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Title : Bulletin de la Société de législation comparée

Author : Société de législation comparée. Auteur du texte

Publisher : A. Cotillon (Paris)

Publication date : 1871-12-01

Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb345086607

Relationship : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb345086607/date

Type : text

Type : printed serial

Language : french

Format : Nombre total de vues : 74026

Description : 01 décembre 1871

Description : 1871/12/01 (A3,N1)-1872/07/31 (A3,N8).

Rights : Consultable en ligne

Rights : Public domain

Identifier : ark:/12148/bpt6k414845w

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, 8-F-233

Provenance : Bibliothèque nationale de France

Online date : 15/10/2007

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DE LA SOCIÉTÉ

LEGISLATION COMPARÉE TROISIÈME ANNÉE.

I%'° l! Décembre 1831.

SOMMAIRE.

PAGES.

Convocation (au verso de la couverture).

Séance du 28 novembre 1871 1

Séance du Conseil de Direction. 21

PARIS

Tout ce qui concerne la publication du Bulletin

doit être adressé à MM. Cotillon et ulg, Libraires du Conseil d'État, 24, rue Soufflot.

Toutes les autres communications seront adressées au Secrétaire général de la Société, 64, rue Pîeuve-aes-Petits-clin ms J Voir an verso la convocation pour la prochaine séance. QQ W-'OTHËQuiy

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CONVOCATION.

La prochaine Séance de la Société de Législation comparée aura lieu le Mercredi 10 janvier 1872, à 8 heures 1/4 du soir, au Cercle des Sociétés savantes, 6i, rue Neuve-des-PetitsChamps, sous la présidence de M. RenouarDi

ORDRE DU JOUR

1° Communication par M. GRIOLET, docteur en droit, avocat à la Cour d'appel, sur le sujet suivant

De l'influence de la dernière guerre sur le progrès du droit des gens.

2° Étude de législation comparée par M. Héroid, conseiller d'État, sur la durée du mandat et le mode de renouvellement des Chambres législatives.

3° Étude par M. Edmond BERTRAND, juge suppléant au tribunal de la Seine, sur la condition des étrangers en Angleterre.


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IV* i. Décembre 1891.

BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE LUI nI, II Hl\ COIPARll SÉANCE DU 28 NOVEMBRE 1871,

La séance est ouverte à huit heures et demie, sous la présidence de M. LABOULAYE.

M le Président expose, au nom du Conseil de direction, la situation de la Société.

Les séances et les travaux ont été interrompus par la guerre étrangère, puis parlaguerre civile. Il s'agit aujourd'hui, quelque vives que soient nos douleurs et nos colères, non pas de récriminer contre le passé, mais d'y puiser des leçons pour l'avenir et de travailler tous ensemble, sans relâche, à l'oeuvre de réparation qui doit rendre à la France sa force et son rang dans le monde. Dans cette œuvre de régénération, la Société de législation comparée a un rôle à jouer.

Nos malheurs viennent surtout de notre ignorance, et parmi les notions qui nous manquent, il faut citer en première ligne celle de la loi et celle de la justice. De là un antagonisme déplorable que nous tendons à établir entre deux idées qui devraient rester indissolublement .unies car que représente la loi sans la justice, si ce n'est l'oppression régularisée, et qu'est la justice sans la loi, si ce n'est un état incertain et précaire, à la merci du moindre accident?

Faire respecter la justice par le législateur, la loi par les citoyens, tel est le but du droit, dans le sens leplus élevé de ce mot, tel est le résultat auquel nous pouvons contribuer pour notre part


en répandant, avec la connaissance des législations étrangères, les habitudes de généralisation qui naissent de toute comparaison, et par lesquelles la science s'assure, se purifie et s'agrandit, Vous l'avez compris, et l'empressement que vous avez mis à vous rendre à cette séance de réouverture, le soin qu'ont pris les absents, particulièrement deux de nos vice-présidents, MM. Reverchon et GREFFIER, de s'excuser par lettres, prouve combien l'utilité, plus grande que jamais, de notre œuvre, est reconnue et appréciée.

Au mois de mai 1870, nous étions près de cinq cents membres les renseignements que nous avons recueillis nous prouvent qu'il se fera peu de vides dans nos rangs; nous espérons les voir bientôt comblés, et compter même d'ici à peu de temps plus d'adhérents qu'avant la guerre.

Nos finances sont en bon état nous avons en caisse un reliquat assez important qui nous permettra de ne pas mettre en recouvrement les cotisations de l'année 1871.

Un certain nombre de nos membres, absorbés par des fonctions politiques auxquelles ils ont été appelés, ne pourront plus nous donner le même concours qu'autrefois. Trois sont devenus ministres, deux ambassadeurs, une quinzaine députés, seize ou dix huit préfets ou sous-préfets. Mais, à leur défaut, notre Société renferme encore, sans compter les recrues que nous espérons faire, assez de membres jeunes, actifs, ayant du temps et de la bonne volonté, pour sumre à nos travaux. Peut-être aussi quelques-uns de ceux qui sont, quant à présent, éloignés de nous, nous reviendront-ils.

11 en est malheureusement d'autres que nous ne reverrons plus. M. le Président indique les noms des membres de la Société morts depuis la dernière séance: M. Guillard, avocat, tué à l'âge de trente-quatre ans, le 19 janvier 1870 au combat de Buzenval, M. Delasalle, avocat distingué, également enlevé par une mort prématurée M. Marie ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats à la Cour de Paris, jurisconsulte éminent, et l'un des hommes politiques les plus honnêtes et les plus sensés de notre époque; M. Pellat, ancien doyen à la Faculté de droit de Paris, jurisconsulte et économiste, qui a su s'inspirer des travaux des Allemands pour régénérer l'enseignement du droit romain en France; M. le


duc de Broglie, un des grands noms de notre histoire constitutionnelle.

M. le Président se demande s'il ne conviendrait pas que quelque membre de la Seciétê fit une biographie de ses morts les plus illustres, conçue particulièrement de manière à faire connaître, en les résumant, leurs idées et leurs travaux.

M. le Président fait part à la Société de la création au ministère de la justice d'un bureau de législation comparée. Depuis longtemps M. Greffier, l'un des vice-présidents de la Société, ancien directeur des affaires civiles, puis secrétaire général au ministère, avait réclamé cette utile innovation. Elle a été opérée d'après ses plans par M. Hérold, l'un des membres de notre conseil de direction, devenu, après le k septembre, secrétaire général du ministère de la justice.

M. le Garde des sceaux, qui a toujours été très-sympathique à notre Société, dont il est membre, nous a fait connaître son intention de conserver et de faire fonctionner efficacement ce bureau. M. Dufaure nous a de plus offert le concours du ministère à divers points de vue, spécialement pour faire venir de l'étranger les documents dont nous avons besoin. Le conseil de direction aura à examiner quelle réponse il convient de faire aux propositions de M. Dufaure. Mais nous pouvons etnous devons, dès à présent, lui témoigner toute notre gratitude pour ses bonnes intentions à notre égard.

Peut-être l'intervention bienveillante de M. le Garde des sceaux nous permettra-t-elle de réaliser sans plus de délai une idée qui préoccupait dès avant la guerre le Conseil de direction. Il s'agirait de publier un annuaire législatif contenant, avec des notes et des explications, la traduction des principales lois d'intérêt général promulguées chaque année à l'étranger. Les éléments de ce travail considérable, et dont l'utilité apparaît tout d'abord, sont aujourd'hui presque entièrement rassemblés. Les traducteurs de bonne volonté ne nous manquent pas. Il ne nous reste qu'à organiser leur travail, et à leur distribuer les documents nécessaires. En terminant, M. le Président fait à l'Assemblée deux propositions

Il constate d'abord que parmi les membres qui se présentent pour être admis dans la Société, il en est un, Sir John Duke Cole-


ridge, attorney général d'Angleterre, éminemment distingué par ses antécédents, sa capacité, ses qualités supérieures comme jurisconsulte et comme homme politique, qualités qui semblent chez lui un héritage de famille. M. le Président croit qu'il conviendrait de lui décerner le titre de membre honoraire de la Société. (Assentiment général.)

En conséquence M. le Président proclame Sir John Duhe Coleridge membre honoraire de la Société de législation comparée. M. le Président se fait ensuite l'organe de plusieurs sociétaires qui voudraient voir porter de douze à seize le nombre des membres du Conseil de direction, afin qu'on pût adjoindre aux hommes d'âge et d'expérience, qu'il est bon de maintenir au Conseil, quelques membres plus jeunes, et moins absorbés parleurs occupations, qui se chargeraient volontiers de certaines fonctions spéciales.

La réunion, consultée, adopte cette proposition.

L'ordre du jour appelle le scrutin pour le renouvellement partiel du Conseil de direction.

Est élu Président pour deux ans, en remplacement de M. LABOULAYE, Président sortant, non rééligible, M. RENOUARD, procureur général à la Cour de cassation, par 58 voix sur 60 votants. Est élu vice-président pour quatre ans, en remplacement de M. DUVERGER, vice-président sortant, désigné par le sort et non rééligible, M. Aucoc, Conseiller d'État, par 52 voix sur 61 votants.

On procède au scrutin pour l'élection de sept membres du Conseil de direction, savoir trois membres nommés pour quatre ans en remplacement de MM. PONT, ALEXANDRE et Desmabest, membres sortants désignés par le sort et non rééligibles, et quatre membres nommés en exécution de la résolution que vient de voter la réunion.

Pendant le dépouillement du scrutin, MM. Renouard et Aucoc prennent place au bureau comme Président et vice-président. M. RENOUARD remercie l'Assemblée de l'honneur qu'elle vient de lui conférer. Il sent toute l'importance des services que la Société de Législation comparée peut rendre; importance qui s'est accrue par les tristes événements que nous venons de traverser.


La France a, plus que jamais, besoin du travail. Sa situation n'est pas désespérée mais il faut, si elle veut guérir, qu'elle fasse un sérieux retour sur elle-même, qu'elle connaisse mieux ses défauts, et tire vaillamment parti de ses qualités.

La conscience de ses défauts est nécessaire pour qu'on s'en corrige. Plus de frivolité, de présomption, de tous ces vices qui amollissent et égarent; plus de cette vanité qui se complaît à ne voir que soi, et à ne connaître les autres que par les côtés où il ne nous valent pas. Il n'est pas de peuple qui ne soit, en certains points, inférieur à ses voisins: apprenons à connaître, et sachons nous avouer, en quoi nous leur sommes inférieurs. C'est la condition d'un sérieux progrès. Gardons-nous toutefois de nous déprécier nous-mêmes; car nous méritons de ne pas oublier que si nous devons puiser chez autrui quelques bons exemples, il en est de bons aussi que les autres peuvent trouver chez nous. Pour ne parler que des études spéciales de notre Société, la place restera toujours grande, dans la science du droit, pour le pays de Cujas et de Dumoulin, de Domat et de Pothier, de Merlin et de Toullier la législation n'a nulle part de plus beaux noms que Lhospital et d'Aguesseau, Tronchet, les Portalis et tant d'autres, dont la liste serait trop longue, qui se pressent dans nos mémoires, et dont plusieurs, encore aujourd'hui dans nos assemblées et hors de nos assemblées, offrent de vivants et glorieux modèles. Marchez, jeunes gens, sur ces nobles traces, et notre pays n'aura rien à envier aux peuples voisins. Luttons sans découragement comme sans orgueil; et n'oublions pas que, pour bien lutter, il faut savoir se défendre de toute illusion en bien et en mal, et prendre toujours et partout pour point de départ la vérité. Nous arrivons à la vérité par la liberté. Notre Société a pour base et pour but l'entière liberté des opinions et des discussions; mais cette liberté a une limite infranchissable c'est le respect profond et sincère des principes fondamentaux de la morale éternelle. Disputons hardiment sur ses applications et ses formes; mais respectons-la, aimons-la; et n'oublions jamais qu'il n'y a sans elle ni civilisation ni société.

M. le Président rappelle les services rendus par son prédécesseur, M. Laboulaye, et propose de lui voter des remercîments. Cette proposition est adoptée à l'unanimité.


M. Alexandre RIBOT, substitut au tribunal de la Seine, explique dans les termes suivants les principales dispositions de la loi anglaise du 9 août 1870 (1), concernant la condition civile et les biens des femmes mariées

Depuis un demi-siècle, l'Angleterre travaille à effacer l'empreinte originale et rude que le moyen âge avait mise sur toutes les parties de sa législation. Ce caractère de rudesse n'était nulle part plus apparent que dans les lois qui régissaient la condition civile des femmes. Le changement progressif des mœurs avait sans doute fait imaginer certains expédients à l'aide desquels la rigueur des vieilles coutumes pouvait être éludée, mais ces expédients ne servaient qu'à un petit nombre de femmes appartenant aux classes élevées de la société. Jusqu'à ces derniers temps, rien ou presque rien n'avait été fait pour protéger les femmes mariées appartenant aux classes ouvrières ou à la partie la moins aisée des classes moyennes.

Comme le faisait remarquer lord Cairns devant la chambre des Lords (2), la législation anglaise était restée en cette matière très en arrière de la plupart des législations européennes. Mais, depuis un demi-siècle il s'est fait en Angleterre toute une révolution dans la manière dont les devoirs du législateur y sont envisagés. Aux préjugés aristocratiques qui empêchaient le législateur de toucher aux vieilles coutumes, à moins qu'elles ne fussent devenues une gêne pour les classes dirigeantes elles-mêmes, a succédé la préoccupation, de plus en plus visible, de plier les anciennes lois aux besoins, aux intérêts et parfois aux exigences du plus grand nombre. Pour saisir la portée de la loi récente du 9 août 1870 concernant les biens des femmes mariées et pour comprendre comment cette loi, dans la pensée même de ceux qui l'ont proposée, est presque exclusivement destinée à venir en aide aux femmes de la condition la plus humble, il est indispensable de jeter un coup d'oeil sur l'ancien droit anglais et sur le système de tempéraments ou de correctifs qui avait été imaginé depuis plusieurs siècles.

Les remarquables travaux de M. Laboulaye (3) et de M. Gide (4) sont les meilleurs guides qu'on puisse trouver en un pareil sujet. En outre, l'enquête qui a précédé le vote définitif de la loi de 1870 (1) Cette loi est intitulée An act (o amend the law relating ta the property o' married women (33 et 34 Vict., ch, 93).

(2) Times du 22 juin 1870.

(3) Recherches sur la condition des femmes.

(4) Histoire de la condition civile de la femme.


par la chambre des Communes,! contient plusieurs dépositions où sont exactement retracées les variations de la législation anglaise, relative à la condition des femmes mariées (3).

Dans le vieux droit anglais, le common law, la femme mariée n'a pas d'existence indépendante de celle de son mari. La personnalité juridique du mari absorbe complétement celle de sa femme. Ce principe est appliqué très-rigoureusement; ainsi la femme mariée ne peut contracter ni avec son mari ni avec des tiers, elle ne peut faire un testament ni ester en justice. Même les délits qu'elle commet en présence de son mari sont imputables au mari lui-même. Quant aux biens appartenant à la femme au moment du mariage, ou qu'elle pourrait acquérir ensuite à un titre quelconque, le droit ancien faisait une distinction entre les biens meubles (personal property) et les biens immeubles (real property) Les premiers devenaient la propriété du mari qui n'était pas tenu d'en rendre compte après la dissolution du mariage. La propriété des seconds restait sur la tête de la femme; la jouissance et l'administration étaient seules transférées au mari. Celui-ci avait droit de dépenser les revenus comme il lui convenait, mais il ne pouvait aliéner les immeubles sans le concours de la femme. Autrefois ce concours ne suffisait même pas, car l'incapacité de la femme de contracter étant absolue, ne pouvait être détruite par l'intervention du mari au contrat d'aliénation. Toutes les sommes provenant du travail de la femme, et notamment les salaires, appartenaient de droit au mari qui n'avait pas à en rendre compte, et qui même n'était pas tenu légalement de les employer aux dépenses du ménage.

L'injustice d'un tel régime matrimonial nous paraît aujourd'hui révoltante toutefois ne nous montrons pas trop pressés de le condamner dans le passé. Au moyen âge, la fortune mobilière n'avait guère d'importance, le travail de la femme était à peu près improductif d'ailleurs, en échange de la perte de ses meubles et des fruits de son travail personnel, la femme qui survivait au mari avait droit au tiers des biens de ce dernier. Ce droit s'appelait le douaire (dower); le mari n'était pas maître d'en gêner l'exercice par l'aliénation soit entre-vifs soit par testament d'une partie de ses biens. Par suite, les immeubles du mari étaient, durant le mariage, grevés (3) Special report from the select committée on the married women's property bill, etc. (1868).

Voir surtout les dépositions de M. Westlake et de M. G. W. Hastings. Un article de M. Westlake, publié dans la Revue de droit international et de législation comporte [1871, n' 2, p. 196), indique très-clairement l'origine et la portée de la loi da 9 août 1370.


d'une sorte d'inaliénabilité au profit de la femme. Dans le droit moderne, le douaire a presque disparu; une loi de 1834 a permis au mari d'enlever à sa femme le bénéfice du douaire, soit par une aliénation de ses biens, soit même par une simple déclaration écrite. Le système dont nous venons d'indiquer les traits principaux, n'a pas cessé d'être en vigueur; aucun statut n'en a prononcé l'abolition. Mais depuis plusieurs siècles, la Cour de chancellerie a substitué au common law, pour les classes riches ou aisées, un système, fondé sur l'équité, qui reconnaît à la femme une existence distincte de celle de son mari. Ce n'est pas un des caractères les moins originaux du droit anglais moderne que cette superposition de deux législations ayant chacune son origine et son domaine distinct. Voici à l'aide de quel expédient la Cour de chancellerie est arrivée à permettre à la femme de conserver la propriété de tous ses biens, meubles ou immeubles. Au moment du mariage, ces biens sont remis à des fidéicommissaires (trustees) pour être affectés à l'usage séparé de la femme. On permet à celle-ci, sous la protection de la Cour de chancellerie, non-seulement de toucher les revenus et de les dépenser pour ses besoins personnels, mais encore de disposer des biens eux-mêmes comme si elle n'était pas mariée. Les contrats à la garantie desquels elle aurait affecté ses biens propres, quoique nuls en droit commun, pourraient également, avec l'autorisation de la Cour de chancellerie, recevoir sur ces biens leur exécution.

Rien ne s'opposerait à ce que le mari fût lui-même fidéicommissaire (trustee). Dans ce cas, il serait soumis à toutes les obligations des trustees, et serait tenu de remettre à sa femme les revenus des biens dont celle-ci se serait réservé la jouissance (separate use) au moment du mariage.

Souvent, dans la pratique anglaise, les biens que la femme, en se mariant, constitue pour son usage personnel, lui ont été donnés par le mari lui-même. On s'explique aisément que, pour soustraire ses immeubles propres au douaire de la femme, le mari préfère reconnaître à célle-ci, au moment du mariage, la propriété d'une somme d'argent ou de toute autre valeur que lui-même remet aux fidéicommissaires.

La Cour de chancellerie ne s'est pas bornée à protéger les femmes qui ont eu recours, en se mariant, à ce système de fidéicommis. Si des biens meubles adviennent à une femme durant son mariage, par legs ou succession aà intestat, et que le mari ne puisse en obtenir la possession qu'en faisant appel à la juridiction de la Cour de chancellerie, celle-ci a coutume d'imposer au mari l'obligation de


réserver à sa femme ou à ses enfants la propriété d'une portion de ces meubles, en général de la moitié. Remarquez que le mari, à moins qu'il ne soit insolvable, conserve pendant sa vie la jouissance de cette moitié réservée à la femme. De même si, pendant le mariage, la femme acquiert un droit à des immeubles, et que le mari soit obligé de s'adresser à la Cour de chancellerie, la jurisprudence de cette Cour est d'exiger que la moitié des revenus reste affectée à l'usage personnel de la femme.

Ce système qu'on pourrait comparer d'une manière générale, en ne tenant pas compte de certaines différences très-notables, au régime de la séparation de biens, a emprunté à un autre régime, le régime dotal, un de ses traits principaux. On a remarqué en Angleterre que beaucoup de femmes aliénaient les biens qui avaient été constitués pour leur usage personnel et remettaient le prix à leurs maris, qui souvent le dissipaient. Pour protéger la femme contre sa propre imprudence et contre l'influence de son mari, on imagina de stipuler que les revenus des biens érigés en fidéicommis au profit d'une femme mariée ne pourraient être aliénés d'avance et devraient lui être remis à elle-même par les fldéicommissaires, d'année en année, sans anticipation. Cette clause a été reconnue valable par la Cour de chancellerie et est devenue d'un emploi très-général. «La teneur la plus ordinaire d'un contrat de mariage anglais, dit M. Westlake (article cité, p. 196), pour ce qui concerne les biens propres de la femme, c'est que ceux-ci sont confiés à des fidéicommissaires, pour être remis à la femme après la mort de son mari, et aux enfants après la mort des deux époux; en outre, la femme a le droit de recevoir au moins une certaine partie et très-souvent la totalité des revenus, même durant la vie du mari, pour son usage particulier, sans faculté d'anticipation. Il n'est donc pas rare, en Angleterre que la majeure partie du revenu qui sert à l'entretien du ménage fasse partie non-seulement des biens propres à la femme, mais encore de ceux qui sont exclusivement à sa disposition personnelle. »

Toutes ces combinaisons et tempéraments, par lesquels la Cour de chancellerie a substitué un droit nouveau au droit ancien, ont un grave inconvénient, celui de coûter assez cher et de n'être à la portée que d'un petit nombre de familles. Le vieux droit, le common law, a continué, jusqu'à l'année dernière, de s'appliquer dans toute sa rigueur aux femmes qui ne possédaient pas en se mariant ou n'acquéraient pas, durant le mariage, un capital qui pût être érigé en fidéicommis.

Après plusieurs siècles d'indifférence, l'opinion publique s'est


émue de l'inégalité que la loi faisait peser sur les femmes mariées, appartenant aux classes les moins aisées, et notamment sur les femmes des classes ouvrières.

L'enquête ordonnée par la chambre des Communes a montré combien la condition de ces femmes était misérable, combien surtout elle était dépourvue de garanties et de protection. D'après le dernier recensement, on compte en Angleterre 3 millions de femmes mariées et l'on estime que, sur ces 3 millions, 800,000 au moins ont besoin, pour vivre, de travailler de leurs mains. Si les ouvriers n'étaient trop souvent adonnés à l'intempérance, leurs salaires pourraient, dans le plus grand nombre de cas, suffire à l'entretien de la famille. Malheureusement il n'est pas rare, au dire de plusieurs témoins entendus dans l'enquête, que des ouvriers, en se mariant, calculent par avance ce qu'ils pourront tirer du travail de leurs femmes et choisissent précisément le temps de leur mariage pour se relâcher de leurs habitudes laborieuses. Dans certains districts manufacturiers de l'Angleterre, les salaires que peut gagner une femme sont assez élevés et varient de 12 schillings à 1 livre ou même à 30 schillings par semaine (1). Mais l'élévation même de ces salaires est parfois un encouragement à la paresse et à la dissipation du mari.

« C'est un fait malheureusement établi par de nombreux exemples, disait M. Hastings devant le comité d'enquête (2), que des maris vivent dans l'ivrognerie et entretiennent même des concubines avec le produit du travail de leurs femmes. M. Musgrave, manufacturier à Londres, après avoir cité plusieurs cas de ce genre a ajouté qu'il avait vu un assez grand nombre de ses ouvrières épouser des hommes qui n'avaient d'autre but que de vivre à leurs dépens. »

On ne peut considérer de pareils faits que comme des exceptions mais il faut s'étonner en même temps que le législateur n'ait rien tenté, avant l'année dernière, pour les rendre impossibles. A mesure qu'on descend des rangs élevés de la société aux classes les plus humbles et les plus ignorantes, plus on doit s'attendre à voir la femme énergiquement protégée par le législateur contre l'ignorance, l'ivrognerie, et la brutalité du mari. C'est justement le contraire qui a eu lieu en Angleterre; tandis qu'une jurisprudence in(1) Témoignage de A. J. Mnndella, manufacturier à Nottingham (question 1535). La déposition entière de M. Mundella, qui emploie 2,000 femmes dans ses ateliers, est très-intéressante.

(2) Enquéte, p. 21, question 326.


génieusement élaborée donnait aux femmes des classes supérieures les moyens de défendre leur fortune contre la prodigalité du mari, la femme, obligée de travailler pour vivre et faire vivre sa famille, n'avait aucun moyen légal de soustraire son salaire aux exigences d'un mari 'paresseux ou ivrogne.

En 1857, un remède partiel et très-insuffisant fut cependant apporté à cette situation dont le Patlement commençait à s'inquiéter. La Société pour l'amélioration de la loi (Sociely for the amendment of the law) avait pris l'initiative d'ouvrir une enquête et, après avoir recueilli de nombreux témoignages, elle avait préparé un bill qui fut introduit en 1856 à la Chambre des lords par lord Brougham. Ce bill, remanié parla Société, fut présenté de nouveau à la Chambre des communes en 1837 par sir Erskine Perry, et adopté en seconde lecture à une assez forte majorité. Le remède proposé était très-radical; les femmes mariées auraient eu désormais la propriété et la jouissance de leurs biens, meubles ou immeubles, comme si elles n'avaient pas été mariées; en outre elles auraient eu la pleine liberté de s'obliger par contrat et d'ester en justice. Mais la Chambre des communes s'arrêta en chemin, et tout ce qu'obtinrent les promoteurs du bill fut l'insertion dans la loi du divorce (Divorce act, 1857) d'une clause qui permettait à la femme, abandonnée par son mari, d'obtenir du magistrat une ordonnance lui garantissant la propriété de tous les biens qu'elle pourrait gagner ou acquérir, depuis le départ du mari.

Vous voyez combien les progrès ont été lents et que de temps il a fallu pour arriver à une imitation timide et imparfaite de notre séparation de biens judiciaire. C'est seulement en cas d'abandon que la femme peut, aux termes de l'acte de 1857, s'adresser au magistrat. Ainsi le mari dissiperait les deniers du ménage, vendrait les meubles de la maison, même les vêtements des enfants ou de la femme, celle-ci n'aurait aucun droit de se plainilre. L'interprétation stricte donnée au mot abandon (desertiun), dont la loi s'était servie, a en outre singulièrement restreint le nombre des cas où le magistrat peut intervenir. Écoutons, sur ce sujet, le témoignage d'un magistrat du tribunal de police de Marylebone, M. Mansfield (1) «Je pense qu'il y a grande injustice à l'égard de la femme dans le cas où le mari ne l'a pas abandonnée, mais l'a forcée par sa (1) Question 1215. M. Mansfied, après avoir été pendant plus de huit ans juge de police à Liverpool, remplit les mêmes fonctions à Londres depuis 1860. L'expérience qu'il a acquise dans ces fonctions délicates et importantes donne un intérêt tout particulier à sa déposition devant le Comité d'enquête.


brutalité et ses mauvais traitements à chercher un refuge au dehors en pareil cas, la loi ne me permet pas de protéger le salaire de la femme, et souvent j'ai entendu les récits de pauvres femmes qui, après avoir réussi à se créer un domicile pour elles et leurs enfants, avaient vu ce domicile mis au pillage par leur mari, e1 tous leurs meubles enlevés ou brisés sous leurs yeux, au nom du droit marital. »

Certains magistrats ne considèrent pas qu'il y ait abandon de la femme par le mari, quand ce dernier continue à résider dans la même ville (1). En tout cas, les ordonnances délivrées par les magistrats, en vertu de l'acte de 1857, ne paraissent pas avoir été trèsnombreuses (2).

Pour compléter ce tableau, il est nécessaire d'ajouter que la femme n'a pas, en Angleterre, d'action civile contre son mari pour le forcer de contribuer l'entretien du ménage. La seule ressource qu'ait la femme, en cas de refus du mari de subvenir à ses dépenses ou à celles des enfants, est de se faire inscrire sur le registre des pauvres de la paroisse. Par ce moyen, la femme peut obtenir de quoi ne pas mourir de faim. De son côté, la paroisse a le droit de poursuivre le mari pour se faire indemniser et même, en cas de résistance, de le faire condamner à l'emprisonnement (3). Il est vrai qu'à l'inverse, la femme qui s'était réservé en se mariant la jouissance exclusive de ses biens, n'était pas tenue, avant l'année dernière, de subvenir à l'entretien de son mari ou de ses enfants, même dans le cas où le mari était devenu insolvable et incapable de travailler. En pareil cas, quelle que fût la fortune personnelle de la femme, ni le mari, ni les enfants, ni la paroisse n'avaient d'action contre elle ou sur ses biens (4).

Depuis 1857, le Parlement anglais n'avait été saisi d'aucun projet analogue à ceux qui lui avaient éLé soumis par lord Brougham et sir Erskine Perry. Mais le bill de 1857 fut repris par l'Association pour le progrès des sciences sociales et, après avoir été légèrement modifié, il fut introduit de nouveau à la Chambre des communes (1) Déposition de M. Wybargh, greffier du tribunal de Liverpool. Question, Q* 1381.

(2) Dans le district de Maryleborne, à Londres, qui comprend 300,000 habitants, le nombre des ordonnances rendues en vertu de l'acte de 1857 a été de sept en six mois. Le nombre des demandes s'élevait à quatorze mais, dans la moitié des cas, le magistrat n'a pas pu intervenir. D'ailleurs, beaucoup de femmes ignorent qu'elles ont droit des'adresser au juge. (Déposition do M. Mansfield.)

(3) M. Mansfield, quest. 1238-1240, 1245-1248, t25).

(4) Ibid., 1261.


en 1868, par M. Shaw-Lefevre et renvoyé à une commission spéciale.

Cette commission, après s'être rendu un compte exact de l'état de la législation anglaise, a voulu entendre de la bouche de divers jurisconsultes de l'Amérique du Nord le récit des changements que la loi anglaise, relative à la capacité et aux biens des femmes mariées, a subis depuis une centaine d'années aux États-Unis et au Canada. Les dépositions de M. Fishcr, avocat de l'État de Vermont, de M. C. H. Hill, avocat à Boston, de M. Cyrus Field, de New-York, et de M. Rose, ministre des finances du Canada, ainsi que les lettres écrites par MM. Dudley Field, avocat à New-York, E. Washburn, gouverneur du Massachussets, Wells, juge assesseur à la Cour suprême du Massachussets, etc. ne forment pas la partie la moins curieuse de l'enquête de 1868 (1).

Le common law anglais, développé et corrigé par la jurisprudence de la Cour de chancellerie, a formé pendant très-longtemps le fonds de la législation des États-Unis et du Canada, en ce qui concerne la condition privée des femmes; mais un vif mouvement d'opinion s'est manifesté presque partout et a amené, par degrés, un changement radical de cette partie de la législation. L'État de Vermont donna le signal de ce changement en 1840; l'État de New-York commença quelques années plus tard, en 1848, une réforme qui ne fut achevée qu'en 1860; l'État de Massachussets ne fit sa réforme qu'en 1857 le haut Canada ne compléta la sienne qu'en 1859. Il est à remarquer que, dans tous ces États, les légistes se sont montrés en général les adversaires de la réforme, au moment où elle a été proposée, mais que, après l'expérience qui en a été faite, ils se sont accordés pour en reconnaître les heureux résultats. Dans plusieurs États de l'Ouest, le mouvement de l'opinion publique a été si vif en faveur de ces changements, qu'on a cru devoir en garantir la durée par un article formel inséré dans les constitutions de ces États.

Nous pouvons prendre, comme type des nouvelles législations américaines en cette matière, la loi de New-York de 1860. En vertu de cette loi, la femme mariée non-seulement a la propriété exclusive et la libre jouissance de ses biens personnels, quelle qu'en soit d'ailleurs l'origine, mais encore elle peut contracter sans autorisa-,tion avec des tiers, acheter, vendre, s'obliger et ester en justice. Toutefois elle ne peut traiter avec son mari ni plaider contre lui. (I) Special report onmarriedwomen'sproperty hill, etc.


Mais cette restriction se réduit à presque rien dans la pratique, grâce aux tempéraments admis par la juridiction d'Équité. Bref, la condition civile de la femme est à peu près la même au lendemain qu'à la veille du mariage.

Parmi les raisons qui ont fait adopter une législation si radicale, M. Dudley Field indique a le désir de donner aux femmes pauvres la protection assurée déjà aux femmes riches par un système de fidéicommis inaccessible aux artisans et aux petits commerçants, le désir de protéger les femmes contre l'entraînement d'une confiance aveugle qui les pousse, aux premiers temps du mariage, à se mettre à la merci de leurs maris, le désir de soustraire la fortune de la femmeaux créanciers du mari, et la conviction que l'affection mu- tuelle des époux serait plus accrue par un régime d'égalité que par une subordination de l'un à l'autre, en dehors de ce qu'exige la nature même des choses (1). »

M. Dudley Field explique que cette législation a eu les plus heureuses conséquences. On avait prédit qu'elle amènerait des dissensions entre les époux; mais ces prédictions ont été démenties par l'expérience; sur ce point, à en juger par les témoignages de M. D. Field, de M. Washburn et de M. Wells, l'opinion serait unanime aux États-Unis et l'on y traiterait de chimères les craintes que ne manquent pas d'exprimer les jurisconsultes européens sur l'effet d'une législation aussi radicale. Les femmes, parait-il, ne sont guère disposées à revendiquer l'exercice des droits qu'elles tiennent de la loi. Dans l'immense majorité des cas, au témoignage de M. D. Field (2), elles mettent tous leurs biens à la disposition de leurs maris, tant qu'elles sont traitées par eux avec affection, et souvent même [en cas contraire. Parmi les classes ouvrières les exceptions à cette règle sont très-rares, et le plus souvent elles n'ont lieu que sur les conseils du mari et par un motif de prudence.

« La seule objection qu'on fasse à la nouvelle loi, ajoute M. D. Field, est qu'en général les maris sont un peu trop disposés à en faire profiter leurs femmes aux dépens de leurs créanciers. Mais cela n'a lieu que dans des cas où l'on fût arrivé au même but, sous l'ancienne loi, par un détour un peu plus compliqué et avec un peu plus de frais (3). »

Il semble que cette objection vaudrait la peine qu'on s'y arrêtât (1) Special report, etc., p. 84, appendix, n° 1.

(2) Loc. cit., p. 84.

(3) Report, etc., p. 83.


un peu davantage. M. Fishera expliqué devant la commission d'enquête que si le mari, pressé par ses créanciers, mettait une partie de son actif au nom de sa femme, les créanciers auraient droit de faire tomber cette combinaison. Mais le mari, qui gagne une année 50,000 francs, peut sans difficulté les mettre au nom de sa femme, comme une réserve pour les mauvais jours. Il suffit, qu'au moment où il fait cetarrangement il ne soit pas de mauvaise foi, en d'autres termes qu'il ne soit pas au-dessous de ses affaires (1). Nous pouvons prendre par là quelque idée des avantages et des dangers que présente le régime de la séparation de biens dans un pays de spéculations aventureuses et de ruines subites, comme sont la plupart des États de l'Amérique du Nord. Mais nos mœurs commerciales résisteraient énergiquement à l'extension en France d'un pareil système.

La législation de l'État de Massachussets n'est pas tout à fait aussi radicale que celle de New-York; la femme a seule l'administration de ses biens, mais elle ne peut aliéner ses immeubles ni les mettre en société sans le consentement de son mari. Des restrictions analogues ont été maintenues dans la législation de l'État de Vermont et dans celle du Canada.

Le bill déposé à la Chambre des communes en -1868 avait été, pour ainsi dire, calqué sur la loi de l'État de New-York. On y déclarait en termes formels « que la femme mariée serait désormais capable de posséder, acquérir, aliéner, léguer ses biens, meubles ou immeubles, et en outre de contracter et d'ester en justice, comme si elle n'était pas mariée (2). » La Chambre des communes ne fut pas choquée de la hardiesseapparente de cette disposition; seulement elle admit que la femme ne pourrait, sans autorisation, aliéner certains biens et notamment certains immeubles (freehold or copyhold hereditaments) (3). Elle décida en outre que les obligations contractées par la femme, durant le mariage, ne pourraient s'exécuter que sur sa fortune mobilière (personal estate) (4). Malgré ces restrictions, le bill voté par la Chambre des communes souleva à la Chambre des lords une vive opposition (5). Lord [1| Report, etc., questions 463-466.

(2) Clause, n° 1.

(3) Clause, n° 1,§2.

(i) Clause 2.

(5| La presse anglaise s'était montrée en général hostile aux innovations proposées.

Voir le Times du 15 avril 1869 et du t2 juillet 1869, le Daily Telegraph du 12 juin 1868, le Standard du 13 juin 1868 et le Law Times du 7 novembre 18G8.


Penzance, tout en reconnaissant la nécessité d'une réforme, soutint avec autorité [1) que le but avait été dépassé; en effet, s'il était juste que les salaires des femmes mariées ne fussent pas livrés aux dissipations de leurs maris, il n'était aucunement indispensable que la femme mariée pût contracter avec des tiers et ester en justice, même contre son mari. « Qu'on se figure, disait lord Penzance, deux époux ayant l'un contre l'autre un procès, déjeunant le matin en tête à tête, passant le jour chez leurs avoués et se retrouvant encore le soir en tête à tête. JI

Imagine-t-on le sort d'un mari à qui sa femme viendrait apprendre qu'elle a ouvert une maison de commerce et qu'elle s'est associée avec un de ses cousins?

Soustraire au contrôle du mari toutes les dépenses de la femme, établir dans tous les cas et d'une manière absolue une séparation de biens entre les époux, n'était-ce pas rendre la vie commune presque impossible? En vain invoquerait-on l'exemple des classes supérieures dans la grande majorité des cas, la femme ne garde, en se mariant, qu'une faible portion de ses revenus. Tout le reste est à la disposition du mari, à qui seul incombe la charge de nourrir la famille. La séparation de biens ne devrait être, d'après lord Penzance, qu'un régime d'exception. Dans le cas où le mari se montrerait prodigue et refuserait de travailler, lord Penzance voudrait qu'on empruntât à la loi française le remède de la séparation de biens judiciaire. On ne peut rien imaginer de plus raisonnable que la pratique française à cet égard; il n'y aurait qu'à étendre la disposition de l'acte de 1857 qui permet à la femme, en cas d'abandon du mari, de se présenter devant un juge pour être autorisée à disposer du produit de son travail.

Ce remède, indiqué par lord Penzance, avait été repoussé comme insuffisant par toutes les personnes entendues dans l'enquête de la Chambre des communes. La principale objection était tirée de la répugnance presque invincible qu'éprouverait la femme, sauf dans des cas extrêmes, à venir en personne devant un juge et à exposer publiquement ses griefs contre un mari dissipateur ou brutal (2). Nous n'examinerons pas jusqu'à quel point cette objection est fondée sur l'observation exacte des mœurs anglaises. Il se peut que, dans la crainte des reproches ou des mauvais traitements de son (1) Voir le Times du 22 juin 1870.

On sait que lord Penzance est le président de la Cour des divorces à Londres. (2) Voir les dépositions de MM. Ormerod (quest. n° 1317) Fowle (1350), Mundella(1359),Mansfield (1223).


mari, la femme hésite trop longtemps à entretenir un magistrat de sa plainte. Mais a-t-on coupé court à toute difficulté en supprimant l'intervention judiciaire? La femme, victime des dissipations du mari, aura-t-elle toujours la force de défendre contre ses exigences et ses menaces le produit de son travail? « Je sais malheureusement, disait lord Penzance, par ma longue expérience, qu'il n'y a pas de cause plus commune de violence et de sévices, conduisant à la séparation de corps, que la possession par la femme d'une petite somme d'argent qu'elle a droit de conserver par-devers elle; quand le mari désespère de se faire remettre cette somme à l'amiable, il finit presque toujours par recourir à de mauvais traitements (i). » Cependant la plupart des témoins entendus dans l'enquête se sont accordés à penser que la femme, devenue maîtresse de ses salaires, et ne sentant plus peser sur sa tête le joug d'une loi tyrannique, trouverait en elle-même l'énergie de résister aux prétentions injustes ou brutales du mari. Qu'on lui donne seulement, disent-ils, un point d'appui dans un texte de loi, et elle saura défendre contre son mari les salaires qu'elle a péniblement gagnés et qui servent à donner du pain à ses enfants. D'ailleurs, ajoute-t-on, l'opinion publique et les mœurs, toutes-puissantes en pareille matière, commencent à appuyer énergiquement la prétention de la femme de disposer seule du produit de son travail. A ce point de vue, rien n'est plus intéressant que la déposition de M. Ormerod, président de la Société des équitables pionniers de Rochdale (2). Celte société, très-connue en France, compte aujourd'hui sept mille membrés, tous appartenant à la classe ouvrière. Le président est lui-même un ouvrier, et le conseil d'administration, nommé par les ouvriers, est exclusivement recruté parmi eux. Un grand nombre de femmes sont membres de la Société et participent aux élections du conseil (3). Lorsqu'elles se marient, elles ne cessent pas d'être considérées par la Société comme étant seules propriétaires de la part qui leur revient dans les bénéfices ou dans l'actif social. En général, le mari et la femme ont un compte distinct sur les livres de la Société, et en aucun cas le mari n'est autorisé à retirer les sommes qui ont été placées au nom de sa femme. On regarderait comme une criante injustice qu'il en fût autrement'(4). C'est ainsi que la coutume et les règlements de la Société ont établi un régime de sé(1) Times du 22 juin 1876.

(2) Special report, etc. p. 67 et suit.

(3) Question 1330.

(4) Question 1331.


paration de biens, dépourvu d'existence légale, mais dont personne ne se plaint et dont les résultats, au dire de M. Ormerod, auraient été excellents.

Les critiques élevées par lord Penzance et ensuite par lord Westbury (1) contre le bill voté par la Chambre des communes, ont abouti à faire retrancher de ce bill les dispositions trop absolues en vertu desquelles la femme mariée aurait eu à l'avenir la capacité de contracter et la libre jouissance de ses biens personnels à l'égal de la femme non mariée. Mais une série de clauses spéciales insérées dans le bill ont reconnu à la femme mariée la propriété exclusive, non-seulement de tous les produits de son travail durant le mariage, mais encore de toutes les sommes qu'elle aurait placées, avant ou après le mariage, dans les caisses d'épargne, dans les fonds publics, dans des actions ou obligations de sociétés industrielles ou de sociétés de secours mutuels, ou enfin dans des assurances sur sa propre vie ou sur celle de son mari (2).

D'autres clauses insérées dans le bill ont autorisé la femme à disposer librement, pour son usage particulier de toute propriété mobilière qui pourrait lui advenir pendant le mariage, par succèscession ab intestat de toute somme d'argent au-dessous de 200 livres (5,000 francs) qu'elle pourrait acquérir par donation ou (1) Times 22 juin 1870.

(2) Sect. 1. « Les gages ou salaires acquis ou gagnés par une femme mariée, postérieurement à la promulgation du présent acte dans tout emploi, profession, commerce, où elle est engagée ou qu'elle exerce à part de son mari, ainsi que toutes sommes d'argent ou autres biens acquis par elle dans l'exercice de quelque talent littéraire, artistique ou scientifique, et tout placement de pareils gages, salaires, sommes d'argent ou autres biens, seront considérés et traités comme propriété particulière de la femme,affectés à son usage personnel,er dehors de tout contrôle du mari, et les quittances de la femme vaudront seules décharge pour ces gages, salaires, sommes d'argent et autres biens. »

Sect. 2. « Malgré toute disposition contraire contenue dans l'acte qui a autorisé les commissaires pour la réduction de la dette nationale (10 Georges IV, c. 24) à délivrer des annuités soit à vie; soit pour un certain nombre d'années, ou dans les actes relatifs aux caisses d'épargne, tout dépôt fait ou toute annuité délivrée par lesdits commissaires au nom d'une femme mariée ou d'une femme qui se mariera ensuite, seront considérés comme la propriété particulière de cette femme, et les payements lui seront faits à elle-même, comme si elle n'était pas mariée. » Sect. 3. Même disposition relativement aux sommes placées en fonds puhlics. Sect. 4. Même disposition en ce qui concerne les actions ou obligations entièrement libérées dans des sociétés par actions (joint stock companies). Sect. 5. Même disposition quant aux actions industrielles, de prévoyance, de secours mutuels, de maisons ouvrières et de crédit populaire.

Sect. 10. – Dispositions analogues relativement aux polices d'assurance sur la vie


par legs (1) 3° des revenus des immeubles qui pourraient lui échoir, durant le mariage, dans une succession ab intestat (2). Ainsi, en résumé, la nouvelle législation n'a pas touché à l'incapacité générale de contracter qui pèse sur la femme mariée; d'où il résulte que légalement la femme mariée ne peut exercer un commerce distinct de celui de son mari (3), ni s'associer, ni traiter soit avec son mari, soit avec des tiers. L'action en justice lui est également refusée, sauf dans le cas où il s'agit pour elle de poursuivre le recouvrement de sommes ou de valeurs quelconques dont la loi lui reconnaît la propriété exclusive. A ce dernier point de vue seulement, la femme mariée anglaise est moins rigoureusement traitée que la femme française, à qui l'action en justice, sans autorisation, est toujours interdite.

Quant au régime matrimonial établi par le nouveau bill, il a de grandes analogies avec notre régime de la séparation de biens; seulement, au lieu de contribuer jusqu'à concurrence d'un tiers aux charges du ménage, la femme mariée n'est tenue, en Angleterre, qu'à indemniser la paroisse des dépenses que celle-ci serait forcée de faire pour l'entretien de son mari ou de ses enfants (4). C'est un problème délicat de savoir si le régime de la séparation de biens vaut mieux que le régime de la communauté comme régime de droit commun, applicable surtout aux femmes des classes ouvrières ou des classes les moins aisées. En Angleterre, la communauté n'ayant jamais existé entre époux, toute réforme faite dans l'intérêt de la femme, a dû tendre à assurer à celle-ci la propriété et la jouissance exclusive des biens qu'elle possédait en se mariant et de ceux qu'elle pouvait acquérir ensuite par son travail. C'est vers ce but qu'ont été dirigés, depuis plusieurs siècles, tous les efforts de la Cour de chancellerie, et c'est aussi à cc but que vient d'aboutir la récente législation. Mais, sans entrer dans une comparaison que ne comporterait pas le cadre restreint de notre étude, nous demeurons convaincu que, malgré ses défauts, le Code civil est encore (1) Sect. 7. Dans le cas où la femme aurait droit,en vertu d'une donation ou d'un testament, plus de 200 livres en une fois,elle pourrait seulementréclamer son droit à une constitution de dot (equity to a seulement), suivant la jurisprudence de la Cour de chancellerie.

(2) Sect. 8.

[3) Cependant nous avons vu que la loi attribue à la femme toutes les sommes qu'elle peut acquérir dans un commerce, à part de son mari il y a là une sorte de contradiction (Voir l'article cité de M. Westlake, p. 200.)

(4) En d'autres termes,le nouveau bill a purement et simplement étendu à la femme les dispositions de l'acte de 1868 (Wagrant act).


supérieur, en cette matière, comme en bien d'autres, à la législation anglaise.

Ce n'est pas une. raison pour nous d'assister avec indifférence aux réformes qui s'accomplissent dans un pays si voisin de nous; le spectacle des efforts que fait l'Angleterre depuis cinquante ans pour renouveler ses lois civiles et criminelles, en excitant vivement notre curiosité, ne peut que nous attacher davantage à nos propres lois et nous engager à les perfectionner sans relâche pour ne pas les laisser déchoir de la réputation qu'elles ont à bon droit méritée.

M. le Président fait connaître le résultat du scrutin pour l'élection des membres du Conseil de direction.

Sur 49 votants, ont obtenu

MM. BALLOT, avocat à la Cour d'appel de Paris, membre du conseil de l'Ordre. 48 voix. Jozon, avocat à la Cour de cassation, membre de

l'Assemblée nationale. 48 Faustin-Hélig, conseiller à la Cour de cassation. 47 Joseph GARNIER, professeur d'économie politique à

l'École des ponts et chaussées. 46 PICOT, juge suppléant au tribunal de la Seine. 43 GIDE, professeur à la Faculté de droit de Paris. 42 Albert Desjardins, professeur agrégé à la Faculté

de droit de Paris, membre de l'Assemblée na-

tionale. 38 En conséquence, M. le Président proclame MM. BALLOT, Jozon et FAUSTIN-HÉLIE, membres du Conseil de direction pour quatre ans,

Et MM. Joseph GARNIER, PICOT, GIDE et Albert Desjardins, membres du Conseil de direction, pour un temps qui sera fixé, par la voie du sort, de un à quatre ans.

La séance est levée à dix heures trois quarts.


CONSEIL DE DIRECTION.

EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL DE LA SÉANCE DU 1" DÉCEMBRE 1871. Présidence de M. IIenouard.

Sont présents MM. Allou, REVERCHON, GREFFIER, Aucoc, Vice- Présidents;

BARBOUX, BERTRAND, BUFNOIR, DESJARDINS, J. GARNIER, GIDE, HÉROLD, LAMÉ-FLEURY, Lunier, Picot.

Les membres absents se sont excusés de ne pouvoir assister à la séance.

Aux termes du règlement il est procédé à la nomination du secrétaire général et des secrétaires de la Société.

Sont élus pour l'année 1872

Secrétaire général.

M. ALEXANDRE RIBOT, substitut au tribunal de la Seine. Secrétaires.

MM. TANON, substitut au tribunal de la Seine.

BERTRAND (Edmond), juge-suppléant au tribunal de la Seine. Heoronner, avocat à la Cour de Paris.

DIETZ, avocat, docteur en droit.

Trésorier.

M. Gonse, avocat à la Cour de cassation.

M. le secrétaire général expose au Conseil que M. le Garde des Sceaux a bien voulu offrir à la Société de Législation comparée, dont il fait partie, son concours le plus bienveillant et le plus efficace pour l'aider à accomplir la tâche qu'elle s'est imposée. Une bibliothèque de Législation comparée existe déjà au ministère de la justice; malheureusement elle est très-incomplète et on n'est pas encore arrivé à organiser l'échange entre le bul-


letin des lois françaises et les collections des lois des divers pays. Lorsque cet échange s'effectuera régulièrement, M. le Garde des Sceaux sera heureux de mettre à la disposition de la Société de Législation comparée tous les documents, publications, traductions qui parviendront au ministère.

M. le Garde des Sceaux a en outre proposé au Conseil de direction de la Société de tenir ses séances au ministère de la justice. Après une courte discussion à laquelle prennent part MM. BERTRAND, PICOT et Rkrouard, le conseil décide qu'une lettre de remerciments sera écrite en son nom par M. le Président à M. le Garde des Sceaux.

Le Conseil pense qu'il y aurait inconvénient à déplacer le lieu de ses séances; mais il estime que la Société doit accepter avec reconnaissance les documents dont la communication lui a été offerte.

M. le secrétaire général soumet au Conseil le plan d'une nouvelle publication qui serait destinée à s'ajouter au bulletin mensuel de la Société et qui pourrait rendre de très-grands services. Tous ceux qui s'intéressent en France aux études juridiques ou qui participent au travail de la législation se plaignent de la difficulté et parfois de l'impossibilité de se procurer les textes des lois étrangères, même les plus récentes. Ces textes se trouvent le plus souvent perdus dans de vastes collections que personne ne possède; en outre ils ne pourraient être rendus intelligibles que par des traductions faites avec le plus grand soin et par des annotations ou des renvois auxlois antérieures. Ce serait donc combler une lacune évidente que de publier chaque année, en un volume, le recueil des traductions des principales lois qui auraient été votées l'année précédente dans les différents pays.

Aucune Société n'est mieux en état d'entreprendre une telle publication que la Société de la législation comparée. Un certain nombre de membres, ayant la connaissance des langues et des législations étrangères, se sont offerts pour remplir le rôle difficile de traducteurs. Plusieurs traductions sont même déjà achevées, entre autres celle du nouveau Code pénal de l'empire d'Allemagne.

M. le secrétaire général fait remarquer qu'en Allemagne, divers


recueils et notamment les Archiv. des Norddeutschen Bundes, publient chaque année les lois étrangères qui sont considérées comme étant « d'intérêt général.» ))

Après une discussion, à laquelle prennent part MM. Renouahd, Aixou, BERTRAND, GARNIER, BARBOUX, HELBRONNER et PICOT, le Conseil décide

1" Qu'il sera publié chaque année un annuaire, en un volume, contenant la traduction des principales lois étrangères, avec des notes sommaires et des renvois à la Législation antérieure. 2° Que la composition de cet annuaire sera soumise chaque année à l'approbation du Conseil.

3° Que les traductions devront être signées.

Le Conseil décide qu'il tiendra à l'avenir ses séances, au siège de la Société, le troisième vendredi de chaque mois.


Le secrétaire général prie instamment tous les membres qui désirent prendre une part active aux travaux de la Société de vouloir bien se rendre au siége de la Société, 64, rueNeuve-des-PetitsChamps (cercle des Sociétés savantes), où ils seront reçus tous les vendredis de trois heures à cinq heures. `

Toutes les lettres et communications doivent être adressées au secrétaire général, au siége de la Société.

La liste générale des membres de la Société sera publiée dans un des prochains numéros du bulletin^Prière est faite aux personnes qui ont changé d'adresse de vouloir bien en donner avis au secrétaire général.

Les demandes d'admission peuvent être adressées au secrétaire général ou à l'un des membres du Conseil de direction. La cotisation pour l'année 1872 reste fixée à 20 francs. Cette cotisation est de 10 francs pour les membres résidant en province. Il a été décidé que la cotisation de l'aimée 1871 ne serait pas mise en recouvrement.

602 Paris. imprimerie CUSSET et U% 26, rue Racine.


Le Secrétaire général prie instamment les membres, qui ont l'intention de prendre une part active aux travaux de la Société, de vouloir bien se rendre au siège de la Société, 64, rue Neuvedes-Petits-Champs, où ils seront reçus tous les vendredis, de trois heures à cinq heures.

SECRÉTARIAT GÉNÉRAL.


EXTRAIT DES STATUTS.

1. Une Société est instituée sous le nom de Société de législation comparée.

II. Elle a pour objet l'étude des lois des différents pays et la recherche des moyens pratiques d'améliorer les diverses branches de législation.

III. Elle nomme des correspondants à l'étranger.

IV. Elle ne vote sur aucune question.

V. On ne peut faire partie de la Société qu'après avoir été admis par le Conseil, sur la présentation d'un Sociétaire.

VI. Les membres résidant à Paris payent une cotisation annuelle de 20 francs.

Cette cotisation est de 1 francs pour les membres résidant en province.

XIV. Les séances de la Société ont lieu au moins tous les mois. CONSEIL DE DIRECTION POUR L'ANNÉE 1872.

Président

M. RENOUARD, membre de l'Institut, procureur général à la Cour de cassation.

Vice-Présidents

MM. ALLOU, avocat à la Cour d'appel, ancien bâtonnier de l'Ordre. REVERCHON, avocat général à la Cour de cassation.

GREFFIER, conseiller à la Cour de cassation.

Aucoc, conseiller d'État.

Membres du Conseil

MM. BALLOT, avocat à la Cour d'appel.

Batdie, professeur à la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

Barboux, avocat à la Cour d'appel.

BERTRAND (Ernest), conseiller à la Cour d'appel.

Bufnoir, professeur à la Faculté de droit.

Desjardins (Albert), agrégé a la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

Garnier (Joseph), secrétaire général de la Société d'Économie politique.

GIDE, professeur à la Faculté de droit.

GROUALLE, ancien président de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation.

IIélie (Faustin), membre de l'Institut, conseiller à la Cour de cass. Hérold, conseiller d'État.

JozoN, avocat à la Cour de cassation, membre de l'Assemblée nationale.

LAMÉ-FLEURT, conseiller d'État.

LimiER, inspecteur général des établissements d'aliénés. PicoT (Georges), juge suppléant au tribunal de la Seine. VALLÉE(Oscar de), anc. conseiller d'Etat, avocat à laCour d'appel. Secrétaire Général.

M. RIBOT (Alexandre), substitut au tribunal de la Seine. 60! Paria. Imprimerie OrssKT et C°, 26, rue Racine.


La prochaine séance aura lieu le Mercredi 14 Février. Voir au verso la convocation.

( BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE

LÉGISLATION COMPARÉE TROISIÈME ANNÉE.

m° 2. Janvier 18Ï».

SOMMAIRE.

Convocation (au verso de la couverture). PAGES.

Séance du 10 janvier 1872. 25

Élude de M. GRIOLET sur l'influence de la der-

nière guerre sur le droit des gens. 26

Étude par M. IIérold sur la durée du mandat

et le mode de renouvellement des Chambres

législatives 49j

PARIS

Tout ce qui concerne la publication du Bulletin

doit être adressé à MM. Cotillon et iilm, Libraires du Conseil d'État, «4, rue Sou.ffl.ot.

Toutes les autres communications seront adressées au Secrétaire général de la Société, 64, rue IVouvo-aes-i'etits-oiia.mps. __J


CONVOCATION.

La prochaine Séance de la Société de Législation comparée aura lieu le Mercredi 14 février 1872, à 8 heures 1/4 du soir, au Cercle des Sociétés savantes, 64 rue Neuve-des-PetitsChamps, sous la présidence de M. RENOUARD.

ORDRE DU JOUR

1° Rapport, au nom du Conseil de Direction, sur les comptes du Trésorier pour l'année 1870-1871.

2' Étude par M. Edmond BERTRAND, juge suppléant au tribunal de la Seine, sur la condition des étrangers en Angleterre. 3° Étude par M. GonsE, avocat à la Cour de cassation, sur la législation relative au mariage, en Prusse.


». Janvier tSï».

t

BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE LlISLATIOI CIDlftll SÉANCE DU 10 JANVIER 1872.

La séance est ouverte à huit heures et demie, sous la présidence de M. RENOUARD.

MM. REVERCHON, GREFFIER et Aucoc, vice-présidents, prennent place au bureau.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. RIBOT, secrétaire général, indique brièvetnent l'état des travaux de la Société.

Une commission a été instituée en 1869 pour étudier les diverses législations concernant les aliénés. Cette commission a publié, dans le Bulletin du mois de mars 1870, un premier rapport dû à la plume de M. Ernest Bertrand, conseiller à la Cour d'appel. Au moment où la loi de 1838 est l'objet de nouvelles critiques, il a paru opportun de compléter le travail de la Commission en recueillant les témoignages des membres de la Société ou même d'autres personnes, étrangères à la Société, qui ont pu observer, dans la pratique, comment la loi de 1838 a été appliquée. Déjà la Commission a tenu trois séances où ont été entendus plusieurs magistrats et plusieurs médecins aliénistes; les procès-verbaux de ces séances sont imprimés et ne tarderont pas à être publiés. Les traductions des principales lois étrangères, destinées à prendre place dans l'Annuaire de 1872, sont à peine commencées. Il y a d'assez grandes difficultés à faire venir de l'étranger la collection complète des textes législatifs. Cependant on ne désespère


pas de publier, au mois de juin 1872, le premier volume de l'Annuaire. Le secrétaire général fait appel à la bonne volonté de tous les membres qui ont la connaissance des langues et des législations étrangères.

M. le secrétaire général offre à la Société, au nom de leurs auteurs l'une étude de M. Ernest Dobois, professeur à la Faculté de droit de Nancy, sur la réforme de renseignement supérieur (1), étude dont le mérite a été hautement apprécié et toute pleine de détails intéressants sur les législations étrangères, notamment sur celle de l'Italie

2° Une étude très-intéressante et très- complète sur les Octrois et les budgets municipaux (2), par M. P. DELOYNES, professeur à la Faculté de droit de Douai

3° Un travail de M. H. Bakeohx, avocat à la Cour d'appel de Paris, intitulé Jurisprudence du Conseil des prises pendant la guerre de 1870-1871, avec notes et commentaires (3). L'introduction, mise en tête de ce dernier travail, contient des réflexions éloquentes sur l'inanité des efforts tentés jusqu'à ce jour pour édifier un Code de droit international, sous la sanction de l'opinion publique. La dernière guerre a dissipé les illusions généreuses des publicistes qui s'étaient figuré que l'adoucissement général des mœurs et les progrès de la culture intellectuelle devaient rendre impossible le retour des excès et des crimes dont les anciennes guerres avaient offert l'exemple.

La parole est donnée à M. GRIOLET, pour sa communication sur l'influence de la dernière guerre sur le progrès du droit des gens (h).

Au moment où la guerre de 1870 a éclaté, les auteurs dont l'opinion forme, en très-grande partie, le droit des gens, semblaient avoir déterminé les lois de la guerre avec une précision suffisante pour garantir les droits de l'humanité. Vattel et de Martens eux-mêmes, (1) Cotillon, éditeur. 1871. 1.

(2) Paris, Guillaumin et O.

(3) Paris, H. Sotheran, J. Baer et C". 1812.

(4) M. Rolin-Jaequemyns, Chronique du droit international, publiée par la Revue de droit international et de législation comparée, 1870, n' 4 et 1871 n° 2. M. Bluntschli, professeur à l'Université d'IIeidelberg, Vulkerrechtliche Betrachtungen über den franio'sisch-deutschcn Krieg, 1870-1871 article publié dans le Jahrbuch fur Gcselzgebung, rerwaltung und Rechtspflege des deutsclien Reichs. Leipzig.


amendés par les annotations de Pinheiro-Ferreira, de M. Vergé et de M. Pradier-Fodéré présentaient une réglementation des pratiques de la guerre en général satisfaisante. (V. aussi Massé, Droit commercial dans sesrapports avec le droit des gens, 2e édit.,t. I, Hv. 2, t. I, chap. 2.) Plus récemment, le docteur Lieber, en Amérique, et M. Bluntschli, en Europe, avaient réalisé, dans cette partie du droit des gens, un trèsremarquable progrès.

En 1863, sur la demande du ministre de la guerre Stanton, le docteur Lieber a rédigé, sous le titre d' Instructions pour les armées américaines en campagne, un petit code des lois et usages de la guerre. Ce règlement, approuvé par le président Lincoln, était déjà bien supérieur non-seulement aux règlements en usage dans les armées européennes mais encore à tous les traités antérieurs. A la suite de la guerre allemande de 1866, M. Bluntschli a publié un petit code analogue (Das moderne Kriegsrecht der civilisirten Staten.) détaché du Droit international codifié qu'il préparait alors. Bientôt après ce dernier ouvrage a paru (1). Il contient, sous la forme d'articles suivis de commentaires, la formule la plus précise de tous les principes du droit des gens moderne. Les lois et les usages de la guerre y sont particulièrement exposés avec le plus ardent désir de modérer et de restreindre ce droit de la force.

Ainsi, grâce aux efforts constants des philosophes, des publicistes, des jurisconsultes depuis Grotius, le droit de la guerre avait été adouci, civilisé. Il semblait même qu'il n'y eût désormais, en cette matière, que peu de progrès à accomplir, jusqu'au jour où la guerre elle-même fera trop d'horreur pour qu'elle soit encore pratiquée.. Aujourd'hui presque tous ces laborieux progrès du passé sont compromis.

On sait comment ont été respectées les maximes des jurisconsultes et même les anciens usages, soit dans les négociations et conflits diplomatiques qui ont précédé la rupture de la paix, soit dans la conduite des hostilités, soit dans la conclusion de la guerre. Il aurait fallu que les plus graves, tout au moins, de ces violations du droit des gens fussent relevées par les publicistes et par les jurisconsultes de tous les pays avec une égale réprobation. Il n'en a pas été ainsi. Les manquements qui ont pu être reprochés aux Français ont été très-vivement blâmés à l'étranger, quelquefois sans pitié. Même en France ils ont rencontré des juges sévères. Mais les vaiuqueurs ont trouvé plus d'indulgence. Quelques-unes des pratiques prussiennes les (1) Le Droit international codifié, par il. Bluntschli, traduit par SI. Ch. Lardy, précédé d'une préface par M. Edouard Laboulaye. Librairie de Guillaumin et C".


plus odieuses ont été approuvées et pour ainsi dire maximées par des jurisconsultes éminents D'autres n'ont été critiquées qu'avec des restrictions, des doutes qui approchent d'une justification. De tous les travaux juridiques qui ont paru à l'étranger sur la guerre de 1870-1871, les plus complets et les plus remarquables sont certainement ceux de MM. Rolin-Jaequemyns et Bluntschli. Dès le début de la guerre M. Rolin-Jaequemyns a publié, dans la Revue du droit international qu'il dirige en Belgique, une Chronique du droit international où il a embrassé toutes les questions soulevées par la guerre (1870, n° (4, et 1871, 2). M. Rolin-Jaequemyns a déployé dans ce travail la science et le talent qu'on lui connaît. Malheureusement M. Rolin-Jaequemyns a presque toujours cédé à l'influence de ses très-vives sympathies pour la cause allemande et pour la politique prussienne. De là, sur la politique du gouvernement français, sur les idées et les sentiments de la nation française, des appréciations qui ne sont pas toujours dignes du caractère de l'auteur et de la haute valeur de l'ouvrage. De là aussi, ce qui est plus grave, une modération excessive lorsqu'il ne peut mentionner sans critique les excès ou les abus reprochés aux généraux allemands, et quelquefois même l'abandon des règles qu'un consentement universel avait consacrées. M. Bluntschli a écrit plus tard. La guerre était terminée lorsqu'il a publié dans l'Annuaire de législation, récemment créé à Leipzig par M. HolLzendorff (Jahrbuch fur Gesetzgebung, etc.), ses Considérations sur le droit des gens et la guerre franco-allemande de 1870-1871. M. Bluntschli n'est pas plus impartial que M. Rolin Jaequernyns lorsqu'il apprécie la conduite du gouvernement français et celle du peuple français; mais il ne se résigne pas aussi souvent à approuver ce qu'ont fait les chefs de l'armée allemande. Plus d'une fois il condamne avec force, bien que sous une forme indirecte. Ailleurs il ne réussit pas à achever une justification qu'il avait tentée évidemment malgré lui. Il déplore souvent la barbarie de notre siècle et il se plaint, avec une tristesse touchante, de l'accueil qui est réservé des deux côtés à ceux qui élèvent la voix pour la défense de l'humanité. On aime à retrouver l'auteur du Code international. Cependant M. Bluntschli lui-même n'a pu s'empêcher d'oublier quelquefois les règles qu'il avait lui-même précédemment formulées.

Je ne me propose pas, Messieurs, de vous présenter un examen critique de ces deux ouvrages. Il faudrait passer en revue, avec leurs savants auteurs, toutes les questions que la dernière guerre a fait naître (1).

(1) Y. notamment [es articles de M. Ch. Giraud, le Droit des gens et la guerre


Je voudrais seulement signaler à la Société les jugements portés par M. Rolin-Jaequemyns et par M. Bluntschli sur quelques-uns des actes qui ont paru compromettre le plus gravement les intérêts de l'humanité et les principes du droit des gens le bombardement des villes, l'incendie et l'arrestation d'otages comme moyens de répression ou d'intimidation, le pillage, les contributions de guerre, le concours exigé des habitans.

Toutes ces questions sont relatives à la conduite de la guerre. M. Rolin-Jaequemyns et M. Bluntschli ont également examiné les causes de la guerre et les conditions de la paix.

Je ferai peut-être une seconde communication à la Société sur les conditions de la paix, après que la dernière partie de l'article de M. Bluntschli aura paru dans la prochaine livraison du Jahrbuch. Mais je ne crois pas que les causes de la guerre puissent être le sujet d'une communication à la Société de législation comparée. Les moti fs de la guerre, c'est-à-dire les faits qui l'ont occasionnée, donneraient nécessairement lieu à des discussions politiques qu'il ne convient pas de provoquer ici. Les raisons justificatives de la guerre, c'est-à-dire les intérêts, les passions, les sentiments nationaux qui l'ont amenée, sont aussi une matière plutôt politique, historique ou philosophique. D'ailleurs, sur l'un et l'autre sujet, les travaux de MM. Rolin-Jaequemyns et Bluntschli sont à peu près complètement dépourvus de critique et d'impartialité. Ainsi, quant aux motifs de la guerre, ils suivent la version prussienne et s'attachent uniquement aux faits qui ont été revélés au public, sans élever le moindre doute sur la spontanéité de la candidature Hohenzollern et sur le véritable but de ceux qui l'ont suscitée en Allemagne et en Espagne, sans tenir aucun compte des intrigues qui ont précédé et de la situation qui résultait pour les deux gouvernements de la politique qu'ils suivaient depuis plusieurs années l'un envers l'autre et à l'égard de leurs voisins. En ce qui concerne les raisons justificatives de la guerre,'ils affirment sans hésitation et sans examen que le peuple français n'a jamais cessé, sous tous ses gouvernements successifs, de menacer l'Allemagne et de méditer une guerre contre elle. L'Allemagne, au contraire, ne désirait que la paix sans rien convoiter du patrimoine français.

Ce serait une étude bien intéressante et bien utile qu'une recherche vraiment scientifique des causes qui, dans les deux pays, ont incliné les esprits à l'idée d'une guerre prochaine et même inévitable. de la Prusse (Revue des Deux-Mondes, numéro du 1" février 1871) et ceux de M. A. Morin, Journal du droit criminel, 1870, art. 9067 et 3668. M. Morin nous fait espérer la prochaine publication d'un traité sur les lois de la guerre.


II faudrait comparer les théories des publicistes et des savants ainsi que l'influence de ces théories, en France et en Allemagne, les intérêts des classes élevées et les passions du peuple dans l'un et l'autre pays. A tous ces points de vue il semble bien que la guerre devait venir de l'Allemagne et non pas de la France. La théorie des frontières naturelles n'avait chez nous que des défenseurs sans crédit. La théorie des nationalités par la race et par la langue, du pangermanisme, possède tous les esprits allemands. En France, les classes élevées n'ont généralement aucun intérêt à désirer la guerre parce qu'elles n'ont pas une part considérable et privilégiée dans les avantages que la guerre assure aux chefs militaires. Quant au peuple, on peut affirmer qu'il n'avait généralement de haine pour aucun étranger. Il est même vrai que, dans la plupart des départements, le peuple n'avait jamais pris l'Allemand pour l'objet d'un ressentiment particulier. Toutes les aspirations, toutes les passions de la partie remuante des classes populaires étaient tournées d'un autre côté.

Quelle serait, en Allemagne, sur chacun de ces points la réponse d'un observateur impartial? Je crois bien qu'elle différerait beaucoup plus du jugement de M. Rolin Jaequemyns et de M. Bluntschli que des appréciations de M. Caro, dans son remarquable article « les Deux Allemagnes. » (Revue des Deux-Mondes, 1" novembre f871) (1). Ayant ainsi écarté de mon travail les questions les plus délicates et n'ayant pas d'ailleurs à examiner la conduite des chefs ou des soldats français, je pourrai peut-être éviter de donner moi-même l'exemple de la partialité que je reproche à d'autres.

L'un de nos collègues voulait bien me rappeler, ily a quelques jours, que j'ai peut-être déjà fait preuve d'impartialité en pareille matière. Il m'est en effet arrivé de critiquer assez vivement, à la séance de la Société des économistes du 5 août 1870, l'acte par lequel le gouvernement français venait d'annoncer que ses navires de guerre recevraient l'ordre de capturer les navires de commerce allemand, conformément aux règles établies par le congrès de 1856, mais contrairement à l'exemple donné en 1866 par l'Autriche, la Prusse et l'Italie et à la déclaration que le roi de Prusse avait déjà publiée. Je protestais alors au nom des principes du droit des gens moderne contre un acte français. Peut-être (1) V. sur la théorie des nationalités et du pangermanisme, le remarquable travail de M. Jozon, Bulletin de la Société de législation comparée, n° de mars 1870, et spécialement sur les théories philologiques, l'article d'un jeune et savant linguiste, M. Gaidoz, les Ambitions et les revendications du pangermanisme (Revue des DeuxMondes, numéro du 1" février 1871).


m'est-il particulièrement permis de critiquer ceux qui ont été plus indulgents pour leur pays et pour leurs compatriotes.

Bombardement des villes.

Le bombardement des villes a donné lieu à trois questions: l' L'intérieur des villes fortifiées, qui est habité par la population civile, peut-il être directement bombardé?

20 Les villes ouvertes peuvent-elles être bombardées lorsqu'elles se défendent ?

Le bombardement d'une ville peut-il être commencé sans avertissement préalable?

Je ne dirai rien des deux dernières questions, bien que je n'approuve pas tout ce qui a été écrit sur ces deux points, surtout en ce qui concerne le bombardement des villes ouvertes qui se défendent. Quant à celles-ci, on doit remarquer qu'elles ne peuvent être traitées autrement que les villes fortifiées, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent être bombardées que dans les parties servant à la défense, et on doit surtout ajouter que l'ennemi ne saurait être autorisé à bombarder indistinctement toute ville qui ne l'accueille pas, sans que quelqu'un tire un coup de fusil. Il faut qu'il y ait une résistance réelle, sérieuse, des barricades, des maisons crénelées, une véritable défense.

Mais la première de ces questions mérite un examen très-sérieux. Avant la dernière guerre, il était à peu près généralement admis que les effets du bombardement doivent être limités aux fortifications et à leurs dépendances, et qu'on peut tout au plus les étendre aux bâtiments militaires des places fortes.

Martens lui-même, Martens, qui autorise tant d'usages interdits par les auteurs plus récents, avait écrit (liv. 8, ch. -4, J26) a Dans la règle, on ne doit diriger les bouches feu que contre les ouvrages de fortifications. »

Quelques auteurs avaient, il est vrai, ou simplement rappelé que les villes ouvertes ne doivent pas être bombardées, ou omis de traiter du bombardement; mais aucun n'avait écrit et n'aurait osé écrire qu'il est permis à l'assiégeant de diriger son feu directement et intentionnellement sur la partie de la ville habitée par la population civile, afin qu'elle détermine la garnison à se rendre.

Ce procédé a été cependant pratiqué dans la dernière guerre. Et, hors de France, il a trouvé, parmi les jurisconsultes, des juges indulgents et même des approbateurs.

M. Bluntschli a condamné ce mode d'attaque dans des termes na-


turellement modérés; mais M. Rolin-Jaequemyns n'a pas craint de l'approuver et presque de le célébrer comme un progrès. M. Bluntschli pose d'abord assez nettement le principe. « L'ancienne règle militaire qui interdisait de bombarder les villes ouvertes et qui permettait de bombarder les villes fortifiées ne suffit plus. La règle moderne doit être celle-ci Lorsque la ville et la fortification sont réunies, le bombardement, s'il est nécessaire, doit être particulièrement dirigé contre la fortification, les ouvrages avancés et leurs abords, y compris, bien entendu, les murs et les portes de la ville. L'intérieur de la ville, c'est-à-dire la résidence des habitants inoffensifs, doit être épargné autant qu'il est possible. » Je regrette le mot particulièrement. Il laisserait croire que le bombardement de l'intérieur des villes n'est pas absolument interdit, si la fin de phrase et la suite du raisonnement n'indiquaient que cette restriction a pour unique cause la difficulté qu'il peut y avoir souvent à épargner tout à fait l'intérieur d'une place dont on bombarde l'enceinte.

« On a quelquefois, ajoute M. Bluntschli, excusé un bombardement général et sans distinction, en disant qu'il a pour effet de pousser les habitants à contraindre la garnison à capituler. Mais cet argument ne trouverait que très-rarement une application. En général il est aussi inadmissible au point de vue militaire qu'au point de vue juridique. Les habitants doivent, il est vrai, s'abstenir de prendre part aux opérations militaires sans un ordre de leur souverain, bien que la défense de la patrie touche à leurs intérêts et quelquefois soit pour eux-mêmes un devoir. Mais il n'est pas permis de les contraindre à venir en aide à l'ennemi contre les défenseurs de leur propre pays. Une telle pression morale est absolument immorale.

a Je ne suis pas en mesure de décider si les généraux allemands se sont toujours, à ce point de vue, tenus dans les limites des nécessités militaires ou s'ils les ont dépassées. Pour juger sincèrement, il faudrait mieux connaître les faits et savoir aussi quelles considérations ont pu motiver tant de bombardements de villes fortifiées. Mais l'impression générale, qu'on ne saurait nier, a été que cette campagne a plutôt rappelé les barbaries traditionnelles de la guerre, que donné l'exemple nouveau d'une conduite plus humaine. En particulier, le siège de Strasbourg, la destruction du musée, du temple protestant, du séminaire, de la bibliothèque et de nombreuses maisons au milieu de la ville, montrent combien il est difficile de ne pas dépasser la limite. C'est aussi une bonne fortune pour l'honneur des armes allemandes que. le bombardement de Paris n'ait commencé que si tard, qu'il n'ait fait relativement qu'un petit nombre de victimes, que l'armée fran-


çaise de Versailles ait bientôt après causé plus de dégâts par le bombardement dans sa propre capitale, et enfin que le délire de la Commune ait rejeté entièrement dans l'ombre les dévastations des deux bombardements, par l'horreur de ses massacres et de ses incendies. Mais ces faits mettent en lumière le caractère violent et passionné de notre âge, qui laissera probablement aux générations futures une impression semblable à celle que la guerre de Trente ans a produite sur les générations suivantes. Celui qui, dans un pareil temps, élève la voix pour la défense de l'humanité, doit s'attendre à n'être compris et approuvé par personne mal venu auprès des uns, il sera réprouvé par les autres. »

On comprendra, en France, quelle est la véritable pensée de M. Bluntschli, et je me garderais de justifier ses craintes en refusant de reconnaître que les lignes que je viens de lire lui font le plus grand honneur.

Mais il est impossible de laisser sans réponse ce que dit M. Bluntschli au sujet du bombardement par l'armée de Versailles. Il est vrai que les dégâts ont été considérables, mais ils n'ont atteint qu'une même zone, celle que M. Bluntschli lui-même a indiquée comme la limite du bombardement permis, la fortification et ses abords. Rien n'était plus triste que la vue des habitations qui avoisinent le rempart du Point du Jour à la Muette. Mais on remarquait que les projectiles avaient été exclusivement dirigés contre l'enceinte et les localités voisines, attenantes, où les postes insurgés pouvaient être logés et où ils étaient en effet logés. A une certaine distance, souvent très-courte, tout était intact.

Le bombardement prussien était, au contraire, dirigé contre les parties de la ville les plus éloignées de l'enceinte. Nous avons vu les obus prussiens frapper à intervalles réguliers et sans doute réglementaires, le Val-de-Grâce, le Panthéon, Saint-Sulpice et leurs abords, des édifices et des quartiers éloignés de plusieurs kilomètres des batteries de siège. On distinguait les projectiles tirés par la même batterie. Ils atteignaient la même rue, quelquefois la même maison après un espace de temps constamment observé. Les pièces étaient évidemment pointées dans la direction des monuments les plus élevés, et le bombardement dirigé contre la population groupée dansles quartiers environnants. La comparaison des deux bombardements est ainsi la preuve la plus forte contre le bombardement prussien. Elle montre qu'il était facile de bombarder la fortification de Paris sans atteindre l'intérieur de la ville, sans bombarder la ville.


M. Rolin-Jaequemyns avait, lui aussi, reconnu le principe formulé par M. Bluntschli. Dans son premier article, p. 674, il écrit <c Bornons-nous à rappeler ici qu'il résulte des discussions mêmes auxquelles on s'est livré et des reproches que l'on s'est adressés mutuellement que, en règle générale, on ne doit, dans le siège des places, diriger les bombes que contre les fortifications et les constructions militaires. »

Ces lignes étaient écrites le 5 décembre 1870. C'est la date du premier article de M. Rolin-Jaequemyns. Lorsque le second article de M. Rolin-Jaequemyns a paru, dans le 2' liv. de 1871, les Prussiens avaient bombardé l'intérieur de Paris. M. Rolin-Jaequemyns a complétement changé d'opinion, et il approuve le bombardement des villes comme une pratique plus humaine. Il faut tout citer

« Un autre reproche adressé aux armées allemandes est celui de lancer des bombes jusque dans l'intérieur des villes, au lieu de se borner à assiéger les fortifications. Ce reproche est formulé avec une grande énergie dans une lettre adressée, le 22 janvier 1871, par le général Faidherbe au sous-préfet de Péronne. Le général y traite une question de discipline militaire intérieure, celle de savoir si le commandant d'une place forte a le droit de se rendre pour éviter le bombardement, et il conclut pour la négative. Mais il ajoute incidemment les réflexions qui suivent:

« Autrefois on faisait le siège des fortifications d'une ville forte en « ménageant la ville. C'était une sorte de convention internationale, « c'était du droit des gens.

« Les Prussiens, en cela comme en bien d'autres choses, ont rompu « avec le passé. Ils n'assiègent plus les fortifications, ils bombardent « les villes.

« Moi, je les accuse de manquer aux usages, aux ménagements « pour les populations que les peuples civilisés gardaient dans leurs « guerres, à une convention tacite, si elle n'est pas écrite. C'est donc a leur loyauté que j'incrimine. Car remarquez que, si vous les accusez « d'inhumanité, ils vous répondent que c'est au contraire par huma« nité qu'ils agissent ainsi.

« Voyez Péronne: sa prise leur a coûté quelques hommes, mettez, « si vous voulez, quelques centaines d'hommes, et à nous une dizaine « de militaires et autant de civils, tués ou blessés. Or, savez-vous ce a qu'eût coûté un siège en règle de la ville de Péronne bien défendue? « Mille à quinze cents hommes aux assiégés et trois à quatre mille « hommes aux assiégeants comparez »

« Il nous semble que ce dernier calcul est la réfutation péremptoire


de l'accusation du général français. Comment en effet qualifier de contraire au droit des gens un procédé qui aboutit à chiffrer les pertes par centaines au lieu de les chiffrer par milliers? Ou bien est-ce que les pierres des maisons seraient plus précieuses que la vie des hommes ?

« Alors même que la convention tacite, dont parle le général Faidherbe, aurait existé, cette convention ayant été nécessairement fondée sur des raisons d'humanité, ne serait plus obligatoire du moment où l'humanité conseillerait dc la rompre. D'ailleurs cette convention tacite n'existe pas. Le droit des gens à cet égard n'a pas changé depuis Vattel qui écrivait Détruire une ville par les bombes ou par les boulets rouges est une extrémité à laquelle on ne se porte pas sans de grandes raisons. Mais elle est autorisée cependant par les lois de la guerre, lorsqu'on n'est pas en état de réduire une place importante de laquelle peut dépendre le succès de la guerre, ou qui sert à nous porter des coups dangereux. Il n'y a ici d'autre convention tacite; que celle de ne pas faire à l'ennemi un mal qui ne soit pas indispensable au but de la guerre. On ne pourrait d'ailleurs soutenir qu'il y ait de nos jours un seul État qui, en fortifiant une place, ne fasse entrer en ligne de compte l'éventualité, en cas de guerre, d'un bombardement de l'intérieur de la ville. De là en partie la suppression graduelle des petites forteresses et l'extension du périmètre des grandes. (P. 390-301). » La même théorie est plus loin reproduite au sujet du bombardement de Paris (p. 308)

s D'après les relevés quotidiens du Journal officiel français, Paris a perdu, par suite de vingt-deux jours de bombardement, du 6 au 28 janvier, 31 enfants, 23 femmes et 53 hommes, soit 107 personnes tuées sur le coup, ce qui donne une moyenne de 8 environ par jour. De plus, il y a eu 276 blessés, dont une partie n'ont survécu que peu de temps à leurs blessures. C'estbeaucoup sans doute, surtout si l'on considère que les victimes appartiennent à la population civile; mais les victimes de la famine et des maladies qu'elle fait naître appartiennent aussi à la population civile. Et parmi les milliers de soldats ou de gardes nationaux qui tombaient à chaque sortie, combien n'y en avait-il pas dont la perte était, pour leurs familles, plus cruelle que la mort même? Si donc, en bombardant Paris, l'armée allemande pouvait raisonnablement espérer d'avancer de quelques jours une reddition, d'ailleurs inévitable, et d'empêcher une seule sortie, le procédé ne mériterait pas les dures qualifications que lui inflige le gouvernement de la défense nationale? »


Cette doctrine a été jugée par M. Buntschli. Elle est immorale. C'est un des plus abominables systèmes que la politique ait inventés pour justifier ses pratiques et Dieu sait combien elle en a inventés, trop souvent avec l'approbation d'éminents jurisconsultes. Voilà deux armées en présence. Si elles combattent, des milliers de soldats périront des deux côtés. Mais on peut obliger l'une d'elles à céder en sacrifiant un petit nombre de vies. On va tuer quelques vieillards, quelques femmes, quelques enfants qui lui sont chers elle mettra bas les armes pour sauver le reste. Le procédé est peut-être peu loyal, on l'avoue, mais il est humain parce qu'il coûte moins de vies. Voilà ce qu'on a osé écrire dans des documents diplomatiques en termes voilés et presque honteux. Voilà ce que des jurisconsultes osent aujourd'hui approuver. Et que diraient-ils si, en effet, un peuple poursuivait par ce moyen la fin de la guerre comme des généraux l'emploient pour obtenir la prompte reddition d'une place, s'il s'emparait, sur la frontière d'une population inoffensive et menaçait de l'exterminer au cas où il n'obtiendrait pas satisfaction? Quoi de plus humain Il suffirait de quelques vies, souvent inutiles, pour sauver des centaines de mille hommes Mais qui n'aurait pas horreur d'un pareil forfait ? C'est qu'il n'y a rien d'humain s'il n'est juste, et que la conscience des hommes ne s'y trompe pas. Aujourd'hui, il n'est licite de tuer à la guerre que les combattants. Il n'est donc pas plus permis de tuer à la guerre, sciemment et volontairement, un seul être inoffensif qu'il ne serait permis de le tuer, en temps de paix, pour un motif d'utilité quelconque. Il y a en effet des individus que la société deshommes aurait intérêt àretrancher, bien qu'innocents detout crime. Ils la surchargent inutilement. Si on les supprimait quelques années, quelques jours avant une fin inévitable, d'autres pourraient vivre et se développer à leur place. Qui oserait proposer ces actes d'humanité Personne n'aurait songé non plus à appliquer aux pratiques de la guerre ce raisonnement, le plus odieux et le plus criminel peut-être que la pensée puisse concevoir. Mais on est toujours ingénieux pour défendre les anciens usages même les plus condamnables, surtout au profit des forts.

On considérait autrefois comme ennemie la population tout entière; comme telles on la faisait esclave, on l'exterminait quelquefois. Quoi de plus naturel alors que de frapper, sans distinction, dans les sièges, sur toutes les parties des villes? La vie des vieillards, des femmes et des enfants était alors en jeu dans la guerre, aussi bien que celle des combattants. Quand le meurtre de ces êtres inoffensifs a fait horreur, on aurait dû s'abstenir de les atteindre directement dans les sièges comme dans les combats. Mais la tradition est toujours forte. Elle était souvent utile et l'on a commencé à présenter cette excuse, qui


aujourd'hui passe à l'état de théorie scientifique. Il aurait mieux valu conserver l'ancien usage qui autorisait l'assiégeant à menacer les garnisons de les passer par le fil de l'épée en cas de résistance. C'était aussi un moyen d'abréger la guerre puisqu'il tendait à obliger les places à se rendre sans combat. Et il valait mieux, car il n'était que cruel et déloyal. Il n'était pas absolument injuste. La vie des combattants peut être sacrifiée, parce qu'elle est en jeu dans la guerre. Celle des non-combattants n'y est pas. C'est donc une violation du droit et un crime que de les frapper directement et volontairement. Aussi, bien loin de croire avec M. Rolin Jaequemyns que le bombardement de l'intérieur d'une ville peut être excusé s'il a pour but d'empêcher une sortie sanglante, je pense que la vie des cinq petits enfants qu'un obus prussien a tués dans leur dortoir, près de Saint-Sulpice, au milieu de Paris, était plus respectable, plus sacrée que celle de vingt mille hommes des deux côtés du rempart.

Incendies. Otages.

Dans le chapitre qu'ils consacrent aux modes de répression employés par l'armée prussienne contre les actes hostiles commis par les habitants, M. Rolin-Jaequemyns et M. Bluntschli blâment surtout l'application d'une peine unique, la peine de mort. 11 y aurait d'autres critiques à faire.

Ainsi le principal abus, celui que les Prussiens semblent avoir presque perpétuellement commis, consiste à appliquer au pays qui n'est pas encore occupé les règles des lois de la guerre, qui ne peuvent régir que les habitants d'un pays conquis et soumis. Mais le silence ou l'indulgence de M. Rolin-Jaequemyns et de M. Bluntschli sont surtout regrettables sur deux points très-graves, la pratique des incendies et celle des otages comme moyen de répression, d'intimidation.

Ces pratiques semblaient abandonnées. Jamais peut-être elles n'ont été employées d'une manière aussi systématique et aussi régulière. On ne brûlait pas seulement les maisons d'où les habitants avaient tiré, mais toutes les maisons et villages qui ont donné abri aux francs tireurs (M. Rolin-Jaequemyns, p. 312), celles du lieu où une attaque par surprise a été faite (tbid., p. 670), celles où des armes étaient trouvées (ibid., p. 670) celles des communes déclarées responsables des dégâts causés au télégraphe, etc., à défaut de payement des contributions [ibid., p. 312).

Ces menaces ont été faites partout; elles ont été réalisées souvent,


et par l'incendie au pétrole. Des villages, des villes mêmes ont été ainsi détruites (1).

MM. Rolin-Jaequemyns et Bluntschli désapprouvent ces actes, mais, le premier surtout, sans indignation. Nous n'hésitons pas à dire, écrit M. Bluntschli, que, à nos yeux, il n'y a pas de nécessité militaire qui puisse justifier de pareilles règles (p. 313). » Ou bien encore (p. 669) « Est-ce que la responsabilité des habitants ou des propriétaires n'aurait pas suffi ? »

C'était peut-être le cas, plutôt qu'à l'occasion d'un article d'un journal algérien prêtant aux indigènes une férocité dont ils n'ont jamais fait preuve en Europe, de rappeler ces fameuses paroles de lord Chatham « Ces monstruosités demandent vengeance et punition; 3 si vous ne les effacez point, il en restera une souillure sur le caractère national. »

La pratique des otages est cependant plus condamnable encore. M.. Rolin-Jaequemyns et, après lui, M. Bluntschli ont blâmé, bien que non sans hésitation et sans réserve, l'usage adopté par les généraux allemands de placer des notables sur les trains de chemins de fer qui transportaient leurs troupes, afin qu'ils en garantissent la sécurité contre les tentatives des habitants. M. Rolin-Jaequemyns estime qu'il y a eu là excès, parce que, d'après le droit des gens moderne, la liberté seule des otages est engagée, tandis qu'ici c'est leur vie qu'on expose. M. Bluntschli remarque cependant qu'ils ne sont pas plus exposés que les troupes transportées. Et tous les deux ne voient pas que, si une pareille précaution pouvait être justifiée contre les entreprises des habitants, elle ne pourrait jamais l'être contre les agressions des troupes ennemies. A l'égard de celles-ci, dont les attaques étaient légitimes, il n'était pas permis de demander des otages à la population civile.

Mais l'usage des otages, en général, peut-il être aujourd'hui ap(1) On a cité un nombre considérable de villages ou hameaux brûlés par ordre des généraux allemands, Bazeilles, Ablis, Varize, Civry, etc. 11 paraît résulter de tous les témoignages que tel a été aussi le sort de Saint-Cloud, bien qu'où s'explique mal quei prétexte a pu motiver la destructiou de cette ville au moment même où l'armistice était négocié, à moins que la présence à Paris de la plupart des habitants de Saint-Cloud n'ait paru une raison suffisante. Il serait à désirer qu'une enquête sérieuse et impartiale fût faite sur cette ruine de toute une cité. De pareils faits ne doivent pas se passer au xix' siècle sans qu'on sache qui les a commis et pourquoi. A Chàteaudun, il paraît difficile de mettre en doute l'exactitude des faits affirmés par M. Paul Montarlot, substitut dn procureur de la République, dans son Journal de l'Invasion. Cette petite ville a eu 235 maisons brûlées, 8 par les obu., 30 par communication, 191 d la main, après la prise de la ville. Le général de Wittieh et le prince Albert commandaient.


prouvé ? Est-il permis à un jurisconsulte de le mentionner sans protestation ? a La tradition des citoyens, dit Pinheiro-Ferreira, est encore un de ces restes de la barbarie de nos ancêtres qu'il fallait stigmatiser au lieu d'en exposer tout au long les droits et les devoirs, comme s'il s'agissait d'un contrat licite (Vattel éd. Pradier Fodéré, t. Il, p. 240). » Qui oserait dire le contraire ? Prendre un otage n'est-ce pas se condamner à punir sur un innocent le crime ou le fait d'autrui? n'est-ce pas s'obliger soi-même à commettre un véritable crime? On dit faussement que la liberté des otages sera seule engagée; car la garantie serait alors dérisoire. On prend des otages pour faire craindre qu'ils ne soient maltraités ou même massacrés, selon la conduite de ceux dont ils répondent. Et celui qui a pris des otages s'expose à être obligé de réaliser ce qu'il a fait prévoir. Après avoir commencé comme les brigands, il faut finir comme eux.

Pillage et dévastation.

Il est aujourd'hui certain que des faits de pillage très-graves ont été commis par les armées allemandes. Le tableau annexé au décret du 26 octobre 1871, rendu pour la répartition du dédommagement voté par la loi du 6 septembre 4871, fixe à 264,172,802 francs la valeur des titres, meubles et autres objets mobiliers enlevés sans réquisition. Ce chiffre doit être à peu près exact, non-seulement parce qu'il a été déterminé par les estimations de commissions cantonales, mais surtout parce que ces estimations ont été faites en présence des parties intéressées à les contester, en présence de personnes appartenant à d'autres catégories d'indemnitaires et devant concourir avec les propriétaires des objets enlevés pour la répartition du dédommagement. Il est, en outre, remarquable que les départements où les enlèvements sans réquisition ont été les plus nombreux sont précisément ceux où les armées allemandes ont occupé des localités abandonnées par les habitants. (Seine, 56,632,639 francs; Seine-et-Oise, 78,067,137 francs; Seineet-Marne, 13,808,120 francs.)

Les constatations officielles sont ainsi d'accord avec les déclarations toujours constantes des habitants restés dans les environs de Paris. On a enlevé sans réquisition une grande quantité d'objets mobiliers, principalement dans les localités abandonnées.

M. Rolin-Jaequemyns n'a exprimé sur ces faits aucune opinion. Il paraît avoir toujours absolument refusé d'y ajouter aucune foi. M. Blunstchli, toujours plus impartial, reconnaît que quelques excès ont été commis. Il ne songe pas à les justifier et i| ne les excuse, «


dans une certaine mesure, que par des motifs dont quelques-uns sont assurément fondés sur une appréciation exacte de la nature humaine. « En général, dit-il, l'armée allemande a respecté la propriété privée sur le territoire ennemi. Les collections publiques de Versailles ellesmêmes ont été épargnées. En Champagne, les vignobles et les celliers ont été gardés par l'armée envahissante.

« Dans quelques cas, peu nombreux et peu graves, des dévastations de propriétés ont été commises et même des détournements (entfremdet) sans que ces excès fussent justifiés par aucune nécessité militaire. Mais ces faits se sont principalement produits dans les contrées où les propriétaires ayant sottement abandonné leurs habitations, les soldats se trouvaient irrités de cette conduite inhospitalière.

« Le soldat discipliné vit volontiers en paix avec les maîtres de son logis. Mais lorsque les portes sont fermées, les provisions gâtées ou cachées, il est bien forcé de briser les portes et de rechercher les provisions, et il peut lui arriver, dans sa juste colère, de briser une glace ou de se chauffer avec quelques meubles. Le lâche abandon des villages et .des châteaux par leurs habitants, qu'avaient déterminés à la fuite les récits mensongers d'une presse crédule et calomniatrice sur la conduite des barbares envahisseurs, a été la principale cause des dommages que les propriétés abandonnées ont eu à subir. La canaille rapace qui suit toujours les armées faisait de toutes façons son profit de cette situation. Il est vrai d'ailleurs que les mœurs se corrompent à mesure que la guerre se prolonge. L'homme qui est obligé de combattre tous les jours pour la défense de sa vie perd naturellement cette susceptibilité des honnêtes gens à l'endroit de toute atteinte à la pro priété. Et la délicatesse d'un homme qui, en temps de paix, s'irritait de la moindre injustice, s'émousse au contact de ces dures épreuves. Les chefs eux-mêmes étaient à la fin obligés de fermer les yeux sur des excès qu'ils auraient, au début, sévèrement réprouvés ou punis, s Il ne me conviendrait pas de critiquer cette justification.

Mais il est à craindre que cette pratique du pillage, trop généralement, sinon universellement, suivie, dans les localités abandonnées par les habitants, ne se soit rattachée, dans l'esprit des soldats allemands et même de leurs chefs, à une idée qu'il importe de signaler. Nous venons de voir M. Bluntschli lui-même condamner presque la conduite des habitants qui ont quitté leur demeure à l'approche de l'ennemi, le privant ainsi des ressources et des services qu'il exige des populations. Nous avons souvent retrouvé des plaintes de ce genre dans les documents prussiens. On peut croire que, sous l'influence de


ce sentiment, les envahisseurs ont fait ce raisonnement qu'il était juste d'infliger aux absents une perte égale à celle qu'ils auraient supportée s'ils étaient restés et avaient dît satisfaire aux réquisitions et contributions. Le pillage remplacerait les réquisitions, comme, dans l'histoire. l'usage des réquisitions a succédé à la pratique du pillage. Réquisition ou pillage, telle serait l'alternative proposée aux habitants. Tous ceux qui écrivent sur les lois de la guerre ont le devoir de signaler et de condamner une pareille prétention. Les habitants ne sont nullement tenus de rester chez eux pour offrir l'hospitalité aux soldats de l'armée ennemie. Sans doute la nécessité de trouver un abri autorise l'envahisseur à se servir des immeubles abandonnés comme à requérir l'usage des maisons habitées. Il peut aussi, toujours en cas de nécessité et sauf dédommagement, consommer les provisions, enlever les objets qui peuvent lui être utiles, comme les moyens de transport. Mais rien ne justifie la dévastation des localités dont les habitants ont fui, car les raisons qu'on invoquerait pour ce cas sont à peu près celles qui paraissaient autrefois légitimer la ruine complète du pays envahi.

Il faut bien qu'on sache que les jurisconsultes n'approuvent pas qu'on revienne, dans aucune hypothèse, à ces anciennes coutumes. Il le faut d'autant plus que certains auteurs, surtout parmi les Allemands, ont trop parlé de butin, de butin de guerre, de prxda bellica.

M. Bluntschli interdit absolument le butin (art. 6S6), et plus loin art. 661) il réprouve expressément qu'on permette aux soldats de piller librement une place ou un camp. «Il est, dit-il, contraire à l'honneur militaire d'exciter les soldats à remplir leurs devoirs en leur offrant de devenir des brigands.» D'

Mais les anciens auteurs estimaient le pillage très-légitime. Vattel et de Martens reconnaissaient au vainqueur le droit d'enlever comme butin les biens des particuliers aussi bien que les biens de l'État vaincu. Et aujourd'hui même, M. Hellter, après avoir défini le butin un mode d'acquisition régulier et généralement admis dans les guerres terrestres, comprend sous ce nom « toutes les choses mobilières et corporelles enlevées à l'armée ennemie et à quelques personnes qui en font partie, ou bien encore, par exception, à des ifidividus étrangers à l'ar(1) V. Vattel, liv. 3, ch. 9; de Martens, liv. 8, 279, et les critiques de leurs annotateurs, M. Pinheeio-Ferreira etM. Vergé. V. aussi une énergique réfutalion de l'ancienne doctrine par M. Massé, Droit commercial dans ses rapports arec le droit des gens, t. 1, p. 125.


mée, comme par exemple lorsqu'une forteresse ou une place d'armes, à la suite d'une défense opiniâtre, a été livrée au pillage par ordre des chefs. » M. Heffter ajoute bien qu'il serait plus généreux de ne pas admettre cette dérogation au principe, mais il la maintient. Et cette exception est singulièrement aggravée par l'importance que les auteurs allemands donnent aux questions qui concernent le butin, et plus encore par les dispositions de la législation allemande sur le même objet, commecelle du Code général de Prusse (1, 9, §§ 193, 197) qui déclare que « l'État seul peut accorder l'autorisation de faire du butin, et que le pillage des sujets ennemis étrangers à l'armée ne doit avoir lieu qu'en vertu d'une autorisation du chef de l'armée, » et cette autre (1,9, §§201, 202) « Le butin est regardé comme acquis s'il a été rapporté par les troupes qui s'en sont emparées dans leur camp, dans leurs quartiers de nuit ou autrement en lieux sûrs. Tant que l'ennemi est poursuivi, les objets enlevés peuvent être repris par l'ancien propriétaire. » Disposition dont M. Hefl'ter rapproche notre innocent art. 2279, Code civil « En fait de meubles, la possession vaut titre. » Ainsi il n'est pas vrai, comme on l'a dit quelquefois, que la législation allemande autorise d'une manière absolue le pillage des biens des particuliers en temps de guerre. Mais il est très-vrai qu'elle le légitime dans certains cas, et qu'elle peut donner aux soldats l'espérance qu'il leur sera quelquefois permis. C'est ce que savait très-bien l'auteur d'une lettre à un soldat allemand, qui a été publiée pendant la guerre. Cette fille demandait que son fiancé prît pour elle un bijou, mais elle ajoutait dans un endroit où il sera permis dé piller. Il ne faut pas laisser dans nos livres et dans nos lois ces mots qui, de là, passent dans l'esprit du peuple qui leur conserve leur sens ancien et vrai. Ne parlons plus de butin. Que ce mot disparaisse de toutes les langues juridiques. Le butin, c'est le vol. Réquisitions et contributions.

L'origine des réquisitions et des contributions de guerre est avouée même par ceux qui les autorisent. (tAu pillage de la campagne on a substitué, dit Vattel (L. 3, § 165) un usage en même temps plus humain et plus avantageux au souverain qui fait la guerre: c'est celui des contributions. »

Lorsque l'opinion publique n'a plus toléré le pillage du pays conquis, on aurait dû en conclure que les contributions de guerre étaient également interdites.

Cet usage est cependant resté au nombre des pratiques permises, en partie grâce à la déplorable indulgence qu'on a toujours si aisément


pour les coutumes traditionnelles, en partie parce qu'il se confond quelquefois avec les impôts ordinaires que le vainqueur perçoit, en vertu du droit d'occupation, ou avec les réquisitions en nature qui ne peuvent être réprouvées lorsqu'elles sont motivées par la nécessité de vivre, lorsqu'elles ont lieu dans les conditions où elles auraient pu être exercées par le gouvernement du pays conquis.

Mais enfin les derniers auteurs avaient assez bien marqué que les réquisitions en nature doivent être modérées, en rapport avec les besoins de l'armée et avec les ressources du pays, et ils tendaient généralement à condamner les réquisitions et contributions d'argent. M. Bluntsehli s'était surtout nettement prononcé.

L'article 654 de son Droit international codifié est ainsi conçu « Le droit international refuse aux armées établies sur territoire ennemi le droit d'exiger des communes ou des particuliers d'autres contributions que celles absolument indispensables pour subvenir à l'entretien et aux mouvements de l'armée. Les lois de la guerre n'autorisent pas en particulier les réquisitions purement pécuniaires. »

Et M. Bluntschli ajoute dans le commentaire

« Les villes et les communes rurales payaient souvent jadis des contributions en argent pour éviter le pillage. La guerre s'est civilisée aujourd'hui on n'a plus le droit de piller et encore moins le droit de détruire sans nécessité; il ne peut donc plus être question de racheter ce prétendu droit. L'ennemi ne peut pas non plus prélever de contributions pour payer ses soldats, remplir ses caisses, ou satisfaire la cupidité des troupes ou de leurs chefs car ces derniers ne peuvent pas disposer arbitrairement de la fortune de communes ou de particuliers contre lesquels la guerre n'est pas dirigée. De même que l'ennemi n'a pas le droit de contraindre les habitants à combler les vides de ses cadres et à entrer à son service, de même il ne peut exiger d'eux de lui fournir l'argent nécessaire pour continuer la guerre. (V. articles 545, 576.) « On n'a pas assez respecté les vrais principes dans plusieurs guerres récentes et même dans la dernière guerre d'Allemagne en 1866, et les Prussiens ont levé sans motifs suffisants des contributions en argent dans quelques-unes des villes qu'ils ont occupées L'Europe actuelle n'admet plus cette façon d'agir, reste des temps barbares; elle blâme hantement toute violence inutile et injuste contre les habitants paisibles du territoire ennemi. »

On sait aujourd'hui exactement de quelle manière ces principes ont été observés par l'armée prussienne. Outre les impôts directs et indirects


(49,149,602 fr.) et les réquisitions en nature (327,581 ,506 fr.), elle a levé des contributions en argent s'élevant à 239,053,913 fr. La somme est énorme si l'on considère qu'elle a été prise dans un petit nombre de grandes villes et en si peu de temps. Paris seul a donné 200 millions. J'ai encore le regret de le dire, M. Rolin-Jaequemyns et M. Bluntschli n'ont pas, en présence de ces faits, tenu le langage qui aurait été digne d'eux. M. Rolin-Jaequemyns ne tâche pas seulement de défendre en fait l'armée prussienne contre les attaques très-vives de M. Harrison, expliquant que t'habitant des provinces françaises fier, impatient du joug étranger, animé d'un patriotisme à la fois ombrageux et méprisant, devait par sa conduite rendre la modération plus difficile à l'envahisseur », admettant tout au plus «la possibilité d'un fond de vérité (sans que nous puissions cependant déterminer lequel) dans ces histoires de contributions et de réquisitions forcées, suivies d'exécution militaire en cas de mauvais vouloir prouvé ou présumé de la part des populations. » (P. 335.)

M Rolin-Jaequemyns fait tous ses efforts pour fonder sur toutes les raisons et sur toutes les autorités la légitimité des contributions en argent, et il va jusqu'à tenter d'effacer la règle contraire si formellement énoncée par M. Bluntschli.

« M. Bluntschli, dit-il en note, s'exprime à ce sujet d'une manière un peu obscure. Au premier abord on serait tenté de croire qu'il repousse d'une manière absolue toute contribution en argent, ce qui serait contraire, non-sculement à la doctrine de la généralité des auteurs, mais, pensons-nous, à l'intérêt des populations occupées, sur qui les contributions en argent ont chance de se répartir d'une manière plus équitable que les contributions en nature. D'ailleurs lesdéveloppements que M. Bluntschli donne à sa pensée nous semblent indiquer qu'en réalité nous sommes d'accord avec lui. »

Je viens de lire le texte de IVI. Bluntschli d'après la traduction de M. Lardy, publiée avant la guerre.

Malheureusement M. Bluntschli est bien aujourd'hui d'accord avec M. Rolin-Jaequemyns. Lui aussi, il autorise, bien qu'avec un regret évident, les contributions en argent comme pouvant, dans quelques cas, remplacer les réquisitions en nature et en tenir lieu. 11 ne les condamne tout à fait que lorsqu'elles sont imposées pour le profit qu'elles doivent donner, comme si ce n'était pas toujours le seul but de cette honnête institution. M. Bluntschli est d'ailleurs persuadé qu'en général les contributions imposées aux villes françaises n'out pas été exagérées ou qu'elles ont été ramenées à une juste mesure. Il en


donne pour garantie l'équité des chefs de l'armée prussienne et pour preuve ce fait, démenti tous les jours par les lois ou décrets que l'Officiel publie pour autoriser des emprunts municipaux, des impositions ou des surtaxes, que les villes visitées par l'envahisseur ne se seraient pas trouvées épuisées de ressources après la fin de la guerre a Et d'ailleurs, dit-il en finissant, les maux de la guerre ne peuvent et ne doivent pas être épargnés aux nations qui poussent le cri de guerre pour des motifs frivoles. »

Tel ne doit pas être le dernier mot de la science sur cette question. Des sommes d'argent ont été exigées par les Prussiens de toutes les grandes villes, dans les conditions que M. Bluntschli déterminait dans son Code international, et quelquefois dans le but spécial d'allouer aux officiers des suppléments de solde. Il est même vrai de dire que la contribution de 200 millions exigée de la ville de Paris ne peut avoir que le caractère d'une rançon, d'un rachat du pillage, puisqu'elle a été stipulée à une époque où la guerre était interrompue et lapaix certaine. Quant à cette contribution, aucun doute n'est possible. Elle ne peut être excusée par aucune nécessité, par aucune raison de guerre. C'est un profit pécuniaire tiré de la reddition d'une ville.

Il faut absolument ou que les jurisconsultes de tous les pays condamnent de pareils abus de la victoire, ou bien qu'ils s'exposent àêtre contredits par la conscience publique.

Concours exigé des habitants.

A la suite de la destruction du pont du chemin de fer de Fontenoy par des francs-tireurs. le préfet allemand de Nancy, M. le comte Henard, réquisitionna 500 ouvriers pour la réparation de ce pont. Tous refusent. Le comte Renard prend alors un arrêté suspendant tous travaux et tous payements par les patrons aux ouvriers, à peine de tiès-forles amendes, jusqu'à ce que les 500 ouvriers requis se soient rendus à leur poste.

M. Rolin-Jaequemyns, qui rapporte le fait, approuve cette réquisition et le moyen de coercition qui l'a suivi. Il se fonde sur ce que les auteurs reconnaissent généralement que, dans les parties occupées d'un territoire, les particuliers peuvent être tenus de prestations personnelles. Mais sans aucun doute c'était seulement, dans la pensée de ces auteurs, pour des travaux ou des services étrangers à la guerre, pour des travaux ou des services demandés dans l'intérêt du pays occupé. Il est trop évident qu'il ne saurait être permis d'obliger des habitants à fournir à l'ennemi leur propre concours contre leurs compatriotes, contre leur patrie, contre eux-mêmes.


Or c'était bien contraindre les ouvriers de Nancy à joindre leurs elforts à ceux des Prussiens contre la France que de les obliger à travailler à la reconstruction d'un ouvrage indispensable aux opérations militaires des Prussiens et détruit par un corps français. Était-il juste, était-il honnête, conforme à la plus vulgaire probité, d'emprunter par la force l'aide de ces malheureux pour gagner les 5 milliards dont ils devaient payer leur portion contributive?

Ce fait devait donc être sévèrement condamné. M. Rolin-Jaequemyns l'approuve.

Mais il estime que a le fonctionnaire allemand a dépassé la mesure » lorsque, dans l'après-midi du 23 janvier, il a fait publier une seconde affiche ainsi conçue

« M. le préfet de la Meurthe vient de faire au maire de Nancy l'injonction suivante

« Si demain, mardi 24 janvier, à midi, 500 ouvriers des chantiers de la ville ne se trouvent pas à la gare, les surveillants d'abord et un certain nombre d'ouvriers ensuite seront saisis et fusillés sur place. n (P. 315 et 316.)

Il fallait dire que ces quatre lignes flétrissent un nom aux yeux des honnêtes gens de tous les pays.

Je suis au terme de cette lamentable revue. La guerre qui a présenté cet ensemble de pratiques barbares a peut-être plus qu'aucune autre, même en remontant assez haut dans l'histoire, le caractère d'une guerre par la terreur. Il est juste de reconnaître que, si presque tous les anciens usages ont été reproduits, ils ont reçu quelque modération. Mais comme jamais ils n'avaient été appliqués avec une telle régularité, avec une telle exactitude, jamais peut-être ils n'avaient produit de tels effets.

Cette guerre a été le plus grand malheur du siècle. Mais il serait peut-être plus déplorable encore que les exemples qu'elle a donnés fussent suivis dans l'avenir, soit pour la rupture de la paix, soit pour la conduite des hostilités, soit pour la conclusion de la guerre (1). (1) La ruine des villes, la dévastation des campagnes, la mort de tant de milliers d'hommes ne sont pas les suites les plus funestes de la guerre, surtout lorsqu'elle est ainsi conduite. Quand les gouvernements violent, dans la politique internai ionale, toutes les règles d'honneur et de bonne foi, dans la guerre, tous les principes d'humanité et de justice, il est.bien difficile que ces exemples n'aient pas une aetion sur l'esprit des peuples. Les événements de l'année dernière en ont donné une preuve manifeste. On a vu la populace revoltée emprunter aux usages des généraux


Le seul moyen d'éviter une semblable calamité, c'est de faire un droit des gens, une opinion publique qui ne permette plus de s'écarter des règles dont l'humanité, le droit et l'honneur exigent la stricte observation.

Personne n'a rendu à cet égard un plus grand serviceque M. Bluntschli, lorsqu'il a publié son Droit international codifié. Il lui appartient de continuer et d'améliorer son œuvre. Mais il la détruirait lui-même s'il n'osait pas davantage, quoi qu'il en puisse coûter à son légitime attachement pour sa patrie d'adoption, raffermir les principes qu'il a lui-même posés.

M. Rolin-Jacquemyns invite les jurisconsultes à rédiger un Code des lois de la guerre qui aurait la valeur d'une loi internationale. Personne ne sera plus apte que lui à concourir à ce travail. Mais avant que cette œuvre puisse être entreprise, il faut que la discussion ait fait justice des sophismes que les passions et les sympathies politiques ont introduits dans la science. Puisse le jour où ce progrès sera possible être prochain

M. le Président, au nom de la Société, remercie M. Griolet de son intéressante communication.

M. Jozon, présente des observations sur le rôle des puissances neutres pendant la dernière guerre et, en particulier, sur le rôle de la Suisse et de la Belgique. La Suisse a eu, en cette circonstance, une attitude plus conforme au droit et plus digne que la Belgique. Bien qu'il y ait en Suisse un parti allemand assez puissant, ce pays a, mieux que la Belgique, observé les règles du droit des gens. Cette opposition se rencontre dans les deux écrits mêmes dont on vient de rendre compte. Ainsi, M. Bluntschli, qui est d'origine suisse, a, quoique Allemand de nationalité, montré plus d'impartialité que M. RolIin-Jaequemyns dans ses appréciations. La raison de cette différence d'attitude entre les deux pays provient de ce qu'en Suisse on s'est placé exclusivement au point de vue du droit des gens, qui est le seul point de vue juste et vrai, pour les neutres, tandis qu'en Belgique on s'est placé au point de vue politique. prussiens l'arrestation des otages et l'incendie, à titre de représailles, des maisons suspectes d'hostilité. Ces actes n'ayant aucun précédent dans nos traditions révolutionnaires, il n'est pas probable que l'idée en fût venue spontanément à des insurgés parisiens. Il est, au contraire, naturel que l'Insurrection qui a suivi ia guerre ait reproduit, dans des conditions différentes, les procédés employés par le vainqueur. L'instinct de l'imitation est, en effet, l'un des principaux mobiles des masses populaires. Et l'instinct de l'imitation s'attache toujours aux actes du plus fort.


