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Titre : Études : revue fondée en 1856 par des Pères de la Compagnie de Jésus

Auteur : Compagnie de Jésus. Auteur du texte

Éditeur : [s.n.] (Paris)

Date d'édition : 1961-06-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34416001m

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34416001m/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 95704

Description : 01 juin 1961

Description : 1961/06/01 ([T309,N3])-1961/06/30.

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k441752p

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, D-33939

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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AP,

ÉTVDES JUIN 1961

J.-M. LE BLOND DEVOIR CHRÉTIEN EN DES TEMPS DIFFI- CILES

F. RUSSO LA SCIENCE AU SERVICE DE LA DÉCISION A. RAVIER JEUNESSE ORIENTÉE, JEUNESSE DÉSORIENTÉE ?

H. HOLSTEIN L'APOSTOLAT DES RELIGIEUX

CHRONIQUES

C. D'YDEWALLE FRANCE ET BELGIQUE

J. RIMAUD LE PÈRE DONCŒUR NOUS A QUITTÉS

S. CUSUMANO « L'INGÉNIEUR BAKHIREV»

G. MAILLET SOCIOLOGIE DU VOCABULAIRE

E. TESSON ENCORE LE CONTROLE DES NAISSANCES

J.-F. MOTTE LE DIXIÈME ANNIVERSAIRE DU C. P. M. I.

R. ABIRACHED DEUX PIÈCES DE SEAN O'CASEY

ACTUALITÉS

L'ACTUALITÉ RELIGIEUSE DE ROME ET DE LA CHRÉTIENTÉ. –LE CARDINAL FELTIN ET LA PAROISSE UNIVERSITAIRE. UNITÉ DES

CHRÉTIENS ET CONVERSION DU MONDE. CE QU'UN LAIC ATTEND

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REVUE

DE E

L'ACTIONDPOPULAIRE JUIN 1961

UNE JEUNESSE

A.-P. P. Mission de la jeunesse.

E. RIDEAU Le conflit de» générations.

A. SAUVY La montée des jeunes.

H. CARRIER a-t-il une désaffection religieuse?

R. PRIGENT L'inadaptation sociale.

AVENIRS DE LA FRANCE.

M. MEGRET De l'Armée à la Nation.

J.-L. QUERMONNE L'article 16 et la défense de la République.

X. Alger, capitale insurrectionnelle.

Y. La mobilisation syndicale.

REGARDS SUR LE MONDE

H. JOMIN La Chine et l'U. R. S. S.

Mutation de l'OE CE. Aide ou développement. Troubles en Angola. Au Brésil, un Président dynamique.

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DOCUMENTS

REVUE DES QUESTIONS ALLEMANDES

16" année 2/1961 Dir. Jean du Rivau Au sommaire

F. J. STRAUSS L'Allemagne et l'OTAN

Étudiants étrangers en Allemagne

K. PABST La réforme de l'université

H. GLASER La mise en condition nationale-socialiste

Les syndicats est-allemands et les syndicats africains

O. GRITSCHNEDER Le testament personnel d'Hitler

A. WISS-VERDIER Allemagne de l'Est 1961

V. HOCHGREBE Le débat sur la 2e chaine de télévision (III)

Les émigrés sont-ils des traîtres? 1

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C'est pour faciliter son intelligence, pour favoriser un contact direct du fidèle avec la foi qu'il professe, que la traduction française de ces textes dogmatiques est aujourd'hui publiée.

L'ouvrage est divisé en douze chapitres qui suivent les phases diverses du mystère du salut dans l'ordre où les proposent les grandes professions de foi chrétiennes. Dans chacun d'eux on a maintenu l'ordre chronologique que jalonnent les interventions du Magistère. Le lecteur pourra ainsi suivre le développement des dogmes au cours de l'histoire.

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DEVOIR CHRÉTIEN

EN DES TEMPS DIFFICILES

Il y a quelques mois, les Etudes publiaient des réflexions sur l'obéissance civique et militaire Ces pages étaient volontairement dépouillées de toute passion et elles cherchaient à exprimer les règles, même inactuelles, de la morale. Les événements récents, d'Alger et de la Métropole, y ont ramené notre attention. Nous ne prétendrons pas nous affirmer mieux informés que d'autres, ou politiques plus profonds. Mais, dans la situation difficile où interfèrent nos sympathies et nos répugnances, nos solidarités, nos amitiés, dans le danger que l'on a cru proche d'une guerre civile, il est plus nécessaire que jamais de faire effort pour discerner le vrai du faux, pour préciser ce qui n'est pas et ne peut jamais être permis. En des temps ordinaires, ce que nous allons dire paraîtrait banalité, un peu abstraite. En ces temps difficiles, où le vertige menace les plus lucides, cette banalité formule une exigence singulièrement précise.

Ce qui s'impose d'abord, c'est de saisir la nature et le motif de l'obéissance militaire, pour en mesurer l'étendue. « Dans l'Armée telle qu'elle existe en France, aujourd'hui, les soldats ne sont tenus d'obéir à leurs chefs que parce que ceux-ci représentent l'autorité gouvernementale. A partir du moment, par conséquent, où des généraux et des officiers se séparent du gouvernement, désobéissent à ses ordres auraient-ils cent fois raison de le faire! ils perdent sur leur troupe toute autorité. Les hommes sont déliés du devoir d'obéissance et s'ils suivent leurs chefs (on pourrait imaginer des circonstances où c'est un devoir civique de le faire) c'est d'une adhésion purement volontaire qu'il s'agit 2. »

1. Janvier 1961. E. TESSON, L'obéissance civique et militaire.

2. Art. Http. 31.


La nature en effet de l'obéissance militaire, dans les Armées nationales d'aujourd'hui, est de s'adresser, à travers toutes les autorités et tous les grades, à l'Etat lui-même.

Au-delà de tous les prestiges personnels de ceux qui commandent il est certes souverainement désirable que le chef militaire, que tous les chefs militaires, chacun à son rang et suivant la parcelle d'autorité qu'il détient, s'imposent par eux-mêmes. Il est fort important qu'ils ne reçoivent pas toute leur autorité de leurs galons et que ces galons eux-mêmes ne soient pas dus à d'autres influences que celles de la compétence, du caractère et de l'intelligence. Mais la valeur personnelle du chef n'est pas le motif décisif de l'obéissance qu'on lui donne. Cette valeur personnelle est au service de son autorité au lieu d'en être à la source, et l'obéissance qu'on lui porte n'est pas celle de partisans dévoués au meneur qu'ils ont accepté. Il s'agit d'une obéissance à celui qui lui-même obéit et c'est précisément la grandeur de cette obéissance de rassembler chefs et subordonnés dans un même service. Vigny, qui a senti la grandeur du commandement et de l'obéissance dans l'Armée, parlait aussi de sa « servitude » mais ce n'est pas une servitude, c'est un service. Quant à la « grandeur », elle provient chez le chef d'un effacement devant une réalité plus haute, celle de l'Etat et de la Nation; elle résulte chez l'inférieur non d'une dépendance à l'égard d'un autre homme, devant lequel on se courberait, mais de l'exercice d'un devoir.

Cette obéissance se situe au-delà de toutes les solidarités plus étroites, des camaraderies d'armes ou de métiers, des liens de culture, des réactions de « classes ». Nous ressentons plus qu'autrefois peut-être ces solidarités, et nous sommes sortis, sainement, de l'individualisme naïf et abstrait de la fin du xixe siècle, en nous rendant mieux compte de ce que chacun doit aux autres qui l'entourent. Ce n'est donc pas purement humeur moutonnière que de chercher, avant dt_ prendre position soi-même, ce que font les amis et ceux à qui l'on tient. Il y a là une modestie, un bon sens si l'universalité ne constitue pas la vérité, elle en est souvent le signe. Il reste que la tentation est proche, et assez enivrante, de se laisser aller à ces vagues d'émotion collective qui


confondent les individus, comme le dirait Sartre, en une sorte de « groupement-fusion », chaud et exaltant. La solidarité avec toute la nation est d'ordinaire moins chaude et risque de sembler plus lointaine (nous avons pourtant connu, et ceux qui vivaient alors en ont gardé le regret, « l'union sacrée de 1914). Elle est institutionnelle et revêt souvent l'aspect du devoir davantage que celui de la spontanéité. Elle est en tout cas le premier devoir du soldat et de l'officier, et les émotions fusionnantes avec ce qui n'est pas la nation vont contre ce devoir. Détachement, déchirement parfois mais c'est la vérité du « service ».

Il faut ajouter que cette obéissance conduit au-delà de tous les serments personnels et c'est un point qu'en notre temps il faut souligner avec insistance. Serinent fait par de jeunes officiers de sacrifier leur vie à l'Algérie, de ne pas quitter la terre algérienne, dût-on, pour cela, se faire tuer. On devine l'émotion qui a pu inspirer de telles promesses; on mesure le désintéressement qui les anime, la noblesse qui s'attache toujours au sacrifice de la vie pour d'autres que soi; ces serments ne sont pas le fait d'âmes vulgaires qui mettraient la tranquillité personnelle au-dessus de tout. Sans doute enfin ont-elles cru répondre aux désirs de l'autorité. Mais il faut rappeler que ni la vie ni la mort de l'officier ou du soldat ne lui appartiennent, pour en disposer comme il le croit meilleur. En les donnant à d'autres, il prendrait ce qui n'est plus à lui. Les solutions du désespoir même lui sont interdites, disons « l'égoïsme du désespoir. Le refus de survivre est une faute contre la Nation et ici l'héroïsme, au sens de mépris de la mort, ne constitue pas une justification.

Il faut reconnaître cette vérité de l'état militaire dans son exigence et sa grandeur elle se résume en ceci que ni l'officier, ni le soldat lui-même, ne sont plus seulement des « personnes », mais des personnages, signes et instruments de ce qui est plus grand qu'eux-mêmes. Il n'est pas paradoxal que cela confère, à celui qui accepte cette vérité, une liberté dans une libération à l'égard de soi-même et de ses égoïsmes, dans une répugnance sainement militaire pour la courtisanerie et l'intrigue. C'est, croyons-nous, à cette obéissance que se rattachent la franchise, la rudesse même du langage qui


continuent à caractériser, grâce à Dieu, les militaires. Cette attitude ne peut se détacher que sur un fond d'obéissance très haute qu'on ne met pas en question; dans une discipline qui n'a pas le souci de « gagner » les autres à ses vues personnelles, qui résiste à la tentation de ménager, de « politiquer».

Dans son ensemble, l'Armée d'aujourd'hui a compris cela et c'est elle-même, ce ne pouvait être qu'elle, qui, dans l'obéissance au chef de l'Etat, a mis fin à l'insurrection le contingent, dont il ne faut pas minimiser le rôle, les officiers, dans leur grande majorité, fidèles, les généraux, les amiraux chargés du mouvement de reconquête.

Cette discipline est d'ailleurs une tradition, dans notre armée, et elle la reconnaît comme sa « force principale ». C'est un fait que la IIP République a pu toujours compter sur le dévouement sans question d'officiers souvent peu affectionnés au régime; et, si depuis quelques années l'Armée n'est plus « muette », en ce sens que le droit de vote a été conféré aux individus qui la composent, il est demeuré essentiel à l'Armée elle-même, en tant que corps, de n'avoir pas de part à la lutte des partis, quelles que soient les tentations, quelle que soit la tentation de former un parti elle-même. Le politicien n'a pas forcément les mains sales et il accomplit lui aussi un service. Les hommes de l'Armée n'y sont pas préparés et ils risquent davantage de s'y salir. En tout cas, si elle entrait dans cette politique de partis, l'Armée cesserait d'être l'Armée, nationale, pour devenir groupe organisé de partisans. Ce serait pour la Nation un grand malheur; ce serait pour l'Armée elle-même un mensonge à sa vérité.

Le bienfait de ces événements douloureux, où le pire a tout de même été évité il faut s'en souvenir dans nos jugements a été de remettre non seulement l'Armée, mais la Nation tout entière, d'une façon urgente et angoissée, en présence de l'obéissance militaire, du problème de la vie militaire. Il est sûr que la Nation avait négligé son Armée et ignoré ses difficultés, manqué à reconnaître ses sacrifices. Injustice, étourderie, hommage aussi, inconscient et dangereux, à un dévouement qu'on prenait pour tout naturel. Il est sûr aussi que l'armée, en raison même de son emploi au loin, avait


perdu le contact avec la Nation. Ce n'est pas le lieu d'en chercher des causes lointaine et les responsabilités. Mais c'est bien le temps de reconnaître le danger.

Le devoir militaire est cependant contenu dans le devoir civique et commandé par ce dernier. Il est donc nécessaire d'évoquer le cas extrême où la fidélité à la Nation devrait conduire à dépasser la fidélité militaire à l'Etat. Dans l'hypothèse d'une tyrannie il faut qualifier ainsi le gouvernement d'un homme ou d'un parti qui méconnaîtrait les volontés explicites et les intérêts profonds de la Nation l'insurrection demeure un droit et peut devenir un devoir. Les théologiens du xiip siècle, qui n'étaient pas gênés comme les plus récents par les sombres aspects de la Révolution française, le reconnaissaient nettement. Dans ce cas le soldat se rebellerait, non en tant que soldat, mais en tant que citoyen, et le chef ferait appel autour de lui à des volontaires.

Guerre civile Si ce n'est pas le mal « absolu », celui qui doit être évité à n'importe quel prix, c'est à coup sûr l'un des grands maux qui puisse toucher une nation pire, sans comparaison, que la guerre étrangère. Car il n'atteint pas seulement la prospérité matérielle, la tranquillité des vies, les aspects inférieurs et bien réels pourtant du bien commun; mais il touche à la communauté même de ce bien.

La guerre civile, en effet, constitue pour une nation l'épreuve suprême, non seulement en raison du sang versé, des vies perdues, des familles ravagées, mais parce qu'elle est réellement une mort temporaire du groupement national. Le déchirement non seulement, comme on l'a dit, du « contingent faisant feu sur le « contingent », de l'Armée tirant sur l'Armée, mais, ceci est plus fondamental encore, des Français tirant sur des Français. Rupture de la Nation que l'on voudrait, que l'on espérerait provisoire, mais que l'on admettrait cependant comme temporairement nécessaire. Et pour refaire cette unité rompue, il ne faudrait plus compter à la fin que sur la lassitude et la peur, avec toutes les séquelles de haines


et de vengeances, pendant l'espace d'une génération. La nôtre a-t-elle oublié, après plus de quinze ans, certaines condamnations de Vichy ou de la Résistance? La guerre civile est donc politiquement désastreuse, au sens où « politique signifie le souci de l'Etat et non pas le succès d'un parti. Il semble d'ailleurs à tout homme de bon sens qu'actuellement la guerre civile eût amené la fin de l'influence française en Algérie, la perte d'autorité de la France parmi les Nations du monde, et, à l'intérieur, la ruine morale aussi bien que matérielle. Catastrophe et maladresse souveraine commise dans la recherche du bien commun. Ce n'est pas pourtant notre objet d'en écrire et d'enseigner ici la technique d'une politique efficace. Ce que nous devons, c'est rappeler, suivant les termes mêmes de l'archevêque d'Alger, le devoir chrétien en des temps difficiles et manifester en ce point les exigences de la morale et de la religion.

C'est dans cette persuasion que les autorités de l'Eglise de France ont parlé dès le lundi 24 avril, le Cardinal de Paris invitait les chrétiens à se joindre à sa prière dans la vieille cathédrale de Notre-Dame pour que fût évitée cette guerre civile que certains Français, certains chrétiens, semblaient décidés à déchaîner. Le 25 avril, les directives des Cardinaux de France étaient encore plus nettes dans la réprobation de la guerre entre Français, dans la confiance faite au pouvoir légitime pour procurer le bien commun, dans l'invitation à mesurer les conséquences « incalculables pour la paix internationale. Les Cardinaux demandaient, en leur déclaration « de la manière la plus pressante à tous les fidèles, quelle que soit leur angoisse d'âme, de s'unir par la prière en vue d'obtenir la concorde entre tous les Français, de tout faire pour que s'éloigne de la France le plus grand malheur qui la menace la guerre civile, de s'inspirer dans leur attitude et leurs initiatives du seul souci du bien commun assuré avant tout par le pouvoir légitime, de mesurer les conséquences incalculables, pour la paix internationale, des dissensions entre Français. »

Plus impressionnante encore, plus lointaine, mais plus haute, la voix du Pape Jean XXIII s'est fait entendre. Aux premières nouvelles des troubles, en effet, le Pape avait tenu à écrire au courageux archevêque d'Alger, si violemment, si grossièrement attaqué par certains catholiques, ou qui se


disent tels, et il nous semble qu'on n'a pas assez souligné l'importance de cette lettre. Le Pape y rappelait ce qu'il a dit bien des fois, que la paix véritable ne s'obtient pas par la violence et qu'elle implique le respect des droits soit des individus soit des collectivités

« Au cours des années difficiles de son fécond épiscopat, Votre Excellence a constamment exercé une action pastorale prudente et efiicace sur l'orientation et la pacification des esprits. Dans cette ligne elle trouvera toujours auprès de Nous, à l'avenir comme par le passé, approbation, encouragement et appui.

Fidèle à Notre devoir, Nous continuerons pour notre part à employer toutes nos forces en faveur de la paix véritable, qui ne s'obtient pas par la violence, mais qui résulte d'accords loyalement stipulés dans le respect des droits des individus et des collectivités. »

Les formules ecclésiastiques, que parfois nous sommes tentés de trouver sans impact, deviennent ici singulièrement incisives, avec une fermeté exempte de violence, exempte d'injure pour ceux qui se trompent et de bonne foi engagent leur vie (celle des autres aussi hélas). Mais elles ne gardent pas le silence à l'égard de l'erreur et de la faute.

Qu'on ne prétende pas découvrir ici une mauvaise habitude de douceur, un manque de virilité et une timidité d'hommes d'Eglise devant le sang. Le souci chrétien de la fraternité humaine n'est pas timide, ni la claire vue des exigences morales.

Parmi ces exigences morales, il faut rappeler d'abord ce n'est pas le plus important, mais c'est une condition nécessaire un espoir raisonnable de succès. Une folle aventure en ce domaine n'est pas seulement folle, elle est coupable, car c'est une faute de risquer en vain les désastres et les morts. Au contraire, le désespoir ne justifie rien. Nous touchons ici sans doute au fond du drame de nos frères d'Algérie et de ceux qui participent intensément à leur souffrance. Pour eux, en effet, la tentation de désespoir est proche, devant les sacrifices probables et les risques réels, et l'on comprend que dans leur désarroi et leur souffrance, dans la crainte d'avoir à quitter une terre qu'ils ont faite leur, ils aient pu crier, sincèrement et injustement, à la « trahison» de la Métropole. Cri de douleur, explicable, mais non pas justifiable; faute contre la patrie, dont on exige qu'elle se sacrifie sans pour


cela sauver ce qui ne peut être sauvé. Le mal en cette entreprise de révolte n'est pas de n'avoir pas abouti, mais d'avoir dû ne pouvoir aboutir.

L'espoir raisonnable du succès n'est cependant qu'une condition préalable, extérieure; une juste guerre civile, comme n'importe quelle autre juste guerre, n'est pas essentiellement celle qui peut réussir et la moralité n'y résulte pas d'un exact calcul du succès. Il faut le souligner et signaler qu'ici s'exerce l'une des tentations les plus dangereuses de notre temps celle de penser que le résultat, que la « fin », justifie les moyens. C'est en réalité la perspective même de la morale marxiste, suivant laquelle la seule règle est la fin de l'histoire et l'avènement de la société sans classes, tout étant permis pour cela. Ceux-là même qui s'opposent le plus violemment au communisme, parfois dans un immédiatisme dangereux, ne sont pas exempts du risque de contamination. L'Eglise, au contraire, qui a condamné la morale de la situation, tient qu'il existe des actes qu'aucune bonne intention, aucune conséquence heureuse ne peuvent rendre moraux. Nous l'avons répété, avec insistance, en cette Revue, au sujet de la torture. Il faut en dire autant de la violence faite aux libertés essentielles et aux justes aspirations des peuples. Il faut dire, dans la même perspective, qu'il n'est pas permis d'aller contre le bien commun de la patrie, quand il est défini par « la paix entre les citoyens, fondée sur la justice de leurs relations 1 », quand il s'identifie avec la charité. Les motifs les plus nobles n'y peuvent rien changer.

L'Eglise voit dans cette paix entre les citoyens une forme de la fraternité chrétienne, une forme de la charité, le devoir souverain qu'elle ne peut se lasser de prêcher. Mais la charité, dans un temps de colère, risque de paraître démission et veulerie. Ne faut-il pas d'ailleurs admettre en fin de compte que dans ce bien commun lui-même, de paix dans la justice, on soit réduit quelquefois à choisir pour la « justice », contre la « paix » ? C'est là le point décisif, où doit se juger la moralité d'un soulèvement.

Un premier élément, pour en décider, est la volonté com1. Etudes, janvier 1961, art. cit. p. 72.


mune. Il est bien entendu que le suffrage universel ne crée pas la justice d'une loi. Mais il apporte le signe de ce que veut et de ce qu'est la Nation réelle. Invoquer contre elle la Nation idéale, céder à la nostalgie d'un passé que souvent on transfigure, prétendre déceler la volonté profonde des citoyens au-delà et à l'encontre de leur vote, c'est à coup sûr manquer de réalisme.

C'est aussi second élément qui touche la morale manquer de tolérance, et refuser d'accepter les autres. Ne prenons pas la tolérance pour une compromission sans courage. L'Eglise elle-même l'admet en matière de foi comme l'envers de la liberté. La tolérance est, en tout cas, la loi de toute vie en commun et par suite elle est requise pour la vie nationale. Il faut donc résister au penchant, trop naturel et souverainement dangereux, à vouloir supprimer à tout prix les oppositions entre nous, ou même simplement à les « radicaliser de façon tranchante. Il est certain que devant certaines équivoques, dans le malaise d'accords et de désaccords entrelacés, on est porté à raidir et à durcir, pour réduire le champ des options à une alternative simple. Avec la pensée, explicite ou non, qu'après avoir refusé toutes les nuances intermédiaires, après avoir par exemple restreint le choix au communisme et au fascisme, on aura, pense-t-on, les mains libres pour s'expliquer de façon claire, ou plus exactement n'avoir plus à dialoguer mais à combattre. De là provient la tentation de découvrir des communistes qui s'ignorent, de prodiguer le qualificatif de « crypto », de rejeter dans le marxisme tous ceux qui ne professent pas à son égard une opposition sans nuance. Maladresse, à coup sûr, de grossir ainsi l'adversaire au lieu de chercher à l'isoler, mais surtout injustice et manque de vérité.

En fait, on a parfois manqué à la vérité en considérant les rebelles algériens, que le Marxisme, trop certainement, essaie d'utiliser et de coiffer, comme des communistes purs, et en assimilant leur guerre à la guerre subversive que le Marxisme conduit avec persévérance contre le monde occidental. On comprend certes l'agacement devant les roueries et les équivoques volontaires auxquelles les marxistes n'ont pas coutume de répugner, un agacement qii'arrompagne la tenta-


tion de passer aux extrêmes. Mais c'est précisément faire le jeu de l'adversaire, obéir à la dialectique qu'il veut instaurer, celle qui se formule à coups de baïonnettes et de canon et dont la synthèse est sanglante. C'est surtout manquer à la vérité et à la justice aussi bien qu'à la charité et il est immoral de simplifier ainsi, par violence, les attitudes réelles des hommes.

Ajoutons enfin que, dans l'angoisse même sur le devoir, la présomption demeure toujours en faveur du pouvoir établi, tant qu'il ne se montre pas ouvertement tyrannique, c'est-àdire tant qu'il ne s'oppose pas à la volonté commune, qu'il ne contrarie pas le bien commun dans ses intérêts les plus profonds et ne se montre pas « vendu à à des intérêts égoïstes.

Nous n'avons guère touché, en ces lignes un peu abstraites et qui peuvent paraître détachées, à la plaie dont tous sentent la souffrance, l'avenir des Français d'Algérie. Cette angoisse, quoi qu'on en ait pu dire, pèse lourdement sur les Français de la Métropole. Depuis des années ils ont donné argent et sang, ils ont donné leur souci, et ce souci passe avant tous les autres.

Le problème n'est pas pour nous de continuer ou interrompre cet effort. Il est de savoir à quoi il peut réellement aboutir et par quels moyens. Nous rappelions le devoir de fraternité dans la Nation cette fraternité doit actuellement s'exercer plus spécialement envers les Français d'Algérie. Non pour les soutenir dans une entreprise impossible, mais pour les aider à maintenir en Afrique du Nord une présence française amicale, eflicace, qu'il est possible encore d'espérer et de vouloir, qu'il est du devoir de la France de garantir et de protéger.

Jean-Marie LE BLOND.


LA SCIENCE

AU SERVICE DE LA DÉCISION

L'essor de techniques intellectuelles d'un type nouveau

visant à accroître l'efficacité de l'action constitue un des traits les plus caractéristiques du développement contemporain de la pensée scientifique. Nous nous trouvons aujourd'hui en présence d'un ensemble complexe de disciplines, Recherche opérationnelle, Théorie des jeux, Statistique, Cybernétique, Théorie de l'information, Econométrie, etc., dont les définitions sont encore assez flottantes et qui s'enchevêtrent les unes dans les autres. Mais une intention fondamentale leur est commune l'introduction dans la conduite de l'action du style scientifique qui, jusqu'ici, n'avait marqué que la connaissance spéculative de la nature ou les techniques matérielles. Il s'agit là d'une véritable révolution mentale, méthodolo-

gique, dont nous commençons seulement à mesurer la signification et l'importance. Elle affecte les domaines les plus divers économie, industrie, administration, organisation de la recherche, problèmes militaires, etc., y suscitant des modifications souvent profondes des notions et conceptions de base.

Ces méthodes nouvelles, qui s'étaient jusqu'ici développées

dans des cercles assez restreints, gagnent aujourd'hui une plus large audience et commencent à intéresser le grand public. Curiosité légitime, mais qu'il n'est pas aisé de satisfaire ces méthodes se cherchent encore, elles n'ont pas tout à fait clairement défini leur objet ni explicité leurs fondements et elles sont parfois marquées d'un assez fâcheux ésotérisme. Aussi leur abord est-il passablement ardu. Cependant, en raison de leur extension rapide et de leurs incidences humaines, sociales et économiques, il importe que tous ceux qui de quelque manière ont des responsabilités dans la cité d'aujourd'hui, en puissent saisir, sans tarder, au moins les idées directrices et


les visées majeures. Tâche d'autant plus nécessaire que nous voyons présentement proliférer à leur sujet des exposés vulgarisés qui risquent souvent d'en fausser l'intelligence. Nous voudrions ici porter plus spécialement notre attention sur un thème majeur qui domine la plupart de ces techniques celui de la décision. A la différence des techniques classiques d'action telles que, par exemple, l'élaboration des matériaux, la construction, ou même des techniques intellectuelles comme l'organisation du travail ou la comptabilité, qui mettent en œuvre des éléments certains et reposent sur des déterminismes clairement explicités, ces techniques nouvelles concernent plus ou moins directement des situations marquées d'incertitudes et qui appellent la décision. Elles entendent y dégager une rationalité en vue d'une prise de décision aussi efficace que possible.

Sans doute la sage et profonde philosophie qu'une longue tradition nous a transmise nous a toujours enseigné que la raison doit éclairer la volonté; mais c'est d'aujourd'hui seulement que date le propos et la possibilité effective de faire intervenir de façon systématique et générale la méthode scientifique dans la préparation des décisions. Par association et intégration à divers degrés de ces techniques nouvelles, nous voyons actuellement se constituer une science de la préparation des décisions nous dirons souvent pour faire bref, «science de la décision», sans que par là, il convient dès maintenant de la noter sauf à y revenir plus tard, nous entendions y voir une doctrine qui impose la décision, celle-ci demeurant toujours en définitive un acte libre.

La discipline désignée, de façon si peu heureuse et si peu suggestive, par le terme de Recherche opérationnelle et dont les contours sont encore assez indécis, semble pouvoir être à peu près identifiée, dans son état actuel, à cette science de la décision. Mais c'est cette dernière expression, plus juste et plus évocatrice, que nous retiendrons dans les explications qui vont suivre.

L'institution de cette discipline nouvelle implique un assez profond changement de perspective dans la conduite de l'action. Alors que, dans le passé, la plupart des décisions, semblaient ne pouvoir procéder que de considérations intui-


tives ne relevant aucunement du mode de pensée pratiqué dans les sciences et techniques de la nature, nous voyons aujourd'hui intervenir dans la préparation des décisions des démarches de pensées conduites « more scientifico » On se croyait sans ressources devant le manque d'informations, devant la complexilé et les multiples incertitudes des réalités humaines; et voici que la mise en œuvre de la méthode scientifique vient apporter de précieuses suggestions pour la prise des décisions. Nous avions donc une vue étroite des possibilités d'application de la méthode scientifique, ne la croyant capable que d'éclairer les réalités certaines, n'ayant pas assez de confiance dans le pouvoir de l'esprit. Nous l'avions cantonnée dans les sciences de la nature; aujourd'hui s'ouvre à elle le très vaste domaine des actions humaines; très vite son application s'y est révélée féconde a.

Il nous faut maintenant essayer de dire de quoi est faite au juste cette science 1. Ce n'est pas là chose aisée, car, si son 1. Nous limitant à l'aspect formel de la prise de décision, nous ne traiterons pas ici des aspects sociologiques et psychologiques de la décision qui font actuellement l'objet d'importants travaux. On s'attache notamment à identifier les centres de décision, leur nature et leurs rapports, et le contexte humain des prises de décision.

1. Pour une présentation d'ensemble non technique de la Recherche opérationnelle et de la science de la décision, nous nous permettons de renvoyer à notre article de la Revue de l'Action populaire (avril 1958), «La Recherche opérationnelle », où l'on trouvera un exposé beaucoup plus concret et détaillé de la question et une bibliographie que nous ne reprenons pas ici. On consultera aussi Problèmes et techniques de la Recherche opérationnelle (Office belge pour l'accroissement de la productivité 1960), comportant une précieuse bibliographie et « la Recherche opérationnelle au service de l'Entreprise», numéro spécial de la revue Gestion (Dunod, avril 1961). Signalons aussi trots autres excellentes vues d'ensemble de M. Guii.baud dans le numéro 1 de la Revue de Recherche opérationnelle (Dunod, 4" trimestre 1958), de M. VENTUHA dans le numéro du 4e trimestre lflfiO de cette même revue, et de M. MEHL dans le tome XX de l'Encyclopédie française, Le Monde en devenir. Pour des vues à la fois plus larges et plus approfondies, voir le remarquable numéro de la Revue Economie appliquée (janvier-mars 1960), « l'Incertitude et l'action », le compte rendu, à paraltre, du Colloque du C.N.R.S. sur la décision (1959), le grand ouvrage de Pierre MASSÉ, Commissaire général au plan, Le Choix des investissements (Dunod, 1959) et la récente traduction française de l'ouvrage américain de ACKOFF, ARNOFF, Churchman, Eléments de Recherche opérationnelle (Dunod, 1960, 570 p., 68 NF). Dans une perspective encore plus large, on pourra se référer à l'ouvrage récent de G. G. GRANGER, Pensée formelle et Sciences de l'hnmme (Aubier, 1960), qui contient des vues pénétrantes, mais souvent insuffisamment élaborées et exprimées d'une façon trop enveloppée.


objet est un et clairement défini, ses moyens sont multiples et l'on en voit sans cesse surgir de nouveaux pour la science de la décision tout est bon qui peut contribuer à éclairer une situation au sujet de laquelle il faut prendre parti.

Etat de choses quelque peu déconcertant une discipline aussi multiforme ne semble pas susceptible d'être délimitée. En devenant tout, la science de la décision risque de n'être plus rien de spécifique. Et devant une carrière aussi vaste, les esprits avides de synthèses obtenues à bon compte, ne vont-ils pas vouloir exalter cette discipline comme une superscience, comme la science des sciences?

Nous ne nous laisserons cependant pas impressionner par ces périls et ces indéterminations. Si les méthodes et disciplines les plus variées concourent effectivement à la préparation des décisions, ce n'est, pour le plus grand nombre, qu'à titre auxiliaire. Aussi ne porterons-nous notre attention que sur les méthodes et les doctrines qui fournissent directement des éléments rationnels en vue de la prise de décision. De la sorte nous sommes conduits à évoquer deux types d'investigations.

une méthode très générale d'analyse, dans l'ordre de l'action, des réalités incertaines, ou, du moins, des réalités marquées d'incertitudes, sur lesquelles la science classique n'avait pas eu prise jusqu'ici.

des méthodes nettement spécifiées dans leur nature et leurs objectifs, directement aptes à surmonter les incertitudes de l'action. Nous en retiendrons deux, particulièrement remarquables la théorie des probabilités et la théorie des jeux. La préparation rationnelle d'une décision requiert en premier lieu une compréhension aussi complète et exacte que possible de la situation dans le contexte de laquelle doit intervenir une décision. Cette préparation appelle donc la mise en œuvre des méthodes d'analyse positive et des démarches inductives et déductives qui ont fait leurs preuves dans les sciences de la nature.

Une telle investigation scientifique n'est devenue possible dans le domaine des actions humaines que parce que nous disposons aujourd'hui de moyens matériels et intellectuels


incomparablement plus puissants que dans le passé, même encore tout récent.

C'est ainsi que les techniques d'information et de mesure nous permettent maintenant de recueillir et soumettre au calcul, à des coûts relativement peu élevés, des données qui autrefois étaient considérées comme pratiquement inaccessibles et inutilisables.

Dans l'ordre intellectuel, le progrès des techniques mathématiques, auquel nous devons notamment la théorie approfondie des probabilités et la statistique moderne que nous évoquerons plus loin, ainsi que la programmation linéaire, nous a fourni des structures formelles qui nous ont permis de maîtriser de façon sûre des situations particulièrement délicates et complexes.

Les démarches d'une telle compréhension scientifique des réalités de l'action impliquent d'abord une minutieuse identification des très nombreux facteurs susceptibles de jouer un rôle dans la prise d'une décision et la détermination des liens qu'ils peuvent avoir entre eux. Il convient ensuite de reconnaître et de classer les divers types de décisions possibles et les conditions dans lesquelles elles auront à être prises ce qui suppose que celui qui doit décider ait clairement formulé les objectifs qu'il souhaite atteindre, ce qui n'est pas toujours le cas.

Mais pour être pleinement efficace, l'effort d'intelligence d'une situation d'action doit aller plus loin. Il ne suffit pas en effet d'identifier des variables, de reconnaître des relations et de recueillir des données; il faut en plus accéder à une compréhension d'ensemble de cette situation. Ceci implique que l'on en constitue un modèle. Il convient de s'arrêter quelque peu à cette notion, aujourd'hui si souvent mise en avant. On se gardera de voir dans l'idée de modèle une conception nouvelle qui distinguerait radicalement la science de la décision des disciplines scientifiques classiques, comme le laisseraient croire certains exposés savants. La détermination d'un modèle est postulée par la mise en œuvre de la méthode 1. A côté du cas relativement simple de la décision unique, la science de la décision s'intéresse aussi de plus en plus aux décisions séquentielles, c'est-àdire prises ail cours du temps.


scientifique telle qu'elle s'est précisée à notre époque, spécialement dans le domaine des sciences physiques. Elle intervient aussi bien dans les théories physiques que dans la science de la décision. Le modèle vise à rendre compte d'une réalité, non pas à la lumière naïve de la science ancienne qui « réalisait trop vite ses conceptions, mais en prenant pour base des hypothèses simplificatrices que l'on sait telles et en les associant d'une manière appropriée, qui conduit à l'élaboration d'une structure constituant une expression approchée de la réalité.

Ainsi le modèle ne doit être considéré. que comme un schéma de la réalité. Il n'en est qu'une représentation imparfaite mais il peut être corrigé. L'expérience conduit à en reviser les hypothèses. Ainsi amélioré, il rend compte de la réalité de façon suffisante pour les besoins de l'action. C'est sans doute dans la constitution de tels modèles que réside l'effort le plus original, le plus créateur des spécialistes de la préparation de l'action, disons à peu près équivalemment, des « chercheurs opérationnels ». C'est par là que leur démarche apparaît le plus nettement distincte des manières anciennes d'étudier les activités humaines. Le modèle est le fruit d'une invention; il procède essentiellement non d'une déduction mais d'un acte inductif qui en fait tout le prix et lui donne toute sa portée.

Cette étude scientifique qui a pris naissance au cours de la seconde guerre mondiale, et qui a été d'abord appliquée à des problèmes militaires (raids d'avions, convois de navires.) porte maintenant sur les questions les plus diverses. On tend précisément à les grouper en catégories correspondant chacune à un même modèle formel. Nous ne pouvons songer à les énumérer ici. Voici simplement quelques exemples les problèmes de stocks. Pour déterminer la quantité de produits à stocker (il pourra s'agir de pièces de rechange, de produits alimentaires, de machines, etc.), il convient d'opérer un arbitrage entre deux séries de facteurs opposés d'une part les coûts de stockage, d'immobilisation des capitaux représentés par les produits stockés, et les risques de détérioration et de dépréciation de ces produits; d'autre part,


les coûts de a défaillance quand l'épuisement d'un stock entraîne l'impossibilité de répondre à la demande.

les files d'attente ici aussi un arbitrage s'impose entre, d'une part, le coût de l'attente, qu'il s'agisse d'arrivée de bateaux dans un port ou du service d'un bureau de poste, et, d'autre part, le coût de la multiplication des « guichets ». On se trouve d'ailleurs ici en présence d'incertitudes de caractère aléatoire dont nous reparlerons plus loin, savoir, en l'occurrence, principalement les moments d'arrivée dans la file et la durée des opérations aux « guichets »

A côté de ces cas relativement simples, la science de la décision que nous pouvons ici tout à fait identifier avec la Recherche opérationnelle ne craint pas d'affronter des situations très complexes. Elle vient récemment d'aborder l'étude des grands ensembles d'habitation et des projets d'aménagement régional. Là aussi elle ne se borne pas à des observations partielles; elle entend aboutir à la constitution de modèles.

Il conviendrait de mentionner les obstacles auxquels se heurtent de telles recherches, même dans des cas apparemment simples. En dépit de leurs moyens, ces méthodes sont souvent impuissantes à atteindre certaines données (quantités, prix.) et à déterminer leurs relations. Aussi conduisent-elles parfois à des simplifications auxquelles on hésite à donner confiance.

Plus fondamentalement, la plupart de ces démarches supposent que les facteurs en jeu peuvent être exprimés par un nombre, ce qui, bien souvent, n'a pas lieu ou du moins n'est possible que de manière assez arbitraire. Tel est notamment le cas de la notion d'utilité si fondamentale pour l'analyse économique.

Passant maintenant aux moyens plus particulièrement susceptibles de permettre une élaboration aussi rationnelle que possible de la décision devant des situations marquées d'incertitudes, nous rencontrons tout naturellement d'abord le calcul des probabilités. N'est-il pas l'auxiliaire idéal de la décision puisqu'il a précisément pour objet, en présence de l'aléa, d'affecter à chaque modalité possible d'un événement,


un nombre mesurant le degré de chance que l'on a de le voir se produire?

La science de la probabilité et la science de la décision sont bien en effet étroitement solidaires. Dès lors que la pensée scientifique, renonçant à une totale sécurité, accepte de ne plus demeurer cantonnée dans le certain, en reconnaissant qu'il peut y avoir une science de l'incertitude fondée sur la notion de probabilité, la voie est ouverte pour l'application de la méthode scientifique au domaine des actions humaines, lieu d'élection de l'incertitude.

Cette vue est en grande partie vérifiée par l'histoire Pascal, dans un mémorable échange de lettre avec Fermat, en 1654, au sujet de la « règle des partis », c'est-à-dire du partage d'un jeu que l'on a arrêté avant qu'il soit achevé, pose pour la première fois les bases du calcul des probabilités en même temps qu'il fournit une norme de décision pour une situation humaine incertaine.

Probabilité et décision apparaissent aussi associés dans la doctrine des probabilités, plus élaborée, de Jacques Bernoulli qui, dans l'An, con jectandi de 1713, déclare

« Pour ce qui est sûr et hors de doute, nous parlons de connaissance et de compréhension; pour tout le reste nous disons conjecture et opinion. Conjecturer quelque chose c'est seulement mesurer son degré de probabilité; ainsi le savoir conjecturer se définit pour nous comme le savoir mesurer le plus exactement possible les degrés de probabilité. »

Au cours du xvme siècle, dans le sillage de Pascal, Fermat, Jacques Bernoulli et aussi de Huygens dont la contribution au nouveau calcul est également remarquable, nous voyons se développer un état d'esprit, soucieux d'appliquer le calcul des probabilités aux sciences et aux conduites humaines; ainsi chez un Condorcet et un Buffon 2. Mais c'est l'application des probabilités aux sciences de la nature qui ensuite retiendra surtout l'attention. C'est à celles-ci essentiellement que se limite Laplace, le « géant des probabilités », lorsqu'au seuil du 1. Nous devons à M. Guilbaud des exposés très pénétrants de ce mouvement d'idées, que les historiens des sciences avaient analysé jusqu'ici de façon assez superficielle. Voir Stratégie et décisions économiques (CNRS, 1954), et Communication au Colloque du CNRS sur la décision, en 1959.

2. Cf. GRANGER. La Mathématique sociale de Condurcet, P. U. F., 1956.


XIX" siècle il déclare dans une vue, pourtant ample et profonde, que le calcul des probabilités représente « la suppléance la plus heureuse à l'ignorance et à la faiblesse de l'esprit humain »

Ainsi se produit, comme le dit heureusement M. Guilbaud, une « éclipse du point de vue décisionnel », qui ne prendra fin qu'après la première guerre mondiale. Alors, se développe autour du thème de la statistique un renouveau d'idées avec J. Neyman, R. A. Fischer, Eg. S. Pearson, A. Wald, G. Darmois 1. Tandis que l'application des probabilités au domaine des réalités sociales et économiques s'était jusque-là surtout bornée à une collecte assez routinière de faits, à l'établissement de moyennes, et à la mise en évidence de régularités dues à la loi des grands nombres, comme notamment dans l'élaboration des tables de mortalité, base des opérations d'assurances sur la vie, des conceptions plus pénétrantes se font jour. Aussi bien d'ailleurs dans les sciences de la nature que dans les sciences humaines, la conduite des opérations et de l'expérimentation tend alors à être définie en termes de décision. Cette vue devait conduire à une organisation rationnelle de l'investigation positive, faisant apparaître que, là où l'on voyait traditionnellement des constatations, il s'agit en fait de paris, de risques assumés. Ainsi en va-t-il dans l'opération de mesure retenir pour « vraie » une valeur dans telle limite de précision, c'est en réalité décider d'user d'une valeur qui n'est pas certaine, mais qui a seulement 95 de chances (c'est communément ce seuil de certitude qui est choisi) de se trouver dans cet « intervalle de confiance ».

Cette perspective probabiliste et décisionnelle est aussi à la base de l'échantillonnage, dit aussi « sondage statistique », technique aujourd'hui familière au grand public qui n'en a peut-être pas encore aperçu toute la « philosophie » lorsque voulant connaître la « structure d'une « population », pour fixer les idées la répartition des opinions politiques dans une nation, nous nous contentons d'un « échantillon » de la population, qui n'en est qu'une faible fraction, mais qui a cette 1. Sur cette évolution voir deux études de Georges Dahmois, dans le tome XX de l'Encyclopédie française, « Le Monde en devenir », et dans la Revue de V Enseignement supérieur (I960, n. 1).


caractéristique fondamentale d'être choisi au hasard, nous renonçons évidemment à une connaissance certaine. Mais, les enquêtes exhaustives étant fort coûteuses, il est naturel de procéder ainsi. L'échantillon étant déterminé de telle sorte qu'il nous fournisse des résultats ne s'écartant que peu de ceux d'une enquête complète, nous atteignons, comme dans l'exemple précédent, une certitude qui sera pratiquement de l'ordre de 95 de chance, ce qui est largement suffisant. Les considérations probabilistes jouent aussi un rôle important dans les «tests d'hypothèses », aujourd'hui d'usage si courant. Ces tests permettent notamment d'affronter des situations radicalement incertaines; ainsi dans l'expérimentation agricole où, cherchant, par exemple, à comparer des rendements d'espèces végétales, ou des types de traitements, on se heurte aux incertitudes météorologiques et à la variabilité de la fertilité des sols. Il s'agit alors, lorsque l'on compare deux résultats, de savoir si leur différence est significative d'une réelle supériorité d'une espèce sur une autre, d'un traitement sur un autre, ou bien si ces différences doivent être seulement attribuées aux aléas de la météorologie ou des sols. Pour de telles décisions expérimentales, de remarquables méthodes ont été mises au point. Elles reposent sur le calcul des probabilités, impliquant fondamentalement l'acceptation d'un risque d'erreur effectif, bien que très faible.

Cette promotion des probabilités et de la statistique, au sens renouvelé que l'on vient de définir, tend à donner un nouveau visage à la méthode scientifique. Comme l'a fait observer Georges Darmois, récemment disparu, qui a tant œuvré pour cette cause, « la notion de probabilité une fois profondément ancrée dans l'esprit en modifie profondément les réactions». Nous acquérons aujourd'hui une familiarité avec l'aléatoire qui constitue une véritable manière nouvelle de penser.

Mais, si grandes que soient les possibilités du calcul des probabilités, elles ont cependant des limites. Ce calcul n'a de prise que sur une catégorie assez restreinte d'incertitudes, celles-là seulement qui sont probabilisables, et même uniquement celles dont la loi de probabilité peut être en fait connue.


Encore ne suffit-il pas de savoir qu'une probabilité relève de tel type de loi; il faut aussi connaître les paramètres exacts de cette loi, ce qui n'est pas, non plus, toujours possible 1. Le profane ignore sans doute les perplexités du chercheur opérationnel ou du statisticien lorsque, par exemple, il lui faut, sur la base de la connaissance des crues d'une rivière depuis un siècle, déterminer la probabilité des crues des années à venir, ou lorsqu'il doit fixer la probabilité future du volume mensuel des ventes d'un produit 2.

Mais au-delà de ce qui, au prix d'efforts souvent très pénibles, et avec une large marge d'hypothèses imparfaitement garanties, peut être atteint par le calcul des probabilités, il est des incertitudes radicalement non probabilisables, par exemple, l'évolution politique d'un pays, ou même le progrès technique dès lors que l'on veut faire porter les prévisions au-delà de quelques années. Ici le calcul des probabilités ne peut plus être directement d'aucun secours.

Mais là où la seule théorie des probabilités se révèle impuissante, nous trouvons souvent une aide dans une autre doctrine de constitution toute récente, la théorie des jeux 3. Ainsi désignée parce que les jeux de société lui ont fourni son point de départ et parce qu'ils en offrent de nombreuses, instructives et plaisantes illustrations, cette théorie est en réalité d'une portée beaucoup plus ample que ne le suggère son nom. Elle n'est pas seulement objet de récréation; elle s'occupe surtout de choses sérieuses, savoir essentiellement les situations de conflits, celles où nous sommes en présence d'adversaires dont les projets exacts ne nous sont pas connus, alors que cependant il nous faut prendre un parti. L'économie, 1. D'ailleurs dans le cas d'un acte unique, on pourra toujours se demander, même quand la loi des probabilités en est connue, dans quelle mesure il est raisonnable de choisir le parti le plus probable. La question demeure disputée. 2. Pierre Massé, Propos incertains, Revue de Recherche opérationnelle, 2' trimestre 1959, p. 66.

3. Sur la constitution et l'esprit de la théorie des jeux, on se reportera aux études citées plus haut de M. Guilbaud, ainsi qu'à un rapport ronéotypé du même auteur, présenté au Congrès des Economistes de langue française, en mai 1954. Voir aussi une étude de Claude BERGE dans l'Encyclopédie française, Le Monde en devenir. Cf. également P. Chanieb, La théorie des jeux et les sciences humaines, Cahiers de l'Institut de Science économique appliquée, mars 1960.


le commerce, la politique, la guerre et, plus largement, toutes les situations où s'affrontent des intérêts divergents, relèvent de son domaine.

On trouve déjà chez Pascal, dans les réflexions mêmes qui le conduisirent, comme nous l'avons noté plus haut, à fonder le calcul des probabilités, une première orientation vers ce genre de problème. On relèverait de même des approches de la théorie des jeux chez Jacques et Daniel Bernoulli, Condorcet et d'autres probabilistes du xvm° s. Au xix" siècle, on peut reconnaître dans les vues de Clausewitz sur la guerre (1833) une perspective voisine de celle de la théorie des jeux, lorsqu'il déclare que « la guerre a moins de rapports avec l'art et la science qu'avec le commerce, en raison des conflits qui s'y manifestent ».

