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Titre : La paix d'Aix-la-Chapelle / par le duc de Broglie,...

Auteur : Broglie, Albert de (1821-1901). Auteur du texte

Éditeur : C. Lévy (Paris)

Date d'édition : 1892

Sujet : Traité d'Aix-la-Chapelle. 1748)

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb301645662

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 1 vol. (346 p.) ; in-8

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Description : Contient une table des matières

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k365201

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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PAIX D'AIX-LA-CHAPELLE

LA


CALMANN LÉVY, ÉDITEUR

DU MEME AUTEUR

Formatin-8.

FRÉDÉRIC 11 ET LOUIS XV. 2vo). FRÉDÉRIC' II ET MARIE-THÉRÈSE. 2 HISTOIRE ET DIPLOMATIE. j MARIE-THERESE IMPERATRICE. 2 QUESTIONS DE RELIGION ET D'HISTOIRE. 2 LE SECRET DU Roi, correspondance secrète de Louis XV avec ses agents diplomatiques. 2 MAURICE DE SAXE ET LE MARQUIS n'AKGENSON.. 3 Format in-18.

LA DIPLOMATIE ET LE DROIT NOUVEAU. 1 VO). FRÉDÉRIC II ET LOUIS XV. 2 FRÉDÉRIC II ET MARIE-THÉRÈSE. 2 MARIE-THÉRÈSE IMPÉRATRICE. 2 QUESTIONS DE RELIGION ET D'HISTOIRE. 2 LE SECRET DU R~ 2

Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.


D'AIX-LA-CHAPELLE

LA PAIX

PAR

LE DUC DE BROGLIE

DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

PARIS

CALMANN LÉVY, ÉDITEUR

ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES 3, RUE AUBER, 3

1892


Droits de traduction et de reproduction réserves pour tous les pays, ycompris la Suéde etIaNorvege.


LA PAIX

D'AIX-LA-CHAPELLE

(1748)

CHAPITRE PREMIER

LES PRÉLIMINAIRES DU CONGRÈS

Annonce du congrès au Parlement d'Angleterre. Les puissances ne continuent pas moins les préparatifs militaires. Maurice de Saxe est accusé de vouloir la continuation de la guerre. II est nommé administrateur des Pays-Bas. Le duc de Richelieu reçoit le commandement de Gênes, vacant par la mort du duc de Boufflers. Marie-Thérèse presse l'arrivée des auxiliaires russes en Flandre. Frédéric refuse de mettre opposition à leur passage à travers l'Allemagne. Entrée des Russes en Pologne. Le gouvernement français n'appuie pas les seigneurs polonais qui voudraient y mettre obstacle. Arrestation de l'agent français La Salle à.Dantzick. Changement subit des dispositions du cabinet anglais, par suite du refus des Hollandais de payé leur part dans les frais de transport du corps d'armée russe. Des propositions de paix sont faites par le ministre anglais à la France. Marie-Thérèse qui craint de se laisser devancer, en fait également de son côté. Projet de 'traite remis en son nom par )e ministre de Saxe, le comte de Loos. Puisieutx ne prend pas parti entre les deux propositions. Le comte de Saint-Severin d'Aragon est nommé plénipotentiaire au congrès et part pour Aix-ta-Chapette.

1

Le 10 novembre 1747, le roi d'Angleterre, en ouvrant son Parlement, annonça avec solennité

<


qu'un congrès allait prochainement se réunir à Aix-la-Chapelle, et que les plénipotentiaires de toutes les puissances engagées depuis sept années déjà dans la guerre s'y rencontreraient pour traiter des conditions de la paix. Il faisait savoir en même temps qu'il avait reçu de la France,' dans le cours de l'été, des propositions qui avaient été jugées inacceptables. II était donc toujours nécessaire, ajoutait-il, pour obtenir la paix désirée, de continuer et même d'accroître les armements et il demandait, en conséquence, à ses fidèles communes des subsides qui le mettraient en mesure d'y pourvoir. Et comme il avait à s'applaudir d'un nouveau succès de la marine britannique et de la capture de sept vaisseaux de ligne qui achevait l'écrasement des forces navales de la France, il obtint presque sans discussion d'une majorité inquiète, mais docile, les largesses qu'il réclamait ce n'étaient pas moins que sept à huit millions de livres sterling, somme à peine suffisante, tant pour le payement de ses propres troupes que pour la subvention annuelle fournie à l'Autriche et les frais de transport des auxiliaires russes dont l'arrivée était attendue.

On ne pouvait assurément annoncer l'ouver-


ture d'un congrès pacifique dans un langage Q

plus belliqueux et qui attestât moins d'espé-

rance de le voir aboutir au résultat qu'on pré-

tendait poursuivre. La singularité, c'est que ce

découragement anticipé paraissait le fait de

toutes les puissances qui se préparaient à prendre

part à la réunion; aucune ne semblait fonder

sur le succès de négociations, tant de fois essayées

en vain, même une ombre de confiance. t Je

vous confesserai (écrivait Puisieulx à un officier

général chargé d'un commandement important)

à ce sujet, mais à vous seul, que je suis bien

éloigné de concevoir de grandes espérances de

cette démarche de la cour de Londres, où je

n'aperçois aucune disposition sincère pour la.

paix, et je suis persuadé qu'avant que nous arri-

vions à conclure un traité d'accommodement, vous

aurez le temps de servir avec gloire'et succès à la

tête des troupes qui vous sont confiées ? »

Les témoins les mieux informés et les plus

perspicaces portaient le même jugement sur les

dispositions de toutes les parties intéressées.

« Le congrès ne fera que de l'eau claire, disait

Frédéric, les puissances maritimes veulent

1. Puisieulx à Richelieu, 9 octobre 1747. (Co?')'Mp<Md<MM de

Génes. Ministère des affaires étrangères.)


amuser la France, le stathouder veut pécher en eau trouble. A Vienne, on ne fait que rire du congrès, et l'on ne cherche qu'à gagner le temps d'attendre le secours russe. » Et à ceux qui le pressaient de se faire représenter lui-même à ce rendez-vous diplomatique pour y défendre ses intérêts « J'attendrai, disait-il, qu'on y traite sérieusement et qu'on ne cherche pas seulement à s'amuser l'un l'autre'. »

Personne ainsi ne comptant rapporter rien de sérieux d'Aix-la-Chapelle, personne, non plus, ne semblait pressé de s'y rendre; aussi tout l'hiver allait-il se passer en pourparlers préliminaires sur les conditions, le lieu, le temps et le cérémonial de la réunion.

