Reminder of your request:
Downloading format: : Text
View 1 to 724 on 724
Number of pages: 724
Full notice
Title : Oeuvres complètes de Bossuet. Vol. 12, 5 / publiées d'après les imprimés et les manuscrits originaux, purgées des interpolations et rendues à leur intégrité, par F. Lachat
Author : Bossuet, Jacques Bénigne (1627-1704). Auteur du texte
Publisher : L. Vivès (Paris)
Publication date : 1862-1875
Contributor : Lachat, François (1807-1875). Éditeur scientifique
Set notice : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb33986914m
Type : text
Type : printed monograph
Language : french
Format : 31 vol. ; in-8
Description : Appartient à l’ensemble documentaire : GTextes1
Description : Appartient à l’ensemble documentaire : CentSev001
Description : Contient une table des matières
Rights : Consultable en ligne
Rights : Public domain
Identifier : ark:/12148/bpt6k408808h
Source : Bibliothèque nationale de France
Provenance : Bibliothèque nationale de France
Online date : 31/07/2008
The text displayed may contain some errors. The text of this document has been generated automatically by an optical character recognition (OCR) program. The
estimated recognition rate for this document is 97%.
OEUVRES
COMPLÈTES s
DE BOSSUET PUBLIÉES
D'APRÈS LES IMPRIMÉS ET LES MANUSCRITS ORIGINAUX
PURGÉES DES INTERPOLATIONS ET RENDUES A LEUR INTÉGRITÉ PAR F. LACHAT T
ÉDITION N
RENFERMANT TOUS LES OUVRAGES ÉDITÉS ET PLUSIEURS INÉDITS
VOLUME XII
PARIS
LIBRAIRIE DE LOUIS VIVÈS, ÉDITEUR RUE DELAMBRE, 5
1864
ŒUVRES COMPLÈTES
DE BOSSUET.
SERMON S. VOLUME Y
Iî*>sauçon.– Impiimeue d'Outlienin Ctuluudie fils.
OEUVRES
DE BOSSUET PUBLIEES
D'APRES LES IMPRIMES ET LES MANUSCRITS ORIGINAUX
PURGEES DES INTERPOLATIONS E'1 RENDUES A LEUR lN'lÉGttl'lh PAR F. LACHAT
EDITION
RENFERMANT TOUS LES OUVRAGES ÉDITÉS ET PLUSIEURS INÉDIT. VOLUME XII
COMPLETES
PARIS
LIBRAIRIE DE LOUIS VIVES, ÉDITEUR UUl. DELAMUKL. 5
1863
PANÉGYRIQUES.
ww ww~.na~wa.vuwvw,n~ wvann,wvwvwwwwauwavwww avwww~wavwwwwwvuavavevuv
PANEGYRIQUE DE E
SAINT ANDRÉ, APOTRE,
SUR LA VOCATION A LA FOI (a).
Venite post me, et faciam vos fieri piscatores hominmn.
Venez après moi, et je vous ferai devenir des pêcheurs d'hommes. Matth., IY, 19.
Jésus va commencer ses conquêtes; il a déjà prêché son Evangile, déjà les troupes se pressent pour écouter sa parole. Personne (a) Prêché le 30 novembre 1668, aux Garméhtes de la rue Saint-Jacques, devant Turenne, le P.'Toussaints des Mares, Condé, la duchesse de Longueville, la princesse de Conti, la duchesse de Montausier, la duchesse de Guise, etc. Le panégyrique a bien été prononcé le 30 et non le 18 novembre, comme on l'a dit; car nous lisons dans les Mémoires de l'abbé Ledieu « Le sermon du plus grand éclat fut celui de la vocation, qu'il y prononça (aux Carmélites) un vendredi, fête de saint André, pour confirmer le vicomte de Turenne dans sa réunion à l'Eglise. »
Turenne avoit abjuré le calvinisme un mois auparavant, le 28 octobre. C'est Bossuet qui, par la force de sa parole, l'avoit ramené dans le sein de l'Eglise; il ne dit pas moins du haut de la chaire « La parole est le rets qui prend les ames. Mais on travaille vainement, si Jésus-Christ ne parle pas In verbo tuo laxabo rete « Sur votre parole, Seigneur. » C'est ce qui donne l'efficace.» » Plus loin, faisant allusion aux ancêtres de l'illustre néophyte, pour le retenir dans les filets du Pêcheur des ames « Gardez-vous d'imiter, dit-il, ceux qui par les différentes ouvertures qu'ils ont cherché dans leur inquiétude à. faire aux rets salutaires qui les euserroient n'ont travaillé qu'à se procurer une liberté plus déplorable que le plus honteux esclavage. » Ou trouvera, pareillement dans le Panégyrique de saint André, ce mot qu'on a si fort admiré, cité si souvent « Quand Dieu veut faire voir qu'un ouvrage est tout de sa main, il réduit tout à l'impuissance et au désespoir, puis il agit. » Au reste on remarquera que ce discours est, dans sa forme, une homôhe plutôt qu'un sermon. Turenne fut si content des enseignemens de l'orateur, qu'il résolut de le suivre partout dans sa carrière évangélique, et tout d'abord dans l'Avent qu'il alloit prêcher à Saint-Thomas du Louvre cette année-là. Les Carmélites, qui appaitenoient aux plus grandes maisons du royaume, écrivirent dans leurs Mémoires,
ne s'est encore attaché à lui; et parmi tant d'écoutii n'a pas encore gagné un seul disciple. Aussi ne reçoit-il p différemment tous ceux qui se présentent pour le suivre. en a qu'il rebute, il y en a qu'il éprouve, il y en a qu'il diffèn ses temps destinés, il a ses personnes choisies. Il jette ses fi il tend ses rets sur cette mer du siècle, mer immense, mer onde, mer orageuse et éternellement agitée. Il veut prend :s hommes dans le monde mais quoique cette eau soit aie il n'y pêche pas à l'aveugle il sait ceux qui sont à il regarde, il considère, il choisit. C'est aujourd'hui le choi mportance; en parlant du Panégyrique de saint André: « Ce fut un s< d'une exquise beauté. » Le P. des Mares, célèbre prédicateur de l'OraU loua pendant toute sa vie.
Nous avons rapporté les réflexions d'un critique sur sa c ition (vol. VIII, p. xxvm). Le manuscrit, qui a été pendant quelque terr 1 disposition de M. Valery-Badot, appartenoit à M. Solar, rédacteur du joi i Presse, associé de M. Mires dans la banque de la caisse des chemins de fut vendu avec la bibliothèque de cet amateur, et de ce moment nous n' pu en retrouver les traces.
Maintenant, trois remarques générales. Plusieurs pané es composés par Bossuet ne sont point parvenus jusqu'à nous ainsi 1< gyrique de saint Thomas d'Aquin, pièché en 1657 le panégyrique de sain Jas deVilleneuve, prêché en 1659; le second panégyrique de saint Paul, p vers 1660; le panégyiique de saint Gaétan, piêché en 1663; le secom pyiique de saint Thomas d'Aquin, prêché en 1665; le panégyrique de s Jadeleine, prêché en 16li5 le panégyrique de saint Etienne, prêché en H c. On ne trouve, à la bibliothèque impériale, aucun ir.ar des panégyriques; et inulgié é toutes nos recherches qui se sont étendues h< cette immense collection d'autographes à toute l'Europe, nous n'en avons ivert que trois. Ces trois manuscrits renferment les panégyriques suivants inégyiique de saint Pierre Nolasque, celui de saint Benoit et le premier di Gorgon. Il est vrai que Déforis mêle moins souvent dans les friques que dans les sermons, les exordes, les points, les péroraisons; il s assé d'ajouter péniblement des passages, d'aligner avec un immense labl phrases disparates, pour faire un seul ouvrage de deux ouvrages difTér* :pendant il ne s'est pas refusé le plaisir de corriger Bossuet; comme ;s sermons, comme partout, il met souvent dans les panégyriques sa pic ipanle au milieu des sublimes dêveloppemens de l'auteur. Alors même qu januscrit nous faisoit défaut, nous avons retranché ce qui étoit de son et cela sans aucune crainte d'erreur car le style et les crochets font r< ttre au premier coup d'oeil les produits de son éloquence. Mais si les ex' .ns de Déforis, si ses tirades, si ses longues exhortations portent avec e jr certificat d'origine, les traductions n'ont pas toujours une physionomie nettement accentuée; quand elles sont courtes, faciles, calquées mot il nu 'original, on ne pourroit toujours sans péril les admettre ou les repolis: les simples signes de leur provenance. Ici nous avons été plus sobres Unes, préférant laisser vingt traductions de Déforis plutôt que d'en retrait ne de Bossuet. Le lecteur est prévenu il fera lui-méme le discernemec
car il va prendre ceux par qui il a résolu de prendre les autres enfin il va choisir ses apôtres.
Les hommes jettent leurs filets de tous côtés ils amassent toutes sortes de poissons, bons et mauvais, dans les filets de l'Eglise, selon la parole de l'Evangile. Jésus choisit; mais puisqu'il a le choix des personnes, peut-être commencera-t-il ses conquêtes par quelque prince de laSynagogue, par quelqueprêtre, par quelque pontife, ou par quelque célèbre docteur de la loi, pour donner réputation à sa mission et à sa conduite. Nullement. Ecoutez, mes Frères « Jésus marchoit le long de la mer de Galilée. Il vit deux pêcheurs, Simon et André son frère, et il leur dit Venez après moi, et je vous ferai devenir des pêcheurs d'hommes. » Voilà ceux qui doivent accomplir les prophéties, dispenser la grace, annoncer la nouvelle alliance, faire triompher la croix. Est-ce qu'il ne veut point des grands de la terre, ni des riches, ni des nobles, ni des puissans, ni même des doctes, des orateurs et des philosophes? Il n'en est pas ainsi. Voyez les âges'suivans. Les grands viendront en foule se joindre à l'humble troupeau du Sauveur Jésus. Les empereurs et les rois abaisseront leur tête superbe pour porter le joug. On verra les faisceaux romains abattus devant la croix de Jésus. Les Juifs feront la loi aux Romains ils recevront dans leurs Etats des lois étrangères, qui y seront plus fortes que les leurs propres ils verront sans jalousie un empire s'élever au milieu de leur empire, des lois au-dessus des leurs un empire s'élever au-dessus du leur, non pour le détruire, mais au contraire pour l'affermir. Les orateurs viendront, et on leur verra préférer la simplicité de l'Evangile et ce langage mystique à cette magnificence de leurs discours vainement pompeux1. Ces esprits polis de Rome et d'Athènes viendront apprendre à parler dans les écrits des barbares. Les philosophes se rendront aussi; et après s'être longtemps débattus et tourmentés, ils donneront enfin dans les filets de nos célestes pêcheurs, où étant pris heureusement, ils quitteront les rets de leurs vaines et dangereuses subtilités où ils tàchoient de prendre les ames ignorantes et curieuses. Ils apprendront, non à raisonner, mais à croire et à trouver la lumière dans une intelligence captivée.
PREMIER POINT.
Jésus ne rebute donc point les grands, ni les puissans, ni les sages a Il ne les rejette pas, mais il les diffère » Differantur isti superbi, aliquâ soliditate sanandi sunt l. Les grands veulent que leur puissance donne le branle aux affaires; les sages, que leurs raisonnemens gagnent les esprits. Dieu veut déraciner leur orgueil, Dieu veut guérir leur enflure. Ils viendront en leur temps, quand tout sera accompli, quand l'Eglise sera établie, quand l'univers aura vu et qu'il sera bien constant que l'ouvrage aura été achevé sans eux; quand ils auront appris à ne plus partager la gloire de Dieu, à descendre de cette hauteur, à quitter dans l'Eglise au pied de la croix cette primauté qu'ils affectent; quand ils se réputeront les derniers de tous les premiers partout, mais les derniers dans l'Eglise ceux que leur propre grandeur éloigne le plus du fiel ceux que leurs périls et leurs tentations approchent le plus près de l'abîme. Etes-vous ceux, ô grands, ô doctes, que la religion estime les plus heureux, dont elle estime l'état le meilleur? Non; mais au contraire ceux pour qui elle tremble, ceux qu'elle doit d'autant plus humilier pour les guérir et les sauver que tout contribue davantage à les élever et à les perdre. Ainsi votre besoin et la gloire du Tout-Puissant exigent que vous soyez d'abord rebutés dans l'exécution de ses hauts desseins, pour vous apprendre à concevoir de vous-mêmes le juste mépris que vous méritez.
En attendant, venez, ô pêcheurs; venez, saint couple de frères, André et Simon; vous n'êtes rien, vous n'avez rien « Il n'y a rien en vous qui mérite d'être recherché, il y a seulement une vaste capacité à remplir » Nihil est quod in te expetatur, sed est quod in te impleatur K Vous êtes vides de tout, et vous êtes principalement vides de vous-mêmes « Venez recevoir, venez vous remplir à cette source infinie » Tarn largo fonti vas inane admovendum est. Les autres se réjouissent d'avoir attiré à leur parti les grands et les doctes; Jésus, d'y avoir attiré les petits et les simples Confiteor tibi, Pater, Domine cœli et terroe, quia 1 S, August., serm. lxxxvii, n. 12. – Ibid.
abscondisti hœc à sapientibus etprudentibus et revelasti ea parvulis*. « Je vous bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudens, et de ce que vous les avez révélées aux plus simples. » Et quel a été le motif d'une conduite qui blesse si fort nos idées? C'est afin que le faste des hommes soit humilié, et que toute langue confesse que vraiment c'est Dieu seul qui a fait l'ouvrage. Jésus considérant ce grand dessein de la sagesse de son Père, tressaillit de joie par un mouvement du Saint-Esprit Inipsâ horà exultavit Spiritu sancto 8. C'est quelque chose de grand que ce qui a donné tant de joie au Seigneur Jésus. « Considérez, mes Frères, qui sont ceux d'entre vous qui ont été appelés à la foi et voyez qu'il y en a peu de sages selon la chair, peu de puissans et peu de nobles. Mais Dieu a choisi ce qu'il y a d'insensé selon le monde, pour confondre ce qu'il y a de fort. Il a choisi ce qu'il y a de vil et de méprisable selon le monde et qui n'est rien pour détruire ce qui est grand, afin que nul homme ne se glorifie devant lui s. «
Rien sans doute n'étoit plus propre à faire éclater la grandeur de Dieu et son indépendance qu'un pareil choix. A lui seul il appartient de se choisir pour ses œuvres des instrumens qui, loin d'y paroître propres, semblent n'être capables que d'en empêcher le succès, parce que c'est lui qui leur donne toute la vertu qui peut les rendre efficaces. Il est bon, pour qu'on ne puisse- douter qu'il a fait tout lui seul, qu'il s'associe des coopérateurs qui en euxmêmes soient absolument ineptes aux grands desseins qu'il veut accomplir par leur ministère. Et comme autrefois, entre les mains des soldats de Gédéon, de foibles vases d'argile cachoient la lumière qui devoit jeter l'épouvante dans le camp des Madianites ici de même ces trésors de sagesse que Dieu a voulu faire éclater dans le monde pour le salut des uns et la confusion des autres, sont portés dans des vaisseaux très-fragiles afin que la grandeur de la puissance qui est en eux soit reconnue venir de Dieu, et non de ses foibles instrumens et qu'ainsi tout concoure à démontrer la vérité de l'Evangile.
1 Matth., xi, 25. Luc., x, 2). 1 Cor., 1, 26. – II Cor., iv, 7.
Et d'abord admirez, mes Frères, les circonstances frappantes que Dieu choisit pour former son Eglise. Comme il avoit différé jusqu'à la dernière extrémité l'exécution du commencement de sa promesse, de même ici il en prolonge le plein accomplissement jusqu'au moment où tout doit paroître sans ressource. Abraham et Sara se trouvent stériles, lorsque Dieu leur annonce qu'ils auront un fils il attend la vieillesse décrépite, devenue stérile par nature, épuisée par l'âge, pour leur découvrir ses desseins. C'est alors qu'il envoie son ange, qui les assure de sa part que dans un certain temps Sara concevra. Sara se prend à rire, tant elle est merveilleusement surprise de la nouvelle qu'on lui déclare. Dieu par cette conduite veut faire voir que cette race promise est son propre ouvrage. 11 a suivi le même plan dans l'établissement de son Eglise. Il laisse tout tomber jusqu'à l'espérance Sperabamus l c Nous espérions, » disent ses disciples depuis sa mort. Quand Dieu veut faire voir qu'un ouvrage est tout de sa main, il réduit tout à l'impuissance et au désespoir, puis il agit. Sperabamus c'en est fait, notre espérance est tombée et ensevelie avec lui dans le tombeau. Après la mort de Jésus-Christ, ils retournent à la pêche jamais ils ne s'y étoient livrés durant sa vie ils espéroient toujours Sperabamus.' C'est Pierre qui en fait la proposition Yado piscari venimus et nos tecum Retournons aux poissons, laissons les hommes. Voilà le fondement qui abandonne l'édifice, le capitaine qui quitte l'armée Pierre, le chef des apôtres, va reprendre son premier métier, et les filets, et le bateau qu'il avoit quittés. Evangile, que deviendrez-vous? Pèche spirituelle, vous ne serez plus. Mais dans ce moment Jésus vient: il ranime la foi presque éteinte de ses disciples abattus; il leur commande de reprendre le ministère qu'il leur a confié, et les rappelle au soin de ses brebis dispersées Pasce oves meas. C'en est assez pour leur rendre la paix et relever leur courage. Rassurés désormais par sa parole, fortifiés par son esprit, rien ne les étonnera, rien ne sera capable de les troubler ni le sentiment de leur foiblesse, ni la vue des obstacles, ni la grandeur du projet, ni le défaut des ressources humaines, rien ne sauroit les ébranler 1 Luc, xnv, 21. Joan., xx, 23.
dans la résolution d'exécuter tout ce que leur Maître leur a prescrit. Armés d'une ferme confiance dans le secours qui leur est promis, loin d'hésiter, ils s'affermissent parles oppositions mêmes qu'ils éprouvent; loin de craindre, ils ressentent une joie indicible au milieu des menaces et des mauvais traitemens que la seule idée du dessein qu'ils ont formé leur attire et déjà espérant contre toute espérance, ils se regardent comme assurés de la révolution qu'ils méditent. Quel étrange changement dans ces esprits grossiers 1 Quelle folle présomption ou quelle sublime et céleste inspiration les anime 1
En effet considérez, je vous prie, l'entreprise de ces pêcheurs. Jamais prince, jamais empire, jamais république, n'a conçu un dessein si haut. Sans aucune apparence de secours humain, ils partagent le monde entre eux pour le conquérir. Ils se sont mis dans l'esprit de changer par tout l'univers les religions établies, et les fausses et la véritable, et parmi les Gentils et parmi les Juifs. Ils veulent établir un nouveau culte, un nouveau sacrifice, une loi nouvelle, parce que, disent-ils, un homme qu'on a crucifié en Jérusalem l'a enseigné de la sorte. Cet homme est ressuscité, il est monté aux cieux où il est le Tout-Puissant. Nulle grace que par ses mains, nul accès à Dieu qu'en son nom. En sa croix est établie la gloire de Dieu; en sa mort, le salut et la vie des hommes. Mais voyons par quels artifices ils se concilieront les esprits. Venez, disent-ils, servir Jésus-Christ quiconque se donne à lui, sera heureux quand il sera mort en attendant, il faudra souffrir les dernières extrémités. Voilà leur doctrine et voilà leurs preuves; voilà leur fin, voilà leurs moyens.
Dans une si étrange entreprise, je ne dis pas avoir réussi comme ils ont fait, mais avoir osé espérer, c'est une marque invincible de la vérité. Il n'y a que la vérité ou la vraisemblance qui puisse faire espérer les hommes. Qu'un homme soit avisé, qu'il soit téméraire, s'il espère, il n'y a point de milieu on la vérité le presse, ou la vraisemblance le flatte; ou la force de celle-là le convainc, ou l'apparence de celle-ci le trompe. Ici tout ce qui se voit étonne, tout ce qui se prévoit est contraire tout ce qui est humain est impossible. Donc, où il n'y a nulle vraisemblance, il faut conclure
nécessairement que c'est la seule vérité qui soutient l'ouvrage. Que le monde se moque tant qu'il voudra encore faut-il que la plus forte persuasion qui ait jamais paru sur la terre, et dans la chose la plus incroyable, et parmi les épreuves les plus difficiles, et dans les hommes les plus incrédules et les plus timides, dont le plus hardi a renié lâchement son maître, ait une cause apparente. La feinte ne va pas si loin, la surprise ne dure pas si longtemps, la folie n'est pas si réglée.
Car enfin poussons à bout le raisonnement des incrédules et des libertins. Qu'est-ce qu'ils veulent penser de nos saints pêcheurs ? Quoi ? qu'ils avoient inventé une belle fable qu'ils se plaisoient d'annoncer au monde? mais ils l'auroient faite plus vraisemblable. Que c'étoient des insensés et des imbéciles qui ne s'entendoient pas eux-mêmes? mais leur vie, mais leurs écrits, mais leurs lois et la sainte discipline qu'ils ont établie et enfin l'événement même, prouvent le contraire. C'est une chose inouïe, ou que la finesse invente si mal, ou que la folie exécute si heureusement ni le projet n'annonce des hommes rusés, ni le succès des hommes dépourvus de sens. Ce ne sont pas ici des hommes prévenus, qui meurent pour des sentimens qu'ils ont sucés avec le lait. Ce ne sont pas ici des spéculatifs et des curieux, qui ayant rêvé dans leur cabinet sur des choses imperceptibles, sur des mystères éloignés des sens, font leurs idoles de leurs opinions et les défendent jusqu'à mourir. Ceux-ci ne nous disent pas Nous avons pensé, nous avons médité, nous avons conclu. Leurs pensées pourroient être fausses, leurs méditations mal fondées, leurs conséquences mal prises et défectueuses. Ils nous disent Nous avons vu, nous avons oui, nous avons touché de nos mains, et souvent, et longtemps, et plusieurs ensemble, ce Jésus-Christ ressuscité des morts. S'ils disent la vérité que reste-t-il à répondre ? S'ils inventent, que prétendent-ils? Quel avantage, quelle récompense, quel prix de tous leurs travaux? S'ils attendoient quelque chose, c'étoit dans cette vie, ou après leur mort. D'espérer pendant cette vie, ni la haine, ni la puissance, ni le nombre de leurs ennemis, ni leur propre foiblesse ne le souffre pas. Les voilà donc réduits aux siècles futurs; et alors, ou ils attendent
de Dieu la félicité de leurs ames, ou ils attendent des hommes la gloire et l'immortalité de leur nom. S'ils attendent la félicité que promet le Dieu véritable, il est clair qu'ils ne pensent pas à tromper le monde et si le monde veut s'imaginer que le désir de se signaler dans l'histoire, ait été flatter ces esprits grossiers jusque dans leurs bateaux de pêcheurs, je dirai seulement ce mot Si un Pierre, si un André, si un Jean, parmi tant d'opprobres et tant de persécutions, ont pu prévoir de si loin la gloire du christianisme, et celle que nous leur donnons, je ne veux rien de plus fort pour convaincre tous les esprits raisonnables que c'étoient des hommes divins, auxquels et l'Esprit de Dieu, et la force toujours invincible de la vérité, faisoient voir dans l'extrémité de l'oppression la victoire très-assurée de la bonne cause. Voilà ce que fait voir la vocation des pêcheurs elle montre que l'Eglise est un édifice tiré du néant, une création, l'œuvre d'une main toute-puissante. Voyez la structure, rien de plus grand le fondement, c'est le néant même Vocat ea quœ non sunt Si le néant y paroît, c'est donc une véritable création on y voit quelques parties brutes pour montrer ce que l'art a opéré. Si c'est'Dieu, bâtissons dessus, ne craignons pas. Laissons-nous prendre; et tant de fois pris par les vanités, laissons-nous prendre une fois à ces pêcheurs d'hommes et aux filets de l'Evangile, « qui ne tuent point ce qu'ils prennent mais qui le conservent; qui font passer à la lumière ceux qu'ils tirent du fond de l'abîme, et transportent de la terre au ciel ceux qui s'agitent dans cette fange » Apostolica instrumenta piscandi retia sunt, quœ non captos perimunt, sed reservant; et de profundo ad lumen extrahunt, fluctuantes de infimis ad superna traducunt Laissons-nous tirer de cette mer dont la face est toujours changeante, qui cède à tout vent, et qui est toujours agitée de quelque tempête. Ecoutez ce grand bruit du monde, ce tumulte, ce trouble éternel; voyez ce mouvement, cette agitation, ces flots vainement émus qui crèvent tout à coup et ne laissent que de l'écume. Ces ondes impétueuses qui se roulent les unes contre les autres, qui s'entre-choquent avec grand éclat et s'effacent mutuellement, 1 Rom., iv, 17. – S. Ambr., lib. IV, m Luc., n. 72.
sont une vive image du monde et des passions qui causent toutes les agitations de la vie humaine « où les hommes comme des poissons se dévorent mutuellement Ubi se invicem homines quasi pisces dévorant Y oyez encore ces grands poissons, ces monstres marins, qui fendent les eaux avec grand tumulte, et il ne reste à la fin aucun vestige de leur passage. Ainsi passent dans le monde ces grandes puissances, qui font si grand bruit, qui paroissent avec tant d'ostentation. Ont-elles passé, il n'y paroît plus; tout est effacé, et il n'en reste aucune apparence. Il vaut donc beaucoup mieux être enfermé dans ces rets qui nous conduiront au rivage que de nager et se perdre dans une eau si vaste, en se flattant d'une fausse image de liberté. La parole est le rets qui prend les ames. Mais on travaille vainement, si Jésus-Christ ne parle pas In verbo tuo laxabo rete « Sur votre parole, Seigneur, je jetterai le filet. » C'est ce qui donne efficace. Saintes Filles, vous êtes renfermées dans ce filet la parole qui vous a prises, c'est cet oracle si touchant de la vérité Quid prodest homini si mundum universum lucretur, animœ verà suœ detrimentum paliatur ? P Que sert à l'homme de gagner le monde entier, s'il perd son ame? » Dès lors pénétrées par l'efficace de cette parole du néant et des dangers d'un monde trompeur, vous avez voulu donner toutes vos affections à ces biens véritables, seuls dignes d'attirer vos cœurs; et pour vous mettre plus en état de les acquérir, vous vous êtes empressées de vous séparer de tous les objets qui auroient pu par des illusions funestes égarer vos désirs et détourner votre application de cet unique nécessaire. Persévérez dans ces bienheureux filets qui vous ont mises à couvert des périls de cette mer orageuse, et gardez-vous d'imiter ceux qui, par les différentes ouvertures qu'ils ont cherché dans leur inquiétude à faire aux rets salutaires qui les enserroient, n'ont travaillé qu'à se procurer une liberté plus déplorable que le plus honteux esclavage.
1 August., serm. cclii, n. 2. iMatth., svi, 26.
SECOND POINT.
Saint André est un des plus illustres de ces divins pêcheurs, et l'un de ceux à qui Dieu a donné le plus grand succès dans cette pêche mystérieuse. C'est lui qui a pris son frère Simon, le prince de tous les pêcheurs spirituels Veni et vide i. C'est ce qui donne lieu à Hésychius, prêtre de Jérusalem, de lui donner cet éloge » André, le premier né des apôtres, la colonne premièrement établie, Pierre devant Pierre, fondement du fondement même, qui a appelé avant qn'on l'appelât, qui amène des disciples à Jésus avant que d'y avoir été amené lui-même. « II rend ainsi au Verbe ceux qu'il prend par sa parole » Quos in verbo capit Verbo reddit 3. Car toute la gloire des conquêtes des apôtres est due à Jésus-Christ c'est en s'appuyant sur ses promesses qu'ils les entreprennent In verbo tuo laxabo rete « Aussi ne sommes-nous pas appelés Pétriens, mais Chrétiens, » Non petrianos, sed christianos « et ce n'est pas Paul qui a été crucifié pour nous » Numquid Paulus crucifixus est pro vobis B ?
Bientôt André rempli de ces sentimens, soumettra à son Maître avec un zèle infatigable et un courage invincible l'Epire, l'Achaie, la Thrace, la Scythie, peuples barbares et presque sauvages, a libres par leur indocile fierté, par leur humeur rustique et farouche » Omnes illœ ferociâ liberœ gentes. Tous ces succès sont l'effet de l'ordre que Jésus-Christ leur a donné à tous Laxate retia: « Jetez vos filets, » Dès que les apôtres se sont mis en devoir de l'exécuter, la foule des peuples et des nations convertis se trouve prise dans la parole.
Si nous voulons considérer avec attention toutes les circonstances de la pêche miraculeuse des apôtres, nous y verrons toute l'histoire de l'Eglise figurée avec les traits les plus frappans. Il y entre des esprits inquiets et impatiens; ils ne peuvent se donner de bornes, ni renfermer leur esprit dans l'obéissance Rumpebatur autem rete eorum 8. La curiosité les agite, l'inquiétude les pousse, l'orgueil les emporte ils rompent les rets, ils échappent, ils font 1 Joan., i, 46.– » Bibl. Phot., cod. 2G9. S. Ambr., m Luc., lib. IV, n. 78. – Luc, v, 5. « Cor., t, 13. • Luc., v, 6.
des schismes et des hérésies ils s'égarent dans des questions infinies, ils se perdent dans l'abîme des opinions humaines. Toutes les hérésies, pour mettre la raison un peu plus au large, se font des ouvertures par des interprétations violentes elles ne veulent rien qui captive. Dans les mystères, il faut souvent dire qu'on n'entend pas, il faut renoncer à la raison et au sens. L'esprit libre et curieux ne peut s'y résoudre; il veut tout entendre, l'Eucharistie, les paroles de l'Evangile. C'est un filet où l'esprit est arrêté. On force un passage, on cherche à s'échapper à travers les mauvaises défaites que suggère une orgueilleuse raison. Pour nous, demeurons dans l'Eglise, heureusement captivés dans ses liens. Il y en demeure des mauvais, mais il n'en sort aucun des bons. Mais voici un autre inconvénient. « La multitude est si grande, que la nacelle surchargée est prête à couler à fond » Impleverunt ambas naviculas, ita ut pcnè mergerentur t figure bien sensible de ce qui devoit se passer dans l'Eglise, où le grand nombre de ceux qui entroient dans la nacelle a tant de fois fait craindre qu'elle ne fùt submergée par son propre poids Sed mihi cumulus iste suspecîus est ne plenitudine sut naves penè mergantur Mais ce n'est pas encore tout, et ici le danger n'est pas moins redoutable que tous les périls déjà courus « Pierre est agité d'une nouvelle sollicitude; sa proie même, qu'il a tirée à terre avec tant d'efforts, lui devient suspecte; et il a besoin d'un sage discernement pour n'être pas trompé dans son abondance » Ecce alia sollicitudo Petri, cuijam suaprœda suspecta est 8. Image vive de la conduite que les pêcheurs spirituels ont dù tenir à l'égard de tous ces poissons mystérieux qui tomboient dans leurs filets. Faute de cette sage défiance et de ces précautions salutaires, l'Eglise s'est accrue, et la discipline s'est relâchée; le nombre des fidèles s'est augmenté, et l'ardeur de la foi s'est ralentie Nescio quomodà pugnante contra temetipsam tud felicilote, quantum tibi auctum est populorum, tantùm penè vitiorum; quantum tibi copiœ accessit, tantùm disciplina recessit; factaque es, Ecclesia, profectu tuœ fœcundilatis infirrnior et quasi minus valida 1 Luc., v, 7. – S. Ambr., in Luc., lib. IV, n. 77. – » Ibid., n. 78. • Salvian adv. Avar., lib. 1
Elle est déchue par son progrès et abattue par ses propres forces. L'Eglise n'est faite que pour les saints. Aussi les enfans de Dieu y sont appelés, et y accourent de toutes parts. Tous ceux qui sont du nombre y sont entrés; « mais combien en est-il entré par-dessus le nombre? » Multiplicati sunt super numerum 1. Combien parmi nous, qui néanmoins ne sont point des nôtres? Les enfans d'iniquité qui l'accablent, la foule des médians qui l'opprime, ne sont dans l'Eglise que pour l'exercer. Les vices ont pénétré jusque dans le cœur de l'Eglise, et ceux qui ne devoient pas même y être nommés y paroissent hautement la tête levée Maledictum et mendacium, et adulterium inundaverunt Les scandales se sont élevés; et l'iniquité étant entrée comme un torrent, elle a renversé la discipline. Il n'y a plus de correction, il n'y a plus de censure. On ne peut plus, dit saint Bernard 3, noter les médians, tant le nombre en est immense; on ne peut plus les éviter, tant leurs emplois sont nécessaires on ne peut plus les réprimer ni les corriger, tant leur crédit et leur autorité est redoutable. Dans cette foule, les bons sont cachés; souvent ils habitent dans quelque coin écarté, dans quelque vallée déserte ils soupirent en secret et se livrent aux saints gémissemens de la pénitence. Combien de saints pénitens? Hélas « à peine dans un si grand amas de pailles aperçoit-on quelques grains de froment » Vix ibi apparent grana frumenti in tara rnulto numero palearum Les uns paroissent, les autres sont cachés, selon qu'il plaît au Père céleste, ou de les sanctifier par l'obscurité, ou de les produire pour le bon exemple.
Mais dans cette étrange confusion et au milieu de tant de désordres, souvent la foi chancelle, les foibles se scandalisent, l'impiété triomphe; et l'on est tenté de croire que la piété n'est qu'un nom, et la vertu chrétienne qu'une feinte de l'hypocrisie. llassurez-vous cependant, et ne vous laissez pas ébranler par la multitude des mauvais exemples. Youlez-vous trouver des hommes sincèrement vertueux et vraiment chrétiens, qui vous consolent dans ce déréglement presque universel, « soyez vous-mêmes ce que vous 1 PsaJ. xxxix, 6. t Osée, iv, 2. » In Cant., serm. xxxnr, n. 16. S. August, serm. cclii, n. 4.
désireriez voir dans les autres; et vous en trouverez sûrement, ou qui vous ressembleront, ou qui vous imiteront » Estote tales, et invenietis tales.
TROISIÈME POINT.
L'Eglise parle à ses enfans ils doivent l'écouter avec un,respect qui prouve leur soumission, et lui obéir avec une promptitude qui témoigne leur fidélité et leur confiance. Dieu parle aussi, et à sa parole tout se fait dans la nature comme il l'ordonne. Si les créatures inanimées ou sans raison lui obéissent avec tant de dépendance, nous qui sommes doués d'intelligence, lui devonsnous moins de docilité quand il parle? Et en effet la liberté ne nous est pas donnée pour hésiter, ni pour disputer contre lui elle nous donne le volontaire pour distinguer notre obéissance decelle des créatures inanimées ou sans raison mais quel que soit notre avantage sur elles, ce n'est pas pour nous dispenser de rendre à Dieu la déférence qui lui est due. Le même droit qu'il a sur les autres êtres subsiste à notre égard, et il nous impose la même obligation de lui obéir ponctuellement et dans l'instant même. S'il nous laisse notre choix, c'est non pour affoiblir son empire, mais pour rendre notre sujétion plus honorable. Ceux qui sont accoutumés au commandement, sentent mieux que les autres combien cette obéissance est juste et légitime, combien elle est douce et aimable. Que sert donc de la refuser ou de la contester? Les hommes peuvent bien trouver moyen de se soustraire à l'empire de leurs semblables; mais Dieu a cela par nature, que rien ne lui résiste. Si la volonté rebelle prétend échapper à sa domination, en se retirant d'un côté, elle y retombe d'un autre avec toute l'impétuosité des efforts qu'elle avoit faits pour s'en affranchir. Ainsi tout invite, tout presse l'homme de se soumettre à son Dieu et de lui obéir sans contradiction et sans délai.
Quand on hésite ou qu'on diffère, il se tient pour méprisé et refusé tout à fait. Lorsque la vocation est claire et certaine, qui est capable d'hésiter un moment est capable de manquer tout à fait; qui peut retarder un jour peut passer toute sa vie nos pas-
sions et nos affaires ne nous demandent jamais qu'un délai. C'est pour Dieu une insupportable lenteur que d'aller seulement dire adieu aux siens, que d'aller rendre à son propre père les honneurs de la sépulture. Il faudra voir le testament, l'exécuter, le contester d'une affaire il en naît une autre, et un moment de remise attire quelquefois la vie toute entière c'est pourquoi il faut Itout quitter en entrant au service de Dieu'. Puisqu'il faudra nécessairement couper quelque part, coupez dès l'abord, tranchez au commencement, afin d'être plutôt à celui à qui vous voulez être pour toujours.
Et combien n'est-on pas dédommagé de ces sacrifices; et quelle confiance ne donnent-ils pas aux ames, pour oser tout espérer de la bonté d'un Dieu si généreux et si magnifique? Voyez les apôtres, ils n'ont quitté qu'un art méprisable Pierre en dit-il avec moins de force « Nous avons tout quitté? » Reliquimus omnia Il. Des filets voilà le présent qu'ils suspendent à ses autels; voilà les armes, voilà le trophée qu'ils érigent à sa victoire. Qu'il y a plaisir de servir celui qui fait justice au cœur et qui pèse l'affection qui veut à la vérité nous faire acheter son royaume, mais aussi qui a la bonté de se contenter de ce que nous avons entre les mains Car il met son royaume à tout prix, et il le donne pour tout ce que nous pouvons lui offrir Tantùm valet quanlùm habes. « Rien qui soit à plus vil prix quand on l'achète, rien qui soit plus précieux quand on le possède » Quid vilius cùm emitur, quid charius cùm possidetur s?
Mais ce n'est pas assez de tout quitter, parens, amis, biens, repos, liberté il faut encore suivre Jésus-Christ, porter sa croix après lui en marchant sur ses traces, en imitant ses exemples et se renoncer ainsi soi-même tous les jours de sa vie. Cependant qu'il est difficile, quand tout est heureux, quand tout nous favorise, de résister à ces attraits séduisans d'un monde qui nous amollit et nous corrompt en nous flattant! A qui persuadera-t-on de fuir la gloire, de mépriser les honneurs, de redouter les richesses, lorsqu'ils semblent se présenter comme d'eux-mêmes, et 1 S. Chrysost., in Matth., homil. XXVII. – Matth xix, 2". – S. Gregor., in Ev., hom. v, n. 2, 3.
venir pour ainsi dire nous chercher dans notre obscurité? Qui peut comprendre qu'il faille se mortifier dans le sein de l'abondance faire violence à ses désirs, lorsque tout concourt à les satisfaire devenir à soi-même son propre bourreau, si les contradictions du dehors ne nous en tiennent lieu; et savoir se livrer à tous les genres de souffrances, pour mener une vie vraiment pénitente et crucifiée 1 Et toutefois y a-t-il une autre manière de se rendre semblable à Jésus-Christ, et de porter fidèlement sa croix avec lui? « 0 croix aimable, ô croix si ardemment désirée et enfin trouvée si heureusement, puissé-je ne jamais te quitter, te demeurer tendrement et constamment attaché, afin que celui qui en mourant entre tes bras par toi m'a racheté, par toi aussi me reçoive et me possède éternellement dans son amour! » Ut per te me recipiat, qui per te moriens me redemit. Tels sont les sentimens dont doivent être animés tous ceux qui veulent sincèrement appartenir à Jésus-Christ point d'autre moyen de se montrer ses véritables disciples.
Quand est-ce que l'Eglise a vu des chrétiens dignes de ce nom? C'est lorsqu'elle étoit persécutée, lorsqu'elle lisoit à tous les poteaux des sentences épouvantables contre ses enfans, et qu'elle les voyoit à tous les gibets et dans toutes les places publiques immolés pour la gloire de l'Evangile. Durant ce temps, mes Sœurs, il y avoit des chrétiens sur la terre; il y avoit de ces hommes forts, qui nourris dans les proscriptions et dans les alarmes continuelles, s'étoient fait une glorieuse habitude de souffrir pour l'amour de Dieu. Ils croyoient que c'étoit trop de délicatesse à des disciples de la croix, que de rechercher le plaisir en ce monde et en l'autre. Comme la terre leur étoit un exil, ils n'estimoient rien de meilleur pour eux que d'en sortir au plus tôt. Alors la piété étoit sincère, parce qu'elle n'étoit pas encore devenue un art elle n'avoit pas encore appris le secret de s'accommoder au monde, ni de servir au négoce des ténèbres. Simple et innocente qu'elle étoit, elle ne regardoit que le Ciel, auquel elle prouvoit sa fidélité par une longue patience. Tels étoient les chrétiens de ces premiers temps les voilà dans leur pureté, tels que les engendroit le sang des martyrs, tels que les formoient les persécutions.
Maintenant une longue paix a corrompu ces courages mâles, et on les a vus ramollis depuis qu'ils n'ont plus été exercés. Le monde est entré dans l'Eglise. On a voulu joindre Jésus-Christ avec Bélial, et de cet indigne mélange quelle race enfin nous est née? Une race mêlée et corrompue, des demi-chrétiens, des chrétiens mondains et séculiers, une piété bâtarde et falsifiée, qui est toute dans les discours et dans un extérieur contrefait. 0 piété à la mode, que je me ris de tes vanteries et des discours étudiés que tu débites à ton aise pendant que le monde te rit Viens que je te mette à l'épreuve. Voici une tempête qui s'élève; voici une perte de biens, une insulte, une disgrace, une maladie. Quoi 1 tu te laisses aller au murmure, ô vertu contrefaite et déconcertée! Tu ne peux plus te soutenir, piété sans force et sans fondement 1 Vas, tu n'étois qu'un vain simulacre de la piété chrétienne; tu n'étois qu'un faux or qui brille au soleil, mais qui ne dure pas dans le feu, mais qui s'évanouit dans le creuset. La piété chrétienne n'est pas faite de la sorte le feu l'épure et l'affermit. Ah 1 s'il est ainsi, chrétiens, si les souffrances sont nécessaires pour soutenir l'esprit du christianisme Seigneur, rendez-nous les tyrans rendez-nous les Domitiens et les Nérons.
Mais modérons notre zèle et ne faisons point de vœux indiscrets n'envions pas à nos princes le bonheur d'être chrétiens, et ne demandons pas des persécutions que notre lâcheté ne pourroit souffrir. Sans ramener les roues et les chevalets sur lesquels on étendoit nos ancêtres, la matière ne manquera pas à la patience. La nature a assez d'infirmités, les affaires assez d'épines, les hommes assez d'injustice, leurs jugemens assez de bizarreries, leurs humeurs assez d'importunes inégalités, le monde assez d'embarras, ses faveurs assez d'inconstance, ses engagemens les plus doux assez de captivités. Que si tout nous prospère, si tout nous rit, c'est à nous à nous rendre nous-mêmes nos persécuteurs, à nous contrarier nous-mêmes.
Pour mener une vie chrétienne, il faut sans cesse combattre son cœur, craindre ce qui nous attire, pardonner ce qui nous irrite, rejeter souvent ce qui nous avance, et nous opposer nousmêmes aux accroissemens de notre fortune. Oh qu'il est difficile,
pendant que le monde nous accorde tout, de se refuser quelque chose 1 Qui ayant en sa possession une personne très-accomplie qu'il auroit aimée, vivroit avec elle comme avec sa sœur, s'élèveroit au-dessus de tous les sentimens de l'humanité c'est une aussi forte résolution, dit saint Chrysostome de ne pas laisser corrompre son cœur par les grandeurs et les biens qu'on possède. Ah qu'il faut alors de courage pour renoncer à ses inclinations, et s'empêcher de goûter et d'aimer ce que la nature trouve si doux et si aimable. ^ans cesse obligé d'être aux prises avec soi-même, pour s'arracher de vive force à des objets auxquels tout le poids du cœur nous entraîne, combien ne s'y sent-on pas plus fortement incliné, lorsque tout ce qui nous environne nous invite et nous presse de satisfaire à nos désirs? C'est dans une si critique situation qu'il faut vraiment, pour se conserver pur, se rendre en quelque sorte cruel à soi-même, en se privant d'autant plus des vains plaisirs que la chair recherche, qu'on a plus de moyen de se les procurer. Si l'esprit veut alors acquérir une noble liberté, qu'il tienne les sens dans une sage contrainte, de peur d'en être bientôt maîtrisé; et que saintement sévère à lui-même, sévère à son corps, il tende par une bienheureuse mortification de tous les retours de l'amour-propre et toutes les affections charnelles, à se dégager de plus en plus de tout ce qui l'empêche de retourner à son principe. Peu à peu il trouvera dans les austérités de la pénitence, dans les humiliations de la croix, plus de délices et de consolations, que les amateurs du monde ne sauroient en goûter dans toutes les folles joies qu'il leur procure et dans tous les contentemens de leur orgueil. C'est ainsi que par les différens progrès du détachement et de la pénitence, nous parvenons à être réellement martyrs de nous-mêmes, nous devenons des victimes d'autant plus propres à être consommées en Jésus-Christ, qu'elles sont plus volontaires. Nouveau genre de martyre, où le persécuteur et le patient sont également agréables, où Dieu d'une même main anime celui qui souffre et couronne celui qui persécute. Saintes Filles, vous connoissez ce genre de martyre, et depuis- longtemps vous l'exercez sur vous-mêmes avec un zèle digne de 1 In Matth., hom. XL, n. 4.
la foi qui vous anime. Peu contentes de vous être dépouillées par un généreux renoncement que la grace vous a inspiré, de tous les objets capables de vous affadir, vous avez encore voulu déclarer une guerre continuelle à toutes les affections, à tous les sentimens d'une nature toujours ingénieuse à rechercher ce qui peut la satisfaire; et dans la crainte de céder à ses empressemens, vous avez mieux aimé lui refuser sans danger ce qui pourroit lui être permis que de vous exposer à vous laisser entraîner au delà des bornes, en lui donnant tout ce que vous pouviez absolument lui accorder. Persévérez, mes Sœurs, dans cette glorieuse milice, qui vous apprendra à mourir chaque jour à ce que vous avez de •plus intime, et qui vous détachant de plus en plus de la chair, vous élèvera par une sainte mortification de l'esprit jusqu'à Dieu, pour trouver en lui cette paix que le monde ne connoît pas, ces délices que les sens ne sauroient goûter, et ce parfait bonheur réservé aux ames vraiment chrétiennes, que je vous souhaite.
PANÉGYRIQUE
DE
SAINT JEAN, APOTRE (a).
Ego dilecto meo, et ad me conversio ejus.
Je suis à mon bien-aimé, et la pente de son cœur est tournée vers moi. Cant., vu, 10.
Il est superflu, chrétiens, de faire aujourd'hui le panégyrique du disciple bien-aimé de notre Sauveur. C'est assez de dire en un mot qu'il étoit le favori de Jésus, et le plus chéri de tous les apôtres. Saint Augustin dit très-doctement que « l'ouvrage est parfait, lorsqu'il plalt à son ouvrier » Hoc est perfectum quod (a) Prêché vers 1662.
On trouve dans ce panégyrique, ce nous semble, des traces visibles' de la première époque parmi les traits les plus éclatans de la deuxième. C'est cette double indication qui nous a fait admettre la date posée tout à l'heure.
artifici suo placet et il me semble que nous le connoissons par expérience. Quand nous voyons un excellent peintre qui travaille à faire un tableau, tant qu'il tient son pinceau en main, que tantôt il efface un trait, et tantôt il en tire un autre, son ouvrage ne lui plaît pas, il n'a pas rempli toute son idée et le portrait n'est pas achevé mais sitôt qu'ayant fini tous ses traits et relevé toutes ses couleurs, il commence à exposer sa peinture en vue, c'est alors que son esprit est content et que tout est ajusté aux règles de l'art l'ouvrage est parfait, parce qu'il plaît à son ouvrier et qu'il a fait ce qu'il vouloit faire Hoc est perfeclum quod artifici sito'placet. Ne doutez donc pas, chrétiens, de la grande perfection de saint Jean, puisqu'il plaît si fort à son ouvrier; et croyez que Jésus-Christ Créateur des cœurs, qui les crée, comme dit saint Paul dans les bonnes œuvres l'a fait tel qu'il falloit qu'il fût pour être l'objet de ses complaisances. Ainsi je pourrois conclure ce panégyrique après cette seule parole, si votre instruction, chrétiens, ne désiroit de moi un plus long discours. Sainte et bienheureuse Marie, impétrez-nous les lumières de l'Esprit de Dieu, pour parler de Jean votre second fils. Que votre pudeur n'en rougisse pas; votre virginité n'y est point blessée. C'est Jésus-Christ qui vous l'a donné, et qui a voulu vous annoncer lui-même que vous seriez la Mère de son bien-aimé. Qui doute que vous n'ayez cru à la parole de votre Dieu, vous qui avez été si humblement soumise à celle qui vous fut portée par son ange, qui vous salua de sa part, en disant Ave.
Je remarque dans les saintes Lettres trois états divers dans lesquels a passé le Sauveur Jésus pendant les jours de sa chair et le cours de son pèlerinage. Le premier a été sa vie; le second a été sa mort, le troisième a été mêlé de mort et de vie, où Jésus n'a été ni mort ni vivant, ou plutôt il y a été tout ensemble et mort et vivant; et c'est l'état où il se trouvoit dans la célébration de sa sainte Cène, lorsque mangeant avec ses disciples, il leur montroit qu'il étoit en vie; et voulant être mangé par ses disciples, ainsi qu'une victime immolée, il leur paroissoit comme mort. 1 De Genes., contra Manich., lib. I, cap. vin, n. 13. Ephes., ri, 10.
Consacrant lui-même son corps et son sang, il faisoit voir qu'il étoit vivant et divisant mystiquement son corps de son sang, il se couvroit des signes de mort, et se dévouoit à la croix par une destination particulière. Dans ces trois états, chrétiens, il m'est aisé de vous faire voir que Jean a toujours été le fidèle et le bienaimé du Sauveur. Tant qu'il vécut avec les hommes, nul n'eut plus de part en sa confiance; quand il rendit son ame à son Père, aucun des siens ne reçut de lui des marques d'un amour plus tendre quand il donna son corps à ses disciples, ils virent tous la place honorable qu'il lui fit prendre près de sa personne dans cette sainte cérémonie.
Mais ce qui me fait connoître plus sensiblement la forte pente du cœur de Jésus sur le disciple dont nous parlons, ce sont trois présens qu'il lui fait dans ces trois états admirables où nous le voyons dans son Evangile. Je trouve en effet, chrétiens, qu'en sa vie il lui donne sa croix; à sa mort, il lui donne sa Mère; à sa Cène, il lui donne son cœur. Que désire un ami vivant, sinon de s'unir avec ceux qu'il aime dans la société des mêmes emplois, et l'amitié a-t-elle rien de plus doux que cette aimable association? L'emploi de Jésus étoit de souffrir c'est ce que son Père lui a prescrit, et la commission qu'il lui a donnée. C'est pourquoi il unit saint Jean à sa vie laborieuse et crucifiée, en lui prédisant de bonne heure les souffrances qu'il lui destine « Vous boirez, dit-il, mon calice, et vous serez baptisé de mon baptême 1. » Voilà le présent qu'il lui fait pendant le cours de sa vie. Quelle marque nous peut donner un ami mourant que notre amitié lui est précieuse, sinon lorsqu'il témoigne un ardent désir de se conserver notre cœur même après sa mort, et de vivre dans notre mémoire? C'est ce qu'a fait Jésus-Christ en faveur de Jean d'une manière si avantageuse, qu'il n'est pas possible d'y rien ajouter, puisqu'il lui donne sa divine Mère, c'est-à-dire ce qu'il a de plus cher au monde « Fils, dit-il, voilà votre Mère » Mais ce qui montre le plus son amour, c'est le beau présent qu'il lui fait au sacré banquet de l'Eucharistie, où son amitié n'étant pas contente de lui donner comme aux autres sa chair et son sang pour en 1 Marc, x, 39. – » Joan., XIX, 27.
faire un même corps avec lui, il le prend entre ses bras, il l'approche de sa poitrine; et comme s'il ne suffisoit pas de l'avoir gratifié de tant de dons, il le met en possession de la source même de toutes ses libéralités, c'est-à-dire de son propre cœur, sur lequel il lui ordonne de se reposer comme sur une place qui lui est acquise. 0 disciple vraiment heureux, à qui Jésus-Christ a donné sa croix, pour l'associer à sa vie souffrante; à qui JésusChrist a donné sa Mère, pour vivre éternellement dans son souvenir à qui Jésus-Christ a donné son cœur, pour n'être plus avec lui qu'une même chose! Que reste-t-il, ô cher favori, sinon que vous acceptiez ces présens avec le respect qui est dû à l'amour de votre bon Maître ?
Voyez, chrétiens, comme il les accepte. Il accepte la croix du Sauveur, lorsque Jésus-Christ la lui proposant Pourrez-vous bien, dit-il, boire ce calice? Je le puis, lui répond saint Jean, et il l'embrasse de toute son ame Possumus Il accepte la sainte Vierge avec une joie merveilleuse. 11 nous rapporte lui-même qu'aussitôt que Jésus-Christ la lui eut donnée, il la considéra comme son bien propre Accepit eam discipulus in suâ 2. Il accepte surtout le cœur de Jésus avec une tendresse incroyable, lorsqu'il se repose dessus doucement et tranquillement, pour marquer une jouissance paisible et une possession assurée. 0 mystère de charité! 0 présens divins et sacrés! qui me donnera des paroles assez tendres et affectueuses, pour vous expliquer à ce peuple? C'est néanmoins ce qu'il nous faut faire avec le secours de la grace.
PREMIER POINT.
Ne vous persuadez pas, chrétiens, que l'amitié de notre Sauveur soit de ces amitiés délicates qui n'ont que des douceurs et des complaisances, et qui n'ont pas assez de résolution pour voir un courage fortifié par les maux et exercé par les souffrances. Celle que le Fils de Dieu a pour nous est d'une nature bien différente elle veutnous durcir aux travaux, et nous accoutumer à la guerre; elle est tendre, mais elle n'est pas molle; elle est ardente, mais Afarc., x, 39. – » Joan., xix, 27.
elle n'est pas foible; elle est douce, mais elle n'est pas flatteuse. Oui certainement, chrétiens, quand Jésus entre quelque part, il y entre avec sa croix, il y porte avec lui toutes ses épines, et il en fait part à tous ceux qu'il aime. Comme notre apôtre est son bienaimé, il lui fait présent de sa croix; et de cette même main dont il a tant de fois serré la tête de Jean sur sa bienheureuse poitrine avec une tendresse incroyable, il lui présente ce calice amer, plein de souffrances et d'afflictions, qu'il lui ordonne de boire tout plein et d'en avaler jusqu'à la lie Calicem quidem meum bibetis Avouez la vérité, chrétiens vous n'ambitionnez guère un tel présent, vous n'en comprenez pas le prix. Mais s'il reste encore en vos ames quelque teinture de votre baptême que les délices du monde n'aient pas effacée, vous serez bientôt convaincus de la nécessité de ce don, en écoutant prêcher Jésus-Christ, dont je vous rapporterai les paroles sans aucun raisonnement recherché, mais dans la même simplicité dans laquelle elles sont sorties de sa sainte et divine bouche.
Notre-Seigneur Jésus avoit deux choses à donner aux hommes, sa croix et son trône, sa servitude et son règne, son obéissance jusqu'à la mort et son exaltation jusqu'à la gloire. Quand il est venu sur la terre,-il a proposé l'un et l'autre; c'étoit l'abrégé de sa commission, c'étoit tout le sujet de son ambassade Complacuit dare vobis regnum « II a plu au Père de vous donner son royaume » Non veni pacem mittere sed gladium « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » Sicut oves in medio Iwporum « Allez comme des brebis au milieu des loups. » Ses disciples, encore grossiers et charnels, ne vouloient point comprendre sa croix, et ils ne l'importunoient que de son royaume; et lui, désirant les accoutumer aux mystères de son Evangile, il ne leur dit ordinairement qu'un mot du royaume, et il revient toujours à la croix. C'est ce qui doit nous montrer qu'il faut partager nos affections entre sa croix et son trône; ou plutôt, puisque ces deux choses sont si bien liées, qu'il faut réunir nos affections dans la poursuite de l'un et de l'autre.
0 Jean, bien-aimé de Jésus, venez apprendre de lui cette vérité. 1 Matth., xx, 23. – Lue., XU, 23, » Matth., X, 34, 16.
Il l'a déjà plusieurs fois prêchée à tous les apôtres vos compagnons mais vous qui êtes le favori, approchez-vous avec votre frère, et il vous l'enseignera en particulier. Votre mère lui dit « Commandez que mes deux fils soient assis à votre droite dans votre royaume » Die ut sedeant hi duo filii v, ei. « Pouvezvous, leur répondez-vous, boire le calice que je dois boire? » Potestis bibere calicem quem ego bibituries sum ? Mon Sauveur, permettez-moi de le dire, vous ne répondez pas à propos. On parle de gloire, vous d'ignominie. Il répond à propos; mais ils ne demandent pas à propos Nescitis quid petatis « Vous ne savez ce que vous demandez. » Prenez la croix, et vous aurez le royaume il est caché sous cette amertume. Attends à la croix, tu y verras les titres de ma royauté. a Ce n'est pas à moi à vous donner ce que vous demandez » Non est meum dare vobis c'est à vous à le prendre, selon la part que vous voudrez avoir aux souffrances. Cela demeure gravé dans le cœur de Jean. Il ne songe plus au royaume qu'il ne songe à la croix avant toutes choses; et c'est ce qu'il nous représente admirablement dans son Apocalypse « Moi Jean, nous dit-il, qui suis votre frère et qui ai part à la tribulation, au royaume et à la patience de Jésus-Christ,'j'ai été dans l'île nommée Patmos pour la parole du Seigneur et pour le témoignage que j'ai rendu à Jésus-Christ; et je fus ravi en esprit » Ego Joannes frater vester, et socius in tribulatione, et regno, et patientiâ, fui in insulà quœ appeldatur Patmos, propter verbum Dei, et testimonium Jesu fui in spiritu a. Pourquoi fait-il cette observation? J'ai vu en esprit le Fils de l'homme en son trône, j'ai ouï le cantique de ses louanges, pourquoi? Parce que j'ai été banni dans une île Fui in insuld. Je croyois. autrefois qu'on ne pouvoit voir Jésus-Christ régnant à moins que d'être assis à sa droite et revêtu de sa gloire; mais il m'a fait connoitre qu'on ne le voit jamais mieux que dans les souffrances. L'affliction m'a dessillé les yeux, le vent de la persécution a dissipé les nuages de mon esprit et a ouvert le passage à la lumière. Mais voyez encore plus précisément Ego Joannes, socius in tribitlatione et regno. Il parle du royaume; mais il parle auparavant de la croix il 1 Matth., xx, 22. » Apoc., 1, 9, 10.
mettoit autrefois le royaume devant la croix; maintenant il met la croix la première; et après avoir nommé le royaume, il revient incontinent aux souffrances Et patientià. Il craint de s'arrêter trop à la gloire, comme il avoit fait autrefois.
Mais voyons quelle a été sa croix. Il semble que c'est celui de tous les disciples qui a eu la plus légère. Pour nous détromper, expliquons quelle a été sa croix et nous verrons qu'en effet elle a été la plus grande de toutes dans l'intérieur. Apprenez le mystère, et considérez les deux croix de notre Sauveur. L'une se voit au Calvaire, et elle paroît la plus douloureuse; l'autre est celle qu'il a portée durant tout le cours de sa vie, c'est la plus pénible. Dès le commencement, il se destine pour être la victime du genre humain. Il devoit offrir deux sacrifices. Le dernier sacrifice s'est opéré à l'autel de la croix mais il falloit qu'il accomplît le sacrifice qui étoit appelé juge samficium 1, dont son cœur étoit l'autel et le temple. 0 cœur toujours mourant, toujours percé de coups, brûlant d'impatience de souffrir, qui ne respiroit que l'immolation Ne croyez donc pas que sa passion soit son sacrifice le plus douloureux. Sa passion le console il a une soif ardente qui le brûle et qui le consume, sa passion le rafraîchira; et c'est peutêtre une des raisons pour laquelle il l'appelle, une coupe qu'il a à boire, parce qu'elle doit rafraîchir l'ardeur de sa soif. En effet quand il parle de cette dernière croix « C'est à présent, s'écrie-t-il, que le Fils de l'homme est glorifié » Nunc clariftcatus est C'est ainsi qu'il s'exprime après la dernière pâque, sitôt que Judas fut sorti du cénacle. Mais s'agit-il de l'autre croix, c'est alors qu'il se sent vivement pressé dans l'attente de l'accomplissement de ce baptême Baptismo habeo baptizari, et quomodà coarctor*? L'un le dilate Nunc clarificatus est; l'autre le presse Coarctor. Lequel est-ce qui fait sa vraie croix? Celui qui le presse et qui lui fait violence, ou celui qui relâche la force du mal?
C'est cette première croix, si pressante et si douloureuse, que Jésus-Christ veut donner à Jean. Pierre lui demandoit « Seigneur, que destinez-vous à celui-ci? » Domine, hic autem quidk? .Vous m'avez dit quelle sera ma croix, quelle part y donnerez-vous 1 Dan., vin, 11-13. *Joan., xin, 31. – » Luc., xil, 50. – tJoan., xxi, 21.
à celui-ci? Ne vous en mettez point en peine. La croix que je veux qu'il porte ne frappera pas les sens je me réserve de la lui imprimer moi-même elle sera principalement au fond de son ame; ce sera moi qui y mettrai la main, et je saurai bien la rendre pesante. Et pour le rendre capable de la soutenir avec un courage vraiment héroïque, il lui inspira l'amour des souffrances. Tout homme que Jésus-Christ aime, il attire tellement son cœur après lui, qu'il ne souhaite rien avec plus d'ardeur que de voir abattre son corps comme une vieille masure qui le sépare de Jésus-Christ. Mais quel autre avoit plus d'ardeur pour la croix que Jean, qui avoit humé ce désir aux plaies mêmes de Jésus-Christ, qui avoit vu sortir de son côté l'eau vive de la félicité, mais mêlée avec le sang des souffrances? Il est donc embrasé du désir du martyre et cependant, ô Sauveur, quels supplices lui donnerez-vous Un exil. 0 cruauté lente et timide de Domitien Faut-il que tu ne sois trop humain que pour moi, et que tu n'aies pas soif de mon sang? Mais peut-être qu'il sera bientôt répandu. On lui prépare de l'huile bouillante, pour le faire mourir dans ce bain brûlant. Vous voilà enfin, ô croix de Jésus, que je souhaite si vivement 1II s'élance dans cet étang d'huile fumante et bouillante avec la même promptitude que, dans les ardeurs de l'été, on se jette dans le bain pour se rafraîchir. Mais, ô surprise fâcheuse et cruelle 1 tout d'un coup elle se change en rosée. Bien-aimé de mon cœur, est-ce là l'amour que vous me portez? Si vous ne voulez pas me donner la mort, pourquoi forcez-vous la nature de se refuser à mes empressemens? 0 bourreaux, apportez du feu, réchauffez votre huile inopinément refroidie. Mais ces cris sont inutiles. Jésus-Christ veut prolonger sa vie, parce qu'il veut encore aggraver sa croix. Il faut vivre jusqu'à une vieillesse décrépite il faut qu'il voie passer devant lui tous ses frères les saints apôtres, et qu'il survive presque à tous les enfans qu'il a engendrés à Notre-Seigneur.
De quoi le consolerez-vous, ô Sauveur des ames? Ne voyezvous pas qu'il meurt tous les jours, parce qu'il ne peut mourir une fois. Hélas 1 il semble qu'il n'a plus qu'un souffle. Ce vieillard n'est plus que cendres, et sous cette cendre vous voulez cacher un
grand feu. Ecoutez comme il crie « Mes bien-aimés, nous sommes dès à présent enfans de Dieu; mais ce que nous serons un jour ne paroît pas encore » Dilectissimi, nunc filii Dei sumus, et nondùrn apparuit quid erimus De quoi le consolerez-vous? Sera-ce par les visions dont vous le gratifierez? Mais c'est ce qui augmente l'ardeur de ses désirs. Il voit couler ce fleuve qui réjouit la cité de Dieu, la Jérusalem céleste. Que sert de lui montrer la fontaine, pour ne lui donner qu'une goutte à boire? Ce rayon lui fait désirer le grand jour, et cette goutte que vous laissez tomber sur lui lui fait avoir soif de la source. Ecoutez comme il crie dans l'Apocalypse Et Spiritus et Sponsa dicunt, Yeni « L'Esprit et l'Epouse disent, Venez. » Que lui répond le divin Epoux? « Oui, je viens bientôt » Etiam venio cita « 0 instant trop long » 0 modicum longum 3 Il redouble ses gémissemens et ses cris « Venez, Seigneur Jésus » Veni, Domine Jesu. 0 divin Sauveur, quel supplice Votre amour est trop sévère pour lui. Je sais que dans la croix que vous lui donnez, « il y a une douleur qui console » Ipse consolatur dolor l; et que le calice de votre passion que vous lui faites boire à longs traits, tout amer qu'il est à nos sens, a ses douceurs pour l'esprit, quand une foi vive l'a persuadé des maximes de l'Evangile (a). Mais j'ose dire, ô divin Sauveur, que cette manière douce et affectueuse avec laquelle vous avez traité saint Jean votre bien-aimé disciple, et ces caresses mystérieuses dont il vous a plu l'honorer, exigeoient en quelque sorte de vous quelque marque plus sensible de la tendresse de votre cœur, et que vous lui deviez des consolations qui fussent plus approchantes de cette familiarité bienheureuse que vous avez voulu lui permettre. C'est aussi ce que nous verrons au Calvaire dans le beau présent qu'il lui fait, et dans le dernier adieu qu'il lui dit.
[ Joan., m, 2. – Apoc., xxn, 17, 20. – S. August., in Joan., tract. CI, n. 6. – S. August., epist. xxvn, n. t.
(a) Var.: Jusqu'ici, mes Frères, l'amour de mon Sauveur'pour saint Jean semble n'avoir rien eu que de fort sévère; et il paroit tenir davantage des sentimens d'un père qui nourrit son fils dans une conduite rigoureuse, pour tenir ses passions en bride, que de la tendresse d'un ami qui s'empresse pour témoigner une affection cordiale. Ce n'est pas que je veuille dire que la croix qu'il lui a donnée, tout horrible qu'elle vous paroît, ne soit pleine de consolation.
SECOND POINT.
Certainement, chrétiens, l'amitié ne peut jamais être véritable, qu'elle ne se montre bientôt toute entière; et elle n'a jamais plus de peine que lorsqu'elle se voit cachée. Toutefois il faut avouer que dans le temps qu'il faut dire adieu, la douleur que la séparation lui fait ressentir, lui donne je ne sais quoi de si vif et de si pressant pour se faire voir dans son naturel, que jamais elle ne se découvre avec plus de force. C'est pourquoi les derniers adieux que l'on dit aux personnes que l'on a aimées saisissent de pitié les cœurs les plus durs chacun tâche dans ces rencontres de laisser des marques de son souvenir. Nous voyons en effet tous les testamens remplis de clauses de cette nature comme si l'amour qui ne se nourrit ordinairement que par la présence, voyant approcher le moment fatal de la dernière séparation, et craignant par là sa perte totale en même temps qu'il se voit privé de la conversation et de la vue, ramassoit tout ce qui lui reste de force pour vivre et durer du moins dans le souvenir.
Ne croyez pas que notre Sauveur ait oublié son amour en cette occasion. « Ayant aimé les siens, il les a aimés jusqu'à la lin » et puisqu'il ne meurt que par son amour, il n'est jamais plus puissant qu'à sa mort. C'est aussi sans doute pour cette raison qu'il amène au pied de sa croix les deux personnes qu'il chérit le plus, c'est-à-dire Marie sa divine Mère et J ean son fidèle et son bon ami, qui remis de ses premières terreurs, vient recueillir les derniers soupirs de son Maître mourant pour notre salut. Car je vous demande, mes Frères, pourquoi appeler la trèssainte Vierge à ce spectacle d'inhumanité? Est-ce pour lui percer le cœur et lui déchirer les entrailles? Faut-il que ses yeux maternels soient frappés de ce triste objet, et qu'elle voie couler devant elle par tant de cruelles blessures un sang qui lui est si cher? Pourquoi le plus chéri de tous ses disciples est-il le seul témoin de ses souffrances? Avec quels yeux verra-t-il cette poitrine sacrée sur laquelle il se reposoit il y a deux jours pousser les derniers sanglots parmi des douleurs infinies? Quel plaisir au Sauveur, 1 Joan., \\u, {.
de contempler ce favori bien-aimé saisi par la vue de tant de tourmens, et par la mémoire encore toute fraîche de tant de caresses récentes mourir de langueur au pied de sa croix? S'il l'aime si chèrement, que ne lui épargne-t-il cette affliction? Et n'y a-t-il pas de la dureté de lui refuser cette grace? Chrétiens, ne le croyez pas, et comprenez le dessein du Sauveur des ames. Il faut que Marie et saint Jean assistent à la mort de Jésus, pour y recevoir ensemble avec la tendresse du dernier adieu les présens qu'il a à leur faire, afin de signaler en expirant l'excès de son affection. Mais que leur donnera-t-il, nu, dépouillé comme il est? Les soldats avares et impitoyables ont partagé jusqu'à ses habits et joué sa tunique mystérieuse il n'a pas de quoi se faire enterrer. Son corps même n'est plus à lui il est la victime de tous les pécheurs il n'y a goutte de son sang qui ne soit due à la justice de Dieu son Père. Pauvre esclave, qui n'a plus rien en sonpouvoirdont il puisse disposer par son testament! Il a perdu jusqu'à son Père, auquel il s'est glorifié tant de fois d'être si étroitement uni. C'est son Dieu, ce n'est plus son Père. Au lieu de dire comme auparavant « Tout ce qui est à vous est à moi, il ne lui demande plus qu'un regard Respice in me; et il ne peut l'obtenir, et il s'en voit abandonné Quare me dereliquisti » ? Ainsi, de quelque côté qu'il tourne les yeux, il ne voit plus rien qui lui appartienne. Je me trompe, il voit Marie et saint Jean tout le reste des siens l'ont abandonné, et ils sont là pour lui dire: Nous sommes à vous. Voilà tout le bien qui lui reste et dont il peut disposer par son testament. Mais c'est à eux qu'il faut donner, et non pas les donner eux-mêmes. 0 amour ingénieux de mon Maître 1 Il faut leur donner, il faut les donner. Il faut donner Marie au disciple, et le disciple à la divine Marie. Ego dilecto meo, dit-il mon Maître, je suis à vous, usez de moi comme il vous plaira. Voyez la suite Et ad me conversio ejus1 « Fils, dit-il, voilà votre Mère. » 0 Jean, je vous donne Marie, et je vous donne en même temps à Marie. Marie est à saint Jean, saint Jean à Marie. Vous devez vous rendre heureux l'un et l'autre par une mutuelle possession. Ce ne vous est pas un moindre avantage d'être donnés que de recevoir, 1 Mattii., xxvn, 46. » Cant vir, 10.
et je ne vous enrichis pas plus par le don que je vous fais que par celui que. je fais de vous.
Mais, mes Frères, entrons plus profondément dans cet admirable mystère; recherchons par les Ecritures quelle est cette seconde naissance qui fait saint Jean le fils de Marie, quelle est cette nouvelle fécondité qui rend Marie Mère de saint Jean et développons les secrets d'une belle théologie, qui mettra cette vérité dans son jour. Saint Paul parlant de notre Sauveur après l'infamie de sa mort et la gloire de sa résurrection, en a dit ces belles paroles' « Nous ne connoissons plus maintenant personne selon la chair; et si nous avons connu autrefois Jésus-Christ selon la chair, maintenant qu'il est mort et ressuscité, nous ne le connoissons plus de la sorte. » Que veut dire cette parole, et quel est le sens de l'Apôtre ? "Veut-il dire que le Fils de Dieu s'est dépouillé en mourant de sa chair humaine, et qu'il ne l'a point reprise en sa glorieuse résurrection ? Non, mes Frères, à Dieu ne plaise Il faut trouver un autre sens à cette belle parole du divin Apôtre, qui nous ouvre l'intelligence de ses sentimens. Ne le cherchez pas, le voici il veut dire que le Fils de Dieu dans la gloire de sa résurrection a bien la vérité de la chair, mais qu'il n'en a plus les infirmités; et pour toucher encore plus le fond de cette excellente doctrine, entendons que l'Homme-Dieu, Jésus-Christ, a eu deux naissances et deux vies, qui sont infiniment différentes. La première de ces naissances l'a tiré du sein de Marie, la seconde l'a fait sortir du sein du tombeau. En la première il est né de l'Esprit de Dieu, mais par une Mère mortelle, et de là il en a tiré la mortalité. Mais en sa seconde naissance, nul n'y a part que son Père céleste; c'est pourquoi il n'y a plus rien que de glorieux. Il étoit de sa providence d'accommoder ses sentimens à ces deux manières de vie si contraires de là vient que dans la première il n'a pas jugé indignes de lui les sentimens de foiblesse humaine mais dans sa bienheureuse résurrection il n'y a plus rien que de grand, et tous ses sentimens sont d'un Dieu qui répand sur l'humanité qu'il a prise tout ce que la divinité a de plus auguste. Jésus, en conversant parmi les mortels, a eu faim, a eu soif il 1 II Cor., v, 16.
a été quelquefois saisi par la crainte, touché par la douleur la pitié a serré son cœur, elle a ému et altéré son sang, elle lui a fait répandre des larmes. Je ne m'en étonne pas, chrétiens c'étoient les jours de son humiliation, qu'il devoit passer dans l'infirmité. Mais durant les jours de sa gloire et de son immortalité, après sa seconde naissance par laquelle son Père l'a ressuscité pour le faire asseoir à sa droite, les infirmités sont bannies et la toute-puissance divine déployant sur lui sa vertu, a dissipé toutes ses foiblesses. Il commence à agir tout à fait en Dieu la manière en est incompréhensible et tout ce qu'il est permis aux mortels de dire d'un mystère si haut, c'est qu'il n'y faut plus rien concevoir de ce que le sens humain peut imaginer si bien qu'il ne nous reste plus que de nous écrier hardiment avec l'incomparable Docteur des Gentils, que si nous avons connu Jésus-Christ selon sa naissance mortelle dans les sentimens de la chair, nunc jam non novinti4s maintenant qu'il est glorieux et ressuscité, nous ne le connoissons plus de la sorte, et tout ce que nous y concevons est divin.
Selon cette doctrine du divin Apôtre, je ne craindrai pas d'assurer que Jésus-Christ ressuscité regarde Marie d'une autre manière, que ne faisoit pas Jésus-Christ mortel. Car, mes Frères, sa mortalité l'a fait naître dans la dépendance de celle qui lui a donné la vie: «Illuiétoit soumis et obéissant1, » dit l'Evangéliste. Tout Dieu qu'étoit Jésus, l'amour qu'il avoit pour sa sainte Mère étoit mêlé sans doute de cette crainte filiale et respectueuse que les enfans bien nés ne perdent jamais. Il étoit accompagné de toutes ces douces émotions, de toutes ces inquiétudes aimables, qu'une affection sincère imprime toujours dans les cœurs des hommes mortels tout cela étoit bienséant durant les jours de foiblesse. Mais enfin voilà Jésus en la croix le temps de mortalité va passer. Il va commencer désormais à aimer Marie d'une autre manière son amour ne sera pas moins ardent et tant que Jésus-Christ sera homme, il n'oubliera jamais cette Vierge Mère. Mais après sa bienheureuse résurrection, il faut bien qu'il prenne un amour convenable à l'état de sa gloire.
1 Luc., h, 51.
Que deviendront donc, chrétiens, ces respects, cette déférence, cette complaisance obligeante, ces soins particuliers, ces douces inquiétudes qui accompagnoient son amour? Mourront- ils avec Jésus-Christ? et Marie en sera-t-elle à jamais privée? Chrétiens, sa bonté ne le permet pas. Puisqu'il va entrer par sa mort en un état glorieux, où il ne les peut plus retenir il les fait passer en saint Jean, et il entreprend de les faire revivre dans le cœur de ce bien-aimé. Et n'est-ce pas ce que veut dire le grand saint Paulin par ces éloquentes paroles 1 Jam scilicet ab humand fragilitate, quâ erat natus ex fœminà,per crucis mortem demigrans in œternitatem Dei, ut esset in glorid Dei Patris, delegat homini jura pietatis humanœ « Etant prêt de passer par la mort de la croix de l'infirmité humaine à la gloire et à l'éternité de son Père, il laisse à un homme mortel les sentimens de la piété humaine. » Tout ce que son amour avoit de tendre et de respectueux pour sa sainte Mère vivra maintenant dans le cœur de Jean c'est lui qui sera le fils de Marie et pour établir entre eux éternellement cette alliance mystérieuse, il leur parle du haut de sa croix, non point avec une action tremblante comme un patient prêt à rendre l'aine, « mais avec toute la force d'un homme vivant et toute la fermeté d'un Dieu qui doit ressusciter » Plenâ virtute viventis et constantià resurrecturi Lui qui tourne les cœurs ainsi qu'il lui plaît et dont la parole est toute-puissante, opère en eux tout ce qu'il leur dit, et fait Marie Mère de Jean, et Jean fils de Marie. Car qui pourroit assez exprimer quelle fut la force de cette parole sur l'esprit de l'un et de l'autre? Ils gémissoient au pied de la croix toutes les plaies de Jésus-Christ déchiroient leurs ames, et la vivacité de la douleur les avoit presque rendus insensibles. Mais lorsqu'ils entendirent cette voix mourante du dernier adieu de Jésus, leurs sentimens furent réveillés par cette nouvelle blessure toutes les entrailles de Marie furent renversées, et il n'y eut goutte de sang dans le cœur de Jean qui ne fût aussitôt émue. Cette parole entra donc au fond de leurs ames, ainsi qu'un glaive tranchant elles en furent percées et ensanglantées avec une douleur incroyable mais aussi leur falloit-il faire cette violence il falloit de 1 Epist. L, n. 17. – Ibul.
cette sorte entr'ouvrir leur cœur, afin si je puis parler de la sorte, d'enter en l'un le respect d'un fils, et dans l'autre la tendresse d'une bonne mère.
Voilà donc Marie Mère de saint Jean. Quoique son amour maternel accoutumé d'embrasser un Dieu, ait peine à se terminer sur un homme, et qu'une telle inégalité semble plutôt lui reprocher son malheur que la récompenser de sa perte, toutefois la parole de son Fils la presse; l'amour que le Sauveur a eu pour saint Jean l'a rendu un autre lui-même, et fait qu'elle ne croit pas se tromper quand elle cherche Jésus-Christ en lui. Grand et incomparable avantage de ce disciple chéri 1 Car de quels dons l'aura orné le Sauveur, pour le rendre digne de remplir sa place? Si l'amour qu'il a pour la sainte Vierge l'oblige à lui laisser son portrait en se retirant de sa vue, ne doit-il pas lui avoir donné une image vive et naturelle? Quel doit donc être le grand saint Jean, destiné à demeurer sur la terre pour y être la représentation du Fils de Dieu après sa mort, et une représentation si parfaite, qu'elle puisse charmer la douleur et tromper, s'il se peut, l'amour de sa sainte Mère par la naïveté de la ressemblance? D'ailleurs quelle abondance de graces attiroit sur lui tous les jours l'amour maternel de Marie, et le désir qu'elle avoit conçu de former en lui Jésus-Christ? Combien s'échauffoient tous les jours les ardeurs de sa charité, par la chaste communication de celles qui brûloient le cœur de Marie? Et à quelle perfection s'avançoit sa chasteté virginale, qui étoit sans cesse épurée par les regards modestes de la sainte Vierge et par sa conversation angélique? `1 Apprenons de là, chrétiens, quelle est la force de la pureté. C'est elle qui mérite à saint Jean la familiarité du Sauveur; c'est elle qui le rend digne d'hériter de son amour pour Marie, de succéder en sa place, d'être honoré de sa ressemblance. C'est elle qui lui fait tomber Marie en partage et lui donne une Mère vierge elle fait quelque chose de plus, elle lui ouvre le cœur de Jésus et lui en assure la possession.
TROISIÈME POINT.
Je l'ai déjà dit, chrétiens, il ne suffit pas au Sauveur de répondre ses dons sur saint Jean; il veut lui donner jusqu'à la source. Tous les dons viennent de l'amour il lui a donné son amour. C'est au cœur que l'amour prend son origine il lui donne encore le cœur, et le met en possession du fonds dont il lui a déjà donné tous les fruits. "Viens, dit-il, ô mon cher disciple, je t'ai choisi devant tous les temps pour être le docteur de la charité; viens la boire jusque dans sa source, viens y prendre ces paroles pleines d'onction par lesquelles tu attendriras mes fidèles approche de ce cœur qui ne respire que l'amour des hommes; et pour mieux parler de mon amour, viens sentir de près les ardeurs qui me consument.
Je ne m'étendrai pas à vous raconter les avantages de saint Jean. Mais, Jean, puisque vous en êtes le maître, ouvrez-nous ce cœur de Jésus, faites-nous-en remarquer tous les mouvemens, que la seule charité excite. C'est ce qu'il a fait dans tous ses écrits tous les écrits de saint Jean ne tendent qu'à expliquer le cœur de Jésus. En ce cœur est l'abrégé de tous les mystères du christianisme mystères de charité dont l'origine est au coeur; un cœur, s'il se peut dire, tout pétri d'amour; toutes les palpitations, tous les battemens de ce cœur, c'est la charité qui les produit. Voulezvous voir saint Jean vous montrer tous les secrets de ce cœur? Il remonte «jusqu'au principe, » In principio 1. C'est pour venir à ce terme Et habitavit « Il a habité parmi nous. » Qui l'a fait ainsi habiter avec nous? L'amour. « C'est ainsi que Dieu a aimé le monde » Sic Deus dilexit mundum a. C'est donc l'amour qui l'a fait descendre, pour se revêtir de la nature humaine. Mais quel cœur aura-t-il donné à cette nature humaine, sinon un cœur tout pétri d'amour?
C'est Dieu qui fait tous les cœurs, ainsi qu'il lui plaît. « Le cœur du roi est dans sa main » comme celui de tous les autres Cor régis in manu Dei est Régis, du Roi Sauveur. Quel autre cœur a été plus dans la main de Dieu? C'étoit le cœur d'un Dieu, qu'il i Joan i, 1.– Ibid., 14. » Ibid., m, 16. » Prou., sxi, 1.
régloit de près, dont il conduisoit tous les mouvemens. Qu'aura donc fait le Verbe divin en se faisant homme, sinon de se former un cœur sur lequel il imprimât cette charité infinie qui l'obligeoit à venir au monde? Donnez-moi tout ce qu'il y a de tendre, tout ce qu'il y a de doux et d'humain il faut faire un Sauveur qui ne puisse souffrir les misères, sans être saisi de douleur; qui voyant les brebis peidues, ne puisse supporter leur égarement. Il lui faut un amour qui le fasse courir au péril de sa vie, qui lui fasse baisser les épaules pour charger dessus sa brebis perdue, qui lui fasse crier « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi » Si quis sitit, veniat ad me « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués » Venite ad me, omnes qui laboratis 2. Venez, pécheurs, c'est vous que je cherche. Enfin il lui faut un cœur qui lui fasse dire « Je donne ma vie parce que je le veux » Ego pono eam à meipso 8. C'est moi qui ai un cœur amoureux, qui dévoue mon corps et mon ame à toutes sortes de tourmens.
Voilà, mes Frères, quel est le cœur de Jésus, voilà quel est le mystère du christianisme. C'est pourquoi l'abrégé de la foi est renfermé dans ces paroles « Pour nous, nous avons cru à l'amour que Dieu a pour nous » Nos credidimus charitati quant habet Deus in nobis Voilà la profession de saint Jean. Pourquoi le Juif ne croit-il pas à notre Evangile? Il reconnoît la puissance, mais il ne veut pas croire à l'amour il ne peut se persuader que Dieu nous ait assez aimés, pour nous donner son Fils. Pour moi, je crois à sa charité; et c'est tout dire. Il s'est fait homme, je le crois; il est mort pour nous, je le crois; il aime, et qui aime fait tout Credidimus charitati ejus.
Mais si nous y croyons, il faut l'imiter. Ce cœur de Jésus embrasse tous les fidèles c'est là où nous sommes tous réunis, « pour être consommés dans l'unité » Ut sint consummati in unum C'est le cœur qui parloit, lorsqu'il disoit « Mon Père, je veux que là où je suis, mes disciples y soient aussi avec moi « Volo ut ubi sum ego, el illi sint mecum 8. Il ne distrait personne, il appelle tous ses enfans, et nous devons nous aimer a dans les entrailles 1 Joan., vu, 37. » Ma'th., xi, 28. – » Joan., x, 18 I Joan., IV, 16. 1 Joan., xvii, 23. « Ibid., 24.
de la charité de ce divin Sauveur, » in visceribus Jesu Christi l. Ayons donc un cœur de Jésus-Christ, un cœur étendu, qui n'exclue personne de son amour. C'est de cet amour réciproque qu'il se formera une chaîne de charité, qui s'étendra du cœur de Jésus dans tous les autres pour les lier et les unir inviolablement ne la rompons pas; ne refusons à aucun de nos frères d'entrer dans cette sainte union de la charité de Jésus-Christ. Il y a place pour tout le monde. Usons sans envie des biens qu'elle nous procure nous ne les perdons pas en les communiquant aux autres; mais nous les possédons d'autant plus sûrement ils se multiplient pour nous avec d'autant plus d'abondance, que nous désirons plus généreument les partager avec nos frères. Et pourquoi veux-tu arracher ton frère de ce cœur de Jésus-Christ? Il ne souffre point de séparation il te vomira toi-même. Il supporte toutes les infirmités, pourvu que la charité dont nous sommes animés les couvre. Aimons-nous donc dans le cœur de Jésus. « Dieu est charité; et qui persévère dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui ». » Ah t qui me donnera des amis que j'aime véritablement par la charité? Lorsque je répands en eux mon cœur, je le répands en Dieu qui est charité. « Ce n'est pas à un homme que je me confie, mais à celui en qui il demeure pour être tel; et dans ma juste confiance, je ne crains point ces résolutions si changeantes de l'inconstance humaine » Non homini commitlo, sed illi in quo manet ut talis sit. Nec in meâ seairitate crastinum illud humanœ cogilationis incertum omninà formido. C'est ainsi que s'aiment les bienheureux esprits.
L'amour qui les unit intimement entre eux, s'échauffe de plus en plus dans ces mutuels embrassemens de leurs cœurs. Ils s'aiment en Dieu, qui est le centre de leur union ils s'aiment pour Dieu, qui est tout leur bien. Ils aiment Dieu dans chacun de leurs concitoyens qu'ils savent n'être grands que par lui, et vivement sensibles au bonheur de leurs frères; ils se trouvent heureux de jouir en eux et par eux des avantages qu'ils n'auroient pas euxmêmes ou plutôt ils ont tout; la charité leur approprie l'universalité des dons de tout le corps, parce qu'elle les consomme dans i Phihpp., i, 8. – » 1 Joan., IV, 16.
cette unité sainte qui les absorbant en Dieu, les met en possession des biens de toute la cité céleste.
Voulons-nous donc, mes Frères, participer ici-bas à la béatitude céleste, aimons-nous; que la charité fraternelle remplisse nos cœurs; elle nous fera goûter dans la douceur de son action, ces délices inexprimables qui font le bonheur des Saints; elle enrichira notre pauvreté, en nous rendant tous les biens communs; et ne formant de nous tous qu'un cœur et qu'une ame, elle commencera en nous cette unité divine qui doit faire notre éternel bonheur et qui sera parfaite en nous, lorsque l'amour ayant entièrement transformé toutes nos puissances, Dieu sera tout en tous.
PANÉGYRIQUE
SAINT THOMAS DE CANTORBËRY (a).
In morte mirabiha operatus est.
Il a fait des choses merveilleuses dans sa mort. tccli., xlviii, 15. Les mystères de Jésus-Christ sont une chute continuelle; et tant qu'il a vu devant soi quelque nouvelle bassesse, il n'a jamais cessé (a) Prêché le 29 décembre 1668, dans l'A vent de Saint-Thomas du Louvre, devant la Reine, la Cour, Turenne, etc.
Bientôt après la conversion de Turenne, Bossuet prêcha trois panégyriques pour l'affermir dans la foi le Panégyrique de samt André, apôtre, le 30 novembre, aux Carméltes; puis dans l'Avent de Saint-Thomas du Louvre, le Panégyrique de saint Etienne, premier rnartyr, le 26 décembre; et celui de Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, le 29 du même mois 16b8.
Le Panégyrique de saint Etienne n'est pas arrivé jusqu'à nous. Bossuet en parle dans celui de saint Thomas de Cantorbéry « Nous avons honoré ces jours derniers, dit-il, le premier martyr de la foi aujourd'hui nous célébrons le triomphe du premier martyr de la discipline. »
On verra dans notre panégyrique avec quelle sainte indépendance Bossuet défendoit, en face des puissances du monde, les droits de l'Eglise. Déjà dans le premier Carême du Louvre, en 1662, il ne paila pas avec moins de fermeté devant Louis XIV, et il déploya le même zèle dans YOraison funèbre de Michel le Tellièr.
de descendre. Il se compare lui-même dans son Evangile à un grain de froment qui tombe 1; et en effet, il est allé toujours tombant, premièrement du ciel en la terre, de son troue dans une crèche de là par plusieurs degrés il est tombé (a) jusqu'à l'ignominie du supplice, jusqu'à l'obscurité du tombeau, jusqu'à la profondeur de l'enfer. Mais comme il ne pouvoit tomber plus bas, c'étoit là aussi le terme fatal de ses chutes mystérieuses; et ce cours d'abaissemens étant rempli, c'est de là qu'il a commencé de se relever couronné d'honneur et de gloire.
Ce que notre Chef a fait une fois en sa personne sacrée, tous les jours il l'accomplit dans ses membres, et le martyr que nous honorons nous en est un illustre exemple. Saint Thomas, archevêque de Cantorbéry, s'étant trouvé engagé pour les intérêts de l'Eglise dans de longs et fâcheux démêlés avec un grand roi, avec Henri II, roi d'Angleterre, on l'a vu tomber peu à peu de la faveur à la disgrâce, de la disgrace au bannissement, du bannissement à une espèce de proscription, et enfin à une mort violente. Mais la Providence divine ayant lâché la main jusqu'à ce terme, a fait commencer de là son élévation. Elle a honoré de miracles le tombeau de cet illustre martyr; elle a mené à ses cendres un roi pénitent elle a conservé les droits de l'Eglise par le sang de ce saint évêque, persécuté injustement pour sa cause et tirant sa gloire de ses souffrances. Elle m'a donné lieu de dire de lui ce que l'Ecclésiastique a dit d'Elisée, « que sa mort a opéré des miracles » In morte mirabilia operatus est. Mais afin de vous découvrir toutes ces merveilles, demandons l'assistance du Saint-Esprit par l'entremise de Marie. Ave.
C'est une loi établie, que l'Eglise ne peut jouir d'aucun avantage qui ne lui coûte la mort de ses enfans, et que pour affermir ses droits, il faut qu'elle répande du sang. Son Epoux l'a rachetée par le sang qu'il a versé pour elle, et il veut qu'elle achète par un prix semblable les graces qu'il lui accorde. C'est par le sang des martyrs qu'elle a étendu ses conquêtes bien au delà de l'empire 1 Joan., mi, 24.
(a) Var. Descendu.
romain son sang lui a procuré, et la paix dont elle a joui sous les empereurs chrétiens, et la victoire qu'elle a remportée sur les empereurs infidèles. Il paroît donc qu'elle devoit du sang à l'affermissement de son autorité, comme elle en avoit donné à l'établissement de sa doctrine; et ainsi la discipline, aussi bien que la foi de l'Eglise, a dû avoir des martyrs.
C'est pour cette cause, Messieurs, que votre glorieux patron a donné sa vie. Nous avons honoré ces derniers jours le premier martyr de la foi aujourd'hui nous célébrons le triomphe du premier martyr de la discipline; et afin que tout le monde comprenne combien ce martyre a été semblable à ceux que nous ont fait voir les anciennes persécutions, je m'attacherai à vous montrer que la mort de notre saint archevêque a opéré les mêmes merveilles dans la cause de la discipline, que celle des autres martyrs a autrefois opérées lorsqu'il s'agissoit de la croyance.
En effet pour ne pas vous laisser longtemps en suspens, comme les martyrs qui ont combattu pour la foi, ont affermi (a) par le témoignage de leur sang cette foi que les tyrans vouloient abolir, calmé par leur patience la haine publique qu'on vouloit exciter contre eux en les traitant comme des scélérats, confirmé par leur constance invincible les fidèles qu'on avoit dessein d'effrayer par le terrible spectacle de tant de supplices; en sorte que profitant des persécutions, ils les ont fait servir contre leur nature à l'établissement de leur foi, à la conversion de leurs ennemis, à l'instruction et à l'affermissement de leurs frères ainsi vous verrez bientôt, chrétiens, que des effets tout semblables ont suivi la mort du grand archevêque de Cantorbéry et la suite de cet entretien vous fera paroître que le sang de ce nouveau martyr de la discipline a affermi l'autorité ecclésiastique qui étoit violemment opprimée, que sa mort a converti les cœurs indociles des ennemis de la discipline de l'Eglise (6) enfin qu'elle a échauffé le zèle de ceux qui sont préposés pour en être les défenseurs. Voilà ce que j'ai dessein de vous faire entendre dans les trois parties de ce discours.
(a) Var. Comme ceux que j'ai nommés les derniers ont appuyé, ont établi. (4) Des persécuteurs de l'Eglise.
PREMIER POINT.
Pour bien entendre le sujet des fameux combats du grand saint Thomas de Cantorbéry pour l'honneur de l'Eglise et du sacerdoce, il faut considérer avant toutes choses quelques vérités importantes qui regardent l'état de l'Eglise ce qu'elle est, ce qui lui est dù et ce qu'elle doit; quels droits elle a sur la terre, et quels moyens lui sont donnés pour's'y maintenir. Je sais que cette matière est fort étendue et pleine de questions épineuses mais comme la décision de ces doutes dépend d'un ou deux principes, j'espère qu'en laissant un grand embarras de difficultés fort enveloppées, je pourrai vous dire en peu de paroles ce qui est essentiel et fondamental, et absolument nécessaire pour connoître l'état de la cause pour laquelle saint Thomas a donné sa vie. J'avance donc deux vérités qui expliquent parfaitement, si je ne me trompe, l'état de l'Eglise sur la terre. Je dis qu'elle y est comme une étrangère, et qu'elle y est toutefois revêtue d'un caractère royal par la souveraineté toute divine et toute spirituelle qu'elle y exerce. Ces deux vérités éclaircies nous donneront par ordre la résolution des difficultés que j'ai proposées.
Et premièrement l'Eglise est dans le monde comme une étrangère cette qualité fait sa gloire. Elle montre sa dignité et son origine céleste, lorsqu'elle dédaigne d'habiter la terre elle ne s'y arrête donc pas, mais elle y passe; elle ne s'y habitue pas, mais elle y voyage. Ce qu'elle appréhende le plus, c'est que ses enfans s'y naturalisent, et qu'ils ne fassent leur principal établissement où ils ne doivent avoir qu'un lieu de passage. Mais nous comprendrons plus facilement cette qualité d'étrangère, si nous faisons en un mot la comparaison de l'Eglise de Jésus-Christ avec la Synagogue ancienne.
Il n'y a personne qui n'ait remarqué que les Livres sacrés de Moïse, outre les préceptes de religion, sont pleins de lois politiques et qui regardent le gouvernement d'un Etat. Ce sage législateur ordonne du commerce et de la police, dos successions et des héritages, de la justice et de la guerre, et enfin de toutes les choses qui peuvent maintenir un empire. Mais le Prince du nou-
veau peuple, le Législateur de l'Eglise a pris une conduite opposée. Il laisse faire aux princes du monde l'établissement des lois politiques; et toutes celles qu'il nous donne et qui sont écrites dans son Evangile, ne regardent que la vie future. D'où vient cette différence entre l'ancien et le nouveau peuple, si ce n'est que la Synagogue devant avoir sa demeure et faire son séjour sur la terre, il falloit lui donner des lois pour y établir son gouvernement au lieu que l'Eglise de Jésus-Christ voyageant comme uneétrangère parmi tous les peuples du monde, elle n'a point de lois particulières touchant la société politique; et il suffit de lui dire généralement ce qu'on dit aux étrangers et aux voyageurs, qu'en ce qui regarde le gouvernement, elle suive les lois du pays où elle fera son pèlerinage, et qu'elle en révère les princes et les magistrats Qmnisaniniapotestatibussublimioribus subditasU't 9 C'est le seul commandement politique que le Nouveau Testament nous donne.
Cette vérité étant supposée, si vous me demandez, chrétiens, quels sont les droits de l'Eglise (a), qu'attendez-vous que je vous réponde, sinon qu'elle a sans doute de grands avantages et des prétentions glorieuses; mais que celui dont elle attend tout ayant dit que son royaume n'est pas de ce monde', tout le droit qu'elle peut avoir d'elle-même sur la terre, c'est qu'on lui laisse pour ainsi dire passer son chemin et achever son voyage en paix? Tellement que rien ne lui convient mieux, à elle et à ses enfans, que ces mots de Tertullien « Toute notre affaire en ce monde c'est d'en sortir au plus tôt » Nihilnostrâ refert in hoc œvo, nisi de eo quàm celeriter excedere
Mais peut-être que vous penserez que je représente l'Eglise comme une étrangère trop foible, et que je la laisse sans autorité et sans fonction sur la terre, enfin trop nue et trop désarmée au milieu de tant de puissances ennemies de sa doctrine ou jalouses de sa grandeur. Non, mes Frères, il n'en est pas ainsi. Elle ne voyage pas sans sujet dans ce monde elle y est envoyée par un ordre suprême, pour y recueillir les enfans de Dieu et rassembler 1 Rom., nu, 1. 'Joan., xvm, 36. – 3 Apolog., n. 41.
(a) Var. De cette étrangère.
ses élus dispersés aux quatre vents (a). Elle a charge de les tirer du monde; mais il faut qu'elle les vienne chercher dans le monde et en attendant, chrétiens, qu'elle les présente à Dieu, maintenant qu'elle voyage avec eux et qu'elle les tient sous son aile, n'est-il pas juste qu'elle les gouverne, qu'elle dirige leurs pas incertains et qu'elle conduise leur pèlerinage? C'est pourquoi elle a sa puissance elle a ses lois et sa police spirituelle; elle a ses ministres et ses magistrats par lesquels elle exerce, dit Tertullien, « une divine censure contre tous les crimes » Fxhortationes castigationes et censura divina'. Malheur à ceux qui la troublent, ou qui se mêlent dans cette céleste administration, ou qui osent en usurper la moindre partie. C'est une injustice inome de vouloir profiter des dépouilles de cette Epouse du Roi des rois, à cause seulement qu'elle est étrangère et qu'elle n'est pas armée (b). Son Dieu prendra en main sa querelle, et sera un rude vengeur contre ceux qui oseront porter (c) leurs mains sacriléges sur l'arche de son alliance. Mais laissons ces réflexions et avançons dans notre sujet.
Jusqu'ici l'Eglise n'a aucun droit qui relève de la puissance des hommes, elle ne tient rien que de son Epoux. Mais les rois du monde ont fait leur devoir; et pendant que cette illustre étrangère voyageoit dans leurs Etats, ils lui ont accordé de grands priviléges, ils ont signalé leur zèle envers elle par des présens magnifiques. Elle n'est pas ingrate de leurs bienfaits, elle les publie (d) par toute la terre. Mais elle ne craint point de leur dire que parmi leurs plus grandes libéralités, ils reçoivent plus qu'ils ne donnent; et enfin, pour nous expliquer nettement, qu'il y a plus de justice que de grace dans les priviléges qu'ils lui accordent. Car pour ne pas raconter ici les avantages spirituels que l'Eglise leur communique, pouvoient-ils refuser de lui faire part de quelques honneurs de leur royaume, qu'elle prend tant de soin de leur conserver? Ils règnent sur les corps par la force, et peut-être sur les cœurs par l'inclination ou par les bienfaits. L'Eglise leur a ouvert une 1 Apolog., n 39.
(a) Var. Par tout l'univers. (4) A cause qu'elle n'a pas d'armes ni d'exécutioa contre les lâches et téméraires usurpateurs. (c) Etendre. (d) Elle s'en glorifie.
place plus sûre et plus vénérable elle leur a fait un trône dans les consciences, en présence et sous les yeux de Dieu même elle a fait un des articles de sa foi de la sûreté de leurs personnes sacrées, et une partie de sa religion de l'obéissance qui leur est due. Elle va étouffer dans le fond des cœurs, non-seulement les premières pensées de rébellion, mais encore les moindres murmures et pour ôter tout prétexte de soulèvement contre les puissances légitimes, elle a enseigné constamment, et par sa doctrine et par ses exemples, qu'il en faut tout souffrir jusqu'à l'injustice, par laquelle s'exerce secrètement la justice même de Dieu. Après des services si importans (a), si on lui accorde des priviléges, n'est-ce pas une récompense qui lui est bien due? Et les possédant à ce titre, peut-on concevoir le dessein de les lui ravir sans une extrême injustice?
Cependant Henri second, roi d'Angleterre, se déclare l'ennemi de l'Eglise. 11 l'attaque au spirituel et au temporel, en ce qu'elle tient de Dieu et en ce qu'elle tient des hommes il usurpe ouvertement sa puissance. Il met la main dans son trésor, qui enferme la subsistance des pauvres. Il flétrit l'honneur de ses ministres par l'abrogation de leurs priviléges, et opprime leur liberté par des lois qui lui sont contraires. Prince téméraire et mal avisé, que ne peut-il découvrir de loin les renversemens étranges que fera un jour dans son Etat le mépris de l'autorité ecclésiastique, et les excès inouïs où les peuples seront emportés, quand ils auront secoué ce joug nécessaire (b)l Mais rien ne peut arrêter ses emportemens (c). Les mauvais conseils ont prévalu et c'est en vain que l'on s'y oppose il a tout fait fléchir à sa volonté, et il n'y a plus que le saint archevêque de Cantorbéry qu'il n'a pu encore ni corrompre par ses caresses, ni abattre par ses menaces. A la vérité il met sa constance à des épreuves bien dures. Qu'on le dépouille, qu'on le déshonore, qu'on le bannisse, il s'en réjouit mais pourquoi ruiner les siens? C'est ce qui lui perce le cœur. Il n'y a rien de plus insensible, ni de plus sensible tout à la fois que la charité véritable. Insensible à ses propres maux, et en cela directement contraire à l'amour-propre, elle a une extrême sen(a) Var. Si considérables. (h) Salutaire. (c) Ralentir sa fureur aveugle.
sibilité pour les maux des autres. Aussi le grand Apôtre très-peu touché de tout ce qui le regardoit, disoit aux fidèles « J'ai appris à me contenter de l'état où je me trouve je sais vivre pauvrement, je sais vivre dans l'abondance; j'ai été instruit en toutes choses et en toutes rencontres à être bien traité et à souffrir la faim, à être dans l'abondance et à être dans l'indigence » Scio et humiliari, scio et abundare ubique et in omnibus institutus sum, et satiari et esurire, et abundare et penuriam pati 1. Et cependant cet homme tout céleste, si indifférent, si dur pour lui-même, ressent le contre-coup de tous les maux, de toutes les peines que peut souffrir le moindre des fidèles. « Qui est foible, s'écrie-t-il, sans que je le sois avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle? » Quis infirmatur, et ego non infirmor ? Quis scandalizatur, et ego non uror *P Sa tendresse pour ses frères est si grande qu'il ne peut les voir dans les larmes et dans l'affliction, qu'il n'en soit pénétré d'une vive douleur « Que faites-vous de pleurer ainsi et de me briser le cœur? » Quid facitis Pentes et affligentes (a) cor meum? C'est en vain que vous me fendez le cœur par vos larmes « car pour moi je suis tout prêt de souffrir non-seulement les chaînes, mais la mort même pour le nom du Seigneur Jésus D Ego enim non solùna alligari, sed et mori paratus sum s. Ce cœur de diamant, qui semble défier le ciel, et la terre, et l'enfer de l'émouvoir, peut souffrir la mort et les plus dures extrémités il ne peut souffrir les larmes de ses frères. Combien a dù être touché saint Thomas de voir les siens aftligés et persécutés à son occasion Il se souvient de Jésus, qui n'est pas plutôt né qu'il attire des persécutions à ses parens, qui sont contraints de quitter leur maison pour l'amour de lui. Il a reçu sa loi d'en haut, et ne peut rien faire pour les siens, sinon de leur souhaiter qu'ayant part aux persécutions ils aient part à la grace.
Le prophète Zacharie semble avoir voulu nous représenter l'immuable et éternelle concorde qui doit être entre l'empire et le sacerdoce. « Celui-là, dit-il parlant du prince, sera revêtu de gloire, il sera assis et dominera sur son trône; et le pontife sera Philipp., iv, 12. « Cor., xi, 29. – Act., xxi, 13.
(«) Selon le Grec Comminuentes, conterentes.
aussi sur son trône, et il y aura un conseil de paix entre ces deux » 7pse porlabit gloriam, et sedebit, et dominabitur super solio suo; et erit sacerdos super solio suo, et consilium pacis erit inter illos duos Vous voyez que la gloire, et l'éclat, et l'autorité dominante sont dans le trône royal. Mais quoique le Fils de Dieu ait enseigné à ses ministres qu'ils ne doivent pas dominer à la manière du monde, le sacerdoce néanmoins ne laisse pas d'avoir son trône. Car le prophète en établit deux; il reconnoît deux puissances qui sont, comme vous voyez, plutôt unies que subordonnées Consilium pacis inter tMos et le genre humain se repose à l'ombre (a) de cette concorde.
Saint Thomas a souvent représenté au roi d'Angleterre par des lettres pleines d'une force, d'une douceur et d'une modestie apostolique, que ces puissances doivent concourir et se prêter la main mutuellement, et non se regarder avec jalousie, puisqu'elles ont des uns si diverses qu'elles ne peuvent se choquer sans quitter leur route et sortir de leurs limites. Il soutient ces charitables avertissemens avec toute l'autorité que pouvoit donner non-seulement la sainteté de son caractère, mais la sainteté de sa vie, qui étoit l'exemple et l'admiration de tout l'univers.
Notre France l'avoit connue, puisque lorsqu'il fut exilé, elle lui .avoit ouvert les bras et le roi Louis VII témoin oculaire des vertus apostoliques de ce grand homme, a toujours constamment favorisé, et sa personne et la cause qu'il défendoit, par toutes sortes de bons offices. Rendons ici témoignage à l'incomparable piété de nos monarques très-chrétiens. Comme ils ont vu que Jésus-Christ ne règne pas si son Eglise n'est autorisée, leur propre autorité ne leur a pas été plus chère que l'autorité de l'Eglise. Cette puissance royale, qui doit donner le branle dans les autres choses, n'a jamais jugé indigne d'elle de ne faire que seconder dans les affaires spirituelles (b); et un roi de France, empereur, n'a pas cru se rabaisser, lorsque écrivant aux évêques, il les assure de sa protection (c) dans les fonctions de leur ministère, afin, dit ce grand roi, que notre puissance royale servant, comme il est ZaeAof., vj, t3. – JtfN«/ XX, 25, 26.
(a) Var. A l'abri. (6) Ecd&siastiques. (e) De son appui.
convenable, à ce que demande votre autorité, vous puissiez exécuter vos décrets Ut nos<ro ([M~t'o SM~<tï, quod vestra auctor!<as exposcit, famulante !<< dece< potestate nostrâ, per~cere va~a<s 1.
Telles sont les maximes saintes et durables de la monarchie très-chrétienne, et plùt à Dieu que le roi d'Angleterre eut suivi les sentimens et imité les exemples de ses augustes voisins? Saint Thomas ne se verroit pas réduit à la dure nécessité de s'opposer à son prince. Mais comme ce monarque se rend inflexible, l'Eglise opprimée est contrainte de recourir aux derniers efforts (a). Vous attendez peut-être des foudres et des anathèmes. Mais quoique Henri les eût mérités, Thomas, aussi modéré que vigoureux, ne fulmine pas aisément contre une tête royale. Voici ces derniers efforts dont je veux parler le saint archevêque offre à Dieu sa vie; et sachant que l'Eglise n'est jamais plus forte que lorsqu'elle parle par la voix du sang, il revient d'un long exil avec un esprit de martyr, préparé aux violences d'un roi implacable et de toute sa Cour irritée.
Saint Ambroise a remarqué dès son temps que les hommes apcstoliques, qui entreprennent d'un grand courage les œuvres de piété et la censure des vices, sont assez souvent traversés (b) par des raisons politiques. Car comme les pécheurs ne peuvent souffrir ceux qui viennent les troubler dans leur faux repos (c), et comme le monde n'a rien tant à cœur que de voir l'Eglise sans force et la piété sans défense, il se plaît de lui opposer ce qu'il a de plus redoutable, c'est-à-dire le nom de César et les intérêts de l'Etat. Ainsi quand Néhémias relevoit les tours abattues et les murailles désolées de Jérusalem, les ministres du roi de Perse publioient partout qu'il méditoit un dessein de rébellion et comme le moindre soupçon d'infidélité attire des difScultés infinies, ils tâchoient de ralentir l'ardeur de son zèle par cette vaine terreur. Quoique le saint archevêque n'élevât ni des tours ni des forteresses, et qu'il songeât seulement à réparer les ruines d'une 1 Ludovic. Piui', Co/))'<u~ an. 823, cap. iv. – Serm. contra Auxent., n. 30. III H R!< v;, 6, 7.
(a) VH)' Remèdes. (b) Sont trouNés ordinairement. (c) Dans leurs fausses joies.
Jérusalem spirituelle, toutefois il fut exposé aux mêmes reproches. Henri déjà prévenu et irrité (a) par les faux rapports, témoigna avec une aigreur extrême que la vie de ce prélat lui étoit à charge. Que de mains furent armées contre lui par cette parole Chrétiens, soyez attentifs s'il y eut jamais un martyre qui ressembla parfaitement à un sacrifice, c'est celui que je dois vous représenter. Voyez les préparatifs l'évêque est ii l'église avec son clergé, et ils sont déjà revêtus. Il ne faut pas chercher bien loin la victime le saint pontife est préparé, et c'est la victime que Dieu a choisie. Ainsi tout est prêt pour le sacrifice, et je vois entrer dans l'église ceux qui doivent donner le coup (&). Le saint homme va au-devant d'eux à l'imitation de Jésus-Christ; et pour imiter en tout ce divin modèle, il défend à son clergé toute résistance, et se contente de demander sùreté pour les siens. « Si c'est moi que vous cherchez, laissez, dit Jésus, retirer ceux-ci )) Ces choses étant accomplies et l'heure du sacrifice étant arrivée, voyez comme saint Thomas en commence la cérémonie. Victime et pontife tout ensemble, il présente sa tête et fait sa prière. Voici les vœux solennels et les paroles mystiques de ce sacrifice Et ego pro Deo. mort paratus sum, et pro assertione j'MS~Œ~ et pro .Ecc~sM? libertate, dMmmo~ô effusione sa~M!'nM mei pacem et Mer/a~m COMSe~Ma~Mf « Je suis prêt à mourir, dit-il, pour la cause de Dieu et de son Eglise; et toute la grace que je demande, c'est que mon sang lui rende la paix et la liberté qu'on lui veut ravir. » Il se prosterne devant Dieu et comme dans le sacrifice solennel nous appelons les Saints pour être nos intercesseurs, il n'omet pas une partie si considérable de cette cérémonie sacrée il appelle les saints martyrs et la sainte Vierge au secours de l'Eglise opprimée; il ne parle que de l'Eglise il n'a que l'Eglise dans le cœur et dans la bouche; et abattu par le coup, sa langue froide et inanimée semble encore nommer l'Eglise.
Mais voici un nouveau spectacle. Après qu'on a dépouillé le saint martyr, on découvre un autre martyre non moins admirable, qui est le martyre de sa pénitence, un cilice affreux tout Joanl, xvnfj 8.
(a) Var. Prévenu et aigri. (b) Et voici les meurtriers qui entrent.
plein de vermine. Ah ne méprisons point cette peinture, et ne craignons point de remuer ces ordures si précieuses. Ce cilice lui perce la peau, et il est si attaché à sa peau, qu'il semble qu'il soit une autre peau autour de son corps (a). On voit que ce Saint a été martyr durant tout le cours de sa vie; et on ne s'étonne plus de ce qu'il est mort avec tant de force, mais de ce qu'il a pu vivre au milieu de telles souffrances (&). 0 digne défenseur de l'Eglise! 1 Voilà les hommes qui méritent de parler pour elle, et de combattre pour ses inteiêts aussi sa victoire est-elle assurée. Les lois qui l'oppriment vont être abolies; et ce que le saint archevêque n'a pas obtenu vivant, il l'accomplira par sa mort.
Le Ciel se déclare manifestement. Pendant que les politiques raffinent et raisonnent à leur mode, Dieu parle par des miracles si visibles et si fréquens, que les rois mêmes et les plus grands rois oui, mes Frères, nos rois très-chrétiens passent les mers pour aller honorer ses saintes reliques. Louis le Jeune va en personne lui demander la guérison de son fils aîné, attaqué d'une maladie mortelle. Nous devons Philippe-Auguste au grand saint Thomas, nous lui devons saint Louis, nous lui devons tous nos rois et toute la famille royale qu'il a sauvée dans sa tige. Voyez, mes Frères, quels défenseurs trouve l'Eglise dans sa foiblesse, et combien elle a raison de dire avec l'Apôtre Cùm infirmor, tune potens SMM Ce sont ces bienheureuses foiblesses qui lui donnent cet invincible secours, et qui arment en sa faveur les plus valeureux soldats et les plus puissans conquérans du monde, je veux dire les saints martyrs. Quiconque ne ménage pas (c) l'autorité de l'Eglise, qu'il craigne ce sang précieux des martyrs, qui la consacre et qui la protège. Pour avoir violé ses droits, Henri est mal assuré dans son trône sa couronne est ébranlée sur sa tête, son sceptre ne tient pas dans ses mains. Dieu permet que tous ses voisins se liguent, que tous ses sujets se révoltent et oublient leur devoir, que son propre fils oublie sa naissance et se mette à la tête de ses ennemis. Déjà la vengeance du Ciel commence à le n Co?-xn, 'c.
(a) Var. Et il semble qu'il couvre une seconde peau, ou plutôt il est comme une seconde peau sur son corps. (&) Avec une telle patience. (c) Ne révère pas.
presser de toutes parts mais c'est une vengeance miséricordieuse, qui ne l'abat que ,pour le rendre humble, et pour faire d'un roi pécheur un roi pénitent c'est la seconde merveille qu'a opérée la mort du saint archevêque In morte mirabilia opérais es<.
SECOND POINT.
Dans ce démêlé célèbre où les intérêts de l'Eglise ont engagé saint Thomas contre un grand monarque, je me sens obligé de vous avertir qu'il ne lui a pas résisté en rebelle et dans un esprit de faction il a joint la fermeté avec le respect. S'il a toujours songé qu'il étoit évêque, il n'a jamais oublié qu'il étoit sujet; et la charité pastorale animoit de telle sorte toute sa conduite, qu'il ne s'est opposé au pécheur que dans le dessein de sauver le roi. Il ne doit pas être nouveau aux chrétiens d'avoir à se défendre des grands (a) de la terre, et c'est une des premières leçons que Jésus-Christ a données à ses saints apôtres. Mais encore que cette instruction nous prépare principalement contre les rois infidèles, plusieurs exemples illustres, et entre autres celui du grand saint Thomas, nous font voir assez clairement que l'Eglise a souvent besoin de rappeler toute sa vigueur au milieu de sa paix et de son triomphe. Combien ces occasions sont fortes et dangereuses, vous le comprendrez aisément, si vous me permettez, chrétiens, de vous représenter comme en deux tableaux les deux temps et les deux états du christianisme l'Empire ennemi de l'Eglise, et l'Empire réconcilié avec l'Eglise.
Durant le temps de l'inimitié, il y avoit entre l'un et l'autre une entière séparation. L'Eglise n'avoit que le ciel, et l'Empire n'avoit que la terre les charges, les dignités, les magistratures, c'est ce qui selon le langage de l'Eglise s'appeloit le siècle auquel elle obligeoit ses enfans de renoncer. C'étoit une espèce de désertion que d'aspirer aux honneurs du monde, et les sages ne pensoient pas qu'un chrétien de la bonne marque pût devenir magistrat. Quand cela fut permis à certaines conditions au premier concile d'Arles dans les premières années du grand Constantin, les termes (a) faf. A combattre les grands.
mêmes de la permission marquoient toujours quelque répugnance Ad pr<?sfda<M?H prosilire par un mot qui vouloit dire qu'on s'égaroit hors des bornes, qu'on s'échappoit, qu'on sortoit des lignes. Ce n'est pas que les fidèles ne sussent que les puissances de l'Etat étoient légitimes, puisque même saint Paul leur avoit appris qu'elles étoient ordonnées de Dieu Mais dans cette première ferveur l'Eglise respiroit tellement le Ciel, qu'elle ne vouloit rien voir dans les siens qui ne fùt céleste et elle étoit encore tellement remplie de la simplicité presque rustique de ses saints et divins pêcheurs, qu'elle ne pouvoit accoutumer ses yeux à la pompe et aux grandeurs de la terre.
Il faut vous dire, Messieurs, l'opinion qu'on avoit en ce tempslà des empereurs sur le sujet de la religion. On ne considéroit pas seulement qu'ils étoient ennemis de l'Eglise, mais Tertullien a bien osé dire qu'ils n'étoient pas capables d'y être reçus vous allez être étonnés de la liberté de cette parole « Les Césars, dit-il, seroient chrétiens, si le siècle qui nous persécute se pouvoit passer des Césars, ou s'ils pou voient être Césars et chrétiens tout ensemble » C<psares eredidissent super Christo, S! aut Ce~ares non essent s<pct<!o tMCMsam, <M<< si et christiani potuissent esse et Cœsafes". 'Voilà, direz-vous, de ces excès de Tertullien. Eh quoi donc n'avons-nous pas vu les Césars obéir enfin à l'Evangile, et abaisser leur majesté au pied de la croix? Il est vrai, mais il faut savoir distinguer les temps. Durant les temps des combats qui devoient engendrer les martyrs, les Césars étoient t nécessaires au siècle, le parti contraire à l'Eglise les devoit avoir à sa tête; et Tertullien a raison de dire que le nom d'EmpereMf et de César, qui selon les occultes dispositions de la Providence étoit un nom de majesté, étoit incompatible avec le nom de C/H'~tëK, qui devoit être alors un nom d'opprobre. Les fidèles de ces tempslà regardant les empereurs de la sorte, n'avoient garde de corrompre leur simplicité à la Cour il ne falloit pas craindre que les faveurs des empereurs fussent capables de les tenter (a) et leurs mains, qu'ils voyoient trempées et encore toutes dégouttantes du C<)KO'<. ~re/a<. ), can. Y! – Hon: xn), i. – ~~o~oy., n. 2t. (a) Var. Toucher.
sang des martyrs, leur rendoient leurs offres et leurs présens nonseulement suspects, mais odieux. Pour ce qui regardoit leurs menaces il falloit à la vérité beaucoup de vigueur pour n'en être pas ému mais ils avoient du moins cet avantage, qu'une guerre si déclarée les déterminoit à la résistance, et qu'il n'y avoit pas à délibérer si on s'opposeroit (a) à une puissance qu'on voyoit si ouvertement armée contre l'Evangile.
Mais après la paix de l'Eglise, après que l'Empire s'est uni avec elle, les choses peu à peu ont été changées. Comme le monde a paru ami, les fidèles n'ont plus refusé ses présens. Ces chrétiens sauvages et durs, qui ne pouvoient s'apprivoiser avec la Cour, ont commencé à la trouver belle et la voyant devenue chrétienne, ils ont appris à en briguer les faveurs. Ainsi les douceurs de la paix ont amolli ces courages mâles que l'exercice de la guerre rendoit invincibles; l'ambition, la flatterie, l'amour des grandeurs se coulant insensiblement dans l'Eglise, ont énervé peu à peu cette vigueur ancienne, même dans l'ordre ecclésiastique qui en étoit le plus ferme appui et comme dit saint Grégoire on a cherché l'honneur du siècle dans une puissance que Dieu avoit établie pour l'anéantir.
Dans cet état du christianisme, s'il arrive qu'un roi chrétien, comme Henri d'Angleterre, entreprenne contre l'Eglise, ne faudra-t-il pas pour lui résister une résolution extraordinaire? Combien a désiré notre saint prélat, puisqu'il plaisoit à Dieu qu'il souffrît persécution pour la justice, que Dieu lui envoyât un Néron ou quelque monstre semblable pour persécuteur? 11 n'eût pas eu à combattre tant de fortes considérations qui le retenoient contre ~un roi enfant de l'Eglise, son maître, son bienfaiteur, dont il avoit été le premier ministre. De plus, un ennemi déclaré, à qui le prétexte du nom chrétien n'auroit pas donné le moyen de tromper les évoques par de belles apparences, auroit-il pu détacher (!<) tous se~ frères les évêques pour le laisser seul et abandonné dans la défense de la bonne cause? Voici donc une nouvelle espèce de persécution, qui s'élève contre saint Thomas; persécution formifa~or., part. ), cap. VJ)I.
a) Var. Si on céderoit. (b) Gagner.
dable, à qui la puissance royale donne de la force, à qui la profession du christianisme (a) donne le moyen d'employer la ruse. N'est-ce pas en de pareilles rencontres que la justice a besoin d'être soutenue avec toute la vigueur (b) ecclésiastique ? D'autant plus qu'il ne suffit pas de résister seulement à ce roi superbe, mais il faut encore tâcher de l'abattre, mais de l'abattre pour son salut par l'humilité de la pénitence.
Notre saint évêque n'ignore pas qu'il n'est rien de plus utile aux pécheurs que de trouver des obstacles à leurs desseins criminels (c). Il ne cède donc pas à l'iniquité sous prétexte qu'elle est armée et soutenue d'une main royale au j contraire lui voyant prendre son cours d'un lieu éminent d'où elle peut se répandre avec plus de force, il se'croit plus obhgé de s'élever contre, comme une digue que l'on élève à mesure que l'on voit les ondes fnûées. Ainsi le désir de sauver le roi l'oblige à lui résister de toute sa force. Mais que dis-je, de toute sa force? Est-il donc permis à un sujet d'avoir de la force contre son prince; et pensant en faire un généreux, n'en ferons-nous point un rebelle? Non, mes~Frëres, ne craignez rien, ni de la conduite de saint Thomas, ni de la simplicité de mes expressions. Selon le langage ecclésiastique, la force a une autre signification que dans le langage du monde. La force selon le monde s'étend jusqu'à entreprendre; la force selon l'Eglise ne va pas plus loin que de tout souffrir voilà les bornes qui lui sont prescrites. Ecoutez l'apôtre saint Paul AûMtMtm usque ad san~Mtnem res~s~'s comme s'il disoit Vous n'avez pas tenu jusqu'au bout, parce que vous ne vous êtes pas défendus jusqu'au sang. Il ne dit pas jusqu'à attaquer, jusqu'à verser le sang de vos ennemis, mais jusqu'à répandre le vôtre.
Au reste saint Thomas n'abuse pas de ces maximes vigoureuses. H ne prend pas par fierté ces armes apostoliques, pour se faire valoir dans le monde il s'en sert comme d'un bouclier nécessaire dans l'extrême besoin de l'Eglise. La force du saint évêque ne dépend donc pas du concours de ses amis, ni d'une intrigue fineHebr., xii, 4.
(a) Var. Le nom de chrétien. (b) La fermeté. (e~ A leurs mauvais desseins.
ment menée. Il ne sait point étaler au monde sa patience pour rendre son persécuteur plus odieux, ni faire jouer de secrets ressorts pour soulever les esprits. Il n'a pour lui que les prières des pauvres, les gémissemens des veuves et des orphelins. Voità, disoit saint Ambroise les défenseurs des évêques; voilà leurs gardes, voilà leur armée. Il est fort, parce qu'il a un esprit également incapable et'de crainte et de murmure. Il peut dire véritablement à Henri, roi d'Angleterre, ce que disoit Tertullien au nom de toute l'Eglise, à un magistrat de l'Empire, grand persécuteur de l'Eglise Non te <e)ïcmMS~ qui nec <<~e?HMS Apprends à connoître quels nous sommes et vois quel homme c'est qu'un chrétien « Nous ne pensons pas à te faire peur, et nous sommes incapables (a) de te craindre. n Nous ne sommes ni redoutables ni làches nous ne sommes pas redoutables, parce que nous ne savons pas cabaler et nous ne sommes pas lâches, parce que nous savons mourir.
C'est ce que semble dire le grand saint Thomas, et c'est par ce sentiment qu'il unit ensemble les devoirs de l'épiscopat avec ceux de la sujétion. NOM ? ~rremMS voilà le sujet toujours soumis et respectueux; qui nec MmemMS voilà l'évêque toujours ferme et inébranlable. Non te terremus je ne médite rien (b) contre l'Etat qui nec ~memMS je suis prêt à tout souffrir pour l'Eglise. J'ai donc eu raison de vous dire qu'il résiste de toute sa force; mais cette force n'est point rebelle, parce que cette force c'est sa patience. Encore n'ébile-t-il pas au monde cette patience avec une contenance fière et un air de dédain, pour rendre son persécuteur odieux au contraire sa modestie est connue de tous, selon le précepte de l'Apôtre C'est par là qu'il espère convertir le roi il se propose de l'apaiser, du moins en lassant sa fureur. Il ne désire que de souffrir, afin que sa vengeance épuisée se tourne à de meilleurs sentimens. Quoiqu'il voie que ses biens ravis, sa réputation déchirée, les fatigues d'un long exil, l'injuste (c) persécution de tous les siens, n'aient pu assouvir sa colère, il sait ce que peut le sang d'un martyr, et le sien est tout prêt à couler pour amollir le Serm. contra Auxent., n 33. 1 Ad Scapul., n. 4. a PhIlipp., iv, 5. (a) ~a; Nous gardons bien. (t) Je n'entreprends rien. (c) La cruelle.
coeur de son prince. Il n'a pas été trompé dans son espérance le sang de ce martyr, le sacrifice sanglant de Thomas a produit un autre sacrifice, sacrifice d'humilité et de pénitence; il a amené à Dieu une autre victime, victime royale et couronnée. Je vous ai représenté l'appareil du premier sacrifice que celui-ci est digne encore de vos attentions 1 Là, un évoque à la tête de son clergé; et ici, un roi environné de toute sa Cour là, un évêque nous a paru revêtu de ses ornemens; ici, nous voyons un roi humblement dépouillé des siens là, vous avez vu des épées tirées, qui sont les armes de la cruauté; ici, une discipline et une haire, qui sont les instrumens de la pénitence. Dans le premier sacrifice, si vous avez eu de l'admiration pour le courage, vous avez eu de l'horreur pour le sacrilége ici, tout est plein de consolation. La victime est frappée; mais c'est la contrition qui perce son cœur la victime est abattue; mais c'est l'humilité qui la renverse. Le sang qui est répandu, ce sont les larmes de la pénitence (Mdam sanguis (tn('m<s l'autel du sacrifice, c'est le tombeau même du saint martyr. Le roi se prosterne devant ce tombeau, il fait une humble réparation aux cendres du grand saint Thomas, il honore ces cendres, il baise ces cendres, il arrose ces cendres de larmes, il mêle ses larmes au sang du martyr, il sanctifie ces larmes par la société de ce sang; et ce sang qui crioit vengeance, apaisé par ces larmes d'un roi pénitent, demande protection pour sa couronne. Il affermit son trône ébranlé; il relève le courage de ses serviteurs; il met le roi d'Ecosse, son plus grand ennemi, entre ses mains il fait rentrer son fils dans son devoir qu'il avoit oublié; enfin en un même jour il rend la concorde à sa maison, la tranquillité à son Etat et le repos à sa conscience. Voilà ce qu'a fait la mort de Thomas; voilà la seconde merveille qu'elle a opérée, la conversion des persécuteurs la dernière dépend en partie de nous; c'est, mes Frères, que notre zèle pour la sainte Eglise soit autant échauffé comme il est instruit par l'exemple de ce grand homme.
S. August., serm. cccu, n. 7.
TROISIÈME POINT.
A la mort de Thomas, le clergé d'Angleterre commença à reprendre coeur le sang de ce martyr ranima et réunit tous les esprits, pour soutenir par un saint concours les intérêts de l'Eglise. Apprenons aussi à l'aimer et à être jaloux de sa gloire. Mais, Messieurs, ce n'est pas assez que nous apprenions du grand saint Thomas à conserver soigneusement son autorité et ses droits il faut qu'il nous montre à en bien user chacun selon le degré où Dieu l'a établi dans le ministère; et vous ne pouvez ignorer quel doit être ce bon usage que je vous demande, si vous écoutez un peu la voix de ce sang. Car considérons seulement pour quelle cause il est répandu, et d'où vient que toute l'Eglise célèbre avec tant de dévotion le martyre de saint Thomas. C'est qu'on vouloit lui ravir (a) ses priviléges, usurper sa puissance, envahir ses biens; et ce grand archevêque y a résisté.
Mais si l'on ne se sert de ces priviléges que pour s'élever orgueilleusement au-dessus des autres, si l'on n'use de cette puissance que pour faire les grands dans le siècle; si l'on n'emploie ces richesses que pour contenter de mauvais désirs ou pour se faire considérer par une pompe mondaine est-ce là de quoi faire un martyr? Etoit-ce là un digne sujet pour donner du sang et pour troubler tout un grand royaume? N'est-ce pas pour faire dire aux politiques impies que saint Thomas a été le martyr de l'avarice ou de l'ambition du clergé; et que nous consacrons sa mémoire, parce qu'il nous a soutenus dans des intérêts temporels ? Voilà, direz-vous, un discours d'impie; voilà un raisonnement digne d'un hérétique ou d'un libertin. Je le confesse, Messieurs; mais répondons à cet hérétique, fermons la bouche à ce libertin, justifions le martyre du grand saint Thomas de Cantorbéry il ne sera pas difficile. Nous dirons que si le clergé a des privilèges, c'est afin que la religion soit honorée; que s'il possède des biens, c'est pour l'exercice des saints ministères, pour la décoration des autels, et pour la subsistance des pauvres; que s'il a de l'autorité, c'est afin qu'elle serve de frein à la licence, de barrière à l'iniquité, [a) Far. Oter~
d'appui à la discipline. Nous ajouterons qu'il est peut-être à propos que le clergé ait quelque force même dans le siècle, quelque éclat même temporel quoique modéré, afin de combattre le monde par ses propres armes, pour attirer ou réprimer les ames infirmes par les choses qui ont coutume de les frapper (a). Cet éclat, ces secours, ces soutiens externes de l'Eglise, empêchent peut-être le monde de l'attaquer pour ainsi dire dans ses propres biens, dans cette divine puissance, dans le cœur même de la religion; et ce sont si vous voulez comme les dehors de cette sainte Sion, de cette belle forteresse de David, qu'il ne faut point laisser prendre ni abandonner, et moins encore livrer à ses ennemis. D'ailleurs comme le monde gagne insensiblement, quand saint Thomas n'auroit fait qu'arrêter un peu son progrès, le dessein en est toujours glorieux. Voilà une défense invincible, et sans doute on ne pouvoit pas répandre son sang pour une cause plus juste.
Mais si le monde nous presse encore, s'il convainc un si grand nombre d'ecclésiastiques de faire servir ces droits à l'orgueil, cette puissance à la tyrannie, ces richesses à la vanité ou à l'avarice si cette apologie et notre défense n'est que dans notre bouche et dans nos discours, et non dans nos mœurs et dans notre vie ne dira-t-on pas qu'à la vérité notre origine étoit sainte, mais que nous nous sommes démentis nous-mêmes; que nous avons tourné en mondanité la simplicité de nos pères, et que nous couvrons du prétexte de la religion nos passions particulières? N'est-ce pas déshonorer le sang du grand saint Thomas, faire servir son martyre à nos intérêts, et exposer aux dérisions injustes (b) de nos ennemis la cause si juste et~i glorieuse pour laquelle il a immolé sa vie?
Fasse donc ce divin Sauveur, qui a établi le clergé pour être la lumière du monde, que tous ceux qui sont appelés aux honneurs ecclésiastiques, en quelque degré du saint ministère qu'ils nient été établis (c) emploient si utilement leur autorité, qu'on loue à jamais le grand saint Thomas de l'avoir si bien défendue; qu'ils dispensent si saintement, si chastement les biens de l'Eglise, que (a) ~ar. Toucher. (t) Criminelles. (e) Quelque partie du saint ministère qui leur ait été. confiée.
l'on voie par expérience la raison qu'il y avoit de les conserver par un sang si pur et si précieux. Qu'ils maintiennent la dignité de l'ordre sacré par le mépris des grandeurs du monde, et non pour la recherche de ses honneurs; par l'exemple de leur modestie plutôt que par les marques de la vanité, par la mortification et la pénitence plutôt que par l'abondance et la délicatesse des enfans du siècle que leur vie soit l'édification des peuples, leur parole l'instruction des simples, leur doctrine la lumière des dévoyés, leur vigueur et leur fermeté la confusion des pécheurs; leur charité l'asile des pauvres, leur puissance le soutien des foibles, leur maison la retraite des affligés, leur vigilance le salut de tous. Ainsi nous réveillerons dans l'esprit de tous les fidèles cette ancienne vénération pour le sacerdoce; nous irons tous ensemble, nous et les peuples que nous enseignons, recevoir avec saint Thomas la couronne d'immortalité qui nous est promise. Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.
PANEGYRIQUE
DE
SAINT SULPICE (a).
Nos autem non spiritum ~M/Ms MM?t<Z< ccce~iMM, sed Spiritum qui ex Deo & !<< sciamus <pM? à Deo donata sunt mo6ti.
Pour nous, nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais un Esprit qui vient de Dieu, pour connottre les choses qu'il nous a données. Cor. n, i2.
Chaque compagnie a ses lois, ses coutumes, ses maximes et son esprit; et lorsque nos emplois ou nos dignités nous donnent place dans quelque corps, aussitôt on nous avertit de prendre l'esprit de (a) Prêché le t9 janvier 1664, dans l'église de Samt-Saipice à Paria, devant la reine mère.
Avant le concordat, les fêtes patronales se célébroient en France, comme
la compagnie dans laquelle nous sommes entrés. Cette grande société que l'Ecriture appelle le AfbM~e a son esprit qui lui est propre, et c'est ce que l'apôtre saint Paul appelle dans notre texte « l'esprit du monde. » Mais comme la grace du christianisme est répandue en nos cœurs pour nous séparer du monde et nous dépouiller de son esprit, un autre esprit nous est donné, d'autres maximes nous sont proposées; et c'est pourquoi le même saint Paul parlant de la société des enfans de Dieu, a dit ces belles paroles « Nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais un Esprit qui est de Dieu, pour connoître les dons de sa grâce » Ut ~ct'omM f~Ma° à Deo donata sunt nobis.
Si le Saint que nous honorons et dont je dois prononcer l'éloge avoit eu l'esprit de ce monde, il auroit été rempli des idées du monde et il auroit marché comme les autres dans la grande voie, courant après les délices et les vanités; mais étant plein au contraire de l'Esprit de Dieu, il a connu parfaitement les biens qu'il nous donne un trésor qui ne se perd pas, une vie qui ne finit pas, l'héritage de Jésus-christ, la communication de sa gloire, la société de son trône. Ces grandes et nobles idées ayant effacé de son cœ'ur les idées du monde, la Cour ne l'a point corrompu par ses faveurs, ni engagé par ses attraits, ni trompé par ses espérances et il nous enseigne par ses saints exemples à nous défaire entièrement de l'esprit du monde, pour recevoir l'esprit du christianisme. Venez donc apprendre aujourd'hui.
Jésus-Christ, ce glorieux conquérant, a eu à combattre le ciel, la terre et les enfers; je veux dire la justice de Dieu, la rage et la elles se célèbrent encore aujourd'hui dms tout le monde catholique, le jour de la fête du Saint. Or la fête de saint Sulpice tombe le 19 janvier. L'éghse actuelle de Samt-Sulpice, dont la reine Anne posa la première pierre en i646, fut achevée vers la fin du règne de Louis XV; c'est dans t'ancieone église que Bossuet prêcha le panégyrique qu'on va lire.
En 1664, la reine mère avoit déjà subi les atteintes mortelles du cancer qui devoit la conduire au tombeau; voilà pourquoi le zélé prédateur lui dit, dans la péroraison, que « Sa Majesté devoit se rendie ordinaire et familière » la pensée de Id mott. D'une autre part, de funestes dissenbions s'éteint élevées qui troubloient l'union entre la souverain Pontife et Louis XIV; le ministre de la sainte parole conjure la reine de pacuter la discorde par son influence, l'avertissant qu'elle rendra compte à Dieu « et de tout le bien qu'elle peut faire, et de tout te mal qu'elle peut ou empêcher par autorité, ou modéter par conseils, ou détourner par prudence. »
furie des démons, des persécutions inouïes de la part du monde toujours grand, toujours invincible, il a triomphé dans tous ces combats. Tout l'univers publie ses victoires; mais celle dont il se glorifie avec plus de magnificence, c'est celle qu'il a gagnée sur le monde; et je ne lis rien dans son Evangile qu'il ait dit'avec plus de force que cette belle parole « Prenez courage, j'ai vaincu le monde » Con/7dite, ego vici tKMn~um 1.
Il l'a vaincu en effet, lorsque crucifié sur le Calvaire, il a couvert pour ainsi dire lafjce du monde de toute l'horreur de sa croix, de toute l'ignominie de son supplice. Non content de l'avoir vaincu par lui-même, il le surmonte tous les jours par ses serviteurs. Il est sorti de ses plaies un esprit victorieux du monde, qui animant le corps de l'Eglise, la rend saintement féconde pour engendrer tous les jours une race spirituelle qui triomphe (a) glorieusement de la pompe, des vanités et des délices mondaines.
Cette grace victorieuse des attraits du monde n'agit pas de la même sorte dans tous les fidèles. Il y a de saints solitaires qui se sont tout à fait retirés du monde; il y en a d'autres non moins illustres, lesquels y vivant sans en être l'ont pour ainsi dire vaincu dans son propre champ de bataille. Ceux-là entièrement détachés semblent désormais n'user plus du monde; ceux-ci non moins généreux en usent comme n'en usant pas, selon le précepte de l'Apôtre ceux-là s'en arrachant tout à coup, n'ont plus rien à démêler avec lui; ceux-ci sont toujours aux mains, et gagnent de jour en jour par un long combat ce que les autres emportent tout à une fois par la seule fuite. Car ici la fuite même est une victoire, parce qu'elle ne vient ni de surprise ni de lâcheté, mais d'une ardeur de courage qui rompt ses liens, force sa prison et assure sa liberté par une retraite glorieuse.
Ce n'est pas assez, chrétiens et il y a dans l'Eglise une grace plus excellente; je veux dire une force céleste et divine, qui nous fait non-seulement surmonter le monde par la fuite ou par le combat, mais qui en doit inspirer le mépris aux autres c'est la grace de l'ordre ecclésiastique. Car comme on voit dans le monde une 1 Joan., xvt, 33. [ Ccf-, vu, 3t.
(a) ~ar. Née pour triompher.
efficace d'erreur qui fait passer de l'un à l'autre par une espèce de contagion l'amour des vanités de la terre, il a plu au Saint-Esprit de mettre dans ses ministres une efficace de sa vérité pour détacher tous les cœurs de l'esprit du monde (a), pour prévenir la contagion qui empoisonne les ames, et rompre les enchantemens par lesquels il les tient captives.
Voilà donc trois grâces qui sont dans l'Eglise pour surmonter le monde et ses vanités la première, de s'en séparer tout à fait et de s'éloigner de son commerce; la seconde, de s'y conserver sans corruption et de résister à ses attraits; la troisième, plus éminente, est d'en imprimer le dégoùt aux autres et d'en empêcher la contagion. Ces trois graces sont dans l'Eglise; mais il est rare de les voir unies dans une même personne, et c'est ce qui me fait admirer la vie du grand saint Sulpice. Il l'a commencée à la Cour, il il l'a finie dans la solitude, le milieu en a été occupé dans les fonctions ecclésiastiques. Courtisan, il a vécu dans le monde sans être pris de ses charmes évêque, il en a détaché (b) ses frères solitaire, il a désiré de finir ses jours dans une entière retraite. Ainsi successivement, dans les trois états de sa vie, nous lui verrons surmonter le monde de toutes les manières dont on le peut vaincre car il s'est opposé généreusement (c) à ses faveurs dans la Cour, au cours de sa malignité dans l'épiscopat, à la douceur de son commerce dans la solitude trois points de ce discours. PRECHER POINT.
Quoique les hommes soient partagés en tant de conditions différentes, toutefois selon l'Ecriture il n'y a que deux genres d'hommes, dont les uns composent le monde et les autres la société des enfans de Dieu. Cette solennelle division est venue, dit saint Augustin de ce que l'homme n'a que deux parties principales la partie animale et la raisonnable; et c'est par là que nous distinguons deux espèces d'hommes, parce que les uns suivent la chair et les autres sont gouvernés par l'esprit. Ces deux races d'hommes ont De Civit. Dei, lib. XIV, cap. )V.
(a) for. Pour répandre dans tous les cœurs le mépris du monde. (6) Détrompé. (c) Il a heureusement résisté.
paru d'abord en figure dès l'origine des siècles en la personne et dans la famille de Gain et de Seth les enfans de celui-ci étant toujours appelés les enfans de Dieu, et au contraire ceux de Cain étant nommés constamment les enfans des hommes, afin que nous distinguions qu'il y en a qui vivent comme nés de Dieu selon les mouvemens de l'esprit, et les autres comme nés des hommes selon les inclinations de la nature.
De là ces deux cités renommées dont il est parlé si souvent dans les saintes Lettres Babylone charnelle et terrestre Jérusalem divine et spirituelle, dont l'une est posée sur les fleuves, c'est-àdire dans une éternelle agitation, SMpe)' agMas tMMHas dit l'Apocalypse, ce qui a fait dire au Psalmiste « Assis sur les fleuves de Babylone 2; o et l'autre est bâtie sur une montagne, c'est-à-dire dans une consistance immuable. C'est pourquoi le même a chanté « Celui qui se confie en Dieu est comme la montagne de Sion, .celui qui habite en Jérusalem ne sera jamais ébranlé a OM! confidunt in Domino sicut MOHS Sion Or encore que ces deux cités soient mêlées de corps, elles sont, dit saint Augustin infiniment éloignées d'esprit et de mœurs ce qui nous est encore représenté dès le commencement des choses, en ce que les enfans de Dieu s'étant alliés par les mariages avec la race des hommes, ayant trouvé, dit l'Ecriture leurs filles belles, ayant aimé leurs plaisirs et leurs vanités Dieu irrité de cette alliance résolut en sa juste indignation d'ensevelir tout le monde dans le déluge, afin que nous entendions que les véritables enfans de Dieu doivent fuir entièrement le commerce et l'alliance du monde, de peur de communiquer, comme dit l'Apôtre à ses œuvres infructueuses.
C'est pourquoi le Sauveur Jésus « l'Illuminateur des antiquités, D 7MMmt?M<<M' an~M'M~m parlant de ses véritables disciples dont les noms sont écrits au ciel « Ils ne sont pas du monde, dit-il, comme je ne suis pas du monde » et quiconque veut être du monde, il s'exclut volontairement de la société de ses prières Apoc., xvn, i. – 1 Psal. cxMvi, 1 ~M<. cxxiv, 1. – De calech. rud cap. xix, n. 3). Genes vt, 6 EpiLes., v, U. – TertuU., a<Mat'e., lib. IV, n. 40.- Joaa., HU, t6.
et de la communion de son sacrifice, Jésus-Christ ayant dit décisivement « Je ne prie pas pour le monde f
J'ai dit ces choses, mes Frères, afin que vous connoissiez que ce n'est pas une obligation particulière des religieux de mépriser le monde; mais que la nécessité de s'en séparer est la première, la plus générale, la plus ancienne obligation de tous les enfans de Dieu.
Si nous en croyons l'Evangile, rien de plus opposé que JésusChrist et le monde; et de ce monde, Messieurs, la partie la plus éclatante et par conséquent la plus dangereuse, chacun sait assez que c'est la Cour. Comme elle est le principe et le centre de toutes les affaires du monde, l'ennemi du genre humain y jette tous ses appâts, y étale toute sa pompe.
Saint Sulpice nourri à la Cour dès sa jeunesse.
Sulpice, chaste dans un âge. 0 sainte chastete, fleur de la vertu, ornement immortel des corps mortels, marque assurée d'une ame bien faite, protectrice de la sainteté et de la foi mutuelle dans les mariages, fidèle dépositaire de la pureté du sang des races, et qui seul en sait conserver la trace, quoique tu sois si nécessaire au genre humain, où te trouve-t-on sur la terre? 0 grand opprobre de nos moeurs l'un des sexes a honte de te conserver et celui auquel il pourroit sembler que tu es échue en partage, ne se pique guère moins de te perdre dans les autres que de te conserver en soi-même. Confessez-vous à Dieu devant ces autels, vaines et superbes beautés, dont la chasteté n'est qu'orgueil ou affectation et grimace. Quel est votre sentiment, lorsque vous vous étalez avec tdnt de pompe pour attirer les regards? Ditesmoi seulement ce mot Quels regards désirez-vous attirer? Sont-ce des regards indiuerens? Ah 1 quel miracle que saint Sulpice, jeune et agréable, n'ait jamais été pris dans ces piéges Sachant qu'il ne devoit l'amour qu'à son Dieu, jamais il n'a souillé dans sou cœur la source de l'amour. Ange visible, ses autres vertus n'étoient pas de ces vertus du monde et de commerce, ajustées non point à la règle (elle seroit trop austère), mais à l'opinion et à l'humeur des hommes ce sont là les vertus des sages mondains, ou Joan., XYtf, 9.
plutôt c'est le masque spécieux sous lequel ils cachent leurs vices. Sa bonne foi. Sa probité. Sa justice. Sa candeur et son innocence. -Admirable modération 1 Mais peut-être ne durerat-elle que jusqu'à ce qu'elle ait gagné le dessus car le génie de l'ambition, c'est d'être tremblante et souple lorsqu'elle a des prétentions et quand elle est parvenue à ses fins, la faveur la rend audacieuse et insupportable Pavida cùm qM~n<, audax cùm pervenerit Un habile courtisan disoit autrefois qu'il ne pouvoit souffrir à la Cour l'insolence et les outrages des favoris et encore moins, disoit-il, leurs civilités superbes et dédaigneuses, leurs graces trop engageantes, leur amitié tyrannique, qui demande d'un homme libre une dépendance servile, contumeliosam humatH'fa<em
Sulpice toujours modéré, sut se tenir dans les bornes que l'humilité chrétienne lui prescrivoit. Pour se détromper du monde, il alloit se rassasier de la vue des opprobres de Jésus-Christ dans les hôpitaux et dans les prisons. Image de la grandeur de Dieu dans le prince; image de la bassesse de Jésus-Christ et de ses humiliations dans les pauvres. Le favori de Clotaire aux pieds d'un pauvre ulcéré, adorant Jésus-Christ sous des haillons et expiant la contagion des grandeurs du monde, quel beau spectacle Mais il évitoit le plus qu'il étoit possible les regards des hommes, et ne cherchoit qu'à leur cacher. Ces vertus trompeuses, qui se rendent elles-mêmes captives des yeux qu'elles veulent captiver.
SECOND POINT.
La grace du baptême porte une efficace pour nous détacher du monde; la grâce de l'ordination porte une efficace divine pour imprimer ce détachement dans tous les cœurs.
Le royaume de Jésus-Christ n'est pas de ce monde. Il y a guerre déclarée entre Jésus-Christ et le monde, une inimitié immortelle le monde le veut détruire, et il veut détruire le monde. Ceux qu'il établit ses ministres doivent donc entrer dans ses intérêts s'il y a en eux quelque puissance, c'est pour détruire la puissance qui 1 S. Greg. M., Past., part. I, cap. ix. Senec., epist. jv.
lui est contraire. Ainsi toute la puissance ecclésiastique est destinée à abattre les hauteurs du monde Ad deprimendam a~ÏMdinem sa?CM~ /t!~MS.
On reçoit le Saint-Esprit dans le baptême dans une certaine mesure mais on en reçoit la plénitude dans l'ordination sacrée, et c'est ce que signifie l'imposition des mains de l'évêque. Car, comme dit un ancien écrivain ce que fait le pontife mû de Dieu, animé de Dieu, c'est l'image de ce que Dieu fait d'une manière plus forte et plus pénétrante. L'évêque ouvre les mains sur nos têtes Dieu verse à pleines mains dans les ames la plénitude de son Saint-Esprit. C'est ce qui fait dire à un saint Pape « La plénitude de l'Esprit-Saint opère dans l'ordination sacrée » Plenitudo SpM't~s in sacris ordinationibus operatur Le Saint-Esprit dans le baptême nous dépouille de l'esprit du monde Non enim spiritum hujus mundi accepimus. La plénitude du Saint-Esprit doit faire dans l'ordination quelque chose de beaucoup plus fort elle doit se répandre bien loin au dehors pour détruire dans tous les cœurs l'esprit et l'amour du monde. Animons-nous, mes Frères c'est assez pour nous d'être chrétiens, trop d'honneur de porter ce beau caractère Propter nos nihil SM.~Ct'eH~s est. Si donc nous sommes ecclésiastiques, c'est sans doute pour le bien des autres. Que n'a pas entrepris le grand saint Sulpice pour détruire le règne du monde? Mais c'est peu de dire qu'il a entrepris ses soins paternels opéroient sans cesse de nouvelles conversions. Il y avoit dans ses paroles et dans sa conduite une certaine vertu occulte, mais toute-puissante, qui inspiroit le dégoût du monde. Nous lisons dans l'histoire de sa vie que, durant son épiscopat, tous les déserts à l'entour de Bourges étoient peuplés de saints solitaires. Il consaeroit tous les jours à Dieu des vierges sacrées. D'où lui venoit ce bonheur, cette bénédiction, cette grace d'inspirer si puissamment le mépris du monde ? Qu'y avoit-il dans sa vie et dans sa personne qui fût capable d'opérer de si merveilleux changemens? C'est ce qu'il faut tâcher d'expliquer en faveur de Dionys., de Eccles. t/iM'arc~ cap. v, p. 127 et seq.– Innocent, f, ad Alex., ep. XXIV, p. 853, Epist. Rom. Pont.
tant de saints ecclésiastiques qui remplissent ce séminaire et cette audience. Deux choses produisoient un si grand effet la simplicité ecclésiastique, qui condamnent souverainement la somptuosité, les délices, les superfluités du monde un gémissement paternel sur les âmes qui étoient captives de ses vanités.
La simplicité ecclésiastique, c'est un dépouillement intérieur qui, par une sainte circoncision, opère au dehors un retranchement effectif de toutes superûuités. En quoi le monde paroît-il grand ? Dans ses supernuités de grands palais, de riches habits, une longue suite de domestiques. L'homme si petit par lui-même, si resserré en lui-même, s'imagine qu'il s'agrandit et qu'il se dilate, en amassant autour de soi des choses qui lui sont étrangères. Le vulgaire est étonné de cette pompe et ne manque pas de s'écrier Voilà les grands, voilà les heureux. C'est ainsi que la puissance du monde tâche de faire voir que ses biens sont grands. Une autre puissance est établie pour faire voir qu'il n'est rien c'est la puissance ecclésiastique.
Toutes nos actions jusqu'aux moindres gestes du corps, jusqu'au moindre et plus délicat mouvement des yeux, doivent ressentir le mépris du monde. Si la vanité change tout, le visage le regard, le son de la voix, car tout devient instrument de la vanité ainsi la simplicité doit tout régler; mais qu'elle ne soit jamais affectée, parce qu'elle ne seroit plus simplicité. Entreprenons, Messieurs, de faire voir à tous les hommes que le monde n'a rien de solide ni de désirable; et pour cela, la frugalité, la modestie et la simplicité du grand saint Sulpice. « Ayons donc de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contens » Habentes aK?K6K<<ï et quibus tegamur, his contenti simus 1. Que nous servent ces cheveux coupés, si nous nourrissons au de-~ dans tant de désirs superflus, pour ne pas dire pernicieux? « Car la dignité sacerdotale exige, de ceux qui en sont revêtus, une gravité de mœurs peu commune, une vie sérieuse et appliquée, une vertu toute singulière e -S'o6n'(tm à turbis gravitatem seriam ~<am, singulare pondus, dignitas s~t vindicat sacer~o«~t's Sont-ils jaloux de soutenir en eux l'autorité du sacerdoce, j rimoM.. vt, 8. – S. Ambr., ad Iren., epist. xxvjn. n. 2.
qu'ils pensent à l'assurer par le mérite de leur foi et la sainteté de leur vie Dignitatis S!<œ auctoritatem /M~ et <j~a? H:e!<M ~K~rsK~ a Le vrai ecclésiastique s'étudie à prouver sa profession par son habit, sa démarche et toute sa conduite il n'a garde de chercher à se donner un faux éclat par des ornemens empruntés a C~CMS professionem suam, et :M habitu, et in incessu probet, et nec vestibus, nec calceamentis decorem <}Ma°)'a< La simplicité de sa vie, lorsqu'il nous dit « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids et des retraites, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête e Vulpes foveas habent et volucres cœ nidos, Filius atitem hominis non habet ubi capu< t'ec<n6t des sentimens de pitié, donner du courage et malheur à ceux qui poussés du désir de s'élever, cherchent dans l'honneur attaché au sacerdoce un moyen de se procurer les avantages du monde, qu'il avoit pour objet de détruire Jt/MKdt lucrum gM<!?t't<Mt' sub ejus honoris specie, quo mundi destrui lucra debuerunt
Il faut honorer ses ministres, pour l'amour de celui qui a dit « Qui vous reçoit me reçoit » La simplicité ecclésiastique suit cette belle règle ecclésiastique « Elle se montre un exemple de patience et d'humilité, en recevant toujours moins qu'on ne lui offre; mais quoiqu'elle n'accepte jamais le tout, elle a la prudence de ne point tout refuser » Se!'pSMmp!'(p6ea< pa~n!o? atque humilitatis exemplum, minus sibi assumendo quàm o~t't'; sed tamen ab eis qui se honorant nec totum nec nihil accipiendo Il ne faut pas recevoir tout ce qu'on nous offre, de peur qu'il ne paroisse que nous nous repaissons de cette fumée il ne faut pas le rejeter tout à fait à cause de ceux à qui on ne pourroit se rendre utile, si l'on ne jouissoit de quelque considération Propter illos ac~pt'~Mr qt;t6Ms consulere non potest, si nintid dejectione vilescat. Gémissemens. L'état de l'Eglise durant cette vié c'est un état de désolation, parce que c'est un état de viduité Non possMK< filii sponsi lugere, gMamdïù cum illis est sponsus Elle est séCoKe. Carthag. IV, cap. xv.– /&d., cap. ïLV. – ~a«A., vm, 20. S. Gregor. Magn., Pa~< t part., cap. ym. – "JMN~A.~ x, 40. S. August., ad Aurel., epist. xxn, n. t. jUa~/i., tx, 15.
parée de son cher Epoux, et elle ne peut se consoler d'avoir perdu plus de la moitié d'elle-même. Cet état de désolation et de viduité de l'Eglise doit paroître principalement dans l'ordre ecclésiastique. Le sacerdoce est un état de pénitence pour ceux qui ne font pas pénitence; les prêtres doivent les pleurer, avec saint Paul, d'un cœur pénétré de la plus vive douleur Lugeant mK~os qui non eget'M~< p<BH~tt<!a?n « Non-seulement il ne commet aucun crime, mais il déplore encore et travaille à expier ceux des autres, comme s'ils lui étoient personnels » JVM~a illicita perpe~ra~ sed perpetrata ab (!/t:s ut propre deplorat Aussi les joies dissolues du monde portoient-elles un contre-coup de tristesse sur le cœur de saint Sulpice car il écoutoit ces paroles comme un tonnerre « Malheur à vous qui riez maintenant, parce que vous serez réduits aux pleurs et aux larmes » V<B vobis qui ridetis MMKC, quia lugebitis et /!eM<s II s'effrayoit pour son peuple; et tâchoit par ses discours non d'exciter ses acclamations, mais de lui inspirer les sentimens d'une componction salutaire Docente te in ecclesiâ, non damo)' populi, sed j~m~MS suscitetur Jésus-Christ, mes Frères, en choisissant ses ministres, leur dit encore comme à saint Pierre « M'aimes-tu? pais mon troupeau. o En effet « il ne confieroit pas des brebis si tendrement aimées à celui qui ne l'aimeroit pas ') JY~Meemm non amec~t'comm! tam Hma<as. Cet amour, source des larmes de saint Sulpice. Jésus-Christ, gémissant pour nous. Ses prières « II avoit éprouvé par sa propre expérience qu'il pouvoit obtenir du Seigneur tout ce qu'il lui demanderoit » Orationis usu et experimento jam didicit, qMM obtinere à Domino ~M(c poposcerit possit Il. Il l'avoit expérimenté, priant en faveur du roi réduit à l'extrémité, puisqu'il l'avoit emporté contre Dieu combien plus en devoit-il avoir pour le soutien et le renouvellement de la vie spirituelle
Mais quel étoit son gémissement sur les ecclésiastiques mondains Oui, nous devons le dire avec douleur et confusion « ceux qui semblent porter la croix, la portent de manière qu'ils ont 1 H Cor., xir, 2i. S. Greg. Mag., Pa~ part. t, cap. x. Luc., vr, 25. – S. Hteron., ad Nepot., epist. MXiv. – S. Greg. Mag., Past., part. ), cap. x.
plus de part à sa gloire que de société avec ses souffrances » Hi qui putantur cri/MMt portare, sic po)'<<Mt~ ut plus habeant in crucis HOM!'Me dignitatis gMHm in passione supplicii 1. S'ils avaient' de la foi, pourroient-ils y songer sans sécher d'effroi? Saint Sulpice touché de cette pensée se retire, pour régler ses comptes avec la justice divine. Il connoît la charge d'un évêque il sait « que tous doivent comparoître devant le tribunal de JésusChrist, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il étoit revêtu de son corps » Ut M~ra~ MKMS~Mt's~Me propria corporis, prout gessit « Si le compte est si exact de ce qu'on fait en son propre corps, ô combien est-il redoutable de ce qu'on fait dans le corps de Jésus-Christ, qui est son Eglise? » Si recMcHaa est ratio de AM quce quisque gessit in corpore suo, quid ~e< de his ~M<B quisque gessit in corpore C/tfM<t~? Il ne se repose pas sur sa vocation si sainte, si canonique il sait que Judas a été élu par Jésus-Christ même, et que cependant par son avarice il a perdu la grace de l'apostolat.
Justice de Dieu, que vous êtes exacte 1 vous comptez tous les pas, vous mettez en la balance tous les grains de sable. Il se retire donc pour se préparer à la mort, pour méditer la sévérité de la justice de Dieu. Il récompense un verre d'eau; mais il pèse une parole oiseuse, particulièrement dans les prêtres, où tout jusqu'aux moindres actions doit être une source de graces. Tout ce que nous donnons au monde, ce sont des larcins que nous faisons aux ames fidèles.
A quoi pensons-nous, chrétiens? Que ne nous retirons-nous pour nous préparer à ce dernier jour? N'avons-nous pas appris de l'Apôtre que nous sommes tous ajournés, pour comparoître personnellement devant le tribunal de Jésus-Christ? Quelle sera cette surprise, combien étrange et combien terrible, lorsque ces saintes vérités auxquelles les pécheurs ne pensoient jamais, ou qu'ils laissoient inutiles et négligées dans un coin de leur mémoire, leur paroitront tout d'un coup pour les condamner Aigre, inexoSalvian., De Gub. Dei, lib. 111, n. 3. – U Cor., v, )0. Senu. ad Cler., tt! Cotic. Rem., in Ap. op. S. B~t'n.j tom. U, col. ~35.
rable, inflexible, armée de reproches amers, te trouverons-nous toujours, ô vérité persécutante? Oui, mes Frères, ils la trouveront spectacle horrible à leurs yeux, poids intolérable sur leurs consciences, flamme dévorante dans leurs entrailles! Se retirer quelque temps afin d'écouter ses conseils avant que d'être convaincus par son témoignage, jugés par ses règles, condamnés par ses arrêts et par ses sentences suprêmes. Accoutumons-nous aux yeux et à la présence de notre juge. Solitude effroyable où l'ame se trouvera réduite devant Jésus-Christ, pour lui rendre compte 1 Le remède le plus efficace, c'est une douce solitude devant luimême, pour lui préparer ses comptes. Attendre à la mort, combien dangereux c'est le coup du souverain Dieu presse trop violemment.
Mais cette solitude est ennuyeuse. < Oh que le père du mensonge, ce malicieux imposteur, nous trompe subtilement (a), pour empêcher que nos cœurs avides de joie, ne fassent le discernement des véritables sujets de se réjouir! a 776M ~Mam subtiliter nos t'He decipiendi artifex fallit, M< non discernamus, gaudendi avidi, MK<M veriùs <yc:M~e(MHMS 'I Tous les autres divertissemens, charme de notre chagrin, qu'un amusement d'un coeur enivré. Vous sentez-vous dans ce tumulte, dans ce bruit, dans cette dissipation, dans cette sortie de vous-mêmes? Avec quelle joie, dit David, « votre serviteur a trouvé son cœur pour vous adresser sa prière 1 a Invenit se~MS tuus cor suum, ut oraret te oratione Me Mais l'on craint de passer pour un homme inutile et de rendre sa vie méprisable Sed ignavam infamabis. Il faut faire quelque figure dans le monde (M.
Madame, Votre Majesté doit penser sérieusement à ce dernier jour. Nous n'osons y jeter les yeux cette pensée nous effraie et fait horreur à tous vos sujets, qui vous regardent comme leur Mère, aussi bien que comme celle de notre Monarque. Mais, Madame, autant qu'elle nous fait horreur, autant Votre Majesté se Julum. Pom., <& M<d <:<m~t!)p/ lib. H~ cap. xni; int. oper. S. Prosp. 1 i) vu, 27.
(a) Var. En impose adroitement à nos yeux. (t) On a vu la fin dans plusieurs sermons.
la doit rendre ordinaire et familière. Puisse Votre Majesté être tellement occupée de Dieu, avoir le coeur tellement percé de la crainte de ses jngemens, l'âme si vivement pénétrée de l'exactitude et des rigueurs de sa justice, qu'elle se mette en état de rendre bon compte d'une si grande puissance, et de tout le bien qu'elle peut faire, et encore de tout le mal qu'elle peut ou empêcher par autorité, ou modérer par conseils, ou détourner par prudence c'est ce que Dieu demande de vous. Ah! si les vœux que je lui fais pour votre salut sont reçus devant sa face, cette salutaire pensée jettera Votre Majesté dans une humiliation si profonde, que méprisant autant sa grandeur royale que nous sommes obligés de la révérer, elle fera sa plus chère occupation du soin 'de mériter dans le ciel une couronne immortelle.
PANÉGYRIQUE
DE E
SAINT FRANÇOIS DE SALES (a).
JHee!'a<<MC6ftt(tc?'(~eMe<<Mcm!.
![ étoit une lampe ardente et luisante. Joan., v, 35.
Laissons un spectacle de cruauté, pour arrêter notre vue sur l'image de la douceur même laissons des petits enfans qui em(A) Prêché le 28 décembre 1662, à Paris, dans un couvent de la Visitation. Samt François de Sales fut béatifié en t66t, le jour anniversaire de sa mort, le 28 décembre. On crut des lors que sa fête seroit fixée ce jour-là; c'est pourquoi les orateurs sacrés firent, l'année suivante, son panégyrique le 28 décembre. La canonisation eut lieu trois ans plus tard, le <9 avril 1665; mais 1 Eglise voulut que le 28 décembre restât consacré sans partage aux saints Innocens, elle fixa la fête de saint François de Sales au 29 janvier.
Ces faib vont nous expliquer deux passages du panégyrique. On a pu voir que le 28 décembre est la fête des Innocens; de là ces patotes qui commencent l'exorde « Laissons un spectacle de cruauté; laissons des petits enfans qui emportent la couronne des hommes. » Ensuite le panégyrique fut prêché après la béatification, trois ans avant la canonisation du Saint; voilà pourquoi le prédicateur dit aux filles de saint François de Sales, aussi dans l'exorde a C'est ce
portent la couronne des hommes, pour admirer un homme qui a l'innocence et la simplicité des enfans laissons des mères désolées qui ne veulent point recevoir de consolation dans la perte qu'elles font de leurs fils, pour contempler un Père toujours constant qui a amené lui-même ses filles à Dieu, afin de les immoler de ses propres mains par la mortification religieuse. Il n'est pas malaisé, ce semble, de louer un Père si vénérable devant des filles si respectueuses, puisqu'elles ont le cœur si bien préparé à écouter ses louanges mais à le considérer par un autre endroit, cette entreprise est fort haute, parce qu'étant si justement prévenues d'une estime extraordinaire de ses vertus, il n'est rien de plus difficile que de satisfaire à leur piété, remplir leurs justes désirs et égaler leurs grandes idées. C'est ce qui me fait désirer, mes Sœurs, pour votre entière satisfaction, que l'éloge de ce grand homme se fasse bientôt en ce lieu auguste (a) où se prononcent les oracles du christianisme. Mais en attendant ce glorieux jour trop éloigné pour nos vœux, qui ouvrira la bouche des prédicateurs pour faire retentir par toutes les chaires les mérites incomparables de François de Sales (b), votre très-saint Instituteur, nous pouvons (c) nous entretenir en particulier de ses admirables vertus, et honorer avec ses enfans sa bienheureuse mémoire, qui est plus douce à tous les fidèles qu'une composition (d) de parfums, comme parle l'Ecriture sainte Commençons donc, chères ames, cette sainte conversation avec la bénédiction du Ciel; et pour implorer son secours, employons les prières de la sainte Vierge, en disant Are. Il y a assez de fausses lumières, qui ne veulent briller dans le 1 ~CC<! XUï, 1.
qui me fait désirer, mes Sœurs, pour votre entière satisfaction, que réloge de ce grand homme se fasse bientôt en ce lieu auguste où se prononcent les oracles du chiishamsme (dans la chaire de saint Pierre). Mais en attendant ce glorieux jour, qui ouvrira la bouche aux prédicateurs, ;) etc. On trouvera, d~ns le premier pointde notre panégyrique, une longue note marginale. Cette note tppartenoit primitivement au pan~ryrt~xe de sainte Cathenne; mais Bossuet l'a Effacée en ce dernier endroit pour la transporter au premier. Voilà ce que dirent les éditeurs après Déforis.
(a) Fa; Eût déjà été fait en ce lieu sacré. (~) Et que le siège apostolique ouvrant la bouche des prédicateurs, nous fassions retentir par toutes les chaires les mérites de ce Prélat incomparable (c) )[ nous est permis de. (d) Exhalaison.
monde que pour attirer l'admiration par la surprise des yeux. Il est assez naturel aux hommes de vouloir s'élever aux lieux éminens, pour étaler de loin avec pompe l'éclat d'une superbe grandeur. Ce vice si commun dans le monde est entré bien avant dans l'Eglise, et a gagné jusqu'aux autels. Beaucoup veulent monter dans les chaires, pour y charmer les esprits par leur science (a) et l'éclat de leurs pensées délicates; mais peu s'étudient comme il faut à se rendre capables d'échauffer les cœurs par des sentimens de piété. Beaucoup s'empressent avec ardeur de paroître dans les grandes places pour luire sur le chandelier 1; peu s'appliquent sérieusement à jeter dans les ames ce feu céleste que Jésus a apporté sur la terre.
François de Sales, mes Sœurs, votre saint et admirable Instituteur, n'a pas été de ces faux luisans qui n'attirent que des regards curieux et des acclamations inutiles. Il avoit appris de l'Evangile que les amis de l'Epoux et les ministres de sa sainte Eglise devoient être ardens et luisans; qu'ils devoient non-seulement éclairer, mais encore échauffer la maison de Dieu Ille erat lucerna ardens et lucens. C'est ce qu'il a fidèlement accompli durant tout le cours de sa vie, et il ne sera pas malaisé de vous le faire connoître fort évidemment par cette réflexion.
Trois choses principalement lui ont donné beaucoup d'éclat dans le monde la science, comme docteur et prédicateur; l'autorité, comme évoque la conduite, comme directeur des ames. La science ~'a rendu un flambeau capable d'illuminer les fidèles; la dignité épiscopale a mis ce flambeau sur le chandelier pour éclairer toute l'Eglise; et le soin de la direction a appliqué cette lumière bénigne à la conduite des particuliers. Vous voyez combien reluit ce flambeau sacré; admirez maintenant comme il échauffe. Sa science pleine d'onction attendrit les cœurs; sa modestie dans l'autorité enflamme les hommes à la vertu sa douceur dans la direction les gagne à l'amour de Notre-Seigneur. Voilà doncun flambeau ardent etluisant si sa science reluit parce qu'elle est claire, elle échauffe en même temps parce qu'elle est tendre Z.MC.t Xft, 49.
(a) Var. Pour y faire voir leur heureux génie par une science recherchée et.
et affective; s'il brille aux yeux des hommes par l'éclat de sa dignité, il les édifie, les excite, les enflamme tout ensemble par l'exemple de sa modération; enfin si ceux qu'il dirige se trouvent éclairés fort heureusement par ses sages et salutaires conseils, ils se sentent aussi vivement touchés par sa charmante douceur et c'est ce que je me propose de vous expliquer dans les trois parties de ce discours.
PREMIER POINT.
Plusieurs considèrent Jésus-Christ comme un shjet de recherches curieuses, et pensent être savans dans son Ecriture quand ils y ont rencontré, ou des questions inutiles, ou des rêveries agréables. François de Sales, mes Sœurs, a cherché une science qui tendît à la piété; et afin que vous entendiez dans le fond et de quelle sorte Jésus-Christ veut être connu, remontez avec moi jusqu'au principe (a).
Il y a deux temps à distinguer, qui comprennent tout le mystère du christianisme il'y a le temps des énigmes, et ensuite le temps de la claire vue; le temps de l'obscurité, et après celui des lumières; enfin le temps de croire, et le temps de voir. Cette distinction étant supposée, tirons maintenant cette conséquence. Dans le temps de la claire vue, c'est alors que les esprits seront.satisfaits par la manifestation de la vérité. Car « nous verrons Dieu face à face » Videbimus fac:6 ad /acîe?H et là découvrant sans aucun nuage la vérité dans sa source, nous trouverons de quoi contenter toutes nos curiosités raisonnables. Maintenant quelle est notre connoissance ? Connoissance obscure et enveloppée, qui nous fait entrevoir de loin quelques rayons de lumière à travers mille nuages épais connoissance par conséquent qui n'a pas été destinée pour nous satisfaire, mais pour nous conduire, et qui est plutôt pour le cœur que pour l'esprit. Et c'est ce qui a fait dire au 1 Cor., xfn, 12.
(a) Var. Je commencerai ce discours en détruisant la fausse imagination de certains savans importuns qui mettent toute la science ecclésiastique dans des connoissances stériles et abstraites, qui ne sont pas capables de toucher les cœurs. Notre saint et illustre évêque a rejeté bien loin cette science, et a souvent averti les théologiens de ne se pas consumer inutilement dans ces méditations infructueuses, et il leur a montré par son exemple que la science des samts est celle qui excite la pieté.
divin Sauveur Beati mMK~o co'~e, ~MO?tM?H ipsi Deum vide6MH<' :N Bienheureux ceux quiontle cœur pur,parce qu'ils verront Dieu. M F!&KH< ils verront un jour, et alors ce sera le temps de satisfaire l'esprit; maintenant c'est le temps de travailler pour le cœur en le purifiant par le saint amour, et ce doit être tout l'objet de notre science.
Approfondissons davantage cette matière importante, et apprenons par les saintes Lettres quelle est la science de celle vie. L'apôtre saint Pierre la compare à un flambeau allumé parmi les ténèbres LMC6r/!<B ardenti in caliginoso <oco Traduisons mot à mot ces belles paroles « C'est une lampe allumée dans un lieu obscur. » C'est pourquoi si ce flambeau a de la lumière, il doit avoir encore beaucoup plus d'ardeur, parce qu'elle doit attirer (a). JUa~A., v, 8.– i! Mr., 1, 19.
(a) Cela paroit par une belle distinction que nous apprenons de l'Evangile. Il y a le temps de voir alors l'esprit sera satisfait dans toutes ses curiosités raisonnables. « Nous verrons face à face » Facie ad /ac!M!. Maintenant ce n'est pas le temps. «Nous ne voyons qu'en énigme a SpeeM/Mœ in œmyma~ ( Cor., atn, i2). Ainsi il ne faut pas penser en cette vie à repaitre la curiosité et le désir de savoir c'est pourquoi a heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'Us verront Dieu x Bea~t mundo cof" ~MOK;aM! Deum M'<Mut!<.(Matth., v, 8). ~tG'e&Maf ils verront. Alors ce sera le temps de satisfaire )'esprit; maintenant c'est le temp3\ie punfier le cœur. Aussi noyons-nous que le Fils de Dieu nous a donné des lumières, non autant qu'il en faut pour nous satisfaire, mais autant qu'il en faut pour nous conduira. Quand au milieu de la nuit on présente une lampe à un homme, ce n'est pas pour réjouir sa vue par la beauté de la lumière le jour est destiné pour cela. Alors on voit le soled qui anime toutes les couleurs, et qui réjouit par une lumière vive et éclatante toute la face de la nature. Cette petite lumière qu'on vous met en attendant devant les yeux, n'est destinée que pour vous conduire. Ainsi en a-t-on fait aux hommes; et ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'Ecriture elle-même qui compare la saine doctrine « à une lampe allumée pendant la cuit N ptMM ~uce''K<B <Mce'!<t in ca~tntMo loco (!1 Petr., 19). Voici le temps de l'obscurité ténèbres de toutes parts. Cependant de peur que nous ne nous heurtions, « Dieu allume devant nos yeux un petit luminaire » T.Mm)Kare n!)';itM ut pr<B?Me< nocti ( Gen i, i6) )1 y a le grand luminaire qui préside au jour: c'est la lumière de gloire que n~us verrons. )I en faut maintenant un moindre pour présider à la nuit c'est la doctrine de 1 Evangile au milieu des ténèbres qui nous environnent. « Un petit rayon de clarté nous trace un seutier étroit par où nous pouvons marcher sûrement jusqu'à ce que le jour arrive et que le soleil se lève en nos eceurs )) tMccrna in ca/~tHO:o loco, donec dies !M<;MCM<, et luci fer oriatur !K cordibus M0!<t' Ne vous arrêtez pas à cette lumière seulement pour la contempler. Si vous voulez jouir pleinement du spectacle de la lumière, attendez le jour; cependant marchez et avancez à la faveur de cette lumière qui vous est donnée pour vous conduire /M/)!'ce, et fac secundùm exemplar quod f!~i M monte moa<<fa<«n! ( Exod xxv, 40 ). Le flambeau allumé devant vous a de la lumière, mais il a encore plus d'ardeur. Jésus-Christ dit de saiut Jean, qui a commencé à faire briller la lumière de l'Evangite et la
“ C'est pourquoi notre saint évêque a étudié dans l'Evangile de Jésus-Christ une science lumineuse, à la vérité, mais encore beaucoup plus ardente; et aussi quoiqu'il sùt convaincre, il savoit bien mieux convertir. Le grand cardinal du Perron en a rendu un beau témoignage. Ce rare et admirable génie, dont les ouvrages presque divins sont le plus ferme rempart de l'Eglise contre les hérétiques modernes, a dit plusieurs fois qu'il convaincroit bien les errans mais que si l'on vouloit qu'ils se convertissent, il falloit les conduire à notre Prélat. Et en effet il n'est pas croyable combien de brebis errantes il a ramenées au troupeau c'est que sa science pleine d'onction ne brilloit que pour échauffer. Des traits de flammes sortoient de sa bouche, qui alloient pénétrer dans le fond des cœurs. IL savoit que la chaleur entre bien plus avant que la lumière celle-ci ne fait qu'effleurer et dorer légèrement la surface la chaleur pénètre jusqu'aux entrailles pour en tirer des fruits merveilleux, et y produire des richesses inestimables. C'est cette bénigne chaleur qui donnoit une efficace si extraordinaire à ses divines prédications, que dans un pays fort peuplé de son diocèse, où il n'y avoit que cent catholiques quand il commença de prêcher, à peine y restoit-il autant d'hérétiques quand il y eut répandu cette lumière ardente de l'Evangile.
Mais ne vous persuadez pas qu'il n'ait converti que les hérétiques cette science ardente et luisante agissoit encore bien plus fortement sur les domestiques de la foi. Je trouve dans ces derniers siècles deux hommes d'une sainteté extraordinaire, saint Charles Dorromée et François de Sales. Leurs talens étoient différens et leurs conduites diverses, car chacun a reçu son don par la science du salut (Luc., t, T!), ces paroles importantes Ille erat lucerna ardens et /MCM)!; et M<UM<~ ad horam exultare )t) luce ejus (Joan-, v, 3~ Voilà nos curieux qui veulent se réjouir Ma lumière. Pourquoi divisent-ils le flambeau, en admirant son éclat et mépmant son ardeur? 11 falloit joindre l'un à l'autre et se tasser plutôt embraser. Car encore que ce tirimbeau ait de la lumière, il a beaucoup plus d'ardeur. La lumière est comme cachée Thesauri ~<en<~ absfOHdt~ (Co)oss., n, 3); l'ardeur de la charité s'y découvre de toutes parts ~pymrM!< AMHMtt;<<M et teM!~H:<<M (Tit, [H, 4). Jésus-Christ nous montre quelque étincelle de la lumière de vérité à travers des nuages et des paraboles: n n'y a que · la charité qui est étalée à découvert. Pour la première quelques paroles; pour la seconde tout son sang. Pourquoi, sinon pour nous taire entendre qu'il vent luire, mais qu'il veut encore plus échauffer et embraser les cœurs par son saint amour
distribution de l'Esprit; mais tous deux ont travaillé avec même, fruit à l'édification de l'Eglise, quoique par des voies différentes. Saint Charles a réveillé dans le clergé cet esprit de piété ecclésiastique. L'illustre François de Sales a rétabli la dévotion parmi les peuples. Avant saint Charles Borromée, il sembloit que l'ordre ecclésiastique avoit oublié sa vocation, tant il avoit corrompu ses voies; et l'on peut dire, mes Soeurs, qu'avant votre saint Instituteur, l'esprit de dévotion n'étoit presque plus connu parmi les gens du siècle. On reléguoit dans les cloîtres la vie intérieure et spirituelle, et on la croyoit trop sauvage pour paroître dans la Cour et dans le grand monde. François de Sales a été choisi pour l'aller chercher dans sa retraite, et pour désabuser les esprits de cette créance pernicieuse. Il a ramené la dévotion au milieu du monde; mais ne croyez pas qu'il l'ait déguisée pour la rendre plus agréable aux yeux des mondains il l'amène dans son habit naturel, avec sa croix, avec ses épines, avec son détachement et ses souffrances. En l'état que la produit ce digne Prélat et dans lequel elle nous paroît en son 7K<rodMC<OM ~a vie tMt'o~ le religieux le plus austère la peut reconnoître; et le courtisan le plus dégoûté, s'il ne lui donne pas son aBëction, ne peut lui refuser son estime.
Et certainement, chrétiens, c'est une erreur intolérable qui a préoccupé les esprits, qu'on ne peut être dévot dans le monde. Ceux qui se plaignent sans cesse que l'on n'y peut pas faire son salut, démentent Jésus-Christ et son Evangile. Jésus-Christ s'est déclaré le Sauveur de tous, et par là il nous fait connoître qu'il n'y a aucune condition qu'il n'ait consacrée et à laquelle il n'ait ouvert le chemin du ciel. Car, comme dit excellemment saint Jean Chrysostome la doctrine de l'Evangile est bien peu puissante, si elle ne peut policer les villes, régler les sociétés et le commerce des hommes. Si pour vivre chrétiennement, il faut quitter sa famille et la société du genre humain pour habiter les déserts et les lieux cachés et inaccessibles, les empires seront renversés et .les villes abandonnées. Ce n'est pas le dessein du Fils de Dieu au contraire il commande aux siens de luire devant les hommes'. Il /n ~) tf~ Rom., Lom. mu, n. 4. – 'JMc~/t., v, t6.
n'a pas dit dans les bois, dans les solitudes, dans les montagnes seules et inhabitées; il a dit dans les villes et parmi les hommes c'est là que leur lumière doit luire, afin que l'on glorifie leur Père céleste. Louons donc ceux qui se retirent, mais ne décourageons pas ceux qui demeurent s'ils ne suivent pas la vertu, qu'ils n'en accusent que leur lâcheté, et non leurs emplois, ni le monde, ni les attraits de la Cour, ni les occupations de la vie civile. Mais que dis-je ici, chrétiens? Les hommes abuseront de cette doctrine, et en prendront un prétexte pour s'engager dans l'amour du monde. Que dirons-nous donc, mes Frères, et où nous tournerons-nous désormais, si on change en venin tous nos discours? Prêchons qu'on ne peut se sauver dans le monde, nous désespérons nos auditeurs; disons comme il est vrai qu'on s'y peut sauver, ils prennent occasion de s'y embarquer trop avant. 0 mondains, ne vous trompez pas et entendez ce que nous prêchons. Nous disons qu'on peut se sauver dans le monde, mais pourvu qu'on y vive dans un esprit de détachement; qu'on se peut sauver dans les grands emplois, mais pourvu qu'on les exerce avec justice; qu'on se peut sauver parmi les richesses, mais pourvu qu'on les dispense avec charité enfin qu'on se peut sauver dans les dignités, mais pourvu qu'on en use avec cette modération dont notre saint Prélat nous donnera un illustre exemple dans notre seconde partie.
SECOND POINT.
De toutes les passions humaines, la plus fière dans ses pensées et la plus emportée dans ses désirs, mais la plus souple dans sa conduite et la plus cachée dans ses desseins, c'est l'ambition. Saint Grégoire nous a représenté son vrai caractère, lorsqu'il a dit ces mots dans son Pastoral, qui est un chef-d'œuvre de prudence et le plus accompli de ses ouvrages « L'ambition, dit ce grand Pontife, est timide quand elle cherche, superbe et audacieuse quand elle a trouvé » Pavida cKm ~M<srt~ audax cùnz pefMM~ 1. Il ne pouvoit pas mieux nous décrire le naturel étrange de l'ambition, que par l'union monstrueuse de ces deux qualités oppoPast., part. cap. ix.
sées, la timidité et l'audace (a). Comme la dernière lui est naturelle et lui vient de son propre fonds, aussi la fait-elle paroître dans toute sa force quand elle a sa liberté toute entière ~M~a~ cùm pervenerit. Mais en attendant, chrétiens, qu'elle soit arrivée au but, elle se resserre en elle-même, elle contraint ses inclinations Timida cùm <j'M~ft'<. Et voici la raison qui l'y oblige c'est, comme dit saint Jean Chrysostome que les hommes sont naturellement d'une humeur fâcheuse et contrariante CoM~n~'osMm hominum s~nMS. Soit que ]e venin de l'envie les empêche de voir le progrès des autres d'un œil équitable, soit qu'en traversant leurs desseins une imagination de puissance qu'ils exercent leur fasse ressentir un plaisir secret et malin, soit que quelque autre inclination malfaisante les oblige à s'opposer les uns aux autres, toujours est-il vrai de dire que l'ardeur d'une poursuite trop ouverte (b) nous attire infailliblement des concurrens et des opposans. C'est pourquoi l'ambition raffinée s'avance d'un pas timide; et tâchant de se cacher sous son contraire pour être mieux déguisée, elle se montre au public sous le visage de la retenue (c). Voyez cet ambitieux, voyez Simon le Magicien devant les apôtres comme il est rampant à leurs pieds, comme il leur parle d'une voix tremblante. Le même, quand il aura acquis du crédit en imposant aux peuples et aux empereurs par ses charmes et par ses prestiges, à quel excès d'arrogance ne se laissera-t-il pas emporter, et combien travaillera-t-il pour abattre ces mêmes apôtres, devant lesquels ilparoissoit si bassement respectueux? Mais je ne m'étonne pas, chrétiens, que l'ambition se cache aux autres, puisqu'elle ne se découvre pas à elle-même. Ne voyons-nous pas tous les jours que cet ambitieux ne se connoît pas, et qu'il ne sent pas l'ardeur qui le presse et le brûle ? Dans les premières démarches de sa fortune naissante, il ne songeoit qu'à se tirer de la boue; après il a eu dessein de servir l'Eglise dans quelque emploi honorable là d'autres désirs se sont découverts, que son cœur ne lui avoit pas encore expliqués c'est que 1 7M EpH<. ad P/i!p/)., hom. vu n. 5. s Act., vni, )9, 24.
(a) Var. Voici, mes Sœurs, un étrange monstre, qui est composé du mélange de ces deux quahtes contraires, la hmtdtte et l'audace.- (&) Découverte.–(c) Et s'éloigne toujours le plus en apparence de ce qu'elle cherche le plus.
ce feu, qui se prenoit par le bas, ne regardoit pas encore le sommet du toit il gagne de degré en degré où sa matière l'attire, et ne remarque sa force qu'en s'élevant. Tel est le naturel des ambitieux, qui s'efforcent de persuader et aux autres et à eux-mêmes qu'ils n'ont que des sentimens modestes. Mais quelque profonds que soient les abîmes où ils tâchent de nous recéler leurs vastes prétentions, quand ils seront établis dans les dignités, leur gloire trop longtemps cachée se produira malgré eux par ces deux effets qui ne laissent pas de s'accorder, encore que d'abord ils semblent contraires l'un est de mépriser ce qu'ils sont; l'autre, de le faire valoir avec excès~
Oui, je dis qu'ils méprisent ce qu'ils sont, puisque leur esprit n'en est pas content, qu'ils se plaignent sans cesse de leur mauvaise fortune et qu'ils pensent n'avoir rien fait. Leur vertu, à leur avis, mériteroit un plus grand théâtre (a) leur grand génie se trouve à l'étroit dans un emploi si borné cette pourpre ne leur paroît pas assez brillante, et il faudroit pour les satisfaire qu'elle jetât plus de feu. Dans ces hautes prétentions, ils comptent pour rien tout ce qu'ils possèdent. Mais voyez l'égarement de leur ambition (b) pendant qu'ils méprisent eux-mêmes les honneurs dont ils sont revêtus, ils veulent que tout le monde les considère comme quelque chose d'auguste (c) et si peu qu'on ose entreprendre de toucher ce point délicat, vous n'entendrez sortir de leur bouche que des paroles d'autorité pour marquer leur grandeur et leur puissance. Ainsi ce superbe Aman tant de fois cité dans les chaires comme le modèle d'une ambition démesurée, quoiqu'il veuille que toute la terre adore sa puissance prodigieuse (d) il la méprise lui-même en son cœur et il s'imagine n'avoir rien gagné, quand il regarde l'accroissement qui lui manque encore JFa°c cùm omn:a habeam, nihil me habere pM<o Tant l'ambition est injuste, ou de ne se contenter pas de ce qu'elle veut que le monde admire, ou d'exiger qu'on respecte tant ce qui n'est pas capable de la satisfaire.
Esth., v, i3.
(a) Var. N'a pas encore trouvé son théâtre.– (b) Mais que l'ambition est aveugle – (c) S'abaisse à leurs pieds. (d) Pendant qu'd veut que toute la terre admire et révère son autorité, sa puissance prodigieuse.
Ceux qui s'abandonnent, mes Sœurs, à ces sentimens déréglés, peuvent bien luire et briller dans le monde par des dignités éminentes mais ils ne luisent que pour le scandale, et ne sont pas capables d'enflammer les cœurs au mépris des vanités de la terre et à l'amour de la modestie chrétienne. C'est, mes Sœurs, notre saint Evêque qui a été véritablement une lumière ardente et luisante, lui qui étant établi dans le premier ordre de la dignité ecclésiastique, s'est également éloigné de ces deux effets ordinaires de l'ambition de vouloir s'élever plus haut, ou de maintenir avec faste l'autorité de son rang par un dédain fastueux. Pour l'élever à l'épiscopat, il avoit été nécessaire de forcer son humilité par un commandement absolu. Il remplit si dignement cette place, qu'il n'y avoit aucun prélat dans l'Eglise que la réputation publique jugeât si digne des premiers sièges. Ce n'étoit pas seulement la renommée, dont le suffrage ordinairement n'est pas de grand poids. Le roi Henri le Grand le pressa souvent d'accepter les premières prélatures de ce royaume et sous le règne de son fils un grand cardinal, qui étoit chef de ses conseils, le vouloit faire son coadjuteur dans l'évêché de Paris avec des avantages extraordinaires. Il étoit tellement respecté dans Rome, qu'il eût pu facilement s'élever jusqu'à la pourpre sacrée, si peu qu'il eût pris de soin de s'attirer cet honneur. Parmi ces ouvertures favorables il nous eut été impossible de comprendre quel étoit son détachement, si la Providence divine n'eût permis pour notre instruction qu'il s'en soit lui-même expliqué à une personne confidente, comme s'il eût été à l'article de la mort, où tout le monde ne paroit que fumée.
Que je vous demande ici, chrétiens Baltasar, ce grand roi des Assyriens, à la veille de cette nuit fatale en laquelle Daniel lui prédit de la part de Dieu la fin de sa vie et la translation de son trône, étoit-il encore charmé de cette pompe royale dans les approches de la dernière heure? Au contraire ne vous &emble-t-il pas qu'il voyoit son sceptre lui tomber des mains, sa pourpre pâlir sur ses épaules, et l'éclat de sa couronne se ternir visiblement sur sa tête parmi les ombres de la mort, qui commençoient à l'environner ? Pourroit-on encore se glorifier de la beauté d'un vaisseau,
étant tout près de l'écueil (a) contre lequel on sauroit qu'il va'se briser ? Ces aveugles adorateurs de la fortune estiment-ils beaucoup leur grandeur, quand ils voient que dans un moment toute leur gloire passera à leur nom, tous leurs titres à leur tombeau, et peut-être leurs dignités à leurs ennemis, du moins à des indifférons ? Alors, alors, mes Frères, toutes leurs vanités seront confondues et s'il leur reste encore quelque lumière, ils seront contraints d'avouer que tout ce qui passe est bien méprisable. Mais ces senti mens forcés leur apporteront peu d'utilité au contraire ce sera peut-être leur condamnation, qu'il ait fallu appeler la mort au secours pour les contraindre, eux où il semble que rien ne vive que l'ambition, de reconnoître des vérités si constantes. François de Sales, mes Sœurs, n'attend pas cette extrémité pour éteindre en son cœur tout l'amour du monde dans la plus grande vigueur de son âge, au milieu de l'applaudissement et de la faveur, il le considère des mêmes yeux qu'il feroit en ce dernier jour où périssent toutes nos pensées, et il ne songe non plus à s'avancer que s'il étoit un homme mourant. Et certainement, chrétiens, il n'est pas seulement un homme mourant; mais il est en effet de ces heureux morts dont la vie est cachée en Dieu, et qui s'ensevelissent tout vivans avec Jésus-Christ. Que s'il est si sage et si tempéré à l'égard des dignités qu'il n'a pas, il use dans le même esprit de la puissance qui lui est confiée. Il en donna un illustre exemple lorsque son Introduction à la vie dévote, ce chef-d'œuvre de piété et de prudence, ce trésor de sages conseils, ce livre qui conduit tant d'âmes à Dieu, dans lequel tous les esprits purs viennent goûter avec joie les saintes douceurs de la dévotion, fut déchiré publiquement, jusque dans les chaires évangéliques, avec toute l'amertume et l'emportement que peut inspirer un zèle indiscret, pour ne pas dire matin. Si notre saint évêque se fùt élevé contre ces prédicateurs téméraires, il auroit trouvé assez de prétextes de couvrir son ressentiment de l'intérêt de l'épiscopat, qui étoit violé en sa personne et dont l'honneur, disoit un ancien établit la paix de l'Eglise. Mais il pensa, chréTertult., de Bapt., n. n.
(a) Var. A la vue de l'écueil.
tiens, que si c'étoit une plaie à l'Eglise de voir qu'un évêque fût outragé, elle seroit bien plus grande encore de voir qu'un évêque fût en colère, parût ému en sa propre cause et animé dans ses intérêts. Ce grand homme se persuada que l'injure que l'on faisoit à sa dignité, seroit bien mieux réparée par l'exemple de sa modestie que par le châtiment de ses envieux c'est pourquoi on ne vit ni censures, ni apologie, ni réponse il dissimula cet affront. Il en parle comme en passant en un endroit de ses oeuvres, en des termes si modérés, que nous ne pourrions jamais nous imaginer l'atrocité de l'injure, si la mémoire n'en étoit encore toute récente. TROISIÈME POINT.
Qui que vous soyez, chrétiens, qui êtes appelés par le SaintEsprit à la conduite des ames que le Fils de Dieu a rachetées, ne vous proposez pas de suivre les règles de la politique du monde. Songez que votre modèle est au ciel, et que le premier directeur des ames, celui dont vous devez imiter l'exemple, c'est ce Dieu même que nous adorons. Or ce Directeur souverain des ames ne se contente pas de .répandre des lumières dans l'esprit, il en veut au cœur (a). Quand il veut faire sentir son pouvoir aux créatures inanimées, il ne consulte pas leurs dispositions (b) mais il les contraint et les force. Il n'y a que le cœur humain qu'il semble ne régir pas tant par puissance qu'il le ménage par art, qu'il le conduit par industrie et qu'il l'engage par douceur. Les directeurs des consciences doivent agir par la même voie, et cette douceur chrétienne est le principal instrument de la conduite des ames, parce qu'ils doivent amener à Dieu des victimes volontaires, et lui former des enfans et non des esclaves.
Pour avoir une belle idée de cette douceur évangélique, ce seroit assez, ce me semble, de contempler (c) le visage de François de Sales. Toutefois pour remonter jusqu'au principe, allons chercher jusque dans son cœur la source de cette douceur attirante, qui n'est autre que la charité. Ceux qui ont le plus pratiqué et le (a) faf. Or ce Moteur souverain des cœurs n'a pas la coutume de les gouverner comme les autres parties de la nature. (A) tneUnatMns. (c) Il suffit de contempler.
mieux connu ce grand homme, nous assurent qu'il étoit enclin à la colère, c'est-à-dire qu'il étoit du tempérament qui est le plus opposé à la douceur. Mais il faut ici admirer ce que fait la charité dans les cœurs et de quelle manière elle les change, et tout ensemble vous découvrir ce que c'est que la douceur chrétienne, qui semble être la vertu particulière de notre illustre Prélat. Pour bien entendre ces choses, il faut remarquer, s'il vous plaît, que le plus grand changement que la nature fasse dans les hommes, c'est lorsqu'elle leur donne des enfans; c'est alors que les humeurs les plus aigres et les plus indifférentes conçoivent une nouvelle (a) tendresse et ressentent des empressemens qui leur étoient auparavant inconnus. Il n'y a personne qui n'ait observé les inclinations extraordinaires qui naissent tout à coup dans le cœur des mères et des nourrices, qui sont comme de secondes mères. Or j'ai appris de saint Augustin que « la charité est une mère, et que la charité est une nourrice » Charitas nutrix charitas ma~)' est En effet nous lisons dans les Ecritures que la charité a des enfans elle a des entrailles où elle les porte elle a des mamelles qu'elle leur présente elle a un lait qu'elle leur donne. Il ne faut donc pas s'étonner si elle change ceux qu'elle possède, et surtout les conducteurs des ames; ni si elle adoucit leur humeur, en leur inspirant (b) dans le cœur des sentimens maternels.
C'est, mes Sœurs, cette onction de la charité qui a changé votre bienheureux Père; c'est cette huile vraiment céleste, c'est ce, baume spirituel qui a calmé ces esprits chauds et remuans (c), qui excitoient en lui la colère par où vous devez maintenant connoître ce que c'est que la douceur chrétienne. Ce n'est pas autre chose, mes Sœurs, que la fleur de la charité, qui ayant rempli le dedans, répand ensuite sur l'extérieur une grace simple et sans fard et un air de cordialité (d) tempéré, qui ne respire qu'une affection toute sainte c'est par là que François de Sales commençait à gagner les cœurs.
Mais la douceur chrétienne n'agit pas seulement sur le visage; De calech. rud., cap. xv, n. 23. ~M Marcel., ep. cxxxix~ n. 3. (a) ~ar. Une certaine. (b) Imprimant. (c) Adouci ces humeurs aigres. (d) De liberté.
elle porte avec soi dans l'intérieur ces trois vertus principales qui la composent la patience, la compassion, la condescendance vertus absolument nécessaires à ceux qui dirigent les ames; la patience, pour supporter les défauts; la compassion, pour les plaindre; la condescendance, pour les guérir. La conduite des ames est une agriculture spirituelle et j'apprends de l'apôtre saint Jacques que la vertu des laboureurs, c'est la patience a Voilà, dit-il, que le laboureur attend le fruit de la terre, supportant patiemment toutes choses N Ecce agricola expectat pre<~SM~ ffMC~M?H ~n'a°, patienter ~rens
Et en effet, chrétiens, pour dompter, si je puis parler de la sorte, la dureté (a) de la terre, surmonter (b) l'inégalité des saisons et supporter sans relâche l'assiduité d'un si long travail, qu'y a-t-il de plus nécessaire (c) que la patience? Mais vous en avez d'autant plus besoin, ô laboureurs spirituels, que le grain que vous semez est plus délicat et plus précieux, le champ Id) que vous cultivez plus stérile, les fruits que vous attendez ordinairement plus tardifs, et les vicissitudes que vous craignez sans comparaison plus dangereuses. Pour vaincre ces difficultés, il faut une patience invincible, telle qu'étoit celle de François de Sales. Bien loin de se dégoûter (e) ou de relâcher son application quand la terre qu'il cultivoit ne lui donnoit pas des fruits assez tôt, il augmentoit son ardeur, quand elle ne lui produisoit que des épines. On a vu des hommes ingrats, auxquels il avoit donné tant de veilles pour les conduire par la droite voie, qui au lieu de reconnoître ses soins, s'emportoient jusqu'à cet excès de lui faire mille reproches outrageux. C'étoit un sourd qui n'entendoit pas et un muet qui ne parloit pas Ego aMteM ~K~Mam surdus non oMdt'e&aMt, et sicut mutus non aperiens os SMMMt II louoit Dieu dans son cœur, de lui faire naître cette occasion de fléchir par sa patience ceux qui résistoient à ses bons conseils. Quelque étrange que fût leur emportement (~), il ne lui est jamais arrivé de se plaindre d'eux; mais il n'a jamais cessé de les plaindre Jacob., v, 7. – 1 Psal. xxxvu, it.
(a) Var. L'opiniâtreté. (b) Soutenir. (c) Il n'est rien de plus nécessaue. (d) La terre. (e) De s'impatienter. (/) Egarement.
eux-mêmes, et c'est le second sentiment d'un bon directeur. Vous le Sjtvez, ô pécheurs, ]épreux spirituels que la Providence divine adressoit à cet Elisée, vous particulièrement pauvres dévoyés de ce grand diocèse de Genève, et vous pasteurs des troupeaux errans, ministres~d'iniquité, qui corrompez les fontaines de Jacob (a) et tâchez de détourner ses eaux vives sur une terre étrangère lorsque votre bonheur vous a fait tomber entre les mains de ce pasteur charitable, vous avez expérimenté quelles étoient ses compassions. 1
Et certainement, chrétiens, il n'est rien de plus efficace pour toucher les cœurs, que cette sincère démonstration d'une charité compatissante. La compassion va bien plus au cœur, lorsqu'elle montre le désir de sauver;' et les larmes du père affligé, qui déplore les erreurs de son prodigue, lui font bien mieux sentir son égarement que les discours subtils et étudiés par lesquels il auroit pu le convaincre. C'est ce qui faisoit dire à saint Augustin', qu'il falloit rappeler les hérétiques plutôt par des témoignages de charité que par des contentions échauuëes. La raison en est évidente c'est que l'ardeur de celui qui dispute peut naître du désir de vaincre la compassion est plus agréable, qui montre le désir de sauver. Un homme peut s'aigrir contre vous, quand vous choquez ses pensées; mais il vous sera toujours obligé que vous désiriez son salut il craint de servir de trophée à votre orgueil; mais il ne se fâche jamais d'être l'objet de votre charité. Entrez par cet abord favorable n'attaquez pas celte place du côté de cette éminence, où (b) la présomption se retranche ce ne sont que des hauteurs immenses et des précipices escarpés et ruineux approchez par J'endroit le plus accessible, et par ce cœur qui s'ouvre à vous, tâchez de gagner l'esprit qui s'éloigne.
Jamais homme n'a mieux pratiqué cette ruse innocente et cette salutaire intelligence, que le saint évêque dont nous parlons. Il ne lui étoit pas difficile de persuader aux pécheurs, et particulièrement aux hérétiques qui conversoient avec lui, combien il dé'/n Joan., tract. Yi, n. )5.
(a) For. De Sion. (b) N'attaquez pas Gabaon par ces hauteurs et ces précipices, dans lesquels la présomption.
ploroit leur misère c'est pourquoi aussitôt ils étoient touchés; et il leur sembloit entendre une voix secrète, qui leur disoit dans le fond du cœur ces paroles de saint Augustin V~m, columba te vocat, gemendo te vocat 1 pécheurs, courez à la pénitence hérétiques, venez à l'Eglise celui qui vous appelle, c'est la douceur même; ce n'est pas un oiseau sauvage, qui vous étourdisse par ses cris importuns ou qui vous déchire par ses ongles; c'est une colombe qui garnit pour vous, et qui tâche de vous attirer en gémissant par l'effort d'une compassion plus que paternelle Vent co!Mm6a ? vocat gemendo te vocat. Un homme si tendre, mes Sœurs, et si charitable, sans doute n'avoit pas de peine à se rabaisser par une miséricordieuse condescendance, qui est la troisième partie de la douceur chrétienne et la qualité la plus nécessaire à un fidèle conducteur des ames condescendance, mes Soeurs, que l'onction de la charité produit dans les cœurs, et voici en quelle manière.
Je vous parlois tout à l'heure de ces changemens merveilleux que fait dans les cœurs l'amour des enfans, entre lesquels le plus remarquable est d'apprendre à se rabaisser. Car voyez cette mère et cette nourrice, ou ce père même si vous voulez comme il se rapetisse avec cet enfant, si je puis parler de la sorte. Il vient du palais, dit saint. Augustin où il a prononcé des arrêts, où il a fait retentir tout le barreau du bruit de son éloquence retourné dans son domestique, parmi ses enfans, il vous paroît un autre homme ce ton de voix magnifique a dégénéré et s'est changé en un bégaiement ce visage, naguère si grave, a pris tout à coup un air enfantin; une troupe d'enfans l'environne, auxquels il est ravi de céder; et ils ont tant de pouvoir sur ses volontés, qu'il ne peut leur rien refuser que ce qui leur nuit. Puisque l'amour des enfans produit ces effets, il faut bien que la charité chrétienne, qui donne des sentimens maternels particulièrement aux pasteurs des ames, inspire en même temps la condescendance elle accorde tout, excepté ce qui est contraire au salut. Vous le savez, ô grand Paul, qui êtes descendu, tant de fois du troisième ciel pour bégayer avec les enfans, qui paroissiez vous-même parmi les fidèles ainsi /H Joan., tract. VI, n. 15. Jn Joan., tract. Il, n. 22.
qu'un enfant Facti SMtKMS parvuli in medio uES~m petit avec les petits, gentil avec les gentils infirme avec les infirmes, tout à tous, afin de les sauver tous.
Que dirai-je maintenant de saint François de Sales? 9 La charité, nous dit-il, enfante les uns, s'affoiblit avec les autres; elle a soin d'édifier ceux-ci, elle craint de blesser ceux-là; elle s'abaisse vers les uns, elle s'élève vers les autres douce pour certains, sévère à quelques-uns, ennemie de personne, elle se montre la mère de tous; elle couvre de ses plumes molles ses tendres poussins; elle appelle d'une voix pressante ceux qui se plaignent; et les superbes, qui refusent de se rendre sous ses ailes caressantes, deviennent la proie des oiseaux voraces a Ipsa charitas alios parturit, cum aliis tM/!fMta<M)'; alios CMfa< o?cK/M;at'e, alios contremiscit offendere; ad alios se inclinat, s~aKos~en'f;aKM blanda, aliissevera; nulli inimica, omnibus )Ka<ef~ languidulis plumis teneros fo~MS operit, et susurnantes pullos confractâ voce advocat; cujus blandas alas refugientes SMpe!'6~prc?da /!Mn< alitibus s. Elle s'élève contre les uns sans s'emporter, et s'abaisse devant les autres sans se démettre sévère à ceux-là sans rigueur, et douce à ceux-ci sans flatterie elle se plaît avec les forts; mais elle les quitte pour courir aux besoins des foibles (a). ~1 ï7iCM.j tl, 7. – S. August., De catech. rud., cap. xv, n. 23. –' ?:< cap. x, n. i5.
(a) Bossuet renvoie, pour finir son sermon, au Panégyrique de saint Thomas de Villeneuve, que toutes nos recherches n'ont pu nous procurer. (E</i<.<& D<foris.)
PANÉGYRIQUE
DE
SAINT PIERRE NOLASQUE (a).
.PMM ~eme~psMM pro Mo~M.
Il s'est donné lui-même pour nous. ?'!< [i, 14.
C'est un plus grand bonheur, dit le Fils de Dieu, de donner que de recevoir. Cette parole étoit digne de celui qui a tout donné jusqu'à son sang, et qui se seroit épuisé lui-même, si ses trésors n'étoient infinis aussi bien que ses largesses. Saint Paul, qui a recueilli ce beau sentiment de la bouche de notre Sauveur, le pro(a) Prêché le 3t janvier 1665, dans l'église des Pères de la Merci, & Paris. Pierre Nolasque, né en H 89 dans le midi de la France, fonda en Espagne l'ordre de la Merci, qui se dévouoit au rachat des captifs. Ami de saint Louis, puis précepteur du fils du roi d'Aragon, il fut canonisé en 1659 sur les prières de Louis XIV, et de ce moment les orateurs sacrés firent retentir son éloge du haut de la chaire chrétienne.
Bosauet prononça son panégyrique dans l'église de la Merci car il dit à la fin du deuxième point « Renonçons à nous-mêmes pour gagner nos frères c'est a quoi nous invite saint Pierre Nolasque. )i y invite les autres, mais, mes Pères, il vous y a dévoués, »
Le prédicateur devoit nécessairement, dans l'éloge de Pierre Nolasque, parler de la puissance musulmane. Aussi Bossuet s'écria-t-u « 0 Jésus,'Seigneur des seigneurs, aihitre de tous les empires et prince des rois de la terre, jusqu'à quand endurerez-vous que votre ennemi déclaré, assis sur le trône du grand Constantin, soutienne avec tant d'armées les blasphèmes de sou Mahomet, abatte votre croix sous son croissaut, et diminue tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées'; 7 etc. Bossuet tint à peu près le même langage l'année suivante devant Louis XIV Pour montrer que la puissance, les sceptres et les couronnes n'ont aucun prix devant Dieu: «. Quand je vois, dit-it, cet ennemi déclaré du nom chrétien soutenir avec tant d'armées les blasphèmes de Mahomet contre l'Evangile, abattre sous son croissant la croix de Jésus-Christ notre Sauveur, diminuer tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées; et que je considère d'ailleurs que tout déclaré qu'il est contre Jésus-Christ, ce sage distributeur des couronnes le voit du plus haut des cieux assis sur le troue du grand Constantin, et ne craint pas de lui abandonner un si grand empire comme un présent de peu d'importance ah qu'il m'est aisé de comprendre qu'il fait peu d'état de telles faveurs et de tous les biens qu'u donne pour la vie présente » etc. <vot.ix,p.n4.)
Le manuscrit original du panégyrique de Pierre Nolasque se trouve à la bibliothèque du séminaire de Meaux. Le premier point n'est qu'esquissé vers la fin, et le troisième manque entièrement.
pose à tous les fidèles pour servir de loi à leur charité. « Souvenezvous, leur dit-il, de cette parole du Seigneur Jésus, qu'il vaut mieux donner que de recevoir » parce que le bien que vous recevez est une consolation de votre indigence, et celui que vous répandez est la marque d'une plénitude qui s'étend à soulager les besoins des autres.
Jamais il n'y a eu sur la terre un homme plus libéral que le grand saint Pierre Nolasque, fondateur de l'ordre sacré de NotreDame de la Merci, dont nous honorons aujourd'hui la bienheureuse mémoire; car il ne s'est rien proposé de moins que l'immense profusion d'un Dieu, qui s'est prodigué lui-même, et de là il a conçu le dessein de dévouer sa personne et de consacrer tout son ordre aux nécessités des misérables.
Tous les fidèles serviteurs de Dieu ont imité quelques traits du Sauveur des ame&: celui-ci a cette grace particulière, de l'a voir fidèlement copié dans le caractère par lequel il est établi notre Rédempteur. Pour entendre un si grand dessein et imiter un si grand exemple, demandons l'assistance, etc. Ave.