M. LE PRÉSIDENT Il y a quelque contradiction entre l'idée de droit et l'état de guerre. La guerre est la négation du droit. Ces mots ne sont point faits pour être associés, et il serait plus exact et plus juste de parler de conventions ou usages internationaux que des lois ou du droit de la guerre.

M. HÉROLD Lorsqu'on parle de droit dans l'état de guerre, on l'entend d'un droit relatif et souvent imparfait qui n'en a pas moins son utilité actuelle et doit porter ses fruits pour l'avenir. M. Aucoc On ne peut supprimer le droit des gens parce qu'il manque de sanction positive, une pareille objection irait loin car elle supprimerait aussi bien le droit naturel qui est également dépourvu de cette sanction. L'un et l'autre ont la sanction morale qui détermine le droit.

M. Greffier C'est par l'idée du droit qu'on arrivera à tempérer et réduire l'état de guerre. Notre devoir à nous jurisconsultes est de faire que la véritable philosophie devienne le droit positif. M. DUVERGER L'abolition de l'esclavage a été une conquête du droit sur la force et l'état de guerre.

M. Bataille On peut dire aujourd'hui du droit des gens moderne ce qu'en disait Montesquieu dans f Esprit des lois, qu'il est fondé « sur ce principe que les nations doivent se faire dans la « paix le plus de bien, et dans la guerre le moins de mal pos« sible sans nuire, ajoute-t-il, à leurs véritables intérêts. » M. GRIOLET Il faut faire une distinction entre le droit de la guerre ancien et le droit moderne. Les guerres étaient d'abord des luttes de peuple à peuple dans lesquelles l'existence de tous, femmes, vieillards, enfants, était engagée et mise en jeu. Ge sont les guerres barbares. Aujourd'hui et depuis longtemps, on s'est fait de la guerre une idée autre et plus humaine; c'est qu'elle a lieu entre les combattants seuls. C'est là une distinction juste, rationnelle, facile à observer, et sur laquelle la conscience d'aucun peuple ne peut se tromper.

M. Laferrière propose de faire rédiger par une commission et délibérer par la Société des résolutions doctrinales relativement aux pratiques de la guerre et notamment à celles que les derniers événements ont mises en lumière.

Après une courte discussion à laquelle prennent part MM. Ernest


et Edmond Bertrand, BUFNOIR et Hérold, cette proposition est rejetée comme contraire aux statuts de la Société.

M. Hérold a la parole pour une communication sur la durée du mandat et le mode de renouvellement des chambres législatives. Messieurs,

Je crains que le titre A' Étude donné au travail que je vais avoir l'honneur de vous communiquer, ne soit pas assez modeste. Il ne s'agit, en effet, que d'un simple aperçu, d'un résumé comparatif, d'une sorte de statistique, pour parler encore plus exactement, des diverses dispositions constitutionnelles ou législatives touchant la double question indiquée par l'ordre du jour. Il m'a semblé qu'il n'était pas sans intérêt de réunir ces dispositions et de les rapprocher les unes des autres, même sans critique, presque sans observations. C'est un simple document que je mets sous vos yeux, pour l'usage que chacun en voudra faire.

J'exposerai la législation française après les autres, quoiqu'elle leur ait souvent servi de type. Pour les États étrangers, je me bornerai aux faits actuels et je limiterai mon analyse aux dispositions relatives à deux points, presque inséparables l'un de l'autre 10 la durée du mandat des représentants de la nation; le mode de renouvellement de ce mandat. Je laisserai de côté, autant que le permettra la connexité des questions de cet ordre, tout ce qui se rapporte non-seulement aux attributions, mais au mode de collation du mandat (ce qui comprendrait tout le système électoral, parfois le système politique tout entier), et même au retrait de ce mandat, sauf par voie de dissolution la dissolution affectant la durée normale du mandat, rentre nécessairement dans mon sujet.

1. Les institutions de la Grande-Bretagne sont trop connues pour nous occuper longtemps, malgré leur importance considérable. La représentation nationale y est exercée par deux Chambres, la Chambre des lords et la Chambre des communes.

Les Lords (au nombre de 466, en 4869) siègent en vertu de leur droit héréditaire, de leur nomination par le souverain, des fonctions dont ils sont revêtus (évêques), de leur élection à vie (pairs irlandais) ou de leur élection pour la durée d'un parlement (pairs écossais). La Chambre des communes (au nombre de 658 membres, en 1869) est composée des députés des comtés, des bourgs et des Universités, élus pour sept ans: le renouvellement est intégral. La couronne a le droit de dissoudre la Chambre des communes, et quand elle use de ce droit, la Chambre des lords est par le fait même prorogée jusqu'à


ce que, par les élections nouvelles, le Parlement se trouve reconstitué. Dans l'usage, la dissolution est prononcée au plus tard après l'avantdernière session de la législature. En outre, elle a lieu au bout de six mois après l'avénement d'un nouveau souverain.

Les membres élus pendant le cours d'une législature ne sont nommés que pour le temps qui restait à courir du mandat de ceux à qui ils ont succédé. C'est là, au surplus, une règle générale, commune à presque tous les pays et qu'on peut se dispenser de répéter je me bornerai à signaler les exceptions.

2. En Belgique, la Constitution de 1831 a établi deux Chambres, la Chambre des représentants et le Sénat.

La Chambre des représentants, composée d'un nombre de membres déterminé par les lois électorales, sans que jamais il puisse y avoir plus d'un député pour 40,000 habitants, est élue pour quatre ans et se renouvelle par moitié tous les deux ans.

Le Sénat, composé d'un nombre de sénateurs inférieur de moitié à celui des représentants, est élu pour huit ans et se renouvelle par moitié tous les quatre ans.

Le roi a le droit de dissoudre les deux Chambres; et, quand il en use, le renouvellement est intégral.

(Articles 26, 49, 51, 54, 55.)

3. Dans les Pays-Bas, la loi fondamentale (181S-1818) divise les États-Généraux en deux Chambres, toutes deux électives. Les membres de la première Chambre, au nombre de 39, sont élus pour neuf ans et renouvelés par tiers tous les trois ans.

Les membres de la seconde Chambre, dont le nombre, proportionnel à celui des habitants sur la base de 1 pour 45,000, est actuellement de 72, sont élus pour quatre ans et renouvelés par moitié tous les deux ans.

Le renouvellement a lieu par séries législativement déterminées. Le roi a le droit de dissoudre les deux Chambres; et, quand il muse, le renouvellement est intégral.

(Articles 75, 77, 78, 81, 86, 99.)

4. Le grand-duché de Luxembourg est régi par une Constitution de 1856, intéressante à connaître. Elle organise sous le nom d'Assemblée des États une Chambre unique de 36 membres au maximum, élus pour six ans,renouvelés par moitié tous les trois ans, sauf dissolution. cas auquel le renouvellement est intégral.

(Articles 51 et 56.) (1).

(1) Je dois la connaissance de cette Constitution et celle de quelques autres à d'obligeantes communications de M. Laferrière qui prépare en ce moment une seconde édition de son Recueil de Constitutions.


5. La Suède et la Norwége ont des législations distinctes, malgré l'unité de couronne.

En Suède, d'après la loi sur la représentation (1866), la Diète se forme de deux Chambres, toutes deux élues, mais par des systèmes différents. Pour la première, la durée du mandat est de neuf ans à partir du jour de l'élection, quelles que soient l'époque et la cause de l'élection. Si les neuf années expirent pendant une session, le mandat est prolongé jusqu'à la fin de cette session. On comprend que les mandats venant à échéance à des époques variables, le renouvellement est nécessairement partiel, mais suivant un mode tout autre que le mode habituel.

Pour la seconde Chambre, les députés sont élus pour trois ans, à partir du 1" janvier qui suit l'élection; en cas de remplacement, le successeur n'est élu que pour le temps du mandat qui reste à courir, conformément au droit général. Le renouvellement est intégral. Le roi a le droit de dissoudre la deuxième Chambre, ou plutôt d'ordonner de nouvelles élections pour cette Chambre, élections qui ne conféreront le mandat aux élus que pour le reste du temps à courir de la période de trois ans dans laquelle on se trouve.

(Articles 6, 8, 10, 13, 15, 20.)

6. En Norwége, d'après la loi fondamentale (1814), le Storthing comprend également deux Chambres, le Lagthing et l'Odelsthing. Mais ces deux Chambres se forment par une seule élection, sans désignation des membres qui doivent composer l'une ou l'autre Chambre. Ce sont les députés élus qui désignent eux-mêmes un quart d'entre eux pour constituer la première Chambre. Ce système est remarquable. Nous ne le retrouverons pas. Les élus sont nommés pour trois ans; le renouvellement est intégral.

(Articles 49, 54, 68, 71, 74.)

7. Le Danemark, régi par la loi fondamentale de 1865-6, possède deux Chambres, le Folkesting et le Landsthing,dont la réunion constitue le Rigsdag. Les membres du Folkesting sont élus (dans la proportion de 1 pour 16,000 habitants) pour trois ans. Le Landsthing se compose de 66 membres, dont 12 sont nommés à vie par le roi; les autres sont élus pour huit ans et renouvelés par moitié tous les quatre ans. Le roi a le droit de dissoudre soit le Rigsdag, soit l'une des deux Chambres. En cas de dissolution, le renouvellement est intégral. (Articles 22, 29, 32, 33, 34, 39.)

8. Nous arrivons à l'Empire d'Allemagne.

La Constitution de 1871 établit deux assemblées, le Conseil fédéral et le Reichstag.

Le Conseil fédéral est composé, des représentants de divers États


au nombre de 23, ayant 58 voix ainsi réparties: 17 à la Prusse, 6 à la Bavière, 4 à la Saxe royale, 4 au Wurtemberg, 3 à Bade, 3 à la Hesse,2 2 au Mecklembourg-Schwerin, 2 à Brunswick et Lunebourg, 1 à chacun des 17 autres États, parmi lesquels se trouvent les 3 villes libres de Lubeck, Brême et Hambourg. Les représentants des États sont de simples agents diplomatiques agissant sur instructions. Le Reichstag est composé de 382 députés: 236 à la Prusse, 48 à la Bavière, 23 à la Saxe, 17 au Wurtemberg, 14 à Bade, etc. Ces députés sont nommés pour trois ans, renouvelés intégralement. Le droit de dissoudre le Reichstag appartient au Conseil fédéral d'accord avec la Couronne de Prusse.

9. La P?-usse est régie par la Constitution de 1850 plusieurs fois amendée. Il y existe deux Chambres, la Chambre des seigneurs et la Chambre des députés.

La Chambre des seigneurs renferme 267 membres dont les uns héréditaires, les autres nommés à vie, d'autres enfin, désignés à raison de certaines fonctions ou représentants des propriétaires, des villes ou des corporations, exercent un mandat diversement limité. La Chambre des députés renferme 432 membres élus pour trois ans et intégralement renouvelés. Le roi peut la dissoudre. (Articles 62, 65 à 69, 73, 7o.)

10. Le royaume de Saxe est régi par une Constitution de 1851 modifiée, notamment en 1868. Il a deux Chambres: la Chambre des seigneurs, de 45 membres, composée à peu près comme en Prusse la Chambre des députés, formée de 80 membres (35 députés des villes et 45 des campagnes) élus pour trois ans et renouvelés partiellement à la suite de chaque session, suivant un ordre de séries tirées au'sort. Le roi peut dissoudre la seconde Chambre.

(Articles 63, 66,70,71, 116.)

11. La Ilesse a également deux Chambres, comprenant la première 30 membres environ, la seconde 50 membres.

Au contraire, la plupart des petits états compris dans la Confédération de l'empire d'Allemagne n'ont qu'une Chambre dont le nombre des membres dépend2 comme dans les grands États, de la population, mais dans des proportions dont la base est aussi variable que l'étendue des divers territoires. Les deux duchés de Mecklembourg ont une Diète commune aux deux états, quoique chacun y ait sa représentsttion distincte.

Je n 'ni renseignements précis sur la durée du mandat et le mode de renouvellement qu'en ce qui concerne le duché d'Anhalt. D'après l'acte constitutionnel de 1859, la Diète de ce duché est composée de membres les uns désignés à raison de leurs titres, les autres


élus pour six ans, sauf dissolution, avec renouvellement intégral dans tous les cas.

12. Dans le grand-duché de Bade, d'après la Constitution de 1818, les États se forment de deux Chambres. La première est composée de personnages désignés par leur naissance ou leurs fonctions, élus par certaines corporationsou nommés par le souverain. La seconde est composée de 63 députés des villes et bailliages, élus pour huit ans, renouvelés tous les deux ans par quart. Le grand-duc peut dissoudre les États; en ce cas, les membres élus de la première Chambre et tous ceux de la seconde sont soumis à nouvelle élection.

(Articles 27, 33 à 38, 42, 43.)

13. Dans le Wurtemberg, la Constitution de 1819 a institué deux Chambres. La Chambre des seigneurs est composée, pour les deux tiers, de membres désignés par leur naissance; pour un tiers, démembres nommés par le roi héréditairement ou à vie.

La Chambre des députés est composée de 93 membres nobles élus, dignitaires (tous ecclésiastiques sauf un représentant d'Université, représentants élus par certaines villes, enfin représentants des bailliages également élus. Tous les six ans, ceux des membres de cette Chambre qui y figurent à raison de certaines fonctions sont soumis à une sorte de révision de leur titre, les autres au renouvellement.

(Articles 128 à 133, 157 et 1S8).

14. En Bavière, d'après la Constitution de 1818 modifiée en 1848, les États comprennent deux Chambres: la Chambre des seigneurs, composée de 72 personnages désignés par leur naissance ou nommés par le roi, héréditairement ou à vie, ces derniers ne pouvant excéder le tiers du nombre total des membres; et la Chambre des députés des provinces, composée de 154 membres élus pour six ans, renouvelés intégralement. Le roi a le droit de dissoudre la seconde Chambre. 15. L'empire d'Autriche possède une loi fondamentale sur la représentation de l'empire, datant de 1867, qui divise le Reichsrath en deux Chambres, la Chambre des seigneurs et la Chambre des députés. La première comprend des personnages, les uns désignés par leur naissance (tantôt sans choix, tantôt avec choix de l'empereur), ou par leurs fonctions, les autres nommés à vie par l'empereur. La seconde Chambre est composée de 203 députés, élus par les diètes provinciales pour le temps de la durée de ces diètes. L'empereur peut dissoudre la seconde chambre.

(Articles 2 à 7, 18 et 19.) .)

Les statuts provinciaux différant les uns des autres quant à la durée du mandat des diètes, le Reichsrath de l'empire se trouve ainsi soumis


à un renouvellement partiel, mais par voie indirecte. Chaque députation provinciale se renouvelle intégralement.

Je regrette de ne pouvoir analyser ici les systèmes en vigueur dans les principaux États qui constituent l'empire d'Autriche, notamment en Bohème. Je n'ai sous les yeux que le statut provincial de 16. L'archiduché d'Autriche en deçà de l'Enns. Ce statut accorde à cette province 18 députés nommés par sa Diète, laquelle se compose de 66 membres, les uns élus, les autres désignés par leurs fonctions, tous pour six ans, sauf dissolution. (Articles 3, 6 et 18.) 17. On sait que le lien qui unit le royaume de Hongrie àla couronne d'Autriche consiste notamment, au point de vue législatif, dans le fonctionnement d'une délégation de la Diète hongroise réunie à une délégation du Reichsrath autrichien. La Diète hongroise se divise ellemême en deux Chambres, celle des magnats (comprenant 266 membres) et celle des députés (comprenant 438 membres). Je n'ai pas de renseignements suffisants sur la durée et le mode du renouvellement du mandat des députés.

18. La Roumanie nous offre une fois de plus, dans sa Constitution de 1866, une division de la représentation nationale en deux Chambres: le Sénat et l'Assemblée des députés. Les députés (au nombre de 157) sont élus pour quatre ans et renouvelés intégralement. Les sénateurs (au nombre de 76), également élus, le sont pour huit ans, et renouvelés par moitié tous les quatre ans. Les Chambres peuvent être dissoutes par le prince. En cas de dissolution, le Sénat est renouvelé intégralement comme la Chambre des députés.

(Articles 32, 67, 78,80.)

19. La Grèce est régie par la Constitution de 1864.

Nous y trouvons une Chambre unique. Constatons en passant la rareté du fait. Cette Chambre se compose des députés de la nation, au nombre de 150 au moins, élus pour quatre ans, se renouvelant intégralement. Le roi a le droit de dissolution.

(Articles 22,37, 68, 79.)

20. En Italie, le Statut sarde de 1848, successivement étendu, organise deux Chambres, le Sénat et la Chambre des députés. Les sénateurs sont nommés à vie par le roi, en nombre illimité. Il y en a actuellement 270.

Les députés, élus par les colléges établis par les lois électorales (actuellement au nombre de 508), sont nommés pour cinq ans. Leur renouvellement est intégral. Le roi a le droit de dissoudre la Chambre des députés.

(Articles 9, 33, 39, 42.)

Le Statut italien, outre son ancienneté relative, a le double mérite


d'avoir joué un rôle historique important et d'avoir reçu une exécution régulière qui a aidé à ce rôle.

21. Espagne.

La Constitution de 1869 divise les Cortès en deux Chambres toutes deux électives, le Sénat et le Congrès.

Le Congrès, composé de députés en nombre proportionnel à la population (1 pour 40,000 habitants), est renouvelé intégralement tous les trois ans.

Le Sénat, composé d'un nombre fixe de membres (4) par province, est renouvelé par quart tous les trois ans, ce qui porte à une durée de douze années le mandat normal des sénateurs. Toutefois, il y a lieu à un renouvellement du quart du Sénat toutes les fois qu'il y a des élections générales de députés.

Le roi a le droit de dissoudre les Chambres; en cas de dissolution, le Sénat est renouvelé intégralement comme le Congrès. (Articles 38, 39, 60, 04, 03.)

Il n'est pas sans intérêt de rapprocher ces dispositions de la Constitution la plus récente que nous ayons à citer, de celles de la Constitution espagnole antérieure qui datait de 4845, et avait été revisée en 1856. D'après cette Constitution, le Sénat était composé de membres nommés par le roi en nombre illimité, et la Chambre des députés de membres élus dans la proportion de 1 pour 50,000 habitants pour une durée de cinq ans, sauf dissolution, avec renouvellement intégral dans tous les cas. (Articles 13, 14, 20, 24 et 26.)

22. En Portugal, la Constitution en vigueur est encore celle de 1826, revisée en 1852. Elle établit des Cortès, comprenant deux Chambres: la Chambre des pairs, composée de membres héréditaires ou nommés à vie en nombre illimité par le roi; et la Chambre des députés, composée de 107 membres élus pour quatre ans, renouvelés intégralement. Cette dernière Chambre peut être dissoute par le roi.

(Articles 14, 17, 34, 39.)

23. Nous revenons au centre de l'Europe, à la Suisse, qu'on étudie toujours avec sympathie et avec fruit.

La Constitution fédérale de 1848 divise l'Assemblée fédérale en deux Conseils le Conseil national et le Conseil des Etats. Le Conseil national est composé d'un nombre de députés proportionnel à la population (1 pour 20,000 âmes ou fraction au-dessus de 10,000), avec cette exception que tout canton ou demi-canton même au-dessous de ce chiffre nomme au moins un député. Le nombre total est actuellement de 128. Les députés sont élus pour trois ans, renouvelés intégralement.

Le Conseil des États est composé de deux députés par canton, 44 en


tout. La Constitution ne contient aucune disposition sur la durée et le renouvellement du mandat des membres du Conseil des États. (Articles 60, 61,65, 69.)

24 à 48. Sous la Constitution fédérale, fonctionnent les Constitutions cantonnales au nombre de vingt-cinq, trois des 22 cantons se trouvant divisés en deux fractions ayant chacune leur organisation distincte. Dans vingt-trois de ces vingt-cinq Constitutions, le pouvoir législatif est délégué, avec plus ou moins d'étendue, à une assemblée unique, appelée grand Conseil (grosse Rath, gran Consiglio) par toutes ces Constitutions, sauf celles d'Uri et de Bâle-Campagne, qui adoptent le nom de Landrath, et celles de Schwytz et de Soleure, qui emploient celui de Kantonsrath.

Les Constitutions d'Unterwald-haut et de Glaris sont les seules qui établissent deux assemblées, participant dans des mesures différentes au pouvoir législatif. Dans ces Constitutions, l'une des assemblées (Dreifacher Rath) est une sorte d'intermédiaire entre l'assemblée générale des citoyens du canton et le Conseil législatif proprement dit (Rath, dans Glaris; Landrath dans Unterwald.)

Je n'ai pas à parler ici du nombre de membres qui composent ces diverses assemblées toutes électives; il est généralement proportionné à la population, mais sur des bases qui varient comme l'étendue territoriale des cantons. Dans le canton de Berne, la proportion est de 1 représentant pour 2,000 habitants; dans Unterwald-haut, les fractions au-dessus de 70 habitants ont droit à un représentant au Dreifacher Rath.

J'arrive de suite aux dispositions qui nous intéressent particulièrement dans les Constitutions de la Suisse, à savoir et toujours, la durée du mandat des députés et le mode de renouvellement des assemblées. Mais je suis forcé d'avouer que, malgré la lecture aussi attentive qu'il m'a été possible de la Constitution de 185t du canton de Glaris, de la Constitution de 1829 d'Appenzell rhode intérieur, et de la Constitution de 1859 d'Appenzell rhode extérieur, je n'ai pu découvrir dans ces trois Constitutions la solution des questions dont il s'agit. Restent les vingt-deux autres Constitutions.

Dix-sept Constitutions, sur ces vingt-deux, admettent le renouvellement intégral. Quant à la durée du mandat, elle varie de six ans à un an, comme il suit:

Demi-canton d'Unterwald-bas.. 6 ans. (Constitution de 1850, art. 44.) Canton de Soleure. 5 ans. (Constitution de 1856, art. 26.) de Fribourg. 5 ans. (Constitution de 1857, art. 39.) d<: Berne. 4 ans. (Constitution de 1846, art. 21.) de Lucerne. 4 ans. (Constitution de 1863, art. 45.)


Canton d'Uri 4 ans. (Constitution de 1851, art. 45.) d'Argovie. 4 aus. (Constitution de 1852, art. 8.) du Tessin. 4 ans. (Constitution de 1830, art. 24.) de Vaud. 4 ans. (Constitution de 1861, art. 36.) du Valais 4 ans. (Constitution de 1852, art. 60.) Demi-canton de Bâle-Campagne. 3 ans. (Constitution de 1863, art. 53.) Canton de Saint-Gall. 3 ans. (Constitution de 1861, art. 82.) de Thurgovié. 3 ans. [Constitution de 1849, art. 32.) – de Neuchâte! 3 ans. (Constitution de 1858, art. 24.) – de Zug 2 ans. (Constitution de 1848, art. 43.) – de Genève. 2 ans. (Constitution de 1848, art. 39.) – des Grisons. 1 an. (Constitution de 1854, art. 4.) Je vous ferai remarquer que, quand le mandat des membres d'une assemblée n'a qu'une durée d'un an ou même de deux ans, la question ne peut plus s'élever sérieusement entre le renouvellement intégral et le renouvellement partiel. Ce dernier mode n'est plus réclamé par personne. Quand le mandat monte à une durée de trois ans, les deux systèmes paraissent également possibles; mais les Constitutions suisses ne nous offrent d'exemples de renouvellement partiel que pour des assemblées dont les membres sont élus pour quatre ans au moins. Les Constitutions qui admettent le renouvellement partiel sont au nombre de cinq seulement, et voici leurs divers systèmes Durée du mandat Renouvellement

des députés.

Demi-canton d'Unterwald-haut. 4 ans, par quart chaque année. (Const. de 1860, art. 43 et 50.)

Canton de Schwytz. 4 ans, par moitié tous les 2 ans. (Const. de L855, art. 45.)

de Zurich. 4 ans, par moitié tous les 2 ans. (Const. de 1831, art. 37.)

de Schaffhouse 6 ans, par moitié tous les 3 ans. (Const. de 1852, art. 26.)

Demi-canton de Bâle-Ville. 6 ans, par moitié tous les 3 ans. (Const. de 1858, art. 28.)

Nous occupant de la Suisse, il semble qu'il n'y ait rien à dire touchant la dissolution d'assemblées électives, à l'égard desquelles le pouvoir exécutif, qui émane d'elles, ne saurait évidemment exercer un droit de cette nature. Cependant, lorsqu'on envisage la dissolution en faisant abstraction de son principe et uniquement au point de vue du fait matériel qu'elle réalise, à savoir la cessation anticipée du mandat, on peut concevoir dans une démocratie une institution analogue ce sera la révocation du mandat avant son terme normal par les électeurs qui


l'ont conféré. Et cette institution existe en effet dans deux Constitutions de la Suisse, celle du demi-canton de Bâle-Campagne et celle du canton d'Argovie.

D'après la première (article 53, § 2), il y a lieu exceptionnellement à renouvellement intégral du Landrath lorsque la demande de ce renouvellement résulte d'un vote au scrutin secret émis dans une réunion comprenant la majorité des électeurs au nombre d'au moins l,S00 (le demi-canton compte environ 54,000 habitants.)

D'après la Constitution d'Argovie (article 49), quand 6,000 électeurs (le canton compte plus de 198,000 habitants) ont exprimé par un mode légal (le plus ordinaire est l'exercice du droit de pétition) le vœu du rappel (Abberufung) du grand Conseil, le pouvoir exécutif est obligé de poser la question aux assemblées de cercles qui la résolvent. Dans ce cas, le nouveau grand Conseil n'est élu que pour la durée du mandat qui restait à remplir au précédent.

49. L'Égypte possède depuis 1866 un Statut qui a créé une assemblée représentative dont les membres, au nombre de 75 au maximum, sont élus pour trois ans, sauf dissolution par le vice-roi. Le renouvellement est intégral dans tous les cas. (Articles 9, 10 et 17). J'ignore quelle exécution pratique reçoit ce statut.

50. La Constitution fédérale des États-Unis de l'Amérique du Nord divise le Congrès en deux Chambres, le Sénat et la Chambre des représentants.

Les représentants, nommés par les divers États en nombre proportionnel à la population (il y en avait 243 en 1869), sont élus pour deux ans et renouvelés intégralement.

Les sénateurs, au nombre de deux par chaque État, sont élus par les législatures de ces États pour six ans, renouvelés par tiers tous les deux ans, suivant des séries déterminées.

(Article 1 er section I, section II, n" 1 et 3; section III. n" 1 et 2. ) 51 à 86. On sait que chacun des États qui composent la grande fédération américaine a sa Constitution particulière. Seule, la Virginie, encore gouvernée militairement en 1869, n'avait pas, à cette date, de Constitution.

Les Constitutions des trente-six autres États, sans exception, établissent deux Chambres, la Chambre des représentants et le Sénat, dont la réunion compose la législature de l'État. Le nombre des représentants, généralement proportionnel à la population, mais sur des bases différentes, est très-variable. En -1869, nous le voyons osciller entre 21 (Delaware) et 240 (Massachussets) le chiffre ordinaire est de 100 environ. Le nombre des sénateurs, qui dépend de la division du territore, ne dépasse jamais la moitié de celui des représentants et


descend rarement au-dessous du quart. Il est habituellement du tiers environ. Voici maintenant comment les Constitutions des États, à l'exception de celle de Nevada que je ne connais pas, résolvent les questions qui nous occupent (1).

Treize Constitutions admettent la même durée de mandat et le même mode de renouvellement pour les représentants et pour les sénateurs. Quatre (Caroline du Nord, Delaware, Nebraska, Ohio) donnent au mandat une durée de deux ans; neuf [Connecticut, Indiana, Maine, Massachussets, Michigan, New-IIarnpshire, Rhode-Island, Tennessee et Vermont) une durée d'un an seulement. Dans ces treize Constitutions le renouvellement est intégral.

Des vingt deux Constitutions qui donnent une durée différente au mandat des représentants et à celui des sénateurs, sept repoussent tout renouvellement partiel. Les deux Chambres se renouvellent intégralement le Sénat tous les quatre ans et la Chambre des représentants tous les deux ans, dans quatre Constitutions (Alabama, Arkansas, Mississipi, Oregon) le Sénat tous les deux ans, et la Chambre des représentants chaque année, dans trois Constitutions (Kansas, Virginie occidentale et Wisconsin).

Des quinze Constitutions dont il me reste à parler, aucune n'admet le renouvellement partiel pour la Chambre des représentants, tandis que toutes l'admettent pour le Sénat. Voici le tableau de leurs dispositions sur ces points

Durée du mandat Renouvellement du Sénat.

m i m' Renouvellement du Sénat.

des Représentants, des Sénateurs.

Minnesota. 1 an, 2 ans, par moitié chaque année. New-Jersey 1 an, 3 ans, I h année. New-Jersey. o par tiers chaque année. Pensylvame 1 an, 3 ans, New-York 1 an, 4 ans, par quart chaque année. Californie. 2 ans, 4 ans,

Caroline du Sud. 2 ans, 4 ans,

Floride. 2 ans, 4 ans,

Géorgic. 2 ans, 4 ans,

Illinois 2 ans, 4 ans,

Iowa. 2 ans, 4 ans, par moitié tous les 2 ans. Kentucky. 2 ans, 4 ans,

Louisiane. 2 ans, 4 ans,

Maryland 2 ans, 4 ans,

Missouri 2 ans, 4 ans,

Texas. 2 ans, 4 ans,

(1) Je dois la plupart des indications qui suivent à M. Jozon.


Il n'est pas inutile de faire remarquer que plusieurs des Constitutions qui ont consacré ces diverses organisations datent à peine de quelques années, notamment celles des États suivants: Alabama, Arkansas, Caroline du Nord, Caroline du Sud, Floride, Géorgie, Kansas, Louisiane, Missouri, Nebraska, Tennessee, Wisconsin. Je crois que quelques autres Constitutions ont été récemment révisées et que certaines des indications qui précèdent ont par là cessé d'être exactes, mais les changements n'ont pas altéré la physionomie générale de l'organisation législative des États-Unis.

87. Au Brésïl, la Constitution de 1824 crée une Chambre des députés et un Sénat. La Chambre des députés est élue pour quatre ans et renouvelée intégralement; l'empereur peut la dissoudre. Les sénateurs sont nommés à vie par l'empereur sur liste triple de candidats présentés par les provinces. (Articles 14, 17, 35, 40, 43, 44, 101.) 88. Je me bornerai, sur la République du Chili, à cette simple indication le Congrès est divisé en un Sénat de 20 membres élus pour neuf ans, et une Chambre de 56 députés élus pour trois ans. J'en sais moins encore sur les autres républiques américaines je crois qn'elles ont généralement deux Chambres, mais en l'absence des textes, j'ignore comment les points qui nous occupent y sont réglés. 89 à 92. Si le temps et les documents me le permettaient, je parlerais maintenant des colonies ou le génie anglais a transporté le système représentatif.

Au Canada, nous trouvons une Chambre haute, composée de 48 membres élus pour huit ans et renouvelés par quart tous les deux ans, et une Chambre basse de 130 membres, élus pour un moindre temps et soumis au renouvellement intégral (t).

En Australie, l'État de Victoria nous offre un gouvernement constitutionnel qui fonctionne régulièrement depuis plusieurs années. La Chambre basse (Assembly) est composée de 78 membres élus par le suffrage universel pour cinq ans, sauf dissolution par le gouverneur. Le renouvellement est intégral dans tous les cas. La Chambre haute (Council) est composée de 30 membres nommés, par des électeurs spéciaux, pour dix ans et renouvelés par cinquième tous les deux ans. Cette Chambre ne peut être dissoute.

Dans la Nouvelle-Galles du Sud, nous trouvons également une Chambre haute et une Chambre basse. La première est nommée par le gouverneur, la seconde élue par des électeurs censitaires, toutes deux pour une durée de cinq ans.

(t) Un article de M. Blerzy, publié dans la Revue des Deux-Mondes du 1er janvirr 1812, me fait craindre que mes indications relatives au Canada ne soient erronées.


Enfin, la Nouvelle-Zélande possède une Assemblée législative élue pour cinq ans.

J'arrive à la France.

L'état présent, Messieurs, je serais bien embarrassé de vous le faire connaître en droit. En fait, nous avons une assemblée unique, non susceptible de dissolution, composée de 728 membres nommés pour le temps qu'il leur conviendra de déterminer et soustraits par conséquent à tout renouvellement, intégral ou même partiel sauf l'exception qui résulte des décès ou des démissions individuelles. Remplaçons, si vous le voulez, les règles précises qui nous font défaut dans le présent par un rapide résumé historique sur ces deux seuls points, la durée du mandat et le mode de renouvellement. De 1789 à ce jour, nous comptons douze Constitutions, plus ou moins appliquées.

Je ne dirai rien des anciens États généraux.

La Constitution de 1791 établissait une seule assemblée, renouvelable intégralement tous les deux ans. Même système dans la Constitution, restée théorie, de 1793.

La Constitution de l'an III organisa deux conseils, celui des Anciens et celui des Cinq-Cents, tous deux élus pour trois ans et renouvelables par tiers chaque année (articles 53, 84 et 55.)

La Constitution de l'an VIII créa trois assemblées le Sénat, dont les membres étaient nommés à vie (article 15); le Tribunat, renouvelable en cinq ans, par cinquième chaque année (article 27); le Corps législatif, renouvelable comme le Tribunat (article 31.)

Le Sénatus consulte de l'an X fit le Tribunat renouvelable en six ans, par moitié tous les trois ans, et donna au Sénat le droit de dissoudre le Tribunat et le Corps législatif (article 76.)

Le Sénatus-consulte de l'an XII déclara le Tribunat renouvelable en dix ans, par moitié tous les cinq ans (article 88.)

La Charte de 1814 établit deux Chambres, celle des pairs, nommés au moins à vie, et celle des députés, élue pour cinq ans,renouvelable par cinquième chaque année sauf dissolution (articles 27, 37.) L'Acte additionnel de 1815 maintient les deux Chambres en conservant aux députés leur mandat de cinq ans, mais en substituant le renouvellement intégral au renouvellement partiel (article 13.) La Charte de 1814, remise en vigueur, fut modifiée dans son article 37 par la loi du 9 juin 1824, qui établit le renouvellement septennal et intégral.

Dans la Charte de 1830, l'article 31, remplaçant l'article 37 de la Charte de 1814, ramena le mandat à cinq ans, mais par son silence sur


le mode du renouvellement, il laissa subsister le renouvellement intégral, qui depuis lors a toujours été admis en France.

La Constitution de 1848 créait une seule Chambre, de 750 membres élus pour trois ans, et non susceptible de dissolution (articles 21 et 31.) Enfin, la Constitution de 1832 avait organisé deux assemblées, le Sénat, composé de membres nommés à vie par l'empereur, et te Corps législatif, composé de députés en nombre proportionné aux électeurs et non plus aux habitants (1 par 35,000) et élus pour six ans, sauf dissolution (articles 19, 21, 35 et 38.)

Ainsi, de nos douze Constitutions, cinq ont admis, au moins pour certaines assemblées quand il y en avait plusieurs, le renouvellement partiel; sept ont repoussé ce mode et rigoureusement établi le renouvellement intégral. La durée des divers mandats a varié de dix ans à deux ans, du moins dans les prévisions de la loi car en fait, tant par l'eflet de la sortie anticipée des premières séries à renouveler que par suite de l'exercice du droit de dissolution ou des événements révolutionnaires, la durée moyenne des mandats, peut être évaluée approximativement (on comprend la difficulté d'un semblable calcul) à moins de deux ans et demi.

Quel est le système que nous réserve notre future Constitution, qui sera notre treizième? Je l'ignore; mais il sera permis d'exprimer le vœu qu'elle se rapproche le plus possible, dans ses dispositions, des faits pratiques c'est plus facile que de plier les faits aux décisions du législateur même constituant.

Sur cette pente, ne faut-il pas aller plus loin encore et dire qu'on peut se passer de Constitution? Mais, scientifiquement parlant, pas de Constitution, c'est encore une Constitution, dès qu'il existe des lois et je crois qu'il faut des lois.

J'ai terminé la tâche que je m'étais imposée. Et cependant vous penserez sans doute, messieurs, que j'ai traité incomplètement l'un des points qui rentraient dans mon programme: en vous parlant du mode de renouvellement des assemblées, j'aurais pu,j'aurais dû vous dire non-seulement à quels intervalles et dans quelles proportions les assemblées se renouvelaient, mais aussi suivant quel système: par circonscriptions territoriales tirées au sort ou désignées suivant un système quelconque, ou bien par nombre fixe de représentants appartenant à chacune de ces circonscriptions, ou bien encore par quelle autre combinaison, s'il en existe d'autres.

Mais j'ai reculé, pour aujourd'hui, devant une multiplicité de détails qu'il faut aller chercher dans les lois électorales, quelquefois


dans des monuments législatifs secondaires (1). Je désirerais vivement qu'un de nos jeunes collègues me dispensât de ce travail intéressant, mais long et minutieux, en l'entreprenant lui-même.

Et puisque je parle à nos jeunes collègues, j'ajouterai qu'il est des questions qui se recommandent actuellement à l'étude, questions du même ordre que celle qui vient d'être traitée, mais plus larges et d'un intérêt plus élevé je citerai, par exemple, celle de savoir à, quels éléments politiques ou à quelles combinaisons de mécanisme législatif répond chaque assemblée dans les pays où il existe plusieurs Chambres. Je serais heureux de voir apporter ici, sur une semblable question, le résultat de recherches propres à substituer les données de l'expérience à des idées vagues ou préconçues.

Quant à la statistique que je viens de vous présenter, ai-je besoin de dire que toutes les rectifications et tous les compléments qu'elle appelle seront bien accueillis?

M. le Président, au nom de la Société, remercie M. Hérold de son intéressante communication.

La séance est lévée à dix heures trois quarts.

(t) Je n'ai guère rencontré de disposition constitutionnelle explicite sur ce point que celle de l'article 1", 5, de la Constitution de l'État de New-York (1821) elle porte non-seulement que le Sénat, composé de 32 membres, se renouvelle par quart, chaque année, mais que sur les 8 sénateurs à nommer chaque année, 1 est nommé par chacun des 8 districts sénatoriaux de l'État, ces districts étant à cet effet répartis en quatre séries.– En France, actuellement, les idées paraissent tendre au renouvellement par séries comprenant la représentation de départements entiers, afin de ne point agiter par des élections simultanées tous les départements à la fois mais comment déterminer les séries? Le sort peut placer dans la même série des régions entières, dont les élections faites la même anuée modifieraient trop sensiblement le personnel d'une Assemblée et enlèveraient ainsi au renouvellement partiel son principal avantage. L'ordre alphabétique des départements donnerait, par te fait, un résultat beaucoup meilleur. Mais il faudrait absolument diviser en plusieurs groupes et répartir entre diverses séries les représentants des départements qui en nomment un grand nombre. Si la Société de législation comparée s'occupait de « lois à faire, » on pourrait lui présenter sur ce point d'ingénieuses et importantes combinaisons.


En dehors des lois d'importance générale qui seront traduites et doivent former l'Annuaire de la Société de législation comparée, nous signalerons dans chaque Bulletin les documents législatifs, qui, tout en offrant un moindre intérêt, peuvent cependant être utiles à quelques-uns de nos associés.

ITALIE.

Décret du 8 décembre 1871, qui détermine la condition du concours annuel auquel doivent prendre part les agents des impôts et du cadastre pour passer de la seconde à la première catégorie, indique les villes où il doit avoir lieu, publie le programme in eatenso.

[Gazette officielle du 17 décembre 1871, n' 344.)

Règlement approuvé par décret royal du 23 octobre 1871 pour l'exécution de la loi du 20 juin 1871, sur le recensement général de la population du royaume.

(Gazette officielle du 8 décembre 1871, n° 335.)

Rapport fait par le ministre au Conseil d'agriculture sur les moyens pris pour répandre l'instruction agricole.

(Gazette officielle du 10 décembre 1871, n* 337.)

709 Paris. imprimerie CUSSET et U% Î6, rue Racine.


La prochaine séance aura lieu le Lundi H mars. Voir au verso la convocation.

BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE

LÉGISLATION COMPAREE TROISIÈME ANNÉE.

V 8.– Février 18?*.

SOMMAIRE.

Convoration (an vertu de la couverture). PAGES.

Séance du 14 février 1872 65

Observations par M. Avcoc sur le rôle de la statis-

tique dans let études de législation comparée. 66

Compte rendu par bf. BauuoUx des derniers tra-

vaux du Parlement italien ÎO

Étude par M. Edm. Bertrand sur la condition dis

étrangers en Angleterre 71

Rapport par M. I, osier sur les comptes du Tré-

sorier 89

PARIS

Tout ce qui concerne la publication du Bulletin

doit être adressé à MM Cotillon et fils, Libraires du Conseil d'État 24, rue Soufflot.

Toutes les autres communications seront adressées au Secrétaire général de la Société, 64, rue Nauve-aes-petits-cuamp». V J


CONVOCATION.

La prochaine Séance de la Société de Législation comparée aura lieu le Lundi 11 mars 1872, à 8 heures 1/4 du soir, au Cercle des Sociétés savantes, 64 rue Neuve-des-PetitsChamps, sous la présidence de M. Renouabd.

ORDRE DU JOUR

1" Compte rendu par M. Du BUIT, avocat à la Cour d'appel, de plusieurs ouvrages offerts à la Société par M. Pierantoni. Compte rendu par M. Ribot, substitut au tribunal de la Seine, des derniers travaux du Parlement anglais.

3* Discussion, s il y a lieu, sur le travail lu à la dernière séance par M. BERTRAND, concernant la condition des étrangers en Angleterre.

Étude par M. Gonse, avocat à la Cour de cassation, sur la législation relative au mariage, en Prusse.

Étude par M. HUBERT VALLEROUX, avocat à la Cour d'appel, sur la législation anglaise de 1871, relativement aux TradesUnions.


ni. 6

K' 3. Février 189*.

BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE LlGISWIIi lûlinilll J- t~SJ&2^*$ 1

SÉANCE DU \h février 1872.

La séance est ouverte à huit heures et demie, sous ]a présidence de M. RENOUARD.

MM. Reverchon, GREFFIER et Aucoc, vice-présidents, prennent place au bureau.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Président fait connaître la liste des membres nouvellement admis par le Conseil de direction, dont les noms suivent MM. Bébabd DES Gijueux, substitut au tribunal de la Seine, 24, rue de Varennes.

Demongeoï, auditeur au Conseil d'État, 75, boulevard Haussmanu.

Lemaout, avocat à la Cour d'appel, 33 bis, rue Sainte-Anne. MASSON, à Marseille- le-Petit (Oise).

Dubois, substitut au tribunal de la Seine, 2, rue Monccy. Eugène d'Eichtual, 100, rue Neuve-des-Mathurins.

CA RTIER, juge suppléant au tribunal de la Seine, 11, rue du Cirque.

Maurih, avocat à la Cour d'appel de Nimes.

Delpouvb, avoué au tribunal de la Seine, 43, rue Taitbout. PAGÈS, substitut au tribunal de la Seine, 75, rue de l'Université.

MAGNE, avocat à la Cour d'appel, 8, rue de Douaij

Paringault, ancien professeur de droit à la Faculté de Nancy, villa Saïd, 16, avenue de l'Impératrice.


BiNocHE, avocat à la Cour d'appel, 23, rue Hauteville. CAZE, avocat à la Cour d'appel, 4, avenue du Coq.

BIDOIRE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, il bis, rue Boissy-d'Anglas.

PARENT, député de la Savoie.

DE LA Sicotière, député de l'Orne.

DE CHABROL, député du Puy-de-Dôme.

MARBEAU, maître des requêtes au Conseil d'État, 47, rue Joubert.

BRAUN, maître des requêtes au Conseil d'État, 71, rue Miroménil.

Hcechter, avocat à la Cour d'appel, 52, rue Hauteville. Babovj-Pascal, ùireecteur du Journol des Assurances, 5, rue ̃ Grétry.

LEFORT, avocat à la Cour d'appel, 87, rue Neuve-des-PetitsChamps.

Morillot, avocat à la Cour d'appel, 13, rue de la Banque. SALLE, avocat à la Cour d'appel, 39. boulevard Haussmann. Dubable, avocat à la Cour d'appel, 9, boulevard Saint-Michel. M. le Président offre à la Société, an nom de l'auteur une Étude sur la Nouvelle organisation judiciaire, Lettres au rédacteur en chef du Français, par M. Arthur Desjardins, premier avocat général à la Cour d'appel d'Aix.

M. Aucoc offre à la Société et dépose sur le bureau deux volumes de statistique contenant le Compte général des travaux du Conseil d'État du 25 janvier 1852 au 31 décembre 1865. Ces volumes, dit-il, ne sont pas tout récents; mais ils sont rares et la destruction complète des archives du Conseil d'État qui ont péri dans l'incendie du palais du quai d'Orsay donne à ces documents officiels et authentiques un intérêt particulier. Il se propose d'ailleurs, à cette occasion, d'appeler l'attention de la Société sur le rôle que devrait jouer la statistique dans les études de législation comparée. Pour permettre d'apprécier la valeur des renseignements que contiennent les comptes rendus des travaux du Conseil d'État, M. Aucoc expose que le gouvernement de juillet avait eu le premier la pensée de publier périodiquement un rapport, accompagné de nombreux tableaux, destiné à mettre en relief les services rendus par le Conseil d'État, qui avait été l'objet de vives critiques sous la Restauration. Il a été publié trois comptes rendus quinquennaux en 1835, 1840 et 1845. Ils étaient préparés par des commissions d'auditeurs au Conseil


d'État placés sous la direction d'un homme éminent, M. Vivien. En 1850 et 1851, la présidence du Conseil a fait imprimer deux brochures contenant des renseignements très-sommaires sur les travaux du nouveau Conseil d'État. Mais la tradition des comptes-rendus développés a été reprise après la réorganisation du Conseil d'État en 1852. Les deux volumes offerts par M. Aucoc, et à la rédaction desquels il a concouru, ont été publiés, l'un sous la présidence de M. Baroche en 1862, l'autre sous la présidence de M. Vuitry en 1868. Un nouveau travail était commencé en 1870. Les éléments en sont aujourd'hui anéantis.

Ces travaux statistiques, imités des comptes rendus de la justice civile et de la justice criminelle, ne se bornent pas à donner le nombre des affaires de chaque nature qui ont été soumises au Conseil d'État. Ils contiennent en outre, toutes les fois que cela est possible, des renseignements plus ou moins détaillés sur la solution qui a été adoptée par le Conseil. On peut donc y suivre les résultats principaux de l'application des branches de la législation pour lesquelles le concours du Conseil d'État est réclamé. Enfin chaque tableau est accompagné de notes indiquant le dernier état de la législation de chaque matière. Les comptes rendus se divisent en trois parties, du moins pour la période comprise entre 1852 et 1866 travaux législatifs, travaux administratifs, décisions sur les affaires contentieuses.

Pour les travaux législatifs, il n'y a guère qu'une nomenclature; on peut toutefois y remarquer lcs chiffres des amendements aux divers projets de loi qui ont été adoptés, modifiés ou rejetés par le Conseil d'État. Sur un total de 4,914 amendements, 842 avaient été complètement adoptés, 570 modifiés, 602 rejetés.

Pour les travaux administratifs, on voit le très-grand nombre d'affaires de nature diverse qui aboutissaient au Conseil, malgré la diminution qu'ont produite les décrets de 1852 et de 1860, dits de décentralisation, et diverses mesures analogues.

Certains chiffres sont assez curieux. Par exemple la loi du 28 mai 1858, qui punissait l'usurpation des titres et l'altération des noms commise en vue de s'attribuer une distinction honorifique, avait fait accroître d'une façon très-sensible le nombre des demandes tendant à obtenir l'autorisation de modifier les noms de, famille. 11 y a eu plus de 800 demandes en sept ans; 69 ont été rejetées.

Il faut signaler encore, parmi les renseignements dignes d'attention, ceux qui concernent les dons et legs faits aux établissements publics, civils et religieux. Les tableaux indiquent non-seulement le nombre des libéralités faites à chaque nature d'établissements, mais en outre la quotité des libéralités, soit en meubles ou en immeubles, et le


montant des réductions ou des rejets prononcés au profit des héritiers. En lisant la série des rapports publiés en 1845, 1862 et 1858, on peut voir l'accroissement très-considérable de la fortune mobilière ou immobilière des établissements publics.

A côté de ces chiffres, on remarquera celui des pensions civiles et des pensions militaires qui s'accroît sans cesse et qui n'est pas en voie de diminuer aujourd'hui.

Il serait inopportun d'insister sur ces exemples. Mais il est bon de faire remarquer, en terminant ces courtes indications sur les comptes rendus, le caractère des renseignements qu'on trouve dans la partie consacrée aux affaires contentieuses.

Ils ont pour objet de répondre aux préjugés avec lesquels on a souvent combattu la juridiction administrative que l'on présentait comme organisée pour donner toujours gain de cause à l'administration dans les contestations soulevées contre elle par les administrés. On a eu soin de faire ressortir non-seulement la nature des affaires qui donnent lieu aux litiges portés devant le Conseil, ce qui a déjà son intérêt et peut éclairer le législateur sur les réformes nécessaires, mais en outre le nombre des réclamations admises et des réclamations rejetées; le nombre des décisions du chef de l'État, des ministres, des préfets, des conseils de préfecture qui ont été annulées en totalité ou en partie, ce qui a permis d'apprécier l'impartialité et l'indépendance du Conseil d'État, et les garanties qu'il a toujours données aux justiciables.

En voyant comment la statistique permet d'apprécier certains côtés des institutions d'un pays, on est amené à se demander si elle ne doit pas jouer un rôle important dans les études de législation comparée. Il ne suffit pas en effet de connaître le texte des lois étrangères pour les bien apprécier il faut savoir à quel état social elles répondent, il faut savoir enfin quels résultats elles ont produits dans la pratique. Dans beaucoup de cas, pour prononcer un jugement en pleine connaissance de cause, il serait très-important d'être éclairé par la statistique sur les cas dans lesquels la loi s'est appliquée, et sur les avantages ou les inconvénients qu'elle a produits.

Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple dans les travaux mêmes qui font l'objet de la présente communication, une commission de l'Assemblée nationale a récemment interrogé les conseils généraux sur le point de savoir s'il conviendrait de transporter aux tribunaux civils la plupart des attributions des conseils de préfecture. Pour savoir si ce déplacement d'attributions donnerait aux citoyens des garanties plus grandes que celles qu'ils ont actuellement, il faudrait rechercher comment pourraient être organisés les recours contre les décisions


des tribunaux. Actuellement ces recours sont nombreux. Le compte rendu des travaux du Conseil d'État de 1861 à 1866 indique que « depuis le!" août 1806, époque à partir de laquelle l'instruction des affaires contentieuses a été placée dans les attributions d'une fraction spéciale du Conseil d'État, jusqu'au 31 dénembre 18S6, le Conseil d'État a été saisi de 40,000 affaires. Or voici comment ce chiffre se décompose 10,000 affaires sont entrées du août 1806 au 20 février 1832, 10,000 du 20 février 1832 au 3 novembre 1846, 10,000 du 3 novembre 1846 au 21 décembre 1858. 10,000 du 24 décembre 1838 au 22 décembre 1866. Ainsi ce n'est qu'au bout de vingt-six ans qu'on est arrivé dans la première période au chiffre de 10,000 affaires; onatteint ensuite le même chiffre en moins de quinze ans, puis en douze, puis en huit ans. »

Or à quoi tient cet accroissement continu du chiffre des affaires portées devant le Conseil d'État? A ce que, depuis 1832, diverses lois ont autorisé les justiciables à former des pourvois sans frais et sans l'intermédiaire des avocats contre les décisions des conseils de préfecture en matière de contributions directes, d'élections et dans quelques autres matières. Le nombre annuel de ces pourvois sans frais varie de 700 à 900.

Il y a un intérêt considérable pour le gouvernement à ce que les réclamations en matière d'impôts directs, notamment, puissent être présentées sans aucune entrave et arriver jusqu'à la juridiction suprême. Le chiffre de l'impôt annuel est presque toujours disproportionné à la dépense qu'entraîneraient les droits de greffe et d'enregistrement et le ministère d'un avocat, et cependant les inégalités, les surtaxes blessent très-vivement les citoyens. Souvent une réclamation relative à une taxe insignifiante met l'administration sur la trace de procédés vexatoires dont le gouvernement est toujours responsable aux yeux des mécontents.

Que deviendraient les nombreux pourvois sans frais si la compétence du conseil de préfecture et du Conseil d'État était remplacée par celle des tribunaux civils et de la Cour de cassation? Pourrait-on maintenir l'ancien système, et si on le supprimait, n'y aurait-t-il pas là de graves inconvénients? Est-il sage d'abandonner les populations aux décisions des autorités locales quand il s'agit de questions de droit, surtout en matière d'impôt?

En Belgique, les contestations relatives aux impôts directs sont jugées par les délégations permanentes des conseils provinciaux, tantôt en dernier ressort, tantôt sauf recours devant la Cour de cassation. Mais pour pouvoir apprécier ce système, il faudrait rechercher s'il y a beaucoup de recours formés en pareille matière, et si les recours


ont lieu sans frais. La statistique fournirait ici un élément important pour comparer le système belge au système actuellement suivi en France. Il en sera évidemment de même dans beaucoup d'autres cas. Cet exemple suffit pour mettre en lumière l'idée qui nous a paru mériter d'être signalée à la Société.

M. Barboux a la parole pour rendre compte des derniers travaux du Parlement italien

Nous avons entrepris, dit-il, d'étudier les législations étrangères, non pas comme nous l'avions fait jusqu'ici, au hasard des communications qui nous étaient faites et des livres qui nous étaient adressés, mais d'une façon régulière et systématique. A cet effet, nous avons abonné la Société aux journaux officiels des principaux États, et non-seulement ces journaux sont à la disposition de tous, mais encore chaque jour un des membres de la Société se charge de les parcourir, afin qu'à chaque séance et dans chaque bulletin connaissance soit donnée de tout ce qui, soit au point de vue administratif, soit au point de vue économique, soit au point de vue judiciaire, peut à un degré quelconque intéresser les membres de la Société.

C'est de cette façon que j'ai relevé dans la Gazette officielle du royaume d'Italie les projets de loi suivants:

1° Un projet de loi complet sur la réorganisation du notariat. Ce projet ne compte pas moins de 144 articles il est accompagné d'un tarif des actes notariés.

Cette question a précisément fait l'objet de nos études il y a deux ans.

Un projet de Code sanitaire.

Nous n'avons pas encore le projet lui-même qui avait été présenté à la dernière session du Parlement; mais nous l'avons demandé, et nous l'aurons bientôt. Nous avons le rapport dans lequel il est dit « que le « projet a pour but de protéger l'hygiène et la santé publiques, et qu'il « est le fruit de longues et profondes études faites par les hommes les « plus expérimentés et les plus savants. »

3° Un projet de loi portant modification des lois commerciale et provinciale du 20 mars 1865.

Nous avons également demandé letexte de cette loi, afin que l'organisation municipale et provinciale de l'Italie puisse être complètement étudiée. J'ai parcouru le projet modificatif, et j'y ai remarquédeux articles, les articles 13 et 4-8, qui confèrent le droit électoral aux personnes morales et aux femmes.


Un projet de loi complet, avec un volumineux rapport, sur la pêche.

C'est là sans doute une matière très-spéciale. Mais elle peut intétéresser très-vivement ceux d'entre nous qui s'occupent d'économie politique et de droit commercial.

Un projet de loi portant modification de la loi de 1865 sur l'organisation judiciaire. Ce projet de loi règle le mode d'entrée dans la magistrature.

Les membres de la Société qui désireront prendre connaissance de ces documents, les étudier, en faire l'objet de communications, voudront bien s'adresser pour cela à M. le secrétaire général. Un de nos collègues s'est déjà chargé de faire, sur le projet d'organisation judiciaire, une communication à l'une de nos prochaines séances. M. EDMOND BERTRAND, juge suppléant au tribunal de la Seine, donne lecture d'une communication sur la condition des étrangers en Angleterre.

Depuis que la guerre, les traités de commerce, l'émigration, les voyages multipliés en raison des nouveaux intérêts que chaque jour fait naître, ont mis les peuples en contact incessant, les questions concernant la nationalité, la naturalisation, la situation faite aux étrangers par les diverses législations, ont acquis une importance nouvelle. La plupart des gouvernements s'en sont préoccupés presque au même instant. C'est qu'à leur solution sont intéressés à la fois les droits de l'individu, les exigences de l'humanité et de l'équité, le droit public des nations et le droit international lui-même. Elles ont été étudiées de nouveau à tous ces points de vue et les solutions qui sont le résultat de ces études simultanées et souvent communes se font remarquer par une certaine netteté et aussi par une tendance incontestable à une harmonie déjà prochaine. Il convient que la France ne reste pas étrangère à ce mouvement d'idées et à cette réforme d'une partie importante de la législation. On ne saurait choisir pour l'y déterminer un meilleur exemple que celui de l'Angleterre qui, hier encore, dominée en cette matière par les principes du droit féodal, vient d'inaugurer une législation plus conforme que la nôtre dans une certaine mesure aux principes acceptés par la raison et le droit modernes.

Je veux parler de la loi du 12 mai 1870, « relative à la condition lé« gale des étrangers et des sujets de la Grande-Bretagne. » L'étude rapide de cette loi et de la législation antérieure qu'elle confirme en quelques points Qt modifie en d'autres est l'objet du présent travail.


Je rechercherai successivement: qui est citoyen anglais d'origine et qui est étrangeraux termes delaloi anglaise et aussi à quelles conditions le sujet anglais peut se dégager de sa nationalité et des devoirs qu'elle lui impose; 2* quelle est la condition légale des étrangers en Angleterre 3° à quelles conditions l'étranger p eut obtenir en Angleterre la naturalisation partielle ou complète.

I.

§ i. Le fait qui jusqu'à la loi de 1870 a déterminé la nationalité au point de vue du droit anglais, le critérium qui servait à constater la qualité de sujet anglais, c'est la naissance sur le sol soumis à la souveraineté du roi d'Angleterre. Ce fait créait un devoir pour l'indigène (natural born), l'allégeance féodale, l'obligation d'obéir au souverain et de le défendre. De ce devoir dérivait en faveur de l'indigène le droit, sa réciproque, d'être protégé par son suzerain.

§2. A l'origine, le principe consacré parla loi commune ne souffrait aucune exception. Il fallut un statut d'Édouard 111 pour attribuer la qualité de sujet anglais à l'enfant né à l'étranger d'un père et d'une mère sujets anglais l'un et l'autre.

Ce statut contenait des exceptions qui ne furent levées que sous la reine Anne (7. Anne 5). Il fallut d'autres actes législatifs qui sont bien postérieurs en date, pour accorder la nationalité anglaise à l'enfant né à l'étranger d'un père ou d'un grand-père paternel anglais (1). Encore ne pouvait-il hériter que de ces parents et ne pouvait-il réclamer les biens situés en Angleterre que cinq années après qu'ils lui étaient échus. Enfin, c'est seulement en 1844 (7 et 8 Vict., Ch. 66) que la qualité de sujet anglais a été reconnue à l'enfant né à l'étranger d'une mère anglaise. Il est bon de remarquer ici que la loi d'Angleterre n'admettait pas que l'Anglaise épousant un étranger perdît sa nationalité d'origine. Elle n'admettait pas davantage que l'étrangère acquît la nationalité anglaise par son mariage avec un Anglais. Ce n'est qu'en 1844 qu'elle se départit de cette rigueur, mais pour ce second cas seulement.

La loi de 1810 a posé pour la première fois le principe général que la femme mariée est considérée comme sujette de l'État auquel appartient son mari (sect. 10).

§ 3. Ainsi les exceptions successivement faites au principe originaire l'avait détruit en ce sens qu'on ne pouvait plus dire que la nais(1) L'Anglelerre n'admettait pas alors la naturalisation de la femme par le mariage.


sance sur le sol anglais était rigoureusement essentielle pour être sujet anglais d'origine.

§4. -Mais ce principe subsistait encore en ce sens que la naissance sur le sol anglais était rigoureusement suffisante, c'est-à-dire que les enfants d'étrangers nés sur le sol anglais étaient considérés comme sujets anglais. La loi de 1870 n'a pas abandonné cette règle, mais elle en a considérablement diminué la portée. Elle décide (section 4) que toute personne qui, « par le fait de sa naissance sur les domaines de Sa Majesté, » est un sujet d'origine (natural borri), mais qui à l'époque de sa naissance était sujette d'un pays étranger et l'est encore, peut, lorsqu'elle a atteint sa majorité et qu'elle est en possession de ses droits [not under any disability), déclarer qu'elle entend être considérée comme étrangère (declaration of alienage); elle cesse aussitôt d'être sujet anglais. Cette déclaration doit être faite devant un magistrat.

C'est avec raison qu'un Anglais lui-même, éminent jurisconsulte, correspondant de notre Société, M. Westlake(l), a critiqué cette disposition. Après avoir fait remarquer que « la plupart des fils d'étrangers « nés sur le sol anglais ne songeront pas à faire cette déclaration, puis« qu'eux mêmes ne se considèrent pas comme sujets britanniques, » il ajoute que a il eût mieux valu renoncer franchement à faire dé« pendre la nationalité du hasard de la naissance sur le sol britan« nique. »

Le législateur anglais se met d'ailleurs, ainsi que l'a remarqué également M. Westlake, en contradiction avec le principe qu'il maintient lorsqu'il décide dans la même loi (même paragraphe 4) que tout individu, né sur le sol étranger d'un père sujet de la GrandeBretagne, pourra à sa majorité faire dans les mêmes conditions la même revendication d'extranéité (declaration pf alienage), et qu'il cessera alors d'être considéré comme sujet anglais. Il sera donc sujet anglais jusqu'à cette déclaration. L'Angleterre refuse donc de reconnaître en Amérique, par exemple, la légitimité du principe qu'elle maintient chez elle. Et si la loi américaine attache, elle aussi, la nationalité à la naissance en Amérique et n'admet pas qu'une simple déclaration de ce genre puisse constituer une naturalisation à l'étranger dans des conditions suffisantes pour qu'elle autorise et reconnaisse le changement de patrie, le législateur anglais n'a-t-il pas créé, en édictant cette disposition, une nouvelle source de ces conflits que la plupart des législateurs aujourd'hui, que lui surtout, cherchent à éviter.

(t) Revue de droit international, 1871 (l1 livraison).


§ 5. Il s'est mieux pénétré des idées modernes lorsqu'il s'est occupé de la perte de la nationalité britannique par suite de naturalisa.tion à l'étranger et qu'il a reconnu le droit ou la faculté d'expatriation. Il a supprimé ainsi une conséquence extrêmement grave du principe dont il laisse subsister, nous venons de le voir, une dernière trace qui sera bientôt effacée, il le faut espérer. Jusqu'en 1870 tout individu né sur le sol anglais ne pouvait aliéner complétement sa nationalité d'origine. Il ne pouvait par son acte personnel, même en demandant et obtenant la naturalisation en pays étranger et en jurant l'allégeance au souverain de ce pays, se décharger de l'allégeance naturelle qu'il devait au souverain de sa patrie d'origine. Cette allégeance, disaient les jurisconsultes, était intrinsèque, primitive et antérieure à l'autre, donc elle devait prévaloir. Plus tard se joignit à ces arguments qui sentent le féodal la notion plus moderne d'un contrat bilatéral entre l'individu et la société particulière qui l'a admis parmi ses membres, laquelle est représentée par le souverain. Ainsi, avant la loi de 1870 il fallait le consentement du prince pour que la naturalisation en pays étranger rompît tous les liens qui existaient entre l'ex-citoyen britannique et sa patrie d'origine. En fait, la plupart du temps il se comportait comme un citoyen de sa nouvelle patrie, et était accepté comme tel, même en Angleterre. Mais que survînt une guerre, qu'il figurât dans les rangs de ses nouveaux compatriotes pour combattre contre son ancienne patrie et qu'il fût pris les armes à la main, il ne pouvait pas être considéré comme un ennemi, mais comme un traître passé à l'ennemi, un Anglais tournant ses armes contre des Anglais. Il a été exercé en Angleterre des poursuites dans des circonstances semblables contre un Macdonald au service de la France. Il fut condamné à mort pour haute trahison, mais gracié à condition de ne jamais reparaître dans le royaume. Qu'on réfléchisse que telle est aujourd'hui encore, en ce temps de guerres nationales et de service obligatoire, la rigueur de la loi française si le décret de 1811 est encore en vigueur, et l'on appréciera le progrès accompli par la loi anglaise de 1870.

Elle décide que tout sujet britannique naturalisé en pays étranger sera considéré comme sujet de la nouvelle patrie qu'il a adoptée et dans laquelle il réside, et regardé comme étranger (sect. 6). Cette disposition ne concerne que le citoyen d'origine. Si un individu a acquis par la naturalisation la qualité de citoyen anglais et veut reprendre son ancienne nationalité, la loi de 1870 (sect. 3) lui impose la nécessité d'une déclaration d'extranéité (declaration of alienage) devant un juge de paix ou un magistrat, s'il réside en Angleterre, un consul ou un agent diplomatique, s'il se trouve à l'étranger. Encore ne pourra-t-il


jouir de cette faculté que s'il a été conclu entre le gouvernement britannique et celui dont il veut redevenir Je sujet une convention aux termes de laquelle les personnes qui se trouvent dans sa situation pourront être réintégrées dans leur nationalité primitive. La loi anglaise veut éviter que l'individu ne se constitue en état de vagabondage international en cherchant à se dégager successivement de toute nationalité. L'Angleterre est intéressée à s'assurer qu'il recouvre son ancienne nationalité, car dans le cas contraire il pourrait être considéré par les autres gouvernements comme lui appartenant toujours, alors cependant qu'elle l'aurait délié de tous devoirs et qu'elle aurait renoncé à tous droits sur lui. C'est aussi pour éviter des fraudes qu'il a été décidé que le sujet britannique d'origine ne perdrait cette qualité après naturalisation en pays étranger qu'à la condition d'y résider. Évidemment le législateur anglais s'est souvenu, comme le législateur allemand, des jeunes Francfortois qui, après l'annexion de leur ville natale par la Prusse, se faisaient naturaliser Suisses pour échapper au service militaire dans l'armée prussienne sans quitter leurs foyers. § 6. La loi nouvelle contient encore une disposition transitoire que rendait nécessaire l'adoption du principe d'expatriation libre. Beaucoup d'Anglais avaient pu se faire naturaliser à l'étranger pour profiter des avantages de lâ double nationalité que leur assurait en pareille circonstance l'ancienne loi de leur pays. Les commerçants britanniques se préparaient ainsi, dans les grands entrepôts du commerce maritime, des facilités commerciales qui leur donnaient une situation privilégiée. Bien que cette pratique fût devenue plus difficile et plus rare, elle pouvait exister encore. La loi de 1870 semble s'être référée à ce fait lorsqu'elle dispose que, pendant deux ans après sa promulgation, les sujets britanniques d'origine qui se sont fait naturaliser en pays étranger et désirent rester sujets britanniques pourront, s'ils déclarent formellement qu'ils entendent conserver la nationalité britannique et s'ils prêtent le serment d'allégeance, être considérés comme n'ayant jamais perdu leur nationalité d'origine. Toutefois, s'ils résident dans le pays où ils s'étaient fait naturaliser, ils ne seront citoyens britanniques que si cette déclaration leur fait perdre, aux termes de la loi de ce pays, la qualité de citoyen qu'ils y avaient acquise. II.

§ 7.-Nous savons maintenant qui est citoyen britannique d'origine, et par conséquent qui est étranger aux yeux de la loi anglaise tant qu'une naturalisation n'est pas intervenue. Quelle est la condition légale de l'étranger en Angleterre?


Il n'y jouit, comme on le pense bien, d'aucun droit politique. L» loi de 1870, en lui accordant la jouissance de tous les droits qui peuvent être conférés à des citoyens anglais sur des immeubles en Angleterre, a cru devoir rappeler de nouveau expressément qu'il ne pourrait se prévaloir de toutes les prérogatives politiques attachées à l'exercice de ces droits (sect. 2, § 1). ).

Il ne peut tenir un bénéfice ecclésiastique. Cette prohibition, que ne prononçait pas la loi commune qui considérait que l'Église était une dans tout l'Univers, a été introduite par un statut de Richard Il. Il est soumis aux lois d'ordre public et profite de la protection qu'elles assurent.

Les lois sur la personne et les biens des aliénés lui sont applicables. 11 bénéficie des lois sur la banqueroute et des dispositions de la loi de 1869 qui supprime la contrainte par corps (1).

Avant la loi de 1870 il pouvait, lorsqu'il était accusé d'un méfait de la compétence du jury, en récusant en masse tout jury qui n'était pas composé d'étrangers pour moitié au plus, réclamer un jury dit de rnedisetate lingux. La loi de 1870 (sect. 5) supprime cette prérogative.

L'étranger peut cependant siéger encore comme juré en Angleterre. Il le peut même aujourd'hui d'une manière générale. Le Juries Act de 1870 (33 et 34 Vict., ch. 77) dit (s. 8) que les étrangers, après dix ans de résidence en Angleterre, auront qualité pour remplir et même seront tenus de remplir les fonctions de juré sous les mêmes conditions que les citoyens anglais. C'est que la mission du juré est considérée comme une obligation sociale et non comme une fonction ou une prérogative politique.

§ 8. Après les droits et obligations qui résultent des relations directes et nécessaires de l'étranger avec la société, l'État sur le territoire duquel il séjourne, viennent les droits et obligations qui naissent de ses relations juridiques avec les individus. Ils sont déterminés par la loi du pays qui donne asile à l'étranger et par la loi du pays auquel il appartient par sa nationalité. Il est bien certain que déterminer la mesure dans laquelle le statut personnel de l'étranger est reconnu par la législation anglaise ne serait pas s'écarter du but de ce travail; mais une étude si délicate en dépasserait certainement les limites. D'ailleurs, (1) En fait cependant il peut encore la plupart du temps être arrêté même pré ventivement pour dettes, puisquel'emprisonnement préventif e^t maintenu pour les cas où il est à craindre que le débiteur ne quitte le pays. Mais la disposition ne lui est pas spéciale, et il faut que le créancier fusse contre lui la preuve que ce danger existe, preuve qui peut n'être pas toujours possible.


ainsi qu'où l'a fait remarquer (1), « avant de s'enquérir de la loi qui règle l'exercice d'un droit, il faut voir si ce droit existe. » Nous nous contenterons d'exposer dans ses traits généraux la situation faite à l'étranger en Angleterre dans la sphère du droit privé. § 9. En ce qui concerne ce qu'on a appelé les droits de famille, et en premier lieu ceux qui dérivent du mariage, l'étranger ne peut invoquer le principe de fusion de la personnalité juridique de la femme dans celle du mari dont il vous a été parlé dans un précédent travail (2). Ce principe, dont les jurisconsultes anglais caractérisent bien l'énergie primitive en le désignant sous le nom de principe d'identité, est encore loin de s'être suffisamment dépouillé, en Angleterre, de sa rigueur originaire. Il n'est pas applicable à la femme de l'étranger, qui est considérée comme « femme seule. » D'où la conséquence qu'elle peut contracter et ester en justice sans l'autorisation de son mari. Avant la loi de 1870 sur les biens des femmes mariées, elle jouissait encore d'une situation exceptionnelle en ce que les biens meubles et droits personnels par elle possédés à l'époque de son mariage ou acquis depuis, ne devenaient pas la propriété de son mari. Vous savez que depuis cette loi on peut dire d'une manière générale que c'est la condition commune des femmes mariées en Angleterre. En résumé, la femme de l'étranger, en Angleterre, est aussi libre que celle du citoyen de New-York depuis la loi de New-York de 1860(3).

§ 10. En second lieu, l'étranger ne peut être tuteur, excepté de ses enfants s'il a épousé une Anglaise et s'il n'est pas soupçonné de vouloir attenter à leur liberté ou à leur santé, ou les envoyer hors du royaume. Telle est la rigueur de la loi formulée par les jurisconsultes; mais ces exceptions au droit de tutelle du père étranger ne paraissent plus recevoir d'application dans la pratique. En ce qui concerne l'incapacité générale de l'étranger d'exercer une tutelle, elle s'expliquait autrefois par des considérations que le progrès de la législation anglaise a fait disparaître. Ainsi, à l'origine, le tuteur était considéré comme dominus pro tempore des immeubles et terres de son pupille. L'étranger incapable de tenir la terre ne pouvait donc exercer ces fonctions. Il ne le pouvait pas davantage après que les droits du tuteur eurent été limités par la Cour de chancellerie, car il s'agissait encore de tenir et gérer des immeubles. La loi de 1870 permet à l'étranger l'accession (1) M. Laurent, Exposé critique des principes généraux en matière de statuts réels et personnels d'après le droit français. (Retue de droit international, 1869, n" 2.) (2) M. Ribot, Bulletin de la Société de législation comparée, n° du 1" décembre 1871.

(3) Voy. M. Ribot, Étude sur la condition des femmes mariées en Angleterre, ibid., p. 13.


de la propriété immobilière. Toutefois, si je ne me trompe, comme il ne peut, d'après la loi commune, être tuteur même à la personne, l'incapacité est bien spéciale et demeure maintenue.

§ 11. L'étranger peut acquérir la propriété mobilière en Angleterre et tous les droits qui s'y rattachent. Une seule exception a été maintenue par la loi de 1870 et les lois antérieures. Il ne peut être propriétaire d'un navire reconnu (1) comme britannique (s. 14). Introduite à l'époque (2) où l'Angleterre était jalouse de son commerce au point de n'accorder qu'après un délai de sept ans à l'étranger naturalisé la jouissance du bénéfice des traités conclus entre elle et les puissances étrangères, cette exception ne devrait pas figurer dans une loi qui porte l'empreinte des idées modernes. Elle avait été jugée lors de l'enquête qui a précédé la loi de 1844 sur la naturalisation. Son seul effet est de forcer les armateurs d'origine étrangère à faire profiter les constructeurs maritimes des autres pays de capitaux qu'ilseussent employés à acheter des vaisseaux anglais. Le rapport de la commission de la Chambre des communes recommandait son abrogation en 1843(3).

§ 12. L'étranger peut recueillir des meubles ab intestat et les transmettre à ses héritiers, lorsqu'il meurt sans avoir testé, selon le mode inauguré par le statut de distribution. Ils sont alors répartis 1° Si l'étranger est mort en Angleterre, selon les règles du droit anglais, par exemple un tiers à la veuve et deux tiers aux enfants, ou moitié à la veuve s'il n'y a pas d'enfants, etc.;

Si l'étranger est mort hors du domaine de la couronne britannique, selon les dispositions de la loi du pays où il a son domicile. § 13. Je me borne à indiquer que l'étranger peut disposer par acte entre vifs ou testamentaire des biens qu'il peut posséder. § 14. II jouit de tous les moyens légaux de faire valoir un droit devant les tribunaux et des modes d'exécution de leurs décisions. Depuis la loi de 1870, seulement, il ne peut introduire des instances ayant pour objetdes droits réels ou mixtes. Antérieurement la jurisprudence lui en concédait la faculté lorsque le droit réel pouvait être considéré en équité comme converti en argent. Il semble aussi que la loi de 1870 lui accorde un nouveau moyen d'exécution, le writ d'elegit qui consiste à se faire mettre par le shériff en possession jusqu'à parfait payement des terres et droits immobiliers du débiteur qu'on a fait condamner à payer une somme d'argent. De cette mise en possession résultait une tenure qui, (2) Registered.

(2) Guillaume IV (3 et 4, ce. ii et 55).

(3) Report du 2 juin 18i3.


avant l'abrogation de l'incapacité de tenir la terre, ne devait pas pouvoir être accordée à l'étranger.

§ 15. La loi de 1870, en effet, fait disparaître dans sa première disposition (1) l'incapacité ancienne, caractéristique, j'allais dire proverbiale, qui frappait l'étranger relativement à la jouissance des droits réels en Angleterre.

Résultat naturel du rôle de la propriété foncière dans le régime féodal, cette incapacité avait été maintenue par des motifs différents de ceux qui l'avaient fait naître. A l'époque où l'état social était un état de guerre, il fallait que le possesseur de la terre en tirât des ressources pour défendre le sol et assister le roi.

Aujourd'hui les devoirs sociaux que la possession de la terre impose sont bien différents et plus complexes, mais ne sont-ils pas encore de nature à ne pouvoir être remplis que par des nationaux? Telle était la pensée de lord Ashburton lorsque dans la commission d'enquête de 18-43, seul des témoins entendus, il tint pour le maintien de l'incapacité. L'étranger, disait-il, ne considérerait pas comme un Anglais que le soutien des écoles, des églises, des établissements d'assistance, que la diffusion d'une influence morale bienfaisante constitue un devoir inhérent à la jouissance de la propriété foncière. Il n'envisagerait la terre qu'au point de vue du rapport en argent. Je ne méconnais pas la valeur de cette opinion au point de vue moral et économique. Il est probable que le noble lord était dominé par cette idée, qui n'est pas purement féodale, que la légitimité de la jouissance de la terre dérive de l'accomplissement d'un devoir social. Mais il exagérait chez l'étranger la tendance à négliger ce devoir. En vain cependant lord Brougham insista pour que l'Angleterre adoptât le libéralisme de la loi française qu'il citait avec admiration, en vain il fit remarquer qu'il était « ridicule » de refuser la jouissance d'un acre de terre à qui pouvait posséder des millions en fortune mobilière et même en actions de la banque d'Angleterre, la commission adopta l'avis de lord Ashburton, et l'incapacité de posséder la terre fut maintenue.

Une seule exception fut introduite par l'acte de 18-44. L'étranger fut autorisé à posséder, louer, acquérir les immeubles nécessaires à l'établissement de sa famille, de son commerce ou de son industrie, mais seulement-pour vingt et un ans. En réalité, même, cette faveur nouvelle ne faisait que dispenser l'étranger de détours employés dans la pratique depuis bien avant Charles II pour échapper aux effets d'une prohibition datant de Henri VIII.

Le principe libéral soutenupar toutes les autoritées consultées en 1843 (1) Sect. 2. La.section 1 contient le titre.


a été adopté par le législateur de 1870. Aujourd'hui, l'étranger est assimilé aux naturels anglais pour tout ce qui concerne l'acquisition, la jouissance et la transmission de la propriété et des droits réels dans le Royaume-Uni. L'acte spécifie que la possession des biens-fonds ne donnera pas à l'étranger le droit de suffrage parlementaire ou municipal, ni le droit ou la capacité de remplir un office. Ces dispositions (1) ne s'appliquent pas aux colonies britanniques. Les législatures coloniales demeurent toujours juges de l'opportunité de les y introduire par des lois et ordonnances qui seront soumises à la ratification de la reine. § 16. Puisque l'étranger jouit maintenant en Angleterre du droit de recueillir et de transmettre des immeubles ab intestat, on peut dire qu'il acquiert également la faculté d'être héritier et de transmettre une succession à des héritiers. En effet, ce que nous appelons succession à proprement parler n'existe en Angleterre que pour les immeubles. Les biens immobiliers seuls sont of wherilance, c'est-à-dire tels que si le défunt n'en apas disposé ils passent de droit, directement, par la volonté et l'intervention seule de la loi, aux personnes qui représentent le défunt par droit du sang. Celles-là seules ont la qualité d'héritier, et ce mode de transmission qui se nomme descent est le seul qui soit considéré en droit strict comme une succession véritable. Ainsi tombe une nouvelle incapacité qui frappait l'étranger. En effet, s'il ne pouvait recueillir une succession ou laisser des héritiers, ce n'était pas seulement par la raison qu'il ne pouvait pas posséder des immeubles. C'était principalement, disaient les juristes anglais, parce qu'il n'avait pas le sang capable d'hériter (inheritable blood) (2). § 47. Ce serait mal connaître le législateur anglais que de présumer que cette innovation de la loi de 1870 a introduit dans la législation une modification imprévue et considérable. L'étude rapide de la dettization, de ses conditions et de ses effets permettra d'en apprécier la véritable portée.

III.

§ 18. La denization est une institution qui permet à l'étranger d'acquérir la jouissance de tout ou partie des droits civils, je veux dire non politiques, dont le prive sa qualité d'étranger. Elle avait, sous l'empire de l'acte de 1844, considérablement perdu de son importance pratique. La loi de 1870, en abrogeant cet acte, a donné à la denization une importance nouvelle, bien que restreinte notablement par l'amé(1) Sect. 16.

(2) On pamnait à construire des espèces où ce motif spécial de l'incapacité se dégageait nettement.


lioration de la condition de l'étranger. Aussi l'a-t-flln maintenue par une disposition expresse (sect. 13).

§ 19. La faveur de la denization est accordée par des lettres patentes de la reine. Pour les obtenir, l'étranger adresse à la couronne un mémoire qui est transmis au secrétaire d'État. Celui-ci fait l'enquête nécessaire et transmet ensuite les pièces, s'il le juge convenable, à l'attorney général à la requête duquel les lettres patentes sont délivrées.

En fait, avant la loi de 1844, sous le régime de laquelle ce mode d'obtenir des droits refusés à l'étranger a perdu de son importance, ces lettres patentes s'obtenaient avec une extrême facilité. et l'enquête à laquelle se livrait le chancelier était plus que sommaire. Il suffisait de déclarer dans sa pétition qu'on avait besoin de la denization pour sortir d'un embarras créé par les incapacités qui pesaient sur étranger, Il suffisait d'alléguer, par exemple, qu'on allait acheter une terre ou une maison. Souvent même on ne formait sa demande en denization qu'immédiatement après avoir procédé à l'acquisition de l'immeuble. Cette demande était toujours accueillie. Il n'y a pas eu d'exemple que le bien-fonds acquis ait été confisqué conformément à la loi. En second lieu, le secrétaire d'État se contentait, comme renseignements sur l'étranger, d'un certificat d'honorabilité signé d'une personne quelconque par lui considérée comme honorable. Il ne restait plus au pétitionnaire que des formalités à accomplir et surtout des droits à acquitter. Ces droits, il faut le dire, étaient considérables. Ils s'élevaient en général à près ds 3,000 francs. Aussi on attendait que plusieurs candidats se fussent présentés pour les faire passer en même temps sur une même liste. Les frais étaient partagés entre eux. § 20. Le denizen entre en jouissance de ses nouveaux droits sans prêter aucun serment, 11 conserve son ancienne nationalité. Les lettres de denization spécifient les priviléges octroyés. Lorsqu'elles contiennent tous ceux que l'institution comporte, le bénéficiaire est affranchi de toutes les incapacités que nous avons énumérées. Une seule subsistait autrefois. Le denizen ne pouvait transmettre les biens-fonds ou droits réels qu'il lui était loisible d'acquérir à ceux de ses enfants nés avant la denization. Cette faveur n'avait pas d'effets rétroactifs, et ne détruisait pas l'incapacité résultant de ce que le père n'avait pas, à l'époque de la naissance de l'enfant d'inheritable blood, le sang capable d'hériter.

La suppression de cette restriction unique aux effets de la denization complète doit être une conséquence de la loi de 1870.

L'utilité de la denization a été bien limitée par les concessions faites


à l'étranger par cette loi. D'autre part, il est probable que le secrétaire d'État, habitué aux conditions de la naturalisation restreinte qui avait été introduite par l'acte de 1844 dont nous parlerons tout à l'heure, se montrera plus exigeant que par le passé. Il me semble donc que l'institution n'existe plus guère que de nom et ne tardera pas à disparaître.

§ 21 Avant d'aborder le sujet de la naturalisation, il importe de faire remarquer que la loi anglaise n'accorde à l'étranger tous les droits dont il peut jouir que lorsque le pays dont il est citoyen n'est pas en guerre avec l'Angleterre. Si la guerre éclate, dans la rigueur du droit il n'y a plus rien de commun entre lui et la société anglaise, et ses biens pourraient être confisqués. Il faut dire que les jurisconsultes limitent aujourd'hui l'application de cette mesure aux biens apportés par lui dans le royaume après la déclaration de guerre et sans permission du gouvernement.

De plus, s'il a été contracté avec lui pendant la paix, son droit d'action est suspendu pendant la guerre.

Il est utile d'ajouter que l'étranger ne peut être expulsé du royaume par le gouvernement. Toutes les fois que des circonstances se produisent sur le continent qui paraissent nécessiter une mesure de cette nature, les Chambres anglaises donnent au gouvernement ce droit d'expulsion pour un temps limité. Il a été accordé en 1793 à l'égard des émissaires jacobins. Il a été maintenu par intermittences pendant la durée des guerres de l'Empire. Mais il n'a été mis en usage que rarement et avec répugnance. Renouvelé lors de la révolution de 1848, il n'a pas été utilisé une seule fois.

IV

§ 22. Depuis quarante ans, la législation de la Grande-Bretagne en matière de naturalisation a été profondément modifiée à deux reprises la première en 1844, la seconde en 1870.

Avant 1844, la naturalisation ne différait, quant aux effets, de la denization, qu'en ce qu'elle avait un effet rétroactif (1) suffisant pour faire disparaître l'incapacité dont nous avons parlé, et qu'elle donnait le droit de suffrage si d'ailleurs le naturalisé remplissait les conditions exigées. Elle était accordée en effet par un acte du Parlement, et une (1) Cette rétroactivité n'étendait pas ses effets aux acquisition! de terre faites antérieurement a la naturalisation.


loi (i) exigeait que tout acte de cette nature contint une clause (disabling clause) déclarant le naturalisé incapable d'être membre du ministère ou du Parlement, d'exercer des fonctions publiques civiles ou militaires, et même de recevoir de la couronne, à titre de don, des terres ou des droits réels. On sait que Georges Ier, sous le règne duquel cette loi a été votée, est le premier souverain anglais de la maison de Hanovre, et l'on comprend les motifs qui avaient inspiré le législateur. Les effets de la naturalisation étaient encore limités d'une autre manière. Dans la seconde moitié du xyiii* siècle, on avait remarqué que beaucoup d'étrangers se faisaient naturaliser uniquement pour jouir des immunités et des priviléges commerciaux assurés aux citoyens anglais par des traités avec les gouvernements étrangers, et qu'ils ne résidaient pas dans les possessions anglaises. Les Anglais, qui usaient volontiers de ce procédé vis-à-vis des autres nations quand ils le pouvaient, en connaissaient mieux que personne les effets et les inconvénients, et ne voulurent pas en subir la réciprocité. Une loi votée sous Georges III (2) subordonna la jouissance des priviléges résultant de ces traités à la résidence continuée sans interruption pendant sept années à dater de l'adoption du bill de naturalisation.

Cette naturalisation, qui améliorait si peu la condition de l'étranger tout en lui imposant des obligations nouvelles, lui coûtait fort cher à obtenir. Quelque éloigné é que fût le lieu de sa résidence, il lui fallait, entre les deux lectures d u bill, venir prêter serment d'allégeance et de suprématie devant la Chambre des lords (3). La dépense s'élevait à 2,500 ou 3,000 francs, et l'attente se prolongeait pendant de longs mois.

§ 23. On reconnut en tin les inconvénients de ces rigueurs et de ces exigences devenues surannées. En 1843, les Chambres furent saisies d'un projet de réforme de la naturalisation. La commission d'enquête reconnut facilement que, grâce aux obstacles accumulés, il n'était accordé que huit actes de naturalisation par an, en moyenne. Elle constata qu'en fait l'intervention du Parlement n'était qu'une formalité, et qu'en réalité le secrétaire d'État remplissait le seul rôle utile. Le pétitionnaire, en effet, en même temps qu'il faisait présenter le bill à la Chambre des lords, remettait a u secrétaire d'État les pièces nécessaires pour prouver son honorabilité. La production du certificat du (1) 1 Geo. l, ch. 4.

(2) 14 Geo. II), ch. U.

(3) Au cas de maladie dûment constatée le serment pouvait être prêté au lieu de a résidence devant le juge de paix, etc.


secrétaire d'État attestant que cette preuve lui avait été fournie suffisait toujours pour que le bill fût admis à la seconde lecture sans aucune opposition et sans aucune discussion,

Enfin, la commission vit que les limitations rigoureuses apportées à l'effet de la naturalisation étaient peu conformes à la nature des choses, ne trouvaient d'analogues dans aucune législation, et, ce qui la touchait davantage, portaient atteinte au développement industriel et commercial de l'Angleterre.

C'est à la suite de cette enquête et conformément aux résolutions de cette commission que fut votée la loi du 6 août 1844 (1). Elle décidait que l'étranger qui viendrait résider dans la Grande-Bretagne avec l'intention de s'y établir pourrait être naturalisé en obtenant un certificat du secrétaire d'État et en prêtant le serment d'allégeance devant une des grandes Cours d'Angleterre (s. 6). C'est au secrétaire d'État qu'il appartenait de s'assurer de la bonne foi du pétitionnaire d'apprécier les chances de réalisation de la promesse de résider (2). Pour la première fois en 1844, le législateur anglais se préoccupait de la résidence dans l'intention d'y subordonner les bienfaits de la naturalisation, mais il n'exigeait pas qu'elle fût antérieure à la concession des nouveaux droits. Il lui suffisait d'une promesse, d'une intention alléguée de résider, intention dont le secrétaire d'État devait apprécier la sincérité. La mission était délicate, impossible même à remplir. Le seul moyen de ne pas être trompé, c'était d'attendre que la promesse, qui n'était pas faite sous serment, eût reçu un commencement d'exécution, c'est-à-dire que la résidence fût déjà effective et suffisamment prolongée. Dès lors pourquoi ne pas insérer dans la loi cette condition nouvelle? C'est ce qu'a fait le législateur de 1870. La section 7 de la loi nouvelle exige outre l'intention, soit de résider dans le RoyaumeUni soit d'entrer au service de la couronne après la naturalisation obtenue, la résidence de cinq ans antérieure à la demande, ou l'emploi au service de la couronne pendant le même laps de temps. Ces cinq années doivent être comprises dans une période déterminée par le secrétaire d'État. Un arrêté ministériel a fixé cette période aux huit années qui précèdent la demande.

Comme sous l'ancienne loi, le secrétaire d'État reste toujours libre (1) 7 et 8 Vict.. ch. 66.

(2) La loi de 1848 permettait au serrétaire d'État de limiter dans la mesure qui lui paraîtrait convenable la faveur qu'il accordait. Il en résultait, lorsque les lettres de naturalisation n'accordaient que la jouissance des droits civils, une sorte de denization plus difficile a obtenir que l'autre, en ne sens qu'il fallait pour l'obtenir prêter le serment d'allégeance et prouver l'intention de résider.


d'accorder ou de refuser la naturalisation. Sa décision est sans appel et les lettres patentes n'ont effet qu'après la prestation du serment d'allégeance.

§ 24. La loi de 1844 avait considérablement élargi le cercle des droits conférés par la naturalisation. Elle avait supprimé le stage de sept ans comme condition de la jouissance des traités et concédé au naturalisé les droits politiques. Une seule restriction avait été maintenue. La naturalisation ne donnait pas la faculté de faire partie du conseil privé ou du Parlement. Cette restriction ne subsiste plus dans la loi de 1870.

§ 25. La nouvelle législation a réglé expressément l'effet de la naturalisation des parents sur la nationalité de leurs enfants mineurs. L'enfant dont le père, ou la mère veuve, a été naturalisé dans la Grande-Bretagne et qui y a résidé avec ses parents pendant son enfance, est considéré comme sujet anglais. Réciproquement, l'enfant dont le père ou la mère veuve, nés sujets britanniques, a obtenu la naturalisation dans un pays étranger et qui y a résidé avec ses parents pendant son enfance, est considéré comme citoyen de ce pays. § 26. La loi de 1870 impose à tout individu, citoyen Anglais d'origine et naturalisé à l'étranger, qui veut recouvrer sa nationalité première, les mêmes conditions qu'à l'étranger d'origine. § 27. En ce qui concerne les colonies, c'est le gouverneur qui remplira le rôle du secrétaire d'Etat dans la Grande-Bretagne et délivrera les lettres de réadmission mais la naturalisation d'un pétitionnaire d'origine étrangère est octroyée par les législatures coloniales, et n'a d'effets que sur le territoire de la colonie. M. Westlake a critiqué cette disposition (1) et demandé quel serait l'état, au point de vue du droit international, d'un Belge ou d'un Allemand qui aurait établi son domicile au Canada et y aurait obtenu cette naturalisation qui ne donne pas la qualité de citoyen de la Grande-Bretagne. Il est certain que cette disposition peut devenir la source de plus d'une difficulté.

V.

Telle est en résumé la législation anglaise amendée en 1870. Les solutions qu'elle adopte sont-elles plus conformes que celles de la loi française aux principes établis par la science moderne et consacrés par les législations récemment remaniées? Le cadre de ce travail ne me (1) Article précité.


permet pas d'entrer dans l'examen approfondi de cette question. Je me contenterai d'établir rapidement quelques rapprochements. i" En ce qui concerne le fait auquel doit être attachée la nationalité d'origine, les publicistes de tous pays, MM. Bluntschli etWestlake, par exemple, sont d'accord pour préférer le système qui fait dériver la nationalité de la filiation à celui qui la fait dériver de la naissance dans le pays. Le législateur allemand, porté à considérer l'État « comme une asso« ciation de personnes qui se perpétue par transmission personnelle(d),» n s'est prononcé résolument dans ce sens. La loi du 1" juin 1870 ne tient aucun compte de la naissance sur le territoire fédéral. La législation des États-Unis, au contraire, continue à attribuer une influence prépondérante au fait de la naissance sur le sol de l'Union. L'Angleterre vient d'abandonner la théorie féodale qu'elle a transmise aux États-Unis pour adopter un système intermédiaire qui tient compte, dans la détermination de la nationalité d'origine, et de la filiation et du lieu de la naissance; c'est le principe de la loi française. Il faut remarquer cependant que l'enfant né en Angleterre d'un étranger né lui-même hors de l'Angleterre est Anglais sous condition résolutoire, c'est-à-dire tant qu'il n'a pas déclaré préférer la qualité d'étranger. Il se trouve donc à peu près dans la situation faite par notre loi de 1851 aux enfants nés en France d'un étranger qui lui-même y est né. Ainsi le premier fait de génération en Angleterre agit avec autant d'énergie sur la nationalité de l'individu que la succession de deux générations en France.

D'autre part, le fils de Français né à l'étranger ne peut perdre sa qualité de Français que par sa naturalisation à l'étranger, son entrée auservice d'un gouvernement étranger, ousonétablissementhorsdusol Français sans esprit de retour. Le fils de l'Anglais né à l'étranger peut, par une simple déclaration d'extranéité faite à sa majorité, perdre la nationalité anglaise.

En ce qui concerne la perte de la nationalité par acte volontaire de l'individu, la doctrine s'accorde aujourd'hui à proclamer ce qu'elle appelle la liberté d'expatriation, complément de la liberté d'émigration. « L'homme.civilisé n'est pas plus attaché à l'État qu'à la glèbe (2). » « Il n'y a pas de gouvernement qui ne doive souhaiter de voir complé« ter la liberté d'émigration par tout ce qui peut être nécessaire au « bonheur des émigrés, condition qui comprend la résolution de tout « ancien lien inconciliable avec les liens que se créent les émigrés (1) Bluntschli.

(2) Bluntschli.


Il dans leur patrie nouvelle (1). D Les gouvernements doivent se contenter de prendre des mesures pour déjouer la mauvaise foi et empêcher l'expatriation simulée. Ils doivent également s'assurer que l'individu qui prétend cesser de leur appartenir est réellement devenu citoyen d'un autre pays. L'incertitude sur la condition de cet individu les exposerait à des conflits. Le gouvernement de l'empire d'Allemagne exige de plus, pour la validité du changement de nationalité, que les obligations indispensables envers l'État et principalement l'obligation du service militaire, aient été préalablement remplies.

Particulièrement préoccupé de cette dernière considération, le législateur de l'empire d'Allemagne semble, au premier abord s'être montré moins libéral que la doctrine. D'une part, il suspend la liberté d'émigration pendant les trois premières années durant lesquelles le citoyen astreint au service militaire doit servir sous les drapeaux, de l'autre il ne reconnaît pas que la naturalisation en pays étranger délie tous liens entre l'Empire et son ancien sujet. Lanationalitéfédéraleou d'État n'est définitivement perdue que lors que le gouvernement abdique ses droits sur l'individu. Mais la loi allemande reconnaît ailleurs que la perte de la nationalité peut résulter du séjour prolongé à l'étranger pendant dix ans, délai qui peut être réduit à cinq ans dans les traités conclus par le gouvernement avec les puissances étrangères. C'est qu'en effet l'Allemagne comme l'Amérique et l'Angleterre, ces «refu» ges du dogme de l'allégeance perpétuelle, » avait compris bien avant 1870 la nécessité de prévenir par des conventions les conflits qui devaient naître à l'occasion des émigrants reçus dans une association nationale sans avoir cessé de faire partie d'une autre et que leur double nationalité pouvait placer dans ces situations critiques. Des conventions entre États, destinées à régler l'effet libératoire de la naturalisation en pays étranger accompagnée de certaines conditions de résidence, ont consacré la doctrine des publicistes. Il en a été conclu en 1868 entre les États-Unis et la Confédération de l'Allemagne du Nord (22 février) et entre la Belgique et les États-Unis (16 novembre). La loi anglaise de 1870, qui adopte le principe d'expatriation libre, autorise des conventions de cette nature.

La législation française est-elle en ce point conforme aux idées modernes ? Un doute existe qu'il importerait de faire disparaître. Aux termes de l'article 17 du Code Napoléon, la qualité de Français se perdait par la naturalisation en pays étranger. Mais le décret du 26 août 1811 qui exige l'autorisation du gouvernement pour la naturalisation (1) Westlake.


des Français en pays étranger est-il encore applicable et dans son principe et dans quelques-unes de ses pénalités? S'il l'est encore, au moins dans son principe, et si on veut le maintenir pour assurer la sincérité de l'expatriation, ne faudrait-il pas donner au gouvernement le pouvoir de conclure des conventions de la nature de celles dont nous venons de parler? Un pouvoir de ce genre sera d'ailleurs utile tant que les législations diverses n'auront pas réglé d'une manière parfaitement uniforme les conditions de perte et d'acquisition de la nationalité. 3° En ce qui concerne la naturalisation, la condition de résidence antérieure qui vient d'être introduite dans la loi anglaise me paraît destinée à être acceptée généralement. La résidence de trois ans exigée par notre loi de 1867, doit être réalisée après autorisation accordée par le gouvernement d'établir un domicile en France. La loi allemande, au contraire, n'exige aucune durée de résidence. La loi anglaise consacre une solution intermédiaire.

Il serait sans intérêt d'insister sur les effets de la naturalisation. Il faut remarquer cependant que la loi anglaise vient de décider, comme l'avait déjà fait la loi allemande, que les effets de la naturalisation ne sont pas personnels à celui qui l'obtient, mais s'étendent aux enfants mineurs qui sont venus demeurer avec leurs parents dans la nouvelle patrie que ceux-ci se sont donnée. La loi française ne devrait-elle pas adopter à son tour cette solution? î

En ce qui concerne la condition des étrangers au point de vue des droits non politiques, le principe de la loi anglaise est, en apparence au moins, plus libéral que le nôtre. En effet, les droits de l'étranger non autorisé à établir son domicile en France sont réglés chez nous conformément au principe de réciprocité diplomatique de l'article llde notre Code civil, tandis qu'en Angleterre l'étranger non denizen a maintenant la jouissance de tous les droits, à l'exception de deux ou trois qui font l'objet de restrictions particulières et peu importantes. Il serait nécessaire de réviser notre législation sur ce point et de voir si comme en Angleterre, en Italie, en Hollande et jusqu'à un certain point en Autriche, l'étranger doit être admis à s'établir librement en France pour y jouir des mêmes droits civils que le régnicole (1). Si l'on veut maintenir le principe de la réciprocité diplomatique, qu'on s'explique clairement et de façon à faire cesser toute controverse.

11 serait préférable de revenir au principe libéral que nous avons adopté les premiers, et de faire disparaître de notre législation une (0 Voy. Eugène Richard, Étude sur les nationalités. Genève, 1870, p. 172.


restriction qui n'y a été introduite qu'en considération précisément des rigueurs maintenues jusqu'à ces derniers temps dans la législation anglaise et dont les dernières ont été supprimées en 1870. Ici se place le terme de cette étude. Je me suis contenté de poser les questions qu'elle soulève. Dans l'état actuel du droit, elles sont faciles à résoudre. Dans la plupart des matières traitées par notre Code civil, le progrès accompli par les réformes effectuées aujourd'hui par les législations européennes consiste en général dans l'adoption plus ou moins complète des excellents principes qu'il a proclamés il y a plus d'un demi-siècle; mais les circonstances dans lesquelles il a été promulgué n'ont pas permis au législateur de régler d'après les seules inspirations de sa raison les questions qui concernent l'acquisition et la perte de la nationalité française et la condition des étrangers en France. D'ailleurs les conditions du problème ne sont plus aujourd'hui les mêmes qu'au commencement du siècle. Le législateur anglais de 1870, en le reconnaissant, nous donne un avertissement significatif et dont nous devons profiter.

M. le Président remercie M. Bertrand de son intéressante communication.

M. DE VALLÉE demande si le travail lu par M. Bertrand ne sera pas l'objet d'une discussion.

M. le Président répond que si quelques membres désirent présenter des observations ou engager une discussion, ils peuvent le faire immédiatement ou attendre la prochaine séance. Personne ne demandant la parole, la discussion, s'il y a lieu, est renvoyée à la séance du mois de mars.

M. LUNJER a la parole pour faire un rapport sur les comptes du Trésorier

Messieurs, votre conseil de direction a chargé une commission composée de MM. Greffier, Picot et moi de vous présenter un rapport sur les comptes de notre collègue, M. Helbronner, qui a rempli les fonctions de trésorier de notre Société pendant les années 1870 et 4871; c'est au nom de cette commission que je viens aujourd'hui vous entretenir de notre situation financière.

Les années 1870 71 n'en forment, à proprement parler, qu'une seule: le conseil de direction a décidé, en effet, que les cotisations de l'année 1871 ne seraient pas n.ises en recouvrement; d'un autre côté,


nos réunions ont été suspendues pendant une année; il en est résulté une réduction de moitié environ dans nos recettes et nos dépenses. Voici quelles ont été les opérations effectuées par M. Helbronner. Son prédécesseur, M. Ribot, lui a remis, le 31 décembre 1869, une somme de 1,489'.29 Non compris celle de 610 francs de cotisations arriérées, dont les circonstances ont rendu le recouvrement

impossible. Je ne les compte que pour mémoire. –––––

M. Helbronner a reçu

Sur l'exercice 1869

Deux cotisations de province à 10 fr = 20".00 Sur l'exercice 1870

272 cotisations de titulaires à 20 fr =5,440 1

34 cotisations de province à 10 fr. = 340 S,926'.5O Vente de numéros et abonnements. 126 50

Total de l'actif 7,415'. 75

Les dépenses payées par M. Helbronner, soit directement, soit par l'intermédiaire de M. Cotillon, ont été, en 1870-71, de Impressions, br< thage et papier (31 feuilles 1/4) 3,728'.0 Circulaires et convocations 330 65 Affranchissement de numéros. 294 70 Frais d'encaissement remboursés à M. Cotillon. 133 60 Loyers du 1" octobre 1869 au 1" octobre 4871 1,000 00 Reliure et acquisition de livres 162 50 Frais divers, timbres-poste, etc. 64 35 Total des dépenses des années 1870-71. 5,713'.80 Si nous retranchons cette somme du montant des recettes ci-dessus, ci 7,415 75 nous obtenons un excédant de recettes de l,701f.95 qui ont été remis à notre nouveau trésorier, M. Gonse, en même temps que vingt-quatre quittances à recouvrer sur l'exercice 1870, représentant ensemble une somme de 460 00 Ce qui nous donne un actif de 2,161'.95 C'est-à-dire, 672r.7O de plus qu'au 31 décembre 1869.


Nous avons d'ailleurs, messieurs, examiné avec soin les pièces justificatives jointes au compte qui nous a été fourni par M. Helbronner, et nous avons pu constater qu'elles étaient toutes régulières et bien établies; nous venons donc vous proposer

1° De délivrer à M. Helbronner un certificat de quitus, établissant sa libération comme Trésorier de la Société de Législation comparée pendant les années 1870-71

2" De lui adresser des remerciments pour le zèle qu'il a apporté dans l'accomplissement de ses fonctions.

Personne ne demandant la parole, les conclusions du rapport de M. Lunier sont mises aux voix et adoptées.

La séance est levée à dix heures et demie.


CONSEIL DE DIRECTION.

Le Conseil de Direction s'est réuni le 26 janvier et le 23 février 1872, sous la présidence de M. RENOUARD.

Dans sa séance du 23 février, le Conseil de Direction a nommé secrétaire de la Société M. Demongeot, auditeur au Conseil d'État, pour l'année 1872, en remplacement de M. DIETZ, démissionnaire pour cause d'éloignement momentané de Paris.

SECRÉTARIAT GÉNÉRAL.

Le secrétaire général prie tous les membres qui ont changé de domicile depuis le 1er janvier 1870 de vouloir bien faire connaître le plus tôt possible leur nouvelle adresse.

La liste générale des membres de la Société sera publiée dans le prochain numéro du Bulletin.

Les cotisations pour l'année 1872 seront mises en recouvrement dans les premiers jours du mois de mars.

Les membres résidant en province sont priés d'envoyer directement le montant de leur cotisation en un mandat sur la poste à M. Cotillon, libraire-éditeur, 24, rue Soufflot, ou à M. le Trésorier de la Société, 64, rue Neuve des Petits-Champs.

783 Paris. Iiuprimeri» Cusset et C", Î6, ruo R»nin«.


Le Secrétaire général prie instamment les membres, qui ont l'intention de prendre une part active aux travaux de la Société, de vouloir bien se rendre au siége de la Société, 6A, rue Neuvedes-Petits-Champs, où ils seront reçus tous Jes vendredis, de trois heures à cinq heures.

SECRÉTARIAT GÉNÉRAL.


EXTRAIT DES STATUTS.

1. Une Société est instituée sous le nom de Société de législation comparée.

Il. Elle a pour objet l'étude des lois des différents pays et la recherche des moyens pratiques d'améliorer les diverses branches de législation.

III. Elle nomme des correspondants à l'étranger.

IV. Elle ne vote sur aucune question.

Y. On ne peut faire partie de la Société qu'après avoir été admis par le Conseil, sur la présentation d'un Sociétaire.

VI. Les membres résidant à Paris payent une cotisation annuelle de 20 francs.

Cette cotisation est de 10 francs pour les membres résidant en province.

XIV. Les séances de la Société ont lieu au moins tous les mois. CONSEIL DE DIRECTION POUR L'ANNÉE 1872.

Président

M. Renooard, membre de l'Institut, procureur général à la Cour de cassation.

Vice-Présidents

MM. Allou, avocat à la Cour d'appel, ancien bâtonnier de l'Ordre. REVERCHON, avocat général à la Cour de cassation.

Greffier, conseiller à la Cour de cassation.

Aucoc, conseiller d'État.

Membres du Conseil

Mil. BALLOT, avocat à la Cour d'appel.

Batbie, professeur à la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

Barboux, avocat à la Cour d'appel.

BERTRAND (Ernest), conseiller à la Cour d'appel.

Bufnoiii, professeur à la Faculté de droit.

DESJARDINS (Albert), agrégé à la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

GAntuER (Joseph), secrétaire général de la Société d'Économie politique.

Gide, professeur à la Faculté de droit.

Groualle, ancien président de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation.

II eue (Faustin), membre de l'Institut, conseiller à la Cour de cass. HÉROLD, conseiller d'État.

JozoN, avocat à la Cour de cassation, membre de l'Assemblée nationale.

Lamé-Fleukt, conseiller d'État.

I.cnier, inspecteur général des établissements d'aliénés. Picot (Georges), juge au tribunal de la Seine.

Vallée (Oscar de), anc. conseiller d'Etat, avocat a laCour d'appel. Secrétaire Général.

M. U'.bot (Alexandre), substitut au tribunal de la Seine. 763 Farli. Imprimerie Cohit at C', 18, rn» Saoint.


La prochaine séance aura lieu le Lundi 15 avril. Voir au verso la convocation.

/bulletin

DE LA SOCIÉTÉ

DE

LÉGISLATION COMPARÉE TROISIÈME ANNÉE.

IV 4 – Mars 1893.

SOMMAIRE. Pages.

Séance du 11 mars 1872 93

Compte rendu par M. do Bdit de plusieurs ou-

vrages de M. i'ieranloni 95

Analyse par M. Tason de la loi municipale de

Stockholm lûo

Compte rendu par M. Ribot des travaux du Par-

lement anglais. i01

Étude par M. GoNSE sur la législation du ma-

riage en Prusse ni

Statuts de la Société 129

Liste des membies 131

PARIS

Tout ce qui concerne la publication du Bulletin

doit être adressé à MM. Cotillon et Hlg, Libraires du Conseil d'État, 3-1, rue soumet.

Toutes les autres communications seront adressées au Secrétaire général de la Société, 64, rue NeuTe-des-Pettts-Ciiamps J 'v `'FRFtP.

-l


CONVOCATION

La prochaine Séance de la Société de Législation comparée aura lieu le Lundi 15 avril 1872, à 8 heures 1/4 du soir, au Cercle des Sociétés savantes, 64, rue Neuve-des-PetitsChamps, sous la présidence de M. Renouahd.

ORDRE DU JOUR

1' Discussion, s'il y a lieu, sur le travail de M. Gonse concernant la législation du mariage en Prusse.

2* Compte rendu par M. DÉMAREST, avocat à la Cour d'appel, des derniers travaux législatifs, dans les divers États de l'Allemagne.

3" Étude par M. HUBERT Valleroux, avocat à la Cour d'appel, sur la législation anglaise de 1871, relativement aux TradesUnions.

4* Exposé par M. DEBACQ, avocat à la Cour d'appel, des changements récemment introduits dans l'organisation judiciaire en Espagne.

5' Étude de législation comparée par M. Guïho, avocat à la Cour de cassation, sur l'organisation et les attributions d'une deuxième Chambre législative.


V 4. Mars 189*.

BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE LMISLATIOIV COMPARÉE -ss$^~i-

SÉANCE DU 11 MARS 1872.

La séance est ouverte à huit heures et demie, sous la présidence de M. Renouard.

MM. Reverchon, et GREFFIER, vice-présidents, prennent place au bureau.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Président fait connaître les noms des membres nouvellement admis par le Conseil de direction, dont les noms suivent MM. Dhehbelot, substitut au tribunal de la Seine, 4, rue de Tournon.

MASSE, avocat à la Cour d'appel de Paris, 13, rue du Conservatoire.

M. le Président dépose sur le bureau 1° une Étude sur l'organisation judiciaire en Prusse, par M. Léon DUBARLE, avocat à la Cour d'appel de Paris, offerte par l'auteur 2° une Étude De legibus et institutis in commodum mente alienatorum de M. Schrœder, offerte par M. Wintgens, ancien ministre de la justice, à la Haye.

L'ordre du jour appelle la discussion sur le travail lu à la dernière séance par M. Bertrand, concernant la condition des étrangers en Angleterre.


M. Ddveuger présente à la Société une courte observation relative au décret du 26 août 1811, dont M. Bertrand a parlé dans son excellent travail. M. Bertrand, après avoir approuvé la loi anglaise de 1870 qui adopte le principe d'expatriation libre, a dit « La législation <i française est-elle, en ce point, conforme aux idées modernes? Un « doute existe qu'il importerait de faire disparaître. Aux termes de «l'article 17 du Code Napoléon, la qualité de Français se perdait par a la naturalisation en pays étranger. Mais le décret du 26 août 1811 4 « qui exige l'autorisation du gouvernement pour la naturalisation du « Français en pays étranger est-il encore applicable et dans son prin« cipe et dans quelques-unes de ses pénalités?.

Ce n'est pas un doute, c'est la certitude qui existe aujourd'hui sur la nécessité d'appliquer le décret de 1811. La Cour de cassation (arrêt de la chambre civile du 14 mai 1834) et plusieurs Cours royales ont visé des dispositions de ce décret comme loi en vigueur. L'ordonnance du 10 avril 1823 relative aux Français qui feraient partie des corps militaires destinés à agir en Espagne contre les troupes françaises ou leurs alliés, prescrit des poursuites, en se fondant sur le décret de 1811. Les auteurs agitent, notamment, la question de savoir si la déchéance du droit de succéder que l'article 6 du décret prononce contre le Français naturalisé en pays étranger sans autorisation, n'a pas survécu à l'abrogation de l'article 726 du Code civil par laloi de 1819. –Le Français est donc astreint à demander au gouvernement l'autorisation de se faire naturaliser en pays étranger. Cette loi est incompatible avec la liberté d'aller et de venir, avec le droit d'expatriation qui en découle. Le Code.civil avait respecté ce droit. Le décret de 1811 a repris le faux principe sur lequel reposaient les ordonnances portées contre les protestants et les lois rendues contre les émigrés. En France cependant, dès le milieu du siècle dernier, ce principe avait été condamné par l'Esprit des lois. Montesquieu avait loué la coutume de Perse qui permettait à qui voulait de sortir du royaume, pour blâmer la loi de son pays qui le défendait. On sait avec quelle énergie Mirabeau s'éleva, en 1791, contre la proposition d'empêcher l'émigration. Il n'est pas inutile de rappeler qu'en 1854, le rapporteur de la loi qui abolit la mort civile, a pris acte de la promesse faite par le gouvernement de réviser le décret du 6 avril 1809. a Comme aussi, sans k doute, ajoute le rapporteur, le décret de 1811 qui punit de graves dé« chéances, les naturalisations des Français à l'étranger sans l'aveu du « gouvernement. » Le législateur actuel ne peut faire moins que d'abroger le décret de 1811, sauf à autoriser le gouvernement à conclure les traités dont M. Bertrand montre si bien l'utilité.