La désignation d'Aix-la-Chapelle avait paru naturelle et était facilement acceptée parce qu'en sa qualité de territoire neutre cette cité impériale échappait à la juridiction et même à l'occupation momentanée des puissances belligérantes; mais comment assurer cette neutralité même contre les mouvements irréguliers et peut-être imprévus des diverses armées qui hivernaient dans le voisinage? et quelle force serait chargée de 1. Frédéric à Chambrier et à Podewils, son ministre à Vienne. (Octobre 1741. Pol. Coft- t. V, p. 502, 505, 513, 524, 531.)


maintenir la sécurité intérieure et la tranquillité des délibérations? Puis, que de précautions nécessaires pour le passage et la libre circulation des plénipotentiaires eux-mêmes ou des courriers qu'ils devraient envoyer à leurs cours Dans l'échange de leurs pouvoirs, quelle qualification allaient-ils prendre, la France ne reconnaissant pas la digoité impériale de Marie-Thérèse, et la princesse n'étant nullement disposée à s'en laisser dépouiller même pour un jour? Enfin, à qui les portes du congrès seraient-elles ouvertes? Le sénat de Gênes assiégé par l'Autriche, le duc de Modène dépossédé par elle, ne demandaient-ils pas à y être admis pour réclamer la réparation de leurs injures? Mais Marie-Thérèse ne voulait voir en eux que des vaincus ou des rebelles avec qui elle refusait de traiter sur un pied d'égalité. Ce qui se passa de temps à échanger sur des points de cette importance des notes et des contre-notes, nous avons, dans nos habitudes actuelles moins soucieuses de ces formalités de chancellerie, peine à le concevoir. On eût dit que chacun des invités soulevait à dessein une question d'étiquette ou de préséance pour se dispenser de franchir le seuil de la salle où il était attendu, et qu'aucun d'eux


n'était fâché du retard pourvu qu'il en pût imputer la faute à son voisin.

Ce qui -faisait voir encore mieux le peu de confiance que chacun plaçait dans l'essai de pacification auquel tous se prêtaient de si mauvaise grâce, c'était l'activité déployée non seulement à Londres, mais de toutes parts pour préparer, par un redoublement d'efforts et de 'sacrifices, une nouvelle campagne.

Assurément on ne pouvait contester les sentiments pacifiques du gouvernement français attestés par la modestie connue de ses prétentions mais on pouvait plus sérieusement douter que ces sentiments fussent communs au grand capitaine, dont le crédit croissait en proportion de ses services, et dont la guerre servait les intérêts en même temps que la renommée. J'ai dit combien était répandue à VersaiHes, et'même à la cour, l'accusation portée contre Maurice de vouloir prolonger à dessein une lutte qui augmentait sa grandeur personnelle, et jusqu'à quel excès d'injustice ce soupçon accrédité par un ministre et accueilli même par ses meilleurs amis, était poussé par la malveillance de ses rivaux. Rien de plus sot assurément, et à la fois de plus odieux, que de lui prêter (comme on


l'avait pourtant fait à deux reprises après Rocoux et après Lawfeld) le dessein d'interrompre, au milieu d'un combat, le plein succès d'une victoire déjà acquise pour se ménager d'avance la facilité d'en rapporter d'autres. Jamais capitaine, soucieux de son honneur, n'a négligé l'occasion d'écraser un ennemi tombé entre ses mains Mais si l'on se bornait à dire que, régnant en fait sur les riches provinces des Pays-Bas, il n'était pas très impatient de voir arriver une paix dont la condition proclamée d'avance était la restitution immédiate de tous les gages et de tous les fruits de ses exploits, cette imputation conforme à ce qui glisse, dans les plus grands cœurs, de faiblesse humaine était confirmée, il faut bien le dire, par plus d'une apparence. Issu d'un sang royal et parvenu au comble de la gloire, à quelles visées d'ambition ne pouvait-il pas prétendre? Encore un glorieux effort, et au lieu de replacer ces PaysBas, objet de tant de conflits, sous la jalouse domination de l'Autriche, la France victorieuse 4. « Je vois, écrit d'Argenson, un plaidoyer qui s'établit universellement a )a cour et à !a ville pour prouver que M. )e comte de Saxe est traître à la patrie, et qu'aux dernières campagnes, it s'est comporté en homme qui ne voulait pas finir ia guerre et que d'ailleurs il n'y entendait rien. »


ne pourrait-elle pas, dans l'intérêt de sa propre sécurité, comme du repos commun, exiger que ces provinces fussent constituées à l'état de souveraineté neutre et indépendante et alors entre quelles mains une telle principauté serait-elle mieux placée que dans celles d'un fils de roi, qui l'aurait payée d'avance du prix de son sang? Il avait bien rêvé d'être duc de Courlande dans sa jeunesse, pourquoi ne finirait-il pas ses jours souverain des Pays-Bas?

On fut très excusable assurément de lui supposer une arrière-pensée de cette nature quand on vit ce grand soldat si bien à sa place sur le champ de bataille, mais dont les allures et toute la personne n'avaient rien de magistral, insister, avant de quitter l'armée et de venir faire sa cour à Versailles, pour que son commandement militaire fùt transformé en un véritable gouvernement étendu à toute la surface des Pays-Bas,

et comprenant des attributions aussi bien administratives que judiciaires une vraie viceroyauté, en un mot, pareille à celle, disait-i!, dont avait été investi le prince Eugène pendant la guerre de la succession d'Espagne. La prétention ne fut pas admise sans débat, une telle autorité dépassant de beaucoup celle qui était


attribuée en France même à des .princes du sang quand on leur conférait la qualité de gouverneur militaire d'une province. La réunion de tous les pouvoirs dans une seule main et surtout dans celle qui tenait l'épée semblait une résurrection de ces traditions féodales dont l'administration royale, depuis Richelieu, s'appliquait à effacer le souvenir. Puis la qualité de protestant, déjà difficile à faire accepter en France chez un gouverneur, semblait peu propre à faire supporter le joug de la conquête par des populations d'un catholicisme fervent, chez qui de longues guerres civiles avaient laissé des passions religieuses toujours prêtes à se rallumer. Il fallut céder cependant à des sollicitations qui prirent un instant un caractère impé.rieux et presque menaçant. « Quoi, disait le général irrité, on ne veut pas que j'aie à Bruxelles plus de pouvoir qu'un échevin? Je n'ai donc nul crédit à la cour, et ce n'est qu'au camp qu'on veut bien se souvenir que je suis général de l'armée de Flandre. Il parlait alors d'aller se reposer s'il n'était pas satisfait; et on disait tout bas que ce n'était peut-être pas à Chambord que cet étranger si récemment Français pourrait bien aller chercher une retraite. La patente


royale lui fut donc donnée dans les termes qu'il désirait; mais le public, en en prenant connaissance, ne put manquer de faire cette réflexion assez judicieusement insérée par d'Argenson dans ses AfëH!0!'res « Moyennant ceci, le maréchal de Saxe va être fort intéressé à continuer la guerre pour faire durer les jouissances de la conquête »

Encore, si par ces jouissances que les populations épuisées payaient si cher, on n'avait entendu que l'orgueilleux plaisir du commandement et les nobles espérances de l'ambition! mais par malheur on savait trop bien que Maurice n'aimait point à se repaître de fumée, même de celle de la gloire, et qu'il attendait de ses hauts faits des résultats plus matériels et des prouts plus vulgaires. Avide d'argent, parce qu'il en était prodigue, les riches dotations dont il était comblé ne l'empêchaient pas de se montrer souvent peu délicat sur les moyens de pourvoir aux exigences d'une vie de plaisir. Des rumeurs de plus en plus tristes circulaient même à ce sujet depuis les incidents de la dernière campagne. Les gazettes d'Allemagne et de Hollande ne se faisaient pas <. Journal de d'f'MOn, t. V, p. 113-160. (Chambrier à Frédéric, 8 mars n4S. Ministère des affaires étrangères.)