La manière la plus excellente d'honorer les choses divines, c'est, Messieurs, de les imiter. Dieu nous ayant fait cet honneur de nous former à sa ressemblance, le plus grand hommage que nous puissions rendre à la souveraine vérité de Dieu, c'est de nous conformer à ce qu'il est; car alors nous célébrons ses grandeurs, non point par nos paroles, ni par nos pensées, ni par quelques sentimens de notre cœur, mais ce qui est bien plus relevé, par toute la suite de nos actions et par tout l'état de notre personne. Nous pouvons donc honorer en deux façons les mystères de Jésus-Christ, ou par des actes particuliers de nos volontés, ou par tout l'état de notre vie. Nous les honorons par des actes, en les adorant par foi, en les ressentant par reconnoissance, en nous y attachant par amour; mais voici que je vous montre avec l'Apôtre une voie bien plus excellente Fa''Cf«enf!'o?'e?!t t)!'am t)pMs demoMS~ro'; c'est d'honorer ces divins mystères par quelque chose de plus profond, en nous dévouant saintement à Dieu, non-seule~c< xx, ss. – i Cor., an, 30.
ment pour les aimer et pour les connoître mais encore pour les imiter, pour en porter sur nous-mêmes l'impression et le caractère, pour en recevoir en nous-mêmes la bénédiction et la grace. C'est en cette sorte, mes Frères, que saint Pierre Nolasque a été choisi pour honorer le mystère de la Rédemption. 11 l'a honoré véritablement, entrant dans les devoirs, dans la gratitude dans toutes les dépendances d'une créature rachetée. Mais afin qu'il fût lié plus intimement à la grace de ce mystère, il a plu au SaintEsprit qu'il se dévouât volontairement à l'imitation de cette immense charité par laquelle « Jésus-Christ a donné son ame pour être, comme il le dit lui-même la rédemption de plusieurs (a).» a S'il y a quelque chose au monde, quelque servitude capable de représenter à nos yeux la misère extrême de la captivité horrible de l'homme sous la tyrannie des démons, c'est l'état d'un chrétien captif sous la tyrannie des mahométans (&). Car,et le corps et l'esprit y souffrent une égale violence, et l'on n'est pas moins en péril de sott salut que de sa vie. C'est donc au soulagement de cet état misérable qu'est appliqué saint Pierre Nolasque, pour honorer les bontés de Jésus délivrant les hommes de la tyrannie de Satan. Il se donne de tout son cœur à ces malheureux esclaves, et il s'y donne dans le même esprit que Jésus s'est donné aux hommes captifs, pour les affranchir de leur servitude Dedt< semetipsum pro nobis.
Jésus-Christ a donné aux hommes et à l'œuvredela rédemption, premièrement ses soins paternels, secondement sa propre personne, troisièmement ses disciples. Il nous a donné ses soins, parce qu'il a toujours eu l'esprit occupé de la pensée de notre salut (c); il nous a donné sa propre personne, parce qu'il s'est immolé pour nous; il nous a donné ses disciples, qui étant la plus noble partie du peuple qu'il a racheté, est appliquée par lui-même et entièrement dévouée à coopérer par sa charité à la délivrance de tous les autres.
C'est ainsi que le Fils de Dieu a consommé l'œuvre de notre ré.Ma/M-, xx, 28.
(a) Var.: A donné son ame pour la vie, pour la liberté, pour la rédemption de notre nature. (A) C'est de voir un chrétien captif sous celte des mahométans. (c) Parce qu'il a toujours pensé à notre salut.
demption, et c'est par les mêmes voies que le Saint que nous révérons a imité son amour et honoré son mystère. Fidèle imitateur du Sauveur des ames, il a été touché aussi bien que lui des cruelles extrémités où sont réduits les captifs; il leur a donné aussi bien que lui, premièrement tous ses soins, secondement toute sa personne, troisièmement tous ses disciples et l'Ordre religieux qu'il a établi dans l'Eglise. C'est ce que nous aurons à considérer dans les trois points de ce discours.
PREMIER POINT.
L'une des raisons principales qui a rendu les infidèles si fort incrédules au mystère du Verbe incarné, c'est qu'ils n'ont pu se persuader que Dieu eût tant d'amour pour le genre humain que les chrétiens le publioient. Celse dans cet écrit si envenimé qu'il a fait contre l'Evangile, auquel le docte Origène a si fortement répondu se moque des chrétiens de ce qu'ils osoient présumer que Dieu même étoit descendu du ciel pour venir à leur secours. Ils trouvoient indigne de Dieu d'avoir un soin si particulier des choses humaines; et c'est pourquoi l'Ecriture sainte pour établir dans les cœurs la croyance d'un si grand mystère, ne cesse de publier la bonté de Dieu et son amour pour les hommes. C'est aussi ce qui a obligé l'apôtre saint Jean à confesser en ces termes la foi de la rédemption « Pour nous nous croyons, dit-il~, à la charité que Dieu a eue pour les hommes. » Voilà une belle profession de foi, et conçue d'une façon bien singulière, mais absolument nécessaire pour combattre et déraciner l'incrédulité. Car c'est de même que s'il disoit Les Juifs et les gentils ne veulent pas croire que Dieu ait si fort aimé la nature humaine, que de s'en revêtir pour la racheter. Mais pour nous, dit ce saint apôtre, nous n'ignorons pas ses bontés; et connoissant comme nous faisons ses miséricordes et ses entrailles paternelles, nous croyons facilement cet amour immense qu'il a témoigné aux hommes en se livrant lui-même pour eux Et nos co<ynot;!?H!~ credidimus charitati quam habet Deus in noMs.
Elevons donc nos voix, mes Frères, et confessons hautement Orig., cott<. Ce~ lib. V, tom. l, p. 578 et seq. – 1 Joat)., tv, 16.
que nous croyons à la charité que le Fils de Dieu a eue pour nous. Nous croyons qu'il s'est fait homme pour notre salut. Nous croyons qu'il n'a vécu sur la terre que pour travailler à ce grand ouvrage. Il nous a toujours portés dans son cœur, dans sa naissance et dans sa mort, dans son travail et dans son repos, dans ses conversations et dans ses retraites, dans les villes et dans le désert, dans la gloire et dans Ie~ opprobres, dans ses humiliations et dans ses miracles. Il n'a rien fait que pour nous durant tout le cours de sa vie mortelle; et maintenant qu'il est dans le ciel à la droite de la majesté-de Dieu son Père, dans les lieux très-hauts il ne nous a pas oubliés. Au contraire, dit le saint Apôtre, il y est monté pour y être notre avocat, notre ambassadeur et notre pontife il traite nos affaires auprès de son Père, « toujours vivant, dit le même Apôtre, afin d'intercéder pour nous Semper t't'MMS ad interpellandum pro MO&ï's comme s'il n'avoit ni de vie, ni de félicité, ni de gloire que pour l'avantage et le bien des hommes. Ce n'est pas assez, chrétiens. Si nous croyons véritablement que Dieu nous a aimés avec tant d'excès, il faut qu'un si grand amour, qui s'est étendu sur nous avec tant de profusion, nous fasse aussi dilater nos cœurs sur les besoins de nos frères, « Si Dieu, dit saint Jean nous a tant aimés, nous devons nous aimer les uns les autres » nous devons reconnoltre ses soins paternels, en nous revêtant à son exemple de soins charitables; et nous ne pouvons mieux confesser la miséricorde que nous recevons, qu'en l'exerçant sur les autres en simplicité de cœur Estote misericordes
Le Sdint que nous honorons étoit pénétré de ces sentimens. Il avoit toujours devant les yeux les charités infinies d'un Dieu rédempteur; et pour se rendre semblable à lui, il se laissoit percer par les mêmes traits. (a) IL pouvoit dire avec Job que « la tendresse, la compassion, la miséricorde étoit crue avec lui dès son enfance » et c'étoit par de telles victimes qu'il croyoit devoir honorer les bontés inexprimables d'un Dieu rédempteur. '~&r., ], 3. 7AM., vif, 2?. – t ~oan., ]v~ )). – tue-, vi, 36. – Job, HXf, <8.
(a) ~Vo~c marg.: U avoit sucé cet esprit dans les plaies de Jésus-Christ, dans la source même des mkéncorJes.
Et en effet, chrétiens, pour rendre le souverain culte à la souveraine majesté de Dieu, il me semble que nous lui devons deux sortes de sacrifices. Je remarque dans les Ecritures qu'il y a un sacrifice qui tue, et un sacrifice qui donne la vie. Le sacrifice qui tue est assez connu, témoin le sang de tant de victimes et le massacre de tant d'animaux. Mais outre ce sacrifice qui détruit, je vois dans les saintes Lettres un sacrifice qui sauve. Car, comme dit le sage Ecclésiastique, « celui-là offre un sacrifice qui exerce la miséricorde » Qui facit mMert'cordmm, o/~r~ sacn'ctMm D'où vient cette différence, si ce n'est que l'un de ces sacrifices a été divinement établi pour honoier la bonté de Dieu, et l'autre pour apaiser (a) sa sainte justice? La justice divine poursuit les pécheurs à main armée, elle lave ses mains dans leur sang, elle les perd et les extermine, elle veut qu'ils soient dissipés devant sa face comme la cire fondue devant le feu Pereant peccatores à fucie Z)~ Au contraire la miséricorde, toujours douce, toujours bienfaisante, ne veut pas que personne périsse elle attend les pécheurs avec patience a Elle pense, dit l'Ecriture, des pensées de paix et non des pensées d'affliction » Ego co~t'/o cogitationes pacis, et non afflictionis
Voilà une grande opposition aussi honore-t-on ces deux attributs par des sacrifices bien opposés. A cette justice rigoureuse qui tonne, qui fulmine, qui rompt et qui brise, qui renverse les montagnes et arrache les cèdres du Liban, c'est-à-dire qui extermine les pécheurs superbes, il lui faut des sacrifices sanglants et des victimes égorgées, pour maïquer la peine qui est due au crime. (b) Mais pour cette miséricorde toujours bienfaisante, qui guérit ce qui est blessé, qui affermit ce qui est foible, qui vivifie ce qui est mort, il faut présenter en sacrifice non des victimes détruites, mais des victimes conservées, c'est-à-dire des pauvres soulagés, des infirmes soutenus, des morts ressuscités dans les pécheurs convertis. Telles sont les véritables hosties qui honorent la miséricorde divine.
~cc/ xxxv, 4. – 2 Psal. L~vir, 3. ~-e~ xnx, H.
(a) ~ar. Reconnoître. (b) ~e mary. Il faut que l'autel n]ge dans le sang; donnez un couteau; allumez dù feu; que je consume cette vtctime.
Ainsi saint Pierre No)asque étant toujours occupé des soins, des compassions, des bontés de Jésus pour le genre humain, et sentant son cœur empressé dans le désir de les reconnoître, il s'écrie avec le Psalmiste Quid r~n~Ma/K .DomÙM) pt'o omnibus gM<p r6<r!'&M!< Htï'Aï ? « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a faits,)) » et à toute la nature humaine? Quelle victime, quel sacrifice lui offrirai-je en actions de graces? Ah! poursuit-il avec le Prophète, calicem salutaris accipiam a :je prendrai le calice du Sauveur, H je boirai le même breuvage que Jésus a bu, je me remplirai, je m'enivrerai de sa charité par laquelle il a tant aimé la nature humaine. Je dilaterai mon cœur, comme il a dilaté le sien; j'offrirai, à ce Dieu amateur et conservateur des hommes, des victimes qui lui plaisent, des hommes sauvés et délivrés. Il cherche donc dans toute l'Eglise tous les infirmes, tous les malheureux, résolu de leur consacrer ses affections et ses soins. Dieu lui fait arrêter les yeux sur ces misérables captifs, qui gémissent sous la tyrannie des mahométans. Il voit leur corps dans l'oppression, leur esprit dans l'angoisse, leur cœur dans le désespoir, leur foi même dans un péril évident. Jl offre à Dieu leurs cris, leurs gémissemens, les larmes de lems amis, la désolation de leur famille. Peut-être ne le font-ils pas, peut-être sont-its de ceux qui s'élèvent contre Dieu même sous les coups de sa main puissante; serviteurs rebelles et opiniâtres, châtiés et non corrigés, frappés et non convertis, abattus et non humiliés, atterrés, comme dit David, sans être touchés de componction .D!ss?po!t sunt, non COmpKKCM C'est ce qui afflige son coeur. Quoiqu'il pense toujours à eux avec un empressement charitable, néanmoins deux fois le jour et deux fois la nuit il se présente pour eux devant la face de Dieu, et cherche aux yeux d'un Père si tendre les moyens de soulager ses enfans captifs.
Mes Frères, cet objet lugubre d'un chrétien captif dans les prisons des mahométans, me jette dans une profonde considération des grands et épouvantables progrès de cette religion monstrueuse. 0 Dieu, que le genre humain est crédule aux imposture; de Satan 1 0 que l'esprit de séduction et d'erreur a d'ascendant sur Psal. cxv, 3. – /&!t~ 4. – 2 Psal. xmv, i6.
notre raison 1 Que nous portons en nous-mêmes, au fond de nos cœurs, une étrange opposition à la vérité, dans nos aveuglemens, dans nos ignorances, dans nos préoccupations opiniâtres. Voyez comme l'ennemi du genre humain n'a rien oublié pour nous perdre, et pour nous faire embrasser des erreurs damnables. Avant la venue du Sauveur, il se faisoit adorer par toute la terre sous les noms de ces fameuses idoles devant lesquelles trembloient tous les peuples; il travailloit de toute sa force à étouffer le nom du vrai Dieu. Jésus-Christ et ses martyrs l'ont fait retentir si haut depuis le levant jusqu'au couchant, qu'il n'y a plus moyen de l'éteindre ni de l'obscurcir. Les peuples qui ne le connoissoient pas, y sont attirés en foule par la croix de Jésus-Christ; et voici que cet ancien imposteur, qui dès l'origine du monde est en possession de tromper les hommes, ne pouvant plus abolir le saint nom de Dieu, frémissant contre Jésus-Christ qui l'a fait connoître à tout l'univers, tourne toute sa furie contre lui et contre son Evangile et trouvant encore le nom de Jésus trop bien établi dans le monde par tant de martyrs et tant de miracles, il lui déclare la guerre en faisant semblant de le révérer, et il inspire à Mahomet, en l'appelant un prophete, de faire passer sa doctrine pour une imposture; et cette religion monstrueuse, qui se dément elle-même, a pour toute raison son ignorance, pour toute persuasion sa violence et sa tyrannie, pour tout miracle ses armes, armes redoutables et victorieuses, qui font trembler tout le monde, et rétablissent par force l'empire de Satan dans tout l'univers.
0 Jésus, Seigneur des seigneurs, Arbitre de tous les empires et Prince des rois de la terre jusqu'à quand endurerez-vous que votre ennemi déclaré, assis sur le trône du grand Constantin, soutienne avec tant d'armées les blasphèmes de son Mahomet abatte votre croix sous son croissant, et diminue tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées? Est-ce que vous réservez cette redoutable puissance, pour faire souffrir à votre Eglise cette dernière et effroyable persécution que vous lui avez dénoncée ? Est-ce que pour entretenir votre Eglise dans le mépris des grandeurs, comme elle y a été élevée, en même temps que vous lui donnez la gloire d'avoir des rois pour enfans, vous abandon-
nez d'un autre côté à votre ennemi capital, comme un présent de peu d'importance, le plus redoutable empire qui soit éclairé par le soleil? Ou bien est-ce qu'il ne vous plaît pas que votre Eglise nourrie dans les alarmes, fortifiée par les persécutions et par les terreurs, jouisse dans la paix même d'une tranquillité assurée? Et c'est pour cette raison que vous lui mettez comme sur sa tête cette puissance redoutable, qui ne cesse de la menacer de la dernière désolation.
Et en effet, chrétiens, c'a été le conseil de Dieu que l'Eglise fùt établie au milieu des flots, qui frémissent impétueusement autour d'elle et menacent de l'engloutir. C'est pourquoi saint Augustin, expliquant ces paroles du sacré Psalmiste Lwtentvr insuke multœ dit que ces îles vraiment fortunées qui doivent se réjouir du règne de Dieu, sont les églises chrétiennes environnées de toutes parts d'une mer irritée, qui menace de les engloutir et de les couvrir sous ses ondes. Tel est le conseil de Dieu; et je regarde la puissance mahométane comme un océan indomptable, toujours prêt à inonder toute l'Eglise, sa furie n'étant arrêtée que par des digues entr'ouvertes ce sont les puissances chrétiennes toujours cruellement divisées. Et n'étoient-ce pas ces divisions qui avoient ouvert autrefois aux sultans, successeurs de Mahomet', une entrée si large que du temps de Pierre Nolasque les Espagnes mêmes étoient entièrement inondées?
C'est ce qui lui perce le cœur. Il est nuit et jour persécuté des cris des captifs; il faut qu'il coure à leur délivrance. Ne lui dites pas que la noblesse de son extraction et le crédit qu'il a auprès du roi d'Arragon dont il a été précepteur, l'appelle à des emplois plus illustres il court après ses captifs. Il fdlloit qu'il descendît de bien haut à l'humiliation d'un emploi si bas (a), selon l'estime du monde, pour mieux imiter celui qui est descendu du ciel en la terre. Imiter un Dieu rédempteur, c'est toute la gloire qu'il se propose. Par mille traverses, par mille périls, il va délivrer ses frères, etc.
Induite vos ergô sicut electi Dei, sancti et dilecti, viscera mi1 In Psal, xcvr, n. 4.
(a) Var. De bien haut à la bassesse.
sericordiœ, benignitatem, humilitatem, modestiam, patientiam'. Dieu commence imitez. Un combat entre nous et la miséricorde divine. Dieu commence, imitez. Estote miséricordes, sicut Pater vester cœlestis misericors est. Dieu revient à la charge; il vous imite à son tour Beati misericordes, quoniam ipsi misericordiam consequentur Un flux et reflux de miséricorde. Dieu qui aime un tel sacrifice, multiplie ses dons. Allant ainsi en augmentant, après avoir donné vos soins, vous donnerez à la fin votre propre personne, comme saint Pierre Nolasque.
̃ SECOND POINT.
Ce fut, Messieurs, un grand spectacle, lorsqu'on vit sur le Calvaire le Fils uniquement agréable se mettre en la place des ennemis l'innocent, le juste, la sainteté même se donner en échange pour les malfaiteurs; celui qui étoit infiniment riche se constituer caution, et se livrer tout entier pour les insolvables. Vous savez assez, chrétiens, quelle dette le genre humain avoit contractée envers Dieu et envers sa sainte justice. Nous sommes naturellement débiteurs à ses lois suprêmes. Et qu'est-ce que nous leur devons? Une obéissance fidèle. Mais lorsque nous manquons volontairement à lui payer cette dette, nous entrons dans une autre obligation nous devons notre tête à ses vengeances nous ne pouvons plus le payer que par notre mort et notre supplice.
En vain les hommes effrayés par le sentiment de leurs crimes, cherchent des victimes et des holocaustes pour les subroger en leur place. Dussent-ils massacrer tous leurs troupeaux et les immoler à Dieu devant ses autels, il n'est pas possible que la vie des bêtes paie pour la vie des hommes; la compensation n'est pas suffisante Impossibile enim est sanguine taurorum et hircorum auferri peccala Il. De sorte que ceux qui offroient de. tels sacrifices faisoient bien, à la vérité, une reconnoissance publique de ce qu'ils devoient à la justice divine; mais ils n'avoient pas pour cela le paiement de leurs dettes. Il falloit qu'un homme payât pour les hommes, et c'est pour cela qu'un Dieu s'est fait homme. » Coloss., m, 12.– « Luc, VI, 36. 3Hebr., x, 4.
Ce Dieu-Homme avide de nous racheter, livre à l'abandon sa propre personne à la justice de Dieu, à l'injustice des hommes, à la furie des démons. Dieu, les hommes, les démons exercent sur lui toute leur puissance. Il s'engage, il se prodigue de tous côtés; et il ne lui importe pas comment il se donne, pourvu qu'il paie notre prix, et qu'il nous rende notre liberté et notre franchise.
Je ne puis vous dire, mes Frères, dans quels excès nous doit jeter la contemplation de ce mystère. Jésus-Christ se donnant pour moi et devenant ma rançon m'apprend deux choses contraires il m'apprend à m'estimer, il m'apprend à me mépriser, et l'un et l'autre jusqu'à l'infini. Mon cœur incertain et irrésolu, ne sait à quoi se déterminer au milieu de telles contraintes. M'estimerai-je, me mépriserai-je, ou joindrai-je l'un et l'autre ensemble, puisque mon Sauveur m'apprend l'un et l'autre ?
Oui, chrétiens, mon Sauveur m'apprend à m'estimer jusqu'à à l'infini. Car la règle d'estimer les choses, c'est de connoître le prix qu'elles coûtent. Ecoutez maintenant l'Apôtre qui vous dit que vous avez été rachetés, non par or ni par argent, ni par des richesses corruptibles, mais par la vie d'un Dieu mais par le sang d'un Dieu, par la personne d'un Dieu immolé pour vous. 0 ame, dit saint Augustin apprends à t'estimer par cette rançon (a) voilà le prix que tu vaux 0 anima erige te, tanti vales. 0 homme celui qui t'a fait s'est livré pour toi, celui dont la sagesse infinie sait donner si justement la valeur aux choses a mis ton ame à ce prix. Qu'est-ce donc que la terre, qu'est-ce que le ciel, qu'est-ce que toute la nature ensemble à comparaison de ma dignité (6)? 7
Mais ce qui m'apprend à m'estimer, m'apprend à me mépriser jusqu'à l'excès. Car quand je vois un Dieu qui se ravilit jusqu'à vouloir se donner lui-même pour racheter ses esclaves, que dis-je ses esclaves? cette qualité est trop honorable, les esclaves du démon et du péché, il me semble qu'il se rabaisse, non plus jus1 I Petr., i, i8, 19. In Psal. cil, n. 6.
(a) Var, Par ce prix. (t) De ce que je suis.
qu'au néant, mais infiniment au-dessous. Et en effet, chrétiens, se rendre semblahle aux hommes, c'est se ravaler jusqu'au néant; mais se livrer pour les hommes, mourir pour les hommes, créature si vile par son extraction et si ravilie par son crime, c'est plus que s'anéantir, puisque c'est mettre le néant au-dessus de soi (a).
Après l'exemple d'un Dieu à qui l'excès de sa charité rend sa propre vie méprisable, pourvu qu'il puisse à ce prix racheter les ames, y a-t-il quelque esclave assez malheureux pour lequel nous devions craindre de nous prodiguer? Saint Paul aussi ne sait plus que faire Ego autem impendam. Ce n'est pas assez, il faut inventer un terme nouveau pour exprimer une ardeur nouvelle El superimpendar ipse pro animabus vestris 1. Un martyre, c'est la privation du martyre, le vrai néant. C'est ce qui touche saint Pierre Nolasque; sa personne ne lui est plus rien, quand il voit un Dieu se donner lui-même. Il n'y a point de cachots dans lesquels il n'aille chercher de pauvres captifs, pour leur rendre leur liberté aux dépens de sa propre vie. Le voyez-vous, Messieurs, traitant avec ce barbare de la délivrance de ce chrétien. S'il manque quelque chose au prix, il offre un supplément admirable il est prêt à donner sa propre personne; il consent d'entrer dans la même prison, de se charger des mêmes fers, de subir les mêmes travaux et de rendre les mêmes services. 0 grace de la rédemption, que vous opérez dans son ame! Il a un cœur de Jésus, qui n'a ni de vie ni de liberté que pour la rédemption de ses frères. C'est l'esprit d'un Dieu rédempteur qui le rend capable de ces sentirnens. Car admirez la suite de cette action. Prisonnier entre les mains des pirates pour ses frères qu'il a délivrés, il préfère son cachot à tous les palais et ses chaînes à tous les trésors. Il n'y a rien qui puisse égaler sa joie; et je ne m'en étonne pas. La liberté plaît à la nature, la captivité à la grace; et saint Pierre Nolasque goûte l'une et l'autre, portant en lui-même la captivité et possédant la liberté dans ses frères, qu'il a heureusement affranchis d'une misérable n Cor xn, 15.
(a Var. Puisque c'est se mépriser pour le néant même.
servitude. Il est satisfait, puisque ses frères le sont; et pour ce qui regarde sa liberté propre il la méprise si fort, qu'il est toujours prêt de l'abandonner pour le moindre des chrétiens captifs, ne désirant d'être libre que pour s'engager de nouveau en faveur des autres esclaves. Voyez ce que lui apprend un Dieu rédempteur on veut l'engager à la Cour dans les liens de la fortune, il le refuse et il court pour se charger d'autres liens; ce sont les liens de Jésus-Christ.
Je ne sais si je pourrai vous faire comprendre ce que Dieu me met dans l'esprit, pour exprimer les transports de la charité de ce grand homme. Il me semble en vérité, chrétiens, qu'il goûte mieux dans les autres la douceur de la liberté qu'il ne le feroit en lui-même. Car le plaisir d'être libre quand il s'attache à nousmêmes, étant un fruit de notre amour-propre, le chrétien doit craindre de s'abandonner à cette douceur trop sensible. Quand est-ce donc qu'un homme de Dieu goûtera le plaisir de la liberté dans toute son étendue ? Quand il ne la goûtera que dans ses frères affranchis. Telles sont les délices de Pierre Nolasque. Pendant qu'il est dans les fers, il ressent tout le plaisir et toute la joie des chrétiens qu'il a délivrés (a) et il le ressent d'autant plus que cette joie ne le flatte qu'en le dépouillant de lui-même, pour lui faire trouver son repos dans le repos de ses frères.
Telle est la joie du Dieu rédempteur. Ecoutez le divin Apôtre Proposito sibi gaudio sustinuit crucem « Il a enduré la croix s'étant proposé une grande joie. » Quelle joie pouvoit goûter ce divin Sauveur dans cette langueur, dans cette tristesse, dans cet ennui accablant dans lequel sa sainte ame étoit abîmée? Quelle joie, dis-je, pouvoit-il goûter, qui ait fait dire à l'Apôtre Proposito sibi gaudio ? Joie divine, joie toute céleste et digne d'un Dieu sauveur, la joie d'affranchir les hommes captifs en donnant son ame pour eux.
Pour tirer quelque utilité d'un si grand exemple, faisons cette observation, que nous devons honorer la charité d'un Dieu rédempteur en deux manières différentes. Nous la devons hono1 Hebr., XII, 2.
(a) Var.: De ceux qu'il a délivrés.
rer par une généreuse indépendance, nous la devons honorer par une extrême sujétion. Car ainsi que nous avons dit, un Dieu se prodiguant pour les ames nous apprend également à nous estimer et à nous mépriser nous-mêmes. L'estime que nous devons avoir de nous-mêmes nous rend libres et indépendans le mépris que nous devons faire de nous-mêmes nous doit rendre esclaves volontaires, pour honorer la charité de celui qui étant libre et indépendant, s'est assujetti pour notre salut à des extrémités si cruelles.
Saint Paul parle ainsi aux fidèles « Vous avez été achetés d'un prix infini, ne vous rendez pas esclaves des hommes » Rachetés d'une si grande rançon, ne ravilissez pas votre dignité; vous qu'un Dieu a daigné payer au prix de son sang, ne soyez pas dépendans des hommes mortels; ne prodiguez pas une liberté qui a tant coûté à votre Sauveur. Tel est le précepte de l'Apôtre; et il semble que Pierre Nolasque agit au contraire; et je vois que pour imiter un Dieu rédempteur, il se rend esclave des hommes, et des hommes ennemis de Dieu. Entendons le sens de l'Apôtre a Vous qui êtes rachetés par un si grand prix, ne vous rendez pas, dit-il, serviteurs des hommes. » Ne vous rendez pas les esclaves de leurs vanités, mais rendez-vous esclaves de leurs besoins. Ne vous rendez pas leurs esclaves en adhérant à leurs erreurs, mais rendez-vous leurs esclaves en soulageant leurs nécessités; ne vous rendez pas leurs esclaves par une vaine complaisance, mais rendez-vous leurs esclaves par une charité sincère et compatissante Per charitatem servite invicem Entrons dans le détail de cette morale. Un de vos amis vous aborde, un de ces amis mondains qui vous aiment pour le siècle et les vanités; il vous vent donner un sage conseil; comme il vous honore et, qu'il vous estime, il désire votre avancement. C'est pourquoi il vous exhorte de vous embarquer dans cette intrigue peut-être malicieuse, d'engager ce grand dans vos intérêts peutêtre au préjudice de votre conscience. Prenez garde soigneusement, et ne vous rendez pas esclaves des hommes. Entrez en considération de ce que vous êtes, pensez ce qu'un Dieu a donné 1 Cor., VII, 23. – « Galat., v, 13.
pour vous. Quand on vous représente ce que vous valez pour vous engager dans des desseins ambitieux Vous ne me connoissez pas tout entier, je vaux infiniment davantage. Ne vous mettez pas tout seul dans la balance « Pesez-vous, dit saint Augustin, avec votre prix » Appende te cum pretio tuo et si vous savez estimer votre ame, vous verrez qu'aucune chose n'est digne 'de vous, qui ne soit digne premièrement de Jésus-Christ même. Vous êtes digne de cet emploi. Mais est-il digne de ce que je suis? Ne soyons donc pas si vils à nous-mêmes, nous qui sommes si précieux au Dieu Rédempteur, que nous nous rendions esclaves des hommes et des complaisances mondaines. C'est ainsi que nous devons estimer notre ame, pour laquelle JésusChrist a donné la sienne.
Mais apprenons aussi à nous mépriser, et à dire avec l'Apôtre « Mon ame ne m'est pas précieuse s. » Si nos frères ont besoin de notre secours, quelque indignes qu'ils nous paroissent de cette assistance, ne craignons pas de nous prodiguer pour les secourir. Car Jésus n'a pas dédaigné de prodiguer et sa vie et sa divine personne pour le salut des pécheurs. Méprisons donc saintement notre ame, ayons-la toujours en nos mains pour la prodiguer au premier venu Anima mea in rnanibus meis semper 0 sainte charité, rendez-moi captif des nécessités des misérables; disposez en leur faveur, non-seulement de mes biens, mais de ma vie et de ma personne. C'est ici qu'il faut pratiquer toutes ces contrariétés évangéliques, de perdre son ame pour la conserver, de la gagner en la prodiguant, de la rendre estimable par le mépris même.
Car en effet, chrétiens, quelle gloire, quelle grandeur, quelle dignité dans ce mépris! Saint Pierre Nolasque ne s'estime rien, il s'appelle un vrai néant, et préfère la liberté du moindre esclave à la sienne. Et vous voyez qu'en se méprisant il participe à la dignité du Sauveur des ames, qui s'est montré non-seulement le Sauveur, mais encore le maître et le Dieu de tous, en se donnant volontairement pour tous.
Ah le zèle de Dieu me presse. Je ne veux plus que mon ame 1 Enar. îr, in Psal. xxxn, u. 4. Act., xx, 24. » Psal. cxviir, 109.
soit à moi-même. Venez, pauvres; venez, misérables; faites de moi ce qu'il vous plaira; je suis à vous, je suis votre esclave. Ce n'est pas moi, Messieurs, en particulier qui vous parle ainsi; mais je vous exprime, comme je peux, les sentimens d'un vrai chrétien. 0 Dieu, qui nous donnera que des ames de cette sorte, libres par leur servitude, dégagées et indépendantes par leur dépendance, travaillent au salut des hommes! l'Eglise auroit bientôt conquis tout le monde. Car telle est la règle de l'Evangile il faut que nous nous donnions à ceux que nous voulons gagner à JésusChrist. Voulons-nous les assujettir, il faut nous assujettir à leur service, et nous devons pour ainsi dire être leur conquête poùr les rendre capables d'être la nôtre. Pourquoi est-ce qu'un Paul, un Céphas, un Apollo et tant d'autres ouvriers fidèles ont conquis tant d'ames à notre Sauveur? C'est à cause qu'ils se donnoient sans retenue aux âmes Omnia vestra sunt « Tout est à vous, dit l'Apôtre et Paul et Céphas et Apollo; » tout est à vous encore une fois. C'est pourquoi tout étoit à eux, parce qu'ils étoient à tous sans réserve.
Et Dieu nous a fait connoître, en la vie de notre grand saint, l'efficace de cette charité si bienfaisante. On a vu un mahométan, astrologue, médecin, parent du roi maure d'Andalousie, c'est-àdire si nous l'entendons, un homme dans lequel tout combattoit contre l'Evangile, la religion, la science, la curiosité, la fortune, qui baissa néanmoins la tête sous le joug aimable de Jésus-Christ, convaincu par le seul miracle de la charité de saint Pierre Nolasque. Il voyoit un homme qui se donnoit pour des inconnus; l'image du mystère de la rédemption lui fit adorer l'original il crut à la charité que Dieu a eue pour les hommes, en voyant celle que ce même Dieu inspiroit aux hommes pour leurs semblables. Il n'eut point de peine à comprendre que ce grand œuvre de la rédemption, que les chrétiens vantoient avec tant de force, étoit réel et véritable, puisque l'esprit en duroit encore, et se déclaroit à ses yeux avec une telle efficace dans cet illustre disciple de la croix. Il se jette donc entre ses bras; et non content de recevoir de lui le baptême ? il lui demande l'habit de son ordre, avide de 1 I Cor., m, 22.
pratiquer ce qui l'avoit gagné à l'Eglise Si comprehendam in quo et comprehensus sum à Christo Jesu 1. Ha 1 si l'on voyoit reluire en l'Eglise cette charité désintéressée, toute la terre se convertiroit. Car qu'y auroit-il de plus efficace, pour faire adorer un Dieu se livrant pour tous, que d'imiter son exemple? Hoc enim sentite in vobis quod et in Christo Jesu « Soyez dans la même disposition où a été Jésus-Christ. » Renonçons donc à nous-mêmes pour gagner nos frères; c'est à quoi nous invite saint Pierre Nolasque. Il y invite les autres mais, mes Pères, il vous a dévoués • c'est le sujet de ma troisième partie.
PREMIER PANÉGYRIQUE
DE E
SAINT JOSEPH (a).
Depositunb custodi.
Gardez le dépôt. I Timoth., vi, 20.
C'est une opinion reçue et un sentiment commun parmi tous les hommes, que le dépôt a quelque chose de saint, et que nous 1 Philip., m, 22. Ibid.} l\3 5.
(a) Prêché d'abord le 19 mars 1657, aux Feuillans de la rue Saint-Honoré, devant le cardinal Barberini, neveu d'Urbain VIII; vingt-deux évoques, réunis pour l'assemblée générale du clergé de France; l'abbé de Rancé, Jean BaillèT François de Nesmond, Dominique de Ligny, Santeul, etc.
Voici la preuve de tout cela, dans la Muse historique du 24 mars 1657.
Bossuet, ce jeune docteur, Cet excellent prédicateur,
Et dont l'éloquence naissante Est si pressante et si puissante, Lundi, dans les Feuillans, prêcha, Et plus que jamais epaucha Dans les cœurs de son auditoire Le dégoût de la fausse gloire Et de ce grand éclat mondain,
Que les sages ont à dedain, Et qui n'est qu'une piperie Alleguant l'Epoux de Marie, Qui se plut, exempt de peche, D'ètrp un trésor toujours cache, Et qui fut toujours ei modeste. Il débita cette matière
Avec tant d'art et de lumière,
le devons conserver à celui qui nous le confie, non-seulement par fidélité, mais encore par une espèce de religion. Aussi apprenons-nous du grand saint Ambroise, au second livre de ses Offices que c'étoit une pieuse coutume établie parmi les fidèles, Cap. xxix.
Le même sermon fut prêché pour la seconde fois deux ans plus tard, le 19 mars 1659, aux Carmélites de la rue Saint-Jacques, devant la reme mère. Tous ceux qui l'entendirent aux Feuillans, les écrivains les prêtres et les évêques furent ravis d'admiration; le Depositum custodi, comme on s'exprimoit alors, fit longtemps le sujet de toutes les conversations et de tous les éloges; la reine Anne d'Autriche, qui avoit passé la fête de Saint-Joseph aux Carmélites, voulut l'entendre à son tour.
C'est le prédicateur qui nous apprend lui-même cette circonstance «Madame, dit-il à la reine dans l'exorde, je supplie Votre Majesté de permettre que je publie hautement les soumissions que je rends aux commandemens que j'ai reçus d'elle. 11 lui plaît d'ouïr de ma bouche ce panégyrique du grand saint Joseph elle m'ordonne de rappeler en mon sbuvenir des idées que le temps avoit effacées. » Bossuet n'eut que deux jours pour recueillir ses souvenirs; car il s'exprime ainsi dans une variante « Madame, que je dise avec tout le respect que je dois, que me donnant à peine deux jours pour rappeler à mon souvenir des idées que le temps avoit effacées, il semble que Votre Majesté m'ait voulu ôter le loisir d'y joindre de nouvelles pensées. >>
Le sermon nous donne aussi le moyen de fixer le jour où il fut prononcé. L'auteur dit dans une allocution qu'il joignit à la péroraison « Les victoires de notre grand roi relèvent l'éclat de votre couronne; et ce qui surpasse toutes les victoires, c'est qu'on ne parle plus par toute la France que de cette ardeur toute chrétienne avec laquelle Votre Majesté travaille à faire descendre la pai\ sur la terre, d'où nos crimes l'ont bannie depuis tant d'années. » Dans les temps qui précédèrent immédiatement ce discours, pendant que les armées françoises remportoient en Italie victoires sur victoires, elles marchoient en Flandre de triomphes en triomphes sous la conduite de Turenne. A la fin de décembre 1658, l'ambassadeur de Sa Majesté catholique offrit à Louis XIV, pour gage de la paix, l'infante d'Espagne; et la veille du jour où Bossuet félicita la reine de ses efforts pour la pacification des deux peuples, le 18 mars 1659 Gui Patin éciivoit à un de ses amis « La paix est presque faite, la reine me l'a dit. » Le 3 juillet suivant, la reine elle-même se rendit sur les frontières d'Espagne, et la paix fut signée bientôt après.
Le journaliste versificateur confirme notre date dans la Muse historique du 22 mars 1659
Avec tant de moralité
Avec tant de capacité,
Que l'eminence barberine,
L'abbé Bossuet, esprit rare,
Qu'aux plus eloquens on compare, Mercredi, jour de Saint-Joseph,
Aux Carmelites, dans la nef,
Fit un sermon si mémorable
Qu'il passa pour mcomparable.
Car, soit qu'il fût bien énonce,
Ou qu'il fût bien prononcé;
Admirant sa rare doctrine
Et plus de vmgt et deux prélats
De l'ouïr n'etoient jamais las.
Soit pour quantité de passages
Tirés par lui des saintes pages;
Soit qu'il fût savant, spécieux,
Moral, méthodique et pieux,
Certes tous ceux de l'audience
En admirèrent l'excellence;
Surtout les prelats et docteurs
Et d'autres grands prédicateurs,
d'apporter aux évêques et à leur clergé ce qu'ils vouloient garder avec plus de soin pour le mettre auprès des autels, par une sainte persuasion qu'ils avoient qu'ils ne pouvoient mieux placer leurs trésors qu'où Dieu même confie les siens, c'est-à-dire ses sacrés mystères. Cette coutume s'étoit introduite dans l'Eglise par l'exemple de la Synagogue ancienne. Nous lisons dans l'histoire sainte que le temple auguste de Jérusalem étoit le lieu du dépôt des Juifs; et nous apprenons des auteurs profanes que les païens faisoient cet honneur à leurs fausses divinités, de mettre leurs dépôts dans leurs temples et de les confier à leurs prêtres comme si la nature nous enseignoit que l'obligation du dépôt ayant quelque chose de religieux, il ne pouvoit être mieux placé que dans les lieux où l'on révère la Divinité et entre les mains de ceux que la religion consacre.
Mais s'il y eut jamais un dépôt qui méritât d'être appelé saint et d'être ensuite gardé saintement, c'est celui dont je dois parler et que la providence du Père éternel commet à la foi du juste Joseph si bien que sa maison me paroit un temple, puisqu'un Dieu y daigne habiter et s'y est mis lui-même en dépôt, et Joseph a dû être consacré pour garder ce sacré trésor. En effet il l'a été, chrétiens son corps l'a été par la continence, et son ame par tous les dons de la grace.
Herodian., Ihst., lib. I.
Qui d'aller là prirent la peine
Et même notre auguste reme,
Doiil l'esprit deïot et chrétien
Santeul entendit le Deposetum custodi si bien qu'il en reproduisit la division dans une de ses plus belles strophes.
Alto progeniem quàm bene bbi creditam
Servas consilto, deposilutn Dei
Les éditeurs de haint-Dizier, qui ont copié les éditeurs de Besançon, qui ceux de Versailles, qui ceux de Liège, qui ceux de Paris, qui ceux des Blancs-Manteaux, disent en lète du célèbre panégyrique « Prêché devant la reine, en 1660, dans l'église des ItR. PP. Feuillans. » Cette indication pourroit s'appuyer sur un passage de l'abbé Ledieu, cela est vrai; mais elle n'en est pas moins manifestement fausse. La paix étoit faite en t660 Bossuet n'auroit donc pu cette annéelà féliciter la reine de ses efforts pour l'obtenir. Bien plus la reine étoit dans les Pyrénées, et Bossuet se trouvoit à Dijon dans le mois de mars 1660 comment auroit-il pu, l'un prêcher, L'autre entendre le sermon à Paris?
Discerne les choses fort bien,
Avant et durant sa retraite,
En parut plus que satisfaite.
Tecum pervigiles Cœhtiium Pater Curas juraque dividit.
Comme les vertus sont modestes et élevées dans la retenue, elles ont honte de se montrer elles-mêmes; et elles savent que ce qui les rend plus recommandables, c'est le soin qu'elles prennent de se cacher, de peur de ternir par l'ostentation et par une lumière empruntée l'éclat naturel et solide que leur donne la pudeur qui les accompagne. Il n'y a que l'obéissance dont on se peut glorifier sans crainte elle est la seule entre les vertus que l'on ne blâme point de se produire, et dont on se peut vanter hardiment sans que la modestie en soit offensée. C'est pour cette raison, Madame, que je supplie Votre Majesté de permettre que je publie hautement les soumissions que je rends aux commandemens que j'ai reçus d'elle. Il lui plaît d'ouir de ma bouche ce panégyrique du grand saint Joseph (a) elle m'ordonne de rappeler en mon souvenir des idées que le temps avoit effacées. J'y aurois de la répugnance, si je ne croyois manquer de respect en rougissant de dire ce que Votre Majesté veut entendre. Il ne faut donc point étudier d'excuses il ne faut point se plaindre du peu de loisir, ni peser soigneusement les motifs pour lesquels Votre Majesté me donne cet ordre (b). L'obéissance est trop curieuse, qui cherche les causes du commandement. 11 ne lui appartient pas d'avoir des yeux, si ce n'est pour considérer son devoir elle doit chérir son aveuglement qui la fait marcher avec sûreté. Votre Majesté verra donc Joseph dépositaire du Père éternel il est digne de ce titre auguste, auquel il s'est préparé par tant de vertus. Mais n'est-il pas juste, Madame, qu'après vous avoir témoigné mes soumissions, je demande à Dieu cette fermeté qu'il promet (c) aux prédicateurs de son Evangile, et qui bien loin de se rabaisser devant (a) Var, Elle a la bonté de vouloir entendre ce que Dieu m'a inspiré autrefois dans une occasion pareille. (b) Et trouvez bou, Madame, que je dise avec tout le respect que je dois, que me donnant à peine deux jours pour rappeler à mou souvenir des idées que le temps avoit effacées, il semble que Votre Majesté m'ait voulu ôter le loisir d'y joindre de nouvelles pensées. – (c) Madame, dans cette action que l'obéissance me fait entreprendre, il ne faut pas que j'oublie l'autorité sainte et apostolique que Jésus-Christ a donnée aux prédicateurs. Votre Majesté n'entend pas que sa présence en rabatte rien, et je m'en vais demander à Dieu celte fermeté qu'il promet.
Madame
̃
les monarques du monde, y doit paroître avec plus de force. Je m'adresse à vous, divine Marie, pour m'obtenir de Dieu cette grace j'espère tout de votre assistance, lorsque je dois célébrer la gloire de votre Epoux. 0 Marie, vous avez vu les effets de la grace qui l'a rempli, et j'ai besoin de votre secours pour les faire entendre à ce peuple. Quand est-ce qu'on peut espérer de vous des intercessions plus puissantes, qu'où il s'agit du pudique Epoux que le Père vous a choisi pour conserver cette pureté qui vous est si chère et si précieuse? Nous recourons donc à vous, ô Marie, en vous saluant avec l'ange et disant (a] Ave, Maria. Dans le dessein que je me propose d'appuyer les louanges de saint Joseph, non point sur des conjectures douteuses, mais sur une doctrine solide tirée des Ecritures divines et des Pères leurs interprètes fidèles, je ne puis rien faire de plus convenablé à la solennité de cette journée, que de vous représenter ce grand Saint comme un homme que Dieu choisit parmi tous les autres, pour lui mettre en main son trésor et le rendre ici-bas son dépositaire. Je prétends vous faire voir aujourd'hui que comme rien ne lui convient mieux, il n'est rien aussi qui soit plus illustre; et que ce beau titre de dépositaire nous découvrant les conseils de Dieu sur ce bienheureux patriarche, nous montre la source de toutes ses graces et le fondement assuré de tous ses éloges. Et premièrement, chrétiens, il m'est aisé de vous faire voir combien cette qualité lui est honorable. Car si le nom de dépositaire emporte une marque d'estime et rend témoignage à la probité si pour confier un dépôt nous choisissons ceux de nos amis dont la vertu est plus reconnue, dont la fidélité est plus éprouvée, enfin les plus intimes les plus confidens quelle est la gloire de saint Joseph que Dieu fait dépositaire, non-seulement de la bienheureuse Marie, que sa pureté angélique rend si agréable à ses yeux, mais encore de son propre Fils, qui est l'unique objet de ses complaisances et l'unique espérance de notre salut de sorte qu'en la personne de Jésus-Christ, saint Joseph est établi le dépositaire (a) Var.: Je me jette 11 vos pieds dans cette pensée, en disant avec tout le peuple Ave.
du trésor commun de Dieu et des hommes. Quelle éloquence peut égaler la grandeur et la majesté de ce titre? Si donc, fidèles, ce titre est si glorieux et si avantageux à celui dont je dois faire aujourd'hui le panégyrique il faut que je pénètre un si grand mystère (a) avec le secours de la grace; et que recherchant dans nos Ecritures ce que nous y lisons de Joseph, je fasse voir que tout se rapporte à cette belle qualité de dépositaire. En effet je trouve dans les Evangiles trois dépôts confiés au juste Joseph par la Providence divine, et j'y trouve aussi trois vertus qui éclatent entre les autres et qui répondent à ces trois dépôts c'est ce qu'il nous faut expliquer par ordre suivez s'il vous plaît attentivement.
Le premier de tous les dépôts qui a été commis à sa foi (j'entends le premier dans l'ordre des temps) c'est la sainte virginité de Marie, qu'il lui doit conserver entière sous le voile sacré de son mariage, et qu'il a toujours saintement gardée ainsi qu'un dépôt sacré qu'il ne lui étoit pas permis de toucher. Voilà quel est le premier dépôt. Le second et le plus auguste, c'est la personne de Jésus-Christ, que le Père céleste dépose en ses mains, afin qu'il serve de père à ce saint Enfant qui n'en peut avoir sur la terre. Vous voyez déjà, chrétiens, deux grands et deux illustres dépôts confiés aux soins de Joseph; mais j'en remarque encore un troisième, que vous trouverez admirable, si je puis vous l'expliquer clairement. Pour l'entendre, il faut remarquer que le secret est comme un dépôt. C'est violer la sainteté du dépôt que de trahir le secret d'un ami; et nous apprenons par les lois que si vous divulguez le secret du testament que je vous confie, je puis ensuite agir contre vous comme ayant manqué au dépôt Depositi actione teeum agi posse, comme parlent les jurisconsultes. Et la raison en est évidente, parce que le secret est comme un dépôt. Par où vous pouvez comprendre aisément que Joseph est dépositaire du Père éternel, parce qu'il lui a dit son secret. Quel secret? Secret admirable, c'est l'incarnation de son Fils. Car, fidèles, vous n'ignorez pas que c'étoit un conseil de Dieu, de ne pas montrer Jésus(a) Var. JI faut que nous entrions plus parfaitement Mans un mystère si admirable.
Christ au monde jusqu'à ce que l'heure en fùt arrivée et saint Joseph a été choisi, non-seulement pour le conserver, mais encore pour le cacher (a). Aussi lisons-nous dans l'Evangéliste qu'il admiroit avec Marie tout ce qu'on disoit du Sauveur mais nous ne lisons pas qu'il parlât, parce que le Père éternel en lui découvrant le mystère, lui découvre le tout en secret et sous l'obligation du silence; et ce secret, c'est un troisième dépôt que le Père ajouteaux deux autres, selon ce que dit le grand saint Bernard, que Dieu a voulu commettre à sa foi le secret le plus sacré de son cœur Cui tutô committeret secretissimum atque sacratisiùnum sui cordis arcanum'. Que vous êtes chéri de Dieu, ô incomparable Joseph, puisqu'il vous confie ces trois grands dépôts, la virginité de Marie, la personne de son Fils unique, le secret de tout son mystère 1
Mais ne croyez pas, chrétiens, qu'il soit méconnoissant de ces graces. Si Dieu l'honore par ces trois dépôts, de sa part il présente à Dieu le sacrifice de trois vertus, que je remarque dans l'Evangile. Je ne doute pas que sa vie n'ait été ornée de toutes les autres; mais voici les trois principales que Dieu veut que nous voyions dans son Ecriture. La première, c'est sa pureté, qui paroît par sa continence dans son mariage; la seconde, sa fidélité; la troisième, son humilité et l'amour de la vie cachée. Qui ne voit la pureté de Joseph par cette sainte société de désirs pudiques, et cette admirable correspondance avec la virginité de Marie dans leurs noces spirituelles. La seconde (6) sa fidélité dans les soins infatigables qu'il a de Jésus, au milieu de tant de traverses qui suivent partout ce divin Enfant dès le commencement de sa vie. La troisième (c), son humilité, en ce que possédant un si grand trésor par une grace extraordinaire du Père éternel, bien loin de se vanter de ces dons ou de faire connoître ces avantages, il se cache autant qu'il peut aux yeux des mortels, jouissant paisiblement avec Dieu du mystère qu'il lui révèle et des richesses infinies qu'il met en sa garde. Ah que je découvre ici de grandeurs, et 1 Lue., n, 33. – Super îlissus est, hom. Il, n. 16.
(a) Var. Les apôtres étoient des lumières afin de faire voir Jésus-Christ, et saint Joseph un voile pour le couvrir jusqu'à ce que son hpure fut arrivée. (//) Combien paroit la seconde.- (e) Enfin qui ne remarque la troisième.
que j'y découvre d'instructions importantes 1 Que je vois de grandeurs dans ces dépôts, que je vois d'exemples dans ces vertus 1 Et que l'explication d'un si beau sujet sera glorieux à Joseph et fructueux à tous les fidèles Mais afin de ne rien omettre dans une matière si importante entrons plus avant au fond du mystère, achevons d'admirer les desseins de Dieu sur l'incomparable Joseph. Après avoir vu les dépôts, après avoir vu les vertus, considérons le rapport des uns et des autres, et faisons le partage de tout ce discours.
Pour garder la virginité de Marie sous le voile du mariage, quelle vertu est nécessaire à Joseph? Une pureté angélique, qui puisse en quelque sorte répondre à la pureté de sa chaste épouse. Pour conserver le Sauveur Jésus parmi tant de persécutions qui l'attaquent dès son enfance, quelle vertu demanderons-nous? Une fidélité inviolable, qui ne puisse être ébranlée par aucuns périls. Enfin pour garder le secret qui lui a été confié, quelle vertu y emploiera-t-il, sinon cette humilité admirable, qui appréhende les yeux des hommes, qui ne veut pas se montrer au monde, mais qui aime à se cacher avec Jésus-Christ? Déposition custodi: 0 Joseph, gardez le dépôt; gardez la virginité de Marie et pour la garder dans le mariage joignez-y votre pureté. Gardez cette vie précieuse, de laquelle dépend le salut des hommes; et employez à la conserver parmi tant de difficultés la fidélité de vos soins. Gardez le secret du vPère éternel il veut que son Fils soit caché au monde servez-lui d'un voile sacré, et enveloppez-vous avec lui dans l'obscurité qui le couvre, par l'amour de la vie cachée. C'est ce que je me propose de vous expliquer avec le secours de la grace.
PREMIER POINT.
Pour comprendre solidement combien Dieu honore le grand saint Joseph lorsque sa providence dépose en ses mains la virginité de Marie, il importe (a) que nous entendions avant toutes (a) Var. Puisque ce premier point nous doit faire voir que Dieu met entre les mains de Joseph la virginité de Marie ajnsi qu'un céleste dépôt, pour entendre solidement combien il l'honore en lui confiant un si grand lié»or, il importe. i
choses combien cette virginité est chérie du Ciel, combien elle est utile à la terre (a) et ainsi nous jugerons aisément par la qualité du dépôt de la dignité du dépositaire. Mettons donc cette vérité dans son jour, et faisons voir par les saintes Lettres combien la virginité étoit nécessaire pour attirer Jésus -Christ au monde. Vous n'ignorez pas, chrétiens, que c'étoit un conseil de la Providence (6), que comme Dieu produit son Fils dans l'éternité par une génération virginale, aussi quand il naîtroit dans le temps il sortît d'une mère vierge. C'est pourquoi (c) les prophètes avoient annoncé qu'une vierge concevroit un fils nos pères ont vécu dans cette espérance, et l'Evangile nous en a fait voir le bienheureux accomplissement. Mais s'il est permis à des hommes de rechercher les causes d'un si grand mystère, il me semble que j'en découvre une très-considérable; et qu'examinant la nature de la sainte virginité selon la doctrine des Pères, j'y remarque une secrète vertu qui oblige en quelque sorte le Fils de Dieu à venir au monde par son entremise.
En effet demandons aux anciens docteurs de quelle sorte ils nous définissent la virginité chrétienne. Ils nous répondront d'un commun accord que c'est une imitation de la vie des anges qu'elle met les hommes au-dessus du corps par le mépris de tous ses plaisirs; et qu'elle élève tellement la chair qu'elle l'égale en quelque façon, si nous l'osons dire, à la pureté des esprits. Expliquez-le-nous, ô grand Augustin, et faites-nous entendre en un 1 [sa., vu, 14.
(a) Var. Combien son prix est inestimable. – (b) Je pose donc pour fondement de tout ce discours, que le monde n'avoit rien de plus précieux que la virginité de Marie, dans le temps qu'il plut au l'ère éternel de la confier à Joseph; et pour entendre cette vérité, suivez, s'il vous plait, ce raisonnement. JI n'est rien de plus précieu* que ce qui doit attirer Jésus-Christ au monde. C'est vous, ô virginité de Marie, qui par les chastes attraits et par la lumière céleste de votre pureté admirable, devez aller charmer le Fils du Très- Haut jusque dans le sein de son Père, et qui devez ensuite attirer au monde cet unique Rédempteur des ames et par conséquent, chrétiens, il n'est rien de plus précieux que la virginité de Marie. Mais mettons cette vérité dans un plus grand jour; et faisons voir solidement par les saintes Lettres, combien la virginité étoit nécessaire pour la réparation de notre nature. Car c'étoit un conseil de la Providence. (c) 11 fût formé du sang d'une vierge. Jésus devoit être tout l'amour des vierges, il devoit être le pudique Epoux de la sainte virginité, il devoit en être la gloire, et il devoit aussi en être le fruit et venir au monde par son entremise. C'est pourquoi, etc.
mot quelle estime vous faites des vierges. Voici une belle parole Habent aliquid jam non carnis in carne Ils ont, dit-il, en la chair quelque chose qui n'est pas de la chair, et qui tient de l'ange plutôt que de l'homme Habent aliquid jam non carnis in carne. Vous voyez donc que, selon ce Père, la virginité est comme un milieu entre les esprits et les corps, et qu'elle nous fait approcher des natures spirituelles; et de là il est aisé de comprendre combien cette vertu devoit avancer le mystère de l'incarnation (a). Car qu'est-ce que le mystère de l'incarnation? C'est l'union très-étroite de Dieu et de l'homme, de la divinité avec la chair. « Le Verbe a été fair chair»; » dit l'Evangéliste; voilà l'union, voilà le mystère.
Mais, fidèles, ne semble-t-il pas qu'il y a trop de disproportion entre la corruption de nos corps et la beauté immortelle de cet esprit pur, et ainsi qu'il n'est pas possible d'unir des natures si éloignées ? C'est aussi pour cette raison que la sainte virginité se met entre deux, pour les approcher par son entremise (b) Et en effet nous voyons que la lumière, lorsqu'elle tombe sur les corps opaques, ne les peut jamais pénétrer, parce que leur obscurité la repousse; il semble au contraire qu'elle s'en retire en réfléchissant ses rayons mais quand elle rencontre un corps transparent, elle y entre, elle s'y unit, parce qu'elle y trouve l'éclat et la transparence qui approche de sa nature et tient quelque chose de la lumière. Ainsi nous pouvons dire, fidèles, que la divinité du Verbe éternel voulant s'unir à un corps mortel, demandoit la bienheureuse entremise de la sainte virginité, qui ayant quelque chose de spirituel, a pu en quelque sorte préparer la chair à être unie à cet esprit pur.
Mais de peur que vous ne croyiez que je parle ainsi de moit De sanctâ Virgimt., n. 12. « Joan., 1, 14.
(o) Var. Et qu'elle rend en quelque sorte la chair spirituelle; et de là il est aisé de comprendre combien son entremise étoit nécessaire au mystère. (b) Et qu'il n'est pas possible d'unir des natures si éloignées, s'il ne se met auparavant entre deux quelque chose qui les rapproche je veux dire qu'il ne semble pas que la chair puisse aspirer à la gloire de toucher de si près la Divinité, si elle n'y est auparavant préparée par quelque excellente disposition, si elle ne reçoit quelque qualité qui l'approche en quelque façon des esprits. Mais qui lui peut donner ce bel avantage, si ce n'est la virginité, qui tient en quelque façon de l'homme et de l'ange?
même, il faut que vous appreniez cette vérité d'un célèbre évêque d'Orient c'est le grand Grégoire de Nysse, dont je vous rapporte les propres paroles tirées fidèlement de son texte. C'est dit-il, la virginité qui fait que Dieu ne refuse pas de venir vivre avec les hommes c'est elle qui donne aux hommes des ailes pour prendre leur vol du côté du ciel; et étant le lien sacré de la familiarité de l'homme avec Dieu elle accorde par son entremise des choses si éloignées par nature Quœ adeô naturâ distant, ipsa intercedens sud virîute conciliat adducitque in concordiam 1. Peut-on confirmer en termes plus clairs la vérité que je prêche ? Et par là ne voyez-vous pas, et la dignité de Marie, et celle de Joseph son fidèle époux ? Vous voyez la dignité de Marie (a) en ce que sa virginité bienheureuse a été choisie dès l'éternité pour donner Jésus-Christ au monde; et vous voyez la "dignité de Joseph, en ce que cette pureté de Marie, qui a été si utile à notre nature, a été confiée à ses soins et que c'est lui qui conserve au monde une chose si nécessaire. 0 Joseph, gardez ce dépôt Depositum aistodi. Gardez chèrement ce sacré dépôt de la pureté de Marie. Puisqu'il plaît au Père éternel de garder la virginité de Marie sous le voile du mariage elle ne se peut plus conserver sans vous et aussi votre pureté est devenue en quelque sorte nécessaire au monde, par la charge glorieuse qui lui est donnée de garder celle de Marie (b).
1 De Virginit., cap. II.
(a) Var. Et de là je tire cette conséquence Un Dieu devoit venir sur la terre; mais la sainte virginité le devoit attirer du ciel un Dieu devoit prendre une chair humaine; mais cette chair devoit être ornée de toute la pureté d'un sang virgmal; un Dieu devoit avoir une mère; mais la sainte viiginité lui devoit purifier cette mère, afin que le Saint-Esprit pût se répandre sur son chaste corps. C'ebt pourquoi le grand saint Ambroise applique à la pureté de Marie ce passage d'un saint prophète Ascendd Dominus super nubem Icvem. Quelle est, dit-il, cette nuée légère sur laquelle Dieu s'est fait porter? C'est la virginité de Marie, qui ne sent point la corruption de la chair, ni le poids de ses convoitises. C'est, fidèles, que le Dieu Verbe s'est fait porter, quand il a voulu descendre du ciel; et c'est cette belle nuée qui a plu le Juste: Nubes pluant Justum. Et par cette doctiine évangélique, nous découvrons d'une même vue et la dignité de Mai ie, etc. (A) Car puisque c'étoit un conseil de Dieu de ne pas découvrir aux hommes le miracle de sa grossesse, jusqu'à ce que l'heure en fût arrivée, qui ne voit manifestement que c'étoit une suite de ce conseil, de conserver la virginité de Marie sous le voile du mariage, pour la mettre à couvert de la calomnie durant le temps qu'il plairoit à Dieu de cacher un si grand mystère? Et pour exécuter ce dessein, de protéger sa virginité par l'honnêteté nuptiale, ne lui falloit-il pas
C'est ici qu'il faut vous représenter un spectacle qui étonne toute la nature je veux dire ce mariage céleste, destiné par la Providence pour protéger la virginité et donner par ce moyen Jésus-Christ au monde. Mais qui prendrai-je pour mon conducteur dans une entreprise si difficile, sinon l'incomparable Augustin, qui traite si divinement ce mystère? Ecoutez ce savant évêque et suivez exactement sa pensée. Il remarque avant toutes choses qu'il y a trois liens dans le mariage il y a premièrement le sacré contrat par lequel ceux que l'on unit se donnent entièrement l'un à l'autre; il v a secondement l'amour conjugal par lequel ils se vouent mutuellement un cœur qui n'est plus capable de se partager et qui ne peut brûler d'autres flammes; il ya enfin les enfans qui sont un troisième lien, parce que l'amour des parens venant pour ainsi dire à se rencontrer dans ces fruits communs de leur mariage, l'amour se lie par un nœud plus ferme. Saint Augustin trouve ces trois choses dans le mariage de saint Joseph, et il nous montre que tout y concourt à garder la virginité s. Il y trouve premièrement le sacré contrat par lequel ils se sont donnés l'un à l'autre, et c'est là qu'il faut admirer le triomphe de la pureté dans la vérité de ce mariage. Car Marie appartient à Joseph, et Joseph à la divine Marie; si bien que leur mariage est très-véritable, parce qu'ils se sont donnés l'un à l'autre. Mais de quelle sorte se sont-ils donnés ? Pureté, voici ton triomphe. Ils se donnent réciproquement leur virginité et sur cette virginité ils se cèdent un droit mutuel. Quel droit? De se la garder l'un à l'autre. Oui, Marie a droit de garder la virginité de Joseph, et Joseph a droit de garder la virginité de Marie. Ni l'un ni l'autre n'en peut disposer, et toute la fidélité de ce mariage consiste à garder la virginité. Voilà les promesses qui les assemblent, voilà le traité qui les lie. Ce sont deux virginités qui s'unissent, pour se conserver éternellement l'une l'autre par une 1 De Gènes, ad litt., lib. IX, cap. vu, n. 12. – Contra Julian lib. V, cap. xii, n. 46.
trouver un époux dont la pureté angélique pût en quelque sorte répondre à la sienne, et qui fût digne de vivre avec elle dans une sainte société de désirs tout spirituels? Joseph est choisi par la Providence pour accomplir un si grand mystère et ainsi la pureté de ce Saint est devenue en quelque sorte nécessaire au monde, par la charge qui lui est donnée de conserver celle de Marie.
chaste correspondance de désirs pudiques et il me semble que je vois deux astres, qui n'entrent ensemble en conjonction qu'à cause que leurs lumières s'allient. Tel est le nœud de ce mariage, d'autant plus ferme, dit saint Augustin que les promesses qu'ils se sont données doivent être plus inviolables, en cela même qu'elles sont plus saintes.
Qui pourroit maintenant vous dire quel devoit être l'amour conjugal de ces bienheureux mariés? Car, ô sainte virginité, vos flammes sont d'autant plus fortes qu'elles sont plus pures et plus dégagées; et le feu de la convoitise, qui est allumé dans nos corps, ne peut jamais égaler l'ardeur des chastes embrasemens des esprits que l'amour de la pureté lie ensemble. Je ne chercherai pas des raisonnemens pour prouver cette vérité; mais je l'établirai par un grand miracle que j'ai lu dans saint Grégoire de Tours', au premier livre de son Histoire. Le récit vous en sera agréable, et du moins il relâchera vos attentions. Il dit que deux personnes de condition et de la première noblesse d'Auvergne, ayant vécu dans le mariage avec une continence parfaite, passèrent à une vie plus heureuse et que leurs corps furent inhumés en deux places assez éloignées. Mais il arriva une chose étrange ils ne purent pas demeurer longtemps dans cette dure séparation et tout le monde fut étonné qu'on trouvât tout à coup leurs tombeaux unis, sans que personne y eût mis la main. Chrétiens, que signifie ce miracle ? Ne vous semble-t-il pas que ces chastes morts se plaignent de se voir ainsi éloignés? Ne vous semble-t-il pas qu'ils nous disent ( car permettez-moi de les animer et de leur prêter une voix, puisque Dieu leur donne le mouvement); ne vous semblet-il pas qu'ils vous disent Et pourquoi a-t-on voulu nous séparer ? Nous avons été si longtemps ensemble, et nous y avons toujours été comme morts, parce que nous avons éteint tout le sentiment des plaisirs mortels et étant accoutumés depuis tant d'années à être ensemble comme des morts, la mort ne nous doit pas désunir. Aussi Dieu permit qu'ils se rapprochèrent, pour nous montrer par cette merveille que ce ne sont pas les plus belles gammes que celles où la convoitise se mêle mais que deux viri De Nupl. et Concup., hb. 1, n. 12. – « Histor. Franc, hb. 1, n. 42.
ginités bien unies par un mariage spirituel en produisent de bien plus fortes, et qui peuvent, ce semble, se conserver sous les cendres mêmes de la mort. C'est pourquoi Grégoire de Tours, qui nous a décrit cette histoire, ajoute que les peuples de cette contrée appeloient ordinairement ces sépulcres les sépulcres des deux amans, comme si ces peuples eussent voulu dire que c'étoient de véritables amans, parce qu'ils s'aimoient par l'esprit. Mais où est-ce que cet amour si spirituel s'est jamais trouvé si parfait que dans le mariage de saint Joseph ? C'est là que l'amour étoit tout céleste, puisque toutes ses flammes et tous ses désirs ne tendoient qu'à conserver la virginité, et il est aisé de l'entendre. Car dites-nous, ô divin Joseph, qu'est-ce que vous aimez en Marie? Ah sans doute, ce n'étoit pas la beauté mortelle, mais cette beauté cachée et intérieure, dont la sainte virginité faisoit le principal ornement. C'étoitdonc la pureté de Marie qui faisoit le chaste objet de ses feux; et plus il aimoit cette pureté, plus il la vouloit conserver, premièrement en sa sainte épouse, et secondement en lui-même, par une entière unité de cœur si bien que son amour conjugal se détournant du cours ordinaire, se donnoit et s'appliquoit tout entier à garder la virginité de Marie. 0 amour divin et spirituel! Chrétiens, n'admirez-vous pas comme tout concourt dans ce mariage à conserver ce sacré dépôt Leurs promesses sont toutes pures, leur amour est tout virginal il reste maintenant à considérer ce qu'il y a de plus admirable; c'est le fruit sacré de ce mariage, je veux dire le Sauveur Jésus. Mais il me semble vous voir étonnés de m'entendre prêcher si assurément que Jésus est le fruit de ce mariage. Nous comprenons, direz-vous, que l'incomparable Joseph est père de Jésus-Christ par ses soins; mais nous savons qu'il n'a point de part à sa bienheureuse naissance. Comment donc nous assurez-vous que Jésus est le fruit de ce mariage? Cela peut-être paroit impossible toutefois si vous rappelez à votre mémoire tant de vérités importantes que nous avons, ce me semble, si bien établies, j'espère que vous m'accorderez' aisément que Jésus, ce bénit enfant, est sorti en quelque manière de l'union virginale de ces deux époux. Car, fidèles, n'avons-nous pas dit que c'est la virginité de Marie qui a
attiré Jésus-Christ du ciel"? Jésus n'est-il pas cette fleur sacrée que la virginité a poussée ? n'est-il pas le fruit bienheureux que la virginité a produit? Oui, certainement nous dit saint Fulgence, « il est le fruit, il est l'ornement, il est le prix et la récompense de la sainte virginité » Sanctœ virginitatis fructus, decus et munus 1. C'est à cause de sa pureté que Marie a plu au Père éternel c'est à cause de sa pureté que le Saint-Esprit se répand sur elle et recherche ses embrassemens, pour la remplir d'un germe céleste. Et par conséquent ne peut-on pas dire que c'est sa pureté qui la rend féconde? Que si c'est sa pureté qui la rend féconde, je ne craindrai plus d'assurer que Joseph a part à ce grand miracle. Car si cette pureté angélique est le bien de la divine Marie,. elle est le dépôt du juste Joseph.
Mais je passe encore plus loin, chrétiens permettez-moi de quitter mon tèxte et d'enchérir sur mes premières pensées, pour vous dire que la pureté de Marie n'est pas seulement le dépôt, mais encore le bien de son chaste époux. Elle est à lui par son mariage, elle est à lui par les chastes soins par lesquels il l'a conservée. 0 féconde virginité si vous êtes le bien de Marie, vous êtes aussi le bien de Joseph. Marie l'a vouée, Joseph la conserve, et tous deux la présentent au Père éternel comme un bien gardé par leurs soins communs. Comme donc il a tant de part à la sainte virginité de Marie, il en prend aussi au fruit qu'elle porte c'est pourquoi Jésus est son Fils, non pas à la vérité par la chair, mais il est son Fils par l'esprit à cause de l'alliance virginale qui le joint avec sa mère. Et saint Augustin l'a dit en un'mot Propter quod fidele conjugium parles Chrisîi vocari ambo meruerunt*. 0 mystère de pureté! ô paternité bienheureuse ô lumières incorruptibles qui brillent de toutes parts dans ce mariage Chrétiens, méditons ces choses, appliquons-les-nous à nousmêmes tout se fait ici pour l'amour de nous tirons donc notre instruction de ce qui s'opère pour notre salut. Voyez combien chaste, combien innocente est la doctrine du christianisme. Jamais ne comprendrons-nous quels nous sommes? Quelle honte, que nous nous souillions tous les jours par toutes sortes d'impuretés, 1 Ad Prob., epist. m, n. 6. – De Nupt. et Concup., lib. I, ubi suprà.
nous qui avons été élevés parmi des mystères si chastes? Et quand est-ce que nous entendrons quelle est la dignité de nos corps, depuis que le Fils de Dieu en a pris un semblable? « Que la chair se soit jouée, dit TertulUen, ou plutôt qu'elle se soit corrompue, avant qu'elle eût été recherchée par son maître elle n'étoit pas digne du don de salut, ni propre à l'office de la sainteté. Elle étoit encore en Adam, tyrannisée par ses convoitises, suivant les beautés apparentes, et attachant toujours ses yeux à la terre. Elle étoit impure et souillée, parce qu'elle n'étoit pas lavée au baptême. Mais depuis qu'un Dieu en se faisant homme n'a pas voulu venir en ce monde, si la sainte virginité ne l'y attiroit; depuis que trouvant au-dessous de lui-même la sainteté nuptiale, il a voulu avoir une Mère vierge, et qu'il n'a pas cru que Joseph fût digne de prendre le soin de sa vie, s'il ne s'y préparait par la continence depuis que, pour laver notre chair, son sang a sanctifié une eau salutaire où elle peut laisser toutes les ordures de sa première nativité nous devons entendre, fidèles, que depuis ce temps-là la chair est toute autre. Ce n'est plus cette chair formée de la boue et engendrée par la convoitise; c'est une chair refaite et renouvelée par une eau très-pure et par l'Esprit-Saint l. » Donc, mes Frères, respectons nos corps qui sont les membres de Jésus-Christ, gardons-nous de prostituer à l'impureté cette chair, que le baptême a faite vierge. « Possédons nos vaisseaux en honneur et non pas dans ces passions ignominieuses que notre brutalité nous inspire, comme les Gentils qui n'ont pas de Dieu. Car Dieu ne nous appelle pas à l'impureté, mais à la sanctification » en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Honorons par la continence cette sainte virginité qui nous a donné le Sauveur, qui a rendu sa Mère féconde, qui a fait que Joseph a part à cette fécondité bienheureuse et l'élève, si je l'ose dire, jusqu'à être le père de JésusChrist même. Mais, fidèles, après avoir vu qu'il contribue en quelque façon à la naissance de Jésus-Christ en gardant la pureté de sa sainte Mère voyons maintenant ses soins paternels, et admirons la fidélité par laquelle il conserve ce divin Enfant que le Père céleste lui a confié; c'est ma seconde partie.
1 De l'udicit,, n. 6. » I Thess., IV, 4, 5, 7.
SECOND POINT.
Ce n'est pas assez au Père éternel d'avoir confié à Joseph la virginité de .Marie il lui prépare quelque chose de plus relevé et, après avoir commis à sa foi cette sainte virginité qui doit donner Jésus-Christ au monde, comme s'il avoit dessein d'épuiser sa libéralité infinie en faveur de ce patriarche, il va mettre en ses mains Jésus-Christ lui-même, et il veut le conserver par ses soins. Mais si nous pénétrons le secret, si nous entrons au fond du mystère, c'est là, fidèles, que nous trouverons quelque chose de si glorieux au juste Joseph, que nous ne pourrons jamais assez le comprendre. Car Jésus, ce divin Enfant, sur lequel Joseph a toujours les yeux et qui fait l'admirable sujet de ses saintes inquiétudes, est né sur la terre comme un orphelin, et il n'a point de père en ce monde. C'est pourquoi saint Paul dit qu'il est sans père Sine patre 1. Il est vrai qu'il en a un dans le ciel; mais à voir comme il l'abandonne, il semble que ce Père ne le connoît plus. Il s'en plaindra un jour sur la croix, lorsque l'appelant son Dieu et non pas son Père, « Et pourquoi, dira-t-il, m'abandonnez-vous '? » » Mais ce qu'il a dit en mourant, il pouvoit le dire dès sa naissance, puisque dès ce premier moment son Père l'expose aux persécutions et commence à l'abandonner aux injures. Tout ce qu'il fait en faveur de ce Fils unique pour montrer qu'il ne l'oublie pas, du moins ce qui paroît à nos yeux, c'est de le mettre en la garde d'un homme mortel qui conduira sa pénible enfance et Joseph est choisi pour ce ministère. Que fera ici ce saint homme? Qui pourroit dire avec quelle joie il reçoit cet abandonné, et comme il s'offre de tout son cœur pour être le père de cet orphelin ? Depuis ce temps-là, chrétiens, il ne vit plus que pour Jésus-Christ, il n'a plus de soin que pour lui; il prend lui-même pour ce Dieu (a) un cœur et des entrailles de père; et ce qu'il n'est pas par nature, il le devient par affection.
Mais afin que vous soyez convaincus de.la vérité d'un si grand mystère et si glorieux à Joseph, il faut vous le montrer par les 1 Hebr., vil, 3. – » Matth., xxvii, 46.
(a) Vnr. Pour ce saint Enfant.
Ecritures, et pour cela vous exposer une belle réflexion de saint Chrysostome. Il remarque dans l'Evangile que partout Joseph y paroît en père. C'est lui qui donne le nom à Jésus, comme les pères le donnoient alors; c'est lui seul que l'ange avertit de tous les périls de l'Enfant, et c'est à lui qu'il annonce le temps du retour. Jésus le révère et lui obéit c'est lui qui dirige toute sa conduite comme en ayant le soin principal, et partout il nous est montré comme père. D'où vient cela, dit saint Chrysostome ? En voici la raison véritable. C'est, dit-il1, que c'étoit un conseil de Dieu, de donner au grand saint Joseph tout ce qui peut appartenir à un père sans blesser la virginité 8mp sut! narpo; îJwv, où Xuu.aivo'[«vov sô ria 1<ot~a..¡" t~NjJLK) --M-ri) <Kt .tÍ~I'
Je ne sais si je comprends bien toute la force de cette pensée, mais voici, si je ne me trompe, ce que veut dire ce grand évêque. Et premièrement supposons pour certain que c'est la sainte virginité qui empêche que le Fils de Dieu, en se faisant homme, ne choisisse un père mortel. En effet Jésus-Christ venant sur la terre, pour se rendre semblable aux hommes, comme il vouloit bien avoir une mère, il ne devoit pas refuser, ce semble, d'avoir un père tout ainsi que nous, et de s'unir encore à notre nature par le nœud de cette alliance. Mais la sainte virginité s'y est opposée, parce que les prophètes lui avoient promis qu'un jour le Sauveur la rendroit féconde; et puisqu'il devoit naître d'une vierge mère, il ne pouvoit avoir de père que Dieu. C'est par conséquent la virginité qui empêche la paternité de Joseph. Mais peut-elle l'empêcher jusqu'à ce point que Joseph n'y ait plus de part, et qu'il n'ait aucune qualité de père? Nullement, dit saint Chrysostome; car la mainte virginité ne s'oppose qu'aux qualités qui la blessent et qui ne sait qu'il y en a dans le nom de père qui ne choquent pas la pudeur, et qu'elle peut avouer pour siennes? Ces soins, cette tendresse, cette affection, cela blesse-t-il la virginité? Voyez donc le secret de Dieu, et l'accommodement qu'il invente dans ce différend mémorable entre la paternité de Joseph et la pureté virginale. Il partage la paternité, et il veut que la virginité fasse le partage. Sainte pureté, lui dit-il, vos droits vous seront conservés. Il y a 1 In Matth., hom. iv, n. 6.
quelque chose dans le nom de père que la virginité ne peut pas souffrir; vous ne l'aurez pas, ô Joseph. Mais tout ce qui appartient à un père sans que la virginité soit intéressée (a) Voilà, ditil, ce que je vous donne Foc tibi do, quod salvâ virginitate paternum esse potest. Et par conséquent, chrétiens, Marie ne concevra pas de Joseph, parce que la virginité y seroit blessée; mais Joseph partagera avec Marie ces soins, ces veilles, ces inquiétudes, par lesquelles elle élèvera ce divin Enfant; et il ressentira pour Jésus cette inclination naturelle, toutes ces douces émotions, tous ces tendres empressemens d'un cœur paternel.
Mais peut-être vous demanderez où il prendra ce cœur paternel, si la nature ne le lui donne pas? Ces inclinations naturelles peuvent-elles s'acquérir par choix, et l'art peut-il imiter ce que la nature écrit dans les cœurs? Si donc saint Joseph n'est pas père comment aura-t-il un amour de père? C'est ici qu'il nous faut entendre que la puissance divine agit en cette œuvre. C'est par un effet de cette puissance que saint Joseph a un cœur de père et si la nature ne le donne pas, Dieu lui en fait un de sa propre main. Car c'est de lui dont il est écrit qu'il tourne où il lui plaît les inclinations. Pour l'entendre il faut remarquer une belle théologie que le Psalmiste nous a enseignée, lorsqu'il dit que Dieu forme en particulier tous les cœurs des hommes ,Qui fxnxit singillatim corda eorum'. Ne vous persuadez pas, chrétiens, que David regarde le cœur comme un simple organe du corps (6), que Dieu forme par sa puissance commetoutes les autres parties qui composent l'homme (c). Il veut dire quelque chose de singulier: il considère le cœur en ce lieu comme principe de l'inclination et il le regarde dans îles mains de Dieu comme une terre molle et humide, qui cède et qui obéit aux mains du potier et reçoit de lui sa figure. C'est ainsi, nous dit le Psalmiste, que Dieu forme en particulier tous les cœurs des hommes.
Qu'est-ce à dire, en particulier ? Il fait un cœur de chair daus les uns, quand il les amollit par la charité un cœur endurci dans 1 Psal. xxxu, 1S.
(a) Var.: En soit offensée. (6) Instrument de la vie. (c) Les autres parties de nos corps.
les autres, lorsque retirant ses lumières par une juste punition de leurs crimes, il les abandonne au sens réprouvé. Ne fait-il pas dans tous les fidèles, non un cœur d'esclave, mais un cœur d'enfant, quand il envoie en eux l'esprit de son Fils? Les apôtres trembloient au moindre péril; mais Dieu leur fait un cœur tout nouveau, et leur courage devient invincible. Quels étoient les sentimens de Saül pendant qu'il paissoit ses troupeaux Ils étoient sans doute bas et populaires. Mais Dieu en le mettant sur le trône, lui change le cœur par son onction lmmutavit Lominus cor Saûl et il reconnoît incontinent qu'il est roi. D'autre part, les Israélites considéroient ce nouveau monarque comme un homme de la lie du peuple; mais la main de Dieu leur touchant le cœur Quorum Deus tetigit corda s, aussitôt ils le voient plus grand et ils se sentent émus, en le regardant, de cette crainte respectueuse que l'on a pour ses souverains c'est que Dieu faisoit en eux un cœur de sujets. C'est donc, fidèles, cette même main qui forme en particulier tous les cœurs des hommes, qui fait un cœur de père en Joseph et un cœur de fils en Jésus. C'est pourquoi Jésus obéit, et Joseph ne craint pas de lui commander. Et d'où lui vient cette hardiesse de commander à son Créateur? C'est que le vrai Père de Jésus-Christ, ce Dieu qui l'engendre dans l'éternité, ayant choisi le divin Joseph pour servir de père au milieu des temps à son Fils unique, a fait en quelque sorte couler en son sein quelque rayon ou quelque étincelle de cet amour infini qu'il a pour son Fils c'est ce qui lui change le cœur, c'est ce qui lui donne un amour de père; si bien que le juste Joseph, qui sent en lui-même un cœur paternel formé tout à coup par la main de Dieu, sent aussi que Dieu lui ordonne d'user d'une autorité paternelle et il ose bien commander à celui qu'il reconnoît pour son maître.
Et après cela, chrétiens, qu'est-il nécessaire que je vous explique la fidélité de Joseph à garder ce sacré dépôt? Peut-il manquer de fidélité à celui qu'il reconnoît pour son Fils unique? De sorte qu'il ne seroit pas nécessaire que je vous parlasse de cette vertu, s'il n'étoit important pour votre instruction que vous ne perdiez pas un si bel exemple? Car c'est ici qu'il nous faut ap1 1 Reg., x, 9. « Ibid., 26.
prendre, par les traverses continuelles qui ont exercé saint Joseph depuis que Jésus-Christ est mis en sa garde, qu'on ne peut conserver ce dépôt sans peine, et que pour être fidèle à sa grace il faut se préparer à souffrir. Oui certes, quand Jésus entre quelque part, il y entre avec sa'croix, il y porte avec lui toutes ses épines, et il en fait part à tous ceux qu'il aime. Joseph et Marie étoient pauvres; mais ils n'avoient pas encore été sans maison, ils avoient un lieu pour se retirer (a). Aussitôt que cet enfant vient au monde, on ne trouve point (b) de maison pour eux, et leur retraite est dans une étable. Qui leur procure cette disgrace, sinon celui dont il est écrit 1 que, « venant en son propre bien, il n'y a pas été reçu par les siens, » et qu'il n'a pas de gîte assuré où il puisse reposer sa tête*? Mais n'est-ce pas assez de leur indigence? Pourquoi leur attire-t-il des persécutions? Ils vivoient ensemble dans leur ménage, pauvrement, mais avec douceur, surmontant leur pauvreté par leur patience et par leur travail assidu. Mais Jésus ne leur permet pas ce repos il ne vient au monde que pour les troubler, et il attire tous les malheurs avec lui. Hérode ne peut souffrir que cet enfant vive la bassesse de sa naissance n'est pas capable de le cacher à la jalousie (c) de ce tyran. Le Ciel lui-même trahit le secret il découvre Jésus-Christ par une étoile; et il semble qu'il ne lui amène de loin des adorateurs, que pour lui susciter dans son pays propre un persécuteur impitoyable. Que fera ici saint Joseph? Représentez-vous, chrétiens, ce que c'est qu'un pauvre artisan, qui n'a point d'autre héritage que ses mains, ni d'autre fonds que sa boutique, ni d'autre ressource que son travail (d). 11 est contraint d'aller en Egypte et de souffrir un exil fâcheux, et cela pour quelle raison? Parce qu'il a Jésus-Christ avec lui. Cependant croyez-vous, fidèles, qu'il se plaigne de cet Enfant incommode, qui le tire de sa patrie et qui lui est donné pour le tourmenter? Au contraire, ne voyez-vous pas qu'il s'estime heureux de souffrir en sa compagnie, et que toute la cause de son déplaisir (e), c'est le péril du divin Enfant qui lui est plus cher « Joan., i, il. – « Matth., vm, 20.
(a) Var Mais au moins avoient-ils leur maison, en laquelle ils se mettoient à couvert. (b) Il n'y a plus. (c) A la rage. (d) Qu'un pauvre artisan, qui se voit tous les jours au bout de son fonds. (e) De ses douleurs.
que lui-même? Mais peut-être a-t-il sujet d'espérer de voir bientôt finir ses disgraces? Non, fidèles; il ne l'attend pas; partout ou lui prédit des malheurs. Siméon l'a entretenu des étranges contradictions que devoit souffrir ce cher Fils il en voit déjà le commencement, et il passe sa vie dans de continuelles appréhensions des maux qui lui sont préparés.
Est-ce assez pour éprouver sa fidélité? Chrétiens, ne le croyez pas; voici encore une étrange épreuve. Si c'est peu des hommes pour le tourmenter, Jésus devient lui-même son persécuteur il s'échappe adroitement de ses mains, il se dérobe à sa vigilance, et il demeure trois jours perdu. Qu'avez-vous fait, fidèle Joseph? '1 Qu'est devenu le sacré dépôt que le Père céleste vous a confié? Ah 1 qui pourroit ici raconter ses plaintes? Si vous n'avez pas encore entendu la paternité de Joseph, voyez ses larmes, voyez ses douleurs, et reconnoissez qu'il est père. Ses regrets le font bien connoître, et Marie a raison de dire à cette rencontre Pater tuus et ego dolentes quœrebamus te « Yotre père et moi vous cherchions avec une extrême douleur. » 0 mon fils, dit-elle au Sauveur, je ne crains pas de l'appeler ici votre père, et je ne prétends pas faire tort à la pureté de votre naissance. Il s'agit de soins et d'inquiétudes; et c'est par là que je puis dire qu'il est votre père, puisqu'il a des inquiétudes vraiment paternelles Ego et pater tuus; je le joins avec moi par la société des douleurs. Voyez, fidèles, par quelles souffrances Jésus éprouve la fidélité, et comme il ne veut être qu'avec ceux qui souffrent. Ames molles et voluptueuses, cet Enfant ne veut pas être avec vous; sa pauvreté a honte de votre luxe; et sa chair destinée à tant de supplices, ne peut supporter votre extrême délicatesse. Il cherche ces forts et ces courageux qui ne refusent pas de porter sa croix, qui ne rougissent pas d'être compagnons de son indigence et de sa misère. Je vous laisse à méditer ces vérités saintes car pour moi je ne puis vous dire tout ce que je pense sur ce beau sujet. Je me sens appelé ailleurs, et il faut que je considère le secret du Père éternel confié à l'humilité de Joseph il faut que nous voyions Jésus-Christ caché, et Joseph caché avec lui, et que 1 Luc, il, 48.
nous nous excitions par ce bel exemple à l'amour de la vie cachée.
TROISIÈME POINT.
Que dirai-je ici, chrétiens, de cet homme caché avec JésusChrist ? Où trouverai-je des lumières assez pénétrantes, pour percer les obscurités qui enveloppent la vie de Joseph? Et quelle entreprise est la mienne, de vouloir exposer au jour ce que l'Ecriture a couvert d'un silence mystérieux? Si c'est un conseil du Père éternel que son Fils soit caché au monde et que Joseph le soit avec lui, adorons les secrets de sa Providence sans nous mêler de les rechercher; et que la vie cachée de Joseph soit l'objet de notre vénération, et non pas la matière de nos discours. Toutefois il en faut parler, puisque je sais bien que je l'ai promis; et il sera utile au salut des ames de méditer un si beau sujet, puisque si je n'ai rien à dire autre chose, je dirai du moins, chrétiens, que Joseph a eu cet honneur d'être tous les jours avec Jésus-Christ, qu'il a eu avec Marie la plus grande part à ses graces; que néanmoins Joseph a été caché'j que sa vie, que ses actions, que ses vertus étoient inconnues. Peut-être apprendrons-nous d'un si bel exemple qu'on peut être grand sans éclat, qu'on peut être bienheureux sans bruit, qu'on peut avoir la vraie gloire sans le secours de la renommée par le seul témoignage de sa conscience Gloria noslra hœc est, testimonium conscienliœ nostrœ et cette pensée nous incitera à mépriser la gloire du monde c'est la fin que je me propose.
Mais pour entendre solidement la grandeur et la dignité de la vie cachée de Joseph, remontons jusqu'au principe; et admirons avant toutes choses la variété infinie des conseils de la Providence dans les vocations différentes. Entre toutes les vocations, j'en remarque deux dans les Ecritures, qui semblent directement opposées la première, celle des apôtres; la seconde, celle de Joseph. Jésus est révélé aux apôtres, Jésus est révélé à Joseph, mais avec des eonditions bien contraires. 11 est révélé aux apôtres pour l'annoncer par tout l'univers; il est révélé à Joseph pour le taire et pour le cacher. Les apôtres sont des lumières pour faire voir 1 11 Cor., I, 12.
Jésus-Christ au monde; Joseph est un voile pour le couvrir, et sous ce voile mystérieux on nous cache la virginité de Marie et la grandeur du Sauveur des ames. Aussi nous lisons dans les Ecritures que lorsqu'on le vouloit mépriser « N'est-ce pas là, disoiton, le fils de Joseph i? » Si bien que Jésus entre les mains des apôtres, c'est une parole qu'il faut prêcher Prœdicale verburn Evangelii hujus « Prêchez la parole de cet Evangile; » et Jésus entre les mains de Joseph, c'est une parole cachée, Verbum absconditum et il n'est pas permis de la découvrir. En effet voyezen la suite. Les divins apôtres prêchent si hautement l'Evangile, que le bruit de leur prédication retentit jusqu'au ciel (a) et saint Paul a bien osé dire que les conseils de la sagesse divine sont venus à la connoissance des célestes puissances par l'Eglise, dit cet Apôtre, et par le ministère des prédicateurs, Per Ecclesiam et Joseph au contraire entendant parler des merveilles de JésusChrist, il écoute, il admire et se tait.
Que veut dire cette différence? Dieu est-il contraire à lui-même dans ces vocations opposées ? Non, fidèles, ne le croyez pas toute cette diversité tend à enseigner aux enfans de Dieu cette vérité importante, que toute la perfection chrétienne ne consiste qu'à se soumettre. Celui qui glorifie les apôtres par l'honneur de la prédication, glorifie aussi saint Joseph par l'humilité du silence; et par là nous devons apprendre que la gloire des chrétiens n'est pas dans les emplois éclatans, mais à faire ce que Dieu veut. Si tous ne peuvent pas avoir l'honneur de prêcher Jésus-Christ, tous peuvent avoir l'honneur de lui obéir; et c'est la gloire de saint Joseph, c'est le solide honneur du christianisme. Ne me demandez donc pas, chrétiens, ce que faisoit saint Joseph dans sa vie cachée; il est impossible que je vous l'apprenne, et je ne puis répondre autre chose sinon ce que dit le divin Psalmiste « Le juste, dit-il, qu'a-t-il fait? » Justus autcrn quid fecit '? Ordinairement la vie des pécheurs fait plus de bruit que celle des justes, parce que l'intérêt et les passions, c'est ce qui remue tout dans le monde. Les » Jean., vi, 42. Act., V, 20. » Luc, rvni, 34. » Ephes., m, 10. • Psal. s, 4.
(a) Var. Que la gloire en va jusqu'au ciel.
pécheurs, dit David, ont tendu leur arc ils l'ont lâché contre les justes, ils ont détruit, ils ont renversé, on ne parle que d'eux dans le monde Quoniam quœ perfecisti, deslruxerunt Mais le juste, ajoute-t-il, qu'a-t-il fait? Juslus autem quid fecit ? Il veut dire qu'il n'a rien fait. En effet il n'a rien fait pour les yeux des hommes, parce qu'il a tout fait (a) pour les yeux de Dieu. C'est ainsi que vivoit le juste Joseph. Il voyoit Jésus-Christ, et il se taisoit il le goûtoit, et il n'en parloit point; il se contentoit de Dieu seul, sans partager sa gloire avec les hommes. Il accomplissoit sa vocation, parce que comme les apôtres sont les ministres de Jésus-Christ découvert, Joseph étoit le ministre et le compagnon de sa vie cachée.
Mais, chrétiens pourrons-nous bien dire pourquoi il faut que Jésus se cache, pourquoi cette splendeur éternelle de la face du Père céleste se couvre d'une obscurité volontaire durant l'espace de trente années? Ah! superbe, l'ignores-tu? homme du monde, ne le sais-tu pas? C'est ton orgueil qui en est la cause; c'est ton vain désir de paraître, c'est ton ambition infinie et cette complaisance criminelle qui te fait honteusement détourner à un soin pernicieux de plaire aux hommes celui qui doit être employé à plaire à ton Dieu. C'est pour cela que Jésus se cache, il voit le désordre que ce vice produit il voit le ravage que cette passion fait dans les esprits, quelles racines elle y a jetées et combien elle corrompt toute notre vie depuis l'enfance j usqu'à la mort il voit les -vertus qu'elle étouffe par cette crainte lâche et honteuse de paroître sage et dévot il voit les crimes qu'elle fait commettre, ou pour s'accommoder à la société par une damnable complaisance, ou pour satisfaire l'ambition à laquelle on sacrifie tout dans le monde. Mais, fidèles, ce n'est pas tout il voit que ce désir de paroître détruit les vertus les plus éminentes, en leur faisant prendre le change, en substituant la gloire du monde à la place de celle du ciel, en nous faisant faire pour l'amour des hommes ce qu'il faut faire pour l'amour de Dieu. Jésus-Christ voit tous ces malheurs causés par le désir de paroître, et il se 1 Psal. x, 4.
(a) Var.: Réservé.
cache pour nous enseigner à mépriser le bruit et l'éclat du monde.. Jl ne croit pas que sa croix suffise pour dompter cette passion furieuse; il choisit, s'il se peut, un état plus bas et où il est en quelque sorte plus anéanti (a).
Car enfin je ne craindrai pas de le dire Mon Sauveur, je vous connois mieux à la croix et dans la honte de votre supplice, que je ne fais dans cette bassesse et dans cette vie inconnue. Quoique votre corps soit tout déchiré, que votre face soit ensanglantée (b), et que bien loin de paroître Dieu, vous n'ayez pas même la figure d'homme (c), toutefois vous ne m'êtes pas si caché et je vois, au travers de tant de nuages, quelque rayon de votre grandeur, dans cette constante résolution par laquelle vous surmontez les plus grands tourmens. Votre douleur a de la dignité, puisqu'elle vous fait trouver un adorateur dans l'un des compagnons de votre supplice. Mais ici je ne vois rien que de bas; et dans cet état d'anéantissement un ancien a raison de dire que vous êtes injurieux à vous-même Adultus non gestit agnosci, sed contumeliosus insuper sibi est 1. Il est injurieux à lui-même, parce qu'il semble qu'il ne fait rien et qu'il est inutile au monde. Mais il ne refuse pas cette ignominie; il veut bien que cette injure soit ajoutée à toutes les autres qu'il a souffertes, pourvu qu'en se cachant avec Joseph et avec l'heureuse Marie, il nous apprenne par ce grand exemple que s'il se produit quelque jour au monde, ce sera par le désir de nous profiter et pour obéir à son Père qu'en effet toute la grandeur consiste à nous conformer aux ordres 1 Tertull., de Patient n. 3.
(a) Var. liais, chrétiens, pourrions-nous dire pourquoi il faut que Jésus se cache, pourquoi cette splendeur.? Pourquoi le fait-il, et que nous veut-il enseigner ? C'est qu'il voit au fond de nos cœurs combien nous sommes tyrannisés par le désir de paroitre. C'est le premier vice qui se montre en 1 homme, et c'est le dernier qui le quitte. Il éclate dès notre enfance, il corrompt toute notre vie il nous suit jusqu'à la mort Combien étouffe-t-il de vertus par cette crainte honteuse de paroitre sage? Combien fait-il faire de crimes pour satisfaire l'ambition ? etc. C'est donc le vice le plus dangereux et le plus enraciné dans l'esprit des hommes; et je ne m'étonne pas, mon Sauveur, si vous vous cachez avec ceux que vous aimez le plus sur la terre, c'est-à-dire avec Joseph et Marie, pour nous apprendre par ce grand exemple que le bruit et l'éclat du monde est l'objet de votre mépris, qu'il n'est point de véritable grandeur que d'obéir à Dieu notre Père, en quelque état qu'il nous veudle mettre. (4) Défigurée (c) A peine vous reste-t-il une figure d'homme.
de Dieu, de quelque sorte qu'il lui plaise disposer de nous et enfin que cette obscurité que nous craignons tant, est si illustre et si glorieuse, qu'elle peut être choisie même par un Dieu. Voilà ce que nous enseigne Jésus-Christ caché avec toute son humble famille, avec Marie et Joseph, qu'il associe à l'obscurité de sa vie à cause qu'ils lui sont très-chers. Prenons-y donc part avec eux, et cachons-nous avec Jésus-Christ.
Chrétiens ne savez-vous pas que Jésus-Christ est encore caché (a) ? 11 souffre qu'on blasphème tous les jours son nom et qu'on se moque de son Evangile, parce que l'heure de sa grande gloire n'est pas arrivée. Il est caché avec son Père, et nous sommes cachés en Dieu avec lui, comme parle le divin Apôtre. Puisque nous sommes cachés avec lui, ce n'est pas en ce lieu d'exil que nous devons rechercher la gloire; mais quand Jésus se montrera en sa majesté, ce sera alors le temps de paroître Cùm Christus apparuerit, tune et simul apparebimus cura Mo in gloriâ 0 Dieu qu'il fera beau paroître en ce jour où Jésus nous louera devant ses saints anges, à la face de tout l'univers et devant son Père céleste 1 Quelle nuit, quelle obscurité assez longue pourra nous mériter cette gloire? Que les hommes se taisent de nous éternellement, pourvu que Jésus-Christ en parle en ce jour. Toutefois craignons, chrétiens, cette terrible parole qu'il a prononcée dans son Evangile « Vous avez reçu votre récompense s. » Vous avez voulu la gloire des hommes vous l'avez eue; vous êtes payé; il n'y a plus rien à attendre. 0 envie ingénieuse de notre ennemi, qui nous donne les yeux des hommes, afin de nous ôter ceux de Dieu; qui par une justice (b) malicieuse s'offre à récompenser nos vertus, de peur que Dieu ne les récompense 1 Malheureux je ne veux point de ta gloire ni ton éclat ni ta vaine pompe ne peuvent pas payer mes travaux. J'attends ma couronne d'une main plus chère, et ma récompense d'un bras plus puissant. Quand Jésus paroitra en sa majesté, c'est alors, c'est alors que je veux paroître.
• Coloss., m, 4. » Mattk., vi, 2.
(a) Var. Pratiquons cette leçon importante. Eh! fljèles, ne voyez-vous pas que Jésus-Christ est encore caché? (A) Reconnoissance.
C'est là, fidèles, que vous verrez ce que je ne puis vous dire aujourd'hui vous découvrirez les merveilles de la vie cachée de Joseph vous saurez ce qu'il a fait durant tant d'années, et combien il est glorieux de se cacher avec Jésus-Christ. Ah 1 sans doute il n'est pas de ceux qui ont reçu leur récompense en ce monde c'est pourquoi il paroîtra alors, parce qu'il n'a pas paru; il éclatera, parce qu'il n'a point éclaté. Dieu réparera l'obscurité de sa vie; et sa gloire sera d'autant plus grande, qu'elle est réservée pour la vie future.
Aimons donc cette vin cachée où Jésus s'est enveloppé avec Joseph. Qu'importe que les hommes nous voient? Celui-là est follement ambitieux à qui les yeux de Dieu ne suffisent pas, et c'est lui faire trop d'injure que de ne se contenter pas de l'avoir pour spectateur. Que si vous êtes dans les grandes charges et dans les emplois importans si c'est une nécessité que votre vie soit toute publique, méditez du moins sérieusement que vous ferez enfin une mort privée puisque tous ces honneurs ne vous suivront pas. Que le bruit que les hommes font autour de vous ne vous empêche pas d'écouter les paroles du Fils de Dieu. Il ne dit pas Heureux ceux qu'on loue mais il dit dans son Evangile « Heureux ceux que l'on maudit pour l'amour de moi J. » Tremblez donc, dans cette gloire qui vous environne, de ce que vous n'êtes pas jugés dignes des opprobres de l'Evangile. Mais si le monde nous les refuse, chrétiens, faisons-nous-en à nous-mêmes; reprochons-nous devant Dieu notre ingratitude et nos vanités ridicules mettons-nous à nous-mêmes devant notre face toute la honte de notre vie; soyons du moins obscurs à nos yeux par une humble confession de nos crimes et participons comme nous pouvons à la confusion de Jésus, afin de participer à sa gloire. Amen.
MADAME,
Cette grandeur qui vous environne, empêche sans doute Votre Majesté de pouvoir goûter avec Jésus-Christ cette obscurité bienheureuse. Votre vie est dans la lumière, votre piété perce les 1 Matth., y, 11.
nuages dans lesquels votre humilité veut l'envelopper. Les vietoirès de notre grand roi relèvent l'éclat de votre couronne et ce qui surpasse toutes les victoires, c'est qu'on ne parle plus par toute la France que de cette ardeur toute chrétienne avec laquelle Votre Majesté travaille à faite descendre la paix sur la terre, d'où nos crimes l'ont bannie depuis tant d'années, et à rendre le calme à cet Etat après en avoir soutenu toutes les tempêtes avec une résolution si constante. Parmi tant de gloire et tant de grandeur, quelle part peut prendre Votre Majesté à l'obscurité de JésusChrist et aux opprobres de son Evangile? Puisque le monde s'efforce à lui donner des louanges, où pourra-t-elle trouver de l'humiliation, si elle ne la prend d'elle-même. C'est, Madame, ce qui oblige Votre Majesté lorsqu'elle se retire avec Dieu de se dépouiller à ses pieds de toute cette magnificence royale qui aussi bien s'évanouit devant lui (a), et ià de se couvrir humblement la face de la sainte confusion de la pénitence. C'est trop flatter les grands que de leur persuader qu'ils sont impeccables au contraire qui ne sait pas que leur condition éminente leur apporte ce mal nécessaire que leurs fautes ne peuvent presque être médiocres? C'est, Madame, dans la vue de tant de périls que Votre Majesté doit s'humilier. Tous les peuples loueront sa sage conduite dans toute l'étendue de leurs cœurs elle seule s'accusera, elle seule se confondra devant Dieu, et participera par ce moyen aux opprobres de Jésus-Christ pour participer à sa gloire, que je lui souhaite éternelle. Amen. `
(a) Var.: Ne sert de rien.
SECOND PANÉGYRIQUE
DE
SAINT JOSEPH (a).
Quscswtt sibi Deus virwn juxta cor suum.
Le Seigneur s'est cherche un homme selon son cœur. 1 Reg., xm, 13. Cet homme selon le cœur de Dieu ne se montre pas au dehors, et Dieu ne le choisit pas sur les apparences, ni sur le témoignage de la voix publique. Lorsqu'il envoya Samuel dans la maison de Jessé pour y trouver David, le premier de tous qui a mérité cet éloge, ce grand homme, que Dieu destinoit à la plus augustè couronne du monde, n'étoit pas même connu dans sa famille. On présente sans songer à lui tous ses aînés au prophète; mais Dieu, qui ne juge pas à la manière des hommes, l'avertissoit en secret de ne regarder pas à leur riche taille, ni à leur contenance hardie (b) si bien que rejetant ceux que l'on produisoit dans le monde, il fit approcher celui que l'on envoyoit paître les troupeaux; et versant sur sa tête l'onction royale, il laissa ses parens étonnés d'avoir si (a) l'réché le 19 mars 1661, aux Grandes-Carmélites, devant la reine mère. La Gazette de France, 26 mars 1661, dit que cette année-là Bossuet prêcha la Saint-Joseph aux « Grandes-Carmélites avec beaucoup de suffisance. » Et l'orateur, rappelant la division du panégyrique précédent, s'exprime ainsi dans l'exorde de celui qu'on va lire « Je laisse les dons et les mystères qui pourroient relever son panégyrique (de saint Joseph ). Je ne vous dis plus, chrétiens, qu'il est le dépositaire des trésors célestes, le père de Jésus -Christ, le conducteur de son enfance, le protecteur de sa vie, l'époux et le gardien de sa sainte Mère. » Le Qucesivit Deus, comme on disoit alors, fut donc prêché après le Depositum custodt par conséquent en 1681.
Le prédicateur dit aussi, dans la péroraison « Je rends grâces au roi d'avoir voulu honorer sa sainte mémoire (de saint Joseph) avec une nouvelle solennité. » C'est en 1661 que la fête de samt Joseph fut pour la première fois célébrée solennellement en France; sollicité par les deux reines, Louis XIV, après s'être concerté avec l'autorité ecclésiastique avoit porté un décret qui défendoit tout travail ce jour-là.
Bossuet dit en finissant « Si Votre Majesté, Madame, lui inspire (au roi) ces sages pensées, elle aura pour sa récompense la félicité éternelle que, » etc. Ces paroles ne pouvoient s'adresser qu'à la reine mère.
(b) Var. Mme hardie.
peu jusqu'alors connu ce fils, que Dieu choisissoit avec un avantage si extraordinaire (a).
Une semblable conduite de la Providence divine me fait appliquer aujourd'hui à Joseph le fils de David, ce qui a été dit de David lui-même. Le temps étoit arrivé que Dieu cherchât un homme selon son cœur, pour déposer en ses mains ce qu'il avoit de plus cher; je veux dire la personne de son Fils unique, l'intégrité de sa sainte Mère, le salut du genre humain, le secret le plus sacré de son conseil, le trésor du ciel et de la terre. Il laisse Jérusalem et les autres villes renommées il s'arrête sur Nazareth et dans cette bourgade inconnue il va choisir encore un homme inconnu, un pauvre artisan, Joseph en un mot, pour lui confier un emploi dont les anges du premier ordre se seroient sentis honorés, afin, Messieurs, que nous entendions que l'homme selon le cœur de Dieu doit être lui-même cherché dans le cœur, et que ce sont les vertus cachées qui le rendent digne de cette louange. Comme je me propose aujourd'hui de traiter ces vertus cachées, c'est-à-dire de vous découvrir le cœur du juste Joseph, j'ai besoin plus que jamais, chrétiens, que celui qui s'appelle le Dieu de nos cœurs m'éclaire par son Saint-Esprit. Mais quelle injure ferionsnous à la divine Marie, si ayant accoutumé en d'autres sujets de lui demander son secours, maintenant qu'il s'agit de son saint époux, nous ne nous efforcions de lui dire avec une dévotion particulière Ave.
C'est un vice ordinaire aux hommes, de se donner entièrement au dehors et de négliger le dedans, de travailler à la montre et à l'apparence et de mépriser l'effectif et le solide, de songer souvent quels ils paroissent et de ne penser point quels ils' doivent être. C'est pourquoi les vertus qui sont estimées, ce sont celles qui se mêlent d'affaires et qui entrent dans le commerce des hommes au contraire les vertus cachées et intérieures, où le public n'a point de part, où tout se passe entre Dieu et l'homme non-seulement ne sont pas suivies, mais ne sont pas même entendues. Et toute« Psal. LXX1I, 26.
(a| Var. Sur lequel Dieu arrêtoit son choix.
fois c'est dans ce secret que consiste tout le mystère de la vertu véritable. En vain pensez-vous former un bon magistrat, si vous ne faites auparavant un homme de bien en vain vous considérez quelle place vous pourrez remplir dans la société civile, si vous ne méditez auparavant quel homme vous êtes en particulier. Si l'a société civile élève un édifice, l'architecte fait tailler premièrement une pierre, et puis on la pose dans le bâtiment (a). Il faut composer un homme en lui-même, avant que de méditer quel rang on lui donnera parmi les autres; et si l'on ne travaille (b) sur ce fonds, toutes les autres vertus, si éclatantes qu'elles puissent être, ne seront que des vertus de parade et appliquées par le dehors (c), qui n'auront point de corps ni de vérité. Elles pourront nous acquérir de l'estime et rendre nos mœurs agréables, enfin elles pourront nous former au gré et selon le cœur des hommes mais il n'y a que les vertus particulières qui aient ce droit admirable, de nous composer au gré et selon le cœur de Dieu. Ce sont ces vertus particulières, c'est cet homme de bien cet homme au gré de Dieu et selon son cœur, que je veux vous montrer aujourd'hui en la personne du juste Joseph. (d) Je laisse les dons et les mystères qui pourroient relever son panégyrique. Je ne vous dis plus, chrétiens, qu'il est le dépositaire des trésors célestes, le père de Jésus-Christ, le conducteur de son enfance, le protecteur de sa vie, l'époux et le gardien de sa sainte Mère. Je veux taire tout ce qui éclate pour faire l'éloge d'un Saint dont la principale grandeur est d'avoir été à Dieu sans éclat. Les vertus mêmes dont je parlerai ne sont ni de la société ni du commerce; tout est l'enfermé dans le secret de sa conscience. La simplicité, le détachement, l'amour de la vie cachée sont donc les trois vertus du juste Joseph que j'ai dessein de vous proposer. Yous me paroissez étonnés de voir l'éloge d'un si grand Saint dont la vocation est si haute, réduit à trois vertus si communes mais (a) Var. Une pierre, avant de la mettre avec les autres. (A) Bâtit^c) De parade et artificielles. – |rf) Note marg. Je m'attache à sa vie particulière et pour vou3 en donner le tableau, je n'irai pas chercher bien lom, m des conjectures douteuses, m des révélations apocryphes. Le peu que nous avons dans les Ecnlures me suffit pour vous faire voir, dans le bon Joseph, l'idée et le caractère de cet homme de bien que nous cherehons, qui a réglé avec Dieu son intérieur.
sachez qu'en ces trois vertus consiste le caractère de ret homme de bien dont nous parlons et il m'est aisé de vous faire voir que c'est aussi en ces trois vertus que consiste le caractère du juste Joseph. Car, mes Sœurs cet homme de bien que nous considérons, pour être selon le cœur de Dieu, il faut premièrement qu'il le cherche; en second lieu, qu'il le trouve; en troisième lieu qu'il en jouisse. Quiconque cherche Dieu qu'il cherche en simplicité celui qui ne peut souffrir (a) les voies détournées. Quiconque veut trouver Dieu, qu'il se détache de toutes choses pour trouver celui qui veut être lui seul tout notre bien. Quiconque veut jouir de Dieu, qu'il se cache et qu'il se retire pour jouir en repos, dans la solitude, de celui qui ne se communique point parmi le trouble et l'agitation du monde (b). C'est ce qu'a fait notre patriarche. Joseph, homme simple, a cherché Dieu Joseph, homme détaché a trouvé Dieu Joseph, homme retiré, a joui de Dieu c'est le partage de ce discours (c).
(a) Var. Qui n'aime point. (b) JI faut qu'il se retire avec lui; il faut pour ainsi dire qu'il se cache en lui, afin de le goûter en repos.
(c) 0 Joseph, homme simple, vous cherchez Dieu en simplicité; et il prend soin de guider vos pas, il vous envoie ses anges pour vous iastiuire; tout le ciel veille à votre conduite. 0 Joseph, homme détaché, vous allez et venez comme Dieu vous mène partout où il vous appelle, vous y trouvez votre maison et votre patrie; votre cœur ne tient à rien sur la terre. Il fdlloit que vous fussiez ainsi disposé, pour être digne de recevoir en votre maison ce Dieu incarné qui se donne à vous. 0 Joseph, homme de retraite, vous savez ce que c'est que de jouir d'un Dieu; et dans le dessem de le pos-éder en la paix de votie coeur, de peur que la gloire du monde ne vous détourne, ou que son tracas ne vous trouble, vous vous enveloppez avec Jésus-Christ dans l'amour de la vie cachée. 0 l'homme juste, l'homme de Dieu et l'homme selon sou cœur Apprenez de là, chrétiens, que d'être un bon particulier c'est quelque chose de grand et de vénérable, et dépouillez cette ambition qui vous ôte à Dieu et à vous-mêmes sous prétexte de vous donner au public. Mais pour mieux comprendre cette vérité, venez considérer avant toutes choses la simplicité de Joseph dans ma première partie.
Quand je vous parle de la sainte simplicité, ne croyez pas entendre le nom d'une veitu particulière. Dans le style de l'Ecriture, homme simple n'est autre chose que la définition d'un homme de bien. Jacob, dit-elle étoit homme simple, c'est-à-dire éloit homme juste (Genes., xav, 27); et c'est jimsi que le Saint-Esprit a accoutumé de parler. Toutefois, chrétiens, il y a quelque chose de singulier qui nous est représenté par cette expression, et il faut tâcher de l'entendre. La simplicité si je ne me trompe, est une certaine droiture d'un coeur qui est sincère avec Dieu; et c'est pourquoi l'Ecriture sainte joint toujours ces deux qualités dans la définition de l'homme de bien. Job, dit-elle, étoit simple et droit Erat vir tlle simplex et reclus (Job, i, ) i Ainsi la simplicité, c'est la droiture du cœur; et vous entendez bien, ames saintes, que celte droiture de cœur,
PREMIER POINT.
Le chemin de la vertu n'est pas de ces grandes routes dans lesquelles on peut s'étendre avec liberté au contraire nous apprenons par les saintes Lettres que ce n'est qu'un petit sentier et une voie étroite et serrée, et tout ensemble extrêmement droite Semita justi recta est, reclus callis justi ad ambulandum Par où nous devons apprendre qu'il faut y marcher en simplicité et dans une grande droiture. Si peu non-seulement que l'on se détourne, mais même que l'on chancelle dans cette voie on tombe dans les écueils dont elle est environnée de part et d'autre. C'est pourquoi le Saint-Esprit voyant ce péril, nous avertit si souvent de marcher dans la voie qu'il nous a marquée, sans jamais nous détourner à droite ou à gauche Non declinabitis negue ad dexteram neque ad sinistram nous enseignant par cette parole que pour tenir cette voie, il faut dresser tellement son intention, qu'on ne lui permette jamais de se relâcher ni de faire le moindre pas de côté ou d'autre.
C'est ce qui s'appelle dans les Ecritures avoir le cœur droit avec Dieu, et marcher en simplicité devant sa face. C'est le seul moyen de le chercher et la voie unique pour aller à lui, parce que, comme dit le Sage, « Dieu conduit le juste par les voies droites » Justum deduxit Dominus per vias rectas'. Car il veut qu'on le cherche avec grande ardeur, et ainsi que l'on prenne les voies les plus courtes, qui sont toujours les plus droites si bien qu'il ne croit pas qu'on le cherche, lorsqu'on ne marche pas droitement à lui. C'est pourquoi il ne veut point ceux qui s'arrêtent, il ne veut point ceux qui se détournent, il ne veut point ceux qui se partagent. Quiconque prétend partager son cœur entre la terre et le ciel ne donne rien au ciel, et tout à la terre, parce que la terre retient ce qu'il lui engage, et que le ciel n'accepte pas ce qu'il lui offre. 1 Isa., xxvt, 7. – Deut., v, 32; xvii, li Prov., iv, 27; ha., xxx, 21. –Sapient., x, 10.
c'est la pureté d'intention de sorte qu'un homme simple, c'est un homme dont le cœur est droit avec Dieu, c'est-à-dire dont les intentions sont droites et pures, qui n'aime que Dieu dans le cœur, qui marche à lui sans détour; et c'est la première qualité d'un homme de bien. Vous pouvez juger aisément combien elle est nécessaire par cette réflexion.
Vous devez entendre par ce discours que cette bienheureuse simplicité tant vantée dans les saintes Lettres, c'est une certaine droiture de cœur et une pureté d'intention et l'acte principal de cette vertu, c'est d'aller à Dieu de bonne foi et sans s'en imposer à soi-même acte nécessaire et important, qu'il faut que je vous explique. Ne vous persuadez pas, chrétiens, que je parle ainsi sans raison. Car si dans la voie de la vertu il y en a qui trompent les autres, beaucoup aussi se trompent eux-mêmes. Ceux qui se partagent entre les deux voies, qui veulent avoir un pied dans l'une et dans l'autre, qui se donnent tellement à Dieu qu'ils ont toujours un regard au monde ceux-là ne marchent point en simplicité ni devant Dieu ni devant les hommes, et n'ont point par conséquent de vertu solide. Ils ne sont pas droits avec les hommes, parce qu'ils imposent à leur vue par l'image d'une piété qui ne peut être que contrefaite, étant altérée par le mélange ils ne sont pas droits devant Dieu, parce que pour plaire à ses yeux, il ne suffit pas, chrétiens, de produire par étude et par artifice des actes de vertu empruntés et des directions d'intention forcées.
Un homme engagé dans l'amour du monde, viole tous les jours les lois les plus saintes de la bonne foi, ou de l'amitié ou de l'équité naturelle que nous devons aux plus étrangers, pour satisfaire à son avarice. Cependant sur une certaine inclination vague et générale qui lui reste pour la vertu, il s'imagine être homme de bien et il en veut produire des actes mais quels actes, ô Dieu tout-puissant ? Il a ouï dire à ses directeurs ce que c'est qu'un acte de détachement, ou un acte de contrition et de repentance il tire de sa mémoire les paroles qui le composent, ou l'image des sentimens qui le forment. Il les applique comme il peut sur sa volonté, car je ne puis dire autre chose (a), puisque son intention y est opposée, et il s'imagine être vertueux; mais il se trompe, il s'abuse, il se joue lui-même.
Pour se rendre agréable à Dieu, il ne suffit pas, chrétiens, de tirer par artifice (b) des actes de vertu forcés et des directions (a) Var. 11 les applique pour ainsi dire sur sa volonté; car je ne puis dire qu'il les produit. (b) Par étude, comme par machine.
d'intention étudiées (a). Les actes de piété doivent 'naître du fond du cœur, et non pas être empruntés de l'esprit ou de la mémoire. Mais ceux qui viennent du cœur ne souffrent point de partage. « Nul ne peut servir deux n-iaitres 1 » Dieu ne peut souffrir cette intention louche, si je puis parler de la sorte, qui regarde de deux côtés en un même temps. Les regards ainsi partagés rendent l'abord d'un homme choquant et difforme; et l'ame se défigure elle-même, quand elle tourne en deux endroits ses intentions. « Il faut, dit le Fils de Dieu, que votre œil soif simple 2, » c'est-à-dire que votre regard soit unique; et pour parler encore en termes plus clairs, que l'intention pure et dégagée s'appliquant toute entière à la même fin, le cœur prenne sincèrement et de bonne foi les sentimens que Dieu veut. Mais ce que j'en ai dit en général, se connoîtra mieux dans l'exemple. Dieu a ordonné au juste Joseph de recevoir la divine Vierge comme son Epouse fidèle pendant que sa grossesse semble la convaincre (b), de regarder comme son Fils propre un enfant qui ne le touche que parce qu'il est dans sa maison, de révérer comme son Dieu celui auquel il est obligé de servir de protecteur et de gardien. Dans ces trois choses, mes Frères, où il faut prendre des sentimens délicats et que la nature ne peut pas' donner, il n'y a qu'une extrême simplicité qui puisse rendre le cœur docile et traitable. Voyons ce que fera le juste Joseph. Nous remarquerons en son lieu qu'à l'égard de sa sainte Epouse, jamais le soupçon ne fut plus modeste, ni le doute plus respectueux mais enfin il étoit si juste, qu'il ne pouvoit pas se désabuser sans que le ciel s'en mêlât. Aussi un ange lui déclare, de la part de Dieu, qu'elle a conçu de son Saint-Esprit s. Si son intention eût été moins droite, s'il n'eût été à Dieu qu'à demi il ne se seroit pas rendu tout à fait il seroit demeuré au fond de son ame quelque reste de soupçon mal guéri, et son affection pour la sainte Yierge auroit toujours été douteuse et tremblante. Mais son cœur, qui cherche Dieu en simplicité (c), ne sait point se partager avec Dieu il n'a point de peine à con1 Matth VI, 24. – » Luc, XI, 31. – HIatth., I, 20.
fa] Var.: Artificielles. (b) Pendaot qu'elle devient mère sans qu'il ait part. – (c) Son cœur simple et innocent.
noître que la vertu incorruptible de sa sainte Epouse méritoit le témoignage du Ciel. Il surpasse la foi d'Abraham, bien qu'il nous soit donné dans les Ecritures' comme le modèle de la foi parfaite. Abraham est loué dans les saintes Lettres pour avoir cru l'enfantement d'une stérile Joseph a cru celui d'une vierge, et il a reconnu en simplicité ce grand et impénétrable mystère de la virginité féconde.
Mais voici quelque chose de plus admirable. Dieu veut que vous receviez comme votre Fils cet Enfant de la pureté de Marie. Vous ne partagerez pas avec cette Vierge l'honneur de lui donner la naissance, parce que la virginité y seroit blessée mais vous partagerez avec elle ces soins, ces veilles, ces inquiétudes par lesquelles elle élèvera ce cher Fils vous tiendrez lieu de père à ce saint Enfant, qui n'en a point sur la terre et quoique vous ne le soyez pas par la nature, il faut que vous le deveniez par l'affection. Mais comment s'accomplira un si grand ouvrage? Où prendra-t-il ce cœur paternel, si la nature ne le lui donne pas? Ces inclinations peuvent-elles s'acquérir par choix; et ne craindronsnous pas, en ce lieu, ces mouvemens empruntés et ces affections artificielles que nous venons de reprendre tout à l'heure? Non, mes Frères; ne le craignons pas. Un cœur qui cherche Dieu en simplicité (a) est une terre molle et humide, qui reçoit la forme qu'il lui veut donner; ce que Dieu veut lui passe en nature. Si donc c'est la volonté du Père céleste que Joseph tienne sa place en ce monde et qu'il serve de père à son Fils, il ressentira, n'en doutez pas, pour ce saint et divin Enfant, cette inclination naturelle, toutes ces douces émotions, tous ces tendres empressemens d'un cœur paternel.
En effet durant ces trois jours que le Fils de Dieu s'étoit dérobé pour demeurer dans le temple avec les docteurs, il est aussi touché que la Mère même, et elle le sait bien reconnoître Vater tuus et ego dolentes qwerëbamus te 3 « Votre père et moi étions affligés. » Voyez qu'elle le joint avec elle dans la société des douleurs. Je ne crains pas de l'appeler ici votre père, et je ne prétends pas faire 1 Rom., tv, 11 et seq. – Genes., jv, 6. – • Luc, n, 48.
(a) Var. Un cœur simple et droit avec Dieu.
tort à la pureté de votre naissance il s'agit de soins et d'inquiétudes et c'est par là que je puis dire qu'il est votre père, puisqu'il a vraiment des inquiétudes paternelles. Voyez, Messieurs, comme ce saint homme prend simplement et de bonne foi les sentimens que Dieu lui ordonne. Mais aimant Jésus-Christ comme son fils, se pourra-t-il faire, mes Sœurs, qu'il le révère comme son Dieu? Sans doute et il n'y auroit rien de plus difficile (a), si la sainte simplicité n'avoit rendu son esprit docile pour céder sans peine aux ordres divins.
Voici, chrétiens, le dernier effort de la simplicité du juste Joseph dans la pureté de sa foi. Le grand mystère de notre foi, c'est de croire un Dieu dans la foiblesse. Mais afin de bien comprendre, mes Sœurs, combien est parfaite la foi de Joseph, il faut, s'il vous plaît, remarquer que la foiblesse de Jésus-Christ peut être considérée en deux états ou comme étant soutenue par quelque effet de puissance, ou comme étant délaissée et abandonnée à elle-même. Dans les dernières années de la vie de notre Sauveur, quoique l'infirmité de sa chair fùt visible par ses souffrances, sa toute-puissance divine ne l'étoit pas moins par ses miracles. Il est vrai qu'il paroissoit homme mais cet homme disoit des choses qu'aucun homme n'avoit jamais dites, mais cet homme faisoit des choses qu'aucun homme n'avoit jamais faites. Alors la foiblef-se étant soutenue, je ne m'étonne pas que dans cet état Jésus ait attiré des adorateurs, les inarques"de sa puissance pouvant donner lieu de juger que l'infirmité étoit volontaire et la foi n'étoit pas d'un si grand mérite. Mais en l'état que l'a vu Joseph, j'ai quelque peine à comprendre comment il a cru si fidèlement, parce que jamais la foiblesse n'a paru plus abandonnée non pas même, je le dis sans crainte, dans l'ignominie de la croix. Car c'étoit cette heure importante pour laquelle il étoit venu son Père l'avoit délaissé il étoit d'accord avec lui qu'il le délaisseroit en ce jour lui-même s'abandonnoit volontairement pour être livré aux mains des bourreaux. Si durant ces jours d'abandonnement la puissance de ses ennemis a été fort grande, ils ne doivent pas s'en glorifier, parce que les ayant renversés d'abord (a) Var. De moins pratiquable.
par une seule de ses paroles, il leur a bien fait connoître qu'il ne leur cédoit que par une foiblesse volontaire Non haberes potestatem adversùm me idlam, nisi tibi datum esset desitper1: « Vous n'auriez aucun pouvoir sur moi, s'il ne vous étoit donné d'en haut. » Mais en l'état dont je parle et dans lequel le voit saint Joseph, la foiblesse est d'autant plus grande, qu'elle semble en quelque sorte forcée.
Car enfin, mon divin Sauveur, quelle est en cette rencontre la conduite de votre Père céleste? Il veut sauver les Mages qui vous sont venus adorer, et il les fait échapper par une autre voie. Je ne l'invente pas, chrétiens, je ne fais que suivre l'histoire sainte. Il veut vous sauver vous-mêmes, et il semble qu'il ait peine à l'exécuter. Un ange vient du ciel éveiller pour ainsi dire Joseph en sursaut, et lui dire comme pressé par un péril imprévu « Fuyez vite, partez cette nuit avec la Mère et l'Enfant, et sauvez-vous en Egypte ». » Fuyez ô quelle parole! Encore s'il avoit dit Retirezvous. Mais Fuyez pendant la nuit ô précaution de foiblesse t Quoi donc le Dieu d'Israël ne se sauve qu'à la faveur des ténèbres Et qui ledit? C'est un ange qui arrive soudainement à Joseph comme un messager effrayé « De sorte, dit un ancien, qu'il semble que tout le ciel soit alarmé, et que la terreur s'y soit répandue avant même de passer à la terre 8 » Ut videatur cœlum timor ante tenuisse quàm terram. Mais voyons la suite de cette aventure. Joseph se sauve en Egypte, et le même ange revient à lui « Retournez, dit-il, en Judée; car ceux-là sont morts qui cherchoient l'ame de l'Enfant » Eh quoi s'ils étoient vivans, un Dieu ne seroit pas en sûreté 0 foiblesse délaissée et abandonnée Voilà l'état du divin Jésus et en cet état saint Joseph l'adore avec la même soumission que s'il avoit vu ses plus grands miracles. 11 reconnoît le mystère de ce miraculeux délaissement il sait que la vertu de la foi, c'est de soutenir l'espérance sans aucun sujet d'espérance In spem contra spem Il s'abandonne à Dieu en simplicité, et exécute sans s'enquérir tout ce qu'il commande. En effet l'obéissance est trop curieuse qui examine les causes du 1 Joan., xix, il. » Matth., n, 13. » S Petr. Chrysol., Serm. eu. –Matth., Il, 20. > Rom., IV, 18.
commandement elle ne doit avoir des yeux que pour considérer son devoir, et elle doit chérir son aveuglement, qui la fait marcher en sûreté. Mais cette obéissance de saint Joseph venoit de ce qu'il croyoit en simplicité; et que son esprit ne chancelant pas entre la raison et la foi, suivoit avec une intention droite les lumières qui venoient d'en haut. 0 foi vive, ô foi simple et droite, que le Sauveur a raison de dire qu'il ne te trouvera plus sur la terre Car, mes Frères, comment croyons-nous? Qui nous donnera aujourd'hui de pénétrer au fond de nous-mêmes pour voir si ces actes de foi, que nous faisons quelquefois, sont véritablement dans le cœur, ou si ce n'est pas la coutume qui les y amène du dehors? Que si nous ne pouvons pas lire dans nos cœurs, interrogeons nos œuvres et connoissons notre peu de foi. Une marque de sa foiblesse, c'est que nous n'osons entreprendre de bâtir dessus; nous n'osons nous y confier, ni établir sur ce fondement l'espérance de notre bonheur. Démentez-moi, Messieurs, si je ne dis pas la vérité. Lorsque nous flottons incertains entre la vie chrétienne et la vie du monde, n'est-ce pas un doute secret qui nous dit dans le fond du cœur Mais cette immortalité (a) que l'on nous promet, est-ce une chose assurée; et n'est-ce pas trop hasarder son repos, son bonheur (b), que de quitter ce qu'on voit pour suivre ce qu'on ne voit pas? Nous ne croyons donc pas en simplicité, nous ne sommes pas chrétiens de bonne foi.
Mais je croirois, direz-vous, si je voyois un ange comme saint Joseph. 0 hommes, désabusez-vous Jonas a disputé contre Dieu, quoiqu'il fût instruit de ses volontés par une vision manifeste (c) et Job a été fidèle, quoiqu'il n'eût point encore été confirmé par des apparitions extraordinaires. Ce ne sont pas les voies extraordinaires qui font fléchir notre cœur, mais la sainte simplicîté et la pureté d'intention que produit la chanté véritable, qui attache aisément notre esprit à Dieu, en le détachant des créatures. C'est, mes Sœurs, ce détachement qui fera notre seconde partie. 1 Luc., xvill, 8.
(a) Var. Ce ciel. (A) Sa félicité, son plaisir. (c) Jonas n'a pas cru h la 'voix de Dieu, quoiqu'il l'eût entendue.
SECOND POINT.
Dieu, qui a établi son Evangile sur des contrariétés mystérieuses, ne se donne qu'à ceux qui se contentent de lui et se détachent des autres biens. Il faut qu'Abraham quitte sa maison et tous les attachemens de la terre avant que Dieu lui dise Je suis ton Dieu. Il faut abandonner tout ce qui se voit pour mériter ce qui ne se voit pas, et nul ne peut posséder ce grand tout, s'il n'est au monde comme n'ayant rien Tanquamnihtthabentes-1. Si jamais il y eut un homme à qui Dieu se suit donné de bon cœur, c'est sans doute le juste Joseph, qui le tient dans sa maison et entre ses mains, et à qui il est présent à toutes les heures beaucoup plus dans le cœur que devant les yeux. Voilà un homme qui a trouvé Dieu d'une façon bien particulière aussi s'est-il rendu digne d'un si grand trésor par un détachement sans réserve, puisqu'il est détaché de ses passions, détaché de son intérêt et de son propre repos.
Deux sortes de passions ont accoutumé de nous émouvoir, je veux dire les passions douces et les passions violentes. Desquelles des deux, mes Sœurs, est-il plus difficile de se rendre maître? Il n'est pas aisé de le décider (a). J'ai appris du grand saint Thomas que celles-là sont à craindre par la durée, celles-ci par la promptitude et par l'impétuosité de leur mouvement celles-là nous flattent, celles-ci nous poussent par la force; celles-là nous gagnent, celles-ci nous entraînent. Mais quoique par des voies différentes, les unes et les autres renversent le sens, les unes et les autres engagent le cœur. 0 pauvre cœur humain, de combien d'ennemis es-tu la proie ? de combien de tempêtes es-tu le jouet? de combien d'illusions es-tu le théâtre?
Mais apprenons, chrétiens, par l'exemple de saint Joseph à vaincre ces douceurs qui nous charment (b), ces violences qui nous emportent. Voyez comme il est détaché de ses passions, puisqu'il a pu surmonter sans effort (c) parmi les douces la plus flatteuse, t II Cor., YI, 10.
(a) Var. C'est ce qu'il n'est pas aisé de vous expliquer. (b) Trompent, séduisent. (c) Sans résistance.
parmi les violentes la plus farouche, je veux dire l'amour et la jalousie. Son Epouse est sa sœur. Il n'est touché, si je le puis dire, que de la virginité de Marie mais il l'aime pour la conserver en sa chaste Epouse, et ensuite pour l'imprimer en soi-même par une entière unité de coeur. La fidélité de ce mariage consiste à se garder l'un à l'autre la parfaite intégrité qu'ils-se sont promise. Voilà les promesses qui les assemblent, voilà le traité qui les lie. Ce sont deux virginités qui s'unissent, pour se conserver l'une l'autre éternellement par une chaste correspondance de désirs pudiques et il me semble que je vois deux astres, qui n'entrent ensemble en conjonction qu'à cause que leurs lumières s'allient. Tel est le nœud de ce mariage, d'autant plus ferme, dit saint Augustin que les promesses qu'ils se sont données doivent être plus inviolables en cela même qu'elles sont plus saintes. Mais la jalousie, chrétiens, a pensé rompre le sacré lien de cette amitié conjugale. J~eph, encore ignorant des mystères dont sa chère Epouse était rendue digne (a), ne sait que penser de sa grossesse. Je laisse aux peintres et aux poètes de représenter à vos yeux les horreurs de la jalousie, le venin de ce serpent et les cent yeux de ce monstre il me suffit de vous dire que c'est uue espèce de complication des passions les plus furieuses. C'est là qu'un amour outragé pousse la douleur jusqu'au désespoir, et la haine jusqu'à la furie; et c'est peut-être pour cette raison que le Saint-Esprit nous a dit ~Mfa sicut !6mMS <smM~<:o « La jalousie est dure comme l'enfer, » parce qu'elle ramasse en effet les deux choses les plus cruelles que l'enfer ait, la rage et le désespoir.
Mais ce monstre si furieux ne peut rien contre le juste Joseph. Car admirez sa modération envers sa sainte et divine Epouse. Il sent le mal tel qu'il ne peut la défendre; et il ne veut pas la condamner tout à fait. Il prend un conseil tempéré. Réduit par l'autorité de la loi à l'éloigner de sa compagnie (b), il évite du moins de la diffamer, il demeure dans les bornes de la justice; et bien loin De nupt. et concup., hb. 1, a. 12. – Can; Y)u, 6.
(a) Var. De ce que )e Saint-Esprit a fait dans Marie. (b) A la nécessité d'éloigner Marie.
d'exiger le châtiment, il lui épargne même la honte. Voilà une résolution bien modérée mais encore ne presse-t-il pas l'exécution. Il veut attendrelanuit, cette sage conseillère dans nos ennuis, dans nos promptitudes, dans nos précipitations dangereuses. Et en effet cette nuit lui découvrira le mystère, un ange viendra éclaircir ses doutes et j'ose dire, Messieurs, que Dieu devoit ce secours au juste Joseph. Car puisque la raison humaine soutenue de la grace s'étoit élevée à son plus haut point, il falloit que le Ciel achevât le reste et celui-là étoit digne de savoir la vérité, qui sans l'avoir reconnue, n'avoit pas laissé néanmoins de pratiquer la justice McW<o re.~pONSMMt SM~e?M'< mox divinum, cui humano de/:CMn~ constMoju~Ma non defecit 1.
Certainement saint Jean Chrysostome a raison d'admirer ici la philosophie de Joseph'. C'étoit, dit-il, un grand philosophe parfaitement détaché de ses passions, puisque nous lui voyons surmonter la plus tyrannique de toutes. Combien est maure de ses mouvemens un homme qui en cet état est capable de prendre conseil, et un conseil modéré, et qui l'ayant pris si sage, peut encore en suspendre l'exécution, et dormir parmi ces pensées d'un sommeil tranquille? Si son ame n'eùt été calme, croyez que les lumières d'en haut n'y seroient pas sitôt descendues. Il est donc indubitable, mes Frères, qu'il étoit bien détaché de ses passions, tant de celles qui charment par leur douceur que de celles qui entrament par leur violence.
Plusieurs jugeront peut-être qu'étant si détaché de ses passions, c'est un discours superflu de vous dire qu'il l'est (a) aussi de ses intérêts. Mais je ne sais pas, chrétiens, si cette conséquence est bien assurée. Car cet attachement à notre intérêt est plutôt un vice qu'une passion, parce que les passions ont leur cours et consistent dans une certaine ardeur que les emplois changent, que l'ame modère, que le temps emporte, qui se consume enfin elle-même au lieu que l'attachement à l'intérêt s'enracine de plus en plus par le temps (&), parce que, dit saint Thomas venant S. Petr. Chrysol., Serm. CLXXV. – /') JtMM., hom. tv, n. 4. U-!I, quaest. cxnif, art. 1, ad 3.
(a) )~f. C'est une suite infaillible qu'il l'est. (t) Avec t'âge.
de foiblesse, il se fortifie tous les jours à mesure que tout le reste se débilite et s'épuise. Mais quoi qu'il en soit, chrétiens, il n'est rien de plus dégagé de cet intérêt que l'ame du juste Joseph. Représentez-vous un pauvre artisan qui n'a point d'héritage que ses mains, point de fonds que sa boutique, point de ressource que son travail; qui donne d'une main ce qu'il vient de recevoir de l'autre, et se voit tous les jours au bout de sou fonds; obligé néanmoins à de grands voyages, qui lui ôtent toutes ses pratiques ( car il faut parler de la sorte du père de Jésus-Christ !), sans que l'ange qu'on lui envoie lui dise jamais un mot de sa subsistance. Il n'a pas eu honte de souffrir ce que nous avons honte de dire humiliez-vous, ô grandeurs humaines! Il va néanmoins, sans s'inquiéter, toujours errant, toujours vagabond, seulement parce qu'il est avec Jésus-Christ trop heureux de le posséder à ce prix. Il s'estime encore trop riche, et il fait tous les jours de nouveaux efforts pour vider son cœur, afin que Dieu y étende ses possessions et y dilate son règne; abondant, parce qu'il n'a rien; possédant tout, parce que tout lui manque; heureux, tranquille, assuré, parce qu'il ne rencontre ni repos, ni demeure, ni consistance. C'est ici le dernier effet du détachement de Joseph, et celui que nous devons remarquer avec une réflexion plus sérieuse. Car notre vice le plus commun et le plus opposé au christianisme, c'est une malheureuse inclination de nous établir sur la terre; au lieu que nous devons toujours avancer, et ne nous arrêter jamais nulle part. Saint Paul, dans la divine Epitre aux Hébreux, nous enseigne que Dieu nous a bâti une cité « Et c'est pour cela, dit-il, qu'il ne rougit pas de s'appeler notre Dieu x Meô non COM/MMditur lieus vocai'i Deus eorKm.' parat~cKt/H iltis civ itatem Et en effet, chrétiens, comme le nom de Dieu est un nom de père, il auroit honte avec raison de s'appeler notre Dieu, s'il ne pourvoyoit à nos besoins (a). U a donc songé, ce bon Père, à pourvoir soigneusement ses enfans il leur a préparé une cité qui a des fondemens, dit saint Paul, ~dameH~ Aa6~!<em civitatem', c'est-à-dire qui est solide et inébranlable. S'il a honte de n'y pas '~Mr.,x~)6.–M;,iO.
(a) Var.: S'il ne pensoit à nous établir.
pourvoir, quelle honte de ne l'accepter pas! Quelle injure faitesvous à votre patrie, si vous. vous trouvez bien dans l'exil [ Quel mépris faites-vous de Sion, si vous êtes à votre aise dans Habylone Allez et marchez toujours, et n'ayez jamais de demeure fixe. C'est ainsi qu'a vécu le juste Joseph. A-t-il jamais goûté un moment de joie, depuis qu'il a eu Jésus-Christ en garde? Cet Enfant ne laisse pas les siens en repos il les inquiète toujours dans ce,qu'ils possèdent, et toujours il leur suscite quelque nouveau tiouble.
M nous veut apprendre, mes Soeurs, que c'est un conseil de la miséricorde de mêler de l'amertume dans toutes nos joies (a). Car nous sommes des voyageurs, exposés pendant le voyage à l'intempérie de l'air et à l'irrégularité des saisons. Parmi les fatigues d'un si long voyage, l'âme épuisée par le travail, cherche quelque lieu pour se délasser. L'un met son divertissement dans un emploi l'autre a sa consolation dans sa femme, dans son mari, dans sa famille l'autre son espérance en son fils. Ainsi chacun se partage, et cherche quelque appui sur la terre. L'Evangile ne blâme pas ces affections mais comme le cœur humain est précipité dans ses mouvemens, et qu'il lui est difficile de modérer ses désirs, ce qui lui étoit donné pour se relâcher, pe i à peu il s'y repose et enfin il s'y attache. Ce n'étoit qu'un bâton pour le soutenir pendant le travail du voyage, il s'en fait un lit pour s'y endormir; et il demeure, il s'anête, il ne se souvient plus de Sion. !7H!'t)6)'SMMt ~<m~m ejus versasti in ~nH!~e gjMS Dieu lui renverse ce lit où il s'endormoit parmi les félici tés temporelles, et par une plaie salutaire il fait sentir à ce cœur combien ce repos étoit dangereux. Vivons donc en ce monde comme détachés. Si nous y sommes comme n'ayant rien, nous y serons en effet comme possesseurs de tout si nous nous détachons des créatures, nous y gagnerons *le Créateur; et il ne nous restera plus que de nous cacher avec Joseph, pour en jouir dans la retraite et la solitude c'est notre dernière paitie.
Psal. IL, 4.
(a) t~ay. De nous troubler dans toutes nos joies. C'est ce que dit. le divto Psalmiste, que Dieu renverse le lit de ses serviteurs. Parmi ces incommodités de la vie, le cœuf soupire après quelque appui.
TROtSfÈMEPOtKT.
La justice chrétienne est une affaire particulière de Dieu avec l'homme, et de l'homme avec Dieu; c'est un mystère entre eux deux, qu'on profane quand on le divulgue, et qui ne peut être caché avec trop de religion à ceux qui ne sont pas du secret. C'est pourquoi le Fils de Dieu nous ordonne, lorsque nous avons dessein de prier, et le même doit s'entendre de toutes les vertus chrétiennes il nous ordonne, dis-je, de nous retirer en particulier, et de fermer la porte sur nous « Fermez, dit-il, la porte sur vous, et célébrez votre mystère avec Dieu tout seul, sans y admettre personne que ceux qu'il lui plaira d'appeler « Solo pectoris contentus arcano orationem tuam fac esse mysterium Ainsi la vie chrétienne doit être une vie cachée et le chrétien véritable doit désirer ardemment de demeurer (a) couvert sous l'aile de Dieu sans avoir d'autre spectateur.
Mais ici toute la nature réclame et ne peut souffrir cette obscurité, dont voici la raison, si je ne me trompe c'est que la nature répugne à la mort et vivre caché et inconnu, c'est être comme mort dans l'esprit des hommes. Car comme la vie est dans l'action, celui qui cesse d'agir semble avoir aussi cessé de vivre (b). Or, mes Sœurs. les hommes du monde accoutumés au tumulte et aux empressemens, ne savent pas ce que c'est qu'une action paisible et intérieure; et ils croient qu'ils n'agissent pas s'ils ne s'agitent, et qu'ils ne se remuent pas s'ils ne font du bruit; de sorte qu'ils considèrent la retraite et l'obscurité comme une extinction delà vie au contraire ils mettent tellement la vie dans cet éclat du monde et dans ce bruit tumultueux, qu'ils osent bien se persuader qu'ils ne seront pas tout à fait morts, tant que leur nom fera du bruit sur la terre. C'est pourquoi la réputation leur paroit comme une seconde vie ils comptent pour beaucoup de survivre dans la mémoire des hommes; et peu s'en faut qu'ils ne croient qu'ils sortiront en secret de leurs tombeaux pour entendre ce J~a«A VJ, 6. – 'S. Chrysost., :t JtfaMA., bom. Xix, n. 3.
(a) Var.: Et celui-là n'est pas un vrai chrétien, qui ne peut pas se résoudre à demeurer. (t) A cessé de vivre.
qu'on dira d'eux tant ils sont persuadés que vivre, c'est faire du bruit et remuer encore les choses humaines, parce qu'ils mettent la vie dans le bruit. Voilà l'éternité que promet le siècle éternité par les titres, immortalité par la renommée: QMa~tNpote~prfBstare sœcM~?H de titulis (B~rn~a~m, de ~tma immortalitatem t. Vaine et fragile immortalité, mais dont ces anciens conquérans faisoient tant d'état. C'est cette fausse imagination qui fait que l'obscurité semble une mort aux amateurs du monde et même, si je l'ose dire, quelque chose de plus dur que la mort, puisque selon leur opinion vivre caché et inconnu, c'est s'ensevelir tout vivant et s'enterrer pour ainsi dire au milieu du monde. Notre-Seigneur Jésus-Christ étant venu pour mourir et s'immoler, il a voulu mourir et s'immoler pour nous en toutes manières de sorte qu'il ne s'est point contenté, mes Sœurs, de mourir de la mort naturelle, ni de la mort la plus cruelle et la plus violente; mais il a encore voulu y ajouter la mort civile et politique. Et comme cette mort civile vient par deux moyens, ou par l'infamie, ou par l'oubli, il a voulu subir l'une et l'autre. Victime pour l'orgueil humain il a voulu se sacrifier par tous les genres d'humiliations; et il a donné à cette mort d'oubli les trente premières années de sa vie. Pour mourir avec Jésus-Christ, il nous faut mourir de cette mort, afin de pouvoir dire avec saint Paul MzTtt mundus crucifixus est, et ego mMn~o « Le monde est crucifié pour moi, et je suis crucifié pour le monde. » Le grand pape saint Grégoire donne à ce passage de l'Apôtre une belle interprétation Le monde, dit-il est mort pour nous quand nous le quittons; mais, ajoute-t-il, ce n'est pas assez il faut pour arriver à la perfection, que nous soyons morts pour lui et qu'il nous quitte; c'est-à-dire que nous devons nous mettre en tel état que nous ne plaisions plus au monde, qu'il nous tienne pour morts, et qu'il ne nous compte plus pour être de ses parties et de ses intrigues, ni même de ses entretiens et de ses discours. C'est la haute perfection du christianisme, c'est là que l'on trouve la vie, parce que l'on apprend à jouir de Dieu, qui n'habite pas TertuH., Scorp., n. 6. – Ga/a~ v;, t4. – Aff)ro/. ;M ~06., )ib. V, cap. m.
dans le tourbillon ni dans le tumulte du siècle, mais dans la paix de la solitude et de la retraite.
Ainsi étoit mort le juste Joseph enseveli avec Jésus-Christ et la divine Marie, il ne s'ennuyoit pas de cette mort, qui le faisoit vivre avec le Sauveur. Au contraire il ne craint rien tant que le bruit et la vie du siècle viennent troubler, ou interrompre ce repos caché et intérieur. Mystère admirable, mes Sœurs Joseph a dans sa maison de quoi attirer les yeux de toute la terre, et le monde ne le connoît pas il possède un Dieu-Homme, et il n'en dit mot il est témoin d'un si grand mystère, et il le goûte en secret sans le divulguer. Les mages et les pasteurs viennent adorer Jésus-Christ, S'méon et Anne publient ses grandeurs nul autre ne pouvoit rendre meilleur témoignage du mystère de JésusChrist què celui qui en étoit le dépositaire, qui savoit le miracle de sa naissance, que l'ange avoit si bien instruit de sa dignité et du sujet de son envoi. Quel père ne parleroit pas d'un fils si aimable? Et cependant l'ardeur de tant d'ames saintes qui s'épanchent 'devant lui avec tant de zèle pour célébrer les louanges de JésusChrist, n'est pas capable d'ouvrir sa bouche pour leur découvrir le secret de Dieu qui lui a été confié. Erant mirantes, dit l'Evangéliste ils paroissoient étonnés, il sembloit qu'ils ne savoient rien ils écoutoient parler tous les autres; et ils gardoient le silence avec tant de religion, qu'on dit encore dans leur ville au bout de trente ans « N'est-ce pas le fils de Joseph ~? e sans qu'on ait rien appris durant tant d'années du mystère de sa conception virginale. C'est qu'ils savoient l'un et l'autre que, pour jouir de Dieu en vérité, il falloit se faire une solitude, qu'il falloit rappeler .en soi-même tant de désirs qui errent et tant de pensées qui s'égarent, qu'il falloit se retirer avec Dieu et se contenter de sa vue (a). Mais, chrétiens, où trouverons-nous ces hommes spirituels et t Luc., H, 33. ~<MM., VI, 4!.
(a) Var. 0 Dieu, j'adore avec un profond respect les voies impénétrables de votre sagesse. J'admire la diversité des vocations par lesquelles votre Providence daigne dispenser les emplois des hommes, ordonnant aux uns de publier ce que vous confiez à l'autre en secret et sous l'obligation du silence, sanctifiant les prédicateurs par ia publication de votre mystère, et Joseph par le soin de le couvrir, rendant la vie des uns illustre et glorieuse par tout l'univers, et donnant pour partage au juste Joseph d'être cache avec vous. 0 Dieu, soyez béni éternellement.
intérieurs dans un siècle qui donne tout à l'éclat? Quand je considère le4,hommes, leurs emplois, leurs occupations, leurs empressemens, je trouve tous les jours plus véritable ce qu'a dit saint Jean Chrysostome', que si nous rentrons en nous-mêmes, nous trouverons que nos actions se font toutes par des vues humaines. Car pour ne point parler en ce lieu de ces ames prostituées qui ne tâchent que de plaire au monde, combien pourrons-nous en trouver qui ne se détournent pas de la droite voie, s'ils rencontrent en leur chemin les puissances qui ne se relâchent du moins, s'ils ne se ralentissent pas tout à fait qui ne tâchent de se ménager entre la justice et la faveur, entre le devoir et la complaisance? Combien en trouverons-nous à qui le préjugé des opinions, la tyrannie de la coutume, la crainte de choquer le monde, ne fassent ~pas chercher du moins des tempéramens pour accorder Jésus-Christ avec Bélial, et l'Evangile avec le siècle? Que s'il y en a quelques-uns en qui les égards humains n'étouffent ni ne resserrent les sentimens de la vertu, y en aura-t-il quelqu'un qui ne se lasse pas d'attendre sa couronne en l'autre vie, et qui ne veuille pas en tirer toujours quelque fruit (a) par avance dans les louanges des hommes? C'est la peste de la vertu chrétienne. Et comme j'ai l'honneur de parler en présence d'une graude reine, qui écoute tous les jours les justes applaudissemens de ses peuples, il me sera permis d'appuyer un peu sur cette morale. La vertu est comme une plante qui peut mourir en deux sortes quand on l'arrache, ou quand on la dessèche. Il viendra un ravage e d'eaux qui la déracinera et la portera par terre; ou bien, sans y employer tant de violence, il arrivera quelque intempérie qui la fera sécher sur son tronc elle paroîtra encore vivante, mais elle aura cependant la mort dans le sein. Il en est de même de la vertu. Vous aimez l'équité et la justice quelque grand intérêt se présente à vous, ou quelque passion violente qui pousse impétueusement dans votre cœur cet amour que vous avez pour la justice s'il se laisse emporter par cette tempête, ce sera un ravage d'eaux qui déracinera lajustice.Vous soupirez quelque temps sur ln ~o<~ Lom. xix, n. i.
(a) f~ar. Récompense.
l'anbiblissement que vous éprouvez; mais enfin vous laissez arracher eetamourdevotrecœur. Tout le monde est étonné de voir que vous avez perdu la justice, que vous cultiviez avec tant de soin. Mais quand vous aurez résisté à ces efforts violens, ne prétendez pas pour cela de l'avoir sauvée, si vous ne la gardez d'un autre péri), j'entends celui des louanges. Le vice contraire la déracine, l'amour des louanges la dessèche. Il semble qu'elle se tienne en état, elle paroît se bien soutenir, et elle trompe en quelque sorte les yeux des hommes. Mais la racine est séchée, elle ne tire plus de nourriture, elle n'est plus bonne que pour le feu. C'est cette herbe des toits dont parle David, qui se sèche d'elle-même avant qu'on l'arrache Quod priusquàm evellatur exaruit 1. Qu'il seroit à désirer, chrétiens, qu'elle ne fût pas née dans un lieu si haut, et qu'elle durât plus longtemps dans quelque vallée déserte ) Qu'il seroit à désirer pour cette vertu qu'elle ne fût pas exposée dans une place si éminente, et qu'elle se nourrît dans quelque coin par l'humilité chrétienne (a)
Que si c'est une nécessité qu'il faille mener une vie publique et entendre les louanges des hommes, voici ce qu'il faut penser. Quand ce que l'on dit n'est pas au-dedans, craignons un plus grand jugement (b). Si les louanges sont véritables, craignons de perdre notre récompense. Pour éviter ce dernier malheur, Madame, voici un sage conseil que vous donne un grand Pape, c'est saint Grégoire le Grand il mérite que Votre Majesté lui donne audience. Ne cachez jamais la vertu comme une chose dont vous ayez honte il faut qu'elle luise devant les hommes, afin qu'ils glorifient le Père céleste Elle doit luire principalement dans la personne des souverains, afin que les mœurs dépravées soient, non-seulement réprimées par l'autorité de leurs lois, mais encore confondues par la lumière de leurs exemples. Mais pour dérober quelque chose aux hommes, je propose à Votre Majesté un artifice innocent. Outre les vertus qui doivent l'exemple, PM~. cxxv!)[, 6. Greg. Mag jfo~ lib. XXII, cap. y;rf.– ~a«/t., v, i6. (a) Note marg. Par humilité chrétienne, à l'ombre de votre clôture, dans le secret de votre retraite. Le voile que vous portez sur vos têtes, ne croyez pas, mes Sœurs, que ce soit seulement pour cacher le corps et pour couvrir le visage. (&) Far. Châtiment.
« mettez toujours quelque chose dans l'intérieur que le monde ne connoisse pas; » faites-vous un trésor caché que vous réserviez pour les yeux de Dieu ou, comme dit Tertullien Af6H<!)'e aliquid ex his ~ee intùs sunt, ut soli Deo exhibeas t)e)'m MADAME,
Ce sera de là que sortira votre grande gloire. Joseph a mérité les plus grands honneurs, parce qu'il n'a jamais été touché de l'honneur l'Eglise n'a rien de plus illustre, parce qu'elle n'a rien de plus caché. Je rends grâces au Roi d'avoir voulu honorer sa sainte mémoire avec une nouvelle solennité. Fasse le Dieu tout-puissant que toujours il révère ainsi la vertu cachée; mais qu'il ne se contente pas de l'honorer dans le ciel, qu'il la chérisse aussi sur la terre; qu'à l'exemple des rois pieux il aille quelquefois la forcer dans sa retraite et qu'il puisse bien entendre cette vérité, que la vertu qui s'empresse avec plus d'ardeur à paroître au grand jour que fait sa présence, n'est pas toujours le plus à l'épreuve. Si Votre Majesté, Madame, lui inspire ces sages pensées, elle aura pour sa récompense la félicité éternelle, que, etc. Amen.
PANÉGYRIQUE
DE E
SAINT BENOIT (a).
Egredere.
Sors.CeM~xn,
Le croirez-vous, mes Frères, si je vous le dis, que toute la doctrine de l'Evangile, toute la discipline chrétienne, toute la perDe Virg. veland., n. <C.
(a) PrëcM dans une éghse de Bénédictins, à Paris, un 2t mars, vers 1665. Le prédicateur dit «. Les belles règles de sobriété qu'il vous a données (eamt Benoît): » il parloit donc à des Bénédictins.
11 renvoie au Sermon sur la PM)t'ea<o~ qui fut prêché au Louvre le 2 février t
fection de la vie monastique est entièrement renfermée dans cette seule parole Egredere, « Sors ? La vie du chrétien est un long et infini voyage durant le cours duquel, quelque plaisir qui nous attache, quelque compagnie qui nous arrête (<t), quelque ennui qui nous prenne, quelque fatigue qui nous accable, aussitôt que nous commençons de nous reposer, une voix divine s'élève d'en haut qui nous dit sans cesse et sans relâche Eg~de)'~ « Sors, o et nous ordonne de marcher plus outre. Telle est la vie chrétienne, et telle est par conséquent la vie monastique. Car qu'est-ce qu'un moine véritable, et un moine digne de ce nom sinon un parfait chrétien ? Faisons donc voir aujourd'hui, dans le Père et le Législateur, le modèle de tous les moines, la pratique exacte de ce beau précepte, après avoir imploré le secours d'en haut, etc. Dans ce grand et infini voyage où nous devons marcher sans repos et nous avancer sans relâche, je remarque trois états et comme trois lieux où nous avons coutume de nous arrêter ou bien nous nous arrêtons dans le plaisir des sens, ou bien dans la 1662; il composa donc le Pfttt~t/fi~u* de saint Benoit après cette époque. D'une autre part, il a simplement esquissé las parties principales du discours; et nous savons qu'il n'adopta ce genre de composition que vers le milieu de la deuxième époque, lorsque l'usage de la chaire l'eut rendu complètement maître de l'expression nous vailà donc ramenés a la date approximative de 1665. Outre le Sermon sur la Purefication, Bossuet en indique deux autres un premier Panégyrique de saint Benoît, puis un Panégyrique de saint f/toma: de ~t~'t~MU?; ces ouvrages ne sont pas arrivés jusqu'à nous, l'évêque de Troyes les a perdus.
On trouvera les deux passages que voici; d'abord: Les vents sont bridés, toutes les tempêtes apaisées, le ciel est serein, la mer est unie, le vaisseau s'avance tout seul; « ensuite « L'esprit se laisse aller et sommeille assuré sur la face de la mer calmée, )I lâche le gouvernail et laisse aller le vaisseau à l'abandon; les vents se soulèvent, il est submergé. o On voit que ces deux passages sont imités de Vu'gile (vEn~d hb. V ). Dans l'entraînement de la composition, l'auteur chrétien avoit joint au premier ces mots du poête latin Ferunt tpM <B~uora nNt'Mt; et au second 0 n:mtum cce/o et p~oyo confise sereno! Dans une seconde lecture, trouvant ces citat ons profanes indignes de la chaire évangélique, il les a effacées. Déforis et après lui tous ses successeurs les ont rétaMies.
Et puisque nous venons de nommer Déforis, ajoutons qu'il a fini l'ébauche de Bossuet. Le peintre avoit simplement esquissé le discours; le rapm l'a badieonné d'un bout à l'autre.
Enfin nous avons imprimé d'après le manuscrit original, qui se trouve la bibliothèque du séminaire de Meaux.
(a) Var, Quelque plaisir qui nous flatte, quelque compagnie qui nous amuse.
satisfaction de notre esprit propre et dans l'exercice de notre liberté, ou bien enfin dans la vue de notre perfection. Voilà comme trois pays étrangers dans lesquels nous nous arrêtons, et ensuite nous n'arrivons pas en notre patrie (a).
Mais pour aller à la source et rendre la raison profonde de ces trois divers égaremens, considérons tous les pas et remarquons les divers progrès que fait l'âme durant ce voyage. Ou nous nous arrêtons au-dessous de nous, ou nous nous arrêtons en nousmêmes, ou nous nous arrêtons au-dessus de nous. Lorsque nous nous attachons au plaisir des sens, nous nous arrêtons au-dessous de nous. C'est le premier attrait de l'âme encore ignorante, lorsqu'elle commence son voyage. Elle trouve premièrement en son chemin cette basse région; elle y voit des fleuves qui coulent, des fleùrs qui se flétrissent (b) du matin au soir, tout y passe dans une grande inconstance. Mais dans ces fleuves qui s'écoulent, elle trouve de quoi rafraîchir sa soif, elle promène ses désirs errans dans celte variété d'objets; etquoiqu'elle perde toujours ce qu'elle possède, son espérance flatteuse ne cesse de l'enchanter (c), de telle sorte qu'elle se plaît dans cette basse région, Egredere, a Sorn a songe que tu es faite à l'image de Dieu, rappelle ce qu'il y a en toi de divin et d'immortel veux-tu être toujours captive des choses inférieures? Que si elle obéit à cette voix en sortant de ce pays, elle se trouve comme dans un autre qui n'est pas moins dangereux pour elle c'est la satisfaction de son esprit propre. Nuls attraits que ses désirs, nulle règle que ses humeurs, nulle conduite que ses volontés. Elle n'est plus au-dessous d'elle; elle commence à s'arrêter en elle même la voilà dans des objets et dans des attaches qui sont plus convenables à sa dignité. Et toutefois l'oracle la presse,'et lui dit encore Egredere, « Sors. Ame, ne sens-tu pas par je ne sais quoi de pressant qui te pousse audessus de toi, que tu n'es pas faite pour toi-même ? Un bien infini t'appelle; Dieu même te tend les bras sors donc de cette seconde région, c'est-à-dire de la satisfaction de ton esprit propre. Ainsi, mes Frères, elle arrivera à ce qu'il y a de plus relevé et (a) t~of. Et n'arrivons jamais à notre patrie. (A) Qui se fanent. (c) De J'amuser.
<
<!c plus sublime, et commencera de s'unir à Dieu; et alors ne lui sera-t-il pas permis de se reposer? Non, il n'y a rien de plus dangereux. Car c'est là qu'une secrète complaisance fait qu'on s'endort dans la vue de sa propre perfection; tout est calme, tout est accoisé; toutes les passions sont vaincues, toutes les humeurs domptées; l'esprit même, avec sa fierté et son audace naturelle, abattu et mortifié il est temps de se reposer. Non, non; Egredere, « Sors. » Il nous est tellement ordonné de cheminer sans relâche, qu'il ne nous est pas même permis de nous arrêter en Dieu. Car quoiqu'il n'y ait rien au-dessus de lui à prétendre; il y a tous les jours à faire en lui de nouveaux progrès et il découvre pour ainsi dire tous les joùrs à notre ardeur de nouvelles infinités. Ainsi nous renfermer dans certaines bornes, c'est entreprendre de resserrer l'immensité de sa nature.
Allez donc sans vous arrêter jamais; perdez la vue de toute la perfection que vous pouvez avoir acquise; marchez de vertus en vertus si vous voulez être dignes de voir le Dieu des dieux en Sion. Telle est la vie chrétienne; telle est l'institution monastique, conformément à laquelle nous regarderons saint Benoît dans une continuelle sortie de lui-même, pour se perdre saintement en Dieu. Nous le verrons premièrement sortir des plaisirs des sens par la mortification et la pénitence; secondement, de la satisfaction de l'esprit par l'amour de la discipline et de la régularité monastique; enfin sortir de la vue de sa propre perfection par une parfaite humilité et un ardent désir de croître. C'est le sujet de ce discours.
PREMIER POINT.
Nous lisons de l'enfant prodigue qu'en sortant de la maison paternelle, il fut en une région fort éloignée 2K re~onem longinqMHM 1. C'est l'image des égaremens de notre âme qui s'étant retirée de Dieu, ô qu'il est vrai qu'elle s'est perdue dans une région bien éloignée, jusqu'à être captive des sens. Voyez en quelle hauteur elle devoit être. (a) ();<t futurus fuerat etiam carne 1 fM., xv; 13.
(a) Note marg. Voy. Sa'm. de la PMt't'ca<tfM, au Louvre.
~p!'r:'<Ka~'s t, parce que l'esprit devoit régir, etc. Voilà où elle étoit établie. T~ac~MS est etiam ?K6n<e cHmaM~ voilà l'extrémité, voilà l'exil où elle a été reléguée. Description de cet exil (a). Egredere, egredere, sors, sors d'une si infàme servitude et d'un bannissement si honteux Caveatur cMec~'o, cui mentem enervandam non oportet c/an ~ot'~MdtMm sMam ad te custodiant, nec Mm spargant in deliciosas lassitudines
Saint Benoît a écouté cette voix à Rome, parmi la jeunesse licencieuse. Aussitôt qu'il fut arrivé à cet âge ardent où je ne sais quoi commence à se remuer dans le cœur, que la contagion des mauvais exemples et sa propre inquiétude précipitent à toute sorte d'excès, aussitôt il se sentit obligé à prêter l'oreille attentive à celui qui lui disoit Egredere, « Sors. » J'aurois besoin d'emprunter ici les couleurs de la poésie pour vous représenter vivement cette affreuse solitude, ce désert horrible et effroyable dans lequel il se retira. Un silence affreux et terrible, qui n'étoit interrompu que par les cris des bêtes sauvages; et comme si ce désert épouvantable n'eût pas été suffisant pour sa retraite, au milieu de ces vallons inhabités et de ces roches escarpées, il se choisit encore un trou profond, dont les bêtes mêmes n'auroient pu qu'à peine faire leur tanière. C'est là que se cache ce saint jeune homme, ou plutôt c'est là qu'il s'enterre tout vivant, pour y faire mourir tous les sens, jusqu'aux affections les plus naturelles.
Sa vie. Le religieux Romain le nourrit du reste de son jeûne. (b) Ah 1 dans les superftuites et dans l'abondance, nous ne trouvons rien pour les pauvres et celui-ci dans sa pauvreté, après que la pénitence avoit soigneusement retranché tout ce qu'elle pouvoit, ne laisse pas de trouver encore de quoi nourrir saint Benoît; et tous deux vivent ensemble, non tant d'un même repas que d'un même jeûne.
C'est, mes Pères, dans cette retraite et parmi ces austérités qu'il méditoit ces belles règles de sobriété qu'il vous a données premièrement, d'ôter à la nature tout le superflu; secondement, S. August., De C!M<. Dei, lib XtY, cap. X)Y. – /M. S. August., Confess, lib. X, cap. xxxm. – 7&M., cap. xxxiv.
(a) Voy. Etat de l'ame sous la dépendance des sens, Xf MËDtTAT;û!) suit LA PURETÉ. (b) Note marg. Voy. S~'mon de M!t!( Benoit.
pour s'empêcher de prendre du goût en prenant le nécessaire, rappeler l'esprit au dedans par la lecture et la méditation, ut non tam ccenam c<BKCn<, ~amdtSCtpKttam troisièmement, d'être sans inquiétude à l'égard de ce nécessaire, ne donner pas cet appui aux sens, que l'aliment nécessaire leur est assuré aucune prévoyance humaine, abandon à la Providence, ne pas plus craindre la faim que les autres maux donner aux pauvres tout ce qui reste..
Mais voyons néanmoins encore comme il sortira de l'amour de ces infâmes plaisirs, dont les ardeurs insensées nous poussent à des excès si horribles. Saint Grégoire de Nysse a remarqué que l'Apôtre parle différemment de cette passion et des autres. Il veut qu'on fasse tête contre tous les vices, et il n'y a que celui-ci contre lequel il ordonne de s'assurer par la fuite. S<a<e succincti lumbos M~i'cs demeurez, mettez-vous en défense, faites ferme. Mais parlant du vice d'impureté, toute l'espérance est dans la fuite et c'est pourquoi il a dit FM~e ~onu'M~'OKgMî ~7tKtare pr<sc~MtM, dit saint Grégoire de Nysse tout le précepte de la milice dans cette guerre, c'est de savoir fuir, parce que tous les traits donnent dans les yeux, et par les yeux dans le cœur, si bien que le salut est d'éviter la rencontre et de détourner les regards.
Quel autre avoit pratiqué avec plus de force cette noble et généreuse fuite que notre Saint ? Mais, 6 foiblesse de notre nature, qui trouve toujours en elle-même le principe de sa perte 1 le feu infernal le poursuit jusque dans cette grotte affreuse. Déjà elle lui paroît insupportable, déjà il regarde le monde d'un œil plus riant. Ses épines (ft). Saint Grégoire. Vo~Kp~afem~'a~ùtdo~rëMt'. Le sentiment de la volupté avoit éveillé tous les sens, pour les appeler à la participation de ces douceurs pernicieuses; et pour détourner le cours de ces ardeurs sensuelles, il excite le sentiment de la douleur, qui éveille tous les sens d'une autre manière, pour les noyer dans l'amertume Voluptatem traxit in dolorem « Il Tertull., Apolog., n. 39. – Ep/tM., vi, 14. 1 Cor., vi, 18. – Oro<. de fug. /bt-ntc. – S. Gregor. Mag., Dt'a/oy., lib. Il, cap. !f.
(a) Note marg.: Voy. Sermon de saint Benoit.
tira en douleur tout le sentiment de la volupté. n C'est à quoi il employa ces épines elles rappelèrent en son souvenir, et l'ancienne malédiction de notre nature, et les supplices que le Sauveur a soufferts pour nos voluptés infâmes.
C'est ce que doit faire en nous le plaisir des sens aussitôt qu'il commence à se réveiller, cette douceur trompeuse dont il nous séduit, nous doit rappeler la mémoire de ce trouble, de cette alarme, de cette amertume, où ces excès ont plongé la sainte ame de notre Sauveur. Ne croyons pas que ce combat nous soit inutile au contraire la victoire nous est assurée. Saint Benoi! par ce seul effort a vaincu pour jamais la concupiscence (a) Exercet mincra c6Wa?KÙ!6~, non ~'r~Mm tHm~M~'one, sed /<os<tMM 1. Sortez donc du plaisir des sens; mais prenez garde, mes Frères, qu'en sortant de cet embarras pour aller à Dieu librement, vous ne vous arrêtiez pas en chemin, et ne soyez pas retenus par la satisfaction de l'esprit.
SECOND POINT.
Saint Augustin nous apprend que dans cette grande chute de notre nature, l'homme en se séparant de Dieu tomba premièrement sur soi-même. Il n'en est pas demeuré là, à la vérité; et s'étant brisé par l'effort d'une telle chute, ses désirs qui étoient réunis en Dieu, mis en plusieurs pièces par cette rupture, furent partagés deçà et delà et tombèrent impétueusement dans les choses inférieures. Mais ils ne furent pas précipités tout à coup à ce bas étage et notre esprit détaché de Dieu, demeura premièrement arrêté en lui-même par la complaisance à ses volontés et l'amour de sa liberté déréglée.
En effet cet amour de la liberté est la source du premier crime. Un saint pape nous apprend que a l'homme a été déçu par sa liberté x Sud in (B<erHMM h'6~«<e decep~ Il a été trompé par sa liberté, parce qu'il en a voulu faire une indépendance il a été trompé par sa liberté, parce qu'il l'a élevée jusqu'à l'audace S. August, Cont. 7M/<aH., lib. V<, cap. xvm, n. 56. – 2 De Ctt)t<. De~ tib. XIV, cap. x;n. – innocent. ), epist. xx;v, ad Cotte. Carth. (a) Voy. SermOH desaint Thomas ()J.).
de la rébellion il a été trompé par sa liberté, parce qu'il a voulu la fausse douceur de faire ce que nous voulons au préjudice de ce que Dieu veut. Tel est le péché du premier homme, qui ayant passé à ses descendans, tel qu'il a été dans la source, a imprimé au fond de nos cœurs une liberté indomptée et un amour d'indépendance.
Nous nous relevons de notre chute avec le même progrès par lequel nous sommes tombés. Comme donc, en nous retirant de Dieu, nous nous sommes arrêtés en nous-mêmes avant que de nous engager tout à fait dans les choses inférieures ainsi sortant de ce bas étage, nous avons beaucoup à craindre de nous arrêter encore à nous-mêmes plutôt que de nous réunir tout à fait à Dieu. C'est à quoi s'est opposé le grand saint Benoît, lorsqu'il vous a obligés si exactement à la loi de l'obéissance. (a) Laisser tous les ouvrages imparfaits, afin que l'ouvrage de l'obéissance soit parfaitement accompli. Image de la souveraineté de Dieu. Honorer la dépendance souveraine où sa grandeur et sa majesté tiennent toutes choses. Exactitude de la règle à décrire l'obéissance. Dompter par la discipline cette liberté indomptable, etc. Exhortation aux Pères de pratiquer l'obéissance. Les mondains~ à la servitude par la liberté; nous, à la liberté par la dépendance Nolens qub nollem pëffeneram Voulez-vous que vos passions soient invincibles? Qui de nous n'espère pas de les vaincre un jour'? Mais en les autorisant par notre liberté indocile, nous les mettons en état de ne pouvoir plus être réprimées. Vous suivez vos inclinations; vous faites ce que vous voulez; vous ne pouvez plus en être le maître, vous voilà où vous ne voulez pas. Vous vous engagez à cet amour, vous allez où vous voulez; vous ne pouvez plus vous en déprendre; et ces chaînes que vous avez vous-même forgées, etc. Vous voilà donc où vous ne voulez pas. Ainsi, à la servitude par la liberté.
Prenez une voie contraire allez à la liberté par la dépendance. Qu'est-ce que la liberté des enfans de Dieu, sinon une dilatation et une étendue d'un cœur qui se dégage de tout le fini? Egre1 S August., CoH/~M., lib. VtH, cap. v.
(a) Note mmrg. Voy. R<~M/. S. Beoachctt, cap. v.
dere; par conséquent coupez, retranchez. Notre volonté est finie; et tant qu'elle se resserre en elle-même, elle se donne des bornes. Voulez-vous être libre, dégagez-vous, n'ayez plus de volonté que celle de Dieu ainsi vous entrerez dans les puissances du Seigneur et oubliant votre volonté propre, vous ne vous souviendrez plus que de sa justice, (a)
Mais peut-être que vous direz Comment est-ce que saint Benoît a pratiqué cette obéissance, lui qui a toujours gouverné? Et moi je vous répondrai qu'il a pratiqué l'obéissance, lorsque malgré son humilité il a accepté le commandement. Je vous répondrai encore une fois qu'il a pratiqué l'obéissance, lorsqu'il s'estlaissé forcer par la charité à quitter la paix de sa retraite. Enfin je vous répondrai qu'il a pratiqué l'obeissance lorsqu'il a exercé son autorité. Quelle est la supériorité ecclésiastique? Dans le monde, l'autorité attire à soi les pensées des autres, captive leurs humeurs sous la sienne. Dans les supériorités ecclésiastiques on doit s'accommoder aux humeurs des autres, parce qu'on doit rendre l'obéissance non-seulement ponctuelle, mais volontaire; parce qu'on doit non-seulement régir, mais guérir les ames, non-seulement les conduire, mais les supporter. Saint Benoît a bien entendu cette vérité, lorsqu'il a dit ces mots touchant l'Abbé QMdMt ar~MMm sit regere animas et mM~orMHt servire H!on'6MS Admirable alliance! régir et servir, telle est l'autorité ecclésiastique. Il y a cette différence entre celui qui gouverne et celui qui obéit, que celui qui obéit ne doit obéir qu'à un seul, et que celui qui gouverne obéit à tous; si bien que sous le nom de Père, sous le nom de Supérieur et de Afa~re spirituel, il est effectivement serviteur de tous ses frères Omnium me servum fec! 1. Ainsi celui de tous dont la volonté est la plus captive, c'est le supérieur. Car il ne doit jamais agir suivant son inclination, mais selon le besoin des autres. Saint Benoît Exhortationibus, ~«Mt'ontbMS. correp~!oyt!~KS, omm&MS se conformet et aptet Nul, par conséquent, ne doit être plus dénué de son esprit propre et de sa propre volonté. Comparaison de l'eau et des corps solides qui ont leur figure Hfy., cap. u. – t Cor., ix, i0. – cap. n.
(a) Note marg.: Voy. Serm, Simt/eM< regnum ea'/orMn)~ etc.
propre. Ainsi ceux qui ont leur volonté ne fléchissent pas facilement aux besoms des autres. [a)
Exhortation à l'obéissance. C'est la guide des mœurs, le rempart de l'humilité, la vie de l'esprit et la mort assurée de l'amour, propre. Vous avez, mes Pères, un exemple domestique de la vertu de l'obéissance. Description de saint Maur et de saint Placide (b). A quoi attribuerai-je un si grand miracle? Ou à la force de l'obéissance, ou à celle du commandement? Grande question, dit saint Grégoire entre saint Benoît et saint Maur. Mais disons, pour la décider, que l'obéissance porte grâce pour accomplir l'effet du commandement, que le commandement porte grace pour donner efficace à l'obéissance.
Marchez, mes Pères, sur les flots avec le secours de l'obéissance; vous trouverez de la consistance au milieu de l'inconstance des choses humaines. Les flots n'auront point de force pour vous abattre, ni les abîmes pour vous engloutir. Vous demeurerez immuables comme si tout faisoit ferme sous vos pieds, etc. Mais quand vous serez arrivés à cette perfection éminente de renoncer à la satisfaction de votre esprit propre, ne vous arrêtez pas en si beau chemin Egredere, « sortez, passez outre.
TROISIÈME POINT.
La perfection chrétienne n'est pas dans un degré déterminé, elle consiste à croître toujours. Jésus-Christ en est le modèle; la nécessité de le suivre, l'impossibilité d'y atteindre, par conséquent avancer sans cesse et sans se relâcher jamais. Egredere, egredere; quelque part où vous soyez, passez outre. (c)
Le voyage chrétien est de tendre à une haute éminence par un chemin droit, avec un poids d'une pesanteur infinie qui nous Dia/o~ lib. Il, cap. vn.
(a) Note marg.: Voy. Serm. Saint Thomas de t~/meMtx.–(&) Déforis raconte ainsi, dans le texte même de Bossuet, le fait indiqué par le grand orateur: « Le jeune Placide, tombé dans un lac en y puisant de l'eau, est près de s'y noyer, lorsque saint Benoît ordonne à saint Maur, son fidèle disciple, de courir · promptement pour le retirer. Sur la parole de son maître, Maur part sans hésiter, sans s'arrêter aux difficultés de l'entreprise; et plein de confiance dans l'ordre qu'il avoit reçu, il marche sur les eaux avec autant de fermeté que sur la terre, et retire Placide du gouffre où il alfoit être abimé. » (c) Note marg. Serm. Sequere me, Ut* point.
entraîne en bas. Tel est l'état du chrétien il faut toujours être en action, toujours grimper, toujours faire effort. Car dans un chemin si droit, avec un poids si pesant (a), qui ne court pas retombe, qui languit meurt bientôt, qui ne fait pas tout ne fait rien, qui n'avance pas recule en arrière.
Saint Benoît, chapitre dernier de la Règle, après les avoir menés par tous les sentiers de la perfection, à la fin il les rappelle au premier pas, utinitiwn aliquod conversationis nos demons~retKMS habere. Toujours les tenir en haleine. Quisquis t~<M)' ad patriam CŒ~s!t'm ~Has, /tanc minimam inchoationis regulam, Deo adjuvante, perficias; et tune demùm ad majora doc<nna? virtulumque c~mma, Deo pfo~~fnfe, pervenies.
Deux raisons l'une, que si l'on croit être parvenu au but, si l'on croit avoir fait quelque progrès, on se relâche; le sommeil nous prend, on périt. Assoupissement de l'âme, qui croit être avancée dans la perfection. En nous, une partie languissante, qui est toujours prête à s'endormir, toujours fatiguée, toujours accablée, qui ne cherche qu'à se laisser aller au repos. L'esprit veille et dispute contre le sommeil: Vigilate Cette partie languissante et endormie lui dit pour l'inviter au repos Tout est calme, tout est tranquille; les passions sont vaincues, les vents sont bridés, toutes les tempêtes apaisées, le ciel est serein, la mer est unie, le vaisseau s'avance tout seul, etc. Voyez comme le ciel est serein. Ne voulez-vous pas prendre un peu de repos? L'esprit se laisse aller et sommeille assuré sur la face de la mer calmée et sur la protection du Ciel expérimentée souvent, il lâche le gouvernail, et laisse aller le vaisseau à l'abandon les vents se soulèvent, il est submergé. 0 esprit qui vous êtes fié vainement et en la grace du ciel et au calme trompeur de vos passions, vous servirez d'exemple à jamais des périls où jette les ames une folle et téméraire confiance 1
L'autre raison: la vanité. (b) E<tdeô vivo, quia ~Mmp/MS C'est dans cette vue, mes Pères, que saint Benoît, votre bienheureux législateur, vous ramène toujours au commencement, 1 Matth., ~V), 4t. – S. August., De nat. et grat., n. 3a.
(a) Var.: Pressant. – (&) Note ma~ Voy. Serm. De la M'~tMtte, à la Bu.
jugeant bien que la vie spirituelle ne peut subsister sans un continuel renouvellement de ferveur. C'est pour cela qu'il appelle l'accomplissement de sa règle un petit commencement. Car parlons en vérité de cette règle et pour couronner cette humilité qui l'a si saintement déprimée, relevons-la aujourd'hui et célébrons sa grandeur et sa perfection devant l'Eglise de Dieu. Cette règle, c'est un précis du christianisme, un docte et mystérieux abrégé de toute la doctrine de l'Evangile, de toutes les institutions des saints Pères, de tous les conseils de perfection. Là paroissent avec éminence la prudence et la simplicité, l'humilité et le courage, la sévérité et la douceur, la liberté et la dépendance là, la correction a toute sa fermeté, la condescendance tout son attrait, le commandement sa vigueur et la sujétion son repos, le silence sa gravité et la parole sa grace, la force son exercice et la foiblesse son soutien, etc. Et toutefois, mes Pères, il l'appelle un commencement pour vous nourrir toujours dans la crainte. Tremblez ici, chrétiens. Ceux qui sont dans le port frémissent, et ceux qui sont dans les tempêtes vivent assurés. 0 que ces voies sont contraires 1 que les uns ou les autres sont insensés 1 Qui jugera ce différend? qui décidera ce doute? qui terminera ce procès ? Chacun a pris son parti, et s'est intéressé dans sa propre cause. Jugez-nous, Sagesse; tranchez par votre autorité souveraine lesquels sont les sages, lesquels sont les fous. Ou si vous ne voulez pas nous :parler vous-même, faites parler votre Apôtre: Cum ?7:c<M et tremore 1. 0 vous qui êtes dans la voie de perfection, opérez votre salut avec tremblement. Car c'est Dieu seul qui vous tient. Si vous le quittez, il vous quitte si vous l'abandonnez, il vous abandonne; si vous vous relâchez, il vous laisse aller. Mais s'il vous quitte, vous le quittez encore plus; et s'il vous abandonne, vous vous éloignez jusqu'à l'infini; et s'il vous laisse aller, vous tombez jusqu'au fond du précipice. Que si ceux-là vivent en crainte, qui sont dans la voie de perfection, combien doivent être saisis de frayeur ceux qui s'abandonnent aux vices? Fi/)'edere, ~redere. Récapitulation de tout le voyage. Exhortation à l'amour de la patrie. Amen.
Philip., n, )2.
PREMIER PANÉGYRIQUE
DE E
SAINT FRANÇOIS DE PAULE (a). Charitas CAnsM urget nos.
La charité de Jésus-Christ nous presse. H Cor., v, 14.
Rendons cet honneur à l'humilité, qu'elle est seule digne de louanges. La louange en cela est contraire aux autres choses que nous estimons, qu'elle perd son prix étant recherchée, et que sa valeur s'augmente quand on la méprise. Encore que les philosophes fussent des animaux de gloire, comme les appelle Tertullien', PMosopAMS aHtma! (j~O)'MB, ils ont reconnu la vérité de ce que je viens de vous dire; et voici la raison qu'ils en ont rendue c'est que la gloire n'a point de corps, sinon en tant qu'elle Tertull. De anima, n. L
(a) Prêché à Metz, devant le maréchal et M"" de Schomberg, le 2 avril 1655. Que ce panégyrique ait été prêché devant le maréchal de Schomberg, rien de plus certain; car, s'adressant à un illustre personnage, l'orateur dit dans l'exorde « Les peuples que vous conservez ne perdront jamais la mémoire d'une si heureuse protection: ils diront à leurs descendans que, sous le grand maréchal de Schomberg, ils ont commencé à jouir du calme et de la douceur de la paix. x A ce premier fait, si nous ajoutons celui-ci, que le maréchal de Schomberg arriva comme gouverneur à Metz dans le mois d août 1652, et quitta cette ville dans le mois de mars 1656 nous verrons que le Panégyrique de saint Ffa~oM de Paule fut prêché de 1653 à )655; puis si nous en considérons le style, nous le daterons de cette dernière année 1655.
Pour le jour, on lit dans l'exorde « L'Eglise dit aujourd'hui dans la Collecte de saint François D<'MS, /tMmt<:M!K celsitudo. x Le panégyrique a donc été prononcé le jour de la fête, c'est a-dtre le 2 avril.
Cédant au goût de l'époque, Bossuet cite, dans le second point, un vers de Virgile. Plus tard il bannira de la chaire sacrée toute citation profane. Les apologistes du xixe siècle, après ceux du xvm", représentent souvent les maisons religieuses comme des refuges ouverts aux grandes passions, aux grands pécheurs, aux grands criminels. Bossuet connoissoit, lui, les asiles de la piété, de l'innocence et de la vertu; il dit dans le dernier point: «C'est là que se retirent les personnes les plus pures. »
est attachée à la vertu, dont elle n'est qu'une dépendance. C'est pourquoi, disoient-ils, il faut diriger ses intentions à la vertu seule la gloire, comme un de ses apanages, la doit suivre sans qu'on y pense. Mais la religion chrétienne élève bien plus haut nos pensées elle nous apprend que Dieu est le seul qui a de la majesté et de la gloire, et par conséquent que c'est à lui seul de la distribuer, ainsi qu'il lui plaît, à ses créatures, selon qu'elles s'approchent de lui. Or, encore que Dieu .soit très-haut, il est néanmoins inaccessible aux ames qui veulent trop s'élever, et on ne l'approche qu'en s'abaissant: de sorte que la gloire n'est qu'une ombre et un fantôme, si elle n'est soutenue par le fondement de l'humilité, qui attire les louanges en les rejetant. De là vient que l'Eglise dit aujourd'hui dans la Collecte de saint François: « 0 Dieu, qui êtes la gloire des humbles » Deus, /tMm!'MM)K celsitudo. C'est à cette gloire solide qu'il faut porter notre ambition.
Monseigneur, la gloire du monde vous doit être devenue en quelque façon méprisable par votre propre abondance. Certes, notre histoire ne se taira pas de vos fameuses expéditions, et la postérité la plus éloignée ne pourra lire sans étonnement toutes les merveilles de votre vie. Les peuples que vous conservez ne perdront jamais la mémoire d'une si heureuse protection ils diront à leurs descendans jusqu'aux dernières générations que sous le grand maréchal de Schomberg, dans le déréglement des affaires et au milieu de la licence des armes, ils ont commencé à jouir du calme et de la douceur de la paix.
Madame, votre piété, votre sage conduite, votre charité si sincère et vos autres généreuses inclinations auront aussi leur part dans cet applaudissement général de toutes les conditions et de tous les âges mais je ne craindrai pas de vous dire que cette gloire est bien peu de chose, si vous ne l'appuyez sur l'humilité. Viendra, viendra le temps, Monseigneur, que non-seulement les histoires, et les marbres, et les trophées, mais encore les villes, <t les forteresses, et les peuples, et les nations seront consumés par le même feu; et alors toute la gloire des hommes s'évanouira .en fumée, si elle n'est défendue de l'embrasement général par l'humilité chrétienne. Alors le Sauveur Jésus descendra en sa majesté
et assemblant le ciel et la terre pour faire l'éloge de ses serviteurs, dans une telle multitude il ne choisira, chrétiens, ni les César ni les Alexandre il mettra en une place éminente les plus humbles, les plus inconnus. Parce que le pauvre François de Paule s'est humilié en ce monde, sa vertu sera honorée d'un panégyrique éternel de la propre bouche du Fils de Dieu. C'est ce qui m'encourage, mes Frères, à célébrer aujourd'hui ses louanges à la gloire de notre grand Dieu et pour l'édincation de nos âmes. Bien que sa vertu soit couronnée dans le ciel, comme elle a été exercée sur la terre, il est juste qu'elle y reçoive les éloges qui lui sont dus. Pour cela implorons la grace de Dieu, par l'entremise de celle qui a été l'exemplaire des humbles, et qui fut élevée à la dignité la plus haute en même temps qu'elle s'abaissa par les paroles les plus soumises, après que l'ange l'eut saluée en ces termes Ave, Jtfana.
Si nous avons jamais bien compris ce que nous devenons par la grace du saint baptême et par la profession du christianisme, nous devons avoir entendu que nous sommes des hommes nouveaux et de nouvelles créatures en Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul nous exhorte de nous renouveler en notre ame et de ne marcher plus selon le vieil homme, mais en la nouveauté de l'Esprit de Dieu Do là vient que le Sauveur Jésus nous est donné comme un nouvel homme et comme un nouvel Adam, ainsi que l'appelle le même saint Paul'; et c'est lui qui selon la volonté de son Père est venu dans la plénitude des temps, afin de nous réformer selon les premières idées de cet excellent Ouvrier, qui dans l'origine des choses nous avoit faits à sa ressemblance. Par conséquent comme le Fils de Dieu est lui-même le nouvel homme, personne ne peut espérer de participer à ses graces, s'il n'est renouvelé à l'exemple de Notre-Seigneur, qui nous est proposé comme l'Auteur de notre salut et comme le Modèle de notre vie.
Mais d'autant qu'il étoit impossible que cette nouveauté admirable se fît en nous par nos propres forces, Dieu nous a donné .Ep&M., jv, 22 et seq. ) Cer., xv, t5.
l'Esprit de son Fils, ainsi que parle l'Apôtre Afï'stf Deus Spiritum P!7M sui et c'est cet Esprit tout-puissant qui venant habiter dans nos ames, les change et les renouvelle, formant en nous les traits naturels et une vive image de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, sur lequel nous devons être moulés. Pour cela il exerce en nos coeurs deux excellentes opérations, qu'il est nécessaire que vous entendiez, parce que c'est sur cette doctrine que tout ce discours doit être fondé.
Considérez donc, chrétiens, que l'homme, dans sa véritable constitution, ne pouvant avoir d'autre appui que Dieu, ne pouvoit se retirer aussi de lui qu'il ne lit une chute effroyable et encore que par cette chute il ait été précipité au-dessous de toutes les créatures, toutefois, dit saint Augustin, il tomba premièrement sur soi-même Pr~H~m incidit in S6?'p~MMt Que veut dire ce grand personnage, que l'homme tomba sur soi-même? Tombant sur une chose qui lui est si proche et si chère, il semble que la chute n'en soit pas extrêmement dangereuse; et néanmoins cet incomparable docteur prétend par là nous représenter une grande extrémité de misère. Pénétrons sa pensée, et disons que l'homme par ce moyen devenu amoureux de soi-même, s'est jeté dans un abîme de maux, courant aveuglément après ses désirs et consumant ses forces après une vaine idole de félicité qu'il s'est figurée à sa fantaisie.
Hé! fidèles, qu'est-il nécessaire d'employer ici beaucoup de paroles pour vous faire voir que c'est l'amour-propre qui fait toutes nos actions? N'est-ce pas cet amour flatteur qui nous cache nos défauts à nous-mêmes, et qui ne nous montre les choses que par l'endroit agréable? Il ne nous abandonne pas un moment et de même que si vous rompez un miroir, votre visage semble en quelque sorte se multiplier dans toutes les parties de cette glace cassée, cependant c'est toujours le même visage ainsi quoique notre ame s'étende et se partage en beaucoup d'inclinations différentes, l'amour-propre y paroît partout. Etant la racine de toutes nos passions, il fait couler dans toutes les branches ses vaines, mais douces complaisances si bien que l'homme s'arGalat., iv, 6. – 'De Trinit., il. XU, cap. xt, n. 16.
rêtant en soi-même, ne peut plus s'élever à son Créateur. Et qui ne voit ici un désordre tout manifeste?
Car Dieu étant notre fin dernière, en cette qualité notre cœur lui doit son premier tribut et ne savez-vous pas que le tribut du cœur, c'est l'amour ? Ainsi nous attribuons à nous-mêmes les droits qui n'appartiennent qu'à Dieu; nous nous faisons notre fin dernière nous ne songeons qu'à nous plaire en toutes choses, même au préjudice de la loi divine et par divers degrés nous venons à ce maudit amour qui règne dans les enfans du siècle et que saint Augustin définit en ces termes ~mo!' SM~ MS~Me C[<~ contemptum Dei' a L'amour de soi-même qui passe jusqu'au mépris de Dieu. C'est, contre cet amour criminel que le Fils de Dieu s'élève dans son Evangile, le condamnant à jamais par cette irrévocable sentence « Qui aime son ame la perd, et qui l'abandonne la sauve Qui ama< at~mam suam perdet eam, et qui odit animam suam custodit ecm Voyant que c'est l'amourpropre qui est cause de tous nos crimes, il avertit tous ceux qui veulent se ranger sous sa discipline que, s'ils ne se haïssent euxmêmes, il ne les peut recevoir en sa compagnie « Celui qui ne veut pas renoncer à soi-même pour l'amour de moi, n'est pas digne de moi n De cette sorte il nous arrache à nous-mêmes par une espèce de violence et déclarant la guerre à cet amour-propre qui s'élève en nous au mépris de Dieu, comme disoit tout à l'heure le saint évêque Augustin, il fait succéder en sa place l'amour de Dieu jusqu'au mépris de nous-mêmes Amor Dei usque ad contemptum SM~ dil le même saint Augustin
Par là vous voyez, chrétiens, les deux opérations de l'Esprit de Dieu. Car pour nous faire la guerre à nous-mêmes, ne faut-il pas qu'il y ait en nous quelque autre chose que nous? Et comment irons-nous à Dieu, si son Saint-Esprit ne nous y élève? Par conséquent il est nécessaire que cet Esprit tout-puissant lève le charme de l'amour-propre, et nous détrompe de ses illusions; et puisque faisant paroitre à nos yeux un rayon de cette ravissante beauté qui seule est capable de satisfaire la vaste capacité de nos 1 De C;M<. DM, lib. X)V, cap. xxvm. – '7c«t)., m, 25. JfaMA., x, 38. – S. August., loco mox cit.
ames, il embrase nos cœurs des flammes de sa charité, en telle sorte que l'homme, pressé auparavant de l'amour qu'il avoit pour soi-même, puisse dire avec l'apôtre saint Paul a La charité de Jésus-Christ nous presse Charitas Christi urget nos. Elle nous presse, nous incitant contre nous elle nous presse, nous portant au-dessus de nous; elle nous presse, nous détachant de nousmêmes elle nous presse, nous unissant à Dieu elle nous presse, non moins par les mouvemens d'une sainte haine que par les doux transports d'une bienheureuse dilection Charitas Christi urget nos.
Voilà, mes Frères, voilà ce que le Saint-Esprit opère en nos cœurs, et voilà le précis de la vie de l'incomparable François de Paule. Vous le verrez ce grand personnage, vous le verrez avec un visage toujours riant et toujours sévère. Il est toujours en guerre et toujours en paix toujours en guerre contre soi-même par les austérités de la pénitence toujours en paix avec Dieu par les embrassemens de la charité. Il épure la charité par la pénitence il sanctifie la pénitence par la charité. Il considère son corps comme sa prison, et son Dieu comme sa délivrance. D'une main, il rompt ses liens; et de l'autre il s'attache à l'objet qui lui donne la liberté. Sa vie est un sacrifice continuel. Il détruit sa chair par la pénitence il l'offie et la consacre par la charité. Mais pourquoi vous tenir si longtemps dans l'attente d'un si beau spectacle ? Fidèles, regardez ce combat: vous verrez l'admirable François de Paule combattant l'amour-propre par l'amour de Dieu. Ce vieillard que vous voyez, c'est le plus zélé ennemi de soi-même; mais c'est aussi l'homme le plus passionné pour la gloire de son Créateur c'est le sujet de tout ce discours.
PREMIER POINT.
Si dans cette première partie je vous annonce une doctrine sévère, si je ne vous prêche autre chose que les rigueurs de la pénitènce, fidèles, ne vous en étonnez pas. On ne peut louer un grand politique qu'on ne parle de ses bons conseils, ni faire l'éloge d'un capitaine fameux sans rapporter ses conquêtes. Partant que les chrétiens délicats, qui aiment qu'on les flatte par une doc-
trine lâche et complaisante, n'entendent pas les louanges du grave et austère François de Paule. Jamais homme n'a mieux compris ce que nous enseigne saint Augustin après les divines Ecritures, que la vie chrétienne est une pénitence continuelle. Certes dans le bienheureux état de la j ustice originelle, ces mots fâcheux de Mor!?'ca~:OK et de Pénitence n'étoient pas encore en usage, et n'avoient point d'accès (a) dans un lieu si agréable et si innocent. L'homme alors, tout occupé des louanges de son Dieu, ne connoissoit pas les gémissemens Non g~me!)a~ sed laudabat Mais depuis que par son orgueil il eut mérité que Dieu le chassât de ce paradis de délices, depuis que cet ange vengeur avec son épée foudroyante fut établi à ses portes pour lui en empêcher les approches, que de pleurs et que de regrets! Depuis ce temps-là, chrétiens, la vie humaine a été condamnée à des gémissemens éternels. Race maudite et infortunée d'un misérable proscrit (b) nous n'avons plus à espérer de salut, si nous ne fléchissons par nos larmes celui que nous avons irrité contre nous; et parce que les pleurs ne s'accordent pas avec les plaisirs, il faut nécessairement que nous confessions que nous sommes nés pour la pénitence. C'est ce que dit le grave Tertullien dans le traité si saint et si orthodoxe qu'il a fait de cette matière « Pécheur que je suis, dit ce grand personnage, et né seulement pour la pénitence c » Peccator omnium notarum cùm sim, nec ulli rei nisi pOBHt'~K~M? na<MS/ « Comment est-ce que je m'en tairai, puisqu'Adam même, le premier auteur et de notre vie et de notre crime, restitué en son paradis par la pénitence, ne cesse de la publier ? Super illâ tacere non pOMMm, qMam ipse quoque, et stirpis AMmanœ et of/eHsa? in DeMm princeps Adam, ë.romo~est restitutus in paradisum suum, non <ace< s.
C'est pourquoi le Fils de Dieu, venant sur la terre afin de porter nos péchés, s'est dévoué à la pénitence et l'ayant consommée par sa mort, il nous a laissé la même pratique et c'est à quoi nous nous obligeons trës-étroitement par le saint baptême. Le Serm. cccu, n. 3. S. Auguste in Psal. ïxtx, enar. u, n. i8. – D? Pa''it< n. 12.
(a) Var. D'entrée. (6) Banni.
baptême, n'en doutez pas, est un sacrement de pénitence, parce que c'est un sacrement de mort et de sépulture. L'Apôtre ne dit-il pas aux Romains qu'autant que nous sommes de baptises, nous sommes baptisés en la mort de Jésus, et que nous sommes en'sevelis avec lui ? JM morte Christi baptizati estis, consepulti ei per 6ap<<smMMt 'N'est-ce pas ce que nos pères représentoient par cette mystérieuse manière d'administrer le baptême ? On plongeoit les hommes tout entiers, et on les ensevelissoit sous les eaux. Et comme les fidèles les voyoient se. noyer pour ainsi dire dans les ondes de ce bain salutaire, ils se les représentoient tout changés en un moment par la vertu du Saint-Esprit, dont ces eaux étoient animées comme si sortant de ce monde en même temps qu'ils disparoissoient à leur vue, ils fussent ailés mourir et s'ensevelir avec le Sauveur, selon la parole du saint Apôtre Co~sPpM~t ei per baptismum. Rendez-vous capables, mes Frères, de ces anciens sentimenb de l'Eglise, et ne vous étonnez pas si l'on vous parle souvent de vous mortifier, puisque le sacrement par lequel vous êtes entrés dans l'Eglise vous a initiés tout ensemble et à l9. religion chrétienne et à une vie pénitente.
Mais puisque nous sommes sur cette matière et d'ailleurs que la Providence divine semble avoir suscité saint François de Paule, afin de renouveler en son siècle l'esprit de pénitence presque entièrement éteint par la mollesse des hommes, Il sera, ce me semble, à propos avant que de vous raconter (a) ses austérités, de vous dire en peu de mots les raisons qui peuvent l'avoir obligé à une manière de vivre si laborieuse, et tout ensemble de vous faire voir qu'un chrétien est un pénitent qui ne doit point donner d'autres bornes à ses mortifications que celles qui termineront le cours de sa vie. En voici la raison solide, que je tire de saint Augustin, dans une excellente homélie qu'il a faite de la pénitence Il y a deux sortes de chrétiens les uns ont perdu la candeur de l'innocence baptismale, et les autres l'ont conservée, quoiqu'à notre grande honte le nombre de ces derniers soit si petit dans le monde, qu'à peine doivent-ils être comptés. Or les Rom., v, 3, 4. – Serm. CCCLI, n. 3 et seq.
(a) Faf. Représenter.
uns et les autres sont obligés à la pénitence jusqu'au dernier soupir, et partant la vie chrétienne est une pénitence continuelle. Car pour nous autres misérables pécheurs, qui nous sommes dépouillés de Jésus-Christ dont nous avions été revêtus par le saint baptême, et qui nonobstant tant de confessions réitérées retournons toujours à nos mêmes crimes, quelles larmes assez amères et quelles douleurs assez véhémentes peuvent égaler notre ingratitude? N'avons-nous pas juste sujet de craindre que la bonté de Dieu, si indignement méprisée, ne se tourne en une fureur implacable? Que si sa juste vengeance est si grande contre les Gentils, qui ne sont jamais entrés dans son alliance, sa colère ne sera-t -elle pas d'autant plus redoutable pour nous, qu'il est plus sensible à un père d'avoir des enfans perfides que d'avoir de mauvais serviteurs? Donc si la justice divine est si fort enflammée contre nous, puisqu'il est impossible que nous lui puissions résister, que reste-t-il à faire autre chose, sinon de prendre son parti contre nous-mêmes, et de venger par nos propres mains les mystères de Jésus violés, et son sang profané, et son Saint-Esprit affligé, comme parlent les Ecritures 'j et sa Majesté oSensée ? C'est ainsi, c'est ainsi, chrétiens, que prenant contre nous le parti de la justice divine, nous obligerons sa miséricorde à prendre notre parti contre sa justice. Plus nous déplorerons la misère où nous sommes tomhés, plus nous nous rapprocherons du bien que nous avons perdu Dieu recevra en pitié le sacriGce du co?ur contrit, que nous lui offrirons pour la satisfaction de nos crimes et sans considérer que les peines que nous nous imposons ne sont pas une vengeance proportionnée, ce bon Père regardera seulement qu'elle est volontaire. Ne cessons donc jamais de répandre des larmes si fructueuses frustrons l'attente du diable par lapprsévérance~de notre douleur, qui étant subrogée en la place d'un tourment d'une éternelle durée, doit imiter en quelque sorte son intolérable perpétuité, en s'étendant du moins jusqu'à notre dernière agonie.
Mais s'il y avoit quelqu'un dans le monde qui eût conservé jusqu'à cette heure la grace du saint baptême, ô Dieu, le rare trésor ~4r., 29.
pour l'Eglise Toutefois qu'il ne pense pas qu'il soit exempt pour cela de la loi indispensable de la pénitence. Qui ne trembleroit pas, chrétiens, en entendant les gémissemens des ames les plus innocentes? Plus les saints s'avancent dans la vertu, plus ils déplorent leurs déréglemens, non par une humilité contrefaite, mais par un sentiment véritable de leurs propres infirmités. En voulezvous savoir la raison? Voici celle de saint Augustin prise des Ecritures divines; c'est que nous avons un ennemi domestique avec lequel si nous sommes en paix, nous ne sommes point en paix avec Dieu. Et par combien d'expériences sensibles pourrois-je vous faire voir que depuis notre plus tendre (a) enfance jusqu'à la fin de nos jours, nous avons en nous-mêmes certaines passions malfaisantes et une inclination au mal, que l'Apôtre appelle la Co?u'0!'<Me qui ne nous donne aucun relâche? Il est vrai que les saints la surmontent mais bien qu'elle soit surmontée, elle ne laisse pas de combattre. Dans un combat si long, si opiniâtre, l'ennemi nous attaquant de si près, si nous donnons des coups, nous en recevons PercM<!N!MS pefCM~tKMt', dit saint Augustin; « en blessant, nous sommes blessés B et encore que dans les saints ces blessures soient légères, et que chacune en particulier n'ait pas assez de malignité pour leur faire perdre la vie, elles les accableroient (b) par leur multitude, s'ils n'y remédioient par la pénitence.
Ah quel déplaisir à une ame vraiment touchée de l'amour de Dieu, de sentir tant de répugnance à faire ce qu'elle aime le mieux ? Combien répand-elle de larmes, agitée en elle-même de tant de diverses affections qui la sépareroient de son Dieu, si elle se laissoit emporter à leur violence? C'est ce qui afflige les saints; de là leurs plaintes et leurs pénitences de là cette sainte haine qu'ils ont pour eux-mêmes de là cette guerre cruelle et innocente qu'ils se déclarent. Imaginez-vous, chrétiens, qu'un traître ou un envieux tâche de vous animer par de faux rapports contre vos amis les plus affidés. Combien souffrez-vous de contrainte, lorsque vous êtes en sa compagnie? Avec quels yeux le regarRom., v;t, 8. – Serm. cccu, n. 6.
(a) Var. Première. (b) EUes les épuiseroient.
dez-vous, ce perfide, ce déloyal, qui veut vous ravir ce que vous avez de plus cher? Et quels sont donc les transports des amis de Dieu, sentant l'amour-propre en eux-mêmes, qui par toutes sortes de flatteries les sollicite de rompre avec Dieu? Cette seule pensée leur fait horreur. C'est elle qui les arme contre leur propre chair ils deviennent inventifs à se tourmenter.
Regardez, ûdè'.es, regardez le grand et l'incomparable François de Paule. 0 Dieu éternel, que dirai-je, et par où entrerai-je dans l'éloge de sa pénitence? Qu'admirerai-je le plus, ou qu'il l'ait si tôt commencée ou qu'il l'ait fait durer si longtemps avec une pareille vigueur? Sa tendre enfance l'a vue naître, sa vieillesse la plus décrépite ne l'a jamais vue relâchée. Par l'une de ces entreprises il a imité Jean-Baptiste; et par l'autre il a égaté les Paul, les Antoine, les Ililarion.
Ce vieillard vénérable, que vous voyez marcher avec une contenance si grave et si simple, soutenant d'un bâton ses membres cassés, il y a soixante et dix-neuf ans qu'il fait une pénitence sévère. Dans sa treizième année il quitta la maison paternelle il se jeta dès lors dans la solitude, il embrassa dès lors les austérités. A quatre-vingt-onze ans, ni les veilles, ni les fatigues, ni l'extrême caducité ne lui ont pu encore faire modérer l'étroite sévérité de sa vie, que Dieu n'a étendue si longtemps qu'afin de nous faire voir une persévérance incroyable. Il fait un carême éternel; et durant ce carême, il semble qu'il ne se nourrisse que d'oraisons et de jeûnes. Un peu de pain est sa nourriture, de l'eau toute pure étanche sa soif à ses jours de réjouissance, il y ajoute quelques légumes.Voilà les ragoûts de François de Paule. En santé et en maladie, tel est son régime de vie et dans une vie si austère, il est plus content que les rois. Il dit qu'il importe peu de quoi on sustente ce corps mortel, que la foi change la nature des choses, que Dieu donne telle vertu qu'il lui plaît aux nourritures que nous prenons; et que pbur ceux qui mettent leur espérance en lui seul, tout est bon, tout est salutaire et c'est pour confondre ceux qui voulant se dispenser de la mortification commune, se figurent de vaines appréhensions, afin de les faire servir d'excuse à leur délicatesse affectée.
Que vous dirai-je ici de l'austérité de son jeûne? Il ne songe à prendre sa réfection que lorsqu'il sent que la nuit approche. Après avoir vaqué tout le jour au service de son Créateur, il croit avoir quelque droit de penser à l'infirmité de la nature. Il traite son corps comme un mercenaire à qui il donne son pain. De peur de manger pour le plaisir, il attend la dernière nécessité par une nourriture modique il se prépare à un sommeil léger, louant la munificence divine de ce qu'elle le sustente de peu. Qu'e&t-il nécessaire de vous raconter ses autres austérités? Sa vie est égale partout toutes les parties en sont réglées par la discipline de la pénitence. Demandez-lui la raison d'une telle sévérité ? Il vous répondra avec l'apôtre saint Paul « Ne pensez pas, mes Frères, que je travaille en vain » SM curro, non quasi in incertum Et que faites-vous donc, grand François de Paule ? « Ha 1 dit-il je châtie mon corps » Castigo corpus meum. 0 le soin inutile, diront les fols amateurs du siècle –Mais par ce moyen, dit saint Paul et après lui notre Saint, par ce moyen « je réduis en servitude ma chair » /H servitutem corpus M!6Mm )'e<o. Et pourquoi se donner tant de peines? a C'est de peur, dit-il, qu'après avoir enseigné les autres, moimême je ne sois réprouvé » Ne fortè c&m aliis pr~t'ca~enMt, ipse reprobus e~Mar. Je me perdrois par l'amour de moi-même par la haine de moi-même je me veux sauver je ne prends pas ce que le monde appelle commodités, de peur que par un chemin si glissant je ne tombe insensiblement dans les voluptés. Puisque l'amour-propre me presse si fort, je veux me roidir au contraire pressé plus vivement par la charité de Jésus-Christ, de crainte de m'aimer trop,-je me persécute.
C'est ainsi que nos pères ont été nourris. L'Eglise dès son berceau a eu des persécuteurs; et plusieurs siècles se sont passés, pendant lesquels les puissances du monde faisoient pour ainsi dire continuellement rejaillir sur elle le sang de ses propres enfans. Dieu la vouloit élever de la sorte, dans les hasards et dans les combats et parmi de durs exercices, de peur qu'efféminée par l'amour des plaisirs de la terre, elle n'eût pas le courage assez 1 Cor., IX, 26, 27.
ferme, ni digne des grandeurs auxquelles elle étoit appelée. Sectateurs d'une doctrine établie par tant de supplices, s'iletoit coulé en nos veines une goutte du sang de nos braves et invincibles ancêtres, nous ne soupirerions pas, comme nous faisons, après ces molles délires qui énervent la vigueur de notre foi, et font tomber par terre celte première générosité du christianisme. Quelle est ici votre pensée, chrétiens? Vous dites que ces maximes sont extrêmement rigoureuses. Elles ne m'étonnent pas moins que vous toutefois je ne puis vous dissimuler qu'elles sont extrêmement chrétiennes. Jésus, notre Sauveur, dont nous faisons gloire d'être les disciples, après nous les avoir annoncées, les a confirmées par sa mort et nous les a laissées par son Testament. Regardez-le au jardin des Olives, c'est une pieuse remarque de saint Augustin; toutes les parties de son corps furent teintes par cette mystérieuse sueur. a Que veut dire cela, dit saint Augustin ? C'est qu'il avoit dessein de nous faire voir que l'Eglise, qui est son corps, devoit de toutes parts dégoutter de sang » Quid os<eK(Ma<, ~MQKdô per corpus ora~t's globi sa~~sd~ïMa~aM~ nisi quia corpus ejus, quod est Ecclesia, mar<yrMm sctM~MMC jam /ZMc6at ?