Mais, comme l'a si bien souligné M. Guilbaud, c'est seulement chez Cournot que l'on rencontre une vue vraiment explicite et déjà assez élaborée d'une doctrine des jeux. Dans ses Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses (1838), Cournot adresse un appel aux polytechniciens à « envisager sous le point de vue purement abstrait certaines relations assez curieuses dans les notions sur la concurrence et le concours des producteurs ». Cournot ne devait pas se contenter de formuler un souhait; il sut lui-même reconnaître et analyser de façon profonde certains aspects fondamentaux de cette doctrine. Mais c'est seulement après la première guerre mondiale que se constitua véritablement la doctrine des jeux. En 1921, Emile Borel en pose, dans une note célèbre, les fondements et, en 1928, le grand mathématicien Von Neumann, Autrichien établi aux Etats-Unis, en présente à son tour et de façon indépendante les idées maîtresses; il publie, en 1944, en collaboration avec Morgenstern, le premier grand traité de théorie des jeux 1. Date mémorable qui marque l'instauration d'un mode scientifique de réflexion sur l'action humaine, entièrement nouveau et d'une grande portée à la fois pratique et philosophique. Depuis, les travaux sur ce sujet difficile se sont multipliés; d'importants résultats ont été 1. Theorg of Games and Economic Dehavior, Princeton University Press. Edition révisée 1956.


obtenus qui ont conduit à des applications souvent très intéressantes. Celles-ci cependant demeurent encore assez limitées. Car ce que nous offre le plus souvent la réalité, ce ne sont pas les cas simples que seule la théorie domine bien.

Il ne saurait être question d'évoquer, même sommairement, les principes de cette doctrine. Mais deux exemples élémentaires nous permettront d'en donner quelque idée

Soit le jeu bien connu de pair ou impair 2. Pierre cache une bille soit dans sa main droite, soit dans sa main gauche, soit dans sa poche. Si Paul désigne la bonne main, il gagne cent; s'il se trompe de main, il perd cent, et si la bille est dans la poche de Pierre, personne ne gagne rien. Pierre peut adopter une des trois stratégies pures bille dans la main droite, bille dans la main gauche, bille dans la poche. Paul peut, parallèlement, adopter une conduite analogue désignant systématiquement à chaque coup soit la main droite, soit la main gauche, soit la poche. Mais Pierre, et aussi Paul, peuvent user d'une stratégie beaucoup plus propre à dérouter l'adversaire, savoir une stratégie mixte, consistant à tirer au sort ce qu'ils doivent faire, selon une probabilité fixée à l'avance main droite, main gauche, poche. Von Neumann a formulé au sujet de cette stratégie un théorème profond, d'une grande portée, valable pour des cas très généraux. Le second exemple nous permet de mettre en évidence le fait que la théorie des jeux laisse une large place aux options personnelles.

Il s'agira d'un jeu où l'adversaire est la nature. Ces jeux contre la nature, qui retiennent actuellement beaucoup l'attention, correspondent à des cas où le comportement de la nature ne peut être prévu en probabilité et où cependant, on peut définir une ou plusieurs conduites rationnelles. Imaginons un vendeur à la sauvette qui se demande s'il doit vendre des journaux ou des fleurs, alors qu'il ignore quel temps il fera, estimant ne pouvoir pas même attacher 1. Initiation facile mais cependant très suggestive à la théorie des jeux dans Williams, La Stratégie dans les actions humaines (Dunod, 1956, traduit de l'américain).

2. Exemple analysé avec détail dans l'article cité de CI. BERGE dans l'Encyclnpéilie française


une probabilité aux éventualités beau, couvert, pluie 1. A supposer qu'il ait pu chiffrer les montants des ventes qu'il réaliserait dans chacune des éventualités associées, de temps et de types d'objets vendus (journaux ou fleurs), notre commerçant occasionnel se trouve devant plusieurs partis possibles: il peut opter (critère de Laplace) pour celle des stratégies (fleurs ou journaux) qui correspond à la plus forte moyenne des gains espérés, choisissant entre, d'une part, la moyenne des trois gains possibles de vente de journaux selon que le temps est beau, couvert ou à la pluie et, d'autre part, la moyenne de vente de fleurs dans les trois mêmes circonstances météorologiques. Mais il peut aussi prendre le parti (critère de Wald) qui consiste à choisir celle des stratégies (fleurs ou journaux) qui lui assure le gain maximum parmi les gains minimums, c'est-à-dire parmi ceux au-dessous desquels, quoi qu'il arrive, il ne risque pas de descendre; opter de la sorte revient à «jouer» comme si le pire devait se produire. Ces deux critères, et d'ailleurs plusieurs autres, sont à la discrétion du joueur. Aucun ne s'impose de façon rationnelle. Le choix du critère sera souvent affaire de tempérament. Des analyses profondes ont été développées à ce sujet, conduisant à une détermination des comportements humains raisonnables que la seule intuition est impuissante à atteindre 2. On comprendra combien variés et difficiles peuvent être les problèmes de théorie des jeux, si l'on note que les « jeux» » se définissent principalement à partir des types suivants de données nombre de joueurs, information possédée par chaque joueur sur l'ensemble du jeu, nombre d'actions possibles pour chaque joueur, enjeux de la partie.

Afin de saisir plus profondément le caractère et la portée de la science de la préparation de la décision, nous voudrions 1. Analyse plus détaillée dans Economie appliquée, c l'Incertitude et l'action », op. cit.

2. Analyse remarquable à ce sujet dans le numéro cité d' Economie appliquée, « l'Incertitude et l'Action ».


maintenant, en manière de conclusion, essayer de préciser sa situation au sein de l'action, de la vie et de la culture. Cette science à laquelle de plus en plus, comme nous l'avons déjà noté, tend à s'identifier la Recherche opérationnelle qui, de la sorte, parvient elle-même à se mieux définir et à se mieux situer, est assurément au cœur de l'action humaine, puisqu'elle est directement au service de l'acte de liberté qui pose la décision. Elle se trouve même en position dominante par rapport aux autres disciplines d'action qu'elle mobilise, comme nous l'avons vu, à son service. On risquerait cependant de ne pas apercevoir exactement la nature et la fonction de ces autres disciplines, si on ne veillait pas à leur conserver une suffisante autonomie, qu'il s'agisse de disciplines générales comme la cybernétique et le traitement de l'information, ou de disciplines plus concrètes, comme la technologie, l'organisation du travail, la gestion des entreprises, l'économie, la sociologie, la psychologie. Ce qui ne veut pas dire que ces disciplines ne puissent tirer profit d'une ouverture sur la science de la décision; mais celle-ci, grisée par ses conquêtes, risque de ne pas respecter ses limites et de devenir quelque peu totalitaire.

Il conviendra notamment de ne pas oublier que, si remarquables qu'ils soient, les moyens qui ont été récemment élaborés pour assurer une préparation rationnelle des décisions n'en ont pas moins un caractère formel. De la sorte, ils ne représentent qu'un aspect de l'action humaine, celle-ci concernant en définitive des êtres de chair et de sang. Ces moyens ne prennent tout leur sens, ne sont vraiment utiles que s'ils demeurent référés, subordonnés à des situations concrètes.

Plus essentiellement, on peut craindre qu'une telle conception de l'intelligence et de la conduite de l'action ne conduise à accorder à la rationalité mathématique et à l'esprit d'analyse une place telle que se perde toute estime pour les voies plus intuitives et plus synthétiques de préparation des décisions, selon « l'ancienne manière ». Il y a là certes un danger dont il convient d'être conscient. Mais si ces méthodes viennent souvent se substituer, d'ailleurs pour un meilleur service de l'homme, à des façons de faire intuitives auxquelles nous


avions accordé des vertus qu'elles ne possédaient pas, elles laissent place à ce regard d'ensemble, à cette intuition globale des situations qui restera toujours le privilège des chefs et qui sera toujours nécessaire, ne serait-ce qu'en raison des possibilités, finalement tout de même assez restreintes, de ces procédés, si remarquables qu'ils soient, au regard de la complexité des situations humaines, et du caractère « impondérable » de tant de facteurs qui les conditionnent. Il n'en reste pas moins que ceux qui ont aujourd'hui la charge de décider ne sauraient ignorer ces méthodes nouvelles. Ils ne peuvent sans doute le plus souvent en acquérir la maîtrise, mais il convient qu'ils en connaissent les objectifs et les principes, car, bien loin de s'opposer à l'intuition du chef, ces méthodes, contribuent au contraire à la nourrir, à l'éduquer, à l'orienter. Ce qui pose un problème de formation dont on commence seulement à reconnaître la gravité.

Plus essentiellement encore, ne devons-nous pas voir dans l'emprise croissante sur les affaires humaines de cette logique, de cette froide et implacable méthode scientifique, un progressif étouffement de la liberté? Fondamentalement, nous ne pensons pas qu'un tel péril existe. Sans doute, la science de la préparation de la décision tend à réduire à un petit nombre les options qui méritent d'être envisagées. Mais, en son sens profond, la liberté ne se mesure pas au nombre des choix possibles. Sous sa forme la plus haute n'est-elle pas adhésion à l'unique vrai, à l'unique bien?

En outre, si pressante que puissent être les suggestions élaborées par la mise en œuvre des méthodes scientifiques de préparation de la décision, la décision elle-même demeure un acte dont l'homme est seul à prendre l'initiative et à porter la responsabilité; ce que d'ailleurs, et ce n'est pas leur moindre mérite, ces disciplines nouvelles de préparation de la décision nous ont aidé à mieux comprendre.

Ajoutons qu'en de nombreuses occasions, et tout spécialement quand il s'agit des démarches ayant le plus de portée, engageant le plus profondément la responsabilité, les indications fournies par ces méthodes prennent pour base des données, des hypothèses, des objectifs, qui procèdent de libres déterminations. Le spécialiste de ces techniques n'impose pas


à proprement parler sa volonté à celui qui décide; mais il se contente de lui dire si vous voulez telle chose, c'est ainsi que vous devez vous comporter.

Aussi, bien loin de voir dans l'état d'esprit et les méthodes que nous venons d'évoquer, une source de déshumanisation et de subordination de l'homme à une raison tyrannique et impersonnelle, nous oserons y reconnaître une contribution au nouvel humanisme qui présentement se cherche. Humanisme qui sait le prix de l'humanisme du passé, mais qui doit intégrer notamment la valeur nouvelle que représente l'instauration d'une démarche rationnelle hautement élaborée dans ce domaine des actions humaines où l'on pensait, il y a encore peu de temps, que la méthode scientifique n'avait rien à faire. Il faut nous habituer à ces façons neuves d'aborder les situations humaines. Peut-être avons-nous ici une conversion à opérer. Elle nous coûtera sans doute. Mais, en nous faisant quitter le confort et la facilité de vues anciennes aujourd'hui périmées, elle nous permettra de mieux comprendre que la conception la plus sérieuse et finalement la plus spirituelle de l'existence n'exclut ni l'aventure ni la nouveauté. En nous y ouvrant nous nous détachons, nous nous faisons plus disponibles et, en définitive, nous sommes plus fidèles à notre vocation d'homme.

François Russo.


JEUNESSE ORIENTÉE,

JEUNESSE DÉSORIENTÉE ?

Il s'agit de l'orientation scolaire le problème- type qui s'impose en rigueur de nécessité et dont la solution parfaite n'apparaît pas prochaine, ni même peut-être possible; mais tant de bonnes volontés, officielles et privées, s'y affairent, tant de parents s'y intéressent, qu'il nous a paru utile d'apporter ici quelques réflexions.

C'est à une difficulté de vocabulaire que nous nous heurtons dès l'abord. A-t-on encore le droit de parler d'orientation scolaire? L'Ordonnance et les Décrets du 6 janvier 1959, « portant réforme de l'enseignement public ne nous parlent plus de « cycle d'orientation », mais de « cycle d'observation », et ils évitent avec soin de nous parler de sélection. Sélection, orientation, observation, trois mots qui depuis quelques années se sont chargés de résonances nouvelles et dont l'emploi comporte à présent des options sociales, philosophiques, voire politiques des mots qui sont presque devenus des symboles. Qu'il nous soit permis dans cet article de nous en servir encore selon l'usage commun, hors de toute prise de position. Si le vocabulaire a évolué, le problème, au fond, demeure toujours le même, et il est sérieux, parfois dramatique il s'agit que l'enfant, aux différents carrefours de sa croissance, choisisse, avec les conseils de ses parents et de ses éducateurs, les « bonnes routes », c'est-à-dire celles qui le conduiront le plus efficacement à son épanouissement d'adulte, à sa réussite, à son bonheur personnel, en même temps qu'à son plein emploi au service de son pays et de la société. Et si de tels choix sont graves déjà pour tout homme, ils le sont plus encore pour le chrétien au-delà de son destin temporel, ils engagent son destin spirituel. Une jeunesse non orientée risque plus que jamais, dans la complexité actuelle des


options et des carrières, d'être une jeunesse mal orientée, et donc une jeunesse désorientée.

S'il est besoin de se convaincre du danger que représentent des réformes trop hâtives, qu'on se rappelle le désarroi que provoquèrent l'an dernier dans l'esprit de nos potaches et de leurs parents les « réformes » successives du baccalauréat; ou que l'on recueille les jugements, parfois les lazzi, que, dans les revues pédagogiques d'aujourd'hui, décochent les maîtres les plus écoutés contre ce qui apparaissait hier le plus intouchable, sacré « .l'inénarrable Tronc commun », « la sélection par l'inaptitude », « la Sainte Pédagogie », « ces orientations successives et contradictoires », « ces éliminations brutales qu'on appelle par euphémisme, en se voilant la face, des changements d'orientation, mais qui sont bel et bien des expulsions ». Voici même des aveux plus déconcertants et qui émanent de plumes autorisées « L'orientation scolaire se cherche encore dans ses méthodes comme dans ses moyens d'action. Le problème n'est pas résolu de façon satisfaisante ni dans la forme ni dans le fond. » Autant de jugements qui nous invitent à la circonspection ces disputes sont sans doute le signe d'une volonté de progrès, et d'une parfaite loyauté dans les recherches. Mais que la jeunesse n'en fasse pas les frais on n'a pas le droit de traiter des enfants en cobayes d'expériences, et de transformer les écoles en laboratoires, au risque de compromettre des destins.

Essayons donc de baliser un peu notre réflexion sur ces graves problèmes d'éducation.

Et d'abord qui a le droit d'orienter une vie de jeune? Sommes-nous bien d'accord sur cette question préalable? Ce n'est pas certain. Et pourtant, en pays de liberté, il ne semble pas qu'on puisse hésiter sur la réponse c'est au jeune lui-même, et au jeune seul qu'appartient ce droit; ce n'est ni à sa famille, ni à ses éducateurs, ni à l'Etat. Mais par contre il importe extrêmement que le choix du jeune garçon ou de la jeune fille soit éclairé par sa famille, et par ses éducateurs, et par l'Etat. Informations, conseils, avertissements, renseignements, tout cela peut et doit être prodigué au jeune; mais une orientation ne saurait lui être imposée


de l'extérieur, par contrainte il doit la faire sienne, sinon par sa libre initiative, du moins par son consentement. C'est à lui qu'il appartient en définitive de choisir son avenir et sa vie.

Que ce choix soit difficile, nul ne le conteste. On pourrait même soutenir, sans excéder dans le pessimisme, qu'il est souvent hors de la portée des jeunes. Car les trois éléments majeurs qui doivent fonder en sagesse sa décision, lui échappent longtemps, du moins pour une large part la connaissance de lui-même, l'appréciation vraie de sa situation familiale, le sens des structures économiques du pays. Lui-même, sa famille, le pays étant d'ailleurs, non pas des réalités stables, mais des êtres vivants, mouvants, en devenir, soumis à des développements qui ne sont pas tous prévisibles. Or, le drame, c'est que, dès le début des études, des choix s'imposent qui orientent l'enfant dans une direclion privilégiée et lui ferment certaines avenues ou les lui rendent plus difficultueuses une orientation d'études constitue déjà une orientation professionnelle, une orientation d'existence. Alors que choisir? Comment choisir? Selon quels critères? Le jeune ne se connaît pas lui-même. La conscience que l'enfant peut avoir de ses dons, de ses qualités, de ses défauts, de ses limites, est sommaire, simpliste. Et il demeure ainsi longtemps un mystère à lui-même. Seule l'expérience, l'expérience de la vie, le révélera à lui-même, jour après jour, au fil de l'existence, au gré de l'événement, des chances ou des épreuves, des succès ou des échecs. L'adulte a déjà tant de peine à se connaître un peu, tel qu'il est, hors de toute illusion et de tout mensonge que peut-il bien en être de l'enfant en croissance? Même sur le plan strictement intellectuel, en dépit des notes scolaires, des places de composition, des bulletins trimestriels, des examens, il ignore au fond ce qu'il vaut et ce qu'il peut tout cet arsenal de chiffres et de cotes traduit-il exactement ses aptitudes, ses aptitudes dont dépend son avenir?. Chacun sait, par exemple, quelle influence exerce l'affectivité, notamment chez les filles ou chez les très jeunes garçons, sur les goûts ou les blocages intellectuels tel élève qui déclare soudain « aimer les maths » aime en fait le professeur qui à présent les lui


enseigne, ou subit l'influence d'un camarade « bon en maths ». Et puis de telles transformations interviennent au cours de l'adolescence, même dans l'ordre de l'esprit! C'est alors seulement que l'intelligence prend vraiment sa forme, ses goûts, ses intérêts. Juger de l'intelligence d'un enfant avant cette crise, ou le laisser en juger, c'est injustice, et dans tous les cas imprudence.

D'autant que, dans le choix d'un avenir, les qualités intellectuelles n'entrent pas seules en ligne de compte. Le caractère a autant, sinon plus, d'importance. Beaucoup de grandes Ecoles considèrent attentivement ce facteur avant d'admettre leurs candidats pourquoi n'en serait-il pas tenu compte au niveau de l'orientation scolaire? Les véritables élites ne sauraient se sélectionner d'après les seuls critères de l'esprit, mais selon la valeur humaine totale, c'est-à-dire selon cette puissance personnelle que chacun possède de se donner à soi-même un idéal, de le poursuivre et de l'atteindre. Il semble d'ailleurs que les responsables de notre enseignement secondaire se préoccupent de ce problème ce fut, on s'en souvient, l'un des soucis des pionniers des « classes nouvelles », que « l'enseignement soit pour l'élève l'occasion d'éprouver ses qualités d'esprit et de caractère, de préciser ses aptitudes, de développer au maximum les virtualités qu'il porte en lui, et de faciliter son orientation.» (cire. du 30 mai 1952). Les classes-pilotes de la réforme ont repris à leur compte cet idéal et prolongent, en tentant de le généraliser, cet effort pédagogique. Dans un congrès récent sur le cycle d'observation, un conférencier conseillait à ses collègues de se dessiner « le portrait générique» de chaque élève; le mot peut paraître pédant, il est juste c'est dans la mesure où l'observateur parviendra à saisir la personnalité profonde de l'enfant, et à la saisir dans son développement, qu'il conseillera avec sagesse une orientation.

Il est d'ailleurs un autre élément que le jeune a du mal à apprécier et dont le poids est pourtant considérable sur son destin scolaire le contexte familial. Pour ne prendre que ces exemples, l'enfant qui, pour aller à l'école et en revenir, doit exécuter de longs trajets à pied ou par transports en commnn, subit des pertes de temps et une fatigue qui


influent, de façon non négligeable parfois, sur son rendement scolaire. L'enfant bien nourri, bien soigné, à qui ses parents peuvent offrir une chambre de travail silencieuse, des vacances calmes, salubres, sera plus dispos pour l'étude que son camarade sous-alimenté, logé dans un appartement trop étroit, ou que la pauvreté familiale contraint à mille restrictions. Et que dire si l'on passe au climat culturel de la famille? C'est une chance considérable pour un enfant d'être élevé dans un milieu cultivé, d'y trouver livres et conversations, et, s'il en est besoin, conseil, réponse, aide. Le cas typique est celui de l'élève qui tombe gravement malade et qui reste éloigné de son école pendant de longs mois si la famille est pauvre, peu cultivée, c'est une catastrophe; si le père ou la mère peut suppléer le maître, ou si leur fortune permet d'engager des répétiteurs, le salut demeure possible. Et si l'on regarde au-delà de l'école, la position, les relations de la famille jouent encore de mille façons dans le choix et le développement d'une carrière c'est un véritable déterminisme qu'impose souvent, surtout dans les milieux populaires ou de petite bourgeoisie, à l'avenir de l'enfant, la situation familiale dans la montée sociale, le « saut » brusque reste l'exception, le franchissement progressif des étapes par chaque génération, la règle. Or, de ces pressions qui restreignent sa liberté, le jeune prend difficilement conscience claire; même lorsqu'il sent avec acuité ses chances ou ses « guignes » familiales.

Reste un dernier facteur dont le jeune doit tenir compte au moment de choisir son avenir et qu'en général il apprécie mal les débouchés probables dans les diverses professions, ce qu'on appelle parfois d'un mot affreux mais expressif « le marché aux hommes », tels qu'on les peut prévoir pour le temps où lui-même entrera au travail. Qu'il y ait là un nouveau déterminisme et que personne ne puisse rien contre lui, ou peu s'en faut, c'est une évidence. Le point est de savoir de quelle manière l'Etat, qui a la charge de veiller à l'avenir économique de la nation, doit s'y prendre pour orienter sa jeunesse vers les professions dont il aura besoin demain. Tant que nous sommes en régime de liberté, une solution est à écarter rigoureusement la contrainte, la


sélection forcée, qu'elle s'avoue ou qu'elle se camoufle sous les apparences bénignes d'une orientation dite scientifique il y a là une atteinte à la liberté personnelle qui est inadmissible. Reste à l'Etat un devoir et donc un droit d'information, de propagande, de publicité. Que voilà donc des mots dangereux! Qu'y faire, sinon veiller à ce que cette information soit propagée dans un esprit de stricte vérité et un souci du bien commun, et ne devienne en aucun cas une pression abusive. D'ailleurs la tâche de l'Etat ne se borne pas à renseigner la jeunesse sur la conjoncture économique il doit éclairer ses choix, l'informer convenablement des avantages et des servitudes des professions, afin qu'elle se décide à bon escient, et non sur des mythes. Mais ici le problème rebondit l'enfant ou l'adolescent le mieux informé est-il en mesure de juger de son propre cas? Il lui faut confronter ses aptitudes personnelles aux exigences du métier qui l'attire, et cette comparaison longtemps dépasse ses lumières. Cette analyse aboutirait-elle à une impasse? En serionsnous réduits à abandonner l'orientation de la jeunesse à la chance? Pascal aurait-il encore raison en dépit de nos efforts et de nos progrès? « La chose la plus importante à toute la vie, écrit-il dans les Pensées, est le choix du métier le hasard en dispose. La coutume fait les maçons, soldats, couvreurs. » Qu'il faille réserver une part, et une part non négligeable, au hasard, à l'opinion, à la chance, dans l'orientation d'un enfant, cela paraît incontestable. Mais ce n'est qu'une raison de plus de nous efforcer d'éclairer au mieux ce choix. Conscients de tous les déterminismes qui pèsent sur la jeunesse, nous percevons mieux que c'est à une libération de son âme que nous avons à procéder il serait trop long de nous étendre sur ce sujet. Quoi qu'il en soit, la certitude de ne jamais réussir pleinement doit nous stimuler à réussir un peu; la fragilité de nos succès doit nous rendre modestes, mais non pas blasés. Les éducateurs comprendront cette attitude l'orientation scolaire, comme toutes les tâches d'éducation, comporte à la fois une grandeur et une humilité, mêle la joie aux amertumes.

Malgré ses lacunes, ses limites, ses échecs et même ses erreurs, l'orientation scolaire (je prends le mot dans son sens


le plus humain) est une très belle tâche. Jamais peut-être elle ne fut plus urgente qu'aujourd'hui la « démocratisation de l'enseignement », le prolongement de la scolarisation, la poussée démographique, le rythme nouveau des temps d'études et de loisirs, la requièrent de plus en plus comme un complément indispensable de l'enseignement, ou plutôt requièrent de plus en plus qu'elle soit l'âme de l'enseignement. Mais il faut qu'elle soit consciente qu'elle n'atteindra efficacement ses buts que dans la mesure où, utilisant mais dépassant toutes les techniques, elle consentira à rentrer, comme un élément très important, certes, mais non point unique ni décisif, dans un ensemble plus vaste et plus humain l'éducation de la liberté.

Ici nous mesurons mieux l'importance des changements de vocabulaire qui sont intervenus dans les textes concernant la Réforme de l'Enseignement. Qu'il soit parlé maintenant de « cycle d'observation plutôt que de « cycle d'orientation », marque, si les mots ont un sens, une conversion capitale des attitudes. Il ne s'agit plus d'orienter impérativement l'enfant, avec ou contre le gré de ses parents; il s'agit d'observer l'enfant de onze-treize ans afin de conseiller au mieux sa famille. Encore qu'il faille bien noter que l'observation d'un enfant ne se cantonne pas dans ces deux années de sixième et de cinquième que l'observation se fasse alors plus attentive, qu'elle soit particulièrement importante, en raison des options qu'impose cette étape de la scolarité, soit! Mais il reste bien entendu que, selon la doctrine admise à présent par les plus avertis des orienteurs, l'orientation, et donc l'observation qui la sous-tend, est « une œuvre continue, menée par les parents, les éducateurs et le sujet dont on réclame de plus en plus la collaboration active ».

Si nous en croyons les textes officiels, il semblerait donc qu'une doctrine de l'orientation scolaire s'ébauche, qui respecte de plus en plus la liberté du jeune garçon ou de la jeune fille, et qui reconnaisse aux parents une primauté dans le conseil à lui donner, l'étude à faire de ses attraits et de ses projets, les décisions à envisager pour le présent et pour l'avenir l'orientation scolaire tend à devenir l'étude d'un cas personnel et la proposition d'un avis, plutôt que le


prononcé d'un verdict. De souveraine, qu'elle donnait parfois l'impression de vouloir être, elle accepte de redevenir servante. Servante extrêmement utile, irremplaçable même, dont les jugements seront d'autant mieux accueillis qu'ils ne se présenteront pas comme des ordres ni des mises en demeure. La nuance est considérable!

N'allons pas nous figurer cependant que, parce qu'on a changé les mots et modifié les attitudes, tout soit résolu. L'observation d'un enfant, d'un adolescent, est un art délicat qui, pour réussir, au moins dans une mesure appréciable, requiert un certain nombre de conditions auxquelles il n'est pas toujours commode de satisfaire.

Et d'abord, Monsieur de La Palisse n'eût pas mieux dit, pour observer, il faut des observateurs, et de bons observateurs. Ne s'improvise pas qui veut observateur de l'enfance, et moins encore de l'adolescence! A qui prétend jouer ce rôle, il faut un jugement sûr, de la finesse psychologique, le sens de l'âme humaine, de ses crises et de ses croissances, une expérience vraie de la vie, une sympathie, un instinct, bref un don qui ne semble pas départi à la majorité des adultes; et une erreur en ce domaine peut conduire à des désastres. Or, au cours de cette phase enseignement-observation (classes de 6. et de 5'), qui va observer l'enfant? Le « conseil d'orientation» s'appuiera fortement, semble-t-il, sur les rapports du « conseil de classe » l'innovation majeure consiste ici en ce que ce conseil de classe se réunit désormais treize ou quatorze fois par an, et que le professeur principal est appelé à y jouer un rôle prépondérant il coordonne l'action de ses collègues, il organise le travail des élèves à l'école et à la maison, il rassemble les différentes informations sur la conduite de l'enfant, sa famille, sa santé, etc. qui doivent constituer le dossier scolaire de l'enfant. Rôle immense, passionnant, mais dont il est aisé de prévoir quelles qualités et quel dévouement il exige de celui qui en est investi. Croyons-nous sérieusement qu'un Capes, une licence, ou une agrégation suffisent à préparer un professeur à ces responsabilités? Les dons humains, j'allais dire les vertus, que suppose un tel travail ne relèvent pas uniquement de l'aptitude à passer des examens! Et sont-ils si


communément départis qu'on puisse espérer munir toutes nos classes de sixième et de cinquième de ces parfaits observateurs ? Au fond c'est une sorte de sainteté, une sainteté laïque, bien sûr! un don de soi total et constant, qui doit animer désormais le professeur principal. Il n'est pas douteux que ce genre de générosité entre toujours, plus ou moins, dans une vocation enseignante suffira-t-il? L'expérience nous le dira. En tout cas, c'est déjà un gain que nous soyons en train de redécouvrir une loi très sage de la tradition l'éducation, c'est d'abord un éducateur; l'observation, c'est d'abord un observateur. L'homme, en ce domaine, prime les principes et les méthodes.

Encore faut-il que l'observateur sache ce qu'il doit observer, et comment l'observer, et qu'il dispose de moyens efficaces pour observer. On discutait fort, jusqu'à ces derniers temps, pour décider s'il convenait que les orienteurs fussent des enseignants ou des psychotechniciens. La question semble réglée par la réforme, puisqu'elle confie le plus lourd de l'observation au professeur principal. C'est conférer au travail scolaire une importance primordiale et là se tapit un gros risque. Très judicieusement les commentaires de la réforme mettent en garde l'observateur contre la tentation de prendre les résultats scolaires bruts comme critères d'orientation. Que signifient en fait une leçon bien sue, un devoir impeccable, un examen réussi, quand il s'agit d'un petit sixième? Peut-être une intelligence vive, ferme, sûre d'elle-même, une puissance réelle de comprendre, de percevoir, de créer, mais peut-être aussi une plasticité de mémoire qui confine au psittacisme, un don de mimétisme verbal, ou même peut-être tout simplement une obstination au travail qui arrache, à force de patience, quelques fruits à une terre en fait ingrate. Il est donc capital d'interpréter les résultats scolaires et de déceler, à travers eux, les aptitudes réelles de l'esprit. Mais cela conduit tout droit l'observateur à s'intéresser, dans les démarches intellectuelles de l'enfant, moins à leur efficacité qu'à leur «style», et à les situer dans l'ensemble du comportement l'étude du caractère s'impose. Comment l'entreprendre? Les travaux dirigés, surtout en équipes, les travaux scientifiques d'expérimentation, les tra-


vaux manuels ou artistiques, toute cette organisation d'activités que prévoit la réforme offre, à coup sûr, des occasions précieuses de connaître le comportement de l'enfant. Les tests aussi peuvent aider, et en général toutes les méthodes d'investigation du caractère, pourvu toutefois qu'on s'y montre plus attentif aux réactions du sujet pendant l'expérience qu'à ses réussites ou à ses échecs. L'observation tend donc à inventorier la personnalité profonde de l'enfant, donc aussi bien vite à déborder le domaine scolaire pour cerner l'enfant dans tous les milieux où il se meut, famille, amitiés, groupes de jeux, de sports, de loisirs. Une tâche d'une telle envergure ne dépasse-t-elle pas le professeur principal? Il lui est conseillé de constituer un dossier, et donc d'emprunter à d'autres une partie de ses renseignements; mais un dossier n'est par lui-même qu'une liasse de papier mort il faut que l'observateur le réanime, en replace les pièces dans le contexte original, unique, de la personnalité vivante de l'enfant. L'observation scolaire, c'est en définitive l'affrontement d'une personnalité d'adulte et de la personnalité de l'enfant.

Un tel affrontement requiert un certain climat. Si l'école est une geôle, un ghetto, ou le haut lieu de l'eimui, que maîtres et élèves n'aspirent qu'à fuir, ne parlons plus d'observation scolaire, pas plus d'ailleurs que d'éducation. Pour que l'écolier soit observable, il faut d'abord qu'il puisse se révéler nous nous excusons de pareils truismes! Et l'enfant ne se révèle que dans l'élan spontané, la lutte contre luimême, l'effort consenti, la confiance, la liberté dirigée, la joie de découvrir, de conquérir, de créer, de se hausser il ne se révèle qu'en s'épanouissant. Gardons-nous ici de nous évader au royaume d'Utopie les « institutions », les installations, les beaux programmes sont sans doute très précieux pour instaurer ce climat de révélation de soi pour l'enfant, et donc, pour le professeur, d'observation; mais, à tout prendre, il n'est pas absolument indispensable la « main » du maitre, son don personnel, est plus efficace que les murs de la maison; il est des instituteurs, des professeurs très pauvres en ressources financières, en équipements matériels, en locaux, en terrains de jeux. et dont la classe est un petit


paradis, l'enseignement une fête, une re-création, la rencontre une joie. Leur art est de tirer de chaque enfant le meilleur de lui-même, ou, plus exactement, de tirer chaque enfant vers le meilleur de lui-même, ils le haussent, ils l' « élèvent », ils l'é-duquent au sens originel du terme. Ils l'ouvrent sur la vie, l'avenir, les valeurs. De tels maîtres n'ont pas besoin qu'on leur propose des tests ou des méthodes, ils les inventent, et, s'ils les empruntent, ils se les approprient d'une façon personnelle, c'est-à-dire conformément à leur génie propre et à la personnalité de l'enfant. On imagine aisément que l'observation alors déborde le cadre de la classe et le temps du « cycle d'observation ». On n'en finit jamais d'orienter ainsi un enfant! L'orientation de cette sorte commence avec l'école primaire et elle ne se termine jamais; car une fois qu'on a éveillé chez l'homme le goût de la spontanéité créatrice, le sens de la liberté, il ne s'en départ plus; et même après qu'il aura choisi sa voie et son métier, même après que les exigences familiales ou professionnelles l'auront fixé, il gardera encore un besoin incoercible d'inventer sa vie, de se cultiver, d'épanouir sa personnalité, et de rayonner sa joie. Il aura la ferveur de vivre.

C'est donc à quelque chose de très humain, de très profond que' la réforme de l'enseignement appelle les maîtres de notre jeunesse. Observer l'enfant, ce n'est pas autre chose que découvrir et l'aider à découvrir sa « vocation » personnelle. Il est cocasse que les durs problèmes soulevés par « la démocratisation de l'enseignement », l'encombrement des classes, la démultiplication des disciplines et des options, l'urgence de satisfaire aux impératifs du progrès scientifique et d'une économie nationale en expansion, trouvent finalement leur solution dans un retour à l'une des lois les plus anciennes de l'éducation, et que cette libération s'opère par les étapes qui auraient pu être mortelles pour la liberté, c'està-dire par la nécessité de sélectionner les élèves, et la mise en place des techniques scientifiques d'orientation. Le bon sens, le sens de l'homme triomphe la liberté des jeunes est respectée, le rôle des parents est reconnu. Non que des déviations ou des contrefaçons ne soient toujours possibles. Mais du moins la voie est tracée l'enseignant, par cette réforme,


est convié à être ou, s'il le faut, à redevenir un éducateur. Il ne reste qu'à formuler un vœu c'est que l'enseignement, qu'il soit public ou privé, trouve assez d'hommes et de femmes qui s'enthousiasment pour cette tâche, qu'il leur fournisse des conditions d'existence, et je ne parle pas que de la douloureuse question des traitements, qui leur permettent d'entrer dans cette carrière, sans l'appréhension d'être jamais lassés ni blasés, qu'il les prépare correctement, les honore et les soutienne dans leur effort. C'est sur les vocations de ses enfants et sur leur accomplissement que se joue le destin d'une nation.

André Ravier.


L'APOSTOLAT DES RELIGIEUX

Au terme de la quatrième assemblée plénière de l'épiscopat français, tenue du 25 au 27 avril 1960, un communiqué rappelait l'urgence d'une tâche missionnaire coordonnée, en dépendance des évêques

«sur qui pèse d'abord la tâche missionnaire unis entre eux et avec le Souverain Pontife, ils sont responsables de la présentation de l'Evangile à tous les hommes. Par conséquent, c'est en dépendance des évêques que les prêtres et les fidèles reçoivent mission et mandat pour l'évangélisation, et c'est en conformité à leurs directives qu'ils doivent travailler à l'évangélisation de leurs frères. Plus que jamais, concluait l'Assemblée, il importe de réaliser l'unanimité et l'unité pastorales pour que nulle force apostolique ne soit perdue, pour que chacun puisse avoir son plein épanouissement1».

La fermeté et la netteté d'une telle prise de position ne demandent pas de commentaire, et son importance apostolique, dans la conjoncture actuelle de la France déchristianisée, n'a pas besoin d'être soulignée. Présentant aux lecteurs des Etudes 2 le communiqué de l'assemblée plénière, nous nous permettions d'écrire

Ces efforts ne seront vraiment efficaces qu'à une condition leur unification autour d'un épiscopat, qui, lui-même, s'efforcera de mieux manifester son unité.

Cependant une question demeure, et qu'il faut poser franchement celle de la relative indépendance dont jouissent les religieux prêtres, dans leur apostolat, par rapport à l'évêque. Cette indépendance tient à deux choses d'une part, l'évêque qui appelle les religieux à coopérer à l'œuvre que poursuivent, sous son entière direction, les prêtres de son diocèse, doit respecter les constitutions et les règles de l'Ordre religieux, et même les traditions et les usages qui y sont en vigueur; d'autre part, il sait que le religieux, à qui il confie une tâche, peut lui être retiré par ses supérieurs si ceux-ci estiment sa présence plus utile ailleurs.

1. Doc. cathol, n° 1328, 15 mai 1960, col. 608-609.

2. Etudes, juin 1960, p. 396.


N'y a-t-il pas là une source de difficultés, et, pour ainsi dire, une cause permanente de gêne pour cet effort apostolique commun, dont l'importance ne souffre pas de retards? Ne conviendrait-il pas de remettre en question cette « autonomie » des religieux, que désigne le Droit canonique sous le nom d'exemption? Ne faudrait-il pas souhaiter, comme l'a écrit une plume autorisée, que « le prochain Concile pose les bases d'une collaboration plus intime et rationnelle entre les deux clergés. les rendant plus accueillants à l'esprit d'union 1 » ? Il faut reconnaître, pour bien comprendre ce dont il s'agit, que le religieux prêtre ou la communauté religieuse se trouve en fait soumis à une double autorité celle de l'évêque diocésain, qui l'a appelé ou l'a autorisé à s'établir sur son territoire, et, par conséquent, réclame de sa part la soumission à ses directives, générales ou particulières; celle de ses propres supérieurs, qui conservent droit de regard, non seulement sur sa vie privée de religieux, mais aussi sur son apostolat. La chose est d'autant plus évidente que, d'ordinaire, cet apostolat ne s'exerce pas de manière isolée, mais dans des communautés que dirigent les supérieurs, qu'ils « visitent » régulièrement, auxquelles ils envoient conseils et directives.

L'exercice de l'apostolat des religieux prêtres est commandé par des accords entre les évêques et les supérieurs majeurs de l'Ordre ou de la Congrégation. Aux termes de ces accords, l'évêque, qui accepte la présence des religieux dans son diocèse, leur demande de se conformer aux directives générales qu'il donne à tous les prêtres de son diocèse, et aux conditions particulières qu'il peut imposer à leur établissement. Des arrangements, s'il en est besoin, s'établissent aisément la bonne volonté réciproque ne s'y refuse pas, et l'on trouve facilement la solution des difficultés concrètes qui pourraient surgir. Là n'est pas la question.

Elle est d'ordre théologique, et concerne la nature d'un apostolat qui semble se situer en marge de l'apostolat diocésain. Le principe de l'exemption ne va-t-il pas à rencontre de celui du diocèse? Ne vient-il pas creuser une brèche, pour ainsi dire, dans la structure diocésaine? Car, on y insiste 1. S. Exc. Mgr Charue, évêaue de Namur, Le clergé diocésain, tel qu'un pitèqire Ip nnit vt fp souhaite rwHpp Iflfid p 219.


fortement aujourd'hui, c'est à l'évêque, successeur des apôtres et chef du diocèse, qu'appartient en plénitude la responsabilité pastorale de tout l'apostolat diocésain s'il la partage avec ses prêtres, c'est en leur communiquant participation de sa responsabilité et de sa charge d'âmes; ce qui suppose une totale union et dépendance. Que signifie, dans cette perspective, un apostolat de religieux « exempts », sinon une source permanente de troubles possibles, une déperdition inutile de forces vives?

A rencontre de cette crainte, nous voudrions montrer ce qu'est, dans la pensée de l'Eglise, l'exemption des religieux un service de catholicité. Une seconde partie dira ce qu'apporte la vie religieuse à un apostolat sacerdotal qui n'a d'autre ambition que celle d'une collaboration humble et loyale avec le clergé diocésain.

Catholicité de l'apostolat.

Le Droit canonique reconnaît aux religieux, vis-à-vis de l'autorité diocésaine, un privilège qu'il nomme exemption. Le Code l'exprime ainsi « Les réguliers, y compris les novices, avec leurs maisons et leurs églises. sont exempts de la juridiction de l'Ordinaire du lieu, sauf dans les cas prévus par le Code 1. »

Ce privilège, ainsi exprimé en termes négatifs, semble une irritante exception, une sorte d'anomalie dans la constitution hiérarchique de l'Eglise, un principe de gêne pour l'apostolat le Code présente l'exemption comme une limitation des pouvoirs de l'évêque à l'égard des religieux. Ne s'agit-il pas là d'une survivance abusive d'un temps révolu, et ne conviendrait-il pas de souhaiter que cette législation soit revue et. corrigée? Il ne nous appartient pas, évidemment, de suggérer aux législateurs, ou au prochain Concile, une ligne de conduite. Qu'il nous soit simplement permis de présenter, avant d'aller plus outre dans la justification d'une exemption bien comprise et observée avec souplesse, deux remarques qui éclaireront le sujet.

1. Codex luris canonici, c. 615. On suit que le Code désigne sous le nom de réguliers les religieux appartenant à un Ordre, c'est-à-dire à un Institut dont les vœux sont reconnus comme solennels par l'Eglise (c. 488, n° 7).


La première, c'est que la formulation négative ne doit pas impressionner, et qu'il importe de prêter attention à la signification positive du privilège traditionnel, inscrit par le Code de 1917 dans la législation actuelle de l'Eglise. L'exemption n'est pas la soustraction des religieux à toute autre autorité que celle de leurs supérieurs, elle est l'afrirmation de leur stricte et immédiate dépendance du Souverain Pontife. Loin d'être, comme on l'a écrit de manière inexacte, « en marge de la hiérarchie», le religieux exempt est soumis, selon les expressions de Pie XII, « en tout temps et en tous lieux à l'autorité du Pontife romain comme à son supérieur suprême1», et ses propres supérieurs ne sont que les intermédiaires par lesquels s'exerce à son endroit la juridiction du Souverain Pontife.

L'exemption met donc en dépendance directe du Souverain Pontife les Instituts auxquels le Code, avec plus ou moins d'extension 2, en accorde le privilège. Loin de les affranchir de toute dépendance hiérarchique, elle signifie leur disponibilité à l'égard du Pontife romain; elle a valeur de signe de catholicité. Le travail du religieux-prêtre manifeste le souci missionnaire de toute l'Eglise; il se dévoue en liaison avec les prêtres du clergé local et en dépendance de la hiérarchie diocésaine, mais demeure disponible pour être envoyé demain là où quelque nécessité urgente réclamerait sa présence. L'exemption n'est pas un principe d'indépendance, la justification d'une autonomie capable de gêner l'oeuvre commune, mais une affirmation de catholicité, au sein même d'un apostolat inscrit dans la pastorale diocésaine.

La seconde remarque est suggérée par l'actualité. Il est clair ce n'est pas là une impression fugitive, mais, pensons-nous, un trait marquant de l'Eglise actuelle que les exigences présentes de l'apostolat manifestent la nécessité de certains regroupements sacerdotaux. On ne peut plus s'en tenir strictement aux limites étanches des diocèses. Pour ne parler que de la France, dont les réalités et les requêtes pastorales nous 1. Discours aux membres des états de perfection, dans R. CABPFNTIEIR, La vie religieuse. Documents pontificaux du règne de Pie XII, Bonne Presse, 1959, p. 26. Cf. canon 499, § 1.

2. Cf. E. FofiLiAsso, art. Exemption des religieux, dans Dict. de Droit canonique, V, col. 646-665.


sont familières, nous constatons chaque jour qu'une certaine interdépendance est devenue nécessaire. Il ne s'agit pas pour autant, assurément, de nier la valeur traditionnelle, canonique et spirituelle, du diocèse, dont les prêtres sont les coopérateurs permanents de l'évêque ni de prétendre bouleverser des structures géographiques qui, avec des aménagements indispensables, répondent aujourd'hui encore aux divisions naturelles du pays. Mais de constater seulement que nombre d'apostolats, au plan régional ou national, réclament la participation de prêtres employés, pour un temps, ou de manière habituelle, hors des limites de leur diocèse mouvements d'Action catholique, aumôneries nationales, Instituts supérieurs de recherche et d'enseignement, etc. Bien plus, un organisme comme la Mission de France représente, dans le clergé diocésain, la constitution permanente et canoniquement reconnue d'équipes sacerdotales au service de tous les diocèses de France par la Mission de France, semble-t-il, est entré dans le Droit et dans les faits le principe d'un clergé « supra-diocésain » spécialisé.

Et des projets, qui déjà obtiennent un commencement de réalisation par l'érection d'un Séminaire « européen » en Hollande, à la suite du Colloque international tenu à Vienne en octobre 1958 sur « le problème sacerdotal en Europe1», envisagent la constitution de groupes de prêtres mis à la disposition des régions les plus défavorisées de l'Europe « entraide sacerdotale » qui est en voie de passer du stade de l'idée généreuse à celui de la réalisation concrète.

Faut-il mentionner, dans la même ligne, l'aide que les diocèses de France pour ne parler que d'eux ont déjà commencé à fournir, sur l'invitation de l'encyclique Fidei donum, aux jeunes chrétientés d'Afrique? Au début de 1960, une cinquantaine de prêtres diocésains étaient mis par leurs évêques au service des évêques d'Afrique noire, et, depuis lors; ce chiffre a augmenté.

Ces quelques rappels permettent de mieux comprendre combien, aujourd'hui, la dimension de « catholicité » de l'apostolat sacerdotal apparaît urgente et s'inscrit, de manière irréversible, dans les faits.

1. Cf. Etudes, avril 1960, p. 101-104.


Or, l'exemption va dans le sens de ce mouvement suscité par le Saint Esprit. Elle est, non pas un appui juridique pour une rivalité entre réguliers et séculiers, bien dépassée, et dont sourient de bon cœur les anciens « adversaires », mais un service de catholicité nécessaire aujourd'hui plus que jamais. Car, il faut le remarquer, ces échanges et ces formes d'entraide, que nous constatons aux divers niveaux de la géographie pastorale, présentent le double trait de manifester une exigence de dépassement des barrières trop strictes, et de représenter des solutions empiriques, et, souvent, instables. L'exemption, par contre, relie, par une structuration hiérarchique simple et vigoureuse, le religieux au centre de la catholicité, le mettant immédiatement et statutairement au service de celle-ci. Quels qu'aient pu être les nécessités ou peut-être les abus qui, dans le passé, ont justifié ce rattachement au Saint-Siège de corps apostoliques souples et liés par le vœu d'obéissance, il est clair qu'aujourd'hui le seul sens possible de l'exemption est d'affirmer la catholicité de l'apostolat et de lui fournir des instruments efficaces.

Par le fait, les religieux sont au service de la responsabilité catholique de tout l'épiscopat. Car, rappelle l'encyclique Fidei donum, en plus de la juridiction sur l'église particulière qui leur est confiée, dont ils sont le Chef et l'Epoux, les évêques portent en commun, solidairement, en tant que successeurs des Apôtres, la responsabilité de l'Eglise tout entière « La mission d'enseigner toutes les nations, écrivait Pie XII, demeure confiée à tous les évêques- en communion avec le Vicaire du Christ car en eux, qui portent le titre d'envoyés, c'est-à-dire d'apôtres du Seigneur, réside la plénitude de la dignité apostolique 1. » Cette juridiction universelle, que les évêques exercent en corps dans la communion avec le Souverain Pontife, exige que soient mis au service de l'épiscopat des corps spécialisés, capables de « faire passer le grand courant de l'Eglise universelle à travers les préoccupations particulières à chaque diocèse». Si les religieux n'ont pas la prétention du monopole, ils ont la joie de constater que l'organisation traditionnelle de l'exemption les fait serviteurs des évêques collectivement responsables de tout l'apostolat catho1. A. A. S., XLIX, p. 237.


lique, et particulièrement de la permanence et de l'efficacité de l'apostolat missionnaire ne sont-ils pas à la disposition du Souverain Pontife pour la tâche universelle qui lui incombe en tant que Chef visible de l'Eglise, et reconnus par lui à ce titre? S'ils ne demeurent pas au service définitif de tel diocèse particulier, si, appelés à des tâches plus urgentes, ils sont déplacés par leurs supérieurs pour faire face à des besoins impérieux de la catholicité, les religieux restent au service de la hiérarchie catholique. C'est la grandeur, et le désintéressement, de leur sacerdoce que d'être, pour une tâche géographiquement changeante, à la constante disposition du collège apostolique en la personne du corps épiscopal. Disponibilité sans limites, l'exemption met ses bénéficiaires au service de l'Eglise en son total développement. Dans la tension bienfaisante qui rythme la vie du catholicisme, entre la chrétienté et la mission, l'implantation et l'expansion, les religieux « exempts » sont situés au point de jonction des deux courants.

