du beau ciel de Florence et de la mer de Sorrente. Les brises qui caressent le laurier de Virgile et les jardins de Parthénope, ont caressé aussi son front. Les vagues ausoniennes, les cascatelles de I'Auio, les échos de Tibur, lui ont appris leurs divins murmures comme la cadence harmonieuse de ses vers.

Il a bien parfois des cris de douleur, des sanglots et des larmes en contemplant ce qu'il y a de tragique et d'inexpliqué dans la destinée humaine mais il sait s'élever aux saintes consolations, et l'impression finale qui caractérise ses chants et qui se dégage de sa poésie comme un vivifiant parfum, c'est la sérénité. Parmi les fleurs de sa couronne ne se trouve pas la fleur du désenchantement sa mélancolie n'est, au vrai, qu'une céleste nostalgie, et peut se résumer dans ce vers L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. De même que Byron engendre l'orage en déchaînant les tumultueuses agitations de son âme, Lamartine engendre la sérénité en épanchant 'urne d'or de son cœur il la crée, et sa veine généreuse la répand en toute chose.

Il forme ainsi avec Byron un frappant contraste, et


cependant ce sont deux génies jumeaux dont la ressemblance aurait pu aller jusqu'à tromper l'œil même de la Muse dans les transports superbes de leur lyrisme, on ne les distinguerait pas l'un de l'autre s'il n'y en avait un de tombé. Ils rappellent ces deux séraphins de Klopstock éclos ensemble de la même pensée du Seigneur et qui se séparèrent une seule fois, mais pour l'éternité, le jour de la révolte de Satan.

C'est bien réellement de la poésiede Lamartine qu'on a pu dire que c'est surtout dans la spiritualité des idées que consiste la poésie. Comme en une onde où se réfléchit le ciel, le beau vient toujours lui sourire. Jamais Muse ne fut mieux pourvue de tous les dons que demande la passion pour s'envelopper d'harmonie. L'amour étant le principe céleste que Dieu a soufflé dans notre âme pour la créer à son image, l'essence de la poésie est dans l'immortelle faculté d'aimer. Aimer, c'est prier aimer, c'est surprendre au passage, dans le changeant miroir où se reflètent les choses éphémères de ce monde, l'ombre de l'être infini, Toute autre passion que l'amour n'est qu'une poursuite exercée par le cœur humain sur des biens abstraits, inconscients, inanimés mais l'amant et le poète adorent ce qui est vivant. La vie et la beauté sont les éternels objets de leurs soupirs et de leur flamme; et, jaloux de se confondre avec leur idéal, ils veulent attirer et conquérir l'amour en l'exprimant.

l'eut-il donc exister une poésie plus divine, plus maîtresse des cœurs, mieux faite pour dégager de sa prison corporelle l'étincelle impérissable qui nous anime, et pour saisir, sous les phénomènes de la nature, l'unité vivante et infinie que celle dont le chantre des


Méditations, des llarmonies et de Jocelyn a fait entendre parmi nous les mélodieux accords?

Elle satisfait merveilleusement à ce besoin de rêverie, d'amour et de religion éprouvé par les hommes qui, fatigués des vains bruits du monde, se font les habitants de leur propre cœur. Cette poésie descend sur les âmes les plus desséchées comme une rosée fraîche et vivifiante. Elle offre l'alliance des enchantements de la tendresse, des mystères de la douleur, avec les suaves puretés de la prière. Son vol sublime l'emporte naturellement vers les cieux; elle y monte poury célébrer l'éternelle grandeur de l'Etre infini et cette divine lumière qui, traversant les mondes, vient briller dans l'esprit du poète, comme la splendeur du soleil dans la goutte de rosée.

La note émue et pathétique, la vibration profonde et attendrie, est le triomphe, le charme suprême, le vrai talisman de Lamartine. De là, sa prodigieuse influence sur les âmes jeunes, délicates et sensibles. « Les poètes, dit-il, cherchent le génie bien loin, tandis qu'il est dans le cœur, et que quelques notes bien simples, touchées pieusement et par hasard sur cet instrument monté par Dieu même, suffisent pour faire pleurer tout un siècle et pour devenir aussi populaire que l'amour et aussi sympathique que le sentiment. Le sublime lasse, le beau trompe, le pathétique seul est infaillible dans l'art. Celui qui sait attendrir, sait tout. Il y a plus de génie dans une larme que dans tous les musées et dans toutes les bibliothèques de l'univers. L'homme est comme l'arbre qu'on secoue pour en faire tomber ses fruits: on n'ébranle jamais l'homme sans qu'il en tombe des pleurs. »


Si cette théorie est sujette, dans sa forme absolue, à quelques réserves et à certaines objections, elle nous donne du moins la note de ce talent pénétrant, l'accent intime de cette âme toute vibrante d'émotion et de sensibilité. Sa lyre est rêveuse et plaintive et abonde en divins soupirs.

Aussi, on en a fait la remarque, le rire est absent de ses écrits. Ni le rictus aristnphanesque, ni la grimace sarcastique de Voltaire, ni le pli comique et douloureux de Molière, n'a contracté son visage et ridé les nobles traits de sa muse. La joie est bonne, mais la tristesse est sainte. Lamartine n'a pas le rire; mais, assurément, il n'en est pas amoindri. Eh 1 qui donc a jamais entendu le rire de Virgile, de Dante ou de Pétrarque?. Il y a en lui le charme, c'est-à-dire la magie, l'harmonie irrésistible de l'expression de la pensée. Sa poésie, large, admirable et neuve, est revêtue de cet éclat, de ce reflet, de ce velouté particulier qu'on peut nommer lo lumen purpureum du poète. Il a le coup d'aile et l'essor puissant, et ses vers baignés de lumière ou trempés de tendresse restent dans la mémoire et dans le cœur. Ses pensées se déroulent abondantes et éclatantes elles se tiennent, s'enlacent, s'enchaînent et se groupent c'est une belle troupe de pensées qui se conviennent et s'assortissent naturellement et qui ont, dans leur grâce ou leur force native, un air de parenté. C'est vraiment, pour nous servir d'une comparaison empruntée au génie antique, c'est le groupe des enfants de Niobé, nus, simples, pudiques, rougissants, se tenant par la main avec un doux sourire et portant pour seul ornement, dans leurs cheveux, une couronne de fleurs. La meilleure manière de louer un poète est sans


doute de citer ses vers. Peut-être aurais-je dû le faire ici, Messieurs, dans votre intérêt comme dans le mien. J'eusse été sûr, du moins, de vous plaire et de vous charmer mais c'eût été me donner un trop facile avantage. A quoi bon, d'ailleurs, citer des vers qui sont dans toutes lès bouches et qui vivront dans toutes les mémoires ? Les vers de Lamartine seront comme ce miel sacré dont les abeilles de l'Hymette avaient, dit-on, parfumé les lèvres de Platon, ou plutôt, pareils à ces charbons ardents dont se servait le Seigneur pour purifier les lèvres prophétiques, ils traceront à jamais sur les lèvres des hommes un immortel sillon de flamme. Le déclin de cette noble carrière, qui n'eût être entourée que de paix et d'admiration, fut voilé d'ombres et de tristesses. Lamartine connut les retours de la fortune, et son couchant n'eut pas la sérénité de celui de Goethe. Ce dernier apparait,dansson attitude olympienne, comme une sorte de pontife de la pensée. Il avait trop l'idolâtrie de son génie et voulait trop l'imposer aux profanes. Il y a du mépris dans sa pose impassible et superbe, et, au demeurant, ce n'est pas une supériorité que de mépriser les hommes. Il se dresse au milieu d'une époque, grave et solennel, savant et inspiré, universel par l'esprit, sorte de statue deMemnon qui vibre sous l'influence d'un soleil spécial qui n'est pas celui dont les rayons réchauffent le reste des hommes. Ce qui distingue Lamartine, au contraire, c'est d'avoir possédé, par-dessus tout, le sentiment, le sens de l'humanité c'est d'avoir si bien réalisé le noble adage de Térence llomo sum et nihil humani à me alienum puto. Quand on a lu une de ces grandes pages tout imprégnées, toutes vibrantes du souffle de sa pensée généreuse


et d'un ardent amour pour cette créature sublime et débile qui s'appelle l'homme, on se sent pénétré de cette reconnaissance, de cette tendresse secrète que l'on garde aux génies vraiment humains qui vous ont séduit ou touché.

Peut-être ainsi vaut-il mieux, pour la gloire de notre poète, qu'il ait été éprouvé par l'infortune, l'injustice et l'adversité. Le malheur donne à son génie quelque chose d'achevé. La souffrance et les tristesses sont le lot des hommes. Lamartine se courba aussi sous ce commun fardeau, et la couronne d'épines déchira son front, qui ne semblait fait que pour la couronne de laurier. Mais il supporta noblement les rigueurs du sort. L'homme de génie se complète par cette soumission aux saintes et éternelles lois de l'humanité. C'est le fait de Lamartine, et l'auréole de sa gloire s'est enrichie d'un rayon attendri.

L'influence littéraire de l'auteur des Méditations, du chantre des Harmonies. a été grande, décisive et féconde. Il est peu de poètes dignes de quelque estime qui ne l'aient ressentie. Par la puissance et l'élan naturel de sa pensée, par la beauté des formes dont il sut l'entourer, par l'éclat éblouissant de son imagination qui devina des horizons inconnus, s'élança vers des régions infréquentées et enrichit le domaine de l'art dont elle recula les limites par l'élévation soutenue et la direction nouvelle qu'il imposa au vol de la poésie, par les larges sillons qu'il creusa devant elle et les clartés vivifiantes dont il l'illumina par l'admiration étonnée et attendrie qu'il «xcita en donnant une voix et un accent aux plaintes secrètes renfermées dans le cœur de l'homme, en y faisant vibrer des cordes muettes jusque-là, en découvrant


dans la nature morale des sentiments inaperçus, d'intimes douleurs, des émotions mystérieuses et des effusions cachées, il rendit le mouvement et la vie aux intelligences, il renouvela l'imagination et la sensibilité dans les esprits et dans les âmes, et, pareil au prophète frappant le rocher avec la verge miraculeuse, il ouvrit des sources ignorées d'inspiration et de poésie. Ses chants ont bercé de leurs douces mélodies les âmes endolories et atteintes du mal du siècle, le mal de Réné, de Child-Harold, de Werther, d'Obermann, de Holla, le, mal du scepticisme et du désenchantement. Ses vers, limpides comme le cristal des lacs, cadencés comme les sons de la harpe, ont eu le don merveilleux de charmer les souffrances de toute une génération. Elvire, Laurence, Graziella, Ilaïdha, ces types adorables enfantés par son imagination et éclairés du rayon idéal qui divinise, vivront éternellement dans les songes de tout poète et de tout amant.

Ce tendre génie avait été marqué du sceau des célestes nostalgies; il fut le poète des épanchements mystérieux, des aspirations secrètes et des afflictions intimes, et il le fut sans jamais inoculer à ses lecteurs les poisons du scepticisme. Tout ce qui répond aux plus nobles instincts de l'homme Dieu, la patrie, le devoir, la famille, la liberté, trouva un écho dans ce cœur généreux et une expression sous cette plume éloquente. Poète, auteur, historien, publiciste, Lamartine est notre créancier à tous. Chacun de nous lui doit une leçon historique, un enseignement social, une émotion oratoire, un ravissement littéraire, une parcelle d'idéal

Aussi, Messieurs, gardons-nous de laisser la solitude


se faire autour de ce grand nom. Honorons ce génie sympathique, bienfaisant, civilisateur, humanitaire; car, si nous venions à oublier et à délaisser cette noble et belle figure, on pourrait se demander où sont nos dieux, en France, et pour quelles vaines idoles nous réservons nos hommages et nos respects.

Oui, Messieurs, honorons la poésie dans son plus illustre représentant, car la poésie, qui n'est qu'une forme de la prière, est pour l'homme plus qu'un délassement, c'est une sublime consolation.

Honorons nos poètes, surtout ceux qui, comme Lamartine, ont prononcé le grand sursum corda de l'humanité honorons-les ce sont eux qui arrachent nos âmes aux mesquines et vulgaires préoccupations terrestres pour les emporter dans les régions idéales. Ils sont à la fois les initiateurs, les éducateurs et les bienfaiteurs des hommes ce sont eux qui dégagent et disent le sens suprême et immuable des choses passagères et périssables de la vie. Ils donnent une voix à nos cœurs et des ailes à nos pensées; ils savent nous faire entrevoir, à travers cette brume qui enveloppe les choses humaines, les splendeurs des gloires éternelles et le rayonnement de l'immortalité

Il n'est point inutile, ce me semble, au terme de cette étude, d'insister vivement sur ce rapport profond qui existe entre la poésie lyrique et tous les grands sentiments de l'humanité.