M. Du BUIT, avocat a la Cour d appel, a la parole pour rendre compte de plusieurs ouvrages de M. Pierantoni. Il s'exprime en ces termes

Chargé par votre secrétaire général de vous rendre compte de différents ouvrages offerts à la Société par leur auteur, M. Pierantoni, professeur de droit international et constitutionnel à l'Université royale deModène, membre correspondant de notre Société,j'ai à vous entretenir de sujets très-divers qui rentrent tous cependant, de près ou de loin, dans le cadre de vos études.

Le premier de ces ouvrages a pour titre l'Église- catholique dans le droit commun (1). C'est une oeuvre toute d'actualité et conçue, il faut le dire, plutôt au point de vue politique qu'au point de vue juridique et légal. Après avoir étudié dans l'histoire et discuté philosophiquement les conditions d'existence des religions dans leurs rapports avec les pouvoirs sociaux, l'auteur croit pouvoir les ramener à deux types extrêmes et opposés la constitution américaine et l'empire du Japon. Entre ces deux formes, il n'hésite pas à préférer la première qui, « garantissant toutes les libertés humaines, n'assigne au pouvoir « social d'autre droit que celui de veiller à ce que, sous forme d'ado« ration, les cultes n'offensent ni la société ni la morale publique, « d'autre devoir que celui d'assurer à chaque citoyen la liberté de ses croyances, Il combat, au contraire, vivement les tendances actuelles du gouvernement italien à faire du Pape une sorte de Micado, a chef ecclésiastique, entouré de splendeurs et d'hommages, maître a absolu des choses de la foi, image vivante de la Divinité, etc. » Il proteste, « au nom de la liberté publique et des droits de l'État, « contre l'impunité assurée à toute la caste sacerdotale, contre tous les « priviléges qui lui sont attribués, sous prétexte d'indépendance spiri« tuelle. »

Passant à l'étude historique de la lutte de l'Italie contre la Papauté, M. Pierantoni se réjouit d'avoir vu tomber ensemble l'empire français et la papauté; s'il dissimule mal les animosités de l'Italie contre la France, il affiche très-haut les sympathies de son pays pour les armes prussiennes « Les comtes de Cavour et de Bismark, le roi Victor« Emmanuel et le roi Guillaume ont mérité des peuples reconnaissants « les mêmes louanges, les mêmes injures de la part des oppresseurs « aujourd'hui vaincus. » Je n'ai pas à discuter ces points quoiqu'ils tiennent une fort grande (1) La Chiesa cattolica nel diritto commune. Florence, chez Civelli, 1870.


place dans ce livre; je ne les examinerai même pas; ils sont absolument étrangers à nos travaux.

Mais il y a, dans cet ouvrage, une partie historique et analytique traitant du pouvoir des Papes et de la constitution administrative de l'Église catholique, dans l'ordre temporel et surtout dans l'ordre spirituel ce travail se recommande très-sérieusement à l'attention de ceux d'entre vous qui voudraient se livrer à l'étude du mécanisme intérieur' et du fonctionnement de cet immense et puissant organisme, généralement fort peu connu. L'analyse de cette partie du livre de M. Pierantoni est impossible; si succinte qu'elle pût être, elle serait trop longue pour entrer dans une communication aussi rapide que celle-ci.

La seconde brochure traite de la condition des fleuves qui servent de limite entre deux États voisins et, plus particulièrement, de la convention de Manheim relative à la navigation du Rhin (1).

Cette matière très-intéressante ressort presque exclusivement du domaine du droit des gens et de la politique et n'offre pas grand sujet d'études à la science de la législation comparée. M. Pierantoni l'a traitée avec grand soin, à l'aide de l'histoire, des documents diplomatiques et des auteurs; mais ici encore la question de politique européenne tient la plus grande place et M. Pierantoni s'est surtout attaché à combattre la prétendue théorie française des frontières du Rhin. Selon lui, le Rhin est un fleuve exclusivement allemand. L'auteur, après avoir suivi la condition des fleuves-frontières depuis l'époque romaine et à travers le moyen âge, nous montre le principe de la libre navigation des fleuves en progrès constant. Restreint lors du traité de Wesphalie (1648), limité encore par le traité d'Utrecht (1713) spécialement en ce qui touche la navigation de l'Escaut fermée aux provinces catholiques des Pays-Bas, le principe de la liberté fut proclamé pour la première fois par un décret de la Commission exécutive de la République, du 16 novembre 1792, auquel M. Pierantoni rend justement hommage. Les principes de la liberté posés par la République française ont depuis servi de base à tous les traités internationaux et sont devenus le fondement même du droit des gens moderne. Le premier de ces traités fut conclu le 16 mai 1795 entre la République française et la République batave; le second est le célèbre traité de Campoformio; plus tard le traité de Tilsitt en 1807, la convention d'Elbing et quelques autres confirmèrent les mêmes règles, jusqu'à ce (1) 1 Fiumi e la convenfiionc internationale di Manheim. Florence, 1870. 0.


qu'enfin le traité de Paris du 30 mai 1814 les ait définitivement introduites dans le droit international.

Quant au Danube, les traités des 25 juillet 1840, et 2 décembre 1852 et enfin le traité de Paris du 30 mars 1856 ont posé les règles et les conditions de la navigation, qui est libre aujourd'hui pour toutes les nations.

Il en est de même de tous les grands fleuves de l'Amérique du Nord, le Saint-Laurent, le Mississipi et même depuis quelques années des grands cours d'eau de l'Amérique du Sud.

La convention internationale deManheim, qui a été l'occasion de ce travail, est du 17 octobre 1868. Elle a été conclue entre les Pays-Bas, le grand-duché de Bade, la France, la Hesse et la Prusse. Elle consacre définitivement, et de la manière la plus libérale, le grand principe de la libre navigation des fleuves, et abolit tous les droits de passage, de péage et de transit sur le Rhin.

Les articles 32 à 40 de cette convention établissent divers tribunaux spécialement investis d'attributions judiciaires en matières civile et pénale, relativement à la navigation du Rhin. Ces tribunaux seront compétents, aux termes del'article 34 l°en matière pénale, pourinstruire et juger toutes les contraventions aux prescriptions relatives à la navigation et à la police fluviale;

En matière civile, pour prononcer sommairement sur les contestations relatives

a) Au payement des droits de pilote, de grue, de balance, de port et de quai;

b) Aux entraves mises par les particuliers à l'usage des chemins de halage;

c) Aux dommages occasionnés par les bateliers et flotteurs pendant le voyage ou en abordant;

d) Aux plaintes portées contre les propriétaires des chevaux employés à la remorque des bateaux, pour dommages causés aux biensfonds.

Cette convention avec tout ce qui s'y rattache a été publiée au Bulletin des lois. On la trouvera également au Dalloz périodique, vol. 1869, A' partie, p. 83. J'ai fait des recherches pour savoir si les tribunaux en question avaient jamais fonctionné; je ne sache pas qu'ils aient été seulement institués.

La troisième brochure s'occupe de là condition de la mer Noire d'après les traités de 1856 et de la révision qui en a été récemment demandée par la Russie. Je dirai peu de chose de ce travail, presque exclusivement politique et de droit international. Il faut signaler


cependant la conclusion de M. Pierantoni selon lui, les conditions imposées à la Russie par les traités de 4856, les obligations et surtout les restrictions qui ressortent pour elle de ce traité sont contraires au droit des gens et au droit naturel des nations; à ce titre la Russie lui paraissait fondée en droit à protester contre les dures conditions de ce traité, imposé par la force des armes et dicté par des nécessités politiques contre lesquelles le droit n'est jamais prescrit (1).

Le dernier ouvrage que j'aie à vous faire connaître, Messieurs, est consacré à l'étude des actions en désaveu de paternité (2). Le nouveau Code civil national de l'Italie, qui vient de remplacer les diverses législations en vigueur dans les différentes provinces, était, pour ce qui regarde les actions en désaveu, en présence de deux systèmes le premier, adopté par la législation piémontaise et la législation lombarde, n'était autre que le système français, presque littéralement copié sur les articles 312 à 318 du Code Napoléon. L'autre système, emprunté aux lois romaines un peu modifiées, et suivi dans une grande partie de l'Italie, diffère du système français, en ce que la présomption is pater est est une présomption juris tantum, qui peut être combattue par toute espèce de preuve et dans tous les cas, tandis que d'après notre loi, l'action en désaveu est limitée et restreinte suivant des règles étroites.

Le nouveau Code civil Italien a adopté le système français en modifiant seulement quelques points que je signalerai.

Ai. Pierantoni s'est livré à un travail complet sur cette importante question, envisagée successivement aux points de vue de la morale, du droit, de la philosophie, de la physiologie et de l'histoire. Il a très-complélement étudié le système français qu'il a fidèlement analysé tel qu'il résulte, non-seulement des textes de loi, mais encore de la doctrine et de la jurisprudence. -C'est au système romain que l'auteur paraît donner la préférence, mais il reconnaît cependant que le système français est très-acceptable, surtout après les modifications introduites par les rédacteurs du nouveau Code italien.

Voici en quelques mots les dispositions de la loi italienne La maxime is pater est est maintenue. Le temps maximum et minimum de la gestation reste fixée à 300 et 180 jours. Les dispositions de l'article 31 ont été intégralement reproduites dans les articles (i) la revixione del Iraltalo di Parigi. Florence, 1871, typografia dell Associazlone, via Valfonda, 79.

(2) Dell' afione di disconoscimento della proie studio comparato di diritto civile. Bologna, Fava e Garagnani, 1S72.


159 et 160 les mots impossibilité physique de cohabitation ont été maintenus.

Notre article 313 a subi plusieurs modifications.

La plus importante, est celle qui est contenue dans l'article 164, d'après lequel l'impuissance manifeste est une cause de désaveu. Cette cause était absolument repoussée par notre loi. M. Pierantoni justifie une telle innovation par les récentes découvertes de la science qui permettent, dit-il, deranger l'impuissance parmi les faits scientifiquement démontrables.

Le surplus des dispositions de l'article 313 est reproduit dans l'article 165 mais avec une rédaction qui prête à la critique. Le Code italien semble mettre sur la même ligne la preuve de l'adultère et du recel offerte par le mari et laisser dans l'ombre, comme une sorte de superfétation, la preuve des faits exclusifs de la paternité du mari. C'est cependant, d'après notre loi, cette dernière preuve qui lui incombe de la manière la plus formelle, l'adultère et' le recel n'étant que les conditions de recevabilité de la demande et ne suffisant pas à prouver que le mari n'est pas le père de l'enfant.

L'article 165 ajoute, ce qui était inutile, que l'aveu seul de la mère ne suffit pas à exclure la paternité du mari.

La loi du 6 décembre 1850 est reproduite par les rédacteurs italiens avec une légère différence en France l'action en désaveu est recevable en cas de séparation de corps prononcée ou demandée; ce dernier mot est supprimé dans l'article 163 du Code italien.

Notre article 314 est reproduit par l'article 161 avec une seule et légère différence. La loi française refuse au mari l'action en désaveu de l'enfant né avant le 180' jour du mariage dans trois cas 1° s'il a eu connaissance de la grossesse avant le mariage; 2° s'il a assisté à l'acte de naissance et si cet acte est signé de lui ou contient la déclaration qu'il ne sait signer; 3° si l'enfant n'est pas né viable. Les numéros 1 et 3 sont intégralement adoptés; le n° 2 du Code italien se contente de l'assistance du mari à'l'acte de naissance, qu'il ait signé ou non; il suffit même que le mari ait figuré à l'acte par âne personne autorisée par lui. Sur cet article M. Pierantoni signale encore une différence avec la loi française qu'il m'a été impossible de reconnaître. Selon lui la loi italienne aurait laissé volontairement de côté un 4* cas prévu par la loi française, celui de la renonciation expresse du mari à l'action en désaveu. Vous savez que ce quatrième cas n'a jamais trouvé place dans notre article 314.

M. Pierantoni termine son travail en citant deux documents récents de jurisprudence italienne qui assimilent le recel de la grossesse au


recel de la naissance elle-même. Cette doctrine est conforme à la jurisprudence française.

On le voit, la législation italienne a reproduit presque intégralement les dispositions de la loi française, avec de très-légères modifications Un seul principe nouveau a été introduit, celui de l'admission en preuve de l'impuissance manifeste, alléguée comme cause de désaveu. M. le Président remercie M. du Buit du compte rendu qu'il vient de présenter à la Société.

M. Tanon, substitut au tribunal de la Seine, a la parole pour rendre compte d'une brochure offerte à la Société par M. d'Olivecrona, membre de la Cour supérieur de Stockholm. M. d'Olivecrona a adressé à la Société un Résumé de la loi communale de Stockholm du 23 mai 1862. Cet écrit est détaché d'un annuaire, rédigé en français, qui donnera, dans son ensemble, un résumé succint, mais complet, de l'organisation communale, administrative et industrielle de la première ville de la Suède.

La législation communale suédoise n'est pas uniforme. Deux lois distinctes, du 21 mars 1852, ont réglé l'organisation des communes rurales et celles des communes urbaines. La loi du 23 mai de la même année est spéciale à la ville de Stockholm.

Le régime électoral consacré par cette loi est celui du cens. La qualité d'électeur est attachée au payement de l'impôt, et le droit de vote est proportionnel à l'impôt. Tout citoyen suédois, membre de la commune et payant des contributions communales, est apte à prendre part à l'élection des membres du conseil municipal; et tout électeur a une voix pour chaque rixdale (1 fr. 40) payée à l'État conformément à l'article II (impôt sur le revenu) du règlement sur les impositions additionnelles, jusqu'à concurrence de cent voix.

Une autre particularité de ce régime électoral, qui n'est d'ailleurs qu'une conséquence logique du système, c'est que les personnes juridiques sont représentées au vote. Ainsi les sociétés commerciales et industrielles ont le droit de se faire représenter par un électeur. Il en est de même des successions indivises. Enfin le tuteur d'un mineur exerce, à sa place, le droit électoral.

Le conseil municipal se compose de cent membres qui peuvent être choisis parmi tous les électeurs ayant atteint vingt-cinq ans d'âge (sauf certaines catégories de fonctionnaires). La qualité de conseiller municipal est une charge à laquelle on ne peut se soustraire que dans certains cas déterminés et en vertu d'excuses spécifiées par la loi.


Le conseil est présidé par le grand gouverneur de la ville, qui n'a toutefois qu'une voix consultative. Il choisit annuellement dans son sein un vice-président.

Le conseil est, dans son ensemble, un corps purement délibératif. Il ne peut s'occuper de mesures exécutives d'une nature quelconque, ni de l'administration des finances et des biens de la commune. Ses délibérations mêmes sont préparées par une commission de dix membres, dite délégation de préparation.

Le pouvoir exécutif est délégué à des commissions spéciales que le conseil choisit parmi ses membres ou même parmi les autres habitants éligibles de la commune. Ces commissions, qui sont au nombre de quatre, sont 1° la commission des finances et des travaux publics (divisée elle-même en trois sections) 2° la commission de santé; 3° la commission de la bienfaisance publique; 4° la commission du commerce et de la navigation. Ces commissions ont des attributions très-étendues qui embrassent les divers objets de l'administration municipale. Elles ont en outre la nomination à diverses fonctions. Un certain nombre de leurs décisions sont soumises à l'approbation du conseil, qui fait en outre vérifier chaque année, par des réviseurs à sa nomination, les comptes et la gestion de ces commissions. Les résolutions du conseil, dont la compétence embrasse toutes les questions relatives à la municipalité de Stockholm, et notamment le vote des contributions communales, les emprunts pour la ville etc., doivent être selon leur importance, soumises à la sanction du roi ou à celle du grand gouverneur, sauf certains cas déterminés dans lesquels le corps municipal statue souverainement.

La loi communale, qui nous est transmise aujourd'hui par M. d'Olivecrona, et dont on vient de donner un sommaire aperçu, sera suivie d'une série d'articles en cours de publication, relatifs à la topographie, l'histoire et l'administration de la ville de Stockholm. Ces documents intéressants seront communiqués à la Société dès qu'ils nous seront parvenus.

M. ALEXANDRE RIBOT, substitut au tribunal de la Seine, rend compte en ces termes des derniers travaux du Parlement anglais La session annuelle du Parlement anglais a été ouverte le 6 février 1872. Je voudrais analyser brièvement les projets de loi qui ont été déposés et les discussions qui ont eu lieu depuis le jour de l'ouverture jusqu'au 6 mars, c'est-à-dire dans le court espace d'un mois. Vous savez que l'activité législative est très-grande en Angleterre; toutes les


branches de la législation sont soumises à un travail incessant d'examen, de critique et de réformation. Le nombre des lois votées dans le cours dechaque session est si considérable que les Anglais eux-mêmes en sont effrayés. Cette abondance de législation tient à deux causes principales: d'abord l'action du Parlement est à peu près sans limites et s'étend à une masse d'affaires qui chez nous seraient du domaine de l'administration; en second lieu, quand ils font une loi, les Anglais ont l'habitude d'entrer dans les détails les plus minutieux, et aussitôt que l'expérience a révélé quelques imperfections dans ce mécanisme souvent trop compliqué, ils se hâtent d'y porter remède au moyen d'une série de corrections qui, sous forme de lois nouvelles, s'ajoutent à l'œuvre primitive. Il en résulte que sur aucun sujet le travail du législateur n'est jamais achevé. D'un autre côté, les réformes importantes sont souvent préparées, durant plusieurs sessions, par de longues discussions qui n'aboutissent à aucun résultat immédiat, mais qui éclairent l'opinion publique. On est donc sûr, en assistant à tous les débats d'une session du Parlement anglais, de voir passer sous ses yeux les sujets les plus divers pris dans toutes les branches de la législation c'est peut-être le moyen le meilleur et le plus rapide de s'initier aux caractères généraux de cette législation, de saisir sur le vif les différences qui la séparent de nos propres lois, d'apprendre de la bouche des Anglais eux-mêmes sur quels points cette législation est arriérée ou défectueuse, et par quels procédés le génie anglais s'efforce d'approprier les vieilles coutumes aux besoins et aux exigences de notre époque.

Le ministère de M. Gladstone ne saurait être accusé d'inertie; vous avez tous présentes à l'esprit les grandes mesures politiques qu'il a réussi à faire adopter dans les sessions précédentes et auxquelles son nom demeurera attaché. Cette année, à l'exception du ballot bill (bill sur le scrutin secret), qui ne paraît pas devoir soulever de discussions ardentes et orageuses, aucune des lois proposées ou annoncées par le ministère n'a un caractère politique. Toutefois au ballot bill se rattache un autre bill déjà adopté après une deuxième lecture à la Chambre des communes, intitulé Corrupt practices amendment bill, qui a pour but de rendre définitive une loi votée, à titre d'essai, en 18G8 (1). Chacun sait quels progrès avait faits en Angleterre la corruption électorale; le Parlement, en même temps qu'il étendait le droit de suffrage, s'était préoccupé des moyens de mieux protéger la sincérité des élections contre les manoeuvres et les tentatives de corruption. Jusqu'en 18G8,les élections étaient vérifiées par la Chambre des communes sur le (I) lim'A. 9 et 16 février 1872.


rapport d'un comité qui examinait les contestations, faisait des enquêtes et proposait dans certains cas l'annulation des élections contestées. Il paraît que les comités de la Chambre n'auraient pas toujours montré, dans l'accomplissement de cette tâche, toute la fermeté et toute l'impartialité nécessaires. On eut l'idée de substituer un juge de la Cour des plaids communs au comité de la Chambre des communes et de lui confier le soin de diriger les enquêtes et de prononcer un véritable jugement sur la validité des élections contestées. J'emprunte au British Almanac de 1869 (i) l'analyse de la loi de 1868 qui aeffectué, à titre provisoire et pour trois années seulement, cette réforme appelée sans doute à devenir définitive, et dont le caractère est si éloigné de nos propres habitudes et des tendances de notre législation. Les Cours qui auront juridiction dans le jugement des pétitions en matière d'élections sont la Cour des Plaids communs à Westminster et celle des Plaids communs à Dublin. Toute pétition ou réclamation doit être présentée dans les vingt et un jours après la proclamation du résultat de l'élection (afler the reiurn) à moins qu'on n'allègue des faits de corruption à prix d'argent, auquel cas le délai sera de 28 jours. Le réclamant doit donner caution de 1,000 liv. (25,000 fr.) ou déposer dette somme pour garantie des frais du procès.

Une copie de la pétition sera envoyée à l'officier qui aura présidé à l'élection dont la validité est contestée; cette copie sera publiée. Il sera dressé une liste générale des pétitions dans l'ordre où elles auront été présentées; toute personne pourra en prendre communication.

Le jugementde chaque pétition aura lieu devant un des juges de Westminster ou de Dublin, pris à tour de rôle. Le jour du jugement sera annoncé à l'avance et le jugement aura lieu, sans assistance du jury, et, à moins de circonstances extraordinaires, dans le lieu même où aura eu lieu l'élection. Le sténographe de la Chambre des communes recueillera toutes les dépositions des témoins. Ces dépositions seront envoyées au président de la Chambre des communes avec la décision du juge (determination) relativement à la validité de l'élection et aux manœuvres qui auront été alléguées. Le juge pourra envoyer à la Chambre un rapport spécial. Ce rapport sera équivalent au rapport d'un comité nommé par la Chambre elle-même pour vérifier une élection. Le candidat et en général toute personne convaincue d'avoir eu recours à des manœuvres sera frappée d'incapacité de voter, d'être élue et de remplir aucune fonction publique pendant sept ans. Cette dernière clause vous permet de juger quel pouvoir a été remis entre les mains du juge chargé de diriger l'enquêté sur une élection contestée, puisque de sa décision peuvent résulter non-seulement l'annulation des opération électorales, mais encore une déchéance temporaire du droit d'être élu pour toute personne qui se serait (1) Companion to the almanac or year-book 1869, p. 158; sibstractsof Important public acts an act for ame.nd.ing the Laws relating to Election petitions, and providing more effectually for the Prevention of Corrupt praclices at Partiamenlary élections.


rendue coupable de corruption ou aurait usé de procédés violents et illégaux. Aussi l'attorney général, en présentant le nouveau bill à la Chambre des communes (1), faisait-il l'aveu des inquiétudes que lui-même avait éprouvées en 1868 au moment où ilfut pour lapremière fois question de transporter du Parlement à l'autorité judiciaire cette juridiction si redoutable. Mais il ajoutait que ses premières impressions avaient été erronées et que le système nouveau avait fonctionné de la manière la plus satisfaisante et n'avait donné lieu à aucune réclamation.

J'arrive à parler des lois, proposées par le ministère, qui n'ont aucun caractère politique.

Au premier rang des préoccupations du législateur anglais, nous voyons figurer,depuis un certain nombre d'années, tout ce qui se rattache à la grande lutte engagée par la société moderne contre le crime et contre l'ignorance. De très-grands efforts sont faits en Angleterre pour arriver à diminuer le nombre des criminels et celui des enfants qui, privés de toute éducation, deviennent trop facilement, surtout dans les grandes villes, la proie des mauvaises tentations. Le discours prononcé au nom de la reine, à l'ouverture du Parlement (2) constate un résultat heureux et inespéré que les dernières statistiques judiciaires auraient mis en lumière. En effet, d'après la statistique pour l'année 1869-1870, le nombre des crimes ou délits qui seraient de nature à être déférés au jury, aurait subi une diminution d'environ 11 p. 100, par comparaison avec les chiffres de l'année précédente. Le nombre de ces crimes et delits serait, de 51 ,972; en revanche, le nombre total des infractions à la loi pénale, comprenant les crimes et délits soumis au jury (indiciable olfences) et les infractions jugées sommairement (summury convictions), se serait élevé de 17 p. 100, et aurait atteint le chiffre de 526,869. Le nombre des condamnations prononcées dans l'année 1869, tant pour crimes et délits graves que pour les infractions de toute nature, a été, d'après la statistique, de 403,378 parmi lesquelles nous remarquons 109,356 condamnations pour ivresse publique (3).

A quelles causes peut-on rattacher la diminution constatée du nombre des crimes ou des délits les plus graves?

Dans la séance du 16 février de la Chambre des communes (4), le ministre de l'intérieur, M. Bruce, a attribué ce résultat aux mesures (1) Times, 16 février.

(2) Times, 7 février.

(3) Ce détail statistique a de l'intérêt, au moment où l'Assemblée nationale s'occupe de diacuter une loi contre l'ivresse.

(t) Times, 17 février.


rigoureuses prises en 1869 contre les récidivistes et au développement progressif des écoles consacrées à la réformation des jeunes délinquants (reformatory, industrial schools). Le mal a été attaqué par en haut et par en bas; en même temps que la société, par l'institution d'écoles nouvelles, s'efforçait d'arracher au vice les jeunes générations, elle aprislarésolutiondefrapper avec une rigueur impitoyable les malfaiteurs qui, après deux condamnations, demeurent incorrigibles. Il n'est pas inutile, au moment où l'on parle de réviser les dispositions de nos lois sur la surveillance de la haute police, de mettre sous vos yeux quelques-unes des dispositions de l'acte concernant les malfaiteurs de profession (habitual criminals). Voté en 4869, cet acte a été remplacé en 1871 par un autre acte (1) plus complet et sur certains points plus rigoureux auxquels sont empruntées les dispositions qui suivent

Clause 8. Lorsqu'une personne, déjà condamnée pour crime (2), sera convaincue d'un nouveau crime, la Cour pourra, en prononçant la condamnation, y ajouter le renvoi du condamné sous la surveillance de la police pour un temps qui n'excédera pas sept années à compter de l'expiration de la peine.

L'effet de ce renvoi sera d'obliger le condamné à faire connaître à la police le lieu de sa résidence et tous les changements qu'il voudrait en faire, et en outre, si le condamné est du sexe masculin, à se présenter en personne tous les mois devant le chef de la police du lieu où il réside. Toute infraction à ces dispositions peut être punie sommairement d'une année d'emprisonnement.

Clause 7. Tout individu condamné deux fois pour crime (3) pourra pendant sept ans, à compter de l'expiration de la dernière peine, être condamné à une année d'emprisonnement, s'il se trouve dans l'un des cas suivants

1° S'il est conduit par un constable devant un juge de police et que ce juge estime qu'il y a des raisons suffisantes de croire qu'il trouve sa vie dans des moyens déshonnêtes.

Si, étant accusé de quelque délit il refuse de donner son nom et son adresse ou donne des indications reconnues mensongères.

S'il est trouvé dans un lieu, public ou privé, dans des circonstances qui donnent aujuge la conviction qu'il était sur le point de commettre un délit ou d'aider à la perpétration d'un délit.

4" S'il est trouvé dans un magasin, dans un bâtiment, ou dans quelque (t) An act for the more efljscfuai Prevention of Crime, 21 août 1871, 34 et 35 Vict ch. 112.

(2) Le mot crime est pris ici dans un sens très-large et comprend non-seulement toutes les félonies, mais un grand nombre de misdemeanors, notamment le délit qui correspond, dans le droit anglais, à t'escroquerie (obtaining goods by false pretences). Voir la clause 20.

(3) Voir la note précédente.


dépendance de ce bâtiment, et qu'il ne puisse rendre un compte satisfaisant du motif de sa présence en cet endroit.

Cette législation est assurément très-rigoureuse et personne ne m é connaîtra qu'elle repose à peu près entièrement sur l'arbitraire du juge. On peut saisir encore mieux ce caractère dans une autre disposition de l'acte de 1871 qui a pour but d'interpréter une loi, déjà ancienne, concernant les vagabonds et gens sans aveu. Aux termes de cette loi, on devait considérer comme vagabonds et punirde trois mois de prison tous les individus suspects qui fréquentent les rivières, canaux, docks, quais, rues, places, etc. avec l'intention de commettre un délit. Ces derniers mots avaient donné lieu à des difficultés. Voici la définition qu'en donne l'acte voté dans la dernière session Clause 15. – .Pour prouver l'intention de commettre un délit, il n'est pas nécessaire de montrer que l'individu suspect s'est rendu coupable de quelque acte particulier tendant à révéler son dessein ou projet; il peut être condamné si des circonstances de l'affaire ou du caractère connu de l'individu, établi devant le juge, il apparaît que l'intention decetindividu était de commettre un délit.

D'après le témoignage des magistrats, consultés par le ministre de l'intérieur, l'effet de ces dispositions rigoureuses aurait été de réduire, dans une forte proportion, le nombre des récidives.

Nous avons vu tout-à-1'heure que le nombre des crimes ou délits graves commis en 1809-1870 s'élève, d'après la statistique, à 51,972. Mais ce chiffre est très supérieur au nombre des personnes arrêtées et condamnées pour ces mêmes crimes et délits. En effet, la statistique indique que dans l'année 1869-70, 26,613 personnes seulement ont été arrêtées pour crimes ou délits de nature être déférés au jury; un tiers de ces individus ont été relâchés, faute de preuves, par le magistrat et un quart de ceux qui ont été envoyés aux assises ont été acquittés par le jury. En définitive le nombre des condamnations prononcées est à peu près dans la proportion de 1 à 4 avec celui des crimes ou délits constatés; cette moyenne se retrouve dans toutes les années précédentes.

On s'accorde, en Angleterre, à reconnaître que le système employé pour la recherche et la poursuite des crimes est insuffisant. Le nombre des malfaiteurs, qui échappent à toute condamnation, serait moins considérable, si le soin de découvrir les crimes et d'en recueillir les preuves n'était pas laissé presque exclusivement à l'initiative des parties lésées ou des associations particulières. L'institution d'un ministère public est réclamée depuis très-longtemps (voir Report on public Prosecutors, 18S6); mais aucun des différents bills présentés à la


Chambre des communes n'a pu encore aboutir. Cette année M.Walpole vient de déposer un nouveau bill, qui a été lu déjà pour la deuxième fois (1) mais dont le texte ne m'est pas encore connu. Je n'entrerai pas en ce moment dans des détails qui auront plus d'intérêt et seront mieux compris, quand le bill proposé aura reçu une forme définitive. De nombreux amendements pourront en changer la physionomie. Cependant on peut affirmer d'une manière générale que l'institution du ministère public en Angleterre, si elle est adoptée, ne ressemblera guère à l'institution de nos parquets. M. Walpole demande que le ministre de l'intérieur désigne pour chaque district, sur la proposition des juges de paix, un fonctionnaire pris parmi les avoués, dont la mission consisterait surtout à compléter les procédures criminelles dans l'intervalle qui s'écoule entre le renvoi aux assises et le jour de la comparution devant le jury. En général, le publir prosecutor n'interviendrait pas devant le magistrat chargé de l'information préliminaire; la découverte des crimes et le soin de recueillir les premiers indices et d'opérer l'arrestation des individus suspects resteraient aux mains de la police ou des particuliers. Cependant, dans les cas graves, la police devrait avertir le public prosecutor et pourrait réclamer son concours. Dans tous les cas, celui-ci, lorsque l'affaire serait en état, remettrait le dossier à un avocat qu'il choisirait lui-même et qu'il chargerait de soutenir l'accusation devant le jury.

Ce système a soulevé d'assez vives critiques; nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir et de le comparer tout à la fois au système qui a prévalu sur le continent et au système écossais qui a produit des résultats très-remarquables et très-satisfaisants.

Si l'Angleterre parait destinée à s'enrichir d'un sorte de ministère public, elle se gardera sans doute de toucher aux grands principes de sa procédure critninelle et civile et surtout au jury qui est l'âme de toute cette procédure. Les attaques contre le jury osent à peine se produire en Angleterre; elles se heurtent à des convictions trop arrêtées et à des mœurs trop puissantes. Mais, si l'institution est profondément respectée, on est très-loin de penser qu'elle ne puisse être améliorée et simplifiée. Vous vous rappelez l'intéressante communication qui nous fut faite en 1869 (2) par M. du Buit, au sujet d'une enquête qui avait été ordonnée par la Chambre des communes sur la manière dont étaient formées les listes des jurés et sur la rémunéra(1) Times, 17 février.

(2) Bulletin, 1869, n-C, août.


tiou qui était allouée à ceux-ci. Ce sujet est revenu devant la Chambre des communes le 16 février dernier, à la suite d'une motion de M. Lopes.

Il paraît établi que les listes du jury sont faites avec une négligence et un laisser-aller déplorables. L'attorney général a même fait entendre qu'un certain nombre de personnes réussissaient à ne pas figurer sur la liste, en ayant recours à des moyens qu'il vaut mieux « ne pas indiquer plus clairement. » D'après le témoignage du shériff de Londres recueilli dans l'enquête de 1869,1a liste des jurés pour le comté de Middlesex, qui devrait contenir 7,000 à 8,000 personnes, n'en comprend que 1,800, et encore un tiers de celles-ci sont-elles mortes ou incapables de siéger. Les listes sont préparées tous les ans par les autorités paroissiales (overseers) mais, au lieu de faire un recensement exact, on se borne à copier les listes des années précédentes. M. Lopes voudrait que ces listes fussent faites, comme les listes électorales, par des avocats,chargés de cette fonction spéciale et recevant une indemnité (revising barristers).

Quant à la rémunération des jurés, elle était avant 1870 d'une guinée par chaque affaire pour les jurés spéciaux et de 8 deniers, également par chaque affaire, pour les jurés ordinaires. Une loi de 1870 avait élevé cette indemnité au chiffre d'une guinée par jour pour les jurés spéciaux, et de 10 shillings par jour pour les autres jurés. Mais le mécanisme de cette loi aurait été jugé si défectueux qu'on aurait été dans l'impossibilité de la faire fonctionner.

M. Lopes a demandé également que le nombre des jurés fût réduit de douze à sept dans les affaires civiles.

L'attorney général n'a élevé aucune objection contre ces diverses propositions. Relativement au nombre des jurés, il ne voit rien de magique dans le nombre douze et serait tout disposé à abaisser ce chiffre à sept, même en matière criminelle, sauf dans les affaires capitales. Un bill sera préparé en ce sens et soumis prochainement à la Chambre des communes.

Mais, tout en reconnaissant les défauts de l'institution actuelle du jury, l'attorney général a refusé énergiquement de s'associer aux critiques de M. Collins, qui voudrait abolir le jury, au moins en matière civile.

Nous vivons, a dit l'attorney général, dans un pays dont les institutions sont mêlées en un systémevasteetcompliqué dontlefonctionnement ne doit pas se mesurer seulement par ses effets directs et immédiats, mais encore par les effets indirects et éloignés qu'il a sur les autres parties de la machine sociale et politique.

.Le jury est la plus utile institution parce qu'il intéresse le public à l'administration de la justice et lui donne une éducation qu'il ne pourrait


recevoir autrement. Encore moins voudrais-je supprimer le jury dans les cas où la passion, les intérêts de classe ou de parti sont en jeu. Il est une garantie non seulement pour les parties, mais aussi pour le caractère du juge.

On a dit avec justesse que le jury est une institution précieuse parcequ'elle force le juge à expliquer son avis d'une façon intelligible pour douze hommes ordinaires.

Ces dernières paroles contiennent, sous une forme originale, une des raisons les plus profondes de l'institution du jury. Nous ne sommes pas téméraire en affirmant qu'en Angleterre, la plupart des hommes d'État et des jurisconsultes considéreraient la suppression du jury, même en matière civile, comme la plus désastreuse des révolutions. .Je vous ai parlé jusqu'à présent du crime et des diverses institutions "destinées à le combattre ou à le réprimer; à cette matière se rattache naturellement un sujet qui a excité en Angleterre une très-vive émotion et dont un de nos collègues, M. le docteur Dally, nous a déjà entretenus (1).

En 1864, le Parlement anglais, entrant dans une voie qui lui était indiquée par la plupart des législations du continent, s'est décidé à édicter quelques mesures pour arrêter le développement de la prostitution et des maladies contagieuses. La loi votée en 186-1, puis amendée et développée en 1866, reposait sur le principe que l'autorité publique peut, dans un intérêt général, obliger les prostituées à se soumettre, dans certains cas, à des visites médicales et à un traitement dans un hôpital. Toutefois cette loi ne s'appliquait qu'à onze stations militaires et navales (2). Une enquête ordonnée en 1868 par la Chambre des lords aboutit à la conclusion qu'il fallait étendre l'action de la nouvelle législation à toutes les stations militaires et navales et aux villes qui réclameraient cette extension. Une loi de 1869 étendit en effet l'acte de 1866, mais seulement aux villes de garnison militaire. L'opinion publique s'émut de ces innovations; des meetings et des associations se formèrent pour obtenir le rappel de la loi de 1866. Dans la Chambre des communes, M. Bright est allé jusqu'à dire que cette loi était infâme (3); il lui a reproché de porter atteinte aux principes du droit anglais qui protège la liberté individuelle même dans la (1) Bulletin, 1870, n° 1.

(2) Voir les détails de cette législatioo dans un livre très-instructif de M. Lecour, chef de division à la préfecture de police, intitulé la l'roslilulion à Paris et à Londres, 18T0.

(3) Times, 15 février.


personne de malheureuses femmes dégradées par le vice, et en outre, de travailler à une œuvre immorale en diminuant, dans le cœur de ceux qui se livrent à la débauche, la crainte du châtiment. Une commission, nommée par le gouvernement en 1870, fit une nouvelle enquête et, tout en reconnaissant l'heureuse influence de la législation de 1866 sur la santé publique, proposa au gouvernement de revenir en arrière. C'est ce que le gouvernement s'est décidé à faire, mais non sans de vifs regrets. Dans la séance du 14 février, M. Bruce a cru pouvoir justifier cette décision, en rappelant un mot de Burke.: « La loi doit suivre et non forcer l'opinion publique. Mais il s'en faut qu'en Angleterre même, l'opinion soit unanime pour réclamer l'abolition de la loi de 1866. Le Times n'hésite pas à dire qu'en cette circonstance le ministère a manqué de fermeté.

Est-il vrai, comme l'a dit M. Bruce, que l'un des effets de la loi de 1866 ait été de diminuer le nombre des femmes, et surtout celui des enfants livrées à la prostitution ? D'après un renseignement fourni par la police de Porstmouth, le nombre des filles mineures se livrant à la prostitution, qui était auparavant de deux cents, serait aujourd'hui nul. Un pareil argument, à supposer qu'il fût tout à fait exact, répondrait victorieusement, à ce qu'il me semble, à toutes les attaques de M. Bright

Le ministre de l'intérieur propose de substituer à la loi de 1866 une série de mesures indirectes contre la prostitution. Un acte sur le vagabondage donne droit à la police d'arrêter les femme qui, dans la rue, importunent les passants. En interprétant largement cette disposition, le tribunal de police de Liverpool a prononcé en 1871, 3,388 condamnations. Le ministre demande que cette interprétation soit généralisée et que la peine soit élevée à trois mois de prison, en cas de récidive à six mois, et en cas de nouvelle récidive à une année. Dans le cas où les femmes condamnées en vertu de cette disposition seront reconnues atteintes d'une maladie contagieuse, elles pourront, aux termes du bill proposé par M. Bruce, être retenues dans un hôpital pendant un délai maximum de neuf mois. On appliquera la même règle aux femmes condamnées sommairement pour un délit ordinaire, lorsque le juge aura reconnu et constaté dans la sentence qu'elles se livrenthabituellement à la prostitution. Mais en dehors de ces cas aucune femme ne pourra être contrainte de se soumettre à une visite médicale ou de subir un traitement dans un hôpital. D'autres dispositions du bill de M. Bruce ont pour but de réprimer plus sévèrement les attentats aux mœurs commis sans violence, sur la personne des enfants. La législation actuelle punit de la servitude pénale à vie l'attitnthl sur un enfant de moins de dix ans; M. Bruce


propose d'élever la limite à douze ans accomplis. L'attentat sur un enfant de dix à douze ans est puni en ce moment au maximum de dix ans de servitude pénale; le ministre voudrait appliquer cette disposition aux attentats commis sur les enfants de douze à quatorze ans.

Comme le bill proposé par M. Bruce n'a été lu qu'une première fois, il serait inutile d'entrer en ce moment dans de plus grands détails. J'ai voulu seulement appeler votre attention sur la tendance rétrograde de la législation anglaise en cette matière délicate.

Je devrais maintenant vous entretenir de la lutte engagée contre l'ignorance en Écosse et en Angleterre. Aucun sujet ne mérite davantage de vous intéresser; l'éducation des masses populaires est devenue, pour tous les pays, une garantie de sécurité et une condition même d'existence. Mais partout la question de l'enseignement primaire se complique de questions religieuses, très-difficiles à trancher ou à dénouer. Ainsi, dans la séance de la Chambre des communes du 13 février (1) le lord advocate d'Écosse a déposé un bill qui tend à enlever au clergé presbytérien l'inspection des écoles primaires. Ces écoles au lieu d'être entretenues, comme elles le sont aujourd'hui, au moyen d'un système de redevances qui ne pèse que sur certaines terres, seraient désormais à la charge de tous les contribuables, qui acquerraient le droit de les administrer et de choisir les maîtres par l'intermédiaire d'un comité électif. On comprend que ce bill soulève des objections très-vives. Je n'en dirai rien; car M. du Buit a bien voulu se charger de nous faire sur ce sujet une communication qui sera certainement attendue avec la plus grande impatience. q

M. du Buit nous rendra compte en même temps des résultats de la loi de 1870 sur l'éducation populaire en Agleterre et de la discussion qui a eu lieu tout récemment à la Chambre des communes entre M. Dixon et M. Forster, au sujet des effets de cette loi (2). Il me reste à vous dire quelques mots d'un débat très-intéressant qui a été soulevé à la chambre des Communes, par une motion de sir Roundell Palmer relativement à la création d'une école centrale de droit (3). L'Angleterre est le seul pays où une école de ce genre n'existe pas; l'Ecosse possède un véritable enseignement du droit bien organisé et qui donne d'excellents résultats. Toutes les nations du con(1) Times, 14 février.

(2) Times, 6 mars.

(3) Times, 2 mars.


tinent ont des Facultés ou des Universités où le droit est scientifiquement enseigné. « La France, grâce à cet enseignement, a produit, dit sir R. Palmer, de grands jurisconsultes et malgré ses malheurs, a droit d'être encore fière des travaux de codification qui ont marqué le commencement de ce siècle. » Toutefois, ajoute-t-il, en France l'enseignement du droit est trop exclusivement placé sous le contrôle et sous la direction de l'État.

On ne voudrait pas en Agioteuse d'un pareil monopole. D'après sir R. Palmer l'école qu'il s'agit de créer devrait s'administrer ellemême et vivre de ses propres ressources et de celles que les Inns seraient tenus de lui apporter. Les examens seraient obligatoires; mais appropriés à la profession que le candidat a l'intention d'embrasser et subis devant d'autres personnes que les professeurs de l'école. La création de cette école aurait aux yeux de sir Il. Palmer une utilité plus haute encore que celle de former de bons jurisconsultes pour la pratique des affaires. L'enseignement scientifique des principes de la législation anglaise hâterait et faciliterait le travail de codification auquel l'Angleterre sera forcée de se résoudre si elle ne veut rester en arrière de tous les peuples. Suivant la remarque de sir R. Palmer tous les livres, ayant une valeur doctrinale et scientifique, ont été le résumé de leçons faites publiquement. Ainsi Blackstone n'aurait peut-être pas écrit son grand ouvrage, s'il n'avaitété professeur à l'Université d'Oxford.

Mais, a répondu l'attorney général, demander qu'on enseigne scientifiquement le droit anglais, c'est demander une chose impossible. On ne peut apprendre la législation anglaise que par la pratique cette législation est en effet un fouillis inextricable de statuts, de coutumes qui s'enchevêtrent et n'a rien de scientifique, sauf dans quelques parties de construction toute moderne, comme la loi sur la propriété foncière et la loi commerciale. Il faut donc attendre qu'un Code ait été rédigé; l'enseignement du droit ne peut venir avant, mais seulement après le travail de codification.

Au surplus les Inns ou corporations d'avocats se sont déjà mises d'accord pour créer des chaires de droit; elles viennent même de s'entendre pour établir un système d'examens. Il n'y a qu'à les laisser poursuivre dans cette voie; le rôle de l'État n'est pas de former des avocats, pas plus qu'il ne forme des médecins ou des ingénieurs. Ces idées, développées par l'attorney général et appuyées par M. Gladstone, ne l'ont emporté qu'à la majorité de 116 voix contre 103. La question de la création d'une école de droit est donc seulement ajournée.

Une mesure qui contribuera sans doute à préparer l'unification si


désirée du droit anglais, est la création projetée d'une Cour d'appel unique. Le lord chaucelier a promis qu'un bill serait déposé sur ce sujet avant les vacances de Pâques (1). Aujourd'hui la chambre des lords juge tous les appels des Cours de droit commun et d'équité; mais cette juridiction est très-mal organisée, ne fonctionne qu'avec de grandes difficultés et offre aux plaideurs de médiocres garanties. Quant aux appels des Cours ecclésiastiques^ des Coursd'amirauté et des colonies, ils sont portés devant le comité judiciaire du conseil privé. On se plaint de cette division qui n'a d'autre résultat que d'amener des conflits de jurisprudence; mais surtout on critique la multiplicité des appels successifs qui peuvent avoir lieu dans une même affaire. Lord Westbury a montré qu'en Écosse un procès pouvait être jugé tour à tour par le substitut-skeriff, puis par le deputy-shcriff puis par la Cour des sessions, puis par le lord ordinary, puis enfin par la chambre des lords (2).

LaCour unique d'appel qu'on propose d'établir serait composée de juges pris dans toutes les grandes cours et ces juges siégeant ensemble, mettraient en commun leurs études sur les diverses branches du droit anglais et travailleraient ainsi à opérer la fusion du,common law et de l'equity qui est Je préliminaire indispensable de tout travail de codification.

En terminant, je me borne à indiquer divers bills, qu'il est intéressant de connaître, mais que je n'ai pas le temps d'analyser Bill pour le règlement général des mines, présenté par le ministre de l'intérieur (Times, 13 février).

Bill concernant la police des parcs et jardins royaux (Times, 8 et 13 février) (3).

Bill pour permettre le mariage emtre beaux-frères et belles-soeurs (Times, 22 février. Deuxième lecture majorité 186 voix contre 138).

Bill sur les sépultures (Times, 15 février).

Bill contenant unprojet de Code sanitaire (Times, 17 février). Bill pour reconnaître les droits électoraux des femmes, présenté par M. J. Bright (Times, 8 février).

Bill pour l'abolition de la peine de mort, présenté par M, Gilpin (Times, 13 février).

(1) Times, 5 mars 1872.

(2) Times, 5 mars.

(3) Ce bill, qui a pour objet d'interdire les meetings dans les parcs royaux, a été brûlé dans une réunion populaire à Trafalgar square.


Ces deux derniers bills reviennent tous les ans; il ne parait pas qu'ils aient meilleure chance d'aboutir cette année que dans les précédentes sessions.

A la suite de cette communication, plusieurs observations sont échangées entre M. Helbronner et M. Ribot.

La parole est donnée à M. GONSE, avocat à la Cour de cassation, pour exposer la législation relative au mariage, en Prusse. Il s'exprime en ces termes

Depuis le commencement du siècle, le mode de célébration du mariage a donné lieu à des réformes législatives dans un certain nombre de contrées en Europe. La France a adopté le mariage civil. Son exemple a été suivi déjà par quelques nations. On peut supposer qu'il le sera prochainement par d'autres (1).

C'est une des phases de ce mouvement dont je vous demande la permission de vous entretenir; je dois en commençant constater que quoi qu'on en puisse dire, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, notre pays a eu sa grande part d'influence; c'est de lui qu'est partie cette réforme, c'est son esprit; ce sont ses principes sur la liberté de conscience qui en assurent aujourd'hui les progrès et inspirent ceux là mêmes qui le calomnient davantage.

Vous savez tous, messieurs, que le mariage civil a été en même temps que notre Code adopté en Belgique. En Italie, depuis l'unification, un nouveau Code a été mis en vigueur. Il consacre la célébration civile du mariage. Une loi récente, du mois de déeembre 1869, a introduit en Espagne une législation analogue.

En Autriche, depuis quelques années, des difficultés de toutes natures sont soulevées. Les réclamations de l'Église catholique, après avoir été d'abord accueillies, ont été ensuite repoussées. Ces réclamations se produisaient notamment sur les questions relatives au mariage. Aussi, à la suite du concordat, au mois d'octobre 1856, une patente et une loi sur les mariages catholiques reconnurent tous les principes du droit canonique et adoptèrent les décrets du concile de Trente. Depuis que l'Autriche est revenue à un nouveau système politique, la loi de 1856 a été abrogée le 25 mai 1868; l'ancien Code du 13 juin 1811 a été remis en vigueur. On a dû prévoir alors la résistance des autorités ecclésiastiques et prévenir les conflits probables. Aussi, outre le ma(0 Allgemeines Landrecht fur die Preusxichen Staaten,– Zweiler Theil, Ersten Titel. Revue de législation comparée, 1870, n" 1 et 2. Rechtslexicon, von d' Holtzendorf, y Ehe et suiv.


riage religieux d'après les anciennes formes, a-t-on autorisé les époux à recourir à un mode de célébration civile du mariage, après avoir fait constater le refus du prêtre compétent. Les autorités civiles font alors publier les bans et reçoivent des parties la déclaration solennelle et contractuelle qui forme le lien matrimonial. Ce mariage n'empêche pas les époux de recevoir ultérieurement la bénédiction nuptiale d'un ministre du culte auquel l'un d'eux appartient. Des tribunaux ecclésiastiques spéciaux avaient été institués en matière matrimoniale par la loi de 1856 ils ont été supprimés, et toutes les contestations de cette nature sont actuellement renvoyées aux tribunaux ordinaires. Mais c'est en Allemagne que je désire vous conduire. La question du mariage civil y est posée, et il est à prévoir qu'elle sera assez prochainement résolue.

Déjà en 1848, la constitution du 27 décembre contenait un article ainsi conçu

« La validité du mariage, quant à ses effets civils, ne dépend que de « l'acte civil; la bénédiction nuptiale ne peut avoir lieu qu'après l'ac« complissement de l'acte civil. La différence de religion n'est pas un « obstacle au mariage civil. Les registres de l'état civil sont tenus par « les autorités civiles. »

Cette constitution disparut sans laisser de traces. Mais le 21 octobre 1867 et le 16 avril 1808, la diète fédérale de l'Allemagne du Nord s'occupa à deux reprises différentes de la question du mariage civil elle invita le chancelier de la confédération à proposer un projet de loi sur le mariage.

En août 1869, le congrès des jurisconsultes réunis à Heidelberg prit une résolution ainsi formulée « Le mariage civil doit être regardé « comme la seule forme de mariage possible dans les rapports actuels « de l'Èglise et de l'État en Allemagne. Tous les obstacles aux ma« riages résultant des différences de confession tombent avec l'introa duction du mariage civil. »

Enfin, dans le Bechtslexicon, publié par M. Holtzendorf, à l'article Eheschliessung, se trouve énoncée une opinion identique. Après avoir parlé de la législation du grand-duché de Bade, il ajoute ti L'adoption du mariage civil y est en germe. A côté des formes « canoniques pour la célébration du mariage, se place en effet une « forme d'état, le mariage civil, c'est-à-dire la déclaration de leur cona sentement mutuel faite par les époux devant les magistrats civils. « On ne peut nier que l'État ne soit autorisé à établir cette règle j juria dique, car la validité du mariage rentre dans les choses pour lesu quelles la loi civile est compétente. C'est seulement ainsi qu'on « pourra rendre pleine justice aux adhérents des diverses confessions


« religieuses et éviter tout conflit eu égard aux interprétations du « droit matrimonial spéciales à chaque Église. Mais la forme civile « du mariage n'atteint ce but que si son observation est formellement « exigée pour la validité du mariage. L'État doit donc adopter le 1 principe du mariage civil obligatoire et laisser à la conscience de « chacun l'accomplissement des formalités religieuses exigées dans « chaque confession, »

Il semble donc bien que nous soyons appelés très-prochainement à constater un nouveau progrès du principe posé dans nos Codes et qu'une loi allemande doive intervenir dans un délai assez rapproché.Dans cette situation, pour se rendre un compte exact de cette loi nouvelle, il est intéressant de connaître l'état des choses actuel au moins quant aux traits principaux. Comme type de l'organisation du mariage en Allemagne, je choisirai principalement la loi prussienne; c'est celle qui régit le plus grand nombre d'individus.

Le mariage religieux étant reconnu en Allemagne à peu près universellement comme le mode de consécration du lien matrimonial, une digression préliminaire dans le domaine du droit canon ne vous paraîtra pas inopportune.

Dans l'ancien droit canonique, le simple consentement était considéré comme constituant le mariage; la bénédiction nuptiale suivait ce consentement mais elle n'y ajoutait rien. Après le quatrième concile de Latran qui avait ordonné que le mariage serait précédé de publications, c'est le concile de Trente qui, préoccupé des graves inconvénients résultant des mariages clandestins, établit la solennité du mariage. Le décret de la vingt-quatrième section consacré à la réformation du mariage commence par une déclaration de principes qui paraissent si singuliers aujourd'hui que je ne résiste pas au désir ne vous les faire connaître.

« Tametsi dubitandum non est, clandestina matrimonia,libero con« truhentium consensu facta, rata et vera esse matrimonia, quandiu a ecclesia ea irrita non fecit; et proinde juredamnandi sintilli, ut « eos sancta synodus anathemate damnat, qui ea vera ac rata esse « negant quique falso affirmant, matrimonia, a filiisfamilias sine « consensu parentum contracta, irrita esse et parentes ea rata vel « irrita facere posse; nihilominus sancta Dei ecclesia ex justissimis « causis, illa semper delestata est atque prohibiat. »

Puis le décret continue Pour empêcher ces magistrats clandestins, il réglemente les publications qui doivent précéder l'union et ordonne que le mariage ait lieu dans l'église et en présence du prôtre. Celui-ci interroge les époux, reçoit leur consentement et les déclare unis au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Deux ou trois témoins doi-


vent assister à la cérémonie. Le concile ajoute qu'il rend inhabiles à contracter mariage tous ceux qui voudraient le faire autrement qu'en présence du curé et des témoins et déclare qu'il annule et rend de nul effet les mariages contractés sans les formalités qu'il institue. Il contient ensuite de nombreuses dispositions réglementaires.

Ce décret du concile de Trente est encore la base du droit matrimonial dans les parties catholiques de l'Allemagne. Il n'exige pas pour la validité du mariage la bénédiction sacramentelle qui est distincte de la constatation du consentement, bien que le canon 1 de la même session 24 déclare formellement que le mariage est un sacrement. Dans la pratique ultérieure on a confondu les deux éléments de l'union, J'un purement consensuel et l'autre essentiellement religieux. On pense cependant en Allemagne qu'au moins en doctrine, le droit canon catholique ne réunit pas d'une façon indissoluble le sacrement et le consentement mutuel en présence du prêtre.

Il en est autrement dans le droit canon protestant. Après avoir d'abord suivi les anciens principes auxquels le concile de Trente était venu déroger, l'Église protestante allemande au xvu" siècle fit coïncider la bénédiction nuptiale avec le consentement passé réciproquement par les époux, et l'opinion se forma que le mariage ne pouvait être validé que par cette double formalité. D'abord combattue par ceux qui faisaient également dériver le mariage de la cohabitation ayant suivi des promesses mutuelles, cette opinion triompha au xvin' siècle. Actuellement, d'après le droit canon protestant de l'Allemagne, le lien matrimonial dérive de la bénédiction qui accompagne le consentement. Cette cérémonie doit avoir lieu devant le curé du domicile de l'un des fiancés, quoique cependant le mariage ne soit pas nul par le seul fait de l'incompétence du célébrant.

La loi civile des divers pays est venue ajouter ses prescriptions à celles imposées par les diverses règles confessionnelles. En général, dans le droit commun de l'Allemagne, la forme catholique ou protestante a force de loi pour les adhérents de chacune de ces deux Églises; en Saxe, le Burgesestbuch déclare que le mariage contracté religieusement par les fidèles d'une confession constitue un lien civil. Dansla Prusse et le Wurtemberg, les catholiques sont assujettis à suivre la forme protestante en ce sens que leurs unions doivent être non-seulement constatées, mais encore bénies par les ministres de leur religion. A Bade, la loi ordonne que le mariage sera contracté devant les fonctionnaires civils; mais comme ceux-ci sont précisément les ministres compétents des différentes confessions, il n'y a pas là un véritable mariage civil, mais une relation plus intime établie entre la formalité religieuse et ses conséquences civiles.


Le mariage civil obligatoire tel que nous le connaissons existe cependant en Allemagne dans les pays où notre droit français a été introduit par nous et est resté en vigueur. Ces contrées sont la Prusse rhénane, la Bavière rhénane, la Hesse rhénane et Francfort. Dans certains pays, à Hambourg et dans le Oldenbourg, le mariage civile existe, mais facultatif.

Dans d'autres, il n'est autorisé que pour ceux qui ne peuvent obtenir le mariage religieux par suite dé quelque conflit entre les lois de l'Église et celles de l'État. Il en est ainsi dans le Wurtemberg et le Anhalt. Dans certains pays, le mariage civil est la seule forme admise par l'État pour les fidèles des religions non reconnues. Il en est ainsi pour les dissidents et les juifs en Prusse, en Hanovre, dans la HesseCassel, le Nassau, la Bavière, leAnhalt-Bergeburg, et a Gotha; de même à Lubeck pour les mariages des dissidents et les unions entre juifs et chrétiens. Enfin ce dernier cas, le mariage entre chrétiens et juifs, ne peut aussi, dans le Brunswik et la Hesse-Hombourg, être constaté régulièrement que par le magistrat civil.

Ce rapide exposé général vous montre déjà, messieurs, que toutes ces sociétés sont amenées, par un acheminement progressif, à adopter le mariage civil. Le principe de la liberté de conscience une fois admis entraîne avec lui ses conséquences; mais en outre, concilier et mettre d'accord les prescriptions civiles nécessaires avec les lois purement religieuses, a toujours donné lieu à des difficultés incessantes auxquelles on doit nécessairement chercher à mettre un terme. Un examen plus détaillé de la législation prussienne fera encore, semblet-il, ressortir plus nettemement cette idée,

Le premier titre de la seconde partie de l'Allegemeines Landrecht est consacré au mariage. Le Landrecht est une codification fort étendue qui a été mise en vigueur le 1" juin 1794 par le roi Frédéric-Guillaume II. Chaque titre traite un sujet spécial et contient une série particulière de numéros Celui qui est relatif au mariage est composé de 1,119 articles. Certains ont été abrogés ou modifiés par un assez grand nombre de lois postérieures. Mais la très-grande majorité des dispositions du Landrecht est encore actuellement la base du droit civil prussien.

Le premier paragraphe du titre du Mariage est consacré à l'énumération des empêchements. En ce qui concerne les prohibitions pour parenté, le Landrecht se rapproche beaucoup du droit français. Dans certains cas, des dispenses peuvent être accordées. Les articles 10 et 1 nous montrent à cet égard les préoccupations du législateur civil en présence des règles canoniques.

D'après le premier, aucune dispense régulière ne peut être obtenue


en dehors de celles que l'État accorde. Le second laisse à la conscience des croyants catholiques le soin d'obtenir des dispenses religieuses dans les cas où les principes de leur foi établissent des prohibitions non inscrites dans la loi. Le mariage contracté sans ces dispenses, conformément aux lois de l'État, ne peut être invalidé.

Les adoptants ne peuvent épouser leurs adoptés ni les tuteurs leurs pupilles tant que dure l'adoption et la tutelle (13 à 17).

Pour les seconds mariages, il faut fournir la preuve de la dissolution du premier. S'il existe des enfants, il faut prouver qu'ils ne souffriront aucun préjudice ou produire une autorisation du conseil de tutelle (art. 17 et 18).

Les veuves et les femmes divorcées sont tenues d'attendre neufmois; mais la règle est moins absolue cependant que chez nous. Si elles se trouvent enceintes lors de la dissolution, dès après l'accouchement, elles peuvent contracter une nouvelle union. En outre, en cas de divorce pour abandon, la partie délaissée peut se remarier immédiatement après la décision sur le divorce. Enfin le juge peut accorder l'autorisation du second mariage après trois mois.

Pour les veufs, le délai commun est de six mois (art. 19 à 24). Le divorce crée des prohibitions spéciales à l'égard du complice de l'adultère ou de celui dont les relations suspectes en ont été le motif juridiquement constaté (art. 24 à 27).

Les articles 30 et 33 établissaient une nature de prohibition spéciale. Le mariage était défendu entre un noble et une femme de la classe des paysans ou de la bourgeoisie inférieure. Ces articles ont été abrogés par une loi du 22 février 1869. C'est une application un peu tardive de la constitution du 31 janvier 1850 qui déclarait dans son article 4 que tous les Prussiens étaient égaux devant la loi. Un autre vestige de l'état aristocratique subsiste encore, et je crois devoir le signaler je veux parler du mariage morganatique ou de la main gauche. Le Landrechtconsacre quatre-vingt-dix-sept articles à le réglementer. Les mariages ne peuvent être contractés que par une permission spéciale du souverain. Les permissions sont accordées à des personnes d'un rang élevé qui ne pourraient entretenir une famille conformément à ce rang ou qui craindraient de léser des enfants d'un premier lit en épousant une femme dans une situation telle qu'elle les entraînerait à des dépenses trop considérables. Ces mariages se célèbrent comme les autres et doivent être précédés de publications. Mais, chose remarquable, le nom du fiancé peut ne pas se trouver dans la publication relative à la femme ni celui de la future épouse dans la publication relative au mari. On peut annoncer seulement que telle personne a l'intention de se marier sans indiquer son futur conjoint.


Le caractère distinctif du mariage morganatique, c'est que la femme ne prend ni le nom ni le rang de son mari. Elle n'entre pas dans la famille et ne peut réclamer qu'un entretien conforme à sa condition.

Il faut encore rapprocher des prohibitions de mariage supprimées par la loi du 22 février 1869, une loi plus générale et antérieurement rendue pour toute l'Allemagne du Nord. Elle nous fait connaître en les supprimant les entraves multipliées qui existaient au mariage; elle est du 4 mai 1868 et l'on peut s'étonner qu'elle soit intervenue si tardivement.

D'après l'article 1 il ne sera plus exigé des personnes appartenant à la confédération qui veulent contracter mariage, ni qu'elles possèdent ou acquièrent le droit de bourgeoisie ou d'incolat, ni l'autorisation de la commune, du seigneur ou de l'administration des pauvres, ni une permission des magistrats; notamment le fait de ne pas avoir atteint un certain âge, au-dessus de la majorité, celui de ne pouvoir justifier d'une habitation, d'une fortune ou de revenus suffisants, une peine antérieurement subie, la mauvaise réputation, la pauvreté actuelle ou à craindre, l'obtention de secours, ou aucun autre motif de police, ne devront plus être considérés comme empêchement au mariage. La future qui est étrangère à la localité, n'aura à payer ni droit d'entrée, ni aucune autre redevance.

Les restrictions au mariage des juifs et de ceux qui appartiennent à certaines conditions civiles sont abrogées (art. 2).

Les dispositions qui défendent aux ecclésiastiques et aux officiers de l'état civil de prêter leur concours à la conclusion d'un mariage sans production préalable d'un certificat de l'autorité, ne demeurent applicables aux sujets de la confédération qu'autant que le certificat se rapporte aux conditions non supprimées par la présente loi (art. 3). En ce qui concerne le mariage des militaires, fonctionnaires ecclésiastiques et instituteurs, les dispositions qui exigent l'autorisation préalable des supérieurs sont maintenues en vigueur (art. 4). Il faut dire que dans le Landrecht prussien, ne se trouve pas le luxe de prohibitions dont la loi de 1868 nous révèle l'existence et qui paraissent avoir été édictées surtout par des lois de police. La loi prussienne cependant soumet à la nécessité d'une autorisation le mariage des ofliciers, sous-officiers et soldats, et même celui des employés civils (note 70 sur l'article 146).

L'article 36 interdit le mariage d'un chrétien avec ceux qui, d'après leur religion ne reconnaissent pas les règles du mariage chrétien. C'est la consécration d'une règle très-formelle du droit canon. Mais


elle est en contradiction avec l'article 12 de la constitution de 1850 qui consacre la jouissance de tous les droits civils indépendamment de la confession religieuse.

En Saxe on a abrogé une disposition analogue à l'article 36 du Landrecht. Dans d'autres pays on a permis le mariage civil pour arriver à éluder la défense canonique. En Prusse, l'empêchement fondé sur la différence des cultes paraît encore en vigneur.

L'âge nubile est fixé à dix-huit ans pour les hommes et à quatorze pour les femmes.

Les conditions exigées pour la validité du consentement sont identiques à celles que notre droit exige; ce sont là des principes du droit naturel et universel. En ce qui concerne l'erreur cependant, il faut noter une différence essentielle parce qu'elle se relie à une controverse et à des questions souvent agitées. A la différence de notre article 180, l'article 40 du Landrecht admet l'action en nullité fondée sur une erreur relative aux qualités personnelles qui lors de la célébration du mariage ont été nécessairement supposées. Cette disposition est conforme au droit canon protestant et en désaccord avec celui de l'Église catholique adopté par notre article 1 80.

En ce qui concerne le consentement des parents, le droit de l'Allemagne est moins rigoureux que le nôtre. Sur ce point d'ailleurs les dispositions de notre Code ont été souvent et sérieusement critiquées. Dès 1815, les articles 151 et 155 du Code civil maintenu u dans les provinces Rhénanes, ont été abrogés. Ces deux articles sont relatifs aux actes respectueux Le système du Landrecht à cet égard (art. it> et suivants) est plus large que le nôtre. Le consentement du père doit toujours être demandé. Les mineurs au dessous de vingt-quatre ans seuls sont tenus de demander celui de la mère, des grands parents et du tuteur. Mais l'enfant et son futur conjoint ont un recours contre les refus du consentement. Ils peuvent s'adresser au tribunal pour obtenir d'être relevés de ce refus. Divers articles énumèrent les motifs qui peuvent autoriser les parents à refuser leur consentement. Ces motifs sont assez nombreux et surtout très-compréhensifs. Les vices et les fautes graves à reprocher au futur conjoint peuvent autoriser les parents à s'opposer au mariage. Mais en outre, ils le peuvent encore si les époux doivent manquer du nécessaire ou si l'on peut raisonnablement craindre que le mariage projeté ne soit pour eux une cause d'infortune (art. 88 et 59).

Une loi de 1844 défend aux prêtres de célébrer le mariage si le consentement des parents n'est pas produit. C'est une mesure prudente. Le droit canon s'est toujours montré très-peu préoccupé du consentement des ascendants. Mais nous retrouvons ici cette immixtion constante


de la loi dans le domaine religieux qui est une conséquence nécessaire des effets civils attachés au mariage religieux.

Trente-six articles sont consacrés dans le Landrecht à la célébration même du mariage. Le mariage est valablement consacré par la bénédiction du curé. Trois publications doivent être faites et- lues en chaire dans les paroisses habitées par les futurs époux.

L'absence des publications ne vicie pas le mariage, mais expose les époux et le curé à une amende. Dans certains cas, s'il y a danger de mort ou si le futur époux est obligé d'entreprendre dans l'intérêt de l'État un voyage long et périlleux, on peut impunément célébrer le mariage sans publications antérieures. Dans les circonstances ordinaires, on peut obtenir la dispense d'une ou de deux publications. Si l'on ne présente pas au curé un contrat de fiançailles en règle, il doit s'informer s'il n'y a pas d'empêchements, et en cas de doute, s'adresser à ses supérieurs. S'il néglige de le faire ou passe outre malgré un empêchement connu de lui, il encourt une peine pécuniaire. On peut arrêter un mariage en se prévalant d'une convention de fiançailles. Les conventions de fiançailles ont une grande importance dans le droit de l'Allemagne. Elles donneraient lieu à une étude intéressante je ne puis aujourd'hui que les signaler.

Les personnes privées ne peuvent se marier par procureur, dit l'article 167 du Landrecht. Cette rédaction laisse supposer que pour certains personnages ce mode de célébration peut être admis. Le mariage célébré par un prêtre non compétent n'en est pas moins valable. Mais cependant celui qui se marie à l'étranger pour éluder les lois du pays, encourt une amende de 10 à 300 thalers, et son mariage peut être annulé.

Ces dispositions du Landrecht s'appliquent aux membres des confessions privilégiées et reconnues dans l'État. Pour les confessions simplement tolérées, l'article 137 déclare que la consécration de leur mariage se fera librement d'après leurs règles propres. Mais on a organisé en outre à leur égard un mode spécial de constatation du mariage. Deux lois du 30 mars et du 23 juin 18-47, la première relative aux dissidents, la seconde aux juifs, ont institué des registres et des officiers de l'état civil.

Ces deux lois de 1847 sont également relatives à la constatation régulière des décès et des naissances. Leurs dispositions sont identiques en ce qui concerne les dissidents tolérés et les juifs.

La constatation civile a lieu par une inscription faite par le juge ordinaire des lieux sur un registre tenu à cet effet et destiné à établir les effets civils et les rapports de droit.

Le mariage doit être précédé de publications, et c'est également le


juge du domicile qui doit y faire procéder. Cette publication résulte de l'affichage pendant quatorze jours au siège du tribunal et à la maison commune. Le juge doit s'assurer également que rien ne s'oppose à la validité du mariage projeté.

Ces formalités civiles une fois accomplies, les parties font célébrer leur mariage selon les rites de leur religion. Puis ils reviennent ensuite devant le juge demander leur inscription sur le registre de l'étafciviL Cette inscription est la date civile du mariage. Les parties doivent venir la demander en personne, et il est dressé procès-verbal de leur comparution. Cette demande d'inscription doit être faite sous peine d'amende dans les huit jours qui suivent la cérémonie religieuse. Enfin les parties qui demandent l'inscription doivent produire, outre le certificat de publication, leur propre déclaration que les cérémonies instituées par leur religion ont été accomplies et une attestation de deux coreligionnaires dignes de foi affirmant le même fait.

Une ordonnance du 29 septembre 1867 a étendu au Hanovre les dispositions de la loi de 1847.

Ces dispositions établissent seulement une constatation civile du mariage réglementée avec détails; mais ce n'est pas encore le mariage civil. C'est la cérémonie religieuse qui constitue le contrat solennel. Cependant le mariage civil véritable existe dans la législation prussienne. La même loi du 28 mars 1847 l'établit dans un cas. Ceux qui sont sortis de leur Église sans en avoir adopté une autre tolérée dans l'État peuvent contracter mariage devant le juge. C'est alors leur déclararation personnelle qui constitue le mariage. Des publications régulières précèdent et l'inscription a lieu sur le registre dont il était parlé plus haut. Mais pour avoir recours à ce mode d'union il faut qu'il y ait une constatation régulière de ce fait, que les parties ont quitté leur Église. Pour arriver à cette constatation, il faut déclarer au juge qui en avise aussitôt les autorités ecclésiastiques que l'on est dans l'intention de se séparer de ses coreligionnaires. Puis un mois après, une nouvelle déclaration doit être faite devant le même juge pour affirmer que l'on cesse de faire partie de l'Église dont on était membre, et c'est alors seulement que le mariage peut se faire sans aucune cérémonie religieuse. Le mariage civil a été encore organisé par une loi du 3 avril 1854 pour les sujets prussiens appartenant à l'église évangélique qui se trouvent hors d'Europe et ne peuvent faire célébrer leur mariage devant les ministres de leur culte. C'est aux agents diplomatiques et aux consuls qu'ils doivent s'adresser à cet effet. Des publications ont lieu et les futurs produisent certaines pièces. Le consul peut dans certains cas dispenser de ces formalités. Le mariage est contracté devant deux témoins avec des formes qu'il faut noter parce qu'elles paraissent calquées sur celles de notre Code civil. Le consul interpelle les futurs sur


leurs intentions réciproques. Ceux-ci répondent qn'ils se prennent pour mari et femme, et le consul les déclare alors unis au nom de la loi. Le mariage est ainsi valablement contracté; mais les parties doivent prendre l'engagement de faire célébrer la cérémonie religieuse dès qu'elles le pourront.

Chez tous les peuples de civilisation chrétienne, le mariage une fois contracté produit des effets qui présentent la plus grande analogie. Je ne saurais m'étendre à ce sujet; je veux seulement dire quelques mots d'un mode de dissolution du mariage que nous n'admettons pas en France et qui au contraire est accepté dans certaines parties de l'Allemagne je veux parler du divorce. Sans examiner aucunement la question du divorce en elle-même, on peut dire que certaines des prescriptions légales qui l'autorisent en Allemagneeten Prusse surtout, révèlent chez le législateur un sentiment très-affaibli des principes élevés de dévouement et de fidèle affection qui sont regardés chez nous, la nation corrompue, vous le savez, comme les véritables bases des unions conjugales.

D'après les auteurs Allemands, ce n'est qu'au xne siècle que l'Église catholique fit prévaloir en Allemagne le principe de l'indissolubilité du mariage. L'Église protestante, au contraire, dès sa constitution reconnut le divorce. Il fut proclamé d'une manière générale en 1537 dans les articles de Schmalkalden. Mais on s'accorda difficilement sur l'application du principe. On reconnut cependant que la volonté commune ne devait pas suffire, et l'on chercha à déterminer d'après le Nouveau Testament les cas où le divorce serait autorisé. Beaucoup d'ecclésiastiques ne reconnurent et certains ne reconnaissent encore, que l'adultère et l'abandon comme pouvant légitimer une demande en divorce. En général, cependant, on a admis dans les pays protestants un plus grand nombre de cas de divorce, tels que les sévices, les condamnations infamantes. Dans certains pays, comme la Hesse, le Mecklembourg, le Schleswig et Brunswick, on reconnaît au seigneur le droit de dissoudre les mariages par rescrit.

Dans d'autres, on admet en même temps que le divorce la séparation à taro et mensa, reconnue par l'Église catholique; il en est ainsi dans la Hesse ducale et en Saxe.

C'est en Prusse que les cas de divorce sont le plus nombreux. Le Landrecht consacre près de deux cents articles à les énumérer et à les réglementer en détail. Une décision judiciaire prononce le divorce. Il peut être demandé pour adultère ou pour immoralité équivalente, maison n'exige pas le flagrant délit. Des relations suspectes, quand elles sont continuées malgré la défense du juge, peuvent amener le divorce. Pour l'abandon il en est de même. Le divorce est prononcé lorsque l'un des époux abandonne volontairement son conjoint. Pour constater


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régulièrement l'abandon, selon les cas et les circonstances, il y a toute une série de dispositions réglementaires et de procédure. Le juge intervient et fixe des délais pour le retour de l'époux déserteur. En cas d'absence, c'est-à-dire lorsque la nouvelle résidence est ignorée, il y a également selon les cas des périodiques d'attente qui varient de deux à dix ans (art. 677 à 694).

Le droit prussien parfois pousse un peu loin ses prescriptions. Malgré cette précision quelque peu hasardée, je ne crois pas devoir passer sous silence certains points parmi les causes du divorce figure le refus obstiné du devoir conjugal (art. 694). Au chapitre des devoirs réciproques des époux, le Landrecht énumère d'ailleurs dans trois articles leurs obligations à cet égard et les causes légitimes de refus (art. 178-1 80). L'article 695 va plus loin encore, et il autorise la demande en divorce lorsque l'un des époux, à un moment quelconque, met un obstable volontaire à l'accomplissement du but légitime du mariage. Ce but de mariage, c'est-à-dire la procréation des enfants, a d'ailleurs, dans la pensée du législateur prussien, une importance tellement considérable que le divorce est autorisé également pour impuissance survenue pendant le mariage et pour. impossibilité complète et incurable de cohabitation. Les infirmités repoussantes, ia démence, la folie incurables, donnent à l'époux sain de corps et d'esprit le droit de demander le divorce (art. 697-698).

Les atteintes à l'honneur, à la liberté, les faits qui menacent la vie ou la santé, les injures verbales et les violences légères pour les personnes de condition élevée, sont des causes de divorce; il en de même des condamnations à des peines afflictives et infamantes:

Des dénonciations fausses dirigées par l'un des époux contre son conjoint;

Des manœuvres dirigées contre la vie, l'honneur ou la situation du conjoint;

De l'adoption d'une profession honteuse.

Le divorce peut encore être obtenu si un des conjoints persévère dans l'ivrognerie ou une vie désordonnée, après que le juge saisi a ordonné des mesures pour le corriger et prévenir les suites de sa conduite. Si le mari s'est mis par sa faute et son inconduite dans l'impossibilité de pourvoir à l'entretien de sa femme ou si, le pouvant, il persiste à refuser de le faire, après l'injonction du juge, il y a ouverture à l'action en divorce (art. 713).

Le changement de religion peut amener le divorce dans les cas où les religions différentes auraient été un empêchement au mariage. Enfin les mariages sans enfants peuvent être dissous par consentement mutuel, si ce consentement est sérieux et libre.

Le Landrecht n'admet pas la séparation si un des époux est protes-


tant. Si tous deux sont catholiques, ce sera bien une séparation qui sera prononcée, mais elle aura, dit l'article 734, tous les effets d'une dissolution complète du mariage, et l'article 735 ajoute que c'est à la -conscience des époux divorcés qu'il appartient de leur indiquer ce qu'ils ont à faire d'après les préceptes de leur religion, en ce qui concerne de nouvelles unions. Aussi n'est-ce pas de ce côté que les difficultés sont survenues, les catholiques pouvaient agir à leur guise. Mais pour les protestants une question grave s'est élevée. Le Landrecht allait incontestablement beaucoup plus loin dans l'énumération des causes du divorce que les canonistes protestants, même en acceptant les opinions les plus larges.

Aussi, vers 1830, les conflits commencèrent et les ecclésiastiques refusèrent la bénédiction nuptiale aux personnes divorcées qui n'avaient pas été séparées pour des motifs admis par l'Église. En 1846, un ordre de cabinet défendit de violenter ces ecclésiastiques tout en affirmant la valeur juridique des prescriptions légales. Jusqu'en 1885, les refus de bénédiction devinrent de plus en plus fréquents et les consistoires approuvèrent souvent la résistance des ecclésiastiques. On présenta aux Chambres un projet de réforme de la loi matrimoniale qui futrejeté, et alors parurent, en 1855 et d857, ce qu'on appelle des ordres de cabinet; ces instructions décidèrent que les consistoires en première instance, et le conseil supérieur en dernière, statuerait sur les requêtes présentées par les divorcés qui voudraient contracter un nouveau mariage. Comme règle de décision, l'ordre de 1855 indique le droit matrimonial tel qu'il est fondé sur la parole de Dieu. En réalité, le conseil ecclésiastique a pris comme base de sa pratique les principes du droit canon protestant.

Il y a donc là un conflit permanent entre l'Église et la loi, conflit qui durera jusqu'à l'adoption du mariage civil.

Comme conclusion, messieurs, et pour résumer cet aperçu incomplet et cependant trop long, il faut dire que dès que la loi veut solenniser le mariage, elle doit organiser elle-même le mode de solennité et de publicité, créer le mariage civil.

Lorsque Grotius énonce cette idée que le mariage est un contrat de droit naturel qui se forme comme tous les contrats, par le seul consentement des époux, il constate une vérité philosophique qui ne dbnne lieu, je pense, à aucune contradiction. Mais si, vu l'importance du mariage, les législations positives ne le laissent pas dans la classe des contrats purement consensuels, si la société, qui y attache des droits particuliers et y est directement intéressée, veut intervenir pour le constater et le sanctionner, elle ne peut remettre ce soin à personne qu'à ses propres représentants.

Il ne faut pas croire cependant qu'il n'est point des contrées où l'on


ait conservé au mariage sa forme primitive. Aux États-Unis, elle est encore incontestablement en vigueur. Dans l'État de New-York, un jugement récent constate que pour rendre le mariage valable, il n'est besoin ni de cérémonies, ni de célébration par un ministre, prêtre ou magistrat; le consentement des parties est seul requis. Ce sont les anciens principes de la Common Law.

Il le faut même dire, on paraît tenir beaucoup aux Étas-Unis à cette simplicité de formes. Un membre de notre Société, M. Lawrence, dans les articles qu'il a publiés dans la Revue de droit international, insiste sur les avantages qui en découlent. Il regarde ce système comme seul capable de protéger les droits de la femme et la morale, de favoriser les mariages.

En Europe, il y a en Écosse un analogue à la loi américaine. Les mariages dénommés par verba de pressenti sont validés, mais ils sont qualifiés irréguliers et sont plutôt considérés comme des promesses produisant certains effets du mariage que comme des mariages proprement dits.

Ce système peut sans doute donner lieu à des critiques; mais il est logique et ne présente pas les difficultés pratiques qui résultent de l'adoption du mariage religieux comme constituant le mode de.solennisation civile. On peut suivre du reste historiquement le travail législatif qui aboutira en Allemagne comme en France à l'adoption du mariage civil. Lorsque les législations se sont peu à peu constituées, elles se sont trouvées en présence des confessions religieuses qui avaient déjà institué des formes pour le mariage.

C'est l'Église en effet qui, au nom de la morale qu'elle enseignait, se préoccupa tout d'abord des inconvénients qui résultaient de l'absence de formes spéciales pour la formation des unions. Elle chercha à solenniser le contrat. L'État vint ensuite; trouvant une forme instituée il n'eut pas à supplanter l'Église, mais à profiter de ce qu'elle avait établi. La société civile plaça peu à peu son action à côté de celle de la société religieuse, reconnut le mariage tel qu'elle le célébrait et y attacha des effets civils.

Mais les choses n'en restèrent pas là et ne pouvaient en rester là. Indépendamment des questions de liberté de conscience et des difficultés que la diversité des religions fait naître, il y a une autre cause qui ne devait pas contribuer moins efficacement à amener toutes les législations au mariage civil. Peu à peu, l'État réglementa le mariage et ses effets, et alors il vient nécessairement poser à côté des règles purement canoniques des prescriptions purement civiles. C'est ainsi qu'en France, des ordonnances nombreuses des rois en 1856, 1559 et 1639, ont posé dans l'ancien droit des règles pour les mariages célébrés religieusement.


C'est cette même situation qui existe en Allemagne et que j'ai cherché à vous faire connaître. De nombreuses règles en désaccord parfois avec le droit canonique mais en tout cas, très-souvent en dehors de lui, réglementent le mariage au point de vue purement civil. Vous voua souvenez même que dans certains cas le ministre du culte peut être condamné à des amendes pour infraction aux prescriptions civiles. On est donc arrivé à ce résultat en conservant et en maintenant le mariage religieux, que cette formalité religieuse devient soumise et subordonnée à la loi civile. C'est une sorte de mariage civil déguisé pour lequel le ministre du culte devient un véritable officier public remplissant des fonction civiles et tenu de se conformer à des prescriptions légales. C'est là une situation confuse qui ne peut être que transitoire; car elle donne naissance à des difficultés nécessaires et ne présente d'avantages pour aucun des intérêts engagés. Si le prêtre se soumet en tout point et dans tous les cas à la loi civile, s'il se considère et agit comme un véritable fonctionnaire, il y a un assujettissement de la religion à l'État. Si, comme il arrive plus souvent, le prêtre réclame son indépendance et refuse d'obéir à toute autre loi qu'aux inspirations de sa conscience, surviennent d'inévitables conflits. Il n'y a donc aucun intérêt à confier ainsi une compétence réellement civile à un corps constitué qui ne relève pas de l'État et sur lequel il ne peut agir sans abus.

Il faut ainsi choisir entre le système du mariage purement consen sue et le mariage civil. Si, comme on le pense universellement en Europe, l'État qui consacre les effets du mariage, ne peut se dispense r de le réglementer, d'en déterminer les conditions et les formalités, on doit reconnaître qu'il est invinciblement amené à veiller par ses propres représentants à l'accomplissement des prescriptions qu'il édicte, à constater civilement les unions.

Ce sont là des idées bien des fois exposées et, je crois, actuellement t presque universellement adoptées. Mais elles reçoivent une nouvelle démonstration de l'examen des législations où le mariage religieux subsiste encore.

Cet examen amène à penser que les Églises elles-mêmes sont directement intéressées à la cessation d'un état de choses qui amène une immixtion nécessaire et constante de l'État dans leur domaine et porte une atteinte sérieuse à leur indépendance.

En Prusse et en Allemagne, l'adoption du mariage sera donc, comme chez nous, le résultat nécessaire des progrès législatifs. M. le Président remercie M. Gonse du travail dont il vient de donner lecture. La discussion, s'il y a lieu, est renvoyée à la séance suivante. La séance est levée à onze heures.


STATUTS.

TITRE I.

But de la Société.

I. Une Société est instituée sous le nom de Société de législation comparée.

II. Elle a pour objet l'étude des lois des différents pays et la recherche des moyens pratiques d'améliorer les diverses branches de la législation.

III. Elle nomme des correspondants à l'étranger.

IV. Elle ne vote sur aucune question.

TITRE II.

Organisation de la Société.

V. On ne peut faire partie de la Société qu'après avoir été admis par le Conseil, sur la présentation d'un Sociétaire. VI. Les membres résidant à Paris payent une cotisation annuelle de 20 francs.

Cette cotisation est de 10 francs pour les membres résidant en province.

VII. Le Conseil se compose

1° D'un Président élu pour deux ans;

2° De quatre Vice-Présidents et de douze Membres, au moins, élus pour quatre ans

3° D'un Secrétaire général, de quatre Secrétaires et d'un Trésorier nommés chaque année par les autres Membres du Conseil.


VIII. Les élections se font au scrutin secret et à la majorité des Membres présents. Au deuxième tour, la majorité relative suffira.

IX. Les Vice-Présidents et les Conseillers sont renouvelés chaque année par quart, à tour de rôle. Le sort désignera, les premières années, le Vice-Président et les Conseillers qui devront sortir.

X. Aucun des Membres du Conseil, à l'exception du Secrétaire général, des Secrétaires et du Trésorier, ne sera immédiatement rééligible.

Toutefois, le Président pourra être pris parmi les Membres du Conseil ou parmi les Membres sortants.

XI. Le Conseil est chargé de la direction des travaux qui entrent dans le plan de la Société, ainsi que de l'administration des fonds.

XII. Il ordonne et surveille les publications.

XIII. Il nomme toutes les commissions, sans préjudice du droit que se réserve la Société d'instituer elle-même des comités d'étude ou d'enquête sur une question déterminée.

XIV. Les séances de la Société ont lieu au moins tous les mois.

XV. Toutes les communications doivent être adressées au Secrétaire général, au siège de la Société.

Toute la correspondance doit être signée ou visée par le Secrétaire général ou l'un des Secrétaires, délégué à cet effet. XVI. Le Trésorier n'acquitte aucune dépense, si elle n'a été préalablement autorisée par le Conseil et ordonnancée par le Secrétaire général.

XVII. A la fin de l'année, le Trésorier présente son compte au Conseil qui, après l'avoir vérifié, le soumet à la Société, pour être arrêté et approuvé par elle.


LISTE DES MEMBRES

DE LA SOCIÉTÉ

DE LÉGISLATION COMPARÉE.

Accarias, agrégé à la Faculté de droit de Paris, 97, rue des Feuillantines. AiGoirr, percepteur, à Grenelle-Paris.

ALAUZET, juge au tribunal, 22, place du square des Batignolles. ALEXANDRE, président à la Cour d'appel de Paris, Wt, boulev. Haussmann. Allain-Targé, membre du Conseil municipal, 9, rue de Verneuil. Allod, avocat, 6, rue du Mont-Thabor.

Ameline, avocat, 89, rue de Grenelle-Saint-Germain.

AMIABLE, avocat, à Constantinople (Turquie).

AMIAUD, notaire, à Vars (Charente).

ANDRAL, avocat, 101, rue Saint-Lazare.

ARAGO, avocat et député, 7, rue Pasquier.

ARBELET, avocat à la Cour de cassation, 5, rue du Pré-aux-Clercs. ARNAL, avocat à la Cour de cassation, 66, rue Saint-Lazare. ARRIGHI, avocat, 43, rue de Richelieu.

AssER, avocat, à Amsterdam (Pays-Bas).

AUBRON, industriel, 30, rue Notre-Dame-des-Victoires.

Aucoc, conseiller d'État, 51, rue Sainte-Anne.

Badon-Pascal, directeur du Journal des Assurances, 5, rue de Grétry. BALAGNY, ancien maire de Batignolles, à Melun (Seine-et-Oise). BALCH (Thomas), counsel at law près la Cour dq Washington, chez M. Hottinguer, 38, rue de Provence.

BALLOT, avocat, 11, rue Saint-Arnaud.

Barboux, avocat, 12, quai de Gèvres.

Barbodx (Louis), syndic de faillites, 20, rue de Savoie.

BARDAUT, avocat, à Constantinople (Turquie).

BATBIE, député, professeur à la Faculté de droit, 20, rue Jacob BECKER, avocat, 81, rue Notre-Dame-des-Champs.

Bellomatre (Michel de), avocat, 32, rue Montparnasse.

BELON, avoué, Ù5, rue de Luxembourg.

BERARD desGlatedx, substitut au tribunal, 24, rue de Varennes. BERNARD DE Feissal, avocat, 82, rue d'Amsterdam.

BERNET-ROLLANDE, substitut du procureur de la République, à Saint-Flour


BERTAULD, député, professeur à la Faculté de droit de Caen, 4, rue Maurepas (Versailles).

BERTRAND (Ern.), conseiller à la Cour de Paris, 52, rue Saint-André-desArts.

BERTRAND (Edm.), juge suppléant, 52, rue Saint-André-des-Arts. BESLAY, avocat, 6, rue de Seine.

Bétoland, avocat, 33, rue de Verneuil.

BEUDANT, professeur a la Faculté de droit, membre du Conseil municipal, 33, rue du Cherche-Midi.

BIDOIRE, avocat au Conseil d'État, fi bis, rue Boissy-d'Anglas. Bihoche, avocat, 23, rue Hauteville.

BODAERT, avocat, 19, rue Gay-Lussac.

BOIRON, ancien notaire, 1, place Vintimille.

Boislisle (DE), chef de bureau au ministère de l'intérieur, 30, rue Vanneau. BOISSONNADE, agrégé à la Faculté de droit, 28, rue Gay-Lussac. Bordeaux, 70, rue du Bac.

Bodcher, maître de forges, à Fumay (Ardennes).

BOUCHEZ, substitut, 15, rue du Mont-Thabor.

BOULANGER (Rom.), avocat, 49, rue d'Hauteville.

Boulay DE LA Meurthe, ancien auditeur auConseil d'État, 10, ruedeCondé. BRAINE, notaire, à Arras (Pas-de-Calais).

BRAUN, maître des requêtes, 71, rue Miromesnil.

Brière -Valigny président de chambre à la Cour d'appel de Paris, 8, rue de l'Université.

BRIERRE DE Boismokt, docteur en médecine, 303, rue du Faubourg-SaintAntoine.

BROGLIE (Victor de), secrétaire de l'ambassade à Londres, 10, rue Solférino. BRUGNON, avocat à la Cour de cassation, 14, rue Saint-Florentin. BUFNOIR, professeur à la Faculté de droit, 1, quai d'Orsay. Bumiva, professeur à l'Université de Turin, 20, via San Chiara. CADOT, juge suppléant, à Peronne.

Caen (Léon), avocat, 22, rue Saint-Marc.

CALARY, avocat, 7, rue Perronet.

Camescasse, conseiller à la Cour de cassation, 94, rue de la Victoire. CAMESCASSE, préfet à Blois.

Campenon, substitut au tribunal, 5, rue Scribe.

Carnazza-Puglizi, professeur de droit commercial, à Catane (Italie). CARRÉ (Eugène), avocat, 150, rue de Rivoli.

CARTIER, avocat, 11 bis, rue du Cirque.

CARTIER, juge suppléant, 132, rue de Rivoli.

CAssiN, agrégé à la Faculté de droit de Paris, 69, rue des Feuillantines. Cadwès, agrégé à la Faculté de droit de Nancy (Meurthe).

CAZOT, député, 6, rue des Beaux-Arts.

Caze (Edmond), avocat, 4, avenue du Coq.

CHABROL (DE), député du Puy-de-Dôme, 44, rue de la Pompe (Versailles), Champetieh DE Ribes, avocat, 4, rue de Louvois.

Chauffard, juge, à Alby (Tarn).

CHENAL, avocat, 19, rue d'Antin.

Choppiw, préfet à Beauvais.

Clamageran, avocat, 57, avenue Joséphine.


COFFINHAL-LAPRADE, substitut, à Tours.

Cohn, avoué, 33, rue Neuve-Saint-Augustin.

COLERIDGE (sir John), attorney général, Londres.

COLFAVRU, avocat, 53, rue des Grands-Augustins.

COLIN DE VERDIÈRE, avocat, 6, rue de l'Abbaye.

Colmet-Daage, doyen de la Faculté de droit de Paris, à l'École de droit, 2, rue Soufflot.

COLMET DE SANTERRE, professeur à la Faculté de droit de Paris, 48, boulevard Saint-Michel.

CONSTANS, agrégé à la Faculté de droit de Douai (Nord).

COTELLE, ancien professeur de droit administratif à l'École des ponts et chaussées, 86, rue du Bac.

COTILLON, libraire-éditeur, 24, rue Soufflot.

COTTU, à la Touche par Azay-le-Rideau (Indre-et-LoireK

COULON, avocat, 28, rue Pigalle.

Coureadd, doyen de la Faculté de droit de Bordeaux.

COUTEAU, avocat, 16, rue de Grammont.

CRESSON, avocat, 41, rue du Sentier.

DACRAIGNE, avocat, 12, rue d'Anjou-Saint-Honoré.

Daigozon, juge au tribunal de Châteauroux (Indre).

DALLY, docteur en médecine, 52, avenue de Neuilly.

DAVID, avocat, 62, rue des Saints-Pères.

DEBACQ, avocat, 10, boulevard Denain.

Debrou, avocat, 20, rue Jacob.

DE Bigault DE GRANRUT, avocat, 3, rue du Renard-Saint-Merry. Decrais, préfet, à Tours.

Delacodrtie, avocat, 1, rue d'Hauteville,

DELALOGE, agréé au tribunal de commerce, 42, rue des Jeûneurs. DELPIRE (Félix), avocat, 9, rue Poultier.

Dé"lsol, député, 33, quai Voltaire.

DELPOUVE, avoué, 43, rue Taitbout.

Demaison, 34, rue de l'Université.

DEMANGEAT, conseiller à la Cour de cassation, 90, rue d'Assas. Demante, professeur à la Faculté de droit, 91, rue des Feuillantines. DÉMAREST, avocat, 78, boulevard Saint-Germain.

DEMETZ, conseiller honoraire à la Cour de Paris, directeur de 1a Colonie de Mettray, 52, rue de la Victoire.

DEMOLOMBE, doyen de la Faculté de droit de Caen (Calvados). Demonbyne, avocat, 21, rue de Seine.

DEMONGEOT, auditeur au Conseil d'État, 73, boulevard Haussmann. DEROISIN, 20, rue de la Chancellerie, à Versailles (Seine-et-Oise). DESJARDINS, agrégé à la Faculté de droit de Paris, député, 30, rue de Condé. DESJARDINS (Arthur), premier avocat général, à Aix (Eouches-du-Rhône). DESMAREST, avocat, 5, rue Scribe.

Despatys, substitut du procureur de la République, à Reims. Devellk, avocat, 22, rue de Fleurus.

Devin (Léon), avocat, 3a, rue du Faubourg-Poissonnière.

Devin (Georges), étudiant en droit, 12, rue de l'Échiquier. Dherbelût, substitut au tribunal, 4, rue de Tournon.


Diard, secrétaire général, à Versailles.

Dietirle, ancien directeur de la manufacture de Sèvres, 2, rue Cretet. DIETZ, avocat, 103, rue Neuve-des-Mathurins.

Eigard, avocat, 97, rue Neuve-des-Petits-Champs.

Dormand, substitut, à Privas.

DOUTRE, avocat et professeur de droit, à Montréal (Canada). Ddbarle, avocat, 9, boulevard Saint-Michel.

Dubois, professeur de droit à la Faculté de droit de Nancy (Meurthe). Ddbois, substitut, 2, rue Moncey.

Dubost (John), 22, rue de la Banque.

Du Buit, avocat, 94, rue de la Victoire.

Duchatel (le comte) 69, rue de Varennes.

DUFAURE, ministre de la justice, à Versailles.

DUFOUR, avocat, 10, place de la Bourse.

Dupont (Ernest), substitut du procureur de la République, à Lille (Nord). Ddval (Ferd.), préfet, à Bordeaux.

DUVERGER, professeur à la Faculté de droit de Paris, 2, rue Soufflot. Dbvergier DE Hauranne (Ernest), député, 5, rue de Tivoli. Dovergier DE Hadrannb (Emmanuel), conseiller général, 5, rue de Tivoli. DUVERT, 41, rue des Martyrs.

D'EICHTAL (Eugène), 100, rue Neuve-des-Mathurins.

Ellero (Pietro), professeur à l'Université de Bologne (Italie). ERRERA (Alberto), économiste, à Florence (Italie).

Fano (Enrico), député à Venise (Italie).

FERRY (Jules), avocat et député, 372, rue Saint-Honoré.

FIELD (Cyrus), ingénieur à New-York (États-Unis d'Amérique). FIELD (Dudley), avocat à New-York (États-Unis d'Amérique). FILIPPIS, avocat à Naples (Italie).

FOLLEVILLE (DE), agrégé à la Faculté de droit de Douai (Nord). FONTAINE (Henri), avocat, 7, rue Laffitte.

FossE, avocat à la Cour de cassation, 33, quai Voltaire.

FOULD, ancien auditeur au Conseil d'État, 43, rue du Faubourg-St-Honoré. Franck-Chauveau, avocat, 14, place Vendôme.

FRANQUEVILLE (DE), au château de la Muette, à Passy.

FROMAGEOT, avocat, 19, rue de Douai.

FRUNEAU, sous-préfet aux Sables-d'Olonne.

GAMBETTA, avocat et député, 12, rue Montaigne.

Garbodleau, directeur de la Revue des Cours, à Montpellier. GARNIER (Joseph), professeur d'économie politique à l'École des ponts et chaussées, 6, avenue Trudaine.

GARSONNET, agrégé à la Faculté de droit de Paris, 73, boulevard SaintMichel.

GÉRARDIN, agrégé à la Faculté de droit de Paris, 27, rue Madame. Germihy (DE), avocat, 32, rue du Bac.

GIDE, professeur à la Faculté de droit de Paris, 19, rue Médicis. GIGOT, préfet, à Orléans.

Glasson, agrégé à la Faculté de droit de Paris, 5, impasse Royer-Collard. Godard, avocat, 26, rue de Fleurus.


Godim (Jules), avocat à la Cour de cassation, 70, rue de Rennes. GODIN (Paul), avocat, 15, rue d'Assas.

Gosse, avocat à la Cour de cassation, 107, rue de Grenelle-Saint-Germain. Gosset, avocat, 29, rue de Condé.

Goulard (DE), ministre du commerce, à Versailles.

Graux (Georges), avocat, 29, rue Caumartin.

GRAVX (Charles), avocat à la Cour royale de Bruxelles, 36, rue Montoyer. GREFFIER, conseiller à la Cour de cassation, 24, rue de Milan. Grévy, président de l'Assemblée nationale, à Versailles.

GRIOLET, avocat, 12, rue de Ponthieu.

GROUALLE, avocat, 8, rue du Mont-Thabor.

Guizot (Gaill.), professeur suppléant au Collége de France, 53, boulevar Malesherbes.

Gdyho, avocat à la Cour de cassation, 44, rue des Écoles.

HALL (Ch. Kennerley), 4, rue de Choiseul.

HAREL (Albert), procureur de la République, 2, rue Maurepas, à Versailles. Haussonville (d'), député, 109, rue Saint-Dominique.

Hautbehg, substitut, 14, rue du Cygne.

HAVARD, négociant, boulevard de Penthièvre, 7 bis, à Sceaux (Seine). HÉBERT (Emile), docteur en droit, 14, place Vendôme.

Helbronner, avocat, 5, rue d'Aumale.

HÉLIE (Faustin), conseiller à la Cour de cassation, 13, rue Singer, Passy. Hélt D'OISSEL, maire de Poissy.

HENDLÉ, préfet à Guéret

HENRY, avocat, 18, rue de Verneuil.

Hérisson, avocat à la Cour de cassation, 34, rue Madame.

Hërold, conseiller d'État, 5, rue Godot-Mauroy.

HOECHTER, avocat, 52, rue Hauteville.

HOLDER, 15, Rothethumstrasse, à Vienne (Autriche).

Horteloup (E.), avocat à la Cour de cassation, 3, rue d'Aumale. Houette (Auguste), 75, rue de Miromesnil.

Houette, membre de la chambre de commerce de Paris, 25, rue de Berri. HOUETTE (Charles), avocat, 75, rue de Miromesnil.

Hubert-Valleroux, avocat, 27, rue Madame.

Huc, professeur à la Faculté de droit de Toulouse (Haute-Garonne). HUMBERT, député, professeur à la Faculté de droit de Toulouse (HauteGaronne). ).

JALABERT, doyen de la Faculté de droit de Nancy (Meurthe). JALASSON, 23, rue Jacob.

Jay, avocat, 12, rue de Seine.

JoiN-LAMBERT, conseiller général, 13, rue Cambacérès.

JONES, avocat, 74, rue Saint-Lazare.

Joret-Descloziêres, avocat, 2, rue Thénard.

Jovart, avocat, 71, rue Blanche.

JozoN, député, avocat à la Cour de cassation, 28, rue Jacob. JozoN (Albert), notaire, à Meulan.

JozoN (Marcel), ingénieur des ponts et chaussées, à Château-Thierry. KLUBIEN, avocat à la Cour suprême, à Copenhague (Danemark).


LABBÉ, professeur à la Faculté de droit de Paris, 9 bis, boulevard Montparnasse.

Labbé (Paul), avocat, 15, rue de Choiseul.

LABORDÈRE, avocat àla Cour de cassation, 17, place de l'École-de-Médecine. LABOULAYE, député, membre de l'Institut, 34, rue Taitbout. LABOULAYE (René), attaché au ministère des finances, 34, rue Taitbout. LABOULAYE (Paul), sous-chef de cabinet au ministère des affaires étrangères, avenue des Champs-Elysées.

Labrouste, substitut du procureur de la République, à Nogent-sur-Seine (Aube).

LACAN, avocat, 10, rue Thérèse.

Lacan (Gustave), avocat, 3, rue de Grammont.

Lacomme, avocat, 3, rue des Écoles.

Laferrière, maître des requêtes au Conseil d'État, 5, rue Neuve-SaintAugustin.

Lahovart, président de Chambre au tribunal de Bucharest (Roumanie). Laizer (le marquis de), sous-préfet, à Châlons-sur-Saône.

Lambert (Léon), avocat, 162, rue de Rivoli.

LAMÉ-FLEURY, conseiller d'État, 62, rue de Verneuil.

Landmen, avocat, 9, rue de l'Équateur, à Bruxelles (Belgique). LANGLOIS, ancien auditeur au Conseil d'État, il, rue des Beaux-Arts. LARDY, premier secrétaire d'ambassade à la légation suisse, 13 bis, rue d'Aumale.

LARNAc, avocat à la Cour de cassation, 8, rue du Cirque.

LA VAL, substitut, 2, rue Châteaudun.

LASSERRE, avocat, à Genève.

LAYRE (le baron de), ancien magistrat, 25, rue Abbatucci. Lawrence, ancien ministre des États-Unis, Newport, Rhode-Island (ÉtatsUnis).

LE CHEVALLIER (G.), avocat, 7, rue de Valois.

LECOQ, agrégé à la Faculté de droit de Douai (Nord).

LEDESMA (de) Y PALACIOS, à Saragosse.

LEFÉBURE, député, 25, boulevard Malesherbes.

LEFEBVRE DE VIEFVILLE (Paul), substitut, 51, rue Taitbout. LEFÈVRE, avocat, 24, rue du Mont-Thabor.

LEFÈVRE-PONTALIS (Antonin), député, 37, rue Neuve-des-Mathurins. Lefebvre-Pontams (Amédée), député, 37, rue Neuve-des-Mathurins. Lefoht, avocat, 87, rue Neuve-des-Petits-Champs.

LEFRANC (Edmond), chef de cabinet au ministère de l'intérieur, 47, rue de la Chaussée-d'Antin.

LEFRANC (Victor), ministre de l'intérieur, à Versailles.

LEGRAND (Ernest), 34, rue de l'Échiquier.

LEGRAND DU SAULLE, médecin de Bicêtre, 9, boulevard Saint-Michel. LEHMANN, avocat à Ja Cour de cassation, 55, rue des Petites- Écuries. LEJOINDRE, avocat, 11, rue Neuve-Saint-Augustin.

LE MAHOUT, avocat, 51 bis, rue Sainte-Anne.

LENOEL, député, 370, rue Saint-Honoré.

LEPOT, substitut, aux Andelys.

LEROï-BjeAULiEO (Paul), 27, avenue du Général -Uhrich.

LEROY DE LA Brière, sous-préfet, à Gien.

LESAGE (Paul), av-iwat la Cour ide cassation, 15, rue Godot de Mauroy.


LESOURT, avocat, 20, rue Jacob.

Lesdr, avocat à la Cour de cassation, 7, place de la Madeleine. Leveillé, agrégé à la Faculté de droit de Paris, 55, rue du Cherche-Midi. LEVEN, avocat, 45, rue de Trévise.

Levillain, agrégé à la Faculté de droit de Douai (Nord).

LEVITA, avocat des Ambassades allemandes, 32, rue Blanche. LIEBER, professeur et avocat à New-York (États-Unis d'Amérique). LIÉGEOIS, agrégé à la Faculté de droit de Nancy (Meurthe).

LIODVILLE (Albert), avocat, 15, rue des Moulins.

LOMBARD, professeur à la Faculté de droit de Nancy (Meurthe). LOROIS, préfet, à Carcassonne.

LORTAT-JACOB, avoué, 60, rue Richelieu.

Lunier, inspecteur général des établissements d'aliénés, 52, rue Jacob. LUZZATI (Luigi), professeur de droit constitutionnel, à Padoue (ftalie). LYON-CAEN (Ch.), agrégé à la Faculté de droit de Nancy (Meurthe}. Machelard, professeur à la Faculté de droit, 87, rue du Bac. MANUEL, substitut du procureur général, 7, rue Pasquier.

Marais, avocat, à Rouen (Seine-Inférieure).

Magne, avocat du barreau de la Nouvelle-Orléans, 8, rue de Douai. Marbead, maltre des requêtes, 47, rue Joubert.

MARCHAND (II.), avocat, 2i, rue de la Chancellerie, à Versailles. Martin (Albert), avocat, 9, rue Duphot.

Martin (Philéas), avocat, 56, boulevard Saint-Michel.

MARTIN (Tomy), avocat, 2, rue des Beaux-Arts.

MARTINET, procureur de la République, à Tonnerre.,

MASSÉ, conseiller à la Cour de cassation, 19, boulevard Malesherbes. MASSE, avocat, 13, rue du Conservatoire.

Masson, à Marseille-le-Petit (Oise).

Madrih, avocat, à Nîmes.

MAZEAU, député, avocat à la Cour de cassation, 90, boulevard St-Germain. MEERSCH (VAN DER), avocat, 39, boulevard de l'Observatoire, à Bruxelles (Belgique).

MEUNESSON, avocat, 19, rue de l'Odéon.

MERMILLIOD (Georges), 19, rue Meslay.

METTETAL, juge suppléant, 42, rue de Luxembourg.

MICHAUD, professeur de droit, 11 Neuchatel.

Michel, avoué, 7, rue Cadet.

MICHOT, notaire, à Sceaux. w

Milliart, avocat, 54, rue Saint-Georges.

MIMEREL, avocat à la Cour de cassation, 52, rue Saint-André-des-Arts. Mir, avocat, 38, rue de l'Université.

Monod, avocat à la Cour de cassation, 19, rue d'Aumale.

MONOD, secrétaire général, à Grenoble.

MOREAU, avocat, 5, rue des Pyramides.

MORILLOT, avocat, 13, rue de la Banque.

MOTET, docteur en médecine, 161, rue de Charonne.

Moulin (Ernest), avocat, 2, rue Saint-Martin.

Molisr, avocat, 56, rue de Londres.

MURE, secrétaire d'ambassade, 17, rue Caumartin.


NERVO (Robert DE), 99, boulevard Malhesherbes.

Nicolet, avocat, 19, rue de la ViUe-1'Évêque.

NISARD, attaché au ministère des affaires étrangères, 89, boul. Haussmann. NIVARD, avocat à la Cour de cassation, 19, rue Auber.

Nusse (Ernest), 19, quai Saint-Michel.

Olivecrona (D'), membre de la Cour suprême, à Stockholm (Suède). Pages, substitut au tribunal, 75, rue de l'Université.

PALLAIN, sous-préfet, à Sceaux.

PARENT, député de la Savoie, 13, avenue de Paris, à Versailles. Paeingaclt, ancien magistrat, villa Saïd, 16, avenue de l'impératrice. Pataille, avocat, 3, rue de Chabanais,

PATINOT, chef du cabinet à la préfecture de police, 46, rue de Clichy. PATELLE, secrétaire général, à Nantes.

PANHARD, avocat au Conseil d'État, 1, boulevard Saint-Michel. Peemahs, bourgmestre à Louvain (Belgique).

Pepin-Lïhalleur, directeur de l'Assurance mutuelle immobilière, 5, rue Greffulhe.

PÉRIER, avocat, 7, rue Garancière.

PÉRONNE, avocat, 191, rue Saint-Honoré.

PICARD (Ernest), ambassadeur à Bruxelles, 217, rue Saint-Honoré. PicoT (Georges), juge au tribunal, 54, rue Pigalle.

Pierantoim, professeur de droit, à Naples (Italie).

PILLET-DES- JARDINS, avocat, 5, rue Ventadour.

Piwel, avocat à la Cour de cassation, 34, rue Laflitte.

PINGtET, notaire, 8, rue des Pyramides.

Pioget, juge de paix, 24, rue des Martyrs.

PLOYER, avocat, 18, quai de la Mégisserie.

PONT, conseiller à la Cour de cassation, 108, rue du Bac.

POPOFF (Serge), consul de Russie, au Havre (Seine-Inférieure). PORTALIS, conseiller à la Cour d'appel, 38. rue du Mont-Thabor. POTEL, avocat à la Cour de cassation, 9, rue Madame.

Podgset, avocat à la Cour de cassation, 68, rue de Rennes. Podgy (Arthur), avocat, 42, rue de Grenelle-Saint-Germain. Pouillet, avocat, 10, rue de l'Université.

Prabihes (DE), substitut, 19, place de la Madeleine.

PRECERUTTI, professeur de droit civil, à Turin.

Quétand, avocat, 12, rue Guénégaud.

Rauter, conseiller de préfecture de la Seine, 38, rue de la Harpe. Read (le général), consul général des États-Unis d'Amérique, 55, rue de Chateaudun.

Rebobl (Marcel), avocat, 281, rue Saint-Honoré.

Peitlinger, avocat, 27, rue du Faubourg-Poissonnière.

RÉMOND, avocat, 8, rue de la Tour-des-Dames.

Renacd, agrégé à la Faculté de droit de Dijon (Côte-d'Or). Renault- Morliere, avocat à la Cour de cassation, 71 bis, rue de l'Université.


RENOUARD, procurenr général à la Cour de cassation, k, rue ChauveauLagarde.

REVERCHON, avocat général à la Cour de cassation, 9, rue de Poitiers. Riboi (Alexandre), substitut, 35, rue de Berlin.

Ribot (Paul), adjoint au 8e arrondissement, 37, avenue d'Antin. RICHEMONT (DE), auditeur au Conseil d'État, 44, rue Bellechasse. RIVIER, professeur à l'Université de Bruxelles (Belgique).

Rivière, avocat, 45, rue Neuve-des-Petits-Champs.

Ro^in-Jaeqdemyhs, avocat à Gand (Belgique).

ROTHSCHILD (James dej, 33, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Rodsselier, substitut du procureur général à la Cour de Nîmes (Gard). ROUVILLE (DE), conseiller à la Cour de Nîmes (Gard).

Rouxel (Albert), avocat, 10, quai de la Mégisserie.

SABATIER, avocat à la Cour de cassation, 7, rue du Mont-Thabor. Sablier fils, avocat, 4, boulevard Sébastopol.

SALLE, avocat, 39, boulevard Haussmann.

Saint-Ladmer (DE), auditeur au Conseil d'État, 10, rue Royale. Saint-Marc-Giisardin (Bart.), sous-préfet, à Corbeil.

SANIAL duFay, auditeur au Conseil d'État, 71, rue des Saints-Pères. SAVARY, député, 95, rue Neuve-des-Mathurins.

Savoye, député, 11, avenue Matignon.

SAY, préfet de la Seine.

SAZERAC DE FORGES, ancien auditeur au Conseil d'État, secrétaire général de la préfecture du Nord » Schopfer (Francesco), professeur à l'Université de Padoue (Italie). Semneville (DE), auditeur à la Cour des comptes, 8, rue de l'Université. Serafini (Filippo), professeur à l'Université de Bologne (Italie). Sicoiière (DE LA), député de l'Orne, 20, avenue de Paris, à Versailles. Simon (Jules), ministre de l'instruction publique.

Sirey (S.), avocat, 25, rue Humboldt.

SPECIALE Costarelli (Martino), avocat, membre du Parlement italien, à Catane (Italie).

STERN (Alb .), ), avocat à Vienne (Autriche).

TAMBOUR, avocat, 1, boulevard Saint-Michel.

TANON, substitut, 46, rue de Verneuil.

Tenaille-Saligny, préfet, à la Rochelle.

THEODOSIADES (Miltiades), docteur en droit de France, secrétaire général du ministère de la justice en Roumanie, à Bucharest.

Thézakd (Léopold), agrégé à la Faculté de droit de Poitiers (Vienne). Toiiasiki, avocat, à Padoue (lialie).

Toussaint, avocat, 19, rue Godot-de-Mauroy.