Vous me direz peut-être que les persécutions sont cessées. Il est vrai, les persécutions sont cessées, mais les martyres ne sont pas cessés. Le martyre de la pénitence est inséparable de la sainte Eglise. Ce martyre, à la vérité, n'a pas un appareil si terrible; mais ce qui semble lui manquer du côte de la violence, il le récompense par la durée. Pendant toute l'étendue des siècles, il faut que l'Eglise dégoutte de sang; si ce n'est du sang que répand la tyrannie, c'est du sang que verse la péuitence. e Les larmes, selon la pensée de saint Augustin, sont le sang le plus pur de l'âme s Sanguis a~'NMB per ~c~?MS pro/i'Ma< C'est ce sang qu'épanche la pénitence. Et pourquoi ne comparerai-je pas la pénitence au martyre? Autant que les saints retranchent de mauvais désirs, ne se font-ils pas autant de salutaires blessures? En déracinant l'amour-propre, ils arrachent comme un membre du cœur, selon le précepte de l'Evangile. Car l'amour-propre ne tient pas moins JFnar. in Psal. LHXV, c. 1. – Serm. cccLt, n. 7.
au cœur que les membres tiennent au corps c'est le vrai sens de cette parole « Si votre main droite vous scandalise, coupez, tranchez, dit le Fils de Dieu Abscide !'Ham'. C'est-à-dire, si nous l'entendons, qu'il faut porter le couteau jusqu'au coeur, jusqu'aux plus intimes inclinations. L'Apôtre a prononcé pour tous les hommes et pour tous les temps, que « tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ, souffriront persécution o Omnes qui piè volunt vivere in Christo Jesu, persecutionem pa~'e~Mf Ainsi au défaut des tyrans les saints se persécutent euxmêmes, tant il est nécessaire que l'Eglise souffre. Une haine injuste et cruelle animoit les empereurs contre les gens de bien une sainte haine anime les gens de bien contre eux-mêmes. 0 nouveau genre de martyre, où le martyr patient et le persécuteur sont également agréables; où Dieu, d'une même main, soutient celui qui souffre et couronne celui qui persécute. C'est le martyre de saint François, c'est où il a paru invincible; et quoique vous l'ayez déjà vu dans ce que je vous ai rapporté de sa vie, il faut encore ajouter un trait au tableau que j'ai commencé de sa pénitence, et puis nous passerons à sa charité. Je dis donc qu'il y a deux choses qui composent la pénitence la mortification du corps et l'abaissement de l'esprit. Car la pénitence, comme je l'ai touché au commencement de ce discours, est un sacrifice de tout l'homme, qui se jugeant digne du dernier supplice, se détruit en quelque façon devant Dieu. Par conséquent il est nécessaire, afin que le sacrifice soit plein et entier, de dompter et l'esprit et le corps le corps par les mortifications, et l'esprit par l'humilité. Et d'autant que le sacrifice est plus agréable lorsque la victime est plus noble, il ne faut point douter que ce_ne soit une action sans comparaison plus excellente, d'humilier son esprit devant Dieu que de châtier son corps pour l'amour de lui de sorte que l'humilité est la partie la plus essentielle de la pénitence chrétienne. C'est pourquoi le docte Tertullien donne cette belle définition à la pénitence « La pénitence, dit-il, c'est la science d'humilier l'homme n Prosternendi et /tKMt!7:ïcandi hominis </MC!'p~'na D'où passant plus outre, je dis que Marc., M, 42. – H Timoth., ui, i3. De f<M!< u. 9.
si la vie chrétienne est une pénitence continuelle, ainsi que nous l'avons établi par la doctrine de saint Augustin, ce qui fait le vrai pénitent, c'est ce qui fait le vrai chrétien; et partant c'est en l'humilité que consiste la souveraine perfection du christianisme. Ainsi ne vous persuadez pas avoir vu toute la pénitence de François de Paule, quand je vous ai fait contempler ses austérités je ne vous ai encore montré que l'écorce. Tout sec et exténué qu'il est en son corps par les jeûnes et par les veilles, il est encore plus mortifié en esprit. Son ame est en quelque sorte plus exténuée elle est entièrement vide de ces vaines pensées qui nous enflent. Dans une pureté angélique, dans une vertu si constante, si consommée, il se compte pour un serviteur inutile, il s'estime le moindre de tous ses frères. Le souverain Pontife lui parle de le faire prêtre François de Paule est enrayé du seul nom de prétre. Ha faire prêtre un pécheur comme moi – Cette proposition le fait trembler jusqu'au fond de l'ame. 0 confusion de notre siècle Des hommes tout sensuels comme nous se présentent audacieusement à ce redoutable (a) ministère, dont le seul nom épouvante cet ange terrestre! Pour les honneurs du siècle, jamais homme les a-t-il plus méprisés ? Il ne peut seulement comprendre pour quelle raison on les nomme honneurs. 0 Dieu, quel coup de tonnerre fut-ce pour lui, lorsqu'on lui apporta la nouvelle que le roi Louis XI le vouloit avoir à sa Cour, que le pape lui ordonnoit d'y aller, et auparavant de passer à Rome! Combien regrettat-il la douce retraite de sa solitude, et la bienheureuse obscurité de sa vie t Et pourquoi, disoit-il, pourquoi faut-il que ce pauvre ermite soit connu des grands de la terre? Hét dans quel coin pourrai-je dorénavant me cacher, puisque dans les déserts même de la Calabre je suis connu par un roi de France
C'est ici, chrétiens, où je vous prie de vous rendre attentifs à ce que va faire François de Paule voici ]e plus grand miracle de ce saint homme. Certes je ne m'étonne plus qu'il ait tant de fois passé au milieu des flammes sans en avoir été offensé; ni de ce que domptant la fureur de ce terrible détroit de Sicile, fameux par tant de naufrages, il ait trouvé sur son seul manteau l'assu(a) Var.: Terrible.
rance que les plus adroits nautonniers ne pouvoient trouver dans leurs grands navires. La Cour qu'il a surmontée a des flammes plus dévorantes, elle a des écueils plus dangereux; et bien que les inventions hardies de l'expression poétique n'aient pu nous représenter la mer de Sicile si horrible que la nature l'a faite, la Cour a des vagues plus furieuses, des abîmes plus creux et des tempêtes plus redoutables. Comme c'est de la Cour que dépendent toutes les affaires et que c'est aussi là qu'elles aboutissent, l'ennemi du genre humain y jette tous ses appas, y étale toute sa pompe. Là est l'empire de l'intérêt; là est le théâtre des passions; là elles se montrent les plus violentes; là elles sont les plus déguisées. Voici donc François de Paule dans un nouveau monde. Il regarde cé mouvement, ces révolutions, cet empressement éternel, et uniquement pour des biens périssables, et pour une fortune qui n'a rien de plus assuré que sa décadence il croit que Dieu ne l'a amené en ce lieu, que pour connoître mieux jusqu'où se peut porter la folie des hommes.
A Rome, le pape lui rend des honneurs extraordinaires; tous les cardinaux le visitent. En France trois grands rois le caressent, et après cela je vous laisse à penser si tout le monde lui applaudit. A peine peut-il comprendre pourquoi on le respecte si fort. Il ne s'élève point parmi des faveurs si inespérées; c'est toujours le même homme, toujours humble, toujours soumis. Il parle aux grands et aux petits avec la même franchise, avec la même liberté il traite avec tous indifféremment par des discours simples, mais bien sensés~ qui ne tendent qu'à la gloire de Dieu et au salut de leurs âmes. 0 personnage vraiment admirable 1 Doux attraits de la Cour, combien avez-vous corrompu d'innocens? Ceux qui vous ont goûtés ne peuvent presque goûter autre chose. Combien avons-nous vu de personnes, je dis même des personnes pieuses, qui se laissaient comme entraîner à la Cour sans dessein de s'y engager? Oh! non, ils se donneront bien de garde de se laisser ainsi captiver. Enfin l'occasion s'est présentée belle, le moment fatal est venu, la vague les a poussés et les a emportés ainsi que les autres. Ils n'étoient venus, disoient-ils, que pour être spectateurs de la comédie à la fin, à force de la regarder, ils en ont
trouvé l'intrigue si belle, qu'ils ont voulu jouer leur personnage. La piété même s'y glisse, souvent elle ouvre des entrées favorables et après que l'on a bu de cette eau, tout le monde le dit, les histoires le publient, l'âme est toute changée par une espèce d'enchantement c'est un breuvage charmé, qui enivre les plus sobres.
Cependant l'incomparable François de Paule est solitaire jusque dans la Cour rien ne l'ébranle, rien ne l'émeut; il ne demande rien, il ne s'empresse de rien, non pas même pour l'établissement de son Ordre il s'en remet à la Providence. Pour lui, il ne fait que ce qu'il a à faire, d'instruire ceux que Dieu lui envoie et d'édifier l'Eglise par ses bons exemples. Je pense que je ne dirai rien qui soit éloigné de la vérité, si je dis que la Cour Me Louis XI devoit être la plus raffinée de l'Europe car s'il est vrai que l'humeur du prince règle les passions de ses courtisans, sous un prince si rusé tout le monde raffinoit sans doute; c'étoit la manie du siècle, c'étoit la fantaisie de la Cour. François de Paule regarde leurs souplesses avec un certain mépris. Pour lui, bien qu'il soit obligé de converser souvent avec eux, il conserve cette bonté si franche et si cordiale, et cette naïve enfance de son innocente simplicité. Chacun admire une si grande candeur, et tout le monde demeure d'accord qu'elle vaut mieux que toutes les finesses.
Ici il me vient une pensée, de considérer lequel a l'ame plus grande et plus royale, de Louis ou de François de Paule. Oui, j'ose comparer un pauvre moine avec un des plus grands rois et des plus politiques qui ait jamais porté la couronne; et sans délibérer davantage, je donne la préférence à l'humble François. En quoi mettons-nous la grandeur de l'âme? Est-ce à prendre de nobles desseins? Tous ceux de Louis sont enfermés dans la terre François ne trouve rien qui soit digne de lui que le ciel. Louis, pour exécuter ce qu'il prétendoit, cherchoit mille pratiques et mille détours; et avec sa puissance royale, il ne pouvoit si bien nouer ses intrigues, que souvent un petit ressort venant à manquer, toute l'entreprise ne fùt renversée. François se propose de plus grands desseins, et sans aucun détour y va par des voies
très-courtes et très-assurées. Louis, à ce que remarque l'histoire, avec tous ses impôts et tous ses tributs (a) à peine a-t-il assez d'argent dans ses coffres pour réparer les défauts de sa politique. François rachète tous ses péchés, François gagne le ciel par ses larmes et par de pieux désirs; ce sont ses richesses les plus précieuses, et il en a dans son cœur un trésor immense et une source infinie. Louis, en une inunité de rencontres, est contraint de plier sous les coups de sa mauvaise fortune et la fortune et le monde sont au-dessous de François. Enfin, pour vous faire voir la royauté de François, considérez ce prince qui tremble dans ses forteresses et au milieu de ses gardes. Il sent approcher une ennemie qui tranchera toutes ses espérances, et néanmoins il ne peut éviter ses attaques. Fidèles, vous entendez bien que c'est de la mort dont je parle. Regardez maintenant le pauvre François, voyez, voyez si la mort lui fait seulement froncer les sourcils il la contemple avec un visage riant, il lui tend de bon cœur les mains, il lui montre l'endroit où elle doit frapper, il lui présente cette pourriture du corps. 0 mort, lui dit-il, quoique le monde t'appelle cruelle, tu ne me feras aucun mal, tu ne m'ôteras rien de ce que j'aime tu ne rompras pas le cours de mes desseins; au contraire tu ne feras qu'achever l'ouvrage que j'ai commencé; tu me déferas tout à fait des choses dont il y a si longtemps que je tâche de me dépouiller; tu me délivreras de ce corps. 0 mort, je t'en remercie il y a près de quatre-vingts ans que je travaille moi-même à m'en décharger.
0 fermeté invincible de François de Paule ô grande ame et vraiment royale! Que les rois de la terre se glorifient dans leur vaine magnificence il n'y a point de royauté pareille à celle de François de Paule. M règne sur ses appétits il est paisible, il est satisfait. La vie la plus heureuse est celle qui appréhende le moins la mort. Et qui de nous aime si fort le monde, qu'il ne désirât plutôt de mourir comme le pauvre François de Paule que comme le roi Louis XI? Que si nous voulons mourir comme lui, il faudroit vivre aussi comme lui. Sa vie a donc été bienheureuse. Il est vrai qu'il s'est affngé par diverses austérités; mais souffrant (a) Var. Avec toutes ses extorsions violentes.
pour l'amour de celui qui seul avoit gagné ses affections, sa charité charmoit tous ses maux, elle adoucissoit toutes ses douleurs. 0 puissance de la charité direz vous. Mais le voulez-vous voir par l'exemple de saint François, un moment d'audience satisfera ce pieux désir.
SECOND POINT.
Ne vous étonnez pas, chrétiens, si dans une vie si dure, si laborieuse, l'admirable François de Paule a toujours un air riant et toujours ùn visage content. Il aimoit, et c'est tout vous dire, parce que, dit saint Augustin, « celui qui aime ne travaille pas ') OM! amat non laborat'. Voyez les folles amours du siècle, comme elles triomphent parmi les souffrances. Or la charité de Jésus venant d'une source plus haute, est aussi plus pressante et plus forte: Charitas Christi urget nos. Et encore que son cours soit plus réglé, il n'en est pas moins impétueux. Certes, il faut l'avouer, mes chers Frères, à notre grande confusion, que nous entendons peu ce que l'on nous dit de son énergie. Le langage de l'amour de Dieu nous est un langage barbare. Les ames froides et languissantes, comme les nôtres, ne comprennent pas ces discours, qui sont pleins d'une ardeur si divine Non capit ignitum ~ogMtMm /h'g!'dMm pectus, disoit le dévot saint Bernard'. Si je vous dis que l'amour de Dieu fait oublier toutes choses aux ames qui en sont frappées si je vous dis qu'en étant possédées, elles en perdent le soin de leur corps, qu'elles ne songent presque plus ni à l'habiller, ni à le nourrir, comme peut-être vous ne ressentez pas ces mouvemens en vous-mêmes, vous prendrez peut-être ces vérités pour des rêveries agréables; et moi, qui suis bien éloigné d'une expérience si sainte, je ne pourrois jamais vous parler des doux transports de la charité, si je n'empruntois les sentimens. des saints Pères.
Ecoutez donc le grand saint Basile, l'ornement de l'Eglise orientale, le rempart de la foi catholique contre la perfidie arienne. Voici comme parle ce saint évêque « Sitôt que quelque rayon de cette première beauté commence à paroitre sur nous, notre esprit In Joan., tract. XLYfU, n. 1. – /n Cant., serm. MX)!, n. t.
transporté par une ravissante douceur, perd aussitôt la mémoire de toutes ses autres occupations il oublie toutes les nécessités de la vie. Nous aimons tellement cet amour bienheureux et céleste, que nous ne pouvons plus sentir d'autres flammes. f Fidèles, que veut-il dire, que nous aimons cet amour tout céleste~ C(B~em illum ac planè beatum amantes amorem 1. C'est par l'amour qu'on aime mais comment se peut-il faire qu'on aime l'amour? Ah 1 c'est que l'ame fidèle, blessée de l'amour de son Dieu, aimant elle sent qu'elle aime, elle s'en réjouit, elle en triomphe de joie; elle commence à s'aimer elle-même, non pas pour elle-même, mais elle s'aime de ce qu'elle aime Dieu Cce!e~e?H illum ac planè beatum amantes amorem. tt cet amour lui plaît tellement, qu'en faisant toutes ses délices, elle regarde tout le reste avec indifférence. C'est ce que dit le tendre et affectueux saint Bernard, que celui qui aime, il aime Qui amat, amat'. Ce n'est pas, ce semble, une grande merveille. Il aime, c'est-à-dire, il ne sait autre chose qu'aimer; il aime, et c'est tout, si vous me permettez cette façon de parler familière. L'amour de Dieu, quand il est dans une ame, il change tout en soi-même il ne souffre ni douleur, ni crainte, ni espérance que celles qu'il donne. François de Paule, ô l'ardent amoureux 1 Il est blessé, il est transporté; on ne peut le tirer de sa chère cellule, parce qu'il y embrasse son Dieu en paix et en solitude. L'heure de manger arrive il a une nourriture plus agréable, goûtant les douceurs de la charité. La nuit l'invite au repos il trouve son véritable repos dans les chastes embrassemens de son Dieu. Le roi le demande avec une extrême impatience il a affaire, il ne peut quitter; il est renfermé avec Dieu dans de secrètes communications. On frappe à sa porte avec violence: la charité, qui a occupé tous ses sens par le ravissement de l'esprit, ne lui permet d'entendre autre chose que ce que Dieu lui dit au fond de son cœur dans un saint et ineffable silence. C'est qu'il aime son Dieu et qu'il aime tellement cet amour, qu'il veut le voir tout seul dans son cœur; et autant qu'il lui est possible, il en chasse tous les autres mouvemens. Comme chacun parle de ce qu'il aime, et que 1 7a Psal. ïuVj n. 6. /t Cant., Mrm. Lxxxm, n. 3.
l'aimable François de Paule n'aime que ce saint et divin amour, aussi ne parle-t-il d'autre chose. IL avoit gravée bien profondément au fond de son ame cette belle sentence du saint Apôtre Omnia ~es~'a in charitate /mH< « Que toutes vos actions se fassent en charité. » Allons en charité, disoit-il, faisons par charité c'étoit la façon de parler ordinaire que ce saint homme avoit toujours à la bouche, fidèle interprète du cœur. De cette sorte tous ses discours étoient des cantiques de l'amour divin, qui calmoient tous ses mouvemens, qui enflammoient ses pieux désirs, qui charmoient toutes les douleurs de cette vie misérable. Mais encore est-il nécessaire que je tâche de vous faire comprendre la force de cette paro!e, qui étoit si familière au Saint dont nous célébrons les louanges. Comprenez, comprenez, chrétiens, combien doivent être divins les mouvemens des ames fidèles. L'antiquité profane consacroit toutes nos affections, et en faisoit ses divinités; et l'amour avoit ses temples dans Rome, pour ne pas parler en ce lieu de ceux de la peur et des autres passions plus basses. Quand ils se sentoient possédés de quelque mouvement extraordinaire, ils croyoient qu'il venoit d'un Dieu, ou bien que ce désir violent étoit lui-même leur Dieu An sua cuique /)e«s/M dira cMBï~o~ Permettez-moi ce petit mot d'un auteur profaner que je m'en vais tâcher d'effacer par un passage admirable d'un auteur sacré. 11 n'y a que les chrétiens qui puissent se vanter que leur amour est un Dieu. H Dieu est amour; Dieu est charité, » dit le bien-aimé disciple: Deus charitas est « Et puisque Dieu est charité, poursuit-il, celui qui demeure en charité, demeure en Dieu et Dieu en lui » Et qui manet in c/tN)':<~e, in Deo nianet et Deus in eo. 0 divine théologie! 1 Comprendrons-nous bien ce mystère? Oui, certes, nous le comprendrons avec l'assistance divine, en suivant les vestiges des anciens docteurs. Pour cela élevez vos esprits jusqu'aux choses les plus hautes, que la foi chrétienne nous représente. Contemplez dans la Trinité adorable le Père et le Fils, qui enflammés l'un pour l'autre par le même amour, produisent un torrent de flammes, un amour personnel et subsistant, que l'Ecriture appelle le Saint-Esprit; amour ) Cor., ïv<, it. Virg., .EtM)6f., lib. tX, v. 185. t ,/oat)., IV, 16.
qui est commun au Père et au Fils, parce qu'il procède du Père et du Fils. C'est ce Dieu qui est charité, selon que dit l'apôtre saint Jean Deus charitas est. Car de même que le Fils de Dieu procédant par intelligence, il est intelligence et par soi ainsi le Saint-Esprit procédant par amour est amour. C'est pourquoi le dévot saint Bernard voulant nous exprimer que le Saint-Esprit est amour, il l'appelle le baiser de la bouche de Dieu, un fleuve de joie, un fleuve de vin pur, un fleuve de feu céleste, un qui vient de deux, qui unit les deux, lien vital et vivant Unus ex duobus, uniens ambos, ~u~cum g~<~M En quoi il suit )a profonde théologie de son maître saint Augustin, qui appelle le Saint-Esprit le lien commun du Père et du Fils' et de là vient que les Pères l'ont appelé le saint complément de la Trinité'; d'autant que l'union, c'est ce qui achève les choses tout est accompli quand l'union est faite, on ne peut plus rien ajouter. C'est donc ce Dieu charité qui est l'amour du Père et du Fils, qui descendant en nos cœurs y opère la charité. a Celui, dit saint Augustin, qui lie la société du Père et du Fils, c'est lui qui lie la société et entre nous et avec le Père et le Fils. Ils nous réduisent en un par le Saint-Esprit, qui est commun à l'un et à l'autre, qui est Dieu et amour de Dieu » Quod er~ô coNtmMtte est Patri et Filio, per hoc nos voluerunt habere com?HKKï'o?teM et inter nos et secum, et per illud donum nos coH/~re in unum quod am&o habent KMMm, hoc est, per Spu'~um ssHC~KtK Deum et dOHMm Dei C'est donc le Saint-Esprit qui étant dès l'éternité le lien du Père et du Fils, puis se communiquant à nous par une miséricordieuse condescendance, nous attache premièrement à Dieu par un pur amour et par le même nœud nous unit les uns aux autres. Telle est l'origine de la charité, qui est la chaîne qui lie toutes choses c'est ce Dieu charité. Il n'est pas plutôt en nos ames que lui, qui est amour et charité, il les embrase de ses feux, il y coule un amour qui lui ressemble en quelque sorte à cause qu'il est le Dieu charité, il nous donne la charité. Remplis de cet amour In CaM< serai. \;[t, n. 2; ln Ascens Den; serm. v, n. 13; in Fest. Pent., serm. n;, n. 1. – S. August, serm. L\ a. 18; sfrm. ccxH), n. 6; Enchir., cap. Lv~, n. 15. – S. Bas))., lib. de S~. sanclo, cap. xvin, n. 45. S. August., serm. nxt, n. i8.
qui procède du Père et du Fils, nous aimons le Père et le Fils, et nous aimons aussi avec le Père et le Fils cet amour bienheureux qui nous fait aimer le Père et le Fils, dit saint Augustin. Ne vous souvient-il pas de ce que nous disions tout à l'heure, que nous aimions l'amour? C'est le sens profond de cette parole de saint Basile, que nous n'avions pour lors que légèrement effleuré. Ce baiser divin, souvenez-vous que c'est saint Bernard qui appelle ainsi le Saint-Esprit, ce baiser mutuel que le Père et le Fils se donnent dans l'éternité et qu'ils nous donnent après dans le temps,. nous nous le donnons les uns aux autres par un épanchemenr d'amour. C'est en cette manière que la charité passe du ciel en la terre, du coeur de Dieu dans le cœur de l'homme, où, comme dit l'Apôtre a elle est répandue par le Saint-Esprit qui nous'est donné. » Par où vous voyez ces deux choses, que le Saint-Esprit nous est donné, et que par lui la charité nous est donnée; et partant il y a en nos cœurs, premièrement la charité incréée qui est le Saint-Esprit, et après, la charité créée qui nous est donnée par le Saint-Esprit. De là vient que l'apôtre saint Jean, qui a dit que Dieu est charité, dit dans le même endroit que la charité est de Dieu Charitus ex Deo e~ Car le Saint-Esprit n'est pas plutôt dans nos ames, que les embrasant de ses feux, il y coule un amour qui lui est en quelque sorte semblable étant le Dieu charité, il y opère la charité. C'est pourquoi l'apôtre saint Jean considérant le ruisseau dans sa source, et la source dans le ruisseau, prononce cette haute parole que a Dieu est charité, » et que « qui demeure en charité, demeure en Dieu et Dieu en lui. » Que dirai-je maintenant de vous, ô admirable François de Paule, qui n'avez que la charité dans la bouche, parce que vous n'avez que la charité dans le cœur? Je ne m'étonne pas, chrétiens, de ce que dit de ce saint personnage le judicieux Philippe de Comines, qui l'avoit vu souvent en la Cour de Louis XI «Je ne pense,.dit-il, jamais avoir vu homme vivant de si sainte vie, où il semblât mieux que le Saint-Esprit parloit par sa bouche. », ,C'est que ses paroles et son action étant animées par la charité, sembloient n'avoir rien de mortel, mais faisoient éclater tout viRom., v, 5. – f Joan., IV, 7.
siblement l'opération de l'Esprit de Dieu, souverain moteur de son ame. De là vient ce que remarque le même auteur, que bien qu'il fùt ignorant et sans lettres, il parloit si bien des choses divines et dans un sens si profond, que tout le monde en étoit étonné. C'est que ce maître tout-puissant l'enseignoit par son onction. Enfin c'étoit par sa charité qu'il semblait avoir sur toutes les créatures un commandement absolu, parce que uni à Dieu par une amitié si sincère, il étoit comme un Dieu sur la terre, selon ce que dit l'apôtre saint Paul, que a qui s'attache à Dieu est un même esprit avec lui a Qui autem a~/i0?~< DomïKO, unus spiritus est 1.
C'est une chose admirable, que la miséricorde de notre Dieu ait porté cette majesté souveraine à se rabaisser jusqu'à nous, non-seulement par une amitié cordiale, mais encore quelquefois, si je l'ose dire, par une étroite familiarité. a Je viens, dit-il, frapper à la porte; si quelqu'un m'ouvre, j'entrerai avec lui et je souperai avec lui, et lui avec moi: a Ecce s<o ad ostium et pulso; si quis !tM~en'< vocem meam et aperuerit mihi januam, intrabo ad illum et c<Bt!a6o cum illo, et ipse mecMM Se peut-il rien de plus libre ? François de Paule, ce bon ami, étant ainsi familier avec Dieu à cause de son innocence, il disposoit librement des biens de son Dieu, qui sembloit lui avoir tout mis à la main. Aussi certes, s'il m'est permis de parler comme nous parlons dans les choses humaines, ce n'étoit pas une connoissance d'un jour. Le saint homme François de Paule ayant commencé sa retraite à douze ans, et ayant toujours donné dès sa tendre enfance des marques d'une pieté extraordinaire, il y a grande apparence qu'il a toujours conservé l'intégrité baptismale; et ce sont ces ames que Dieu chérit, ces ames toujours fraîches et toujours nouvelles, qui gardant inviolablement leur première fidélité, après une longue suite d'années paroissent telles devant sa face, aussi saintes, aussi innocentes qu'elles sortirent des eaux du baptême. Et c'est, mes Frères, ce qui me confond. 0 Dieu de mon cœur, quand je considère que cette âme si chaste, si virginale, cette ame qui est toujours demeurée dans la première enfance du saint baptême, 1 Cf/r., v~, )7. – /<po< u!, 20.
fait une pénitence si rigoureuse, je frémis jusqu'au fond de l'âme. Fidèles, que)ie indignité! Les innocens font pénitence, et les criminels vivent dans les délices.
0 sainte pénitence, autrefois si honorée dans l'Eglise, en quel endroit du monde t'es-tu maintenant retirée? Elle n'a plus aucun rang dans le siècle rebutée de tout le monde, elle s'est jetée dans les cioitres et néanmoins ce n'est pas là qu'elle est le plus nécessaire. C'est là que se retirent les personnes les plus pures; et nous qui demeurons dans les attachemens de la terre, nous que les vains désirs du siècle embarrassent en tant de pratiques criminelles, nous nous moquons de la pénitence, qui est le seul remède de nos désordres. Consultons-nous dans nos consciences sommesnous vetitablement chrétiens? Les chrétiens sont les enfans de Dieu, et les enfans de Dieu sont poussés par l'Esprit de Dieu; et ceux qui sont poussés par l'Esprit de Dieu, la charité de Jésus les presse. Ilélas oserions-nous bien dire que l'amour de Jésus nous presse, nous qui n'avons d'empressement que pour les biens de la terre, qui ne donnons pas à Dieu un moment de temps bien entier? Chauds pour les intérêts du monde, froids et languissans pour le service du Sauveur Jésus. Certes, si nous étions, je ne dis pas pressés, nous n'en sommes plus à ces termes; mais si nous étions tant soit peu émus par la charité de Jésus, nous ne ferions pas tant de résolutions inutiles le saint jour de Pàque ne nous verroit pas toujours chargés des mêmes crimes, dont nous nous sommes confessés les années passées. Fidèles, qui vous étonnez de tant de fréquentes rechutes, ah! que la cause en est bien visible Nous ne voulons point nous faire de violence, nous voulons trop avoir nos commodités, et les commodités nous mènent insensiblement dans les voluptés: ainsi accoutumés à une vie molle, nous ne pouvons souffrir le joug de Jésus. Nous nous impatientons contre Dieu des moindres disgrâces qui nous arrivent, au lieu de les recevoir de sa main pour l'expiation de nos fautes; et dans une si grande délicatesse, nous pensons pouvoir honorer les Saints, nous faisons nos dévotions à la mémoire de François de Paule. E~t-ce honorer les Saints, que de condamner leur vie par une vie toute opposée? Est-ce honorer les Saints, que d'en-
tendre parler de leurs vertus, et n'être pas touchés du désir de les imiter? Est-ce honorer les Saints, que de regarder le chemin par lequel ils sont montés dans le ciel, et de prendre une route contraire?
Figurez-vous, mes Frères, que le vénérable François de Paule vous paroit aujourd'hui sur ces terribles autets, et qu'avec sa gravité et sa simplicité ordinaire Chrétiens, vous dit-i), qu'êtesvous venus faire en ce temple? Ce n'est pas pour m'y rendre vos adorations vous savez qu'elles ne sont dues qu'à Dieu seul. Vous voulez peut-être que je m'Intéresse de vos folles prétentions. Vous me demandez une vie aisée, à moi qui ai mené une vie toujours rigoureuse. Je présenterai volontiers vos vœux à notre grand Dieu, au nom de son cher Fils Jésus-Christ, pourvu que ce soit des vœux qui paroissent digues de chrétiens. Mais apprenez de moi que si vous désirez que nous autres amis de Dieu priions pour vous notre commun Maître, il veut que vous craigniez ce que nous avons craint, et que vous aimiez ce que nous avons aimé sur la terre. En vivant de la sorte, vous nous trouverez de vrais frères et de charitables intercesseurs.
Allons donc tous ensemble, fidèles, allons rendre les vrais honneurs à l'humble François de Paule. Je vous ai apporté en ce lieu des reliques de ce saint homme l'odeur qui nous reste de sa sainteté et la mémoire de ses vertus, c'est ce qu'il a laissé sur la terre de meilleur et de plus utile ce sont les reliques de son ame. Baisons ces précieuses reliques, enchâssons-les dans nos cœurs comme dans un saint reliquaire. Ne souhaitons pas une vie si douce ni si aisée; ne soyons pas fâchés quand elle sera détrempée de quelques amertumes. Le soldat est trop lâche, qui veut avoir tous ses plaisirs pendant la campagne le laboureur est indigne de vivre, qui ne veut point travailler avant la moisson. Et toi, dit Tertullien 1, tu es trop délicat chrétien, si tu désires les voluptés même dans le siècle. Notre temps de délices viendra; c'est ici le temps d'épreuve et de pénitence. Les impies ont leur temps dans le siècle, parce que leur félicité ne peut pas être éternelle le notre est différé après cette vie, afin qu'il puisse s'étendre dans De Spectac., n. 28.
les siècles des siècles. Nous devons pleurer ici-bas, pendant qu'ils se réjouissent quand l'heure de notre triomphe sera venue, ils commenceront à pleurer. Gardons-nous bien de rire avec eux, de peur de pleurer aussi avec eux pleurons plutôt avec les Saints, afin de nous réjouir en leur compagnie. Gémissons en ce monde, comme a fait le pauvre François soyons imitateurs de sa pénitence, et nous serons compagnons de sa gloire. Amen.
SECOND PANÉGYRIQUE
SAINT FRANÇOIS DE PAULE (a).
f)< tu semper mecum es, et oMtnto mea tua ~n<.
Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous. Luc., xv, 31.
Je ne pouvois désirer, Messieurs, une rencontre plus heureuse ni plus favorable, que de faire ici mon dernier discours (b) en (a) Prêché en i660, pour la clôture du Carême, aux Minimes de la PlacéRoyale.
Les éditeurs disent, après l'abbé Ledieu, que le Panégyrique de saint 7''t'a)!j-o:'t de Paule fut prêché en 1658. Cette indication ne peut être exacte; car, en 1658, Bossuet fut retenu à Metz, pendant le Carême, par la mission qu'il donna avec les prêtres de saint Vincent de Paul, dans le mois d'avril pour l'assemblée des Trois Ordres dont il signa les procès-verbaux.
En 1660, au contraire, il prêcha le Carême à Paris dans l'église des Minimes; et son discours de clôture fut le panégyrique du saint fondateur de ces religieux, de samt François de Paule. Voilà pourquoi l'orateur dit, dès le commencement de l'exorde « Je ne pouvois désirer une rencontre plus heureuse ni plus favorable, que de faire ici mon dernier discours en produisant dans cette audience le grand et admirable saint François de Paule; » et dans la péroraison «. C'est l'adieu que j'ai a vous du-e nos remercimens sont des vcpux, nos adieux des instructions et des prières, » etc.
Les Mmimes de )a Place -Royale avotent vu s'établir dans leur église un grand abus des gens du bel air s'y rendoient pendant les divins offices, disent les auteurs du temps, pour y nouer des intrigues et des conversations profanes, (4) Var.: De finir cet ouvrage que j'ai entrepris.
produisant dans cette audience le grand et admirable saint François de Paule. L'adieu que doivent dire aux fidèles les prédicateurs de l'Evangile, ne doit être autre chose qu'un pieux désir par lequel i] s tachent d'attirer sur eux les bénédictions célestes; et c'est ce que fait l'apôtre saint Paul, lorsque se séparant des Ephësiens, il les recommande au grand Dieu et à sa grace toute-puissante Et HMHC coMMCHth) vos Deo verbo gTs~M? ipsius Je ne doute pas, chretiens, que les vœux (a) de ce saint Apôtre n'aient été suivis de l'exécution; mais ne pouvant pas espérer un pareil effet de prières comme les miennes, ce m'est une consolation particulière de vous faire paroître saint François de Paule pour vous bénir en Notre-Seigneur. Ce sera donc ce grand patriarche qui, vous trouvant assemblés dans une église qui porte son nom, étendra aujourd'hui les mains sur vous; ce sera lui qui vous obtiendra les graces du Ciel, et qui laissant dans vos esprits l'idée de sa sainteté et la mémoire de ses vertus (b), confirmera par ses beaux exemples les vérités évangéliques qui vous ont été prêchées durant ce Carême. Animé de cette pensée, je commencerai ce discours avec une bonne espérance; et de peur qu'elle ne soit vaine, je prie Dieu de la confirmer (c) par la grace de son Saint-Esprit, que je lui demande humblement par l'intercession de la sainte Vierge. Ave.
1 Act., xx, 32.
sans crainte d'outrager la majesté du Très-Haut dans ses redoutables mystères. Bossuet s'éleva contre ces profanations sacrilèges avec toute la fermeté du zète apostolique « Mais ce qui m'étonne, mes Frères, dit-il dans le commencement de la péroraison ce que je ne puis dissimuler, ce que je voudrais pouvoir dire avec faut de furce q.)e les cœurs les plus durs en fussent touches, » etc. Les théologiens formés dans le commencement de ce siècle rejett°nt sans examen par une fin de non-recevoir, les miracles qui n'éclatent pas comme un coup de fondie dans des circonstances solennelles, pour conSrm'T la foi de tout un peuple. ils pourront apprendre ici, par l'enseignement du grand Bossuet, à mieux apprécier les œuvres de la bonté divine.
Plusieurs personnages distingués dans les lettres et dans les sciences entendirent le Pat~t/r'çM~ cb M'"< f/'attj'o~ de Paule. Qu')l noua sufHse de nommer: François de la Koue, philologue, historien, astronome, théologien; (,iry, auteur des Vies des S«t?!h; le P. Lefèvre d'Ormesson et le P. thtarion de Coste tous deux arrière-neveux de saint François; le premier, prédicateur estimé; le second, auteur de la Vie de son saint parent, du J'ar/~it ecclésiastique, etc. (<t) Var. Les suuhaib. (b) Vous laissant en partage l'exemple de ses vertus. (e) Que j'ai tâché de vous annoncer, de lui donner l'affermissement par la grace.
Ne parlons pas toujours du pécheur qui fait pénitence, ni du prodigue qui retourne dans la maison paternelle. Qu'on n'entende pas toujours dans les chaires la joie de ce père miséricordieux qui a retrouvé son cadet qu'il avoit perdu. Cet aîné fidèle et obéissant, qui est toujours demeuré auprès de son père (a) avec toutes les soumissions d'un bon fils, mérite bien aussi qu'on loue quelquefois sa persévérance. Il ne faut pas laisser dans l'oubli cette partie de la parabole; et l'innocence toujours conservée, telle que nous la voyons en François de Paule, doit aussi avoir ses panégyriques. Il est vrai que l'Evangile semble ne retentir de toutes parts que du retour de ce prodigue il occupe, ce semble, tout l'esprit du père; vous diriez qu'il n'y ait que lui qui le touche au cœur. Toutefois au milieu du ravissement que lui donne son cadet retrouvé, il dit deux ou trois mots à l'aîné, qui lui témoignent une affection bien particulière (b) :< Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous; B et je vous prie, ne vous fâchez pas si je laisse aujourd'hui épancher ma joie sur votre frère que j'avois perdu, et que j'ai retrouvé contre mon attente I'Yh', tu semper mecum es; c'est-à-dire si nous l'entendons (c) Mon fils, je sais bien reconnoître votre obéissance toujours constante, et elle m'inspire pour vous un fond d'amitié laquelle ne laisse pas d'être plus forte, encore que vous ne la voyiez pas accompagnée de cette émotion sensible que me donne le retour inopiné de votre frère «Vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous nos cœurs et nos intérêts ne sont qu'un » Tu semper mecum es, et omnia mea tua sunt. Voilà une parole bien tendre cet aîné a un beau partage, et garde bien sa place dans le cœur du père.
Cette parole, Messieurs, se traite rarement dans les chairps, parce que cette fidélité inviolable ne se trouve guère dans les mœurs. Qui de nous n'est jamais sorti de la maison de son père? Qui de nous n'a pas été prodigue? Qui n'a pas dissipé sa substance par une vie déréglée et licencieuse? Qui n'a pas repu les pourceaux, c'est-à-dire ses passions corrompues? Puisqu'il y en (<;) Var. Près de sa personne. (&) Bien cordiale. (c) Si nous le savons entendre.
a si peu dans l'Eglise qui aient su garder sans tache l'intégrité de leur baptême, il est beaucoup plus nécessaire de rappeler les pécheurs que de parler des avantages de l'innocence. Et toutefois chrétiens, comme l'Eglise nous montre aujourd'hui en la personne de saint François de Paule une sainteté extraordinaire, qui s'est commencée dès l'enfance et qui s'est toujours augmentée jusqu'à son extrême vieillesse (a), comme nous voyons en ce grand homme un religieux accompli, comme nous admirons dans sa longue vie un siècle presque tout entier d'une piété toujours également soutenue prodigues que nous sommes, respectons cet aîné toujours fidèle, et célébrons les prérogatives de la sainteté baptismale si soigneusement conservée.
Je les trouve toutes ramassées dans les paroles de mon texte. E|re toujours avec Jésus-Christ sur sa croix et dans ses souffrances, dans le mépris du monde et des vanités; et être toujours avec Jésus-Christ par une sainte correspondance de charité et une véritable unité de cœur voilà deux choses qui sont renfermées dans la première partie de mon texte Fili, tu semper mecum es « Mon fils, vous êtes toujours avec moi. » Mais il ajoute, pour comble de gloire « Et tout ce qui est à moi est à vous » Et omnia mea tua sunt; c'est-à-dire que l'innocence a un droit acquis sur tous les biens de son Créateur. Ce sont, mes Frères, les trois avantages qu'a donnés à François de Paule l'intégrité baptismale. Nous commençons dans le saint baptême à être avec Jésus-Christ sur la croix, parce que nous y professons (b) le mépris du monde: saint François, dès son enfance, a éternellement rompu le commerce avec lui par une vie pénitente et mortifiée (c). Nous commençons dans le saint baptême à nous unir à Dieu par la charité il n'a jamais cessé d'avancer toujours dans cette bienheureuse communication. Nous acquérons dans le saint baptême un droit particulier sur les biens de Dieu et saint François a tellement conservé et même encore augmenté ce droit, qu'on l'a vu maître de soi-même et de toutes choses par une puissance miraculeuse (a) Var. Jusqu'à la vieillesse décrépite. (b) Sur la croix, c'est-a-dire à professer. (c) Rompu le commerce avec le monde par les exercices de la pénitence.
que Dieu lui avoit donnée presque sur toutes les créatures. Ces trois merveilleux avantages de la sainteté baptismale, tous ramassés dans mon texte et dans la personne de François de Paule feront le partage de ce discours et le sujet de vos attentions. PREMIER POINT.
C'est une fausse imagination que de croire que l'obligation de quitter le monde ne regarde que les cloîtres et les monastères. Ce qu'a dit l'apôtre saint Paul S que nous sommes morts et ensevelis avec Jésus-Christ, étant une dépendance de notre baptême, obliys également tous les fidèles et leur impose une nécessité indispensable de rompre tout commerce avec le monde. Et en effet, Messieurs, les liens qui nous attachent au monde se formant en nous par la naissance, il est clair qu'ils se doivent rompre par la mort. Les morts ne sont plus de rien, ils n'ont plus de part à la société humaine c'est pourquoi les tombeaux sont appelés des solitudes JEdificant sibi solitudines Si donc nous sommes morts en Jésus-Christ par le saint baptême, nous avons par conséquent renoncé au monde.
Le grand apôtre saint Paul nous a expliqué profondément ce que c'est que cette mort spirituelle, lorsqu'il a parlé en ces termes « Le monde, dit-il, est crucifié pour moi, et moi je suis crucifié pour le monde (a) :» Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo Le docte et éloquent saint Jean Chrysostome fait une belle réflexion sur ces paroles Ce n'est pas assez, dit-il k, à l'Apôtre que le chrétien soit mort au monde; mais il ajoute encore Il faut que le monde soit mort pour le chrétien; et cela pour nous faire entendre que le commerce est rompu des deux côtés; et qu'il n'y a plus aucune alliance. Car, poursuit ce docte interprète, l'Apôtre consi1 Rom., vi, 3, 4. – • Job, nr, 14. – Galat., vi, 14. – De compunct., lib. II, B. 2.
(a) Var. Pour garder l'intégrité baptismale et mériter d'entendre ces belles paroles de la bouche de Jésus-Christ: « Mon fils, tu es toujours avec moi, » il faut se résoudre avant toutes choses de ne le quitter jamais dans ses souffrances, et de le suivre persévéramment à sa croix. L'homme baptisé, chrétiens, est un homme crucifié avec le Sauveur; et saint Paul nous a expliqué admirablement à quoi nous oblige ce ciucifieinent, lorsqu'il a écrit ainsi aux Ouiates AftAi mundus cruci fixus est, et ego mundo.
déroit que non-seulement les vivans ont quelques sentimens les uns pour les autres, mais qu'il leur reste encore quelque affection pour les morts ils en conservent le souvenir, ils leur rendent quelques honneurs, ne seroit-ce que ceux de la sépulture. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul ayant entrepris de nous faire entendre jusqu'à quelle extrémité le fidèle doit se dégager de l'amour du monde Ce n'est pas assez, nous dit-il, que le commerce soit rompu entre le monde et le chrétien, comme il l'est entre les vivans et les morts; car il y a souvent quelque affection (a) des vivans aux morts, qui va les rechercher dans le tombeau même. Il faut une plus grande rupture; et afin qu'il n'y reste aucune alliance, tel qu'est un mort à l'égard d'un mort, tel doit être le monde et le chrétien Mihi mundus cniciflxusest, et ego mundo. Où va cela, chrétiens, et où nous conduit ce raisonnement (b)? Il faut vous en donner en peu de paroles une idée plus particulière. Ce qui nous fait vivre au monde, c'est l'inclination pour le monde (c) ce qui fait vivre le monde pour nous, c'est un certain éclat qui nous charme (d) dans les biens du monde. La mort éteint les inclinations, la mort ternit le lustre de toutes choses: C'est pourquoi, dit saint Paul, je suis mort au monde; je n'ai plus d'inclination pour le monde le monde est mort pour moi, il n'a plus d'éclat pour mes yeux. Comme on voit dans le plus beau corps du monde qu'aussitôt que l'ame s'en est retirée, encore que les linéamens soient presque les mêmes, cette fleur de beauté se passe et cette bonne grace s'évanouit ainsi le monde est mort pour le chrétien (e) il n'a plus d'appas qui l'attirent, ni de charmes qui touchent son cœur. Yoilà cette mort spirituelle, qui sépare le monde et le chrétien telle est l'obligation du baptême. Mais si nous avons si mal observé les promesses que nous avons faites, admirons, du moins aujourd'hui, la sainte obstination de saint (a) Var. Liaison. (ê) Que veut dire cette rupture? – (c) Les biens du monde. – (d) Eblouit. (e) Ainsi le monde est mort pour le chrétien, en tant qu'il n'a plus d'attrait pour son cœur; et le chrétien est mort pour le monde, en tant qu'il n'a plus d'amour pour ses vains plaisirs, et que s'il a pour lui quelque reste d'inclination, il ne cesse de la combattre par une vie pénitente. C'est ce qui s'appelle dans l'Ecriture être crucifié avec Jésus-Christ. Nous le devons être par notre baptême, où nous contractons tous l'obligation de mortifier en nous l'amour des plaisirs.
François de Paule à combattre la nature et ses sentimens; admirons la fidélité inviolable de ce grand homme qui a été envoyé de Dieu pour faire revivre en son siècle cet esprit de mortification et de pénitence, c'est-à-dire le véritable esprit du christianisme presque entièrement aboli par la mollesse.
Que dirai-je ici, chrétiens, et par où commencerai-je l'éloge de sa pénitence ? Qu'admirerai-je le plus ou qu'il l'ait sitôt commencée, ou qu'il l'ait fait durer si longtemps avec une pareille vigueur? Sa tendre enfance l'a vue naître en lui, sa vieillesse la plus décrépite ne l'a jamais vue relâchée. Par l'une de ces entreprises il a imité Jean-Baptiste; et par l'autre il a égalé les Paul, les Antoine, les Hilarion. Vous allez voir, Messieurs en ce grand homme un terrible renversement de la nature; et afin de le bien entendre, représentez-vous en vous-mêmes quelles sont ordinairement dans tous les hommes les deux extrémités de la vie, je veux dire l'enfance et la vieillesse. Elles ont déjà cela de commun, que la foiblesse et l'infirmité sont leur partage. L'enfance est foible, parce qu'elle ne fait que commencer; la vieillesse parce qu'elle approche de sa ruine (a), prête à tomber par terre. Dans l'enfance, le corps est semblable à un bâtiment encore imparfait et il ressemble dans la vieillesse à un édifice caduc, dont les fondemens sont ébranlés. Les désirs en l'une et en l'autre sont proportionnés à leur état. Avec le même empressement que l'enfance montre pour la nourriture, la vieillesse s'étudie aux précautions, parce que l'une veut acquérir ce qui lui manque, et l'autre retenir ce qui lui échappe. Ainsi l'une demande (b) des secours pour s'avancer à sa perfection, et l'autre cherche des appuis pour soutenir sa défaillance. C'est pourquoi elles sont toutes deux entièrement appliquées à ce qui touche le corps, la dernière sollicitée par la crainte, et la première poussée par un secret instinct de la nature.
François de Paule, Messieurs, est un homme que Dieu a voulu envoyer au monde pour nous montrer que les lois de la nature cèdent, quand il lui plaît, aux lois de la grace. Nous voyons en cet homme admirable, contre tout l'ordre de la nature, un enfant a) Var. Est prête à s'éteindre. (4) Désire.
qui modère ses désirs, un vieillard qui n'épargne pas son peu de force. C'est ce fils fidèle et persévérant, qui est toujours avec Jésus-Christ. Jésus a toujours été dans les travaux In laboribus à juventute meâ t il a toujours été sur la croix. François de Paule, enfant, commence les travaux de sa pénitence. Il n'avoit que six ou sept ans, que des religieux très-réformés admiroient sa vie austère et mortifiée. A treize ans, il quitte le monde et se jette dans un désert, de peur de souiller son innocence par la contagion du siècle. Grace du baptême, mort spirituelle, où as-tu jamais paru avec plus de force? Cet enfant est déjà crucifié au monde, cet enfant est déjà mort au monde, auquel il n'a jamais commencé de vivre. Cela est admirable, sans doute mais voici qui ne l'est pas moins.
A quatre-vingt-onze ans, ni ses fatigues continuelles, ni son extrême caducité ne le peuvent obliger de modérer la sévérité de sa vie. Il fait un carême éternel; et dans la rigueur de son jeûne, un peu de pain est sa nourriture, de l'eau toute pure étanche sa soif à ses jours de réjouissance, il y ajoute quelques légumes voilà les ragoùts de François de Paule. Au milieu de cette rigueur, de peur de manger pour le plaisir, il attend toujours la dernière nécessité. Il ne songe à prendre sa réfection, que lorsqu'il sent que la nuit approche. Après avoir vaqué tout le jour au service de son Créateur, il croit avoir quelque droit de penser pourvoir à l'infirmité de la nature. Il traite son corps comme un mercenaire, à qui il donne son pain quand il a achevé sa journée. Par une nourriture modique, il se prépare à un sommeil léger, louant la munificence divine de ce qu'elle lui apprend si bien à se contenter de peu. Telle' est la conduite de saint François en santé et en maladie tel est son régime de vivre. Une vigueur spirituelle, qui se renouvelle et se fortifie de jour en jour, ne permet pas à son ume de sentir la caducité de l'âge. C'est cette jeunesse intérieure qui soutenoit ses membres cassés dans sa vieillesse décrépite, et lui a fait continuer sa pénitence jusqu'à la fin de sa vie. Voici, mes Frères, un grand exemple pour confondre notre mollesse. 0 Dieu de mon cœur, quand je considère que cet homme 1 Psal. lxxxvij, 16.
si pur et si innocent, cet homme qui est toujours demeuré dans l'enfance et,la simplicité du saint baptême, fait une péniience si rigoureuse, je frémis jusqu'au fond de l'ame, et les continuelles mortifications de cet innocent me font trembler pour les criminels qui vivent dans les délices. Quand nous aurions toujours conservé la sainteté baptismale, la seule conformité avec Jésus-Christ nous oblige d'embrasser sa croix, en mortifiant nos mauvais désirs (a). Mais lorsque nous avons été assez malheureux pour perdre la sainteté et la grace par quelque- faute mortelle, il est bien aisé de juger combien alors cette obligation est redoublée. Car l'apôtre saint Paul nous enseigne que quiconque déchoit de la grace, crucifie de nouveau Jésus-Christ qu'il perce encore une fois ses pieds et ses mains; que non-seulement il répand, mais encore qu'il foule aux pieds son sang précieux S'il est ainsi, chrétiens mes frères, pour réparer cet attentat par lequel nous crucifions Jésus-Christ, que pouvons-nous faire autre chose, sinon de nous crucifier nous-mêmes, et de venger sur nos propres corps l'injure que nous avons faite à notre Sauveur?
Tout autant que nous sommes de pécheurs, prenons aujourd'hui ces sentimens, et imprimons vivement en nos esprits cette obligation indispensable de venger Jésus-Christ en nous-mêmes. Je ne vous demande pas pour cela, ni des jeûnes continuels, ni des macérations extraordinaires, quoique, hélas! quand nous le ferions, la justice divine auroit droit d'en exiger encore beaucoup davantage mais notre lâcheté et notre foiblesse ne permettent pas seulement que l'on nous propose une médecine si forte. Du moins corrigeons nos mauvais désirs; du moins ne pensons jamais à nos crimes, sans nous affliger devant Dieu de notre prodigieuse ingratitude. Ne donnons point de bornes à une si juste douleur; et songeons qu'étant subrogée à une peine d'une éternelle durée, elle doit imiter en quelque sorte son intolérable > Hebr., VI) 6. » Ibid., x, 29.
(a) Var. Nous engage à nous crucifier avec lui, en mortifirmt nos mauvais désirs. Car puisque saiyt Paul nous enseigne que tout autant que nous sommes de baptisés, nous avons été revêtus de Jêsus-Chiist, cette bienheureuse conformité que nous devons avoir avec lui, suffit pour nous obliger de piendre part à sa croix.
perpétuité faisons-la donc durer du moins jusqu'à la fin de notre vie (a). Heureux ceux que la mort vient surprendre (b) dans les humbles sentimens de la pénitence. Je parle mal, chrétiens; la mort ne les surprend pas. La mort, pour eux, n'est pas une mort elle n'est mort que pour ceux qui vivent enivrés de l'amour du monde.
Notre incomparable François étoit en la Cour de Louis XI où l'on voyoit tous les jours et le pouvoir de la mort, et son impuissance son pouvoir, sur ce grand monarque son impuissance, sur ce pauvre ermite. Louis, resserré dans ses forteresses et environné de ses gardes, ne sait à qui confier sa vie et la crainte de la mort le saisit de telle sorte, qu'elle lui fait méconnoîlre ses meilleurs amis. Vous voyez un prince, Messieurs, que la mort réduit en un triste état toujours tremblant (c) toujours inquiet, il craint généralement tout ce qui l'approche et il n'est précaution qu'il ne cherche pour se garantir de cette ennemie qui saura bien éluder ses soins et les vains raffinemens de sa politique. Regardez maintenant le pauvre François, et voyez si elle lui fera seulement froncer les sourcils. Il la contemple avec un visage riant elle ne lui est pas inconnue, et il y a déjà trop longtemps qu'il s'est familiarisé avec elle pour être étonné de ses approches. La mortification l'a accoutumé à la mort les jeûnes et la pénitence, dit Tertullien la lui ont déjà fait voir de près et l'ont souvent avancé dans son voisinage Sœpè jejunans mortem de $roximo novit. Il sortira du monde plus légèrement il s'est déjà déchargé lui-même d'une partie de son corps, comme d'un empêchement importun à l'ame Prœmisso jam sanguinis succo, tanquam animœ impedimento. C'est pourquoi, sentant (d) approcher la mort, il lui tend de bon cœur les bras; il lui présente avec • Tertull., De Jejun., n. 12.
(a) Var. Elle doit imiter en quelque sorte son intolérable perpétuité, en s'étendant du moins jusqu'à la fin de notre vie. (A) Saisit. (c) C'est vous, sainte pénitence qui avez fait mourir saint François de Paule avec cette tranquillité admirable c'est vous qui lui donnez un avantage par-dessus le plus 'grand monarque du monde. Je vois trembler Louis XI au milieu de ses gardes et de ses forteresses, et l'appréhension de la mort ne lui laisse plus aucun repos. Voilà un roi en un état bien déplorable, toujours tremblant, etc. (d) Voyant.
joie ce qui lui reste de corps; et d'un visage riant il lui désigne (a) l'endroit où elle doit frapper son dernier coup. 0 mort, lui dit-il, quoique le monde te nomme cruelle et inexorable, tu ne me feras aucun mal, parce que tu ne m'ôteras rien de ce que j'aime. Bien loin de rompre le cours de mes desseins, tu ne feras qu'achever l'ouvrage que j'ai commencé, en me défaisant de toutes les choses dont je tâche de me défaire il y a longtemps. Tu me déchargeras de ce corps ô mort, je t'en remercie il y a plus de quatre-vingts ans que je travaille moi-même a m'en décharger. J'ai professé dans le baptême que ces désirs ne me touchoient pas (b) j'ai tâché de les couper (c) pendant tout le cours de ma vie ton secours, ô mort, m'étoit nécessaire pour en arracher la racine; tu ne détruis pas ce que je suis, mais tu achèves ce que je fais. Telle est la force de la pénitence. Celui qui aime ses exercices a toujours son ame en ses mains, et est prêt à tout moment de la rendre. L'admirable François de Paule, tout rempli de ces sentimens et nourri dès sa tendre enfance sur la croix de notre Sauveur, n'avoit garde de craindre la mort. Mais nous parlons déjà de sa mort, et nous ne faisons encore que de commencer les merveilles de sa sainte vie l'ordre des choses nous y a conduits. Mais continuons la suite de notre dessein; et après avoir vu notre grand saint François uni si étroitement avec Jésus-Christ dans la société de ses souffrances, voyons-le dans la bienheureuse participation de sa sainte familiarité Tu semper mecum es c'est ma seconde partie.
SECOND POINT.
Saint Paul écrivant aux Hébreux, a prononcé cette sentence dans le chapitre vi de cette Epître admirable a Il est impossible, dit-il, que ceux qui ont reçu une fois dans le saint baptême les lumières de la grace, qui ont goûté le don céleste, qui ont été faits participans du Saint-Esprit et sont tombés volontairement de cet état bienheureux, soient jamais renouvelés par la pénitence » Jmpossibile est rursùm renovari ad pœnitentiam l. Je llebr., vi, 4, 6.
(a) Var. Montre. (b) Ne me seroient rieu. (c) Retrancher, – mortifier.
m'éloignerois de la vérité (a), si je voulois conclure de ce passage, comme faisoient les novatiens, que ceux qui sont une fois déchus de la grace n'y peuvent jamais être rétablis mais je ne croirai pas me tromper, si j'en tire cette conséquence (6) qu'il y a je ne sais quoi de particulier dans l'intégrité baptismale qu'on ne retrouve jamais quand on l'a perdue Impossibile est rursùm renovari. Rendez-lui sa première robe dit ce père miséricor- dieux, parlant du prodigue pénitent (c), c'est-à-dire rendez-lui la justice dont il s'étoit dépouillé lui-même. Cette robe lui est rendue, je le confesse qu'elle est belle et resplendissante 1 mais elle auroit encore un éclat plus grand, si elle n'avoit jamais été souillée. Le père, je le sais bien, reçoit son fils dans sa maison, et il le fait rentrer dans ses premiers droits mais néanmoins il ne lui dit pas « Mon fils, tu es toujours avec moi » Fili, tu semper mecum es; et il montre bien par cette parole que cette innocence toujours entière, cette fidélité jamais violée, sait bien conserver ses avantages.
En quoi consiste ce privilége C'est ce qu'il est malaisé d'entendre. La tendresse extraordinaire que Dieu témoigne dans son Ecriture pour les pécheurs convertis, semble nous obliger de croire qu'il n'use avec eux d'aucune réserve. Ne peut-on pas même juger qu'il les préfère aux justes en quelque façon (d), puisqu'il quitte les justes, dit l'Evangile 1, pour aller chercher les pécheurs et que bien loin de diminuer pour eux son affection, il prend plaisir au contraire de la redoubler? Et toutefois, chrétiens, il ne nous est pas permis de douter que ce Dieu, qui est juste dans toutes ses œuvres, ne sache bien garder la prérogative qui est due naturellement à l'innocence et lorsqu'il semble que les saintes Lettres accordent aux pécheurs convertis quelque sorte de préférence, voici en quel sens il le faut entendre. Cette décision est tirée du grand saint Thomas, qui faisant la comparaison de l'état du juste qui persévère et du pécheur qui se convertit, dit qu'il faut considérer en l'un ce qu'il a, et èn l'autre d'où il est sorti. Après 1 Luc., xv, 4.
(a) Var. Je ne dirois pas la vérité. [b) Si je conclus de ces paroles. (c) Converti. (d) Il semble même qu'il les préfère aux justes.
cette distinction il conclut judicieusement à son ordinaire que D:eu conserve au juste un plus grand don, et qu'il retire le pécheur d'un plus grand mal et partant que le juste est sans doute plus avantagé, si l'on a égard à son mérite; mais que le pécheur semblera plus favorisé, si l'on regarde son indignité. D'où il s'ensuit que l'état du juste est toujours absolument le meilleur et par conséquent il faut croire que ces mouvemens de tendresse que ressent la bonté divine pour les pécheurs convertis, qui sont'sa nouvelle conquête, n'ôtent pas la prérogative d'une estime particulière aux justes (a), qui sont ses anciens amis; et qu'enfin ce chaste amateur de la sainteté et de l'innocence trouve je ne sais quel attrait particulier dans ces ames qui n'ont jamais rejeté sa grace, ni affligé son esprit; qui étant toujours fraîches et toujours nouvelles et gardant inviolablement leur première foi, après une longue suite d'années paroissent aussi saintes, aussi innocentes, qu'elles sortirent des eaux du baptême (b) comme a fait, par exemple, saint François de Paule.
Quelles douceurs, quelle affection, quelle familiarité particulière Dieu réserve à ces innocens; c'est un secret de sa grace, que je n'entreprends pas de pénétrer. Je sais seulement que François de Paule accoutumé dès sa tendre enfance à communiquer avec Dieu, ne pouvoit plus vivre un moment sans lui. Semblable à ces amis empressés qui contractent une habitude si forte de converser librement ensemble, que la moindre séparation ne leur paroît pas supportable ainsi vivoit saint François de Paule. 0 mon Dieu, disoit-il avec David, du plus loin que je me souvienne et presque dès le ventre de ma mère, vous êtes mon Dieu De ventre matris (a) Var. N'ôtent pas la préférence qui est due a la sainteté toujours fidèle. On goûte niiyix la santé quand on relève nouvellement d'une maladie; mais on estime toutefois beaucoup davantage les forces toujours égales d'une bonne constitution. Les cœurs sont 3aisi3 d'une joie soudaine par la grace inopinée d'un beau jour d'hiver qui, après un temps pluvieux, vient réjouir tout d'un coup la face du monde; mais on ne lsis»e pas de mifiit aimer la constante sérénité d'une saison plus bénigne. Ainsi, Messieurs, s'il nous est permis de juger des sentimens du Sauveur par l'exemple des aentimens humains, il caresse plus tendrement les pécheurs récemment convertis, qui sont sa nouvelle conquête mais il aime avec plus d'ardeur les innocens, il réserve une familiarité plus particulière aux justes, qui sont ses anciens amis qu'il a eu3 toujours avec lui (A) Qui n'ont jamais rejeté sa grace ni affligé son esprit, entin qui ne lui ont jamais donné sujet de se plaindre.
mece Deus meus es tu, ne discesseris à me ». Jamais mon cœur n'a aimé que vous, il n'a jamais brûlé d'autres flammes. Eh 1 mon Dieu, ne me quittez pas Ne discessei-is à me. Je ne puis subsister un moment sans vous. Son cœur étant ainsi disposé, c'étoit, Messieurs, lui ôter la vie, que de le tirer de sa solitude (a). En effet, dit le dévot saint Bernard, c'est une espèce de mort violente que de se sentir arracher de la douce société de Jésus-Christ par les affaires du monde Mori videntur sibi. et reverà morlis species est d contemplatione candidi Jesu ad lias tenebras rursùs avelli «. Jugez donc des douleurs de François de Paule, quand il reçut l'ordre du Pape d'aller à la Cour de Louis XI, qui le demandoit avec instance. 0 solitude, ô retraite qu'on le force d'abandonner 1 Combien regretta-t-il de vous perdre Mais enfin il faut obéir; et je vois qu'il vous quitte bien résolu néanmoins de se faire une solitude dans le tumulte, au milieu de tout le bruit de la Cour et de ses empressemens éternels.
C'est ici, c'est ici, chrétiens, où je vous prie de vous rendre attentifs à ce que va faire François de Paule. Voici sans doute son plus grand miracle, d'avoir été si solitaire et si recueilli au milieu des faveurs dus rois et dans les applaudissemens de toute leur Cour. Je ne m'étonne plus, quand je lis dans l'histoire de saint François qu'il a passé au milieu des flammes sans en avoir été offensé, ni que domptant la fureur de ce détroit de Sicile, fameux par tant de naufrages, il ait trouvé sur son manteau la sûreté que les plus adroits pilotes ont peine à trouver dans leurs grands vaisseaux. La Cour a des flammes plus dévorantes, elle a des écueils plus dangereux; et bien que les inventions hardies des expressions poétiques n'aient pu nous représenter la mer de Sicile aussi horrible que la nature l'a faite, la Cour a des vagues plus furieuses, et des abîmes plus creux, et des tempêtes plus redoutables. Comme c'est de la Cour que dépendent toutes les affaires et que c'est là aussi qu'elles aboutissent, l'ennemi du genre humain y jette tous ses appas, y étale toute sa pompe: là est l'empire de Psal. xxi, 11, 12. – Tract. De pass. Dom., cap. xïvii, in Append. Op. S. Bernardi.
(a) Var.: Que de le faire sortir de sa retraite.
l'intérêt, là est le théâtre des passions là elles sont les plus violentes, là elles sont les plus déguisées.
Voici donc François de Paule dans un nouveau monde, chéri et honoré par trois de nos rois; et après cela vous ne doutez pas que toute la Cour ne lui applaudisse. Tout cela ne le touche pas: la douce méditation des choses divines et cette sainte union avec Jésus-Christ, l'ont désabusé pour jamais de tout ce qui éclate dans le monde. Doux attraits de la Cour, combien avez-vous corrompu d'innocens 1 Combien en a-t-on vus qui se laissent comme entraîner à la Cour par force, sans dessein de s'y engager! Enfin l'occasion s'est présentée belle le moment fatal est venu la vague les a poussés et les a emportés, ainsi que les autres. Ils n'étoient venus, disoient-ils, que pour être spectateurs de la comédie à la fin ils en ont trouvé l'intrigue si belle, qu'ils y ont voulu jouer leur personnage. Souvent même l'on s'est servi de la piété pour s'ouvrir des entrées favorables; et après que l'on a bu de cette eau, l'ame est toute changée par une espèce d'enchantement. C'est un breuvage charmé, qui enivre les plus sobres; et la plupart de ceux qui en ont goûté ne peuvent presque plus goûter autre chose (a).
Cependant l'admirable saint François de Paule est solitaire jusque dans la Cour, et toujours recueilli en Dieu parmi ce tumulte on ne peut presque le tirer de sa cellule, où cette ame pure et innocente embrasse son Dieu en secret. L'heure de manger arrive il goûte une nourriture plus agréable dans les douceurs de son oraison. La nuit l'invite au repos il trouve son véritable repos à répandre son cœur devant Dieu (b). Le roi le demande en personne avec une extrême impatience il a affaire, il ne peut quitter, il est enfermé avec Dieu dans de secrètes communications. On frappe à sa porte avec violence; l'amour divin, qui a occupé tous ses sens par le ravissement de l'esprit, ne lui permet pas d'entendre autre chose que ce que Dieu lui dit au fond de son cœur, dans un saint et admirable silence. 0 homme vraiment uni avec Dieu et digne d'entendre de sa bouche Fili, tu semper mecum es, (a) Var. Et quand on en a goûtéj on ne peut presque plus goûter autre chose. (b) Dans la paix et les embrassemens de Dieu.
« Mon fils, vous êtes toujours avec moi 1 » Il est accoutumé avec Dieu, il ne connoît que lui il est né, il est crû sous son aile; il ne peut le quitter ni vivre sans lui un seul moment, privé des délices de son amour.
Sainte familiarité avec Jésus-Christ, oraison, prière, méditation, entretiens sacrés de l'ame avec Dieu, que ne savons-nous goûter vos douceurs Pour les goûter, mes Frères, il faut se retirer quelquefois du bruit et du tumulte du monde, afin d'écouter Jésus en secret. « Il est malaisé, dit saint Augustin, de trouver Jésus-Christ dans le grand monde il faut pour cela une solitude » Difficile est in turbà videre Jesum: solitudo quœdam necessaria est Faisons-nous une solitude rentrons en nous-mêmes (a) pour penser à Dieu; ramassons tout notre esprit en cette haute partie de notre ame, pour nous exciter à louerDieu; ne permettons pas, chrétiens, qu'aucune autre pensée nous vienne troubler. Mais que les hommes du monde sont éloignés (6) de ces sentimens Converser avec Dieu leur paroît une rêverie le seul mot de retraite et de solitude leur donne (c) un ennui qu'ils ne peuvent vaincre. Ils passent éternellement d'affaire en affaire, et de visite en visite; et je ne m'en étonne pas, dit saint Bernard: ils n'ont pas cette oreille intérieure pour écouter la voix de Dieu dans leur conscience, ni cette bouche spirituelle pour lui parler secrètement au dedans du cœur. C'est pourquoi ils cherchent à tromper le temps par mille sortes d'occupations (d) et ne sachant à quoi passer les heures du jour, dont la lenteur leur est à charge, ils charment l'ennui qui les accable par des amusemens inutiles Longitudinem tenvpons, quâ gravantur, inutilibus confabulationibus expendere satagunt*. Regardez cet homme d'intrigues environné de la troupe de ses cliens, qui se croit honoré par l'assiduité des devoirs qu'ils s'empressent de lui rendre; il regarde comme une grande peine de se trouver vis-à-vis de lui-même Stipatus clientiwn cuneis, frequentiore comitatu oflïciosi aqminis 1 In Joan., tract. XVII, n. H.– Tract, de Pass. Dom., cAp. xxvn,in Append. Oper. S. Bern.
(a) Var. Retirons-nous pour. (i) Mais que nous sommes éloignés. –(c) Inspire. (d) A s'occuper dans les emplois extérieurs Exteriorum sensuum subsidia quœrunt
hic honestatus, pœnam putat esse cùm solus est Toujours ce lui est un supplice que d'être seul, comme si ce n'étoit pas assez de lui-même pour pouvoir s'occuper agréablement dans l'affaire de son salut. Cependant il est véritable, vous vous fuyez vous-même, vous refusez de converser avec vous-même, vous cherchez continuellement les autres, et vous ne pouvez vous souffrir vous-même. Usque arteô charus est hic mundus hominibus, ut sibimetipsis viluerinl « Ce monde tient si fort au cœur des hommes (a) qu'ils se dédaignent eux-mêmes, » qu'ils en oublient leurs propres affaires. Désabusez-vous, ô mortels! Que vous servent ces liaisons et ces nouvelles intrigues où vous vous jetez tous les jours? C'est pour vous donner du crédit, pour avoir de l'autorité. Mais unissez-vous avec Dieu, et apprenez de François de Paule que c'est par là qu'on peut acquérir la véritable puissance Omnia mea tua sunt: c'est ma troisième partie (b).
TROISIÈME POINT.
Nous apprenons de Tertullien que l'hérétique Marcion avoit l'insolence de reprocher hautement au Dieu d'Abraham qu'il ne s'accordoit pas avec lui-même. Tantôt il paroissoit dans son Ecriture avec une majesté si terrible, qu'on n'en osoit approcher sans crainte (c) et tantôt il avoit, dit-il, des foiblesses, des facilités, des bassesses et des enfances Pusillitates et incongruentias Dei3, comme il avoit l'audace de s'exprimer, jusqu'à craindre de fâcher Moïse et à le prier de le laisser faire Dimitte me ut irascatur furor meus « Laissez-moi lâcher la bride à ma colère contre ce peuple infidèle -(d). » D'où cet hérétique concluoit que le Dieu que 1 S. Cyprian., Epist. ad Donat., n. 2 S. August., ep. xliii, cap. 1.- » Tertull., Adu. Marcion., lib. II, n. 26, 27 – » Exod., xsxij, 10.
(a) Var. Ce monde est si cher aux hommes. (4) Cette fidélité persévérante, cette sainte familiarité d'uu fils qui est toujours demeuré avec son père lui donne une pleine disposition de tous les biens paternels et un droit d'en user avec empire C'est ce que le Fils de Dieu nous exprime par les paroles de mon texte « Mon fils, vous ètes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous » El omnia mea tua sunt. C'est ma troisième partie. (c) Qu'on ne la pouvoit regarder. (d) Dieu étant en colère coutre soli peuple, avoit comme résolu de le perdre; mais il appréhende Mol»e, il craint de fâcher Moise. Pour avoir entière liberté d'agir, Il lâche auparavant de gagner Moïse Laisse-moi, laisse-moi, dit-il que je lâche la bride à ma colère, pour détruire ce peuple infidèle. Pour toi, ne sois pas en peine, je te ferai le père d'un grand peuple
servoient les Juifs avoit une conduite irrégulière, qui se démentoit elle-même.
Ce qui servoit de prétexte à cette rêverie sacrilège, c'est en effet, Messieurs, que nous voyons dans les saintes Ecritures que Dieu change en quelque façon de conduite selon la diversité des personnes. Quand les hommes présument d'eux-mêmes, ou qu'ils manquent à la soumission qui lui est due, ou qu'ils prennent peu de soin de se rendre dignes de s'approcher de Sa Majesté, il ne se relâche jamais d'aucun de ses droits et il conserve avec eux toute sa grandeur (a). Voyez comme il traite Achab, comme il se plaît à l'humilier. Au contraire quand on obéit, et que l'on agit (h) avec lui en simplicité de cœur,' il se dépouille en quelque sorte de sa puissance, et il n'y a aucune partie de son domaine dont il ne mette en possession ses serviteurs. « Vive le Seigneur, dit Elie. en la présence duquel je suis il n'y aura ni pluie ni rosée que par mon congé » Vivit Domimis, in cujus conspectu sto, si erit annis his ros et pluvia nisi juxta oris met verba l. Voilà un homme qui paroît bien vindicatif, et cependant1 voyez-en la suite. C'est un homme qui jure, et Dieu se sent lié par ce serment; et pour délivrer la parole de son serviteur, confirmée par son jurement, il ferme le ciel durant trois années avec une rigueur inflexible. Que veut dire ceci, chrétiens, si ce n'est, comme dit si bien saint Augustin, que Dieu se fait servir par les hommes, et qu'il les sert aussi réciproquement? Ses fidèles serviteurs lui disent avec le P»almiste « Nous voilà tout prêts, ô Seigneur, d'accomplir constamment votre volonté » Ecce venio ut faciam, Deus, voluntatem tuam Vous voyez les hommes qui servent Dieu mais écoutez le même Psalmiste « Dieu fera la volonté de ceux qui le craignent » Voluntatem timentium se faciet Voilà Dieu qui leur rend le change, et les sert aussi à son tour. Vous servez Dieu, Dieu vous sert; vous faites sa volonté, et il fait la vôtre Si ideà Urnes Deum ut facias ejus voluntatem, ille quodam modo ministrat tibi, facit voluntatem tuam pour nous apprendre, 1 III Reg., XVII, 1. – • Psal. XXXIX, 8, 9. – Psal. cxliv, 19. – Enar. in Psal. cxliv, n 23.
Dimitte me ut irascatur furor meus, faciamque le in gentem magnam. –(a) Var. 11 se tient alors sur sa grandeur. (b) Traite.
chrétiens, que Dieu est un ami sincère, qui n'a rien de réservé pour les siens, et qui étudiant les désirs de ceux qui le craignent, leur permet d'user de ses biens avec une espèce d'empire Vohintatem timentium se faciet.
Mais encore que cette bonté s'étende généralement sur tous ses amis, c'est-à-dire sur tous les justes, les paroles de mon texte nous font bien connoître que ces justes persévérans, ces enfans qui n'ont jamais quitté sa maison, ont un droit tout particulier de disposer des biens paternels et c'est à ceux-là qu'il dit dans son Evangile ces paroles, avec un sentiment de tendresse extraordinaire et singulier « Mon Fils, vous avez toujours été avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous » Fili, tu semper mecum es, et omnia mea tua sunt. Pourquoi me reprochez-vous que je ne vous donne rien? Usez vous-même de votre droit, et disposez comme maître de tout ce qu'il y a dans ma maison (a). C'est donc en vertu de cette innocence et de cette parole de l'Evangile, que le grand saint François de Paule n'a jamais cru rien d'impossible. Cette sainte familiarité d'un fils qui sent l'amour de son père, lui donnoit la confiance de tout entreprendre et un prélat de la Cour de Rome, que le Pape lui avoit envoyé pour l'examiner, lui représentant les difficultés de l'établissement de son ordre si austère, si pénitent, si mortifié, fut ravi en admiration d'entendre dire à notre grand saint avec une ferveur d'esprit incroyable que tout est possible quand on aime Dieu et qu'on s'étudie de lui plaire; et qu'alors les créatures les plus rebelles sont (a) Var. Particulièrement ceux dont le cœur a été droit dans leur enfance, comme le grand saint François de Paule. C'est à ceux-là, Messieurs, qu'il dit avec joie « Tout ce qui est à moi est à vous. » Et lemarquez, s'il vous plait, quelle est l'occasion de ce discours. L'alné se plaignoit à son père du festin qu'il faisoit pour son pi odigue, et lui reprochoit qu'il ne lui avoit jamais rien donné pour régaler ses amis. A quoi le père répondit ce que nous avons entendu « Tout ce qui est à moi est à vous; » c'est-à-dire si vous l'entendez 11 n'est pas nécessaire, mou fils, que je vous donne aucune part de mes biens, puisque tout vous est acquis. C'est à vous à user de votre droit, etc. Voilà le privilège de l'innocence et encore qua je confesse que cette parfaite communication des biens de Dieu regarde principalement les avantages spirituels, néanmoins il est véritable, et leteniple de saint François de Paule le fait bien conuottre, qu'il donne aussi quelquefois aux justes une puissance absolue sur toutes les créatures. De là ce nombre iufim de miracles qu'il faisoit tous les jours avec une facilité incroyable.
forcées, par une secrète vertu, de faire la volonté de celui qui s'applique' à faire celle de son Dieu. Il n'a point été trompé dans son attente son ordre fleurit dans toute l'Eglise avec cette constante régularité qu'il avoit si bien établie, et qui se soutient sans relâchement depuis deux cents ans.
Ce n'est pas en cette seule rencontre que Dieu a fait connoître à son serviteur, qu'il écoutoit (a) ses désirs. Tous les peuples où il a passé ont ressenti mille et mille fois des effets considérables de ses prières et quatre de nos rois successivement lui ont rendu ce glorieux témoignage, que dans leurs affaires très-importantes ils n'avoient point trouvé de secours plus prompt, ni de protection plus assurée. Presque toutes les créatures ont senti cette puissance si peu limitée que Dieu lui donnoit sur ses biens; et je vous raconterai» avec joie les miracles presque infinis que Dieu faisoit par son ministère, non-seulement dans les grands besoins, mais encore, s'il se peut dire, sans nécessité, n'étoit que ce détail seroit ennuyeux, et apporteroit peu de fruit. Mais comme de tels miracles qui se font particulièrement hors des grands besoins, sont le sujet le plus ordinaire de la raillerie des incrédules (b), il faut qu'à l'occasion du grand saint François, je tâche aujouid'hui de leur apprendre par une doctrine solide à parler plus révéremment des œuvres de Dieu. Voici donc ce que j'ai vu dans les saintes Lettres touchant ces sortes de miracles.
Je trouve deux raisons principales pour lesquelles Dieu étend son bras à des opérations miraculeuses la première c'est pour montrer sa grandeur et convaincre les hommes de sa puissance la seconde, pour faire voir sa bonté et combien il est indulgent à ses serviteurs. Or je remarque cette différence dans ces deux espèces de miracles, que lorsque Dieu veut faire un miracle pour mon- trer seulement sa toute-puissance, il choisit des occasions extraordinaires (c). Mais quand il veut faire encore sentir sa bonté, il ne néglige pas les occasions les plus communes (d). Cela vient de (a) Var. Accomplissoit. (b) Je sais, Messieurs, que de tels miracles sont le sujet de la raillerie des incrédules, et que quand ils voient dans les vies des saints que Dieu emploie sa puissance extraordinaire dans des nécessités communes, ils s'élèvent contre ces histoires et que la vérité leur en est suspecte. (c) Des nécessités pressantes. (d) Les plus vulgaires.
la différence de ces deux divins attributs. La toute-puissance semble surmonter de plus grands obstacles la bonté'descend à des soins plus particuliers (a). L'Ecriture nous le fait voir en deux chapitres consécutifs du IVe Livre des Rois. Elisée guérit Naaman le lépreux, capitaine général de la milice du roi de Syrie et chef des armées de tout son royaume voilà une occasion extraordinaire, où Dieu veut montrer son pouvoir aux nations infidèles. « Qu'il vienne à moi, dit Elisée, et qu'il sache qu'Israël n'est point sans prophète (b) Il Veniat ad me, et sciât esse prophetam in Israel Mais au chapitre suivant, comme les enfans des prophètes (c) travailloient sur le bord d'un fleuve, l'un d'eux laisse tomber sa cognée dans l'eau, et aussitôt crie à Elisée Heu /lieu! 1 heu domine mi, et hoa ipsum mutuà acceperam »; « Hélas! cette cognée n'étoit pas à moi; je l'avois empruntée. ». Et encore qu'une rencontre si peu importante (d) semblât ne mériter pas un miracle, néanmoins Dieu, qui se plaît à faire connoître qu'il aime la simplicité de ses serviteurs et prévient leurs désirs dans les moindres choses, fit nager (e) miraculeusement ce fer sur les eaux au commandement d'Elisée, et le rendit à celui qui l'avoit perdu. Et d'où vient cela, chrétiens, si ce n'est que notre grand Dieu, qui n'est pas moins bon que puissant, nous montrant sa toute-puissance dans les entreprises éclatantes, veut bien aussi quand il lui plaît montrer dans les moindres la facilité incroyable avec laquelle il s'abandonne à ses serviteurs, pour justifier cette parole Omnia mea tua sunt ? F
Puisque le grand saint François de Paule a été choisi de Dieu en son temps, pour faire éclater en sa personne cette merveilleuse IV Reg., v, 8. – « Ibid yi, 5.
(a) Var. La raison eu est évidente; c'est que la puissance paroît dans les entreprises extraordinaires, et la bonté se fait connoitre en descendant aux soins les plus communs. (A) Nous lisons au IV0 Livre des Hois que le roi de Syrie ayant envoyé Naaman au roi d'Israèl pour le guérir de sa lèpre, ce prince fut tort étonné d'une telle proposition « Me prend-il pour un Dieu qui puisse donner la vie et la mort? » Numqmd Deus ego mm, ut occidere possim et vivificare ? Mais le prophète Elisée lui envoya dire qu'il cessât de s'inquiéter « Que Naaman vienne à moi, et qu'il sache qu'il y a un prophète en Israul. » l'eniai ad me et sciât prophelam esse tn Israel. (c) Etant allé couper du bois nécessaire pour leur logement. (d) De cette nature.- (e) Qui se plaît à faire connoltre qu'il écoute ses serviteurs dans les moindres choses, honora tellement la simplicité de ce prophète, qu'il fit nager.
communication qu'il donne de sa puissance à ses bons amis, je ne m'étonne pas, chrétiens, si les fidèles de Jésus-Christ ont eu tant de confiance en lui durant sa vie, ni si elle dure encore et a pris de nouvelles forces après sa mort. Je ne m'étonne pas de voir sa mémoire singulièrement honorée par la dévotion publique, son ordre révéré par toute l'Eglise et les temples qui portent son nom et sont consacrés à sa mémoire, fréquentés avec grand concours par tous les fidèles (a):
Mais ce qui m'étonne, mes Frères, ce que je ne puis vous dissimuler, ce que je voudrois pouvoir dire avec tant de force que les cœurs les plus durs en fussent touchés, c'est lorsqu'il arrive que ces mêmes temples où la mémoire de François de Paule, où les bons exemples de ses religieux, enfin pour abréger ce discours, où toutes choses inspirent la dévotion, deviennent le théâtre de l'irrévérence de quelques particuliers audacieux. Je n'accuse pas tout le monde, et je ne doute pas au contraire que cette église ne soit fréquentée par des personnes d'une piété très-recommandable. Mais qui pourroit souffrir sans douleur que sa sainteté soit déshonorée par les désordres de ceux qui, ne respectant ni Dieu ni les hommes, la profanent tous les j ours par leurs insolences? Que s'il y avoit dans cet auditoire quelques-uns de cette troupe scan(a) Var. Reconnoissez donc, chrétiens, que Dieu, à qui il ne coûte rien de faire céder la nature à ses volontés, emploie quelquefois les miracles dans des occasions peu pressantes, seulement pour faire paroitre la facilité incroyable avec laquelle il s'abandonne à ses serviteurs Si quelqu'un mérite cette grace et cette entière disposition des biens de Dieu, ce sont particulièrement ses anciens amis qui lui ont toujours gardé la fidélité. Si bien'que notre grand Saint étant de ce nombre, je n'ai pas de peine à comprendre que Dieu, suivant ses désirs, ait fait par ses mains de si grands miracles. La source, Messieurs, n'en est point tarie, et s'il en a fait en ce monde, sa puissance n'est pas épuisée depuis qu'il est devenu citoyen du ciel Saint Augustin a dit dans le livre XIII De la Trinité: Teneant mortales justittam potentia immortahbus dibitur « Quelles mortels gardent lajustice, la puissance leur sera donnée dans le séjour de l'immortalité; » c'est-à-dire C'est ici le temps de pratiquer la justice, mais ce n'est pas encore le temps de recevoir la puissance. Nous devons apprendre en cette vie à vouloir seulement ce qu'il faut; il nous sera donné en l'autre de pouvoir ce que nous voulons. Ce n'est donc pas ici le heu du pouvoir; et néanmoins Dieu se plait, Messieurs, de donner dès ce monde à ses serviteurs une étendue de puissance qui s'avance jusqu'aux miracles. Par conséquent, qui pourroit vous dire combien elle s'accroît dans la vie future? Accourez donc toujours dans les églises consacrées sous le nom et la mémoire du grand saint François, accourez y, mes Frères; mais que le concours ne s'y fasse pas au préjudice de la piété. C'est ce que j'ai à vous recommander dans ce dernier discours.
daleuse, permettez-moi de leur demander que leur a fait ce saint lieu qu'ils choisissent pour le profaner par leurs paroles, par leurs actions, parleurs contenances impies (a)? Que leur ont fait ces religieux vrais enfaus et imitateurs du grand saint François de Paule ? et leur vie a-t-elle mérité au milieu de tant de travaux que leur fait subir volontairement leur mortification et leur pénitence, qu'on leur ajoute encore cette peine, qui est la seule qui les afflige, de voir mépriser à leurs yeux le Maître qu'ils servent? Mais laissons les hommes mortels, et parlons des intérêts du Sauveur des ames. Que leur a fait Jésus-Christ, qu'ils viennent outrager jusque dans son temple ? Pendant que le prêtre est saisi de crainte, dans une profonde considération des sacremens dont il est ministre; pendant que le Saint-Esprit descend sur l'autel pour y opérer les sacrés mystères, que les anges les révèrent, que les démons tremblent, que les ames saintes et pieuses de nos frères qui sont décédés attendent leur soulagement des saints sacrifices, ces impies discourent aussi librement, que s.i tout ce mystère étoit une fable (b). D'où leur vient cette hardiesse devant Jésus-Christ? Est-ce qu'ils ne le connoissent pas, parce qu'il se cache ou qu'ils le méprisent, parce qu'il se tait? Vive le Seigneur tout-puissant en la présence duquel je parle ce Dieu qui se tait maintenant, ne se taira pas toujours; ce Dieu qui se tient maintenant caché, saura bien quelque jour paroître pour leur confusion éternelle. J'ai cru que je ne devois pas (c) quitter cette chaire, sans leur donner ce charitable avertissement. C'est honorer saint François de Paule, que de travailler, comme nous pouvons, à purger son église de ces scandaleux et je les exhorte en NotreSeigneur de profiter de cette instruction s'ils ne veulent être regardés comme des profanateurs publics de tous les mystères du christianisme.
Mais après leur avoir parlé, je retourne à vous, chrétiens, qui venez en ce temple pour adorer Dieu, et pour y écouter sa sainte (a) Var. Trouvez bon, je vous prie, Messieurs, que je leur adresse la parole Mes Frères, qui que vous soyez, je vous appelle encore de ce nom; car quoique vous ayez perdu le respect pour Dieu il ne laisse pas malgré vous d'élre votre Père. Que vous a fait cette église, et pourquoi la choisissez-vous pour y faire parottre vos impiétés. – (6) Que si Jésus-Christ n'y étoit pas. (c) Ne devoir pas.
parole. Que vous dirai-je aujourd'hui, et par où conclurai-je ce dernier discours? Ce sera par ces beaux mots de l'Apôtre Deus autem spei repleat vos gaudio et face in credendo, ut abundetis in spe et virtute Sjdritûs sancti « Que le Dieu de mon espérance vous' rem plisse de joie et de paix, en croyant à la parole de son Evangile, afin que vous abondiez en espérance et en la vertu du Saint-Esprit. » C'est l'adieu que j'ai à vous dire nos remercîmens sont des vœux nos adieux des instructions et des prières. Que ce grand Dieu de notre espérance, pour vous récompenser de l'attention que vous avez donnée à son Evangile vous fasse la grace d'en profiter. C'est ce que je demande pour vous: demandez pour moi réciproquement que je puisse tous les jours apprendre à traiter saintement et fidèlement la parole de vérité; que nonseulement je la traite, mais que je m'en nourrisse et que j'en vive. Je vous quitte avec ce mot; et ce ne sera pas néanmoins sans vous avoir désiré à tous, dans toute l'étendue de mon coeur, la félicité éternelle, au nom du Père, et du Fils, et du SaintEsprit. Amen.
PANÉGYRIQUE
DE
L'APOTRE SAINT PIERRE (a).
Simon Joannis, amas me? Domine, tu omma nosti, tu scis quia amo te. Simon, flls de Jean, m'aimes-tu? Seigneur, vous savez toutes choses, et vous n'ignorez pas que je vous aime. Joan., xxi, 17.
C'est sans doute, mes Frères, un spectacle bien digne de notre curiosité, que de considérer le progrès de l'amour de Dieu dans les ames. Quel agréable divertissement ne trouve-t-on pas à conRom., iv, 13.
(a) Piêclié vers 16ri.
Le lecteur trouvera sans doute que le style de ce discours, et ses dimensions mêmes, indiquent cette date approximative.
templer de quelle manière les ouvrages de la nature s'avancent à leur perfection, par un accroissement insensible ? Combien ne goûte-t-on pas de plaisir à observer le succès des arbres qu'on a entés dans un jardin, l'accroissement des blés, le cours d'une rivière On aime à voir comment d'une petite source, elle va se grossissant peu à peu jusqu'à ce qu'elle se décharge en la mer. Ainsi c'est un saint et innocent plaisir de remarquer les progrès de l'amour de Dieu dans les cœurs. Examinons-les en saint Pierre. Son amour a été premièrement imparfait, et celui qu'il ressentoit pour le Fils de Dieu tenoit plus d'une tendresse naturelle que de la charité divine. De là vient qu'il étoit foible, languissant, et n'avoit qu'une ferveur de peu de durée. Ce qu'il y avoit de plus dangereux, c'est que cette ardeur inconstante qui ne le rendoit pas ferme, le faisoit superbe et présomptueux voilà le premier état de son amour. Mais le foible de cet amour languissant ayant enfin paru dans sa chute, cet apôtre se défiant de soi-même, se releva de sa ruine plus fort et plus vigoureux par l'humilité qu'il avoit acquise voilà quel est le second degré. Et enfin cet amour, qui s'étoit fortifié par la pénitence, fut entièrement perfectionné par le sacrifice de son martyre. C'est ce qu'il nous faut remarquer en la personne de notre apôtre, en observant avant toutes choses que ce triple progrès nous est expliqué dans le texte de notre évangile.
Car n'est-ce pas pour cette raison que Jésus demande trois fois à saint Pierre « Pierre, m'aimes-tu? » II ne se contente pas de sa première réponse « Je vous aime, dit-il, Seigneur. Mais peut-être que c'est de cet amour foible dont l'ardeur indiscrète le transportoit avant sa chute s'il est ainsi, ce n'est pas assez. De là vient que Jésus réitère la même demande et il ne se contente pas que Pierre lui réponde encore de même car il ne suffit pas que son amour soit fortifié par la pénitence, il faut qu'il soit consommé par le martyre. C'est pourquoi il le presse plus vivement, et le disciple lui répond avec une ardeur non pareille « Vous savez Seigneur que je vous aime. » Tellement que notre Sauveur voyant son amour élevé au plus haut degré où il peut monter en ce monde, il ne l'interroge pas davantage, et il lui dit
« Suis-moi. » Et où? A la croix où tu seras attaché avec moi Extendes manus tuas marquant par là le dernier effort que peut faire la charité. Car point de charité plus grande ici-bas que celle qui conduit à donner sa vie pour Jésus-Christ Majorent charitatem nemo habet Ainsi paroissent dans notre évangile ces trois états de l'amour que saint Pierre a ressenti pour le Fils de Dieu et suivant les traces de l'Ecriture, nous vous ferons voir aussi, premièrement son amour imparfait et foible par le mélange des sentimens de la chair secondement son amour épuré et fortifié par les larmes de la pénitence; troisièmement son amour consommé et perfectionné par la gloire du martyre. PREMIER POINT.
Il semble que ce soit faire tort à l'amour que saint Pierre avoit pour son Maître que de dire qu'il ait été imparfait. Le premier pas qu'il fait, c'est de quitter toutes choses pour l'amour de lui Ecce nos reliquimus omnia 3. Et peut-il témoigner un plus grand amour, que lorsqu'il lui dit avec tant de force « A qui ironsnous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle » Ad quem ibimus? Verba vitœ œternœ habes Toutefois son amour étoit imparfait, parce qu'il tenoit beaucoup plus d'une tendresse naturelle qu'il avoit pour Jésus-Christ, que d'une charité véritable. Pour l'entendre, il faut remarquer quelle sorte d'amour Jésus-Christ veut que l'on ait pour lui. Il ne veut pas .que l'on aime simplement sa gloire, mais encore son abaissement et sa croix. C'est pourquoi nous voyons en plusieurs endroits que lorsque sa grandeur paroît davantage, il rappelle aussitôt les esprits au souvenir de sa mort Loquebantur de excessu B. C'est de quoi il entretenoit à sa glorieuse transfiguration Moïse et Elie de même en plusieurs endroits de l'Evangile on voit qu'il a un soin tout particulier de ne laisser jamais perdre de vue ses souffrances (a). Ainsi pour l'aimer d'un amour parfait, il faut surmonter cette tendresse naturelle qui voudroit le voir toujours dans la gloire, afin 1 Joan., xxt, 18. « Ibid., xv, 13. – » Malth., xix, 27. – Joan,, vi, 69. Luc., ix, 31.
(a) Voy. Serm. du Nom de Jésus Vocabxs ncmen ejus Jesum, vol.VIII, p. 361.
de prendre un amour fort et vigoureux qui puisse le suivre dans l'ignominie. C'est ce que saint Pierre ne pouvoit pas goûter. Il avoit de la charité; mais cette charité étoit imparfaite à cause d'une affection plus basse, qui se mèloit avec elle. C'est ce que nous voyons clairement au chapitre xvi de saint Matthieu. « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, s'écrie cet apôtre » Tu es Christus Filius Dei vivi. Il dit cela, non-seulement avec beaucoup de lumière mais avec beaucoup d'ardeur. C'est pourquoi il est heureux, beatus, parce qu'il avoit la foi, et la foi opérante par la charité. Cette ardeur ne tenoit rien de la terre; la chair et le sang n'y avoient aucune part Caro et sanguis non revelavit tibi 1. Mais voyons ce qui suit après.
Jésus-Christ voyant sa gloire si hautement confessée par la bouche de Pierre, commence selon son style ordinaire à parler de ses abaisse mens. « Dès lors il déclara à ses disciples qu'il falloit qu'il souffrît beaucoup et qu'il fût mis à mort » Exindè cœpit Jesus ostendere discipulis suis, quoniam oporteret eum multa patt et occidi s. Et aussitôt ce même Pierre, qui avoit si bien reconnu la vérité en confessant la grandeur du Sauveur du monde, ne la peut plus souffrir dans ce qu'il déclare de sa bassesse. « Sur quoi Pierre le prenant à part, se mit à'ie reprendre en lui disant A Dieu ne plaise, Seigneur cela ne vous arrivera pas » Cœpit increpare Ulum Absit à te, Domine, non erit tibi hoc'. Ne voyez-vous 'pas, chrétiens, qu'il n'aime pas Jésus-Christ comme il faut ? Il ne connoît pas le mystère du Verbe fait chair, c'est-àdire le mystère d'un Dieu abaissé. Il confesse avec joie ses grandeurs, mais il ne peut supporter ses humiliations de sorte qu'il ne l'aime pas comme Sauveur puisque ses abaissemens n'ont pas moins de part à ce grand ouvrage que sa grandeur divine et infinie. Quelle est la cause de la répugnance qu'avoit cet apôtre à reconnoître ce Dieu abaissé? C'étoit cette tendresse naturelle qu'il avoit pour le Fils de Dieu, par laquelle il le vouloit voir honoré à la manière que les hommes le désirent. C'est pourquoi le Sauveur lui dit « Retire-toi de moi, Satan, tu m'es a scandale car tu n'as pas le sentiment des choses divines, mais seulement de ce i Matth., xvi, 17. – « Ibid., 21 – « Ibid., 22.
qui regarde les hommes1. » Voyez l'opposition. Là il dit BarJona, fils de la colombe ici Satan. Là il dit Tu es une pierre sur laquelle je veux bâtir; ici Tu es une pierre de scandale pour faire tomber. Là Caro et sanguis non revelavit tibi sed Pater meus; ;îclk l'opposite Non sapis ea quœ Dei sunt, sed ea quœ hominum. D'où vient qu'il lui parle si differemment, sinon à cause de ce mélange qui rend sa charité imparfaite ? Il a de la charité Caro et sanguis non revelavit il a un amour naturel qui ne veut que de la gloire et fuit les humiliations Non sapis quœ Dei sunt. C'est pourquoi, quand on prend son Maître, il frappe de son épée, ne pouvant souffrir cet affront. Aussitôt JésusChrist lui dit « Quoi 1 je ne boirai pas le calice que mon Père m'a donné à boire ? » Calicem quem dedit mihi Pater, non bibam illum ?
C'est ce mélange d'amour naturel qui rendoit sa charité lente. Car cet amour l'embarrasse, quoiqu'il semble aller à' la même fin. Comme si vous liiez deux hommes ensemble, dont l'un soit agile et l'autre pesant, et qu'en même temps vous leur ordonniez de courir dans la même voie, quoiqu'ils aillent au même but, néanmoins ils s'embarrassent l'un l'autre et pendant que le plus dispos veut aller avec diligence, retenu et accablé par la pesanteur de l'autre, souvent il ne peut plus avancer, souvent même il tombe et ne se relève qu'à peine. Ainsi en est-il de ces deux amours. Tous deux, ce semble, vont à Jésus-Christ. Celui-là, divin et céleste', l'aime d'un amour que la chair et le sang ne peuvent inspirer; et l'autre est porté pour lui de cette tendresse naturelle que nous avons tant de fois décrite. Le premier est lié avec le dernier et étant enveloppé avec lui, non-seulement il est retardé, mais encore porté par terre par la pesanteur qui l'arrête. C'est pourquoi vous voyez l'amour de saint Pierre toujours chancelant, toujours variable. Il voit son Maître, et il se jette dans les eaux pour venir à lui mais un moment après il a peur, et mérite que Jésus lui dise Mudicœ fidei, quare dubitastV? P Quand le Sauveur lui prédit sa chute, il se laisse si fort transporter par la chaleur de son amour indiscret, qu'il donne le dé1 Matih xvi, 23. – Joan., xvm, 11. » Maith., xiv, 31.
menti à son Maître; mais attaqué par une servante, il le renie avec jurement. Qui est cause de cette chute, sinon sa témérité? Et qui l'a rendu téméraire, sinon cet amour naturel qu'il sentoit pour le Fils de Dieu ? Il s'imaginoit qu'il étoit ferme, parce qu'il expérimentoit qu'il étoit ardent; et il ne considéroit pas que la fermeté vient de la grace, et non pas des efforts de la nature tellement qu'étant tout ensemble et foible et présomptueux, déçu par son propre amour, il promet beaucoup; et surpris par sa foiblesse, il n'accomplit rien au contraire, il renie son Maître et pendant que la lâcheté des autres fait qu'ils évitent la honte de le renier par celle de leur fuite, le courage foible de saint Pierre fait qu'il le suit pour le lui faire quitter plus honteusement de sorte qu'il semble que son amour ne l'engage à un plus grand combat que pour le faire tomber d'une manière plus ignominieuse.
Ainsi se séduisent eux-mêmes ceux qui n'aiment pas JésusChrist selon les sentimens qu'il demande, c'est-à-dire qui n'aiment pas sa croix, qui attendent de lui des prospérités temporelles, qui le louent quand ils sont contens, qui l'abandonnent sur la croix et dans les douleurs. Leur amour ne vient pas de la charité qui ne cherche que Dieu, mais d'une complaisance qu'ils ont pour eux-mêmes c'est pourquoi ils sont téméraires, parce que la nature est toujours orgueilleuse, comme la charité est toujours modeste. Voilà les causes de la langueur et ensuite de la chute de notre apôtre mais voyons son amour épuré et fortifié par les larmes de la pénitence.
SECOND POINT.
Saint Augustin nous apprend qu'il est utile aux superbes de tomber, parce que leur chute leur ouvre les yeux, qu'ils avoient aveuglés par leur amour-propre C'est ce que nous voyons en la personne de notre apôtre. Il a vu que son amour l'avoit trompé. Il se figuroit qu'il étoit ferme, parce qu'il se sentoit ardent, et il se fioit sur cette ardeur mais ayant reconnu par expérience que cette ardeur n'étoit pas constante tant que la nature s'en mêloit, lDe Civit. Dei, lib. XIV, cap. xui.
il a purifié son cœur pour n'y laisser brûler que la charité toute seule. Et la raison en est évidente. Car de même que dans la comparaison que j'ai déjà faite d'un homme dispos, qui court dans la même carrière avec un autre pesant et tardif, l'expérience ayant appris au premier que le second l'empêche et le fait tomber, l'oblige aussi à rompre les liens qui l'attachoient avec lui ainsi l'apôtre saint Pierre ayant reconnu que le mélange des sentimens naturels rendoit sa charité moins active, et enfin en avoit éteint toute la lumière, il a séparé bien loin toutes ces affections qui venoient du fond de la nature, pour laisser aller la charité toute seule. Que me sert, disoit-il en pleurant amèrement sa chute honteuse, que me sert cette ardeur indiscrète à laquelle je me suis laissé séduire ? Il faut éteindre ce feu volage qui s'exhale par son propre effort, et se consume par sa propre violence, et ne laisser agir en mon ame que celui de la charité, qui s'accroît continuellement par son exercice. C'est ce qui lui fait dire, aussi bien qu'à son collègue saint Paul « Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connoissonsplus de cette sorte » El si cognovimus secundùm carnem Christum, sed nunc jam non novimus1. La chair, qui se plaît dans la pompe du monde, ne veut voir Jésus- Christ que dans sa gloire et ne peut supporter son ignominie. Mais la charité ne l'aime pas moins sur le Calvaire que sur le Thabor; et je devois avoir dit du premier ce que j'ai dit autrefois de l'autre « Il nous est bon d'être ici » Bonum est nos hic es.sè l.
Voilà donc saint Pierre changé, et sa chute l'a rendu savant. Car sachant qu'un empire très-noble et très-souverain étoit préparé à notre Sauveur, il ne pouvoit comprendre qu'il le pût jamais conserver au milieu des ignominies, auxquelles il disoit si souvent lui-même que sa sainte humanité étoit destinée si bien que ne pouvant concilier ces deux vérités, le désir ardent qu'il avoit de voir Jésus -Christ régnant l'empêchoit de reconnoître Jésus-Christ souffrant. Mais sa chute l'a désabusé de cette erreur. Car dans la chaleur de son crime, ayant senti son cœur amolli par un seul regard de son Maître, il est convaincu par sa propre 1 11 Cor., v, 16. Matlh., ïVir, 4.
expérience qu'il n'a rien perdu de sa puissance, pour être entre les mains#des bourreaux. Il voit ce Jésus méprisé, ce Jésus abandonné aux soldats, régner en victorieux sur les cœurs les plus endurcis. Il croyoit qu'il perdroit son empire parmi les supplices; et il sent par expérience que jamais il n'a régné plus absolument. Ses yeux, quoique déjà tout meurtris, ne laissent pas par un seul regard de faire couler des larmes amères. Ainsi persuadé par sa chute et par les larmes de sa pénitence que le royaume de JésusChrist se conserve et s'établit par sa croix, il purifie son amour par cette pensée; et lui, qui avoit tant de répugnance à considérer Jésus-Christ en croix, reconnoît avec une fermeté incroyable que son règne et son pouvoir est en la croix. « Que toute la maison d'Israël sache donc très-certainement que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié » Certissimè sciât ergo omnis domiis Israel, quia et Dominum eum et Christum fecit Deus, hune Jesum quem vos interemistis
"Voilà donc saint Pierre changé; le voilà fortifié par la pénitence. Son amour n'est plus foible, parce qu'il n'est plus présomptueux et il n'est plus présomptueux, parce que ce n'est plus un amour mêlé des inclinations naturelles, mais une charité toute pure, laquelle, comme dit saint Paul1, n'est jamais superbe ni ambitieuse. Cet amour imparfait et son orgueil tout ensemble ont été brisés par sa chute; et étant devenu humble, il devient ensuite invincible. Il n'avoit pas eu la force de résister à une servante, et le voilà qui tient tête à tous les magistrats de* Jérusalem. Là il n'ose pas confesser son Maître; ici il répond constamment que non-seulement il ne veut pas, mais encore qu'il ne peut pas refuser sa voix pour rendre témoignage à ses vérités Non possumns 3. Comme un soldat qui dans le commencement du combat ayant été surpris par la crainte, se seroit abandonné à la fuite, tout à coup rougissant de sa foiblesse et piqué d'une noble honte et d'une juste indignation contre son courage qui lui a manqué, revient à la mêlée fortifié par sa défaite, et pour réparer sa première faute il se jette où le péril est le plus certain ainsi l'apôtre saint Pierre. Apprenons donc que la pénitence nous doit donner Act., H, 36. « 1 Coi:, xiii, 4, 5. – » Ad., iv, 20.
de nouvelles forces pour combattre le péché, et faire régner JésusChrist sur nos cœurs. C'est par là que nous montrerons la vérité de notre douleur, et que notre amour allant toujours se perfectionnant parmi nos victoires et nos sacrifices, pourra être enfin à jamais affermi, comme celui du saint apôtre, par le dernier effort d'une charité insurmontable.
TROISIÈME POINT.
Petre, amas me? Jésus-Christ l'interroge trois fois, pour montrer que la charité est une dette qui ne peut jamais être entièrement acquittée, et que ce divin Maître ne laisse pas d'exiger dans le temps même que l'on la paie, parce que cette dette est de nature qu'elle s'accroît en la payant. Pierre depuis le moment de sa conversion, pour acquitter dignement cette dette, n'a cessé de croître dans l'amour de son divin Maître et son amour par ces différens progrès est enfin parvenu à un degré si éminent, qu'il ne sauroit atteindre ici-bas à une plus haute perfection. C'est à cette heure que notre apôtre est fondé plus que jamais à répondre au divin Sauveur «Yous savez que je vous aime, » puisque son amour mis à la plus grande épreuve que l'homme puisse porter, triomphe des tourmens et de la mort même. Ni l'attache à la vie, ni l'opprobre d'un supplice ignominieux, ni la douleur d'un martyre cruel et long, ne peuvent ralentir son ardeur. Que dis-je ? ils ne servent qu'à l'animer de plus en plus par le désir dont son cœur est possédé de se sacrifier pour celui qu'il aime si fortement et loin de trouver rien de trop pénible dans l'amertume de ses souffrances, il veut encore y ajouter de son propre mouvement une circonstance non moins dure, pour exprimer plus vivement les sentimens de son profond abaissement devant son Maître, pour lui faire comme une dernière amende honorable de ses infidélités passées, et l'adorer dans le plus parfait anéantissement de lui-même. Tant il est vrai que l'amour de saint Pierre est à présent aussi fort que la mort, que son zèle est inflexible comme l'enfer, que ses lampes sont des lampes de feu, que sa flamme est toute divine et que s'il a succombé autrefois à la plus foible épreuve, désormais les grandes eaux ne pourront
l'éteindre, et les fleuves de toutes les tentations réunies n'auront point la force de l'étouffer
Quel contraste, mes Frères, entre nous et ce grand apôtre 1 Si Jésus-Christ nous demandoit ainsi qu'à lui « M'aimez-vous? » Amas me Qui répondra Seigneur, je vous aime? Tous le diront mais prenons garde. L'hypocrisie le dit mais c'est une feinte. La présomption le dit; mais c'est une illusion. L'amour du monde" le dit; mais c'est un intérêt, qui n'aime Jésus-Christ que pour être heureux sur la terre. Qui sont ceux qui le disent véritablement? Ceux qui l'aiment jusque sur la croix; ceux qui sont prêts à tout perdre pour lui demeurer fidèles, à tout souffrir pour être consommés dans son amoui\
PANÉGYRIQUE
DE
L'APOTRE SAINT PAUL (a).
PZaceo mihi ln mfirmitattbus mets ciim enim ihfirmor, tune potens sunt. Je ne me plais que dans mes loiblesses car lorsque je me sens foible, c'est alors que je suis puissant. II Cor., XII, 10.
Dans le dessein que, je me propose de faire aujourd'hui le panégyrique du plus illustre des prédicateurs et du plus zélé des » Cant-, vin, 6, 7.
(a) Prêché à l'Hôpital général, le 29 juin 1661.
Le prédicateur désigne comme en toutes lettres, dans la péroraison l'Hôpital général. Ensuite il unplore la chanté des fideles en faveur des pauvres. Ses pressantes sollicitations rappellent déjà l'année Ifî61 mais ce qui révèle le plus clairement cette date, c'est le style du discours. Un.critique le faitremonter à 1657; c'est le rapprocher trop du début de l'auteur.
Bossuet avoit déjà prêché un panégyiique de saint Paul, sur ce texte Surrexit Sûulus de terra, apertisque oculis nihil videbal. Ce discours excita, dans la capitale, un concert unanime d'éloges; et le P. dom Jérôme de Sainte-Marie, qui l'entendit à l'âge de dix-huit ans et qui s'acquit de la réputation dans la chaire, louoit encore cinquante années plus tard, après la mort de l'auteur, le Surrexit Saulus de Bossuet. L'évèque de Troye3 a perdu ce panégyrique, comme tant de chefs-d'œuvre.
On sait que le cardinal Maury se seroit volontiers chargé de revoir et de re-
TOM. XII. 15
apôtres, je ne puis vous dissimuler que je me sens moi-même étonné de la grandeur de mon entreprise. Quand je rappelle à mon souvenir tant de peuples que Paul a conquis, tant de travaux qu'il a surmontés, tant de mystères qu'il a découverts, tant d'exemples qu'il nous a laissés d'une charité consommée, ce sujet me paroît si vaste, si relevé, si majestueux, que mon esprit se trouvant surpris, ne sait ni où s'arrêter dans cette étendue, ni que tenter dans cette hauteur, ni que choisir dans cette abondance, et j'ose bien me persuader qu'un ange même ne suffiroit pas pour louer cet homme du troisième ciel.
Mais ce qui m'étonne le plus, c'est que cet amour mêlé de respect que je sens pour le divin Paul, et duquel j'espérois de nouvelles forces dans un ouvrage qui tend à sa gloire, s'est tourné ici i contre moi et a confondu longtemps mes pensées, parce que dans la haute idée que j'avois conçue de l'Apôtre je ne pouvois rien dire qui lui fût égal, et il ne me permettoit rien qui fût au-dessous. Que me reste-t-il donc, chrétiens, après vous avoir confessé ma foiblesse et mon impuissance, sinon de recourir à celui qui a inspiré à saint Paul les paroles que j'ai rapportées ? Cùm infirmer, lune potens sum « Je suis puissant, lorsque je suis foible. » Après ces beaux mots de mon grand Apôtre, il ne m'est plus permis de me plaindre; et je ne crains pas de dire avec lui que (e je me plais dans cette foiblesse, » qui me promet un secours divin Placeo mihi in inftrmilatibus. Mais pour obtenir cette grace, il nous faut encore recourir à celle dans laquelle le mystère ne s'est accompli qu'après qu'elle a reconnu qu'il passoit ses forces; c'est la bienheureuse Marie, que nous saluerons en disant Ave. Parmi tant d'actions glorieuses et tant de choses extraordinaires qui se présentent ensemble à ma vue, quand je considère l'histoire de l'incomparable Docteur des Gentils, ne vous étonnez pas, fondre les sermons de Bossuet il disoit aussi que nous n'avions point en France de panégyrique digne de ce nom, c'est-à-dire, si nous l'entendons bien, qu'il se réservoit la mission de créer parmi noua ce genre d'éloquence. Cependant il pardonnoit à Bossuet le Panégyrique de saint Paul; après en avoir cité plusieurs passages, il dit « On ne peut rien imaginer, il n'y a rien au delà d'une pareille éloquence. »
chrétiens, si laissant à part ses miracles et ses hautes (a) révélations, et cette sagesse toute divine et vraiment digne du troisième ciel qui paroît dans ses écrits admirables, et tant d'autres sujets illustres qui rempliroient d'abord vos esprits de nobles et magnifiques idées je me réduis à vous faire voir les infirmités de ce grand Apôtre, et si c'est sur ce seul objet que je vous prie d'arrêter vos yeux. Ce qui m'a porté à ce choix, c'est que devant vous prêcher saint Paul, je me suis senti obligé d'entrer dans l'esprit de saint Paul lui-même et de prendre ses sentimens. C'est pourquoi l'ayant entendu nous prêcher avec tant de zèle qu'il ne se glorifie que dans ses foiblesses et que ses infirmités font sa force Cùm enim infirmor, tune potens sum, je suis les mouvemens qu'il m'inspire et je médite son panégyrique, en tâchant de vous faire voir ces foiblesses toutes-puissantes par lesquelles il a établi l'Eglise, renversé la sagesse humaine, et captivé tout entendement sous l'obéissance de Jésus-Christ.
Entrons donc avant toutes choses dans le sens de cette parole, et examinons les raisons pour lesquelles le divin Paul ne se croit fort que dans sa foiblesse c'est ce qu'il m'est aisé de vous faire entendre. Il se souvenoit, chrétiens, de son Dieu anéanti pour l'amour des hommes il savoit que si ce grand monde et ce qu'il enferme en son vaste sein est l'ouvrage de sa puissance, il avoit fait un monde nouveau, un monde racheté par son sang et régénéré par sa mort, c'est-à-dire sa sainte Eglise, qui est l'œuvre de sa foiblèsse. C'est ce que regarde saint Paul; et après ces grandes pensées, il jette aussitôt les yeux sur lui-même. C'est là qu'il admire sa vocation il se voit choisi dès l'éternité pour être le Prédicateur des Gentils; et comme l'Eglise doit être formée de ces nations infidèles, dont il est ordonné l'Apôtre, il s'ensuit manifestement qu'il est le principal coopérateur de la grace de JésusChrist dans l'établissement de l'Eglise.
Quels seront ses sentimens, chrétiens, dans une entreprise si haute, où la Providence l'appelle"! L'exécutera-t-il par la force? `t Mais outre que la sienne n'y peut pas suffire, le Saint-Esprit lui a fait connoître que la volonté du Père céleste, c'est que cet ouvrage (ci) Var. Grandes, belles.
divin soit soutenu par l'infirmité « Dieu, dit-il, a choisi ce qui est infirme pour détruire ce qui est puissant '.» Par conséquent que lui reste-t-il, sinon de consacrer au Sauveur une foiblesse soumise et obéissante, et de confesser son infirmité, afin d'être le digne ministre de ce Dieu qui étant si fort par nature, s'est fait infirme pour notre salut? Voilà donc la raison solide pour laquelle il se considère comme un instrument inutile, qui n'a de vertu ni de force qu'à cause de la main qui l'emploie; et c'est pour cela, chrétiens, qu'il triomphe dans son impuissance et qu'en avouant qu'il est foible, il ose dire qu'il est tout-puissant Cùm enim infirmor, tunc potens sum.
Mais pour nous convaincre par expérience de la vérité qu'il nous prêche, il faut voir ce grand homme dans trois fonctions importantes du ministère qui lui est commis. Car ce n'est pas mon dessein, Messieurs, de considérer aujourd'hui saint Paul dans sa vie particulière je me propose de le regarder dans les emplois de l'apostolat, et je les réduis à trois chefs; la prédication, les. combats, le gouvernement ecclésiastique.
Entendez ceci, chrétiens, et voyez la liaison nécessaire de ces trois obligations dont le charge son apostolat. Car il falloit premièrement établir l'Eglise, et c'est ce qu'a fait la prédication mais d'autant que cette Eglise naissante devoit être dès son berceau attaquée (a) par toute la terre, en même temps qu'on l'établissoit, il falloit se préparer à combattre et parce qu'un si grand établissement se dissiperoit de lui-même si les esprits n'étoient bien conduits, après avoir si bien soutenu l'Eglise contre ceux qui l'attaquoient au dehors, il falloit la maintenir au dedans par le bon ordre de la discipline. De sorte que la prédication devoit précéder, parce que la foi commence par l'ouïe; après, les combats devoient suivre, car aussitôt que l'Evangile parut, les persécutions s'élevèrent enfin le gouvernement ecclésiastique devoit assurer les conquêtes, en tenant les peuples conquis dans l'obéissance par une police toute divine.
C'est, mes Frères, à ces trois choses que se rapportent les tra« I Cor., 27.
(a) Var.: persécutée.
vaux de l'Apôtre et nous le pouvons aisément connoitre par le récit qu'il en fait lui-même dans ce merveilleux chapitre xi de la Seconde aux Corinthiens. Il raconte premièrement ses fatigues et ses voyages laborieux et n'est-ce pas la prédication qui les lui faisoit entreprendre, pour porter par toute la terre l'Evangile du Fils de Dieu? Il raconte aussi ses périls et tant de cruelles (a) persécutions qui ont éprouvé sa constance; et voilà quels sont ses combats. Enfin il ajoute à toutes ses peines les inquiétudes qui le travailloient dans le soin de conduire toutes les églises Sollicitudo omnium ecclesiarum 1; et c'est ce qui regarde le gouvernement. t.
Ainsi vous voyez en peu de paroles tout ce qui occupe l'esprit de saint Paul il prêche, il combat, il gouverne; et, Messieurs, le pourrez-vous croire? il est foible dans tous ces emplois. Et premièrement il est assuré que saint Paul est foible en prêchant, puisque sa prédication n'est pas appuyée, ni sur la force de l'éloquence, ni sur ces doctes raisonnemens que la philosophie a rendus plausibles Non in persuasibilibus humanœ sapientiœ verbis a. Secondement il n'est pas moins clair qu'il est foible dans les combats, puisque, lorsque tout le monde l'attaque, il ne résiste à ses ennemis qu'en s'abandonnant à leur violence Facti sumus sicut oves occisionis 1 il est donc foible en ces deux états. Mais peut-être que parmi ses frères, où la grace de l'apostolat et l'autorité du gouvernement lui donnent un rang si considérable, ce grand homme paroitra plus fort? Non, fidèles, ne le croyez pas c'est là que vous le verrez plus infirme. Il se souvient qu'il est le disciple de Celui qui a dit dans son Evangile qu'il n'est pas venu pour être servi, mais afin de servir lui-même c'est pourquoi il ne gouverne pas les fidèles, en leur faisant supporter le joug d'une autorité superbe et impérieuse; mais il les gouverne par la charité, en se faisant infirme avec eux Factus sum infirmis infinnusi et se rendant serviteur de tous Omnium me servum feci Il est donc infirme partout, soit qu'il prêche, soit qu'il 1 11 Cor., xi, 28. » 1 Cor., H, 4. 3 Rom., vin, 36, Matth., xx, 28. 11 I Cor., ix, 19, 22.
(a) Var.: D'étranges.
combatte, soit qu'il gouverne le peuple de Dieu par l'autorité de l'apostolat; et ce qui est de plus admirable, c'est qu'au milieu de tant de foiblesse il nous dit d'un ton (a) de victorieux qu'il est fort, qu'il est puissant, qu'il est invincible Cùm enim infirmor, tunc potens sum.
Ah! mes Frères, ne voyez-vous pas la raison qui lui donne cette hardiesse ? C'est qu'il sent qu'il est le ministre de ce Dieu qui se faisant foible, n'a pas perdu sa toute-puissance. Plein de cette haute pensée, il voit sa foiblesse au-dessus de tout (b). Il croit que ses prédications persuaderont, parce qu'elles n'ont point de force pour persuader; il croit qu'il surmontera dans tous les combats, parce qu'il n'a point d'armes pour se défendre; il croit qu'il pourra tout sur ses frères dans l'ordre du gouvernement ecclésiastique, parce qu'il s'abaissera à leurs pieds et se rendra l'esclave de tous par la servitude de la charité. Tant il est'vrai que dans toutes choses il est puissant en ce qu'il est foible, puisqu'il met la force de persuader dans la simplicité du discours, puisqu'il n'espère vaincre qu'en souffrant, puisqu'il fonde sur sa servitude toute l'autorité de son ministère. Voilà, Messieurs, trois infirmités dans lesquelles je prétends montrer la puissance du divin Apôtre soyez, s'il vous plaît, attentifs, et considérez dans ce premier point la foiblesse victorieuse de ses prédications toutes simples.
PREMIER POINT.
Je ne puis assez exprimer combien grand, combien admirable est le spectacle [que je vous prépare dans cette première partie. Car ce que les plus grands hommes de l'antiquité ont souvent désiré (c) de voir, c'est ce que je dois vous représenter saint Paul prêchant Jésus-Christ au monde et convertissant les cœurs endurcis par ses divines prédications. Mais n'attendez pas, chrétiens, de ce céleste Prédicateur, ni la pompe ni les ornemens dont se pare l'éloquence humaine. Il est trop grave et trop sérieux pour rechercher ces délicatesses; ou pour dire quelque chose de (a) Var. D'un air. (b) Il voit tout le monde au-dessous de lui – (<̃) Ont désiré avec tant d'ardeur. •
plus chrétien et de plus digne du grand Apôtre, il est trop passionnément amoureux des glorieuses bassesses du christianisme, pour vouloir corrompre par les vanités de l'éloquence séculière la vénérable simplicité de l'Evangile de Jésus-Christ. Mais afin que vous compreniez quel est donc ce Prédicateur destiné par la Providence pour confondre la sagesse humaine, écoutez la description que j'en ai tirée de lui-même dans la Première aux Corinthiens.
Trois choses contribuent ordinairement à rendre un orateur agréable et efficace (a) la personne de celui qui parle, la beauté des choses qu'il traite, la manière ingénieuse dont il les explique; et la raison en est évidente. Car l'estime de l'orateur prépare une attention favorable, les belles choses nourrissent l'esprit, et l'adresse de les expliquer d'une manière qui plaise les fait doucement entrer dans le cœur. Mais de la manière que se représente le Prédicateur dont je parle, il est bien aisé de juger qu'il n'a aucun de ces avantages.
Et premièrement, chrétiens, si vous regardez son extérieur, il avoue lui-même que sa mine n'est point relevée Prœsentia corporis infirma et si vous considérez sa condition, il est pauvre, il est méprisable et réduit à gagner sa vie par l'exercice d'un art mécanique. De là vient qu'il dit aux Corinthiens « J'ai été au milieu de vous avec beaucoup de crainte et d'infirmité s; n d'où il est aisé de comprendre combien sa personne étoit méprisable. Chrétiens, quel prédicateur pour convertir tant de nations Mais peut-être, que sa doctrine sera si plausible et si belle, qu'elle donnera du crédit à cet homme si méprisé. Non, il n'en est pas de la sorte « II ne sait, dit-il, autre chose que son Maître crucifié » Non judicavi me scire aliquid inter vos, nisi Jesum Christum, et hune crucifixwn 8 c'est-à-dire qu'il ne sait rien que ce qui choque, que ce qui scandalise que ce qui paroit folie et extravagance. Comment donc peut-il espérer que ses auditeurs soient persuadés? Mais, grand Paul, si la doctrine que vous annoncez est si étrange et si difficile, cherchez du moins des termes II Cor., x, 10. – J I Cor., ir, 3. 3 Ibul., 2.
(a) Var. A donner Je la force aux discours.
polis (a), couvrez des fleurs de la rhétorique cette face hideuse de votre Evangile, et adoucissez son austérité par les charmes de votre éloquence. A Dieu ne plaise, répond ce grand homme, que je mêle la sagesse humaine à la sagesse du Fils de Dieu c'est la volonté de mon Maître que mes paroles ne soient pas moins rudes que ma doctrine paroîL incroyable Non in persuasibilibus humanœ sapientiœ verbis 1. C'est ici qu'il nous faut entendre les secrets de la Providence. Elevons nos esprits, Messieurs, et considérons les raisons pour lesquelles le Père céleste (b) a choisi ce Prédicateur sans éloquence et sans agrément, pour porter par toute la terre, aux Romains, aux Grecs, aux Barbares, aux petits, aux grands, aux rois mêmes, l'Evangile de Jésus-Christ. Pour pénétrer un si grand mystère, écoutez le grand Paul luimême, qui ayant représenté aux Corinthiens combien ses prédications avoient été simples, en rend cette raison admirable C'est, dit-il, que a nous vous prêchons une sagesse qui est cachée, que les princes de ce monde n'ont pas reconnue » Sapientiam quœ abscondita est s. Quelle est cette sagesse cachée? Chrétiens, c'est Jésus-Christ même. Il est la sagesse du Père; mais il est une sagesse incarnée, qui s'étant couverte volontairement de l'infirmité de la chair, s'est cachée aux grands de la terre par l'obscurité de ce voile. C'est donc une sagesse cachée, et c'est sur cela que s'appuie le raieonnement de l'Apôtre.,Ne vous étonnez pas, nous dit-il, si prêchant une sagesse cachée, mes discours ne sont point ornés des lumières de l'éloquence. Cette merveilleuse foiblesse, qui accompagne la prédication, est une suite de l'abaissement par lequel mon Sauveur s'est anéanti et comme il a été humble (c) en sa personne, il veut l'être encore dans son Evangile. Admirable pensée de l'Apôtre, et digne certainement d'être méditée. Mettons-la donc dans un plus grand jour, et supposons avant toutes choses que le Fils éternel de Dieu avoit résolu de paroitre aux hommes en deux différentes manières. Premièrement il devoit paroître dans la vérité de sa chair; secondement il 1 I Cor., u, 4. – Ibid., 1.
[a) Var. Etudiez du moins des termes choisis. (6) L'Esprit de Dieu. (c) Bas.
devoit paroître dans la vérité de sa parole. Car, comme il étoit le Sauveur de tous, il devoit se montrer à tous. Par conséquent il ne suffit pas qu'il paroisse en un coin du monde il faut qu'il se montre par tous les endroits où la volonté de son Père lui a préparé des fidèles; si bien que ce même Jésus, qui n'a paru que dans la Judée par la vérité de sa chair, sera porté par toute la terre par la vérité de sa parole.
C'est pourquoi le grand Origène n'a pas craint de nous assurer que la parole de l'Evangile est une espèce de second corps que le Sauveur a pris pour notre salut Panis quem Dominus corpus sxium esse dicit, verbum est nutritorium animarum Qu'est-ce à dire ceci, chrétiens; et quelle ressemblance a-t-il pu trouver entre le corps de notre Sauveur et la parole de son Evangile? Voici le fond de cette pensée c'est que la Sagesse éternelle, qui est engendrée dans le sein du Père, s'est rendue sensible en deux sortes. Elle s'est rendue sensible en la chair qu'elle a prise au sein de Marie et elle se rend encore sensible par les Ecritures divines et par la parole de l'Evangile tellement que nous pouvons dire que cette parole et ces Ecritures sont comme un second corps qu'elle prend, pour paroître encore à nos yeux. C'est là en effet que nous la voyons ce Jésus, qui a conversé avec les apôtres, vit encore pour nous dans son Evangile, et il y répand encore pour notre salut la parole de vie éternelle. Après cette belle doctrine, il est bien aisé de comprendre que la prédication des apôtres, soit qu'elle sorte toute vivante de la bouche de ces grands hommes, soit qu'elle coule dans leurs écrits pour y être portée aux âges suivans, ne doit rien avoir qui éclate. Car, mes Frères, n'entendez-vous pas, selon la pensée de saint Paul, que ce Jésus, qui nous doit paroître et dans sa chair et dans. sa parole, veut être humble dans l'une et dans l'autre. De là ce rapport admirable entre la personne de Jésus-Christ et la parole qu'il a inspirée. Lac est credentibus, cibus est intelligentibus. La chair qu'il a prise a été infirme, la parole qui le prêche est simple nous adorons en notre Sauveur la bassesse mêlée avec la grandeur. Il en est ainsi de son Ecriture tout y 1 In Matth., Commentar n. 85.
est grand et tout y est bas, tout y est riche et tout y est pauvre; et en l'Evangile, comme en Jésus-Christ, ce que l'on voit est foible et ce que l'on croit est divin. Il y a des lumières dans l'un et dans l'autre mais ces lumières dans l'un et dans l'autre sont enveloppées de nuages en Jésus par l'infirmité de la chair, et en l'Ecriture divine par la simplicité de la lettre. C'est ainsi que Jésus veut être prêché et il dédaigne pour sa parole aussi bien que pour sa personne, tout ce que les hommes admirent. N'attendez donc pas de l'Apôtre, ni qu'il vienne flatter les oreilles par des cadences harmonieuses, ni qu'il veuille charmer les esprits par de vaines curiosités. Ecoutez ce qu'il dit lui-même « Nous prêchons une sagesse cachée; nous prêchons un Dieu crucifié. » Ne cherchons pas de vains ornemens à ce Dieu, qui rejette tout l'éclat du monde. Si notre simplicité déplaît aux superbes, qu'ils sachent que nous craignons de leur plaire (a), que JésusChrist dédaigne leur faste insolent, et qu'il ne veut être connu que des humbles. Abaissons-nous donc à ces humbles; faisonsleur des prédications dont la bassesse tienne quelque chose de l'humiliation de la croix, et qui soient dignes de ce Dieu qui ne veut vaincre que par la foiblesse.
C'est pour ces solides raisons que saint Paul rejette tous les artifices de la rhétorique. Son discours, bien loin de couler avec cette douceur a'gréable, avec cette égalité tempérée que nous admirons dans les orateurs, paroît inégal et sans suite à ceux qui ne l'ont pas assez pénétré; et les délicats de la terre, qui ont, disent-ils, les oreilles fines, sont offensés de la dureté de son style irrégulier. Mais, mes Frères, n'en rougissons pas. Le discours de l'Apôtre est simple, mais ses pensées sont toutes divines. S'il ignore la rhétorique, s'il méprise la philosophie, Jésus-Christ lui tient lieu de tout; et son nom qu'il a toujours à la bouche, ses mystères qu'il traite si divinement, rendront sa simplicité toutepuissante. Il ira, cet ignorant dans l'art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l'étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs; et malgré la résistance du monde, il y établira plus d'églises que Platon n'y («) Var. Nous voulons leur déplaire.
a gagné de disciples par cette éloquence qu'on a crue divine. Il prêchera Jésus dans Athènes, et le plus savant de ses sénateurs passera de l'Aréopage en l'école de ce barbare. Il poussera encore plus loin ses conquêtes il abattra aux pieds du Sauveur la majesté des faisceaux romains en la personne d'un proconsul, et il fera trembler dans leurs tribunaux les juges devant lesquels on le cite. Rome même entendra sa voix; et un jour cette ville maîtresse se tiendra bien plus honorée d'une lettre du style de Paul adressée à ses citoyens, que de tant de fameuses harangues qu'elle a entendues de son Cicéron.
Et d'où vient cela, chrétiens? C'est que Paul a des moyens pour persuader que la Grèce n'enseigne pas, et que Rome n'a pas appris. Une puissance surnaturelle, qui se plaît de relever ce que les superbes méprisent, s'est répandue (a) et mêlée dans l'auguste simplicité de ses paroles. De là vient que nous admirons dans ses admirables Épltres une certaine vertu plus qu'humaine, qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant qu'elle captive les entendemens; qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses coups droit au cœur. De même qu'on voit un grand fleuve qui retient encore, coulant dans la plaine cette force violente et impétueuse qu'il avoit acquise aux montagnes d'où ses eaux sont précipitées (b) ainsi'cette vertu céleste, qui est contenue dans les Ecrits de saint Paul, même dans cette simplicité de style conserve toute la vigueur qu'elle apporte du ciel, d'où elle descend.
C'est par cette vertu divine que la simplicité de l'Apôtre a assujetti toutes choses. Elle a renversé les idoles, établi la croix de Jésus, persuadé à un million d'hommes de mourir pour en défendre la gloire; enfin dans ses admirables Epitres elle a expliqué de si grands secrets, qu'on a vu les plus sublimes esprits, après s'être exercés longtemps dans les plus hautes spéculations où pouvoit aller la philosophie, descendre de cette vaine hauteur, où ils se croyoient élevés, pour apprendre à bégayer humblement dans l'école de Jésus-Christ sous la discipline de Paul (c). (a) Var. Je ne sais quelle vertu secrète s'est répandue. (b) D'où il tire son origine. (c) Note marg. Elle a réprimé la fierté des Juifs, qui se glorifioient
Aimons donc, aimons, chrétiens, la simplicité de Jésus, aimons l'Evangile avec sa bassesse, aimons Paul dans son style rude et profitons d'un si grand exemple. Ne regardons pas les prédications comme un divertissement de l'esprit; n'exigeons pas des prédicateurs les agrémens de la rhétorique, mais la doctrine des Ecritures. Que si notre délicatesse si notre dégoût les contraint à chercher des ornemens étrangers pour nous attirer par quelque moyen à l'Evangile du Sauveur Jésus, distinguons l'assaisonnement de la nourriture solide. Au milieu des discours qui plaisent, ne jugeons rien de digne de nous que les enseignemens qui édifient (a) et accoutumons-nous tellement à aimer Jésus-Christ tout seul dans la pureté naturelle de ses vérités toutes saintes, que nous voyions encore régner dans l'Eglise cette première simplicité qui a fait dire au divin Apôtre Cùm infirmor, tune potens sum « Je suis puissant, parce que je suis foible » mes discours sont forts, parce qu'ils sont simples c'est leur simplicité innocente qui a confondu la sagesse humaine. Mais, grand Paul, ce n'est pas assez la puissance vient au secours de la fausse sagesse je vois les persécuteurs qui s'élèvent. Après avoir fait des discours où votre simplicité persuade, il faut vous préparer aux combats où votre foiblesse triomphe c'est ma seconde partie. SECOND POINT.
C'est donc un décret de la Providence que pour annoncer Jésus-Christ, les paroles ne suffisent pas il faut quelque chose de plus violent pour persuader le monde endurci. Il faut lui parler par des plaies, il faut l'émouvoir par du sang et c'est à force de souffrir, c'est par les supplices que la religion chrétienne doit vaincre sa dureté obstinée (&). C'est, Messieurs, cette vérité, trop insolemment des promesses faites à leurs pères; elle a dompté l'orgueil des Gentils, qui s'enuoient des fausses grandeurs de leur vaine philosophie elle a humilié les uns et les autres sous la grace de Jésus-Chribt et sous sa prédication éternelle elle a confondu l'audace obstinée des faux zélateurs de la loi, qui vouloient charger les fidèles de ses dures obligations. – (a) Notp marg. Ne nous arrêtons pas aux discours qui plaisent, mais aux enseignemens qui instruisent. (A) C'est pourquoi Tertullien dit, et il le prouve par les exemples de l'ancienne et de la nouvelle alliance, que la foi est obligée au martyre 7aha primordia et exempta debitricem martyni fidem ostendunt. « Quand la foi, dit il, s'expose au martyre, ne croyez pas qu'elle fasse un présent; c'est une At-it, s'expose an martyre, ne croyez pas qu'elte fasse un présent; c'est une
c'est cette force persuasive du sang épanché pour le Fils de Dieu, qu'il faut maintenant vous faire comprendre par l'exemple du divin Apôtre; mais pour cela, remontons à la source. Je suppose donc, chrétiens, qu'encore que la parole du Sauveur des ames ait une efficace divine, toutefois sa force de persuader consiste principalement en son sang et vous le pouvez aisément comprendre par l'histoire de son Evangile. Car qui ne sait que le Fils de Dieu, tant qu'il a prêché sur la terre, a toujours eu peu de sectateurs, et que ce n'est que depuis sa mort que les peuples ont couru à ce divin Maître? Quel est, Messieurs, ce nouveau miracle? Méprisé et abandonné pendant tout le cours de sa vie, il commence à régner après qu'il est mort. Ses paroles toutes divines, qui devoient lui attirer les respects des hommes, le font attacher à un bois infâme et l'ignominie de ce bois, qui devoit couvrir ses disciples d'une confusion éternelle fait adorer par tout l'univers les vérités de son Evangile. N'est-ce pas pour nous faire entendre que sa croix, et non ses paroles, devoient émouvoir les cœurs endurcis, et que sa force de persuader étoit en son sang répandu et dans ses cruelles blessures? La raison d'un si grand mystère mériteroit bien d'être pénétrée, si le sujet que j'ai à traiter me laissoit assez de loisir pour la mettre ici dans son jour. Disons seulement en peu de paroles que le Fils de Dieu s'étoit incarné, afin de porter sa parole en deux endroits différens il devoit parler à la terre, et il devoit encore parler au ciel (a). Il devoit parler à la terre par ses divines prédette dont elle s'acquitte. » Puisqu'elle vient étonner le monde par la nouveauté de sa doctrine, troubler les esprits par sa hauteur, effrayer les sens par sa sévérité, qu'elle se prépare à combattre. Elle est obligée au martyre, parce qu'elle doit du sang elle en doit au divin Sauveur qui nous a donné tout le sien; elle en doit aux vérités qu'elle prêche, qui méritent d'être confirmées par ce témoignage elle en doit au monde rebelle, qu'elle ne peut gagner que par ses souffrances. (a) Var.: Disons-en seulement ce mot, que notre Sauveur Jésus-Christ étant venu au monde pour s'humilier, tant qu'il y a eu quelque ignominie à laquelle Il a pu descendre, la confusion l'a suiri partout: de là vient que tous ses mystères sont une chute continuelle. Il est tombé du ciel en la terre, de son trône daus une crèche, de la bassesse de sa naissance premièrement à l'obscurité, après aux afflictions de sa vie et de là eufin à sa mort honteuse. Mais c'étoit le terme ordonné où devoient finir ses bassesses. Comme il ne pouvoit descendre plus bas, c'est là qu'il a commencé à se relever; et cette course de ses abaissemens étant achevée par sa croix, il a été couronné de gloire. Aussitôt son Père céleste a donné une efficace divine au sang qu'il avoit répandu; et pour honorer
dications mais il avoit aussi à parler au ciel par l'effusion de son sang, qui devoit fléchir sa rigueur en expiant les péchés du monde. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul dit que o le sang du Sauveur Jésus crie bien mieux que celui d'Abel » Meliùs clamantem quàm Abel1; parce que le sang d'Abel demande vengeance, et le sang de notre Sauveur fait descendre la miséricorde. Jésus-Christ devoit donc parler à son Père aussi bien qu'aux hommes, au ciel aussi bien qu'à la terre.
Mais il faut remarquer ici un secret de la Providence c'est que c'étoit au ciel qu'il falloit parler, afin que la terre fùt persuadée. Et cela, pour quelle raison? C'est que (a) la grace divine, qui devoit amollir les coeurs, devoit être envoyée du ciel. Par exemple, vous avez beau semer votre grain sur cette terre toute desséchée vous recueillerez peu de fruit, si la pluie du ciel ne la rend féconde. Il en est à peu près de même dans la vérité que je vous explique. Lorsque mon Sauveur a parlé aux hommes, il a seulement semé sur la terre, et cette terre ingrate et stérile lui a donné peu de sectateurs il faut donc maintenant qu'il parle à son Père il faut que se tournant du côté du ciel, il y porte la voix de son sang. C'est alors, Messieurs, c'est alors que la grace tombant avec abondance, notre terre donnera son fruit alors le ciel apaisé persuadera aisément les hommes, et la parole qu'il a semée fructifiera par tout l'univers. De là vient qu'il a dit lui-même Quand j'aurai été élevé de terre, quand j'aurai été mis en croix, quand j'aurai répandu mon sang, je tirerai à moi toutes choses Omnîa traham ad meipsum 2; nous montrant par cette parole que sa force étoit en sa croix, et que son sang lui devoit attirer le monde.
Cette vérité étant supposée, je ne m'étonne pas, chrétiens, que l'Eglise soit établie par le moyen des persécutions. Donnez du sang, bienheureux Apôtre (b) votre Maître lui donnera une 1 Hebr., xi 24. – Joan., xn, Î12.
ce cher Fils il a changé l'instrument du plus infâme supplice en une machine céleste pour attirer à lui tous les cœurs. (a) Var. Et la raison en est évidente, parce que. (6) Donnez-en, martyrs invincibles ce sang répandu pour le Fils de Dieu est une semence divine qui fera nattre des chrétiens par tout l'univers Semen est sanguis Christianorunz.
voix capable d'émouvoir le ciel et la terre. Puisqu'il vous a enseigné que sa force consiste en sa croix, portez-la par toute la terre, cette croix victorieuse et toute-puissante mais ne la portez pas imprimée sur des marbres inanimés, ni sur des métaux insensibles portez-la sur votre corps même et abandonnez-le aux tyrans (a), afin que leur fureur y puisse graver une image vive et naturelle de Jésus-Christ crucifié.
C'est ce qu'il va bientôt entreprendre il ira par toute la terre. Chrétiens, pour quelle raison? C'est afin, nous dit-il lui-même, « c'est afin de porter partout la mort et la croix de Jésus imprimée en son propre corps » Mortificationem Jesu in corpore nostro circumfer entes u, et c'est peut-être pour cette raison qu'il a dit ces belles paroles, écrivant aux Colossiens Adimpleo ea quœ desunt passionum Chriati « Je veux, dit-il, accomplir ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ. » 'Que nous dites-vous, ô grand Paul? Peut-il donc manquer quelque chose au prix et à la valeur infinie des souffrances de votre Maître? Non, ce n'est pas là sa'pensée. Ce grand homme n'ignore pas que rien ne manque à leur dignité mais ce qui leur manque, dit-il, c'est que Jésus n'a souffert qu'en Jérusalem; et comme sa force est toute en sa croix, il faut qu'il souffre par tout le monde, afin d'attirer tout le monde. C'est ce que l'Apôtre vouloit accomplir. Les Juifs ont vu la cioix de son Maître; il la veut montrer aux Gentils, dont il est le Prédicateur. Il va donc dans cette pensée du levant (b) jusqu'au couchant, de Jérusalem jusqu'à Rome, portant partout sur lui-même la croix de Jésus et accomplissant ses souffrances, trouvant partout de nouveaux supplices, faisant partout de nouveaux fidèles, et remplissant tant de nations de son sang et de l'Evangile.
Mais je ne croirois pas, chrétiens, m'être acquitté de ce que je dois à la gloire de ce grand Apôtre, si parmi tant de grands 1 II Cor., IV, 10. – » Colofs., I, 24.
(a) Var.: Chasle et innocente victime,abandonnez-le.- (&) Ils la verront gravée sur sa chair si souvent déchirée pour le Fils de Dieu et pour la gloire de son Evangile. Il faut que ce même Jésus qu'il a persécuté autrefois en la personne de ses disciples, soit persécuté en la «ienne le sang des martyrs l'a gagné, et son sang gagnera les autres. Animé de cette pensée, il va du levant jusqu'au couchant, de Jétusalem jusqu'à Rome; il vole de pays en pays, portant partout.
exemples que nous donne sa belle vie, je ne choisissois quelque action illustre, où vous puissiez voir en particulier combien ses souffrances sont persuasives (a). Considérez donc ce grand homme fouetté à Philippes par main de bourreau' pour y avoir prêché Jésus-Christ, puis jeté dans l'obscurité d'un cachot, ayant les pieds serrés dans du bois qui étoit entr'ouvert par force et les pressoit ensuite avec violence qui cependant triomphant de joie de sentir si vivement en lui-même (b) la sanglante impression de la croix, avec Silas son cher compagnon rompoit le silence de la nuit, en offrant à Dieu d'une ame contente des louanges pour ses supplices, des actions de graces pour ses blessures. Voilà comme il porte la croix du Sauveur (c); et aussi dans ce même temps le Sauveur lui veut faire voir une merveilleuse représentation de ce qui s'est fait à la sienne. Là du sang, et ici du sang; là, Messieurs, « la terre a tremblé » et ici elle tremble encore Terrœ motus factus est magnus s là les tombeaux ont été ouverts, qui sont comme les prisons des morts, et des morts sont ressuscités 4 ici les prisons sont ouvertes, qui sont les tombeaux obscurs des hommes vivans Aperta sunt omnia ostia 5. et pour achever cette ressemblance, là celui qui garde la croix du Sauveur le reconnoît pour le Fils de Dieu Verè Filius Dei erat iste e et ici celui qui garde saint Paul se jette aussitôt à ses pieds, procidit ad pedes1, et se soumet à son Evangile. Que ferai-je, dit-il, pour être sauvé? Quid me oportet facere, ut salvus fiam'l il lave premièremenj; les plaies de l'Apôtre l'Apôtre après lavera les siennes par la grâce du saint baptême et ce bienheureux geôlier se prépare à cette eau céleste en essuyant le sang de l'Apôtre, qui lui inspire l'amour de la croix et l'esprit du christianisme. Vous voyez déjà, chrétiens, ce que peut la croix de Jésus imprimée sur le corps de Paul mais renouvelez vos attentions pour voir la suite de cette aventure, qui vous le montrera d'une mat AcU, xvi, 23 et seq. Matth., xxvu, 5). » Ad., xvi, 26. – Matth., xxvn, 52. » Act., xvi, 26. « Matth., xxvu, 54. Ad., xvi, 29. 8 Ibid., 30.
(a) Var. Que sa force est dans ses souffrances, que ses souffrances attirent les peuples.- (b) Sur son corps. (c) Quel exemple de patience et vos cœurs ne sont-ils pas attendris par la vue d'un si beau spectacle?
nière bien plus admirable. Que fera le divin Apôtre sortant des prisons de Philippes? Qu'il vous le dise de sa propre bouche, dans une lettre qu'il a écrite aux habitans de Thessalonique « Vous savez, leur dit-il, mes Frères, quelle a été notre entrée chez vous, et qu'elle n'a pas été inutile » Quia non inanis fuit 1. Pour quelle raison, chrétiens, son abord à Thessalonique n'a-t-il pas été inutile? Vous serez surpris de l'apprendre: a C'est, dit-il, qu'ayant été tourmentés et traités indignement à Philippes, cela nous a donné l'assurance de vous annoncer l'Evangile » Sed antè passi et contumeliis affecti, sicut scitis, in Pliilippis, ftduciam habuimus in Deo nostro loqui ad, vos Evangelium Dei Quand je considère, Messieurs, ces paroles du divin Apôtre, j'avoue que je ne suis plus à moi-même, et je ne puis assez admirer l'esprit céleste qui le possédoit. Car quel est le victorieux dont le cœur puisse être autant excité par l'image glorieuse et tranquille de la victoire tout nouvellement remportée, que le grand Paul est encouragé par le souvenir des souffrances dont il porte encore les marques, dont il sent encore les vives atteintes ? Son entrée sera fructueuse, parce qu'elle est précédée par de grands tourmens, if prêchera avec confiance, parce qu'il a beaucoup enduré la) et si nous savons pénétrer tout le sens de cette parole, nous devons croire que le grand Apôtre sortant des prisons de Philippes exhortoit (b) par cette pensée les compagnons de son ministère Allons, mes Frères, à Thessalonique; notre entrée n'y sera pas inutile, puisque nous avons déjà tant souffert; nous avons assez répandu de sang, pour oser entreprendre quelque grand dessein. Allons donc en cette ville célèbre; faisons-y profiter (c) ce sang répandu portons-y la croix de Jésus récemment imprimée sur nous par nos plaies encore toutes fraîches, et que ces nouvelles blessures donnent au Sauveur de nouveaux disciples. Il y vole dans cette espérance et son attente n'est pas frustrée. i I Thess., u, i. – *Ibid.,2.
(a) Va)-. Et, Messieurs, n'en soyez pas étonnés comme il met sa force en la croix et sa puissance dans l'infirmité, ses coups lui tiennent heu de victoire et les peines qu'il a souffertes lui assurent un succès heureux. C'est pourquoi il dit ces beaux mots Nous avons prêché avec confiance, parce que nous avons beaucoup enduré. – (b) Excitoit. (c) Parler.
Mais pourquoi m'arrêter, Messieurs, à vous raconter le fruit qu'il a fait dans la ville de Thessalonique? Il en est de même de toutes les autres qu'il éclaire par sa doctrine, et qu'il attire (a) par ses souffrances. Il court ainsi par toute la terre, portant partout la croix de Jésus, toujours menacé, toujours poursuivi avec une fureur implacable; sans repos durant trente années, il passe d'un travail à un autre et trouve partout de nouveaux périls; des naufrages dans ses voyages de mer, des embûches dans ceux de terre; de la haine parmi les Gentils, de la rage parmi les Juifs des calomniateurs dans tous les tribunaux, des supplices dans toutes les villes dans l'Eglise même et dans sa maison des faux frères qui le trahissent tantôt lapidé et laissé pour mort, tantôt battu outrageusement et presque déchiré par le peuple; il meurt tous les jours pour le Fils de Dieu: Quotidie morior'; et il marque l'ordre de ses voyages par les traces du sang qu'il répand et par les peuples qu'il convertit. Car il joint toujours l'un et l'autre si bien que nous lui pouvons appliquer ces beaux mots de Tertullien (6) a Ses blessures font ses conquêtes; il ne reçoit pas plutôt une plaie qu'il la couvre par une couronne; aussitôt qu'il verse du sang, il acquiert de nouvelles palmes; il remporte plus de victoires qu'il ne souffre de violences « Coronâ premit vulnera, palmâ sanguinem obscurat, plus victoriarum est quàm înjuriarum*.
C'est pourquoi le Sauveur Jésus voulant encore abattre à ses pieds l'impérieuse majesté de Rome, il y conduit enfin le divin Apôtre comme le plus illustre de ses capitaines. Mais, mes Frères, il faut plus de sang pour fonder cette illustre Eglise, qui doit être la mère des autres: saint Paul y donnera tout le sien; aussi y trouvera-t-il un persécuteur qui ne le sait pas répandre à demi, 1 1 Cor., xv, 31. – Scorp., n. 6.
(a) Var. Qu'il gagne. (4) Que vous sert donc, ô persécuteurs, de le poursuivre avec tant de haine? Vous avancez l'ouvrage de Paul, lorsque vous pensez le détruire. Car deux choses lui sont nécessaires pour gagner les nations mfidèles des paroles pour les instruire et du sang pour les émouvoir. Il peut leur donner ses instructions par la seule force de sa charité, mais il ne peut leur donner du sang si on ne te tire par quelque supplice si bien que votre fureur lui est nécessaire. Vous lui donnez le moyen de vaincre en lui donnant celui de souffrir. Ses blessures font ses conquêtes, et nous pouvons dire de lui ces beaux mots de Tertullien.
je veux dire le cruel Néron, qui ajoutera le comble à ses crimes en faisant mourir cet Apôtre. ·
Vous raconterai-je, Messieurs, combien son sang se multipliera, quelle suite de chrétiens sa fécondité fera naître, combien il animera de martyrs et avec quelle force il affermira cet empire spirituel qui se doit établir à Rome, plus illustre que celui des Césars ? Mais quand est-ce que j'achèverai, si j'entreprends de vous rapporter toutes les grandeurs de l'Apôtre ? J'en ai dit assez, chrétiens, pour nous inspirer l'amour de la croix, si notre extrême délicatesse ne nous la rendoit odieuse. 0 croix, qui donnez la victoire à Paul, et dont la foiblesse le rend tout-puissant, notre siècle délicieux ne peut souffrir votre dureté Personne ne veut dire avec l'Apôtre a Je ne me plais que dans mes souffrances, et je ne suis fort que dans mes foiblesses. » Nous voulons être puissans dans le monde, c'est pourquoi nous sommes foibles selon Jésus-Christ et l'amour de la croix de Jésus étant éteint parmi les fidèles, toute la force chrétienne s'est évanouie. Mais, mes Frères, je ne puis vous dire ce que je pense sur ce beau sujet. Le grand Paul me rappelle encore après avoir vu les foiblesses que la croix lui a fait sentir, il faut achever ce discours en considérant les infirmités que la charité lui inspire dans le gouvernement ecclésiastique (a). TROISIÈME POINT.
Le pourrez-vous croire, Messieurs, que l'Eglise de Jésus-Christ se gouverne par la foiblesse; que l'autorité des pasteurs soit appuyée sur l'infirmité; que le grand apôtre saint Paul, qui commande avec tant d'empire, qui menace si hautement les opiniâtres, qui juge souverainement les pécheurs, enfin qui fait valoir avec tant de force la dignité de son ministère, soit infirme parmi les fidèles et que ce soit une divine foiblesse qui le rende puissant dans l'Eglise? Cela vous paroît peut-être incroyable; cependant (a) Var.: Mais si nous ne pouvons imiter cette fermeté de l'Apôtre, imitons du moins sa tendresse; si nous ne pouvons pas dire avec saint Paul « Je ne me plais que dans mes souffrances; » tâchons, mes Frères, de dire avec lui: Quis infirmatur et ego non infirmer ? « Qui est infirme sans que je le sois?» Je me rends infirme avec les infirmes. Imprimons en nos cceurs ces infirmités bienheureuses, que la charité lui inspire, C'est ma dernière partie, que je donne toute à l'instruction.
c'est une doctrine que lui-même nous a enseignée, et qu'il faut vous expliquer en peu de paroles.
Pour cela vous devez entendre que l'empire spirituel que le Fils de Dieu donne à son Eglise, n'est pas semblable à celui des rois. Il n'a pas cette majesté terrible; il n'a pas ce faste dédaigneux, ni ce superbe esprit de grandeur dont sont enflés les princes du monde. « Les rois des nations les dominent, dit le Fils de Dieu dans son Evangile, mais il n'en est pas ainsi parmi vous, où le plus grand doit être le moindre et où le premier est le serviteur1. » Le fondement de cette doctrine, c'est que cet empire divin est fondé (a) sur la charité. Car, mes Frères, cette charité peut prendre toutes sortes de formes. C'est elle qui commande dans les pasteurs, c'est elle qui obéit dans les peuples mais soit qu'elle commande, soit qu'elle obéisse, elle retient toujours ses qualités propres; elle demeure toujours charité, toujours douce, toujours patiente, toujours tendre et compatissante, jamais fière ni impérieuse (b).
Le gouvernement ecclésiastique, qui est appuyé sur la charité, n'a donc rien d'altier ni de violent (c) son commandement est modeste, son autorité est douce et paisible. Ce n'est pas une domination qu'elle exerce Dominantur vos autem non sic; c'est un ministère dont elle s'acquitte, c'est une économie qu'elle ménage par la sage dispensation de la charité fraternelle (d). Mais cette charité ecclésiastique, qui conduit le peuple de Dieu, passe encore beaucoup plus loin. Au lieu de s'élever orgueilleusement pour faire valoir son autorité, elle croit que pour gouverner il faut qu'elle s'abaisse, qu'elle s'affoiblisse, qu'elle se rende infirme elle-même, afin de porter les infirmes. Car Jésus-Christ son original, en venant régner sur les hommes, a voulu prendre i Luc., xxn, 25, 2(i.
(a) Var.. Etabli.– (4) Ni ambitieuse. –(c) Ni de dédaigneux. – (d) C'est une dispensation charitable, une servitude honorable. Mais le caractère particulier de cette charité ecclésiastique qui gouverne dans les pasteurs, c'est qu'elle ne s'élève pas orgueilleusement au-dessus des troupeaux qui lui sont commis; mais plutôt elle descend jusqu'à eux pour les gouverner, elle s'abaisse à leurs pieds. Car elle imite le Fils de Dieu qui venant régner sur son peuple, a voulu prendre ses infirmités. Il ne veut pas régner par la crainte, parce qu'il veut régner sur les cœurs, qu'il les veut gagner par la charité; c'est pourquoi il est venu pour servir. Ainsi les pasteurs du peuple fidèle doivent se revêtir de ses infirmités.
leurs infirmités ainsi les apôtres, ainsi les pasteurs doivent se revêtir des foiblesses des troupeaux commis à leur vigilance, afin que de même que le Fils de Dieu est un Pontife compatissant, qui ressent nos infirmités, ainsi les pasteurs du peuple fidèle sentent les foiblesses de leurs frères, et portent leurs infirmités en les partageant. C'est pourquoi le divin Apôtre, plein de cet esprit ecclésiastique, croit établir son autorité en se faisant infirme aux infirmes et se rendant serviteur de tous
Mais voulez-vous voir, chrétiens, dans un exemple particulier jusqu'à quel point cet homme admirable ressent les infirmités de ses frères, représentez-vous ses fatigues, sès voyages, ses inquiétudes, ses peines pour résister à tant d'ennemis, ses soins pour enseigner tant de peuples, ses veilles pour gouverner tant d'églises cependant accablé de tous ces travaux, il s'impose encore lui-même la nécessité de gagner sa vie à la sueur de son corps Operantes manibus nostris
Que l'ancienne Rome ne me vante plus ses dictateurs pris à la charrue, qui ne quittoient leur commandement que pour retourner à leur labourage: je vois quelque chose de plus merveilleux en la personne de mon grand Apôtre, qui même au milieu de ses fonctions non moins augustes que laborieuses, renonce volontairement aux droits de sa charge; et refusant de tous les fidèles la paie honorable qui était si bien due à son ministère, ne veut tirer que de ses propres mains ce qui est nécessaire pour sa subsistance.
Cela, mes Frères, venoit d'un esprit infiniment au-dessus du monde; mais vous l'admirerez beaucoup davantage, si vous pénétrez le motif de cette action glorieuse. Ecoutez donc ces belles paroles de l'admirable saint Augustin, par lesquelles il entre si bien dans les sentimens du grand Paul: Infirmorum periculis, ne falsis suspicionibus agitati odissent quasi venale Evangelium, tanquàm paternis maternisque visceribus tremefaclus hoc feciV. Qui vous oblige, ô divin Apôtre, à travailler ainsi de vos mains? « C'est à cause, dit saint Augustin, qu'ayant une tendresse plus que maternelle pour les peuples qui lui sont commis, il tremble 1 l Cor., ix, 22. – « Ibid., tv, 12. – S. August., De opere Monach., a. t3.
pour les périls des infirmes, qui agités par de faux soupçons, pourroient peut-être haïr l'Evangile en s'imaginant que l'Apôtre le prêchoit pour son intérêt, n Quelle charité de saint Paul Ce qu'il craint, ce n'est qu'un soupçon, et un soupçon mal fondé, et un soupçon qu'il eût démenti par toute la suite de sa vie céleste, si épurée des sentimens de la terre toutefois ce soupçon fait trembler l'Apôtre, il déchire ses entrailles plus que maternelles (a) ce grand homme, pour éviter ce soupçon, veut bien veiller nuit et jour et ajouter le travail des mains à toutes ses autres fatigues. Qui pourroit donc assez expliquer combien vivement il sentoit toutes les infirmités des fidèles? Celui qui tremhloit pour un seul soupçon et qu'une ombre de mal épouvantoit, en quel état étoit-il, mes Frères, quelle étoit son inquiétude, quand il voyoit des maux véritables, des scandales parmi les fidèles, des péchés publics ou particuliers! Que ne puis-je entrer dans ce cœur tout ardent des flammes de la charité fraternelle, pour y voir de quel sentiment le grand Paul disoit ces beaux mots « Qui est infirme parmi les fidèles, sans que je sois infirme avec lui? Et qui peut les scandaliser, sans que je sois moi-même brûlé de douleur? o Quis infirmatur, et ego non ùt/ïfMMfP Quis scan~zc~Mr, et ego non Mror'7 ?
Arrêtons ici, chrétiens, et que la méditation d'un si grand exemple fasse le fruit de tout ce discours. Car quelle ame de fer et de bronze ne se senti roit attendrie par les saintes infirmités que la charité inspire à l'Apôtre ? Voyoit-il un membre affligé il ressentoit toute sa douleur. Yoyoit-il des simples et des ignorans, il descendoit du troisième ciel pour leur donner un lait maternel et bégayer avec ces enfdns. Voyoit-il des pécheurs touchés, le saint Apôtre pleuroit avec eux pour participer à leur pénitence. En voyoit-il d'endurcis, il pleuroit encore leur aveuglement. Partout où l'on frappoit un fidèle, il se sentoit aussitôt frappé; et la douleur passant jusqu'à lui par la sainte correspondance de la charité fraternelle, il s'écrioit aussitôt, comme blessé et ensanglanté Quis tn/ïnMN~ et ego non tK/ïnHor~ « Qui est infirme sans que je le 1 't Cor., xi, 29.
(a) Var. Ses entrantes sont émues.
sois? Je suis brûlé intérieurement, quand quelqu'un est scandalisé. a Si bien qu'en considérant ce saint homme répandant ses lumières par toute l'Eglise, recevant de tous côtés des atteintes de tous les membres affligés, je me le représente souvent comme le cœur de ce corps mystique; et de même que tous les membres, comme ils tirent du cœur toute leur vertu, lui font aussi promptement sentir par une secrète communication tous les maux dont ils sont atteints (a), comme s'ils vouloient l'avertir de l'assistance dont ils ont besoin ainsi tous les maux qui sont dans l'Eglise se réfléchissent sur le saint Apôtre, pour solliciter sa charité attendrie d'aller au secours des infirmes Quis infirmatur et ego non infirmor ?
Mais je passe encore plus loin, et j'apprends de saint Chrysostome qu'il n'est pas'seulement le cœur de l'Eglise, c mais qu'il s'afflige pour tous les membres, comme si lui seul étoit toute l'Eglise a ?'(!HqMsm ipse universa orbis EcdeMa esset, sic pro m6Ht6ns singulis <scrMCta&a<Mr 1. Que ne me reste-t-il assez de loisir pour entrer au fond de cette pensée et pour vous montrer, chrétiens, cette étendue de la charité qui ne permet pas à saint Paul de se resserrer en lui-même, qui le répand dans toute l'Eglise, qui le mêle avec tous les membres, qui fait qu'il vit et qu'il souffre en eux ran~Mam ipse universa orbis Ecc~SMt '.ess~, sic pro membris singulis discruciabatur. C'est là, c'estj là, si nous l'entendons, le comble des infirmités de l'Apôtre.
Grand Paul, permettez-moi de le dire, j'ai médité toute votre vie, j'ai considéré vos infirmités au milieu des persécutions; mais je ne craindrai pas d'assurer qu'elles ne sont pas~ comparables à celles qui sont attirées sur vous par la charité fraternelle. Dans vos persécutions vous ne portiez que vos propres foiblesses ici vous êtes chargé de celles des autres dans vos persécutions vous souffriez par vos ennemis; ici vous souffrez par vos frères, dont tous les besoins et tous les périls ne vous laissent pas respirer dans vos persécutions votre charité vous fortifloit et vous soutenoit contre les attaques ici c'est votre charité qui vous accable ln BpM<. H ad Cof.~ hom. xxv, n. 2.
(a) Var. Attaqués.
dans vos persécutions vous ne pouviez être combattu que d'un seul endroit, dans un même temps ici tout le monde ensemble vient fondre sur vous, et vous devez en soutenir le faix. C'est donc ici l'accomplissement de toutes ces divines foiblesses dont l'Apôtre se glorifie, et c'est ici qu'il s'écrie avec plus de joie C~m infirmor, <MMC potens sum « Je ne suis puissant que dans ma foiblesse. o Car quelle est la force de Paul, qui se fait infirme volontairement afin de porter les infirmes qui partage avec eux leurs infirmités, afin de les aider à les soutenir; qui s'abaisse jusqu'à terre par la charité, pour les mettre sur ses épaules et les élever avec lui au ciel; qui se fait esclave d'eux tous pour les gagner tous à son Maître? N'est-ce pas là gouverner l'Eglise d'une manière digne d'un Apôtre? N'est-ce pas imiter JésusChrist lui-même, dont le trouble nous affermit et dont les infirmités nous guérissent ?
Ne voulez-vous pas, chrétiens, imiter un si grand exemple? Que d'infirmes à supporter, que d'ignorans à instruire, que de pauvres à soulager dans l'Eglise Mon Frère, excitez votre zèle cet homme qui vous hait depuis tant d'années, c'est un infirme qu'il vous faut guérir. Mais sa haine est invétérée -donc son infirmité est plus dangereuse. Mais il vous a, dites-vous, maltraité souvent par des injures et par des outrages soutenez son infirmité, tout le mal est tombé sur lui; ayez pitié du mal qu'il s'est fait, et oubliez celui qu'il a voulu vous faire. Courez à ce pécheur endurci; réchauffez et rallumez sa charité éteinte; tendez-lui les bras, ouvrez-lui le cœur, tâchez de gagner votre frère.
Mais jetez encore les yeux sur les nécessités temporelles de tant de pauvres qui crient après vous. Ne semble-t-il pas que la Providence ait voulu les unir ensemble dans cet hôpital merveilleux, afin que leur voix fût plus forte et qu'ils pussent plus aisément émouvoir vos cœurs ? Ne voulez-vous pas les entendre et vous joindre à tant d'ames saintes, qui conduites par vos pasteurs, courent au soulagement de ces misérables? Allez à ces infirmes, mes Frères, faites-vous infirmes avec eux, sentez en vous-mêmes leurs infirmités et participez à leur misère. Souffrez première-
ment avec eux; et ensuite soulagez-vous avec eux, en répandant abondamment vos aumônes. Portez ces foibles et ces impuissans; et ces foibles et ces impuissans vous porteront après jusqu'au ciel. Amen.
-PRÉCIS D'UN PANÉGYRIQUE
L'APOTRE SAINT PAUL (a).
CAorj<M Christi urget nos.
La charité de Jésus-Christ nous presse. II Cor., v, 14.
La charité est une huile qui remplit le cœur et un feu qui le presse. C'est cet effort de la charité pressante que je veux considérer. ~M.
Charitas Christi urget nos (psfïmanfes hoc, quoniam si unus pro omnibus mortuus est, ergo omnes mortui SMH< et pro omnibus mor~MMS est Christus, ut et qui t)~!<K~ jan! non sibi vivant, sed ei qui pro ipsis mortulls est et !'6<<!<r)'e.y!'< 1. « La charité de Jésus-Christ nous presse considérant que si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts et que Jésus-Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. La vue de Jésus-Christ mort doit donc nous inspirer le désir de lui rendre autant de vies qu'il y a de cœurs en ne vivant plus que pour lui. Aussi saint Basile parlant de saint Paul sur ce passage, dit qu'il étoit insensé d'une folie d'amour. vivant d'une vie d'amour pour celui qui l'avoit gagné.
Il Cor., v, tt, i5.
(a) Prêché vers 1686.
C'est dans la troisième époque, lorsqu'il fut chargé de gouverner une portion de l'Eglise et de defendre la vérité contre toutes les erreurs, c'est alors surtout que Bossuet se contentoit d'ébaucher de simples cfo/MM, c'est-à-dire de tracer rapidement sur le papier les idées fondamentales de ses discours.
Mais qu'est-ce que vivre pour Jésus-Christ? C'est aimer ce qu'il aimoit, et renfermer par une parfaite conformité ses affections dans les objets qui lui ont gagné le cœur, détruisant en nous toute autre chose.
Or nous pouvons déterminer trois choses que Jésus a aimées. Il a aimé sa vérité; il a aimé sa croix; il a aimé son Eglise. Il est venu pour prêcher les hommes; c'est pourquoi il a aimé la vérité il est venu pour racheter les hommes; c'est pourquoi il a aimé sa croix il est venu pour sanctifier les hommes par l'application de son sang c'est pourquoi il a aimé son Eglise. Paul a vécu pour Jésus, et aimé ce que Jésus aime. Il a aimé la vérité, et il en a fait tout son emploi il a aimé la croix, et il en a fait toutes ses délices; il a aimé l'Eglise, et il en a fait l'objet de ses complaisances et l'unique sujet de tous ses travaux. Jésus a aimé la vérité. Engendré par la connoissance de la vérité, vérité lui-même, principe avec le Père de l'Esprit qui est appelé l'Esprit de vérité, parce qu'il procède de l'amour d'icelle, la charité a pressé Jésus de sortir du sein de son Père, pour manifester la vérité, pour la rendre sensible et palpable Unigenitus T~tKMS qui est in St'~M Patris, ipse enarravit 1. Quiconque aime la vérité la veut publier et la veut faire régner. « La vérité est une vierge, mais sa pudeur est de n'être pas découverte a NtM veritas'erubescit, nisi so~MmmocM a&scoH(M'. Quand on est animé de son amour, on est pressé de la publier Charitas Christi urget nos. PREMIER POINT.
Paul ayant connu la vérité, il ne va point aux apôtres qui la savoient, mais il la prêche en Arabie, à Damas, montrant que celui-ci étolt Jésus. Voyez comme il est pressé de la découvrir Incitabatur spiritus ejus in ipso, videns Mo~aMœ deditam civitatem a. Mais Paul montre la vérité toute nue, sans fard, sans aucuns de ces ornemens d'une sagesse mondaine il la prêche avec une éloquence qui tire sa force de sa simplicité toute céleste. Pour prêcher la vérité avec autorité, il la prêche dans un esprit d'indépendance; et pour cela il ne veut rien tirer de personne il 7oan., t, t8. 'fertuU., a~. Valentin., n. 3. – ~c<.j xviij i6.
impose à ses propres mains la charge de lui fournir tout ce qui lui est nécessaire. Et en effet pour prêcher la vérité, il faut un cœur de roi, une grandeur d'ame royale Ego NM~m constitutus sum Rex ab eo super Sion montem sanctum ejus, pr<p~:c<!HS prœceptum ejus «'J'ai été établi roi sur Sion, sa montagne sainte, afin d'annoncer ses ordonnances; a et si cette noble fonction ne demande pas qu'on soit roi par l'autorité du commandement, du moins exige-t-elle qu'on soit roi par indépendance. C'est pourquoi saint Paul se rend indépendant de tout et s'étant mis en état de n'avoir besoin de rien « il va reprenant tout homme à temps et à contre-temps » Corripientes omnem hominem. opportunè, t?KpOt'<Mnë Il s'étoit mis en état de ne se réjouir du bien qu'on lui faisoit, que pour l'amour de ceux qui le faisoient SECOND POINT.
Jésus a aimé la croix, et a toujours témoigné une grande avidité pour les souffrances. Paul aimoit la croix pour se conformer à Jésus, et pour faire régner Jésus. Aussi ce sont ses souffrances qui ouvrent la porte à l'Evangile dans les différens lieux où il prêche 5. Les momens de souffrances sont des momens précieux. Dans les autres occasions, la bouche seule loue parmi les souffrances, et tout le corps affligé, et tout le cœur abattu sous la main de Dieu, et tout l'esprit assujetti aux lois de sa volonté, se tournent en langues pour célébrer la grandeur de sa souveraineté absolue et sa miséricorde et sa justice.
TROISIÈME POINT.
Qui peut dire combien saint Paul a aimé l'Eglise? Trois choses nous montrent assez à quel haut degré son amour pour l'Eglise étoit porté l'empressement de la charité de l'Apôtre pour ses frères, la tendresse de sa charité pour chacun d'eux, l'étendue de sa charité pour tous les membres qui composent l'Eglise. Ainsi c'est avec grande raison que saint Chrysostome frappé du zèle étonnant de l'Apôtre et de son immense charité, dit que Paul par sa grande t Psal. ;t, 6. – Co/«M., t, 28. U Il Timoth., iv, 2. – PA<7<-tK., 7. –1 MM! n. 2.
sensibilité sur les intérêts de l'Eglise, en étoit non-seulement le cœur, cor Ecc<es~ mais qu'il s'affectoit aussi vivement sur les biens et les maux de tout le corps que s'il eût été l'Eglise entière Quasi ipse universa esset orbis Ecclesia.
PANÉGYRIQUE
DK M
SAINT VICTOR (a).
B<M est victoria ~Ma: t!<mc!< mundum, ~f/e< nostra. La victoire qui surmonte le monde, c'est notre foi. Joaw.~ v, 4.
Quand je considère, Messieurs, tant de sortes de cruautés qu'on a exercées sur les chrétiens, pendant l'espace de quatre cents ans, avec une fureur implacable, je médite souvent en moi-même pour quelle cause il a plu à Dieu, qui pouvoit choisir des moyens plus doux, qu'il en ait coûté tant de sang pour établir son Eglise (b). En effet si nous consultons la foiblesse humaine, il est malaisé de comprendre comment il a pu se résoudre à souffrir qu'on lui immolât tant de martyrs, lui qui avoit rejeté dans sa nouvelle alliance les sacrifices sanglans; et après avoir épargné le sang des taureaux et des boucs, il y a sujet de s'étonner qu'il (a) Prêché dans l'Abbaye de Saint-Victor, à Paris, le 21 juillet 1659. Ces deux mots de l'exorde « L'invincible Victor, patron de cette célèbre abbaye, » montrent que notre panégyrique a été prêché dans la collégiale si justement renommée, qui a donné à la théologie, à la mystique, à la poésie religieuse tant d'hommes illustres Hugues, Richard, Adam de Saint-Victor dans le xur siècle, Santeul dans le xur, etc.
Tous les éditeurs font, dans une note, remonter le Panégyrique de saint Ftc<0)'ai651. Nous croyons cette date trop reculée; le style du discours nous semble dénoncer l'année 1659.
Le lecteur fera sans doute une remarque qui nous a déjà, frappé plusieurs fois c'est que Bossuet ne craignoit pas d'annoncer du haut de la chaire, devant les savans de notre grand siècle littéraire, les plus étonnans miracles des légendes.
(A) Var.: La foi chrétienne.
se soit plu, durant tant de siècles, à voir verser celui des hommes, et encore celui de ses serviteurs, par tant d'étranges supplices. Et toutefois, chrétiens, tel a été le conseil de sa Providence, et je ne crains point de vous assurer que c'est un conseil (a) de miséricorde. Dieu ne se plaît pas dans le sang, mais il se plaît dans le spectacle de la patience. Dieu n'aime pas (b) la cruauté, mais il aime une vertu éprouvée et s'il la fait passer par un examen laborieux, c'est qu'il sait qu'il a le pouvoir de la récompenser selon ses mérites. Si saint Victor avoit moins souffert, sa foi n'auroit pas montré toute sa vigueur et si les tyrans l'avoient épargné ils lui auroient envié ses couronnes. Dieu nous propose le ciel comme une place qu'il veut qu'on lui enlève et qu'on emporte de force, afin que non contens du salut, nous aspirions encore à la gloire; et qu'étant non-seulement échappés des mains de nos ennemis, mais encore ayant surmonté toute leur puissance, nous puissions dire avec l'Apôtre Hœc est victoria ~Mœ vincit m!mdum, fides nostra.
Pour prendre ces sentimens généreux s'il ne falloit que de grands exemples, j'espérerois quelque effet extraordinaire de celui de l'invincible Victor, dont la constance s'est signalée par un martyre si mémorable mais comme ces nobles désirs ne naissent pas de nous-mêmes, recourons à celui qui les inspire, et demandonslui son Esprit par l'intercession de la sainte Vierge. Ave. Comme c'est le dessein du Fils de Dieu de n'avoir dans sa compagnie que des esprits courageux il ne leur propose aussi que de grands objets et des espérances glorieuses; il ne leur parle que de victoires partout il ne leur promet que des couronnes, et toujours il les entretient de fortes pensées. Entre tous les fidèles de Jésus-Christ, ceux qui se sont le plus remplis de ces sentimens, ce sont les bienheureux martyrs, que nous pouvons appeler les vrais conquérans et les vrais triomphateurs de l'Eglise. Encore que leurs victoires aient des circonstances sans nombre qui en relèvent l'éclat, néanmoins la gloire qu'ils se sont acquise dépend (a) Var. Et si nous en savons pénétrer le fond, nons reconnoitrons aisément qne c'est.. – (&) Déteste.
principalement de trois choses, dont la première est la cause de leur martyre, la seconde le fruit, la troisième la perfection. La cause de leur martyre, c'a été le mépris des idoles. Le fruit de leurs souffrances et de leur martyre, ç'a été la conversion des peuples et enfin ce qui en a fait la perfection, c'est qu'ils ne se sont pas épargnés eux-mêmes, et qu'ils ont signalé leur fidélité par l'effusion de leur sang. Voilà ce que j'appelle la perfection, suivant cette parole de l'Evangile t II n'y a point de charité plus grande, que de donner sa vie pour ceux qu'on aime a Majorem charitatem Mémo habet, ut an!mam suanz ponat quis p)'o anziC!S suis 1.
C'est, ce me semble, de ces trois chefs que se doit tirer principalement la gloire des saints martyrs, et c'est aussi sur ce fondement que je prétends appuyer, Messieurs, celle de l'invincible Victor, patron de cette célèbre abbaye. Il fut produit devant les idoles par l'ordre des juges romains, afin qu'il leur offrît de l'encens et non content de le refuser avec une fermeté inébranlable, d'un coup de pied qu'il leur donne il les renverse par terre. C'est pour cette cause qu'il a enduré de si cruels supplices. Mais c'est peu pour le Dieu vivant qu'on ait fait tomber à ses pieds des idoles muettes et inanimées, c'est une trop foible victoire ce qui le touche le plus c'est que les hommes, ses vives images, sur lesquels il a empreint les traits de sa face, adorent ces images mortes par lesquelles une ignorance grossière a entrepris de figurer sa divinité. Victor généreux, Victor après avoir détruit ces vains simulacres, travaille à lui gagner les hommes, ses vivantes images Victor s'y applique de toute sa force et j'apprends de l'historien de sa vie que pendant qu'il a été prisonnier, il a heureusement converti ses gardes, il a fidèlement confirmé ses frères. Peut-il mieux servir Dieu et avec plus de fruit que de travailler si utilement à retenir ses troupes dans la discipline, et même à les fortifier de nouveaux soldats, pendant que la puissance ennemie tâche de les dissiper par la crainte? C'est le fruit de cet illustre martyre mais ce qui en a fait la perfection, c'est que l'invincible Victor, non content d'avoir si bien conduit au combat la milice t Voon., xv, i3.
du Fils de Dieu, a encore payé de sa personne en mourant pour l'amour de lui dans des tourmens sans exemple, et lui a sacrifié sa vie. C'est ainsi qu'il a surmonté le monde et ce qu'il prétend par cette victoire, c'est de faire triompher Jésus-Christ. En effet vous triomphez, ô Jésus (a) et Victor fait éclater aujourd'hui votre souveraine puissance sur les fausses divinités, (a) Il y a cette différence entre la milice des hommes et celle de Jésus-Christ, que dans la milice des hommes on n'est obligé que de bien combattre, au lieu que dans celle de Jésus-Christ il nous est.outre cela ordonné de vaincre et de désarmer nos ennemis. Cette différence, Messieurs, est fondée sur cette raison que, dans les guerres des hommes, l'événement des batailles ne dépend pas toujours du courage ni de la résolution des combattans mille conjectures diverses que nulle prudence ne peut prévoir ni nul effet détourner, rendent le succès hasardeux; et toutes les histoires sont pleines de ces braves infortunés qui ont eu la gloire de bien combattre, sans goûter le plaisir du triomphe. Au contraire sous les glorieux étendards de Jésus-Christ notre Capitaine, comme les armes qu'on nous donne sont invincibles et que Je seul nom de notre Chef peut mettre nos ennemis en déroute, la victoire n'est jamais douteuse, pourvu que le courage ne nous manque pas. a Mes élus, dit le Seigneur, ne travaillent pas en vain »Electi me; noM/a&fM'atMMf/hMM. C'est pourquoi, dit le bien-aimé Disciple « Tout ce qui est né de Dieu surmonte le monde tout ce qui est enrôlé dans cette milice par la grace du saint baptême, emporte infailliblement la victoire; c'est-à-dire que dans cette armée il n'y a point de vertus malheureuses, et que la valeur n'y a jamais de mauvais succès, enfin que la conduite en est si certaine qu'il n'y a de vaincus que les déserteurs. Ainsi comme l'assurance de vaincre dépend de la résolution de combattre, ne vous étonnez pas si je vous ai dit que nous devons mériter autant de couronnes que nous livrons de batailles et que Jésus-Christ ne souffre sous ses étendards que des victorieux et des conquérans Omne quod natum est ex Deo, MM~ mundum.
Cette vérité étant reconnue, il n'y a rien à craindre pour saint Victor dans ce long et admirable combat dont vous venez aujourd'hui être spectateurs. Puisqu'il est rébolu de résister, il est par conséquent assuré de vaincre mais il ne veut de victoire que pour faire régner Jésus-Christ son Maître. En effet il le fait régner, et il montre bien sa puissance à la face des juges romains et de tout le peuple inndèle en trois circonstances remarquables que nous apprend son his,toire. On le produit devant les idoles pour leur présenter de l'encens et au lieu de les adorer, d'un coup de pied qu'il leur donne il les renverse par terre. N'est-ce pas faire triompher le Dieu vivant sur les fausses divinités, par lesquelles on l'excite a jalousie*? Mais c'est peu au divin Sauveur d'avoir vaincu des idoles muettes et inanimées ce sont les hommes qu'il cherche, c'est sur les hommes qu'il veut régner. Victor prisonnier et chargé de fers, lui conserve non-seulement des sujets, mais encore il lui en attire il encourage ses frères, il fait des martyrs de ses gardes. N'est-ce pas établir généreusement l'empire de JésusChrist que de retenir ses troupes dans la discipline et même les fortifier de nouveaux soldats, pendant que la puissance ennemie travaille à les dissiper par la crainte1 Eufin, li est tourmenté par des cruautés sans exemple; et c'est là qu'il scelle de son sang la gloire de Jésus-Christ, en soutenant pour l'amour de lui la terrible nouveauté de tant de supplices. Voi)a les entreprises mémorables de notre invincible Martyr c'est ainsi que Victor est victorieux; et le fruit de cette victoire est de faire triompher Jésus-Christ. Oui, vous triomphez, û Jésus, etc.
sur vos élus, sur lui-même sur les fausses divinités, en les détruisant devant-vous; sur ceux que vous avez choisis, en les affermissant dans votre service (a); et enfin sur lui-même, en s'immolant tout entier à votre gloire. C'est ce qu'a fait le grand saint Victor, c'est ce qui doit aujourd'hui vous servir d'exemple; et Dieu veuille que je vous propose avec tant de force les victoires de ce saint martyr, que vous soyez enflammés de la même ardeur de vaincre le monde.
PREMIER POINT.
Quel est ce concours de peuple que je vois fondre de toutes parts en la place publique de Marseille? Quel spectacle les y attire? quelle nouveauté les y mène? Mais quel est cet homme intrépide que je vois devant cette idole, et que l'on presse par tant de menaces de lui présenter de l'encens, sans pouvoir fléchir sa constance ni ébranler sa résolution? Sans doute, c'est cet illustre Victor, la fleur de la noblesse de Marseille, qui étant pressé de se déclarer sur le sujet de la religion, a confessé hautement la foi chrétienne en présence de toute l'armée dans laquelle il avoit servi avec tant de gloire, et a renoncé volontairement à l'épée, au baudrier et aux autres marques de la milice, si considérables par tout l'empire, si convenables à sa condition, pour porter les caractères de Jésus-Christ, c'est-à-dire des chaînes aux pieds et aux mains, et des blessures dans tout le corps déchiré cruellement par mille supplices. Car depuis ce jour glorieux auquel notre invincible martyr préféra les opprobres de Jésus-Christ aux honneurs de la milice romaine, on n'a cessé de le tourmenter par des cruautés inouïes, sans lui donner aucun relâche, et on lui prépare encore de plus grands tourmens.
Mais avant que de l'exposer aux nouvelles peines qu'une fureur inventive a imaginées, les magistrats résolurent de lui présenter publiquement la statue de leur Jupiter (&). Ils espéroient, Messieurs, que son corps étant épuisé par les souffrances passées et son esprit troublé par la crainte des maux à venir, dont l'on expo(a) Var. En les gagnant ou les conservant pour votre service. (b) De le produire publiquement devant l'idole.
soit à ses yeux le grand et terrible appareil, la faiblesse humaine abattue, pour détourner l'effort de cette tempête, laisseroit enfin échapper quelque petit signe d'adoration. C'en étoit assez pour les satisfaire; et ils avoient raison (a) de se contenter des plus légères grimaces, sachant bien qu'un homme qui peut se résoudre à n'être chrétien qu'à demi, cesse entièrement de l'être et que le cœur ne se pouvant partager entre la vérité et l'erreur, toute la foi est renversée par la moindre démonstration d'infidélité. Voilà donc notre saint Martyr devant l'idole de ce Jupiter, père prétendu des dieux et des hommes. Tout le peuple se prosterne à terre; et cette multitude aveugle, qui ne craint pas les coups de la main de Dieu, tremble devant l'ouvrage de la main des hommes. Grand et admirable Victor, quelles furent alors vos pensées? Telles que le Saint-Esprit nous les représente dans le cœur du divin Apôtre Incitabatur spiritus ejus in ipso, videns idololatria? deditam civitatem 1 a Son esprit étoit pressé et violenté en lui-même, voyant cette multitude idolâtre » ce spectacle lui étoit plus dur que tous ses supplices. Tantôt il levoit les yeux au ciel, tantôt il les jetoit sur ce peuple avec une tendre compassion de son aveuglement déplorable. Sont-ce là, disoit-il, ô Dieu vivant, sont-ce là les dieux que l'on vous oppose? Quoi est-il possible qu'on se persuade que je puisse abaisser devant cette idole ce corps qui est destiné pour être votre victime, et que vous avez déjà consacré par tant de souffrances? Là plein de zèle et de jalousie pour la gloire du Dieu des armées et saintement indigné qu'on le crût capable d'une lâcheté si honteuse, il tourne sur cette idole un regard sévère, et d'un coup de pied il la renverse devant tout ce peuple qui se prosternoit à ses pieds il la brise, il la foule aux pieds, et il surmonte le monde en détruisant les divinités, qu'il élève contre le vrai Dieu, qui a fait le ciel et la terre. Une voix retentit (b) de toutes parts Qu'on venge l'injure des dieux immortels t Mais pendant que les juges irrités exercent leur esprit cruel (c) à inventer de nouveaux supplices, et que Victor attend d'un visage égal la fin de leurs délibérations tragiques, rentrons 1 Act., xvu, i6.
(a) Far. Et ils étoient accoutumés. – (t) Un cri s'éteve. (e) Sanguinaire.
en nous-mêmes, Messieurs, et tirons quelque instruction de cet acte de piété héroïque. 1
Ne nous persuadons pas que l'idolâtrie soit détruite, sous prétexte que nous né voyons plus parmi nous ces idoles grossières et matérielles que l'antiquité aveugle adoroit. H y a une idolâtrie spirituelle qui règne encore par toute la terre. Il y a des idole? cachées, que nous adorons en secret au fond de nos cœurs et ce que saint Paul a dit de l'avarice que c'étoit un culte d'idoles se doit dire de la même-sorte de tous les autres péchés qui nous captivent sous leur tyrannie. De là vient ce beau mot de Tertullien, a que le crime de l'idolâtrie est tout le sujet du jugement n TMa causa judicii MMoMn'a Quoi donc t est-il véritable que Dieu ne jugera que les idolâtres? Et tous les autres pécheurs jouiront-ils de l'impunité? Chrétiens, ne le croyez pas ce n'est pas le dessein de ce grand homme, d'autoriser tous les autres crimes; mais c'est qu'il prétend qu'en l'idolâtrie tous les autres sont condamnés; mais c'est qu'il estime que l'idolàtrie se trouve dans tous les crimes, qu'elle est comme un crime universel dont tous les autres ne sont que des dépendances. Il est ainsi, chrétiens nous sommes des idolâtres, lorsque nous servons à nos convoitises. Humilions-nous (a) devant notre Dieu d'être coupables de ce crime énorme; et afin de bien comprendre cette vérité, qui (b) nous doit couvrir de confusion, faisons une réflexion sérieuse sur les causes et sur les effets de l'idolâtrie par là nous reconnaîtrons aisément qu'il y en a bien peu parmi nous qui soient tout à fait exempts de ce crime.
Le principe de l'idolâtrie, ce qui l'a fait régner dans le genre humain, c'est que nous nous sommes éloignés de Dieu et attachés à nous-mêmes; et si nous savons entendre aujourd'hui ce que fait en nous cet éloignement et ce qu'y produit cette attache, nous aurons découvert la cause évidente de tous les égaremens des idolâtres. Quand je dis que nous nous sommes éloignés de Dieu, je ne prétends pas, chrétiens, que nous en ayons perdu toute idée. Il est vrai'que si l'homme avoit pu éteindre toute la connoissance 1 Ephes., v, 5. – D<- Idolol., n. t.
(a) Var.: Confondons-nous. (b) Qui doit couvrir nos faces de honte.
de Dieu, la malignité de son cœur l'auroit porté à cet excès. Mais Dieu ne l'a pas permis il se montre à nos esprits par trop d'endroits, il se grave en trop de manières dans nos cœurs Non sine testimonio semetipsum reliquil 1. L'homme qui ne veut pas le connoitre, ne peut le méconnoître entièrement; et cet étrange combat de Dieu qui s'approche de l'homme, de l'homme qui s'éloigne de Dieu, a produit ce monstrueux assemblage que nous remarquons dans l'idolâtrie. C'est Dieu, et ce n'est pas Dieu qu'on adore c'est le nom de Dieu qu'on emploie; mais on en détruit la grandeur « en communiquant à la créature ce nom incommunicable, a !ttCommMH~caM<e nomëtt mais on en perd toute l'énergie en répandant sur plusieurs ce qui n'a de majesté qu'en l'unité seule.
D'où est venu ce dessein à l'homme, sinon de l'instinct du serpent trompeur, qui a dit à nos premiers pères « Vous serez comme des dieux '? » Saint Basile de Séleucie dit que (a) proférant ces paroles, il jetoit dès l'origine du monde les fondemens de l'idolâtrie Car dès lors il commençoit d'inspirer à l'hoKime le désir d'attribuer (b) à d'autres sujets ce qui étoit incommunicable, et l'audace de multiplier ce qui devoit être toujours unique. « Vous serez o voilà cette injuste communication; « des dieux, x voilà cette multiplication injurieuse tout cela pour avilir la Divinité. Car comme nul autre que Dieu ne peut soutenir ce grand nom, le communiquer c'est le détruire; et comme toute sa force est dans l'unité, le multiplier c'est l'anéantir. C'est à quoi tendoit l'impiété par tant de divisions et tant de partages, de tourner enfin le nom de Dieu en dérision, ce nom auguste, si redoutable. C'est pourquoi après avoir divisé la Divinité premièrement par ses attributs, secondement par ses fonctions, ensuite par les élémens et les autres parties du monde, dont l'on a fait un partage entre les aînés et les cadets comme d'une terre ou d'un héritage, on en est venu à la fin à une multiplication sans ordre et sans bornes, jusqu'à reléguer plusieurs dieux aux foyers et aux cuisines; on en a mis trois à la seule porte. Aussi saint Augustin reproche-t-il aux j<cf., XtV, )6.– Sapt'en< ïtv, 2t – G~tM~ m, 5. – Oro<. ;;). (a) Var, Pour moi, je pense, Messieurs, que. (b) De communiquer.
païens « qu'au lieu qu'il n'y a qu'un portier dans une maison et qu'il suffit parce que c'est un homme, les hommes ont voulu qu'il y eût trois dieux a CMMm ~M!S~M domui sum ponit ostiarium, et quia /tomo est omM!Hô sufficit O'es deos isti posMefMK~ A quel dessein tant de dieux, sinon pour dégrader ce grand nom et en avilir la majesté? Ainsi vous voyez, chrétiens, que l'homme s'étant éloigné de Dieu, ce qu'il n'a pu entièrement abolir, je veux dire son nom et sa connoissance, il l'a obscurci par l'erreur, il l'a corrompu par le mélange, il l'a anéanti par le partage. Mais passons encore plus loin, et remarquons maintenant que ce qui l'a poussé à ces erreurs (a), c'est un désir caché qu'il a dans le cœur de se déifier soi-même. Car depuis qu'il eut avalé ce poison subtil de la flatterie infernale a Vous serez comme des dieux, N s'il avoit pu ouvertement se déclarer Dieu, son orgueil se seroit emporté jusqu'à cet excès. Mais se dire Dieu, chrétiens, et cependant se sentir mortel, l'arrogance la plus aveugle (b) en auroit eu honte. Et de là vient, Messieurs, je vous prie d'observer ceci en passant, que nous lisons dans l'Histoire sainte que le roi Nabuchodonosor exigeant de son peuple les honneurs divins, n'osa les demander pour sa personne et ordonna qu'on les rendît à sa statue Quel privilége avoit cette image pour mériter l'adoration plutôt que l'original? Nul sans'doute mais il agissoit ainsi par un certain sentiment que cette présence d'un homme mortel, incapable de soutenir les honneurs divins, démentirolt trop visiblement sa prétention sacrilége (c). L'homme donc étant empêché par sa misérable mortalité, conviction trop manifeste de sa foiblesse, de se porter lui-même pour Dieu, et tâchant néanmoins autant qu'il pouvoit d'attacher la divinité à soi-même, il lui a donné premièrement une forme humaine; ensuite il a adoré ses propres ou vrages; après il a fait des dieux de ses passions; il en a fait même de ses vices. Enfin ne pouvant s'égaler à Dieu, il a voulu mettre Dieu au-dessous de lui il a prodigué le nom de Dieu jusqu'à le donner aux animaux et aux plus indignes reptiles. Et cela pour quelle raison, sinon pour secouer le joug de son Souverain, afin De Civil. Dei, lib. IV, cap. fut. – Dan., ni, 5.
(a) Fat- Porté à tous ces e~cès. (&) La plus extrême. (c) Extravagante.
que la majesté de Dieu étant si étrangement avilie et l'homme n'ayant plus devant les yeux ni L'autorité de son nom, ni les conduites de sa providence, ni la crainte de ses jugemens, n'eût plus d'autre règle que sa volonté, plus d'autres guides que ses passions, et enfin plus d'autres dieux que lui-même c'est à quoi aboutissoient à la fin toutes les inventions de l'idolâtrie. C'est ce qui a porté le grand saint Victor à renverser (a) avec tant de zèle les idoles, par lesquelles les hommes ingrats tâchoient de renverser le trône de Dieu pour n'adorer que leurs fantaisies. Mais revenez illustre Martyr d'autres idoles se sont élevées, d'autres idolâtres remplissent la terre; et sous la profession du christianisme, ils présentent de l'encens dans leur conscience à de fausses divinités. Et certainement, chrétiens, s'il est vrai, comme je l'ai dit, que l'aliénation d'avec Dieu et l'attachement à nousmêmes sont la cause (b) de l'idolâtrie; si d'ailleurs nous reconnoissons en nous ces deux vices, et si fortement enracinés, comment pouvons-nous nous persuader que nous soyons exempts de ce crime, dont nous portons la source en nous-mêmes ? Non, non, mes Frères, ne le croyons pas l'idolâtrie n'est pas renversée, elle n'a fait que changer de forme, elle a pris seulement un autre visage. Cœur humain, abîme infini, qui dans tes profondes retraites caches tant de pensées différentes qui s'échappent souvent à tes propres yeux, si tu veux savoir ce que tu adores et à qui tu présentes de l'encens, regarde seulement où vont tes désirs; car c'est là l'encens que Dieu veut, c'est le seul parfum qui lui plaît. Où vont-ils donc ces désirb? De quel côté prennent-ils leur cours? Où se tourne leur mouvement? Tu le sais, je n'ose le dire; mais de quelque côté qu'ils se portent, sache que c'est là ta divinité Dieu n'a plus que le nom de Dieu; cette créature en reçoit l'hommage, puisqu'elle emporte l'amour que Dieu demande. Mais comme nous avons vu dans l'idolâtrie que l'homme s'étant une fois donné la licence de se faire des dieux à sa mode, les a multipliés sans aucune mesure, il nous en arrive tous les jours de même. Car quiconque s'éloigne de Dieu, l'indigence de la créature l'obligeant à partager sans fin ses affections, il ne se contente pas d'une seule (a) Var. A fouler aux pieds. (b) Le principe. ·
idole. Où l'on a trouvé le plaisir, on n'y trouve pas la fortune ce qui satisfait l'avarice ne contente pas la vanité l'homme a des besoins infinis; et chaque créature étant bornée, ce que l'une ne donne pas il faut nécessairement l'emprunter de l'autre. Autant d'appuis que nous y cherchons, autant nous faisons-nous de maî-. tres; et ces maîtres que nous mettons sur nos têtes craindronsnous de les appeler nos divinités? Et ne sont-ils pas plus que nos dieux, si je puis parler de la sorte, puisque nous les préférons à Dieu même (a)?
Mais pour nous. convaincre, Messieurs, d'une idolâtrie plus criminelle, considérons, je vous prie, quelle idée nous avons de Dieu. Qui de nous ne lui donne pas une forme et une nature étrangère? Lorsqu'ayant le cœur éloigné de lui, nous croyons néanmoins l'honorer par certaines prières réglées que nous faisons passer sur le bord des lèvres par un murmure inutile; et celui qui croit.l'apaiser en lui. présentant par aumônes quelque partie de ses rapines; et celui qui observant dans sa sainte loi ce qu'il trouve de plus conforme à son humeur, croit par là s'acquérir le droit de mépriser impunément tout le reste et celui qui multipliant tous les jours ses crimes sans prendre aucun soin de se convertir, ne parle que de pardon et ne prêche que miséricorde en vérité, Messieurs, se figure-t-il Dieu tel qu'il est? Eh quoi le-Dieu des chrétiens est-ce un Dieu qui se paie de vaines grimaces, ou qui se laisse corrompre par les présens, ou qui souffre qu'on se partage entre lui et le monde, ou qui se dépouille de sa justice, pour laisser gouverner le monde par une bonté insensible et déraisonnable, sous laquelle les péchés seroient impunis ? Est-ce là le Dieu des chrétiens? N'est-ce pas plutôt une idole formée à plaisir et au gré de nos passions ? °
(a) Var.: 0 homme, tu soupires après le plaisir, et voilà ta première idole. Mais ce qui te donne le plaisir ne te donne pas la fortune; et cette fortune que tu poursuis, à laquelle tu sàcrifies tout, est une autre divinité que tu sers. Mais peut-être que ta fortune ne satisfera pas à ta vanité une autre passion s'élève et une autre idole se forme. Enfin autant de vices qui nous captivent, autant de passions qui nous dominent, ce sont autant de fausses, divinités par lesquelles nous excitons Dieu à jalousie. Et ne sont-ce pas en effet des divinités, puisque nous les préférons à Dieu, puisqu'elles nous le font oublier et même ieméconnoitre? '1
Et d'où est né en nous ce dessein de faire Dieu à notre mode, sinon de ce vieux levain de l'idolâtrie, qui faisoit crier autrefois à ce peuple a Faites-nous, faites-nous des dieux? » Fac no6ïs deos Et pourquoi voulons-nous faire des dieux à plaisir, sinon pour dépouiller la Divinité des attributs qui nous choquent, qui contraignent la liberté, ou plutôt la licence immodérée que nous donnons à nospassions? Si bien que nous ne défigurons la Divinité qu'afin que le pé<;hé triomphe à son aise et que nous ne connoissions plus d'autres dieux que nos vices et nos fantaisies, et nos inclinations corrompues. Dans un aveuglement si étrange, combien faudroit-il de Vietors pour briser toutes les idoles par lesquelles nous excitons Dieu à jalousie? Chrétiens, que chacun détruise les siennes soit que ce soit Vénus et l'impureté, soit que ce soit Mammone et l'avarice, donnons-leur un coup de pied généreux qui les abatte devant Jésus-Christ car à quoi nous auroit servi de baiser ce pied vénérable, sacré dépôt de cette maison? 0 pied de l'illustre Victor, c'est par vos coups puissans que l'idole est tombée par terre. Ce tyran, qui'vous a coupé, a cru vous immoler à son Jupiter; mais il .vous a consacré à Jésus-Christ, et n'a fait que signaler votre victoire. C'est l'honneur de saint Victor, qu'il lui ait coûté du sang pour faire triompher JésusChrist et il falloit pour sa gloire qu'en renversant un faux dieu, il offrît un sacrifice au véritable. Mes Frères, imitons cet exemple, mais portons encore plus loin notre zèle; et après avoir appris de Victor à détruire les ennemis de Jésus-Christ, apprenons encore du même martyr à lui conserver ses serviteurs. Il a fait l'un et l'autre avec courage il a renversé par terre les ennemis du Fils de Dieu; voyons maintenant comment il travaille à lui conserver ses serviteurs c'est ma seconde partie.
SECOND POINT.
C'est un secret de Dieu de savoir joindre'ensemble l'affranchissement (a) et la servitude; et saint Paul nous l'a expliqué en la Première Epïtre aux Corinthiens, lorsqu'il a dit ces belles paE-cod., xxxn, 1.
(a) Vsf. La liberté.
roles « Le fidèle qui est libre est serviteur de Jésus-Christ H Qui in DoHMKO vocatus est ser~MS, libertus est Domini similiter qui liber vocatus est, servus est Christi. Ce tempérament merveilleux qu'apporte le saint Apôtre à la liberté par la contrainte, à la contrainte par la liberté, est plein d'une sage conduite et digne de l'Esprit de Dieu. Celui qui est libre, Messieurs, a besoin qu'on le modère et qu'on le réprime et celui qui est dans la servitude a besoin qu'on le soutienne et qu'on le relève. Saint Paul a fait l'un et l'autre (a), en disant à l'affranchi (&) qu'il est serviteur, et au serviteur qu'il est affranchi. Par la première de ces paroles il donne comme un contre-poids à la liberté, de peur qu'elle ne s'emporte; il semble par la seconde qu'il lâche la main à la contrainte, de peur qu'elle ne se laisse accabler; et il nous apprend par toutes les deux cette vérité importante (c), que le chrétien doit mêler dans toutes ses actions et la liberté et la contrainte. Jamais tant de liberté, que nous n'y donnions toujours quelques bornes qui nous contraignent; et jamais tant de contrainte, que nous ne nous sachions toujours conserver (d) une sainte liberté d'esprit et joindre par ce moyen la liberté et la servitude.
Mais cette liberté et cette contrainte, qui se trouvent jointes selon l'esprit dans tous les véritables enfans de Dieu, il a plu à la Providence qu'elles fussent Tîntes (e) en notre martyr même selon le corps et en le prenant à la lettre. Son historien nous apprend une particularité remarquable; c'est qu'ayant été arrêté par l'ordre de l'empereur pour la cause de l'Evangile, il demeuroit captif durant tout le jour, et qu'un ange le délivroit toutes les nuits tellement que nous pouvons dire qu'il étoit prisonnier et libre. Mais ce qui fait le plus à notre sujet, c'est que dans l'un et dans l'autre de ces deux états il travailloit toujours au salut des ames, puisqu'ainsi que nous lisons dans la même histoire, étant renfermé dans la prison il convertissoit ses propres gardes, « et qu'il n'usoit ) 1 Cor., v;t, 22.
(a) Var.: Entreprend de le faire. (b) Au libre.- (c) Par cette doctrine cette vérité admirable. (d) Dans l'étendue de la liberté, nous devons nous donner toujours quelques bornes; et dans cette contrainte salutaire, nous devons toujours conserver.- (e) Qu'elles se rencontrassent.
de sa liberté que pour affermir (a) en Jésus-Christ l'esprit de ses frères B Ut Christianorum paventia corda con~nKaref. Durant le temps des persécutions, deux spectacles de piété édifiaient les hommes et les anges les chrétiens en prison et les chrétiens en liberté, qui sembloient en quelque sorte disputer ensemble à qui glorifieroit le mieux Jésus-Christ, quoique par des voies différentes; et il faut que je vous donne en peu de paroles une description de leurs exercices mon sujet en sera éclairci et votre piété édifiée. Faisons donc avant toutes choses la peinture d'un chrétien en prison. 0 Dieu, que son visage est égal et que son action est hardie! mais que cette hardiesse est modeste t mais que cette modestie est généreuse! Et qu'il est aisé de le distinguer de ceux que leurs crimes ont mis dans les fers qu'il sent bien qu'il souffre pour la bonne cause, et que la sérénité de ses regards rend un illustre témoignage à son innocence 1 Bien loin de se plaindre de sa prison, il regarde le monde au contraire comme une prison véritable. Non, il n'en connoît point de plus obscure, puisque tant de sortes d'erreurs y éteignent la lumière de la vérité ni qui contienne plus de criminels, puisqu'il y en a presque autant que d'hommes; ni de fers plus durs que les siens, puisque les ames mêmes en sont enchaînées; ni de cachot plus rempli d'ordures, par l'infection de tant de péchés. Persuadé de cette pensée, « il croit que ceux qui l'arrachent du'milieu du monde, en pensant le rendre captif le tirent d'une captivité plus insupportable, et ne le jettent pas tant en prison qu'ils ne l'en délivrent réellement a Si Mco~tfemMS ipsum magis MMnctMH! cat'cerem esse, exisse vos è carcere quàm in carcerem introisse intelligemus 1. Ainsi dans ces prisons bienheureuses dans lesquelles les saints martyrs étoient renfermés, ni les plaintes, ni les murmures, ni l'impatience, n'y paroissolent pas elles devenoient des temples sacrés, qui résonnoient nuit et jour de pieux cantiques. Leurs gardes en étoient émus, et il arrivoit pour l'ordinaire qu'en gardant les martyrs ils devenoient chrétiens. Celui qui gardoit saint Paul et Silas fut baptisé par l'Apôtre les gardes de notre Saint Tertull., ad ~a~ n. 2. .<e< xvf, 33.
(a) Var. Fortifier.
se donnèrent à Jésus-Christ par son entremise. C'est ainsi que ces bienheureux prisonniers avoient accoutumé de gagner leurs gardes; et à peine en pouvoit-on trouver d'assez durs (a) pour être à l'épreuve de cette corruption innocente. Mais s'ils travailloient à gagner leurs gardes, ce n'étoit pas pour forcer leurs prisons ils ne tâchoient au contraire de les attirer que pour les rendre prisonniers avec eux, et en faire des compagnons de leurs chaînes. Longin, Alexandre et Félicien, qui étoient les gardes de saint Victor, les portèrent avec lui, et sont arrivés devant lui à la couronne du martyre. 0 gloire de nos prisonniers, qui tout chargés qu'ils étoient de fers, se rendoient maîtres de leurs propres gardes pour en faire des victimes de Jésus-Christ! Voilà, Messieurs, en peu de paroles, la première partie du tableau; tels étoient les chrétiens en prison.
Mais jetez maintenant les yeux sur ceux que la fureur publique avoit épargnés (b) voici quels étoient leurs sentimens. Ils avoient honte de leur liberté et se la reprochoient à eux-mêmes mais ils entroient fortement dans cette pensée, que Dieu ne les ayant pas jugés dignes de la glorieuse qualité de ses prisonniers, il ne leur laissoit leur liberté que pour servir ses martyrs. Prenez, mes Frères, ces sentimens que doit vous inspirer l'esprit du christianisme, et faites avec moi cette réflexion importante. Dieu fait un partage dans son Eglise quelques-uns de ses fidèles sont dans les souffrances; les autres par sa volonté vivent à leur aise. Ce partage n'est pas sans raison, et voici sans doute le dessein de Dieu. Vous qu'il exerce par les afflictions, c'est qu'il veut vous faire porter ses marques vous qu'il laisse dans l'abondance, c'est qu'il vous réserve pour servir les autres. Donc, ô riches, ô puissans du siècle, tirez cette conséquence, que si selon l'ordre des lois du monde les pauvres semblent n'être nés que pour vous servir, selon les lois du christianisme vous êtes nés pour servir les pauvres et soulager leurs nécessités.
(a) Var. Et on avoit peine à en trouver qui fussent assez durs. (b) 0 victoire de notre Victor, qui tout prisonnier qu'il étoit, s'est rendu maitre'de ses propres gardes, pour en faire des victimes de Jésus-Christ Mais pendant que ces braves soldats de l'Eglise étendoient ses conquêtes par leur patience, que faisoient cependant leurs frères, que la fureur publique avoit épargnes?.