Les poètes ne servent pas seulement à l'amusement ou à la parure des nations, ils en sont les témoins et les interprètes; ils sont la bouche d'or qui exprime la conscience nationale. Ces grands sentiments, qui sont le patrimoine et le viatique des sociétés, ont cela de bon


qu'ils sont à la fois les plus généraui et les plus particuliers ils sont à tout le monde et à chacun. Ils lient et constituent les sociétés et les nations; mais en même temps ils élèvent et fortifient les individus. C'est par là qu'ils sont essentiellement propres à la poésie lyrique qui a pour caractère distinctif d'être l'inspiration particulière appliquée à quelque grand sentiment général. Dire mieux et plus vivement que tout le monde ce que pense et ce que sent tout le monde, c'est là le triomphe et l'honneur de la poésie lyrique. C'est là ce qui a fait et ce qui fera la gloire impérissable de Lamartine. Il aura le sort de ces grandes figures de l'antiquité qu'on aperçoit derrière les âges. Par instant, elles peuvent être obscurcies par la poussière qu'un siècle fait en s'écroulant. Mais aussitôt que le nuage s'est dissipé, on voit reparaître ces majestueuses images qui se sont encore agrandies pour dominer des ruines nouvelles et les siècles entassés. Tel sera le sort de Lamartine dans l'avenir; tel sera le rayonnement intarissable et sans cesse accru de sa gloire dans les lointains de la postérité


RÉPONSE

A LA LECTURE DE RÉCEPTION DE M. MONAVON

Par M. BURDET, Président de l'Académie.

Séance du 1» Juillet 11TO

MONSIEUR,

En vous accueillant dans son sein, l'Académie Delphinale a voulu sûrement rendre hommage à cet ensemble précieux de connaissances que vous possédez et qui ont permis de vous confier une magistrature utile à vos concitoyens mais son but a été aussi dé reconnaître la volonté forte et persévérante et le zèle que vous déployez depuis un grand nombre d'années dans la culture de la poésie.

L'Académie avait déjà entendu, lors de votre réception comme membre correspondant, en 1857, un rapport de l'honorable M. Gautier, qui lui avait permis de connaître et d'apprécier votre premier ouvrage de poésie, intitulé Jeunes fleurs. Dans les nombreux sujets abordés dans ce livre, elle avait pu reconnaître le germe d'un vrai talent poétique, des élans du cœur, des im-


pressions de sentiments qui, bien que se produisant dans la jeunesse, n'avaient pas seulement l'apparence d'une simple illusion, mais témoignaient d'une vocation littéraire bien décidée et à laquelle vous avez été véritablement fidèle. Vous vous distinguiez déjà alors par l'admiration que vous aviez vouée à Lamartine, et vous cherchiez à reproduire et à imiter ses belles conceptions.

Depuis, vous n'avez pas cessé de vous consacrer à ce culte des muses qui forme pour vous le délassement que vous donnez à vos occupations sérieuses.

Vous vous êtes rendu, dans des circonstances nombreuses, l'interprète heureux des sentiments nationaux, et vous avez donné à nos fêtes civiques une solennité qui leur manque toujours, lorsqu'elles ne peuvent pas emprunter ces accents inspirés qu'on a appelés le langage des dieux.

Bien que l'Académie consacre plus ordinairement ses travaux à l'histoire locale, ou à l'histoire universelle, ou à scruter les grands problèmes philosophiques ou économiques, elle n'a jamais négligé l'idée poétique qui a eu dans son sein des représentants dont elle peut s'honorer, et elle a toujours partagé la conviction que vou, venez de nous exprimer en si beau langage, que les poètes ne servent pas seulement à l'amusement et à la parure des nations, mais qu'en appliquant l'inspiration particulière à quelque grand sentiment général, en disant mieux et plus vivement que les autres ce que pensent et ce que ressentent toutes les belles âmes ils contribuent à faire prédominer les idées généreuses, et ils fortifient les individus en les élevant et en les transportant à la hauteur des sentiments qu'ils expriment.


Cela est vrai surtout de la poésie lyrique, et c'est là qu'excella notre grand poète national dont vous avez fait le héros du discours que vous venez de prononcer, et qui eut, en effet, le grand triomphe de provoquer partout un enthousiasme qui n'est pas éteint, en revétant de couleurs magiques les pensées souvent navrantes que l'homme porte dans son cœur, et en même temps les vérités religieuses si bien appropriées pour lui rendre la force et lui créer des consolations.

Vous avez, Monsieur, dans ce discours, dressé à Lamartine un piédestal qui n'est pas indigne de lui, et vous avez prouvé, par l'analyse que vous avez donnée de ses conceptions lyriques et en vous élevant toujours à la hauteur de ses idées, que vous étiez poète aussi et capable de subir ces entraînements sublimes réservés à ceux à qui le ciel a fait la rare faveur de donner l'instinct de la poésie. Votre heure viendra aussi, Monsieur, et, fidèle aux promesses que font déjà concevoir vos débuts, vous donnerez au public et à l'Académie de nouvelles preuves de votre vocation, et l'Académie sera fière d'ajouter votre nom à celui des poètes illustres que le Dauphiné compte déjà dans son sein.

Il reste de bonnes places à prendre, même après Lamartine, car, s'il a été dans ses œuvres l'interprète d'une idée vraie et qu'il a développée avec une incomparable puissance, j'oserai dire que cette idée est limitée et est loin de répondre à tous les sentiments que développe l'activité humaine. Lamartine s'est fait le chantre des natures tristes et mélancoliques il a montré le ciel à ceux qui allaient périr et, sans chercher à réagir contre le mal, en appesantissant au contraire leur douleur par une foule de détails intimes et touchants jusqu'aux lar-


mes, il leur à montré les sereines consolations de la foi.

C'est très-beau, sans doute, et à ce point de vue que vous avez signalé, Monsieur, vous avez dit justement, à la suite de comparaisons bien étudiées, que Lamartine avait été supérieur à ses contemporains, Byron et Gœthe, dont les oeuvres, très-brillantes pourtant, gardaient l'empreinte d'un scepticisme qui avait nui à l'essor de la pensée et au développement de l'enthousiasme. Mais, je le répète, la vie n'est pas concentrée sur un point. Lamartine avait fait cependant une telle impression dans ces belles années de 1820 et 1830, qu'il semblait que toute la littérature poétique, en France, ne devait exister que pour les souffreteux et ceux qui devaient désespérer de suivre une carrière humaine. C'était dépasser la pensée de l'auteur lui-même, qui dit dans la préface de ses Harmonies poétiques, publiées en 1831:

« Ces harmonies étaient destinées à reproduire un » grand nombre des impressions de la nature et de la » vie sur l'âme humaine, impressions variées dans leur » essence, uniformes dans leur objet, puisqu'elles au» raient toutes été se perdre et se reposer dans la con» templation de Dieu, sujet infini comme la nature, » grand et saint comme la divinité; mais les forces hu» inaines n'y atteignent pas. Ces vers ne s'adressent donc qu'à un petit nombre.

» Il y a des âmes méditatives que la solitude et la » contemplation élèvent invinciblement vers les idées » infinies, c'est-à-dire vers la religion; toutes leurs pen» sées se convertissent en enthousiasme et en prières. » Toute leur eiisteiice est un hymne muet à la divinité


» et à l'espérance. Elles cherchent en elles-mêmes et » dans la création qui les environne des degrés pour n monter à Dieu, des expressions et des images pour se » révéler à elles-mêmes, pour se révéler à lui. Puissé» je leur en prêter quelques-unes

» Il y a des coeurs brisés par la douleur, refoulés par » le monde, qui se réfugient dans le monde de leurs » pensées, dans la solitude de leur âme, pour pleurer, » pour attendre ou pour adorer; puissent-ils se laisser » visiter par une muse solitaire comme eux, trouver » une sympathie dans ses accords et dire quelquefois en l'écoutant « >Tous prions avec tes paroles, nous » pleurons avec tes larmes, nous invoquons avec tes chants »

» C'est à eux seuls que ces vers s'adressent; le monde » n'en a pas besoin; mais si quelques-uns de ces esprits » qui ne sont plus au monde, répondent cependant à mes faibles accents si quelques-uns de ces cœurs » arides s'ouvrent et retrouvent une larme si quelques » âmes sensibles et pieuses me comprennent, me de» vincnt et achèvent en elles-mêmes les hymnes que je n'ai fait qu'ébaucher, c'est assez, c'est tout ce que » j'aurais voulu obtenir c'est plus que je n'ose es» pérer. »

Vous le voyez, Monsieur, Lamartine a tracé lui-même le cercle dans lequel il circonscrivait son action dans ces limites, il y a sans doute pour le poète une source d'inspirations toujours nouvelles et qu'on n'épuisera jamais; seulement, Lamartine a manifesté, en traitant les sujets qu'il tire de cette mine féconde, une puissance et une perfection qu'il serait peut-être dangereux de vouloir imiter mais il a laissé en dehors uu vaste


champ qu'on peut encore parcourir avec gloire. Quand nous retrouvons Lamartine aux prises avec les difficultés de la vie réelle, et au milieu des tristes complications politiques où il a été mêlé, nous admirons bien encore son beau caractère, toujours ouvert aux inspirations les plus nobles et les plus généreuses mais il nous laisse quelquefois désirer cette virilité de résolution et cette fermeté de conviction politique qui lui eussent été également nécessaires, s'il eût voulu aborder des sujets poétiques autres que ceux qu'il a traités et qui peuvent laisser douter qu'il y eût obtenu le même succès.

Réservons donc, Monsieur, à côté de Lamartine, une place aux grands poètes français qui n'ont pas été ses émules, parce qu'ils n'ont pas suivi une voie tout-à-fait identique, mais qui, comme nos poètes dauphinois, Ponsard et Augier, ont su trouver le moyen de faire vibrer au milieu de nous des inspirations généreuses et nationales. Réservons aussi la place de ceux qui viendront. Lamartine n'en conservera pas moins une auréole impérissable pour avoir traité le sujet qui convenait le mieux aux aspirations d'un poète lyrique, et pour avoir développé les idées les plus ravissantes avec la puissance d'un génie inspiré.


1)K LA

CONDITION CIVILE ET POLITIQUE DES FEMMES

!>»« M. liUHDEf.

(Suite.)

Séance du 13 mai 1*0 0.

Après avoir résumé dans les paragraphes précédents les indications principales sur la position faite aux femmes chez les peuples les plus importants de l'antiquité, et montré dans l'avènement du Christianisme l'origine de révolutions considérables opérées en leur faveur, il faudrait étudier en détail la fusion qui s'est opérée dans le moyen âge, sous l'influence chrétienne, entre les traditions germaniques et celles d'origine romaine, et les modifications qui en ont résulté. C'est une étude d'un grand intérêt qu'on ferait avec succès, surtout en France où les éléments de cette fusion, restés épars dans les diverses contrées de l'Europe, ont été plus tôt et plus complètement réunis, et ont amené une civilisation plus développée et qui a produit, surtout pour les femmes, des effets très-importants.

A défaut de cette étude, dans laquelle on peut puiser «n abondance des matériaux pour l'histoire de la con-


dition des femmes,on peut dire que le droit actuel qui régit la France peut être considéré comme le résumé des améliorations qu'elles ont successivement obtenues quoique promulgué à une époque où la France sortait à peine d'une grande révolution intérieure, le Code civil n'a pas entendu rompre avec les traditions du passé et, sauf sur quelques points les principes proclamés en 1 789 obligeaient à introduire un droit tout à faitnouveau, il n'a fait que reprendre les idées anciennes en cherchant seulement, par quelques innovations, à faire progresser dans la législation nouvelle J'unité qui était déjà en voie de formation dans les institutions en vigueur avant lui.

On sait qu'en ce qui touche notamment la condition des femmes mariées, il a même jusqu'à un certain point renoncé à son désir d'uniformiser la législation en admettant tout à la fois et à la volonté des parties les régimes nuptiaux pratiqués dans les provinces du nord de la France et aboutissant à la communauté, et ceux pratiqués au midi, qui avaient pour base le régime dotal des Romains. Seulement, suivant la voie tracée par les anciens jurisconsultes, il a encore introduit dansle régime du Nord beaucoup d'améliorations empruntées la plupart au droit romain, et il a soumis le régime dotal des Romains, pratiqué dans les provinces du Midi, àune modification très-importante en imposant dans tous les cas à la femme, pour disposer du capital de sa fortune, la nécessité de l'autorisation maritale.