faute d'insinuer que le commandant de l'armée française et son favori Lowendal avaient pris leur part dans ce qu'ils appelaient la curée et le brigandage de Berg-op-Zoom et que, mis en goût par ce premier gain, ils étaient en train d'organiser en commun, d'un bout de la Flandre à l'autre, un système général de concussion et de .pillage. « Des gens de Flandre, dit encore d'Argenson (dont, à la vérité, l'humeur chagrine tenait l'oreille ouverte à tous les mauvais bruits), m'ont conté une partie des friponneries, exercées par le comte de Saxe et le maréchal de Lowendal dans cette conquête. Cartouche et Mandrin n'auraient pas fait davantage ni plus impunément. » Si, au lieu de ce mot de friponnerie un peu trop sévèrement appliqué peut-être à des faits tels que la guerre en donne trop souvent le spectacle, d'Argenson se fût servi d'une expression équivalente, celle de piraterie par exemple, il n'aurait pas dépassé la mesure de ce que Maurice non seulement consentait, mais désirait qu'on dît de lui-même; car il reprenait cette année encore le plan dont les bons conseils de Noailles l'avaient détourné. II demandait qu'on lui permit d'exercer à son profit les droits de la course maritime, sur les côtes et dans les îles de Zélande,


au moyen d'une escadre de felouques qu'il proposait d'équiper à ses frais et de faire monter par ses soldats. « Laissez-moi, disait-il en propres termes, faire ma piraterie, je ne vous demande pas d'argent pour cela il m'en faudrait trop, mais seulement que vos intendants ne s'en mêlent pas. » Puisieulx fut obligé de le rappeler aux convenances. « Votre plan, lui écrivait-il, serait susceptible d'une foule d'inconvénients, parmi lesquels la dignité royale qui en serait blessée ne serait pas le moins essentiel. Je vous demande, en effet, s'il conviendrait au roi d'exercer une sorte de'piraterie que Sa Majesté, ayant honte d'avouer, ferait exercer par son général avec ses troupes. Ne prenez pas ceci pour un conseil, je n'ai point à en donner à un homme tel que vous, mais je dois à l'amitié dont vous m'honorez de vous dire ce que je pense. »

Ce n'était donc pas seulement pour s'illustrer, mais aussi pour jouir et s'enrichir, que Maurice était soupçonné de prolonger, au prix du sang de ses nouveaux et de ses anciens compatriotes, les maux d'une guerre interminable, et l'accusation était si publique, que des amis, avec un zèle plus empressé qu'adroit, ne craignaient pas de mettre la même publicité dans la réponse. Ainsi on fit


jouer à Paris une pièce assez médiocre intitulée Coy~'o~M, où le Romain, devenu chef des Volsques, ressemblait assez à l'Allemand devenu Français, et un acteur, dans une tirade à effet, appuya avec affectation sur des vers comme ceux-ci. En vain vous prétendez, condamnant sa conduite, Que sous un autre chef Rome eût été détruite. Ne valait-il pas mieux, sans rien mettre au hasard, Assurer sa victoire et vaincre un peu plus tard? L'allusion était transparente et fut reçue avec un tel mélange d'applaudissements et de protestations qu'il fallut, pour faire finir le tapage, interdire la représentation

Maurice lui-même, averti de ces propos, se défendait très mollement de l'accusation.- x Nous verrons, écrivait-il au comte de Brühl, ce que les négociations vont produire; je désire bien sincèrement qu'elles nous donnent la paix, malgré les avantages que je pourrais espérer de la continuation de la guerre et la raison que j'aurais de la souhaiter pour jouir plus longtemps du gouvernement général des Pays-Bas que Sa Majesté Très 1. Jouma! de d'~<?p?t~om, t. V, p. i60, 165. Saint-René Taillandier, Maurice de Saxe, p. 336-339. Maurice à Puisieulx. Puisieulx à Maurice, 2 et 7 novembre 1747. (Correspondance de Hollande. Ministère des affaires étrangères.)


Chrétienne vient de me donner. On me chicane encore un peu sur la forme, parce qu'en France les intendants se sont emparés de tout, et que la robe l'emporte sur l'épée; mais quand la guerre vient, nous avons notre revanche parce qu'ils n'y entendent rien. J'espère, ajoutait-il, s'adressant directement au roi son frère, que cette campagne sera la dernière, si elle nous est heureuse, car enfin il faudra bien que la raison prenne le dessus. Je suppose que nous voulons tout rendre, comme nous disons. Jusqu'à présent, j'assurerais bien que cela est sincère, mais en mangeant l'appétit vient, comme on dit, et si enfin notre position est telle qu'on ne peut rien nous reprendre, je ne répondrais pas que pour s'indemniser des frais de la guerre on ne voulût rien rendre; ce qui serait assez raisonnable. Mais Dieu veuille m'en préserver, car je ne prévois pas alors la fin de la guerre et j'en suis satt (comme on dit chez nous) a~ M~< ~7< MH7 Zc~?~ ~/)'e.Me~ ~cî~e (j'en suis rassasié, comme si j'en avais mangé à petites cuillerées). Mais tout rassasié de combats qu'il voulût paraître, il n'en travaillait pas moins sans relàche à un plan qu'il ne confiait à personne, même à son ami le maréchal de Noailles qui le pressait à la fois de conseils et de questions « Ce


sont secrets, disait-)!, que je voudrais me cacher à moi-même

En Flandre donc et même à la porte du lieu où le congrès.altait s'ouvrir, on n'entendait que le bruit des armes. Même aspect en Italie. Là, à la vérité, ce n'était plus de Belle-Isle que partaient les inspirations belliqueuses. Revenu à la cour à la fois navré et aigri, plein d'irritation et de douleur, le vieux maréchal ne semblait plus pressé de courir à de nouveaux hasards. 11 se prétait bien à former de nouveaux plans de campagne, mais sans goût, sans espoir de les faire agréer et moins encore de les voir réussir. On disait même que, fatigué d'avoir fait tant de fois vainement appel à. la fortune des combats, le rôle diplomatique qu'il avait plus heureusement joué, et auquel se rattachaient les meilleurs souvenirs de sa vie, lui revenait complaisamment en mémoire, et qu'il aurait accepté volontiers la tâche d'aller parler, au nom de la France, à Aix-la-Chapelle. Mais à sa place, un autre, plus jeune, ayant, subi moins de traverses et dont la confiance audacieuse aurait, en tout cas, résisté à plus d'épreuves, se proposait déjà de prendre la tête des opérations militaires 1. Maurice à Noailles, oct. n4T. (Papiers de Mouchy.) Vitz~hun,a!<r:ce de Saxe et J)fa?'<e-Jo~e~/t, p. 201 et 513.


au delà des Alpes ce n'était autre que le plus brillant des preux de Fontenoy, Richelieu luimême, qui, toujours pressé de se mettre en scène, avait accepté le commandement de Gênes, vacant. par la mort du duc de Boufflers. cr Je pars, avaitil écrit, en faisant sonner très haut son dévouement, mais je dois auparavant régler avec mes créanciers qui sont convaincus que je ne puis me dispenser de faire comme M. de Boufflers et qu'ils ne me verront plus. »