C'est ce que croyoient nos ancêtres, ces premiers Sdèles; et c'est pourquoi, comme j'ai dit, ceux qui étoient libres pensoient n'avoir cette liberté que pour servir leurs frères captifs, et ils leur en consacroient tout l'usage. C'est pourquoi, Messieurs, les prisons publiques étoient le commun rendez-vous de tous les ûdèles; nul obstacle, nulle appréhension, nulle raison humaine ne les arrétoit ils y venoient admirer ces braves soldats, l'élite de l'armée chrétienne; et les regardant avec foi comme destinés au martyre, martyres c!M~naM', ils les voyaient tout resplendissans de l'éclat de cette couronne qui pendoit déjà sur leurs têtes et qui alloit bientôt y être appliquée. Ils les servoient humblement dans cette pensée; ils les encourageoient (a) avec respect; ils pourvoyoient à tous leurs besoins avec une telle profusion que souvent même les infidèles, chose que vous jugerez incroyable et néanmoins très-bien avérée, souvent, dis-je, les infidèles se mêloient avec les martyrs pour pouvoir goûter avec eux les fruits de la charité chrétienne: tant la charité étoit abondante, qu'elle faisoit trouver des délices même dans l'horreur des prisons. Voilà, mes Frères, les saints emplois qui partageoient les fidèles durant le temps des persécutions. Que vous étiez heureuse, ô sainte Eglise, de voir deux si beaux spectacles 1 Les uns souffroient pour la foi, les autres compatissoient par la charité les uns exerçoient la patience, et les autres la miséricorde; dignes certainement les uns et les autres d'une louange immortelle. Car à qui donnerons-nous l'avantage? Le travail des uns est plus glorieux, la fonction des autres est plus étendue ceux-là combattent les ennemis, ceux-ci soutiennent les combattans mêmes. Mais que sert de prononcer ici sur ce doute, puisque ces deux emplois différens que Dieu partage entre ses élus, il lui a plu de les réunir en la personne de notre martyr? Il est prisonnier et libre, et il plaît à notre Sauveur qu'il remporte la gloire de ces deux états. Victor désire ardemment l'honneur de porter les marques de Jésus-Christ. Voilà des chaînes, voilà des cachots, voilà une sombre prison c'est de quoi imprimer sur son corps 1 Tertull m~ n. 1.
(a) Var. Excitoient, –Mhortoieot.
les caractères du Fils de Dieu et les livrées de sa glorieuse servitude. Mais Victor accablé de fers, ne peut avoir la gloire d'animer ses frères. Allez, anges du Seigneur, et délivrez-le toutes les nuits pour exercer cette fonction qu'il a coutume de remplir avec tant de fruit faites tomber ces fers de ses mains, ôtez-lui ces chaînes pesantes qu'il se tient heureux de porter pour la gloire de l'Evangile. Ah 1 qu'il les quitte à regret ces chaînes chéries et bien-aimées Mais c'est pour les reprendre bientôt. Mais c'est trop de les perdre un moment; n'importe, 'Victor obéit. Quoiqu'il chérisse sa prison, il est prêt de la quitter au premier ordre, il n'a d'attachement qu'à la volonté de son Maître il est ce chrétien généreux dont parle Tertullien (a) Christianus etiant extra carce!*6?H sœcM~o renuntiavit, (K carcere ~n?K cafcet't « Le chrétien même hors de la prison renonce au siècle, et en prison il renonce à la prison même. »
Vous jugerez peut-être que ce n'est pas une grande épreuve, de renoncer à une prison; mais les saints martyrs ont d'autres pensées et ils trouvent si honorable d'être prisonniers de JésusChrist, qu'ils ne se peuvent dépouiller sans peine de cette marque de leur servitude. Ce qui console Victor, c'est qu'il ne sort de ses fers que pour consoler les fidèles, pour rassurer leurs esprits flottans, pour les animer au martyre. C'est à quoi il passe les nuits avec une.ardeur infatigable, et après un si utile travail, il vient avec joie reprendre ses chaînes, il vient se reposer dans sa prison, et il se charge de nouveau de ce poids aimable que la foi de JésusChrist lui impose (b).
Mes Frères, voilà notre exemple, telle doit être la liberté du christianisme, Qui nous donnera, ô Jésus, que nous nous rendions nous-mêmes captifs par l'amour de la sainte retraite, et que jamais nous ne soyons libres que pour courir aux offices de la charité ? Heureux mille et mille fois celui qui ne trouve l'usage de sa liberté que lorsque la charité l'appelle Mais si nous voulons garder de la liberté pour les affaires du monde, gardons-en TerLuU., ad A~o't., D. 2.
(a) Var. Et nous pouvons lui appliquer ce beau mot de Tertullien. (b) U revient dans sa chère prison, il remet ses mains dans tes chaînes. i
aussi pour celles de Dieu et n'en perdons pas un si saint usage. 0 mains engourdies de l'avare, que ne rompez-vous ces liens de l'avarice qui vous empêchent de vous ouvrir sur les misères du pauvre? Que ne brisez-vous ces liens qui ne vous permettent pas d'aller au secours, ou de l'innocent qu'on opprime, qu'une' seule de vos paroles pourroit soutenir; ou du prisonnier qui languit, et que vos soins pourroient délivrer; ou de cette pauvre famille qui se désespère, et qui subsisteroit largement du moindre retranchement de votre luxe? Employez, Messieurs, votre liberté dans ces usages chrétiens; consacrez-la au service des pauvres membres de Jésus-Christ. Ainsi en prenant part à la croix des autres, vous vous élèverez à la fin à cette grande perfection du christianisme qui consiste à s'immoler soi-même c'est ce qui nous reste à considérer dans le martyre de saint Victor. TROISIÈME POINT.
Pour tirer de l'utilité de cette dernière partie où je dois vous représenter le martyre de saint Victor, je vous demande, mes Frères, que vous n'arrêtiez pas seulement la vue sur tant de peines qu'il a endurées; mais que remontant en esprit à ces premiers temps où la foi s'établissoit par tant de martyres, vous vous mettiez vous-mêmes à l'épreuve touchant l'amour de la croix, qui est la marque essentielle du. chrétien. Trois circonstances principales rendoient la persécution épouvantable (a). Premièrement on méprisoit les chrétiens; secondement on les haïssoit: JEt't~'s 0(Mo omnibus 1; enfin la haine passoit jusqu'à la fureur. Parce qu'on les meprisoit, on les condamnoit sans procédures; parce qu'on les haïssoit, on les faisoit souffrir sans modération; parce que la haine alloit jusqu'à la fureur, on poussoit la violence jusqu'au delà de la mort. Ainsi la vengeance publique (b) n'ayant ni formalité dans son exercice, ni mesure dans sa cruauté, ni bornes dans sa durée, nos pères en étoient réduits aux dernières ~faMA., x, 22.
(a) Var.: Représentez-vous cette haine étrange contre le nom chrétien en eussiez-vous pu soutenir l'effort? Pour vous juger sur ce point, méditez attentivement ces trois circonstances qui )'accompagnoient.–(A) Ainsi la vengeance publique qu'on exerçoit sur les chrétiens n'ayant.
extrémités (a). Mais pesons plus exactement ces trois circonstances pour la gloire de notre martyr et la conviction de notre lâcheté. J'ai dit premièrement, chrétiens, qu'on ne gardolt avec nos ancêtres aucune formalité de justice, parce qu'on les tenoit pour des personnes viles, dont le sang n'étoit d'aucun prix. « C'étoit la balayure du monde » Omnium peripsema 1: ce qui a fait dire à Tertullien C/tr~tam, dcs<!na<Km. morti genus Savez-vous ce que c'est que les chrétiens? C'est, dit-il, « un genre.d'hommes destiné à la mort. s Remarquez qu'il ne dit pas condamné, mais destiné à la mort, parce qu'on ne les condamnoit pas par les formes, mais plutôt qu'on les regardoit comme dévoués au dernier supplice par le seul préjugé d'un nom odieux Oves occisionis, comme dit l'Apôtre a des brebis de sacrifices, des agneaux de boucherie, o dont on vcrsoit le sang sans façon et sans procédures. Si le Tibre s'étoit débordé, si la pluie cessoit d'arroser la terre, si les Barbares avoient ravagé quelque partie de l'empire, les chrétiens en répondoient de leurs têtes il avoit passé en proverbe CŒ!Mms!eM<, causa christiani 4. Pauvres chrétiens innocens, on ne sait que vous imputer, parce que vous ne vous mêlez de rien dans le monde; et on vous accuse (b) de renverser tous les élémens, et de troubler tout l'ordre de la nature; et sur cela on vous expose aux bêtes farouches, parce qu'il a plu au peuple romain de crier dans l'amphithéâtre Christianos ad <eoHM a Qu'on donne les chrétiens aux lions. s II falloit cette victime aux dieux immortels, et ce divertissement au peuple irrité, peutêtre pour le délasser des sanglans spectacles des gladiateurs par quelque objet plus agréable. Quoi donc? sans formalité immoler 1 Cor., iv, 13. – De Spectac., n. 1. 7!om., v;;[, 36. – Apolog., n. 40. – /M.
(a) Var. Parce que sans preuve et sans apparence on les chargeoit de crimes atroces, dont on les tenoit convaincus seulement à cause d'un bruit incertain qui s'étoit répandu parmi le peuple. Y avoit-it rien de plus vain? Et néanmoins, sans autre dénonciateur et sans autre temoin que ce bruit confus qui n'étoit pas même appuyé d'une conjecture, on accumuloit sur la tête de ces malheureux chrétiens les incestes, les parricides, les rébethons, les sacrilèges, tous les crimes les plus monstrueux. Non contente de les charger de ces crimes, la haine publique du genre humain les vouloit rendre responsables de tous les malheurs de 1 Etat, de toutes les inégalités des saisons, de la pluie, de la sécheresse. (A) A peme faites vous du btuit sur la terre, tant vous êtes paisibles et modestes; et on vous accuse.
une si grande multitude? De quoi parlez-vous? De formalité? Cela est bon pour les voleurs et les meurtriers; mais il n'en faut pas pour les chrétiens, ames viles et méprisables, dont on ne peut assez prodiguer le sang.
Victor, généreux Victor, quoi ? ce sang illustre qui coule en vos veines, sera-t-il donc répandu avec moins de forme que celui du dernier esclave? Oui, Messieurs, pour professer le christianisme, il falloit avaler toute cette honte mais voici quelque chose de bien plus terrible. Ordinairement ceux que l'on méprise, on ne les juge pas dignes de colère et ce foudre de l'indignation ne frappe que sur les lieux élevés. C'est pourquoi David disoit à Saül Qui poursuivez-vous, ô roi d'Israël? Contre qui vous irritez-vous ? « Quoi 1 un si grand roi contre un ver de terre )) Canem mortuum persequeris et pulicem MHMm 1. Il ne trouve rien de plus efficace pour se mettre à couvert de la colère de ce prince que de se représenter comme un objet tout à fait méprisable et en effet on se défend de la fureur des grands par la bassesse de sa condition. Les chrétiens toutefois, bien qu'ils soient le rebut du monde, n'en sont pas moins le sujet, non-seulement de la haine, mais encore de l'indignation publique; et malgré ce mépris qu'on a pour eux, ils ne peuvent obtenir qu'on les néglige. Tout le monde est armé contre leur foiblesse, et voici un effet étrange de cette colère furieuse: Dans les crimes les plus atroces les lois ont ordonné de la qualité du supplice, il n'est pas permis de passer outre elles ont bien voulu donner des bornes même à la justice, de peur de lâcher la bride à la cruauté. 11 n'y avoit que les chrétiens sur lesquels on n'appréhendoit point de faillir, si ce n'est en les épargnant « il leur falloit-arracher la vie par toutes les inventions d'une cruauté raffinée & Per atrociora 9~Më)'a pŒMarMm dit le grave Tertullien.
Car considérez, je vous prie, ce qu'on n'a pas inventé contre saint Victor. On a soigneusement ramassé contre lui tout ce qu'il y a de force dans les hommes, dans les animaux, dans les machines les plus violentes. Qu'on l'attache sur le chevalet, et qu'il lasse durant trois jours des bourreaux qui s'épuisent en le flagelIl 1 /!f~ xxjv, i5. – De Resur. Carn., n. 8.
lant qu'un cheval fougueux et indompté le traîne à sa queue par toute la ville ou dans les revues de l'armée, au milieu de laquelle il a paru si souvent avec tant d'éclat qu'il laisse par toutes les rues non-seulement des ruisseaux de sang, mais même des lambeaux de sa chair encore n'est-ce pas assez pour assouvir la haine de ses tyrans. Que veut-on faire de cette meule? Quel monstre veut-on écraser et réduire en poudre (<t) ? Quoi c'est l'innocent Victor qu'on veut accabler de ce poids, qu'on veut mettre en pièces par ce mouvement Eh il ne faut pas tant de force contre un corps humain, que la nature a fait si tendre et si aisé à dissoudre. Mais la haine aveugle des infidèles ne pouvoit rien inventer d'assez horrible et la foi ardente des chrétiens ne pouvoit rien trouver d'assez dur. Invente encore, s'il est possible, quelque machine inconnue, ô cruauté ingénieuse Si tu ne peux abattre Victor par la violence, tâche de l'étonner par l'horreur de tes supplices. Il est prêt à en supporter tout l'effort; sa patience surmontera toutes tes attaques. « Il ne reçoit aucune blessure qu'il ne couvre par une couronne il ne verse pas une goutte de sang qui ne lui mérite de nouvelles palmes; il remporte plus de victoires qu'il ne souffre de violences: » Corondpt'ëm~M~tem~pa~K~ sanguiMm obscurat, plus victoriarum est quàm injuriarum Mais enfin la matière manque quoique le courage ne diminue pas, il faut que le corps tombe sous les derniers coups. Que fera la rage des persécuteurs ? Ce qu'elle a fait aux autres martyrs, dont elle poursuivoit les corps mutilés jusque dans le sein de la mort, jusque dans l'asile de la sépulture. Elle en use de même contre notre Saint; et lui enviant jusqu'à un tombeau, elle le fait jeter au fond de la mer (b) mais par l'ordre du Tout-Puissant, la mer officieuse rend ce dépôt à la terre et la terre nous a conservé ses os, afin qu'en baisant ces saintes reliques nous y pussions puiser l'amour des souffrances. Car c'est ce qu'il faut apprendre des Tertull., Scorp., n. 6.
(a) Var. Quel marbre veut-on broyer? (b) n Elle alloit, dit Tertullien, arracher leurs corps mutilés de l'asile même de la sépulture » De a~o quodam mortM jam altos nec totos avellunt. On leur envioit jusqu'à un tombeau, ou plutôt on tachoit de leur dérober les honneurs extraordmalres que la piété chrétienne reudoit aux martyrs. Ce fut dans ce sentiment qu'on jeta au fond de la mer le corps le Victor.
saints martyrs; c'est le fruit qu'il faut remporter des discours que l'on consacre à leur gloire.
Mais, ô croix, ô tourmens, ô souffrances, les chrétiens prêchent et publient que vous faites toute la gloire du christianisme les chrétiens vous révèrent dans les saints martyrs, les chrétiens vous louent dans les autres et par une lâcheté sans égale, aucun ne vous veut pour soi-mème et toutefois il est véritable que les souffrances font les chrétiens, et qu'on les reconnoît à cette épreuve. N'alléguons pas ici l'Ecriture sainte, dont presque toutes les lignes nous enseignent cette doctrine laissons tant de raisons excellentes (a) que les saints Pères nous en ont données convainquons-nous par expérience de cette vérité fondamentale. Quand est-ce que l'Eglise a eu des enfans dignes d'elle, et a porté des chrétiens dignes de ce nom? C'est lorsqu'elle étoit persécutée, c'est lorsqu'elle IIsoit à tous les poteaux des sentences épouvantables prononcées contre elle, qu'elle voyoit dans tous les gibets et dans toutes les places publiques de ses enfans immolés pour la gloire de l'Evangile.
Durant ce temps, Messieurs, il y avoit des chrétiens sur la terre il y avoit de ces hommes forts, qui étant nourris dans les proscriptions et dans les alarmes continuelles, s'étoient fait une glorieuse habitude de souffrir pour l'amour de Dieu. Ils croyoient que c'étoit trop de délicatesse que de rechercher le plaisir et en ce monde et en l'autre regardant la terre comme un exil, ils jugeoient qu'ils n'y avoient point de plus grande affaire que d'en sortir au plus tôt. Alors la piété étoit sincère, parce qu'elle n'étoit pas encore devenue un art elle n'avoit pas encore appris le secret de s'accommoder au monde, et de servir aux négoces des ténèbres. Simple et innocente qu'elle étoit, elle ne regardoit que le Ciel, auquel elle prouvoit sa fidélité par une longue patience. Tels étoient les chrétiens de ces premiers temps; les voilà dans leur pureté, tels que les engendroit le sang des martyrs, tels que les formoient les persécutions. Maintenant la paix est venue, et la discipline s'est relâchée le nombre des fidèles s'est augmenté, et l'ardeur de la foi s'est ralentie et, comme disoit élo(a) Var.: Convaincantes.
quemment un ancien, a L'on t'a vue, ô Eglise catholique, affoiblie par ta fécondité, diminuée par ton accroissement et presque abattue par tes propres forces » Factaque es, Ecelesia, profectu <M<p /'oecM!td<<a<M infirmior, atque accessu relabens e; quasi viribus minùs valida 1. D'où vient cet abattement des courages? C'est qu'ils ne sont plus exercés par les persécutions. Le monde est entré dans l'Eglise (a), on a voulu joindre Jésus-Christ avec Bélial, et de cet indigne mélange quelle race enfin nous est née? Une race mêlée et corrompue, des demi-chrétiens, des chrétiens mondains et séculiers, une piété bâtarde et falsifiée, qui est toute dans les discours et dans un extérieur contrefait (b). 0 piété à la mode, que je me moque de tes vanteries, et des discours étudiés que tu débites à ton aise pendant que le monde te rit! Viens que je te mette à l'épreuve. Voici une tempête qui s'élève, voici une perte de biens, une insulte, une contrariété, une maladie tu te laisses aller aux murmures, pauvre piété déconcertée; tu ne peux plus te soutenir, piété sans force et sans fondement (c). Vas, tu n'étois qu'un vain simulacre de la piété chrétienne tu n'étois qu'un faux or qui brille au soleil, mais qui ne dure pas dans lu feu, mais qui s'évanouit dans le creuset. La vertu chrétienne n'est pas faite de la sorte Aruit <angMdm testa ~!r<MS mea'. Elle ressemble à la terre d'argile, qui est toujours molle et sans consistance, jusqu'à ce que le feu la cuise et la rende ferme Aruit ~an~M~m testa virlus mea. Et s'il est ainsi, chrétiens; si les souffrances sont nécessaires pour soutenir l'esprit du christianisme, Seigneur, rendez-nous les tyrans, rendez-nous les Domitiens et les Nérons. Mais modérons notre zèle, et ne faisons point de vœux indiscrets n'envions pas à nos princes le bonheur d'être chrétiens, et ne demandons pas des persécutions que notre lâcheté ne pourroit souffrir. Sans ramener les roues et les chevalets sur lesquels on étendoit nos ancêtres, la matière ne manquera pas à la patience. La nature a assez d'infirmités, le monde a assez d'injustice, sa faveur assez d'inconstance il y a assez de bizarrerie dans le jugeSaMan., adf. ~car., lib. i, p. 2t8. – Psal. x~f, 16.
(a) )~«)'. Le monde s'est um avec l'Eglise. (6) Dans les discours et tes grimaces. (r) Sans force et sans corps.
ment des hommes, et assez d'inégalité daus leurs humeurs contrariantes. Apprenons à goûter ces amertumes et quelque sorte d'afflictions que Dieu nous envoie, profitons de ces occasions précieuses et ménageons-en avec soin tous les momens. Le ferons-nous, mes Frères, le ferons-nous? Nous réjouironsnous dans les opprobres ? Nous plairons-nous dans les contrariétés ? Ah! nous sommes trop délicats, et notre courage est trop mou. Nous aimerons toujours les plaisirs, nous ne pouvons durer un moment avec Jésus-Christ sur la croix. Mais, mes Frères, s'il est ainsi, pourquoi baisons-nous les os des martyrs? pourquoi célébrons-nous leur naissance ? pourquoi écoutons-nous leurs éloges? Quoi serons-nous seulement spectateurs oisifs? Quoi verronsnous le grand saint Victor boire à longs traits ce calice amer de sa passion, que le Fils de Dieu lui a mis en main; et nous croirons que cet exemple ne nous regarde point, et nous n'en avalerons pas une seule goutte, comme si nous n'étions pas enfans de la croix? Ah mes Frères, gardez-vous d'une si grande insensibilité. Montrez que vous croyez ces paroles « Bienheureux ceux qui souffrent persécution o et ces autres non moins convaincantes « Celui qui ne se hait pas soi-même, et qui ne porte pas sa croix tous les jours, n'est pas digne de moi »
Ah nous les croyons, ô Sauveur Jésus c'est vous qui les avez proférées. Mais si vous les croyez, nous dit-il, prouvez-le-moi par vos œuvres. Ce. sont les souffrances, ce sont les combats, c'est la peine, c'est le grand travail, qui justifient la sincérité de la foi. Seigneur, tout ce que vous exigez de nous est l'équité même donneznous la grace de l'accomplir. Car en vain entreprendrions-nous par nos propres forces de l'exécuter bientôt nos efforts impuissans ne nous laisseroient que la confusion de notre superbe témérité. Soutenez donc, ô Dieu tout-puissant, notre foiblesse par votre Esprit-Saint 1 Faites-nous des chrétiens véritables, c'est-à-dire des chrétiens amis de la croix accordez-nous cette grace par les exemples et par les prières de Victor votre serviteur, dont nous honorons la mémoire, afin que l'imitation de sa patience nous mène à la participation de sa couronne. A?):eM.
~«KA., v. 10. 'd., x, 38.
PRÉCIS D'UN PANÉGYRIQUE
POUB
LA FÊTE DE SAINT JACQUES (a).
Die «< sedeant hi duo /!H< met~ unus ad <~&r<er(tM tuam, et unus ad <tttM<ramt)t?eiytM<MO.
Dites (p]e mes deux fils soient assis dans votre royaume, l'un à votre droite, et rautre à votre gauche..MaMA.~ xx, 21.
Nous voyons trois choses dans l'Evangile premièrement leur ambition réprimée: JYMCt~'s quid pe<afî's t Vous ne savez ce que vous demandez; a secondement leur ignorance instruite: Potestis bibere cah'cetK~ « Pouvez-vous boire le calice que je dois boire ? » troisièmement leur fidélité prophétisée Calicemquidem meum M&e<s* « Vous boirez, il est vrai, mon calice. a PREMIER POINT.
Il est assez ordinaire aux hommes de ne savoir ce qu'ils demandent, parce qu'ils ont des désirs qui sont des désirs de malades, inspirés par la fièvre, c'est-à-dire par les passions; et d'autres ont des désirs d'enfans, inspirés par l'imprudence. Il semble que celui de ces deux apôtres n'est pas de cette nature: ils veulent être auprès de Jésus-Chribt, compagnons de sa gloire et de son triomphe; cela est fort désirable, l'ambition n'est pas excessive. Il veut que nous régnions avec lui; et lui, qui nous promet de nous placer jusque dans son trône, ne doit pas trouver mauvais que l'on souhaite d'être à ses côtés néanmoins il leur répond: a Vous ne savez ce que vous demandez n Nescitis quid petatis.
Pour découvrir leur erreur, il faut savoir que les hommes peuvent se tromper doublement ou en désirant comme bien ce qui nel'e~t pas, ou en désirant un bien véritable, sans considérer assez en quoi il consiste, ni les moyens pour y arriver. L'erreur JfaMA., xx, 22. /6/~ 23.
(a) Ecrit dans la troisième époque, vers i684 telle est du moine notre opinion.
des apôtres ne gît pas dans la première de ces fausses idées ce qu'Us désirent est un fort grand bien, puisqu'ils souhaitent d'être assis auprès de la personne du Sauveur des ames mais ils le désirent avec un empressement trop humain; et c'est là la nature de leur erreur, causée par l'ambition qui les anime. Ils s'étoient imaginé Jésus-Christ dans un trône, et ils souhaitoient d'être à ses côtés, non pas pour avoir le bonheur d'être avec lui, mais pour se montrer aux autres dans cet état de magnificence mondaine tant il est vrai qu'on peut chercher Jésus-Christ même avec une intention mauvaise, pour paroitre devant les hommes, afin qu'il fasse notre fortune. Il veut qu'on l'aime nu et dépouillé, pauvre et infirme, et non-seulement glorieux et magnifique. Les apôtres avoient tout quitté pour lui et néanmoins ils ne le cherchoient pas comme il faut, parce qu'ils ne le chercholent pas seul. Voilà leur erreur découverte, et leur ambition réprimée voyons maintenant dans le second point leur ignorance instruite. SECOND POINT.
IL semble quelquefois que le Fils de Dieu ne réponde pas à propos aux questions qu'on lui fait. Ses apôtres disputent entre eux pour savoir quel est le plus grand Quis mder~Mr esse major et Jésus-Christ leur présente un enfant, et leur dit « Si vous ne devenez comme de petits enfans, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux B JVt'M ~Cta~ïnt sieut parvuli, non intrabitis in regnum c~OfMm Si donc le divin Sauveur en quelques occasions ne satisfait pas directement aux demandes qui lui sont faites, il nous avertit alors de chercher la raison dans le fond de la réponse. Ainsi en ce lieu on lui parle de gloire, et il répond en représentant l'ignominie qu'il doit souCrir c'est qu'il il va à la source de l'erreur. Les deux disciples s'étoient figuré qu'à cause qu'ils touchoient -de plus près au Fils de Dieu par l'alliance du sang, ils dévoient aussi avoir les premières places dans son royaume c'est pourquoi, pour les désabuser, il les rappelle à sa croix Potestis bibere calicem ? Et pour bien entendre cette réponse, il faut savoir qu'au lieu que les rois de la terre 1 Luc., xxii, 24. – ?;«/ xvin, 4.
tirent le titre de leur royauté de leur origine et de leur naissance, Jésus-Christ tire le sien de sa mort. Sa naissance est royale, il est le fils et l'héritier~ de David; et néanmoins il ne veut être roi que par sa mort. Le titre de sa royauté est sur sa croix il ne confesse qu'il est roi qu'étant près de mourir. C'est donc comme s'il disoit à ses disciples', Ne prétendez pas aux premiers honneurs, parce que vous me touchez par la naissance voyez si vous avez le courage de m'approcher par la mort. Celui qui touche le plus à ma croix, c'est celui à qui je donne la première place non pour le sang qu'il a reçu dans sa naissance mais pour celui qu'il répandra pour moi dans sa mort voilà le bonheur des chrétiens. S'ils ne peuvent toucher Jésus-Christ par la naissance, ils le peuvent par la mort, et c'est là la gloire qu'ils doivent envier. TROfSIËME PCUtiT.
Les disciples acceptent ce parti « Nous pouvons, disent-ils, boire votre calice e Possumus et Jésus-Christ leur prédit qu'ils le boiront. Leur promesse n'est pas téméraire mais admirons la dispensation de la grace dans le martyre de ces deux frères. Ils demandoient deux places singulières dans la gloire; il leur donne deux places singulières dans sa croix. Quant à la gloire, « ce n'est pas à moi à vous la donner c Non est meum c!are vobis, je ne suis distributeur que des croix, je ne puis vous donner que le calice de ma passion mais dans l'ordre des souffrances, comme vous êtes mes favoris, vous aurez deux places singulières. L'un mourra le premier, et l'autre le dernier de tous mes apôtres; l'un souffrira plus de violence, mais la persécution plus lente de l'autre éprouvera plus longtemps sa persévérance. Jacques a l'avantage, en ce qu'il boit le calice jusqu'à la dernière goutte. Jean le porte sur le bord des lèvres prêt à boire on le lui ravit pour le faire souffrir plus longtemps.
Apprenons par cet exemple à boire le calice de notre Sauveur, selon qu'il lui plaît de le préparer. Il nous arrive une affliction, c'est le calice que Dieu nous présente il est amer, mais il est salutaire. On nous fait une injure ne regardons pas celui qui J)~;<A xx, 22.
nous déchire; que la foi nous fasse apercevoir la main de JésusChrist, invisiblement étendue pour nous présenter ce breuvage. Figurons-nous qu'il nous dit Potestis M&et'eP « Avez-vous le courage de le boire? Mais avez-vous la hardiesse, ou serez-vous assez lâches de le refuser de ma main, d'une main si chère? Une médecine amère devient douce en quelque façon, quand un ami, un époux, etc., la présente vous la buvez volontiers, malgré la répugnance de la nature. Quoi! Jésus-Christ vous la présente, et votre main tremble, votre cœur se soulève? Vous voudriez répandre par la vengeance la moitié de son amertume sur votre ennemi, sur celui qui vous a fait tort? Ce n'est pas là ce que JésusChrist demande. Pouvez-vous boire, dit-il, ce calice des mauvais traitemens, qu'on vous fera boire? Potestis bibere? Et non pas Pouvez-vous renverser, sur la tête de l'injuste qui vous vexe, ce calice de la colère qui vous anime? La véritable force, c'est de boire tout jusqu'à la dernière goutte. Disons donc avec les apôtres PcssM?HMS mais voyons Jésus-Christ qui a tout bu comme il l'avoit promis Quem ego bibiturus sum. Et quoiqu'il fût toutpuissant pour l'éloigner de lui, il n'a usé de son autorité que pour réprimer celui qui, par l'affection toute humaine qu'il lui portoit, vouloit l'empêeher de le boire Calicem quem dedit MïM Pater, J non vis ut bibam tMMm P
Joan., xvnf, n.
PANEGYRIQUE
DE
SAINT BERNARD (a).
Non enlm judlcavi me ïf;re ah~M !K<e)' vos, nist Jesum CA;t~!<m, << AMNc cfttc<T<m.
Je n'ai pas estimé que je susse aucune chose parmi vous, si ce n'est JésusChrist, et Jésus-Christ cruciflé. 1 Co-MtM., n, 2.
Nos églises de France ont introduit dans le dernier siècle une pieuse coutume, de commencer les prédications en invoquant l'assistance divine par les intercessions de la bienheureuse Marie. Comme nos adversaires ne pouvoient souffrir l'honneur si légitime cme nous rendons à la sainte Vierge, comme ils le Mâmoient par des invectives aussi sanglantes qu'elles étoient injustes et téméraires, l'Eglise a cru qu'il étoit à propos de résister à leur (.!) Prêché à Metz, le 20 août 16X6.
Le heu est latéralement désigné dans ces mots, qui commencent la péroraison « Puissante ville de Metz, A belle et noble cité, » etc.
L'époque n'est pas moins clairement révélée par la longueur des détails -et par plusieurs locutions surannées. Et si l'on veut des indications plus précises, qu'on lise ce passage qui se trouve aussi dans l'exorde « 0 pieux Bernard, nous vous demandons encore votre secours et votre médiation au milieu des troubles qui Bous agitent. 0 vous, qui avez tant de fois désarmé les princes qui se préparoient à la guerre vous voyez que depuis tant d'années tous les fleuves sont teints et que toutes les campagnes fument de toutes parts du sang chrétien. Qui ne reconnoït, dans cette peinture aussi vraie qu'énergique, les calamités, les troubles et les guerres civiles qui désoloient la France en 165C? Le prédicateur avoit, aussi bien que ses auditeurs, une affection particulière pour suint Bernard Bossuet chérissoit dans le saint fondateur de Citeaux, nonseulement l'ami de Dieu, mais son compatriote; car ils étoient nés, l'un à Dijon, l'autre à trois quarts de lieue de cette ville, au château de Fontaine. Les habitans de Metz vénéroient le grand thaumaturge comme leur libérateur. Au ï)l" siècle plusieurs seigneurs, conduits par le comte de Bar, leur faisoient une guerre injuste.)Is prirent les armes pour défendre leur province, leur territoire, leurs demeures; mais ils furent vaincus dans la bataille qui se donna en 1153, près de Pont-a-Mousson. Appelé par l'archevêque de Trèves, saint Bernard, épuisé de fatigues, attendant sa dernière heure, accourut et sauva Metz des plus grands malheurs. Voilà le fait que rappelle Bossuet dans un passage dont nous avons déjà cité deuc mots: « 0 puisante ville de Metz, A belle et noble cité, les princes tes voisins avoient conjuré ta ruine, etc. «
audacieuse entreprise, et de recommander d'autant plus cette dévotion aux fidèles, que l'hérésie s'y opposoit avec plus de fureur. Et parce que nous n'avons rien de plus vénéraMe que la prédication du saint Evangile, c'est là qu'elle invite tous ses enfans à implorer les oraisons de Marie, qu'elle reconnoît leur être si profitables.
Mais il y a, ce me semble, une autre raison plus particulière de cette sainte cérémonie c'est que le devoir des prédicateurs est d'engendrer Jésus-Christ dans les ames. c Mes petits enfans, dit l'Apôtre, pour lesquels je suis encore dans les douleurs de l'enfantement jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous B Vous voyez qu'il enfante et qu'il engendre Jésus-Christ dans les âmes ainsi il y a quelque convenance entre les prédicateurs de la parole divine et la sainte Mère de Dieu. C'est pourquoi le grand saint Grégoire ne craint pas d'appeler mères de Jésus-Christ ceux qui sont appelés à ce glorieux ministère De là vient que l'Eglise s'est persuadé aisément que vous, ô très-heureuse Marie, bénite entre toutes les femmes, vous qui avez été prédestinée dès l'éternité pour engendrer selon la chair le Fils du Très-Haut, vous aideriez volontiers de vos pieuses intercessions ceux qui le doivent engendrer en esprit dans les cœurs de tous les fidèles.
Mais dans quelle prédication doit-on plus espérer de votre secours que dans celle que ce peuple attend aujourd'hui, où nous avons à louer la grace et la miséricorde divine dans la sainteté du dévot Bernard, de Bernard le plus fidèle et le plus chaste de vos enfans; celui de tous les hommes qui a le plus honoré votre maternité glorieuse, qui a le mieux imité votre pureté angélique (a), qui a cru devoir à vos soins et à votre charité maternelle l'influence continuelle des graces qu'il recevoit de votre cher Fils? Aidez-nous donc par vos saintes prières, ô très-bénite Marie, aidez-nous à louer l'ouvrage de vos prières pour cela nous nous jetons à vos pieds, vous saluant et vous disant avec l'ange Ave. Parmi les divers ornemens du pontife de la loi ancienne, celui Ga/af., )v, t9. – In Et;any.~ lib. ), hom. m, n. 2.
(a) Far. Virginale.
qui me semble le plus remarquable, c'est ce mystérieux pectoral, sur lequel selon l'Ecriture il portoit gravé ces mots Urim et Tumim c'est-à-dire Vérité et Doctrine; ou comme l'entendent d'autres interprètes, Lumière et Perfection. Je sais que cela est écrit pour nous faire voir quelles doivent être les qualités des ministres des choses sacrées et qu'encore que leurs habillemens magnifiques semblent les rendre assez remarquables, ce n'est pas là toutefois ce qui les doit discerner du peuple; mais que la vraie marque sacerdotale, le vrai ornement du grand prêtre, c'est la Doctrine et la Vérité c'est ce qui nous est représenté en ce lieu.
Mais si nous portons plus loin nos pensées, si dans le pontife du Vieux Testament, qui n'avoit que des ombres et des figures, nous considérons Jésus-Christ, qui est la fin de la loi et le pontife de la nouvelle alliance, nous y trouverons quelque chose de plus merveilleux. Chrétiens, c'est ce saint Pontife, c'est ce grand Sacrificateur qui porte véritablement sur lui-même la doctrine la perfection et la vérité, non point sur des pierres précieuses, ni dans des caractères gravés comme faisoient les enfans d'Aaron mais dans ses actions irrépréhensibles et dans sa conduite toute divine.
Pour comprendre cette vérité nécessaire à l'intelligence de notre texte, remettez, s'il vous plaît, en votre mémoire que Jésus-Christ notre Maître [(t) est le Fils de Dieu. Vous êtes trop bien instruits pour ignorer que Dieu n'engendre pas à la façon ordinaire, et que cette génération n'a rien de matériel ni de corruptible. Dieu est esprit, fidèles, et ne vit que de raison et d'intelligence de là vient aussi qu'il engendre par son intelligence et par sa raison de sorte que le Fils de Dieu est le fruit d'une connoissance trf'spure, et qui, dans une simplicité incompréhensible, ne laisse pas d'être infiniment étendue. Etant le fruit de la raison et de l'intelligence divine, il est lui-même raison et intelligence et c'est pourquoi l'Ecriture l'appelle la parole et la sagesse du Père. Et d'autant qu'il ne se peut faire que Dieu agisse autrement Levit., vnt, 8.
(a) Var.: Précepteur.
que par sa raison et par sa sagesse, de là vient que nous voyons dans les saintes Lettres que Dieu a tout fait par son Verbe, qui est son Fils Omnia psr !pSMm ~ac<a SMK< parce que son Verbe est sa raison et sa lumière. C'est pourquoi cette grande machine du monde est un ouvrage ~si bien entendu, et fait reluire de toutes parts un ordre si admirable avec une excellente raison. Il ne se peut que la disposition n'en soit belle et tous les mouvemens raisonnables, parce qu'ils viennent d'une idée très-sage et d'une science très-assurée, et d'une raison souveraine, qui est le Verbe et le Fils de Dieu, par qui toutes choses ont été faites, par qui elles sont disposées et régies.
Ur, fidèles, ce Verbe divin après avoir fait éclater sa sagesse dans la structure et le gouvernement de cet univers, parce que, comme dit l'apôtre saint Jean, par lui toutes choses ont été faites, touché d'un amour incroyable pour notre nature, il nous le manifeste encore d'une façon tout ensemble plus familière et plus excellente dans un ouvrage plus divin, et qui ne laisse pas toutefois de nous toucher aussi de bien plus près. Comment cela, direz-vous? Ah voici le grand conseil de notre bon Dieu et la grande consolation des fidèles c'est que ce Verbe éternel, comme vous savez, s'est fait homme dans la plénitude des temps il s'est uni à notre nature, il a pris l'humanité dans les entrailles de la bienheureuse Marie; et c'est cette miraculeuse union qui nous a donné Jésus-Christ, Dieu et Homme, notre Maître et notre Sauveur.
Par conséquent la sainte humanité de Jésus étant unie au Verbe divin, elle est régie et gouvernée par le même Verbe. Car de même que la raison humaine gouverne les appétits du corps qui lui est uni, tellement que la partie même inférieure participe en quelque sorte à la raison, en tant qu'elle s'y soumet et lui obéit de même le Verbe divin gouverne l'humanité dont il s'est revêtu; et comme il l'a rendue sienne d'une façon extraordinaire, il la régit aussi, il la meut et il l'anime avec un soin et d'une manière ineffable; si bien que toutes les actions de cette nature humaine, que le Verbe divin s'est appropriée, sont toutes pleines de cette Joat).~ f, 3.
sagesse incréée, qui est le Fils de Dieu, et sont dignes du Verbe éternel auquel elle est divinement unie et par lequel elle est singulièrement gouvernée. De là vient que les anciens Pères parlant des actions de cet Homme-Dieu, les ont appelées Opérations <aneh'tqMes~ c'est-à-dire opérations mêlées du divin et de l'humain, opérations divines et humaines tout ensemble humaines par leur nature, divines par leur principe; d'autant que le Dieu Verbe s'étant rendu propre la sainte humanité de Jésus, il en considère les actions comme siennes, et ne cesse d'y faire couler une influence toute divine de graces et de sagesse qui les anime, et qui les relève au delà de ce que nous pouvons concevoir. Notre doctrine étant ainsi supposée, il ne nous sera pas difficile de l'appliquer aux paroles du saint Apôtre, qui servent de fondement à tout ce discours. Je dis donc que l'humanité de Jésus touchant de si près au Verbe divin et lui appartenant par une espèce d'union si intime, il étoit obligé pour l'intérêt de sa gloire de la conduire par sa sagesse d'où il résulte que toutes les actions de Jésus venoient d'un principe divin et d'un fond de sagesse infinie. Partant si nous voulons reconnoitre quelle estime nous devons faire des choses qui se présentent à nous, nous n'avons qu'à considérer le choix ou le mépris qu'en a fait le Sauveur Jésus pendant qu'il a vécu sur la terre. Comme il est la parole substantielle du Père, toutes ses actions parlent et toutes ses œuvres instruisent.
On nous a toujours fait entendre que la meilleure façon d'enseigner, c'est de faire. L'action en effet a je ne sais quoi de plus vif et de plus pressant que les paroles les plus éloquentes. C'est aussi pour cela'que le Fils de Dieu, ce divin Précepteur que Dieu nous a envoyé du ciel, a choisi cette noble manière de nous enseigner par ses actions; et cette instruction est d'autant plus persuasive et plus forte qu'étant réglée par la sagesse même de Dieu, nous sommes assurés qu'il ne peut manquer. Bonté incroyable de notre Dieu voyant que nous étions contraints d'aller puiser en divers endroits les ondes salutaires de la vérité, non sans un grand travail et un péril éminent de nous égarer dans une recherche si difficile, il nous a proposé son cher Fils, dans lequel il a ramassé <
toutes les vérités qui nous sont utiles, comme dans un saint et mystérieux abrégé; et ayant pitié de nos ignorances et de nos irrésolutions, il a tellement disposé sa vie, que par elle toutes les choses nécessaires pour la conduite des mœurs sont très-évidemment décidées d'où vient que l'apôtre saint Paul nous assure <t qu'en Jésus-Christ sont cachés tous les trésors de la science et de la sagesse » 7~ quo sunt omnes thesauri sap:'fHt!'a° et MM~M° a6~co~ï~' C'est pourquoi, dit le même saint Paul je ne cherche pas la bonne doctrine dans les écrits curieux, ni dans les raisonnemens incertains des philosophes et des orateurs enflés de leur vaine éloquence seulement j'étudie le Sauveur Jésus, et en lui je vois toutes choses. De cette sorte, fidèles, Jésus n'est pas seulement notre Maître, mais il est encore l'objet de nos connoissances il n'est pas seulement la lumière qui nous guide à la vérité, mais il est lui-même la vérité dont nous désirons la science; et c'est pourquoi nous sommes appelés Chrétiens, non-seulement parce que nous professons de ne suivre point d'autre Maître que Jésus-Christ, mais encore parce que nous faisons gloire de ne savoir autre chose que Jésus-Christ. Et certes ce seroit en vain que nous rechercherions d'autres instructions, puisque par le Verbe fait homme la science elle-même nous a parlé; et que la sagesse, pour nous enseigner, a fait devant nous ce qu'il falloit faire, et que la vérité même s'est manifestée à nos esprits et s'est rendue sensible à nos yeux.
Voilà de quelle sorte Jésus-Christ, notre grand Pontife, a porté sur lui-même la doctrine et la vérité. Mais d'autant que c'est à la croix qu'il a particulièrement exercé sa charge de souverain Prêtre, c'est là, c'est là, mes Frères, que malgré la fureur de ses ennemis et la honte de sa nudité ignominieuse il nous a paru le mieux revêtu de ces beaux ornemens de doctrine et de vérité.. Jésus étoit le livre où Dieu a écrit notre instruction; mais c'est à la croix que ce grand livre s'est le mieux ouvert par ses bras étendus, et par ses cruelles blessures, et par sa chair percée de toutes parts car après une si belle leçon que nous reste-t-il à apprendre? Fidèles, ce qui nous abuse ce qui nous empêche de Co<o.M.~ !), 3. f Cor u~ t et seq.
t
reconnoitre le souverain bien, qui est la seule science profitable, c'est l'attachement et l'aveugle estime que nous avons pour les biens sensibles. C'est ce qui a obligé le Sauveur Jésus à choisir volontairement les injures, les tourmens et la mort. Bien plus, il a choisi de toutes les injures les plus sensibles, et de tous les supplices le plus infâme, et de toutes les morts la plus douloureuse, afin de nous faire voir combien sont méprisables les choses que les mortels abusés appellent des biens et qu'en quelque extrémité de misère, de pauvreté, de douleurs que l'homme puisse être réduit, il sera toujours puissant, abondant, bienheureux, pourvu que Dieu lui demeure.
Ce sont ces vérités, chrétiens, que le grand Pontife Jésus nous montre écrites sur son corps déchiré, et c'est ce qu'il nous crie par autant de bouches qu'il a de plaies de sorte que sa croix n'est pas seulement le sanctuaire d'un pontife et l'autel d'une victime, mais la chaire d'un maître et le trône d'un législateur. De là vient que l'apôtre saint Paul, après avoir dit qu'il ne sait autre chose que Jésus-Christ, ajoute aussitôt « Et Jésus-Christ crucifié, parce que si ces vérités chrétiennes nous sont montrées dans la vie de Jésus, nous les lisons encore bien plus efficacement dans sa mort, scellées et confirmées par son sang tellement que Jésus crucifié, qui a été le scandale du monde et qui a paru ignorance et folie aux philosophes du siècle, pour confondre l'arrogance humaine est devenu le plus haut point de notre sagesse.
Ah 1 que l'admirable Bernard s'étoit avancé dans cette sagesse 1 II étoit toujours au pied de la croix, lisant, contemplant et étudiant ce grand livre. Ce livre fut son premier alphabet dans sa tendre enfance ce même livre fut tout son conseil dans sa sage et vénérable vieillesse. Il en baisoit les sacrés caractères; je veux dire ces aimables blessures, qu'il considéroit comme étant encore toutes fraîches et toutes vermeilles, et teintes de ce sang précieux qui est notre prix et notre breuvage. Il disoit avec l'apôtre saint Paul Que les sages du monde se glorifient, les uns de la connoissance des astres, et les autres des élémens; ceux-là de l'histoire ancienne et moderne et ceux-ci de la politique qu'ils se 1 t Cor., t, 20.
vantent, tant qu'il leur plaira, de leurs inutiles curiosités pour moi, si Dieu permet que je sache Jésus crucifié, ma science sera parfaite et mes désirs seront accomplis. C'est tout ce que savoit saint Bernard; et comme l'on ne prêche que ce que l'on sait, lui qui ne savoit que la croix ne prêchoit aussi que la croix. La science de la croix fait les chrétiens; la prédication de la croix produit les apôtres c'est pourquoi saint Paul, qui se glorifie de ne savoir que Jésus crucifié, publie ailleurs hautement qu'il ne prêche que Jésus crucifié 1. Ainsi faisoit le dévot saint Bernard. Je vous le ferai voir en particulier et dans sa cellule étudiant la croix de Jésus, afin que vous respectiez la vertu de ce bon et parfait chrétien mais après, je vous le représenterai dans les chaires et dans les fonctions ecclésiastiques, prêchant et annonçant la croix de Jésus, afin que vous glorifiiez Dieu qui nous a envoyé cet apôtre. Vous verrez donc, mes Frères, la vie chrétienne et la vie apostolique de saint Bernard, fondées l'une et l'autre sur la science de notre Maître crucifié c'est le sujet de cet entretien. Il est simple, je vous l'avoue mais je bénirai cette simplicité, si dans la croix de Jésus je puis vous montrer l'origine des admirables qualités du pieux Bernard c'est ce que j'attends de la grace du Saint-Esprit, si vous vous rendez soumis et attentifs à sa sainte parole. Commençons avec l'assistance divine, et entrons dans la première partie.
PREMIER POINT.
Si j'ai été assez heureux pour vous faire entendre ce que je viens de vous dire, vous devez avoir remarqué que le Sauveur pendu à la croix nous enseigne le mépris du monde d'une manière très-puissante et très-efficace. Car si Jésus crucifié est le Fils et les délices du Père, s'il est son unique et son bien-aimé, et le seul objet de sa complaisance si d'ailleurs, selon notre façon de juger des choses, il est de tous les mortels le plus abandonné et le plus misérable, le plus grand selon Dieu et le plus méprisable selon les hommes qui ne voit combien nous sommes trompés dans l'estime que nous faisons des biens et des maux, et que les choses qui ont t Cor., t, 23.
parmi nous l'applaudissement et la vogue sont les dernières et les plus abjectes Et e'ebt ce qui inspire, jusqu'au fond de l'âme, le mépris du monde et des vanités à ceux qui sont savans dans la croix du Sauveur Jésus, où la pompe et les fausses voluptés de la terre ont été éternellement condamnées. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul considérant Jésus-Christ sur ce bois infâme Ah 1 dit-il, « Je suis crucifié avec mon bon Maître. » Je le vois, je le vois sur la croix, dépouillé de tous les biens que nous estimons, accablé à l'extrémité de tout ce qui nous afflige et qui nous effraie. Moi qui le crois la sagesse même, j'estime ce qu'il estime et dédaignant ce qu'il a dédaigné, je me crucifie avec lui et rejette de tout mon cœur les choses qu'il a rejetées Christo confixus sum cruci 1.
Tel est le sentiment d'un vrai chrétien; mais que cette vérité est dure à nos sens Qui la pourra comprendre, fidèles, si Jésus même ne l'imprime en nos cceurs ? C'est ainsi qu'il se plaît à nous commander des choses auxquelles toute la nature répugne, afin de faire éclater sa puissance dans notre foiblesse et pour animer nos courages, il nous propose des personnes choisies, à qui sa grace a rendu aisé ce qui nous paroissoit impossible. Or, parmi les hommes illustres dont l'exemple enflamme nos espérances et confond notre lâcheté, il faut avouer que l'admirable Bernard tient un rang très-considérable. Un gentilhomme, d'une race illustre, qui voit sa maison en crédit et ses proches dans les emplois importans à qui sa naissance, son esprit, ses richesses promettent une belle fortune, à l'âge de vingt-deux ans renoncer au monde avec autant de détachement que le fit saint Bernard, vous semble-t-il, chrétiens, que ce soit un effet médiocre de la toutepuissance divine? S'il l'eût fait dans un âge plus avancé, peut-être que le dégoût, l'embarras, les ennuis et les inquiétudes qui se rencontrent dans les nfïaires, l'auroient pu porter à ce changement. S'il eût pris cette résolution dans une jeunesse plus tendre, la victoire eût été médiocre dans un temps où à peine nous nous sentons et où les passions ne sont pas encore nées. Mais Dieu a choisi saint Bernard, afin de nous faire paroitre le triomphe de la Galal., n, t9.
croix sur les vanités, dans les circonstances les plus remarquables que nous ayons jamais vues en aucune histoire.
Vous dirai-je en ce lieu ce que c'est qu'un jeune homme de vingt-deux ans? Quelle ardeur, quelle impatience, quelle impétuosité de désirs! Cette force, cette vigueur, ce sang chaud et bouillant, semblable à un vin fumeux, ne leur permet rien de rassis ni de modéré. Dans les âges suivans on commence à prendre son pli, les passions s'appliquent à quelques objets, et alors celle qui domine ralentit du Doins la fureur des autres au lieu que cette verte jeunesse n'ayant rien encore de fixe ni d'arrêté, en cela même qu'elle n'a point de passion dominante par-dessus les autres, elle est emportée, elle est agitée tour à tour de toutes les tempêtes des passions avec une incroyable violence. Là les folles amours; là le luxe, l'ambition et le vain désir de paroltre exercent leur empire sans résistance. (a) Tout s'y fait par une chaleur inconsidérée et comment accoutumer à la règle, à la solitude, à la discipline, cet âge qui ne se plaît que dans le mouvement et dans le désordre, qui n'est presque jamais dans une action composée, « et qui n'a honte que de la modération et de la pudeur? » Et pudet non esse ~mpMden~em 1.
Certes quand nous nous voyons penchans sur le retour de notre âge, que nous comptons déjà une longue suite de nos ans écoulés, que nos forces se diminuent et que le passé occupant la partie la plus considérable de notre vie, nous ne tenons plus au monde que par un avenir incertain ah t le présent ne nous touche plus guère. Mais la jeunesse qui ne songe pas que rien lui soit encore échappé, qui sent sa vigueur entière et présente, ne songe aussi qu'au présent et y attache toutes ses pensées. Dites-moi, je vous prie, celui qui croit avoir le présent tellement à soi, quand est-ce qu'il s'adonnera aux pensées sérieuses de l'avenir? Quelle apparence de: quitter le monde, dans un âge où il ne nous présente rien que de plaisant? Nous voyons toutes choses selon la disposition où nous sommes de sorte que la jeunesse qui semble S. Aug~st., C<M/i'M., hb. )!, cap. ix.
(a) Note marg. Saint Bernard ne se prend point, parmi tant de piégea il n'a jamais souitié la source de l'amour.
n'être formée que pour la joie et pour les plaisirs, ah elle ne trouve rien de fâcheux; tout lui rit, tout lui applaudit. Elle n'a point encore d'expérience des maux du monde, ni des traverses qui nous arrivent de là vient qu'elle s'imagine qu'il n'y a point de dégoût, de disgrace pour elle. Comme elle se sent forte et vigoureuse, elle bannit la crainte et tend les voiles de toutes parts à l'espérance qui l'enfle et qui la conduit.
Vous le savez, fidèles, de toutes les passions la plus charmante, c'estl'espérance. C'est elle qui nous entretient et qui nous nourrit, qui adoucit toutes les amertumes de la vie; et souvent nous quitterions des biens effectifs, plutôt que de renoncer à nos espérances. Mais la jeunesse téméraire et malavisée, qui présume toujours beaucoup à cause qu'elle a peu expérimenté, ne voyant point de difficultés dans les choses, c'est là que l'espérance est la plus véhémente et la plus hardie si bien que les jeunes gens enivrés de leurs espérances, croient tenir tout ce qu'ils poursuivent; toutes leurs imaginations leur paroissent des réalités. Ravis d'une certaine douceur de leurs prétentions infinies, ils s'imagineroient perdre infiniment, s'ils se départoient de leurs grands desseins, surtout les personnes de condition, qui étant élevées dans un certain esprit de grandeur et bâtissant toujours sur les honneurs de leur maison et de leurs ancêtres, se persuadent facilement qu'il n'y a rien à quoi ils ne puissent prétendre.
Figurez-vous maintenant le jeune Bernard nourri en homme de condition, qui avoit la civilité comme naturelle, l'esprit poli par les bonnes lettres, la représentation belle et aimable, l'humeur accommodante, les mœurs douces et agréables ah 1 que de puissans liens pour demeurer attaché à la terre 1 Chacun pousse de telles personnes on les vante, on les loue on pense leur donner du courage, et on leur inspire l'ambition. Je sais que sa pieuse mère l'entretenoit souvent du mépris du monde; mais, disons la vérité, cet âge ordinairement indiscret n'est pas capable de ces bons conseils. Les avis de leurs compagnons et de leurs égaux, qui ne croient rien de si sage qu'eux, l'emportent pardessus ceux des parens.
Triomphez, Seigneur, triomphez de tous les attraits de ce monde
trompeur; et faites voir au jeune Bernard, comme vous le rites voir à saint Paul 1, ce qu'il faut qu'il endure pour votre service. Déjà vous lui avez inspiré, avec une tendre dévotion pour Marie, un généreux amour de la pureté déjà il a méprisé des caresses les plus dangereuses, dans des rencontres que l'honnêteté ne me permet pas de dire en cette audience déjà votre grace lui a fait chercher un bain et un rafraîchissement salutaire dans les neiges et dans les étangs glacés, où son intégrité attaquée s'est fait un rempart contre les molles délices du siècle. Son regard imprime de la modestie il retient jusqu'à ses yeux, parce qu'il a appris de votre Evangile' et de votre Apôtre qu'il y a des yeux adultères. Dans un courage qui passe l'homme, on lui voit peintes sur le visage la honte et la retenue d'une fille honnête et pudique. Mais, Seigneur, achevez en la personne de ce saint jeune homme le grand ouvrage de votre grace.
Et en effet le voyez-vous, chrétiens, comme il est rêveur et pensif; de quelle sorte il fuit le grand monde, devenu extraordinairement amoureux du secret et de la solitude? Là il s'entretient doucement de telles ou de semblables pensées Bernard, que prétends-tu dans le monde? Y vois-tu quelque chose qui te satisfasse ? Les fausses voluptés, après lesquelles les mortels ignorans courent d'une telle fureur, qu'ont-elles après tout qu'une illusion de peu de durée? Sitôt que cette première ardeur qui leur donne tout leur agrément a été un peu ralentie par le temps, leurs plus violens sectateurs s'étonnent le plus souvent de s'être si fort travaillés pour rien. L'âge et l'expérience nous font voir combien sont vaines les choses que nous avions le plus désirées et encore ces plaisirs tels quels, combien sont-ils rares dans la vie Quelle joie peut-on ressentir où la douleur ne se jette comme à la traverse ? Et s'il nous falloit retrancher de nos jours tous ceux que nous avons mal passés, même selon les maximes du monde, pourrions-nous bien trouver en toute la vie de quoi faire trois ou quatre mois.? Mais accordons aux fols amateurs du siècle, que ce qu'ils aiment est considérable combien dure cette felicité? Elle fuit, elle fuit comme un fantôme, qui nous ayant donné quelque Act., )ï, 16. jMaM., v, 28. tt Petr., n~ 14.
espèce de contentement pendant qu'il demeure avec nous, ne nous laisse en nous quittant que du trouble.
Bernard, Bernard, disoit-il, cette verte jeunesse ne durera pas toujours: cette heure fatale viendra, qui tranchera toutes les espérances trompeuses par une irrévocable sentence la vie nous manquera comme un faux ami au milieu de nos entreprises. Là tous nos beaux desseins tomberont par terre; là s'évanouiront toutes nos pensées. Les riches de la terre, qui durant cette vie jouissant de la tromperie d'un songe agréable s'imaginent avoir de grands biens, s'éveillant tout à coup dans ce grand jour de l'éternité, seront tout étonnés de se trouver les mains vides. La mort, cette fatale ennemie, entraînera avec elle tous nos plaisirs et tous nos honneurs dans l'oubli et dans le néant. Hélas on ne parle que de passer le temps. Le temps passe en effet, et nous passons avec lui; et ce qui passe à mon égard, par le moyen du temps qui s'écoule, entre dans l'éternité qui ne passe pas; et tout se ramasse dans le trésor de la science divine qui subsiste toujours. 0 Dieu éternel, quel sera notre étonnement lorsque le Juge sévère qui préside dans l'autre siècle, où celui-ci nous conduit malgré nous, nous représentant en un instant toute notre vie,' nous dira d'une voix terrible: Insensés que vous êtes, qui avez tant estimé les plaisirs qui passent, et qui n'avez pas considéré la suite qui ne passe pas!
Allons, concluoit Bernard; et puisque notre vie est toujours emportée par le temps qui ne cesse de nous échapper, tâchons d'y attacher quelque chose qui nous demeure puis retournant à son grand livre qu'il étudioit. continuellement avec une douceur incroyable, je veux dire à la croix de Jésus, il se rassasioit de son sang, et avec cette divine liqueur il humoit le mépris du monde. Je viens, disoit-11, ô mon Maître, je viens me crucifier avec vous. Je vois que ces yeux si doux, dont un seul regard a fait fondre saint Pierre en larmes, ne rendent plus de lumières je tiendrai les miens fermés à jamais à la pompe du siècle ils n'auront plus de lumières pour les vanités. Cette bouche divine, de laquelle découloient des fleuves de cette eau vive qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle, je vois que la mort l'a fermée je condamnerai la
mienne au silence, et ne l'ouvrirai que pour confesser mes péchés et votre miséricorde. Mon cœur sera de glace pour les vains plaisirs et comme je ne vois sur tout votre corps aucune partie entière, je veux porter de tous côtés sur moi-même les marques de vos souffrances, afin d'être un jour entièrement revêtu de votre glorieuse résurrection. Enfin je me jetterai à corps perdu sur vous, ô aimable mort, et je mourrai avec vous; je m'envelopperai avec vous dans votre drap mortuaire aussi bien j'apprends de l'Apôtre que nous sommes ensevelis avec vous dans le saint baptême.
Ainsi le pieux Bernard s'enflamme au mépris du monde, comme il est aisé de le recueillir de ses livres. Il ne songe plus qu'à chercher un lieu de retraite et de pénitence mais comme il ne désire que la rigueur et l'humilité, il ne se jette point dans ces fameux monastères que leur réputation ou leur abondance rend illustres par toute la terre. En ce temps-là un petit nombre de religieux vivoient à Cîteaux sous l'abbé Etienne. L'austérité qui s'y pratiquoit les empêchoit de s'attirer des imitateurs mais autant que leur vie étoit inconnue aux hommes, autant elle étoit en admiration devant les saints anges. Ils ne se relâchoient pas pour cela, jugeant plus à propos de persister dans leur institut pour l'amour de Dieu que d'y rien changer pour l'amour des hommes. Cette abbaye, maintenant si célèbre, étoit pour lors inconnue et sans nom. Le bienheureux Bernard, à qui le voisinage donnoit quelque connoissance de la vertu de ces saints personnages, embrasse leur règle et leur discipline, ravi d'avoir trouvé tout ensemble la sainteté de vie, l'extrême rigueur de la pénitence et l'obscurité. Là il commença de vivre de telle sorte qu'il fut bientôt en admiration, même à ces anges terrestres; et comme ils le voyoient toujours croître en vertu, il ne fut pas longtemps parmi eux, que tout jeune qu'il étoit alors ils le jugèrent capable de former les autres. Je laisse les actions éclatantes de ce grand homme et pour la confusion de notre mollesse, à la louange de la grace de Dieu, je vous ferai un tableau de sa pénitence tiré de ses paroles et de ses écrits.
Co/OM., Il, )2.
Il avoit accoutumé de dire qu'un novice entrant dans le monastère, devoit laisser son corps à la porte, et le saint homme en usoit ainsi'. Ses sens étoient tellement mortifiés, qu'il ne voyoit plus ce qui se présentoit à ses yeux. La longue habitude de mépriser le plaisir du goût avoit éteint en lui toute la pointe de la saveur. Il mangcoit de toutes choses sans choix; il buvoit de l'eau ou de l'huile indifféremment, selon qu'il les avoit à la main. A ceux qui s'effrayoient de la solitude, il leur représentoit l'horreur des ténèbres extérieures et ce grincement de dents éternel. Si quelqu'un trou voit trop rude ce long et horrible silence, il les avertissoit que s'ils considéroient attentivement l'examen rigoureux que le grand Juge fera des paroles, ils n'auroient pas beaucoup de peine à se taire. Il avoit peu de soin de la santé de son corps, et blàmoit fort en ce point la grande délicatesse des hommes qui voudroient se rendre immortels, tant le désir qu'ils ont de la vie est désordonné pour lui, il mettoit ses infirmités parmi les exercices de la pénitence. Pour contrecarrer la mollesse du monde, il choisissoit d'ordinaire pour sa demeure un air humide et malsain, afin d'être non tant malade que foible et il estimoit qu'un religieux étoit sain, quand il se portoit assez bien pour chanter et psalmodier. Epicure nous apprend, disoit-il, à nourrir le corps parmi les plaisirs, et Hippocrate promet de le conserver en bonne santé pour moi, je suis disciple de Jésus-Christ, qui m'enseigne à mépriser l'un et l'autre, Il vouloit que. les moines excitassent l'appétit de manger, non par les viandes, mais par les jeûnes; non par la délicatesse de la table, mais par le travail des mains. Le pain dont il usoit étoit si amer, que l'on voyoit bien que sa plus grande appréhension étoit de donner quelque contentement à son corps cependant pour n'être pas tout à fait dégoûté de son pain d'avoine et de ses légumes, il attendoit que la faim les rendit un peu supportables. Il couchoit sur la dure; mais pour y dormir, disoit-il, il attiroit le sommeil par les veilles, par la psalmodie de la nuit et par le travail de la journée de sorte que dans cet homme les fonctions même naturelles étoieut exercées, non tant par la nature que par la vertu. Quel homme a jamais pu dire avec Vit. S. Bern., lib. ), cap. fv, n. 20.
plus juste raison ce que disoit l'apôtre saint Paul a Le monde m'est cruciné, et moi je suis crucifié au monde? a ~/tM mMKc!u< cn<ct'/M:MS est, et ego mundo.
Ah 1 que l'admirable saint Chrysostome fait une excellente réflexion sur ces beaux mots de saint Paul Ce ne lui étoit pas assez, remarque ce saint évêque d'avoir dit que le monde étoit mort pour lui, il faut qu'il ajoute que lui-même est mort au monde. Certes, poursuit ce savant interprète, l'Apôtre considéroit que, non-seulement les vivans ont quelques sentimens les uns pour les autres, mais qu'il leur reste encore quelque affection pour les morts; qu'ils en conservent le souvenir, et rendent du moins à leurs corps les honneurs de la sépulture. Tellement que saint Paul, pour nous faire entendre jusqu'à quelle extrémité le fidèle doit se dégager des plaisirs du siècle Ce n'est pas assez, dit-il, que le commerce soit rompu entre le monde et le chrétien, comme il l'est entre les vivans et les morts; car il peut y rester quelque petite alliance mais tel qu'est un mort à l'égard d'un mort, tels doivent être l'un à l'autre le monde et le chrétien.
0 terrible raisonnement pour nous autres lâches et efféminés, et qui ne sommes chrétiens que de nom Mais le grand saint Bernard l'avoit fortement gravé en son cœur. Car ce qui nous fait vivre au monde, c'est l'inclination pour le monde ce qui fait vivre le monde pour nous, c'est un certain éclat qui nous charme dans les biens sensibles. La mort éteint les inclinations, la mort ternit le lustre de toutes choses. Voyez le plus beau corps du monde sitôt que l'âme s'est retirée, bien que les linéamens soient presque les mêmes, cette fleur de beauté s'efface et cette bonne grace s'évanouit. Ainsi le monde n'ayant plus d'appas pour Bernard, et Bernard n'ayant plus aucun sentiment pour le monde, le monde est mort pour lui, et lui il est mort au monde. Chrétiens, quel sacrifice le pieux Bernard offre à Dieu par ses continuelles mortificationsl Son corps est une victime que la charité lui consacre en l'immolant elle le conserve afin de le pouvoir toujours immoler. Que peut-il présenter de plus agréable au Ca~< u, t4. – De Con!;)Mae< hb. )), n. 2.
Sauveur Jésus qu'une ame (a) dégoûtée de toute autre chose que de Jésus même; qui se plaît si fort en Jésus, qu'elle craint de se plaire en autre chose qu'en lui; qui veut être toujours affligée, jusqu'à ce qu'elle le possède parfaitement? Pour Jésus le pieux Bernard se dépouille de toutes choses, et même, si je l'ose dire, pour Jésus il se dépouille de ses bonnes œuvres.
Et en effet, fidèles, comme les bonnes œuvres n'ont de mérite qu'autant qu'elles viennent de Jésus-Christ, elles perdent leur prix sitôt que nous nous les attribuons à nous-mêmes. Il les faut rendre à celui qui les donne, et c'est encore ce que l'humble Bernard avoit appris au pied de la croix. Combien belle, combien chrétienne fut cette parole de l'humble Bernard, lorsqu'étant entré dans de vives appréhensions du terrible jugement de Dieu Je sais, je sais, dit-il, que je ne mérite point le royaume des bienheureux; mais Jésus mon Sauveur le possède par deux raisons il lui appartient par nature et par ses travaux (b), comme son héritage £t comme sa conquête. Ce bon Maître se contente du premier titre, et me cède libéralement le second 0 sentence digne d'un chrétien! Non, vous ne serez pas confondu, ô pieux Bernard, puisque vous appuyez votre espérance sur le fondement de la croix.
Mais, ô Dieu comment ne tremblons-nous pas, misérables pécheurs que nous sommes, entendant une telle parole Bernard, consommé en vertus, croit n'avoir rien fait pour le ciel; et nous, nous présumons de nous-mêmes, nous croyons avoir beaucoup fait, quand nous nous sommes légèrement acquittés de quelque petit devoir d'une dévotion superficielle. Cependant, ô douleur 1 l'amour du monde règne en nos cœurs, le seul mot de mortification nous fait horreur. C'est en vain que la justice divine nous frappe et nous menace encore de plus grands malheurs nous ne laissons pas de courir après les plaisirs, comme s'il nous étoit possible d'être heureux en ce monde et en l'autre. Mes Frères, que pensez-vous faire, quand vous louez les vertus du grand saint 1 Vit. S. Bern, lib. 1, cap. un.
(a) Var. Qu'un cœur. (4) Premièrement par droit de nature et comme le prix de ses travaux et de ses conquêtes.
Bernard ? En faisant son éloge, ne prononcez-vous pas votre condamnation ?
Certes il n'avoit pas un corps de fer ni d'airain il étoit sensible aux douleurs et d'une complexion délicate, pour nous apprendre que ce n'est pas le corps qui nous manque, mais plutôt le courage et la foi. Pour condamner tous les âges en sa personne, Dieu a voulu que sa pénitence commençât dès sa tendre jeunesse, et que sa vieillesse la plus décrépite jamais ne la vît relâchée. Vous vous excusez sur vos grands emplois Bernard étoit accablé des affaires, non-seulement de son Ordre, mais presque de toute l'Eglise. Il prêchoit, il écrivoit, il trailoit les affaires des Papes et des évèques, des rois et des princes il négocioit pour les grands et pour les petits, ouvrant à tout le monde les entrailles de sa charité; et parmi tant de diverses occupations, il ne modéroit point ses austérités, afin que la mollesse de toutes les conditions et de tous les âges fût éternellement condamnée par l'exemple de ce saint homme.
Vous me direz peut-être qu'il n'est pas nécessaire que tout le monde vive comme lui. Mais du moins faut-il considérer, chrétiens, qu'entre les disciples du même Evangile il doit y avoir quelque ressemblance.' Si nous prétendons au même paradis où Bernard est maintenant glorieux, comment se peut-il faire qu'il y ait une telle inégalité, une telle contrariété entre ses actions et les nôtres? Par des routes si opposées, espérons-nous parvenir à la même fin, et arriver par les voluptés où il a cru ne pouvoir atteindre que par les souffrances? Si nous n'aspirons pas à cette éminente perfection, du moins devrions-nous imiter quelque chose de sa pénitence. Mais nous nous donnons tout entiers aux folles joies de ce monde; nous aimons les plaisirs et la bonne chère, la vie commode et voluptueuse; et après cela nous voulons encore être appelés chrétiens 1 N'appréhendons-nous pas cette terrible sentence du Fils de Dieu: « Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez I? »
Et comment ne comprenons-nous pas que la croix de Jésus (a) » Luc., vi, 25.
(a) Var. Le mépris du monde.
doit être gravée jusqu'au plus profond de nos ames, si nous voulons être chrétiens ? C'est pourquoi l'Apôtre nous dit que nous sommes morts, et que notre vie est cachée, et que nous sommes ensevelis avec Jésus-Christ1. Nous entendons peu ce qu'on nous veut dire, si lorsqu'on ne nous parle que de mort et de sépulture, nous ne concevons pas que le Fils de Dieu ne se contente pas de nous demander un changement médiocre. Il faut se changer jusqu'au fond; et pour faire ce changement, ne nous persuadons pas, chrétiens, qu'une diligence ordinaire suffise. Cependant l'affaire de notre salut est toujours la plus négligée. Toutes les autres choses nous pressent et nous embarrassent il n'y a que pour le salut que nous sommes froids et languissans; et toutefois le Sauveur nous dit que le royaume des cieux ne peut être pris que de force, et qu'il n'y a que les violens qui l'emportent». 0 Dieu éternel s'il faut de la force, s'il faut de la.violence, quelle espérance y a-t-il pour nous dans ce bienheureux héritage? Mais je vous laisse sur cette pensée; car je me sens trop foible et trop languissant pour vous en représenter l'importance, et il faudroit pour cela que j'eusse quelque étincelle de ce zèle apostolique de saint Bernard, que nous allons considérer un moment dans la seconde partie.
SECOND POINT.
Ce qui me reste à vous dire de saint Bernard est si grand et si admirable, que plusieurs discours ne suffiroient pas à vous le faire considérer comme il faut. Toutefois puisque je vous ai promis de vous représenter ce saint homme dans les emplois publics et apostoliques, disons-en quelque chose brièvement, de peur que votre dévotion ne soit frustrée d'une attente si douce. Voulez-vous que nous voyions le commencement de l'apostolat de saint Bernard ? Ce fut sur sa famille qu'il répandit ses premières lumières, commençant dès sa tendre jeunesse à prêcher la. croix de Jésus à ses oncles et à ses frères, aux amis, aux voisins, à tous ceux qui fréquentoient la maison de son père. Dès lors il leur parloit de l'éternité avec une telle énergie, qu'il leur laissoitje ne sais quoi > Coloss., m, 3. » Matth., xi, 12.
dans l'ame, qui ne leur permettoit pas de se plaire au monde. Son bon oncle Gaudri, homme très-considérable dans le pays, fut le premier disciple de ce cher neveu. Ses aînés, ses cadets, tous se rangeoient sous sa discipline; et Dieu voulut que tous ses frères, après avoir résisté quelque temps, vinssent à lui l'un après l'autre dans les momens marqués par sa Providence. Gui, l'aîné de cette maison, quitta tous les emplois militaires et les douceurs de son nouveau mariage. Tous ensemble ils renoncèrent aux charges qu'ils avoient, ou qu'ils prétendoient dans la guerre; et ces braves, ces généreux militaires, accoutumés au commandement et à ce noble tumulte des armes, ne dédaignent ni \e silence, ni la bassesse, ni l'oisiveté de Citeaux, si saintement occupée. Ils vont commencer de plus beaux combats, où la mort même donne la victoire.
Ces quatre frères alloient ainsi, disant au monde le dernier adieu, accompagnés de plusieurs gentilshommes que Bernard, ce jeune pêcheur, avoit pris dans les filets de Jésus. Nivard, le dernier de tous, qu'ils laissoient avec leur bon père pour être le support de sa caduque vieillesse, les étant venu embrasser Vous aurez, lui disoient-ils, tous nos biens. Cet enfant, inspiré de Dieu, leur fit cette belle réponse Eh quoi donc 1 vous prenez le ciel et vous me laissez la terre1 De cette sorte, il se plaignoit doucement qu'ils le partageoient un peu trop en cadet; et cette sainte pensée fit une telle impression sur son ame, qu'ayant demeuré quelque temps dans le monde, il obtint son congé de son père pour s'aller mettre en possession du même héritage que ses chers frères, non pour le partager, mais pour en jouir en commun avec eux.
Que reste-t-il au pieux Bernard pour voir toute sa famille conquise au Sauveur ? Il avoit encore une sœur, qui profitant de la piété de ses frères, vivoit dans le luxe et dans la grandeur. Elle les vint un jour visiter, brillante de pierreries, avec une mine hautaine et un équipage superbe. Jamais elle ne put obtenir la satisfaction de les voir, jusqu'à ce qu'elle eût protesté qu'elle suivroit leurs bonnes instructions. Alors le vénérable Bernard s'apVit. Bern., lib. I, cap. m.
procha Et pourquoi, lui dit-il, veniez-vous troubler le repos de ce monastère, et porter la pompe'du diable jusque dans la maison de Dieu? Quelle honte de vous parer du patrimoine des pauvres 1 II lui fit entendre qu'elle avoit grand tort d'orner ainsi de la pourriture c'est ainsi qu'il appeloit notre corps. Ce corps en effet, chrétiens, n'est qu'une masse de boue, que l'on pare d'un léger ornement à cause de l'ame qui y demeure. Car de même que si un roi étoit contraint par quelque accident de loger en une cabane, on lâcheroit de l'orner, et l'on y verroit quelque petit rayon de la magnificence royale mais c'est toujours une maison de village à qui cet honneur passager, dont elle seroit bientôt dépouillée, ne fait point perdre sa qualité. Ainsi cette ordure de notre corps est revêtue de quelque vain éclat, en faveur de l'ame qui doit y habiter quelque temps toutefois c'est toujours de l'ordure, qui au bout d'un terme bien court retombera dans la première bassesse de sa naturelle corruption. Avoir tant de soin de si peu de chose, et négliger pour elle cette ame faite à l'image de Dieu, d'une nature immortelle et divine, n'est-ce pas une extrême fureur ? Ah la sœur du pieux Bernard est touchée au vif de cette pensée elle court aussitôt aux jeûnes, à la retraite, au sac, au monastère, à la pénitence. Cette femme orgueilleuse, domptée par une parole de saint Bernard, suit l'étendard de Jésus avec une fermeté invincible.
Mais comment vous ferai-je voir le comble de la joie du saint homme, et sa dernière conquête dans sa famille? Son bon père, le vieux Tesselin, qui étoit seul demeuré dans le monde, vient rejoindre ses enfans à Clairvaux. 0 Dieu éternel quelle joie, quelles larmes du père et du fils Il n'est pas croyable avec quelle constance ce bon homme avoit perdu ses enfans, l'honneur de sa maison et le support de son âge caduc. Par leur retraite il voyoit son nom éteint sur la terre; mais il se réjouissoit que sa sainte famille alloit s'éterniser dans le ciel et voici que touché de l'Esprit de Dieu, afin que toute la maison lui fût consacrée, ce bon vieillard, sur le déclin de sa vie (a), devient enfant en Notre-Sei1 Vit. Bern., lib. l, cap. vt.
(a) Var. Dans son dernier âge.
gneur Jésus-Christ sous la conduite (a) de son cher fils, qu'il reconnoît désormais pour son père. N'épargnez pas vos soins, ô parens, à élever en la crainte de Dieu les enfans que Dieu vous a confiés vous ne savez pas quelle récompense cette bonté infinie vous réserve. Ce pieux Tesselin, qui avoit si bien nourri les siens dans la piété, en reçoit sur la fin de ses jours une bénédiction abondante, puisque par le moyen de son fils, après une longue vie, il meurt dans une bonne espérance et, si je l'ose dire, dans la paix et dans les embrassements du Sauveur. Ainsi voils voyez quelle grand saint Bernard est l'apôtre de sa famille. Voulez-vous que je passe plus outre, et que je vous fasse voir comme il prêche la croix dans son monastère ? Combien de sortes de gens venoient, de tous les endroits de la terre, faire pénitence sous sa discipline Il avoit ordinairement sept cents anges, j'appelle ainsi. ces hommes célestes qui servoient Dieu avec lui à Clairvaux, si recueillis, si mortifiés, que le vénérable Guillaume, abbé de Saint-Thierry, nous rapporte que lorsqu'il entroit dans cette abbaye, voyant cet ordre, ce silence, cette retenue, il n'étoit pas moins saisi de respect que s'il eût approché de nos redoutables autels. Bernard, qui par ses divines prédications les accoutumoit à la douceur de la croix, les faisoit vivre de telle manière, qu'ils ne savoient non plus de nouvelles du monde que si un océan immense les en eût séparés de bien loin au reste, si ardens dans leurs exercices, si exacts dans leur pénitence, si rigoureux à eux-mêmes, qu'il étoit aisé de juger qu'ils ne songeoient pas à vivre, mais à mourir. Cette société de pénitence les unissoit entre eux comme frères,'avec saint Bernard comme avec un bon père, et saint Bernard avec eux comme avec ses enfans bien-aimés, dans une si parfaite et si cordiale correspondance, qu'il ne se voyoit point dans le monde une image plus achevée de l'ancienne Eglise, qui n'avoit qu'une ame et qu'un cœur.
Quelle douleur à cet homme de Dieu, quand il lui falloit quitter ses enfans, qu'il aimoit si tendrement dans les entrailles de JésusChrist Mais Dieu, qui l'avoit séparé dès le ventre de sa mère pour renouveler en son temps l'esprit et la prédication des apôtres, (a) Var. Discipline.
le tiroit de sa solitude pour le salut des ames qu'il vouloit sauver par son ministère. C'est ici, c'est ici, chrétiens, où il paroissoit véritablement un apôtre. Les apôtres alloient par toute la terre, portant l'Evangile de Jésus-Christ jusque dans les nations les plus reculées et quelle partie du monde n'a pas été éclairée de la prédication de Bernard ? Les apôtres fondoient les églises et dans ce grand schisme de Pierre Léon combien d'églist>s rebelles, combien de troupeaux séparés Bernard a-t-il ramenés à l'unité catholique se rendant ainsi comme le second fondateur des églises? L'Apôtre compte parmi les fonctions de l'apdstolat le soin de toutes les églises • et le pieux Bernard ne régissoit-il pas presque toutes les églises par les salutaires conseils qu'on lui demandoit de toutes les parties de la terre? Il sembloit que Dieu ne vouloit pas l'attacher à aucune église en particulier, afin qu'il fùt le père commun de toutes.
Les signes et les prodiges suivoient la prédication des apôtres que de prophéties, que de guérisons, que d'événemens extraordinaires et surnaturels ont confirmé les prédications de saint Bernard 1 Saint Paul se glorifie qu'il prêchoit, non point avec une éloquence affectée, ni par des discours de flatterie et de complaisance', mais seulement qu'il ornoit ses sermons de la simplicité et de la vérité qu'y a-t-il de plus ferme et de plus pénétrant que la simplicité de Bernard, qui captive tout entendement au service de la foi de Jésus? Lorsque les apôtres prêchoient Jésus-Christ, une ardeur céleste les transportoit et paroissoit tout visiblement dans la véhémence de leur action ce qui fait dire à l'apôtre saint Paul qu'il agissoit hardiment en Notre-Seigneur 'l, et que sa prédication étoit accompagnée de la démonstration de l'Esprit Ainsi paroissoit le zélé Bernard, qui prêchant aux Allemands dans une langue qui leur étoit inconnue, ne laissoit pas de les émouvoir, à cause qu'il leur parloit comme un homme venu du ciel, jaloux de l'honneur de Jésus.
Une des choses qui étoit autant admirable dans les apôtres, c'étoit de voir en des personnes si viles en apparence cette autorité magistrale cette censure généreuse qu'ils exerçoient sur les 1 Il Cor., xi, 28. – « Ibid., i, 12. » I Thess., Il, 2, – » Cor., Il, 4.
mœurs, cette puissance dont ils usoient pour édifier, non pour détruire. C'est pourquoi l'Apôtre formant Timothée au ministère de la parole « Prends garde, lui dit-il, que personne ne te méprise n'Nemo te contemnat Dieu avoit imprimé sur le front du vénérable Bernard une majesté (a) si terrible pour les impies, qu'enfin ils étoient contraints de fléchir témoins ce violent prince d'Aquitaine et tant d'autres, dont ses seules paroles ont souvent désarmé la fureur.
Mais ce qui étoit de plus divin dans les saints apôtres, c'étoit cette charité pour ceux qu'ils prêchoient. Ils étoient pères pour la conduite, et mères pour la tendresse, et nourrices pour la douceur saint Paul prend toutes ces qualités. Ils reprenoient, ils avertissoient opportunément, importunément, tantôt avec une sincère douceur, tantôt avec une sainte colère, avec des larmes, avec des reproches ils prenoient mille formes différentes, et toujours la même charité dominoit; ils bégayoient avec les enfans, ils parloient avec les hommes. Juif aux Juifs, gentil aux Gentils, « tout à tous, disoit l'apôtre saint Paul, afin de les gagner tous n Omnibus omnia factus sum ut omnes facerem salvos Voyez les écrits de l'admirable Bernard vous y verrez les mêmes mouvemens et la même charité apostolique. Quel homme a compati avec plus de tendresse aux foibles, et aux misérables, et aux ignorans ? Il ne dédaignoit ni les plus pauvres, ni les plus abjects. Quel autre a repris plus hardiment les mœurs dépravées de son siècle ? Il n'épargnoit ni les princes, ni les potentats, ni les évêques, ni les cardinaux, ni les Papes. Autant qu'il respectoit leur degré, autant a-t-il quelquefois repris leur personne, avec un si juste tempérament de charité, que sans être ni lâche, ni emporté, il avoit toute la douceur de la complaisance et toute la vigueur d'une liberté vraiment chrétienne. Bel exemple pour les réformateurs de ces derniers siècles Si leur arrogance insupportable et trop visible leur eût permis de traiter les choses avec une pareille modération, ils auroient blâmé les mauvaises mœurs sans rompre la communion, et réprimé les l Timoth., if, 12. – t Cor., IX, 22.
(a) Var.: Une gravité.
vices sans violer l'autorité légitime. Mais le nom de chef de parti les a trop flattés (a) poussés d'un vain désir de paroître leur éloquence s'est débordée en invectives sanglantes elle n'a que du fiel et de la colère. Ils n'ont pas été vigoureux mais fiers, emportés et méprisans de là vient qu'ils ont fait le schisme, et n'ont pas apporté la réformation. Il falloit pour un tel dessein le courage et l'humilité de Bernard. Il étoit vénérable à tous, à cause qu'on le voyoit et libre et modeste, également ferme et respectueux c'est ce qui lui donnoit une si grande autorité dans le monde. S'élevoit-il quelque schisme ou quelque doctrine suspecte, les évêques déféroient tout à l'autorité de Bernard. Y avoit-il des querelles parmi les princes, Bernard étoit aussitôt le médiateur. Puissante ville de Metz, son entremise t'a été autrefois extrêmement favorable. 0 belle et noble cité 1 il y a longtemps que tu as été enviée. Ta situation trop importante t'a presque toujours exposée en proie souvent tu as été réduite à la dernière extrémité de misères mais Dieu de temps en temps t'a envoyé de bons protecteurs. Les princes tes voisins avoient conjuré ta ruine tes bons citoyens avoient été défaits dans une grande bataille tes ennemis étoient enflés de leur bon succès, et toi enflammée du désir de vengeance tout se préparoit à une guerre cruelle, si le bon Hillin, archevêque de Trèves n'eût cherché un charitable pacificateur. Ce fut le pieux Bernard, qui épuisé de forces par ses longues austérités et ses travaux sans nombre, attendoit la dernière heure à Clairvaux. Mais quelle foiblesse eùt été capable de ralentir l'ardeur de sa charité ? Il surmonte la maladie pour se rendre promptement dans tes murs mais il ne pouvoit surmonter l'animosité des esprits extraordinairement échauffés. Chacun couroit aux armes avec une fureur incroyable les armées étoient en vue et prêtes de donner. La charité, qui ne se désespère jamais, presse le vénérable Bernard il parle, il prie, il conjure qu'on épargne le sang chrétien et le prix du sang de Jésus. Ces ames de fer se laissent fléchir les ennemis deviennent des frères; tous détestent leur aveugle fureur, et d'un commun accord ils vénèrent l'auteur d'un si grand miracle.
(a) Var. Mais ils se sont trop laissé flatter.
0 ville si fidèle et si bonne, ne veux-tu pas honorer ton libérateur ? Mais, fidèles, quels honneurs lui pourrons-nous rendre? Certes on ne sauroit honorer les Saints, sinon en imitant leurs vertus sans cela nos louanges leur sont à charge, et nous sont pernicieuses à nous-mêmes. Fidèles, que pensons-nous faire, quand nous louons les vertus du grand saint Bernard? 0 Dieu de nos cœurs quelle indignité 1 Cet innocent a fait une pénitence si longue; et nous criminels, nous ne voulons pas la faire! La pénitence autrefois tenoit un grand rang dans l'Eglise je ne sais dans quel coin du monde elle s'est maintenant retirée. Autrefois ceux qui scandalisoient l'Eglise par leurs désordres étoient tenus comme des gentils et des publicains maintenant tout le monde leur applaudit. On ne les eût autrefois reçus à la communion des mystères qu'après une longue satisfaction et une grande épreuve de pénitence maintenant ils entrent jusqu'au sanctuaire 1 Autrefois ceux qui par des péchés mortels avoient foulé aux pieds le sang de Jésus, n'osoient même regarder les autels où on le distribue aux fidèles, si auparavant ils ne s'étoient purgés par des larmes, par des jeûnes et par des aumônes. Ils croyoient être obligés de venger eux-mêmes leur ingratitude, de peur que Dieu ne la vengeât dans son implacable fureur après avoir pris des plaisirs illicites, ils ne pensoient pas pouvoir obtenir miséricorde, s'ils ne se privoient de ceux qui nous sont permis.
Ainsi vivoient nos pères dans le temps où la piété fleurissoit dans l'Eglise de Dieu. Pensons-nous que les flammes de l'enfer aient perdu depuis ce temps-là leur intolérable ardeur, à cause que notre froideur a contraint l'Eglise de relâcher l'ancienne rigueur de si discipline, à cause que la vigueur ecclésiastique est énervée pensons-nous que ce Dieu jaloux, qui punit si rudement les péchés, en soit pour cela moins sévère, ou qu'il nous soit plus doux, parce que les iniquités se sont augmentées? Vous voyez combien ce sentiment seroit ridicule. Toutefois, comme si nous en étions persuadés, au lieu de songer à la pénitence, nous ne songeons à autre chose qu'à nous enrichir. C'est déjà une dangereuse pensée; car l'Apôtre avertit Timothée a que le désir des richesses est la racine de tous les maux » Radix omnium mcdo-
rum est cupiditas » encore songeons-nous à nous enrichir par des voies injustes, par des rapines, par des usures, par des voleries. Nous n'avons pas un cœur de chrétiens, parce qu'il est dur à la misère des pauvres. Notre charité est languissante, et nos haines sont irréconciliables. C'est en vain que la justice divine nous frappe et nous menace encore de plusieurs malheurs nous ne laissons pas de nous donner toujours tout entiers aux folles joies de ce monde (a). Le seul mot de mortification nous fait horreur nous aimons la débauche, la bonne chère, la vie commode et voluptueuse et après cela nous voulons encore être appelés chrétiens (b) 1 Nous n'appréhendons pas cette terrible sentence du Fils de Dieu « Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez'! » et cette autre a Le ris est mêlé de douleur, et les pleurs suivent la joie de bien près 3 » et celle-ci a Ils passent leur vie dans les biens, et en un moment ils descendront dans les enfers »
Retournons donc, fidèles, retournons à Dieu de tout notre cœur. La pénitence n'est amère que pour un temps; après, toute son amertume se tourne en une incroyable douceur. Elle mortifie les appétits déréglés elle fait goûter les plaisirs célestes, elle donne une bonne espérance, elle ouvre les portes du ciel. On attend la miséricorde divine avec une grande consolation, quand on tâche de tout son pouvoir d'apaiser la justice par la pénitence. 0 pieux Bernard, ô saint pénitent, impétrez-nous par vos saintes intercessions les larmes de la pénitence, qui vous donnoient une si sainte joie; et afin qu'elle soit renouvelée dans le monde, priez Dieu qu'il enflamme les prédicateurs de l'esprit apostolique qui vous animoit. Nous vous demandons encore votre secours et votre médiation au milieu des troubles qui nous agitent. 0 vous, qui avez tant de fois désarmé les princes qui se préparoient à la guerre, vous voyez que depuis tant d'années tous les fleuves sont teints et que toutes les campagnes fument de toutes parts du sang chrétien Les chrétiens, qui devroient être 1 I Timoth., vr, 10. • Luc., VI, 25. – » Prov., xiv, 13. – Job, XXI, 13. (a) Vur. De courir après les plaisirs. (4) Nous nous impatientons si nous n'avons pas tous nos plaisirs et toutes nos aises, comme s'il nous étoit possible d'être heureux en ce monde et en l'autre.
des enfans de paix, sont devenus des, loups insatiables de sang. La fraternité chrétienne est rompue; et ce qui est de plus pitoyable, c'est que la licence des armes ne cesse d'enrichir l'enfer. Priez Dieu qu'il nous donne la paix, qu'il donne le repos à cette ville que vous avez autrefois chérie ou que s'il est écrit dans le livre de ses décrets éternels que nous ne puissions voir la paix en ce monde, qu'il nous la donne à la fin dans le ciel par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Amen.
PREMIER PANÉGYRIQUE
DE 9
SAINT GORGON (a).
Omne quod natum est ex Deo vmcit mundum; et Inec est victoria guse vincit mundum, fides nostra.
Tout ce qui est né de Dieu surmonte le monde; et la victoire qui surmonte le monde, c'est notre foi. I Joan., v, 4.
Il n'est point de temps ni d'heure plus propre à faire l'éloge des saints martyrs, que celui du sacrifice adorable pour lequel vous êtes ici assemblés. C'est, mes Frères, de ce sacrifice que les martyrs ont tiré toute leur force, et c'est aussi dans ce sacrifice qu'ils ont pris leur instruction. C'est la nourriture céleste que l'on nous (a) Prêché à Metz, vers 16H.
Le lecteur trouvera la preuve certaine de cette époque dans les phrases semblables à celles-ci « Son pauvre corps écorebé, à qui les onguents les plus doux, les plus innocents, auroient causé d'msupportables douleurs, est frotté de sel et de vinaigre. » Et plus loin « Au milieu des exhalai-ons mfcctC3 qui sortoient de la graisse de son corps rôti, Gorgon ne cessoit de louer Jésus- Christ. Et encore: « En vain sa langue. a-t elle voulu par ses tromperies trancher comme un rasoir bien affilé. Que de peines on piend pour aiguiser un rasoir, que de soins pour l'affiler, combien de fois le faut-il passer sur la pierre! Ce n'est au reste que pour raser du poil, c'est-à-dire un excrément inutile. Il est bon de ne pas oublier ces phrases on verra que Bossuet les a affoiblies, et même supprimées quelques années plus tard.
Nous n'avons que le premier point du panégyrique; le second manque.
donne à ces saints autels, qui les a affermis et fortifiés contre toutes les terreurs du monde; et le sang que l'on y reçoit, les a animés à verser le leur pour la gloire de l'Evangile. Et n'est-ce pas dans ce sacrifice que voyant Jésus-Christ s'offrir à son Père, ils ont appris à s'offrir eux-mêmes en Jésus-Christ et par Jésus.Chribt? Et cette innocente victime, qui s'immole tous les jours pour nous, leur a inspiré le dessein de s'immoler pour l'amour de lui. Saint Ambroise après avoir découvert les corps des martyrs de Milan, les mit dans les mêmes autels sur lesquels il célébroit le saint sacrifice; et il en rend cette raison à son peuple Succédant, dit ce grand évêque avec son éloquence ordinaire succedant victimœ triumphales in locum ubi Christus hostiaest: « II est juste, il est raisonnable que ces triomphantes victimes soient placées dans le même lieu où Jésus-Christ est immolé tous les jours; » et si ce sont des victimes, on ne peut les mettre que sur les autels.
Ne croyez donc pas, chrétiens, que l'action du sacrifice soit interrompue par les discours que j'ai à vous faire du martyre de saint Gorgon. Vous quittez un sacrifice pour un sacrifice c'est un sacrifice mystique que la foi nous fait voir sur ces saints autels et c'est aussi un sacrifice que je dois vous représenter en cette chaire. Jésus-Christ est immolé dans l'un et dans l'autre là il est mystiquement immolé sous les espèces sanctifiées et ici il sera immolé en la personne d'un de ses martyrs là il renouvelle le souvenir de sa passion douloureuse; ici il accomplit en ses membres ce qui manquoit à sa passion, comme parle le divin Apôtre 2. L'un et l'autre de ces sacrifices se fait par l'opération de l'Esprit de Dieu et pour profiter de l'un et de l'autre, nous avons besoin de sa grace que je lui demande humblement par les prières de la sainte Vierge. Ave.
Pour entrer d'abord en matière, je suppose que vous savez que nous sommes enrôlés par le saint baptême dans une milice spirituelle, en laquelle nous avons le monde à combattre. Cette vérité est connue; mais il importe que vous remarquiez que cette admi1 Epiât, xxii, n. 13. Colass., i, 24.
rable milice a ceci de singulier, que le Prince qui nous fait combattre sous ses glorieux étendards, vous entendez bien, chrétiens, que c'est Jésus le Sauveur-des ames, nous ordonne non-seulement de combattre, mais encore nous commande de vaincre. La raison en est évidente; car dans les guerres que font les hommes, tout l'événement ne dépend pas du courage ni de la résolution des sol-. dats je veux dire qu'on n'emporte pas tout ce qu'on attaque avec vigueur. Quelquefois la nature des lieux, qui souvent sont inaccessibles; quelquefois les hasards divers, qui se rencontrent dans les combats, rendent inutiles les efforts des assaillants; quelquefois même la résistance est si opiniâtre, que l'attaque la' plus hardie n'est pas capable de la surmonter de là vient que le général ne répond pas toujours des événemens et enfin toutes les histoires sont pleines de ces braves infortunés, qui ont eu la gloire de bien combattre sans avoir le plaisir de triompher qui ont remporté de la bataille la réputation de bons soldats, sans avoir pu obtenir le titre de victorieux.
Mais il n'en est pas de la sorte dans les guerres que nous faisons sous Jésus Christ notre Capitaine. Les armes qu'on nous donne sont invincibles le seul nom de notre Sauveur, sous lequel nous avons l'honneur de combattre, met nos ennemis en désordre; tellement que si le courage ne nous manque pas l'événement n'est pas incertain ni la victoire douteuse. C'est pourquoi je vous disois, chrétiens, et j'avois raison de le dire, que dans la milice où nous servons, dans l'armée où nous sommes enrôlés, il n'y a pas seulement ordre de combattre, mais encore que nous sommes obligés de vaincre; et vous le pouvez avoir remarqué par les paroles que j'ai alléguées du Disciple bien-aimé de notre Sauveur Omne qubd natum est ex Deo, vincit mundum a Tout ce qui est né de Dieu, surmonte le monde. » Où est l'armée où l'on puisse dire que tous les combattans sont victorieux? Ici vous voyez comme il parle a Tout ce qui est né de Dieu, » tout ce qui est enrôlé par le baptême, quod natum est ex Deo, ce sont autant de victorieux. Cette milice remporte nécessairement la victoire; et s'il y a des vaincus, c'est qu'ils n'ont pas voulu combattre, c'est que ce sont des déserteurs.
Il est écrit dans les prophètes Electi mei non laborabunt frustra « Mes élus ne travailleront point en vain; » c'est-à-dire que dans cette armée il n'y a point de vertus malheureuses la valeur n'a jamais de mauvais succès, et tous ceux qui combattent bien seront infailliblement couronnés Omne quod natum est ex Deo, vincit mllndum.
Venez donc, venez, chrétiens, à cette glorieuse milice. Il y a des travaux à souffrir, mais aussi la victoire est indubitable ayez la résolution de combattre vous aurez l'assurance de vaincre. Que si les paroles ne suffisent pas, s'il faut des exemples pour vous animer, en voici un illustre que je vous présente dans le martyre du grand saint Gorgon. Oui, mes Frères, il a combattu c'est pourquoi il a triomphé. Vous lui verrez surmonter le monde, c'esf-à-dire, dit saint Augustin, toutes ses erreurs, toutes ses terreurs, et les attraits de ses fausses amours c'est ma première partie. Mais, mes Frères, ce n'est pas assez que vous lui voyiez répandre son sang il faut que ce sang échauffe le nôtre il faut que ses bienheureuses blessures que l'amour de Jésus-Christ a ouvertes, fassent impression sur nos cœurs il y auroit pour nous trop de honte d'être lâches et inutiles spectateurs de cette glorieuse bataille. Jetons-nous, mes Frères, dans cette mêlée, fortifions-nous par les mêmes armes soutenons le même combat; et nous remporterons la même victoire, et nous chanterons tous ensemble Et hœc est victoria quœ vincit mundum « Et la victoire qui surmonte le monde, c'est notre foi. »
PREMIER POINT.
Ce n'est pas à moi, chrétiens, à entreprendre de vous faire voir quelle est la gloire des saints martyrs il faut que j'emprunte les sentimens du plus illuminé de tous les docteurs vous sentez que je veux nommer saint Augustin. Ce grand homme, pour nous faire entendre combien la grace de Jésus-Christ est puissante dans les saints martyrs, se sert de cette belle pensée d'un côté, il nous montre Adam dans le repos du paradis de l'autre, il représente un martyr au milieu des roues et des chevalets, et de tout l'ap» Jsai., lxv, 23. – De CorrUpt. et Grat., cap. xn, n. 35.
pareil horrible des tourmens dont on le menace. Trouvez bon, je vous prie, mes Frères, que j'expose ici à vos yeux ces deux objets différens. Dans Adam la charité règne comme une souveraine paisible, sans aucune résistance des passions; dans le martyr la charité règne, mais elle est troublée par les passions et chargée du poids d'un corps corruptible .elle règne sur les passions comme une reine à la vérité mais sur des sujets rebelles et qui ne portent le joug qu'à regret. Adam est dans les délices on en offre aussi aux martyrs; mais avec cette différence que les délices dont jouit Adam sont pour l'inviter à bien vivre, et les plaisirs qu'on offre au martyr lui sont présentés pour l'en détourner. Dieu promet des biens à Adam, et il en promet au martyr; mais Adam tient déjà ce que Dieu promet, et le martyr n'a que l'espérance, et cependant il gémit parmi les douleurs. Adam n'a rien à craindre, sinon de pécher le martyr a tout à craindre, s'il ne pèche pas. Dieu dit à Adam Tu mourras, si tu pèches et d'autre part il dit au martyr Meurs afin que tu ne pèches pas, mais meurs cruellement, inhumainement. A Adam La mort sera la punition de ton manquement de persévérance à celui-ci Ta persévérance sera suivie d'une mort cruelle. On retient celui-là comme par force on précipite celui-ci avec violence. Cependant, ô merveille! dit saint Augustin (ah! c'est notre malheur), « au milieu d'une si grande félicité, avec une facilité si étonnante de ne point pécher, Adam ne demeure point ferme dans son dev oir » Non stetit in tantâ felicitate, intantâ non peccandi facilftate; et le martyr, quoique le monde le flatte d'abord, le menace, frémisse ensuite, écume de rage tonnant avec fureur contre lui, il rejette tout ce qui attire, méprise tout ce qui menace surmonte tout ce qui tourmente. D'une main il repousse ceux qui le flattent, qui l'embrassent et qui le caressent; de l'autre il soutient les efforts de ceux qui lui arrachent pour'ainsi dire la vie goutte à goutte. 0 Jésus, Dieu infirme, c'est votre ouvrage. Il est bien vrai, 6" divin Sauveur, que vous nous avez réparés avec une grace bien plus abondante que vous ne nous aviez établis. Le fort abandonne l'immortalité le foible supporte constamment la mort: > Loco suprà cit.
la puissance succombe, et l'infirmité est'victorieuse Virtus in infirmitate perficitur 1. Plus de force, plus d'infirmité; plus de gloire et plus de bassesse, c'est le mystère de Jésus-Christ fait chair la force éclate dans la foiblesse Undè Iwc nisi donante illo à quo misericordiam consecuti sunt ut fideles essent *? « D'où cela vient-il, si ce n'est de celui qui ne leur a pas donné un esprit de crainte pour céder aux persécuteurs, mais de force, de dilection, de sobriété sobriété, pour s'abstenir des douceurs; force, pour ne pas s'effrayer des menaces charité pour supporter les tourmens » plutôt que de se séparer de Jésus-Christ, et pour .dire avec l'Apôtre Quis ergo nos separabit à charitate Christi '? N'est-ce pas, mes Frères, cet esprit qui a agi dans saint Gorgon? Il faut que je vous le représente dans la Cour des empereurs. Vous savez quel crédit avoient auprès d'eux les domestiques qui les approchoient, la confiance dont ils les honoroient, les biens dont ils les combloient, l'influence qu'ils avoient dans toutes les affaires de là cette magnificence qui les environnoit, que JésusChrist avoit en vue, lorsqu'il a dit « Ce sont.ceux qui habitent les palais des rois qui sont vêtus mollement » Ecce qui mollibus vestiuntur, in domibus regum sunt Et par ces paroles le divin Sauveur nous retrace tout le luxe, la mollesse, les délices des Cours. Or on sait combien la Cour des empereurs romains étoit superbe et fastueuse. Quel devoit donc être l'éclat de leurs favoris, et en particulier de saint Gorgon? Car Eusèbe de Césarée, qui a vécu dans son siècle, dit de lui et des compagnons de son martyre, que l'empereur les aimoit comme ses propres enfans ^Equè ac germant fllii cliari erant et qu'ils étoient montés au suprême degré des honneurs. Avoir de si belles espérances, et cependant vouloir être, quoi? Le plus misérable des hommes, en un mot, chrétien il faut certes que la vue d'un objet bien effrayant ait fait de vives et fortes impressions sur un cœur. Quels étoient alors les chrétiens, et à quoi s'exposoient-ils? Au mépris et à la haine, qui étoient l'un et l'autre portés aux dernières extrémités. Lequel des deux est le plus sensible? 11 y en a que le 1 II Cor., XII, 9. S. Augmst ubi suprà. » Rom., vin, 35. – ilatlh., il, 6. 'N~<. Eccles., bb. V I I cap. vt.
mépris met à couvert de la haine, et l'on hait bien souvent ce qu'on craint, et ce qu'on craint on ne le méprise pas. Mais tout s'unissoit contre les chrétiens, le mépris et la haine. Ceux qui les excusoient, les faisoient passer pour des esprits foibles, superstitieux, indignes de tous les honneurs, qu'il falloit déclarer infâmes. La haine succédant au mépris, éclatoit par la manière dont on les menoit au supplice, sans garder aucune forme, ni suivre aucune procédure. Cela étoit bon pour les voleurs et pour les meurtriers mais 'pour les chrétiens, on les conduisoit aux gibets comme on mèneroit des agneaux à la boucherie. Chrétien, homme de néant, tu ne mérites aucun égard; et ton sang, aussi vil que celui des animaux, doit être répandu avec aussi peu de ménagement. Ainsi, dans l'excès de fureur dont les esprits étoient animés contre eux, on les poursuivoit de toutes parts; et les prisons étoient tellement pleines de martyrs, qu'il n'y avoit plus de place pour les malfaiteurs ». S'il y avoit quelque bataille perdue, s'il arrivoit quelque inondation, ou quelque sécheresse, on les chargeoit de la haine de toutes les calamités publiques. Chrétiens innocens, on vous maudit, et vous bénissez vous souffrez sans révolte, et même sans murmure: vous ne faites point de bruit sur la terre; on vous accuse de remuer tous les élémens, et de troubler l'ordre de la nature. Tel étoit l'effet de la haine qu'on portoit au nom chrétien.
A quoi donc pensoit saint Gorgon, de descendre d'une si haute faveur à une telle bassesse? Considéré d'abord par tout l'Empire, il consent de devenir l'exécration de tout l'Empire Hœc est victoria quœ vincit mundum. Et quel courage ne falloit-il pas pour exécuter cette généreuse résolution sous Dioclétien, où la persécution étoit la plus furieuse; où le diable, sentant approcher peut-être la gloire que Dieu vouloit donner à l'Eglise sous l'empire de Constantin, vomissoit tout son venin et toute sa rage contre elle et faisoit ses derniers efforts pour la renverser? Dioclétien s'en vantoit, et se glorifioit d'avoir de tous côtés dévoilé et confondu la superstition des chrétiens Superstitione Christianorum ubique détecta. Vraie marque de sa fureur, et en même > Tertull,, ad Nat., \ih. n. 9.
temps marque sensible de son impuissance Et hœc est victoria quœ vincit mundum. Saint Gorgon lui résiste; et le tyran, pour l'abattre, fait exercer sur son corps toute la violence que la cruauté la plus barbare peut inspirer. Ah 1 qui viendra essuyer ce sang dont il est couvert, et laver ces blessures que le saint martyr endure pour Jésus-Christ? Saint Paul en avoit reçu, et le geôlier même de la prison où iL est renfermé lave ses plaies avec un grand respect mais ici les tyrans ne permettent pas qu'on procure le moindre adoucissement à saint Gorgon; et son pauvre corps écorché, à qui les onguens les plus doux, les plus innocens, auroient causé d'insupportables douleurs, est frotté de sel et de vinaigre.
C'est ainsi qu'il devient conforme à son modèle, qui fait deux plaintes sur les traitemens qu'il souffre dans sa passion. His plagatus sum « Yoilà les blessures que j'ai reçues » mais « ils ont encore ajouté de nouvelles cruautés aux premières douleurs de mes plaies » Super dolorem vulnerum meorum addiderunt Ils m'ont mis une couronne d'épines; voilà le sang qui en coule His plagatus sum; mais ils l'ont enfoncée par des coups de cannes Super dolorem vulnerum meorum addiderunt. lls m'ont dépouillé pour me déchirer de coups de fouet His plagatus sum mais ils m'ont remis mes habits, et me les ôtant de nouveau pour m'attacher nu à la croix, ils ont rouvert toutes mes blessures Super dolorem vulnerum meorum addiderunt. Ils ont percé mes mains et mes pieds; et ayant épuisé mes veines de sang, la sécheresse de mes entrailles me causoit une soif ardente qui me dévoroit la poitrine voilà le mal [qu'ils m'ont fait His plagatus sum. Mais lorsque je leur ai demandé à boire avec un grand cri, ils m'ont abreuvé en ma soif de fiel et de vinaigre Super dolorem vulnerum meorum addiderunt. C'est ce que peut dire saint Gorgon ils ont déchiré ma peau, ils ont dépouillé tous mes nerfs ils ont entr'ouvert mes entrailles His plagatus sum. Mais après cette cruauté, ils ont frotté ma chair écorchée avec du vinaigre et du sel, pour aigrir la douleur de mes plaies Super dolorem vulnerum meorum addiderunt.
1 Zach., xiii, 6. – Psal. LXVIII, 27.
Mais ils ont encore passé bien plus loin, et leur brutalité n'est pas assouvie. Ils couchent le saint martyr sur un gril de fer, devenu tout rouge par la violence de la chaleur; ô spectacle horrible Et cependant, au milieu de ces exhalaisons infectes qui sortoient de la graisse de son corps rôti, Gorgon ne cessoit de louer Jésus-Christ. Les prières qu'il faisoit monter au ciel changeoient cette fumée noire en encens Et hœc est Victoria quœ vincit mundum.
Mais en quoi a nui à saint Gorgon tout le mal qu'il a souffert? 2. a Tout ce temps de peines et de souffrances est passé comme un songe » Trànsierunt tempora laboriosa; temps de fatigues, temps de travail, qui l'a conduit au véritable repos, à la paix parfaite et c'est ce que le Prophète-Roi exprime si bien par ces paroles, qu'il a dites au nom de tous les martyrs « Nous avons passé par l'eau et par le feu; mais vous nous avez fait entrer dans un lieu de rafraîchissement » Transivimus per ignem et aquam, et eduxisli nos in refrigerium Dieu a essuyé tous les pleurs: il a ordonné à saint Gorgon de se reposer de tous ses travaux. On a cru lui ôter tout son bien et même la vie; et on ne lui ôte que la mortalité Ubi est, mors, victoria tua'1 a 0 mort, où est ta victoire ? » Tu n'as ôté au saint martyr que des choses superflues; car tout ce qui n'est pas nécessaire est superflu. a Or une seule chose est nécessaire » Porrà unum est ncccssarium Dieu est cet unique nécessaire; tout le reste est superflu. Les honneurs sontils nécessaires? Combien d'hommes vivent en repos, quoique oubliés du monde Tout cela est hors de nous, et par conséquent ne peut contribuer à notre félicité. Il en est de même des richesses, qui ne sauroient remplir notre cœur et c'est pourquoi a ayant de quoi nous nourrir et nous vêtir, nous devons être contens » Habentes victum et vestitum, contenti sumus Tout le reste est superflu la santé, a la vie même, qui doit être regardée comme un bien superflu par celui qui considère la vie éternelle qui lui est promise » Ipsa vita, cogitantibus œternam vitam, inter superflua reputanda est1; elle ne nous est utile qu'autant que nous 1 Psal. lxv, 12. – » I Cor., xv, 55. » Luc, I, 42. – I Timoth., vi, 8. –•S. August., serm. nir, n. 14.
l'avons prodiguée pour Dieu. Ainsi tout ce qu'on ravit à saint Gorgon lui étoit superflu, puisqu'étant dépouillé de toutes ces choses, il se trouve bienheureux. Qu'a donc fait le tyran par tous les efforts de sa cruauté? « En vain sa langue a-t-elle concerté les moyens de nuire, et a-t-elle voulu par ses tromperies trancher comme un rasoir bien affilé » Sicut novacula acula fecisli dolum 1. Que de peines on prend pour aiguiser un rasoir que de soins pour l'affiler combien de fois le faut-il passer sur la pierre 1 Ce n'est au reste que pour raser du poil, c'est-à-dire un excrément inutile. Que ne font pas les méchans? En combien de soins sont-ils partagés pour dresser des embûches à l'homme de bien? Que n'a pas fait le tyran pour abattre notre martyr ? Il se travailloit à trouver de nouveaux artifices pour le séduire, de nouveaux supplices pour l'épouvanter. Quid facturas justo, nisi superflua rasurus *? Mais que fera-t-il contre le juste? Il ne lui a rien ôté que de superflu. Qu'est-ce que l'ame a besoin d'un corps qui la charge et la rend pesante? La mort ne lui a rien ôté que la mortalité et ceux qui ont voulu conserver la vie l'ont perdue et ils vivent les misérables, ils vivent pour souffrir éternellement. Parce que saint Gorgon l'a prodiguée, il l'a mise entre les mains de Dieu, où rien ne se perd, et il la conservera pour jamais. Ainsi le moyen de surmonter le monde, c'est de tout abandonner à Dieu autrement tout périt et tout passe avec le monde qui passe lui-même, et enveloppe tout dans sa ruine c'est pourquoi il faut tout donner à Dieu. Saint Paul possédé de cette pensée disoit « Je donnerai tout » Ego autem impendam. Ce n'est pas assez; aussi ajoute-t-il « Et je me livrerai moi-même pour le salut de vos ames » Superimpendur ijpse pro animabus vestris*. 1 Psal. ta, 4. – S. August., Enar. tn Psal. Lr, n. 9. – 3 Cor., su, iS.
SECOND PANÉGYRIQUE
DE
SAINT GORGON (a).
Quorum intuentes exitum conversahoms, imitamini fidem.
En regardant la fin de leur conversation, imitez leur foi. Ilebr., xnc, 7. Après que les bienheureux martyrs avoient rendu l'ame, les fidèles avoient soin de ramasser au péril de leur vie ce qui restoit de leurs corps; et l'Eglise conservoit si chèrement ce sacré dépôt, que les tyrans, pour leur ôter les honneurs qu'on leur rendoit, étoient contraints de faire jeter dans la rivière leurs saintes reliques que si elle pouvoit les dérober à cette dernière cruauté, elle célébroit leurs funérailles avec des cantiques d'actions de graces, élevant au ciel son cœur et ses yeux pour louer Dieu de (a) Prêché à Metz dans l'église de Saint-Gorgon, en présence de Jean.Baptiste Colbert, le 9 septembre 1658.
La famille de Bossuet habitoit à Metz dans la paroisse de Saint-Gorgon. Jean- Baptiste Colbert de Saint-Pouage avoit l'intendance du pays Messin. C'est à ce personnage, et non pas au maréchal de Schomberg, comme le disent tous les éditeurs, que fut adressée l'allocution de l'exorde.
En 1658, les intempéries de l'air, désolant le laboureur, avoient détruit la plus grande partie des récoltes. Voilà pourquoi l'orateur dit, dans la péroraison,: « Dieu punit par la guerre celle que nous lui faisons tous les jours. La terre nous refuse par son commandement le fruit de nos travaux, parce que nos ames ne lui en rapportent point, bien qu'il les ait si soigneusement cultivées.» Aux angoisses de la disette, se joignoient les terreurs de la guerre Placée entre les deux parties belligérantes, Metz voyoit souvent le pillage, l'incendie et le meurtre porter la dévastation et la mort sur son territoire. Des négociations ouvertes en 1656 firent espérer la paix pendant deux ans; mais toujours elle disparoissoit au moment où elle sembloit promettre des jours réparateurs. De là ces paroles de Bossuet « 11 y a près de vingt ans qu'elle porte (la ville de Metz) quasi tout le fardeau de la gueire; sa situation trop importante semble ne lui avoir servi que pour l'exposer en proie. » Et plus bas « C'est par là (par la pénitence) qu'il nous faut obtenir cette paix que nous attendons il y a si longtemps, » etc. Le miel ne tombe pas, comme on le lira tout à l'heure, du ciel avec la rosée; il est élaboré dans la végétation de la plante, et purifié dans l'estomac de l'abeille. On a vu dans le premier Panégyrique de saint Gorgon plusieurs locutions qui signalent l'époque de Metz; l'auteur les a mitigées et quelquefois supprimées dans le second.
Nous avons imprimé d'après le manuscrit original, qui se trouve à la bibliothèque du séminaire de Meaux.
les avoir rendus dignes d'un si grand honneur. Au reste elle ne vouloit point qu'on appelât des tombeaux les lieux où elle renfermoit leur sainte dépouille elle les nommoit d'un nom plus auguste les Mémoires des martyrs. Et si les tombeaux des hommes ordinaires sont des marques qu'ils ont succombé aux attaques de la mort, elle témoignoit au contraire que les tombeaux des martyrs étoient des trophées qu'elle éiigeoit à leur nom, pour être un monument éternel (a) de la victoire qu'ils ont remportée glorieusement sur la mort.
Mais parmi tout cela les chrétiens ne croyoient point leur pouvoir rendre'de plus grands respects, qu'en se les proposant pour exemple. Tout ainsi, dit saint Basile que les abeilles sortent de leur ruche quand elles voient le beau temps, et parcourant les fleurs de quelque belle campagne, s'en retournent chargées de cette douce liqueur que le ciel y verse tous les. matins avec la rosée de même aux jours illustres par la solennité des martyrs nous accourons en foule à leurs mémoires, pour y recueillir comme un don céleste l'exemple de leurs vertus.
Voilà Messieurs, ce qui nous assemble aujourd'hui. Saint Gorgon en mourant a laissé une certaine odeur de sainteté sur la terre, que l'Eglise ne manque point de rafraîchirdtons les ans c'est là sans doute ce qui nous en est demeuré de meilleur. Nous ne pouvons pas appeler ces précieux restes les reliques de son corps; mais nous ne nous éloignerons pas de la ^raison, quand nous les nommerons les reliques ;de sa sainteté. Conservez-les dans vos coeurs comme dans un saint reliquaire, et faites en sorte que toutes vos affections s'en ressentent. Quelle joie vous sera-ce, lorsque vous ressusciterez avec saint Gorgon, de reconnoître en cette bienheureuse entrevue les endroits de son corps que vous aurez baisés sur la terre, et les vertus que vous y aurez imitées Je n'ai que faire de vous demander ni silence, ni attention vous devez le silence à la majesté de ce lieu; vous devez vos attentions au récit d'une histoire si -mémorable, que je vous ferai simplement et brièvement.
1 Homil. xvm, n. i.
\a) Var. Pour servir à la postérité d'un mémorial éternel.
MONSEIGNEUR,
Si nous ne devions ce jour tout entier à la gloire de saint Gorgon, ou si j'étois en un lieu où je pusse vous témoigner la joie que toute la ville a reçue de votre arrivée, je vous dépeindrois si bien et avec tant de naïveté les sentimens de ce peuple qu'il a plu à Dieu de commettre à votre garde, que mes auditeurs ne pourroient s'empêcher de donner sur ce sujet à mon discours une approbation publique. Mais outre que votre vertu a paru suffisamment par vos grands emplois, et que votre science a été assez reconnue dans la plus célèbre compagnie de savons qui soit dans le monde, la dignité de cette chaire, ce temple auguste que Dieu remplit de sa gloire, ces sacrés autels où l'on va célébrer le saint sacrifice demandent de moi une telle retenue qu'il faut que je m'abstienne de dire la vérité, pour qu'il ne paroisse dans mon discours aucune apparence de flatterie. Seulement je vous dirai que l'honneur imprévu de votre présence, est pour moi une rencontre si favorable que je ne puis vous en dissimuler mon ressentiment. Vous venez d'entendre le sujet que je dois traiter devant vous plus il est important, plus j'ai besoin des lumières d'enhaut pour le faire dignement, et d'une manière qui puisse tourner à l'édification de cet auditoire. Prosternons-nous tous ensemble devant le trône de Dieu pour lui demander sa grace; et si nous n'osons approcher une grandeur si terrible, la sainte Yierge que nous allons saluer par les paroles de l'ange, aura assez de bonté pour se rendre notre avocate auprès de son Fils. Ave. Ce n'est pas sans raison que l'Apôtre nous exhorte à être toujours sous les armes', puisque nous apprenons par les oracles divins que notre vie est une guerre continuelle L'Esprit de Dieu, que nous avons reçu par le saint baptême, remplit .nos ames de l'idée du souverain bien, pour nous faire regarder avec mépris les mouvemens éternels qui agitent la vie humaine. Mais vous le savez, Messieurs il n'y a point de grande entreprise qui né trouve de grands obstacles. Le monde entier s'efforce de combattre ce » Ephes., vi, il. – 'Job, vu, 1.
dessein Adversùm nos omnis mundus armatur. Il orne de faux appas toutes les créatures qu'il comprend dans son enceinte, pour tâcher de nous surprendre par ce vain éclat. Que si nous sommes assez généreux pour dédaigner ses faveurs, il nous représente un grand appareil (a) de peines et de supplices pour nous émouvoir; tellement qu'il faut que le serviteur de Dieu soit également sans crainte et sans espérance en la terre, qu'il se rende de tous côtés immobile et inexorable.
Voilà donc les deux batteries que le monde dresse contre nous. Il veut l'emporter de gré ou de force s'il ne peut se faire aimer, il tâche de se faire craindre; et quoiqu'il semble que la crainte doive avoir un effet plus prompt, j'estime néanmoins que les complaisances du monde sont pour nous plus dangereuses, parce que nous nous y trouvons engagés d'inclination. Ce qu'il nous sera facile de conclure, si nous comprenons la différence de la mort et de la crainte ,que saint Augustin marque si habilement en divers lieux 1.
Toute la force de la crainte consiste à retenir ou à troubler l'ame, mais de la changer il n'est pas en son pouvoir. Par exemple, si vous rencontrez des voleurs qui vous voient en état de leur résister, ou ils se retirent, ou s'ils vous abordent c'est avec beaucoup de civilité. Ils n'en sont pas pour cela ni moins voleurs, ni moins avides de carnages et de larcins; mais la crainte les oblige à dissimuler. Yous voyez donc bien qu'elle étouffe les sentimens de l'ame, mais qu'elle ne les détruit pas. Cela n'appartient qu'à l'amour; c'est lui qui pour ainsi dire tient la clef de l'ame, qui l'ouvre et qui la dilate pour y faire entrer les objets. Os nostrum patet ad vos, ô Corinthii, cor nostrum dilatatum est « L'amour que j'ai pour vous, ô Corinthiens, ouvre ma bouche et mon cœur, n dit le grand Apôtre pour leur témoigner son affection. Et c'est pour cela que, selon la doctrine du grand Apôtre, la loi .ancienne qui étoit une loi de crainte, « a été écrite au dehors sur des tables de pierre » Forinsecùs in tabulis lapideis, parce que la crainte n'a point d'accès au dedans de l'ame; au lieu que la loi > Serm. clxxix, n. 10. – • Cor., vi, 11.
(a) Var.: Attirail.
nouvelle est gravée dans le fond du cœur ln tabulis cordis carnalibus 1, parce que c'est la loi d'amour. Par où il appert qu'il est bien plus difficile de vaincre un mauvais amour qu'une mauvaise crainte, parce que l'amour tenant dans l'ame la place principale, il faut faire pour le chasser une plus grande révolution, et partant ceux que le monde a pris par inclination sont bien plus captifs que ceux qu'il abat par la frayeur des supplices. Ce que j'ai dû vous faire remarquer afin que vous connoissiez quelle est la nature de la guerre que le monde vous a déclarée, et combien il faut que le soldat de Jésus-Christ soit armé de tous côtés. Car du reste il importe peu à la gloire de saint Gorgon laquelle des deux entreprises est la plus difficile, puisqu'il a également triomphé du monde en l'une et en l'autre c'est le partage de mon discours. Et c'est là, Messieurs, ce qui a animé les puissances de la terre contre les défenseurs de la foi. Ces ames héroïques n'ont pu plaire au monde, et le monde ne leur a pu plaire voilà la cause de leurs contrariétés. Le monde ne leur a pas plu, c'est pourquoi ils l'ont méprisé. Ils n'ont pas plu au monde, de là vient que le monde a pris plaisir d:affliger ce qui n'étoit pas à lui. Et le tout est arrivé par un ordre secret de la Providence, afin d'accomplir cette parole mémorable de notre divin Sauveur « Je ne suis pas venu pour donner la paix, mais pour allumer la guerre » Non veni pacem mittere, sed gladium
Vous voyez bien par là en quoi consiste le courage d'un véri• table martyr. Je vous ai promis de vous en faire voir une idée excellente en la personne de notre Saint c'est ce que je ferai, s'il plaît à Dieu, dans la suite de ce discours. Je m'en vais tâcher de vous mettre devant les yeux en deux points une ame héroïque, un courage inflexible, que l'espoir des grandeurs n'a point amolli, que la crainte des supplices n'a point ébranlé. Plaise seulement à cet Esprit qui souffle où il veut, de graver dans nos cœurs l'imàge de tant de vertus, afin que tout autant que nous sommes assemblés dans ce temple au nom du Seigneur, nous soyons tellement animés d'un si bel exemple, que nous ne vivions et ne respirions plus que pour Jésus-Christ.
« II Cor., m, 3. « Matth., x, 34.
Saint Gorgon vivoit en la Cour des empereurs Dioclétien et Maximien, et avoit une charge très-considérable dans leur maison. Chacun sait combien l'on estime ces sortes d'emplois chez les princes, et combien les font valoir ceux qui les possèdent. Surtout quiconque a tant soit peu lu l'Histoire romaine y a pu remarquer quel crédit les empereurs donnoient ordinairement à leurs domestiques, que leurs offices appeloient plus souvent près de leurs personnes. Mais sans m'amuser à des conjectures, je n'ai qu'à vous produire le témoignage d'Eusèbe, évêque de Césarée, qui a vécu dans le siècle de notre Saint, personnage grave et recommandable à jamais pour nous avoir donné en si beau style l'histoire des premiers temps de l'Eglise. Voici donc ce qu'il dit de saint Gorgon et des compagnons de son martyre « Ils étoient montés au suprême degré d'honneur auprès de leurs maîtres, et leur étoient chers ne plus ne moins que s'ils eussent été leurs enfans. ». Voilà peu de mots, mais il ne pouvoit rien dire qui peignit mieux un si grand crédit. Vous remarquez bien que ces paroles nous font entendre, non-seulement qu'ils étoient en trèsbonne posture auprès de leurs maîtres, que les empereurs avoient de grands desseins pour les avancer, mais encore qu'ils avoient pour eux une tendresse très-particulière, que notre historien n'a pu exprimer qu'en disant qu'ils les aimoient comme leurs propres enfans lis œquè ac germani filii chari erant 1. Or ce n'est pas mon dessein de vous exagérer beaucoup leur pouvoir je vous prie seulement de considérer quelle étoit l'opposition de ces deux qualités, de favoris des empereurs et de disciples de JésusChrist. L'une les faisoit respecter partout où s'étendoit l'empire romain, c'est-à-dire par tout le monde l'autre les exposoit à la risée, à la haine, aux exécrations de toute la terre. Et puisque nous sommes sur ce sujet, peut-être ne sera-t-il point hors de propos de vous dépeindre quelle étoit l'estime que l'on avoit en ces temps du christianisme, afin que vous ccnnoissiez mieux jusqu'à quel point Gorgon a méprisé les honneurs du monde. » Histor. Ecel-es., lib. VIII, cap. vi.
PREMIER POINT.
Les chrétiens étoient à tout le monde un spectacle de mépris et de moquerie. Chacun les fouloit aux pieds, et les rejetoit « comme les ordures et les excrémens de la terre » Tanquàm purgamenta hujus mundi, ainsi que parle l'Apôtre On eût dit que les prisons n'étoient faites que pour eux, jusque-là qu'elles étoient tellement remplies de fidèles qu'il n'y avoit plus de place pour les malfaiteurs, comme nous rapporte l'histoire. Aux crimes les plus énormes, les lois ont ordonné de la qualité du supplice; il n'étoit pas permis de passer outre. Elles ont bien voulu donner des bornes même à la justice, de peur de lâcher la bride à la cruauté. II n'y avoit que les chrétiens contre lesquels on n'appréhendoit point de faillir qu'en les épargnant; il falloit donner toute licence à la barbarie, et leur arracher la vie par tout ce qu'il y peut avoir d'esprit et d'invention dans la cruauté, per atrociora ingenia pcenayurn dit le grave Tertullien. Quelle fureur! Mais bien plus, donner un chrétien aux bêtes farouches, c'étoit le divertissement ordinaire du peuple romain, quand il étoit las des sanglans spectacles des gladiateurs. De là ces clameurs si cruelles dont on a ouï sisouventrésonnerles amphithéâtres. Christiani ad bestias, Christiani ad bestias « Que l'on donne les chrétiens aux bêtes farouches » On n'observoit contre eux ni formes ni procédures. Cela étoit bon pour les voleurs et les meurtriers; mais pour les chrétiens, on n'avoit garde d'y faire tant de façons. On les traînoit aux gibets tout ainsi qu'on mèneroit de pauvres agneaux à la boucherie, sans qu'ils ouvrissent la bouche ni aux plaintes ni aux murmures. C'étoient des incestes, des magiciens, des parricides qui mangeoient leurs propres enfans dans des sacrifices nocturnes. Que s'il se trouvoit quelqu'un qui voulût les défendre de ces horribles reproches, on les faisoit passer pour de pauvres insensés, pour des esprits foibles qui s'amusoient à de vaines superstitions; de sorte qu'on ne les excusoit qu'en les chargeant de nouvelles calomnies. Et voilà, Messieurs, sans feinte et sans exagération, quelle étoit l'estime que l'on avoit dans le monde des premiers chrétiens.
Ne vous en étonnez pas Jésus-Christ devoit être tout ensemble 1 Cor., iv, 13. » De Resurr. carn., n. 8.
un signe de paix et un signe de contradiction. La vérité étoit étrangère en ce monde; il n'est pas merveille si elle n'y trouvoit pas d'appui. Mais voyez par là ce que le zèle du christianisme a fait quitter à Gorgon et ce qu'il lui a fait prendre. Si on sait juger tout ce qu'il y a d'honneur en un cœur noble, combien ces reproches et cette ignominie doit-elle être insupportable aux ames les plus communes, et bien plus encore aux hommes généreux, nourris comme notre Saint dans la Cour et dans le grand monde, qui peuvent espérer d'y faire une si belle fortune? En vérité, Messieurs, n'eussions-nous pas craint de choquer l'empereur et de faire tort à notre réputation? Nous sommes bien obligés à la Providence divine, qui nous a fait naître dans un siècle et dans un royaume où le nom de chrétien est une qualité honorable. Le peu de soin que nous avons de la gloire de notre Maître, cette lâcheté qui nous fait abandonner son service pour de si légères considérations, la honte que nous avons de nous ranger à notre devoir nous font assez connoître que nous devons à cette bonne rencontre de ce que nous ne rougissons point du christianisme. Que si nous eussions vécu dans ces premiers temps, où être chrétien c'étoit un crime d'Etat, nous eussions bien épargné aux tyrans la peine de nous tourmenter.
Car enfin que peut-on présumer autre chose des déréglements de,notre vie, sinon que nous n'eussions pas fait grand scrupule de renoncer au nom de chrétien, puisque nous ne craignons point de renoncer pour si peu de chose aux plus saints devoirs du christianisme? Je tremble pour moi, quand je considère à combien peu il tient que nous ne soyons infidèles. Ah race de tant de millions de martyrs qui nous ont engendrés en Jésus-Christ par leur sang, jamais la vertu de ceux qui nous ont précédés dans la foi ne réveillera-t-elle en nos cœurs les mouvements généreux du christianisme? Jusqu'à quand porterons-nous à crédit le titre de chrétiens, pour faire blasphémer par les infidèles le saint nom qui a été invoqué sur nous? Conduite contraire aux saints martyrs, qui ayant fait professiqn du christianisme dans un temps où il étoit odieux à toute la terre, l'ont rendu illustre par la gloire de leurs belles actions; au lieu que nous qui l'avons reçu depuis qu'il
est devenu vénérable parmi tous les peuples, nous ne cessons de le déshonorer par nos lâchetés. Obsecro vos, fratres, per misericordiam Dei, ut dignè ambuletis vocaiione quà vocati estis1 « Je vous conjure, mes frères, par les entrailles de la miséricorde de Dieu, de vous conduire d'une manière convenable à votre vocation. » Relevons un peu notre courage; osons du moins mépriser les faveurs du monde, puisque nous ne sommes plus obligés de passer par l'épreuve des tourments.
Saint Gorgon ne l'a pas eu si aisé. Ce n'a pas été tout d'avoir méprisé les grandeurs; l'empereur lui fit payer bien cher la grace qu'il lui avoit faite de le recevoir en son amitié. Outre la haine qu'il avoit généralement pour tous les chrétiens, telle qu'il quitta l'empire désespéré de n'en pouvoir éteindre la race, il étoit encore rongé d'un secret dépit d'avoir nourri en sa maison un ennemi de l'empire et même de lui avoir donné part de sa confidence. Il se résout donc d'en faire un exemple qui puisse donner de l'épouvante aux plus déterminés, et voici par où il commence. Il commande au saint martyr de sacrifier aux idoles ce qu'il refuse de faire généreusement, disant qu'il n'a garde de rendre cet honneur à un métal insensible; pour lui, il avoit appris dans l'Ecole de Jésus-Christ à adorer en esprit et en vérité un seul Dieu créateur du ciel et de la terre, dont la beauté pure ne pouvoit être vue par ces yeux mortels, ni représentée sur une matière comme la nôtre. Le peuple ignorant, à qui Dieu n'avoit point parlé dans le cœur de ces vérités, prit pour un blasphème cette céleste philosophie, et s'écria qu'il falloit punir l'ennemi des dieux. Là-dessus on le dépouille; on l'élève avec des cordes pour le faire voir à toute la ville, qui étoit accourue pour voir quelle seroit la fin de cette aventure; puis on le bat de verges si cruellement, qu'en peu de temps il ne resta plus en son corps aucune partie entière. Déjà le sang ruisseloit de tous côtés sur la face des bourreaux « les nerfs et les os étoient découverts; et la peau étant toute déchirée, ce n'étoit plus ses membres, mais ses plaies que l'on tourmentoit. » Ruptâ compage viscerum, torquebantur in servo Dei non jam membra, sed vulnera Cependant Gorgon, glorieux de confesser i Ephes., iv, 1. S. Cyprian., ad Martyr. et Confess., epist. vm.
par tant de bouches la vérité, se réjouit avec l'Apôtre de voir qu'il n'y a aucun endroit sur son corps où la passion de son Maître crucifié ne soit imprimée. Or il étoit de tous côtés tellement meurtri, et la douleur l'avoit réduit en un état si pitoyable, qu'on ne pouvoit lui donner un plus grand soulagement que de le laisser ainsi suspendu dans le lieu de son supplice quelle extrémité Et néanmoins on lui refuse cette misérable grace. Le tyran ordonne qu'on le descende, et ce pauvre corps déchiré, à qui les plus doux onguents eussent causé des douleurs insupportables, est frotté de sel et de vinaigre. Il reçoit ce nouveau supplice comme une nouvelle grace que Dieu lui faisoit pour accomplir en lui, aussi bien qu'en Jésus-Christ, cette prophétie du Psalmiste Super dolorem vulnerum meorum addiderunt 1 a Ils ont ajouté sur la douleur de mes plaies. »
Mais ce n'est pas tout. La cruauté cherche de nouveaux artifices et si elle ne peut le vaincre par la grandeur des tourmens, elle tâche au moins de l'étonner par la nouveauté. Ce sel et ce vinaigre n'ont fait que de lui éveiller l'appétit; il lui faut pour la rassasier quelque assaisonnement plus barbare. Je vous demande un moment de patience, pour ne pas laisser notre narration imparfaite.
Le tyran fait coucher le saint martyr sur un gril de fer déjà tout rouge par la véhémence de la chaleur, qui aussitôt rétrécit ses nerfs dépouillés avec une douleur que je ne vous puis exprimer. Quel horrible spectaclel Gorgon gisoit sur un lit de charbons ardens, fondant de tous côtés par la force du feu et nourrissant de ses entrailles une flamme pâle qui le dévoroit. Il s'élevoit à l'entour de lui une vapeur noire que le tyran humoit pour contenter son avidité. Jusqu'à tant que ne pouvant plus ni voir sa constance, ni supporter ses reproches, ni écouter les louanges qu'il donnoit à Jésus-Christ d'une voix mourante, il lui fit promptement arracher le peu qui lui restoit de vie, et envoya sa belle ame jouir à jamais des embrassemens de son bien-aimé. Voilà, Messieurs, quelle a été la fin de notre Martyr, qui a méprisé le monde dans ses promesses et dans ses menaces, dans ses délices et dans ses 1 Psal. lxviii, 27.
tourmens, laissant par sa mort un reproche éternel à la mollesse et au peu de foi de ces derniers siècles.
Après cela que me reste-t-il autre chose, sinon de conclure par ces paroles qui ont fait l'ouverture de mon discours, de vous dire avec l'Apôtre Quorum intuentes exitum, imitamini fidem ? Vous avez vu en esprit comment la constance de Gorgon a duré jusqu'à la mort, dont il a goûté à longs traits toute l'amertume, reste maintenant que vous imitiez sa foi, cette foi ardente qui lui a fait préférer à tous les honneurs l'opprobre de Jésus-Christ, et a rendu son esprit entier et inébranlable pendant que son corps s'en alloit pièce à pièce comme une vieille masure.
SECOND POINT.
Que si après avoir vu quelles impressions la douleur a faites sur son corps, vous êtes mus d'une louable curiosité de savoir ce que Dieu opéroit invisiblement dans son ame et d'où lui venoit parmi une telle agitation une si grande tranquillité; en un mot si vous désirez connoître quelles étoient les pensées dont s'entretenoit un chrétien souffrant, je vous les dirai en peu de mots, pour votre édification, telles que nous les apprend la théologie. Premièrement les martyrs n'étoient point de ces ames basses qui se croient incontinent délaissées de Dieu, sitôt qu'elles ressentent quelque affliction; au contraire, rien n'affermissoit si bien leurs espérances que la considération de leurs supplices. Car « c'est la tribulation qui produit la souffrance, et la souffrance fait l'épreuve 1, » comme dit l'Apôtre. Or il est tout évident que quand on prend quelqu'un pour en faire épreuve, c'est signe que l'on a dessein de s'en servir. Ainsi les martyrs, à qui Dieu avoit appris sa conduite, se persuadoient par une souffrance très-salutaire que Dieu les réservoit à quelque chose de grand, puisqu'il vouloit bien avoir la bonté de les éprouver. Et c'est à mon avis pourquoi l'Apôtre ajoute que « l'épreuve fait l'espérance » Probatio verà spem.
Saint Cyprien, dans le livre qu'il a fait de l'Exhortation des Martyrs, nous en fournit encore cette belle raison Notre-Sei1 Rom., v, 41.
gneur prophétise en divers endroits que la vie de ceux qui écouteront sa parole sera continuellement traversée; mais aussi il leur promet après leurs travaux un soulagement éternel'. Et voyez comme le Saint-Esprit se sert de toutes choses pour relever nos courages il nous fait entendre par un discours digne de lui que Dieu, dont on ne peut compter les miséricordes, n'est pas moins fidèle dans les biens que dans les maux, et que l'accomplissement de la moitié de la prophétie leur est un témoignage indubitable de la vérité de l'autre. Tellement qu'ils prenoient leur disgrace présente pour un gage certain de leur future félicité; et mesurant leurs consolations à venir par leurs peines, ils croyoient qu'elles ne leur étoient pas tant envoyées pour les tourmenter dans le temps que pour leur donner de nouvelles assurances d'un bonheur sans fin.
Ces pensées ne sont-elles pas pleines d'une grande consolation? Mais leur esprit nourri depuis longtemps de la Parole, leur en' faisoit concevoir de bien plus sublimes. Comme ils ne jugeoient pas des choses par l'extérieur, ils considéroient que l'homme n'étoit pas ce qu'il nous paroît mais que Dieu, pour le former, avoit fait sortir de sa bouche un esprit de vie qu'il avoit caché comme un trésor céleste dans cette masse du corps; que cet esprit, bien qu'il fût d'une race divine, comme le dit si bien l'Apôtre au milieu de l'Aréopage bien qu'il portât imprimé sur soi l'image de son Créateur, étoit néanmoins accablé d'un amas de pourriture où il contractoit par nécessité quelque chose de mortel et de terrestre, dégénérant de la pureté de son origine. Dans cette pensée il croyoit que les tourmens ne faisoient qu'en détacher ce qu'il y avoit d'étranger, « tout ainsi que le feu sépare de l'or ce qui s'y mêle d'impur, » tanquàm aurum in fornace 3. On eût dit à les voir qu'à mesure qu'on leur emportoit quelques lambeaux de leur chair, leur ame s'en seroit trouvée beaucoup allégée comme si on les eût déchargés d'un pesant fardeau; et ils espéroient qu'à force d'arracher leur chair pièce après pièce, elle resteroit toute pure et toute céleste, et en cet état seroit présentée au nom de Jésus-Christ devant le trône de Dieu.
1 De exhort. Martyr. Ad., xvn, 29. » Sapient., III, 6.
Dans ces considérations vous les eussiez vus, d'un cœur brûlant de charité, s'animer eux-mêmes contre leurs supplices. Tantôt ils se plaignoient de ce qu'ils étoient trop lents, ne souhaitant rien tant que de voir bientôt abattue cette masure ruineuse de leur corps qui les séparoit de leur Maître, et s'écriant avec l'Apôtre Cupio dissolvi et esse cum Christo'. Tantôt ravis d'une certaine douceur que ressentent les grands courages à souffrir pour ce qu'ils aiment, ils se réjouissoient de se voir enveloppés d'une chair mortelle qui pût fournir matière à la cruauté. De tels et semblables discours consoloient les martyrs en attendant avec patience qu'il plût à Dieu de les appeler à soi et saint Gorgon sut si bien prendre ces sentimens de'ceux qu'il avoit vus, qu'il devint lui-même à la postérité un exemple signalé.
C'est vous particulièrement, Messieurs, que cet exemple regarde, puisque vous avez pris saint Gorgon pour votre patron. Vous n'êtes pas obligés de souffrir les mêmes peines; mais comme vous participez à la même foi, vous devez entrer dans les mêmes sentimens. Il faut que votre paroisse illustre par tant de raisons, mais surtout pour être sous la protection d'un si grand martyr, se rende encore plus illustre en imitant sa foi, après avoir considéré sa mort si attentivement Quorum intuentes exituni, imitamini fidem. C'est par où je m'en vais conclure.
Or il en est des martyrs comme d'un excellent original, dont chaque peintre cherche de copier quelque trait pour embellir son ouvrage. Nous voyons dans leur vie la vie de notre Sauveur si bien exprimée, qu'il n'y a presque rien qui ne nous y doive servir d'exemple. Mais dans un si grand éclat de vertus, il nous faut choisir celles qui nous sont plus nécessaires dans les occurrences où nous nous trouvons.
Martyr et témoin, c'est la même chose. On appelle martyrs de Jésus-Christ ceux qui souffrant pour la foi, en ont témoigné la vérité par leurs souffrances et l'ont signée de leur sang. Maintenant il n'y a plus de tyrans qui nous persécutent; mais nous sommes instruits par l'Evangile que Dieu qui est notre Père, distribue à ses enfans les biens et les maux selon les conseils de sa » Phil., 1, 23.
Providence Ainsi quand nous sommes affligés, si nous prenons nos afflictions de la main de Dieu avec humilité, ne témoignonsnous pas par cette déférence qu'il y a une Intelligence première et universelle, qui par des raisons occultes, mais équitables, fait notre bonne ou notre mauvaise fortune? Et cela qu'est-ce autre chose, sinon être les témoins et les martyrs de la Providence? Messieurs, nous vivons dans un temps et dans une ville où nous avons sujet de mériter cet honneur. Il y a près de vingt ans qu'elle porte quasi tout le fardeau de la guerre; sa situation trop importante semble ne lui avoir servi que pour l'exposer en proie: Liripuerunt eam omnes transeuntes viam Et comme si ce n'étoit pas assez de tant de misères, Dieu en cette année ayant trompé l'espérance de nos moissons, a mis la stérilité dans la terre. Car il ne faut point douter que tous ces maux ne soient arrivés par son ordre. Il punit par la guerre celle que nous lui faisons tous les jours. La terre nous refuse par son commandement le fruit de nos travaux, parce que nos ames ne lui en rapportent point, bien qu'il les ait si soigneusement cultivées. Ah Messieurs, humilions-nous sous la puissante main de Dieu, de peur qu'après avoir tout perdu, nous ne perdions encore le fruit de l'affliction que nos maux nous apportent, au lieu de la faire proflter à notre salut.
Il ne faut point flatter. Nous voyons assez de personnes qui plaignent les malheurs du temps; le Ciel ne nous a fait encore que les premières menaces; et déjà le pauvre tâche d'amasser de quoi vivre par des tromperies, se défiant de la Providence, pendant que le riche prépare ses greniers pour engloutir la nourriture du pauvre qu'il lui fera acheter bien cher dans son indigence. Les plus sages pensent à pourvoir à la nécessité du pays; leur zèle est (louable, mais nous n'avançons rien par ces soins. S'il est vrai que Dieu soit irrité contre nous, comme il nous le fait paroître par les fléaux qu'il nous envoie, pensons-nous pouvoir arrêter le torrent de sa colère? Si tu montes jusqu'au ciel dit le Seigneur, je t'en arracherai, et ma colère t'ira trouver jusqu'au plus profond des abîmes 5. Il faut aller à la source du mal, puisi Matth., v, 45. – Psal. lxxxviii, 42. s Abd., 4.
qu'aussi bien nos prévoyances toujours incertaines ne peuvent rien contre ses ordres inévitables.
Que si reconnoissant nos péchés, nous confessons qu'ils ont justement attiré son indignation sur nos têtes, qu'attendonsnous à faire pénitence? Que ne prévenons-nous sa fureur par un sacrifice de larmes? Que ne mettons-nous fin au long désordre de notre vie? Que ne rachetons-nous nos iniquités par nos aumônes, ouvrant nos cœurs sur la misère du pauvre? Ah! Seigneur, nous vous avons grandement offensé nous ne sommes pas dignes d'être appelés vos enfans détournez votre colère de dessus nous, de peur que nous ne disparoissions devant votre face comme la poudre qui est emportée par un tourbillon. Nous vous en prions par Jésus-Christ votre Fils, qui s'est offert pour nous en odeur de suavité.
C'est ainsi, Messieurs, qu'il nous faut fléchir sa miséricorde; c'est par là qu'il nous faut obtenir cette paix que nous attendons il y a si longtemps. Il semble à tout coup que Dieu nous la veut donner; et si elle a été retardée, ne l'attribuons à aucune raison humaine, c'est lui qui attend de nous les derniers devoirs. Elle semble prête à descendre vers nous, on diroit qu'il y dispose les choses arrachons-la-lui par la ferveur de nos prières; et surtout si nous voulons qu'il nous fasse miséricorde, ayons compassion de nos pauvres frères, que la misère du temps réduira peut-être à d'étranges extrémités. Ainsi puissions-nous recevoir abondamment les faveurs du Ciel; que Dieu rende le premier lustre à cette ville autrefois si florissante; qu'il rétablisse les campagnes désolées qu'il fasse revivre partout aux environs le repos et la douceur d'une paix bien affermie et pour établir une concorde éternelle entre les citoyens qu'il ramène à l'union de la sainte Eglise ceux qui s'en sont séparés par le prétexte d'une réformation sans effet, afin que les forces du christianisme étant réunies, nous chantions d'une même voix les grandeurs de notre Dieu et les bontés de notre Sauveur Jésus-Christ, par qui nous espérons, etc. Amen.
PANÉGYRIQUE
POUR
LA FÊTE DES ANGES GARDIENS (a).
Amen dico vobis, videbitis cœlum apertum, et angelos Dei ascendantes et descendentes.
Je vous dis en vérité, vous verrez les cieux ouverts, et les anges de Dieu montans et descendans. Paroles du Fils de Dieu à Nathanael; en S. Jean, chap. i, 51.
Il paroît par les saintes Lettres que Satan et ses anges montent et descendent. a Ils montent, dit saint Bernard, par l'orgueil, (a) Prêché dans l'église des Feuillans, le 2 octobre 1639.
Les Feuillans, Bernardins réformés dans l'abbaye des Feuillans, non loin de Toulouse, par le bienheureux Jean de la Barrière. Ils avoient deux maisons à Paris l'une dans la rue Saint-Honoré, près des Tuileries; l'autre dans la rue d'Enfer, qui recevoit les novices. Reconstruite sous l'invocation des samts anges gardiens, l'église de cette dernière maison fut consacrée le 1" octobre 1659, et Bossuet prononça le sermon le jour suivant, consacré à l'honneur des esprits célestes.
Maintenant une ou deux observations. L'ame humaine est faite pour être revêtue d'un corps. Qu'est-ce donc que l'homme? Ce n'est ni l'ame ni le corps pris séparément l'un de l'autre; c'est l'ame et le corps unis substantiellement, personnellement c'est le tatum conjunctum pour employer l'expression de saint Thomas. il n'est donc pas rigoureusement exact de dire, comme on l'a déjà lu précédemment et comme on le lira dans notre sermon, « que ces membres, que cette figure et enfin tout l'extérieur de ce corps mortel nous cache l'homme plutôt qu'il ne nous le découvre. » Le corps ne nous montre pas tout l'homme, cela est vrai, mais il nous en montra plus de la moitié; il nous en découvre une partie tout entière, et nous présente l'image de l'autre partie.
Encore une fois l'ame et le corps sont liés par les nœuds les plus intimes, dans l'unité d'une seule personne. Aussi l'ame reçoit-elle du corps un puissant appui dans presque toutes ses opérations. Il y a bien plus trois de ses facultés, la perception, la mémoire et l'imagination ne peuvent se déployer qu'à l'aide d'un « organe corporel, comme s'exprime encore l'Ange de l'Ecole. Cependant on dit Sous le poids du corps, l'ame est pour ainsi dire attachée à la glèbe; affranchie de ces lourdes entraves, elle franchit l'espace comme d'un seul bond. Voici plutôt ce qui se passe la vue perçoit des idées partielles de Paris et de Rome, par exemple; l'imagination transforme ces idées particulières en images générales; le cerveau garde ces images dans des empreintes pérmanentes; 'ame porte son regard sur ces empreintes voilà tout son essor. Les organes n'enchaînent donc pas l'ame; ils lui donnent des ailes.
Le corps si soigneusement construit, si merveilleusement organisé par le
et ils descendent contre nous par l'envie » Ascendit studio vanitatis, descendit livore malignitatis l Ils ont entrepris de monter, lorsqu'ils ont suivi celui qui a dit Ascendant « Je m'élèverai et je me rendrai égal au Très-Haut. » Mais leur audace étant répoussée, ils sont descendus, chrétiens, pleins de rage et de désespoir, comme dit saint Jean dans l'Apocalypse a 0 terre, ô mer, malheur à vous (a), parce que le diable descend à vous plein d'une grande colère 1 Vœ terrœ et mari, quia descendit diabolus ad vos habens iram magnam 2 Ainsi son élévation présomptueuse (b) est suivie d'une descente cruelle; et quoique Dieu l'ait banni de devant sa face, n'ose-t-il pas encore s'y présenter pour se rendre notre accusateur, selon ce qu'écrit le même Apôtre? N'est-ce pas pour cela qu'il est appelé « l'accusateur des fidèles, qui les accuse nuit et jour en la présence de Dieu? Accusator fratrum nostrorum, qui accusabat illos die ac nocte 3. Et en effet ne lisons-nous pas qu'il s'est trouvé avec les saints anges (c) pour accuser le fidèle Job? Adfuit cum illis etiam Satan 4. Mais étant monté devant Dieu pour le calomnier avec artifice, il est aussi bientôt descendu pour le persécuter avec fureur tellement que toute sa vie, c'est un mouvement éternel par lequel il monte et descend, méditant toujours en lui-même le dessein de notre ruine. Que si cet esprit malfaisant se remue continuellement avec ses complices pour persécuter les fidèles; chrétiens, les saints anges ne sont pas oisifs, et ils se remuent pour les secourir c'est pourquoi vous les voyez monter et descendre Ascendentes et descendentes; et j'espère vous faire voir aisément que tout cela se fait 1 In Psal. Qui habitat, serm. XII, n. 2. – Apoc., xii, 12. Ibid., 10. *M, I, 6.
Créateur, aide aussi l'ame dans les œuvres da salut. Quel bien l'ame fait-elle au prochain, quel honneur rend-elle à Dieu sans son noble coopérateur? Le éorps prépare le pain qui apaise la faim du pauvre, les vêtements qui couvrent la nudité de l'orphelin, les remèdes qui calment les douleurs du malade et les armes qui défendent les droits de l'innocence injustement attaquée; le corps prêche la vérité, transmet la foi dans le cours des âges, élève des temples a la Majesté suprême, subit le martyre de la pénitence, s'offre en holocauste d'agréable odeur et consomme le sacrifice de la Victime adorable. Oh! non, « le poids de ce corps mortel n'apporte pas a la prière beaucoup de retardement, » il ne l'empêche pas de s'élever vers le ciel.
(a) Var. Malheur à la terre, malheur a la merl (b) Trompeuse. (c) Les enfans do Dieu.
pour notre salut, après que nous aurons imploré l'assistance du Saint-Esprit par l'intercession de la sainte Vierge. Ave.
Si vous n'avez pas assez entendu la dignité de notre nature et la grandeur de nos espérances, vous le pourrez connoitre aisément par la sainte solennité que nous célébrons en cette journée. C'est ici qu'il vous faut apprendre, par la sainte société que nous avons avec les saints anges, que notre origine est céleste, que l'homme n'est pas ce que nous voyons; et que ces membres, que cette figure, et enfin tout l'extérieur de ce corps mortel nous le cache plutôt qu'il ne nous le montre. Car puisque nous voyons ces esprits bienheureux destinés à notre conduite venir converser avec les hommes, et se faire leurs compagnons et leurs frères; puisque l'amour chaste qu'ils ont pour les hommes leur fait quitter (a) le ciel pour la terre, et trouver leur paradis parmi nous, ne devons-nous pas reconnoître qu'il y a quelque chose en l'homme qui l'approche de ces esprits immortels, et qui est capable de les inviter à se réjouir de notre alliance ? C'est ce que le grand Augustin nous explique admirablement par cette excellente doctrine sur laquelle j'établirai ce discours (b) c'est qu'encore que les saints anges soient si fort au-dessus de nous par leur dignité naturelle, il ne laisse pas d'être véritable que nous sommes égaux en ce point, que ce qui rend les.anges heureux fait aussi le bonheur des hommes; que nous buvons les uns et les autres à la même fontaine de vie, qui n'est autre que la vérité 1 In Joan., tract. xxin, n. 5.
(a) Var. Puisque touchés d'un pieux désir d'entrer en société avec les hommes, ils quittent. (i) L'Eglise catholique a plus d'étendue que nous ne pensons. C'est peu pour elle d'être répandue sur toute la surface de la terre elle remplit encore les cieux, et elle les peuple de ses citoyens, non-seulement par le moyen des saints hommes qu'elle envoie de ce lieu d'exil en cette céleste patrie, mais encore par les esprits bienheureux, lesquels quoiqu'ils ne soient pas conçus dans son sein ne laissent pas d'être associés à son unité. C'est ce qui fait dire à saint Augustin, dans cet excellent Manuel qui comprend un admirable abrégé de toute la doctrine évangélique; c'est dis-je, Messieurs, ce qui lui fait dire que lorsque nous confessons au sacré Symbole l'universalité de l'Eglise, nous y comprenons les esprits célestes, qui composent avec nous cette sainte et bienheureuse cité en laquelle Dieu a mis son trône. Ce que nous enseigne le grand Augustin de la société de l'homme et de l'ange dans l'unité de l'Eglise, il le prouve par un beau principe, sur lequel j'établirai ce discours.
éternelle; et que nous pouvons tous chanter ensemble par un admirable concert ce verset du divin Psalmiste Mihi autem adhœrere Deo bonum est' « Tout mon bien, c'est d'être uni à mon Dieu par de chastes embrassemens et de mettre en lui mon repos. Sur ce fondement, chrétiens, il est bien aisé d'établir la société de l'homme et de l'ange car c'est une loi immuable que les esprits qui s'unissent à Dieu se trouvent en même temps tous unis ensemble. Ceux qui puisent dans les ruisseaux et qui aiment les créatures, se partagent en des soins contraires et divisent leurs affections. Mais ceux qui vont à la source même, au principe de tous les êtres, c'est-à-dire au souverain bien (a), se trouvant tous en cette unité et se rassemblant à ce centre, ils y prennent un esprit de paix et un saint amour les uns pour les autres tellement que toute leur joie, c'est d'être associés éternellement dans la possession de leur commun bien ce qui fait, dit saint Augustin, qu'ils font tous ensemble un même royaume (b) et une même cité de Dieu Habent et cum illo cui adhœrent et inter se societatem sanctam suntque una civitas Dei D'où il est aisé de conclure que les hommes, non moins que les anges, étant faits pour jouir de Dieu, ils ne composent les uns et les autres qu'un même peuple et un même empire, où l'on adore le même prince, où l'on est régi par la même loi je veux dire par la charité, qui est la loi des esprits célestes et la loi des hommes mortels et qui se répandant du ciel en la terre, fait une même société des habitans de l'un et de l'autre. C'est, mes Frères, de cette alliance que j'espère vous entretenir, et vous en montrer les secrets dans le texte de mon Evangile (c).
1 Psal. lxxii, 28. S. August., De Civit. Dei, lib. XII, cap. IX. (a) Var. Mais ceux qui s'élèvent au principe même, et s'attachent au souverain bien. (b) Et c'est pourquoi, dit saint Augustin, étant associés si étroitement dans l'amour de leur commun bien, ils font tous ensemble un même royaume.- (c) Ils composent les uns et les autres une même Eglise et un même peuple, dont la charité est la loi et dont Jésus-Christ est le prince. Il est vrai que le péché qui divise tout, avoit rompu cet accord et cette alliance. Les anges s nous avoient déclaré la guerre, parce que nous l'avions déclarée à Dieu en nous joignant au parti rebelle de leurs compagnons séditieux. Mais enfin le Sauveur' Jésus a paciQé le ciel et la terre; il a réconcilié les esprits célestes avec les hommes mortels, et vous en voyez une belle preuve dnns le texte de mon Evangile.
Car quel est ce nouveau spectacle que le Sauveur nous y représente ? D'où vient que les cicux sont ouverts? et que veulent dire ces anges qui montent et descendent d'un vol si léger, de la terre au ciel, du ciel en la terre ? Chrétiens, ne voyez-vous pas que ces esprits pacifiques viennent rétablir le commerce que les hommes avoient rompu, en prenant le parti rebelle de leurs séditieux compagnons. La terre n'est plus ennemie du ciel; le ciel n'est plus contraire à la terre (a) le passage de l'un à l'autre est tout couvert (b) d'esprits bienheureux, dont la charité officieuse entretient une parfaite communication entre ce lieu de pèlerinage et notre céleste patrie.
C'est, Messieurs, pour cette raison que vous les voyez monter et descendre Ascendentes et descendentes. Ils descendent de Dieu aux hommes, ils remontent des hommes à Dieu, parce que la sainte alliance qu'ils ont renouvelée avec nous (c) les charge d'une double ambassade. Ils sont les ambassadeurs de Dieu vers les hommes, ils sont les ambassadeurs des hommes vers Dieu. Quelle merveille! nous dit saint Bernard; chrétiens, le pourrez-vous croire? Ils ne sont pas seulement les anges de Dieu, mais encore les anges des hommes Illos utique spiritus tam felices, et tuos ad nos, et nostros ad te angelos facis « Oui, Seigneur, nous dit ce saint homme, ils sont vos anges, etils sontlesnôtres. » Anges, c'està-dire envoyés ils sont donc les anges de Dieu, parce qu'il nous les envoie pour nous assister; et ils sont les anges des hommes, parce que nous les lui renvoyons pour l'apaiser. Ils viennent à nous chargés de ses dons ils retournent chargés de nos vœux ils descendent pour nous conduire; ils remontent pour porter à Dieu nos désirs et nos bonnes œuvres. Tel est l'emploi et le ministère de ces bienheureux gardiens c'est ce qui les fait monter et descendre Ascendentes et descendentes. Vous voyez en ce mouvement la double assistance que nous recevons par leur en» In Psal. Qui habitat, serm. xn, n. 3.
(a) Var. Ne voyez-vous pas que ces esprits pacifiques viennent rétablir le commerce que nous avions rompu par nos crimes et par notre désobéissance? Lorsque le commerce entre deux villes est interdit, on ne va pas ordinairement de l'une à l'autre le chemin n'est pas battu. Les choses vont et viennent continuellement du ciel en la terre, de la terre au ciel; le commerce est donc rétabli. (b) Rempli. (c) La sainte société qu'ils ont renouée avec nous.
tremise et vous voyez les deux points qui partageront ce discours. Dans le texte que j'ai rapporté, la descente est précédée par l'élévation mais permettez-moi chrétiens, que pour suivre l'ordre du raisonnement je laisse un peu l'ordre des paroles et que je parle avant toutes choses de leur descente mystérieuse. «
PREMIER POINT.
Il ne suffit pas, chrétiens, que nous remarquions aujourd'hui que les anges descendent du ciel en la terre si vous n'entendez rien par ce mouvement, sinon qu'ils passent d'un lieu à un autre, vous n'avez pas encore compris le mystère. Il faut élever nos pensées plus haut, et concevoir dans cette descente le caractère particulier de la charité des saints anges, qui la rend différente de celle des hommes. Je m'explique et je dis, Messieurs, qu'encore que la charité soit la même dans les anges et dans les bommes, qu'elle soit dans tous les deux de même nature, qu'elle dépende d'un même principe, toutefois elle agit en eux par deux mou vemens opposés. Elle élève les hommes mortels de la terre au ciel, de la créature au Créateur; au contraire elle pousse les esprits célestes du ciel en la terre, et du Créateur à la créature. La charité nous fait motre lan charité les fait descendre chrétiens, c'est un grand mystère que vous comprendrez aisément, si vous savez faire la distinction de l'état des uns et des autres.
Où sommes-nous, et où sont les anges? Quelle est notre vie, et quelle est la leur ? Misérables bannis, enfans d'Eve, nous sommes ici relégués bien loin au séjour de misère et de corruption (a) pour eux ils se reposent dans la patrie, à la source même du bien, dans le centre même du repos qu'ils possèdent par la claire vue. Nous pleurons et nous soupirons sur les fleuves de Babylone ils .boivent à longs traits les eaux toujours vives de ce fleuve qui réjouit la cité de Dieu.
Etant donc dans des états si divers, que ferons-nous les uns et les autres? Les hommes demeureront-ils liés aux biens périssables dont ils sont environnés; et les anges seront-ils toujours occupés de leur paix et de leur repos, sans penser à secourir (a) Var.: Miséiables captifs, uous gémissons dans ce lieu d'exil.
ceux qui travaillent? Non, mes Frères, il n'en est pas ainsi la charité ne le permet pas. Elle nous fait monter, elle fait descendre les anges elle nous trouve au milieu des biens corruptibles, elle trouve les esprits célestes unis immuablement au bien éternel (a) elle se met entre deux, et tend la main aux uns et aux autres. Elle nous dit au»fond de nos cœurs Vous qui êtes parmi les créatures, gardez-vous bien de vous arrêter aux créatures mais dans cette bassesse où vous êtes, faites qu'elles vous conduisent au Créateur vous qui êtes au bord des ruisseaux, apprenez à remonter à la source. Elle dit aux anges célestes Vous qui jouissez du Créateur, jetez aussi les yeux sur ses créatures vous qui êtes à la source, ne dédaignez pas les ruisseaux. Ainsi vous voyez, chrétiens, qu'une même charité, qui remplit les anges et les hommes, meut différemment les uns et les autres. Ce que voient les hommes mortels doit leur faire chercher ce qu'ils ne voient pas tel doit être le progrès de leur charité. C'est pourquoi l'apôtre saint Jean, le disciple chéri de notre Sauveur, le docteur de la charité, a dit ces beaux mots « Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment pourra-t-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? » Qui non diligit fratrem suum quem videt Deum quem non videt quomodb potest diligere ? Par où il avertitl'ame chrétienne que le mouvement naturel que le saint amour lui doit inspirer, c'est de s'exercer sur ce qu'elle voit pour tendre à ce que les sens ne pénètrent pas. Aussi est-ce pour cela que nous avons dit que son propre c'est de s'élever Ascensiones in corde suo disposuit Comme elle se trouve en bas, mais se dispose toujours à monter plus haut, elle regarde la terre non pas comme un siège pour se reposer, mais comme un marchepied pour s'avancer Scabellum yedum tuorum Le degré pour aller au trône, ce n'est pas le siège, c'est le marchepied. Elevez-vous sur le marchepied, et tàchez d'arriver au trône. Il n'en est pas ainsi des saints anges unis à la source du bien et du beau, comme nous avons déjà dit, ils ne peuvent pas s'élever, parce qu'il n'y a 1 1 Joan., IV, 20. » Psal. lxxxih, 6. – » Psal. cix, 2.
(a) Var. Elle nous trouve au milieu des créatures; elle trouve les esprits célestes unis éternellement au Créateur.
rien au-dessus de ce qu'ils possèdent. Mais la charité officieuse qui nous fait monter pour aller à eux, les rabaisse aussi pour venir jusqu'à nous par une miséricordieuse condescendance et voilà quelle est la descente dont il est parlé dans notre Evangile. Réjouissons-nous, chrétiens, de cette descente bienheureuse qui unit le ciel et la terre, et fait entrer les esprits célestes dans une sainte société avec les hommes. 0 bonheur ô miséricorde 1 Car, mes Frères, qui le pourroit croire, que ces intelligences sublimes ne dédaignent pas de pauvres mortels qu'étant au séjour de la félicité et au centre même du repos, elles veulent bien se mêler parmi nos continuelles agitations, et lier une amitié si étroite avec des créatures si foibles et si peu proportionnées à leur naturelle grandeur ? 0 Dieu, que peuvent-elles trouver en ce monde, que peut produire cette terre ingrate qui soit capable d'y attirer ces glorieux citoyens du paradis? Chrétiens, ne l'ai-je e pas dit? c'est la charité qui les pousse; mais encore n'est-ce pas assez qui ne sait que la charité est la fin générale -de leurs actions Il nous faut descendre au détail des motifs particuliers qui les pressent de quitter le ciel pour la terre.
Pour bien entendre cette vérité, ce seroit peut-être assez de vous dire que telle est la volonté de leur Créateur et que c'est l'unique raison que désirent de si fidèles ministres car ils savent que la créature étant faite par la seule volonté de son Créateur, elle doit vivre toujours souple et toujours soumise à cette volonté souveraine. On pourroit encore ajouter que la subordination des natures créées demande que ce monde sensible et inférieur soit régi par le supérieur et intelligible, et la nature corporelle par la spirituelle. Que si on vouloit pénétrer plus loin, il seroit aisé de vous faire voir que les hommes étant destinés pour réparer les ruines que l'orgueil de Satan a faites dans le ciel, c'est une sage dispensation d'envoyer les anges à notre secours (a) afin qu'ils travaillent eux-mêmes aux recrues de leurs légions, en ramassant cette nouvelle milice qui doit rendre leurs troupes complètes. Tous ces. raisonnemens sont solides et très-bien appuyés sur les Ecritures mais je laisserai à l'Ecole cette belle théologie, pour (a) Var. Pour être coopérateurs de notre salut, afin qu'ils travaillent.
m'attacher à une doctrine qui me semble plus capable de toucher les cœurs.
Je dis donc, et je vous prie de le bien entendre que ce qui attire les anges, ce qui les fait descendre du ciel en la terre, c'est Te désir d'y exercer la miséricorde. Car ils savent, ces esprits célestes, que sous un Dieu si bon et si bienfaisant, dont les miséricordes n'ont point de bornes, dont les infinies misérations éclatent magnifiquement par-dessus tous ses autres ouvrages'; ils savent, dis-je, que sous ce Dieu il n'y a rien de plus grand ni de plus illustre que de secourir les misérables. Que feront-ils, qu'entreprendront-ils ? Ils n'en trouvent point dans le ciel, ils en viennent chercher sur la terre. Là ils ne voient que des bienheureux ils quittent cedieu de bonheur afin de rencontrer des affligés. Apprenez ici, chrétiens, de quel prix sont les œuvres de miséricorde. Il manque, ce semble, quelque chose au ciel, parce qu'on ne peut pas les y pratiquer. Encore qu'on y voie Dieu face à face, encore qu'il y enivre les esprits célestes du torrent de ses vo- luptés, toutefois leur félicité n'est pas accomplie parce qu'il n'y a point de pauvres que l'on assiste, point d'affligés que l'on console, point de foibles que l'on soutienne, enfin point de misérables que l'on soulage. Mais ils ne découvrent autre chose en ce lieu d'exil c'est pourquoi vous les voyez accourir en foule. Ils pressent les cieux de s'ouvrir, et ils descendent impétueusement du ciel en la terre Videbitis cœlos apertos tant ils trouvent de contentement à exercer les œuvres de miséricorde. Ah! mes Frères, le grand exemple pour nous qui sommes au milieu des maux, dans le pays propre de la misère i
Mais disons encore, mes Frères, pour consoler ceux qui s'y appliquent, disons et tâchons de le bien entendre, quels charmes, quel agrément et quelle douceur trouvent ces esprits bienheureux à se mêler parmi nos foiblesses, et à prendre part dans nos peines. Il en faut aujourd'hui expliquer la cause et la voici, si je ne me trompe, autant qu'il est permis à des hommes de pénétrer de si hauts mystères. C'est qu'ils voient face à face et à découvert cette bonté infinie de Dieu1; ils voient ses entrailles de 1 Psal. cxliVj 9. – Marc, X, 18.
miséricorde et cet amour paternel par lequel il embrasse ses créatures ils voient que de tous les titres augustes qu'il se donne lui-même dans ses Ecritures c'est celui de Bon et de Charitable, de Père de miséricorde et de Dieu de toute consolation 1, dont il se glorifie davantage. Ils sont ravis en admiration (a) chrétiens de cette bonté infinie et infiniment gratuite, par laquelle il délivre les hommes pécheurs de la damnation qu'ils ont méritée. Mais en considérant ce qu'il donne aux autres, ils savent bien reconnoître ce qu'ils doivent en particulier à cette bonté. Ils se considèrent eux-mêmes comme des ouvrages de grace, comme des miracles de miséricorde. Car n'est-ce pas la bonté de Dieu qui les a tirés du néant, a qui les a remplis de lumière dès l'instant qu'il les a formés » Simul ut facti sunt lux facti sunt «'fet qui en créant leur nature leur a en même temps accordé sa grace? » Simul in eis et condens naturam et largiens gratiam N'est-ce pas Dieu qui les a créés avec l'amour chaste par lequel ils se sont attachés à lui qui les a faits, et les a faits bons qui étant l'Auteur de leur être, l'est aussi de leur sainteté et conséquemment de leur béatitude ? Ils doivent donc aussi bien que nous, ils doivent tout ce qu'ils sont à la grâce et à la miséricorde divine. Elle se montre différemment en eux et en nous; mais toujours, dit saint Fulgence, c'est la même grace Una est in utroque gratia operata. a Elle nous a relevés, mais elle a empêché leur chute » In illo, ne caderet; in hoc, ut surgeret. « Elle nous a guéris de nos blessures en eux elle a prévenu le coup » In illo, ne vulnerarelur; in isto, ut sanaretur. a Elle a remédié à nos maladies elle n'a pas permis qu'ils fussent malades » Ab hoc infirmitatem repulit, illum infirmari non sivit Reconnoissez donc, ô saints anges, que vous devez tout aussi bien que nous, à la miséricorde divine.
Ils le reconnoissent, mes Frères; et c'est aussi pour cette raison que désirant honorer la miséricorde qui a été exercée sur eux, ils s'empressent de l'exercer sur les autres. Car le meilleur moyen de • II Cor., i, 3. – S. August., De Civit. Dei, lib. XI, cap. II. – lbid., lib. XII, cap. ix. – Ad Trasimund., lib. II, cap. ni.
(a) Var. Etonnés.
la reconnoître, chrétiens, c'est de l'imiter et d'ouvrir nos mains sur nos frères, comme nous voyons les siennes ouvertes sur nous Estote misericordes, sicut Pater vester misericors est » « Soyez, dit-il, miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. » « Revêtez-vous comme des élus de Dieu, saints et bienaimés, d'entrailles de miséricorde » Induite vos, sicut electi Dei, sancti et dilecti, viscera misericordiœ i. Imitez ce que vous recevez, et prenez plaisir de donner en actions de graces de ce qu'on vous donne. Celui-là ne sent pas un bienfait, qui ne sait ce que c'est que de bien faire; et il méprise la miséricorde, puisqu'il n'a pas soin de la pratiquer. C'est pourquoi les anges célestes, de peur d'être ingrats envers le Créateur, aiment à être bienfaisans envers ses créatures. La miséricorde qu'ils font glorifie celle qu'ils reçoivent; ils savent, je vous prie, remarquez ceci, que Dieu exige deux sacrifices l'un pour honorer sa miséricorde, et l'autre pour rcconnoître sa justice l'un détruit, et l'autre conserve; l'un est un sacrifice qui tue, l'autre un sacrifice qui sauve Qui facit misericordiam, offert sacrifteium
D'où vient cette diversité? Elle dépend de la différence de ces deux divins attributs. La justice divine poursuit les pécheurs elle lave ses mains dans leur sang, elle les perd, elle les dissipe Pereant peccatores à fade Dei Au contraire la miséricorde ne veut pas que personne périsse Non vult perire quemquam 5. « Elle pense des pensées de paix, et non pas des pensées de destruction » Ego cogito super vos cogitationes pacis, et non afflictionis 6. Que ces deux attributs sont opposés! Aussi, Messieurs, les honore-t-on par des sacrifices divers. A cette justice qui rompt et qui brise, qui renverse les montagnes et arrache les cèdres du Liban, c'est-à-dire qui extermine les pécheurs superbes, il lui faut des sacrifices sanglans et des victimes égorgées, pour marquer la peine qui est due au crime. Mais pour cette miséricorde toujours bienfaisante, qui guérit ce qui est blessé, qui affermit ce qui est foible et qui vivifie ce qui est mort, elle veut qu'on lui offre en sacrifice, non des victimes détruites, mais des victimes 1 Luc., vi, 36. – » Coloss., ut, 12. – • Eccli., xrsv, 5. – » Psal. lxvij, 3. –» II Petr., m, J. – « Jerem., XXIÏ, 11.
conservées, c'est-à-dire des pauvres soulagés, des infirmes soutenus, des morts ressuscités, c'est-à-dire des pécheurs convertis. Tels sont, mes Frères, les sacrifices qui honorent la miséricorde divine c'est ainsi qu'elle veut être reconnue.
Venez donc, anges célestes, honorer cette bonté souveraine venez tous ensemble chercher sur la terre les victimes qu'elle demande, vous ne les pouvez trouver dans le ciel (a). « On n'y peut exercer de miséricorde, parce qu'il n'y a point de misères » Ibi nulla miseria est, in quâ fiat misericordia l. Peut-on consoler les affligés, où toutes les larmes sont essuyées? Peut-on secourir ceux qui travaillent, où tous les .travaux sont finis ? Peut-on visiter les prisonniers, où tout le monde jouit de la liberté? Peut-on recueillir les étrangers, où nul n'est reçu que les citoyens? Ici toutes les misères abondent; c'est leur pays, c'est leur lieu natal. 0 mes Frères, la riche moisson pour ces esprits bienfaisans, qui cherchent à exercer la miséricorde Il n'y a que des misérables, parce qu'il n'y a que des hommes (6) Tous les hommes sont des prisonniers, chargés des liens de ce corps mortel esprits purs, esprits dégagés, aidez-les à porter ce pesant fardeau, et soutenez l'ame qui doit tendre au ciel contre le poids de la chair qui l'entraîne en terre. Tous les hommes sont des ignorans qui marchent dans les ténèbres esprits qui voyez la lumière pure, dissipez les nuages qui nous environnent. Tous les hommes sont attirés par les biens sensibles vous qui buvez à la source même des voluptés chastes et intellectuelles, rafraîchissez notre sécheresse par quelques gouttes de cette céleste rosée. Tous les hommes ont au fond de leurs ames un malheureux germe d'envie, toujours fécond en S. August., Enar. in Psal. CXLVIII, n. 8.
(a) Var. Comme Jésus-Christ, ils suivent les mouvemens de leur Maître Ascendentes et descendentes. Quelle beauté nous veulent-ils? Celle qu'ils ont; la charité. Car ils aiment la charité, parce que la charité vient de Dieu. Les hommes commencent par l'amour fraternel, pour aller à Dieu les anges par l'amour de Dieu, pour aller aux hommes. Ils voient Dieu dans les ames quand ils y voient la charité ils voient le ruisseau dans la source, ils voient comment il n'en est pas séparé ils voient ce Dieu amour, faisant en nous l'amour Intùs inhabitat Deus. (b) Autant d'hommes que vous voyez, autant d'infirmes et de misérables, dont l'extrême nécessité a besoin de votre secours. Ils y viennent, n'en doutez pas, et c'est pour cela qu'ils descendent Vidi angelos descendentes, Et quelle œuvre de miséricorde ne pratiquent-ils pas parmi nous? 'l
procès, en querelles, en murmures, en médisances, en divisions esprits charitables, esprits pacifiques, calmez la tempête de nos colères, adoucissez l'aigreur de nos haines, soyez des médiateurs invisibles pour réconcilier en Notre-Seigneur nos cœurs ulcérés. Mais, mes Frères, quand aurai-je fait, si j'entreprends de vous raconter tout ce que font ces esprits célestes, qui descendent pour notre secours? Ils s'intéressent à tous nos besoins; ils ressentent toutes nos nécessités à toute heure et à tous momens ils se tiennent prêts pour nous assister gardiens toujours fervens et infatigables; sentinelles qui veillent toujours, qui sont en garde autour de nous nuit et jour, sans se relâcher un instant du soin qu'ils prennent de notre salut. Heureux mille et mille fois d'avoir toujours à nos côtés de si puissans protecteurs 1
Mais quelles actions de graces leur rendrons-nous, et comment reconnoîtrons-nous leurs soins assidus? Combien s'empresse le jeune Tobieà remercier le saint ange qui l'avoitconduit durant son voyage 1! Ceux-ci nous gardent toute notre vie. Ces princes de la Cour céleste, non contens de devenir compagnons des hommes, se rendent leurs ministres et leurs serviteurs, depuis leur naissance jusqu'à leur mort; et ils ne rougissent pas d'être ingrats d'une telle miséricorde. (a) A Dieu ne plaise que nous le soyons chré1 Tob., xii, 2 et seq.
(a) Note marg. Lessaints anges nous assistent extérieurement, en diminuant les efforts du diable, à qui ils font la guerre sans aucune trêve. Raphaël he Asmodée. démon de l'incontinence. Ils nous secourent par une secrète intelligence qu'ils ont entre eux, pour concourir tous ensemble au salut des hommes qui leur sont commis Deux personnes sont ennemies leurs saints anges sont amis et concourent à les réunir ce sont des amis communs et des médiateurs invisibles. Ils nous assistent aussi intérieurement. Si nous avions tout à coup les yeux ouverts, et que nous vissions tous les anges de cette assemblée, quelle joie ce beau spectacle ne nous causeroit-il pas ? Ils attendent ce que nous leur ordonnerons, les requêtes dont nous les chargerons pour Dieu. Ils y portent le bien et le mal. Quand ils retournent, leurs saints compagnons leur demandent de nos nouvelles. Si nous faisons pénitence, c'est pour eux le sujet d'une grande joie Gaudium in cash. Si nous nous endurcissons contre Dieu, ces anges de paix qui vouloient nous procurer le salut ressentent une douleur amère de notre état Angeli pacis amarè flebunt. Notre société envers eux est de converser avec eux Conversatio nostra in cœhs est. Si un homme passe seulement d'une rue à l'autre pour nous venir voir, nous croyons être incivils, si nous ne conversons avec lui. Les anges viennent du ciel en la terre, et nous ne serions pas soigneux de converser avec eux? Deux choses sont nécessaires pour cette conversation il faut les écouter et leur parler. Si nous ne les écoutons, ils nous quitteront Fugiamu*
tiens, étudions-nous- à récompenser leurs services. Ah qu'il est aisé de les contenter Ils descendent pour notre salut du ciel en la terre savez-vous ce qu'ils demandent en reconnoissance? Qu'ils ne soient pas venus inutilement, que nous ne les déshonorions pas en les renvoyant les mains vides. Ils sont venus à nous pleins des dons célestes dont ils ont enrichi nos ames ils demandent pour récompense que nous les chargions de nos prières, et qu'ils puissent présenter à Dieu quelque fruit des graces qu'il nous a distribuées par leur entremise. 0 les amis désintéressés, amis commodes et officieux, qui se croient payés de tous leurs bienfaits, quand on leur donne de nouveaux sujets d'exercer leur miséricorde 1 Ils sont descendus pour l'amour de nous chrétiens, les voilà prêts, ils s'en retournent pour notre service après nous avoir apporté des graces, ils s'offrent encore à porter nos voeux pour nous en attirer de nouvelles. Usez, mes Frères, de leur amitié il faut, s'il se peut, vous y obliger par cette seconde partie.
SECOND POINT.
Encore que vous voyiez remonter au ciel vos fidèles et bienaimés gardiens, n'appréhendez pas qu'ils vous abandonnent. Ils peuvent changer de lieu, mais ils ne changent pas de pensée; et comme ils quittent le ciel sans perdre leur gloire, ils quittent la terre sans perdre leurs soins. Quand ils descendent du ciel, leur félicité les suit partout (a) autrement, nous dit saint Grégoire, a pourroient-ils illuminer les aveugles, si eux-mêmes perdoient leur lumière ? » Fontem lucis, quem egredientes perderent, cœcis nullatenùs propinarent Ainsi lorsqu'ils marchent à notre secours, lorsqu'ils viennent combattre pour nous, leur béatitude les suit partout et c'est peut-être en vue d'un si grand mystère que Débora glorifiant Dieu de la victoire qu'il lui a donnée, dit ces mots au livre des Juges Stellœ manentes in ordine suo ad1 Moral. ta Job, lib. II, cap. m.
hinc, disoient-ils autrefois dans le tabernacle. Quittons, quittons les hommes; il n'y a que dissension, qu'envie, qu'injustice parmi eux retournons au lieu ete notre paix. <a) Var.: Quoiqu'ils descendent du ciel, lieu de félicité ils ne laissent pas de la conserver. •
versùs Sisaram pM~naîJefMtt~ « Les étoiles demeurant en leur ordre ont combattu pour nous contre Sisara; s c'est-à-dire les anges qui brillent au ciel comme des étoiles pleines d'une lumière divine, ont combattu pour nous contre Sisara, contre l'ancien ennemi du peuple de Dieu A~pefSMS Sisaram pM~MacerMn~. Mais en s'avançant pour nous secourir, ils sont demeurés en leur ordre Manentes in ordine suo; et ils n'ont pas quitté la place que leurs mérites leur ont acquise dans la béatitude éternelle. Concluez de là, chrétiens, qu'ils apportent, venant sur la terre, la gloire dont ils jouissent au ciel; et qu'ils portent avec eux, retournant au ciel, les mêmes soins qu'ils ont sur la terre. Ils y vont traiter nos affaires, ils y vont représenter nos nécessités, ils y portent nos prières et nos oraisons.
Pour quelle raison a-t-il plu à Dieu qu'elles lui soient présentées par le ministère des anges? C'est un secret de sa providence que je n'entreprends pas de vous expliquer mais il me suffit de vous assurer qu'il n'est rien de mieux fondé sur les Ecritures. Et afin que vous entendiez combien cette entremise des esprits célestes est utile pour notre salut, je vous dirai seulement ce mot c'est qu'encore que les oraisons soient d'une telle nature qu'elles s'élèvent tout droit au ciel, ainsi qu'un encens agréable que le feu de l'amour divin fait monter en haut, néanmoins le poids de ce corps mortel leur apporte beaucoup de retardement. Trouvez bon ici, chrétiens, que j'appelle le témoignage de vos consciences. Quand vous offrez à Dieu vos prières, quelle peine d'élever à lui vos esprits au milieu de quelles tempêtes formez-vous vos vœux? Combien de vaines imaginations, combien de pensées vagues et désordonnées (a), combien de soins temporels qui se jettent continuellement à la traverse pour en interrompre le cours? Etant donc ainsi empêchées, croyez-vous qu'elles puissent s'élever au ciel, et que cette prière foible et languissante, qui parmi tant d'embarras qui l'arrêtent, à peine a pu sortir de vos cœurs, ait la force de percer les nues et de pénétrer jusqu'au haut des cieux ? Chrétiens, qui pourroit le croire? Sans doute elles retomberoient 1 Judie., v, 20.
(a) far. Frrtote~ mal digërées.
de leur propre poids, si la bonté de Dieu n'y avoit pourvu. Je sais bien que Jésus-Christ, au nom duquel nous les présentons, les fait accepter. Mais il a envoyé son ange, que Tertullien appelle l'Ange cFomMOM c'est pourquoi Raphaël disoit à Tobie a J'ai offert à Dieu tes prières e Obtuli orationena tuam Domino Cet ange vient recueillir nos prières, et a elles montent, dit saint Jean, de la main de l'ange jusqu'à la face de Dieu s Et ascendit ~Mrn~s incensorum de orationibus sanctorum de manu angeli coram Deo Voyez comme elles montent de la main de l'ange admirez combien il leur sert d'être présentées d'une main si pure. Elles montent de la main de l'ange, parce que cet ange se joignant à nous et aidant par son secours nos foibles prières, leur prête ses ailes pour les élever, sa force pour les soutenir, sa ferveur pour les animer. (a)
Que nous sommes heureux, mes Frères, d'avoir des amis si officieux des intercesseurs si fidèles, des interprètes si charitables Mais ils ne se contentent pas de porter nos vœux ils offrent nos aumônes et nos bonnes œuvres ils recueillent jusqu'à nos désirs; ils font valoir devant Dieu jusqu'à nos pensées. Surtout qui pourroit assez exprimer combien abondante est leur joie, quand ils peuvent présenter à Dieu, ou les larmes des pénitens, ou les travaux soufferts pour l'amour de lui en humilité et en patience ? Car pour les larmes des pénitens chrétiens, que puis-je e dire de l'estime qu'ils font d'un si beau présent? Comme ils savent que la conversion des hommes pécheurs fait la fête et la joie des esprits célestes, ils assemblent leurs saints compagnons ils leur racontent les heureux succès de leurs soins et de leurs conseils. Enfin ce rebelle endurci a rendu les armes, cette tête superbe s'est humiliée, ces épaules indomptables ont subi le joug, cet aveugle a ouvert les yeux et déplore les erreurs de sa vie passée il a rompu ces liens trop doux qui tenoient son ame captive, il renonce à tous ces trésors amassés par tant de rapines les pleurs du papille ont percé (b) son coeur, il se résout de faire jus1 De Orat., n. i2. – Tbt., xn, 12. '~poc., vm, 4.
(a) Note marg.: Il tes porte, dit saint Jean, à cet autel d'or qui nous signifie Jésus-Christ, et au nom duquel elles sont reçues ~d a~are axreMm.– (b) Var.: Les cris de l'orphelin ont touche.
tice à la veuve qu'il a opprimée. Là-dessus il s'élève un cri d'allégresse parmi les esprits bienheureux; le ciel retentit de leur joie et de l'admirable cantique par lequel ils glorifient Dieu dans la conver&ion des pécheurs.
K Prends courage, ame pénitente, considère attentivement en quel lieu l'on se réjouit de ta conversion s Heus tu peccator, 6oMO <m!')MO sis, vides MM de tuo reditu gaudeatur 1. Et pour vous qui vivez dans les afflictions ou qui languissez dans les maladies, si vous souffrez vos maux avec patience en bénissant la main qui vous frappe, quoique vous soyez peut-être le rebut du monde, réjouissez-vous en Nôtre-Seigneur de ce que vous avez un ange qui tient compte de vos travaux. Mon cher Frère je te le veux dire pour te consoler, il regarde avec respect tes blessures (a), comme de sacrés caractères qui te rendent semblable à un Dieu souffrant. Je dis quelque chose de plus, il les regarde avec jalousie; et afin de le bien entendre, remarquez, s'il vous plaît, Messieurs, que ce corps qui nous accable de maux, nous donne cet avantage au-dessus des anges, de pouvoir souffrir pour l'amour de Dieu, de pouvoir représenter en notre corps glorieux la vie glorieuse de Jésus, en notre corps mortel et passible la vie soutirante du même Jésus Ut vita Jesu manifestetur in carne nostrà mortali'. Ces esprits immortels peuvent être compagnons de la gloire de Notre-Seigneur; mais ils ne peuvent pas avoir cet honneur, d'être les compagnons de ses souffrances. Ils peuvent bien paroître devant Dieu avec des cœurs tout brûlans d'une charité éternelle mais leur nature impassible ne leur permet pas de signaler la constance d'un amour fidèle par cette généreuse épreuve des afflictions.
Si vous consultez votre sens, vous'me répondrez peut-être aussitôt que ces esprits bienheureux ne doivent pas nous envier ce triste avantage. Mais eux qui jugent des ehoses par d'autres principes, eux qui savent qu'un Dieu immuable est descendu du ciel en la terre et s'est revêtu d'une chair mortelle seulement pour pouvoir souffrir, ah 1 ils connoissent par là le prix des soufTertull., de PœKt<en< n. 8. – H Cor., IY, H.
(a) for. Tes douleurs.
frances; et si la charité le pouvoit permettre, ils verroient en nous avec jalousie ces caractères sacrés, qui nous rendent semblables à un Dieu souffrant. Et voyez combien ils estiment l'honneur qu'il y a de porter la croix. Ils ne peuvent présenter à Dieu leurs propres souffrances, ils empruntent les nôtres pour les lui offrir s'il ne leur est pas permis de souffrir, ils exaltent du moins ceux qui souffrent. Et je lis avec joie dans Origène la belle description qu'il nous fait des enfans de Dieu assemblés autour de son trône, où ils louent les combats de Job où ils admirent le courage de Job, où ils publient la constance et la foi de Job, toujours ferme et inviolable dans les ruines de sa fortune et de sa santé Venientes ante Deum attestati sunt <o<6fan~ /Met, co?M~tKf!~ atque dileclionis plenitudini Et d'où vient qu'ils prennent plaisir à rendre à Job ce beau témoignage C'est qu'ils estiment ce saint homme heureux de signaler sa fidélité par cette épreuve ils voient qu'ils ne peuvent pas avoir cet honneur ils se satisfont en le louant, ils suivent la pompe du triomphe, et prennent part à l'honneur du combat en chantant la vaillance du victorieux.
Je vous dis ces choses, afin, mes Frères, que vous appreniez à goûter les choses célestes. Vous croyez n'être associés qu'avec les hommes vous ne pensez qu'à les satisfaire, comme si les anges ne vous touchoient pas. Chrétiens, désabusez-vous il y a un peuple invisible qui vous est uni par la charité. « Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion, de la ville du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, d'une troupe innombrable d'anges » Accessistis <M! Sion montem, Jerusalem co~es~m multorum millium angelorum /feg'MK~'am Un de leur compagnie bienheureuse est attaché spécialement à votre conduite mais tous prennent part à vos intérêts plus que vos parens les plus tendres, plus que vos amis les plus confidens. Rendez-vous dignes de leur amitié et songez à ménager leur estime. Que si leurs bienfaits ne vous touchent pas, si vous êtes insensibles à leurs bons offices, appréhendez du moins leur indignation, et craignez la juste colère par laquelle ils puniront votre ingratitude.
Anonymi in Job, lib. 1); apud On'~eT). – 2 liebr., Ml, 22.
Sachez donc, et je finis en vous le disant, sachez que ces mêmes habitans du ciel, que vous avez vus y porter nos voeux, sont aussi obligés d'y porter nos crimes c'est la doctrine de l'Ecriture, c'est la tradition des saints Pères. Ce sont eux qui seront un jour produits contre nous comme des témoins irréprochables ce sont eux qui nous seront confrontés pour convaincre notre perfidie. On ouvrira les livres nous dit l'Ecriture on nous montrera les saints anges et on lira dans leur esprit et dans leur mémoire comme dans des registres vivans, un journal exact de nos actions et de notre vie criminelle. C'est saint Augustin qui le dit, « que nos crimes sont écrits, comme dans un livre, dans la connoissance des esprits célestes qui sont destinés à punir les crimes e Reatus ~NngMOMt in chirogropho scriptus, in KC<<M spiritualium potestatum, per quas pcena exigitur peccatofMtH Jugez, jugez, mes Frères, combien nos crimes paroitront horribles, lorsque l'on découvrira d'une même vue, et la honte de notre vie, et la beauté incorruptible de ces esprits purs, qui nous reprochant leurs soins assidus, feront éclater avec tant de force l'énormité de nos crimes, que non-seulement le ciel et la terre s'irriteront contre nous, mais encore que nous ne pourrons plus nous souffrir nous-mêmes c'est ce que j'ai tiré de saint Augustin. Pensez, mes Frères, à vos consciences rappelez en votre mémoire vos dangereux (a) commerces, et écoutez Tertullien qui vous dit « Prenez garde que ces lettres que vous avez écrites ne soient produites un jour contre vous, signées et paraphées de la main des anges » Ne tM<s K~ra? negatrices in tù'eJM~cM adversùs eospro~fa~M)', sï~Mc~o? signis non jam ach'oca~OfMm sed angelorum'. On paraphe les écritures, de peur qu'on ne puisse en supposer d'autres mais au jugement du grand Dieu vivant, telles surprises (6) ne sont pas à craindre. Pourquoi donc ce paraphe de la main des anges sinon pour confondre les hommes ingrats ?
Quoi 1 vous aussi, mon gardien fidèle, quoi! vous prenez aussi t Apoc., xx, 12. – C<M<. JM~'OH., lib. Yt, cap. xtï, n. 62. 3 De Idolol., D. 23.
(a) Var. Penucteux. (b) Tromperies.
parti contre moi Là leur ame éperdue et désespérée sentira l'abandonnement où elle est, en voyant ses meilleurs amis s'élever contre elle. Que si vous doutez, chrétiens, que ces gardiens charitables puissent devenir vos persécuteurs, ouvrez les yeux, et reconnoissez que votre péché a tourné à votre perte tout ce qui vous étoit donné pour votre salut. Un Sauveur devient un juge inflexible son sang, répandu pour votre pardon, crie vengeance contre vos crimes. Les sacremens, ces sources de graces, sont changés pour vous en des sources de malédiction. Le corps de Jésus-Christ, la viande d'immortalité, porte la damnation dans vos entrailles; et si telle est la malignité de votre péché, qu'elle change en venin mortel et en peste les remèdes les plus salutaires, ne vous étonnez pas si je dis que les anges vos gardiens deviendront vos persécuteurs et vos ennemis implacables. Ce n'est pas que je ne confesse qu'ils ont compassion des pécheurs mais cela va à certaines bornes, hors desquelles la miséricorde se tourne en fureur. Ils ne voient jamais une ame tombée qu'ils ne songent à la relever. Je les entends concerter ensemble les moyens de la soulager, au chapitre LI de Jérémie Babylone s'est enivrée, disent-ils cette ame a bu les plaisirs du siècle et la tête lui ayant tourné, elle est tombée d'une grande chute, elle s'est blessée dangereusement Cecidit et contrita est. Aussitôt ils ajoutent « Courons aux remèdes, étanchez le sang, donnez des onguens pour fermer ses plaies » Tollite resinam ad dolorem ejus, St fortè satt~r'. Admirez leur empressement pour nous secourir mais si nous méprisons les remèdes, si nous les rendons inutiles par notre mauvais régime, nous les verrons bientôt changer de langage.
Ecoutez la suite de leurs discours a Nous avons traité Babylone, et tous nos remèdes n'ont pas profité » Curavimus Babylonem, 6< non est sanata Représentez-vous, chrétiens, des médecins assemblés qui consultent sur l'état d'un homme frappé d'une maladie périlleuse. La famille pâle et tremblante attend le résultat de leur conférence cependant ils pèsent entre eux les fâcheux symptômes qu'on a remarqués et les remèdes appliqués inutileJerem., LI, 8. ~t<~ 9.
ment, pour résoudre s'ils tenteront quelque chose encore, ou s'ils abandonneront le malade désespéré. Mais pendant que l'on consulte. de la vie mortelle, peut-être, mes Frères, qu'en ce même temps des médecins invisibles consultent d'une maladie bien plus importante c'est de la maladie mortelle de l'ame. Nous l'avons traitée avec tout notre art, disent-ils, et nous n'avons pas oublié nos secrets les plus efficaces tout a réussi contre nos pensées et telle est sa dépravation, qu'elle s'est empirée parmi nos remèdes DcreMMqMamMS eam, 6< eamus unusquisque in terram s~arn « Laissons-la, abandonnons-la. Ne voyez-vous pas sur ce front le caractère d'un réprouvé ? Son procès lui est fait au ciel » Per~6K~ usque ad cosmos judicium eJM. Ses crimes ont percé les nues, leur cri a pénétré jusque devant Dieu; et la miséricorde divine accusée de le soutenir trop longtemps, se justifie envers la justice en le livrant en ses mains c'est pourquoi les anges laissent cette ame Z)er~t'n<j'MamMs eam. Ils la laissent en proie aux démons, et leur patience épuisée est contrainte enfin de l'abandonner. Non contens de l'abandonner, ils sollicitent la juste vengeance des crimes qu'elle a commis e Aiguisez vos flèches, remplissez votre carquois s Acuite sagittas, implete p/tar~ras « Voici la vengeance du Seigneur, et il vengera aujourd'hui la profanation de son temple n OMOnt'am ultio Domini est, ultio templi ~M!
Ainsi, mes Frères, nos saints anges gardiens ne pouvant plus supporter nos crimes en poursuivent enfin la vengeance. Quand arrivera ce funeste jour? C'est un secret de la Providence; et plût à Dieu, chrétiens, qu'il n'arrivât jamais pour nous! Ne contraignons pas ces esprits célestes de forcer leur naturel bienfaisant, et de devenir des anges exterminateurs, et non plus des protecteurs et des gardiens. N'éteignons pas cette charité si tendre, si vigilante, si officieuse; et si nous les avons affligés par notre long endurcissement, réjouissons-les par nos pénitences. Oui, mes Frères, faisons ainsi, renouvelons-nous dans ce nouveau temple. Les saints anges, auxquels on l'élève, y habiteront volontiers, si nous commençons aujourd'hui à le sanctifier par nos conversions. 'Je'-en).,u, 9. –ttd., H.
Il nous faut quelque victime pour consacrer cette Eglise. Quel sera cet heureux pécheur, qui deviendra la première hostie immolée à Dieu dans ce temple abattu et relevé, devant ces autels? Mais, ô Dieu, seroit-il en cette audience? N'y a-t-il point ici quelque ame attendrie, qui commence à se déplaire en soi-même, à se lasser de ses excès et de ses débauches, et que les soins des saints anges gardiens aient invitée de les reconnoitre? 0 ame, quelle que tu sois, je te cherche, je ne te vois pas; mais tu sens en ta conscience si Dieu a aujourd'hui parlé à ton cœur. Ne rejette point sa voix qui t'appelle, laisse-toi toucher par sa grace hâte-toi de remplir de joie cette troupe invisible qui nous environne, qui s'estimera bienheureuse, si elle peut aujourd'hui rapporter au ciel que la première solennité célébrée dans leur nouveau temple a été mémorable éternellement par la conversion d'un pécheur (a). Mais que dis-je d'un pécheur? Mes Frères, si nous savions qu'il y en eût un, qui de nous ne voudroit pas l'être ? Pressons-nous de mériter un si grand honneur et fasse par ce moyen la bonté divine qu'en cherchant un pécheur qui se convertisse, nous en puissions aujourd'hui rencontrer plusieurs qui s'abaissent par la pénitence, pour être relevés par la grace et couronnés enfin par la gloire. Amen.
(a) Var.: Super uno peccatore pŒKi'/mKom agente. Ils n'en demandent qu'un. Se seront ils ici assemblés pour nous, sans que nous leur donnions quelque juie? Un pécheur, nous n'en voulons qu'un; et telle est notre dureté, nous ne pouvons pas le trouver.
PANÉGYRIQUE
DE
SAINT FRANÇOIS D'ASSISE (a).
Si quis t'idetur inter vos sapiens esse ln Aoc ~~c«~o, stultus ~a< ut sit sapiens.
S'il y a quelqu'un parmi vous qui paroisse sage selon le siècle, qu'il devienne fou afin d'être sage. 1 Cor., m, 18.
Le Sauveur Jésus, chrétiens, a donné un ample sujet de discourir, mais d'une manière bien différente, à quatre sortes de (a) Prêché à Metz, le 4 octobre t8M.
Deux passages du discours révèlent cette date. En 4655, la province de Metz fut désolée par la guerre; des troupes peu discmimées portèrent partout le désordre, le pillage et la terreur, à tel point que les habitans des campagnes cherchèrent en grand nombre un refuge dans les villes. Cependant cette année fut très-fertile en France; elle recompensa largement, surtout en Lorraine, les travaux du laboureur. Voda pourquoi l'orateur, déplorant les calamités de l'époque, dit, dans le premier point « Vous dirai-je ici, chrétiens, combien est effroyable en une pauvre maison une garnison de soldats?.Hélas! nos campagnes désertes et nos bourgs misérablement désolés, nous disent assez que c'est cette seule terreur qui a dissipé deçà. et delà tous les habitans. a Et dans la péroraison « Un peu de courage, mes frères; faites quelques efforts pour l'amour de Dieu. Voyez avec quelle abondance il a élargi ses mains sur nous par la fertilité de cette année élargissons les nôtres sur les misères de nos pauvres frères. »
La division annonce trois points; mais le pansgyrique'n'eu a que deux, parce que le premier et le deuxième sont réunis en un seul.
Bo~suet revient sur la comparaison, déjà touchée dans le précédent panégyrique, de l'homme et de l'ange. Saint Thomas ;ésout ainsi la question. On peut considérer, dit- ]1, la nature et le mérite acquis. Au point de vue de la nature, l'acte sera toujours au-dessus de l'homme, comme l'homme est au-dessus de t'animal, l'animal au dessus du végéta), le végétal au-dessus du minéral. Sous le rapport du mérite, au contraire, tel et tel homme, aidé de la grace, peut s'élever au-dessus de tel et tel ange. Cette simple exposition porte, ce nous semble, sa preuve avec elle-même.
On remarquera cette phrase dans le deuxième point « Les médecins nous apprennent que ce sont certains espiits chauds, et par conséquent actifs et vigoureux, qui se mêlant parmi notre sang, le font sortir ordinairement avec une grande impétuosité sitôt que la veine est ouverte. a Les savans ont toujours quelque mot sonore autant que vide de sens, pour expliquer ce qu'ils ne savent pas. Il y a deux siècles, les médecins disoient Esprit! ut!ato;' ils s'é.crient de nos jours JHf~Ci'<<" Tâchons d'être moins savans. Quand on ouvre
personnes, aux Juifs, aux Gentils, aux hérétiques et aux fidèles. Les Juifs qui étoient préoccupés de cette opinion si mal fondée que le Messie viendrait au monde avec une pompe royale, prévenus de cette fausse croyance, se sont approchés du Sauveur; ils ont vu qu'il étoit réduit dans un entier dépouillement de tout ce qui peut frapper les sens, un homme pauvre, un homme sans faste et sans éclat; ils l'ont méprise a Jésus leur a été un scandale a jMd<M's quidem scandalum, dit le grand Apôtre'. Les Gentils d'autre part, qui se croyoient les auteurs et les maîtres de la bonne philosophie, et qui depuis plusieurs siècles avoient vu briller au milieu d'eux les esprits les plus célèbres du monde, ont voulu examiner Jésus-Christ selon les maximes reçues parmi les savans de la terre; mais aussitôt qu'ils ont ouï parler d'un Dieu fait homme, qui avoit vécu misérablement, qui étoit mort attaché à une croix (a), ils en ont fait un sujet de risée a Jésus a été pour eux une folie B Gentibus autem stultitiam, poursuit saint Paul.
Après eux sont venus d'autres hommes, que l'on appeloit dans l'Eglise manichéens et marcionites, tous feignant d'être chrétiens; qui trop émus des invectives sanglantes des Gentils contre le Fils de Dieu, l'ont voulu mettre à couvert des moqueries de ces idolâtres, mais d'une manière tout à fait contraire aux desseins de la bonté divine sur nous. Ces foiblesses de notre Dieu, pusillitates Dei, comme les appeloit un ancien', leur ont semblé trop honteuses pour les avouer franchement au lieu que les Gentils les exagéroient pour en faire une pièce de raillerie, ceux-ci au contraire tâchoient de les dissimuler, travaillant vainement à dimi1 t Cor., I, 23. TcrtuU., advers. ~eton., lib. I), n. 27.
la veine, pourquoi le sang jaillit-il avec force*! Parce que le cœur le pousse avec une énergie prodigieuse vers la circonférence, pour le ramener au centre. Le cœur, muscle creux comme un ballon de caoutchouc, en s'ouvrant, se remplit de sang; en se fermant, il le refoule dans des vaisseaux larges d'abord, puis rétrécis, puis toujours plus étroits, jusqu'aux extrémités du corps. Ainsi comprimé comme l'eau dans le tuyau de la pompe refoulante, le sang s'échappe avec impétuosité dès qu'il trouve une ouverture. Le célèbre Harvey annonça la. circulation du sang en i62S, mais les médecins officiels, patentés et rentés, combattirent cette précieuse et magniSque découverte avec un incroyable acharnement Bossuet ne pouvoit l'admettre en i655.
la) far. Pendu. & une potence, & un infâme gibet.
nuer quelque chose des opprobres de l'Evangile, si utiles pour notre salut. Ils ont cru, avec les Gentils et les Juifs, qu'il étoit indigne d'un Dieu de prendre une chair comme la nôtre et de se soumettre à tant de souffrances et pour excuser ces bassesses, ils ont soutenu que son corps étoit imaginaire, et par conséquent que sa nativité et ensuite sa passion et sa mort étoient fantastiques et illusoires en un mot, à les en croire, toute sa vie n'étoit qu'une représentation sans réalité. Sans doute les vérités de Jésus ont été un scandale à ces hérétiques, puisqu'ils ont fait un fantôme du sujet de notre espérance ils ont voulu être trop sages, et par ce moyen ont détruit selon leur pouvoir le déshonneur nécessaire de notre foi Necessarium dedecus fidei, dit le grave Tertullien,. Mais les vrais serviteurs .de Jésus-Christ n'ont point eu de ces délicatesses, ni de ces vaines complaisances. Ils se sont bien gardés de croire les choses à demi, ni de rougir de l'ignominie de leur Maître ils n'ont point craint de faire éclater par toute la terre le scandale et la folie de la croix dans toute leur étendue ils ont prédit aux Gentils que cette folie détruirolt leur sagesse. Et quant à ces grandes absurdités que les païens trouvoient dans notre doctrine, nos Pères ont répondu que les vérités évangéliques leur scmbloient d'autant plus croyables, que selon la philosophie humaine elles paroissoient tout à fait impossibles Prorsùs cred!i!bile est, quia inepturn est; certum est, quia impossibile est, disoit autrefois TertuIIien Ainsi notre foi se plaît d'étourdir la sagesse humaine par des propositions hardies, où elle ne peut rien comprendre.
Depuis ce temps-là, mes Frères, la folie est devenue une qualité honorable; et l'apôtre saint Paul a publié de la part de Dieu cet édit que j'ai récité dans mon texte « Si quelqu'un veut être sage, il faut nécessairement qu'il soit fou a Stultus fiat, ut sit sapiens. C'est pourquoi ne vous étonnez pas si ayant entrepris aujourd'hui le panégyrique de saint François, je nefais autre chose que vous montrer sa folie, beaucoup plus estimable que toute la prudence du monde. Mais d'autant que la première et la plus grande folie, c'est-à-dire la plus haute et la plus divine sagesse que l'Evangile i De carne Chr., n. 5. < lbid.
nous prêche, c'est l'incarnation du Sauveur, il ne sera pas hors de propos, pour prendre déjà quelque idée de ce que j'ai à vous dire, que vous fassiez réflexion sur cet auguste mystère, pendant que nous réciterons les paroles que l'ange adressa à Marie, lorsqu'il lui en apporta les nouvelles. Implorons donc l'assistance du Saint-Esprit par l'intercession de la sainte Vierge. Ave. Cette orgueilleuse sagesse du siècle, qui ne pouvant comprendre la justice des voies de Dieu, emploie toutes ses fausses lumières à les contredire, se trouve merveilleusement confondue par la doctrine de l'Evangile et par les très-saints mystères du Sauveur Jésus. Déjà la toute-puissance divine avoit commencé à lui faire sentir sa foiblesse dès l'origine de l'univers, en lui proposant des énigmes indissolubles dans tous les ordres des créatures, et lui présentant le monde comme un sujet éternel de questions inutiles, qui ne seront jamais terminées par aucunes décisions. Et certes il étoit vraisemblable que ces grands et Impénétrables secrets, qui bornent et resserrent si fort les connoissances de l'esprit humain, donneroient en même temps des limites à son orgueil. Toutefois à notre malheur il n'en est pas arrivé de la sorte, et en voici la cause qui me semble la plus apparente c'est que la raison humaine, toujours téméraire et présomptueuse, ayant entrevu quelque petit jour dans les ouvrages de la nature, s'est imaginée découvrir quelque grande et merveilleuse lumière. Au lieu d'adorer son Créateur, elle s'est admirée elle-même. L'orgueil, comme vous savez, chrétiens, a cela de propre, qu'il-prend son accroissement de lui-même, si petits que puissent être ses commencemens, parce qu'il enchérit toujours sur ses premières complaisances par ses flatteuses réflexions.
Ainsi l'homme s'étant trop plu dans ses belles conceptions, s'est persuadé que tout l'ordre du monde devoit aller selon ses maximes. Il s'est enfin lassé de suivre la conduite que Dieu lui avoit prescrite, afin de le ramener à lui comme à son principe. Au contraire il a voulu que la Divinité se réglât selon ses idées il s'est fait des dieux à sa mode, il a adoré ses ouvrages et ses fantaisies et s'étant évanoui, comme dit l'Apôtre, dans l'incertitude de ses
pensées lorsqu'il a cru se voir élevé au comble de la sagesse, il s'est précipité dans une extrême folie Dicentes enim se esse sapientes, stulti facti SMM~ 1.