En cherchant à nous rendre un compte exact et détaillé de la volonté émise par le nouveau législateur, nous verrons qu'elle tend de plus en plus à donner aux


femmes un sort favorable, mais que cependant on a maintenu avec soin contre elles certaines réserves que nous avons signalées comme nées sous le patronage des traditions anciennes ou amenées par l'esprit nouveau que fit prévaloir le Christianisme.

Ainsi, il n'est plus rien resté de tous les moyens pris pour empêcher les femmesdes'enrichir. La plus grande égalité règne désormais entre les héritiers des deux sexes. Les renonciations anticipées de la femme dotée ne sont plus admises. Les femmes peuvent être exceptionnellement avantagées aussi bien que leurs frères par le père de famille.

La France est, il est vrai, sur ce point très en avant de presque toutes les législations de l'Europe. En Angleterre comme à Home, la fille est encore en grande partie exclue des successions par le flls, la sœur par le frère. En Russie, la feminene prend qu'un huitième des meublesetun quatorzième des immeubles. Cette tendance des législations étrangères est presque partout complétée par l'institution des majorats et la facilité de faire renoncer les filles dotées à toute part dans la succession future.

La femme, en France, a également tout pouvoir de disposer de sa fortune; elle peut faire le commerce el tenir une maison de banque, plaider et paraître devant les tribunaux pour obtenir justice. Non-seulement il n'y a plus de tutelle perpétuelle, sauf ce qui s'est conservé de la puissance maritale dont nous allons parler un peu plus loin mais, au point de vue du Velléien, la femme a également obtenu un affranchissement complet. Toute idée de faiblesse morale ayant besoin d'être protégée a été complètement écartée, et si l'on a con-


serve dans le régime dotal la règle d'inaliénabilité de la dot, c'est par des motifs qui ne sont point pris dans son incapacité personnelle de veiller k ses intérêts, et que nous analyserons aussi bientôt.

On avait, ilest vrai, réservé que la contrainte par corps ne serait pas autorisée contre les femmes manquantà des engagements commerciaux, pas plusque contre les vieillards et les mineurs, et, en paraissant ainsi déférer à des considérations d'humanité, on avait introduit dans la législation une cause d'affaiblissement pour la femme dont le crédit pouvait être, pour cette cause, réputé inférieur à celui de l'homme. Mais déjà une loi de 1832 avait admis que les femmes comptables de deniers publics pouvaient être frappées de la contrainte, et aujourd'hui une loi récente, rendue en 1867, ayant détruit la contrainte par corps elle-même comme moyen d'assurer le crédit, cette source d'inégalité se trouve tout-à-fait supprimée.

Sous un autre rapport, la puissance maternelle a presque les mêmes droits que celle du père, toutes les fois que la mère n'est pas en concours avec lui. Devenue veuve ou mère en dehors du mariage, la femme a sur ses enfants les mêmes pouvoirs que le père. ll n'y a que le droit de correction où la loi conserve encore de légères traces de son ancienne infériorité. La mère alors ne peut agir qu'avec le concours des deux plus proches parents paternels, et seulement par voie de réquisition adressée au magistrat pour faire emprisonner son enfant, tandis que le père peut agir par voie d'autorité, a laquelle le magistrat est tenu de déférer. On parait redouter qu'elle ne subisse trop aisément la pression de quelque influence, et qu'elle n'ait, sous uf rapport, plus de faiblesse que le père.


Quand la femme devient mère en dehors du mariage, ses droits sur son enfant sont reconnus sur un pied d'égalité avec ceux du père, à tel point que, dans le cas les deux volontés sont en concours, ce sont les tribunaux qui doivent prononcer. Cette règle reçoit cependant une dérogation dans le cas de l'art. 158 du Code, d'après lequel, s'il s'agissait du mariage de l'enfant naturel, le consentement du père suffirait malgré le dissentiment de la mère, et non vice vend. Ces exceptions sont, en définitive, d'une importance à peu près nulle; mais l'intention du Code civil de faire aux femmes la meilleure position qu'elles aient jamais eue dans le monde, trouve cependant deux limites qui sont très-nettement posées:

L'interdiction de pratiquer aucun droit politique, ni même parmi les droits non politiques, ceux qui peuvent avoir le caractère d'offices virils;

2° L'obligation de respecter partout la puissance et l'autorité du mari.

Au premier cas, c'est l'espiit du droit romain et celui du Christianisme qui a continué de prévaloir et qui est parvenu à faire restreindre les prérogatives qui avaient été accordées quelquefois plus largement aux femmes, sous l'empire des anciennes lois, lorsqu'au déclin de lu féodalité l'ancien mundium eut perdu sa dureté primitive et qu'elles furent admises à exercer les prérogatives attachées aux fiefs.

Quant aux droits politiques, l'instinct de presque tous les peuples a facilement compris que la femme, sortant de l'ombre et de la paix pour s'exposer au grand jour et aux agitations de la place publique, perdait quelque chose du charme qu'elleexerce et du respect dont elle est l'objet,


et quoique beaucoup de nations, autres toutefoisque la France, l'aient reconnu apte a devenir le représentant <Iu pouvoir souverain, on ne l'a généralement pas admise, dans les temps modernes, aux emplois qui supposent l'exercice delà puissance publique sur ses coneitojens('). La question, souvent posée en Amérique et Angleterre, n'a pas encore subi de solution contraire, quoiqu'un certain nombre d'adhérents se soient rencontrés dans ces pays pour demander l'extension des droits des femmes.et que, même en France, ces opinions semblent faire quelque progrès (').

Il n'y a pas eu jusqu'à présent plus de difficulté sur le principe de l'exclusion des offices virils; seulement, comme les prérogatives renfermées sons ce nom ne sont pas aussi bien désignées, il y a eu quelquefois de l'incertitude.

Les officesvirils sont tousceuxqui auraient entraîné la femme dans la vie publique: « Femme doit garder l'hôlc), le feu elles enfants,» dit un vieil adage. C'est ainsi qu'on refuse à la femme le pouvoir d'être tutrice, si ce n'est de ses propres enfants, même le droit de figurer dans un conseil (le famille; le droit de figurer au conseil municipal de sa commune et même au conseil de simples intéressés appelés à donner avis ou à statuer sur (*) Le pouvoir de diriger les actes de ses enfants mineurs a cependant sufli pour lui faire maintenir, même en France, la qualité* de régente.

(t) Voir le nouveau journal qui se publie sous le titre le Droit des femmes, où on demande pour elles le droit d'exercer tous les états qui ne sont pas .au-dessus de leurs forces, et les nouveaux ouvrages cités.


des points touchant à la gestion de leur fortune; le droit de se charger, comme avocat, de représenter une partie autre qu'elle-même devant la justice, d'acquérir une charge d'avoué et, suivant au moins l'opinion la plus commune, le droit d'être arbitre le droit d'être témoin dans les actes, même dans ceux qui n'ont pour objet que de constater l'état civil. Sous le régime antérieur à 1789, on allait plus loin encore en répudiant le témoignage de la femme en justice, même pour témoigner des faits survenus à sa connaissance, ou on ne lui accordait qu'une valeur moindre qu'à celui des hommes et on sait qu'en lui refusantle droit d'être caution, le sénatus-consulte Velléien, chez les Romains, avait aussi invoqué cette raison qu'il convenait d'écarter les femmes de tout office viril. On a retranché ces dernières prohibitions comme contenant des exagérations de la règle, mais on a soigneusement maintenu le principe.

En second lieu, on a maintenu les règles de la puissance maritale dont l'ancien droit avait hérité des usages germaniques, et on en a fait une loi même pour les femmes mariées sous le régime nuptial de la dotalité auxquelles les usages romains ne l'avaient pas imposé. Aujourd'hui, la femme peut stipuler dans son contrat de mariage le droit d'administrer son bien; mais elle doit toujours admettre les prérogatives de la puissance maritale, dans les limites fixées par la législation, c'està-dire quand il s'agit de disposer directement ou indirectement de ses capitaux, de recevoir des donations ou d'ester en justice.

Quelle a été la pensée de la loi nouvelle en décrétant ecttp, règle générale? Est-ce, comme l'a cru M. Gide, de


donner un protecteur à la femme en faisant revivre l'idée de sa faiblesse morale? Nous ne le croyons pas, <it ce sera là un des points sur lesquels nous nous séparerons tout àfaitdelui.Laloieûtétébifin inconséquente si elle eût eu cette idée elle aurait du alors rester, comme le droit romain, dans les règles du Velléien, qui protégeait, non-seulement les femmes mariées, mais toutes les femmes, même filles ou veuves, et non pas faire une catégorie exceptionnelle des femmes mariées pour les frapper d'une incapacité plus grande. La femme mariée ne trouve pas dans le mariage une cause de faiblesse pour son intelligence. Sa sollicitude constamment eicitée par les grands intérêts de son mari et de ses enfants, devient, au contraire, plus clairvoyante, et le Code le reconnaît lui-même lorsqu'il proclame que la femme mineure est émancipée par son mariage. Ce n'est donc pas la faiblesse de sa raison qui augmente, et il ne s'agit pas non plus de limiter sa capacité dans l'intérêt de ses enfants, autrement la même limite aurait dû être imposée à la veuve ayant des enfants mineurs, et c'est ce qui n'est point.

Mais ce qui est vrai. c'est que la femme qui se marie accepte la suprématie de son mari et un état de dépendancedont l'effet doit être de faire converger tous ses actes vers les intérêts du mari et dans la direction qu'il il imprime à la marche de la famille. C'est là ce qui est resté de l'ancien mundium et ce que nous considérons toujours comme important à la paix du ménage, comme un élément indispensable à la prospérité de la famille, et ce qui est devenu à nos yeux un principe encore plus certain depuis que le Christianisme en a fait un précepte sanctionné par l'autorité de la religion.


Nous ne demandons point que la femme ne conserve pas la connaissance sérieuse de ses affaires et que son instruction ne soit pas dirigée de manière à lui donner conscience de toutes les conséquences légales des actes qui l'intéressent, mais nous voulons que, dans tous ses actes importants, elle ne puisse pas s'éloigner de la direction imprimée par son mari.

Nous ne voulons plus de cet état de la femme mariée absolument indépendante de son mari ou ne relevant que très-incomptétement de lui, qui avait produit à Home des effets si désastreux, et nous croyons que l'idée de la puissance absolue du mari, importée par la législation germanique et considérée comme nécessaire pour maintenir l'unité de la famille, est celle à laquelle il faut uniquement s'attacher.

Le souvenir des traditions romaines a bien fait admettre certains tempéraments tels que ceux-ci, qui sont déjà bien loin des idées germaniques:

Que la femme pourrait encore garder d'une manière complète, et sans mème constituer aucune dot, la jouissance et l'administration de tous ses biens en faisant de ce point l'objet d'une stipulation expresse dans son contrat de mariage

Qu'elle peut toujours recourir à la justice quand son mari lui refuse l'autorisation d'exercer un acte intéressant son capital;

Qu'en cas d'absence constatée de son mari, ou d'interdiction, ou de déchéance prononcée contre lui par une condamnation pénale, elle peut, sans même recourir à l'autorisation de la justice, surveiller et diriger l'éducation de ses enfants et administrer leurs biens; mais, hors ces cas exceptionnels, notre Code, fidèle aux


anciennes traditions d'origine germanique, a nettement réglé que la femme ne peut faire aucun acte de disposition pouvant influer sur le capital de sa fortune, sans que l'autorité de son mari ne soit présente pour couvrir son incapacité, à moins qu'il ne s'agisse de son testament, qui ne doit avoir d'effet qu'après le mariage, ou des actes délictueux, par lesquels elle pourrait nuire à l'intérêt des tiers. Toute contravention à cette règle fondamentale entraînerait la nullité de ses actes, qui pourrait être demandée, non pas à la vérité par des tiers qui auraient consenti à traiter avec la femme, mais bien par le mari ou la femme, et le droit de celle-ci de rétracter un acte considéré comme attentatoire à l'autorité de son mari est tenu pour tellement absolu, qu'alors même que le mari offrirait plus tard sa ratification, l'action en nullité de la femme ne serait pas couverte, et elle pourrait toujours persister à demander d'être déliée d'un pareil engagement.