Arrivé à son poste après avoir traversé, non sans peine, les croisières anglaises, il prit tout de suite une attitude de nature à faire comprendre qu'il entendait faire de Gênes le centre stratégique de la campagne qui allait s'ouvrir. Par une sortie heureuse, il réussit à élargir le cercle dans lequel la ville était resserrée, en forçant les Autrichiens d'abandonner les postes de Vareggio et de Voltri. II méditait une attaque pareille sur Savone et sur Final, dont il espérait offrir la prise en hommage au congrès le jour de sa réunion. « C'est par l'Italie principalement, écrivit-il à Puisieulx, que vous ferez la paix, et l'intérêt que je puis y avoir personnellement n'est pas, je vous assure, ce qui me détermine à penser comme cela, mais bien l'expérience que j'ai depuis trente-cinq


ans de tout ce qui se passe en Europe qui me le persuade' Il

Menacée ainsi, plus que jamais, sur les deux terrains que ses armées avaient à disputer, Marie-Thérèse, de son côte, ne pouvait manquer de redoubler de précautions pour se mettre en garde, et son unique préoccupation paraissait être d'éviter, par une combinaison de forces nouvelles, la répétition stérile des luttes laissées sans résultat par la campagne précédente. Peu confiante désormais dans le mérite des généraux dont elle avait éprouvé la médiocrité et dans le concours d'alliés dont la ndëlité lui semblait toujours douteuse, elle n'attendait plus que de l'intervention des troupes russes l'élément nouveau et inconnu dont pouvait se dégager la solution du problème laissé en suspens'depuis tant d'années. Hàter le départ de ces auxiliaires, tracer leur itinéraire, assurer le payement de leurs frais de route, écarter les obstacles de leur chemin, afin d'être sùr de leur apparition au jour donné, on ne songeait plus à Vienne à autre chose. Dès le commencement de janvier, des réquisitions furent adressées à tous les souverains dont les soldats de la tsarine devaient 1. Richelieu à Puisieulx, 24 octobre 1747. (Correspondance de Génes. Ministère des affaires étrangères.)

o 2


parcourir les États, en réclamant d'eux le libre parcours, ou ce qu'on appelait le. ~'<~m'/M~ !'?~(M~M. La sommation ne fut pas faite au nom de l'impératrice elle-même; elle aurait craint, sans doute, de prendre trop ouvertement la responsabilité d'une telle démarche et d'en attacher l'impopularité à son nom car la mesure, bien que rendue souvent nécessaire par l'enchevêtrement des souverainetés diverses qui se croisaient sur le territoire de l'empire, avait toujours un caractère de violence et pouvait jeter le trouble dans les populations. Ce n'était pas à elle, souveraine allemande, à froisser ainsi le sentiment germanique. Il était plus naturel de passer ce rôle aux deux puissances maritimes, puisque, s'étant chargées de tous les frais de transport, c'étaient elles qui pouvaient garantir aux habitants des provinces traversées le payement de toutes les avances à faire et la réparation de tous les torts que la présence de visiteurs en armes ne pouvait manquer de leur causer. La demande fut faite à chacune des parties intéressées Saxe, Bavière, Wurtemberg, Palatinat, Électorats rhénans, laissant en dehors l'empire lui-même afin de ne pas donner occasion de soulever dans une diète, où la majorité pourrait être incertaine, une


question des plus douteuses à savoir si la facilité accordée à l'une des parties belligérantes, et dont l'autre aurait à souffrir, n'était pas une violation indirecte de la neutralité promise.

Malgré cette précaution, l'idée d'échapper à cette pression gênante en invoquant l'inviolabilité du territoire du saint-empire ne pouvait manquer de venir naturellement à l'esprit de faibles princes, incapables de se défendre euxmêmes les agents ou les amis de la France, très nombreux encore, et répandus dans toutes les cours, ne se firent pas faute de la leur suggérer. Le dessein de former une ligue de neutralité sous le drapeau impérial, et de barrer ainsi le passage aux intrus incommodes qui le réclamaient, fut sérieusement agité à Stuttgart, à Manheim et même à Bonn, à Trèves et à Munich; mais toutes les fois que cette pensée était mise en avant, tous les vœux comme tous les regards se tournaient du côté de Berlin. Un mot, un seul mot de Frédéric, et la diète, obligée de se réunir et se sentant appuyée par une force que personne ne pouvait braver impunément, aurait opposé aux insistances de Marie-Thérèse sinon un refus positif, au moins des lenteurs désespérantes qui eussent rendu le consentement inutile. Mais ce


mot, le vainqueur de Molwitz et de Kettelsdorf était, j'ai déjà dit par quel motif, plus que jamais décidé à ne pas le laisser échapper de ses lèvres. Plus la crise devenait instante, et plus il affectait de la regarder avec indifférence. La présence de troupes russes à ses portes, cette menace dont il avait autrefois ou éprouvé ou feint tant de terreur, lui paraissait maintenant la chose la plus insignifiante. a Vous ne devez pas vous inquiéter de la marche des Russes, écrivait-il à son ministre à Vienne, ces troupes étant à la solde des puissances maritimes, et principalement de l'Angleterre, ces mêmes puissances en disposent souverainement, de sorte qu'il ne restera à l'impératrice-reine que de ~e~e ?!<~p<? en Bohême pour les y refaire et rafraîchir pendant quelques semaines. Ce sont les avis qui me sont parvenus que l'Angleterre est intentionnée d'assembler aux Pays-Bas tout ce qu'elle a de troupes pour être prête à tout événement, et je n'ai aucun sujet d'être embarrassé de la Russie, mais je puis regarder tout ce qu'elle fait dans les conjonctures présentes avec beaucoup d'indifférence'. »

). Frédéric à Podewils, t2 janvier H4S. Po«. Cor< t. VI, p. 5.


A ceux qui parlaient des dangers que courait l'empire en laissant ainsi violer la neutralité convenue: « Les Russes, disait-il, ne passeront que rapidement sur les terres de l'empire; il faut se rapporter, sur ce point, à la parole de l'empereur lui même, je ne puis concevoir qu'un prince, chef de l'empire, plein de candeur et de sentiments patriotiques, soit capable de prendre d'autres partis que ceux qui conviennent à la tranquillité de l'Allemagne on peut se fier à cet égard à la pureté de ses intentions. » « Cet éloge inattendu de l'époux de Marie-Thérèse me fit ouvrir les yeux, dit Valori, et j'en marquai ma surprise'. »

C'est tout au plus si l'occupation que cette expédition lointaine va donner à la Russie ne parait pas à Frédéric de nature à le rassurer contre les desseins que cette puissance aurait pu, en d'autres circonstances, méditer au préjudice de ses voisins. « Je ne saurais m'imaginer, écrit-il encore, qu'après que les trente mille Russes se seront mis en marche pour se rendre aux ordres des puissances maritimes, le chancelier (Bestouchef) ne voudra rien rabattre de ses hauteurs et de ses j. Valori à Puisieulx, ~0 février n4S. (Correspondance de Prusse. Ministère des affaires étrangères.)