TROUILLEBERT, avocat, 6, rue des Pyramides.

TURGIS, avocat, 36, rue de la Harpe.

TURQUET, député, 50, rue Sainte-Anne.

Valabrècce, avocat, 5, rue Casimir-Delavigne.

VALETTE, professeur à la Faculté de droit de Paris, 2, rue Soufflot. VALLÉE (Oscar DE), ancien conseiller d'État, 12, rue Vezelay.


Vainberg, docteur en droit, 52, rue Saint-Georges.

VANEY, substitut du procureur général, IU, rue Duphot.

VARIN, avocat, 7, boulevard Malesherbes.

Vasson (Paulin DE), substitut du procureur de la République, à Châteauroux (Indre).

VAUX d'Achy (DE), substitut.

Vavassedr, avocat, 10, rue du Caire.

VIDARI (Ercole), professeur à l'Université de Pavie (Italie). Vielcastel (le comte DE), secrétaire d'ambassade, 44, rue de Ponthieu. VILLARD, secrétaire général de V American social science associalion, 13, Pemberton square, Boston. Massachusetts (Amérique).

Virgilio (Jacopo), professeur d'économie politique à Gênes (Italie). WEBER, avocat, 65, rue Neuve-Saint-Augustin.

Westlake, barrister at Law, 2, new Square, Lincoln's inn, à Londres. Wolowsei, député, membre de l'Institut, 45, rue de Clichy. 856.– Paris. Imprimerie Cusset «t C', 16, me Racine.


Le Secrétaire général prie instamment les membres, qui ont l'intention de prendre une part active aux travaux de la Société, de vouloir bien se rendre au siège de la Société, 64, rue Neuvedes-Petits-Champs, où ils seront reçus tous les vendredis, de trois heures à cinq heures.

SECRÉTARIAT GÉNÉRAL.


EXTRAIT DES STATUTS.

1. Une Société est instituée sous le nom de Société de législation comparée.

Il. Elle a pour objet l'étude des lois des différents pays et la recherche des moyens pratiques d'améliorer les diverses branches de législation.

III. Elle nomme des correspondants à l'étranger.

IV. Elle ne vote sur aucune question.

V. On ne peut faire partie de la Société qu'après avoir été admis par le Conseil, sur la présentation d'un Sociétaire.

VI. Les membres résidant à Paris payent une cotisation annuelle de 20 francs.

Cette cotisation est de 10 francs pour les membres résidant en province.

XIV. Les séances de la Société ont lieu au moins tous les mois. CONSEIL DE DIRECTION POUR L'ANNÉE 1872.

Président

M. Renouard, membre de l'Institut, procureur général à la Cour de cassation.

Vice-Présidents

MM. ALLOU, avocat à la Cour d'appel, ancien bâtonnier de l'Ordre. REVERCHON, avocat général à la Cour de cassation.

GREFFIER, conseiller, à la Cour de cassation.

Aucoc, conseiller d'État.

Membres du Conseil

MM. BALLOT, avocat à la Cour d'appel.

Batbie, professeur à la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

Barboux, avocat à la Cour d'appel.

BERTRAND (Ernest), conseiller à la Cour d'appel.

Bufnoir, professeur à la Faculté de droit.

Desjardins (Albert), agrégé à la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

GARNIER (Joseph), secrétaire général de la Société d'Economie politique.

Gide, professeur à la Faculté de droit.

Grolalle, ancien président de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation.

Hélie (Faustin), membre de l'Institut, conseiller à la Cour de casa. IIérold, conseiller d'État.

Jozon, avocat à la Cour de cassation, membre de l'Assemblée nationale.

Lamé-Fleury, conseiller d'État.

LUNIER, inspecteur général des établissements d'aliénés. PICOT (Georges), juge au tribunal de la Seine.

VALLÉE(Oscar de), anc. conseiller d'Etat, avocat a la Cour d'appel. Secrétaire Général.

M. Ribot (Alexandre), substitut au tribunal de la Seine. 856 Paris. Imprimerie Cusset et C", 16, roi Racine.


La prochaine séance aura lieu le Mercredi 15 mai. Voir au verso la convocation.

( BULLETIN

LÉGISLATION COMPAREE TROISIÈME ANNÉE.

Séance du 15 avril 1612 141

Analyse par M. Lehsiann d'un projet de loi sur le

jury en Italie 145

Compte rendu par M. Démabest des derniers tra-

vaux législatifs en Allemagne 150

Étude par M. Hubert- Valleroux sur la législation

relative aux Trades Unions 161

Procès-verbaux de 1e Commission chargée d'étu-

dier la législation relative aux aliénés l

Tout ce qui concerne la publication du Bulletin

doit être adressé àJIII. Cotillon et flls, Libraires du Conseil d'État, 34, rue Soufflot.

Toutes les autres communications seront adressées au Secrétaire général de la Société, B4, rue Ille ~B'EL)07HEQUE/

?~ PRÊT

f~

DE LA SOCIÉTÉ

DE

IW° S.– Avril 18Ï».

SOMMAIRE. Pages.

PARIS


CONVOCATION.

La prochaine Séance de la Société de Législation comparée aura lieu le Mercredi 15 mai 1872 à 8 heures 1/4 du soir, au Cercle des Sociétés savantes, rue Neuve-des-PetitsChamps, sous la présidence de M. RENOUARD.

ORDRE DU JOUR

1° Discussion, s'il y a lieu, sur le travail de M. Hubert-Valleroux concernant la législation anglaise relative auxTrades Unions. 2° Notice par M. BUFNOIR, professeur à la Faculté de droit, sur le Congrès des jurisconsultes allemands en 1871.

3° Exposé par M. DEBACQ, avocat à la Cour d'appel, des changements récemment introduits dans l'organisation judiciaire en Espagne.

Étude de législation comparée par M. Guyno, avocat à la Cour de cassation, sur l'organisation et les attributions d'une deuxième Chambre législative.

5" Communication par M. Henri BARBOUX, avocat à la Cour d'appel, sur le Code de procédure civile du Canada et notamment sur le jury en matière civile.


IV S. AtpII 4 83*.

BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE IMSL1TI0I ClIFllll ––––––––.––~–MM-«–'–––––––––––

SÉANCE DU 15 AVRIL 1872.

La séance est ouverte à huit heures et demie, sous la présidenc de M. Aucoc, vice-président.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. RENOUARD, président et M. Reverchon, vice-président, se sont excusés par lettre de ne pouvoir assister à la séance. M. le Président fait connaître la liste des membres nouvellement admis par le Conseil de direction, dont les noms suivent MM. CUERAMY, avoué au tribunal de la Seine.

Merrill, avocat à la Cour suprême de New-York.

Blin DE Varlemont, auditeur au Conseil d'État.

MONTOUSSÉ, avocat à la Cour d'appel.

WINTGENS, député aux États -Généraux, ancien ministre de la justice des Pays-Bas.

M. le Président félicite M. Wintgens, présent à la séance, et exprime la satisfaction qu'a éprouvée le Conseil de Direction de pouvoir inscrire sur les listes de la Société le nom d'un jurisconsulte aussi distingué.

M. Wimtcens remercie la Société de l'avoir admis dans son sein. Il apprécie l'importance de ses travaux et pense qu'il y pourra prendre une part utile. Les études de législation comparée ne lui sont pas étrangères il a publié autrefois une traduction du Code de commerce


hollandais; ce Code présente un intérêt sérieux, surtout au point de vue du droit maritime, Il a paru dans la collection des Lois civiles et criminelles des États modernes, publié par M. Victor Foucher. Plus tard, en 1868, lorsqu'il était ministre de Injustice, ayant appris que l'on préparait en France une révision de la procédure civile, il a communiqué à M. Charles Baudin, alors notre ministre à la Haye, les travaux législatifs entrepris en Hollan le sur le même sujet dans l'espoir de recevoir en retour communication du projet français soumis alors à l'examen du Conseil d'État. L'exposé des motifs du projet hollandais contenait notamment une comparaison des essais faits dans ce but en France, en Hollande et en Allemagne.

M. Wintgens exprime l'espoir que les études de législation comparée pourront conduire les peuples à une réglementation uniforme, au moyen de traités internationaux, de divers points de législation qui les intéressent tous également. Telle est par exemple la propriété littéraire; la France gagneraitbeaucoup à rétablissement pour cet objet de règles communes les droits de ses nationaux à cet égard ne sont garantis qu'indirectement par les traités de commerce, dont la dénonciation laisserait, du moins en Hollande, le champ libre à toutes les contrefaçons, la convention sur la propriété littéraire étant censée dénoncée quand le traité de commerce aura é!é dénoncé.

On pourrait citer, au même point de vue, l'exécution des jugements étrangers, les commissions rogatoires, et surtout les droits de change, la législation sur les avaries, les assurances, en général toutes les règles de droit maritime qui devraient avoir un caractère international. Dans cette voie, M. Wintgens est prêt à s'associer aux etlorts de la Société. Peut-être une petite nation, prospère et commerçante telle que la Hollande, serait-elle bien placée pour servir de lien, de trait d'union entre les grandes puissances, et les amener à une entente commune où tous les peuples trouveraient un égal profit. M. le Président remercie M. Wintgens des sentiments et des idées qu'il vient d'exprimer. La Société de législation comparée aspire à devenir une école mutuelle ouverte aux jurisconsultes de tous les pays. La France a beaucoup de profit à tirer de ses communications avec l'étranger; elle pense que les autres nations trouveraient aussi quelque enseignement utile à puiser chez elle. L'exemple d'hommes qui occupent dans leur pays une haute position favorise les efforts communs. A cet égard la Société se félicite du concours que M. Wiutgens veut bien lui apporter. La Hollande a une belle histoire; elle a fait preuve de qualités natio-


nales (lue la France doit lui envier en ce moment, la patience et la persévérance. C'est par cette noble émulation que les peuples fortifient et fécondent leur union.

M. RIBOT offre à la Société, au nom de M. Eugène d'Eichthal. deux études récemment publiées dans la Revue des Deux-Mondes, sous ces titres les Grèves et les Conseils d'arbitrage en Angleterre; -les Coalitions de patrons et d ouvriers.

Ces études, dit M. Ribot, sont remplies de faits intéressants l'auteur connait à fond tout ce qui se rattache à son sujet. Après avoir indiqué les efforts tentés en Angleterre pour prévenir ou pacifier les conflits enli'e patrons et ouvriers, M. d'Eichthal démontre que le remède à une situation reconnue dangereuse doit être cherché ailleurs que dans des mesures de rigueur et de compression.

M. Demonueot dépose sur le bureau un ouvrage offert à la Société par l'auteur, M. Balch, membre correspondant do la Société, et intitulé les Français en Amérique pendant la guerre de {Indépendance.

Ce sont là.'dit M. Demongeot, des souvenirs bien éloignés; mais la Société n'en doit pas moins savoir gré à l'auteur d'avoir choisi l'année la plus malheureuse de notre histoire pour publier dans notre langue un Livre qui est tout à l'honneur de la France. L'auteur insisté spécialement sur la manière dont les généraux entendaient l'application des lois de la guerre dans ces luttes cruelles de la métropole contre les colonies insurgées;' par ce côté, l'ouvrage de M. Balch se rattache à l'objet des études de la Société.

M. Barbocx rend compte en ces termes d'un travail offert à la Société par M. Fiorilli

Un jeune auteur de Naples, M. Carlo Fiorilli, nous a adressé une étude intitulée Del concetlo délia guerra e dei suoi rapporti con le questioni internuzioruUi maritime. M. Fiorilli n'a sans doute pas eu la prétention de dire sur ce sujet des choses nouvelles mais il a son opinion, qui n'est pas, en Italie du moins, celle du plus grand nombre, et qu'il défend avec une vive conviction.

Ce n'est point un idéologue il raille volontiers ceux qui ont rêvé la paix perpétuelle pour lui, la guerre est la guerre, c'est-à-dire un mal nécessaire, et dont après tout beaucoup de bien peut sortir. lt ne s'etfarouche pas trop de ses rigueurs; il observe que les puissances


qui avaient crié le plus haut contre la barbarie des procédés prussiens n'ont pas été les dernières à féliciter le vainqueur de son triomphe. C'est là nue façon de voir assurément très-pratique; etaucun Français ne voudra disputer là-dessus.

L'auteur examine ensuite les usages de la guerre maritime et spécialement la légiinité du droit de prise. On sait que la déclaration du congrès de Paris, du 16 avril 1856, a été le point de départ d'une évolution nouvelle du droit des gens, conventionnel en cette matière. Désormais le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie et la marchandise neutre est respectée, même quand elle voyage sous pavillon ennemi. Encouragés par le succès, les théoriciens ont voulu pousser plus avant leur victoire; ils ont rêvé d'obtenir la reconnaissance de l'inviolabilité absolue de la propriété ennemie sur mer. De 1856 à 1870, la question n'a cessé d'être agitée dans les livres, les brochures, les journaux, les meetings, les parlements. La brochure de M. Fioiilli contient le relevé fort intéressant de tous ces efforts. Ils n'ont pas été tout à fait infructueux; car le Code de la marine marchande d'Italie proclame ce principe dans ses articles 211 et 212, au profit des puissances qui accorderaient la réciprocité, et cette règle a été également posée dans un traité de commerce signé par l'Italie et les États-Unis eu février 1871. On n'a pas oublié non plus qu'au début de la guerre de 1870, la Prusse nous invita à entrer dans cette voie, ce qu'elle savait bien que nous ne pouvions accepter.

M. Fiorilli se déclare l'adversaire de ces tendances et donne les raisons qui établissent à ses yeux la légitimité des prises maritimes. Je crois que, sur ce point encore, il ne sera contredit par personne, ni en France ni en Angleterre. La déclaration du 16 avril 1856 a été signée au moment où les plénipotentiaires allaient se séparer. Elle sortit à la dernière réunion d'un accès d'enthousiasme pacifique auquel s'abandonnèrent les diplomates qui venaient de signer la paix de Paris, et qui étaient parfaitement convaincus d'avoir, par ce traité, assuré pour longtemps le repos de l'Europe si bien que la rédaction en fut improvisée et qu'elle est tout à fait insullisaute pour régler les difficultés qui naissent de l'exercice des droits laissés aux belligérants. Les hommes d'État anglais out à diverses reprises exprimé le regret de l'avoir signée, et dans une séance du 14 juillet 1857, l'amiral Napier disait à lord Palmerston « Le noble lord affirme qu'il ne peut rompre les engage« ments pris au congrès de Paris; il faudra pourtant bien que lui, u ou quelque autre haLile diplomate, trouve moyen de nous tirer de « ce piège. » Pour nous, nous n'avons pas regretté la concession que nous avons faite en 1856 à l'humanité, mais il est clair que nous ne pouvons pas affaiblir davantage nos moyens d'action sur mer; et


M. Fiorilli ne se trompe vraisemblablement pas quana il pense que, si l'Italie était engagée dans une guerre avec une puissance continentale, elle sentirait l'imprudence que ses législateurs ont commise en limitant ainsi d'avance le champ de son action militaire. M. Gonse dépose sur le bureau de la Société deux volumes en langue espagnole et relatifs à la législation récente de l'Espagne. Ces volumes sont offerts à la Société par M. David Prada, secrétaire de l'ambassade d'Espagne à Paris. Le premier est intitulé Leyes provisionales del matrimonio ydel registrocivil yreglemento general para su ejecucion. Il contient fa loi définitive établissant le mariage civil en Espagne conformément au principe général posé en 1868 lors de la révolution cette loi est du 18 juin 1870. Le volume contient encore la loi du 17 juin 1870 organisant les registres de l'état civil, les exposés des motifs qui ont précédé ces lois et les règlements d'exécution qui les ont suivis.

Le second a pour titre Réglementa para plantearel registro de nacionali dad. Le règlement qui y est inséré pour but d'instituerdans les ambassades, les agences diplomatiques et les consulats, des registres de nationa'ité sur lesquels devront se faire inscrire les Espagnols de passage ou résidant dans un pays étranger pour conserver l'exercice plein et entier de tous leurs droits civils et politiques.

M. LEHMANN, avocat ci la Cour de cassation, rend compte en ces termes d'un projet de loi sur le jury en Italie t Notre collègue M. Vidari, professeur à l'Université de Pavie, a eu l'obligeance d'envoyer à la Société un exemplaire du projet de loi sur le jury, qui est actuellement soumis au parlement ilalien. Dans sa séance du 23 juin 1871, la Chambre des députésavait «invité « le garde des sceaux à présenter dans la prochaine session un projet « de loi destiné à apporter à l'organisation du système des jurés les « modifications dont l'pxpérience a révélé la nécessité. » C'est à cette invitation que le gouvernement a déféré par la présentation du travail dont je vais avoir l'honneur de vous rendre compte.

En tête du projet de loi figure un exposé des motifs sur lequel je dois tout d'abord appeler l'attention de la Société. L'auteur y expose les modifications dont la pratique avait depuis plusieurs années fait sentir l'utilité, et son sujet l'amèneà une étude fort intéressante et fort complète des plaintes qui s'étaient produites et des moyens d'y donner satisfaction. Il se livre sur ce point à des recherches de législation com-


parée, discutant à propos de chaque nu M.re les systèmes qui ont été adoptés dans les divers pays de l'Europe. C'est par ce côté international que ce travail mérite surtout de vous être signalé; ce qui m'a particulièrement frappé, non sans une agréable surprise, c'est que c'est la législation française qui a particulièrement attiré les regards du rédacteur de l'exposé des motifs. JI paraît que même en Italie, malgré nos désastres, on trouve qu'il y a encore de bons exemples à chercher f'n France et de bons modèles à imiter.

Je n'insisterai pas, Messieurs, sur ce préambule du projet, qui est une œuvre considérable, digne de toutes nos méditations on y rencontre des vues ingénieuses, d'heureux aperçus, de savantes dissertations, beaucoup de faits, et ce qui en relève le mérite à mes yeux, rien de cette phraséologie banale qui dépare trop souvent les travaux de ce genre.

J'aborde immédiatement le projet de loi.

Dans une série de près de quarante articles, il propose de remplacer par des dispositions nouvelles les articles 84 à 121 du décret du 6 décembre 1865 sur l'organisation judiciaire.

Il s'occupe successivement de la formation de la liste générale du. jury, de lfi liste annuelle, de la liste de session et enfin du jury spécial de chaque affaire.

I. Liste générale.

La loi italienne n'admet pas, comme la loi française actuelle, que la qualité de juré se confonde avec l'éleçtorat politique.

Le suffrage universel n'a pas acquis droit de cité en Italie, et quoiquç le cens électoral soit fort modique (40 livres), il serait regrettable que des personnes aptes à remplir les fonctions du jury en fussent exclues parce qu'elles ne satisfont pas aux conditions censitaires. Au lieu donc de prendre les listes électorales pour base. le projet de loi procède, comme le faisait le Code d'instruction criminelle, par voie de catégories.

Je ne reproduirai pas devant vous, Messieurs, l'énumération des vingt-quatre classes de personnes admises par l'article 8i; en vous reportant à l'article 382 du Code d'instruction criminelle, vous trouverez quelque chose d'analogue. Je me bornerai à vous signaler la treizième classe qui comprend « ceux qui, par des publications scientifiques ou « littéraires ou par d'autres oeuvres de l'esprit, sont réputés capables « d'exercer les fonctions de jurés. » Cet hommage rendu aux travaux intellectuels n'est-il pas une protestation contre la loi électorale qui peut laisser en dehors de la vie politique les auteurs de semblables travaux ? î


Après avoir indiqué les qualités voulues pour figurer sur les listes du jury, le projet, dans l'article 87, arrive aux incapacités. Sous le n° 8, je trouve l'exclusion « des officiers ministériels éloignés ou des« titués de leur emploi, celle des avocats et avoués rayés du tableau « par délibération du conseil de leur ordre. »

L'exposé des motifs signale une lacune de la législation française, qui n'exclut pas du jury les personnes « atteintes de défauts phy« siques ou intellectuels qui les rendent inhabiles à exercer l'office de (c jurés. » Il cite un arrêt de notre Cour de cassation, du 27 frimaire an VII, qui, pour annuler un verdict auquel avait pris part un juré complétement sourd, a dû déclarer que sa présence n'était qu'apparente et que le jury n'avait compris en réalité que onze membres. Pour éviter de pareils subterfuges, le projet de loi vise formellement les infirmités physiques et intellectuelles.

Des causes d'exclusion et des dispenses, le projet passe au mode de formation de la liste générale.

C'est une commission communale à qui ce soin est confié elle comprend (art. 88) le maire, président, le conciliateur, qui représente l'autorité judiciaire, et trois membres du conseil municipal, nommés par le conseil à la majorité absolue des voix. Chaque année, au mois de septembre, elle révise la liste, qui de sa nature est permanente, par la radiation des personnes décédées ou frappées d'incapacité et par l'inscription des noms nouveaux.

Les réclamations contre les inscriptions ou omissions illégales sont soumises au conseil municipal (art. 91), qui les transmet, avec son avis motivé, au sous-préfet.

Une commission composée du sous-préfet, président, et de tous les juges de paix de l'arrondissement, statue (art. 92) sur ces réclamations, révise les listes, et après avoir pris l'avis des conseils municipaux, opère d'office les inscriptions ou les radiations qu'elle juge nécessaires. Elle réunit ensuite toutes les listes partielles et arrête définitivement la liste de l'arrondissement.

Dans les chefs-lieux de provi refs, c'est un consulter de préfecture qui remplace le sons-préfet.

Dans les dix jours de la publication dans chaque commune de la liste ainsi arrêtée(art. 93), tout ci:oy<n peut l'attaquer; le recours .est porté devant la Cour d'appel, qui statue sommairement et d'urgence, sans ministère d'avoi é, sur le rapport d'un conseiller, après avoir entendu le plaignant ou sen fmrfé de pouvoir et le ministère public. On sait que chez nous, aux termes de l'article 8 du décret du 7-12 août 1848, c'est au tribunal ou au conseil de préfecture, suivant les cas, que cette attribution a été déférée.


̃ II. Liste annuelle.

La liste générale est donc arrêtée. Il s'agit d'arriverà laformation de la liste annuelle.

Au chef-lieu de chaque province, une commission composée (art. 95) du préfet, président, du président du tribunal civil et correctionnel, et de trois conseillers généraux, élus chaque année par le conseil général à la majorité absolue des voix, arrête cette liste en procédant par voie d'élimination jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le nombre de jurés attribué à chaque province. Chez nous, au lieu d'éliminer les personnes qui ne doivent pas figurer sur la liste annue lle, la commission, aux termes de l'article 11, désigne nominativement celles qui doivent y être inscrites.

L'article 96 fixe une fois pour toutes le nombr e de jurés attribué à chaque province, d'après le chitTre de la population. L'article 9 du décret de 18i8 accorde un juré par deux cents habitants, en prenant pour base le tableau officiel de la population.

L'article 99 s'occupe de la liste des jurés suppléants, dont il fixe également le nombre d'une façon définitive pour chaque province. Elle se forme également par voie d'élimination sur la liste permanente de la commune où siège la Cour d'assises.

La loi italienne a prévu le cas où les commissions municipales ou les conseils généraux ne feraient pas à l'époque prévue par la loi les diverses opérations dont ils sont charges.. Dans ce cas, c'est le souspréfet avec les juges de paix qui remplit les fonctions confiées à la commission municipale, et le préfet avec le président du tribunal qui remplit celles du conseil général (art. 103).

III. Liste de session.

Nous connaissons ainsi le mode de formation delà liste permanente et de la liste annuelle; nous ne dirons que deux mots de la liste de session.

Le mode employé est à peu près le même que chez nous c'est le président du tribunal du chef-lieu des assises qui procède au tirage au sort (même là où il y a une Cour d'dppel), dix jours avant l'ouverture de la session (art. 105). Il tire, non pas trente-six noms, comme en France, mais seulement trente.

IV. Jury spécial.

11 me tarde d'arriver à la composition du jury spécial de chaque af-


faire. Quoique les formalités soient à peu près les mêmes qu'en France, on rencontre ici quelques particularités qui méritent de nous arrêter. A côté des récusations péremptoires usitées en France, le projet italien propose une innovation importante, celle des récusations motivées. Chez nous, il peut se faire que, le droit de récusation étant déjà épuisé, le jury comprenne des parents ou des ennemis de l'accusé ou de la partie civile, sans qu'il y ait aucun moyen légal de les en faire sortir. Le projet italien propose de remédier à cet inconvénient en permettant à l'accusé ou au ministère public de faire valoir des récusations motivées contre les jurés qui figurent sur la liste de session. Les causes de récusation admises par l'article 11 sont à peu près les mêmes que celles édictées par le Code de procédure contre les membres des tribunaux si un juré est parent ou allié de l'accusé ou de la victime; s'il est dénonciateur du plaignant; s'il a été ou s'il doit être entendu comme témoin, etn., etc. C'est la Cour qui statue, et le recours contre sa décision n'est pas suspensif.

Si par suite de l'admission de plusieurs récusations motivées, le jury est réduit au-dessous de trente membres, titulaires ou suppléants, te président tire au sort d'autres jurés suppléants, appelés à parfaire le nombre légal.

Ce n'est qu'après que la liste est ainsi épurée et complétée qu'on procède au tirage au sort des quatorzejurés de l'affaire. La loi italienne veut que dans toute affaire, quelle qu'en soit l'importance, on tire, outre les noms des douze jurés appelés à statuer, les noms de deux jurés supplémentaires, pour remplacer ceux qui viendraient à être empêchés.

C'est dans le cours de cette .dernière opération que l'accusé et le ministère public peuvent, comme chez nous, faire valoir les récusations péremptoires. Autrefois, l'une et l'autre partie avaient le droit d'en exercer autant qu'il leur convenait, jusqu'à ce qu'il ne restât plus que quatorze noms dans l'urne. L'exposé des motifs fait remarquer que de nombreuses plaintes s'étaient produites, que le droit de récusation du ministère public était devenu à peu près illusoire; que, par un sentiment de défiance, l'accusé récusait tous les noms qu'acceptait celui-ci, de telle sorte qu'il ne restait dans l'urne que les quatorze noms parmi lesquels le ministère public aurait peut-être voulu exercer son droit de récusation. Le projet propose donc de ne permettre à l'accusé et au procureur général de n'exercer chacun que huit récusations, pour maintenirentre eux l'égalité établie par l'article 401 du Code français.

L'article 118 règle législativement un point qui n'a jamais fait difficulté en France. Quoique la loi veuille que le jury soit constitué au


début de chaque affaire, il est d'usage chez nous, lorsque plusieurs procès doivent être jugés le même jour, de procéder au tirage des divers jurys au début de la journée et avant l'examen de la première affaire. Le projet de loi autorise formellement cette manière d'agir.

L'article 121 du projet déroge à notre article 396, qui avait été introduit dans la loi italienne. L'auteur de l'exposé des motifs fait remarquer qu'il est illogique, lorsqu'un juré s'est fait condamner trois fois pour n'avoir pas répondu à l'appel, de le déclarer incapable de faire partie à l'avenir du jury. Ce n'est pas là, dit-il, une menace ni une peine pour l'homme qui ne comprend pas son devoir de juré; c'est plutôt une prime et un encouragement à la désobéissance. Il faut punir l'homme par où il a péché; ici, on le récompense par où il a failli. L'observation est fort juste; mais je ne sais si le remède proposé sera efficace. Le juré défaillant sera privé de ses droits d'électeur et d'éligibilité pendant un temps qui sera fixé par la Cour, de trois à cinq ans. Mais il faut bien reconnaître que, dans la plupart des cas, l'homme qui aura subi ces trois condamnations, sera peu sensible à la jouissance des droits politiques, et que cette prétendue privation n'atteindra pas son but.

C'est ici que s'arrête le projet de loi dont j'ai été chargé de rendre compte à la Société. Vous voyez, Messieurs, que si, dans son ensemble, il reproduit la loi française, dans les détails il contient quelques aperçus ingénieux, quelques vues nouvelles, quelques améliorations utiles. J'ignore le sort qui lui est réservé, et les transformations que la discussion pourra lui faire subir. Mais tel qu'il est, j'ai pensé qu'il méritait de fixer l'attention de la Société, que nous devions rendre hommage à l'esprit éclairé et libéral qui s'y fait jour, aux excellentes intentions qui l'ont dicté.

La Société ne fera qu'un acte de justice en remerciant M. Vidari de nous avoir communiqué cet intéressant document, qui mérite de trouver place dans nos archives.

M. Dêmarest, avocat à la Cour dappel, rend compte en ces ter mes des derniers travaux législatifs en Allemagne J'ai été chargé de recueillir dans les journaux allemands, pendant ces deux derniers mois, les faits et les documents qui pouvaient être de nature à intéresser la Société. C'est le résultat de ces recherches que je viens vous soumettre aujourd'hui.

11 est malheureusement plus d'un point sur lequel les renseigne-


menls mis à ma disposition se sont trouvés très-insuffisants. Je ne puis, par exemple, rien vous dire d'une loi communale qui vient d'être discutée à Dresde et que doivent suivre d'autres lois sur l'organisation administrative du royaume de Saxe; ni d'une loi scolaire qui serait soumise aux représentants du duché de Saxe-Cobourg-Gotha; ni même d'une loi sur l'acquisition de la propriété et les registres fonciers qui a été votée par le Parlement prussien. Ce sont là des lacunes que je regrettp> mais que de nouveaux documents me permettraient seuls de combler.

Au premier rang des préoccupations des gouvernements et des législateurs de l'Allemagne figure, depuis la paix, la question de l'Église et de l'État. Je ne sache pas, it est vrai, qu'ils l'aient encore abordée de front. Une seule fois, au Parlement de Bavière, un député isolé a déposé en faveur de la séparation une proposition vague qui n'a même pas été discutée. Mais ils viennent d'affirmer en plusieurs circonstances les principes qu'ils entendaient suivre.

Lorsque l'Alsace eut été détachée de la France et réunie à l'empire d'Allemagne, des doutes s'élevèrent sur la manière dont seraient réglés à l'avenir les rapports de l'Église catholique et de l'État. Sans doute les lois françaises demeuraient en principe, c'fst-à-dire jusqu'à décision contraire du nouveau gouvernement, celles de FAlsace-Lorraine. Mais ce ne sont pas seulement des lois qui règlent en France les rapports de l'Église catholique et de l'Etat; c'est encore un traité avec le Saint-Siège, le concordat de 180J. Ce traité devait-il, lui aussi, demeurer en vigueur et lier réciproquement l'empire d Allemagne et le Saint-Siége? Les parties intéressées feignirent, pendant quelques mois, de ne pas soulever la question. Mais vers la fin de janvier, M. de Bismark qui, comme chancelier de l'empire, administre l'AlsaceLorraine, eutconnaissanced'une lettre adressée le 3 janvier, à l'évêque de Strasbourg, au nom du Saint-Père, par le cardinal Antonelli. Or il s'y trouvait une phrase ainsi conçue a Le concordat de 1801 a perdu toute autorité en Alsace du jour où celle-ci est devenue partie intégrante de l'empire d'Allemagne, » M. de Bismark s'empressa de donner acte au Saint-Siège de ce qu'il appela la dénonciation du concordat.)) En vain la cour de Rome protesta-t-elle, en vain proposa-t-elle des arrangements. Le gouvernement impérial ne voulut rien écouter. Aujourd hui les rapports de l'Église et de l'État ne sont plus réglés, à ses yeux, que par les articles organiques de 1802.

En fait, le changement n'est pas considérable. Les articles organiques en vigueur en Alsace depuis 1802, et des dix-sept articles du concordat, il n'en tst peut-être qu'un seul, celui qui a trait à la nomination des évêques, dont la disparition aura des conséquences


immédiates. La religion catholique s'exercera, par exemple, aussi librement qu'auparavant en Alsace, malgré la disparition de l'article I, et le gouvernement continuera à assurer aux évêques et curés « un traitement convenable, n malgré la disparition de l'article 14. Mais en droit la situation respective de l'Église catholique et de l'État est profondément modifiée. Par la dénonciation du concordat et par son refus d'entrer en négociation avec le Saint-Siège pour en conclure un nouveau, le gouvernement allemand a donné à entendre qu'il prétendait désormais régler seul, en dehors de tout accord avec l'Église, les rapports de l'Église et de l'État. Or comment les réglera-t-il? Un certain nombre de décisions que viennent de prendre divers gouvernements ou assemblées législatives de l'Allemagne, donnent fort à penser que, si ce sera toujours au profit du pouvoir civil, ce ne sera peut-être pas toujours dans le sens le plus libéral.

Vous savez l'émotion qu'ontcausée les décisions du dernier concile au sein de l'Église catholique. Nulle part ces décisions n'ont rencontré autant de résistance qu'en Allemagne. Ce n'est pas que, même en Allemagne, le mouvement vieux catholique, ainsi qu'on l'appelle, ait jusqu'ici un caractère populaire né de la résistance de quelques savants à la falsification de l'histoire, il est demeuré presque exclusivement scientifique et n'a pas entraîné les masses. Cependant un certain nombre de théologiens et de prêtres ce sont ouvertement prononcés contre le dogme de l'infaillibilité papale et des églises vieillescatholiques se sont fondées en plusieurs endroits. Les gouvernements et les législateurs ont dû se demander quelle serait, en droit, la situation de ces nouveaux protestants. U s'agissait de savoir, d'une manière générale, si les catholiques quirefuseraient d'accepter le dogme de l'infaillibilité papale, continueraient à être considérés par l'État comme des catholiques et seraient maintenus comme tels dans les droits reconnus aux catholiques par la législation. M. de Jolly, ministre dirigeant du grand-duché de Bade, interpellé à ce sujet par plusieurs députés, a répondu qn'aux yeux de l'État l'infaillibilité n'existait pas. I1 en a tiré la conclusion qu'un catholique ne pouvait perdre aucun de ses droits par suite de son refus de reconnaître ce dogme. Les prêtres anti-infaillibilistes, par exemple, seront maintenus par l'État en possession de leurs bénéfices et autres revenus. D'autre part, l'Étatn'oblige pas les enfants des écoles à suivre les cours de religion le dogme de l'infaillibilité papale sera enseigné car « ne saurait prêter son concours l'enseignement de ce qui, à ses yeux, n'existe pas. » Ce n'est pas seulement à Bade, c'est dans toute l'Allemagne que sont professées ces théories. Le gouvernement prussien, en particulier, les a poussées à l'extrême. Non-seulement il a maintenu dans ses fonc-


tions de professeur de religion un certain docteur Wollmann, excommunié pour refus de soumission aux décisions du concile, mais il voulait contraindre les enfants de l'école de Braunsberg à suivre, contre leur gré et celui de leurs parents, les cours de religion faits par cet excommunié. A ses yeux, en effet, le docteur Wollmann était toujours un catholique. 11 est vrai qui: c'était un catholique excommunié; mais l'excommunication ayant pour cause le refus d'accepter un dogme que l'État ne reconnaît pas, n'avait pas à ses yeux plus de valeur que ce dogme lui-même. Or, aux termes de la loi, pour être dispensé de suivre les cours de religion faits à l'école, il fallait appartenir à une autre religion que celle professée à ces cours.

Je dois dire que, quelque disposée que soit la majorité des Allemands à prendre parti pour le gouvernement contre les u tramontains, l'opinion publique s'émeut d'une atteinte aussi grave à la liberté de conscience. Le ministre de l'instruction publique et des cultes vient de décider, pour la satisfaire, que désormais, même les enfants de la religion professée à l'école pourront être dispensés d'y recevoir l'instruction religieuse quand ils en recevront au dehors une équivalente. Mais il ne faudrait pas croire, pour cela, que le gouvernement prussien se départe des principes inaugurés par lui à Braunsberg. Dernièrement encore plusieurs aumôniers militaires et quatre professeurs de l'Université de Bonn ont été excommuniés par leurs supérieurs ecclésiastiques comme adversaires déclarés de l'infaillibilité papale. Le gouvernement prussien a déclaré que ces aumôniers et professeurs étaient des fonctionnaires, et qu'à ce titre ils ne relevaient que de l'État. Il leur a enjoint, sous peine d'être considérés en état de refus de service, de continuer leurs fonctions et de rouvrir leurs cours.

Je ne sais si je me trompe, mais de pareils faits me paraissent être quelque chose de plus que des actes de politique ou d'administration. Je n'oserais dire que ce sont des actes de légUlation. Mais ils ont tout au moins la valeur de véritables déclarations de principes, et j'ai cru qu'à ce titre il était intéressant de vous les faire counaître. Dans le domaine de la législation proprement dite, satisfaction vient d'être donnée dans une certaine mesure à ces principes par deux lois, l'une sur l'inspection des écoles en Prusse, l'autre sur l'organisation des écoles en Saxe, et par une décision du Parlement badois qui interdit l'enseignement public aux membres des ordres religieux. Jusqu'ici, les pasteurs ou curés des communes étaient de plein droit, en Prusse, les inspecteurs locaux des écoles primaires; les superintendants, archiprêtres ou doyens en étaient, également de plein droit, les inspecteurs de cercle. L'Ëtat nommait seulement les membres des différents colléges qui, aux degrés supérieurs de la hiérarchie admi-


nistrative, dirigent et surveillent l'instruction primaire. Il va de soi que les inspecteurs étaient subordonnés à ces colléges. Mais on comprend que, tenant lf-ur mandat de la loi, ils conservaient vis-à-vis de l'État beaucoup d'indépendance. Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'ils avaient en général, sur la direction des écoles soumises à leur surveillance, une influence considérable. Jusqu'à ces dernières années cependant, le législateur n'en avait conçu aucun ombrage, car lui-même avait exprimé levoeu que la religion jouât un grand rôle dans l'enseignement primaire. « II faudra, autant que possible, dit encore l'article 24 de la Charte constitutionnelle du 31 janvier 1830, tenircoiripte, dans l'organisation des écoles populaires publiques, des convenances confessionnelles. Les différentes sociétés religieuses ont respectivement dans l'école populaire la direction de l'enseigne ment religieux. » Mais aujourd'hui les liens qui unissaient l'Église et l'État se sont relâchés. Surtout il se trouve que le clergé catholique montre peu de sympathie pour l'unité de l'Allemagne, et que, dans la province de Posen, sa résistance arrête les progrès de la propagande germanique. M. de Bismark, irrité, n'a pas voulu laisser ses adversaires en possession d'un moyen d'influence aussi puissant que l'inspection des écoles, et il a présenté au Parlement prussien une loi qui confère à l'État le pouvoir de destituer et de remplacer à son gré les inspecteurs. Je n'ai pas à vous raconter ici les luttes qui, à cette occasion, se sont élevées dans les Chambres elles se rattachent à la politique plutôt qu'à la législation. Après de longs débats, le projet du gouvernement a été adopté avec seulement quelques modifications. La principale a été le rejet d'un article aux termes duquel les personnes investies jusque-là des fonctions d'inspecteurs auraient été obligées de continuer à les exercer, quand bon aurait semblé à l'État, moyennant la très-faible rétribution jusqu'alors en usage. Ce n'est pas que cette disposition ne pût avoir son utilité; car si les trente et quelques mille inspecteurs venaient à donner leur démission en masse et qu'il fallût les remplacer par de véritables fonctionnaires, l'État se trouverait daus un sérieux embarras. Mais la Chambre des députés a refusé de sanctionner une aussi grave atteinte à la liberté des citoyens. Elle s'est contentée d'accorder à l'État le droit de destitution, et cela dans les termes suivants

Art. 1". La surveillance de tous les établissements publics ou privés d'instruction ou d'éducation appartient à l'État (reproduction de l'art. 33 de la Charte constitutionnelle de 1830). Toutes les dispositions contraires sont abolies (Droit civil prussien, § 12, tit. 12, partie II, et lois provinciates). En conséquence, toutes les autorités et tous les fonctionnaires auxquels est confiée cette surveillance agissent comme mandataires de l'État.


Art. 2. La nomination des inspecteurs locaux ou de cercle et la délimitation des circonscriptions soumises à leur surveillance seront faites par l'État seul.

Le mandat confié par l'État aux inspecteurs des écoles populaires, dans le cas où ils exerceraient ces fonctions comme fonctions accessoires ou honorifiques, est toujours révocable.

Je dois seulement ajouter que, par concession aux scrupules des conservateurs, il a été stipulé en termes exprès, dans un article 3, que la présente loi ne portait aucune atteinte aux droits de surveillance des communes sur les écoles, ni à l'article 24 de la Charte constitutionnelle • ci-dessus cité. Mais je vous laisse juges de ce que peut valoir cette nouvelle affirmation da caractère confessionnel de l'École en présence des dispositions qui précèdent et de l'esprit qu'elles révèlent chez le législateur. Je crois, pour ma part, que par la loi sur l'inspection des écoles, le principe de l'enseignement laïque vient de faire irruption dans la législation scolaire de la Prusse et qu'il est destiné à en faire peu à peu la conquête.

Ce qui m'affermit dans cette conviction, c'est que dans un État t voisin, connu pour marcher,en ce qui concerne l'instruction primaire, à la tête de l'Allemagne, ce principe vient de triompher. L'école, dit la nouvelle loi saxonne sur l'instruction primaire, sera un établissement public où les enfants seront admis sans distinction de religion. Ce n'est pas à dire qu'ils n'y recevront aucune instruction religieuse, car la religion demeure l'une des matières de l'enseignement, et trois heures lui seront consacrées par semaine. Mais les ministres des différents cultes ne seront plus désormais ni inspecteurs locaux de l'école, ni même membres du Schulvorstand ou conseil d'administration locale de l'école. Enfin il est interdit aux congrégations ou ordres religieux d'établir dans le royaume de Saxe aucun établissement d'instruction ou d'éducation, et même aux membres de ces ordres ou congrégations de se livrer à l'enseignement.

Discutée sans bruit, destinée à un petit État, la loi saxonne n'a pas attiré l'attention. C'est à peine si, dans ies journaux que j'ai consultés, j'ai pu recueillir les quelques traits que je viens de reproduire. Mais c'en est assez, je crois, pour nous donner envie d'en connaître davantage. L'organisation scolaire de la Saxe était déjà l'une des plus parfaites qu'il y eût dans le monde. Il serait intéressant de connaître en détail les réformes qui viennent encore d'y être apportées. Il a été soulevé au Parlement de Bavière, dans un tout autre ordre d'idées que celui dans lequel je me suis tenu jusqu'ici, une question intéressante. Dans quelle mesure doit-il être permis, dans quelle mesure doit-il être interdit aux fonctionnaires publics de prendre part àla


fondation et à l'administration des sociétés privées! Jusqu'ici la législation bavaroise n'a contenu sur ce pointque les deux dispositions suivantes, l'une empruntée à la Constitution, l'autreau règlement de 1868 1* « Le fonctionnaire en activité de service ne peut exercer aucune profession strictement civile, ni prendre part à la direction d'une banque ou autres établissements analogues, ni exploiter une usine personnellement et directement. En dehors de ces prohibitions, son intérêt privé doit, en toute circonstance, céder le pas à l'intérêt public attaché à l'accomplissement de ses fonctions, et le préjudice qui, en cas de conflit, peut résulter pour lui de cette règle, n'autorise de sa part aucune réclamation contre l'État. » 2" Une autorisation du gouvernement est nécessaire « aux comptables de l'État qui voudront faire fonction de comptables dans des associations, sociétés, etc. ou se charger de toute autre manière d'administrer et régler les affaires d'autrui, et généralement à tous fonctionnaires qui voudront exercer des fonctions salariées en dehors de celles qu'ils tiennent de l'État. » Un député, M. Freytag, aémis l'avis qu'en présence du développement pris en Allemagne par l'esprit de spéculation, cette législation était insuffisante, et il a proposé d'interdire d'une manière absolue à tous les fonctionnaires toute participation à la gestion des sociétés privées. Ce serait, selon lui, le seul moyen d'éviter des scandales, comme il s'en est produit en Autriche, en Italie, en Franceet dernièrement en Prusse, alors que des fonctionnaires se sont trouvés compromis dans des tripotages financiers. L'État, a-t-il ajouté, ne voit que par les yeux de ses fonctionnaires. Si ceux-ci ont part aux abus que commettent les sociétés, l'État ne verra rien de ces abus. D'autres députés ont appuyé la proposition. Ils n'ont admis la participation des fonctionnaires à l'administration des sociétés privées qu'à titre de commissaires du gouvernement. Encore devraient-ils, dans ce cas, être payés par l'État au lieu de l'être par les sociétés qu'ils ont mission de surveiller. Le ministre de la justice lui-même a reconnu que la proposition répondait à une préoccupation de l'opinion publique. Il lui a seulement reproché d'être trop absolue. Sans doute, a-t-il dit, il ne peut être question d'autoriser les fonctionnaires à prendre part àdes entreprises purement financières. Mais il est des sociétés, comme par exemple celles qui se proposent de fournir aux ouvriers des logements à bon marché, à la tête desquelles il est très-désirable de voir des fonctionnaires. Il n'y a non plus aucun motif pour empêcher les fonctionnaires de prendre part à des associations, à des sociétés coopératives de consommation et autres du même genre. Enfin les fonctionnaires ont, comme les autres citoyens, un patrimoine à gérer. Il est diflicile de ne pas leur permettre de siéger, sinon dans les conseils d'administration, du


moins dans les conseils de surveillance des sociétés auxquelles ils ont confié leur fortune. D'autre part, il y a des distinctions à faire selon qu'il s'agit de telle ou telle catégorie de fonctionnaires. Ainsi il est des entreprises auxquelles un fonctionnaire de l'ordre administratif peut prendre part tandis qu'un fonctionnaire de l'ordre judiciaire ne le pourra pas, et vice versa. Il est difficile de trouver un criterium qui permette de trancher législativement des questions aussi diverses.. A la suite de ces explications, la proposition de M. Freytag avait été renvoyée à une commission de quatorze membres. Là, deux opinions se sont produites. La majorité des commissaires a été d'avis qu'il suffisait de tenir la main à la stricte observation des lois existantes, en ajoutai qu'aucun fonctionnaire ne pourrait remplir les fonctions salariées d'administrateur dans une entreprise financière, à l'exception des institutions coopératives ou de secours mutuels. La minorité a émis le vœu qu'à l'avenir les lois existantes fussent strictement observées, qu'en conséquence il fût interdit à tous les fonctionnaires en activité de service sans exception d'exercer les fonctions de censeurs, administrateurs ou directeurs dans les banques, établissements de crédit et généralement toutes sociétés ayant pour but des opérations commerciales. 2' Que tous les fonctionnaires en activité de service qui remplissent des fonctions de ce genre fussent tenus de s'en démettre immédiatement sous peine de poursuites disciplinaires. 3° Qu'il fût interdit à tous les fonctionnaires en activité de service de prendre part de quelque manière que ce soit à la fondation des sociétés désignées au paragraphe ainsi que de signer des circulaires et programmes. – 4° Qu'il ne fût plus permis aux fonctionnaires en activité de service d'administrer moyennant un salaire le patrimoine d'autrui hors les cas de tutelle, curatelle ou fondation pieuse. Ces jours derniers, la Chambre a eu à se prononcer entre ces deux propositions. Elle s'est ralliée aux vues de la majorité de la commission.

J'aurais encore à vous parler d'une loi sur les cercles que vient de voter la Chambre des députés de Prusse, mais elle est trop importante pour que je veuille en parler d'une manière nécessairement imparfaite. Il sera temps de vous la faire connaître en détail quand elle aura reçu sa forme définitive après avoir subi l'épreuve de la discussion dans la Chambre des seigneurs.

Aujourd'hui, je ne vous signalerai plus, parmi les décisions des législateurs de l'empirë d'Allemagne, qu'une loi relative aux indemnités à accorder aux ofliciers ministériels d'Alsace-Lorraine que l'introduction dans ces provinces de l'organisation judiciaire prussienne a dépouillés du droit de présenter, moyennant finance, leurs successeurs


au gouvernement. L'article 1" énumère ces officiers. Ce sont les notaires, avoués, huissiers, greffiers et commissaires-priseurs. D'après l'article 2, on prendra pour base des indemnités à accorder le prix ofliciel de la dernière transmission de la charge antérieurement au V juillet 1870 ainsi que la moyenne du produit net de la charge pendant les cinq dernières années qui ont précédé cette époque. C'est de cette moyenne qu'il faudra tenir compte, et non de celle qui a servi à déterminer le prix de la dernière transmission. Au cas où le territoire dans l'étendue duquel quelque officier ministériel exerçait ses fonctions appartiendrait aujourd'hui pour partie à la France et pour partie à l'Allemagne, on recherchera le rapport qui existe, d'après le recensement de 1866, entre le nombre des habitants de la portion devenue allemande et le chiffre total de la population du territoire dont il s'agit. C'est ce rapport qui déterminera la portion de la valeur totale de la charge à accorder comme indemnité. La commission, chargée de la fixation des indemnités, se compose de trois membres, un juge, président, un employé de l'enregistrement et, selon le cas, un délégué des chambres des notaires, des avoués ou des huissiers, ou un délégué des greffiers. Les articles 5 à 17 règlnni la procédure au moyen de laquelle sera déterminée l'indemnité. C'est d'abord une procédure écrite. Elle devient orale si la partie intéressée n'a pas été satisfaite de la décision prise à son égard et s'il n'a pas été fait droit à ses réclamations. D'après les articles 18 et 19, l'indemnité sera due intégralement lorsque le titulaire de la charge sera décédé ou qu'il aura été mis fin à ses fonctions par des événements de force majeure, par exemple si sa charge a été supprimée sans indemnité par la loi d'organisation judiciaire. Quant aux officiers ministériels qui se démettraient volontairement de leurs charges, la loi établit une distinction. S'ils se retirent parce qu'ils ne sont pas disposés a s'accommoder des changements apportés à leur position, ou parce qu'ils ne savent pas l'allemand et ne veulent pas l'apprendre, mais sans opter pour la nationalité française, ils ne recevront que les deux tiers de la valeur de leurs charges.

Il faut, dit-on à ce propos, tout à la fois favoriser ces démissions dans un intérêt politique, et ne pas les favoriser assez complétement pour que des démissions en masse viennent entraver l'administration de la justice. S'ils se retirent. au contraire, parce qu'ayant opté pour la nationalité française, ils doivent transporter leur domicile en France avant le 10 octobre 1872, ils seront indemnisés intégralement. Seulement on pourra exiger, au préalable, qu'ils présentent un successeur au courant de la langue allemande. Chose étrange, non-seulement ceux qui seront destitués par mesure disciplinaire recevront une in-


demnité, mais cette indemnité sera la même que pour ceux qui se démettent volontairement de leurs charges. Les articles 20 à 22 déterminent enfin les modes de payement. Les indemnités devant s'élever au total à environ 20 millions ne seront pas payées immédiatement. Il sera seulement délivré des obligations aux porteurs sur la caisse publique du pays, portant intérêt à 4 p. 100 par an jusqu'au payement. Le montant de ces obligations sera de 100, de 500 et de 1,000 francs il y sera joint des coupons d'intérêls. Elles seront remboursées chaque année par la caisse du pays sur le pied de leur valeur nominale jusqu'à concurrence d'au moins 1 p. 100 du chiffre total de l'émission. La caisse peut d'ailleurs faire des payements en espèces au lieu de délivrer des obligations.

Il me reste à dire quelques mots de l'Autriche. M. Hendlé nous apprenait, il y a trois ans (séance d'août 1869), que l'institution du jury, établie en Autriche en 1848, puis supprimée en 1859, venait d'y être restaurée en 1869, mais seulement en matière de presse. Il appelait l'attention de la Société sur l'originalité de cette restauration partielle, et il ajoutait qu'elle constituait tout à la fois le mérite relatif de la nouvelle loi et son insuffisance. Il paraît que la pratique a surtout mis en lumière son insuffisance.

Les jurés tchèques, notamment, auraient apporté dans l'accomplissement de leur mandat une partialité scandaleuse. S'inspirant des passions politiques qui divisent les diverses populations de l'Autriche, ils auraient constamme nt refusé de condamner leurs concitoyens lorsqu'ils étaient poursuivis à 1 a requête d'un Allemand ou directement par le ministère public. M. Glaser, ministre de la justice, a cru que de pareils scandales ne pouvaient être tolérés plus longtemps, et il a présenté au Parlement une loi dont voici les articles essentiels

Art. 1. L'action des jurys relativement à une partie des actes punissables qui leur sont déférés ou à quelques uns d'entre eux, peut être temporairement suspendue dans une localité déterminée, lorsqu'il y existe une situation qui paraît rendre cette mesure nécessaire pour assurer une administration impartiale et indépendante delà justice. La suspension est prononcée par décret impérial, contre-signé par les ministres. Elle doit cesser dans le délai d'une année, à moins qu'une lo n'autorise le gouvernement à la prolonger pendant plus longtemps. Art. 3. La disposition mentionnée à l'article t a pour effet que le jugement des actes incriminés et le recours contre les sentences portées contre eux se règlent d'après les prescriptions qui s'appliquent aux crimes non déférés aux jurys. S'il s'agit d'un crime entraînant la mort ou un emprisonnement de plus de cinq ans, l'affaire est jugée par


six juges dont l'un a la présidence L'égalité des voix entraîne la décision la plus favorable à l'accusé.

Art. 5. La loi actuelle entre en vigueur le jour de la publication. Jen'ai pas besoin de vous dire qu'à peine votée par le Parlement, cette loi a été appliquée à la Bohême. De vives critiques lui ont été adressées, même par des Allemands. On a fait remarquer que, spécialement dirigée à l'origine contre les Tchèques, ellepouvait êtresuccessivement tournée contre les jurys de toutes les parties de l'empire', et que ceux-ci se trou vaient à l'avenir délibérer sous une menace perpétuelle. On a ajouté qu'il était de l'essence du jury d'avoir un caractère politique et de moins tenir compte de la lettre de la loi que des circonstances du fait. D'autres ont répondu que l'intérêt même de l'institution du jury commandait de mettre fin aux scandales auxquels elle avait donné naissance et qui,s'ils pouvaient se perpétuer, la déconsidéreraient Ils ont aussi dirigé contre la loi de 1859 les critiques les plus vives, disant ̃ que le fait d'être jugés par le jury constituait un privilége au profit des journalistes et qu'il y avait quelque chose de démoralisant dans le spectacle de deux juridictious appliquant aux mêmes délits des peines très-inégales.

Le jour même où il déposait sur le bureau de la Chambre la loi dont je viens de vous rendre compte, le ministre de la justice y déposait également un projet de loi d'instruction criminelle. Malheureusement je ne le connais encore que par un article de journal. Autant que j'ai pu voir, il constitue un progrès très-marqué sur le Code actuellement en vigueur. Il est vrai que celui-ci, quidate de 1859, est sur nombre de points tout à fait réactionnaire. J'ai remarqué que le nouveau projet conférait au jury le jugement d'un certain nombre de délits graves d'une manière générale les délits punis d'une peine supérieure à cinq ans de prison. Le nombre des jurés serait de douze. Les condamnations seraient prononcées à la majorité des deux tiers des voix. Vous jugerez sans doute qu'un document de cette importance doit être l'objet d'une étude spéciale.

Il reste malheureusement des doutes sur le moment où il sera discuté. Les questions politiques ne laissent guère de loisir aux hommes d'État de l'Autriche pour se livrer aux travaux de législation proprement dite. Déjà un premier projet de Code d'instruction criminelle a été élaboré en 1867 il n'a jamais été discuté. Aujourd'hui encore l'Autriche traverse une de ces crises que renouvelle sans cesse l'antagonisme des diverses nationalités.

Le ministre Auesperg s'est vu contraint de recourir à de nouvelles élections. Deux mesures politiques les ont précédées un compromis


avec la Galicie et une modification de la loi électorale dite loi du choix obligatoire. Voici en quoi elle consiste

Jusqu'ici les élections au Parlement étaient à deux degrés c'étaient t les diètes des diverses provinces qui nommaient les députés. Or il arrivait fréquemment que ces dictes, dans les pays tchèques, refusaient de désigner des représentants ou que ceux-ci ne se rendaient pas au Parlement. C'était une espèce de grève pour empêcher le Parlement de se constituer et entretenir l'agitation dans le pays.

La loi nouvelle a décidé, en premier lieu, que les élections seraient directes, et en second lieu, qu'au cas un représentant élu ne voudrait pas exercer son mandat, on appellerait à sa place le candidat qui aurait obtenu le plus de voix après lui. L'avenir seul nous apprendra quel aura été le succès de ces innovations.

M. Hdbert-Valleroux, avocat à la Cour d'appe expose en ces termes la situation légale des Trades Unions en Angleterre Une des études les plus curieuses et les plus utiles tout ensemble auxquelles on puisse se livrer est celle du mouvement qui agite par toute l'Europe les travailleurs manuels et des transformations qu'apporte ce mouvement aux lois créées en vue d'un ordre de choses tout différent. En particulier, la considération attentive de ce qui s'est passé et se passe actuellement en ce sens chez nos voisins d'outre-Manche peut nous fournir de précieux enseignements. L'Angleterre, en effet, nous précède dans cette voie de développement industriel qui tend à amener la prépondérance de l'usine sur le travail agricole. Chaque jour notre situation se rapproche de la sienne, et nous voyons déjà se produire les crises intérieures qu'elle a traversées. Il est donc intéressant et instructif de connaître l'organisation et la situation légale de ces puissantes Unions qui groupent les ouvriers anglais et de comparer cette situation à la nôtre. Il est intéressant surtout et instructif de voir les Anglais, lorsque chez nous les demandes de restriction se font entendre de toutes parts, abandonner, en matière d'organisation ouvrière, la restriction pour la liherté. >

I. Ce que sont les Trades Unions.

L'idée de suppléer par une force collective à l'insuffisance des moyens individuels est aussi vieille que le monde. Les Unions ou confréries d'ouvriers remontent donc à une antiquité très-haute dans le


Royaume-Uni comme ailleurs. Les sociétés de secours mutuels (Friendhj societies) ont, si l'on en croit leurs membres, une origine qui se perd dans la nuit des temps. Les ouvriers évidemment ont dûse liguer pour le maintien du salaire comme ils se liguaient pour l'assistance mutuelle. Quelquefois, en effet, les sociétés de secours ont servi à soutenir des grèves.

Les Unions de métiers proprement dites (Trades Unions), commencent à paraître pour la première fois avec une organisation sérieuse et redoutable vers la fin du siècle dernier, lorsque le développement de l'industrie augmente la population ouvrière et dans un moment où l'exemple de la France mêlait chez les ouvriers anglais les aspirations politiques aux revendications de salaires.

Pitt s'empressa de faire voter de nouvelles peines contre les unionistes. Cela n'empêcha pas les unions de s'étendre; seulement elles prirent la forme rie sociétés secrètes et n'en furent que plus redouta blés. Contre les patrons qui résistaient à leurs demandes et contre le s ouvriers qui refusaient de s'y associer, on employait des procédés atroces l'incendie des édifices ou leur destruction par la mine, l'assassinat, le vitriol lancé en plein visage, etc. A Nottingham vingt-sept ouvriers furent pendus pour faits de ce genre à la suite d'une seule tenue d'assises. La répression ne diminua pas les crimes ce fut la proclamation de la liberté des coalitions arrivée en 1 824 qui y mit fin, non pas sans doute d'une façon absolue, mais de manière à transformer en exception ce qui antérieurement était un procédé constant parce que c'était le seul procédé possible.

A partir de 1824 les unions de métiers cessent d'être sociétés secrètes pour prendre la forme et acquérir l'extension que nous leur voyons aujourd'hui.

Ces Unions ont, en général, un double but: d'abord le maintien ou l'établissement de certaines conditions de travail et de salaires jugées indispensables par les ouvriers de la profession. L'arme employée pour contraindre les patrons est la grève soutenue au moyen de la caisse sociale. Le second but est l'assistance des membres en cas de chômage et de maladie; parfois même l'Union donne une retraite aux membres infirmes ou simplement un secours aux familles des défunts. Certaines unions ne se proposent que le premier objet; elles sont rares.

Le fonds social, la grande arme de guerre, est formé de cotisations variant, suivant la société, entre 5 fr. 45 et 130 francs par an et par membre. Si l'on considère que certaines sociétés comptent jusqu'à trente-cinq mille membres et font des recettes qui s'élèvent, comme par exemple celles des charpentiers, à plus de 2,172,000 francs par


an, sans compter un fonds de réserve de 3 millions et demi, on comprendra les grèves de six mois qui s'étendent sur l'Angleterre entière et font chômer toute une branche d'industrie (1).

Mais, qu'on le remarque bien, ces Unions ont un but tout pratique et immédiat. Il ne s'agit pas pour elles de transformer la société ni même la condition du travailleur, mais d'améliorer son existence en augmentant sa rétribution ou bien en diminuant la longueur de ses journées de travail. Restreintes à cet objet, les Unions ont tout fait pour assurer leur durée et leur triomphe. Elles se divisent en branches et comptent parfois des sections sur le Continent, en Amérique et jusqu'en Australie, et chaque branche offre, dans son sein, une reproduction de l'organisation générale une caisse formée des cotisations hebdomadaires et administrée par un conseil nommé et contrôlé en assemblée générale; ce même conseil investi du droit d'acceptation des candidats et de suspension sauf décision ultérieure de l'ensemble des sociétaires des membres déjà admis. Mais les mesures d'un intérêt général à l'exécution desquelles toutes les caisses doivent être appelées à concourir, telles que la grève, appartiennent au conseil général, lequel centralise l'administration de toute l'Union. Les mesures exceptionnelles, comme une augmentation de cotisation ou quelques changements à faire aux statuts, dépassent même la compétence du conseil et exigent le vote de l'ensemble des sociétaires. Ajoutons enfin que chaque Union ne compte guère dans son sein que des ouvriers d'une même profession. Il n'y a pas de lien permanent entre les diverses sociétés. Les ouvriers industriels avaient jusqu'à présent été seuls à fonder des unions, voici que les ouvriers agricoles se disposent à suivre leur exemple.

Telle est, dans leur ensemble, l'organisation actuelle des Unions anglaises. Voyons leur situation légale.

II. Situation légale des Trades Unions.

La loi qui proclama en 1834 la liberté de coalition, ne dit rien des sociétés destinées à soutenirces coalitions; on resta donc sous l'empire de la législation antérieure.

La loi anglaise permettait la fondation de telles sociétés, elle ne les soumettait à aucune autorisation préalable, mais elle ne leur reconnaissait aucune existence légale. Un caissier infidèle ne pouvait être poursuivi, parce que la personne morale victime du vol n'étant pas ré(I) En I86& la grève des mécaniciens, compliquée d'un Loch out, s'étendit sur toute l'Angleterre et coûta aux ouvriers seulement en salaires perdus au moins 8 millions.


putée existante, ne pouvait agir en justice; le vol n'existait pas. Un bill de 1868 avait bien donné aux unions le droit de posséder à condition d'être enregistrées comme les sociétés de secours, mais c'était une mesure provisoire et l'on voulait un bill définitif.

D'un autre côté, le droit de coalition était mal délimité la loi punissait tout acte tendant à « obstruer le commerce, » sans définir en quoi consistait cette obstrusion en sorte que la Cour du ban de la reine rendit tout à coup une sentence qui jeta la consternation parmi les unionistes. Elle punit comme ayant «obstrué le commerce des ouvriers placés par leur société à la porte des ateliers afin de dissuader leurs camarades de travailler pendant une grève. On réclama donc, de ce chef aussi, des dispositions plus larges. Enfin les réclamations se firent jour avec tant d'insistance dans la grande enquête de 1867, que le gouvernement se décida à présenter un projet de bill au Parlement. Ce bill comprenait deux parties bien distinctes par les matières qui y étaient traitées. L'une reconnaissait aux Unions de métier, moyennant quelques formalités faciles à remplir, la qualité de personnes morales et ie droit de posséder. L'autre déterminait les actes punissables désormais comme a obstruant le commerce. »

La première partie était favorable aux unionistes et fut universellement approuvée par eux; la seconde souleva de vives réclamations. Les principaux administrateurs des Unions se mirent en rapport avec M. Bruce, secrétaire d'État, mais tout ce que put M. Bruce fut de scinder le projet de loi et d'en faire deux bills. Le premier (Amendement à la loi sur les Trades Unions), qui contenait la reconnaissance des unions comme personnes morales, fut adopté sans opposition, mais le second (Amendement à la loi pénale relative aux violences et molestations) subit, par le fait de la Chambre des lords, une modification sensible. On conserva les faits incriminés et la peine convenue, mais en punissant la violence individuelle au lieu de la violence collective comme le portait le projet. Depuis ce moment les Unions prodiguent adresses et meetings pour obtenir une modification du second bill qu'elles prétendent contraire au droit commun.

Ce sont ces deux bills du 30 juin 187) qui forment actuellement la législation anglaise, en ce qui touche les Unions de métier. Voici le résumé de leurs dispositions, qui d'ailleurs s'occupent de régler l'exercice du droit de coalition aussi bien que la situation légale des sociétés ouvrières.

Le premier bill- le bill agréable commence par déclarer légales, bien « qu'obstruant le commerce, les Unions de métier qu'il définit: « des combinaisons temporaires ou permanentes pour régler les relations entre maîtres et maîtres, entre ouvriers et ouvriers, entre maîtres


et ouvriers, ou pour opposer des conventions apportant obstacle à l'exercice de fjuelqu'industrie. » Arrive ensuite une énumération de tous les actes licites désormais dans laquelle on ne peut lire sans surprise des articles tels que ceux-ci « Est permis tout engagement que l'on fait de soi ou de ses biens pour la durée de la société; tout arrangement ayant pour but de fournir des fonds à d'autres qu'aux sociétaires pour faire triompher le but poursuivi par la société (c'està-dire pour faire réussir une grève); tout engagement de payer en commun des amendes encourues en justice' par quelques membres, enfin toutes fédérations entre plusieurs Unions. »

Le bill ajoute que toute Union constituée suivant les formalités qui vont être indiquées a rang de Personne Morale. Elle peut acheter et vendre toute valeur mobilière et toute terre ne dépassant pas un acre et faire tous actes de propriétaire. La propriété est au nom des administrateurs (de ceux d'une branche comme de ceux de l'union). En cas de décès ou démission, cette propriété passe de plein droit sur la tête des nouveaux trustées, sauf pour les fonds publics d'Angleterre et les créances actives de la société, où l'on doit avoir soin de faire opérer le changement de nom.

Les administrateurs représentent donc la société aux yeux des tiers et en justice; ils doivent seulement avoir soin de faire suivre leur nom propre de l'indication de leur qualité. La mort ou la démission du trustee n'arrête pas l'action qui se poursuit au nom de son successeur ou contre lui.

Ce sont aussi ces trustees qui nomment les employés subalternes et les trésoriers, lesquels leur rendent compte de leur gestion. Le biU ajoute que les administrateurs doivent, pour recevoir ces comptes, se faire assister de personnes capables.

Voici maintenant les conditions que doivent remplir les sociétés ouvrières qui veulent jouir de ces avantages elles doivent compter au moins sept. membres; avoir un siège social fixe, et enfin se soumettre à la formalité de l'enregistrement.

A cet effet, on porte au bureau d'un officier civil spécial, le registrar, déjà chargé d'une mission semblable à l'égard des sociétés de secours, un exemplaire imprimé des statuts sociaux (le bill détaille minutieusement les prescriptions que doivent contenir ces statuts), avec le nom et l'indication des fonctions des divers administrateurs chargés de représenter la société; on y ajoute un état de situation si la société fonctionne déjà depuis plus d'un an. Nulle société ne peut prendre une raison sociale identique ou trop semblable à celle d'une antre société déjà existante. Tout statut enfin doit reproduire les principales dispositions du bill de 1871


Moyennant cela le registrar délivre à la société un récépissé qui lui sert de titre. Elle reste obligée, toutefois, de faire connaître au bureau du registrar tous changements qui se produisent, soit dans le pacte social, soit dans le personnel des administrateurs, ainsi que toute translation du siège social, et cela à quelque moment que ces modifications se produisent. Elle doit, de plus, remettre tous les ans, avant le i" juin, un état de situation dans la confection duquel elle se conformera aux indications du registrar. Chaque membre doit recevoir gratis une copie de cet exposé. Enfin, tout requérant peut se faire délivrer copie des statuts, moyennant une somme qui n'excédera pas 1 schilling.

Une double pénalité e*l édictée pour manquement à ces formalités et. contre les trustees et contre l'Union. On punit aussi ceux qui font passer pour enregistrée une société qui ne l'est pas, etc. Le bill, enfin, exige que chaque année les registrars adressent un rapport au Parlement sur l'état des Unions enregistrées. Tel est le bill avantageux. Voici maintenant le bill déplaisant: Il punit d'abord l'intimidation et la violence; la pression exercée soit sur un maître pour l'obliger à fermer ses ateliers ou à modifier son genre de travail ou son personnel, soit sur un ouvrier pour l'obliger à quitter sa fabrique; il punit enfin la contrainte exercée envers qui que ce soit, ouvrier ou maître, pour l'obliger à entrer dans une Union ou à en sortir, ou bien encore à payer une amende imposée par une Union. Ceci est bien. Mais parmi les actes de « Molestation qui tombent sous le coup de la loi, le bill compte les suivants « Suivre quelqu'un avec persistance; Surveiller les abords de l'atelier. » Et la peine dans tous ces cas est de trois mois de prison, avec travail forcé et très-dur. C'est contre ce genre de peine et surtout contre les actes constituant la « Molestation » que réclament les ouvriers anglais. III. Comparaison avec la France.

11 me reste, en face de la situation actuellement connue de l'Angleterre, à rappeler brièvement quel est Péiat de nos Sociétés de métier et la situation qui leur est faite par nos lois.

Nous ne retrouvons pas en France ces Unions si importantes avec leurs caisses bien munies et leur nombreux cortége d'adhérents agissant au grand jour; nous ne retrouvons pas ce gigantesque déploiement de force pour obtenir des elt'.ls en comparaison minimes. Les tendances des ouvriers et le milieu dans lequel ils sont placés sont chez nous tout autres.

Les divers gouvernements qui se sont succédé, celui de Louis-


Philippe surtout, se sont montrés tellement hostiles à toute initiative venant de la part des ouvriers, ils les ont si souvent poursuivis et frappés, que les ouvriers en sont venus à regarder le pouvoir, quel qu'il soit, comme un ennemi ,et la violence comme le seul moyen de faire valoir même les revendications les plus justes. Lorsqu'il se trouve, dans une situation si défavorable, des hommes décidés à tenter quelque chose-et ils sont en petit nombre au début faut qu'ils soient déterminés par un mobile plus haut et plus puissant que la poursuite d'une augmentation de salaire. Aussi les tentatives faites par les ouvriers français ne sont guère que la mise en pratique de théories qui les passionnent il s'agit pour eux d'abolir le salaire ou de changer complètement les conditions du travail. Les sociétés de métier, telles que les conçoivent les Anglais, sont donc rares en France. Il y en a pourtant de deux sortes les unes, très-anciennes, demi-secrètes, tolérées comme inoffensives: ce sont les Compagnonnages; les autres récentes, faibles et souvent poursuivies: ce sont les sociétés dites de résistance. Les premières sont des sociétés d'enseignement mutuel et d'assistance elles ont quelquefois soutenu des grèves, bien que ce ne soit pas leur objet principal. Elles ne comptent d'adhérents que parmi un nombre limité de professions (ce sont celles surtout qui se rattachent au bâtiment). Le mystère dans lequel elles s'enveloppent ne permet pas de connaître le nombre de leurs membres ni l'état de leur caisse, mais elles n'ont pas l'importance des unions anglaises. Ces compagnonnages exercent une influence sensible et heureuse sur l'habileté professionnelle et la moralité de leurs adhérents. Ils ont eu la bonne fortune de n'être jamais poursuivis.

Les sociétés de résistance qui existent actuellement sont postérieures à l'exposition de Londres. De nombreux essais avaient été tentés à diverses reprises ils ont toujours été suivis de condamnations. Pendant les dernières années de l'Empire, une demi-tolérance permit la fondation à Lyon et à Paris surtout de quelques-unes de ces sociétés, créées dans le but de maintenir le taux du salaire et de limiter les heures de travail. Mais comme ces sociétés sont peu puissantes et ne groupent qu'une partie quelquefois minime des ouvriers de chaque corporation, plusieurs tentatives de fédération eurent lieu (à Paris Caisse du sou et Fédération de la Corderie; pour la France: Internationale des premiers temps). Les sociétés de résistance, d'ailleurs, ont une tendance marquée à se transformer en sociétés de production. Au point de vue de la loi, la situation de ces sociétés, compagnonnages ou autres, est simple elles sont toutes illégales. Comme il n'y en a pas une qui ne compte plus de vinyt membres et qu'elles ne demandent jamais d'autorisation, on peut, quand on voudra, les pour-


suivre et les faire condamner, comme on peut poursuivre presque toutes les sociétés coopératives, la tolérance, si ancienne qu'elle soit, n'étant pas une garantie.

Plusieurs de ces sociétés de résistance avaient tenté de prendre la forme de société de secours mutuels libres, en insérant dans leurs statuts comme clause accessoire ce qui, en réalité, était le but principal. Une circulaire ministérielle vint attirer l'attention des autorités sur cette manoeuvre et rappeler les sociétés qui avaient nécessité cette circulaire à leur véritable situation.

La différence entre les deux pays est donc sensible et bien nette. En Angleterre, une société ouvrière peut se fonder en toute liberté ;• elle acquiert le droit de posséder moyennant l'obligation de se mettre au grand jour et de donner toute publicité à sa situation. En France, l'obtention de la qualité de personne morale est une faveur; l'exercice même du droit d'association dépend de l'arbitraire administratif. Il est facile de dire de quel côté se trouvent, en ce qui touche les citoyens la plus grande somme de libertés nécessaires; et la plus grande sécurité en ce qui concerne l'État.

La discussion sur le travail de M. Hubert-Valleroux est renvoyée à la séance du mois de mai.

La séance est levée à dix heures et demie.

ERRATUM.

Dans la liste des membres publiée dans le dernier numéro du Bulletin, a été omis par erreur le nom de M. POTIER, substitut à Versailles.

956 l'arii. Imprimerie ClISSET et C', 26, rue Racine.


La prochaine séance aura lieu le Mercredi 19 juin. Voir au verso la convocation.

~–––––––––––––––––––––––––––––––––~ BULLETIN

LÉGISLATION COMPARÉE TROISIÈME ANNÉE.

Séance du 15 mai 1812 170

Discussion sur le travail de M. Hubert- Valleroux,

concernant les Trades Unions. 173

Communication par M. BUFNOIR sur le Congrès des

juristes allemands en 1871 178

Notice par M. CARTIER sur un projet de loi relatif

à l'organisation judiciaire en Italie 193

Analyse par M. Magne du Code civil de ia Loui-

siane 201

Tout ce qui concerne la publication du Bulletin

doit être adressé à MM. Cotillon et Ois, Libraires du Conseil d'État, 34, rue soumot.

Toutes les autres communications seront adressées au Secrétaire général de la Société, 64, rue NeuTe-aes-petlts-ciiamps V J

DE LA SOCIÉTÉ

DE

K' ©.– Mai 18?».

SOMMAIRE. Pages.

PARIS


CONVOCATION.

La prochaine Séance de la Société de Législation comparée aura lieu le Mercredi 19 juin 1872 à 8 heures 1/4 du soir, au Cercle des Sociétés savantes, 64 rue Neuve-des-PetitsChamps, sous la présidence de M. Renouakd.

ORDRE DU JOUR

1° Exposé par M. DEBACQ, avocat à la Cour d'appel, des changements récemment introduits dans l'organisation judiciaire en Espagne.

'2° Étude de législation comparée par M. Guyno, avocat à la Cour de cassation, sur l'organisation et les attributions d'une deuxième Chambre législative.

3° Communication par M. Henri Bauboux, avocat à la Cour d'appel, sur le Code de procédure civile du Canada et notamment sur le jury en matière civile.


e. Mai *89«.

BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE LÉGISLATION GIIFARlI Séance DU 15 MAI 1872.

Présidence de M. Renouard.

La séance est ouverte à huit heures un quart.

MM. Reyerchon GREFFIER, Aucoc, vice-présidents, prennen place au bureau.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Président fait connaître la liste des membres nouvellement admis par le Conseil de direction, dont les noms suivent MM. SALLANTIN, procureur de la République.

Docteur BLANCHE.

Clunet, avocat à la Cour d'appel.

TRICOT, avocat à la Cour d'appel.

LEDERLIN, professeur à la Faculté de droit de Nancy. CIIOBERT, agrégé à la Faculté de droit de Nancy.

Lanusse, agrégé à la Faculté de droit de Bordeaux.

Fourchy, substitut au tribunal de la Seine.

ALGLAVE, agrégé à la Faculté de droit de Douai.

MARAIS, substitut au tribunal du Havre.

DUVERGER fils, avocat à la Cour d'appel.

LELASSEUX, avocat à la Cour d'appel.

BoisTEL, agrégé à la Faculté de droit de Paris.

OunsEL, substitut au tribunal du Havre.

Rodert, juge suppléant au tribunal^du Havre.

Bidesco, licencié ès lettres.

Charles Gomel, ancien auditeur au Conseil d'État.


Notre Société, dit M. le Président, en s'applaudissant de cette acquisition des membres nouveaux qui viennent se joindre à elle, ne se console pas des vides qui se font sur sa liste. Nous avons perdu récemment l'un des hommes qui lui faisaient le plus d'honneur. Je ne vous rappellerai pas la biographie de M. Cochin vous savez tous ce que son âme renfermait d'amour, de dévouement, de zèle actif pour le bien; vous savez à quelles nobles études il a consacré sa vie, de quelle estime il était entouré, quelle place distinguée il avait pris parmi les publicistes il a été l'apôtre de l'abolition de l'esclavage je lui donne à dessein ce nom d'apôtre, car il a porté dans la défense de cette grande cause une conviction et une ferveur toutes religieuses. Une Société de législation ne saurait oublier Henri Cochin, qui, pendant la première moitié du dernier siècle, a répandu une si éclatante illustration sur le barreau. La noblesse de ce nom a été grandie par la charité, et il vit encore inscrit sur le fronton d'un hôpital. Augustin Cochin a été fidèle aux traditions glorieuses de sa famille; nous étions fiers de le compter comme un des nôtres, et sa mort prématurée nous inspire de vifs et unanimes regrets.

M. RIBOT secrétaire général, offre à la Société, au nom de l'auteur, M. Dudley Field, le premier volume d'un Projet de code international.

Nous avons tous gardé le souvenir, dit M. Ribot, d'une intéressante communication de M. Helbronner, au sujet de l'idée émise par M. Dudley Field de rédiger un projet de Code international (1). C'est en 1866, au congrès annuel de la Société pour l'avancement des sciences sociales, tenu à Manchester, que M. Dudley Field exposa les avantages qui résulteraient pour tous les pays de la rédaction d'un Code destiné à régler les rapports de nation à nation et à trancher les conflits entre les diverses législations. Une commission spéciale fut aussitôt nommée pour préparer un premier projet qui serait ensuite soumis à une révision attentive, puis envoyé aux principaux gouvernements. Le travail de cette commission n'a point été publié en entier; mais d'importants fragments nous ont été communiqués en 1869 et ont été traduits, au moins en partie, par M. Helbronner (2).

M. Dudley Field s'est décidé à rédiger, de son côté, un projet complet dont nous avons en ce moment sous les yeux la première partie. C'est une oeuvre considérable et digne, à tous égards, de la plus (1) Bulletin, 1860, u* 2.

(•2) Loc. cit.


sérieuse attention. L'auteur ne s'est pas borné à codifier les règles de droit international généralement admises dans la pratique des peuples civilisés; toutes les fois que ces règles lui ont paru injustes ou surannées, il n'a pas hésité à les remplacer par des propositions plus conformes à l'esprit de la civilisation moderne.

Nous ne pouvons entrer en ce moment dans l'examen, même sommaire, d'un travail qui ne comprend pas moins de 702 articles formant cinquante-trois chapitres. Il nous a semblé que les plus importants de ces divers chapitres pourraient être l'objet de rapports développés, qui vous seront soumis à partir du mois de novembre prochain. C'est ainsi que M. Picot a bien voulu se charger d'étudier le chapitre consacré à la matière de l'extradition des criminels et des matelots déserteurs. Nous aurons à examiner dans quelle mesure les solutions proposées par M. D. Field peuvent être acceptées, et s'il n'y a pas lieu d'y faire quelques corrections ou additions.

Lors même que nous serions sur certains points en dissentiment avec M. D. Field, nous ne devrions pas moins lui être reconnaissants de nous avoir présenté, sous une forme concise et saisissante, l'ensemble des règles et des traditions qui constituent le droit des gens et le droit international privé.

M. GIDE, professeur à la Faculté de droit, rend compte en ces termes d'un travail offert à la Société par M. Carle Un jeune agrégé de la Faculté de droit de Turin, M.Giuseppe CARLE, nous adresse un mémoire, couronné par l'Académie des sciences morales et politiques de Naples, et intitulé la dottrina giuridica del fallimento nel diritto privato internazionale.

L'auteur consacre la première partie de son travail à des considérations générales sur le droit international et le droit commercial. Il cherche à établir entre ces deux droits des rapprochements ingénieux. D'après lui, le droit commercial a joué, dans le développement historique des législations modernes, à peu près le même rôle que le jus gentium avait joué dans le développement de la législation romaine autrefois, les diverses nations de l'Europe avaient chacune un droit civil qui, formé de textes surannés et de traditions locales, interprété avec toute la subtilité de la méthode scholastique, n'était guère moins étroit et moins formaliste que le jus civile de l'ancienne Rome; mais heureusement, à côté des glossateurs et des professeurs de Pandectes, il s'est trouvé des commerçants qui, poussés par les besoins de la pratique, parvinrent à créer, en dehors du droit civil et souvent en opposition avec lui, un droit issu des usages et des relations du commerce et


à peu près identique chez tous les peuples. Ce n'est pas tout, continue M. Carle de même que, dans l'ancienne Rome, le jus gentium pénètra peu à peu dans le droit quiritaire et finit par t'absorber, de même de nos jours les principes de la loi commerciale tendent à pénétrer dans la loi civile, ils y pénétreront de plus en plus, et cette fusion progressive du droit civil et du droit commercial préparera et amènera sans doute un jour l'assimilation des diverses législations européennes. Je ne suivrai pas plus longtemps notre auteur sur ce terrain vague et mouvant des spéculations et des théories générales. J'ai hâte de passer à la partie positive et pratique de sa dissertation, l'étude de la faillite au point de vue du droit international.

Cette étude se réduit à une question unique, mais d'une importance capitale lorsque le failli a des biens situés dans des pays divers, ou des créanciers appartenant à des nationalités différentes, faudra-t-il appliquer à chaque bien et à chaque créancier sa loi respective, et mettre ainsi en concours et en conflit, dansle règlement général d'une faillite, plusieurs législations différentes?

Rien ne serait plus contraire, dit M. Carle, aux principes fondamentaux de cette institution quelque diverses que soient les lois qui la régissent, elles s'accordent toutes cependant pour poursuivre un seul et même but ce but, c'est de grouper, de concentrer tous les intérêts épars engagés dans la faillite, pour leur assurer à tous une condition égale; or pour arriver à cette concentration, à cette égalité, il faut de toute nécessité soumettre tous ces intérêts divers à une loi unique; et cette loi sera évidemment celle du siège de la faillite, celle du domicile du failli.

Le principe ainsi nettement posé, l'auteur passe à l'application, ce qui l'amène à parcourir un à un tous les actes de la faillite, depuis le jugement déclaratif jusqu'à la réhabilitation du failli. Je ne le suivrai point pas à pas dans cette longue route, je signalerai seulement les deux principales difficultés qu'il a rencontrées en chemin. D'abord, au début même de la faillite, l'auteur se trouve en présence du jugement déclaratif: or un jugement rendu en Italie, par exemple, pourrait-il avoir autorité en France ou en Angleterre? A cette question difficile, M. Carle répond par une distinction. Un jugement, dit-il, doit avoir à l'étranger, non pas une autorité positive, mais une autorité négative: il n'a pas d'autorité positive, et s'il s'agit de réclamer l'intervention de la force publique et d'en venir à des actes d'exécution matérielle évidemment ce n'est point un jugement émané, par exemple, d'un tribunal italien qui pourrait s'imposer aux agents de l'autorité française. Mais, dans un jugement déclaratif de faillite, ce n'est point de cela qu'il s'agit l'effet immédiat de ce jugement n'est


qu'un effet négatif, c'est une espèce de veto, qui frappe le failli d'incapacité et son patrimoine d'immobilité; or cet effet doit être universel, si l'on ne veut pas qu'il soit illusoire il doit s'étendre partout où le failli a des biens, partout où il a des créanciers.

La seconde difficulté se présente à une période plus avancée de la faillite, lorsqu'on vient à régler les droits des divers créanciers et à faire entr'eux la répartition de l'actif. Il arrivera souvent que, parmi ces créanciers, quelques-uns auront obtenu des sûretés spéciales, par exemple des hypothèques. Or l'hypothèque, étant une sorte de délibation de la propriété immobilière, est évidemment régie par le statut réel; comment donc soumettre le règlement de la faillite à une loi unique, si les créanciers du failli ont des hypothèques assises dans des pays différents ? L'auteur échappe à cette difficulté de la manière suivante les créanciers hypothécaires, dit-il, en tant qu'hypothécaires, sont en dehors du règlement de la faillite et doivent en être exclus (Cpr. art. 508, Code de commerce français); les biens hypothéqués, en tant que grevés de l'hypothèque, sont en dehors de la masse de la faillite et doivent en être distraits. En un mot, la faillite doit se restreindre aux créances personnelles, et dès lors le principe de l'unité et de l'universalité de la faillite ne rencontre plus de difficultés.

Telles sont les principales idées de l'auteur. Ces idées, pour la plupart, ne sont pas nouvelles, mais elles sont éclairées par des développements et des arguments nouveaux, et l'étude de M. Carle est assurément la plus complète et la plus approfondie qu'on ait encore consacrée à cette importante question de droit international. L'ordre du jour appelle'la discussion sur le rapport de M. Hubert-Valleroux, relatif à la législation anglaise sur les Trades Unions.

M.Joseph GARNIER. pense qu'un sujet qui touche de si près aux préoccupations du moment ne peut être abandonné sans qu'une discussion ait arrêté de nouveau l'attention des membres présents sur la conclusion de cet intéressant rapport.

Les développements de l'industrie moderne ont amené dans les relations des patrons et de leur nombreux personnel des difficultés, plus nombreuses et plus fréquentes que dans le passé, dont la société est condamnée à chercher et à trouver la solution, sous peine de tomber dans l'anarchie.

Il s'agit de passer du régime de la prohibition et de la réglementation à celui de la libre concurrence, jusques et y compris la liberté de coa-


lition. La transition est pénible mais ce n'est qu'une traversée à opérer. L'Angleterre paraît y avoir réussi, et la France n'a pas de meilleur exemple à suivre une loi qui pose le principe de la liberté, une autre loi qui en réprime les abus, assurent à la fois le respect de tous les droits et offrent toutes les garanties de sécurité.

En France la liberté a été accordée tardivement et mesurée d'une main défiante. De plus l'usage en a été presque aussitôt gâté par une pratique détestable, dont le gouvernement lui-même s'est quelquefois rendu complice en excitant secrètement les ouvriers contre les patrons; les parquets de leur côté n'ont pas toujours fait leur devoir. C'est ainsi que l'opinion semble se tourner aujourd'hui contre ce prétendu essai de liberté. Il aurait fallu se montrer à la fois plus libéral, sincère et plus ferme. Au reste, la solution ne peut être atteinte du premier coup; c'est le progrès des mœurs, développé peu à peu par l'expérience, qui permettra de supporter sans crises le régime de la libre concurrence.

Sous les gouvernements qui prohibent les coalitions, les ouvriers se sentant ou se croyant opprimés, conspirent secrètement. Pour réprimer l'abus d'un droit, il faut en admettre l'exercice légitime. La libre expérience des coalitions formera les mœurs des patrons, celles des ouvriers ainsi que celles des magistrats, elle seule peut apprendre aux ouvriers le danger, la cherté, et l'inanité, dans la plupart des cas, de ce procédé qui est dans leur droit et qui est un corollaire du principe de propriété et du principe de liberté.

M. Ernest BERTRAND répond que si la loi des coalitions n'a pas produit tout le bien qu'on en espérait, elle n'a pas causé heureusement tout le mal qu'elle faisait craindre. C'est une expérience manquée, elle ne pouvait réussir parce qu'en France les coalitions d'ouvriers ne sont le plus souvent qu'un moyen d'action pour les partis. En Angleterre la question des grèves reste une question de salaires; c'est ce qui la rend peu redoutable. En France, elle se déplace aussitôt et glisse, ouvertement ou en secret, sur le terrain politique. Les magistrats ont fait et ont voulu faire leur devoir; mais ils n'ont pas tardé à reconnaître que leur rôle devenait impossible parce que la loi n'avait d'autre appui que la magistrature, et que le gouvernement, l'opinion, la classe ouvrière conspiraient à la fois contre elle. Il fallait s'en tenir à l'ancienne législation telle qu'elle était appliquée, elle n'atteignait en réalité que les violences, les menaces, les atteintes à la liberté du travail, en un mot tout ce que la loi nouvelle elle-même regarde comme l'abus du droit, et punit avec autant de sévérité que la loi ancienne. Tous ces excès avaient été commis dans les grèves successives des ouvriers de' plusieurs professions, qui étaient l'objet de poursuites


judiciaires précisément à l'époque où, à la suite de la grève des typographes, l'empereur se détermina à présenter le projet de loi voté en 1864. L'instant était mal choisi la loi fut promulguée au moment même où, une répression était le plus nécessaire. Les intéressés la regardèrent comme un bill d'indemnité, une promesse et une garantie d'indulgence pour l'avenir, l'opinion prit le change; la magistrature fut désarmée. L'autorité morale sans laquelle les jugements sont impuissants pour assurer le respect de la loi, lui échappait. On lui reproche son inaction; si elle eût continué à agir, on l'eût accusée d'avoir méconnu l'intention du législateur et d'avoir paralysé les bons effets attendus de la loi. Peut-être même l'eût-on rendue responsable des maux que cette loi a produits.

M. d'Eichthal fait observer que la liberté des coalitions n'est pas une singularité de la loi anglaise. Elle a été admise et proclamée également par la législation de tous les peuples où l'industrie est prospère, l'Amérique, la Belgique, la Suisse, la Prusse.

M. D'EICHTHAL donne lecture des articles de loi suivants Loi BELGE. Article 210 du Code pénal: Sera punie d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de 26 à 1,000 francs, ou d'une de ces peines seulement, toute personne qui, dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires, ou de porter atteinte au libre exercice de l'industrie ou du travail, aura commis des violences, proféré des injures ou des menaces, prononcé des amendes, des défenses, des interdictions ou toute proscription quelconque soit contre ceux qui travaillent, soit contre ceux qui font travailler. Il en sera de même de tous ceux qui, par des rassemblements près des établissements où s'exerce le travail, ou près de la demeure de ceux qui les dirigent, auront porté atteinte à la liberté des maîtres ou des ouvriers.

LOI ALLEMANDE. Législation industrielle de la confédération du Nord. § 152. Est supprimée toute prohibition ou peine portée contre les personnes engagées dans l'industrie. qui auraient participé à une coalition ou à une entente ayant pour but d'obtenir des salaires ou des conditions de travail plus favorables, spécialement à l'aide de grèves pour les ouvriers ou du renvoi des ouvriers pour les patrons.

Tout participant à ces concerts ou coalitions est libre de s'en retirer sans que son départ puisse donner lieu à aucune plainte ou réclamation. § 153. Quiconque par l'emploi de la force, par des menaces, des outrages ou des interdictions contraint ou cherche à contraindre d'autres personnes à faire partie d'une de ces coalitions, ou cherche par les mêmes moyens à l'empêcher d'en sortir, sera puni d'un maximum de trois mois de prison, pourvu que, d'après la loi criminelle générale, il n'ait pas encouru une peine plus forte.


C'est à la France à choisir entre cet exemple et celui de l'Espagne, la dernière nation qui songe à maintenir ou à édicter des mesures de compression.

M. CLAMAGERAN demande la parole pour combattre l'argumentation de M. Bertrand. Elle n'atteint pas seulement, dit-il, la liberté des coalitions elle porte beaucoup plus loin et vise à la fois toutes les libertés, dont aucune n'est sérieusement garantie par la loi, si le simple prétexte de l'immixtion de la politique suffit pour la faire supprimer. L'argument prouve trop, et par là même ne prouve rien. C'est au magistrat à frapper l'abus sans interdire l'usage légitime du droit, à discerner dans une coalition la part de la politique, dont on a d'ailleurs fort exagéré l'importance.

L'Internationale, à l'époque de sa fondation, n'était pas une association politique et tant qu'elle est demeurée sur le terrain des théories sociales ou antisociales, le gouvernement l'a laissée vivre et se développer. C'est à la suite du congrès de Genève, où sur l'interpellation du regrettable Chaudey, elle avait eu l'occasion de s'affirmer républicaine, que les poursuites ont commencé. Les coalitions des tailleurs, des bronziers n'avaient aucun caractère politique.

Pourquoi la loi française a-t-elle échoué ? C'est qu'elle était incomplète, c'est qu'elle autorisait la grève en proscrivant l'association. Elle concédait pour ainsi dire à l'ouvrier la partie la plus aiguë de son droit, en lui refusant la pratique modérée qui, le plus souvent, prévient ou tempère les crises. De là un double inconvénient l'ouvrier ne trouvait aucune sécurité dans l'exercice du droit qui lui était reconnu, puisque derrière la coalition la police pouvait toujours rechercher l'association préexistante; et si par hasard cette association faisait défaut, si la grève était absolument inattaquable au point de vue légal, elle prenait, au point de vue moral et économique, le plus funeste caractère c'était une déclaration de guerre, jetée sans réflexion, sans entente préalable, sur un mot d'ordre tyrannique, sur l'injonction de quelques meneurs.

C'est ainsi que la loi française a bravé le danger des coalitions, sans se ménager les avantages, le correctif nécessaire que procure l'association. L'association, en effet, là ou elle est autorisée, est soumise aux mêmes obligations que l'individu; elle encourt les mêmes responsabilités, et comme elle est solvable, elle offre une garantie aux patrons, lorsqu'elle les combat par des moyens prohibés. Dans tout pays industriel il y a des usages qui règlent les rapports entre patrons et ouvriers, même dans la période où ces rapports se brisent. Il y a un délai qui doit être observé entre la déclaration de la grève et la cessation du travail; on sent quel avantage trouve le patron à n'être pas pris au


dépourvu, à préparer ses moyens (te résistance. Si ce délai n'est pas observé, l'association s'expose à une demande de dommages et intérêts qui seront acquittés sur les fonds de sa caisse.

On s'est privé en France de toute garantie, en isolant le fait de la grève qui représente l'exercice du droit de l'ouvrier sous la forme la plus regrettable, en l'autorisant sans autoriser du même coup tout ce qui le précède, c'est-à-dire la préparation réfléchie et légitime de la résistance. Plus les ouvriers auront de capitaux, plus ils offriront de solvabilité, plus ils se montreront circonspects et mesurés dans leurs réclamations.

En France, on est impatient de réformes; c'est-à-dire que non-seulement l'opinion réclame une solution légale immédiate de toutes les difficultés, mais elle exige que toute réforme admise en principe par la loi porte aussitôt tous ses fruits; sinon elle se ravise et se dégoûte. Ce n'est que par l'expérience qu'on arrive à corriger une pratique vicieuse; il faut donc avoir confiance, et ne point se hâter de juger avant d'attendre le moment certain où, par l'expérience seule, les rapports se régularisent et les traditions s'établissent. Mais tant que cette heureuse période qui rend les rigueurs inutiles n'est pas atteinte, la magistrature doit par ses jugements faire l'éducation publique; elle doit se montrer d'autant plus ferme dans la répression des excès, que le droit est plus nettement reconnu.

M. Hubert-Valleboux croit devoir ajouter quelques mots, au sujet du caractère politique qu'on prête aux coalitions. La vérité est que les coalitions ne sont pas allées au-devant de la politique; c'est la politique qui s'en est emparée, par suite de l'hostilité maladroite des gouvernements, comme d'un élément d'agitation et de révolte. Bien avant la période des révolutions modernes, il y a eu des grèves la police de l'ancien régime les dispersait à coups de bâton. En 1790 une grève éclata parmi les ouvriers maçons employés aux travaux du Panthéon; c'est l'Ami du peuple qui la désigna aux sympathies populaires les ouvriers, qui se souvenaient des coups de bâton de la police royale, ne repoussèrent pas cet appui de l'opposition révolutionnaire. Ainsi le gouvernement réprimant les coalitions, les coalitions étaient réduites à le combattre comme un obstacle et à accepter dans cette lutte, qu'elles n'avaient pas engagée, le secours des partis politiques. C'est parce que leur droit était méconnu par les pouvoirs publics que les ouvriers se sont mis en révolte contre eux. M. JOSEPH GARNIER insiste sur l'exactitude historique de l'opinion exprimée par M. Hubert-Valleroux et ajoute que l'établissement du régime républicain, en privant les partis politiques de leur principal motif d'agitation, les empêchera davantage désormais de faire appel


à la complicité des classes ouvrières, surtout si on parvient à faire une bonne loi garantissant d'une part la liberté entière de coalition et atteignant d'autre part toutes les violations de la liberté de ceux qui ne veulent pas entrer dans la coalition.

M. le PRÉSIDENT prononce laclôture de la discussion, dont il montre les avantages, en exprimant le vœu qu'une discussion semblable vienne fréquemment éclairer et préciser les conclusions de chaque rapport. M. BUFNOIR, pro fesseur à la Faculté de droit, a la parole pour rendre compte de la session du Congrès des juristes allemands en 1871. Il s'exprime en ces termes

Le congrès des juristes allemands (deutscher Juristenlag) compte déjà plus de dix années d'existence. JI constitue une association destinée à imprimer une grande activité aux relations personnelles et à l'échange des idées entre les jurisconsultes de l'Allemagne le but essentiel, c'est de seconder les aspirations vers l'unité législative dans les diverses parties de ce pays, et de travailler par une entente commune à réaliser cette unité dans le domaine du droit privé, de la procédure et du droit pénal. (Statuts, article 1".)

Le congrès se réunit ordinairement une fois par an; en 1870, les événements en avaient empêché la réunion. La session de 1871, à Stuttgard, était la première depuis celle de 1869 à Heidelberg, et la neuvième depuis la fondation du congrès.

Dans l'intervalle des sessions, le congrès est représenté par une commission permanente dont la mission principale consiste à publier les travaux de la dernière session et à préparer ceux de la session suivante.

Suivant les statuts, le congrès se divise en quatre sections, dans chacune desquelles les membres s'inscrivent suivant leurs aptitudes spéciales. La première section s'occupe du droit privé, spécialement du droit des obligations et du droit hypothécaire la deuxième, du droit commercial, cambial (wechsel) et maritime, et du droit international la troisième, du droit pénal, de la procédure criminelle et du régime pénitentiaire la quatrième, de l'organisation judiciaire et de la procédure civile.

Les travaux de chaque session s'ouvrent par une séance générale, qui débute naturellement par la constitution du bureau. Le Président est nommé pour la session, soit par acclamation, soit au scrutin, et il désigne lui-même de deux à quatre vice-présidents et quatre secrétaires.

Le bureau constitué, il est procédé au règlement de l'ordre du jour


des sections; puis le secrétaire de la commission permanente présente, sur le mouvement législatif en Allemagne, un rapport qui peut être considéré comme la partie capitale de cette première réunion. C'est alors que se tiennent les séances particulières des sections, dans lesquelles sont discutées et résolues les questions mises à l'ordre du jour. La solution de ces questions, qui restent parfois à l'étude pendant plusieurs années, est préparée dans tous les cas par un rapport, et souvent, en outre, par des mémoires que la commission permanente demande à ceux des membres qui ont une compétence spéciale quant au sujet traité. Comme la durée du congrès est très-courte, chaque section tient, le plus souvent, plusieurs séances par jour, et, si j'en juge par les documents relatifs au dernier congrès, ces séances sont très-laborieuses et remplies par une discussion sprrée, sobre, précise, qui révèle, même chez les hommes voués par profession à la pratique, une éducation et un esprit scientifiques dont j'ai été vivement frappé. Le congrès se termine par une nouvelle assemblée générale dans laquelle il est donné communication des résolutions votées par les sections. Ces résolutions ne donnent pas lieu ordinairement à une discussion nouvelle ni à un vote de l'assemblée plénière. Il n'en serait autrement, aux termes des statuts, qu'en vertu d'une décision de la section compétente ou de l'assemblée générale elle-même, et, dans ce dernier cas, sur la proposition d'au moins dix membres. Il est à remarquer d'ailleurs, que le président du congrès a le droit de soumettre une question à la discussion immédiate de l'assemblée générale, sans qu'elle ait été l'objet du vote préalable d'une section.

Telle est, en bref, l'organisation de ces congrès, qui paraissent doués d'une grande vitalité. L'accueil fait à Stuttgard au congrès de 1871, où l'on a vu le ministre de la justice de Wurtemberg venir au sein de l'assemblée lui souhaiter la bienvenue au nom du roi, témoigne de la considération dont jouit l'association. Le compte- rendu financier constate une situation pécuniaire très-satisfaisante, et la liste des membres pour 1871 ne contient pas moins de 2,552 noms appartenant à ia magistrature, à l'enseignement, à l'administration et aux professions que j'appellerai judiciaires, pour comprendre dans une expression très-générale ce que nous appellerions chez nous le barreau et les officiers ministériels. Toutes les parties de l'Allemagne y sont représentées, y compris l'empire Austro-Hongrois. Les statuts paraissent exclure les étrangers. Cependant la liste se termine par quatre noms, je ne dirai pas d'étrangers, car deux paraissent appartenir à des Allemands établis au dehors, mais de personnes n'habitant pas l'Allemagne. Dans tous les cas, les étrangers ne prennent point part aux votes.C'estceque le Président a rappelé à unedenos connaissances, M. Rolin Jaequemyns,


qui pourtant s'était fait bien venir de la réunion, en glissant dans sa courte allocution quelques mots désobligeants pour la France, en se recommandant, comme Flamand, de sa parenté avec la grande race germanique, et en parlant d'une annexion, non pas politique à la vérité, mais scientifique de la Belgique à l'Allemagne.

La session de 1871 s'est ouverte à Stuttgard, ainsi que je l'ai déjà indiqué, le 28 août elle a duré trois jours et a été close le 30 à midi. Nous allons voir que ces trois jours ont été bien remplis. A la première séance plénière, la présidence a été déférée par acclamation à M. Gneist, le célèbre professeur de Berlin. Que son allocution présidentielle ait été consacrée tout d'abord à célébrer le triomphe dont t'unité allemande doit la reconnaissance, a-t-il dit, à l'aveuglement de notre passion; à proclamer que le faite de grandeur où l'Allemagne est parvenue n'est pas, comme chez un peuple voisin, une faveur passagère de la fortune, mais le fruit patiemment et péniblement mûri d'un long et persévérant labeur; à constater que la modestie allemande, impuissante à embrasser l'étendue de son triomphe, ignore les ivresses de la victoire et donne aux étrangers le spectacle étonnant d'un peuple qui allie tant de gloire (le mot est en français) à une absence si complète d'orgueilleuse et fanfaronne vanité, ce langage est tellement en situation que nous ne pouvons pas nous en étonner; encore moins conviendrait-il de nous en plaindre. Je pourrais bien remarquer pourtant que se vanter d'être modeste est déjà de l'orgueil; mais j'aime mieux m'associer à lapensée et aux espérances de l'orateur, quand il déclare que l'Allemagne du Nord, comme celle du Sud, a aussi payé'sa dette dans les luttes pacifiques sur le terrain du droit; que, parla fermeté avec laquelle elle a su s'y tenir, elle a conjuré pour toujours les dangers du militarisme qui n'est plus qu'un vain mot; qu'elle soutient un combat persévérant pour la liberté constitutionnelle du peuple,et qu'aujourd'hui personne n'oserait prétendre que la grande nation allemande doit être gouvernée autrement que par des lois, et des lois qui ne sauraient être faites sans sa pleine participation.

Mais j'ai hâte d'arriver aux travaux juridiques du congrès. Le rapport sur le mouvement législatif en Allemagne depuis la session de 1869, présenté par un avocat de Berlin, M. Makower, s'est particulièrement attaché à établir un parallèle entre la législation des États particuliers, et la législation fédérale ou impériale. Tout d'abord il constate la stérilité relative des législations particulières durant la période biennale qui a précédé. En Autriche, deux


lois dont il est fait-mention trop sommaire pour que nous puissions en déterminer l'objet précis, voilà tout ce qui a abouti des projets nombreux et considérables qui étaient en préparation les événements politiques intérieurs ont empêché les autres d'arriver à bonne fin. Il est vrai que le rapport omet de mentionner, on ne sait pourquoi, la loi du 7 avril 4870 sur les coalitions entre patrons ou entre ouvriers, et celle du 9 avril 1870 sur le mariage et l'état civil des dissidents. Il faut ajouter encore que la loi autrichienne sur le notariat venait d'être promulguée peu de jours avant l'ouverture du congrès. En Bavière, le rapport mentionne deux lois très-spéciales sur lesquelles nous reviendrons tout à l'heure; en Wurtemberg, rien en Bade, il y a lieu de signaler particulièrement la loi sur l'extension de la compétence du jury aux délits politiques et de presse, et celle qui rend le mariage civil obligatoire, et confie aux magistrats de l'ordre civil la tenue des registres de naissances, mariages et décès en Saxe, diverses lois sur l'organisation judiciaire, une autre sur l'état civil des dissidents, une autre encore sur la presse, qui, dit le rapporteur, « n'édicte aucune des mesures préventives habituelles, par exemple « le cautionnement,que nous venons de voir rétablir, ces jours-ci, dans « un grand pays; en Prusse, il n'est fait mention que d'une loi du 23 février 1870, concernant les autorisations requises en matière de donations et de dispositions testamentaires au profit de corporations ou d'autres personnes civiles.

En regard de la stérilité relative de la législation dans les États particuliers, le rapporteur a fait ressortir, avec une complaisance qu'on peut trouver excessive, la fécondité de la législation fédérale pendant la courte durée de la Confédération du Nord, et de la législation de l'Empire depuis sa récente fondation. Il a analysé en particulier la loi du 11 juin 1870, sur les droits des auteurs, artistes et compositeurs dont je me borne à énoncer le titre, car le texte en sera donné prochainement dans notre annuaire. Cette loi est encore l'œuvre de la Confédération du Nord; il faut y joindre, comme provenant de la même source, la loi sur l'acquisition et la perte de la nationalité, une autre sur le domicile de secours, du 1 "juin 1870; une autre encore du 4 mai 1870, sur les mariages et la constatation de l'état civil à l'étranger. Quant au nouvel Empire, il lui a fallu travailler tout d'abord à sa constitution, et son actif en fait de législation, en dehors de l'organisation politique, ne saurait être considérable à l'époque où nous sommes placés. Une loi intéressante et à laquelle une place est réservée dans notre annuaire, sur la responsabilité en cas d'accidents survenus dans i'exploitation des chemins de fer, des mines, des usines, etc. (7 juin 1871); une seconde loi du 8 juin 1871, sur l'é-


mission de titres au porteur à primes, voilà tout ce que le rapport trouve à signaler, mais en revanche quel horizon et quelles espérances n'ouvre pas l'étendue donnée par la nouvelle constitution aux pouvoirs législatifs du Reichstag de l'Empire! C'est là qu'est désormais le centre de la vie législative en Allemagne. Voici déjà le Code pénal de la Confédération du Nord qui est devenu la loi commune de l'Empire bientôt ce sera le Code d'instruction criminelle et le Code de procédure civile déjà en préparation. En cet état de choses il n'est pas étonnant, au dire du rapporteur, que les états particuliers s'abstiennent de légiférer pourquoi voter aujourd'hui des lois qu'il faudra défaire demain? Il est vrai que le droit civil échappe à la compétence 'de l'Empire mais même en cette matière, sur tous les points qui réclament une législation uniforme, le devoir des États particuliers est de s'abstenir, d'attendre l'impulsion du centre et de s'y conformer. Que s'ils s'obstinent à légiférer à part, ou bien ils aboutiront à des solutions identiques, et ce sera du temps perdu, ou bien il en résultera des disparates intolérables. Voyez plutôt ce qui arrive en Bavière. En 1870, il y est voté deux lois, lesquelles à la vérité ne témoignent pas d'un état de législation bien avancé cette réflexion est de moi, il est bon de le dire. La première de ces lois relative à la capacité en matière d'intercession, décide que désormais il suffira pour pouvoir se porter caution d'avoir la capacité d'engager ses biens, sans distinction de sexe, et abroge toutes lois contraires, y compris le sénatus consulte Velléien et l'authentique si qua mulier. En cela la Bavière n'a fait que suivre l'exemple donné par la Prusse et par d'autres après elle (1) temps perdu; les rapports et les discussions ne font que reproduire les rapports et les discussions qui ont précédé. Pour l'autre loi, c'est bien pis; elle règle, en cas d'aliénation du bien loué, les rapports du preneur avec l'acquéreur, et modifie, sans l'abroger, la règle romaine Vente passe louage Kauf bricht Miethe (abrogée chez nous par l'article 1743 du Code civil). Cette loi, dit le rapporteur, ne suit ni le Code français, ni la législation prussienne; elle introduit la diversité là où il faudrait l'unité. C'est un pitoyable procédé. Ainsi parle, ou à peu près, M. Makower; et sa conclusion, approuvée par l'assemblée, c'est que sauf certaines matières qu'il n'y a pas d'inconvénient à régler diversement suivant les lieux, les États particuliers doivent désormais se borner à rendre exécutoires chez eux, en les accommodant aux circonstances locales, les lois votées par le Reichstag de l'Empire. A dire vrai, cette conclusion, si tran(1) Cette évolution législative avait été prédite il y a plusieurs années par M. Gide dans son beau livre sur la Condition de la femme (p. 306-307).


chante qu'elle paraisse, est dans la logique de la situation et répond aux tendances du congrès des juristes allemands. Mais ce qu'il y a de curieux, c'est qu'en tout ceci on ne distingue pas l'Autriche des autres États de l'Allemagne.

Nous passons aux travaux des diverses sections.

Les deux premières sections, au congrès de 1871, se sont fondues en une seule. Elles ont examiné et résolu trois questions. La première était à l'ordre du jour du congrès depuis longtemps. Elle était relative à la détermination de la responsabilité qui doit peser sur l'État ou sur la commune, à raison du préjudice que leurs agents auraient causé à un tiers par une violation « intentionnelle ou fautive » des devoirs de leur charge.

Déjà discutée à la session de 1867, cette question avait été ajournée pour un plus mûr examen, et traitée, suivant l'usage, dans plusieurs mémoires par des jurisconsultes compétents, entre autres le docteur Bluntschli, qui s'était prononcé contre la responsabilité de l'État, du moins comme règle générale. Il proposait une distinction admise par le rapporteur, et formulée par lui dans les termes suivants L'État est responsable des dommages causés injustement par ses agents à un tiers, sans la faute de celui-ci

1° Dans tous les cas, si le fait a procuré à l'État un bénéfice 20 Hors cette hypothèse, dans le cas seulement où il y a violation d'une obligation ayant son fondement dans le droit privé, spécialement s'il s'agit d'une administration de deniers ou de biens incombant à l'État.

Au delà, plus de responsabilité; le rapporteur se contentait de proposer, par une deuxième résolution, l'abrogation de toute disposition mettant quelque entrave au droit, pour la partie lésée, d'obtenir satisfaction contre le fonctionnaire auteur du dommage.

Mais deux autres mémoires, sans admettre aucune distinction, soutenaient au contraire le principe de la responsabilité générale de l'État ou de la commune. Ce sentiment fondé sur l'idée que dans tous les cas, même lorsqu'il s'agit non pas de ses intérêts fiscaux, mais de l'exercice de la souveraineté, l'État est censé agir par l'intermédiaire de ses agents, l'emporta dans la réunion. Seulement, en présence des divergences qui se manifestaient dans l'application, et pour éviter un nouvel ajournement de la question, il fut simplement décidé sur la proposition de M. Zachariae, deGoettingue, que «la législation sur la matière doit prendre pour point de départ le principe de la responsabilité directe de l'État ou de la commune. i


La seconde discussion dans le sein des deux premières sections réunies a eu pour objet trois thèses de M. le professeur Jhering, de Vienne, relatives à- un sujet dont on se préoccupe beaucoup dans la doctrine allemande, et qu'on peut appeler la théorie de la reconnaissance de dette ou du contrat abstrait. Le problème consiste à déterminer la valeur juridique de la convention (écrite), par laquelle une personne se déclare obligée, ou promet de payer, sans se référera à aucune cause d'obligation. La première thèse affirmait qu'une telle convention doit être tenue pour obligatoire.

Il ne s'agit pas ici, comme on pourrait le croire au premier abord, de la question classique qui se discute chez nous sur l'article 1132 du Code civil. Pour nous, le débat roule exclusivement sur la preuve de la cause; il est entendu d'ailleurs que la cause est, à côté et en outre du consentement, une condition essentielle de toute obligation conventionnelle.

Ici on entend proclamer que ce qui lie, c'est le consentement par sa seule vertu on ne recherche pas pourquoi je me suis obligé; dès que j'ai consenti à me tenir pour obligé, il y a obligation. A part la solennité, c'est le retour à la stipulation du droit romain, à laquelle les Allemands rattachent en effet l'idée du contrat abstrait, du contrat obligatoire perîse, sans référence à aucune cause.

Il faut savoir au surplus que dans la jurisprudence allemande, sans difficulté, les titres à ordre ou au porteur, les lettres de change par exemple, sont obligatoires pour le souscripteur abstraction faite de la cause.

La discussion, assez prolongée pourtant, n'a guère porté que sur des nuances parfois subtiles; le principe a été aisément reconnu et voté.