Dès le temps des Apôtres, cette tension se manifesta tandis que l'Eglise s'établissait dans les communautés judaïques, Paul poussait vigoureusement l'apostolat dans le monde grec, et organisait les premières communautés de païens convertis. La tension qui opposait, dans les premières années, églises issues du judaïsme et églises de la gentilité, se transforma bientôt en tension entre églises établies et expéditions missionnaires. L'implantation géographique est une nécessité qui s'affirma au cours du second siècle, lorsqu'à la tête de chaque église constituée une succession d'évêques manifesta la continuité apostolique localement établie. Avec les siècles, cette implantation signifia la prise de possession par l'Eglise de territoires hiérarchiquement structurés. Nous le constatons aujourd'hui encore, en apprenant que tel « pays de mission » est désormais pourvu d'une hiérarchie stable, et généralement autochtone signe que l'Eglise, même minoritaire, a conscience d'avoir fermement pris pied dans le pays. Et cette implantation géographique marque que l'Eglise, s'installant dans un lieu donné, accepte, pour les christianiser, les manières de vivre et de penser, les coutumes et les traditions culturelles, les différences raciales, linguistiques, bref tout ce


qui fait l'originalité de cette nouvelle terre chrétienne. Mais cette « installation » ne saurait arrêter le mouvement missionnaire, tendu vers ceux qui ne connaissent pas, ou ne connaissent plus, la Bonne Nouvelle du Christ Sauveur. Si l'implantation est patiente et laborieuse, la mission est saintement impatiente et hardie. Elle va de l'avant, prospectant et jetant des jalons, laissant aux successeurs le soin de consolider et d'organiser.

Tension entre implantation et expansion, car ces deux mouvements s'appellent l'un l'autre. La mission tend à l'implantation, car son but est d'installer l'Eglise et de lui donner un visage indigène. Mais l'implantation, nécessaire à la mission, exige le souffle de son impatience pour ne pas s'étioler dans un repli sur soi et dans un isolement satisfait. Les missionnaires ne sont-ils pas, normalement, issus des anciennes chrétientés, dont ils bousculent, sans toujours reconnaître assez tout ce qu'ils leur doivent, les plans, trop sages à leur gré, d'organisation et de lente maturation? Au cœur de cette tension s'inscrit l'apostolat des religieux ils sont à la fois les hommes de l'implantation et de l'expansion. Ils demeurent disponibles, encore que beaucoup d'entre eux passent leur vie au service des « chrétientés ». Ils ne méprisent pas l'apostolat des paroisses et des diocèses, puisque précisément c'est à les établir qu'ils travaillent, quand ils œuvrent en terre de mission. Souvent, d'ailleurs, une partie des religieux d'un Ordre ou d'une Congrégation travaille en Europe ou dans l'Amérique «chrétienne», tandis que leurs frères se dévouent en pays de mission. Entre ces deux groupes, d'incessants échanges maintiennent la continuité, au plan du gouvernement, des mutations administratives, des relations épistolaires, des échanges de bons offices. Les Instituts voués exclusivement aux missions lointaines ne négligent pas d'entretenir en Europe et en Amérique des « procures et des séminaires, qui, en assurant le recrutement, rappellent aux fidèles leur devoir missionnaire. Et nous connaissons tous ces vénérables missionnaires qui, rentrés au pays après un long apostolat, ou contraints par leur santé de l'interrompre, apportent leur aide à la vie paroissiale des églises de France.


S'inscrivant, mais à titre statutaire et selon une ancienne tradition à laquelle le Droit canonique donne force de loi, dans le mouvement à la fois catholique et centripète de l'actuelle pastorale, l'exemption, comprise comme service de la catholicité, nous semble représenter une réponse valable à d'authentiques urgences le souci missionnaire de toute l'Eglise se traduit ainsi de manière efficace. Loin d'apparaître comme une survivance injustifiable, ou une revendication périmée d'autonomie, l'exemption demeure service de l'Eglise universelle dans la fraternelle collaboration que les religieux désirent avec leurs frères du clergé diocésain.

Vie religieuse et apostolat.

Telle que nous avons essayé de la décrire jusqu'ici, l'exemption apparaît davantage un mode d'exercice de l'apostolat qu'un trait distinctif du religieux prêtre. Et, de fait, des dispositions canoniques ou des conventions particulières peuvent faire bénéficier de ce «privilège » (même si le terme d'exemption est réservé par le Droit canon aux « Ordres ») des groupes ou des sociétés de prêtres qui ne sont pas des religieux. D'autre part, le sacerdoce des religieux n'a pas nécessairement d'exercice au niveau de la pastorale les prêtres des monastères contemplatifs 1 ne prêtent que de manière exceptionnelle leur concours à l'apostolat, au sens ordinaire du mot. Il serait donc erroné de confondre « sacerdoce religieux» et «privilège de l'exemption ». Il reste que plusieurs grands Ordres, dont la majorité des membres reçoit le sacerdoce, et qui, par vocation, coopèrent à l'apostolat multiforme de l'Eglise, jouissent de l'exemption en dépendance directe du Pontife romain, près duquel demeurent à Rome leurs supérieurs généraux, ils travaillent dans l'univers entier, à un plan supra-national, du fait de leur vocation « universelle » et de la diversité d'origine de leurs membres, 1. Il faut en dire autant des prêtres qui font partie des Petits Frères de Jésus cf., dans les Lettres aux fraternités (I, p. 57-99), la lettre que le P. VOILLAUME consacre au t prêtre dans les fraternités ». Le sacerdoce, chez les petits frères, est à finalité interne « Le sacerdoce est nécessaire à la Fraternité pour que celle-ci réalise parfaitement sa mission »; mais il implique c l'absence habituelle d'une activité apostolique ».


et sont employés aux tâches pastorales, auprès des autres prêtres du clergé diocésain. A ce titre, on peut se demander quels liens existent entre leur vie religieuse et leur apostolat. Cette réflexion éclairera, pensons-nous, le délicat problème qui fait l'objet de ces pages. Quel est donc le sens de l'apostolat sacerdotal du religieux-prêtre, dans la perspective de la consécration religieuse?

« L'exigence apostolique, a-t-on écrit, est au cœur de la vie religieuse. Vie d'assimilation au Christ, elle ne se tourne pas vers le prochain comme vers une tâche seconde, et, pour ainsi dire, accessoire, mais elle intègre dans la même fin le secours porté aux âmes et la recherche de la sainteté personnelle » » La vie religieuse, dans un Ordre apostolique, apporte au prêtre le double avantage d'une disponibilité entière et de l'insertion dans une tradition fort ancienne.

La disponibilité est la conséquence bienfaisante des vceux. Du dehors ils peuvent sembler un douloureux renoncement, une sorte d'arrachement à tout ce qui permet à l'homme de s'affirmer et de s'épanouir. Pour celui qui, dans l'atmosphère cordiale de nos communautés, les a prononcés, ils sont une libération. Ils délivrent du souci, de la possession, de l'attachement affectif ou entêté à soi-même; ils aident, dans la ferveur d'une prière dont la nécessité primordiale se fait plus impérieuse au fur et à mesure que l'enthousiasme adolescent cède la place à l'expérience, mais aussi dans l'intériorisation progressive d'une régularité plus dépouillée et plus personnelle, à conserver le coeur jeune et accueillant à tous les appels du Royaume de Dieu. Comme Abraham, le religieux qui a quitté « la maison de son Père » est prêt à aller n'importe où Dieu l'appelle. Il sait, du reste, qu'en bien des lieux du monde, il retrouvera ses frères, et, à peu de chose près, des communautés semblables à celle qu'il vient de quitter. Le don total qu'il a fait de lui-même au Seigneur, il l'a fait entre les mains des supérieurs de son Ordre. Par eux, il est mis en contact avec cette tradition riche et complexe, qui, en même temps, le relie à un passé lointain et le maintient au contact de l'univers catholique. Ses frères, ce sont à la fois les hommes du Moyen-Age ou de la Renaissance, qui ont communié au 1. M. GIULIANI, Fie religieuse et apostolat, dans Christus, n° 26, p. 212.


même idéal, et qui, fils d'un même Père, ont ouvert le sillon où à son tour il entre courageusement, et ces hommes de toutes langues, qui, inscrits en d'autres « provinces », s'affrontent aux mêmes problèmes que lui. Catholicité dans le temps et dans l'espace, qui représente une des expériences les plus enrichissantes de notre vie religieuse. Au reste, à notre époque, la fréquence des communications entre les régions, la facilité des déplacements pour raisons d'étude et d'apostolat, et l'incessant échange des nouvelles qui nous apportent l'écho du lointain apostolat de tel de nos amis de noviciat ou de scolasticat rendent impossible d'oublier ce visage concret de l'Eglise que déjà Irénée voyait « répandue par tout l'univers ». Rythme vigoureux et tonifiant de libération spirituelle et d'attachement à l'Ordre, qui dispose tout naturellement le religieux à vivre aisément et sans effort selon la catholicité de l'Eglise. S'il est prêtre, et si, surtout, il appartient à un Ordre dont la vocation est le « ministère des âmes et dont la majorité des membres se destine au sacerdoce ou l'a déjà reçu, il en éprouve un bienfait pour sa vie sacerdotale. Vie religieuse et vie sacerdotale, sous la conduite de supérieurs qui sont des prêtres et dirigent en prêtres une communauté de prêtres, obtiennent, par leur incidence réciproque, une sorte d'épanouissement catholique du fait de l'appartenance à un Ordre international par son recrutement et ses ministères. C'est tout cela que le religieux-prêtre apporte simplement au diocèse dans lequel il travaille d'autant plus simplement qu'il a lui-même tout reçu. Et singulièrement la tradition spirituelle qui le rattache à l'un des grands saints qui ont façonné le visage de l'Eglise. A travers la pauvre personne du religieux, c'est le Fondateur lui-même qui est présent, et le message que, par lui, le Saint Esprit a voulu laisser dans l'Eglise pauvreté de saint François, qui, en ses fils, continue d'adresser au monde l'appel de la pauvreté du Christ; amour de la vérité de saint Dominique, qui répond à l'inquiétude des hommes en quête de la « vraie lumière » loyauté et liberté (qu'on nous permette de l'écrire) d'un total dévouement à l'Eglise de saint Ignace. Spiritualités à la fois catholiques et originales, qui demeurent des composantes de la spiritualité chrétienne.


Il y aurait quelque naïveté à dire que le religieux propose, en son dévouement, le dévouement de l'Ordre tout entier, si l'on ne savait que cet Ordre n'a été reconnu par l'Eglise que pour se mettre à sa totale disposition. Si donc la « personne » du religieux semble moins disponible, en raison du droit que conservent sur lui ses supérieurs, il faut reconnaître qu'en lui (dans la mesure où il lui reste fidèle) son Ordre se donne tout entier, avec sa tradition spirituelle et apostolique, avec la richesse humaine et surnaturelle de son histoire et de son extension supra-nationale. Pour n'être que « prêté au diocèse qui l'accueille prêt qui, d'ailleurs, peut durer sa vie entière le religieux n'en fait pas moins tout son possible pour bien servir l'Eglise universelle dans l'Eglise diocésaine à laquelle l'attache son actuelle obédience.

Le lien qui, par la voie hiérarchique de l'obéissance, l'unit au Souverain Pontife, impose au religieux une restriction dans le don de lui-même au service du diocèse où il travaille présentement « Il est clair, écrit S. Exc. Mgr Charue, que le religieux ne peut être aussi disponible pour l'évêque que le prêtre séculier, celui-ci l'étant aussi adéquatement qu'on peut le souhaiter dans l'esprit des saints canons 1. Cela, le religieux le sait, et il en souffre. Mais il se garde bien d'en conclure qu'il n'est pas tenu de se dévouer de tout son cœur à cette église diocésaine à laquelle il est envoyé, puisqu'elle représente, pour lui, le lieu où il doit servir l'Eglise universelle. Se prêter comme à une tâche occasionnelle serait preuve d'infantilisme et témoignage de puérilité. Ce serait oublier qu'il ne peut y avoir rivalité entre l'Eglise universelle et l'Eglise diocésaine, mais que l'une et l'autre doivent être servies ensemble et d'un même dévouement.

Et l'obéissance religieuse permet à ce service d'être vraiment désintéressé envoyé par ses supérieurs, le religieux sait que ceux-ci le rappelleront quand il ne sera plus en état de se rendre utile. Il peut donc, là où il est placé, se donner à sa tâche avec une entière liberté d'esprit. Car il se sait « utilisé par ses supérieurs selon ses capacités actuelles, selon l'état présent de ses forces, sans tenir compte des droits acquis, sans 1. Op. cit., p 220. 1


le souci d'une ancienneté à respecter ou d'un mérite à récompenser 1 ».

Parmi les bienfaits de l'exemption, le P. Hamer signale « la sauvegarde des grands corps de compétences spécialisées dans l'Eglise3». Il se peut que cette « spécialité » des Ordres religieux soit moins apparente aujourd'hui que jadis; toute comparaison serait injuste et déplacée. Reconnaissons, cependant, que souvent l'on fait appel aux religieux pour certaines tâches particulières, auxquelles, par vocation ou par tradition de famille, ils sont mieux préparés enseignement, missions régionales, apostolats intellectuels. Si le respect loyal de la vocation s'impose à ceux qui réclament sa présence, un service désintéressé doit être la grande règle du religieux appelé à exercer sa « spécialité ». Le rôle des supérieurs peut être de maintenir, fût-ce en refusant certains emplois incompatibles avec la vocation, les exigences imprescriptibles de la règle ou l'exercice effectif de l'apostolat. L'attitude du religieux doit toujours s'inspirer de l'amour de l'Eglise; et ce souci constant le délivrera des puérilités de l'amour-propre et des sectarismes de l'esprit de corps.

Les religieux ne sont pas parfaits; ils ne sont préservés, ni par leur habit, ni par leurs vœux, ni par leur formation, des faux pas et de la sotte vanité. En tout groupement humain, il y a une forte proportion de médiocres, tentés de transposer en orgueil d'Ordre et en suffisance d'Institut les défauts et les travers de leurs personnalités. Il est parfois nécessaire de recourir aux supérieurs pour arrêter les méfaits d'un prosélytisme gaffeur, comme pour mettre fin à des manques de jugement. C'est un bienfait de la vie religieuse que de pareils recours soient possibles, et produisent leur effet aux moindres risques. Les inconvénients que l'on peut craindre de l'exemption trouvent en elle-même leur remède. Sans le désintéressement foncier et la loyauté vraie d'une collaboration fraternelle, l'exemption ne saurait demeurer ce qu'elle est dans l'intention de l'Eglise un service de catholicité, en dépendance stricte et intelligente du Vicaire du Christ.

1. J. HAMER, La place des religieux. dans Nouvelle revue théologique, mars 1959, p. 277.

2. A rt. ci t., p. 275.


L'exemption ne semble plus pouvoir être justifiée aujourd'hui par les motifs qui, en des temps anciens, en manifestaient la nécessité ou la convenance si les problèmes d'apostolat, encore aux xvne et xvme siècles, se posaient au plan local de la ville ou du diocèse, ils se situent volontiers, actuellement, au niveau de la région ou même du pays. Ce qui pouvait paraître un privilège gênant dans la ville épiscopale, dont les quatre ou cinq églises supportaient malaisément la concurrence d'églises appartenant à des religieux, tend à devenir, au prix d'accords aisés à conclure, une aide précieuse au plan national. D'autre part, certaines inégalités entre un clergé nanti, et parfois peu soucieux de la charge d'âmes, et des corps de religieux tendant à assumer la responsabilité pastorale de régions déshéritées (que l'on songe aux missions du P. Maunoir en Bretagne, de saint François Régis dans le Velay) ont bien disparu. C'est dans un climat de fraternelle entraide que doit être envisagée aujourd'hui cette exemption, qui a pu éveiller, dans le passé, des susceptibilités et apparaître comme un instrument de rivalité.

Osons dire les choses comme nous les voyons il n'est plus temps de se quereller, et la France déchristianisée pour ne parler que d'elle n'est guère le lieu de ressusciter de médiocres disputes de prestige ou d'influence. Une tâche commune nous presse tous, et nous sentons la nécessité de l'aborder avec un cœur débordant de la charité du Christ. Mais complémentarité n'est pas identification nivelante; la fraternité n'implique pas uniformisation; elle demande au contraire que chacun, demeurant lui-même, accepte de donner et de recevoir. Alter alterius membra. Le respect vrai des dons de l'Esprit, qui sont multiformes et répartis diversement, exige qu'on reconnaisse les « originalités et qu'entre elles s'établisse une constante interdépendance. Si elle est service de l'Eglise et c'est là sa seule justification possible l'exemption, loin de diviser, rend possible la fraternité de tous les prêtres du Christ dans le service commun de l'Eglise. Car c'est par l'intime union des volontés, et par les échanges de « biens spirituels, que se réalise, dans un travail commun


fraternellement poursuivi, l'oeuvre constructive de la charité. Non par des réglementations uniformes, qui risquent de confondre les perspectives, et d'imposer à ceux qui n'en ont pas le désir de gauches imitations de la vie religieuse, cependant que celle-ci se verrait alignée sur des normes qui lui conviennent mal. La vie, au reste, suscite chaque jour cette collaboration fraternelle, sans que les principes soient remis en cause, entre prêtres des deux clergés. Et, au niveau des « prélats nous savons qu'en France, des rencontres statutaires entre commissions épiscopales et supérieurs majeurs des Instituts religieux règlent périodiquement les questions pendantes et assurent cet accord des bonnes volontés dont S. S. Jean XXIII disait récemment la nécessité.

S'adressant, le 13 novembre 1960, aux supérieurs provinciaux des Instituts religieux d'Italie, le Saint-Père leur rappelait que « prêtres séculiers et réguliers sont au service des âmes, sous le regard paternel de l'évêque » et il demandait que nul obstacle ne s'oppose à l'entente effective pour un commun service d'Eglise

« Au cours de ces quarante dernières années, nos prédécesseurs ont multiplié leurs indications pour une action d'apostolat synchronisée, convergente, qui ne soit pas exposée à d'inutiles et dangereux retards en raison du manque d'accord, de prétentions à l'exclusivité dans le travail, ou, Dieu nous en préserve, une certaine forme d'intolérance pour l'œuvre, pourtant précieuse, déployée par d'autres dans le même champ du Seigneur. Cette collaboration, selon la pensée des Pontifes romains, exige l'enrôlement sur le même plan d'entente, et pour un succès efficace, de tout le clergé actif de chaque diocèse, clergé séculier et clergé régulier, pour seconder de bon gré la volonté de l'évêque et ses indications 1. »

Ainsi, souple en son exercice, l'exemption, qui, par sa nature, exprime la prise en charge par le Saint-Siège de l'apostolat de religieux qui lui vouent une totale dépendance, permet de réaliser un service efficace de catholicité. Loin de diviser, elle unit tous les prêtres du Christ, sous la conduite de la hiérarchie catholique, dans un commun zèle des âmes et dans un fraternel effort pour que la Bonne Nouvelle soit annoncée jusqu'aux extrémités de la terre.

Henri Holstkin.

1. Trad. française Dne. catholique, n° 1342, 18 décembre lflfiO, col. 1538.


FRANCE ET BELGIQUE

Un roi et une reine des Belges à Paris. Sauf Léopold lit veuf, accompagnant la reine Élisabeth en 1937 pour l'inauguration de la statue du roi Albert au Cours la Heine, l'événement ne s'était plus accompli depuis 1918. « Le 27 novembre, nous dit M. Jacques Chastenet dans son Histoire de la Troisième République (t. V), le roi d'Angleterre George V fait à la capitale française une visite officielle. En dépit d'une pluie battante, la foule est dense sur le parcours, mais, plus qu'au souverain allié, c'est aux « poilus » qui font la haie que s'adressent les applaudissements. Le 5 décembre, le roi Albert de Belgique vient à son tour accompagné de la reine, et l'ovation est cette fois frénétique. » C'est dire à quel zénith était parvenue l'amitié franco-belge en cet automne où Giraudoux écrivait « Ce que je fais, ce que je suis? Je suis un vainqueur, le dimanche à midi. » Jusqu'aux hostilités entre Français, le roi-chevalier parvenait à les apaiser. Au dîner de l'Elysée, Clemenceau, qu'un régime sévère obligeait à laisser passer tous les plats sans y toucher, vit soudain un maître d'hôtel placer sur son assiette trois pommes au four dans une serviette artistement cravatée. Seule gourmandise autorisée par la Faculté à cet ancien carabin. Poincaré y avait pensé. Le Tigre eut alors, par-dessus la table, pour le rival détesté, un sourire affectueux, reconnaissant. Ces pommes au four, c'était la « bonne action » d'un grand personnage consulaire pour un autre « consul » qu'il avait quelques raisons intimes de vouer aux gémonies. La « bonne action » n'échappa point au regard du roi.

Regard de myope. Sa mère, la comtesse de Flandre, avec son bon accent Sigmaringen, disait volontiers « Au palais de Flandre, avec nos grosses lunettes, on nous prend tous pour des hhhiboux. » Et Léopold II ponctuait » Dans cette maison-là ils ne parlent tous qu'avec de la bouillie plein la bouche. » De ce double désavantage initial le roi Albert garda toujours ce que nous appelons aujourd'hui un complexe. Très volontiers il nous répétait « Moi, je ne sais pas écrire, ni parler. » Par surcroît il lui fallait de grosses besicles. Ainsi mis en méfiance, il entendait tout et il voyait tout, notant les présences. et aussi les absences. Un puissant original.


Son prestige de 1914 fut un coup de foudre pour l'Europe, et d'abord un coup de surprise. Le Quai d'Orsay de 1913 ne croyait ni à la fidélité du gouvernement belge ni à la fidélité de ses souverains. M. Klobukowski, ministre de France à Bruxelles et le colonel Génie, attaché militaire, adressaient à leur gouvernement des rapports cruellement défavorables au gouvernement Broqueville de 1912. (Voir Documents )ran:ais, t. V, p. 37.)

« Le gouvernement catholique de Bruxelles ne manque aucune occasion de manifester sa partialité contre la France, en faveur de l'Allemagne. » et Klobukowski de confirmer « Les élections dernières, qui ont affermi la situation du ministère catholique, ont, en même temps, imprimé à sa politique un caractère confessionnel l'éloignant de plus en plus de la France républicaine. » La publication de ces textes par le Quai d'Orsay a le mérite de la franchise. Le 8 mars 1913, le distingué représentant de la France auprès du roi rapportait que, pour celui-ci, « la conception de son rôle en cas de guerre n'irait pas au-delà d'une protestation assez véhémente pour sauvegarder son amour-propre et ses droits, mais sans prendre cependant le caractère de pays belligérant ». (Documents français, t. V, p. 655).

Quelle fut la carrière de M. Klobukowski après le 4 août 1914? Se résigna-t-il, comme Candide, à cultiver son jardin? Que serait le monde si les grands ne se trompaient jamais? Le roi et la reine des Belges furent illustres du coup parce que, par eux, le monde fut surpris. Ainsi pour la foncière philanthropie de cette singulière famille. La duchesse de Vendôme ayant introduit Charles Maurras chez son frère à Laeken, celui-ci, en souriant, prononça « Monsieur Maurras, on vous a dit que j'étais un bolcheviste. Sans doute parce que je me préoccupe du sort des ouvriers au point de faire cause commune avec eux? » Un grand seigneur de gauche, quoi de plus surprenant? Ainsi pour Léopold III quand il inaugura, en 1936, la politique des « mains libres. » A cette inauguration ni la France ni la Belgique n'étaient préparées. D'où l'énigme de Léopold III, à laquelle chacun, souvent de bonne foi, chercha une explication calomnieuse.

Flamands, Wallons et Bruxellois ont, à l'égard de la France, au moins un sentiment commun. Malheureuse, ils craignent pour elle et la plaignent; triomphante, ils la redoutent, avec cette macédoine de crainte et d'admiration qui va toujours aux vainqueurs. Sauf des nuances nous avons trouvé si souvent, à l'égard de la France, les mêmes perplexités en Italie. Pour un rien, à Rome et surtout à Milan surgissent les comparaisons avec la France, qu'il s'agisse de l'industrie de l'auto-


mobile ou du bel canto de la Scala. A tous propos nous nous demandons « mais que vient faire la France là-dedans? Une différence avec la Belgique l'Italie n'a de frontière commune qu'avec un seul grand pays, et latin. La Belgique, pays de marche, on se demande souvent contre qui, dans son établissement militaire, le fer de la lance était dirigé. En 1714, traités de la « Barrière », tout était tourné contre la France. Sous Napoléon, Anvers était pistolet braqué sur le cœur de l'Angleterre. En 1815 nouvelles forteresses contre la France. En 1914 et en 1940 ce fut Liège contre l'Est. Et toujours l'Angleterre y trouve son compte. Il faudrait donc qu'entre Londres et Bruxelles le climat soit de perpétuelle effusion.

Or, il n'en est rien. M. Pierre de Gaulle, dans une collection consacrée à « Visa pour Moscou. », «Visa pour la Chine. écrivit, en 1959, un excellent volume intitulé « Pas de visa pour la Belgique ». Les conférenciers anglais et allemands, à Bruxelles, sont inconnus. Et les Hollandais à peu près autant. Tout esprit vient du Sud. Le roi Albert donna pour précepteur au futur Léopold III le colonel Plée, de l'armée française. A son tour, Léopold III donna pour précepteur au prince Alexandre, fils de son deuxième mariage, le commandant de Castelbajac, de l'Aéronavale française. Et le plus singulier était que le fils du roi, au château de Laeken, avait pour camarades une demi-douzaine de potaches bien belges, Flamands et Wallons. M. de Castelbajac y fut préfet des études pendant trois ans. Tous les professeurs dans ce singulier petit Cours étaient belges. 0 stupeur, la réussite de cet officier français fut parfaite. Les relations franco-belges sont un singulier chapitre qui nous réserve toutes les surprises, même les meilleures.

Ici se place, divine surprise, l'avènement de Charles de Gaulle. De 1945 à 1958, pendant treize années, la France déconcerta. La tête dans les mains, chaque Belge de bon sens demandait « Où va la France? » Elle déconcertait par sa faiblesse. A présent, elle déconcerte par sa force. et par sa sagesse. Mais oui, le grand professeur, au langage majestueux pris à l'école des sermonnaires du grand siècle (il a fait ses études au collège d'Anthoing, dans le Hainaut), cet anticonformiste, si amoureux de sa Dame, une seule Dame, la France, a montré de la sagesse d'abord en Afrique noire. Ici la farandole des comparaisons s'enrichit à chaque instant. Et Dieu sait si l'Afrique noire a joué son rôle dans l'histoire de Belgique la plus récente. On redoutait la mégalomanie de Charles de Gaulle, son chauvinisme, un certain maurrassisme. Que d'articles j'ai lus où on le traitait « d'héritier des quarante roisl » Et voici que ce professeur d'histoire, on lui trouve de l'avenir dans l'esprit. Il est le Sage.

Toujours grand, toujours surprenant. Et la France toujours surprend, hier par sa faiblesse, aujourd'hui par sa robustesse. On l'aime, la France,


et on cherche à la comprendre. Sa défaite de 1940 affligea la Belgique bien plus que la défaite de l'armée belge. Parce qu'elle stupéfia. Tout comme ses plaisanteries. Les Belges ont cette rare qualité de parler le français entre eux. Ils ont cette déconcertante habitude de ne pas le comprendre de la même manière que les Parisiens. Exactement comme les Anglais et les Américains qui tous parlent anglais mais pas de même façon. En sorte que l'un des deux interlocuteurs a toujours l'air de faire la leçon à l'autre. Ajoutons-y que les cousins de France ont la fâcheuse manie de vider devant leurs cousins de Belgique leurs querelles propres. Auxquels débats les Belges, ingénument, se viennent mêler. Réciproquement on se pose des questions qui, par leur indiscrétion, meurtrissent. « Ces Français, ils ne connaissent pas la géographie? » soupirent les Belges, vexés. On a pu dire qu'entre les deux familles il y a bien plus qu'un abime, il y a une nuance.

Le roi Albert, quand il allait au théâtre au Palais des Beaux-Arts, réclamait le texte de la pièce. Il le suivait d'un bout à l'autre. Quand André Gide y donna son Œdipe, le roi tint à y assister. L'auteur était venu à Bruxelles pour diriger lui-même les répétitions, mais apprenant que le roi, un vrai, serait à la grande séance, il s'éclipsa et rentra à Paris. Or la pièce contenait le passage suivant

Le roi peut être un salaud.

Un grand roi peut être un salaud.

Un salaud peut être un grand roi.

Gide, d'un trait de plume, avait caviardé le texte, jugé inconvenant. Albert 1er, avant le lever du rideau, demanda le livret. Le directeur n'avait sous la main que celui qui, à la dernière répétition, avait servi. Quand vint la triple phrase sulfureuse. et son omission, il sourit et, à l'entr'acte, demanda « Pourquoi avez-vous barré ce passage-là? M. Gide renonce à ses trouvailles? C'est dommage. »

Contre lui-même il ne détestait pas d'exercer sa propre verve. Il est permis de penser que, ces pointes ironiques, il tenait à en garder le monopole. Tout comme il pouvait parler de sa propre maison, qu'il appelait « le palais du roi », prononçant avec ironie « Le palais des académies est une belle chose, harmonieuse et noble. On ne pourrait en dire autant de son voisin, le palais du roi. »

Ainsi sont faites les familles, promptes à se critiquer elles-mêmes, rebelles à toutes les critiques d'autrui. Baudouin et Fabiola ont pour tous le geste gracieux et, nouveauté de leur maison, ont adopté un « new look », un abandon de tout protocole dans les visites aux grandes


villes du royaume, sans dignitaires ni chambellans, des impromptus où la majesté est faite de gentillesse, où le chef de l'État va les mains dans les poches, en veston et tête nue. Est-ce à dire qu'on peut impunément frapper l'épaule du roi Baudouin? Nous ne le pensons pas. Toute publication surtout illustrée qui se permettra pareille familiarité sera sévèrement jugée.

Et elle le sera dans toute la Belgique. Les magazines anglais et allemands ont souvent la main aussi lourde que les français. Seulement, les anglais et les allemands, en Belgique, on ne les lit pas. Détail curieux, la presse hollandaise, en pays flamand, n'a aucun succès. Le romancier flamand qui réussit en Hollande et y connaît les délices du gros tirage, on le tiendra encore pour un « provincial ». Au lieu que l'auteur belge qui brille à Paris, quelle vedette européenne 1 Ses confrères de Bruxelles nourriront à son endroit cette admiration où se mêle une pointe de jalousie, un certain bovarysme.

La visite des souverains belges à l'Elysée, à Versailles, à l'Opéra, sous les bravos, dans l'embrasement radieux de la Ville-Lumière, c'est le retour à décembre 1918, le retour à la normale. Alliance? Bien mieux Parenté, très proche parenté. Il n'est pas de famille en Belgique qui n'ait ses « cousins de France », qui ne les critique ou ne les taquine. Et pour peu que chez les « cousins de France » survienne un deuil ou un chagrin, tous « nos cousins de Belgique » sont plus navrés que s'il s'agissait d'un malheur dans leur propre demeure. Et puis, quand la France retrouve sa gloire des beaux jours, les Belges les plus « exclusifs » redisent « Enfin la vraie France. »

Le cœur a ses raisons.

Charles d'YDEWALLE.


LE PÈRE DONCŒUR

NOUS A QUITTÉS

Pour mesurer et apprécier l'influence du P. Doncœur, sa place dans l'histoire religieuse de la France, au lendemain de la victoire de 1918 et depuis, il faut attendre. L'heure qui sonne à nos oreilles ne peut être celle de la vérité et de la justice. Mais, au moment qu'il les quitte, ses amis ont le droit et le devoir de se souvenir, pour lui dire merci, pour se sentir aussi ses compagnons toujours. « Ce n'est qu'un au revoir, mes frères ». Comme quiconque a vécu, en prenant avec fierté et courage la responsabilité de vivre, il a rencontré la contradiction, l'incompréhension, et même l'ingratitude. Mais il a connu l'émouvante fidélité des jeunes gens qui, en devenant des hommes, n'oublient pas. C'est à ces fidèles que je pense, me recueillant avant d'écrire. Nous avons été, le P. Doncœur et moi, compagnons de vie pendant près de trente ans, sans que notre amitié allât jusqu'à l'intimité. Il se peut donc que les images qui vont se lever devant mes yeux ne soient pas celles que plusieurs de ses « anciens » préfèrent parmi d'autres que retient leur regard. Qu'ils ne m'en tiennent pas rigueur. Nous ne connaissons qu'imparfaitement ceux que nous aimons. Mais nous les aimons quand même ensemble. Pour le P. de la Brière, qui affectionnait les épithètes homériques, il était « l'héroïque Paul Doncœur ». Hommage mérité à l'aumônier de 1914. Mais sans doute le P. de la Brière voulait-il dire que, la paix revenue, dans la vie quotidienne, son compagnon des Études était toujours le héros aux multiples blessures. Un autre de nos amis n'affirmait-il pas en souriant que le P. Doncœur n'était jamais redescendu de Verdun? Un jour que nous fêtions le P. Teilhard de Chardin, « l'héroïque » exhuma un vieil article dont le titre avait ému jadis des cœurs sensibles, « la nostalgie du front ». Sans aucunement le renier, le reconnaissant sien, le P. Teilhard, héros lui aussi de la même guerre, l'écoutait avec plus de détachement que n'en avait le P. Doncœur en le lisant. S'en étonne ou scandalise qui voudrai Au service du Roi Jésus, Inigo de Loyola pouvait-il oublier Pampelune? Qu'aurait été le P. Doncœur, sans la guerre de 1914, je ne le sais pas, mais je ne peux imaginer qu'il n'eût pas été, d'autre façon, un héros. Il en avait le masque, ces traits rudes, sans grâce, sévères, dont l'éclat des yeux et le sourire très bon atténuaient mais n'effaçaient pas l'austérité. Il en avait l'allure. Il en avait le carac-


tère né pour l'action, entreprenant, prompt aux initiatives et décisions, inaccessible à la peur, ignorant les atermoiements et les vaines prudences, merveilleusement libre de mouvement et de pensée. Pour ceux qui ne le connaissaient que du dehors, plus admirable qu'aimable, par son courage, la fermeté de ses convictions, une naturelle et virile fierté, l'instinct de la grandeur, le sens de l'honneur. Fils spirituel de Corneille, il aurait été, sans la grâce, plus proche du jeune Horace que de Polyeucte. Mais Jeanne d'Arc avait passé par là.

A tant de héros de l'histoire ou de la littérature, ce qui manque, c'est l'humanité. Ils se complaisent dans leur excellence, leur haute taille, la certitude d'être « des âmes peu communes » auxquelles « hors de l'ordre commun » le ciel « fait des fortunes ». Ils ignorent la simplicité du compagnonnage et le désintéressement, fruit de la charité. Si l'humilité consistait en des attitudes, des gestes, des paroles neutres, le P. Doncœur n'était pas humble. Certains l'ont trouvé parfois distant, cassant, difficile à aborder, abrupt dans ses jugements, intimidant par ses silences. Il ne se déguisait pas, ni ne se présentait. Sans peur, sans respect humain, sans souci de l'opinion, il était lui-même. Mais aussi peu « glorieux » que possible. Jamais, pendant tant d'années passées ensemble, je ne l'ai entendu faire la moindre allusion à quelqu'une de ses actions d'éclat de la guerre, ni à ses blessures. De sa fameuse lettre à Herriot, « nous ne partirons pas », et de la campagne de défense religieuse dont il fut un des orateurs les plus acclamés, il ne parlait pas davantage. Lors de la condamnation de l'Action Française, il avait, avec d'autres, soutenu l'autorité de l'Église. Mais il ne triomphait pas d'avoir eu raison, n'étant pas de ceux qui piétinent l'adversaire renversé. Il y a plus. Il n'était pas jaloux de ses initiatives et entreprises. Qu'il s'agisse de retraites de ménages, de groupes de foyers, de liturgie, du pèlerinage de Chartres, de ses « routes », combien ont passé par les trouées qu'il avait faites! Il en était heureux. Au service de Dieu, on ne prend pas de brevets d'invention. On lui rapportait, un jour, ce mot naïf d'un étudiant à des routiers « Tiens, vous aussi, vous allez à Chartres. » Il en rit comme d'une joyeuse plaisanterie.

Dis-moi qui tu hantes? Liturgiste, et en tant que tel, le P. Doncoeur était l'ennemi des Saints, coupables d'attenter à la majesté des plus humbles féries. Mais, après les avoir expulsés du missel, il leur ouvrait à deux battants la porte de la nef. Et, sans gêne de se contredire, il avouait hautement ses dévotions et leur ferveur. Baptisé Paul, il en était fier. Il admirait l'apôtre inconfusible et inlassable, portant l'Évangile au péril des hommes, des routes et de la mer, contredit, battu, emprisonné, qui avait connu la pauvreté, la fatigue et la faim. Il s'enthousiasmait de son enthousiasme. Mais me trompé-je? Si familier qu'il fût avec ses écrits, il se nourrissait plutôt des évangiles, de celui


de saint Jean, surtout. Jésuite, il vénérait en saint Ignace son père en Dieu, le maître des Exercices spirituels, le chef des entreprises apostoliques, le passionné de la gloire plus grande de Dieu. Par respect du sacerdoce, sens de sa grandeur et de ses responsabilités, souci des vocations, il était venu au Curé d'Ars, dont il goûtait d'ailleurs la familière simplicité dans l'enseignement des plus hauts mystères et le rappel des exigences évangéliques. Mais, à ces trois héros de l'apostolat, par une élection sans raisons préalables, par une gratuite piété, il avait joint Jeanne d'Arc. C'était la dévotion de son coeur. Et il lui dut, homme si pleinement adulte, son extraordinaire jeunesse spirituelle. Ces préférences cependant n'étaient pas exclusives. Il faut l'avoir entendu parler de Jean Baptiste, ouvrant la route à celui qui est la Route, du pauvre d'Assise, héraut de la joie parfaite et poète du cantique des créatures, du roi saint Louis qui aurait voulu de Joinville faire un saint, d'Angèle de Foligno à qui le Seigneur crucifié demandait un amour qui ne fût pas pour rire et par grimace, d'autres encore. Sur la route de la Jérusalem céleste, le pèlerin Paul Doncœur marchait en compagnie des Saints. Qu'il soit devenu aumônier routier, cela semble tout naturel. Il était bâti sur mesure pour l'être. Encore fallut-il qu'il rencontrât le scoutisme et que jaillît l'étincelle. Elle aurait pu ne pas jaillir. Car, à dire vrai, le scoutisme premier, le grand jeu inventé par Baden-Powell pour des garçons de onze à seize ans, le P. Doncoeur ne l'a connu que du dehors et ne s'y est jamais intéressé. Parce qu'il était éducateur, mais nullement pédagogue, mal à l'aise dans les méthodes, par indépendance. Parce que surtout il était naturellement accordé aux grands adolescents, aux jeunes gens, aux jeunes hommes mais n'acquerra que beaucoup plus tard le sens de l'enfance. Par contre, il est remarquable qu'il ait toujours maintenu le lien entre le scoutisme et la Route. Si celle-ci avait été spirituellement féconde et fervente, avait préparé tant de jeunes gens à la sainteté du mariage chrétien comme au « plus haut service », c'est qu'elle avait été cette école scoute d'entraînement à l'effort, d'endurance à la fatigue, de pauvreté et de simplicité, de contact avec la nature, d'humble mais effectif don de soi. C'est tout bonnement parce qu'elle avait été réellement la Route où les garçons, disait-il un jour, « prient avec leurs pieds ». La prétention d'être routier sans marcher, porter le sac, camper, était illusion spirituelle et duperie d'intellectuels.

A ces routiers qu'il conduisait, les précédant de son pas souple et fermement posé, il ne donnait pas du lait pour enfants mais un pain d'hommes. Du professeur, il avait gardé l'ordre, la précision, la clarté, l'art de dégager ce qui était plus important et l'insistance à le répéter. De l'orateur, il avait le mouvement. A condition d'être inspiré par son sujet, stimulé et soutenu par les réactions de ses auditeurs. Ce qui était surtout caractéristique, c'était chez lui un besoin d'admirer. Les exemples des


Saints qu'il proposait, les auteurs dont il conseillait la fréquentation, les vertus qu'il magnifiait, les leçons par-dessus tout qu'il tirait de l'Évangile et le regard qu'il attachait sur le Seigneur Jésus s'accordaient à l'instinct de grandeur qui est naturel aux jeunes gens. Sa ferveur méprisait toute médiocrité et la morale aristotélicienne du juste milieu. Or, il était tel avec ses routiers, mais aussi bien avec les fiancés, les époux chrétiens, les prêtres. Jusqu'à la fin, dans les Cahiers Sainte-Jeanne, il a gardé ce ton et cet accent. En mars de cette année, il écrivait Puisque Royaume il y a, c'est aux Princes qu'il est réservé, aux hommes de cœur, de courage. Aux hommes qui n'ont pas peur de se battre. Jeunesse, fraîcheur, allégresse sont un monde ouvert seulement à la grâce, dont Jésus a dit qu'il était le Royaume des enfants, par droit direct, et de ceux qui, par le dépouillement de toute vétusté, finiraient par leur ressembler. » Et ces mots encore de l'aumônier routier « Essayez seulement, messieurs et belles dames, un parcours Hébert. Il n'est pas de plus juste image, sans doute, du parcours chrétien. » II avait quatre-vingts ans et il montait la dernière côte de sa route.

Par son exemple, par la parole et par la plume, quel fut son message? On peut, je crois, le résumer dans le titre de son livre sur saint Ignace u L'Honneur et Service de Dieu. » En insistant sur le premier mot honneur. L'amour généreux du P. Doncceur pour Dieu était adoration. Le service était hommage. Il est bien remarquable qu'à l'égard aussi de la Sainte Vierge son attitude ait été de vénération plus que de tendresse. Elle était « Notre-Dame ». Ce zèle premier de l'honneur de Dieu me semble tout expliquer. De là, sa dévotion à la liturgie qu'il voulait digne de Dieu autant qu'il est humainement permis, magnifique et nourrissant dans les chrétiens le sens du sacré. Sur le respect dû aux sacrements et que risque de diminuer la familiarité de la pratique, sur l'intelligence par la foi de ce qu'ils opèrent dans l'âme, il a été un inlassable catéchiste. Il souffrait de les voir devenus des cérémonies d'usage, des rites sans mystère, parfois même des prétextes à vanité mondaine. C'est le thème d'un de ses premiers livres, « Retours en chrétienté ». Dans un de ses derniers articles, il revenait encore sur le baptême. Plus d'une fois, il est arrivé que, le voyant baptiser, l'un ou l'autre de ceux qui l'entouraient ait eu le sentiment d'ouvrir des yeux nouveaux sur la naissance de l'enfant à la vie surnaturelle. Croire d'une foi vive au baptême, d'une foi quotidienne, et vivre en baptisé, fidèle à la grâce, tenant parole à Dieu, voilà ce que d'abord il demande aux jeunes gens qui viennent à lui et deviennent des compagnons de route. Mais ceux-ci bientôt sont de jeunes hommes. Leur mariage devient le souci du P. Doncceur, l'intelligence qu'ils doivent avoir de son mystère renouvelant celui du Christ et de son Église, de la grandeur naturelle et surnaturelle de l'amour, de sa droiture essentielle et de sa sainteté, de la paternité. A ces époux


chrétiens, pour les hausser à la magnificence du sacrement et pour les aider à être fidèles, il voit comme est nécessaire le prêtre. Or, les prêtres sont trop peu nombreux. A mesure que passent les années, le souci des vocations devient en lui plus pressant, et jusqu'à l'angoisse. Il n'y a pas un an, il écrit avec sa rude franchise « Un fait s'impose à nous Comment peut-il se faire qu'une génération qui a produit une telle abondance de foyers fervents soit aussi une génération la plus pauvre en vocations sacerdotales? Il y a entre ces deux faits, une liaison de causalité et non pas de coïncidence inexplicable. » C'est, répond-il, que « l'atmosphère familiale ne réagit pas contre l'ambiance de vie facile. que la vie sacerdotale, essentiellement sacrificielle, ne peut être envisagée si le cœur de l'enfant n'est pas, depuis toujours, ouvert au sacrifice. que le cœur d'un garçon qui n'a jamais saigné est de ces cœurs, dont Péguy disait qu'ils ne mouillent pas à la grâce )). Et, se retournant vers les premières années de son ministère près des jeunes « La grande génération de 25 à 40 a mordu à la Route dure et y a trouvé son épanouissement. Le sacerdoce y a fleuri magnifiquement. Pauvreté, endurance, sens du don, en refaisant une race à la foi efficace, sont la condition d'un éveil sacerdotal. » Oserai-je dire qu'à certains jours, à la veille de la dernière guerre, il m'a paru victime, lui-même, de sa confiance dans la générosité naturelle de la jeunesse? La défaite de 1940 l'a ramené à l'intransigeance de sa morale, celle de l'héroïsme chrétien, la grâce pénétrant et haussant la nature. Au premier rang des vertus qu'il magnifiait, il mettait l'amour généreux, l'amour qui est don de soi, qui se trouve et s'accomplit par le sacrifice. Mais il y fallait le sens sacré de l'honneur, honneur de l'homme qui est à l'image de Dieu, honneur de Dieu. Et il y fallait le courage, car la fidélité est à ce prix. Aussi, de tous les défauts qui font que la fleur de la jeunesse se fane et tombe avant l'été des fruits, le pire était, à ses yeux, la lâcheté, devant la peine, l'effort, le sacrifice, devant l'opinion, devant l'événement, la lâcheté du reniement, ou de l'ingratitude, ou même de l'abstention 1.

Cette langue est celle qu'entendent les jeunes gens. Mais il ne suffit pas de savoir leur parler. D'où lui venait donc son influence sur eux? Il avait, c'est évident, le don, car c'en est un, d'une naturelle autorité. Mais si je voulais, le comparant à d'autres, chefs, éducateurs, orateurs, préciser en quoi consistait son ascendant, je dirais d'abord qu'il tenait 1. Il est nécessaire de le dire, au moins brièvement. Au lendemain de l'occupation et de la libération, beaucoup n'ont pas compris son attitude. Elle n'était que l'expression d'un refus, le refus d'admettre que l'événement pût par lui-même donner raison aux uns et tort aux autres, et surtout faire le partage des bons et des mauvais Français. Ce n'était pas de sa part jugement politique. Peu d'hommes ont été plus étrangers à toute politique. De son histoire de France, il excluait Louis XI, Mazarin et quelques autres, tous ceux qu'il estimait avoir servi malhonnêtement la grandeur de la France.