Par suite de la même raison que la femme qui se présente pour contracter doit absolument être pourvue de l'autorisation de son mari. le Code décide que l'autorisation doit, à peine de nullité, précéder ou accompagner l'acte de la femme qu'elle ne pourrait le suivre, et que le décès du mari ne ferait point cesser la nullité. On veut, de plus, que l'autorisation du mari ne soit point donnée d'une manière générale; qu'elle soit spéciale sans pouvoir laisser à la femme le soin de régler les conditions du contrat futur. La femme ne pourrait pas donner à un tiers, même avec l'autorisation du mari, un pouvoir général d'acheter ou de vendre pour elle. L'absence de quelqu'une de ces conditions pourrait rendre trop illusoire le pouvoir conféré au mari.


Enfin, la séparation de corps elle-même ne dispense pas la femme de recourir au mari pour autoriser ses actes, et si le mari est absent ou empêché par quelque motif que ce soit, elle doit porter sa demande à la justice, comme au cas de refus, afin que la justice puisse examiner les motifs qu'a eus le mari ou ceux qu'il aurait pu avoir pour ne pas accorder son autorisation. Cela est sévère, sans doute mais est-ce trop exiger pour que la prépondérance du mari soit conservée? Il ne s'agit pas remarquons-le bien d'empêcher la femme d'agir de peur qu'elle ne nuise à ses intérêts et à cause de sa faiblesse morale, mais il ne faut pas qu'elle puisse se permettre des actes qui pourraient être contraires aux convenances et aux intérêts du mari la femme ne doit pas, par exemple, vendre ses propriétés immobilières ou en acheter, entreprendre un commerce ou une spéculation, faire un procès sur un point quelconque l'intéressant, ou le traiter, quand il convient au mari qu'il en soit autrement (').

(') On a gardé bien plus sévèrement encore, en Angleterre et dans les pays du Nord, les traditions germaniques du mundium dans le nnriage, et la prépondérance du mari est encore bien autrement affirmée. La femme anglaise perd jusqu'à sa personnalité juridique, tandis que la femme française garde tous ses droits de propriété, et peut même s'obliger et acquérir avec l'autorisation du mari. La femme anglaise ne peut figurer dans un acte de disposition de ses immeubles, même avec le consentement du mari, à moins de recourir à des moyens tout à fait indirects, tolérés aujourd'hui par la législation, et de se présenter, non comme propriétaire, mais comme détenant seulement à titre de ûdéicommis les biens dont elle dispose.

Quant aui meubles, le mari anglais en dispose librement. peut,


Mais, nous le répétons, cette doctrine admise de la suprématie du mari n'est point fondée sur l'idée d'une faiblesse morale de la femme, et c'est pour cela qu'elle n'a ramené dans la législation française aucune des prohibitions et des nullités prononcées par le Velléien. Ainsi, sous tous les régimes nuptiaux autres que le régime dotal auquel nous devrons consacrer quelques observations particulières, la femme conserve, en vertu de l'art. 1431 et des principes généraux, le droit de s'engager vis-à-vis d'un créancier quelconque, avec l'autorisation de son mari, même par la voie du cautionnement, et alors même que le cautionnement serait donné pour le mari lui-même. En vertu de l'art. l'i3S, elle peut accepter un emploi qui lui est offert par son mari. En vertu de l'art. 1 451 elle a le droit de s'entendre avec lui pour le rétablissement de la communauté après la séparation de biens. L'art. 1577 fait même supposer la validité d'un mandat donné par la femme au mari.

Seulement la loi prend certaines précautions pour rétablir l'équilibre entre les époux à raison de l'état de sujétion elle a placé la femme vis-à-vis de son mari.

Ainsi, quand la femme a pris des engagements con'4 son gré, tes vendre ou même tes donner, sauf le droit qu'a la femme survivante a la dissolution du mariage, de revendiquer une part qui varie du tiers à la moitié de la fortune commune, si cette fortune est représentée par un actif encore subsistant, mais qui n'est qu'un gain de survie qui ne passe point au* héritiers de la femme prédéeédêe, parce que les idées qui ont fondé en France le régime le la communauté, n'} ont jamais pénétré.


jointement avec son mari, et qu'il ne résulte pas de l'acte ou des circonstances que ces engagements auraient pour objet l'avantage de sa fortune personnelle, la loi répute la femme simple caution et lui accorde, au cas où elle serait obligée de payer le créancier, un recours contre son mari.

La loi défend au mari, chef de la communauté, de disposer, à titre de donation ou dans l'intérêt de sa fortune personnelle, des biens mobiliers dont l'administration impunie lui est confiée, comme il le pratiquait dans le temps où régnaient plus complétement les traditions du mundium germanique. Elle introduit un système compliqué de reprises, de prélèvements, d'indemnités, de récompenses, qui est organisé dans l'intérêt de la femme ('). Elle recherche avec soin les bénéfices que le mari aurait pu se procurer dans son seul intérêt, par la gestion des affaires communes, pour l'en dépouiller; par-dessus tout, elle garantit le paiement de toutes les indemnités qu'elle accorde à la femme par une hypothèque légale et privilégiée au point de lui donner contre les tiers un effet rétroactif et occulte jusqu'au jour du mariage, sacrifiant ainsi quelquefois aux intérêts de la femme le crédit du mari ou la sûreté des tiers H par-là même les intérêts généraux du commerce. Pour comble de précautions, la loi défend à la femme île faire remise de cette hypothèque à son mari, et celui-ci ne peut que la faire réduire, en recourant pour cela aux précautions les plus minutieuses pour assurer que les intérêts de la femme ne souffriront pas de la ré(') V. J4W, 1450, lia». 1405,1471. 1 172, 1483,1493,1494. t.. < (~.


duction. Il faut qu'il ait l'avis d'un conseil de famille, celui du ministère public, et qu'il obtienne une décision favorable du tribunal.

La femme a donc une position fortifiée avec soin pour que son mari ne puisse pas, dans ses rapports avec les tiers, nuire à ses intérêts. Seulement, si c'est elle qui manifeste l'intentiou positive de sacrifier sa fortune pour l'utilité de son mari, il se fait aussitôt dans l'esprit qui dirige la loi un changement complet; rien alors ne lui fait plus obstacle elle peut, pourvu que le mari l'autorise, souscrire tous les cautionnements qu'il lui plaît, rendre nuls par-là leseffets de l'hypothèque légale qui lui a été concédée, trafiquer même de cette hypothèque en cédant la priorité qu'elle lui donne à tel créancier de son mari qu'il lui plait de choisir; c'est alors ce créancier qui profile, pour son compte personnel, de toutes les garanties créées pour la femme ('). (') Cette dernière concession a ensuite paru pouvoir être une source d'abus au préjudice des créanciers du mari. Il arrivait que les femmes, en subrogeant successivement leur hypothèque à plusieurs créanciers s'ignorant les uns tes autres, amenaient ce résultat qu'au moment de la débâcle du mari tous ces subrogés se présentant à la fois, il pouvait y avoir des déceptions pour tons ou pour quelques-uns, suivant le mode de classement adopté.

Une loi du 23 mars 1855 a introduit quelques mesures pour remédier à ces abus. 11 a été statué qu'à l'avenir on ne tiendrait compte des subrogations d'hypothèques consenties par une femme que lorsque son consentement serait donne par acte public et, eu second lieu, que, dans le cas de plusieurs subrogations, celle-là serait.préférée qui aurait été la première inscrite au bureau des hypothèques, soit en marge de l'inscription de la femme, si elle a été inscrite, soit au moyen d'une inscription nouvelle, prise au nom du créancier.

Mais ces précautions, il faut bien le remarquer, n'ont pas pour


Il y a cependant un régime nuptial où les pouvoirs donnés à la femme sont plus limités c'est le régime dotal.

La suprématie du mari dans ce régime n'est pas moins certaine, et la femme ne peut jamais faire un acte intéressant capital de sa fortune, sans être pourvue de l'autorisation immédiate de son mari.

Mais elle conserve, en dehors de toute autorisation, l'administration et la jouissance de ses biens non dotaux elle en a seule la disposition et, quant aux biens dotaux, ils revêtent un caractère d'inaliénabilitéd'après lequel ni la femme ni le mari ne peuvent en disposer, de telle sorte que la femme ne peut, ni aliéner ses immeubles dotaux, ni donner à ses créanciers Je droit de les faire vendre, et elle ne peut non plus subroger son hypothèque légale, qui doit rester affectée à la garantie de ses reprises mobilières dotales. Sa dot est ainsi immobilisée pendant le mariage, de manière à ne pouvoir être compromise par des engagements pris vis-à-vis les tiers, et la femme n'est pas exposée, comme sous les autres régimes, à la compromettre en s'engageant sous l'inlluence peut-être de son mari.

Cela veut-il dire que la femme soit réputée personnellement incapable de s'obliger, comme sous le Velléien, soit pourelle, soit pour autrui? Nullement, et la doctrine émise à ce sujet par quelques auteurs, qu'a suivieM. Gide, doit être rejetée. La loi, qui a établi l'inaliénabilité de certains biens de la femme, n'a pas objet de limiter le pouvoir de subroger laissé aux femmes, mais seulement de les empêcher d'en faire on abus réprêhcnsible.


étendu les conséquences de cette inaliéuabilité, qui est une espèce de substitution au profit des enfants, jusqu'à l'incapacité de la femme, et il faut admettre avec les meilleurs auteurs et la jurisprudence que si la personne devenue créancière de la femme durant le mariage venait à découvrir en sa possession, pendant ou après le mariage, des biens qui n'auraient jamais été dotaux, il pourrait très-bien agir sur ces biens pour faire exécuter son engagement (').

On admet, il est vrai, qu'après le mariage le créancier ne pourrait pas agir sur les biens qui ont été dotaux, mais c'est qu'autrement l'inaliénabilité qu'on a voulu assurer aux biens de la femme ne serait plus entière. On ne manquerait pas de faire obliger la femme en renvoyant seulement l'exécution de l'engagement sur les immeubles à la fin du mariage.

Toutcomme s'il s'agit d'engagements pris par la femme avant le mariage, on peut aussi les faire exécuter sur les biens dotaux, nonobstant la dolalité, afin que la femme ne trouve pas dans la constitution de la dotalité un moyen de frauder ses créanciers.

(') Le Recueil de Datloz (Jurisprudence générale) donne sur ce point, une nomenclature des décisions intervenues. Il pose d'abord ainsi ce principe Le régime dotal n'ôle rien à la capacité de la femme, telle qu'elle résulte du droit commun. Si la dot est inaliénable,ce n'est pas par des considérations personnettesà la femme, mais à raison de la faveur et de la destination de la dot. C'est ce qui a été positivement jugé par tes arrêts suivants: juin 183(i, Caslatiun, Dalloz, Jurispr. gén., 11° 3M5, Contrat de mariage; 2!t juin 18 12, Cassation, Halloz, Jurispr. générale. Il serait facile île multiplier ces citations en recherchant les décisions des cours d'appel.


.Ce principe de l'inaliénabilité de la clôt a certainement pour conséquence d'atténuer le crédit du mari \is-à-vis les tiers. La femme dotale manifeste ainsi qu'elle n'entend pas se joindre à lui pour ses spéculations, puisqu'elle se rend d'avance incapable légalement d'y prendre aucune part. Elle lui abandonne seulement les revenus de sa dot, à la charge de pourvoir aux besoins de la famille et sans prétendre participer au bénéfice dont ces revenus peuvent être la source, mais elle veut, par un moyen spécial et qui n'est autorisé que dans ce cas, conserver ses biens, c'està-dire, ses capitaux tant mobiliers qu'immobiliers, qui ne seront à ses yeux qu'un dépôt dans les mains de son mari. Si ce sont des immeubles, il faut qu'elle les retrouve en nature; si ce sont des meubles, elle aura. pour en répéter la valeur, le bienfait de son hypothèque, dont elle ne pourra volontairement se dessaisirdans l'intérêt des tiers.

La femme dotale veut-elle cependant sortir de cette position en prenant de son propre mouvement une initiative en faveur de sou mari ou de sa famille, le Code civil, assouplissant pour ce cas les règles romaines qui établissaient des obstacles beaucoup plus accusés, lui a laissé des facilités moindres sans doute que sous les autres régimes, mais encore considérables.

Elle a d'abord la libre disposition des biens qu'elle n'a pas expressément frappés dedotalité par les stipula-1 tiens de son contrat de mariage, et pour lesquels elle conserve la même liberté que la femme commune. Elle peut ensuite stipuler par conlratque le bien dotal pourra être aliéné avec ou même sans son consentemeut, avec ou sans précaution d'emploi.