C'est pourquoi cette sagesse éternelle qui prend plaisir de guérir ou de confondre la sagesse humaine, s'est sentie obligée de former de nouveaux desseins et de commencer un nouvel ordre de choses par Notre-Seigneur Jésus-Christ; et admirez, s'il vous plait, la profondeur de ses jugemens. Dans le premier ouvrage que Dieu nous avoit proposé, qui est cettebelle fabrique dumonde, notre esprit y voyoit d'abord des traits de sagesse infinie. Dans le second ouvrage, qui comprend la doctrine et la vie de notre Maître crucifié, il n'y découvre au premier aspect que folie et extravagance. Dans le premier nous vous disions tout à l'heure que la raison humaine y avoit compris quelque chose et en étant devenue insolente, elle n'a pas voulu reconnoître celui qui lui donnoit ses lumières (a). Dans le second dessein, qui est d'une toute autre excellence, toutes ses connoissances se perdent, elle ne sait du tout où se prendre et par là il faudra nécessairement, ou bien qu'elle se soumette à une raison plus haute, ou bien qu'elle soit confondue, et de façon ou d'autre la victoire demeurera à la sagesse divine.
Et c'est ce que nous apprenons par. ce docte raisonnement de l'Apôtre. Notre Dieu, dit ce grand personnage, avoit introduit l'homme dans ce bel édifice du monde, afin qu'en admirant l'artifice il en adorât l'architecte. Cependant l'homme ne s'est pas servi de la sagesse que Dieu lui donnoit, pour reconnoître son Créateur par les ouvrages de sa sagesse, ainsi que l'Apôtre nous le déclare Quia in Dei sapientiâ non cognovit mundus per sapientiam DeMm Eh bien, qu'en arrivera-t-il, saint Apôtre? Pour cela, continue-t-il, Dieu a posé cette loi éternelle, que dorénavant les croyans ne pussent être sauvés que par la folie de la prédication Placuit Deo per stultitiam pr<KHca<ïo?Ms salvos ~ocerf credentes 3. A quoi te résoudras-tu donc, ô aveugle raison humaine? Te voilà vivement pressée par cette sagesse profonde, qui paroît 1 Rom., 1, 21, 22. t Cor., 2i. – 3 Ibid.
(a) Var. D'où lui venoient ses lumières.
à tes yeux sous une folie apparente. Je te vois ce me semble, réduite à de merveilleuses extrémités, parce que de côté ou d'autre la folie t'est inévitable car dans la croix de Notre-Seigneur et dans toute la conduite de l'Evangile, les pensées de Dieu et les tiennes sont opposée? entre elles avec une telle contrariété, que si les unes sont sages il faut par nécessité que les autres soient extravagantes.
Que ferons-nous ici, chrétiens? Si nous cédons à l'Evangile, toutes les maximes de prudence humaine nous déclarent fous et de la plus haute folie. Si nous osons accuser de folie la sagesse incompréhensible de Dieu, il faudra que nous soyons nousmêmes des furieux et des démons. Ah 1 plutôt démentons toutes nos maximes, désavouons toutes nos conséquences, plions sous le joug de la foi; et dépouillant cette fausse sagesse dont nous sommes vainement enflés, devenons heureusement insensés pour l'amour de notre Sauveur, qui étant la sagesse du Père, n'a pas dédaigné de passer pour fou en ce monde, afin de nous enseigner une prudence céleste en un mot, s'il y a quelqu'un parmi nous qui prétende à la véritable sagesse, qu'il soit fou afin d'être sage Stultus fiat, ut sit sapiens, dit le grand Apôtre.
La voilà, la voilà, chrétiens, cette illustre, cette généreuse, cette sage et triomphante folie du christianisme, qui dompte tout ce qui s'oppose à la science de Dieu, qui rend humble ou qui renverse invinciblement la raison humaine, et toujours en remporte une glorieuse victoire. La voilà cette belle folie, qui doit être le seul ornement du panégyrique de saint François, selon que je vous l'ai promis, et qui fera aujourd'hui son éloge. Pour cela, vous remarquerez, s'il vous plaît, qu'il y a une convenance nécessaire entre les mœurs des chrétiens et la doctrine du christianisme. Cette folie apparente, qui est dans la parole du Fils de Dieu, doit passer par imitation dans la vie de ses serviteurs. Ils sont un Evangile vivant l'Evangile qui est écrit dans nos livres, et celui que le Saint-Esprit daigne écrire dans l'âme des Saints, que l'on peut lire dans leurs actions comme dans de beaux caractères, déplaisent également à la fausse prudence du monde. Figurez-vous donc que François ayant considéré ces grands et
vastes chemins du monde qui mènent à la perdition, s'est résolu de suivre des routes entièrement opposées. Le plus ordinaire conseil que nous donne la sagesse humaine, c'est d'amasser beaucoup de richesses, de faire valoir ses biens, d'en acquérir de nouveaux: c'est à quoi on rêve dans tous les cabinets, c'est de quoi on s'entretient dans toutes les compagnies, c'est le sujet le plus ordinaire de toutes les délibérations. Il y a pourtant d'autres personnes qui se croient plus raffinées, qui vous diront que ces richesses sont des biens étrangers à la nature, qu'il vaut bien mieux jouir de la douceur de la vie et tempérer par les voluptés ses amertumes continuelles; c'est une autre espèce de sages. Mais encore y en a-t-il d'autres qui reprendront peut-être ces sectateurs trop ar-dens des richesses et des délices. Pour nous, diront-ils, nous faisons profession d'honneur, nous ne recherchons rien avec tant de soin. que la réputation et la gloire. Si vous pénétrez dans leurs consciences, vous trouverez qu'ils s'estiment les seuls honnêtes gens dans le monde ils consument leur esprit de veilles et d'inquiétudes pour acquérir du crédit, pour être élevés aux honneurs. Ce sont, à mon avis, les trois choses qui font toutes les affaires du monde, qui nouent toutes les intrigues, qui enflamment toutes les passions, qui causent tous les empressemens. Ah que notre admirable François a bien reconnu l'illusion de tous ces biens imaginaires Il dit que les richesses captivent le cœur, que les honneurs l'emportent, que les plaisirs l'amollissent; que pour lui, il veut établir ses richesses dans la pauvreté, ses délices dans les souffrances, et sa gloire dans la bassesse. 0 ignorance 1 folie Hé Dieu que pense-t-il faire ? 0 le plus insensé des hommes selon la sagesse du siècle, mais le plus sage le plus intelligent, le plus avisé selon la sagesse de Dieu C'est ce que je lâcherai de vous faire voir dans la suite de ce discours. PREMIER POINT.
Quand je me suis proposé de vous entretenir aujourd'hui des trois victoires de saint François sur les richesses du monde, sur .ses plaisirs et sur ses honneurs, je m'étois persuadé que je pourrois les représenter les unes après les autres; mais je vois bien
maintenant que c'est une entreprise impossible et qu'ayant à commencer par la profession généreuse qu'il a faite de la pauvreté, je suis obligé de vous dire que par cette seule résolution il s'est mis infiniment au-dessus des honneurs et des opprobres, des incommodités et des agrémens, et de tout ce que l'on appelle bien et mal dans le monde. Car enfin ce seroit mal connoître la nature de la pauvreté, que de la considérer comme un mal séparé des autres. Je pense pour moi, chrétiens, que lorsqu'on a inventé ce nom, on a voulu exprimer, 'non point un mal particulier, mais un abîme de tous les maux et l'assemblage de toutes les misères qui affligent la vie humaine. Et certes j'oserois quasi assurer que c'est quelque mauvais démon, qui voulant rendre la pauvreté tout à fait insupportable, a trouvé le moyen d'attacher aux richesses tout ce qu'il y a d'honorable et de plaisant dans le monde (a) c'est pourquoi notre langage ordinaire les nomme biens d'un nom général, parce qu'elles sont l'instrument commun pour acquérir tous les autres. De sorte que nous pourrions au contraire appeler la pauvreté un mal général, parce que les richesses ayant tiré de leur côté la joie, l'affluence, l'applaudissement, la faveur, il ne reste à la pauvreté que la tristesse et le désespoir, et l'extrême nécessité; et ce qui est plus insupportable, le mépris et la servitude et c'est ce qui fait dire au Sage que «la pauvreté entroit en une maison tout ainsi qu'un soldat armé )} Pauperies quasi vir <n'M!a<M~ L'étrange comparaison 1 Vous dirai-je ici, chrétiens, combien est effroyable en une pauvre maison une garnison de soldats ? Plût à Dieu que vous fussiez en état de l'apprendre seulement de ma bouche. Mais, hélas 1 nos campagnes désertes et nos bourgs misérablement désolés, nous disent assez que c'est cette seule terreur (b) qui a dissipé deçà et delà tous leurs habitans. Jugez, jugez par là combien la pauvreté est terrible, puisque la guerre, l'horreur du genre humain, le monstre le plus cruel que l'enfer ait jamais vomi pour la ruine des hommes, n'a presque rien de plus effroyable que i Prov., Y~ 11.
(a) Var. Tous les honneurs, tous les plaisirs et toutes les commodités de la ne. (4) Appréhension.
cette désolation, cette indigence, cette pauvreté qu'elle traîne nécessairement avec elle. Mais du moins n'est-ce pas assez que la pauvreté soit accablée de tant de douleurs, sans qu'on la charge encore d'opprobre et d'ignominie? Les fièvres, les maladies, qui sont presque nos plus grands maux, encore ont-elles cela de bon qu'elles ne font de honte à personne. Dans toutes les autres disgraces (a), nous voyons que chacun prend plaisir de conter ses maux et ses infortunes la seule pauvreté a céla de commun avec le vice qu'elle nous fait rougir, de même que si être pauvre c'étoit être extrêmement criminel.
En effet combien y a-t-il de personnes qui'se privent des contentemens, et même des nécessités de la vie, afin de soutenir une pauvreté honorable? Combien d'autres en voyons-nous qui se font effectivement pauvres, tâchant de satisfaire à je ne sais quel point d'honneur par une dépense qui les consume (b) ? Et d'où vient cela, chrétiens, sinon que dans l'estime des hommes, qui dit pauvre dit le rebut du monde? Pour cela le prophète David, après avoir décrit les diverses misères des pauvres, conclut enfin par cette excellente parole qu'il adresse à Dieu Tibi derelictus es<jMMpef « Seigneur, dit-il, on vous abandonne le pauvre; D et voyonsnous rien de plus commun dans le monde? Quand les pauvres s'adressent à nous afin que nous' soulagions leurs nécessités, n'est-il pas vrai que la faveur la plus ordinaire que nous leur faisons, c'est de souhaiter que Dieu les assiste? Dieu soit à votre aide, leur disons-nous; mais de contribuer de notre part quelque chose pour les secourir, c'est la moindre de nos pensées. Nous nous en déchargeons sur la miséricorde divine ne considérant pas que c'est par nos mains et par notre ministère que Dieu a résolu de leur faire cette miséricorde que nous leur souhaitons tant il est vrai que personne ne se met en peine des pauvres. Chacun s'inquiète, chacun s'empresse à servir les grands, et il n'y a que Dieu seul à qui les pauvres ne soient point à charge Tibi derelictus est.
fM<. ix, 35.
(a) Var. Aventures, rencontres. (&) Qui deviennent pauvres, crainte de le paroitre.
Cela étant ainsi, comme l'expérience nous le fait voir, quand un homme accommodé dans le siècle, comme, saint François, prend la résolution de se plaire dans les bassesses de la pauvreté, ne faut-il pas que ce soit une ame extrêmement touchée du mépris (a) de tous ces biens imaginaires qui remportent parmi nous un si grand applaudissement ? Le voyez-vous, chrétiens, François, ce riche marchand d'Assise, que son père a envoyé à Rome pour les affaires de son négoce, le voyez-vous qui s'entretient avec un pauvre au milieu des rues? Hé Dieu qu'a de commun le négoce avec cette sorte de gens? Quel marché veut-il faire avec ce pauvre homme? Ah l'admirable trafic, le riche et précieux échange 1 il veut avoir l'habit de ce pauvre, et pour cela il lui donne le sien et après ravi d'avoir fait un si bel échange d'un habit honnête contre un autre tout déchiré, il paroît tout joyeux habillé en pauvre, pendant que le pauvre a peine à se reconnoître sous son habit bourgeois.
Jésus mon Sauveur, qui dites que l'on vous habille quand on couvre la nudité de vos pauvres, pourrois-je bien ici exprimer combien cette action vous fut agréable ? L'histoire ecclésiastique m'apprend que saint Martin, votre serviteur, ayant donné la moitié de son manteau à un pauvre qui lui demandoit l'aumône, vous lui apparûtes la nuit dans une vision merveilleuse, paré superbement de cette moitié de manteau, vous glorifiant en la présence de vos saints anges que Martin, encore catéchumène, vous avoit donné cet habit. Me permettrez-vous, ô mon Maître, une parole familière, que j'ose ici avancer ensuite de ce que vous dites vous-même ? S'il est vrai que vous estimiez qu'on vous donne lorsqu'on fait largesse à vos pauvres combien vous glorifierezvous du don que vous fait François? Ce n'est pas de son manteau seulement qu'il se dépouille pour l'amour de vous il veut vous revêtir tout entier; il vous fait présent d'un habit complet. Bien plus, ayant appris de votre Evangile que lorsque vous étiez sur la terre, vous vous étiez toujours plu dans la pauvreté, non content de vous avoir habillé, il semble vous demander à son tour ~aM., xxv, 36.
(a) Var. Qu'il ait en son Ame un mépris extrême de tous.
que vous rhabilliez à votre façon il se couvre d'un habit de pauvre, afin d'être semblable à vous.
Et dans ce merveilleux appareil, d'autant plus magnifique qu'il étoit abject, suivons-le, s'il vous plaît, mes chers Frères, nous verrons une action qui sans doute sera surprenante. Il s'en va à l'église de Dieu, à la mémoire des apôtres saint Pierre et saint Paul, cesodenx pauvres illustres qui ont vu les empereurs prosternés devant leurs tombeaux là, sans considérer qu'il pourroit être aisément connu, et vous savez que le commerce donne toujours beaucoup d'habitudes (a) il se mêle parmi les pauvres qu'il sait être les frères et les bien-aimés du Sauveur il fait son apprentissage de cette pauvreté généreuse à laquelle mon Maître l'appelle; il goûte à longs traits la honte et l'ignominie qui lui a été si agréable il se durcit le front contre cette molle et lâche pudeur du siècle, qui ne peut souffrir les opprobres, bien qu'ils aient été consacrés en la personne du Fils de Dieu. Ah 1 qu'il commence bien à faire profession de la folie de la croix et de la pauvreté évangélique
.Mais avant que de passer outre à ses autres actions fidèles il est nécessaire, afin que nous en connoissions mieux le prix, que nous tâchions de nous détromper de cette folle admiration des richesses dans laquelle on nous a élevés il faut que je vous fasse voir par des raisonnemens invincibles les grandeurs de la pauvreté selon les maximes de l'Evangile d'où il vous sera aisé de conclure combien est injuste le mépris des pauvres, que je vous représentois tout à l'heure. Mais afin de le faire avec plus de fruit, laissons, laissons, s'il vous plaît, aux orateurs du monde la pompe et la majesté du style panégyrique. Ils ne se mettent point en peine que l'on les entende, pourvu qu'ils reconnoissent que l'on les admire. Pour nous qui sommes ici dans la chaire du Sauveur Jésus, ornons notre discours de la simplicité de son Evangile, et repaissons nos ames de vérités solides et intelligibles. Je dis donc, ô riches du siècle, que vous avez tort de traiter les pauvres avec un mépris si injurieux afin que vous le sachiez, si nous voulions monter à l'origine des choses, nous trouverions (a) Var. Pour connoissances.
peut-être qu'ils n'auroient pas moins de droit que vous aux biens que vous possédez. La nature, ou plutôt pour parler plus chrétiennement, Dieu, le Père commun des hommes a donné dès le commencement un droit égal à tous ses enfans sur toutes les choses dont ils ont besoin pour la conservation de leur vie. Aucun de nous ne se peut vanter d'être plus avantagé que les autres par la nature mais l'insatiable désir d'amasser n'a pas permis que cette belle fraternité pût durer longtemps dans le monde. Il a fallu venir au partage et à la propriété, qui a produit toutes les querelles et tous les procès de là est né ce mot de mien et de tien, cptte parole si froide, dit l'admirable saint Jean Chrysostome' de là cette grande diversité de conditions, les uns vivant dans l'affluence de toutes choses, les autres languissant dans une extrême indigence. C'est pourquoi plusieurs des saints Pères ayant eu égard et à l'origine des choses et à cette libéralité générale de la nature envers tous les hommes, n'ont pas fait de difficulté d'assurer que c'étoit en quelque sorte frustrer les pauvres de leur propre bien que de leur dénier celui qui nous est superflu. Je ne veux pas dire par là, mes Frères, que vous ne soyez que les dispensateurs des richesses que vous avez; ce n'est pas ce que je prétends. Car ce partage de biens s'étant fait d'un commun consentement de toutes les nations et ayant été autorisé par la loi divine, vous êtes les maîtres et les propriétaires de la portion qui vous est échue mais sachez que si vous en êtes les véritables propriétaires selon la justice des hommes, vous ne devez vous considérer que comme dispensateurs devant la justice de Dieu, qui vous en fera rendre compte. Ne vous persuadez pas qu'il ait abandonné le soin des pauvres encore que vous les voyiez destitués de toutes choses, gardez-vous bien de croire qu'ils aient tout à fait perdu ce droit si naturel qu'ils ont de prendre dans la masse commune tout ce qui leur est nécessaire. Non, non, ô riches du siècle, ce n'est pas pour vous seuls que Dieu fait lever son soleil, ni qu'il arrose la terre, ni qu'il fait profiter dans son sein une si grande diversité de semences les pauvres y ont leur part aussi bien que vous. J'avoue que Dieu ne leur a donné aucun Thm. de S. F/tt?oy.~ n. 1.
fonds en propriété mais il leur a assigné leur subsistance ~ur les biens que vous possédez, tout autant que vous êtes de riches. Ce n'est pas qu'il n'eût bien le moyen de les entretenir d'une autre manière, lui sous le règne duquel les animaux même les plus vils ne manquent d'aucunes des choses convenables à leur subsistance ni sa main n'est point raccourcie, ni ses trésors ne sont point épuisés; mais il a voulu que vous eussiez l'honneur de faire vivre vos semblables. Quelle gloire en vérité, chrétiens, si nous la savions bien comprendre Par conséquent, bien loin de mépriser les pauvres, vous les devriez respecter, les considérant comme des personnes que Dieu vous adresse et vous recommande. Car enfin méprisez-les, traitez-les indignement tant qu'il vous plaira, il faut néanmoins qu'ils vivent à vos dépens, si vous ne voulez encourir l'indignation de celui qui parmi ces noms si augustes d'Eternel et de Dieu des armées, se glorifie encore de se dire le Père des pauvres. Vive Dieu! dit le Seigneur, c'est jurer par moi-même le ciel et la terre, et tout ce qu'ils enferment est à moi vous êtes obligés de me rendre la redevance de tous les biens que vous possédez. Mais certes pour moi, je n'ai que faire ni de vos offrandes ni de vos richesses je suis votre Dieu, et n'ai pas besoin de vos biens. Je ne peux souffrir de nécessité qu'en la personne des pauvres, que j'avoue pour mes enfans; c'est à eux que j'ordonne que vous payiez fidèlement le tribut que vous me devez. Voyez-vous, mes Frères? ces pauvres que vous méprisez tant, Dieu les établit ses trésoriers et ses receveurs généraux il veut que l'on consigne en leurs mains tout l'argent qui doit entrer dans ses coffres. Il ne leur donne ici-bas aucun droit qu'ils puissent exiger par une justice étroite mais il leur permet de lever sur tous ceux qu'il a enrichis un impôt volontaire, non par contrainte, mais par charité. Que si on les refuse, si on les maltraite, il n'entend pas qu'ils portent leur plainte par-devant des juges mortels; lui-même il écoutera leurs cris du plus haut des cieux comme ce qui est dû aux pauvres, ce sont ses propres deniers, il en a réservé la connoissance à son tribunal. C'est moi qui les vengerai, dit-il je ferai miséricorde à qui leur fera miséricorde, je serai impitoyable à qui sera impitoyable pour eux.
'Merveilleuse dignité des pauvres! la grace, la miséricorde, le pardon est entre leurs mains; et il y a des personnes assez insensées pour les mépriser mais encore n'est-ce pas là par où saint François les considère le plus.
Ce petit enfant de Bethléem, c'est ainsi qu'il appelle mon .Maître, ce Jésus « qui étant si riche s'est fait pauvre pour l'amour de nous, afin de nous enrichir par son indigence, » comme dit l'apôtre saint Paul ce Roi pauvre, qui venant au monde n'y trouve point d'habit plus digne de sa grandeur que celui de la pauvreté, c'est là ce qui touche son ame. Ma chère pauvreté, disoit-il, si basse que soit ton extraction selon le jugement des hommes, je ne puis que je ne t'estime, depuis que mon Maître t'a épousée. Et certes il avoit raison, chrétiens. Si un roi épouse une fille de basse extraction, elle devient reine on en murmure quelque temps; mais enfin on la reconnoît elle est ennoblie par le mariage du prince; sa noblesse passe à sa maison, ses parens ordinairement sont appelés aux plus belles charges, et ses enfans sont les héritiers du royaume. Ainsi après que le Fils de Dieu a épousé la. pauvreté, bien qu'on y résiste, bien qu'on en murmure, elle est noble et considérable par cette alliance. Les pauvres, depuis ce temps-là, sont les confidens du Sauveur, et les premiers ministres de ce royaume spirituel qu'il est venu établir sur la terre. Jésus même, dans cet admirable discours qu'il fait à un grand auditoire sur cette mystérieuse montagne, ne daignant parler aux riches sinon pour foudroyer leur orgueil, adresse la parole aux pauvres ses bons amis, et leur dit avec une incroyable consolation de son ame « 0 pauvres, que vous êtes heureux, parce qu'à vous appartient le royaume de Dieu s BeaM pauperes, quia vestrum ~t'~nMmDe!
Heureux donc mille et mille fois le pauvre François, le plus ardent, le plus transporté et, si j'ose parler de la sorte, le plus désespéré amateur de la pauvreté qui ait peut-être été dans l'Eglise t Avec quel excès de zèle ne l'a-t-il point embrassée? Combien belle, combien généreuse, combien digne d'être consacrée à la mémoire éternelle de la postérité, fut cette réponse qu'il fit à son 11 Cor., yuij 9. 'ZtK-.j Yl, 20.
père, lorsqu'il le pressoit en présence de l'évoque d'Assise de renoncer à ses biens? Il accusoit son fils d'être le plus excessif en dépense, qui fût dans tout le pays. Il ne sauroit, disoit-il, refuser un pauvre il ne peut souffrir qu'il y ait dans la ville des familles nécessiteuses. Il vend toutes mes marchandises, et leur en distribue le prix. Et en effet, chrétiens, à voir comme François en usoit, on eût dit qu'il avoit engagé son bien aux pauvres de la province et que l'aumône qu'illeur faisoit étoit moins un bienfait qu'une dette. Et parce que tout son patrimoine ne pouvoit suffire à payer ces dettes infinies d'une charité immense et sans bornes, son père soutenoit qu'il étoit obligé à faire cession de biens d'autant plus, disoit-il, qu'il étoit incorrigible et qu'il n'y avoit aucune apparence qu'il devînt meilleur ménager. Que répondra François à des accusations si pressantes, faites avec toute la véhémence de l'autorité paternelle? 0 Dieu éternel 1 que vous inspirez de belles réponses à vos serviteurs, quand ils se laissent conduire à votre Esprit-Saint 1 Tenez, dit François, animé d'un instinct céleste, tenez, 6 mon père, je vous donne plus que vous ne voulez; et dans le même moment, jetant à ses pieds ses habits Jusqu'ici, poursuit-il, je vous avois appelé mon père; maintenant que je n'attendrai plus aucun bien de vous, j'en dirai plus hardiment et avec une confiance plus pleine a Notre Père qui êtes aux deux. a Quelle éloquence assez forte, quels raisonnemens assez magnifiques pourroient ici égaler la majesté de cette parole? 0 la belle banqueroute que fait aujourd'hui ce marchand 0 homme, non tant incapable d'avoir des richesses que digne de n'en avoir pas, digne d'être écrit dans le livre des pauvres évangéliques et de vivre dorénavant sur le fonds de la Providence Enfin il a rencontré cette pauvreté si ardemment désirée, en laquelle il avoit mis son trésor plus on lui ôte, plus on l'enrichit. Que l'on a bien fait de le dépouiller entièrement de ses biens, puisqu'aussi bien on vouloit lui ravir ce qu'il estimoit de plus beau dans toutes ces possessions, qui étoit le pouvoir de les répandre abondamment sur les pauvres 1 Il a trouvé un père qui ne l'empêchera pas de donner, ni ce qu'il gagnera par le travail de ses mains, ni ce qu'il pourra obtenir de la charité des fidèles..
Heureux, de n'avoir plus rien dans le siècle, son habit même lui venoit d'aumône Heureux, de n'avoir d'autre bien que Dieu, de n'attendre rien que de lui, de ne recevoir rien que pour l'amour de lui 1 Grace à la miséricorde divine, il n'a plus aucune affaire que de servir Dieu toute sa nourriture est de faire sa volonté. Que son état est différent de celui des riches Vous le verrez dans ma seconde partie.
SECOND POINT.
Quand je vous considère, 6 riches du siècle, vous me semblez bien pauvres en comparaison de François. Vous ne sauriez avoir tant de richesses, que vos passions déréglées n'en consument encore davantage. Il vous en faut pour la nécessité, pour la vanité, pour le luxe, pour les plaisirs, pour la pompe, pour la parade, pour mille superfluités. François au contraire ne sauroit avoir ni un habillement si sordide, ni une nourriture si modique, qu'il ne soit parfaitement satisfait, tout prêt même à mourir de faim, si telle est la volonté de son Père. Il s'en va tantôt dans une sombre forêt, tantôt sur le haut d'une montagne, admirant les ouvrages de Dieu, invitant toutes les créatures à le louer et à le bénir, leur prêtant pour cela son intelligence et sa voix, passant les jours et les nuits à prononcer, à méditer, à goûter cette pieuse parole « Notre Père qui êtes aux cieux o et cette autre « Mon Dieu et mon tout, N qu'il avoit sans cesse à la bouche Deus tM6!M et omnia. Il court par toutes les villes, par toutes les bourgades, par tous les hameaux il lève hautement l'étendard de la pauvreté il commence à exercer un nouveau genre de négoce, il établit le plus beau et le plus riche commerce dont on se puisse jamais aviser. 0 vous, disoit-il, vous qui désirez acquérir cette perle unique de l'Evangile, venez, associons-nous, afin de trafiquer dans le ciel vendez tous vos biens, donnez tout aux pauvres; venez avec moi, libres de tous soins séculiers; venez, nous ferons pénitence venez, nous louerons et servirons noire Dieu en simplicité et en pauvreté.
0 sainte compagnie, qui commencez à vous assembler sous la conduite de saint François, puissiez-vous, en vous étendant de
toutes parts, inspirer à tous les hommes du monde un généreux mépris des richesses et porter tous les peuples à l'exercice de la pénitence. Mais que prétendez-vous faire avec ces habits d'une forme si singulière, si pesans ;en été, si peu propres à vous garantirdes rigueurs du froid? Pourquoi n'avez-vous plus d'égard à la nécessité ou à la foiblesse de la chair? Fidèles, le pauvre François, qui leur a donné ce conseil, ne comprend pas ce discours il est prévenu d'autres maximes plus mâles e plus élevées. Il se souvient de ces feuilles de figuier qui couvrirent dans le paradis la nudité de nos premiers parens, sitôt que leur désobéissance la leur eut fait connoitre. Il songe que l'homme a été nu, tant qu'il a été innocent et par conséquent que ce n'est pas la nécessité, mais le péché et la honte qui ont fait les premiers habits. Que si c'est le péché qui a habillé la nature corrompue, il juge qu'il sera bienséant que la pénitence l'habille après qu'elle a été réparée. Mais pourquoi vous exténuez-vous par tant de jeûnes? Pourquoi vous consumez-vous par tant de veilles? Pourquoi vous jetez-vous sur ces neiges? Pourquoi vois-je ce cilice inséparable de votre corps, que l'on pourroit prendre pour une autre peau qui se seroit formée sur la première ? Répondez, François, répondez vos sentimens sont si chrétiens que je croirois diminuer quelque chose de leur générosité, si je ne vous les faisois exposer à vous-même. Qui êtes-vous, dira-t-il, vous qui me faites cette question? Ignorez-vous que le nom de Chrétien signifie un homme souffrant? Ne vous souvenez-vous pas de ces deux braves athlètes, Paul et Barnabé, qui alloient confirmant et consolant les églises? '? Et que leur disoient-ils pour les consoler? « Qu'il falloit par de longs travaux et une grande suite de tribulations parvenir au royaume des deux e Quia per mullas angustias et tribulationes oportet pervenire ad regnum Dei Sachez, poursuivra-t-il, et pardonnez-moi, chrétiens, si je prends plaisir aujourd'hui à vous faire parler si souvent ce merveilleux personnage sachez donc, dira-t-il, que nous autres chrétiens « nous avons un corps et une ame qui doivent être exposés à toute sorte~ d'incommodités a Ipsam animam, ipsumque corpMX expositum OMK:&M~ ad injuAct., xiv, 21.
riam gerimus Et c'est ainsi que pour suivre le commandement de l'Apôtre afin de ne point courir en vain, « je travaille à dompter mon corps, et à réduire en servitude l'appétit de ces voluptés qui par leur délicatesse, rendent molle et efféminée cette mâle vertu de la foi o Dt'sCM~endo? su~ <MîCt<B, quarum molli<!(i et /M~M /tdeï virtus e~~mt'Haf! potest Après tout < quelles plus grandes délices à un chrétien que le dégoût (a) des délices ? a OM<B me~'or voluptas quàm (astidium ipsius ~o!Mp<a<M ~? H Quoi! ne pourrons-nous pas vivre sans plaisir, nous qui devons mourir avec plaisir? D Non possumus vivere sine voluptate, qui mori cum voluptate d66en!M$ ? Ce sont les paroles du grave Tertullien, qu'il prêtera volontiers aux sentimens de François, si dignes de cette première vigueur et fermeté des mœurs chrétiennes. Sévère, mais évangélique doctrine; dures mais indubitables vérités, qui faites frémir tous nos sens et paroissez si folles à notre aveugle sagesse c'est vous qui avez rendu l'inimitable François si heureusement insensé c'est vous qui l'avez enflammé d'un violent désir du martyre, qui lui fait chercher de toutes parts quelque infidèle qui ait soif de son sang. Et certes il est véritable, encore que tous nos sens y répugnent qu'un chrétien qui est blessé de l'amour de notre Sauveur, n'a pas de plus grand plaisir que de répandre son sang pour lui. C'est là peut-être le seul avantage que nous pouvons remporter sur les anges. Ils peuvent bien être les compagnons de la gloire de Notre-Seigneur; mais ils ne peuvent pas être les compagnons de sa mort. Ces bienheureuses intelligences peuvent bien paroître devant la face de Dieu comme des victimes brûlantes d'une charité éternelle mais leur nature impassible ne leur permet pas de faire une généreuse épreuve de leur affection parmi les souffrances, et de recevoir cet honneur, si doux à celui qui aime, d'aimer jusqu'à mourir et même de mourir par amour. Pour nous au contraire, nous jouissons de ce précieux avantage car des deux sortes de vies qu'il a plu à Dieu nous donner, l'une, immortelle et incorruptible, fera Tertull., de Patient., n. 8. – 1 Cor., [X, 26, 27. TertuU., de Cx~u femin., lib. M n. 13. – 4 Tertull., de Spect., H. 29. /M., n. 28. (a) Var. Le rnéprie.
durer notre amour éternellement dans -le ciel; et pour l'autre, qui est périssable, nous la lui pouvons immoler pour signaler cet amour sur la terre. Et c'est, comme je vous disois tout à l'heure, ce qui peut arriver de plus doux à une ame vraiment percée des traits de l'amour divin.
Ne voyez-vous pas, chrétiens, que le Sauveur Jésus durant le cours de sa vie mortelle, n'a point eu de plus délicieuse pensée, que celle qui lui représentoit la mort qu'il devoit endurer pour l'amour de nous? Et d'où lui venoit ce goût, ce plaisir ineffable qu'il ressentoit dans la considération de maux si pénibles et si étranges ? C'est parce qu'il nous aimoit d'une charité immense, dont nous ne saurions jamais nous former qu'une très-folble idée. C'est pourquoi il brûle d'impatience de voir bientôt luire au monde cette pâque si mémorable qu'il devoit sanctifier par sa mort. Il soupire sans cesse après ce baptême de sang et après cette heure dernière, qu'il appeloit aussi son heure par excellence comme étant celle où son amour devoit triompher. Lorsque Jean-Baptiste son saint Précurseur voit reposer le SaintEsprit sur sa tête que le ciel s'entr'ouvre sur lui, que le Père le reconnoît publiquement pour son Fils, ce n'est pas là, chrétiens, ce qu'il appelle son heure. Cette heure, qui est la sienne selon sa façon de parler ordinaire et selon la phrase de l'Ecriture, c'est celle à laquelle, portant nos iniquités sur le bois, il se doit immoler pour nous par un sacrifice de charité.
Que si le Créateur trouve une joie si parfaite à mourir pour sa créature, quel contentement doit éprouver la créature de mourir pour son Créateur? Et c'est ici où l'ame fidèle ressent de merveilleux transports dans la contemplation de notre Maître crucIGé. Ce sang précieux qui ruisselle de toutes parts de ses veines cruellement déchirées, devient pour elle comme un fleuve de flammes, qui l'embrase d'une ardeur invincible de se consumer pour lui. Et pourrions-nous voir notre brave et victorieux Capitaine verser son sang pour notre salut avec une si gr.mde joie, sans que le nôtre s'échauffât en nous-mêmes par ce spectacle d'amour? Les médecins nous apprennent que ce sont certains esprits chauds, LM.) xx;), t5. – ~.Mc., ïli~ 50. – /oaM., xu), i. JUa; 111, 16, 17.
et par conséquent actifs-et vigoureux, qui se mêlant parmi notre sang, le font sortir ordinairement avec une grande impétuosité sitôt que la veine est ouverte. Ah! que le sang de Jésus-Christ, qui est coulé dans nos veines par la vertu de ses sacremens, anime le sang des martyrs d'une sainte et divine chaleur, qui le fàit jaillir d'ici-bas jusque sur le trône de Dieu, lorsqu'une épée infidèle l'épanché pour la confession de la foi 1 Regardez ces bienheureux soldats du Sauveur, avec quelle contenance ils alloient se présenter au supplice. Une sainte et divine joie éclatoit dans leurs yeux et sur leurs visages par je ne sais quelle ardeur plus qu'humaine, qui étonnolt tous les spectateurs. C'est qu'ils considéroient en esprit ces torrens du sang de Jésus, qui se débordoient sur leurs ames par une inondation merveilleuse. Je ne m'étonne donc plus si l'incomparable François désire si ardemment le martyre, lui qui ne perdoit jamais de vue le Sauveur attaché à la croix, et qui attiroit continuellement de ses adorables blessures cette eau céleste de l'amour de Dieu, qui jaillit jusqu'à la vie éternelle. Enivré de ce divin breuvage, il court au martyre comme un insensé ni les fleuves, ni les montagnes, ni les vastes espaces des mers ne peuvent arrêter son ardeur. H passe en Asie, en Afrique, partout où il pense que la haine soit la plus échauffée contre le nom de Jésus. H prêche hautement à ces peuples la gloire de l'Evangile il découvre les impostures de Mahomet, leur faux prophète. Quoi ces reproches si véhémens n'animent pas ces barbares contre le généreux François Au contraire ils admirent son zèle infatigable, sa fermeté invincible, ce prodigieux mépris de toutes les choses du monde ils lui rendent mille sortes d'honneurs. François indigné de se voir ainsi respecté par les ennemis de son Maître, recommence ses invectives contre leur religion monstrueuse mais étrange et merveilleuse insensibilité ils ne lui témoignent pas moins de déférence; et le brave athlète de Jésus-Christ voyant qu'il ne pouvoit mériter qu'ils lui donnassent la mort Sortons d'ici, mon Frère, disoit-il à son compagnon; fuyons, fuyons bien loin de ces barbares trop humains pour nous, puisque nous ne les pouvons obliger ni à adorer notre Maître, ni à nous persécuter, nous qui sommes ses
serviteurs. 0 Dieu ) quand mériterons-nous le triomphe du mar-~ tyre, si nous trouvons des honneurs même parmi les peuples les plus infidèles ? Puisque Dieu ne nous juge pas dignes de la grace du martyre, ni de participer à ses glorieux opprobres, allonsnous-en, mon Frère, allons achever notre vie dans le martyre de la pénitence, ou cherchons quelque endroit de la terre où nous puissions boire à longs traits l'ignominie de la croix. Ce seroit en cet endroit, chrétiens, qu'il seroit beau de vous représenter le dernier trait de folie du sage et admirable François. Que vous seriez ravis de lui voir établir sa gloire sur le mépris des honneurs Quelles louanges ne donneriez-vous pas à la naïve enfance de son innocente simplicité, et à cette humilité si profonde par laquelle il se considéroit comme le plus grand des pécheurs, et à cette confiance fidèle qui lui faisoit fonder tout l'appui de son espérance sur les mérites du Fils de Dieu, et à cette crainte si humble qu'il avoit de faire paroître ces sacrés caractères de la passion du Sauveur, que Jésus crucifié par une miséricorde ineffable avoit imprimés sur sa chair? Mais combien seriez-vous étonnés quand je vous dirois que François, François, cet admirable personnage qui a mené une vie plus angélique qu'humaine, refuse la sainte prêtrise, estimant cette dignité trop pesante pour ses épaules? Hélas quelque imparfaits que nous soyons, nous y courons souvent sans y être appelés, avec une hardiesse, une précipitation qui fait frémir la religion téméraires, qui ne comprenons pas la hauteur des mystères de Dieu et la vertu qu'ils exigent dans ceux qui prétendent en être les dispensateurs Et François au contraire, cet ange terrestre, après tant d'actions héroïques et un si long exercice d'une vertu consommée, bien que tout l'ordre ecclésiastique lui tende les bras comme à un homme qui devoit être un de ses plus beaux luminaires, tremble et frémit au seul nom de Pr~re, et n'ose malgré la vocation la plus légitime regarder que de loin une dignité si redoutable. Mais certes, si je commençois à vous raconter ces merveilles, j'entreprendrois un nouveau discours et sur la fin de ma course, je m'ouvrirois une carrière immense. Puis donc que nous faisons dans l'Eglise les panégyriques des Saints moins pour
célébrer leurs vertus, qui sont déjà couronnées, que pour nous en proposer l'exemple, il vaut mieux que nous retranchions quelque chose des éloges de saint François, afin de nous réserver (a) plus de temps pour tirer quelque utilité de sa vie. Que choisirons-nous, chrétiens, dans les actions de saint François pour y trouver notre instruction? Ce seroit peut-être une entreprise trop téméraire que de rechercher curieusement celle de ses vertus qui seroit la plus éminente il n'appartient qu'à celui qui les donne d'en faire l'estimation., Que chacun prenne donc pour soi ce qu'il sent en sa conscience lui devoir être le plus utile; et moi, pour l'édification de l'Eglise, je vous proposerai ce qui me semble le plus profitable-au salut de tous et je ne sais quel sentiment me dit au fond de mon coeur que ce doit être le mépris des richesses, auxquelles il est tout visible que nous sommes trop attachés. L'Apôtre parlant à Timothée, instruit en sa personne les prédicateurs comment ils doivent exhorter les riches <f Commandez, dit-il, aux riches du siècle, qu'ils se gardent d'être hautains, et de mettre leur espérance dans l'incertitude des richesses Divitibus hujus sœcMK pr<pM'pe non sublime sapere, m~Me sperare in incerto divitiarum t. C'est ce que dit l'apôtre saint Paul, où il touche fort à propos les deux principales maladies des riches la première, ce grand attachement à leurs biens; la seconde, cette grande estime qu'ils font ordinairement de leurs personnes, parce qu'ils voient que leurs richesses les mettent en considération dans le monde.
Or, mes Frères, quand je ne ferois ici que le personnage d'un philosophe, je ne manquerois pas de raisons pour vous faire voir que c'est une grande folie de faire tant d'état de ces biens qui nous peuvent être ravis par une infinité d'accidens, et dont la mort enfin nous dépouillera sans ressource, après que nous aurons pris beaucoup de peine à les sauver des autres embûches que leur dressera la fortune. Que si la philosophie a si bien reconnu la vanité des richesses, nous autres chrétiens combien les devonsnous mépriser nous, dis-je, qui établissons ce mépris, non sur t r~mo<A., V, n.
(a) Var. Laisser.
des raisonnemens humains, mais sur des vérités que le Fils du Père éternel a scellées et confirmées par son sang S'il est donc vrai que l'héritage céleste, que Dieu nous a préparé par son Fils unique, soit l'unique objet de nos espérances, nous ne devons par conséquent estimer les choses que selon qu'eUes nous y conduisent, et nous devons détester au contraire tout ce qui s'oppose à un si grand bonheur. Mais de tous les obstacles que le diable met à notre salut, il n'y en a aucun ni plus grand ni plus redoutable que les richesses. Pourquoi? Je n'en alléguerai aucune raison, je me contenterai d'employer un mot de notre Sauveur plus puissant que toutes les raisons. Il est rapporté par trois évjngélistes, mais particulièrement par saint Marc, avec une merveilleuse énergie.
Mes enfans bien-aimés, dit notre Maître à ses chers disciples, après les avoir longtemps regardés afin de leur faire entendre que ce qu'il avoit à leur enseigner étoit d'une importance extraordinaire « Mes enfans bien-aimés, ô qu'il est'difScile que les riches puissent être sauvés Je vous dis en vérité qu'il est plus aisé de faire passer un câble ou un chameau par l'ouverture d'une aiguille s Ne vous étonnez pas de cette façon de parler, qui nous paroît extraordinaire. C'étoit un proverbe parmi les Hébreux, par lequel ils exprimoient ordinairement les choses qu'ils croyoient impossibles; comme qui diroit parmi nous Plutôt le ciel tomberoit, ou quelque autre semblable expression. Mais ce n'est pas là où il faut s'arrêter voyez, voyez seulement en quel rang le Sauveur a mis le salut des riches. Vous me direz peut-être que c'est une exagération sans doute vous vous flatterez de cette pensée; et moi je soutiens au contraire qu'il faut entendre cette parole à la lettre. J'espère vous le prouver par la suite de l'évangile rendez-vous attentifs; c'est le Sauveur qui parle; il est question d'entendre sa parole, qui est la vie éternelle. Quand un homme parle avec exagération, cela se remarque ordinairement à son action, à sa contenance, et surtout au sentiment que son discours imprime sur l'esprit de ses auditeurs. Par exemple, s'il m'étoit arrivé de dire quelque chose de cette sorte, 1 Jtfarc.j x, 2t.
vous le connoîtriez beaucoup mieux et vous en seriez meilleurs juges que ceux qui ne m'ont pas entendu rien de plus constant que cette vérité. Ur qui sont ceux qui ont écouté le Sauveur? Ce sont les bienheureux apôtres. Quel sentiment ont-ils eu de son discours? Ont-ils cru que cette sentence fût prononcée avec exagération ? Jugez-en vous-mêmes par leur étonnement et par leur réponse. A ces paroles du Sauveur, dit l'Evangéliste, ils demeurent entièrement interdits, admirant sans doute la véhémence extraordinaire avec laquelle leur Maître avoit avancé cette terrible proposition. Faisant ensuite réflexion en eux-mêmes sur l'amour désordonné des richesses, qui règne presque partout, ils se disent les uns aux autres « Et qui pourra donc être sauvé? a j~ quis potest salvus fieri '? Ah! qu'il est bien visible, par cette réponse, qu'ils avoient pris à la lettre cette parole du Fils de Dieu; car il est très-certain qu'une exagération ne les auroit pas si fort émus. Mais Jésus n'en demeure pas là; au contraire les voyant étonnés, bien loin de leur lever ce scrupule comme les riches le souhaiteroient, il appuie encore davantage. Vous dites, ô mes disciples, que si cela est ainsi, le salut est donc impossible aussi est-il impossible aux hommes, mais à Dieu il n'est pas impossible et il en ajoute la raison, parce que, dit-il, tout est possible à Dieu.
Que vous dirai-je ici, chrétiens? Il pourroit sembler d'abord que le Fils de Dieu se seroit beaucoup relâché de sa première rigueur. Mais certes ce seroit mal entendre la force de ses paroles expliquons-les par d'autres endroits. Je remarque dans les Ecritures que cette façon de parler n'y est jamais employée que dans une prodigieuse et invincible difficulté. C'est alors en effet, quand toutes les raisons humaines défaillent, qu'il semble absolument nécessaire d'alléguer pour dernière raison la toute-puis.sance divine. C'est ce que l'ange pratique à l'égard de la sainte Vierge, lorsque lui voulant faire entendre qu'elle pourroit enfanter et demeurer vierge, il lui apporte l'exemple d'une stérile qui a conçu; parce qu'enfin, poursuit-il, devant Dieu rien n'est impossible. Faites comparaison de ces choses. Une vierge peut conMarc., x, 26.
cevoir, une stérile peut enfanter, un riche peut être sauvé; ce sont trois miracles dont les saintes Lettres ne nous rendent point d'autre raison, sinon que Dieu est tout-puissant. Donc il est vrai, ô riche du siècle, que ton salut n'est point un ouvrage médionre; donc il seroit impossible, si Dieu n'étoit pas tout-puissant donc cette difûculté passe de bien loin nos pensées, puisqu'il faut pour la surmonter une puissance infinie.
Et ne me dites pas que cette parole ne vous touche point, parce que peut-être vous n'êtes pas riches. Si vous n'êtes pas riches, vous avez envie de le devenir; et ces malédictions des richesses doivent tomber, non tant sur les riches que sur ceux qui désirent de l'être. C'est de ceux-là que l'Apôtre prononce qu'ils s'engagent dans le piège du diable, et dans beaucoup de mauvais désirs qui précipitent l'homme dans la perdition 1. Le Fils de Dieu, dans le texte que je vous citois tout à l'heure, ne parle pas seulement des riches, mais de ceux qui se fient aux richesses Confidentes in pecuniis. Or le désir et l'espérance étant inséparables, il est impossible de les désirer sans y mettre son espérance. Vous raconterai-je ici tous les maux que ce maudit désir des richesses a apportés au genre humain? Les fraudes, les voleries, les usures, les injustices, les oppressions, les inimitiés, les parjures, les perfidies, c'est le désir des richesses qui les a ordinairement amenés sur la terre. Aussi l'Apôtre a-t-il raison de dire que « le désir des richesses est la racine de tous les maux e Radix omnium malorum est cupiditas'. Pourquoi l'avaricieux mettant sa joie et son espérance dans quelque mauvaise année et dans la disette publique, prépare et agrandit-il ses greniers, afin d'y engloutir toute la substance du pauvre, qu'il lui fera acheter au prix de son sang, lorsqu'il sera réduit aux abois? Pourquoi le marchand trompeur prononce-t-il plus de mensonges, plus de faux sermens qu'il ne débite de marchandises? Pourquoi le la-. boureur impatient maudit-il si souvent son travail et la Providence divine? Pourquoi le soldat impitoyable exercc-t-il une rapine si cruelle? Pourquoi le juge corrompu vend et livre-t-il son ame à Satan? N'est-ce pas le désir des richesses? 1 i Timoth., vtj 9. 10.
Mais surtout que ceux qui les possèdent veillent soigneusement à leur ame elles ont des liens invisibles dont nos cœurs ne se peuvent déprendre. Là où est notre trésor, là est notre cœur or un cœur qui aime autre chose que Dieu ne peut être capable d'aimer Dieu. « 0 si nous aimions Dieu comme il faut, dit l'admirable saint Augustin, nous n'aimerions point du tout l'argent c 0 si Deum dignè amemMS, KMmmos omnind non amaMmM'. 1. Partant, si nous aimons l'argent, il sera impossible que nous aimions Dieu.
Tirez maintenant cette conséquence les hommes qui ont beaucoup de richesses, il est presque impossible qu'ils ne les aiment; quand ils le voudroient nier, cela paroît trop évidemment par la crainte qu'ils ont de les perdre. Qui aime si fort les richesses, il est impossible qu'il aime Dieu qui n'aime pas Dieu, il est impossible qu'il soit sauvé. « 0 Dieu qu'il est difficile que ceux qui ont de grands biens parviennent au royaume du ciel e Quàm difficilè qui pecunias possMe~, possunt pervenire ad regnum Dei 1 Si les richesses sont donc si dangereuses, avisez, mes Frères à ce que vous en devez faire. Dieu ne vous les a pas données pour les enfermer dans des coffres, ni pour les employer à tant de dépenses superflues, pour ne pas dire pernicieuses. Elles vous sont données pour sustenter Jésus-Christ, qui languit en la personne des pauvres elles vous sont données pour racheter vos iniquités et pour amasser des trésors éternels. Jetez, jetez les yeux sur tant de familles nécessiteuses, qui n'osent vous exposer leur misère sur les vierges de Jésus, que l'on voit presque défaillir dans leurs cloîtres faute de moyens pour subsister; sur tant de pauvres religieux, qui sous une mine riante cachent souvent une grande indigence. Un peu de courage, mes Frères, faites quelques efforts pour l'amour de Dieu. Voyez avec quelle abondance il a élargi ses .mains sur nous par la fertilité de cette année élargissons les nôtres sur les misères de nos pauvres frères que personne ne s'en dispense. Ne vous excusez pas sur la modicité de vos facultés Jésus mettra en ligne de compte jusqu'au moindre présent que vous lui ferez avec un cœur plein de charité un verre d'eau h Joan., tract. XL, n. tu.
même offert dans cet esprit, peut vous mériter la vie éternelle. C'est ainsi que les biens, qui sont ordinairement un poison, se convertiront pour vous en remède salutaire. Loin de perdre vos richesses en les distribuant, vous les posséderez d'autant plus sûrement que vous les aurez plus saintement prodiguées. Les pauvres vous les rendront d'une qualité bien plus excellente; car ~Iles changent de nature en leurs mains. Dans les vôtres elles sont périssables elles deviennent incorruptibles, sitôt qu'elles ont passé dans les leurs. Ils sont plus puissans que les rois. Les rois par leurs édits donnent quelque prix aux monnoies les pauvres les rehaussent de prix jusqu'à une valeur infinie, sitôt qu'ils y appliquent leur marque. Faites-vous donc des trésors qui ne périssent jamais thésaurisez pour le siècle futur un trésor inépuisable mettez vos richesses à couvert dans le ciel contre les guerres, contre les rapines, contre toute sorte d'événemens déposez-les entre les mains de Dieu. Faites-vous par vos aumônes de bons amis sur la terre, qui vous recevront après votre mort dans ces éternels tabernacles, où le Père, le Fils et le Saint-Esprit, seul Dieu vivant et immortel, est glorifié dans tous les siècles des siècles. Amen.
EXORDE POUR UN PANÉGYRIQUE
DE
SAINT FRANÇOIS D'ASSISE.
Sa quis videtur inter vos M~:etM esse tm hoc ïcECM~o~ t<mHMt ~a< ut sit sapaens.
S'il y a quelqu'un parmi vous qui paroisse sage selon le siècle, qu'il de- vienne fou afin d'être sage. 1 Cor., m, 18.
Que pensez-vous, mes révérends Pères, que je veuille faire aujourd'hui dans cette chaire sacrée? Vous avez assemblé vos amis et vos illustres protecteurs, pour rendre leurs respects à votre saint patriarche; et moi je ne prétends autre chose que de
le faire passer pour un insensé je ne veux raconter que ses folies; c'est l'éloge que je lui destine, c'est le panégyrique que je lui prépare. David ayant fait le fou en présence du roi Achis ce prince le fit éloigner. Mais l'insensé que je vous présente mérite qu'on le regarde; et David lui-même ayant prononcé « Bienheureux celui qui ne regarde pas les folies trompeuses )) Qui non respexit in vanitates et insanias fa~tts a reconnu tacitement qu'il y avoit une folie sublime et céleste, qui avoit son fond dans la vérité. C'est de cette divine folie que François étoit possédé c'est celle que je dois aujourd'hui vous représenter. Donnez-moi pour cela, ô divin Esprit, non des pensées délicates, ni un raisonnement suivi, mais de saints égaremens et une sage extravagance, etc.
« Le monde avec la sagesse humaine n'ayant pas connu Dieu par les ouvrages de sa sagesse, il a plu à Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiroient en lui » /n Dei sa.pientid non cognovit mundus per sapientiam Deum, placuit Deo per stultitiam p!'a?~!Mf!'oms salvos ~cere credeK~es'. Dieu donc indigné contre la raison humaine, qui ne l'avoit pas voulu connoître par les ouvrages de sa sagesse, ne veut plus désormais qu'il y ait de salut pour elle que par la folie. Ainsi deux desseins et deux ouvrages de Dieu forment toute la suite de son œuvre dans le monde. Ces deux ouvrages semblent diamétralement opposés entre eux; car l'un est un ouvrage de sagesse, l'autre un ouvrage de folie. L'univers est celui de la sagesse. Y a-t-il rien de mieux entendu que cet édifice, rien de mieux pourvu que cette famille, rien de mieux gouverné que cet empire ? Dieu avoit dessein de satisfaire la raison humaine mais elle l'a méprisé, elle a méconnu son auteur. Vive Dieu 1 dit le Seigneur, je ne songerai jamais à la satisfaire; mais « je m'appliquerai à la perdre et à la confondre N Perdam sapientiam sapientium Et de là ce second ouvrage, qui est la réparation par la folie de la croix c'est pourquoi il ne garde plus aucune mesure et en voici la raison. Dans le premier ouvrage, Dieu se contentoit de se montrer et pour cela la proportion y étoit nécessaire, comme devant 1 Reg., xxt, it. – Pta<. iiM, 5.- a Cor., i, 2i. /tM., i9.
être une image de sa sagesse et de sa beauté immortelle c'est pourquoi a tout y est avec mesure, avec nombre, avec poids a Omnia in numero, pondere et meKSMfd Il a étendu son cordeau, dit l'Ecriture il a pris au juste ses alignemens pour composer, pour ordonner, pour placer tous les élémens. Ici, non content de se montrer, il veut s'unir à sa créature, c'est-à-dire l'infini avec le fini. Il n'y a plus de proportion ni de mesure à garder il ne s'avance plus que par des démarches insensées; il saute les montagnes et les collines, du ciel à la crèche, de la crèche par divers bonds sur la croix, de la croix au tombeau et au fond des enfers, et de là au plus haut des cieux. Tout est sans ordre, tout est sans mesure.
Par les mêmes démarches que l'infini s'est joint au fini, par les mêmes le fini doit s'élever à l'infini il doit se libérer et s'affranchir de toutes les règles de prudence qui le resserrent en luimême, afin de se perdre dans l'infini; et cette perte dans l'infini, parce qu'elle met au-dessus de toutes les règles, paroît un égarement. Telle est la folie de François.
La perte de la raison fait perdre trois choses. Premièrement, les insensés perdent les biens ils n'en connoissent plus la valeur; ils les répandent, il les prodiguent. Secondement, ils perdent la honte louanges ou opprobres, tout leur est égal ils s'exposent sans en être émus à la dérision publique. Troisièmement, ils se perdent eux-mêmes ils ne connoissent pas l'inégalité des saisons; ni les excès du froid et du chaud; ils ne craignent pas les périls et s'y jettent à l'abandon avec joie. François a perdu la raison, non point par foiblesse, mais il l'a perdue heureusement dans les ténèbres de la foi ensuite il a perdu les biens, la honte et soimême. Non-seulement il néglige les biens, mais il a une avidité de les perdre non-seulement il méprise les opprobres, mais il ambitionne d'en être couvert; non-seulement il s'expose aux périls, mais il les recherche et les poursuit. 0 le plus insensé des hommes selon les maximes du monde mais le plus sage, le plus prudent, le plus avisé selon les maximes du ciel!
L'ame qui possède Dieu ne veut que lui. « J'entrerai dans les Sap!cn< xi, 21. t Job, xxxviit, 5.
puissances du Seigneur Seigneur, je ne me souviendrai que de votre justice » Introibo in potentias /)omtK! Domine, memo)'<!&orjMS<<ta? ~M<p solius Quand on veut entrer dans les grandeurs et dans les puissances du monde, on tombe nécessairement dans la multiplicité des désirs mais quand on pénètre dans les puissances du Seigneur, aussitôt on oublie tout le reste, on ne s'occupe que des moyens de croître dans la j ustice, pour s'assurer la possession d'un si grand bien: Domine, memorabor JKS~fM? ~M<p~o~'M~. C'est ce que l'Evangile confirme, en nous exhortant à chercher d'abord le royaume de Dieu et sa justice ()M<Bf~e prim&nt regnum Dei et justitiam ejus Le règne, c'est potentias Domini; c'est pourquoi on travaille à acquérir la justice pour y parvenir M6mora60)'j'MSf:'<tp <M<p solius.
Ce n'est pas ici le temps des honneurs il faut porter la confusion d'avoir méprisé notre Roi. Nous avons dégradé Dieu et sa royauté Jésus-Christ n'est plus notre Roi; nous avons transgressé ses lois, violé son autorité, foulé aux pieds sa majesté sainte c'est pourquoi il n'a plus de couronne qu'une couronne d'épines; et sa royauté devient le jouet des soldats, etc.
PANÉGYRIQUE
SAINTE THÉRÈSE (a).
A<M<r<t autem comt)efSff<«) in cœ!tf est.
Notre société est dans les cieux. P/iH~ m, 20.
Dieu a tant d'amour pour les hommes et sa nature est si libérale, qu'on peut dire qu'il semble qu'il se fasse quelque violence Psal. Lxx~ t6. jKa~A., vi, 33.
(n) Prêché le t5 octobre 1657, dans la cathédrale de Metz, en présence de la r~ine mère, du frère du roi, de ses uunistre- etc.
En 1657, la Cour JIa passer l'automne à Metz, se rapprochant de l'Allemagne
quand il retient pour un temps ses bienfaits, et qu'il les empêche de couler sur nous avec une entière profusion. C'est ce que vous pouvez aisément comprendre, par le texte que j'ai rapporté de l'incomparable Docteur des Gentils. Car encore qu'il ait plu au Père céleste de ne recevoir ses fidèles en son éternel sanctuaire qu'après qu'ils auront fini cette vie, néanmoins il semble qu'il se repente de les avoir remis à un si long terme, puisque le grand Paul nom enseigne qu'il leur ouvre son paradis par avance et comme s'il ne pouvoit arrêter le cours de sa munificence infinie, il laisse quelquefois tomber sur leurs ames tant de lumières et tant de douceurs, et il les élève de telle sorte par la grace de son Saint-Esprit, qu'étant encore dans ce corps mortel, ils peuvent dire avec l'Apôtre que « leur demeure est au ciel et leur société avec les anges » Nostra autem conversatio in cce~'s est. C'est ce que j'e&père vous faire paroitre en la vie de sainte Thérèse et c'est, Madame, à ce grand spectacle que l'Eglise invite Votre Majesté. Elle verra une créature qui a vécu sur la terre comme si elle eût été dans le ciel et qui étant composée de matière, ne s'est guère moins appliquée à Dieu (a) que ces pures intelligences qui brûlent toujours devant lui par le feu d'une chadans le but d'exercer sur l'élection de l'empereur une influence favorable à la France.
Anne d'Autriche n'avoit pas encore entendu la parole évangélique de Bossuet; mais elle avoit souvent entendu son éloge dans la bouche de Nicolas Cornet, de l'évéqne Cospéan, de Vincent de Paul elle le pria de prêcher le panégyrique de sainte Thérèse le 15 octobre. Louis XIV, qui visitoit les places fortes de la province; le cardinal Mazarin, qui souffroit d'un accès de goutte, ne purent entendre le prédicateur; les autres personnages de la Cour admirèrent sa science et ses talens, son zèle et sa charité évangélique. C'est ce que nous apprend Jean Loret dans la Muse historique, 27 octobre 1657.
Outre lad~e Majesté, Qui l'oyant attentivement, Ayant Monsieur à son cote, Firent de lui ce jugement, Multitude de personnages, Qu'un jour son éloquence exquise Savans, quahties et sages, Feroit un graud brmt dans l'Eglise. Dans le panégyrique précédent, Bossuet défendoit pour ainsi dire les droits des pauvres et donnoit aux riches de sévères leçons; dans le panégyrique qu'on va lire, il appelle avec une touchante sollicitude la commisération, la bienfaisance, la justice des grands sur les petits. Voilà comment il flattoit les heureux du siècle, et comment il délaissoit les membres souffrans de Jésus-Christ. On trouvera après le panégyrique une allocution qui devoit être adressée au roi, s'il avoit pu assister a la cérémonie religieuse.
(a) Var. Ne s'est pas moins élevée à Dieu.
rité éternelle (a), et chantent perpétuellement ses louanges. Mais avant que de traiter de si grands secrets, allons tous ensemble puiser des lumières dans la source de la vérité; prions la sainte Vierge de nous y conduire et pour apprendre à louer un ange terrestre, joignons-nous avec un ange du ciel. Ave. Vous avez écouté, mes Frères, ce que nous a dit le divin Apôtre, qu'encore que nous vivions (b) sur la terre dans la compagnie des hommes mortels, néanmoins il ne laisse pas d'être véritable que « notre demeure est au ciel, a et notre société (c) avec les anges Nostra autem coKt~rsa~ïo in coe~M est. C'est une vérité importante, pleine de consolation pour tous les fidèles; et comme je me propose aujourd'hui de vous en montrer la pratique dans la vie admirable de sainte Thérèse, je tâcherai avant toutes choses de rechercher jusqu'au principe cette excellente doctrine (d). Et pour cela je vous prie d'entendre qu'encore que l'Eglise qui règne au ciel et celle qui gémit sur la terre semblent être entièrement séparées, il y a néanmoins un lien sacré par lequel elles sont unies. Ce lien, Messieurs, c'est la charité (e), qui se trouve dans ce lieu d'exil aussi bien que dans la céleste patrie; qui réjouit les saints qui triomphent, et anime ceux qui combattent (/') qui se répandant du ciel en la terre et des anges sur les mortels, fait que la terre devient un ciel et que les hommes deviennent des anges. Car, ô sainte Jérusalem, heureuse (~) Eglise des premiers nés dont les noms sont écrits au ciel, quoique l'Eglise votre chère sœur qui vit et qui combat sur la terre n'ose pas se comparer à (a) Var.: Qui brillent toujours devant lui par la lumière d'une charité éternelte.– (h) Puisque la divme Thérèse a mené une vie céleste, puisque son ame purifiée par les chastes feux de la charité, sembloit être presque dégagée de tout ce qu'il y a de terrestre en l'homme, je ne puis mieux vous représenter quelle étoit cette sainte vierge, que par ces beaux mots de l'Apôtre, par lesquels il ne craint point de nous assurer qu'encore que nous vivions. (c) Conversation.- ((~) Mais comme la vie de sainte Thérèse a été la véritable pratique de cette excellente doctrine que saint Paul nous a enseignée, [1 faut aujourd'hui pénétrer le fond de cette vérité toute évangélique, et chercher par les Ecritures pour quelle cause le grand Apôtre établit les chrétiens dans le ciel, même pendant leur pèlerinage, etc. (e) Il a plu à la Providence qu'il y eût néanmoins un hen sacré par lequel elles fussent unies. Et quel est ce lien, Messieurs, sinon l'esprit de charité qui. (f) Qui enflamme les saints qui triomphent et échauffe ceux qui cciubatLect.–(~ Chaste.
vous, elle ne laisse pas d'assurer 'qu'un saint amour vous unit ensemble. Il est vrai qu'elle cherche, et~que vous possédez qu'elle travaille, et que vous vous reposez qu'elle espère, et que vous jouissez. Mais parmi tant de différences par lesquelles vous êtes si fort éloignées, il y a du moins ceci de commun, que ce qu'aiment les esprits bienheureux, c'est ce qu'aiment aussi les hommes mortels. Jésus est leur vie, Jésus est la nôtre et parmi leurs chants d'allégresse et nos tristes gémissemens, on entend résonner partout ces paroles du sacré Psalmiste Mihi autem a~/t~fere Deo 60MM?H est « Mon bien est de m'unir à Dieu. s C'est ce que disent les saints dans le ciel, c'est ce que les fidèles répondent en terre si bien que s'unissant saintement avec ces esprits immortels par cet admirable cantique que l'amour de Dieu leur inspire, ils se mêlent dès cette vie à la troupe des bienheureux, et ils peuvent dire avec l'Apôtre « Notre conversation est dans les deux » Nostra conversatio in cceKs est (a). Telle est la force de la charité, qu'elle fait que le saint Apôtre ne craint pas de nous établir dans le paradis même durant ce pèlerinage, et ose bien placer des mortels dans le séjour d'immortalité. Car il faut ici remarquer une merveilleuse doctrine qui fera le sujet de tout ce discours; c'est, mes frères, que cet Esprit-Saint, qui est l'auteur de la charité, qui la fait descendre du ciel en la terre, a voulu aussi lui donner des ailes pour retourner au lieu de son origine. En effet il est véritable, le mouvement de la charité, c'est de tendre toujours aux choses célestes ni le poids de ce corps mortel, ni les liens de la chair et du sang ne sont pas capables de la (a) Var. Il y a du moins ceci de;commun, que ce que vous aimez dans le ciel elle l'aime aussi sur la terre. Jésus est votre vie, Jésus est la nôtre; et ce divin fleuve de charité dont vos ames sont inondées, a été aussi répandu sur nous par le Saint-Esprit qui nous est donnée D'où tl est aisé de comprendre la société qui nous lie avec les esprits bienheureux. Je n'ignore pas, chrétiens, que ces ames pleines de Dieu et rassasiées de son abondance, chantent des cantiques de joie pendant que nous gémissons, qu'elles se réjouissent de leur liberté tandis que nous déplorons notre servitude. Mais quoique les états soient divers, nous ne respirons tous que le même amour; et parmi vos chants d'allégresse et nos tristes gémissemens, on entend résonner partout ces paroles du sacré Psalmiste J)Mt autem ad~r?rs Deo bonum est. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul nous voyant unis avec eux par ces chastes mouvemens de l'amour de Dieu, il ne peut se résoudre à dire que nous soyons encore en ce monde e Notre demeure, dit-il, est aux cieux. o
retenir; elle a trop de moyens de s'en détacher et de s'élever audessus. Elle a premièrement l'espérance, elle a secondement des désirs ardens, elle a troisièmement l'amour des souffrances (a). « Mais qui pourra entendre ces choses? N QM!S sapiens, et intelliget Aœc ? Qui pourra comprendre ces trois mouvemens par lesquels une ame enflammée et touchée de l'amour de Dieu se déprend de ce corps de mort? Elle se voit au milieu des biens périssables, mais elle passe bientôt au-dessus par la force de son espérance « espérance si ferme et si vigoureuse, qu'elle s'avance, dit saint Paul au dedans du voile » SjMMt incedentem usque ad interiora M~?ntK!S; c'est-à-dire qu'elle perce les cieux pour pénétrer jusqu'au sanctuaire, où « Jésus notre avant-coureur est entré pour nous e Pf~cM~Ofpro nobis introivit Jesus Voyez mes Frères, le vol de cette ame que l'amour de Dieu a blessée elle est déjà au ciel par son espérance; mais hélas elle n'y est pas encore en effet, les liens de ce corps l'arrêtent. C'est alors que la charité lui inspire des désirs pressans par lesquels elle s'efforce de rompre ses chaînes, en disant avec saint Paul Cupio dissolvi, et esse cum CAn'~o « Ah! que ne suis-je bientôt délivrée, afin d'être avec Jésus-Christ » Ce n'est pas assez des désirs; et la charité qui les pousse étant irritée contre cette chair (b) qui la tient si longtemps captive, semble la vouloir détruire elleOse., x!V, 10. fTetr., V;, 19. 20. – Mt/ [, 23. (a) Var. Et ne vous persuadez pas que le poids de ce corps mortel empêche cette union bienheureuse car, mes Frères, ce divin Esprit qui est l'auteur de la charité, qui l'inspire aux hommes mortels aussi bien qu'aux esprits célestes, lui a aussi voulu donner trois secours pour secouer le poids de la chair sous laquelle elle seroit accablée. La charité, don du ciel a la terre. Hspérance et désirs, dons de la terre au ciel. Promesse, échelle par laquelle elle monte. Parole descendue du ciel y attire notre espérance, comme une chaîne divine. (&) Et premièrement, chrétiens, les promesses de Dieu l'animent de telle sorte, que jouissant déjà par avance du bonheur qui lui est promis, malgré les misères de cet exil elle peut dire avec l'Apôtre « que son espérance la rend heureuse, » spe gaudentes; et c'est sa première action, l'espérance qui la réjouit par une possession anticipée. Et de là naissent les dë~rs ardens, parce que parmi les douceurs divines que son espérance lui donne, elle trouve des liens qui l'attachent, elle sent une chair qui lui pèse et qui l'empêche d'aller a Uieu. Que fera-t-elle? Qu'entreprendra-t-elle? C'est là que l'ame fait un second effort, et que tâchant de rompre ses chaînes par la violence de ses désirs, elle a'écrie encore avec saint Paul Cupio dissolvi et esse cum Christo. « Que je voudrois être déliée pour être bientôt avec Jésus-Christ. Elle ne se contente pas des désirs, elle s irrite contre cette chair qui.
même par un généreux amour des souffrances. C'est par ces trois divins mouvemens que Thérèse s'élève au-dessus du monde. Ils sont grands, ils sont relevés et peut-être auriez-vous peine de les retenir, ou d'en bien comprendre la connexion, si je ne les répétois encore une fois en les appliquant à notre Sainte. Enflammée de l'amour de Dieu, elle le cherche par son espérance c'est le premier pas qu'elle fait que si l'espérance est trop lente, elle y court, elle s'y élance par des désirs ardens et impétueux; tel est son second mouvement. et enfin son dernier effort, c'est que les désirs ne suffisant pas pour briser les liens de sa chair mortelle, elle lui livre une sainte guerre; elle tâche, ce semble, de s'en décharger par de longues mortifications et par de continuelles souffrances, afin qu'étant libre et dégagée et ne tenant presque plus au corps, elle puisse dire avec vérité ces paroles du saint Apôtre Nostra autem conversatio in CŒ~s est « Notre conversation est dans les cieux. Ce sont, Messieurs, ces trois actions de la charité de Thérèse qui partageront ce discours. Je commence à vous faire voir quelle est la force de son espérance. Vous comprenez bien, je m'assure, que dans une matière si haute j'ai besoin d'une attention fort exacte mais il ne faut rien méditer de bas quand on parle de sainte Thérèse, et qu'on a l'honneur, Madame, d'entretenir Votre Majesté.
PREMIER POINT.
L'espérance que je vous prêche, celle que le Fils de Dieu nous enseigne, et qui élève si fort l'âme de Thérèse (a), n'est pas semblable à ces espérances par lesquelles le monde trompeur surprend l'imprudence des hommes, ou abuse leur crédulité. L'espérance dont le monde parle n'est autre chose, à le bien entendre, qu'une illusion agréable et ce philosophe l'avoit bien compris, lorsque ses amis le priant de leur définir l'espérance, il leur répondit en un mot a C'est un songe de personnes qui veillent Somnium M'Mt<!M??! Considérez en effet, Messieurs, ce que Apud S. Basil., epist. x;v, n. 1.
(a) t~ar. Et qui établit l'ame de Thérèse dans la possession du souverain bien.
c'est qu'un homme enflé d'espérance. A quels honneurs n'aspiret-il pas? Quels emplois, quelles dignités ne se donne-t-il pas à lui-même? Il nage déjà parmi les délices, et il admire sa grandeur future. Rien ne lui paroît impossible mais lorsque s'avançant ardemment dans la carrière qu'il s'est proposée, il voit naître de toutes parts des difficultés qui l'arrêtent à chaque pas; lorsque la vie lui manque comme un faux ami au milieu de ses entreprises, ou que forcé par la rencontre des choses, il revient à son sens rassis et ne trouve rien en ses mains de toute cette haute (a) fortune dont il embrassoit une vaine image que peut-il juger de lui-même, sinon qu'une espérance trompeuse le faisoit jouir pour un temps de la douceur d'un songe agréable; et ensuite ne doit-il pas dire, selon la pensée de ce philosophe, que l'espérance peut être appelée « la rêverie d'un homme qui veille )) SONUHMH! vigilantium? Mais, ô espérance du siècle, source infinie de soins inutiles et de folles prétentions, vieille idole de toutes les Cours, dont tout le monde se moque et que tout le monde poursuit, ce n'est pas de toi que je parle; l'espérance des enfans de Dieu que je dois aujourd'hui prêcher, et que nous devons tous admirer en sainte Thérèse, n'a rien de commun avec tes erreurs. Apprenez aujourd'hui, mes Frères, à remarquer la différence de l'une et de l'autre, afin que vous puissiez dire avec connoissance « Ah! vraiment il est meilleur d'espérer en Dieu que de sè çonfier aux grands de la terre B .BonMm est confidere in Domino quàm confidere in homine Mais pénétrons profondément cette vérité et disons s'il se peut, en peu de paroles, que cette différence consiste en ce point, que l'espérance du monde laisse la possession toujours incertaine et encore beaucoup éloignée; au lieu que l'espérance des enfans de Dieu est si ferme et si immuable, que je ne crains point de vous assurer qu'elle nous met par avance en possession du bonheur que l'on nous propose (b), et qu'elle fait un commencement de la jouissance. Prouvons-le solidement par les Ecritures; et parmi un nombre infini d'exemples par lesquels elles nous confirment cette vérité, je vous prie Psal. cxvn, 8.
(a) Var.: Grande. (b) De tout le bien qu'elle nous propose.
d'en remarquer seulement un seul qui n'est ignoré de personne. Dieu avoit promis Jésus-Christ au monde; et ïsaïe voyant en esprit cette grande et mémorable journée en laquelle devoit naître son Libérateur, il s'écrie transporté de joie « Un petit enfant nous est né, un fils nous est donné (a) a Parvulus natus est Mo6~, et ~!MS datus est Mo6ts/. Chrétiens, il écrivoit cette prophétie plusieurs siècles avant sa naissance; néanmoins il le voit déjà il soutient qu'il nous est donné seulement à cause qu'il sait qu'il nous est promis et que, comme dit le grand Augustin, « toutes les choses que Dieu a promises, selon l'ordre de ses conseils sont déjà en quelque sorte accomplies, parce qu'elles sont assurées n QM~ ventura erant, jam in Dei pr<p~es<Ma<!07te velut jacta erant, quia certa eran< Vous voyez par là, chrétiens, que selon les Ecritures sacrées la promesse que Dieu nous donne, à cause de sa certitude est infaillible.
Notre incomparable Thérèse a imité ce divin prophète. Se sentant appelée par la Providence à procurer la réformation de l'ordre ancien du Carmel si renommé par toute l'Eglise, elle croit déjà l'ouvrage achevé parce que c'est Dieu qui lui a ordonné de l'entreprendre. C'est un miracle incroyable de voir comment cette fille a bâti ses monastères. Représentez-vous une femme qui, pauvre et destituée de tout secours, a pu bâtir tous les monastères dans lesquels elle a fait revivre une si parfaite régularité elle n'avoit ni fonds pour leur subsistance, ni crédit pour en avancer l'établissement. Toutes les puissances s'unis1 Isa., lï, 6. De CtM<. Dei, Iib. XVII, cap. xvni.
(a) Far. Expliquons cette vérité par une doctrine solide, et après nous en verrons la pratique dans la vie de sainte Thérèse. Pour entendre solidement cette merveilleuse doctrine, je suppose pour premier principe une vérité trèsconnue, que l'espérance des chrétiens est fondée sur l'autorité des promesses que Dieu leur a faites et des paroles qu'il leur a données. C'est ici qu'il nous faut entendre, dans l'effusion de nos cceurs, la bonté de Dieu sur les hommes. Car, mes Frères, le Père éternel nous voyant bannis en ce monde comme en une terre étrangère, bien que nous fussions criminels et qu'il nous regardât en fureur comme des enfaos de colère, néanmoins ce Père miséricordieux, qui méme dans sa juste indignation ne peut oublier ses bontés, a remis en son souvenir que notre origine est céleste; et se laissant attendrir sur nous, touché des misères de notre exil, il a aussitôt conçu le dessein de nous rappeler à notre patrie. Qu'a-t-il fait, qu'a-t-il accompli pour exécuter ce dessein? Ecoutez le divin Psalmiste J~t< Verbum suum, et M<MM< eos.
soient contre elle, j'entends et les ecclésiastiques et les séculières, avec une telle opiniâtreté qu'elle paroissoit invincible. Toutes les personnes zélées que Dieu employoit à cette œuvre, et même ses serviteurs les plus fidèles, désespéroient du succès et le disoient ouvertement à la sainte Mère. Elle seule demeure constante dans la ruine apparente de tous ses desseins; aussi ferme que le fidèle Abraham, K elle fortifie son espérance contre toute espérance » JH spem contra spem dit le grand Apôtre; c'est-à-dire qu'où manquoit l'espérance humaine accablée sous les ruines de son entreprise, là une espérance divine commençoit à lever la tête au milieu de tant de débris. Animée de cette espérance, lorsque tout l'édifice sembloit abattu, elle le croyoit déjà établi. Et cela pour quelle raison si ce n'est qu'il est bon d'espérer en Dieu et non pas d'espérer aux hommes, parce qu'ainsi que je l'ai déjà dit, l'espérance que l'on a aux hommes ne nous montre que de fort loin la possession, n'est qu'un amusement inutile qui substitue un fantôme au lieu de la chose et au contraire l'espérance que l'on met en Dieu est un commencement de la jouissance? Mais, mes Frères, ce n'est pas assez d'avoir établi cette vérité sur des exemples si clairs afin que vous soyez convaincus combien il est beau d'espérer en Dieu, il faut vous montrer la raison de cette excellente doctrine. Je vous prie de vousy rendre attentifs; elle est tirée d'un très-haut principe c'est l'immobilité des conseils de Dieu et sa consistance toujours immuable. a Je suis Dieu, dit le Seigneur, et je ne change jamais » et de là s'ensuit une conséquence, que je ne puis vous exprimer mieux que par ces beaux mots de Tertullien qui sont tous faits pour notre sujet c< Il est digne de Dieu, dit-il, de tenir pour fait tout ce qu'il ordonne, soit pour le présent, soit pour le futur, parce que son éternité, qui l'élève au-dessus des temps, le rend maître absolu de l'un et de l'autre e Divinitati competit qMŒCKmque decreverit, ut pertecta reputare; quia non sit apud illam differentia temporis, apud quam M7M/'o)'?Hem statum temporum dirigit œ~ern~as ipsa a. Voilà, Messieurs, de grandes paroles, que nous trouverons pleines d'un sens admirable, si nous le savons bien développer. 1 Rom., iv, 13. – JtMacA., m, 6. 3 Adv. Marcion., lib. Ill, n. 5.
Il veut dire qu'il y a grande différence entre les promesses des hommes et les promesses de Dieu. Quand vous promettez, ô mortels, de quelque crédit que vous vous vantiez et fussiez-vous, s'il se peut, plus grands que les rois dont la puissance fait trembler le monde, l'événement est toujours douteux, parce que toutes vos promesses ne regardent que l'avenir et cet avenir n'est pas en vos mains un nuage épais le couvre à vos yeux, et vous en <~te la connoissance. C'est pourquoi l'espérance humaine, chancelante, timide, douteuse, sans appui et sans fondement, ne peut mettre l'esprit en repos, parce qu'elle le tient toujours en suspens (a) sur un avenir incertain. Mais (b) ce grand Dieu, ce grand Roi des siècles dont nous révérons les promesses, étant éternel, immuable, seul arbitre de tous les temps, il lès a toujours présens à ses yeux et lui seul en a mesuré le cours. Comme donc le temps à venir n'est pas moins à lui que le présent, il s'ensuit que ce qu'il promet n'est pas moins certain que ce qu'il donne. Le ciel et la terre passeront, mais ses paroles ne passeront pas et puisqu'il se trouve toujours véritable, soit qu'il donne, soit qu'il promette, le chrétien ne se trouve pas moins assuré lorsqu'il espère que lorsqu'il jouit.
Et c'est à quoi regarde le divin Apôtre, lorsqu'il dit que notre demeure est aux cieux. Eveillez-vous, mortels misérables, ne vous imaginez pas être en terre croyez que votre demeure est au ciel, où vous êtes transportés par votre espérance. Vous en êtes éloignés par votre nature « Mais il vous a tendu sa main du plus haut des cieux f MtS!< manum suant de cceh,' c'est-àdire il vous a donné sa promesse par laquelle il vous invite à sa gloire. Non-seulement il a promis, mais encore il a juré, dit l'Apôtre, « et il a juré par lui-même a Juravit per semetîpSMm a et pour faire connoître aux hommes la résolution immuable de son conseil éternel, il a pris sa vérité à témoin que le ciel est notre héritage a Volens ostendere pollicitationis ~re~MS tmmobilitatem consilii sui, interposuit jusjurandum Après cette 1 Matth., xxtv, 35. ~At- Vf, 13. – JM., 17.
(a) Var. Suspendu. (b) Mais il n'est pas de la sorte de l'espérance des chrétiens. Ce grand Dieu.
promesse fidèle, après ce serment inviolable par lequel Dieu s'engage à nous, le chrétien peut-il être en doute? Non, mes Frères, je ne le crois pas. Une promesse si sùre, si bien confirmée, me vaut un commencement de l'exécution et si la promesse divine est un commencement de l'exécution, n'ai-je pas eu raison de vous dire que l'espérance qui s'y attache est un commencement de la jouissance? C'est pourquoi l'apôtre saint Paul dit a qu'elle est l'ancre de notre âme M OMamsîCU< anchoram /Ht~mMS NtHma? <M<am e< armant'. Qu'est-ce à dire que l'espérance est l'ancre de l'ame? Représentez-vous (a) un navire qui, loin du rivage et du port, vogue dans une mer inconnue. Si la tempête l'agite, si les nuages couvrent le soleil, alors le pilote incertain craignant que la violence des vents et des flots irrités ne le pousse contre des écueils, commande aussitôt que l'on jette l'ancre; et cette ancre lui fait trouver la consistance parmi les flots, de peur que le vaisseau ne soit emporté la terre au milieu des ondes est comme un port parmi les orages.
C'est ainsi, ô enfans de Dieu; et pour retourner à notre sujet après cette digression nécessaire, c'est ainsi, divine Thérèse, que ~a~v~i9.
(a) Var.: C'est, Messieurs, sur cette promesse, c'est sur ce serment immuable par lequel Dieu s'engage à nous, que notre espérance s'appuie; et c'est pour cela que je dis qu'elle commence la possession. La raison en est évidente. Car on ne peut révoquer en duute que Dieu ne veuille effectivement tout ce qu'il promet aux fidèles. Il le veut, en peut-on douter? Et quelle force pourroit obliger cette Majesté infinie à promettre quelque chose aux hommes, si elle-même ne s'y portoit par un mouvement de son amour? Par conséquent il est véritable que Dieu veut tout ce qu'il promet. Maintenant ne savez-vous pas que dans l'ordre de ses conseils faire et vouloir, c'est la même chose? Cette volonté souveraine tient pour fait tout ce qu'elle ordonne, parce que sentant sa propre puissance, elle sait qu'on ne peut lui résister, et nous en voyons les exemples dans les Ecritures divines..Ces choses étant ainsi établies, je ne m'étonne pas, chrétiens, si l'espérance des enfans de Dieu est si ferme et si généreuse, si elle jouit déjà par avance dos délices des Bienheureux; c'est qu'adorant la vérité éternelle, elle prend toutes ses promesses pour une espèce d'accomplissement, à cause de leur certitude infaillible. Et de m~me que les promesses divines commencent en quelque sorte l'exécution, l'espérance qui s'y attache est le commencement de la jouissance. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul dit « qu'elle est l'ancre de notre âme )) ~MOM ~CM/ anchoram habemus ûHïMfB tutam et firman:. Admirable pensée de saint Paul, par laquelle vous pourrez comprendre ce que j'ai à dire de sainte Thérèse. Qu'est-ce à dire ceci, chrétiens'! Comment est-ce que l'espérance est une ancre, et quel est le sens de l'Apôtre? Il faut que je tache de vous expliquer cette belle pensée de saint Paul, qui relâchera 'vos attentions. « Représentez-vous, » etc.
votre ame s'établit au ciel. Battue de l'orage et des vents qui agitent la vie humaine comme un océan plein d'écueils, et ne pouvant encore arriver au ciel, vous y jetez cette ancre sacrée, je veux dire votre espérance, par laquelle étant attachée dans cette bienheureuse terre des vivans, vous trouvez la patrie même dans l'exil, la consistance dans l'agitation, la tranquillité dans la tourmente et mêlée avec les esprits célestes auxquels votre esprit (a) est uni, vous pouvez dire avec l'Apôtre Nostra autem conversatio in cceKs est a Notre conversation est aux cieux. Ne parlez donc plus à Thérèse de toutes les prétentions de la terre. Accoutumée à une autre vie, elle n'entend plus ce langage et son âme élevée au ciel par la force de son espérance, n:a plus de goût ni de sentiment que pour les chastes voluptés des anges. Que le monde s'irrite contre elle, qu'il contredise ses pieux desseins, qu'il la déchire par ses calomnies qu'on la traîne à l'inquisition comme une femme qui donne la vogue à des visions dangereuses qu'elle entende même les prédicateurs tonner publiquement contre sa conduite, car cela lui est arrivé, sa compagne en tremblant d'effroi; et figurez-vous, chrétiens, quelle devoit être son émotion, se voyant ainsi attaquée dans une célèbre audience toutefois elle ne sent pas cet orage toutes ces ondes qui tombent sur elle ne sont pas capables de l'ébranler. Son esprit demeure tranquille comme dans une grande bonace au milieu de cette tempête, et cela pour quelle raison? Parce qu'il est solidement établi sur cette ancre immobile de son espérance.
Chrétiens, profitons de ce grand exemple. Parmi tous les troubles qui nous tourmentent, parmi tant de différentes agitations, dans les morts cruelles et précipitées de nos proches et de nos amis, jetons au ciel cette ancre sacrée, je veux dire notre espérance. Ha 1 si nous étions appuyés sur cette espérance immuable, les maladies, les pertes de biens et les afflictions ne seroient pas capables de nous submerger. Toutes ces ondes qui tombent sur nous feroient flotter légèrement ce vaisseau fragile; mais elles ne pourroient pas l'emporter bien loin, parce qu'il seroit appuyé sur cette ancre de l'espérance.
(a) Var.: Votre cœur.
Et vous, princes et grands de la terre, pourquoi offrez-vous à Thérèse des richesses? Ecoutez comme elle parle à ces saintes filles, qu'une commune espérance unit avec elle Soyons pauvres, mes chères Sœurs, soyons pauvres dans nos maisons et dans nos habits. Elle ne veut rien dans ses monastères qui ne sente la pauvreté de Jésus elle veut toujours être pauvre, parce que ce n'est pas ici le temps de jouir, mais c'est seulement le temps d'espérer. Soyons chrétiennes, mes Sœurs, leur dit-elle. Elle craint de rien posséder, sachant que le vrai chrétien ne possède pas, mais qu'il cherche; qu'il ne s'arrête pas, mais qu'il passe comme un voyageur pressé qu'il ne bâtit pas sur la terre, parce que sa cité n'est pas de ce monde, et qu'une loi bienheureuse lui est imposée de ne se réjouir que par espérance Spe ~aHd6n<gs
Mais, chrétiens, si vous voulez voir ~jusqu'où la sainte espérance a élevé l'ame de Thérèse, méditez ce sacré cantique que l'amour divin lui met à la bouche « Je vis, dit-elle, sans vivre en moi; et j'espère une vie si haute, que je meurs de ne mourir pas. ') Qu'entends-je et que dites-vous, divine Thérèse? Je vis, dit-elle, sans vivre en moi. » Si vous n'êtes plus en vous-même, quelle force vous a enlevée, sinon celle de votre espérance? 0 transports inconnus au monde, mais que Dieu fait sentir aux saints avec des douceurs ravissantes;! Thérèse n'est donc plus sur la terre; elle vit avec les anges; elle croit être avec son Epoux. Et ne vous en étonnez pas l'espérdnce a pu faire un si grand miracle. Car comme les personnes agiles, pourvu qu'elles puissent appuyer la main, porteront après aisément le corps ainsi l'espérance, qui est la main de l'âme par laquelle elle s'étend aux objets, sitôt qu'elle s'est appuyée sur Dieu, elle est si forte et si vigoureuse, qu'elle y enlève après l'ame toute entière. Vivez donc heureuse, ô Thérèse vivez avec cet Epoux céleste, qui seul a pu gagner votre cœur. Si vous ne pouvez encore le joindre, envoyez votre espérance après lui; et enrichie par cette espérance, méprisez hardiment tous les biens du monde. Car quelle possession se peut égaler à une espérance si belle, et quels biens présens ne céderoient pas à ce bienheureux avenir ?
Rom., ïtl, 12.
Où courez-vous, mortels abusés, et pourquoi allez-vous errans de vanités en vanités, toujours attirés et toujours trompés par des espérances nouvelles? Si vous recherchez des biens effectifs, pourquoi poursuivez-vous ceux du monde, qui passent légèrement comme un songe? Et si vous vous repaissez d'espérances, que n'en choisissez-vous qui soient assurées? Dieu vous promet pourquoi doutez-vous? Dieu vous parle que ne suivez-vous? Il vaut mieux espérer de lui que de recevoir les faveurs des autres, et les biens qu'il promet sont plus assurés que tous ceux que le monde donne. Espérez donc avec Thérèse et pour voir manifestement combien est grand le bien qu'elle cherche, regardez de quelle ardeur elle y court et par quels désirs elle s'y élance c'est ma seconde partie.
SECOND POINT.
C'est une loi de la Providence, que la jouissance succède aux désirs et le chrétien ne mérite pas de se réjouir dans le ciel, s'il n'a auparavant appris à gémir dans ce lieu de pèlerinage. Car pour être vrai chrétien, il faut sentir qu'on est voyageur; et vous m'avouerez aisément que celui-là ne le connoît pas, qui ne soupire point après sa patrie. C'est pourquoi saint Augustin 'a. dit ces beaux mots qui méritent bien d'être médités Qui non gemit peregrinus, non gaudebit civis l a Celui qui ne gémit pas comme voyageur, ne se réjouira pas comme citoyen; » c'est-à-dire, si nous l'entendons, il ne sera jamais habitant du ciel, parce qu'il a voulu l'être de la terre puisqu'il refuse le travail du voyage, il n'aura pas le repos de la patrie et s'arrêtant où il faut marcher, il n'arrivera pas où il faut parvenir (a) Qui non gemit peregrinus, non gaudebit civis. Ceux au contraire qui déploreront leur exil, seront habitans du ciel, parce qu'ils ne veulent;pas l'être de ce monde et qu'ils tendent par de saints désirs à la Jérusalem 1 Enar. in Psal. CXLVIII, n. 4.
(a) Var.: Voulez -vous savoir, dit saint Augustin, qui sont ceux d'entre les mortels qu'on verra'un jour citoyens de la Jérusalem bienbeureuse? Ce sont ceux qui pleurent, ceux qui gémissent, ceux à qui des désirs ardens font sentir qu'ils sont étrangers tant qu'ils vivent sur la terre. Si vous n'avez pas ce désir, vous ne serez jamais habitans du ciel, parce que vous le voulez être de ce monde, et que vous y vivez comme citoyens et non pas comme voyageurs.
bienheureuse. Il faut donc, mes Frères, que nous gémissions. C'est à vous, heureux citoyens de la céleste Jérusalem, c'est à vous qu'appartient la joie; mais pendant que nous languissons en ce lieu d'exil, les pleurs et les désirs font notre partage. Et David a exprimé nos vrais sentimens, quand il a chanté d'une voix plaintive (à) Super flumina Babylonis illic sedimus et flevimus, dùm recordaremur Sion 1 « Assis sur les fleuves de Babylone, nous avons gémi et pleuré, en nous souvenant de Sion. » Remarquez ici, chrétiens, les deux causes de la douleur que ressent une ame pieuse, qui attend avec l'Apôtre l'adoption des enfans de Dieu Pour quelle cause soupirez-vous donc, ame sainte, ame gémissante; et quel est le sujet de vos plaintes? Le Prophète en rapporte deux c'est le souvenir de Sion et les fleuves de Babylone. Pourquoi ne voulez-vous pas qu'elle pleure, éloignée de ce qu'elle cherche et exposée au milieu de ce qu'elle fuit? Elle aime la paix de Sion et elle se sent reléguée dans les troubles de Babylone, où elle ne voit que des eaux courantes, c'est-à-dire des plaisirs qui passent Super flumina Babylonis. Et pendant qu'elle ne voit rien qui ne passe, elle se souvient de Sion, de cette Jérusalem bienheureuse, où toutes choses sont permanentes. Ainsi dans la diversité de ces deux objets elle ne sait ce qui l'afflige le plus, de Babylone où elle se voit, ou de Sion d'où elle est bannie; et c'est pour cela que sainte Thérèse ne peut modérer ses douleurs.
Que dirai-je ici, chrétiens? Qui me donnera des paroles pour vous exprimer dignement la divine ardeur qui la presse? Mais quand je pourrois la représenter aussi forte et aussi fervente qu'elle est dans le cœur de Thérèse, qui comprendra ce que j'ai à dire, et nos esprits attachés à la terre entendront-ils ces transports célestes? Disons néanmoins comme nous pourrons ce que son histoire raconte; disons que l'admirable Thérèse, nuit et jour, sans aucun repos ni trêve, soupiroit après son divin Epoux; disons que son amour s'augmentant toujours, elle ne pouvoit plus supporter la vie, qu'elle déchiroit sa poitrine par des cris et 1 Psal. cxxxvi, l. *Rom., vm, 23.
(b) Var. D'un accent plaintif.
par des sanglots; et que cette douleur l'agitoit de sorte, qu'il sembloit à chaque moment qu'elle alloit rendre les derniers soupirs.
Je vous vois étonnés, fidèles l'amour aveugle des biens périssables ne vous permet pas de comprendre de quelle sorte ces beaux mouvemens peuvent être formés dans les cœurs. Mais quittez cet étonnement. Il faut, s'il se peut, vous le faire entendre, en vous décrivant en un mot quelle est la force de la charité, en vous le montrant par les Ecritures.
Sachez donc que c'est la charité qui presse Thérèse; charité toujours vive, toujours agissante, qui pousse sans relâche du côté du ciel les ames qu'elle a blessées, et qu'elle ne cesse de travailler par de saintes inquiétudes jusqu'à ce qu'elles y soient établies. C'est pourquoi le grand Paul en étant rempli, jeûne continuellement, il pleure, il soupire, il se plaint en lui-même, il est pressé et violenté, il souffre des douleurs pareilles à celles de l'enfantement, et son ame ne cherche qu'à sortir du corps Infelix ego horno, quis me liberabit de corpore mortis hujus a Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? » Quelle est la cause de ces transports? C'est la charité qui le presse; c'est ce feu divin et céleste qui détenu contre sa nature dans un corps mortel, tâche de s'ouvrir par force un passage; et frappant de toutes parts avec violence par des désirs ardens et impétueux, il ébranle tous les fondemens de la prison qui l'enserre. De là ces pleurs, de là' ces sanglots, de là ces douleurs excessives, qui mettroient sans doute Thérèse au tombeau (a), si Dieu par un secret de sa providence ne la vouloit conserver encore pour la rendre plus digne de son amour. (b)
Et c'est ici qu'il faut vous représenter un nouveau genre de martyre que la charité fait souffrir à l'incomparable Thérèse (c). Dieu l'attire, et Dieu la retient. Il lui ordonne de courir au ciel, et il veut qu'elle demeure en la terre d'un côté il lui découvre d'une même vue toutes les misères de cet exil, tous les charmes et tous 1 Rom., vu, 24.
(a) Var. Qui mèneroient sans doute Thérèse à la mort. (b) Note marg. Et c'est ce qui fait son plus grand martyre. (c) Var. Que le Fils de Dieu fait souffrir à Thérèse sa fidèle amante.
les attraits de sa vision bienheureuse, non point dans l'obscurité des discours humains, mais dans la lumière claire et pénétrante de sa vérité infinie. Mais comme elle pense se jeter à lui charmée de ses beautés immortelles, aussitôt il lui fait connoître qu'il la veut encore retenir au monde. Qu'est-ce à dire ceci, 6 grand Dieu? Est-il digne de votre bonté de tourmenter ainsi un cœur qui vous aime? Si vous inspirez ces désirs, pourquoi refusez-vous de les satisfaire? Ou ne la tirez pas avec tant de force, ou permettezlui de vous suivre. Ne voyez-vous pas, ô Epoux céleste, qu'elle ne sait à quoi arrêter son choix? Vous l'appelez, vous la repoussez si bien que pendant qu'elle court à vous, elle se déchire ellemême et son ame ensanglantée par la violence de ces mouvemens opposés que vous la forcez de souffrir, ne trouve plus de consolation. En cet état où vous la mettez, n'a-t-elle pas raison de vous dire Quare posuisti me contrarium tibi 1? Dans les désirs que vous m'inspirez, c'est vous qui me rendez contraire à vous-même. Ou qu'une autre main l'attire, ou qu'une autre main la retienne.
0 merveille des desseins de Dieu ô conduite impénétrable de ses jugemens dans l'opération de sa grace Quis loquetur potentiasDomini, auditas faciet omnes laudes ejus 2? Qui nous expliquera ce mystère ? Qui nous dira les moyens secrets par lesquels le Saint-Esprit purifie les cœurs? 11 sait bien que dans ces combats, dans ces mystérieuses contrariétés, il s'allume un feu dans les ames qui les rend tous les jours plus pures. Il fait naître de saints désirs, et il se plaît de les enflammer en différant de les satisfaire. Il se plaît à regarder du plus haut des cieux que Thérèse meurt tous les jours, parce qu'elle ne peut pas mourir une fois Quotidiè morior dit le saint Apôtre; et il reçoit tous les jours mille sacrifices, en retardant le dernier. Mais je passe encore plus loin pourrai-je bien dire ce que je pense ? Il voit que par un secret merveilleux elle se détache d'autant plus du corps qu'elle a plus de peine à s'en détacher et que dans l'effort qu'elle fait pour s'en séparer toute entière elle le fuit d'autant plus qu'elle s'y sent plus longtemps et plus violemment retenue. C'est 1 Job, vu, 20. – Psal. cv, 2. – M Cor., XV, 31.
pourquoi si la violence de ses désirs, ne peut rompre les liens du corps, ils en éteignent tous les sentimens, ils en mortifient tous les appétits elle ne vit plus pour la chair; et enfin elle devient tous les jours et plus libre et plus dégagée par cette perpétuelle agitation, comme un oiseau qui battant des ailes secoue l'humidité qui les rend pesantes, ou dissipe le froid qui les engourdit; si bien que portée par ces saints désirs, elle paraît détachée du corps pour vivre et converser avec les anges Nostra conversatio in coelis est.
Heureuses mille et mille fois les ames qui désirent ainsi JésusChrist Mais cependant ses ardeurs s'augmentent, et ce feu si vif et si agissant ne peut plus être retenu sous la cendre d'une chair mortelle. Cette divine maladie d'amour prenant tous les jours de nouvelles forces, elle ne peut plus supporter la vie. Chaste Epoux qui l'avez blessée, que tardez-vous à la mettre au ciel, où elle s'élève par de saints désirs, et où elle semble déjà transportée par la meilleure partie d'elle-même? Ou s'il vous plaît qu'elle vive encore, quel remède trouverez-vous à ses peines? La mort? Mais il vous plaît de la différer, pour élever sa perfection à l'état glorieux et suréminent que votre providence a marqué pour elle. L'espérance Mais elle la tue, parce qu'en lui disant qu'elle vous verra, elle lui dit aussi dans le même temps qu'elle n'est pas encore avec vous. Que ferez-vous donc, ô Sauveur et de quoi soutiendrez-vous votre amante, dont le cœur languit après vous? Chrétiens, il sait le secret de lui faire trouver du goût dans la vie. Quel secret? Secret merveilleux il lui enverra des afflictions; il éprouvera son amour par de continuelles souffrances; secret étrange selon le monde, mais sage, admirable, infaillible selon les maximes de l'Evangile. C'est par où je m'en vais conclure. TROISIÈME POINT.
La langueur de sainte Thérèse ne peut donc plus être soutenue que par des souffrances; et dans l'ennui qu'elle a de la vie, elle ne trouve point de consolation que de dire (a) continuellement à son Dieu: Seigneur, « ou souffrir ou mourir: » Aut pati, (lut [a) Var. De crier.
mon. Il est digne de votre audience de comprendre solidement toute la force de cette parole; et quand je vous en aurai découvert le sens, vous confesserez avec moi qu'elle enferme comme en abrégé toute la doctrine du Fils de Dieu et tout l'esprit du christianisme. Mais observez avant toutes choses la merveilleuse contrariété des inclinations naturelles et de celles que la grace inspire.
La première inclination que la nature nous donne, c'est sans doute l'amour de la vie; la seconde qui la suit de près ou qui peut-être est encore plus forte, c'est l'amour des plaisirs du monde, sans lesquels la vie seroit ennuyeuse. Car, mes Frères, il est véritable quelque amour que nous ayons pour la vie, nous ne la pourrions supporter si elle n'avoit des contentemens, et jugez-en par expérience. Combien longues, combien ennuyeuses vous paroissent ces tristes journées que vous passez sans aucun plaisir de conversation ou de jeu, ou de quelque autre divertissement ? Ne vous semble-t-il pas alors, si je puis parler de la sorte, que les jours sont durs et pesans Pondus diei, c'est ce qui s'appelle le poids du jour c'est pourquoi ils vous son! à charge, et vous ne pouvez supporter ce poids. Au contraire est-il rien qui aille plus vite, ni qui s'écoule, s'échappe et vole plus légèrement, que le temps passé parmi les délices? De là vient que ce roi mourant, auquel Isaïe rendit la santé, se plaint qu'on tranche le cours de sa vie, lorsqu'il ne faisoit que la commencer Dùm adhuc ordirer, succidit me de mane usque ad vesperam finies me 1 « Je finis lorsque je commence, et ma vie s'est achevée du matin au soir. » Que veut dire ce prince malade? Il avoit près de quarante ans; cependant il s'imagine qu'il ne fait que de naître, et il ne compte encore qu'un jour de son âge c'est que sa vie passée dans le luxe, dans le plaisir du commandement et dans une abondance royale, ne lui faisoit presque point sentir sa durée, tant elle couloit doucement. Je vous parle ici, chrétiens, dans le sentiment des hommes du monde, qui ne vivent que pour les plaisirs; et c'est afin que vous compreniez quel étrange renversement des inclinations naturelles apporte l'esprit du christianisme dans les 1 Isa., xxivin, 12.
ames qui en sont remplies, et voyez-le par l'exemple de sainte Thérèse.
Les afflictions, les douleurs aiguës, ce cruel amas de maux et de peines sous lequel elle paroît accablée, et qui pourroit contraindre les plus patiens à appeler la mort au secours, c'est ce qui lui fait désirer de vivre et au lieu que la vie est amère aux autres si elle n'est adoucie par les voluptés, elle n'est amère à Thérèse que lorsqu'elle y jouit de quelque repos. Qui lui donne ces désirs étranges? D'où lui viennent ces inclinations si contraires à la nature? En voici la raison solide c'est qu'il n'est rien de plus opposé que de vivre selon la nature et de vivre selon la grâce c'est, comme dit l'apôtre saint Paul qu'elle n'a pas reçu l'esprit de ce monde, mais un esprit victorieux du monde c'est que pleine de Jésus-Christ, elle veut vivre selon Jésus-Christ. Ce Jésus, ce divin Sauveur n'a vécu que pour endurer et il m'est aisé de vous faire voir par les Ecritures divines qu'il n'a voulu étendre sa vie qu'autant de temps qu'il falloit souffrir. Entendez donc encore cette vérité par laquelle j'achèverai ce discours, et qui en fera tout le fruit.
Je ne m'étonne pas, chrétiens, que Jésus ait voulu mourir il devoit ce sacrifice à son Père, pour apaiser sa juste fureur et le rendre propice aux hommes. Mais qu'étoit-il nécessaire qu'il passât ses jours, et ensuite qu'il les finît parmi tant de maux? C'est pour la raison que j'ai dite. Etant l'homme de douleurs comme l'appeloit le Prophète s, il n'a voulu vivre que pour endurer; ou, pour le dire plus fortement par un beau mot de Tertullien, il a voulu se rassasier avant que de mourir par la volupté de la patience Saginari voluptate patientiœ discessurus volebat'. Voilà une étrange façon de parler. Ne diriez-vous pas, chrétiens, que selon le sentiment de ce Père toute la vie du Sauveur étoit un festin dont tous les mets étoient des tourmens ? Festin étrange selon le siècle, mais que Jésus a jugé digne de son goût. Sa mort suffisait pour notre salut, mais sa mort ne suffisoit pas à ce merveilleux appétit qu'il avoit de souffrir pour nous. Il a fallu y joindre les fouets, et cette sanglante couronne qui perce sa tête, 1 Cor., u, 12. – • Isa., LUI, 3. » De Patient., n. 3.
et tout ce cruel appareil de supplices épouvantables et cela pour quelle raison? C'est que ne vivant que pour endurer, « il vouloit se rassasier avant que de mourir de la volupté de souffrir pour nous D Saginari voluptate 'patientiœ discessurus volebat. Mais pour vous convaincre plus clairement de la vérité que je prêche, regardez ce que fait Jésus à la croix. Ce Dieu avide de souffrir pour l'homme, tout épuisé, tout mourant qu'il est, considère que les prophéties lui promettent encore un breuvage amer dans sa soif il le demande avec un grand cri et après cette aigreur et cette amertume dont le Juif impitoyable arrose sa langue, que fait-il? Il me semble qu'il se tourne du côté du ciel. Eh bien, dit-il, ô mon Père, ai-je bu tout le calice que votre providence m'avoit préparé, ou bien reste-t-il quelque peine qu'il soit nécessaire que j'endure encore ? Donnez, je suis prêt, ô mon Dieu Paratum cor meum, Deus, paratum cor meum 1. Je veux boire tout le calice de ma passion, et je n'en veux pas perdre une seule goutte. Là voyant dans ses décrets éternels qu'il n'y a plus rien à souffrir pour lui Ah 1 dit-il, c'en est fait, « tout est consommé, » consummatum est sortons, il n'y a plus rien à faire en ce monde et aussitôt il rendit son ame à son Père. Et par là ne paroît-il pas, chrétiens, qu'il ne vit que pour endurer, puisque lorsqu'il aperçoit la fin des souffrances, il s'écrie « Tout est achevé, et qu'il ne veut plus prolonger sa vie.
Tel est l'esprit du Sauveur Jésus, et c'est lui qui l'a répandu sur Thérèse sa pudique épouse. Elle veut aussi souffrir ou mourir et son amour ne peut endurer qu'aucune cause retarde sa mort, sinon celle qui a différé la mort du Sauveur. Chrétiens, échauffons nos cœurs par la vue de ce grand exemple, et apprenons de sainte Thérèse qu'il nous faut nécessairement souffrir ou mourir. Et un chrétien en peut-il douter? Si nous sommes de vrais chrétiens, ne devons-nous pas désirer d'être toujours avec Jésus-Christ? Or, mes Frères, où le trouve- t-on' cet aimable Sauveur de nos ames? En quel lieu peut-on l'embrasser? On ne le trouve qu'en ces deux lieux dans sa gloire ou dans ses supplices, sur son trône ou bien sur sa croix. Nous devons donc, pour être » Psal. cvn, 2. Joan., xix, 30.
avec lui, ou bien l'embrasser dans son trône, et c'est ce que nous donne la mort; ou bien nous unir à sa croix, et c'est ce que nous avons par les souffrances tellement qu'il faut souffrir ou mourir, afin de ne quitter jamais le Sauveur. Et quand Thérèse fait cette prière « Que je souffre ou bien que je meure, » c'est de même que si elle eût dit A quelque prix que ce soit, je veux être avec Jésus-Christ. S'il ne m'est pas encore permis de l'accompagner dans sa gloire, je le suivrai du moins parmi ses souffrances, afin que n'ayant pas le bonheur de le contempler assis dans son trône, j'aie du moins la consolation de l'embrasser pendu à sa croix.
Souffrons donc, souffrons, chrétiens, ce qu'il plaît à Dieu de nous envoyer, les afflictions et les maladies, les misères et la pauvreté, les injures'et les calomnies; tâchons de porter d'un courage ferme telle partie de sa croix dont il lui plaira de nous honorer (a). Quoique tous nos sens y répugnent, il est doux de souffrir avec Jésus-Christ, puisque ces souffrances nous font espérer la société de sa gloire; et cette pensée doit fortifier ceux qui vivent dans la douleur et l'affliction.
Mais pour vous, fortunés du siècle, à qui la faveur, les richesses, le crédit et l'autorité fait trouver la vie si commode, et qui dans cet état paisible semblez être exempts des misères qui affligent les autres hommes, que vous dirai-je aujourd'hui et quelle croix vous laisserai-je en partage? Je pourrois vous représenter que peut-être ces beaux jours passeront bien vite, que la fortune n'est pas si constante qu'on ne voie aisément finir ses faveurs, ni la vie si abondante en plaisirs qu'elle n'en soit bientôt épuisée. Mais avant ces grands changemens, au milieu des prospérités, que ferez-vous, que souffrirez-vous pour porter la croix de Jésus? Abandonner les richesses, macérer le corps? Non, je ne vous dis pas, chrétiens, que vous abandonniez vos richesses, ni que vous macériez vos corps par de longues mortifications heureux ceux qui le peuvent faire dans l'esprit de la pénitence; mais tout le monde n'a pas ce courage. Jetez, jetez seulement les yeux sur les pauvres membres de Jésus-Christ, qui étant accablés de maux ne (a) Var.: Dont le Sauveur voudra nous charger.
trouvent point de consolation. Souffrez en eux, souffrez avec eux, descendez à leur misère par la compassion, chargez-vous volontairement d'une partie des maux qu'ils endurent; et leur prêtant vos mains charitables, aidez-leur à porter la croix sous la pesanteur de laquelle vous les voyez suer et gémir. Prosternez-vous humblement aux pieds de ce Dieu crucifié, dites-lui honteux et confus Puisque vous ne m'avez point jugé digne de me faire part de votre croix, permettez du moins, ô Sauveur, que j'emprunte celle des autres, et que je la puisse porter avec eux: donnez-moi un cœur tendre, un cœur fraternel un cœur- véritablement chrétien, par lequel je puisse sentir leurs douleurs et participer du moins de la sorte aux bénédictions de ceux qui souffrent.
MADAME,
Permettez-moi de vous dire, avec le respect d'un sujet et la liberté d'un prédicateur, que cette instruction salutaire regarde principalement Votre Majesté. Nous répandons tous les jours des vœux pour sa grandeur nous prions Dieu, avec tout le zèle que notre devoir nous peut inspirer, que sa main ne se lasse pas de verser ses bienfaits sur elle et afin que votre joie soit pleine et entière, qu'il fasse que ce grand Roi votre fils, à mesure qu'il s'avance en âge, devienne tous les jours plus cher à ses peuples et plus redoutable à ses ennemis. Mais parmi tant de prospérités, nous ne croyons pas être criminels, si nous lui souhaitons aussi des douleurs. J'entends, Madame, ces douleurs si saintes qui saisissent les cœurs chrétiens à la vue des afflictions, et leur font sentir les misères des pauvres membres du Fils de Dieu. Votre Majesté les ressent, Madame toute la France a vu des marques de cette bonté qui lui est si naturelle. Mais, Madame, ce n'est pas assez tâchez d'augmenter tous les jours ces pieuses inquiétudes qui travaillent Votre Majesté en faveur des misérables. Dans ce secret, dans cette retraite où les heures vous semblent si douces parce que vous les passez avec Dieu, affligez-vous devant lui des longues souffrances de la chrétienté désolée et surtout des peuples qui vous sont soumis. Et pendant que vous formez de saintes ré-
solutions d'y apporter le soulagement que les affaires pourront permettre, pendant que notre victorieux monarque avance tous les jours l'ouvrage de la paix par ses victoires et par cette vie agissante à laquelle il s'accoutume dès sa jeunesse, attirez-la du ciel par vos vœux et pour récompense de ces douleurs que la charité vous inspirera, puissiez-vous jamais n'en ressentir d'autres, et après une longue vie recevoir enfin de la main de Dieu une couronne plus glorieuse que celle qui environne votre front auguste. Faites ainsi grand Dieu, à cause de votre bonté et de votre miséricorde infinie. Amen.
SECONDE ALLOCUTION
POUR
LE PANÉGYRIQUE DE SAINTE THÉRÈSE (a).
SIRE,
Nous prions Dieu, avec tout le zèle que l'amour et le devoir nous peut inspirer, que multipliant ses victoires, il égale votre renommée à celle des plus fameux conquérans. Mais parmi toutes ces prospérités, nous ne croyons pas être criminels si nous lui souhaitons aussi des douleurs j'entends, Sire, ces saintes douleurs qui saisissent les cœurs chrétiens à la vue des afflictions, et qui leur fait sentir les misères des pauvres membres de JésusChrist. Sire, ces douleurs sont dignes des rois; et s'ils sont le cœur des royaumes qu'ils animent par leur influence, il est juste que, comme le cœur, ils ressentent aussi les impressions des maux qu'endurent les autres parties. Votre Majesté les ressent, Sire; elle fait la guerre dans cet esprit, elle étend bien loin ses conquêtes, elle s'accoutume dès sa jeunesse à cette vie agissante pour assurer la tranquillité publique elle sent et elle plaint les maux de ses peuples, elle ne respire qu'à les soulager. Pour (a) Voy. la note jointe au panégyrique.
récompense de ces douleurs que sa bonté lui fait pressentir, puisset-elle jamais n'en éprouver d'autres; et après une longue vie recevoir enfin de la main de Dieu une couronne plus glorieuse que celle qui environne son front auguste.
PANÉGYRIQUE
DE E
SAINTE CATHERINE (a).
Dédit ilh scientiam sanctorum.
11 lui a donné la science des saints. Sapient., x, 10.
Encore que l'ennemi de notre salut ne se désiste jamais de la folle et téméraire entreprise de renverser l'Eglise de Dieu, toutefois nous voyons par les Ecritures qu'il n'agit pas toujours par (a| Prêché le 25 novembre, en 1661 d'abord, puis en 1663 au séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet.
Pourquoi ces deux époques? Avant toutes choses le style du discours nous semble révéler la première date; et le lecteur en trouvera dans l'ouvrage, si je ne me trompe, des indications nombreuses; le Panégyrique de sainte Catherine fut donc prononcé en 1661.
Ensuite il retentit du haut de la chaire deux années plus tard. Fondé en 1642 pour l'éducation des jeunes lévites qui se destinoient au sacerdoce, le séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet ne se soutenait que par les dons des fidèles, et l'abbé Ledieu nous apprend dans ses Mémoires que Bossuet y fit plusieurs sermons de charité en 1663. C'est dans cette circonstance qu'il prêcha pour la seconde fois le Panégyrique de sainte Catherine, en y faisant deux changcmens pour l'approprier à son nouvel auditoire. A la suite de la division, après avoir assigné trois effets que la science produisit dans sainte Catherine, l'orateur dit, comme porte une variante « Ce sont trois effets admirables de la science des saints en sa personne; et comme cette maison se propose de s'y avancer, ce seront les trois points de cette méditation. » Et répétant la même pensée dans une nouvelle péroraison, après avoir parlé du commerce des ame3 « C'est pour ce négoce céleste, dit-il, que cette maison est établie on leur apprend la science, non pour retentir dans un barreau; c'est la science ecclésiastique, destinée pour négocier le salut des ames. » Et plus loin « Que reste-t-il maintenant, Messieurs, sinon que pendant que la science comme un soleil fera mûrir les fruits, vous arrosiez la racine?. Cette eau salutaire de vos aumônes, » etc. En un mot Bossuet, si justement nommé l'avocat des pauvres par ses contem-
la force ouverte. Souvent il paroît en tyran, il persécute les fidèles mais souvent, dit saint Augustin, il fait le docteur et il se mêle de les enseigner de sorte qu'il ne suffit pas que Dieu ait opposé à ses violences la victorieuse armée des martyrs dont le courage invincible a épuisé la cruauté de tous les supplices mais il est également nécessaire qu'il éclaire aussi des docteurs, pour combattre les dangereuses maximes par lesquelles son ennemi tâche de corrompre la simplicité de la foi et de détruire la vérité de son Evangile.
C'est un grand miracle, Messieurs, qu'une fille de dix-huit ans ait osé marcher sous les étendards de cette armée (a) laborieuse et entreprenante, dont la discipline est si dure qu'elle ne doit l'emporter sur ses ennemis qu'en les lassant par sa patience mais je ne crains point d'assurer que c'est quelque chose encore de plus admirable, qu'elle tienne rang parmi les docteurs et que Dieu unissant en elle, si je puis parler de la sorte, toute la force de son Saint-Esprit, elle ait été aussi éclairée pour annoncer la vérité qu'elle a paru déterminée à mourir pour elle. Un tel prodige, Messieurs, n'est pas proposé en vain à l'Eglise et nous en tirerons de grandes lumières pour la conduite de notre vie, si Dieu fléchi par la sainte Vierge dont nous implorons le secours, daigne diriger nos pensées et bénir nos intentions. Disons donc avant toutes choses, Ave.
Je n'ignore pas, chrétiens, que la science ne soit un présent du ciel, et qu'elle n'apporte au monde de grands avantages je sais porains, implore la charité des fidèles en faveur d'un établissement destiné à donner des ministres aux autels du Seigneur.
Dans une note reproduite par ses successeurs, Déforis renverse la base de notre panégyrique il déclare apocryphe la légende de sainte Catherine. Il est vrai que plusieurs critiques en contestent l'authenticité et la fête de sainte Catherine fut supprimée avec beaucoup d'autres dans le diocèse de Paris par l'archevêque Hardouin de Péréfixe en 1666; mais quel catholique croira qu'une fête religieuse se soit établie dans toute l'Eglise sur l'autorité d'une fable? Bossuet admettoit la légende de sainte Catherine, puisqu'il en a fait la base de son panégyrique l'Eglise romaine l'admet aussi, puisqu'elle la conserve dans le bréviaire universel entre Bossuet et Déforis, le choix ne m'embarrasse guère, et je n'ai garde de sacrifier l'autorité de l'Eglise romaine à l'opinion de quelques critiques plus ou moins raffinés.
(a) Var. Ecrire son nom dans cette armée.
qu'elle est la lumière de l'entendement, la guide de la volonté r la nourrice de la vertu, l'ame de la vérité la compagne de la sagesse, la mère des bons conseils, en un mot l'ame de l'esprit et la maîtresse (a) de la vie humaine. Mais comme il est naturel à l'homme de corrompre les meilleures choses cette science qui a mérité de si grands éloges, se gâte le plus souvent en nos mains par l'usage que nous en faisons. C'est elle qui s'est élevée contre la science de Dieu; c'est elle qui promettant de nous éclaircir, nous aveugle plutôt par l'orgueil; c'est elle qui nous fait adorer nos propres pensées sous le nom auguste de la vérité qui sous prétexte de nourrir l'esprit étouffe les bonnes affections, et enfin qui fait succéder à la recherche du bien véritable une curiosité vague et infinie, source inépuisable (b) d'erreurs et d'égaremens très-pernicieux.
Mais je n'aurois jamais fait, Messieurs, si je voulois raconter les maux que fait naître l'amour des sciences, et vous dire tous les périls dans lesquels il engage les enfans d'Adam qu'un aveugle désir de savoir a rendu avec sa race justement maudite le jouet de la vanité, aussi bien que le théâtre de la misère. Un docteur inspiré de Dieu et qui a puisé sa science dans l'oraison en réduit tous les abus à trois chefs. Trois sortes d'hommes, dit saint Bernard, recherchent la science désordonnément. « Il y en a qui veulent savoir, mais seulement pour savoir; et c'est une mauvaise curiosité » Quidam scire volunt ut sciant, et turpis curiositas est 1. a Il y en a qui veulent savoir, mais qui se proposent pour but de leurs grandes et vastes connoissances de se faire connoître eux-mêmes et de se rendre célèbres et c'est une vanité dangereuse » Quidam scire volunt ut sciantur ipsi, et turpis vanitas est. « Enfin il y en a qui veulent savoir; mais qui ne désirent avoir de science que pour en faire trafic et pour amasser des richesses (c) et c'est une honteuse avarice » Quidam scire volunt ut scientiam suam vendant, et turpis quœstus est. Il y en a donc, comme vous voyez, à qui la science ne sert 1 In Cant., serm. xxxvi, n. 3.
(a) Var. Et l'ai bitre. (6) Féconde, – éternelle. (c) qui veulent savoir pour vendre thèrement leur science et ménager leuls intérêts.
que d'un vain spectacle; d'autres à qui elle sert pour la montre et pour l'appareil d'autres à qui elle ne sert que pour le trafic si je puis parler de la sorte. Tous trois corrompent la science tous trois sont corrompus par la science. La science considérée de ces trois (a) manières, qu'est-ce autre chose, mes Frères, a qu'une très-mauvaise occupation qui travaille les enfans des hommes, » comme parle YEcclésiaste? Pessimam hanc occupationem dedit Deus filiis hominuan, ut occuparentur in eà l. Curieux, qui vous repaissez d'une spéculation (b) stérile et oisive, sachez que cette vive lumière qui vous charme dans la science, ne lui est pas donnée seulement pour réjouir votre vue, mais pour conduire vos pas et régler vos volontés (c). Esprits vains, qui faites trophée de votre doctrine avec tant de pompe (d) pour attirer des louanges, sachez que ce talent glorieux ne vous a pas été confié pour vous faire valoir vous-mêmes, mais pour faire triompher la vérité. Ames lâches et intéressées, qui n'employez la science que pour gagner les biens de la terre, méditez sérieusement qu'un trésor si divin (e) n'est pas fait pour cet indigne trafic; et que s'il entre dans le commerce, c'est d'une manière plus haute et pour une fin plus sublime, c'est-à-dire pour négocier le salut des ames. C'est ainsi que la glorieuse sainte Catherine, que nous honorons, a usé de ce don du ciel (f). Elle a contemplé au dedans la lumière de la science, non pour contenter son esprit, mais pour diriger ses affections; elle l'a répandue au dehors au milieu des philosophes et des grands du monde, non pour établir sa réputation, mais faire (g) triompher l'Evangile; enfin elle l'a fait profiter et l'a mise dans le commerce, non pour acquérir des biens temporels, mais pour gagner des ames à Jésus-Christ c'est par où je me propose de vous faire entendre qu'elle possède la science des saints, et c'est tout le sujet de ce discours (A).
i Eccles I, 13.
[a] Var. Etant, regardée en ces trois. – (A) D'une contemplation. – (c) Et diriger tous vos mouvemens. {cl) Esprits vains, vous qui étalez votre doctrine. (e) Ce céleste trésor.- ( f) A mis la science en usage.- {g) Pour donner la victoire à la vérité. (h) Ce sont trois effets admirables de la bcience des saints en sa personne et comme cette maison se propose de s'y avancer, ce seront les trois points de cette méditation.
PREMIER POINT.
Je ne suis pas fort surpris que les sciences profanes soient considérées comme un divertissement de l'esprit elles ont si peu de solidité, que l'on peut sans grande injure n'en faire qu'un jeu. Mais que l'on regarde (a) Jésus-Christ comme un sujet de recherches curieuses, et que tant d'hommes se persuadent d'être bien savans dans les mystères de son royaume, quand ils ont trouvé dans son Evangile de quoi^xercer leur esprit par des questions délicates, ou de quoi l'amuser (b) par des méditations agréables c'est ce qui ne se peut souffrir à des chrétiens. Parce que Jésus-Christ est une lumière, ils s'imaginent peut-être qu'il suffit de la contempler et de se réjouir à sa vue mais ils devroient penser au contraire que cette lumière n'éclaire que ceux qui la suivent, et non simplement ceux qui la regardent. a Qui me suit, nous dit-il, et non qui me voit, ne marche point dans les ténèbres » Qui sequitur me non ambulat in tenebris Par où il nous fait entendre que qui le voit sans le suivre, n'en marche pas moins dans la nuit et dans les ombres de la mort. Ainsi a celui qui se vante de le connoître et qui ne garde pas ses commandemens, est un menteur, dit saint Jean et la vérité n'est pas en lui (c) » Qui dicit se nosse Deum, et mandata ejus non custodit, mendax est et in hoc veritas non est 2. Pourquoi ne connoît-il point Jésus-Christ ? 2 Parce qu'il ne le connoît point tel qu'il est je veux dire qu'il le connoit comme la vérité, mais il ne le connoit pas comme la voie et Jésus-Christ, comme vous savez, est l'un et l'autre. « Je suis, dit-il, la voie et la vérité » Ego sum via et veritas 8; vérité qui doit être méditée par une sérieuse contemplation, mais voie où il faut entrer par de pieuses pratiques.
1 Joan., vin, 12. – Joan., a, 4. Joan., xiv, 6.
(a) Var.: Le bien est ce qui nous rend meilleurs, comme les richesses ce qui nous rend riches. La science ne nous rend pas meilleurs, quand elle n'est que pour satisfaire la curiosité. Qu'on se serve ainsi des sciences humaines mais que l'on regarde. (6) Var. Le contenter.- (c) On peut regarder Jésus-Christ en deux manières, ou comme un sujet de spéculation ou comme une règle de vie. Des premiers il est écrit Qui dicit se nosse Deum et mandala ejus non custodit, mendax est. Ceux qui le connoissent de la sorte il ne les counott pas Nescio vos. C'est pourquoi pour le bien connoltre il faut l'embrasser comme règle et de là vient qu'en nous disant qu'il est la vérité il dit premièrement qu'il est la voie.
C'est donc une maxime infaillible, que la science du christianisme tend à la pratique et l'action, et qu'elle n'illumine que pour échauffer la connoissance, que pour exciter les affections. Mais nous l'entendrons beaucoup mieux, si nous réduisons les choses au premier principe et à la source de cette science. Cette source, ce premier principe de la science des Saints, c'est la foi, de laquelle il nous importe aujourd'hui de bien entendre la nature, afin de connoître aussi son usage et celui de toutes les connoissances qui en dépendent. s>
Pour cela nous remarquerons que toute la vie chrétienne nous étant représentée dans les Ecritures comme un édifice spirituel, ces mêmes Ecritures nous disent aussi que la foi en est le fondement. Saint Pierre ne paroît dans l'Evangile comme le fondement de l'Eglise qu'à cause qu'en reconnoissant Jésus-Christ, il a posé la première pierre et établi le fondement de la foi. L'Apôtre enseigne aux Colossiens que « nous sommes fondés sur la foi, et que c'est la fermeté de ce fondement qui nous rend immobiles et inébranlables dans l'espérance de l'Evangile In fide fundati, et stabiles, et immobiles à spe Evangelii 1. Et ensuite le même saint Paul définit la foi « l'appui et le fondement des choses qu'il faut espérer C'est pourquoi le saint concile de Trente, suivant les traces de cette doctrine, nous décrit aussi la foi en ces termes Humanœ salutis initium fundamentum et radix totius justiftcationis « Le commencement du salut de l'homme, la racine et le fondement de toute la justice chrétienne. »
Cette qualité de fondement attribuée à la foi par le Saint-Esprit 'met, ce me semble, dans un grand jour la vérité (a) que j'annonce et il est maintenant bien aisé d'entendre que la foi n'est pas destinée pour attirer des regards curieux, mais pour fonder une conduite constante et réglée. Car qui ne sait, chrétiens, qu'on ne cherche pas la curiosité dans le fondement que l'on cache en terre, mais la solidité et la consistance? Ainsi la foi chrétienne n'est pas un spectacle pour les yeux, mais un appui pour les mœurs. Ce fondement est mis dans l'obscurité; mais ce fonde1 Coloss., i, 23. – Hebr., si, 1. 3 Sess. V, cap. vin.
(a) Var.: Apporte une grande lumière à.
ment est établi avec certitude. Telle est la nature de la foi, laquelle, comme vous voyez, ne pouvant avoir l'évidence qui satisfait la curiosité mais seulement la fermeté et la certitude capable de soutenir la conduite, il est aisé de comprendre qu'elle déploie toute sa vertu à nous appliquer à l'action, et non à nous arrêter à la connoissance.
Sainte Catherine, Messieurs, surmontant par la grandeur de son génie la foihlesse ordinaire de son sexe avoit appris dès sa tendre enfance toutes les sciences curieuses qui peuvent ou égayer, ou polir, ou enfin illuminer un esprit bien fait. Mais le Maître qui l'enseignoit au dedans, avoit rempli son esprit de connoissances bien plus pénétrantes. Aussi le chaste amour qu'elle avoit pour elles, l'avoit tellement touchée que méprisant tout le reste, elle rappeloit de toutes parts ses autres pensées pour les réduire à la foi, pour les appuyer sur ce fondement, pour ensuite les appliquer de toute sa force aux saintes et bienheureuses pratiques de la piété chrétienne.*
Si je ne me trompe, Messieurs, souvent elle méditoit ce raisonnement, et je ne me trompe pas car quiconque est rempli de l'esprit de Dieu, s'il ne le fait pas dans la même forme que j'ai dessein de le proposer, il ne laisse pas toutefois d'être persuadé de son,efficace. Voici donc le raisonnement de la sainte que nous honorons, ou plutôt le raisonnement du vrai chrétien, que chacun de nous doit faire en soi-même J'ai cru à la parole du Fils de Dieu j'ai reçu la doctrine de son Evangile j'ai posé par ce moyen un bon fondement, fondement assuré et inébranlable, contre lequel les portes de l'enfer ne prévaudront pas c'est le fondement de la foi, capable de soutenir immuablement la conduite de la vie présente et l'espérance de la vie future. Mais qui dit fondement, dit le commencement de quelque édifice; et qui dit fondement, dit le soutien de quelque chose. Que si la foi n'est encore qu'un commencement, il faut donc achever l'ouvrage et si la foi doit être un soutien, c'est une nécessité de bâtir dessus. Notre Sainte voit si clairement dans une lumière céleste cette conséquence importante, qu'elle n'a point de repos jusqu'à ce qu'elle ait bâti sur la foi et réduit sa connoissance en pratique. Mais un
commencement aussi beau qu'est celui de la foi en Notre-Seigneur demande, pour y répondre, un bâtiment magnifique et un soutien aussi ferme, aussi solide, attend quelque structure hardie et quelque miracle d'architecture, si je puis parler de la sorte. Remplie de cette pensée, elle ne médite plus rien qui soit ordinaire elle n'a plus dans l'esprit que des choses qui surpassent toute la nature le martyre, la virginité celui-là capable de nous faire vaincre toute la fureur des démons, de nous élever au-dessus de la violence des hommes celle-ci donnée pour nous égaler à la pureté des esprits célestes.
Et plût à Dieu, chrétiens, que nous eussions aujourd'hui compris à l'exemple de cette Sainte, que quelque grande que soit la foi, quelque lumineuse que soit la science qui est appuyée sur ces principes, tout cela n'est encore qu'un commencement de l'œuvre qui se prépare. Peut-être que nous rougirions de nous arrêter dès le premier pas, et que nous craindrions de nous attirer ce reproche de l'Evangile Hic homo cœpit œdificare l voilà cet homme inconsidéré, ce fou, cet insensé, qui fait un grand amas de matériaux, et qui ayant posé tous les fondemens d'un édifice superbe et royal, tout d'un coup a quitté l'ouvrage, et laissé tous ses desseins imparfaits. Quelle légèreté ou quelle imprudence Mais pensons à nous, chrétiens c'est nous-mêmes qui sommes cet homme insensé. Nous avons commencé un grand bâtiment, nous avons déjà établi la foi qui en est le fondement immuable, qui rend présentes les choses qu'on espère Sperandarum substantia rentra, dit l'Apôtre 2. Pour poser ce fondement de la foi, quel effort a-t-il fallu faire? Le fonds destiné (a) pour le bâtiment étoit plus mouvant que le sable car est-il rien de moins fixe que l'esprit humain, toujours variable en ses pensées, vague en ses désirs, chancelant ;dans ses résolutions? Il a fallu l'affermir que de miracles, que de souffrances, que de prophéties, que d'enseignemens, que d'inspirations, que de graces ont été nécessaires pour servir d'appui 1 Il y avoit d'un côté des hauteurs superbes qui s'élevoient contre Dieu, l'opiniâtreté et la présomption; il a » Luc., xiv, 30. – Hebr., XI, t.
(a) Var. La terre choisie.
fallu les abattre et les aplanir de l'autre, des précipices affreux, l'erreur l'ignorance, l'irrésolution qui menaçoient de ruine; il a fallu les combler. Enfin que n'a-t-il pas fallu entreprendre pour poser ce fondement de la foi? Et après de si grands efforts et tant de préparatifs extraordinaires, on abandonne toute l'entreprise, et on met des fondemens sur lesquels on ne bâtit rien peut-on voir une pareille folie? Insensés, ne voyons-nous pas que ce fondement attend l'édifice que ce commencement de la foi demande sa perfection par la bonne vie; et que ces murailles à demi élevées, qui se ruinent parce qu'on néglige de les achever, rendent hautement témoignage contre notre folle et téméraire conduite ? Hic homo cœpit œdificare, et non potuit consummare. Mais poussons encore plus loin, et par le même principe disons, insistons toujours Quelles choses devons-nous bâtir sur ce fondement de la foi? Quelles autres choses, Messieurs, il est bien aisé de l'entendre des choses proportionnées au fondement même, des œuvres dignes de la foi que nous professons. Car un architecte avisé, qui conduit son entreprise régulièrement (a) proportionne de telle sorte le fondement avec l'édifice, qu'on mesure et qu'on découvre déjà l'étendue, l'ordre, les hauteurs de tout le palais, en voyant la profondeur, les alignemens la solidité des fondations. Ne doutez pas qu'il n'en soit de même, Messieurs, de l'édifice dont nous parlons, qui est la vie chrétienne et spirituelle. Que cet édifice est bien entendu! Que l'architecte est habile, qui en a posé le fondement Mais de peur que vous en doutiez, écoutez l'apôtre saint Paul « J'ai, dit-il, établi le fondement ainsi qu'un sage architecte » Ut sapiens architectus fundamentum posui1. Mais peut-être s'est-il trompé. A Dieu ne plaise, Messieurs, car il n'agit pas, dit-il, de lui-même « il agit selon la grace qui lui est donnée il bâtit suivant les lumières qu'il a reçues Secundùm graliam quœ data est mihi. Il a donc gardé toutes les mesures; et il ne pouvoit se tromper, parce qu'il ne faisoit que suivre le plan qui lui avoit été envoyé d'en haut Secundùm gratiam quœ data est mihi. Que s'il a conduit toute r
1 Cor., III, 10.
(a) Var. Avec art.
l'entreprise suivant les instructions et les règles d'une architecture céleste, qui doute qu'il n'ait gardé toutes les mesures, et ainsi quelle bâtiment et l'ordre de l'édifice ne doivent répondre au fondement qu'a posé ce sage entrepreneur?
C'est pour cela, chrétiens, qu'il n'y a rien de plus grand, ni de plus magnifique que cet édifice, parce qu'il n'y a rien de plus précieux, ni de plus solide que ce fondement. Car dites-nous, ô grand Paul, quel fondement avez-vous posé? N'entendez-vous pas sa réponse? « On ne peut point, dit-il, poser d'autre -fondement, sinon celui que j'ai mis, qui est Jésus-Christ? » Fundamentum aliud nemo potest ponere prceter id quod,positum est, quod est Ch1'istus Jésus ». 0 le merveilleux fondement, qui est établi en nous par la foi Et que saint Paul a raison de nous avertir de prendre garde avec soin à ce que nous aurons à bâtir dessus 1 Unusquisque videat quomodo swperœdificel*. Certainement, chrétiens, sur un fondement si divin, il ne faut rien élever qui ne soit auguste si bien que toute la science des saints consiste à connoître ce fondement, et toute la pratique de la sainteté à savoir ériger dessus des choses qui lui conviennent, des œuvres qui sentent son esprit, des mœurs tirées sur ses exemples, une vie toute formée sur ses préceptes, sur sa doctrine.
Ainsi sainte Catherine ayant établi ce fondement, plus elle en connoissoit la dignité par la science des saints, plus elle s'étudioit à bâtir dessus un édifice proportionné, et il est aisé de l'entendre. Un Dieu s'est humilié et anéanti; voilà, Messieurs, le fondement. Qu'est-ce que notre Sainte a bâti dessus? Un mépris de son rang et de sa noblesse (a), pour se couvrir toute entière des opprobres de Jésus-Christ et de la glorieuse infamie de son Evangile. Un Dieu est né d'une Vierge voilà le fondement du christianisme; et Catherine érige dessus, quoi? L'amour immortel et incorruptible de la pureté virginale. Un Dieu a comparu, dit le saint Apôtre s, devant le tribunal de Ponce-Pilate pour y rendre un témoignage fidèle voilà le fondement de la foi; et je vois sainte Catherine qui, pour bâtir sur ce fondement, marche au trône des Il 1 Cor., m, H. » Ibid., 10. » 1 Timoth vi, 13.
(a) Var.: Un dédain généreux des grandeurs du monde.
empereurs pour y rendre un témoignage semblable, et y soutient invinciblement la vérité de l'Evangile (a). Si Jésus est étendu sur la croix, Catherine se présente aussi pour être étendue, sur une roue si Jésus donne tout son sang, Catherine lui rend tout le sien et enfin, en toute manière, il n'y a rien de plus convenable que ce fondement et cet édifice.
Chrétiens, il est véritable le même fondement est posé en nous par la grace du saint baptême et par la profession du christianisme. Mais que l'édifice est différent, que le reste de la structure est dissemblable 1 Est-ce vous, ô divin Jésus, qui êtes le fondement de notrefoi? Pourquoi donc ce mélange indigne de nos désirs criminels avec ce divin fondement? 0 foi et science des chrétiens 1 0 vie et pratique des chrétiens 1 Est-il rien de plus opposé, ni de plus discordant que vous êtes ? Voyez la bizarrerie un fondement d'or et de pierres précieuses un bâtiment de bois et de paille Je parle avec l'Apôtre qui nous représente par là les péchés, matière vraiment combustible et propre à exciter et entretenir le feu de la vengeance divine. 0 foi, que vous êtes pure 0 vie, que vous êtes corrompue Quels yeux ne seroient pas choqués d'une si haute inégalité, si on la regardoit avec attention? Et faut-il autre chose que la sainteté de ce fondement, pour convaincre l'extravagance criminelle de ceux qui ont élevé cet édifice ? Eveillons-nous donc, chrétiens; et que ce mélange prodigieux de Jésus-Christ et du monde commençant à offenser notre vue, nous presse à nous accorder avec nos propres connoissances. Car comment nous pouvons-nous supporter nous-mêmes, en croyant de si grands mystères, et les déshonorant tout ensemble par un mépris si outrageux ? « Ne porterons-nous donc le nom de chrétiens, que pour déshonorer Jésus-Christ? » Dicuntur christiani ad contumeliam Christi s. Quelle crainte vous peut empêcher de bâtir sur ces fondemens? Ce qu'on vous prêche est grand, je le 1 1 Cor., m, 12. – > Salv., de Gub. Dei, lib. VIII, n. 2.
(a) Var. Jésus-Christ, fils d'une Vierge Fundamentum posui amour de la ̃virginité Alius aulem superctdificat. Jésus-Christ a rendu témoignage devant Ponce-Pilate, fundamentum posui. Sainte Catherine va trouver e tyran Ahus autem superœdificat. Ainsi nous devons bâtir sur notre foi, de peur qu'on ne dise Hic homo cœpit œdificare et non potuit consummare.
sais se haïr soi-même, dompter ses passions, se contraindre, se mortifier, vaincre ses plaisirs, mépriser non-seulement ses biens, mais sa vie pour la gloire de Jésus-Christ, j'avoue que l'entreprise est hardie mais voyez aussi, chrétiens, combien ce fondement est inébranlable. Quoi! vous n'appuyez dessus qu'en tremblant, comme s'il étoit douteux et mal affermi vous marchez dessus d'un pas incertain vous n'osez y mettre qu'un pied et tenez l'autre posé sur la terre, comme si elle étoit plus ferme. Et pourquoi chancelez-vous si longtemps entre Jésus-Christ et le monde? Que vous sert de connoître les vérités saintes, si vous n'allez point après la lumière qu'elles allument devant vos yeux? 0 Jésus, ô divin Jésus, nous allons changer aujourd'hui par votre grace une conduite si déréglée nous ne voulons plus de lumières que pour les réduire en pratique. Nous ne désirons de croître en science que pour nous affermir dans la piété nous ferons céder au désir de faire la curiosité de connoître; et nous fortifierons notre volonté par la modération de notre esprit. Ainsi ayant appris saintement à profiter au dedans de notre science, nous pourrons la produire ensuite dans le même esprit que notre Sainte, pour glorifier la vérité par un témoignage fidèle c'est ma seconde partie.
SECOND POINT.
La vérité est un bien commun quiconque la possède, la doit à ses frères selon les occasions que Dieu lui présente et « quiconque se veut rendre propre ce bien public de la nature raisonnable (a), mérite bien de le perdre et d'être réduit, dit saint Augustin, à ce qui est véritablement le propre de l'esprit de l'homme, c'est-à-dire le mensonge et l'erreur » Quisquis suum vult esse quod omnium est, à communi propellitur ad Sua, id est, à veritate ad mendacium
Par ce principe, Messieurs, celui que Dieu a honoré (6) du don de science est obligé d'éclairer les autres (c). Mais comme en fai1 Confess., lib. XII, cap. xxv.
(a) Var. Veut se rendre particulier ce bien universel du genre humain. (b) Rempli. (c) N. marg. Il n'est pas permis de tenir la vérité cachée elle ne craint rien que d'être cachée, dit un ancien. Et saint Augustin TerribiMer
sant connoître la vérité il se fait paroître lui-même, et que ceux qui sont instruits par son entremise lui rendent ordinairement des louanges comme une juste reconnoissance d'un si grand bienfait, il est à craindre qu'il ne se corrompe par les marques de la faveur publique, et qu'il ne perde sa récompense par un désir empressé de la recevoir (a).
Que si les têtes les plus fortes sont souvent émues d'un encens si délicat et si pénétrant (6), combien plus celle d'une jeune fille, en qui l'opinion de science est d'autant plus applaudie qu'elle est plus extraordinaire en son sexe? C'est ici le miracle de la main de Dieu dans la Sainte que nous honorons; et quoique ce soit un grand prodige de voir Catherine savante, c'est encore quelque chose de plus surprenant de voir Catherine modeste, et ne se servir de cette science que pour faire régner Jésus-Christ. Les dames modestes et chrétiennes voudront bien entendre en ce lieu les vérités de leur sexe. Leur plus grand malheur, chrétiens, c'est qu'ordinairement le désir de plaire est leur passion dominante; et comme pour le malheur des hommes, elles n'y réussissent que trop facilement, il ne faut pas s'étonner si leur vanité est souvent extrême, étant nourrie et fortifiée par une complaisance presque universelle. Qui ne voit avec quelle pompe elles étalent cette beauté qui ne fait que colorer la superficie? Que si elles se sentent dans l'esprit quelques avantages plus considérables, combien les voit-on empressées à les faire éclater dans leurs entretiens? et quel paroît leur triomphe, lorsqu'elles s'imaginent charmer tout le monde? C'est la raison principale pour laudmonens nos ut nolimus eam habere privatam. C'est un bien public mais en la manifestant il faut craindre la vaine gloire. Pour l'empêcher, belle distinction que fait la théologie Gratta yratum faciens grattas graks datœ celle-là, pour nous; celles-ci, toutes pour les autres. Sur cette distinction raisonner ainsi Ces premières graces, par exemple la charité, nous sont données pour nous-mémea et pour l'ornement intérieur de nos ames et néanmoins il n'est pas permis d'en tirer de la gloire, parce qu'encore qu'elles soient données pour nous, elles ne viennent pas de nous Si acceptsti, qutd glorians? De la seconde espèce il est bien moins permis de se glorifier. Elle a cela de commun avec la première, qu'elle ne vient point de nous; et cela de particulier, qu'elle n'est pas pour nous. Vous faites un double vol vous l'ôtez à celui dont elle vient; cela lui est commun avec la première mais voici un redoublement de mal; c'est que vous la ravissez à celui pour qui elle est donnée. (a) Var. En la voulant hop tôt recevoir. (b) Et*» subtil
quelle, si je ne me trompe, on les exclut des sciences, parce que quand elles pourroient les acquérir, elles auroient trop de peine à les porter de sorte que si on leur défend cette application, ce n'est pas tant à mon avis dans la crainte d'engager leur esprit à une entreprise trop haute que dans celle d'exposer leur humilité à une épreuve trop dangereuse.
Pour guérir en elles cette maladie, l'Eglise leur propose sainte Catherine au milieu d'une assemblée de philosophes, également victorieuse de leurs flatteries et de leurs vaines subtilités, et se démêlant d'une même force des piéges qu'ils tendent à son esprit et des embûches qu'ils dressent à sa modestie A laqueo linguœ iniquœ et à labiis operantium mendacium 1. C'est qu'elle sait, chrétiens, que ce beau talent de science ne lui a pas été confié pour en tirer avantage et lors même que Dieu nous le donne, qu'il n'est pas à nous pour deux raisons. Premièrement il n'est pas à nous, non plus que les autres dons de la grace, parce qu'il nous est élargi d'en haut. Mais outre cette raison générale, qui est que ce don ne vient pas en nous de nous-mêmes, il a ceci de particulier, qu'il ne nous est pas donné pour nous-mêmes. Car la théologie n'ignore pas, et je le dirai en passant, que la science n'est pas de ces graces qui nous rendent plus agréables à la divine Majesté; mais de cette autre espèce de graces qui sont communiquées pour le bien des autres, tel qu'est, comme chacun sait, le don des miracles. Comme donc nous ne sommes pas plus saints ni plus justes pour être éclairés par la science, je ne crains point de vous dire que ce n'est pas un avantage particulier. Car c'est une espèce de trésor public, auquel ceux qui le possèdent peuvent bien prendre leur part pour leur instruction, comme les autres enfans de l'Eglise; mais dont ils ne peuvent se donner la gloire, non plus que s'attribuer la propriété, sans une espèce de vol sacrilége. Car si l'on nous défend de nous glorifier de ce qui nous est donné pour nous-mêmes, combien moins le devons-nous faire de ce qui nous est donné pour les autres, pour toute l'Eglise. Ainsi la science chrétienne ne se doit jamais produire au dehors pour se faire admirer elle-même. Elle a un plus digne office, i Eccli., Li, 3.
dont elle se doit tenir assez glorieuse, c'est de faire paroître JésusChrist et la raison en est évidente. Quand on présente au miroir quelque beau visage, dites-le-moi, chrétiens, n'est-ce pas pour faire paroître, non la glace, mais le visage? Et tout l'honneur du miroir, si je puis parler de la sorte, n'est que dans une fidèle représentation. La science du christianisme, qu'est-ce autre chose qu'un miroir fidèle et céleste, dans lequel Jésus-Christ se représente ? Quand Jésus-Christ donne à ses fidèles la science de ses vérités, que fait-il autre chose en eux, sinon de poser dans leur esprit un miroir céleste de ses propres perfections (a) ? Ne vous persuadez pas, ô vous qui êtes ornés de cette science, que vous deviez la faire paroître avec soin, mais seulement Jésus-Christ, dont elle montre au naturel les perfections. C'est pourquoi dit le saint Apôtre, nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais JésusChrist Notre-Seigneur nous ne montrons le miroir que pour faire voir le visage, nous ne produisons la science que pour faire connoître Jésus-Christ. Il est vrai qu'il a plu à Dieu de répandre sur nous ses lumières « Le même Dieu qui a commandé que la lumière sortît des ténèbres, a fait luire sa clarté dans nos cœurs » Qui dixit de tenebris lumen splendescere, ipse illuxit in cordibus nostris'. Mais ce n'est pas pour nous donner un vain éclat, à nous qui n'étions que ténèbres; c'est qu'il a voulu imprimer dans la science qu'il nous a donnée, comme dans une glace unie, l'image de son Fils notre Sauveur, afin que tout le monde admirât sa face et fût ravi de ses beautés immortelles lpse illuxil in cordibus nostris, ad illuminationem scientiœ claritatis Dei in facie Christi Jesu.
Catherine voyant reluire en son ame l'image de la vérité dans celle de Jésus-Christ, la trouve si belle et si accomplie, qu'elle veut l'exposer dans le plus grand jour elle n'emploie sa science que pour faire connoître Li vérité mais afin qu'elle paroisse » il Cor., iv, 6.
(a) Var.: 11 faut se considérer comme un canal ou comme un miroir. Si le miroir reluit ce n'est que d'une lumière empruntée qui ne vient pas de lui mais du soleil; et qui n'est pas destinée pour lut, mais afin de rejaillir sur les autres objets par son moyen. Ainsi les docteurs sont des miroirs, ad illuminattonem scientiœ clantatis Dei in facie Christi Jesu.
comme triomphante, elle met à ses pieds la philosophie, qui est son ennemie capitale. Pour confondre la philosophie, elle s'étoit instruite de tous ses détours; et afin d'assurer le triomphe de la vérité sur cette rivale, elle fait deux choses admirables elle la désarme et la dépouille. Elle la désarme, comment? Elle détruit les erreurs qu'elle a établies; c'est ainsi qu'elle la désarme. Elle la dépouille, en quelle manière? Elle lui ôte les vérités qu'elle a usurpées; c'est ainsi qu'elle la dépouille. Voici, Messieurs, un beau combat, et qui mérite vos attentions.
Encore que les philosophes soient les protecteurs de l'erreur, toutefois ils ont découvert quelques rayons de la véiité. « Quelquefois, dit Tertullien, ils ont frappé à sa porte » Veritatis fores puisant1. S'ils ne sont pas entrés dans son sanctuaire, s'ils n'ont pas eu le bonheur de la voir et de l'adorer dans son temple, ils se sont quelquefois présentés à ses portiques (a), et lui ont rendu de loin quelque hommage. Soit que dans ce grand débiis des connoissances humaines, Dieu en ait voulu conserver quelque petit reste comme des vestiges de notre première institution soit, comme dit Tertullien, que « cette longue et terrible tempête d'opinions et d'erreurs les ait quelquefois jetés au port par aventure et par un heureux égarement (b) » Nonnunquàm et in procellâ con fusis vestigiis cœli et freti, aliquis portus offenditur, prospero errore'; soit que la Providence divine ait voulu faire éclater sur eux quelque rayon de lumière pour la conviction de leurs erreurs il est assuré, chrétiens, qu'au milieu de tant de ténèbres ils ont entrevu quelque jour et reconnu confusément quelques vérités. Mais le grand Paul leur reproche qu'ils les ont injustement détenues captives'; et en voici la raison. C'est qu'ils voyoient le principe, et ils ne vouloient pas ouvrir les yeux pour en reconnoître les conséquences nécessaires (c). Par exemple, l'ordre visible du monde leur découvroit manifestement les invisibles per1 Tertull., De testim. anim., n. 1. – De Anima, n. 2.- » Hom., i, 18. (a) Var. Il ont paru à l'entrée. (b) Soit que par une heureuse rencontres cette grande tempête d'opinions les ait comme par hasard conduits au port, cœcâ felicitate. (c) Mais elles étoient captives, parce qu'ils ne permettoient pas qu'on en tirùt les conséquences légitimes, si bien qu'il sembloit qu'ils n'avoient la vérité que pour la fulsifier et la corrompre par un indigne mélange.
fections de son Créateur; et quoique la suite de cette doctrine fût de lui rendre l'hommage qu'une telle Majesté exige de nous ils refusoient de servir celui qu'ils reconnoissoient pour leur Souverain. Ainsi la vérité gémissoit captive sous une telle contrainte et souffroit violence en eux, parce qu'elle n'agissoit pas dans toute sa force de sorte qu'il la falloit délivrer du pouvoir (a) de ces violens usurpateurs, et la remettre comme une vierge honnête et pudique entre les mains du christianisme, qui seul la conserve dans sa pureté.
C'est ce que fait aujourd'hui sainte Catherine elle fait paroître Jésus-Christ avec tant d'éclat, que les erreurs que soutenoit la philosophie sont dissipées par sa présence; et les vérités qu'elle avoit enlevées violemment, viennent se rendre à lui comme à leur Maître, ou plutôt se réunir en lui comme dans leur centre ainsi la philosophie est forcée de rendre les armes (6). Mais quoiqu'elle soit vaincue et persuadée, elle a peine à déposer son premier orgueil, et elle paroît encore étonnée d'être devenue chrétienne. Mais enfin les raisonnemens de Catherine l'amènent captive au pied de la croix. elle ne rougit plus de ses fers; au contraire elle s'en trouve honorée, et il semble qu'elle prend plaisir de céder à une sagesse plus haute.
Apprenons d'un si saint exemple à rendre témoignage à la vérité, àJa faire triompher du monde, à faire servir toutes nos lumières à un si juste devoir qu'elle nous impose (c). 0 sainte vérité, je vous dois trois sortes de témoignages je vous dois le témoignage de ma parole je vous dois le témoignage de ma vie je vous dois le témoignage de mon sang. Je vous dois le témoignage de ma parole :ô Vérité, vous étiez cachée dans le sein du Père éternel, et vous avez daigné par miséricorde vous manifester à nos yeux. Pour honorer cette charitable manifestation je vous dois manifester au dehors par le témoignage de ma parole. Périssent tous mes discours, disoit le Prophète et que ma langue 1 Psal. cxxxvi, 6.
(a) Var. ArraCher des mains. (6) Elle veut faire régner la vérité sur les philosophes elle apprend à ces savans orgueilleux à parler le langage des pauvres pécheurs. – (c) A donner la victoire à la vérité, en lui rendant témoignage.
soit éternellement attachée à mon palais, si je t'oublie jamais, 6 vérité 1 et si je ne te rends témoignage.
Mais, chrétiens, il ne suffit pas de lui donner celui de la voix, qui n'est qu'un son inutile et notre zèle est trop languissant, s'il ne consacre que des paroles à la vérité, qui ne peut être assez honorée que par des effets dignes d'elle. Car sa solidité immuable n'est pas suffisamment reconnue par nos discours, qui ne sont que des ombres de nos pensées et il faut qu'elle soit gravée en nos mœurs par des marques effectives de notre affection. Ne donner que la parole à la vérité, c'est donner l'ombre pour le corps, et une image imparfaite pour l'original. Il faut honorer la vérité par la vérité, en la faisant paroître en nous-mêmes par des effets dignes d'elle.
Mais outre le témoignage des œuvres, nous devons encore à la vérité le témoignage du sang. Car la vérité c'est Dieu même il lui faut un sacrifice complet pour lui rendre tout le culte qui lui est dù, et pour honorer dignement l'éternelle consistance de sa vérité (a). Nous devons nous préparer tous les jours à nous détruire pour elle, si jamais elle exige de nous ce service. Ainsi a fait Catherine, qui étant remplie si abondamment de la science des saints, pour en rendre ses actions de grace à la vérité, l'a glorifiée devant tout le monde par le témoignage de sa parole, qu'elle a soutenu par celui de sa vie et enfin scellé et confirmé par celui de son sang de sorte qu'il ne faut pas s'étonner si une science si bien employée au service de la vérité, a fait un si grand profit dans ce commerce spirituel et a gagné tant d'âmes à JésusChrist c'est ce qui me reste à vous expliquer dans la troisième partie.
TROISIÈME POINT.
C'est un indigne spectacle que de voir les dons de l'esprit servir aux intérêts temporels. Je ne vois rien de plus servile que ces ames [b) basses qui regrettent toutes leurs veilles, qui murmurent contre leur science et l'appellent stérile et infructueuse, (al Var. 11 lui faut un sacrifice complet pour l'honorer selon sa dignité. (b) Je ne puis souffrir ces ames.
quand elle ne fait pas leur fortune. Mais que les sciences humaines s'oublient de leur dignité jusqu'à n'avoir plus d'usage que dans le commerce, ce n'est pas à moi, chrétiens, de le déplorer dans cette chaire. Faut-il, sainte fille du ciel, source des conseils désintéressés, auguste science du christianisme, faut-il que je vous voie en nos jours si indignement ravilie que de vous rendre esclave de l'avarice ? Un tel opprobre, Messieurs, que font à Jésus-Christ et à l'Evangile les ouvriers mercenaires, mérite bien, ce me semble, que nous établissions ici des maximes fortes pour épurer les intentions et la science de notre Sainte consacrée uniquement au salut des ames, nous en donnera l'ouverture. Vous croirez aisément, Messieurs, que les lumières de son esprit et la vaste étendue de ses connoissances, soutenue de l'éclat d'une jeunesse florissante et de l'appui d'une race illustre dont elle étoit l'ornement lui donnoient de grands avantages pour s'établir dans le monde. En effet ses historiens nous apprennent que l'empereur et toute sa Cour l'avoient regardée comme la merveille de son siècle. Mais elle n'a garde de rabaisser les lumières de l'Esprit de Dieu jusqu'à les faire servir à la fortune, surtout dans une Cour infidèle elle fait valoir ce talent dans un commerce plus haut elle l'emploie à négocier le salut des ames. Et en effet, chrétiens, ce glorieux talent de science est destiné sans doute pour quelque commerce. Jésus-Christ en le confiant à ses serviteurs « Négociez, leur a-t-il dit, jusqu'à ce que je vienne » Negotiamini donec venio Mais c'est un commerce divin où le monde ne peut avoir part, et deux raisons invincibles nous le persuadent. La première se tire de la dignité de ce céleste dépôt la seconde, de celui qui nous l'a commis et qui s'en est toujours réservé le fonds. Mettons ces deux raisons dans un plus grand jour; et premièrement, chrétiens, pour apprendre à n'avilir pas le talent de la science chrétienne, considérons sa valeur et sa dignité.
La matière dont est composée cette céleste monnoie, c'est l'Evangile et tous ses mystères. Mais quelle image admirable y vois-je empreinte? Cujus est imago Ttœc*? Je l'ai déjà dit, chré1 Luc., Hx, 13. – • Matth,, xxn, 20.
tiens, l'image qui est imprimée sur notre science c'est l'image de Jésus-Christ, Roi des rois. 0 que la marque d'un si grand Prince rehausse le prix de ce talent, et que sa valeur est inestimable 1
Que faites-vous, ames mercenaires, lorsque vous n'avez autre but que d'en trafiquer avec le monde pour acquérir des biens temporels ? Le commerce se fait par échange; l'échange est fondé sur l'égalité quelle égalité trouvez-vous entre la science de Dieu, qui comprend en elle-même les trésors célestes, et ces malheureux avantages dont la fortune dispose ?
Le premier homme, Messieurs, qui a osé (a) mettre de l'égalité entre des choses aussi dissemblables que l'argent et les dons de Dieu, c'est cet infâme Simon le Magicien qui a mérité pour ce crime la malédiction des apôtres, et ensuite est devenu l'exécration de tous les siècles suivans. Mais je ne crains point d'assurer que ceux qui ne s'étudient à la science ecclésiastique que pour entrer dans les bénéfices ou pour ménager par quelque autre voie leurs intérêts temporels, marchent sur les pas de ce magicien, et attirent sur eux comme un coup de foudre cette imprécation apostolique Pecunia tecum sit in perditionem a Que ton argent, malheureux soit avec toi en perdition. » Dirai-je ici ce que je pense? Ils s'accordent avec Simon en égalant les choses divines aux biens périssables mais il y a cette différence honteuse pour ceux dont je parle, que dans le marché de Simon l'argent est le prix qu'il offre, la grace du Saint-Esprit le bien qu'il veut acquérir; et que ceux-ci renversent l'ordre du contract, pour le rendre plus profane et plus mercenaire. Ils prodiguent et prostituent le présent du ciel, pour avoir les biens de la terre. Simon donnoit son argent pour le don de Dieu, et ceux-ci dispensent le don de Dieu pour mériter de l'argent quelle indignité! Si bien qu'au lieu que saint Pierre reproche à Simon a qu'il avoit voulu acquérir le don de Dieu par argent » Donum Dei existimasti •pecuniâ possideri nous pouvons dire de ceux-ci qu'ils veulent acquérir de l'argent parle don de Dieu » Ad., vin, 20. – » Ibid.
(a) Var. Voulu.
en quoi ils seroient sans comparaison plus lâches et plus criminels que Simon, n'étoit qu'il a joint l'un et l'autre crime, et que les Pères ont sagement remarqué que sans doute il ne vouloit acheter que dans le dessein de vendre.
Certainement, chrétiens, ceux qui profanent ainsi la science du christianisme n'en connnoissent pas le mérite; autrement ils rougiroient de la ravilir par un usage si bas aussi voyons-nous ordinairement que ces ouvriers mercenaires altèrent et falsifient par un mélange étranger cette divine monnoie. Ils ne débitent point ces maximes pures qui enseignent à mépriser, et non à ménager les biens de la terre. La science qu'ils étudient n'est pas la science de Dieu, victorieuse du siècle et de ses convoitises (a) mais une science flatteuse et accommodante, propre aux négoces du monde, et non au sacré commerce du ciel Et in avaritiâ fiçtis verbis de vobis negotiabuntur a L'avarice les portera à vous séduire par des paroles artificieuses, pour faire de vous une espèce de trafic. »
Que si nous méditons saintement la pure science du christianisme, mettons-la aussi à son droit usage, faisons notre gain du salut des âmes prenons un noble intérêt et tâchons de profiter dans un commerce si honorable. Imitons sainte Catherine qui fait valoir de telle sorte ce divin talent, que les courtisans et les philosophes, ses amis et ses ennemis, enfin tous ceux qui l'approchent et même l'impératrice sont poussés d'un désir ardent de se donner à Jésus-Christ.
C'est ainsi qu'il falloit user de cet admirable trésor, qui avoit été commis à sa foi. Car pour venir, chrétiens, à la seconde raison que j'ai promis de vous proposer, et avec laquelle je m'en vais conclure, la science du christianisme est un bien qui n'est pas à nous. Jésus-Christ, en le mettant en nos mains, s'en est réservé le fonds nous l'avons de lui par emprunt, ou plutôt il nous l'a confié ainsi qu'un dépôt duquel nous devons un jour lui rendre raison Negotiamini dùm venio « Négociez je vous le permets; » mais sachez que je viendrai vous demander compte 1 S. August., in Psal. cxxx, n. 5. Ml Petr., n, 3.
(a) Var, Du monde et de ses pompes. t
de toute votre administration et de l'emploi que vous aurez fait de mon bien.
S'il est ainsi, chrétiens, ne disposons pas de ce bien comme si nous en étions les propriétaires. Il est, ce me semble, assez équitable que si nous employons le bien d'autrui, ce soit dans quelque commerce dans lequel le maître puisse prendre part. Et quelle part donnerez-vous au divin Sauveur dans ces terres, dans ces revenus, dans ces bénéfices que vous accumulez sans mesure? « Ne savez-vous pas qu'il est notre Dieu, et qu'il n'a pas besoin de nos biens ? » Deus meus es tu, quoniam bonoruna meorum non eges l. Mais s'il n'a pas besoin de nos biens, j'ose; dire qu'il a besoin de nos ames. C'est pour ces ames chéries qu'il descendra bientôt du ciel sur la terre pour trouver ces ames perdues et égarées comme des brebis, il a couru tous les déserts; pour les réunir au troupeau sacré, il les a portées sur ses épaules; pour les laver de leurs taches, il a versé tout son sang; pour les guérir de leurs maladies, il a répandu l'onction de son Saint-Esprit; pour les nourrir et les fortifier, il leur a donné son propre corps. Par conséquent, mes Frères, c'est dans ce commerce des ames qu'il faut faire profiter ses dons; et quand viendra le temps de rendre les comptes, ce grand Econome ne rougira pas de partager avec vous un profit si honorable. Il recevra de votre main ces ames que vous lui aurez amenées et de sa part, pour reconnoître un si beau travail Venez, dira-t-il, serviteur fidèle, qui avez fait valoir mon dépôt en mon esprit et selon mes ordres il est temps que vous receviez votre récompense.
Quelle sera la proportion de cette glorieuse récompense? Le 'prophète Daniel nous le fait entendre Qui docti fuerint, fulgebunt quasi splendor firmamenti; et qui ad justitiam erudiunt multos, quasi stellœ in perpetuas œternitates « Ceux, dit-il, qui auront appris des autres la sainte doctrine, brilleront comme la splendeur du firmament; et ceux qui l'auront enseignée, paroitront comme des étoiles durant toute l'éternité. » Où vous voyez, chrétiens, par quelle sage disposition de la justice divine ceux qui ont reçu d'ailleurs leurs instructions sont comparés au Ptal. xv, 2. – » Dan., m, 3.
firmament qui luit seulement par réflexion de la lumière des astres; mais que ceux qui ont éclairé l'Eglise par la doctrine de vérité, sont eux-mêmes des astres brillans et sources d'une lumière vive et immortelle.
Ainsi sainte Catherine réjouit par un double éclat la céleste Jérusalem. Elle est toute lumineuse pour avoir appris humblement et fidèlement pratiqué ce qu'on enseigne de plus excellent dans l'Ecole de Jésus-Christ mais cet éclat est relevé au centuple, parce qu'elle a répandu bien loin les lumières de la science de Dieu, et qu'elle a fait luire sur plusieurs ames les vérités éternelles. Ne croyez pas, chrétiens, que ceux qui ont reçu dans l'Eglise le ministère d'enseigner les autres, soient les seuls à prétendre à cette récompense que même une fille a pu mériter. Tous les fidèles de Jésus-Christ doivent espérer cette gloire parce que tous doivent travailler à s'édifier mutuellement par de saintes instructions. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul avertit en général les enfans de Dieu qu'ils doivent assaisonner leurs discours du sel de la sagesse divine Sermo vester semper in gratià sale sit conditus, ut sciatis quomodô oporteat vos unicuique respondere 1 « Que votre entretien soit toujours édifiant et assaisonné du sel de la sagesse, en sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne. » 0 que ces conversations sont remplies de grace et que ce sel a de force pour faire prendre goût à la vérité Lorsqu'on entend les prédicateurs, je ne sais quelle accoutumance malheureuse de recevoir par leur entremise la parole de l'Evangile fait qu'on l'écoute de leur bouche plus nonchalamment. On s'attend qu'ils reprendront les mauvaises mœurs; on dit qu'ils le font d'office, et l'esprit humain indocile y fait moins de réflexion. Mais quand un homme que l'on croit du monde, simplement et sans affectation propose de bonne foi ce qu'il sent de Dieu en lui-même; quand il ferme la bouche à un libertin qui fait vanité du vice ou qui raille impudemment des choses sacrées, encore une fois, chrétiens, qu'une telle conversation assaisonnée de ce sel de grace a de force pour exciter l'appétit et réveiller le goût des biens éternels 1
Coloss iv, 6.
Donc, mes Frères, que tout le monde prêche l'Evangile dans sa famille, parmi ses amis, dans les conversations et les compagnies que chacun emploie toutes ses lumières pour gagner les ames que le monde engage, pour faire régner sur la terre la sainte vérité de Dieu que le monde tâche de bannir par ses illusions. Si l'erreur, si l'impiété, si tous les vices ont leurs défenseurs, ô sainte vérité 1 serez-vous abandonnée de ceux qui vous servent? Quoi ceux mêmes qui font profession d'être vos amis, n'oseront-ils parler pour votre gloire ? Parlons, mes Frères, parlons hautement pour une cause si juste; résistons à l'iniquité, qui ne se contentant plus qu'on la souffre, ose encore exiger qu'on lui applaudisse. Parlons souvent de 'nos espérances, de la douce tranquillité d'une ame fidèle, des ennuis dévorans de la Vie présente, de la paix qui nous attend en la vie future. Ainsi la vérité éternelle que nous aurons glorifiée par nos discours nous glorifiera par ses récompenses dans la sainte société que je vous souhaite aux siècles des siècles avec le Père, le Fils, et le SaintEsprit. Amen.
SECONDE PÉRORAISON
POUR
LE PANÉGYRIQUE DE SAINTE CATHERINE.
La science du christianisme est un bien qui n'est pas à nous. Jésus-Christ, en le mettant en nos mains, s'en est réservé le fonds nous l'avons de lui par emprunt, ou plutôt il nous l'a confié ainsi qu'un dépôt duquel nous devons un jour lui rendre raison: Negotiamini dùm venio « Négociez, je vous le permets » mais sachez que'je viendrai vous demander compte de toute votre administration et de l'emploi que vous aurez fait de mon bien.
S'il est ainsi, chrétiens, ne disposons pas de ce bien comme si nous en étions les propriétaires. Il est, ce me semble, assez équi-
table que si nous employons le bien d'autrui, ce soit dans quelque commerce dans lequel le Maître puisse prendre part. Et quelle part donnerez-vous au divin Sauveur dans ces terres, dans ces revenus, dans ces bénéfices que vous accumulez sans mesure? « Ne savez-vous pas qu'il est notre Dieu, et qu'il n'a pas besoin de nos biens? » Deus meus es tu, quoniam bonorum meorum non eges 1. Mais s'il n'a pas besoin de nos biens, j'ose dire qu'il a besoin de nos ames. C'est pour ces ames chéries qu'il descendra bientôt du ciel sur la terre pour trouver ces ames perdues et égarées comme des brebis il a couru tous les déserts pour les réunir au troupeau sacré, il les a portées sur ses épaules pour les laver de leurs taches, il a versé tout son sang; pour les guérir de leurs maladies, il a répandu l'onction de son Saint-Esprit; pour les nourrir et les fortifier, il leur a donné son propre corps. Par conséquent, mes Frères,* c'est dans ce commerce des ames qu'il faut faire profiter ses dons et quand viendra le temps de rendre les comptes, ce grand Econome ne rougira pas de partager avec vous un profit si honorable. Il recevra de votre main ces ames que vous lui aurez amenées; et de sa part, pour reconnoître un si beau travail Venez, dira-t-il serviteur fidèle qui avez fait valoir mon dépôt en mon esprit et selon mes ordres il il est temps que vous receviez votre récompense.
C'est pour'ce négoce céleste que cette maison est établie on leur apprend la science, non pour retentir dans un barreau c'est la science ecclésiastique, destinée pour négocier le salut des ames. C'est pourquoi on les choisit dès cet âge tendre, pour prévenir le cours de la corruption du siècle, et donner s'il se peut aux autels des ministres innocens. 0 innocence, que tu aurois de vertu dans les fonctions sacerdotales, que de bénédictions et de graces Mais où te trouvera-t-on sur la terre On travaille du moins en cette maison à te conserver des vaisseaux sans tache; c'a toujours été l'esprit de l'Eglise. « On les doit retenir sous la discipline, les instruire par la doctrine ecclésiastique, » ut ecclesiasticis utilitatibus pareant Quelles sont ces utilités ecclésiastiques? Ce n'est pas d'augmenter les fermes, ni d'accroître le revenu de l'Eglise; 1 Psal. xv, 2. – *Concil. Aquisgr., cap. cxxxv.
mais c'est afin de gagner les ames. C'est dans ce dessein qu'on les élève comme de jeunes plantes, et qu'on les fait instruire dans cette maison. Que rester-il maintenant, Messieurs, sinon que pendant que la science comme un soleil fera mûrir les fruits, vous arrosiez la racine ? La science éclaire par en haut la partie qui regarde le ciel il reste que vous donniez la nourriture à celle qui est engagée dans la terre. Cette eau salutaire de vos aumônes, en passant par ces plantes que l'on vous cultive, se tournera en fruits de vie pour leur profit particulier, pour celui de toute l'Eglise au service de laquelle on les destine, et enfin, Messieurs, pour le vôtre, en vous amassant dans le ciel des couronnes d'immortalité, que je vous souhaite. Amen.
FIN DES PANÉGYRIQUE».
ORAISONS FUNÈBRES
ORAISON FUNÈBRE
DE E
HENRIETTE-MARIE DE FRANCE,
REINE DE LA GRANDE-BRETAGNE.
REMARQUES HISTORIQUES.
Henriette Marie de France, reine d'Angleterre, naquit au Louvre le 25 novembre 1 609, quelques mois avant la mort funeste de Henri IV son père. Elle portait sur sa physionomie plusieurs traits du grand monarque, et montra de bonne heure les plus heureuses dispositions du cœur et de l'esprit. Saint François de Sales fondoit sur ses vertus de grandes espérances.
En d625, Louis XIII, son frère, la promit en mariage à Charles Ier, roi d'Angleterre. Urbain VIII, parrain de la royale fiancée, non-seulement leva l'empêchement résultant de la différence de culte; mais il approuva, s'il n'inspira lui-même le contrat de mariage. Comme les conventions les plus formelles lui garantissoient le plein exercice de la religion catholique, Henriette partit avec douze prêtres de l'Oratoire. La mer soumit calme et paisible ses flots devant les pas de la reine; mais l'Angleterre et la Réforme lui réservoient d'affreuses tempêtes. Les sectaires mal affermis dans l'Ile des Saints, les ministres de l'évangile établis sur les ruines de la discipline, les grands du royaume enrichis des dépouilles de l'Eglise, tous se crurent menacés dans leurs biens, dans leur indépendance et dans leur domination; bientôt la calomnie répandit partout le trouble et l'agitation, la Cour manifesta du mécQntentement et le roi lui-même conçut de l'ombrage la reine se vit contrainte de renvoyer les prêtres qui l'avoien! ùvie dans la Garnde-Bretagne.
Le calme ne tarda pas à se rétablir. Les Anglois, descendus dans l'Ile de Rhé pour appuyer la Réforme, subirent une entière défaite. Malgré l'injustice de leur attaque et les excès de leurs désordres, la reine obtint de Louis XIII, non-seulement les prisonniers, mais une paix favorable à l'Angleterre. Une intervention si heureuse lui rendit pour un temps l'affection du peuple, pour toujours la confiance du roi. Voulant donner à Dieu le fruit de cette victoire, elle appela de France autant de capucins qu'on lui avoit enlevé d'oratoriens; elle leur fit construire un monastère près de sa résidence de Sommerset, et les chapelles de ses palais devinrent autant d'écoles où l'on enseignoit la doctrine catholique. En même temps que le charme de ses vertus gagnoit les coeurs, la force de la vérité subjuguoit les intelligences; des milliers d'hérétiques alloient abjurer l'erreur devant les autels que leurs pères avoient désertés. Dans ces jours de faveur et de crédit, Henriette se servoit de son pouvoir pour répandre partout des bienfaits quand on lui conseilloit de réprimer l'audace de ses ennemis « Faites du bien, disoit-elle, à ceux qui vous haïssent »
Les pasteurs protestans frémissoient à la vue des pertes qu'éprouvoient leurs troupeaux; des voix confuses s'élevèrent, qui accusoient la reine devant l'opinion puritaine elle avait séduit l'esprit du monarque et corrompu la foi des princes ses enfaLs; elle minoit la religion nationale et livroit l'Angleterre à l'étranger; le Pape alloit rétablir les superstitions romaines sur les ruines de la sainte Réforme évangélique. A ces mots les Ecossois se mettent en marche les armes à la main, et voient leurs rangs se grossir comme l'avalanche qui se précipite de la montagne; à Londres, le parlement, égaré par Cromwell, condamne les plus fidèles défenseurs du trône, et menace d'arrêter la reine elle-même; enfin la famille royale est obligée de quitter la capitale pour se réfugier à Oxford.
La reine, qui devoit conduire sa fille aînée à son époux, le prince d'Orange, partit pour la Hollande. Là, donnant en gage ses pierreries et celles de la couronne, elle lève des hommes de guerre, et charge plusieurs navires de vivres et de munitions. Dans on retour, assaillie par une violente tempête, elle court pendant neuf jours les plus grands périls; au plus fort de la tourmente, debout sur le tillac, la fille de Henri IV, joignant la gaieté à l'intrépidité, dit à ceux qui l'entourent « Les reines né se noient pas. » Plus heureuse dans un second voyage, elle arrive au port; mais à peine a-t-elle touché le sol de l'Angleterre, que cinq vaisseaux rebelles viennent cribler à coups de canon l'humble réduit où elle prend quelques momens de repos; elle passe la nuit dans un fossé, couverte de sable et de terre par les boulets. » Mat th., v, 44.
Le jour venu, elle se met à la tête de ses troupes, force tous les passages, renverse tous les obstacles et rejoint le roi à Oxford. Elle vouloit marcher incessamment sur Londres. Au lieu d'adopter un avis si sage, le roi divisa ses forces, battit la campagne et commença plusieurs sièges, fatiguant inutilement ses troupes et perdant un temps précieux. Cependant le jour approchoit où la reine devoit éviter les fatigues et les périls de la guerre elle alloit donner une princesse à la GrandeBretagne. Elle se retira dans un coin de son royaume, à Exeter là, cette reine naguère la plus grande des reines, « fille, femme et mère de rois si puissants l, » mit au monde dans un humble réduit, au milieu de la plus affreuse misère, Henriette d'Angleterre, dont nous verrons l'histoire dans la seconde Oraison funèbre. Peu de jours après sa délivrance malgré son extrême foiblesse, elle gagne le port à pied, pendant la nuit, dans le dessein de se réfugier en France; comme elle ne trouve point de vaisseau, retirée dans une pauvre chaumière, elle entend de son lit les soldats envoyés à sa poursuite, qui se promettent à l'envi de recevoir bientôt le prix de sa tète, cinquante mille écus promis par le parlement.
Les élémens s'unissoient aux hommes pour consommer sa perte. Après plusieurs jours de marche à travers un pays couvert de ses persécuteurs, elle parvient à s'embarquer à Plimouth; mais elle est assaillie tout ensemble, et par les vagues de la mer en fureur, et par les canons du fanatisme respirant la haine et le meurtre. Son navire, dont les voiles sont déchirées par les boulets, marche lourdement; les séides de la Réforme s'apprêtent à saisir leur proie, poussant des cris de rage et de joie tout à la fois. Henriette ne veut point tomber vivante entre les mains de ses sujets rebelles, ennemis de son royal époux, ennemis de son Dieu; elle s'apprête à mourir avec courage; et parlant avec l'autorité de reine « Quand vous ne pourrez plus me défendre, dit-elle au capitaine, tuez -moi8. » Graces au Ciel! un vent violent, mais favorable s'éleva, qui conduisit son bâtiment sur les eûtes de la Basse-Bretagne.
Arrivée à Paris dans le palais des rois ses ancêtres, la reine de trois royaumes éprouva de nouveau les plus grands besoins, à tel point qu'elle manquoit de bois dans les plus grandes rigueurs de l'hiver. C'est la piété maternelle et l'amour conjugal, c'est l'oubli d'elle-même et le dévouement à la justice qui la rédtu'soient à ce déplorable état elle se dépouilloit de tout pour soulager la misère et soutenir les droits 1 Boasuet, dans l'Oraison funèbre. Douze jours d'après le P. d'Avrigny; dix-sept jours selon Madame de Motteville. » D'autres disent qu'elle lui donna l'ordre de faire sauter le navire, en mettant le feu aux poudra Quoi qu'il en soit, la reine déploroit plus tard cet acte de désespoir, comme ri e le qualifient elle-méme, et Bossuet ne l'a point rapporté dans son immortel discours.
des siens; elle se dépouilloit, hélas! sans pouvoir égaler les secours aux besoins, le remède au mal.
Cependant le roi d'Angleterre, abandonné sans défense entre les mains de ses ennemis, étoit traîné de prisons en prisons. Il accorda vainement toutes les prétendues libertés qu'une secte impie lui demandoit au nom du peuple, vainement il livra les unes après les autres toutes les prérogatives de sa couronne Cromwell le fit condamner comme traître et comme tyran par un tribunal infâme; et celui que l'histoire appelleroit seul le meilleur et le plus malheureux des rois, si une autre victime de la fureur révolutionnaire ne partageoit ce titre avec lui, mourut sur un échafaud, le 9 février 1649.
Henriette son épouse apprit la fatale nouvelle aux Carmélites. D'abord elle adora, prosternée devant un crucifix, la volonté du souverain Seigneur des peuples et des rois; ensuite elle déplora le malheur de son époux mort dans l'hérésie; puis la nature reprenant ses droits, « on fut étonné, pour parler avec Chateaubriant, de la quantité de larmes que renferment les yeux des reines. »
La religion pouvoit seule soulager une si grande infortune. La veuve de Charles Stuart établit hors de Paris, à Chaillot, un couvent de la Visitation, dans un vaste bâtiment qu'avoit possédé Catherine de Médicis. Retirée dans cette sainte solitude, elle accomplissoit toutes les œuvres de la vie religieuse, suivant les exercices de la communauté, s'élevant à Dieu par la prière et la méditation, gardant le silence et l'humilité, s'imposant des mortifications rigoureuses et donnant l'exemple de toutes les vertus. En même temps elle remplissoit ses devoirs de mère, de mère de princes et de roi; elle faisoit instruire ses enfans par des prêtres éclairés dans la foi catholique; çt plus tard elle maria la princesse Henriette, cette enfant de ses douleurs, au duc d'Orléans, frère unique de Louis XIV.
Des circonstances imprévues, des faits providentiels rappelèrent son fils Charles Il sur le trône de ses ancêtres. Elle lit alors plusieurs voyages en Angleterre, et gagna par ses largesses et par ses aumônes, par sa bonté magnanime et par ses aimables vertus, l'estime et l'affection de ses anciens ennemis. Le climat d'Angleterre nuisoit à sa santé, qui avoit été si rudement éprouvée par tant de malheurs; elle revint en France pour s'y préparer à la mort.
Délivrée des soins du monde, elle se renferma plus étroitement que jamais dans le monastère de Chaillot, En 1669, après avoir fait plusieurs dispositions testamentaires, elle se rendit à Colombe, près de Paris, dans une maison qu'elle habitoit en automne, sans interrompre le cours de ses exercices de piété. Elle y étoit depuis quelques jours lorsqu'elle tomba, sous la fatigue d'une insomnie prolongée, dans un état de prostration et d'abattement général. Pour lui rendre ses forces
par le sommeil, les médecins de Louis XIV lui prescrivirent une potion opiacée; elle la refusa, parce que son médecin lui avoit défendu l'opium comme dangereux pour sa santé, pour ses jours mêmes. Un peu plus tard on lui présenta le même remède, en l'assurant qu'il ne contenoit pas d'opium elle l'accepta dans cette persuasion et par esprit d'obéissance. Trois heures après les médecins voulant reconnoitre l'effet du médicament, s'approchèrent de son lit; elle étoit tombée comme dans une agonie léthargique, et les moyens les plus énergiques ne purent la tirer de son assoupissement.
Ainsi la reine d'Angleterre, « joignant la mort au sommeil » s'endormit dans le Seigneur le 10 septembre 4669. La fille de Henri IV avoit bravé mille fois la mort et sur mer et sur terre; mais elle la redoutoit dans le calme, au milieu de la sécurité, loin du péril « Je songe à bien vivre, disoit-elle, je ne songe pas à mourir.» Sans doute le Seigneur voulut lui épargner les horreurs du trépas. Par l'ordre de Louis XIV, son corps fut porté à Saint-Denis, et son cœur à Chaillot. Un service religieux devoit être célébré, quarante jours plus tard, pour le repos de son ame; Henriette sa fille et le duc d'Orléans son gendre prièrent Bossuet de prononcer l'oraison funèbre. Madame de Motteville, si connue par ses Mémoires, écrivit, pour servir à la composition du discours, la Vie sommaire de l'illustre défunte, dont elle avoit été l'amie, la confidente et la sœur en religion. La reine avoit quitté ce monde à l'âge de 60 ans, et Bossuet avoit à cette époque 42 ans. Il venoit d'être nommé évêque de Condom; mais il parut dans la chaire en habit de simple ecclésiastique.
L'Oraison funébrefut prononcée le 16 novembre 1669, à Chaillot, dans la chapelle de la Visitation. Parmi les personnages qui eurent le bonheur de l'entendre, nommons Henriette d'Angleterre et le duc d'Orléans, milord Montaigu, milord Arundel, Henri Germain, Thérèse Stuart, le comte d'Alban de Chazeul, la comtesse de la Fayette; plusieurs évêques françois, puis les nobles religieuses de Chaillot, AnneMarie Bollain qui avoit reçu le voile des mains de saint François de Sales, Angélique de Beauvais dont Bossuet avoit prêché la profession, etc.
Les premiers mots de l'orateur furent une réparation solennelle, faite à la majesté de la parole divine. Après avoir teint ses mains d'un sang royal, Cromwell fit frapper une médaille qui offroit aux regards, avec un glaive flamboyant, cet avertissement céleste Et nunc, Reges, intelligite. Ces paroles ainsi profanées par une main protestante, conJudic, iv, 21.
sacrées par un odieux attentat à l'enseignement du régicide, l'orateur catholique les fit retentir au commencement de son discours, et les rétablit dans leur divine splendeur. Deux autres orateurs les ont aussi choisies pour texte principal, Fromentières dans l'Oraison funèbre d'Anne d' Autriche et Massillon dans celle de Louis XIV. Bossuet dit, dans le portrait de Charles 1er « Ce cœur. se réveille, tout poudre qu'il est, et devient sensible même sous ce drap mortuaire, au nom d'un époux si cher. » Le cœur de la noble défunte reposoit sur le catafalque, dans une urne de vermeil couverte d'un drap funèbre. Après avoir parlé des qualités de la reine: « Je me sens obligé d'abord à les rappeler en votre mémoire. Il falloit obligé de, disent les critiques; obligé à exprime un devoir, obligé de une nécessité. Sur ce passage: L'homme de bien « grimpe plutôt qu'il ne marche, dans le sentier solitaire et dur de la vertu.» Laharpe fait cette remarque « Le mot propre étoit gravit, qui est même plus expressif, puisque gravir c'est gnmper avec effort. » Le lecteur jugera.
Voici encore une phrase remarquable, qui n'a pas été remarquée, si je ne me trompe « Elle remerçioit Dieu de deux grandes graces; l'une de l'avoir fait chrétienne; l'autre, de l'avoir fait reine malheureuse. » Il faut lire ainsi toutes les éditions publiées sous les yeux de l'auteur, toutes celles qui ont paru dans le xvm' et dans le xis" siècle, en un mot toutes, si ce n'est celle qui s'imprime en ce moment à SaintDizier, portent fait et non pas faite. Ne pourroit-on pas dire, pour justifier le non-accord du participe, que faire n'est pas employé là dans son sens vraiment actif, ne signifiant pas créer, produire, former, façonner? Elle remerçioit Dieu « de l'avoir fait reine malheureuse, » c'est-à-dire d'avoir fait qu'elle fût reine malheureuse. Un éditeur a dit dans une sorte de commentaire « Les sentimens de sa reconnoissance envers Dieu avoient principalement pour objet deux graces signalées l'une, de l'avoir fait chrétienne; l'autre de l'avoir rendue reine malheureuse (1). »
Enfin dans cette phrase « Une main si habile eût sauvé l'Etat, si l'Etat eût pu être sauvé, » les humanistes voient la traduction de ces mots de Virgile
Si Pergama dextrà
Defendi possent, etiam hac defensa fuissent
Bossuet tenoit que de graves motifs, l'édification des ames, la défense de la vérité, le bien de l'Eglise devoient seuls décider un prêtre à publier 1 Orais. fun., Paris, chez Saillant et Nyou, 1774, p. 42. « Mn. Il, 291-292.
ses ouvrages; aussi les vœux de la princesse Henriette, fille de l'illustre défunte, des sollicitations puissantes, qui sembloient équivaloir à un ordre, obtinrent seuls de lui la publication du chef-d'œuvre qu'on va lire.
L'Oraison funèbre de Henriette de France fut publiée pour la première fois en 1669, dans le format in-4», chez Sébastien Marbre-Cramoisy. La quatrième édition parut en 1671, dans le format in- 12, chez le même; les épreuves sont à la Bibliothèque nationale, avec les corrections littéraires de l'auteur. Le même éditeur, Cramoisy, donna en 1680, dans le format in-12, la cinquième édition, qui renfermoit l'Oraison funèbre de Henriette d'Angleterre.
En 1689, le libraire Dezallier, réunissant les six premières Oraisons funèbres, les publia dans un seul volume in-12 Bossuet y avoit fait de nouvelles corrections.
Les réimpressions se multiplièrent dans lexvm' siècle. En 1730, Dupuis donna une édition augmentée de l'éloge historique de Bossuet. Cette édition fut reproduite plusieurs fois par Desaint et Saillant jusqu'en 1754, puis par Saillant et Nyon jusqu'en 1774. Bientôt après vint l'édition de Déforis, qui a été copiée servilement, aveuglément jusqu' à ce jour.
ORAISON FUNÈBRE
DE
HENRIETTE-MARIE DE FRANCE.
Et nunc, Reges, intelhgite; erudimini, qui judicatis terram.
Maintenant, 6 rois, apprenez; instruisez-vous, juges de la terre. Psal. n, 10. MONSEIGNEUR,
Celui qui règne dans les cieux, et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, et de leur donner quand il plaît de grandes et de terribles leçons. Soit qu'il élève les trônes, soit qu'il les abaisse, soit qu'il communique sa puissance aux princes, soit qu'il la retire à lui-même et ne leur laisse que leur propre foiblesse il leur apprend leurs devoirs d'une manière souveraine et digne de lui. Car en leur donnant sa puissance, il leur commande d'en user comme il fait lui-même pour le bien du monde; et il leur fait voir en la retirant, que toute leur majesté est empruntée; et que pour être assis sur le trône, ils n'en sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprême. C'est ainsi qu'il instruit les princes, non-seulement par des discours et par des paroles, mais encore par des effets et par des exemples Et nunc, Reges, intelligite; erudimini qui judicatis terram.
Chrétiens, que la mémoire d'une grande Reine, Fille, Femme, Mère de Rois si puissans, et Souveraine de trois royaumes, appelle de tous côtés à cette triste cérémonie ce discours vous fera paroître un de ces exemples redoutables, qui étalent aux yeux du monde sa vanité toute entière. Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines la félicité sans bornes, aussi bien que les misères; une longue et paisible jouissance d'une des plus nobles couronnes de l'univers tout ce que peuvent
donner de plus glorieux la naissance et la grandeur accumulées? sur une tête, qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune la bonne cause d'abord suivie de bons succès, et depuis, des retours soudains; des changemens inouïs; la rébellion longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse; nul frein à la licence; les lois abolies; la majesté violée par des attentats jusqu'alors inconnus l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté; une Reine fugitive, qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes, et à qui sa propre patrie n'est plus qu'un triste lieu d'exil neuf voyages sur mer entrepris par une princesse malgré les tempêtes l'Océan étonné de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers, et pour des causes si différentes; un trône indignement renversé, et miraculeusement rétabli. Voilà les enseignemens que Dieu donne aux rois ainsi fait-il voir au monde le néant de ses pompes et de ses grandeurs. Si les paroles nous manquent, si les expressions ne répondent pas à un sujet si vaste et si relevé, les choses parleront assez d'elles-mêmes. Le cœur d'une grande Reine autrefois élevé par une si longue suite de prospérités, et puis plongé tout à coup dans un abîme d'amertumes, parlera assez haut: et s'il n'est pas permis aux particuliers de faire des leçons aux princes sur des événemens si étranges, un Roi me prête ses paroles pour leur dire Et nunc, Reges, intelligite; erudimini, qui judicatis terram « Entendez, ô Grands de la terre; instruisez-vous, arbitres du monde. » Mais la sage et religieuse Princesse qui fait le sujet de ce discours, n'a pas été seulement un spectacle proposé aux hommes, pour y étudier les conseils de la divine Providence et les fatales révolutions des monarchies; elle s'est instruite elle-même, pendant que Dieu instruisoit les princes par son exemple (a). J'ai déjà dit que ce grand Dieu les enseigne, et en leur donnant et en leur ôtant leur puissance. La Reine dont nous parlons a également entendu deux leçons si opposées, c'est-à-dire qu'elle a usé chrétiennement de la bonne et de la mauvaise fortune. Dans l'une elle a été bienfaisante, dans l'autre elle s'est montrée toujours invincible. Tant qu'elle a été heureuse, elle a fait sentir son pou(a) 1" édit. Par son exemple fameux.
voir au monde par des bontés infinies; quand la fortune l'eut abandonnée, elle s'enrichit plus quejamais elle-mêmede vertus: tellement qu'elle a perdu pour son propre bien cette puissance royale qu'elle avoit pour le bien des autres; et si ses sujets, si ses alliés, si l'Eglise universelle a profité de ses grandeurs, elle-même a su profiter de ses malheurs et de ses disgraces plus qu'elle n'avoit fait de toute sa gloire. C'est ce que nous remarquerons dans la vie éternellement mémorable de très-haute, très-excellente et très-puissante princesse HENRIETTE-MARIE DE FRANCE, REINE DE LA Grande-Bretagne.
Quoique personne n'ignore les grandes qualités d'une Reine dont l'histoire a rempli tout l'univers, je me sens obligé d'abord à les rappeler en votre mémoire, afin que cette idée nous serve pour toute la suite du discours. Il seroit superflu de parler au long de la glorieuse naissance de cette princesse on ne voit rien sous le soleil qui en égale la grandeur. Le pape saint Grégoire a donné dès les premiers siècles cet éloge singulier à la Couronne de France, « qu'elle est autant au-dessus des autres couronnes du monde, que la dignité royale surpasse les fortunes particulières » Que s'il a parlé en ces termes du temps du roi Childebert, et s'il a élevé si haut la race de Mérovée jugez ce qu'il auroit dit du Sang de saint Louis et de Charlemagne. Issue de cette race, fille de Henri le Grand et de tant de rois, son grand cœur a surpassé sa naissance. Toute autre place qu'un trône eût été indigne d'elle. A la vérité elle eut de quoi satisfaire à sa noble fierté, quand elle vit qu'elle alloit unir la Maison de France à la royale Famille des Stuarts, qui étoient venus à la succession de la Couronne d'Angleterre par une fille de Henri VII mais qui tenoient de leur chef depuis plusieurs siècles le sceptre de l'Ecosse, et qui descendoient de ces rois antiques dont l'origine se cache si avant dans l'obscurité des premiers temps. Mais si elle eut de la joie de régner sur une grande nation, c'est parce qu'elle pouvoit contenter le désir immense qui sans, cesse la sollicitoit à faire du bien. Elle eut une magnificence royale, et l'on eût dit Lib. VJ, ep. vj.
qu'elle perdoit ce qu'elle ne donnoit pas. Ses autres vertus n'ont pas été moins admirables. Fidèle dépositaire des plaintes et des secrets, elle disoit que les princes devoient garder le même silence que les confesseurs et avoir la même discrétion. Dans la plus grande fureur des guerres civiles, jamais on n'a douté de sa parole, ni désespéré de sa clémence. Quelle autre a mieux pratiqué cet art obligeant qui fait qu'on se rabaisse sans se dégrader, et qui accorde si heureusement la liberté avec le respect? Douce, familière, agréable autant que ferme et vigoureuse, elle savoit persuader et convaincre aussi bien que commander, et faire valoir la raison non moins que l'autorité. Vous verrez avec quelle prudence elle traitoit les affaires et une main si habile eût sauvé l'Etat, si l'Etat eût pu être sauvé. On ne peut assez louer la magnanimité de cette Princesse. La fortune ne pouvoit rien sur elle ni les maux qu'elle a prévus, ni ceux qui l'ont surprise n'ont abattu son courage. Que dirai-je de son attachement immuable à la religion de ses Ancêtres? Elle a bien su reconnoître que cet attachement faisoit la gloire de sa Maison aussi bien que celle de toute la France, seule nation de l'univers qui, depuis douze siècles presque accomplis que ses rois ont embrassé le christianisme, n'a jamais vu sur le trône que des princes enfans de l'Eglise. Aussi a-t-elle toujours déclaré que rien ne seroit capable de la détacher de la foi de saint Louis. Le Roi son mari lui a donné jusqu'à la mort ce bel éloge qu'il n'y avoit que le seul point de la religion on leurs cœurs fussent désunis et confirmant par son témoignage la piété de la reine, ce Prince trèséclairé a fait connoître en même temps à toute la terre la tendresse, l'amour conjugal, la sainte et inviolable fidélité de son épouse incomparable.
Dieu, qui rapporte tous ses conseils à la conservation de sa sainte Eglise, et qui fécond en moyens emploie toutes choses à ses fins cachées, s'est servi autrefois des chastes attraits de deux saintes héroïnes pour délivrer ses fidèles des mains de leurs ennemis. Quand il voulut sauver la ville de Béthulie, il tendit dans la beauté de Judith un piège imprévu et inévitable à l'aveugle brutalité d'IIolopherne. Les grâces pudiques de la reine Esther
eurent un effet aussi salutaire, mais moins violent. Elle gagna le cœur du Roi son mari, et fit d'un prince infidèle un illustre protecteur du peuple de Dieu. Par un conseil à peu près semblable, ce grand Dieu avoit préparé un charme innocent au roi d'Angleterre, dans les agrémens infinis de la Reine son épouse. Comme elle possédoit son affection (car les nuages qui avoient paru au commencement furent bientôt dissipés), et que son heureuse fécondité redoubloit tous les jours les sacrés liens de leur amour mutuel sans commettre l'autorité du Roi son seigneur, elle employoit son crédit à procurer un peu de repos aux catholiques accablés. Dès l'âge de quinze ans elle fut capable de ces soins et seize années d'une prospérité accomplie, qui coulèrent sans interruption avec l'admiration de toute la terre, furent seize années de douceur pour cette église affligée. Le crédit de la reine obtint aux catholiques ce bonheur singulier et presque incroyable, d'être gouvernés successivement par trois nonces apostoliques, qui leur apportoient les consolations que reçoivent les enfans de Dieu de la communication avec le Saint-Siège.
Le pape saint Grégoire écrivant au pieux empereur Maurice, lui représente en ces termes les devoirs des rois chrétiens1 « Sachez, ô grand Empereur, que la souveraine puissance vous est accordée d'en haut, afin que la vertu soit aidée, que les voies du ciel soient élargies et que l'empire de la terre serve l'empire du ciel (a). » C'est la vérité elle-même qui lui dicté ces belles paroles. Car qu'y a-t-il de plus convenable à la puissance, que de secourir la vertu? A quoi la force doit-elle servir, qu'à défendre la raison? Et pourquoi commandent les hommes, si ce n'est pour faire que Dieu soit obéi? Mais surtout il faut remarquer l'obligation si glorieuse que ce grand pape impose aux princes, d'élargir les voies du ciel. Jésus-Christ a dit dans son Evangile « Combien est étroit le chemin (b) qui mène à la vie !» » et voici ce qui le Ad hoc enim potestas dominorum meorum pietati cœlitùs data est super omnes homines, ut qui bona appetunt adjuventur, ut cœlorum via largiùs pateat, ut terrestre regnum ceelesti regno famuletur. S. Greg., Ep., lib. III, ep. lxv. – Matth., \i\, 14.
(a) 1« édit. Serve à l'empire du ciel. (b) Que le chemin est étroit qui mène à la vie.
rend si étroit. C'est que le juste, sévère à lui-même et persécuteur irréconciliable de ses propres passions, se trouve encore persécuté par les injustes passions des autres et ne peut pas même obtenir que le monde le laisse en repos dans ce sentier solitaire et rude, où il grimpe plutôt qu'il ne marche. Accourez, dit saint Grégoire, Puissances du siècle voyez dans quel sentier la vertu chemine, doublement à l'étroit et par elle-même et par l'effort de ceux qui la persécutent secourez-la, tendez-lui la main puisque vous la voyez déjà fatiguée du combat qu'elle soutient au dedans contre tant de tentations qui accablent la nature humaine, mettez-la du moins à couvert des insultes du dehors. Ainsi vous élargirez un peu les voies du ciel, et rétablirez ce chemin, que sa hauteur et son âpreté rendront toujours assez difficile.
Mais si jamais l'on peut dire que la voie du chrétien est étroite, c'est, Messieurs, durant les persécutions. Car que peut-on imaginer de plus malheureux que de ne pouvoir conserver la foi sans s'exposer au supplice, ni sacrifier sans trouble, ni chercher Dieu qu'en tremblant? Tel étoit l'état déplorable des catholiques anglois ? L'erreur et la nouveauté se faisoient entendre dans toutes les chaires et la doctrine ancienne, qui selon l'oracle de l'Evangile « doit être prêchée jusque sur les toits 1, » pouvoit à peine parler à l'oreille. Les enfans de Dieu étoient étonnés de ne voir plus ni l'autel, ni le sanctuaire, ni ces tribunaux de miséricorde, qui justifient ceux qui s'accusent. 0 douleur! Il falloit cacher la pénitence avec le même soin qu'on eût fait les crimes; et JésusChrist même se voyoit contraint, au grand malheur des hommes ingrats, de chercher d'autres voiles et d'autres ténèbres, que ces voiles et ces ténèbres mystiques dont il se couvre volontairement dans l'Eucharistie. A l'arrivée de la Reine, la rigueur se ralentit, et les catholiques respirèrent. Cette chapelle royale qu'elle fit bâtir avec tant de magnificence dans son palais de Sommerset, rendoit à l'Eglise sa première forme. Henriette, digne fille de saint Louis, y animoit tout le monde par son exemple et y souteniot avec gloire par ses retraites, par ses prières et par ses dévotions, l'ancienne réputation de la très-chrétienne Maison de 1 Quod in aure auditif prœdicatB super tecta. Matth., x, 21.
France. Les prêtres de l'Oratoire que le grand Pierre de Bérulle avoit conduits avec elle, et après eux les Pères Capucins, y donnèrent par leur piété, aux autels leur véritable décoration, et au service divin sa majesté naturelle. Les prêtres et les religieux, zélés et infatigables pasteurs de ce troupeau affligé, qui vivoient en Angleterre pauvres, errans, travestis, « desquels aussi le monde n'étoit pas digne » venoient reprendre avec joie les marques glorieuses de leur profession dans la chapelle de la Reine, et l'Eglise désolée, qui autrefois pouvoit à peine gémir librement et pleurer sa gloire passée faisoit retentir hautement les cantiques de Sion dans une terre étrangère. Ainsi la pieuse Reine consoloit la. captivité des fidèles, et relevoit leur espérance. Quand Dieu laisse sortir du puits de l'abime la fumée qui obscurcit le soleil, selon l'expression de l'Apocalypse c'est-à-dire l'erreur et l'hérésie; quand pour punir les scandales ou pour réveiller les peuples et les pasteurs, il permet à l'esprit de séduction de tromper les ames hautaines, et de répandre partout un chagrin superbe, une indocile curiosité et un esprit de révolte, il détermine dans sa sagesse profonde les limites qu'il veut donner aux malheureux progrès de l'erreur et aux souffrances de son Eglise. Je n'entreprends pas, chrétiens, de vous dire la destinée des hérésies de ces derniers siècles, ni de marquer le terme fatal dans lequel Dieu a résolu de borner leur cours. Mais si mon jugement ne me trompe pas; si rappelant la mémoire des siècles passés, j'en fais un juste rapport à l'état présent j'ose croire, et je vois les sages concourir à ce sentiment, que les jours d'aveuglement sont écoulés, et qu'il est temps désormais que la lumière revienne. Lorsque le roi Henri VIII, prince en tout le reste accompli, s'égara dans les passions qui ont perdu Salomon et tant d'autres rois, et commença d'ébranler l'autorité de l'Eglise les sages lui dénoncèrent qu'en remuant ce seul point, il mettoit tout en péril, et qu'il donnoit contre son dessein une licence effrénée aux âges suivans. Les sages le prévirent; mais les sages sont-ils crus en ces temps d'emportement, et ne se rit-on pas de leurs prophéties? Ce qu'une judicieuse préQuibua dignus non erat mundus. Hebr., xt, 38. – ~pee., IX, f, 2.
voyance n'a pu mettre dans l'esprit des hommes, une maîtresse plus impérieuse, je veux dire l'expérience, les a forcés de le croire. Tout ce que la religion a de plus saint a été en proie. L'Angleterre a tant changé, qu'elle ne sait plus elle-même à quoi s'en tenir et plus agitée en sa terre et dans ses ports mêmes que l'Océan qui l'environne, elle se voit inondée par l'effroyable débordement de mille sectes bizarres. Qui sait si étant revenue de ses erreurs prodigieuses touchant la royauté, elle ne poussera pas plus loin ses réflexions et si ennuyée de ses changemens, elle ne regardera pas avec complaisance l'état qui a précédé ? Cependant admirons ici la piété de la Reine, qui a su si bien conserver les précieux restes de tant de persécutions. Que de pauvres, que de malheureux, que de familles ruinées pour la cause de la foi, ont subsisté pendant tout le cours de sa vie par l'immense profusion de ses aumônes Elles se répandoient de toutes parts jusqu'aux dernières extrémités de ses trois royaumes: et s'étendant par leur abondance même sur les ennemis de la foi, elles adoucissoient leur aigreur et les ramenoient à l'Eglise. Ainsi nonseulement elle conservoit, mais encore elle augmentoit le peuple de Dieu. Les conversions étoient innombrables; et ceux qui en ont été témoins oculaires nous ont appris que, pendant trois ans de séjour qu'elle a fait dans la Cour du Roi son fils, la seule chapelle royale a vu plus de trois cents convertis, sans parler des autres, abjurer saintement leurs erreurs entre les mains de ses aumôniers. Heureuse d'avoir conservé si soigneusement l'étincelle de ce feu divin que Jésus est venu allumer au monde Si jamais l'Angleterre revient à soi, si ce levain précieux vient un jour à sanctifier toute cette masse où il a été mêlé par ces royales mains la postérité la plus éloignée n'aura pas assez de louanges pour célébrer les vertus de la religieuse Henriette, et croira devoir à sa piété l'ouvrage si mémorable du rétablissement de l'Eglise. Que si l'histoire de l'Eglise garde chèrement la mémoire de cette Reine, notre histoire ne taira pas les avantages qu'elle a procurés à sa Maison et à sa patrie. Femme et Mère très-chérie et très-honorée, elle a réconcilié avec la France le Roi son mari, et Luc., ni, 49.
le Roi son fils. Qui ne sait qu'après la mémorable action de l'île de Rhé et durant ce fameux siège de la Rochelle, cette Princesse prompte à se servir des conjonctures importantes, fit conclure la paix, qui empêcha l'Angleterre de continuer son secours aux Calvinistes révoltés? Et dans ces dernières années, après que notre grand Roi, plus jaloux de sa parole et du salut de ses alliés que de ses propres intérêts, eut déclaré la guerre aux Anglois, ne fut-elle pas encore une sage et heureuse médiatrice? Ne réunit-elle pas les deux royaumes? Et depuis encore ne s'est-elle pas appliquée en toutes rencontres à conserver cette même intelligence? Ces soins regardent maintenant Vos Altesses Royales et l'exemple d'une grande Reine, aussi bien que le Sang de France et d'Angletere, que vous avez uni par votre heureux mariage, vous doit inspirer le désir de travailler sans cesse à l'union de deux Rois qui vous sont si proches, et de qui la puissance et la vertu peuvent faire le destin de toute l'Europe.
Monseigneur, ce n'est plus seulement par cette vaillante main ~t par ce grand cœur que vous acquerrez de la gloire. Dans le calme d'une profonde paix vous âurez des moyens de vous signaler et vous pouvez servir l'Etat sans l'alarmer, comme vous avez fait tant de fois, en exposant au milieu des plus grands hasards de la guerre une vie aussi précieuse et aussi nécessaire que la vôtre. Ce service, Monseigneur, n'est pas le seul qu'on attend de vous et l'on peut tout espérer d'un Prince que la sagesse conseille, que la valeur anime, et que la justice accompagne dans toutes ses actions. Mais où m'emporte mon zèle, si loin de mon triste sujet? Je m'arrête à considérer les vertus de Philippe, et ne songe pas que je vous dois l'histoire des malheurs de Henriette. J'avoue, en la commençant, que je sens plus que jamais la difficulté de mon entreprise. Quand j'envisage de près les infortunes inouïes d'une si grande Reine, je ne trouve plus de paroles et mon esprit rebuté de tant d'indignes traiLemens qu'on a faits à la majesté et à la vertu, ne se résoudroit jamais à se jeter parmi tant d'horreurs, si la constance admirable av.ec laquelle cette Princesse a soutenu ses calamités, ne surpassoit de bien loin les crimes qui les ont causées. Mais en même temps, chrétiens, un
Il
TUM. XH. 29
autre soin me travaille. Ce n'est pas un ouvrage humain que je médite. Je ne suis pas ici un historien qui doit vous développer le secret des cabinets, ni l'ordre des batailles, ni les intérêts des parties il faut que je m'élève au-dessus de l'homme, pour faire trembler toute créature sous les j ugemens de Dieu. « J'entrerai, » avec David « dans les puissances du Seigneur » et j'ai à vous faire voir les merveilles de sa main et de ses conseils conseils de juste vengeance sur l'Angleterre; conseils de miséricorde pour le salut de la Reine mais conseils marqués par le doigt de Dieu, dont l'empreinte est si vive et si manifeste dans les événemens que j'ai à traiter, qu'on ne peut résister à cette lumière. Quelque haut qu'on puisse remonter pour rechercher dans les histoires les exemples des grandes mutations, on trouve (a) que jusqu'ici elles sont causées, ou par la mollesse, ou par la violence des princes. En effet quand les princes négligeant de conno!tre leurs-affaires et leurs armées, ne travaillent qu'à la chasse, comme disoit cet historien', n'ont de gloire que pour le luxe, ni (l'esprit que pour inventer des plaisirs; ou quand emportés par leur humeur violente, ils ne gardent plus ni lois ni mesures, et qu'ils ôtent les égards et la crainte aux hommes, en faisant que les maux qu'ils souifrent leur paroissent plus insupportables que ceux qu'ils prévoient alors ou la licence excessive, ou la patience poussée à l'extrémité, menacent terriblement les maisons régnantes. Charles t" roi d'Angleterre étoit juste, modéré, magnanime, très-instruit de ses affaires et des moyens de régner. Jamais prince ne fut plus capable de rendre la royauté, non-seulement vénérable et sainte, mais encore aimable et chère à ses peuples. Que lui peut-on reprocher, sinon la clémence (M ? Je veux bien avouer de lui ce qu'un auteur célèbre a dit de César, « qu'il a été clément jusqu'à être obligé de s'en repentir a Ca?s6[rt proprium et peculiare sit c~men~ insigne, quâ usque ad pcen~eH~fttn omnes superavit Que ce soit donc là, si l'on veut, l'illustre défaut de Charles aussi bien que de César mais que ceux qui Introibo in potentias Domini. PM<. mx, [5. – Q. Curt., tib. Vlfl, n. 9. PUn., lib. VU, cap. xxv.