à la solidité, la vigueur, la résolution du caractère. Au moral comme au physique, il était musclé. Par là il donnait raison à Descartes qu'il n'aimait pas, comme à Corneille qu'il aimait. Mais, tandis que, chez d'autres, d'une vertu égale ou peut-être même supérieure, la grâce se révèle comme un constant triomphe sur la nature qui lui résiste, il était de ceux chez qui la grâce confirme en quelque sorte la nature. L'homme et le chrétien, l'homme et le prêtre ne faisaient qu'un. Une autre raison de son ascendant était son attitude à l'égard des jeunes gens. Répondant au mouvement en eux de la nature, au désir le plus intime qui les travaille, il les traitait en plus grands qu'ils n'étaient encore, âge ou vertu. Nulle condescendance dans sa façon de s'adapter à eux. Il ne se mettait pas à leur niveau, mais les haussait au sien. Enfin, maître spirituel exigeant et sévère, s'il bousculait toute paresse et toute médiocrité, il leur faisait confiance et, en eux, à la nature et à la grâce. Ajoutons à la vie et à son incessante et imprévisible nouveauté. Il est mort sans être las de vivre. Il faut l'avoir connu familièrement pour savoir avec quel fervent entrain il vivait, prêt, chaque jour, à quelque découverte ou un inattendu coup de foudre. Je l'ai vu s'apercevoir, un matin, qu'il était absolument nécessaire de jouer de la flûte. Mais voici un exemple bien plus caractéristique. Il ignorait Gide et s'étonna d'abord, le jour où le bibliothécaire des Études acheta ses œuvres complètes. Or, ayant ouvert un des volumes, distraitement, pour jeter un coup d'œil, il s'enthousiasma. Ce qui nous valut un article sur la ferveur de Gide, comparée à celles de Péguy et de saint Thomas, article fort surprenant de sa part. Reconnaissons-le sans ambages, cette disposition au coup de foudre, jointe à son indifférence à l'égard de l'opinion, explique certaines outrances et originalités, de hasardeuses libertés liturgiques par exemple, des condamnations un peu péremptoires comme la défense qu'il fit, un jour, au nom de la liberté du héros, d'emprunter les passages cloutés, quitte à découvrir, peu après que le sens civique élémentaire les rendait obligatoires. Elle explique aussi qu'il se soit laissé prendre parfois, pour un temps, au prestige de faux héroïsmes, et qu'il ait quelque peu brouillé la notion de sacré. Mais il était sauvé par sa sincérité, toujours prêt à reconnaître qu'il avait eu tort ou s'était trompé. Parmi d'autres vertus, la droiture fut une de celles dont il donna aux jeunes gens un constant exemple.

Dieu lui épargna de vieillir lentement. Quand il eut quitté Paris pour son cher Troussures, ce fut l'affaire de quelques saisons. Allant le voir, on se trouvait en face d'un grand-père d'une bonté indulgente et sereine, avec une note nouvelle de tendresse. La ferveur dont il brûlait encore ressemblait aux feux de braise chaude et profonde, autour desquels, jadis, il avait si souvent veillé et prié, le soir, au camp. Et nous l'avons vu, grâce dernière, que peut-être lui obtint Jeanne d'Arc, découvrir l'enfance. Jusqu'alors il n'en avait pas eu le loisir. Homme rude, père spirituel,


guide, entraîneur d'hommes, quand il lisait le Mystère des Saints Innocents, c'était en homme encore. « Nisi efnciamini. Certes, il le croyait et l'enseignait, mais s'il aimait et servait le Père filialement, c'était en fils qui n'était plus un enfant. Il voyait volontiers les enfants de ses « anciens», leur souriait avec gentillesse et courtoisie. Mais la puérilité le déconcertait. L'éducation ne consistait-elle pas à les faire sortir d'enfance pour devenir adultes? Quelle surprise de le revoir, à l'une de nos dernières rencontres, penché sur eux, soucieux d'une pédagogie qui leur fût adaptée, souriant à leurs maladresses et naïvetés et les regardant grandir à leur allurel Il avait toujours eu une grande joie à baptiser. Mais il lui fallut devenir un vieillard pour s'apercevoir que ces enfants de Dieu étaient des enfants. Le Seigneur lui a donné d'être accompagné par de petits pas au bout de sa route, et de respirer la joie de ceux qui montent vers la vie. Avant d'entendre ses Voix, Jeanne avait été une toute petite fille. Et_le petit Jean-Marie Vianney avait, aux champs, conduit un vieil âne'gris.

Jean RIMAUD.


L'INGÉNIEUR BAKHIREV

Amorcé avec Les Saisons de Véra Panova, mis en branle olliciellement par la nouvelle d'Ilya Ehrenbourg d'où il a tiré son nom, le « dégel » a soulevé, depuis 1954, bien des remous dans la vie culturelle soviétique. De L'Homme ne vit pas seulement de pain au Docteur Jivago, des Chercheurs à L'Ingénieur Bakhirev, en passant par Tu n'adoreras pas les idoles, Le Sonnet de Pétrarque, Recherches ei espérances, Désir de vivre, sans oublier les poèmes virulents de Kirsanov et de Evtouchenko x, scandales, interdictions, polémiques, blâmes, amendes honorables se sont succédé, au gré des réactions du pouvoir et suivant ses alternances de souplesse ou de rigueur. Ils ont révélé l'ampleur du mouvement non conformiste et, en même temps que ses avatars, la hardiesse de la rébellion.

Dans cette « lutte de libération », le IIIe Congrès des Écrivains de l'URSS, en mai 1959, avait semblé marquer une trêve. Condamnant à la fois le néo-jdanovisme et les tendances « révisionnistes », c'est-à-dire libérales, il avait tracé à la littérature une voie moyenne. Aussi l'annulation des mesures prises par la censure contre L'Ingénieur Bakhirev, le succès du livre, l'autorisation donnée à Mme Nicolaïeva de venir présenter son œuvre à Paris a, retiennent-ils l'attention. Ces éléments nouveaux modifient singulièrement la position pratique, sinon théorique, du « réalisme socialiste et les perspectives que la doctrine peut ouvrir à la liberté d'expression.

En effet, si l'on y regarde de près, le roman de Galina Nicolaïeva apparaît aussi révolutionnaire que celui de Doudintsev. Seulement il est plus habile, et au surplus mieux écrit. L'auteur a réussi cette performance d'adapter parfaitement à son propos les matériaux conventionnels imposés, de les transsubstantier en quelque sorte au point d'en faire les instruments adéquats de sa pensée.

Tous les rouages nécessaires à l'affabulation du sujet sont effectivement empruntés à l'arsenal officiel. Problèmes de production à l'usine et au kolkhoze; questions d'éducation et de morale familiale; incidences de la 1. Les Chercheurs, roman de Daniel Granine. Tu n'adoreras pas les idoles, pièce d'Alexis Faiko. Le Sonnet de Pétrarque, pièce de Nicolas POOODINE. Recherches et espérances, dernière partie d'une trilogie de V. KAVERINE. Désir de vivre, roman d'ANDKEiBV. Toutes ces œuvres, qu'inspire l'esprit du « dégel se caractérisent par la même hardiesse dans la peinture sociale, les mêmes accents de sincérité et parfois de révolte.

2. Au mois de décembre 1960.


vie privée sur le travail; victoire du « nouveau » sur l'ancien », pour la rubrique des thèmes d'actualité. Défense du progrès technique et de l'esprit d'initiative contre la routine, l'idolâtrie des programmes, la passion des primes et des records, pour illustrer la critique positive. Peinture minutieuse de la réalité, équilibre judicieux entre la lumière et les ombres, afin de rendre la » vérité de la vie ». Enfin, [choix de héros dynamiques, capables de servir d'exemples malgré leurs fautes, répondant à la demande de types humains dignes de symboliser leur époque. Ceci posé, la romancière, dans la mise en œuvre, a suivi largement son inspiration. Et le moins qu'on en puisse dire, c'est qu'elle n'a pas craint d'innover.

Avec l'intrigue amoureuse, d'abord, qui, pour la première fois dans les lettres soviétiques, repose sur une liaison entre gens mariés. Mis à l'index par le puritanisme de l'époque stalinienne, l'adultère était devenu un sujet quasi tabou. D'ailleurs, à côté de l'union libre, il était en passe de devenir anachronique, dans un monde où les logements communautaires et leurs servitudes se liguaient avec les interdits de toute sorte pour le rendre à peu près impraticable. Les auteurs du « dégel dans l'ensemble ne s'étaient pas risqués à l'aborder. Ehrenbourg et Doudintsev, jugés sévèrement pour s'être faits les avocats du divorce et avoir accordé une petite place aux réalités de l'amour, avaient néanmoins soigneusement évité de mettre en cause toute violation de la foi conjugale. Seul Granine, dans Les Chercheurs, avait osé consacrer quelques pages à une aventure de ce genre; encore n'était-ce qu'un bref épisode, rapidement clos par la rupture entre les amants. Galina Nicolaïeva, elle, place résolument ce thème scabreux au centre de son roman. Loin d'être un incident secondaire, un événement accessoire et sans lendemain, les amours coupables de Dimitri et de Tina font corps avec l'action, la pénètrent et, sans la conditionner d'une manière totale, la couvrent dans tout son développement. Bien plus, elles en sont l'attrait principal. Car ce sont les deux héros fautifs qui polarisent la sympathie, Volodia étant un personnage un peu falot et Katérina inspirant plus d'irritation que de pitié par son caractère veule, sa faiblesse égoïste, son incapacité à vivre autrement que tenue à bout de bras par son mari. Pourtant et c'est là son trait le plus original cette passion n'a jamais le goût malsain du fruit défendu, pas plus qu'elle ne satisfait aux exigences de la morale par un dénouement factice. Sans équivoque, sans aucune concession à la facilité ou à l'artifice, elle se justifie par sa seule authenticité, qui la sauve de tout compromis capable de la dégrader et rend inéluctable dès le début le renoncement final des amants.

Tout aussi neuve est la manière dont Galina Nicolaïeva s'attaque au stalinisme et à ses séquelles. En reprenant les griefs connus, publiquement formulés par M. Khrouchtchev lui-même, contre l'arbitraire policier,


administratif et politique, elle leur confère une résonance qui en augmente considérablement la portée. L'absurdité du problème que la déstalinisation a posé aux Soviétiques en leur demandant de concilier l'inconciliable, de proclamer les fruits mauvais et l'arbre excellent, apparaît dans toute son intensité dramatique. N'est-ce pas cette absurdité qui torture Tina quand la mort ignominieuse de son père, en détruisant l'illusion du monde « difficile mais juste » elle avait cru vivre, anéantit du même coup les principes fondamentaux de son existence? Béria et ses complices auront beau être châtiés, comment retrouverait-elle sa foi dans « l'infaillibilité de la justice » en songeant que son père a été exécuté « sous le couvert du Parti et en son nom »? Quel critère lui permettra désormais de distinguer le bien du mal, le vrai du faux, de savoir à qui donner sa confiance et à qui la refuser? La vérité n'est plus le privilège des chefs et chacun peut prétendre « la toucher de ses propres mains ». Telle est la conclusion qui s'impose et que vient confirmer en dernier ressort le fiasco de Blikine. Habile tacticien, passé maître en l'art d'escamoter les débats pour infléchir le cours d'une réunion suivant l'orientation prévue d'avance, le Premier Secrétaire du Comité régional, malgré son désintéressement et sa bonne foi, est mis en, échec par la « voix de la collectivité >. La vraie démocratie triomphe des procédés antidémocratiques et c'est ce raz de marée, bien plus que ses erreurs, qui terrasse Blikine.

Quant à la chute de Valgane, elle se place sur un autre plan. L'ambitieux Directeur applique à tous ceux qui l'entourent une seule et même mesure. Pour lui, le monde n'est composé que de « canailles » et de « larbins ». C'est cette faute qui le perd. Il n'a pas compris que « le temps du mépris était passé. Son cas nous fait toucher l'intérêt fondamental du roman, intérêt d'ordre éthique et spirituel. Panova, Ehrenbourg, Doudintsev, en redonnant droit de cité au sentiment et à la notion de personne humaine, avaient en partie rendu sa matière à la littérature. Galina Nicolaïeva conduit cette évolution à son terme logique. Elle achève de restaurer l'homme dans sa dignité en revendiquant pour lui la faculté de se tromper, de faillir, sans déchoir de cette dignité, l'honneur d'assumer seul sa condition, face à face avec ses responsabilités. Elle le remet à sa place, comme valeur première et inaliénable, contre laquelle ne sauraient prévaloir ni les dogmes, ni les mécanismes. A travers les problèmes d'organisation et de productivité, au delà du progrès technique, il est évident que la question essentielle, pour ses personnages, est celle de leur propre accomplissement, de l'unicité de leur destin. Bakhirev est engagé tout entier dans l'affaire des masses d'équilibrage et ce n'est pas seulement son avenir matériel qui se trouve en jeu, ni même la réputation de l'usine, le bien du pays et la sécurité des tractoristes. C'est avant tout sa raison de vivre, le sens profond de son


existence, sa volonté de rester fidèle à lui-même envers et contre tout. Et c'est la même exigence qui amène Tina à briser son amour.

Dans cette optique nouvelle, la police de Béria n'est pas simplement coupable d'avoir massacré des innocents. Son crime inexpiable est d'en avoir condamné des milliers d'autres à devenir des morts-vivants, de les avoir dépersonnalisés, conduits à se renier eux-mêmes et à renoncer à leur propre vérité. C'est pour en avoir été victime que Tina, devenue indifférente à tout, se laissera épouser par Volodia sans l'aimer et « trahira son destin » en suivant un chemin qui ne lui était pas destiné. Les consignes du XXIe Congrès, c'est un fait, ont mis à l'ordre du jour les débats de conscience, les plaidoyers en faveur de la justice, de la sincérité, de la loyauté, l'exaltation des vertus domestiques et des sentiments nobles en général. Elles proposent à « l'homme du communisme » un idéal de perfection qui englobe toutes ses activités, professionnelles, domestiques, sociales, et toutes ses aspirations. Mais cet idéal ignore toute transcendance. En l'adoptant pour son usage, Galina Nicolaïeva lui fait subir une transformation profonde.

Si ses héros se gardent de poser les problèmes insolubles, s'ils n'avouent pas d'angoisse à la pensée de la mort, ils ne font pas davantage profession d'athéisme. Tina va même, dans son désir d'avoir un enfant, jusqu'à « faire une prière, à tout hasard Dieu, Allah, quel que soit ton nom, fais que j'aie un garçon, un fils, en tous points semblable à Dimitri »! Le sentiment du péché qui ne la quitte pas tout au long de sa liaison, la force supérieure qui lui dicte sa décision finale, l'idée de la souffrance expiatoire, la générosité de Bakhirev envers Valgane, son ennemi vaincu, la volonté de chercher dans tout être humain, si mauvais soit-il, quelque chose de valable, tout cela relève d'exigences plus hautes que celles de la nouvelle morale socialiste. D'Ehrenbourg et de Doudintsev à Galina Nicolaïeva, la distance s'est bien raccourcie, qui sépare de la conception chrétienne leur notion respective du choix entre le bien et le mal. On ne peut se défendre de penser qu'il suffirait d'un souffle pour spiritualiser l'acte de foi en la vie qui sauve Tina du suicide, d'une étincelle pour que le sentiment de fraternité qui anime Bakhirev se sublime en charité.

Témoignage limité, sans doute, et que soutient fragilement une expérience isolée. Mais suffisant pour fonder un espoir, à cette heure où l'esprit critique, longtemps obnubilé, se réveille en U. R. S. S. aux accents de la campagne entreprise pour « faire travailler les cerveaux ». Espoir que les écrivains soviétiques sauront conquérir plus avant une fois rendu à César ce qui est à César le droit de ménager à la pensée un domaine où s'épanouir selon ses propres lois.

Suzanne CusuMANO.


SOCIOLOGIE DU VOCABULAIRE

Qui n'a pensé de nos jours à la dégradation que la politique fait subir au sens des mots? La paix, la liberté, la république.

Ce n'est pas nouveau et l'histoire nous en donne maints autres exemples, en dégageant ainsi certains aspects de la sensibilité sociale.

Comment, par exemple, le mot vilain a-t-il pris son sens actuel? On sait ce qu'était un vilain au Moyen Age. Le Renart coritrelait précisait déjà au xive siècle que ce nom venait de village et non de vilenie. De fait, le vilain était l'homme de la campagne; mais il fut d'usage de le trouver laid et pourvu de tous les défauts et ce mot prit par suite un sens moral. Il le prit même très tôt et les exemples en sont nombreux. Fol vilain doit-on huer

Et si le doit-on gaber.

Pourquoi l'homme des champs fut-il toujours moqué? D'abord sans doute par opposition à la noblesse qui se pose alors comme idéal. Ensuite parce qu'il va tendre à s'affranchir et qu'au Moyen Age on devait rester dans sa condition. Mais l'homme a toujours cherché à s'émanciper et même les fabliaux montreront parfois l'esprit des vilains, comme celui « qui conquit le Paradis par plaît ».

Surtout le vilain affirmera très tôt sa personnalité, contrairement au portrait-charge que les trouvères et écrivains du temps font de lui, pour flatter les seigneurs. Et déjà le roman d'Aucassin et Nicolette au xne siècle met en scène le valet d'un riche vilain et oppose curieusement sa fierté au désarroi du noble Aucassin.

Toutefois, c'est surtout à partir du xive siècle que les idées vont évoluer. Le thème de la commune origine de tous les hommes et de la vertu dominant les conditions devient alors très fréquent. On a vu dans Aucassin et Nicolette que les vilains sont parfois riches; il arrive même qu'ils deviennent seigneurs.

« Sage n'est pas qui de serf seigneur fait », dit Eustache Deschamps. Et il arrive également surtout avec les misères de la guerre de Cent Ans que certains nobles deviennent pauvres, comme le chevalier-laboureur d'un manuscrit de la bibliothèque de Tours.

Ces variations dans les conditions se reflètent dans les mots: c'est ainsi qu'on ne trouve plus guère le nom de » vilain » à partir du xvie siècle.


On voit donc comment un mot exprimant une origine a pu prendre un sens moral, puis ne plus garder que ce sens moral, le souvenir de l'origine devenant de plus en plus lointain.

Avec la fin du Moyen Age, « l'homme à abattre » ne sera plus le vilain, qui a conquis définitivement sa place au soleil, surtout quand il est devenu le bourgeois; ce sera le gentilhomme-campagnard.

On sait qu'avec la royauté absolue les nobles se sont rapprochés de la cour. Mal vus étaient ceux qui restaient dans leurs terres. Pour cette raison, les quolibets vont pleuvoir sur ceux-ci, comme naguère sur les vilains. Molière est le plus connu des auteurs qui s'acharnent sur les pauvres gentilshommes-campagnards, mais il y en a nombre d'autres. Ainsi le titre de « baron », si important à l'époque féodale, est devenu ridicule. A la cour on est comte ou marquis; ceux qui portent ces titres sont parfois des parvenus; tant pis « Le noble de province, écrit La Bruyère, inutile à sa patrie, à sa famille et à lui-même, souvent sans toit, sans habit et sans aucun mérite, répète dix fois le jour qu'il est gentilhomme, traite les fourrures et les mortiers de bourgeoisie, occupé toute sa vie de ses parchemins et de ses titres qu'il ne changerait pas contre les masses d'un chancelier. »

Voilà donc le gentilhomme-campagnard placé au-dessous même de la bourgeoisie, tout au moins celle de robe.

Au xvme siècle, la misère de certains de ces nobles s'est terriblement accentuée. « Un gentilhomme peu aisé, dit un laboureur de la paroisse de Senarves, près de Poitiers en 1764, est souvent un voisin bien à charge. » Ce fait a d'ailleurs changé les rapports entre nobles et paysans à la campagne, la morgue étant réservée aux nobles de cour. C'est pourquoi le père de Rétif de la Bretonne répond à un officier qui s'excusait de l'avoir pris pour un paysan « Vous ne vous êtes pas trompé, Monsieur, mais ce que vous ignorez, c'est que j'en fais gloire. »

Certes, il subsiste des gentilshommes-campagnards qui tiennent toujours leur rang, tel le marquis de Mirabeau, le célèbre Ami des hommes ». Mais, chose curieuse, la morgue des gens de cour attire le respect des paysans, parce qu'il semble que ce soient eux surtout qui portent l'étendard de la noblesse.

Pendant ce temps, qu'est devenu le vilain? un paysan ou un bourgeois. Paysan, on ne prête guère attention à lui. Bourgeois, il est parfois une puissance. Mais il y a bien des variétés de bourgeois, depuis l'époque où certains villages comme certaines villes recevaient une charte d'affranchissement, ce qui a vraiment créé la bourgeoisie.

Des laboureurs habitent en ville ce sont des bourgeois mais si peu; des fils de paysans venus de la campagne fréquentent l'Université ils deviendront vraiment bourgeois. En revanche, il y a des bourgeois de village, surtout à partir du xvie siècle. Ce mot de bourgeois a donc bien


des sens. Plus encore que celui de vilain, il est promis à des fortunes diverses.

Sous l'Ancien Régime, on est principalement bourgeois par l'argent (origine marchande) ou par le latin (études de droit). Mais la bourgeoisie est surtout une classe de passage. Dès 1519, Claude de Seyssel, dans la Grand'Monarchie de France, explique le Tiers-État précisément comme un passage entre le peuple et la noblesse.

Classe de passage, la bourgeoisie observait une hiérarchie peut-être plus rigoureuse que la noblesse. On en trouve un indice dans le Roman bourgeois de Furetière, qui nous a laissé un tarif des jeunes filles à marier bien révélateur à ce sujet. Pour une dot de six mille à douze mille livres, par exemple, on pouvait avoir un marchand de soie, drapier, mouleur de bois, procureur du Châtelet, secrétaire de grand seigneur; de douze mille à vingt mille, un procureur au Parlement, un huissier, un notaire, un greffier. Mais bien qu'une fille de bourgeoisie puisse épouser un noble en y mettant le prix (de trois cents à six cents mille livres pour un marquis et même un duc et pair), les termes de bourgeois et de marchand vont devenir aussi injurieux au milieu du xviie siècle que celui de vilain au Moyen Age. « Taisez-vous, bourgeoise » dit une marquise à Mme Patin, toute fière de son carrosse de velours cramoisi (le Chevalier à la mode de Dancourt).

Bourgeois, « c'est l'injure que la canaille donne à ceux qu'elle estime niais ou qui ne suivent point la cour », dit Charles Sorel. Et Madelon des Précieuses ridicules déclare de son côté « II ne se peut rien de plus marchand que ce procédé. »

On sait comment le mot de bourgeois est redevenu méprisant de nos jours. Le terme de marchand en revanche n'a pas survécu à Madelon. Mais, au xviii8 siècle, le pouvoir de l'argent va accélérer le mélange des conditions et, comme disait déjà La Bruyère « Quelques autres se couchent roturiers et se lèvent nobles. » La noblesse de cour, elle-même, connaîtra parfois des embarras financiers et il arrivera que certains de ses membres soient moins à l'aise que les bourgeois. Aussi cherchent-ils à travailler, et bourgeois, marchands et nobles se réunissent pour échanger des idées et converser ensemble.

Sous l'Ancien Régime, le « privilège de clergie » était très important, mais il ne représente plus rien aujourd'hui. Même le mot de clerc est à peu près tombé en désuétude. Rarement l'emploie-t-on encore pour désigner un intellectuel.

Jadis, ce privilège était un moyen de parvenir. a Ils étaient à peine connus dans leurs villages, dit saint Bernard, et maintenant qu'ils sont clercs, ils fréquentent les cours, recherchent la connaissance des rois et la familiarité des princes. » Aujourd'hui, seule la a portion congrue n des pauvres curés de campagne d'autrefois est passée en proverbe.


Elle n'a pas beaucoup changé d'ailleurs, pour ceux d'aujourd'hui. Si l'on examine d'autres catégories sociales, on trouve le même genre de variations. Le maître est devenu patron dans une époque qui refuse pourtant le paternalisme.

Le « Maître n dans les corporations, c'était d'ailleurs surtout celui qui avait acquis la connaissance et les diplômes, c'était l'ingénieur d'aujourd'hui. Le compagnon est devenu l'ouvrier, ce qui écarte les liens amicaux.

Si l'on considérait encore au xvne siècle les gens de métier comme de « viles personnes », les artistes en même temps étaient logés au Louvre. La distinction entre artiste et artisan a débuté avec la Renaissance, mais n'est venue que peu à peu.

Un autre mot « sensible » est celui de « service ». Naguère un seigneur avait sa mesnie », un bourgeois eut ses domestiques, les deux mots ayant la même origine domus, maison. Cela paraissait normal, les nobles étant les premiers à « servir », mais au xvme siècle, Fénelon déclare » Faites entendre que les hommes ne sont point faits pour être servis. »

Servir, c'était pourtant la devise du chevalier, c'est encore celle du soldat et l'on juge toujours le fonctionnaire sur sa « manière de servir ». Mais en même temps, ce qui fait que le soldat devient suspect à beaucoup, c'est justement à cause de cette notion de « servitude et grandeur militaires s. Bref, servir est un mot qui fut noble et qui est en train de devenir vil.

Il est vrai que le mot de soldat fut longtemps assimilé à celui de brigand (surtout de la guerre de Cent Ans à la Révolution). Il est vrai aussi qu'un vrai brigand comme Mandrin fut très populaire, car il défendit les paysans contre le fisc. Et les corsaires et flibustiers ont euxmêmes servi le roi.

A quel mot se fier donc? A aucun, ils changent tous. Ainsi est-il permis de réfléchir à l'étrange pouvoir qu'ont connu certains d'entre eux. Vilain est passé du sens originel concret au sens figuré à la fois physique et moral, et est devenu entièrement péjoratif.

Bourgeois a connu des fortunes diverses, comme celui qui le portait méprisé au xvne siècle par la cour, honoré au xixe, méprisé au xxe par le communisme.

Valet et domestique ont aujourd'hui un sens à la fois social et moral; c'est pourquoi le terme de « gens de maison » tend à se substituer à celui de domestique; c'est exactement le même mot, mais il paraît plus noble.

Marchand a perdu son sens péjoratif moral, mais il garde un sens péjoratif social et disparaît généralement devant commerçant ou négociant qui font plus « distingué ».


Clerc a disparu à peu près. Compagnon a disparu presque complète-

ment, sauf dans le bâtiment.

En somme, l'épiderme social est chatouilleux à l'égard de quelques mots, à certaines époques et non à d'autres.

L'état du vilain ayant paru ce qu'il y avait de plus affreux, celui-ci s'est hâté de jeter sa carapace. Dorénavant tout le monde peut être vilain au physique ou au moral. C'est le meilleur tour que l'ancien serf pouvait jouer aux autres hommes.

Le paysan n'a peut-être pas été aussi habile. Il est vrai que, si le vilain était seulement affranchi, le paysan est devenu propriétaire, ce qui le mettait dans une position.privilégiée.

Bourgeois et marchands, qui avaient de l'argent, en ont imposé par ce moyen. Ils se sont défendus « on se défend comme disent aujourd'hui les commerçants, pour laisser entendre que leurs affaires vont assez bien. Quant au gentilhomme-campagnard, il faut remarquer qu'on n'a pas trouvé de terme péjoratif à son intention; un gentilhomme garde toujours un certain lustre malgré tout.

Mais pourquoi y a-t-il presque constamment une ou plusieurs catégories sociales méprisées des autres? C'est sans doute une forme de la lutte pour la vie.

Aujourd'hui le nivellement s'est produit au profit de la bourgeoisie. Tout le monde a été fait bourgeois, même les nobles, les paysans, les ouvriers, ce qui représente le triomphe définitif de l'ancien vilain, passé du village au bourg.

Seuls les paysans n'écartent pas toujours les quolibets. Le rus (d'où

rustre) est décidément ce que notre civilisation méprise le plus. Pourquoi? Elle en est pourtant sortie. Méprise-t-on toujours ses origines? C'est vraisemblable. Un parvenu n'aime pas qu'on les lui rappelle.

Ainsi l'usage ou l'abus de certains mots nous éclaire-t-il sur nos réactions secrètes.

Germaine MAILLET.


ENCORE LE CONTROLE

DES NAISSANCES

Le débat sur la contraception ne s'apaise jamais complètement. Mais il connaît des crises soudaines de recrudescence qui provoquent des titres énormes dans la presse d'information, des émissions spéciales de la radio et de la télévision. Depuis quelques mois, nous sommes en présence d'un de ces réveils et c'est pour répondre à cette fièvre que les cardinaux et archevêques ont cru devoir publier une longue déclaration pour rappeler la doctrine de l'Église, en la matière.

De quoi s'agit-il? En premier lieu, d'une campagne véhémente pour obtenir la suppression de la loi du 31 juillet 1920 spécialement de son article 3.

Voici le texte en cause « Sera puni d'un à six mois de prison et d'une amende de 100 à 5.000 francs, quiconque, dans un but de propagande anticonceptionnelle, aura décrit ou divulgué, ou offert de révéler les procédés propres à prévenir la grossesse, ou encore facilité l'usage de ces procédés. Ces mêmes peines seront applicables à quiconque, par l'un des moyens énoncés à l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, se sera livré à une propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité. » Ces attaques récentes viennent de divers côtés, mais principalement des partisans de ce que l'on appelle la planification familiale. Il n'est pas question, affirment ces derniers, de prétendre que notre pays est menacé de surpopulation. Il s'agit uniquement de permettre aux familles de diriger leur fécondité de façon rationnelle, d'espacer les naissances, au mieux des possibilités des parents et pour l'éducation équilibrée des enfants. Combien de femmes auront la santé nécessaire pour supporter toutes les maternités que leur permettraient les lois physiologiques, des environs de la vingtième année jusqu'à la ménopause? Combien de foyers auront les ressources suffisantes pour subvenir à une telle descendance et par conséquent pour maintenir les conditions d'une vie humaine? Poser ces questions en termes exacts, c'est par le fait même établir l'absurdité cruelle du natalisme aveugle et irrationnel. Que l'on ait le courage de voir les choses en face. Il existe, aujourd'hui, des moyens efficaces de régler la fécondité, selon la prudence et la raison. Il faut supprimer les obstacles légaux à la propagande en faveur de ces techniques et permettre aux médecins de les indiquer, comme aux pharma-


ciens de vendre, librement, les moyens de les utiliser. Les pays qui admettent cette liberté ne sont pas plus menacés que les autres de décadence. Au contraire, leur population s'accroît régulièrement, mais dans des proportions raisonnables.

Tel est, en bref, le plaidoyer. Que vaut-il? La véhémence passionnée qui l'inspire implique-t-elle des arguments sérieux?

Trois constatations d'abord.

La première, c'est la complexité du problème, qui semble échapper complètement à ces propagandistes forcenés. C'est ce que remarque l'un des spécialistes de ces études.

« Malheureusement, écrit M. Sauvy, l'absence de support scientifique et l'insuffisante diffusion des données acquises laissent la voie ouverte aux commentaires les moins autorisés et, souvent, il faut le dire, aux plus dangereux. Qu'il s'agisse des pays européens à faible natalité ou des pays sous-développés à forte natalité, les auteurs qui traitent de cette question délicate n'en connaissent le plus souvent que des aspects très particuliers et créent de regrettables confusions, tout en répandant dans le public des illusions dangereuses 1. »

Le chiffre des familles nombreuses n'est pas aussi élevé que les campagnes en cours voudraient le faire croire. Mais ce sont elles qui assurent notre léger relèvement de population.

« Le comportement des ménages formés après ig^o conduit à une descendance finale de 2.200 à 2.3oo enfants nés vivants, pour 1.000 mariages de tous âges et de toutes destinées; pour 1.000 mariages de femmes de moins de 5o ans mais dissous par la mort ou par le divorce avant que la femme atteigne 5o ans (famille complète), la descendance correspondante va de 2.53o à 2.650, soit un peu plus de 2 enfants et demi en moyenne par ménage. Pour assurer le renouvellement de la population (avec la nuptialité et la mortalité actuelles), le nombre de naissances vivantes pour 1.000 mariages ne doit pas tomber au-dessous de 2.050 (en admettant que le nombre de naissances illégitimes reste au niveau actuel). Car si aucune famille n'avait plus de trois enfants, le nombre final d'enfants, pour 1.000 mariages, atteindrait seulement 1.720. En admettant même qu'aucune réduction ne survienne dans les petites familles et dans les naissances illégitimes, les générations n'assureraient leur renouvellement qu'à 84 Une perte de 16 serait subie à chaque génération. a »

On est donc en droit de se demander ce qui se passerait, si la propagande antinataliste pouvait se déchaîner librement. Combien de familles françaises seraient capables, en faisant abstraction d'autres considéra1. Population, 1960. 1, p. 115.

2. A. Sauvy, dansPopulafton 1956, 2, p.225.


tions, de faire passer l'intérêt général avant leurs avantages particuliers? Or, écrit encore A. Sauvy, une rechute de natalité risquerait fort d'être irréversible ». Pour l'avenir du pays, on voit que l'enjeu est considérable. Quant à la seconde remarque, son évidence est si aveuglante que seule une obstination passionnelle peut s'y refuser. Il y a deux siècles que la planification des naissances règne en France et le pays a failli en être ruiné.

D'après les historiens de la démographie, le mouvement de dénatalité a commencé, chez nous, au moins au milieu du xvme siècle et même, probablement, à la fin du xvne.

Quelques chiffres, même non interprétés, suffiront à montrer l'ampleur du phénomène. En 1801, nous comptions 27.300.000 habitants; en 1841, 34.200.000; nous en avons aujourd'hui 42.700.000. Durant la même période, la Grande-Bretagne (Angleterre, Pays de Galles, Ecosse) passe d'un peu plus de 11 millions à 49.300.000. L'Espagne possède en 1857 15.600.000 habitants; aujourd'hui, elle en est à 27.900.000. On voit combien, par comparaison avec d'autres nations de l'Europe, la volonté de non-fécondité est ancienne dans notre pays. Comment a-t-elle pu être efficace? C'est-à-dire par quelles méthodes est-on parvenu à stopper la montée de la population? '1

On pensera à l'avortement. Et il est indéniable que cette pratique criminelle a été très répandue et que ses conséquences ont été importantes. Mais pour l'époque dont nous parlons, c'est, croyons-nous, le recours à l'onanisme, c'est-à-dire à l'acte interrompu, qui a été décisif. Sur quoi se base cette opinion? Sur le mouvement d'inquiétude que l'on sent alors chez les théologiens et les prêtres qui reçoivent aveux et confidences, au confessionnal. La pudibonderie hypocrite de l'époque ne leur permet pas d'intervenir aussi fermement et aussi publiquement qu'il le faudrait. Il a fallu attendre l'Encyclique Casti Connubil pour que le silence soit vraiment rompu. Mais il y a là, pour ces prêtres, un tourment secret. Et puis, malgré tout, quelques-uns, plus ou moins brutalement, plus ou moins habilement, se risquaient à parler et des anecdotes nous viennent, de la fin du dernier siècle ou des premières années du nôtre, qui montrent quelle résistance rencontrait leur parole. Un vieux curé du Centre, me racontait, en 1937, que pendant une mission donnée, vers 1910-1911, à la sortie d'un sermon sur le sujet, tous les hommes, à l'exception de quelques vieillards, se réunirent pour délibérer et se jurèrent de ne plus jamais remettre les pieds à l'église. Auraient-ils eu ce soulèvement de colère, s'ils ne s'étaient sentis personnellement atteints? Et est-ce que les hommes d'une France beaucoup plus largement déchristianisée comme elle l'est aujourd'hui auraient plus de scrupules que leurs devanciers?


La troisième constatation, c'est que, dans ce débat complexe, l'Église catholique est directement mise en cause, violemment prise à partie. Elle apparaît comme le grand adversaire qu'il faut déconsidérer ou convaincre.

D'où vient donc à l'Église cette puissance, en ce domaine, alors que, par ailleurs, chez nous, son influence a certainement baissé depuis cent ans? Peut-être d'abord de la rencontre entre ses exigences et un réveil de l'instinct vital. Une modification profonde a, en effet, commencé chez nous, il y a vingt ans, qui, quoi qu'on en dise, n'est pas due uniquement aux allocations familiales. Mais il y a plus. L'Église a retrouvé la liberté de parler ouvertement de ces questions et de mener son travail apostolique comme elle l'entend. D'un coté, en effet, le silence faussement puritain du xixe siècle a été brisé; il suffit de lire la presse quotidienne pour s'en rendre compte (puisque les journaux parlent de ces questions, pourquoi papes, évêques, théologiens devraient-ils se taire?), de l'autre, les multiples ingérences de la société civile dans les affaires ecclésiastiques ont cessé avec le Concordat.

Cette action de l'Église est multiforme travail des spécialistes, théologiens, biologistes, médecins; les théologiens, en particulier, ont à dégager les principes de la morale familiale, à les éclairer les uns par les autres, à réfléchir sur les découvertes scientifiques, pour juger dans quelle mesure leurs applications sont compatibles avec les exigences morales.

Travail des confesseurs, qui ont pour mission d'éclairer les consciences, d'apprécier les circonstances où se débattent les chrétiens qui se confient à eux, de diriger les efforts vers une plus grande maîtrise de soi, une fidélité plus complète à la volonté de Dieu.

Enfin et surtout enseignement du magistère. Pie XI et Pie XII ont parlé net. Leurs paroles sont à l'origine du grand mouvement que nous décrivons. Pour chaque pays, selon les nécessités, les évêques ont à reprendre, inlassablement, ces vérités essentielles pour qu'elles parviennent à tous et ne soient pas altérées et faussées par des commentaires intéressés.

C'est dans ce contexte qu'il faut, pour la comprendre, replacer la récente déclaration des cardinaux et archevêques (3 mars 1961). Aussi faut-il regretter l'interprétation que certains organes d'information ont voulu en donner.

La doctrine qu'elle expose n'a rien de révolutionnaire. Les nuances qu'elle comporte ont, déjà, été marquées plusieurs fois, par Pie XII. Les titres sensationnels n'ont d'autre résultat que d'accroître la confusion des idées. Les visées commerciales n'ont rien à voir avec la vérité. A la lumière de ce document, mais sans suivit luu» les détails de suu


exposé, reprenons donc le résumé de la doctrine de l'Église relative à ces problèmes.

L'Église, en dépit d'attaques de toute espèce, entend maintenir sa position essentielle. Ce qu'elle défend ce sont les lois de la nature humaine, parce que les lignes directrices de notre action sont inscrites dans les structures que le Créateur nous a données.

Mais cette attitude est-elle raisonnable de nos jours? N'apparait-il pas, de plus en plus, que la nature est au service de l'homme, qu'elle est faite pour être dirigée par l'esprit qui en analyse les éléments, en découvre le mécanisme et qui la soumet à ses propres fins? Quand il s'agit de la nature extérieure à l'homme, cette remarque est parfaitement valable. Elle ne fait que reprendre, en langage moderne, une affirmation aussi vieille que la Bible et qui n'étonne donc pas l'Église. Il en va autrement quand il s'agit de toucher au corps humain. Notre corps c'est notre personne même. Il est l'expression de l'âme, mais il n'est pas pur chaos que l'esprit modèlerait à sa guise pour lui donner, à chaque action, une signification totalement inventée; sa structure impose les moyens d'expression.

Ce n'est pas dire que toute intervention technique qui touche notre corps est à proscrire. Mais la technique ne pourra être appelée au service de l'organisme humain que pour remédier à ses déficiences, troubles, blessures ou maladies. Comme l'a souvent souligné Pie XII dans ses discours, c'est alors le bien général de la santé qui est la règle suprême. Et à condition de respecter ce principe, tout est permis anesthésiques contre la douleur, opération qui sacrifie un organe malade ou blessé et devenu ainsi dangereux pour l'individu, médicaments qui rendront plus équilibré le fonctionnement du foie ou des reins, etc. Mais à qui fera-t-on croire que les méthodes contraceptives soient fidèles à cette règle? En réalité, c'est un trouble que l'on tend à créer, de propos délibéré, qu'il s'agisse de l'acte interrompu, des diaphragmes uu des pilules stérilisantes. C'est une fonction que l'on prétend, à la fois, exercer dans sa plénitude et arrêter dans son déroulement normal. En dépit de toutes les raisons invoquées, de toutes les illusions entretenues, on provoque, volontairement, une désorganisation du dynamisme naturel de l'acte conjugal.

C'est un moindre mal, dira-t-on. Alors, reconnaissons que c'est un mal. Cette loyauté première permettra, peut-être, de juger, sainement, de la gravité de ce mal. Car il est bien à craindre que le trouble du dynamisme physique ne se propage dans l'acte tout entier. Troubler un acte signifiant n'aura-t-il pas pour conséquence de diminuer ou de détruire sa signification?

On a violemment attaqué l'enseignement de l'Église sur la primauté de la procréation entre toutes les fins du mariage. Et la déclaration des


cardinaux et archevêques ne craint pourtant pas de l'affirmer à nouveau

« L'amour conjugal n'est pas une passion égoïste repliée sur sa seule jouissance, mais c'est un don mutuel et affectif de l'être qui trouve son épanouissement complet dans la mise au monde et dans la consciencieuse éducation des enfants aimés pour eux-mêmes. »

En effet, cette primauté ne supprime pas les autres fins; au contraire, elle en fait une totalité hiérarchisée. Aussi, la refuser c'est diviser l'être humain et d'une division telle que l'unité ne sera rétablie que par une reconstruction purement verbale.

La sexualité, dit-on, est pour l'amour et l'amour pour l'épanouissement des deux êtres qui se donnent l'un à l'autre. Et on a vu que, jusqu'ici, l'Église est d'accord. Mais si cette ordination est inscrite dans la nature, on n'y trouve pas moins que, sous peine de pourrir ou de se dessécher, l'amour doit s'ouvrir vers l'avenir, donc vers l'enfant. D'ailleurs, l'épanouissement de l'être humain, c'est-à-dire son accession à la pleine maturité, ne se fait que dans la prise en charge des responsabilités et la plus grande, celle qui va au plus profond des exigences de la vie, est celle de la formation d'un nouvel être humain. Avec toute la théologie contemporaine, les cardinaux et archevêques le soulignent, c'est l'éducation des enfants « aimés pour eux-mêmes qui se révèle comme la fin suprême de l'union des époux. Voilà le don pleinement désintéressé qui est le terme de l'amour.

Mais, s'il en est ainsi, chaque acte sexuel doit respecter cette orientation, c'est-à-dire se soumettre au dynamisme naturel. Sinon, il y aurait deux espèces d'actes sexuels; il y aurait ceux qui sont pléniers et les autres.

D'autre part, si le mariage ne se définit pas par l'attente de l'enfant, au moins au stade qui dépend des époux, c'est-à-dire dans l'acte conforme à la nature, comment définir l'enfant? Il y aurait là des questions qui mériteraient d'être étudiées et dont la réponse apporterait une lumière essentielle à ces débats.

Mais, dans ces conditions, n'est-ce pas une hypocrisie que d'admettre la méthode communément appelée méthode Ogino?

Et comment les théologiens peuvent-ils rester fidèles à la doctrine que nous venons d'énoncer et demander aux biologistes de rendre l'usage de cette méthode plus infaillible qu'il n'est aujourd'hui?

Il faut d'abord noter que ce ne sont pas les risques de fécondation non encore éliminés qui rendent cette pratique moralement admissible. Et si, un jour, par des moyens dont certains sont discutés par les théologiens, elle devient d'une totale sûreté, elle n'en sera pas réprouvée pour autant.


C'est qu'elle ne trouble pas le dynamisme naturel dont-nous avons parlé; au contraire, elle se base sur une connaissance plus parfaite du rythme mensuel de la femme.

Mais, pour porter sur elle une appréciation complète, il faut entrer dans un domaine que jusqu'à présent nous avons laissé de côté, celui de l'intention et des motifs.

La moralité d'un acte de volonté se détermine par les caractères objectifs de l'action voulue et accomplie, c'est ce que nous avons rappelé dans les pages qui précèdent et cette soumission nous est imposée par notre état de créature; car nous ne créons pas dans une indépendance souveraine. Mais elle est aussi définie par les fins que nous entendons poursuivre. Les deux aspects sont inséparables. Toute la valeur morale de la continence périodique dépendra donc du motif qui l'inspirera. Pie XII a indiqué les principales situations qui pouvaient la justifier; mais elles ne prennent un sens humain que si elles sont assumées dans une véritable maîtrise de soi. Comme le marque encore la déclaration des cardinaux et archevêques

« Envisager une « régulation des naissances » suivant les méthodes que la science enrichit progressivement de nouvelles précisions, implique la soumission consciente des époux à une règle supérieure de moralité dans les manifestations de l'amour humain. »

Toute vie conjugale est viciée, au départ, qui ne met la discipline des impulsions instinctives et sentimentales au service de la fin supérieure d'amour désintéressé, de dévouement et de progrès dans l'entente des âmes. Et les chrétiens savent ou devraient savoir que c'est l'amour même du Christ qui doit les inspirer et modeler, selon ses exigences, leur propre amour.

C'est pourquoi le natalisme inconscient et sans frein n'est pas moins à réprouver que les pratiques anticonceptionnelles. Le dérèglement est différent mais non moins contraire à la morale conjugale. On raconte qu'au xixe siècle un homme aurait répondu au médecin le prévenant qu'une maternité nouvelle compromettrait la vie de sa femme « Je préfère perdre ma femme que mon âme. »

Légendaires ou non, ces paroles ne peuvent que faire horreur par l'égoïsme qu'elles traduisent. Qu'on ne les prenne pas pour l'expression de la doctrine catholique.

Tels sont les principes dont il est vain d'espérer que l'Église s'écartera jamais. Tel est l'idéal qu'elle veut faire prévaloir. Mais elle sait que la majorité des hommes ont besoin d'être soutenus dans leur effort moral par les conditions de vie qui leur sont faites. Aussi les cardinaux deman-


dent « des interventions charitables et efficaces» pour mettre en valeur et distribuer équitablement les ressources terrestres.

Elle connaît aussi combien nous sommes médiocres, combien nos meilleures résolutions sont courtes et elle est miséricordieuse. Mais l'expérience lui a appris que les illusions de l'intérêt, de la passion, de la faiblesse même, qui veulent s'ériger en principe, sont un des plus grands dangers pour l'humanité. C'est pourquoi elle s'opposera toujours à ces essais de transmutations.

Eugène TESSON.


LE DIXIÈME ANNIVERSAIRE

DU C.P.M.I.

Ces initiales n'ont plus besoin d'être expliquées en cette dixième année d'existence du Centre pastoral des missions à l'intérieur. Le public français, celui aussi de plusieurs pays de l'Ancien et du Nouveau Monde, en connaît la signification. Mais, au terme de ces dix ans, il n'est pas inutile de revenir sur les buts et les activités d'une institution créée pour le renouvellement des missions paroissiales.

Ces missions sont apparues, il y a quatre siècles, comme un moyen privilégié de l'application des canons réformateurs du Concile de Trente. Loin d'avoir le sentiment de faire du neuf, le C. P. M. I. a conscience de s'inscrire dans une longue tradition. N'est-ce pas à l'action des « prophètes » dans le peuple de Dieu que se rattachent nos missions paroissiales ?

Mais, si les prophètes suscités par Yahvé faisaient œuvre distincte du sacerdoce officiel, et parfois agissaient contre lui, dans l'Alliance nouvelle inaugurée par le Christ, toute réforme est intérieure à l'Église. Le missionnaire est envoyé par la Hiérarchie, il reçoit mission de l'évêque pour convertir les cœurs et secouer les âmes assoupies.

Son rôle demeure cependant distinct de celui du clergé paroissial et résidant. En conjonction avec lui, le missionnaire s'efforce, dans la ligne tracée par le Concile de Trente, d'éveiller le peuple chrétien dont la ferveur tend constamment à s'assoupir. Réveil périodique, qui s'ajoute à intervalles plus larges dimension des grandes étapes de la vie humaine et des nécessaires révisions des institutions chrétiennes aux réveils annuels du Carême et des Quatre-Temps.

Le mérite de nos prédécesseurs des xvn» et XVIIIe siècles fut de transformer en intervention permanente, et statutaire, l'oeuvre des grands saints réformateurs des siècles antérieurs. Tout vieillit et doit, selon un rythme régulier, revenir à la source pour refaire sa jeunesse. L'Église sait le besoin de ce renouveau, dont les instances majeures demeurent les Conciles, généraux, provinciaux ou nationaux elle se recueille et fait le point, prévoyant les terrains d'application de l'indispensable réforme, décidée et résolue sous le regard de Dieu.

Dans ce courant réformateur, instauré au Concile de Trente, s'Inscrit la mission paroissiale, destinée en principe à faire parvenir jusqu'au


peuple chrétien le bienfait des décrets réformateurs. Avec le temps, elle se fixa et s'institutionnalisa en un ensemble d'exercices déterminés, qui se continuèrent, en France, durant le xvme siècle, et que la Restauration retrouva après la crise révolutionnaire. Mais après un élan passager, entre 1820 et 1830, les missions continuèrent sans se renouveler vraiment. La prise de conscience contemporaine de la déchristianisation de la France leur redonna une nouvelle vigueur si la mission paroissiale apparaît toujours utile, même aux périodes d'euphorie spirituelle, son urgence devient évidente aux époques de crises. Ne doit-elle pas devenir comme le trait d'union entre les renouveaux d'une église qui se veut missionnaire et les communautés paroissiales?