Si son mari se détermine à vendre ses propres immeubles pour faire face à ses dettes, elle peut dégrever ses immeubles de son hypothèque au profit des créanciers du mari, en s'abstenant seulement de prendre, sur la sommation qui lui est adressée par l'acheteur, une inscription d'hypothèque sur les biens vendus, procédé si facile qu'on a presque accusé la loi d'avoir ainsi annulé tout le système des précautions prises pour la conservation de la dot.

S'il s'agit de l'établissement de ses enfants, la femme reprend également son pouvoir d'aliénation, et il en est de même si la famille éprouve des besoins alimentaires, si l'immeuble dotal a besoin de réparation s'il convient de le partager ou même de l'échanger.

C'est-à-dire qu'en cas de besoins réels et sérieux, éprouvés par le mari ou les enfants, la femme conserve à peu près intact le pouvoir de se dévouer et de sacrifier sa fortune.

C'est seulement quand il n'est question que des affaires que le mari peut entreprendre, dans le seul but d'améliorer sa position par des spéculations, que la fortune dotale de la femme doit rester en dehors pour servir de ressources, dans 1" cas d'insuccès, aux besoins de la famille, et la volonté de la femme ne suffirait pas alors, comme sous le régime de la communauté, pour lui permettre de la sacrifier en se dépouillant de son hypothèque ou en consentant à l'aliénation de ses immeubles.

Tel est en abrégé le tableau de la condition faite aujourd'hui aux femmes en France, qui présente avec la situation des femmes dans les autres contrées de l'Europe, et surtout avec celle qu'elle a eue dans les temps


antiques, des constrastes bien instructifs et 'lui témoignent du grand progrès qui s'est opéré et qui a produit en effet, dans la position faite à la femme française, le type le plus favorable qui ait été réalisé. Ce qui importe maintenant, c'est d'en venir à une conclusion pratique et de se demander quels changements pourraient encore être introduits avec succès et profit dans le sort des femmes. C'est ce que M. Gide a entrepris de définir, et c'est là, sans doute, qu'est l'intérêt capital de son livre et le but des grandes recherches auxquelles il s'est livré. Mais c'est là aussi où nos appréciations diffèrent sensiblement des siennes, et où nous voulons établir une controverse qui portera, nous l'espérons, des résultats utiles. Nous croyons que M. Gide a ouvert une voie dangereuse, et les opinions bien autrement avancées que les siennes et on peut dire désorganisatrices qui se produisent aujourd'hui en sont déjà la preuve, parce qu'elles ne sont réellement que les conséquences rigoureusement déduites de ses doctrines. (Voir le journal le Droit des femmes, et le Manuel récemment publié par M. Accolas.)

Réforme* proposées par IH. Gide.

Cherchons d'abord à avoir une idée juste et complète du système amélioré présenté par M. Gide.

Suivant lui, il faudrait partir d'un principe absolu et uniquement puisé dans le droit naturel, c'est qu'il n'est pas au pouvoir du législateur de dénier à un être humain le libre exercice des facultés dont la nature l'a doué, pourvu qu'il en fasse un honnête usage (p. 518). Dès lors, il faudrait conclure que toutes les fois que la


loi ferme à la femme une voie qui est ouverte à l'homme dans le vaste champ du commerce, des transactions et des prérogatives sociales de toute espèce, elle viole visà-vis d'elle ce principe, et c'est un reprochequ'auraient mérité toutes les législations qui lui ont imposé ou lui imposent encore un système de tutelle perpétuelle ou seulement les incapacités du Velléien, ou qui restreignent arbitrairement sa capacité d'agir.

Ces législations n'étaient fondées que sur le régime odieux de la force substituée au droit, ou bien elles présupposaient chez la femme un défaut d'intelligence ou une faiblesse morale, suppositions démenties par l'expérience. Les femmes manquent quelquefois de l'expérience des affaires, mais pas pfus que ces millions de citoyens qui n'ont acquis aucune instruction et à qui on ne refuse pas pour cela l'exercice de tous leurs droits. Les femmes ne sont privées de l'expérience des affaires qu'à raison même de t'interdiction qu'on leur impose de s'en mêler.

Ceci, il est vrai, irait jusqu'àdire que la femme, reconnue l'égale de l'homme, devrait aussi, comme lui, exercer les droits politiques et ceux qu'on a désignés sous le nom d'offices virils. Cependant M. Gide n'ose pas aller jusque-là, et quoique la réforme de nos habitudes sociales, sous ce rapport, compte des partisans convaincus, surtout dans les temps modernes, il aime mieux s'exposer au reproche d'inconséquence et rester dans la limite des traditions anciennes qui sont, comme on l'a vu, celles do tous les temps et de tous les pays, et il trouve sous ce rapport, comme l'opinion générale, que la femme courrait le risque d'amoindrir sa position et de diminuer le respect et la considération dont elle est entourée en réclamant de plus amples droits.


Mais, dans le cercle de la vie privée et îles intérêts personnels, M. Gide repousse toute atténuation du rôle de la femme et toute idée d'une protection qui aurait pour but de la placer d'une manière plus ou moins complète sous le régime de faveur accordé aux incapables. Nonseulement ce serait un dommage pour son crédit qu'il if n'y a aucun motif de lui imposer, mais on peut dire que ce serait une perte considérable pour les intérêts économiques en général et pour l'utilité sociale, parce que la société, qui ne peut s'enrichirque parles efforts combinés de tous ses membres, ne peut trouver son compte a en frapper un certain nombre «l'impuissance et d'inertie. C'est un système, d'ailleurs, qui n'a pour effet que de pousser aux transactions malhonnêtes et déguisées. Au commerce loyal et fécond, il substitue la fraude et les procès qui en sont la suite. Les nombreux procès qu'a toujours fait naître l'application du sénatus-consulte Velléien en sont la preuve.

Le progrès qui s'opère partout dans la législation doit faire prévaloir ces idées. L'espèce d'aristocratie qu'a gardée, sous ce rapport, le sexe masculin, tend partout à décroître. Le droit commercial, qui est l'avant-coureur du droit civil, a déjà proclamé la complète émancipation de la femme, même dans les pays où règnent encore la tutelle perpétuelle et le Velléien. Il ne faut admettre qu'une grande exception à la capacité absolue de la femme, c'est celle qui résulte pour la femme mariée de la sujétion où nous la plaçons visà vis de son mari et de la puissance maritale. Mais encore il faut voir quelle est la portée que peut avoir cette sujétion et en définir le caractère et les limites.


Or, dit M. Gide, quand même la femme a été considérée chez tous les peuples comme devant être soumise à l'homme tenu de la protéger, il y a dans la suprématie du mari deux éléments qu'il faut distinguer, l'élément moral et l'élément juridique (p. 528), et cette soumission n'a pas toujours produit pour elle l'interdictioti de faire aucun acte juridique et de renoncer à sa capacité pour la gestion de ses affaires. Sans doute, dans les pays où la femme, vendue au mari par la puissance oppressive de son père ou de sa famille, passait, avec tout son patrimoine, sous sa domination, il ne pouvait être question pour elle d'user dosa capacité mais dèsqu'elle a passé sous le régime de la monogamie et do la dot, comme il est arrivé en (irèce et successivement à Home, elle a conquis plus d'indépendance. J,a loi romaine, la plus parfaite de l'antiquité, en suivant les errements de la législation grecque et en introduisant le régime dotal, n'a pas connu les règles de l'autorisation maritale elle obligeait seulement la femme à céder au mari une portion de son bien pour l'aider à soutenir les charges du mariage, sauf a le reprendre à la dissolution, mais elle lui conservait la libre et indépendante disposition du reste.

Ce sont les usages adoptés dans les pays soumis aux lois d'origine germanique et plus tard proclamés par le Christianisme, qui sent venus fonder un nouveau régime nuptial, en introduisant la communauté et en confondant les intérêts de la femme avec ceux du mari. Ce régime s'est acclimaté de lui-même dans les pays du Nord, où l'homme, ne vivant pas comme dans les pays méridionaux où fleurirent les républiques grecque et romaine, livré à des occupations extérieures et aux


soins d'une vie de citoyen très-absorbante, consacrait beaucoup plus son existence aux affections domestiques et à l'intimité de la vie privée. Il fut, d'ailleurs, sous bien des rapports, pour les femmes qu'il fit les associées de leurs maris, un véritable progrès; mais il amenait nécessairement avec lui le système de l'autorisation du mari, parce que là tout était commun et où la femme était associée à toutes les affaires, il ne pouvait plus y avoir deux volontés agissant séparément. et il était naturel que celle du mari eût la prépondérance et prît la direction des affaires communes. Mais, en acceptant ces idées, il aurait fallu se rappeler qu'elles n'impliquaient nullement la pensée de la faiblesse morale de la femme ou un état de dépendance absolue, et c'est, suivant M. Gide, l'erreur à laquelle s'est laissé aller le Code civil, sous l'influence des systèmes romains qui dominaient dans une partie du pays, et qui l'a entraîné à des conséquences que le droit romain lui-même n'avait pointadmises.

Il s'agissait uniquement d'un acte de déférence imposé à la femme, et dès lors il aurait fallu que, dès que le mari aurait manifesté l'intention de s'en rapporter à la prudence de sa femme, en lui accordant une autorisation générale de gouverner sa fortune à sa volonté, n'y apporter aucun obstacle.

Dès que le mari était absent, interdit ou mineur, il n'y avait plus de raison de soumettre la femme à son contrôle ou de l'obliger d'obtenir l'autorisation supplétive de la justice.

Le (Iode civil, rédigé dans un sens tout contraire, devrait donc être réformé. Il faudrait dire qu'il n'y a point, comme il le fait, de raison d'exiger que l'au-


torisation soit spéciale et renouvelée pour chaque acte, à peine de nullité; qu'il n'y a point de raison non plus de demander cette autorisation à la justice, lorsque le mari est, pour cause d'absence, d'interdiction ou de minorité, dans l'impuissance de la donner. C'est là une formalité qui peut entraîner des embarras et des entraves et qui est inutile. Il ne faudrait pas surtout que la femme qui s'est engagée sans l'autorisation de son mari fût autorisée à attaquer elle-même ses engagementsdans le silence de son mari ou malgré son adhésion formellement exprimée, ce qui est lui permettre de se jouer de ses engagements en dehors de ce que peut exiger la déférence qu'elle doit à son mari.

Cette réforme serait d'autant plus admissible, qu'en remontant dans les pays soumis aux coutumes germaniques, à une époque antérieure à celle où le droit romain leur apporta le Velléien, on voit que la femme soumise au mundiwn du mari n'aurait pu avoir le droit de faire annuler elle-même les actes qu'elle avait passés sans son mari. Ce dernier était, à la vérité, le maître de faire prononcer cette annulation, mais il était seul juge de ce qu'il convenait de faire dans l'intérêt de son autorité. Cela a été le droit depuis Beaumanoir jusqu'à Coquille, comme on peut s'en assurer dans ce dernier auteur, et le sentiment contraire n'a surgi que sous l'influence de la doctrine romaine formulée dans le Telléien et propagée dans la France du Nord par l'autorité des jurisconsultes dirigés par Dumoulin, qui, partant du point qu'il s'agissait de protéger le défaut de capacité de la femme, considéraient l'intervention du mari comme celle d'un tuteur, et en concluaient qu'il fallait donner à la femme des prérogatives accordées aux mineurs pour sauvegarder leur inexpérience.


Ajoutons que, dans le cns d'interdiction du mari, le Code civil reconnaît expressément que la femme peut être nommée tutrice de son mari et gérant de la communauté, ce qui est une contradiction flagrante avei1 l'interdiction qui lui est faite, même dans ce cas, de disposer de ses biens propres sans l'autorisation de la justice.

Une autre contradiction non moins forte gît dans les précautions prises par le Code, d'une part, pour que le mari n'abuse pas de la prépondérance qui lui est accordée et de l'espèce de sujétion où la femme est retenue, et de l'autre, la facilité des voies ouvertes à la femme pour lui permettre d'abandonner ces précautions ou les rendre inutiles.