Il va de soi que le débiteur en vertu de ce contrat abstrait peut en poursuivre ou en opposer la nullité à raison des vices qui ont pu l'affecter en tant que convention, à raison du dol, par exemple, ou de la violence qui auraient altéré son consentement. Mais au point de vue de la pratique, il y a à tenir compte de l'observation suivante c'est que, de même que la stipulation en droit romain, ce contrat impliquera le plus souvent l'aveu d'une dette antérieure ou le règlement de rapports juridiques préexistants. Si tel est le cas, ne faudra-t-il pas autoriser le débiteur à invoquer contre son obligation abstraite les exceptions qu'il aurait pu opposer à la poursuite exercée en vertu du titre primitif? -Tel était l'objet de la seconde thèse, qui proposait de n'admettre ces exceptions que dans les hypothèses où le droit romain aurait accordé au débiteur une condiction.

Cette formule ne fut pas admise, non pas qu'elle ne parût suffisant


ment intelligible même à une assemblée composée en grande partie de praticiens, discutant au point de vue de la pratique, mais parce qu'elle ne fut pas jugée assez large. La réunion y substitua la formule proposée par le rapporteur, en ces termes « Le débiteur pourra invoquer les exceptions tirées du rapport de droit antérieur, toutes les fois que le fondement de ces exceptions aurait autorisé à son profit l'exercice d'une action ou d'une répétition contre le créancier. » Grâce à ce tempérament, la doctrine allemande, en pratique, ne s'éloigne pas autant qu'on pourrait le croire de notre législation.

Enfin l'ensemble de cette théorie a été complété par le vote de la troisième thèse proposée •< Si les parties n'ont pas manifesté la volonté contraire, le créancier a le choix de poursuivre en vertu de la promesse abstraite ou en vertu de son droit préexistant. » En d'autres termes, il n'y a pas novation virtuelle par la souscription de l'engagement abstrait.

En troisième lieu, les deux premières sections se sont occupées de la législation sur le notariat.

On comprendra toute la portée de cette discussion et des résolutions qui l'ont suivie, en se reportant au rapport de la commission du notariat instituée au sein de notre société, rapport inséré dans notre bulletin de février 1870. On peut y voir que dans la plus grande partie de l'Allemagne la rédaction des actes appartient, ici aux tribunaux à l'exclusion des notaires ou en concours avec eux, là aux avocats en concurrence avec les notaires; et que parfois les fonctions d'avocat et celles de notaire peuvent se cumuler (1).

Le point fondamental de la discussion avait donc trait à la détermination des attributions mêmes des notaires. Le principe dont il s'agissait de voter la consécration doctrinale, c'est que la loi ne doit pas attribuer ou maintenir aux tribunaux, mais déléguer aux-notaires exclu'sivement, ainsi que cela existe chez nous, ce qu'on a appelé la juridiction volontaire (2).

Il a été en effet pris la résolution suivante

a La juridiction volontaire étant par sa nature, aussi bien qu'au « point de vue pratique, essentiellement différente de la juridiction « contentieuse, doit en être radicalement et complétement séparée. (1) V. aussi des détails intéressants dans l'ouvrage de H. Léon Dubarle De l'organisation judiciaire en Prusse, p. 14 et suiv.

(2) Ces expressions juridiction volontaire (freiwillige Gerichtsbirkeil), ont été maintenues faute d'en trouver de meilleures. Il a été entendu qu'elles étaient prises au sens étroit qu'on leur donne dans l'Allemagne du Nord pour signifier le droit de faire des actes et constatations authentiques (beurkundende Thaeligheit).


« Dans tout l'Empire, la compétence desnotaires doit être la même et s'étendre à tous les objets compris dans la jurisdictio voluntaria tau sens étroit du mot.

Pour obtenir ce résultat, il avait été préalablement émis le vœu « que les gouvernements de l'Allemagne reconnaissent la compétence « du Reichstag en ce qui touche la loi organique du notariat, en tant « que dans la détermination de la compétence des notaires cette loi a empiéterait sur le domaine du droit civil soustrait à l'autorité du « Reichstag. »

En ce qui touche la compétence territoriale des notaires il a été résolu

« Qu'elle ne doit pas être restreinte à la circonscription judiciaire « immédiate, c'est-à-dire à l'étendue d'un cercle; – qu'elle ne doit « pas d'autre part excéder l'étendue de la province, c'est-à-dire le « ressort du tribunal d'appel ou le territoire de la régence; que la « mesure exacte se détermine par le ressort de la juridiction discipli« naire dont chaque notaire relève. »

Relativement aux formes des actes notariés, le rapporteur s'est livré à une critique assez vive des formules stéréotypées quisont ou prescrites ou usuelles. Au point de vue de la rédaction, il a proposé de se référer aux règles établies pour les actes reçus par les consuls de l'Empire d'Allemagne à l'étranger. Au point de vue des précautions destinées à assurer la sincérité des actes, il a approuvé les lois et usages relatifs à la tenue des registres et répertoires. Mais il a attaqué particulièrement l'emploi des témoins « ces assistants inconscients la plupart du temps d'après la pratique actuelle ces valets de notaire, suivant un dicton populaire de Berlin, qui ne sont là que pour la mise en scène, instruments purement passifs, à la discrétion près, car les garanties qui existent sous ce rapport à l'égard des notaires n'existent pas à l'égard des témoins. » Toutefois il n'en a pas proposé la suppression complète; il en admet le maintien pour les testaments, avec faculté de les remplacer, soit par des secrétaires assermentés qu'on aurait l'idée de donner aux notaires, soit par un fonctionnaire de l'État ou de la commune.

Le temps faisant défaut pour la discussion, la réunion n'a pas cru pouvoir voter au pied levé sur des points aussi considérables, et elle s'est borné à décider en principe que « La forme des actes notariés « et les précautions destinées à en assurer la sincérité doivent être « simplifiées autant que possible. »

Quant à l'organisation du corps des notaires et à la discipline du notariat, le rapporteur s'est rallié sans discussion à la résolution sui-


vante proposée par l'association des notaires rhénans (1), et votée par l'assemblée « II y a lieu de donner au notariat une organisation « corporative, et d'instituer des chambres de notaires investies d'une « juridiction disciplinaire. »

Enfin la réunion s'est prononcée sur la question de l'incompatibilité entre la profession de notaire et l'advocature, c'est-à-dire ce qui correspond chez nous à la profession d'avocat et à celle d'avoué. Cette incompatibilité, fondée sur les points de vue tout opposés auxquels doit se placer l'homme de loi dans ces diverses professions, a été votée en termes absolus, sans avoir égard à un amendement tendant à faire déclarer simplement que ces professions devraient être séparées en règle générale.

En somme, la tendance évidente, à la vénalité des offices près, est de se rapprocher de la législation française sur le notariat. Dans te sein de la troisième section, trois questions ont été agitées, mais deux seulement ont été résolues. Sur la première il a été passé à l'ordre du jour.

Cette première question se référait à l'admission de voies de recours contre les déclarations de culpabilité quand il n'y a pas de peine prononcée, soit que le fait ne fût pas frappé par la loi pénale, soit qu'il y y eût prescription acquise. La proposition tendait à faire reconnaître le droit au recours, à supposer la décision émanée d'une juridiction statuant en première instance et sans assistance de jurés ni concours d'échevins (Sehoeffen) (2).

Le rapporteur, dans un travail très-étudié, avait cherché à établir en élargissant les termes de la proposition

1° Que la déclaration de culpabilité, même quand la peine est écartée pour des raisons qui la laissent subsister, doit pouvoir être frappée d'un recours;

2° Que le recours doit être limité à la partie de la sentence qui contient la déclaration de culpabilité; mais qu'il importe peu que cette déclaration se trouve dans les motifs ou dans le dispositif; 3° Que le recours ouvert doit être non-seulement l'appel, mais toute autre voie qui serait admise contre la sentence si elle avait prononcé une peine, par exemple le recours en nullité pour vice de formes; 4° Par suite, que le recours doit être accordé sans distinguer s'il s'agit d'une juridiction jugeant avec ou sans le concours d'éléments étrangers à la magistrature.

(1) On sait que dans les provinces rhénanes le notariat est, sauf la vénalité des charges, régi par la loi française.

(2) V. infrd, p. ISit.


Sans combattre directement ces propositions, on fit remarquer qu'il n'y avait pas lieu de statuer, soit à raison de la rareté du fait, soit parce que l'on devait s'attendre à voir la loi sur la procédure criminelle supprimer, même en cas de condamnation, tout appel tendant à faire juger de nouveau la question de fait; et malgré les instances du rapporteur, peu satisfait d'avoir été ainsi chargé d'un travail inutile, la réunion passa à l'ordre du jour.

La deuxième question était relative à la détermination de la compétence respective des tribunaux des divers degrés en matière pénale. On demandait si dans chaque affaire spéciale cette compétence devait se déterminer d'après la peine applicable in thesi, ou d'après la peine que l'on jugerait devoir être appliquée in hypothesi.

Cette question, que l'un des membres du congrès a caractérisée en disant que c'est « une variation allemande sur le thème français de la correctionnalisation », a été inspirée par l'extrême latitude laissée aux juges, dans le quantum de la peine, par le Code pénal de l'Empire d'Allemagne. La discussion assez animée à laquelle elle a donné lieu, a révélé entre autres une particularité assez curieuse et peu connue, paraît-il, même en Allemagne. C'est qu'en Saxe, la chambre d'accusation a le droit, dans le réglement de la compétence, de tenir compte de la peine qu'elle croit devoir être appliquée au cas spécial, mais à titre provisoire seulement, et en réservant au tribunal chargé de juger, le droit de se déclarer incompétent s'il estime qu'il y a lieu de prononcer une peine excédant sa compétence.

L'opinion du rapporteur était que l'on doit s'attacher exclusivement à la peine applicable en vertu de la disposition générale de la loi. Suivant lui, l'opinion contraire, outre qu'elle introduit un certain arbitraire dans l'administration de la justice, a le tort de porter atteinte à un principe qu'il regarde comme étant à un plus haut degré que tout autre, même celui de la publicité, la base fondamentale de la procédure criminelle, à savoir que la preuve doit être exclusivement orale et directe.

Toutefois, cette thèse absolue fut contredite au nom des nécessités de la pratique et des usages suivis dans certains pays, à Francfort par exemple, où l'on a l'habitude de décharger les tribunaux de l'ordre moyen en renvoyant devant les juges du degré inférieur les infractions auxquelles, en fait, paraît devoir être appliquée une peine ne dépassant pas un certain taux. De là une modification apportée, du consentement du rapporteur, à sa proposition, qui ne fut maintenue rigoureusement que pour les affaires de la compétence du jury, et qui fut votée en ces termes

a La compétence des tribunaux de répression doit dépendre, en


« principe, de la peine prononcée par la loi inthesi. – II ne doit être « admis d'exception à ce principe que pour les faits punis de peines « légères et qui, appartenant aux tribunaux de l'ordre moyen, seraient « déférés aux tribunaux de l'ordre inférieur. »

La discussion capitale, dans cette section, s'engagea sur la troisième question, concernant l'établissement de tribunaux d'échevins (Schoeffengerichte), c'est-à-dire de tribunaux criminels composés en partie de personnes n'appartenant pas à la magistrature (Laien), avec cette remarque que ces personnes n'auraient pas, comme le jury, à statuer sur une partie du procès qui leur serait réservée, mais qu'elles feraient partie intégrante du tribunal et voteraient avec les juges de profession pour former une décision commune.

Les débats ont fait connaître que des tribunaux de cette espèce existent en Saxe et en Wurtemberg; il en existe également dans quelques autres parties de l'Allemagne pour les juridictions du degré inférieur. L'expérience a-t-elle été favorable à l'institution? Il semble que les avis soient partagés sur ce point. Dans tous les cas, de grands efforts ont été faits en Allemagne depuis un certain temps pour populariser l'idée des tribunaux d'échevins. Le principal promoteur de cette idée est M. Schwarze, procureur général à Dresde, et c'est lui justement qui était chargé du rapport sur la question, au congrès de Stuttgard.

La discussion s'est engagée d'abord sur le principe. En contradiction avec l'opinion de l'éminent rapporteur, proclamant que l'introduction des tribunaux d'échevins réaliserait un progrès dans la justice criminelle et qu'il n'y avait pas lieu de la restreindre aux juridictions de l'ordre inférieur, il avait été produit un mémoire du docteur Merkel, professeur à Prague, préconisant au coniraire le jury. Suivant le docteur Merkel, c'est en principe sous la forme du jury, que l'on doit, sauf à amender l'institution dont il ne méconnaît pas les imperfections, que l'on doit, dis-je, introduire l'élément non professionnel dans les tribunaux criminels; c'est la seule manière d'assurer à cet élément une pleine et indépendante participation aux décisions judiciaires. Avec les Schoe/fengeriçhte, il arrivera fatalement ce qui s'est produit, à ce qu'on prétend, dans les tribunaux de commerce mixtes, à savoir que les juges non magistrats se borneront à approuver la sentence qu'ils n'auront pas su trouver. En conséquence, il conclut à l'extension du jury et repousse les Schoeffengerichte si ce n'est là où l'emploi du jury paraitrait impraticable, c'est-à-dire pour le jugement des infractions les plus minimes.

Ceci nous révèle le côté grave de la question. Au fond, comme la discussion l'a prouvé, la proposition pouvait être considérée comme


une attaque plus ou moins directe contre Je jury. L'institution des tribunaux mixtes pouvait paraître une voie détournée pour arriver à supprimer le jury avec sa forme propre, même dans les juridictions criminelles du degré supérieur, et à lui substituer les Schoeffengerichte. Les partisans du jury ne s'y étaient pas trompés, et les tendances du rapport à cet égard furent relevées avec vivacité et non sans esprit parM le professeur Wahlberg, de Vienne « Qu'avons-nous entendu? n s'est-il écrié, « une critique portant au jury un coup mortel. Le « rapport et le plaidoyer de notre honorable rapporteur m'ont fait « l'impression d'un médecin appelé au lit de mort du jury, et cher« chant les moyens les plus doux de procurer au pauvre malade irré« médiablemeut condamné le repos éternel. »

Certains partisans des Schoeffengerichte ne faisaient d'ailleurs pas difficulté de montrer le fond de leur pensée. «Je ne me fais pas d'illusion sur la conséquence, disait l'un d'eux avec les Schoeffengerichte, nous introdnisons dans les tribunaux l'élément étranger à la magistrature sous une forme nouvelle, sous une forme autre que celle du jury; mais, de même qu'entre deux points il ne peut y avoir qu'une seule ligne droite, de même il ne peut y avoir qu'une de ces deux formes qui convienne au but qu'on se propose d'atteindre. Laquelle des deux? Ici je suspends mon jugement. »

Mais, dans la réunion, dominait le sentiment qu'il ne fallait pas toucher au jury; M. Schwarze dut s'y conformer, et, pour cela, modifier le texte de sa proposition de manière à lui donner satisfaction. Il dut de plus, en communiquant à l'assemblée générale la résolution votée par la section, déclarer expressément qu'elle n'avait entendu en aucune manière porter atteinte au jury.

Voici le texte de la résolution « On doit attendre une améliora« tion dans la justice criminelle de l'introduction aussi large que « possible de l'élément non-professionnel dans le jugement des in« fractior's de tout ordre; et il y a lieu de recommander, cet égard, « pour les tribunaux de l'ordre moyen et de l'ordre intérieur, la forme « des Schneffengerichle. »

Le principe posé, deux points subsidiaires restaient encore à résoudre.

On avait demandé, question mal posée, suivant le rapporteur, si les Schoeffengerichte devaient être recommandés même au cas de suppression du droit d'appel contre leurs décisions. A son avis, c'est précisément l'établissement des tribunaux mixtes qui doit entraîner la suppression de l'appel. On s'est tiré d'affaire en passant à l'ordre du jour, par la raison que c'était là une question de voies de recours étrangère à la discussion actuelle.


En dernier lieu on avait demandé dans quelle mesure les juges non magistrats devaient participer au jugement. Dans l'idée de M. Schwarze, ils ne devaient prendre part, comme les jurés, qu'à la décision des questions de culpabilité et de ce qui s'y rattache, mais non à celle des questions de procédure ni à la détermination de la peine. Mais sur ce point l'éminent rapporteur éprouva un échec complet; la résolution votée est ainsi conçue « Les membres non magistrats doivent être « investis de la juridiction dans toute son étendue. »

11 me reste à parler des travaux de la quatrième section. Ils sont exclusivement relatifs à la détermination de quelques principes fondamentaux destinés à servir de base à un code de procédure civile. Le point de départ de la discussion se trouvait dans le projet même du code de procédure civile en préparation pour l'Empire d'Allemagne. Le rapport, à défaut du docteur Fâustle, primitivement désigné et appelé depuis aux fonctions de Ministre de la Justice en Bavière, a été présenté par M. Gneist lui-même.

Le projet admet la procédure orale qui pour certains pays de l'Allemagne est presque une nouveauté. Ce principe n'était, bien entendu, pas mis en question; il était au contraire tenu pour essentiel, et servait de point de départ aux problèmes qu'on se proposait de résoudre.

Ces problèmes consistaient essentiellement à trouver la conciliation pratique entre le principe de la procédure orale, et la nécessité de recourir dans une certaine mesure à des constatations par écrit. Trois questions distinctes étaient posées

Première question. « Dans quelle mesure les communications et « conclusions écrites échangées avant le débat d'audience, doivent« elles, dans le système de la procédure orale, influer sur la détermi« nation de l'état des faits ? »

Les résolutions suivantes, acceptées conformément à l'avis du rapporteur, font bien comprendre le sens et la portée de la question A. Les écrits antérieurs aux débats n'ont de valeur qu'à titre a d'informations réciproques pour les parties. Ils ne doivent pas, « comme dans la procédure prussienne, servir de base à la décision à « intervenir. »

B. « On ne doit donner lecture que du dispositif des écrits de « conclusions. »

C. « On ne doit pas exiger que l'état des faits soit fixé par des « conclusions motivées. »

D. « L'état des faits est constaté par le jugement définitif d'après


a l'ensemble des débats, sous réserve d'une procédure sommaire en « rectification. »

E. « Sous tous ces rapports le projet révisé peut être pris comme « base d'une bonne législation sur la matière. »

Deuxième question. « Faut-il admettre jusqu'à la fin des débats. « aboutissant au jugement définitif, l'introduction de nouveaux faits et « de nouveaux moyens de preuve? »

Il s'agissait ici de l'idée consignée dans le projet primitif, mais non conservée dans le projet amendé ou révisé, consistant à faire dans le procès une coupure, à le scinder en un point à partir duquel il ne serait plus admis de nouveaux faits ni de nouveaux moyens de preuve. Cette césure de l'instance pouvait paraître nécessaire à l'effet d'écarter les moyens dilatoires. Elle avait en sa faveur certaines traditions de l'ancienne procédure écrite. Seulement elle expose à de grands inconvénients par la violence qui peut en résulter pour la conscience du uge, et après une discussion très-vive, l'assemblée s'est prononcée contre toute coupure de l'instance; elle a pensé que les procédures dilatoires n'étaient pas trop à redouter, et que le correctif à ce danger se trouvait dans l'intérêt même des parties et de leurs mandataires, ainsi que dans certaines dispositions du projet jugées suftisantes. Troisième question. «L'appel ne doit-il pas être supprimé pour « y substituer une simple revisio in jure? »

La solution affirmative de cette troisième question aurait impliqué que l'état des faits aurait été définitivement fixé par le jugement de première instance, qui aurait ainsi produit la césure dont il a été parlé plus haut. Le juge du second degré, dans ce système, ne serait pas toutefois un simple juge de cassation; il aurait le droit de réviser les inductions tirées par le premier juge des faits ou des moyens de preuve appréciés par lui, mais il ne pourrait être produit dans l'instance en révision aucun fait ni aucun moyen de preuve nouveau (nova in facto vel probatorio).- Tel est le système du projet révisé; tel était aussi le système défendu par M. Gneist. Mais sur ce point il a trouvé un adversaire très-résolu dans un magistrat des plus distingués, M.Baehr, conseiller à la Cour d'appel supérieure de Berlin. S'appuyant sur son expérience judiciaire, M. Baehr a combattu avec force les revisiones in jure en général, et en particulier le recours en cassation à la manière française. C'est son opinion qui a prévalu, et la réunion a voté dans les termes suivants

« Le droit d'appel sans limites doit être absolument maintenu dans « la nouvelle procédure une simple revisio in jure serait insuffisante « pour en tenir lieu. »


J'ai dû me borner à une analyse un peu sèche de ces discussions pleines d'intérêt. Le peu que j'en ai dit suffit pour montrer l'utilité que présente à notre point de vue l'étude des travaux de ce congrès. On peut prévoir qu'il exercera quelque influence sur l'élaboration de la nouvelle législation allemande. Dans tous les cas, cet examen critique des questions législatives nous amène fréquemment à faire un retour sur nos propres institutions, qui sont prises plus d'une fois comme terme de comparaison. Ce n'est pas tout; bien que la politique, ainsi qu'on l'a pu voir, n'ait guère place au congrès, il n'y en a pas moins là un foyer d'opinion dont il ne nous est pas indifférent,de suivre les manifestations. L'expérience nous a appris que nous devions avoir l'oreille ouverte à tout ce qui peut se dire à l'étranger, et c'est assurément ici une tribune dont il nous importe de recueillir les échos. M. le Président remercie M. Bufnoir de son intéressante communication,

M. Bakboiix, avocat à la Cour d'appel, prend occasion de la communication de M. Bufnoir pour faire connaître à la Société que le congrès de jurisconsultes italiens, qui devait s'ouvrir à Rome aujourd'hui même, est ajourné au 8 octobre prochain. Les promoteurs de ce congrès sont au nombre de soixante-quinze, et parmi eux se trouvent les personnages les plus considérables. Le règlement du congrès indique que son but consiste à discuter des questions de droit proposées d'avance à l'examen, afin d'établir un échange d'idées entre les hommes voués aux mêmes études et d'affirmer sur ces questions l'opinion générale des hommes compétents; à organiser d'une «façon permanente ces réunions successives. Les questions que le congrès doit examiner sont de celles qui peuvent être examinées partout. Lorsque les travaux du congrès auront été publiés, il y aura lieu de voir si les solutions, bien que données pour l'Italie, ne peuvent pas avoir quelque intérêt pour nous.

M. Gartiee, juge-suppléant au tribunal de la Seine, a la parole pour rendre compte d'un projet de loi italien relatif à l'organisation judiciaire. Il s'exprime ainsi

Le bureau de notre Société a désiré qu'il vous fût rendu compte du projet de loi portant modification à l'organisation judiciaire présenté au Sénat italien..Il y a intérêt, au moment où l'Assemblée nationale est saisie d'un projet relatif à notre organisation judiciaire, à rechercher ce qui existe en cette matière dans les autres pays de l'Europe.' La


question la plus agitée, vous le savez, est celle du recrutement de la magistrature. Le projet de loi dont nous vous entretenons, et qui traite de matières complexes et variées, n'apporte qu'une légère modification à l'état de choses antérieur. Nous allons donc exposer brièvement quelles sont les conditions d'admission dans la magistrature italienne, et nous vous signalerons en passant quelles sont les modifications projetées.

L'organisation de la justice en Italie a été calquée sur la nôtre. Le décret du 6 décembre 1865 porte (art. 1er) que la justice, en matière civile et criminelle, est rendue par les conciliateurs, les préteurs, les tribunaux civils et correctionnels, les tribunaux de commerce, les Cours d'appel, les Cours d'assises et la Cour de cassation. La juridiction, en ce qui concerne les inculpés militaires et marins, est réglée par des lois spéciales.

Nous devons de suite signaler une différence entre la France et l'Italie, en ce qui concerne le premier degré de juridiction. Notre juge de paix a la double qualité de conciliateur et de juge. En Italie les deux fonctions sont distinctes. Il y a un conciliateur dans 'chaque commune; les fonctions de conciliateur sont purement honorifiques; il est nommé par le roi sur une liste de trois candidats que présente le conseil municipal. Il reste en fonctions pendant trois ans et peut être confirmé. Le conciliateur, en cas d'empêchement, est remplacé par le conciliateur le plus voisin du même canton, et à son défaut, par le préteur. Les seules conditions exigées pour pouvoir être nommé conciliateur sont d'avoir vingt-cinq ans; 2° de demeurer dans la commune 3° d'être inscrit sur la liste des électeurs communaux.. Le magistrat qui remplit les fonctions se rapprochant de celles confiées à notre juge de paix s'appelle préteur. Il y en a un par mandement ou canton. Le préteur, dit l'article 35, remplit, dans les limites assignées par les lois, les fonctions de juge en matière civile et commerciale; du juge en matière pénale; 3° d'officier de police judiciaire. Il exerce en outre, de la manière fixée par les lois, la juridiction volontaire et remplit les autres attributions à lui déférées.

Le projet de loi présenté au Sénat donne au préteur des attributions considérables tant en matière civile qu'en matière criminelle, car il propose de modifier ainsi les articles de lois suivants

Art. 71 du Code de procédure civile Sont de la compétence des préteurs louies les actions civiles et commerciales dont la valeur n'excède pas 2,000 livres, excepté la compétence établie par l'article précédent. Sunt de la compétence des préteurs les actions en prestation d'aliments ou de pensions alimentaires périodiques, et pour la


libération totale ou partielle desdites obligations, si la prestation en litige n'excède pas une valeur de 200 livres par an.

Art. 11 du Code de procédure criminelle Appartient aux préteurs la connaissance

1° Des contraventions punissables des peines de simple police; 2° Des délits punissables de la prison, du coufinement (qu'on nous passe ce néologisme qui, seul, nous paraît rendre le mot italien confina) ou de l'exil local n'excédant pas trois mois de durée, ou d'amende, seule et accompagnée des peines corporelles susénoncées, qui n'excède pas 500 livres;

3' Des délits ci-après indiqués, quand l'inculpé est renvoyé devant les préteurs conformément aux articles 43, 252 et 436. Pour ces délits, les préteurs pourront appliquer les peines de la prison, du confinement ou de l'exil local jusqu'à deux ans inclusivement, ou de l'amende, seule ou accompagnée des peines corporelles ci-dessus, jusqu'à 2,000 livres inclusivement. Suit une longue nomenclature de délits, parmi lesquels nous citerons rébellion commise par une ou deux personnes sans armes; dégradation de monuments publics; outriigc à la pudeur; menaces verbales sans ordre ou condition; vagabondage jeux prohibés; coups et blessures volontaires et involontaires vols simples; usurpations et déviations d'eau. Aux termes de l'article 43, le procureur du roi, lorsque la peineencourue n'excède pas deux ans de prison, confinement ou exil local, ou 2,000 livres d'amende, peut requérir le juge d'instruction de renvoyer l'inculpé devant le préteur, sans procéder lui-même aux actes d'instruction. La chambre du conseil (art. 232) peut également renvoyer l'inculpé devant le préteur 1* lorsqu'elle reconnaît qu'à raison de l'âge, de l'état d'esprit, ou d'autres circonstances atténuantes comprises dans celles qu'indique l'article 684 du Code pénal, il peut y avoir lieu, au regard de tous les inculpés, à substituer aux peines correctionnelles les peines de police, ou bien qu'à raison desdites circonstances atténuantes ou du peu de gravité du délit, la peine de la prison, du confinement ou de l'exil local, au regard également de tous les inculpés, ne doit pas excéder trois mois de prison, ou s'il s'agit d'amende, qu'elle ne doit pas être supérieure à 500 livres. Nous vous ferons remarquer cette disposition qui n'existe pas dans nos Codes, permettant à l'autorité qui renvoie devant le juge d'indiquer à l'avance au juge le degré qu'il ne devra pas dépasser dans l'application de la peine. Vous verrez tout à l'heure un correctif apporté à cette limitation fixée avant les débats et alors que la gravité du délit ne peut être que présumée 2" lorsqu'il s'agit des délits indiqués au § 3 de l'art. M (ceux dont nous avons cité quelques-uns plus haut), et que la peine ordi-


naire, ou celle à laquelle il y a lieu de descendre à raison du concours des circonstances atténuantes, n'excède pas deux ans ou 2,000 livres. Ce renvoi ne peut avoir lieu que s'il est ordonné à l'unanimité. Il ne peut jamais avoir lieu pour délits de presse.

Toutefois, la loi admet que lès débats devant le préteur fassent disparaître les circonstances atténuantes qui avaient été admises dans l'ordonnance de renvoi; le préteur ne se dessaisit pas pour cela, il retient la cause; mais, (art. 386) s'il s'agit de contravention, il peut doubler la durée de la prison et de l'amende. S'il s'agit de délit, il peut appliquer la prison, le confinement ou l'exil local jusqu'à six mois, l'amende jusqu'à 1,000 livres; s'il s'agit des délits indiqués au § 3 de l'article 11, il peut appliquer la prison, le confinement ou l'exil local jusqu'à trois ans et l'amende jusqu'à 3,000 livres.

Enfin (art. 436) la section d'accusation peut renvoyer l'inculpé devant le préteur, s'il s'agit des délits prévus au même article 11, § 3. Vous nous pardonnerez, messieurs, cette digression, mais nous avons cru utile de vous faire connaître quelle est la compétence étendue du préteur, qu'il est intéressant de comparer à celle de notre juge de paix. Vous savez que beaucoup de bons esprits tendent chez nous à augmenter la compétence de ce magistrat en matière civile. Ne serait-il pas bon également de lui déférer la connaissance de nombreuses affaires correctionnelles dont l'instruction et le jugement offrent peu de difficultés, comme le vagabondage, la mendicité, la rupture de ban, les vols de récolte, les dégradations de monuments, les coups et blessures n'entraînant pas d'incapacité de travail? Si jamais on restreint le nombre des tribunaux de première instance, ainsi qu'il en a été souvent question, l'examen des nouvelles attributions à donner aux juges de paix deviendra nécessaire, et vous saurez que la loi italienne nous offre à ce sujet de nombreuses dispositions dont quelques-unes pourraient peut-être être transportées dans nos Codes.

Le chapitre IV du décret de 1865, articles 17 et suivant, a pour titre Du stage pour les fonctions judiciaires.

Le stage pour les fonctions judiciaires, excepté celles de greflier (eancellierc) et de secrétaire du parquet, a lieu en qualité d'auditeur. Pour l'admission au stage, outre les conditions générales réclamées par l'admission aux fonctions judiciaires, être citoyen du royaume, avoir l'exercice des droits civils, etc., sont exigées les conditions spéciales suivantes. Pour être nommé auditeur il est nécessaire d'être licencié en droit d'une Université italienne; d'avoir subi l'épreuve d'un concours. Ce concours a lieu par écrit, devant une commission d'examen nommée par le ministre de la justice, dans les endroits et de la ma-


nière déterminés par les règlements. Quiconque a subi l'épreuve du concours, est nommé auditeur par décret ministériel.

L'article 20 porte Les auditeurs sont destinés par le ministre de la justice aux divers Cours, tribunaux et bureaux, eu égard aux besoins et aux convenances du service.

Les auditeurs sont tenus de fréquenter le bureau auquel ils sont attachés, d'assister aux audiences des Cours ou des tribunaux et de s'acquitter des travaux qui leur sont confiés par le chef du bureau ou celui qui en fait fonctions.

Les auditeurs, outre les attributions spéciales qui leur sont conférées par la loi d'organisation, peuvent être appelés par le procureur général à remplir les fonctions de ministère public dans les prétures. Ils peuvent aussi, après six mois de stage, et quand la nécessité du service l'exige, être appelés par décret royal à exercer les fonctions de vice-préteurs.

L'auditeur doit subir un examen pratique, après un an de fonctions au moins s'il aspire à être nommé préteur, et après trois ans au moins s'il aspire à être nommé adjoint judiciaire. Il conserve la qualité d'auditeur et continue à en exercer les fonctions même après t'examen, jusqu'à ce qu'il reçoive une destination.

L'examen pratique a lieu à la même époque dans tout le royaume, devant des commissions formées annuellement dans les villes sièges de Cours d'appel; il a lieu par écrit et de vive voix, et roule sur la pratique judiciaire.

Nul ne peut être nommé adjoint judiciaire sans avoir été d'abord auditeur et avoir accompli l'âge de vingt-cinq ans, et sans remplir toutes les autres conditions voulues par la loi.

Les adjoints judiciaires sont répartis par décret royal entre les tribunaux civils et correctionnels, suivant le nombre réclamé par les besoins de la justice, eu égard spécialement à ceux des parquets, et eu égard aux autres considérations et circonstances du service. Les adjoints judiciaires ont voix délibératives dans les affaires qu'ils rapportent, et dans les autres en cas d'empêchement d'un des juges. Disons, en passant, qu'aux termes du décret, les tribunaux civils et correctionnels jugent au nombre invariable de trois magistrats (art. 46.), les Cours d'appel de cinq en matière civile, de quatre pour les appels correctionnels (art. 67), et la Cour de cassation de sept membres (art. 127).

Aux termes de la loi projetée, le stage peut avoir lieu en qualité soit d'auditeur, soit d'élève de jurisprudence.

Pour être nommé élève de jurisprudence il faut outre la qualité de licencié, avoir subi un concours spécial.


L'article 19 ancien ne déterminait pas les sujets du concours. D'après le nouvel article, le concours qui aura lieu par écrit, en cinq jours au moins, roulera sur

Laphilosophiedu droit;

2' Le droit romain et l'histoire de la législation italienne; 3" Les lois civiles et la procédure civile;

Les lois pénales et la procédure pénale;

5° Le Code de commerce et l'organisation judiciaire.

Quiconque a subi l'épreuve du concours est nommé auditeur ou élève de jurisprudence par décret ministériel.

Les auditeurs et les élèves de jurisprudence sont répartis entre les tribunaux suivant les besoins du service, mais aux auditeurs seuls continue d'être réservé de pouvoir remplir les fonctions de ministère public dans les prétures.

L'article 2t du projet impose de nouvelles conditions pour être nommé adjoint judiciaire. Tl faut

1° Avoir vingt-cinq ans accomplis;

2° Avoir été pendant trois ans élève de jurisprudence dont deux près un tribunal ou un parquet de première instance, et un près une Cour d'appel ou un parquet d'appel;

3» Avoir, après ces trois ans, soutenu convenablement un examen pratique par écrit et de vive voix devant une commission nommée par le ministre de la justice.

Nous avons vu comment se recrutent les auditeurs et adjoints judiciaires.

Voici maintenant dans quelles classes de personnes sont choisis les magistrats, aux termes du décret de 1865, avec les modifications que doit apporter la loi proposée.

Art. 39. Pour être préteur, il faut un stage d'un an en qualité d'auditeur, et l'examen pratique. Peuvent aussi être nommés préteurs 1 Les adjoints judiciaires

Les élèves de jurisprudence après un stage d'un an;

3° Les vice-préteurs de mandement licenciés en droit, après trois ans d'exercice, au lieu de quatre ans qu'exigeait le décret de 1865; 4° Les licenciés en droit, après trois ans au lieu de cinq d'exercice effectif de la profession d'avocat devant les Cours ou tribunaux. 5° Les procureurs (c'est-à-dire avoués) licenciés en droit, après quatre ans au lieu de huit ans d'exercice effectif devant les Cours ou tribunaux en qualité de chefs d'un office;

6° Les notaires licenciés en droit, après six ans au lieu de huit d'exercice effectif de leur profession.

Les élèves de jurisprudence qui n'ont pas soutenu l'examen prescrit


par l'article 24, les vice-préteurs, les procureurs et les notaires, pour être nommés préteurs, doivent avoir soutenu favorablement l'examen prescrit par l'article 23 qui n'est pas modifié par la nouvelle loi. Nul ne peut être nommé préteur avant vingt-cinq ans accomplis. Peuvent être nommés vice-préteurs de mandement les licenciés en droit âgés de vingt-cinq ans, les notaires et les procureurs en exercice. Les juges des tribunaux civils et correctionnels doivent avoir vingtcinq ans. Ils sont pris parmi

Les substituts du procureur du roi et les préteurs, après un an d'exercice;

2° Les adjoints judiciaires, après deux ans d'exercice.

Le nouvel article 24 porte que les adjoints judiciaires sont nommés juges et substituts en concours avec les préteurs, dans la proportion d'un quart des postes vacants;

3° Les licenciés endroit, après sept années d'exercice comme avocats ou dix années comme procureurs.

Pourêtre vice-président, il faut avoirétéjuge pendant un anaumoins. Pour être président, il faut avoir trente ans, avoir été juge ou substitut pendant six ans, vice-président pendant deux ans ou avocat exerçant pendant dix ans, ou pendant le même temps professeur de droit dans une Université de l'État. Nous vous signalerons l'article 48 du décret, lequel, prévoyant le cas où le tribunal ne serait pas en nombre légal, permet d'appeler pour le compléter un préteur de la commune où siège le tribunal, à son défaut, un vice-préteur licencié en droit, et en cas d'empêchement le préteur le plus voisin. En suivant la lecture du décret de -1865, nous trouvons le chapitre relatif aux tribunaux de commerce. Bien que ce sujet soit complètement en dehors de notre étude, permettez-nous de vous signaler deux dispositions tout à fait différentes de celles de nos lois (art. 56 et 55). Le président, les juges, les suppléants des tribunaux de commerce sont nommés par le roi sur les propositions faites par les chambres de commerce, lesquelles présentent une liste de noms triple du nombre de membres à nommer.

Lorsque des circonstances particulières locales l'exigent dans l'intérêt du service public, peut être nommé président ou vice-président d'un tribunal de commerce un magistrat, ou un avocat, pourvu qu'il ait les qualités requises pour être président ou vice-président d'un tribunal civil. Lorsque c'est un magistrat il a le,grade, les appointements et les honneurs appartenant au président ou vice-président du tribunal civil. Autrement les fonctions de magistrat consulaire sont purement honorifiques.

Pour être nommé conseiller d'une Cour d'appel, il faut avoir trente


ans, avoir été président ou vice-président pendant deux ans, ou juge pendant six ans ou bien pendant dix ans soit avocatexerçant, soit professeur de droit dans une Université de l'État.

Nous ne voyons pas qu'un temps quelconque en qualité de conseiller soit exigé pour être nommé, soit premier président, soit président de chambre. Nous trouvons encore à l'article 71 une disposition permettant de compléter la Cour, en cas de besoin, par l'appel du président ou du plus ancien des vice-présidects du tribunal civil. Pour être membre de la Cour de cassation, il faut avoir été membre d'une Cour d'appel pendant six ans, ou président d'un tribunal civil pendantle même temps ou, enfin, pendant douze ans avocat exerçant ou professeur de droit dans une Université de l'État.

Le titre III du décret de 1865, est relatif au ministère public, dont l'organisation est à peu près la même qu'en France. Toutefois il existe un ministère public auprès des préteurs; les fonctions en sont remplies par les adjoints judiciaires, les auditeurs et autres fonctionnaires. Les membres du ministère public près les Cours et tribunaux (art. 133) sont choisis parmi les membres des Cours et des tribunaux et parmi les préteurs.

Ils peuvent aussi être choisis parmi les adjoints judiciaires, après deux ans d'exercice parmi les avocats et les professeurs ayant les qualités requises pour être préteurs, parmi les membres des tribunaux, les magistrats et les licenciés en droit employés au ministère de la justice, et parmi les personnes qui ont déjà exercé les fonctions de ministère public près les bureaux du contentieux financier ou près les tribunaux militaires, après un temps d'application égal au moins à celui prescrit pour le stage des adjoints judiciaires.

L'article 135 porte Les carrières de la magistrature jugeant et du ministère public sont parallèles et distinctes. Mais, article 137, les fonctionnaires du ministère public peuvent, par exception, être transférés dans la magistrature assise pourvu que, quantau temps, ils remplissent les conditions voulues par la loi pour la nomination aux différents emplois. A cet effet, le temps passé dans les parquets leur est compté comme le temps fixé pour les juges. Pour être nommé conseiller à la Cour de cassation, il est nécessaire au membre du ministère public d'avoir passé neuf ans au parquet, dont six en qualité de substitut du procureur général.

Cette étude, que la nature même du sujet a rendue malheureusement trop aride, peut se résumer ainsi

On peut entrer dans la magistrature italienne par voie d'examen; elle se recrute aussi pour les grades inférieurs parmi les notaires et procureurs, pour tous les grades parmi les avocats et professeurs de droit


ayant exercé pendant un temps plus ou moins long, suivant l'importance des fonctions auxquelles ils sont appelés. Enfin les magistrats, une fois nommés, doivent occuper leursfonctions pendant un certain temps pour obtenir de l'avancement.

Nous ne savons pas quel a été le sort du projet de loi présenté le 30 novembre 1871, lequel, d'ailleurs, n'apporte que de légères modifications à l'organisation préexistante. Il nous semble difficile qu'il ait subi autant de vicissitudes, autant de renvois à la commission que le projet actuellement proposé à notre Assemblée nationale. Permettez-nous, messieurs, de terminer en faisant cette réflexion que peut-être les discussions au sein de notre Assemblée eussent été moins vives, l'accord plus facile, si, revenant à une tradition malheureusement abandonnée depuis longues années, le gouvernement avait d'abord soumis le projet à l'examen critique de la magistrature, et eût provoqué les observations des Cours et tribunaux. C'est là une pratique que nous désirerions vivement voir reprendre pour toutes les lois autres que les lois politiques et de finance, dont les Tribunaux doivent faire l'application. La Représentation nationale ne saurait que gagner à avoir sous les yeux les observations de la magistrature au sujet des lois qui lui sont proposées.

M. le Président remercie M. Cartier de son intéressante communication.

M. MAGNE, ancien avocat à la Louisiane, dépose sur le bureau une notice qu'il a bien voulu se charger de rédiger sur le Code civil de la Louisiane. Ce travail est ainsi conçu

L'Union Américaine n'est pas une puissance unitaire; elle n'est cependant point une simple confédération d'États. Les colonies anglaises, transformées en États par la conquête de leur indépendance, ont, en 1787, en adoptant leur constitution, organisé un gouvernement fédéral composé du pouvoir législatif délégué à deux chambres qui forment le Congrès, du pouvoir exécutif délégué à un président, et du pouvoir judiciaire délégué à une Cour suprême et à des Cours de circuit, de district, etc.; ils ont attribué à ce gouvernement fédéral certains pouvoirs déterminés et se sont réservé tout le reste. Dans les limites des pouvoirs à lui concédés, le gouvernement fédéral est unitaire et suprême et tous les États lui doivent obéissance; en dehors de ces pouvoirs, il ne pourrait agir sans commettre une usurpation manifeste.


Il suit de là que chaque État de l'Union, pourvu qu'il ne touche pas aux matières attribuées au gouvernement fédéral, se gouverne à sa guise et que la législation d'État à État varie à l'infini à ce point que, sur les trente-sept États qui composent actuellement l'Union, il n'y en a pas deux qui aient exactement la même législation. Toutefois, dans trente-six de ces États, la législation a une base commune; la loi commune -common law -anglaise telle qu'elle était à l'époque de l'indépendance. Un seul État, la Louisiane, a conservé, en partie du muins, « la loi civile, » expression dont se servent les juristes anglo-saxons pour désigner les diverses législations dérivées du droit romain. C'est pour cela que j'ai cru devoir appeler d'abord votre attention sur la législation louisianaise; un autre motif encore a exercé une certaine influence sur ma détermination c'est le très-grand nombre de Louisianais établis en France, lesquels, pour leur personne ou leurs biens, donnent lieu à de fréquentes questions de droit international privé, questions qui, dans la majeure partie des cas, exigent, pour leur solution devant les tribunaux français, la connaissance du droit louisianais.

La province de la Louisiane, dont l'État de la Louisiane actuel n'est qu'un mince démembrement, était régie, sous la domination française, par la coutume de Paris, et sous la domination espagnole par la législation coloniale de l'Espagne; lorsqu'elle fut cédée à la république américaine en 1803, on avait stipulé dans le traité de cession qu'elle pourrait conserver sa langue et ses lois et ses lois, alors, étaient un mélange du droit français et du droit espagnol. La population louisianaise, désormais maîtresse d'elle-même sous le drapeau américain, voulut avoir un Code; on chercha vainement, tant les communications transatlantiques étaient rares alors, à se procurer le nouveau Code français, et l'on dut se contenter du projet de Code publié en l'an IX avec un discours préliminaire de Portalis.Tronchet, Bigot-Préameneu et Maleville. Ce fut donc ce projet qui servit de base au travail de codification confié à deux jurisconsultes, James Brown et Moreau Lislet, sous la direction d'une commission législative. Le travail terminé, il fut soumis à la législature et adopté, en 1808, sous le titre significatif de « Digeste des lois civiles actuellement en vigueur dans le territoire d'Orléans, avec modifications et amendements, adapté à la forme actuelle du gouvernement. Comme ce Digeste fut bientôt trouvé incomplet, comme il contenait d'ailleurs de nombreux emprunts faits au droit anglais et au droit espagnol, on se voyait à chaque instant obligé de remonter aux sources, soit pour Combler des lacunes, soit pour interpréter le texte, et de consulter les commentateurs et les interprètes de ces diverses législations. Encore


aujourd'hui, soit dit en passant, quoique la jurisprudence ait fixé bien des points, cette nécessité existe dans une certaine mesure. En 1823 on chargea trois jurisconsultes, Moreau Lislet, Livingston et Derbigny, de reviser le Digeste de 1 808 leur travail, qui fut approuvé par la législature en 1823 sous le nom de « Code civil de Louisiane, » est encore en vigueur sauf les nombreux changements qu'on lui a fait subir, et il servira de base à cette esquisse. Je dois prévenir que, pour rendre ma tâche possible dans des proportions réduites, je ne signalerai que les dispositions importantes du Code louisianais qui sont contraires aux dispositions du Code civil français ou qui s'en écartent beaucoup, et que je passerai sous silence tout ce qui est semblable ou analogue et tous les détails de peu d'importance. Le Code civil de la Louisiane est très-volumineux et peut-être un peu verbeux; il se compose de 3,822 articles; outre un titre préliminaire traitant de la loi et des coutumes, de la promulgation et de l'abrogation des lois, des effets et de l'interprétation des lois, il se divise, comme le Code français, en trois livres des personnes, des biens et des différentes manières dont on acquiert la propriété des biens. Livre I". -Le titre I", intitulé De la distinction des personnes,» » se compose de définitions et de pure doctrine le titre II, « Du domicile, » se rapproche beaucoup du titre TU portant le même intitulé dans le Code français. Les titres 1 et II du Code français, « De la jouissance et de la privation des droits civils et des actes de l'état civil, » ne se trouvent pas dans le Code louisianais. JI y a, dans l'État de la Louisiane, des bureaux pour enregistrer les naissances et décès; mais l'enregistrement n'est pas obligatoire hors de la Nouvelle-Orléans, et il n'y a aucun bureau d'enregistrement pour les mariages. Le titre III, Des absents, correspond au titre IV du Code français et n'en diffère pas beaucoup, sauf au chapitre 4 intitulé « Des effets de l'absence relativement au mariage, qui dispose, art. 81 « Dix années d'absence, sans aucunes nouvelles, donnent le droit au mari ou à la femme de l'absent de passer à de secondes noces, après en avoir obtenu la permission de justice sur justification suffisante de la durée de l'absence, sans nouvelles, pendant le temps requis par la loi. Et si l'époux ou la femme, qui était absent, reparaît ensuite, il sera libre de ses premiers nœuds et pourraen contracter de nouveaux; et le mariage contracté par l'autre conjoint, sur le motif de l'absence, sera valable. n

Sur le tilre IV, Du mari et de la femme, » se rapportant au titre du Mariage du Code français, il y a plusieurs différences à noter?


1° Le consentement des parents n'est requis que pour les mineurs. 2° L'âge requis est de quatorze ans pour les hommes et de douze ans pour les femmes. 3" Les juges de paix peuvent marier après avoir pris les informations et requis les preuves nécessaires et avoir exigé un cautionnement en rapport avec la fortune dis parties pour garantir qu'il n'existe aucun empêchement légal au mariage; ils peuvent aussi, après avoir rempli toutes ces formalités, donner une licence ou permission à un prêtre, ou autre ministre de la religion, de célébrer le mariage; en ce cas, qui est le plus fréquent, le mariage religieux, célébré avec mention de cette licence, est un mariage légal. 4° Le juge doit, pendant les quinze jours qui précèdent le mariage, faire apposer des affiches atin de rendre publique l'intention des parties de contracter mariage ensemble; mais comme il peut se dispenser défaire cette publication pour des motifs graves, l'usage de ne pas publier a prévalu; de sorte qu'il n'y a réellement d'autre publication que celle résultant des bans de l'église.

Il a été jugé que l'inexécution d'une promesse de mariage pouvait donner lieu à des dommages-intérêts. La femme séparée de corps n'a point besoin de l'autorisation de son mari ni pour contracter ni pour ester en jugement (125).

Le titre V, «De la séparation de corps, » comparé au titre VI, « Du divorce,» du Code français présente de notables différences. Le divorce est admis deplano pour cause d'adultère de la femme, pour l'adultère du mari commis dans la maison conjugale, et lorsque l'un des époux a été condamné à une peine ignominieuse. Mais on arrive plus souvent au divorce par voie indirecte. Ainsi, celui des époux qui a obtenu un jugement de séparation de corps contre son conjoint, peut, un an après, obtenir le divorce en alléguant et prouvant, dans une nouvelle action, qu'il n'y a point eu de réconciliation. On obtient la séparation i° pour excès, sévices et injures graves; pour diffamation publique; 3° pour abandon pendant cinq ans; 4° pour attentat par l'un des époux à la vie de l'autre; 5° lorsque l'un des époux est sous le coup d'une accusation infamante et a pris la fuite pour éviter l'action de la justice 5° pour intempérance (ivrognerie) habituelle.

« La légitimité de l'enfant né trois cents jours après le jugement de séparation de corps peut être contestée, à moins qu'il ne soit prouvé qu'il y a eu cohabitation, » parce qu'on présume que les parties ont obéi à la sentence qui décrétait la séparation » (207).

Une femme mariée en Louisiane, et qui va demeurer ensuite dans un autre État, peut revenir en Louisiane, y poursuivre son mari en divorce ou en séparation de corps, bien qu'il ne revienne pas avec


elle, en lui faisant nommer un défenseur par le tribunal (loi de 1855). Enfin, lorsque le divorce aura été prononcé pour cause d'adultère, le défendeur ne pourra épouser la personne avec laquelle l'adultère aura été commis (loi de 1855).

Je passe sous silence le titre IV « Du maître et du serviteur, n sauf une remarque. On trouve dans le Code louisianais un grand nombre de dispositions concernant les gens de couleur et les esclaves; l'esclavage ayant été aboli et les deux races mises sur un pied d'égalité, je considère comme nullestoutes ces dispositions ainsi que les distinctions qui en résultaient.

Le titre VII, « Delà paternité etde la filiation, n'exige que de courtes observations. La filiation d'enfant légitime peut se prouver toujours tant par titres que par témoins ("212 à 216). La recherche de la paternité des enfants naturels est permise et s'établit: 1" par toute espèce d'actes privés du père où celui-ci a reconnu le bâtard comme son enfant et lui en a donné le nom; 2° lorsque le père, soit en publie, soit en particulier, l'a reconnu comme son enfant, ou lui en a donné le nom dans ses discours, ou l'a fait élever comme tel 3° lorsque la mère de l'enfant était reconnue pour vivre en concubinage avec le père, et a demeuré à ce titre dans sa maison à l'époque de la conception de l'enfant: à moins que la mère ne fût de mœurs notoirement dissolues (227-8).

L'adoption ne peut avoir lieu que par un acte législatif (232) (1);pas de tutelle oflicieuse; enfin le Code louisianais ne donne point au père les moyens coercitifs énumérés au Code français.

Le titre VIII, « De la minorité, tutelle et émancipation, ne s'écarte pas beaucoup du Code français, sauf pour les détails. La différence la plus importante est la faculté accordée au mineur d'obtenir à dix-huit ans, au moyen d'une procédure sommaire, une émancipation complète qui t'assimile au majeur.

« Des fous et des personnes incapables d'administrer leurs biens, » tel est l'intitulé du titre IX, qui diffère peu du Code français dans ses traits principaux sous une technologie et des moyens de procéder trèsdifférents.

Le titre X, « Des corporations,» emprunté au droit anglais, n'a rien d'analogue dans le Code français. Je me bornerai à donner la détinition que contient l'article 418.

« Une corporation est un corps intellectuel, créé par la loi, composé (1) La législature émancipait des mineurs, accordait des divorces et des adoptions la Constitution de 1868 ne le permet plus, sauf à la législature à y pourvoir par des luis générale).


de plusieurs individus réunis sous un nom commun, dont les membres se succèdent de manière que le corps demeure toujours le même, malgré le changement des individus, et qui, pour certains objets, est considéré comme une personne naturelle. »

Livhk2. « Des biens et des différentes modifications de la propriété. » Le chapitre 1" du titre I" « Des biens, » est de pure doctrine et tiré en grande partie des Institutes; les chapitres 2 et 3 traitent des meubles et des immeubles et le chapitre 4 des biens dans leurs rapports avec ceux qui les possèdent.

Titre Il. « De la propriété. » Dans un premier chapitre on traite des principes généraux; dans le deuxième et le troisième, du droit d'accession aux choses mobilières et immobilières; et sur tous ces points on ne s'éloigne presque pas du Code français tout en donnant à la matière plus de développements. On peut en dire autant du titre III, «De l'usufruit, de l'usage et de l'habitation, » que l'on a traités dans deux longs chapitres.

Dans le titre IV, « Des servitudes, » on suit la marche et souvent les principes du Code français en y ajoutant beaucoup de détails. Sur quelques points, cependant, il y a des différences à noter. «Celui qui bâtit le premier dans les villes ou bourgs de cet État, en lieu non enclos de murs, peut faire porter la moitié de son mur sur la terre de son voisin. pourvu qu'il bâtisse en pierres ou en briques, au moins jusqu'à la hauteur du premier étage, et pourvu aussi que l'épaisseur entière de ce mur n'excède pas dix-huit pouces. Mais il ne peut forcer le voisin à contribuer à l'élévation de ce mur (671). «Le voisin, même lorsqu'il a refusé de contribuer à l'érection du mur, peut toujours le rendre mitoyen en payant la moitié de ce qu'il a coûté. Tout propriétaire joignant un mur a la faculté de le rendre mitoyen, en tout ou en partie, en remboursant au maitre du mur la moitié de sa valeur et moitié de la valeur du sol sur lequel il est bâti, si celui qui a fait faire le mur l'a fait porter entièrementsur son terrain (682). 2° Dans un mur mitoyen, aucun des voisins ne peut, sans le consentement de l'autre, ouvrir des fenêtres, ni ouvertures quelconques, pas même à verre dormant (692). D'où il suit et la jurisprudence a tiré cette conclusion que dans un mur non mitoyen, même touchant le voisin, et sans doute aussi lorsqu'il porte pour moitié sur le terrain du voisin, on peut ouvrir des fenêtres à volonté, sauf au voisin à les faire fermer en rendant le mur mitoyen, comme on a vu qu'il pouvait le faire. Pas d'observations sur le titre V qui traite « du bornage et de l'ar


pentage des terres », ni sur le titre VI, traitant « des ouvrages nouveaux dont on peut empêcher la construction. »

LIVRE 3. « Des différentes manières d'acquérir. o Le titre 1", qui traite des successions, est fort long, il n'a pas moins de 885 articles. Voici les principales dispositions qui s'écartent du Code français V Si le défunt est décédé sans postérité, laissant son père et sa mère et des frères ou sœurs ou descendants de ces derniers, la moitié (de la succession) est affectée au père et à la mère et l'autre moitié aux frères et sœurs ou descendants de ces frères et sœurs qui partagent également, c'est-à-dire le père un quart, la mère un quart; les frères et soeurs partagent leur moitié par tête et les enfants des prédécédés par représentation, c'est-à-dire par souches. Si le père ou la mère était prédécédé, son quart reviendrait aux frères et sœurs ou descendants d'eux; si le père et la mère étaient tous deux prédécédés, les frères et sœurs ou leurs descendants recueilleraient toute la succession, à l'exclusion des autres ascendants et des autres collatéraux. Si le défunt n'a laissé ni postérité, ni frères, ni sœurs, ni descendants d'eux, les ascendants lui succèdent à l'exclusion des collatéraux, et l'ascendant le plus proche en degré recueille le tout; s'il n'a laissé ni postérité, ni frères, ni sœurs, ni descendants d'eux, ni père, ni mère, ni ascendants, la succession passe à ses collatéraux, ou pour mieux dire à celui d'entre eux qui est le plus proche.

2° Si le défunt n'a laissé ni descendants, ni ascendants, ni autres parents légitimes, la succession échoit soit au conjoint survivant, soit aux enfants naturels, soit à l'État, suivant les dispositions suivantes Les enfants naturels de la mère, dûments reconnus par elle, sont appelés à la succession si elle n'a pas laissé de descendants légitimes, et ce à l'exclusion des père et mère et autres ascendants ou collatéraux de la défunte. Si elle laissait des descendants légitimes, les enfants naturels n'auraient droit qu'à des aliments.

Les enfants naturels du père, dûment reconnus par lui, sont appelés à sa succession s'il ne laisse ni descendants, ni ascendants, ni collatéraux, ni femme survivante, à l'exclusion seulement de l'État. Autrement, il ne leur est dû que des aliments.

Quant aux bâtards incestueux et adultérins, ils ne succèdent en aucun cas; il ne leur est dû que des aliments.

Ainsi, la femme survivante hérite de son mari, à l'exclusion des enfants naturels du mari, tandis que le mari survivant n'hérite de sa femme que si elle n'a pas laissé d'enfants naturels.

3° Si la femme survivante se remarie deux mois après la mort de son


mari, et qu'il naisse d'elle un enfant viable cinq mois après ce second mariage, l'enfant sera considéré comme issu du premier mariage et admis à la succession du mari défunt. (954 ) ]

4° Sont indignes d'hériter et, comme telles, privées de la succession 1* les personnes condamnées pour avoir tué, ou essayé de tuer le défunt, alors même qu'elles auraient été graciées; celles qui ont porté contre le défunt une accusation jugée calomnieuse qui tendait à le faire condamner à quelque peine capitale ou infamante; celles qui, étant instruites du meurtre du défunt, n'ont pas dénoncé le fait à la justice.

J'omets nécessairement le mode de liquidation des successions qui ne pourrait entrer dans un cadre aussi restreint.

Dans le titre II, Des donations entre-vifs et testamentaires,» j'aurai encore à signaler des dispositions qui s'écartent du Code français. 1° Le mineur de seize ans peut disposer par testament comme un majeur, sauf envers son tuteur ou curateur qui ne serait pas son parent. Les enfants naturels ne peuvent recevoir que des aliments de leur père ou mère qui laisseraient des enfants légitimes. Si le père de l'enfant naturel ne laisse pas d'enfants légitimes, il pourra lui donner un quart de ses biens s'il laisse des ascendants ou des frères ou sœurs légitimes ou descendants des frères ou soeurs, et un tiers s'il ne laisse que des collatéraux plus éloignés. Si la mère n'a pas laissé d'enfants légitimes, elle pourra donner à ses enfants naturels la totalité de sa succession. 2° La quotité disponible est des deux tiers lorsque le disposant ne laisse à son décès qu'un enfant légitime; la moitié s'il laisse deux enfants légitimes; le tiers s'il en laisse trois ou un plus grand nombre. Les donations entre-vifs ou testamentaires ne peuvent excéder les deux tiers de ses biens si, à défaut d'enfants, le disposant laisse son père ou sa mère ou tous les deux.

La donation entre-vifs ne doit, en aucun cas, dépouiller entièrement le donateur; il doit se réserver de quoi subsister. S'il ne l'a pas fait, la donation est nulle pour le tout.

Une loi de 1855 a abrogé la disposition du Code qui déclarait les donations entre-vifs révocables par survenance d'enfants; mais une survenance d'enfants annule un testament antérieur. (1698.) 3° Le Code touisianais autorise une forme de testament inconnue en France: le testament nuncupatif sous signature privée, fait en présence d'un nombre déterminé de témoins et avec les formalités prescrites.

4° Les héritiers, même ceux à réserve, peuvent être déshérités, par un acte revêtu de l'une des formes du testament, pour une des causes suivantes 1° si l'enfant a porté la main sur son père ou sa mère pour


les frapper; 2° s'il s'est rendu coupable envers eux de sévices, délits ou injures graves; 3° s'il a attenté à la vie de l'un d'eux; 4° s'il les a accusés de quelque crime capital autre que celui de haute trahison; 5° s'il leur a refusé des aliments lorsqu'il pouvait leur en donner; 6° s'il a négligé de prendre soin d'eux dans le cas où ils seraient tombés en démence; 7° s'il a négligé de les racheter lorsqu'ils étaient réduits en captivité 8° s'il a employé quelque voie de fait ou quelque violence pour les empêcher de tester; 9° si l'enfant majeur a refusé de se porter caution pour son père ou sa mère lorsqu'il pouvait le faire pour les tirer de prison; 10" si l'enfant mineur, de l'un ou de l'autre sexe, se marie sans le consentement de ses père et mère(1613). Les autres ascendants peuvent deshériter leurs descendants légitimes, venant à leur succession, pour les neuf premières causes mentionnées au précédent article, lorsque les faits y énoncés auront été commis contre eux.

Les enfants légitimes qui décèdent sans postérité, laissant un père et une mère, ne peuvent les déshériter que pour les causes suivantes accusation d'un crime capital autre que celui de haute trahison; 2° si le père ou la mère a attenté à la vie de l'enfant; 3° si par violence ou voies de fait ils l'ont empêché de tester; 4'refus d'aliments lorsqu'ils pouvaient en procurer; 5° s'ils ont négligé de prendre suin de lui lorsqu'il était en démence; 6" négligence de le tirer de captivité; 7° si l'un des père et mère a attenté à la vie de l'autre.

Le testament olographe sera ouvert, s'il était cacheté, par le juge, et il devra être prouvé par la déclaration de deux personnes dignes de foi qui attesteront qu'elles reconnaissent le testament comme étant entièrement écrit, daté et signé de la main du testateur, attendu qu'ils l'ont vu souvent écrire et signer pendant sa vie (1648). En conséquence de cette disposition, la copie notariée d'un testament olographe ouvert en France et déposé dans les minutes d'un notaire, ne serait pas admise en Louisiane parce que le dépôt en a été fait sans exiger cette preuve.

Le chapitre 6 du Code français, traitant « des dispositions permises en faveur des petits-enfants du donateur ou testateur, ou des enfants de ses frères et soeurs, » ne se trouve pas dans le Code louisianais d'où il suit que ces dispositions n'y sont pas permises.

6° L'article 1745 correspondant, à l'article 1098 du Code français, dispose que la part d'enfant le moins prenant, donnée au nouvel époux, ne pourra, en aucun cas, excéder le cinquième des biens du donateur; et l'article 1746 est encore plus restrictif « Si l'époux qui passe à de secondes noces a des enfants de son précédent mariage, il ne peut rien donner des biens qui lui ont été donnés par le prédécédé, ou qui


lui viennent de la succession de quelque frère ou sœur des enfants qui lui restent. Ces biens deviennent, par l'effet du second mariage, la propriété des enfants du mariage précédent, et l'époux qui se remarie n'en a plus que l'usufruit (1).

Titres III, IVetV. « Des obligations conventionnelles et des engagements qui se forment sans convention, comme quasi-contrats, délits et quasi-délits. j> Là-dessus, j'aurai peu d'observations à faire; quoique extraordinairement grossis puisqu'ils comprennent plus de 500 articles, ces titres s'écartent peu des doctrines et des principales dispositions du Code français; quant aux détails qui peuvent s'en écarter, il faudrait un volume pour les signaler. Cependant je mentionnerai, en passant, un article de la section qui traite «de l'interprétation des conventions,» parce qu'il montre l'antagonisme qui se manifeste à chaque pas entre « la loi commune et le droit civil. Le texte français de l'article 1952, –conforme à l'article 1162 du Code français, porte que « dans le doute, la convention s'interprète contre celui qai a stipulé, en faveur de celui qui a contracté l'obligation •> tandis que le texte anglais, conforme à l'opiuion de Blackstone, dit « Dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a contracté l'obligation. »

L'article 1325 du Code français exigeant qu'il soit fait autant d'originaux qu'il y a de parties à un écrit sous seing privé contenant des conventions synallagmatiques, ne se trouve point dans le Code louisianais. N'est pas non plus reproduite la disposition du Code français « qu'il doit être passé acte notarié ou sous seing privé de toutes choses excédant 150 fr. et pour ne laisser aucun doute sur ce point, l'article 2257 du Code louisianais s'exprime ainsi « Toutes conventions contractées sans écrit, relativement à des biens meubles ou à un payement de sommes d'argent, lorsque la valeur de ces objets ou le montant de ces conventions n'excédera pas 500 piastres ( 2,500 fr.), pourront se prouver par toute espèce de preuves légales. Mais de semblables conventions, lorsqu'elles sont au-dessus de 500 piastres, doivent se prouver par la déposition d'au moins un témoin digne de foi accompagnée de circonstances qui la corroborent. » 11 n'y a que les ventes de biens immeubles qui ne peuvent se prouver par témoins. Dans le titre VI, «Du contrat de mariage et des droits respectifs des époux quant aux biens, » j'aurai à constater de notables différences. Les biens de la femme se distinguent en dotaux et extra dotaux ou (1) D'un autre côté, par une espèce d'anomalie, l'article 1739 correspondant à l'article 1094 du Code français, a été amendé en 1850 de manière que l'époux peut, soit par contrat de mariage, soit pendant le mariage, donner à l'autre époux tout ce qu'il pourrait donner à un étranger.


paraphernaux. Sont dolaux les biens que la femme apporte au mari pour l'aider à supporter les charges du mariage; tous les autres sont paraphernaux. Le régime dotal ne peut résulter que d'une stipulation expresse dans le contrat de mariage et comme la plupart des mariages, en Louisiane, se font sans contrat, le régime dotal y est assez rare. L'article 2369 semble avoir été rédigé dans cette prévision; il dispose « Tout mariage contracté dans cet État entraîne de droit société ou communauté d'acquêts, s'il n'y a stipulation contraire.» Il en est de même, d'après les lois postérieures, du mariage contracté hors de l'État lorsque les époux viennent s'y établir ou y acquièrent des biens.

Ainsi la communauté est, en Louisiane comme en France, de droit commun s'il n'y a stipulation contraire dans le contrat de mariage. Mais différence énorme ce n'est, en Louisiane, qu'une communauté réduite aux acquêts, rentrant dans les dispositions de l'article 1498 du Code français. L'article 2371 dit, en effet « Cette société ou communauté se compose des fruits de tous les biens dont le mari a l'administration et la jouissance de droit ou de fait; du produit, du travail et de l'industrie réciproque des deux époux et des biens qu'ils peuvent acquérir pendant le mariage.. Par suite, les dettes contractées pendant le mariage sont dues par la communauté d'acquêts; celles contractées avant le mariage sont dues par celui des époux qui les a contractées.

A la dissolution de la communauté, tous les biens acquis pendant le mariage, soit par les deux époux, soit par l'un d'eux, sont présumés acquêts de communauté, sauf la preuve contraire.

De l'ensemble de ces dispositions, il résulte que tous biens meubles et immeubles, non spécialement constitués en dot par le contrat de mariage, appartenant aux époux respectivement à l'époque du mariage, ou qui peuvent leur échoir, pendant le mariage, par succession, donation ou autrement, sauf ceux qui seraient donnés aux deux époux conjointement, sont des propres et restent leur propriété personnelle ainsi que ceux reçus en échange ou acquis pour remploi des propres. Et si, par exemple, le mari avait, pendant le mariage, acquis unbien en son nom quoique payé avec les deniers de sa femme, celle-ci pourrait, en prouvant le fait, se faire reconnaître comme propriétaire de ce bien, ou obtenir du moins le remboursement de ses fonds.

Je crois devoir mentionner ici un curieux partage de la communauté consacré par la jurisprudence et dont l'idée mère vient du droit espagnol. Un individu meurt laissant deux femmes légitimes, puisque la dernière avait contracté de bonne foi ignorant l'existence d'un premier mariage et toute la succession du défunt se composait d'ac-


quêts. Jugé que la succession serait partagée entre les deux femmes par moitié sans avoir égard aux enfants.

Si l'époux prédécédé n'a pas disposé par testament de sa part de communauté, l'usufruit en appartiendra à l'époux survivant, dans deux hypothèses l' lorsque le défunt ne laisse ni descendants ni ascendants 2' lorsqu'il y a des enfants du mariage (loi de 1844). La femme a une hypothèque légale sur les biens immeubles et un privilége sur les biens meubles de son mari pour la restitution de sa dot, ou pour le remploi des biens dotaux,du jour du mariage; 2" pour la restitution ou le remploi de ses biens dotaux à elle échus par succession ou donation du jour où la succession a été ouverte, ou du jour de la donation (2355); 3° pour le remboursement des sommes que son mari aurait appliquées a son usage oudont il aurait profité, provenant de la vente de ses biens parapheruaux (2367). Toutefois, à partir du 1" janvier 1870, ces hypothèques n'auront d'effets à l'égard des tiers que du jour de leur inscription (Constitution de 1868 art. 423).

Mais le mari peut toujours, en fournissant une hypothèque spéciale, jugée suffisante par un conseil de famille composé de parents ou amis de la femme, dégager la masse de ses biens de l'hypothèque légale, (2357).

« Lorsque la femme n'a point apporté de dot, ou lorsque ce qu'elle a apporté en dot n'est presque rien par rapport à la condition du mari, si le premier mourant des deux époux est riche et que le survivant soit dans la nécessité, il a le droit de prendre dans la succession du prédécédé ce qu'on appelle la quarte maritale, c'est à dire le quart de la succession en propriété s'il n'a pas d'enfants, et la même portion en usufruit seulement, lorsqu'il n'y a que trois enfants ou un moindre nombre; et s'il y a plus de trois enfants, l'époux ne prendra qu'une part d'enfants en usufruit et il est obligé d'imputer sur cette portion ce qui lui a été légué par le prédécédé » (2359). La femme peut, pendant le mariage, demander la séparation de biens, toutes les fois que sa dot ou ses reprises sont mises en péril par la mauvaise administration du mari (2399), ou lorsqu'elle a une industrie qui lui permet de soutenir la famille (jurisprudence). La femme, soit commune, soit séparée de biens par contrat de mariage ou par jugement, ne peut s'obliger valablement ni pour son mari ni conjointement avec lui pour les dettes par lui contractées avant ou depuis le mariage (2412). D'après la 61* « loi de Toro, » d'où cet article a été tiré et qui lui sert de commentaire, le créancier ne peut obtenir de jugement contre la femme, même lorsqu'elle s'est engagée en déclarant que c'était pour ses propres affaires, qu'en


prouvant que la somme avait été effectivement employée utilement à ses propres affaires et qu'elle en a bénéficié; preuve toujours difficile et quelquefois impossible à faire. Cette protection exagérée des intérêts des femmes a fini par tourner à leur préjudice; elles ne pouvaient plus trouver à emprunter, même pour faire les réparations les plus urgentes à leurs biens paraphernaux. Alors, par une loi de 4855, on leur a donné les moyens de tourner la difficulté; il leur suffit maintenant, d'obtenir une ordonnance sur requête d'un juge de district, sur un simple exposé de faits, et cette ordonnance annexée à l'acte constatant l'engagement de la femme. dispense lecréancier de prouver que les sommes prêtées ont été employées utilement pour l'avantage de la débitrice et le législateur, passant d'un excès de protection à un excès d'abandon, permet à la femme, moyennant cette formalité ne présentant au fond nulle garantie sérieuse, d'hypothéquer même les biens dotaux!

Le titre VII, « De la vente, » ne me fournira que très peu d'observations. Le contrat de vente ne peut avoir lieu entre époux que dans les trois cas suivants lorsque l'un des époux cède des biens à l'autre, séparé juridiquement d'avec lui, en payement de ses droits; 2' lorsque la cession que le mari fait à sa femme, même non séparée, a une cause légitime comme le remploi de ses biens dotaux aliénés ou autres; lorsque la femme cède des biens à son mari en payement d'une somme qu'elle lui avait promise en dot, sauf, dans ces trois cas, les droits des héritiers des parties contractantes s'il y a avantage indirect (2421).

Dans tous les cas où la chose vendue reste en la possession du vendeur, soit qu'il s'en soit réservé l'usufruit, soit qu'il en conserve la possession à titre précaire, il y a présomption que la vente est simulée, sauf la preuve contraire (2456).

Si le vendeur d'un immeuble est lésé de plus de moitié de sa valeur, il peut faire résilier la vente pour cause de lésion (2367 et suivants).

Nulle divergence notable à signaler dans le titre VHI, « De l'échange » mais le titre IX, « Du louage, » m'en fournira quelquesunes.

Si la location d'une maison ou d'un appartement a été fait sans en fixer la durée, le bail sera censé fait au mois; et la partie qui désire mettre fin à la location doit en donner avis à l'autre, par écrit, au moins quinze jours avant l'expiration du mois.

Le locateur ne peut exiger que la maison ou l'appartement loué soit suffisamment garni de meubles c'est à lui de prendre ses précautions avant que de louer.


Lorsque le locataire fait faillite et que le bail, pour le temps à courir, est vendu judiciairement comme faisant partie de l'actif du failli, le prix obtenu à la vente judiciaire est considéré comme une prime profitant à la masse des créanciers, et l'adjudicataire est mis au lieu et place du iailli comme locataire et obligé de payer le loyer au propriétaire aux termes et conditions du bail (jurisprudence). Sur le titre X, a Du contrat de rente, » il suffira de mentionner l'intitulé des deux chapitres qui le composent « De la rente foucière ou bail à rente, De la constitution de rente »

Peu d'observations à faire sur le titre Xf, « Du contrat de société »

La participation aux bénéfices d'une société emporte avec elle l'obligation de contribuer aux pertes (2784). Une stipulation portant que l'un des associés aurait part aux bénéfices sans contribuer aux pertes, serait nulle tant entre les associés qu'à l'égard des tiers (2785). Les biens de la Société sont affectés au payement des dettes de la Société par préférence aux dettes particulières des associés; mais la part de chacun des associés peut être saisie et vendue par des créanciers particuliers, sauf le privilége des créanciers de la Société sur ces biens. Cette saisie sera considérée comme opérant la dissolution de la Société (2794).

De cet article les tribunaux ont tiré la conc!usion qu'un associé, quelques avances qu'il ait faites à la Société au delà de sa mise de fonds, ne peut jamais en poursuivre le recouvrement jusqu'à ce que la Société ait été liquidée.

Sont sociétés commerciales celles formées pour achat et vente de biens meubles, soit dans le même état, soit dans une autre forme; 2° pour des achats et ventes de biens meubles comme agents ou facteurs; pour le transport des biens meubles moyennant un louage sur des navires ou autres embarcations ('2796). Tontts les sociétés non comprises dans une des trois classes énumérées au précédent article sont sociétés ordinaires (2797).

Les articles 2798 et 2823 renvoient à un Code de commerce qui n'a jamais été adopté; mais la Société en commandite se trouve organisée dans le Code civil de la Louisiane, articles 2810 à 2822 sur les bases de la loi française.

Le titre XII, « Du prêt, » diffère peu des dispositions analogues du Code français. L'intérêt moratoire ou judiciaire est fixé à 5 pour 100; l'intérêt conventionnel ne peut dépasser 8 pour 100; cependant il peut être plus élevé dans l'escompte des effets de commerce. Il y a trois jours de grâce pour les lettres de change et billets à ordre; mais si le troisième jour de grâce se trouve être un dimanche ou un


jour férié légal, le protêt doit être fait le deuxième jour. L'intérêt moraloire sur les lettres de change, billets à ordre et tout engagement de sommes à époque fixe, court du jour de l'échéance sans protêt ou autre mise en demeure.

Il n'y a aucune différence importante à remarquer sur le titre XIII, «Du dépôt et du séquestre, » ni sur le titre XIV, « Des contrats aléatoires, a ni sur le titre XV, « Du mandat, » sauf, en ce qui concerne ce dernier, qu'il contient un chapitre concernant les courtiers ou entremetteurs d'affaires et renvoie au droit commercial pour les courtiers et autres agents de commerce.

Sur le titre XVI, « Du cautionnement, » et sur le titre XVII, a Des transactions,» il n'ya aucune différence notable à signaler, sauf,cependant, une loi de 1858 qui déclare non admissible tout témoignage oral pour prouver qu'on s'est engagé à payer la dette d'un tiers. Le titre XVIII, « De l'atermoiement, » ne se trouvant pasdansle Code civil français, j'en donnerai un résumé. L'atermoiement est volontaire ou forcé volontaire lorsque tous les créanciers consentent; forcé lorsqu'il y a opposition en ce cas, il faut la majorité en nombre et en sommes (3053, loi de 1843) et l'homologation du tribunal qui a ordonné la réunion des créanciers devant un notaire désigné. Il est loisible aux créanciers opposants d'exiger qu'il leur soit donné caution pour répondre que les ventes faites par le débiteur seront exclusivement employées au payement des dettes existantes au moment de l'atermoiement. Le délai accordé au débiteur ne peut excéder trois ans; et si l'atermoiement n'est pas accordé, la faillite s'ensuit de droit.

Le titre XIX, « Du compromis, » règle la matière des arbitrages et le mode de procéder en cette matière.

11 n'y a plus de contrainte par corps en Louisiane depuis 1840, sauf pour les cas de fraude.

Sur le titre XX, « Du nantissement, il n'y a qu'une observation à faire. Par une loi de 1852, le privilége du gagiste sur l'objet reçu en gage peut résulter d'un acte sous seing privé ayant date certaine. Et lorsque des effets négociables sont donnés en gage, l'endossement suffit et la notification au débiteur n'est pas nécessaire. Le titre XXI, « Des priviléges, » nécessite quelques remarques Aux cinq classes de privilèges généraux sur les meubles que contient le Code français, it faut ajouter les appointements des commis, secrétaires et autres employés de ce genre et 2° les droits des femmes. Il faut aussi ajouter aux classes des ((privilèges sur certains meubles >> 1* les appointements des gérants et économes sur le produitde la der-


nière récolte; la créance de l'ouvrier pour le prix de sa maind'œuvre sur la chose réparée ou fabriquée par lui tant qu'il est en possession; 3° les droits du déposant sur le prix de la chose déposée 4° ceux qui ont fait des avances aux planteurs sur le produit de la récolte.– Le n" 7 de l'article 2102 du Code français ne se trouve pas dans le Code louisianais.

Il y a aussi une section énumérant les privilèges portant sur les navires et sur les marchandises en faveur des constructeurs, fournisseurs, consignataires, etc., qui rentre dans les matières de commerce. A l'égard des priviléges sur les immeubles, je ne vois qu'une différence à signaler: le n° 3 de l'article 2103 du Code français ne se trouve pas dans le Code louisianais.

Curieux privilége accordé en 1852 « Lorsque la veuve ou les enfants mineurs d'un défunt sont dans le besoin et n'ont pas 1,000 dollars à eux, ils pourront prendre dans la succession de quoi parfaire ces 1,000 dollars par préférence à tous autres créanciers, sauf ce qui resterait dû au vendeur et les frais de vente. La veuve aura l'usufruit tant qu'elle restera veuve. D

Il faut rappeler ici une observation déjà faite, c'est qu'à partir du i" janvier 1870, nul privilége, nulle hypothèque n'aura d'effet à l'égard des tiers que du jour de son inscription.

Titre XXII, «Des hypothèques.» Nous venons de voir qu'il n'y a plus d'hypothèques tacites; il faut donc, chaque fois que l'expression a hypothèque légale » se présentera, sous-entendre à la condition d'être inscrite. Il y a hypothèque légale sur les biens de ceux qui, sans avoir été nommés tuteurs de mineurs ou curateurs d'interdits ou d'absents, se sont immiscés dans l'administration de leurs biens, à compter du jour de cette immixtion (3283).

Les enfants des précédents mariages dont la mère s'est remariée sans convoquer une assemblée de famille pour décider si la tutelle lui serait conservée, ont une hypothèque légale sur les biens du nouveau mari pour les faits de la tutelle ainsi indûment conservée par leur mère, du jour de la célébration du mariage (3284). Lorsque le père ou la mère d'un mineur s'est fait adjuger les biens de la communauté, ces biens restent spécialement hypothéqués en faveur du mineur pour le prix de cette adjudication et du jour d'icelle (3283). L'hypothèque ne peut résulter des jugements rendus en pays étrangers ni dans les autres États de l'Union (3294, loi de 1846).

Lorsque l'acte hypothécaire contient la clause de non alienando, l'acheteur de la propriété ainsi hypothéquée n'est point considéré comme un tiers possesseur; et le créancier, en cas de non-payement t


a l'échéance, peut agir même par voie exécutoire ou exécution parée, sans en donner notice à l'acheteur, mais seulement au vendeur débiteur hypothécaire.

Presque toujours le débiteur fait, pour le montant du prêt, un ou plusieurs billets à son propre ordre et par lui endossé en blanc, c'està-dire ne portant sur l'endos que sa signature. -Ce qui, dans le droit anglo-américain, en fait des billets au porteur; l'acte porte que e pour assurer le payement de ces billets, le débiteur hypothèque telle proprité déterminée, en faveur du prêteur ou du porteur des billets qui sont signés ne varietur par le notaire pour les indentifier avec l'acte hypothécaire. Et ces billets passent de main en main, et l'hypothèque avec eux, sans endossement de manière que le porteur aux mains de qui ils se trouvent à l'époqne de l'échéance peut, sans avoir besoin d'aucune subrogation, en poursuivre le recouvrement, soit par la voie ordinaire, soit par la voie parée. Cette rapide circulation du papier hypothécaire facilite beaucoup les affaires; mais il exige, de la part du créancier, une grande vigilance ̃. les billets se prescrivent par cinq ans, et comme le billet est ici l'obligation principale et l'hypothèque un simple accessoire, il s'ensuit que si on laisse prescrire le billet, l'hypothèque n'existe plus, bien que l'inscription hypothécaire soit valable dix ans sans renouvellement. Il y a encore une autre éventualité plus dangereuse: si les billets, dans le cours ordinaire des affaires, reviennent avant leur échéance aux mains du débiteur, si, par exemple, il les reçoit en payement d'une dette à lui due par le porteur, l'obligation est éteinte par confusion et l'hypothèque tombe encore par suite de l'extinction de l'obligation principale de sorte que si le débiteur remet ces billets en circulation, ils ne sont plus que de simples billets, parce que l'hypothèque ayant cessé d'exister ne peut plus revivre sans un nouvel acte hypothécaire. *r

La purge des hypothèques n'existe pas, à proprement parler, en Louisiane, ce qui occasionne une grande incertitude sur la validité des titres de propriété, et ce qui a, sans doute, provoqué la suppression des hypotèques tacites.

J'arrive, enfin, au XXI11" et dernier titre, « de l'occupation et de la prescription. T) L'occupation ne motive aucune remarque, ni la possession non plus.

Les principes généraux sur la prescription sont communs aux deux Codes mais il y a de grandes différences dans plusieurs de leurs dispositions secondaires, différences encore augmentées par la législation subséquente. Ainsi, une loi de 1858 dispose que la renonciation à la


prescription acquise ne peut résulter que d'une promesse ou déclaration écrite ainsi une loi de J848 a fait disparaître la différence que le Code établissait (prescription de dix et vingt ans) entre les créanciers présents et les créanciers absents, en fixant dix ans pour les uns et pour les autres; ainsi, d'après une loi de 1855, « lorsqu'une obligation aura été contractée, ou un jugement rendu, entre personnes résidant hors de l'État, pour être exécutée ou payée hors de l'État, et que l'obligation ou le jugement seront prescrits dans l'endroit où ils devaient être exécutés, ils seront également couverts par la prescription en Louisiane, lorsque le débiteur, qui était ainsi déchargé, viendra subséquemment s'établir en Louisiane. »

La propriété des immeubles se prescrit par trente ans sans qu'il soit besoin de titre ni de bonne foi mais la possession doit avoir été continue, publique et à titre de propriétaire (3465-6).

Je passe les prescriptions annales (3449 à 3502) comme étant sans importance; celle de trois ans comprend les arrérages derentes perpétuelles ou viagères, de pensions alimentaires, de loyers ou fermages, l'action en payement de sommes prêtées, des appointements de gérants, économes, commis, secrétaires, instituteurs, avocats, médecins, pharmaciens, shériffs, grefliers; celles de marchands pour marchandises vendues en gros ou en détail, les dettes résultant de comptes courants.

La prescription de cinq ans comprend l'action en payement, de lettres de change, billets négociables ou non négociables, celle en nullité ou résiliation des contrats, testaments et autres actes ou des ventes judiciaires pour vices de forme, celle en rescision de partages et garantie de lots.

Sont soumis à la prescription de dix ans les jugements, sauf à les faire renouveler par une procédure sommaire; les droits d'usufruit, d'usage et d'habitation ainsi que les servitudes se perdent par le nonusage pendant dix ans; enfin toutes les actions personnelles qui ne se trouvent pas comprises dans d'autres classifications.

Le créancier ne peut obliger le débiteur à déclarer qu'il a payé. Se prescrivent par trente ans les actions en revendication d'une universalité de biens, comme une succession.

Sauf les dispositions qui, dans le Code civil de la Louisiane, sont communes au droit civil et au droit commercial, ce dernier se trouve être assimilé au droit anglo-américain, lequel se divise en une infinité de branches droit maritime, assurances, lettres de change, billets à ordre et chèques, sociétés, agences commerciales, droits et devoirs des voituriers par terre et par eau, etc.


Le droit criminel est également conforme, pour la définition des crimes et délits et pour la procédure, au droit anglo-américain, à quelques détails près.

Ce travail déjà trop long, quoique bien imparfait, me force encore, du moins pour le présent, à passer sous silence la procédure civile, l'organisation judiciaire et la part que prennent les cours fédérales dans l'administration de la justice dans la Louisiane.

La séance est levée à onze heures.


L'Annuaire de la Société de législation comparée paraîtra vers le 15 juillet prochain, en un volume in-8° de plus de 400 pages. Ce volume, qui contiendra la traduction des principales lois votées en 1870 et 1871 en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, en Italie, etc. sera envoyé à tous les membres de la Société. Les travaux de la Commission chargée d'étudier la législation relative aux aliénés ont été réunis en un volume in-8°, qui sera mis en vente dans quelques jours.

Le Secrétaire général prie instamment les membres qui ne recevraient pas exactement le Bulletin de vouloir bien lui en donner avis, au siège de la Société, 64, rue Neuve-des-Petits-Champs. 1017 Pari!.– Imprimerie Cisset et G*, 36, rue Racine.


Le Secrétaire général prie instamment les membres qui ont l'intention de prendre une part active aux travaux de la Société, de vouloir bien se rendre au siège de la Société, Gh rue Neuvedes-Petits-Champs, où ils seront reçus tous les vendredis, de trois heures à cinq heures.

SECRÉTARIAT GÉNÉRAI..


EXTRAIT DES STATUTS.

1. Une Société est instituée sous le nom de Société de législation comparée.

Il. Elle a pour objet l'étude des lois des différents pays et la recherche des moyens pratiques d'améliorer les diverses branches de législation.

III. Elle nomme des correspondants à l'étranger.

IV. Elle ne vote sur aucune question.

V. On ne peut faire partie de la Société qu'après avoir été admis par le Conseil, sur la présentation d'un Sociétaire.

VI. Les membres résidant a Paris payent une cotisation annuelle de 20 francs.

Cette cotisation est de 10 francs pour les membres résidant en province.

XIV. Les séances de la Société ont lieu au moins tous les mois. CONSEIL DE DIRECTION POUR L'ANNÉE 1872.

Président

M. Renouard, membre de l'Institut, procureur général a la Cour de cassation..

Vice- Présidents

MM. Allô», avocat a la Cour d'appel, ancien bâtonnier de l'Ordre. REVERCHON, avocat général a la Cour de cassation.

Greffier, conseiller à la Cour de cassation.

Aucoc, conseiller d'État.

Membres du Conseil

MM. BALLOT, avocat à la Cour d'appel.

Batbie, professeur à la Faculté dedroit, membre de l'Assemblée nationale.

BAnBoux, avocat à la Cour d'appel.

BERTRAND (Ernest), conseiller à la Cour d'appel.

Bufnoir, professeur à la Faculté de droit.

DESJARDINS (Albert), agrégé a la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

GARNIER (Joseph), secrétaire général de la Société d'Économie politique.

Gide, professeur à la Faculté de droit.

GROUALLE, ancien président de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation.

Hélib (Faustin), membre de l'institut, président à la Courdecass. Hérold, conseiller d'Etat.

Jozon, avocat à la Cour de cassation, membre de l'Assemblée nationale.

Lamé-Fleury, conseiller d'État.

Lunikk, inspecteur général des établissements d'aliénés. Picot (Georges), juge au tribunal de la Seine.

Vallée (Oscar de), anc. conseiller d'Etat, avocat a la Cour d'appel. Secrétaire Général:

M. Ribot (Alexandre), substitut au tribunal de la Seine. 1017 Paris. -Imprimerie Cosset et Ce, !6, rue Racine.


La prochaine séance aura lieu le Mercredi 24 juillet. Voir au verso la convocation.

~–––––––––––––––––––––––––––––––––~ BULLETIN

LÉGISLATION COMPARÉE TROISIÈME ANNÉE

Séance du 19 juin 1873 321

Exposé par M. Debacq des changements introduits

dana l'organisation judiciaire en Espagne. 221

Étude par M. Gdtmo sur l'organisation d'une

deuxième chambre législative. 241

Communication par M. Babbocx sur le Code de

procédure civile du Canada 253

Tout ce qui concerne la publication du Bulletin

doit être adressé à MM Cotillon et fils, Libraires du Conseil d'État, 24, rue Sou£flot.

Toutes les autres communications seront adressées au Secrétaire général de la Société, 84, me J~e~ve-d.es-Fettta-Oha.mps. V général de la Société, 64, ru.e ï*eu.ve-<ies-ï»etits-oiiamps. )

DE LA SOCIÉTÉ

DE

1W 7. Juin 189».

SOMMAIRE. Pages.

PARIS


CONVOCATION.

La prochaine Séance de la Société de Législation comparée aura lieu le Mercredi 24 juillet 1872, à 8 heures 1/4 du soir, au Cercle des Sociétés savantes, 64, rue Neuve-des-PetitsChamps, sous la présidence de M. RENOUAHD.

ORDRE DU JOUR

l' Compte rendu par M. GREFFIER, conseiller à la Cour de cassation, de plusieurs ouvrages sur la lettre de change, par M. Vidari, professeur à l'Université de Pavie.

2' Communication par M. DEMONGEOT, auditeur au Conseil d'État, sur les travaux législatifs aux États-Unis pendant l'année 1872.

3* Exposé, par M. Léderlin, professeur à la Faculté de droit de Nancy, de l'organisation judiciaire de l'Alsace-Lorraine. Cette séance est la dernière de l'année.


M* 9. Juin 189».

BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

11 LÉGISLATION COMPARÉE –––––––––––'–M!t-–t–––––––––––

SÉANCE DU 19 9 jlin 1872.

Présidence de M. GREFFIER.

La séance est ouverte à huit heures un quart.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Président fait connaître que le Conseil a récemment admis les membres dont les noms suivent

MM. DARESTE, avocat à la Cour de cassation.

ROBERT, substitut au tribunal de la Seine.

Duplessis, juge de paix à Cosne.

Gambon, auditeur au Conseil d'État.

M. Debacq, avocat â la Cour d'appel, a la parole pour exposer les changements récemment introduits dans l'organisation judiciaire en Espagne. JI s'exprime en ces termes

Au moment où l'Assemblée nationale s'occupe de réformer notre organisation judiciaire, il n'est pas sans intérêt de jeter un léger coup d'œil sur les législations étrangères. Peut-être nos représentants pourraient-ils emprunter à des pays voisins, non-seulement des idées heureuses, mais d'intéressantes et utiles institutions. Ainsi, il est un peuple dont, sans motif sérieux, les Français ont pris l'habitude de ne s'occuper que pour lui adresser de dédaigneux conseils ou pour critiquer


sans raison ses mœurs, son caractère, sa politique, son organisation sociale et surtout sa législation; c'est le peuple espagnol, le plus proche, mais aussi le plus mal connu de nos voisins.

Il y aurait cependant, pour nous, à faire de l'autre côté des Pyrénées de sérieuses études, et à recueillir sur bien des sujets d'importants enseignements. En matière d'organisation judiciaire spécialement, la législation espagnole nous paraît digne d'attirer l'attention. En septembre 1870 a été promulguée en Espagne une loi dite loi provisoire sur l'organisation du pouvoir judiciaire. La qualification de provisoire ne doit point, Messieurs, diminuer à vos yeux la valeur et l'importance de cette loi. C'est au delà des monts un dicton, dont les faits se sont assez volontiers donné la peine de justifier l'exactitude, qu'en Espagne le provisoire seul a des chances de durée. La loi du 15 septembre 1870 a réalisé de sérieux progrès, substitué, notamment, dans la plupart des cas et pour les affaires de quelque importance, à l'ancien système universellement critiqué de l'unité du juge et de l'instruction écrite et secrète, le principe de la publicité des débats et de la pluralité des magistrats appelés à vider les procès. Elle est d'une étendue considérable, elle compte plus de 900 articles. Nous ne l'étudierons pas en son entier; nous nous attacherons seulement aux titres relatifs au recrutement et à t'avancement des magistrats. Ce sont d'ailleurs ces deux questions de recrutement et d'avancement qui pour le moment préoccupent plus particulièrement les esprits en France.

Du fonctionnement et de la compétence des tribunaux des divers degrés, nous ne dirons que ce qui est indispensable à l'intelligence de notre sujet.

La justice est administrée en Espagne par les juges municipaux (jueces municipales), les juges d'instruction (jueces de instruccion), les tribunaux d'arrondissement (tribunales de partido), les audiences (audiencias) et le tribunal suprême.

Le tribunal suprême siège à Madrid, 11 occupe dans l'organisation judiciaire de la péninsule une place analogue à celle de notre Cour de cassation, place analogue, disons-nous, et non rôle analogue, car le fonctionnement de ce tribunal diffère à de notables points de vue de celui de notre Cour de cassation.

Il se compose d'un président, de 4 présidents de chambre et de 28 conseillers qui portent le titre de ministres. Il se divise en 4 chambres, dont l'une est chargée des pourvois administratifs. Le ministère public y est exercé par un fiscal (procureur général), un substitut, (teniente) et douze avocats fiscaux répondant à nos avocats généraux,


mais hiérarchiquement inférieurs au substitut. Les audiencias peuvent être assimilées à nos Cours d'appel, sous le mérite des mêmes réserves que nous faisions relativement au tribunal suprême. On compte dans la péninsule quinze audiences, divisées en deux classes l'une se compose de la seule audience de Madrid, qui porte la qualification d'audience d'avancement; les quatorze autres audiences composent la deuxième classe. Chaque audience est divisée en chambres dont le nombre varie selon l'étendue et l'importance des ressorts. Ainsi l'audience de Madrid et celle de Barcelone ont trois chambres, celle de Palma (îles Baléares) une seulement, chargée tout à la fois du service civil et du service criminel. Chaque chambre civile se compose d'un président et de quatre magistrats. La présence de trois magistrats est nécessaire à la validité de l'arrêt. Un président de chambre, désigné par le gouvernement, est chargé des fonctions. de premier président. La distribution des magistrats dans chaque chambre, ou roulement, est arrêtée chaque année par le ministre de la justice, sur la proposition de ce qu'on appelle la Sala de Gobierno, c'est-à-dire d'une commission composée du président de l'audience, des présidents de chambres et du chef du parquet assistés d'un greffier spécial (1).

Auprès de chaque audience on trouve un fiscal, chef du parquet, à peu de chose près notre procureur général, un substitut et un certain nombre d'avocats fiscaux (2).

Les audiences comprennent dans leur ressort un certain nombre de tribunaux d'arrondissement (de partido) qui répondent, ou peu s'en faut, à celles de nos juridictions qui portent le mémo nom. Ces tribunaux se divisent en deux classes. Dans la première figurent les tribunaux dits d'avancement, c'est-à-dire ceux qui sont établis dans les chefs-lieux de province ou dans les villes dont la population excède 20,000 âmes. La deuxième classe se compose des tribunaux dits de début, dont le siège est dans les villes de moindre importance. Chaque tribunal se compose de trois juges dont un président. Les jugements sont valablement rendus par deux juges.

Le ressort de chaque tribunal d'arrondissement est divisé en cir(1) La Sala de Gobierno, l'une des créations les plus intéressantes de la loi de septembre 1870, résume en elle la plupart des attributions administratives qu'en France se partagent le premier président et le procureur général. (2) Le personnel des audiences est, on le voit, beaucoup moindre que celui de nos cours. Il doit cependant faire face à des obligations judiciaires multiples. En dehors du service d'audience proprement dite, les magistrats des audiences doivent se transporter à certaines époques déterminées et dans certaines villes du ressort pour y administrer la justice criminelle. D'autre part, chaque magistrat, à tour de rôle, est désigné par le président pour ailer extraordinairement pendant quelques jours présider un des tribunaux d'arrondissement du ressort.


conscriptions à la tête desquelles se trouvent des juges d'instruction. Ces juges ne font point partie du tribunal, et occupent dans la hiérarchie judiciaire une place inférieure à celle des juges proprement dits. Ils sont chargés des instructions criminelles; au civil, ils procèdent, par délégation des tribunaux d'arrondissement ou des audiences, aux enquêtes, interrogatoires, etc.

Les juges municipaux tiennent à peu près la place de nos juges de paix; mais ils sont en dehors de la magistrature proprement dite; leurs fonctions sont temporaires, ils se recrutent d'une manière particulière, et ne sont soumis à aucune condition spéciale d'aptitude. Nous ne nous en occuperons point.

La hiérarchie judiciaire repose, selon la loi de 1870, sur deux principes

l' Le recrutement au concours;

2° L'avancement à l'ancienneté.

S'il est fait exception au premier de ces principes, c'est uniquement pour les grades supérieurs, et de telle façon que les droits des magistrats inférieurs soient rigoureusement sauvegardés, et que l'action gouvernementale ne puisse s'exercer qu'en faveur d'un petit nombre de sujets distingués.

Il n'est porté atteinte au second que dans quelques cas déterminés et conformément à certaines dispositions précises de la loi. Le recrutement au concours et l'avancement à l'ancienneté s'appliquent également, en règle générale, à la magistrature assise et aux magistrats du ministère public.

Nous allons indiquer dans quelles conditions.

I. MAGISTRATURE ASSISE.

1° Recrutement.

En thèse générale, nul ne peut être nommé juge d'instruction, c'està-dire appelé auxfonctionsles moins élevées de l'ordre judiciaire, qui n'a point été aspirant à la judicature; et nul n'est nommé aspirant à la judicature qu'à la suite d'un concours.

L'organisation des « collegios de aspirantes à la judicatura » mérite une attention toute spéciale. C'est évidemment, dans l'esprit du législateur de d870, le pivot de la nouvelle organisation judiciaire. Il faudrait bien se garder de confondre les aspirants avec nos attachés aux parquets. Rien n'est plus différent d'un attaché qu'un aspirant. Le nombre total des aspirants est fixé par le ministre de la justice; il est, autant que possible, égal au double du chiffre moyen


des vacances qui se produisent annuellement au dernier degré de la hiérarchie judiciaire (1).

JI est chaque année et par voie de concours pourvu au remplacement des aspirants promus dans la magistrature pendant les douze derniers mois écoulés, ou qui doivent être promus avant le 1" janvier suivant.

Nul n'est admis au concours s'il n'est Espagnol, licencié au droit civil de l'une des Universités subventionnées par l'État, s'il n'a atteint l'âge de vingt-trois ans.

Les candidats adressent leurs pièces, avec une requête d'admission au concours, au président de l'audience dans le ressort de laquelle ils sont domiciliés. Il est procédé par ce magistrat à une enquête sur la conduite, la moralité, les aptitudes, les relations des candidats. Après quoi il est délivré à ceux qui remplissent les conditions exigées par la loi un certificat d'admission au concours. Le certificat est, avec le rapport du président, transmis au ministre de la justice. Si le président de l'audience estime que l'un des postulants est indigne d'entrer dans la magistrature, il rend une ordonnance d'exclusion. Cette ordonnance est notifiée, par l'intermédiaire du président du tribunal d'arrondissement, à la partie intéressée, qui a cinq jours pour se pourvoir par-devant le ministre de la justice.

Le ministre n'est pas juge de l'admissibilité au concours. Son rôle est celui d'un simple agent de transmission. Il se borne à faire parvenir les dossiers des candidats admis par les présidents d'audiences, et ceux des postulants exclus qui se sont pourvus contre l'ordonnance d'exclusion à une commission dite Junta de examen y de co.lificacion. Cette commission est l'une des créations les plus intéressantes de la loi espagnole. Elle se compose de onze membres.

Le président du tribunal suprême, président, ou, en cas d'empêchement, un président de chambre du même tribunal désigné par le pouvoir exécutif;

Le chef du ministère public (fiscal) du tribunal suprême en cas d'empêchement son substitut, ou, à défaut de celui-ci, l'un des avocats généraux choisis par le gouvernement;

Deux membres du tribunal suprême ou de l'audience (Cour d'appel) de Madrid, à la désignation du gouvernement;

Le bâtonnier (Decano) de l'ordre des avocats de Madrid, ou, en cas d'empêchement, un membre du conseil dudit ordre choisi par ce conseil;

Trois avocats choisis par le gouvernement sur une liste de neuf (l) Juges municipaux toujours exceptés, bien entendu.


candidats présentés par le conseil de leur ordre et compris parmi ceux qui payent l'une des trois premières cotes de patentes Deux professeurs titulaires de droit de l'Université centrale de Madrid, au choix du gouvernement;

Un secrétaire avec voix délibérative nommé par le gouvernement sur une liste de trois candidats proposés par la commission (1). Cette commission est appelée non-seulement à statuer sur l'admission des candidats dans le corps des aspirants, mais exerce sur eux, après leur admission, et tant qu'ils ne sont pas nommés juges d'instruction, un véritable pouvoir disciplinaire. Si l'on remarque que quatre de ses membres sur onze appartiennent au barreau et deux à l'enseignement, que d'autre part les magistrats qui la complètent sont choisis dans un corps où l'avancement à l'ancienneté occupe une trèsgrande place, on reconnaîtra qu'elle donne aux candidats toutes les garanties possibles d'impartialité en même temps qu'au pays toutes les garanties d'indépendance et d'aptitude nécessaires. La présence dans la commission d'hommes voués à l'étude théorique ou à l'application pratique du droit empêche l'esprit de corps et les influences de famille de prendre trop d'importance dans le choix des aspirants. La Junla de examen y de calificacion, connaissance prise des dossiers à elle transmis par le ministre de la justice, statue en dernier ressort sur l'admission au concours ou l'exclusion des candidats. Un règlement d'administration publique détermine dans les plus petits détails le mode de convocation des candidats admis à concourir, l'ordre dans lequel ils doivent subir les épreuves, la nature de ces épreuves, les coefficients attribués à chacune d'elles, les formalités à remplir par les membres de la commission lorsqu'ils vont aux opinions et lorsqu'ils dressent la liste de classement. Nous croyons inutile d'insister sur ces minuties qui témoignent, du reste, de la part de ceux qui les ont édictées, d'un désir très-vif d'assurer au mérite seul, dans le recrutement des aspirants à la magistrature, une place qu'ailleurs occupent souvent la faveur oules considérations politiques. Nous nous bornerons à indiquer rapidement les épreuves auxquelles sont soumis les candidats. Ceux-ci doivent répondre par écrit, et sans l'aide d'aucun livre, à onze questions tirées au sort et se subdivisant ainsi deux de droit civil, deux de droit commercial, autant de droit pénal, deux (I) Les commissaires appartenant au tribunal suprême ou à l'audience de Madrid ne perçoivent, à raison des services qu'ils rendentcomme membres de lajunte, aucun supplément de traitement; les commissaires appartenant au barreau ou a l'enseignement reçoivent une indemnité ou gratification de 20 pesetas, environ 21 francs par séance.


de procédure et d'organisation judiciaire, une de droit administratif, une de droit public et une de droit canon.

Ils doivent ensuite exposer oralement un point de droit civil, commercial, pénal ou de procédure. Trois heures leur sont accordées pour se préparer à cette épreuve il leur est interdit de communiquer pendant ce temps avec qui que ce soit, mais ils peuvent demander les livres de droit qui leur paraissent nécessaires. L'exposé est fait publiquement le candidat peut se servir de ses notes, mais il ne lui est pas permis de lire un mémoire écrit (1).

Enfin, les candidats doivent procéder à la rédaction d'un jugement. Il leur est, à cet effet, remis extraits de dossiers choisis parmi ceux des affaires soumises à l'audience (cour) de Madrid ou au tribunal suprême. Le candidat doit libeller la sentence sans autre secours que celui des textes légaux qu'il est autorisé à consulter.

La commission dresse la liste par ordre de mérite des candidats déclarés, à la majorité des deux cinquièmes des votants, aptes à remplir les fonctions judiciaires; elle transmet cette liste avec les dossiers de chacun des concurrents au ministre de la justice, qui les fait passer à la section de justice du conseil d'État. La section vérifie si toutes les prescriptions légales ont été remplies. Cette dernière formalité accomplie, le ministre de la justice nomme dans le corps des aspirants les candidats reconnus capables par la commission, en suivant rigoureusement l'ordre des numéros de classement et jusqu'à concurrence du nombre des vacances (2).

Les nominations sont insérées dans la Gazette de Madrid. Les élus reçoivent une commission sur laquelle est indiqué le numéro d'ordre qui leur a été attribué sur la liste d'admission. Ils font dorénavant partie du corps des aspirants et sont portés sur le tableau général de ce corps au jang que le concours leur a donné.

Le corps des aspirants se subdivise en autant de colléges qu'il y a d'audiences; l'aspirant avisé de sa nomination fait connaître au ministre le ressort'auquel il désire être attaché. S'il acquiert, dès le jour où il est nommé, le droit d'être appelé, sauf le cas de peine disciplinaire encourue, aux fonctions judiciaires, il n'est cependant pas encore ma(1) Pour cette seconde épreuve, trois candidats sont réunis l'un fait l'exposé, les deux autres le complètent, ou le critiquent; cette épreuve parait avoir, avec l'argumentalion des concours pour l'agrégation des Facultés de droit, le plus grand rapport.

(2) Dans le cas où le nombre des places à remplir pendant l'année est inférieur à celui des candidats admis par la commission, les admis en excédant n'ont aucun droit de préférence aux vacances de l'année suivante. Us doivent se soumettre à un nouveau concours.


gistrat (1) dans le sens absolu du mot. Il peut donc, à la différence du juge proprement dit, s'établir au lieu même de son domicile. Il doit, dans le délai d'un mois, à compter de la décision du ministre, se mettre à la disposition du président du tribunal de l'arrondissement où il est autorisé à se fixer, et se faire inscrire sur un registre spécial tenu à cet effet dans chaque tribunal.

Il doit assister assidûment aux audiences publiques ou aux assemblées secrètes du tribunal auquel il est attaché. Son assiduité est constatée par sa signature sur un livret spécial. Il prend séance au banc des avocats, dont il porte le costume. Le temps qui s'écoule entre le moment où les aspir^ils entrent dans les collegios de aspirantes et celui où ils sont nommés dans la magistrature proprement dite devant être employé par eux à acquérir les connaissances pratiques nécessaires à l'exercice éclairé des fonctions de judicature, les aspirants, même âgés de moins de vingt-cinq ans, sont appelés par les présidents d'audience à remplir intérimairement les fonctions de juge municipal, à suppléer les juges d'instruction et, quand ils ont un an d'exercice, à suppléer les juges des tribunaux d'arrondissement du ressort, ou chargés par le chef du parquet, sur la désignation du président et en cas d'insuffisance d'aspirants au ministerio fiscal, à suppléer les magistrats du ministère public. Ils sont autorisés à consacrer à l'exercice de la profession d'avocat les loisirs que leur laissent leurs fonctions judiciaires; mais il leur est absolument interdit de remplir aucune charge publique, d'administration générale, provinciale ou communale quelconque, à peine d'être considérés comme démissionnaires. Ils ne peuvent s'absenter sans congé. Ce congé leur est délivré selon les cas, par le président de l'audience (premier président de la cour) ou le ministre de la justice.

Ils sont soumis à la surveillance du président et du chef^ de parquet du tribunal près lequel ils sont inscrits. Ces magistrats tiennent note, sur un registre spécial, des fautes dont les aspirants peuvent se rendre coupables, et transmettent au président de l'audience des notes sur leur conduite, leur zèle, leur intelligence, et spécialement sur la manière dont ils remplissent les fonctions qui leur sont confiées. Le président de l'audience fait passer ces notes au ministre de la justice en y joignant les siennes.

Lorsque l'aspirant a démérité, qu'il s'est rendu coupable de quelque (1) Nous employons le mot magistrat dans le sens français du mot. En Espagne, la qualification de magistrat (magistrado) s'applique exclusivement aux membres des cours (audiencias), celle de juges (jueces) à ceux des tribunaux inférieurs, celle de ministre (minis'.ru) aux membres de la Cour suprême.


faute grave, la commission de calificacion est saisie par le ministre de la justice; elle provoque, quand elle le juge à propos, les explications de l'inculpé et propose au gouvernement, s'il y a lieu, de prononcer la peine de la prorogation pendant trois mois(l) ou l'exclusion définitive. Cette dernière pénalité est encourue par l'aspirant qui a subi deux prorogations. La décision prise par le gouvernement en conformité de la proposition de la commission de calificacion n'est susceptible d'aucun recours.

Sauf le cas précité de prorogation ou d'exclusion, le rang qui a été attribué à l'aspirant après le concours d'admission lui est acquis et doit être respecté. Tous les ans, la Gazette officielle publie la liste générale, et par ordre d'ancienneté, des aspirants à la judicature. Les remaniements qui ont été faits à cette liste depuis l'année précédente sont communiqués à ceux qui y sont intéressés. L'aspirant qui estime que son droit a été méconnu, qu'il n'occupe pas sur le tableau la place que les lois et règlements lui attribuaient, peut déférer au tribunal suprême le passe-droit dont il se prétend victime.

Le rang occupé sur la liste générale par l'aspirant sert à fixer son tour de nomination. Le gouvernement ne peut, quand ce tour est arrivé, refuser à l'aspirant un siège de juge d'instruction. Cependant, si désireux que se soit montré le législateur espagnol de chasser la faveur du recrutement de la magistrature, il a compris qu'il fallait faire la part des mérites, des aptitudes professionnelles, que les résultats d'un premier concours ne pouvaient fixer définitivement l'avenir. Il a donc, à côté de l'ancienneté, fait la place du choix. Sur cinq places de juges d'instruction vacantes, les deux premières sont attribuées aux deux aspirants les plus anciens du- corps, la troisième et la quatrième à ceux que le gouvernement juge les plus dignes parmi les aspirants inscrits dans le premier tiers du tableau général; la cinquième peut être, au choix du gouvernement, donnée à tout aspirant ayant plus d'un an d'inscription de rang, et à l'exception seulement des aspirants prorogés.

Les aspirants à la judicature ont un droit exclusif à toutes les places de juges d'instruction. De même, tous les sièges déjuges aux tribunaux de début sont réservés aux juges d'instruction. Parmi les juges des tribunaux de début, sont choisis les présidents des tribunaux de début et leurs assimilés les juges des tribunaux d'avancement. Le corps des aspirants nommés an concours sert donc de base au (1) On appelle proroger un aspirant, retarder d'un délai de la date de son admission dans la magistrature proprement dite.


recrutement de la magistrature. Les aspirants doivent fournir aux tribunaux de la péninsule une pépinière d'hommes distingués ayant fait, d'abord par les épreuves sérieuses d'un concours publie, ensuite par un stage relativement assez long auprès des tribunaux des différents ordres, preuve de connaissances théoriques et pratiques. Mais le législateur de 1870 a reconnu qu'il pouvait être intéressant pour la bonne administration de la justice de faire entrer dans les rangs des corps judiciaires des éléments empruntés au barreau ou à l'école; de faire siéger, à côté de juges vieillis dans l'exercice des fonctions de judicature, des hommes qui apporteraient aux tribunaux des aptitudes spéciales et l'expérience des affaires acquises dans la pratique de chaque jour. Aussi le droit exclusif des anciens aspirants aux fonctions de judicature s'arrête-t-il aux tribunaux de première instance. Le recrutement du personnel des audiences ou cours d'appel et du tribunal suprême se fait d'une façon plus large. Un certain nombre de places dans les audiences est réservé aux magistratsdu ministère public comptant un nombre déterminé d'années de service et occupant dans la hiérarchie des magistrats du parquet un rang assimilé à celui des magistrats assis avec lesquels ils concourent. D'autres peuvent être attribuées à des greffiers du tribunal suprême ou à certains greffiers d'audiences, ayant occupé leur poste pendant un certain nombre d'années et ayant été nommés à la suite d'un concours. Enfin l'entrée dans la magistrature est ouverte aux avocats ou aux professeurs de droit sous certaines conditions que nous allons indiquer brièvement. L'avocat ne doit pas seulement avoir exercédansle sens de la loi française, qui pour l'entrée dans la magistrature exige un simple stage de deux ans au barreau, sans que rien justifie que le candidat ait sérieu-. sement, effectivement et utilement exercé la profession d'avocat; il doit avoir, pour être appelé à un siège de magistrat dans une audience de province, plaidé pendant dix ans dans un chef-lieu d'audience [cour d'appel) en payant la première cote de contribution ou, s'il est inscrit à Madrid., l'une des premières cotes, et n'avoir été frappé d'aucune peine disciplinaire de nature à porter atteinte à sa considération personnelle ou professionnelle. Le professeur doit avoir occupé sa chaire en qualité de titulaire pendant six années.

Un siège vacant sur quatre à l'audience de Madrid peut être conféré à un avocat ayant exercé son ministère dans un chef-lieu de cour pendant quinze ans et payé pendant cinq ans au moins la première cote de contribution ou, s'il est du collége des avocats de Madrid, l'une des premières cotes. Le gouvernement peut également appeler à une présidence de chambre l'avocat qui remplit les conditions susindiquées.


Une place au tribunal suprême sur quatre vacantes peut être également conférée à un avocat ayant exercé vingt ans dans une cour d'appel de province, ou quinze ans à Madrid, et ayant payé pendant les huit dernière années la première cote de contribution. Enfin peuvent être nommés présidents de chambre à la Cour suprême les anciens ministres de la justice, sans condition, et les anciens ministres des autres départements qui ont exercé quinze ans à Madrid la profession d'avocat.