A vrai dire, les missionnaires, dans les années qui précédèrent et suivirent immédiatement la seconde guerre mondiale, mirent quelque temps à se trouver de plain pied avec les renouveaux biblique, apostolique, sociologique, liturgique qui s'affirmaient dans l'Église de France. Un peu cantonnés dans leurs techniques d'approche et de conversion, dans la recherche de nouvelles méthodes, ils n'avaient pas assez de contact avec tout cet effort.

C'est pour remédier à cette ignorance que le C. P. M. I. fut créé, au moment où les missionnaires, inquiets des résultats éphémères ou trop limités des missions paroissiales, acceptèrent de repenser leur œuvre à la lumière des renouveaux de l'Église de France. On peut dire que le C. P. M. I. fut successivement une rencontre, un dialogue, une amitié. •"•

La rencontre fut brutale. Les participants du Congrès des Œuvres de Bordeaux en 1947 s'en souviennent encore. D'un côté, autour d'un aventurier de la mission qui avait exercé toutes les formes d'apostolat sauf la mission paroissiale, une équipe de missionnaires résolument décidés à changer sans savoir encore exactement quoi ni comment; de l'autre, les tenants de la Tradition missionnaire. Des nombreux carrefours passionnés qui suivirent la conférence sur les missions à l'intérieur, conférence brûlante encore de l'expérience de la Mission de Longwy qui venait de s'achever, les témoins ne pouvaient conclure qu'à un dialogue de sourds.

Les disciples d'Emmaüs reconnurent le Seigneur, note saint Grégoire dans son homélie du lundi de Pâques, non en bavardant avec lui sur la route, mais en exerçant la charité à son égard. Les missionnaires finirent par se comprendre non en prolongeant un dialogue impossible, mais en travaillant ensemble à l'extension du règne du Seigneur. La Mission de Briey en 1948, et celle de la Vallée de la Sambre en 1950, qui rassemblaient des « anciens et des nouveaux » eurent le mérite de convaincre


les uns et les autres que l'avenir des missions dépendait de leur entente. Dès lors, la création du C. P. M. I. était inéluctable.

Au mois d'août 1951, avec l'encouragement de la Hiérarchie, représentée par Son Excellence Monseigneur Guerry, secrétaire permanent de l'A. C. A., et de Son Excellence Monseigneur Brault, ancien supérieur des Missionnaires Diocésains de Paris, sollicité comme a protecteur », en présence de leurs aînés de l'A. C. et du C. P. L., dont ils avaient demandé le concours, les missionnaires décidaient de ne plus interrompre le dialogue fructueux que l'action commune avait rendu possible et ils instituaient une table ronde permanente le C. P. M. I.

A l'origine le C. P. M. I. était une petite équipe de prédicateurs de missions qui s'étaient rencontrés « sur le terrain des premières missions générales. Ils se réunissaient chez les Franciscains de la rue des Solitaires à qui avait été confiée la direction des missions de Briey, La Sambre et Lens. Déjà les grands Ordres missionnaires étaient présents. On y voyait le R. P. Pennée, Provincial des Oblats, le R. P. de SaintMartin, Provincial des Rédemptoristes, et le R. P. Médard, Capucin. Pour étendre son action, le C. P. M. I. constitua un Comité Directeur composé de supérieurs majeurs de Congrégations missionnaires, de supérieurs de missions diocésaines et de spécialistes de la pastorale. A ce titre, le R. P. Villain, S. J., à ce moment-là Directeur de l'Action Populaire, et M. le Chanoine Ligier enrichirent de leurs expériences la jeune institution.

A mesure que les missions générales révélaient tout à la fois des problèmes précis et des hommes capables d'y apporter une solution, le C. P. M. I. créa des équipes de recherches. En 1954, on en comptait onze. C'est au travail de chacune d'elles, à l'effort de synthèse auquel leurs responsables se livraient au cours de leurs rencontres trimestrielles que l'on doit la déclaration de l'A. C. A. d'octobre 1954

« Les missions générales se multiplient au point que l'extension du mouvement constitue à l'heure actuelle un élément de vie apostolique plein d'espérance. Il n'est pas, en effet, un seul secteur de la pastorale auquel la mission générale, telle qu'elle se précise de mieux en mieux, ne puisse apporter un appoint considérable, grâce aux travaux des équipes de recherches du C.P.M.I. »

« En outre, la mission générale a l'avantage de coordonner dans son effort, sous la direction de l'évêque du lieu, toutes les forces de l'Église (clergé séculier et régulier, paroissial, enseignant et spécialisé, religieuses, laïcat), en vue d'une évangélisation de plus en plus profonde des personnes et des milieux de vie. » Aujourd'hui, le C. P. M. I. s'est donné une structure plus complexe correspondant mieux à sa situation présente.

Les équipes nationales de recherches se sont multipliées au point de couvrir à peu près tous les grands secteurs de la pastorale Prédica-


tion, Liturgie, Catéchèse, Enfance, A. C. G., Monde Ouvrier, Monde Indépendant, Monde Rural, Monde Scolaire, Techniques de masse, Religieuses, Sociologie, Information, etc. Plusieurs d'entre elles comprennent plusieurs sections. Le rôle des équipes qui rassemblent cent cinquante chercheurs est à la fois d'étudier l'intervention missionnaire elle-même et le renouveau que cette intervention doit susciter dans la pastorale permanente.

Le Comité Permanent dirige les Équipes nationales, coordonne leurs travaux, élabore la pastorale missionnaire d'ensemble, organise les sessions de formation, assume la responsabilité de la littérature du Centre, oriente les centres régionaux chargés d'animer plus directement les équipes missionnaires de base.

Le Comité Directeur en plus de la responsabilité spirituelle des missionnaires est le gardien de la tradition missionnaire et assure la liaison avec la Hiérarchie.

Nous pensons toutefois que le C. P. M. I. ne se livre pas dans cette description toute extérieure. Nous croyons même qu'une analyse minutieuse des rouages compliqués de l'institution est incapable d'en révéler l'âme. Comme nous l'avons dit, le C. P. M. I. est essentiellement un dialogue entre deux partenaires.

On peut donner des noms à des partenaires, mais nous risquerions de nouveau, en précisant trop, de sortir de la vérité. Ces partenaires, en effet, sont avant tout des témoins des renouveaux de l'Église, des témoins de la tradition de l'Église.

A l'origine du C. P. M. I. il y a quelques hommes. Ces hommes ne sont pas des missionnaires, mais ils croient à la mission. Ils sont persuadés que la mission est un grand moyen voulu par Dieu pour renouveler les personnes et les choses.

Ces hommes sont les témoins de la pastorale permanente. Ils ont commencé par l'Action Catholique et l'Action Sociale, puis ils ont découvert la paroisse, la pastorale liturgique. Ils pressentent que la mission permet des révisions, des adaptations, des bonds en avant de la pastorale ordinaire. Ils se tournent avec confiance vers leurs frères.

Les missionnaires ont eu le grand mérite de ne pas repousser la main tendue. Ils n'ont pas allégué l'inexpérience, voire même l'ignorance de leurs partenaires arrivés sur le tard à la mission. La tradition qu'ils représentaient demeurait vivante. Ils étaient « en recherche ». Ils pressentaient de leur côté que ces renouveaux devaient remettre la mission en bonne position de combat.

A ce premier dialogue on doit les premières grandes missions générales Lens, Orléans, Nancy, etc. Ces missions sont apparues des nouveautés. Un regard attentif y découvre aisément un tm^mblt; complexe


non harmonisé. La mission traditionnelle était accolée à des poussées missionnaires non synchronisées et à un laborieux travail de structuration pastorale. Un missionnaire astucieux évoquait l'époque de la découverte du moteur à explosion qu'on adaptait vaille que vaille à l'antique voiture à cheval. On avait juxtaposé des interventions reconnues également nécessaires, elles n'avaient pas encore eu le temps de « réagir » l'une sur l'autre.

On ne dira jamais assez, à notre avis, que le C. P. M. I. est d'abord ce dialogue loyal, persévérant, presque acharné, entre l'antique tradition presque quatre fois centenaire, et les renouveaux biblique, liturgique, apostolique, missionnaire qui entendaient bien donner à la mission tous les développements exigés par notre temps.

L'honnêteté foncière des partenaires, leur volonté arrêtée de ne pas interrompre le dialogue ni trahir les valeurs qu'ils représentaient, l'aide exceptionnelle qu'ils reçurent bientôt des théologiens de la mission, largement ouverte par ailleurs aux divers aspects de la pastorale permanente, devaient progressivement assurer une cohérence de plus en plus grande de la mission. Il semble, en effet, qu'aujourd'hui l'enseignement donné et l'œuvre d'adaptation de la pastorale soient sur le point de se rejoindre en une synthèse harmonieuse.

Enfin, le C. P. M. I. est une amitié. Impossible de participer à une session, ou mieux à une mission, sans être saisi par l'amitié que la recherche commune du royaume de Dieu a créée dans le cœur de tous ces apôtres. Tous les Instituts religieux, toutes les équipes de missionnaires diocésains fraternisent dans la recherche comme- dans l'action. Dans les grandes opérations missionnaires, les apôtres sont mêlés jusque dans l'équipe paroissiale elle-même. Réguliers et séculiers, Ordres mendiants et clercs réguliers, Provençaux, Bretons, Lorrains, tous acceptent la discipline commune, en restant eux-mêmes par fidélité à la mission spécifique que l'Église leur a confiée mais émerveillés et heureux des missions complémentaires de leurs confrères. Comme le disait un prélat romain que les responsables du C. P. M. I. visitèrent il il faut l'avoir vu pour y croire ».

•••

On juge l'ouvrier non sur sa prestance mais sur son œuvre. Pour connaître une institution, rien ne vaut l'étude de ses réalisations. Qu'a donc fait le C. P. M. 1.7

Quand on parle du C. P. M. I., on est tenté de penser aussitôt à la mission générale. La mission générale est intimement liée au C. P. M. I. qui l'a pensée et l'a rendue possible, mais à son tour elle conditionne


pour une bonne part ses progrès. Peut-être pourrait-on évoquer le tandem marxisme et agitation révolutionnaire pour aider à réaliser la densité du tandem C. P. M. I.-Mission générale. Il est aussi vrai de dire « c'est le C. P. M. I. qui a fait la mission générale » que c'est la mission générale qui a fait le C. P. M. 1 ».

Bien qu'il refuse la paternité de toutes les missions générales et que ce refus exprime la stricte vérité, chaque mission étant menée en toute autonomie par le chef de mission qui l'organise sous sa propre responsabilité selon les directives de l'évêque qui l'a nommé, le C. P. M. I. avance par bonds à partir des leçons, des échecs et des succès que comporte toute mission générale. Par ailleurs, n'est-ce pas d'une manière privilégiée par la chaîne des missions générales que le C. P. M. I. réalise les missions particulières que l'Église lui a confiées formation des missionnaires, conversion du peuple'chrétien, évolution du pastorat, développement, adaptation et synchronisation des institutions chrétiennes. Ces questions méritent toutefois d'être traitées pour elles-mêmes.

Nous croyons que le premier résultat du C. P. M. I., au-delà du perfectionnement incessant des techniques, demeure la formation d'apôtres aux vues larges, à l'esprit d'Église. Pour former des hommes, le C. P. M. I. s'est ingénié à multiplier les instruments et les occasions. Trois étapes de sessions vulgarisation, initiation, recherche, permettent aux missionnaires persévérants d'acquérir progressivement une compétence. Cent quatre-vingts sessions ont été ainsi organisées de 1951 à 1960. A ces trois étapes de sessions répondent trois séries de publications Pilotis », « Documents », et « Jalons ».

Pour pousser la formation des chefs de missions générales, responsabilité nouvelle qui ne bénéficiait pas du même coup d'initiation approfondie, il a fallu mettre au point plusieurs séries de sessions de synthèse. L'année 1961 verra probablement un nouveau type de rencontres pour les responsables de missions générales de grande taille. Un an avant Sedes Sapienliae, le C. P. M. I. avait posé les bases d'une année de formation pastorale pour les jeunes prêtres répondant exactement aux requêtes de la constitution apostolique.

La mission générale offrait de son côté un champ d'exercices très variés. A la base cette base qui doit demeurer toujours bien vivante si l'on veut que l'édifice reste debout les expériences personnelles de missionnaires prédicateurs et missionnaires responsables de l'évangélisation des quartiers. A l'échelon immédiatement supérieur, la responsabilité de chef de l'équipe paroissiale. Au-dessus de la responsabilité paroissiale, le chef de secteur qui supervise les activités d'un groupe de paroisses homogènes. Pour ceux qui ont acquis une compétence reconnue, la responsabilité d'un surfeur de la mission comme le catéchisme, la pastorale liturgique, le Monde Ouvrier, le Monde Scolaire, etc. soit


comme adjoint, soit comme premier responsable. Enfin, le chef de mission à qui incombe d'harmoniser l'ensemble de l'intervention missionnaire.

Les résultats de cette pédagogie active où réflexion et expérimentation s'articulent en un cercle vital sont aujourd'hui patents. Le niveau moyen du clergé missionnaire s'est considérablement relevé en quelques années. Plusieurs d'entre eux ont acquis une compétence telle que des charges importantes leur ont été confiées. Les équipes de missionnaires sont aujourd'hui soumises à une décapitation quasi systématique qui inquiète le C. P. M. I. A-t-on besoin d'un responsable d'équipe pour une mission permanente, on prend un missionnaire; veut-on un supérieur pour les missions lointaines, on prend un missionnaire; cherche-t-on un Préfet apostolique ou un Provincial. on prend toujours un missionnaire. C'est ainsi que sur les dix principaux chefs de missions générales sur lesquels pouvait compter le C. P. M. I. en 1955 un est mort de fatigue, un autre a été nommé Préfet apostolique, six sont aujourd'hui Provinciaux.

Le clergé missionnaire n'est pas le seul bénéficiaire de la mission. Le clergé des paroisses missionnées en retire également un bénéfice considérable. Les relations entre missionnaires et clergé ont cependant si profondément évolué depuis quatre siècles qu'il convient d'en dire un mot. A l'origine le missionnaire, toujours par l'expérience et souvent par l'étude, jouissait d'un grand prestige par rapport à un clergé sans qualification. Persuadés que la réforme d'une paroisse sera éphémère tant que sa conversion ne sera systématiquement entretenue par un pasteur zélé et compétent, les missionnaires s'attellent en priorité au problème du clergé. Plusieurs d'entre eux, pour la permanence des fruits de la mission, se consacreront définitivement à l'œuvre des Séminaires M. Olier, saint Jean Eudes, saint Vincent de Paul, etc.

Aujourd'hui, le clergé sort de séminaires dont la qualification est en progrès constant. L'initiation pastorale s'approfondit et se généralise. Sessions, revues offrent aux prêtres des moyens éprouvés de se tenir à jour. Par ailleurs, les missionnaires qui s'étaient laissé rejoindre par l'ensemble du clergé dans la possession paisible d'une compétence pastorale moyenne, n'ont commencé que depuis quelques années seulement à reprendre une modeste avance. Dans ces conditions, la plus-value que le clergé retire est due autant si ce n'est davantage à la mission qu'aux missionnaires. La mission par ses enquêtes ouvre les yeux, par ses commissions instaure un travail en commun, par ses journées pastorales apporte la compétence des spécialistes, par ses sessions d'évangélisation ébauche une synthèse pastorale, enfin par son propre déroulement offre de fécondes expérimentations.

L'étroite collaboration entre clergé missionnaire et clergé résidentiel,


spécialement entre les états-majors missionnaires et les Secrétariats Nationaux d'A. C. et les Centres de Pastorale ont permis un approfondissement sensible des méthodes de l'apostolat. Déjà en 1954 la déclaration, citée plus haut, de l'A. C. A. constatait « il n'est pas un seul secteur de la pastorale auquel la mission générale ne puisse apporter un appoint considérable ». Depuis cette date, l'effort a été poursuivi et intensifié. On ne peut passer en revue l'apport spécifique du C. P. M. I. aux institutions particulières qui ont pour objet la pastorale ou l'apostolat. Peut-être suffit-il de signaler les conclusions auxquelles les théologiens et les praticiens du C. P. M. I. ont abouti à l'issue d'une laborieuse recherche sur la grâce de mission et les institutions chrétiennes. Pour tous, il est aujourd'hui patent que la grâce de mission apporte à l'institution chrétienne qui se met en peine de l'accueillir un triple bienfait de renouveau, d'extension et d'intégration. Le renouveau s'appelle ressourcement, approfondissement, adaptation; sous des noms divers il exprime la grâce de rajeunissement, de fidélité de la mission. L'expansion, le développement ont été les premiers fruits constatés de la mission qui s'est révélée dès l'abord un moyen exceptionnellement efficace d'éveil et de formation des militants. L'intégration n'est apparue que plus tard avec les progrès de la pastorale d'ensemble, souvent' fille de la mission générale. La grâce de mission éveille chaque groupe à la présence d'autres groupes et à la nécessité d'une intégration de ces unités particulières dans l'Église locale.

L'expression « pastorale d'ensemble » a été prononcée. La pastorale d'ensemble n'est pas pour le C. P. M. I. une découverte tardive, extrinsèque à l'institution elle-même, à laquelle finalement on a fait sa place pour ne pas passer pour retardataire. La mission générale fait corps avec la pastorale d'ensemble. Elle est toujours, au moins au départ, une pastorale d'ensemble en projet; et à l'arrivée, si la mission n'a pas été totalement vaine, elle est une pastorale d'ensemble en acte. Pour s'en convaincre il suffit de se rappeler les grandes démarches de la mission générale.

Une étude sur le C. P. M. I. se doit d'esquisser au moins les quatre grandes démarches de la mission générale.

La première démarche, qui s'étend à toute l'opération et doit normalement lui survivre, est celle de la sociologie. Au point de départ, la découverte et l'analyse d'une région urbaine ou rurale présentant une unité sociologique réelle dans la diversité de fonctions complémentaires et offrant une base suffisante à une collaboration sacerdotale à partir des faits sociaux marquants. Cette unité correspond généralement sinon aux


limites exactes, au moins à l'extension approximative de quelque doyennés. L'objet de l'étude est de saisir sur un terrain d'action mieux connu la situation concrète de l'Église locale au point de pouvoir se permettre des suggestions sur l'implantation de ces institutions et leur fonctionnement.

La deuxième démarche est celle de la découverte progressive par toute l'Église locale, prêtres, religieux et laïcs, paroisse, A. C., enseignement, action sociale et charitable, du champ que le Père de famille a confié à leur sollicitude et, à la lumière de l'enseignement de l'Église, l'étude des conversions et adaptations qui s'imposent. Pour analyser correctement ces conversions et adaptations, clergé, religieux et laïcs se répartissent dans des Commissions spécialisées Liturgie, Catéchèse, Evangélisation, M. O., Monde Scolaire, Information, etc. et établissent pour chacun de ces secteurs un plan d'action possible, précis et déterminant. La troisième démarche est celle de la synthèse. Déjà une petite équipe préside depuis le début de l'action à la meilleure coordination possible des opérations les enquêtes et le lancement, la direction et la synchronisation des commissions. Cette équipe prend alors l'initiative de la session de synthèse qui va permettre d'élaborer, à partir de tous les travaux effectués et avec la collaboration des animateurs des commissions, une première esquisse d'un plan de pastoration et d'évangélisation. La quatrième démarche est celle du déclenchement massif de l'intervention missionnaire. Pendant huit ans le schéma habituel était celui d'une pré-mission qui découvrait aux meilleurs fidèles leurs responsabilités à l'égard de leurs frères et ouvrait pour toutes les bonnes volontés un vaste noviciat apostolique et d'une mission où durant quatre semaines un nombre important de missionnaires s'efforçaient de répondre à la triple exigence de la mission la conversion des chrétiens, la réforme des institutions, l'évangélisation des infidèles. Aujourd'hui, on s'orienterait vers un schéma nouveau d'une mission aux fidèles suivie pour les meilleurs d'entre eux d'une pré-mission qui les préparerait à une action près des infidèles, suivie à son tour, mais un an plus tard, de la mission des milieux coupés de l'Église. Cette recherche constante est l'un des signes de la volonté du C. P. M. I. de rejoindre les plus éloignés.

Est-il téméraire, en terminant cette étude, d'établir un lien entre ce dixième anniversaire du C. P. M. I. et le concile? Ne pas le faire, à notre avis, serait méconnaître la tradition la plus authentique des missions que le C. P. M. I. s'est précisément donné pour tâche de rénover. Nous avons vu qu'à l'origine la mission a été un instrument d'application des réformes du Concile de Trente aux paroisses et que l'extension


de la réforme a mis progressivement en veilleuse cet aspect particulier de la mission.

Aujourd'hui, avant le Concile c'est peut-être cet aspect qui distinguera le deuxième Concile du Vatican du Concile de Trente nous sommes en pleine réforme. Le renouveau biblique, liturgique, apostolique, le développement des sciences auxiliaires de la pastorale rajeunissent l'Église depuis plusieurs dizaines d'années et lui permettent de survivre en un siècle qui l'aurait étouffée sans ces redressements salutaires.

La création du C. P. M. I. peut être considérée comme l'événement qui a aidé la mission à l'intérieur à redécouvrir l'antique tradition d'instrument de réforme. En quelques années il s'est progressivement avéré que les renouveaux qui rajeunissaient les paroisses gagneraient en rapidité, intensité et expansion en se coulant dans l'intervention missionnaire. En ce même temps, sous la poussée du C. P. M. I. la mission s'élargissait. Cet élargissement n'était pas que spatial le passage de la paroisse à la région; il était surtout pastoral; le passage des problèmes strictement paroissiaux à l'ensemble des problèmes qui se posent à la conscience chrétienne dans une région Évangélisation des milieux, Information, Enseignement Chrétien, Action sociale, etc. Le C. P. M. I., contrairement aux objections de quelques détracteurs, se situait ainsi au cœur de la tradition, qui n'est pas culte d'un passé mort mais synthèse de l'énergie du passé, en l'occurrence l'énergie d'un instrument de réforme, et des besoins du présent.

Demain, les Pères du Concile se réuniront. Dans la force et la lumière de l'Esprit ils exprimeront les normes de fidélité qui sous-tendent la jeunesse de l'Église, Corps du Christ qui était, qui est et qui vient. Ces normes apporteront le salut dans la mesure où elles seront appliquées dans la générosité et l'intelligence de leur jaillissement à un monde qui s'est élargi. Il ne peut plus être question aujourd'hui d'une mise en œuvre paroisses par paroisses. A partir de l'Église particulière, ellemême en communion intense avec toutes les Églises, dans le réseau des regroupements intermédiaires que la tradition semble consacrer, ces réformes seront probablement mises en œuvre régions par régions. Si la mission paroissiale ne s'était pas élargie, elle risquait de n'être plus qu'un solennel exercice de piété. Le C. P. M. I. a peut-être permis qu'en s'élargissant elle se survive et s'épanouisse pour un meilleur service de l'Église en tant qu'instrument de réforme.

Jean-François MOTTE.


DEUX PIÈCES DE SEAN O'CASEY

Après Dürrenmatt et Max Frisch, voici que l'actualité théâtrale nous incite à faire plus ample connaissance avec un autre grand dramaturge étranger, demeuré jusqu'ici inconnu du grand public en France Sean O'Casey est pourtant né en 1880 (deux ans avant son compatriote Joyce), il a écrit vingt-quatre pièces, dont un ou deux chefs-d'œuvre, et son théâtre soulève des questions qui sont au cœur de la pensée contemporaine. L'Ombre d'un franc-tireur et Junon et le Paon, qui furent présentées par les soins de Philippe Kellerson en 1947 et en 1950, n'avaient pas réussi à donner à cet écrivain l'audience qu'il mérite on peut espérer que ce sera bientôt chose faite, maintenant que l'édition de son théâtre complet en est à son troisième volume 2 et que, presque coup sur coup, le T.N.P. vient de créer Roses rouges pour moi et la Comédie de l'Ouest de reprendre à la Renaissance Junon.

Il faut commencer par la biographie d'O'Casey s'il est une oeuvre intimement liée à la vie de son auteur et aux remous de la période historique qu'il a vécue, c'est bien la sienne, et l'on se condamnerait à mal comprendre plus d'un aspect de sa pensée, à tenter de l'isoler de son contexte social et politique (c'est particulièrement vrai de son attitude à l'égard de la religion et de l'Église). Né donc en 1880, à Dublin, au moment où le combat pour l'indépendance allait entrer dans sa phase la plus exaspérée et la plus meurtrière, il était d'une famille misérable condamné à gagner sa vie comme manœuvre, il n'apprend à lire qu'à treize ans; militant syndicaliste, il s'inscrit à l'Irish Transport and General Workers Union, combat aux premiers rangs lors des grèves sanglantes de 1913, devient ensuite premier secrétaire de l'Irish Citizen Army, prend part au soulèvement de 1916; mais, progressivement, il découvre les équivoques de la lutte qu'il est en train de mener et il abandonne l'action directe à la suite de la mort du leader du mouvement ouvrier, James Conolly. Deux forces distinctes, bientôt ennemies, composaient en effet l'avant-garde de l'insurrection irlandaise des nationalistes dont 1. Aux éditions de l'Arche le tome I, publié en 1959, contient les deux pièces qui nous intéressent aujourd'hui. D'autre part, on consultera avec profit la substantielle étude de Michel Habaht, intitulée Introduction à Sean O'Casey (in Théâtre populaire, 34, 1959).


l'indépendance était la seule fin, volontiers chauvins, désireux de remonter aux sources de la civilisation celte, animés par un mysticisme religieux d'une qualité souvent douteuse, tournés vers un passé à ressusciter à contre-courant de l'histoire plutôt que vers un avenir à édifier; et des révolutionnaires socialistes, quoique nullement dogmatiques, pour qui l'insurrection devait ouvrir la voie du progrès à leur pays et mettre fin à la séculaire exploitation de l'homme par l'homme. Aucune doctrine politique, à l'époque, chez O'Casey et ses camarades, mais une revendication passionnée de justice et le rêve d'un âge d'or qui réconcilierait l'Église, la nation et le prolétariat mais les illusions meurent l'une après l'autre, et les contradictions entre les deux ailes marchantes de la rébellion, estompées jusqu'ici sous le sentiment et le verbalisme, apparaissent dans une lumière de plus en plus crue. O'Casey décide de poursuivre la lutte par le théâtre et d'exposer inlassablement ce qui lui apparaît être la vérité, même s'il doit soulever la réprobation de ses compatriotes de 1918 à 1928 il fait représenter une dizaine de pièces au fameux théâtre de l'Abbaye, accueilli d'abord avec une certaine faveur, puis de plus en plus suspecté pour son anticonformisme et la liberté de ses propos; c'est bientôt la rupture et l'exil en Angleterre (ô ironie), où il vit toujours dans le Devon. Irlandais jusque dans le tréfonds, comme Yeats, Synge, Shaw, Joyce (héritier aussi de l'esprit frondeur de sa race, depuis Swift et Sterne), il est conduit à se séparer de son pays, comme la plupart d'entre eux, parce qu'il a découvert une exigence plus haute et qui semble aller à l'encontre d'une certaine fidélité à la communauté nationale, telle qu'elle s'incarne dans les institutions et les coutumes de l'Irlande. Parallèlement à cette évolution, Sean O'Casey modifie aussi sa conception du théâtre et ses idées politiques. Au point de départ, il s'attache à montrer la stérilité de l'action révolutionnaire, le romantisme décevant et anarchique des militants, la difficulté de transformer le monde sans se transformer soi-même, « les dérisions et les déconvenues de l'altruisme », selon la formule de Michel Habart cela se traduit, sur le plan dramatique, par des pièces d'un naturalisme assez noir, quoique traversé d'un féroce humour, qui dépeignent le prolétariat dublinois et qui expriment avec intensité le tragique monotone des slums (bas quartiers) de sa ville natale. Plus qu'à Tchekhov auquel on l'a comparé, le premier O'Casey fait penser à un Gorki plus ironique et plus tendre à la fois mais il ne prend guère parti dans les drames qu'il observe; tout espoir d'un lendemain meilleur lui semble irrémédiablement compromis et l'humanité définitivement enfermée dans sa misère. Ivrognerie, bavardage, superstition, lâcheté et bons sentiments, idéalisme radoteur ou cynisme méprisable, telles sont les caractéristiques de ses premiers personnages, qui, des meilleurs aux pires, semblent voués jusqu'à la fin des temps à subir le même médiocre destin. Seules, quelques


figures de femmes éclairent cet univers, images vivantes de la pitié et de l'affection têtue que mérite malgré tout la déraison humaine. Puis O'Casey se rapproche de l'idéologie communiste il croit déceler un sens aux souffrances des hommes, il aperçoit plus clairement les responsabilités de la société dans le désordre établi (et, du même coup, il durcit ses positions vis-à-vis de l'Église qui lui apparaît de plus en plus liée à la bourgeoisie et au patronat), il découvre enfin, au-delà de l'échec présent, la certitude qu'aucun combat n'est inutile et que les sacrifices acceptés au jour le jour contribuent chacun à préparer l'avenir. Il cherche désormais une autre technique dramatique pour dire sa foi nouvelle après s'être laissé séduire par un expressionnisme influencé par Strindberg et les dramaturges allemands de l'après-guerre, il renonce à toute formule rigide et rassemble son expérience théâtrale dans des pièces très libres d'allure, qui doivent à Shakespeare autant qu'à Brecht ou au traditionnel esprit de satire irlandais; on trouvera une extrême variété de tons et de procédés dans chacun de ses derniers drames, avec, presque partout, une tendance au dogmatisme sans cesse corrigée par une sensibilité pleine de délicatesse. Dogmatisme non point de l'intellectuel (cet autodidacte ne l'est jamais vraiment devenu), mais de l'homme qui a fait ses choix et qui a décidé de s'y tenir, quitte à simplifier outre mesure certains problèmes et à résumer la réalité qui le blesse en un système d'oppositions bien tranchées ainsi passe-t-il à la lutte ouverte contre les religions qu'il confond avec le cléricalisme et avec leurs aspects les plus officiels (parfois même, les plus aberrants: ainsi cette image d'un catholicisme serviteur et complice de l'ordre capitaliste) et oppose-t-il à l'Église de bons prêtres à la doctrine vague et aux sentiments flous, qui n'ont pour seul dogme que la charité et pour seule pensée qu'une tendresse aveugle pour la « nature ».

Cela dit, ajoutons pourtant que l'évolution intérieure d'O'Casey, à qui on ne peut dénier ni la sincérité ni la générosité, illustre opportu- nément les dangers d'une liaison de l'Église avec la politique et montre le scandale, au sens le plus douloureux du mot, que peut susciter l'alliance imprudente du temporel et du spirituel. Il serait beaucoup trop long, et aussi bien hors de propos dans une chronique qui traite de théâtre, d'exposer par le détail les circonstances historiques qui ont pu inciter les Irlandais à croire qu'ils pourraient, en plein xxe siècle, rebâtir chez eux la chrétienté de jadis la justice la plus élémentaire consiste cependant à ne pas oublier la situation politique de l'Irlande au sortir des luttes pour l'indépendance, au moment d'évaluer à son exacte mesure l'anticléricalisme de Sean O'Casey.


Junon et le Paon illustre bien la première manière de notre auteur écrite en 1923 pour le théâtre de l'Abbaye, lorsqu'il était encore ce « slum-dramatist » dont nous avons parlé, elle nous montre la réalité irlandaise contemporaine, cette époque de la guerre civile qui, après le partage du pays et l'accession de l'Eire au statut de dominion, opposa en 1922 les partisans de l'État libre aux républicains extrémistes. Il s'agit très exactement de ce que les naturalistes appelaient une tranche de vie mais, au-delà de la précision photographique des images qui nous sont proposées et de la neutralité apparente de l'artiste, il faut apercevoir la stylisation opérée par Sean O'Casey, la qualité de son humour toujours en éveil et, déjà, sa conviction que l'objet de l'art est d'interpréter le réel. La vision, nous l'avons dit, est noire; regardez cette famille le père, bavard, paresseux et ivrogne (le Paon), le fils mutilé au cours de précédents combats et cuvant un désespoir haineux, la fille qui, pour s'évader de cette vie sordide, se réfugie dans des rêves en carton-pâte, les voisins et les visiteurs, tous aussi lâches et aussi mesquins. Un seul être de qualité, mais condamné d'avance aux défaites et aux souffrances; c'est Junon, la mère, patiente, courageuse, pieuse sans superstition, tendre sans faiblesse, qui gagne de quoi subvenir à l'existence de toute sa famille et qui résiste aussi bien à la haine qu'à l'amertume; c'est la mère d'O'Casey lui-même, qu'il aime à faire revivre dans ses œuvres et que nous retrouvons dans Roses rouges, une sorte de Mère Courage qui ignore le marxisme et qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Les catastrophes, en effet, se succèdent, et le réalisme du dramaturge ne nous fait grâce d'aucun détail nous sommes impitoyablement contraints de regarder cette humanité bafouée, ces héros qui se muent en victimes, cet amour rongé par la bêtise, ces velléités inutiles, ce romantisme dérisoire qui se disperse en caquetages. Des prolétaires pris au piège de leur misère rien à faire pour en triompher. Et voici le mot de la fin, qui résume très précisément la pensée de l'auteur ici « C'est moi qui te le dis, s'écrie le Paon dans les brumes de l'ivresse, le monde entier. est dans un. fichu. pétrin! » »

Vingt ans plus tard, en 1943, O'Casey écrit Roses rouges pour moi nous sommes toujours à Dublin, dans l'entre-deux-guerres, mais la perspective s'est élargie, les vieilles rancœurs sont bousculées, un ferment de bonté et de sacrifice soulève désormais le monde. Le vieil écrivain a retrouvé l'inspiration de ses débuts, après s'être essayé dans des pièces didactiques et démonstratives, mais son réalisme s'est assoupli et retient comme une trace de sa période expressionniste. Il reprend ici tous ses thèmes (de la lutte des classes à l'attaque de la superstition, de la satire


du nationalisme mythomane à la dénonciation de la passivité des pauvres), mais, cette fois-ci, avec un accent d'espoir il ne s'agit plus de dresser un constat désabusé de la misère ouvrière, mais de montrer la fécondité de l'altruisme. Ce qui est remarquable, c'est que l'O'Casey « activiste ne se laisse pas entraîner à prêcher la haine, mais se contente de vouer à la satire ses adversaires il souligne simplement la manière dont les forces sont réparties; d'un côté, l'oppression, l'injustice et la violence des puissances établies police, gouvernement, bourgeoisie et, comme nous l'avons vu, l'Église officielle de l'autre, le peuple qui ne demande qu'à vivre et qu'à progresser, aidé par tous les hommes animés du véritable esprit de charité (ici, le Recteur de Saint-Burnupus). Le jeune Ayamonn, héros de la pièce, qui meurt abattu par la police au cours d'une grève qu'il a dirigée, ne prononce pas une seule parole d'intolérance le scientisme primaire, l'irréligion braillarde sont le fait de personnages secondaires et il faut reconnaître que le Révérend Clinton, à la différence de certains « bons » ecclésiastiques mis en scène ailleurs par O'Casey, tient des propos d'une grande noblesse et, en même temps, d'un certain bon sens (L'une de ses dernières répliques, quand, malgré l'opposition du conseil de la paroisse, il décide d'accueillir le corps d'Ayamonn dans son église « Toutes les choses de la vie, le bien et le mal, l'ordre et le désordre, sont mêlées à la vocation terrestre de l'église militante. Nous rendons hommage à notre frère, non pour les erreurs qu'il a pu commettre, mais pour la vérité dressée pour toujours devant sa face. Il ne nous est pas permis de lui disputer le pardon de Dieu et le repos éternel parce qu'il a refusé de se battre et de lever son drapeau pour des institutions humaines. »)

Roses rouges pour moi est en vérité le chef-d'œuvre de Sean O'Casey, et l'on comprend que Jean Vilar ait choisi cette pièce pour enrichir son répertoire de théâtre populaire elle offre une ampleur digne de l'immense scène de Chaillot, avec ses grands mouvements de foule, sa puissante vision de Dublin délivrée (à l'acte III, le souffle d'O'Casey s'élargit jusqu'à faire surgir la splendeur de l'histoire future), son mélange de verve et de généreuse tendresse, la variété et la souplesse de ses registres. Et, de fait, comme presque tous ceux de cette année, qui est à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire du T.N.P., ce spectacle est parfaitement réussi dans d'admirables décors d'André Acquart, Georges Riquier et Jean Vilar ont réglé les évolutions d'une trentaine d'acteurs au premier rang desquels il faut citer Lucien Raimbourg, Georges Wilson, Lucienne Le Marchand, et, surtout, le jeune Bernard Verley on a peut-être trop vite parlé de Gérard Philipe à son propos, mais s'il est encore loin de la maturité du grand acteur disparu, il en a peut-être l'étoffe; qu'il ne se contente pas de mettre à profit une ressemblance physique assez surprenante avec Philipe, qu'il travaille avec la ténacité


et l'oubli de soi qu'avait son aîné, et il ne serait pas impossible qu'une aussi belle carrière l'attende dans quelques saisons.

Quant à la représentation de Junon et le Paon par la sympathique Comédie de l'Ouest, ce serait la desservir que de la comparer au spectacle du T.N.P. sans compter l'évidente infériorité de la pièce, il est trop clair que les moyens des deux troupes sont difficilement comparables. Je précise que cela ne saurait en aucun cas faire négliger le travail des comédiens dirigés par Georges Goubert si les décors sont un peu ternes (pour des raisons qui ne tiennent probablement pas au talent du décorateur Bessou, mais à la modicité des « moyens du bord »), les acteurs sont dans l'ensemble tout à fait honorables et quelques-uns d'entre eux (comme Christian Duc et, quoiqu'il ait la part belle, Roger Guillo) excellents. A quelques défaillances près, le rythme de la pièce est très bien soutenu en un mot, ce spectacle est tout à fait digne d'être présenté à Paris et, s'il en est encore temps quand paraîtra cette chronique, allez l'applaudir en attendant la prochaine rentrée théâtrale, puisque Vilar reprendra alors Roses rouges.

Robert ABIRACHED.


L'ACTUALITÉ RELIGIEUSE

De Rome et de la chrétienté.

Le 16 avril 1961, Jean XXIII a usé du rite grec pour conférer luimême la consécration épiscopale à un prélat de la Congrégation pour l'Eglise orientale, Mgr Coussa. Geste symbolique par quoi le Pape entend signifier que l'Eglise de Rome n'est pas seulement latine et occidentale. Déjà, le 30 novembre 1960, Jean XXIII, pour manifester l'universalité culturelle et cultuelle du catholicisme romain, avait voulu inaugurer la phase proprement préparatoire du Concile en assistant à une liturgie eucharistique en slave. Mais, s'il s'agit de la consécration d'un évêque par le Pape en un rite oriental, on ne connaît guère de précédent, jusqu'à meilleur informé en tout cas, c'est le rite latin qu'utilisa Pie IX, lorsque, en 1861, il consacra le premier évêque bulgare uni à Rome, Mgr Sokolski, qui devait disparaître mystérieusement deux ans plus tard. On sait, d'ailleurs, que ces Eglises uniates de langues et de rites orientaux posent bien des problèmes aux orthodoxes qui, parfois, ont tendance à les considérer comme les instruments d'un prosélytisme agressif. Aussi convient-il de noter, comme un heureux symptôme du climat nouveau qui commence à s'instaurer, la présence d'un évêque orthodoxe à la consécration de Mgr Coussa. Le nom de cet évêque n'a pas été indiqué.

A l'occasion de cette consécration, quelques jours plus tard, le 23 avril, dans une allocution devant les membres de la Congrégation pour l'Eglise orientale et des représentants de l'Orient catholique (Osservatore Romano, 24-25.4.1961), Jean XXIII a exprimé sa profonde sympathie pour ces Eglises orientales, unies ou séparées, au contact desquelles il a vécu si longtemps dans les Balkans. Il évoque avec tristesse leurs épreuves actuelles, mais avec l'optimisme imperturbable de la foi qui est une de ses vertus majeures, il ajoute

Nous ne pouvons pas Nous rendre exactement compte de l'état présent de ferveur religieuse et de pratique chrétienne de tant et tant de communautés que, cependant, Nous savons désireuses de rester fidèles au Christ et dépositaires d'une si grande part de son enseignement. Des régions immenses, de nobles peuples, de hautes traditions culturelles, d'antiques monuments dignes de tout respect et de tout honneur, des œuvres d'art splendides d'où rayonne un témoignage de foi et de dévotion tout cela nous réconforte intimement et constitue une promesse encourageante d'une heureuse récolte qu'il est légitime d'attendre et de demander du Maître de la moisson.

C'est bien dans les perspectives du futur Concile que se situe ce geste symbolique de Jean XXIII. Pour la préparation de ce Concile,


une conférence de presse du secrétaire de la commission centrale, Mgr Felici, a donné quelques indications. Bien peu d'ailleurs, l'orateur ayant surtout exhorté les journalistes à la patience et les ayant assurés que les travaux du Concile se poursuivent activement dans une pleine liberté de discussion. Il a cependant indiqué trois points il n'est pas question d'aborder le problème du célibat ecclésiastique; encore que la langue du Concile doive être le latin et que Mgr Felici juge, avec beaucoup d'optimisme, que les Pères du Concile seront tous capables de s'en servir utilement, un certain usage des langues vulgaires sera toléré, ce qui est sage et prudent; enfin, il n'est pas exclu que des observateurs non catholiques soient admis. Certes, on comprend que la préparation du Concile soit secrète; l'extrême discrétion des débats assure l'entière liberté des commissaires et consulteurs; et Dieu sait les sottises que pourrait écrire certaine presse si les travaux des commissions étaient publics un dirigeant de l'Eglise Réformée de France, à qui j'en parlais récemment, me disait combien il souhaiterait que les synodes de cette Eglise fussent soumis à la même règle. Mais ne nous dissimulons pas que la rigueur extrême du secret a de graves inconvénients elle empêche, en particulier, le peuple chrétien de s'intéresser au Concile comme il le désire, comme il convient qu'il le fasse, comme le Pape le demande. On l'a bien vu, par exemple, au récent congrès du journal La Croix où le Père Wenger et le pasteur Thurian, frère de Taizé, ont vivement intéressé l'auditoire en parlant, l'un de ses rapports avec le patriarche de Constantinople, l'autre de ce qu'un certain protestantisme attend du Concile, tandis que les deux prélats qui avaient à parler directement du Concile ont été contraints de dire, l'un qu'il ne pouvait rien dire et l'autre qu'il ne savait rien. Il serait souhaitable donc, quand le travail sera plus avancé, qu'un office de presse dégage les grandes lignes de recherches qui se dessinent. Sans quoi l'opinion publique risque d'être fortement déçue quand apparaîtront les résultats définitifs qui seront sans doute beaucoup moins spectaculaires que d'aucuns le croient. On sait que les membres des commissions ont le droit de consulter d'autres personnes en les soumettant au même secret rigoureux qu'eux si j'en crois mon expérience, et celle d'autres qui ont pu être ainsi consultés, expérience forcément très restreinte, les travaux de certaines commissions ne risquent pas de pécher par excès de hardiesse et de nouveauté. L'un des plus graves problèmes, cependant, dont aura sans doute à traiter le Concile est posé par l'état du catholicisme en Amérique du Sud qui devrait angoisser toutes les consciences catholiques. Rien de plus fallacieux ici que les statistiques qui accusent quelque 150 millions de catholiques de ce continent, exactement le tiers de l'effectif nominal du catholicisme mondial, alors qu'en fait l'immense majorité de ces soi-disant catholiques n'est pas évangélisée faute de clergé. Aussi, dans un discours à un Congrès des vocations (0. R. 22.I.19G1). Jean XXIII appelle-t-il de nouveau toute l'Eglise à venir au secours du continent sud-américain en péril de mort spirituelle. Les récents


événements de Cuba peuvent être le préludé, dans ce continent, d'une marxisation généralisée qui trouverait un terrain favorable dans les conditions sociales d'un immense sous-prolétariat; cette conjoncture rend plus urgente que jamais une évangélisation effective d'où pourrait sortir un clergé indigène suffisant.

A propos de vocations sacerdotales, relevons dans un rapport du cardinal Pizzardo, dans ce même congrès, (0. R. 19.4.1961), des statistiques sur l'état du clergé italien. La situation est analogue à celle de la France, un peu inférieure semble-t-il, ce qui prouve, une fois de plus, que les problèmes pastoraux sont identiques dans toute l'Europe Occidentale 1.

De ces réflexions et de ces données directement religieuses, passons à des prises de position de la papauté sur des problèmes temporels qui tombent cependant sous le jugement d'une société religieuse engagée dans le monde et dans l'histoire.

Dans un discours adressé au Président du Conseil italien, Amintore Fanfani (0. R. 12.4.1961), le Pape Jean XXIII a pu saluer avec reconnaissance, comme providentielle, l'unité italienne dont on célèbre actuellement le centenaire; une unité qui, cependant, s'est faite aux dépens d'un pouvoir temporel de la papauté que nos pères croyaient absolument indispensable à la mission religieuse du Siège de Rome. Mais, avec son optimisme habituel, Jean XXIII pense que

à observer, avec attention, dit-il, le cours des événements d'un passé plus ou moins lointain, on constate la justesse du proverbe selon lequel l'histoire voile tout et dévoile tout. Et il conclut que tout le reste de cette période historique fut, dans les desseins de la Providence, une préparation aux pages victorieuses et pacifiques du traité du Latran que la sagesse d'un autre Pie, dont la devise était La paix du Christ dans le règne du Christ, devait signer. Il montrait par là l'horizon nouveau qui s'ouvrait sur la célébration finale de la véritable et parfaite unité de race, de langue et de religion qui avait été le désir des meilleurs Italiens.

N'oublions pas que, dans sa jeunesse, don Angelo Roncalli, avec son évêque de Bergame, Mgr Radini Tedeschi, avait pris sur ce problème des positions, alors hardies, qui préconisaient une collaboration politique des catholiques avec l'Etat spoliateur, positions qui amèneront une demi-disgrâce de Radini auprès de saint Pie X.

1. En 1960, en Italie, 43.696 prêtres séculiers pour plus de cinquante millions d'habitants, soit un prêtre pour un peu plus de mille habitants, ce qui est suffisant à condition qu'ils soient bien répartis, à quoi s'ajoutent 21.129 prêtres réguliers. Mais la population italienne augmente de 400.000 par an; dans les cinq dernières années on a créé 760 nouvelles paroisses chaque année; dans ce même temps, le nombre des prêtres a diminué de 1627; dans les quatre dernières années, le nombre des décès a dépassé par an le nombre des ordinations (1956 943 ordinations; 507 en 1959; 652 en 1960). De plus, on constate en Italie, comme ailleurs, une instabilité des vocations pour 6.000 enfants entrant au Petit Séminaire dans ce qui correspond à notre sixième, 12 seulement (700) arrivent en quatrième année de théologie.


Une autre prise de position est contenue dans un télégramme adressé par Jean XXIII à Mgr Duval, archevêque d'Alger. Il est daté du lundi 24 avril, du moment même de l'insurrection qui, rappelons-le, éclata dans les premières heures du samedi 22 et se termina à l'aube du mercredi 26. Il a été rendu public dans l'Osservatore Romano daté du 27 avril, c'est-à-dire paru le 26 dans l'après-midi. Le Pape approuve, explicitement et avec vigueur, l'attitude bien connue de l'archevêque d'Alger qui a toujours préconisé la coopération fraternelle entre les communautés, répudié les méthodes terroristes et provoqué la colère des ultras!

Le Pape exprime son angoisse devant la menace des luttes fratricides pour la France et il n'hésite [pas à déclarer que pour les populations algériennes il souhaite « de tout cœur, la réalisation de leurs légitimes aspirations dans la justice et la liberté ». Et le Pontife ajoute clairement « fidèle à Notre devoir, Nous continuerons, pour Notre part, à employer toutes Nos forces, en faveur de la paix véritable qui ne s'obtient pas par la violence, mais qui résulte d'accords loyalement stipulés dans le respect des droits des individus et des collectivités humaines ».