On a vu plus haut, en effet, qu'on a formellement interdit au mari, comme chef de la communauté, de faire des donations de biens placés sous sa puissance ou d'en disposer dans son intérêt exclusif; qu'on a introduit, pour permettre à la femme de retrouver la libre disposition de sa fortune, en cas de séparation ou de veuvage, des priviléges de toute sorte et notamment une hypothèque légale et privilégiée qui lui donne un rang préférable à tous les créanciers vis-à-vis desquels son mari s'est obligé depuis son mariage, hypothèque qui garantit même les créances paraphernales de It femme et qui peut rester incertaine et ignorée des tiers; au moins pour ce qui touche le montant de sa valeur, et qui ne permet pas dès lors aux tiers de traiter avec le mari dans une complète sécurité. C'était une précaution convenable pour empêcher que la prédominance donnée au mari pût avoir des conséquences fâcheuses pour la femme.


Mais en même temps le Code ne songe point à restreindre d'une manière quelconque le droit de la femme de s'obliger, de sorte que, pourvu qu'elle ait l'autorisation de son mari, elle peut intercéder pour les tiers et pour son mari lui-même; prendre ainsi, sous l'influence de son mari, les engagements les plus ruineux, et, en les prenant, céder à ses créanciers même son rang d'hypothèque sur les biens de son mari, ou laisser purger cette hypothèque et s'exposer ainsi à la perte de sa fortune. Elle ne peut, il est vrai, arriver à ce résultat qu'un peu plus difficilement sous le régime dotal, mais, à moins que sa fortune soit toute immobilière, elle a même, sous ce dernier régime, des moyens faciles, sinon de céder, du moins de laisser purger son hypothèque et de la faire ainsi disparaître.

Il y a, suivant II. Gide, dans ce double courant d'idées, un peu d'incohérence. TI fallait, ou diminuer beaucoup la prépondérance accordée au mari, ou, si l'on tenait, en la conservant, à sauvegarder la fortune des femmes et à prendre des précautions contre l'abus que le mari aurait pu faire de son pouvoir, il fallait au moins décider que les femmes ne pourraient pas, avec la seule autorisation du mari, contracter des engagements pour lui et abandonner leur rang d'hypothèque au profit de ses créanciers. Puisqu'on considérait l'hypothèque légale comme indispensable pour maintenir l'équilibre entre le patrimoine de la femme et celui du mari qui ne devait pas user des ressources de sa femme sans en répondre d'une manière assurée sur ses biens propres, il eût été logique que la garantie donnée à la femme ne pût être compromise par son seul consentement. Ce n'était pas assez de dire que la femme serait dispensée


d'inscrire son hypothèque, qu'aucune prescription ne pourrait courir entre elle et son mari qu'elle ne pourrait faire au mari l'abandon direct de son hypothèque, qu'elle ne pourrait ni faire des dons irrévocables ni même passer des ventes ou échanges à son mari, il aurait fallu suivre la réforme qui a été faite dans le nouveau Code italien, qui prescrit que, dans tous les cas où il y a opposition d'intérêt entre la femme et le mari, et surtout lorsqu'il est question, pour la femme, de cautionner le mari, l'engagement pris par la femme ne pût être valable sans l'autorisation de la justice. Toutefois, après avoir indiqué comme opportune cette grave innovation, M. Gide revient en arrière et place une réflexion qui fait, suivant nous, grand honneur à son jugement et qu'il importe de rappeler.

C'est que peut-être, au moins sous le régime de la communauté, il n'est pas sans quelques avantages de laisser ainsi à la femme le pouvoir d'abandonner à son mari, par son seul consentement, la disposition de toutes ses ressources, même en sacrifiant sa fortune. Par là il arrive que le rôle de la femme garde toute son importance et que les deux époux sont amenés, au moins dans toutes les circonstances très-graves, à ne pouvoir stipuler l'un sans l'autre de même que la femrr.e n'agit jamais sans l'autorisation du mari le mari, au moins dans les circonstances importantes, ne peut agir aussi sans l'adhésion de sa femme consacrant l'abandon de son hypothèque, sans quoi les ressources du mari sont le plus souvent paralysées, et ils restent, l'un et l'autre, frappés d'impuissance.

Ce système peut, jusqu'à un certain point, être considéré comme la réalisation de ce consortium omnùvitœ


qui, au dire même de l'antiquité païenne, devait faire l'essence du mariage. Il est bon que le chef de la famille soit obligé, dans les circonstances essentielles, de faire appel aux conseils quelquefois moins éclairés mais toujours très-dévoués de la sollicitude maternelle la prudence des femmes saura retenir le mari sur la pente glissante de la spéculation, et quand il s'agira de lui porter secours dans un moment vraiment critique, son dévouement se maintiendra à la hauteur des circonstances et ne lui fera pas défaut, et, parses sacrifices, la femme se créera infailliblement une position entourée d'honneur et de considération.

On pourrait donc, malgré la contradiction apparente qu'il présente, tolérer, à cause des avantages qu'il offre, le régime nuptial de la communauté, mais celui qn'il faut absolument détruire, c'est le régime dotal. Dans le régime dotal, la femme ne peut pas prendre même ce rôle de sacrifices qui, tout en la ruinant, l'honore au moins sous le régime de la communauté. Ici, elle est livrée à un rôle inerte et passif, et elle est exclue de tout gouvernement de la dot et de toute participation aux affaires communes. Ce n'est que pour ses biens non dotaux, quand elle en a, qu'elle conserve un pouvoir qui, sans échapper au contrôle du mari, lui laisse une indépendance restreinte à l'administration. C'est la loi qui se charge de protéger sa fortune dotale en proclamant l'inaliénabilité de son patrimoine et en opposant ainsi aux volontés du mari un obstacle invincible au lieu d'une influence modératrice qui aurait grandi la femme à ses yeux et qui aurait permis à la femme de lui donner, dans le besoin, un utile secours. I.'inaliénabilité dotale n'est pas restreinte au patri-


moine de la femme, elle étend son influence suc toute la fortune de la famille le mari est, en effet, par suite de la possession des valeurs de sa femme qu'il a dans les mains ou des responsabilités qu'il peut encourir. placé sous le poids d'une hypothèque que la femme n'a plus, comme sous le régime de la communauté, le pouvoir do céder aux créanciers du mari. commençant avec le mariage pour ne finir qu'avec lui, cette hypothèque prive l'homme du pouvoir de disposer de sa propre fortune et lui ôte son crédit précisément lorsqu'il est dans l'âge de la force pour ne lui rendre sa liberté que lorsqu'il survit à sa femme et dans sa vieillesse, c'est-àdire quand il ne peut plus en user.

Veut-on considérer l'inaliénabililé comme constituant une réserve au profit des enfants? mais le but serait ici tout à fait dépassé. Une réserve de ce genre peut produire un effet utile en empêchant le père de famille de faire de trop grandes libéralités^ soit au profit de quelques-uns de ses enfants, soit au profit d'étrangers mais si on veut aller jusqu'à le priver du droit de vendre, d'emprunter, d'améliorer ainsi, par tous moyens en son pouvoir, son patrimoine, ce n'est plus la conservation de sa fortune qu'on assure, c'est sa stagnation et sou dépérissement graduel.

On ne pourrait pas mieux croire que le régime dotal remplace, pour les grandes familles, les anciennes substitutions et tend à maintenir la conservation des patrimoines, ce qu'on pourrait considérer comme un résultat digne d'être favorisé. D'abord ce n'est plus à ce but que tend la législation du pays dominée aujourd'hui par les institutions démocratiques. En second lieu, ce régime n'a jamais été considéré comme pouvant


remplacer les substitutions. L'inaliénabilité qu'il introduit n'est que passagère; elle n'empêche pas les partages elle ne fait pas obstacle à ce que le bien dotal passe, par le fait des mariages des enfants, dans des familles nouvelles; aussi toutes les législations vraiment aristocratiques ont repoussé ce régime ou ont cherché à en modifier les effets. Ainsi, dans nos anciens pays de droit écrit, on s'était appliqué, tout en adoptant le régime dotal, à réduire, par une foule de moyens, les droits des filles et l'importance des dots. On admettait contre elles les substitutions, le droit d'aînesse, les renonciations aux successions futures.

Mais aujourd'hui que les filles ont autant de chances que les hommes d'acquérir le patrimoine de leurs familles, les inconvénients du régime dotal se révèlent avec plus d'étendue, et c'est ce qui a déjà fait exprimer souvent le désir de le voir supprimé.

Si l'autorité des traditions et les égards dus à d'anciennes habitudes écartent encore pour quelque temps ce résultat, il y aurait au moins quelques réformes urgentes à introduire, et on pourrait, suivant M. Gide, indiquer les deux suivantes

1" Les biens dotaux pourraient toujours être aliénés avec le consentement des époux, à charge d'emploi, non-seulement en immeubles, mais en rentes sur l'Etat. actions de la Banque, et même actions de chemins de fer français.

2° Les biens dotaux pourraient être aliénés sans emploi, avec l'autorisation de la justice. La femme pourrait, avec la même autorisation, engager ses biens dotaux et même subroger son hypothèque légale, le contrôle des tribunaux venant ainsi remplacer la résistance aveugle et inflexible de la loi.


Il II n'y aurait ainsi aucune inaliénabilité absolue, les tribunaux seraient juges des circonstances ou il conviendrait d'autoriser l'aliénation, et ce système, qui serait convenable aux yeux de M. Gide d'introduire. même sous le régime de la communauté, pour empêcher l'abus que la femme peut faire sous ce régime de l'entière liberté qui lui est accordée atténuerait les mauvais effets de la dotalité jusqu'à ce que le progrès des idées démontrât à tous que les précautions peuvent être supprimées et qu'il n'y a que des avantages à laisser à la femme toute sa liberté.

Voilà donc les innovations auxquelles aboutirait, en définitive, M. Gide à la suite de son grand travail. II proclamerait le principe absolu de l'égalité des sexes au point de vue des droits, en se fondant sur des déductions prises dans le simple droit de la nature, sans en tirer cependant toutes les conséquences pratiques qu'il comporterait pour les droits politiques et les offices virils.

Il admettrait cependant dans le mariage, au moins sous le régime de la communauté, à raison de l'impossibilité de laisser la direction d'une administration qui confond les intérêts du mari et de la femme à une double volonté, un régime de déférence imposé à la femme qui ramènerait la nécessité de l'autorisation du mari, mais en dispensant la femme de recourir à cette autorisation ou à la justice toutes les fois que ses acte: ne heurteraient pas de front l'autorité du mari. Il ne voudrait pas surtout que la femme pût, en aucun cas, attaquer ses propres engagements, sous prétexte d'un défaut d'autorisation de son mari.

Et au point de vue des régimes nuptiaux, si l'on pou-


vait tolérer celui de la communauté, malgré ses incohérences, l'intérèt public exigerait qu'on détruisit au plus tôt le système d'inaliéuabililé introduit dans. le régime dotal, ou tout au moins que l'aliénabilité fut toujours admise, sous condition de remploi, au moyen de l'autorisation préalablement donnée aux époux par la justice.

Nous persistons à penser que, malgré le long travail auquel il s'est livré et tous les soins qu'il s'est donné pour éclairer la question qu'il étudiait, M. Gide n'est. pas parvenu à saisir bien complètement l'esprit de nos institutions sur la condition des femmes; que c'est par cette raison qu'il a souvent signalé dans notre législation des incohérences et des contradictions qui n'y existent pas, et qu'eu nous replaçant dans le vrai, nous trouverons que les réformes qu'il propose sont moins urgentes qu'il ne le croit.

Réfutation des divers systèmes proposés par I». Gide.

Ce que l'on peut reprocher à M. Gide, c'est de n'avoir pas assez appliqué dans sa dissertation et dans les théories qu'il a fini par formuler, les conséquences qui semblaient se dégager d'elles-mêmes des faits nombreux qu'il avait analyses.

Quand il a savamment exposé les traditions de tous les peuples sur le rôle inférieur réservé aux femmes, en stigmatisant ces traditions comme n'ayant été partout que le résultat d'un abus de la force ou de fausses appréciations sur leur capacité ou sur la faiblesse morale


dont on les supposait atteintes, il rappelle bien que l'avènement du Christianisme avait produit une amélioration dans leur sort par la contradiction qu'il avait élevée contre les doctrines philosophiques antérieures; mais, à ses yeux, ce ne fut là qu'un pas en avant qui a été depuis laissé bien en arrière par les progrès de la raison publique.

La marche et le développement des idées a fait aujourd'hui prévaloir un principe nouveau, trop longtemps méconnu, mais maintenant universellement proclamé par ['opinion, et d'après lequel il n'est pas au pouvoird'un législateur, quelqu'il soit, de déniera un être humain le libre exercice des facultés dont l'a doué la nature, et dont il ne fait pas un usage antisocial. Or, ce principe seul est de nature à apporter à la femme une complète émancipation.