emportements envers les voisins de la Russie je me persuade plutôt qu'il ne se trouvera plus à même de soutenir ses procédés irréguliers par la crainte qu'il aura d'attirer par là des affaires à la Russie par quelque rupture réelte. Il est donc raisonnablement à croire que Bestouchef, après le départ des trente mille hommes en question, voudra se conduire plus sagement qu'il n'a fait jusqu'ici et mettre de l'eau dans son vin. » « Je crois en vérité, disait. Valori, témoin de cet état d'esprit, qu'il aime mieux voir les Russes sur la Mose)le qu'en Moravie*, »

Ce qui ne l'empêchait pas, cependant, de faire savoir tout bas à la France qu'à sa connaissance, derrière la convention assurant à l'Angleterre et à la Hollande la venue des secours annoncés, s'en cachait une autre plus secrète, et en vertu de laquelle une seconde armée russe serait mis sur pied, toute prête à tomber sur lui, s'il faisait seulement mine de bouger. Puis, sans se mettre en peine de concilier ce mélange assez contradictoire d'indifférence et de crainte affectées, il concluait en souriant « Les Français ont <. Frédéric à Frankenstein, ministre à Saint-Pétersbourg, t9 janvier 1148. -Pol. Co)-r., t. VI, p. 9. Valori à Puisieulx, 6 avril n48. (Correspundance de Prusse. Ministère des affaires étrangères.)


beau vouloir par tant et plus de moyens me rembarquer de nouveau dans l'affaire, je les passerai pour de fins maîtres s'ils me font mordre à l'hameçon »

Tant d'artifice n'était vraiment pas nécessaire, car le cabinet français n'y mettait de son côté pas tant de finesse. Puisieulx qui, comme je l'ai dit, avait sondé de bonne heure le terrain, savait trop bien à quoi s'en tenir. A la vérité, son ambassadeur Valori essaya encore de faire quelques instances nouvelles pour appuyer la ligue de neutralisé proposée, et s'aventura même, un instant, jusqu'à dire qu'il avait obtenu une espèce de promesse à cet égard, et que des armements allaient être préparés pour faire face aux circonstances. Mais dès que ce bruit, propagé un peu 1. Frédéris à Chambrier, 2t et 22 janvier ~48. Pol. Co' t. VI, pp. t2 et 14. C'est dans la dernière de ces deux lettres que Frédéric charge Chambrier de prévenir le cabinet français que t'Angteterre vient de faire une nouvelle convention très secrète, « à l'exclusion de la république de Hollande, avec la cour de Saint-Pétersbourg, selon laquelle cette cour-ci sera engagée qu'outre le secours de trente mille hommes, qu'elle envoie contre la France, elle tiendra prêts aux confins de la Livonie et de la Courlande quarante bataillons, trois régimens de cuirassiers et autant de dragons, six mille Cosaques et Kalmouks et un train convenable d'artillerie pour qu'en cas que j'attaquerai, soit le pays de Hanovre, soit les possessions héréditaires autrichiennes, soit la Saxe, cette armée prussienne me dût tomber sur le corps. '< Je n'ai pas trouvé, ailleurs, trace de cette convention qui me semble un prétexte inventé par Frédéric pour motiver son inaction.


légèrement par l'ambassadeur, commença à se répandre, ce ne fut pas seulement Frédéric qui le fit venir et le morigéna, dit-il, de manière à le dégoûter de se risquer à faire de pareilles incartades ce fut le ministre français lui-même qui se chargea de mettre son envoyé à la raison. « Vous ferez bien de garder le silence, lui écrivit-il, sur les mesures que le roi de Prusse pourrait prendre pour éviter la marche des Russes. Ce prince ne veut rien hasarder qu'à coup sûr, et ne menace que lorsqu'il est résolu de frapper; vraisemblablement il n'aurait pas goûté vos propositions. Il faut donc le laisser aller, et je crois pouvoir vous assurer que, quelque parti qu'il prenne, ce sera toujours le meilleur. H a sa politique particulière. il la renferme en lui et ne la communique à personne. Vous sentez bien qu'un prince aussi habile n'aime ni les conseils, ni les insinuations il sera toujours dangereux de lui présenter des objets qui puissent le porter à penser que nous ne cherchons qu'à l'engager insensiblement et que notre intérêt seul nous occupe et nullement le sien. Nous ne pensons pas ainsi, et franchement cela ne sersit pas juste. Le système du roi de Prusse est de ne se commettre ni directement ni indirectement, de frapper à coup sûr, de conserver


l'amitié du roi et de s'en servir suivant les circonstances celui de Sa Majesté est de conserver l'amitié du roi de Prusse, quoi y!<7 a~e, de le maintenir au degré de puissance que la Prusse a acquise et de songer aussi à son intérêt et à sa couronne. Il n'y a rien dans tout cela qui ne soit très juste et compatible avec une parfaite et réciproque union. Je ne puis trop admirer la vérité avec laquelle le roi de Prusse s'est souvent expliqué par la bouche de M. de Chambrier. Un prince qui n'aurait pas l'âme aussi grande, nous aurait amusés en cherchant à nous persuader qu'il travaillait sourdement dans l'empire à faire des associations en notre faveur et à arrêter la marche des Russes, et nous aurait peut-être empêchés par là d'avoir autant d'activité et de prendre des mesures aussi sérieuses que celles que nous prenons. »

Avec un caractère si bien fait et qui prenait les choses en si bonne part, il était inutile de feindre, et Frédéric pouvait en vérité écrire à Puisieulx luimême a Ne cherchez point de détours dans ma conduite, elle est aussi simple que mon cœur n. Puisieulx à Valori, 28 décembre H47 et d2 janvier n48. (Cort'(Mpo7:6<a'ncc de ~'?'M~e. Ministère des affaires étrangères.) Frédéric à Puisieulx, 8 novembre 174~. Pol. Corr., t. V, p. 5i9.


Ce qui était si bien connu à Versailles ne pouvait être longtemps ignoré à Londres et à La Haye. Une attitude hostile ou simplement malveillante de la Prusse aurait gravement compliqué, pour les puissances maritimes, l'exécution de rengagement qu'elles avaient pris défaire arriver à bon port et sans encombre les troupes russes sur la Meuse et sur le Rhin. L'assurance opposée, au contraire, le parti hautement annoncé par Frédéric de laisser tout faire et tout passer, furent accueillis avec autant de satisfaction que de reconnaissance. Ce fut l'occasion pour le ministère anglais d'insister auprès du roi George, pour qu'il prît sur lui de dominer l'aversion que lui inspirait son redoutable neveu, et de lui tendre une main affectueuse et conciliante. Depuis le départ du dernier envoyé, lord Hyndfort (qui avait quitté Berlin dans les plus mauvais termes, et presque en rupture ouverte avec le roi) la légation anglaise dans cette capitale était restée vide, et les relations n'étaient entretenues que par un simple chargé d'affaires. Le moment parut favorable pour rétablir les rapports sur un pied p!us amical, et Frédéric, secrètement consulté, fit savoir qu'il verrait avec plaisir un représentant de son oncle à sa cour, pourvu qu'on