Faut-il, après ces graves problèmes, aborder le cas de l'ex-sainte Philomène? Peut-être, puisque, contre toute attente, une décision de la Congrégation des Rites a curieusement ému l'opinion publique et fait parler jusqu'au silence des métros. On sait de quoi il s'agit des archéologues pressés du début du xix" siècle, sur la foi d'une obscure inscription bien peu sérieusement interprétée, avaient cru avoir découvert, en 1802, une jeune martyre des premiers siècles du nom de Philomène. Depuis longtemps, les érudits sont unanimes à refuser cette identification l'Enciclopedia Cattolica (V, 1343), publiée dans la Cité du Vatican en 1950, reconnaît que « tout porte à croire que l'inscription a été réemployée et que le nom ne correspond pas au corps t. Il faut se féliciter, dans ces conditions, que la Congrégation des Rites, dans son instruction générale du 14 février 1961, publiée dans les Acta Apostolicae Sedis du 29 mars 1961, ait supprimé la fête de sainte Philomène qui avait été introduite par la même Congrégation en 1837. Dans cette même instruction, la fête du pape Anaclet, qui n'est probablement qu'un doublet du pape Clet était également supprimée. Le seul fait troublant est que le Curé d'Ars attribuait ses miracles à sainte Philomène. Pauline Jaricot fut guérie, d'une manière qu'elle considéra comme miraculeuse, après avoir invoqué la sainte. Le très sérieux historien du Curé d'Ars, Mgr Trochu, a publié, en 1924, un gros volume La petite sainte du Curé d'Ars. Sainte Philoméne, Vierge et martyre, où l'auteur a malheureusement abdiqué le sain esprit critique qui lui est habituel et où il a réalisé ce tour de force de reconstituer la vie d'un personnage dont on ne sait strictement rien


« historiquement, sainte Philomène est inconnue de toutes les sources hagiographiques et liturgiques de l'antiquité chrétienne » dit l'Enciclopedia Cattolica. Certes, les miracles du saint Curé d'Ars sont critiquement indéniables; le thaumaturge n'était évidemment pas infaillible quand il les attribuait à Philomène; en tout cas, c'est d'une humilité de bon aloi qu'il ait refusé de les reconnaître comme siens. Par ailleurs, c'est la foi en la puissance d'intercession des saints de toute l'Eglise triomphante qui est efficace, même si, subjectivement, il y a erreur sur la personne du saint que l'on invoque.

Il est probable que cette décision de la Congrégation des Rites sera un premier pas vers une révision critique du martyrologe romain et des « légendes » (c'est-à-dire des notices hagiographiques « à lire » au bréviaire).

Le martyrologe romain est un texte liturgique, lu à Prime dans l'office monastique, qui constitue la liste officielle des saints vénérés par l'Eglise. Sous sa forme actuelle il a été rédigé par une commission sous Grégoire XIII (1586); il a été remanié plusieurs fois depuis; l'édition la plus récente est de 1922 « elle est critiquée et répudiée par les hagiographes », reconnaît honnêtement l'Encielopedia cattolica (VIII, 256). Dom Henri Quentin, célèbre érudit, a écrit de cette édition l'impression est pénible. à cause de la permanence des erreurs les plus grossières et du parti pris qui s'y révèle de tenir pour non avenus et inexistants les progrès si notables pourtant, et, dans une foule de cas, si assurés, que la science hagiographique a faits, en particulier depuis une trentaine d'années 1. Encore plus qu'en 1924 on peut conclure, avec le grand érudit bénédictin « aujourd'hui, plus personne ne peut plus dire que la question de la correction du martyrologe romain n'est pas mûre »

Le même problème se pose pour les notices hagiographiques du bréviaire qui déparent cet incomparable instrument ecclésial de prière dont les auteurs anglicans du rapport Catholicity, cité plus loin, ont pu dire « le missel et le bréviaire de Pie V étaient presque en tous points, et sans les déformations de l'époque médiévale, un retour au culte primitif dans ses grandes lignes; tandis que les protestants qui s'étaient donné ce même idéal ne réussirent nulle part à aussi bien l'effectuer pour leur propre compte » (p. 34). Mais, même dans la toute récente réforme qui a réduit d'un tiers la longueur de la presque totalité des notices hagiographiques, trop de naïves et impossibles légendes demeurent et des saints plus que douteux sont conservés tels saint Félix de Valois, saint Denys de Paris identifié au propre de Paris à la fois à l'Aréopagite et au pseudo-Denys, sainte Catherine d'Alexandrie, la fête de la Translation de la Maison de Lorette qu'aucun critique sérieux ne peut admettre et qui se retrouve dans certains propres, etc. Une épuration drastique des légendes avait été entreprise au 1. Dom Henri Quentin. La correction du martyrologue romain, ds Analecta Bollandiana, XLII, 1924, p. 387 et 391.


xvinc siècle par le grand pape Benoit XIV sous l'influence des érudits français. Une lettre du pape, du 7 juin 1743, adressée au cardinal de Tencin, son correspondant habituel, indique l'esprit radical dans lequel Benoît XIV envisageait la réforme entreprise

La critique étant devenue si pointilleuse, et les faits que nos bons ancêtres regardoient comme indubitables étant aujourd'hui révoqués en doute, nous ne voyons d'autre moyen de nous mettre à l'abri de cette critique que celui de composer un bréviaire dans lequel tout soit tiré de l'Ecriture sainte, laquelle, comme le sait Votre Eminence, contient beaucoup de choses sur les mystères dont l'Eglise célèbre la fête, sur les saints apôtres et sur la sainte Vierge. On suppléera par les écrits non contestés des premiers Pères à ce que l'Ecriture sainte ne fourniroit pas. Quant aux autres saints qui ont place aujourd'hui dans le bréviaire, on se contentera d'en faire une simple commémora ison 1. Malheureusement, Benoît XIV mourut avant que la réforme eût abouti. Il semble que le temps est venu de reprendre quelque chose au moins de ce projet. Une telle réforme serait utile pour apaiser les griefs des protestants qui ont assez de difficultés à admettre le culte des saints pour qu'on ne donne pas fondement au reproche de vénérer des saints mythiques.

D'ailleurs, ne soyons point Homais ces légendes des saints ont une valeur significative; elles sont des images, naïves et hautes en couleurs, des images d'Epinal, qui expriment à leur manière le mouvement de la sainteté. Mais ces moyens d'expression sont, aujourd'hui, sans portée sur la conscience moderne et ils ont perdu leur sens.

Dans la chrétienté non romaine, l'événement le plus important est la demande d'agrégation du patriarcat de Moscou au Conseil œcuménique. Nous avions prévu cette demande. Bien du chemin ainsi a été fait depuis la Conférence inter-orthodoxe de Moscou en 1948 qui avait jeté l'anathème au Conseil œcuménique considéré, bien à tort, comme un instrument de l'impérialisme américain. Depuis la mort de Staline, un climat nouveau tendait à s'installer, un moment assombri après les événements de Hongrie. De nombreux contacts ont été établis entre l'Eglise Orthodoxe de Russie et les Eglises occidentales protestantes et anglicanes. Le Dr Ramsey, en particulier, a fait partie d'une délégation anglicane en Russie. Des rencontres ont eu lieu entre représentants du Conseil œcuménique et du Patriarcat de Moscou. Des observateurs soviétiques ont assisté aux dernières réunions des commissions partielles du Conseil œcuménique. On ne voit pas pourquoi la prochaine assemblée plénière du Conseil œcuménique à New-Delhi pourrait refuser l'accès du Conseil à l'Eglise de Russie. Il n'y a pas de raison de 1. Cité par P. BATirroL. Histoire du hr Culture rutnuin. Paris, 1894, p. 2M, u. 2.


douter que ce soient des motifs religieux et un sincère désir d'unité chrétienne qui animent le patriarche Alexis, homme de l'ancienne Russie, consacré évêque dès avant la Révolution. L'entrée d'une grande Eglise orthodoxe, qui a gardé la succession apostolique et la foi de l'Eglise antique, est en soi un bienfait pour le Conseil œcuménique qui échappera mieux ainsi à la tentation de n'être qu'un panprotestantisme. Pour les théologiens russes, un contact permanent avec la pensée occidentale ne peut être que fécond. Quel sera, au début, l'apport des théologiens d'U.R.S.S., qui semblent n'avoir pas encore pu retrouver une recherche vivante et créatrice? Quel problème soulèvera leur rencontre avec le petit groupe si brillant des théologiens de l'émigration russe qui, jusqu'ici, ont représenté vigoureusement l'orthodoxie dans le Conseil œcuménique? Autant de questions auxquelles l'avenir répondra.

Le risque n'est pas illusoire, par ailleurs, d'une utilisation politique par les Russes de leur présence au Conseil œcuménique. Le patriarche Alexis ne manque pas une occasion de soutenir la conception soviétique de la paix, laquelle s'identifie dangeureusement avec l'impérialisme slave. Mais, avant de lui jeter la pierre, rappelons-nous que, si souvent, nos Eglises occidentales ont canonisé les ambitions nationalistes et les buts de guerre. Et actuellement, des sociologues américains sans passion ne reconnaissent-ils pas que nombreux sont les Américains qui identifient religion et american way of life? Quoi qu'il en soit, une action indirectement politique des Russes au sein d'un Conseil où les Eglises américaines représentent une puissance considérable, créera sans doute bien des difficultés. Le danger réel est largement compensé par le témoignage de la foi authentique et antique qu'apporteront les Evêques et les théologiens de Moscou.

Quant à la visite de la Reine d'Angleterre et du Prince Philip au Vatican, la grande presse n'a pas échappé à la tentation d'y voir un geste de rapprochement entre l'Eglise Etablie dont la reine est le « gouverneur suprême et le catholicisme romain. On a voulu y voir la suite de la visite de courtoisie du Dr Fisher à Jean XXIII. C'est oublier que le gouvernement britannique est en relations diplomatiques avec le Saint-Siège et entretient un ministre plénipotentiaire auprès du Vatican 1.

1. Cependant, fait unique dans les relations internationales, le Vatican n'a pas de représentant diplomatique, un Nonce ou un Internonce, auprès de la Cour de Londres, mais un Délégué apostolique représentant le SaintSiège auprès de la hiérarchie catholique du Royaume-Uni. La raison en est que la présence d'un Nonce est impossible la qualité de Doyen du Corps diplomatique, à quoi le Saint-Siège ne veut pas renoncer, ne pourrait pas lui être reconnue sans soulever des tempêtes antipapistes; et même la présence d'un Internonce (c'est-à-dire d'un diplomate ayant rang secondaire de ministre plénipotentiaire, comme aux Pays-Bas, par exemple) est pratiquement impossible la sensibilité insulaire des Britanniques anglicans et protestants ne supporterait pas qu'un étranger jouât le rôle délicat et ambivalent des diplomates pontificaux, qui ne sont pas seulement représentants


Dans ces conditions, c'est une inéluctable règle de courtoisie internationale que, s'il est officiellement présent à Rome, un Chef d'Etat en relations diplomatiques avec le Saint-Siège rende visite au Souverain Pontife. Il n'y a pas d'exemple qu'un Chef d'Etat, fût-il protestant ou musulman, manque à cette règle. S'abstenir de cette visite équivaudrait à rompre les relations diplomatiques. Il n'y a donc rien d'extraordinaire ni de nouveau dans la rencontre de la reine Elisabeth et de Jean XXIII. Elle est simplement le signe des bonnes relations qu'entretiennent le Saint-Siège et l'Empire britannique, comme l'a souligné Jean XXIII, dans le discours qu'il a prononcé à cette occasion. Bien plus significatifs que cette visite, deux gestes des primats de l'Eglise anglicane.

Le premier, c'est la nomination par l'archevêque de Cantorbery d'un représentant personnel, officieux et semi-permanent, auprès du secrétariat romain pour l'unité des chrétiens, présidé par le cardinal Bea. Ce représentant, le chanoine Pawley, a tenu sagement à bien marquer qu'il n'a aucun rapport avec la Légation britannique auprès du SaintSiège. Sa mission est simplement d'informations réciproques et de liaison. C'est un signe éclatant du grand tournant historique que nous voyons s'accomplir, le passage de la controverse à celui du dialogue. C'est bien la première fois, dans l'histoire, qu'une Eglise séparée de Rome entre ainsi en relations officieuses avec le Siège apostolique. L'autre geste significatif est dû au Dr Fisher qui occupe encore pour quelque temps le siège de Cantorbery. Le primat, dans une courte adresse devant la Convocation (sorte d'assemblée synodale) de Cantorbery, a demandé à son Eglise de s'unir à la prière pour le Concile à laquelle Jean XXIII convie la catholicité durant la période entre l'Ascension et la Pentecôte.

Ces jours, a dit le Dr Fisher, aussi bien que la semaine de prières de janvier, sont souvent observés comme des jours de spéciales prières pour l'unité chrétienne et j'espère que beaucoup, dans l'Eglise d'Angleterre, prieront à ce moment, en même temps que leurs frères de l'Eglise de Rome, pour que ce Concile du Vatican puisse être utilisé par Dieu, non pas pour blesser mais pour aider et pour augmenter l'unité d'esprit entre toutes les Eglises de manière qu'elle puissent coopérer au maximum pour défendre l'Evangile de Dieu. Certes, nous ne nous étonnons pas de trouver, dans ce texte, la conception anglicane de l'unité comme une fédération d'Eglises sœurs, analogue au Commonwealth, mais nous nous réjouissons de l'esprit irénique qui l'anime.

Quant au successeur nommé du Dr Fisher, le Dr Ramsey, il n'est pas inutile de rappeler qu'il passe pour être le principal rédacteur du fameux rapport Catholicity, présenté à l'archevêque de Cantorbery, sur sa demande, en 1947, par un groupe de théologiens anglo-cathodu Saint-Siège auprès du Gouvernement auprès duquel ils sont accrédités mais qui, aussi, exercent, discrètement mais efficacement, un rôle de surveillance et de direction sur l'éplscopat du pays.


liques. De ce rapport, si remarquable, nous extrayons deux passages sur la papauté qui certes ne seraient pas signés par tous les anglicans, loin de là. Ces textes n'impliquent, en aucune façon, que le Dr Ramsey et les anglo-catholiques de même tendance soient disposés à admettre et l'origine divine de la papauté et le magistère et la juridiction de l'évêque de Rome tels que les conçoit le catholicisme contemporain Les services doctrinaux que la papauté avait rendus à la chrétienté tout entière, du deuxième au sixième siècle, non moins que les services politiques et religieux qu'elle avait rendus à tout l'Occident du septième et huitième siècles, la réforme grégorienne au onzième siècle, la résistance contre les Turcs auraient dû suffire à faire voir que -la papauté était, en son fond, une institution de valeur trop considérable pour être sacrifiée aux péchés des papes Borgia et Medicis. Les réformateurs ont, presque dès le début, tout simplement rayé la papauté, ne l'envisageant pas même possible, avec une facilité qui montre bien leur ignorance radicale de la doctrine néo-testamentaire de l'Eglise universelle qui est une partie intégrante de l'Evangile. Ils ont également ignoré que l'Eglise, société divino-humaine, fait partie de l'histoire d'ici-bas. Par là, les réformateurs laissent voir qu'ils trouvent leur origine théologique dans l'Occident médiéval, car on parle beaucoup de l'Israël de Dieu et de l'Ecclesia dans les Ecritures, mais il n'y a pas de traité de l'Eglise dans le cursus théologique médiéval. Si une institution telle que l'Eglise universelle doit exister comme quelque chose de plus qu'un sentiment et un idéal, comme une réalité concrète et substantielle, immanente à l'histoire humaine dans notre société moderne extrêmement organisée, une institution centrale de ce genre n'est pas seulement commode, c'est au moins une nécessité pragmatique, ce que l'on voit à l'évidence dans le mouvement œcuménique moderne, tenté de lui donner un substitut. Rejeter si légèrement une institution si profondément enracinée dans l'histoire du christianisme et qui avait tellement droit à la gratitude et à la vénération de l'Europe, c'était fermer les yeux devant les plus profondes réalités que recouvrent les termes d'Eglise universelle.

Et, plus loin, après avoir reproché à l'Eglise romaine « toute sa prétention à être, toute seule, la totale Eglise du Christs, le rapport ajoute

Et, pourtant, les signes se sont multipliés, dans ces dernières années, qui montrent que, dès qu'elle oublie son sectarisme, et qu'elle donne à la chrétienté tout entière une impulsion délibérée sur un point d'intérêt vital pour tous, la papauté peut encore s'imposer à l'attention de tous les chrétiens. Aussi bien, c'est la seule institution chrétienne qui le puisse. Elle dirige plus d'une moitié de la chrétienté, et qui plus est, de cette moitié qui n'offre aucun signe de diminution de vitalité ou de cohérence. Elle est à la fois le boulevard le plus solide de la tradition historique de la civilisation chrétienne en Europe et un pionnier de la doctrine chrétienne sociale moderne, par laquelle elle cherche à porter remède au mal désespéré dont cette tradition souffre maintenant. Elle est aussi la plus vaste force missionnaire dans le monde des missions d'aujourd'hui. Par dessus tout, elle n'a jamais hésité dans son adhésion aux vérités chrétiennes centrales de la Trinité, de l'Incarnation et de la Rédemption pour le puissant témoignage qu'elle a porté sur ces vérités, tous les chrétiens orthodoxes du xixe et du xx. siècles ont matière à lui être profondément reconnaissants. Pour difficiles, et presque insurmontables à certains égards, que soient les difficultés d'un


rapprochement encore sur le plan théologique avec la communion romaine comme telle, nous croyons que, de nos jours, la réflexion anglicane sur l'unité chrétienne a trop peu tenu compte de ces traits indiscutables 1.

Ces textes montrent qu'avec un homme comme le Dr Ramsey, encore qu'une unité institutionnelle soit impossible et impensable, un dialogue utile aux conséquences imprévisibles peut s'instaurer 2.

C'est un tout autre ton qu'emploie le manifeste sur le concile que vient de publier M. le pasteur Bourguet, président national de l'Eglise Réformée de France. L'auteur entend écrire à titre privé, mais l'autorité de sa haute charge ne peut pas ne pas peser sur son ouvrage 3. Le but de M. Bourguet est double. D'abord bien faire saisir par une opinion publique et une presse facilement nourries d'illusions, que le fossé reste infranchissable entre les Eglises issues de la Réforme et l'Eglise romaine et qu'il n'est donc pas question pour les commu-' nautés protestantes de se précipiter avec reconnaissance dans les bras de la papauté.

Le second but de M. Bourguet est de mettre en garde contre une tendance qui se fait jour dans de petits groupes protestants et qu'il désigne sous le terme de « théorie du dépassement » selon lui, elle consiste «à laisser de côté en toute rencontre les points irritants». Il n'est pas difficile de reconnaître ici des mouvements tels que celui Taizé en France dont l'analogue se rencontre en Allemagne

Dans le désir d'aller. systématiquement au delà des formulations classiques de leur propre Eglise, les défenseurs d'une telle attitude ne cachent pas qu'ils voient, par exemple en l'Eglise romaine, et particulièrement en son Souverain Pontife, l'image de Notre-Seigneur; dans l'eucharistie, un sacrifice qui l'apparente finalement plus à la messe qu'à la Cène; dans le Stabat Mater au pied de la croix le signe de (sic) Marie s'unit à son rang à l'œuvre rédemptrice de l'unique Sauveur;dans la confession auriculaire, presque un sacrement; dans l'intercession, une grâce que l'on doit pouvoir utiliser auprès des saints défunts eux-mêmes, et ainsi de suite 4.

Nous n'avons pas à intervenir ici dans cette querelle contre la théorie dite du dépassement. Contentons-nous de faire remarquer que ce n'est pas tellement le catholicisme romain que les théologiens en question cherchent à rejoindre, mais bien plutôt la foi, le culte et la discipline de l'Eglise de l'antiquité et des Pères au sortir de l'âge apostolique; c'est par un ressourcement dans l'antiquité chrétienne qu'ils retrouvent quelques-unes des structures essentielles de l'ortho1. Catholicity, a Study in the conflict of christian traditions in the West. Londres, 1947, p. 36 et 40.

2. Notons, cependant, que, comme cet article était à l'impression, dans un débat à la Chambre des Lords, Lord Alexander dans un violent discours a attaqué le Dr. Fisher et lui a reproché sa visite au Pape. Times, 11 mai 1961. 3. Pierre Bourguet. Opinions sur le concile, numéro spécial de la Revue Réformée, XII, 1961, n° 45, 108 p.

4. Ibidem, p. 68-69.


doxie orientale et du catholicisme romain, ce qui ne laisse pas de poser un problème.

Quant au premier but de M. le pasteur Bourguet, nous sommes d'accord il est sain et honnête de dissiper des espoirs trop naïfs d'une facile réunion institutionnelle et dogmatique de la chrétienté. Mais je me demande quel homme sérieux et un peu informé partage de tels espoirs. M. Bourguet se fait lui-même illusion quand il se figure que Jean XXIII, le cardinal Bea, les milieux romains, les théologiens catholiques, sauf peut-être quelques francs-tireurs sans autorité, croient qu'il suffirait de quelques accommodements secondaires de la discipline et des formulations dogmatiques pour que les protestants et les orthodoxes rallient l'Eglise romaine. Dans cette chronique, presque chaque mois, nous n'avons cessé de combattre une telle illusion, et pourtant M. Bourguet semble considérer la Compagnie de Jésus comme une citadelle d'intégrisme et de réaction 1.

En fait, nul n'est plus conscient que le cardinal Bea des difficultés qui s'opposent à l'unité dans les sacrements, la foi et la discipline. Et, quand des textes romains constatent une nostalgie de l'unité dans la chrétienté, cela ne signifie pas une nostalgie de l'adhésion à l'Eglise romaine, surtout si l'on entend cette hypothétique adhésion comme une abdication et non comme un achèvement.

Cependant, ce manifeste de M. le pasteur Bourguet est fort utile. Il est, pour nous, un témoin de la sensibilité protestante. Celle des protestants français est, peut-être, la plus écorchée du monde. Elle explique le ton virulent, hargneux même de ce petit livre. A nous d'accepter nos huguenots comme ils sont, avec leurs trop explicables complexes de persécutés et de minoritaires.

Mais, et surtout, l'ouvrage de M. Bourguet montre à l'évidence que la première chose à faire pour sortir d'un dialogue de sourds est de s'informer mutuellement. Je voudrais ne pas blesser inutilement l'auteur, dont la parfaite loyauté est évidente, en constatant qu'il n'a pas fait de sérieux efforts pour connaître le catholicisme et saisir ce qu'est pour nous un concile. Il se contente de quelques articles de dictionnaires, certains bien périmés, et de quelques articles récents dans des revues de vulgarisation. Il semble tout ignorer de la patristique il a étudié le concile du Vatican dans Lavisse et Rambaud; il néglige complètement les ouvrages sérieux parus récemment sur le futur concile, ceux de l'archevêque Jâger, l'ensemble des articles de Wort und Wahrheit publiés sous l'égide du cardinal Kônig, le recueil des orthodoxes sur la primauté de Pierre, le recueil de Chevetogne sur le Concile et les Conciles, etc. Quant au problème de la différence 1. A ce propos, qu'il nous soit permis de regretter une page pénible (p. 48) sur le cardinal Bea, où l'on semble insinuer qu'il a été imposé à Jean XXIII, apparemment par les jésuites, comme président du Secrétariat pour l'unité des chrétiens et qu'il a pu être sous Pie XII l'inspirateur de l'intégrisme. Ces procédés de basse polémique étonnent sous la plume du premier responsable d'une Eglise.


essentielle entre catholicisme et protestantisme, il ne va pas au fond du problème, c'est-à-dire à la problématique de la foi dont les pôles de tension ont pourtant été bien dégagés, à Amsterdam même, en 1948. Que les protestants n'attendent pas que le pape, au nom de son infaillibilité, définisse qu'il n'est pas l'expression suprême de l'infaillibilité de l'Eglise; que les catholiques n'attendent pas que les protestants souscrivent au concile du Vatican 1 et renient purement et simplement leur raison d'être. Mais que, du moins, ils essaient mutuellement, comme en Allemagne, de se connaître vraiment pour travailler à réduire leur incompatibilité à l'essentiel.

Robert ROUQUETTE.

Le Cardinal Feltin et la paroisse universitaire.

Les Etudes ont rendu compte des journées universitaires de Caen qui ont pris cette année un relief plus grand, en raison du cinquantième anniversaire de la <: Paroisses. Mais nous n'avions pas encore en mains le texte du Discours prononcé par le Cardinal Feltin dans la cathédrale de Coutances 1. Le Cardinal de Paris n'a pas seulement apporté alors un témoignage de bienveillance, mais il a énoncé de véritables directives, éclairantes et précises, sur la vocation d'Universitaire chrétien. Car c'est, a-t-il dit, une « véritable vocation » que les chrétiens de l'enseignement public ont découverte. Ceux-ci, en effet, sont « appelés à assurer une présence et un témoignage là-même où la foi a paru n'avoir plus de place ». Ils accomplissent ainsi une véritable « mission ».

Il faut pourtant purifier ce terme de « mission » d'une nuance de conquête et de pression, qui évoquerait, à la pensée de ceux qui ne croient pas, une atteinte méthodique à la liberté. « Qu'on saisisse bien ici, précisait le Cardinal, le vrai sens que l'Eglise attribue à votre présence et à votre action dans l'enseignement public lorsqu'elle parle de mission, elle n'entend pas que l'acte de foi soit imposé « par aucune contrainte extérieure », sous quelque forme que ce soit. » La mission dont il s'agit est de présence et de témoignage. Elle consiste à porter « dans le respect des libertés, dans une véritable tolérance, l'inquiétude du salut du monde». Cela d'ailleurs est dans le prolongement même de la tâche qui incombe aux professeurs « au delà du savoir constitué et enseigné, il y a en effet, au cœur d'une authentique culture, l'interrogation de l'homme, les questions qu'il pose, qu'il se pose sur son destin ».

Aussi le Gardinal était-il conduit à reprendre les paroles que prononçait naguère, à Rome même, Roger Pons « Notre désir de changer les autres et de les gagner à la foi n'a qu'une forme et ne reconnait 1. Paru maintenant dans la Documentation Cath. 7.5.1961, 581-586.


comme légitime qu'un seul moyen nous changer nous-mêmes. La liberté des autres n'a pas moins de prix à nos yeux que la nôtre >. L'importance de cette mission, de témoignage et de présence, est plus manifeste que jamais « à l'heure où l'adolescence envahit les écoles, où le monde des jeunes pose tant de questions nouvelles et angoissantes, aux familles, aux pouvoirs, à tous les éducateurs ». Mais il est clair aussi qu'en s'adressant en ces termes aux enseignants de l'Ecole publique, le Cardinal décrivait l'une des formes les plus nécessaires de l'apostolat d'aujourd'hui.

J.-M. L. B.

Unité des chrétiens et conversion du monde.

C'est sur ce thème que le Cercle Saint-Jean-Baptiste a centré, cette année, ses journées annuelles. Fondé en 1945 par le Père Daniélou et toujours animé par lui (avec l'aide active du Père Rétif), le Cercle Saint-Jean-Baptiste est à la fois un foyer de prière missionnaire, un centre de recherche théologique et culturelle, et un carrefour de rencontres internationales ouvert aux non-chrétiens aussi bien qu'aux chrétiens. En continuel développement, le Cercle rayonne bien au-delà de ceux qui, à Paris, peuvent participer à ses multiples activités. Un bulletin mensuel en diffuse la mystique et en élargit l'action formatrice. Celle-ci est encore approfondie par un cycle de cours par correspondance, assurés par des spécialistes des différents sujets proposés (Islam, Inde, Spiritualité orientale, Judaïsme, etc.). Le cercle a déjà formé de nombreux chrétiens qui réalisent maintenant, dans toutes les parties du monde, une authentique vocation missionnaire.

Un des plus sérieux obstacles à cette œuvre missionnaire à laquelle se consacre le Cercle Saint-Jean-Baptiste est le spectacle, donné par les chrétiens, de leurs divisions. Aussi le souci œcuménique est-il indissociablement lié à celui de la conversion du monde. C'est la conscience de ce lien qui, dans le monde non catholique, a entraîné la décision prise récemment par le Conseil international des Missions de fusionner avec le Conseil œcuménique des Eglises. Au reste, indépendamment des considérations d'efficience, le souci oecuménique et le souci missionnaire coïncident dans la recherche qu'ils promeuvent d'une foi toujours plus pure, plus dépouillée de ses surcharges humaines. En ce sens, et comme le montrait dans sa conférence le Père Daniélou, s'il est vrai que notre recherche de l'Unité chrétienne sert directement la Mission de l'Eglise auprès des païens, les jeunes chrétientés approfondissent notre sens d'une vraie catholicité, et, en nous aidant à briser nos étroitesses humaines, elles nous aideront sans aucun doute à nous retrouver plus rapidement dans l'Amour universel de l'unique Seigneur.

Hané MARLÉ.


Ce qu'un laie attend du Concile.

« Qu'attendons-nous du Concile? Réflexions d'un laïc » tel est le titre d'un livre de poche publié récemment en Allemagne 1. L'auteur en est le Dr Roegele, directeur du Rheinischer Merkur, un des grands hebdomadaires conservateurs d'Outre-Rhin. Le Dr Roegele ne parle pas en personnage « autorisé », mais en laïc, très au courant des différents aspects de la vie de son pays et des problèmes qui y sont agités. Il s'exprime en croyant qui se sent, à sa place, responsable de la mission de l'Eglise, et s'interroge sur les conditions de son audience auprès de ses contemporains. Les termes dans lesquels Jean XXIII a formulé les tâches du prochain Concile l'ont, comme beaucoup d'autres, rempli d'une grande espérance.

Le Dr Roegele n'a rien d'un révolutionnaire. Le regard qu'il porte sur l'Eglise d'aujourd'hui, avant même que ne soit réalisée l'œuvre du Concile, n'est aucunement celui d'un pessimiste, et les requêtes qu'il formule ne procèdent manifestement d'aucun ressentiment. Il sait reconnaître les bons côtés de cela même qu'il voudrait voir améliorer ou compléter. Ainsi souligne-t-il les incontestables bienfaits et la nécessité d'une certaine centralisation de l'Eglise 2, au moment même où il exprime le vœu d'une plus grande autorité détenue par les chefs d'Eglise locale et d'une communication vitale plus intense entre les différents organes de l'Eglise, aussi bien qu'entre le centre et la périphérie 3.

Ce n'est d'ailleurs pas à ce niveau du gouvernement de l'Eglise que le Dr Roegele formule ses remarques les plus précises et les plus décidées. Un des points qui lui tiennent particulièrement à cœur est de voir pratiquement reconnue, et aussi juridiquement consacrée, la a promotion » des laïcs dans l'Eglise. Comme beaucoup d'autres avant lui, il déplore à ce propos l'absence des laïcs dans le travail préparatoire du Concile. L'Eglise, fait-il remarquer, garde de mauvais souvenirs de l'influence exercée sur elle à certaines époques par les princes 1. Otto B. ROEGELE, Was erwarten wir vont Konzil? Gedanken eines Laien, Fromms Taschenbücher, Osnabrilck, 1961.

2. Il rappelle comment l'attachement à Rome, dans beaucoup de pays communistes, a été le sceau de la sauvegarde de la foi elle-même. Il ajoute seulement que « l'on doit distinguer avec soin entre le noyau inamissible le lien avec ce roc qu'est Pierre, et le fruit d'une évolution historique qu'est la constitution ecclésiastique de la Curie ».

3. Le Dr Roegele pense qu'en évoquant le principe de « subsidiarité » dans l'Eglise, Pie XII, par exemple, répondait déjà largement à ce vœu et que si la réalisation effective de ce principe laisse encore beaucoup à désirer, Rome n'en est sans doute pas le plus responsable. Et il cite en exemple la patience qui a précédé la mesure, qui est apparue alors comme drastique, à l'égard des prêtres-ouvriers.


séculiers. Mais qui nierait que le contexte est aujourd'hui totalement différent? Ce n'est pas pour la régenter, mais pour la mieux servir, que les laïcs désirent aujourd'hui, non pas en princes, mais en simples croyants, pouvoir participer plus activement à sa vie. En répondant à cette aspiration, l'Eglise catholique ferait, d'une part, tomber un obstacle sérieux à l'Unité des chrétiens et elle accroîtrait considérablement, d'autre part, son audience auprès des hommes de notre temps qui ont conscience de devoir être en tout « majeurs ».

Le souci de l'Unité préoccupe évidemment au premier chef le chrétien d'un pays traversé de part en part par les divergences confessionnelles. A cet égard le Dr Roegele formule en premier lieu le vœu de ne voir consacrer par le Concile aucun développement marial. Il ajoute comme particulièrement souhaitable une valorisation de la fonction épiscopale, la présentation d'une doctrine de l'Eglise Corps du Christ qui permette de mieux situer les chrétiens non catholiques, une réforme de la juridiction relative aux mariages mixtes. Enfin, il insiste sur ce qu'il appelle le « principe œcuménique fondamental » savoir entendre l'autre, comprendre son point de vue, alors même qu'on pense devoir le rejeter. Cela devrait amener, en face de l'immense problème missionnaire, à arriver au moins à cet accord minimum qui permette d'éviter de se nuire mutuellement.

Dans des perspectives plus générales, le Dr Roegele souligne avec vigueur la nécessité d'une réforme fondamentale de la juridiction de l'Index. Il est anormal, précise-t-il, qu'un auteur respectable, ayant obtenu l'Imprimatur de son évêque, apprenne par les journaux, sans que motif en soit donné, l'interdiction de son ouvrage; anormal qu'il ne puisse s'expliquer, apporter éventuellement les corrections qui, insérées d'une manière ou d'une autre dans le livre, rendraient celuici acceptable. Les évêques responsables ne devraient-ils pas, d'autre part, être appelés à participer aussi à l'examen du livre incriminé? Et l'interdiction a-t-elle besoin d'être, dans tous les cas, portée solennellement à la connaissance de l'Eglise universelle? Est-il décent enfin de mettre sur le même pied d'honorables théologiens, qui cherchent à servir l'Eglise de leur mieux, et des ennemis notoires de l'Eglise? Au reste, dans beaucoup de cas, en ce domaine comme en celui du cinéma ou des périodiques, des avertissements clairs, des jugements nuancés ne répondraient-ils pas plus efficacement au rôle magistériel de l'Eglise? De toute façon, estime le Dr Roegele, l'Eglise doit être consciente du heurt provoqué trop souvent, en dehors d'elle plus encore peut-être que dans son sein, par une « manière juridique de s'exprimer qui voile, ou du moins laisse trop méconnaître, d'autres aspects non moins importants de sa réalité.

Publiciste de métier, le Dr Roegele insiste encore, après beaucoup d'autres, sur l'importance capitale que représenterait aujourd'hui un service d'information sûr et autorisé. 11 souligne les graves inconvénients qu'il y a à laisser la presse puiser ses renseignements à des sources incertaines. Il cite, pour appuyer les siens, les vœux émis par


le dernier congrès international de la Presse catholique (juillet 1960) et se réfère à juste titre aux claires paroles de Pie XII sur le rôle et l'importance de l'opinion publique dans l'Eglise. Celle-ci ne peut remplir justement sa fonction qu'en s'appuyant sur une connaissance exacte et suffisamment rapide des réalités à propos desquelles elle a à s'exercer 1.

Peut-on espérer voir la réalisation de quelques-unes au moins de ces aspirations? Le Dr Roegele ne manque pas de se poser la question. Il est bien conscient qu'un certain nombre des préoccupations qu'il énumère ne seront portées que par un nombre limité d'évêques. Car les problèmes ne se posent pas de la même manière, ou avec la même acuité, dans tous les pays. Cependant, ajoute-t-il, « il y a suffisamment d'exemples montrant ce que peut, dans une grande assemblée, une minorité décidée, active et sachant habilement manœuvrer. Dans cette mesure la pure question quantitative n'entraîne pas une limitation des possibilités; au contraire plus grand sera le nombre des participants au Concile, d'autant plus efficace peut être le travail d'une minorité bien soudée et énergique». Il semble au Dr Roegele que la situation de l'Eglise dans certains pays comme le sien demande cette action décidée de ses chefs.

René MARLÉ.

1. A cet égard, la dernière conférence de presse de Mgr Felici, secrétaire de la Commission centrale du Concile, a généralement déçu. En accordant cependant, quelques jours après, une longue audience au Comité central de la Presse catholique, le Pape lui-même a manifesté l'importance qu'il attachait à la Presse. C'est à cette occasion que M. Dubois-Dumée exposa les résultats d'une enquête faite en France au sujet du Concile sur 100 personnes questionnées, 44 seulement avaient entendu parler du Concile. Parmi celles-ci, 35 tenaient ce qu'elles en savaient de la presse et de la radio, 14 de la prédication, 7 de conversations avec des amis, 7 d'organisations catholiques, le reste de sources diverses.


ACTUALITÉS

La Conférence de Yaoundé.

Nous avons trop souligné, depuis deux ans, l'intérêt que présentait, pour les jeunes Etats africains d'expression française, la coordination de leur politique et de leur économie pour ne pas appeler l'attention sur un événement mémorable mais qui n'a pas, en France, fait l'objet de grands commentaires la Conférence de Yaoundé.

Cette Conférence, qui s'est tenue à l'initiative de M. Félix HouphouëtBoigny, du 26 au 29 mars, réunissait dans la capitale du Cameroun, douze Etats d'expression française d'une part, sept Etats appartenant à la Communauté dite rénovée (Madagascar, Sénégal, Mauritanie, Tchad, République Centrafricaine et Gabon), d'autre part, les quatre Etats du Conseil de l'Entente (Côte d'Ivoire, Niger, Haute Volta, Dahomey) qui, à l'époque, n'avaient pas encore conclu d'accords avec la République Française, et enfin le Cameroun.

Elle avait pour objet de grouper, en premier lieu, les Etats de l'Afrique réformiste face au bloc de l'Afrique des cinq, de Casablanca, et de définir leur doctrine de la neutralité 1.

Elle devait, en outre, préparer la poursuite d'une plus large unité africaine qui permettrait à une Afrique unie de traiter avec l'Europe, l'Amérique ou la Russie sur un plan de totale égalité.

Elle s'est déroulée dans une atmosphère très cordiale dans l'ensemble, mais aussi solennelle, car les Camerounais avaient tenu à lui donner le plus grand éclat.

En fait, la Conférence a pris d'importantes décisions.

Sur le plan politique, elle a adopté le principe d'un organisme de coordination inter-Etats l'Union Africaine et Malgache. Les formes institutionnelles de cet organisme n'ont pas été précisées; elles seront appelées à se dégager, lors de la prochaine conférence de Tananarive, mais on peut prévoir qu'elles seront très souples. On notera, dès maintenant, que l'appartenance à la Communauté, ou le fait d'en être sorti, on le fait de n'y avoir jamais appartenu, n'établissent aucune différence entre les membres de l'U. A. M. Ainsi l'U.A.M. pourra s'ouvrir à la Guinée et au Mali ou au Nigeria.

Les « Douze » adoptent vis-à-vis de l'Occident une position de neutralité mais d'où est exclu tout esprit de méfiance hostile. Aussi bien ont-ils défini, dans une déclaration commune, leur position sur les grands problèmes internationaux Algérie, Congo ex-belge, admission 1. Les cinq Etats en cause sont le Maroc, le Ghana, le Nigéria, le Mali, la R. A. U.


de la Mauritanie à l'O. N. U., réunification du Cameroun, politique sudafricaine d'Apartheid, et même conditions de la paix au Laos. Vis-à-vis de la France, l'attitude a été amicale mais exclusive de tout engagement. Ainsi la Conférence « salué» les accords en voie de conclusion entre la France et le Conseil de l'Entente, « qui prouvent qu'en dominant un formalisme désuet et en s'attachant aux idéaux qui les animent, la France et les Etats participants de la Conférence démontrent que l'amitié fraternelle dont se réclament leurs peuples, la coopération économique et culturelle sur la base de l'indépendance et de l'égalité de leurs Etats sont les fondements les plus solides d'une communauté d'intérêts, de sentiments et d'action dont la nécessité s'affirme plus que jamais dans un monde qui cherche à préserver la paix et à assurer un avenir heureux à l'humanité».

Les discussions politiques ont été longues et animées. Il y eut une menace d'orage. M. Houphouët-Boigny avait reproché à M. Senghor d'avoir, à la veille de la Conférence et sans consultation préalable entre amis, reconnu le Nord-Vietnam et la Chine communiste. Mais, précisément, il semble, étant donné le climat général de la Conférence, qu'une telle fausse note dans le concert africain sera évitée à l'avenir. D'autant que l'engagement qui a été pris de se concerter en matière diplomatique, d'envisager même la possibilité d'ambassadeurs communs auprès de certains pays, apparaît comme un témoignage de réelle bonne volonté.

Au surplus la Conférence a chargé un certain nombre d'Etats membres de préparer des projets d'accords sur des sujets précis la Côte d'Ivoire sur la diplomatie, le Cameroun sur la nationalité et la citoyenneté d'établissement, le Sénégal sur les conventions judiciaires, le Niger sur la coordination des télécommunications, la Haute Volta sur la défense commune.

Sur ce dernier point, la position de M. Maurice Yameogo, qui se refusait à admettre des bases militaires françaises sur son territoire, a donné lieu à de longues discussions qui n'ont pas eu de solution définitive et qui reprendront à Tananarive le 4 juillet prochain. En matière économique, la Conférence a pris une décision fondamentale celle de signer le traité instituant l'Organisation Africaine et Malgache de Coopération Economique (0. A. M. C. E.) dont le principe avait été admis à Dakar.

D'autre part, les Douze, conscients de la nécessité d'investissements massifs pour assurer la promotion économique de leurs Etats ont réclamé plus spécialement l'aide de l'Europe et promis d'accorder aux capitaux qui s'investiraient tout un système de garanties.

Ils ont examiné le problème de l'association des pays africains et malgache au traité de Rome et, dans le cadre des conventions en cours, ont demandé une négociation concertée avec la C. E. E. pour l'installation de procédures plus simples et plus efficaces en ce qui concerne le fonctionnement du F. E. D. 0. M. (Fonds européen de développement


pour l'outre-mer), une organisation des marchés prévoyant un soutien et une protection évolutive favorable aux grandes productions tropicales végétales, enfin le droit de prendre toutes mesures tarifaires ou autres répondant aux nécessités de leur développement industriel. On notera que les Chefs d'Etat n'ont pas défini les conditions de l'association future de l'O. A. M. C. E. à la C. E. E. Des travaux à l'échelon des ambassadeurs d'abord, des assemblées ensuite, et des gouvernements enfin préconiseront, dans les semaines à venir, des solutions qui seront, à coup sûr, empreintes du souci essentiel de préserver l'indépendance des Etats.

Les leaders de la Conférence ont aussi lancé un appel pressant aux capitaux privés. Ils n'ont pas seulement affirmé leur volonté commune d'offrir aux investisseurs toutes garanties de sécurité, mais ils ont demandé l'institution de fonds nationaux ou internationaux de garantie, se déclarant prêts à y participer sous une forme à déterminer par l'O. A. M. C. E.

On doit souligner l'importance de cette déclaration d'intention qui rejoint les vœux émis, les années dernières, par la Chambre de Commerce internationale.

Les Douze ont enfin pris une décision qui s'inscrit dans la réalité vivante immédiate; ils ont créé la Société de transports aériens «Air Afrique dont le siège a été fixé à Abidjan.

Ainsi, on le voit, la Conférence de Yaoundé a préparé le regroupement des Etats africains et malgache, mais dans un cadre souple, qui tient compte des deux tendances qui caractérisent l'évolution de l'Afrique noire le souci de préserver des nationalismes tout neufs, et le désir de réaliser l'unité panafricaine.

Elle a marqué, de la part des leaders du monde noir, une prise de conscience aiguë des réalités politiques et des exigences économiques. Elle a, en même temps, accusé le glissement, hors de la Communauté, des Etats africains et malgache qui reconstituent au fond l'Union française mais sans la France.

Cependant, ce regroupement ne se fait pas dans un esprit d'hostilité contre la France mais il cherche à se réaliser dans un amical esprit de coopération.

Il se fait également dans un esprit ouvert à toutes les tendances africaines puisque les Douze ont décidé de se rencontrer à Monrovia avec les Cinq.

Si, au dernier moment, MM. Sekou Touré et Modibo Keita ont renoncé à confronter leurs points de vue avec ceux de M. HouphouëtBoigny, à Monrovia, dans la première quinzaine de mai, Sir Abubakar Tafewa Balewa qui préside aux destinées du Nigeria, Sir Milton Margai qui dirige le Sierra Leone, M. Sylvanus Olympio, chef de l'Etat du


Togo, se sont joints aux douze, pour donner plus de poids à la Troisième Force qui tend à se former sur le continent africain.

Dans la mesure où cette force pourra effectivement et méthodiquement traduire dans les faits les résolutions de la Conférence de Yaoundé, l'Afrique noire et Madagascar deviendront des éléments appréciables d'une politique de paix dans le monde.

Pierre CHAULEUR.

Inquiétudes asiatiques Iran et Laos.

Si l'on se proposait d'esquisser la « carte des périls » dans le monde, rien ne serait plus aisé sans doute que de répertorier les zones de tension, mais rien de plus difficile que d'affecter chacune d'entre elles d'un signe représentant l'importance et l'urgence du danger. La tentation serait grande, en effet, de se préoccuper surtout des régions actuellement les plus remuées, dont l'agitation est évidente, et de négliger celles où, derrière un calme apparent, se préparent probablement les plus graves ébranlements futurs. Sur la « carte des périls » tout le monde inscrira aujourd'hui Cuba, l'Algérie, le Laos, le Congo, mais qui songera à marquer l'Iran?

Ce n'est cependant point par hasard que M. Khrouchtchev, au cours d'une longue conversation volontairement « détendue avec le célèbre journaliste américain M. Walter Lippmann, a spontanément évoqué l'exemple de ce pays, dont son interlocuteur n'avait pas fait mention. L'Iran, a dit M. Khrouchtchev, ne possède qu'un parti communiste très faible; mais, en raison de la misère des masses et de la corruption du gouvernement, il subira sûrement une révolution. M. Khrouchtchev n'a pas paru envisager une intervention militaire dans ce pays trop pauvre pour être utile à l'U.R.S.S., mais vouloir faire, indirectement, tout son possible pour amener la chute du Chah; tel lui semble être le mouvement inévitable de l'histoire, mouvement que ne sauraient renverser des réformes démocratiques et libérales. M. Walter Lippmann estime impossible de faire changer d'avis le maître de la Russie, à moins, "précisément, « de lui démontrer, en quelque pays, que nous sommes capables de provoquer de profondes réformes démocratiques».

Assurément, des réformes seraient extrêmement souhaitables en Iran l'équilibre social du pays, marqué par la prépondérance des féodaux et de la grande bourgeoisie, est des plus médiocres; et tout progrès économique ne fait qu'accentuer l'inégalité de la répartition des biens, en accroissant hors de toute mesure les seules ressources des privilégiis.

Nul n'est, d'ailleurs, plus que le Chah lui-même conscient de cet


état de choses, navré de son iniquité, et inquiet de ses fatales conséquences mais le souverain, lorsqu'il a essayé d'y porter remède, n'a guère été suivi, ni aidé. La distribution des terres de la Couronne aux paysans a constitué un geste généreux, mais qui n'aurait pris tout son sens et toute son efficacité que s'il avait déclenché quelque émulation parmi les grands propriétaires fonciers. La création d'un parti de « l'opposition loyales, le Mardom ou Parti du Peuple, suscitée par l'Empereur, n'a pas non plus suffi à rénover la vie politique les partis ne peuvent guère constituer autre chose que des comités de notables, dans un pays où le mécanisme électoral, faute d'éducation des masses et d'impartialité administrative, ne peut fonctionner sainement. Non sans courage, le souverain, en provoquant la démission des députés élus, a rendu possible l'annulation des élections de l'été 1960, acte que ses droits constitutionnels ne lui eussent pas permis d'ordonner directement. Mais la consultation électorale du printemps 1961 n'a pas été beaucoup plus significative; à de rares exceptions près, les paysans n'ont pu que confirmer l'influence prépondérante des féodaux, tandis que dans les milieux populaires et parmi les étudiants l'action clandestine des meneurs d'extrême-gauche et la nostalgie sentimentale du nationalisme à la Mossadegh suscitaient une agitation fatale au déroulement correct des opérations.

Reste que le nouveau cabinet Emami, mis en place il y a huit mois, a bientôt subi des remaniements qui dénotent, dans l'exécutif, une certaine volonté de salubrité et même de libéralisme; mais l'opinion conservatrice, toujours puissante, paralyse toute évolution, en faisant valoir que, face aux menaces de subversion, des réformes qui compromettraient la solidité des armatures traditionnelles, sans pouvoir aussitôt les remplacer par des structures nouvelles suffisamment robustes, comporteraient de graves dangers.