Dominé par cette théorie, M. Gide n'attribue plus à l'action du Christianisme qu'une influence passagère, heureusement appliquée dans un moment donné, mais qui doit disparaître devant un progrès nouveau qui va donner aux femmes un rang et des avantages sociaux lout à fait égaux à ceux de l'homme.

C'est là surtout que nous entendons signaler dans l'ouvrage de M. Gide une lacune et une erreur; l'importance et la persistance du mouvement chrétien n'ont pas été appréciées par lui comme elles devaient l'être. 11 importe, pour le prouver, de mettre d'abord en relief et de faire bien connaître cette doctrine chrétienne qu'on voudrait faire disparaître après avoir reconnu qu'elle avait régné dans le monde en apportant aux femmes des avantages certains à une époque où leur sort était devenu très-misérable.


Elle se distingue, il est vrai, très-nettement de celle qu'on présente aujourd'hui comme l'expression des idées nouvelles qu'on répute plus raisonnables ni à son origine ni depuis, le Christianisme ne s'est posé dans la question des femmes comme un auxiliaire de la raison humaine ou comme revendiquant pour elles, au même titre que la philosophie, des droits égaux à ceux de l'homme fondés sur une égalité d'aptitudes et de facultés; tout en reconnaissant chez elles un esprit de prudence et de conseil, et en leur réservant la meilleure condition qu'elles aient obtenue sur la terre, il a constamment combattu toutes les opinions philosophiques qui avaient régné avant lui, ou qui se sont posées en face de lui et qui se fondaient sur le raisonnement, et toujours il a proclamé ce but que lafemme devait observer vis-à-vis l'homme, dans le mariage, une règle de soumission, et que même, hors le mariage, bien loin de rechercher l'usage de toutes ses aptitudes naturelles même honnêtes, elle devait fuir avec soin toutes les positions qui devaient l'entraîner à la vie publique, et bien loin de suivre la doctrine de M. Gide qui l'appelle à partager partout le rôle de l'homme, il lui montre sa gloire et son bonheur dans des positions moins apparentes, et dans un esprit de dévouement le plus complet possible à la Religion, à la famille et à la société.

Cet esprit s'est montré dans le Christianisme à toutes les époques avec une grande énergie.

On le retrouve déjà dans les très-anciens livres conservés par le judaïsme et que le Christianisme a adoptés. On peut liro dans les premières pages de la Genèse,


rappelant les incidents de la création primitive MuUeres viris suis suhditm sint.

Le livre des Proverbes (chap. 10, v. 10 0 etseq.) donne le type-modèle de la femme forte indiquant les conditions auxquelles on peut attacher l'idée de sa perfection c'est tout à fait celles que nous avons rappelées. Les Epîtres de saint Paul, réputé le grand docteur du Christianisme, reproduisent les mêmes doctrines: « Qtwd decet mulieres promittentes pietatem per opera » bona mulier in silenlio discat cum omni subjectione: » docere autem mulieri non pcrmitto, neque dominari » vîrum sedesseinsilentio.n (Ep. à Thimolhée, chap. 2, v. 10). «Mulieres inEcdesiis laceant.» » (Ep. aux Corint. chap. 1, v. 5.)

Et dans la liturgie adoptée par l'Eglise catholique « Orenms pro DEVOTO fœmineo sexu. »

L'action des papes, si considérable dans le moyen âge, fut toujours dirigée dans un sens analogue. Elle avait d'abord tendu à consolider la position des femmes en faisant proclamer, non-seulement la monogamie dans le mariage que les Grecs et les Romains avaient déjà connue, mais aussi à faire prévaloir par les efforts les plus persévérants l'indissolubilité du lien conjugal en proscrivant le divorce, et elle y avait réussi. M. Troplong n'a fait que se rallier à une opinion généralement acceptée en proclamant dans son livre, sur l'influence du Christianisme, le grand bienfait dû sur ce point à l'intervention de l'Eglise, et il n'hésite pas à dire que les papes rendirent alors un grand service à la civilisation moderne en donnant à la position des femmes une base plussolide que celle qu'elle avait eue jusque-là.


Cette action des papes, qui avait eu beaucoup d'influence pendant la durée du moyen âge, s'était également appliquée à combattre l'idée de la force mise à la place du droit dans le Gouvernement des sociétés et, par suite, à faire disparaître le mundium et la tutelle perpétuelle, cause immédiate, chez les peuples germaniques, de l'oppression et de l'état d'asservissement des femmes mais, tout en recevant la femme, l'Eglise avait cependant évité de partager les sentiments exaltés qu'avait fait naître sur quelques points la féodalité à son déclin dans l'institution de la chevalerie, et qui avaient conduit à investir les femmes dans le fief de prérogatives sociales jusque-là réservées aux hommes comme le pouvoir de rendre la justice féodale (').

Le Catholicisme, qui est la forme du Christianisme qui (') L'upposition de l'Eglise au rôle que les femmes étaient parvenues à avoir dans le fief, fut très-vice et très-persévérante même au temps où la féodalité était encore dominante. Si elle n'avait pas prévalu partout, elle avait produit ses effets dans divers pays, tels que la Flandre, oii on imposa aux femmes possesseurs de fiefs de ne rendre la justice que par l'intermédiaire de son bailli. On peut citer aussi l'Espagne, oîi on ne l'autorisait à juger qu'avec un conseil de prud'hommes.

On lit dans les actes d'un synode tenu à Nantes dans le xue siècle Mirum t'idetur quod quœdam mulierculœ contra divinas humanasque leges, atlrira fronts impudenlas agentes, placila generatia et publicos conventus indesinenter adeant, magisque perturbant quam disponunt, cum etiam indecens sit et inter barbaras gentes reprehensibile mulieres virorum causas discutere tiquas de lanifidis suis et opei tbus lcxtilibus et mnliebribus inter gynœcca sua résidensttt's Bt opct ~M8 tf.rf~t~u.~ ~t mt~t~nt'us )')[[M' ~tttpcco suo rcs~n- tes débitèrent disputare, in conventu publiée ac si in curia résidentes setxutoriam xitti usurpant auctoritatem.


a toujours été en France la religion dominante, a encore accentué ces prescriptions. On a vu dans ce pays, où les femmes ont toujours joué un rôle très-brillant et ont été les éléments essentiels de l'une des plus belles civilisations qu'il ait été donné au monde d'admirer, les doctrines religieuses introduites par le Catholicisme exercer sur leurs moeurs et sur leur sort une influence considérable. Des effets très-manifestes et très-importants se sont produits dans les conditions de leur existence et ont pénétré jusque dans la législation. C'est ainsi que les femmes, filles ou veuves, ont été poussées en grand nombre à adopter dans la vie monastique et religieuse des existences toutes de dévouement aux diverses infirmités sociales et comportant souvent l'abnégation de tous les sentiments les plus chers à la nature humaine poussée jusqu'à l'héroïsme. Quand elles n'ont pas pris un parti aussi radical, elles sont restées dans le monde ou dans leurs familles, en déployant néanmoins autour d'elles, pour leurs parents ou pour toutes les misères sociales, un dévouement absolu et en faisant ainsi respecter leur position de célibataires.

Si quelques-unes, incapables de soutenir un pareil état de perfection, ne savent pas garder dans leurs relations ce que la loi chrétienne considère comme la vertu essentielle de leur sexe, elles s'exposent à tomber promptement dans les bas-fonds de la société où elles n'ont plus qu'une existence amoindrie, et celles qui se sont maintenues dans une position meilleure travaillent à leur réformation.

On a peu connu dans la société qui s'est organisée dans ces conditions ce type intermédiaire qui s'était


produit en Grèce, dans les Aspasie et les Léena, que les théories qu'on nous prêche aujourd'hui tendraient à ramener, et qui se manifestait dans la femme indépendante ne se mariant pas pour conserver toute sa liberté et cherchant à l'égal de l'homme et à son imitation à tirer le meilleur parti des facultés dont la nature l'a douée.

Ce serait, par exemple, la femme en possession d'une fortune convenable et voulant dès lors se donner toutes les douceurs et tous les agréments de notre civilisation, travaillant comme un homme à perfectionner et à agrandir ses connaissances et son instruction se consacrant à la fois aux soins de ses affaires et à toutes les oscillations de la politique; mettant le pied, toutes les fois qu'elle le pourrait, dans les emplois publics vivant entourée de nombreux amis et prenant une large part à toutes les discussions publiques ou privées.

Nous ne voulons pas contester qu'il pût y avoir dans une pareille existence des idées sérieuses, de bonnes actions, et le cadre d'une vie qui ne serait pas sans valeur.

Et cependant, dans nos idées françaises et catholiques, elle pourrait être réputée insuffisante et il y aurait lieu de craindre qu'elle ne maintînt pas longtemps aux femmes la haute considération dont on s'est plu à les entourer on se rappellerait le sort des femmes grecques; l'impossibilité où elles seraient bientôt, comme ces dernières, de mener aussi activement et aussi habilement que les hommes la vie des affaires et des fonctions publiques, et de se livrer aux mêmes travaux d'esprit. Elles ne pourraient pas soutenir longtemps la comparaison sur le terrain de la politique et de la science; il arrive-


rait, comme en Grèce, qu'elles seraient délaissées ou traitées comme des célibataires n'inspirant que l'ennui; à moins toujours qu'elles ne voulussent chercher dans les charmes inhérents à leur sexe une raison d'établir à un autre point de vue leur prépondérance et leur gloire, et alors reviendrait l'idée d'Aspasie avec toutes ses fâcheuses conséquences.

Et quant à la femme qui a suivi sa destination naturelle et qui a pris le parti du mariage, comme c'est le sort du plus grand nombre, elle a accepté sous l'inspiration du Christianisme l'idée d'une soumission absolue à son mari et d'un dévouement sans réserve à lui et à ses enfants. On a seulement, en France, modifié la dépendance extrême dans laquelle elle était tenue de son mari sous les législations d'origine germanique mais, en revanche, on lui a ravi sans retour l'indépendance que lui avait accordée le régime dotal des Romains en imposant dans tous les cas, d'une manière absolue, la nécessité de l'autorisation maritale. Tels sont les principes que le Christianisme a fait prévaloir relativement à la condition des femmes, et telle est l'application qu'ils ont reçue depuis de longs siècles dans toute l'Europe et dans les pays qui ont adopté les règles de sa civilisation et qui se sont affirmés plus spécialement en France. A quoi l'on peut ajouter que tous les points essentiels de cette doctrine sont encore maintenus dans leur intégrité par ses nombreux partisans, et qu'elle est défendue avec cette ténacité qui s'attache aux dogmes religieux qui sont en possession des intelligences et qui se considèrent comme une vérité basée sur des communications surnaturelles qui ne doivent pas défaillir.


En abandonnant toute cette doctrine pour y substituer cette simple règle, fondée sur la raison, que l'égalité des aptitudes pour les femmes doit suflîre pour leur donner l'égalité des droits et des facultés, M. Gide ne recule pas devant une véritable révolution dans les destinées de la race humaine mais alors l'autorité des précédents fondés sur le Christianisme exigeait que l'idée nouvelle à laquelle il abandonnait ses convictions fût bien étudiée sous toutes ses faces. Il fallait se rappeler que cette idée était absolument la môme qui avait autrefois inspiré la philosophie grecque. Or, les philosophes grecs, qui n'ont manqué sur une foule de sujets sociaux ni de lucidité ni de pénétration, et qui ont tiré de leur raison des aperçus très-remarquables et encore aujourd'hui très-appréciés, n'avaient cependant abouti, sur le sujet des femmes, comme nous l'avons exposé, qu'à des résultats absurdes et surtout déplorables pour elles. Après avoir reconnu dans son livre que le Christia-nisme avait, à son origine, apporté une grande et utile innovation dans les principes qui réglaient alors dans le monde la condition des femmes, M. Gide aurait dû nous dire comment et pourquoi ces principes chrétiens ont dû céder de nouveau le pas à ceux fournis par la raison pure pourquoi il fallait déposséder In Christianisme de l'autorité qu'il avait réussi à prendre si complètement dans la pratique, et où était le vrai motif de substituer aujourd'hui une théorie différente et fondée sur un raisonnement plus décisif, alors que les systèmes de l'antiquité avaient si peu réussi.

SI. Gide a reculé devant cette discussion, et il s'est borné à quelques attaques contre les conditions impo-


sées aux femmes par les constitutions adoptées chez les divers peuples avant le Christianisme.