(a) t" édit. On ttOMera. (b) Sa clémence.
veulent croire que tout est foible dans les malheureux et dans les vaincus, ne pensent pas pour cela nous persuader que la force ait manqué à son courage, ni la vigueur à ses conseils. Poursuivi à toute outrance par l'implacable malignité de la fortune, trahi de tous les siens, il ne s'est pas manqué à lui-même. Malgré les mauvais succès de ses armes infortunées, si on a pu le vaincre, on n'a pas pu le forcer et comme il n'a jamais refusé ce qui étoit raisonnable étant vainqueur, il a toujours rejeté ce qui étoit foible et injuste étant captif. J'ai peine à contempler son grand cœur dans ces dernières épreuves. Mais certes il a montré qu'il n'est pas permis aux rebelles de faire perdre la majesté à un Roi qui sait se connoître et ceux qui ont vu de quel front il a paru dans la salle de Westminster et dans la place de Whitehall, peuvent juger aisément combien il étoit intrépide à la tête de ses armées, combien auguste et majestueux au milieu de son palais et de sa Cour. Grande Reine, je satisfais à vos plus tendres désirs, quand je célèbre ce monarque et ce cœur qui n'a jamais vécu que pour lui, se réveille tout poudre (a) qu'il est, et devient sensible même sous ce drap mortuaire, au nom d'un époux si cher, à qui ses ennemis mêmes accorderont le titre de sage et celui de juste; et que la postérité mettra au rang des grands princes, si son histoire trouve des lecteurs dont le jugement ne se laisse pas maîtriser aux événemens ni à la fortune.
Ceux qui sont instruits des affaires, étant obligés d'avouer que le Roi n'avoit point donné d'ouverture ni de prétexte aux excès sacriléges dont nous abhorrons la mémoire, en accusent la fierté indomptable de la nation et je confesse que la haine des parricides pourroit jeter les esprits dans ce sentiment. Mais quand on considère de plus près l'histoire de ce grand royaume et particulièrement les derniers règnes où l'on voit non-seulement les rois majeurs, mais encore les pupilles, et les reines mêmes si absolues et si redoutées quand on regarde la facilité incroyable avec laquelle la religion a été ou renversée, ou rétablie par Henri, par Edouard, par Marie, par Elisabeth on ne trouve, ni la nation si rebelle, ni ses parlemens si fiers et si factieux au cont" édit. Cendre.
traire on est obligé de reprocher à ces peuples d'avoir été trop soumis, puisqu'ils ont mis sous le joug leur foi même et leur conscience. N'accusons donc pas aveuglément le naturel des habitans de l'île la plus célèbre du monde, qui selon les plus fidèles histoires tirent leur origine des Gaules et ne croyons pas que les Merciens, les Danois et les Saxons aient tellement corrompu en eux ce que nos pères leur avoient donné de bon sang, qu'ils soient capables de s'emporter à des procédés si barbares, s'il ne s'y étoit mêlé d'autres causes. Qu'est-ce donc qui les a poussés? Quelle force, quel transport, qu'elle intempérie a causé ces agitations et ces violences ? N'en doutons pas, chrétiens les fausses religions, le libertinage d'esprit, la fureur de disputer des choses divines sans fin, sans règle, sans soumission, a emporté les courages. Voilà les ennemis que la Reine a eus à combattre, et que ni sa prudence, ni sa douceur, ni sa fermeté n'ont pu vaincre.
J'ai déjà dit quelque chose de la licence où se jettent les esprits, quand on ébranle les fondemens de la religion, et qu'on remue les bornes une fois posées. Mais comme la matière que je traite me fournit un exemple manifeste et unique dans tous les siècles de ces extrémités furieuses il est, Messieurs, de la nécessité de mon sujet de remonter jusqu'au principe, et de vous conduire pas à pas par tous les excès où le mépris de la religion ancienne et celui de l'autorité de l'Eglise ont été capables de pousser les hommes.
Donc la source de tout le mal est que ceux qui n'ont pas craint de tenter au siècle passé la réformation par le schisme, ne trouvant point de plus fort rempart contre toutes leurs nouveautés que la sainte autorité de l'Eglise, ils ont été obligés de la renverser. Ainsi les décrets des conciles, la doctrine des Pères et leur sainte unanimité, l'ancienne tradition du Saint-Siège et de l'Eglise catholique, n'ont plus été comme autrefois des lois sacrées et inviolables. Chacun s'est fait à soi-même un tribunal où il s'est rendu l'arbitre de sa croyance et encore qu'il semble que les novateurs aient voulu retenir les esprits en les renfermant dans les limites de l'Ecriture sainte, comme ce n'a été qu'à condition que chaque fidèle en deviendroit l'interprète, et croiroit que le Saint-Esprit
lui en dicte l'explication, il n'y a point de particulier qui ne se voie autorisé par cette doctrine adorer ses inventions, à consacrer ses erreurs, à appeler Dieu tout ce qu'il pense. Dès lors on a bien prévu que la licence n'ayant plus de frein, les sectes se multiplieroient jusqu'à l'infini; que l'opiniâtreté seroit invincible et que tandis que les uns ne cesseroient de disputer, ou donneroient leurs rêveries pour inspirations, les autres fatigués de tant de folles visions, et ne pouvant plus reconnoître la majesté de la religion déchirée par tant de sectes, iroient enfin chercher un repos funeste et une entière indépendance dans l'indifférence des religions, ou dans l'athéisme.
Tels et plus pernicieux encore, comme vous verrez dans la suite, sont les effets naturels de cette nouvelle doctrine. Mais de même qu'une eau débordée ne fait pas partout les mêmes ravages, parce que sa rapidité ne trouve pas partout les mêmes penchans et les mêmes ouvertures ainsi quoique cet esprit d'indocilité et d'indépendance soit également répandu dans toutes les hérésies de ces derniers siècles, il n'a pas produit universellement les mêmes effets; il a reçu diverses limites, suivant que la crainte, ou les intérêts, ou l'humeur des particuliers et des nations, ou enfin la puissance divine, qui donne quand il lui plaît des bornes secrètes aux passions des hommes les plus emportées, l'ont différemment retenu. Que s'il s'est montré tout entier à l'Angleterre, et si sa malignité s'y est déclarée sans réserve, les rois en ont souffert, mais aussi les rois en ont été cause. Ils ont trop fait sentir aux peuples que l'ancienne religion se pouvoit changer. Les sujets ont cessé d'en révérer les maximes, quand ils les ont vu céder aux passions, et aux intérêts de leurs princes. Ces terres trop remuées et devenues incapables de consistance, sont tombées de toutes parts, et n'ont fait voir que d'effroyables précipices. J'appelle ainsi tant d'erreurs téméraires et extravagantes qu'on voyoit paroître tous les jours. Ne croyez pas que ce soit seulement la querelle de l'épiscopat, ou quelques chicanes sur la liturgie anglicane, qui aient ému les Communes. Ces disputes n'étoient (a) encore que de foibles commencemeus, par où ces (a) t" tM<< Tout cela n'étoit.
esprits turbulens faisoient comme un essai de leur liberté. Mais quelque chose de plus violent se remuoit dans le fond des coeurs c'étoit un dégoût secret de tout ce qui a de l'autorité, et une démangeaison d'innover sans fin après qu'on en a vu le premier exemple.
Ainsi les calvinistes plus hardis que les luthériens, ont servi à établir les sociniens qui ont été plus loin qu'eux, et dont ils grossissent tous les jours le parti. Les sectes infinies des anabaptistes sont sorties de~ cette même source et leurs opinions mêlées au calvinisme ont fait naître les indépendans, qui n'ont point eu de bornes; parmi lesquels on voit les trembleurs, gens fanatiques, qui croient que toutes leurs rêveries leur sont inspirées et ceux qu'on nomme Chercheurs, à cause que dix-sept cents ans après JésusChrist ils cherchent encore la religion et n'en ont point d'arrêtée. C'est, Messieurs, en cette sorte que les esprits une fois émus, tombant de ruines en ruines, se sont divisés en tant de sectes. En vain les rois d'Angleterre ont cru les pouvoir retenir sur cette pente dangereuse, en conservant l'épiscopat. Car que peuvent des évêques qui ont anéanti eux-mêmes l'autorité de leur chaire et la révérence qu'on doit à la succession, en condamnant ouvertement leurs prédécesseurs jusqu'à la source même de leur sacre; c'està-dire jusqu'au pape saint Grégoire et au saint moine Augustin son disciple, et le premier apôtre de la nation angloise? Qu'est-ce que l'épiscopat, quand il se sépare de l'Eglise, qui est son tout, aussi bien que du Saint-Siège, qui est son centre, pour s'attacher contre sa nature à la royauté comme à son chef? Ces deux puissances d'un ordre si différent ne s'unissent pas, mais s'embarrassent mutuellement, quand on les*confond ensemble et la majesté des rois d'Angleterre seroit demeurée plus inviolable, si contente de ses droits sacrés, elle n'avoit point voulu attirer à soi les droits et l'autorité de l'Eglise. Ainsi rien n'a retenu la violence des esprits féconds en erreurs et Dieu, pour punir l'irréligieuse instabilité de ces peuples, les a livrés à l'intempérance de leur folle curiosité; en sorte que l'ardeur de leurs disputes insensées, et leur religion arbitraire, est devenue la plus dangereuse de leurs maladies.
Il ne faut point s'étonner s'ils perdirent le respect de la majesté et des lois, ni s'ils devinrent factieux, rebelles et opiniâtres. On énerve la religion quand on la change, et on lui ôte un certain poids qui seul est capable de tenir les peuples. Ils ont dans le fond du cœur je ne sais quoi d'inquiet qui s'échappe, si on leur ôte ce frein nécessaire; et on ne leur laisse plus rien à ménager, quand on leur permet de se rendre maîtres de leur religion. C'est de là que nous est né ce prétendu règne de Christ, inconnu jusques alors au christianisme, qui devoit anéantir toute la royauté (a) et égaler tous les hommes songe séditieux des indépendans, et leur chimère impie et sacrilége. Tant il est vrai que tout se tourne en révoltes et en pensées séditieuses, quand l'autorité de la religion est anéantie. Mais- pourquoi chercher des preuves d'une vérité que le Saint-Esprit a prononcée par une sentence manifeste? Dieu même menace les peuples qui altèrent la religion qu'il a établie, de se retirer du milieu d'eux, et par là de les livrer aux guerres civiles. Ecoutez comme il parle par la bouche du prophète Xacharie « Leur ame, dit le Seigneur, a varié envers moi, » quand ils ont si souvent changé la religion a et je leur ai dit Je ne serai plus votre pasteur 1; o c'est-à-dire je vous abandonnerai à vousmêmes et à votre cruelle destinée; et voyez la suite a Que ce (lui doit mourir, aille à la mort; que ce qui doit être retranché, soit retranché; entendez-vous ces paroles? a et que ceux qui demeureront, se dévorent les uns les autres. » 0 prophétie trop réeiïe et trop véritablement accomplie 1 La Reine avoit bien raison de juger qu'il n'y avoit point de moyen d'ôtpr les causes des guerres civiles qu'en retournant à l'unité catholique, qui a fait fleurir durant tant de siècles l'église et la monarchie d'Angleterre, autant que les plus saintes églises et les plus illustres monarchies du monde. Ainsi quand cette pieuse Princesse servoit l'Eglise, elle croyoit servir l'Etat elle croyoit assurer (b) au Roi des serviteurs, en conservant à Dieu des fidèles. L'expérience a Anima eorum variavit in me; et dixi Non pascam vos. Quod moritur, moriatur; et quod succidttur, succidatur; et reliqui dévorent unusquisque caru<*m profitai sui ZocAar., xr, 8 et seq.
(a) i" e'<<!< Toute royauté. – (b) Elle croyoit servir l'Etat et aseurer.
justifié ses sentimens et il est vrai que le Roi son fils n'a rien trouvé de plus ferme dans son service que ces catholiques si haïs, si persécutés, que lui avoit sauvés la Reine sa mère. En effet il est visible que puisque la séparation et la révolte contre l'autorité de l'Eglise a été la source d'où sont dérivés tous les maux, on n'en trouvera jamais les remèdes que par le retour à l'unité et par la soumission ancienne. C'est le mépris de cette unité qui a divisé l'Angleterre. Que si vous me demandez comment tant de factions opposées et tant de sectes incompatibles, qui se devoient apparemment détruire les unes les autres, ont pu si opiniâtrement conspirer ensemble contre le trône royal, vous l'allez apprendre. Un homme s'est rencontré d'une profondeur d'esprit incroyable, hypocrite raffiné autant qu'habile politique, éapable de tout entreprendre et de tout cacher, également actif et infatigable dans la paix et dans la guerre, qui ne laissoit rien à la fortune de' ce qu'il pouvoit lui ôter par conseil et par prévoyance mais au reste si vigilant et si prêt à tout, qu'il n'a jamais manqué les occasions qu'elle lui a présentées; enfin un de ces esprits remuans et audacieux, qui semblent être nés pour changer le monde. Que le sort de tels esprits est hasardeux, et qu'il en paroît dans l'histoire à qui leur audace a été funeste! Mais aussi que ne font-ils pas, quand il plaît à Dieu de s'en servir? Il fut donné à celui-ci de tromper les peuples et de prévaloir contre les rois Car comme il eut aperçu que dans ce mélange infini de sectes, qui n'avoient plus de règles certaines, 1~ plaisir de dogmatiser sans être repris ni contraint par aucune autorité ecclésiastique ni séculière, étoit le charme qui possédoit les esprits il sut si bien les concilier par là, qu'il fit un corps redoutable de cet assemblage monstrueux. Quand une fois on a trouvé le moyen de prendre la multitude par l'appât de la liberté, elle suit en aveugle, pourvu qu'elle en entende seulement le nom. Ceux-ci occupés du premier objet qui les avoit transportés, alloient toujours, sans regarder qu'ils alloient à la servitude et leur subtil conducteur, qui en combattant, en dogmatisant, en mêlant mille personnages divers, en faisant le docteur et le prophète, aussi bien que le soldat et le caApoc., xm, 5, 7.
pitaine, vit qu'il avoit tellement enchanté le monde, qu'il étoit regardé de toute l'armée comme un chef envoyé de Dieu pour la protection de l'indépendance, commença à s'apercevoir qu'il pouvoit encore les pousser plus loin. Je ne vous raconterai pas la suite trop fortunée de ses entreprises, ni ses fameuses victoires dont la vertu étoit indignée, ni cette longue tranquillité qui a étonné l'univers. C'étoit le conseil de Dieu d'instruire les rois à ne point quitter son Eglise. Il vouloit découvrir par un grand exemple tout ce que peut l'hérésie, combien elle est naturellement indocile et indépendante, combien fatale à la royauté et à toute autorité légitime. Au reste quand ce grand Dieu a choisi quelqu'un pour être l'instrument de ses desseins, rien n'en arrête le cours; ou il enchaîne, ou il aveugle, ou il dompte tout ce qui est capable de résistance. a Je suis le Seigneur, dit-il par la bouche de Jérémie; c'est moi qui ai fait la terre avec les hommes et les animaux, et je la mets entre les mains de qui il me plaît. Et maintenant j'ai voulu soumettre ces terres à Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur'. II l'appelle son serviteur, quoiqu'infidèle, à cause qu'il l'a nommé pour exécuter ses décrets. « Et j'ordonne, pousuit-il, que tout lui soit soumis, jusqu'aux animaux » Tant il est vrai que tout ploie et que tout est souple quand Dieu le commande. Mais écoutez la suite de la prophétie a Je veux que ces peuples lui obéissent, et qu'ils obéissent encore à son fils, jusqu'à ce que le temps des uns et des autres vienne~. e Voyez, chrétiens, comme les temps sont marqués, comme les générations sont comptées Dieu détermine ju~qnes à quand doit durer l'assoupissement, et quand aus~i se doit réveiller le monde. Tel a été le sort de l'Angleterre. Mais que dans cette effroyable confusion de toutes choses, il est beau de considérer ce que la grande Henriette a entrepris pour le salut de ce royaume ses voyages, ses négociations, ses traités, tout ce que sa prudence et 1 Ego feci terram et hommes, etjomenta qum sunt super faciem terrée in fortitudme meâ magna, et m brachio meo extento, et dedi eam ei qui placult III oculis mei". Et nunc itaque dedt omnes ten'ds istas in manu Nabucbodonosor rpgis Babylonis servi mei. ~'em xxvn, 5, 6 – iasuper et bestias agri dedi fi ut servant ilIL. Ibid. – 3 Et servient el et servient 6ho ejua, donec veniat tempus terrée ejua et ipsiue. Ibld. 7.
son courage opposoient à la fortune de l'Etat, et enfin sa constance, par laquelle n'ayant pu vaincre la violence de la destinée, elle en a si noblement soutenu l'effort 1 Tous les jours elle ramenoit quelqu'un des rebelles; et de peur qu'ils ne fussent malheureusement engagés à faillir toujours parce qu'ils avoient failli une fois, elle vouloit qu'ils trouvassent leur refuge dans sa parole (a). Ce fut entre ses mains que le gouverneur ae Sharborough remit ce port, et ce château inaccessible. Les deux Hothams père et fils, qui avoient donné le premier exemple de perfidie, en refusant au Roi même les portes de la forteresse et du port de Hull choisirent la Reine pour médiatrice, et devoient rendre au Roi cette place avec celle de Beverley mais ils furent prévenus et décapités et Dieu, qui voulut punir leur honteuse désobéissance par les propres mains des rebelles, ne permit pas que le Roi profitât de leur repentir. Elle avoit encore gagné un maire de Londres, dont le crédit étoit grand, et plusieurs autres chefs de la faction. Presque tous ceux qui lui parloient se rendoient à elle et si Dieu n'eût point été inflexible, si l'aveuglement des peuples n'eut pas été incurable, elle auroit guéri les esprits et le parti le plus juste auroit été le plus fort.
On sait, Messieurs, que la Reine a souvent exposé sa personne dans ces conférences secrètes mais j'ai à vous faire voir de plus grands hasards. Les rebelles s'étoient saisis des arsenaux et des magasins; et malgré la défection de tant de sujets, malgré l'infâme désertion de la milice' même il étoit encore plus aisé au Roi de lever des soldats que de les armer. Elle abandonne pour avoir des armes et des munitions, non-seulement ses joyaux, mais encore le soin de sa vie. Elle se-met en mer au mois de février, malgré l'hiver et les tempêtes et sous prétexte de conduire en Hoilande la Princesse royale sa fille aînée, qui avoit été mariée à Guillaume prince d'Orange, elle va pour engager les Etats dans les intérêts du Roi, lui gagner des officiers, lui amener des munitions. L'hiver ne l'avoit pas efïrayée, quand elle partit d'Angleterre l'hiver ne l'arrête pas onze mois après, quand il faut retourner auprès du Roi mais le succès n'en fut pas semblable. Je (a) i" ~</t<. Leur refuge dans sa bonté, et leur sûreté dans sa parole.
tremble au seul récit de la tempête furieuse dont sa flotte fut battue durant dix jours. Les matelots furent alarmés jusqu'à perdre l'esprit (a), et quelques-uns d'entre eux se précipitèrent dans les ondes. EDe, toujours intrépide autant que les vagues étoient émues, rassuroit tout le monde par sa fermeté. Elle excitoit ceux qui l'accompagnoient à espérer en Dieu qui faisoit toute sa confiance et pour éloigner de leur esprit les funestes idées de la mort qui se présentoit de tous côtés, elle disoit avec un air de sérénité qui sembloit déjà ramener le calme, que les reines ne se noyoient pas. Hélas elle est réservée à quelque chose de bien plus extraordinaire et pour s'être sauvée du naufrage, ses malheurs n'en seront pas moins déplorables (&). Elle vit périr ses vaisseaux, et presque toute l'espérance d'un si grand secours. L'amiral, où elle étoit, conduit par la main de celui qui domine sur la profondeur de la mer et qui dompte ses flots soulevés, fut repoussé aux ports de Hollande et tous les peuples furent étonnés d'une délivrance si miraculeuse.
Ceux qui sont échappés du naufrage, disent un éternel adieu à la mer et aux vaisseaux et comme disoit un ancien auteur (c) ils n'en peuvent même supporter la vue. Cependant onze jours après, ô résolution étonnante la Reine à peine sortie d'une tourmente si épouvantable, pressée du désir de revoir le Roi et de le secourir, ose encore se commettre à la furie de l'Océan et à la rigueur de l'hiver. Elle ramasse quelques vaisseaux qu'elle charge d'officiers et de munitions, et repasse enûn en Angleterre. Mais qui ne seroit étonné de la cruelle destinée de cette Princesse? Après s'être sauvée des flots, une autre tempête lui fut presque fatale. Cent pièces de canon tonnèrent sur elle à son arrivée, et la maison où elle entra fut percée de leurs coups. Qu'elle eut d'assurance dans cet effroyable péril! mais qu'elle eut de clémence pour l'auteur d'un si noir attentat On l'amena prisonnier Naufragio libérait, exinde repudium et navi et mari dicunt. Tertull., de fœMt'< n. 1.
(a) Ire édit. Les matelots alarmés en perdirent l'esprit. (b) Et pour s'être sauvée des flots, son naufrage n'en sera pas moins déplorable. (c) Et, ce sont les paroles de Tertullien; 2e Et, comme dit Tertullien ils n'en peuvent.
peu de temps après elle lui pardonna son crime, le livrant pour tout supplice à sa conscience, et à la honte d'avoir entrepris sur la vie d'une Princesse si bonne et si généreuse tant elle étoit audessus de la vengeance aussi bien que de la crainte. Mais ne la verrons-nous jamais auprès du Roi qui souhaite si ardemment son retour? Elle brûle du même désir, et déjà je la vois paroître dans un nouvel appareil. Elle marche comme un général à la tête d'une armée royale, pour traverser des provinces que les rebelles tenoient presque toutes. Elle assiège et prend d'assaut en passant une place considérable qui s'opposoit à sa marche elle triomphe, elle pardonne et enfin le Roi la vient recevoir dans une campagne où il avoit remporté l'année précédente une victoire signalée sur le général Essex. Une heure après on apporta la nouvelle d'une grande bataille gagnée. Tout sembloit prospérer par sa présence les rebelles étoient consternés et si la Reine en eût été crue si au lieu de diviser les armées royales et de les amuser contre son avis aux siéges infortunés de Hull et de Glocester, on eût marché droit à Londres, l'affaire étoit décidée et cette campagne eût fini la guerre. Mais le moment fut manqué. Le terme fatal approchoit et le Ciel, qui sembloit suspendre en faveur de la piété de la Reine la vengeance qu'il méditoit, commença à se déclarer. « Tu sais vaincre, disoit un brave Africain au plus rusé capitaine qui fût jamais, mais tu ne sais pas user de ta victoire Rome que tu tenois t'échappe et le destin ennemi t'a ôté tantôt le moyen, tantôt la pensée de la prendre » Depuis ce malheureux moment tout alla visiblement en décadence, et les affaires furent sans retour. La Reine qui se trouva grosse, et qui ne put par tout son crédit faire abandonner ces deux sièges qu'on vit enfin si mal réussir, tomba en langueur et tout l'Etat languit avec elle. Elle' fut contrainte de se séparer d'avec le Roi, qui étoit presque assiégé dans Oxford, et ils se dirent un adieu bien triste, quoiqu'ils ne sussent pas que c'étoit le dernier. Elle se retire à Exeter, ville forte où elle fut ellet Tùm Maharbal: Vincere scis, Annibal, Victoria uti nescis. Tit. Liv., Dec. m, hb. Il.
PohundfC urbis Roms, modo mentBm non dari, modo fortuuam. f&j hb. Vt. l)ans f/tM<<)r!M, e*M< Annsbal qui parle «t'n~t de htt-m~me.
même bientôt assiégée. Elle y accoucha d'une princesse, et se vit douze jours après contrainte de prendre la fuite pour se réfugier en France.
Princesse, dont la destinée est si grande et si glorieuse, faut-il que vous naissiez en la puissance des ennemis de votre Maison ? 0 Eternel, veillez sur elle; anges saints, rangez à l'entour vos escadrons invisibles, et faites la garde autour du berceau d'une princesse si grande et si délaissée. Elle est destinée au sage et valeureux Philippe et doit des princes à la France, dignes de lui, dignes d'elle et de leurs aïeux. Dieu l'a protégée, Messieurs. Sa gouvernante deux ans après tire ce précieux enfant des mains des rebelles et quoique ignorant sa captivité et sentant trop sa grandeur, elle se découvre elle-même; quoique refusant tous les autres noms, elle s'obstine à dire qu'elle est la Princesse; elle est enfin amenée auprès de la Reine sa mère pour faire sa consolation durant ses malheurs, en attendant qu'elle fasse la félicité d'un grand prince, et la joie de toute la France. Mais j'interromps l'ordre de mon histoire. J'ai dit que la Reine fut obligée de se retirer de son royaume. En effet elle partit des ports d'Angleterre à la vue des vaisseaux des rebelles, qui la poursuivoient de si près qu'elle entendoit presque leurs cris et leurs menaces insolentes. 0 voyage bien différent de celui qu'elle avoit fait sur la même mer, lorsque venant prendre possession du sceptre de la GrandeBretagne, elle voyoit pour ainsi dire les ondes se courber sous elle, et soumettre toutes leurs vagues à la dominatrice des mers! Maintenant chassée, poursuivie par ses ennemis implacables, qui avoient eu l'audace de lui faire sou procès, tantôt sauvée, tantôt, presque prise, changeant de fortune à chaque quart d'heure, n'ayant pour elle que Dieu et son courage inébranlable, elle n'avoit ni assez de vents ni assez de voiles pour favoriser sa fuite précipitée. Mais enfin elle arrive à Brest, où après tant de maux il lui fut permis de respirer un peu.
Quand je considère en moi-même les périls extrêmes et continuels qu'a courus cette Princesse, sur la mer et sur la terre, durant l'espace de près de dix ans et que d'ailleurs je vois que toutes les entreprises sont inutiles contre sa personne, pendant
que tout réussit d'une manière surprenante contre l'Etat que puis-je penser autre chose, sinon que la Providence, autant attachée à lui conserver la vie qu'à renverser sa puissance, a voulu qu'elle survéquit à ses grandeurs, afin qu'elle pût survivre aux attachemens de la terre et aux sentimens d'orgueil qui corrompent d'autant plus les ames, qu'elles sont plus grandes et plus élevées? Ce fut un conseil à peu près semblable qui abaissa autrefois David sous la main du rebelle Absalom. a Le voyez-vous, ce grand Roi, dit le saint et éloquent Prêtre de Marseille le voyezvous seul, abandonné, tellement déchu dans l'esprit des siens, qu'il devient un objet de mépris aux uns, et ce qui est plus insupportable à un grand courage, un objet de pitié aux autres; ne sachant, poursuit Salvien, de laquelle de ces deux choses il avoit le plus à se plaindre, ou de ce que Siba le nourrissoit, ou de ce que Séméi avoit l'insolence de le maudire ~? a 'Voilà, Messieurs, une image, mais imparfaite, de la Reine d'Angleterre, quand après de si étranges humiliations, elle fut encore contrainte de paroitre au monde, et d'étaler pour ainsi dire à la France même et au Louvre, où elle étoit née avec tant de gloire, toute l'étendue de sa misère. Alors elle put bien dire avec le prophète Isaïe « Le Seigneur des armées a fait ces choses, pour anéantir tout le faste des grandeurs humaines, et tourner en ignominie ce que l'univers a de plus auguste » Ce n'est pas que la France ait manqué à la fille de Henri le Grand. Anne la magnanime, la pieuse, que nous ne nommerons jamais sans regret, la reçut d'une manière convenable à la majesté des deux Reines. Mais les affaires du Roi ne permettant pas que cette sage régente pût proportionner le remède au mal, jugez de l'état de ces deux princesses. Henriette, d'un si grand cœur, est contrainte de demander du secours Anne, d'un si grand cœur, ne peut en donner assez. Si l'on eût pu avancer ces belles années dont nous admirons maintenant le cours glorieux, Louis, qui entend de si loin les gémissemens des chréDejectus usque in auorum, quod grave est, contumeliam; vel, quod gravius, misencordiam ut vel Siba eum pasceret, vel ei maledicere Semel pubhce non timeret. Salv., de Guber. Dei, lib. U, cap. v. – Dominus exercituum cogitavit hoc, ut detraheret superbiam omms gioriae et ad ignominiam deduceret universos inclytos tenrae. /m! XHH, 9.
tiens amigés qui assuré de sa gloire, dont la sagesse de ses conseils et la droiture de ses intentions lui répondent toujours malgré l'incertitude des événemens entreprend lui seul la cause commune, et porte ses armes redoutées à travers des espaces immenses de mer et de terre auroit-il refusé son bras à ses voisins, à ses alliés, à son propre sang, aux droits sacrés de la royauté, qu'il sait si bien maintenir? Avec quelle puissance l'Angleterre l'auroit-elle vu invincible défenseur, ou vengeur présent de la majesté violée? Mais Dieu n'avoit laissé aucune ressource au roi d'Angleterre tout lui manque, tout lui est contraire. Les Ecossois, à qui il se donne, le livrent aux Parlementaires anglois, et les gardes fidèles de nos rois trahissent le leur. Pendant que le parlement d'Angleterre songe à congédier l'armée, cette armée toute indépendante réforme elle-même à sa mode le parlement, qui eût gardé quelques mesures, et se rend maîtresse de tout. Ainsi le Roi est mené de captivité en captivité et la Reine remue en vain la France, la Hollande, la Pologne même, et les puissances du Nord les plus éloignées. Elle ranime les Ecossois, qui arment trente mille hommes; elle fait avec le duc de Lorraine une entreprise pour la délivrance du Roi son seigneur, dont le succès paroît infaillible, tant le concert en est juste. Elle retire ses chers enfans, l'unique espérance de sa Maison et confesse à cette fois que parmi les plus mortelles douleurs, on est encore capable de joie. Elle console le Roi, qui lui écrit de sa prison même qu'elle seule soutient son esprit, et qu'il ne faut craindre de lui aucune bassesse parce que sans cesse il se souvient qu'il est à elle. 0 mère, ô femme, ô reine admirable et digne d'une meilleure fortune, si les fortunes de la terre étoient quelque chose 1 Enfin il faut céder à votre sort. Vous avez assez soutenu l'Etat, qui est attaqué par une force invincible et divine il ne reste plus désormais sinon que vous teniez ferme parmi ses ruines.
Comme une colonne dont la masse solide paroît le plus ferme appui (a) d'un temple ruineux, lorsque ce grand édifice qu'elle (a) t" ~'7. Comme ou voit une colonne, ouvrage d'une antique architecture, qui paroit le plus ferme appui.
soutenoit fond sur elle sans l'abattre ainsi la Reine se montre le ferme soutien de l'Etat, lorsqu'après en avoir longtemps porté le faix, elle n'est pas même courbée sous sa chute.
Qui cependant pourroit exprimer ses justes douleurs? Qui pourroit raconter ses plaintes? Non, Messieurs, Jérémie luimême, qui seul semble être capable d'égaler les lamentations aux calamités, ne suffiroit pas à de tels regrets. Elle s'écrie avec ce Prophète a Voyez, Seigneur, mon affliction. Mon ennemi s'est fortifié, et mes enfans sont perdus. Le cruel a mis sa main sacrilége sur ce qui m'étoit le plus cher. La royauté a été profanée, et les princes sont foulés aux pieds. Laissez-moi, je pleurerai amèrement; n'entreprenez pas de me consoler. L'épée a frappé au dehors, mais je sens en moi-même une mort semblable. »
Mais après que nous avons écouté ses plaintes, saintes filles, ses chères amies, (car elle vouloit bien vous nommer ainsi), vous qui l'avez vue si souvent gémir devant les autels de son unique Protecteur, et dans le sein desquelles elle a versé les secrètes consolations qu'elle en reoevoit, mettez fin à ce discours, en nous racontant les sentimens chrétiens dont vous avez été les témoins fidèles. Combien de fois a-t-elle en ce lieu remercié Dieu humblement de deux grandes graces l'une, de l'avoir fait chrétienne; l'autre, Messieurs, qu'attendez-vous? Peut-être d'avoir rétabli les affaires du Roi son fils? Non c'est de l'avoir fait reine malheureuse. Ah je commence à regretter les bornes étroites du lieu où je parle 1 Il faut éclater, percer cette enceinte, et faire retentir bien loin une parole qui ne peut être assez entendue. Que ses douleurs l'ont rendue savante dans la science de l'Evangile, et qu'elle a bien connu la religion et la vertu de la croix, quand elle a uni le christianisme avec les malheursl Les grandes prospérités nous aveuglent, nous transportent, nous égarent, nous font oublier Dieu, nous-mêmes et les sentimens de la foi. Facti sunt Ëtii mei perditi, quomam invatuit inimicus. Thren, l, 16. Manum suam misit hostis ad omnia desiderabilia ejus. lbid. 10. Polluit regnum et principes ejus. lbid., n, 2. Recedite à me, amarÈ flebo; nohte incumber~ ut consolemini me. ~a., xxu, 4. Foris interficit gladius, et domi mors similis est. Lam., f, 20.
De là naissent des monstres de crimes, des raffinemens de plaisir, des délicatesses d'orgueil, qui ne donnent que trop de fondement à ces terribles malédictions que Jésus-Christ a prononcées dans son Evangile 1 « Malheur à vous qui riez malheur à vous qui êtfs pleins e et contens du monde. Au contraire, comme le christianisme a pris sa naissance de la croix, ce sont aussi les malheurs qui le fortifient. Là on expie ses péchés; là on épure ses intentions; là on transporte ses désirs de la terre au ciel; là on perd tout le goût du monde, pt on cesse de s'appuyer sur soimême et sur sa prudence. Il ne faut pas se flatter; les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales. Mais que nous nous pardonnons aisément nos fautes, quand la fortune nous les pardonne 1 Et que nous nous croyons bientôt les plus éclairés et les plus habiles, quand nous sommes les plus élevés et les plus heureux Les mauvais succès sont les seuls maîtres qui peuvent nous reprendre utilement, et nous arracher cet aveu d'avoir failli, qui coûte tant à notre orgueil. Alors, quand les malheurs nous ouvrent les yeux, nous repassons avec amertume sur tous nos faux pas nous nous trouvons également accablés de ce que nous avons fait, et de ce que nous avons manqué de faire; et nous ne savons plus par où excuser cette prudence présomptueuse qui se croyoit infaillible. Nous voyons que Dieu seul est sage; et en déplorant vainement les fautes qui ont ruiné nos affaires, une meilleure réHexion nous apprend à déplorer celles qui ont perdu notre éternité, avec cette singulière consolation, qu'on les répare quand on les pleure.
Dieu a tenu douze ans sans relâche, sans aucune consolation de la part des hommes, notre malheureuse Reine (donnons-lui hautement ce titre, dont elle a fait un sujet d'actions de grâces], lui faisant étudier sous sa main ces dures, mais solides leçons. Enfin néchi par ses vœux et par son humble patience, il a rétabli la Maison royale. Charles II est reconnu, et l'injure des rois a été vengée. Ceux que les armes n'avoient pu vaincre, ni les conseils ramener, sont revenus tout à coup d'eux-mêmes déçus par leur liberté, ils en ont à la fin détesté l'excès, honteux d'avoir eu tant *Vœ qui ridetis! vœ qui saturati estis! ttfc.. Y); 25.
TOM.XU. 30
de pouvoir (a), et leurs propres succès leur faisant horreur. Nous savons que ce prince magnanime eût pu hâter ses afFaires, en se servant de la main de ceux qui s'offroient à détruire la tyrannie par un seul coup. Sa grande -une a dédaigné ces moyens trop bas. Il a cru qu'en quelque état que fussent les rois, il étoit de leur majesté de n'agir que par les lois ou par les armes. Ces lois qu'il a protégées l'ont rétabli presque toutes seules il règne paisible et glorieux sur le trône de ses ancêtres; et fait régner avec lui la justice, la sagesse et la clémence.
Il est inutile de vous dire combien la Reine fut consolée par ce merveilleux événement; mais elle avoit appris par ses malheurs à ne changer pas dans un si grand changement de son état. Le monde une fois banni, n'eut plus de retour dans son cœur. Elle vit avec étonnement que Dieu, qui avoit rendu inutiles tant d'entreprises et tant d'efforts, parce qu'il attendoit l'heure qu'il avoit marquée, quand elle fut arrivée, alla prendre comme par la main le Roi son fils, pour le conduire à son trône. Elle se soumit plus que jamais à cette main souveraine, qui tient du plus haut des cieux les rênes de tous les empires; et dédaignant les trônes qui peuvent être usurpés, elle attacha son affection au royaume où l'on ne craint point d'avoir des égaux et où l'on voit sans jalousie ses concurrens. Touchée de ces sentimens, elle aima cette humble maibon plus que ses palais. Elle ne se servit plus de son pouvoir que pour protéger la foi catholique, pour multiplier ses aumônes, et pour soulager plus abondamment les familles réfugiées de ses trois royaumes, et tous ceux qui avoient été ruinés pour la cause de la religion ou pour le service du Roi. Rappelez en votre mémoire avec quelle circonspection elle ménageoit le prochain, et combien elle avoit d'aversion pour les discours empoisonnés de la médisance. Elle savoit de quel poids est, non-senlement la moindre parole, mais le silence même des princes; et combien la médisance se donne d'empire, quand elle a osé seulement paroître en leur auguste présence. Ceux qui la Plus amant illud regnum in quo non timent habere consortes. S. August., de CtM't. Dei, lib. V, cap. xxiv.
(a) t" <<< D'avoir tant pu.
voyoient attentive à peser toutes ses paroles, jugeoient bien qu'elle étoit sans cesse sous la vue de Dieu, et que fidèle imitatrice de l'institut de sainte Marie, jamais elle ne perdoit la sainte présence de la Majesté divine. Aussi rappeloit-elle souvent ce précieux souvenir par l'oraison, et par la lecture du livre de l'Imitation de Jésus, où elle apprenoit à se conformer au véritable modèle des chrétiens. Elle veilloit sans relâche sur sa conscience. Après tant de maux et tant de traverses, elle ne connut plus d'autres ennemis que ses péchés. Aucun ne lui sembla léger elle en faisoit un rigoureux examen; et soigneuse de les expier par la pénitence et par les aumônes, elle étoit si bien préparée, que la mort n'a pu la surprendre, encore qu'elle soit venue sous l'apparence du sommeil. Elle est morte, cette grande Reine; et par sa mort elle a laissé un regret éternel, non-seulement à MONSIEUR et à MADAME, qui fidèles à tous leurs devoirs, ont eu pour elle des respects si soumis, si sincères, si per~évérans, mais encore à tous ceux qui ont eu l'honneur de la servir ou de la connoître. Ne plaignons plus ses disgraces, qui font maintenant sa félicité. Si elle avoit été plus fortunée, son histoire seroit plus pompeuse, mais ses œuvres seroient moins pleines et avec des titres superbes, elle auroit peut-être paru vide devant Dieu. Maintenant qu'elle a préféré la croix au trône, et qu'elle a mis ses malheurs au nombre des plus grandes graces, elle recevra les consolations qui sont promises à ceux qui pleurent. Puisse donc ce Dieu de miséricorde accepter ses afflictions en sacrifice agréable Puisset-il la placer au sein d'Abraham; et content de ses maux~ épargner désormais à sa famille et au monde de si terribles leçons 1
ORAISON FUNÈBRE
DE
HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE,
DUCHESSE D'ORLÉANS.
REMARQUES HISTORIQUES.
Henriette d'Angleterre étoit la dernière fille de Charles I", comme Henriette de France étoit le dernier- enfant de Henri IV. Elle naquit à Exeter le i6 juin i0t4, dans ces jours funestes où sa mère, fuyant les fureurs impies de ses sujets, pouvoit à peine trouver dans son royaume une pierre pour reposer sa tête.
Obligée de chercher un asile en France, la reine sa mère la laissa,. peu de jours après sa naissance, à la garde de la comtesse Morton. Bientôt la royale enfant, dont on découvrit l'origine, fut prisonnière entre les mains des puritains, sous les ordres du comte d'Essex. Après deux ans de captivité, sa gouvernante la déguisa en petit paysan, l'appela du nom de Hen.ri, et parvint à lui faire passer le détroit. La jeune fugitive manqua plusieurs fois de se perdre pendant le voyage; elle disoit partout, dans l'épanchement de son cœur, en confidence amicale « Je suis, je suis. la princesse. ))
Elevée sous la surveillance de sa mère au couvent de Chaillot, elle apprit la piété, la droiture, la justice'et la crainte du Seigneur dans l'exercice de la religion; et l'exemple des humbles filles de Marie lui inspira les vertus des conditions médiocres, la politesse, la douceur, la commisération, la bienfaisance.
Anne d'Autriche, qui avoit remarqué ses précieuses qualités, désiroit de l'unir au roi son fils; les sentimens de Louis XIV et Fàge de Henriette s'opposèrent, avec les intérêts de la politique, à cette-union. La reine mère alors voulut qu'elle devînt la compagne de son second fils, le duc d'Orléans; son vœu s'accomplit le 3t mars ~661.
La jeune épouse n'avoit pas encore 17 ans. Elle joignoit à la viva-
cité de l'esprit la solidité du jugement, et l'abandon d'une candeur ingénieuse augmentoit en elle les charmes d'une grace infinie; affable et généreuse, accessible et bienfaisante, elle révéloit la bonté de son noble cœur par la douceur de ses regards, par l'aménité de ses prévenances et par la libéralité de ses largesses. Le plus simple et le plus sublime des orateurs du grand siècle, retraçant les vertus de sa mère au milieu de toutes les vicissitudes des choses humaines gagna sa confiance; et dans les rapports qu'il eut avec cette princesse, non content de lui dévoiler les mystères de la science divine, il la dirigea vers les connoissances profanes, pour la prémunir contre l'oisiveté qui laisse un si libre cours aux passions. Ainsi formée par un si grand maître, douée d'une exquise sensibilité, avec un goût sûr, elle jugeoit admirablement les œuvres de l'esprit; et savoit encourager le talent, louer le génie avec une délicatesse charmante, qui doubloit le prix de l'éloge et l'emeacité des encouragemens
Tant de rares qualités firent de la princesse Ilenriette le plus bel ornement de la Cour la plus brillante du monde; quoique placée au second rang, elle avoit tout le crédit, tous les hommages et presque tous les honneurs du premier. Cependant elle voyoit souvent s'élever des nuages qui obseurcissoient l'éclat da ses triomphes, et les orages qu'elle essuyoit dans son palais lui faisoient regretter les jours calmes et sereins où l'abaissement de sa maison épargnoit à son enfance les chagrins les plus difficiles à supporter, les peines et les troubles, domestiques. Philippe d'Orléans son époux sembloit n'avoir rien hérité d'un sang royal. Foible et chétif de corps, lâche et mou de caractère, il étoit incapable de tout sentiment noble et de toute action généreuse fuyant la compagnie des hommes pour se retirer parmi les femmes, il vivoit, parloit et se paroit comme elles et pendant qu'il s'en alloit partout prodiguant un cœur glacé et corrompu, il avoit toute la jalousie d'un amour qui n'aime que soi.
Louis XiV plus juste appréciateur du mérite et de la fidélité, ce grand monarque si sévère et si sûr dans le choix de ses confidens, révéloit à la princesse Henriette les plus grands secrets de l'Etat. Voulant bri1 Un jour, comme elle se rendoit à la messe, voyant Boileau dans la galerie parmi les spectateurs cf. les couitisans, elle l'appelle du doigt; et répétant un des plus beaux vers du Lutrin qui venoit de paroitre, elle lui dit à l'oreille Soupire, etend les bras, ferme l'Œtt et s'endort.
Mazarin s'étoit réservé la surintendance dans l'éducation des deux fils d'Anne d'Autriche; il se proposa, disent les mémoires du temps, de viriliser l'un et d'~emtH~- l'aùtre. Pendant que Louis montoit à cheval, l'hlhppe paroissoit en jupes devant les courtisans.- Et Madame de SÉvigné écrivoit « Je vous supplie, que toutes les jalousies se taisent devant celle de Monsieur; c'est la quintessence de la jalousie, c'est la jalousie même. J'admire qu')t en soit resté dans le monde, après le partage qui lui en est échu. »
ser la triple alliance qui unissoit l'Angleterre, la Suède et la Hollande, il la chargea d'accomplir auprès du roi son frère cette œuvre aussi délicate qu'importante. Elle se rendit à Londres au commencement de juin 1670, et termina la négociation dans quelques jours. Formant ainsi le lien de deux grands rois, elle revint en France avec un traité qui rcnfermoit le sort de l'Europe. « Le plaisir et la considération que donnent les affaires se joignant en elle aux agrémens que donnent la jeunesse et la beauté, il y avoit une grace et une douceur répandues dans toute sa personne qui lui attiroient une sorte d'hommage, qui devoit lui être d'autant plus agréable qu'on le rendoit plus à la personne qu'au rang » Tout cela devoit disparoitreen quelques instans Le duc d'Orléans avoit voulu suivre la princesse à Londres il marqua son retour, et jusqu'au dernier jour de sa vie, par les scènes les plus violentes. Le 29 juin, à Saint-Cloud, comme elle éprouvoit de la souffrance, elle prit vers le soir, selon sa coutume, un verre d'eau de chicorée; à l'instant ses douleurs se changèrent en d'affreux déchiremens. Après avoir prononcé le mot de poison, elle ordonne d'examiner le verre d'eau, puis elle révoque cet ordre; mais elle déclare que le mal l'a frappée mortellement. Elle demande avec empressement et reçoit avec la plus grande piété les sacremens des mourans. Louis XIV qui la visite à onze heures, admire son courage etreconnoit le danger de sa position. Tout le monde étoit resté sans inquiétude jusqu'alors Après l'avis du roi, les médecins portent un arrêt fatal; et l'on entend tout à coup retentir dans le palais ce cri terrible « Madame se meurt! o et quelques heures après « Madame est morte! » Cependant un prêtre, connu dans ce temps-là par la sévérité de ses principes, exhortoit la princesse dans des termes effrayans, avec une rudesse et je puis dire une brutalité pieuse qui fit éclater la douceur inaltérable de sa sainte victime 3. Graces au ciel! Bossuet vint la déliMémoires de Madame de la Fayette. – « Nous vimea Madame sur un petit lit, toute échevelée, le visage pâle elle avoit la figure d'une morte. On causoit, on alloit et venoit dans cette chambre; on y rioit. Nous ne trouvâmes quasi personne qui parût auligée (Jf~mot)'M de MademoiseUe). )) –~D'âpres une Relation qu'il pubha lui-même, il lui disoit que « les anges, à sa mort, alloient lui présenter le contrat qu'elle avoit fait avec Dieu dans son baptême » il lui reproLhoit sa vie passée dans les délices et les plaisirs, les jeux et les divertissemens, te luxe, les pompes et les vanités du siècle, l'amour du monde qu'elle avoit toujours eu dans le cœur; il ajoutoit « Voua toute cette pompeuse grandeur anéantie sous la pesante main de Dieu. Vous n'êtes qu'une misérable pécheresse, qu'un vaisseau de terre qui va tomber et qui se cassera en pièces, » etc. C'est bien là le prêtre que Bourdaloue, dans le sermon sur l'impénitence finale, nous montre au chevet d'un pécheur mourant « Au heu de le toucher, dit-il, il le rebutera; au lieu de l'éclairer, il l'embarrassera, il le troublera. » Nommant le chanoine de Saint-Cloud, réformateur de la morale chrétienne, Boileau nous donne ce conseil, dans sa X' satire
Et )ttMO! à Feudttt reformer t'um~ert.
vrer de cette horrible torture. Elle avoit déclaré dès le commencement du mal, « qu'elle vouloit mourir entre ses mains » et l'on avoit envoyé successivement à Paris trois courriers pour ramener le pieux prélat. Dès qu'il est arrivé <( Ah! Monsieur, dit-elle, j'ai voulu trop tard me sauver. Bossuet naguère abattu par la douleur, qui venoit à peine d'essuyer ses larmes,llui dit d'une voix calme et sereine n L'espérance, Madame, l'espérance. ))– « Je l'ai toute entière,, répondit Henriette; je suis soumise à Dieu, je suis résolue à la mort. Après cette réponse, l'homme de Dieu se prosterne et fait à haute voix des actes de foi, d'espérance et de charité; puis se relevant, il parle avec l'onction pénétrante et la sublime éloquence de la piété chrétienne; la mourante semble renaître à la vie de l'ame, et les témoins d'une scène si déchirante ne plus songer'qu'aux choses du ciel. Dans un court moment de relâche, la princesse portant la délicatesse jusqu'au milieu des horreurs de la mort, dit à sa femme de chambre en anglois, pour n'être pas comprise « Donnez à Monsieur de Condom, quand je serai morte, l'émeraude que j'ai fait faire pour lui. » Ensuite elle demande pardon au duc d'Orléans, et proteste qu'elle ne l'a jamais offensé. Les douleurs devenant plus vives, Bossuet lui donne le crucifix qui avoit pour ainsi dire reçu les derniers soupirs d'Anne d'Autriche; sa main défaillante le tint collé sur ses lèvres, jusqu'à ce qu'elle ne trouvât plus de nouvelles forces. Enfin « Je vais mourir, » dit-elle. Alors Bossuet « Madame, vous~croyez en Dieu, vous espérez en Dieu, vous l'aimez. » « De tout mon cœur,a répondit-elle. Ces paroles furent les dernières. Elle mourut à trois heures du matin, le 30 juin J 670, après neuf heures de cruelles souffrances.
Une mort si terrible et si prompte devoit éveiller des soupçons; la légèreté en France, en Angleterre la malveillance parlèrent d'empoisonnement.'Cependant tout semble repousser l'idée du crime. Sans citer Gui Patin, ni Madame de Montpensier, ni Madame de la Fayette, nous rappellerons un témoignage qui peut tenir lieu de tous les autres. Résumant en peu de mots le fatal événement, Bossuet dit « On a ouvert son corps avec un grand concours de médecins, de chirurgiens et de toute sorte de gens, à cause qu'ayant commencé à sentir des douleurs extrêmes en buvant trois gorgées d'eau de chicorée que lui donna la plus intime et la plus chère de ses femmes, elle avoit dit d'abord qu'elle étoit empoisonnée. M. l'ambassadeur d'Angleterre et tous les Anglois qui sont ici l'avoient presque cru; mais l'ouverture du corps fut une manifeste conviction du contraire, puisque l'on n'y trouva rien de sain que l'estomac et le cœur, qui sont les premières parties attaquées par le poison, joint que Monsieur qui avoit donné à .~Mt'rM de l'abbé Ledieu. Quaud il euteadit demander Bossuet, le duc d'Orléans dit « Son nom fera bon effet dans la Gazette. »
boire à Madame la duchesse de Meckelbourg, qui s'y trouva, acheva de boire le reste de la bouteille pour rassurer Madame; ce qui fut cause que son esprit se remit aussitôt, et qu'elle ne parla plus de poison que pour dire qu'elle avoit cru d'abord être empoisonnée par méprise ce sont les propres mots qu'elle dit à M. le maréchal de Grammont. Je fus porter la nouvelle de la mort de Madame à Monsieur, qu'on avoit conduit dans son cabinet d'en bas malgré lui; et je trouvai ce prince entièrement abattu, et ne recevant de consolation que sur les bonnes dispositions que Madame avoit faitparoitro en mourant (i). » Bossuet raconta le même jour à Versailles le fatal événement, et les réflexions dont il accompagna ce triste récit frappèrent vivement le roi. Deux jours après Louis XIV lui remit l'émeraude de la princesse (2), et le pria de faire l'oraison funèbre.
Le duc d'Orléans convola en secondes noces, « heureux, dit Madame de Sévigné, de se marier en cérémonie, heureux aussi d'avoir une femme qui n'entendoit pas le françois; » il épousa Charlotte Elisabeth princesse palatine, fille de l'électeur de Bavière. C'est de ce mariage que sont descendus les chefs de la maison d'Orléans d'abord Philippe, régent; puis Philippe, dit Egalité; puis Philippe, roi citoyen; puis Philippe, mort tragiquement sur le chemin de la Révolte, prés de Neuilly; enfin Philippe né d'une princesse protestante, de Mecklembourg. L'Oraison ~une~e fut prononcée le 2< août d'670. Bossuet parut dans la chaire revêtu pour la première fois des ornemens épiscopaux. Dans l'auditoire, on distinguoit Marie-Thérèse, reine de France; Louis de Bourbon, conduisant le deuil avec son filsle duc d'Enghien; les princes, les seigneurs et les dames de la Cour; pour ainsi dire toute l'Eglise de France représentée par les cardinaux, les évêques et les prêtres députés à l'assemblée générale du clergé; puis l'ambassadeur et les envoyés extraordinaires de l'Angleterre, Milord Montaigu, Georges Villiers, Thomas Stanley, etc.
Bossuet qui avoit failli succomber sous le poids de l'affliction pendant la nuit du 29 juin, recueillit ses forces et se prémunit contre l'émotion dès le commencement du discours « 0 mort, s'écria-t-il, éloigne-toi de notre pensée, et laisse-nous tromper pour un peu de Lettre publiée par M. Floquet.
D'après l'abbé Ledieu, cet anneau valoit cent louis. Bossuet le porta toute sa vie. Quelque temps après sa mort, l'éveque de Troyes le vendit aux enchères publiques. M est ainbi décrit dans r~nupn/aïre des meu~/ps de feu mM~'re J.-B. Bossuet « Un anneau d'or, dans lequel est enchâssée une émeraude verte, garnie aux côtés de cinq petits diamans. »
temps la violence de notre douleur. » Mais quand il vint à ces paroles foudroyantes et lamentables, qui frappent encore après deux siècles l'ame de stupeur Madame se meurt, Madame est morte! sa voix fut étouffée par les sanglots, et tous les visages se couvrirent de larmes, et les voûtes de Saint-Denis retentirent d'accens déchirans. Jamais l'éloquence ne produisit un pareil effet. Dans le Sermon sur le petit nombre des ~iM, Massillon fit tressaillir son auditoire d'un mouvement commun d'effroi; Bossuet obtint un plus grand triomphe, « il fit verser des larmes à la Cour (i). »
Voici une peinture qui n'inspire pas moins d'effroi « Elle va descendre a ces sombres lieux, à ces demeures souterraines, pour'y dormir dans la poussière. avec ces rois et ces princes anéantis, parmi lesquels à peine peut-on la placer, tant les rangs y sont pressés, tant la mort est prompte à remplir les places. » Ces paroles expriment, comme le cri Madame se meurt un fait historique. Creusés en !St4, les caveaux de Saint-Denis se trouvèrent remplis en iM9, ils purent à peine recevoir Henriette de France, et l'on y plaça plus difficilement encore Henriette d'Angleterre, qui vint sitôt y rejoindre sa mère. Il fallut agrandir « ces sombres demeures, » inania regna, pour la reine Marie-Thérèse.
Bossuet qui vient d'effrayer les cœurs, va 'les charmer par l'expression de la reconnoissance. Louant les vertus morales de Henriette «Que dirai-je de sa libéralité? demanda-t-il. Et cet art de donner agréablement, qu'elle avoit si bien pratiqué durant sa vie, L'a suivie, je le sais, jusqu'entre les bras de la mort. » Je le sais ces trois mots suffirent à Bossuet pour rappeler l'histoire si touchante de l'anneau qu'on voyoit briller à son doigt. Ces trois mots si simples et si frappans, cachés pour ainsi dire dans une narration rapide et disant néanmoins tant de choses, l'auditoire les sut apprécier justement, répétant plusieurs fois dans son ravissement Je le sais.
Qu'on nous permette maintenant deux ou trois rapprochemens. La division de l'Oraison funèbre la mort nous enseignant le néant et la grandeur de l'homme, Bossuet l'avoit employée déjà dans un sermon « 0 mort, nous te rendons graces des lumières que tu répands sur notre ignorance toi seule nous convaincs de notre bassesse, toi seule nous fais connoitre notre dignité (2), » etc. Le passage où l'orateur dit que, après la mort, « notre chair change bientôt de nature, » que « notre corps prend un autre nom, » se trouve aussi dans le même sermon (3).
Citons encore « Loin. de la société des hommes, ces ames sans force! » Virgile Procul, o procul este profani (4) !–« « Partout on voit t VoUaire, St'ec/e ~e tout! X/r. – ~fM. ~r la mo''<, vol. IX, p. 361. ~tf/, p. 3b3.– < ~t., V, 258.
la douleur et le désespoir, et l'image de la mort. » Virgile Luctus, ubique p<Mor et plurima mortis imago (t).
Comme la princesse Henriette avoit prié Bossuet de donner au public l'Oraison funèbre de sa mère, ainsi le duc d'Orléans lui demanda de publier celle de son épouse le prélat devoit à l'un et à l'autre la même déférence. D'ailleurs ces chefs-d'œuvre étoient demandés dans toute la France par les savans, par les prêtres et par les évêques; l'auteur ne pouvoit les refuser à son pays.
L'Oraison funèbre de Henriette d'Angleterre parut dans les derniers mois de i670, chez Sébastien Marbre-Cramoisy. Elle lut imprimée pour la deuxième fois chez le même, en i67~ avec des corrections de l'auteur; les épreuves sont à la bibliothèque nationale. La troisième édition parut en < 680, renfermant dans un seul volume l'Or<MMn /'unë~e de Hennette de France. En 1689, Dezallier fit une édition, de nouveau corrigée par l'auteur, des six premières OratsoMS /'M?tett'es. .En., Il, 369.
ORAISON FUNÈBRE
DE
HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE. Vanztas ~K~<:<M~ <M:M< Ecclesiastes vanatas t)aM!<e<MM, <-< om~M vanitas.
Vanité des vanités, a dit l'Ecdësiaste vanité des vanités, et tout est vanité J?ce~e.~ 2.
MONSEIGNEUR,
J'étois donc encore destiné à rendre ce devoir funèbre à trèshaute et très-puissante Princesse HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE, DUCHESSE D'ORLÉANS. Elle, que j'avois vue si attentive pendant que je rendois le même devoir à la reine sa mère, devoit être sitôt après le sujet d'un discours semblable; et ma triste voix étoit réservée à ce déplorable ministère. 0 vanité ô néant ô mortels ignorans de leurs destinées L'eût-elle cru il y a dix mois ? Et vous, Messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu'elle versoit tant de larmes en ce lieu, qu'elle dût sitôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même? Princesse, le digne objet de l'admiration de deux grands royaumes, n'étoit-ce pas assez que l'Angleterre pleurât votre absence, sans être encore réduite à pleurer votre mort? Et la France, qui vous revit avec tant de joie environnée d'un nouvel éclat, n'avoit-elle plus d'autres pompes et d'autres triomphes pour vous, au retour de ce voyage fameux, d'où vous aviez remporté tant de gloire et de si belles espérances? « Vanité des vanités, et tout est vanité. » C'est la seule parole qui me reste; c'est la seule réflexion que me permet, dans un accident si étrange, une si juste et si sensible douleur. Aussi n'ai-je point parcouru les Livres sacrés, pour y trouver quelque texte que je pusse appliquer à cette Princesse. J'ai pris sans étude et sans choix les premières paroles que me présente l'Ecclésiaste, où quoique la vanité ait été si souvent nommée, elle ne l'est pas
encore assez à mon gré pour le dessein que je me propose. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines. Ce texte, qui convient à tous les états et à tous les événemens de notre vie, par une raison particulière, devient propre à mon lamentable sujet, puisque jamais les vanités de la terre n'ont été si clairement découvertes, ni si hautement confondues. Non, après ce que nous venons de voir, la santé n'est qu'un nom, la vie n'est qu'un songe, la gloire n'est qu'une apparence, les graces et les plaisirs ne sont qu'un dangereux amusement tout est vain en nous, excepté le sincère aveu que nous faisons devant Dieu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes. Mais dis-je la vérité? L'homme, que Dieu a fait à son image, n'est-il qu'une ombre? Ce que Jésus-Christ est venu chercher du ciel en la terre, ce qu'il a cru pouvoir, sans se ravilir, acheter de tout son sang, n'est-ce qu'un rien? Reconnoissons notre erreur. Sans doute ce triste spectacle des vanités humaines nous imposoit et l'espérance publique frustrée tout à coup par la mort de cette Princesse, nous poussoit trop loin. Il ne faut pas permettre à l'homme de se mépriser tout entier, de peur que croyant avec les impies que notre vie n'est qu'un jeu où règne le hasard, il ne marche sans règle et sans conduite au gré de ses aveugles désirs. C'est pour cela que l'Ecclésiaste, après avoir commencé son divin ouvrage par les paroles que j'ai récitées, après en avoir rempli toutes les pages du mépris des choses humaines, veut enfin montrer à l'homme quelque chose de plus solide, et conclut tout son discours en lui disant Crains Dieu, et garde ses commandemens car c'est là tout l'homme, et sache que le Seigneur examinera dans son jugement tout ce que nous aurons fait de bien et de mal » Ainsi tout est vain en l'homme, si nous regardons ce qu'il donne au monde; mais au contraire tout est important, si nous considérons ce qu'il doit à Dieu. Encore une fois, Deum time, et mandata ejus observa; hûc est enim omnis homo et cuncta quae fiunt addncet Deus in judicium, sive bonum, sive malum illud sit. Eccle., Ml,13, tt. Í.
tout est vain en l'homme, si nous regardons le cours de sa vie mortelle; mais tout est précieux, tout est important, si nous contemplons le terme où elle aboutit et le compte qu'il en faut rendre. Méditons donc aujourd'hui à la vue de cet autel et de ce tombeau, la première et la dernière parole de l'Fcc~'a~e; l'une qui montre le néant de l'homme, l'autre qui établit sa grandeur. Que ce tombeau nous convainque de notre néant, pourvu que cet autel, où l'on offre tous les jours pour nous une victime d'un si grand prix, nous apprenne en même temps notre dignité. La Princesse que nous pleurons sera un témoin fidèle de l'un et de l'autre. Voyons ce qu'une mort soudaine lui a ravi; voyons ce qu'une sainte mort lui a donné. Ainsi nous apprendrons à mépriser ce qu'elle a quitté sans peine, afin d'attacher toute notre estime à ce qu'elle a embrassé avec tant d'ardeur, lorsque son ame épurée de tous les sentimens de la terre et pleine du ciel où elle touchoit, a vu la lumière toute manifeste. Voilà les vérités que j'ai à traiter, et que j'ai cru dignes d'être proposées à un si grand Prince, et à la plus illustre assemblée de l'univers. « Nous mourons tous, disoit cette femme dont l'Ecriture a loué la prudence au second Livre des Rois; et nous allons sans cesse au tombeau, ainsi que des eaux qui se perdent sans retour e En effet nous ressemblons tous à des eaux courantes. De quelque superbe distinction que se flattent les hommes, ils ont tous une même origine et cette origine est petite. Leurs années se poussent successivement comme des flots ils ne cessent de s'écouler; tant qu'enfin après avoir fait un peu plus de bruit, et traversé un peu plus de pays les uns que les autres, ils vont tous ensemble se confondre dans un abîme où l'on ne reconnoît plus ni princes, ni rois, ni toutes ces autres qualités superbes qui distinguent les hommes; de même que ces fleuves tant vantés demeurent sans nom et sans gloire, mêlés dans l'Océan avec les rivières les plus inconnues.
Et certainement, Messieurs, si quelque chose pouvoit élever Omnes morimur, et quasi aquœ ditabimur in terram, quce non revertuntdi. H Reg., XIV, i4.
les hommes au-dessus de leur infirmité naturelle; si l'origine qui nous est commune souffroit quelque distinction solide et durable entre ceux que Dieu a formés de la même terre, qu'y auroit-il dans l'univers de plus distingué que la Princesse dont je parle? Tout ce que peuvent faire non-seulement la naissance et la fortune, mais encore les grandes qualités de l'esprit pour l'élévation d'une princesse, se trouve rassemblé, et puis anéanti dans la nôtre. De quelque côté que je suive les traces de sa glorieuse origine, je ne découvre que des rois, et partout je suis ébloui de l'éclat des plus augustes Couronnes. Je vois la Maison de France, la plus grande sans comparaison de tout l'univers et à qui les plus puissantes Maisons peuvent bien céder sans envie, puisqu'elles tâchent de tirer leur gloire de cette source. Je vois les rois d'Ecosse, les rois d'Angleterre, qui ont régné depuis tant de siècles sur une des plus belliqueuses nations de l'univers, plus encore par leur courage que par l'autorité de leur sceptre. Mais cette Princesse née sur le trône, avoit l'esprit et le cœur plus haut que sa naissance. Les malheurs de sa Maison n'ont pu l'accabler dans sa première jeunesse, et dès lors on 'voyoit en elle une grandeur qui ne devoit rien à la fortune. Nous disions avec joie que le ciel l'avoit arrachée, comme par miracle, des mains des ennemis du Roi son père, pour la donner à la France don précieux, inestimable présent, si seulement la possession en avoit été plus durable Mais pourquoi ce souvenir vient-il m'interrompre ? Hélas! nous ne pouvons un moment arrêter les yeux sur la gloire de la Princesse, sans que la mort s'y mêle aussitôt pour tout offusquer de son ombre. 0 mort, éloigne-toi de notre pensée; et laisse-nous tromper pour un peu de temps la violence de notre douleur, par le souvenir de notre joie. Souvenez-vous donc, Messieurs, de l'admiration que la Princesse d'Angleterre donnoit à toute la Cour. Votre mémoire vous la peindra mieux avec tous ses traits et son incompdrable douceur, que ne pourront jamais faire toutes mes paroles. Elle croissoit au milieu des bénédictions de tous les peuples; et les années ne cessoient de lui apporter de nouvelles graces. Aussi la Reine sa mère, dont elle a toujours été la consolation, ne l'aimoit pas plus tendrement que
faisoit Anne d'Espagne. Anne, vous le savez, Messieurs, ne trouvoit rien au-dessus de cette Princesse. Après nous avoir donné une reine seule capable par sa piété et par ses autres vertus royales, de soutenir la réputation d'une tante si illustre, elle voulut, pour mettre dans sa famille ce que l'univers avoit de plus grand, que Philippe de France son second fils épousât la princesse lienriette et quoique le roi d'Angleterre, dont le cœur égale la sagesse, sût que la Princesse sa soeur recherchée de tant de rois pouvoit honorer un trône, il lui vit remplir avec joie la seconde place de France, que la dignité d'un si grand royaume peut mettre en comparaison avec les premières du reste du monde.
Que si son rang la distinguoit, j'ai eu raison de vous dire qu'elle étoit encore plus distinguée par son mérite (a). Je pourrois vous faire remarquer qu'elle connoissoit si bien la beauté des ouvrages de l'esprit, que l'on croyoit avoir atteint la perfection, quand on avoit su plaire MADAME. Je pourrois encore ajouter que les plus sages et les plus expérimentés admiroient cet esprit vif et perçant, qui embrassoit sans peine les plus grandes affaires, et pénétroit avec tant de facilité dans les plus secrets intérêts. Mais pourquoi m'étendre sur une matière où je puis tout dire en un mon Le Roi, dont le jugement est une règle toujours sûre, a estimé la capacité de cette princesse, et l'a mise par son estime au-dessus de tous nos éloges.
Cependant, ni cette estime, ni tous ces grands avantages, n'ont pu donner atteinte à sa modestie. Toute éclairée qu'elle étoit, elle n'a point présumé de ses connoissances et jamais ses lumières ne l'ont éblouie. Rendez témoignage à ce que je dis, vous que cette grande Princesse a honorés de sa confiance. Quel esprit avezvous trouvé plus élevé, mais quel esprit avez-vous trouvé plus docile? Plusieurs dans la crainte d'être trop faciles, se rendent inflexibles à la raison, et s'affermissent contre elle. MADAME s'éloignoit toujours autant de la présomption que de la foiblesse, également estimable, et de ce. qu'elle savoit trouver les sages con(a) 1 r. édit.: Que si sou rang l'élevoitsi si haut, j'ai eu raison de vous dire qu'elle étoit encore p)n9 ~ievee.
seils, et de ce qu'elle étoit capable de les recevoir. On les sait bien connoître, quand on fait sérieusement l'étude qui plaisoit tant à cette Princesse. Nouveau genre d'étude, et presque inconnu aux personnes de son âge et de son rang; ajoutons, si vous voulez, de son sexe. Elle étudioit ses défauts; elle aimoit qu'on lui en fit des leçons sincères marque assurée d'une ame forte, que ses fautes ne dominent pas, et quï ne craint point de les envisager de près par une secrète confiance des ressources qu'elle sent pour les surmonter. C'étoit le dessein d'avancer dans cette étude de sagesse qui la tenoit si attachée à la lecture de l'histoire, qu'on appelle avec raison la sage conseillère des princes. C'est là que les plus grands rois n'ont plus de rang que par leurs vertus, et que dégradés à jamais par les mains de la mort, ils viennent subir sans Cour et sans suite le jugement de tous les peuples et de tous les siècles. C'est là qu'on découvre que le lustre qui vient de la flatterie est superficiel; et que les fausses couleurs, quelque industrieusement qu'on les applique, ne tiennent pas. Là notre admirable Princesse étudioit les devoirs de ceux dont la vie compose l'histoire elle y perdoit insensiblement le goût des romans et de leurs fades héros; et soigneuse de se former sur le vrai, elle méprisoit ces froides et dangereuses fictions. Ainsi sous un visage riant, sous cet air de jeunesse qui sembloit ne promettre que des jeux, elle cachoit un sens et un sérieux dont ceux qui traitoient avec elle étoient surpris.
Aussi pouvoit-on sans crainte lui confier les plus grands secrets. Loin du commerce des affaires et de la société des hommes, ces ames sans force, aussi bien que sans foi, qui ne savent pas retenir leur langue indiscrète « Ils ressemblent, dit le Sage, à une ville sans murailles, qui est ouverte de toutes parts 1, f et qui devient la proie du premier venu. Que MADAME étoit au-dessus de cette foiblesse! Ni la surprise, ni l'intérêt, ni la vanité, ni l'appât d'une flatterie délicate, ou d'une douce conversation, qui souvent épanchant le cœur, en fait échapper le secret, n'étoit capable de lui faire découvrir le sien et la sûreté qu'on trouvoit en cette PrinSicut urbs patens et absque murorum ambitu, ita vir qui non potest in loqueado cohibere spiritum suum. P;'0t)., xiv, 28.
cesse, que son esprit rendoit si propre, aux grandes affaires, lui faisoit confier les plus importantes.
Ne pensez pas que je veuille, en interprète téméraire des secrets d'Etat, discourir sur le voyage d'Angleterre, ni que j'imite ces politiques spéculatifs qui arrangent suivant leurs idées les conseils des rois, et composent sans instruction les annales de leur siècle. Je ne parlerai de ce voyage glorieux, que pour dire que MADAME y fut admirée plus que jamais. On ne parloit qu'avec transport de la bonté de cette Princesse, qui malgré les divisions trop ordinaires dans les Cours, lui gagna d'abord tous les esprits. On ne pouvoit assez louer son incroyable dextérité à traiter les affaires les plus délicates, à guérir ces défiances cachées qui souvent les tiennent en suspens, et à terminer tous les diSerends d'une manière qui concilioit les intérêts les plus opposés. Mais qui pourroit penser, sans verser des larmes, aux marques d'estime et de tendresse que lui donna le Roi son frère? Ce grand Roi plus capable encore d'être touché par le mérite que par le sang, ne se lassoit point d'admirer les excellentes qualités de MADAME. 0 plaie irrémédiable! ce qui fut en ce voyage le sujet d'une si juste admiration, est devenu pour ce Prince le sujet d'une douleur qui n'a point de bornes. Princesse, le digne lien des deux plus grands rois du monde, pourquoi leur avez-vous été sitôt ravie? Ces deux grands Rois se connoissent; c'est l'effet des soins de MADAME ainsi leurs nobles inclinations concilieront leurs esprits, et la vertu sera entre eux une immortelle médiatrice. Mais si leur union ne perd rien de sa fermeté, nous déplorerons éternellement qu'elle ait perdu son agrément le plus doux; et qu'une Princesse si chérie de tout l'univers ait été précipitée dans le tombeau, pendant que la confiance de deux si grands Rois l'élevoit au comble de la grandeur et de la gloire.
La grandeur et la gloire! Pouvons-nous encore entendre ces noms dans ce triomphe de la mort? Non, Messieurs, je ne puis plus soutenir ces grandes paroles, par lesquelles l'arrogance humaine tâche de s'étourdir elle-même pour ne pas apercevoir son néant. Il est temps de faire voir que tout ce qui est mortel, quoi qu'on ajoute par le dehors pour le faire paroître, grand, est par
son fond incapable d'élévation. Ecoutez à ce propos le profond raisonnement, non d'un philosophe qui dispute dans une école, ou d'un religieux qui médite dans un Cloître je veux confondre le monde par ceux que le monde même révère le plus par ceux qui ]e connoissent le mieux, et ne lui veux donner pour le convaincre que des docteurs assis sur le trône, e 0 Dieu, dit le RoiProphète, vous avez fait mes jours mesurables, et ma substance n'est rien devant vous a Il est ainsi, chrétiens tout ce qui se mesure finit; et tout ce qui est né pour finir n'est pas tout à fait sorti du néant où il est sitôt replongé. Si notre être, si notre substance n'est rien, tout ce que nous bâtissons dessus, que peut-il être? Ni l'édinee n'est plus solide que le fondement, ni l'accident attaché à l'être plus réel que l'être même. Pendant que la nature nous tient si bas, que peut faire la fortune pour nous élever? Cherchez, imaginez parmi les hommes les différences les plus remarquables; vous n'en trouverez point de mieux marquée, ni qui vous paroisse plus effective, que celle qui relève le victorieux au-dessus des vaincus qu'il voit étendus à ses pieds. Cependant ce vainqueur enflé de ses titres, tombera lui-même à son tour entre les mains de la mort. Alors ces malheureux vaincus rappelleront à leur compagnie leur superbe triomphateur; et du creux de leur tombeau sortira cette voix qui foudroie toutes les grandeurs: a Vous voilà blessé comme nous; vous êtes devenu semblable à nous 2. o Que la fortune ne tente donc pas de nous tirer du néant, ni de forcer la bassesse de notre nature. Mais peut-être, au défaut de la fortune, les qualités de l'esprit, les grands desseins, les vastes pensées pourront nous distinguer du reste des hommes. Gardez-vous bien de le croire, parce que toutes nos pensées, qui n'ont pas Dieu pour objet, sont du domaine de la mort. a Us mourront, dit le Roi-Prophète, et en ce jour périront toutes leurs pensées a C'est-à-dire les pensées des conquérans, les pensées des politiques, qui auront imaginé dans leurs cabinets des desseins où le monde entier sera compris. Ils se Ecce mensurabiles posuisti dies meos, et substantia mea fanquam nihilum ante te. Psal. xxxvilf, 6. – Ecce tu vulneratus es, sicut et uo*, nostrt similis effectus es. Isa., xtv, tO. – )n illâ die penbunt umnes cogttatmnes eorum. Psal. CXLV, 4.
seront munis de tous côtés par des précautions infinies enfin ils auront tout prévu, excepté leur mort, qui emportera en un moment toutes leurs pensées. C'est pour cela que l'Ecclésiaste, le Roi Salomon, fils du Roi David ( car je suis bien aise de vous faire voir la succession de la même doctrine danj un même trône ) c'est, dis-je, pour cela que l'Ecclésiaste faisant le dénombrement des illusions qui travaillent les enfans des hommes, y comprend la sagesse même. « Je me suis, dit-il, appliqué à la sagesse, et j'ai vu que c'étoit encore une vanité 1, n parce qu'il y a une fausse sagesse, qui se renfermant dans l'enceinte des choses mortelles, s'ensevelit avec elles dans le néant. Ainsi je n'ai rien fait pour MADAME, quand je vous ai représenté tant de belles qualités qui la rendoient admirable au monde, et capable des plus hauts desseins où une princesse puisse s'élever. Jusqu'à ce que je commence à vous raconter ce qui l'unit à Dieu, une si illustre Princesse ne paroîtra dans ce discours, que comme un exemple le plus grand qu'on se puisse proposer, et le plus capable de persuader aux ambitieux qu'ils n'ont aucun moyen de se distinguer, ni par leur naissance, ni par leur grandeur, ni par leur esprit, puisque la mort, qui égale tout, les domine de tous côtés avec tant d'empire, et que d'une main si prompte et si souveraine elle renverse les têtes les plus respectées.
Considérez, Messieurs, ces grandes puissances que nous regardons de si bas. Pendant que nous tremblons sous leur main, Dieu les frappe pour nous avertir. Leur élévation en est la cause; et il les épargne si peu, qu'il ne craint pas de les sacrifier à l'instruction du reste des hommes. Chrétiens, ne murmurez pas si MADAME a été choisie pour nous donner une telle instruction. Il n'y a rien ici de rude pour elle, puisque, comme vous le verrez dans la suite, Dieu la sauve par le même coup qui nous instruit. Nous devrions être assez convaincus de notre néant mais s'il faut des coups de surprise à nos cœurs enchantés de l'amour du monde, celui-ci est assez grand et assez terrible. 0 nuit désastreuse ô nuit effroyable, où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle MADAME se meurt, MADAME tMM., )t, <2, i5.
est morte 1 Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque tragique accident avoit désolé sa famille? Au premier bruit d'un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts on trouve tout consterné, excepté le cœur de cette Princesse. Partout on entend des cris; partout on voit la douleur et le désespoir, et l'image de la mort. Le Roi, la Reine, Monsieur, toute la Cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré et il me'semble que je vois l'accomplissement de cette parole du Prophète « Le roi pleurera, le Prinée sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d'étonnement » Mais et les princes et les peuples gémissoient en vain. En vain Monsieur en vain le Roi même tenoit MADAME serrée par de si étroits embrassemens. Alors ils pouvoient dire l'un et l'autre avec saint Ambroise S<rMj/e&am brachia, sed jam amiseram quam <6He6a)K a Je serrois les bras, mais j'avois déjà perdu ce que je tenois. » La Princesse leur échappoit parmi des embrassemens si tendres, et la mort plus puissante nous l'enlevoit entre ces royales mains. Quoi donc 1 elle devoit périr sitôt Dans la plupart des hommes les changemens se font peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup. MADAME cependant a passé du matin au soir, ainsi que l'herbe des champs. Le matin elle Ëeurissoit j avec quelles graces, vous le savez le soir nous la vîmes séchée; et ces fortes expressions par lesquelles l'Ecriture sainte exagère l'inconstance des choses humaines, devoient être pour cette Princesse si précises et si littérales. Hélas nous composions son histoire de tout ce qu'on peut imaginer de plus glorieux 1 Le passé et le présent nous garantissoient l'avenir, et on pouvoit tout attendre de tant d'excellentes qualités. Elle alloit s'acquérir deux puissans royaumes par des moyens agréables toujours douce, toujours paisible autant que généreuse et bienfaisante, son crédit n'y auroit jamais été odieux on ne l'eùt point vue s'attirer la gloire avec une ardeur inquiète et précipitée; elle l'eùt attendue sans impatience comme bure de la posséder. Cet attachement qu'elle a montré si fidèle pour le Roi jusqu'à la mort, Rex lugebit; et Princeps induetur mœrore, et manus popuU <f) r.r' nnturhabuutur. ~McA., YtJ, 27. – Orat. de obitu St~. fiat., hb. n. !H.
lui en donnoit les moyens. Et certes c'est le bonheur de nos jours, que l'estime se puisse joindre avec le devoir; et qu'on puisse autant s'attacher au mérite et à la personne du Prince, qu'on en révère la puissance et la majesté. Les inclinations de MADAME ne l'attachoient pas moins fortement à tous ses autres devoirs. La passion qu'elle ressentoit pour la gloire de Monsieur, n'avoit point de bornes. Pendant que ce grand Prince marchant sur les pas de son invincible frère, secondoit avec tant de valeur et de succès ses grands et héroïques desseins dans la campagne de Flandre, la joie de cette Princesse étoit incroyable. C'est ainsi que ses généreuses inclinations la menoient à la gloire par les voies que le monde trouve les plus belles et si quelque chose manquoit encore à son bonheur, elle eùt tout gagné par sa douceur et par sa conduite. Telle étoit l'agréable histoire que nous faisions pour MADAME et pour achever ces nobles projets, il n'y avoit que la durée de sa vie dont nous ne croyions pas devoir être en peine. Car qui eùt pu seulement penser que les années eussent dû manquer à une jeunesse qui sembloit si vive? Toutefois c'est par cet endroit que tout se dissipe en un moment. Au lieu de l'histoire d'une belle vie, nous sommes réduits à faire l'histoire d'une admirable, mais triste mort. A la vérité, Messieurs, rien n'a jamais égalé la fermeté de son ame, ni ce courage paisible, qui sans faire effort pour s'élever, s'est trouvé par sa naturelle situation au-dessus des accidens les plus redoutables. Oui, MADAME fut douce envers la mort, comme elle l'étoit envers tout le monde. Son grand cœur, ni ne s'aigrit, ni ne s'emporta contre elle. Elle ne la brave pas non plus avec fierté contente de l'envisager sans émotion et de la recevoir sans trouble. Triste consolation, puisque malgré ce grand courage nous l'avons perdue C'est la grande vanité des choses humaines. Après que par le dernier effet de notre courage nous avons pour ainsi dire surmonté la mort, elle éteint en nous jusqu'à ce courage par lequel nous semblions la défier. La voilà, malgré ce grand cœur, cette Princesse si admirée et si chérie 1 la voilà telle que la mort nous l'a faite encore ce reste tel quel va-t-il disparoître cette ombre de gloire va s'évanouir, et nous l'allons voir dépouillée même de cette triste décoration. Elle va
descendre à ces sombres lieux, à ces demeures souterraines, pour y dormir dans la poussière avec les grands de la terre, comme parle Job avec ces rois et ces princes anéantis, parmi lesquels à peine peut-on la placer, tant les rangs y sont pressés, tant la mort est prompte à remplir ces places. Mais ici notre imagination nous abuse encore. La mort ne nous laisse pas assez de corps pour occuper quelque place, et on ne voit là que les tombeaux qui fassent quelque figure. Notre chair change bientôt de nature notre corps prend un autre nom même celui de CN<~Mrs dit Tertullien', parce qu'il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps il devient un je ne sais quoi, qui n'a plus de nom dans aucune langue tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimoit ces malheureux restes.
C'est ainsi que la puissance divine justement irritée contre notre orgueil, le pousse jusqu'au néant; et que pour égaler à jamais les conditions, elle ne fait de nous tous qu'une même cendre. Peut-on bâtir sur ces ruines ? Peut-on appuyer quelque grand dessein sur ce débris inévitable des choses humaines ? Mais quoi Messieurs, tout est-il donc désespéré pour nous? Dieu qui foudroie toutes nos grandeurs, jusqu'à les réduire en poudre, ne nous laisse-t-il aucune espérance? Lui, aux yeux de qui rien ne se perd et qui suit toutes les parcplles de nos corps en quelque endroit écarté du monde que la corruption ou le hasard les jette, verra-t-il périr sans ressource ce qu'il a fait capable de le connoitre et de l'aimer? Ici un nouvel ordre de choses se présente à moi les ombres de la mort se dissipent a les voies me sont ouvertes à la véritable vie' » MADAME n'est plus dans le tombeau la mort, qui sembloit tout détruire, a tout établi voici le secret de l'Ecclésiaste, que je vous avois marqué dès le commencement de ce discours, et dont il faut maintenant découvrir le fond. H faut donc penser, chrétiens, qu'outre le rapport que nous 'y< T;xt, 26. Caditia originem terram, et cadaveris nomen, ex isto quoque domine peritura, in nullum inde jam nomen, in omnis jam vocabuli mortem. Tert.aU., De Resurr. fafn~ n. 4. – Notas mihi fecieti vias vite Psal. xv, ii.
avons du côté du corps avec la nature changeante et mortelle, nous avons d'un autre côté un rapport intime et une secrète affinité avec Dieu, parce que Dieu même a mis quelque chose en nous, qui peut confesser la vérité de son être, en adorer la perfection, en admirer la plénitude quelque chose qui peut se soumettre à sa souveraine puissance, s'abandonner à sa haute et incompréhensible sagesse, se confier en sa bonté, craindre sa justice, espérer son éternité. De ce côté, Messieurs, si l'homme croit avoir en lui de l'élévation, il ne se trompera pas. Car comme il est nécessaire que chaque chose soit réunie à son principe, et que c'est pour cette raison, dit l'Ecclésiaste, « que le corps retourne à la terre, dont il a été tiré a il faut par la suite du même raisonnement que ce qui porte en nous la marque divine, ce qui est capable de s'unir à Dieu, y soit aussi rappelé. Or ce qui doit retourner à Dieu, qui est fa grandeur primitive et essentielle, n'est-il pas grand et élevé? C'est pourquoi quand je vous ai dit que la grandeur et la gloire n'étoient parmi nous que des noms pompeux, vides de sens et de choses, je regardois le mauvais usage que nous faisons de ces termes. Mais pour dire la vérité dans toute son étendue, ce n'est ni l'erreur, ni la vanité qui ont inventé ces noms magnifiques au contraire nous ne les aurions jamais trouvés, si nous n'en avions porté le fond en nous-mêmes. Car où prendre ces nobles idées dans le néant ? La faute que nous faisons, n'est donc pas de nous être servis de ces noms; c'est de les avoir appliqués à des objets trop indignes. Saint Chrysostome a bien compris cette vérité, quand il a dit a Gloire, richesses, noblesse, puissance, pour les hommes du monde ne sont que des noms; pour nous, si nous servons Dieu, ce sont (a) des choses. Au contraire la pauvreté, la honte, la mort, sont des choses trop effectives et trop réelles pour eux; pour nous, ce sont seulement des noms', » parce que celui qui s'attache à Dieu ne perd ni ses biens, ni son honneur, ni sa vie. Ne vous étonnez donc pas si l'Ecclésiaste dit si souvent a Tout est vanité, a H s'explique Revertatur ptttvis ad terram suam, undè erat, et spiritus redeat ad Deum qui dedtt illum. Bcc/e., xi), 7. – Hom. Lvuij a), ux !H Afa<(A., n. 5. («) t" ~t/tf. Ce serout.
« Tout est vanité sous le soleil', » c'est-à-dire tout ce qui est mesuré par les années, tout ce qui est emporté par la rapidité du temps. Sortez du temps et du changement; aspirez à l'éternité la vanité ne vous tiendra plus asservis. Ne vous étonnez pas si le même Ecclésiaste méprise tout en nous, jusqu'à la sagesse, et ne trouve rien de meilleur que de goûter en repos le fruit de son travail La sagesse dont il parle eu ce lieu, est cette sagesse insensée, ingénieuse à se tourmenter, habile à se tromper ellemême, qui se corrompt dans le présent, qui s'égare dans l'avenir, qui par beaucoup de raisonnemens et de grands efforts ne fait que se consumer inutilement en amassant des choses que le vent emporte. a Hé! s'écrie ce sage Roi, y a-t- il rien de si vain '? » Et n'a-t-il pas raison de préférer la simplicité d'une vie particulière, qui goûte doucement et innocemment ce peu de biens que la nature nous donne, aux soucis et aux chagrins des avares, aux songes inquiets des ambitieux t Mais cela même, dit-il, ce repos, cette douceur de la vie, est encore une vanité',)) » parce que la mort trouble et emporte tout. Laissons-lui donc mépriser tous les états de cette vie, puisqu'enfm de quelque côté qu'on s'y tourne, on voit toujours la mort en face, qui couvre de ténèbres tous nos plus beaux jours. Laissons-lui égaler le fol et le sage; et même, je ne craindrai pas de le dire hautement en cette chaire, laissons-lui confondre l'homme avec la bête Unus interitus est hominis ~JMNMn<Of«M~.
En effet jusqu'à ce que nous ayons trouvé la véritable sagesse; tant que nous regarderons l'homme par les yeux du corps sans y démêler par l'intelligence ce secret principe de toutes nos actions, qui étant capable de s'unir à Dieu, doit nécessairement y retourner que verrons-nous autre chose dans notre vie que de folles inquiétudes? et que verrons-nous dans notre mort qu'une vapeur qui s'exhale, que des esprits qui s'épuisent, que des ressorts qui se démontent et se déconcertent, enfin qu'une machine qui se dissout et qui se met en pièces? Ennuyés de ces vanités, cherchons 'Ecc~ l, 2, t4;nr, il, etc.–Md. t'7; )!, Ii, 24. –'Etestquidquam tam vanum? Ecclè., t) 19. – Vidt quod hoo.quoque esset vanitM? lbtd., i. Eccle., m, i9.
ce qu'il y a de grand et de solide en nous. Le Sage nous l'a montré dans les dernières paroles de l'Ecc~ïN~e; et bientôt MADAME nous le fera paroitre dans les dernières actions de sa vie. a Crains Dieu, et observe sescommandemens; car c'est là tout l'homme' a comme s'il disoit Ce n'est pas l'homme que j'ai méprisé, ne le croyez pas; ce sont les opinions, ce sont les erreurs par lesquelles l'homme abusé se déshonore lui-même. Voulez-vous savoir en un mot ce que c'est que l'homme? Tout son devoir, tout son objet, toute sa nature, c'est de craindre Dieu tout le reste est vain, je le déclare mais aussi tout le reste n'est pas l'homme. Voici ce qui est réel et solide, et ce que la mort ne peut enlever car ajoute l'Ecclésiaste, «Dieu examinera dans son jugement tout ce que nous aurons fait de bien et de mal'. ') 11 est donc maintenant aisé de concilier toutes choses. Le Psalmiste dit a qu'à la mort périront toutes nos pensées 3; » oui, celles que nous aurons laisse emporter au monde, dont la figure passe et s'évanouit. Car encore que notre esprit soit de nature à vivre toujours, il abandonne à la mort tout ce qu'il consacre aux choses mortelles; de sorte que nos pensées, qui devoient être incorruptibles du côté de leur principe, deviennent périssables du côté de leur objet. Voulez-vous sauver quelque chose de re débris si universel, si inévitable? Donnez à Dieu vos affections, nulle force ne vous ravira ce que vous aurez déposé en ses mains divines. Vous pourrez hardiment mépriser la mort, à l'exemple de notre héroïne chrétienne. Mais afin de tirer d'un si bel exemple toute l'instruction qu'il nous peut donner, entrons dans une profonde considération des conduites de Dieu sur elle, et adorons en cette Princesse le mystère de la prédestination et de la grace.
Vous savez que toute la vie chrétienne, que tout l'ouvrage de notre salut est une suite continuelle de miséricordes mais le fidèle interprète du mystère de la grace, je veux dire le grand Augustin, m'apprend cette véritable et solide théologie, que c'est dans la première grace et dans la dernière que la grace se montre grace; c'est-à-dire que c'est dans ]a vocation qui nous prévient et dans la persévérance finale qui nous couronne, que la bonté Eccle., xn, 13. – /&t'd., ft. – 1 Psal. MLv, 4.
qui nous sauve paroit toute gratuite et toute pure. En effet comme nous changeons deux fois d'état, en passant premièrement des ténèbres à la lumière, et ensuite de la lumière imparfaite de la foi à la lumière consommée de la gloire, comme c'est la vocation qui nous inspire la foi, et que c'est la persévérance qui nous transmet à la gloire il a plu à la divine bonté de se marquer elle-même au commencement de ces deux états par une impression illustre et particulière, afin que nous confessions que toute la vie du chrétien, et dans le temps qu'il espère, et dans le temps qu'il jouit, est un miracle de grace. Que ces deux principaux momens de la grace ont été bien marqués par les merveilles que Dieu a faites pour le salut éternel de Henriette d'Angleterre Pour la donner à l'Eglise, il a fallu renverser tout un grand royaume. La grandeur de la maison d'où elle est sortie n'étoit pour elle qu'un engagement plus étroit dans le schisme de ses Ancêtres; disons des derniers de ses Ancêtres, puisque tout ce qui les précède, à remonter jusqu'aux premiers temps, est si pieux et si catholique. Mais si les lois de l'Etat s'opposent à son salut éternel, Dieu ébranlera tout l'Etat pour l'affranchir de ces lois. Il met les ames à ce prix il remue le ciel et la terre pour enfanter ses élus; et comme rien ne lui est cher que ces enfans de sa dilection éternelle, que ces membres inséparables de son Fils bien-aimé, rien ne lui coûte pourvu qu'il les sauve. Notre Princesse est persécutée avant que de naître, délaissée aussitôt que mise au monde, arrachée en naissant à la piété d'une mère catholique, captive dès le berceau des ennèmis implacables de sa Maison; et ce qui étoit plus déplorable, captive des ennemis de l'Eglise par conséquent destinée premièrement par sa glorieuse naissance, et ensuite par sa malheureuse captivité, à l'erreur et à l'hérésie. Mais le sceau de Dieu étoit sur elle. Elle pouvoit dire avec le Prophète « Mon père et ma mère m'ont abandonnée mais le Seigneur m'a reçue en sa protection n Délaissée de toute la terre dès ma naissance, a je fus comme jetée entre les bras de sa Providence paternelle, et dès le ventre de ma mère il se déclara mon Dieu Ce fut à cette garde Odèle que la Reine sa fM/. XÏVt~ i0. PM<. ÏU, li.
mère commit ce précieux dépôt. Elle ne fut point trompée dans sa confiance. Deux ans après, un coup imprévu et qui tenoit du miracle, délivra la Princesse des mains des rebelles. Malgré les tempêtes de l'Océan et les agitations encore plus violentes de la terre, Dieu la prenant sur ses ailes, comme l'aigle prend ses petits, la porta lui-même dans ce royaume lui-même la posa dans le sein de la Reine sa mère ou plutôt dans le sein de l'Eglise catholique. Là elle apprit les maximes de la piété véritable, moins par les instructions qu'elle y recevoit que par les exemples vivans de cette grande et religieuse Reine. Elle a imité ses pieuses libéralités. Ses aumônes toujours abondantes se sont répandues principalement sur les catholiques d'Angleterre, dont elle a été la fidèle protectrice. Digne fille de saint Edouard et de saint Louis, elle s'attacha du fond de son cœur à la foi de ces deux grands rois. Qui pourroit assez exprimer le zèle dont elle brùloit pour le rétablissement de cette foi dans le royaume d'Angleterre, où l'on en conserve encore tant de précieux monumens. Nous savons qu'elle n'eût pas craint d'exposer sa vie pour un si pieux dessein et le ciel nous l'a ravie 0 Dieu! que prépare ici votre éternelle Providence? Me permettrezvous, ô Seigneur, d'envisager en tremblant vos saints et redoutables conseils? Est-ce que les temps de confusion ne sont pas encore accomplis? Est-ce que le crime qui fit céder vos vérités saintes à des passions malheureuses, est encore devant vos yeux, et que vous ne l'avez pas assez puni par un aveuglement de plus d'un siècle? Nous ravissez-vous Henriette par un effet du même jugement qui abrégea les jours de la reine Marie et son règne si favorable à l'Eglise Ou bien voulez-vous triompher seul; et en nous étant les moyens dont nos désirs se flattoient, réservez-vous dans les temps marqués par votre prédestination éternelle, de secrets retours à l'Etat et à la Maison d'Angleterre? Quoi qu'il en soit, ô grand Dieu, recevez-en aujourd'hui les bienheureuses prémices en la personne de cette Princesse. Puisse toute sa Maison et tout le royaume suivre l'exemple de sa foi Ce grand Roi, qui remplit de tant de vertus le trône de ses Ancêtres, et fait louer tous les jours la divine main qui l'y a rétabli comme par miracle, n'improuvera pas notre zèle, si nous souhaitons devant Dieu que
lui et tous ses peuples soient comme nous. Opto apud Deum. non ~aH~rn te, sed e<am omnes. ~&r! tales, qualis et ego sum 1. Ce souhait est fait pour les rois et saint Paul étant dans les fers, le fit la première fois en faveur du roi Agrippa; mais saint Paul en exceptoit ses liens, exceptis vinculis his et nous, nous souhaitons principalement que l'Angleterre trop libre dans sa croyance, trop licencieuse dans ses sentimens, soit enchaînée comme nous de ces bienheureux liens, qui empêchent l'orgueil humain de s'égarer dans ses pensées, en le captivant sous l'autorité du SaintEsprit et de l'Eglise*.
Après vous avoir exposé le premier effet de la grace de JésusChrist en notre Princesse, il me reste, Messieurs, de vous faire considérer le dernier qui couronnera tous les autres. C'est par cette dernière grâce que la mort change de nature pour les chrétiens, puisqu'au lieu qu'elle semhloit être faite pour nous dépouiller de tout, elle commence, comme dit l'Apôtre à nous revêtir et nous assure éternellement la possession des biens véritables. Tant que nous sommes détenus dans cette demeure mortelle, nous vivons assujettis aux changemens, parce que si vous me permettez de parler ainsi, c'est la loi du pays que nous habitons et nous ne possédons aucun bien, même dans l'ordre de la grace, que nous na puissions perdre un moment après par la mutabilité naturelle de nos désirs. Mais aussitôt qu'on cesse pour nous de compter les heures, et de mesurer notre vie par les jours et par les années, sortis des figures qui passent et des ombres qui disparoissent, nous arrivons au'règne de la vérité, où nous sommes affranchis de la loi des changemens. Ainsi notre ame n'est plus en péril; nos résolutions ne vacillent plus; la mort, ou plutôt la grace de la persévérance finale, a la force de les fixer et de me me que le Testament de Jésus-Christ, par lequel il se donne à nous, est confirmé à jamais suivant le droit des testamens et la doctrine de l'Apôtre par la mort de ce divin Testateur ainsi la mort du fidèle fait que ce bienheureux Testament par lequel de notre côté nous nous donnons au Sauveur, devient irrévocable. Donc, Messieurs, si je vous fais voir encore une fois ~c< MV), 29. fi Cet' v, 3. He&r., ix, 15.
MADAME aux prises avec la mort, n'appréhendez rien pour elle quelque cruelle que la mort vous paroisse, elle ne doit servir à cette fois que pour accomplir l'œuvre de la grace, et sceller en cette Princesse le conseil de son éternelle prédestination. Voyons donc ce dernier combat; mais encore un coup affermissons-nous. Ne mêlons point de foiblesse à une si forte action et ne déshonorons point par nos larmes une si belle victoire. Voulez-vous voir combien la grace qui a fait triompher MADAME, a été puissante, voyez combien la mort a été terrible. Premièrement elle a plus de prise sur une Princesse qui a tant à perdre. Que d'années elle va ravir à cette jeunesse 1 Que de joie elle enlève à cette fortune Que de gloire elle ôte à ce mérite D'ailleurs peut-elle venir ou plus prompte ou plus cruelle? C'est ramasser toutes ses forces, c'est unir tout ce qu'elle a de plus redoutable, que de joindre comme elle fait, aux plus vives douleurs l'attaque la plus imprévue. Mais quoique sans menacer et sans avertir elle se fasse sentir toute entière dès le' premier coup, elle trouve la Princesse prête. La grace plus active encore, l'a déjà mise en défense. Ni la gloire, ni la jeunesse n'auront un soupir. Un regret immense de ses péchés ne lui permet pas de regretter autre chose. Elle demande le crucifix sur lequel elle avoit vu expirer la Reine sa belle-mère, comme pour y recueillir les impressions dg constance et de piété que cette ame vraiment chrétienne y avoit laissées avec les derniers soupirs. A la vue d'un si grand objet, n'attendez pas de cette Princesse des discours étudiés et magnifiques une sainte simplicité fait ici toute la grandeur. Elle s'écrie a 0 mon Dieu, pourquoi n'ai-je pas toujours mis en vous ma confiance? Elle s'afflige, elle se rassure, elle confesse humblement, et avec tous les sentimens d'une profonde douleur, que de ce jour seulement elle commence à connoitre Dieu, n'appelant pas le connoitre que de regarder encore tant soit peu le monde. Qu'elle nous parut audessus de ces lâches chrétiens qui s'imaginent avancer leur mort, quand ils préparent leur confession, qui ne reçoivent les saints sacremens que par force dignes certes de recevoir pour leur jugement ce mystère de piété qu'ils ne reçoivent qu'avec répugnance. MADAME appelle les prêtres plutôt que les médecins. Elle
demande d'elle-même les sacremens de l'Eglise, la pénitence avec componction, l'Eucharistie avec crainte et puis avec confiance, la sainte Onction des mourans avec un pieux empressement. Bien loin d'en être effrayée, elle veut la recevoir avec connoissanee elle écoute l'explication de ces saintes cérémonies, de ces prières apostoliques, qui par une espèce de charme divin suspendent les douleurs les plus violentes, qui font oublier la mort (je l'ai vu souvent) à qui les écoute avec foi; elle les suit, elle s'y conforme; on lui voit paisiblement présenter son corps à cette huile sacrée; ou plutôt au sang de Jésus, qui coule si abondamment avec cette précieuse liqueur. Ne croyez pas que ces excessives et insupportables douleurs aient tant soit peu troublé sa grande ame. Ah je ne veux plus tant admirer les braves, ni les conquérans. MADAME m'a fait connoître la vérité de cette parole du Sage a Le patient vaut mieux que le fort (a); et celui qui dompte son cœur, vaut mieux que celui qui prend des villes » Combien a-t-elle été maîtresse du sien 1 Avec quelle tranquillité a-t-elle satisfait à tous ses devoirs 1 Rappelez en votre pensée ce qu'elle dit à MoNSiEcu. Quelle force! quelle tendresse 0 paroles qu'on voyoit sortir de l'abondance d'un cœur qui se sent au-dessus de tout paroles que la mort présente, et Dieu plus présent encore, ont consacrées; sincère production d'une ame, qui tenant au ciel, ne doit plus rien à la terre que la vérité, vous vivrez éternellement dans la mémoire des hommes, mais surtout vous vivrez éternellement dans le cœur de ce grand Prince. MADAME ne peut plus résister aux larmes qu'elle lui voit répandre. Invincible par tout autre endroit, ici elle est contrainte de céder. Elle prie MoNsusuR de se retirer, parce qu'elle ne veut plus sentir de tendresse que pour ce Dieu crucifié qui lui tend les bras. Alors qu'avons-nous vu? Qu'avons-nous oui ? Elle se conformoit aux ordres de Dieu elle lui offroit ses souffrances en expiation de ses fautes elle professoit hautement la foi catholique, et la résurrection des morts, cette précieuse consolation des fidèles mourans. Elle excitoit le 1 Melior est patiens viro forti, et qui dominatur acimo suo expugnatore urbium. Prov., xvi, X2.
(a) Ire <M)/. Que le brave.
zèle de ceux qu'elle avoit appelés pous l'exciter eUe-même et ne vouloit point qu'ils cessassent un moment de l'entretenir des vérités chrétiennes. Elle souhaita mille fois d'être plongée au sang de l'Agneau; c'étoit un nouveau langage que la grace lui apprenoit. Nous ne voyions en elle, ni cette ostentation par laquelle on veut tromper les autres, ni ces émotions d'une ame alarmée par lesquelles on se trompe soi-même. Tout étoit simple, tout étoit solide (a), tout étoit tranquille tout partoit d'une ame soumise et d'une source sanctifiée par le Saint-Esprit.
En cet état, Messieurs, qu'avions-nous à demander à Dieu pour cette Princesse, sinon qu'il l'affermît dans le bien, et qu'il conservât en elle les dons de sa grace? Ce grand Dieu nous exauçoit mais souvent, dit saint Augustin en nous exauçant il trompe heureusement notre prévoy&nce. La Princesse est affermie dans le bien d'une manière plus haute que celle que nous entendions. Comme Dieu ne vouloit plus exposer aux illusions du monde les sentimens d'une piété si sincère, il a fait ce que dit le Sage « Il s'est hâté » En effet quelle diligence en neuf heures l'ouvrage e est accompli. « 11 s'est hâté de la tirer du milieu des iniquités. » Voilà, dit le grand saint Ambroise °, la merveille de la mort dans les chrétiens. Elle ne finit pas leur vie; elle ne finit que leurs' péchés et les périls où ils sont exposés. Nous nous sommes plaints que la mort ennemie des fruits que nous promettoit la Princesse, les a ravagés dans la fleur; qu'elle a effacé pour ainsi dire sous le pinceau même un tableau qui s'avançoit à la perfection avec une incroyable diligence, dont les premiers traits, dont le seul dessin montroit déjà tant de grandeur. Changeons maintenant de langage ne disons plus que la mort a tout d'un coup arrêté le cours de la plus belle vie du monde, et de l'histoire qui se commençoit le plus noblement; disons qu'elle a mis fin aux plus grands périls dont une ame chrétienne peut être assaillie. Et pour ne point parler ici des tentations infinies qui attaquent à chaque pas la foiblesse humaine, quel péril n'eût point trouvé cette Princesse /n Ep. Joan., tract. Y), n. 7, 8. – Propera~t educere de medio iniquitatum. Sa/)!fn< iv, H. – Fm~ factus est errons, quia culpa, non natura defecit. De bono mortis, cap. iXj n. 38.
(a) t fM~. Précis.
dans sa propre gloire? La gloire qu'y a-t-il pour le chrétien de plus pernicieux et de plus mortel? Quel appât plus dangereux ? Quelle fumée plus capable de faire tourner les meilleures têtes? Considérez la Princesse représentez-vous cet esprit qui répandu par tout son extérieur, en rendoit les graces si vives tout étoit esprit tout étoit bonté. Affable à tous avec dignité, elle savoit estimer les uns sans fâcher les autres; et quoique le mérite fût distingué la foiblesse ne se sentoit pas dédaignée. Quand quelqu'un traitoit avec elle il sembloit qu'elle eût oublié son rang pour ne se soutenir que par sa raison. On ne s'apercevoit presque pas qu'on parlât à une personne si élevée on sentoit seulement au fond de son cœur qu'on eût voulu lui rendre au centuple la grandeur dont elle se dépouilloit si obligeamment. Fidèle en ses paroles, incapable de déguisement, sûre à ses amis, par la lumière et la droiture de son esprit elle les metloit à couvert des vains ombrages, et ne leur laissoit à craindre que leurs propres fautes. Très-reconnoissante des services, elle aimoit à prévenir les injures par sa bonté vive à les sentir, facile à les pardonner. Que dirai-je de sa libéralité ? Elle donnoit non-seulement avec joie, mais avec une hauteur d'ame qui marquoit tout ensemble, et le mépris du don, et l'estime de la personne. Tantôt par des paroles touchantes, tantôt même par son silence, elle relevoit ses présens; et cet art de donner agréablement, qu'elle avoit si bien pratiqué durant sa vie l'a suivie, je le sais, jusqu'entre les bras de la mort. Avec tant de grandes et tant d'aimables qualités, qui eût pu lui refuser son admiration? Mais avec son crédit, avec sa puissance, qui n'eût voulu s'attacher à elle? N'alloit-elle pas gagner tous les cœurs c'est-à-dire la seule chose qu'ont à gagner ceux à qui la naissance et la fortune semblent tout donner et si cette haute élévation est un précipice affreux pour les chrétiens, ne puis-je pas dire, Messieurs, pour me servir des paroles fortes du plus grave des historiens, « qu'elle alloit être précipitée dans la gloire 1? Car 'quelle créature fut jamais plus propre à être l'idole du monde? Mais ces idoles que le monde adore, à combien de tentations délicates ne sont-elles pas exposées? La gloire, 1 in ipsam glomm prseceps agebatur. Tacit., Agric., n. 41.
il est vrai, les défend de quelques foiblesses mais la gloire les défend-elle de la gloire même? Ne s'adorent-elles pas secrètement? Ne veulent-elles pas être adorées? Que n'ont-elles pas à craindre de leur amour-propre? Et que se peut refuser la foiblesse humaine, pendant que le monde lui accorde tout? N'est-ce pas là qu'on apprend à faire servir à l'ambition, à la grandeur, à la politique, et la vertu, et la religion, et le nom de Dieu? La modération, que le monde affecte, n'étouffe pas les mouvemens de la vanité elle ne sert qu'à les cacher et plus elle ménage le dehors, plus elle livre le cœur aux sentimens les plus délicats et les plus dangereux de la fausse gloire. On ne compte plus que soimême ;.et on dit au fond de son cœur « Je suis, et il n'y a que moi sur la terre 1.» En cet état, Messieurs, la vie n'est-elle pas un péril? La mort n'est-elle pas une grace? Que ne doit-on pas craindre de ses vices, si les bonnes qualités sont si dangereuses? N'est-ce donc pas un bienfait de Dieu d'avoir abrégé les tentations avec les jours de MADAME; de l'avoir arrachée à sa propre gloire, avant que cette gloire, par son excès, eût mis en hasard sa modération ? Qu'importe que sa vie ait été si courte ? Jamais ce qui doit finir ne peut être long. Quand nous ne compterions point ses confessions plus exactes, ses entretiens de dévotion plus fréquens, son application plus forte à la piété dans les derniers temps de sa vie ce peu d'heures saintement passées parmi les plus rudes épreuves et dans les sentimens les plus purs du christianisme, tiennent lieu toutes seules d'un âge accompli. Le temps a été court je l'avoue mais l'opération de la grace a été forte; mais la fidélité de l'ame a été parfaite. C'est l'effet d'un art consommé de réduire en petit tout un grand ouvrage; et la grace cette excellente ouvrière, se plaît quelquefois à renfermer en un jour la perfection d'une longue vie. Je sais que Dieu ne veut pas qu'on s'attende à de tels miracles; mais si la témérité insensée des hommes abuse de ses bontés, son bras pour cela n'est par raccourci et sa main n'est pas affaiblie. Je me confie pour MADAME en cette miséricorde, qu'elle a si sincèrement et si humblement réclamée. Il semble que Dieu ne lui ait conservé le jugement < Ego 9um, et prêter me non est altera. Isa., xlvii, 10.
TOM. XII. v 32
libre jusqu'au dernier soupir, qu'afin de faire durer les témoignages de sa foi. Elle a aimé en mourant le Sauveur Jésus; les bras lui ont manqué plutôt que l'ardeur d'embrasser la croix j'ai vu sa main défaillante chercher encore en tombant de nouvelles forces pour appliquer sur ses lèvres ce bienheureux signe de notre rédemption n'est-ce pas mourir entre les bras et dans le baiser du Seigneur ? Ah nous pouvons achever ce saint sacrifice pour le repos de MADAME, avec une pieuse confiance. Ce Jésus en qui elle a espéré, dont elle a porté la croix en son corps par des douleurs si cruelles, lui donnera encore son sang dont elle est déjà toute teinte, toute pénétrée, par la participation à ses sacremens, et par la communion avec ses souffrances.
Mais en priant pour son ame chrétiens songeons à nousmêmes. Qu'attendons-nous pour nous convertir? Quelle dureté est semblable à la nôtre, si un accident si étrange, qui devroit nous pénétrer jusqu'au fond de l'ame ne fait que nous étourdir pour quelques momens ? Attendons-nous que Dieu ressuscite des morts pour nous instruire? Il n'est point nécessaire que les morts reviennent, ni que quelqu'un sorte du tombeau; ce qui entre aujourd'hui dans le tombeau doit suffire pour nous convertir. Car si nous savons nous connoître, nous confessons, chrétiens, que les vérités de l'éternité sont assez bien établies nous n'avons rien que de foible à leur opposer c'est par passion, et non par raison, que nous osons les combattre. Si quelque chose les empêche de régner sur nous, ces saintes et salutaires vérités, c'est que le monde nous occupe c'est que les sens nous enchantent; c'est que le présent nous entraîne. Faut-il un autre spectacle pour nous détromper et des sens, et du présent, et du monde? La Providence divine pouvoit-elle nous mettre en vue, ni de plus près, ni plus fortement, la vanité des choses humaines? Et si nos cœurs s'endurcissent après un avertissement si sensible, que lui reste-t-il autre chose, que de nous frapper nous-mêmes sans miséricorde? Prévenons un coup si funeste, et n'attendons pas toujours des miracles de la grace. Il n'est rien de plus odieux à la souveraine puissance que de la vouloir forcer par des exemples et de lui faire une loi de ses graces et de ses faveurs. Qu'y a-t-il donc,
chrétiens, qui puisse nous empêcher de recevoir, sans différer, ses inspirations (a). Quoi? le charme de sentir, est-il si fort que nous ne puissions rien prévoir ? Les adorateurs des grandeurs humaines seront-ils satisfaits de leur fortune, quand ils verront que dans un moment leur gloire passera à leur nom, leurs titres à leurs tombeaux, leurs biens à des ingrats, et leurs dignités peut-être à leurs envieux? Que si nous sommes assurés qu'il viendra un dernier jour où la mort nous forcera de confesser toutes nos erreurs, pourquoi ne pas mépriser par raison ce qu'il faudra un jour mépriser par force? Et quel est notre aveuglement, si toujours avançant vers notre fin, et plutôt mourans que vivans, nous attendons les derniers soupirs pour prendre les sentimens que la seule pensée de la mort nous devroit inspirer à tous les momens de notre vie? Commencez aujourd'hui à mépriser les faveurs du monde et toutes les fois que vous serez dans ces lieux augustes, dans ces superbes palais à qui MADAME donnoit un éclat que vos yeux recherchent encore toutes les fois que regardant cette grande place qu'elle remplissoit si bien, vous sentirez qu'elle y manque songez que cette gloire que vous admiriez, faisoit son péril en cette vie, et que dans l'autre elle est devenue le sujet d'un examen rigoureux, où rien n'a été capable de la rassurer que cette sincère résignation qu'elle a eue aux ordres de Dieu, et les saintes humiliations de la pénitence.
(a) Ite édit. Recevez donc sans différer ses inspirations, et ne tardez pas à vous convertir.
ORAISON FUNÈBRE
DE M
MARIE-TIIÉRESE D'AUTRICHE,
INFANTE D'ESPAGNE,
REINE DE FRANCE ET DE NAVARRE.
REMARQUES HISTORIQUES.
Née le 20 septembre 1038, Marie-Thérèse d'Autriche, unique fruit d'un heureux mariage, eut pour parens Philippe IV, roi d'Espagne, et Elisabeth de France, fille de Henri IV. La religion dirigea les pas de son enfance, et la piété rendit moins douloureuses les épines de sa couronne. Au reste sa vie, cachée dans le sein de Dieu, répandit peu d'éclat devant les hommes.
La reine de France, sœur de Philippe IV, étoit sa tante; elle conçut le dessein de l'unir au roi son fils. De cruelles dissensions combattoient cette alliance la guerre avoit élevé comme un mur de séparation entre la France et l'Espagne. Cependant les deux souverains vouloient arrêter le fléau dévastateur, qui continuoit d'entasser des monceaux de ruines et de répandre des flots de sang; leurs plénipotentiaires, Mazarin d'un côté, don Louis de Haro de l'autre, se réunirent sur les confins des deux royaumes, pour ainsi dire au milieu des eaux de la Bidassoa, dans l'Ile des Faisans, nommée depuis file de la Conférence. Ils balancèrent pendant quatre mois les intérêts qui avoient armé les combattans, et la paix conclue par eux fut signée le 17 novembre 1659. Une des principales conventions du traité,c'étoitle mariage de Louis XIV avec Marie -Thérèse. L'Infante fut épousée par procureur à Fontarabie le 3 juin 1660, puis par le roi à Saint-Jean-de-Luz le 9 du même mois. Les deux époux, du même âge, avoient l'un et l'autre vingt-deux ans.
Le roi de France et celui d'Espagne s'embrassèrent devant leurs Cours', 1, et jurèrent la paix sur l'Evangile.
A son entrée solennelle à Paris, la jeune reine fut reçue comme un ange de paix par des acclamations unanimes, au milieu des transports de la joie publique. Aussitôt qu'elle put se soustraire à ce triomphe, elle alla se prosterner dans le sanctuaire, pour offrir au Roi des rois les hommages et le sceptre qu'elle venoit de recevoir; et de ce jour on la vit dans toutes les solennités religieuses parcourir les églises avec la reine mère, assistant aux mystères divins, pratiquant les exercices de dévotion, suivant les prédicateurs, surtout Bossuet, l'oracle de la ,chaire dans ce siècle de l'éloquence sacrée. Son attitude dans la maison du Seigneur étoit celle d'une sainte; on admiroit, avec édification, son immobilité religieuse devant les autels et son profond anéantissèment sous le poids de la Majesté suprême. A l'approche des grandes fêtes, elle se renfermoit dans les cloîtres les plus sévères, pour préparer son ame à la piété par le jeûne et la mortification; et quand les religieuses s'étonnoient de ses austérités: «Ah! mes Sœurs, leur disoitelle, vos prières et vos pénitences me donnent mille fois plus de joie que les faux plaisirs du théâtre ou les vains divertissemens de la Cour. » Sa générosité, sa bienfaisance, sa charité n'avoient point de bornes; non contente de fonder des établissemens d'utilité publique, de parer les églises par les ouvrages de ses mains royales, de distribuer aux paroisses d'abondans secours, de pourvoir aux besoins des monastères indigens, de doter les vierges qui se consacroient à la vie religieuse et de procurer aux enfans délaissés les bienfaits de l'éducation chrétienne, elle alloit porter des aumônes dans le réduit du pauvre, et rabaissoit ou plutôt relevoit sa grandeur en soignant ellemême les malades dans les hôpitaux, sans penser aux dangers qui l'environnoient dans ces tristes séjours de la contagion et de la mort. Rien ne pouvoit aigrir la douceur ni troubler la sérénité de son ame elle vit ses criminelles rivales lui ravir le plus cher objet de ses affections; et jamais son visage ne trahit la moindre amertume, jamais ses lèvres n'articulèrent un reproche; elle se contentoit pour toute plainte d'offrir à Dieu, dans le secret, la douleur de son cœur déchiré.
Louis XIV montra, dans une circonstance solennelle, la confiance que lui inspiroient la fidélité et les vertus de Marie Thérèse; en 1672, avant de partir pour la guerre de Hollande, il mit entre ses mains les rênes de l'Etat. La régence fut courte, mais elle fit éclater la sagesse 1 Le roi d'Espagne demanda dans cette conférence à voir Turenne. Comme Louis XIV le lui montra confondu dans la foule de ses courtisans « Voilà, dit-il à sa sœur, un homme qui m'a fait passer de bien mauvaises nuite. o
de la Reine; les hommes les plus habiles, témoins de son administration, reconnurent qu'elle cachoit sous le voile de la modestie chrétienne de grandes lumières.
En 1683, elle accompagna le roi aux frontières du royaume, dans la visite des villes prises et l'inspection de l'armée. Le tumulte ne suspendit point le cours de ses œuvres pieuses, et sa présence au milieu des peuples répandit au loin la bonne odeur de ses vertus. Madame de Maintenon avoit su, par une délicate sollicitude, en faisant parler la religion, ramener auprès d'elle un époux qui l'avoit si longtemps délaissée; déjà la confiance avoit remplacé les alarmes dans son cœur, et l'avenir lui promettoit une juste réparation du passé. Hélas! ce bonheur ou cette espérance fut ici-bas de courte durée Dieu vouloit l'appeler au sein de l'amour inaltérable; « elle tomba, dit Bossuet, toute vive et toute entière entre les bras de la mort, sans presque l'avoir envisagée. »
De retour à Versailles, le lundi 26 juillet, la reine sentit une régère indisposition. Le mercredi une tumeur fut remarquée sous le bras gauche. La douleur amena la fièvre, et le danger devint menaçant dès le vendredi matin. Son confesseur, pour la préparer au sacrifice de sa vie, lui rappela ces paroles de saint Paul « Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur'; » elle répondit avec une sainte intrépidité « Alors que m'importe de vivre ou de mourir? » Le roi suivit, un cierge à la main, le saint Viatique auprès de la 'malade. Comme elle vit sa douleur « J'ai peine à soutenir, lui dit-elle, les marques de votre tendresse; et le peu de temps qui me reste, je dois l'employer pour l'éternité. » Elle mourut à trois heures, le vendredi 30 juillet 1683, après quatre jours de maladie. Elle avoit 45 ans. Sa vie fut sans tache et sans reproche devant Dieu et devant les hommes; la médisance elle-même respecta sa vertu dans une Cour licencieuse et malveillante. En apprenant sa mort, le roi lui rendit cet hommage digne de son grand cœur, digne aussi de la modestie de sa sainte épouse « Depuis vingt ans que je vivois avec la reine, je n'ai point eu d'autre chagrin de sa part que celui de l'avoir perdue. » Marie-Thérèse donna à la France trois princes et trois princesses. Le dauphin seul lui survécut; ses autres enfans moururent prématurément, peu de temps après leur naissance.
L'Oraison funèbre fut prononcée le 1er septembre 1683, à Saint-Denis, en présence du dauphin, des seigneurs et des dames de la Cour, d'un grand nombre de savans, de prêtres et d'évêques.
t Rom. xiv, 8.
On a dit que cette œuvre oratoire présente l'éloge du roi plutôt que celui de la reine. Cela devoit être. La vie de Marie-Thérèse, éloignée des affaires publiques, humble au milieu des grandeurs, humble parmi les vertus, n'offroit point ces terribles catastrophes ni cette mort lamentable qui avoit frappé les ames de stupeur dans l'Oraison funèbre de la reine d'Angleterre et dans celle de la princesse sa fille; trop resserré dans un sujet si peu varié 'l'orateur laisse son génie se répandre sur un champ plus vaste et plus riche; dans la première partie du discours, il nous montre Louis XIV élevant la France au faite de la gloire par la fermeté de son gouvernement, par la sagesse de ses lois et par la force de ses armes. Certains catholiques, bas adulateurs du peuple, ont pu condamner ce magnifique tableau; les philosophes du dernier siècle, ennemis de toutes les gloires du catholicisme, l'ont justifié « On conviendra, pour peu qu'on soit juste, dit d'Alembert, que Louis XIV a été digne de recevoir des éloges de la justice et de la vérité.» Dans la seconde partie de l'Oraison funébre, Bossuet met en lumière les vertus cachées de la reine; il peint avec une grâce infinie sa foi vive et sa tendre piété, sa soumission à l'Eglise et son attachement au roi, sa patience dans la douleur et sa résignation dans l'adversité, sa bonté inépuisable et sa charité sans bornes.
11 faut lire quelques passages du discours à la lumière de l'histoire. Dans l'appellation Monseigneur, Bossuet désigne le dauphin, dont il avoit fini l'éducation depuis deux ans. De là cette parole de la péroraison « Ecoutez la pieuse reine; écoutez-la, Monseigneur. Elle vous dit par ma bouche, et par une voix qui vous est connue. » Ailleurs « Cette éclatante blancheur, symbole de son innocence, n'a fait pour ainsi parler, que passer au dedans. Madame de Motteville nous donne le commentaire de ces paroles « L'infante reine, dit-elle dans ses Mérnoires, nous fit admirer en elle la plus éclatante blancheur que l'on puisse avoir. »
Plus loin « Vous voyez tomber de toutes parts les temples de l'hérésie. » Plus de sept cents temples protestans avoient été détruits avant la révocation de l'édit de Nantes, qui eut lieu deux ans après la mort de la reine, le 22 octobre 1685.
Et encore « Cessez, princes et potentats, de troubler par vos prétentions le projet de ce mariage. Que l'amour qui semble aussi le vouloir troubler, cède lui-même. » Plusieurs princes recherchoient en mariage Marie-Thérèse parce qu'elle devoit hériter d'un vaste royaume. D'un autre côté Louis XIV n'avoit pu, sous la surveillance intéressée de Mazarin, porter son cœur hors de la famille de ce ministre tout-puissant'; il l'avoit donné dès sa jeunesse a sa nièce M"° de Mancini. Enfin « Qui pourroit dire combien de larmes lui ont coûté ces di-
visions toujours trop longues? Il s'agit, là, des'divisions soulevées par la fameuse déclaration de 1682.
Rapportons maintenant quelques remarques critiques. Bossuet dit « Louis même, dont la constance ne peut vaincre ses justes douleurs, les trouveroit plus intraitables dans cette pensée. » Les grammairiens disent qu'il faudroit « les justes douleurs. » Sans doute Bossuet a mis le pronom ses, parce que les venoit tout de suite après. Dans tous les cas la phrase est embarrassée.
« Feu bien différent de celui que David sentoit allumer dans sa méditation. » Les critiques voudroient s'allumer.
« II est venu surprendre la reine dans le temps que nous la croyions la plus saine, dans le temps qu'elle se trouvoit la plus heureuse. » II eût été plus correct de dire « Le plus saine, le plus heureuse. » Mais assez de critiques; plaçons-nous à un autre point de vue. Fléchier a fait l'éloge de Marie Thérèse deux mois après Bossuet; on trouve dans son discours des réminiscences manifestes du premier. Voici quelques rapprochemens Bossuet « La médisance ne put attaquer aucun endroit de sa vie depuis son enfance jusqu'à sa mort. » Fléchier « La médisance n'eut jamais ni le sujet ni le courage d'en parler. Timebat Dominum valdè, nec erat qui loqueretur de illâ verbum malum (Jud., vin, 8). Louange que l'Ecriture donne à Judith, plus grande encore en ce temps où il y a si peu de réputations innocentes et irréprochables, et à la Cour où la malice ne pardonne rien à la foiblesse, et où l'innocence même se sauve difficilement des soupçons et des mauvais bruits. »
Bossuet « C'est Dieu qui donne les grandes naissances, les grands mariages, les enfans, la postérité. » – Fléchier « Quoiqu'il n'y ait point devant Dieu de différences de personne et de condition, et que sa providence veille indifféremment sur tous les hommes, l'Ecriture sainte nous enseigne pourtant qu'il a des soins particuliers de ceux qu'il porte sur le trône et qu'il met à la tête de son peuple. Ce sont ses créatures les plus nobles, revêtues de sa puissance et de sa grandeur, et faites proprement à sa ressemblance et à son image. Il les conduit par son esprit, il les fortifie par sa vertu, il les couronne dans sa miséricorde, » etc.
Bossuet: « Durant l'espace de quatre cents ans, on ne trouve (dans la maison d'Autriche ) que des rois et des empereurs, et une si grande affluence de maisons royales, avec tant d'Etats et tant de royaumes, qu'on a prévu il y a longtemps qu'elle en seroit surchargée.)) – Fléchier « Elle étoit fille de ces rois qui, par la force des armes, par la prudence des conseils ou par les droits des successions, ont réuni plusieurs couronnes en une seule, qui portent leur domination au delà des mers et des monts, qui se font obéir dans l'ancien et le nouveau monde,
et dont la puissance s'étend si loin, qu'ils gémissent pour ainsi dire sous le faix de tant de provinces et de tant de royaumes, et que leur grandeur même leur est à charge. »
Plus loin Fléchier refait le récit des conférences qui amenèrent la paix des Pyrénées, et s'en va commentant presque partout le texte de son devancier; mais nos courtes citations suffisent pour montrer comment ses phrases symétriques et spirituelles affaiblissent, en l'étendant, la parole màle et concise de Bossuet.
L'Oroison funèbre de Marie Thérèse parut en 1683, chez Sébastien Marbre-Cramoisy; les épreuves sont à la bibliothèque nationale. En 1689, le même éditeur la fit entrer dans l'édition qu'il donna des six premières Oraisons funèbres.
Bossuet avoit cité peu de textes au bas des pages. Après sa mort, les éditeurs sont allés pendant un siècle entassant les uns après les autres citations sur citations. Nous avons retranché toutes celles qui ne se trouvent pas dans les éditions originales.
ORAISON FUNÈBRE
DE
MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE.
Sine maculâ enim sunt ante thronum Dei.
Ils sont sans tache devant le trône de Dieu. Paroles de l'apôtre saint Jean dans sa Révélation, chap. xiv, 5.
MONSEIGNEUR,
Quelle assemblée l'apôtre saint Jean nous fait paroître Ce grand prophète nous ouvre le ciel, et notre foi y découvre « sur la sainte montagne de Sion, » dans la partie la plus élevée de la Jérusalem bienheureuse, l'Agneau qui ôte le péché du monde, avec une compagnie digne de lui. Ce sont ceux (a) dont il est écrit au commencement de l'Apocalypse « Il y a dans l'église de Sardis un petit nombre de fidèles, pauca nomina, qui n'ont pas souillé leurs vêtemens l » ces riches vêtemens dont le baptême les a revêtus vêtemens qui ne sont rien moins que Jésus-Christ même, selon ce que dit l'Apôtre « Vous tous qui avez été baptisés, vous avez été revêtus de Jésus-Christ » Ce petit nombre chéri de Dieu pour son innocence et remarquable par la rareté d'un don si exquis, a su conserver ce précieux vêtement et la grace du baptême. Et quelle sera la récompense d'une si rare fidélité? Ecoutez parler le Juste et le Saint « Ils marchent, dit-il, avec moi, revêtus de blanc parce qu'ils en sont dignes » dignes par leur innocence de porter dans l'éternité la livrée de l'Agneau sans tache et de marcher toujours avec lui, puisque jamais ils ne l'ont quitté depuis qu'il les a mis dans sa compagnie ames pures et innocentes; « ames vierges, » comme les appelle saint Jean 4, au même sens que saint Paul disoit à tous les fidèles de Corinthe « Je vous ai 1 Apoc., m, 4. Galat' ni, 27. » Apoc., m, 4. – Ibid., xiv, 4. (u) 1 re édit. C'est ceux. On trouvera plus loin sans correction « Ce n'est pas des larmes que je veux tirer de vos yeux; » et « C'est des péchés légers. »
promis, comme une vierge pudique, à un seul homme, qui est Jésus-Christ 1. » La vraie chasteté de l'ame, la vraie pudeur chrétienne est de rougir du péché de n'avoir d'yeux ni d'amour que pour Jésus-Christ, et de tenir toujours ses sens épurés de la corruption du siècle. C'est dans cette troupe innocente et pure que la Reine a été placée l'horreur qu'elle a toujours eue du péché lui a mérité cet honneur. La foi, qui pénètre jusqu'aux cieux, nous la fait voir aujourd'hui dans cette bienheureuse compagnie. Il me semble que je reconnois cette modestie, cette paix, ce recueillement que nous lui voyions devant les autels, qui inspiroit du respect pour Dieu et pour elle Dieu ajoute à ces saintes dispositions le transport d'une joie céleste. La mort ne l'a point changée, si ce n'est qu'une immortelle beauté a pris la place d'une beauté changeante et mortelle. Cette éclatante blancheur, symbole de son innocence et de la candeur de son ame, n'a fait pour ainsi parler que passer au dedans où nous la voyons rehaussée d'une lumière divine. « Elle marche avec l'Agneau, car elle en est digne » La sincérité de son cœur sans dissimulation et sans artifice la range au nombre de ceux dont saint Jean a dit, dans les paroles qui précèdent celles de mon texte, que « le mensonge ne s'est point trouvé en leur bouche, » ni aucun déguisement dans leur conduite « ce qui fait qu'on les voit sans tache devant le trône de Dieu » Sine macidâ enim sunt ante thronum Dei 3. En effet elle est sans reproche devant Dieu et devant les hommes la médisance ne peut attaquer aucun endroit de sa vie depuis son enfance jusqu'à sa mort; et une gloire si pure, une si belle réputation est un parfum précieux qui réjouit le ciel et la terre. Monseigneur, ouvrez les yeux à ce grand spectacle. Pouvois-je mieux essuyer vos larmes, celles des princes qui vous environnent et de cette auguste assemblée qu'en vous faisant voir au milieu de cette troupe resplendissante et dans cet état glorieux, une mère si chérie et si regrettée? Louis même, dont la constance ne peut vaincre ses justes douleurs, les trouveroit plus traitables dans cette pensée. Mais ce qui doit être votre unique consolation, doit aussi, Monseigneur, être votre exemple; et ravi de l'éclat 1 Il Cor., xi, 2. – Apoc., III, 4. » Ibid., xiv, 5.
immortel d'une vie toujours si réglée et toujours si irréprochable, vous devez en faire passer toute la beauté dans la vôtre. Qu'il est rare, chrétiens, qu'il est rare encore une fois, de trouver cette pureté parmi les hommes; mais surtout, qu'il est rare de la trouver parmi les grands! « Ceux que vous voyez revêtus d'une robe blanche, ceux-là, dit saint Jean, viennent d'une grande affliction » de tribulatione magnâ i afin que nous entendions que cette divine blancheur se forme ordinairement sous la croix, et rarement dans l'éclat, trop plein de tentation des grandeurs humaines.
Et toutefois il est vrai, Messieurs, que Dieu, par un miracle de sa grace, se plaît à choisir parmi les rois de ces ames pures. Tel a été saint Louis, toujours pur et toujours saint dès son enfance, et Marie-Thérèse sa fille a eu de lui ce bel héritage. Entrons, Messieurs, dans les desseins de la Providence, et admirons les bontés de Dieu qui se répandent sur nous et sur tous les peuples dans la prédestination de cette Princesse. Dieu l'a élevée au faite des grandeurs humaines, afin de rendre la pureté et la perpétuelle régularité de sa vie plus éclatante et plus exemplaire. Ainsi sa vie et sa mort également pleines de sainteté et de grace, deviennent l'instruction du genre humain. Notre siècle n'en pouvoit recevoir de plus parfaite, parce qu'il ne voyoit nulle part dans une si haute élévation une pareille pureté. C'est ce rare et merveilleux assémblage que nous aurons à considérer dans les deux parties de ce discours. Yoici en peu de mots ce que j'ai à dire de la plus pieuse des reines, et tel est le digne abrégé de son éloge il n'y a rien que d'auguste dans sa personne, il n'y a rien que de pur dans sa vie. Accourez, peuples venez contempler dans la première place du monde la rare et majestueuse beauté d'une vertu toujours constante. Dans une vie si égale, il n'importe pas à cette Princesse où la mort frappe; on n'y voit point d'endroit foible par où elle pût craindre d'être surprise toujours vigilante, toujours attentive à Dieu et à son salut, sa mort si précipitée et si effroyable pour nous, n'avoit rien de dangereux pour elle. Ainsi son élévation ne servira qu'à faire voir à tout l'univers, 1 Apoc., vu, 13, 14.
comme du lieu le plus éminent qu'on découvre dans son enceinte, cette importante vérité, qu'il n'y a rien de solide ni de vraiment grand parmi les hommes que d'éviter le péché, et que la seule précaution contre les attaques de la mort, c'est l'innocence de la vie. C'est, Messieurs, l'instruction que nous donne dans ce tombeau, ou plutôt du plus haut des cieux, très-haute, très-excellente, très-puissante et très-chrétienne princesse Marie-Thérèse D'AUTRICHE, INFANTE D'ESPAGNE, REINE DE FRANCE ET DE NAVARRE. Je n'ai pas besoin de vous dire que c'est Dieu qui donne les grandes naissances, les grands mariages, les enfans, la postérité. C'est lui qui dit à Abraham « Les rois sortiront de vous » et qui fait dire par son prophète à David « Le Seigneur vous fera une maison'. » « Dieu qui d'un seul homme a voulu former tout le genre humain, » comme dit saint Paul, et de cette source commune « le répandre sur toute la face de la terre 3, » en a vu et prédestiné dès l'éternité les alliances et les divisions, « marquant les temps, poursuit-il, et donnant des bornes à la demeure des peuples, » et enfin un cours réglé à toutes ces choses. C'est donc Dieu qui a voulu élever la Reine par une auguste naissance à un auguste mariage, afin que nous la vissions honorée au-dessus de toutes les femmes de son siècle, pour avoir été chérie, estimée et trop tôt, hélas! regrettée par le plus grand de tous les hommes Que je méprise ces philosophes qui mesurant les conseils de Dieu à leurs pensées, ne le font auteur que d'un certain ordre général d'où le reste se développe comme il peut! Comme s'il avoit à notre manière des vues générales et confuses, et comme si la souveraine Intelligence pouvoit ne pas comprendre dans ses desseins les choses particulières, qui seules subsistent véritablement. N'en doutons pas, chrétiens Dieu a préparé dans son conseil éternel les premières familles qui sont la source des nations, et dans toutes les nations les qualités dominantes qui en devoient faire la fortune. Il a aussi ordonné dans les nations les familles particulières dont elles sont composées, mais principalement celles qui devoient gouverner ces nations, et en particulier dans ces Gen., xvii, 6. » 11 Reg., vu, U. a Act., xvir, 24, 26.
familles tous les hommes par lesquels elles devoient ou s'élever, ou se soutenir, ou s'abattre.
C'est par la suite de ces conseils que Dieu a fait naître les deux puissantes Maisons d'où la Reine devoit sortir, celle de France et celle d'Autriche, dont il se sert pour balancer les choses humaines jusqu'à quel degré et jusqu'à quel temps? Il le sait et nous l'ignorons.
On remarque dans l'Ecriture que Dieu donne aux maisons royales certains caractères propres, comme celui que les Syriens, quoique ennemis des rois d'Israël, leur attribuoient par ces paroles « Nous avons appris que les rois de la maison d'Israël sont démens >. »
Je n'examinerai pas les caractères particuliers qu'on a donnés aux Maisons de France et d'Autriche et sans dire que l'on redoutoit davantage les conseils de celle d'Autriche, ni qu'on trouvoit quelque chose de plus vigoureux dans les armes et dans le courage de celle de France, maintenant que par une grace particulière ces deux caractères se réunissent visiblement en notre faveur, je remarquerai seulement ce qui faisoit la joie de la Reine, c'est que Dieu avoit donné à ces deux Maisons d'où elle est sortie la piété en partage; de sorte que « sanctifiée, » qu'on m'entende bien, c'est-à-dire consacrée à la sainteté par sa naissance selon la doctrine de saint Paul s elle disoit avec cet Apôtre « Dieu, que ma famille a toujours servi et à qui je suis dédiée par mes ancêtres » Deus cui servio à progenitoribus s.
Que s'il faut venir au particulier de l'auguste Maison d'Autriche, que peut-on voir de plus illustre que sa descendance immédiate, où durant l'espace de quatre cents ans on ne trouve que des rois et des empereurs, et une si grande affluence de Maisons royales, avec tant d'Etats et tant de royaumes, qu'on a prévu il y a longtemps qu'elle en seroit surchargée?
Qu'est-il besoin de parler de la très-chrétienne Maison de France, qui par sa noble constitution est incapable d'être assujettie à une famille étrangère qui est toujours dominante dans son chef qui seule dans tout l'univers et dans tous les siècles 1 III Rft/ XI, U. – I Cor., w, 14. – 3 11 Timoth., I, 3.
se voit après sept cents ans d'une royauté établie ( sans compter ce que la grandeur d'une si haute origine fait trouver ou imaginer aux curieux observateurs des antiquités) seule, dis-je, se voit après tant de siècles encore dans sa force et dans sa fleur, et toujours en possession du royaume le plus illustre qui fût jamais sous le soleil, et devant Dieu et devant les hommes devant Dieu, d'une pureté inaltérable dans la foi et devant les hommes, d'une si grande dignité, qu'il a pu perdre l'empire sans perdre sa gloire ni son rang?
La Reine a eu part à cette grandeur, non-seulement par la riche et fière Maison de Bourgogne, mais encore par Isabelle de France, sa mère, digne fille de Henri le Grand, et de l'aveu de l'Espagne la meilleure Reine, comme la plus regrettée, qu'elle eût jamais vue sur le trône triste rapport de cette Princesse avec la Reine sa fille elle avoit à peine quarante-deux ans quand l'Espagne la pleura; et pour notre malheur la vie de Marie- Thérèse n'a guère eu un plus long cours. Mais la sage, la courageuse et la pieuse Isabelle devoit une partie de sa gloire aux malheurs de l'Espagne, dont on sait qu'elle trouva le remède par un zèle et par des conseils qui ranimèrent les grands et les peuples, et si on le peut dire le Roi même. Ne nous plaignons pas, chrétiens, de ce que la Reine sa fille dans un état plus tranquille donne aussi un sujet moins vif à nos discours, et contentons-nous de penser que dans des occasions aussi malheureuses dont Dieu nous a préservés, nous y eussions pu trouver les mêmes ressources.
Avec quelle application et quelle tendresse Philippe IV son père ne l'avoit-il pas élevée? On la regardoit en Espagne non pas comme une Infante, mais comme un Infant; car c'est ainsi qu'on y appelle la Princesse qu'on reconnoît comme héritière de tant de royaumes. Dans cette vue on approcha d'elle tout ce que l'Espagne avoit de plus vertueux et de plus habile. Elle se vit, pour ainsi parler, dès son enfance toute environnée de vertus; et on voyoit paroître en cette jeune Princesse plus de belles qualités qu'elle n'attendoit de couronnes. Philippe l'élève ainsi pour ses Etats Dieu qui nous aime la destine à Louis.
Cessez, princes et potentats, de troubler par vos prétentions le
projet de ce mariage. Que l'amour, qui semble aussi le vouloir troubler, cède lui-même. L'amour peut bien remuer le cœur des héros du monde; il peut bien y soulever des tempêtes et y exciter des mouvemens qui fassent trembler les politiques, et qui donnent des espérances aux insensés mais il y a des ames d'un ordre supérieur à ses lois, à qui il ne peut inspirer des sentimens indignes de leur rang. Il y a des mesures prises dans le ciel qu'il ne peut rompre; et l'Infante, non-seulement par son auguste naissance, mais encore par sa vertu et par sa réputation, est seule digne de Louis.
C'était a la femme prudente qui est donnée proprement par le Seigneur', » comme dit le Sage. Pourquoi « donnée proprement par le Seigneur, » puisque c'est le Seigneur qui donne tout;. et quel est ce merveilleux avantage qui mérite d'être attribué d'une façon si particulière à la divine bonté? Il ne faut pour l'entendre que considérer ce que peut dans les maisons la prudence tempérée d'une femme sage pour les soutenir, pour y faire fleurir dans la piété la véritable sagesse, et pour calmer des passions violentes qu'une résistance emportée ne feroit qu'aigrir. Ile pacifique où se doivent terminer les différends de deux grands empires à qui tu sers de limites île éternellement mémorable par les conférences de deux grands ministres; où l'on vit développer toutes les adresses et tous les secrets d'une politique si différente; où l'un se donnoit du poids par sa lenteur, et l'autre prenoit l'ascendant par sa pénétration auguste journée où deux fières nations longtemps ennemies et alors réconciliées par Marie-Thérèse, s'avancent sur leurs confins, leurs rois à leur tête, non plus pour se combattre, mais pour s'embrasser; où ces deux Rois avec leur Cour d'une grandeur, d'une politesse et d'une magnificence aussi bien que d'une conduite si différente, furent l'un à l'autre et à tout l'univers un si grand spectacle': fêtes sacrées, mariage fortuné, voile nuptial, bénédiction, sacrifice, puis-je mêler aujourd'hui vos cérémonies et vos pompes avec ces pompes funèbres, et le comble des grandeurs avec leurs ruines? Alors l'Espagne perdit ce que nous gagnions maintenant nous perdons tout les uns et 1 Pmv., xix, 1;.
les autres; et Marie-Thérèse périt pour toute la terre. L'Espagne pleuroit seule maintenant que la France et l'Espagne mêlent leurs larmes et en versent des torrens, qui pourroit les arrêter? Mais si l'Espagne pleuroit son Infante qu'elle voyoit monter sur le trône le plus glorieux de l'univers, quels seront nos gémissemens à la vue de ce tombeau, où tous ensemble nous ne voyons plus que l'inévitable néant des grandeurs humaines? Taisonsnous ce n'est pas des larmes que je veux tirer de vos yeux. Je pose les fondemens des instructions que je veux graver dans vos cœurs aussi bien la vanité des choses humaines tant de fois étalée dans cette chaire, ne se montre que trop d'elle-même sans le secours de ma voix, dans ce sceptre sitôt tombé d'une si royale main et dans une si haute majesté si promptement dissipée. Mais ce qui en faisoit le plus grand éclat n'a pas encore paru. Une Reine si grande par tant de titres, le devenoit tous les jours par les grandes actions du Roi et par le continuel accroissement de sa gloire. Sous lui la France a appris à se connoitre. Elle se trouve des forces que les siècles précédens ne savoient pas l'ordre et la discipline militaire s'augmentent avec les armées. Si les François peuvent tout, c'est que leur Roi est partout leur capitaine et après qu'il a choisi l'endroit principal qu'il doit animer par sa valeur, il agit de tous côtés par l'impression de sa vertu. Jamais on n'a fait la guerre avec une force plus inévitable, puisqu'en méprisant les saisons, il a ôté jusqu'à la défense à ses ennemis. Les soldats ménagés et exposés quand il faut, marchent avec confiance sous ses étendards nul fleuve ne les arrête, nulle forteresse ne les effraie. On sait que Louis foudroie les villes plutôt qu'il ne les assiége, et tout est ouvert à sa puissance. Les politiques ne se mêlent plus de deviner ses desseins. Quand il marche, tout se croit également menacé un voyage tranquille devient tout à coup une expédition redoutable à ses ennemis. Gand tombe avant qu'on pense à le munir Louis y vient par de longs détours; et la Reine, qui l'accompagne au cœur de l'hiver, joint au plaisir de le suivre celui de servir secrètement à ses desseins.
Par les soins d'un si grand Roi, la France entière n'est plus,
pour ainsi parler, qu'une seule forteresse qui montre de tous côtés un front redoutable. Couverte de toutes parts, elle est capable de tenir la paix avec sûreté dans son sein, mais aussi de porter la guerre partout où il faut, et ,de frapper de près et de loin avec une égale force. Nos ennemis le savent bien dire, et nos alliés ont ressenti dans le plus grand éloignement combien la main de Louis étoit secourable.
Avant lui, la France presque sans vaisseaux, tenoit en vain aux deux mers maintenant on les voit couvertes depuis le levant jusqu'au couchant de nos flottes victorieuses, et la hardiesse françoise porte partout la terreur avec le nom de Louis. Tu céderas, ou tu tomberas sous ce vainqueur, Alger riche des dépouilles de la chrétienté. Tu disois en ton cœur avare Je tiens la mer sous mes lois, et les nations sont ma proie. La légèreté de tes vaisseaux te donnoit de la confiance mais tu te verras attaqué dans tes murailles, comme un oiseau ravissant qu'on iroit chercher parmi ses rochers et dans son nid, où il partage son butin à ses petits. Tu rends déjà tes esclaves. Louis a brisé les fers dont tu accablois ses sujets, qui sont nés pour être libres sous son glorieux empire. Tes maisons ne sont plus qu'un amas de pierres. Dans ta brutale fureur tu te tournes contre toi-même, et tu ne sais comment assouvir ta rage impuissante. Mais nous verrons la fin de tes brigandages. Les pilotes étonnés s'écrient par avance « Qui est semblable à Tyr? et toutefois elle s'est tue. dans le milieu de la mer » et la navigation va être assurée par les armes de Louis. L'éloquence s'est épuisée à louer la sagesse de ses lois et l'ordre de ses finances. Que n'a-t-on pas dit de sa fermeté à laquelle nous voyons céder jusqu'à la fureur des duels? La sévère justice de Louis jointe à ses inclinations bienfaisantes, fait aimer à la France l'autorité sous laquelle heureusement réunie elle est tranquille et victorieuse. Qui veut entendre combien la raison préside dans les conseils de ce Prince', n'a qu'à prêter l'oreille quand il lui plaît d'en expliquer les motifs. Je pourrois ici prendre à témoin les sages ministres des Cours étrangères, qui le trouvent aussi convaincant dans ses discours que redoutable par ses armes. La noi Ezech., xxvi 32.
blesse de ses expressions vient de celle de ses sentimens, et ses paroles précises sont l'image de la justesse qui règne dans ses pensées. Pendant qu'il parle avec tant de force, une douceur surprenante lui ouvre les cœurs, et donne je ne sais comment un nouvel éclat à la majesté qu'elle tempère.
N'oublions pas ce qui faisoit la joie de la Reine. Louis est le rempart de la religion c'est à la religion qu'il fait servir ses armes redoutées par mer et par terre. Mais songeons qu'il ne l'établit partout au dehors, que parce qu'il la fait régner au dedans et au milieu de son cœur. C'est là qu'il abat des ennemis plus terribles que ceux que tant de puissances jalouses de sa grandeur, et l'Europe entière pourroient armer contre lui. Nos vrais ennemis sont en nous-mêmes, et Louis combat ceux-là plus que tous les autres. Vous voyez tomber de toutes parts les temples de l'hérésie ce qu'il renverse au dedans est un sacrifice bien plus agréable; et l'ouvrage du chrétien, c'est de détruire les passions qui feroient de nos cœurs un temple d'idoles. Que serviroit à Louis d'avoir étendu sa gloire partout où s'étend le genre humain? Ce ne lui est rien d'être l'homme que les autres hommes admirent il veut être, avec David, « l'homme selon le cœur de Dieu » C'est pourquoi Dieu le bénit. Tout le genre humain demeure d'accord qu'il n'y a rien de plus grand que ce qu'il fait, si ce n'est qu'on veuille compter pour plus grand encore tout ce qu'il n'a pas voulu faire, et les bornes qu'il a données à sa puissance. Adorez donc, ô grand Roi, celui qui vous fait régner, qui vous fait vaincre et qui vous donne dans la victoire, malgré la fierté qu'elle inspire, des sentimens si modérés. Puisse la chrétienté ouvrir les yeux, et reconnoître le vengeur que Dieu lui envoie. Pendant, ô malheur, ô honte, ô juste punition de nos péchés! pendant, dis-je, qu'elle est ravagée par les infidèles qui pénètrent jusqu'à ses entrailles, que tarde-t-elle à se souvenir et des secours de Candie, et de la fameuse journée du Raab, où Louis renouvela dans le cœur des infidèles l'ancienne opinion qu'ils ont des armes françoises fatales à leur tyrannie, et par des exploits inouïs devint le rempart de l'Autriche dont il avoit été la terreur?
1 Reg., XIII, 44.
Ouvrez donc tes yeux, chrétiens, et regardez ce héros, dont nous pouvons dire, comme saint Paulin disoit du grand Théodose, que nous voyons en Louis, « non un roi, mais un serviteur de Jésus-Christ, et un prince qui s'élève au-dessus des hommes plus encore par sa foi que par sa couronne 1. »
C'étoit, Messieurs, d'un tel héros que Marie-Thérèse devoit partager la gloire d'une façon particulière, puisque non contente d'y avoir part comme compagne de son trône, elle ne eessoit d'y contribuer par la persévérance de ses vœux.
Pendant que ce grand Roi la rendoit la plus illustre de toutes les reines, vous la faisiez, Monseigneur, la plus illustre de toutes les mères. Vos respects l'ont consolée de la perte de ses autres enfans. Vous les lui avez rendus elle s'est vue renaître dans ce Prince qui fait vos délices et les nôtres; et elle a trouvé une fille digne d'elle dans cette auguste Princesse qui par son rare mérite autant que par les droits d'un nœud sacré, ne fait avec vous qu'un même coeur. Si nous l'avons admirée dès le moment qu'elle parut, le Roi a confirmé notre jugement; et maintenant devenue, malgré ses souhaits, la principale décoration d'une Cour dont un si grand Roi fait le soutien, elle est la consolation de toute la France.
Ainsi notre Reine heureuse par sa naissance, qui lui rendoit la piété aussi bien que la grandeur comme héréditaire, par sa sainte éducation, par son mariage, par la gloire et par l'amour d'un si grand Roi, par le mérite et par les respects de ses enfans, et par la vénération de tous les peuples, ne voyoit rien sur la terre qui ne fût au-dessous d'elle. itlevez maintenant, ô Seigneur, et mes pensées et ma voix! Que je puisse représenter à cette auguste audience l'incomparable beauté d'une ame que vous avez toujours habitée, qui n'a jamais « affligé votre Esprit-Saint » qui jamais n'a perdu « le goût du don céleste 8, » afin que nous commencions, malheureux pécheurs, à verser sur nous-mêmes un torrent de larmes, et que ravis des chastes attraits de l'innocence, jamais nous ne nous lassions d'en pleurer la perte. i lu Theodosio non imperatorem, aed Chiisti servum, nec regno; sed flde principem prœdicamus. Ad Sev., ep. xivm, n. 6. Ephes., iv, 30.– 3 :iebr., vi, i.
A la vérité, chrétiens, quand on voit dans l'Evangile 1 la brebis perdue préférée par le bon pasteur à tout le reste du troupeau; quand on y lit cet heureux retour du prodigue retrouvé, et ce transport d'un père attendri qui met en joie toute sa famille; on est tenté de croire que la pénitence est préférée à l'innocence même, et que le prodigue retourné reçoit plus de graces que sou aîné, qui ne s'est jamais échappé de la maison paternelle. Il est l'aîné toutefois, et deux mots que lui dit son père lui font bien entendre qu'il n'a pas perdu ses avantages « Mon fils, lui dit-il, vous êtes toujours avec moi; et tout ce qui est à moi est à vous » » Cette parole, Messieurs, ne se traite guère dans les chaires, parce que cette inviolable fidélité ne se trouve guère dans les mœurs. Expliquons-la toutefois, puisque notre illustre sujet nous y conduit, et qu'elle a une parfaite conformité avec notre texte. Une excellente doctrine de saint Thomas nous la fait entendre et concilie toutes choses. Dieu témoigne plus d'amour au juste toujours fidèle; il en témoigne davantage aussi au pécheur réconcilié; mais en deux manières différentes. L'un paroîtra plus favorisé, si l'on a égard à ce qu'il est; et l'autre, si l'on remarque d'où il est sorti. Dieu conserve au juste un plus grand don; il retire le pécheur d'un plus grand mal. Le juste semblera plus avantagé, si l'on pèse son mérite; et le pécheur plus chéri, si l'on considère son indignité. Le père du prodigue l'explique lui-même « Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous; » c'est ce qu'il dit à celui à qui il conserve un plus grand don « Il falloit se réjouir, parce que votre frère étoit mort, et il est ressuscité s; a c'est ainsi qu'il parle de celui qu'il retire d'un plus grand abîme de maux. Ainsi les cœurs sont saisis d'une joie soudaine par la grace inespérée d'un beau jour d'hiver, qui après un temps pluvieux vient réjouir tout d'un coup la face du monde; mais on ne laisse pas de lui préférer la constante sérénité d'une saiton plus bénigne et s'il nous est permis d'expliquer les sentimens du Sauveur par ces sentimens humains, il s'émeut plus sensiblement sur les pécheurs convertis, qui sont sa nouvelle conquête; mais il réserve une plus douce 1 Lue., xv, 4 et 20. – » Luc., xv, 31. • Ibid., 32.
familiarité aux justes, qui sont ses anciens et perpétuels amis, puisque s'il dit, parlant du prodigue « Qu'on lui rende sa première robe'; » il ne lui dit pas toutefois « Vous êtes toujours avec moi; » ou, comme saint Jean le répète dans l'Apocalypse: « Ils sont toujours avec l'Agneau, et paroissent sans tache devant son trône. » Sine maculà sunt ante thronurn Dei Comment se conserve cette pureté dans ce lieu de tentations et parmi les illusions des grandeurs du monde, vous l'apprendrez de la Reine. Elle est de ceux dont le Fils de Dieu a prononcé dans l'Apocalypse « Celui qui sera victorieux, je le ferai comme une colonne dans le temple de mon Dieu » Faciam illum columnam in templo Dei mei 3. Il en sera l'ornément, il en sera le soutien par son exemple il sera haut, il sera ferme. Voilà déjà quelque image de la Reine. « II ne sortira jamais du temple » Foras non egredietur ampliùs k. Immobile comme une colonne, il aura sa demeure fixe dans la maison du Seigneur, et n'en sera jamais séparé par aucun crime. « Je le ferai, » dit Jésus-Christ, et c'est l'ouvrage de ma grace. Mais comment affermira-t-il cette colonne? Ecoutez, voici le mystère: « Et j'écrirai dessus, » poursuit le Sauveur j'élèverai la colonne; mais en même temps je mettrai dessus une inscription mémorable. Hél qu'écrirez- vous, ô Seigneur ? Trois noms seulement, afin que l'inscription soit aussi courte que magnifique. « J'y écrirai, dit-il, le nom de mon Dieu, et le nom de la cité de mon Dieu, la nouvelle Jérusalem, et mon nouveau nom » Ces noms, comme la suite le fera paroître, signifient une foi vive dans l'intérieur, les pratiques extérieures de la piété dans les saintes observances de l'Eglise et la fréquentation des saints sacremens trois moyens de conserver l'innocence, et l'abrégé de la vie de notre sainte Princesse. C'est ce que vous verrez écrit sur la colonne, et vous lirez dans son inscription les causes de sa fermeté; et d'abord « J'y écrirai, dit-il, le nom de mon Dieu, » en lui inspirant une foi vive. C'est, Messieurs, par une telle foi que le nom de Dieu est gravé profondément dans nos cœurs. Une foi vive est le fondement de la stabilité que nous admirons car d'où viennent nos inconstances, si ce n'est de notre • Lue., xv, 22. » Apoc, xiv, 4, 5. » Ibid., m, 12. lbid. « Ibid.
foi chancelante? Parce que ce fondement est mal affermi, nous craignons de bâtir dessus, et nous marchons d'un pas douteux dans le chemin de la vertu. La foi seule a de quoi fixer l'esprit vacillant; car écoutez les qualités que saint Paul lui donne Fides sperandarum substantia rerum1. «La foi, dit-il, est une substance, » un solide fondement, un ferme soutien. Mais de quoi? De ce qui se voit dans le monde? Comment donner une consistance ou, pour parler avec saint Paul, « une substance » et un corps à cette ombre fugitive? La foi est donc un soutien, mais des choses « qu'on doit espérer* » Et quoi encore t Argumenlum non apparentium « c'est une pleine conviction de ce qui ne paroît pas. » La foi doit avoir en elle la conviction. Vous ne l'avez pas, direzvous j'en sais la cause; c'est que vous craignez de l'avoir, au lieu de la demander à Dieu qui la donne. C'est pourquoi tout tombe en ruine dans vos mœurs, et vos sens trop décisifs emportent si facilement votre raison incertaine et irrésolue. Et que veut dire cette conviction dont parle l'Apôtre, si ce n'est, comme il dit ailleurs, une soumission « de l'intelligence entièrement captivée » sous l'autorité d'un Dieu qui parle'? Considérez la pieuse Reine devant les autels; voyez comme elle est saisie de la présence de Dieu ce n'est pas par sa suite qu'on la connoit, c'est par son attention et par cette respectueuse immobilité qui ne lui permet pas même de lever les yeux. Le sacrement adorable approche Ah! la foi du Centurion admirée par le Sauveur même, ne fut pas plus vive, et il ne dit pas plus humblement « Je ne suis pas digne s. » Voyez comme elle frappe cette poitrine innocente, comme elle se reproche les moindres péchés, comme elle abaisse cette tête auguste devant laquelle s'incline l'univers. La terre, son origine et sa sépulture, n'est pas encore assez basse pour'la recevoir elle voudroit disparoitre toute entière devant la majesté du Roi des rois. Dieu lui grave par une foi vive dans le fond du cœur ce que disoit Isaïe « Cherchez des antres profonds, cachezvous dans les ouvertures de la terre devant la face du Seigneur et devant la gloire d'une si haute majesté »
Ne vous étonnez donc pas si elle est si humble sur le trône. 0 1 ttcbr., îi, 1. s 11 Cor., i, 5. – Matth., MU, 8, JO. Isa., Il, 10.
spectacle merveilleux, et qui ravit en admiration le ciel et la • terre! Vous allez voir une Reine qui, à l'exemple de David, attaque de tous côtés sa propre grandeur et tout l'orgueil qu'elle inspire: vous verrez dans les paroles de ce grand Roi la vive peinture de la Reine, et vous en reconnoitrez tous les sentimens. Domine, non est exaltatum cor meum « 0 Seigneur, mon cœur ne s'est point haussé » voilà l'orguéil attaqué dans sa source. Neque elati sunt oculi met « mes regards ne se sont pas élevés » voilà l'ostentation et le faste réprimé. Ahl Seigneur, je n'ai pas eu ce dédain qui empêche de jeter les yeux sur les mortels trop rampans, et qui fait dire à l'ame arrogante « II n'y a que moi sur la terre'. » Combien étoit ennemie (a) la pieuse Reine de ces regards dédaigneux; et dans une si haute élévation, qui vit jamais paroître en cette Princesse ou le moindre sentiment d'orgueil ou le moindre air de mépris? David poursuit Neque ambulavi in magnis, neque in mirabilibus super me « Je ne marche point dans de vastes pensées, ni dans des merveilles qui me passent. » Il combat ici les excès où tombent naturellement les grandes puissances. L'orgueil, qui « monte toujours 8, » après avoir porté ses prétentions à ce que la grandeur humaine a de plus solide ou plutôt de moins ruineux, pousse ses desseins jusqu'à l'extravagance, et donne témérairement dans des projets insensés; comme faisoit ce roi superbe ( digne figure de l'ange rebelle ), a lorsqu'il disoit en son cœur Je m'élèverai au-dessus des nues, je poserai mon trône sur les astres, et je serai semblable au TrèsHaut » Je ne me perds point, dit David, dans de tels excès; et voilà l'orgueil méprisé dans ses égaremens. Mais après l'avoir ainsi rabattu dans tous les endroits par où il sembloit vouloir s'élever, David l'atterre tout à fait par ces paroles a Si, dit-il, je n'ai pas eu d'humbles sentimens, et que j'aie exalté mon ame » Si non humiliter sentiebam (b); ou, comme traduit saint Jérôme Si non silere feci animam meam a Si je n'ai pas fait taire mon ame » si je n'ai pas imposé silence à ces flatteuses pensées qui » Psal. cxxx, 1. – Isa., xlvii, 8. 8 Psal. LXXIII, 23. – Isa,, xiv, 13, 14. (a) l" édit, Eloignée. (b) Si non humiliter senttebam, sed exaltavi anima meam.
se présentent sans cesse pour enfler nos cœurs. Et enfin il conclut ainsi ce beau Psaume Sicut ablactatus ad matrem suam, sic ablactata est anima mea. « Mon ame a été, dit-il, comme un enfant sevré. Je me suis arraché moi-même aux douceurs de la gloire humaine (a) peu capables de me soutenir, pour donner à mon esprit une nourriture plus solide. Ainsi l'ame supérieure domine de tous côtés cette impérieuse grandeur, et ne lui laisse dorénavant aucune place. David ne donna jamais de plus beau combat. Non, mes Frères, les Philistins défaits et les ours mêmes déchirés de ses mains, ne sont rien à comparaison de sa grandeur qu'il a domptée. Mais la sainte Princesse que nous célébrons, l'a égalé dans la gloire d'un si beau triomphe.
Elle sut pourtant se prêter au monde avec toute la dignité que demandoit sa grandeur. Les rois, non plus que le soleil, n'ont pas reçu en vain l'éclat qui les environne il est nécessaire au genre humain et ils doivent pour le repos autant que pour la décoration de l'univers, soutenir une majesté qui (b) n'est qu'un rayon de celle de Dieu. Il étoit aisé à la Reine de faire sentir une grandeur qui lui étoit naturelle. Elle étoit née dans une Cour où la majesté se plaît à paroître avec tout son appareil et d'un père qui sut conserver avec une grace, comme avec une jalousie particulière, ce qu'on appelle en Espagne les coutumes de qualité et les bienséances* du palais. Mais elle aimoit mieux tempérer la majesté et l'anéantir devant Dieu, que de la faire éclater devant les hommes. Ainsi nous la voyions courir aux autels, pour y goûter avec David un humble repos, et s'enfoncer dans son oratoire, où malgré le tumulte de la Cour elle trouvoit le Carmel d'Elie, le désert de Jean et la montagne si souvent témoin des gémissemens de Jésus.
J'ai appris de saint Augustin que a l'ame attentive se fait à elle-même une solitude » Gignit enim sibi ipsa mentis intentio solitudinem l. Mais, mes Frères, ne nous flattons pas il faut savoir se donner des heures d'une solitude effective, si l'on veut 1 De divers, qutest. ad Simplic., lib. Il, qusest. 4.
(a) 1™ édit. Je me suis arraché moi-méme aux douceurs. (4) Les rois doivent cet éclat à l'univers, comme le soleil lui doit sa lumière et pour le repos du genre humain, ils doivent soutenir une majesté qui.
conserver les forces de l'ame. C'est ici qu'il faut admirer l'iuVio-* lable fidélité que la Reine gardoit à Dieu. Ni les divertissemens, ni les fatigues des voyages, ni aucune occupation ne lui faisoit perdre ces heures particulières qu'elle destinoit à la méditation et à la prière. Auroit-elle été si persévérante dans cet exercice, si elle n'y eût goûté la manne cachée, que « nul ne connoît, que celui qui en ressent les saintes douceurs (a) 1 » C'est là qu'elle disoit avec David « 0 Seigneur, votre servante a trouvé son cœur pour vous fdire cette prière! » Invenit servus tuus cor suum (b) Où allez-'vous, cœurs égarés? Quoi même pendant la prière vous laissez errer votre imagination vagabonde vos ambitieuses pensées vous reviennent devant Dieu elles font même le sujet de votre prière Par l'effet du même transport qui vous fait parler aux hommes de vos prétentions, vous en venez encore parler à Dieu, pour faire servir le Ciel et la terré à vos intérêts. Ainsi votre ambition que la prière .devoit éteindre, s'y échauffe feu bien différent de celui que David « sentoit allumer dans sa méditation ». » Ha plutôt puissiez-vous dire avec ce grand Roi, et avec la pieuse Reine que nous honorons « 0 Seigneur, votre serviteur a trouvé son cœur 1 J'ai rappelé ce fugitif, et le voilà tout entier devant votre face.
Ange saint, qui présidiez à l'oraison de cette sainte Princesse, et qui portiez cet encens au-dessus des nues pour le faire brûler sur l'autel que saint Jean a vu dans le ciel racontez-nous les ardeurs de cé cœur blessé de l'amour divin faites-nous paroître ces torrens de larmes que la Reine versoit devant Dieu pour ses péchés. Quoi donc! les ames innocentes ont-elles aussi les pleurs et les amertumes de la pénitence ? Oui sans doute, puisqu'il est écrit que « rien n'est pur sur la terre » et que « celui qui dit qu'il ne pèche pas se trompe lui-même 6. » Mais c'est des péchés légers, légers par comparaison je le confesse légers en euxmêmes la Reine n'en connoît aucun de cette nature. C'est ce que porte en son fonds toute ame innocente. La moindre ombre se 1 Apoc., il, 17. – II Reg., vu, 27. – 8 Psal. xxxviii, 4. – Apoc., vm, 3. a Job, xv, 15. « 1 Joan., I, 8.
(a) 1™ édit. Les saintes douceurs Manna absconditum quod nemo scit, nisi qui acciptt. (b) Invenit servus tuus cor suum, ut oraret te oratione hâc.
remarque sur ces vêtemens qui n'oht pas encore été 'salis, et leur vive blancheur en accuse toutes les taches. Je trouve ici les chrétiens trop sa vans. Chrétien, tu sais trop la distinction des péchés véniels d'avec les mortels. Quoi 1 le nom commun de péché ne suffira pas pour te les faire détester les uns et les autres? Saistu que ces péchés qui semblent légers deviennent accablans par leur multitude, à cause des (a) funestes dispositions qu'ils mettent dans les consciences? C'est ce qu'enseignent d'un commun accord tous les saints Docteurs après saint Augustin et saint Grégoire. Sais-tu que les péchés qui seroient véniels par leur objet, peuvent devenir mortels par l'excès de l'attachement? Les plaisirs innocens le deviennent bien, selon la doctrine des saints; et seuls ils ont pu damner le mauvais riche pour avoir été trop goûtés. Mais qui sait le degré qu'il faut pour leur inspirer ce poison mortel? Et n'est-te pas une des raisons qui fait que David s'écrie Belicta quis intelligtt '? « Qui peut connoître ses péchés? » Que je hais donc ta vaine science et ta mauvaise subtilité, ame téméraire, qui prononces si hardiment Ce péché que je commets sans crainte est véniel L'ame vraiment pure n'est pas si savante. La Reine sait en général qu'il y a des péchés véniels, car la foi l'enseigne mais la foi ne lui enseigne pas que les siens le soient. Deux choses vous vont faire voir l'éminent degré de sa vertu. Nous le savons, chrétiens, et nous ne donnons point de fausses louanges devant ces autels. Elle a dit souvent dans cette bienheureuse simplicité qui lui étoit commune avec tous les Saints, qu'elle ne comprenoit pas comment on pouvoit commettre volontairement un seul péché, pour petit qu'il fût. Elle ne disoit donc pas II est véniel elle disoit II est péché, et son cœur innocent se soulevoit. Mais comme il échappe toujours quelque péché à la fragilité humaine, elle ne disoit pas Il est léger; encore une fois Il est péché, disoit-elle. Alors pénétrée des siens, s'il arrivoit quelque malheur à sa personne, à sa famille, à l'Etat, elle s'en accusoit seule. Mais quels malheurs, direz-vous, dans cette grandeur et dans un si long cours de prospérités ? Vous croyez donc que les déplaisirs et 1 Psal. kvui, 43.
(a) l« éckU Et par 1m funestes.
les plus mortelles douleurs ne se cachent pas sous la pourpre, ou qu'un royaume est un remède universel à tous les maux, un baume qui les adoucit, un charme qui les enchante ? Au lieu que par un conseil de la Providence divine, qui sait donner aux conditions les plus élevées leur contre-poids, cette grandeur que nous admirons de loin comme quelque chose au-dessus de l'homme, touche moins quand on y est né, ou se confond elle-même dans son abondance et qu'il se forme au contraire parmi les grandeurs une nouvelle sensibilité pour les déplaisirs, dont le coup est d'autant plus rude qu'on est moins préparé à le soutenir. Il est vrai que les hommes aperçoivent moins cette malheureuse délicatesse dans les ames vertueuses. On les croit insensibles, parce que non-seulement elles savent taire, mais encore sacrifier leurs peines secrètes. Mais le Père céleste se plaît à les regarder dans ce secret; et comme il sait leur préparer leur croix, il y mesure aussi leur récompense. Croyez-vous que la Reine pût être en repos dans ces fameuses campagnes qui nous apportoient coup sur coup tant de surprenantes nouvelles? Non, Messieurs elle étoit toujours tremblante, parce qu'elle voyoit toujours cette précieuse vie dont la sienne dépendoit, trop facilement hasardée. Vous avez vu ses terreurs: vous parlerai-je de ses pertes, et de la mort de ses chers enfans ? Ils lui ont tous déchiré le cœur. Représentonsnous ce jeune Prince que les Graces sembloient elles-mêmes avoir formé de leurs mains. Pardonnez-moi ces expressions. Il me semble que je vois encore tomber cette fleur. Alors triste messager d'un événement si funeste, je fus aussi le témoin, en voyant le Roi et la Reine, d'un côté de la douleur la plus pénétrante, et de l'autre des plaintes les plus lamentables; et sous des formes différentes, je vis une affliction sans mesure. Mais je vis aussi des deux côtés la foi également victorieuse je vis le sacrifice agréable de l'ame humiliée sous la main de Dieu, et deux victimes royales immoler d'un commun accord leur propre cœur.
Pourrai-je maintenant jeter les yeux sur la terrible menace du Ciel irrité, lorsqu'il sembla si longtemps vouloir frapper ce Dauphin même, notre plus chère espérance? Pardonnez-moi, Messieurs, pardonnez-moi si je renouvelle vos frayeurs. Il faut bien,
et je le puis dire, que je me fasse à moi-même cette violence, puisque je ne puis montrer qu'à ce prix la constance de la Reine. Nous vîmes alors dans cette Princesse, au milieu des alarmes d'une mère, la foi d'une chrétienne. Nous vîmes un Abraham prêt à immoler Isaac, et quelques traits de Marie quand elle offrit son Jésus. Ne craignons point de le dire, puisqu'un Dieu ne s'est fait homme que pour assembler autour de lui des exemples pour tous les états. La Reine pleine de foi ne se propose pas un moindre modèle que Marie Dieu lui rend aussi son fils unique qu'elle lui offre d'un cœur déchiré, mais soumis, et veut que nous lui devions encore une fois un si grand bien.
On ne se trompe pas, chrétiens, quand on attribue tout à la prière. Dieu qui l'inspire ne lui peut rien refuser. « Un roi, dit David, ne se sauve pas par ses armées, et le puissant ne se sauve pas par sa valeur 1. » Ce n'est pas aussi aux sages conseils qu'il faut attribuer les heureux succès. « 11 s'élève, dit le Sage, plusieurs pensées dans le cœur de l'homme » ieconnoissez l'agitation et les pensées incertaines des conseils humains « mais, poursuit-il, la volonté du Seigneur demeure ferme » et pendant que les hommes délibèrent, il ne s'exécute que ce qu'il résout. a Le terrible, » le Tout-Puissant, « qui ôte, » quand il lui plaît, « l'esprit des princes s, » le leur laisse aussi quand il veut, pour les confondre davantage, et les « prendre dans leurs propres finesses Car il n'y a point de prudence, il n'y a point de sagesse, il n'y a point de conseil contre le Seigneur8. » Les Machabées étoient vaillans et néanmoins il est écrit « qu'ils combattoient par leurs prières » plus que par leurs armes Per orationes congressi sunt 6 assurés par l'exemple de Moïse que les mains élevées à Dieu enfoncent plus de bataillons que celles qui frappent. Quand tout cédoit à Louis, et que nous crûmes voir revenir le temps des miracles, où les murailles tomboient au bruit des trompettes, tous les peuples jetoient les yeux sur la Reine, et croyoient voir partir de son oratoire la foudre qui accabloit tant de villes.
1 Psal. xxxn, 16.– Prov., XIX, 21.– » Psal. Lxxv, 12, 13. » Cor., ni, 19. » Prov., XXI, 30. – 8 H Mach., xv, 25.
Que si Dieu accorde aux prières les prospérités temporelles combien plus leur accorde-t-il les vrais biens, c'est-à-dire les vertus? Ellessontle fruitnaturel d'une ame unie à Dieu par l'oraison. L'oraison qui nous les obtient, nous apprend à les pratiquer, non-seulement comme nécessaires, mais encore comme reçues « du Père des lumières, d'où descend sur nous tout don parfait 1 » et c'est là le comble de la perfection, parce c'est le fondement de l'humilité. C'est ainsi que Marie-Thérèse attira par la prière toutes les vertus dans son ame. Dès sa première jeunesse elle fut, dans les mouvemens d'une Cour alors assez turbulente, la consolation et le seul soutien de la vieillesse infirme du Roi son père. La Reine sa belle-mère, malgré ce nom odieux, trouva en elle non-seulement un respect, mais encore une tendresse, que ni le temps, ni l'éloignement n'ont pu altérer. Aussi pleure-t-elle sans mesure, et ne veut point recevoir de consolation. Quel cœur, quel respect, quelle soumission n'a-t-elle pas eue pour le Roi toujours vive pour ce grand Prince, toujours jalouse de sa gloire, uniquement attachée aux intérêts de son Etat, infatigable dans les voyages, et heureuse pourvu qu'elle fùt en sa compagnie; Femme enfin où saint Paul auroit vu l'Eglise occupée de JesusChrist', et unie à ses volontés par une éternelle complaisance 1 Si nous osions demander au grand Prince qui lui rend ici avec tant de piété les derniers devoirs, quelle mère il a perdue il nous répondroit par ses sanglots, et je vous. dirai en son nom ce que j'ai vu avec joie, ce que je répète avec admiration, que les tendresses inexplicables de Marie-Thérèse tendoient toutes à lui inspirer la foi, la piété, la crainte de Dieu, un attachement inviolable pour le Roi, des entrailles de miséricorde pour les malheureux, une immuable persévérance dans tous ses devoirs et tout ce que nous louons dans la conduite de ce Prince. Parlerai-je des bontés de la Reine tant de fois éprouvées par ses domestiques, et ferai-je retentir encore devant ces autels les cris de sa Maison désolée? Et vous, pauvres de Jésus-Christ, pour qui seuls elle ne pouvoit endurer qu'on lui dit que ses trésors étoient épuisés vous premièrement, pauvres volontaires, victimes de Jésus-Christ, Reli» Jacob., 1, i". Ephes., v, 24.
gieux, vierges sacrées, ames pures dont le monde n'étoit pas digne et vous, pauvres, quelque nom que vous portiez, pauvres connus, pauvres honteux, malades impotens, estropiés, « restes d'hommes, » pour parler avec saint Grégoire de Nazianze car la Reine respectoit en vous tous les caractères de la croix de JésusChrist vous donc qu'elle assistoit avec tant de joie, qu'elle visitoit avec de si saints empressemens qu'elle servoit avec tant de foi, heureuse de se dépouiller d'une majesté empruntée, et d'adorer dans votre bassesse la glorieuse pauvreté de Jésus-Christ quel admirable panégyrique prononceriez-vous par vos gémissemens à la gloire de cette Princesse, s'il m'étoit permis de vous introduire dans cette auguste Assemblée? Recevez, Père Abraham, dans votre sein cette héritière de votre foi comme vous, servante des pauvres, et digne de trouver en eux, non plus des anges, mais Jésus-Christ même. Que dirai-je davantage? Ecoutez tout en un mot Fille, Femme, Mère, Maîtresse, Reine telle que nos vœux l'auroient pu faire, plus que tout cela Chrétienne, elle accomplit tous ses devoirs sans présomption, et fut humble nonseulement parmi toutes tes grandeurs, mais encore parmi toutes les vertus.
J'expliquerai en peu de mots les deux autres noms que nous voyons écrits sur la colonne mystérieuse de l'Apocalypse et dans le cœur de la Reine. Par le nom de la « sainte Cité de Dieu la nouvelle Jérusalem s, » vous voyez bien, Messieurs, qu'il faut entendre le nom de l'Eglise catholique, Cité sainte dont toutes « les pierres sont vivantes a » dont Jésus-Christ est le fondement qui « descend du ciel avec lui, parce qu'elle y est renfermée comme dans le chef dont tous les membres reçoivent leur vie Cité qui se répand par toute la terre, et s'élève jusqu'aux cieux pour y placer ses citoyens. Au seul nom de l'Eglise, toute la foi de la Reine se réveilloit. Mais une vraie fille de l'Eglise, non contente d'en embrasser la sainte doctrine en aime les observances, où elle fait consister la principale partie des pratiques extérieures de la piété. L'Eglise inspirée de Dieu, et instruite par les saints apôtres, a tellement disposé l'année qu'on y trouve avec la vie, avec les 1 Orat. xvi. – « Apoc., m, 12. – l Petr., H, 4, 5.
mystères avec la prédication et la doctrine de Jésus.-Christ le vrai fruit de toutes ces choses dans les admirables vertus de ses serviteurs, et dans les exemples de ses Saints, et enfin un mystérieux abrégé de l'Ancien et du Nouveau Testament et de toute l'histoire ecclésiastique. Par là toutes les saisons sont fructueuses pour les chrétiens tout y est plein de Jésus-Christ, qui est toujours « admirable, » selon le Prophète et non-seulement en lui-même mais encore « dans ses Saints » Dans cette variété qui aboutit toute à l'unité sainte tant recommandée par JésusChrist9, l'ame innocente et pieuse trouve avec des plaisirs célestes une solide nourriture, et un- perpétuel renouvellement de sa ferveur. Les jeûnes y sont mêlés dans les temps convenables, afin que l'ame toujours sujette aux tentations et au péché s'affermisse et se purifie par la pénitence. Toutes ces pieuses observances avoient dans la Reine l'effet bienheureux que l'Eglise même demande elle se renouveloit dans toutes les fêtes, elle se sacriftoit dans tous les jeûnes et dans toutes les abstinences. L'Espagne sur ce sujet a des coutumes que la France ne suit pas; mais la Reine se rangea bientôt à l'obéissance l'habitude ne put'rien contre la règle et l'extrême exactitude de cette Princesse marquoit la délicatesse de sa conscience. Quel autre a mieux profité de cette parole « Qui vous écoute m'écoute ?» Jésus-Christ nous y enseigne cette excellente pratique de marcher dans les voies de Dieu sous la conduite particulière de ses serviteurs qui exercent son autorité dans son Eglise. Les confesseurs de la Reine pouvoient tout sur elle dans l'exercice de leur ministère, et il n'y avoit aucune vertu où elle ne pût être élevée par son obéissance. Quel respect n'avoit-elle pas pour le Souverain Pontife vicaire de JésusChrist et pour tout l'ordre ecclésiastique ? Qui pourroit dire (a) combien de larmes lui ont coûté ces divisions toujours trop longues et dont on ne peut demander la fin avec trop de gémissemens ? Le nom même et l'ombre de division faisoit horreur à la Reine, comme à toute ame pieuse. Mais qu'on ne s'y trompe pas le Saint-Siège ne peut jamais oublier la France, ni la France 1 Isa., IX, 6. » Psul. livii, 36. » Luc., X, 42. Ibid., 16. (a) 1" édit. Mais surtout qui pourroit dire.
manquer au Saint-Siège. Et ceux qui pour leurs intérêts particuliers, couverts, selon les maximes de leur politique, du prétexte de piété, semblent vouloir irriter le Saint-Siège contre un royaume qui en a toujours été le principal soutien sur la terre, doivent penser qu'une Chaire si éminente à qui Jésus-Christ a tant donné, ne veut pas être flattée par les hommes, mais honorée selon la règle avec une soumission profonde qu'elle est faite pour attirer tout l'univers à son unité, et y rappeler à la fin tous les hérétiques et que ce qui est excessif, loin d'être le plus attirant, n'est pas même le plus solide ni le plus durable. Avec le saint nom de Dieu et avec le nom de la Cité sainte, la nouvelle Jérusalem, je vois, Messieurs, dans le cœur de notre pieusè Reine le nom nouveau du Sauveur. Quel est, Seigneur, votre nom nouveau sinon celui que vous expliquez quand vous dites « Je suis le pain de vie » et a Ma chair est vraiment viande' » et « Prenez, mangez, ceci est mon corps *? » Ce nom nouveau du Sauveur est celui de l'Eucharistie, nom composé de bien et de grace; qui nous montre dans cet adorable Sacrement une source de miséricorde, un miracle d'amour, "un mémorial et un abrégé de toutes les graces, et le Verbe même tout changé en grace et en douceur pour ses fidèles. Tout est nouveau dans ce mystère c'est le a Nouveau Testament 3 » de notre Sauveur, et on commence à y boire ce « vin nouveau dont la céleste Jérusalem est transportée. Mais pour le boire dans ce lieu de tentation et de péché, il s'y faut préparer par la pénitence. La Reine fréquentoit ces deux sacremens avec une ferveur toujours nouvelle. Cette humble Princesse se sentoit dans son état naturel quand elle étoit comme pécheresse aux pieds d'un prêtre, y attendant la miséricorde et la sentence de Jésus-Christ. Mais l'Eucharistie étoit son amour toujours affamée de cette viande céleste, et toujours tremblante en la recevant; quoiqu'elle ne pût assez communier pour son désir, elle ne cessoit de se plaindre humblement et modestement des communions fréquentes qu'on lui ordonnoit. Mais qui eût pu refuser l'Eucharistie à l'innocence, et Jésus-Christ à une foi si vive et si pure ? La règle que donne saint Augustin est 1 Joan., vi, 48, 5G. » Matth., xxvl, 26. – » Ibtd., 28. Ibid., 29.
de modérer l'usage de la communion quand elle tourne en dégoût. Ici on voyoit toujours une ardeur nouvelle, et cette excellente pratique de chercher dans la communion la meilleure préparation, comme la plus parfaite action de graces pour la communion même. Par ces admirables pratiques cette Princesse est venue à sa dernière heure sans qu'elle eût besoin d'apporter à ce terrible passage une autre préparation que celle de sa sainte vie; et les hommes toujours hardis à juger les autres sans épargner les souverains, car on n'épargne que soi-même dans ses jugemens, les hommes, dis-je, de tous les états, et autant les gens de bien que les autres, ont vu la Reine emportée avec une telle précipitation dans la vigueur de son âge, sans être en inquiétude pour son salut. Apprenez donc, chrétiens, et vous principalement qui ne pouvez vous accoutumer à la pensée de la mort en attendant que vous méprisiez celle que Jésus-Christ a vaincue, ou même que vous aimiez celle qui met fin à nos péchés et nous introduit à la vraie vie apprenez à la désarmer d'une autre soi te, et embrassez la belle pratique, où sans se mettre en peine d'attaquer la mort, on n'a besoin que de s'appliquer à sanctifier sa vie.
La France a vu de nos jours deux reines plus unies encore par la piété que par le sang, dont la mort également précieuse devant Dieu, quoiqu'avec des circonstances différentes, a été d'une singulière édification à toute l'Eglise. Vous entendez bien que je veux parler d'Anne d'Autriche, et de sa chère nièce, ou plutôt de sa chère fille Marie-Thérèse. ANNE, dans un âge déjà avancé et Marie-Thérèse dans sa vigueur, mais toutes deux d'une si heureuse constitution, qu'elle sembloit nous promettre le bonheur de les posséder un siècle entier, nous sont enlevées contre notre attente, l'une par une longue maladie, et l'autre par un coup imprévu. ANNE avertie de loin par un mal aussi cruel qu'irrémédiable, vit avancer la mort à pas lents, et sous la figure qui lui avoit toujours paru la plus affreuse Marie-Thérèse aussitôt emportée que frappée par la maladie, se trouve toute vive et toute entière entre les bras de la mort sans presque l'avoir envisagée. A ce fatal avertissement Anne pleine de foi ramasse toutes les
forces qu'un long exercice de la piété lui avoit acquises, et regarde sans se troubler toutes les approches de la mort. Humiliée sous la main de Dieu elle lui rend graces de l'avoir ainsi avertie elle multiplie ses aumônes toujours abondantes elle redouble ses dévotions toujours assidues; elle apporte de nouveaux soins à l'examen de sa conscience toujours rigoureux. Avec quel renouvellement de foi et d'ardeur lui vîmes-nous recevoir le saint Viatique? Dans de semblables actions, il ne fallut à Marie-Thérèse que sa ferveur ordinaire sans avoir besoin de la mort pour exciter sa piété, sa piété s'excitoit toujours assez elle-même, et prenoit dans sa propre force un continuel accroissement. Que dironsnous, chrétiens, de ces deux reines? Par l'une Dieu nous apprit comment il faut profiter du temps, et l'autre nous a fait voir que la vie vraiment chrétienne n'en a pas besoin. En effet, chrétiens, qu'attendons-nous ? Il n'est pas digne d'un chrétien de ne s'évertuer contre la mort qu'au moment qu'elle se présente pour l'enlever. Un chrétien toujours attentif à combattre ses passions « meurt tous les jours » avec l'Apôtre Quotidie morior. Un chrétien n'est jamais vivant sur la terre, parce qu'il y est toujours mortifié, et que la mortification est un essai, un apprentissage, un commencement de la mort.'Yivons-nous chrétiens, vivonsnous ? Cet âge que nous comptons, et où tout ce que nous comptons n'est plus à nous, est-ce une vie? et pouvons-nous n'apercevoir pas ce que nous perdons sans cesse avec les années? Le repos et la nourriture ne sont-ils pas de foibles remèdes de la continuelle maladie qui nous travaille? Et celle que nous appelons la dernière, qu'est-ce autre chose, à le bien entendre, qu'un redoublement, et comme le dernier accès du mal que nous apportons au monde en naissant? Quelle santé nous couvroit la mort que la Reine portoit dans le sein? De combien près la menace a-t-elle été suivie du coup ? Et où en étoit cette grande Reine avec toute la majesté qui l'environnoit, si elle eût été moins préparée ? Tout d'un coup on voit arriver le moment fatal, où la terre n'a plus rien pour elle que des pleurs. Que peuvent tant de fidèles domestiques empressés autour de son lit ? Le Roi même 1 Cor xv, 31.
que pouvoit-il, lui, Messieurs, lui qui succomhoit à la douleur avec toute sa puissance et tout son courage ? Tout ce qui environne ce Prince l'accable. Monsieur, Madame venoient partager ses déplaisirs et les augmeutoient par les leurs. Et vous Monseigneur, que pouviez-vous que de lui percer le cœur par vos sanglots? Il l'avoit assez percé par le tendre ressouvenir d'un amour qu'il trouvoit toujours également vif après vingt-trois ans écoulés. On en gémit, on en pleure voilà ce que peut la terre pour une Reine si chérie voilà ce que nous avons à lui donner, des pleurs, des cris inutiles. Je me trompe, nous avons encore des prières; nous avons ce saint Sacrifice, rafraîchissement de nos peines, expiation de nos ignorances, et des restes de nos péchés. Mais songeons que ce Sacrifice d'une valeur infinie, où toute la croix de Jésus est renfermée, ce Sacrifice seroit inutile à la Reine, si elle n'avoit mérité par sa bonne vie que l'effet en pût passer jusqu'à elle autrement, dit saint Augustin', qu'opère un tel Sacrifice? Nul soulagement pour les morts une foible consolation pour les vivans. Ainsi tout le salut vient de cette vie, dont la fuite précipitée nous trompe toujours. « Je viens, dit Jésus-Christ*, comme un voleur. » Il a fait selon sa parole; il est venu surprendre la Reine dans le temps que nous la croyions la plus saine, dans le temps qu'elle se trouvoit la plus heureuse. Mais c'est ainsi qu'il agit il trouve pour nous tant de tentations et une telle malignité dans tous les plaisirs, qu'il vient troubler les plus innocens dans ses élus. Mais il vient, dit-il, « comme un voleur, » toujours surprenant, et impénétrable dans ses démarches. C'est lui-même qui s'en glorifie dans toute son Ecriture. Comme un voleur, direz-vous indigne comparaison N'importe qu'elle soit indigne de lui, pourvu qu'elle nous effraie, et qu'en nous efrrayant elle nous sauve. Tremblons donc, chrétiens, tremblons devant lui à chaque moment car qui pourroit ou l'éviter quand il éclate, ou le découvrir quand il se cache? « Ils mangeoient, dit-il", ils buvoient, ils achetoient, ils vendoient, ils plantoient, ils bâtissoient, ils faisoient des mariages aux jours de Noé et aux jours de Lot, » et une subite ruine les vint acca« Serm. clxxii. Apoc., m, 3. » Luc, xvn, 26-28.
bler. Ils mangeoient, ils buvoient, ils se marioient. C'étoit des occupations innocentes que sera-ce quand en contentant nos impudiques désirs, en assouvissant nos vengeances et nos secrètes jalousies, en accumulant dans nos coffres des trésors d'iniquité sans jamais vouloir séparer le bien d'autrui d'avec le nôtre, trompés par nos plaisirs, par nos jeux, par notre santé, par notre jeunesse, par l'heureux succès de nos affaires, par nos flatteurs parmi lesquels il faudroit peut-être compter des directeurs infidèles que nous avons choisis pour nous séduire, et enfin par nos fausses pénitences qui ne sont suivies d'aucun changement de nos moeurs, nous viendrons tout à coup au dernier jour? La sentence partira d'en haut « La fin est venue, la fin est venue. » Finis venit, venit finis. « La fin est venue sur vous. » Nunc finis super te tout va finir pour vous en ce moment. Tranchez, « concluez. » Fac conclusionem 2. Frappez l'arbre infructueux qui n'est plus bon que pour le feu « coupez l'arbre, arrachez ses branches, secouez ses feifilles, abattez ses fruits 3 » périsse par un seul coup tout ce qu'il avoit avec lui-même Alors s'élèveront des frayeurs mortelles, et des grincemens de dents, préludes de ceux de l'enfer. Ah mes Frères, n'attendons pas ce coup terrible Le glaive qui a tranché les jours de la Reine est encore levé sur nos tètes nos péchés en ont affilé le tranchant fatal. « Le'glaive que je tiens en main, dit le Seigneur notre Dieu, est aiguisé et poli il est aiguisé, afin qu'il perce il est poli et limé, afin qu'il brille'. D Tout l'univers en voit le brillant éclat. Glaive du Seigneur, quel coup vous venez de faire 1 Toute la terre en est étonnée. Mais que nous sert ce brillant qui nous étonne, si nous ne prévenons le coup qui tranche ? Prévenons-le, chrétiens, par la pénitence. Qui pourroit n'être pas ému à ce spectacle? Mais ces'éinotions d'un jour qu'opèrent-elles? Un dernier endurcissement, parce qu'à force d'être touché inutilement, on ne se laisse plus toucher d'aucun objet. Le sommes-nous des maux de la Hongrie et de l'Autriche ravagées? Leurs habitans passés au fil de l'épée, et ce sont encore les plus heureux la captivité entraîne bien d'autres maux et pour le corps et pour l'ame: ces 1 Ezech., \u, 2. – « Ibid., 23. • Dan., IV, il. – Ezech., XXI, 9, 10.
habitans désolés ne sont-ce pas des chrétiens et des catholiques, nos frères nos propres membres enfans de la même Eglise, et nourris à la même table du pain de vie ? Dieu accomplit sa parole « le jugement commence par sa maison » et le reste de la maison ne tremble pas Chrétiens laissez-vous fléchir, faites pénitence, apaisez Dieu par vos larmes. Ecoutez la pieuse Reine qui parle plus haut que tous les prédicateurs. Ecoutez-la, princes écoutez-la, peuples; écoutez-la, Monseigneur, plus que tous les autres. Elle vous dit par ma bouche, et par une voix qui vous est connue, que la grandeur est un songe, la joie une erreur, la jeunesse une fleur qui tombe, et la santé un nom trompeur. Amassez donc les biens qu'on ne peut perdre. Prêtez l'oreille aux graves discours que saint Grégoire de Nazianze adressoit aux princes et à la maison régnante « Respectez, leur disoit-il 2, votre pourpre, » respectez votre puissance qui vient de Dieu, et ne l'employez que pour le bien. « Connoissez ce qui vous a été confié, et le grand mystère que Dieu accomplit en vous. Il se réserve à lui seul les choses d'en haut, il partage avec vous celles d'en bas montrez-vous dieux aux peuples soumis, » en imitant la bonté et la munificence divine. C'est, Monseigneur, ce que vous demandent ces empressemens de tous les peuples, ces perpétuels applaudissemens et tous ces regards qui vous suivent. Demandez à Dieu avec Salomon la sagesse qui vous rendra digne de l'amour des peuples et du trône de vos Ancêtres; et quand vous songerez à vos devoirs, ne manquez pas de considérer à quoi vous obligent les immortelles actions de Louis le Grand et l'incomparable piéte de Marie-Thérèse.
1 Petr., tv, 17. – Orat. xxvn. – » Sapient., ix, i.
ORAISON FUNÈBRE
DE
ANNE DE GONZAGUE DE CLÈVES, PRINCESSE PALATINE.
REHARQIES HISTORIEES.
Le siècle de Louis XIV, si merveilleux par tant de prodiges, l'est surtout par les conversions miraculeuses qu'on vit s'accomplir au milieu même de la Cour. La vie que nous allons esquisser présente un de ces miracles.
Anne de Gonzague, princesse palatine, vit le jour en 1616; son père fut Charles de Gonzague-Clèves, duc de Nevers et de Rethel, et sa mère Marie de Lorraine.
Anne avoit deux soeurs, Marie et Bénédicte. Marie qui étoit l'ainée, fréquenta Port-Royal, et devint reine de Pologne. Elle rêva dès sa jeunesse les plus grandes destinées; et sa famille, pour favoriser son élévation dans le monde par la fortune, conçut le dessein d'enfermer dans le cloître ses deux sœurs.
Bénédicte, la plus jeune, fut la première sacrifiée à ce calcul do l'ambition on la fit abbesse d'Avenay dans un âge où la crosse fut, dit Bossuet, « comme un jouet entre ses mains. Anne subit un sort pareil; son éducation fut confiée aux soins de l'abbesse de Faremoutiers 1. Dans cette solitude, éloignée du siècle autant par son esprit que par sa situation, elle goûta pendant douze ans les douceurs de la piété; mais « il eût fallu, dit son panég3'riste, la conduire, et non la précipiter dans le bien. » Démêlant les projets de sa famille, comme on la pressoit trop vivement de renoncer à sa liberté, elle ne voit 1 Faremoutiers, monastère de Sainle-Fwe, situé dans le diocèse de Meaux, ainsi que le couvent d'Avenay ou du Val-d'Or.
plus qu'un dur esclavage dans l'affranchissement que lui préparoit la vie religieuse elle s'échappe de la maison de Dieu comme d'une prison, et fuit vers Avenay, près de sa sœur Bénédicte. Bénédicte, qui avoit sanctifié par la fidélité à la grace une vocation toute profane, arrête la fugitive en ranimaht dans son cœur les sentimens de la piété; elle l'eùt irrévocablement fixée dans le sanctuaire, si sa destinée mobile n'avoit pris une nouvelle face.
Deux événemens arrivés presque dans le même temps, la mort de son père et celle de Bénédicte, la ramenèrent dans le monde par les soins temporels qu'ils lui imposèrent. Elle parut à la Cour, âgée de vingt-un ans, belle, vive, engageante. Henri de Guise, qui avoit été nommé à l'archevêché de Reims avant d'être engagé dans les Ordres sacrés, conçut pour elle de l'inclination; elle le suivit en Flandre, « s'appela Slm° de Guise, dit mon mari quand elle parloit ou écrivoit' » mais elle vit enfin qu'elle avoit été trompée par une fausse promesse de mariage.
En 1645, elle épousa le prince Edouard, fils de Frédéric V, duc de Bavière, qui avoit perdu à la bataille de Prague la Bohême avec tous ses Etats. Le prince Edouard étudia la religion catholique, et reconnut les erreurs qu'il avoit héritées de ses ancêtres. Anne de Gonzague lui donna trois filles, dont une fut mariée à Henri-Jules de Bourbon, fils du grand Condé.
Célèbre déjà par ses aventures, elle le devint plus encore par le rôle qu'elle joua pendant la Fronde. « Elle avoit de l'adresse, de la capacité pour conduire une intrigue, et une grande facilité à trouver un expédient pour parvenir à ce qu'elle entreprenoit. Elle se mêla de presque tout ce qui se fit alors » – « Je ne crois pas, ajoute un excellent juge en fait d'intrigues, que la reine Elisabeth d'Angleterre ait eu plus de capacité pour conduire un Etat. Je l'ai vue dans la faction, je l'ai vue dans le cabinet, et je lui ai trouvé partout de la sincérité dans la conduite » Elle servit activement, efficacement, la cause royale et ses défenseurs; mais telle est la reconnoissance des Cours et des courtisans, que toute son habileté, tous ses soins, tous ses empressemens ne lui valurent que des disgraces. Mazarin, deux fois exilé du royaume, avoit réclamé deux fois ses puissantes « insinuations, » comme parle Bossuet; quand l'adroit politique fut rétabli dans son autorité, mourant, mais toujours avide d'argent pour les siens, il lui lit enlever par le roi la surintendance de la maison de la jeune reine, pour la donner à Mme de Soissons sa nièce. Disons en passant que Bossuet la loue d'avoir payé scrupuleusement ses dettes, éloge qui présente un trait caractéristique de cette époque.
1 Mémoires de M"0 de Montpensier. – Mémoires de M™" de Motteville. Mémoires du cardinal de Retz.
Pendant qu'elle servoit si bien les hommes, la Princesse Palatine se révoltoit contre le service de Dieu. Devenue trop tôt veuve, quoique après dix-huit années de mariage, elle se livra sans retenue d'abord aux passions déréglées du cœur, puis à la licence effrénée de l'esprit la Cour la vit à l'âge de quarante Sept ans, fouler aux pieds tout ensemble et la modestie de son sexe et le respect des choses saintes; elle devint un objet de scandale dans un monde où souvent on ne connoît guère plus la sévérité des doctrines que celle des mœurs.
« Le Seigneur la ramena, comme s'exprime Bossuet en commentant son texte, des extrémités de la terre, des lieux les plus éloignés des voies détournées où elle se perdoit, abandonnée à son propre sens. » Anne de Gonzague avoit atteint l'Age de 56 ans; elle eut deux visions qui lui semblèrent des avertissemens du ciel elle a raconté, et son panégyriste les redit après elle, ces deux rêves dans un petit écrit qu'elle composa pour obéir aux ordres de l'abbé de Rancé, réformateur de la Trappe'. Il se fit en elle un changement soudain, qui la transforma toute entière sa nouvelle vie fut aussi édifiante que sa vie ancienne avoit été scandaleuse; elle passa douze années de sa vieillesse dans les larmes de la pénitence, comme elle avoit passé douze années de sa jeunesse dans les saintes joies de la vie religieuse. Elle alloit souvent recueillir à Farcmouticrs les souvenus innocens de son premier âge et sa maison même devint comme un monastère. Les années de sa vieillesse furent accablées de langueurs; elle souffrit avec un courage héroïque, aidée de la grace et de la religion, un long martyre. Après une dernière maladie qui dura quarante jours, elle mourut an palais du Luxembourg, en 1684, à l'âge de soixantehuit ans. Comme elle l'avoit désiré, son cœur fut porté à Faremoutiers, et son corps inhumé dans la chapelle du Val-de-Grace, à coté de celui de sa sœur Bénédicte 3.
On sait que Bossuet éprouvoit une sorte de répugnance pour les éloges funèbres; ce fut le grand Condé qui le décida, par de vives instances, à faire celui de la princesse sa belle-fille. Le tour du héros devoit venir dans deux ans
1 Cet opuscule a pour titre « Ecrit de il1"" Anne de Gouzague de Clevod, pi meesse palatine, où elle rend compte de ce qui a été l'occasion de sa convert.ion » Cet écrit se trouve dans deux éditions faites l'une on 1733 et l'autre en 173S des Oraisons funèbres. – Voici une clause de son testament « Je donne le clou de Notre-Seigneur, avec tous les papiers qui en autoiisent la vérité et la permission de le vénérer, aux P. P. Bénédictins de l'ahbaye de Saintftermaia des Pi es. Je leur donne encore ma croix de pierreries avec la sainte vraie croix, qu*e j'atteste avoir vue dans les flammes sans brûler. » Ces trèsprécieuses reliques venoient du trésor de h couronne de Pologne; la testatrice les avoit reçues du roi Jean-Casimir.
L'Oraison funèbre de la Princesse Palatine fut prononcée le 9 aoùt 1685, dans l'église du Val-de-Grace, devant le gendre et la fille de l'illustre défunte le duc et la duchesse de Bourbon devant les premiers personnages de la Cour, plusieurs membres du haut clergé et les religieuses du célèbre monastère.
Les critiques exaltent comme à l'envi cette œuvre oratoire; « c'est le plus sublime des sermons » dit l'un « c'est là que Bossuet prêche la religion avec le zèle d'un apôtre et l'éloquence d'un prophète,» » continue l'autre; « c'est là qu'il se montre le plus évêque, » reprend un troisième Ne pourroit-on pas ajouter que c'est aussi dans ce discours, qu'il se montre le plus orateur? Avec quel art ne cache-t-il pas l'indigence d'un sujet aride! Avec quel génie ne surmonte-t-il pas les plus grandes difficultés Dès le commencement de l'exorde, comme il doit exposer les désordres d'une vie licencieuse devant les autels, il abat à ses pieds l'auditeur par des menaces foudroyantes; il s'écrie « Mon discours, dont vous vous croyez peut-être les juges, vous jugera au dernier jour! Et avant de raconter les rêves de la Princesse Palatine « Prêtez l'oreille, Messieurs; écoutez, et prenez garde surtout de n'écouter pas avec mépris l'ordre des avertissemens divins et la conduite de la grace. » Les morceaux sur la Fronde et sur la Pologne sont au rang des plus belles inspirations de l'éloquence et parmi les chefs-d'œuvre de Bossuet, on regarde comme son chef- d'oeuvre le passage sur l'indifférence religieuse.
Qu'on nous permette deux rapprochemens. Le panégyriste dit, dans l'exorde « Qu'il est beau de méditer l'Ecriture sainte; et que Dieu y sait bien parler, non-seulement à toute l'Eglise, mais encore à chaque fidèle selon ses besoins » Et dans la péroraison « Arrêtons ici, chrétiens et vous, Seigneur, imposez silence à cet indigne ministre, qui ne fait qu'affoiblir votre parole. Parlez dans les cœurs Prédicateur invisible, et faites que chacun se parle à soi-même. Parlez, mes frères, parlez; je ne suis ici que pour aider vos réflexions. » Bossuet a développé ces pensées dans plusieurs passages de ses sermons, particulièrement dans celui-ci « Serez-vous assez heureux pour profiter de cet avis, et pour prévenir sa colère? Allez, Messieurs et pensez-y; ne songez point au prédicateur qui vous a parlé, ni s'il a bien dit, ni s'il a mal dit qu'importe qu'ait dit un homme mortel ? Il y a un Prédicateur qui prêche dans le fond (les cœurs; c'est celui-là que les prédicateurs et les auditeurs doivent écouter. C'est lui qui parle intérieurement à celui qui parle au dehors, et c'est lui que doivent entendre au dedans du cœur tous roux qui prêtent l'oreille aux discours sacrés. Le prédicateur qui paile au Jiï:ors ne fait qu'un seul 1 La Harpe, – d'Alembnrt, l'abbé de VaiiTcellf».
sermon pour tout un grand peuple; mais le Prédicateur du dedans, je veux dire le Saint-Esprit, fait autant île prédications différentes qu'il y a de personnes dans un auditoire car il parle a chacun en particulier, et lui applique selon ses besoins la parole de la vie éternelle. Ecoutez-le donc, chrétiens; laissez-lui remuer au fond de vos cœurs ce secret principe de l'amour de Dieu »
Voici maintenant quelques remarques critiques. Bossuet dit « Tremblez, ames réconciliées, qui renoncez si souvent à la grace de la pénitence. » Les derniers mots de la phrase veulent dire également « La grace qui donne la vertu de pénitence » et « La grace que donne le sacrement de pénitence. » N'y a-t il pas équivoque dans l'expression? « Les psaumes avoicnt succédé aux cantiques des joies du siècle. » Cantique est pris la dans le sens étymologique du mot; mais il indique presque toujours un chant de piété.
« Si elle eut eu la fortune des ducs de Nevers ses pères, elle en auroit surpassé la pieuse magnificence. » On diroit aujourd'hui « Elle auroit surpassé leur pieuse magnificence. »
« Je m'étois levé dès le matin pour être devant le jour. On sait que, dans le xyh" siècle, devant et avant s'employoient indifféremment. L'Oraison funèbre de la princesse Anne parut en fi83, chez Sébastien Marbre-Cramoisy. Elle fut réimprimée chez le même, en 1G89, dans la collection des six premières Oraisons funèbres.
Vous avons effacé, au bas des pages, les textes ajoutés par les éditeurs.
1 Sermon pour la profession de Mm* de la vol. XI, p. 580.
ORAISON FUNÈBRE
DE
ANNE DE GONZAGUE DE CLÈVES.
Apprehendi te ab extremis terrx, et à longinquis ejus t ocavi te elegi te, et non abjeci te ne timeas, quia ego tecum sum.
Je t'ai pris par la main, pour te ramener des extrémités de la terre je t'ai appelé des lieux les plus éloignés je t'ai choisi, et je ne t'ai pas rejeté ne crains point, parce que je suis avec toi. C'est Dieu même qui parle ainsi. Isa., xli, 9, 10.