La charge de premier président du tribunal suprême peut être donnée à un avocat ayant exercé pendant dix ans au moins et ayant rempli les fonctions de président du conseil des ministres ou de ministre de la justice, de président du Sénat ou de la Chambre des députés, du conseil d'État, ou de président de la section de grâce et justice de ce conseil.

C'est donc seulement dans les rangs les plus élevés de la hiérarchie judiciaire, à titre exceptionnel et sous des conditions qui garantissent le savoir et les mérites des élus, que les professeurs de droit, les avocats, les hommes politiques peuvent être appelés à prendre place dans la magistrature.

Le nombre des places qui peut leur être attribué est d'ailleurs soigneusement déterminé, un quart iu plus des vacances. S'il est permis au gouvernement de le restreindre, il nelui est pas permis de l'étendrel Le respect des droits acquis est la base de la nouvelle organisation judiciaire. Il est facile de s'en rendre compte en analysant les dispositions de cette loi relatives à l'avancement.

Avancement.

Il est dressé chaque année un tableau général des magistrats composant la magistrature assise. Ce tableau se compose de neuf divisions comprenant l'ensemble de la hiérarchie judiciaire espagnole et que voici: Aspirants

2" Juges d'instruction;

3° Juges de première instance de début;

̃4° Juges de tribunaux d'avancement et présidents de tribunaux de début

5» Présidents de tribunaux d'avancement

Magistrats d'audiences de province;

7° Présidents de chambre de province et magistrats de l'audience de Madrid

8° Présidents de chambre à Madrid

9° Magistrats du tribunal suprême


10* Présidents de chambre au tribunal suprême.

Les premières présidences sont en « commission remplies par des présidents de chambre désignés par le gouvernement.

Dans chacune de ces divisions sont inscrits à la date de leur installation tous les magistrats du même grade.

La liste ainsi dressée sert, sauf le cas de peines disciplinaires, à déterminer l'ancienneté de chacun. L'avancement à l'ancienneté est pour le magistrat un droit absolu toute nomination faite au mépris de ce droit dans les limites fixées par la loi peut être déférée au tribunal suprême par le juge lésé et annulée.

Les deux cinquièmes des vacances sont, dans les tribunaux de première instance, attribuées aux juges les plus anciens du grade inférieur. Dans les audiences, un certain nombre de places reviennent de droit aux plus anciens présidents des tribunaux d'avancement, mais à chaque échelon de la hiérarchie le nombre de tours d'avancement à l'ancienneté diminue un quartseulement des places de magistrats (conseillers) aux audiences de province, un quart des places de magistrats à l'audience de Madrid sont réservées aux magistrats les plus anciens du grade inférieur.

Les présidences de chambre, les présidences d'audience ou pre"mières présidences, les siéges au tribunal suprême sont toujours donnés au choix. Mais en somme la part faite à l'ancienneté est fort belle, puisqu'elle peut conduire l'aspirant à un poste qui n'est point sans quelque analogie avec celui de conseiller à la Cour de Paris trèssupérieur en tous cas à celui de conseiller dans nos cours de province et auquel est attribué un traitement de 10,000 pesetas, c'est-à-dire d'un peu plus de 10,000 francs.

Il importe au surplus de ne pas se méprendre sur le sens des mots choix du gouvernement. Ces expressions ne signifient point que le gouvernement puisse, aux sièges qui ne sont pas donnés à l'ancienneté, appeler qui lui convient.

En principe et sauf de rares exceptions pour des cas spéciaux, le conseil d'État doit, chaque fois que se produit dans les corps judiciaires une vacance devant donner ouverture à un tour de choix, dresser une liste de dix candidats, qu'il présente au gouvernement; parmi ceux-ci le gouvernement doit faire son choix il ne lui est pas permis de nommer une personne non comprise dans la liste. Quant au conseil d'État, il n'est pas libre non plus de désigner à son gré tel candidat au lieu de tel autre. Il ne peut en principe général « présenter que des magistrats du grade immédiatement inférieur à celui qu'il s'agit de remplir ainsi, pour les tribunaux d'arrondissement, la loi de 1870, après avoir expressément édicté que deux sièges sur cinq


sont réservés à l'ancienneté, dispose que pour les trois autres siéges vacants le choix du gouvernement ne pourra porter que sur des magistrats du grade immédiatement inférieur, et deux d'entre les élus doivent nécessairement être compris dans la première moitié du tableau de leur grade. Ainsi encore, pour les audiences, les tours d'avancement au choix du gouvernement ne peuvent profiter qu'à des magistrats ayant occupé pendant un certain temps les fonctions immédiatement inférieures, ou à des membres du parquet remplissant des conditions soigneusement déterminées et comptant un certain nombre d'années de service.

3° Inamovibilité.

Ce que l'on est convenu d'appeler l'indépendance de la magistrature est assuré, comme en France, par l'inamovibilité; mais il ne faudrait pas entendre ce mot dans le sens que nous avons l'habitude de lui donner en France.

Ainsi, pour nous, l'inamovibilité est la garantie donnée au magistrat que, sauf le cas où il aura encouru une destitution prononcée par mesure disciplinaire ou aura atteint la limite d'âge, il ne pourra être privé de son siège. En Espagne pareil droit n'existe pour le juge que pour un temps de. Les magistrats, ceux de Madrid exceptés, ne peuvent rester plus de huit ans dans la même ville; ils doivent, à l'expiration de ce délai, être appelés à un poste de leur grade dans un lieu différent. lis ne peuvent non plus continuer à exercer les fonctions de leur grade dans un arrondissement où ils contractent mariage, où ils achètent, eux, leurs femmes ou leurs parents en ligne directe, des propriétés rurales ou urbaines. Inspirées par le même sentiment qui a fait interdire au gouvernement espagnol d'appeler aucun magistrat à des fonctions de judicature dans le pays où il est né, ces dispositions semblent impliquer que l'Espagne se défie de l'impartialité et du désintéressement de ses juges. Nous n'avons point à rechercher si cette défiance est fondée nous n'examinerons pas non plus le point de savoir si le législateur espagnol n'a pas mieux fait de prévoir le mal, pour éviter qu'il ne se produisit, que d'agir comme on fait souvent en France, où l'on aime mieux laisser le mal se développer en toute liberté, que de supposer même qu'il puisse exister.

II. MAGISTRATS DU ministère PUBLIC.

A côté du corps des aspirants à la magistrature proprement dite, la loi de 1870 a organisé un corps spécial d'aspirants au ministère public,


recruté au concours comme celui des aspirants à lajudicuture. Les conditions de ce concours sont, ou peu s'en faut, celles auxquelles sont soumis les aspirants à la judicature.

Quelques modifications seulement sont apportées à la composition de la commission d'examen et ca.lifica.cion. La présidence appartient, non plus au président, mais au procureur général du tribunal suprême, suppléé en cas d'empêchement par le fiscal de l'audience de Madrid ou un autre haut magistrat du parquet. Au point de vue des épreuves, peu de différence. Le deuxième exercice consiste dans l'exposition d'un point de droit pénal ou d'instruction criminelie. Pour troisième épreuve le candidat doit, au lieu de rédiger un jugement, donner des conclusions ou délivrer un réquisitoire sur un dossier qui lui est remis par la commission d'examen.

Les devoirs et obligations des aspirants au ministère fiscal sont les mêmes que ceux des aspirants à la judicature; ils sont plus spécialement soumis toutefois au contrôle des chefsdu parquet, qui remplissent à leur égard le même rôle que les présidents par rapport aux aspirants à la judicature. Ils doivent être, depréférence à ceux-ci, appelés à faire fonctions de substituts des fiscales d'arrondissement ou d'avocats fiscaux d'audience. Ils ne remplissent le rôle de juges municipaux, de suppléants de juges d'instruction ou de tribunaux d'arrondissement qu'à défaut d'aspirants à la judicature.

Ils sont nommés aux postes de fiscaux près les tribunaux de début dans les mêmes conditions que les aspirants à la judicature à ceux de juges d'instruction. Toutes les places de fiscales près les tribunaux d'avancement sont réservées aux fiscales des tribunaux de début, et c'est seulement dans les parquets des audiences ou cours d'appel que le gouvernement peut faire entrer des légistes n'ayant pas conquis au concours une place d'aspirant au ministère public, ou des magistrats empruntés à la magistrature assise. Les avocats ou les professeurs de droit que le gouvernement est autorisé à appeler aux fonctions du ministère public près les audiences doivent avoir plaidé, consulté ou professé pendant un nombre d'années déterminé; les avocats doivent avoir occupé dans leur corporation une situation distinguée. Ainsi l'avocat appelé au poste d'avocat fiscal (1) près une audience de province doit avoir exercé pendant douze ans devant un tribunal d'arrondissement, dix ans devant une cour ou huit ans à Madrid et occupé une place considérable au barreau, ou bien exercé douze ans devant une cour ou dix ans à Madrid, s'il est appelé au poste de substitut du (1) Ce sont à peu près nos substituts du procureur général.


fiscal dans une cour de province, ou d'avocat fiscal à la Cour de Madrid.

Nous ne voulons pas entrer dans plus de détails et nous renvoyons nos auditeurs à l'annexe, où nous indiquons les conditions que doivent remplir les candidats à chacun des grades du ministère public. Sauf pour le poste de procureur général au tribunal suprême, fiscal del tribunal supremo, qui est sans conditions au choix du gouvernement, les droits de celui-ci ne sont pas beaucoup plus étendus, au point de vue des nominations, dans les rangs du ministère public que dans ceux de la magistrature proprement dite. Dans l'un comme dans l'autre cas, le principe de l'avancement à l'ancienneté est énergiquement maintenu, et si pour les positionslesplus élevées des parquets le nombre des tours réservés au choix est relativement considérable, du moins l'arbitraire du gouvernement est-il singulièrement restreint par l'obligation où il se trouve de réserver deux places sur trois aux magistrats du grade immédiatement inférieurà celui auquel il s'agit de pourvoir et par la quasiinamovibilité que la loi accorde aux fiscales des différents ordres. Le ministre de la justice peut faire passer à son gré un fiscal d'une résidence à une autre mais le nouveau poste auquel le magistrat du parquet est appelé doit être, sinon de classe supérieure, du moins de classe égale à celui qu'il occupait au moment du changement. Les fiscales ne peuvent être frappés de destitution, suspendus ou mis à la retraite que dans les cas prévus et selon les formes édictées par les lois. Le, fiscal du tribunal suprême, les fiscales des audiences seuls, c'est-à-dire les magistrats qui occupent dans la hiérarchie judiciaire espagnole des positions analogues à celles de nos procureurs généraux peuvent, à raison de l'importance politique des postes qu'ils occupent, être privés de leurs fonctions à la volonté du gouvernement. Si la révocation, à laquelle pour ce cas particulier on donne le nom euphémique de séparation, n'est pas fondée sur des fautes commises par les chefs de parquet dans l'exercice de leurs charges, les magistrats dépossédés peuvent être appelés à prendre place dans la magistrature assise. ·

En résumé, les membres du ministère publie sont, en Espagne,dans une position à peu près semblable à celle des magistrats proprement dits.

Le gouvernement ne peut sans causes légitimes briser leur carrière, il doitrespecter les droits acquis. La loi de 1870 mettrait donc^si elle était lpyalement appliquée, les parquets espagnols à l'abri de ces destitutions qui à chaque changement de gouvernement ou de ministère jetaient sur le pavé, sans position et quelquefois sans pain, des hommes d'intelligence et de coeur; qui avaient pour conséquence des avancements fan-


tastiquesou des nominations injustifiables, expliqués plus souvent par des services politiques que par la science juridique ou le caractère des élus.

Contrecesabus qui malheureusement n'ont pas toujours été cantonnés par delà des Pyrénées, le législateur espagnol a énergiquement réagi. Il a voulu, dans le recrutement des magistratures des divers degrés, assurer aux services rendus et aux capacités justifiées une place fort large, restreindre aux plus extrêmes limites l'action directe du gouvernement.

L'avenir seul dira s'il a atteint le but qu'il a poursuivi. Il ne nous appartient pas de rien préjuger. Disons seulement que la loi provisoire sur l'organisation judiciaire compte en Espagne plus de partisans que d'adversaires, et qu'elle nous parait digne d'être signalée à l'attention et aux études des membres de la Société de législation comparée.

A la suite de cette communication, diverses observations sont présentées par M. Griolet et par M. le Président.

M. Debacq dépose, à l'appui de son travail, les tableaux suivants

ANNEXE I.

TABLEAU DES CONDITIONS QUE DOIVENT REMPLIR LES INDIVIDUS NOMMÉS OU ̃PflOMUS AUX DIVERSES FONCTIONS DE LA HIÉRARCHIE JUDICIAIRE. Recrutement des juges d'instruction.

1er et 2' tour: Les deux plus anciens aspirants du département. 3e et 4' tour: Au choix du gouvernement, parmi les aspirants compris dans la première moitié du tableau.

5= tour Au choix du gouvernement, parmi les aspirants ayant au moins un an de service.

Juges de tribunaux de début.

1" et 2e tour, ancienneté: Les deux plus anciens juges d'instruction. 3' et 4* tour, choix: Deux juges d'instruction compris dans la première moitié du tableau.

5' tour, choix Un juge d'instruction, ayant au moins deux ans de service dans son grade.

Juges d'avancement et présidents de début.

Se recrutent parmi les juges de début dans les mêmes conditions que ceux-ci parmi les juges d'instruction.


Présidents d'avancement.

Parmi les présidents de début et les juges d'avancement, conformément aux mêmes règles.

Magistrats (conseillers) des audiences hors Madrid.

1" tour, ancienneté: Le plus ancien des présidents d'avancement. 2' tour, choix Parmi les présidents d'avancement ayant au moins quatre ans de service dans leur grade.

3° tour, choix Parmi les magistrats des parquets d'audience ayant trois ans de service s'ils sont substituts et six ans s'ils sont avocats fiscaux. 4" tour Un avocat, un professeur de droit, ou un greffier du tribunal suprême ou d'audience.

Le professeur doit avoir dix ans d'exercice dans un chef-lieu d'audience, en payant la première cote de contribution, et à Madrid, l'une des premières

Le professeur, avoir servi dans une université de l'État en qualité de titulaire pendant six ans;

Le greffier ou secrétaire, avoir exercé huit ans hors Madrid, six à Madrid, ou cinq au tribunal suprême. (Les greffes se recrutent au concours.) Magistrats de l'audience de Madrid.

1" tour, ancienneté: Le plus ancien des magistrats hors de Madrid. 2° et 3' tour, choix Parmi les magistrats (conseillers) hors de Madrid, ayant au moins quatre ans de grade.

4' tour Un fiscal (procureur général) de hors Madrid ou un avocat fiscal du tribunal suprême, ou un substitut de Madrid ayant six ans de grade, ou un greffier de chambre ayant dix ans d'exercice, ou un avocat ayant exercé quinze ans dans un chef-lieu d'audience, et ayant pendant cinq ans payé la première cote de contribution, ou l'une des premières s'il est du collège d'avocats de Madrid.

Présidents de chambre hors Madrid.

Sont tous nommés au choix.

Les candidats doivent remplir les conditions exprimées aux 2", 3" et 4° du chapitre précédent. l^ï^g Présidents d'audience (1"' présidents) hors\Madrid.. Au choix parmi les présidents de chambre dehors Madrid, fiscaux d'audience à Madrid, substituts au tribunal suprême, ou magistrats (conseillers) à Madrid ayant quatre ans de grade.

Président de l'audience de Madrid.

Recruté parmi les présidents des audiences de province, les fiscaux ou présidents de chambre à Madrid, les substituts au tribunal suprême.


Magistrats au tribunal suprême.

Trois places sur quatre doivent être données à des présidents de chambre de Madrid, ou à des présidents d'audience de province ayant trois ans de grade, ou à un substitut du procureur général (teniente fiscal) à la Cour suprême, ou au doyen des conseillers de Madrid.

La 4° peut être attribuée à un avocat ayant exercé vingt ans hors Madrid ou quinze ans à Madrid, et ayant pendant vingt ans figuré aux premiers rangs de son ordre.

Présidents de chambre au tribunal suprême.

Les élus doivent remplir les conditions suivantes

Ancien membre de la justice ancien fiscal au tribunal suprême conseiller autribunal supérieur depuis plus de trois ans; ancien ministre ayant appartenu au personnel d'une cour, ou ayant exercé la profession d'avocat à Madrid pendant plus de quinze ans.

Président du tribunal suprême.

Les candidats doivent avoir été: ministre de la justice ou président du conseil; président du Sénat ou de la Chambre des députés; président du Conseil d'État ou de la section de grâce et justice de ce conseil, et avoir appartenu au personnel d'une audience ou du tribunal suprême, ou bien avoir exercé dix ans la profession d'avocat; président de chambre au tribunal suprême, ou fiscal audit tribunal, pendant un an au moins. ANNEXE II.

TRAITEMENT DES MAGISTRATS DE L'ORDRE JUDICIAIRE.

1. Juges d'instruction villes au-dessous de 40,000.. 4,000 pesetas (1 ). villes au-dessus de 40,000.. 4,500

– à Madrid. 5,000

2. Juges aux tribunaux d'arrondissement de début.. 5,000 3. Juges aux tribunaux d'avancement et présidents

des tribunaux de début. 5,500 4. Présidents des tribunaux d'avancement et juges à

Madrid 7,000 5. Présidents des tribunaux d'arrondissement à Ma-

drid. 8,000 6. Magistrats des audiences territoriales (cours d'a-

pel), Madrid excepté 8,500 7. Présidents de chambr hors de Madrid et Magistrats

de la Cour de Madrid. 10,000 8. Présidents de chambre à l'audience de Madrid. 11,500 9. Présidents des audiences territoriales, 12,500 (lj Un pou plus d'un franc.


10. Président do l'audience de Madrid 13,300 pesetas. 11. Magistrats de la Cour suprême 14,000 12. Présidents de chambre à cette Cour. 15,000 13. Président du tribunal suprême. 30,000 Plus 5,000 pour frais de représentation.

Les suppléants des juges d'instruction, ceux des juges d'arrondissement et des magistrats d'audience ne reçoivent de traitement que quand ils suppléent effectivement un titulaire empêché. Ils ont droit en ce cas à la moitié du traitement de celui-ci.

ANNEXE III.

TABLEAU HIÉRARCHIQUE DES DIVERSES FONCTIONS D1J PAKQEET. 1° Fiscales des tribunaux de début.

d'avancement.

3° Les avocats fiscaux des audiences (Madrid excepté).

4° Les substituts fiscaux des audiences provinciales et les avocats fiscaux de l'audience de Madrid.

5° Les avocats fiscaux du tribunal suprême et le substitut fiscal à l'audience de Madrid.

6° Les fiscaux des audiences.

7° Le fiscal de l'audience de Madrid et le substitut fiscal du tribunal suprême.

8° Le fiscal du tribunal suprême. t Les magistrats compris sous le même numéro ne forment qu'une seule et même classe et concourent ensemble pour l'avancement à l'ancienneté. ANNEXE IV.

TRAITEMENT DES MEMBRES DU MINISTÈRE PUBLIC.

Les magistrats des parquets (fiscales) des tribunaux d'arrondissement touchent une somme égale à celle attribuée aux juges des tribunaux prés desquels ils exercent, soit 5,000, 5,500 et à Madrid 7,000 pesetas. Les avocats fiscaux d'audience, à l'exclusion de l'audience de Madrid touchent 6,000 pesetas touchent. 6,000 pesetas Les substituts fiscaux d'audiences, tenientes fiscales

(Madrid excepté) et les avocats fiscaux de l'audience de

Madrid. 7,500 Les avocats fiscaux du tribunal suprême et le substitut

fiscal de l'audience de Madrid. 8,500 Les fiscaux d'audience 10,000 Le substitut fiscal air tribunal suprême et le fiscal de

l'audience de Madrid. 11,500 Le fiscal du tribunal suprême. 15,000 II y a lieu de remarquer que le traitement des chefs de parquet est tou-


jours notablement inférieur à celui du principal magistrat assis du tribunal ou de la Cour auxquels ils sont attachés.

ANNEXE V.

PARQUETS DES TRIBUNAUX D'ARRONDISSEMENT.

§1-

Conditions à remplir par les candidats aux différents grades. 1° Fiscales des tribunaux de début: Se recrutent parmi les aspirants au ministère fiscal de la même façon que les juges d'instruction parmi les aspirants à la judicature.

2° Fiscales d'avancement Se recrutent parmi les fiscaux de début; 1" tour, ancienneté; 2" tour, au choix, parmi les fiscales de début compris dans la première moitié du tableau; 3' tour, au choix du gouvernement, parmi les fiscales de début ajant au moins trois ans de service dans leur grade.

PABQUETS DES AUDIENCES ET DU TRIBUNAL SUPRÊME.

§2.

Conditions à remplir par les candidats.

3° Avocats fiscaux de province: Trois places sur quatre sont attribuées aux fiscaux des tribunaux d'avancement, une à l'ancienneté, les deux autres au choix* dans les mêmes conditions qu'aux numéros précédents. La quatrième peut être donnée à un avocat ayant douze ans d'exercice devant un tribunal, ou dix ans devant une audience de province, ou huit ans à Madrid.

4° Avocats fiscaux de Madrid et substituts hors Madrid Trois places sur quatre sont attribuées aux magistrats du grade inférieur dans les mêmes conditions qu'au numéro précédent.

La quatrième peut être donnée à un avocat ayant appartenu au barreau d'une audience pendant douze ans, et ayant payé pendant les quatre dernières années une des trois premières cotes de contribution, ou ayant été avocat à Madrid pendant dix ans, et ayantpayé pendant les quatre dernières années une des cinq premières cotes.

5° Avocats fiscaux du tribunal suprême et substituts à Madrid: Une place sur trois vacantes doit être attribuée au plus ancien substitut d'audience hors Madrid, ou à un avocat fiscal de Madrid.

La deuxième vacance doit être donnée à un substitut fiscal d'audience de province, ou à un avocat fiscal de Madrid, compris dans la première partie de la liste des magistrats de son grade.

Le troisième siège peut être conféré à un avocat ayant exercé pendant quatorze ans dans un chef-lieu d'audience, et ayant payé pendant les six dernières années une des trois premières cotes de patente;

Ou à un substitut d'une cour de province;


Ou à un avocat fiscal de Madrid, compris dans la première partie du tableau de son grade.

6* Fiscaux d'audience hors Madrid Sur trois places vacantes, doivent être attribuées

La première à un magistrat d'audience de province

La deuxième à un substitut de hors Madrid, ou à un avocat fiscal de Madrid ayant trois ans de grade au moins;

La troisième à un avocat d'un barreau d'audience ayant payé pendant six ans la première cote de contribution, ou à un avocat de Madrid ayant quatre ans d'exercice et ayant payé une des trois premières cotes de contribution.

A défaut d'avocat remplissant ces conditions, il est nommé un magistrat remplissant les conditions requises pour les premier et deuxième tours. 7" Fiscales d'audience de Madrid, ou substitut au tribunal suprême: Peuvent être nommés à ces postes les fiscaux ou présidente de chambres des audiences de hors Madrid, ayant un an au moins de grade; Les avocats d'un barreau d'audience hors Madrid ayant pendant dix ans payé la première cote de contribution, ou les avocats de Madrid ayant payé pendant six ans la première ou la deuxième cote.

8° Fiscal du tribunal suprême: Sans condition, au choix du gouvernement.

M. Corentin GUYHO, avocat à la Cour de cassation, est appelé à donner communication d'une Étude de législation comparée sur la Chambre haute dans les divers pays. 11 s'exprime en ces termes

Pour qui admet la vérité des principes et la force des exemples historiques, tendant à établir la nécessité d'une Chambre haute, pour qui a comparé entre elles nos secondes Assemblées, depuis le S fructidor an III jusqu'au 4 septembre 1870, il reste encore, avant de se fixer sur l'organisation et les attributions de la future Chambre des pairs ou du futur Sénat, à jeter un coup d'oeil au delà des frontières à rapprocher de nos Constitutions passées quelques Constitutions étrangères, celles des peuples dont nous avons à envier la pacifique prospérité, ou dont la grandeur s'est fondée à nos dépens. Aux pays monarchiques il faut joindre des pays républicains; d'Europe, il faut pousser jusqu'en Amérique, mais sans oublier jamais que c'est en vue delaKrance qu'est fait le parallèle. L'Angleterre, la Prusse, l'Italie, la Belgique, la République américaine, tels sont, je crois, les cinq États dont les Constitutions méritent le plus d'être opposées aux cinq Constitutions françaises qui avaient eu la sagesse de diviser le pouvoir législatif entre deux Assemblées.


En Angleterre et en Prusse, la pairie est héréditaire. En Italie, la dignité de sénateur est conférée viagèrement par le roi. En Belgique et aux États-Unis, le mandat est temporaire et électif. Origine aristocratiqne, administrative on populaire, voilà les trois sources à l'une desquelles il faut nécessairement aller demander les éléments d'une chambre haute.

ANGLETERRE.

Dans la Grande-Bretagne, l'hérédité est sans doute le principe constitutif de la pairie; cependant elle est susceptible, comme on va le voir, de se combiner, soit avec la prérogative de la couronne, soit avec l'élection.

Parlons d'abord des pairs du Royaume-Uni qui reçoivent leur siège par succession. En pareil cas, le principe d'hérédité agit à .l'état pur, sans aucune intervention de la couronne, sans même qu'il soit besoin d'installation pour le nouveau lord. Le personne est censée se continuer grâce à l'identité du titre. A l'origine, les pairs tenaient leur droit de conseil de leur qualité de francs tenanciers, de vassaux directs du roi; puis la dignité est devenue transmissible de mâle en mâle indépendamment de la transmission effective de la tenure féodale. Ces nouveaux pairs ont fait orner leur nom de titres de noblesse ne correspondant plus à des seigneuries réelles, en sorte que, même pour les pairs anglais siégeant en vertu d'un titre héréditaire, la Chambre des lords n'est pas la représentation légale des grands propriétaires du pays, mais la réunion des membres d'une aristocratie personnelle et politique composée, soit des anciens nobles qui peuvent prouver que leurs ancêtres ont été dès l'origine convoqués par la couronne (by summons of the Crown), soit des nouveaux anoblis dont un aïeul a été élevé à la pairie par lettre patente.

Viennent ensuite les fils de leurs œuvres, créés pairs avec titre héréditaire. L'hérédité est alors dans l'avenir au lieu d'être dans le passé; mais, du jour où il entre à la Chambre haute avec la certitude que son fils aîné y siégera après lui, le nouveau lord bénéficie de l'indépendance qu'une situation immuable doit désormais assurer à ses descendants.

Mentionnons en troisième lieu les princes de sang royal, les fils aînés de lords encore vivants. Us tiennent de leur naissance une vocation, un droit éventuel à entrer dans la Chambre haute mais il faut, pour les princes, que la reine les appelle par une convocation spéciale à venir siéger (writ), et, pourles lils aine de pairs, que la couronne crée


un titre personnel et temporaire afin de leur permettre d'occuper d avance le siège qu'ils tiendront plus tard de l'hérédité.

L'Angleterre possède des lords ecclésiastiques, souvenir qui semble avoir porté le prince Louis Bonaparte à admettre les cardinaux français parmi les sénateurs de droit (art. 20, § 1, Const. du 14 janv. 1852). Mais en France, les cardinaux devenaient sénateurs par le choix d'un souverain étranger, chef de l'Église catholique, tandis que les prélats anglais siègent en vertu de souvenirs tout féodaux. S'ils sont, non pas pairs, mais lords, s'ils acquièrent des droits politiques, non les privilèges personnels de la noblesse, c'est qu'aux archevêchés et aux évêchés étaient primitivement attachées des seigneuries, et que les anciens titulaires sont censés avoir acquis par prescription, pour eux et leurs successeurs, le droit d'entrée dans la Chambre haute. C'est à titre de possesseurs de fiefs qu'avant la réforme, et jusque sous Henri VIII, des abbés mitrés avaient place à côté des évêques catholiques. Cette origine du droit des lords ecclésiastiques entraîne plusieurs anomalies: l' le plus nouvellement nommé des prélats, à moins que ce ne soit l'archevêque de Cantorbéry ou d'York, l'évêque de Londres, de Durham ou de Winchester, doit faire une sorte desurnuméraiiat; l'évêque de Sodor et Man a le droit de siéger sans le droit de voter; 3° les trois évêques irlandais admis à la Chambre haute changent à chaque session (by rotation of sessions).

Enfin les pairs d'Irlande et d'Écosse tiennent leur mandat de l'élection là encore on rencontre l'hérédité, mais elle réside dans le corps électoral, au lieu d'être inhérente au membre de la Chambre haute. Notons toutefois certaines différences entre l'Irlande et l'Écosse, au point de vue de l'élection des pairs

le nombre des lords représentant chaque pays n'est pas le même il y a 16 pairs d'Écosse et 28 pairs d'Irlande à la Chambre haute; 2' la durée du mandat n'est pas égale les pairs d'Irlande sont élus à vie; les pairs d'Écosse ne sont délégués que pour la durée d'un Parlement; quand la couronne dissout la Chambre des communes, la pairie d'Écosse procède à une réélection

3° le corps électoral lui-même n'est pas dans des conditions identiques. 1)'après l'acte d'union passé sous Georges III, la couronne peut créer de nouveaux pairs d'Irlande jusqu'à concurrence du nombre réglementaire de 100. En 1860, il y avait encore 22 électeurs de trop, en sorte que la reine ne peut aujonrd'hui même faire de nomination que sur trois extinctions. Au contraire, aux termes de l'acte d'union de 1707, la pairie d'Écosse est non-seulement héréditaire mais immuable elle forme une caste absolument close, au livre d'or de laquelle la reine ne peut ajouter un seul nom.


Je ne parle pas ici du Chancelier, président de l'assemblée, même sans en être membre, et de certains hauts magistrats appelés à la Chambre des lords avec voix consultative, dans les conditions de nos conseillers d'État en service extraordinaire. En effet, par une fiction parlementaire, le sac à laine est regardé comme en dehors de la salle, et ceux qui y siègent autour du Chancelier ne sont pas considérés comme présents à la séance.

Ainsi pairs qui ont reçu leur titre par succession; 2° pairs de création nouvelle, mais admis à transmettre héréditairement leur dignité; 3° princes et fils aînés de pairs convoqués personnellement; 40 lords ecclésiastiques tenant leur siège de leur oftice pairs d'Irlande et d'Écosse élus par un corps de noblesse héréditaire, tels sont les cinq éléments qui, en Angleterre, entrent dans la composition de la Chambre des lords.

La couronne crée de nouveaux pairs à titre anglais, sans limitation de nombre et sans obligation de choisir dans certaines catégories. La reine, suivant une expression connue, « peut élever à la pairie tout un bataillon de sa garde. » Dans la pratique, les souverains créent de 40 à 60 pairs pendant tout un règne. La reine Victoria a déjà atteint ce dernier chiffre. C'est le ministère qui exerce réellement la prérogative de la couronne; il présente comme candidats ses partisans, et s'assurant la majorité dans la Chambre haute, il excite des convoitises profitables à son crédit dans la Chambre basse. Depuis que la reine Anne, pour complaire au caprice de sa favorite, M*'Masham, et soutenir le ministère chancelant de Bolingbroke, a abusé du droit de créer d'un seul coup un grand nombre de pairs, les hommes d'État anglais ont conservé une instinctive répugnance pour le procédé des fournées-. Lors du bill des céréales, le duc de Wellington lors de la réforme électorale de 1832, les lords Grey et Brougham ont cherché à éviter cette nécessité. Ils ont fait appel à l'intérêt des lords en leur montrant que la couronne allait être obligée de faire usage de sa prérogative et qu'il en pourrait résulter un ébranlement de l'institution. Georges I", pour complaire à l'indépendance des wighs, ses appuis, proposa en 1719 de faire de la pairie un corps fermé où la royauté n'aurait puintroduire un nouveau membre qu'à l'extinction d'un titre. Mais les tories, à la fois attachés à la prérogative et hostiles à la dynastie protestante, combattirent cette mesure propre à transformer « le fleuve limpide de la pairie eu un marais stagnant et infect, ttobert Walpole ajouta qu'il ne fallait pas que, « pour arriver au temple de la gloire, on dût nécessairement passer par le sépulcre d'un ancêtre. » En 4856, lord Palmerston a fait une tentative en sens contraire; il a voulu créer le baron Parke pair viager. Cette innovation, qui n'avait du reste rien


de contraire au texte d'aucun statut et qui était appuyée de l'avis de Coke, a été repoussée comme une atteinte portée à l'indépendance de la haute assemblée, comme une altération de son caractère aristocratique (discours de lord Lyndhurst).

PRUSSE.

(Art. 65-66 Const. 31 janvier 1850.)

La noblesse prussienne, comparativement à l'aristocratie anglaise, est restée plus féodale en même temps qu'elle est devenue plus dépendante de la royauté. Examinons par quels points la Chambre des seigneurs se rapproche et par quels côtés elle diffère de la Chambre des lords.

Points d'analogie. Parmi les pairs héréditaires, on distingue aussi en Prusse ceux qui ont acquis patrimonialement leur titre, de ceux qui l'ont reçu personnellement avec la faculté de le transmettre. Les seigneurs siégeant en vertu de l'hérédité tirent leurs droits de quatre sources différentes ce sont d'abord les princes des branches collatérales de la maison régnante (Hohenzollern-Hechingen et HohenzollernSigmaringen) au-dessous,les chefs des anciennes maisons souveraines qui relevaient directement de l'Empire, lorsque leur territoire a été annexé à la Prusse, titre plutôt diplomatique que 'politique; en troisième lieu, les descendants des comtes et barons appelés collectivement à la diète par l'ordonnance du 3 février 1847, ce qui rappelle la convocation primitive de la couronne anglaise (by summons of the Crown); au dernier rang, ceux dont le père ou le grand-père a été élevé à la Chambre haute par une décision individuelle.

Comme en Angleterre, les princes de la maison royale peuvent faire partie de la Chambre haute immédiatement après leur majorité, si du moins le roi veut bien les appeler à y siéger. L'article 31 de la Charte de 4814. exigeait en France une autorisation spéciale renouvelée par message au commencement de chaque session, et le défaut d'autorisation entraînait lanullité de toutes les délibérations prises en présence et avec le concours des princes. L'ordonnance du 12 octobre 1854, en Prusse, ne rend nécessaire qu'une seule convocation adressée une fois pour toutes au nouveau pair. Le roi, dans ce pays où la famille est si puissamment organisée, n'a pas à redouter l'opposition des siens. Les malheurs qui attristèrent la jeunesse de Frédéric II ont montré que le souverain est armé contre les résistances domestiques et les conspirations de palais d'un pouvoir disciplinaire semblable à celui que le chef de la maison Bonaparte s'était attribué sur ses parents.


En Prusse, comme en Écosse et en Irlande, le corps de noblesse a une certaine influence sur le choix des pairs; mais, au lieu du droit d'élection, il n'a qu'un droit de présentation, prérogative qui dans la pratique n'a guère plus de portée que le droit de composer des listes nationales donné sous le premier Empire aux électeurs départementaux. -Les quatre classes de nobles appelées à exercer ce droit de présentation sont 1° les membres de la Chambre des seigneurs qui y siègent en vertu de l'ordonnance du 3 février 1847, disposition analogue à celle qui réglait le recrutement du Sénat par lui-même sous la Constitution de l'an VIII; les familles spécialement investies du droit de proposer un candidat; 3° les comtes ayant fiefs dans les provinces; 4° les familles en possession de châteaux autrefois fortifiés^ Pour les deux premières classes, le privilège est héréditaire indépendamment de toute transmission effective de propriété; pour les deux dernières, le droit de présentation a un caractère réel et ne passe aux descendants qu'avec la terre féodale à laquelle il est attaché.

Points de- différence. La couronne autoritaire de Prusse a senti, comme jadis la royauté française, le besoin de s'appuyer sur l'élément bourgeois et universitaire contre les tendances arriérées, mais indépendantes, du parti féodal. Aussi certaines dl!es ont-elles, au même titre que les familles nobles, le droit de présentation; les universités, particulièrement bien traitées par la scientifique Allemagne, ont obtenu le même privilége. Seulement, outre que les seigneurs choisis parmi les candidats roturiers ne sont en général que nommés à vie, ils sont exclus de la Chambre haute dès qu'ils cessent d'appartenir à la corporation par laquelle ils ont été désignés.

On le voit, l'influence de la couronne est beaucoup plus grande que dans la Grande-Bretagne Le roi de Prusse peut choisir au milieu de nombreuses listes de candidats le membre de la Chambre des seigneurs qui lui agrée le mieux, tandis que la reine d'Angleterre est sans influence légale sur l'élection des pairs d'Irlande et d'Écosse. 2' Le roi de Prusse possède la prérogative refusée à la reine Victoria de créer des pairs viagers. Il est vrai que la couronne est obligée de respecter certaines conditions de nationalité, d'âge (trente ans) et de domicile mais ce ne sont là que des entraves illusoires et qui n'empêchent pas le ministère d'imposer sa volonté à la Chambre haute, comme on a pu s'en convaincre lors de la dernière loi sur l'inspection des écoles. 3° Le roi a du reste, en cas de résistance, le droit de dissoudre même la Chambre haute, c'est-à-dire de priver de leur siège les pairs héréditaires et viagers (art. 51).


ITALIE.

(Const., 4 mars 18iS.)

Le sénat italien a la plus frappante ressemblance avec la Chambre française de 1830; c'est la même prépondérance reconnue à la couronne la même place faite au mérite personnel, mais au mérite qui a passé par les antichambres ministérielles et reçu l'estampille des bureaux. L'article 33 du statut constitutionnel italien est la reproduction presque textuelle de l'article 23 modifié de la Charte du 6 août. Comme Louis-Philippe, d'après la loi de 1830, le roi d'Italie ne peut créer que des membres à vie; comme Louis-Philippe encore, il est obligé de les prendre dans des catégories, autrement dit parmi les notabilités. Les princes de la famille royale siègent aussi par droit denaissanceetimmédiatementaprèsleprésident(art. 26, loi de 1830-34, Italien). Le même avantage est fait à la grande fortune foncière ou mobilière enfin une place est de même réservée aux services non officiels, aux hommes qui ont montré « des mérites éminents. Pour restreindre autant que possible l'arbitraire royal, la loi de 1830 exigeait une récompense nationale décernée par la Chambre.

L'analogie est si grande qu'il devient curieux de relever les points de différence On ne peut être appelé au Sénat italien qu'à quarante ans (art. 33), tandis que les pairs français avaient entrée dès vingtcinq ans et voix délibérative à trente (art. 24). Il est vrai que la Charte de 1830 avait surtout en vue, en fixant cet âge, les descendants de pairs créés sous le régime précédent; mais il en résultait cette anomalie que légalement on pouvait arriver plutôt à la Chambre des pairs qu'à la Chambre des députés. 2° Dans ses catégories, le statut italien range les archevêques et évêques, les contre-amiraux après cinq ans de grade, les intendants généraux après sept ans, les présidents de cours d'appel après trois ans de fonctions, ies avocats généraux et l'officier tiscal (fiscale) près ces mêmes Cours après cinq ans. La loi de 1830, qui n'admettait pas ces notabilités, comprenait an contraire dans son énumération les présidents de chambres de commerce dans les villes de trente mille âmes après quatre élections à la présidence, les préfets de départements et les préfets maritimes après dix ans, les gouverneurs coloniaux après cinq ans.

D'antres appellations ne doivent pas tromper sur des institutions qui sont les mêmes. Ainsi les conseils de divisions remplacent en Italie les conseils généraux. Après trois élections à la présidence, les présidents de ces conseils peuvent être faits sénateurs, comme les présidents des conseils généraux pouvaient, en 1830, être appelés à la Chambre des


pairs. De l'autre côté des Alpes, les membres de l'Académie des sciences et du conseil supérieur de l'instruction publique se trouvent dans les catégories; eu 1830, les membres des quatre Académies de l'Institut étaient parmi les notabilités; au fond c'est la même classe de savants et de littérateurs à laquelle, en Italie, il est rendu hommage. Il est donc évident que le Piémont, qui nous doit tant déjà, nous a emprunté quelque chose de plus, notre Charte de 1830, et cela au moment même où nous venions de la rejeter (1848). Il a repris modestement le vieil habit dont nous ne voulions plus, et l'habit s'est trouvé assez large pour y faire entrer l'Italie. Ce n'est pas cependant que le Sénat italien réponde à l'idéal d'une seconde assemblée. Il a tous les défauts de la Chambre des pairs de 1830, qui en avait beaucoup, notamment le défaut d'indépendance vis-à-vis du pouvoir et d'autorité vis-à-vis du public. Il est facile dereconnnattre, pour peu qu'on suive dans la presse européenne les correspondances d'Italie, quel rôle effacé jouent les pâles héritiers des sénateurs romains. A la Chambre haute italienne aussi bien qu'à la Chambre des lords, on peut appliquer le mot dédaigneux de Chatam Elle fait tapisserie. BELGIQUE

(Const., 7 février 1831.)

La Belgique se présente à nous avec ce caractère presque unique et vraiment remarquable d'une monarchie hériditaire dépourvue de l'appui d'une Chambre haute, soit héréditaire comme elle, soit à sa nomination. Sauf un seul membre de droit, le prince héritier (art. 58), le Sénat belge est électif (art. 56); seulement il sort du même corps électoral que la Chambre des députés, identité d'origine qui, en France, sous la Constitution de l'an III, a fait la faiblesse du conseil des Anciens vis-à-vis du conseil des Cinq-Cents. La Constitution belge, comme la Constitution de l'an 111, a cherché à effacer ce vice de naissance en se montrant plus rigoureuse sur les conditions d'éligibilité, en étendant la durée du mandat sénatorial et en réduisant le nombre des membres de la Chambre haute. Un cens de 1,000 florins au lieu d'un cens de 20 florins; quarante ans d'âge au lieu de vingtcinq (art. 50 et 56 Constitution du 7 février 1831); un mandat de huit ans au lieu de quatre années de législature (art. 51 et 55); un nombre de membres égal seulement à la moitié du nombre des députés(art. 54) telles sont les différences principales entre les deux Chambres belges. De même, en l'an III, les Anciens étaient soumis à des conditions particulières d'âge, de mariage et de domicile (art.


83) de plus, ils n'étaient en nombre que la moitié des Cinq-Cents (art. 82).

Pour être tout-à-fait sincère, on doit convenir que le Sénat électif belge ne tient pas une place relativement plus importante que la Chambre hériditaire de Prusse et le Sénat viager d'Italie; mais cette expérience est-elle concluante contre le principe électif? en aucune façon. Il faut tenir compte en Belgique de trois circonstances 1° Le cens demandé au candidat à la Chambre haute est plus élevé que le cens exigé du candidat à la Chambre basse, en sorte que le Sénat se trouve seulement représenter, par rapport à la députation, un degré supérieur defortune. 2° Les deux assemblées sont choisies par le même corps électoral, en sorte que le Sénat est moins populaire sans être plus imposant. 3° Les attributions, sans être égales, sont de même nature, en sorte que le Sénat, auquel la besogne législative arrive toute faite, n'est, lui aussi, « que le pâle reflet de la Chambre des députés. n RÉPUBLIQUE AMÉRICAINE

(Const., lî septembre 1787.)

Le sénat républicain des États-Unis est électif comme le Sénat monarchique de la Constitution belge; mais la différence, c'est qu'aux États-Unis le Sénat sort d'un autre corps électoral que la Chambre des représentants. Tandis que les députés américains sont choisis directement par les citoyens de chaque État eu égard à la population (1 pour 30,000 habitants), un nombre fixe de sénateurs est élu par chaque législature locale, suffrage indirect dans lequel il n'est pas tenu compte de l'étendue, de la population, de la richesse et de la force relatives des différents États. C'est l'application du principe d'égalité absolue servant de base à l'union d'États qui, dans le cercle de leurs intérêts purement intérieurs, conservent leur autonomie; c'est le maintien de l'indépendance particulariste des Républiques à côté du principe de la souveraineté nationale, se personnifiant dans le chef «l'un gouvernement unitaire.

Ainsi la législature de chaque État élit deux sénateurs, et chaque sénateur a une voix. Durant la période orageuse de la Confédération, le vote au Congrès américain avait lieu par État; mais la Constitution définitive a sagement corrigé ce vice du système fédératif en établissant dans le Sénat le vote par tête. Les deux sénateurs du même État peuvent ainsi opiner dans des sens différents et l'unité de l'assemblée se concilie avec l'égalité de la représentation.

On le voit, le Sénat des États-Unis, par rapport à la Chambre basse, défend d'autres intérêts, est élu par un autre corps électoral et sui-


vant un autre mode d'élection. Non contents de cette différence d'origine, les sages auteurs de la Constitution n'ont pas négligé trois précautions accessoires dont nous avons déjà reconnu l'importance limiter le nombre des membres de la Chambre haute, prolonger la durée de leur mandat, et rendre, quant à eux, les conditions d'éligibilité plus rigoureuses.

Nombre des membres (sect. III, art. 1")- -Chaque État ne nomme que deux sénateurs, ce qui aujourd'hui même réduit l'assemblée à moins de cent membres II n'était pas possible d'attribuer moins de deux représentants à chaque État. Il ne fallait pas en effet qu'il fût privé de tout défenseur dans le sein dn principal conseil de la nation par l'absence ou la maladie de son unique élu.

Durée dumandat (sect.lll, art. 2'). -Tandis que la Chambre des représentants est renouvelée intégralement tous les deux ans, le sénat est renouvelé par tiers aux mêmes époques, ce qui porte le mandat sénatorial au triple du temps pendant lequel siège un représentant. Si l'on considère les fonctions variées et délicates du Sénat américain, l'importance capitale dans une fédération d'un frein réel pour garantir les États de toute usurpation contre leurs droits et le peuple des effets d'une législation irréfléchie, le terme de six ans était déjà bien court, et la crainte de paraître créer un corps indépendant des électeurs a seule empêché les auteurs de la Constitution de prolonger davantage la durée du mandat.

Conditions d'éligibilité (sect. III, art. 3). Ces conditions sont au nombre detrois. La première est commune aux représentants, c'est la nécessité d'habiter l'État par lequel on est choisi. La Constitution américaine n'ajoute pas, comme la loi prussienne sur l'organisation de la Chambre des seigneurs, que le sénateur est exclu quand il cesse d'appartenir à l'État qui l'a désigné. Le mandat n'étant ni héréditaire ni viager comme en Prusse, il n'a pas paru y avoir grand inconvénient à laisser un membre légalement élu siéger jusqu'au bout.-La seconde condition est d'être depuis neuf ans citoyen des États-Unis: un représentant n'a à faire que sept années de stage politique; mais, comme le Sénat américain est chargé de suivre et finalement d'approuver les négociations diplomatiques engagées par le président des États-Unis, il était nécessaire de n'admettre à la Chambre haute que des membres sincèrement dévoués aux intérêts de leur nouvelle patrie et à même de connaître ses besoins comme ses sentiments. -La troisième condition est d'avoir atteint l'âge de trente ans; un représentant peut, comme en France, être élu à vingt-cinq. Peut-être le terme adopté aux ÉtatsUnis pour le Sénat n'est-il pas suffisant, surtout en vue de l'Europe où l'homme se forme plus lentement. Un membre de la Chambre haute


doit posséder la maturité du jugement, la fermeté du caractère, la modération qui naît de l'expérience; or ces fruits sont tardifs, etl'homnie de trente ans a encore l'ardeur et l'impétuosité prime-sautière de la jeunesse.

Signalons une double singularité de la Constitution américaine –c'est d'un côté le pouvoir laissé(sect. IV) aux législatures locales de fixer le lieu, le temps et le mode de votation pour les élections sénatoriales. On retrouve encore là une trace de la souveraineté primitive des Ëlats. Cependant la Constitution, pour garantir l'intérêt général, a réservé au Congrès le droit de changer et d'unifier les règlements, mais seulement quant à l'époque des élections et au mode de votation. La seconde anomalie, c'est l'admission dans le sein du Sénat de membres provisoires qui doivent leur nomination au pouvoir exécutif (sect. III, art. 2). Il faut se hâter d'ajouter trois choses que le pouvoir exécutif chargé de désigner ces membres est le pouvoir exécutif des États et non pas le pouvoir exécutif central que, pour l'exercice de cette prérogative, la vacance doit se produire dans l'intervalle des sessions de la législature qui avait élu le sénateur mort ou démissionnaire; que la nomination cesse d'avoir son effet dès la réunion des représentants de l'État intéressé. On évite ainsi, et les inconvénients d'une convocation extraordinaire des Chambres locales, et l'inégalité qui résulterait pour l'État de la disparition d'un de ses représentants. Ainsi origine élective, pour que la Chambre haute ne puisse être accusée de tendances anti-démocratiques; 2' mode d'élection qui réserve une place à part aux talents et aux caractères que le peuple ne saurait apprécier à leur valeur; 3° mandat assez prolongé pour que la résistance momentanée aux caprices des foules devienne un titre à la reconnaissance réfléchie de la nation 4° rôle assez large pour que les talents réunis dans la Chambre haute s'y déploient à l'aise et s'y consacrent sans regrets c'est par ces côtés que le Sénat américain est supérieur au Sénat belge, auSénat italien, à la Chambre des seigneurs prussienne, et même à la Chambre des lords.

Tout voyageur qui va en Angleterre assister successivement aux séances de la Chambre des lords et à celles de la Chambre des communes emporte de cette Comparaison l'idée, partagée du reste par bon nombre d'Anglais, que les Communes tendent de jour en jour à l'omnipotence d'une Convention, et que la Chambre haute marche de plus en plus vers l'effacement d'un Sénat impérial. A Westminster, belle salle de séances pour les lords, fauteuils commodes, peu de membres- présents, cinq ou six parfois, une atmosphère vaguement chargée d'ennui, une discussion sans chaleur et sans intérêt, un résultat connu à l'avance, la majorité des pairs votant par procuration


du fond de ses châteaux dernière impression une imposante inutilité destinée à disparaître au milieu de l'inattention générale ou de l'indifférence railleuse du public. -A la Chambre des communes, au contraire, bruit, vie et passion; salle trop petite et sièges incommodes; mais c'est là, on le sent, que se débattent les intérêts du pays. Les orateurs parlent pour obtenir un vote plutôt qu'un succès personnel; ils ont la langue simple, l'éloquence impitoyable des affaires. Les ministres sont à leur place attentifs et inquiets; le leader de l'opposition se rapproche du banc de la trésorerie, et déjà le public toléré des tribunes s'entretient d'un changement de ministère.

En Amérique, à l'inverse, la tenue grave et les discussions élevées du Sénat rendent à la législature le prestige que tendraient à lui enlever la médiocrité bruyante et la physionomie quelque peu triviale de la Chambre des représentants. M. de Tocqueville a fait des deux assemblées un portrait comparatif qui, loin d'avoir cessé d'être vrai, répond de plus en plus à la réalité; car, à mesure que les peuples comme les hommes avancent dans la vie, les traits s'accusent et les rides se creuseut davantage.

« Lorsque vous entrez dans la salle des représentants à Washington, écrit l'illustre auteur, vous vous sentez frappé de l'aspect vulgaire de cette grande assemblée. L'œil cherche souvent en vain un homme célèbre. Presque tous ses membres sont des personnages obscurs dont le nom ne fournit aucune image à la pensée. Ce sont, pour la plupart, des avocats de village, des commerçants ou même des hommes appartenant aux dernières classes. Dans un pays ou l'instruction est presque universellement répandue, on dit que les représentants du peuple ne savent pas toujours correctement écrire. »

« A deux pas de là, s'ouvre la salle du Sénat, dont l'étroite enceinte renferme une grande partie des célébrités de l'Amérique; à peine y aperçoit-on un seul homme qui ne rappelle l'idée d'une illustration récente. Ce sont d'éloquents avocats, des généraux distingués, d'habiles magistrats ou des hommes d'État connus. Toutes les paroles qui s'échappent de cette assemblée feraient honneur aux plus grands débats parlementaires d'Europe. n

M. de Tocqueville attribue la supériorité incontestable du Sénat américain à une seule circonstance la substitution du suffrage indirect au suffrage direct. Il est difficile d'accorder cette affirmation trop absolue avec la réalité des faits; car, dans les États, le Sénat, bien que né du suffrage direct, est également supérieur à la Chambre des représentants. Sans doute, les États auraient volontiers faitsortirleur Chambre haute de l'élection indirecte; mais ces groupes nationaux sont d'étendue trop peu considérable, d'alluvion trop récente pour qu'il se soit formé


entre l'unité communale et l'unité centrale un corps provincial intermédiaire. Il n'existait donc pas, au sein des États, de législatures locales auxquelles le choix des sénateurs pût être confié. Qu'ont fait les Constitutions particulières? Elles ont exigé pour les membres de la Chambre haute des conditions d'éligibilité telles que l'esprit conservateur doive naître de l'intérêt et de la situation. Ainsi, dans l'État de New-York, les sénateurs ne peuvent être pris que parmi les propriétaires fonciers. En outre le Sénat est quatre fois moins nombreux que la Chambre des représentants, et la durée du mandat sénatorial est quatre fois plus longue que celle du mandat représentatif. Enfin l'électorat (art. 2) est soumis à des conditions de résidence, de cens et de service militaire. Ici un détail bien américain les nègres affranchis sont astreints une résidence prolongée, à un cens plus fort, plus anciennement possédé, ce qui, pourla plupart, équivaut à une véritable exclusion. On le voit, le bon effet du suffrage indirect peut, à la rigueur et dans une certaine mesure, être suppléé par d'autres combinaisons. L'importance salutaire du Sénat américain tient donc à l'ensemble des garanties, non à une seule des conditions, quelque importante qu'elle puisse être.

Cette étude attentive et impartiale du mode de recrutement des Chambres hautes étrangères nous amène aux conclusions suivantes 10 Le principe d'hérédité, encore supportable pour un peuple resté respectueux, ne saurait être introduit après coup dans un pays rendu sceptique par dix révolutions et qui marche invinciblement vers l'état démocratique. La nomination par le pouvoir exécutif n'a jamais donné à aucune Chambre ni indépendance ni crédit. Le principe électif, avec un mode particulier de suffrage et des garanties spéciales demandées aux éligibles, peut seul, pour peu qu'on y ajoute des attributions sérieuses et distinctes de celles de la Chambre des députés, donner naissance à une seconde assemblée qui soit à la fois un frein et un appui pour le pouvoir, qui, émanant du peuple, sortie.du suffrage universel, résiste efficacement aux mesures hâtives et irréfléchies de, la Chambre basse, sans être accusée de haïr et de combattre les intérêts populaires.

Diverses observations sont échangées entre MM. Picot, Guyho et M. le Président. t.

La discussion, s'il y a lieu, est renvoyée à la prochaine séance. M. Baruoux, avocat à la Cour d'appel, a la parole pour une communication sur le Code de procédure civile du Canada et notamment sur le jury en matière civile. Il s'exprime ainsi


1

1. Par l'article du traité de Paris du 10 février 1763, la France cédait à l'Angleterre la colonie du Canada. Sur cette terre ainsi perdue les habitudes, les mœurs, la langue, les lois, tout était français. Il est inutile d'examiner par quelles mesures politiques l'Angleterre entreprit d'assurer la possession de cette nouvelle colonie. Mais ce qu'il est important de constater, pour l'objet même de ce travail, c'est qu'aucune violence ne fut faite aux tendances du peuple conquis rien ne démontre mieux la modération du vainqueur et le caractère de la conquête que cet article du Code de procédure canadien Le bref d'assignation est rédigé dans la langue anglaise ou dans la langue française indifféremment. »

Les lois elles-mêmes y sont publiées en français et en anglais; la langue du vaincu, que levainqueur se hâte ordinairement de proscrire, partage avec l'anglais l'avantage d'être la langue officielle. Cent années s'écoulent. En 4865, sur la demande du Parlement canadien, la reine d'Angleterre nomme, non pas, il est vrai, une commission de trente ou de quarante-cinq membres, mais quatre commissaires chargés de préparer la codification des lois civiles et des lois de procédure civile du bas Canada. Le projet des commissaires a été ensuite soumis au Parlement et les deux Codes ont été mis en vigueur le 28 juin 1867. M. Gonzalve Doutre, avocat et professeur de droit à l'Université Victoria, à Montréal, a aussitôt entrepris le commentaire de ces Codes. Il est correspondant de notre Société et nous envoie les fascicules successifs de son ouvrage sur le droit civil nous devons attendre pour en parler que l'œuvre soit complète. Mais son travail sur le Code de procédure est terminé et il en a fait hommage à la Société. Les deux volumes dont il se compose contiennent l'exposé des motifs,'le texte du Gode en 1,361 articles, des règles de pratique que chaque Cour a le droit de faire dans les lipites de sa compétence, un formulaire d'actes et un commentaire qui est l'œuvre de M. Doutre. 2. Je ne veux pas faire, à propos de cet ouvrage, un cours, même abrégé, de procédure canadienne; et non-seulement dans ce livre je laisse de côté tout ce qui n'a d'importance que pour les praticiens du Canada, mais encore j'omets à dessein de vous entretenir de particularités de cette législation lointaine, qui piqueraient peut-être votre curiosité, mais n'auraient après tout pour le plus grand nombre d'entre nous qu'une médiocre utilité. Je veux au contraire vous 'Signaler des parties tout entières de cette œuvre législative, que rendent très-


dignes de votre attention les circonstances spéciales dans lesquelles elle a été accomplie.

3. Ce Code n'est pas en effet sorti des méditations solitaires d'esprits abstraits ce n'est pas une œuvre d'inspiration ou d'émulation parlementaire. Le décret de la reine indique catégoriquement aux commissaires le genre de travail qui leurest confié

« 4. Lesdits commissaires réduiront en un Code, qui sera appelé le Code civil du bas Canada, les dispositions des lois du bas Canada qui se rap« portent aux matières civiles, et qui sont d'un caractère général et per« manent, soit qu'elles se rattachent aux affaires de commerce ou à des affaires de toute autre nature; mais ils ne comprendront dans le dit « Code aucune des lois concernant la tenure seigneuriale ou féodale. 5. Lesdits commissaires réduiront en un autre Code, qui sera appelé « le Code de procédure civile du bas Canada, les dispositions des lois du bas Canada qui se rapportent a la procédure en matières et causes civiles, et qui sont d'un caractère général et permanent.

6. En rédigeant lesdits Codes, lesdits commissaires n'y incorpo« reront que les dispositions qu'ils .tiendront pour être alors réellement en •< force, et citeront les autorités sur lesquelles ils s'appuient pour juger qu'elles le sont ainsi; ils pourront suggérer les amendements qu'ils >< croiront désirables, mais mentionnesont lesdits amendements, séparément et distinctement, accompagnés des raisons sur lesquelles ils se sont fondés.

« 7. Lesdits Codes seront rédigés sur le même plan général et contien•̃ dront, autant que cela pourra se faire convenablement, la même somme « de détails sur chaque sujet, que les Codes français connus sous le nom •> de Code civil, Code de commerce et Code de procédure civile. Cela est très-clair. Et comme les amendements proposés par les commissaires et acceptés par le Parlement sont placés entre parenthèses, il est aisé de se convaincre que la presque totalité des dispositions du Code n'est que la reproduction des usages en vigueur. Or le Canada présentait en 1865 une situation très-digne de remarque. En 1763, il était régi par la coutume de Paris pour le droit civil, pour la procédure civile par l'ordonnance de 1667, .dont beaucoup de dispositions ont passé dans notre Code de procédure.

L'Angleterre n'a d'abord apporté que son organisation judiciaire il il a fallu aussitôt que la procédure française se pliât à cette organisation nouvelle; ensuite les colons anglais sont venus et avec eux, les uns après les autres, les statuts britanniques. Un pareil mélange, a dû, pendant bien des années, produire une confusion peu favorable à la bonne administration de la justice. Cependant peu à peu, par la force même des choses, l'ordre. s'est fait dans ce chaos; certaines règles ont triom-


phé de certaines autres; les deux législations ont perdu dans ce frottement continu ce qu'elles avaient de moins résistant et de moins vivace, et de leur mélange est sortie une coutume que le Code transforme en loi écrite, et dans laquelle l'analyse permet de retrouver les éléments qui ont concouru à sa formation. Nous avons donc ici le moyen d'étudier sur le terrain spécial de l'organisation judiciaire et de la procédure, non pas la procédure française en France et la procédure anglaise en Angleterre, mais le mélange, opéré par lanatureelle-même, entre ces deux législations qui diffèrent, non-seulement par tant de détails, mais encore par certaines conceptions générales du rôle dela justice et des conditions essentielles à la manifestation du droit. C'est là qu'est l'intérêt de cet examen, et c'est bien là vraiment une œuvre de législation comparée.

Il

ORGANISATION JUDICIAIRE.

4. Ce qu'une nation conquérante apporte d'abord avec elle, c'est son organisation judiciaire. La manière de rendre la justice diffère essentiellement suivant l'état politique des peuples. On a bien souvent remarqué que la faveur ou la défaveur qui s'attache à certaines institutions judiciaires, le jury, par exemple, indique d'une façon exacte le degré de liberté publique qu'assurent à la nation ses lois et ses moeurs. En outre le pouvoir judiciaire, qui n'a ni l'étendue du pouvoir législatif, ni la force soudaine du pouvoir exécutif, pourrait cependant, par des détours ou des interprétations calculées, gêner et môme entraver l'exercice de l'un et de l'autre. La conséquence en est évidente. Plus le vainqueur veut renoncer promptement à l'exercice du pouvoir arbitraire que la conquête a mis entre ses mains, plus il lui importe de s'assurer de l'administration de la justice.

L'Angleterre imposa donc immédiatement à la colonie conquise son organisation judiciaire. Voici, tel qu'il résulte du Code de procédure et des autres travaux deM. Doutre, le tableau des juridictions chargées aujourd'hui de rendre la justice dans le bas Canada.

5. HAUTE COUR D'APPEL OU DE POURVOI POUR erreur. Sa Majesté,, en son conseil privé, siégeant à Londres.

Il y a appel à Sa Majesté de tout jugement final rendu par la Cour du banc de la Reine

1° Dans tous les cas où la matière en question a rapport à quelque honoraire d'office, droit, rente, revenu ou somme d'argent payable à Sa Majesté

Lorsqu'il s'agit de droits immobiliers, rentes annuelles ou autres matières qui peuvent affecter les droits futurs des parties;


3* Dans toute autre cause où la matière en litige excède la somme ou valeur de 500 livres sterling (art. 1178 à 1182, C. Proc. Civ. B. C.).

Coir FÉDÉRALE, constituée en germe par la clause 101 de l'acte d'union des Canadas, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, dans les termes suivants: « Le Parlement du Canada pourra. créer, maintenir et organiser une Cour spéciale d'appel pour le Canada et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada. »

II ne paraît pas que le Parlement canadien ait usé jusqu'ici de cette faculté.

COUR DU BANC DE la Reine. Elle siège alternativemeni à Montréal et à Québec. Elle est composée d'un juge en chef et de quatre juges puînés. Elle réunit la juridiction de nos Cours d'appel et de la Cour de cassation, et, d'après M. Doutre, sa compétence est à peu de chose près la même que celle de la Cour du même nom en Angleterre. Sauf le cas d'appel à Sa Majesté en son conseil privé, elle juge en dernier ressort toutes les causes susceptibles d'appel.

Il y a appel

1° De tout jugement rendu par la Cour supérieure, excepté dans les cas de certiorari (V., pour la nature de ce bref, Doutre, t. Il, n°'2189 et s.) et dans les matières concernant les corporations municipales ou offices municipaux, et de tout jugement rendu par la Cour de circuit dans toute cause dont le montant excède 100 piastres, sauf la même exception;

2° De tout jugement interlocutoire 1° lorsqu'il décide en partie le litige – lorsqu'il ordonne qu'it soit fait une chose à laquelle il ne peut être remédié par le jugement final – 3° lorsqu'il a l'effet de retarder inutilement l'instruction du jugement.

L'appel doit être relevé dans le délai d'un an. En appelant dans les quinze jours après le jugement, on arrête l'exécution du jugement jusqu'à la décision finale, à moins que l'appelant ne consente à l'exécution du jugement pour ne donner caution que pour les frais d'appel (art. 1114 à 1177, C. P. C. B. C.).

COUR DE révision. Elle a été établie en 1864, afin de prévenir les frais d'appel devant la Cour du banc de la Reine. Elle est composée de trois juges de la Cour supérieure, au nombre desquels peut siéger le juge qui a rendu le jugement dont la révision est demandée. C'est une sorte de Cour d'appel préparatoire; sa compétence paraît être la même que celle de la Cour du banc de la Reine. Elle tient ses séances à Québec et à Montréal (art. 494-504).

COUR supérieure. Elle siège dans tous les districts et est composée


en totalité de dix-huit juges, dont un juge en chef et dix-sept juges puinés. Elle n'est composée que d'un seul juge, excepté lorsqu'elle juge comme Cour de révision, comme on l'a vu ci-dessus. La juridiction de cette Cour est civile et s'étend sur tout le bas Canada, avec plein pouvoir de prendre connaissance et de juger en première instance toute demande ou action qui ne tombe pas dans la juridiction de la Cour de circuit ou de l'amirauté. C'est la juridiction de droit commun, et sa compétence embrasse celle des tribunaux de commerce, des tribunaux d'arrondissement et des conseils de préfecture. Dix juges peuvent faire toute règle de pratique qui n'est pas contraire aux lois (art. 28 à 43, C. P. C. B. C.).

COUR de banqueroute. Elle a été établie par l'acte concernant la faillite de 1864. Au fond, cette Cour n'est que la Cour supérieure mais la procédure est différente. Toute personne lésée par la décision d'un syndic à une faillite a le droit d'en appeler à un juge par requête sommaire. La sentence du juge est susceptible d'être révisée par la Cour de révision et d'être portée en appel devant la Cour du banc de la Reine, de la même façon qu'nn jugement rendu par la Cour supérieure.

COUR DE circuit. Elle siège dans tous les circuits du bas Canada et est présidée par un juge de la Cour supérieure. Sa juridiction s'étend sur toute demande ou action dont le montant ou la valeur n'excède pas 200 piastres* et dans laquelle il n'émane pas. de bref de copias ad rcspondendum. (Bref donné pour faire arrêter le débiteur. V. M. Doutre, t. 11, n° 1 U9 et s.) Les décisions de la Cour de circuit peuvent être frappées d'appel lorsque le montant de la vateur réclamée excède 100 piastres; 2° dans tous les cas où il s'agit de quelque honoraire d'orticR, droit, rente, revenu ou somme d'argent payable à Sa Majesté; 3° lorsqu'il s'agit de droits immobiliers, rentes annuelles, ou autres matières qui peuvent affecter les droits futurs des parties (art. 1053 à 1113, C. P. C. 15; C..).

On voit que la compétence de la Cour de circuit répond à celle de nos justices de paix.

COUR DES COMMISSAIRES. Elle est établie sur requête présentée au gouverneur par cent propriétaires d'une paroisse ou township, composant la majorité de la, localité. Alors le gouverneur nomme une ou plusieurs personnes pour agir comme commissaires. Les huissiers, sergents, hôteliers ne peuvent êtie nommés. Ln procédure devant ces tribunaux est très-sommaire. Leur compétence s'étend sur toute demande d'une nature personnelle et mobilière, résultant d'un contrat ou quasi-contrat dont le montant ou la chose réclamés n'excède pas 25 piastres, et dirigée contre un défendeur résidant dans la


localité 2° contre un défendeur résidant dans un rayon de cinq lieues, si la dette a été contractée dans la localité; 3° contre un défendeur résidant dans un rayon de dix lieues, si dans la localité où il réside il n'y a pas de commissaires.

Les jugements de cette Cour sont susceptibles d'appel devant la Cour de circuit, dans les mêmes cas où les jugements de celle-ci pourraient être frappés d'appel (art. 1183-421 5, C. P. C. B. C.). Juges DE paix. Ils ont aussi juridiction dans certaines matières civiles, telles que le recouvrement des taxes d'école, des cotisations pour la construction ou réparation des églises, presbytères et cimetières, dommages causés par les animaux et autres matières concernant l'agriculture, différends entre maîtres et serviteurs à la campagne, salaires des matelots, réclamations des emprunteurs contre les prêteurs sur gages. On ne peut appeler de leurs jugements que pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme (art 1216 et s.).

Enfin, pour être complet, il faut citer la Cour du Recorder et la maison de la Trinité, juridictions spéciales à certaines villes (art. 12171218), et la Cour de l'Amirauté, qui prend connaissance de toute matière relative à la mer et à ses rivages.

6. Sans doute il est aisé de reconnaître certaines différences entre cette organisation coloniale et l'organisation de la métropole. Elles ont pour causes la nécessité d'adapter la juridiction aux divisions administratives du pays, et aussi la volonté de simplifier les procédures de recours, dont la multiplicité est un des grands vices de l'organisation judiciaire anglaise. Mais les traits généraux demeurent et sont aisément reconnaissables.

Un nombre extrêmement restreint de magistrats, personnages considérables se transportant de lieu en lieu pour rendre la justice, prononçant seuls ou avec l'assistance de jurés, pas de ministère public, tels sont les caractères saillants de toute organisation judiciaire anglosaxonne et si on la compare à l'organisation française, elle n'a sur elle, à côté de causes nombreuses d'infériorité, qu'un avantage, mais un avantage immense, qu'il serait bien aisé d'assurer à notre organisation judiciaire, l'uniformité des conditions exigées des magistrats et des garanties qui leur sont accordées.

7. On parle beaucoup en effet de l'unité de la justice, et ceux qui se servent de ce terme paraissent entendre par là la suppression des juridictions exceptionnelles, comme les conseils de préfecture, les tribunaux de commerce, les tribunaux militaires, et la dévolution de toutes les causes à un tribunal unique, le tribunal de première instance. On prétend qu'il y a là un moyen de grandir le rôle des juges de première instance, et, pour employer le langage du jour, de restaurer l'idée de


la justice et d'assurer le respect qui lui est dû. Rien ne démontre mieux l'inexactitude de cette vue que l'examen de l'organisation judiciaire anglaise. L'Angleterre a, comme la France, des juridictions va. riées, et nulle part la loi n'est mieux obéie et le magistrat plus respecté. A notre avis, il est excellent que les causes commerciales soient jugées par des négociants, au moins en première instance, les difficultés entre ouvriers et patrons par des prud'hommes, les crimes et délits des militaires par des officiers, et même, sauf à diminuer dans une large mesure le nombre des conseils de préfecture, nous admettons sans répugnance que des juges spéciaux puissent être chargés du LI jugement des difficultés qui naissent du droit administratif. La complication des rapports sociaux a si bien multiplié et compliqué les lois, qu'il est impossible à un seul homme de les savoir toutes, même superficiellement; et comment peut-il les appliquer, s'il ne les sait pas? 11 y a d'ailleurs bien des choses qui ne sont pas la loi, mais qu'il est indispensable de connaitre pour rendre bonne justice, et que peuvent seuls savoir ceux à qui leur profession les a révélées, par exemple les usages de commerce ou les nécessités de la discipline. L'unification de la juridiction n'est donc pas le but auquel il faut tendre. Le mal est bien plutôt dans la fantaisie vraiment prodigieuse avec laquelle le législateur semble avoir pris plaisir à varier la condition des juges. L'élection pour les uns, le choix du pouvoir pour les autres, l'inamovibilité pour ceux-ci, la destitution en perspective pour ceux-là, le droit de récuser un juge civil qui a un intérêt, même le plus éloigné, au procès, et jusqu'à ces derniers temps le préfet présidant le conseil de préfecture, et encore aujourd'hui le conseiller de préfecture faisant souvent fonctions de secrétaire général, le conseiller d'État préparant le travail du ministre dont il jugera les actes, voilà le chaos vraiment incroyable qu'offre notre organisation judiciaire.

Or une confusion pareille est faite pour détruire le respect du à la justice. Cen'est point ici le lieu de discuter toutes ces graves questions; mais en comparant l'organisation judiciaire anglaise à la française, on ne peut s'empêcher de relever cette immense différence. Qu'elle que soit la nature ou l'importance de son procès, l'Anglais trouve partout un juge et des jurés, entourés des garanties que les habitudes de son esprit lui présentent comme les conditions essentielles de la justice. Le Français n'a point le même avantage; par exemple, il entend répéter partout que l'inamovibilité du juge est la condition sine fjua non de son indépendance; il voit qu'on attache à cette garantie tant d'importance qu'on l'écrit dans les chartes; si quelque acte révolutionnaire y porte atteinte, il entend crier à la profanation. Des lors, il


tient pour certain qu'il n'y a pas de justice possible sans cette garantie. Si maintenant on lui dit que la plus grande partie des procès est décidée par des juges qui ne jouissent pas de cette prérogative, cela produit dans son esprit une confusion détestable, et il lui arrive infailliblement l'une de ces deux choses ou il considère l'inamovibilité comme une garantie illusoire, et tient l'estime bruyante qu'on en fait pour une hypocrisie intéressée; où il perd à l'instant, à l'égard des magistrats qui ne sont pas couverts par cette prérogative, cette confiance absolue dans l'indépendance du juge qui est le fondementmême du respect qu'on accorde à la justice.

III

FORMALITÉS GÉNÉRALES DE PROCÉDURE ET ENQUÊTES.

8. Venons maintenant h la procédure. Toute loi complète de procédure peut être examinée à ces trois points de vue l'instruction du procès, le jugement, l'exécution des jugements. Comme je ne veux relever dans le Code de procédure anglo-français que j'analyse que les disposilions qui s'éloignent des règles du nôtre, je n'ai presque rien à dire des articles 514 à 1032 et 123G à 1361, dernier article du Code. Ces 650 articles règlent l'exécution volontaire des jugements (réception de caution, reddition de comptes, offres réelles et consignation), l'exécution forcée des jugements (saisie-arrêt, saisie-exécution, saisie immobilière, distribution par voie de contribution et distribution par voie d'ordre). Enfin ils sont relatifs à certaines procédures spéciales, séparations de biens, séparations de corps, vente de biens appartenant à des mineurs, inventaires, scellés, arbitrages. Ils reproduisent les articles correspondants du Code de procédure çivile, et j'y relèverai seulement les dispositions suivantes qui peuvent avoir pour nous un certain intérêt. L'article 556 nous montre ce qu'est la vie de l'émigrant, tour à tour laboureur, ouvrier, chasseur et pécheur.

Art. 556. Il doit être laissé au débiteur à son choix: v

1° Les lits, literies et bois de lit à l'usage de sa famille

2° Les vêtements ordinaires et nécessaires pour lui et sa famille; 3° Un poêle et son tuyau, une crémaillère et ses accessoires, une paire de chenets, un assortiment d'ustensiles de cuisine, une paire de pincettes et la pelle, une table, six chaises, six couteanx, six fourchettes, six assiettes, six tasses, six soucoupes, un sucrier, un pot au lait, une théière, six cuillers, tous rouets à filer et métiers à tisser destinés à l'usage domestique, une hache, une scie, un fusil, six piéges, les rets et seine de pêche e ordinairement en usage, et dix volumes;

4° Des combustibles et comestibles suffisants pour le débiteur et sa fa-


mille, pour trente jours et n'excédant pas en tout la valeur de 20 piastres i

5° Une vacher quatre moutons, deux cochons, et leu.r nourriture pendant trente jours

fi° Les outils, instruments ou autres effets ordinairement employés pour son métier jusqu'à la valeur de 30 piastres

7" Les abeilles jusqu'à la quantité de quinze ruches.

9. L'article 566 comble une lacune de notre Code

Art. 566. La saisie des actions dans une compagnie ou société financière, commerciale ou industrielle dûment incorporée, s'opère en signifiant une copie du bref d'exécution à, telle société, avec un av;s que toutes les parts possédées par le défendeur dans telle société sont mises sous exécution.

Même avis est donné au défendeur.

10. L'article 619 contient une disposition qui, si elle était introduite dans notre procédure, pourrait avoir de bien grands avantages. Art. 619 Le poursuivant a droit d'être présent lorsque le tiers saisi fait sa déclaration, et de lui soumettre toute question tendant à établir quelque obligation de la part du tiers saisi envers le défendeur en saisiearrêt, sauf objections qui peuvent être jugées de suite par le juge, s'il est présent; sinon le protonotaire doit en faire une entrée, pour y être adjugé ensuite par le tribunal.

La contestation d'une déclaration affirmative est en effet presque toujours une action de fraude, puisqu'elle a pour but d'établir que la déclaration n'est pas sincère. Or une pareille action étant nécessairement dispensée de la preuve écrite, il n'y aurait nul inconvénient à ce que le tiers saisi pût être, au moment de sa déclaration, interrogé par le créancier opposant, et tous les praticiens sentiront, sans qu'il soit besoin d'insister, combien cette procédure rendrait facile la manifestation de la vérité.

11. Mais si le Canada a sur tous ces points conservé les lois françaises, il n'en est pas de même dans les règles qui touchent à l'instruction des procès et à leur jugement. Là, au contraire, l'influence anglaise est manifeste, et elle se révèle par deux traits caractéristiques, l'importance donnée à la preuve testimoniale et le jugement par jurés. 12. L'instruction des procès a partout le même but la manifestation de la vérité. Les délais des assignations,, la. forme des conclusions, l'ordre des incidents, les interrogatoires sur faits et articles, les enquêtes, tout cela n'a qu'un but, empêcher le droit de succomber sous


les efforts de la ruse «t du mensonge, faire éclater la vérité des faits, afin que la loi leur soit appliquée. Or il y a dans l'histoire du droit un fait extrêmement remarquable, c'est l'estime différente que, suivant les temps et les lieux, les hommes ont faite des différents genres de preuve. Aujourd'hui encore, malgré l'inflexible niveau sous lequel la civilisation moderne a courbé l'individualité des peuples, il est vrai de dire qu'à ce point de vue toutes les législations se partagent en deux grandes classes, celles qui suivent l'influence anglaise, celles qui obéissent à l'influence française. Chez nous, non-seulement la preuve testimoniale n'est pas en honneur, mais elle est regardée comme le plus détestable moyen d'arriver à la connaissance de la vérité. La loi va jusqu'à la proscrire; elle ne l'admet que lorsqu'il n'a pas été possible de se procurer une preuve écrite. 11 y a plus de trois siècles qu'on dit au droit français lettres passent témoins.

13. Au contraire, en Angleterre, la preuve testimoniale est partout. Non-seulement la loi ne la défend pas, mais elle en favorise l'pmploi par tous les moyens possibles. Interroger son adversaire, puis des témoins, voiià la première pensée d'un plaideur anglais. Mais un interrogatoire sur faits et articles, une enquête, tout cela est long, quelquefois difficile. Les témoins sont malades, éloignés, en voyage, sur le continent, aux antipodes. La législation anglaise y a pourvu. La déposition en justice est remplacée par cette déclaration faite sous serment devant un officier public, si célèbre sous le nom d'affidavit. Art. 30. Tout juge, protonotaire, greffier, et tout commissaire autorisé à cet effet tel que ci-après exprimé, a droit de faire prêter et recevoir le serment, dans tous les cas où il serait requis soit par la loi, les règles de pratique ou l'ordre du tribunal ou du juge, ou l'affirmation dans le cas où elle peut avoir lieu, à moins que ce droit ne soit restreint par quelque disposition de la loi.

Tout juge de la Cour supérieure, dans le district où il remplit ses fonctions, peut, au moyen d'uneou plusieurs commissions sous le sceau de la Cour, nommer autant de personnes qu'il le trouve nécessaire, dans tout le district, comme commissaires pour y prendre et recevoir toute déposition sous serment qui devra servir devant la Cour supérieure ou la Cour de circuit.

Le juge en chef de la Cour supérieure et un autre juge du même tribunal, ou dans le cas de décès du juge en chef ou de son absence de la province, deux juges de la Cour supérieure, peuvent nommer, par une ou plusieurs commissions sous le sceau du tribunal, autant de personnes qu'ils le jugent'convenable, résidant dans le haut Canada, comme commissaires pour y prendre et recevoir les dépositions sous serment qui doivent servir devant quelqu'nne des Cours du bas Canada.

Le gouverneur peut également, de temps à autre, nommer des personnes


compétentes, résidant dans toute partie de la Grande-Bretagne et d'Irlande, ou dans quelqu'une des colonies anglaises, commissaires pour prendre ou recevoir semblables dépositions sous serment.

Toute déposition sous serment, ou aj/idavit ainsi faite et reçue, a la validité, les mêmes effets et le même degré de foi que si elle avait été faite ou reçue cour tenante.

La même validité et les mêmes effets sont l'attachés, suivant les dispositions de la 26e section, chapitre 41, à toute déposition sous serment prise ou reçue devant un commissaire autorisé par le lord chancelier à administrer les serments en chancellerie en Angleterre, ou par-devant un notaire public, sous son seing et sceau d'office, ou devant le maire ou magistrat en chef d'une cité, bourg ou ville incorporée dans la Grande-Bretagne ou l'Irlande ou dans toute colonie de Sa Majesté, ou dans tout pays étranger, sous le sceau commun de telle cité, bourg ou ville incorporée, ou devant un juge d'une Cour supérieure de toute colonie de Sa Majesté ou de quelqu'une de ses dépendances, ou devant tout consul, vice-consul, consul temporaire, proconsul ou agent consulaire de Sa Majesté exerçant ces fonctions en pays étranger.

De pareilles dispositions législatives révèlent de la façon la plus claire l'emploi continuel de ces dépositions extrajudiciaires. 14. D'où vient eette étonnante différence dans la confiance que deux nations si voisines, si semblables, accordent au témoignage del'homme? Historiquement, la preuve testimoniale aété partout la première, et il n'a été possible d'en restreindre l'emploi qu'après que le talent d'écrire fut devenu général. Mais comment se fait-il qu'en France les lois aient de leur mieux accéléré ce mouvement, tandis que l'Angleterre a conservé dans l'éclat de sa civilisation la procédure d'un autre Age? C'est là une question qui appartient à l'histoire et à la philosophie du droit, et elle est trop grave pour qu'il soit possible de la traiter d'une façon incidente et en peu de mots. On peut dire cependant, sans chercher à la résoudre, qu'il y a, dans cette confiance accordée au témoignage et au serment, la preuve d'un sentiment très-vif et trèsénergique de la dignité humaine, quelque chose qui ressemble à l'opinion que le gentilhomme avait de l'honneur, opinion qui lui faisait respecter chez les autres ce qu'il tenait lui-même pour son bien le plus précieux.

i 5. Mais, au point de vue juridique, on ne peut douter que la théorie française ne soit cent fois préférable, d'abord parce qu'elle diminue de beaucoup les chances d'erreur dans lesquelles la justice peut tomber, ensuite parce qu'elle permet de donner à la procédure cette simplicité et cette rapidité qui sont un des plus grands bienfaits de la loi.

De grands admirateurs de l'Angleterre prétendent, il est vrai, qu'un


témoignage anglais est de bien meilleure qualité qu'un témoignage français. Mais l'incertitude des témoignages tient à la nature même de J'homme, et par conséquent elle ne change ni avec les temps ni avec les lieux. Quant à la mauvaise foi, il n'y a pas assez d'écart entre les moeurs anglaises et les nôtres, leurs élections politiques révèlent chez eux trop de corruption, pour s'il soit possible d'admettre que le témoignage ne puisse pas être acheté comme le vote.

Toutefois il faut reconnaître qu'à raison de l'empire que les idées religieuses ont conservé sur leurs âmes, le serment, sous l'autorité duquel tout témoignage est reçu, peut imposer au juge anglais plus de confiance qu'au magistrat français. C'est en effet une chose curieuse à observer que l'opinion que les différents peuples se font de l'efficacité du serment. Portalis, dans un discours au conseil desAnciens, disait ceci

« Il eût été digne de notre temps de reconnaître que le serment est une bien faible barrière pour des hommes polis et raffinés qu'il « n'est nécessaire que chez des peuples grossiers, à qui la fausseté « ou le mensonge coûte moins que le parjure; mais que dans nos « mœurs, cette auguste cérémonie n'est plus qu'une forme outra« geante pour le ciel, inutile pour la société, et offensante pour ceux « qu'on oblige à s'y soumettre. »

A cette théorie, il faut comparer celle qui résulte des articles suivants

Art. 255. Avant que le témoin soit admis à déposer, le juge ou le protonotaire doit lui faire jurer de dire la vérité, ou si c'est un quaker, le mot jurer doit être remplacépar ceux de déclarer et affirmer solennellement et sincèrement.

Art. 256. La formule du serment et la manière de le faire peuvent être changées suivant la croyance religieuse du témoin, de manière néanmoins a le lier à ne déclarer que la vérité.

Art. 260. Nul ne pourra être témoin, s'il ne connaît l'importance du serment, et s'il n'a l'exercice de ses facultés mentales.

Art. 259. Avant d'être admis à faire serment, le témoin peut être examine par l'une ou l'autre des parties sur sa croyance religieuse, et il ne peut être admis à faire le serment ou l'affirmation, ni à rendre témoignage, s'il ne croit en Dieu, et à l'existence de récompenses et de punitions après la mort.

16. D'ailleurs, si le législateur anglais compte sur la Providence, il ne s'en rapporte pas exclusivement à elle, et tout en s'assurant que le déposant redoute tes peines éternelles, il ne dédaigne pas d'appliquer au parjure, par provision sans doute, des châtiments qui, tout temporels qu'ils soient, n'en sont pas moins de nature à faire réfléchir, même


les hommes polis et raffinés dont parle M. Portalis. Chez nous aussi, la loi punit de peines sévères le faux témoignage; mais il faut ajouter que la loi n'est jamais appliquée. En Angleterre, on ne punit pas seulement le faux témoignage, mais même le parjure. Il y a beaucoup de cas où la procédure invite les parties à affirmer sous serment la vérité de leurs prétentions malheur à elles, si elles font un faux serment! On l'a bien vu dans le procès Tichborne. On sait qu'à la 103* audience, le chef du jury a annoncé, avant même d'entendre les témoins de la défense, que la conviction du jury était faite. Les avocats du demandeur l'ont alors engagé à se désister, ce qu'il a fait, mais voici ce qui est arrivé.

« Le lord chief justice demande alors Le prétendant est-il ici ? « M. Ballantine. Non mylord.

« Le lord chief justice. Est-il dans le bâtiment? Non mylord. « Le lord chief justice. Qu'on l'appelle trois fois à haute voix. » Le greftier appelle troisfois: SirRoger-Charles-DoughtyTichborne, baronnet. Mais personne ne répond ni ne parait.

Le lord chief justice annonce qu'il résulte pour lui, de la déclaration du jury, la présomption que le prétendant s'est rendu coupable de faux témoignage pendant son interrogatoire, cet interrogatoire ayant eu lieu sous serment « J'ordonne en conséquence, dit-il, qu'il soit mis en accusation, et sa personneconfiéeàla garde du schériff de Middlesex, pour être détenue dans la prison ordinaire jusqu'à )a prochaine session des assises, à moins que le prétendant ne fournisse une caution de 5,000 livres et deux répondants de 2,500 livres chacun, ou quatre répondants de i ,230, pour répondre en personne des accusations portées contre lui n.

Il y a loin de là à cette inoffensive condamnation aux dépens, qui est, en général, la seule peine infligée chez nous aux plaideurs téméraires.

17. Le législateur anglais emploie encore d'autres moyens pour parer aux dangers de la preuve testimoniale. Ces moyens sont des règles de procédure, que nous trouvons dans le Code du Canada et dans le commentaire de M. Doutre. Chez nous, la preuve testimoniale étaut rarement autorisée par la loi, le législateur a pu, sans grave inconvénient, simplifier beaucoup les règles qui lui sont réservées. En droit anglais, au contraire, comme presque toutes les procédures roulent sur ce moyen d'information, on a été conduit à multiplier les précautions et les formalités.

L'instance, d'après ce Code anglo-français, s'introduit, comme en France, par un bref d'assignation dans lequel le demandeur est tenu de formuler ses prétentions (art. 43 et s.).


Le défendeur dîtment assigné doit comparaître au greffe du tribunal au jour fixé ou le jour juridique suivant, soit en personne ou par procureur, et en produire acte (art. 83).

18. Ainsi les parties ont, devant toutes les juridictions, le droit de se passer de mandataires. Si le défendeur ne comparait pas, le demandeur prend défaut sur la production de l'acte, s'il en a un, ou, s'il n'en a pas, sur la production d'une déclaration assermentée émanée de lui ou d'une personne digne de foi (art. 89, 90, 91). Le défendeur doit proposer les exceptions dans un délai de quatre jours; le demandeur y répond dans un délai de huit jours; le défendeur réplique dans un autre délai de huit jours, le tout à peine de forclusion, à moins que le tribunal n'ait accordé des délais (art. 107iet s.). Si le défendeur n'a pas d'exception à opposer, il doit proposer ses défenses au fond dans un délai de huit jours (art. 137). Les réponses et les répliques jouissent des mêmes délais (art. t38 et 139). Il est clair qu'il ne faut pas attacher trop d'importance à ces prescriptions et s'imaginer qu'elles assurent la rapidité des procédures. La loi donne au tribunal le pouvoir d'accorder des délais; les praticiens se chargent certainement de les obtenir. Mais ce qu'il importe de remarquer dans cette procédure, qui est la même devant la Cour de circuit, la Cour supérieure et la Cour du banc de la Reine, c'est qu'elle est écrite et très-minutieuse. Il n'y a point dans nos règles cette unité devant le tribunal de première instance et la Cour d'appel, on peut dire que, sil'instruction se fait par conclusionsécrites, la plaidoirie a une très-grande importance; devant le tribunal de commerce et le juge de paix, l'instruction est tout orale; devant les tribunaux administratifs, elle est à peu près tout écrite. Sans être partisan de cette paperasserie judiciaire qui est un des traits de la procédure anglaise, qui en ralentit Je cours et grève le justiciable de frais énormes (1), il faut cependant reconnaître que 'notre procédure devantle jugede paix etdevantles tribunaux de commerce est insuffisante, vicieuse, et qu'une condition essentielle à la discussion loyale et complète des procès est l'obligation imposée au défendeur de déposer des conclusions écrites, détaillées et précises, corollaire nécessaire de celle qui est imposée au demandeur, de formuler dans son assignation ses moyens et ses prétentions.

(1) Toutes les formalités dont le début des procès est surchargé ont évidemment pour but d'obliger les parties à formuler de la façon la plus rigoureuse leurs dires et leurs prétentions avant le débat devant le juge. L'Amérique a les mêmes règles etles mémes habitudes que l'Angleterre. Sil'on rapproche ces usages judiciaires des prétentions américaines dans l'affaire de l'Alabama, on sentira combien l'introdut.tlon de'la question des dommages indirects devant le tribunal arbitral a dû surprendre et blesser les jurisconsultes anglais.


19. Quand toute cette procédure est terminée, la cause est liée. Chez nous, dans l'immense majorité des causes civiles, il ne reste plus qu'à plaider chez les Anglais, au contraire, la preuve testimoniale apparaît aussitôt.

Art. 207. Dans les deux jours après que la contestation est liée, suivant les règles prescrites, chacune des parties est tenue de produire au greffe une articulation des faits invoqués par elle et qu'elle entend prouver, si la partie adverse ne les a pas admis par sa plaidoirie écrite.

Art. 208. Cette articulation de faits doit être rédigée par articles séparés et distincts sur chaque fait et numérotés d'une manière régulière. Ils doivent être d'une forme d'interrogation claire et explicite, de manière à provoquer une admission ou une dénégation, et que le défaut d'y répondre équivaille ù une admission des faits.

Le défendeur confesse ou dénie les faits dans les trois jours (art 211), et la cause ainsi préparée est inscrite, ou sur le rôle des enquêtes, ou sur le rôle des affaires qui doivent être soumises au jury. Toutefois il y a d'abord une procédure qui peut être suivie dans toute affaire, celle de l'interrogatoire sur faits et articles. Dans notre Code de procédure, l'interrogatoire des parties peut avoir lieu d'une double façon, ou lorsque le tribunal ordonne la comparution personnelle aux termes de l'article 119, ou lorsqu'il autorise l'interrogatoire sur faits et articles, demandé par l'une des parties et subi devant un juge en dehors de l'audience (art. 324 et s. C. P. C>).

Le premier moyen de preuve est excellent, le second tout à fait médiocre les praticiens n'y recourent que dans les cas absolument désespérés. En droit anglais, l'une et l'autre forme de procédure existent également. On peut toujours assigner la partie adverse, soit à répondre par écrit à des questions écrites, soit à répondre devant le juge à un examen oral. Mais il faut signaler deux différences remarquables La partie interrogée doit préalablement prêter serment (art. 22-i). 2" Les frais de l'interrogatoire demeurent toujours à la charge de la partie qui le requiert (art. 232). On voit par là clairement que cette procédure n'est pas fréquemment employée.

20. Le législateur du bas Canada consacre quatre-vingt-huit articles au règlement de la procédure d'enquête. En principe, l'enquête a lieu publiquement devant le juge, qui prend ou fait prendre des notes sommaires sur la déposition des témoins, et si les parties le demandent, l'affaire estplaidée et jugée immédiatement après l'enquête. Par exception les dépositions des témoins peuvent être écrites d'un bout à l'autre; cette forme de procédure s'appelle l'enquête écrite au long; il faut que les parties en fassent la demande par écrit et consignent les


III. 21

frais probablement très -considérables qu'elle occasionne. L'enquête alors est secrète, et si le juge ne peut y procéder, il se fait remplacer par le protonotaire, ou greffier en chef. La Cour peut aussi, dans le cas d'éloignement d'un grand nombre de témoins, donner au juge une commission rogatoire, ou nommer une ou plusieurs commissions pour procéder à l'enquête. Mais qu'il s'agisse de commissaires enquêteurs, d'experts, d'arbitrés rapporteurs, dès que le témoignage de l'homme doit être produit en justice, il faut qu'il soit garanti par le serment. 2t. On voit aussitôt par quel côté ces règles diffèrent des nôtres, et il faut bien reconnaltre que ces différences constituent de notables améliorations. Chez nous, devant les juges de paix, devant les tribunaux de commerce, devant les tribunaux correctionnels, devant la Conr d'assises, devant les tribunaux civils en matière sommaire, l'enquête est publique et suivie aussitôt des plaidoiries et du jugement. Au contraire, si devant ces mêmes tribunaux civils, on procède à une enquête en matière ordinaire, l'enquête est secrète. C'est là une anomalie absolument injustifiable la publicité de l'audience est un frein plus énergique peut-être que le serment, pour retenir la conscience qui tend à s'écarter de la vérité elle seuled'ailleurs donne aux témoignages leur véritable valeur, parce qu'elle livre au juge, avec les paroles du témoin, l'accent qui les précise ou les atténue, l'attitude qui détermine la conviction ou provoque la défiance. Ces précieux avantages, sans lesquels tous les inconvénients de la preuve testimoniale sont portés au comble, la loi française les assure à la discussion d'une convention dont l'importance ne dépasse pas 130 francs et la refuse aux causes les plus graves, à un procès de séparation de corps, à une demande en nullité de mariage in extremis ou de testament pour cause de captation. Et ce qui achève de confondre, c'est que les raisons de cette différence données au Corps législatif et au tribunat sont si misérables qu'elles ne soutiennent pas le plus léger examen. Mais ce n'est pas le cas de les discuter ici.

22. L'enquête est conduite suivant la forme anglaise. Non seulement les procureurs et les avocats canadiens ont adopté cette pratique, mais encore, on le voit bien par le commentaire de M. Doutre, ils en ont à ce point reconnu l'excellence qu'ils ne peuvent comprendre que la France ait gardé là-dessus sa vieille procédure.

Art. 270. Le témoin est examiné par la partie qui le produit, ou son conseil, mais seulement sur les faits de la contestation, et les questions ne doivent pas être dans une forme de nature à suggérer la réponse, à moins que le témoin ne cherche manifestement à éluder la question ou à favoriser l'autre partie.

Art. 271. Lorsque la partie a fini d'interroger le témoin qu'elle a produit, ri t cm


il est loisible à la partie adverse de le transquestionner de toutes manières sur les faits dont il a été question dans l'examen en chef, ou bien de faire constater son refus de tranquestionner.

Art. 272. Le témoin peut être réexaminé par la partie qui l'a produit, lorsque do nouveaux faits ont été déclarés sur les transquestions, ou pour expliquer les réponses aux transquestions.

Art. 274. Le témoin n'est pas tenu de répondre aux questions qui lui sont faites, si ses réponses peuvent l'exposer à une poursuite criminelle. Lui seul peut élever cette objection.

Art. 275. Il ne peut être contraint de déclarer ce. qui lui a été révélé confidentiellement à raison de son caractère professionnel, comme avùseur religieux ou légal, ou comme fonctionnaire de l'État, lorsque l'ordre public y est intéressé.

Art. 251. Toute partie dans la cause peut être assignée, interrogée, transquestionnée et traitée comme tout autre témoin cependant son témoignage ne peut lui servir; la partie adverse peut néanmoins déclarer, avant de clore son enquête, qu'elle n'entend pas se prévaloir de ce témoignage, et, dans ce cas, ce témoignage est censé non avenu. Les réponses données par la partie ainsi examinée comme témoin peuvent servir de preuve par écrit.

Ce sont là incontestablement des règles très-sages et le commentaire de M. Doutre ne l'est pas moins.

u N° 301. Comme exemple du genre d'interrogatoire prohibé par l'article 270, une partie ne peut interroger son propre témoin comme suit N'avez-vous pas vu ou entendu telle chose?

302. Un moyen à peu près infaillible de déterminer si une question est suggestive de la réponse, c'est de considérer si le témoin peut répon« dre simplement par oui ou par non. Si tel est le cas, la question est illégale. «

23. Voilà les règles anglaises; et il me semble que, sur ces points, leur pratique est bien préférable à la notre. Remarquez d'ailleurs que la question s'agrandit, lorsqu'on considère que, chez nous comme chez eux, le même système est suivi dans les enquêtes criminelles et civiles. Je sais que l'enquête par le juge rend impossibles ces luttes ardentes et quelquefois grotesques dont le récit même offense notre goût plus délicat; je sais qu'elle donne à l'audience cette régularité, ce calme, auxquels nous accoutume l'observation constante des convenances judiciaires; je sais qu'elle assure cette décence extérieure qui nous est si chère, et qui recouvre si bien le vice du fond. Mais je vois clairement aussi que le seul moyen d'assurer l'impartialité du juge, c'est de confier aux parties dans les procès civils, au ministère public et au défenseur dans les causes criminelles, la direction des interrogatoires et des enquêtes. Question bien souvent discutée,


jamais résolue, et pourtant bien autrement importante pour l'oeuvre quotidienne de la justice que ne le sont les discussions sur la nomination et l'avancement des juges. Question bien facile à résoudre pourtant; car, si l'on observe qu'il est impossible d'interroger pendant un quart d'heure un témoin ou un prévenu sans entrer avec lui dans une sorte de lutte, qu'il faut le forcer dans ses réticences, lui reprocher ses contradictions, loi arracher la vérité par surprise, que cette lutte dure quelquefois des heures entières, et même des audiences, et que celui qui y est engagé va tout à l'heure juger, comme président du tribunal, l'adversaire même qu'il a combattu; qu'en outre, en adressantune question à un témoin, à un adversaire, à un prévenu, on ne veutpas seulement obtenir une réponse, mais encore une certaine réponse qu'on est bientôt obligé de sortir de la seule question qui soit impartiale Dites ce que vous savez; qu'alors arrive le flot de ces questions que le Code canadien appelle des questions suggestives; qu'on peut arrêter ces questions par une contradiction énergique, lorsqu'elles sont faites par un adversaire, mais que cela est absolument impossible lorsqu'elles sont posées par un magistrat, surtout quand ce magistrat est le juge même qui va décider le procès; quand on réfléchit à la vérité de ces observations quotidiennes, et qui pourrait en contester l'évidence? on demeure convaincu que le système anglais ne peut rencontrer d'adversaires que dans les rangs de ceux qui ne considèrent pas l'impartialité comme la condition la plus précieuse, comme l'élément le plus essentiel de la justice.

IV

PROCÈS PAR JURY.

24. La section V* traite du procès par jury. Les 86 articles qui la composent sont empruntés aux statuts royaux britanniques et aux ouvrages de Lush, Archbold, Kennedy et Blackstone. Il est donc possible de se faire ici une idée très-nette de la procédure suivie devant cette juridiction essentiellement anglaise; car si les commissaires rédacteurs du Code canadien ont modifié quelques règles en vigueur en Angleterre, il est certain que ces modifications ont porté sur le détail et non sur le fond.

La première question qui s'offre à l'esprit est celle de savoir dans quels cas il y a lieu au procès par jury. Les articles 348 et 349 répondent à cette question.

Art. 348. Le procès par jury peut avoir lieu dans toute action fondée sur dette, promesse, ou convention d'une nature mercantile, soit entre


commerçants, ou entre une partie qui est commerçante et une autre qui ne l'est pas, et aussi dans toute poursuite ou recouvrement de dommages résultant de torts personnels, ou de délits et quasi-délits contre la propriété mobiliêre.

Art. 349. Il a lieu sur la demande de l'une des parties lorsque la somme réclamée par l'action excède 200 piastres, et seulement sur les matières qui forment le fond du procès.

M. Doutre convient lui-même que ces deux articles, qui sont empruntés à un statut britannique, ne sont pas très-clairs. Il a joint à son commentaire un relevé de la jurisprudence, et cette étude n'est pas de nature à dissiper les doutes que fait naitre le texte de la loi. Je vois en effet qu'on a accordé le procès par jury dans une action d'injure pour avoir tué malicieusement le chien du demandeur, et qu'on l'a refusé dans une action en dommages pour mutilation d'un cheval. Je vois qu'on a refusé le procès par jury dans une action en déclaration de paternité, et qu'on l'accorde au contraire dans une action en adhésion accompagnée d'une demande subsidiaire de dommages. C'est le nom qu'on donne à l'action d'un mari contre ceux qui ont reçu chez eux sa femme contre son gré.

23. C'est la Cour qui décide s'il y a lieu, ou non, au procès par jury. En même temps elle détermine les fails dont le jury aura i s'enquérir. A cet effet le demandeur remet un mémoire qu'il résume pardes questions de fait numérotées. Le défendeur fournit un autre mémoire, les parties sont entendues sur le mérite des questions soumises de part et d'autre, et la Cour détermine les faits qui lui paraissent pertinents, de manière à exposer au jury les prétentions essentielles des deux parties. Cependant la définition des faits par le juge peut être omise du consentement de toutes les parties (art. 3'M). Ce jugement est qualifié d'interlocutoire et il est sujet à appel (art. ^52 et s.) 26. Le jury civil est, comme enAngleterre, distinct du jury criminel, ou haut jury. Comme en Angleterre aussi, les affaires sont jugées tantôt par un jury de droit commun, tantôt par un jury spécial, composé de marchands, ou de jurés parlant la langue française, ou de jurés parlant la langue anglaise, ou composé par moitié des uns et des autres. Certaines affaires sont même renvoyées devant un jury composé par moitié d'étrangers et de citoyens.

27. Les conditions requises pour être juré sont d'être mâle, majeur, propriétaire d'immeubles de la valeur cotisée de 2,000 piastres, ou locataire dans un immeuble de la valeur cotisée de 200 piastres, dans les cités ou villes d'au moins 20,000 âmes, et si c'est dans une autre municipalité, la personne doit être propriétaire d'immeubles de la valeur cotisée de 4,000 piastres ou locataire d'un immeuble dont la


valeur annuelle cotisée est d'au moins 100 piastres. Tout juge de paix peut être juré (art. 358).

Les articles 339 et 360 déterminent quels individus ne peuvent être jurés, et quels citoyens sont dispensés de l'être. On voit clairement par ces articles, auxquels il suffit de renvoyer, qu'il y a là moins une prérogative recherchée qu'un devoir civique, dont plus d'une personne pourrait être tentée de repousser le fardeau.

Cette liste générale du jury est dressée parle protonotaire, ou greffier en chef, et de temps en temps, dit la loi, révisée par lui (art. 361). 28. En accordant le procès par jury, la Cour détermine un jourpour le choix des jurés (art. 362). Les parties doivent comparaître ou être citées à comparaître le jour ainsi fixé; le protonotaire extrait de la liste générale les quarante-huit premiers noms réunissant les conditions requises (art. 366). Les parties rayent alternativement sur ce tableau de quarante-huit membres le nom d'un des individus y dénommés jusqu'au nombre de douze chacune, et les vingt-quatre noms restant après ces radiations forment le rôle sur lequel est pris le nombre de douze jurés qui doivent servir dans la cause (art. 368). Ces règles sont empruntées à un statut royal britannique et au commentaire de Blackstone.

2£>. Il y a toutefois une formalité qui doit précéder le choix des jurés et qu'il faut noter, c'est la consignation des frais du procès par jury. Le minimum de cette consignation doit être de £ 21,33 à distribuer comme suit

Au protonotaire, pour choisir, appeler et assermenter le jury et enregistrer le verdict. £ 4 Au shériff pour ses services £ 4 Au crieur £ 1 l'our les jurés £12,33 Mais le commentaire de M. Doutre prévient les plaideurs que ce ̃ dépôt n'est pas le seul à faire, et qu'il y faut toujours ajouter des frais accessoires, dont le montant ne peut être indiqué d'avance et que la Cour détermine dans chaque affaire, en donnant jour pour le choix du jury.

30. Les vingt-quatre jurés choisis comme on l'a vu ci-dessus sont assignés par bref de venire capias à comparaître au jour fixé par la Cour pour connaître du procès. Faute de comparution ou d'excuse valable, ils peuvent être condamnés à une amende de 25 piastres au plus, et en cas d'insuffisance de leurs biens meubles pour le payement de l'amende, à un emprisonnement pouvant aller jusqu'à quinze jours (art. 376). Aussitôt que ta cause est appelée, le rôle entier des vingt-


quatre jurés peut être récusé par les parties pour les causes suivantes 1* si le shériff qui a assigné les jurés est intéressé dans le procès 2' s'il y a des nullités dans la confection des rôles des jurés ou dans l'assignation (art. 3S7). Le juge prononce aussitôt sur la récusation. Si elle est admise, il faut recommencer la procédure s'il ne s'en produit pas, ou si elle est repoussée, le protonotaire appelle les jurés dans l'ordre où ils sont inscrits sur le rôle, et leur fait prêter serment, s'ils ne sont pas récusés (art. 381 et 382). Les causes de récusation sont ou absolues, ou motivées sur la présomption de partialité. Les causes de récusation absolue sont

l' Le défaut de qualification de la personne assignée

2° Sa parenté ou alliance avec l'une des parties jusqu'au degré de cousin germain inclusivement;

3° Un intérêt dans la cause

4° Si elle a déjà pris connaissance du litige comme arbitre; S" Si une des parties l'a circonvenue et lui a donné de l'argent ou autre chose pour en obtenir un verdict favorable

6° Si elle est infâme, ou sous le coup d'une condamnation pour félonie ou parjure.

La récusation faite pour ces causes est immédiatement appréciée par le juge (art. 384 et 386).

On peut aussi récuser le juré « pour des causes de moindre impor« tance qui rendent probable ou peuvent faire soupçonner chez lui « un penchant en faveur de l'une des parties ou contre elle. » Ces causes de récusation singulières, délicates à apprécier, sont jugées de la façon suivante s'il y a déjà deux jurés assermentés, ce sont eux qui en décident; sinon le juge nomme deux personnes désintéressées qui, après avoir prêté serment, jugent cette récusation. Toutes ces règles sont extraites d'Archbold, de Kennedy et de Blackstone. 31. Le jury ainsi formé, il faut voir quelle procédure est suivie devant lui.

Art. 396. Aucun écrit ne peut être lu au jury sans la permission du juge.

Art. 397. L'enquête est orale et le juge fait prendre des notes sommaires.

Art. 402. Les parties peuvent s'examiner mutuellement sur faits et articles, et les réponses sont reçues soit de vive voix, en présence du jury, ou par écrit au greffe.

Art. 403. Le demandeur doit d'abord exposer sa demande et faire sa preuve. Ledéfendeur,au contraire, a le choix, ou de faire sa preuve d'abord et d'exposer sa défense, ou d'exposer sa cause et de faire ensuite sa preuve.


On se rappelle que le second système fut adopté par sir John Coleridge dans le procès Tichborne, et qu'après avoir exposé sa défense pendant vingt-six audiences, il commençait à faire défiler ses témoins, lorsque le chef du jury a déclaré que la conviction du jury était faite.

32. Après les répliques, le juge en donne un résumé au jury, s'il le croit nécessaire (art. 404). Si l'une des parties objecte au résumé du juge, ce dernier doit mettre par écrit la portion de son résumé à laquelle il est objecté et faire mention de l'objection qui y a été faite, et cet écrit, après avoir été signé par le juge, fait partie du dossier de la cause.

Cette règle est extraite d'un statut royal britannique. On voit que nous avons accepté la pratique, sans y joindre le correctif qui en réprime l'abus.

33. Les deux articles 406 et 407 sont à coup sûr les plus importants de cette section.

Les voici textuellement

Art. 406. Au juge appartient de déclarer s'il y a preuve, et si cette preuve est légale, et au jury de dire si cette preuve admise est suffisante.

Art. 407. C'est au jury à constater les faits, mais il doit suivre la direction du juge sur les matières de droit.

Ces deux articles sont pris dans Powell ( Practice of law). M. Doutre donne un commentaire bien court de ces deux articles « Le droit est au juge, In fait est au jury. »

Voilà cette distinction célèbre entre le droit et le fait, qui est la base de l'institution du jury civil, qui, suivant certains jurisconsultes, assure l'excellence de cette juridiction, et qui me paraît au contraire son plus grave défaut. Mais il faut d'abord achever l'exposé de la procédure.

34. La cause entendue, le jury peut s'accorder à l'instant et rendre immédiatement son verdict, ou au contraire vouloir délibérer. Dans ce cas il sort de l'audience; mais si la délibération dure plus d'un jour, le juge peut permettre aux jurés de se retirer pour la nuit (art. 408). Les jurés ne sont pas tenus de rendre leur verdict avant que la partie qui a demandé le jury n'ait consigné une piastre par juré et pour chaque jour que le procès a duré (ait. 416). Le jury peut en tout temps, même après le résumé du juge, mais cour tenante, en présence et avec la permission du juge, examiner de nouveau les témoins entendus; il peut également demander l'epinion du juge sur les questions de droit qui se présentent (art. 410). Le concours de neuf


jurés est suffisant pour rendre un verdict; si neuf jurés ne peuvent tomber d'accord, le jury est renvoyé et il faut en convoquer un nouveau (art. 411 et 412).

35. Nous supposons maintenant le verdict rendu; la procédure qui se fait alors pour aboutir au jugement est singulièrement compliquée. On peut la résumer ainsi, tant à l'aide du texte de la loi que du commentaire de M. Doutre.

Le verdict peut donner lieu à quatre procédures différentes le jugement sur le verdict; demande pour nouveau procès; 3° jugement non obstante verilicto; arrêt du jugement.

Jugement sur le verdict.

36. Si dans les quatre jours qui suivent le verdict, il n'y a eu ni demande de nouveau procès, ni demande de jugement non obstante veridicto, ni demande à fin d'arrêt de jugement, celui en faveur duquel le jury a prononcé présente à la Cour une motion, ou requête, dont M. Doutre donne la formule.

« Motion du demandeur que le verdict rendu en cette cause le Il sep« tembre courant parle jury, auquel a été soumise la contestation, accordant au demandeur9 piastres de dommages, soit confirmé en cette Cour, •' et qu'en conséquence le défendeur soit condamné à payer au demandeur » ladite somme de 9 piastres, avec intérêts et dépens distraits au sous« signé.

Comme nous supposons qu'il n'y a pas de contestation de la part du défendeur, la Cour n'a qu'à enregistrer purement et simplement le verdict du jury.

Demande de nouveau procès.

37. L'article 426 indique dix-neuf cas dans lesquels la Cour peut accorder un nouveau procès, c'est-à-dire casser la décision du jury et renvoyer devant un autre jury. On rencontre d'abord dans ces dix-neuf cas tous ceux qui, touchant à l'oubli de formes essentielles, seraient chez nous des cas certains de cassation. Mais, en outre, on voit que le verdict peut être cassé dans les cas suivants

1° Si le juge a admis quelque preuve illégale;

3° S'il a rejeté quelque preuve légale;

4° S'il a mal avisé le jury sur quelque point de droit;

11° Si le montant accordé est si minime ou si excessif qu'il est évident que les jurés ont dû être mus par des motifs indus, ou ont été induits en erreur;


13" Si le verdict est sans preuve, ou contraire au poids de la preuve faite;

19° Si, pour d'autres causes, il y a injustice manifeste dans le verdict.

Il y a dans notre Code d'instruction criminelle une disposition analogue, celle de l'art. 352. « Dans le cas où l'accusé est reconnu « coupable, et si la cour est convaincue que les jurés, tout en obser« vant les formes, se sont trompés au fond, elle déclare qu'il est sura sis au jugement et renvoie t'affaire à la session suivante pour y être « soumise à un autre jury. Mais il faut remarquer que cette disposition ne peut être appliquée que dans le cas où le verdict emporte condamnation, et ne peut être provoquée ni par le ministère public ni par l'accusé. On voit combien il y a loin de cette mesure tout exceptionnelle à la nomenclature de l'article 426 du Code canadien. A vrai dire, aucun principe fixe ne se dégage des documents de jurisprudence relevés par M. Doutre, et la Cour parait investie par cet art. 426 d'un pouvoir presque absolument arbitraire.

Jugement non obstante veridicto.

38. La demande de nouveau procès n'est pas le seul moyen pour la partie condamnée par le jury d'échapper aux conséquences du verdict. L'art. 433 est ainsi conçu

« Dans tous les cas où un verdict est rendu par un jury sur les matières de fait conformément aux allégations de l'une des parties, le tribunal nonobstant ce verdict peut rendre jugement en faveur de l'autre partie, si les allégations de la première ne sont pas suffisantes en droit pour « soutenir ses prétentions. n

Le principe est très-clair. Si le droit est conlraire au verdict, quoique le verdict soit conforme à la preuve, il y a lieu au jugement non obstante veridicto. Mais dans la pratique il me paraît certain que cet article 433 donne au juge uu nouveau moyen de réviser la sentence du jury, même au point de vue du fait. Je n'en veux pour preuve que l'exemple suivant cité par M. Doutre.