respectât sa neutralité et qu'on ne lui demandât de se compromettre en aucun sens. George se laissa plus difficilement persuader « C'est un fripon, disait-il, je ne veux rien avoir à faire avec lui, je voudrais qu'il fùt khan de Tartarie. Et moi aussi, répondait Chesterfield en souriant, mais comme il ne dépend pas de nous de l'y envoyer, plus il est fripon, plus il est utile d'avoir un espion auprès de lui qui sache quel coup il médite. L'envoyé enfin nommé, sir John Legge, emporta pour instructions de donner au roi de Prusse la promesse qu'aucun traité ne serait signé sans contenir la garantie de la conquête de la Silésie et de toutes les stipulations des traités de Dresde et de Breslau. Il était chargé, en outre, de lui représenter le danger qu'il courrait lui-même, en laissant anéantir en Hollande un des centres principaux du protestantisme. H était même autorisé à aller jusqu'à faire, au nom des intérêt communs des puissances protestantes menacées, l'offre d'un traité d'alliance. Ainsi courtisé des deux côtés, Frédéric répondait, de part et d'autre, à droite comme à gauche, par des témoignages également insignifiants, de bonne grâce et de bonne volonté. Il comblait plus que jamais de politesse le maré-


chal de Saxe. cr Je vous attends, dans trois mois, lui écrivait-il au bord du Texel B, et il lui faisait remettre, pour le seconder dans le siège de Maëstricht, s'il avait dessein de le reprendre, un plan détaillé des fortifications de cette ville, dont le hasard l'avait rendu possesseur. Mais il n'en faisait pas moins assurer à l'oreille le cabinet britannique qu'il entrerait dans une alliance aussi intime qu'on voudrait avec l'Angleterre, dès qu'il serait libre de ses engagements envers la France L'Allemagne se trouvant ainsi délaissée par la seule force qui pût la défendre, les Russes, une fois entrés, n'y devaient plus rencontrer d'obstacles. Mais ce n'était pas assez que la voie fût libre, il fallait auparavant que la porte en fût ouverte, et c'était l'électeur de Saxe, roi de Pologne, qui en tenait les clés. Celui-là, tel que nous le connaissons, devait se trouver en vérité plongé dans le plus cruel embarras. 1. Frédéric a Maurice de Saxe. Pol. Cotv., t. Vf, p. <0, 23-38. Cet envoi du plan de Maëstricht n'eut pas l'avantage que Maurice de Saxe avait du en espérer et tourna même contre le but proposé. L'expédition eut lieu, en effet, par l'intermédiaire d'un officier supérieur du génie nomme Wairave, chargé de la surveillance etde l'entretien des fortifications prussiennes. Cet agent se laissa corrompre à ce moment même par l'ambassadeur d'Autriche à Berlin et lui remit le double des pièces qu'il avait entre les mains. Droysen, t. !)), p. 420 et suiv. (Correspondance de Valori, février n48.–Instructions de Klingraeft, envoyé prussien à Londres. ~o/. Cort' t. Vf, p. 57.


La politique d'équilibre et de bascule entre les parties adverses, ce système de double jeu et à double face que, par les conseils de Brühl, Auguste III avait réussi si habilement à pratiquer et qui consistait à tendre une main aux subsides de la France, tandis que de l'autre il apposait sa signature à un traité de ligue austro-russe, était mise pour le coup à forte épreuve. II semblait qu'il lui fallùt prendre son parti ou encourir le courroux des deux impératrices en arrêtant la marche des Russes dès le premier pas, ou d'offenser le beau-père de la dauphine en souhaitant le premier la bienvenue à ses ennemis. Quel moyen de sortir de l'alternative ? Et la difficulté était singulièrement compliquée en Pologne même par la situation des diverses factions dont l'hostilité entretenait dans cette malheureuse contrée une constante agitation. Des deux partis qui divisaient la noblesse polonaise et qui, sans cesse aux prises, étaient toujours à la veille d'en venir aux mains, il en était un qui avait la Russie pour protectrice avouée. La politique des tsars avait toujours consisté à fomenter la discorde chez ses turbulents voisins et à s'y créer une clientèle à sa dévotion qu'elle soutenait dans ces luttes intes-


tines par son concours armé ou pécuniaire. Il y avait donc, en Pologne, un parti russe connu pour tel dont l'illustre famille Czartoryski tenait la tête. Or c'était ce parti même qui, d'abord par ses suffrages, et ensuite au prix d'une lutte acharnée et sanglante, avait réussi à investir Auguste III du simulacre de royauté dont il portait le titre. C'était ce même parti qui, chaque année dans les débats orageux que ramenait périodiquement la réunion des diètes, aidait le roi à défendre ses chétives prérogatives. Regarder la Russie en face, lui tenir tête, lui fermer l'entrée de la Pologne, c'était donc, pour Auguste III, rompre avec ses partisans et se livrer à des adversaires encore pleins du ressentiment d'injures récentes et qui, le tenant à leur discrétion, lui feraient payer cher un appui qu'ils ne lui prêteraient probablement que pour un jour. C'était aussi renoncer à l'espoir qu'il avait toujours nourri de léguer à son fils ses deux couronnes, l'élective aussi bien que l'héréditaire. On ne pouvait en conscience lui demander un tel sacrifice.

Aussi Auguste III ne vit-il d'autre parti à prendre que de faire montre à la fois de sa bonne volonté et de son impuissance. A la réquisition


officielle des puissances maritimes, il répondit par un refus qu'il eut soin de faire officiellement constater, mais il n'eut garde d'expédier aux faibles magistrats qui le représentaient en Pologne aucun ordre qui leur permit d'opposer, à l'entrée du premier bataillon russe, même une ombre de résistance effective; puis il s'en remit humblement à la générosité de Louis XV en le suppliant de ne pas insister pour exiger de lui. un acte de témérité qui n'aurait d'autre résultat que de causer la ruine du père de sa belle-fille « Que voulez-vous, disait Brühl en soupirant, la réponse faite de Sa Majesté de bouche et par écrit prouve que Sa Majesté ne consent nullement, mais il faut bien qu'elle connive, puisqu'elle ne peut s'opposer par la force. » Et, en même temps, ses bons amis les Czartoryski lui faisaient dire de se tenir en paix et de ne pas remuer, de se garder surtout de convoquer une diète où l'esprit de résistance nationale pourrait se faire jour par quelque explosion imprudente,. et ils ajoutaient qu'ils se faisaient fort d'intimider, à eux tout seuls, assez leurs adversaires, pour que le passage des Russes s'opérât en douceur sans rencontrer aucune opposition. Le jeu était si visible qu'on en riait dans toutes les


cours d'Allemagne a Voyez comme la Saxe s'amuse de vous », disait Frédéric à Valori en haussant les épaules