MONSEIGNEUR,
Je voudrais que toutes les âmes éloignées de Dieu que tous ceux qui se persuadent qu'on ne peut se vaincre soi-même ni soutenir sa constance parmi les combats et les douleurs, tous ceux enfin qui désespèrent de leur conversion ou de leur persévérance, fussent présens à cette assemblée. Ce discours leur feroit connoître qu'une ame fidèle à la grace, malgré les obstacles les plus invincibles, s'élève à la perfection la plus éminente. La Princesse à qui nous rendons les derniers devoirs, en récitant selon sa coutume l'office divin, lisoit les paroles d'Isaie, que j'ai rapportées. Qu'il est beau de méditer l'Ecriture sainte; et que Dieu y sait bien parler, non-seulement à toute l'Eglise, mais encore à chaque fidèle selon ses besoins Pendant qu'elle méditoit ces paroles (c'est elle-même qui le raconte dans une lettre admirable), Dieu lui imprima dans le cœur que c'étoit à elle qu'il les adressoit. Elle crut entendre une voix douce et paternelle qui lui disoit « Je t'ai ramenée des extrémités de la terre, des lieux les plus éloignés1 » des voies détournées où tu te perdois, abandonnée à ton propre sens, si loin de la céleste patrie et de la véritable voie qui est Jésus-Christ. Pendant que tu disois en ton cœur rebelle Je ne puis me captiver, j'ai mis sur toi ma puisi Isa., XLi, 9, 10.
sante main, « et j'ai dit Tu seras ma servante je t'ai choisie » dès l'éternité, « et je n'ai pas rejeté n ton ame superbe et dédaigneuse. Vous voyez par quelles paroles Dieu lui fait sentir l'état d'où il l'a tirée. Mais écoutez comme il l'encourage parmi les dures épreuves où il met sa patience « Ne crains point » au milieu des maux dont tu te sens accablée, « parce que je suis ton Dieu » qui te fortifie « ne te détourne pas de la voie » où je t'engage, a puisque je suis avec toi; jamais je ne cesserai de te secourir; « et le juste que j'envoie au monde, » ce Sauveur miséricordieux, ce Pontife compatissant, « te tient par la main » Tenebit te dextera Justi mei. Voilà, Messieurs, le passage entier du saint prophète Isaie, dont je n'avois récité que les premières paroles. Puis-je mieux vous représenter les conseils de Dieu sur cette Princesse, que par des paroles dont il s'est servi pour lui expliquer les secrets de ces admirables conseils? Venez maintenant, pécheurs, quels que vous soyez, on quelques régions écartées que la tempête de vos passions vous ait jetés fussiezvous dans ces terre* ténébreuses dont il est parlé dans l'Ecriture 1, i't dans l'ombre de la mort s'il vous reste quelque pitié de votre ame malheureuse, venez voir d'où la main de Dieu a retiré la princesse Anne, venez voir où la main de Dieu l'a élevée. Quand on voit de pareils exemples dans une Princesse d'un si haut rang -} dans une Princesse qui fut nièce d'une Impératrice et unie par ce lien à tant d'Empereurs, sœur d'une puissante Reine, épouse d'un fils de Roi, mère de deux grandes princesses, dont l'une est un ornement dans l'auguste Maison de France, et l'autre s'est fait admirer dans la puissante Maison de Brunswick enfin dans une Princesse dont le mérite passe la naissance, encore que sortie d'un père et de tant d'aïeux souverains, elle ait réuni en elle avec le sang de Gonzague et de Clèves, celui des Paléologues, celui de Lorraine, et celui de France par tant de côtés quand Dieu joint à ces avantages une égale réputation et qu'il choisit une personne d'un si grand éclat pour être l'objet de son éternelle miséricorde il ne se propose rien moins que d'instruire tout l'univers. Vous donc qu'il assemble en ce saint lieu; et vous Isa., IX, 2.
principalement, pécheurs, dont il attend la conversion avec une si longue patience, n'endurcissez pas vos cœurs ne croyez pas qu'il vous soit permis d'apporter seulement à ce discours des oreilles curieuses. Toutes les vaines excuses dont vous couvrez votre impénitence, vous vont être ôtées. Ou la Princesse Palatine portera la lumière dans vos yeux ou elle fera tomber, comme un déluge de feu, la vengeance de Dieu sur vos têtes. Mon discours, dont vous vous croyez peut-être les juges, vous jugera au dernier jour ce sera sur vous un nouveau fardeau, comme parloient les prophètes Onus verbi Domini super Israël et si vous n'en sortez plus chrétiens, vous en sortirez plus coupables. Commençons donc avec confiance l'œuvre de Dieu. Apprenons avant toutes choses à n'être pas éblouis du bonheur qui ne remplit pas le cœur de l'homme ni des belles qualités qui ne le rendent pas meilleur ni des vertus dont l'enfer est rempli, qui nourrissent le péché et l'impénitence, et qui empêchent l'horreur salutaire que l'ame pécheresse auroit d'elle-même. Entrons encore plus profondément dans les voies de la divine Providence, et ne craignons pas de faire paroître notre Princesse dans les états différens où elle a été. Que ceux-là craignent de découvrir les défauts des ames saintes, qui ne savent pas combien est puissant le bras de Dieu pour faire servir ces défauts non-seulement à sa gloire, mais encore à la perfection de ses élus. Pour nous, mes Frères, qui savons à quoi ont servi à saint Pierre ses reniemens, à saint Paul les persécutions qu'il a fait souffrir à l'Eglise, à saint Augustin ses erreurs, à tous les saints pénitens leurs péchés ne craignons pas de mettre la Princesse Palatine dans ce rang, ni de la suivre jusque dans l'incrédulité où elle étoit enfin tombée. C'est de là que nous la verrons sortir pleine de gloire et de vertu, et nous bénirons avec elle la main qui l'a relevée heureux si la conduite que Dieu tient sur elle nous fait craindre la justice qui nous abandonne à nous-mêmes, et désirer la miséricorde qui nous en arrache. C'est ce que demande de vous, très-haute et trèspuissante Princesse, ANNE DE GONZAGUE DE Clèves, PRINCESSE de Mantoue ET DE Motferkat, ET Comtesse PALATINE du RIIIN. 1 7achar., xn,
Jamais plante ne fut cultivée avec plus de soin, ni ne se vit plutôt couronnée de fleurs et de fruits que la princesse Anse. Dès ses plus tendres années, elle perdit sa pieuse mère Catherine de Lorraine. Charles duc de Nevers et depuis duc de Mantoue, son père, lui en trouva une digne d'elle; et ce fut la vénérable mère Françoise de la Châtre, d'heureuse et sainte mémoire, abbesse de Faremonstier, que nous pouvons appeler la restauratrice de la règle de Saint-Benoît et la lumière de la vie monastique. Dans la solitude de Sainte-Fare, autant éloignée des voies du siècle que sa bienheureuse situation la sépare de tout commerce du monde; dans cette sainte montegne que Dieu avoit choisie depuis mille ans, où les Epouses de Jésus-Christ faisoient revivre la beauté des anciens jours; où les joies de la terre étoient inconnues; où les vestiges des hommes du monde, des curieux et des vagabonds ne paroissoient pas sous la conduite de la sainte abbesse, qui savoit donner le lait aux enfans aussi bien que le pain aux forts, les commencemens de la princesse Ani\e étoient heureux. Les mystères lui furent révélés l'Ecriture lui devint familière on lui avoit appris la langue latine, parce que c'étoit celle de l'Eglise et l'office divin faisoit ses délices. Elle aimoit tout dans la vie religieuse, jusqu'à ses austérités et à ses humiliations et durant douze ans qu'elle fut dans ce monastère, on lui voyoit tant de modestie et tant de sagesse, qu'on ne savoit à quoi elle étoit le plus propre, ou à commander ou à obéir. Mais la sage abbesse qui la crut capable de soutenir sa réforme, la destinoit au gouvernement et déjà on la comptoit parmi les princesses qui avoient conduit cette célèbre abbaye, quand sa famille trop empressée à exécuter ce pieux projet, le rompit. Nous sera-t-il permis de le dire ? La princesse Marie pleine alors de l'esprit du monde, croyoit, selon la coutume des grandes maisons, que ses jeunes sceuis devoient être sacrifiées à ses grands desseins. Qui ne sait où son rare mérite et son éclatante beauté, avantage toujours trompeur, lui firent porter ses espérances ? Et d'ailleurs dans les plus puissantes maisons, les partages ne sont-ils pas regardés comme une espèce de dissipation, par où elles se détruisent d'elles-mêmes tant le néant y est attaché La princesse Bénédicte la plus jeune des
trois sœurs, fut la première immolée à ces intérêts de famille. On la fit abbesse, sans que dans un âge si tendre elle sût ce qu'elle faisoit; et la marque d'une si grave dignité fut comme un jouet entre ses mains. Un sort semblable étoit destiné à la princesse Anne. Elle eût pu renoncer à sa liberté, si on lui eût permis de la sentir; et il eût fallu la conduire, et non pas la précipiter dans le bien. C'est ce qui renversa tout à coup les desseins de Faremonstier. Avenay parut avoir un air plus libre, et la princesse Bénédicte y présentoit à sa sœur une retraite agréable. Quelle merveille de la grace Malgré une vocation si peu régulière, la jeune abbesse devint un modèle de vertu. Ses douces conversations rétablirent dans le cœur de la princesse ANNE, ce que d'importuns empressemens en avoient banni. Elle prêtoit de nouveau l'oreille à Dieu qui l'appeloit avec tant d'attraits à la vie religieuse et l'asile qu'elle avoit choisi pour défendre sa liberté, devint un piège innocent pour la captiver. On remarquoit dans les deux Princesses la même noblesse dans les sentimens, le même agrément et, si vous me permettez de parler ainsi, les mêmes insinuations dans les entretiens au dedans les mêmes désirs, au dehors les mêmes graces; et jamais sœurs ne furent unies par des liens ni si doux ni si puissans. Leur vie eût été heureuse dans leur éternelle union, et la princesse Anne n'aspiroit plus qu'au bonheur d'être une humble religieuse d'une sœur dont elle admiroit la vertu. En ce temps le duc de Mantoue leur père mourut les affaires les appelèrent à la Cour la princesse BÉNÉDICTE, qui avoit son partage dans le ciel, fut jugée propre à concilier les intérêts différens dans la famille. Mais, ô coup funeste pour la princesse Anne! la pieuse abbesse mourut dans ce beau travail et dans la fleur de son âge. Je n'ai pas besoin de vous dire combien le cœur tendre de la princesse ANNE fut profondément blessé par cette mort. Mais ce ne fut pas là sa plus grande plaie. Maîtresse de ses désirs, elle vit le monde elle en fut vue bientôt elle sentit qu'elle plaisoit; et vous savez le poison subtil qui entre dans un jeune cœur avec ces pensées. Ces beaux desseins furent oubliés. Pendant que tant de naissance, tant de biens, tant de graces qui l'accompagnoient, lui attiroient les regards de toute
l'Europe, le prince Edouard de Bavière, fils de l'électeur Frédéric Y, comte Palatin du Rhin et roi de Bohême, jeune prince qui s'étoit réfugié en France durant les malheurs de sa Maison, la mérita. Elle préféra aux richesses les vertus de ce Prince, et cette noble alliance où de tous côtés on ne trouvoit que des rois. La princesse Aisae l'invite à se faire instruire: il connut bientôt les erreurs où les derniers de ses pères, déserteurs de l'ancienne foi, l'avoient engagé. Heureux présages pour la Maison Palatine Sa conversion fut suivie de celle de la princesse Louise sa sœur, dont les vertus font éclater par toute l'Eglise la gloire du saint monastère de Maubuisson et ces bienheureuses prémices ont attiré une telle bénédiction sur la Maison Palatine, que nous la voyons enfin catholique dans son chef. Le mariage de la princesse A;n;ne fut un heureux commencement d'un si grand ouvrage. Mais hélas tout ce qu'elle aimoit devoit être de peu de durée. Le Prince son époux lui fut ravi, et lui laissa trois princesses, dont les deux qui restent pleurent encore la meilleure mère qui fût jamais, et ne trouvent de consolation que dans le souvenir de ses vertus. Ce n'est pas encore le temps de vous en parler. La Princesse Palatine est dans l'état le plus dangereux de sa vie. Que le monde voit peu de ces veuves dont parle saint Paul', qui « vraiment veuves et désolées, » s'ensevelissent pour ainsi dire ellesmêmes dans le tombeau de leur époux; y enterrent tout amour humain avec ces cendres chéries et délaissées sur la terre, « mettent leur espérance en Dieu, et passent les nuits et les jours dans la prière » Yoilà l'état d'une veuve chrétienne, selon les préceptes de saint Paul état oublié parmi nous, où la viduité est regardée, non plus comme un état de désolation, car ces mots ne sont plus connus, mais comme un état désirable, où affranchi de tout joug on n'a plus à contenter que soi-même, sans songer à cette terrible sentence de saint Paul s « La veuve qui passe sa vie dans les plaisirs » remarquez qu'il ne dit pas La veuve qui passe sa vie dans les crimes il dit « La veuve qui la passe dans les plaisirs, elle est morte toute vive » parce qu'oubliant le deuil éternel et le caractère de désolation qui fait le soutien comme la i 1 Timolh., v, 3, 5. – » Mil., 6.
gloire de son état, elle s'abandonne aux joies du monde. Combien donc en devroit-on pleurer comme mortes de ces veuves jeunes et riantes, que le monde trouve si heureuses Mais surtout, quand on a connu Jésus-Christ, et qu'on a eu part à ses graces; quand la lumière divine s'est découverte, et qu'avec des yeux illuminés on se jette dans les voies du siècle qu'arrive-t-il à une ame qui tombe d'un si haut état, qui renouvelle contre JésusChrist, et encore contre Jésus-Christ connu et goûté, tous les outrages des Juifs et le crucifie encore une fois? Vous reconnoissez le langage de saint Paul Achevez donc, grand Apôtre, et dites-nous ce qu'il faut attendre d'une chute si déplorable. « II est impossible, dit-il qu'une telle ame soit renouvelée par la pénitence. » Impossible quelle parole, soit, Messieurs, qu'elle signifie que la conversion de ces ames autrefois si favorisées, surpasse toute la mesure des dons ordinaires et demande, pour ainsi parler, le dernier effort de la puissance divine soit que l'impossibilité dont parle saint Paul, veuille dire qu'en effet il n'y a plus de retour à ces premières douceurs qu'a goûtées une ame innocente, quand elle y a renoncé avec connoissance; de sorte qu'elle ne peut rentrer dans la grace que par des chemins difficiles et avec des peines extrêmes. Quoi qu'il en soit, chrétiens, l'un et l'autre s'est vérifié dans la Princesse Pdlatine. Pour la plonger entièrement dans l'amour du monde, il falloit ce dernier malheur quoi? la faveur de la Cour. La Cour veut toujours unir les plaisirs avec les aChires. Par un mélange étonnant, il n'y a rien de plus sérieux, ni ensemble de plus enjoué. Enfoncez vous trouvez partout des intérêts cachés, des jalousies délicates qui causent une extrême sensibilité, et dans une ardente ambition des soins et un sérieux aussi triste qu'il est vain. Tout est couvert d'un air gai, et vous diriez qu'on ne songe qu'à s'y divertir. Le génie de la Princesse Palatine se trouva également propre aux divertissemens et aux affaires. La Cour ne vit jamais rien de plus engageant et sans parler de sa pénétration, ni de la fertilité infinie de ses expédiens, tout cédoit au charme secret de ses entretiens. Que vois-je durant ce temps? Quel trouble 1 quel affreux spectacle se t m'&t' vi, 4 et seq
présente ici à mes yeux La monarchie ébranlée jusqu'aux fondemens, la guerre civile, la guerre étrangère, le feu au dedans et au dehors les remèdes de tous côtés plus dangereux que les maux les Princes arrêtés avec grand périt, et délivrés avec un péril encore plus grand ce Prince, que l'on regardoit comme le héros de son siècle, rendu inutile à sa patrie dont il avoit été le soutien et ensuite, je ne sais comment, contre sa propre inclination, armé contre elle un ministre persécuté et devenu nécessaire, non-seulement par l'importance de ses services, mais encore par ses malheurs, où l'autorité souveraine étoit engagée. Que dirai-je ? Etoit-ce là de ces tempêtes par où le ciel a besoin de se décharger quelquefois et le calme profond de nos jours devoit-il être précédé par de tels orages? Ou bien étoit-ce les derniers efforts d'une liberté remuante, qui alloit céder la place à l'autorité légitime ? Ou bien étoit-ee comme un travail de la France prête à enfanter le règne miraculeux de Louis? Non, non c'est Dieu qui vouloit montrer qu'il donne la mort, et qu'il ressuscite; qu'il plonge jusqu'aux enfers, et qu'il en retire qu'il secoue la terre, et la brise, et qu'il guérit en un moment toutes ses brisures Ce fut là que la Princesse Palatine signala sa fidélité, et fit paroitre toutes les richesses de son esprit. Je ne dis rien qui ne soit connu. Toujours fidèle à l'Etat et à la grande reine ANNE D'AUTRICHE, on sait qu'avec le secret de cette Princesse, elle eut encore celui de plus les partis tant elle étoit pénétrante, tant elle s'attiroit de confiance, tant il lui étoit naturel de gagner les coeurs Elle déclaroit aux chefs des partis jusqu'où elle pouvoit s'engager et on la croyoit incapable, ni de tromper, ni d'être trompée. Biais son caractère particulier étoit de concilier les intérêts opposés, et en s'élevant au-dessus, de trouver le secret endroit et comme le nœud par où on les peut réunir. Que lui servirent ses rares talens ? Que lui servit d'avoir mérité la confiance intime de la Cour? d'en soutenir le ministre deux fois éloigné, contre sa mauvaise fortune, contre ses propres frayeurs, contre la malignité de ses ennemis, et enfin contre ses amis ou partagés, ou irrésolus, ou infidèles? Que ne lui promiton pas dans ces besoins? Mais quel fruit lui en revint-il, sinon 1 J!e~ Il, 6. – f~. Llx, 4.
de connoitre par expérience le foible des grands politiques leurs volontés changeantes, ou leurs paroles trompeuses la diverse face des temps les amusemens des promesses l'illusion des amitiés de la terre qui s'en vont avec les années et les intérêts et la profonde obscurité du cœur de l'homme, qui ne sait jamais ce qu'il voudra, qui souvent ne sait pas bien ce qu'il veut, et qui n'est pas moins caché ni moins trompeur à lui-même qu'aux autres? 0 éternel Roi des siècles, qui possédez seul l'immortalité, voilà ce qu'on vous préfère voilà ce qui éblouit les ames qu'on appelle grandes! Dans ces déplorables erreurs, la Princesse Palatine avoit les vertus que le monde admire, et qui font qu'une ame séduite s'admire elle-même inébranlable dans ses amitiés, et incapable de manquer aux devoirs humains. La Reine sa sœur en fit l'épreuve dans un temps où leurs cœurs étoient désunis. Un nouveau conquérant s'élève en Suède. On y voit un autre Gustave non moins fier, ni moins hardi, ou moins belliqueux que celui dont le nom fait encore trembler l'Allemagne. Charles Gustave parut à la Pologne surprise et trahie comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles tout prêt à la mettre en pièces. Qu'est devenue cette redoutable cavalerie qu'on voit fondre sur l'ennemi avec la vitesse d'un aigle ? Où sont ces ames guerrières, ces marteaux d'armes tant vantés, et ces arcs qu'on ne vit jamais tendus en vain? Ni les chevaux ne sont vites, ni les hommes ne sont adroits que pour fuir devant le vainqueur. En même temps la Pologne se voit ravagée par le rebelle Cosaque, par le Moscovite infidèle, et plus encore par le Tartare qu'elle appelle à son secours dans son désespoir. Tout nage dans le sang, et on ne tombe que sur des corps morts. La Reine n'a plus de retraite elle a quitté le royaume après de courageux, mais de vains efforts, le Roi est contraint de la suivre réfugiés dans la Silésie, où ils manquent des choses les plus nécessaires, il ne leur reste qu'à considérer de quel côté alloit tomber ce grand arbre ébranlé par tant de mains et frappé de tant de coups à sa racine, ou qui en enleveroit les rameaux épars Dieu en avoit disposé autrement. La Pologne étoit nécessaire à son Eglise, et lui devoit t Dan., IV, M, 20; jEzec/ xxxi, 12.
un vengeur. Il la regarde en pitié. Sa main puissante ramène en arrière le Suédois indompté tout frémissant qu'il étoit. Il se venge sur le Danois, dont la soudaine invasion l'avoit rappelé, et déjà il l'a réduit à l'extrémité. Mais l'Empire et la Hollande se remuent contre un conquérant qui menaçoit tout le Nord de la servitude. Pendant qu'il rassemble de nouvelles forces et médite de nouveaux carnages, Dieu tonne du plus haut des cieux le redouté capitaine tombe au plus beau temps de sa vie, et la Pologne est délivrée. Mais le premier rayon d'espérance vint de la Princesse Palatine honteuse de n'envoyer que cent mille livres au roi et à la reine de Pologne, elle les envoie du moins avec une incroyable promptitude. Qu'admira-t-on davantage, ou de ce que ce secours vint si à propos, ou de ce qu'il vint d'une main dont on ne l'attendoit pas, ou de ce que sans chercher d'excuse dans le mauvais état où se trouvoient ses affaires, la Princesse Palatine s'ôta tout pour soulager une soeur qui ne l'aimoit pas? Les deux Princesses ne furent plus qu'un même cœur la reine parut vraiment reine par une bouté, et par une magnificence dont le bruit a retenti par toute la terre; et la Princesse Palatine joignit au respect qu'elle avoit pour une aînée de ce rang et de ce mérite, une éternelle reconnaissance.
Quel est, Messieurs, cet aveuglement dans une ame chrétienne, et qui le pourroit comprendre, d'être incapable de manquer aux hommes et de ne craindre pas de manquer à Dieu, comme si le culte de Dieu ne tenoit aucun rang parmi les devoirs? Conteznous donc maintenant, vous qui les savez, toutes les grandes qualités de la Princesse Palatine; faites-nous voir, si vous le pouvez, toutes les graces de cette douce éloquence qui s'insinuoit dans les cœurs par des tours si nouveaux et si naturels; dites qu'elle étoit généreuse, libérale, reconnoissante, fidèle dans ses promesses, juste vous ne faites que raconter ce qui l'attachoit à elle-même. Je ne vois dans tout ce récit que le prodigue de l'Evangile qui veut avoir son partage, qui veut jouir de soi-même et des biens que son père lui a donnés; qui s'en va le plus loin qu'il peut de la maison paternelle a dans un pays écarté » où il tV Reg., xix, 28. LMC., xv, i2, 13.
dissipe tant de rares trésors, et en un mot où il donne au monde tout ce que Dieu vouloit avoir. Pendant qu'elle contentoit le monde et se contentoit eHe-même, la Princesse Palatine n'étoit pas heureuse, et le vide des choses humaines se faisoit sentir à son cœur. Elle n'étoit heureuse, ni pour avoir avec l'estime du monde, qu'elle avoit tant désirée, celle du Roi même ni pour avoir l'amitié et la confiance de Philippe, et des deux Princesses qui ont fait successivement avec lui la seconde lumière de la Cour de Philippe, dis-,je, ce grand prince, que ni sa naissance, ni sa valeur, ni la victoire elle-même, quoiqu'elle se donne à lui avec tous ses avantages, ne peuvent enfler; et de ces deux grandes Princesses, dont l'on ne peut nommer l'une sans douleur, ni connoître l'autre sans l'admirer. Mais peut-être que le solide établissement de la famille de notre Princesse achèvera son bonheur. Non, elle n'étoit heureuse, ni pour avoir placé auprès d'elle la princesse Anne sa chère fille et les délices de son cœur, ni pour l'avoir placée dans une maison où tout est grand. Que sert de s'expliquer davantage? On dit tout, quand on prononce seulement le nom de Louis de Bonrbon prince de Condé, et de Henri-Jules de Bourbon, due d'Enghien. Avec un peu plus de vie, elle auroit vu les grands dons, et le premier des mortels touché de ce que le monde admire le plus après lui, se plaire à le reconnoître par de dignes distinctions. C'est ce qu'elle devoit attendre du mariage de la princesse Anne. Celui de la princesse Bénédicte ne fut guère moins heureux, puisqu'elle épousa Jean-Fridéric duc de Brunswick et d'Hanovre, souverain puissant, qui avoit joint le savoir avec la valeur, la religion catholique avec les vertus de sa Maison, et pour comble de joie à notre princesse, le service de l'Empire avec les intérêts de la France. Tout étoit grand dans sa famille et la princesse Marie sa fille n'auroit eu à désirer sur la terre qu'une vie plus longue. Que s'il falloit avec tant d'éclat la tranquillité et la douceur, elle trouvoit dans un Prince aussi grand d'ailleurs que celui qui honore cette audience, avec les grandes qualités, celles qui pouvoient contenter sa délicatesse et dans la Duchesse sa chère fille, un naturel tel qu'il le falloit à un cœur comme le sien, un esprit qui se fait sentir sans vouloir briller, une vertu qui de-
voit bientôt forcer l'estime du monde, et comme une vive lumière percer tout à coup avec un grand éclat un beau, mais sombre nuage. Cette alliance fortunée lui donnoit une perpétuelle et étroite liaison avec le prince qui de tout temps avoit le plus ravi son estime prince qu'on admire autant dans la paix que dans la guerre, en qui l'univers attentif ne voit plus rien à désirer, et s'étonne de trouver enfin toutes les vertus en un seul homme. Que falloit-il davantage, et que manquoit-il au bonheur de notre Princesse? Dieu qu'elle avoit connu, et tout avec lui. Une fois elle lui avoit rendu son cœur. Les douceurs célestes, qu'elle avoit goûtées sous les ailes de Sainte-Fare, étoient revenues dans son esprit. Retirée à la campagne, séquestrée du monde, elle s'occupa trois ans entiers à régler sa conscience et ses affaires. Un million, qu'elle retira du duché de Réthelois, servit à multiplier ses bonnes oeuvres; et la première fut d'acquitter ce qu'elle devoit avec une scrupuleuse régularité, sans se permettre ces compositions si adroitement colorées, qui souvent ne sont qu'une injustice couverte d'un nom spécieux. Est-ce donc ici cet heureux retour que je vous promets depuis si longtemps ? Non, Messieurs vous ne verrez encore à cette fois qu'un plus déplorable éloignement. Ni les conseils de la Providence, ni l'état de la Princesse ne permettoient qu'elle partageât tant soit peu son cnur une ame comme la sienne ne souffre point de tels partages et il falloit ou tout à fait rompre, ou se rengager tout à fait avec le monde. Les affdires l'y rappelèrent sa piété s'y dissipa encore une fois elle éprouva que Jésus-Christ n'a pas dit en vain Fiunt KO~M!'m(t AoHMtus illius pejora pnon6MS « L'état de l'homme qui retombe devient pire que le premier. ') Tremblez, ames réconciliées qui renoncez si souvent à la grace de la pénitence tremblez, puisque chaque chute creuse sous vos pas de nouveaux abîmes tremblez enfin au terrible exemple de la Princesse Palatine. A ce coup le SaintEsprit irrité se retire les ténèbres s'épaississent; la foi s'éteint. Un saint abbé, dont la doctrine et la vie sont un ornement de notre siècle, ravi d'une conversion aussi admirable et aussi parfaite que celle de notre Princesse, lui ordonna de l'écrire pour l'éLuc., X]j 26.
diScation de l'Eglise. Elle commence ce récit en confessant son erreur. Vous, Seigneur, dont la bonté infinie n'a rien donné aux hommes de plus efficace pour effacer leurs péchés que la grace de les reconnaître, recevez l'humble confession de votre servante et en mémoire d'un tel sacrifice, s'il lui reste quelque chose à ex-'pier après une si longue pénitence, faites-lui sentir aujourd'hui vos miséricordes. Elle confesse donc, chrétiens, qu'elle avoit tellement perdu les lumières de la foi, que lorsqu'on parloit sérieusement des mystères de la religion, elle avoit peine à retenir ce ris dédaigneux qu'excitent les personnes simples, lorsqu'on leur voit croire des choses impossibles « Et, poursuit-elle, c'eût été pour moi le plus grand de tous les miracles, que de me faire croire fermement le christianisme. s Que n'eût-elle pas donné pour obtenir ce miracle? Mais l'heure marquée par la divine Providence n'étoit pas encore venue. C'étoit le temps où elle devoit être livrée à elle-même, pour mieux sentir dans la suite la merveilleuse victoire de la grace. Ainsi elle gémissoit dans son incrédulité, qu'elle n'avoit pas la force de vaincre. Peu s'en faut qu'elle ne s'emporte jusqu'à la dérision, qui esL le dernier excès et comme le triomphe de l'orgueil et qu'elle ne se trouve parmi « ces moqueurs dont le jugement est si proche, selon la parole du Sage FHfafa sunt ({e)'Mon6MS judicia.
Déplorable aveuglement Dieu a fait un ouvrage au milieu de nous, qui détaché de toute autre cause et ne tenant qu'à lui seul, remplit tous les temps et tous les lieux, et porte par toute la terre avec l'impression de sa main le caractère de son autorité c'est Jésus-Christ et son Eglise. Il a mis dans cette Eglise une autorité seule capable d'abaisser l'orgueil et de relever la simplicité et qui également propre aux savans et aux ignorans, imprime aux uns et aux autres un même respect. C'est contre cette autorité que les libertins se révoltent avec un air de mépris. Mais qu'ont-ils vu ces rares génies, qu'ont-ils vu plus que les autres? Quelle ignorance est la leur! Et qu'il seroit aisé de les confondre, si foibles et présomptueux, ils ne craignoient d'être instruits Car pensent-ils avoir mieux vu les difficultés à cause qu'ils y succombent, et que t Prov., xix, 29.
les autres qui les ont vues les ont meprisées? Ils n'ont rien vu ils n'entendent rien ils n'ont pas même de quoi établir le néant, auquel ils espèrent après cette vie; et ce misérable partage ne leur est pas assuré. Ils ne savent s'ils trouveront un Dieu propice, ou un Dieu contraire. S'ils le font égal au vice et à la vertu quelle idole! Que s'il ne dédaigne pas de juger ce qu'il a créé, et encore ce qu'il a créé capable d'un bon et d'un mauvais choix qui leur dira ou ce qui lui plaît, ou ce qui l'offense, ou ce qui l'apaise? Par où ont-ils deviné que tout ce qu'on pense de ce premier Etre soit indifférent et que toutes les religions qu'on voit sur la terre, lui soient également bonnes? Parce qu'il y en a de fausses, s'ensuit-il qu'il n'y en ait pag une véritable ou qu'on ne puisse plus connoître l'ami sincère, parce qu'on est environné de trompeurs? Est-ce peut-être que tous ceux qui errent sont de bonne foi? L'homme ne peut-il pas, selon sa coutume, s'en imposer a lui-même? Mais quel supplice ne méritent pas les obstacles qu'il aura mis par ses préventions à des lumières plus pures? Où a-t-on pris que la peine et la récompense ne soient que pour les jugemens humains; et qu'il n'y ait pas en Dieu une justice, dont celle qui reluit en nous ne soit qu'une étincelle? Que s'il est une telle justice, souveraine et par conséquent inévitable, divine et par conséquent infinie qui nous dira qu'elle n'agisse jamais selon sa nature, et qu'une justice infinie ne s'exerce pas à la fin par un supplice infini et éternel ? Où en sont donc les impies, et quelle assurance ont-ils contre la vengeance éternelle dont on les menace ? Au défaut d'un meilleur refuge, iront-ils enfin se plonger dans l'abîme de l'athéisme, et mettront-ils leur repos dans une fureur qui ne trouve presque point de place dans les esprits? Qui leur résoudra ces doutes, puisqu'ils veulent les appeler de ce nom? Leur raison, qu'ils prennent pour guide, ne présente à leur esprit que des conjectures et des embarras. Les absurdités où ils tombent, en niant la religion, deviennent plus insoutenables que les vérités dont la hauteur les étonne et pour ne vouloir pas croire des mystères incompréhensibles, ils suivent l'une après l'autre d'incompréhensibles erreurs. Qu'est-ce donc après tout, Messieurs, qu'est-ce que leur malheureuse incrédulité, sinon une erreur
sans fin, une témérité qui hasarde tout, un étourdissement volontaire, et en un mot un orgueil qui ne peut souffrir son remède, c'est-à-dire qui ne peut souffrir une autorité légitime (a)? Ne croyez pas que l'homme ne soit emporté que par l'intempérance des sens. L'intempérance de l'esprit n'est pas moins flatteuse. Comme l'autre, elle se fait des plaisirs cachés et s'irrite par la défense. Ce superbe croit s'élever au-dessus de tout et au-dessus de lui-même, quand il s'élève, ce lui semble, au-dessus de la religion, qu'il a si longtemps révérée il se met au rang des gens désabusés il insulte en son cœur aux foibles esprits, qui ne font que suivre les autres sans rien trouver par eux-mêmes et devenu le seul objet de ses complaisances, il se fait lui-même son Dieu. C'est dans cet abîme profond que la Princesse Palatine alloit se perdre. Il est vrai qu'elle désiroit avec ardeur de connoître la vérité. Mais où e&t la vérité sans la foi, qui lui paroissoit impossible, à moins que Dieu l'établît en elle par un miracle? Que lui servoit d'avoir conservé la connoissance de la Divinité? Les esprits même les plus déréglés n'en rejettent pas l'idée, pour n'avoir point à se reprocher un aveuglement trop visible. Un Dieu qu'on fait à sa mode, aussi patient, aussi insensible que nos passions le demandent, n'incommode pas. La liberté qu'on se donne de penser tout ce qu'on veut, fait qu'on croit respirer un air nouveau. On s'imagine jouir de soi-même et de ses désirs; et dans le droit qu'on pense acquérir' de ne se rien refuser, on croit tenir tous les biens et on les goûte par avance.
En cet état, chrétiens, où la foi même est perdue, c'est-à-dire où le fondement est renversé, que restoit-il à notre Princesse? Que restoit-il à une ame, qui par un juste ugement de Dieu étoit déchue de toutes les graces et ne tenoit à Jé&us-Christ par aucun lien ? Qu'y restoit-il, chrétiens, si ce n'est ce que dit saint Augustin? Il restoit la souveraine misère et la souveraine miséricorde Restabat magna miseria et magna inisericordia Urestoit ce secret regard d'une Providence miséricordieuse, qui la vouloit rappeler des extrémités de la terre; et voici quelle fut la première fM Psal. L, n. 8.
(a) t" ~< C'est-a-due une autorité Mgttuue.
touche. Prêtez l'oreille, Messieurs elle a quelque chose de miraculeux. Ce fut un songe admirable, de ceux que Dieu même fait venir du ciel par le ministère des anges, dont les images sont si nettes et si démêlées, où l'on voit je ne sais quoi de céleste. Elle crut, c'est elle-même qui le raconte au saint abbé écoutez, et prenez garde surtout de n'écouter pas avec mépris l'ordre des avertissemens divins, et la conduite de la grace. Elle crut, dis-je, « que marchant seule dans une forêt, elle y avoit rencontré un aveugle dans une petite loge. Elle s'approche pour lui demander s'il étoit aveugle de naissance, ou s'il l'étoit devenu par quelque accident. Il répondit qu'il étoit aveugle-né. Vous ne savez donc pas, reprit-elle, ce que c'est que la lumière, qui est si belle et si agréable, et le soleil qui a tant d'éclat et de beauté ? Je n'ai, dit-il, jamais joui de ce bel objet, et je ne m'en puis former aucune idée. Je ne laisse pas de croire, continua-t-il, qu'il est d'une beauté ravissante. L'aveugle parut alors changer de voix et de visage, et prenant un ton d'autorité Mon exemple, dit-il, vous doit apprendre qu'il y a Ses choses tres~excelientes et très-admirables qui échappent à notre vue, et qui n'en sont ni moins vraies ni moins désirables, quoiqu'on ne les puisse ni comprendre ni imaginer, » C'est en effet qu'il manque un sens aux incrédules comme à l'aveugle; et ce sens, c'est Dieu qui le donne, selon ce que dit saint Jean' « Il nous a donné un sens pour connoître le vrai Dieu, et pour être en son vrai Fils e'De~Y nobis sensum, ut cognoscamus verum Deum, et s~NMS tu vero Filio ejus. Notre Princesse le comprit. En même temps, au milieu d'un songe si mystérieux, a elle fit l'application de la belle comparaison de l'aveugle aux vérités de la religion et de l'autre vie » ce sont ses mots que je vous rapporte. Dieu, qui n'a besoin ni de temps ni d'un long circuit de raisonnemens pour se faire entendre, tout à coup lui ouvrit les yeux. Alors par une soudaine illumination, « elle se sentit si éclairée, o c'est elle-même qui continue à vous parler, « et tellement transportée de la joie d'avoir trouvé ce qu'elle cherchoit depuis si longtemps, qu'elle ne put s'empêcher d'embrasser l'aveugle, dont le discours lui découvroit une plus 1 /oa?t.j v, 20.
belle lumière que celle dont il étoit privé Et, dit-elle, il se répandit dans mon cœur une joie si douce et une foi si sensible, qu'il n'y a point de paroles capables de l'exprimer, Vous attendez, chrétiens, quel sera le réveil d'un sommeil si doux et si merveilleux. Ecoutez, et reconnoissez que ce songe est. vraiment divin. « Elle s'éveilla là-dessus, dit-elle, et se trouva dans le même état où elle s'étoit vue dans cet admirable songe; c'est-à-dire tellement changée, qu'elle avoit peine à le croire. Le miracle qu'eUeattendoit est arrivé elle croit, elle qui jugeoit la foi impossible Dieu la change par une lumière soudaine et par un songe qui tient de l'extase. Tout suit en elle de la même force. « Je me levai, poursuit-elle avec précipitation mes actions étoient mêlées d'une joie et d'une activité extraordinaire. Vous le voyez cette nouvelle vivacité qui animoit ses actions, se ressent encore dans ses paroles. a Tout ce que je lisois sur la religion, me touchoit jusqu'à répandre des larmes. Je me trouvois à la messe dans un état bien différent de celui où j'avois accoutumé d'être. » Car c'étoit de tous les mystères celui qui lui paroissoit le plus incroyable. « Mais alors, dit-elle, il me sembloit sentir la présence réelle de Notre-Seigneur à peu près comme l'on sent les choses visibles, et dont l'on ne peut douter, Ainsi elle passa tout à coup d'une profonde obscurité à une lumière manifeste. Les nuages de son esprit sont dissipés miracle aussi étonnant que celui où Jésus-Christ fit tomber en un instant des yeux de Saul converti cette espèce d'écaille dont ils étoient couverts 1. Qui donc ne s'écrieroit à un si soudain changement « Le doigt de Dieu est ici ? » La suite ne permet pas d'en douter, et l'opération de la grace se reconnoît dans ses fruits. Depuis ce bienheureux moment, la foi de notre Princesse fut inébranlable; et même cette joie sensible qu'elle avoit à croire, lui fut continuée quelque temps. Mais au milieu de ces célestes douceurs, la justice divine eut son tour. L'humble Princesse ne crut pas qu'il lui fût permis d'approcher d'abord des saints sacremens. Trois mois entiers furent employés à repasser avec larmes ses ans écoulés parmi tant d'illusions, et à préparer sa confession. Dans l'approche du jour désiré où elle espéroit de la faire, elle x, 18. < ~'TOA, Ytu, t9.
tomba dans une syncope qui ne lui laissa ni couleur, ni pouls, ni respiration. Revenue d'une si longue et si étrange défaillance, elle se vit replongée dans un plus grand mal; et après les affres de la mort, elle ressentit toutes les horreurs de l'enfer. Digne effet des sacremens de l'Eglise qui donnés ou différés, font sentir à l'ame la miséricorde de Dieu, ou tout le poids de ses vengeances. Son confesseur qu'elle appelle la trouve sans force, incapaMe d'application, et prononçant à peine quelques mots entrecoupés il fut contraint de remettre la confession au lendemain. Mais il faut qu'elle vous raconte elle-même quelle nuit elle passa dans cette attente. Qui sait si la Providence n'aura pas amené ici quelque ame égarée, qui doive être touchée de ce récit? « Il est, dit-elle, impossible de s'imaginer les étranges peines de mon esprit sans les avoir éprouvées. J'appréhendois à chaque moment le retour de ma syncope, c'est-à-dire ma mort et ma damnation. J'avouois bien que je n'étois pas digne d'une miséricorde que j'avois si longtemps négligée et je disois à Dieu dans mon cœur que je n'avois aucun droit de me plaindre de sa justice; mais qu'enfin, chose insupportable! je ne le verrois jamais; que je serois éternellement avec ses ennemis, éternellement sans l'aimer, éternellement haïe de lui. Je sentois tendrement ce déplaisir, et je le sentois même, comme je crois, ce sont ses propres paroles, entièrement détaché des autres peines de l'enfer. s Le voilà, mes chères Sœurs, vous le connoissez, le voilà ce pur amour que Dieu lui-même répand dans les cœurs avec toutes ses délicatesses et dans toute sa vérité. La voilà cette crainte qui change les cœurs non point la crainte de l'esclave, qui craint l'arrivée d'un maître fâcheux; mais la crainte d'une chaste épouse, qui craint de perdre ce qu'elle aime. Ces sentimens tendres, mêlés de larmes et de frayeur, aigrissoient son mal jusqu'à la dernière extrémité. Nul n'en pénétroit la cause, et on attribuoit ces agitations à la fièvre dont elle étoit tourmentée. Dans cet état pitoyable, pendant qu'elle se regardoit comme une personne réprouvée et presque sans espérance de salut Dieu, qui fait entendre ses vérités en telle manière et sous telles figures qu'il lui plaît, continua de l'instruire comme il a fait Joseph et Salomon; et durant l'assou-
pissement que l'accablement lui causa, il lui mit dans l'esprit cette parabole si semblable à celle de l'Evangile. Elle voit paroltre ce que Jésus-Christ n'a pas dédaigné de nous donner comme l'image de sa tendresse une poule devenue mère, empressée autour des petits qu'elle conduisoit. Un d'eux s'étant écarté, notre malade le voit englouti par un chien avide. Elle accourt, elle lui arrache cet innocent animaL En même temps on lui crie d'un autre côté qu'il le falloit rendre au ravisseur, dont on éteindroit l'ardeur en lui enlevant sa proie. « Non, dit-elle, je ne le rendrai jamais, a En ce moment elle s'éveilla; et l'application de la figure qui lui avoit été montrée, se fit en un instant dans son esprit, comme si on lui eût dit « Si vous qui êtes mauvaise ne pouvez vous résoudre à rendre ce petit animal que vous avez sauvé, pourquoi croyez-vous que Dieu infiniment bon vous redonnera au démon, après vous avoir tirée de sa puissance? Espérez, et prenez courage. » A ces mots elle demeura dans un calme et dans une joie qu'elle ne pouvoit exprimer,. c comme si un ange lui eût appris, ce sont encore ses paroles, que Dieu ne l'abandonneroit pas. Ainsi tomba tout à coup la fureur des vents et des flots à la voix de Jésus-Christ qui les menaçoit et il ne fit pas un moindre miracle dans l'ame de notre sainte pénitente, lorsque parmi les frayeurs d'une conscience alarmée et « les douleurs de l'enfer o il lui fit sentir tout à coup par une vive confiance, avec la rémission de ses péchés, cette « paix qui surpasse toute intelligence » Alors une joie céleste saisit tous ses sens, « et les os humiliés tressaillirent D. Souvenez-vous, ô sacré Pontife, quand vous tiendrez en vos mains la sainte victime qui ôte les péchés du monde, souvenez-vous de ce miracle de sa grace. Et vous saints prêtres, venez; et vous saintes filles, et vous chrétiens; venez aussi, ô pécheurs tous ensemble, commençons d'une même voix le cantique de la délivrance, et ne cessons de répéter avec David « Que Dieu est bon, que sa miséricorde est éternelle n »
Il ne faut point manquer à de telles graces, ni les recevoir avec 1 Matth., xxut, 37. f&«~, V);, ii. – Jt~aM., )v, 39 Luc., vut, 24. PM/. XV<I, 6. Mt/tp., tV, 7. PM/. L, iO. – f.M~. cxxxv, t.
mollesse. La Princesse Palatine change en un moment toute entière nulle parure que la simplicité, nul ornement que la modestie. Elle se montre au monde à cette fois mais ce fut pour lui déclarer qu'elle avoit renoncé à ses vanités. Car aussi quelle erreur à une chrétienne, et encore à une chrétienne pénitente, d'orner ce qui n'est digne que de son mépris, de peindre et de parer l'idole du monde? de retenir comme par force, et avec mille artifices autant indignes qu'inutiles, ces graces qui s'envolent avec le temps? Sans s'effrayer de ce qu'on diroit, sans craindre comme autrefois ce vain fantôme des ames infirmes, dont les grands sont épouvantés plus que tous les autres, la Princesse Palatine parut à la,Cour si différente d'elle-même et dès lors elle renonça à tous les divertissemens, à tous les jeux jusqu'aux plus innocens, se soumettant aux sévères lois de la pénitence chrétienne, et ne songeant qu'à restreindre et à punir une liberté qui n'avoit pu demeurer dans ses bornes. Douze ans de persévérance au milieu des épreuves les plus difficiles, l'ont élevée à un éminent degré de sainteté. La règle qu'elle se fit dès le premier jour fut immuable; toute sa maison y entra chez elle on ne faisoit que passer d'un exercice de piété à un autre. Jamais l'heure de l'oraison ne fut changée ni interrompue, pas même par les maladies. Elle savoit que dans ce commerce sacré, tout consiste à s'humilier sous la main de Dieu, et moins à donner qu'à recevoir ou plutôt, selon le précepte de Jésus-Christ son oraison fut perpétuelle pour être égale au besoin. La lecture de l'Evangile et des Livres saints en fouinissoit la matière si le travail sembloit l'interrompre, ce n'étoit que pour la continuer d'une autre sorte. Par le travail on charmoit l'ennui, on ménageoit le temps, on guérissoit la langueur de la paresse et les pernicieuses rêveries de l'oisiveté. L'esprit se relâchoit pendant que les mains industrieusement occupées s'exerçoient dans des ouvrages dont la piété avoit donné le dessein c'étoit ou des habits pour les pauvres, ou des ornemens pour les autels. Les Psaumes avoient succédé aux cantiques des joies du siècle. Tant qu'il n'étoit point nécessaire de parler, la sage Princesse gardoit le silence la vanité et les médisances, qui tue., ~vn~ 1.
soutiennent tout le commerce du monde, lui faisoient craindre tous les entretiens; et rien ne lui paroissoit ni agréable ni sûr que la solitude. Quand elle parloit de Dieu, le goût intérieur d'où sortoient toutes ses paroles, se communiquoit à ceux qui conversoient avec elle; et les nobles expressions qu'on remarquoit dans ses discours ou dans ses écrits, venoient de la haute idée qu'elle avoit conçue des choses divines. Sa foi ne fut pas moins simple que vive dans les fameuses questions qui ont troublé en tant de manières le repos de nos jours, elle déclaroit hautement qu'elle n'avoit autre part à y prendre que celle d'obéir à l'Eglise. Si elle eût eu la fortune des ducs de Nevers ses pères, elle en auroit surpassé la pieuse magnificence, quoique cent temples fameux en' portent la gloire jusqu'au ciel, « et que les églises des saints publient leurs aumônes '.a Le Duc son père avoit fondé dans ses terres de quoi marier tous les ans soixante Biles riche oblation, présent agréable. La Princesse sa fille en marioit aussi tous les ans ce qu'elle pouvoit, ne croyant pas assez honorer les libéralités de ses ancêtres, si elle ne les imitoit. On ne peut retenir ses larmes, quand on lui voit épancher son cœur sur de vieilles femmes qu'elle nourrissoit. Des yeux si délicats firent leurs délices de ces visages ridés, de ces membres courbés sous les ans. Ecoutez ce qu'elle en écrit au fidèle ministre de ses charités, et dans un même discours apprenez à goûter la simplicité et la charité chrétienne. « Je suis ravie, dit-elle, que l'affaire de nos bonnes vieilles soit si avancée. Achevons vite au nom de Nôtre-Seigneur ôtons vitement cette bonne femme de l'étable où elle est, et la mettons dans un de ces petits lits. » Quelle nouvelle vivacité succède à celle que le monde inspire Elle poursuit « Dieu me donnera peut-être de la santé pour aller servir cette paralytique au moins je le ferai par mes soins, si les forces me manquent; et joignant mes maux aux siens, je les offrirai plus hardiment à Dieu. Mandez-moi ce qu'il faut pour la nourriture et les ustensiles de ces pauvres femmes; peu à peu nous les mettrons à leur aise. » Je me plais à répéter toutes ces paroles, malgré les oreilles délicates elles effacent les discours les plus magnifiques, et je voudrois ne parler plus que ce langage. Eccli, xxxi, n.
Dans les nécessités extraordinaires, sa charité faisoit de nouveaux efforts. Le rude hiver des années dernières acheva de la dépouiller de ce qui lui restoit de superflu tout devint pauvre dans sa maison et sur sa personne elle voyoit disparoître avec une joie sensible les restes des pompes du monde et l'aumône lui apprenoit à se retrancher tous les jours quelque chose de nouveau. C'est en effet la vraie grace de l'aumône, en soulageant les besoins des pauvres, de diminuer en nous d'autres besoins; c'està-dire ces besoins honteux qu'y fait la délicatesse, comme si la nature n'étoit pas assez accablée de nécessités. Qu'attendez-vous, chrétiens, à vous convertir; et pourquoi désespérez-vous de votre salut? Vous voyez la perfection où s'élève l'ame pénitente, quand elle est fidèle à la grace. Ne craignez ni la maladie, ni les dégoûts, ni les tentations, ni les peines les plus cruelles. Une personne si sensible et si délicate, qui ne pouvoit seulement entendre nommer les maux, a souffert douze ans entiers et presque sans intervalle, ou les plus vives douleurs, ou des langueurs qui épuisoient le corps et l'esprit et cependant durant tout ce temps, et dans les tourmens inouïs de sa dernière maladie, où ses maux s'augmentèrent jusqu'aux derniers excès, elle n'a eu à se repentir que d'avoir une seule fois souhaité une mort plus douce. Encore réprima-t-elle ce foible désir, en disant aussitôt après avec JésusChrist la prière du sacré mystère du Jardin c'est ainsi qu'elle appeloit la prière de l'agonie de notre Sauveur « 0 mon Père, que votre volonté soit faite, et non pas la mienne » Ses maladies lui ôtèrent la consolation qu'elle avoit tant désirée d'accomplir ses premiers desseins, et de pouvoir achever ses jours sous la discipline et dans l'habit de Sainte-Fare. Son cœur donné ou plutôt rendu à ce monastère, où elle avoit goûté les premières graces, a témoigné son désir et sa volonté a été aux yeux de Dieu un sacrifice parfait. C'eût été un soutien sensible à une ame comme la sienne d'accomplir de grands ouvrages pour le service de Dieu mais elle est menée par une autre voie, par celle qui crucifie davantage; qui sans rien laisser entreprendre à un esprit courageux, le tient accablé et anéanti sous la rude loi de souffrir. lue., ixn, 42
Encore s'il eût plu à Dieu de lui conserver cé goût sensible de la piété, qu'il avoit renouvelé dans son cœur au commencement de sa pénitence mais, non; tout lui est ôté; sans cesse elle est travaillée de peines insupportables a 0 Seigneur, disoit le saint homme Job, vous me tourmentez d'une manière merveilleuse t » C'est que sans parler ici de ses autres peines, il portoit au fond de son cœur une vive et continuelle appréhension de déplaire à Dieu. Il voyoit d'un côté sa sainte justice, devant laquelle les anges ont peine à soutenir leur innocence. Il le voyoit avec ces yeux éternellement ouverts observer toutes les démarches, compter tous les pas d'un pécheur et a garder ses péchés comme sous le sceau, D pour les lui représenter au dernier jour Signasti quasi in sacculo delicla mes D'un autre côté il ressentoit ce qu'il y a de corrompu dans le cœur de l'homme « Je craignois, dit-il, toutes mes oeuvres » Que vois-je? Le péché! le péché partout! Et il s'écrioit jour et nuit c( 0 Seigneur, pourquoi n'ôtez-vous pas mes péchés ° ? » Et que ne tranchez-vous une fois ces malheureux jours où l'on ne fait que vous offenser, afin qu'il ne soit pas dit a que je sois contraire à la parole du Saint 6 ? » Tel étoit le fond de ses peines et ce qui paroît de si violent dans ses discours, n'est que la délicatesse d'une conscience qui se redoute elle-même, ou l'excès d'un amour qui craint de déplaire. La Princesse Palatine souffrit quelque chose de semblable. Quel supplice à une conscience timorée! Elle croyoit voir partout dans ses actions un amour-propre déguisé en vertu. Plus elle étoit clairvoyante, plus elle étoit tourmentée. Ainsi Dieu l'humilioit par ce qui a coutume de nourrir l'orgueil, et lui faisoit un remède de la cause de son mal. Qui pourroit dire par quelles terreurs elle arrivoit aux délices de la sainte table? Mais elle ne perdoit pas la confiance. Enfin, dit-elle, c'est ce qu'elle écrit au saint prêtre que Dieu lui avoit donné pour la soutenir dans ses peines « Enfin je suis parvenue au divin banquet. Je m'étois levée dès le matin pour être devant le jour aux portes du Seigneur mais lui seul sait les combats qu'il a fallu rendre, f La matinée se passoit dans ce cruel exercice. A&, x, t6. /M., xtv, i6. /&t/ n. – 4 Ibid., ix, 28. MM. Vif, 21.– "~M., Y;, tf).
« Mais à la fin, poursuit-elle, malgré mes foiblesses je me suis comme traînée moi-même aux pieds de Notre-Seigneur; et j'ai connu qu'il falloit, puisque tout s'est fait en moi par la force de la divine bonté, que je reçusse encore avec une espèce de force ce dernier et souverain bien. » Dieu lui découvroit dans ses peines l'ordre secret de sa justice sur ceux qui ont manqué de fidélité aux graces de la pénitence. « Il n'appartient pas, disoit-elle, aux esclaves fugitifs, qu'il faut aller reprendre par force et les ramener comme malgré eux, de s'asseoir au festin avec les enfans et les amis; et c'est assez qu'il leur soit permis de venir recueillir à terre les miettes qui tombent de la table de leurs seigneurs. » Ne vous étonnez pas, chrétiens, si je ne fais plus, foible orateur, que de répéter les paroles de la Princesse Palatine c'est que j'y ressens la manne cachée et le goût des Ecritures divines, que ses peines et ses sentimens lui faisoient entendre. Malheur à moi, si dans cette chaire j'aime mieux me chercher moi-même que votre salut, et si je ne préfère à mes inventions, quand elles pourroient vous plaire, les expériences de cette Princesse, qui peuvent vous convertir Je n'ai regret qu'à ce que je laisse, et je ne puis vous taire ce qu'elle a écrit touchant les tentations d'incrédulité. « Il est bien croyable, disoit-elle, qu'un Dieu qui aime inûniment, en donne des preuves proportionnées à l'innmté de son amour et à l'infinité de sa puissance et ce qui est propre à la toute-puissance d'un Dieu, passe de bien loin la capacité de notre foible raison. C'est, ajoute-t-elle, ce que je me dis à moi-même, quand les démons tâchent d'étonner ma foi; et depuis qu'il a plu à Dieu de me mettre dans le cœur, » remarquez ces belles paroles, a que son amour est la cause de tout ce que nous croyons, cette réponse me persuade plus que tous les livres. » C'est en effet l'abrégé de tous les saints Livres et de toute la doctrine chrétienne. Sortez, Parole éternelle, Fils unique du Dieu vivant, sortez du bienheureux sein de votre Père et venez annoncer aux hommes le secret que vous y voyez. Il l'a fait, et durant trois ans il n'a cessé de nous dire le secret des conseils de Dieu. Mais tout ce qu'il en a dit est renfermé dans ce seul mot de son Evangile « Dieu a tant aimé le monde, Joan., t8.
qu'il lui a donné son Fils unique » Ne demandez plus ce qui a uni en Jésus-Christ le ciel et la terre, et la croix avec les grandeurs « Dieu a tant aimé le monde, » Est-il incroyable que Dieu aime, et que la bonté se communique? Que ne fait pas entreprendre aux ames courageuses l'amour de la gloire, aux ames les plus vulgaires l'amour des richesses, à tous enfin tout ce qui porte le nom d'amour? Rien ne coûte, ni périls, ni travaux, ni peines et voilà les prodiges (a) dont l'homme est capable. Que si l'homme, qui n'est que foiblesse, tente l'Impossible Dieu, pour contenter son amour, n'exécutera-t-il rien d'extraordinaire ? Disons donc pour toute raison dans tous les mystères « Dieu a tant aimé le monde. » C'est la doctrine du Maître, et le Disciple bienaimé l'avoit bien comprise. De son temps un Cérinthe, un hérésiarque, ne vouloit pas croire qu'un Dieu eût pu se faire homme, et se faire la victime des pécheurs. Que lui répondit cet apôtre vierge, ce prophète du Nouveau Testament, cet aigle, ce théologien par excellence, ce saint vieillard qui n'avoit de force que pour prêcher la charité et pour dire « Aimez-vous les uns les autres en Notre-Seigneur » que répondit-il à cet hérésiarque? Quel symbole, quelle nouvelle confession de foi opposa-t-il à son hérésie naissante? Ecoutez et admirez. a Nous croyons, dit-il, et nous confessons l'amour que Dieu a pour nous » Et nos credidimus charitati, quam hubet De!<s in noMs t. C'est là toute la foi des chrétiens c'est la cause et l'abrégé de tout le symbole. C'est là que la Princesse Palatine a trouvé la résolution de ses anciens doutes. Dieu a aimé c'est tout dire. S'il a fait, disoit-elle, de si grandes choses pour déclarer son amour dans l'Incarnation que n'aura-t-il pas fait pour le consommer dans l'Eucharistie, pour se donner, non plus en général à la nature humaine, mais à chaque fidèle en particulier? Croyons donc avec saint Jean en l'amour d'un Dieu la foi nous paroîtra douce, en la prenant par un endroit si tendre. Mais n'y croyons pas à demi, à la manière des hérétiques, dont l'un en retranche une chose, et l'autre une autre l'un le mystère de l'Incarnation, et l'autre celui de l'Eucharistie Joan., m, i6. – 1 Joan., ]V~ 16.
(a) 1" édit.: Tous les prodiges.
chacun ce qui lui déplaît foibles esprits ou plutôt cœurs étroits et entrailles resserrées que la foi et la charité n'ont pas assez dilatées pour comprendre toute l'étendue de l'amour d'un Dieu. Pour nous, croyons sans réserve et prenons le remède entier, quoi qu'il en coûte à notre raison. Pourquoi veut-on que les prodiges coûtent tant à Dieu? Il n'y a plus qu'un seul prodige, que j'annonce aujourd'hui au monde. 0 ciel, ô terre, étonnez-vous à ce prodige nouveau C'est que parmi tant de témoignages de l'amour divin, il y ait tant d'incrédules et tant d'insensibles. N'en augmentez pas le nombre, qui va croissant tous les jours. N'alléguez plus votre malheureuse incrédulité, et ne faites pas une excuse de votre crime. Dieu a des remèdes pour vous guérir, et il ne reste qu'à les obtenir par des vœux continuels. H a su prendre la sainte Princesse dont nous parlons, par le moyen qu'il lui a plu il en a d'autres pour vous jusqu'à l'infini, et vous n'avez rien à craindre que de désespérer de ses bontés. Vous osez nommer vos ennuis, après les peines terribles où vous l'avez vue 1 Cependant, si quelquefois elle désiroit d'en être un peu soulagée, elle se le reprodioit à elle-même « Je commence, disoit-elle, à m'apercevoir que je cherche le paradis terrestre à la suite de Jésus-Christ, au lieu de chercher la montagne des Olives et le Calvaire, par où il est entré dans sa gloire, s Voilà ce qu'il lui servit de méditer l'Evangile nuit et jour, et de se nourrir de la parole de vie. C'est encore ce qui lui fit dire cette admirable parole, a qu'elle aimoit mieux vivre et mourir sans consolation que d'en chercher hors de Dieu. Elle a p'orté ces sentimens jusqu'à l'agonie, et prête à rendre l'ame, on entendit qu'elle disoit d'une voix mourante )) Je m'en vais voir comment Dieu me traitera; mais j'espère en ses miséricordes. )) Cette parole de confiance emporta son ame sainte au séjour des justes.
Arrêtons ici, chrétiens et vous, Seigneur, imposez silence à cet indigne ministre, qui ne fait qu'affoiblir votre parole. Parlez dans les cœurs, Prédicateur invisible, et faites que chacun se parle à soi-même. Parlez, mes Frères, parlez je ne suis ici que pour aider vos réflexions. Elle viendra cette heure dernière elle n Cor., \r, if, )2.
approche, nous y touchons, la voilà venue. Il faut dire avec ANNE DE GoxzAGUE Il n'y a plus ni Princesse, ni Palatine; ces grands noms, dont on s'étourdit, ne subsistent plus. Il faut dire avec elle Je m'en vais, je suis emporté par une force inévitable; tout fuit, tout diminue, tout disparoît à mes yeux. Il ne reste plus à l'homme que le néant et le péché pour tout fonds, le néant; pour toute acquisition, le péché. Le reste, qu'on croyait tenir, échappe semblable à l'eau gelée, dont le vil cristal se fond entre les mains qui le serrent, et ne fait que les salir. Mais voici ce qui glacera le cœur, ce qui achèvera d'éteindre la voix, ce qui répandra la frayeur dans toutes les veines a Je m'en vais voir comment Dieu me traitera; dans un moment, je serai entre ces mains dont saint Paul écrit en tremblant t< Ne vous y trompez pas, on ne se moque pas de Dieu'; s et encore « C'est une chose horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant'; N entre ces mains où tout est action, o~ tout est vie; rien ne s'affoiblit, ni ne se relâche, ni ne se ralentit jamais je m'en vais voir si ces mains toutes-puissantes me seront favorables ou rigoureuses; si je serai éternellement, ou parmi leurs dons, ou sous leurs coups. Voilà ce qu'il faudra dire nécessairement avec notre Princesse. Mais pourrons-nous ajouter avec une conscience aussi tranquille « J'espère en sa miséricorde?)) Car qu'aurons-nous fait pourlaftéchir? Quandaurons-nous écouté « la voix de celui qui crie dans le désert Préparez les voies du Seigneur~? Comment? Par la pénitence. Mais serons-nous fort t contens d'une pénitence commencée à l'agonie, qui n'aura jamais été éprouvée, dont jamais on n'aura vu aucun fruit; d'une pénitence imparfaite, d'une pénitence nulle, douteuse si vous le voulez sans forces, sans réflexion, sans loisir pour en réparer les défauts? N'en est-ce pas assez pour être pénétré de crainte jusque dans la moelle des os? Pour celle dont nous parlons, ah mes Frères, toutes les vertus qu'elle a pratiquées se ramassent dans cette dernière parole, dans ce dernier acte de sa vie la foi, le courage, l'abandon à Dieu, la crainte de ses jugemens et cet amour plein de confiance, qui seul efface tous les péchés. Je ne m'étonne donc pas si le saint pasteur qui l'assista dans sa dernière maladie et qui Gah~ \j 7. ?'&)' x, 3!. 3 Luc., J[t~ 4, S.
recueillit ses derniers soupirs, pénétré de tant de vertus, les porta jusque dans la chaire, et ne put s'empêcher de les célébrer dans l'assemblée des fidèles. Siècle vainement subtil, où l'on veut pécher avec raison, où la faiblesse veut s'autoriser par des maximes, où tant d'ames insensées cherchent leur repos dans le naufrage de la foi, et ne font d'effort contre elles-mêmes que pour vaincre, au lieu de leurs passions, les remords de leur conscience la Princesse Palatine t'est donnée a comme un signe et un prodige in M'S'nMNï et in por~K<MN! 1. Tu la verras au dernier jour, comme je t'en ai menacé, confondre ton impénitence et tes vaines excuses. Tu la verras se joindre à ces saintes filles et à toute la troupe des Saints et qui pourra soutenir leurs redoutables clameurs? Mais que sera-ce quand Jésus-Christ paroîtra lui-même à ces malheureux quand ils verront celui qu'ils auront percé, comme dit le Prophète dont ils auront rouvert toutes les plaies; et qu'il leur dira d'une voix terrible « Pourquoi me déchirez-vous par vos blasphèmes, nation impie? Me co?!<s, gens tata Ou si vous ne le faisiez pas par vos paroles, pourquoi le faisiez-vous par vos œuvres? Ou pourquoi avez-vous marché dans mes voies d'un pas incertain, comme si mon autorité étoit douteuse? Race infidèle, me connoissez-vous à cette fois? Suis-je votre Roi? suis-je votre Juge? suis-je votre Dieu? Apprenez-le par votre supplice. Là commencera ce pleur éternel; là ce grincement de dents qui n'aura jamais de fin. Pendant que les orgueilleux seront confondus, vous fidèles « qui tremblez à sa parole N en quelque endroit que vous soyez de cet auditoire, peu connus des hommes et connus de Dieu, vous commencerez à lever la tête 6. Si touchés des saints exemples que je vous propose, vous laissez attendrir vos cœurs si Dieu a béni le travail par lequel je tâche de vous enfanter en JésusChrist et que trop indigne ministre de ses conseils, je n'y aie pas été moi-même un obstacle, vous bénirez la bonté divine, qui vous aura conduits à la pompe funèbre de cette pieuse Princesse, où vous aurez peut-être trouvé le commencement de la véritable vie. Et vous, Prince, qui l'avez tant honorée pendant qu'elle étoit ~a., viu, 18. – Zacta?- xi;, 10. 'AMa:/t., III, 9. ~a~ vin, 12. – A-a., L\vi, 2, 5. /.Me.~ XX!, 28.
au monde; qui favorable interprète de ses moindres désirs, continuez votre protection et vos soins à tout ce qui lui fut cher, et qui lai donnez les dernières marques de piété avec tant de magnificence et tant de zèle vous, Princesse, qui gémissez en lui rendant ce triste devoir, et qui avez espéré de la voir revivre dans ce discours que vous dirai-je pour vous consoler? Comment pourrai-je, Madame, arrêter ce torrent de larmes, que le temps n'a pas épuisé, que tant de justes sujets de joie n'ont pas tari? Reconnoissez ici le monde reconnoissez ses maux toujours plus réels que ses biens, et ses douleurs par conséquent plus vives et plus pénétrantes que ses joies. Vous avez perdu ces heureux momens où vous jouissiez des tendresses d'une mère, qui n'eut jamais son égale vous avez perdu cette source inépuisable de sages conseils vous avez perdu ces consolations, qui par un charme secret faisoient oublier les maux dont la vie humaine n'est jamais exempte. Mais il vous reste ce qu'il y a de plus précieux l'espérance de la rejoindre dans le jour de l'éternité, et en attendant sur la terre, le souvenu' de ses instructions, l'image de ses vertus et les exemples de sa vie.
Michel le Tellier descendoit d'une ancienne famille de magistrats. Son père, seigneur de Chaville, étoit conseiller à la Cour des aides, et son grand-père correcteur des comptes. Il suivit lui-même la carrière de la magistrature, et sa vie n'offre guère qu'une longue suite de charges et de services publics.
Né le t9 avril 1603, Michel le Tellier fut, sous Louis XIIt, d'abord conseiller au grand conseil, puis procureur du roi au Châtelet de Paris, puis maître des requêtes. Dans ce dernier poste, il travailla, avec le chancelier Séguier et Orner Talon, à la répression du soulèvement de Normandie et l'habileté qu'il montra dans cette affaire lui valut, en 1640, l'intendance militaire de Piémont. Maxarin, qui le vit à Turin, l'apprécia sur l'heure, et le fit nommer secrétaire d'Etat au département de la guerre, après l'éloignement de des Noyers 2. C'est vers ce temps-là que le Tellier épousa Elisabeth Turpin, fille du seigneur de Vauvredon. Il eut deux fils. Le premier, qui fut le marquis de Louvois, après une jeunesse légère et dissipée, ne montra pas moins d'attachement au travail que de fidélité au devoir, et rendit les plus grands services à l'Etat; le second, engagé par sa famille dans Ce fait, négligé par Bossuet, se trouve rappelé par Fléchier dans l'Oraison funèbre de le TeUier.– Des Noyers s'enfermoit tous les sons avec Louis XIII pour dire le bréviaire. Dans une querelle, traité par le roi de pe<t< bonhomme, u demanda son congé et fut pris au mot (~m. de Montrât.).
ORAISON FUNEBRE
DE
MICHEL LE TELLIER,
CHEVALIER,
CHANCELIER DE FRANCE.
RE~AR~ES n!STO!HOt!ES.
les Ordres sacrés, devint archevêque de Reims et se distingua par l'amour du luxe, de la table et du monde, et des libertés de l'église galli'cane'. t.
Bientôt après son mariage, le Tellier vit les événemens élargir devant lui la carrière administrative Louis XIII descendit dans la tombe après Richelieu son ministre; Anne d'Autriche, mère de Louis XIV âgé de cinq ans, devint régente du royaume et confia le ministère à Mazarin; les troubles de la Fronde éclatèrent en 1648, et bouleversèrent la France pendant six ans. Au milieu de la tempête, le Tellier tint presque seul le gouvernail. Un traité qui parut un instant ramener le calme dans les esprits, le traité de Ruel, fut l'œuvre de son habileté. A la première disgrace volontaire ou forcée du cardinal ministre, lorsque cet habile homme quitta les affaires par calcul ou par nécessité, il disparut de la scène politique et Chaville, lieu de son domaine seigneurial, près de Paris, le vit tranquille au milieu de l'agitation de toute la France. Mais lorsque Mazarin se retira pour la seconde fois devant des périls plus réels, la régente le retint auprès d'elle, en le chargeant du ministère. Dans ces circonstances difficiles, il eut à lutter, non-seulement contre les intrigues et les entreprises des rebelles, mais oontre les impatiences et les jalousies de son protecteur, ou plutôt de son protégé. U eut besoin d'un grand courage, lorsqu'il s'agit de maintenir la détention des princes, « ces lions toujours prêts à rompre leurs chaînes » comme s'exprime Bossuet. Après le rétablissement 1 Un jour, paitant de Jacques U, qui s'étoit réfugie Saint-Germain après avoir perdu la couronne d'Angleterre, it disoit dans son anttchambre « Voua. un bonhomme qui a quitté trois royaumes pour une messe n Et voic[ une de ses maximes « On ne peut être honnête homme sans avoir dix mnle hvj es de rentes. )) Ce n'est donc pas sans raison que Boueau disoit de lui « Monseigneur m'estime bien davantage depuis qu'il me croit nche Le récit qu'on va hre montre qu'il graduait d'après la même échelle l'estime qu'il avoit de lui-même « L'archevêque de Reims rcvenoit hier fort vite de Saint-Germain, c'etoit comme un tourbillon il croit être grand seigneur, mais ses gens le croient encore plus que lui. Ils passoient au travers de Nanterre, <a, <ra, <rf;, ils rencontrent un homme à cheval, gare, gare! Ce pauvre homme veut se ranger, son cheval ne le veut pas; et enfin le carosse et les six chevaux renversent cul par-dessus tête le pauvre homme et le cheval, et passent par-dessus, et si bien par-dessus que le carosse en fut versé et renversé en même temps l'homme et le cheval, au lieu de s'amuser à être roués et estropiés, se relèvent miraculeusement, rementent l'un sur l'autre, et s'enfuient, et courent encore, pendant que les laquais de l'archevêque et l'archevêque lui-même se mettent à crier « Arrête, arrête ce coquin, qu'on lui donne cent coups! L'archevêque, en racontant ceci, disoit « Si j'avois tenu ce maraud-là, je lui amois rompu les bras et eoupé les oreilles. » (Mme de Sévigné, Lettre à ~°° ~f Ci-!yMK, 5 février )6T4.) C'étoit Condé, le prince de Conti son frère, et le duc de Longueville son beau-frère. Le frère de Louis XIV, Gaston ne les quahfioit pas, comme Bossuet, tous les trois de la même manière. Quand on lui annonça leur arrestation « Voilà, dit-il, un beau coup de filet on vient d'arrêter un lion, un
de l'autorité royale, pendant les négociations qui amenèrent la paix des Pyrénées, il tint la correspondance du ministre françois, qui lui rendoit un compte exact de ses conférences avec le représentant de l'Espagne.
Mazarin étant mort bientôt après, Louis XIV, âgé de vingt-cinq ans, prit les rênes du royaume. Le Tellier garda, sous le nouveau règne, les fonctions de conseiller d'Etat. En 1 666, plus que sexagénaire, il remit sa charge au marquis de Louvois son fils, conservant toutefois par ordre du roi les honneurs du ministère et le droit d'assister au conseil. A l'âge de soixante-quatorze ans, en 1677, il fut nommé chancelier et garde des sceaux; dans son remercîment, il dit à Louis XIV « Sire, vous avez voulu honorer ma famille et couronner mon tombeau. ); Revêtu de la magistrature suprême, il régla tout le corps de la justice, et tint dans tout le royaume la balance égale. Voici le plus grand acte de son administration. L'édit de Nantes, rendu le 13 avril 1598 par Henri )V, accordoit de grands privilèges aux protestans; mais les protestans n'en continuèrent pas moins de conspirer contre l'Etat, de fomenter la haine dans les cœurs, de porter partout la division, le trouble, le pillage et la guerre civile. Le roi voulut désarmer les éternels ennemis du repos public; son chancelier scella la révocation de l'édit de Nantes le 22 octobre 1685. Affoibli déjà par la maladie, le Tellier remercia le Ciel, en répétant le cantique de Siméon, de lui avoir conservé encore assez de force pour sanctionner cette œuvre de réparation sociale, et toute la France bénit la main défaillante qui venoit de fermer les plaies sanglantes de la patrie. Les philosophes du xvin" siècle ont condamné la révocation de l'édit de Nantes; leur sentence auroit plus d~ autorite, s'ils avoient montré moins de haine contre la religion de leur pays.
Dans les dernières années de sa vie, craignant que la chose publique ne souffrit préjudice entre ses mains, le Tellier recommandoit souvent à sa famille de l'avertir, sitôt qu'on remarqueroit de l'affoiblissement dans son esprit. Prudence inutile; il conserva jusqu'à la dernière heure le plein usage de ses facultés intellectuelles. Bossuet raconte sa mort d'une manière admirable. Il quitta ce monde le 28 octobre I68S, à l'âge de quatre-vingt-trois ans. Son corps fut enterré à Saint-Gervais, sa paroisse.
Le Tellier eut l'habileté d'un commis plutôt que le génie d'un ministre'; il fut homme distingué plutôt que grand homme. Toutefois les grands hommes politiques n'ont jamais étA grands que par le petit singe et un renard (~m. de Guy Joly). » Le prince de Conti étoit petit et contrefajt. – M°" de MottevHIo dit dans ses ~e'motf~ La reine me parut persuadée que le Tether étoit un homme habile en sa charge, mais pas capable de la première place. »
travail d'hommes petits; et sous Louis XIV, toute l'adresse administrative oonsistoit presque uniquement dans la pénétration des projets d'un prince qui vouloit et savoit gouverner par lui-même. Le Tellier avoit contribué, par ces témoignages qui ne compromettent pas le crédit d'un ministre, à l'élévation de Bossuet; sans sortir de la circonspection naturelle de son caractère, il avoit de bonne heure accoutumé Louis XIV à joindre à son nom l'idée de science, de génie, de vertu. L'archevêque de Reims, fils du chancelier, lui avoit aussi donné son appui dans une affaire importante, et s'honoroit du titre de son ami. Il désira que l'homme le plus éloquent de son siècle fût le panégyriste et l'historien de son père. Il y avoit à peine six mois que Bossuet avoit prononcé l'Oraison /tMt!&re de la Princesse Palatine, et l'on sait qu'il aimoit peu ces sortes de discours; mais il ne put refuser à la reconnoissance et à l'amitié un témoignage qu'on lui demandoit comme une grace, et qui lui parut un devoir. Fléchier fit aussi l'éloge du chancelier de France.
L'Oraison fanébre de ~cM te Tellier fut prononcée le 2S janvier t686, dans l'église de Saint-Gervais, en présence de plusieurs évéques revêtus des ornemens sacrés, des différens corps de la magistrature, des principaux personnages de la Cour et d'un grand nombre de savans. C'est aux évéques que Bossuet adresse la parole sous le titre de Messeigneurs. Des six grandes Of axons funèbres, trois semblent inférieures aux autres celles de Marie-Thérèse, d'Anne de Gonzague et de Michel le Tellier. Ce n'est pas la faute du génie; c'est le tort du sujet. L'Oraison /<Me&e du chancelier de France n'offre point le tableau de ces événemens dramatiques qui ébranlent profondément l'imagination; mais dans le récit des faits les plus simples, quelle vivacité, quels traits rapides, quel burin manié par une main ferme comme celle de Tacite! Mais dans l'appréciation du protestantisme, de la Fronde, des partis, quelle justesse, quelle profondeur, quel regard du philosophe et du politique Et l'indépendance et la noblesse du caractère égalent, dans cette œuvre oratoire, la grandeur et la sublimité du génie; Bossuet se plaint de l'asservissement de l'Eglise pour ainsi dire en présence de Louis XIV, de l'administration de la justice devant la magistrature, et de l'oubli des ancêtres en face des descendans. Depuis le xvn' siècle, la chaire n'a plus connu de ces saintes hardiesses.
Rapportons maintenant quelques remarques critiques. Bossuet dit « Sa fin nous a fait paroitre que; s et plus loin « Il nous paroit dans une gloire immortelle. )' De nos jours on diroit plutôt Kous a fait voir; et Nous apparoît.
n Opposé aux brigues et aux partialités, a Ce dernier mot ne s'emploie
plus qu'au singulier. On trouvera plus loin « les expériences, » pour les connoissances que donne une longue observation; et « les antiquités, pour dire les anciennes coutumes; l'usage a pareillement proscrit ces deux pluriels.
« Lorsqu'on se voit, et que je ne sais quoi nous dit dans le cœur qu'on mérite d'autant plus de si grands honneurs qu'ils sont venus à nous comme d'eux-mêmes. a Cette phrase, dit-on, renferme trop de que. Soit; mais c'est la faute de notre langue, qui dans sa pauvreté donne au monosyllabe que mille significations différentes mais le xt)i° siècle ne haissoit pas autant que nous les répétitions de mots, et Bossuet n'a jamais rien fait pour les éviter.
« Tout à coup on se trouve plongé dans l'abîme ( par l'aNoiblissement de l'âge ), sans avoir pu remarquer le fatal moment d'un insensible déclin. o Dans cette phrase, moment signifie mouvement d'après le sens étymologique du latin momentum, pour MM):'mm<um. « Autant que le ciel s'élève au-dessus de la terre. autant le cœur des rois est impénétrable. )) On trouve rarement que avec autant répété. « Toujours prêt à lui rendre davantage qu'on ne l'accuse de lui ôter. » Davantage que est regardé maintenant comme une faute de grammaire.
L'Oraison /'Mnëtfe de Michel fs Tellier parut dans les premiers mois de 1686, chez Sébastien Marbre-Cramoisy, in-4°. Le même éditeur la réimprima en tS89, avec les autres Oraisons /ttHe4?'M. Cette édition, de 1689, fut donnée en 1699, avec ces mots « Chez Grégoire Dnpuis. ? On n'y avoit rien changé que le frontispice.
Nous avons supprimé, au bas des pages, les textes qui avoicnt été ajoutés par les éditeurs.
ORAISON FUNÈBRE
DE
MICHEL LE TELLIER.
Posside ~cpiettHen: acquire Fn~<7ett<«:))t/ arripe !~am~ et exaltabit <e g~o!ca&erM ab ea, c~m eam fueris emp~a~.
Possédez la sagesse, et acquérez la prudence si vous la cherchez avec ardeur, elle vous élèvera; et vous remplira de gloire, quand vous l'aurez embrassée. Prov., iv, 7, 8.
MESSEIGNEURS,
En louant l'homme incomparable dont cette illustre assemblée célèbre les funérailles et honore les vertus, je louerai la sagesse même et la sagesse que je dois louer dans ce discours, n'est pas celle qui élève les hommes et qui agrandit les maisons ni celle qui gouverne les empires, qui règle la paix et la guerre, et enfin qui dicte les lois et qui dispense les graces. Car encore que ce grand ministre, choisi par la divine Providence pour présider aux conseils du plus sage de tous les rois, ait été le digne instrument des desseins les mieux concertés que l'Europe ait jamais vus; encore que la sagesse, après l'avoir gouverné dès son énonce, l'ait porté aux plus grands honneurs et au comble des felicités humaines sa fin nous a fait paroitre que ce n'étoit pas pour ces avantages qu'il en écoutoit les conseils. Ce que nous lui avons vu quitter sans peine, n'étoit pas l'objet de son amour. Il a connu la sagesse que le monde ne connoit pas cette sagesse « qui vient d'en haut, qui descend du Père des lumières a et qui fait marcher les hommes dans les sentiers de la justice. C'est elle dont la prévoyance s'étend aux siècles futurs, et enferme dans ses desseins l'éternité toute entière. Touché de ses immortels et invisibles attraits, il l'a recherchée avec ardeur, selon le précepte du Sage. « La sagesse vous élèvera, dit Salomon, et vous donnera de 'Jaeo6.,n;jiS.
la gloire quand vous l'aurez embrassée. D Mais ce sera une gloire que le sens humain ne peut comprendre. Comme ce sage et puissant ministre aspiroit à cette gloire, il l'a préférée à celle dont il se voyoit environné sur la terre. C'est pourquoi sa modération l'a toujours mis au-dessus de sa fortune. Incapable d'être ébloui des grandeurs humaines, comme il y paroît sans ostentation, il y est vu sans envie; et nous remarquons dans sa conduite ces trois caractères de la véritable sagesse qu'élevé sans empressement aux premiers honneurs, il y a vécu aussi modeste que grand que dans ses importans emplois, soit qu'il nous paroisse, comme Chancelier, chargé de la principale administration de la Justice, ou que nous le considérions dans les autres occupations d'un long ministère, supérieur à ses intérêts, il n'a regardé que le bien public et qu'enfin dans une heureuse vieillesse, prêt à rendre avec sa grande ame le sacré dépôt de l'autorité si bien confié à ses soins, il a vu disparoître toute sa grandeur avec sa vie sans qu'il lui en ait coûté un seul soupir tant il avoit mis en lieu haut et inaccessible à la mort son cœur et ses espérances. De sorte qu'il nous paroît selon la promesse du Sage, dans « une gloire immortelle, » pour s'être soumis aux lois de la véritable sagesse, et po~ir avoir fait céder à la modestie l'éclat ambitieux des grandeurs humaines, l'intérêt particulier à l'amour du bien public, et la vie même au désir des biens éternels c'est la gloire qu'a remportée très-haut et puissant seigneur Messire MICHEL LE TELLIER, CHEVALIER, CHANCELIER DE FRANCE.
Le grand cardinal de Richelieu achevoit son glorieux ministère, et fmissoit tout ensemble une vie pleine de merveilles. Sous sa ferme et prévoyante conduite, la puissance d'Autriche cessoit d'être redoutée et la France sortie enfin des guerres civiles, commençoit à donner le branle:aux affaires de l'Europe. On avoit une attention particulière à celles d'Italie, et sans parler des autres raisons, Louis XIII de glorieuse et triomphante mémoire, devoit sa protection à la duchesse de Savoye sa sœur et à ses enfans. Jules Mazarin, dont le nom devoit être si grand dans notre histoire, employé par la Cour de Rome en diverses négociations,
s'étoit donné à la France et propre par son génie et par ses correspondances à ménager les esprits de sa nation, il avoit Mt prendre un cours si heureux aux conseils du cardinal de Richelieu, que ce ministre se crut obligé de l'élever la pourpre. Par là il sembla montrer son successeur à la France, et le cardinal Mazarin s'avançoit secrètement à la première place. En ces temps Michel le Tellier encore maître des requêtes, étoit intendant de justice en Piémont. Mazarin, que ses négociations attiroient souvent à Turin, fut ravi d'y trouver un homme d'une si grande capacité et d'une conduite si sûre dans les affaires car les ordres de la Cour oNigeoient l'ambassadeur à concerter toutes choses avec l'intendant, à qui la divine Providence faisoit faire ce léger apprentissage des affaires d'Etat. Il ne falloit qu'en ouvrir l'entrée à un génie si perçant, pour l'introduire bien avant dans les secrets de la politique. Mais son esprit modéré ne se perdoit pas dans ces vastes pensées et renfermé à l'exemple de ses pères dans les modestes emplois de la robe, il ne jetoit pas seulement les yeux sur les engagemens éclatans, mais périlleux, de la Cour. Ce n'est pas qu'il ne parût toujours supérieur à ses emplois. Dès sa première jeunesse tout cédoit aux lumières de son esprit, aussi pénétrant et aussi net qu'il étoit grave et sérieux. Poussé par ses amis ,'il avoit passé du grand conseil, sage compagnie où sa réputation vit encore, à l'importante charge de procureur du Roi. Cette grande ville se souvient de l'avoir vu, quoique jeune, avec toutes les qualités d'un grand magistrat, opposé non-seulement aux brigues et aux partialités qui corrompent l'intégrité de la justice, et aux préventions qui en obscurcissent les lumières, mais encore aux voies irrégulières et extraordinaires où elle perd avec sa constance la véritable autorité de ses jugemens. On y vit enfin tout l'esprit et les maximes d'un juge, qui attaché à la règle, ne porte pas dans le tribunal ses propres pensées, ni des adoucissemens ou des rigueurs arbitraires (a) et qui veut que les lois gouvernent, et non pas les hommes. Telle est l'idée qu'il avoit de la magistrature. Il apporta ce même esprit dans le conseil, où (a) ire ~t'< Ne porte pas ses pensées~ ni des adoucissemens ou de. rigueurs arbl!raires dans le tribunal.
l'autorité du prince, qu'on y exerce avec un pouvoir plus absolu, semble ouvrir un champ plus libre à la justice et toujours semblable à lui-même, il y suivit dès lors la même règle qu'il y a établie depuis, quand il en a été le chef.
Et certainement, Messieurs, je puis dire avec confiance que l'amour de la justice étoit comme né avec ce grave magistrat, et qu'il croissoit avec lui dès son enfance. C'est aussi de cette heureuse naissance que sa modestie se fit un rempart contre les louanges qu'on donnoit à son intégrité et l'amour qu'il avoit pour la justice ne lui parut pas mériter le nom de vertu, parce qu'il le portoit, disoit-il, en quelque manière dans le sang. Mais Dieu, qui l'avoit prédestiné à être un exemple de justice dans un si beau règne et dans la première charge d'un si grand royaume, lui avoit fait regarder le devoir de juge, où il étoit appelé, comme le moyen particulier qu'il lui donnoit pour accomplir l'œuvre de son salut. C'étoit la sainte pensée qu'il avoit toujours dans le cœur; c'étoit la belle parole qu'il avoit toujours à la bouche; et par là il faisoit assez connoître combien il avoit pris le goût véritable de la piété chrétienne. Saint Paul en a mis l'exercice, non pas dans ces pratiques particulières que chacun se fait à son gré, plus attaché à ces lois qu'à celles de Dieu mais à se sanctifier dans son état, et « chacun dans les emplois de sa vocation a UKMsgM!'s~e in quâ vocatione vocatus est Mais si, selon la doctrine de ce grand Apôtre, on trouve la sainteté dans les emp'ois les plus bas, et qu'un esclave s'élève à la perfection dans le service d'un maître mortel, pourvu qu'il y sache regarder l'ordre de Dieu à quelle perfection l'ame chrétienne ne peut-elle pas aspirer dans l'auguste et saint ministère de la justice, puisque, selon l'Ecriture, « l'on y exerce le jugement, non des hommes, mais du Seigneur même ? e Ouvrez les yeux, chrétiens; contemplez ces augustes tribunaux où la justice rend ses oracles vous y verrez avec David c les dieux de la terre, qui meurent à la vérité comme des hommes D mais qui cependant doivent juger comme des dieux, sans crainte, sans passion, sans intérêt, le Dieu des dieux à leur tête, comme le chante ce grand Roi d'un ton si 1 1 Cor., vu, 20. U ParaA, XIX, 6. fM~. LXXXI, 6, 7.
sublime dans ce divin PsaMWM « Dieu assiste, dit-il, à l'assemblée des dieux, et au milieu il juge les dieux o 0 juges, quelle majesté de vos séances quel président de vos assemblées mais aussi quel censeur de vos jugemens Sous ces yeux redoutables notre sage magistrat écoutoit également le riche et le pauvre; d'autant plus pur et d'autant plus ferme dans l'administration de la justice, que sans porter ses regards sur les hautes places dont tout le monde le jugeoit digne, il mettoit son élévation comme son étude à se rendre parfait dans son état. Non, non, ne le croyez pas, quë'Ia justice habite jamais dans les ames où l'ambition domine. Toute ame inquiète et ambitieuse est incapable de règle. L'ambition a fait trouver ces dangereux expédions où, semblable à un sépulcre blanchi, un juge artificieux ne garde que les apparences de la justice. Ne parlons pas des corruptions qu'on a honte d'avoir à se reprocher. Parlons de la lâcheté ou de la licence d'une justice arbitraire, qui sans règle et sans maxime se tourne au gré de l'ami puissant. Parlons de la complaisance, qui ne veut jamais ni trouver le fil, ni arrêter le progrès d'une procédure malicieuse. Que dirai-je du dangereux artifice qui fait prononcer à la justice, comme autrefois aux démons, des oracles ambigus et captieux? Que dirai-je des difficultés qu'on suscite dans l'exécution, lorsqu'on n'a pu refuser la justice à un droit trop clair? « La loi est déchirée, comme disoit le Prophète, et le jugement n'arrive jamais à sa perfection o Non pervenit usque cet /mgm j'MeKc!'M?M'. Lorsque le juge veut s'agrandir, et qu'il change en une souplesse de Cour le rigide et inexorable ministère de la justice, il fait naufrage contre ces écueils. On ne voit dans ses jugemens qu'une justice imparfaite, semblable, je ne craindrai pas de le dire, à la justice de Pilate justice qui fait semblant d'être vigoureuse à cause qu'elle résiste aux tentations médiocres, et peut-être aux clameurs d'un peuple irrité mais qui tombe et disparoît tout à coup, lorsqu'on allègue sans ordre même et mal à propos le nom de César. Que dis-je, le nom de César ? Ces ames prostituées à l'ambition ne se mettent pas à un si haut prix tout ce qui parle, tout ce qui approche, ou les gagne, ou les intimide, et 1 Psal. LXXXI, 1. – Habac., l, 4.
la justice se retire d'avec elles. Que si elle s'est construit un sanctuaire éternel et incorruptible dans le cœur du sage Michel le Tellier, c'est que libre des empressemens de l'ambition, il se voit élevé aux plus grandes places, non par ses propres efforts, mais par la douce impulsion d'un vent favorable; ou plutôt, comme l'événement l'a justifié, par un choix particulier de la divine Providence. Le cardinal de Richelieu étoit mort, peu regretté de son Maître qui craignit de lui devoir trop. Le gouvernement passé fut odieux ainsi de tous les ministres le cardinal Mazarin, plus nécessaire et plus important, fut le seul dont le crédit se soutint et le secrétaire d'Etat chargé des ordres de la guerre, ou rebuté d'un traitement qui ne répondoit pas à son attente, ou déçu par la douceur apparente du repos qu'il crut trouver dans la solitude, ou flatté d'une secrète espérance de se voir plus avantageusement rappelé par la nécessité de ses services, ou agité de ces je ne sais quelles inquiétudes dont les hommes ne savent pas se rendre raison à eux-mêmes, se résolut tout à coup à quitter cette grande charge. Le temps étoit arrivé que notre sage ministre devoit être montré à son prince et à sa patrie. Son mérite le fit chercher à Turin sans qu'il y pensât. Le cardinal Mazarin, plus heureux, comme vous verrez, de l'avoir trouvé qu'il ne le conçut alors, rappela au Roi ses agréables services et le rapide moment d'une conjoncture imprévue, loin de donner lieu aux sollicitations, n'en laissa pas même aux désirs (a). Louis XIII rendit au Ciel son ame juste et pieuse et il parut que notre ministre étoit réservé au Roi son fils. Tel étoit l'ordre de la Providence, et je vois ici quelque chose de ce qu'on lit dans Isaie. La sentence partit d'en haut, et il fut dit à Sobna chargé d'un ministère principal « Je t'ôterai de ton poste, et je te déposerai de ton ministère » Expel~am le de statione <M<~ et de mtHMfm'o tuo deponam te. « En ce temps j'appellerai mon serviteur Eliakim, et je le revêtirai de ta puissance » Mais un plus grand honneur lui est destiné le temps viendra, que par l'administration de la justice, « il sera le père des habitans de Jérusalem et de la maison de Juda e Erit pater 1 fM., xxn, 19-2t.
(a) f édit. A la Mlhcit~ion, au désir.
habitantibus Jerusalem. La clef de la maison de David, c'està-dire de la maison régnante, sera attachée à ses épaules il ouvrira, et personne ne pourra fermer il fermera, et personne ne pourra ouvrir » il aura la souveraine dispensation de la justice et des graces.
Parmi ces glorieux emplois, notre ministre a fait voir à toute la France que sa modération durant quarante ans étoit le fruit d'une sagesse consommée. Dans les fortunes médiocres, l'ambition encore tremblante se tient si cachée, qu'à peine se connoîtelle elle-même. Lorsqu'on se voit tout d'un coup élevé aux places les plus importantes, et que je ne sais quoi nous dit dans le cœur qu'on mérite d'autant plus de si grands honneurs, qu'ils sont venus à nous comme d'eux-mêmes, on ne se possède plus; et si vous me permettez de vous dire une pensée de saint Chrysostome, c'est aux hommes vulgaires un trop grand effort, que celui de se refuser à cette éclatante beauté qui se donne à eux. Mais notre sage ministre ne s'y laissa pas emporter. Quel autre parut d'abord plus capable des grandes affaires? Qui connoissoit mieux les hommes et les temps? Qui prévoyoit de plus loin, et qui donnoit des moyens plus sûrs pour éviter les inconvéniens dont les grandes entreprises sont environnées? Mais dans une si haute capacité et dans une si belle réputation, qui jamais a remarqué ou sur son visage un air dédaigneux, ou la moindre vanité dans ses paroles? Toujours libre dans la conversation, toujours grave dans les affaires, et toujours aussi modéré que fort et insinuant dans ses discours, il prenoit sur les esprits un ascendant que la seule raison lui donnoit. On voyoit et dans sa maison et dans sa conduite, avec des mœurs sans reproche, tout également éloigné des extrémités, tout enfin mesuré par la sagesse. S'il sut soutenir le poids des affaires, il sut aussi les quitter et reprendre son premier repos. Poussé par la cabale, Chaville le vit tranquille durant plusieurs mois, au milieu de l'agitation de toute la France. La Cour le rappelle en vain il persiste dans sa paisible retraite, tant que l'état des affaires le put souffrir, encore qu'il n'ignorât pas ce qu'on machinoit contre lui durant son absence; et il ne parut pas moins 1 /<a., xmi, 21, 22.
grand en demeurant sans action, qu'il l'avoit paru en se soutenant au milieu des mouvemens les plus hasardeux. Mais dans le plus grand calme de l'Etat, aussitôt qu'il lui fut permis de se reposer des occupations de sa charge sur un fils qu'il n'eùt jamais donné au Roi, s'il ne l'eût senti capable de le bien servir; après qu'il eut reconnu que le nouveau secrétaire d'Etat savoit avec une ferme et continuelle action suivre les desseins et exécuter les ordres d'un maître si entendu dans l'art de la guerre ni la hauteur des entreprises ne surpassoit sa capacité, ni les soins infinis de l'exécution n'étoient au-dessus de sa vigilance; tout étoit prêt aux lieux destinés l'ennemi également menacé dans toutes ses places; les troupes aussi vigoureuses que disciplinées n'attendoient que les derniers ordres du grand capitaine et l'ardeur que ses yeux inspirent tout tombe sous ses coups, et il se voit l'arbitre du monde alors le zélé ministre, dans une entière vigueur d'esprit et de corps, crut qu'il pouvoit se permettre une vie plus douce. L'épreuve en est hasardeuse pour un homme d'Etat, et la retraite presque toujours a trompé ceux qu'elle Sattoit de l'espérance du repos. Celui-ci fut d'un caractère plus ferme. Les conseils où il assistoit lui laissoient presque tout son temps; et après cette grande foule d'hommes et d'affaires qui l'environnoit, il~'étoit lui-même réduit à une espèce d'oisiveté et de solitude mais il la sut soutenir. Les heures qu'il avoit libres furent remplies de bonnes lectures; et ce qui passe toutes les lectures, de sérieuses réflexions sur les erreurs de la vie humaine, et sur les vains travaux des politiques, dont il avoit tant d'expérience. L'éternité se présentoit à ses yeux comme le digne objet du cœur de l'homme. Parmi ces sages pensées, et renfermé dans un doux commerce avec ses amis aussi modestes que lui, car il savoit les choisir de ce caractère, et il }eur apprenoit à le conserver dans les emplois les plus importans et de la plus haute confiance, il goùtoit un véritable repos dans la maison de ses pères, qu'il avoit accommodée peu à peu à sa fortune présente, sans lui faire perdre les traces de l'ancienne simplicité, jouissant en sujet fidèle des prospérités de l'Etat et de la gloire de son Maître. La charge de chancelier vaqua, et toute la France la destinoit à un ministre si zélé pour la
justice. Mais, comme dit le Sage « Autant que le ciel s'élève et que la terre s'incline au-dessous de lui (a), autant le cœur des rois est impénétrable 1. » Enfin le moment du Prince n'étoit pas encore arrivé; et le tranquille ministre, qui connoissoit les dangereuses jalousies des cours et les sages tempéramens des conseils des rois, sut encore lever les yeux vers la divine Providence, dont les décrets éternels règlent tous ces mouvemens. Lorsqu'après de longues années il se vit élevé à cette grande charge, encore qu'elle reçût un nouvel éclat en sa personne, où elle étoit jointe à la confiance du Prince; sans s'en laisser éblouir, le modeste ministre disoit seulement que le Roi, pour couronner plutôt la longueur que l'utilité de ses services, vouloit donner un titre à son tombeau, et un ornement à sa famille. Tout le reste de sa conduite répondit à de si beaux commencemens. Notre siècle, qui n'avoit point vu de chancelier si autorisé, vit en celui-ci autant de modération et de douceur que de dignité et de force, pendant qu'il ne cessoit de se regarder comme devant bientôt rendre compte à Dieu d'une si grande administration. Ses fréquentes maladies le mirent souvent aux prises avec la mort exercé par tant de combats, il en sortoit toujours plus fort et plus résigné à la volonté divine. La pensée de la mort ne rendit pas sa vieillesse moins tranquille ni moins agréable. Dans la même vivacité on lui vit faire seulement de plus graves réflexions ,sur la caducité de son âge, et sur le désordre extrême que causeroit dans l'Etat une si grande autorité dans des mains trop foibles. Ce qu'il avoit vu arriver à tant de sages vieillards qui sembloient n'être plus rien que leur ombre propre, le rendoit continuellement attentif à lui-même. Souvent il se disoit en son cœur que le plus malheureux effet de cette foiblesse de l'âge, étoit de se cacher à ses propres yeux., de sorte que tout à coup on se trouve plongé dans l'abîme sans avoir pu remarquer le fatal moment d'un insensible déclin et il conjuroit ses enfans, par toute la tendresse qu'il avoit pour eux et par toute leur reconnoissance qui faisoit sa consolation dans ce court reste de vie, de l'avertir de Pt'OM.~ XXYj 3.
(a) 1'° ~<7t<. S'incline au-dessous.
bonne heure, quand ils verroient sa mémoire vaciller ou son jugement s'affoiblir, afin que par un reste de force il pût garantir le publie et sa propre conscience des maux dont les menaçoit l'infirmité de son âge. Et lors même qu'il sentoit son esprit entier, il prononçoit la même sentence, si le corps abattu n'y répondoit pas car c'étoit (a) la résolution qu'il avoit prise dans sa dernière maladie et plutôt que de voir languir les affaires avec lui, si ses forces ne lui revendent, il se condamnoit, en rendant les sceaux, à rentrer dans la vie privée dont aussi jamais il n'avoit perdu le goût; au hasard de s'ensevelir tout vivant et de vivre peut-être assez pour se voir longtemps traversé par la dignité qu'il auroit quittée tant il étoit au-dessus de sa propre élévation et de toutes les grandeurs humaines!
Mais ce qui rend sa modération plus digne de nos louanges, c'est la force de son génie né pour l'action, et la vigueur qui durant cinq ans lui fit dévouer sa tête aux fureurs civiles. Si aujourd'hui je me vois contraint de retracer l'image de nos malheurs, je n'en ferai point d'excuse à mon auditoire, où de quelque côté que je me tourne, tout ce qui frappe mes yeux, me montre une fidélité irréprochable, ou peut-être une courte erreur réparée par de longs services. Dans ces fatales conjonctures, il falloit à un ministre étranger un homme d'un ferme génie et d'une égale sûreté, qui nourri dans les compagnies, connût les ordres du royaume et l'esprit de la nation. Pendant que la magnanime et intrépide Régente étoit obligée à montrer le Roi enfant aux provinces, pour dissiper les troubles qu'on y excitoit de toutes parts Paris et le cœur du royaume demandoient un homme capable de profiter des momens sans attendre de nouveaux ordres, et sans troubler le concert de l'Etat. Mais le ministre lui-même souvent éloigné de la Cour, au milieu de tant de conseils que l'obscurité des affaires, l'incertitude des événemens et les différens intérêts faisoient hasarder, n'avoit-il pas besoin d'un homme que la Régente pût croire? Enfin il falloit un homme qui, pour ne pas irriter la haine publique déclarée contre le ministère, sût se conserver de la (a) 1" <Si< C'est.
créance dans tous les partis et ménager les restes de l'autorité. Cet homme si nécessaire au jeune Roi, à la Régente, à l'Etat, au ministre, aux cabales mêmes, pour ne les précipiter pas aux dernières extrémités par le désespoir vous me prévenez, Messieurs, c'est celui dont nous parlons. C'est donc ici qu'il parut comme un génie principal. Alors nous le vîmes s'oublier lui-même; et comme un sage pilote, sans s'étonner ni des vagues, ni des orages, ni de son propre péril, aller droit comme au terme unique d'une si périlleuse navigation, à la conservation du corps de l'Etat et au rétablissement de l'autorité royale. Pendant que la Cour réduisoit Bordeaux, et que Gaston laissé à Paris pour le maintenir dans le devoir étoit environné de mauvais conseils, le Tellier fut le Chusai 1 qui les confondit et qui assura la victoire à l'Oint du Seigneur. Fallut-il éventer les conseils d'Espagne, et découvrir le secret d'une paix trompeuse que l'on proposoit afin d'exciter la sédition pour peu qu'on l'eût différée, le Tellier en fit d'abord accepter les offres notre plénipotentiaire partit; et l'Archiduc forcé d'avouer qu'il n'avoit pas de pouvoir, fit connoître lui-même au peuple ému, si toutefois un peuple ému connoit quelque chose, qu'on ne faisoit qu'abuser de sa crédulité. Mais s'il y eut jamais une conjoncture où il fallût montrer de la prévoyance et un courage intrépide, ce fut lorsqu'il s'agit d'assurer la garde des trois illustres captifs. Quelle cause les fit arrêter; si ce fut ou des soupçons ou des vérités, ou de vaines terreurs ou de vrais périls, et dans un pas si glissant des précautions nécessaires qui le pourra dire à la postérité? Quoi qu'il en soit, l'oncle du Roi est persuadé on croit pouvoir s'assurer des autres princes, et on en fait des coupables en les traitant comme tels. Mais où garder des lions toujours prêts à rompre leurs chaînes, pendant que chacun s'efforce de les avoir en main, pour les retenir ou les lâcher au gré de son ambition ou de ses vengeances ? Gaston, que la Cour avoit attiré dans ses sentimens, étoit-il inaccessible aux factieux? Ne vois-je pas au contraire autour de lui des ames hautaines, qui pour faire servir les princes à leurs intérêts cachés, ne cessoient de lui inspirer qu'il devoit 11 Reg., XYtI, 7 et seq.
s'en rendre le maître? De quelle importance, de quel éclat, de queUe réputation au dedans et au dehors d'être'le maître du sort du prince de Condé? Ne craignons point de le nommer, puisqu'ennn tout est surmonté par la gloire de son grand nom et de ses actions immortelles. L'avoir entre ses mains, e'étoit y avoir la victoire même qui le suit éternellement dans les combats. Mais il étoit juste que ce précieux dépôt de l'Etat demeurât entre les mains du Roi, et il lui appartenoit de garder une si noble partie de son sang. Pendant donc que notre ministre travailloit à ce glorieux ouvrage, où il y alloit de la royauté et du salut de l'Etat, il fut seul en butte aux factieux. Lui seul, disoient-ils, savoit dire et taire ce qu'il falloit. Seul il savoit épancher et retenir son discours impénétrable il pénétroit tout; et pendant qu'il tiroit le secret des cœurs, il ne disoit, maître de lui-même, que ce qu'il vouloit. Il perçoit dans tous les secrets, demêloit toutes les intrigues, découvroit les entreprises les plus cachées et les plus sourdes machinations. C'étoit ce sage dont il est écrit « Les conseils se recèlent dans le cœur de l'homme à la manière d'un profond abîme, sous une eau dormante mais l'homme sage les épuise » il en découvre le fond Sicut aqua profunda, sic consilium in corde viri vir sapiens exhauriet illud Lui seul réunissoit les gens de bien, rompoit les liaisons des factieux, en déconcertoit les desseins, et alloit recueillir dans les égarés ce qu'il y restoit quelquefois de bonnes intentions. Gaston ne croyoit que lui; et lui seul savoit profiter des heureux momens et des bonnes dispositions d'un si grand prince. « Venez, venez, faisons contre lui de secrètes menées » Venite, et cogt'~mMS adversùs eum cogitationes. Unissons-nous pour le décréditer tous ensemble « frappons-le de notre langue, et ne souffrons plus qu'on écoute tous ses beaux discours » Percutiamus eum lingud, neque attendamus ad universos sermones ejus'. Mais on faisoit contre lui de plus funestes complots. Combien reçut-il d'avis secrets que sa vie n'étoit pas en sûreté? Et il connoissoit dans le parti de ces fiers courages dont la force malheureuse èt l'esprit extrême ose tout, et sait trouver des exécuteurs. Mais sa vie ne lui fut pas précieuse, pourvu qu'il fût Prov., xx, 5. – 7M~M., xYUIj 1S<
fidèle à son ministère. Pouvoit-il faire à Dieu un plus beau sacrifice, que de lui offrir une ame pure de l'iniquité de son siècle et dévouée à son prince et à sa patrie? Jésus nous en a montré l'exemple les Juifs mêmes le reconnoissoient pour un si bon citoyen, qu'ils crurent ne pouvoir donner auprès de lui une meilleure recommandation à ce Centenier qu'en disant à notre Sauveur a II aime notre nation :o Jérémie a-t-il plus versé de larmes que lui sur les ruines de sa patrie? Que n'a pas fait ce Sauveurmiséricordieux pour prévenir les malheurs de ses citoyens? Fidèle au prince comme à son pays, il n'a pas craint d'irriter l'envie des Pharisiens en défendant les droits de César et lorsqu'il est mort pour nous sur le Calvaire victime de l'univers, il a voulu que le plus chéri de ses évangélistes remarquât qu'il mouroit spécialement « pour sa nation » Quia moriturus erat pro gente 3. Si notre zélé ministre touché de ces verités exposa sa vie, craindroit-il de hasarder sa fortune ? .Ne sait-on pas qu'il lui falloit souvent s'opposer aux inclinations du cardinal son bienfaiteur ? Deux fois, en grand politique, ce judicieux favori sut céder au temps et s'éloigner de la Cour. Mais il le faut dire; toujours il y vouloit revenir trop tôt. Le Tellier s'opposoit à ses impatiences jusqu'à se rendre suspect; et sans craindre ni ses envieux, ni les défiances d'un ministre également soupçonneux et ennuyé de son état, il alloit d'un pas intrépide où la raison d'Etat le déterminoit. Il sut suivre ce qu'il conseilloit. Quand l'éloignement de ce grand ministre eut attiré celui de ses confidens, supérieur par cet endroit au ministre même, dont il admiroit d'ailleurs les profonds conseils, nous l'avons vu retiré dans sa maison, où il conserva sa tranquillité parmi les incertitudes des émotions populaires et d'une Cour agitée; et résigné à la Providence, il vit sans inquiétude frémir à l'entour les flots irrités. Et parce qu'il souhaitoit le rétablissement du ministre comme un soutien nécessaire de la réputation et de l'autorité de la régence, et non pas, comme plusieurs autres, pour son intérêt que le poste qu'il occupoit lui donnoit assez de moyens de ménager d'ailleurs aucun mauvais traitement ne le rebutoit. Un beau-frère sacrifié malgré ses sert Luc., Vt!, 5. < .MaK/t.~ xxu~ 21. JoaH., x~ 51.
vices, lui montroit ce qu'il pouvoit craindre. Il savait, crime irrémissible dans les Cours, qu'on écoutoit des propositions contre lui-même, et peut-être que sa place eût été donnée, si on eût pu la remplir d'un homme aussi sûr. Mais il n'en tenoit pas moins la balance droite. Les uns donnoient au ministre des espérances trompeuses; les autres lui inspiroient de vaines terreurs; et en s'empressant beaucoup, ils faisoient les zélés et les importans. Le Tellier lui montroit la vérité, quoique souvent importune et industrieux à se cacher dans les actions éclatantes, il en renvoyoij, la gloire au ministre, sans craindre dans le même temps de se charger des refus que l'intérêt de l'Etat rendoit nécessaires. Et c'est de là qu'il est arrivé qu'en méprisant par raison la haine de ceux dont il lui falloit combattre les prétentions, il en acquéroit l'estime, et souvent même l'amitié et la confiance. L'histoire en racontera de fameux exemples je n'ai pas besoin de les rapporter; et content de remarquer des actions de vertu dont les sages auditeurs puissent profiter, ma voix n'est pas destinée à satisfaire les politiques ni les curieux. Mais puis-je oublier celui que je vois partout dans le récit de nos malheurs? Cet homme si fidèle aux particuliers, si redoutable à l'Etat, d'un caractère si haut qu'on ne pouvoit ni l'estimer, ni le craindre, ni l'aimer, ni le hair à demi; ferme génie, que nous avons vu en ébranlant l'univers s'attirer une dignité qu'à la fin il voulut quitter comme trop chèrement achetée, ainsi qu'il eut le courage de le reconnoître dans le lieu le plus éminent de la chrétienté, et enfin comme peu capable de contenter ses désirs tant il connut son erreur et le vide des grandeurs humaines. Mais pendant qu'il vouloit acquérir ce qu'il devoit un jour mépriser, il remua tout par de secrets et puissans ressorts; et après que tous les partis furent abattus, il sembla encore se soutenir seul, et seul encore menacer le favori victorieux, de ses tristes et intrépides regards. La religion s'intéresse dans ses infortunes, la ville royale s'émeut, et Rome même menace. Quoi donc n'est pas assez que nous soyons attaqués au dedans et au dehors par toutes les puissances temporelles? Faut-il que la religion se mêle dans nos malheurs, et qu'elle semble nous opposer de près et de loin une autorité sacrée? Mais par les soins du sage Michel
le Tellier, Rome n'eut point à reprocher au cardinal Mazarin d'avoir terni l'éclat de la pourpre dont il étoit revêtu les affaires ecclésiastiques prirent une forme réglée ainsi le calme fut rendu a à l'Etat on revoit dans sa première vigueur l'autorité anbiblie Paris et tout le royaume avec un fidèle et admirable empressement reconnoît son Roi gardé par la Providence et réservé à ses grands ouvrages le zèle des compagnies, que de tristes expériences avoient éclairées, est inébran)able les pertes de l'Etat sont réparées le cardinal fait la paix avec avantage au plus haut point de sa gloire, sa joie est troublée par la triste apparition de la mort intrépide, il domine jusqu'entre ses bras et au milieu de son ombre il semble qu'il ait entrepris de montrer à toute l'Europe que sa faveur attaquée par tant d'endroits, est si hautement rétablie, que tout devient foible contre elle, jusqu'à une mort prochaine et lente. Il meurt avec cette triste consolation; et nous voyons commencer ces belles années, dont on ne peut assez admirer le cours glorieux. Cependant la grande et pieuse Anne d'Autriche rendoit un perpétuel témoignage à l'inviolable fidélité de notre ministre, où parmi tant de divers mouvemens elle n'avoit jamais remarqué un pas douteux. Le Roi, qui dès son enfance l'avoit vu toujours attentif au bien de l'Etat, et tendrement attaché à sa personne sacrée, prenoit confiance en ses conseils; et le ministre conservoit sa modération, soigneux surtout de cacher l'important service qu'il rendoit continuellement à l'Etat, en faisant connoitre les hommes capables de remplir les grandes places, et en leur rendant à propos des offices qu'ils ne savoient pas. Car que peut faire de plus utile un zélé ministre, puisque le Prince, quelque grand qu'il soit, ne connoit sa force qu'à demi, s'il ne connoît les grands hommes que la Providence fait naître en son temps pour le seconder? Ne parlons pas des vivans, dont les vertus non plus que les louanges ne sont jamais sûres dans le variable état de cette vie. Mais je veux ici nommer par honneur le sage, le docte et le pieux Lamoignon, que notre ministre proposoit toujours comme digne de prononcer les oracles de la justice dans le plus majestueux de ses tribunaux. La justice, leur commune amie, les avoit unis et maintenant ces deux ames
pieuses, touchées sur la terre du même désir de faire régner les lois, contemplent ensemble à découvert les lois éternelles d'où les nôtres sont dérivées; et si quelque Ingère trace de nos foibles distinctions paroît encore dans une si simple et si claire vision, elles adorent Dieu en qualité de justice et de règle.
ECCË in j ustitiâ regnabit Rex, et principes in judicio p)'(B6fMH~ « Le Roi régnera selon la justice, et les juges présideront en jugement. » La justice passe du prince dans les magistrats, et du trône elle se répand sur les tribunaux. C'est dans le règne d'Ezéchias le modèle de nos jours. Un Prince zélé pour la justice nomme un principal et universel magistrat capable de contenter ses désirs. L'infatigable ministre ouvre des yeux attentifs sur tous les tribunaux animé des ordres du Prince, il y établit la règle, la discipline, le concert, l'esprit de justice. Il sait que si la prudence du souverain magistrat est obligée quelquefois dans les cas extraordinaires de suppléer à la prévoyance des lois, c'est toujours en prenant leur esprit et enfin qu'on ne doit sortir de la règle, qu'en suivant un fil qui tienne pour ainsi dire à la règle même. Consulté de toutes parts, il donne des réponses courtes, mais décisives, aussi pleines de sagesse que de dignité; et le langage des lois est dans son discours. Par toute l'étendue du royaume chacun peut faire ses plaintes, assuré de la protection du Prince et la justice ne fut jamais ni si éclairée ni si secourable. Vous voyez comme ce sage magistrat modère tout le corps de la justice. Voulez-vous voir ce qu'il fait dans la sphère où il est attaché, et qu'il doit mouvoir par lui-même? Combien de fois s'est-on plaint que les affaires n'avoient ni de règle ni de fin que la force des choses jugées n'ètoit presque plus connue que la compagnie où l'on renversoit avec tant de facilité les jugemens de toutes les autres, ne respectoit pas davantage les siens enfin que le nom du Prince étoit employé à rendre tout incertain, et que souvent l'iniquité sortoit du lieu d'où elle devoit être foudroyée? Sous le sage Michel le Tellier le conseil fit sa véritable fonction; et l'autorité de ses arrêts, semblable à un juste contre-poids, tenoit par tout le royaume la balance égale. Les juges, que leurs coups hardis et ~a., xxxn, i.
leurs artifices faisoient redouter, furent sans crédit leur nom ne servit qu'à rendre la justice plus attentive. Au conseil comme au sceau, la multitude, la variété, la difficulté des affaires n'étonnèrent jamais ce grand magistrat il n'y avoit rien de plus difficile, ni aussi de plus hasardeux, que de le surprendre et dès le commencement de son ministère, cette irrévocable sentence sortit de sa bouche, que le crime de le tromper seroit le moins pardonnable. De quelque belle apparence que l'iniquité se couvrît, il en pénétroit les détours et d'abord il savoit connoitre, même sous les fleurs, la marche tortueuse de ce serpent. Sans châtiment, sans rigueur, il couvroit l'injustice de confusion, en lui faisant seulement sentir qu'il la connoissoit; et l'exemple de son inflexible régularité fut l'inévitable censure de tous les mauvais desseins. Ce fut donc par cet exemple admirable, plus encore que par ses discours et par ses ordres, qu'il établit dans le conseil une pureté et un zèle de la justice qui attire la vénération des peuples, assure la fortune des particuliers, affermit l'ordre public, et fait la gloire de ce règne. Sa justice n'étoit pas moins prompte qu'elle étoit exacte. Sans qu'il fallût le presser, les gémissemens des malheureux plaideurs, qu'il croyoit entendre nuit et jour, étoient pour lui une perpétuelle et vive sollicitation. Ne dites pas à ce zélé magistrat qu'il travaille plus que son grand âge ne le peut souffrir vous irriterez le plus patient de tous les hommes. Est-on, disoit-il, dans les places pour se reposer et pour vivre? Ne doit-on pas sa vie à Dieu, au Prince et à l'Etat? Sacrés autels, vous m'êtes témoins que ce n'est pas aujourd'hui par ces artificieuses fictions de l'éloquence, que je lui mets en la bouche ces fortes paroles 1 Sache la postérité, si le nom d'un si grand ministre fait aller mon discours jusqu'à elle, que j'ai moi-même souvent entendu ces saintes réponses. Après de grandes maladies causées par de grands travaux, on voyoit revivre cet ardent désir de reprendre ses exercices ordinaires au hasard de retomber dans les mêmes maux et tout sensible qu'il étoit aux tendresses de sa famille, il l'accoutumoit à ces courageux sentimens. C'est, comme nous l'avons dit, qu'il faisoit consister avec son salut le service particulier qu'il devoit à Dieu dans une sainte administration de la justice. Il en
faisoit son culte perpétuel, son sacrifice du matin et du soir, selon cette parole du Sage « La justice vaut mieux devant Dieu que de lui offrirdes victimes Car quelle plus sainte hostie, quel encens plus doux, quelle prière plus agréable, que de faire entrer devant soi la cause de la veuve, que d'essuyer les larmes du pauvre oppressé et de faire taire l'iniquité par toute la terre? Combien le pieux ministre étoit touché de ces vérités, ses paisibles audiences le faisoient paroître. Dans les audiences vulgaires, l'un toujours précipité, vous trouble l'esprit; l'autre avec un visage inquiet et des regards incertains, vous ferme le cœur celui-là se présente à vous par coutume ou par bienséance, et il laisse vaguer ses pensées sans que vos discours arrêtent son esprit distrait celui-ci plus cruel encore, a les oreilles bouchées par ses préventions, et incapable de donner entrée aux raisons des autres, il n'écoute que ce qu'il a dans son cœur. A la facile audience de ce sage magistrat et par la tranquillité de son favorable visage, une ame agitée se calmoit. C'est là qu'on trouvoit « ces douces réponses qui apaisent la colère » et « ces paroles qu'on préfère aux dons a Vet'tMm melius quàm datum Il connoissoit les deux visages de la justice l'un facile dans le premier abord, l'autre sévère et impitoyable quand il faut conclure. Là elle veut plaire aux hommes, et également contenter les deux partis ici elle ne craint, ni d'offenser le puissant, ni d'affliger le pauvre et le foible. Ce charitable magistrat étoit ravi d'avoir à commencer par la douceur; et dans toute l'administration de la justice il nous paroissoit un homme que sa nature avoit fait bienfaisant, et que la raison rendoit inflexible. C'est par où il avoit gagné les cœurs. Tout le royaume faisoit des vœux pour la prolongation de ses jours on se reposoit sur sa prévoyance ses longues expériences étoient pour l'Etat un trésor inépuisable de sages conseils; et sa justice, sa prudence, la facilité qu'il apportoit aux affaires, lui méritoient la vénération et l'amour de tous les peuples. 0 Seigneur, vous avez fait, comme dit le Sage, a l'œil qui regarde et l'oreille qui écoute » Vous donc qui donnez aux 1 Prov., xx;) 3. – '/M.j xv, 1. – JSec/t.j xvin, 16. – Prof., xx, 12.
juges ces regards benins, ces oreilles attentives et ce cœur toujours ouvert à la vérité, écoutez-nous pour celui qui éeoutoit tout le monde. Et vous, doctes interprètes des lois, fidèles dépositaires de leurs secrets et implacables vengeurs de leur sainteté méprisée, suivez ce grand exemple de nos jours. Tout l'univers a les yeux sur vous affranchis des intérêts et des passions, sans yeux comme sans mains, vous marchez-sur la terre semblables aux esprits célestes ou plutôt images de Dieu, vous en imitez l'indépendance comme lui vous n'avez besoin ui des hommes ni de leurs présens comme lui vous faites justice à la veuve et au pupille; l'étranger n'implore pas en vain votre secours' et assurés que vous exercez la puissance du Juge de l'univers, vous n'épargnez personne dans vos jugemens. Puisse-t-il avec ses lumières et avec son esprit de force vous donner cette patience, cette attention et cette docilité toujours accessible à la raison, que Salomon lui demandoit pour juger son peuple 21
Mais ce que cette chaire, ce que ces autels, ce que l'Evangile que j'annonce et l'exemple du grand ministre dont je célèbre les vertus, m'oblige à recommander plus que toutes choses, c'est les droits sacrés de l'Eglise. L'Eglise ramasse ensemble tous les titres par où l'on peut espérer le secours de la justice. La justice doit une assistance particulière aux foibles, aux orphelins, aux épouses délaissées 'et aux étrangers. Qu'elle est forte cette Eglise, et que redoutable est le glaive que le Fils de Dieu lui a mis dans la main Mais c'est un glaive spirituel, dont les superbes et les incrédules ne ressentent pas le « double tranchant 3. Elle est fille du ToutPuissant mais son Père, qui la soutient au dedans, l'abandonne souvent aux persécuteurs; et à l'exemple de Jésus-Christ, elle est obligée de crier dans son agonie « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissée ? » Son Epoux est le plus puissant comme le plus beau et le plus parfait de tous les eufans des hommes mais elle n'a entendu sa voix agréable, elle n'a joui de sa douce et désirable présence qu'un moment tout d'un coup il a pris la fuite avec une course rapide, « et plus vite qu'un faon de Deuter., x, 17, 18.- UI Reg., III, 9. ~poc., l, i6; Bf&r., tv, li. –Afa~A., XXVII, 46. PM~. xnv, 3. /oan., m, 29.
biche, il s'est élevé au-dessus des plus hautes montagnes'. » Semblable à une épouse désolée, l'Eglise ne fait que gémir, et le chant de la tourterelle délaissée est dans sa bouche. Enfin elle · est étrangère et comme errante sur la terre, où elle vient recueillir les enfans de Dieu sous ses ailes; et le monde qui s'efforce de les lui ravir, ne cesse de traverser son pèlerinage. Mère affligée, elle a souvent à se plaindre de ses enfans qui l'oppriment on ne cesse d'entreprendre sur ses droits sacrés sa puissance céleste est affoiblie, pour ne pas dire tout à fait éteinte. On se venge sur elle de quelques-uns de ses ministres trop hardis usurpateurs des droits temporels à son tour la puissance temporelle a semblé vouloir tenir l'Eglise captive, et se récompenser de ses pertes sur Jésus-Christ même les tribunaux séculiers ne retentissent que des affaires ecclésiastiques on ne songe pas au don particulier qu'a reçu l'Ordre apostolique pour les décider don céleste que nous ne recevons qu'une fois c par l'imposition des mains 3; » mais que saint Paul nous ordonne de ranimer, de renouveler, et de rallumer sans cesse en nous-mêmes comme un feu divin, afin que la vertu en soit immortelle (a). Ce don nous est-il seulement accordé pour annoncer la sainte parole, ou pour sanctifier les ames par les sacremens? N'est-ce pas aussi pour policer les églises, pour y établir la discipline, pour appliquer les canons inspirés de Dieu à nos saints prédécesseurs, et accomplir tous les devoirs du ministère ecclésiastique? Autrefois et les canons et les lois, et les évêques et les empereurs concouroient ensemble à empêcher les ministres des autels de paroître, pour les affaires même temporelles, devant les juges de la terre on vouloit avoir des intercesseurs purs du commerce des hommes, et on craignoit de les rengager dans le siècle d'où ils avoient été séparés pour être le partage du Seigneur. Maintenant c'est pour les affaires ecclésiastiques qu'on les y voit entraînés tant le siècle a prévalu, tant l'Eglise est foible et impuissante 11 est vrai que l'on commence à l'écouter l'auguste conseil et le premier parlement donnent du secours à son autorité blessée les sources du droit sont Cant., V)ii, i4. – C<M< H, 12. –~H Ttmo~ 6.
(a) 1" édit.: En soit immortelle dans l'Ordre sacré.
révélées les saintes maximes revivent. Un Roi zélé pour l'Eglise et toujours prêt à lui rendre davantage qu'on ne l'accuse de lui ôter, opère ce changement heureux son sage et intelligent chancelier seconde ses désirs sous la conduite de ce ministre nous avons comme un nouveau code favorable à l'épiscopat; et nous vanterons désormais à l'exemple de nos pères les lois unies aux canons. Quand ce sage magistrat renvoie les affaires ecclésiastiques aux tribunaux séculiers, ses doctes arrêts leur marquent la voie qu'ils doivent tenir, et le remède qu'il pourra donner à leurs entreprises. Ainsi la sainte clôture, protectrice de l'humilité et de l'innocence, est établie ainsi la puissance séculière ne donne plus ce qu'elle n'a pas; et la sainte subordination des puissances ecclésiastiques, image des célestes hiérarchies et lien de notre unité, est conservée ainsi la cléricature jouit par tout le royaume de son privilège ainsi sur le sacrifice des voeux, et sur a ce grand sacrement de ') l'indissoluble t union de JésusChrist avec son Eglise » les opinions sont plus saines dans le barreau éclairé et parmi les magistrats intelligens que dans les livres de quelques auteurs qui se disent ecclésiastiques et théologiens. Un grand prélat a part à ces grands ouvrages habile autant qu'agréable intercesseur auprès d'un père porté par luimême à favoriser l'Eglise, il sait ce qu'il faut attendre de la piété éclairée d'un grand ministre, et il représente les droits de Dieu sans blesser ceux de César. Après ces commencemens, ne pourrons-nous pas enfin espérer que les jaloux de la France n'auront pas éternellement à lui reprocher les libertés de l'Eglise toujours employées contre elle-même? Ame pieuse du sage Michel le Tellier, après avoir avancé ce grand ouvrage, recevez devant ces autels ce témoignage sincère de votre foi et de notre reconnoissance, de la bouche.d'un évêque trop tôt obligé à changer en sacrifices pour votre repos ceux qu'il oSroit pour une vie si précieuse. Et vous, saints évêques, interprètes du Ciel, juges de la terre, apôtres, docteurs, et serviteurs des églises; vous qui sanctifiez cette assemblée par votre présence, et vous qui dispersés par tout l'univers, entendrez le bruit d'un ministère si favorable à 1 Ephes., v, 32.
l'Eglise; offrez à jamais de saints sacrifices pour cette ame pieuse. Ainsi puisse la discipline ecclésiastique être entièrement rétablie ainsi puisse être rendue la majesté à vos tribunaux, l'autorité à vos jugemens, la gravité et le poids à vos censures puissiezvous, souvent assemblés au nom de Jésus-Christ, l'avoir au milieu de vous, et revoir la beauté des anciens jours Qu'il me soit permis du moins de faire des vœux devant ces autels, de soupirer après les antiquités devant une compagnie si éclairée, et d'annoncer la sagesse entre les parfaits Mais, Seigneur, que ce ne soit pas seulement des vœux inutiles! Que ne pouvons-nous obtenir de votre bonté, si comme nos prédécesseurs, nous faisons nos chastes délices de votre Ecriture, notre principal exercice de la prédication de votre parole, et notre félicité de la sanctification de votre peuple; si attachés à nos troupeaux par un saint amour, nous craignons d'en être arrachés si nous sommes soigneux de former des prêtres que Louis puisse choisir pour remplir nos chaires; si nous lui donnons le moyen de décharger sa conscience de cette partie la plus périlleuse de ses devoirs; et que par une règle inviolable ceux-là demeurent exclus de l'épiscopat, qui ne veulent pas y arriver par des travaux apostoliques? Car aussi, comment pourrons-nous sans ce secours incorporer tout à fait à l'Eglise de Jésus-Christ tant de peuples nouvellement convertis, et porter avec confiance un si grand accroissement de notre fardeau ? Ah! si nous ne sommes infatigables à instruire, à reprendre, à consoler, à donner le lait aux infirmes et le pain aux forts enfin à cultiver ces nouvelles plantes et à expliquer à ce nouveau peuple la sainte parole, dont, hélasl on s'est tant servi pour le séduire « le fort armé chassé de sa demeure reviendra » plus furieux que jamais, « avec sept esprits plus malins que lui, et notre état deviendra pire que le précédent » Ne laissons pas cependant de publier ce miracle de nos jours faisons-en passer le récit aux siècles futurs. Prenez vos plumes sacrées, vous qui composez les annales de l'Eglise agiles instrumens « d'un prompt écrivain et d'une main diligente » hâtez-vous de mettre Louis avec les Constantins et les Théodoses. Ceux qui vous ont précédés dans ce 1 t Cor., n, 6. Luc.. Xt, 24-2&. – PM~. xuv~ 1.
beau travail, racontent 1 « qu'avant qu'il y eût eu des empereurs dont les lois eussent ôté les assemblées aux hérétiques, les sectes demeuroient unies et s'entretenoient longtemps. Mais, poursuit Sozomène, depuis que Dieu suscita des princes chrétiens et qu'ils eurent défendu ces conventicules, la loi ne permettoit pas aux hérétiques de s'assembler en public; et le clergé, qui veilloit sur eux, les empêéhoit de le faire en particulier. De cette sorte la plus grande partie se réunissoit, et les opiniâtres mouroient sans laisser de postérité, parce qu'ils ne pouvoient ni communiquer entre eux, ni enseigner librement leurs dogmes. » Ainsi tomboit l'hérésie avec son venin; et la discorde rentrait dans les enfers, d'où elle étoit sortie. Voilà, Messieurs, ce que nos pères ont admiré dans les premiers siècles de l'Eglise. Mais nos pères n'avoient pas vu, comme nous, une hérésie invétérée tomber tout à coup les troupeaux égarés revenir en foule, et nos églises trop étroites pour les recevoir leurs faux pasteurs les abandonner, sans même en attendre l'ordre et heureux d'avoir à leur alléguer leur bannissement pour excuse tout calme dans un si grand mouvement l'univers étonné de voir dans un événement si nouveau la marque la plus assurée, comme le plus bel usage de l'autorité, et le mérite du Prince plus reconnu et plus révéré que son autorité même. Touchés de tant de merveilles, épanchons nos cœurs sur la piété de Louis. Poussons jusqu'au ciel nos acclamations; et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose,à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne, ce que les six cent trente Pères dirent autrefois dans le concile de Calcédoine « Vous avez affermi la foi vous avez exterminéles hérétiques c'est le digne ouvrage de votre règne; c'en est le propre caractère. Par vous l'hérésie n'est plus Dieu seul a pu faire cette merveille. Roi du ciel, conservez le roi de la terre c'est le vœu des Eglises, c'est le vœu des évêques s. » Quand le sage chancelier reçut l'ordre de dresser ce pieux édit qui donne le dernier coup à l'hérésie, il avoit déjà ressenti l'atteinte de la maladie dont il est mort. Mais un ministre si zélé pour la justice, ne devoit pas mourir avec le regret de ne l'avoir 1 Sozom., Hist., lib. Il, cap. XXXII. « Concil. Chalced., act. vi.
pas rendue à tous ceux dont les affaires étoient préparées. Malgré cette fatale 'foiblesse qu'il commençoit de sentir, il écouta, il jugea, et il goûta le repos d'un homme heureusement dégagé, à qui ni l'Eglise, ni le monde, ni son prince, ni sa patrie, ni les particuliers, ni le public n'avoient plus rien à demander. Seulement Dieu lui réservoit l'accomplissement du grand ouvrage de la religion; et il dit en scellant la révocation du fameux Edit de Nantes, qu'après ce triomphe de la foi et un si beau monument de la piété du Roi, il ne se soucioit plus de finir ses jours. C'est la dernière parole qu'il ait prononcée dans la fonction de sa charge; parole digne de couronner un si glorieux ministère. En effet la mort se déclare on ne tente plus de remède contre ses funestes attaques dix jours entiers il la considère avec un visage assuré; tranquille, toujours assis, comme son mal le demandoit, on croit assister jusqu'à la fin ou à la paisible audience d'un ministre, ou à la douce conversation d'un ami commode. Souvent il s'entretient seul avec la mort la mémoire, le raisonnement, la parole ferme, et aussi vivant par l'esprit qu'il étoit mourant par le corps il semble lui demander d'où vient qu'on la nomme cruelle., Elle lui fut nuit et jour toujours présente; car il ne connoissoit plus le sommeil, et la froide main de la mort pouvoit seule lui clore les yeux. Jamais il ne fut si attentif « Je suis, disoit-il, en faction » car il me semble que je lui vois prononcer encore cette courageuse parole. Il n'est pas temps de se reposer à chaque attaque il se tient prêt, et il attend le moment de sa délivrance. Ne croyez pas que cette constance ait pu naître tout à coup entre les bras de la mort c'est le fruit des méditations que vous avez vues, et de la préparation de toute la vie. La mort révèle les secrets des coeurs. Vous, riches, vous qui vivez dans les joies du monde, si vous saviez avec quelle facilité vous vous laissez prendre aux richesses que vous croyez posséder si vous saviez par combien d'imperceptibles liens elles s'attachent, et pour ainsi dire elles s'incorporent à votre cceur, et combien sont forts et pernicieux ces liens que vous ne sentez pas vous entendriez la vérité de cette parole du Sauveur « Malheur à vous, riches 1; » « Luc., VI, 24.
et « vous pousseriez, comme dit saint Jacques des cris lamentables et des hurlemens à la vue de vos misères. Mais vous ne sentez pas un attachement si déréglé. Le désir se fait mieux sentir, parce qu'il a de l'agitation et du mouvement. Mais dans la possession, on trouve comme dans un lit un repos funeste; et on s'endort dans l'amour des biens de la terre, sans s'apercevoir de ce malheureux engagement. C'est, mes Frères, où tombe celui qui met sa confiance dans les richesses, je dis même dans les richesses bien acquises. Mais l'excès de l'attachement que nous ne sentons pas dans la possession, se fait, dit saint Augustin 2, sentir dans la perte. C'est là qu'on entend ce cri d'un roi malheureux, d'un Agag outré contre la mort qui- lui vient ravir tout à coup, avec la vie, sa grandeur et ses plaisirs Siccine separat amara mors s ? « Est-ce ainsi que la mort amère vient rompre tout à coup de si doux liens ? » Le cœur saigne dans la douleur de la plaie on sent combien ces richesses y tenoient; et le péché que l'on commettoit par un attachement si excessif, se découvre tout entier Quantùm amando deliquerinî, perdendo senserunt. Par une raison contraire, un homme dont la fortune protégée du Ciel ne connoît pas les disgrâces qui élevé sans envie aux plus grands honneurs, heureux dans sa personne et dans sa famille, pendant qu'il voit disparoître une vie si fortunée, bénit la mort et aspire aux biens éternels ne fait-il pas voir qu'il n'avoit pas mis « son cœur dans le trésor que les voleurs peuvent enlever » et que comme un autre Abrabam, il ne connoit de repos que « dans la cité permanente8? » Un fils, consacré à Dieu, s'acquitte courageusement de son devoir comme de toutes les autres parties de son ministère, et il va porter la triste parole à un père si tendre et si chéri il trouve ce qu'il espéroit un chrétien préparé à tout, qui attendoit ce dernier office de sa piété. L'Extrême-Onction annoncée par la même bouche à ce philosophe chrétien, excite autant sa piété qu'avoit fait le saint Viatique les saintes prières des agonisans réveillent sa foi son ame s'épanche dans les célestes cantiques et vous diriez qu'il soit devenu un autre David 1 Jacob., v, 1. August, De Civil. Dei, lib. I, cap. x, n. 2. – 1 Reg., xv, 32. ilatth VI, 19-2 – » Ikbr., xi, 10.
par l'application qu'il se fait à lui-même de ses divins Psaumes. Jamais juste n'attendit la grace de Dieu avec une plus ferme confiance; jamais pécheur ne demanda un pardon plus humble, ni ne s'en crut plus indigne. Qui me donnera le burin que Job désiroit, pour graver sur l'airain et sur le marbre cette parole sortie de sa bouche en ces derniers jours, que depuis quarantedeux ans qu'il servoit le Roi, il avoit la consolation de ne lui avoir jamais donné de conseil que selon sa conscience, et dans un si long ministère de n'avoir jamais souffert une injustice qu'il pût empêcher? La justice demeurer constante, et pour ainsi dire toujours vierge et incorruptible parmi des occasions si délicates quelle merveille de la grace Après ce témoignage de sa conscience, qu'avoit-il besoin de nos éloges? Vous étonnez-vous de sa tranquillité? Quelle maladie ou quelle mort peut troubler celui qui porte au fond de son cœur un si, grand calme ? Que vois-je durant ce temps? Des enfans percés de douleur car ils veulent bien que je rende ce témoignage à leur piété, et c'est la seule louange qu'ils peuvent écouter sans peine. Que vois-je encore? 9 Une femme forte, pleine d'aumônes et de bonnes œuvres précédée malgré ses désirs par celui que tant de fois elle avoit cru devancer. Tantôt elle va offrir devant les autels cette plus chère et plus précieuse partie d'elle-même tantôt elle rentre auprès du malade, non par foiblesse, mais, dit-elle, a pour apprendre à mourir et profiter de cet exemple. » L'heureux vieillard jouit jusqu'à la fin des tendresses de sa famille, où il ne voit rien de foible mais pendant qu'il en goûte la reconnoissance, comme un autre Abraham il la sacrifie et en l'invitant à s'éloigner « Je veux, dit-il, m'arracher jusqu'aux moindres vestiges de l'humanité. » Reconnoissez-vous un chrétien qui achève son sacrifice; qui fait le dernier effort, afin de rompre tous les liens de la chair et du sang, et ne tient plus à la terre ? Ainsi parmi les souffrances et dans les approches de la mort, s'épure comme dans un feu l'ame chrétienne. Ainsi elle se dépouille de ce qu'il y a de terrestre et de trop sensible, même dans les affections les plus innocentes. Telles sont les graces qu'on trouve à la mort. Mais qu'on ne s'y trompe pas, c'est quand on l'a souvent méditée, quand on s'y est
longtemps préparé par de bonnes œuvres autrement la mort porte en elle-même ou l'insensibilité, ou un secret désespoir, ou dans ses justes frayeurs l'image d'une pénitence trompeuse, et enfin un trouble fatal à la piété. Mais voici dans la perfection de la charité, la consommation de l'œuvre de Dieu. Un peu après, parmi ses langueurs et percé de douleurs aiguës, le courageux vieillard se lève, et les bras en haut, après avoir demandé la persévérance « Je ne désire point, dit-il, la fin de mes peines, mais je désire de voir Dieu. » Que vois-je ici, chrétiens? La foi véritable, qui d'un côté, ne se lasse pas de souffrir, vrai caractère d'un chrétien et de l'autre, ne cherche plus qu'à se développer de ses ténèbres, et en dissipant le nuage, se changer en pure lumière et en claire vision. 0 moment heureux où nous sortirons des ombres et des énigmes pour voir la vérité manifeste! Courons-y, mes Frères, avec ardeur hâtons-nous de « purifier notre cœur afin de voir Dieu, » selon la promesse de l'Evangile 2. Là est le terme du voyage là se finissent les gémissemens là s'achève le travail de la foi, quand elle va pour ainsi dire enfanter la vue. Heureux moment, encore une fois Qui ne te désire pas, n'est pas chrétien? Après que ce pieux désir est formé par le Saint-Esprit dans le cœur de ce vieillard plein de foi, que reste-t-il, chrétiens, sinon qu'il aille jouir de l'objet qu'il aime? Enim prêt à rendre l'ame « Je rends graces à Dieu, dit-il, de voir défaillir mon corps devant mon esprit. » Touché d'un si grand bienfait, et ravi de pouvoir pousser ses reconnoissances jusqu'au dernier soupir, il commença l'hymne des divines miséricordes Misericordias Domini in œternum cantabo « Je chanterai, dit-il, éternellement les miséricordes du Seigneur. » II expire en disant ces mots, et il continue avec les anges le sacré cantique. Reconnoissez maintenant que sa perpétuelle modération venoit d'un coeur détaché de l'amour du monde; et réjouissez-vous en Notre-Seigneur, de ce que riche il a mérité les graces et la récompense de la pauvreté. Quand je considère attentivement dans l'Evangile la parabole ou plutôt l'histoire du mauvais riche, et que je vois de quelle sorte JésusChrist y parle des fortunés de la terre, il me semble d'abord qu'il I Cor., XIII, 12. Matth., v, 8. – 3 Psal. LXIXVIH.
ne leur laisse aucune espérance au siècle futur. Lazare pauvre et couvert d'ulcères, « est porté par les anges au sein d'Abraham » pendant que le riche, toujours heureux dans cette vie, « est enseveli dans les enfers. » Yoilà un traitement bien différent que Dieu fait à l'un et à l'autre. Mais comment est-ce que le Fils de Dieu nous en explique la cause ? « Le riche, dit-il, a reçu ses biens, et le pauvre ses maux dans cette yie » et de là quelle conséquence? Ecoutez, riches, et tremblez: « Et maintenant, poursuit-il, l'un reçoit sa consolation, et l'autre son juste supplice. » Terrible distinction funeste partage pour les grands du monde Et toutefois ouvrez les yeux c'est le riche Abraham qui reçoit le pauvre Lazare dans son sein; et il vous montre, ô riches du siècle, à quelle gloire vous pouvez aspirer, si « pauvres en esprit 3 » et détachés de vos biens, vous vous tenez aussi prêts à les quitter qu'un voyageur empressé à déloger de la tente où il passe une courte nuit. Cette grace, je le confesse, est rare dans le Nouveau Testament, où les afflictions et la pauvreté des enfans de Dieu doivent sans cesse représenter à toute l'Eglise un Jésus-Christ sur la croix. Et cependant, chrétiens, Dieu nous donne quelquefois de pareils exemples, afin que nous entendions qu'on peut mépriser les charmes de la grandeur même présente, et que les pauvres apprennent à ne désirer pas avec tant d'ardeur ce qu'on peut quitter avec joie. Ce ministre si fortuné et si détaché tout ensemble, leur doit inspirer ce sentiment. La mort a découvert le secret de ses affaires; et le public, rigide censeur des hommes de cette fortune et de ce rang, n'y a rien vu que de modéré. On a vu ses biens accrus naturellement par un si long ministère et par une prévoyante économie et on ne fait qu'ajouter à la louange de grand magistrat et de sage ministre, celle de sage et vigilant père de famille, qui n'a pas été jugée indigne des saints patriarches. Il a donc à leur exemple, quitté sans peine ce qu'il avoit acquis sans empressement ses vrais biens ne lui sont pas ôtés, et sa justice demeure aux siècles des siècles. C'est d'elle que sont découlées tant de graces et tant de vertus que sa dernière maladie a fait éclater. Ses aumônes, si bien cachées dans le sein du pauvre, ont prié pour » Luc., xvt, 22. – Luc., xvi, 25. » Matth., v, 3.
lui sa main droite les cachoit à sa main gauche et à la réserve de quelque ami qui en a été le ministre ou le témoin nécessaire, ses plus intimes confidens les ont ignorées mais « le Père, qui les a vues dans le secret, lui en a rendu la récompense » Peuples, ne le pleurez plus; et vous qui éblouis de l'éclat du monde, admirez le tranquille cours d'une si longue et si belle vie, portez plus haut vos pensées. Quoi donc quatre-vingt-trois ans passés au milieu des prospérités, quandil n'en faudroit retrancher ni l'enfance où l'homme ne se connoît pas, ni les maladies où l'on ne vit point, ni tout le temps dont on a toujours tant de sujet de se repentir, paroitront-ils quelque chose à la vue de l'éternité où nous nous avançons à si grands pas? Après cent trente ans de vie, Jacob amené au roi d'Egypte, lui raconte la courte durée de son laborieux pèlerinage, qui n'égale pas les jours de son père Isaac ni de son aïeul Abraham 3. Mais les ans d'Abraham et d'Isaac, qui ont fait paroître si courts ceux de Jacob, s'évanouissent auprès de la vie de Sem, que celle d'Adam et de Noé efface. Que si le temps comparé au temps, la mesure à la mesure et le terme au terme, se réduit à rien que sera-ce si l'on compare le temps, à l'éternité, où il n'y a mesure ni terme ? Comptons donc comme très-court, chrétiens ou plutôt comptons comme un pur néant tout ce qui finit, puisqu'enfin quand on auroit multiplié les années au delà de tous les nombres connus, visiblement ce ne sera rien, quand nous serons arrivés au terme fatal. Mais peut-être que prêt à mourir, on comptera pour quelque chose cette vie de réputation, ou cette imagination de revivre dans sa famille qu'on croira laisser solidement établie. Qui ne voit, mes Frères, combien vaines, mais combien courtes et combien fragiles sont encore ces secondes vies, que notre foiblesse nous fait inventer pour couvrir en quelque sorte l'horreur de la mort? Dormez votre sommeil, riches de la terre, et demeurez dans votre poussière. Ah! si quelques générations, que dis-je? si quelques années après votre mort vous reveniez, hommes oubliés, au milieu du monde, vous vous hâteriez de rentrer dans vos tombeaux pour ne voir pas votre nom terni, votre mémoire abolie et votre prévoyance trompée dans vos amis, • Eccli, XïlXj 15. « Matth., vr, 3, 4. « Gènes., slyii, 3.
dans vos créatures et plus encore dans vos héritiers et dans vos enfans. Est-ce là le fruit du travail dont vous vous êtes consumés sous le soleil, vous amassant un trésor de haine et de colère éternelle au juste jugement de Dieu? Surtout, mortels, désabusez-vous de la pensée dont vous vous flattez, qu'après une longue vie, la mort vous sera plus douce et plus facile. Ce ne sont pas les années, c'est une longue préparation qui vous donnera de l'assurance. Autrement un philosophe vous dira en vain que vous devez être rassasiés d'années et de jours, et que vous avez assez vu les saisons se renouveler, et le monde rouler autour de vous ou plutôt, que vous vous êtes assez vus rouler vous-mêmes et passer avec le monde. La dernière heure n'en sera pas moins insupportable, et l'habitude de vivre ne fera qu'en accroître le désir. C'est de saintes méditations c'est de bonnes œuvres, c'est ces véritables richesses, que vous enverrez devant vous au siècle futur, qui vous inspireront de la for ce et c'est par ce moyen que vous affermirez votre courage. Le vertueux Michel le Tellier vous en a donné l'exemple la sagesse, la fidélité, la justice, la modestie, la prévoyance, la piété; toute la troupe sacrée des vertus, qui veilloient pour ainsi dire autour de lui, en ont banni les frayeurs, et ont fait du jour de sa mort le plus beau, le plus triomphant, le plus heureux jour de sa vie.
ORAISON FUNEBRE
DK Y
LOUIS DE BOURBON,
PRINCE DE CONDÉ,
PREMIER PRINCE DU SANG.
REMARQUES HISTORIEES.
Quatrième fils de Henri de Bourbon et de Charlotte de Montmorency, le prince de Condé, qu'on a surnommé le Grand, vit le jour à Paris le 8 septembre 1621. On craignit de le perdre comme ses ainés dès les premiers jours de sa naissance, tant il étoit foible et débile, et petit. Il fut élevé dans le Berry, au château de Montrond. Lorsqu'il eut recueilli des forces suffisantes, il fit ses premières études à Bourges, au collége des Jésuites. A l'âge de douze ans, il rédigea un petit traité de rhétorique, qu'il dédia au prince de Conti, son frère puîné. Il conserva toute sa vie le goùt des lettres et des sciences.
Louis de Bourbon entra de bonne heure dans la carrière des armes, et nous le voyons à l'igo de dix-neuf ans signaler sa bravoure au siège d'Arras. C'est la même année, en 1640, qu'on lui offrit pour épouse Claire-Clémence, fille du maréchal de Brézé, nièce de Richelieu. Il refusa d'abord cette union; mais le ministre insiste, le roi donne des ordres; il faut céder. Le jeune prince verse des larmes de colère, et se rend à l'autel comme une victime Deux jours après, son sang est tout en feu, la fièvre le dévore; mais les remèdes triomphent du mal, et le choc qui devoit l'abattre lui donne de nouvelles forces. Son mariage ne lui donna qu'un fils, Henri-Jules de Bourbon s. 1 Son frère, le prince de Conti, dut pareillement épouser une nièce de Mazarin. Le même ministre réservoit une autre de ses nièces à Louis XIV. On voit que ces habiles hommes savoient mener de front les affaires de leur famille avec celles de l'Etat
2 Bossuet fait l'éloge de ce prioce avec celui de son père; voici la contre-
Après la mort de Richelieu, Mazarin le mit à la tête de l'armée de Flandre, qui faisoit face à l'armée d'Espagne. Dans ses premières armes, le jeune soldat n'avoit montré qu'une bravoure bouillante, impétueuse, téméraire; mais l'art de la guerre étoit en lui comme un instinct naturel; il fut grand capitaine du premier coup. Les deux armées se rencontrèrent dans la plaine de Rocroy. Non-seulement les Espagnols ont l'avantage du nombre et de la position, mais la Cour a donné l'oidre de ne point hasarder la bataille, et le maréchal do l'Hôpital seconde ces ordres par sa circonspection. Le prince triomphe et des timides conseils et des phalanges ennemies; les Espagnols laissent dix mille morts sur le champ de bataille; et perdent cinq mille prisonniers; et leur infanterie, si renommée jusqu'alors, ne fit plus rien de remarquable. Le vieux comte des Fontaines ( de Fuentes) qui commandoit cette armée, tomba percé de coups La bataille se donna le 19 mai 1643, cinq jours après la mort de Louis XIII. C'est Bossuet qui a tracé, dans l'Oraison funèbre, le tableau le plus dramatique et tout ensemble le plus fidèle de cette affreuse mèlée.
Dans les campagnes suivantes, même inspiration de génie, même vigueur d'action, même rapidité de succès. En 1644, Louis de Bourbon court au delà du Rhin combattre un ennemi victorieux; l'armée d'Allemagne, commandée par Merci, capitaine aussi brave qu'habile, avoit forcé Turenne de lui céder la ville de Fribourg. Méprisant ici comme à Rocroy la supériorité du nombre, il livre bataille sous les partie « C'étoit un homme très-mince et très-maigre, dont le \isage, d'assez petite mine, ne laissoit pas d'imposer par le feu et l'audace de ses yeux. Personne n'a eu plus d'esprit, et de toutes sortes d'esptit, ni rarement tant de savoir en presque tous les genres, avec un goût exquis et universel. Jamais aussi tant de talens inutiles, tant de génie sans usage, tant et une si continuelle et si vive imagination uniquement propre à être son bourreau et le fléau des autres; jamais tant d'épines et tant de ddngers dans le commerce, tant et de si sordide avarice, et de ménage bas et honteux, d'injustices, de rapines, de iolences jamais encore tant de hauteur, jamais en même temps une si vile bassesse. De là cette cour rampante aux gens de robe et de finance, ce raBnement abject de courtisan auprès du roi; de là encore ces hauts et ces bas continuels avec tout le reste. Fils dénatmé, cruel père, mari terrible, maitre détestable, pernicieux voisin, sans amitié, sans amis, incapable d'en avoir, jaloux, soupçonneux, inquiet sans aucune relâche. A tout prendre, la fougue et l'avarice étoient ses maîtres qui le goui mandoient toujours. » Le même écrivain dit ailleurs « Ce qui ne peut se comprendre, c'est qu'avec tant d'esprit, de pénétration, de valeur et d'envie de faire et d'être un aussi grand homme a la guerre quétoit monsieur son père, il n'ait jamais pu lui faire comprendre les premiers élémens de ce grand art. Il en fit longtemps son étude et son application principale. Le fils y répondit par la sienne, sans que jamais il ait pu acquérir la moindre aptitude à aucune des parties de la guerre, sur laquelle monsieur sou père ne lui cachoit rien, et lui expliquoit tout à la tête des armées. (Saint-Simon.) – Quand Il apprit sa fin, Condé dit « Je voudrois être mort comme lui, si je n'avois pas vaincu. »
murs mêmes de la place; trois jours il dispute la victoire, et trois jours il fait des prodiges de valeur dans un moment décisif, voyant ses troupes hésiter, il jette au milieu des rangs ennemis son bâton de commandant, et va le reprendre l'épée à la main; les François le suivent, couvrent le sol de cadavres et remportent une brillante victoire. Le prince eut le fourreau de son sabre brisé par une balle, et le pommeau de sa selle emporté par un boulet. L'année suivante, en 1643, il vole pour la seconde fois au secours de Turenne; les deux généraux rencontrent l'armée allemande et la mettent en pièces à Nordlmgen; Merci lui-même, couvert de blessures, meurt aux pieds de ses vainqueurs. Après une maladie causée par tant de fatigues, en iGi6, il rentre en Flandre et prend Dunkerque en treize jours; Dunkerque qui étoit alors une place de grande importance.
Tant de succès donnèrent de l'ombrage aux ministres. Dans l'espoir de diminuer le prestige qui entouroit son nom, on remplaça les compagnons de ses victoires par de mauvaises troupes mal payées; puis on l'envoya en Catalogne contre l'Espagne. Que faire avec de tels moyens? Il mit le siège devant Lérida, mais il fut forcé de le lever bientôt après. L'impuissance jalouse ne put longtemps se passer de ses services; rappelé en Flandre, il gagna contre l'archiduc Léopold, en 1648, la bataille de Lens; cette victoire contraignit l'Allemagne à la paix, et fit disparoitre les restes de l'infanterie espagnole. Cependant la guerre avoit épuisé les finances de l'Etat et les dernières ressources du peuple. Mazarin, qui gouvernoit seul, devenu riche et.tout-puissant, étoit détesté des grands qui envioient sa fortune, et des petits qui le regardoient comme la cause de leurs maux. Le parlement de Paris, jaloux de ses privilèges, s'oppose aux volontés du ministre; plusieurs jeunes gens, qu'on nomma les Frondeurs, se livrent à des menées séditieuses; bientôt le désordre est au comble. Recherché par le parti de la révolte, mais gagné par les promesses de la reine et par les prières du jeune roi, le prince de Condé se déclare cette fois pour la Cour; il conduit pendant la nuit la famille royale à Saint-Germain, et revient assiéger la capitale avec huit mille hommes. Les rebelles se soumirent le 11 mars 1 649.
Après avoir ainsi défendu le drapeau de la fidélité, Condé le déchira de ses propres mains. 11 avoit abattu les adversaires de la royauté au dedans, les ennemis de la France au dehors aucune récompense n'égaloit ses services, aucune élévation n'atteignoit son mérite. Et quel sanglant outrage pour un homme de guerre une intrigue de Cour avoit failli ternir sa gloire en Catalogne, et le ministre venoit de lui faire essuyer un refus' En même temps sa sœur, M™ de LongueIl avoit demandé pour un des siens la place d'amiral. La reine remit la disposition de cette charge à la majorité du roi.
ville, femme ambitieuse et galante, qui étoit devenue l'âme de la Fronde, versoit du fiel dans son cœur et le poussoit à la révolte. Outré, exaspéré, le prince déploie tout l'orgueil de son caractère; il répand le mépris, l'injure et le sarcasme; il ose attaquer Mazarin lui-même, il désapprouve le mariage d'une de ses nièces avec le duc de Mercosur. Le pouvoir veut frapper un grand coup il arrête Condé avec le prince de Conti son frère, et le duc de Longueville son beau-frère. On les conduit d'abord à Yincennes, puis à Marcoussy, puis au Havre-de-Grace. Ils furent mis en liberté le 11 1 février 165), après treize mois de captivité. Condé disoit dans un âge plus avancé « J'étois entré dans cette prison, le plus innocent des hommes; j'en suis sorti le plus coupable. » Après avoir hésité quelque temps, préférant la vengeance au bien public, il lève le drapeau de la révolte. Il a bientôt rassemblé des troupes dans son gouvernement de Guyenne; il bat l'armée royale commandée par le maréchal d'Hocquincourt, et paroît dans le faubourg Saint-Antoine, à Paris, le 2 juillet 1652. Il n'a plus Turenne sous ses ordres, mais il le rencontre sur le chemin du devoir pressé de toutes parts, il est refoulé sans issue contre le mur d'enceinte; Mademoiselle, fille de Gaston, cousine de Louis XIV, fait ouvrir la porte du faubourg et tirer le canon de la Bastille sur les troupes fidèles1; il s'échappe couvert de sang, de sueur, de poussière, et s'enfuit le désespoir dans l'ame chez les Espagnols. Les années suivantes, il obtient dans deux rencontres quelque avantage sur les troupes royales; mais Turenne disperse ses bandes devant Cambray et dans la bataille des Dunes. Pendant près de huit ans, Condé, nouveau Coriolan, porta les armes à la tête de l'ennemi contre ses frères, faisant à la France tout le mal qu'il put lui faire. Dans les conférences qui amenèrent la paix des Pyrénées, don Louis de Haro insinua que l'Espagne avoit l'intention de lui donner un domaine en Belgique; Mazarin crut son établissement sur les frontières plus dangereux que son retour dans la capitale; le traité de paix lui assura l'oubli de ses torts. Mazarin termine sa carrière, et Louis XIV prend les rênes de l'Etat. En 1667, la guerre se rallume entre la France et l'Espagne et l'année suivante, Condé fait en trois semaines la conquête de la FrancheComté. La campagne de 1672, contre la Hollande, fit éclater dans une nouvelle lumière sa valeur et son repentir. Au passage du Rhin, le duc de Longueville, son neveu, tire un coup de feu sur des soldats qui demandent quartier; une décharge de mousqueterie tue le duc inhumain et le prince, détournant un pistolet appuyé sur sa poitrine, 1 Cette princesse avoit une extrême envie d'épouser une tête couronnée. Quand il apprit son exploit, Mazarin dit: « Voilà un canon qui a tué son mari. » Un neveu du ministre perdit la vie dans l'affaire du faubourg Saint-Antome; le peuple se crut vengé. t
a le poignet brisé par le coup. C'est la seule blessure qu'il ait reçue dans les combats. Il montra peut-être plus d'impétuosité que de prudence à Senef, près de Mons. Au lieu de s'arrêter aux premiers avantages de l'action, il attaque le prince d'Orange dans ses retranchemens le fer et la flamme font de nombreuses victimes, et le sang francois coule par torrents; le commandant lui-même roule avec le quatrième cheval tué sous lui parmi les morts, et son fils reçoit une blessure dans ses bras 1.
Pendant que Condé battoit le Prince d'Orange dans les Pays-Bas, Turenne faisoit face à Montecuculli dans les plaines d'Allemagne. Après avoir été longtemps le boulevard de la France sur les bords du Rhin, Turenne, peut-être le plus habile stratégiste de son temps, est frappé d'un boulet devant Salzbach, et meurt en 1675, à l'âge de soixantequatre ans Les Impériaux, ne rencontrant plus que de foibles digues, se répandent sur l'Alsace comme un torrent. Aussitôt Condé laisse l'armée de Flandre sous les ordres de Luxembourg, court au-devant de l'ennemi, lui fait lever le siège de Saverne et le repousse au delà du Rhin.
Après sa retraite, Montecuculli fier non pas d'avoir vaincu, mais de n'avoir été vaincu ni par Turenne ni par Condé, remit son commandement entre les mains de l'empereur. De son côté le prince de Bourbon manifesta le désir du repos; Louis XIV, qui se rappeloit et les humiliations de sa jeunesse pendant la Fronde, et le sang prodigué sans avantage dans la bataille de Senef, ne s'opposa point à son projet. Ainsi l'année 1675 vit disparoitre de la scène des combats les trois plus grands capitaines du siècle, Turenne, Montecuculli et Condé.
Condé se retira dans la terre de Chantilli, et voulut embellir encore ce magnifique séjour, où chacun de ses ancêtres avoit enterré des trésors, dit Saint-Simon. 11 fut bientôt entouré de tous les charmes de la société, comme il l'étoit de toutes les beautés de la nature; l'éclat de sa gloire et de sa magnificence, la grandeur de son esprit et de son génie réunirent autour de lui une Cour nombreuse, bien mieux les hommes les plus éclairés et les plus éloquens de son siècle. Il se promenoit souvent, dans les allées de son parc ou parmi les fleurs de son parterre, avec Bossuet, Racine, Boileau, la Bruyère. Vainqueur de Rocroy, de Nordlingen et de Fribourg, il fit à Bossuet l'honneur t Quand il revint de la campagne de Flandre, comme la goutte ralentissoit sa marche et que le roi l'attendoit au haut de l'escalier, il lui demanda pardon de sa lenteur. Louis XIV lui répondit « Mon cousin, ne vous pressez pas quand on ebt chargé de lauriers comme vous êtes, on ne sauroit marcher si vite. » Montecuculli, en apprenant sa mort « Je ne saurois assez regretter, dit-il, un homme qui faisoit honneur à la nature humaine, un homme au-dessus de l'humanité. »
d'assister avec son état-major à une de ses épreuves scolaires Il répandoit des larmes en lisant Corneille; mais il n'en apprécia pas moins Racine, et le défendit contre d'injustes manœuvres. Discutant un peu comme il commandoit sur les champs de bataille, il faisoit quelquefois trembler ses contradicteurs « Je garderai le silence devant Condé, disoit Boileau; mais je me défendrai devant le roi. » La Bruyère recevoit une pension de sa munificence la Bruyère, l'un des hommes les plus indépendans du xvii0 siècle, l'écrivain qui nous a laissé de son protecteur le seul portrait qu'on puisse lire après l'Oraison funèbre. L'illustre vieillard sentoit ses maux s'accroître avec le nombre des années. Selon Bossuet, son premier panégyriste, il ne douta jamais des vérités de la foi; Bourdaloue, qui fit aussi son éloge, dit au contraire qu'il étoit revenu de grandes erreurs; mais il est certain que ses dernières années furent remplies par les œuvres de la piété chrétienne, et qu'il se prépara saintement à la mort8. Il s'étoit fait transporter auprès d'une de ses parentes malade à Fontainebleau; c'est là qu'il rendit le dernier soupir le 11 décembre 1686, à l'âge de soixantecinq ans. Certes nous ne raconterons pas sa mort après Bossuet. Son corps fut inhumé à Saint-Denis, et son cœur déposé dans l'église des Jésuites.
Suivant un de ses historiens, Condé avoit «une taille au-dessus de la moyenne, aisée, fine, pleine d'élégance et d'agilité; le front large, le nez aquilin; les yeux grands, bleus, très-perçans; la tète belle, couverte d'une forêt de cheveux. Le bas du visage ne répondoit pas à la partie supérieure; sa bouche étoit grande, et ses dents saillantes. Malgré ces imperfections, il y avoit dans son air quelque chose de noble et de fier, tempéré par une politesse pleine de dignité. » On dit 1 Bossuet lui rendit cet honneur, en présidant souvent à l'éducation de son fils; que dis-je? il a couvert sous des rayons de gloire la tache qu'une guerre parricide avoit imprimée à sa mémoire. Condé avoit pour Bossuet la plus grande affection. 11 lui avoit envoyé un de ses serviteurs, pour établir à Germigny des pieces d'eaux; voici ce qu'il lui écrivit à cette occasion « Je suis ravi que vous soyez content de mon fontainier. Quand on ne peut plus rendre de grands services à ses amis, on est ravi au moins de leur en pouvoir rendre de petits; et comme il n'y a personne, si je l'ose dire, que j'aime mieux que vous, et que je suis assez malheureux pour n'avoir plus d'occasion de vous rendre des services considérables, je suis ravi d'avoir quelque occasion de faire quelque 'chose qui vous puisse faire un peu de plaisir. Gardez-le donc tant qu'il vous sera un peu utile, et n'ayez aucun scrupule là-dessus. Je suis ravi de la résolution que vous avez prioe de travailler sans relâche à achever votre ouvrage (l'Histoire des Variations). J'ai une extrême impatience de le voir, étant persuadé qu'il sera très-utile et admirablement beau, » etc. Cette lettre est du 19 septembre 1685. Mm0 de Longueville, sa sœur, expia ses égaremens par une longue pénitence. Comme quelqu'un s'avisa de dire un jour en présence du prince que tous les dévots étoient des gens sans esprit « Je ne sais trop, répondit-il, ce que c'est que dévotion; mais je sais bien que ma sœur n'est pas une sotte. »
qu'il étoit inégal de caractère, emporté dans la colère, violent dans ses prétentions; et plusieurs de ses contemporains l'accusent d'avoir sacrifié à sa gloire le sang du soldat. Est-ce donc que le commandement absolu n'engendre pas la hauteur? Est-ce que les statues des grands hommes de guerre ne sont pas dressées sur des monceaux de cadavres 1
Louis XIV voulut qu'on lui rendit les plus grands honneurs. Nonseulement il pria Bossuet d'être son panégyriste mais il lui fit faire un service public d'une magnificence vraiment royale. Les vastes nefs de l'église métropolitaine, fermées aux rayons du jour, n'étoient éclairées que par les flambeaux de la nuit; le catafalque, portant les livrées de la mort richement décorées, s'élevoit jusqu'aux voûtes de la cathédrale gothique; et partout des colonnes habilement ciselées, partout des inscriptions dues au burin du Père Ménétrier, partout des figures peintes par Lebrun et par Mignard, et que les amateurs achctoient au poids de l'or, dit Mme de Sévigné. Cette splendeur funèbre ravissoit tellement l'admiration, que Bossuet la fit entrer comme un ornement oratoire dans son discours.
L'Oraison funèbre fut prononcée le -10 mars 1687, dans l'église de Notre Dame de Paris, devant « tout ce que la France avoit de plus auguste, comme s'exprime Bossuet les hauts dignitaires du clergé, les seigneurs de la Cour, les chefs de l'armée, les corps de la magistrature, les gloires de la science, de la littérature et des arts. Louis XIV avoit fait lui même les invitations. L'appellation de Monseigneur fut adressée au fils de Condé, Henri Jules de Bourbon, qui menoit le deuil.
L'Oraison funèbre de Condé est, avec l'Oraison funebre de la Reine d'Angleterre, regardée comme le plus beau chef-d'œuvre d'un auteur qui a composé autant de chefs-d'œuvre que d'ouvrages de ce genre; elle offre réuni tout ce que la religion a de plus grand et de plus divin, l'histoire de plus imposant et de plus dramatique, l'éloquence de plus noble et de plus majestueux, la poésie de plus sensible et de plus ravissant elle est l'œuvre du cœur plus encore que celle du génie. C'est par ce discours que Bossuet termina, non pas sa mission évangélique, mais sa carrière oratoire; dans la péroraison, après avoir môle pour ainsi dire sa mort à celle de Condé, il prit congé des grands auditoires de la capitale par ces touchantes paroles « Je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie les restes d'une voix qui tombe, et d'une ardeur qui s'éteint. »
Bourdaloue et Fléchier ont fait, après Bossuet, l'éloge de Condé. « Bossuet, dit Villemain, marche comme les dieux d'Homère, qui en
trois pas sont au bout du monde; Bourdaloue se traîne avec effort dans une carrière étroite, qu'il peut à peine fournir. » Fléchier est élégant écrivain sans être orateur au lieu de dire tout simplement avec Bossuet « le canon, » par exemple, il s'efforce d'embellir l'idée par cette périphrase « Ces foudres de bronze que l'enfer a inventés pour la destruction des hommes, tonnoient de tous côtés pour favoriser et pour précipiter cette retraite. »
L'Oraison funèbre de Condé parut en 1687 chez Sébastien Marbre-Cramoisy puis la même année àAmsterdam; puis en 1689, à Paris, dans la collection des grandes œuvres oratoires de Bossuet. Nous avons supprimé les textes que les éditeurs avoient ajoutés au bas des pages.
ORAISON FUNÈBRE
DE E
LOUIS DE BOURBON.
Dominus tccum, virorum fortissime Tade in hfc fortitudine tuû Ego ero tecuna.
Le Seigneur est avec vous, ô le plus courageux de tous les hommes. Allez avec ce courage dont vous êtes rempli. Je serai avec vous. Aux Juges, vi, 12, 14, 16.
Monseigneur,
Au moment que j'ouvre la bouche pour célébrer la gloire' immortelle de Louis de Bourbon, Prince de Condé, je me sens également confondu, et par la grandeur du sujet, et s'il m'est permis de l'avouer, par l'inutilité du travail. Quelle partie du monde habitable n'a pas ouï les victoires du Prince de Condé et les merveilles de sa vie? On les raconte partout le François qui les vante n'apprend rien à l'étranger; et quoi que je puisse aujourd'hui vous en rapporter, toujours prévenu par vos pensées, j'aurai encore à répondre au secret reproche que vous me ferez, d'être demeuré beaucoup au-dessous. Nous ne pouvons rien, foibles orateurs, pour la gloire des ames extraordinaires le Sage a raison de dire que « leurs seules actions les peuvent louer H toute autre louange languit auprès des grands noms et la seule simplicité d'un récit fidèle pourroit soutenir la gloire du Prince de Condé. Mais en attendant que l'histoire, qui doit ce récit aux siècles futurs, le fasse paroître, il faut satisfaire, comme nous pourrons, à la reconnoissance publique et aux ordres du plus grand de tous les rois. Que ne doit point le royaume à un Prince qui a honoré la Maison de France, tout le nom françois, son siècle et pour ainsi dire l'humanité toute entière ? Louis le Grand est entré lui-même dans ces sentimens. Après avoir pleuré ce grand i Prov., xxxr, 31.
homme, et lui avoir donné par ses larmes au milieu de toute sa Cour, le plus glorieux éloge qu'il pût recevoir, il assemble dans un temple si célèbre ce que son royaume a de plus auguste pour y rendre des devoirs publics à la mémoire de ce Prince; et il veut que ma foible voix anime toutes ces tristes représentations et tout cet appareil funèbre. Faisons donc cet effort sur notre douleur. Ici un plus grand objet, et plus digne de cette chaire, se présente à ma pensée. C'est Dieu qui fait les guerriers et les conquérans. « C'est vous, lui disoit David, qui avez instruit mes mains à combattre, et mes doigts à tenir l'épée » S'il inspire le courage, il ne donne pas moins les autres grandes qualités naturelles et surnaturelles, et du cœur et de l'esprit. Tout part de sa puissante main c'est lui qui envoie du ciel les généreux sentimens, les sages conseils et toutes les bonnes pensées. Mais il veut que nous sachions distinguer entre les dons qu'il abandonne à ses ennemis, et ceux qu'il réserve à ses serviteurs. Ce qui distingue ses amis d'avec tous les autres, c'est la piété jusqu'à ce qu'on ait reçu ce don du ciel, tous les autres non-seulement ne sont rien, mais encore tournent en ruine à ceux qui en sont ornés. Sans ce don inestimable de la piété, que seroit-ce que le Prince de Condé avec tout ce grand cœur et ce grand génie ? Non, mes Frères, si la piété n'avoit comme consacré ses autres vertus, ni ces princes ne trouveroient aucun adoucissement à leur douleur, ni ce religieux pontife aucune confiance dans ses prières, ni moi-même aucun soutien aux louanges que je dois à un si grand homme. Poussons donc à bout la gloire humaine par cet exemple détruisons l'idole des ambitieux; qu'elle tombe anéantie devant ces autels. Mettons ensemble (a) aujourd'hui, car nous le pouvons dans un si noble sujet, toutes les plus belles qualités d'une excellente nature; et à la gloire de la vérité, montrons dans un Prince admiré de tout l'univers que ce qui fait les héros, ce qui porte la gloire du monde jusqu'au comble valeur, magnanimité, bonté naturelle, voilà pour le cœur vivacité, pénétration, grandeur et sublimité de génie, voilà pour l'esprit, 1 Psal. CM.HI, 1.
(a) 1™ édit. Mettons en un.
ne seroient qu'une illusion, si la piété ne s'y étoit jointe et enfin, que la piété est le tout de l'homme. C'est, Messieurs, ce que vous verrez dans la vie éternellement mémorable de très-haut et trèspuissant Prince LOUIS DE BOURBON, Prince DE CONDÉ, PREMIER Prince DU sang.
Dieu nous a révélé que lui seul il fait les conquérans, et que seul il les fait servir à ses desseins. Quel autre a fait un Cyrus, si ce n'est Dieu, qui l'avoit nommé deux cents ans avant sa naissance dans les oracles d'Isaie? Tu n'es pas encore, lui disoit-il, « mais je te vois, et je t'ai nommé par ton nom tu t'appelleras Cyrus: je marcherai devant toi dans les combats à ton approche je mettrai les rois en fuite je briserai les portes d'airain c'est moi qui étends les deux, qui soutiens la terre, qui nomme ce qui n'est pas comme ce qui est » c'est-à-dire c'est moi qui fais tout, et moi qui vois dès l'éternité tout ce que je fais. Quel autre a pu former un Alexandre, si ce n'est ce même Dieu, qui en a fait voir de si loin et par des figures si vives l'ardeur indomptable à son prophète Daniel? « Le voyez-vous, dit-il, ce conquérant; avec quelle rapidité il s'élève de l'occident comme par bonds, et ne touche pas à terre !? » Semblable dans ses sauts hardis et dans sa légère démarche à ces animaux vigoureux et bondissans, il ne s'avance que par vives et impétueuses saillies, et n'est arrêté ni par montagnes ni par précipices. Déjà le roi de Perse est entre ses mains « A sa vue il s'est animé efferatus est in eum » dit le Prophète 8 « il l'abat, il le foule aux pieds nul ne le peut défendre des coups qu'il lui porte, ni lui arracher sa proie. » A n'entendre que ces paroles de Daniel, qui croiriez vous voir, Messieurs, sous cette figure, Alexandre ou le Prince de Condé? Dieu donc lui avoit donné cette indomptable valeur pour le salut de la France durant la minorité d'un Roi de quatre ans. Laissezle croître ce Roi chéri du ciel; tout cédera à ses exploits supérieur aux siens comme aux ennemis, il saura tantôt se servir, tantôt se passer de ses plus fameux capitaines; et seul sous la « Isa., XLV, 1-i, 7. – » Et non tangebat terram. Dan., vm, 5. » Ibid., 6, 7, 20.
main de Dieu, qui sera continuellement à son secours, on le verra l'assuré rempart de ses Etats. Mais Dieu avoit choisi le duc d'Anguien pour le défendre dans son enfance. Aussi vers les premiers jours de son règne, à l'âge de vingt-deux ans, le Duc conçut un dessein où les vieillards expérimentés ne purent atteindre mais lavictoire le justifia devant Rocroy. L'armée ennemie est plus forte, il est vrai elle est composée de ces vieilles bandes valonnes, italiennes et espagnoles, qu'on n'avoit pu rompre jusqu'alors. Mais pour combien falloit-il compter le courage qu'inspiroit à nos troupes le besoin pressant de l'Etat, les avantages passés, et un jeune Prince du sang qui portoit la victoire dans ses yeux? Don Francisco de Mellos l'attend de pied ferme; et sans pouvoir reculer, les deux généraux et les deux armées semblent avoir voulu se renfermer dans des bois et dans des marais pour décider leur querelle, comme deux braves, en champ clos. Alors, que ne vit-on pas? Le jeune Prince parut un autre homme. Touchée d'un si digne objet, sa grande ame se déclara toute entière son courage croissoit avec les périls, et ses lumières avec son ardeur.' A la nuit qu'il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine il reposa le dernier mais jamais il ne reposa plus paisiblement. A la veille d'un si grand jour et dès la première bataille, il est tranquille; tant il se trouve dans son naturel et on sait que le lendemain à l'heure marquée il fallut réveiller d'un profond sommeil cet autre Alexandre. Le voyezvous comme il vole, ou à la victoire, ou à la mort? Aussitôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il étoit animé on le vit presque en même temps pousser l'aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier le François à demi vaincu, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner de ses regards étincelans ceux qui échappoient à ses coups. Restoit cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauroient réparer leurs brèches, demeuroient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançoient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s'efforça de rompre ces intrépides combattans trois fois il fut
repoussé par le valeureux comte de Fontaines, qu'on voyoit porté dans sa chaise, et malgré ses infirmités montrer qu'une ame guerrière est maîtresse du corps qu'elle anime. Mais enfin, il faut céder. C'est en vain qu'à travers des bois avec sa cavalerie toute fraîche Bek précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés le Prince l'a prévenu les bataillons enfoncés demandent quartier mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d'Anguien que le combat. Pendant qu'avec un air assuré il s'avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci toujours en garde craignent la surprise de quelque nouvelle attaque leur effroyable décharge met les nôtres en furie on ne voit plus que carnage le sang enivre le soldat jusqu'à ce que le grand Prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes et de leurs braves officiers, lorsqu'ils virent qu'il n'y avoit plus de salut pour eux qu'entre les bras du vainqueur ? De quels yeux regardèrent-ils le jeune Prince, dont la victoire avoit relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutoit de nouvelles graces? Qu'il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines Mais il se trouva par terre, parmi ces milliers de morts dont l'Espagne sent encore la perte. Elle ne savoit pas que le Prince, qui lui fit perdre tant de ses vieux régimens à la j ournée de Rocroy, en devoit achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi la première victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le prince fléchit le genou, et dans le champ de bataille il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyoit. Là on célébra Rocroy délivré, les menaces d'un redoutable ennemi tournées à sa honte, la régence affermie, la France en repos; et un règne qui devoit être si beau, commencé par un si heureux présage. L'armée commença l'action de graces; toute la France suivit on y élevoit jusqu'au ciel le coup d'essai du duc d'Anguien c'en seroit assez pour illustrer une autre vie que la sienne mais pour lui, c'est le premier pas de sa course.
Dès cette première campagne après la prise de Thionville digne prix de la victoire de Rocroy, il passa pour un capitaine
également redoutable dans les sièges et dans les batailles. Mais voici dans un jeune Prince victorieux quelque chose qui n'est pas moins beau que la victoire. La Cour qui lui préparoit à son arrivée les applaudissemens qu'il méritoit, fut surprise de la manière dont il les reçut. La Reine régente lui a témoigné que le Roi étoit content de ses services. C'est dans la bouche du souverain la digne récompense de ses travaux. Si les autres osoient le louer, il repoussoit leurs louanges comme des offenses; et indocile à la flatterie, il en craignoit jusqu'à l'apparence. Telle étoit la délicatesse, ou plutôt telle étoit la solidité de ce Prince. Aussi avoit-il pour maxime écoutez, c'est la maxime qui fait les grands hommes que dans les grandes actions il faut uniquement songer à bien faire, et laisser venir la gloire après la vertu. C'est ce qu'il inspiroit aux autres, c'est ce qu'il suivoit lui-même. Ainsi la fausse gloire ne le tentoit pas tout tendoit au vrai et au grand. De là vient qu'il mcttoit sa gloire dans le service du Roi et dans le bonheur de l'Etat c'étoit là le fond de son cœur c'étoient ses premières et ses plus chères inclinations. La Cour ne le retint guère, quoiqu'il en fut la merveille. Il falloit montrer partout, et à l'Allemagne comme à la Flandre, le défenseur intrépide que Dieu nous donnoit. Arrêtez ici vos regards. Il se prépare contre le Prince quelque chose de plus formidable qu'à Rocroy et pour éprouver sa vertu, la guerre va épuiser toutes ses inventions et tous ses efforts. Quel objet se présente à mes yeux? Ce n'est pas seulement des hommes à combattre c'est des montagnes inaccessibles; c'est des ravines et des précipices d'un côté; c'est de l'autre un bois impénétrable, dont le fond est un marais et derrière des ruisseaux, de prodigieux retranchemens c'est partout des forts élevés, et des forêts abattues qui traversent des chemins affreux et au dedans, c'est Merci avec ses braves Bavarois enflés de tant de succès et de la prise de Fribourg; Merci qu'on ne vit jamais reculer dans les combats Merci que le Prince de Condé et le vigilant Turenne n'ont jamais surpris dans un mouvement irrégulier, et à qui ils ont rendu ce grand témoignage, que jamais il n'avoit perdu un seul moment favorable, ni manqué de prévenir leurs desseins, comme s'il eût assisté à leurs conseils. Ici
donc durant huit jours et à quatre attaques différentes, on vit tout ce qu'on peut soutenir et entreprendre à la guerre. Nos troupes semblent rebutées autant par la résistance des ennemis que par l'effroyable disposition des lieux; et le Prince se vit quelque temps comme abandonné. Mais comme un autre Machabée, « son bras ne l'abandonna pas, et son courage irrité par tant de périls vint à son secours i n On ne l'eut pas plutôt vu pied à terre forcer le premier ces inaccessibles hauteurs, que son ardeur entraîna tout après elle. Merci voit sa perte assurée; ses meilleurs régimens sont défaits; la nuit sauve les restes de son armée. Mais que des pluies excessives s'y joignent encore, afin que nous ayons à la fois, avec tout le courage et tout l'art, toute la nature à combattre quelque avantage que prenne un ennemi habile autant que hardi, et dans quelque affreuse montagne qu'il se retranche de nouveau poussé de tous côtés, il faut qu'il laisse en proie au duc d'Anguien, non-seulement son canon et son bagage, mais encore tous les environs du Rhin. Voyez comme tout s'ébranle. Philisbourg est aux abois en dix jours malgré l'hiver qui approche Philisbourg qui tint si longtemps le Rhin captif sous nos lois, et dont le plus grand des rois a si glorieusement réparé la perte. Worms, Spire, Mayence, Landau, vingt autres places de nom ouvrent leurs portes. Merci ne les peut défendre, et ne paroît plus devant son vainqueur ce n'est pas assez; il faut qu'il tombe à ses pieds, digne victime de sa valeur Nordlingue en verra la chute il y sera décidé qu'on ne tient non plus devant les François en Allemagne qu'en Flandre, et on devra tous ces avantages au même Prince. Dieu, Protecteur de la France, et d'un Roi qu'il a destiné à ses grands ouvrages l'ordonne ainsi.
Par ces ordres tout paroissoit sûr sous la conduite du duc d'Anguien et sans vouloir ici achever le jour à vous marquer seulement ses autres exploits, vous savez parmi tant de fortes places attaquées, qu'il n'y en eut qu'une seule qui pùt échapper ses mains encore releva-t-elle la gloire du Prince. L'Europe qui admiroit la divine ardeur dont il étoit animé dans les combats, s'étonna'qu'il en fût le maître et dès l'âge de vingt-six ans, aussi 1 Indignatio mea ipsa auxiliata est mihi. Isa., lxiii, 5.
capable de ménager ses troupes que de les pousser dans les hasards, et de céder à la fortune que de la faire servir à ses desseins. Nous le vîmes partout ailleurs comme un de ces hommes extraordinaires qui forcent tous les obstacles. La promptitude de son action ne donnoit pas le loisir de la traverser. C'est là le caractère des conquérans. Lorsque David, un si grand guerrier, déplora la mort de deux fameux capitaines qu'on venoit de perdre, il leur donna cet éloge « Plus vites que les aigles, plus courageux que les lions » C'est l'image du Prince que nous regrettons. Il paroît en un moment comme un éclair dans les pays les plus éloignés. On le voit en même temps à toutes les attaques, à tous les quartiers. Lorsqu'occupé d'un côté, il envoie reconnoître l'autre, le diligent officier qui porte ses ordres s'étonne d'être prévenu, et trouve déjà tout ranimé par la présence du Prince il semble qu'il se multiplie dans une action ni le fer ni le feu ne l'arrêtent. Il n'a pas besoin d'armer cette tête qu'il expose à tant de périls Dieu lui est une armure plus assurée les coups semblent perdre leur force en l'approchant, et laisser seulement sur lui des marques de son courage et de la protection du ciel. Ne lui dites pas que la vie d'un premier prince du Sang si nécessaire à l'Etat, doit être épargnée il répond qu'un prince du Sang, plus intéressé par sa naissance à la gloire du Roi et de la Couronne, doit dans le besoin de l'Etat être dévoué plus que tous les autres pour en relever l'éclat. Après avoir fait sentir aux ennemis durant tant d'années l'invincible puissance du Roi, s'il fallut agir au dedans pour la soutenir, je dirai tout en un mot, il fit respecter la Régente et puisqu'il faut une fois parler de ces choses dont je voudrois pouvoir me taire éternellement jusqu'à cette fatale prison il n'avoit pas seulement songé qu'on pût rien attenter contre l'Etat; et dans son plus grand crédit, s'il souhaitoit d'obtenir des graces, il souhaitoit encore plus de les mériter. C'est ce qui lui faisoit dire je puis bien ici répéter devant ces autels les paroles que j'ai recueillies de sa bouche, puisqu'elles marquent si bien le fond de son cœur il disoit donc, en parlant de cette prison malheureuse, qu'il y étoit entré le plus innocent de tous 'Aipiilis velociores; Jeouibua forliores. II i, 23.
les hommes, et qu'il en étoit sorti le plus coupable. « Hélas poursuivoit-il, je ne respirois que le service du Roi et la grandeur de l'Etat 1 On ressentoit dans ses paroles un regret sincère d'avoir été poussé si loin par ses malheurs. Mais sans vouloir excuser ce qu'il a si hautement condamné lui-même, disons, pour n'en parler jamais, que comme dans la gloire éternelle les fautes des saints pénitens, couvertes de ce qu'ils ont fait pour les réparer et de l'éclat infini de la divine miséricorde, ne paroissent plus ainsi dans des fautes si sincèrement reconnues, et dans la suite si glorieusement réparées par de fidèles services, il ne faut plus regarder que l'humble reconnoissance du Prince qui s'en repentit, et la clémence du grand Roi qui les oublia.
Que s'il est enfin entraîné dans ces guerres infortunées, il y aura du moins cette gloire, de n'avoir pas laissé avilir la grandeur de sa maison chez les étrangers. Malgré la majesté de l'Empire, malgré la fierté d'Autriche et les couronnes héréditaires attachées à cette maison, même dans la branche qui domine en Allemagne réfugié à Namur, soutenu de son seul courage et de sa seule réputation, il porta si loin les avantages d'un Prince de France et de la première Maison de l'univers, que tout ce qu'on put obtenir de lui, fut qu'il consentît de traiter d'égal avec l'Archiduc, quoique frère de l'Empereur et fils de tant d'empereurs, à condition qu'en lieu tiers ce prince feroit les honneurs des Pays-Bas. Le même traitement fut assuré au duc d'Anguien, et la Maison de France garda son rang sur celle d'Autriche jusque dans Bruxelles. Mais voyez ce que fait faire un vrai courage. Pendant que le Prince se soutenoit si hautement avec l'Archiduc qui dominoit, il rendoit au roi d'Angleterre et au duc d'Yorck, maintenant un roi si fameux, malheureux alors, tous les honneurs qui leur étoient dus et il apprit enfin à l'Espagne trop dédaigneuse, quelle étoit cette majesté que la mauvaise fortune ne pouvoit ravir à de si grands princes. Le reste de sa conduite ne fut pas moins grand. Parmi .les difficultés que ses intérêts apportoient au traité des Pyrénées, écoutez quels furent ses ordres et voyez si jamais un particulier traita si noblement ses intérêts. Il mande à ses agens dans la conférence qu'il n'est pas
juste que la paix de la chrétienté soit retardée davantage à sa considération qu'on ait soin de ses amis et pour lui, qu'on lui laisse suivre sa fortune. Ah quelle grande victime se sacrifie au bien public Mais quand les choses changèrent, et que l'Espagne lui voulut donner ou Cambrai et ses environs, ou le Luxembourg, en pleine souveraineté, il déclara qu'il préféroit à ces avantages et à tout ce qu'on pouvoit jamais lui accorder de plus grand quoi? son devoir et les bonnes graces du Roi. C'est ce qu'il avoit toujours dans le cœur c'est ce qu'il répétoit sans cesse au duc d'Anguien. Le voilà dans son naturel la France le vit alors accompli par ces derniers traits, et avec ce je ne sais quoi d'achevé que les malheurs ajoutent aux grandes vertus elle le revit dévoué plus que jamais à l'Etat et à son Roi. Mais dans ses premières guerres il n'avoit qu'une seule vie à lui offrir maintenant il en a une autre qui lui est plus chère que la sienne. Après avoir à son exemple glorieusement achevé le cours de ses études, le duc d'Anguien est prêt à le suivre dans les combats. Non content de lui enseigner la guerre comme il a fait jusqu'à la fin par ses discours, le Prince le mène aux leçons vivantes et à la pratique. Laissons le passage du Rhin, le prodige de notre siècle et de la vie de Louis le Grand. AJa journée de Senef, le jeune Duc, quoiqu'il commandât, comme il avoit déjà fait en d'autres campagnes, vient dans les plus rudes épreuves apprendre la guerre aux côtés du Prince son père. Au milieu de tant de périls il voit ce grand Prince renversé dans un fossé, sous un cheval tout en sang. Pendant qu'il lui offre le sien et s'occupe à relever le Prince abattu, il est blessé entre les bras d'un père si tendre, sans interrompre ses soins, ravi de satisfaire à la fois à la piété et à la gloire. Que pouvoit penser le Prince, si ce n'est que pour accomplir les plus grandes choses, rien ne manqueroit à ce digne fils que les occasions ? Et ses tendresses se redoubloient avec son estime. Ce n'étoit pas seulement pour un fils ni pour sa famille, qu'il avoit des sentimens si tendres. Je l'ai vu, et ne croyez pas que j'use ici d'exagération je l'ai vu vivement ému des périls de ses amis je l'ai vu simple et naturel, changer de visage au récit de leurs infortunes, entrer avec eux dans les moindres choses comme
dans les plus importantes; dans lesaccommodemens calmer les esprits aigris avec une patience et une douceur qu'on n'auroit jamais attendue d'une humeur si vive ni d'une si haute élévation. Loin de nous les héros saris humanité. Ils pourront bien forcer les respects et ravir l'admiration, comme font tous les objets extraordinaires mais ils n'auront pas les cœurs. Lorque Dieu forma le cœur et les entrailles de l'homme, il y mit premièrement la bonté comme le propre caractère de la nature divine (a), et pour être comme la marque de cette main bienfaisante dont nous sortons. La bonté devoit donc faire comme le fond de notre cœur, et devoit être en même temps le premier attrait que nous aurions en nousmêmes pour gagner les autres hommes. La grandeur qui vient par-dessus, loin d'affoiblir la bonté, n'est faite que pour l'aider à se communiquer davantage, comme une fontaine publique qu'on élève pour la répandre. Les cœurs sont à ce prix et les grands dont la bonté n'est pas le partage, par une juste punition de leur dédaigneuse insensibilité, demeureront privés éternellement du plus grand bien de la vie humaine, c'est-à-dire des douceurs de la société. Jamais homme ne les goûta mieux que le Prince dont nous parlons jamais homme ne craignit moins que la familiarité blessât le respect. Est-ce là celui qui forçoit les villes, et qui gagnoit les batailles? Quoi 1 il semble avoir oublié ce haut rang qu'on lui a vu si bien défendre Reconnoissez le héros, qui toutours égal à lui-même, sans se hausser pour paroître grand, sans s'abaisser pour être civil et obligeant, se trouve naturellement tout ce qu'il doit être envers tous les hommes comme un fleuve majestueux et bienfaisant, qui porte paisiblement dans les villes l'abondance qu'il a répandue dans les campagnes en les arrosant; qui se donne à tout le monde, et ne s'élève et ne s'enfle que lorsqu'avec violence on s'oppose à la douce pente qui le porte à continuer son tranquille cours. Telle a été la douceur, et telle a été la force du Prince de Condé. Avez-vous un secret important, versez-le hardiment dans ce noble cœur votre affaire devient la sienne par la confiance. Il n'y a rien de plus inviolable pour ce Prince que les droits sacrés de l'amitié. Lorsqu'on lui demande («) lre e'dit. Comme son propre caractère.
9
une grace, c'est lui qui paroît l'obligé et jamais on ne vit de joie ni si vive ni si naturelle que celle qu'il ressentoit à faire plaisir. Le premier argent qu'il reçut d'Espagne avec la permission du Roi, malgré les nécessités de sa maison éjtuisée fut donné à ses amis, encore qu'après la paix il n'eût rien à espérer de leur secours; et quatre cent mille écus distribués par ses ordres firent voir, chose rare dans la vie humaine, la reconnoissance aussi vive dans le Prince de Condé que l'espérance d'engager les hommes l'est dans les autres. Avec lui la vertu eut toujours son prix. Il la louoit jusque dans ses ennemis. Toutes les fois qu'il avoit à parler de ses actions, et même dans les relations qu'il en envoyoit à la Cour, il vantoit les conseils de l'un, la hardiesse de l'autre, chacun avoit son rang dans ses discours et parmi ce qu'il donnoit à tout le monde, on ne savoit où placer ce qu'il avoit fait lui-même. Sans envie, sans fard, sans ostentation, toujours grand dans l'action et dans le repos, il parut à Chantilli comme à la tête des troupes. Qu'il embellît cette magnifique et délicieuse maison, ou bien qu'il munît un camp au milieu du pays ennemi, et qu'il fortifiât une place; qu'il marchât avec une armée parmi les périls, ou qu'il conduisît ses amis dans ses superbes allées au bruit de tant de jets d'eau qui ne se taisoient ni jour ni nuit: c'étoit toujours le même homme, et sa gloire le suivoit partout. Qu'il est beau, après les combats et le tumulte des armes, de savoir encore goûter ces vertus paisibles et cette gloire tranquille qu'on n'a point à partager avec le soldat non plus qu'avec la fortune où tout charme, et rien n'éblouit qu'on regarde sans être étourdi ni par le son des trompettes, ni par le bruit des canons, ni par les cris des blessés où l'homme paroît tout seul aussi grand, aussi respecté que lorsqu'il donne des ordres, et que tout marche à sa parole i
Venons maintenant aux qualités de l'esprit; et puisque pour notre malheur, ce qu'il y a de plus fatal à la vie humaine, c'est-àdire l'art militaire, est en même temps ce qu'elle a de plus ingénieux et de plus habile, considérons d'abord par cet endroit le grand génie de notre prince. Et premièrement, quel général
porta jamais plus loin sa prévoyance? C'étoit une de ses maximes, qu'il falloit craindre les ennemis de loin, pour ne les plus craindre de près et se réjouir à leur approche. Le voyez-vous comme il considère tous les avantages qu'il peut ou donner ou prendre? avec quelle vivacité il se met dans l'esprit en un moment les temps, les lieux, les personnes, et non-seulement leurs intérêts et leurs talens, mais encore leurs humeurs et leurs caprices? Le voyez-vous comme il compte la cavalerie et l'infanterie des ennemis, par le naturel des pays ou des princes confédérés? Rien n'échappe à sa prévoyance. Avec cette prodigieuse compréhension de tout le détail et du plan universel de la guerre, on le voit toujours attentif à ce qui survient il tire d'un déserteur, d'un transfuge, d'un prisonnier, d'un passant, ce qu'il veut dire, ce qu'il veut taire, ce qu'il sait, et pour ainsi dire ce qu'il ne saitpas; tant il est sûr dans ses conséquences. Ses partis lui rapportent jusqu'aux moindres choses on l'éveille à chaque moment; car il tenoit encore pour maxime qu'un habile capitaine peut bien être vaincu, mais qu'il ne lui est pas permis d'être surpris. Aussi lui devons-nous cette louange, qu'il ne l'a jamais été. A quelque heure et de quelque côté que viennent les ennemis, ils le trouvent toujours sur ses gardes, toujours prêt à fondre sur eux et à prendre ses avantages comme une aigle qu'on voit toujours, soit qu'elle vole au milieu des airs, soit qu'elle se pose sur le haut de quelque rocher, porter de tous côtés des regards perçans, et tomber si sûrement sur sa proie, qu'on ne peut éviter ses ongles non plus que ses yeux. Aussi vifs étoient les regards, aussi vite et impétueuse étoit l'attaque, aussi fortes et inévitables étoient les mains du Prince de Condé. En son camp on ne connoît point les vaines terreurs, qui fatiguent et rebutent plus que les véritables. Toutes les forces demeurent entières pour les vrais périls tout est prêt au premier signal; et comme dit le Prophète, « toutes les flèches sont aiguisées, et tous les arcs sont tendus 1. » En attendant on repose d'un sommeil tranquille, comme on feroit sous son toit et dans son enclos. Que dis-je qu'on repose? A Piéton, près de ce corps redoutable que trois puissances réunies avoient ha, v, 28.
assemblé, c'étoit dans nos troupes de continuels divertissemens toute l'armée étoit en joie, et jamais elle ne sentit qu'elle fût plus foible que celle des ennemis. Le Prince par son campement avoit mis en sûreté, non-seulement toute notre frontière et toutes nos places, mais encore tous nos soldats il veille, c'est assez. Enfin l'ennemi décampe; c'est ce que le prince attendoit. Il part à ce premier mouvement déjà l'armée hollandoise avec ses superbes étendards, ne lui échappera pas tout nage dans le sang, tout est en proie mais Dieu sait donner des bornes aux plus beaux desseins. Cependant les ennemis sont poussés partout. Oudenarde est délivrée de leurs mains pour les tirer eux-mêmes de celles du Prince, le ciel les couvre d'un brouillard épais la terreur et la désertion se met dans leurs troupes; on ne sait plus ce qu'est devenue cette formidable armée. Ce fut alors que Louis, qui après avoir achevé le rude siège de Besançon, et avoir encore une fois réduit la Franche-Comté avec une rapidité inouïe, étoit revenu tout brillant de gloire pour profiter de l'action de ses armées de Flandre et d'Allemagne, commanda ce détachement qui fit en Alsace les merveilles que vous savez; et parut le plus grand de tous les hommes, tant par les prodiges qu'il avoit faits en personne que par ceux qu'il fit faire à ses généraux.
Quoiqu'une heureuse naissance eût apporté de si grands dons à notre Prince, il ne cessoit de l'enrichir par ses réflexions. Les campemens de César firent son étude. Je me souviens qu'il nous ravissoit, en nous racontant comme en Catalogne, dans les lieux où ce fameux capitaine, par l'avantage des postes, contraignit cinq légions romaines et deux chefs expérimentés à poser les armes sans combat lui-même il avoit ététreconnoître les rivières et les montagnes qui servirent à ce grand dessein et jamais un si digne maître n'a voit expliqué par de si doctes leçons les Commentaires de César. Les capitaines des siècles futurs lui rendront un honneur semblable. On viendra étudier sur les lieux ce que l'histoire racontera du campement de Piéton, et des merveilles dont il fut suivi. On remarquera dans celui de Chatenoy l'éminence qu'occupa ce grand capitaine, et le ruisseau dont il se cou• De Bello civzli, lib. 1.
vrit sous le canon du retranchement de Schelestadt. Là on lui verra mépriser l'Allemagne conjurée; suivre à son tour les ennemis, quoique plus forts, rendre leurs projets inutiles; et leur faire lever le siége de Saverne, comme il avoit fait un peu auparavant celui de IIaguenau. C'est par de semblables coups, dont sa vie est pleine, qu'il a porté si haut sa réputation, que ce sera dans nos jours s'être fait un nom parmi les hommes et s'être acquis un mérite dans les troupes, d'avoir servi sous le Prince de Condé et comme un titre pour commander, de l'avoir vu faire. Mais si jamais il parut un homme extraordinaire, s'il parut être éclairé, et voir tranquillement toutes choses, c'est dans ces rapides momens d'où dépendent les victoires, et dans l'ardeur du combat. Partout ailleurs il délibère; docile, il prête l'oreille à tous les conseils ici, tout se présente à la fois; la multitude des objets ne le confond pas à l'instant le parti est pris il commande et il agit tout ensemble, et tout marche en concours et en sûreté. Le dirai-je? mais pourquoi craindre que la gloire d'un si grand homme puisse être diminuée par cet aveu? Ce n'est plus ces promptes saillies qu'il savoit si vite et si agreablement réparer, mais enfin qu'on lui voyoit quelquefois dans les occasions ordinaires vous diriez qu'il y a en lui un autre homme, à qui sa grande ame abandonne de moindres ouvrages où elle ne daigne se mêler. Dans le feu, dans le choc, dans l'ébranlement on voit naître tout à coup je ne sais quoi de si net, de si posé, de si vif, de si ardent, de si doux, de si agréable pour les siens, de si hautain et de si menaçant pour les ennemis, qu'on ne sait d'où lui peut venir ce mélange de qualités si contraires. Dans cette terrible journée où aux portes de la ville et à la vue de ses citoyens, le Ciel sembla vouloir décider du sort de ce Prince; où avec l'élite des troupes il avoit en tête un général si pressant; où il se vit plus quejamais exposé au caprice de la fortune pendant que les coups venoient de tous côtés, ceux qui combattoient auprès de lui nous ont dit souvent que si l'on avoit à traiter quelque grande affaire avec ce Prince, on eût pu choisir de [ces momens où tout étoit en feu autour de lui tant son esprit s'élevoit alors, tant son ame leur paroissoit éclairée comme d'en haut en ces terribles ren-
contres semblable à ces hautes montagnes dont la cime audessus des nues et des tempêtes, trouve la sérénité dans sa hauteur, et ne perd aucun rayon de la lumière qui l'environne. Ainsi dans les plaines de Lens, nom agréable à la France, l'Archiduc contre son dessein tiré d'un poste invincible par l'appât d'un succès trompeur; par un soudain mouvement du Prince qui lui oppose des troupes fraîches à la place des troupes fatiguées, est contraint à prendre la fuite. Ses vieilles troupes périssent; son canon, où il avoit mis sa confiance, est entre nos mains; et Bek, qui l'avoit flatté d'une victoire assurée, pris et blessé dans le combat, vient rendre en mourant un triste hommage à son vainqueur par son désespoir. S'agit-il ou de secourir ou de forcer une ville, le Prince saura profiter de tous les momens. Ainsi au premier avis que le hasard lui porta d'un siège important, il traverse, trop promptement, tout un grand pays; et d'une première vue il découvre un passage assuré pour le secours, aux endroits qu'un ennemi vigilant n'a pu encore assez munir. Assiége-t-il quelque place, il invente tous les jours de nouveaux moyens d'en avancer la conquête. On croit qu'il expose les troupes il les ménage, en abrégeant le temps des périls par la vigueur des attaques. Parmi tant de coups surprenans,- les gouverneurs les plus courageux ne tiennent pas les promesses qu'ils ont faites à leurs généraux Dunkerque est pris en treize jours au milieu des pluies de l'automne et ses barques si redoutées de nos alliés, paroissent tout à coup dans tout l'océan avec nos étendards.
Mais ce qu'un sage général doit le mieux connoître, c'est ses soldats et ses chefs. Car de là vient ce parfait concert qui fait agir les armées comme un seul corps, ou pour parler avec l'Ecriture, « comme un seul homme » Egressus est Israel tanquam vir unus 1. Pourquoi comme un seul homme? Parce que sous un même chef, qui connoît et les soldats et les chefs comme ses bras et ses mains, tout est également vif et mesuré. C'est ce qui donne la victoire; et j'ai ouï dire à notre grand Prince qu'à la journée de Nordlingue ce qui l'assuroit du succès, c'est qu'il'connoissoit M. de Turenne, dont l'habileté consommée n'avoit besoin d'au1 1 Reg., xi, 7.
cun ordre pour faire tout ce qu'il falloit. Celui-ci publioit de son côté qu'il agissoit sans inquiétude, parce qu'il connoissoit le Prince et ses ordres toujours sûrs. C'est ainsi qu'ils se donnoient mutuellement un repos qui les appliquoit chacun tout entier à son action ainsi finit heureusement la bataille la plus hasardeuse et la plus disputée qui fût jamais.
C'a été dans notre siècle un grand spectacle, de voir dans le même temps et dans les mêmes campagnes ces deux hommes, que la voix commune de toute l'Europe égaloit aux plus grands capitaines des siècles passés tantôt à la tête de corps séparés tantôt unis plus encore par le concours des mêmes pensées que par les ordres que l'inférieur recevoit de l'autre tantôt opposés front à front, et redoublant l'un dans l'autre l'activité et la vigilance comme si Dieu, dont souvent, selon l'Ecriture, la sagesse se joue dans l'univers, eût voulu nous les montrer en toutes les formes, et nous montrer ensemble tout ce qu'il peut faire des hommes. Que de campemens, que de belles marches, que de hardiesses, que de précautions, que de périls, que de ressources Vit-on jamais en deux hommes les mêmes vertus avec des caractères si divers, pour ne pas dire si contraires? L'un paroît agir par des réflexions profondes, et l'autre par de soudaines illuminations celui-ci par conséquent plus vif, mais sans que son feu eût rien de précipité; celui-là d'un air plus froid sans jamais rien avoir de lent; plus hardi à faire qu'à parler, résolu et déterminé au dedans lors même qu'il paroissoit embarrassé au dehors. L'un, dès qu'il parut dans les armées, donne une haute idée de sa valeur et fait attendre quelque chose d'extraordinaire; mais toutefois s'avance par ordre, et vient comme par degrés aux prodiges qui ont fini le cours de sa vie l'autre, comme un homme inspiré dès sa première bataille s'égale aux maîtres les plus consommés. L'un par de vifs et continuels efforts, emporte (a) l'admiration du genre humain, et fait taire l'envie l'autre jette d'abord une si vive lumière, qu'elle n'osoit l'attaquer. L'un enfin, par la profondeur de son génie et les incroyables ressources de son courage, s'élève au-dessus des plus grands périls, et sait même pro(a) l" idit. Force.
fiter de toutes les infidélités de la fortune l'autre, et par l'avantage d'une si haute naissance, et par ses grandes pensées que le Ciel envoie, et par une espèce d'instinct admirable dont les hommes ne connoissent pas le secret, semble né pour entraîner la fortune dans ses desseins et forcer les destinées. Et afin que l'on vît toujours dans ces deux hommes de grands caractères, mais divers, l'un emporté d'un coup soudain meurt pour son pays, comme un Judas le Machabée l'armée le pleure comme son père et la Cour et tout le peuple gémit sa piété est louée comme son courage, et sa mémoire ne se flétrit point par le temps l'autre élevé par les armes au comble de la gloire comme un David, com me lui meurt dans son lit en publiant les louanges de Dieu et instruisant sa famille, et laisse tous les cœurs remplis tant de l'éclat de sa vie que de la douceur de sa mort. Quel spectacle de voir et d'étudier ces deux hommes, et d'apprendre de chacun d'eux toute l'estime que méritoit l'autre C'est ce qu'a vu notre siècle et ce qui est encore plus grand, il-a vu un roi se servir de ces deux grands chefs, et profiter du secours du Ciel et après qu'il en est privé par la mort de l'un et les maladies de l'autre, concevoir de plus grands desseins, exécuter de plus grandes choses, s'élever au-dessus de lui-même, surpasser et l'espérance des siens et l'attente de l'univers tant est haut son courage, tant est vaste son intelligence, tant ses destinées sont glorieuses.