Telle est l'atmosphère dans laquelle le gouvernement iranien vient de tenter d'obtenir un renforcement du CENTO, Central Treaty's Organisation, substitué au Pacte de Bagdad depuis que l'Iraq a quitté celui-ci. Il s'agissait de provoquer la création d'un commandement militaire commun, par le moyen duquel les Etats-Unis, membres des Comités du Pacte mais non de l'Organisation elle-même, s'engageraient plus nettement dans l'alliance et lui assureraient une efficacité accrue. Il est remarquable que cette initiative soit venue de l'Iran, lequel a toujours souligné le caractère purement défensif de l'alliance et, tout en recevant des missions militaires de conseil et d'instruction, s'est constamment refusé, à la différence de la Turquie, à l'établissement sur son territoire de bases proprement dites.

Les Etats-Unis paraissent avoir compris l'importance de la question, puisque le Secrétaire d'Etat, M. Dean Rusk, a accepté d'assister à la Conférence ministérielle du CENTO, qui s'est ouverte le 27 avril à Ankara. Mais, dès le lendemain, l'homme d'Etat américain s'est envolé précipitamment vers l'Extrême-Orient, où l'affaire du Laos lui paraissait requérir d'urgence sa présence; close, prématurément,


quelques heures plus tard, la session n'aboutissait qu'à la constitution d'un état-major commun, étape plus modeste vers le renforcement des structures de l'Alliance.

Sans doute, des mesures militaires de précaution ne sauraient-elles fournir de véritable solution aux problèmes de l'Iran. Mais, outre que le demi-échec de la réunion du CENTO ne peut qu'accroître, dans la région, le sentiment de l'insécurité, le départ impromptu de M. Dean Rusk ne manifeste que trop clairement l'ordre d'urgence dans lequel le Secrétariat d'Etat range les problèmes de l'Asie. Certes la situation du Laos justifie les plus vives inquiétudes; mais elle n'est devenue telle que faute d'avoir été envisagée avec suffisamment de sérieux en août 1960, alors qu'elle offrait encore une grande marge de manœuvre. Cet exemple devrait encourager l'Occident à prêter attention aux affaires orientales pendant qu'un calme relatif permet encore de les considérer avec sang-froid. Surtout, auprès de peuples extrêmement sensibles à la valeur symbolique des gestes, serait-il bon d'éviter les attitudes qui pourraient, fût-ce à tort, être interprétées comme le signe d'un intérêt trop peu chaleureux ou d'une insuffisante vigilance. Pierre RONDOT.

P.S. Le Chah d'Iran vient d'accomplir un geste audacieux après avoir reçu, le 5 mai, la démission du cabinet Emami, débordé par les manifestations des instituteurs mécontents de leurs traitements, il a, le 9, dissous le Parlement et chargé un homme d'Etat libéral, M. Ali Amini, de gouverner par voie d'ordonnances; le nouveau ministère appliquera une politique d'autorité et d'austérité, et laisse entendre qu'il entreprendra une réforme agraire totale; les Etats-Unis ont promis une aide financière supplémentaire. Contre les manoeuvres des possédants, les surenchères du nationalisme extrémiste inspiré par la nostalgie de Mossadegh, et les probables tentatives de subversion communiste, le gouvernement Amini devra mener une lutte difficile, dont l'issue sera décisive pour le bonheur du peuple iranien et l'intégrité du monde libre.

Le procès Eichmann.

La chronique judiciaire tient généralement peu de place dans les Etudes, qui peuvent considérer comme suffisante celle qui lui est réservée dans la presse quotidienne. Mais le procès Eichmann n'est à aucun égard un procès comme les autres. Il intéresse moins la curiosité du grand public que le procès Jaccoud, Marie Besnard ou Marcelle Emonet. L'accusé a déjà avoué beaucoup plus qu'il n'en faut pour mériter le châtiment suprême. Nous connaissons depuis longtemps l'ampleur et les grands traits de cette entreprise monstrueuse que


les audiences évoquent par le détail, un détail dont on peut raisonnablement penser qu'il est aussi bien de ne pas s'y appesantir. Mais, s'il retient moins que d'autres notre curiosité, le procès Eichmann ne peut nous laisser indifférents. Ce qu'il nous rapporte est à la fois très loin et très près de nous. Cet homme, dans sa cage de verre, nous donne parfois l'impression d'un être irréel, et parfois il nous semble presque familier. Nous sommes à certaines heures tentés de nous demander si toute cette histoire a pu se passer dans notre monde. Et pourtant nous sommes bien forcés de nous rappeler que nous y avons été mêlés, que, d'une façon ou d'une autre, même si nous fermions les yeux, elle nous a touchés.

Fallait-il cependant, alors qu'on commençait tout juste à s'en remettre, revenir sur ce long et horrible cauchemar? Fallait-il révéler dans une lumière si crue à la génération nouvelle ces abîmes d'inhumanité dans lesquels ses pères ont été plongés? On sait que, même en Israël, les avis sont à ce propos partagés. A-t-on le droit toutefois de jeter simplement un voile pudique sur tant d'horreurs? Sans doute ne sera-t-il jamais au pouvoir des hommes de faire véritablement justice aux victimes. N'est-ce pas du moins un devoir imprescriptible à leur égard de se préoccuper même si le succès n'est pas assuré de permettre à leurs souffrances et à leur mort de ne pas rester inutiles? C'est effectivement le souci fondamental de l'Etat d'Israël non seulement galvaniser les énergies de ce jeune peuple, en lui rappelant qu'il a été de nouveau baptisé dans les larmes et dans le sang; mais aussi convaincre le monde, en en manifestant le terme abominable, que l'antisémitisme est un fléau à proscrire à jamais de l'humanité. Dans ses réflexions sur le sens de la souffrance, Max Scheler montre effectivement qu'on ne se libère pas d'un passé funeste en s'efforçant de l'oublier, mais en en confessant au contraire toute la réalité, dans le repentir. Le peuple allemand, au nom duquel tant de crimes monstrueux ont été commis, nourrit, dans de larges proportions, ce souci d'assumer, pour en triompher plus sûrement, le lourd poids de son héritage Il sait que le procès Eichmann risque de porter préjudice à son crédit. Certains sont alors tentés, il est vrai, de chercher des alibis, en évoquant d'autres crimes de guerre, les bombardements « terroristes en particulier. Le plus grand nombre cependant, tout en refusant l'idée, effectivement très discutable, de culpabilité collective, acceptent l'épreuve de cette honte (Scham) collective, plusieurs fois évoquée par l'ancien président Heuss. Et le devoir de réparation à l'égard du peuple juif, reconnu par la République fédérale 2, n'est guère nié dans la population. Récemment encore, dans 1. Ce thème de la Bewâltigung der Vergangenheit est un des plus couramment développés dans l'Allemagne d'aujourd'hui. C'est dans cet esprit en particulier que la télévision propose tous les quinze jours depuis le début de l'année une émission sur le Troisième Reich. Cette émission est une des plus suivies.

2. Ce devoir se concrétise depuis longtemps déjà dans un programme de réparations très substantielles accordées par le gouvernement de Bonn à


un congrès de publicistes catholiques et protestants, la question était débattue des droits et avantages (subventions, émissions radio-télévision.) à accorder dans la communauté nationale aux différentes familles religieuses ou idéologiques. C'est alors aux applaudissements unanimes qu'un des participants insista sur la nécessité de faire, en tout état de cause, une place privilégiée à la communauté israélite. A cet égard, en même temps qu'il offre à tout un peuple l'occasion de se ressaisir dans la vérité et qu'il fournit à tous les hommes d'utiles leçons pour l'avenir, le procès Eichmann attire opportunément l'attention sur d'actuels et impérieux devoirs de justice.

Il ne faut cependant pas se dissimuler qu'il comporte aussi d'indéniables dangers. Pour Israël même, car ce n'est pas impunément que, dans un monde tenté de mettre sa tranquillité au-dessus de tout, on crie une injustice que certains soupçonneront grosse de vengeance; et un destin d'exception suscite facilement la méfiance. Par ailleurs, en dénonçant une entreprise raciste, on risque toujours d'en favoriser une autre; c'est à cette tentation que succombent tous ceux qui concluent, des horreurs commises en leur nom, à la perversité des Allemands en tant que tels 1. Enfin, dans des âmes imparfaitement purifiées, le mal peut à la fois repousser et attirer, et nous sommes toujours exposés à le voir trouver certaines complicités chez ceux devant lesquels il s'étale. Il n'est pas nécessairement salutaire de révéler à l'homme tout ce dont il est capable.

Le procès Eichmann reste, pour l'humanité, une aventure. Le Mal, dont il évoque devant elle le visage, est, lui aussi, un mystère, qui la met en question. Il le fait, comme tout mystère, en commençant par déconcerter. Non seulement nous n'aurions pas cru cela possible et nous n'arrivons pas à comprendre. Mais comment aurions-nous pu nous attendre à ce que tant d'inhumanité puisse revêtir des traits si familiers ? Eichmann un petit fonctionnaire qui nous dit ne pas supporter la vue du sang et qui voulait accomplir scrupuleusement son métier, dans un univers de bureaucratie où l'on cherchait à résoudre sereinement des «questions». Mystère de ce péché sans mesure, qui se révèle dans un homme comme tout le monde, un homme même étonnamment limité. Mystère de ce péché immense qui s'identifie avec une incommensurable médiocrité.

René MARLÉ.

l'Etat d'Israël. Au point que les pays communistes n'ont pas hésité à parler d'une collusion entre le gouvernement israëlien et la République fédérale. Comme elle s'estime au contraire vierge de tout lien avec l'ancienne Allemagne, la République démocratique (Allemagne de l'Est) s'est toujours refusée, au contraire, à la moindre réparation. Elle voit même volontiers dans ce refus une preuve de son innocence

1. Il importe, à ce propos, de rendre hommage au président Ben Gourion qui, dès l'origine du procès Eichmann, a rappelé, en y insistant, que le peuple d'Israël ne devait et ne voulait pas rendre les enfants responsables des péchés de leurs pères ». Et il n'a d'ailleurs pas manqué de souligner la complicité passive apportée à la persécution par des pays comme la GrandeBretagne, les Etats-Unis, la France.


Les Ballets de l'Oural.

Cent trente danseurs, chanteurs et musiciens de l'Oural ont donné pour la première fois en France et pendant près d'un mois (12 avril7 mai) une série ininterrompue de représentations au Palais des Sports, à Paris. L'importance et la qualité du spectacle justifia sa retransmission par la R. T. F. et l'impression d'un disque 1.

11 eût cependant été préférable de choisir un autre cadre et, pour certaines pièces musicales, une autre optique. Le Palais des Sports, bâtiment fonctionnel, n'a pas en effet été conçu pour des représentations théâtrales. On ne peut y installer de décors sans gêner un grand nombre de spectateurs, car la scène avance considérablement dans la salle. Comme il n'y a pas de fosse et que les côtés du plateau sont inutilisables, l'orchestre fut obligé de se mettre au fond de la scène. Il masqua ainsi la toile de fond dont la couleur neutre aurait fait ressortir le chatoiement des costumes des danseurs. Les évolutions de ceux-ci n'étaient jamais nettes, car les musiciens se profilaient toujours derrière eux. Le recours (peut-être obligatoire?) à une sonorisation (micro et haut-parleurs) altéra le son de l'orchestre et rendit souvent les voix nasillardes. Enfin les jeux de lumière furent assez pauvres, car la salle est équipée d'une façon sommaire.

Si le choix du local laissait à désirer, la conception artistique n'était pas toujours parfaite. Certains chants populaires ont été harmonisés d'une façon frelatée. Au lieu de confier ce travail à quelque compositeur sérieux, on en chargea, sans doute, un spécialiste de musique « de genre » habitué à travailler pour les music-halls, les cabarets ou les « orchestres typiques ». Il en résulta souvent des accents vulgaires peu en rapport avec la qualité des artistes.

Il est d'autant plus dommage de faire ces critiques que les exécutants musiciens ou danseurs étaient tous des gens de valeur, à qui on faisait supporter des fautes que leur talent ne méritait pas.

L'orchestre de balalaïkas d'Ossipov est, en effet, une formation de premier ordre. La qualité du jeu des instrumentistes, leur virtuosité et la cohésion de l'ensemble est remarquable. Il n'était, pour s'en convaincre, que d'écouter un petit groupe de solistes venus sur l'avantscène jouer un air populaire. Abandonnant le plectre, ils attaquèrent les trois cordes avec leurs doigts, comme s'il s'était agi d'une guitare, témoignant ainsi d'une superbe maîtrise de leur instrument. Il était d'autant plus intéressant de les entendre qu'il est rare de rencontrer en France une telle formation. Les balalaïkas qui constituent une famille de six instruments, dont le plus gros est de la taille d'une contrebasse, produisent en groupe un son léger, moins sec et plus nuancé que celui d'un orchestre de mandolines s.

1. Chant du monde. (LDX -S- 4215).

2. Actullement spécialité polonaise. La notice du disque indiqué ci-dessus donne d'intéressantes précisions sur les balalaïkas et les autres instruments populaires qui forment l'orchestre d'Ossipov.


Parmi les costumes, les plus remarquables étaient ceux des chanteuses. Sur un chemisier blanc aux manches longues et bouffantes aux poignets, était passée une robe dont la couleur, toujours pastel, variait suivant les intéressées. Elle descendait jusqu'aux pieds et portait sur toute sa longueur une grande broderie richement travaillée. Au milieu du spectacle les chanteuses s'assemblèrent nonchalamment devant l'orchestre pour interpréter, a cappella, une mélodie populaire aux accents nostalgiques. La qualité des voix et la grâce du tableau qu'elles formaient, éclairées par une douce lumière bleutée au milieu d'une scène noire, fit un heureux contraste avec l'allure tourbillonnante du spectacle.

Les chants, bâtis principalement sur des modes orientaux, et les danses de l'Oural présentent cette particularité d'être toujours gais. Il semble que cette région, peu atteinte par les guerres et les révolutions, ne connaisse, dans son folklore, aucun élément martial, tragique ou même rude. En revanche, il revêt souvent des aspects cocasses, telle la danse avec la lune, représentée par une danseuse coiffée d'une grosse tête en carton et vêtue d'une ample robe légère de couleur bleu nuit, ou bon enfant. Ainsi il y a de nombreux numéros où l'intérêt se concentre autour d'une ou de plusieurs bottines ou foulards que l'on se prend, se jette ou se passe. C'est la fête, la simple fête du village, où toute occasion est bonne pour s'amuser. Le rythme endiablé excite souvent les danseurs qui se livrent à des exHîbitions acrobatiques assez extraordinaires dont ils ont le monopole. Enfin tout se termine par une grande farandole où les costumes chatoient sous la lumière. A ce sujet, il est intéressant de signaler que les pas de danse russe paraissent universels. Qu'il s'agisse de l'Ukraine, du Caucase ou de l'Oural, on retrouve toujours les mêmes sauts, les mêmes manèges de déboulés où le danseur plié en deux, et souvent nanti d'un accordéon (dont il joue), décrit un grand cercle au milieu de la scène en lançant successivement ses jambes en avant, les mêmes danses accroupies, etc. Les airs populaires, eux, sont typiquement régionaux, mais, pendant les démonstrations chorégraphiques de virtuosité, ils ne servent que de fond sonore car l'exécutant s'appuie sur le battement des mains de ses camarades, lesquels, par leur bruit, couvrent presque entièrement l'orchestre. Lorsque le numéro est très réussi, le public se prend au jeu il applaudit sur le même rythme et regrette de ne pouvoir monter sur la scène pour participer à la farandole finalel

Le folklore de l'Oural n'est pas très riche. Il ne comporte pas de danses guerrières, ni de chasse, aucune illustration d'anciennes légendes, ni de danses de métiers; mais il est toujours clair et joyeux. Il réjouit l'oeil par la diversité des costumes, étonne les spectateurs par la qualité des morceaux de bravoure tant musicaux que chorégraphiques, et la saine gaieté qui s'en dégage mérite bien le succès que la troupe a obtenu.

II. de CARSALADE DU PONT.


QUESTIONS RELIGIEUSES

Henri de Lubac. Exégèse Médiévale. Les quatre sens de l'Ecriture. Seconde Partie. I. Collection Théologie. Aubier. 1961. 562 pages. 30 NF.

Nous avons déjà rendu compte des deux premiers tomes de cette grande œuvre que le P. de Lubac consacre à 1' exégèse médiévale (cf. Etudes, janvier 1960, p. 129). Alors que ces deux premiers volumes visaient avant tout à fournir une présentation synthétique de la doctrine médiévale des quatre sens de l'Écriture, celui-ci a pour objet l'étude de plusieurs auteurs ou de plusieurs courants dont la signification n'est pas toujours justement reconnue. Au cours de ces pénétrantes analyses, qu'il conduit jusqu'au seuil du xni" siècle, et que le volume suivant doit continuer, le P. de Lubac est amené, en effet, à rectifier ou nuancer plus d'un jugement simpliste, colporté trop souvent sans contrôle par exemple, sur la 1 barbarie de saint Grégoire, ou à propos de l'opposition irréductible que l'on veut établir entre une lignée « hiéronymienne », représentée avant tout par les Victorins, et une lignée allégorisante, tributaire de saint Augustin et surtout de saint Grégoire, la première devant anticiper la véritable exégèse des temps modernes, la seconde prolongeant une spéculation qu'on prétend détachée de l'histoire et en définitive stérile. En s'appuyant sur une somme considérable de textes, le P. de Lubac nous montre que la réalité est passablement différente et en tout cas beaucoup plus complexe.

L'intérêt historique de ces études est d'ailleurs loin d'être exclusif de leur intérêt doctrinal. Elles permettent d'approfondir encore davantage la véritable nature de ce « sens spirituel à la recherche duquel toute cette « exégèse est suspendue, et qui ne veut rien traduire d'autre que l'intelligence proprement chrétienne de la Révélation dans son rapport à l'histoire. Il n'est que de lire, par exemple, toute la section du

REVUE DES LIVRES

livre qui traite de la dialectique chrétienne », pour saisir l'ampleur et l'étonnante actualité de ces questions anciennes. De même, des pages comme celles que l'auteur consacre à la « superstitio ou à la « perfidia judaica nous proposent les réflexions les plus essentielles sur la foi chrétienne, à partir de ces grandes catégories historiques que la théologie moderne a trop longtemps ignorées et dont le P. Fessard nous rappelle aussi, à d'autres propos, l'importance capitale.

On parle beaucoup aujourd'hui de la

nécessité de développer une théologie de l'histoire. L'ouvrage du P. de Lubac nous montre tout ce que nous pouvons déjà trouver en ce sens dans une tradition trop méconnue. Il en est peu qui apportent à l'œuvre à accomplir une contribution aussi substantielle.

René MARLÉ.

N. AFANASSIEFF. N. Koulomzine. J. MEYENDORFF. A. SCHMEMANN.

La Primauté de Pierre dans

l'Eglise orthodoxe. Delachaux et

Niestlé. 1960. 151 pages.

Ce volume d'une exceptionnelle impor-

tance est dû à un groupe d'excellents théologiens russes des facultés orthodoxes de Paris et de New York. Essentiellement, ils opposent deux conceptions de la catholicité de l'Église d'une part, la conception qu'ils appellent eucharistique », qu'ils trouvent au niveau d'Ignace d'Antioche, au début du second siècle, et selon laquelle chaque communauté diocésaine constitue par l'eucharistie la plénitude du corps du Christ; d'autre part, la conception « universelle qui aurait été introduite par Cyprien de Carthage au milieu du troisième siècle et qui voit la catholicité d'une manière plus matérielle comme une sorte d'addition des Églises locales. Ils considèrent que cette seconde conception est une innovation fâcheuse et qu'il faut revenir à la notion eucharistique.


Selon eux la notion universelle, qui a été adoptée en fait par l'orthodoxie, doit amener logiquement à une conception d'un primat de gouvernement dans l'Église analogue à celui qui s'est constitué dans l'Occident romain, tandis que, dans la notion eucharistique de l'Église, ce qui est nécessaire et suffisant c'est un service (non un droit) de référence suprême dans les problèmes de la foi, service assuré par l'Église reconnue comme la première par l'ensemble de la chrétienté. Ils reconnaissent qu'en fait un service de ce genre a été assuré par l'évoque de Rome dans l'Église des premiers siècles.

Cette étude fort intelligente fournit une bonne base de dialogue entre théologiens orientaux et occidentaux. Il pourrait sembler que l'accord ne soit pas trop difficile, car l'opposition est trop arbitraire et artificielle entre Ignace d'Antioche et Cyprien; la notion d'universalité, non par addition, mais par cohésion des Églises dans la foi et la discipline, apparaît dès le début. II suffirait d'une bonne théologie du développement et d'une réflexion sur l'inévitable traduction du devoir en droit, étant bien entendu que l'Occident a exagéré son juridisme et qu'il n'est pas question d'imposer à l'Orient les structures rigides et centralisées de l'Occident romain. Mais ne nous faisons pas illusion ce qui est décisif pour nos théologiens russes, c'est le fait existentiel que la conscience collective de l'Église d'Orient a refusé le primat romain tel qu'il s'est présenté dans l'évolution de l'histoire; ils se justiflent ce refus, mais la justification n'a pas tellement d'importance ce qui est indicatif pour eux, c'est l'instinct dogmatique de la sobornost. Il reste qu'ainsi la question dogmatique primordiale, presque la seule, qui sépare l'Orient et l'Occident est parfaitement délimitée.

M. NÉDONCELLE, R. AUBERT, P. EVDOKIMOV, Y. CONGAR, J. AUDINET, J. R. GEISELMANN, B. D. DUPUY, A. CHAVASSE, V. Conzemius, A. LATREILLE, J. LECLER, W. BARTZ, H. F. Davis, O. ROUSSEAU. L'Ecclésiologie au XIXe siècle. Coll. Unam sanctam, n° 34. Éditions du Cerf. 1960. 396 pages. 21,90 NF. A l'automne 1959, la Faculté de théologie catholique dé Strasbourg organisa un colloque consacré à l'histoire de l'Ecclésiologla au xix' siècle le présent volume

Robert Rouquette.

reproduit les rapports présentés à ce colloque (et un très bref résumé des discussions qui les prolongèrent). Le xix* siècle a été, dans le catholicisme, un temps de recherches et de réflexion autour du thème de l'Église; la situation nouvelle faite à l'Église au lendemain de la Révolution française, l'incidence de la philosophie de l'histoire, les discussions autour de l'infaillibilité pontificale, avant le premier Concile du Vatican, sont quelques éléments majeurs qui ont influencé un travail théologique assez dispersé, mais dont l'importance. aujourd'hui, ne fait pas de doute. Il valait la peine d'en dresser le bilan; les organisateurs de ce colloque, M. le doyen Nédoncelle et le R. P. Congar, ont été bien inspirés d'y inviter des spécialistes. Leurs rapports ont la précision et l'autorité de leur compétence, et, par convergence, ils donnent un tableau très suggestif. Impossible, désormais, de traiter d'ecclésiologie sans s'y référer.

Trois chapitres fournissent les éléments d'une synthèse d'ensemble. Sous le titre Géographie ecclésiologique au XIX" siècle, M. le chanoine Aubert a étudié l'activité des principaux centres de recherches, entre 1800 et 1870 il s'agit principalement de la France, de l'Allemagne du Sud (relayée par l'Autriche vers 1850), de Rome, et aussi de l'Angleterre sous le pontificat de Pie IX. Le P. Congar montre comment, de la fin de la Révolution française au Concile du Vatican, l'ecclésiologie se développe « sous le signe de l'autorité » essor de l'ultramontanisme, dont on nous montre le point de départ timide dans la théologie enseignée au séminaire Saint-Sulpice dès le premier Empire. Enfin, en conclusion, dom 0. Rousseau analyse les perspectives « œcuméniques » fragmentaires et hésitantes de cette ecclésiologie, qui soupçonne, plus qu'elle ne le pose, le problème de l'unité des chrétiens. En complément, un exposé très instructif du professeur Evdokimov sur l' Ecclésiologie orthodoxe.

Les autres rapports sont des monographies, consacrées de première main, par des spécialistes de ces auteurs, aux grands noms de l'ecclésiologie Moehler (prof. Geiselmann et D. B. Dupuy), Dôllinger (V. Conzemius), Scheeben (W. Bartz), Newman (H. F. Davis). M. le professeur Latreille fait l'histoire rapide, mais bien informée, de la pensée des théologiens catholiques sur l'État et sur les relations de celui-ci avec l'Église; et le R. P. Lecler étudie, sur quelques exemples significatifs,


les controverses qui agitèrent sur ce point la France de la Restauration. Enfin, M. le professeur Chavasse utilisant les documents d'archives récemment publiés (Mansi, t. 4953), analyse les discussions du premier Concile du Vatican à propos de l'infaillibilité et montre la part faite par les Pères à l'infaillibilité de l'Église comme telle, dont r infaillibilité personnelle du Souverain Pontife est la manifestation et l'expression, ainsi que le dit Pastor aeternus.

A. Delmasure. – Les catholiques et la politique. Ed. de la Colombe. 1960. 379 pages. 12 NF.

L'un des principaux obstacles à la diffusion de l'Évangile est certainement, en France, et sans doute dans tout le monde, la crainte d'une domination cléricale. L'ouvrage de M. Delmasure, qui a pour but l'instruction des chrétiens, devrait avoir pour résultat, chez les incroyants qui le liront, de mettre en question cette crainte. Ce livre en effet, en exposant la doctrine de l'Église, fait ressortir par la force des choses, le caractère spirituel de ses objectifs. La recherche du royaume de Dieu ne porte pas atteinte aux pouvoirs terrestres.

Les textes mêmes de la Hiérarchie constituent la substance même de rouvrage. C'est bien entendu un choix, car il est impossible de tout citer. Ce choix est très étendu et représente un considérable travail. Il est très significatif principalement sur le respect des personnes, condition humaine de la société, condition chrétienne aussi de la foi authentique; principalement enfin sur le respect de l'Église à l'égard des différentes formes de gouvernement. Il faut souligner surtout que ce choix n'est ni encadré, ni influencé par une théorie tendancieuse, par un parti pris conservateur ou progressiste. Rien non plus du pédantisme qu'on rencontre parfois chez des théologiens improvisés, mais un dépouillement, un oubli de soi devant l'enseignement de l'Église.

Les principes, sur la société humaine, sur la nature, l'origine, le mode de désignation de l'autorité sont clairement exposés. Mais l'ouvrage n'en demeure pas à la théorie. Il aborde ses applications parmi elles le problème de la laïcité (et du laïcisme), celui de récole, celui même des partis politiques. Il insiste sur le devoir, moral et chrétien, du civisme et met en garde contre Jes dangers parallèles d'une évasion dans

H. Holstein.

l'apolitisme et d'une politisation de la religion.

Ce n'est pas le seul livre de ce genre. C'est l'un des meilleurs que nous connais.sions, et qui rappelle finalement avec Léon XIII et Pie XII c'est bien la préoccupation majeure de l'Église que la qualité des lois dépend plus de la qualité des hommes que de la forme du pouvoir. ̃ J.-M. LE BLOND.

Jésuites de la Nouvelle-France. Textes choisis et présentés par François HoUSTANG, s. j. Coll. Christus, < 6. Textes. Desclée de Brouwer. 1961. 346 pages.

Depuis les anciennes Lettres édifiantes et curieuses, qui, au xvn* et xviii" siècles, firent connaître l'apostolat missionnaire des jésuiles en « Nouvelle France et révélèrent l'extraordinaire personnalité de ceux que nous vénérons comme les fondateurs et les martyrs de la chrétienté canadienne, bien des recueils ont mis en contact le lecteur francophone avec ces textes admirables. Récemment, le P. Rouquette avait publié, en un petit volume, les pages les plus significatives des écrits laissés par les Martyrs de la Nouvelle France (Éditions du Seuil, 1947). Le présent volume ne se contente pas de reprendre cette publication aujourd'hui épuisée. Il en élargit la base, travaillant sur les manuscrits eux-mêmes et surtout complétant les écrits des chefs de la mission, Brébeuf, Jogues, Garnier, Lallemant, par ceux d'un certain nombre de leurs collaborateurs c'est un panorama complet des missions huronnes qui nous est présenté. Mais le principe du choix, conformément à l'esprit de la collection, demeure la qualité spirituelle des écrits. Bien plus, le P. Roustang a t éliminé autant que possible les narrations officielles et anonymes, pour ne retenir que les passages où les missionnaires, dans des billets rédigés pour euxmêmes ou leur confesseur, dans des lettres adressées à leurs supérieurs sous le regard de Dieu, expriment directement leur vie la plus personnelle ». Une introduction générale s'efforce de préciser le climat spirituel de la mission; en tête de chaque section, la physionomie de chacun est évoquée, et le portrait dessiné de main de maître. On sera particulièrement reconnaissant au P. Roustang d'avoir transcrit sans coupures tous les écrits conservés de saint Isaac Jogues nous avons là un incomparable document d'autobiographie spirituelle. H. Holstein.


Henri BOUILLARD. Blondel et le Christianisme. Éditions du Seuil. 1961. 288 pages.

En cette année où l'on commémore le centenaire de la naissance du philosophe d'Aix-en-Provence, ce livre paraît particulièrement opportun. Depuis la publication de L'Action, en 1893, la pensée de Maurice Blondel n'a cessé d'être l'objet de controverses tant entre philosophes qu'entre théologiens. D'abord, pendant la période qui vit l'éclosion et la condamnation du modernisme; puis, à propos des débats sur la philosophie chrétienne et, plus tard, sur la gratuité du surnaturel et l'idée de nature pure. Enfin, tout dernièrement encore, après un essai prétendant mettre en lumière l'intellectualisme intégral de Blondel, H. Duméry invoquait sou patronage en faveur d'une Critique et d'une Philosophie de la Religion où la phénoménologie husserlienne était employée à le compléter et à le dépasser dans le sens d'un plotinisme qui en fait nous ramenait à un vague hégélianisme. Comme si Marx et Kierkegaard n'en avaient déjà fait la critique Avec la maitrise de pensée qui s'est affirmée dans ses trois volumes sur Karl Barih, le P. Bouillard fait justice de ces interprétations inexactes, tant anciennes que nouvelles, en précisant le rapport de la philosophie blondélienne au Christianisme. Décrivant d'abord la genèse de l'idée de surnaturel, il montre que ce mot désigne chez Blondel la Transcendance avant de s'appliquer à l'ordre de grâce historique. Il établit ensuite que l'option religieuse laisse subsister l'affirmation ontologique, même quand la méconnaissance du Transcendant prive l'homme de la possession de l'Être. Enfin, il analyse le caractère propre du blondélisme rapprochée de la pensée d'un saint Anselme, celle de Blondel apparaît comme un type de philosophie chrétienne, particulièrement adaptée aux besoins de notre temps; car elle n'est pas moins capable d'ouvrir à l'intelligence de la foi que de fonder rationnellement les vérités de la théologie fondamentale. Fruit d'une longue familiarité avec l'œuvré du philosophe comme avec ses meilleurs interprètes, et résultat principal

PHILOSOPHIE

de patientes recherches à travers ses notes et manuscrits inédits d'autres, plus techniques, paraîtront bientôt dans le numéro des Archives de Philosophie consacré au centenaire de M. Blondel, le livre du P. Bouil lard met finitivement au point ces questions controversées ou, du moins, s'impose désormais comme base de départ à qui voudra en reprendre l'examen. D'autant que la clarté du style et la précision de la pensée en rendent la lecture aisée et même agréable. Personnellement, j'ai été surpris et heureux d'apprendre que, parmi les sources les plus directes de l'Action, il faut compter non seulement la dialectique de saint Paul expressément invoquée dans les inédits du philosophe (cf. notamment pp. 200 et 214), mais aussi les Exercices de saint Ignace, que Blondel a pratiqués et qu'il cite implicitement à plusieurs reprises (et p. 215). A ce propos, le P. Bouillard n'a pas tort de signaler tout ce que lui doit mon analyse de leur Dialectique.

Pour marquer la place et l'importance de Maine de Biran dans la ligne de la pensée française, Lachelier n'hésitait pas à dire de lui C'est notre Kant. Volontiers, je dirais de la même manière et peut-être avec plus de raison encore Blondel, c'est notre Hegel.

G. FESSARD.

Pierre COSTABEL. Leibniz et la dynamique les texles de 1692. La Science au XVIe siècle Colloque de Royaumont 1957.

Nicolas Bourbaki. Eléments d'histoire des Mathématiques.

Coil. Histoire de la Pensée, n° 1, 2, 4. Hermann. 1960.

En dépit de son titre assez général, cette nouvelle collection est consacrée à des études d'histoire des sciences. Les numéros 1 et 2 de la collection constituent les premières publications du Centre de recherches d'Histoire des Sciences et des Techniques, récemment créé, qui dépend de l'École des Hautes Études, et que dirige M. Alexandre Koyré, assisté de M. René Taton. L'ouvrage du P. Pierre Costabel, de l'Oratoire, éclaire de façon heureuse, avec


finesse et pénétration, un des aspects les plus importants de la pensée de Leibniz. Le second volume réunit des études, dans l'ensemble intéressantes, bien que de valeur inégale, dues aux meilleurs spécialistes du xviB siècle scientifique. Quant aux Éléments d'Histoire des Mathématiques, ils sont constitués par des études, jusqu'ici dispersées dans des fascicules des Éléments de Mathématiques de l'auteur collectif bien connu, N. Bourbaki. Ces études ne sauraient aucunement constituer une histoire des mathématiques, suivie, complète et élaborée de façon tout à fait satisfaisante. Mais elles en abordent, de manière fort intelligente, les aspects majeurs. Leur principal mérite est de nous faire comprendre comment la pensée mathématique en est venue progressivement à prendre l'allure axiomatique et hautement abstraite qui la caractérise aujourd'hui. Cette perspective n'avait guère retenu jusqu'ici l'attention des historiens des mathématiques.

HISTOIRE

Mgr H. JEDIN. Brève Histoire des Conciles. Trad. A. Vidick. Dcsclée. 1960. 216 p. 8,40 NF.

B. BOTTE, H. MAROT, P. Th. CAMELOT, Y. CONGAR, H. ALIVISATOS, G. FRANSEN, P. de Vooght, J. GILL, A. DUPRONT, R. AUBERT. Le Concile et les Conciles. Contribution à l'histoire de la vie conciliaire de l'Eglise. Editions du Cerf et Editions de Chevetogne. 1960. 334 p. 21 NF.

Qu'attendons-nous du Concile ? Bruxelles, La Pensée catholique; Paris, Office général du livre. 1961. 132 p.

La Brève Histoire des Conciles est déjà, en Allemagne, bien connue, et volontiers citée. Mgr Jedin, auteur d'une imposante et magistrale histoire du Concile de Trente, a su dégager et exposer en quelques pages l'œuvre des vingt conciles œcuméniques, qui ont jalonné l'histoire de l'Église. Son livre, commode pour le théologien, est instructif pour le laïc cultivé, qui y trouvera, mieux que des renseignements épars, une vue d'ensemble. Il est à regretter que cette traduction, qui rend accessible au lecteur français ce précieux petit livre,

F. Russo.

Henri Bissonnier. Introduction à la psychopathologie pastorale. Ed. Fleurus. 1960. 142 pages.

Ce petit livre rendra service aux nombreux prêtres qui sont en contact avec des malades mentaux. Il leur fournit des fils conducteurs pour se débrouiller dans un domaine complexe, et remplir leur ministère sacerdotal auprès de sujets qui ont leur place dans l'Église. Sur la collaboration entre prêtre et médecin» sur les relations entre religion et hygiène mentale, sur la raisonnable confiance à faire aux divers traitements, et surtout sur la compréhension à l'égard du malade, l'auteur fait des remarques fort utiles.

Certes, il ne s'agit ici que d'une introduction. Elle devrait donner le goût d'une information plus précise, et d'une formation concrète au dialogue pastoral avec les malades mentaux. Telle qu'elle est, elle constitue une bonne initiation de base.

Louis BEIRNAERT.

semble avoir été hâtive outre des fautes d'impression, on y relevé des formules ou des graphies déconcertantes le symbole nicénoconstantinopolitain; aplanissement du schisme de Photius; le philosophe Raymond Lullus .1

Le Concile et les Conciles reprend les rapports présentés par des spécialistes aux journées d'études œcuméniques de Chevetogne, en 1959. Ils s'attachent ait caractère < conciliaire des Conciles, c'est-àdire à leur valeur de représentation de l'Église. D'où l'insistance des cinq premiers rapports (l'un d'eux est à un orthodoxe, M. H. S. Alivisatos) sur l'œcuménicité des huit premiers Conciles, les seuls qui réunirent effectivement l'Orient et l'Occident chrétiens. Les Conciles médiévaux, qui s'inscrivent dans un climat purement occidental, sont l'objet d'un exposé assez bret. Plus notable est l'attention accordée aux conciles de Constance et de Bâle car là se posa le problème du « conciliarisme », et du t primat du Concile sur le Pape. Une présentation brève, et qui nous laisse sur notre faim, du Concile de Florence par son historien, le P. Gill, dégage la valeur œcuménique de cette


rencontre Orient-Occident. Dans une monographie intéressante, M. A. Dupront étudie la représentation de la chrétienté (réduite à l'Europe occidentale) au Concile de Trente essai de sociologie conciliaire fort original. Enfin, avec la maîtrise qu'on lui connaît, M. le chanoine Aubert expose l'ecclésiologie du premier Concile du Vatican (dont traita, à Strasbourg, M. Chavasse cf. UEcclêsiologie au XIX' siècle, coll. Unam Sanctam, n" 34, Editions du Cerf). La conclusion du P. Congar dégage de ces exposés, qui constituent une contribution de valeur à la réflexion eccléslologlque suscitée par l'approche du prochain Concile, les conclusions œcuméniques, dans la perspective du dialogue entre les chrétiens séparés.

La brochure éditée par la Pensée catholique de Bruxelles rassemble un certain nombre d'articles consacrés au prochain Concile, et difficilement accessibles. Une enquête du P. Bourgy donne son titre, et son actualité, à ce recueil, qui transcrit, en appendice, un bel exposé d'un théologien orthodoxe, le P. Kovalevsky, et les conclusions d'une revue de la presse protestante parle P. Walty réactions de nos frères séparés à l'annonce du Concile. H. HOLSTEIN.

Engelbert Kirschbaum s. j. Les Fouilles de Saint-Pierre de Rome. Traduit de l'allemand par Ortrud Roch et Marianne Duvoism. Plon. 1960. 274 pages, 57 illustrations dans le texte et 38 illustrations hors texte. 18,50 NF.

L'original allemand de cet ouvrage a pour titre Die Gràber der Apostelfürsten (les tombes des Princes des Apôtres). Le P. Kirschbaum traite, en effet, non seulement des fouilles de Saint-Pierre, mais aussi des fouilles plus anciennes faites à Saint-Paul-hors-les-murs, après l'incendie de 1823 qui ravagea presque entièrement t l'ancienne basilique. L'auteur est un des membres de la commission qui fut chargée par Pie XII, en 1940, d'entreprendre la nouvelle campagne de fouilles sous la basilique Saint-Pierre. Il décrit la nécropole sur laquelle fut édifiée la basilique constantinienne, mais surtout il relate avec précision comment furent découvertes, avec le monument à niches et à colonnettes qui paraît bien être le ̃ trophée de Gaius, les sépultures très anciennes qui l'entourent. Au terme d'un important chapitre qui est lui-même la « critique des critiques >,

le P. Kirschbaum conclut Le trophée,' qui date du milieu du n* siècle, a été trouvé; quant à la tombe de l'apôtre qui s'y rapporte, elle n'a pas été dans le même sens trouvée >, mais démontrée, c'est-à-dire que par un enchaînement d'indices son existence a été établie, bien que les éléments matériels de cette tombe primitive ne subsistent plus. De nombreuses figures et planches hors-texte, tirées de la grande publication officielle et révisées par l'auteur, illustrent ce volume et permettent au lecteur de suivre de près les explications techniques. Parmi tous les ouvrages parus en ces dernières années sur les fouilles de Saint-Pierre, celui-ci est certainement l'un des plus autorisés.

Joseph Lecler.

Paul LEUILLIOT. -L'Alsace au début du XIX» siècle. Essais d'histoire politique, économique et religieuse (1815-1830). III. Religions et culture. Bibliothèque générale de l'École pratique des Hautes Études, VIe Section. S. E. V. P. E. N. 1960. 532 pages. 35 NF.

Nous avons déjà rendu compte (Etudes, avril 1960, pp. 128-129) des deux premiers volumes de cette imposante histoire de l'Alsace sous la Restauration. Dans ce troisième et dernier tome, consacré principalement aux problèmes religieux, nous retrouvons les qualités d'information exhaustive et de précision impeccable déjà signalées utilisant largement les documents d'archives, ne laissant dans l'ombre aucun rapport ou aucune enquête susceptible d'éclairer son travail, M. Leuilliot a rassemblé la documentation la plus étendue qu'il lui a été possible de réunir. Mais son talent d'historien sait, de cette masse de documents, faire jaillir une histoire qui se lit avec grand intérêt. La première partie du présent volume évoque la vie des divers « cultes qui se partagent l'âme alsacienne, et entretiennent, aujourd'hui comme au temps de la Restauration, des relations souvent tendues; elle offre aux historiens des églises, comme aux sociologues religieux, des informations de première importance. Mieux encore, ces chapitres reconstituent le climat de l'Alsace religieuse. Le catholicisme est dominé par trois évêques, qui se succédèrent sur le siège épiscopal de Strasbourg. L'auteur a su évoquer, à partir des documents, les figures contrastées de ces trois personnages ï Ift prince de Croy d'abord, gentilhomme d'ancien régime,


gallican et homme de cour, qui attendit trois ans son intronisation et ne résida guère, laissant à son vicaire général Lienhart, homme énergique et vigoureux, le soin de restaurer la discipline ecclésiastique. En 1823, Mgr Tharin succède au Grand-Aumônier devenu archevêque de Rouen. Il est ultramontain rigide et interdit aux professeurs de son séminaire d'enseigner les quatre articles. Épiscopat éphémère, puisque, moins de trois ans après sa nomination, Mgr Tharin devient précepteur du duc de Bordeaux. Et le vieux Mgr le Pappe de Trévern commence, à soixante-dix ans, un épiscopat qui durera jusqu'en 1842! Ce « breton têtu, gallican impénitent », peu sympathique, d'ailleurs, au clergé alsacien, aura à coeur d'instaurer en Alsace une culture théologique, et française, en même temps que de réfréner l'action des religieux, notamment des Rédemptoristes. L'épisode le plus célèbre de l'épiscopat strasbourgeois de Mgr de Trévern sera ̃ l'aJTaïre Bautain », dont M. Leuilliot n'évoque que le début, puisqu'elle se déroulera surtout après 1830. Les chapitres consacrés aux protestants, aux sectes méthodistes et illuministes, aux juifs et aux francs- maçon fourmillent, eux aussi, de détails intéressants. La seconde partie est consacrée à l'enseignement supérieur, secondaire et primaire; l'effort louable de quelques hommes de valeur est sans cesse gêné par les oppositions internes qui rythment la vie de la province opposition entre le français et l'allemand, entre le catholicisme et le protestantisme, entre les colléges ecclésiastiques et les lycées royaux. Il faut ajouter la part tenue dans les inspections et promotions par la couleur politique et le loyalisme gouvernemental des professeurs! Autant d'obstacles qui retardent la pénétration de la culture française en Alsace.

A la conclusion générale des trois tomes, s'ajoutent, au terme du présent volume, une ample bibliographie générale (137 pages de sources et de monographies imprimées), un index permettant la consultation de tout l'ouvrage et deux cartes trop chargées de noms et d'indications.

Pierre CHEVALLIER. Loménîe de Brienne et l'Ordre monastique (1766-1789). Tome II. Vrin, 1960. Gr. in-8°, 288 pages, 24 NF.

Nous avons déjà signalé l'importance de cet ouvrage qui exploite pour la première fois les 111 registres in-folio, de la collec-

H. HOLSTEIN.

tion Brienne aux Archives Nationales (cf. Études, mars 1960, p. 423). M. Chevallier continue dans le tome II l'analyse de l'oeuvre accomplie par la Commission des Réguliers, dont Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, était le rapporteur. Il étudie en détail, pour chacun des Ordres religieux, tout ce qui a trait à leurs constitutions, à leurs règles et à leur vie conventuelle. L'enquête porte sur les Bénédictins, les Chanoines réguliers et les Ordres mendiants. Jusqu'à présent aucun travail ne nous renseignait avec cette précision sur les mines matérielles, l'effondrement des effectifs et la décadence spirituelle des Ordres d'hommes. On trouve réunis dans celui-ci les témoignages en sens divers des évêques, des curés, des laïcs. des supérieurs religieux et des religieux eux-mêmes. Pour chacun des Ordres sont mentionnés également les réformes plus ou moins radicales qu'ils ont subies ou acceptées, en matière de constitutions, d'observances et de conventualité. Dans une conclusion très nuancée l'auteur s'efforce d'apprécier l'oeuvre accomplie par la Commission. Il juge équitable de ne pas noircir à l'excès les intentions de son rapporteur. L'entreprise néanmoins lui parait gravement viciée par l'esprit régalien, gallican, rationaliste, de l'époque elle a préparé et facilité, sans que ses auteurs l'aient sciemment voulu, l'oeuvre des révo- lutionnaires.

Un troisième volume exposera les vicis-

situdes des Ordres religieux dans les dernières années de l'Ancien Régime.

Joseph Lecler.

Jean LEFLON. Eugène de Mazenod. Evêque de Marseille. Fondateur des

Oblats de Marie Immaculée (1782-

1861). T. II (1814-1837). Plon, 1960.

In-8°, 668 pages. 21,58 NF.

Dans un premier volume paru en 1957,

M. Lenon a raconté l'extraordinaire vocation de cet aristocrate provençal, dont l'enfance et la jeunesse se sont écoulées dans les milieux de l'émigration (cf. Études, janvier 1958, p. 131). Ce second volume est sans doute moins pittoresque, mais il est d'un grand intérêt pour l'histoire religieuse. Sorti du séminaire Saint-Sulpice en 1812, l'abbé de Mazenod était rentré dans son pays natal, à Aix-en-Provence, avec la résolution de se dévouer exclusivement au service des pauvres et des enfants. Le noyau de la future Congrégation des Oblats de Marie Immaculée est formé par


le groupe de prêtres qu'il fonda, en 1816, pour une tâche modeste les missions de Provence, à l'image des autres missions régionales de cette époque. Les vingt années qui suivirent, et qui constituent le sujet de ce volume, ne nous font pas sortir encore du cadre provençal. Elles nous font connaître par ailleurs les répercussions sur le plan régional des événements politiques de la Restauration et de la monarchie de juillet. La difficile nomination de Fortuné de Mazenod (oncle de l'abbé de Mazenod) à l'évêché de Marseille (1822), l'approbation de la nouvelle Congrégation par Rome (1826), le drame politique que provoqua, sous Louis-Philippe, la promotion de l'abbé comme évoque in partibus d'Icosie, enfin sa nomination à l'évêché de Marseille (1837) autant d'étapes qui le mènent lentement vers ses futures réalisations apostoliques. On remarquera qu'avant d'être évêque, Eugène de Mazenod a été longtemps vicaire général de Marseille ce consortium familial de Fonde et du neveu pour le gouvernement du diocèse n'a pas été sans inconvénients, semble-t-il, pour le développement interne de la jeune communauté missionnaire. M. Leflon nous le laisse entendre sans trop insister. Joseph LECLER.

Frédéric Ozanam. – Lettres. I. Lettres de jeunesse (1819-1840) publiées avec le concours des descendants d'Ozanam par Léonce Celier, Jean-Baptiste Duroselle, Didier Ozanam. BIoud et Gay. 1960. 420 pages. C'est un jeune Ozanam bien sympathique, que nous révèlent ces lettres, collationnées et annotées par le patient travail de descendants et de membres de la société de saint Vincent de Paul. Autant qu'on l'a pu, cette correspondance est exhaustive; les moindres petits billets retrouvés sont classés à leur date nous avons le sentiment de partager la vie du jeune étudiant et professeur.

Le « bon jeune homme qui écrit si gentiment à ses parents, rend compte des moindres incidents, et des plus petites dépenses, mûrit sa personnalité durant ses années d'étudiant à Paris; il y arrive en 1831, âgé de dix-huit ans, au lendemain d'une Révolution qui l'a secoué. Romantique comme on peut l'être alors, quand on a une âme délicate, bon élève consciencieux, bon enfant d'une bonne famille lyonnaise, il a tout ce qu'il faut pour devenir soit un

moraliste sans humour, soit un Calixte affranchi par la vie parisienne. En fait, le jeune homme, au contact des milieux catholiques qu'il fréquente assidûment, acquiert une personnalité remarquable; son christianisme se virilise, sans perdre sa ferveur. n a bien encore de petites crises de scrupules, et s'accuse à sa mère de ne pas assez travailler ses examens; déjà, il est pris par cet amour évangélique des pauvres, qui sera le trait dominant de son caractère. Parallèlement, Ozanam, qui se détache peu à peu du pur succès scolaire (tout en restant un brillant candidat, comme le montre son succès à l'agrégation des lettres en 1840), cherche sa voie; l'enseignement des Facultés de lellres l'attire, et, peu à peu, supplante l'ambition d'une carrière de juriste c'est dans l'Université qu'Ozanam se sent appelé à mettre en œuvre ses talents.