Dans la cause de Higginson et Lyman, le cas est celui-ci Benjamin Lyman, au nom de la société Lyman, Savage et Cie, avait promis par écrit de recevoir un étranger (Higginson) dans la société. TI était demandé au jury si les défendeurs, comme société commerciale, avaient contracté avec le demandeur pour le recevoir comme associé. Le jury avait répondu affirmativement. La Cour a rendu jugement non obstante veridicto, déclarant qu'un tel engagement, de la


part d'un associé, sans le consentement de ses coassociés, -ne liait pas les défendeurs.

Or la question du procès était précisément de savoir si Lyman avait contracté avec ou sans le consentement de ses associés. C'était là une question de fait. On la posait au jury, en lui demandant de décider si les défendeurs avait contracté en qualité de société commerciale; le jury la résolvait en faveur de Higginson, lorsqu'il répondait affirmativement.

Donc, lorsque la Cour dit que Lyman a contracté envers Higginson sans le consentement de ces coassociés, elle juge en fait exactement le contraire de ce qu'avait décidé le jury.

Pour avoir une idée de l'étendue de ce nouveau pouvoir accordé au juge, il faut ajouter que, suivant le commentaire de M. Doutre, le défendeur a souvent recours avec succès à cette procédure. De l'arrêt de jugement.

39. Enfin il existe un troisième moyen de paralyser l'effet du verdict les statuts anglais l'appellent arrêt de jugement.

« La partie défenderesse, dit l'article 431, ale droit de demander l'arrêt « du jugement sur le verdict, toutes les fois qu'il appert à la face même du dossier que, nonobstant le verdict, la partie demanderesse n'a le droit « de recouvrer aucune somme, ou que le verdict diffère matériellement de « la contestation liée, ou que le jugement sera infirmé sur appel. Cet arrêt de jugement a pour effet de mettre au néant le verdict du jury, qui ne peut plus être exécuté. » (Art. 432.)

Le texte de cet article est singulièrement vague et obscur. M. Doutre lui-même s'en réfère pour tout commentaire à l'ouvrage d'un praticien anglais, et ce qui semble résulter des explications données par cet auteur, c'est que la Cour a le pouvoir de mettre tout de suite à néant un verdict manifestement erroné. Il est impossible de ne pas être profondément frappé de cette accumulation de moyens offerts aux parties pour échapper aux conséquences du verdict. sans même avoir recours aux juridictions d'appel.

40. Tel est le résumé de la procédure suivie dans le procès par jury, et les nombreux renvois du commentaire de M. Doutre à la jurisprudence anglaise, non moins que les indications d'origine fournies par les commissaires rédacteurs eux-mêmes, doivent conduire à penser que nous avons ici la substance de la procédure appliquée en Angleterre devant le jury civil. Or, cette étude aride manquerait à la fois d'utilité et de conclusion, si elle ne nous donnait le moyen d'apprécier dans


une certaine mesure la valeur de cette juridiction, et de voir sous quelles conditions il serait possible de l'appliquer en France. La valeur d'une institution est absolue ou relative, et de celle-ci le meilleur juge est indubitablement le peuple chez lequel l'institution est en vigueur. Or chacun sait que les Anglais aperçoivent très-clairement les avantages de l'application du jury aux causes civiles, qu'ils en sont extrêmement touchés, que la niasse du peuple est an contraire peu sensible à ses défauts, qu'elle regarde comme excellente cette institution, que Blackstone l'appelle la gloire de la législation anglaise, et que les Anglais y tiennent comme à l'un de leurs biens les plus précieux. Il serait dès lors fort impertinent de leur démontrer que l'institution n'a pas les mérites qu'ils lui trouvent, et qu'ils ont tort de s'en trouver bien.

41. L'attachement des Anglais au jury civil n'a pas seulement pour cause leur passion pour leurs vieux usages; il vient encore de la nature très-différente des mérites et des défauts de cette institution. Ses avantages sont politiques et ses inconvénients judiciaires. D'une part, en associant un grand nombre de citoyens à l'oeuvre quotidienne de lit justice, elle tend à élever le niveau de leur intelligence et de leur moralité elle leur rend plus chère cette loi, dont ils sont nonseulement les serviteurs, mais aussi les ministres; elle augmente donc le pouvoir de la loi. D'autre part, elle permet de n'avoir qu'un nombre très-petit de magistrats, dont le grand pouvoir est sans cesse contenu, et peut même être réduit à néant par la résistance ou la déclaration du jury. Pour s'en rendre compte, il n'y a qu'à comparer le pouvoir des conseillers qui composent la chambre des appels de police correctionnelle au pouvoir des mêmes conseillers siégeant à la Cour d'assises. Elle tend donc à amoindrir la puissance du corps judiciaire. Or, en Angleterre, on redoute beaucoup moins les attentats militaires à la liberté publique, que cette oppression, lente dans ses efforts, persévérante dans ses desseins, douce dans ses procédés, régulière dans ses formes, et sûre dans ses résultats, que le souverain peut essayer de faire peser sur la nation, lorsqu'il dispose d'un corps judiciaire nombreux embrassant le pays tout entier, organisé fortement. seul interprète de la loi. Avant que Strafford essayât, par la levée du Ship-money, de procurer à Charles 1" des subsides qui lui permissent d'entretenir une armée permanente, le lord garde des sceaux Finch avait commencé la grande entreprise de l'asservissement du peuple anglais par l'institution de tribunaux spéciaux destinés à enlever aux citoyens la protection du jugement par jury. Quand il s'agit de leur liberté, les Anglais n'oublient jamais comment elle a été menacée, et Macaulay dit « que le souvenir de ces Cours de justice


« est encore aujourd'hui, à une distance de plus de deux siècles, en horreur à la nation. »

42. Au point de vue judiciaire, au contraire, cette institution me semble avoir de graves imperfections, dont les Anglais sont peu touchés, d'abord parce qu'ils y sont accoutumés, ensuite parce que ces mêmes défauts se montrent dans presque toutes leurs lois, mais auxquels nous serions en France singulièrement sensibles. Ce n'est pas que je veuille entreprendre de combattre ainsi légèrement l'opinion d'hommes comme Thouret et Rœderer, de publicistes comme Casimir Périer et le duc de Broglie, de jurisconsultes comme MM. Bonjean, Meyer et Odilon Barrot. Mais quelle que soit l'autorité de si grands noms, il semble cependant impossible de méconnaître que ces hommes éminents se font de véritables illusions, et sur le nombre des causes qui pourraient être déférées au jury, et sur l'importance des modifications que ce changement d'organisation judiciaire introduirait dans la procédure.

43. En effet, les différents systèmes proposés depuis 1791 jusqu'à nos jours pour rapprocher nos institutions judiciaires de celles de l'Angleterre, s'ils diffèrent beaucoup par les détails, ont cependant tous un fond commun. Les tribunaux civils et les conseils de préfecture sont supprimés; leurs attributions sont dévolues au jury civil. les tribunaux de commerce sont maintenus, parce qu'on reconnaît que ce sont de véritables jurys spéciaux.

Or, la combinaison des articles 348, 349 et 352 du Code canadien, dont les dispositions sont empruntées anx statuts britanniques et aux articles 313 et i94 du Code de procédure de la Louisiane, montrent qu'on n'a pas admis le jury civil comme juridiction de droit commun, puisque le procès par jury doit être demandé par l'une des parties ei accordé par laCour après explications contradictoires, etque ta Cour ne peut accorder le procès par jury que dans les cas déterminés par la loi, c'est à-dire « dans toute action fondée sur dette, promesse ou condi« tion d'une nature mercantile, soit entre commerçants, ou entre une « partie qui "est commerçante et une autre qui ne l'est pas, et aussi « dans toute poursuite ou recouvrement de dommages, résultant de « torts personnels ou de délits ou de quasi-délits contre la propriété « mobilière. »

Les actions en dommages prévues par cet article ne sont évidemment pas assez nombreuses, surtout dans les tribunaux de province, pour motiver le bouleversement de notre organisation judiciaire. Quant à l'immense majorité des autres causes déférées au jury, ce sont précisément celles qui sont dévolues à nos tribunaux de commerce, et nonseulement les novateurs les conservent en leur reconnaissant les avan-


tages du jury, mais encore il faut admettre que les juges consulaires offrent infiniment plus de garanties que des jurés à la bonne distribution de la justice, d'abord parce que l'éleckion est incontestablement préférable au hasard, quand il s'agit de choisir des magistrats; ensuite parce qu'à la connaissance des affaires que possède un jury spécial, 'ils joignent l'avantage infiniment précieux d'une certaine expérience judiciaire que la durée limitée de leurs fonctions leur permet d'acquérir, sans aller jusqu'à cette indifférence blasée que les novateurs reprochent aux magistrats de profession.

Mais l'illusion de ces mêmes hommes est encore plus grande, lorsqu'ils s'imaginent que l'application du jury aux choses civiles doit avoir pour résultat la simplification de la procédure.

« Récapitulons, dit M. Odilon Banot, toutes les simplitications que nous « proposons dans notre procédure civile. Plus de jugements par défaut; « plusde jugements préparatoires ou interlocutoires à expédier etsigniner; « plus de procès-verbaux d'enquête; plus de rapports d'experts rédigés par écrit; plus de chances de nullité à courir dans l'accomplissement de « toutes ces formes; plus d'appels, ni incidents, ni principaux; plus de « procédures suspendues; plusde plaidoiries séparées pardes mois entiers; u plus d'intervalles entre le débat et le jugement chaque cause, jugée sé« parément, recevrait jugement immédiatement après le débat et la plai•> doirie; aucune de ces complications que nous faisons disparaître ne sont indispensables à la recherche de la vérité; elles lui sont plutôt contraires; u en les supprimant, nous rendrions la marche de la justice, non-seulement plus rapide, plus économique, mais aussi plus assurée. Le fisc et « l'esprit (fe chicane auraient seuls quelque chose à y perdre. « Or, toutes ces réformes ne sont possibles qu'à la condition de l'exten•I sion de jury au civil comme au criminel il y a donc une corrélation né̃< cessaire entre le changement complet que nous proposons d'introduire dans l'organisation de l'ordre judiciaire et ceux que nous venons d'in•• diquer dans le mode de procédure civile: les uns entraînent et comman« dent les autres, •<

ii. Si en e!fet l'application du jury au jugement des causes civiles devait avoir de telles conséquences, on ne saurait assez se hâter d'assurer au pays les bienfaits d'une pareille réforme. Mais il suffit de se rappeler la complication de la procédure réglée par les législateurs canadiens pour mesurer l'étendue de l'erreur dans laquelle tombent M. 0. Barrot et ceux dont il partage les idées. On peut dire, il est vrai, que ce sont des législateurs anglais qui ont rédigé ce Code, qu'ils ont tout naturellement reproduit les règles de la procédure anglaise devant une juridiction essentiellement anglaise, et que, s'ils l'ont surchargée de formes, c'est par l'effet de l'habitude, et faute de concevoir l'idéal


d'une procédure plus simple et plus rapide. Cette observation aurait de la valeur, s'il s'agissait d'une codification des lois anglaises, faite en Angleterre par des jurisconsultes exclusivement anglais. Mais il s'agit ici, au contraire, d'un Code rédigé en français et en anglais, pour une population mi-partie française et anglaise, par des magistrats également versés dans la connaissance et dans la pratique des deux législations, code dont plus des trois quarts sont calqués sur notre loi de procédure. Il est donc certain que, si les codificateurs ont reproduit dans la procédure du procès parjury les règles de la procédure anglaise, c'est qu'ils les ontcrues nécessaires, et qu'ils ont pensé qu'il était impossible de faire mieux.

Se sont-ils trompés? Les réformateurs ont le droit de le soutenir. Mais s'ils veulent être crus, il faut qu'à leur projet de réorganisation judiciaire ils joignent un projet de Code de procédure, parce que la procédure est de toutes les parties du droit celle qui se prête le moins à l'utopie. Jusque-là, il sera permis de garder des doutes en voyant l'exemple de l'Angleterre, en étudiant le Code de la Louisiane et celui du bas Canada, et en réfléchissant à cette distinction entre le fait et le droit, qui est la condition essentielle de l'emploi du jury pour le jugement des procès civils.

45. On présente cette division du travail judiciaire comme la conception la plus ingénieuse, comme un remarquable effort de l'intelligence humaine; on y trouve les plus solides garanties de la justice, parce que chacun, dit-on, est ainsi chargé de faire ce qu'il fera le mieux; le juge dira le droit, comme le préteur à Rome^et le dira d'autant mieux que son esprit ne sera pas sans cesse détourné de la science par la nécessité d'étudier les faits; le juré jugera le fait; il suffit pour cela de bon sens, et son bon sens s'exercera d'autant plus librement qu'il n'aura pas à songer aux conséquences juridiques des faits qu'il aura seulement la mission de constater. On ajoute enfin qu'il n'y a pas de difficulté sérieuse à faire cette distinction entre le fait et le droit, et pour l'établir on invoque l'exemple de l'Angleterre et celui de la Cour de cassation.

Quant à la Cour suprême, ce qui se passe devant elle me paraît tourner directement contre la théorie qu'on prétend en faire sortir. Dans une immense quantité de procès qui pourraient lui être soumis, les plaideurs eux-mêmes tiennent pour impossible le recours en cassation. Pourquoi? Parce que, dit-on, la Cour d'appel a statué en fait. Cela veut-il dire qu'aucun principe de droit n'était intéressé dans le procès? Comme toute sentence a précisément pour but de faire l'application des règles du droit à certains faits, il est clair que dans toute sentence, il y aurait lieu de voir si les règles du droit ont été appli-


quées mais comme dans un nombre infini de causes le droit et le fait sont intimement mêlés, de telle façon que le droit y résulte nécessairement du fait, il arrive qu'en statuant sur le fait la Cour d'appel statue nécessairement sur le droit, qu'il faudrait réviser le jugement sur le fait pour pouvoir réviser le jugement sur le droit, et qu'il est rigoureusement exact de dire que, dans tous ces cas, le juge souverain du fait s'est trouvé maître du droit. Or, si cela est sans danger, quand les faits sont appréciés par des magistrats expérimentés, dont le bon sens est non pas, comme on le prétend, émoussé par l'habitude de juger, mais au contraire fortifié par l'étude des principes du droit, aiguisé par une lutte quotidienne avec les dissimulations des plaideurs et les habiletés de ceux qui les représentent, il n'eu est pas de même quand les faits doivent être jugés par des hommes qui ne peuvent apercevoir toutes les conséquences de la décision qu'ils vont rendre, et que l'inexpérience de ces fonctions d'un jour livre presque sans défense aux surpris6s de la chicane ou aux séductions de l'éloquence. Et il n'y a pas à cet égard de similitude à établir entre le jurycriminel et le jury civil. Non-seulement les procès civils sont mille fois plus difficiles à juger que les procès criminels, mais encore les conséquences de l'erreur y sont rigoureusement opposées. Au criminel, ce qui importe, c'est que jamais un innocent ne soit condamné, quand il faudrait pour cela laisser échapper dix coupables. Au civil, s'il était possible que dans neuf procès sur dix le droit fùt méconnu, l'autorité de la loi serait véritablement détruite. Ajoutez enfin à tout cela qu'en Angleterre, où la preuve testimoniale est si largement admise, il y a, en effet, beaucoup de procès le fait est d'abord à rechercher et à établir, tandis que chez nous la proscription de la preuve testimoniale fait que presque toutes les questions soumises à l'appréciation des tribunaux civils sont de véritables questions de droit, en ce sens que, le texte de cette loi spéciale que les parties se sont faite par leurs accords étant rapporté, il s'agit précisément de l'interpréter en appliquant à cette interprétation les procédés d'analyse et de raisonnement qu'on emploie pour l'interprétation de la loi générale.

Et quand on invoque l'exemple de l'Angleterre, on ne s'aperçoit pas que la complication de la procédure du procès par jury a précisément pour but de remédier aux difficultés que rencontre le jeu de cette institution et aux chances d'erreur qu'elle présente. C'est pour cela qu'il faut un premier jugement, susceptible d'appel, pour décider si le procès peut avoir lieu par jury que la Cour a le droit de poser au jury, non pas seulement cette question spéciale Tel fait est-il constant? mais cette question générale Votre verdict est-il en faveur du demandeur ou du défendeur ? 2 que le juge est investi d'un si


grand pouvoir sur la direction du débat qu'aucun écrit ne peut être lu au jury sans la permission du juge qu'il peut à son gré permettre ou refuser aux jurés l'autorisation de se retirer pour la nuit, qu'il peut arrêter le jugement en cas d'erreur manifeste (art. 431), accorder un nouveau procès dans dix-neuf cas, dont le dernier est celui-ci « Si pour d'autres causes il y a injustice manifeste dans le verdict, » -enfin juger contrairement au verdict, s'il lui parait que le verdict conduirait à des conséquences illégales. Ce sont là, il faut en convenir, de bien grands pouvoirs, et si la loi les accorde aumagistrat, c'est qu'elle reconnaît la nécessité de donner à celui qui connait le droit et qui l'applique le droit de réviser le jigement du fait, quand le fait engendre nécessairement le droit.

Est-ce à dire qu'il faille dès à présent condamner toute tentative d'application du jury aux causes civiles ? Non assurément. L'association d'un grand nombre de citoyens à la distribution de la justice produit dans l'ordre politique des fruits trop précieux pour qu'il faille ainsi renoncer à l'espoir de les faire goûter à notre pays. L'expérience de la loi de 1871 sur les loyers a montré même tout ce que, dans certains cas, on pouvait attendre de cette juridiction. Mais, plus on aura le souci d'assurer le succès de cette grande réforme, plus il importe d'en connaître exactement à l'avance les conditions essentielles et c'est à ce point de vue que l'étude de cette partie de la procédure civile anglaise doit être fort utile, aussi bien à ceux qui seraient tentés de l'imiter en essayant de la simplifier qu'à ceux qui, moins hardis, reviendront en tout cas de cette excursion à l'étranger plus sensibles aux mérites des lois de procédure civile et d'organisation judiciaire sous lesquelles nous vivons, et dont jusqu'ici peut-être, comme beaucoup de bons Français, ils sentaient les défauts mieux que les qualités. 1071 Paris.- Imprimerie Cdsset et C", 56, rue Racine.


EXTRAIT DES STATUTS.

I. Une Société est instituée sous le nom de Société de législation comparée.

Il. Elle a pour objet l'étude des lois des différents pays et la recherche des moyens pratiques d'améliorer les diverses branches de législation.

III. Elle nomme des correspondants à l'étranger.

IV. Elle ne vote sur aucune question.

V. On ne peut faire partie de la Société (ju'après avoir été admis par le Conseil, sur la présentation d'un Sociétaire.

VI. Les membres residant à Paris payent une cotisation annuelle de 20 francs.

Cette cotisation est de 10 francs pour les membres résidant en province.

XIV. Les séances de la Société ont lieu au moins tous les mois. CONSEIL DE DIRECTION POUR L'ANNÉE 1872.

Président

M. RENOUARD, membre de l'Institut, procureur général à la Cour de cassation.

Vice-Présidents

MM. ALLOU, avocat à la Cour d'appel, ancien bâtonnier de l'Ordre. Reverchon, avocat général à la Cour de cassation.

GREFFIER, conseiller à la Cour de cassation.

Aucoc, conseiller d'État.

Membres du Conseil

MM. BALLOT, avocat à la Cour d'appel.

BATBIE, professeur à la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

Barboux, avocat à la Cour d'appel.

BERTRAND (Ernest), conseiller à la Cour d'appel.

BuFNOin, professeur à la Faculté de droit.

Desjarmns (Albert), agrégé à la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

Garni ru (Joseph), secrétaire général de la Société d'Économie politique.

GIDE, professeur à la Faculté de droit.

GROUALLE, ancien président de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation.

Hélie (Faustin), membre de l'Institut, président a la Cour de cass. HÉROLD, conseiller d'État.

Jozon, avocat à la Cour de cassation, membre de l'Assemblée nationale.

Lamé-Fleury, conseiller d'État.

Lunier, inspecteur général des établissements d'aliénés. PICOT (Georges), juge au tribunal de la Seine.

Vallée (Oscar de), anc. conseiller d'Etat, avocat à laCour d'appel. Secrétaire Général:

M. Ribot (Alexandre), substitut au tribunal de la Seine. 1071 Paris. Imprimerie Cosset et C% ÎB, rua RaCine.


B ULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

LÉGISLATION COMPARÉE TROISIEME ANNÉE. i v :.̃">

S. Juillet «89*. 1' -J'

Séance du 24 juillet 1872 285

Compte rendu par M. Greffier de plusieurs ou-

vrages sur la lettre de change 287

Communication par M. Demokgeot sur les tra-

vaux législatifs aux États-Unis 298

Exposé par M. Lïderlis de l'organisation judiciaire

de l'Alsace-Lorraine 355

Tout ce qui concerne la publication du Bulletin

doit être adressé à MM. Cotillon et (Ils, Libraires du Conseil d'État, 34, rue Soufflot.

Toutes tes autres communications seront adressées au Secrétaire général de la Société, 64, rue Nouve-des-PeUts-cuamps __j

DE

SOMMAIRE. Pages.

PARIS


8. Juillet 189%.

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BULLETIN

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DE LA SOCIÉTÉ c, •>

r r :J BI LÉGISLATION COlPlRlÊ SÉANCE DU 24 JUILLET 1872.

Présidence de M. Aucoc.

La séance est ouverte à huit heures un quart.

A l'occasion du procès-verbal de la dernière séance, M. Bufnoir demande l'insertion de la note suivante

M. Rolin-Jaequemyns ayant contesté l'exactitude, en ce qui le concerne, du compte rendu du congrès de Stuttgard présenté par M. Bufnoir à la Société de législation comparée dans la séance du 15 mai dernier, M. Bufnoir, pour couper court à toute discussion, a adressé à M. Rotin-Jaequemyns la proposition, qui a été agréée par ce dernier, de publier l'extrait suivant du compte rendu officiel et in extenso des séances du congrès

» M. Rolin, avocat à Gand Vous m'excuserez si je m'exprime aussi «mal dans votre langue. Je suis un avocat belge, ou pour mieux dire « un avocat flamand. (Bravo.)

« Nous aussi nous avons reçu des Français notre procédure civile; « mais nous n'en sommes pas aussi contents que les habitants des pro» vinces rhénanes, et nous sommes en voie de la réformer. Je devais appeler votre attention sur ce fait, car il peut être intéressant pour «l'Allemagne qu'un pays francisé rejette la procédure civile française. « Nous avons tellement à nous plaindre de la liberté absolue de pro« duire in infinitum de nouveaux faits et de nouveaux moyens de a preuve, que, je dois le dire, il se fait en Belgique une réaction ex« cessive contre ce principe.

a Le nouveau projet de Code de procédure civile belge ne veut pas a seulement, comme le projet allemand, restreindre cette liberté dans


« une certaine mesure, mais il exige que tous les faits et tous les a moyens de preuve soient, au début de l'instance, articulés par écrit. « Je crois que le projet de Code de procédure civile pour l'Alle« magne a fait une heureuse transaction entre la nécessité d'imprimer « une marche rapide aux procès et la liberté nécessaire aux parties ou « à leurs représentants judiciaires. Je suis donc d'avis qu'en ce point « aussi la Belgique doit se régler sur l'Allemagne plutôt que sur la « France et s'y rattacher par une annexion, non pas politique à la vé« rité, mais scientifique. (Bravo.)

« Je me rangerai donc, en tant que cela m'est permis comme « membre du Juristentag, à l'avis de l'honorable auteur de la propo« sition. (Bravo.)

Le professeur D* Gneist, rapporteur (pour une motion d'ordre) « Je crois que c'est remplir un devoir à l'égard d'une nation amie que « de nous reconnaître honorés de ce que le préopinant a pris la pa« rôle; et nous lui sommes assurément reconnaissants de ses com« munications qui étaient intéressantes pour nous tous. Je dois seule« ment prier M. le Président d'inviter le préopinant à s'abstenir de « prendre part au vote, car nos statuts ne le permettent pas. LE PRÉSIDENT » Le préopinant doit se rendre à l'observation qui a vient d'être faite. »

M. l'avocat Rolin « Naturellement. »

Sous le bénéfice de cette observation, le procès-verbal est adopté. M. le Président fait connaître que le Conseil de direction a, dans sa dernière réunion, prononcé l'admission des membres dont les noms suivent

MM. Godefroï, député aux États-Généraux à la Haye.

DE PINTO, à la Haye.

Beeueerth VAN BLOHLAUD, à la Haye.

Caillemer, professeur à la Faculté de droit à Grenoble.

Brouiluer, professeur à la Faculté de droit à Grenoble.

LAGROLET, avocat, 51, rue Saint-Georges, Paris.

BLONDEL, agrégé à la Faculté de droit de Nancy.

Boutmy, 11, rue Médicis, Paris.

Saucazeuille fils, rue Porte Dijeaux, à Bordeaux.

SCHEYRER, loi, rue de Grenelle Saint-Germain, Paris.

Worms, avocat, 28, rue Jacob, Paris.

Norsa, avocat, 7, via Rastrelli, Milan (Italie),

Audemar, juge au tribunal de la Seine.

Afpay, juge suppléant au tribunal de la Seine.


M. le Secrétaire général dépose sur le bureau divers ouvrages dont il n'a pu encore être rendu compte. Ces ouvrages sont les brochures dont les titres suivent

Del credito navale, mémoire présenté par le ministre de l'agriculture et du commerce d'Italie au ministre garde des sceaux, offert par M. Jacopo Virgilio, professeur d'économie politique à Gênes; Om Orsakerna till alerfoll till brott (Considérations sur les causes de la récidive), par M. d'Olivecrona

La justicia, su dogma et su culto, par don Jose Torrès-Mena, avocat et député à Madrid

Le premier fascicule du tome IV du Corso completo di diritto civile comparato italiano, par M. Francesco de Filippis, professeur à Naples; La cassazione et lo statuto, par M. Giovanni Cariano, avocat; Melazioïie sull'opera dei fasciculli usciti dagli asili, par M. Carlo Fiorilli.

M. Lehmann dépose également au nom de M. Clémente Pizzamiglio, avocat, qui le lui a envoyé pour en faire hommage à la Société, un ouvrage dont il est l'auteur, intitulé Dei giurati in Italia.

M. Greffier, conseiller à la Cour de cassation, a la parole pour rendre compte de plusieurs ouvrages de M. Vidari, professeur à l'Université de Pavie, sur la lettre de change. Il s'exprime en ces termes

Un savant professeur de droit commercial à l'Université de Pavie, dont le nom a déjà plusieurs fois été cité avec honneur dans les travaux de notre Société, M. Vidari, nous a fait hommage d'un beau volume, publié en 1869, qui a pour titre Traité de la lettre de change, étude critique de législation comparée, et d'une brochure considérable, formée de la réunion de plusieurs articles publiés dans une estimable revue italienne, l'Archivio Giuriiico, à l'occasion de trois projets de loi sur les lettres de change, préparés en Suisse, en Belgique et en Italie. La brochure est plus récente que le livre, elle est datée de 1871.

Le grand ouvrage et la brochure poursuivent un même but l'exposition et le développement des idées qui, d'après l'auteur, doivent aujourd'hui prendre une place prépondérante et définitive dans toutes les législations sur les lettres de change. ils nous montrent un des vieux contrats de notre droit commercial aux prises, quant à l'un de


ses instruments les plus considérables, avec les attaques habiles, énergiques et géminées d'éminents jurisconsultes modernes, et plus encore avec les tendances manifestes des législateurs de plusieurs nations voisines.Au nom des besoins économiques et juridiques du commerce et de l'industrie, au nom même de la science, on veut rajeunir le vieil arbre, ou au moins raviver sa séve, en faisant disparaître, par des amputations profondes, quelques-unes des branches considérées depuis longtemps par nos jurisconsultes comme les bases essentielles de son existence.

Il y a près d'un siècle, Pothier, dans un de ses traités si lumineux et si français, avait défini le contrat de change de cette façon bien simple et qui va à toutes les intelligences « un contrat par lequel je vous donne ou je m'oblige à vous donner une certaine somme en un certain lieu, pour et en échange d'une somme d'argent que vous vous obligez de me faire compter dans un autre lieu; c'est le contrat de change que les docteurs appellent cambium locale, mercantile, trajectitium. Ce contrat s'exécute par la lettre de change, lettre revêtue d'une certaine forme prescrite par la loi, par laquelle vous mandez au correspondant que vous avez dans un certain lieu de m'y compter, ou à celui qui aura mon ordre, une certaine somme d'argent en échange d'une somme d'argent ou dela valeur que vous avez reçue de moi ou réellement ou en compte » puis il ajoute k la lettre de change n'est pas le contrat de change, elle le suppose, elle l'établit, mais elle n'est pas le contrat même».

Cette définition et du contrat et de son instrument naturel était, cela n'est point douteux, en parfait accord avec l'origine et l'histoire de la lettre de change; qu'on en attribue l'invention aux Juifs chassés de France, ou aux Florentins exilés de leur patrie par les Gibelins, ou aux marchands qui fréquentaient, au moyen-âge, les foires célèbres de la France ou de l'Italie, la lettre de change reposait sur cette idée très-simple et très-pratique éviter les transports d'argent, bien dangereux à certaines époques, et les voyages si longs et si difficiles, en se procurant, au moyen de la remise d'une somme d'argent en un lieu, un écrit susceptible de passer de mains en mains, pour arriver dans un autre lieu où le tiers, auquel il est adressé, payera à celui qui en sera porteur la somme indiquée.

Aussi, messieurs, la condition que la lettre de change fût tirée d'un lieu sur un autre était-elle, dans le droit ancien, une condition essentielle à la validité de l'acte, ou plutôt à son existence comme lettre de change: c'était sous l'ordonnance de 1673 un principe absolument reconnu.

Le Code de 1807 en contient une prescription formelle (art. 110),


et pour que cette prescription ne soit pas éludée par les parties, notre loi déclare simple promesse toute lettre qui contient une supposition soit des lieux d'où elle est tirée, soit du lieu où elle est payable. C'est, vous le voyez, le cambium trajectitium dans toute sa vérité. Vous savez, messieurs, quelle fut la fortune de notre Code de 1807, et je n'ai pas besoin de rappeler ici les noms des nombreux États qui le prirent pour guide dans la première partie de ce siècle. Mais le commerce, qui vit surtout de liberté, s'est singulièrement transformé, grâce à la facilité et à la rapidité des voies de communication, aux traités internationaux et aux besoins si légitimes des peuples d'échanger entre eux les produits de leurs industries respectives les mœurs et les habitudes commerciales ont, dans cette transformation, rencontré parfois des législations gênantes et par trop protectrices, souvent elles ont adopté des pratiques un peu tortueuses, et par la même dépouillées de toute sanction légale, pour s'affranchir d'une tutelle importune d'autres fois elles se sont attaquées à la loi elle-même et en ont demandé le changement ou l'abrogation. Les formes compliquées de la lettre de change, les conditions nombreuses et très-rigoureuses de son existence et de sa validité devaient nécessairement l'exposer aux critiques des commerçants sous l'inspiration de leurs plaintes, des publicistes et des jurisconsultes commencèrent contre ces instruments de circulation et de crédit une lutte des plus sérieuses et des plus animées.

M. Vidari nous rend compte, dans son Traité de la lettre de change, de cette lutte toute scientifique dans laquelle, parmi les novateurs, apparaissent les noms des Fremery, des Eynert (1837), des Mittermayer (1840) et des Démangeât.

Nous n'entrerons point dans l'examen de ces discussions pleines d'intérêt assurément, mais non pas toujours, du côté des jurisconsultes allemands au moins, de lumière et d'évidence. Elles ont d'ailleurs trouvé leur synthèse dans ce monument si considérable du droit commercial que vous connaissez tous, l'ordonnance allemande du 24 novembre 1848, devenue la loi de toute l'Allemagne par la loi du 9 juin 1869.

Grand partisan des idées qu'elle consacre, M. Vidari les développe dans son Traité; les rapproche de celles qui trouvent leur sanction dans les Codes de commerce français et italien, et leur donne le plus souvent la préférence. La lettre de change n'est plus, dit-il, suivant l'expression d'Eynert, le papier-monnaie du marchand; l'usage en devient facultatif à tous ceux qui peuvent contracter des obligations civiles, et il donne ainsi la définition de la lettre de change proprement dite C'est un écrit revêtu de certaines formalités, au moyen duquel une


personne s'oblige à faire payer ou à payer elle-même, sous des garanties particulièrement rigoureuses, une certaine somme d'argent en un lieu et un temps fixé ou à vue, à une personne déterminée ou à son ordre. Désormais, ajoute-t-il, plus de remise de place en place, plus de concours nécessaire de trois personnes, plus d'indication de valeur fournie.

L'ouvrage tout entier du savant professeur tend au succès des principes introduits dans la loi des lettres de change par l'ordonnance de 1848.

Ce simple compte rendu dépasserait les bornes d'un travail de ce genre, si nous entreprenions de relever ici les développements, et nous pouvons dire les enseignements précieux, que contient ce volume qui ne compte pas moins de 700 pages; il nous suffira de dire qu'à côté d'un examen approfondi de tout ce qui touche la lettre de change, c'est-à-dire à côté d'un commentaire de ce titre du Code italien de -S 865, M. Vidari place une critique, toujours nette et toujours élevée, des dispositions de ce Code contraires aux idées réformatrices qu'il préconise, et signale les avantages de la législation allemande en beaucoup de points; il s'étonne en beaucoup d'autres que, réformé en •1865, le Code de commerce de son pays n'ait pas emprunté davantage aux prescriptions des lois qui régissent l'Allemagne, l'Autriche et d'autres Etats encore. Le Traité de la lettre de change est, en un mot, une œuvre de législation comparée où les commissions de révision pourront largement puiser, à quelque pays qu'elles appartiennent l'histoire, la philosophie du droit, l'économie politique ou la science juridique y apparaissent à chaque page, avec leurs enseignements et leurs principes. Ai-je besoin d'ajouter que les tendances les plus libérales s'y manifestent, sans préjudice pourtant du respect des lois conservatrices de la justice et du droit.

Mais, messieurs, si le traité de la lettre de change est une oeuvre complète, qu'il est difficile d'analyser dans un simple compte rendu, la brochure toute récente, dans laquelle M. Vidari nous met au courant de l'état actuel des études, dont la révision de la législation commerciale, et particulièrement des dispositions concernant les effets de commerce, est l'objet dans plusieurs des États voisins de la France, rentre tellement dans l'ordre des travaux de notre Société que vous nous pardonnerez peut-être de signaler à votre attention quelques-uns des points principaux sur lesquels portent ces études législatives. Trois pays s'occupent en ce moment de la révision de leurs lois commerciales, la Suisse, l'Italie et la Belgique; trois projets considérables sont préparés. M. Vidari les examine tous avec l'attention d'un homme convaincu, cherchant dans une œuvre nouvelle la confirmation


des idées qu'il a propagées avec ardeur et qui réalisent à ses yeux un grand et désirable progrès.

La loi allemande est son type; il n'y voit presque aucun défaut, à peine quelques lacunes et seulement quelques signes de défaillance dans l'affirmation de principes d'ordre secondaire.

C'est donc à cette loi qu'il va confronter, en quelque sorte, les projets élaborés; malheur aux dispositions qui s'en écarteront d'une façon trop marquée

La brochure contient d'abord quelques renseignements historiques: En Suisse, dès le mois de mai 1856, des délégués des cantons de Zurich, Bâle-ville, Berne, Saint-Gall, Argovie, Lucerne, Fribourg, Soleure et du Valais s'étaient mis d'accord pour l'admission d'un projet de concordat sur la lettre de change rédigé par M. BuschartFustemberger, conseiller d'Etat à Bâle, projet adopté avec quelques modifications par le canton de Soleure en 1857, de Berne en 1859, de Lucerne en 1860, de Bâle-ville en 1863 et de Schaffouse en 1865. Ce concordat a été reproduit, pour une grande partie, dans un projet de Code de commerce préparé, pour toute la Suisse, par M. Munzinger, professeur de droit à Berne, par ordre du gouvernement fédéral, et revu par une commission fédérale, qui l'a approuvé en 1864. Un grand nombre d'Etats l'ont même déjà adopté et mis en pratique. En Belgique, et jusqu'à 1864, notre Code français était seul appliqué. A cette époque le Parlement belge, sur l'initiative du gouvernement, avait entrepris une révision complète de la législation commerciale mais, chose étrange, s'écrie M. Vidari, la commission proposa, en ce qui concerne la lettre de change, de maintenir les dispositions en vigueur, sauf quelques prescriptions relatives au billet à ordre. Mais la Chambre des représentants, par l'organe de sa commission, déclara que le titre de la lettre de change devait être l'objet d'une révision complète et scrupuleuse ( le mot est en italique et ne manque pas d'ironie pour le projet). En effet, on se mit à l'œuvre, et dans la session de 1867 un projet de réforme fut présenté.

En Italie, au mois de septembre 1869, une commission du gouvernement avait reçu mission de proposer les réformes devenues nécessaires en matière de législation commerciale, et un ordre du jour, en donnant cette mission au gouvernement, avait formellement exprimé la volonté de la Chambre qu'on prît pour base des réformes à opérer l'ordonnance allemande de 1848. L'œuvre de la commission instituée par le gouvernement est également terminée.

Il faut maintenant pénétrer dans l'intérieur de ces monuments que les sanctions législatives n'ont pas encore consacrés. Prenons M. Vidari pour guide et examinons-en les parties les plus importantes.


Ne nous arrêtons point au nom qu'on a gravé au fronton de chacun d'eux de la lettre de change ou du mandat à ordre, des effets de commerce, de la cambiale M. Vidari y trouve à redire. Les mots ont assurément leur importance, mais l'usage a ses exigences et parfois sa tyrannie nécessaire.

Allons tout droit au principe souverain que chacune des commissions a installé en maître au point culminant de l'oeuvre. La lettre de change continuera-t-elle à être exclusivement l'instrument du contrat de change, ainsi que le prescrivent les Codes français, belge et italien La remise de place en place doit-elle disparaître, comme le demande M. Vidari et comme l'ordonnance allemande le prescrit ? La lettre de change est-elle une obligation soumise à des lois propres? est-elle une monnaie courante, frappée sans doute d'un coin spécial et rigoureusement gravé, mais affranchie des règles qui s'inspirent de la condition des parties contractantes et de leur capacité? C'est là, vous le comprenez facilement, qu'a dû porter le principal effort de la révision des lois anciennes.

Le projet suisse est de tous celui qui, presque sur tous les points, se rapproche le plus de la loi allemande. Il rejette donc la condition de remise de place en place, et fait, autant qu'il est possible, de la lettre de change, un titre de crédit destiné à remplir la plupart des offices économiques de la monnaie.

Les projets italien et belge admettent le même principe sans aller aussi loin dans plusieurs des conséquences.

C'est là le progrès par excellence, aux yeux de M. Vidari. La transformation est heureuse, dit-il, non-seulement au point devue du caractère qu'elle imprime désormais à la lettre de change, mais elle est heureuse aussi en ce qu'elle fait disparaître la raison des dissimulations et des fraudes trop nombreuses, contre lesquelles la justice a pendant trop longtemps fait tant d'efforts impuissants. Ne pouvons-nous pas dire que l'abolition de la contrainte par corps ne sera pas non plus étrangère à la diminution du nombre des fraudes dont parle M. Vidari, fraudes qui avaient précisément pour objet de soumettre à ce moyen de violente coercition des personnes que leur condition ou leur qualité devaient en affranchir?

Qui pourra souscrire une lettre de change ? Les projets suisse et italien reconnaissent cette faculté à toutes personnes capables de contracter une obligation civile.

Le projet belge maintient au contraire que les signatures de femmes et de filles non commerçantes ou marchandes publiques, sur une lettre de change, ne valent que comme simples promesses. Cette disposition du projet belge est absolument injustifiable, dit M. Vidari, alors que


la lettre de change a perdu son caractère historique et n'est plus qu'un instrument de crédit commun à toutes les classes de personnes. Si des incapables de s'engager ont signé une lettre de change, le projet suisse déclare la lettre valable à l'égard des personnes capables notre auteur invite les rédacteurs des projets belge et italien à faire de ce principe l'objet d'une disposition formelle. Les règles du droit civil ne trouvent pas ici leur place, dit-il; que le droit civil se cristallise et se momifie, c'est un mal que le droit commercial ne doit point imiter.

Les trois projets ont aussi effacé la condition de l'indication de la valeur fournie, vieille et inutile précaution qui devait disparaître. Comme le billet de banque, la lettre de change régulière en la forme doitcontenir une promesse de payement absolue et indépendante, négociable en tous pays, sans souci de sa valeur juridique pour tout ce qui touche à son origine et à sa cause.

Mais lestrois projets, comme l'ordonnance allemande, exigent l'indication du nom de la personne à l'ordre de laquelle la lettre doit être payée; c'est-à-dire qu'aucun d'eux n'admet la lettre de change au porteur, et cependant la loi américaine et la loi anglaise pour les Indes l'admettent sous cette forme

Quant à l'endossement, tous les projets, suivant l'expression de M. Vidari, cheminent dans la même voie; ils n'exigent point l'indication de la valeur fournie, ni la date de la négociation; la signature de l'endosseur suffit à la validité de l'endossement.

Le projet belge contient une disposition qu'on ne trouve point dans les autres; il porte en effet que l'endossement emporte transfert des hypothèques qui garantissent la lettre de change et qui, par exemple, résultent d'une ouverture de crédit dont les lettres de change sont une conséquence.

M. Vidari représente, comme une des innovations les plus utiles et les plus fécondes des trois projets, celle qui reconnaît la validité des endossements en blanc, rigoureusement défendus par les codes français et italien, et auxquels la jurisprudence a donné un effet juridique insuffisant. Notre auteur espère que les commissions en tireront, après un nouvel examen, l'innovation plus hardie de la validité de la lettre de change au porteur.

Nous ne pourrions, sans étendre ce travail au-delà de toute mesure, suivre pas à pas les projets en question et vous signaler toutes les innovations de détail qui s'y trouvent consacrées, particulièrement au sujet de l'acceptation. du paiement par intervention, de l'échéance, des protêts et des voies de recours. Elles sont pour la plupart empruntées à l'ordonnance allemande de 1848, et d'ailleurs nous pouvons dire


sans trop d'orgueil qu'un grand nombre des dispositions proposées sont en réalité la traduction sous forme législative des décisions de notre jurisprudence française.

Permettez-nous donc de ne pas aller plus loin dans notre analyse, et de finir cette lecture en appelant votre attention sur deux points qui ne manquent ni d'intérêt ni d'actualité.

Le Code de commerce français, et tous ceux dont il est le prototype contiennent, pour le cas de destruction ou de perte de la lettre de change, des prescriptions qui permettent au porteur de se garantir contre cet événement malheureux, d'arriver en quelque sorte à la reconstitution du titre perdu et d'en obtenir le paiement. Le système est sûr, sans doute, et d'une exécution pratique, quoique compliquée; la nécessité de parcourir une double échelle en remontant du dernier endosseur au tireur, pour revenir de celui-ci au tiré, donne lieu à des pertes de temps et à des lenteurs incompatibles avec la rapidité des opérations commerciales et les besoins du crédit.

L'ordonnance allemande de 1848, sans abroger le système par lequel le porteur peut se procurer une autre lettre de change pour remplacer celle qui est perdue, a établi une procédure qui a été adoptée par un grand nombre d'Etats allemands. Au moyen de cette procédure le propriétaire d'une lettre de change (art. 73) perdue peut demander, devant le tribunal du lieu du payement, l'annulation de cette lettre, l'amortizazione suivant l'expression italienne; on crée par là une déchéance opposable à celui qui présente la lettre après un délai généralement très-court.

Voici particulièrement pour la Prusse comment cette procédure est organisée

Le demandeur est tenu de fournir une copie de la lettre ou du moins d'en indiquer les parties essentielles, et de produire tous les documents que le tribunal jugera utile de consulter, pour acquérir la conviction du droit de propriété du demandeur et de la perte de la lettre. Le tribunal fait ensuite publier une invitation au porteur inconnu de la lettre de la produire en justice dans un délai déterminé, faute de quoi la lettre sera déclarée annulée. Cette invitation est affichée au prétoire ou à un autre lieu public, jugé convenable, et dans le local de la bourse, s'il en existe une au lieu du payement. Elle est publiée une fois dans la feuille officielle et trois fois dans un journal du pays ou un journal étranger. Le délai pour produire la lettre est au moins de six mois et au plus d'un an, à compter du jour de l'échéance. Si le possesseur de la lettre la produit, il en est donné avis au demandeur en annulation, qui peut alors faire valoir ses droits contre lui. Si le possesseur ne se déclare pas, le tribunal, sur la poursuite et diligence


du demandeur, déclare la lettre annulée. Le porteur peut alors demander le payement à l'accepteur. Il aurait pu, même avant l'annulation et aussitôt la procédure introduite, demander ce paiement en donnant caution, ou exiger le dépôt du montant de la lettre dans une caisse publique.

Cette procédure, qui a pour but de forcer l'accepteur à payer, sans être exposé à l'action du possesseur inconnu, ne dispense pas le porteur de faire protester la lettre, s'il veut ou est forcé d'exercer un recours contre les endosseurs.

Vous reconnaîtrez facilement, dans cette procédure, les traits principaux du système qu'une loi récente vient d'organiser dans notre pays, au sujet des titres au porteur perdus, volés ou détruits. Déjà, je le sais, cette loi a été attaquée, comme méconnaissant les principes qui régissent les effets de la possession des choses mobilières et la fameuse maxime qu'en fait de meubles possession vaut titre. Il me semble pourtant que, si elle n'est pas à l'abri de toute critique, cette loi donne satisfaction par des prescriptions nouvelles à des intérêts nouveaux. La fortune publique a subi une transformation considérable les titres au porteur, dont il y a soixante-dix ans on ne voyait que les dangers, et dont assurément on ne pressentait pas la faveur qui les entoure aujourd'hui, sont recherchés et préférés à ces valeurs et à ces créances, défendues par la puissante, mais bien lourde armature 'de nos lois civiles. Si ce genre de biens, si la propriété ainsi constituée est entrée dans nos habitudes avec ses dangers, mais aussi avec ses incontestables avantages, la législation ne rloit-elle pas se plier à ces formes et à ces habitudes nouvelles ? Les protections ne doivent pas rester les mêmes quand les droits à protéger sont changés, et les délais des échéances peuvent bien, sans préjudice véritable pour les principes, s'accélérer un peu quand la circulation des valeurs est si rapide.

Aussi, messieurs, le projet suisse n'a-t-il pas manqué d'adopter, en matière de lettre de change, la procédure d'annulation, avec des précautions et suivant des formes que nous ne pouvons indiquer en détail. Il ne paraît pas qu'il en a été de même pour les projets belge et italien, qui ont sur ce point conservé les règles établies par le Code de commerce ils ont pourtant reconnu la faculté pour le porteur d'exiger, en vertu d'une ordonnance du juge, le versement dans la caisse publique du montant de la lettre de change adirée. Enfin, messieurs, et pour terminer, nous vous ferons connaître le sentiment de M. Vidari sur une question que les malheurs de notre patrie ont fait naître, relativement aux lettres de change tirées de


l'étranger sur des maisons de France et qui n'ont pu être protestées dans les délais déterminés par le Code de commerce.

Disons d'abord que l'article 86 de la loi allemande reconnaît que lorsqu'une lettre de change est tirée sur une place étrangère, la forme des actes nécessaires pour l'exercice ou pour la conservation des droits qui en résultent est réglée par la législation de cette place. Il n'est pas douteux, d'ailleurs, que cette disposition ne s'applique pas seulement à la forme intrinsèque des protêts, mais encore aux délais et au mode d'accomplissement de tous les actes qui doivent être faits pour l'exécution ou la conservation des droits des intéressés. Les trois projets belge, italien et suisse ont reproduit presque textuellement le texte de la loi allemande.

Or vous le savez, messieurs, une loi française du 13 août 1870 avait décidé que les délais dans lesquels devaient être faits les protêts et tous actes concernant les recours, pour toute valeur négociable souscrite avant la promulgation de la loi, étaient prorogés d'un mois, et que le remboursement ne pouvait être demandé aux endosseurs et autres obligés pendant le même délai.

Cette loi était-elle opposable aux endosseurs étrangers ? ceux-ci pouvaient-ils au contraire repousser le recours du porteur qui n'avait point fait protester la valeur à l'époque prescrite par la loi ordinaire? Un arrêt de la Cour supérieure de Leipzig, du 21 février 1871, avait, en cassant une décision de la Cour de Berlin, décidé que la loi française ne pouvait être invoquée au regard des endosseurs étrangers, et avait déclaré en conséquence le porteur déchu, faute d'un protêt régulier, de tout recours contre ces derniers.

Cet arrêt causa une vive émotion, parmi les commerçants d'abord, et bientôt parmi les jurisconsultes de France et d'ailleurs. Dès le mois de juin suivant, M. Vidari combattait la décision de la Cour de Leipzig dans la revue Archivio giuridico, et soutenait cette thèse d'une évidente vérité que la loi française n'avait pas prorogé l'échéance des lettres de change payables en France, mais le délai dans lequel le protêt devait être dressé que cette loi, rendue par suite d'une force majeure reconnue par le législateur, n'avait statué en réalité que sur un acte d'exécution et sur le délai dans lequel il devait être fait pour la conservation des droits des intéressés, et que dès lors elle était applicable aux lettres de change souscrites en pays étrangers et payables en France.

L'arrêt de Leipzig a sans doute trouvé des défenseurs, surtout en Allemagne; mais sa doctrine ne devait pas faire fortune, au moins en Italie.

L'opinion de M. Vidari a été consacrée dernièrement par deux ar-


rêts de la Cour de cassation de Turin du 6 mars 1872, rapportés avec une note importante, qui reproduit le texte même de la décision de la Cour suprême de Leipzig, dans le premier cahier du Recueil de MM. Dalloz pour l'année 1872.

M. Vidari n'a point laissé passer cette occasion d'aflirmcr de nouveau son sentiment en cette matière, et, dans un article de VArckivio Giuridico du mois de mai 1872, il rend compte des décisions de la Cour de cassation de Turin, et s'applique à démontrer la sagesse de ses deux arrêts.

Il est temps, et plus que temps peut-être, de clore ce compte rendu; nousle feronsen citant la conclusion par laquelle M. Vidari termine et résume son étude des trois projets de loi qui font l'objet de sa brochure.

Tous les projets réalisent, dit-il, de grands progrès, et par progrès il faut entendre celui qui a pour but linal la transformation par la loi de la lettre de change en un titre de crédit, ainsi que la pratique économique l'a déjà opéré.

Mais tous les projets n'ont pas marché d'un pas égal.

Le projet belge et le projet italien sont restés trop loin en arrière du projet suisse, ils ont trop souvent encore suppriméla cause et maintenu les effets de là des lacunes, des obscurités, de la confusion. Le projet suisse est préférable sous tous les rapports aux deux autres il a, suivant M. Vidari, (amélioré la loi allemande elle-même, et plus il l'a serrée de près, mieux il en a montré la conception heureuse et le plan fondamental.

Voilà le modèle qu'auraient dû suivre les auteurs du projet italien. Il fallait le copier souvent et ne s'en éloigner que lorsqu'on était sûr de faire mieux le modifier pour créer une œuvre originale, quand tout le monde ressent le besoin d'une législation internationale sur cette matière, en prenant pour type la loi allemande, c'est s'éloigner du but, et cela est mauvais.

Ed è male; tel est le dernier mot de la brochure de M. Vidari. L'oeuvre projetée pour son pays ne satisfait point à ses vœux il avait consacré le beau volume dont nous vous avons parlé en commençant à la divulgation, à la vulgarisation des principes de la loi allemande; il y avait accumulé toutes les ressources de la science juridique et pratique, combattu avec ardeur les Codes existants, exalté, un peu trop peut-être, les innovations germaniques. Assurément les auteurs du projet italien se sont souvent inspirés de ses enseignements, et ses arguments ont triomphé de plus d'une prescription ancienne vigoureusement défendue mais le professeur de Pavie demandait qu'on élevât un monument nouveau et harmonieux dans toutes ses lignes;


il aperçoit encore quelques parties conservées de l'ancien édifice; elles tranchent par leur antique couleur sur les parties nouvelles; il s'en plaint avec quelque amertume, et comme un reproche ou mieux comme un avertissement, il adresse aux commissions ce dernier mot Ed è maie. Oui sans doute, messieurs, il vaudrait mieux, pour l'ordre et pour l'harmonie des détails, construire sur une table rase et ne rien laisser subsister de J'ancien édifice; et bien souvent, nous aussi, nous avons pu dire, en lisant nos lois nouvelles: Ed è male. Pourtant ne nous plaignons pas outre mesure de la timidité du législateur il est des cas, il est des temps surtout, où ce serait un grand mal que la satisfaction entière et absolue donnée à des aspirations nouvelles et à des idées ardentes de progrès et de transformation. On pourrait se tromper sur l'état des mœurs et des esprits, et quand le monument serait par terre, s'apercevoir qu'il suffisait, pour l'adapter aux idées et aux besoins du pays, d'en modifier quelques parties et de faire pénétrer dans quelques autres plus d'uir, plus de jour et plus de liberté; mais il serait trop tard, et c'est alors, quand tout serait détruit, que le sage pourrait dire, en songeant au passé et même en rêvant aux légitimes aspirations de l'avenir Ed è male.

Pour éviter le danger des réformes trop radicales et trop hâtives, souhaitons, messieurs, que les lois s'inspirent des mœurs publiques et économiques et de leurs transformations naturelles qu'elles les suivent dans leurs manifestations légitimes demandons qu'elles s'y conforment dans una juste mesure, mais ne désirons pas qu'elles les devancent, et que, par une action téméraire, elles les engagent dans des voies inconnues où elles ne serviraient ni le bien public, ni la justice, ni la vérité.

Après cette communication, M. Aucoc, obligé de quitter la séance, est remplacé au fauteuil de la présidence par M. Greffier.

Celui-ci donne la parole à M. Ribot, secrétaire général, pour une communication verbale sur le Congrès pénitentiaire de Londres, auquel il vient d'assister. M. Ribot termine cette communication en annonçant à la Société qu'il aura l'honneur de lui soumettre l'année prochaine un exposé complet des résultats du Congrès.

M. Demongeot est appelé ensuite à donner à la Société connaissance de sa communication sur les travaux législatifs aux


Etats-Unis, pendant l'année 1872. Cette communication est ainsi conçue

Deux de nos collègues, MM. Ribot et Démarest, nous ont rendu compte cette année des travaux du Parlement anglais et du Parlement allemand. J'ai à vous entretenir moi-même aujourd'hui du mouvement législatif des Ètats-Unis. Mais je rencontre dans cette tâche deux difficultés qu'ils n'ont point éprouvées la première, c'est que j'embrasse une session tout entière, et une session très-chargée; la seconde, c'est que je dois toucher non-seulement aux travaux intéressants du Congrès, mais encore aux travaux des 37 législatures d'États, qui conservent la plénitude du pouvoir de légiférer en toute matière civile, criminelle ou de procédure. Ces législatures ne sont point réduites au rôle modeste que le Congrès des juristes allemands laissait aux chambres des divers États de l'Empire. Elles font un grand usage de l'initiative parlementaire, et la variété des objets auxquels elles touchent, avec plus ou moins de maturité ou de succès, ne nous permet guère de les suivre dans cette communication, sans nous exposer au reproche de longueur ou de confusion. Mais puisque ce travail doit être écrit, je ne craindrai pas de multiplier les détails, si je parviens à vous présenter un tableau fidèle de la situation législative et politique de la société américaine, deux points de vue qu'en Amérique, moins que partout ailleurs, il est possible de séparer.

DROIT POLITIQUE ET CONSTITUTIONNEL.

Composition des assemblées politiques de l'Union.

1. Le Congrès a procédé cette année à une nouvelle répartition du nombre des représentants entre les divers États, pour tenir compte des résultats du neuvième recensement général qui venait d'être terminé. Le nombre total des représentants est porté de 243 à 292; il est réparti, autant que possible, à raison d'un représentant par 130,000 habitants; les États récemment admis dans l'Union, tels que Névada et Nébraska, dont la population est inférieure à ce chiffre, ont néanmoins un représentant. La population des États-Unis peut s'élever ainsi jusqu'à 100 millions d'habitants, sans que la Chambre des représentants dépasse 750 membres; quant au Sénat, il ne comprend que deux membres pour chacun des 37 États qui forment l'Union; et lorsque les sept territoires, représentés aujourd'hui par de simples délégués sans voix délibérative, seront admis à se constituer en États (non compris le district de Colombie,siége du gouvernement, qui reste sous


l'autorité directe du Congrès), les sénateurs atteindront le nombre maximum de 88. Cette composition des deux assemblées paraît concilier sagement, dans le présent et dans l'avenir, les conditions d'une délibération régulière avec celles d'une représentation équitable des groupes les plus divers de population.

2. Le nombre des électeurs présidentiels est, dans chaque État, égal aux nombres réunis des sénateurs et des représentants. Il est porté de 317 à 366. La Nouvelle-Angleterre, groupe des 7 plus anciens États de l'Union, ne gagne à la révision qu'un seul électeur sur 40. Les anciens États esclavagistes ont passé au contraire de 120 à 138 électeurs, par suite de l'admission des anciens esclaves aux droits politiques, en vertu du XV amendement à la Constitution, voté en 1870, et dont vous trouverez le texte dans le prochain annuaire de la Société; la population esclave, qui n'était comptée que pour les trois cinquièmes de sa valeur, est maintenant comprise en totalité dans le recensement. L'ancienne confédération du Sud forme ainsi le grouped'États le plus fort de l'Union. Les États du centre ont 73 électeurs, et ceux de l'Ouest, y compris les États du Pacifique, l'Orégon et la Californie, 115. 3. Ces derniers sont ceux dont l'accroissement a été le plus rapide et a le plus gravement rompu l'équilibre des partis politiques aux États-Unis. La nomination de Lincoln, le premier président choisi dans l'Ouest et élu par l'influence des États de l'Ouest, a provoqué la guerre de sécession. Si les États de l'Ouest s'alliaient politiquement à ceux du Sud, leurs anciens ennemis, auxquels ils confinent par la vallée du Mississipi, ils domineraient l'Union sans conteste. Un pareil rapprochement ne semble pas improbable, depuis qu'au sein du parti républicain s'est formée une minorité dissidente qui a préconisé tout à la fois l'amnistie et le rapprochement des races, défendu l'indépendance particulière des États contre les tentatives de centralisation et les excès du pouvoir militaire, dont la condition exceptionnelle du Sud favorisait les progrès, et accepté enfin, pour les prochaines élections, l'appui des anciens démocrates.

Droit de suffrage. Vole des femmes.

4. Un nouvel élément politique réclame aujourd'hui, avec une certaine autorité, sa place dans l'Union c'est l'élément féminin. L'indépendance des femmes en Amérique, la facilité avec laquelle les mœurs permettent de les associer à l'exercice de toutes les professions et même aux agitations de la vie publique, la plénitude de la capacité civile dont elles jouissent depuis longtemps, maîtresses absolues de leurs biens même pendant le mariage, enfin le


respect dont elles sont entourées au sein de la plus complète liberté, tant de circonstances, étrangères aux habitudes comme aux lois européennes, paraissent donner à leurs prétentions nouvelles des chances sérieuses de succès. Personne en Amérique ne songerait à mettre en doute leur discernement politique; c'est même à ce discernement qu'on s'adresse pour écarter leur revendication; c'est parce qu'elles sont libres, indépendantes, propriétaires, admises à l'exercice de toutes les professions lucratives, qu'on conteste leur intérêt à réclamer une prérogative nouvelle dont elles n'auraient aucune occasion de tirer profit personnel.

5. Le gouverneur de Massachusetts a recommandé cette année, dans son message, de conférer aux femmes, par un amendement à la Constitution, le droit de suffrage et l'aptitude aux fonctions publiques. La proposition fut solennellement appuyée, au sein de l'Assemblée, le jour de la délibération, des sympathies du clergé. Mais un adversaire du projet émit l'avis de suspendre toute discussion, tant que la majorité des femmes, consultées officiellement dans chaque municipalité, ne se serait.pas prononcée en faveur de la mesure. Il espérait que les femmes elles-mêmes repousseraient l'offre qui leur était faite. Cette idée d'un plébiscite féminin, adoptée une première fois, mais remise aussitôt en délibération, suivant une procédure assez fréquemment usitée dans les Chambres américaines et désignée sous le nom de reconsidération, fut définitivement écartée par la voix prépondérante du président.

Un contre-projet, ayant pour objet d'ouvrir des registres dans les mairies où les femmes désirant exercer le droit de suffrage viendraient se faire inscrire, succomba de même. Enfin, la proposition primitive fut rejetée.

6. La raison décisive d'opposition qui ait été présentée, c'est que l'admission des femmes au vote procède d'une notion de droit abstrait, et que le droit de vote n'est pas un droit abstrait, qu'il dépend de la nature des relations sociales. Or les femmes n'ont aucun droit à revendiquer elles jouissent d'une liberté qui n'est restreinte que par les liens du mariage, et ces liens, elles les contractent volontairement; qu'ont-elles donc à faire du droit de suffrage? Est-il besoin de doubler le nombre des votants, pour arriver dans les scrutins au même résultat ? '1

Ce raisonnement, comme on voit, et c'est un trait de mœurs américaines, fait abstraction des droits de la femme célibataire; voilà sans doute le motif pour lequel il n'est pas universellement goûté, ainsi que le témoigne certaine pétition au Congrès que ses auteurs demandaient à présenter et à défendre elles-mêmes. Mais il est douteux que


ces femmes représentent le sentiment de la majorité des personnes de leur sexe.

7. Les femmes n'en jouissent pas moins en Amérique d'une influence considérable. Au moment même où l'Assemblée de Boston, pourtant animée de sentiments très-libéraux, refusait de les admettre à la vie politique, la ville de Montpellier, dans l'État de Vermont, connue pour ses tendances conservatrices, plaçait, par un vote presque unanime, une femme à la tête du service de l'éducation, en la nommant surintendante des écoles publiques. Il est vrai que cette haute position fut modestement refusée, malgré les instances des électeurs. Dans l'Illinois, une loi vient d'être votée et mise en vigueur, pour permettre aux femmes d'exercer lamédecine, le droit, la théologie, en un mot toutes les professions civiles, au même titre que les personnes de l'autre sexe; mais elle ne les admet pas aux charges électives et les dispense de siéger au jury, ce qui déroge gravement aux principes de l'émancipation, telle que la comprennent les partisans du suffrage féminin.

8. Ceux-ci forment une vaste association, composée d'adhérents des deux sexes, qui tient des meetings et tente de jouer un rôle dans le conflit des élections présidentielles. N'ayant pu réussir à faire prévaloir ses vues, appuyées sur le texte du XV' amendement à la Constitution, dont nous aurons à vous entretenir, auprès de l'opposition républicaine dissidente qui engage en ce moment la campagne avec l'alliance des démocrates, ils se sont tournés du côté de l'administration et ont adopté, dans leur convention annuelle tenue à New-York, un programme qui est la contre-partie, habilement rédigée, du programmed'opposition voté à Cincinnati.

Lois électorales.

9. La lutte pour la réélection présidentielle s'annonce aujourd'hui plus vive que jamais le Président semble d'ailleurs avoir pris ses sûretés avant de s'engager dans ce conflit. Il vient d'obtenir du Congrès un acte destiné à assurer la liberté des élections, mais qui pourrait se transformer aisément, dans des mains peu scrupuleuses, en un moyen d'influence administrative.

Depuis la fondation de l'Union, les élections politiques, même pour les assemblées fédérales, ont lieu par les soins, sous la direction des autorités et suivant les formes particulières de chaque État. Mais le XV" amendement à la Constitution, du mois de mai 1870, en étendant le droit de suffrage à tout citoyen, sans distinction de race, de couleur ou d'ancienne condition servile, a armé le Congrès du pouvoir d'é-


dicter toutes les mesures nécessaires pour faire observer cette règle. C'est sur cette disposition que le Congrès s'est appuyé pour mettre, par une loi du 28 février 1871, les élections politiques fédérales, dans les villes deplus de 20,000 âmes, où les cas de fraudes et d'intimidation sont plus fréquents, sous le contrôle de deux inspecteurs (supervisors) désignés par les Cours fédérales, et assistés d'officiers exécutifs (deputy-marshals) ayant le pouvoir d'ordonner des arrestations. 10. La constitutionnalité de cette loi, qui portait atteinte aux vieilles prérogatives des États, a été mise en doute; toutefois, par sa teneur même, elle rentrait dans le cas des lois d'exception. Mais cette année la majorité du Sénat, dévouée à l'administration du Président, a proposé d'étendre ces dispositions à tout collége ou district électoral qui en réclamerait l'application par l'organe de quelques citoyens recommandables.

Chose étrange malgré les résistances de la minorité, la Chambre haute, formée de délégués des législatures d'États, et chargée à ce titre de défendre leur indépendance particulière, vota néanmoins, peu de temps avant l'ajournement, une loi qui faisait passer les opérations électorales dans les attributions du pouvoir fédéral. La Chambre des représentants fut moins empressée et refusa de déclarer l'urgence, qui ne pouvait être prononcée qu'à la majorité des deux tiers des voix, ce qui remettait la délibération au Congrès suivant.

11. Alors le Sénat s'avisa d'un expédient qui donne une assez fâcheuse idée de la loyauté des mœurs parlementaires aux États-Unis. Sur une loi de budget (civil appropriations bill) dont il était saisi, après le vote de la Chambre des représentants, et qu'il était impossible de rejeter sans refuser au pouvoir exécutif les moyens de faire fonctionner les divers services, il greffa, comme un amendement naturel et indivisible, le Force-Bill, auquel cette Chambre s'obstinait à refuser le privilége de l'urgence. Cet artifice est d'autant plus triste que le Sénat, dans un intérêt de célérité, venait de décider qu'aucun amendement ne serait mis à l'ordre du jour, qui n'aurait pas une connexité évidente avec l'un des articles du budget, et que les explications données à l'appui de chaque amendement ne devraient pas excéder une durée de cinq minutes. C'est sous régime de discussion sommaire que le Sénat prétendait enlever le Force-Bill, et il s'y trouva 28 voix contre 23 pour en reconnaître la connexité comme amendement avec la loi de finances en discussion.

̃12. Lorsque l'appropriations bill revint à la Chambre des représentants, augmentée de l'enforcement bill,il produisit un grave scandale une minorité républicaine s'unit aux démocrates pour élire deux commissaires, dont la fermeté d'opinion bien connue résisterait éner-


giquement dans une conférence aux prétentions exorbitantes du Sénat.

C'était la veille de l'ajournement, fixé au 11 juin à midi. La conférence dura dix heures; pendant qu'elle siégeait, le bruit se répandit dans la soirée que, si les démocrates de la Chambre tentaient, suivant une tactique familière aux Américains, de traîner la discussion en longueur jusqu'à midi, pour empêcher le vote, le Président tenait une proclamation toute prête et convoquerait à une demi-heure d'intervalle le Congrès en session extraordinaire, afin de lui faire voter le bill, dût-il prolonger pour cela les séances jusqu'en novembre.

En présence de cette menace, les commissaires fléchirent mais ils obtinrent deux amendements au bill le premier portait de deux à dix le nombre des électeurs recommandablessur la demande desquels seraient nommés les inspecteurs fédéraux des élections le second supprimait les deputy-marshah, officiers compétents pour ordonner des arrestations.

Ce n'était pas assez pour vaincre les objections de la Chambre; la discussion y provoqua des vivacités qu'aucune assemblée française contemporaine n'a connue. Deux fois dans la journée la session fut prolongée par une résolution commune de la Chambre et du Sénat, la première fois jusqu'à six heures, la seconde fois jusqu'à neuf heures du soir. Une nouvelle conférence mixte se réunit; elle fit à l'opposition une troisième concession c'est que les inspecteurs n'auraient aucune autorité, qu'ils se borneraient à suivre, comme simples témoins, la révision de la liste électorale et les opérations du scrutin, pour en adresser un rapport au gouvernement de l'Union. Réduite à ces termes, la mesure pouvait sembler relativement inoffensive. i3. Tandis que le gouvernement insistait ainsi pour obtenir le vote de la loi électorale, un sénateur de l'opposition républicaine déposait une proposition d'amendement à la Constitution, ayant pour objet de rendre au suffrage universel l'élection du Président. Cette proposition était présentée comme un retour à la sincérité des choix dans l'élection, comme l'unique remède à l'omnipotence des conventions organisées par les hommes de parti, qui désignent d'avance à l'attention publique et imposent au corps électoral le candidat dont ils édifient seuls la notoriété, réduisant ainsi à une fiction ridicule le rôle des électeurs présidentiels. Le mandat impératif est partout imposé. L'élection directe se pratique en réalité dans les conventions préparatoires mais elle y est faussée par les menées despotiques des politicians qui formeront ensuite la clientèle du candidat heureux et se partageront sous ses auspices le butin des places.

14. Le nouveau Congrès fera-t-il à cette proposition un accueil plus


sérieux que le Congrès actuel? Celui-ci n'a pas eu le loisir de l'examiner mais il est douteux qu'elle ait pu y rencontrer plus d'adhésions que la proposition antérieure d'un autre amendement, ayant pour objet de déclarer non rééligible le Président en exercice. Il suffit de parcourir en effet l'histoire de la session actuelle pour reconnaître à quel point la préoccupation d'une réélection prochaine fausse tous les ressorts du gouvernement et combien elle fait perdre de temps en accusations stériles.

Mais le Congrès a admis en matière électorale deux innovations qui procèdent du même esprit d'uniformité et de centralisation. Désormais les élections présidentielles auront lieu simultanément, à une époque déterminée, dans tous les Etats de l'Union; et le vote pour les représentants au Congrès sera donné, nonobstant toute disposition contraire des lois propres à chaque État, par bulletin écrit ou imprimé. Il n'est pas inutile d'ajouter que la proposition de soumettre les candidatures pour la présidence au suffrage direct du peuple et d'abolir la charge de vice -président, avait été précédée, à la Chambre des représentants, par une autre proposition, sur laquelle nous aurons à revenir, et qui appliquait aussi le suffrage universel et direct à l'élection des sénateurs. On ne voit pas, en effet, quel profit les États particuliers retirent de la désignation des sénateurs par leur législature, si l'assemblée gardienne de leur indépendance renie son origine et manifeste sans cesse un esprit contraire à celui de son institution. Droit ecclésiastique. Séparation de l'Église et de l'État. Serment en justice. Râle politique de la magistrature.

15. Au nombre des amendements à la Constitution, présentés cette année, s'en trouve un qui correspond à la fameuse proposition dont un député, non moins libéral que chrétien, s'est fait l'organe dans l'Assemblée française; il montre à quel point la question religieuse préoccupe en tout pays les représentants des intérêts conservateurs. Il avait pour objet d'introduire dans le pacte fondamental qui remonte à l'indépendance américaine et qui, jusqu'à ce jour, a suffi pour concilier, dans ce grand pays, le progrès et la liberté avec le respect de la loi et le développement régulier de la démocratie, une reconnaissance plus explicite de la vérité biblique, une sorte de profession de foi chrétienne,

Cette proposition souleva des protestations nombreuses; l'opinion publique s'en émut et la combattit par voie de pétitionnement; l'un des chefs de l'opposition républicaine, le sénateur Sumner, déposa au nom de la ville de Boston, la plus intelligente et la plus lettrée de l'Amé-


rique, une pétition couverte de plus de 10,000 signatures, qui représentait tout amendement à la Constitution, impliquant la reconnaissance de Dieu ou du Christ, comme une violation de la liberté de conscience.

16. En Amérique aussi, malgré l'influence considérable que M. de Tocqueville attribue aux traditions puritaines sur les destinées de la démocratie, il y a donc deux manières d'entendre, non les rapports de la société religieuse avec la société civile ou politique (ces rapports sont depuis longtemps réglés sur les bases de la séparation et de l'indépendance réciproque), mais l'introduction de la foi religieuse parmi les principes d'autorité qui sont la garantie de l'ordre social. Prestation de serment en justice. Cette difficulté s'était élevée depuis longtemps à l'occasion de la prestation du serment en justice qui garde par tradition, en Amérique comme en Angleterre, la forme confessionnelle, ou pour employer l'expression consacrée à l'étranger, ecclésiastique. Les scrupules de certains témoins ont paru respectables et ont été levés par des dispositions législatives analogues à celles du dernier acte voté par le Parlement anglais, dont vous trouverez la traduction dans l'Annuaire de la Société. Mais, comme vous le faisait remarquer M. Barboux dans sa dernière communication, le législateur anglo-saxon se montre moins soucieux de respecter la liberté du témoin dans le choix d'une formule qui l'engage, que d'éviter les méprises résultant de l'emploi d'une formule par laquelle il ne se croirait point lié. Aussi les juges s'attribuent-ils le droit d'apprécier si la conscience du témoin est liée par telle ou telle forme de serment, au lieu de s'en remettre à sa propre déclaration; et l'on a vu cette année encore, à Boston, un témoin mis en prison, sous l'inculpation de mépris de la Cour, pour avoir refusé de prêter le serment sous la forme ecclésiastique que le juge lui déférait, en raison de l'Église particulière à laquelle il était censé appartenir.

Cette difficulté de jurisprudence n'est point encore tranchée par l'autorité d'une Cour suprême. Une proposition pour la résoudre législativement dans l'État de Massachusettsfut ajournée. En vain la minorité se borna-t-elle à recommander, en cas de doute, le serment à main levée, qui n'a aucun caractère confessionnel, au lieu du serment prêté sur les Évangiles. L'amendement fut écarté, comme la proposition primitive, sur cette observation caractéristique que la distinction n'avait pas d'intérêt pratique, puisque, quelle que fût la forme déférée par le juge, le témoin n'en tombait pas moins sous le coup des lois qui punissent le parjure.

17. Influence de la religion. On peut assurer que si une profession de foi chrétienne était introduite, d'après l'amendement proposé,


dans la Constitution des États-Unis, elle ne ferait que compromettre l'influence légitime et salutaire de la religion sur les institutions et sur les mœurs politiques, influence que M. de Tocqueville représentait comme le meilleur frein des passions démocratiques et qu'il attribuait sans hésiter, non-seulement aux traditions puritaines des premiers colons, mais à la complète séparation de l'Église et de l'État. Là où il n'y a aucun motif de conflit, les raisons d'alliance prévalent aisément. En Amérique, la religion est partout dans les institutions; mais l'Église ne s'y rencontre nulle part.

Quelques membres de la législature de New-York se couvrirent cette année de ridicule par l'esprit d'économie mal entendue qui leur fit rejeter un crédit pour l'acquisition de deux Bibles à déposer dans la bibliothèque de l'Assemblée. Telles sont les mœurs: en France le ridicule aurait peut-être atteint l'allocation du crédit.

Un pasteur ouvre par une prière chaque séance des Chambres législatives; mais les mœurs ne lui permettraient pas de briguer les suffrages et de siéger lui-même comme représentant. Lorsque dans la Chambre de Massachusetts, la discussion sur l'admission des femmes au droit de vote fut mise à l'ordre du jour, le chapelain dans sa prière crut devoir exprimer ses voeux pour le succès de cette proposition. A peine s'était-il retiré qu'un membre demanda au président s'il était permis à une personne qui n'avait pas séance à la Chambre d'y exprimer son opinion sur l'objet de la délibération. Le président répondit négativement divers ordres du jour furent aussitôt proposés pour réserver le droit du chapelain de prier comme il l'entendait. Mais le président, appuyé par la presque unanimité de la Chambre, refusa de les mettre aux voix, en faisant observer qu'il ne pouvait y avoir lieu d'introduire une motion de blâme contre un membre pour avoir usé de son droit, en exprimant sur un incident de la séance une opinion conforme au règlement de l'Assemblée.

Ainsi les pouvoirs publics se placent partout sous l'autorité morale de la religion; mais ils écartent avec un soin jaloux toute tentative d'empiétement, toute manifestation, même sous forme de voeu ou de conseil, qui donnerait à l'Église accès sur le domaine politique. 18. Séparation de l'Église et de l'État. Le principedela séparation de l'Église et de l'État, universellement admis en Amérique, laisse pendante la solution de toutes les graves difficultés que soulèvent la constitution de l'association religieuse et l'exercice des droits civils par cette association. Mais l'Amérique ne connaît qu'un pouvoir pour régler en dernier ressort toutes les contestations de cette nature; ce pouvoir n'est pas l'État, c'est la magistrature, qui réserve elle-même les droits de l'autorité religieuse. Ce sont lestribunaux qui, d'après les


lois des États-Unis, régleraient les graves dissentiments qui viennent de provoquer en France, sous l'autorité du pouvoir politique, la réunion d'un synode général de l'Église réformée.

La Cour suprême des États-Unis a statué récemment sur un pourvoi formé par divers membres d'une Église presbytérienne de LouisVille (Kentucky), qui s'était divisée depuis plusieurs années au sujet de l'abolition de l'esclavage.

La communauté une fois démembrée par suite de cette scission, à quel parti devaient revenir les biens ?

L'Assemblée générale de lavieille Église presbytérienne d'Amérique se prononça en faveur de la majorité, la Cour de l'État en faveur de la minorité, qu'elle envoya en possession. La Cour des États-Unis vient de décider que si les biens, dans l'intention des donateurs ou acquéreurs, n'ont reçu aucune affectation religieuse spéciale, s'il n'avaient d'autre destination que celle de subvenir d'une manière générale aux besoins de l'Église, les cours de justice civile ne pourraient qu'homologuer la décision du tribunal ecclésiastique supérieur de l'Église à laquelle appartient la congrégation divisée mais que pour les biens donnés ou achetés en vue de favoriser la propagation d'une doctrine ou la profession d'une forme de culte particulière, l'autorité religieuse devenait un juge suspect, que les tribunaux civils devaient faire respecter l'intention primitive, et dans ce but apprécier eux-mêmes, s'il y avait lieu, quelle branche de la congrégation dissidente représentait le mieux la foi du disposant.

19. Rôle considérable de la magistrature. Cet exemple montre de quelle autorité les tribunaux sont investis pour le règlement de toutes les questions qui présentent un intérêt social. Ils sont juges même de la constitutionnalité des lois, et nous verrons leur adhésion mise en doute ou invoquée comme un argument dans les débats législatifs, à propos, par exemple, de l'établissement d'un mode électoral compatible avec la représentation des minorités.

A ces attributions considérables et d'un caractère vraiment contentieux, il y a une tendance marquée et moins salutaire à joindre des attributions d'un caractère purement administratif. La liberté entraîne bien des abus, surtout par le rôle que la politique ou l'intérêt privé jouent dans le choix des fonctionnaires; elle favorise les duperies, notamment dans les grandes entreprises financières ou dans les concessions de travaux publics. Le besoin de contrôle s'est donc fait sentir, même en Amérique; et pour l'exercer, on a songé au corps que l'opinion entoure de plus de prestige, la magistrature on lui attribue la nomination des officiers de police, la surveillance des émissions


de valeurs négociables. Le résultat n'a pas été heureux, et la magistrature s'est trouvée inutilement compromise.

Depuis que le système de l'élection, même pour les magistrats, s'est généralisé, les exemples de corruption se sont multipliés en raison de la gravité des intérêts qui en dépendaient on a vu les élections des juges dirigées et faussées dans le but d'assurer une large tolérance aux compagnies financières placées sous leur contrôle. Dans un des derniers numéros de la Revue des Deux-Mondes, M. Blerzy rapportait l'histoire de deux juges, l'un d'Albany, l'autre de New-York, mettant simultanément une compagnie de chemin de fer sous séquestre, et en confiant l'administration provisoire à chacun des deux grands financiers rivaux qui se proposaient de l'absorber. Dans l'État de Missouri, le crédit public fut mis au service des compagnies de chemins de fer en construction, au moyen de bons dont les juges avaient à surveiller l'émission; ils autorisèrent des émissions frauduleuses. La législature de l'État ayant alors subordonné, dans chaque comté, l'émission des bons à un vote général des citoyens, obtenu à la majorité des deux tiers, la Cour ajourna l'époque du vote, afin de donner aux entrepreneurs le temps de commencer les travaux et d'amener ainsi, sur le territoire des comtés défavorables à l'émission, une quantité d'ouvriers étrangers, admis au vote après trente jours de résidence sufrisante pour déplacer la majorité. 20. Défauts de la magistrature élective. De pareilles intrigues, conduites à l'ombre des tribunaux et sous leur autorité, montrent à quelles tentations les juges sont désormais exposés dans l'exercice de ces pouvoirs extraordinaires, quelle grave atteinte ils portent à l'esprit de la magistrature et nous ne citons pas les exemples les plus scandaleux. Une pareille confusion d'attributions achève l'oeuvre de démoralisation commencée par la pratique du système électif, dont M. de Tocqueville avait depuis longtemps signalé le péril. Aujourd'hui le juge devient plus que jamais un homme politique; il est élu en récompense de services politiques il ne rompt aucunes relations avec son parti, continue à en suivre les réunions, à en présider les meetings. M. de Tocqueville voyait dans l'étendue et le prestige du pouvoir judiciaire le contre-poids de la démocratie américaine depuis lors la démocratie a envahi la magistrature, l'a composée à son gré; elle ne rencontre plus d'obstacles. On aperçoit le moment 'où la Cour suprême des États-Unis, qui préside aux relations si délicates des États et de l'Union, pourrait être elle-même débordée. C'est un juge de la Cour suprême qui se place aujourd'hui, comme candidat à la présidence, à la tête du mouvement socialiste.

21. Défaut de sécurité. Aussi le respect de la justice est-il fort


ébranlé et ce déclin, si regrettable, se traduit par des impatiences violentes de la population, qui de temps en'temps remet en vigueur la vieille loi du Lynch. Le juge et l'attorney, coupables dans l'État de Missouri de l'émission frauduleuse de bons pour les chemins de fer, étaient mis en accusation. Une bande s'empara du train où ils se trouvaient, et rencontrant de leur part une vive résistance, les massacra dans la lutte, ce qui leur épargna le supplice du gibet déjà préparé. Ces faits ne sont pas rares; nous pourrions en citer cette année même plusieurs autres exemples, notamment dans les États de l'Illinois et de Tenessee.

22. Des mœurs aussi violentes, l'affaiblissement de l'autorité sous toutes ses formes par l'influence prédominante des intrigants politiques et le despotisme ou la corruption des majorités qu'ils gouvernent, conduisent naturellement le pouvoir central, responsable de la paix publique et de la sécurité des personnes, à se concentrer de plus en plus, surtout lorsqu'il est représenté par un chef militaire.

Le pouvoir présidentiel a grandi depuis l'insurrection, et le régime exceptionnel sous lequel il a longtemps maintenu les États sécessionnistes à la suite de la guerre, ont favorisé beaucoup d'empiétements. C'est une tendance dont il est facile de se rendre compte par l'étude de trois questions pendantes, qui touchent aussi à l'organisation religieuse, à l'organisation judiciaire et à la condition des femmes le mormonisme, le gouvernement des anciens États sécessionnistes et les prérogatives du Sénat.

GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES.

Admission de nouveaux États dans l'Union. Question du mormonisme. 23. Lorsque, en 1848, les mormons s'établirent dans la vallée du Grand-Lac-Salé, ils se croyaient à l'abri des atteintes de la civilisation américaine et pouvaient se gouverner suivant leurs maximes théocratiques. L'Utah fut constitué pour eux en territoire, et leur chef, Brigham Young, nommé gouverneur par le président Fillmore. Mais peu à peu l'accroissement de leurs richesses excita l'envie de hardis aventuriers qui près d'eux vinrent aussi chercher fortune. Alors deux populations se trouvèrent en présence, qui sont devenues de force presque égale en nombre, et dont les lois comme les mœurs provoquent de perpétuels conflits. La protection du gouvernement de Washington était acquise à l'élément qui observait le mieux les lois de l'Union; elle se manifesta par la destitution du'gouverneur patriarche, Brigham Young. Depuis lors, la rivalité n'a fait que s'aigrir; des mines importantes ont été ouvertes, malgré la résistance des mormons; Sait Lake City est


devenue la principale gare centrale du chemin de fer du Pacifique. Les intérêts, comme les mœurs, sont aux prises, et chaque jour la situation paraît plus tendue c'est une querelle de races.

24. Il est difficile de nier que les officiers fédéraux n'aient apporté dans le gouvernement de l'Utah un esprit de persécution et un désir de frapper vivement l'opinion publique, que l'état moral du pays ne justifiait en rien. La prospérité du territoire de l'Utah s'est développée depuis quelques années avec une rapidité prodigieuse; il renferme tous les éléments d'une civilisation prospère et éclairée, à une seule exception près, la polygamie. Les mœurs y accordent aux femmes autant de liberté que dans le reste de l'Amérique elles y jouissent même du droit de vote; elles touchent généralement le même salaire que les hommes et se créent sans trop d'effort une situation indépendante. Toutes les sectes religieuses peuvent librement, en face du mormonisme, fonder des églises et des écoles du dimanche. Les mormons eux-mêmes invitent à la libre discussion et se montrent moins exclusifs dans leur foi que beaucoup d'autres sectes chrétiennes. L'instruction est encouragée les enfants des deux sexes, élevés ensemble, reçoivent une éducation libérale sous la direction de maîtres choisis en raison de leur capacité et en dehors de toute considération de mormonisme. Les sciences et les arts sont cultivés; les auditeurs se pressent à des conférences publiques d'astronomie. Il semble difficile que la civilisation ne puisse triompher peu à peu de la polygamie, sans recourir à des moyens violents. Cet usage même n'est dans la secte qu'une conséquence de cette interprétation trop littérale des Écritures, qui a toujours été une tendance puritaine. La question de la polygamie tient donc à une erreur d'opinion; ce n'est pas par une répression rigoureuse et intolérante qu'il paraît juste ou politique de la résoudre.

25. Tel est cependant le parti qu'ont pris les magistrats nommés par le gouvernement central. La croisade contre le mormonisme a été prêchée à Washington par le R. D' Newmann. C'est sous l'impression de ses discours que le Président a nommé les juges à la Cour suprême de l'Utah et a résolu de les soutenir, même par un déploiement de forces militaires.

L'Utah est un territoire le personnel de ses tribunaux, chargés d'appliquer les lois votées par la législature territoriale, n'est pas toujours distinct de celui des tribunaux fédéraux, investis de la compétence relative aux lois de l'Union.

26. La loi organique du territoire dispose que, pendant les six premiers jours de sa session, la Cour suprême de l'Utah siège comme Cour de district ou de circuit pour juger les causes qui tombent sous l'applica-


tion des lois fédérales; puis elle s'ajourne et se constitue en Cour territoriale afin de juger celles qui, dans les États particuliers, sont de la compétence des cours des États, en matière correctionnelle, de droit commun (common law) ou d'équité (chancery). Dans le premier cas, elle est assistée pour la procédure d'un attorney et d'un maréchal nommés par le gouvernement de l'Union; dans le second, par des officiers de même titre institués, enl869 et 1870, par la législature du territoire.

C'est après avoir clos la première partie de sa session que la Cour suprême a condamné, par application d'un statut territorial de 1852, quelques notables mormons, polygames, et, de ce chef, prévenus d'adultère. Mais le jury avait été convoqué par les officiers de l'Union, sinon cette interprétation d'une loi mormone, retournée contre ses auteurs, n'eût pas prévalu.

Le Congrès des États-Unis a bien passé, en 1862, une loi de l'Union contre la polygamie, dont l'application pouvait être poursuivie devant la Cour suprême siégeant comme Cour fédérale; mais cette loi accordait aux délinquants une prescription de cinq ans, dont la plupart des mormons notables, mariés et polygames depuis longtemps, auraient justement réclamé le bénéfice. Tel est le motif pour lequel les poursuites ont été intentées en vertu du statut territorial édicté, par les mormons eux-mêmes, contre les gens qui mènent habituellement une vie licencieuse, mais interprété cette fois par un jury de gentils (c'est le nom donné à la classe des citoyens de l'Utah opposés au mormonisme) dans un sens bien différent de la pensée du législateur. 27. Les mormons soutiennent que l'affaire étant de celles qui ne sont point régies par les lois de l'Union, ne pouvait être instruite, et le jury convoqué, que par les soins des officiers territoriaux; ils plaident la nullité de tous les jugements rendus par la Cour siégeant comme tribunal de droit commun ou d'équité. Tel est le singulier débat de compétence et de procédure qui a provoqué un immense mouvement en faveur de l'érection du territoire en État. Au fond, les mormons n'ont jamais subi l'autorité des États-Unis que dans la mesure inévitable; ils ont constitué par anticipation au sein du territoire l'État de Deseret, dans la reconnaissance duquel ils placent tout leur espoir pour le salut de leur institution domestique.

28. La législature s'ajourna donc pour faire place à une convention qui se réunit, malgré le veto du gouverneur sur le bill de convocation, pour rédiger une constitution à soumettre au Congrès. Le travail fut très-rapide, et l'on prétend que, la convention étant illégale, le défaut d'indemnité n'a pas été sans influence sur la promptitude avec laquelle les délégués s'en sont acquittés. Ils ont pris pour modèle la constitu


tion de l'État de Nevada. La discussion a porté notamment sur deux points qui montrent combien les questions électorales absorbent l'attention en Amérique, dans le bon et le mauvais sens tout à la fois le premier est l'adoption du vote cumulatif pour assurer la représentation des minorités à la législature; le second est le rejet, à une grande majorité, d'une proposition ayant pour objet d'assurer la liberté du vote par l'interdiction d'employer, suivant l'usage général, des bulletins portant des signes extérieurs. Quant à la question du vote des femmes, il y a longtemps qu'elle était affirmativement résolue dans la pratique par la législature de l'Utah.

29. Mais le fait caractéristique de cette courte session est la formation, au sein même de la majorité mormonne, d'une minorité dissidente, composée de mormons très-éclairés, qui n'ont pour leurcompte jamais pratiqué la polygamie et qui, sans en discuter la moralité ou le mérite religieux ni violenter la conscience de leurs collègues, proposèrent, en raison des nécessités de la civilisation moderne dont une société éclairée ne peut s'isoler, l'abolition de cet usage, sous la condition que l'État de Deseret serait reconnu par le Congrès. On n'a pas grande confiance en Amérique dans la fermeté avec laquelle des tribunaux et des jurys mormons auraient fait respecter cet engagement légal. Mais les vieux patriarches du mormonisme ne se sont point donné le tort de l'hypocrisie et ils ont refusé de condamner, même pour la forme, une institution qu'ils élevaient à l'égal d'une obligation religieuse.

30. Son œuvre terminée, la convention s'est ajournée jusqu'à nouvel ordre, en adoptant un mémoire de réclamations au Congrès et ordonnant un nouveau recensement, pour constater un accroissement de population qui justifiât l'admission du territoire au nombre des États de l'Union.

En effet, un acte du Congrès, sur la répartition des colléges électoraux en Amérique, interdisait la création de tout État nouveau dont la population n'atteindrait pas le chiffre requis pour l'élection d'un représentant; quant aux sénateurs, il y en a toujours deux par État, ancien ou récent, quel que soit le nombre des représentants. A peine les délégués au Congrès avaient-ils quitté Salt Lake City qu'un mouvement d'opposition publique s'organisait parmi leurs adversaires, qualifiés dans la langue américaine de gentils. Des meetings se réunirent dans le but de protester contre l'admission du territoire en qualité d'État dans l'Union. On y représentait, dans ce cas, la guerre civile comme imminente. Malgré leur culture et leurs formes policées, les mormons sont accusés d'un fanatisme religieux qui va jusqu'au meurtre. Plusieurs accusations de ce genre n'ont pas encore été bien


éclaircies devant les tribunaux, et l'on attribue la difficulté de faire la lumière à l'intimidation des témoins; aussi les postes militaires ont-ils été renforcés par ordre du Président dans les districts judiciaires. 31. La constitution future de Deseret, soumise au vote populaire, avait réuni un peu plus de 26,000 suffrages, dont moitié sans doute donnés par des femmes. La négociation à Washington pour la ratification en Congrès n'avançait pas. La Cour suprême ajournait également son arrêt sur les pourvois criminels qui lui étaient déférés et laissait ainsi en suspens la grave question de la compétence des officiers de police judiciaire de l'Union, et des jurys formés par eux, devant les Cours fédérales statuant par application des lois du territoire. Pour augmenter la confusion, unbillétait introduit au Congrès dans le but de trancher législativement la difficulté; il réglait le point de compétence en faveur des officiers de l'Union, quelle que fût la loi en vertu de laquelle la poursuite serait intentée; quant au point de droit criminel débattu, par suite du soin que les mormons prenaient d'éviter la pratique d'un usage délictueux, en dépouillant leurs unions multiples des caractères civils du mariage, le bill le résolvait dans le sens le plus rigoureux il disposait que les poursuites pour polygamie seraient intentées d'après la notoriétéet justifiées par la simple preuve de la cohabitation.

32. Cependant les mormons, sans attendre le résultat de leurs instances auprès du Congrès pour faire confirmer leur nouvelle constitution, renvoyée par le Sénat au comité des territoires, la mettaient provisoirement en pratique et procédaient à l'élection des sénateurs du futur État, tandis que quatre cents femmes, dont plusieurs invoquaient leur expérience personnelle des mœurs du mormonisme, faisaient déposer au Congrès une protestation contre la suppression du régime territorial.

Enfin la Cour suprême de l'Union trancha, le 15 avril dernier, l'importante question de compétence qui lui était déférée au sujet de nombreuses affaires. Elle rendit son arrêt dans une espèce insignifiante, celle de la confiscation de liqueurs mises en vente sans licence; mais cet arrêt entraînait la nullité de la plupart des décisions judiciaires rendues soit au civil, soit au criminel, par les Cours de l'Utah. La Cour suprême reconnaissait en effet que ces Cours, bien que composées de juges nommés par le gouvernement de l'Union, n'étaient point Cours fédérales dans le sens de la Constitution, et qu'elles devaient procéder par application des statuts territoriaux. En conséquence 136 prisonniers, condamnés illégalement, furent aussitôt élargis, et parmi eux le patriarche des mormons, Brigham Young; l'allégresse que la secte en ressentit ne fut malheureusement pas exempte de violences.


33. A la suite de ces arrestations reconnues illégales, la difficulté entre le gouvernement fédéral et la législature du territoire se complique d'une question financière. Qui supportera les frais de justice considérables qu'ont entraînés ces poursuites ? L'arrêt de la Cour suprême ne permet plus de les inscrire au budget de l'Union, et la législature ne consentira pas à les prendre à sa charge.

Le Congrès seul a l'autorité nécessaire pour mettre fin au débat et il n'a point hâte de se prononcer. Le comité des territoires diffère le dépôt de son rapport sur la demande d'admission du nouvel État. L'Assemblée montre son mauvais vouloir à l'égard des mormons, en leur retirant le chemin de fer de Salt Lake City à Colorado River, la principale voie de communication du territoire, dont ils avaient déjà commencé les travaux, pour la concéder régulièrement aux gentils. Ceux-ci se composent surtout de mineurs, prêts à toutes les entreprises, et désormais en possession des principales sources de richesse dans le territoire; cette circonstance seule leur assure, dans l'avenir, le succès, à moins de spoliations violentes.

Jusqu'à présent cependant, les mormons forment la majorité de la population du territoire qui s'élève à 85,000 habitants. Elle dépasse celle de l'État voisin de Névada, dont ils invoquent, avec quelque apparence de justice, l'admission dans le sein de l'Union comme un précédent en leur faveur. L'État voisin de Névada, qui sépare l'Utah de la Californie, envoie deux sénateurs et un représentant au Congrès; le territoire de l'Utah, malgré son importance supérieure tant au point de vue de la richesse que de la population, n'est représenté, comme chacun des huit territoires dépendant de l'Union, que par un délégué sans voix délibérative. L'anomalie est choquante. Mais les hommes d'État de l'Amérique sont aujourd'hui peu favorables à cette extension prématurée de l'Union, dont l'inconvénient se fait surtout sentir par l'altération de l'esprit du Sénat; il semble qu'on a déjà trop légèrement introduit, au sein de cette assemblée gardienne des traditions politiques et lentement renouvelable dans sa composition, un élément nouveau, dont l'importance numérique excède à un degré prodigieux celle des intérêts représentés.

GOUVERNEMENT DES ÉTATS.

Les anciens États sécessionnistes. Le rétablissement de l'Union. –Le bill des droits civils. L'amnistie.

34. Rétablissement de l'Union. Le Congrès, qui vient de clore sa dernière session, est le premier qui ait réuni dans son sein les ropré-


sentants de tous les États de l'Amérique, même de ceux qui pendant six ans avaient soutenu avec une infatigable énergie la guerre de sécession. Quatre ans après le triomphe des armes fédérales, l'Union politique était donc pleinement rétablie, en droit comme en fait. Est-elle rétablie moralement?

De pareilles plaies ne se cicatrisent point sans péril. Les nécessités d'une lutte entreprise au nom de la liberté civile ont obligé le gouvernement fédéral à devancer, sous la pression de l'opinion publique et dans un intérêt politique évident, l'époque où la race esclave aurait pu supporter le régime de l'émancipation complète. Non-seulement, en vertu du XIII' amendement à la Constitution, voté en 1865, l'esclavage a été aboli dans toute l'étendue du territoire de l'Union, mais le XVe amendement, voté au mois de mai 1870, a reconnu le droit de suffrage aux anciens esclaves, sans distinction de race ni de couleur, et a investi le Congrès de tous les pouvoirs nécessaires pour leur en assurer l'exercice, malgré les résistances locales. 35. Malheureusement le XIVe amendement, suite peut-être inévitable, mais douloureuse de la guerre civile, maintenait des exclusions politiques, non plus contre les noirs, mais contre les blancs qui avaient, pour prendre part à la révolte, résigné des fonctions électives, diplomatiques, administratives, judiciaires ou militaires,, soit auprès du gouvernement de l'Union, soit auprès du gouvernement d'un État. C'était priver les démocrates vaincus de leurs représentants politiques naturels.

Les noirs n'étaient point capables en général de se gouverner euxmêmes en vain se seraient-ils réconciliés avec leurs anciens maîtres pour leur rendre le pouvoir; ceux-ci étaient légalement incapables de l'exercer. Alors, du nord au sud de l'Union, on vit affluer une nuée de politicians, personnages sans consistance à l'affût de toutes les occasions de profit, qui captèrent la confiance des noirs, briguèrent leurs suffrages, obtinrent une partie des sièges dans les législatures d'États, prirent en main la direction des affaires, et les conduisirent si bien qu'aujourd'hui (je me dispense de vous donner le chiffre des emprunts qui ont accru les dettes publiques et dont le produit a été impudemment gaspillé) plusieurs États du Sud, notamment les Carolines, sont à la veille d'une banqueroute imminente.

36. Loi martiale. En vain les blancs essayèrent-ils d'opposer au désordre une résistance légale; ils ne pouvaient élire un démocrate recommandable qui ne fût sous le coup de l'incapacité politique et dont la nomination ne fût annulée par les cours fédérales. Alors s'organisa la résistance occulte; des associations secrètes ordonnèrent d'impitoyables représailles, procédèrent par la main d'hommes masqués à


des exécutions sommaires, éloignèrent les noirs du scrutin, frappèrent mystérieusement les traîtres ou les transfuges, combattirent en un mot le despotisme par la terreur. Le Congrès, sous le coup de ces événements, crut devoir déléguer au Président, dans sa session de 1874, le pouvoir de proclamer la loi martiale et de suspendre le writ d'habeas corpus.

Cette année, au mois d'avril. le Président dénonçait encore au Congrès, dans un message énergique, les horreurs commises par la société secrète, dite Ku-Klux Ring, et demandait la prolongation, pendant la période électorale, des pouvoirs exceptionnels qui devaient expirer, aux termes de l'acte de 1871, avec la session du Congrès. Le Sénat seul lit à cette invitation uneréponse favorable.

37. Bill d'amnistie et bill des droits civils. 11 y avait un meilleur moyen de dissuader les démocrates du Sud de leurs procédés de conspiration c'était de leur .rendre l'arme de l'opposition légale, la plénitude de leurs droits politiques. La majorité de la Chambre des représentants inclinait vers l'amnistie générale. Mais le Président, appuyé sur la majorité sénatoriale, n'admettait que les amnisties partielles. D'ailleurs, comment rétablir l'égalité complète au profit des anciens rebelles, tandis qu'elle ne l'était pas encore en faveur de citoyens innocents ? En vain les noirs étaient-ils admis à l'exercice des droits civils et politiques, les préjugés de race persistaient: dans le Nord et l'Ouest, où la population de couleur augmente plus rapidement que dans le Sud, les nègres ne peuvent fréquenter les mêmes écoles, siéger dans les mêmes jurys, se faire inhumer dans les mêmes cimetières que les blancs; ils ne peuvent, même en offrant les prix les plus élevés, se faire admettre dans les meilleurs hôtels ou dans les wagons de première classe de chemins de fer. C'est pour mettre un terme à toutes ces distinctions blessantes que le sénateur Sumner présenta un bill, dirigé en partie contre les maîtres d'hôtel et les entrepreneurs de transports, coupables d'opposer des refus de service, malgré l'offre do payement, et désigné sous le titre un peu ambitieux de bill des droits civils.

38. Deux fois le bill d'amnistie générale et celui des droits civils, rapprochés l'un de l'autre par voie d'amendement ou de contre-projet, ont été rejetés en bloc au Sénat par la voix prépondérante du vice-président Colfax. Les partisans de l'un des bills étaient généralement opposés à l'autre. On objecta que la distinction des écoles était dans les mœurs, que chaque race y tenait également, qu'on ne pouvait imposer la réunion contre le gré des intéressés. Le sénateur Sumner ne parvint pas même à faire voter le principe des écoles mixtes


communes dans le district de Colombie (villes de Washington et de Georgetown) placésous l'autorité directe du Congrès.

Enfin on profita de son absence pour mutiler le bill des droits civils, en le réduisant aux difficultés d'admission dans les hôtels, restaurants et chemins de fer. Sous cette forme, il passa au Sénat, mais fut ajourné par la Chambre des représentants qui refusa de déclarer l'urgence.

39. Le bill d'amnistie, plus heureux, fut aussi voté par le Sénat et signé par le Président, mais avec une restriction qui maintenait l'exclusion des anciens officiers, magistrats, ministres, sénateurs ou représentants du gouvernement fédéral. Les anciens fonctionnaires des États du Sud étaient seuls relevés de l'incapacité. L'exclusion n'atteint pas nécessairement les ennemis les plus redoutables de l'Union elle a un caractère purement moral, flétrit une trahison estimée plus grave et ne pèse en définitive que sur 150 ou 200 personnes, tandis que l'amnistie en décharge 2 à 3,000. Ainsi en six ans, on peut s'étonner que les conséquences politiques d'une insurrection, qui avait elle-même tenu six années le gouvernement en échec, aient été presque entièrement réparées. Ce grand acte ouvre sans doute une ère nouvelle de prospérité pour l'Union, de restauration pour les États du Sud; il doit nous apprendre à ne jamais désespérer de la paix sociale. LÉGISLATION ÉCOKOMIQCE ET FINANCIÈRE

Compétence du Sénat pour la préparation des lois de finances. 40. La discussion des lois de finances remplit toujours une grande partie des séances du Congrès, car elles rentrent essentiellement dans ses attributions; elles ne l'exposent pas à un conflit de compétence avec les législatures des États. Mais elles ont pris depuis dix ans un intérêt particulier, en ce que l'Union liquide depuis cette époque les îhargesde la guerre de la sécession et révise peu à peu, dans le cours de cette liquidation, les principes d'une législation économique, compromise par des mesures fiscales que l'urgence des besoins n'avait pas permis de discuter à loisir. A cet égard, la situation des ÉtatsUnis n'est pas sans analogie avec la nôtre, et je ne crois pas sortir du cercle ordinaire de nos études en vous l'exposant à grands traits la question financière soulève d'ailleurs des difficultés constitutionnelles qui ont pris cette année plus de gravité, à raison de l'importance des intérêts engagés.

4 1. Situation financière des États-Unis. En 1871, l'Union amé-


ricaine, malgré la rapidité de l'amortissement de sa dette, avait déjà procuré aux contribuables, depuis la guerre, un dégrèvement de près de 1,200 millions de francs.

La Chambre des représentants vota alors la suppression des droits de douanes perçus à l'entrée de la houille, du sel, du thé et du café c'était une réduction nouvelle de plus de 100 millions. Saisi de ce bill, le Sénat pensa qu'il ne pouvait l'adopter en connaissance de cause qu'après un examen d'ensemble de la situation financière de l'Union et de divers moyens de l'alléger il chargea son comité des finances de lui préparer sur ce sujet un rapport général, dans l'intervalle des deux sessions. C'est ee rapport que le sénateur Shermann a déposé dans la séance du 14 mars de cette année il est rédigé avec une précision et une entente des divers points de vue de la question qui donnent une haute idée de la capacité des Chambres américaines en matière fiscale.

42. Compétence du Sénat en matière de lois de finances. Tout d'abord le comité des finances a été arrêté par un scrupule constitutionnel.

Aux termes du § 1", section VII, article 1" de la Constitution, a toutes les lois relatives à la levée des impôts doivent émaner de la Chambre des représentants, mais le Sénat peut, comme pour les autres lois, y proposer et y apporter des amendements. »

Or, substituer des contributions intérieures à des taxes perçues en vertu d'un tarif douanier ou supprimer les unes au lieu des autres, est-ce userdu droit d'amendement ou usurper le droit d'initiative? Le comité des finances, favorable à l'extension des pouvoirs de l'assemblée dont il faisait partie, invoqua nettement la jurisprudence passée en faveur de la première interprétation. Cependant, malgré la connexité des deux sources de revenus qui ne diffèrent que par le mode d'imposition, et pour éviter toute cause possible de conflit, il voulut, touten examinant l'ensemble du système financier, se borner, comme la Chambre des représentants, à une réduction sur les droits de douanes; il renferma en même temps le total des réductions dans les limites proposées de 100 et quelques millions, bien qu'il lui parût aisé dele porter au double, sur un budget total de 1,800 millions environ, parmi lesquels 1,100 étaient perçus sur les denrées à l'importation, 600 recouvrés comme produit de contributions intérieures presque toutes indirectes, et 100 puisés à diverses sources, concessions de terres publiques, etc.

43. Système économique des États-Unis. Le comité des finances constate que, grâce au système protecteur résultant des tarifs élevés


établis pendant la guerre, dans un but purement fiscal, de nombreuses industries ont été créées, des capitaux, des ouvriers européens ont été attirés dans le pays et sans examiner si cette direction artificielle donnée au travail national et au travail étranger était la plus profitable, il reconnaît que les établissements dont la fondation a été provoquée par les lois antérieures ont droit au strict maintien de leurs conditions d'existence. Ce régime d'ailleurs n'a point arrêté l'essor du commerce extérieur, puisque les importations se sont élevées en 1869 à 3 milliards environ, en 1870 à 2,230 millions, en 1871 à près de 2, G00 millions, tandis que les exportations atteignaient successivement 2 milliards, 2,800, 2,800 millions.

44. Partant de ce principe, le comité du Sénat pense que c'est sur les sources de revenus intérieures qu'il faut faire porter les réductions, que les contributions indirectes qui en forment la presque totalité doivent disparaltre, à l'exception des droits^ur les alcools, le tabac, la bière, que tout le monde s'accorde à regarder comme une matière essentiellement imposable; que Yincome-iax qui, par suite d'allégements successifs, ne rapporte presque plus rien, doit, au contraire, être développé, mais refondu en entier, de manière à éviter les inconvénients d'un mode inquisitorial de recouvrement, et à le faire peser principalement sur le revenu de la propriété en épargnant le produit du travail et de l'industrie personnels; c'est dans ce sens qu'après une expérience de vingt-cinq ans, sir Robert Peel transforma l'assiette de l'impôt en Angleterre.

Le Sénat a donc, en matière de finances, une tendance absolument contraire à celle de la Chambre des représentants; mais il ne se refuse pas à un remaniement du tarif douanier. Seulement il distingue entre les droits sur le charbon et le sel et les droits sur le café et le thé, parce que l'importation, dans le premier cas, ne forme que l'appoint de la production nationale, tandis qu'elle pourvoit en totalité, dans le second cas, au besoin de la consommation intérieure. La question est donc économique d'uue part de l'autre, elle est simplement fiscale. La suppressiondu droit sur le charbonne profiterait qu'à laNouvelleÉcosse, et lui créerait des intérêts contraires à la politique d'annexion, dont l'éventualité ferait dès lors peser sur elle, sanscompensation, une partie des charges de l'Union. Quant au sel, le droit n'est pas élevé il faut craindre de compromettre par un point le système de protection le libre échange du charbon et du sel amènerait le libre échange Je fers et des laines.

Aussi le comité n'admet-il qu'une forte réduction, au lieu de la décharge complète des droits sur la houille, le sel, le thé, le café, et propose-t-il une réduction correspondante sur divers autres articles du


tarif, les gros meubles, le plomb, le riz et surtout les matières premières. •45. Le rapport se termine.par une opposition entre les saines doctrines de l'économie politique et les théories absolues de la protection ou du libre échange, qui toutes deux sont également contraires à l'idée d'un tarif productif, puisqu'une protection excessive équivaut à la prohibition. Aussi les articles d'un tarif sont-ils à régler en détail, pour chaque objet et pour chaque pays, en tenant compte des différences dans les conditions de la production. Quelle comparaison établir à cet égard entre l'Angleterre et l'Amérique? L'une est surtout industrielle et manufacturière, l'autre agricole; l'une fait le commerce an dehors, l'autre à l'intérieur; l'une produit peu de matières premières, l'autre en produit plus qu'aucune nation du monde; d'un côté, richesse accumulée, faible taux de l'intérêt, main-d'œuvre à hou marché; de l'autre, défaut de capitaux, intérêt élevé, main-d'œuvre chère; faut-il s'étonner qu'aux États-Unis, malgré l'exemple contraire de la Grande-Bretagne, les tarifs douaniers soient devenue et restés la principale source de recettes? L'exemption ne peut être complète que pour les matières premières et les denrées exotiques d'un usage commun. Cependant le dégrèvemeut de taxes si nombreuses qui pesaient sur le travail national doit entraîner une réduction correspondante, soit 10 p. 100, des droits à l'entrée sur les tissus et les métaux ouvrés, qui dépasseraient la juste mesure d'une protection modérée.

46. Le Sénat alla plus loin que son rapporteur dans la voie que celui-ci lui avait tracée et où il essaya même de le retenir. Il toucha à la fois aux taxes intérieures et extérieures; il revint à l'exonération complète du thé et du café, dont l'imposition avait un caractère purement fiscal, mais sans affranchir ni le charbon ni le sel, et en supprimant toutes les taxes indirectes, dites stamp taxes, sauf sur les spiritueux, les liqueurs maltées et fermentées et le tabac; enfin il abolit l'income-tax, sous ta forme usitée, à partir du mois de juillet, et interdit même le recouvrement des cotes qui restaient encore dues; on voit par là quelle antipathie cette forme d'impôt avait soulevée. 47. 11 est probable qu'en opérant ainsi, comme résultat d'une année d'études, un remaniement complet du système fiscal de l'Union, le Sénat ne soupçonnait point le sort qui était réservé à son œuvre et que le rapporteur du comité des finances lui avait pourtant laissé entrevoir. En recevant le bill sénatorial qui avait si complètement transformé l'économie du sien, la Chambre des représentants résolut à la presque unanimité de le déposer sur le bureau, comme une proposition nouvelle, et de lui faire subir à ce titre toutes les formes réglementaires d'instruction. M. Dawes, rapporteur du comité des voies et moyens, montra la portée de ce dissentiment entre les deux assemblées sur un


point capital de droit constitutionnel il rappela le motif pour lequel le Sénat, dont la composition ne se prête pas à une représentation équitable des divers groupes de population sur lesquels les charges publiques pèsent également, était privé de l'initiative parlementaire en matière fiscale. C'est en vain qu'un grand homme d'État, M. Clay, avait essayé de saisir directement le Sénat d'un tarif. Or comment reconnaître le simple exercice du droit d'amendement dans l'élaboration d'un bill qui, au lieu d'abolir quelques taxes déterminées, entraîne une révision générale de l'assiette etdu mode de recouvrement des diverses sources de revenus, tant intérieurs qu'extérieurs? P

Ces raisons emportèrent l'adhésion de la Chambre, malgré l'inconvénient signalé de rendre peut-être impossible la préparation d'un nouveau bill financier avant la fin de la session. Unmessage futadressé au Sénat pour l'informer de cette résolution.

48. Conflit d'attributions entre les deux Chambres du Congrès. Le message de la Chambre fut reçu avec indignation par le Sénat; le comité des finances invoqua la jurisprudence passée en faveur de la prérogative qu'il désirait ajouter à celles, déjà si nombreuses, que la Constitution lui attribue, à l'exclusion de la Chambre basse, pour le contrôle des nominations de personnel et des négociations diplomatiques. C'est sans doute afin de combattre cette prétention qu'un représentant proposa, à la même époque, un amendement à la Constitution, en vue de soumettre l'élection des sénateurs au suffrage universel direct.

49. Le comité des prérogatives du Sénat auquel la résolution de la Chambre des représentants fut renvoyée, se montra cependant moins absolu dans la forme que celui des finances. Il consentit à reconnaître que le Sénat avait excédé se& pouvoirs, à lui donner tort, mais par des motifs différents de ceux de la Chambre basse et en formulant, pour l'avenir, des principes de jurisprudence favorables aux tentatives d'usurpation.