II y aurait bien eu, à la vérité, pour la France un moyen de tenir la partie en Pologne même et de susciter sous les pas des Russes des obstacles qui auraient au moins retardé leur marche déjà par elle-même assez lente et embarrassée. Qu'on eût fait dire un mot à l'oreille aux amis que gardaient encore la reine de France et son vieux père dans leur terre natale et à ceux de leurs compatriotes qui avaient combattu et souffert pour eux; qu'on réveillât tout bas les espérances des vaincus qui restaient rebelles aux influences russe et saxonne il n'en aurait pas fallu davantage pour susciter sur ce sol toujours prêt à se soulever des résistances tumultueuses qui eussent fait, de chacune des stations de l'armée envahissante, un théâtre de combat. Déjà sans attendre même qu'on les y invitât, les chefs de l'ancien parti de Leczinsky, tenant dans leur défaite à garder le nom de parti patriotique i. Brühl au comte de Loos, 21 février U48. (Archives de Dresde. Droysen, t. 1[I, p. 413.) Valori à Puisieulx, 26 février n48. (Correspondance de Pt'MMe.) Des Essarts à Puisieulx, janvier et février n48,paMtm. (Cot'Mpon~ancede Saxe. Ministère des affaires étrangères.)


par excellence,, vinrent sonder le résident de France à Varsovie, Castera, pour savoir si, au cas où ils tenteraient une levée de boucliers, la France consentirait au moins sous main à les soutenir. Ils offraient d'organiser ce qu'on appelait, par une expression consacrée, une confédération, mode d'insurrection à moitié légal, tellement passé en coutume que c'était presque une institution nationale et dont le premier effet était, en rendant les diètes impossibles, de suspendre l'action de la justice et de l'administration régulière. Il y a même lieu de croire que des émissaires secrets allèrent porter des propositions de ce genre à Versailles même, au prince de Conti, déjà séduit, comme je l'ai dit, par le mirage d'une couronne à conquérir sur les bords de la Vistule, et ce fut (on peut le supposer) le sujet des entretiens mystérieux que cet ambitieux mécontent eut, à ce moment même, avec le roi et que Luynes et d'Argenson constataient dans leurs journaux avec une égale surprise. En ce cas, il ne fallut pas longtemps à Louis XV pour s'apercevoir qu'une guerre civile suscitée par ses agents en Pologne aurait pour lui-même des inconvénients presque aussi graves que les dangers auxquels serait exposé 3


Auguste III. Exciter la guerre civile en Pologne, c'était à la fois s'engager à soutenir à mille lieues de distance ceux qu'il aurait compromis et porter la discorde à ses côtés mêmes, dans sa propre intimité royale. C'était jeter le trouble dans les rapports de la reine polonaise et de la dauphine saxonne, dont l'affection naissante n'avait pas triomphé sans peine des souvenirs qui les divisaient. Et qu'aurait dit le tout-puissant Maurice du réveil de ce qu'il appelait volontiers, par une expression familière, le stanis~aMHM de Marie Leczinska? Enfin, une raison d'un ordre moins élevé, mais d'une nature plus pressante, devait détourner le ministère français de s'engager dans ces menées souterraines; c'est qu'en Pologne on ne faisait rien sans argent. Nul moyen de préparer même une ombre de résistance, sans de larges subsides distribués à ceux qui devaient en être les instruments. Il n'était pas de piast assez puissant pour faire marcher les gentilshommes de sa suite sans avoir en réserve une bourse bien garnie pour les payer libéralement. Le trésor épuisé de la France, suffisant à peine pour payer ses propres troupes, ne pouvait se prêter à jeter au vent de telles prodigalités destinées peut-être à rester sans fruit.


Réflexion faite, on n'ouvrit aucun crédit à Castera, et par là même toute idée de préparer une confédération fut écartée. On engagea seulement cet agent à provoquer de la part des amis de la France (s'il en restait encore) une protestation contre la violation de leur territoire. L'acte fut bien rédigé, en effet, mais peu de gens eurent le courage d'y apposer leur signature et aucun ne consentit à la rendre publique « Après tout, écrivait Puisieulx à Castera avec une indifférence résignée, en apprenant ce triste résultat, c'est aux Polonais à défendre leur territoire, c'est une affaire domestique qui les regarde. Vous ne sauriez mettre trop de circonspection dans votre conduite » En conséquence, dès les premiers jours de février, les Russes avaient passé la frontière polonaise et avançaient tout à l'aise, n'éprou1. Castera, résident de France à Varsovie, à Puisieulx, 20 novembre, 30 décembre 1147, 13, 14, 21 janvier 1748. Puisieulx à Castera, 27 novembre 1747, 26 janvier, 16 avril 1748. (Co)TMpondance de Pologne. Ministère des affaires étrangères.) C'est, suivant toute apparence, à ce moment, et aux négociations qui furent un instant engagées pour arrêter le passage des Russes en Pologne qu'il faut faire remonter les premières relations régulières du prince de Conti avec les nobles Polonais du parti national, d'où est sortie plus tard l'intrigue qui donna lieu à la diplomatie secrète de Louis XV. Castera fut certainement un des premiers agents employés par cette diplomatie occulte.


vant d'autre difficulté et d'autres retards que ceux que leur imposaient l'insuffisance et l'irrégularité d'une administration militaire encore dans l'enfance. Auguste envoyait à leur rencontre des officiers de sa cour, soi-disant pour les surveiller et prévenir les désordres auxquels leur passage pouvait donner lieu, mais avec ordre d'user de tant de ménagements et d'égards que la mission avait plutôt l'air d'avoir pour but de leur préparer les logements et les subsistances. N'ayant naturellement pas confiance dans des informations données par de tels intermédiaires, le ministère français eut le désir de se faire représenter aussi sur les lieux, et désigna même un envoyé militaire d'un grade élevé, le colonel de La Salle, pour s'attacher aux pas de l'armée en campagne et lui en faire connaître régulièrement les progrès. C'était l'exercice du droit de contrôle le plus légitime la Pologne était territoire neutre, et les Russes, simples passagers, n'avaient nulle autorité pour y faire la police. Ce n'en fut pas moins l'occasion d'un incident très grave, et qui ne fit que trop voir quelle confiance inspirait aux généraux de la tsarine la certitude de ne rencontrer aucun obstacle devant eux. La Salle dut prendre la voie


de mer pour éviter la traversée toujours difficile de l'Allemagne et débarqua à Dantzig, ayant en poche les pièces qui justifiaient de sa mission. Mais avant qu'il eût eu même le temps de les produire, le résident russe dans la ville vint réclamer son arrestation, et les magistrats de la localité eurent la faiblesse d'y consentir. Le prétexte de cette démarche insolente était que La Salle avait servi autrefois dans l'armée russe et, n'ayant quitté son corps qu'avec une demande de congé, qu'il avait négligé de faire renouveler, s'était rendu coupable de désertion. Le fait, fût-il vrai, remontait à une date qui en enaçait complètement le souvenir, et d'ailleurs les magistrats de Dantzig, cité libre, au moins nominalement, n'avaient nullement à se faire les exécuteurs de la justice moscovite. La Salle n'en fut pas moins mis sous les verrous et ne fut rendu à la liberté que quand les instances de l'ambassadeur français à Dresde eurent obtenu du comte de Brühl d'intercéder en sa faveur. Mais il dut reprendre au plus tôt le chemin de la France, pour ne pas s'exposer au mauvais parti qui aurait pu résulter pour lui de la rencontre' des officiers russes, et cette nouvelle mésaventure fut encore le sujet des quolibets du,


roi de Prusse, qui, malgré le crédit dont il jouissait à Dantzig, avait refusé obstinément d'intervenir dans l'affaire