A travers ces billets ou ces longues confidences, toute l'histoire, petite et grande, des années 1830-40 est évoquée, vue par un observateur fort intelligent, soucieux avant tout du Royaume de Dieu les lettres échangées avec Montalembert el Lacordaire sont d'un vif intérêt. Ces aînés aident Ozanam à comprendre chrétiennement son temps, et à y porter le témoignage de la charité.

H. HOLSTEIN.

Robert Semiou et Pierre VALS. Les Clarisses. Les pauvres dames de sainte Claire d'Assise. Éditions Pierre Horay. 1960. 174 pages. 19,50 NF.

Continuant, à l'intérieur des clôtures, leurs reportages dûment autorisés par Rome, MM. Serrou et Vals ont pénétré dans les monastères des Clarisses. Les deux premiers chapitres évoquent les origines, et l'histoire de l'Ordre des pauvres dames ̃ fondées à Assise par saint François. Puis nous passons une journée avec les Clarisses, assistant à l'office, aux repas, partageant les observances, accompagnant la moniale de la prise d'habit à la mort. De très belles photographies de Pierre Vals nous montrent, jusqu'aux récréations et au chapitre des coulpes, la vie à l'intérieur du monastère jamais de tels instantanés n'avaient livré au public, heure par heure, cette existence si mystérieuse pour le passant qui longe les grands murs du couvent, n'en avaient révélé la paix souriante.

H. HOLSTEIN.


LITTÉRATURE

Lucien GUISSARD. Ecrits en notre temps. Coll. Le Signe. Arthème Fayard. 1961. 314 pages. 13,50 NF. Rédacteur à La Croix depuis 1950, le R. P. Lucien Guissard fut chargé de la chronique économique et sociale avant d'assurer la direction de la page littéraire. Cette double formation explique le point de vue très spécial qui est le sien dans son livre de critique. Car ce qui l'intéresse chez les écrivains, c'est, en sociologue et en apôtre, leur influence sociale, c'est-à-dire le retentissement de leurs idées, bonnes ou mauvaises (le plus souvent bonnes et mauvaises), sur le monde des lecteurs.

Se dégageant d'une actualité trop éphémère, le P. Guissard ne retient ici que des écrivains dont l'influence, précisément, est indiscutable. Je ne puis mieux faire que de les énumérer Saint-Exupéry, Simone Weil, Ramuz, Claudel, Jules Roy, Aragon, Malraux, Camus, Mauriac. A chacun d'eux l'auteur consacre une étude substantielle et nourrie de citations. Les lecteurs du chroniqueur littéraire de La Croix retrouveront dans ce livre son jugement ferme et nuancé, son honnêteté, sa charité. Et l'on constate une fois de plus que, loin de limiter notre vue, l'éclairage chrétien l'étend et l'approfondit.

C'est à ce livre, comme chacun sait, qu'a été attribué le Grand Prix catholique de littérature pour 1961. Nous nous en réjouissous et nous félicitons cordialement le P. Guissard.

Claude NICOLET et Alain MICHEL. –Cicéron. Collection Ecrivains de foujours. 52. Édition du Seuil, 1961. 100 pages. 4,50 NF.

Qui s'intéresse encore à Cicéron? Et que peut-on encore trouver à dire de nouveau sur l'auteur des Catilinaires »? Que les sceptiques ouvrent ce petit volume. Peutêtre seront-ils étonnés de constater que, pour être honnêtes, il leur faut définitivement dépasser les images éculées et les sourires entendus, seules épaves d'une culture latine » reçue au lycée ou au collège. Ce livre intelligent fera découvrir quels

André BLANCHET.

problèmes essentiels de civilisation, ds développement de la conscience politique, de culture littéraire ou morale pose ou propose la fréquentation de Cicéron et de ses oeuvres. Bien au fait des récentes études cîcéroniennes, ce court essai constituera une initiation idéale, vivante et sûre, accompagnée de quelques textes traduits très bien choisis. L'illustration elle-même est excellente; on regrettera seulement que le moderne escalier montant à la Place du Capitole (donc tourné vers l'ancien Champ de Marsl) soit présenté comme celui du fameux Ils ont vécu »; et pourquoi une photographie du Portique des Df Consentes, bien postérieur à Cicéron?

A. Lauras.

Bernard DORT. Lecture de Brecht. Coll. Pierres vives. Edit. du Seuil, 1960. 220 pages, 8,50 NF.

« Écrire sur Brecht, aujourd'hui, tient de la gageure. Cette protestation qui ouvre l'essai de B. Dort a le mérite de souligner que l'auteur a pleinement conscience des nombreuses difficultés auxquelles se heurte tout essai sur Brecht. La moindre n'est certes pas la passion que mettent les uns et les autres à prôner, défendre ou attaquer le dramaturge allemand, son œuvre et sa technique théâtrale. Il en est une autre, qui n'est point dite ici. et pour cause tout au plus rappelle-t-on que le théâtre de Brecht est le contraire d'un théâtre dans un fauteuil t à la vérité l'œuvre du pauvre B. B. » n'est pas faite pour être lue, mais pour être vue. Or l'essentiel de ce livre est fait des réflexions, intelligentes et intéressantes du reste, que suggère à B. Dort la « lecture de Brecht ». On y trouvera donc d'excellentes analyses et des œuvres en particulier et du dessin capricieux de l'œuvre en général et de son évolution. Peu de choses, par contre, sur le fameux Verfremdungseffekt (faut-il s'en plaindre? on a déjà tant écrit sur cet ABC du petit brechtien à la page!), ni surtout sur les représentations des pièces par Hélène Weigel et le Berliner Ensemble, par le T. N. P. ou par la Comédie de Saint-Étienne.


N'est-ce pourtant là, dans ces interprétations diverses, que git l'essentiel de Brecht? Une bibliographie (allemande et française) assez complète achève cet exposé qui ne laissera jamais indifférent et aidera, de toutes manières, à une meilleure intelligence de Brecht, dramaturge et poète. A. LAURAS.

DussANE. La Comédie Française. Hachette. 1960. 96 pages. 8 NF.

Tout commence avec Molière et la lettre de cachet du 21 octobre 1680 qui scellait la fusion de sa troupe avec la troupe de l'Hôtel de Bourgogne. Alors se succèdent les dates fastueuses, apparaissent les noms des Comédiennes et des Comédiens qui illustrèrent cette Maison qui resta toujours à travers ses migrations et ses vicissitudes la Maison de Molière. Nul ne pouvait mieux nous raconter cette pittoresque histoire que Dussane elle n'ignore rien ni de la scène, ni des coulisses de la Salle Richelieu. Le livre est imagé avec beaucoup de goût; mais un tel album requérait que l'on apportât aux reproductions couleurs un soin plus égal.

Jacques TRUCHET, Professeur à la Faculté des Lettres de Nancy. La prédication de Bossuet. Étude des thèmes. Éditions du Cerf. 1960. Deux volumes. 720 pages. 29,70 NF.

Bossuet a été fort négligé depuis la fin du xixe siècle. A quoi peut-être a contribué certaine page célèbre de Paul Valéry Bossuet ne nous retiendrait plus que par la beauté de sa phrase, sa pensée s'étant éloignée au point de n'éveiller plus en nous le moindre intérêt.

A ce paradoxe d'esthète, la présente thèse, venant après celle de M. le chanoine Martimort, inflige un démenti de poids, puisque c'est justement le contenu de la prédication de Bossuet qu'analyse M. Jacques Truchet. Thèmes généraux et particuliers, adaptation aux différents auditoires, prises de position théologiques dans les controverses du temps c'est tout cela qui est étudié ici avec une savante précision, mais aussi avec un robuste bon sens. Pareil travail n'avait jamais été tenté, et ses conclusions ne risquent guère d'être contestées. Des tables bien faites permettent de suivre, d'un sermon à l'autre, l'exploitation d'une même idée elles seront utiles aux historiens de la théologie et aux prédicateurs.

A. RAVIER.

André BLANCHET.

Jean LAPLACE, s. j. Culture et apostolat. Éditions Fleurus, 1961. 176 p. 7,20 NF.

Le titre semble annoncer une dissertation théologique. En fait, appuyés sur une réflexion personnelle et une grande expérience, ce sont des conseils aux prêtres qui nous sont livrés, dans la confiante spontanéité de conférences de retraites. A ce titre, et bien que, par ailleurs, le sens de l'humain christianisé qui s'en dégage soit à tous précieux, il est un peu dommage que ces examens de conscience soient livrés au grand public. A force d'entendre détailler les défauts de nos prêtres, disait une mère de famille, nous finirons par perdre toute confiance en eux. Ceci dit, ces conférences sont remarquables d'équilibre, de finesse, de discernement des situations. Et nous souhaitons que tous leurs destinataires les lisent et les relisent. Non pour y trouver matière à augmenter leur mauvaise conscience ou à compliquer leurs complexes, mais pour chercher sereinement comment développer cette culture qu'exige leur propre équilibre et leur apostolat.

H. HOLSTEIN.

Albert FLORY. Les Bras vers l'Etreinte. Poèmes. Editions du Dauphin. 1960. 118 pages.

A ceux qui de temps à autre veulent respirer intérieurement et retrouver la juste cadence de l'âme, à ceux qui ont besoin d'une incitation au silence et à la contemplation, comme d'autres usent d'excitants pour recharger leurs forces, nous voudrions recommander le recueil d'Albert Flory. Ce poète sensible et pur, d'un classicisme impeccable, est un maître de la pièce brève. Ses fragiles esquifs, aux voiles gonflées de tendresse, voguent sur des océans de rêve et de mélancolie. Les bras vers l'étreinte figurent d'abord l'élan juvénile, mais en fin de compte décevant, vers l'Eurydice fugitive, et, au soir de la vie, le Corps attaché à la Croix. Kntre les chansons et les prières, Albert Flory a intercalé ses poèmes de guerre la Grande Guerre de 14! le dur mitan, les vers qu'on griffonne au fond de la tranchée, les derniers peut-être, et qu'on entrepose dans la musette. L'éloge du petit livre n'est pas déplacé dans le voisinage de cette évocation c'est une fronde de David, ses cailloux sont lisses et polis par l'eau du torrent, elle vise au cœur et frappe en pleine cible.

Xavier Tilliette.


ROMANS

Luc ESTANG. Le bonheur et le salut. Roman. Éditions du Seuil. 1961. 282 pages, 9.60 NF.

Mené avec adresse, nourri de vocables drus, pulpeux, « trouvés habité par un personnage à ta conscience ouverte comme une plaie, ce roman pourrait bien être, littérairement, le meilleur de tous ceux que nous devons à Luc Estang. Ceci dit, je dois préciser trop rapidement et donc trop brutalement en quoi il me gêne.

Chrétien de stricte pratique, bon père, mari irréprochable, Octave Coltenceau est las d'une vie qui s'écoule, terne et morose, dans une étude de notaire, et d'une vertu sans joie, sèche et dure comme le devoir. Faire son salut? Sans doute. Mais pourquoi Dieu séparerait-il du salut le bonheur? n abandonne sa famille pour vivre avec une jeune femme. Côte d'Azur. Mer et soleil à discrétion. Amour fou. Et bonheur en fini Mais son passé le rattrape, bouge en lui, le taraude. Son bonheur est péché! Notion à laquelle sa complice n'entend rien. Il se sent seul. N'y tient plus. A la fin du livre, nous le voyons rôder piteusement autour de son foyer. Soyons-en sûrs il remettra lui-même sa tête sous le joug. Et l'impression est celle d'une défaite, peut-être même d'une lâcheté à son confort intérieur, au besoin de sécurité ( car c'est cela, pour lui, le ̃ salut ̃), il sacrifie la femme qui l'aime (et qui se tue: à elle la palme!); il renonce à l'amour, au bonheur, à une vie décrite comme généreuse, prodigue, splendide. C'est un vaincu. Repentant (ce qui supposerait l'amour de Dieu)? Mais non. Si le prisonnier réintègre, tête basse, sa prison, c'est qu'il a la foi, sans doute. Mais quelle foi? Il est surtout repris par de vieux réflexes d'enfance, par les ̃ stigmates qui lui restent d'une éducation étroitement formaliste, à base de peur, non d'amour. Description poignante (Luc Estang est décidément un tourmenté), mais cent fois faite déjà, et dont nous sommes un peu fatigués. J'entends bien l'auteur se désolidarise de son personnage. Si, romancier, il fait corps avec lui, chrétien il s'en arrache. Mais pour que cette intention soit sensible au lecteur, il eût fallu que le christianisme authentiquement vécu fût représenté, lui

aussi (comme il l'est chez Péguy et Bernanos, par exemple), et se chargeât de dénoncer, par contraste, un christianisme caricatural. Un prêtre malade et aux trop vagues propos, une épouse effacée, ne font pas équilibre. La lumière manque, qui eût localisé. accusé l'ombre. Au lieu de cela, grisaille partout. Tableau vrai? Sans aucun doute, mais d'une vérité tronquée. Finalement déformante. Et déprimante.

Suis-je trop sévère? Associé à la Passion du Christ par sa passion coupable mais douloureuse, peut-être Octave Coltenceau va-t-il s'éveiller à l'Amour véritable? On nous le laisse vaguement espérer. Pourquoi Luc Estang n'écrirait-il pas cette suite ̃? Combien, déjà, le grand romancier qu'il est a su nous attacher, par des liens de pitié, à ce personnage créé avec sa chair et avec son sang, avec sa charité aussi. André BLANCHET.

Jean d'IzIEu. .Signé Catherine. Coll. Rubans Noirs. Jaquette et illustrations de Pierre Joubert. Alsatia. 1960. 239 pages.

Il n'est pas question de nier le ton sympathique, ni le sens moral de cette nouvelle histoire de « tricheurs ». Mais, outre la lassitude qu'engendre fe sujet, décidément inépuisable, un problème délicat se pose dans l'intérêt même de cette jeunesse dont on nous dit assez que nous sommes responsables est-il sage d'en sonder avec un tel acharnement les reins et les cœurs? l' Pourquoi ne pas la laisser grandir en paix à l'abri des caméras indiscrètes? D'ailleurs la peinture de l'adolescence se trouve toujours en-deçà ou au-delà de la vérité, trop sévère ou trop candide, jamais tout à fait juste. Cette difficulté même semble aiguillonner les auteurs trop compréhensifs. Ils ne s'aperçoivent pas du glissement insidieux de leurs meilleures intentions vers une complicité Indulgente, aux plus funestes effets. Rien ne paraît plus, à personne, dépravé ni choquant. Les meilleurs même risquent d'en ressentir le trouble. Ainsi Jean d'Izieu qui n'a pas aimé écrire ce livre on a presque envie d'en douter. qui, par devoir, brosse des portraits authentiques se fait peut-être quelques


illusions sur sa force de conviction, comme sur « l'espérance qu'il voudrait ̃ réveiller ». Nous devinons bien que, par ses lettres, la mystérieuse infirme Catherine aidera François à retrouver le droit chemin, le rejettera dans les bras de l'autre Catherine, dont l'amour déçu s'était un peu brûlé les ailes; que, las de ̃ soutenir une réputation de grossièreté », de se sentir vide comme les poubelles du petit jour il se laissera peu à peu entamer, par le noble idéal de son petit frère scout, qu'il visitera un enfant martyr, qu'il nettoiera les logis insalubres. Nous aurions parié aussi qu'il faudrait faire la part du feu, abandonner les plus veules à leur animalité et Ghislaine à son triste sort, devant les ruines de sa pureté. Qu'Olivier se rachèterait sous l'uniforme. Et que Bernard, séduit un moment par le marxisme, en percevrait bientôt l'hypocrisie ».

Colonel R. MALCOR. Mais oui, des héros La Colombe. 1961. 143 pages 8,50 NF.

Décidément, le colonel Malcor est infatigable. Après les émouvantes biographies consacrées à ses parents, et la publication de carnets de route qui sont le souvenir vivant d'années dures et glorieuses, voici une brassée de courtes nouvelles, qui, la plupart, évoquent la guerre 1914-18. Un mot, un trait, une silhouette; en quelques paragraphes, ramassés, drus, sans un mot de trop, le flash nous livre son message, qui est de noblesse et de générosité. Ces cavaliers, trop souvent snobs en temps de paix, la guerre en a fait, mieux que des combattants, des hommes vrais et simples dans l'héroïsme. Il était Juste que ces choses soient racontées; il faut louer le colonel Malcor d'avoir mis au service de son amitié fidèle le talent littéraire que révèlent ces pages, enlevées comme au galop, et qui nous plaisent par leur refus de la grandiloquence.

Robert EvEN. Le jeune homme et la nuit. Coll. Alternance. Éditions du Scorpion. 1961. 190 pages.

Faut-il voir dans ce récit l'écho d'une expérience, le souvenir vivant d'une nuit qui ne se peut oublier? Il est, en tout cas, marqué d'une sincérité qui le rend sympathique, en dépit d'une certaine maladresse littéraire, et d'un abus du monologue intérieur. curant la campagne d'Italie, dans

Madeleine de CALAN.

H. HOLSTEIN.

la région de Cassino, Français et Allemands se font face. accrochés aux montagnes. Il importe au commandement français de savoir ce qui se passe entre les lignes, dans un village apparemment abandonné. Pour faire partie de la patrouille de reconnaissance, on désigne, en raison de sa connaissance de l'allemand (il est lorrain), un jeune soldat. Cette nuit tragique, oii il frôle la mort, et dont il revient, comme par miracle, ramenant un prisonnier aussi jeune que lui, représente pour le jeune homme une expérience singulière de souffrance et de joie. Comme un accès à la maturité, dans une acceptation qui lui permet de dépasser l'horreur de la guerre. L'analyse un peu trop minutieuse de cette expérience spirituelle occupe tout le livre. Peu de récits de guerre nous ont donné pareille impression de candeur et de fraîcheur, dans le climat sinistre et la brutalité des propos de la guerre implacable, où le devoir de l'homme est de tuer l'adversaire et d'attendre à chaque instant d'être tué.

H. HOLSTEIN.

Grand Larousse encyclopédique. Tome III. Chez-Desé. Librairie Larousse. 1961. 960 pages + xv pages de bibliographie. 2831 illustrations. 83 cartes en noir, 34 pages en couleurs dont 6 hors-texte cartographiques.

Nous avons déjà rendu compte des deux premiers volumes de ce nouveau Larousse. La régularité de sa publication mérite des félicitations, et aussi le souci d'une information objective, sur tous sujets.. Illustrations nombreuses, comme dans les volumes précédents, mais parfois assez banales; par contre, les planches hors-texte sont d'une belle tenue; les cartes géographiques sont un peu chargées, et, d'une manière générale, le souci de faire tenir le maximum de renseignements tend à comprimer les pages. Au plan religieux, signalons l'excellent article Christianisme de Jean Guitton et les articles historiques (Cluny, Citeaux) et théologiques (confession, confirmation, communion) du chanoine Jarry; il nous plaît de remarquer que l'article colonisation (économie politique) a été confié à notre ami J. Folliet, et que l'article Chine, véritable encyclopédie de 25 pages (avec de beaux hors-textes), fait discrète mention de la persécution infligée à l'Église catholique. Les sujets modernes » (par ex. cinéma, circulation) sont l'objet d'intéressantes et riches monographies.

H. H.


A UTRES LI VRES REÇ US PAR LA REVUE

Questions religieuses. Connaftre la Bible. Desclée de Brouwer Josué. Introduction et commentaires par un groupe de Chevilly, sous la direction du R. P. Fourmond. Texte français de J. Steinmann. 148 pages, 6,90 NF. Daniel. Texte français, introduction et commentaires par J. Steinmann, 160 pages. 6,90 NF.

Job. Texte français, introduction et commentaire par Jean Steinmann. 154 pages, 6,90 NF.

Les Epitres de saint Paul. Traduction du chanoine Osty. Editions Siloë. 312 pages.

A. RENOU et C. FRANCHET. David. Coll. La oie aux pays bibliques. Editions de l'Ecole. 215 pages.

Romano GUARDINI. Psaumes et fêtes. Traduction de M. Ce. Editions du Cerf. 280 pages. 6,90 NF.

L. J. Rondeleux. Isaïe et le prophétisme. Coll. Maitres spirituels. Editions du Seuil. 188 pages.

Mgr Fulton J. SHEEN. La vie de Jésus. Traduit de l'américain par M. Giraud, p. s. s. Marne. 668 pages, 16,97 NF.

Dom Paul BENOIT d'Azy, o. s. b. Une journée avec le Maître, tome III. Coll. La religieuse dans l'Eglise. Editions Fleurus. 378 pages, 10,95 NF.

M. PONCELET, r. s. c. j. Le mystère du sang et de l'eau dans l'Evangile de saint Jean. Préface du R. P. PaulMarie de la Croix, o. c. d. Editions du Cerf. 179 pages.

Jean ISAAC, o. p. Aux sources de la charité fraternelle. Coll. Lumière de la (oi. Editions du Cerf. 120 pages 5,10 NF.

L. J. Callens, o. p. Le mystère de notre intimité avec Dieu. 2 vol. Coll. Sources de spiritualilé. Editions Alsatia. 69 + 79 pages, 7,20 NF.

Dom Georges LEFEBVRE, o. s. b. L'unique source de vie. La grâce de la prière. Troisième édition augmentée. Desclée de Brouwer. 188 et 164 pages.

Retraite avec dom Delatte. Textes recueillis et présentés par un moine de Solesmes. Marne. 93 pages. L. Laberthonniere. prêtre de l'Oratoire. Les fruits de l'Esprit. Instructions pour une retraite, présentées par M. M. d'Hendecourt. Aubier. 202 pages, 7,80 NF.

Communautés sacerdotales de SaintSéverin de Paris et Saint-Joseph de Nice. Le renouveau liturgique. Coll. Je sais-je crois, 110. A Fayard. 135 pages, 4 NF.

Francis X. WEISER. Fêtes et coutumes chrétiennes. De la liturgie au folklore. Sélection Mame, 32. 260 pages, 8,95 NF.

Joseph THOMAS, s. j. L'apostolat du militant d'Action catholique. Coll. Théologie, pastorale et spiritualité. Série Documents, 2. Lethielleux. 16 pages, 0,75 NF.

François CHARMOT, s. j. L'autorité selon l'esprit. Réflexions sur le gouvernement des communautés religieuses. Toulouse, Apostolat de la prière. 160 pages, 6,50 NF.

Donum Dei. Cahiers de la Conférence religieuse canadienne, 1 rue Stewart, Ottawa, 2 (Canada); 1. Sainteté religieuse et vie apostolique; 2. Pauvreté religieuse et exigences contemporaines 3. Obéissance religieuse et exercice de l'autorité.

L. Volken. Les révélations dans l'Eglise. Mulhouse, Edition Salvator. 352 pages, 9,50 NF.

Henri SANSON, s. j. Pratique des sacrements. X. Mappus. 216 pages, 7,95 NF.

Manuel du catéchisme biblique. Tome III La vie selon les commandements de Dieu. Première partie leçons 91 à 113. Traduit de l'allemand par M. Ce. Editions du Cerf. 460 pages, 15 NF.

Chanoine M. GARAIL. La famille et la paroisse. Cahiers de pastorale familiale. Les perspectives d'une pastorale moderne. Association du mariage chétien. 170 pages, 4,50 NF. Louis de NAUROIS. Quand l'Eglise juge et condamne. Coll. Questions posées aux catholiques. Privât. 112 pages.

Corrado Paiaenberg. Les secrets du Vatican. Traduit de l'anglais par Yves Bonnemère. Buchet-Chastel. 332 pages.

Pourquoi je me suis fait prêtre. Témoignages recueillis par Jorge et Ramon Maria San Vila. Tournai, Editions du centre diocésain de documentations. 412 pages.

Robert HERRMANN. La charité de l'Eglise, de ses origines à nos jours Coll. Charité vivante. Mulhouse, Edition Salvator. 200 pages, 8 NF.


Histoire et biographies.'

Thomas Ohm. Les principaux faits de l'histoire des missions. Coll. Eglise vivante. Casterman. 164 pages, 8,50 NF.

Paul BERTRAND de LA Grassière. L'Ordre militaire et hospitalier de saint Lazare de Jérusalem. Préface du duc de Brissac. J. Peyronnet. 185 pages, 9,50 NF.

Léon POLIAKOV. Histoire de l'antisémitisme. De Mahomet aux Marannes. Coll. Liberté de l'esprit. CalmannLévy. 374 pages, 16,90 NF.

Bourrienne. Bonaparte intime. Hachette 285 pages, 10,80 NF.

Jean-Paul GARNIER. Le dernier roi de Naples. Fayard. 264 pages, 12 NF. Théophile GAUTIER. Voyage en Russie. Hachette. 262 pages, 18 NF. François CHARMOT, s. j.- Dans la lumière de la Trinité. Spiritualité de la bienheureuse Julie Billiart, fondatrice des sœurs de Notre-Dame. Desclée de Brouwer. 212 pages, 120 francs belges.

Y. BRUNEL. -La mère de Louis XVI. Marie Josèphe de Saxe, dauphine de France. Coll. Figures méconnues. Beauchesne. 180 pages, 9,90 NF.

Maria Winowska. Frère Albert ou la face aux outrages. Nouvelle édition révisée. Editions Saint Paul. 308 pages.

Louis VAN DEN BosscHE. Le message de soeur Marie de Saint Pierre. Carmel de Tours. 308 pages. Jean Soulairot (1892-1959). Témoignages, hommages, inédits. Editions franciscaines. 105 pages.

Littérature.

E. Bouvier et P. JOURDA. Guide de l'étudiant en littérature française. Quatrième édition 1960. P. U. F. 206 pages, 7 NF.

René GEORGIN. Les secrets du style. Un inventaire précis des moyens d'expression. Editions sociales françaises. 242 pages.

A. MARTINET. Eléments de linguistique générale. Coll. Colin, n" 349. 222 pages.

Etienne LE GAL. Le parler vivant au XXe siècle. L'usage en face de la règle. Denoël. 176 pages. 5 NF. Jacques CHARPENTIER. Remarques sur la parole. Deuxième édition. Pichon et Durand-Auzias. 114 pages.

Pierre Guiraud. Locutions françaises. Coll. Que sais-je? P. U. F. 109 pages, 2,20 NF.

Paul PORTEAU. Deux études de sémantique française. Université de Grenoble. P. U. F. 88 pages, 12,50 NF.

Madame de la FAYETTE. La princesse de Glèves. La princesse de Montpensier. Texte établi et présenté par Gilbert Sigaux. Coll. Bibliothèque de Clany. A. Colin. 204 pages.

Martin du Gard. présenté par Jacques Brenner. La bibliothèque idéale. Gallimard. 227 pages, 8,50 NF.

Georges May. Rousseau par luimême. Coll. Ecrivains de toujours. Edit. du Seuil. 189 pages.

Clément Borgal. Baudelaire. Coll. Classiques du XIXE siècle. Editions universitaires. 133 pages.

Anne-Marie MONNET. Katherine Mansfield. Coll. Suite pour Isabelle. Les éditions du temps. 172 pages, 5,40 NF.

Marie-Jeanne DURRY. L'univers de Giraudoux. Mercure de France. 57 pages, 4,50 NF.

Emile HENRIOT. Courrier littéraire xvnie siècle. Nouvelle édition augmen tée. Albin Michel. 400 pages, 15 NF. Georges BERNANOS. Français, si vous saviez (1945-1948). Introduction d'André Rousseaux. Gallimard. 372 pages, 13 NF.

Anthologie de la poésie occitane, par André Berry. Stock. 318 pages. Prier Dieu avec les poètes; Poèmes catholiques d'aujourd'hui présentés par Louis CHAIGNE. Coll. Ecclesia. A. Fayard. 268 pages, 12 NF.

Max Jacob. Derniers poèmes en vers et en prose. Nouvelle édition revue et augmentée. Gallimard. 215 pages, 8,50 NF.

Paul CLAUDEL. L'Orestie d'Eschyle Agamemnon, les Choéphores, les Euméni'les. Gallimard. 249 pages, 8,50 NF.

Pierre EriENNE. L'avant-saison. Poèmes. Editions de Taizé.

Géographie.

Henry Peyret. L'U. R. S. S. Coll. Le monde a changé. P. U. F. 244 pages, 18 NF.

André PIERRE. Les femmes en Union soviétique. Spes. 314 pages 12,75 NF.


Cherchant à l'orgue toujours plus de couleurs, Marie-Claire Alain, véritable organiste fauve, vient d'enregistrer deux disques très séduisants Intégrale des Sonates pour orgue de J.-S. Bach, ERATO, LDE-3.140/41 (2 x 30); en stéréo. STE50.030/31. On y retrouve ses qualités de jeu habituelles parfaite et rigoureuse indépendance des mains et des pieds qui lui donne une souveraine maîtrise alliance d'une grande rigueur rythmique à un dynamisme vigoureux. Mais ces deux dernières cires apportent au nouveau. La technique d'enregistrement d'abord elle est presque parfaite par la qualité de la présence ». Et puis, Marie-Claire Alain, comme si elle était insatisfaite de ses orgues de Saint-Merry, pourtant déjà hautes en couleurs, est allée au Danemark demander à l'organier Marcussen' l'appoint de sonorités dont le Nord semble avoir gardé le secret. Les registres des jeux de fond tirés, nous reconnaissons aisément la sonorité de ces tuyaux, mais relevée d'un rien d'agressivité qui signe eur origine; les jeux de mixtures sonnent plus lumineux; mais les plus étonnants sont les jeux d'anches. De cette palette Marie-Claire Alain se sert avec un art consommé de la registration; témoin, celle plaisante du choral Wo soll ich fïiehen hin, B.W.V. 646 la place du 4-pieds tiré la pédale pour le choral est laissée en creux aux autres sommiers où les deux mains dialoguent leur invention. Mais rien ne peut décrire tant d'art, et il faut écouter soi-même ces deux disques. En couplage Six chorals transcrits de la collection Schubler du même Bach. Inutile de redire notre admiration pour l'Interprétation de Marie-Claire Alain. André Marchai nous donne une autre version, fort différente, de la même œuvre Grandes pièces pour orgues (Passacaille et fugue en ut mineur, Pastorale en fa majeur, Six chorals transcrits, Prélude et fugue en la majeur), ERATO, LDE-3.028 (30). Marchai semble avoir livré toute son âme

DISQUES RELIGIEUX

MUSIQUE RELIGIEUSE

dans l'interprétation de Meine Seele erheb den Herrn, B. W. V. 648, qui devient sous ses mains intensément douloureux, en même temps qu'apaisé et serein. Mais dans les autres pièces de ce disque, Marchai nous restitue un Bach un peu trop solennel et majestueux.

Les Pièces Inédites pour orgue de J.-S. Bach, ERATO, LDE-3.092 (30) ou en stéréo STE-50.018, enregistrées par Marie-Claire Alain sur les orgues de Saint-Merry sont quelque peu décevantes parla qualité technique de l'enregistrement; mais le jeu de l'organiste est toujours à la hauteur. Le disque Pièces pour orgue, de J.-S. Bach, ERATO, DP-32-1 (30) mérite d'être rappelé à cette occasion parmi les gravures dues à Marie-Claire Alain. Malgré son âge (1953), il reste fort beau; l'interprétation, très fière, du Concerto en la mineur en particulier, n'a rien perdu de sa puissance, et il a acquis une certaine valeur historique puisque c'est le premier enregistrement de Marie-Claire Alain.

Dans Chorals pour le temps de la Passion de J.-S. Bach, ERATO, LDE-3.100 (30) ou stéréo STE-50.012, nous trouvons, toujours de Marie-Claire Alain, une interprétation de sept chorals de YOrgetbûchlein. Ce disque nous dessine peut-être les limites du grand art de notre organiste. Sa personnalité si vivement expansive dans le registre de la jubilation, fortement présente encore lorsqu'il s'agit de dire la paix sereine nous la cherchons en vain à l'heure il faut traduire la souffrance.

Le génial Cantor de Saint-Thomas a raconté en six cantates, chacune formant une totalité en elle-même, les événements qui ont marqué la naissance de notre Sauveux Oratorio de Noilt de J.-S. Bach. Nous ne saurions détailler ici le contenu de l'oeuvre; de plus, le contact personnel avec ces cantates ne présentera aucune difficulté pour tout ami de musique contemplative. Il s'agit ici, en effet, d'une musique et d'un langage musical qui élèvent à la fois le


cœur et l'esprit. LA VOIX DE SON MAITRE vient d'éditer la version de Kurt Thomas, au pupitre des chœurs de Saint-Thomas et de l'orchestre du Gewandhaus de Leipzig FALP, 673/74/75/76 (4 x 30, face vierge). Elle ne se recommande guère par la vivacité de l'allure, ni par des qualités exceptionnelles chez les chœurs. Mais les quatre solistes comblent toutes nos espérances c'est une fête même pour les plus exigeants.

Tous les grands Requiem de la littérature musicale ont leur histoire, et cette de la Messe de Verdi ne manque pas de pathétique. En 1873 mourut A. Manzoni, l'auteur de 1 promessi sposi. Sa mort émut aux larmes Verdi, par ailleurs très maître de lui; il se sentait attaché à ce prince des poètes par les liens d'un même idéal patriotique de liberté. Quelques jours après l'enterrement, il fit un pèlerinage au tombeau de Manzoni, où il resta longtemps plongé dans la méditation. De retour chez lui il se mit aussitôt au travail il s'agissait de son immortel Requiem qui devait être à la fois un monument à l'ami et maître défunt, et pour Verdi (ui-même l'expression de son incommensurable douleur. Au premier anniversaire de la mort de Manzoni, l'œuvre vit le jour dans la cathédrale Saint-Marc à Venise; Verdi lui-même était au pupitre. Depuis, l'œuvre n'a cessé de parcourir sa carrière triomphale dans les salles de concert de l'Europe. PHILIPS nous en présente une version sous la direction de Paul Van Kempen, à la tête des ebaurs et de l'orchestre de l'Açcademia Nazionale di Santa Cecilia di Roma A-00.284/85 (2 X 30). Le quatuor vocal est de tout premier ordre Brouwenstijn, sop, Ilosvay, alto Munteanu. lén.; Czerwenka, hasse. Et le chœur fait preuve d'une puissance d'expression rare, jointe à une parfaite maîtrise des contrastes dynamiques. Malheureusement. tout ce potentiel vocal reste pratiquement inexploité sous la direction de Van Kempen. On ne saurait Justifier une interprétation qui renonce ainsi à toute espèce d'italianità. L'art de Verdi exige une gamme formidable d'expressivité. Or. ici, on aurait presque l'impression que le chef a trouvé insupportable toute alliance de l'effet théâtral et du sacré, comme si a sobriété nordique fournissait, dans le domaine religieux, la mesure de tout art véritablement sacré. Nous concédons volontiers que ce manque de contrastes et de relief doit être attribué pour une grande part aux techniciens. Ils ont placé leurs appareils de prise de son

dans un tel lointain que toute différenciation devait infailliblement se perdre en route.

Le Requiem de Brahms (composé, non d'après les textes de la liturgie des morts, mais sur une libre compilation de passages tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament), lui aussi, a son histoire c'est celle d'un double amour l'amour de Brahms pour son ami défunt, Robert Schumann, et pour sa mère. On comprend dès lors pourquoi les textes ont été choisis pour exprimer, de la manière la plus insistante, la foi et l'espérance en la réunion au ciel de tous ceux qui se sont aimés dans le monde. Brahms revêt le message évangélique d'une douceur résonnante et d'une merveilleuse mélancolie. Nous avons sous la main la version de Helmut Koch dirigeant les solistes, le chœur et l'orchestre de RadioBerlin LE CHANT DU MONDE, LDX-S8.250 /51 (2 x 30), et nous l'avons écoutée avec une ardente sympathie. Le choeur nous a émus profondément par sa présence saisissante et la manière dont il s'est engagé dans la musique. Sa luxuriance sonore n'a nui en rien à la transparence générale. L'interprétation de Koch soulignerait plutôt le côté grave et sérieux de l'œuvre; ainsi la grande qualité de cette version mais aussi sa limite c'est d'avoir brossé une fresque grandiose et monumentale, quelque peu statique. En présence du baryton, qui chante sa partition avec sobriété et sans défaillance, nous n'avons pu nous empêcher de faire une omparaison avec Fischer-Dieskau, moins éloigné et impersonnel (version VOIX DE SON MAITRE). Par contre l'orgue de C. Ebers nous a ravi par sa chaleur et l'éclat très pur de sa sonorité.

Francis Poulenc a composé les Litanies à la Vierge Noire comme une œuvre de circonstance. un disque de PATHË DTX-247 (30) nous les présente, en couplage avec la Messe Basse et le T'antum Ergo de Gabriel Fauré. Six chants populaires hongrois de Bêla Bartok et le Cantique de Pâques d'Arthur Honegger. Les Lilanies de Poulenc font monter un grand élan de prière ardente vers la Vierge de Rocamadour pour lui dire le retour du compositeur à la foi. La maitrise d'enfants et l'orchestre national de la R.T.F. (dir. Jouineau; orgue: Roget) traduisent admirablement cette démarche la pureté des timbres, la justesse et la sobriété de l'interprétation nnns nnt enchanté.

Hugo Distler, mort en 1942. occupe en


Allemagne une place incontestée parmi les compositeurs modernes de musique vocale. JERICHO JM-2 (25) nous fait connaître sa Danse des Morts, opus 12 n°. 2, dirigée par Marcel Corneloup à la tête de la Psalette du Maroc, avec le concours de nombreux acteurs. Il s'agit d'une suite de dialogues entre la Mort et l'Homme, dia-

R. Père Lucien Deiss. Psaumes, volumes II et IV, chantés par la Schola du Grand Scolasticat des Pères du Saint-Esprit de Chevilly, avec la participation féminine de la chorale Elisabeth Brasseur. Dir. R. P. Deiss; orgue Marie-Claire Alain. Erato, LDE-1.029 et 1033 (2 X 17).

Nouveaux Psaumes. Mêmes exécutants. Erato, LDEV-3.115 (30).

Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Mêmes exécutants. Studio S.-M., SM-33.78 (30).

Le R. Père Lucien Deiss se situe à mi-chemin entre le chant religieux populaire et la composition musicale parfaitement originale c'est dire l'inconfort et les dangers de cette position. Sans doute, on rencontre un certain nombre d'antiennes accessibles aux fidèles, mais bien des versets multiplient les vocalises, à la manière grégorienne et sans nécessité apparente. Nous avons recueilli les confidences de certains prêtres déconcertés, qui en sont réduits à faire chanter les antiennes sans leurs versets ou à leur en substituer d'autres. De plus, l' écriture musicale utilise des registres souvent trop élevés; ceci est particulièrement sensible dans les harmonisations (cf. l'antienne du psaume 137, par exemple ERATO, LED-1.029). Pourquoi, enfui, cette volonté de changer de mélodie avec chaque psaume? Ne serait-ce pas possible de corriger ces défauts d'un style souvent précieux, voire maniéré, qui engendre infailliblement une grande uniformité? Ces chants, donc, sont réservés à des chorales bien entraînées, ce qui est dommage. Ce n'est sans doute pas par hasard que le Il. P. Deiss a recours à la participation féminine de la chorale E. Brasseur. Nous ne contestons nullement à ces œuvres leur place dans l'effort liturgique actuel; mais, de grâce, un effort de simplicité. Exécution et enregistrement remarquables.

logues interrompus et approfondis par l'intervention de courtes pièces chorales d'une grande intensité émotionnelle. Les comédiens s'acquittent de leur rôle à la perfection et la Psalette se montre très capable, de sorte que dans la version JERICHO, l'œuvre ne manque pas de produire son effet.

MUSIQUE ET LITURGIE

Dans la série < Le chant des fidèles >, le STUDIO S.-M. nous présente un document sonore et un reportage Lachassagne en Beaujolais, SM-45.45 (17). Nous entendons une Grand-Messe dans une paroisse de France. Toute l'assemblée participe par le chant à l'action liturgique. L'amateur de voix angéliques, aux attaques et à la justesse exemplaires, aura beau protester tout croyant communiera à ce témoignage de foi; faire mieux, sans ce témoignage, n'offre pas d'intérêt quand il s'agit de chant liturgique. Félicitations également pour le choix des chants, que beaucoup de paroisses adopteront souhaitons-le.

Après les subtilités modales de trop de psaumes et antiennes, une bouffée d'air pur souille dans les Psaumes de Aloniserrat, musique de Dom prénée Segarra sur ;le texte de la Bible de Jérusalem; Petits chanteurs de Saint-Laurent; dir. Abbé Zurfiuh PASTORALE ET MUSIQUE, PM-25.010 (25). Les œuvres de Dom Segarra nous ont séduit d'entrée de jeu. Cette qualité n'est certes pas sans danger des chorales ou des assemblées que n'animerait pas la ferveur de la Manécanterie de Saint-Laurent risquent fort d'en faire très rapidement des « cantiques à Bon Dieu fades et vulgaires. Avis aux maîtres de chœurs. Malheureusement la gravure est médiocre.

Dans la série qui présente la Méthode Ward, le STUDIO S.-M. édite les Kyriale, répons, antiennes et psaumes pour tous les temps; Institut Saint-Grégoire de Lyon; dir. Bouiller SM-33.61 (25). Rendant compte de ce disque, un critique louait ces voix claires, assez déshumanisées pour être d l'unisson de pareilles musiques d'éternité. Certes, les antiennes et psaumes pour tous les temps, qui occupent la plus grande partie de ce disque, sont assez réussis quelques médiantes et finales seulement s'épuisent encore en des pianissimi extatiques. Mais le Kyriale et les répons sont truités en un


style trop affecté et trop enfantin. Les petits chanteurs, qui jouent parfaitement le Jeu, sont prisonniers d'une esthétique. Regrettons également que le Gloria XV ne soit pas chanté selon la rythmique qui lui convient une esthétique prend décidément le pas sur la vérité et la vie.

Rassembler en un disque une Messe Brève et de nombreux Cantiques de Jean Langlaie était prometteur Ensemble Stéphane Caillat; Langlais, orgue STUDIO S.-M., 33.74 (25). Mais l'interprétation nous a déçus l'ensemble vocal Stéphane Caillat nous avait habitué à mieux. Les voix sont dures, les nuances inexistantes, les lempi mécaniques. Heureusement, l'orgue, tenu par le compositeur lui-même, sonne magnifiquement. Nous ferions seulement des réserves sur le choix des cantiques; il est assez paradoxal de publier sous le titre • Chant des fidèles », les textes par ailleurs fort beaux de Jean Cayrol.

Les cahiers Musique de tous les temps consacrent leur dixième numéro au Renouveau choral. Sur le disque encarte, la Psalette de Lyon a gravé une œuvre de son chef, César GeofTray. C'est toujours avec joie que nous écoutons un enregistrement de cette chorale homogénéité des voix, beauté des timbres, allant et dynamisme, prononciation très distincte. L'œuvre reflète les mêmes procédés de composition auxquels depuis longtemps Geoffray nous a accoutumé. Aussi l'harmonisation très riche ne réussit-el'ie pas à éviter une certaine monotonie.

A l'intention de ceux qui s'intéressent à la musique religieuse et liturgique de l'Orient, rappelons les titres» suivants Le Quatuor Kedrott jSTUDIO S.-M., SM-33.28 (25) donne des échantillons des chants monastiques traditionnels; de quelques chants où se révèle, à la période classique, l'influence occidentale; et enfin du retour à l'ancienne [tradition amorcé par l'École Nationale au xixe siècle." Toute

la souplesse et le fini du célèbre quatuor ont été mis au service de cette anthologie expressive.

Le Quatuor Kedroff encore nous présente ce petit 45-tours de Chants liturgiques russes STUDIO S.-M.. SM-45.19 (17). Le Concerto de Noël de Bortiansky déroule sa perfection de miniature et se prête bien aux effets discrets et savants de l'ensemble vocal. Le Magnificat responsorial fait alterner te chant joyeux du cantique Inspiré et la reprise de la doxologie mariale Plus vénérable que les chérubins. qui s'élève dans le murmure fervent d'une âme en prière.

Office des moines d'Orient Office de l'exaltation de la Sainte Croix, Profession monastique, Ordination, Dédicace des Églises Chœur des moines Bénédictins de l'Union à Chèvetogne; dir. Dom Bainbridge. HARMONIA MUNDI, HMO25.128 (25). Le chant est moins savant et moins souple cette fois; mais c'est celui d'une communauté monastique réelle et vivante qui réussit à donner une forte expression à quelques-unes des plus belles pièces de la liturgie byzantino-russe. On remarquera particulièrement le chant de profession monastique, où le candidat retrouve, pour se présenter devant le Père, les accents de l'enfant prodigue de l'Évangile.

Vêpres et Matines. Chœurs russes de Féodor Potorjinsky. STUDIO S.-M., SM-33.27 (30). Avec une richesse de moyens supérieurs aux ensembles précédents. F. Potorjinsky réussit le mieux à recréer l'atmosphère d'une célébration liturgique. Le concours de voix féminines confère à l'ensemble plus de chaleur. L'ampleur de p' enregistrement lui-même contribue à donner l'impression enveloppante qui permet le mieux de saisir l'esprit de cette liturgie. 9 «fl

P. GAGEY, |L. Tônz, Y. JOLLY.


TA BLE DES MATIÈRES

Jean-Marie LE BLOND.. Devoir chrétien en des temps

difficiles 289

Francois Russo. La science au service de la

décision 299

André RAVIER. Jeunesse orientée, jeunesse déso-

rientée? 316

Henri HOLSTEIN. L'apostolat des religieux. 328 Chroniques

Charles d'YDEWALLE. France et Belgique. 343 Jean Rimaud Le Père Doncœur nous a quittés. 348 Suzanne Ctjsumano « L'Ingénieur Bakhirev » 355 Germaine MAILLET. Sociologie du vocabulaire. 359 Eugène Tesson Encore le contrôle des naissances. 364 Jean-Francois MOTTE. Le dixième anniversaire du

C. P. M. I. 372

Robert ABIRACHED. Deux pièces de Sean O'Casey. 382 Actualités

L'actualité religieuse De Rome et de la chrétienté.

Le cardinal l'ellin et la Paroisse universitaire. Unité

des chrétiens et Conversion du monde. Ce qu'un laïc

attend du Concile 388

La Conférence de Yaoundé. Inquiétudes asiatiques Iran

et Laos. Le procès Eichmann. Les Ballets de l'Oural. 404

Les Livres

Questions religieuses H. de LUBAC; N. AFANASSIEF, N. Koulomzine,

J. Meyendohff, A. Schmemann; M. Nédoncelle, H. AUBERT, P. EVDO-

KIMOV, Y. CUMiAR, J. H. GEiSELMANN, B. D. DufUY, A. CHAVASSE, V. CON-

zemius, A. Latheille, J. LECLER, W. Bahtz, H. F. Davis, O. HOUSSEAU;

A. Delmasuhe; Jésuites de la Nouvelle-France (F. Uoustang) 414

Philosophie H. Bouillard; P. COSTABEL; La science au xvi* siècle;

N. Bouruaki; H. Bissonmer 417

Histoire Mgr H. JEDIN; B. BOTTE, H. MAROT, P. T. CAMELOT, Y. CONGAR,

H. ALIVISATOS, G. FRANSEN, P. de Vooght, J. GILL, A. Duphont,

R. Aubert; Qu'attendons-nous du Concile?; E. Kirschbaum; P. Leuil-

liot; P. CHEVALLIER; J. LEFLON; F. OZANAM; R. Sehhou et P. VALS.. 418

Littérature L. Guissard; C. NICOLET et A. Michel; B. DORT; DUSSANE;

J. Thuchet; J. Laplace; A. Flory 422

Romans L. ESTANG; J. d'IziEu; R. MALCOR; R. Even; Grand Larousse,

t. III 424

Autres livres reçus 426 Les Disques Disques religieux 428 LeDirecteurgérant: J.-M. Le Blond, Imp. Firmin-Didot, Mesnil-sur-l'Estrée (Eure) Dépôt W«al 2« trimestre 1961. N' d'éditeur 210


DD8 Nouveautés

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