Voilà, Messieurs, les spectacles que Dieu donne à l'univers et les hommes qu'il y envoie quand il y veut faire éclater tantôt dans une nation, tantôt dans une autre, selon ses conseils éternels, sa puissance ou sa sagesse. Car ces divins attributs paroissent-ils mieux dans les cieux qu'il a formés de ses doigts, que dans ces rares talens qu'il distribue comme il lui plaît aux hommes extraordinaires ? Quel astre brille davantage dans le firmament, que le Prince de Condé n'a fait dans l'Europe? Ce n'étoit pas seulement la guerre qui lui donnoit de l'éclat son grand génie embrassoit tout l'antique comme le moderne, l'histoire, la philosophie, la théologie la plus sublime, et les arts avec les sciences. Il n'y avoit livre qu'il ne lût, il n'y avoit homme excellent, ou dans quelque spé-
culation, ou dans quelque ouvrage, qu'il n'entretint tous sortoient plus éclairés d'avec lui, et rectifioient leurs pensées, ou par ses pénétrantes questions, ou par ses réflexions judicieuses. Aussi sa conversation étoit un charme, parce qu'il savoit parler à chacun selon ses talens; et.non-seulement aux gens de guerre de leurs entreprises, aux courtisans de leurs intérêts, aux politiques de leurs négociations, mais encore aux voyageurs curieux de ce qu'ils avoient découvert ou dans la nature ou dans le gouvernement bu dans le commerce à l'artisan de ses inventions, et enfin aux savans de toutes les sortes de ce qu'ils avoient trouvé de plus merveilleux. C'est de Dieu que viennent ces dons qui en doute ? Ces dons sont admirables qui ne le voit pas ? Mais pour confondre l'esprit humain qui s'enorgueillit de tels dons, Dieu ne craint point d'en faire part à ses ennemis. Saint Augustin considère parmi les païens tant de sages, tant de conquérans tant de graves législateurs, tant d'excellens citoyens, un Socrate, un Marc-Aurèle, un Scipion, un César, un Alexandre, tous privés de la connoissance de Dieu et exclus de son royaume éternel. N'est-ce donc pas Dieu qui les a faits? Mais quel autre les pouvoit faire, si ce n'est celui qui fait tout dans le ciel et dans la terre? Mais pourquoi les a-t-il faits? et quels étoient les desseins particuliers de cette Sagesse profonde qui jamais ne fait rien en vain? Ecoutez la réponse de saint Augustin « Il les a faits, nous dit-il, pour orner le siècle présent » Ut ordinem sœculi pressentis ornaret Il a fait dans les grands hommes ces rares qualités, comme il a fait le soleil. Qui n'admire ce bel astre? qui n'est ravi de l'éclat de son midi, et de la superbe parure de son lever et de son coucher ? Mais puisque Dieu le fait luire sur les bons et sur les mauvais, ce n'est pas un si bel objet qui nous rend heureux Dieu l'a fait pour embellir et pour éclairer ce grand théâtre du monde. De même, quand il a fait dans ses ennemis aussi bien que dans ses serviteurs ces belles lumières d'esprit, ces rayons de son intelligence, ces images de sa bonté ce n'est pas pour les rendre heureux qu'il leur a fait ces riches présens; c'est une décoration de l'univers, c'est un ornement du siècle présent. Et voyez la mal1 August. Cont. Juhan., lib. V, n.'li.
heureuse destinée de ces hommes qu'il a choisis pour être les ornemens de leur siècle. Qu'ont-ils voulu ces hommes rares, sinon des louanges et la gloire que les hommes donnent? Peut-être que pour les confondre, Dieu refusera cette gloire à leurs vains désirs? Non il les confond mieux en la leur donnant, et même au delà de leur attente. Cet Alexandre, qui ne vouloit que faire du bruit dans le monde, y en a fait plus qu'il n'auroit osé espérer. Il faut encore qu'il se trouve dans tous nos panégyriques; et il semble par une espèce de fatalité glorieuse à ce conquérant, qu'aucun prince ne puisse recevoir de louanges qu'il ne les partage. S'il a fallu quelque récompense à ces grandes actions des Romains, Dieu leur en a su trouver une convenable à leurs mérites comme à leurs désirs. Il leur donne pour récompense l'empire du monde, comme un présent de nul prix ô rois, confondez-vous dans votre grandeur conquérans, ne vantez pas vos victoires. Il leur donne pour récompense la gloire des hommes récompense qui ne vient pas jusqu'à eux qui s'efforce de s'attacher, quoi? peut-être à leurs médailles, ou à leurs statues déterrées, restes des ans et des Barbares; aux ruines de leurs monumens et de leurs ouvrages qui disputent avec le temps ou plutôt à leur idée, à leur ombre, à ce qu'on appelle leur nom. Voilà le digne prix de tant de travaux, et dans le comble de leurs vœux la conviction de leur erreur. Venez, rassasiez-vous, grands de la terre saisissez-vous, si vous pouvez, de ce fantôme de gloire, à l'exemple de ces grands hommes que vous admirez. Dieu, qui punit leur orgueil dans les enfers, ne leur a pas envié, dit saint Augustin, cette gloire tant désirée; et « vains ils ont reçu une récompense aussi vaine que leurs désirs » Receperimt mercedem suam, vani vanam
Il n'en sera pas ainsi de notre grand Prince l'heure de Dieu est venue, heure attendue, heure désirée, heure de miséricorde et de grace. Sans être averti parla maladie, sans être pressé par le temps, il exécute ce qu'il méditoit. Un sage Religieux, qu'il appelle exprès, règle les affaires de sa conscience il obéit, humble 1 August., In Psal. csvni, serm. sir, n. 2.
chrétien à sa décision; et nul n'a jamais douté de sa bonne foi. Dès lors aussi on le vit toujours sérieusement occupé du soin de se vaincre soi-même de rendre vaines toutes les attaques de ses insupportables douleurs, d'en faire par sa soumission un continuel sacrifice. Dieu, qu'il'invoquoit avec foi, lui donna le goût de son Ecriture, et dans ce livre divin la solide nourriture de la piété. Ses conseils se régloient plus que jamais par la justice on y soulageoit la veuve et l'orphelin; et le pauvre en approchoit avec confiance. Sérieux autant qu'agréable père de famille, dans les douceurs qu'il goûtoit avec ses enfans il ne cessoit de leur inspirer les sentimens de la véritable vertu; et ce jeune Prince son petitfils se sentira éternellement d'avoir été cultivé par de telles mains. Toute sa maison profitait de son exemple. Plusieurs de ses domestiques avoient été malheureusement nourris dans l'erreur, que la France toléroit alors combien de fois l'a-t-on vu inquiété de leur salut, affligé de leur résistance, consolé par leur conversion ? Avec quelle incomparable netteté d'esprit leur faisoit-il voir l'antiquité et la vérité de la religion catholique? Ce n'étoit plus cet ardent vainqueur, qui sembloit vouloir tout emporter c'étoit une douceur, une patience, une charité qui songeoit à gagner les cœurs, et à guérir des esprits malades. Ce sont (a), Messieurs, ces choses simples, gouverner sa famille, édifier ses domestiques, faire justice et miséricorde, accomplir le bien que Dieu veut et souffrir les maux qu'il envoie; ce sont (b) ces communes pratiques de la vie chrétienne, que Jésus-Christ louera au dernier jour devant ses saints anges et devant son Père céleste. Les histoires seront abolies avec les empires, et il ne se parlera plus de tous ces faits éclatants dont elles sont pleines. Pendant qu'il passoit sa vie dans ces occupations, et qu'il portoit au-dessus de ses actions les plus renommées la gloire d'une si belle et si pieuse retraite, la nouvelle de la maladie de la duchesse de Bourbon vint à Chantilli comme un coup de foudre. Qui ne fut frappé de la crainte de voir éteindre cette lumière naissante? On appréta) 1" édit. C'est. (b) C'est. On a lu précédemment, dans le texte, sans correction « Ce n'est pas seulement des hommes à combattre; » – « c'est des montagnes inaccessibles; o « c'est des ravines et des précipices; » « c'est partout des forts élevés. »
henda qu'elle n'eût le sort des choses avancées. Quels furent les sentimens du Prince de Condé, lorsqu'il se vit menacé de perdre ce nouveau lien de sa famille avec la personne du Roi ? C'est donc dans cette occasion que devoit mourir ce héros Celui que tant de sièges et tant de batailles n'ont pu emporter, va périr par sa tendresse Pénétré de toutes les inquiétudes que donne un mal affreux, son cœur, qui le soutient seul depuis si longtemps, achève à ce coup de l'accabler les forces qu'il lui fait trouver, l'épuisent. S'il oublie toute sa foiblesse à la vue du Roi qui approche de la Princesse malade; si transporté de son zèle et sans avoir besoin de secours à cette fois, il accourt pour l'avertir de tous les périls que ce grand Roi ne craignoit pas, et qu'il l'empêche enfin d'avancer il va tomber évanoui à quatre pas et on admire cette nouvelle manière de s'exposer pour son Roi. Quoique la duchesse d'Anguien princesse dont la vertu ne craignit jamais que de manquer à sa famille et à ses devoirs, eùt obtenu de demeurer auprès de lui pour le soulager, la vigilance de cette Princesse ne calme pas les soins qui le travaillent; et après que la jeune Princesse est hors de péril, la maladie du Roi va bien causer d'autres troubles à notre Prince. Puis-je ne m'arrêter pas en cet endroit? Avoir la sérénité qui reluisoit sur ce front auguste, eûton soupçonné que ce grand Roi, en retournant à Versailles, allât s'exposer à ces cruelles douleurs où l'univers a connu sa piété, sa constance, et tout l'amour de ses peuples? De quels yeux le re,gardions-nous, lorsqu'aux dépens d'une santé qui nous est si chère, il vouloit bien adoucir nos cruelles inquiétudes par la consolation de le voir; et que maître de sa douleur comme de tout le reste des choses, nous le voyions tous les jours, non-seulement régler ses affaires selon sa coutume, mais encore entretenir sa Cour attendrie avec la même tranquillité qu'il lui fait paroitre dans ses jardins enchantés? Béni soit-il de Dieu et des hommes, d'unir ainsi toujours la bonté à toutes les autres qualités que nous admirons Parmi toutes ses douleurs, il s'informoit avec soin de l'état du Prince de Condé; et il marquoit pour la santé de ce Prince une inquiétude qu'il n'avoit pas pour la sienne. Il s'affoiblissoit ce grand Prince, mais la mort cachoit ses approches. Lorsqu'on le
crut en meilleur état, et que le duc d'Anguien toujours partagé entre les devoirs de fils et de sujet, étoit retourné par son ordre auprès du Roi, tout change en un moment, et on déclare au Prince sa mort prochaine. Chrétiens, soyez attentifs, et venez apprendre à mourir; ou plutôt venez apprendre à n'attendre pas la dernière heure pour commencer à bien vivre. Quoi 1 attendre à commencer une vie nouvelle, lorsqu'entre les mains de la mort, glacés sous ses froides mains, vous ne saurez si vous êtes avec les morts ou encore avec les vivans Ah 1 prévenez par la pénitence cette heure de troubles et de ténèbres. Par là. sans être étonné de cette dernière sentence qu'on lui prononça, le Prince demeure un moment dans le silence; et tout à coup « 0 mon Dieu! dit-il, vous le voulez, votre volonté soit faite je me jette entre vos bras; donnez-moi la grace de bien mourir. Que désirez-vous davantage? Dans cette courte prière, vous voyez la soumission aux ordres de Dieu, l'abandon à sa Providence, la confiance en sa grace, et toute la piété. Dès lors aussi, tel qu'on l'avoit vu dans tous ses combats, résolu, paisible, occupé sans inquiétude de ce qu'il falloit faire pour les soutenir tel fut-il à ce dernier choc; et la mort ne lui parut pas plus affreuse, pâle et languissante, que lorsqu'elle se présente au milieu du feu sous l'éclat de la victoire qu'elle montre seule. Pendant que les sanglots éclataient de toutes parts, comme si un autre que lui en eût été le sujet, il continuoit à donner ses ordres; et s'il défendoit les pleurs, ce n'étoit pas comme un objet dont il fût troublé, mais comme un empêchement qui le retardoit. A ce moment, il étend ses soins jusqu'aux moindres de ses domestiques. Avec une libéralité digne de sa naissance et de leurs services, il les laisse comblés de ses dons, mais encore plus honorés des marques de son souvenir. Comme il donnoit des ordres particuliers et de la plus haute importance, puisqu'il y alloit de sa conscience et de son salut éternel, averti qu'il falloit écrire et ordonner dans les formes quand je devrois, Monseigneur, renouveler vos douleurs et rouvrir toutes les plaies de votre cœur, je ne tairai pas ces paroles qu'il répéta si souvent qu'il vous connoissoit; qu'il n'y avoit sans formalités qu'à vous dire ses intentions; que vous iriez encore au delà et suppléeriez
de vous-même à tout ce qu'il pourroit avoir oublié. Qu'un père vous ait aimé, je ne m'en étonne pas; c'est un sentiment que la nature inspire mais qu'un père si éclairé vous, ait témoigné cette confiance jusqu'au dernier soupir; qu'il se soit reposé sur vous de choses si importantes, et qu'il meure tranquillement sur cette assurance, c'est le plus beau témoignage que votre vertu pouvoit remporter; et malgré tout votre mérite, votre Altesse n'aura de moi aujourd'hui que cette louange.
Ce que le Prince commença ensuite pour s'acquitter des devoirs de la religion, mériteroit d'être raconté à toute la terre non à cause qu'il est remarquable, mais à cause pour ainsi dire qu'il ne l'est pas, et qu'un Prince si exposé à tout l'univers ne donne rien aux spectateurs. N'attendez donc pas, Messieurs, de ces magnifiques paroles qui ne servent qu'à faire connoître, sinon un orgueil caché, du moins les efforts d'une ame agitée, qui combat ou qui dissimule son trouble secret. Le Prince de Condé ne sait ce que c'est que de prononcer de ces pompeuses sentences et dans la mort comme dans la vie, la vérité fit toujours toute sa grandeur. Sa confession fut humble, pleine de componction et de confiance. Il ne lui fallut pas longtemps pour la préparer la meilleure préparation pour celle des derniers temps, c'est de ne les attendre pas. Mais, Messieurs, prêtez l'oreille à ce qui va suivre. A la vue du saint Viatique qu'il avoit tant désiré, voyez comme il s'arrête sur ce doux objet. Alors il se souvint des irrévérences, dont, hélas on déshonore ce divin mystère. Les chrétiens ne connoissent plus la sainte frayeur dont on étoit saisi autrefois à la vue du sacrifice. On diroit qu'il eût cessé d'être terrible, comme l'appeloient les saints Pères; et que le sang de notre victime n'y coule pas encore aussi véritablement que sur le Calvaire. Loin de trembler devant les autels, on y méprise Jésus-Christ présent; et dans un temps où tout un royaume se remue pour la conversion des hérétiques, on ne craint point d'en autoriser les blasphèmps. Gens du monde, vous ne pensez pas à ces horribles profanations à la mort vous y penserez avec confusion et saisissement. Le Prince se ressouvint de toutes les fautes qu'il avoit commises; et trop ̃foible pour expliquer avec force ce qu'il en sentoit il emprunta
la voix de son confesseur pour en demander pardon au monde, à ses domestiques et à ses amis. On lui répondit par des sanglots ah répondez-lui maintenant en profitant de cet exemple. Les autres devoirs de la religion furent accomplis avec la même piété et la même présence d'esprit. Avec quelle foi, et combien de fois pria-t-il le Sauveur des âmes en baisant sa croix, que son sang répandu pour lui ne le fût pas inutilement! C'est ce qui justifie le pécheur; c'est ce qui soutient le juste; c'est ce qui rassure le chrétien. Que dirai-je des saintes prières des agonisans, où dans les efforts que fait l'Eglise, on entend ses vœux les plus empressés, et comme les derniers cris par où cette sainte Mère achève de nous enfanter à la vie céleste? Il se les fit répéter trois fois, et il y trouva toujours de nouvelles consolations. En remerciant ses médecins « Voilà, dit-il, maintenant mes vrais médecins » il montroit les ecclésiastiques dont il écoutoit les avis, dont il continuoit les prières, les Psaumes toujours à la bouche, la confance toujours dans le cœur. S'il se plaignit, c'étoit seulement d'avoir si peu à souffrir pour expier ses péchés sensible jusqu'à la fin à la tendresse des siens, il ne s'y laissa jamais vaincre; et au contraire il craignoit toujours de trop donner à la nature. Que dirai-je de ses derniers entretiens avec le duc d'Anguien? Quelles couleurs assez vives pourroient vous représenter et la constance du père, et les extrêmes douleurs du fils? D'abord le visage en pleurs, avec plus de sanglots que de paroles, tantôt la bouche collée sur ces mains victorieuses et maintenant défaillantes tantôt se jetant entre ces bras et dans ce sein paternel, il semble par tant d'efforts vouloir retenir ce cher objet de ses respects et de ses tendresses. Les forces lui manquent il tombe à ses pieds. Le Prince sans s'émouvoir, lui laisse reprendre ses esprits puis appelant la Duchesse sa belle-fille, qu'il voyoit aussi sans parole et presque sans vie, avec une tendresse qui n'eut rien de foible il leur donne ses derniers ordres où tout respiroit la piété. Il les finit en les bénissant avec cette foi et avec ces vœux que Dieu exauce; et en bénissant avec eux, ainsi qu'un autre Jacob, chacun de leurs enfans en particulier et on vit de part et d'autre tout ce qu'on affoiblit en le répétant. Je ne vous oublierai pas, ô Prince son cher neveu,
et comme son second fils, ni le glorieux témoignage qu'il a rendu constamment à votre mérite, ni ses tendres empressemens et la lettre qu'il écrivit en mourant pour vous rétablir dans les bonnes graces du Roi, le plus cher objet de vos vœux ni tant de belles qualités qui vous ont fait juger digne d'avoir si vivement occupé les dernières heures d'une si belle vie. Je n'oublierai pas non plus les bontés du Roi, qui prévinrent les désirs du Prince mourant; ni les généreux soins du duc d'Anguien, qui ménagea cette grace; ni le gré que lui sut le Prince d'avoir été si soigneux, en lui donnant cette joie, d'obliger un si cher parent. Pendant que son cœur s'épanche, et que sa voix se ranime en louant le Roi, le Prince de Conti arrive pénétré de reconnoissance et de douleur. Les tendresses se renouvellent les deux Princes ouirent ensemble ce qui ne sortira jamais de leur cœur et le Prince conclut, en leur confirmant qu'ils ne seroient jamais ni grands hommes, ni grands princes, ni honnêtes gens, qu'autant qu'ils seroient gens de bien, fidèles à Dieu et au Roi. C'est la dernière parole qu'il laissa gravée dans leur mémoire; c'est avec la dernière marque de sa tendresse, l'abrégé de leurs devoirs. Tout retentissoit de cris, tout fondoit en larmes le Prince seul n'étoit pas ému, et le trouble n'arrivoit pas dans l'asile où il s'étoit mis: 0 Dieu, vous étiez sa force, son inébranlable refuge, et comme disoit David ce ferme rocher où s'appuyoit sa constance Puis-je taire durant ce temps ce qui se faisoit à la Cour et en la présence du Roi? Lorsqu'il y fit lire la dernière lettre que lui écrivit ce grand homme et qu'on y vit dans les trois temps que marquoit le Prince, ses services qu'il y passoit si légèrement au commencement et à la fin de sa vie, et dans le milieu ses fautes dont il faisoit une si sincère reconnoissance il n'y eut cœur qui ne s'attendrît à l'entendre parler de luimême avec tant de modestie; et cette lecture suivie des larmes du Roi, fit voir ce que les héros sentent les uns pour les autres. Mais lorsqu'on vint à l'endroit du remerciment, où le Prince marquoit qu'il mouroit content et trop heureux d'avoir encore assez de vie pour témoigner au Roi sa reconnoissance, son dévouement, et s'il l'osoit dire, sa tendresse tout le monde rendit témoignage à 1 II Reç/ xxn, 2, 3.
la vérité de ses sentimens; et ceux qui l'avoient ouï parler si souvent de ce grand Roi dans ses entretiens familiers, pouvoient assurer que jamais ils n'avoient rien entendujni de plus respectueux et de plus tendre pour sa personne sacrée, ni de plus fort pour célébrer ses vertus royales, sa piété son courage, son grand génie, principalement à la guerre, que ce qu'en disoit ce grand Prince avec aussi peu d'exagération que deflatterie. Pendant qu'on lui rendoit ce beau témoignage, ce grand homme n'étoit plus. Tranquille entre les bras de son Dieu où il s'étoit une fois jeté, il attendoit sa miséricorde et imploroit son secours, jusqu'à ce qu'il cessa enfin de respirer et de vivre. C'est ici qu'il faudroit laisser éclater ses justes douleurs à la perte d'un si grand homme mais pour l'amour de la vérité, et à la honte de ceux qui la méconnoissent, écoutez encore ce beau témoignage qu'il lui rendit en mourant. Averti par son confesseur que si notre cœur n'étoit pas encore entièrement selon Dieu, il falloit, en s'adressant à Dieu même, obtenir qu'il nous fit un cœur comme il le vouloit et lui dire avec David ces tendres paroles « 0 Dieu, créez en moi un cœur pur » à ces mots le Prince s'arrête comme occupé de quelque grande pensée; puis appelant le saint Religieux qui lui avoit inspiré ce beau sentiment « Je n'ai jamais douté, dit-il, des mystères de la religion, quoi qu'on ait dit. » Chrétiens, vous l'en devez croire; et dans l'état où il est, il ne doit plus rien au monde que la vérité. « Mais, poursuivit-il, j'en doute moins quejamais. Que ces vérités continuoit-il avec une douceur ravissante, se démêlent et s'éclaircissent dans mon esprit Oui, dit-il nous verrons Dieu comme il est, face à face. » 11 répétoit en latin avec un goût merveilleux ces grands mots Sicuti est, facie ad faciem et on ne se lassoit point de le voir dans ce doux transport. Que se faisoit-il dans cette ame? Quelle nouvelle ,lumière] lui apparoissoit? quel soudain rayon perçoit la nue, et faisoit comme évanouir en ce moment avec toutes les ignorances des sens, les ténèbres mêmes, si je l'ose dire, et les saintes obscurités de la foi? Que devinrent alors ces beaux titres dont notre orgueil est flatté? Dans l'approche d'un si beau jour, et dès la première atteinte d'une si Psal. L, 12. – 1 I Joan., lu, 2; I Cor., \m, i2.
vive lumière, combien promptement disparoissent tous les fantômes du monde que l'éclat de la plus belle victoire paroît sombre ? qu'on en méprise la gloire, et qu'on veut de mal à ces foibles yeux qui s'y sont laissés éblouir 1
Venez, peuples, venez maintenant; mais venez plutôt, princes et seigneurs; et vous qui jugez la terre, et vous qui ouvrez aux hommes les portes du ciel; et vous plus que tous les autres, princes et princesses, nobles rejetons de tant de rois, lumières de la France, mais aujourd'hui obscurcies et couvertes de votre douleur comme d'un nuage venez voir le peu qui nous reste d'une si auguste naissance, de tant de grandeur, de tant de gloire. Jetez les yeux de toutes parts voilà tout ce qu'a pu faire la magnificence et la piété pour honorer un héros; des titres, des inscriptions, vaines marques de ce qui n'est plus; des figures qui semblent pleurer autour d'un tombeau, et des fragiles images d'une douleur que le temps emporte avec tout le reste; des colonnes qui semblent vouloir porter jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant et rien enfin ne manque dans tous ces honneurs, que celui à qui on les rend. Pleurez donc sur ces foibles restes de la vie humaine, pleurez sur cette triste immortalité que nous donnons aux héros. Mais approchez en particulier, ô vous qui courez avec tant d'ardeur dans la carrière de la gloire, âmes guerrières et intrépides. Quel autre fut plus digne de vous commander? mais dans quel autre avez-vous trouvé le commandement plus honnête? Pleurez donc ce grand capitaine, et dites en gémissant Voilà celui qui nous menoit dans les hasards sous lui se sont formés tant de renommés capitaines, que ses exemples ont élevés aux premiers honneurs de la guerre son ombre eût pu encore gagner des batailles; et voilà que dans son silence son nom même nous anime, et ensemble il nous avertit que pour trouver à la mort quelque reste de nos travaux, et n'arriver pas sans ressource à notre éternelle demeure, avec le roi de la terre il faut encore servir le Roi du ciel. Servez donc ce Roi immortel et si plein de miséricorde, qui vous comptera un soupir et un verre d'eau donné en son nom, plus que tous les autres ne feront jamais tout votre sang répandu; et commencez à compter le temps de
vos utiles services du jour que vous vous serez donnés à un maître si bienfaisant. Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste monument, vous, dis-je, qu'il a bien voulu mettre au rang de ses amis? Tous ensemble, en quelque degré de sa confiance qu'il vous ait reçus, environnez ce tombeau; versez des larmes avec des prières; et admirant dans un si grand Prince une amitié si commode et un commerce si doux, conservez le souvenir d'un héros dont la bonté avoit égalé le courage. Ainsi puisse-t-il toujours vous être un cher entretien; ainsi puissiez-vous profiter de ses vertus et que sa mort, que vous déplorez, vous serve à la fois de consolation et d'exemple Pour moi, s'il m'est permis après tous les autres de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô Prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets, vous vivrez éternellement dans ma mémoire votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettoitla victoire; non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y efface. Vous aurez dans cette image des traits immortels je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour sous la main de Dieu, lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparoître. C'est là que je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg et à Rocroy; et ravi d'un si beau triomphe, je dirai en actions de graces ces belles paroles du bien-aimé disciple Et hœc est victoria quœ vincit mundum, fides nostra a La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c'est notre foi. » Jouissez, Prince, de cette victoire, jouissez-en éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice. Agréez ces derniers efforts d'une voix qui vous fut connue. Vous mettrez fin à tous ces discours. Au lieu de déplorer la mort des autres, grand Prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte heureux, si averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie, les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint. 1 1 Joan., v, 4.
ORAISON FUNÈBRE
DU
RÉVÉREND PÈRE BOURGOING,
SUPÊRIEUR GÉNÉRAL
DE LA CONGRÉGATION DE L'ORATOIRE.
REMARQUES HISTORIQUES.
Né à Paris le 18 mars 1583, François Bourgoing fut élevé sous la direction de son père, conseiller à la Cour des Aides, « homme docte èslangues et bien versé dans la poésie, » dit Lacroix du Maine. Originaire du Nivernois, sa famille remplit dans la province des charges importantes, puis elle donna plusieurs conseillers au parlement de Paris.
Le jeune Bourgoing, doué d'un esprit facile et d'une mémoire heureuse, fit des progrès rapides dans les lettres et dans les sciences théologiques. Après avoir été reçu bachelier, il se préparoit à la licence, lorsque son zèle pour le salut des ames lui fit accepter en 1609 la petite cure de Clichy près de Paris.
Deux ans plus tard, en 1611, il entra, lui le premier avec troi» autres prêtres, dans la Congrégation de l'Oratoire, que formoit le cardinal de Bérulle. Il fit éclater partout, dans cette nouvelle position, sa science, sa sagesse, sa vertu, son zèle infatigable. Joignant les fonctions de docteur à celles d'apôtre, il se livroit tour à tour et quelquefois tout ensemble à l'enseignement de la théologie, aux œuvres du saint ministère, à la dispensation de la parole divine; dans un long séjour qu'il fit à Lyon, par exemple, il donnoit deux leçons chaque jour, prêchoitles dimanches, et les fêtes et tout le carême. C'est ainsi qu'il évangélisa les principales villes du royaume; c'est au milieu de
ces travaux qu'il fonda les Congrégations de Nantes, de Dieppe, de Rouen et particulièrement celle de Flandre.
Le P. Bourgoing fut nommé en 1041, après la mort du P. de Condren, le troisième supérieur général de l'Oratoire. Si nous en croyons quelques-uns de ses historiens, c'est au cardinal de Richelieu qu'il dut cette nomination; car les Oratoriens redoutoient l'excès de son zèle ou de sa sévérité. Revêtu du pouvoir, il déploya une surveillance qui « s'étcndoit à tout, il fit des règlemens qui prévoyoient tout, il porta des statuts qui fixoient tout; et dans plusieurs actes il entreprit sur la liberté des membres pour rendre l'autorité du chef plus solide, plus large, plus absolue. Toutes ces mesures étoient bonnes sous plusieurs rapports, on le reconnoît mais sous d'autres elles blessoient, dit-on, la constitution fondamentale d'une société où « l'on obéit sans dépendre et l'on gouverne sans commander, comme s'exprime Bossuet Les assemblées de la Compagnie rejetèrent plusieurs de ses statuts, et restreignirent son pouvoir par des dispositions répressives; puis considérant qu'il trouvoit comme confesseur du duc d'Orléans un puissant appui dans l'autorité civile, elles décidèrent que le supérieur général ne pourroit plus accepter à la Cour aucun emploi, pas même celui de confesseur des princes.
Cependant l'Oratoire jetoit un vif éclat sous son gouvernement il tlonnoit à l'Eglise des prêtres exemplaires, des confesseurs habiles, des prédicateurs distingués. Et pendant que le P. Bourgoing faisoit ainsi régner dans la Compagnie la science et la piété, le zèle et la vertu, il composa plusieurs ouvrages justement estimés 2.
Si l'on doit prendre au pied de la lettre les paroles de Bossuet, s'il n'y avoit dans l'Oratoire ni commandement ni dépendance, il ne devoit pas être facile de gouverner cette société. – Ces ouvrages sont Ratio studiorum, 1C45 donnant des règles judicieuses pour l'étude et l'enseignement des belles-lettres. Directoire des naissions, 1616; renfermant trois parties de la piété nécessaire aux missionnaires, de leurs fonctions, de la discipline qu'ils doivent observer. Lignum Crues, 1629; exposant les devoirs des pasteurs des ames. Verilates et sublimes excellentiœ Verbi incamati, 1630, 2 vol. in-8°; traduit en françois par l'auteur sous ce titre Vérités et excellences de Jésus-Christ, disposées par méditations on verra que Bossuet loue ces méditations, et Massillon s'en est servi avec avantage. -Exercices des Retraites, 1648; quatre cours d'exercices le premier pour ceux qui veulent se convertir, le deuxième pour les ames avancées dans la perfection, le troisième pour les communautés religieuses, le quatrième pour les ecclésiastiques. Inshtutw spiritualis ordtnandorum, 1639. Homélies chrétiennes sur les évangiles des dimanches et des fêtes principales, 1642; instructions pour le peuple, suivies de courtes élévations. Homélzes des saints sur le Martyrologe romain, 1G5I ne renfermant que les trois premiers mois de l'année. Les œuvres du cardinal de Bertille; avec une préface remarquable de l'éditeur. – Déclaration présentée à la Reine régente, par le R. P. général au nom de la Congrégation, sur quelques points touchant le sacrement de Pénitence la Compagnie déclara ne pas reconnoîtie sa doctrine dans ce livre, et l'auteur le
Dans la dernière année de sa vie, il eut plusieurs attaques d'apoplexie, et l'affoiblissement de ses forces lui fit donner sa démission. Il mourut le 28 octobre 1662, à l'âge de soixante-dix-sept ans. L' Oraison funèbre du P. Bourgoing fut prononcée le 20 décembre ,1662, dans l'église de l'Oratoire, devant l'évoque de Vence 1 et les membres de la Compagnie. Ce panégyrique funèbre est le premier que fit Bossuet. On verra dans l'exorde combien il redoutoit les écueils qu'offrent ces sortes de discours.
Dans le second point, il parle de l'unité de l'Eglise et de « l'adhérence immuable » qu'on doit « à tout le corps épiscôpal. » C'est que le jansénisme avoit déjà porté le trouble et la rébellion dans l'Oratoire. L'orateur le fait entendre, quand il ajoute « Eteignez ces feux de division, ensevelissez sans retour ces noms de parti, » etc. On lira plus loin « La chair changera de nature, le corps prendra un autre nom; même celui de cadavre ne lui demeurera pas longtemps, etc. Nous avons déjà signalé le passage qui commence par ces paroles; il se trouve dans le Discours pour la profession de madame de la Vallière et dans le Sermon sur la mort.
L'Oraison funebre du P. Bourgoing a été publiée pour la première fois en 1778, par les Bénédictins des Blancs-Manteaux. C'est l'abbé de la Motte, docteur de Sorbonne, qui en avoit communiqué le manuscrit à don Déforis.
désavoua. Tous ces ouvrages, excepté le dernier, obtinrent un grand succès. Toutefois le P. Bourgoing écrivoit beaucoup mieux en latin qu'en françois. 1 Située dans la rue Saint-Honore, près du Louvre, l'église de l'Oratoire fut bâtie de 1621 à 1631. Elle est aujourd'hui livrée au culte protestant. L'évêque de Vence étoit Antoine Godeau, poète et littérateur.
ORAISON FUNÈBRE
DU
RÉVÉREND PÈRE FRANÇOIS BOURGOING.
Qui benè prxsunt presbyteri, duplici honore digni habeantur. Les prêtres qui gouvernent sagement, doivent être tenus dignes d'un double honneur. 1 Timoth., v, 17.
Je commencerai ce discours en faisant au Dieu vivant des remercîmens solennels de ce que la vie de celui dont je dois prononcer l'éloge a été telle par sa grace, que je ne rougirai point de la célébrer en présence de ses saints autels et au milieu de son Eglise. Je vous avoue, chrétiens, que j'ai coutume de plaindre les prédicateurs lorsqu'ils font les panégyriques funèbres des princes et des grands du monde. Ce n'est pas que de tels sujets ne fournissent ordinairement de nobles idées il est beau de raconter (a) les secrets d'une sublime politique, ou les sages tempéramens d'une négociation importante, ou les succès glorieux de quelque entreprise militaire. L'éclat de telles actions semble illuminer un discours et le bruit qu'elles font déjà dans le monde, aide celui qui parle à se faire entendre d'un ton plus ferme et plus magnifique. Mais la licence et l'ambition, compagnes presque inséparables des grandes fortunes; mais l'intérêt et l'injustice, toujours mêlés trop avant dans les grandes affaires du monde, font qu'on marche parmi des écueils et il arrive ordinairement que Dieu a si peu de part dans de telles vies, qu'on a peine à y trouver quelques actions qui méritent d'être louées par ses ministres.
Grace à la miséricorde divine, le Révérend Père Bourgoing, supérieur général de la Congrégation de l'Oratoire, a vécu de telle sorte que je n'ai point à craindre aujourd'hui de pareilles difficultés. Pour orner une telle vie, je n'ai pas besoin d'emprunter (a) Var. De découvrir.
les fausses couleurs de la rhétorique, et encore moins les détours de la flatterie. Ce n'est pas ici de ces discours où l'on ne parle qu'en tremblant, où il faut plutôt passer avec adresse que s'arrêter avec assurance, où la prudence et la discrétion tiennent toujours en contrainte l'amour de la vérité. Je n'ai rien ni à taire ni à déguiser; et si la simplicité vénérable d'un prêtre de JésusChrist, ennemi du faste et de l'éclat, ne présente pas à nos yeux de ces actions pompeuses qui éblouissent les hommes, son zèle, son innocence, sa piété éminente nous donneront des pensées plus dignes de cette chaire. Les autels ne se plaindront pas que leur sacrifice soit interrompu par un entretien profane au contraire celui que j'ai à vous faire vous proposera de si saints exemples, qu'il méritera de faire partie d'une cérémonie si sacrée, et qu'il ne sera pas une interruption, mais plutôt une continuation du mystère.
N'attendez donc pas, chrétiens, que j'applique au Père Bourgoing des ornemens étrangers, ni que j'aille rechercher bien loin sa noblesse dans sa naissance, sa gloire dans ses ancêtres, ses titres dans l'antiquité de sa famille car encore qu'elle soit noble et ancienne dans le Nivernois, où elle s'est même signalée depuis plusieurs siècles par des fondations pieuses encore que la grand'chambre du Parlement de Paris et les autres Compagnies souveraines aient vu les Bourgoings, les Leclercs, les Friches, ses parens paternels et maternels, rendre la justice aux peuples avec une intégrité exemplaire, je ne m'arrête pas à ces choses, et je ne les touche qu'en passant. Vous verrez le Père Bourgoing illustre d'une autre manière, et noble de cette noblesse que saint Grégoire de Nazianze appelle si élégamment la noblesse personnelle vous verrez en sa personne un catholique zélé, un chrétien de l'ancienne marque, un théologien enseigné de Dieu, un prédicateur apostolique, ministre non de la lettre, mais de l'esprit de l'Evangile et, pour tout dire en un mot, un prêtre digne de ce nom, un prêtre de l'institution et selon l'ordre de JésusChrist, toujours prêt à être victime; un prêtre non-seulement prêtre, mais chef par son mérite d'une Congrégation de saints 1 Orat. ixyiii.
prêtres, et que je vous ferai voir par cette raison, a digne véritablement d'un double honneur, a selon le précepte de )'Apôtre, et pour avoir vécu saintement en l'esprit du sacerdoce, et pour avoir élevé dans le même esprit la sainte Congrégation qui étoit commise à ses soins c'est ce que je me propose de vous expliquer dans les deux points de ce discours.
PREMIER POIXT.
Suivons la conduite de l'Esprit de Dieu et avant que de voir un prêtre à l'autel, voyons comme il se prépare à en approcher. La préparation pour le sacerdoce n'est pas, comme plusieurs pensent, une application de quelques jours, mais une étude de toute la vie ce n'est pas un soudain effort de l'esprit pour se retirer du vice, mais une longue habitude de s'en abstenir; ce n'est pas une dévotion fervente seulement par sa nouveauté, mais aSermie et enracinée par un grand usage. Saint Grégoire de Nazianze a dit ce beau mot du grand saint Basile 11 étoit prêtre, dit-il, avant même que d'être prêtre c'est-à-dire, si je ne me trompe, il en avoit les vertus avant que d'en avoir le degré il étoit prêtre par son zèle, par la gravité de ses mœurs, par l'innocence de sa vie, avant que de l'être par son caractère. Je puis dire la même chose du Père Bourgoing toujours modeste, toujours innocent, toujours zélé comme un saint prêtre, il avoit prévenu son ordination; il n'avoit pas attendu la consécration mystique, il s'étoit dès son enfance consacré Ini-même par la pratique persévérante de la piété et se tenant toujours sous la main de Dieu par la soumission à ses ordres, il se préparoit excellemment à s'y abandonner tout à fait par l'imposition des mains de l'évêque. Ainsi son innocence l'ayant disposé à recevoir la plénitude du Saint-Esprit par l'ordination sacrée, il aspiroit sans cesse à la perfection du sacerdoce et il ne faut pas s'étonner, si ayant l'esprit tout rempli des obligations de son ministère, il entra sans délibérer dans le dessein glorieux de l'Oratoire de Jésus aussitôt qu'il vit paroître cette institution, qui avoit pour son fondement le désir de la perfection sacerdotale.
Orat. xx.
L'école de théologie de Paris, que je ne puis nommer sans éloge, quoique j'en doive parler avec modestie, est de tout temps en possession de donner (a) des hommes illustres à toutes les grandes entreprises qui se font pour Dieu. Le Père Bourgoing étoit sur ses bancs, faisant retentir toute la Sorbonne du bruit de son esprit et de sa science. Que vous dirai-je, Messieurs, qui soit digne de ses mérites? Ce qu'on a dit de saint Athanase car les grands hommes sont sans envie, et ils prêtent toujours volontiers les éloges qu'on leur a donnés à ceux qui se rendent leurs imitateurs. Je dirai donc du Père Bourgoing, ce qu'un saint a dit d'un saint, le grand Grégoire du grand Athanase que durant le temps de ses études il se faisoit admirer de ses compagnons, qu'il surpassoit de bien loin ceux qui étoient ingénieux par son travail, ceux qui étoient laborieux par son esprit; ou bien, si vous le voulez, qu'il surpassoit en esprit les plus éclairés, en diligence les plus assidus enfin en l'un et en l'autre ceux qui excelloient en l'un et en l'autre.
En ce temps, Pierre de Bérulle, homme vraiment illustre et recommandable, à la dignité duquel j'ose dire que même la pourpre romaine n'a rien ajouté, tant il étoit déjà relevé par le mérite de sa vertu et de sa science, commençoit à faire luire à toute l'église gallicane les lumières les plus pures et les plus sublimes du sacerdoce chrétien et de la vie ecclésiastique. Son amour immense pour l'Eglise lui inspira le dessein de former une Compagnie à laquelle il n'a point voulu donner d'autre esprit que l'esprit même de l'Eglise, ni d'autres règles que ses canons, ni d'autres supérieurs que ses évoques, ni d'autres biens que sa charité, ni d'autres vœux solennels que ceux du baptême et du sacerdoce. Là une sainte liberté fait un saint engagement on obéit sans dépendre; on gouverne sans commander; toute l'autonté est dans la douceur, et le respect s'entretient sans le secours de la crainte. La charité, qui bannit la crainte, opère un si grand miracle; et sans autre joug qu'elle-même, elle sait non-seulement captiver, mais encore anéantir la volonté propre. Là, pour S. Greg. Nuz., Orat. xxr.
(a) Var. Fournir.
former de vrais prêtres, on les mène à la source de la,vérité ils ont toujours (a) en main les saints Livres pour en chercher sans relâche la lettre par l'étude, l'esprit par l'oraison, la profondeur par la retraite, l'efficace par la pratique, la fin par la charité, à laquelle tout se termine, et a qui est l'unique trésor du christianisme, » cAfï'~MMM nominis thesaurus, comme parle Tertullien'. 1.
Tel est à peu près, Messieurs, l'esprit des prêtres de l'Oratoire et je pourrois en dire beaucoup davantage, si je ne voulois épargner la modestie de ces Pères. Sainte Congrégation, le Père Bourgoing a besoin de vous pour acquérir la perfection du sacerdoce, après laquelle il soupire; mais je ne crains point d'assurer que vous aviez besoin de lui réciproquement, pour établir vos maximes et vos exercices. Et en effet, chrétiens, cette vénérable Compagnie est commencée entre ses mains il en est un des quatre premiers avec lesquels son instituteur en a posé les fondemens c'est lui-même qui l'a étendue dans les principales villes de ce royaume. Que dis-je, de ce royaume? Nos voisins lui tendent les bras; les évêques des Pays-Bas l'appellent; et ces provinces florissantes lui doivent l'établissement de tant de maisons qui ont consolé leurs pauvres, humilié leurs riches, instruit leurs peuples, sanctifié leurs prêtres, et répandu bien loin aux environs la bonne odeur de l'Evangile.
La grande part qu'il a eue à fonder une institution si véritablement ecclésiastique, vous doit faire voir, chrétiens, combien ce grand homme étoit animé de l'esprit de l'Eglise et du sacerdoce. Mais venons aux exercices particuliers. Les ministres de Jésus-Christ ont deux principales fonctions ils doivent parler à Dieu, ils doivent parler aux peuples; parler à Dieu par l'oraison, parler aux peuples fidèles par la prédication de l'Evangile. Ces deux fonctions sont unies, et il est aisé de les remarquer dans cette parole des saints apôtres a Pour nous, disent-ils dans les Actes, nous demeurerons appliqués à l'oraison et au ministère de la parole s ~Yos verb orationi et ministerio ~)'6t instantes 1 De Pa!!<-n< n. i2.
(a) Var. Ils doivent toujours avoir.
er~HMS Prêtres, qui êtes les anges du Dieu des armées, vous devez sans cesse monter et descendre, comme les anges que vit Jacob dans cette échelle mystique Vous montez de la terre au ciel, lorsque vous unissez vos esprits à Dieu par le moyen de l'oraison vous descendez du ciel en la terre, lorsque vous portez aux hommes ses ordres et sa parole. Montez donc et descendez sans cesse, c'est-à-dire, priez et prêchez parlez à Dieu, parlez auxhommes; allez premièrement recevoir, et puis venez répandre les lumières; allez puiser dans la source; après venez arroser la terre et faire germer le fruit de vie.
Voulez-vous voir, chrétiens, quel étoit l'esprit d'oraison de ce fidèle serviteur de Dieu, lisez ses Méditations, toutes pleines de lumière et de grace. Elles sont entre les mains de tout le monde, des religieux, des séculiers, des prédicateurs, des contemplatifs, des simples et des savans tant il a été saintement et charitablement industrieux à présenter tout ensemble le pain aux forts, le lait aux enfans, et dans ce pain et dans ce lait le même JésusChrist à tous.
Je ne m'étonne donc plus s'il prêchoit si saintement au peuple fidèle le mystère de Jésus-Christ qu'il avoit si bien médité. 0 Dieu vivant et éternel, quel zèle 1 quelle onction quelle douceur quelle force 1 quelle simplicité et quelle éloquence 0 qu'il étoit éloigné de ces prédicateurs infidèles, qui ravilissent leur dignité jusqu'à faire servir au désir de plaire le ministère d'instruire; qui ne rougissent pas d'acheter des acclamations par des instructions des paroles de flatterie par la parole de vérité; des louanges, vains alimens d'un esprit léger, par la nourriture solide et substantielle que Dieu a préparée à ses enfans Quel désordre quelle indignité! Est-ce ainsi qu'on fait parler Jésus-Christ? Savez-vous, ô prédicateurs, que ce divin conquérant veut régner sur les cœurs par votre parole ? Mais ces cœurs sont retranchés contre lui; et pour les abattre à ses pieds, pour les forcer invinciblement au milieu de leurs défenses, que ne faut-il pas entreprendre? quels obstacles ne faut-il pas surmonter? Ecoutez l'apôtre saint Paul « Il faut renverser les remparts des mauvaises habitudes, '~c<~ Yt~ 4. Gen., :xvni; 12.
il faut détruire les conseils profonds d'une malice invétérée (a), il faut abattre toutes les hauteurs qu'un orgueil indompté et opiniâtre élève contre la science de Dieu, il faut captiver tout entendement sous l'obéissance de la foi. » Ad dMO~c~onem mMMt~OKMm, consilia destruentes, et omnem altitudinem e~~oKm~m se adversùs scientiam Dei, et in captivitatem redigentes omnem intellectum in obsequium CA)'MM
Que ferez-vous ici, foibles discoureurs? Détruirez-vous ces remparts en jetant des fleurs ? Dissiperez-vous ces conseils cachés en chatouillant les oreilles? Croyez-vous que ces superbes hauteurs tombent au bruit de vos périodes mesurées? Et pour captiver les esprits, est-ce assez de les charmer un moment par la surprise d'un plaisir qui passe ? Non, non, ne nous trompons pas pour renverser tant de remparts et vaincre tant de résistance, et nos mouvemens affectés, et nos paroles arrangées, et nos figures artificielles sont des machines trop foibles. 11 faut prendre des armes plus puissantes (b), plus efficaces, celles qu'employoit si heureusement le saint prêtre dont nous parlons.
La parole de l'Evangile sortoit de sa bouche, vive, pénétrante, animée, toute pleine d'esprit et de feu. Ses sermons n'étoient pas le fruit d'une étude lente et tardive; mais d'une céleste ferveur, mais d'une prompte et soudaine illumination: c'est pourquoi deux jours lui sufnsent pour faire l'oraison funèbre du grand Cardinal de Bérulle, avec l'admiration de ses auditeurs. Il n'en employa pas beaucoup davantage à ce beau panégyrique latin de saint Philippe de Néri; ce prêtre si transporté de l'amour de Dieu, dont le zèle étoit si grand et si vaste, que le monde entier étoit trop petit pour l'étendue de son cœur, pendant que son cœur même étoit trop petit pour l'immensité de son amour. Mais doisje m'arrêter ici à deux actions particulières du Père Bourgoing, puisque je sais qu'il a fourni de la même force la carrière de plusieurs Carêmes, dans les chaires les plus illustres de la France et des Pays-Bas; toujours pressant, toujours animé; lumière ardente et luisante, qui ne brilloit que pour échaufïer, qui cherchoit le 1 u Cor., x, 4, 5.
(a) Ft!)- Endurcie. – (&) Plus fortes.
cœur par l'esprit et ensuite captivoit (a) l'esprit par le cœur? D'où lui venoit cette force ? C'est, mes Frères, qu'il étoit plein de la doctrine céleste; c'est qu'il s'étoit nourri et rassasié dû-meilleur suc du christianisme; c'est qu'il faisoit régner dans ses sermons la vérité et la sagesse l'éloquence suivoit comme la servante, non recherchée avec soin, mais attirée par les choses mêmes. Ainsi « son discours se répandoit à la manière d'un torrent, et s'il trouvoit en son chemin les fleurs de l'élocution il les entrainoit plutôt après lui par sa propre impétuosité qu'il ne les cueilloit avec choix pour se parer d'un tel ornement » Fertur quippe impetu suo; et elocutionis pulchritudinem, St OCCM!en~ vi rerum rapit, non CMfs decoris assM?Kt< 1. C'est l'idée de l'éloquence que donne saint Augustin aux prédicateurs, et ce qu'a pratiqué celui dont nous honorons ici la mémoire.
Après ses fonctions publiques, il resteroit encore, Messieurs, de vous faire voir ce saint homme dans la conduite des ames, et de vous y faire admirer son zèle, sa discrétion, son courage et sa patience. Mais quoique les autres choses que j'ai à vous dire ne me laissent pas le loisir d'entrer bien avant dans cette matière, je ne dois pas omettre en ce lieu qu'il a été longtemps confesseur de feu monseigneur le duc d'Orléans, de glorieuse mémoire. C'est une marque de son mérite d'avoir éte appelé à un tel emploi, après cet illustre Père Charles de Condren, dont le nom inspire la piété, dont la mémoire, toujours fraîche et toujours récente, est douce à toute l'Eglise comme une composition de parfums. Mais quelle a été la conduite de son successeur dans cet emploi délicat? .N'entrons jamais dans ce détail honorons par notre silence le mystérieux secret que Dieu a imposé ses ministres. Contentons-nous de savoir qu'il y a des plantes tardives dans le jardin de l'Epoux que pour en voir la fécondité, les directeurs des consciences, ces laboureurs spirituels, doivent attendre avec patience le fruit précieux de la terre, comme parle l'apôtre saint Jacques et qu'enfin le Père Bourgoing a eu cette singulière consolation, qu'il n'a pas attendu en vain, qu'il n'a pas travaillé inutilement, la terre qu'il S. August., de Doct. Christ., lib. IV, n. 42. Jaco6., v, 7.
(a) Var.: Gagnoit.
cultivoit lui ayant donné avec abondance des fruits de bénédiction et de grace. Ah si nous avons un cœur chrétien, ne passons pas cet endroit sans rendre à Dieu de justes louanges pour le don inestimable de sa clémence, et prions sa bonté suprême qu'elle fasse souvent de pareils miracles Gratias Deo super t?tenan'NMK dono ejus
Rendons graces aussi, chrétiens, à cette même bonté par JésusChrist Notre-Seigneur, de ce qu'elle a fait paraître en nos jours un prêtre si saint, qu'on a vu apporter persévéramment l'innocence à l'autel, le zèle à la chaire, l'assiduité à la prière, une patience vigoureuse dans la conduite des ames, une ardeur infatigable à toutes les affaires de l'Eglise. Il ne vit que pour l'Eglise, il ne respire que l'Eglise il veut non-seulement tout consacrer, mais encore tout sacrifier aux intérêts de l'Eglise, sa personne, ses frères, sa Congrégation. Il l'a gouvernée en cet esprit durant l'espace de vingt et un ans; et comme toute la conduite de cette sainte Compagnie consiste à s'attacher constamment à la conduite de l'Eglise, à ses évêques, à son Chef visible, je ne croirai pas m'éloigner de la suite de mon discours, si j e trace ici en peu de paroles comme un plan de la sainte Eglise, selon le dessein éternel de son divin Architecte je vous demande, Messieurs, que vous renouveliez vos attentions.
SECOND POINT.
Vous comprenez, mes Frères, par tout ce que j'ai déjà dit, que le dessein de Dieu dans l'établissement de son Eglise est de faire éclater par toute la terre le mystère de son unité, en laquelle est ramassée toute sa grandeur. C'est pourquoi le Fils de Dieu est venu au monde, et a le Verbe a été fait chair, et il a daigné habiter en nous, et nous l'avons vu parmi les hommes plein de grace et de vérité » afin que par la grace qui unit, il ramenât tout le genre humain à la vérité qui est une. Ainsi venant sur la terre avec cet esprit d'unité, il a voulu que tous ses disciples fussent unis, et il a fondé son Eglise unique et universelle, « afin que tout y fût consommé et réduit en un a M sint consum1 Il Cor., lï; 15. JoaH.j t4.
ma<t in MHMM', comme il le dit lui-même dans son Evangile. Je vous le dis, chrétiens, c'est ici en vérité un grand mystère en Jésus-Christ et en son Eglise, a Il n'y a qu'une colombe et une parfaite B Uns est columba mea, pet'/ec!a mes il n'y a qu'une seule Epouse, qu'une seule Eglise catholique, qui est la Mère commune de tous les fidèles. Mais comment est-elle la Mère de tous les fidèles, puisqu'elle n'est autre chose que rassemblée de tous les fidèles? C'est ici le secret de Dieu. Toute la grace de l'Eglise, toute l'efficace du Saint-Esprit est dans l'unité en l'unité est le trésor, en l'unité est la vie, hors de l'unité est la mort certaine. L'Eglise donc est une et par son esprit d'unité catholique et universelle, elle est la Mère toujours féconde de tous les particuliers qui la composent ainsi tout ce qu'elle engendre, elle se l'unit très-intimement; en cela dissemblable des autres mères, qui mettent hors d'elles-mêmes les enfans qu'elles produisent. Au contraire l'Eglise n'engendre les siens qu'en les recevant en son sein, qu'en les incorporant à son unité. Elle croit entendre sans cesse, en la personne de saint Pierre, ce commandement qu'on lui fait d'en haut <; Tue et mange, » unis, incorpore Occide et man~Mca'; et se sentant animée de cet esprit unissant, elle élève la voix nuit et jour pour appeler tous les hommes au banquet où tout est fait un. Et lorsqu'elle voit les hérétiques qui s'arrachent de ses entrailles, ou plutôt qui lui arrachent ses entrailles mêmes, et qui emportent avec eux en la déchirant le sceau de son unité, qui est le baptême, conviction visible de leur désertion elle redouble son amour maternel envers ses enfans qui demeurent, les liant et les attachant toujours davantage à son esprit d'unité tant il est vrai qu'il a plu à Dieu que tout concourût à l'œuvre de l'unité sainte de l'Eglise, et même le schisme, la rupture et la révolte.
Voilà donc le dessein du grand Architecte, faire régner l'unité en son Eglise et par son Eglise voyons maintenant l'exécution. L'exécution, chrétiens, c'est l'établissement des pasteurs. Car de crainte que les troupeaux errans et vagabonds ne fussent dispersés decà et delà, Dieu établit les pasteurs pour les rassembler. Joan., xvn, 23. – Cant., Yt, 8. – ~cf.j x, 13.
Il a donc voulu imprimer dans l'ordre et dans l'office des pasteurs le mystère de l'unité de l'Eglise et c'est en ceci que consiste la dignité de l'épiscopat. Le mystère de l'unité ecclésiastique est dans la personne, dans le caractère, dans l'autorité des évêques. En effet, chrétiens, ne voyez-vous pas qu'il y a plusieurs prêtres, plusieurs ministres, plusieurs prédicateurs, plusieurs docteurs, mais il n'y a qu'un seul évoque dans un diocèse et dans une église. Et nous apprenons de l'histoire ecclésiastique que lorsque les factieux entreprenoient de diviser l'épiseopat, une voix commune de toute l'Eglise et de tout le peuple fidèle s'élevoit contre cet attentat sacrilége par ces paroles remarquables « Un Dieu, un Christ, un évêque c t/MMS DëM~ unus C/M'M/MS, MKMS ÉpMcopK~ 1. Quelle merveilleuse association, un Dieu, un Christ, un évêque! un Dieu, principe de l'unité un Christ, médiateur de l'unité un évêque, marquant et représentant en la singularité de sa charge le mystère de l'unité de l'Eglise. Ce n'est pas assez, chrétiens chaque évêque a son troupeau particulier. Parlons plus correctement les évêques n'ont tous ensemble qu'un même troupeau, dont chacun conduit une partie inséparable du tout de sorte qu'en vérité tous les évoques sont au tout et à l'unité, et ils ne sont partagés que pour la facilité de l'application. Mais Dieu voulant maintenir parmi ce partage l'unité inviolable du tout, outre les pasteurs des troupeaux particuliers, il a donné un Père commun, il a préposé un Pasteur à tout le troupeau, afin que la sainte Eglise fût une fontaine scellée par le sceau d'une parfaite unité, et « qu'y ayant un chef établi, l'esprit de division n'y entrât jamais n Ut capite constituto sc/Msma~ <oH6re~<r occasio Ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ voulant commencer le mystère de l'unité de son Eglise, il a séparé les apôtres du nombre de tous les disciples; et ensuite voulant consommer le mystère de l'unité de l'Eglise, il a séparé l'apôtre saint Pierre du milieu des autres apôtres. Pour commencer l'unité dans toute la multitude, il en choisit douze; pour consommer l'unité parmi les douze, il en choisit un. En commençant l'unité, il n'exclut pas tout à fait Corne)., Epist. ad Cypr., npud Cypr., ep. xm; Theodoret., H: cec~, lib. H; cap. xiv. – S. Hieron., acte. Jo~n., ]ib. J.
la pluralité « Comme le Père m'a envoyé, ainsi, dit-il, je vous envoie 1.» Mais pour conduire à la perfection le mystère de l'unité de son Eglise, il ne parle pas à plusieurs, il désigne saint Pierre personnellement, il lui donne un nom particulier a Et moi, dit-il, je te dis à toi Tu es Pierre et, ajoute-t-il, sur cette pierre je bâtirai mon Eglise; et, conclut-il, les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle » afin que nous entendions que la police, le gouvernement et toute l'ordonnance de l'Eglise se doit enfin réduire à l'unité seule; et que le fondement de cette unité est et sera éternellement le soutien immobile de cet édifice. Par conséquent, chrétiens, quiconque aime l'Eglise doit aimer l'unité et quiconque aime l'unité doit avoir une adhérence immuable à tout l'ordre épiscopal, dans lequel et par lequel le mystère de l'unité se consomme, pour détruire le mystère d'iniquité qui est l'œuvre de rébellion et de schisme. Je dis A tout l'ordre fptscopa~ au Pape chef de cet ordre et de l'Eglise universelle, aux évêques chefs et pasteurs des églises particulières. Tel est l'esprit de l'Eglise tel est principalement le devoir des prêtres, qui sont établis de Dieu pour être coopérateurs de l'épiscopat. Le cardinal de Bérulle, plein de l'esprit de l'Eglise et du sacerdoce, n'a formé sa Congrégation que dans la vue de ce dessein; et le Père François Bourgoing l'a toujours très-sainfement gouvernée dans cette même conduite.
Soyez bénie de Dieu, sainte Compagnie; entrez de plus en plus dans ces sentimens, éteignez ces feux de division, ensevelissez sans retour ces noms de parti. Laissez se débattre, laissez disputer et languir dans des questions ceux qui n'ont pas le zèle de servir l'Eglise d'autres pensées vous appellent, d'autres affaires demandent vos soins. Employez tout ce qui est en vous d'esprit, et de cœur, et de lumière, et de zèle au rétablissement de la discipline si horriblement dépravée et dans le clergé et parmi le peuple. Deux choses sont nécessaires à la sainte Eglise, la pureté de la foi et l'ordre de la discipline. La foi est toujours sans tache, la discipline souvent chancelante. D'où vient cette différence, si ce n'est que la foi est le fondement, lequel étant renversé, tout l'édiJoan., xx, 21. – ~a«A. x\'i, <8.
Bce tomberoitpar terre? Or il a plu à notre Sauveur, qui a établi son Eglise comme un édifice sacré, de permettre que, pour exercer le zèle de ses ministres, il y eût toujours à la vérité quelques réfections à faire dans le corps du bâtiment; mais que le fondement fût si ferme, que jamais il ne pût être ébranlé, parce que les hommes peuvent bien en quelque sorte contribuer par sa grace à faire les réparations de l'édifice, mais qu'ils ne pourroient jamais le redresser de nouveau s'il étoit entièrement abattu (a). Il faudroit que le Fils de Dieu vînt encore au monde et comme il a résolu de n'y venir qu'une fois, il a fondé son temple si solidement, qu'il n'aura jamais besoin qu'on le rétablisse, et qu'il suffira seulement qu'on l'entretienne.
Qui pourroit assez exprimer quel étoit le zèle du Père Bourgoing pour travailler à ce grand ouvrage? Il regardoit les évêques comme ceux qui sont établis de Dieu pour faire vivre dans le peuple et dans le clergé la discipline chrétienne. Il révéroit dans leur ordre la vigueur et la plénitude d'une puissance céleste, pour réprimer la licence et arrêter le torrent des mauvaises mœurs, qui s'enflant et s'élevant à grands flots, menace d'inonder toute la face de la terre. Non content d'exciter leur zèle, il travailloit nuit et jour à leur donner de fidèles ouvriers. Sa Compagnie lui doit le dessein d'avoir des institutions ecclésiastiques pour y former des saints prêtres, c'est-à-dire donner des pères aux enfans de Dieu. Et il ne faut pas sortir bien loin pour voir des fruits de son zèle. Allez à cette maison où reposent les os du grand saint Magloire là, dans l'air le plus pur et le plus serein de la ville, un nombre infini d'ecclésiastiques respire un air encore plus pur de la discipline cléricale ils se répandent dans les diocèses, et portent partout l'esprit de l'Eglise c'est l'effet des soins du Père Bourgoing. Mais pourquoi vous parler ici d'un séminaire particulier? Toutes les maisons de l'Oratoire n'étoientelles pas sous sa conduite autant de séminaires des évêques? Il professoit hautement que tous les sujets de sa Compagnie étoient plus aux prélats qu'à la Compagnie; et avec raison, chrétiens, puisque la gloire de la Compagnie c'est d'être toute entière à (a) Var. S'il avoit été ruiné.
eux, pour être par eux toute entière à l'Eglise et à Jésus-Christ. De là vous pouvez connoître combien cette Compagnie est redevable aux soins de son général, qui savoit si bien conserver en elle l'esprit de son institut, c'est-à-dire.l'esprit primitif de la cléricature et du sacerdoce. Il en étoit tellement rempli, qu'il en animoit tous ses frères et ceux qui auroient été assez insensibles pour ne se pas rendre à ses paroles, auroient été forcés de céder à la force toute-puissante de ses exemples. Et en effet, chrétiens, quel autre étoit plus capable de leur inspirer l'esprit d'oraison, que celui qu'ils voyoient toujours le plus assidu à ce divin exercice? Qui pouvoit plus puissamment enflammer leurs cœurs à travailler sans relâche pour les intérêts de l'Eglise, que celui dont les maladies n'étoient pas capables d'en ralentir l'action, ce grand homme ne voulant pas, autant qu'il pouvoit, qu'il fût tant permis aux infirmités d'interrompre les occupations d'un prêtre de Jésus-Christ ? Qui a pu leur enseigner plus utilement à conserver parmi les emplois une sainte liberté d'esprit, que celui qui s'est montré dans les plus grands embarras autant paisible, autant dégagé, qu'agissant et infatigable? Enfin de qui pouvoient-ils apprendre avec plus de fruit à dompter par la pénitence la délicatesse des sens et de la nature, que de celui qu'ils ont toujours vu retrancher de son sommeil malgré son besoin, endurer la rigueur du froid malgré sa vieillesse, continuer (a) 'se& jeûnes malgré ses travaux, enfin affliger son corps par toutes sortes d'austérités malgré ses infirmités corporelles? 0 membres tendres et délicats, si souvent couchés sur la dure 0 gémissemens 1 ô cris de la nuit, pénétrant les nues, perçant jusqu'à Dieu! 0 fontaines de larmes, sources de joie! 0 admirable ferveur d'esprit et prière continuelle 1 0 ame qui soutenoit le corps presque sans aucune nourriture ou plutôt, ô corps contraint de mourir avant la mort même, afin que l'âme fût en liberté 0 appât du plaisir sensible et goût du fruit défendu, surmonté par la continence du Père Bourgoing! 0 Jésus-Christ! ô sa mort! ô son anéantissement et sa croix honorés par sa pénitence Plût à Dieu que touché d'un si saint exemple, je mortifie (a) Faf. Prolonger.
mes membres mortels, et que je commence à marcher par la voie étroite, et que je m'ensevelisse avec Jésus-Christ pour être son cohéritier! I
Car que faisons-nous, chrétiens; que faisons-nous autre chose, lorsque nous ûattons notre corps, que d'accroître la proie de la mort, lui enrichir son butin, lui engraisser sa victime? Pourquoi m'cs-tu donné, ô corps mortel, fardeau accablant, soutien nécessaire, ennemi flatteur, ami dangereux, avec lequel je ne puis avoir ni guerre ni paix, parce qu'à chaque moment il faut s'accorder, et à chaque moment il faut rompre ? 0 inconcevable union, et aliénation non moins étonnante a Malheureux homme que je suis qui me délivrera de ce corps mortel? ~K~f c<j~/M?MO/<j'M!S me M&eraM< de corpore moMts /tMj'MS t Si nous n'avons pas le courage d'imiter le Père Bourgoing dans ses austérités, pourquoi flattons-nous nos corps, nourrissons-nous ses convoitises par notre mollesse et les rendons-nous invincibles par nos complaisances ?
Se peut-il faire, mes Frères, que nous ayons tant d'attache à cette vie et à ses plaisirs, si nous considérons attentivement combien est dure la condition avec laquelle on nous l'a prêtée? La nature, cruelle usurière, nous ôte tantôt un sens et tantôt un autre. Elle avoitôté l'ouïe au Père Bourgoing, et elle ne manque pas tous les jours de nous enlever quelque chose comme pour l'intérêt de son prêt, sans se départir pour cela du droit qu'elle se réserve, d'exiger en toute rigueur la somme totale à sa volonté. Et alors où serons-nous? Que deviendrons-nous? Dans quelles ténèbres serons-nous cachés? Dans quel gouffre serons-nous perdus? Il n'y aura plus sur la terre aucun vestigè de ce que nous sommes. « La chair changera de nature, le corps prendra un autre nom; même celui de cadavre, dit Tertullien, ne lui demeurera pas longtemps; il deviendra un je ne sais quoi qui n'a point de nom dans aucune langue a tant il est vrai que tout meurt en nos corps, jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimoit nos malheureux restes Post totum illud ignobilitatis e!o~MM, <:6t~MC<i? carnis in ot't'~KeM terram, et cadaveris nomen; et de 1 Rom., vn, 24.
isto quoque nomine pert'<Mf<s in nullum inde jam nomen, in omnis jam vocabuli mortem 1.
Et vous vous attachez à ce corps, et vous bâtissez sur ces ruines, et vous contractez avec ce mortel une amitié immortelle 10 que la mort vous sera cruelle! ô que vainement vous soupirerez, disant avec ce roi des Amalécites Siccine separat amara mors P « Estce ainsi que la mort amère sépare de tout? Quel coup quel état 1 quelle violence 1
II n'y a que l'homme de bien qui n'a rien à craindre en ce dernier jour. La mortification lui rend la mort familière; le détachement des plaisirs le désaccoutume du corps, il n'a point de peine à s'en séparer; il a déjà depuis fort longtemps, ou dénoué ou rompu les liens les plus délicats qui nous y attachent. Ainsi le Père Bourgoing ne peut être surpris de la mort a Ses jeunes et ses pénitences l'ont souvent avancé dans son voisinage, comme pour la lui faire observer de près » &i?pëj'eJMM<Mts MtM'!em d'e proximo novit. « Pour sortir du monde plus légèrement, il s'est déjà déchargé lui-même d'une partie de son corps comme d'un empêchement importun à l'âme » frcBmt'sso jam sanguinis succo, tanquam animce w:pe<KmeM<o Un tel homme dégagé du siècle, qui a mis toute son espérance en la vie future, voyant approcher la mort, ne la nomme ni cruelle ni inexorable au contraire, il lui tend les bras, il lui présente sans murmurer ce qui lui reste de corps, et lui montre lui-même l'endroit où elle doit frapper son dernier coup. 0 mort lui dit-il d'un visage ferme, tu ne me feras aucun mal, tu ne m'ôteras rien de ce qui m'est cher tu me sépareras de ce corps mortel ô mort je t'en remercie; j'ai travaillé toute ma vie à m'en détacher, j'ai tâché de mortifier mes appétits sensuels ton secours, ô mort, m'étoit nécessaire pour en arracher jusqu'à la racine. Ainsi, bien loin d'interrompre le cours de mes desseins, tu ne fais qu'accomplir l'ouvrage que j'ai commencé; tu ne détruis pas ce que je prétends, mais tu l'achèves achève donc, ô mort favorable, et rends-moi bientôt à mon Maître. Ah 1 a qu'il n'en est pas ainsi des impies a Non sic impii, non Tertult., De Resur. carn., n. 4. – ) 1 Reg., xv, 32. Tertul)., de Jf~'Mt)., m. i2.
sic La mort ne leur arrive jamais si tard, qu'elle ne soit toujours précipitée; elle n'est jamais prévenue par tant d'avertissemens, qu'elle ne soit toujours imprévue. Toujours elle rompt quelque grand dessein et quelque affaire importante au lieu qu'un homme de bien, à chaque heure, à chaque moment a toujours ses affaires faites; il a toujours son ame en ses mains, prêt à la rendre au premier signal. Ainsi est mort le Père Bourgoing et voilà qu'étant arrivé en la bienheureuse terre des vivans, il voit et il goûte en la source même combien le Seigneur est doux; et il chante, et il triomphe avec ses saints anges, pénétrant Dieu, pénétré de Dieu, admirant la magnificence de sa maison et s'enivrant du torrent de ses délices.
Qui nous donnera, chrétiens, que nous mourions de cette mort, et que notre mort soit un jour de fête, un jour de délivrance, un jour de triomphe? a Ah que mon ame meure de la mort des justes a Mofïa~Mf anima mea mor~e ~MS~ft/m Mais pour mourir de la mort des justes, vivez, mes Frères, de la vie des justes. Ne soyez pas de ceux qui different à se reconnoitre quand ils ont perdu la connoissance et qui méprisent si fort leur ame qu'ils ne songent à la sauver que lorsqu'ils sont en danger de perdre leur corps; desquels certes on peut; dire véritablement qu'ils se convertissent par désespoir plutôt que par espérance. Mes frères, faites pénitence, tandis que le médecin n'est pas encore à vos côtés, vous donnant des jours et des heures qui ne sont pas en sa puissance, et toujours prêt à philosopher admirablement de la maladie après la mort. Convertissez-vous de bonne heure; que la pensée en vienne de Dieu et non de la fièvre, de la raison et non du trouble, du choix et non de la force ni de la contrainte. Si votre corps est une hostie, consacrez à Dieu une hostie vivante; si c'est un talent précieux qui doive profiter entres ses~ mains, mettez-le de bonne heure dans le commerce, et n'attendez pas à le lui donner qu'il le faille enfouir en terre c'est ce que je dis à tous les fidèles. Et vous, sainte Compagnie, qui avez~désiré d'ouïr de ma bouche le panégyrique de votre Père, vous ne m'avez pas appelé dans cette chaire, ni pour déplorer votre perte par des plaintes étuPsal. l, 4. N«m., xxm; iO.
diées, ni pour contenter les vivans par de vains éloges des morts. Un motif plus chrétien vous a excitée à me demander ce discours funèbre à la gloire de ce grand homme vous avez prétendu que je consacrasse la mémoire de ses vertus, et que je vous proposasse comme en un tableau le modèle de sa sainte vie. Soyez donc ses imitateurs comme il l'a été de Jésus-Christ c'est ce qu'il demande de vous aussi ardemment, j'ose dire plus ardemment que le sacrifice mystique car si par ce sacrifice vous procurez son repos; en imitant ses vertus, vous enrichissez sa couronne. C'est vous-mêmes, mes Révérends Pères, qui serez et sa couronne et sa gloire au jour de Notre-Seigneur, si comme vous avez été durant tout le cours de sa vie obéissans à ses ordres, vous vous rendez de plus en plus après sa mort fidèles imitateurs de sa piété. Ainsi soit-il.
MESSIRE NICOLAS CORNET,
Nicolas Cornet vit le jour à Amiens, le 12 octobre 1392. Son père, seigneur d'Hunval, de Coupel et de l'Angle, présida lui-même à son éducation; et sa mère, femme pleine de mérite, lui inspira de bonne heure les senlimens de la piété chrétienne, particulièrement la dévotion à la sainte Vierge. Ses cinq frères, dont il Ètoit l'aîné, se consacrèrent au service de Dieu dans la vie religieuse 1.
Après ses premières études, il entra comme novice chez les Jésuites, et s'y fortifia dans la langue de Rome et dans celle d'Athènes, à tel point qu'il les parloit l'une et l'autre avec une égale perfection. Sa santé ne put se soutenir dans l'institut de saint Ignace; il le quitta malgré l'estime et l'affection qu'il lui avoit données pour toujours. Il vint étudier la théologie en Sorbonne, et reçut le grade de docteur en 1626. Après avoir été doyen de Saint-Thomas du Louvre, prieur de Notre-Dame de Vouvant en Poitou, prieur de Vielarsi près de Soissons, il fut nommé grand maître du collège de Navarre et syndic de la Faculté de théologie. 11 remplit les devoirs de cette double charge avec autant de zèle et de désintéressement que de science et d'habileté. Parmi les professeurs qu'il sut gagner au collége de Navarre, il suffit de Eloge de Nicolas Cornet. par son neveu Charles-François Cornet, seigneur de Coupel, etc., avocat au bauliage d'Amiens. Après i'0;'auoK funèbre, publiée à Amsterdam, en 1698.
ORAISON FUNÈBRE
DE
GRA~D MAITRE
DU COLLÈGE DE NAVARRE.
REMARQUES HISTORIES.
nommer Guischard, le Feuvre, du Saussoy, Nicolas Mercier. Sous des maîtres aussi distingués, les disciples avançoient rapidement dans la voie des connoissances humaines, et remportoient de brillans succès devant la Sorbonne. C'e&t à ce foyer de lumière que Bossuet vint éclairer sa jeune intelligence, c'est sous la direction de Nicolas Cornet qu'il étudia la science divine; comme il le dit lui-même dans une langue immortelle, il trouva dans ce savant modeste un maître qui « cultiva son esprit avec une bonté paternelle, )) un homme de goût qui « fut longtemps le censeur et l'arbitre de ses discours; )) que dirai-je encore? « un trésor inépuisable de sages conseils, de bonne foi, de sincérité, d'amitié constante et inviolable. »
Tant de sagesse et tant de vertu commandoit la confiance. Le cardinal de Richelieu pria Nicolas Cornet d'être son confesseur soit modestie, soit délicatesse de conscience, le saint prêtre refusa. Il entra néanmoins dans le conseil du ministre, et l'aida dans la composition de ses ouvrages; c'est à lui qu'on attribue la préface de la JHefMe des Controverses, le meilleur ou le moins mauvais écrit du prélat. En même temps les théologiens et les évêques consultoient de toutes parts « ce docteur de l'ancienne marque, de l'ancienne simplicité, de l'ancienne probité, » comme l'appelle Bossuet; et l'on révéroit ses réponses comme on avoit autrefois révéré les avis de Gerson, de Pierre d'Ailly, de Henri de Gand. Louis XIII, Louis XIV et la reine-mère lui offrirent des abbayes, des prélatures, même le siége primatial de Bourges; il opposa constamment à ces offres des refus que les plus vives instances ne purent vaincre. Aussi bien qu'avoit-il besoin de nouveaux revenus? `? son bénéfice de douze cents livres suffisoit, non-seulement à son entretien, mais à de grandes aumônes. On verra, dans l'Oraison funèbre, un acte qui honore l'extrême délicatesse de sa probité.
Cependant les questions de la grace et du libre arbitre agitoient vivement les esprits. Le vigilant syndic, chargé de veiller au dépôt de la saine doctrine, avoit souvent remarqué, dans les thèses des bacheliers, des nouveautés contraires à l'enseignement de l'Eglise; il les avoit effacées cent fois, et cent fois elles s'étoient reproduites plus ou moins déguisées sous des formes variées; pour tarir le mal dans sa source, il les soumit à la Sorbonne dans cinq propositions tirées d'un livre que Jansénius, évêque d'Ypres, venoit de publier en Hollande sous le titre de l'Augustinus. Ces propositions furent censurées par la Sorbonne, et bientôt après condamnées comme hérétiques par le Saint-Siége. De ce jour, tout le zèle des jansénistes se tourna contre le docteur charitable qui avoit cherché pour le salut de ses frères la lumière dans les ténèbres, le port au milieu de la tempête; les plus modérés dirent qu'il protégeoit les Jésuites, et dérobait leurs ouvrages à la censure; qu'il accordoit une injuste préférence aux religieux mendians, et s'efforcoit
de les introduire comme docteurs dans les conseils de la Sorbonne; en un mot, qu'il favorisoit l'ultramontanisme aux dépens des libertés de l'Eglise gallicane; les chefs du parti firent plus encore Arnauld, par exemple, l'accusa d'avoir altéré les décisions de la Sorbonne, corrompu les ouvrages de ses adversaires et falsifié les écrits des saints Pères*. Déforis reproduit avec complaisance toutes ces accusations~. Nous ne les réfuterons pas; car les calomnies répandues contre les défenseurs de la vérité sont autant de couronnes, comme s'exprime Bossuet dans une autre circonstance.
Au milieu de ces luttes et de ces combats, après tant de fatigues et tant de travaux, Nicolas Cornet sentoit le fardeau de sa charge s'appesantir sur ses épaules; il. offrit à Bossuet la direction du collège de Navarre. Bossuet ne put se rendre aux prières de son maître vénéré l'amour de la science l'engagea de se retirer dans la solitude, à Metz, pour continuer l'étude de l'Ecriture sainte, des Pères, de la théologie 3.
Ainsi Nicolas Cornet servit la cause des lettres, de la science et de la religion. Il mourut le 18 avril 1663, âgé de soixante-onze ans. Selon son vœu formellement exprimé par acte testamentaire, il fut enterré dans l'église de Navarre, à l'endroit le plus obscur, au milieu de la nef, près de la porte
Bossuet prononça son OM:'Mn~M&M le 27 juin 1663. On vit se presser autour de la chaire sacrée, non-seulement les nombreux amis du défunt, les docteurs de la Faculté de théologie, les sommités de la science et les membres les plus distingués de la magistrature, mais un grand nombre de prélats dont la plupart avoient fait leurs études au collége de Navarre, l'évêque de Lisieux, celui du Puy, ceux de Rennes, de Lavaur; de Valence, de Laon, de Chartres, d'Amiens, de Soissons, de Chalons-sur-Marne et l'archevêque de Paris. La Mothe-Houdancourt, ancien évêque de Rennes, nommé grand proviseur de Navarre, officia pontificalement.
On a remarqué les deux dates qui viennent d'être indiquées, celle de la mort de Nicolas Cornet, 18 avril 1663, et celle de son oraison fut CoMK~<!<t07M sur /'en<reprMe faite par Jtf. N. Cornet, syndic, etc. t OEMt~M de Bossuet, édition d'Antoine Boudet, 1778, vol. VIII, p. 587-594. Déforis donne un autre motif à sa conduite U dit Bossuet f< regarda le projet de Nicolas Cornet comme inspiré plutôt par ta rivahté et la vanité qne par des de Nicolas Cornet comme inspiré plutdt par la rivahté et la vanité que par des motifs de religion (ÛEt<c!'M de Bossuet, ubi suprà, p. 594). o Ce n'étoit donc pas assez pour le religieux des B/attcs-.Ma~eaM; d'avoir reproduit toutes les calomnies des jansénistes contre Nicolas Cornet; il fait accuser ses intentions par son disciple le plus fidèle et le plus dévoué. – .Ep!<<tp~e de Nicolas Cornet, après l'OrattOt! funèbre, publiée à Amsterdam.
nèbre, 27 juin 1663; ces deux dates sont certaines Bossuet eut donc plus de deux mois, juste soixante-dix jours pour préparer le discours funèbre. Néanmoins dom Déforis et le cardinal de Bausset, rapprochant le service religieux du décès, voudroient nous faire accroire qu'il n'eut que neuf jours. Ces auteurs s'efforcent partout d'atïoiblir l'autorité de notre discours enverra bientôt pourquoi. Continuons. L'OraMc~/M~rede Nicolas Cornet fut publiée en 169S à Amsterdam, chez Henry Wetstein, par Charles-François Cornet, seigneur de Coupel, avocat du roi au bailliage d'Amiens, neveu du défunt. Outre l'Oraison funèbre, l'opuscule renferme un éloge du grand maître par son neveu, et plusieurs pièces en vers latins qui furent lues par les élèves du collége après la cérémonie religieuse. Dès le premier jour, l'authenticité de cette publication fut reconnue d'une voix unanime par tous ceux qu'elle intéressoit directement et par Bossuet, alors évêque de Meaux, qui ne fit aucune réclamatron et par la maison de Navarre, qui communiqua sans doute le manuscrit à l'éditeur, avec les pièces latines dont nous venons de parler; et par les parens de Nicolas Cornet, aussi nombreux qu'estimés en Picardie, qui remplissoient des charges importantes dans l'armée, dans la magistrature et dans l'Eglise. Le Journal des SsoaMh, rédigé par des hommes graves, amis de Bossuet, lui attribua sans aucune hésitation l'Oraison funebre qui venoit de paroitre et dans la première moitié du xv)u" siècle, les éditeurs les plus habiles, l'abbé Perau et l'abbé Leroi, la réimprimèrent parmi ses œuvres, comme sortant de sa plume.
Mais Bossuet réprouve, dans l'éloge funèbre du grand maître de Navarre, ces moralistes chagrins, « qui trouvent partout des crimes et accablent la foiblesse humaine en ajoutant au joug que Dieu nous impose a il flétrit « les docteurs indignes de ce nom, qui traînent toujours l'enfer après eux et ne fulminent que des anathëmes les jansénistes devoient révoquer en doute l'authenticité d'un écrit qui les condamne. Déforis dit « Le discours que fit M. Bossuet, étoit très-différent de celui qu'on a imprimé en < C9S. Le secrétaire du prélat nous atteste dans son Journal que lorsque cette oraison funèbre parut, il dit que ce n'étoit pas là son discours, et qu'il ne se reconnoissoit point dans cette pièce. Pour peu qu'on l'examine avec des yeux non prévenus, on conviendra aisément qu'il n'est en effet point digne de ce grand homme, ni quant au fond, ni quant à la forme. Aussi M. Bossuet ne l'a-t-il point inséré dans le recueil qu'il a donné lui-même de ses Oraisons /'un~fes en 169! un an après la publication de celle de Cornet, que ses parens firent imprimer en Hollande 3. w Ces raisonneEloge de Nie. Corn., aprea l'O/'anon funèbre, édit. d'Amsterdam. – Journ. des Sav., ter septembre 1688. 'CEM~fM de ~OMMe/, édition d'Antoine Boudet, yoI.Yf)L p. 504.
ments ne reposent que 'sur des méprises. D'abord rien ne nous oblige d'admettre ici le témoignage de l'abbé Ledieu; car il se trompe presque toutes les fois qu'il parle des œuvres oratoires de Bossuet, parce qu'il ne pouvoit en parler que d'après des rapports fondés sur des souvenirs vagues, confus, remontant à trente années dans le passé. D'ailleurs il ne dit rien dans son Journal de l'oraison funèbre, et nulle part il n'en dit tout ce qu'on lui fait dire. Il n'a écrit que trois mots sur ce discours; les voici « L'auteur ne s'y est pas reconnu 1. Quand nous admettrions le fait, qu'auroit-il de surprenant? Il y avoit trente-cinq ans que Bossuet avoit prononcé le panégyrique de Cornet, quand il parut en Hollande ne pouvoit-il pas en avoir oublié les raisonnemens, les phrases, les mots? Ensuite le lecteur le trouvera digne de Bossuet, et quant au fond, et quant a la forme « On y reconnoît, dit un juge compétent, la touche mâle et ferme du grand orateur » on reconnoit cette touche inimitable surtout dans les passages qui condamnent les jansénistes. Enfin pourquoi Bossuet n'a-t-il pas publié l'éloge funèbre de Cornet dans le Recue~ de t699 ? Parce que ce .Recuet'y n'étoit pas une nouvelle édition, mais tout simplement l'édition de 1689; on ne changea que le frontispice, mettant chez « Grégoire Dupuis » au lieu de « chez Marbre-Cramoisy. o Le J!ecMet'< de 1699 ne renferme ni l'Oraison /tM~re du P. Bourgoing, ni celle de M' Yolande de Monterby, ni celle de Henri de Gornay; ces œuvres oratoires sont-elles donc apocryphes ?
Au lieu d'attaquer l'Oratso?' funèbre publiée par le neveu de Cornet, Déforis et ses copistes auroient mieux fait de la reproduire fidèlement. ils disent, par exemple « Docteur de l'ancienne marque, incapable d'être surpris des détours des intérêts humains [de se prêter] aux inventions de la chair et du sang S pour «. D'être surpris des détours des intérêts humains, aux inventions dela chair et du sang. »-« Certes, je ne vois rien dans le monde qui soit plus à charge à l'Eglise que ces esprits vainement subtils, qui réduisent *) pour «Certes, je ne vois rien dans le monde qui soit plus à charge à l'Eglise. Vainement subtils ceux qui »-« Selon le précepte de l'Apôtre » pour « Selon le principe de l'Apôtre. ? – « Connoissance exquise~; )) pour «Exquise connoissance. » Nous ne relevons ni les sens faussés par la ponctuation, ni plusieurs transpositions de mots, ni d'autres fautes la liste en seroit trop longue.
*J)fAKOtrM, )063. – Ree/MreA~ AtMic~~A~MM <uf /e Telémaque, Orai- sons funèbres de Bossuet Recherches bibliographiques sur le Télémaque, let Oraisons funèbres de Bossuet et le Discours sur l'Histoire universelle (par l'abbé Caron, directeur an Séminaire de Saint-Sulpice). Edition de YersmHes, vol. XVH, p. 6t9. Toutes les fautes que nous signalons dans i'édiUon de Lebel se trouvent dans toutes les autres, sans en excepter aucune.- Ibid p. G20. –/&!</“ p. 629. – MM., p. 631.
ORAISON FUNÈBRE
DE E
MESSIRE NICOLAS CORNET.
S<!H~e est regnum cœ~orttm <MCM)'o at~cott~Mo.
Le royaume des cieux est semblable à un trésor cache..tfa«7t., xtit, 44. Ceux qui ont vécu dans les dignités et dans les places relevées, ne sont pas les seuls d'entre les mortels dont la mémoire doit être honorée par des éloges publics. Avoir mérité les dignités et les avoir refusées, c'est une nouvelle espèce de dignité qui mérite d'être célébrée par toutes sortes d'honneurs; et comme l'univers n'a rien de plus grand que les grands hommes modestes, é'est principalement en leur faveur, et pour conserver leurs vertus, qu'il faut épuiser toutes sortes de louanges. Ainsi l'on ne doit pas s'étonner si cette maison royale ordonne un panégyrique à M. Nicolas Cornet, son Grând Maître, qu'elle auroit vu élevé aux premiers rangs de l'Eglise si, juste en toutes antres choses, il ne s'étoit opposé en cette seule rencontre à la justice de nos Rois. Elle doit ce témoignage à sa vertu, cette reconnoissance à ses soins, cette gloire publique à sa modestie; et étant si fort affligée par la perte d'un si grand homme, elle ne peut pas négliger le seul avantage qui lui revient de sa mort, qui est la liberté de le louer. Car comme, tant qu'il a vécu sur la terre, la seule autorité de sa modestie supprimoit les marques d'estime qu'elle eût voulu rendre aussi solennelles que son mérite étoit extraordinaire maintenant qu'il lui est permis d'annoncer hautement ce qu'elle a connu de si près, elle ne peut manquer à ses devoirs particuliers, ni envier au public l'exemple d'une vie si réglée. Et moi (si toutefois vous me permettez de dire un mot de moi-même) moi, dis-je, qui ai trouvé en ce personnage, avec tant d'autres rares qualités, un trésor inépuisable de sages conseils, de bonne foi, de sincérité,
d'amitié constante et inviolable, puis-je lui refuser quelques fruits d'un esprit qu'il a cultivé avec une bonté paternelle dès sa première jeunesse, ou lui dénier quelque part dans mes discours, après qu'il en a été si souvent et le censeur et l'arbitre ? Il est donc juste, Messieurs, puisqu'on a bien voulu employer ma voix, que je rende comme je pourrai à ce collége royal son Grand Maître, aux maisons religieuses leur père et leur protecteur, à la Faculté de théologie l'une de ses plus vives lumières, et celui de tous ses enfans qui peut-être a autant soutenu [qu'aucun] cette ancienne réputation de doctrine et d'intégrité, qu'elle s'est acquise par toute la terre; enfin à toute l'Eglise et à notre siècle l'un de ses plus grands ornemens.
Sortez, grand homme, de ce tombeau; aussi bien y êtes-vous descendu trop tôt pour nous sortez, dis-je, de ce tombeau que vous avez choisi inutilement dans la place la plus obscure et la plus négligée de cette nef. Votre modestie vous a trompé aussi bien que tant de saints hommes, qui ont cru qu'ils se cacheroient éternellement en se jetant dans les places les plus inconnues. Nous ne voulons pas vous laisser jouir de cette noble obscurité que vous avez tant aimée; nous allons produire au grand jour, malgré votre humilité, tout ce trésor de vos graces, d'autant plus riche qu'il est plus caché. Car, Messieurs, vous n'ignorez pas que l'artifice le plus ordinaire de la Sagesse céleste, est de cacher ses ouvrages, et que le dessein de couvrir ce qu'elle a de plus précieux est ce qui lui fait déployer une si grande variété de conseils profonds. Ainsi toute la gloire de cet homme illustre dont je dois aujourd'hui prononcer l'éloge, c'est d'avoir été un trésor caché et je ne le louerai pas selon ses mérites, si non content de vous faire part de tant de lumières, de tant de grandeurs, de tant de graces du divin Esprit, dont nous découvrons en lui un si bel amas, je ne vous montre encore un si bel artifice par lequel il s'est efforcé de cacher au monde toutes ses richesses.
Vous verrez donc Nicolas Cornet, trésor public et trésor caché plein de lumières célestes et couvert autant qu'il a pu de nuages épais, illuminant l'Eglise par sa doctrine et ne voulant lui faire savoir que sa seule soumission plus illustre sans comparaison
par le désir de cacher toutes ses vertus, que par le soin de les acquérir et la gloire de les posséder. Enfin pour réduire ce discours à quelque méthode, et vous déduire per ordre les mystères qui sont compris dans ce mot évangélique de trésor caclié, vous verrez, Messieurs, dans le premier point de ce discours, les richesses immenses et inestimables qui sont renfermées dans ce trésor et vous admirerez dans le second l'enveloppe mystérieuse et plus riche que le trésor même, dans laquelle il nous l'a caché. Voilà l'exemple que je vous propose; voilà le témoignage saint et véritable que je rendrai aujourd'hui devant les autels, au mérite d'un si grand homme. J'en prends à témoin ce grand Prélat, sous la conduite duquel cette grande maison portera sa réputation. Il a voulu paroître à l'autel, il a voulu offrir à Dieu son sacrifice pour lui. C'est ce grand prélat que je prends à témoin de ce que je vais dire; et je m'assure, Messieurs, que vous ne me refuserez pas vos attentions. Ce que Jésus-Christ Notre-Seigneur a été naturellement et par excellence, il veut bien que ses serviteurs le soient par écoulement de lui-même et par effusion de sa grace. S'il est Docteur du monde, ses ministres en font la fonction et comme en qualité de Docteur du monde, « en lui, dit l'Apôtre, ont été cachés les trésors de science et de sagesse » ainsi il a établi des docteurs, qu'il a remplis de grace et de vérité, pour en enrichir ses fidèles et ces docteurs, illuminés par son Saint-Esprit, sont les véritables trésors de l'Eglise universelle.
En effet, chrétiens, lorsque la Faculté de théologie est et a été si souvent consultée en corps, et que ses docteurs particuliers le sont tous les jours touchant le devoir de la conscience n'est-ce pas un témoignage authentique, qu'autant qu'elle a de docteurs, autant devroit-elle avoir de trésors pu-blics, d'où l'on puisse tirer, selon les besoins et les occurrences différentes, de quoi relever les foibles, confirmer les forts, instruire les simples et les ignorans, confondre et réprimer les opiniâtres? Personne ne peut ignorer que ce saint homme dont nous parlons, ne se soit très-dignement acquitté d'un si divin ministère ses conseils étoient droits, ses Co/oM.) n; 3.
sentimens purs, ses réflexions efficaces, sa fermeté invincible. C'étoit un docteur de l'ancienne marque, de l'ancienne simplicité, de l'ancienne probité; également élevé au-dessus de la flatterie et de la crainte, incapable de céder aux vaines excuses des pécheurs, d'être surpris des détours des intérêts humains, aux inventions de la chair et du sang et comme c'est en ceci que consiste principalement l'exercice des docteurs, permettez-moi, chrétiens, de reprendre ici d'un plus haut principe la règle de cette conduite.
Deux maladies dangereuses ont affligé en nos jours le corps de l'Eglise il a pris à quelques docteurs une malheureuse et inhumaine complaisance, une pitié meurtrière, qui leur a fait porter des coussins sous les coudes des pécheurs, chercher des couvertures à leurs passions, pour condescendre à leur vanité et flatter leur ignorance affectée. Quelques autres, non moins extrêmes, ont tenu les consciences captives sous des rigueurs très-injustes ils ne peuvent supporter aucune foiblesse, ils traînent toujours l'enfer après eux et ne fulminent que des anathèmes. L'ennemi de notre salut se sert également des uns et des autres, employant la facilité de ceux-là pour rendre le vice aimable, et la sévérité de ceux-ci pour rendre la vertu odieuse. Quels excès terribles, et quelles armes opposées! Aveugles enfans d'Adam, que le désir de savoir a précipités dans un abîme d'ignorance, ne trouverez-vous jamais la médiocrité, où la justice, où la vérité, où la droite raison a posé son trône?
Certes je ne vois rien dans le monde qui soit plus à charge à l'Eglise. Vainement subtils ceux qui réduisent tout l'Evangile en problèmes, qui forment des incidens sur l'exécution de ses préceptes, qui fatiguent les casuistes par des consultations infinies; ceux-là ne travaillent, en vérité, qu'à nous envelopper la règle des mœurs « Ce sont des hommes, dit saint Augustin, qui se tourmentent beaucoup pour ne pas trouver ce qu'ils cherchent o » N/M ~&ora?~, nisi non invenire quod gM~MM~' « et, comme dit le même Saint, qui tournant s'enveloppent eux-mêmes dans les ombres de leurs propres ténèbres » c'est-à-dire dans leur ignoDe Genes., con<. JUanic/f., Itb. Il, cap. ;i.
rance et dans leurs erreurs, et s'en font une couverture. Mais plus malheureux encore les docteurs indignes de ce nom, qui adhèrent à leurs sentimens, et donnent poids à leur folie. « Ce sont des astres errans o comme parle l'apôtre saint Jude, qui pour n'être pas assez attachés à la route immuable de la vérité, gauchissent et se détournent au gré des vanités, des intérêts et des passions humaines. Ils confondent le ciel et la terre; ils mêlent Jésus-Christ avec Bélial; ils cousent l'étoffe vieille avec la neuve, contre l'ordonnance expresse de l'Evangile des lambeaux de mondanité avec la pourpre royale mélange indigne de la piété chrétienne union monstrueuse, qui déshonore la vérité, la simplicité, la pureté incorruptible du christianisme.
Mais que dirai-je de ceux qui détruisent par un autre excès l'esprit de la piété, qui trouvent partout des crimes nouveaux et accablent la foiblesse humaine en ajoutant au joug que Dieu nous impose? Qui ne voit que cette rigueur enfle la présomption, nourrit le dédain, entretient un chagrin superbe et un esprit de fastueuse singularité, fait paroître la vertu trop pesante, l'Evangile excessif, le christianisme impossible? 0 foiblesse et légèreté de l'esprit humain, sans point, sans consistance, seras-tu toujours le jouet des extrémités opposées? Ceux qui sont doux deviennent trop lâches ceux qui sont fermes deviennent trop durs. Accordezvous, ô docteurs; et il vous sera bien aisé, pourvu que vous écoutiez le Docteur céleste « Son joug est doux, nous dit-il, et son fardeau est léger 3. B <t Voyez, dit saint Chrysostome, le tempérament il ne dit pas simplement que son Evangile soit ou pesant ou léger; mais il joint l'un et l'autre ensemble, afin que nous entendions que ce bon Maître ni ne nous décharge ni ne nous accable et que, si son autorité veut assujettir nos esprits, sa bonté veut en même temps ménager nos forces. »
Vous donc, docteurs relâchés, puisque l'Evangile est un joug, ne le rendez pas si facile, de peur que si vous êtes chargés de son poids, vos passions indomplées ne le secouent trop facilement; et qu'ayant rejeté le joug, nous ne marchions indociles, superbes, 7ut/ 13. '.Marc., 2i. – Afa<M., ï!, 30. 7n J~tMA., hom. xxxvm, n.3.
indisciplinés, au gré de nos désirs impétueux. Vous aussi, docteurs trop austères, puisque l'Evangile doit être léger, n'entreprenez pas d'accroître son poids; n'y ajoutez rien de vous-mêmes ou par faste, ou par caprice, ou par ignorance. Lorsque ce Maître commande, s'il charge d'une main il soutient de l'autre; ainsi tout ce qu'il impose est léger, mais tout ce que les hommes y mêlent est insupportable.
Vous voyez donc, chrétiens, que pour trouver la règle des mœurs, il faut tenir le milieu entre les deux extrémités; et c'est pourquoi l'Oracle toujours sage nous avertit de ne nous détourner jamais ni à la droite ni à la gauche 1. Ceux-là se détournent à la gauche, qui penchent du côté du vice et favorisent le parti de la corruption; mais ceux qui mettent la vertu trop haute, à qui toutes les foiblesses paroissent des crimes horribles, ou qui des conseils de perfection font la loi commune de tous les Sdèles ne doivent pas se vanter d'aller droitement, sous prétexte qu'ils semblent chercher une régularité plus scrupuleuse. Car l'Ecriture nous apprend que si l'on peut se détourner en allant à gauche, on peut aussi s'égarer du côté de la droite; c'est-à-dire en s'avançant à la perfection, en captivant les ames infirmes sous des rigueurs trop extrêmes. Il faut marcher au milieu; c'est dans ce sentier où la justice et la paix se baisent de baisers sincères, c'est-à-dire qu'on rencontre la véritable droiture et le calme assuré des consciences M~ncor~Mt et ~n~as obviaverunt s~t, justitia et pax oscM~a&s sMn<
Il est permis aux enfans de louer leur mère, et je ne dénierai point ici à l'Ecole de théologie de Paris la louange qui lui est due, et qu'on lui rend aussi par toute l'Eglise. Le trésor de la vérité n'est nulle part plus inviolable; les fontaines de Jacob ne coulent nulle part plus incorruptibles; elle semble divinement être établie avec une grâce particulière, pour tenir la balance droite, conserver le dépôt de la tradition. Elle a toujours la bouche ouverte pour dire la vérité elle n'épargne ni ses enfans ni les étrangers, et tout ce qui choque la règle n'évite pas sa censure.
Le sage Nicolas Cornet, affermi dans ses maximes, exercé dans PfOf., iv, 27.– fM~. HXXIV, ti.
ses emplois, plein de son esprit, nourri du meilleur suc de sa doctrine, a soutenu dignement sa gloire et l'ancienne pureté de ses maximes. Il ne s'est pas laissé surprendre à cette rigueur affectée qui ne fait que des superbes et des hypocrites; mais aussi s'est-il montré implacable à ces maximes moitié profanes et moitié saintes, moitié chrétiennes et moitié mondaines; ou plutôt toutes mondaines et toutes profanes, parce qu'elles ne sont qu'à demi chrétiennes et à demi saintes. Il n'a jamais trouvé belles aucunes des couleurs de la simonie; et pour entrer dans l'état ecclésiastique, il'n'a pas connu d'autre porte que celle qui est ouverte par les saints canons. 11 a condamné l'usure sous tous ses noms et sous tous ses titres; sa pudeur a toujours rougi de tous les prétextes honnêtes des engagemens deshonnêtes, où il n'a pas épargné le fer et le feu pour éviter les périls des occasions prochaines. Les inventeurs trop subtils de vaines contentions et de questions de néant, qui ne servent qu'à faire perdre, parmi des détours infinis, la trace toute droite de la vérité, lui ont paru, aussi bien qu'à saint Augustin, des hommes inconsidérés et volages, « qui soufflent sur de la poussière et se jettent de la terre dans les yeux a » Sufflantes pulverem et excitantes terram in oculos SK<M 1. Ces chicanes raffinées, ces subtilités en vaines distinctions, sont véritablement de la poussière soufflée, de la terre dans les yeux, qui ne font que troubler la vue. Enfin il n'a écouté aucun expédient pour accorder l'esprit et la chair, entre lesquels nous avons appris que la guerre doit être immortelle. Toute la France le sait car il a été consulté de toute la France; et il faut même que ses ennemis lui rendent ce témoignage, que ses conseils étoient droits; sa doctrine pure, ses discours simples, ses réflexions sensées, ses jugemens sûrs, ses raisons pressantes, ses résolutions précises, ses exhortations efficaces, son autorité vénérable, et sa fermeté invincible.
C'étoit donc véritablement un grand et riche trésor; et tous ceux qui le consultoient, parmi cette simplicité qui le rendoit vénérable, voyoient paroître avec abondance dans ce trésor évangélique, les choses vieilles et nouvelles, les avantages naturels et Con/ lib. xi), cap. xv).
surnaturels, les richesses des deuxTestamens, l'érudition ancienne et moderne, la connoissance profonde des saints Pères et des Scholastiques, la science des antiquités et de l'état présent de l'Eglise et le rapport nécessaire de l'un et de l'autre. Mais parmi tout cela, Messieurs, rien ne donnoit plus d'autorité à ses décisions que l'innocence de sa vie. Car il n'étoit pas de ces docteurs licencieux dans leurs propres faits~ qui se croyant suffisamment déchargés de faire de bonnes œuvres par les bons conseils, n'épargnent ni ne ménagent la bonne conscience des autres, indignes prostituteurs de leur intégrité. Au contraire Nicolas Cornet ne se pardonnoit rien à lui-même; et pour composer ses mœurs, il entroit dans les sentimens de la justice, de la jalousie, de l'exactitude d'un Dieu qui veut rendre la vérité redoutable. Nous savons que dans une affaire de ses amis, qu'il avoit recommandée comme juste, craignant que le juge, qui le respeetoit, n'eût trop déféré a' son témoignage et à sa sollicitation, il a réparé de ses deniers le tort qu'il reconnut, quelque temps après, avoir été fait à la partie tant il étoit lui-même sévère censeur de ses bonnes intentions.
Que vous dirai-je maintenant, Messieurs, de sa régularité dans tous ses autres devoirs? Elle paroit principalement dans cette admirable circonspection qu'il avoit pour les bénéfices. Bien loin de les désirer, il crut qu'il en auroit trop, quand il en eut pour environ douze cents livres de rente. Ainsi il se défit bientôt de ses titres, voulant honorer en tout la pureté des canons, et servir à !a sainteté et à l'ordre de la discipline ecclésiastique. Tant qu'il les a tenus, les pauvres et les fabriques en ont presque tiré tout le fruit. Pour ce qui touchoit sa personne, on voyoit qu'il prenoit à tâche d'honorer le seul nécessaire par un retranchement effectif de toutes les superûuités; tellement que ceux qui le consultoient, voyant cette sagesse, cette modestie, cette égalité de ses mœurs, le poids de ses actions et de ses paroles, enfin cette piété et cette innocence, qui dans la plus grande chaleur des partis étoient toujours demeurées sans reproche; et admirant le consentement de sa vie et de sa doctrine, croyoient que c'étoit la justice même qui parloit par sa bouche, et ils révéroient ses réponses comme
des oracles d'un Gerson, d'un Pierre d'Ailli et d'un Henri de Gand. Et plût à Dieu, Messieurs, que le malheur de nos jours ne l'eût jamais arraché de ce paisible exercice
Vous le savez, juste Dieu, vous le savez que c'est malgré lui que cet homme modeste et pacifique a été contraint de se signaler parmi les troubles de votre Eglise. Mais un docteur ne peut pas se taire dans la cause de la foi, et il ne lui étoit pas permis de manquer en une occasion où sa science exacte et profonde et sa prudence consommée ont paru si fort nécessaires. Je ne puis non plus omettre en ce lieu le service très-important qu'il a rendu à l'Eglise, et je me sens obligé de vous exposer l'état de nos malheureuses dissensions, quoique je désirerois beaucoup davantage de les voir ensevelies éternellement dans l'oubli et dans le silence. Quelle effroyable tempête s'est excitée en nos jours, touchant la grace et le libre arbitre ? Je crois que tout le monde ne le sait que trop et il n'y a aucun endroit si reculé de la terre, où le bruit n'en ait été répandu. Comme presque le plus grand effort de cette nouvelle tempête tomba dans le temps qu'il étoit syndic de la Faculté de Théologie, voyant les vents s'élever, les nues s'épaissir, les flots s'enfler de plus en plus sage, tranquille et posé qu'il étoit, il se mit à considérer attentivement quelle étoit cette nouvelle doctrine et quelles étoient les personnes qui la soutenoient. Il vit donc que saint Augustin, qu'il tenoit le plus éclairé et le plus profond de tous les docteurs, avoit exposé à l'Eglise une doctrine toute sainte et apostolique touchant la grace chrétienne mais que, ou par la foiblesse naturelle de l'esprit humain, ou à cause de la profondeur ou de là délicatesse des questions, ou plutôt par la condition nécessaire et inséparable de notre foi durant cette nuit d'énigmes et d'obscurités, cette doctrine céleste s'est trouvée nécessairement enveloppée parmi des difficultés impénétrables si bien qu'il y avoit à craindre qu'on ne se fût jeté insensiblement dans des conséquences ruineuses à la liberté de l'homme ensuite il considéra avec combien de raisons toute l'Ecole et toute l'Eglise s'étoient appliquées à défendre les conséquences; et il vit que la Faculté des nouveaux docteurs en étoit si prévenue, qu'au lieu de les rejeter, ils en avoient fait
une doctrine propre si bien que la plupart de ces conséquences, que tous les théologiens avoient toujours regardées jusqu'alors comme des inconvéniens fâcheux, au-devant desquels il falloit aller pour bien entendre la doctrine de saint Augustin et de l'Eglise, ceux-ci les regardoient au contraire comme des fruits nécessaires, qu'il en falloit recueillir; et que ce qui avoit paru à tous les autres comme des écueils contre lesquels il falloit craindre d'échouer le vaisseau, ceux-ci ne craignoient point de nous le montrer comme le port salutaire auquel devoit aboutir la navigation. Après avoir ainsi regardé la face et l'état de cette doctrine, que les docteurs sans doute reconnoîtront bien sur cette idée générale, il s'appliqua à connoître le génie de ses défenseurs. Saint Grégoire de Nazianze, qui lui étoit fort familier, lui avoit appris que les troubles ne naissent pas dans l'Eglise par des ames communes et foibles «Ce sont, dit-il, de grands esprits, mais ardens et chauds qui causent ces mouvemens et ces tumultes a mais ensuite les décrivant par leurs caractères propres, il les appelle excessifs, insatiables et portés plus ardemment qu'il ne faut aux choses de la religion; paroles vraiment sensées, et qui nous représentent au vif le naturel de tels esprits.
Vous êtes étonnés peut-être d'entendre parler de la sorte un si saint évêque. Car, Messieurs, nous devons entendre que si l'on peut avoir trop d'ardeur, non point pour aimer la saine doctrine, mais pour l'éplucher de trop près et pour la rechercher trop subtilement, la première partie d'un homme qui étudie les vérités saintes, c'est de savoir discerner les endroits où il est permis de s'étendre, et où il faut s'arrêter tout court, et se souvenir des bornes étroites dans lesquelles est resserrée notre intelligence de sorte que la plus prochaine disposition à l'erreur, est de vouloir réduire les choses à la dernière évidence de la conviction. Mais il faut modérer le feu d'une mobilité inquiète, qui cause en' nous cette intempérance et cette maladie de savoir, et être sages sobrement et avec mesure, selon le principe de l'Apôtre 1, et se contenter simplement des lumières qui nous sont données plutôt pour réprimer notre curiosité, que pour éclaiMir tout à fait le Rom., xti~ 3.
fond des choses. C'est pourquoi ces esprits extrêmes, qui ne se lassent jamais de chercher, ni de discourir, ni de disputer, ni d'écrire, saint Grégoire de Nazianze les a appelés excessifs et insatiables.
Notre sage et avisé Syndic jugea que ceux desquels nous parlons étoient à peu près de ce caractère, grands hommes, éloquens, hardis, décisifs, esprits forts et lumineux; mais plus capables de pousser les choses à l'extrémité que de tenir le raisonnement sur le penchant, et plus propres à commettre ensemble les vérités chrétiennes qu'à les réduire à léur unité naturelle tels enfin, pour dire en un mot, qu'ils donnent beaucoup à Dieu, et que c'est pour eux une grande grace de céder entièrement à s'abaisser sous l'autorité suprême de l'Eglise et du Saint-Siège. Cependant les esprits s'émeuvent, et les choses se mêlent de plus en plus. Ce parti zélé et puissant charmoit du moins agréablement, s'il n'emportoit tout à fait la fleur de l'Ecole et de la jeunesse. Enfin il n'oublioit rien pour entraîner après soi toute la Faculté de Théologie.
C'est ici qu'il n'est pas croyable combien notre sage Grand Maître a travaillé utilement parmi ces tumultes, convainquant les uns par sa doctrine, retenant les autres par son autorité, animant et soutenant tout le monde par sa constance; et lorsqu'il parloit en Sorbonne dans les délibérations de la Faculté, c'est là qu'on reconnoissoit par expérience la vérité de cet Oracle « La bouche de l'homme prudent est désirable dans les assemblées, et chacun pèse toutes ses paroles en son cœur » Os prudentis ~Mœn~M!' in ecc~s! e~ t'et'6(t illius cogitabunt in cordibus suis 1. Car il parloit avec tant de poids, dans une si belle suite et d'une manière si considérée, que même ses ennemis n'avoient point de prise. Au reste il s'appliquoit également à démêler la doctrine, et à prévenir les pratiques par sa sage et admirable prévoyance; en quoi il se conduisoit avec une telle modération, qu'encore qu'on n'ignorât pas la part qu'il avoit en tous les conseils, toutefois à peine auroit-il paru, n'étoit que ses adversaires, en le chargeant publiquement presque de toute la haine, lui donnèrent aussi malgré ~ec~ xxi, 20.
lui-même la plus grande partie de la gloire. Et certes, il est véritable qu'aucun n'étoit mieux instruit du point décisif de la question. Il connoissoit très-parfaitement et les confins et les bornes de toutes les opinions de l'Ecole, jusqu'où elles couroient et où elles commençoient à se séparer surtout il avoit grande connoissance de la doctrine de saint Augustin et de l'école de saint Thomas. Il connoissoit les endroits par où ces nouveaux docteurs sembloient tenir les limites certaines, par lesquels ils s'en étoient divisés. C'est de cette expérience, de cette exquise connoissance et du concert des meilleurs cerveaux de la Sorbonne, que nous est né cet extrait de ces cinq propositions, qui sont comme les justes limites par lesquelles la vérité est séparée de l'erreur; et qui étant, pour ainsi parler, le caractère propre et singulier des nouvelles opinions, ont donné le moyen à tous les autres de courir unanimement contre leurs nouveautés inouïes.
C'est donc ce consentement qui a préparé les voies à ces grandes décisions que Rome a données; à quoi notre très-sage docteur, par la créance qu'avoit même le souverain Pontife à sa parfaite intégrité, ayant si utilement travaillé, il en a aussi avancé l'exécution avec une pareille vigueur, sans s'abattre, sans se détourner, sans se ralentir si bien que par son travail, sa conduite, et par celle de ses fidèles coopérateurs, ils ont été contraints de céder. On ne fait plus aucune sortie, on ne parle plus que de paix. 0 qu'elle soit véritable ô qu'elle soit effective 1 qu'elle soit éternelle 1 Que nous puissions avoir appris par expérience combien il est dangereux de troubler l'Eglise, et combien on outrage la sainte doctrine, quand on l'applique malheureusement parmi des extrêmes conséquences 1 Puissent naître de ces conflits des connoissances plus nettes, des lumières plus distinctes, des flammes de charité plus tendres et plus ardentes, qui rassemblent bientôt en un, par cette véritable concorde, les membres dispersés de l'Eglise!
Mais je reviens à celui qui nous fournit à ce jour une si riche matière de justes louanges. Quelqu'un entendant son panégyrique, voyant tant de grands services qu'il a rendus à l'Eglise; et découvrant en ce personnage un si admirable trésor de rares et
excellentes qualités, murmurera peut-être en secret de ce qu'une lumière si vive n'a pas été exposée plus haut sur le chandelier, et déclamera en son cœur contre l'injustice du siècle. Cette plainte paroît équitable, mais je dois néanmoins la faire cesser. Vous qui paroissez indignés qu'une vertu si rare n'a pas été couronnée, n'avez-vous pas entendu que j'ai dit, au commencement de ce discours, que ce grand homme s'étoit éloigné de toutes les dignités ? Je l'ai dit, et je le dis encore une fois le siècle n'a pas été injuste, mais Nicolas Cornet a été modeste. On a recherché son humilité mais il n'y a pas eu moyen de la vaincre. Nos rois ont connu son mérite, l'ont voulu reconnoître; mais on n'a pu le résoudre à recevoir d'une main mortelle, quoique royale, les ministres et les prélats concourant également à l'estimer. Je pourrois ici alléguer cet illustre prélat, qui fera paroître bientôt une nouvelle lumière dans le siège de saint Denis et de saint Marcel, et qui a cette noble satisfaction de voir croître tous les jours sa gloire avec celle de notre monarque. Quand je considère les grands avantages qui lui ont été offerts, je ne puis que je n'admire cette vie modeste, et je ne vois pas dans notre siècle un plus bel exemple à imiter.
Les deux augustes cardinaux, qui ont soutenu la majesté de cet empire, ont voulu donner la récompense qui étoit due à son mérite, mais il a tout refusé.
Le premier l'ayant appelé, lui fit des offres dignes de son Eminence. Le second l'ayant présenté à notre auguste Reine, mère de notre invincible Monarque, lui proposa ses intentions pour une prélature mais il remercia sa Majesté et son Eminence, déclarant qu'il n'avoit pas les qualités naturelles et surnaturelles, nécessaires pour les grandes dignités. Vous voyez par là quelle a été son humilité, et combien il a été soigneux de cacher les illustres avantages qu'il avoit reçus de Dieu, puisque même il alloit jusqu'au-devant des propositions qu'on lui vouloit faire. Et, Messieurs, permettez-moi que je fasse une petite digression. J'ai vu un grand homme mépriser ce qu'il y a de plus éclatant dans le siècle; et cependant je vois une jeunesse emportée, qui n'a de toutes les quaUtés nécessaires que des désirs violens pour
s'élever aux charges ecclésiastiques, sans considérer si elle pourra s'acquitter des obligations qui sont attachées à ces dignités. On emploie tous les amis; on brigue la faveur des princes; on croit que c'est assez de monter sur le trône de Pharaon, comme Joseph, pour gouverner l'Egypte; mais il faut, comme lui, avoir été dans le cachot auparavant que d'être le favori de Pharaon. Ah modération de Cornet, tu dois bien confondre cette jeunesse aveuglée. On t'a présenté des dignités, et tu les as refusées. ~a)'a virtus, /tMm!K<as AoKOt'a~a a Que c'est une chose rare de voir une personne humble, quand elle est élevée dans l'honneur D Notre Grand Maître a eu cette vertu pendant sa vie mais parce qu'il s'est humilié, il faut qu'il soit glorifié après sa mort. Le Fils de Dieu, qui n'a prononcé que des Oracles, a dit « que celui qui s'humilie sera exalté )) OM! se /tMnnHa<, e.ra~C[6t'<M)' Nicolas Cornet ayant été humble toute sa vie, est et sera bientôt en possession de la gloire. Comme il a eu l'humilité, il a eu toutes les autres vertus dont elle est le fondement. Il a été sage dès son enfance; la pudeur est née avec lui il a voué sa virginité à Dieu dès ses plus tendres années; il a suivi le conseil de saint Paul, qui ordonne à tous les chrétiens « de se consacrer à Dieu comme des hosties saintes et vivantes o Obsecro vos per viscera mise ricord'M?, ut exhibeatis vos hostiam sanctant, viventem etc. Il fit un sacrifice de son corps et de son ame à Dieu il consacra son entendement à la foi, sa mémoire au souvenir éternel de Dieu, sa volonté à l'amour, son corps au jeune et à la piété. IL fut simple dans ses discours, inviolable dans sa parole, incorruptible dans sa foi, fidèle aux exercices de l'oraison, et surtout attaché aux affaires de notre salut. Ah 1 sainte Vierge, je vous en prends à témoin vous savez combien de nuits il a été prosterné au pied de vos autels; combien il a imploré votre assistance pour le soulagement des pauvres peuples, et pour la consolation des affligés.
Ce grand homme, cette ame forte et solide, qui savait que Jésus-Christ nous a recommandé d'être des lumières c'est-à-dire S. Bern hom. iv~ super Aft~M.! est, n. !). – /.MC, xiv, 0. – 3 Rom., xn, l.-tJUa~ 14.
de donner de bons exemples; et d'ailleurs que notre vie doit être cachée, c'est-à-dire doit être humble, a pratiqué parfaitement ces deux préceptes il fut humble et exemplaire il faisoit quelques petites aumônes en public pour édifier le prochain, mais en particulier il en faisoit de grandes il étoit le protecteur des pauvres et le soulagement des hôpitaux. Voilà les vertus qu'il a cachées. Je ne parle point du respect envers notre Monarque, de sa soumission à l'Eglise, de son amour immense envers son prochain. Il est certain que la France n'a pas eu d'ame plus françoise que la sienne, et que l'Etat n'a pas eu d'esprit plus attaché à son prince que le sien. Mais il ne s'est pas contenté de cette fidélité qui a duré toute sa vie; il a, avant que de mourir, inspiré son esprit à cette maison royale.
Je ne fmirois jamais, Messieurs, si je voulois faire le dénombrement de toutes ses belles qualités. Finissons et retenons ce torrent mais avant que de finir, voyons à quelle fin on m'a obligé de faire cet éloge funèbre. Quel fruit faut-il tirer de ce discours? Ah! Messieurs, je ne suis monté en cette chaire que pour vous proposer ses vertus pour exemple. Heureux seront ceux qui vivront comme il a vécut heureux seront ceux qui pratiqueront les vertus qu'il a pratiquées! heureux seront ceux qui mépriseront les charges et les titres que le monde recherche i heureux seront ceux qui retranchent les choses superflues heureux seront ceux qui ne s'enivrent pas de la fumée du siècle heureux seront ceux qui ne vont pas se plonger dans la boue des plaisirs du monde C'est ce que ce grand homme a fait, et que vous devez faire. Pourquoi, homme du monde, vous arrêter à un plaisir d'un moment? pourquoi occuper tous vos soins et toutes vos pensées, pour amasser des choses que vous n'emporterez pas? pourquoi assiéger tous les matins la porte des grands? Ne pensez qu'à une seule chose; c'est le Fils de Dieu qui l'a dit Porrô ttHMm est necessarium 1 « Il n'y a qu'une chose nécessaire; » il n'y a qu'une chose importante, qui est notre salut. J?t me unicum Meyo~MW mihi est, dit Tertullien' « Je n'ai qu'une affaire, o et cette affaire est bien secrète; elle est dans le fond de mon cœur c'est Luc., x, 42. – TertuU., de Pall n. 5.
une affaire qui se doit passer entre Dieu et moi; et comme elle est de si grande importance, elle doit toute ma vie, tous les jours, toutes les heures, à tout moment, occuper mes soins et mes pensées.
Voilà, Messieurs, l'affaire à laquelle s'est occupé Nicolas Cornet. Entrez dans les sentimens de ce grand homme, imitez ses vertus, pratiquez l'humilité comme lui, aimez l'obscurité comme il l'a aimée. Mais avant que de finir, il faut que je m'adresse à toi, royale Maison, et que je te dise deux mots. Célèbre sa mémoire, conserve son souvenir; et si je puis demander quelque récompense pour ses travaux, imite ses vertus, va croissant de perfection en perfection. Ce grand exemple est digne d'être imité. Mais je me trompe, tu l'imites et dans la doctrine et dans ses mœurs continue et persévère.
Et vous, grandes manes, je vous appelle, sortez de ce tombeau. Je crois que vous êtes dans la gloire mais si vous n'êtes pas encore dans le Sanctuaire, vous y serez bientôt. Nous allons tous offrir à Dieu des sacrinces pour votre repos. Souvenez-vous de cette Maison royale, que vous avez si tendrement chérie, et lui procurez les bénédictions du ciel. C'est ce que je vous souhaite au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
MADAME YOLANDE DE MONTERBY, ABBESSE DES RELIGIEUSES BERNARDINES (a).
0 mort, où est ta victoire? Cor., xv, 55.
Quand l'Eglise ouvre la bouche des prédicateurs dans les funérailles de ses enfans, ce n'est pas pour accroître la pompe du deuiL par des plaintes étudiées, ni pour satisfaire l'ambition des vivans par de vains éloges des morts. La première de ces deux choses est trop indigne de sa fermeté, et l'autre trop contraire à sa modestie. Elle se propose un objet plus noble dans la solennité des discours funèbres elle ordonne que ses ministres, dans les derniers devoirs que l'on rend aux morts, fassent contempler à leurs auditeurs la commune condition de tous les mortels, aûu que la pensée de la mort leur donne un saint dégoût de la vie présente, et que la vanité humaine rougisse en regardant le terme fatal que la Providence divine a donné à ses espérances trompeuses. Ainsi n'attendez pas, chrétiens, que je vous représente aujourd'hui, ni la perte de cette maison, ni la juste affliction de toutes ces dames, à qui la mort ravit une Mère qui les a si bien élevées. Ce n'est pas aussi mon dessein de rechercher bien loin dans l'antiquité les marques d'une très-illustre noblesse, qu'il me seroit aisé de vous faire voir dans la race de Monterby, dont l'éclat est assez connu par son nom et ses alliances. Je laisse tous ces entre(a) Prononcée probablement à Metz, vers 1661. Les questions métaphysiques traitées par l'orateur, la forme des raisonnemens, la contexture du discours, tout semble annoncer la date qu'on vient d'indiquer.
Ce sont les Bénédictins des Blancs-Manteaux qui ont imprime, pour la première fois, cette « courte exhortation, x comme on verra que Bossuet appelle ce discours. Nous n'avons pu en retrouver la manuscrit.
ORAISON FUNÈBRE
DE
Ubi est, mo?~, t)!C<o~!s <tta
tiens superflus, pour m'attacher à une matière~et plus sainte et plus fructueuse. Je vous demande seulement que vous appreniez de l'Abbesse très-digne et très-vertueuse, pour laquelle nous offrons à Dieu le saint sacrifice de l'Eucharistie, à vous servir si heureusement de la mort 'qu'elle vous obtienne l'immortalité. C'est par là que vous rendrez inutiles tous les efforts de cette cruelle ennemie et que l'ayant enfin désarmée de tout ce qu'elle semble avoir de terrible, vous lui pourrez dire avec l'Apôtre « 0 mort, où est ta victoire?» Ubi est, mors, mc~ona tua? C'est ce que je tâcherai de vous faire entendre dans cette courte exhortation, où j'espère que le Saint-Esprit me fera la grace de ramasser en peu de paroles des vérités très-considérables que je puiserai dans les Ecritures.
C'est un fameux problème, qui a été souvent agité dans les écoles des philosophes, lequel est le plus désirable à l'homme, ou de vivre jusqu'à, l'extrême vieillesse, ou d'être promptement délivré des misères de cette vie. Je n'ignore pas, chrétiens, ce que pensent là-dessus la plupart des hommes. Mais comme je vois tant d'erreurs reçues dans le monde avec un tel applaudissement, je ne veux pas ici consulter les sentimens de la multitude, mais la raison et la vérité, qui seules doivent gouverner les esprits des hommes.
Et certes il pourroit sembler, au premier abord, que la voix commune de la nature, qui désire toujours ardemment la vie, devroit décider cette question. Car si la vie est un don de Dieu, n'estce pas un désir très-juste de vouloir conserver longtemps les bienfaits de son souverain? Et d'ailleurs étant certain que la longue vie approche de plus près l'immortalité ne devons-nous pas souhaiter de retenir, si nous pouvons, quelque image de ce glorieux privilége dont notre nature est déchue?
En effet nous voyons que les premiers hommes, lorsque le monde plus innocent étoit encore dans son enfance, remplissoient des neuf cents ans par leur vie; et que lorsque la malice est accrue, la vie en même temps s'est diminuée. Dieu même, dont la vérité infaillible doit être la règle souveraine de nos sentimens,
étant irrité contre nous, nous menace en sa colère d'abréger nos jours et au contraire il promet une longue vie à ceux qui observeront ses commandemens. Enfin si cette vie est le champ fécond dans lequel nous devons semer pour la glorieuse immortalité, ne devons-nous pas désirer que ce champ soit ample et spacieux, afin que la moisson soit plus abondante? Et ainsi l'on ne peut nier que la longue vie ne soit souhaitable.
Ces raisons qui flattent nos sens gagneront aisément le dessus. Mais on leur oppose d'autres maximes qui sont plus dures, à la vérité, et aussi plus fortes et plus vigoureuses. Et premièrement je nie que la vie de l'homme puisse être longue, de sorte que souhaiter une longue vie dans ce lieu de corruption, c'est n'entendre pas ses propres désirs. Je me fonde sur ce principe de saint Augustin Non est longum quod aliquandô finitltr 1 « Tout ce qui a fin ne peut être long. )) Et la raison en est évidente; car tout ce qui est sujet à finir s'efface nécessairement au dernier moment, et on ne peut compter de longueur en ce qui est entièrement effacé. Car de même qu'il ne sert de rien d'écrire lorsque j'efface tout par un dernier trait ainsi la longue et la courte vie sont toutes égalées par la mort, parce qu'elle les eCace toutes également.
Je vous ai représenté, chrétiens, deux opinions différentes qui partagent les sentimens de tous les mortels. Les uns, en petit nombre, méprisent la vie; les autres estiment que leur plus grand bien c'est de la pouvoir longtemps conserver. Mais peut-être que nous accorderons aisément ces deux propositions si contraires par une troisième maxime, qui nous apprendra d'estimer la vie, non par sa longueur, mais par son usage; et qui nous fera confesser qu'il n'est rien de plus dangereux qu'une longue vie, quand elle n'est remplie que de vaines entreprises, ou même d'actions criminelles comme aussi il n'est rien de plus précieux, quand elle est utilement ménagée pour l'éternité. Et c'est pour cette seule raison que je bénirai mille et mille fois la sage et honorable vieillesse d'Yolande de Monterby, puisque dès ses années les plus tendres jusqu'à l'extrémité de sa vie, qu'elle a finie en JésusAugust., ln Joan., tract, xxxit, n. 9.
Christ après un grand âge, la crainte de Dieu a été son guide, la prière son occupation, la pénitence son exercice, la charité sa pratique la plus ordinaire, le ciel tout son amour et son espérance.
Désabusons-nous, chrétiens, des vaines et téméraires préoccupations, dont notre raison est toute obscurcie par l'illusion de nos sens apprenons à juger des choses par les véritables principes nous avouerons franchement, à l'exemple de cette Abbesse, que nous devons dorénavant mesurer la vie par les actions, non par les années. C'est ce que vous comprendrez sans difficulté par ce raisonnement invincible.
Nous pouvons regarder le temps de deux manières différentes: nous le pouvons considérer premièrement en tant qu'il se mesure en lui-même par heures, par jours, par mois, par années; et dans cette considération je soutiens que le temps n'est rien, parce qu'il n'a ni forme ni substance; que tout son être n'est que de couler, c'est-à-dire que tout son être n'est que de périr, et partant que tout son être n'est rien.
C'est ce qui fait dire au Psalmiste, retiré profondément en luimême dans la considération du néant de l'homme Ecce meH~urabiles posuisti dies meos « Vous avez, dit-il, établi le cours de ma vie pour être mesuré par le temps » et c'est ce qui lui fait dire aussitôt après Et substantia mea ~a~~Mam tu'A~m ante te Et ma substance est comme rien devant vous', » parce que tout mon être dépendant du temps, dont la nature est de n'être jamais que dans un moment qui s'enfuit d'une course précipitée et irrévocable, il s'ensuit que ma substance n'est rien, étant inséparablement attachée à cette vapeur légère et volage, qui ne se forme qu'en se dissipant, et qui entraîne perpétuellement mon être avec elle d'une manière si étrange et si nécessaire, que si je ne suis le temps, je me perds, parce que ma vie demeure arrêtée; et d'autre part, si je suis le temps qui se perd et coule toujours, je me perds nécessairement avec lui Ecce mensurabiles posM!'s<! dies meos, et substantia mea tanquam nihilum ante te. D'où passant plus outre il conclut /H ïmag'!ne pertransit /K)MO t Psal. xxxvuf, 6. – /&M.,
« L'homme passe comme les vaines images que la fantaisie forme en elle-même dans l'illusion de nos songes, sans corps, sans solidité et sans consistance.
Mais élevons plus haut nos esprits et 'après avoir regardé le temps dans cette perpétuelle dissipation considérons-le maintenant en un autre sens, en tant qu'il aboutit à l'éternité. Car cette présence immuable de l'éternité, toujours fixe toujours permanente, enfermant en l'inûnité de son étendue toutes les différences des temps, il s'ensuit manifestement que le temps peut être en quelque sorte dans l'éternité; et il a plu à notre grand Dieu, pour consoler les misérables mortels de la perte continuelle qu'ils font de leur être par le vol irréparable du temps, que ce même temps qui se perd fut un passage à l'éternité qui demeure et de cette distinction importante du temps considéré en lui-même, et du temps par rapport à l'éternité, je tire cette conséquence infaillible Si le temps n'est rien par lui-même il s'ensuit que tout le temps est perdu auquel nous n'aurons point attaché quelque chose de plus immuable que lui, quelque chose qui puisse passer à l'éternité bienheureuse. Ce principe étant supposé, arrêtons un peu notre vue sur un vieillard qui auroit blanchi dans les vanités de la terre. Quoique l'on me montre ses cheveux gris, quoique l'on me compte ses longues années, je soutiens que sa vie ne peut être longue, j'ose même assurer qu'il n'a pas vécu. Car que sont devenues toutes ses années? Elles sont passées, elles sont perdues. 11 ne lui en reste pas la moindre parcelle en ses mains, parce qu'il n'y a rien attaché de fixe, ni de permanent. Que si toutes ses années sont perdues, elles ne sont pas capables de faire nombre. Je ne vois rien à compter dans cette vie si longue, parce que tout y est inutilement dissipé: par conséquent tout est mort en lui; et sa vie étant vide de toutes parts, c'est erreur de s'imaginer qu'elle puisse jamais être estimée longue.
Que si je viens maintenant à jeter les yeux sur la dame si vertueuse qui a gouverné si longtemps cette noble -et religieuse abbaye, c'est là où je remarque, fidèles, une vieillesse vraiment vénérable. Certes quand elle n'auroit vécu que fort peu d'années, les ayant fait profiter si utilement pour la bienheureuse immor-
talité, sa vie me paroîtroit toujours assez longue. Je ne puis jamais croire qu'une vie soit courte lorsque j'y vois une éternité toute entière glorieusement attachée.
Mais quand je considère quatre-vingt-dix ans si soigneusement ménagés; quand je regarde des années si pleines et si bien marquées par les bonnes œuvres quand je vois dans une vie si réglée tant de jours, tant d'heures et tant de momens comptés et alloués pour l'éternité, c'est là que je ne puis m'empêcher de dire 0 temps utilement employé 1 ô vieillesse vraiment précieuse Ubi est, mors, victoria tua? a 0 mort, où est ta victoire? Ta main avare n'a rien enlevé à cette vertueuse Abbesse, parce que ton domaine n'est que sur le temps, et que la sage Dame dont nous parlons, désirant conserver celui qu'il a plu à Dieu lui donner, l'a fait heureusement passer dans l'éternité.
Si je l'envisage, fidèles, dans l'intérieur de son ame, j'y remarque, dans une conduite très-sage, une simplicité chrétienne. Etant humble dans ses actions et ses paroles, elle s'est toujours plus glorifiée d'être fille de saint Bernard que de tant de braves aïeux, de la race desquels elle est descendue. Elle passoit la plus grande partie de son temps dans la méditation et dans la prière. Ni les affaires, ni les compagnies n'étoient pas capables de lui ravir le temps qu'elle destinoit aux choses divines. On la voyoit entrer en son cabinet avec une contenance, une modestie et une action toute retirée; et là elle répandoit son cœur devant Dieu avec cette bienheureuse simplicité qui est la marque la plus assurée des enfans de la nouvelle alliance. Sortie de ces pieux exercices, elle parloit souvent des choses divines avec une affection si sincère, qu'il étoit aisé de connoître que son ame versoit sur ses lèvres ses sentimens les plus purs et les plus profonds. Jusque dans la vieillesse la plus décrépite elle souffroit les incommodités et les maladies sans chagrin, sans murmure, sans impatience, louant Dieu parmi ses douleurs, non point par une constance affectée, mais avec une modération qui paroissoit bien avoir pour principe une conscience tranquille et un esprit satisfait de Dieu. Parlerai-je de sa prudence si avisée dans la conduite de sa Maison Chacun sait que sa sagesse et son économie en a beaucoup
relevé le lustre. Mais je ne vois rien de plus remarquable que ce jugement si réglé avec lequel elle a gouverné les Dames qui lui étoient confiées, toujours également éloignée, et de cette rigueur farouche et de cette indulgence molle et relâchée si bien que comme elle avoit pour elles une sévérité mêléoj de douceur elles lui ont toujours conservé une crainte accompagnée de tendresse jusqu'au dernier moment de sa vie, et dans l'extrême caducité de son âge.
L'innocence, la bonne foi, la candeur étoient ses compagnes inséparables. Elles conduisoient ses desseins, elles ménageoient tous ses intérêts, elles régissoient toute sa famille. Ni sa] bouche ni ses oreilles n'ont jamais été ouvertes à la médisance, parce que la sincérité de son cœur en chassoit cette jalousie secrète qui envenime presque tous les hommes contre leurs semblables. Elle savoit donner de la retenue aux langues les moins modérées, et l'on remarquoit dans ses entretiens cette charité dont parle l'Apôtre qui n'est ni jalouse ni ambitieuse, toujours si disposée à croire le bien, qu'elle ne peut pas même soupçonner le mal. Vous dirai-je avec quel zèle elle soulageoit les pauvres membres de Jésus-Christ? Toutes les personnes qui l'ont fréquentée savent qu'on peut dire sans flatterie qu'elle étoit naturellement libérale, même dans son extrême vieillesse, quoique cet âge ordinairement soit souillé des ordures de l'avarice. Mais cette inclination généreuse s'étoit particulièrement appliquée aux pauvres. Ses charités s'étendoient bien lQin sur les personnes malades et nécessiteuses elle partageoit souvent avec elles ce qu'on lui préparoit pour sa nourriture; et dans ces saints empressemens de la chaiité, qui travailloit son ame innocente d'une inquiétude pieuse pour les membres affligés du Sauveur des ames, on admiroit particulièrement son humilité, non moins soigneuse de cacher le bien que sa charité de le faire. Je ne m'étonne plus, chrétiens, qu'une vie si religieuse ait été couronnée d'une fin si sainte. i Cor., xm, 4, 5.
ORAISON FUNEBRE
DE E
MESStRE HENRI DE GORNAY.
REMARQUES HISTORIES.
Henri de Gornay n'a pas laissé de traces dans l'histoire du xvn* siècle les éditeurs de son Onï:MM /ijHe&)'e n'ont trouvé jusqu'à ce jour aucun renseignement sur sa vie, et nous n'avons été guère plus heureux dans nos recherches. Voici tout ce que nous avons pu découvrir. Henri de Gornay ou de Gournay dcscendoit d'une famille très-ancienne dans le pays de Metz. Son père fut Henri de Gournay, comte de Talange et sa mère, Madeleine de Gommay.
Il épousa Marie-Agathe Raidsessel de Calembourg. Son fils ainé porta le nom de Jean-Christophe
L'OMtsoti/'UM&re contient quelques détails sur sa famille et sur sa vie; nous y renvoyons le lecteur.
Ce discours fut prononcé probablement à Meb, vers ~662. Probablement à Metz, car il semble annoncer un auditoire moins imposant que ceux de la capitale et l'histoire en auroit sans doute conservé le souvenir, s'il n'avoit pas été prononcé dans la province. Vers t662, comme le révèlent des indices certains l'écriture et le papier du manuscrit, les passages simplement esquissés, le style du discours qui ne renferme pas de termes surannés. Il est vrai que Bossuet n'habitoit pas Metz cette époque; mais l'on sait qu'il y faisoit de fréquens voyages pendant les premières années de son séjour à Paris.
Le discours n'est pas complet, tant s'enfaut les deux derniers points sont à peine effleurés.
Bibliothèque tmp.. Cabinet des tures, CoUachoo des mémoires, Catner Cottr~ay. Les imdicattuns données plus haut se trouvent dans une hste généalogique, qui etabht les Mue quartiers de la fanuUe.
Le manuscrit se trouve au collège de Juilly L'imprimé le reproduit d'une manière fort imparfaite. Nous avons comparé pour ainsi dire sous les yeux du lecteur, avec les manuscrits originaux, plusieurs passages du premier volume des sermons nous allons lui soumettre, au même point de vue, quelques pages du dernier, renfermant l'éloge de Henri de Gornay. Nous passons un grand nombre de fautes pour abréger.
II se voit peu d'hommes assez insensés pour se consoler de leur mort par l'espérance d'un superbe tombeau. Tout ce que peuvent faire ces misérables amoureux des grandeurs humaines, c'est de goùter tellement la vie, qu'ils no songent point à la mort. La mort jette divers traits [qui préparent son triomphe. Elle se fait sentir] 7 dans toute la vie par la crainte, [les maladies, les accidens de toute espèce ] et son dernier coup est inévitable. Les hommes superbes croient faire beaucoup d'éviter les autres c'est le seul moyen qui leur reste de secouer, en quelque façon, le joug insupportable de sa tyrannie, lorsqu'en détournant leur esprit, ils n'en sentent pas l'amertume
On a sans doute remarqué que les éditeurs n'ont pas renfermé, dans les crochets sacramentels, tous les commentaires qu'ils prêtent à l'auteur. Une édition qui se public dans ce moment fait mieux encore elle M. l'abbé Bautain avoit prêché un sermon de chanté dans uue réunion de l'CEuvre de SaintFrancois-Regis; le president de la société, M. Gossin, lui envoya le manuscrit du panegyrique funèbre de Henri de Gomay, avec une lettre dates du 15 mai J843 voici deux passages de cette lettre < etoit difficile aussi de faire connoitre notre pauvre Œuvre qui, participant presque à la honte des pecheurs dont elle excite le repentir et la conversion a ce désavantage unique et cependant rcei, de n'oser en quelque sorte se nommer, et d'être obligee de recourLr à des périphrases pour faire connoître l'espèce d'infirmité spirituelle à laquelle elle s'efforce d'apporter remède. Vous avez tout dit, Monsieur, avec une chasteté de langage égale à la susceptibihté de nos oreilles parisiennes; et si vous n'eussiez pas improvisé, nous aurions demande la grace de copier votre discours, afin de montrer aux prédicateurs que la langue françoise, dans la bouche d'un orateur zele et charitable autant qu'habile, peut platder la cause des Thaïs et des Marte Egyptienne en respectant jusqu'au scrupule toutes les bienséances. Comme nous aimerons toujours, Monsieur, à nous rappeler et votre nom et le service que vous nous a\cz rendu, nous souhaitons que, de votre côte, il reste autour de vous quelque chose qm de temps à autre attire votre pensée et vos prières sur notre ÛEuvre. Nous chargeons de ce aoiu les quelques pages autographes de Bossuet que nous joignons ici. C'est l'Oraison funèbre de Henri de Gornay. Un prêtre tel que vous, Monsieur, ne voudra pas mal aecuedhr un evèque, et un éveque comme BossueL– Agréer etc.a– Edition de VerMi~e~ vol. XVII, p. 606 et 607. Les fautes que nous signalons dans l'édition de Lebel se trouvent dans toutes les autres, sans en excepter aucune.
Les éditions.
Le manuscrit original.
tl se voit peu d'hommes assez in.sensés pour se consoler de la mort par l'espérance d'un superbe tombeau. Tout ce que peuvent faire ces misérables amoureux des grandeurs humaines, c'est de goûter tellement la vie qu'ils ne songent point à la mort; c'est le seul moyen qui leur reste de secouer en quelque façon le joug insupportable de sa tyrannie, lorsqu'en détournant leur esprit, ils n'en sentent pas l'amertume (a).
(a) A'ote marg. La mort jette divers traits dans la vie par la crainte, et le dernier est inévitable; ils croient faire beaucoup d'éviter les autres.
supprime tous les crochets, si bien que la prose de Déforis se présente sur la même ligne que la parole de Bossuet.
Les éditions.
tiaptuanotre Sauveur de naitre d'une race illustre. Et pour quelle raison, lui qui a méprisé toutes les grandeurs humaines, qui n'a appelé, <'ni beaucoup de sages, ni beaucoup de noNes; a Non multi Mpfm~~ non mM/<!?!o4i/~
Les rigides éditeurs vouloient absolument que Jésus-Christ aitméprisé la noblesse de la naissance.
Les éditions.
Louer dans un gentilhomme chrétien ce que Jésus-Christ même a voulu avoir, [n'auroit rien ce semble; que de conforme aux règles de la foi Mais cette noblesse temporelle est en soi ] trop peu de chose pour qu'on doive s'y arrêter c'est un sujet trop profane [ pour mériter les éloges des prédicateurs.] 1 Néanmoins nous louerons ici d'autant plus volontiers la noblesse de la famille du défunt, qu'il y a quelque chose de saint à traiter. Je ne dirai point m les grandes charges'
Les mots que nous mettons sous la rubrique de note marginale, sont manifestement des remarques que Bossuet faisoit pour lui seul.
Les éditions.
Le sang qu'a répandu ce généreux martyr, vous donne plus de gloire que celle que vous avez reçue de tant d'illustres ancêtres. [Vous pouvez dire à juste titre avec Tobie ] « Nous sommes de la race des saints o Fi/it M!M<oyMM sumus. L'histoire remarque que saint Livier étoit issu de parents illustres Claris parenK&M~ Mais tous ces titres glorieux n'ont jamais donné l'orgueil [ au respectable défunt que nous regrettons. 1 Il a toujours 3.
ZM<<. de Vers., ïo!. XVII, p. <06. – 7tM., p. 609. 3 Ibid., p. 6t0. 0.
Le manuscrit original.
Ha a plu à notre Sauveur de naitre d'une race illustre. Pour quelle raison, lui qui a méprisé toutes les autres grandeurs humaines? iVo?: multi sap:Ftt<M, non multi MO<<M; JésusChrist l'a voulu être.
.LenMMMMcn<<M'gMM[L
Louer en un gentilhomme chrétien ce que Jésus-Christ même a voulu avoir (a).Je ne dirai point ni les grandes charges
(a)-A'o~ maf~ Peu de chose sujet trop profane. Néanmoins, d'autant plus volontiers, qu'il y a quelque chose de saint à traiter.
Le manuscrit original.
Le sang qu'a répandu ce généreux martyr, vous donne plus de gloire que celui que vous avez reçu de tant d'illustres ancêtres « Nous sommes de la race des saints » F~it sanctofMm sumus. L'histoir.e remarque qu'il étoit claris pa~nh&tt! Mais tous ces htres glorieux ne lui ont jamais donné ié de l'orgueil. Il a toujours.
Que dites-vous du respectaM6 f~/tMt que nous regrettons?
U devient premier capitaine et major dans Falzbourg, corps célèbre et renommé. Les bettes actions qu'il y fit l'ayant fait connoitre par le cardinal de Richelieu, auquel la vertu ne pouvoit pas être cachée; [ il s'en servit avantageusement dans les ] négociations d'Allemagne. {Mais partout il porta une vertu digne de sa naissance.] Ordinairement ceux qui sont dans les emplois de la guerre croient que c'est une prééminence de l'épée de ne s'assujettir à aucunes lois. Pour lui, il a révéré celles de l'Eglise jusque dans les points qui paroissoientles plus incompatibles avec son état. Jamais on ne l'a vu violer les abstinences prescrites, sans une raison capable de lui procurer une dispense légitime. Comment n'auroit-it pas respecté la loi qu'il recevoit de toute l'Eglise, puisqu'il observoit si soigneusement, et avec tant de religion, celles que sa dévotion particulière lui avoit imposées ? Il jeùnoit régulièrement tous les samedis; gardoit avec la plus scrupuleuse exactitude et le plus grand respect, toutes les pratiques que la religion lui imposoit. Bien différent de ces militaires qui déshonorent la profession des armes par cette honte trop commune de bien faire les exercices de la piété. On croit assez faire, pourvu qu'on observe les ordres du général'. 1.
Voilà les principales altérations que renferment les quatre dernières pages des œuvres oratoires de Bossuet. Déforis a continué l'impression de ces œuvres comme il l'avoit commencée, ajoutant, retranchant selon ses caprices. Et le texte ainsi remanié, arrangé de cette façon, tous les éditeurs l'ont reproduit aveuglément, sans aucune correction. Nous sommes arrivés, pour les notices historiques, à la fin des OraiEdit. de Vers., p. 6U. I.
Les éditions.
Le manuscrit original.
Premier capitaine 6t major dans Falzbourg, corps célèbre et renommé, les belles actions qu'il y fit le firent connoitre par le cardinal de Richelieu, auquel la vertu ne pouvait être cachée. Négociations d'Allemagne. Ordinairement ceux qui sont dans les emplois de la guerre, croient que c'est une prééminence de l'épée de ne s'assujettir à aucunes lois. Il a révéré celles de l'Eglise. Les abstinences jamais violées comment n'auroit-il pas respecté celles qu'il recevoit de toute l'Eglise, puisqu'il observoit si soigneusement et avec tant de religion celle que sa dévotion particulière lui avoit imposée ? Jeûne des samedis. Déshonorant la profession des armes par cette honte de bien faire les exercices de piété, on croit assez faire, pourvu qu'on observe les ordres du général.
sons y~'res toutefois, avant de passer outre, encore quelques mots.. Bossuet prononça le 20 janvier 1667, dans l'église des Carmélites, rue du Bouloy, l'éloge de sa bienfaitrice la plus vénérée, d'Anne d'Autriche, mère de Louis XIV. L'archevêque de Paris officia pontificalement dans la cérémonie religieuse, et plusieurs prélats se pressoient attentifs autour de la chaire sacrée. L'orateur avoit choisi pour texte ces paroles « Timor Domini, ipse est thesaurus ejus 1; et « son discours fut d'autant plus touchant, dit l'abbé Led ieu, qu'il étoit lui-même plus pénétre de douleur de la perte qu'il avoit faite » Ce discours n'a pas été livré à l'impression, et l'on a fait de vaines recherches pour en retrouver le manuscrit. 11 est perdu sans retour.
On lit dans le Stècle de Louis XIV « L'Oraison funèbre de la reinemère, que Bossuet prêcha en 1667, lui valut l'évêché de Condom. Mais ce discours n'étoit pas encore digne de lui; il ne fut pas imprimé, non plus que ses Sermons. Voilà des paroles étranges. L'Oraison funèbre d'Anne d'Autriche précéda de trois ans la nomination de Bossuet à l'évêché de Condom comment donc lui valut-elle son élévation à l'épiscopat? D'un autre coté, ce panégyrique n'a pas été imprimé, et personne ne l'a jamais lu comment Voltaire savoit-il qu'il n'étoit pas digne de Bossuet?
/M.. MHti, 6.– ~'mct'rM, )6M.
ORAISON FUNEBRE
DE
MESSIRE HENRI DE GORNAY.
Aott ~M'KtoM bonis eos qui ambulant in <HMoee<tH<! ~oMine virtutum, &e<<MA[)H!o~M~pefO!<:)t<e.PsaLLXXX!n,13.
C'est, Messieurs, dans ce dessein salutaire que j'espère aujourd'hui vous entretenir de la vie et des actions de messire Henri de Gornay chevalier, seigneur de Talange, de Louyn sur Seille, que la mort nous a ravi depuis peu de jours où rejetant loin de mon esprit toutes les considérations profanes, et les bassesses honteuses de la flatterie indignes de la majesté du lieu où je parle et du ministère sacré que j'exerce, je m'arrêterai à vous proposer trois ou quatre réflexions tirées des principes du christianisme, qui serviront, si Dieu le permet, pour l'instruction de tout ce peuple et pour la consolation particulière de ses parens et de ses amis.
Quoique Dieu et la nature aient fait tous les hommes égaux en les formant d'une même boue, la vanité humaine ne peut souffrir cette égalité, ni s'accommoder à la loi qui nous a été imposée, de les regarder tous comme nos semblables. De là naissent ces grands efforts que nous faisons tous pour nous séparer du commun, et nous mettre en un rang plus haut par les charges ou par les emplois, par le crédit ou par les richesses. Que si nous pouvons obtenir ces avantages extérieurs, que la folle ambition des hommes a mis à un si grand prix, notre cœur s'enfle tellement que nous regardons tous les autres comme étant d'un ordre inférieur à nous et à peine nous reste-t-il quelque souvenir de ce qui nous est commun avec eux.
Cette vérité importante et connue si certainement par l'expérience, entrera plus utilement dans nos esprits, si nous considérons avec attention trois états où nous passons tous sueeessive-
ment la naissance, le cours de la vie, sa conclusion par la mort. Plus je remarque de près la condition de ces trois états, plus mon esprit se sent convaincu que quelque apparente inégalité que la fortune ait mise entre nous, la nature n'a pas voulu qu'il y eût grande différence d'un homme à un autre.
Et premièrement, la naissance a des marques, indubitables de notre commune foiblesse. Nous commençons tousrnotre vie par les mêmes infirmités de l'enfance; nous saluons tous, en entrant au monde, la lumière du jour par nos pleurs et le premier air que nous respirons, nous sert à tous indifféremment à former (a) des cris. Ces foiblesses de la naissance attirent sur nous tous généralement une même suite d'infirmités dans tout le progrès de la vie, puisque les grands, les petits et les médiocres vivent également assuj ettis aux mêmes nécessités naturelles, exposés aux mêmes périls, livrés en proie aux mêmes maladies. Enfin, après tout arrive la mort, qui foulant aux pieds l'arrogance humaine et abattant sans ressource toutes ses grandeurs imaginaires, égale pour jamais toutes les conditions différentes, par lesquelles les ambitieux croyoient s'être mis au-dessus des autres de sorte qu'il y a beaucoup de raison de nous comparer à des eaux courantes, comme fait l'Ecriture sainte. Car de même que quelque inégalité qui paroisse dans le cours des rivières qui arrosent la surface de la terre, elles ont toutes cela de commun, qu'elles viennent d'une petite origine que dans le progrès de leur course, elles roulent leurs flots en bas par une chute continuelle et qu'elles vont enfin perdre leurs noms avec leurs eaux dans le sein immense de l'Océan, où l'on ne distingue point le Rhin, ni le Danube, ni ces autres fleuves renommés d'avec les rivières les plus inconnues. Ainsi tous les hommes commencent par les mêmes infirmités dans le progrès de leur âge, les années se poussent les unes les autres comme des flots leur vie roule et descend sans cesse à la mort par sa pesanteur naturelle et enfin après avoir fait, ainsi que des fleuves, un peu plus de bruit les uns que les autres, ils vont tous se confondre dans ce gouffre infini du 1 Sapient., vu, 3.
(a) Var. Pousser.
néant, où l'on ne trouve plus ni rois, ni princes, ni capitaines, ni tous ces autres augustes noms qui nous séparent les uns des autres; mais la corruption et les vers, la cendre et la pourriture qui nous égalent. Telle est la loi de la nature, et l'égalité nécessaire à laquelle elle soumet tous les hommes dans ces trois états remarquables, la naissance, la durée, la mort.
Que pourront inventer les enfans d'Adam pour combattre (a) cette égalité, qui est gravée si profondément dans toute la suite de notre vie ? Yoici, mes Frères, les inventions par lesquelles ils s'imaginent forcer la nature et se rendre différens des autres, malgré l'égalité qu'elle a ordonnée. Premièrement, pour mettre à couvert la foiblesse commune de la naissance, chacun tâche d'attirer sur elle toute la gloire de ses ancêtres, et la rendre plus éclatante par cette lumière empruntée. Ainsi l'on a trouvé le moyen de distinguer les naissances illustres d'avec les naissances viles et vulgaires, et de mettre une différence infinie entre le sang noble et le roturier, comme s'il n'avoit pas les mêmes qualités et n'étoit pas composé des mêmes élémens et par là vous voyez déjà la naissance magnifiquement relevée. Dans le progrès de la vie, on se distingue plus aisément par les grands emplois, par les dignités éminentes, par les richesses et par l'abondance. Ainsi on s'élève et on s'agrandit, et on laisse les autres dans la lie du peuple. Il n'yja donc plus que la mort où l'arrogance humaine est bien empêchée. Car c'est là que l'égalité est inévitable et encore que la vanité tâche en quelque sorte d'en couvrir la honte par les honneurs de la sépulture, il se voit peu d'hommes assez insensés pour se consoler de la mort par l'espérance d'un superbe tombeau, ou par la magnificence de ses funérailles. Tout ce que peuvent faire ces misérables amoureux des grandeurs humaines, c'est de goûter tellement la vie qu'ils ne songent point à la mort c'est le seul moyen qui leur reste de secouer en quelque façon le joug insupportable de sa tyrannie, lorsqu'en détournant leur esprit ils n'en sentent pas l'amertume. (b)
(a) Var. Pour couvrir ou pour effacer. (A) Noie mnrg. La mort jette divers traits dans la vie par la crainte, et le dernier est inévitable; ils croient faire beaucoup d'éviter les autres.
C'est ainsi qu'ils se conduisent à l'égard de ces trois états; et de là naissent trois vices énormes qui rendent ordinairement leur vie criminelle. Car cette superbe grandeur dont ils se flattent dans leur naissance, les fait vains et audacieux. Le désir démesuré dont ils sont poussés de se rendre considérables (a) au-dessus des autres dans tout le progrès de leur âge, fait qu'ils s'avancent à la grandeur par toutes sortes de voies, sans épargner les plus criminelles et l'amour désordonné des douceurs qu'ils goûtent dans une vie pleine de délice?, détournant leurs yeux de dessus la mort, fait qu'ils tombent entre ses mains sans l'avoir prévue au lieu que l'illustre gentilhomme, dont je vous dois aujourd'hui proposer l'exemple, a tellement ménagé toute sa conduite, que la grandeur de sa naissance n'a rien diminué de la modération de son esprit; que ses emplois glorieux, dans la ville et dans les armées, n'ont point corrompu son innocence; et que bien loin d'éviter l'aspect de la mort, il l'a tellement méditée, qu'elle n'a pas pu le surprendre, même en arrivant tout à coup, et qu'elle a été soudaine sans être imprévue.
Si autrefois le grand saint Paulin, digne prélat de l'église de Noie, en faisant le panégyrique de sa parente sainte Mélanie 1, a commencé les louanges de cette veuve si renommée par la noblesse de son extraction, je puis bien suivre un si grand exemple, et vous dire un mot en passant de l'illustre maison de Gornay, si célèbre et si ancienne. Mais pour ne pas traiter ce sujet d'une manière profane, comme fait la rhétorique mondaine, recherchons par les Ecritures de quelle sorte la noblesse est recommandable, et l'estime qu'on en doit faire selon les maximes du christianisme.
Et premièrement, chrétiens, c'est déjà un grand avantage qu'il ait plu à notre Sauveur de naître d'une race illustre par la glorieuse union du sang royal et sacerdotal dans la famille d'où il est sorti Regum et sacerdotum clara progenies Pour quelle raison, lui qui a méprisé toutes les autres grandeurs humaines? 1 Ad Sever., ep. xxix, n. 7. » Ibul., p. 179.
(a) Ynr. Recommandables.
Non multi sapientes, non multi nobiles l; Jésus-Christ l'a voulu être. Ce n'étoit pas pour en recevoir de l'éclat, mais plutôt pour en donner à tous ses ancêtres. Il falloit qu'il sortît des patriarches, pour accomplir en sa personne toutes les bénédictions qui leur avoient été annoncées. Il falloit qu'il naquît des rois de Juda, pour conserver à David la perpétuité de son trône, que tant d'oracles divins lui avoient promise.
Louer en un gentilhomme chrétien ce que Jésus-Christ même a voulu avoir. (a) Je ne dirai point ni les grandes charges qu'elle a possédées, ni avec quelle gloire elle a étendu ses branches dans les nations étrangères, ni ses alliances illustres avec les Maisons royales de France et d'Angleterre, ni son antiquité, qui est telle que nos chroniques n'en marquent point l'origine. Cette antiquité a donné lieu à plusieurs inventions fabuleuses, par lesquelles la simplicité de nos pères a cru donner du lustre à toutes les maisons anciennes, à cause que leur antiquité, en remontant plus loin aux siècles passés dont la mémoire est toute effacée, a donné aux hommes une plus grande liberté de feindre. La hardiesse humaine n'aime pas à demeurer court; où elle ne trouve rien de certain, elle invente. Je laisse toutes ces considérations profanes, pour m'arrêter à des choses saintes.
Saint Livier, environ l'an 400, selon la supputation la plus exacte, est la gloire de la maison de Gornay. Le sang qu'a répandu ce généreux martyr, l'honneur de la ville de Metz, pour la cause de Jésus-Christ, vous donne plus de gloire que celui que vous avez reçu de tant d'illustres ancêtres « Nous sommes la race des saints » Filii sanctorum sumus'. L'histoire remarque qu'il étoit dans parenlibus ce qui est une conviction manifeste qu'il faut reprendre la grandeur de cette Maison d'une origine plus haute.
Mais tous ces titres glorieux ne lui ont jamais donné de l'orgueil. Il a toujours méprisé les vanteries ridicules dont il arrive assez ordinairement que la noblesse étourdit le monde. Il a cru 1 1 Cor., i, 23. Tob., n, 18.
(a) Note marg. Peu de chose sujet trop profane. Néanmoins d'autant plus volontiers, qu'il y a quelque chose de saint à traiter.
que ces vanteries étoient plutôt dignes des races nouvelles, éblouies de l'éclat non accoutumé d'une noblesse de peu d'années; mais que la véritable marque des Maisons illustres, auxquelles la grandeur et l'éclat étoient depuis plusieurs siècles passés en nature, ce devoit être la modération. Ce n'est pas qu'il ne jetât les yeux sur l'antiquité de sa race, dont il possédoit parfaitement l'histoire mais comme il y avoit des saints dans sa race, il avoit raison de la contempler pour s'animer p^ar ces grands exemples. Il n'étoit pas de ceux qui semblent être persuadés que leurs ancêtres n'ont travaillé que pour leur donner sujet de parler de leurs actions et de leurs emplois. Quand il regardoit les siens, il croyoit que tous ses aïeux illustres lui crioient continuellement jusque des siècles les plus reculés Imite nos actions, ou ne te glorifie pas d'être notre fils. Il se jeta dans les exercices de sa profession à l'imitation de saint Livier il commença à faire la guerre contre les hérétiques rebelles. Premier capitaine et major dans Falzbourg, corps célèbre et renommé, les belles actions qu'il y fit le flrent connoitre par le cardinal de Richelieu, auquel la vertu ne pouvoit être cachée. Négociations d'Allemagne. Ordinairement ceux qui sont dans les emplois de la guerre, croient que c'est une prééminence de l'épée de ne s'assujettir à aucunes lois. Il a révéré celles de l'Eglise. Les abstinences jamais violées comment n'auroit-il pas respecté celles qu'il recevoit de toute l'Eglise, puisqu'il observoit si soigneusement et avec tant de religion celle que sa dévotion particulière lui avoit imposée? Jeùne des samedis. Déshonorant la profession des armes par cette honte de bien faire les exercices de la piété, on croit assez faire, pourvu qu'on observe les ordres du général.
Sa vieillesse, quoique pesante, n'étoit pas sans action son exemple et ses paroles animoient les autres. Il est mort trop tôt non; car la mort ne vient jamais trop soudainement quand on s'y prépare par la bonne vie.
FIN DES ORAISONS FUNÈBRES.
DISCOURS DE RÉCEPTION
L'ACADÉMIE FRANÇOISE (a).
Messieurs
Je sens plus que jamais la difficulté de parler, aujourd'hui que je dois parler devant les maîtres de l'art du bien dire, et dans une Compagnie où l'on voit paroître avec un égal avantage l'érudition et la politesse. Ce qui augmente ma peine, c'est qu'ayant abrégé en ma faveur vos formes et vos délais ordinaires, vous me pressez d'autant plus à vous témoigner ma reconnoissance, que vous vous êtes vous-mêmes pressés de me faire sentir les effets de vos bontés particulières si bien que m'ayant ôté par la grandeur de vos graces le moyen d'en parler dignement, la facilité de les accorder me prive encore du secours que je pouvois espérer de la méditation et du temps. A la vérité, Messieurs, s'il s'agissoit seulement de vous exprimer les sentimens de mon cœur, (a) Lu le 8 juin 1671.
Bossuet remplaça l'abbé Ducliatelet, immortel qui est mort tout entier. On verra qu'il n'eu parle pas dans son discours. En 1671 les académiciens pouvoient encore, en prenant possession du fauteuil, garder le silence sur leur piédécesseur c'est l'usage, introduit par le savant Fluet, puis fortifié par l'élégant Flécliier, qui les a mis dans l'obligation de faire leur éloge funèbre. Bossuet formule en deux mots les lois de la langue françoise elle doit avoir la liberté de la force et la retenue du jugement elle doit être soumise aux règles qui préviennent les écarts de l'imagination, et tout ensemble affranchie des entraves qui éteignent le feu de l'esprit et affoiblissent la vigueur du style. Quintillien a dit Altud est latine, almd grammatteè loqui ( lnstit., I, S ). Ce mot peut s'appliquer à notre langue, que certaines règles nouvelles mettent souvent a la gêne mais aussi les licences des auteurs impatiens de tout joug la ramènent droit à la barbarie.
Nous dounons la réponse que Charpentier fit au discours de Bossuet. Le lecteur trouvera sans doute que le directeur de l'Académie parle de la vertu et du mérite à peu près comme les auteurs païens.
il ne faudroit ni étude ni application pour s'acquitter de ce devoir. Mais si je me contentois de vous donner ces marques de reconnoissance, que la nature apprend à tous les hommes, sans exposer les raisons qui me font paroitre ma réception dans cette illustre Compagnie si avantageuse et si honorable, ne seroit-ce pas me rendre indigne d'entrer dans un Corps si célèbre, et démentir en quelque sorte l'honneur que vous m'avez fait par votre choix? Il faut donc vous dire, Messieurs, que je ne regarde pas seulement cette Académie comme une assemblée d'hommes savans, que l'amour et la connoissance des belles-lettres unissent ensemble. Quand je remonte jusqu'à la source de votre institu1ion un si bel établissement élève plus haut mes pensées. Oui, Messieurs, c'est cette ardeur infatigable qui animoit le grand cardinal de Richelieu à porter au plus haut degré la gloire de la France; c'est, dis-je, cette même ardeur qui lui inspira le dessein de former cette Compagnie. En effet s'il est véritable, comme disoit l'Orateur romain, que la gloire consiste, ou bien à faire des actions qui soient dignes d'être écrites, ou bien à composer des écrits qui méritent d'être lus, ne falloit-il pas, Messieurs, que ce génie incomparable joignît ces deux choses pour accomplir son ouvrage? C'est aussi ce qu'il a exécuté heureusement. Pendant que les François animés de ses conseils vigoureux, méritoient par des exploits inouis que les plumes les plus éloquentes publiassent leurs louanges, il prenoit soin d'assembler d.ms la ville capitale du royaume l'élite des plus illustres écrivains de France, pour en composer votre Corps. Il entreprit de faire en sorte que la France fournît tout ensemble, et la matière et la forme des plus excellens discours qu'elle fùt en même temps docte et conquérante, qu'elle ajoutât l'empire des lettres à l'avantage glorieux qu'elle avoit toujours conservé de commander par les armes. Et certainement, Messieurs, ces deux choses se fortifient et se soutiennent mutuellement. Comme les actions héroïques animent ceux qui écrivent, ceux-ci réciproquement vont îemuer par le désir de la gloire ce qu'il y a de plus vif dans les grands courages qui ne sont jamais plus capables de ces généreux efforts par lesquels l'homme est élevé au-dessus de ses propres forces, que lors-
qu'ils sont touchés de cette belle espérance de laisser à leurs descendans, à leur Maison, à l'Etat, des exemples toujours vivans de leur vertu et des monumens éternels de leurs mémorables entreprises. Et quelles mains peuvent dresser ces monuments éternels, si ce n'est ces savantes mains qui impriment à leurs ouvrages ce caractère de perfection que le temps et la postérité respectent? C'est le plus grand effet de l'éloquence.
Mais, Messieurs, l'éloquence est morte, toutes ses couleurs s'effacent, toutes ses graces s'évanouissent, si l'on ne s'applique avec soin à fixer en quelque sorte les langues et à les rendre durables. Car comment peut-on confier des actions immortelles à des langues toujours incertaines et toujours changeantes; et la nôtre en particulier pouvoit-elle promettre l'immortalité, elle dont nous voyons tous les jours passer les beautés, et qui devenoit barbare à la France même dans le cours de peu d'années ? Quoi donc la langue françoise ne devoit-elle jamais espérer de produire des écrits qui pussent plaire à nos descendans? et pour méditer des ouvrages immortels, falloit-il toujours emprunter le langage de Rome et d'Athènes? Qui ne voit qu'il falloit plutôt pour la gloire de la nation former la langue françoise, afin qu'on vît prendre à nos discours un tour plus libre et plus vif, dans une phrase qui nous fût plus naturelle, et qu'affranchis de la sujétion d'être toujours de foibles copies, nous pussions enfin aspirer à la gloire et à la beauté des originaux ? Vous avez été choisis, Messieurs, pour ce beau dessein, sous l'illustre protection de ce grand homme, qui ne possède pas moins les règles de l'éloquence que de l'ordre et de la justice, et qui préside depuis tant d'années aux conseils du Roi, autant par la supériorité de son génie que par l'autorité de sa charge. L'usage, je le confesse, est appelé avec raison le père des langues. Le droit de les établir, aussi bien que de les régler, n'a jamais été disputé à la multitude; mais si cette liberté ne veut pas être contrainte, elle souffre toutefois d'être dirigée. Vous êtes, Messieurs, un conseil réglé et perpétuel, dont le crédit, établi sur l'approbation publique, peut réprimer les bizarreries de l'usage, et tempérer les déréglemens de cet empire trop populaire. C'est le fruit que nous espérons recevoir bientôt
de cet ouvrage admirable que vous méditez; je veux dire ce trésor de la langue si docte dans ses recherches, si judicieux dans ses remarques, si riche et si fertile dans ses expressions. Telle est donc l'institution de l'Académie elle est née pour élever la langue françoise à la perfection de la langue grecque et de la langue latine. Aussi a-t-on vu par vos ouvrages qu'on peut, en parlant françois, joindre la délicatesse et la pureté attique à la majesté romaine. C'est ce qui fait que toute l'Europe apprend vos écrits; et quelque peine qu'ait l'Italie d'abandonner tout à fait l'empire, elle est prête à vous céder celui de la politesse et des sciences. Par vos travaux et par votre exemple, les véritables beautés du style se découvrent de plus en plus dans les ouvrages français, puisqu'on y voit la hardiesse, qui convient à la liberté, mêlée à la retenue qui est l'effet du jugement et du choix. La licence est restreinte par les préceptes; et toutefois vous prenez garde qu'une trop scrupuleuse régularité, qu'une délicatesse trop molle, n'éteigne le feu des esprits et n'affoiblisse la vigueur du style. Ainsi nous pouvons dire, Messieurs, que la justesse est devenue par vos soins le partage de notre langue, qui ne peut plus rien endurer ni d'affecté ni de bas si bien qu'étant sortie des jeux de l'enfance et de l'ardeur d'une jeunesse emportée, formée par l'expérience et réglée par le bon sens, elle semble avoir atteint la perfection qui donne la consistance. La réputation toujours fleurissante de vos écrits et leur éclat toujours vif, l'empêcheront de perdre ses graces; et nous pouvons espérer qu'elle vivra dans l'état où vous l'avez mise, autant que durera l'empire francois, et que la Maison de saint Louis présidera à toute l'Europe. Continuez donc, Messieurs, à employer une langue si majestueuse à des sujets dignes d'elle. L'éloquence, vous le savez, ne se contente pas seulement de plaire soit que la parole retienne sa liberté naturelle dans l'étendue de la prose; soit que resserrée dans la mesure des vers, et plus libre encore d'une autre sorte, elle prenne un vol plus hardi dans la poésie, toujours est-il véritable que l'éloquence n'est inventée, ou plutôt qu'elle n'est inspirée d'en haut que pour enflammer les hommes à la vertu; et ce seroit, dit saint Augustin, la rabaisser trop indignement que de lui faire consumer ses forces
dans le soin de rendre agréables des choses qui sont inutiles. Mais si vous voulez conserver au monde cette grande, cette sérieuse, cette véritable éloquence, résistez à une critique importune, qui tantôt flattant la paresse par une fausse apparence de facilité, tantôt faisant la docte et la curieuse par de bizarres raffinemens, ne laisseroit à la fin aucun lieu à l'art, et nous feroit retomber dans la barbarie. Faites paraître à sa place une critique sévère, mais raisonnable, et travaillez sans relâche à vous surpasser tous les jours vous-mêmes, puisque telle est tout ensemble la grandeur et la foiblesse de l'esprit humain, que nous ne pouvons égaler nos propres idées, tant celui qui nous a formés a pris soin de marquer son infinité.
Au milieu de nos défauts, un grand objet se présente pour soutenir la grandeur des pensées et la majesté du style. Un Roi a été donné à nos jours, que vous nous pouvez figurer en cent emplois glorieux et sous cent titres augustes; grand dans la paix et dans la guerre, au dedans et au dehors, dans le particulier et dans le public, on l'admire, on le craint, on l'aime. De loin il étonne, de près il attache; industrieux par sa bonté à faire trouver mille secrets agrémens dans un seul bienfait; d'un esprit vaste, pénétrant, réglé, il conçoit tout, il dit ce qu'il faut, il connoît et les affaires et les hommes; il les choisit, il les forme, il les applique dans le temps, il sait les renfermer dans leurs fonctions; puissant, magnifique, juste, veut-il prendre ses résolutions, la droite raison est sa conseillère; après il se soutient, il se suit lui-même, il faut que tout cède à sa fermeté et à sa vigueur invincible. Le voilà, Messieurs, ce digne sujet de vos discours et de vos chants héroïques. Le voyez-vous ce grand Roi dans ses nouvelles conquêtes, disputant aux Romains la gloire des grands travaux, comme il leur a toujours disputé celle des grandes actions? Des hauteurs orgueilleuses menaçoient ses places; elles s'abaissent en un moment à ses pieds, et sont prêtes à subir le joug qu'il impose. On élève des montagnes dans les remparts, on creuse des abîmes dans les fossés la terre ne se reconnoît plus elle-même, et change tous les jours de forme sous les mains de ses soldats, qui trouvent sous les yeux du Roi de nouvelles forces, et qui en faisant les for-
teresses s'animent à les défendre. Vous avez souvent admiré l'ordre de sa maison; considérez la discipline de ses troupes, où la licence n'est pas seulement connue, et qui ne sont plus redoutées que par l'ennemi. Ces choses sont merveilleuses, incroyables, inouïes; mais son génie, son cœur, sa fortune, lui promettent je ne sais quoi de plus grand encore. De quelque côté qu'il se tourne, ses ennemis redoutent ses moindres démarches; ils sentent sa force et son ascendant, et leur fierté affectée couvre mal leur crainte et leur désespoir. Finissons car où m'emporteroit l'ardeur qui me presse? Il aime et les sa vans et les sciences; c'est à elles pour ainsi dire qu'il a voulu confier le plus précieux dépôt de l'Etat; il veut qu'elles cultivent l'esprit le plus vif et le plus beau naturel du monde. Ce Dauphin, cet aimable prince, surmonte heureusement les premières difficultés des études; et s'il n'est pas rebuté par les épines quelle sera son ardeur quand il pourra cueillir les fleurs et les fruits? On vous nourrit, Messieurs, un grand protecteur; si nos vœux sont exaucés, si nos soins prospèrent, ce prince ne sera pas seulement un jour le digne sujet de vos discours; il en connoîtra les beautés, il en aimera les douceurs, il en couronnera le mérite.
RÉPONSE DE M. CHARPENTIER,
DIBECIEUR DE L'ACADÉMIE
AU DISCOURS DE BOSSUET.
MONSIEUR,
Après avoir remporté des applaudissemens de toute la France par vos célèbres prédications, après avoir été élevé à la première dignité de l'Eglise par le concours de la puissance royale et de l'autorité du Saint-Siège, après avoir mérité le choix de notre auguste monarque pour l'éducation du premier prince de toute la terre; après, dis-je, tant d'événemens èclatans qui vous comblent de gloire de tous côtés, aviez-vous encore quelque chose à souhaiter?
Cependant, Monsieur, votre arrivée en ce lieu-ci, qui apporte un si grand ornement à la Compagnie; ces paroles obligeantes qu'elle a ouies de votre bouche, cet agréable épanouissement de cœur et de visage que vous lui faites paroître, marquent bien que vous avez regardé l'occasion présente comme la matière d'une'nouvelle joie qui vous étoit offerte, et que vous avez voulu ajouter le nom d'académicien aux titres sublimes d'orateur chrétien, d'évêque et de précepteur de monseigneur le Dauphin.
Vous ne nous surprenez point, Monsieur, par cette pensée, qui ne fait que confirmer ce que la voix de la renommée avoit déjà publié de votre mérite. Vous justifiez par là votre bonne fortune; et cet amour déclaré des bonnes lettres fait connoitre évidemment une des causes de votre prospérité auprès d'un Roi si éclairé, et qui se plaît à distribuer les plus grandes récompenses aux plus vertueux. Il n'est pas malaisé de croire qu'un homme qui a, paru avec autant d'éclat que vous avez fait, Monsieur, ait de la doctrine et de l'éloquence il n'est pas malaisé de croire qu'avec ces talens, il s'élève aux premières places. Mais qu'après avoir acquis tant de réputation et de dignité, il se fasse encore un honneur d'entrer dans nos exercices académiques, c'est ce qu'il n'est pas aisé de croire, parce que peu de gens sont capables de ces généreux sentimens et de cette noblesse d'amc.
Il en faut assurément beaucoup; il faut beaucoup d'élévation d'esprit, et en même temps un grand discernement pour envisager la beauté de l'étude sous le dais et dans les balustres. Il règne, parmi le
grand monde, je ne sais quelle contagion de faste et d'orgueil qui combat étrangement la simplicité de la philosophie; et quiconque peut conserver dans son cœur l'estime qu'on en doit faire, parmi tant d'objets qui semblent en inspirer le mépris, peut s'assurer qu'il est au-dessus des opinions vulgaires, et que sa raison est victorieuse de l'erreur.
C'est sans doute la connoissance de la vérité et l'amour du bien qui mettent de la distinction entre les hommes. La Cour a son peuple aussi bien que la ville; la pourpre couvre quelquefois des ames basses ou médiocres; et ce n'est point la splendeur de la naissance, ni la grandeur des emplois, ni l'abondance des richesses qui font les hommes extraordinaires. Tous ces avantages véritablement ne sont pas inutiles; mais ce ne sont pas ceux sur qui roule la félicité, ni d'où se tire la véritable louange. Le mérite personnel, ce mérite qui trouve en soi-même sa récompense, et qui n'en voit point au dehors de si élevée où il n'ait droit de prétendre, est quelque chose de plus excellent que les grandeurs et que le richesses; mais c'est un bien qui se trouve rarement, et si rarement qu'il semble que le ciel soit prodigue de tous les autres biens en comparaison de celui-ci, dont il est très-avare. Cela veut dire qu'il est plus aisé de faire une grande fortune que d'être un parfaitement honnête homme, parce que la fortune se peut présenter par mille voies différentes, au lieu que ce mérite personnel qui fait l'honnête homme, ne se peut acquérir ni se conserver qu'en cultivant son ame par les plus belles connoissances, et en faisant une profession continuelle de la vertu de sorte que celui qui prend ce soin de lui-même; qui au milieu des grandeurs en estime moins la possession que ce qui l'en rend digne qui en tout temps, en tout âge, en tout état s'efforce de se conserver par l'exercice ces excellentes habitudes qui s'évanouiroient peut-être par la négligence, dc même que les arts s'oublient faute de les pratiquer, doit être considéré comme un homme que le Ciel a libéralement et pleinement pourvu de cette qualité précieuse, de ce mérite si estimé et si rare. Je n'oserois, Monsieur, en votre présence, faire l'application de cette vérité sur votre personne; mais je suis trèsassuré que l'action que vous venez de faire ne sera point oubliée parmi vos éloges.
L'Eglise a toujours eu des prélats qui n'ont pas moins attiré de vénération sur eux par l'éminence de leur savoir que par la majesté de leur sacerdoce. Le grand saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Augustin, saint Ambroise, Synesius, évêque de Cyrène, le patriarche Photius, Eusèbe, l'ami de Pamphile, et mille autres ont été l'admiration de leur siècle; et l'obligation immortelle que les studieux ont aux ouvrages de ce dernier, fait que nous avons presque oublié son hérésie, ou que nous ne nous en souvenons que pour déplorer son mal-
heur. Vous marchez, Monsieur, sur les pas de ces illustres évèques de l'antiquité; et pour vous trouver des vestiges plus frais, vous marchez sur les pas de l'incomparable cardinal de Richelieu, notre premier protecteur, qui nous a assemblés, qui nous a obtenu les premières graces royales; et qui nous auroit laissé un regret éternel de sa perte, s'il n'avoit eu pour successeur monseigneur le chancelier, qui par sa constante affection envers l'Académie, l'a maintenue, l'a agrandie, l'a honorée. Vous marchez sur les pas du cardinal du Perron, dcs Bembes, des Sadolets, des Bentivoles, et des autres ornemens du sacré Collége, qui ont cru qu'il ne leur étoit pasmoins glorieux de se parer de l'immortelle verdure des lauriers du Parnasse, que de se distinguer par l'éclat éblouissant de la pourpre romaine.
Que n'attendpoint de vous la Francc?Que n'attend-clle point de ces nobles mouvemens de votre ame, dans l'emploi où vous êtes auprès de ce jeune Prince qui fait aujourd'hui l'espérance de l'Etat, et qui doit un jour en faire la félicité? Tandis que son père, tout brillant de l'éclat de ses victoires et de ses vertus, visite ses frontières, assure ses conquêtes, affermit ses alliés et dissipe les nuages que l'envie ou l'injuste frayeur peuvent élever contre sa juste prospérité, c'est sur vous qu'il se repose de l'instruction de ce cher fils, et à qui il confie le soin de l'introduire dans les mystères des Muses, sans le secours desquelles on trouve quelque chose à dire dans la fortune des plus grands princes. Une fonction si importante, et qui vous rend si nécessaire auprès de sa personne sacrée, ne nous permet pas de croire que nous puissions souvent jouir de votre présence; mais elle ne nous défend pas d'espérer que nous serons souvent présens à votre mémoire, et quelquefois même à vos entretiens, et que vous inspirerez à ce jeune héros les bons sentimens qu'il doit avoir pour une Compagnie qui ne souhaite que sa gloire, et qui va bientôt s'employer à la répandre par toute la terre. J'oserois répondre, Monsieur, que vous en userez de la sorte. Monseigneur le Dauphin n'apprendra point que son illustre précepteur ait voulu entrer dans cette Compagnie, sans en concevoir en même temps une haute idée et vous ne rencontrerez point une si favorable disposition dans son esprit, sans en même temps l'appuyer et la fortifier. Le bonheur de l'Académie nous a donné votre estime; c'est à vous, Monsieur, à nous donner celle de monseigneur le Dauphin et ainsi il se trouvera que cette heureuse journée, en nous procurant un confrère aussi illustre que vous, nous aura procuré l'appui d'un Prince aussi puissant que votre royal disciple.
FIN DU DOUZIÈME VOLUME
(CIIÎQUEML DES SERMONS)
DES MATIÈRES CÛMENUES DANS LE DOUZIÈME VOLUME (ONQUIEMEDESSERMOKS).
PANÉGYRIQUES.
PANÉGYRIQUE DE SAINT ApvDRÉ, apôtre, SUR LA VOCATION A LA rOI. Magnifique dans sa structure, l'Eglise e^ le néant dans son fondement, par conséquent l'oeuvre d'une main toute-puissante. Sitôt que les apôtres ont jeté leurs filets par l'ordre de Jésus-Christ, la foule des peuples convertis se trouve prise. Appelés gratuitement par Jésus-Christ, nous devons porter sa croix après lui, en marchant sur ses traces, en imitant ses exemples et en nous"ïenonçant nous-mêmes tous les jours.. 1 PANÉGYRIQUE DE SAINT Jeax, apotke. – Le Sauveur a passé par trois états dan= les jours de sa chair par un état de vie, par un état de mort et par un état de vie et de moit dans la sainte Cène. Or il a montré dans ces trois états le plus grand amour pour saint Jean en sa vie il lui a donné sa croix, à sa mort il lui a donné sa Mère, à sa Cène il lui a donné son cœur 19 PANÉGYRIQUE DE SAINT Thomas DE C4ntorbûiy. Comme les martyrs de la foi ont, par le témoiïuage de leur sang, affermi la doctrine de l'Evangile, amené les persécuteurs sous le joug de ses préceptes et confirmé les fideles dans son empire ainsi le martyr de la discipline a, par sa mort, affermi l'autorité de l'Eglise, converti les cœurs indociles à ses lois disciplinaires et réveillé le zele de ceux qui sont préposés pour en être les défenseurs 37 PANÉGYRIQUE DE SAINT Sulpire. Saint Sulpice a commencé sa vie à la Cour, il l'a finie dans la solitude, le milieu en a été occupé dans les fonctions ecclésiastiques courtisan, il a vaincu le monde sans être pris de ses charmes; évfique, il en a détaché ses frères; solitaire/ il a désiré de finir ses jours dans une entière retraite. 57 PANÉGYRIQUE DE SAINT François DE SALES. Trois choses principalement distinguent saint François de Sales la science comme docteur et prédicateur, l'autorité comme évêque, la conduite comme directeur des ames. Sa science pleine d'onction attendrit les cœurs; sa modestie dans
TABLE
l'autorité enflamme les hommes à la vertu; sa douceur dans la direction les gagne à l'amour de Notre-Seigneur 70 PANÉGYRIQUE DE saint Pierre Nola^que. – Jésus-Christ a doDné aux hommes et à l'œuvre de la rédemption ses soins paternels, sa propre personne et ses disciples. De même Pierre Nolasque, fidèle imitateur du Sauveur des ames, touché comme lui des cruelles extrémités où sont réduits les captifs, leur a donné comme lui, premièrement tous ses soins, secondement toute sa personne, troisièmement tous ses disciples et l'ordre religieux qu'il a établi dans l'Eglise 88 • PREMIER PANÉGYRIQUE DE stiNT JOSEPH. Dieu confie à la foi de saint Joseph trois grands dépôts la sainte virginité de Marie, qu'il lui doit conserver entière sous le voile sacré du mariage; la personne de Jésus-Christ, afin qu'il serve de père.à ce saint Enfant qui n'en peut avoir sur la terre enfin le secret le plus divin des conseils éternels, le mystère de l'Incarnation qui devoit rester caché jusqu'au temps prescrit. Pour garder la virginité de. Marie, Joseph offre à Dieu une pureté angélique qui i épond en quelque sorte à la pureté de sa cliaste Epouse pour conserver le Sauveur Jesus parmi tant de persécutions qui l'attaquent des son enfance, il garde une fidélité inviolable qui ne peut êtie ébranlée par aucun péril; enfin pour conserver le secret qui lui a élé confié, il a une humilité admirable, qui appréhende les yeux des hommes et ne veut pas se montrer au monde 106 SECOND PANÉGYRIQUE DE saint Joseph. – La simplicité, Je détachement, l'amour de la vie cachée sont les trois vertus du juste Joseph. Car pour être selon le cœur de Dieu, il faut chercher en simplicité celui clin ne souffre pas les voies détournées; pour trouver Dieu, il faut se détacher de toutes choses et ne se donner qu'à celui qui veut être lui seul tout notre bien; pour jouir de Dieu, Il faut se cacher et se retirer dans le sein de celui qui ne se communique point parmi le trouble et l'agitation du monde. Ainsi Joseph, homme simple, a cherché Dieu; Joseph, homme détaché, a trouvé Dieu; Joseph, homme retiré, a joui de Dieu. 135 PANÉGYRIQUE DE SAINT Benoit. Dans ce pèlerinage où nous devons marcher sam repos, nous nous arrêtons, ou au-dessous de nous-mêmes dans le plaisir des sens, ou en nous-mêmes dans 11 satisfaction de notre esprit propre, ou au-dessus de nous-mêmes dans IL vue de notre perfection. I/Oraelî dit à l'ame Sors, sors de ces trois états. Aussi voyonsnous saint Benoit dans une continuelle sortie de lui-même ponr se perdre saintement en Dieu il sort des plaisirs des sens par la mortification et la pénitence, de la satisfaction de l'esprit par l'amour de la discipline et de la régularité monastique, enfin de la vue de sa propre perfection par une parfaite humilité et uu ardent désir de cloître dans la vertu. 154 PREMIER PANKGYR1QUK dc sunt Fa\Nrois de Pacle. – La charité de Dieu nous presse selon le grand Apôtie; c'Cot- à-dire d'une paît elle nous incite contre nous pour détruire les convoitises de la chair, d'une autre part rllé nous poiuse hors de nous pour unir notre cœur à Dieu Voilà la vie de l'incomparable François de l'aulc; il est toujours en guerre et toujours en paix toujours en guerre contre lui-même par les austérités de la pénitence, toujours en paix avec Dieu par les embrasemens de la ehaiitê; il détruit sa chair par la inortiiiCiitiou chrétienne, il l'offie e et la consacre par le divin amour 16G
SECOND PANÉGYRIQUE DE saint François DE PAULE L'intégrité baptismale a donné trois avantages a François de Paule. Nous commençons dans le saint baptême à être avec Jésus-Christ sur la croix, paice que nous y renonçons au monde saint François a rompu avec lui dès son enfance par une vie péiiitenle et mortifiée. Nous commençons dans le saint baptême à nous unir à Dieu par la charité il u'a jamais cessé d'avancer dans cette bienheureuse eommuuication. Nous acquérons dans le saint baptême un droit paiticulier sur les biens de Dieu il a tellement conservé et même augmenté ce droit, qu'on l'a vu maître de lui-même et de toutes choses par une puissance miraculeuse. 192 PANÉGYRIQUE DE L'APOTRE SAINT Pierhe. Trois sortes d'amour dans saint Pierre pour Jésus-Christ premièrement amour imparfait et foible par le mélange des sentim ns de la chair; secondement amour épuré et fortifié par les larmes de la pénitence; troisièmement amour consommé et perfectionné par la gloire du martyre. 21 i S PANÉGYRIQUE DE L'APOTRE saim Paul. – Ses foiblesses toules-puissanles Puisque, d'une part, 1 Eglise s'établit par l'enseignpment, s'affermit par la lutte et se maintient par le bon ordre; puibque, J une autre part, saint Paul fut choisi dans les conseils éternels pour foi mer 1 Cglue des peuples infidèles, il doit se distinguer par les trois fonctions de l'apostolat, par la prédication, par le combat et par le gouvernement ecclésiastique. 11 n'a que foiblesse pour remplir cette tiiple mission; mais, se sentant le ministre du Dieu tout- puissant, il trouve une force invincible dans son infirmité il ci oit que ses prédications persuadelont, paice qu'elles n'ont point de force pour persuader; il croit qu'il triomphera dans tous les combats, parce qu'il n'a point d'armes pour se défendre; il croit qu'il pourra tout sur ses frères dans l'ordre du gouvernement ecclésiastique, parce qu'il s'abaissera a leurs pied, et se rendra l'esclave de tous par la servitude de la chanté 224 Pnicis d'un PAN&GiniQUE DE SAINT PAUL. Saint l'uul a aimé la vérité de Jésus, il a aimé sa croix, il a aimé 1 Eglise 248 8 PANÉGYRIQUE DE SAINT VICTOR. La gloire du martyre. Trois choses relèvent la gloire du martyre la cause, le fruit, la perfection la cause, c'est le mépris des idoles; le fruit, c'est la conversion des peuples; l,i perfection, c'est la mort subie volontairement Ainsi saint Yietor renverse les idoles qu'on lui commande d'adorer; il convertit ses gardes et conduit une milice sainte à Jésus-Christ; il subit un affieut suppl.ee et donne jusqu'à la dernière goutte de son sang. 251 Pkiîcis d'un panlgyrque POUR LA FÊTE DE SAINT JACQUES. L'ambition des apôties réprimée, leur ignorance instruite, leur fidélité prophétisée. 275 PANÉGYRIQUE DE SA'NT Bernard. – La science de la croix. Puisque le Dieu fait homme a toujours agi selon la sages.se éternelle, et qne la passion résume en quelque sorte toutes ses actions, il s'ensuit que la science de la croix est toute la science du chrétien. Aussi la croix a-t-elle été d'abord l'alphahet, puis le livre de saint Bernard; il l'a étudiée dans sa cellule, et prêchée devant les peuples; il en afait la règle de sa vie pmée, et le fondement de sa vie apostolique 279 PREMIER PANÉGYRIQUE DE SAINT Gorgox. – Le monde vaincu. Saint Gorgon a vaincu le monde, foulant aux pieds ses faveurs, ses attraits, ses promesses, ses menaces, ses teireurs et ses supplices. Que son sang versé
pour Dieu réchauffe le nôtre; animons-nous de la même foi, couvrons-* nous des mêmes armes et nous jetons dans la mêlée; nous devons remporter la même victoire. 306 SECOND PANÉGYRIQUE DE saint Gorgon. – Le monde vaincu. Le monde a deux liens pour attacher les âmes, l'amour et la crainte; il s'efforce de se faire aimer par des appas séducteurs, ou de se faire craindre par l'appareil des supplices. Saint Gorgon a rompu ces deux chaînes il ne s'est laissé, ni gagner par les promesses, ni abattre par les. menaces; il a foulé aux pieds les faveurs du monde, et bravé les plus horribles tourmeps 316 PANÉGYRIQUE POUR LA FÊTE DES ANGES GARDIENS. Leur double fonction. Les esprits célestes sont les anges de Dieu et les anges des hommes les anges de Dieu, parce qu'il nous les envoie pour nous assister; les anges des hommes, parce que nous les lui renvoyons pour l'apaiser ils viennent à nous chargés de ses dons, ils retournent chargés de nos vœux ils descendent pour nous conduire, ils remontent pour porter à Dieu nos désirs et nos bonnes œuvres Ascendentes et descendenies. 331 PANÉGYRIQUE DE saint François D'ASSISE. Insensé selon le monde, sage selon l'Evangile. Taudis que les hommes du monde cherchent la richesse dans les biens de la fortune, le bonheur dans les plaisirs sensuels et l'honneur dans l'élévation, saint François d'Assise établit ses richesses sur la pauvreté, ses délices sur les souffrances et sa gloire sur la bassesse. 353 EXORDE POUR UN panegyrique DE SAINT Fhançois D'ASSISE. Possédé de la folie de l'Evangile, non-seulement saint François néglige les biens, mais il est avide de les perdre; non-seulement il méprise les opprobres, mais il ambitionne d'en être couvert; non-seulement il s'expose aux périls, mais il les recherche et les poursuit. 379 PANÉGYRIQUE DE sainte TmLitÈSE. – La vie du ciel sur la terre. L'ame entraînée par la charité, a trois moyens pour s'élever vers Dieu elle a premièrement l'espérance; elle a deuxièmement d'ardens désirs; elle a troisièmement l'amour des souffrances. Ainsi sainte Thérèse, embrasée du saint amour, cherche Dieu par son espérance c'est son premier pas; si l'espérance est trop lente, elle s'élance vers le ciel par des désirs impétueux c'est son deuxième mouvement; comme ces désirs ne peuvent soulever la masse du corps, elle en brise les liens par de longues morti- fications et par des souffrances continuelles voilà son dernier effort.. 382 SECONDE ALLOCUTION POUR LE paniLg\rique DE SAINTE Thérèse 405 PANÉGYRIQUE DE SAINTE Catherine. La science et son légitime usage. Trois sortes d'hommes abusent de la science les uns veulent savoir, seulement pour savoir; les autres, pour obtenir de la gloire; d'autres encore, pour amasser des richesses aux premiers, la science est uu spectacle qui repait la curiosité; aux deuxièmes, une montre qui satisfait l'orgueil; aux troisièmes, un trafic qui contente l'avarice. Sainte Catherine nous apprend l'usage que nous devons faire du plus beau don du Ciel elle a coulemple la lumière de la science, nou pour contenter son esprit, mais pour diriger ses affections; elle l'a répandue au milieu des philosophes et des grands du monde, non pour établir sa réputation, mais pour faire triompher 1 Evangile; enfin elle l'a fait profiter et l'a mise dans le com-
1
merce, non pour acquérir des b' mporels, mais pour gagner des âmes à Jésu;-Christ 40G ShCONDE PÉRORAISON POUR LE PA? JUE DE SAINTE CATHERINE. 428 ORAI? /FUNÈBRES.
ORAISON FU~NÈBRE DE Ily t E-~IARIE DE FRANCE, REINE DE LA
ORAISON FUNÈBRE DE HP ,£-MA»lE DE FRANCE, REINE DE LA Grande-Bretagne. – Diel lit les princes en leur donnant et en leur ôtant la puissance, et' de d'Angleterre a entendu deux leçons si contraires elle a usé cr nement de la bonne et de la mauvaise fortune tant qu'elle a é reuse, elle a fait sentir son pouvoir au monde par des bontés ir quand la fortune l'eut abandonnée, elle s'enrichit plus que jamai .lême de vertus. 432 ORAISON FUNÈBRE DEI ETTE-_1NVE D'AVGLETERRE, DUCHESSE D'OR- ORAISON FUNÈBRE de' étte-Anne d'Angleterre, DUCHESSE d'Or- léans. – La fin de He /nous montre le néant et la grandeur de l'homme voyons ce J mort soudaine lui a ravi; voyons ce qu'une sainte mort lui a dom Asi nous apprendrons à mépriser ce qu'elle a quitté sans peine, afin lier toute notre estime à ce qu'elle a embrassé avec tant d'ardeur. 467 7 ORAISON FUNÈBRF arie-Tiiéulse d'Autriche, INFANTE D'ESPAGNE, REINE de France NAVARRE. Dieu a manifesté sa miséricorde dans cette princes a élevée au faite des grandeurs humaines, pour rendre sa vertu p' atante et plus belle son siècle ne pouvoit recevoir une instruct js parfaite, parce qu'il ne voyoit nulle part dans une si haute élé' une pareille pureté il n'y a rien que d'auguste dans sa personr >'y a rieu que de pur dans sa vie. 499 ORAISON FUNÉ1 )E Anne Gonzague DE CLÈVES, PRINCESSE PALATINE. Erreurs de princesse d'où la main de Dieu l'a tirée; sa pénitence où la(i 1 e Dieu l'a élevée. Craindre la justice, qui nous abandonne à nou ies; désirer la miséricorde, qui nous arrache à notre corruption. 53i ORAISON ¥\ tE DE MlCIIEL LE TELLIER, CHEVALIER, CHANCELIER DE FRANCE. 3 caractères dans sa vie, la modestie, le désintéressement et l'amouT .el il a fait céder à la simplicité l'éclat ambitieux des grandeur aines, l'intérêt particulier à l'amour du bien public, et la vie mêm Jésir des biens célestes 568 1
ORAISON iBRE DE LOUIS DE Bocreon, PRINCE DE CONDÉ, premier PRINCE iNG. – Dieu mit dans ce prince, pour sauver la France, toutes' alités qui font les héros et portent la gloire du monde jusqu'au comb' qualités du cœur valeur, magnanimité, bonté naturelle; les quali l'esprit vivacité, pénétration, grandeur et sublimité de génie. 603 ORAIf UNÈBRE DU Révérend PÈRE BOURGOING, SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DE /NGRégation DE L'ORATOIRE. Le P. Bourgoing fut, non-seuler >rêtre', mais chef par son mérite d'une Congrégation de saints pr il est « digne véritablement d'un double honneur, » selon la 17 de l'Apôtre, et pour avoir vécu saintement en l'esprit du sacer( «t pour avoir élevé dans le même esprit la sainte Congrégation qui ;omnaise à ses soins CIO
ORAISON FUNÈBRE DE ÎIessire NICOLAS Cornet. – Trésor public et trésor caché, ce grand homme éclaira l'Eglise par ses vertus, mais il voulut ne lui faire connoitre que sa soumission; il fut plein du plus brillant mérite, mais il le cacha sous le voile de l'humilité. 661 ORAISON FUNÈBRE DE Madame YOLANDE DE Montehby. -Cette glorieuse fille de Saint-Bernard s'est séparée du temps qui passe, pour s'attacher à l'éternité qui demeure; c'est ainsi qu'elle a trompé et vaincu la mort. 682 ORAISON FUNÈBRE DE Messire HENRI DE GORNAY. Sa naissance sa vie et sa mort. La grandeur de sa naissance n'a point diminué la modestie de son esprit; la gloire de sa vie n'a point corrompu son innocence et ses regards ont été tellement fixés sur la mort, qu'elle n'a pu le surprendre, même en le frappant tout à coup. 689 FIN DES ORAISONS FUNÈBRES.
DISCOURS .DE RÉCEPTION A L'ACADEMIE FRANÇOISE 700 RÉPONSE DE M. CHARPENTIER AU DISCOURS DE BOSSUET. 706
FIN DE LA TABLE DU DOUZIÈME VOLUME (CIHQlinSHE ET DERNIER DES SERMONS).
ON TROUVE A LA MÊME LIBRAIRIE
OEUVRES
DE
S. THOMAS D'AQUIN TEXTE LATIN ET FRANÇAIS
34 beaux volumes in-80.
Monseigneur l'Evéque de Quimper résume ainsi le jugement public qu'il a porté sur le premier volume de la Somme théologique: « M. Lachat a fait un double travail il a traduit et commenté saint Thomas. Dans la première partie de sa tâche il justifie les éloges que lui a valus la traduction de la Symbolique, ouvrage qui obtient un si légitime succès. On retrouve dans la traduction de saint Thomas cette lucidité qui,rcnd les idées transparentes, cette élégante simplicité qui exprime facilement des choses difficiles à dire; on est tout étonné de lire la Somme comme on lirait un bon ouvrage écrit de nos jours avec un goût pur et sans termes inusités. Le traducteur arrive partout à ce beau résultat1, et cela sans répudier aucune des formules que notre ignorance regarde comme étranges dans les scolastiques; il dit que tous les mots latins employés par saint Thomas trouvent leurs correspondants français dans le Dictionnaire de l'Académie, et il le prouve admirablement. Pour la seconde partie de son travail, s'il était moins éloigné de toute prétention dans son style, nous lui reprocherions trop de savoir; ses notes sur les principes des choses, la formation des êtres, les lois physiques, montrent qu'il connaît les sciences naturelles aussi bien que les sciences philosophiques et théologiques et l'on voit par ses observations sur l'Ecriture sainte, sur les noms de Dieu, sur les origines des mots, qu'il sait les langues bibliques comme les langues européennes. » (L'Univers, 10 février 1855). Un homme qui a profondément étudié saint Thomas, dont les lecteurs de l'Univers connaissent le rare savoir et le brillant talent, a rendu compte du deuxième et du troisième volume. Après avoir rapporté les paroles qu'on vient le lire, de Monseigneur l'Evèque de Quimper, M. le vicomte de Maumigny ajoute
« Que pouvons-nous ajouter, sans les affaiblir, à des paroles si flatteuses et sorties d'une plume si autorisée? Tout ce que nous devons dire, c'est que le deuxième et le troisième volume méritent les mêmes éloges que le premier même soin dans la traduction, même richesse dans les notes, qui ont pour but tantôt d'éclaircir le texte, tantôt d'expliquer des termes peu en usage maintenant et dont il est si nécessaire
d'entendre le sens, tantôt de citer des textes qui ne sont qu'indiqués par le saint docteur.» [l'Univers, 4 juillet 1836.)
Les journaux de province se sont aussi occupés de la Somme théologique. Un de ces journaux, qui se distingue autant par la pureté de ses principes que par l'habileté de sa rédaction, dit
« 11 y a quelques mois, nous avons annoncé la publication de cette importante traduction. Nous en avons fait comprendre l'importance et l'utilité. Le premier volume avait seulement paru. 11 était facile déjà de juger des qualités du traducteur, de sa science, de son érudition, par les notes qui s'y trouvent jointes, de la flexibilité de son talent propre à rendre d'une manière claire et juste les passages les plus difficiles de saint Thomas. Le second volume vient de paraître il donne une nouvelle preuve que nos éloges étaient mérités, et il justifie nos observations et nos remarques; il nous semble même supérieur au premier par la netteté, la fidélité et l'élégance de la traduction et par les notes dont il est enrichi. M. Louis Vivès n'enrichit pas seulement sa librairie d'un ouvrage de premier ordre, par la publication de la Somme de saint Thomas en latin et en français; mais il fait une œuvre éminemment utile à la bonne cause, à la vérité, et par conséquent à l'Eglise. » (Caion Franc-comtoise, 18 janvier 185G. ) HISTOIRE GÉNÉRALE
DES •
AUTEURS SACRÉS ET ECCLÉSIASTIQUES
Q.. ~ercT.PFr
LEUR ME, LE CATALOGUE, LA CRITIQUE, LE JUGEMENT, LA CIIRO1OLOGIE, L'ANALYSE ET LE EkNOMBREMEtST DE DIFFERENTES EDITIONS DE LFURS OUVRAGES;
CE QU'ILS HFIfrERVEKT DE PLUS IftTERRSSl>T
sur le dogme, sur la morale et sur la discipline de l'Eglue, l'iiisloire des eonelles tant générant qne particuliers, et lei acte: choisis des Marljre,
PAR LE R. P. Dom Rejit CEILLIER.
NOUVELLE ÉDITION
5uigneu"eu.nt eavve, t nugmavtée pvr uv Dleeclevr de 9~mivulna, avec la colhbmaUon de deu^ sivanls professeurs de St Sulpicc.
15 vol. in-4". Prix 150 francs.
L'idée de renfermer en un seul corps d'ouvrage l'ensemble de la tradition catholique, à partir des Ecrivains sacrés jusqu'au dernier Concile général de Trente, qui couronne magnifiquement l'œuvre des siècles et résume danf une formule immuable la Révélation divine,
DES
est une desplus grandes conceptions du siècle de Louis XIV. On sait avec quelle joie Bossuet accueillit le programme d'une pareille œuvre, et avec quelle douleur il vit plus tard s'évanouir ses espérances, quand le trop fameux docteur de Sorbonne, Ellies Dupin, qui avait entrepris cet immense travail, sembla vouloir empoisonner les sources mêmes de la tradition, et faire de sa Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques en 58 vol. in-80, l'arsenal de toutes les hérésies et de toutes les erreurs. L'Evêque de Meaux n'hésita point il adressa au chancelier de France, et à Mgr. de Harlai, archevêque de Paris, un de ces mémoires où l'érudition le dispute à l'éloquence, et où la doctrine de l'Eglise apparaît dans son radieux éclat, dégagée des perfides insinuations et des critiques calomnieuses de Dupin. Le parlement de Paris s'émut à cette voix que la France et l'Europe admiraient. La Bibliothèque des auteur. eccléstastiques fut supprimée par un arrêt solennel. Son auteur était convaincu d'avoir cherché « a affaiblir la piété des fidèles, en diminuant de la vénération due à la sainte Vierge de favoriser le nestorianisme, d'd'€r aux preuves de la primauté du Saint-Siège une partie de leur force; d'attribuer aux saints Pères des erreurs sur l'immortalité de l'âme, et de parler d'eux avec trop peu de respect, » etc. Ce sont les termes mêmes de l'arrêt du Parlement de Paris. Ellies Dupin mourut en 1719, laissant une mémoire flétrie, et une œuvre dont les ennemis de l'Eglise purent seuls se réjouir. Dix ans plus tard, l'idée qu'il avait si malheureusement travestie fut reprise par le savant Bénédictin Dom Remy Ceilher, prieur de Flavigny et en 1729 le premier volume de l'Htttoire generale des auteurs sacres et ecclésiastiques fut publié aux applaudissements du monde catholique. Les 22 suivants parurent sans interruption jusqu'en 1763, date de la mort de Dom Ceillier. Cette longue période du xvme siècle, remplie par les succès éphémères du philosophisme et le retentissement de tant de voix hostiles à l'Eglise, s'écoula pour l'illustre Bénédictin dans l'étude de la science ecclésiastique; et son livre, véritable monument, survécut au triomphe de l'incrédulité, pour attester à notre âge la grandeur, la majesté, la divinité de l'Eglise. V Histoire génerale des auteurs sacrés et ecclésiastiques est pour le Clergé ce qu'est pour les littérateurs l'Histoire httéraire de la France. Tout ce qui, de près ou de loin, intéresse le dogme, la morale, la liturgie, l'histoire, le droit canonique, se trouve dans cette couvre d'érudition immense et de gigantesque labeur. Pas un traité des Pères de l'Eglise qui ne soit analysé avec une telle exactitude et une telle sûreté de doctrine qu'on a pu dire que « les analyses de Dom Ceillier peuvent en quelque sorte suppléer à la lecture des ouvrages eux-mêmes. » Pas un des livres canoniques de l'Ancien et du Nouveau Testament dont l'intégrité, l'authenticité, l'inspiration divine ne soient victorieusement démontrées. Tous les livres apocryphes sont analysés avec le même soin, étudiés dans leurs tendances générales, et rapprochés par le savant
Bénédictin des époques et des auteurs auxquels ils doivent être attribués. La réputation de Dom Ceillier grandira sans doute à mesure que son magnifique ouvrage sera plus généralement connu; cependant il n'eut point, durant sa vie, à regretter les suffrages de la postérité. Ceux qui lui furent adressés venaient de trop haut pour qu'ils pussent jamais être dépassés; et quand, dans sa modeste cellule, le Prieur de Flavigny reçut de Benoît XIV, ce Pontife d'immortelle mémoire, deux brefs de félicitation pourson Histoire des auteurs sacrés, il dut entendre, dans cette haute approbation, celle de tous les siècles à venir. Il dut prévoir l'immense succès réservé à son ouvrage qui, sans la tourmente révolutionnaire, aurait déjà été réimprimé plusieurs fois et serait maintenant dans toutes les bibliothèques ecclésiastiques.
De nos jours, où l'on revient à l'étude des saints Pères, l'Histoire générale des auteurs sacres est devenue nécessaire, indispensable au Clergé. Nous avons donc répondu à un véritable besoin de notre époque en donnant une nouvelle édition de l'ouvrage de Dom Ceillier, augmenté de tout ce que la science moderne et les récentes découvertes du cardinal Mai ont ajouté à la collection des Pères et des auteurs ecclésiastiques.
GRAND CATÉCHISME
ou
EXPOSITION SOMMAIRE DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE APPUYÉE SUR LES TÉMOIGNAGES DE L'ÉCRITURE ET DES PÈRES PAR LIS ». P. C1SISILS,
de la Compagnie de Jésus.
OUTRAGE TRADUIT ET AMOTÉ PAR L'ABBÉ PELTIER
Traducteur de la Itègle de Foi du P. Perrone.
RENFERMANT LE TEXTE LATIN
DEUXIÈME ÉDITION
AUGMENTÉE D'UNE TABLE GÉJNÊRALE DES MATIÈRES ET D'UNE THÉORIE DE LA FOI. 7 volumes in-8°. Prix 35 francs.
Ce livre est du petit nombre de ceux qui portent avec eux-mêmes leur recommandation. Les éditions latines qui existent de cet ouvrage, sont innombrables. Il y en a eu 400 en moins d'un siècle. Pour donner une idée du mérite et de l'importance de cet ouvrage il nous suffira de dire qu'il est à la Doctrine ce qu'est aux Evangiles la Chaîne d'Or de saint Thomas c'est également un enchaînement continuel de l'Ecriture et des Pères.
Besançon. – Imprimerie d'Outhemn-Chalandre fils.
~–––––––~ r BIBLE NOUVEAU COMMENTAIRE LITTÉRAL, CRITIQUE ET THÉOLOGIQUE AVEC RAPPORT AUX TEXTES PRIMITIFS
SUR TOUS LES LIVRES DES DIVINES ÉCRITURES
PAR M. LE Dr J.-F. D'ALLIOLI,
Prévôt de la cathédrale d'Augsbourjj, ancien dcjen de la faculté de Théologie, ancien professeur de langues orientales à l'Université de Munich, etc.,
AVEC L'APPROBATION DU SAINT-SIÉGE
ET LES RECOMMANDATIONS DES HR. ET ILL. ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES D'ALLEMAGNE. TRADUIT DE L'ALLEMAND EN FRANÇAIS SUR LA SIXIÈME ÉDITION
PAR L'ABBÉ GIMARET
Chanoine d'Autun, ancien professeur de Dogme, d Ecriture sainte, etc.
TRADUCTION AVEC LE TEXTE LATIN E"i REGARD, REVUE ET APPROUVEE PAR L'AUTEUR, avec l'approbation de Mgr Villecourt, chèque de la Rochelle et de Saintes.
TROISIÈME ÈDITION
augmentée de notes considérables et approuvée par Monseigneur l'éùpe d'Autun de Cbâton et de Hàcon. 8 VOLUMES IN-8°. – PRIX NET 35 FRANCS.
Rerêtu de l'approbation du Samt-Siégô, le COMMENTAIRE du Dr d'Allioli devait recevoir en France comme en Allemagne, le plus favorable accueil. Aussi deux éditions se sont-elles écoulées en peu d'années.
La clarté et la solidité des notes faisaient toutefois regretter qu'elles ne fussent pas plus nombreuses et plus étendues pour les livres de l'Ancien Testament, surtout pour les livres historiques. Le besoin de ces notes se faisait d'autant plus sentir en France que nous possédons moins de traités élémentaires sur cette partie de l'Ecriture que nos voisins d Outre-Rhin. Cette lacune a été heureusement comblee par M. l'abbé Gimarey. Un savant ecclésiastique qui a professé avec succès pendant dix-huit ans l'enseiguemeat de l'Ecriture sainte, M. l'abbé Péronne, actuellement curé-doyen apprécie ainsi dans LE MONDE (25 octobre 1861) notre nouvelle édition a Le commentaire du D* d'Allioli, ainsi augmenté et complété, nous paraît appelé à prendre place dans toutes les bibliothèques ecclésiastiques.» Disons le hautement, ce commentaire laisse loin derrière lui la BIBLE dite de Menochius ET DE Carrières C'est comme le Codex, juris divimi, qu'il faut toujours avoir sous la main, soit pour trouver le sens exact et fidèle d'un texte ou d'une citation sort pour éclairer sur-le-champ et sans travail nne de ces mille difficultés que le texte incompris des Ecritures soulève à chaque page. Ce ne sont point ici des dissertations qui effrayent par leur étendue le commun des lecteurs. Ce sont des traits de lumière, c'est-à-dire des réponses nettes, précises, logiquement coordonnées et dont chacune renferme de plus des principes de solutions pour les questions les *>lus difficiles à résoudre, d
Malgré toutes les augmentations qui portent à un tiers de plus les notes répandues dans -tte nouvelle édition pour nous conformer aux intentions qui nous ont été exprimées par plusieurs directeurs de grands séminaires, nous avons réduit de plus d'un tiers le prix de l'ouvrage, afin d'en faciliter l'acquisition aux élevés du sanctuaire.
Plusieurs éyêques français ont approuvé la traduntion de M. l'abbé Gimaray. Mgr l'érêque d'Autun a fait examiner et approuver les notes ajoutées à cette troisième édition. Nous rapportons ici l'approbation de Mgr Villecourt pour la traduction.
Nous soussigné, évoque de La Rochelle et de Saintes, après avoir examiné avec attention les Commentaires du docteur d'Allwlt sur l'Ancien et le Nouveau Testantent, traduit en français par M. l'abbé Gimarey, croyons pouvoir attester qu'il n'a rien été publie jusqu'ici dans notre langue, et sur la Bible entière, d'aussi pur en fait d'orthodoxie, d'aussi savant et d'aussi complet dans son ensemble. Les commentaires sur la sainte Ecriture n'ont pas manqué en France il y en a eu même beaucoup trop, si l'on considère l'esprit de secte qui animait la plupart des interprètes de nos Livres saints car sans parler du Nouveau Testament de Mons, fletra si justement par le Samt-Siége, ni des Réflexions morales sur le nouveau Testament par le P. Quesnel, lesquelles, à chaque page, sont infectées du venin de l'erreur et dignes de tous les anathomes dont elles ont été frappées, il n'est que trop certain qu'on ne pouvait lire qu'avec précaution et défiance la Traduction de la Bible, par Sacy, et les éclaircissements qu Il y a joints, et dans lesquels les autorités des docteurs de l'Eglise sont phées et accommodées aux sentiments particuliers du traducteur. On peut dire la même chose, à plus forte raison des observations souvent fanatiques de Mésenguy, et même du travail d'ailleurs remarquable du P. Mauduit, ou, parmi une infinité de choses savantes et d'un grand intérêt, se rencontrent parfois des opinions peu sûres. Le docteur d'AIlLoli a su éviter tous ces ôoueils. BESANÇON.– IMPRIMERIE D'OUTHENIN CHÀLANDRE FILS.