Son rapport est un type de l'esprit qui domine dans le règlement de ces conflits d'attributions politiques, esprit de procureur qui trouverait difficilement accès dans une assemblée française, et qui manifeste cette influence des légistes, célébrée par M. de Tocqueville comme la sauvegarde de la liberté et le correctif de la démocratie. Seulement cette iufluence est aujourd'hui dévoyée; elle ne s'exerce plus dans un sens favorable à l'indépendance des États; elle tend au contraire à développer le pouvoir fédéral, comme un élément de protection contre le despotisme des partis dans chaque localité; elle se met au service de l'autorité exécutive fortement unie au Président, la majorité du Sénat a tenté cette année, à plusieurs reprises, non-seule-


ment d'amoindrir la Chambre basse, mais d'en surveiller à l'avenir la composition, fût-ce au prix d'une ingérence présidentielle dans les opérations électorales, jusqu'alors exclusivement confiées aux États; c'estla lutte du suffrage à deux degrés contre le suffrage direct, l'effort de la classe éclairée, depuis longtemps menacée dans ses priviléges de classe dirigeante par l'action prépondérante des politicians, vers un accroissement de centralisation propre à lui donner un point d'appui et de résistance. Quel sera le succès de cette politique, quel en est le mérite? Il nous paraîtrait téméraire de l'augurer dès à présent; mais la tendance est caractéristique depuis la guerre de sécession; elle se manifeste à la fois par des subtilités de légistes et par des prétentions de l'autorité exécutive et militaire; nous en relèverons encore d'autres signes, et nous vous demandons la permission de nous arrêter un instant sur l'étrange argumentation du comité des prérogatives, parce qu'elle met en lumière les dispositions du Sénat.

50. Le rapport pose d'abord en principe que l'exercice légal du droit d'amendement ne se mesure pas à l'importance des dispositions introduites sous cette forme, mais que la compétence du Sénat dépend à cet égard de la nature des lois dont il est saisi par l'initiative de la Chambre basse, et qu'il n'en excède pas les limites, tant qu'il ne propose que des modifications tendant au même objet. Puis il rappelle que la Constitution n'a posé de restriction à l'initiative parlementaire du Sénat qu'en matière de lois concernant la levée d'impôts et non l'affectation des produits de l'impôt. Invoquant l'analogie des termes employés pour définir les pouvoirs du Congrès en ce qui concerne la levée des forces militaires, il établit que le droit de voter la levée de l'impôt emporte celui d'en fixer le taux, par conséquent de l'augmenter ou de le diminuer; car la diminution d'une taxe équivaut à l'établissement d'une taxe moindre. Le Sénat peut donc proposer, comme amendement à une loi portant des réductions de taxe, la réduction de taxes différentes. Toutefois, dans l'espèce, la loi émanée du Congrès ne stipulait pas la réduction, mais la suppression absolue des taxes sur le thé et le café; une pareille loi ne peut être assimilée, au point de vue des compétences, à une loi concernant la levée d'impôts, puisque après la suppression complète il ne reste plus de taxe à percevoir, même suivaut un tarif réduit; c'est donc à tort que le Sénat a proposé des réductions sous forme d'amendements; il sortait ainsi de l'objet de la loi et ne pouvait, pour s'y renfermer, que proposer l'abrogation de taxes sur d'autres articles.

D'après cet étrange raisonnement, difficile à prévoir après l'analogie tirée du droit de voter la levée des forces militaires, droit qui entraine sans doute celui de les licencier, le Sénat n'avait excédé ses


pouvoirs qu'en montrant de la réserve; il n'avait fait trop que parce qu'il ne faisait pas assez, et il se ménageait la faculté de rentrer à l'avenir dans les limites de sa prérogative, en se bornant à proposer des mesures plus radicales. Tel est le sens daus lequel il consentit à admettre le grief de la Chambre basse; tel est l'étrange terrain de conciliation sur lequel il se plaça pour entrer en accommodement avec elle.

A la lecture d'un semblable document, on peut se demander ce qu'il est advenu de la gravité proverbiale du Sénat américain, dont notre collègue M. Guytio faisait récemment encore l'éloge, sur la foi des impressions un peu surannées de M. de Tocqueville, et si le suffrage à deux degrés n'aurait pas naturellement pour effet de représenter les passions plutôt que les lumières de la classe moyenne.

51. Modifications aurégime douanier. Nous rapporterons rapidementla suite de ce débat, désormais purement fiscal, parce qu'il ne présente plus qu'un intérêt économique et ne soulève aucune question constitutionnelle.

Le nouveau travail du comité des voies et moyens de l'Assemblée aboutit à la présentation de deux bills, l'un portant suppression de tous droits sur le thé et le café, point déjà concédé par le Sénat, qui ne pouvait plus y rencontrer d'objections, et qui procurait une réduction totale de 80 millions de francs; l'autre, désigné sous le titre de Tariff-tax bill, impliquant une révision complète du système fiscal, pour assurer une nouvelle réduction d'environ 150 millions. Le premier de ces deux bills fut passé rapidement dans les deux Chambres, malgré la proposition faite au Sénat d'y introduire de nouvelles exonérations par voie d'amendement, suivant la doctrine du comité des prérogatives, et signé par le Président, pour entrer en vigueur le i" juillet suivant. Il stipulait même la restitution des droits précédemment acquittés sur les approvisionnements qui, à cette époque, ne seraient point encore sortis des entrepôts publics et magasins généraux, pour entrer dans la circulation commerciale. 52. Cette adhésion facile aux nouvelles propositions de la Chambre était, dans la pensée des protectionnistes du Sénat, et notamment des métallurgistes de Pensylvanie, une première satisfaction donnée aux contribuables qui permettrait de gagner du temps et d'atteindre la fin de la session sans voter la révision générale, sur laquelle les intérêts divers représentés à la Chambre n'entreraient pas de sitôt en accommodement. Vous voyez, messieurs, que ce n'est pas en France seulement que ces questions fiscales passionnent, qu'elles provoquent des assertions contradictoires, qu'elles s'éternisent d'année en année et de session en session. Mais l'Amérique en est heureusement venue à


l'époque des dégrèvements elle a montré moins d'hésitations, formulé moins de réserves, perdu moins de temps en discussions vaines, alors qu'il s'agissait de faire appel au crédit et de créer à tout prix des ressources elle n'a pas mesuré publiquement, article par article, le poids de ses charges, et marqué sans discrétion le terme fatal de sa solvabilité.

Le comité des voies et moyens se divisa sur la rédaction duTarifftax-bill incapable de réunir une majorité absolue dans un sens déterminé, il entra dans la voie des transactions et l'on eut ce singulier spectacle d'un bill rédigé sous l'influence de deux libres échangistes, MM. Burshard et Finkeinburg, rapporté sur la demande de ses collègues' par le président, M. Dawes, qui se réservait néanmoins de le combattre, amendé par une partie de la minorité, à l'insu de l'autre, dans des termes que celle-ci repoussait, de telle sorte que la Chambre demanda avec étonnement comment une majorité s'était formée au sein d'un comité de neuf membres qui comprenait deux minorités, l'une de deux, l'autre de trois membres, et parmi eux le rapporteur du projet. C'était le dernier terme de la confusion.

53. Je n'ai pas l'intention de vous indiquer comment le Congrès est parvenu à en sortir. Mais, après avoir résumé le discours du sénateur Sherman, je dois noter au passage les arguments présentés en sens contraire par les représentants autorisés de la doctrine du libre échange.

M. Finkelnburg soutint que, la question de protection industrielle mise à part, le tarif en vigueur laissait une marge très-étendue pour les réductions proposées; car, depuis la guerre, le prix des objets manufacturés n'avait cessé de décroître en Amérique, tandis qu'il augmentait en Europe. Les tarifs excessifs avaient compromis le commerce d'exportation et notamment refoulé au Canada celui des cuirs et des bois d'ébénisterie avec l'Europe et l'Amérique du Sud tout cela, au profit d'industries protégées, qui ne représentaient pas plus de ̃10 p. 100 de la production totale des États-Unis.

Une réduction minime apporterait un grand soulagement aux consommateurs car les 100 millions qui échapperaient au trésor sur le coton, la laine, le cuir, le sel, le cuivre et le fer, leur en coûtaient 350 ou 400, par suite des majorations faites par le commerce, qui atteignent principalement les objets de consommation courante, tels que les tissus et les vêtements communs. Les maîtres de forges transforment leurs lingots de fer en lingots d'or. Lorsque les frais de main-d'œuvre ne dépassent pas 25 p. 100 de la valeur du produit fabriqué, un droit de 25 p. 100 ad valorem procure au travail une protection de 100 p. 100. Dans ces conditions, M. Finkelnburg adjure les deux partis d'adhérer au projet,


les libres échangistes, parce qu'ils ne peuvent espérer mieux, et les protectionnistes, parce qu'en repoussant des réductions minimes, ils provoqueront une réaction radicale contre le système de la protection, même modérée.

M. Burchard, passant de la protection modérée au libre échange, calcula, dans un discours plein de verve, ce que coûtait [au consommateur la protection des diverses industries, et après avoir chiffré les exactions de chaque État sur ses voisins, par suite de la répartition géographique de ces industries, il évalua aune balance de 300 mil.lions le montant des gratifications prélevées, sur les États du Sud et de l'Ouest, par les manufactures de l'Est. Ceci explique pourquoi, en tenantcompte de la distribution des partis politiques entre les divers États de l'Union, les démocrates ou conservateurs sont presque tous libre-échangistes et les républicains protectionnistes, sauf les dissidents de l'Ouest, qui se rapprochent des démocrates et ont obtenu leur appui pour les prochaines élections présidentielles. 5-1. Suppression de l'income-tax. Après un mois de discussions dans les deux Chambres, d'ajournements, de conférences, le Tarifftax bill fut voté, avant la fin de la session deux fois prolongée. dans des termes qui portent à 260 millions environ le total des réductions accordées cette année. Ces réductions comprennent l'abolition de l'income-tax, impôt impopulaire que les libre-échangistes ont racheté par un sacrifice de 10 p. 100 sur le produit des laines. Vous le voyez, messieurs, en Amérique aussi les deux systèmes d'impositions sur les matières ou sur les profits ont été discutés; et, après une expérience suffisante, c'est le premier qu'on a préféré maintenir, à l'époque des dégrèvements.

DROIT INTERNATIONAL.

Obligations découlant d'une déclaration de neutralité.

Attributions diplomatiques du Sénat.

85. A la veille d'une réélection présidentielle, les accusations de parti, dénonciations d'abus et demandes d'enquête ont tenu plus de place dans les séances des Chambres américaines que les questions législatives.

Les partisans de l'administration au sein du Sénat ne se firent pas faute d'accuser la minorité républicaine dissidente de faire perdre des mois entiers en attaques passionnées, dirigées contre le pouvoir exécutif dans un intérêt politique, et de laisser en souffrance des bills de la plus grande importance, pour se donner le loisir de satisfaire ses rancunes. Telle est en effet l'image de cette session.


56. Enquête sur les ventes d'armes à la France. La vente d'armes au gouvernement français pendant la guerre n'a pas causé moins d'émotion au Sénat américain que dans notre commission parlementaire des marchés. Mais elle a surpris l'opinion publique qui, tout informée qu'elle fût des approvisionnements considérables faits par la France aux États-Unis, ne s'était point préoccupée de la manière dont ils lui avaient été procurés. C'est au reçu de la dépêche télégraphique annonçant l'issue d'un procès célèbre devant la Cour de Paris que M. Sumner déposait sur le bureau du Sénat une résolution pour la nomination d'une commission d'enquête, investie de pleins pouvoirs à l'effet de rechercher les ventes d'armes faites par le gouvernement des États-Unis pendant la guerre, les circonstances dans lesquelles elles avaient été consenties, les personnes qui avaient prêté leur entremise, les parties réellement intéressées, les sommes effectivement versées ou touchées par celles-ci. 57. Cette question ne mériterait pas de nous arrêter, malgré l'intérêt français qui s'y trouve engagé, si elle n'avait soulevé de graves débats sur la manière dont la neutralité devait être observée, par suite de la déclaration du Président notifiée aux agents diplomatiques des puissances belligérantes.

Il était allégué que les armes vendues provenaient des arsenaux de l'État, que des cartouches avaient été fabriquées pour être livrées avec les armes. Le Sénat se voyait ainsi amené, par la proposition d'enquête, à édifier lui-même un mémoire de réclamations pour le compte du cabinet de Berlin, et cela, dans le moment même où il produisait, sur le différend de l'Alabama, sa demande d'indemnités pour dommages indirects, et poussait ainsi à leurs dernières limites les conséquences et les obligations rigoureuses découlant du principe de la neutralité.

Toutefois ces questions de droit international qui nous auraient spécialement intéressés, notamment celle de savoir si la déclaration de neutralité devait interrompre l'exécution des marchés conclus avec un agent français, si la responsabilité du gouvernement fédéral était suffisamment couverte, soit pour l'exécution des marchés anciens, soit pour la conclusion de marchés nouveaux, par l'interposition de commissionnaires, dont l'entremise dissimulait à peine la qualité du véritable destinataire, sont les dernières que le congrès ait songé à résoudre. Dans un intérêt politique, il a préferé, même par des moyens un peu forcés, établir une présomption de bonne foi complète en faveur des employés et officiers des arsenaux. Ainsi, cette étude de droit international se transforme pour nous en une étude de mœurs parlementaires.


58. Le parti de l'administration, ne pouvant se refuser à une enquête, détourna le coup par une diversion offensive sur le terrain de ses adversaires. Cette tactique parlementaire offre un exemple curieux des institutions qui concernent la justice politique aux ÉtatsUnis. Le sénateur Conckling déposa un amendement, ayant pour objet d'étendre la compétence de la commission d'enquête à la recherche des relations qui, dans cette affaire, pouvaient avoir été entretenues par des citoyens ou sénateurs américains avec des espions ou émissaires étrangers, allusion aux révélations faites par M. de Chambrun, secrétaire de la Légation française. Il donna lecture d'un texte de loi qui punissait ces relations d'une amende de 5,000 dollars et d'un emprisonnement de trois ans au plus. Cette loi, faite pour réprimer l'ingérence de citoyens sans mandat dans les rapports diplomatiques du gouvernement des États-Unis avec un gouvernement étranger, remontait à 1798 elle avait alors été dirigée par le parti de la guerre contre M. Logan, de Pensylvanie, qui employait volontairement à Paris ses bons offices pour aplanir les différends qui menaçaient de devenir, entre la France et l'Amérique, une cause de rupture. Cette loi a été invoquée deux fois depuis cette époque, une première fois contre Nicholas Trist, qui mit fin sans autorisation, par un traité, à la guerre mexicaine, une seconde fois contre M. Reverdy Johnson, pour arrêter les tentatives directes de règlement amiable du différend de l'Alabama, sans en référer au gouvernement des États-Unis, entre les particuliers lésés et le gouvernement anglais.

59. Parvenu à ce degré d'aigreur, le débat au sein du Sénat américain ne connut plus de bornes. Les démentis furent échangés avec une vivacité peu digne de la gravité de rassemblée. L'opposition fut accusée de vouloir détacher du gouvernement la portion allemande de la population américaine, de n'épargner pas même la personnalité du Président. Sous prétexte de se justifier, elle saisit cette occasion de revenir sur les abus de la douane de New-York, objet d'une enquête, sur ce pouvoir mystérieux plus fort que la crainte de l'opinion publique, plus fort que l'autorité du secrétaire de la trésorerie; et, s'estimant enfin vengée par ces insinuations, elle déclara, tout en protestant contre Ja qualification absurde d'espion ou d'émissaire donnée à un agentdiplomatique étranger, qu'elle voterait elle-même l'amendement avec tout le dédain qu'il méritait.

60. Après une semaine de débats irritants, la proposition d'ouvrir une enquête fut adopléeàla presque unanimité, mais sans le préambule dont l'administration avait énergiquement repoussé les allégagations. L'unanimité coûtait d'autant moins au Sénat dans cette circonstance, qu'en ordonnant une enquête, il entendait bien qu'il n'y fut


procédé que pour la forme; afin qu'on ne se méprit pas sur ses intentions, la majorité exclut du Comité les auteurs mêmes de la proposition, y comprit plusieurs de ses adversaires, et donna la présidence au plus hostile d'entre eux.

Le Comité, embarrassé lui-même des apparences de partialité qui résultaient de sa composition, invita M. Schurz à suivre ses séances et à interroger des témoins; mais quand son tour fut venu de déposer, l'attitude du Comité changea et le fit presque passer du rôle d'enquêteur au rôle d'accusé.

Quelques jours après, M. Sumner, appelé lui même comme témoin et instruit par l'exemple de son collègue, se retrancha derrière son inviolabilité de sénateur pour refuser toute explication, au sujet du droit qu'il avait exercé de provoquer une enquête et d'apporter à la tribune des motifs de suspicion. Il protesta ensuite contre la formation du Comité, dont il déclina la compétence, invoqua les anciens usages parlementaires que l'Angleterre avait constamment suivis depuis Élisabeth, et qui confiaient aux auteurs mêmes d'une proposition d'enquête la soin de la faire aboutir, tandis que Jefferson imposait aux membres qui t'avaient combattue le devoir d'y rester désormais étrangers et de décliner tout mandat pour diriger une instruction dont ils souhaitaient l'échec; il refusa en définitive de prêter serment et se borna à déposer un exemplaire de son discours accusateur au Sénat. Assigné le lendemain par un exploit en règle, il renouvela sa protestation et l'appuya sur de nouvelles autorités, avant de consentir à déposer sous serment; il le fit d'ailleurs avec une foule de réticences, dans la crainte de compromettre les auteurs de renseignements confidentiels.

61. Les conclusions du Comité d'enquête furent des plus rassurantes pour la conscience publique. Il déclara, dans son rapport au Sénat Que le secrétaire d'État de la guerre avait pleine autorité pour vendre des armes inutiles

2° Que le produit de la vente avait été régulièrement encaissé par Trésor

3° Qu'aucune vente n'avait été faite à des agents connus d'un gouvernement belligérant, aucun acte commis, qui violât les obligations découlant de la déclaration de neutralité;

Qu'aucun agent de l'administration n'avait tiré profit de ces ventes; Que tout le bénéfice était pour le gouvernement qui venait de se débarrasser, aux conditions les plus avantageuses, d'armes désormais hors de service.

62. C'est seulement après avoir ainsi déclaré que la résolution d'en-


quête n'était fondée que sur un tissu « de faussetés, de préventions, de soupçons inqualifiables, o que le Comité se risque enfin à toucher le point de droit international. Il décide « que les acquéreurs eussent-ils été agents de la France ou soupçonnés de l'être, le gouvernement, engagé dans des ventes d'armes avant la guerre, avait le droit de les continuer après, et de faire des livraisons, soit à « Louis-Napoléon, soit à Frédéric-Guillaume, » sans violer la neutralité, pourvu qu'il agît de bonne foi, non dans la pensée de favoriser les armes de l'une ou de l'autre nation, mais dans le but légitime de se défaire d'un matériel excessif. »

Ce n'est pas à nous d'examiner dans quelle mesure l'autorité de ces conclusions, attaquées par les sénateurs Schurz et Sumner dans deux discours à sensation, qu'ils jetèrent au public des tribunes comme un réquisitoire contre la politique présidentielle, pourrait être affaiblie, en fait et en droit, par la direction même que l'enquête avait reçue. L'historique précédent serait dépourvu d'intérêt, s'il ne fournissait un exemple curieux de la procédure législative dans les Chambres américaines et de la tactique parlementaire en usage. L'Amérique moderne nous est si peu connue, car nous en sommes presque restés au livre de M. de Tocqueville, que les mœurs publiques nous instruisent plus encore que les lois.

63. Différend de l'Alabama. Me plaçant à ce point de vue, je ne crois pas sortir de l'objet de cette communication, si je vous indique le caractère des négociations qui ont abouti au règlement du différend de l'Alabama, sans toutefois vous raconter les phases ni discuter le principe, plus politique que juridique, de la demande d'indemnité pour dommages-intérêts. En effet, ces négociations ont mis en relief l'un des traits lcs plus saillants de la Constitution américaine et l'un de ceux qui montrent le mieux la différence de son fonctionnement avec celui du régime parlementaire.

En Angleterre, malgré le secretobligé des transactions diplomatiques, dont les ministres responsables devant les Chambres sont les premiers jugeset dont ils font admettre fréquemment l'opportunité, les demandes d'interpellations, qui ne peuvent être indéfiniment ajournées et dont la seule proposition indique les tendances, la ligne politique, les craintes des divers partis, suffisent pour maintenir le cabinet sous le contrôle du Parlement, dans une défiance permanente des retours de l'opinion publique, tandis que les journaux, informés des dispositions du gouvernement et de l'esprit qu'il apporte à la solution des difficultés pendantes, traduisent toutes les inquiétudes avec autant de variété que d'éclat. On ne peut pas dire que la presse anglaise se soit agitée dans le vide; elle était certainement en mesure de s'associer aux efforts de


la diplomatie, et sans la pousser dans la voie des refus péremptoires et des susceptibilités compromettantes, elle lui a prêté un utile appui. 64. En Amérique aussi, la presse a montré de l'indépendance et de la modération malgré ce point d'honneur chevaleresque dont les nations sont encore trop pénétrées et qui les fait reculer presque toujours devant le désaveu formel de prétentions qu'un plaideur de bonne foi s'empresserait de retirer, -la présente négociation en est un exemple, il s'est rencontré des journaux pour taxer de ridicule l'espoir de faire admettre en Angleterre l'examen par un tribunal, même pro forma, de réclamations qui, si elles pouvaient être admises, risqueraient d'entraîner une banqueroute nationale.

Mais au moment où ils tenaient ce langage, le mal était fait, et la politique américaine irrévocablement engagée. Le Président et le ministre des affaires étrangères (state département) n'ont pas seuls la direction de la diplomatie; ils la partagent continuellement avec le Sénat; mais cette assemblée de soixante membres, délibérant en comité secret, est aussi impénétrable que le Conseil des Dix à Venise. De l'opinion de ses membres, de leurs passions, de leur influence et du sens dans lequel ils l'exerçent, l'opinion publique ne sait rien que par des indiscrétions suspectes; et lorsqu'enfin elle est informée, la question, déjà résolue, n'a plus pour personne qu'un intérêt historique. Ainsi, dans ce pays de liberté excessive et de démocratie sans contre-poids, il est un service public abandonné à la direction exclusive de quelques personnes; et pourtant ce service est celui où les fautes risquent le plus d'être irréparables, où elles engagent le plus gravement, et pour un plus long avenir, les destinées de la nation.

Il n'est pas impossible que l'Amérique aussi se réveille un matin au bruit d'une déclaration de guerre, après s'être paisiblement endormie la veille, bercée de rêves et d'assurances pacifiques. A cet égard, la comparaison que M. de Persigny aimait à faire des institutions américaines avec le régime impérial n'est pas sans vérité. Il y a cette différence cependant, que les intérêts de la candidature présidentielle n'approchent pas de la gravité d'intérêts dynastiques, et que le Sénat, dont le Président n'a point choisi les membres, n'est pas tenu de se faire complice de sa politique ou docile instrument de sa fortune. BIVOIT ADMINISTRATIF.

Organisation des services civils.

65. Vous n'avez pas oublié, messieurs, une intéressante communication de M. Gonse, dans la séance du mois de juin 1869, au sujet


de l'enquête ouverte en Amérique sur le personnel des fonctionnaires publics. M. Gonse résumait ainsi les abus révélés par le rapport que la commission parlementaire formée en 1866, partie de sénateurs et partie de représentants, déposait enfin après deux ans d'études « Les fonctions publiques sont le prix de la brigue; les fonctionnaires sont pour la plupart incapables; beaucoup sont notoirement concussionnaires. »

Le mal n'a pas diminué depuis cette époque, et l'enquête ouverte cette année sur les fraudes commises à la douane de New-York, enquête qui a rempli les colonnes des journaux pendant plusieurs mois, prouve que l'opinion publique n'est pas moins émue qu'autrefois elle paraît même plus susceptible encore, à la veille d'une réélection présidentielle.

66. La commission de 1866, dite joint select Commutée, avaitdéposé au mois de mai 1868 un bill en treize articles, pour placer le concours a l'entrée de toutes les carrières et régler l'avancement soit à l'ancienneté, soit par examen. M. Gonse en a traduit le texte dans le Bulletin comme document annexe de sa communication. Qu'est devenu ce bill? Sans doute l'attention du Congrès a été détournée par d'autres mesures plus urgentes; car dans un message de 1870, le Président, sous la pression de l'opinion publique, excitée par les obstacles que rencontrait un secrétaire d'État dans ses tentatives de réforme et d'épuration, signalait encore l'utilité d'un meilleur mode de recrutement du personnel des services civils. Puis, sans indiquer un nouveau plan de réforme ni se référer aux travaux antérieurs, il nommait lui-même une commission, dont il adopta le projet assez vague au mois de décembre dernier, pour en appliquer les dispositions à partir du i" janvier suivant. La commission, au lieu de se dissoudre, se transforma en bureau consultatif pour toutes les modifications dont l'expérience révélerait l'utilité.

67. Cependant le Congrès répondait à l'invitation présidentielle par la nomination d'une autre commission spéciale, qui, au bout de six mois, proposait d'interdire par une loi à tout sénateur ou représensentant d'adresser aucune recommandation verbale ou écrite aux chefs de service, pour des questions de personnel, à moins que son avis ne lui fût demandé, et dans ce cas, de répondre autrement que par écrit.

Cette proposition- bizarre fut accueillie dans le Sénat par la résolution, plus bizarre encore, de demander au Président, en le laissant libre toutefois d'apprécier lui-même l'opportunité d'une réponse, la liste des recommandations qu'il avait reçues de divers sénateurs notables et la suite qu'il leur avait donnée. Quelques membres jetèrent


au milieu de ce conflit de personnalités une lueur de gaieté, en apportant par avance l'aveu des recommandations qu'ils avaient faites et de l'accueil qu'elles avaient rencontré. Le débat s'engagea gravement sur la question de savoir dans quelle forme une recommandation devait être conçue pour donner prise au blâme, et si une simple apostille, en marge d'une demande, pouvait être assimilée à d'importunes démarches dans les bureaux ministériels. Enfin la résolution fut adoptée, après le rejet caractéristique d'un amendement qui étendait la mesure d'enquête à tous les sénateurs.

Cependant la commission sollicitait vainement une indemnité en faveur de ceux de ses membres qui, déjà employés dans les bureaux ministériels, ne pouvaient fournir un supplément de travail sans recevoir un supplément de traitement. On répondit que cette façon d'inaugurer la réforme ne lui concilierait pas la faveur de l'opinion. 68. Toutefois, des questions plus sérieuses furent traitées. Tandis que d'un côté de l'assemblée on révélait, avec anecdotes à l'appui, l'inanité de la réforme inaugurée contre l'abus de la faveur et du népotisme, et en général l'inanité de toute réforme, même fondée sur l'admission au concours, de l'autre on proposait de donner les directions de poste, objets de compétitions nombreuses, à l'élection publique, et d'interdire toute démarche politique aux employés ou agents de l'administration.

Ces deux propositions semblaient contradictoires; comment des fonctions électives pourraient-elles être dépouillées de tout caractère politique? Et la première, celle qui concernait le développement du système électif, indiquait assez la secrète préoccupation et le découragement volontaire de l'assemblée au fond elle sentait que la principale source du mal venait de ces mutations considérables, dans le personnel des fonctionnaires, qui marquaient l'avénement de chaque parti soit à la présidence, soit au Sénat aucun parti ne voulait renoncer aux chances d'avoir un jour sa part de la curée des places; dans cette situation, l'élection, toute défectueuse qu'elle fût comme garantie du mérite des titulaires, présentait cet avantage de disperser, au point de la faire évanouir, la responsabilité des choix. 69. Quand l'affectation d'un crédit de 230,000 francs, votée sous forme d'amendement par le Sénat, pour assurer l'application des règles de recrutement adoptées au mois de décembre précédent, fut renvoyée à l'examen de la Chambre basse, la majorité ne tarit pas d'éloges sur la pureté de l'administration présidentielle, de railleries sur la vanité des innovations réformatrices, les dénonça même comme un piège de l'opposition, et finit par réduire le crédit au chiffre illusoire de 50,000 francs.


Malgré l'insuffisance de pareilles ressources pour l'application d'un système général d'examens, auxquels le Comité consultatif devait présider, avec le concours de personnes compétentes dans chaque spécialité, le Président ne renonça pas à son projet, et le 17 avril, peu de jours après la dernière discussion de la Chambre des représentants, il publia l'ordre exécutif suivant (executive order) a Le Comité consultatif du service civil ayant achevé la classification des services auxquels s'appliquaient les règles précédemment adoptées, nous a recommandé un certain nombre de mesures propres à les rendre efficaces. Ces mesures seront mises à exécution aussitôt que possible; en conséquence, les règles approuvées le 19 décembre dernier sont remaniées conformément au texte ci-joint. Nous comptons sur le zèle des fonctionnaires de tous les services. Les cotisations, réunies pour un objet politique, sont désormais interdites; et si le droit de toute personne en place de s'occuper de politique est reconnu, si le droit de sutfrage doit être exercé comme l'acquittement d'un mandat obligatoire par tous les citoyens qui en jouissent, aussi bien dans les fonctions publiques que dans la vie privée, l'honnêteté, la capacité, non l'activité politique, seront désormais les seuls titres à conserver un emploi. « Signé GRANT. « Par le président,

« Hamilton Fish, secrétaire d'État. o

Suivait le texte, développé en dix-neuf articles, des règles nouvelles, que nous traduirions in extenso, pour l'opposer au bill de 1868 dont M. Gonse nous a fait connaître la teneur, s'il ne devait trouver place dans l'Annuaire de l'année prochaine, et dont nous nous bornons à présenter ici un résumé méthodique.

70. On peut distinguer, dans l'économie du règlement, quatre sortes d'emplois

1" Ceux pour lesquels les candidats seront soumis au concours, comme les employés des ministères, à Washington, etc.; 2° Ceux qui doivent être conférés sur la production de certificats, mais seulement après que le candidat aura satisfait aux épreuves d'un examen tels sont les consulats rapportant de 5 à 15,000 francs par an

3° Ceux qui doivent être autant que possible donnés par avancement aux employés d'un grade inférieur du même service, comme les emplois de receveur des douanes, etc.;

4" Ceux pour lesquels la nomination n'est subordonnée à aucune condition nouvelle, comme les ministres à l'étranger, les chefs des services ministériels, etc.


71. Pour les employés inférieurs de la première catégorie, le concours est ouvert, après avis public de la vacance, entre tous les candidats le gouvernement choisit sur la liste des trois premiers dressée par ordre de mérite. Pour les emplois d'avancement, le concours est d'abord ouvert entre les fonctionnaires du grade inférieur, et le titulaire choisi parmi eux, s'il s'en trouve de capables.

Le Comité consultatif, nommé par le Président avec l'autorisation du Congrès, préside aux examens qu'il ordonne, même hors de Washington, atin de pourvoir aux vacances qui se produisent dans la capitale ou en province. Le concours est donc ouvert, pour les emplois des bureaux ministériels, dans toute l'Amérique. Mais afin d'éviter une compétition trop grande, le Comité consultatif a droit de faire, sur recommandations, un triage préalable des candidats. Il n'est pas interdit aux examinateurs eux-mêmes de prendre connaissance de recommandalions, écrites ou verbales, et d'en tenir compte pour leur jugement. Avec une pareille latitude, l'égalité du concours ne risquet-elle pas d'exister en théorie plus que dans la pratique? 72. La seconde catégorie d'emplois, comprenant la plus grande partiedes consulats, est donnée après un examen, mais non au concours. Le premier choix est déterminé par la comparaison des certificats produits. Encore les candidats appartenant déjà comme fonctionnaires au même service sont-ils dispensés, pour un changement ou un avancement, de nouvel examen. C'est le régime de la recommandation pure.

Pour la troisième catégorie d'emplois, ni examen, ni concours. Mais 1a nomination doit être faite sur la présentation des supérieurs hiérarchiques, qui garantissent la capacité du candidat et font valoir ses titres à l'avancement.

Inutile de parler de la quatrième catégorie, qui reste dans le pouvoir discrétionnaire du Président, sauf ratification par le Sénat. 73. Que faut-il penser de pareilles garanties? Elles nous paraissent rappeler d'assez loin les examens pour l'inspection des finances, l'auditorat au conseil d'État en France, ou pour l'entrée dans les bureaux de l'hôtel de ville à Paris; elles n'offrent rien de semblable aux preuves de capacité soutenues que procurent, dans notre pays, pour un per sonnel très-nombreux, le passage par les grandes écoles du gouvernement.

Peut-être, après tant et de si longues discussions, malgré les paroles de confiance et les fermes résolutions du Président Grant, la réforme du personnel des services civils est-elle moins avancée aux États-Unis qu'elle ne paraissait l'être lors de la présentation du bill de 1868 les règles proposées ne sont pas meilleures, la foi dans leur efficacité


semble affaiblie; les crédits alloués ne suffisent pas pour en faire sérieusement l'épreuve; l'opinion publique, dont la patience est depuis longtemps lassée, reste dupe ou feint de l'être; la Chambre des représentants, à la suite de débats, que les propres amis du Président ont semés d'insinuations désobligeantes au sujet de sa sincérité, a ajourné encore une fois, sans doute en vue des élections, les divers bills dont elle était saisie et la fraction républicaine dissidente continue à arborer, pour cette lutte prochaine, le drapeau de la réforme. Nous allons voir que les mêmes difficultés se rencontrent dans l'administration municipale.

ORGANISATION MUNICIPALE.

Administration des grandes villes. Tutelle administrative, Instruction publique.

74. Je n'ai point à vous retracer l'histoire des scandales qu'a révélés l'enquête sur l'administration municipale de New-York depuis plusieurs années; ils dépassent tout ce que, dans notre pays de gestion financière rigoureusement contrôlée, l'imagination peut concevoir, en fait de concussions, majoration de factures, mandats fictifs et autres moyens de déprédations. Ils tombaient à la charge, non d'un parti, mais d'une association occulte mêlée à toutes les grosses entreprises financières, exploitant à son profit l'influence et les suffrages d'un parti; situation commune en Amérique, où trop souvent les hommes d'un caractère honnête, d'une éducation soignée, d'une condition indépendante, se retirent par dégoût des affaires publiques et les abandonnent à la direction d'intrigants sans mandat, qui en tiennent tous les fils et en recueillent secrètement tous les profits. 75. Ancienne Charte de New-York. La réaction produite par cette déplorable enquête amena la nomination d'une Législature qui se donna le titre ambitieux de Réform législature, et dans laquelle néanmoins siégeaient encore quelques-unes des personnalités les plus gravement compromises par les dernières révélations. Le premier-soin de cette Législature fut de charger un comité de rédiger une nouvelle charte pour la ville de New-York.

Vous trouverez dans la livraison du Ie' juin 1870 de la Revue îles Deux-Mondes, un article du regrettable M. Cochin, sur le régime municipal des grandes villes, qui contient un exposé complet et une critique sévère de l'ancienne charte deNew-York;cette charte étaitcalquée sur la constitutiond'un État autonome, avec deux Chambres populaires et des officiers exécutifs, ayant à leur tête un chef qui porte le titre de maire. M. Cochin n'hésitait pas à aflirmer que cette organisation, résultat d'une étrange confusion entre les conditions d'un gouvernement


politique et celles d'une administration municipale, était, malgré ses rouages compliqués, la plus défectueuse de toutes pour une grande cité. L'événement devait bientôt justifier ses prévisions lesplus tristes abus se sont fait jour à travers ce contrôle énervé par le morcellement des attributions et la dispersion des responsabilités.

76. Nouvelle Charte.- Aussi la nouvelle charte proposée paraît-elle marquer un retour à la concentration de pouvoir dont l'organisation municipale française ne s'est jamais écartée. Elle n'institue qu'un seul conseil, Board of Aldermen, assez analogue an Conseil d'État français, modèle éprouvé de bonne organisation pour un corps administratif délibérant, en ce qu'il doit réunir dans la même assemblée les membres ordinaires, au nombre de quarante-cinq, ayant voix délibérative, etlescommissaires chargés de l'administration active, analogues à nos conseillers d'État en service extraordinaire, mais avec voix consultative seulement, savoir cinq commissaires pour les travaux publics, cinq pour les squares et promenades, six pour la police, cinq pour l'assistance publique, cinq pour les finances et un chef du contentieux. 77. Vote cumulatif. Cette réunion a été cependant critiquée, comme contraire au principe de la dualité des pouvoirs délibérants, chargés de secontenir réciproquement, principe dont l'importance, au point de vue politique, ne fait plus question aux États-Unis. Aussi le Comité des 70, auteur de la Charte, a-t-il essayé d'apporter à son institution le correctif que M. Stuart Mill recommande comme le frein des démocraties unitaires, la représentation des minorités; il proposa l'élection par scrutin de liste et au moyen du vote cumulatif. Comment cette innovation devait-elle être accueillie dans une cité où la minorité à investir par là d'une représentation obligée était la majorité de la veille, à peine renversée, c'est-à-dire un ramassis de dupes ou de voleurs, que l'on estimait trop heureux d'avoir échappé pour la plupart à la rigueur de poursuites judiciaires? Supposez que l'on propose au parti conservateur français d'assurer une représentation équitable à la minorité formée des adhérents de l'Internationale, vous aurez une idée de l'impression produite sur une partie de la Législature par la proposition des 70.

Le vote cumulatif fut donc combattu par les arguments qu'on lui oppose partout, et par d'autres, spéciaux à l'Amérique, l'inconstitutionnalité d'abord, ensuite la corruption électorale. Ce n'est pas en France assurément, où la corruption vénale pratiquée directement sur l'électeur est si rare, qu'on s'imaginerait de faire observer que, si le même nom peut être répété sur chaque bulletin autant de fois qu'il y a de candidats à élire, la quantité des électeurs à acheter individuellement, pour assurer une élection, diminuera dans la proportion même du nombre


des élections à faire. Voilà comment le scrutin de liste pur, avec le despotisme de majorités infimes qu'il favorise, parait encore préférable en Amérique au scrutin de liste amendé, tel qu'il se pratique dans les colléges dits à trois coins de l'Angleterre.

78. La même Charte, supprimant un des offices de trésorerie, confondait à New-York les attributions de receveur et de payeur, généralement distinctes en Amérique l'un, chargé de contrôler la régularité des justifications produites à l'appui des dépenses; l'autre, de les acquitter. Ce point n'a pour nous qu'un intérêt secondaire. Mais comme un statut antérieur avait attribué au receveur principal de la ville de New-York, qui forme à elle seule un comté, la perception des taxes du comté et des taxes de l'État, ainsi que l'encaissement des fonds consignés par ordonnance du juge, il en résulte qu'une seule personne allait centraliser à New-York la garde et le mouvement de tous les fonds publics ou litigieux, confusion qui n'est admise en France que dans les petites communes rurales. C'est ici le lieu de rappeler, avec M. de Tocqueville, qu'en France c'est l'État qui met ses percepteurs au service des communes, tandis qu'en Amérique ce sont les communes qui prêtent leurs receveurs à l'État. Toute la question de la centralisation ou de la décentralisation administratives se résume dans ce seul trait.

79. Le bill fut voté par l'Assemblée à la majorité de 89 voix contre 28; mais le principe du suffrage cumulé fut vivement contesté; on remonta, pour le combattre, à la Constitution de 1777, et plusieurs des membres de la majorité, tout en votant pour la Charte, parce que l'organisation municipale de New-York avait besoin de réforme, n'hésitèrent pas à déclarer qu'ils ne se portaient point garants de son mérite et s'attendaient même, dans l'application, à un échec complet. 80. Au Sénat, la discussion fut reprise à un autre point de vue. On y critiqua la formation de commissions administratives, véritables directoires, dont l'organisation paraissait mal appropriée aux besoins d'un service public. Mais, toute défectueuse qu'elle était, et l'on ne s'en dissimulait pas les défauts, elle s'imposait comme une conséquence nécessaire du vote cumulatif; depuis qu'on se défiait de l'omnipotence d'un maire, chargé sous sa responsabilité de choisir les chefs de service, il fallait attribuer dans ce choix une part d'influence à chacune des fractions politiques représentées au sein du corps municipal de là, la création d'administrations collectives, où tous les partis trouveraient place, mais en grevant le budget de la cité de charges considérables, pour le traitement d'un personnel aussi nombreux de fonctionnaires salariés.

Le mode de nomination proposé pour les commissions de cinq mem-


bres, à raison de quatre choisis par les aldermen et le cinquième par le maire, donna l'occasion de faire ressortir combien les assemblées, où la responsabilité se divise et s'évanouit, parce qu'elle devient impersonnelle, sont impropres à choisir de bons agents. On critiqua aussi la brièveté de la durée des divers mandats, qui ne permettrait pas aux chefs des services d'en prendre réellement possession et de s'y consacrer avec zèle; la fréquence des élections, qui dégoûterait les électeurs du scrutin et romprait tout esprit de suite dans l'administration, surtout si l'on ne divisait pas le Conseil municipal (common council) en deux assemblées, dont l'une, renouvelable à plus long terme, conserverait la tradition; enfin la confusion des attributions législatives et exécutives dans un seul corps le Board of aldermen.

Le Sénat rétablit la division du Conseil municipal en deux bureaux: l'un dit des aldermen, composé de trente membres nommés à raison de six par chacun des cinq colléges électoraux du Sénat; l'autre dit des assistant aldermen, composé de quarante-deux membres, deux nommés par chacun des vingt et un colléges électoraux de la Chambre basse. Il maintint à une forte majorité le vote cumulatif, porta à trois ans la durée des fonctions de. maire, appliqua aux membres élus du common council la règle de la gratuité absolue, règle nouvelle en Amérique, et jugée trop rigoureuse, au moment où l'on proposait d'élever l'indemnité des membres de la Législature; il l'étendit même aux commissaires des bureaux exécutifs, sauf au président, qui devait être chargé dans chacun d'eux de l'expédition quotidienne des affaires, et attribua enfin la nomination des six commissaires du bureau de police a deux juges désignés par la Cour suprême, expédient dont l'usage, trop fréquent aux États-Unis, n'a généralement réussi qu'à compromettre la magistrature, sans garantir les services placés ainsi sous sa garde de l'abus des influences politiques ou des tripotages financiers. Il rétablit enfla l'office de trésorerie, dont la suppression était imprudemment proposée par pure raison d'économie.

81. De ces amendements nombreux, l'Assemblée, à la suite d'une conférence avec le Sénat, ne laissa subsister que la distinction des deux offices de trésorerie et la gratuité des fonctions d'aider man ou de commissionner, c'est-à-dire de membre du Conseil municipal ou des bureaux exécutifs. Los présidents seuls des bureaux exécutifs, nommés par le maire, révocables ad nutum, sauf les titulaires des deux offices de finances, et chargés de l'expédition quotidienne des affaires, durent recevoir un traitement. Quant aux commissaires élus par le Conseil municipal, ils ne pouvaient être révoqués que par arrêt motivé du gouverneur de FÉtat, dans la forme et avec les garanties adoptées pour la révocation des shérifs. La même disposition s'appliquait au maire et à


l'un des officiers de finances, le contrôleur ou receveur, tandis que l'autre, le payeur ou chamberlain, était révocable par arrêté motivé du maire. La durée de toutes les fonctions électives ne dépassait pas un an. Exception était faite pour les six commissaires du bureau de la sûreté publique, présiéss directement par le maire, renouvelables par moitié tous les trois ans et révocables pour cause grave, après avoir été entendus, par un vote du Conseil municipal pris à la majorité des deux tiers.

Ainsi ramenée par la conférence mixte à sa teneur primitive, sauf quelquesmodifications de détail, la Charte fut votée par le Sénat, à la majorité de 23 voix contre 5. Et malgré cette imposante majorité, malgré les longues discussions qui l'avaient préparée, maigre l'urgence d'une réforme et l'impossibilité de l'accomplirpar une reprise complète de l'oeuvre législative, avant la fin de la session, le gouverneur de l'État opposa son veto dans un message motivé, dont les longs développements ne peuvent être passés entièrement sous silence, car ils montrent trop bien l'esprit de l'administration locale aux États-Unis. 82. Veto du gouverneur. Comme on pouvait le prévoir, après la publication d'une consultation de plusieurs juges de New-York, le gouverneur objecta Finconstitutionnalité du vote cumulatif. Il reconnaît cependant que ce mode de votation est pratiqué par plusieurs États, notamment par celui de l'Illinois, qui l'applique déjà dans les élections politiques, et qui l'introduit dans les élections municipales. Mais la Constitution de New-York dispose formellement que tout citoyen prendra part à l'élection de tous les officiers municipaux or ce texte est-il respecté dans un système qui oblige chaque citoyen, sous peine d'user en pure perte de son droit de vote, à accumuler ses sufirages sur la tête d'un ou plusieurs candidats, en négligeant une partie des autres? Cet argument n'est qu'une subtilité, peine digne de réfutation car, si on le poussait jusqu'au bout, il faudrait soutenir que le bulletin blanc, abdication par l'électeur de son droit, est aussi inconstitutionnel que cette distribution savante des suffrages qui permet à l'électeur de préférer, s'il le veut, la certitude d'un succès partiel aux risques d'un échec complet. Ce qui est plus sérieux, c'est le danger d'accroître l'iufluence des comités électoraux, par suite de la discipline rigoureuse qui, dans ce système, paraît une condition absolue de succès.

Le gouverneur ne condamne pas en principe tout essai de représentation des minorités; mais il ne rencontre de conditions régulières d'administration que dans la division permanente des électeurs en deux partis, ni plus, ni moins, qui se disputent le pouvoir. Alors le droit des minorités est suffisamment garanti par les compensations qui


s'établissent entre les résultats, d'un collége à l'autre. Le tort de l'ancienne charte de New-York est d'avoir inauguré le scrutin de liste et tenté dans cette grande ville une expérience qu'aucune autre cité américaine n'avait faite.

Partout l'élection a lieu par quartiers ou circonscriptions; si le nombre des circonscriptions est insuffisant, qu'on le multiplie, au risque d'accroître outre mesure le nombre des membres de l'assemblée. Voilà le seul droit des minorités. Mais ce droit se borne à l'obtention d'un ou plusieurs sièges dans le Conseil municipal. Introduire la minorité dans la composition des bureaux exécutifs, c'est de l'anarchie; jamais une administration, qui rencontrera des appuis et des critiques des deux côtés de l'assemblée, ne sera aussi vigilante et ne réprimera les abus avec autant de suite qu'elle ne le fait sous le coup d'une opposition compacte, conséquente et résolue. Le gouverneur formule ainsi le desideratum de tout régime parlementaire; mais l'organisation des partis la plus favorable au fonctionnement de ce régime s'impose-t-elle par voie de constitution, et les coalitions nécessaires pour aboutir à la formation d'une majorité et d'une minorité unique n'entraînent-elles pas aussi des concessions qui font perdre aux partis quelque chose de leur sincérité et de leur dignité tout à la fois?

83. Mais ces critiques sont évidemment secondaires dans la pensée du gouverneur. Ce qui lui importe particulièrement, c'est l'autorité du maire, affaiblie par le concours des bureaux exécutifs « Il est surprenant, dit-il, que ces hommes d'intelligence et d'expérience, ayant quelques notions des affaires publiques, proposent sérieusement de confier en fait tous les pouvoirs administratifs à un corps de 45 mem..bres, de quelque manière qu'ils soient élus; un corps au sein duquel la responsabilité, émiettée et rejetée de l'un à l'autre, finit par disparaître. 11 me paraît inconcevable que ces hommes nous propôsent, pour gérer les affaires d'une grande et riche cité, un système faux qu'aucun d'eux ne songerait à appliquer dans une entreprise privée, dans le commandement d'un navire, la direction d'une banque, d'une imprimerie, d'une manufacture ou d'une ferme. La nature humaine répugne à cette administration par des bureaux à plusieurs têtes. Un seul chef de l'exécutif, concentrant toute la responsabilité, tant de ses propres actes que de ceux de ses subordonnés, telle est la première condition de toute administration publique ou privée. Comment le maire serait-il, aux termes de la charte, responsable de l'ordre public et de la bonne marche des affaires si, privé de tout pouvoir effectif, il ne représente que le chef honoraire de la cité. »

8i. Est-ce le gouverneur de l'État de New-York qui s'exprime ainsi, ou le général Bonaparte critiquant le grand électeur de Sieyès? On


pourrait s'y tromper, si le gouverneur ne s'empressait de donner pour modèle la Constitution même des États-Unis, comme si la ville n'avait point été compromise par une copie trop fidèle de cet instrument politique.Il oublie d'ailleurs ou il omet de rappeler que le maire ,ce chef purement honoraire de la cité, a un droit de veto sur les décisions du Conseil municipal identique à celui du Président de l'Union; qu'il nomme et révoque, sans le contrôle d'un Sénat, les présidents salariés des bureaux exécutifs; que ces bureaux ne peuvent, sans son consentement, destituer les chefs de service élus par eux, tels que les ingénieurs en chef des travaux publics et des ports qu'enfin le Conseil municipal n'intervient dans l'exécutif que par la nomination d'une partie des commissaires composant les bureaux.

Sans doute les nominations faites par des corps délibérants sont vicieuses: « Votre conseil, écrivait le maire de Chicago, consulté sur le projet de charte, nommera des voleurs, partagera le butin avec eux, et personne ne répondra du pillage. » Ceci estofficiel; voilà les conditions du gouvernement en Amérique. Mais nous ne pouvons oublier que cette réunion, soit au sein du Conseil municipal, soit au sein des bureaux exécutifs, de fonctionnaires actifs et de membres délibérants, rappelle l'organisation même du Conseil d'État français, lecorps qui a donné les meilleurs exemples de bonne administration. De même que le maire a droit de veto sur les délibérations du Conseil municipal, qu'il ait en général droit de passer outre aux résolutions des bureaux, sur J'avis conforme du président nommé par lui, et l'analogie avec le Conseil d'État sera complète, les défauts de l'administration collective seront corrigés; ils ne sont pas d'ailleurs bien graves, si l'on en-juge par le petit nombre de cas dans lesquels en France les ministres ont usé de leur droit de décision contre l'avis du Conseil d'État, et par le mérite très-contestable de leurs décisions en pareil cas. D'ailleurs l'administration collective se rencontre depuis longtemps, avec les mêmes caractères, dans les municipalités de Berlin et de Vienne, où le magistrat exécutif élu n'est pas un fonctionnaire, mais une commission.

85. Nous ne croyons donc pas que la Charte des 70 méritât les dédains du gouverneur; mais il exprimait cependant l'opinion commune en Amérique. Partout l'élection des conseillers municipaux se fait par quartiers, et la multiplicité des colléges est le moyen ordinaire d'équilibre) les partis an sein du corps municipal Chicago (pop. 330,000 habitants) a 40 aldermen; Pittsburg (86,000 habitants), 26 aldermen et 60 conseillers municipaux; Cleveland (92,000 habitants), 30 aldermen Cincinnati (216,000 habitants), 24 aldermen et 46 conseillers municipaux. La division du corps municipal délibérant en deux assemblées est aussi le remède ordinaire du despotisme et de l'impa-


tience des majorités. Baltimore, Cincinnati, Pittsburg ont adopté ce principe; qui paraît déplacé dans une administration municipale, et dont plusieurs autres grandes villes, Chicago, Saint-Louis, Buffalo ne tiennent pas compte jusqu'à présent. Partout le maire est nommé directement par le suffrage universel, ainsi qu'un petit nombre de fonctionnaires il nomme lui-même tous les antres, sauf dans quelques cas confirmation par le Conseil municipal. Chicago est la ville où le pouvoir du maire est le plus affaibli par l'jndépendance de bureaux administratifs irresponsables mais on modifie en ce moment cette organisation, et l'on reconnaît que le mal vient surtout, non du mode de nomination, mais de l'impossibilité pour le maire de suspendre ou de révoquer les titulaires.

86. Ainsi le pouvoir personnel, discrétionnaire, se fait jour en Amérique, sans autre contre-poids que la responsabilité plébiscitaire. Les employés inférieurs sont à la merci des chefs de bureaux comme ceux-ci sont à la merci des maires; il n'y a pas de corps de fonctionnaires permanents, dont la situation soit entourée de quelques garanties nous avons retrouvé le même vice dans le personnel des administrations civiles de l'État. C'est que malheureusement la politique est partout en Amérique. Ces minorités, dont le gouverneur redoute la représentation au Conseil et l'immixtion dans la conduite des affaires, ne sont pas des minorités de quartiers divisés par des intérêts municipaux ce sont des minorités politiques, dont l'ingérence troublerait tout dans un intérêt étranger à la cité; une mauvaise gestion paraît supportable, tant que les malversations ne s'y glissent point; aussi pour conjurer les tentations, les fonctionnaires municipaux touchent-ils de gros traitements, et les conseillers, presque partout, d'assez larges indemnités le maire de Cincinnati reçoit 15,000 francs par an, celui de Buffalo 15,000, celui de Chicago 20,000, celui de Baltimore 25,000. Le projet de charte allouait au maire de New-York 50,000 fr., aux chefs des bureaux exécutifs de 25 à 40,000 francs, aux ingénieurs en chef 35,000, au receveur (controller) 50,000, au payeur (chamberlain) 400,000 francs, pour tenir lieu de toutes remises. La concentration des attributions entre les mains du maire a entraîné à New-York des déprédations énormes; on la préfère encore à la dissémination des petits gaspillages. Voilà pourquoi le gouverneur de NewYork l'a emporté et a vu confirmer son veto par 79 voix contre 38, au sein de l'Assemblée qui pouvait cependant passer outre, à la majorité des deux tiers.

87. Tutelle administrative. Il y a plus; la crainte des abus ramène les Américains, tout à la fois à la centralisation et à l'idée de la tutelle administrative; mais tandis qu'en France c'est dans un intérêt politique


qu'elles sont instituées, aux États-Unis elles n'ont d'autre objet que l'intérêt même des communes. Le projet de charte de New-York donnait au gouverneur de l'État le droit de révoquer, pour raisons graves, les principaux fonctionnaires municipaux, même les fonctionnaires élus directement par le peuple. Cette clause apparaissait pour la première fois en Amérique. Mais la charte de Baltimore portait déjà que le maire pourrait être destitué par le gouverneur, s'il était convaincu devant une Cour de justice de malversation ou de négligence.

88. Du droitde révocation au droit de nomination la pente est facile. Aussi voyons-nous qu'une loi, votée en 1871 par la Législature de New-Jersey, lui réservait la nomination des principaux commissaires chargés de l'administration de Jersey City; tels étaient les membres du bureau des travaux publics, du bureau de la police, du bureau de secours contre les incendies. Cette année, une proposition ayant pour objet d'étendre la même mesure aux membres du bureau de l'éducation fut ajournée. Le gouverneur de l'État en profita pour signaler aussitôt, dans un message à la Législature, les inconvénients du système inauguré par la charte de l'année précédente, qui, tout en laissant aux électeurs le choix du maire et des aldermen, remettait la gestion effective, même la gestion financière, aux mains de commissaires étrangers, disposant seuls d'un budget plus considérable que celui de l'État. Il affirmait qu'une pareille loi ne pouvait être soutenue que par ceux qui y trouvaient un intérêt pécuniaire et concluait au rappel de la charte. En conséquence unbill fut introduit pour rendre aux habitants de Jersey City la nomination de tous leurs officiers municipaux.

89. Il est inutile d'insister sur l'importance de tels précédents. Mais à la suite du contrôle sur les personnes apparait le contrôle direct sur les affaires, la tutelle administrative proprement dite. La Charte de Baltimore soumet le vote des emprunts à l'approbation de l'assemblée générale de Maryland et à la ratification par les citoyens de la ville. La nouvelle charte de New-York exigeait de même l'autorisation de la Législature, et cette disposition n'a rencontré aucune critique. L'autonomie municipale n'est-elle pas sérieusement menacée par ce droit d'approbation, désigné sous ce nom nouveau, bien que d'ailleurs il se réduise dans l'espèce à un droit de veto?

90. Education. Peut-être avez-vous été surpris, messieurs, au nombre de ces bureaux exécutifs si nombreux, de n'en rencontrer aucun qui concerne l'éducation. C'est qu'en Amérique l'éducation, considérée comme un intérêt de premier ordre, ne saurait, à ce titre, dépendre exclusivement de l'autorité municipale. Elle forme à New-York un service à part, largement doté, dirigé par un bureau de trente commissaires


élus directement par le peuple. En toute autre matière, le Conseil municipal dispose souverainement des fonds de la commune; il contracte en son nom des engagements, recouvre les revenus, vote les contributions et les dépenses; mais il ne peut ouvrir de crédits, affecter une propriété, allouer une subvention, pour un objet d'éducation, que sur le rapport conforme et l'avis favorable du bureau qui représente le département de l'instruction publique. Un autre article dispose qu'aucune subvention, en argent ou en nature, ne pourra jamais être légalement accordée aux écoles, privées ou religieuses (sectarian), qui ne se conformeraient pas aux lois générales de l'État sur les écoles publiques et ne seraient point placéessous l'autorité du même département. En ce qui concerne les écoles religieuses (sectarian), cette disposition donne force obligatoire à une règle d'ailleurs généralement observée en Amérique; il a même été proposé cette année, soit de l'imposer à toutes les municipalités de l'État de New York par un bill de la Législature d'Albany, soit de l'introduire dans la Constitution de l'État sous forme d'amendement.

91. Vous jugez par là de l'esprit dans lequel l'instruction est dirigée aux États-Unis. Les principes universellement reçus dans cette matière, qui marquent le caractère distinctif de l'école américaine, ont été formulés cette année avec une grande précision dans un document résumé, portant la signature des présidents des Universités et des principaux colléges, ainsi que des surintendants de ('instruction publique des divers États, et rédigé de concert entre eux sur la demande du chargé d'affaires du Japon. Faut-il aller jusqu'au Japon chercher un État qui trouverait profit à s'approprier les maximes suivantes ̃ Les écoles publiques, comprenant trois degrés d'instruction, l'école primaire, l'école de grammaire et l'école supérieure, sont principalement entretenues au moyen de contributions, mais en partie aussi par des dons et sur le produit de la vente de terres publiques. L'État a un intérêt d'ordre public à assurer la fondation d'écoles, dans lesquelles tout enfant de l'un ou de l'autre sexe puisse recevoir les premiers éléments d'éducation; l'éducation universelle est un objet qui appelle la sollicitude des autorités. Mais l'Union se repose de ce soin sur les États particuliers; ceux-ci formulent les règles générales et contrôlent incessamment la marche du système adopté; les détails d'application sont du ressort des districts scolaires, sous l'autorité de l'État.

Les Universités et colléges pour le haut enseignement sont entretenus, tantôt sur les fonds publics, tantôt sur le produit de dotations. Ils sont fréquemment l'objet de lois favorables, et reçoivent une charte officielle spéciale.


Les écoles privées sont partout reconnues et protégées. Mais les écoles publiques sont ouvertes à tous gratuitement; aucune doctrine religieuse n'y peut être enseignée, bien que la lecture y soit généralement faite de la Bible; l'instruction morale est donnée à un point de vue social et patriotique.

92. Nous ne serions point complétement exact, si nous n'ajoutions qu'en dépit de cette égalité de tous devant l'instruction, il existe aussi des écoles spéciales pour les enfants déréglés, appelées vulgairement écoles de haillons (ragged schools), que les préjugés de race survivent à l'extension des droits civils et politiques, et que c'est seulement cette année qu'une proposition a été introduite au Congrès, par le sénateur Sumner, dans le but de supprimer toute distinction de couleur pour l'admission des enfants aux écoles publiques. Au reste, des efforts énergiques et soutenus ont développé rapidement l'instruction des noirs dans les États du Sud; il fallait les rendre dignes, du dangereux honneur que le Congrès leur avait fait en leur accordant, par le XVe amendement à la Constitution, l'exercice des droits politiques. Mais là comme dans les autres États de l'Union, les progrès de l'instruction, malgré les sacrifices, on pourrait dire même les prodigalités dont elle est l'objet, sont retardés par l'insuffisance du personnel enseignant, par ce préjugé, si répandu dans les deux mondes, que le premier venu est capable d'enseigner sans préparation, et'qu'à cette tâche difficile suffira le dévouement enthousiaste de personnes distinguées des deux sexes qui, loin d'en faire leur profession, y consacrent trois ou quatre années de leur jeunesse, pour y renoncer après avoir acquis un peu d'expérience, à la veille de rendre de bons services.

93. Nouvelle Charte. Nous passerons rapidement, messieurs, sur la fin de cet exposé. A peine le Sénat recevait-il le message par lequel le gouverneur l'informait de son veto, qu'en quarante-huit heures il votait à l'unanimité une nouvelle charte, qu'il paraissait tenir en réserve dans la prévision d'un échec de la précédente. Cette charte fut ensuite adoptée par l'Assemblée, sans discussions ni conférences, sauf sur l'amendement relatif aux écoles confessionnelles, que l'Assemblée tint à rétablir, malgré l'opposition du Sénat, fondée, non sur l'esprit, mais sur l'inutilité d'une pareille disposition, qui n'aurait d'efficacité que dans un acte constitutionnel sans quoi toute loi relative à la levée de taxes pourrait la rapporter ou l'enfreindre.

Cette nouvelle charte établissait un Conseil municipal divisé en deux bureaux, l'un des aldermen, au nombre de 15, nommés à raison de 3 par chacun des 5 districts électoraux du Sénat, l'autre des assistant aldermen nommé par scrutin individuel dans chacun des 21 districts


électoraux de l'Assemblée. Le maire et les aldermen ou assistant aldermen étaient élus pour 2 ans et recevaient un traitement fixé à 50,000 francs pour le maire, à 1 0,000 francs pour chacun des conseillers municipaux de l'un ou de l'autre bureau. Le maire avait la nomination des chefs de chaque département exécutif; mais cette nomination n'était faite que pour la durée de son propre mandat; il pouvait les révoquer avant ce terme par arrêté motivé; le même droit de révocation appartenait au gouverneur de l'État, tant à l'égard du maire que des divers officiers municipaux ou exécutifs, dans la forme prescrite pour la destitution des shériffs.

Des précautions étaient prises en vue de prévenir les malversations, l'intérêt personnel des officiers ou agents dans la gestion des affaires municipales. Aucun vote ne pouvait être pris en matière d'engagements financiers, d'aliénation de biens municipaux, de levée de taxes, d'ouverture de crédits, si ce n'est à la majorité des deux tiers des voix dans chaque bureau. Enfin tout officier ou fonctionnaire pouvait être poursuivi, à raison de son vote ou de sa gestion, par un particulier, et condamné envers lui à des dommages et intérêts quelconques, s'il avait agi dans un esprit de fraude ou de corruption.

94. Cette fois encore le gouverneur opposa son veto, après l'ajournement de la Législature mais sans discuter le mérite du document, il se borna à alléguer l'inconvénient des élections municipales prescrites à trop bref délai par la charte, et la difficulté de concilier cette précipitation avec l'application de la nouvelle loi électorale qui lui était également soumise. Ce motif touche à une série de difficultés qui ont occupé une large place dans les discussions et que nous avons volontairement omises, celles qui concernaient le renouvellement du personnel en exercice. Les questions de personnes n'auraient-elles pas à deux reprises dominé les questions de principes ? 95. Nous ne pensons pas toutefois que ce nouveau veto soit à regretter, soit pour la ville de New-York, soit, d'une manière plus générale, pour l'histoire de l'administration municipale. Nous ne voyons pas, en effet, en quel point essentiel ce document diffère de l'ancienne charte, dont M. Cochin faisait la critique ce sont les mêmes assemblées populaires, presque la même composition, le même mode d'élection, la même instabilité à tous les degrés de la hiérarchie, le même arbitraire dans le choix des fonctionnaires non élus, qui suivent la fortune du maire et sortent de charge au même terme. Les fruits, nous les connaissons « Notre administration des villes, écrit le docteur Lieber, est mal conduite; elle est corrompue, déréglée, coûteuse. Même dans un pays de suffrage universel, ce n'est pas l'opinion pu-


blique qu'il s'agit de faire représenter au Conseil municipal c'est ri ntérêt des contribuables et des habitants réels. »

Telle est aussi la solution recommandée par M. Cochin distinguer le suffrage municipal du suffrage politique, le droit de bourgeoisie du droit de cité. Malheureusement le suffrage universel ne se laisse point éluder ainsi. Et d'ailleurs, quand la caisse municipale est alimentée en grande partie par le produit de droits de consommation, comment refuser à tout pourvoyeur de cet inévitable octroi sa qualité de contribuable, et par conséquent d'électeur? Mais avant de heurter si franchement la démocratie, n'était-ce pas nn heureux expédient que ce mode de représentation des minorités qui offrait, dans la lutte électorale, à la portion la plus éclairée de la population, les avantages résultant d'un groupement réfléchi et d'une discipline intelligente? LÉGISLATION INDUSTRIELLE.

Socialisme américain. Loi des huit heures.

96. La préparation des élections présidentielles a donné l'occasion de constater que le mouvement socialiste se propage en Amérique, bien que les conditions qui le rendent redoutable en Europe n'existent pas au même degré dans le nouveau monde, que ses adhérents sont même assez nombreux et assez disciplinés pour former un parti dans l'État, organiser des conventions de délégués, et y élire régulièrement, suivant l'usage des partis politiques aux États-Unis, un candidat à la présidence.

97. A la vérité, l'idée même du droit au travail, entraînant l'obligation pour l'État de créer des branches d'industrie, afin d'employer les pauvres, a été écartée; la convention a rejeté de même celle du mandat impératif, avec fa sanction d'un plébiscite semestriel pour confirmer toutes les mesures législatives.

Programme socialiste. Mais elle a adopté un programme qui, à la suite d'un préambule très-démocratique, propose sous forme de résolution

Au point de vue du règlement des rapports du capital et du travail la création d'une banque d'État et l'émission directe d'un papier de circulation, ayant force lihératoire, sans autre garantie que la solvabilité nationale, et échangeable à volonté contre des bons du trésor rapportant un faible intérôt

Au point de vue du régime financier la suppression de l'exemption de taxe stipulée en faveur des bons du trésor, l'imposition des objets de luxe et la décharge de tous droits sur les objets d'un usage commun


la suppression du système des emprunts qui procurent aux banquiers des commissions lucratives, chaque génération devant supporter les charges présentes, même extraordinaires

Au point de vue de la direction industrielle la modération par l'État des tarifs des compagnies de chemins de fer ou de télégraphes; Au point de vue de l'agriculture la conservation des terres publiques, fréquemment cédées à de grandes associations, pour les distribuer par petits domaines aux colons pauvres;

Au point de vue de l'organisation du travail la prohibition de l'importation des conlies chinois, la suppression du système d'entreprise du travail dans les prisons, l'extension aux ouvriers payés sur les fonds de l'État de la loi du Congrès qui limite à huit heures la journée de travail des employés, et l'obligation imposée à tout concessionnaire de travaux publics, à toute commune nouvellement reconnue, d'observer la même règle.

Le programme se termine par deux résolutions politiques, l'une en faveur de l'inéligibilité du Président à l'expiration d'un premier mandat, l'autre en faveur de l'amnistie générale et de la restitution de tous leurs droits aux anciens sécessionnistes.

C'est sur un pareil programme que M. David Davis, ancien ami de Lincoln et juge à la Cour suprême des États-Unis, a été choisi comme candidat à la présidence dans la convention réunie à Columbus, État de l'Ohio, sous le nom de Labor reform convention.

98. Le point le plus intéressant de ce document, dont nous n'avons pas à relever toutes les erreurs économiques, est celui qui concerne la loi des huit heures de travail, eight hours law, votée par le Congrès en 1868. L'agitation ouvrière, provoquée dans le but d'obtenir une réduction de la durée de la journée de travail, n'est pas en Amérique de date récente. En septembre 1832, les ouvriers agricoles et industriels de la Nouvelle-Angleterre avaient déjà formé une vaste association, qui tint dans la salle des séances de la Législature de Boston un meeting solennel on y discuta les divers moyens de développer la culture intellectuelle dans la classe ouvrière, l'utilité d'une réduction de la journée à dix heures de travail, le profit à retirer pour cet objet des relations qui pourraient être entretenues avec les représentants connus des divers partis politiques. Ce mouvement aboutissait, en 1840, à une ordonnance du Président Martin Van Buren, qui inaugura le système des dix heures dans tous les établissements publics des États-Unis. Peu à peu les établissements privés où s'exécutaient des travaux analogues furent obligés, sous la menace de grèves, de se conformer à la même règle. Il n'y eut pas de diminution sur les salaires. Dans les manufacrtures de textiles seulement, la durée de douze heures fut maintenue; ce


n'est qu'en 1853 que les ouvriers obtinrent, dans lesÉtatsde New-York elde Massachusetts, une réduction à onze heures. A la même époque, les divers groupes d'ouvriers mécaniciens de Boston tentèrent, mais vainement, de faire imposer par une loi le maximum de dix heures. Jusqu'en 1860, les prétentions n'allaient pas au delà. Mais en 1864 et 1865, les ouvriers constructeurs de navires et les calfats obtinrent par des grèves la réduction à huit heures de travail effectif. Les tailleurs de pierre tirent accepter de même la journée de neuf heures. Les plombiers, après une concession momentanée du régime des huit heures, durent accepter le retour à la journée de dix heures. Ces conflits s'élevaient dans la Nouvelle- Angleterre ils provoquèrent la formation d'associations nombreuses, favorables aux prétentions des ouvriers; la ligue des huit heures de Boston, fondée en 1869, présenta en 1870 et 1871, à la Législature de Massachusetts, des pétitions dans le but d'obtenir par voie législative une réduction de la journée. 99. Loi des huit heures.-Elle pouvaitinvoquer, à cet égard, un précédent récent et considérable. Le Congrès revenant, pour l'accentuer davantage, sur la réforme dont le Président Van Buren avait pris l'initiative, venait de limiter à huit heures par jour le travail des employés du gouvernement. Le 6 juillet 1868, ce régime fut inauguré à l'arsenal de Charlestown, où depuis il n'a cessé de rester en vigueur. Mais la règle ne s'établit point sans difficulté. La portée de l'acte du Congrès fut débattue et l'application à certaines catégories d'ouvriers refusée par les architectes ou les ingénieurs. C'est qu'eu effet, la plupart des ouvriers employés dans les travaux ne sont pas engagés directement par l'État; ils travaillent pour le compte de l'entrepreneur adjudicataire, et l'État ne peut rien édicter en leur faveur qui n'ait été prévu par le contrat d'adjudication, considéré dans le calcul des soumissions et ensuite dans le règlement des salaires. Telle est sans doute l'origine de malentendus qui ne cessèrent qu'après un intervalle d'une année, lorsque le Président, par une proclamation, eut défini nettement les conditions dans lesquelles, d'à près la nouvelle loi, les ouvriers pouvaient être employés à l'exécution de travaux publics, et se fut prononcé dans un sens favorable aux extensions contestées. Mais, en aucun cas, la législation ne pouvait avoir d'effets rétroactifs; or, les ouvriers, sans se référer à l'époque de leur engagement, ou plutôt à celle du contrat d'adjudication, s'étaient spontanément renfermés, depuis le passage de la loi, dans la limite de huit heures, résolution à laquelle les entrepreneurs de travaux répondirent par une réduction correspondante du cinquième des salaires. De là, conflit pendant et réclamations rétrospectives appuyées sur la proclamation du Président.


100. Ce conflit a été entin vidé cette année par l'adoption d'un amendement à une loi de finances, qui ne passa pas sans difficultés dans les deux Chambres du Congrès, et qui alloua, sur les fonds du Trésor, une paye supplémentaire d'un cinquième par journée aux ouvriers de l'État qui avaient subi, du 25 juin 1868 au 19 mai 1869, une retenue sur leur salaire, lorsqu'il serait établi que cette retenue n'avait eu d'autre motif qu'une contestation sur l'application de la loi des huit heures.

101. Les résistances se poursuivent cependant. Au mois de mars dernier, tandis que cet amendement au Deficiency bill était discuté au Congrès, une grève éclatait parmi les ouvriers de Colombia, par suite de la prétention émise par l'architecte surintendant des travaux d'exiger une journée de dix heures. La grève ne cessa qu'après un ordre formel du ministère, qui fit droit aux réclamations des ouvriers. La question n'est donc pas encore définitivement tranchée la solution n'entre pas dans les mœurs. Le Sénat accueillit une demande d'enquête dans le but de constater quelle avait été, sur le rendement de l'industrie et les frais de fabrication, l'influence du régime des huit heures appliqué dans les arsenaux et ateliers de l'État. Le sénateur Sumner répondit à cette tentative de retour en arrière par le dépôt d'une protestation qu'il présentait au nom de 100,0@0 cordonniers. 102. Les résultats de l'enquête ne sont pas favorables au nouveau régime le commandant de la manufacture d'armes de Springfield et celui de l'arsenal de Rock Island constatent que c'était une illusion d'espérer que l'ouvrier fournirait en huit heures le même travail qu'en dix heures. On ne remarque pas que l'état de culture intellectuelle des ouvriers soit assez avancé pour leur permettre de profiter noblement de ces loisirs; les charpentiers et les mécaniciens ont seuls fait quelques progrès à cet égard; mais les maçons et les tailleurs de pierre en sont incapables; les dépenses de cabaret ont augmenté. Néanmoins l'architecte en chef du département de la Trésorerie a prescrit par une circulaire, aux surintendants placés sous ses ordres, l'application rigoureuse, à partir du 1" juin, de la loi des huit heures, sans réduction de salaires, pour tous les travaux d'édifices publics dont il ale contrôle. Le secrétaire de la Trésorerie a rappelé aussi, parl'entremise de l'architecte en chef, les entrepreneurs de la fourniture des matériaux, nour la construction du nouveau ministère d'État, à l'observation de a même règle.

103. On ne peut douter que l'exemple de l'État ne soit contagieux, que l'industrie ne soit affaiblie dans la lutte, ébranlée dans sa fermeté, par cette condescendance de l'autorité publique. La loi tend à devenir générale et presque tyrannique, en violant la liberté des con-


ventions, bien qu'édictée au début pour un cas particulier et dans un cercle légitime. Le Congrès s'est ajourné au milieu de l'émotion produite par les immenses grèves de New-York. Au Canada aussi, sous la domination britannique, le même mouvement s'accuse; mais les ouvriers, moins exigeants, n'arborent encore que le drapeau des neuf heures. La disproportion, déjà frappante en Amérique, entre la rémunération du travail manuel et celle du travail intellectuel, tend à s'accentuer davantage. Le jeune ingénieur qui lève et tient à jour les plans d'une mine de houille gagne notablement moins que le piqueur qui abat le charbon.

104. II ne faut point s'étonner de ces différences dans un pays où la démocratie règne sans conteste. Si la liberté politique est hautement proclamée, la liberté économique ne rencontre pas la même foi; et quelque État de l'Amérique pourra nous donner prochainement, suivant le vœu de la ligue de Boston, une solution législative de ce débat sur la journée de travail, qui implique un débat sur la quotité des salaires, et qui semble par conséquent du domaine des libres contrats. En tous cas, c'est un fait considérable qu'une pareille cause ait déjà trouvé plus qu'un champion, je veux dire un représentant officiel, parmi les sept juges de la Cour suprême, ces magistrats dont la sagesse seule, suivant l'opinion de M. de Tocqueville, garantit l'indissolubilité de l'Union.

Le défaut d'instruction, les habitudes de cabaret, tels sont, aux États-Unis comme en Europe, les obstacles à l'émancipation morale de la classe ouvrière. Nous avons vu comment les Américains combattent le premier fléau; voyons de quelle manière ils s'attaquent à l'autre.

LOIS DE POLICE.

Lois de tempérance.

105. L'ivrognerie est une des plaies de la société américaine. Mais les remèdes qu'elle y apporte sont d'une énergie qui font un peu douter de leur sincérité.

Dans l'État de Massachusetts, les débits de boissons sont depuis longtemps l'objet, non-seulement d'une surveillance rigoureuse, mais des restrictions les plus étroites et même, dans certains cas, d'une prohibition absolue. Prohibitionnistes et non-prohibitionnistes forment dans le Massachusetts deux partis qui se donnent rendez-vous, pour se mesurer, au jour des élections; il ne s'agit pas ici du libre échange international, mais de la liberté d'un commerce tout local, celui des boissons


106. Cette année un nouveau liquor bill a été présenté, pour étendre la prohibition aux liqueurs maltées. Le Sénat l'a adopté et, cédant à l'invitation du gouverneur, a résolu définitivement la question, sans la renvoyer au vote des communes, qui jusqu'alors avaient toujours eu le droit de se prononcer sur les règles de police concernant la fabrication et la vente de l'aie ou de la bière.

Dans la Chambre basse, on fit surtout ressortir l'inconvénient de ces statuts locaux, qui répriment dans une commune par une lourde amende des actes permis dans la commune voisine. Un amendement, adopté à une forte majorité, étendit encore la prohibition de vente au cidre, la seule liqueur fermentée dont le commerce restât libre, d'après le projet du Sénat. Déjà la Chambre avait rejeté un autre amendement ayant pour objet de limiter la prohibition, soit aux jours de dimanche, soit aux personnes mineures. Elle semblait donc se prononcer dans le sens d'une loi de tempérance aussi générale que rigoureuse. Mais au moment du vote sur l'ensemble du projet, les adversaires renouvelèrent leurs efforts. Dans un discours émaillé de souvenirs bibliques et de considérations morales, ils s'élevèrent contre un système de lois pénales qui ne frappait qu'un fait innocent ou un fait de complicité, celui de la vente, tandis qu'il réservait toute son indulgence pour l'ivrognerie, charitablement recueillie et soignée dans les hôpitaux. Ils alléguèrent que l'ivrognerie avait plutôt augmenté que diminué depuis les lois de prohibition. 107. Bien que ces critiques fussent dirigées contre l'ensemble de ces lois plutôt que contre la nouvelle disposition proposée pour les compléter, elles réussirent. Le bill échoua en troisième lecture à la faible majorité de 77 voix contre 71 et 91 abstentions. Je n'aurais pas fidèlement reproduit la physionomie de ce débat, si je n'ajoutais que plus d'une fois les partis opposés se renvoyèrent le soupçon d'arrièrepensées politiques et de complaisance ou de corruption électorale. Le lendemain, la proposition de revenir sur le vote et de reprendre le bill en considération n'échoua, après un long débat, qu'à la minorité d'une voix, 102 contre 103.

Mais presque aussitôt un nouveau bill fut introduit dans le même sens. Il avait pour objet de prohiber la vente des liqueurs maltées qui ne devraient pas être consommées à domicile. Ce bill traversa deux lectures il échoua, sur le passage à la troisième, par un vote de partage, 103 contre 103.

Comme le Sénat s'était prononcé en faveur de la prohibition, laLégislature a ajourné cette mesure, bien qu'elle réunît dans son sein la majorité des suffrages; le commerce de la bière a couru un grand péril. Cette discussion montre combien l'examen renouvelé d'une même


proposition dans la même assemblée, et surtout la discussion par deux assemblées différentes, sont favorables.malgré les pertes de temps qu'ils entraînent, à la maturité des réformes législatives, et combien ils entravent le vote hâtif de mesures radicales.

108. D'autres États ont également établi des lois de tempérance. Elles sont conçues d'après deux modèles différents, tant au point de vue des dispositions de fond qu'au point de vue de la compétence ou bien la vente au détail est absolument interdite, ou bien elle est autorisée par mesures individuelles, à charge par le débitant de répondre civilement de toutes les conséquences dommageables qui pourraient résulter de son commerce. Dans le premier cas, qui est celui du Massachusetts, ce sont en général les cités qui décident de la prohibition dans le second cas, la réglementation tout entière émane de la Législature de l'État. Ainsi, les lois de l'Ohio et de l'Illinois, votées l'année dernière, et qui ne concernent que la vente des liqueurs alcooliques, obligent le débitant, pour obtenir une licence, à faire garantir sa moralité par le témoignage de ses voisins, à fournir caution d'indemniser toute personne qui aurait éprouvé quelque inconvénient de l'usage de ses liqueurs, etc. L'effet de ces lois, quoique non prohibitives, est moins de contrôler que de supprimer le commerce et, par suite, la consommation des liqueurs. Aussi provoquent-elles de vives réclamations de la part des débitants, qui ont demandé à la Législature de l'Illinois d'en modifier le principe, en limitant leur propre responsabilité au cas de vente de liqueurs falsifiées, et rejetant sur les ivrognes mêmes celle de leurs méfaits. Ce système n'a pas encore prévalu en Amérique, où l'on regarde l'ivrogne comme un coupable inconscient, presque comme une victime. Ainsi, la Législature de l'État de Wisconsin vient, malgré ces critiques, de voter une loi calquée sur celle de l'Ohio. Mais un bill analogue échoua dans l'État de NewJersey.

109. Il y a toutefois tendance, de la part des représentants, à renvoyer la solution de ces questions délicates au vote des cités, en les autorisant à appliquer le régime dela prohibition, si elles le jugent convenable. C'est le parti qui l'a emporté dans l'Assemblée d'Albany (État de New-York) après le rejet d'un amendement conforme au système de l'Illinois.

De même, dans l'État de Pensylvanie, après avoir réglementé la vente des spiritueux, vins et bières,en quantité inférieure à une mesure déterminée (un quart), et assujetti le débitant à se pourvoir d'une licence, la Législature a prévu cette année le cas où l'opinion publique réclamerait des mesures plus rigoureuses. Elle a disposé que tous les trois ans, à l'époque des élections. municipales, les électeurs seraient,


dans chaque ville ou comté, appelés à se prononcer, par bulletin écrit ou imprimé, pour ou contre l'octroi des licences; et dans le cas où le résultat du vote sera contraire, aucune licence nouvelle ne pourra plus être délivrée; les anciennes licences seront non avenues; le prix en sera remboursé par le fisc, si elles ont été délivrées avant la promulgation de la loi; la prohibition absolue de vente de liqueurs en petites quantités sera maintenue pendant les trois années qui suivront le vote et jusqu'à l'émission d'un vote de majorité en sens contraire. HO. Dans l'État de New-York, d'après le projet adopté par l'Assemblée d'Albany, le vote doit être renouvelé d'année en année un délai d'nn mois, après le vote, en cas de prohibition, est accordé aux débitants pour liquider leur fonds. Les contraventions sont punies d'une amende de 500 francs, et de 1,000 francs en cas de récidive. A ces pénalités s'ajoute une sanction civile, le refus d'action pour le payement de fournitures livrées en violation de la loi.

C'est ainsi que les Américains entendent les lois de tempérance. Le système est, dans tous les cas, exclusivement préventif, et ne ressemble en rien à celui qui a prévalu cette année devant l'Assemblée nationale et qui consiste à punir le délit d'ivrognerie sur la voie publique d'une amende de 5 francs.

Il me resterait, messieurs, à vous entretenir des points de droit civil, criminel ou de procédure, dont les diverses législatures des États-Unis se sont occupées. Souvent mes indications se réduiront à une simple nomenclature; et comme cette partie, la plus sèche d'un exposé déjà si long, se prête moins que la première aux développements d'une communication orale, je vous prie de me permettre d'en renvoyer l'insertion au Bulletin de notre prochaine séance de rentrée. Vu l'heure avancée, M. le Secrétaire général dépose, pour être insérée au Bulletin, sans qu'il puisse en être donné lecture, un exposé de l'organisation judiciaire en Alsace-Lorraine, par M. Lederlin, professeur à la Faculté de droit de Nancy. Cet exposé est ainsi conçu

Législation. 1. L'administration de la justice en Alsace-Lorraine est régie par les actes législatifs et réglementaires suivants 1) Loi du 14 juin 1871, confiant au tribunal supérieur de commerce de la Confédération les fonctions de tribunal supérieur pour l'AlsaceLorraine.

2) Loi du 14 juillet 1871, concernant des modifications à introduire dans l'organisation judiciaire.


3) Ordonnance de l'empereur d'Allemagne, du 14 juillet 1871, rendue pour l'exécution de la loi précédente.

4) Règlement du chancelier de l'Empire, du 17 février 1872, sur la préparation aux fonctions judiciaires en Alsace-Lorraine. Le législateur allemand n'a pas créé pour l'Alsace-Lorraine un système complet d'organisation judiciaire. Il s'est borné à remplacer par des tribunaux nouveaux ceux que l'invasion et la conquête ont dépossédés de leurs fonctions. Les tribunaux nouvellement institués ont donc en général les attributions définies par la loi française mais le nombre en est réduit de moitié environ, et leur importance est accrue, par l'agrandissement de leur ressort territorial, et, du moins en ce qui concerne les tribunaux de première instance, par l'augmentation du nombre de leurs membres.

Ministre de la justice. 2. A la tête de l'administration de la justice, la loi du 14 juillet 1871, art. 3, place le chancelier de l'Empire, investi par elle des attributions du ministre de la justice. Cour supérieure de justice. 3. Les fonctions de la Cour de cassation sont transportées par la loi du 14. juin 1871, art. 1", au tribunal supérieur de commerce de Leipzig (Bundes-Oberhandelsgericht) qui devient ainsi, en toutes matières, Cour supérieure de justice pour l'Alsace-Lorraine [Oberster-Gerichtshof fur Elsass-Lothringen). La compétence et la procédure sont réglées d'après les lois en vigueur en Alsace-Lorraine pour la Cour souveraine néanmoins la loi n'admet pas devant le tribunal supérieur de procédure spéciale aux fins d'admission des pourvois (même loi, art. 2).

En attendant l'institution d'un magistrat du ministère public auprès du tribunal supérieur de commerce de Leipzig, le président du tribunal doit, dans les affaires provenant de l'Alsace-Lorraine, charger des fonctions du ministère public un membre du tribunal, un magistrat du ministère public résidant à Leipzig, ou un avocat domicilié dans la même ville (même loi, art. 3).

Les avocats établis en Alsace-Lorraine sont autorisés à plaider devant le tribunal supérieur, et à faire tous les actes nécessaires pour l'instruction des affaires, ainsi qu'à établir leur résidence au siège du tribunal (même loi, art. 5).

Tribunal d'appel. 4. Les deux Cours d'appel de Colmar et de Metz sont remplacées par un tribunal d'appel unique (Appellations Sericht), ayant son siège à Colmar (loi du 14 juillet 1871, art. 1", ordonnance du 14 juillet 1871, art. 1").


Ce tribunal d'appel est divisé en deux sénats ou chambres (Senate), dont chacun est chargé du jugement des affaires civiles. L'une des chambres remplit en même temps les fonctions de la chambre des mises en accusation (Anklage-Senat), (ordonnance du 14 juillet 1871, art. 3). Quant aux appels en matière de police correctionnelle, ils ne sont pas portés devant la Cour la loi (art. 6) en attribue la connaissance à une chambre composée de cinq juges du tribunal de première instance saisi de l'affaire.

Le tribunal d'appel est composé de

il Un président, qui porte le titre de premier président (ErsterPraesident) il est le chef de la Cour, et préside l'une des chambres Un président de sénat (Senats-praesident) qui préside l'autre sénst

3° Seize juges (Richter, Appellations Gerichts-Raethe). ·

(Ordonnance du 14 juillet 1871, art, 4 et 5).

Les fonctions du ministère public sont remplies par

Un procureur général (General-Prokurator)

Deux avocats généraux (General-Aêvokateri)

Des procureurs d'État (Staats-Prokuratoren) dont le nombre est déterminé suivant les besoins du service.

(Ordonnance du 14 juillet 1871, art. 6).

Le tribunal d'appel est assisté d'un secrétaire en chef (Ober-Secretair) et d'un nombre de secrétaires (Secretaire) proportionné aux besoins du service. Il y a pareillement un certain nombre de secrétaires du parquet (Parket-Secreiaire) (ordonnance du 14 juillet 1871, art. 7). Le nombre des avoués attachés au tribunal d'appel est de neuf (ordonnance, art. 8).

Tribunaux de district. S. Aux lieu et place des tribunaux de première instance, la loi du 14 juillet 1871 institue des tribunaux de district (Landgerichte), dont l'organisation est collégiale (art. 1"). Ces tribunaux sont au nombre de six, et ont leur siège dans les villes de Metz, Sarreguemines, Saverne, Strasbourg, Colmar et Mulhouse (ordonnance du 14 juillet 1871, art 1"). Ils remplacent les onze tribunaux de première instance précédemment établis à Metz, Sarreguemines, Saverne, Strasbourg, Colmar et Mulhouse, ainsi qu'à Sarrebourg, Schlestadt, Thionville, Vie et Wissembourg ces cinq dernières villes n'auront plus désormais que des justices de paix. Chaque tribunal de district comprend une chambre civile (CivilKammer)et une chambre correctionnelle (Straf-Kammer). Une seconde chambre civile est instituée dans chacun des tribunaux de Metz, de Strasbourg et de Colmar (ordonnance, art. 3.)


La composition des tribunaux est la suivante

Un président (Landgerichts-Praesident), qui préside l'une des chambres

Un ou plusieurs présidents de chambre (Kammer-Praesidenten), chargés de présider les chambres dans lesquelles le président ne siège point

Dix juges (Richter, Landgerichtsraethe) pour le tribunal de Strasbourg

Neuf j uges, pour chacun des tribunaux de Metz et de Colmar Huit juges, pour le tribunal de Mulhouse;

Sept juges, pour le tribunal de Saverne

Six juges, pour le tribunal de Sarreguemines.

Les fonctions de juge d'instruction sont confiées à deux juges dans chacun des tribunaux de Strasbourg, Metz, Colmar et Mulhouse, à un seul juge dans les tribunaux de Saverne et de Sarreguemines. (Ordonnance, art. 4 et 5).

Le ministère public est représenté dans chaque tribunal par un procureur en chef (Ober-Prokurator), et par le nombre reconnu nécessaire de procureurs d'État (Staats-Prokuratoren) (ordonn., art 6). Il y a de plus auprès de chaque tribunal un secrétaire en chef (OberSecretair) et des secrétaires (Secretaire), et auprès de chaque parquet, des secrétaires de parquet (Parket-Secretaire); le nombre en est fixé selon les besoins du service (ordonn., art. 7).

Le nombre des avoués attachés à chaque tribunal est fixé comme suit

Metz 10

Strasbourg 10

Golinar 9

Mulhouse. 8

Sarreguemines 7

Saverne. 7

(Ordonn., art. 8.)

La circonscription des tribunaux de district est déterminée par l'article 2 de l'ordonnance du 14 juillet 1871. Le tableau suivant indique les nouvelles circonscriptions, et leur rapport avec celles des anciens tribunaux de première instance


TABLEAU INDIQUANT LES CIRCONSCRIPTIONS DES TRIBUNAUX DE DISTRICT, d'après l'article 2 de l'ordonnance du 14 juillet 1871.

SIÉGE ANCIENS ARRONDISSEMENTS ARRONDISSEMENTS ET CANTONS ressortissant

des trttnnanx. judiciaires. aiu lrjJ)tmara de district. M Tout l'arrondissement, sauf le can-

Metz. do

ffletz ton de Faulquemont.

Thionville Tout l'arrondissement.

nr, Les parties de l'arrondissement réuMetz. Bney.

*i™» BrieV mes à l'Allemagne.

[ Canton de Château-Salins-Delme (1).

Vie (Château-Salins). Canton de Dieuze.

Canton de Vie.

Sarreguemines. Tout l'arrondissement.

Metz. Canton de Faulquemont.

Sarreguemines. Vie (Château-Salins). Canton d'Albestroff.

Saverne. Canton de Saar-Union.

1 Tout l'arrondissement, sauf les can-

Saverne. tons de Hochfelden et de Saar-

Union.

Sarrebourg. Tout l'arrondissement.

Saverne. Strasbourg. Canton de Wasselonne. Canton de Molsheim.

Schlestadt. Canton d'Obernai-Rosheim (1).

Saint-Dié. Canton de Schirmeck-Saales (1).

| Tout l'arrondissement, moins les can-

Strasbourg. tons de Wasselonne et de Mols-

heim.

Strasbourg. Wissembourg Tout l'arrondissement.. Saverne. Canton de Hocbfelden.

Schlestadt Canton de Benfeld-Erstein (1).

Colmar. Tout l'arrondissement.

Colmar. Canton de Schlestadt. Canton de Marckolsheim.

Scllles'adt Canton de Ville.

Canton de Barr.

Mulhouse.. Mulhouse. Tout l'arrondissement.

ouse Belfort Les parties de l'arrondissement réu- é Beltort. Les nies à l'Allemagne. réu-

1 e or, I nies à l'Allemague.

(I) Les cantons désignés par deux noms (Château-Salins-Delme, Oternai-Rosheim, Schirmeck-Saales, Benfeld-Erstein), sont formés de la réunion de deux anciens cantons.


Justices de paix. 6. A l'égard des justices de paix, la loi se borne (art. Ie') à annoncer un remaniement des circonscriptions; elle charge le chancelier de l'Empire d'en fixer le nombre, le siège et les circonscriptions (art. 2). Il n'a pas été publié, quant à présent, de règlement général sur cet objet; mais, dès avant la promulgation de la loi, un certain nombre de tribunaux de paix ont été supprimés et leurs cantons réunis à l'un des cantons voisins.

La loi ne parle pas plus de la compétence des juges de paix que de celle des autres tribunaux; mais par le fait leur mission est réduite au jugement des affaires civiles et à la juridiction non contentieuse, une ordonnance' du gouverneur général d'Alsace-Lorraine, du 19 novembre 1870, ayant attribué aux commissaires de police cantonaux la répression des contraventions.

Tribunaux de commerce. 7. Les tribunaux de commerce de Metz, Strasbourg, Colmar et Mulhouse, qui ont continué à fonctionner, sont maintenus, et leur compétence territoriale est étendue à la circonscription des tribunaux de district siégeant dans les mêmes villes (loi du 14 juill. 4871, art. 1"; ordonn. du 14 juill. 1871, art. 10). Par suite, l'article 11 de l'ordonnance dispose que les tribunaux de commerce seront reconstitués; il a été procédé à cette reconstitution, par voie d'élection, d'après les règles établies par le Code de commerce. La loi ne parle pas de la juridiction commerciale dans les circonscriptions de Sarreguemines et de Saverne; cette juridiction appartient donc aux tribunaux de district, en vertu de l'article 640 du Code de commerce.

Cour d'assises et jury. 48. La justice criminelle reste confiée à la Cour d'assises (Schwurgerichtshof) et au jury (Jury).

Mais la formation des Cours d'assises est modifiée d'une manière assez considérable. Elles ne sont pas instituées par département, ni rattachées à la Cour d'appel, ainsi que le voulait la loi française (art. 251 et 252 du Code d'instruction criminelle). La loi du 14 juillet 1871 décide (art. 2) que les assises {Schwurgericht) seront tenues au cheflieu des tribunaux de district qu'une ordonnance impériale déterminera et pour la circonscription qu'elle leur assignera. L'ordonnance du même jour, dans son article 9, indique à cet effet les trois tribunaux de Metz, Strasbourg et Colmar, en leur assignant respectivement les arrondissements judiciaires de Metz et de Sarreguemines, de Strasbourg et de Saverne, de Colmar et de Mulhouse.

Aux termes de l'article 5 de la loi, les assesseurs de la Cour d'assises (Beisiizer ina Schwurgerichtshofe) sont choisis exclusivement parmi


les membres du tribunal chargé de la tenue des assises; ils ne peuvent donc être désignés ni parmi les conseillers du tribunal d'appel, comme le veut l'article 232 du Code d'instruction criminelle, pour la Cour d'assises réunie au chef-lieu de la Cour d'appel, ni parmi les juges de paix, ainsi que l'admet la législation de certains pays d'Allemagne. Les fonctions du ministère public sont confiées par le même article au procureur en chef du tribunal et à ses substituts; néanmoins il est loisible au procureur général de remplir personnellement ces fonctions.

Dans le silence de la loi, les autres dispositions de la loi française sur la formation des Cours d'assises et la composition du jury sont implicitement maintenues en vigueur. La Cour d'assises est donc composée d'un président, choisi parmi les membres du tribunal d'appel, et de deux assesseurs; on suit pour leur désignation les règles établies par les articles 79 et 80 du décret du 6 juillet 4810. Les assises sont tenues de trois en trois mois aux époques fixées par le premier président du tribunal d'appel. Le jury est formé de la manière prescrite par les lois françaises; toutefois, comme les circonscriptions assignées aux Cours d'assises ne concordent pas avec celles des départements, l'ordonnance du 14 juillet 1871 article 9, charge le chancelier de l'Empire de désigner le magistrat de l'ordre administratif qui dressera la liste des jurés (Geschwornenliste).

Justice administrative. 9. La loi sur l'organisation judiciaire ne parle point de la justice administrative, mais une loi du 30 décembre 1871, sur l'organisation de l'administration, contient à cet égard les dispositions suivantes

Art. 13. «Le conseil de préfecture est remplacé par un conseil « composé du président de département (Bezirkspraesident) et des « conseillers attachés à son administration (Ihm fieigegebene Iiaethe), « y compris le directeur des contributions (Steuerdirector) et le direc« teur des forêts (Oberforstmeister), et qui porte le titre de Conseil im« périal de département (Kaiserlicher-Bezirksrath).

« La présidence de ce conseil appartient au président du départe«̃ ment, qui peut néanmoins s'y faire remplacer.

« Les décisions sont rendues par trois membres au moins, le pré<i sident y compris. Dans le jugement des affaires contentieuses, la « voix du président est prépondérante en cas de partage. « Les séances des conseils de département sont publiques pour « toutes les affaires qui étaient jusqu'ici jugées en séance publique « par les conseils de préfecture.

« Au surplus la marche des affaires, la procédure et les débats,


« l'exercice des fonctions du ministère public, la forme et les délais « des pourvois contre les décisions des conseils de département et le « tarif des frais seront réglés par des décisions du chancelier de « l'Empire. »

Barreau et offices ministériels. 10. Nous avons reproduit plus haut (n» 3) la disposition de la loi du 14 juin 1871 sur la plaidoirie et l'instruction des affaires portées devant la Cour supérieure de justice de Leipzig.

En ce qui concerne les autres tribunaux, la loi et l'ordonnance du 14 juillet 1871 laissent implicitement subsister, telles qu'elles l'ont trouvée établie, l'organisation du barreau et des offices ministériels. Néanmoins la loi (art. 2) réserve à l'Empereur le droit d'introduire par voie d'ordonnance les modifications nécessaires. en ce qui touche les conseils de discipline de l'Ordre des avocats, le nombre des avoués, les chambres des avoués, des notaires et des huissiers. En exécution de cette loi, l'ordonnance du 14 juillet 1871, article 8, a fixé le nombre des avoués attachés aux divers tribunaux nous en avons parlé plus haut (nM 4 et 5).

L'article 11 de l'ordonnance prescrit la reconstitution des conseils de discipline de l'Ordre des avocats, des chambres des avoués, des notaires et des huissiers.

La loi du 14 juillet contient, à propos de la langue judiciaire, diverses dispositions applicables aux avocats et aux officiers ministériels et que nous analyserons au paragraphe suivant. La même loi règle, dans ses articles 16 et 17, la nomination des avoués, notaires et huissiers, ainsi que les conditions d'admission à l'exercice de la profession d'avocat nous en parlerons dans le paragraphe consacré à la nomination des magistrats (n° 12). Enfin l'article 18 de la loi autorise le chancelier de l'Empire à retirer à leurs possesseurs les offices vénaux de judicature, moyennant une indemnité à régler d'après les principes suivis lors de la transmission de ces offices, et eu égard à leur situation antérieurement au l" juillet 1870. Les dispositions relatives au règlement de cette indemnité sont tracées par une loi du 10 juin 1872, promulguée le 15 du même mois.

Langue. – 11. La langue allemande est déclarée langue judiciaire, et doit être employée dans les débats et les actes officiels des tribunaux, des parquets, des notaires, des avoués, des avocats et des huissiers. Si parmi les personnes intéressées il s'en trouve qui ne connaissent pas


l'allemand, on recourt à l'assistance d'un interprète (loi du 14 juillet 1871, art. 10).

Après avoir posé cette règle générale, la loi admet les dérogations suivantes

a) Les débats devant les tribunaux de commerce peuvent avoir lieu en langue française, quand toutes les personnes qui y concourent et y sont intéressées connaissent cette langue, et que les parties, les témoins ou les experts ne possèdent pas la langue allemande. La même exception s'applique aux débats des justices de paix et des tribunaux de police simple ou de police correctionnelle, et aux enquêtes judiciaires; l'assistance de l'interprète n'y est pas obligatoire les enquêtes peuvent même être rédigées en français (loi, art. 2).

b) Si les parties le demandent, il doit leur être délivré à leurs frais des traductions françaises des expéditions des jugements rendus en langue allemande (loi, art. 12).

c) Les avoués actuellement en fonctions et les avocats admis au plein exercice de la profession sont autorisés à se servir de la langue française pendant trois ans, dans les affaires déférées au jury et dans les causes civiles de la compétence des tribunaux de district et du tribunal d'appel (loi, art. 14.)

d) Jusqu'à nouvel ordre les débats auront lieu en français devant les juges de paix de Metz, Gorze, Courcelles-Chaussy (Vigy-Pange), Verny, Chàteau-Salins-Delme, Vie, Lorquin-Réchicourt, SchirmeckSaales et Lapoutroye, et devant le tribunal de commerce de Metz les jugements de ces tribunaux seront rendus dans la même langue; l'usage en est également permis aux huissiers desdits cantons. Si les personnes qui concourent aux débats ou y sont intéressées connaissent l'allemand, cette langue doit être employée, sauf dans les actes des huissiers (loi, art. 1B).

e) Dans les trois premières années, les actes notariés doivent être rédigés dans les deux langues, si les parties savent l'allemand et que le notaire ne le sache pas. Pendant le même délai, ces actes pourront être faits en français seulement, et sans l'assistance d'un interprète, si l'on se trouve dans les conditions prévues par l'article 11 Après l'expiration du délai de trois ans, les actes notariés intéressant des personnes qui connaissent l'allemand ne pourront être rédigés que par des notaires possédant cette langue, et uniquement en allemand si les parties ne savent que le français, les actes devront être dressés dans les deux langues (loi, art. 13).

f) Ces dispositions ne s'appliquent pas aux notaires des cantons désignés dans l'article t5, auquel l'usage de la langue française con-


tinue à être permis, jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné (loi, art. 48).

g) Elles sont au contraire applicables aux actes officiels reçus par les greffiers hors de la présence des juges (loi, art. 13).

Nominations dans la magistrature, etc. 12. Les membres du tribunal d'appel et des tribunaux de district et les magistrats du ministère puhlic sont nommés par l'Empereur. Les juges de paix, les avoués et les notaires sont nommés par le chancelier de l'Empire. Les secrétaires du tribunal d'appel et des tribunaux de district sont nommés par le premier président du tribunal d'appel et par le procureur général. Les secrétaires de parquet, les secrétaires des tribunaux de commerce, les greffiers des justices de paix sont nommés par le procureur général (loi du 14 juillet 1871, art. 17).

Les lois actuellement en vigueur réglant les conditions d'aptitude aux fonctions de la magistrature, à celles de juge de paix, d'avoué, de notaire, l'admissibilité à l'exercice de la profession d'avocat, continueront à s'appliquer pendant un délai de cinq ans.

A l'expiration de ce délai, nul n'y sera admissible à moins d'avoir fréquenté pendant trois ans les cours de droit d'une Université et subi avec succès deux examens, séparés par un temps de préparation, ou stage, suffisant pour l'instruction dans toutes les branches de service. «

Peuvent en outre être nommés aux emplois de l'administration de la justice, ou autorisés par le chancelier à exercer la profession d'avocat, tous Allemands qui ont été dans l'un des États de l'Empire reconnus admissibles à un emploi. analogue ou aux fonctions de la magistrature(loi du 14 juillet 1871, art. 16).

Pour l'exécution de cet article 16, le prince chancelier de l'Empire a déterminé, par un règlement du 17 février 1872, les formes et conditions de l'examen d'admissibilité aux fonctions de la magistrature.

Sur les trois années d'études du droit exigées par la loi, le candidat doit avoir passé trois semestres au moins dans une Université où l'enseignement se donne en langue allemande. Les études faites à la Faculté de droit de l'ancienne Académie de Strasbourg sont considérées comme équivalentes à celles d'une Université; il en est de même pour le passé et pour le semestre courant de celles faites dans les Facultés de droit de France. Le chancelier peut dispenser d'une partie des trois années d'études juridiques ceux qui ont antérieurement étudié dans une Université des matières autres que le droit (règlement du 17 février 1872, art. 1").


Le premier examen est subi près le tribunal d'appel de Colmar devant une commission nommée pour un an, sous l'autorité du chancelier, et dont il désigne le président. La commission est composée de juges, de fonctionnaires, de magistrats du ministère public et d'avocats à la désignation du premier président et du procureur général, et de professeurs ordinaires (ou titulaires) de droit et des sciences administratives de l'Université de Strasbourg, désignés par le curateur de cette Université. Les diverses épreuves sontsubies devant une commission de trois membres, y compris le président ce dernier doit, à moins de motifs graves d'empêchement, prendre part à chaque épreuve, et concourir à l'appréciation de ses résultats s'il n'interroge pas lui-même les candidats, il appelle un quatrième membre (règlement, art. 2).

L'examen porte sur le droit public, le droit privé, l'histoire du droit, et les principes fondamentaux des sciences administratives (règlement, art. 3).

11 comprend deux épreuves une épreuve écrite et une épreuve orale.

La première porte sur une matière choisie, d'après le désir du candidat, dans le droit civil, le droit commercial, le droit canonique ou ecclésiastique, ou la procédure civile. Il est accordé au candidat pour le travail écrit un délai de six semaines, que le président de la commission d'examen peut, pour des motifs graves, proroger à deux mois. Le candidat atteste au bas de son travail écrit que son travail est son oeuvre personnelle, et indique les sources qu'il a consultées (règlement, art. 6 et 7).

La même commission apprécie la dissertation écrite et l'épreuve orale il est procédé sur l'une et sur l'autre à un seul vote, à la majorité en cas de partage, la voix du président est prépondérante (règlement, art. 9).

L'admission est prononcée avec l'une des trois notes suivantes « suffisant » {ausreichend), « bon » (gut) ou « excellent » (vorzûglich) (règlement, art. 9).

Le candidat admis reçoit du président de la commission un certificat de capacité (Befaehigungszeugniss), sur le vu duquel il* est par le premier président et le procureur général nommé référendaire (Referendar), et assermenté en cette qualité (règlement, art. H). En cas d'insuffisance de l'examen, le candidat est ajourné à six mois au moins la commission peut toutefois, si elle est unanimement d'avis que le travail écrit est suffisant, restreindre la nouvelle épreuve à l'examen oral (règlement, art. 10).


Celui qui échoue à cette nouvelle épreuve ne peut être admis aux fonctions judiciaires (règlement, art. 10.)

Avant leur admission au second examen ou examen d'État (Staatsexamen), les référendaires sont soumis à un stage de trois ans et demi dans les services publics. Ils sont occupés successivement un an et demi dans les parquets, les tribunaux de district et les justices de paix, six mois dans une direction de cercle, six mois dans une présidence de département, un an chez des avocats ou avoués, ou chez des notaires. Ils peuvent être investis des fonctions de greffier ils peuvent aussi, après un an de stage, être chargés de diverses affaires judiciaires, sans néanmoins être admis à prendre part .au jugement (règlement, art 12.)

Le référendaire qui a satisfait aux conditions prescrites est autorisé par le chancelier de l'Empire à subir l'examen d'État.

Le chancelier charge de cet examen une commission nommée par lui pour trois ans, et composée de membres du tribunal d'appel et de son parquet, de fonctionnaires supérieurs de l'ordre administratif et d'avocats (règlement, art. 10).

L'examen est écrit et oral.

Les épreuves écrites consistent: l' dans une dissertation sur une matière juridique, choisie par le président de la commission, et qui peut être indiquée au candidat dans le cours du dernier trimestre de son temps de stage: le président détermine le délai dans lequel la dissertation doit être présentée; 2° dans un rapport sur une affaire pendante devant le tribunal d'appel; ce rapport doit être présenté dans un délai de six semaines qui peut être, pour des motifs graves, prorogé à deux mois (règlement, art. 17).

L'appréciation des travaux écrits est confiée à trois membres de la commission.

En cas d'insuffisance des deux travaux, le candidat est ajourné à un délai de trois à neuf mois.

Si l'un d'eux seulement n'est pas suffisant, un second travail de même nature peut être demandé (règlement, art. 18).

L'examen oral est subi devant quatre membres de la commission, le président y compris; l'un d'eux doit appartenir à l'administration. Entre autres épreuves, le candidat doit présenter l'analyse d'une procédure qui lui est remise trois jours à l'avance (règlement, art. t9).

Il est procédé au vote dans les mêmes formes que pour le premier examen (règlement, art. 20).

Les référendaires qui ont subi avec succès l'examen d'État sont


nommés par le chancelier de l'Empire, et leur à choix, assesseurs (Assessoren) ou avocats (Advocaten): au premier cas, ils sont attachés à un tribunal de district (règlement, art. %V).

Ceux dont l'admission n'est pas prononcée sont ajournés à neuf mois au moins. Ils peuvent êife dispensés de produire une seconde dissertation ou un second rapport, ou l'un et l'autre, si, d'après l'avis unanime de la commission, l'un ou l'autre de ces travaux ou tous deux sont reconnus suffisants (règlement, art. 21 et 23).

L'examen d'État ne peut être renouvelé qu'une seule fois (règlement, art. 22).

Aux dispositions ci-dessus qui ne parlent que de la magistrature d'Alsace-Lorraine, il convient d'ajouter encore l'article 4 de la loi du 4 juin 1871, qui est ainsi conçu

Art. 4. « Des jurisconsultes d'Alsace-Lorraine ayant, d'après la lé« gislation de leur pays, l'aptitude nécessaire pour devenir, à titre de a jurisconsultes, membres d'une Cour supérieure de justice, pourront « être nommés membres du tribunal supérieur de commerce » (de Leipzig).

On se rappelle que la même loi confère à ce corps judiciaire la qualité de Cour supérieure de justice pour l'Alsace-Lorraine; l'article 4 reproduit à l'égard de cette province une règle posée par l'article 6 de la loi du 21 mai 1S69, portant institution du tribunal supérieur de commerçai

L'ordre du jour étant épuisé, M. le Président Greffier prononce en ces termes la clôture de la séance

Mes chers collègues, nous terminons aujourd'hui la troisième année de nos travaux; je devrais dire la quatrième! Mais, hélas! il existe dans notre vie scientitique une interruption douloureuse, correspondant à une époque de souffrances cruelles et de terribles épreuves, dont il nous faut garder le souvenir pour devenir et meilleurs et plus forts. Grâce à Dieu, nos études ont repris avec une ardeur nouvelle. Le Bulletin de nos séances l'atteste, et la publication de l'Annuaire des lois étrangères, traduites par nos collègues avec un soin et un empressement dignes d'éloges, prouvera à nos amis et aussi à nos ennemis que si nous avons pu fléchir un instant sous le poids de la force et du nombre, nous avons conservé la foi patriotique et l'amour de la science qui relèvent les nations, et qui leur permettent d'espérer,


après les jours de malheurs, des destinées plus hautes et des honneurs nouveaux. Au nom du Conseil de direction, j'adresse à noslaborieui associés français et à nos honorables correspondants étrangers les remerciments qui leur sont dus.

La séance est levée à onze heures.

1161 Paris. Imprimsrio Cosstr et G", Î6, rue RaelM.


L'Institut a prorogé jusqu'au 31 décembre 1873 le délai pour le dépôt des mémoires sur la question suivante, mise au concours (voir les compte-rendus des séances de l'Académie des sciences. morales et politiques, pour 1871, p. 641. Le prix est de la valeur de 1,500 fr.)

« Exposer l'état actuel de la législation française et de la légisgislation belge sur l'organisation judiciaire et sur l'organisation, administrative; indiquer sur quels points se trouve aujourd'hui modifiée la législation qui régissait les deux pays en 1814; apprécier les conséquences de ces changements. »


EXTRAIT DES STATUTS.

I. Une Société est instituée sous le nom de Société de législation comparée.

II. Elle a pour objet l'étude des lois des différents pays et la recherche des moyens pratiques d'améliorer les diverses branches de législation.

III. Elle nomme rt» correspondants à l'étranger.

IV. Elle ne vote su.J aucune question.

V. On ne peut faire partie de la Société qu'après avoir été admis par le Conseil, sur la présentation d'un Sociétaire.

VI. Les membres résidant a Paris payent une cotisation annuelle de 20 francs.

Cette cotisation est de 10 francs pour les membres résidant en pro'vince.

XIV. Les séances de la Société ont lieu au moins tous les mois. CONSEIL DE DIRECTION POUR L'ANNÉE 1872.

Président

M. Renouard, membre de l'Institut, procureur général à la Cour de cassation.

Vice-Présidents

MM. ALLOU, avocat à la Cour d'appel, ancien bâtonnier de l'Ordre. REVERCHON, avocat général à la Cour de cassation.

GREFFIER, conseiller à la Cour de cassation.

Aucoc, conseiller d'État.

Membres du Conseil

MM. BALLOT, avocat à la Cour d'appel.

Batbie, professeur à la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

BAnBoux, avocat à la Cour d'appel.

BERTRAND (Ernest), conseiller à la Cour d'appel.

Bufnoir, professeur àla Faculté de droit.

DESJARDINS (Albert), agrégé à la Faculté de droit, membre de l'Assemblée nationale.

Garnieh (Joseph), secrétaire général de la Société d'économie politique.

Gide, professeur à la Faculté de droit.

Grouai.le, avocat.

HÉLiE(Faustin). membre de l'Institut, président a la Courdecass. HÉROLD, conseiller d'État.

Jozon, avocat à la Cour de cassation, membre de l'Assemblée nationale. ^fc

Lamé-Fleury, conseiller < ^HPk

Lbnier, inspecteur général ut^ïïablissemenls d'aliénés. PICOT (Georges), juge au tribunal de la Seine.

VALLÉE (Oscar de), anc. conseiller d'État, avocat à laCour d'appel. Secrétaire Général:

M. Ribot (Alexandre), substitut au tribunal de la Seine.

Trésorier

M. GONSE, avocat à la Cour de cassation.

Secrétaires

MM. BERTRAND, (Edmond), juge suppléant au tribunal de la Seine. DEMONGEOT, auditeur au Conseil d'Etat.

il «6 ̃ Pari». Imprimerie Cossm et C", S6, rne nacine.