Ainsi, il n'approuve pas les devoirs de soumission absolue imposés à la femme vis-a-vis son mari dans les pays d'origine germanique. Il repousse dans le régime dotal des Romains la jouissance par le mari de la dot, à l'exclusion entière de la femme, l'incapacité de faire certains contrats imposée à toutes les femmes par le Yelléien, et lorsqu'il trouve ces incapacités du Velléien introduites par Dumoulin et les jurisconsultes de son école, même hors des pays de droit écrit et dans ceux où régnait, avec la communauté les traditions germaniques, il ne manque pas de réagir vivement contrel'idée d'une faiblesse morale des femmes sur laquelle ils étaient fondés, et contre les incapacités légales qui leur étaient en conséquence imposées, et de signaler ces doctrines comme arriérées et irrationnelles et comme devant nécessairement succomber devant le bon sens public. Mais qu'il y réfléchisse, le Christianisme et ses conséquences ne sont pas la même chose que ces doctrines et ne se confondent pas avec elles.

Le Christianisme n'a jamais dit, comme le droit germanique, que la femme est tenue à raison de sa faiblesse physique, de rester toujours sous la protection et l'autorité de l'homme; il ne dit pas non plus avec le droit romain que la femme, comme inférieure par la raison et par une faiblesse morale, doit être protégée par des incapacités et par des priviléges de restitution. Les idées chrétiennes sont tout autres: elles tendent à investir la femme d'uneactionmoraletrès-supérieure; elles lui accordent une force de prudence et de conseil certaine; mais, en même temps, elles lui ordonnent


de n'exercer ses précieuses facultés que dans des conditions de soumission ou de dévouement aux intérêts généraux.

Elle ont ainsi un caractère sui generis qui refuse de plier devant toute autre doctrine, même réputée plus raisonnable.

Et si on demande au Christianisme comment on peut exiger de pareilles concessions des femmes, douées comme les hommes des aptitudes naturelles et pouvant les exercer librement dans une société policée où la force a depuis longtemps cédé la place au droit, et quel peut être lo principe de cette soumission et de ce dévouement qu'on lui impose, le Christianisme et surtout le Catholicisme que M. Gide n'a pas interrogé, répond, nous en convenons, moins pardes raisonnements que par des faits.

Il rappelle que les femmes ont subi de tout temps une loi qu'on ne peut s'empêcher de considérer comme providentielle, puisqu'elle a toujours pesé sur elles et que toutes les législations antiques se sont accordées pour les réduire à un état absolu d'infériorité et souvent pour les mépriser, les gêner, les dégrader, les maltraiter plus ou moins, et il conclut à l'excellence de la doctrine qu'il est venu inaugurer contrairement a toutes les idées patronnées antérieurement par les philosophes grecs et romains, et qui seule leur a donné plus d'indépendance, de liberté, de considération, uniquementparce qu'elle est plus conforme aux conditions de sa nature telle que Dieu l'a faite et qu'il a la prétention de mieux connaître.

Qu'ont été les femmes sous le régime patriarcal dans


tout l'Orient et même chez les Hébreux? Nous l'avons vu dans les premières pages de ce travail.

Que sont-elles devenues lorsqu'à la suite de l'état patriarcal il s'est formé de grandes nations, et qu'on a vu naître des législations écrites, mises sous le patronage de la Divinité et réglant leur sort jusque dans les moindres détails? N'est-ce pas alors qu'a pris naissance cet affreux despotisme qu'elles ont accepté jusqu'à consentir à se faire brûler vives sur la tombe de leur époux, et qui les réduit encore, dans les contrées les plus vastes du monde, à n'être plus que des instruments inutiles pour la civilisation et à n'avoir pins d'autre rôle que celui de la propagation de l'espèce ?

Il a bien fallu qu'il y eût quelques raisons profondes pour que de telles lois pussent s'établir et devenir dans tout l'Orient une règle immuable et fatale depuis des milliers d'années.

Si nous recherchons dans les textes qui ont exercé dans l'antiquité la plus haute autorité, les vrais motifs des décisions portées contre les femmes, ils se déroulent sans difficulté à nos yeux. Voici un de ces textes pris dans les lois de Manou, qui s'imposent encore dans l'Inde et dans la Chine à tant de millions d'âmes:

« La femme est protégée par son père dans l'enfance, » par son mari dans sa jeunesse, par son fils dans sa » vieillesse. Jamais elle n'est propre à l'état d'indé» pendance. La fougue du tempérament, l'inconstance » du caractère, l'absence de toute affection permanente » et la perversité naturelle qui distingue les femmes, » ne manqueront jamais, malgré toutes les précautions


» imaginables, de lesdétacher en peu do temps de leurs » maris ('). »

La Grèce, et les Romains à la suite des Grecs, ont cru pouvoir, il est vrai, donner à la femme un peu plus d'indépendance et lui assurer, malgré une foule de précautions offensantes, une demi-liberté. Sous l'empire d'une philosophie très-avancée, ils lui ont, à certaines époques, laissé la disposition d'une partie plus ou moins grande de sa fortune, et, dans le mariage même, des pouvoirs en dehors de la direction du mari au moyen du régime paraphernal.

Mais qu'est-il advenu de ces tentatives? On l'a vu plus haut. Chez les Grecs, les femmes, impuissantes à égaler les hommes, ont fini par être délaissées et réduites à mener, dans les gynécées, une existence inférieure elles sont tombées dans tous les écarts des mauvaises mœurs il a fallu des lois pour forcer les célibataires à les épouser et à créer ainsi des familles nouvelles et s'il a été permis à quelques femmes d'afficher plus d'esprit et de tenir dans la société un rang plus apprécié sous ce rapport, elles sont promptement venues à l'état de courtisanes et n'ont laissé dans l'histoire que l'impression d'un éclat passager et désordonné qui n'a produit que de tristes conséquences: n'est-ce pas là l'idée qui reste des relations d'Aspasie et de l'éridès?

Chez les Romains l'effet produit lorsqu'ils ont voulu, à l'imitation des Grecs, détruire chez eux l'an(') Lois de Manou, fils de P.ralima, traduit par Villiam Jones, H.


tique institution de la marna, qui faisait peser sur les femmes la plus sévère oppression, pour y substituer dans le régime dotal et l'établissement des biens paraphernaux une certaine indépendance pour la femme, a a été plus grave encore. Moins d'un siècle après, on entendit Caton s'écrier dans le Sénat que les fondements de la République allaient être ébranlés par suite de la liberté que les femmes avaient conquise et en effet, après avoir cherché des remèdes dans une foule de mesures gouvernementales, comme celles résultant des lois Voconia, Julia et l'apia Poppœa, on aurait trouvé une ruine inévitable si les idées chrétiennes, qui ne furent pas sur ce point le complément de la sagesse antique, mais qui surent élever une grande contradiction contre toutes les idées reçues, n'étaient venues ouvrir une autre voie. L'action des femmes abusant du divorce et qui ne comptaient plus, suivant un poète du temps, leurs années que par le nombre de leurs maris, était devenue effrayante à l'époque de la loi l'apia, et menaçait l'Etat jusque dans les sources de la vie à une époque où le développement des idées et de la civilisation avait cependant déjà fait de notables progrès.

C'est de ces données que la doctrine chrétienne part pour s'attribuer l'honneur d'avoir introduit dans le monde un changement essentiel dans le sort réservé aux femmes; et voilà pourquoi elle soutient encore aujourd'hui que leur condition devenue partout et surtout en France bien supérieure, ne peut pas, sans son intervention, conserver longtemps ses prérogatives. Il prétend avoir seul le secret des lois qui lui conviennent et qui sont en rapport avec les conditions que le créateur a voulu mettre à leur existence. FJcoutons


l'un des grands athlètes dela doctrine catholique résumant ces idées

« Avant d'effacer l'Evangile, il faut enfermer les » femmes ou les accabler par des lois épouvantables » comme celles del'Inde. L'Evangile seul a pu les éle»ver au niveau de l'homme en les rendant meilleures » lui seul a pu proclamer les droits de la femme, après » les avoir fait naître, en s'établissant dans le cœur de » la femme, instrument le plus puissant pour le bien » comme pour le mal. Eteignez, affaiblissez seulement » jusqu'à un certain point, dans un pays chrétien, l'in» fluence de la loi divine en laissant subsister la liberté » qui en était la suite pour les femmes, vous verrez » bientôt cette noble et touchante liberté dégénérer en » une licence honteuse; elles deviendront les instru» ments funestes d'une corruption universelle qui at» teindra en peu de temps les parties vitales de » l'Etat ('). »

Nous en avons dit assez pour mettre au grand jour cette doctrine chrétienne sur la condition des femmes, qui s'affirme si nettement et qui tient depuis si longtemps une grande place dans nos sociétés, et pour montrer combien elle s'éloigne de celle à laquelle M. Gide a complaisamment prêté les ressources de son talent et qui a pour but définitif de lui donner l'égalité sociale fondée sur la similitude des aptitudes naturelles.

Nous aurions voulu que l'auteur que nous étudions, tout en déduisant son système de données qu'il croit (') M. de Maislre.


découler naturellement du principe raisonnable, et pleinement confirmées dans le temps où nous vivons par les progrès de l'opinion publique, fît plus de cas de l'objection qui se dressait devant lui et montrât plus positivement pourquoi la théorie chrétienne devait être réputée vieillie et en conséquence réformée. On ne manquera pas de dire que le droit est aujourd'hui complétement affranchi de la domination des théories religieuses et théocratiques qui l'ont dirigé longtemps; que l'iufluence des doctrines chrétiennes sur la condition des femmes n'a pas d'autre base qu'elle ne constitue, comme les doctrines anciennes, qu'un acte d'autorité et d'oppression sur la femme, qui ne peut être aujourd'hui ratifié dès lors qu'il est injustifiable aux yeux de la raison.

Sous ne méconnaissons pas le poids qu'auront ces raisons et toute l'autorité qu'elles exerceront sur beaucoup d'esprits éclairés, notamment chez les jurisconsultes nous n'en croyons pas moins pouvoir y trouver des réponses satisfaisantes à ce double point de vue 1° qu'il est loin d'abord d'être prouvé, même aux yeux de la raison pure, que la femme doit obtenir une condition sociale égale à celle des hommes sous le rapport des droits civils et politiques, et 2° que tout en maintenant son indépendance du pouvoir religieux, le droit, qui ne doit être en définitive, dans sa souveraineté civile, que l'expression des rapports qui unissent les hommes, est obligé, dans quelques cas, de consacrer ces rapports, alors même qu'ils ont été adoptés comme une loi morale dérivant d'une théorie basée sur la Religion.

Nous consacrerons le chapitre suivant à développer


ces deux idées, et nous suivrons ensuite M. Gide dans les réformes de détail qu'il propose sur le droitapplicable aux femmes tel que l'a réalisé le Code civil. Ce sont, comm,e on l'a vu, ces réformes partielles qui le préoccupent davantage et il ne paraît pas pressé de tirer ]es grandes conséquences qui sortent naturellement de ses principes. Mais d'autres n'y ont pas manqué; et il importe de ne pas laisser s'accréditer leur doctrine.


TABIi: DKS MATIÈRES

SUIVANT I.'OKDRE DOS LEQUEL KL1.ES SONT PLACER» DANS I.K VOLIIMK.

Ktat de l'Académie au I" .jaittier 1811 Pag. v Bureau pour l'année 1871 id. Membres résidants vi Membres correspondants vu Liste des Sociétés correspondantes. Sociétés de France xu Sociétés étrangères xiv Extrait des procès-verbaux de l'Académie pendant l'année 1870 xv Itevue des publications reçues par l'Académie Uelpliiuale pendant l'année 1870 xx Mémoires et rapports 1 Sur la prérogative du commandement dans Ja province, attribuée à la présidence du Parlement de Grenoble, en l'absence du gouverneur et du lieutenant-général au gouvernement de Dauphiné; étude historique et critique par M. le Président Gautier :? Sceaux du prieuré de St-Kobert de Cornillon, par M. Maignien fils membre de l'Académie Delphinale 87


De la théorie de la rente et des harmonies économiques lecture de réception faite à l'Académie Delphinale par M. Boistel, agrégé à la Faculté de droit de Grenoble !)'2 Réponse à la lecture de réception de M. lioistel, par M. Burdet, président de l'Académie 11K Lamartine (esquisse littéraire); discours de réception prononcé à l'Académie Delphinale par M. Uabriel Monavon 125 Réponse à la lecture de réception de M. Monavon, par M. Burdet, président de l'Académie 155 lie la condition civile et politique des femmes (suite), par M. Bunlct 161 'l'able des matières 20!>