Ainsi annoncée avec arrogance et par un coup d'éclat, la marche des Russes dont, jusqu'à la dernière heure, on avait voulu douter, devint l'unique sujet de la préoccupation générale. Ces sauvages auxiliaires dont Marie-Thérèse avait réussi enfin à se ménager l'appui, arriveraientils, sur le théâtre de la guerre, à temps pour prévenir le coup décisif que Maurice de Saxe se vantait déjà, bien qu'à mots couverts, d'être en mesure de frapper? Et si le conflit avait lieu, quelle serait l'issue d'une rencontre sans précédent dans les souvenirs de la politique européenne ? C'est ce que chacun &e demandait avec une inquiète curiosité. Du congrès et de ses délibérations, personne ne prenait souci, et les populations découragées en détournaient les yeux avec tristesse. On cessa même tout à fait d'en rien attendre quand on apprit qu'une nouvelle et très importante modification s'opérait dans le personnel du ministère anglais. Chesterfield, qui avait longtemps contenu ses disi. Correspondance de Saxe, pa~t))!, février et mars n4S. Droysen, t. III, p. 43). Pc/. Con- t. VI, p. 64 et suiv.


positions pacifiques dans le désir d'amener insensiblement le roi à les partager, renonçait enfin à cette espérance et se retirait avec éclat après une discussion orageuse. Il avait vainement essayé de faire donner au négociateur d'Aix-la-Chapelle des mstructions d'une nature conciliante et accusait tout haut la frénésie guerrière contre laquelle il avait essayé de lutter. En même temps, Cumberland partait pour reprendre le commandement des troupes alliées. C'était le coup de canon qui donnait le signal de nouveaux combats II

Mais il y a parfois en politique comme dans la nature de soudains changements de température. Un souffle de vent, d'abord insensible, 1. Coxe, PcMft')! a~m~tM~vt/tO?:, t. t", p. 3S8. Chesterfield, Correspondance, t.11I, p. 236 et suiv. Journal de Jt/n)'c/[eMOK<, 1. Il, p. 214-276. Apologie de la dernière démission tirée d'une lettre d'un seigneur anglais à un de ses amis.. (Co?'?'Mpo)!d<Htce <<4n~e<er)'e. Ministère des agraires étrangères.) Droysen, t. HI, p. 407. Parmi les motifs de la retraite de Chesterfield, les Mémoires du temps comptent l'irritation causée au duc de Newcastle par l'intimité de ce ministre avec la maitresse du roi,lady Yarmouth. C'était effectivement par cet intermédiaire féminin que Chesterfield, naturellement disposé à employer de tels moyens pour assurer son crédit, avait essayé de s'emparer de la confiance du roi.


qui s'élève suffit à déterminer un courant nouveau qui éclaircit l'horizon et chasse les nuages les plus épais. Une péripétie de ce genre allait s'opérer moins d'une semaine après la retraite de Chesterfield, et ce fut dans le cabinet anglais lui-même qu'eut lieu ce brusque revirement; de plus, ce fut de La Haye, d'où étaient parties jusque-là les inspirations les plus belliqueuses, qu'arriva ]a nouvelle imprévue qui changea du soir au lendemain dans l'intérieur du ministère britannique l'attitude respective des deux partis. On peut se rappeler que, l'automne précédent, une proposition de paix avait été transmise par Maurice de Saxe à Cumberland, et que le roi George, flatté de l'intermédiaire que Louis XV s'était choisi, semblait disposé à y prêter l'oreille; ce fut un ami du stathouder, lord Bentink, envoyé en mission spéciale, qui fit échouer dans son germe la négociation à peine entamée. L'argument principal dont il s'était servi pour en écarter la pensée, c'était l'annonce du corps d'armée russe dont la présence sur !e champ de bataille devait changer, disait-il, entre les combattants, tout l'équilibre des forces. Puis, comme on persistait à douter de ce concours si souvent attendu en vain, Bentink n'avait pas craint de


s'engager à en répondre au nom de son maître, pourvu que les deux puissances maritimes consentissent à se charger, à frais communs, des dépenses du transport. H avait même indiqué de quelles sommes la Hollande pourrait disposer pour sa part contributive. Tout ce que Bentink avait promis semblait donc prêt, à se réaliser. Moyennant un traité de subsides dont les clauses. étaient agréées, aussi bien par le Parlement britannique que par les États-Généraux de Hollande, les Russes, comme on vient de le voir, se mettaient en mouvement à l'heure dite, et il n'y avait plus, semblait-il, qu'à les attendre et à les. payer.

Mais ce fut justement le payement qui, au moment où il fallait le réaliser, vint à manquer à la dernière heure. Quelle ne fut pas la surprise du nouveau secrétaire d'État, le duc de. Bedford, quand il vit arriver un second messager qui n'était autre que le frère du premier, Charles Bentink, porteur cette fois d'une seconde lettre du prince d'Orange à son beau-père, conçue sur un ton très différent. « La république, y était-il dit, épuisée par une longue guerre, et. devant penser avant tout à son salut, avait à peine de quoi pourvoir sur ses propres ressources.


au payement de ses propres troupes; bien moins encore pouvait-elle se charger de fournir des subventions extraordinaires pour l'entretien des auxiliaires étrangers elle se reconnaissait donc impuissante à faire face à ses engagements si l'Angleterre ne lui venait en aide par un prêt montant au chiffre, considérable pour le temps, d'un million de livres sterling. Ce fut une consternation générale. Pas le moindre soupçon de ce nouveau sacrifice à faire n'avait été donné au Parlement dans le discours royal d'ouverture, .et Pelharn, dont l'office était de diriger le parti ministériel à la Chambre basse, déclara qu'il lui était impossible de s'y représenter avec une telle carte à payer. Son frère, Newcastle, le premier ministre, essaya vainement de l'y décider, et le roi lui-même courba la tête en disant' « Chesterfield m'avait bien dit, il y a six mois, que tout finirait ainsi'N.

Quelle était donc à La Haye même la cause de ce changement de langage? La déplorable pénurie du trésor était-elle réelle, et en ce cas comment n'avait-elle pas été prévue? N'était-ce au contraire qu'un prétexte suggéré par la recrudescence des 1. P~han: admt~ts<)'(t<io!t, t. I", p. 391 et suiv. Chesterfield, 'Co)')'cspoH<~<Mce, t. Ill, p. 251.


sentiments jaloux que le stathouder éprouvait plus que jamais contre Cumberland? L'annonce de l'arrivée de ce beau-frère auquel il portait des sentiments si peu fraternels, venant prendre encore une fois le commandement, sous ses yeux, avait-elle porté son impatience à un véritable degré d'exaspération? S'était-il, par suite, subitement dégoûté de soutenir une lutte où il n'aurait, cette fois encore, que le rôle ingrat de spectateur, tandis que tous les honneurs, s'il y en avait à recueillir, seraient attribués à un rival? C'est la supposition de M. d'Arneth, qui paraît avoir trouvé dans la correspondance de renvoyé autrichien à Londres des motifs de la justifier; quoi qu'il en soit, la déception n'en était pas moins cruelle.

Que faire? comment continuer la guerre quand les anciens alliés se dérobaient par une faiblesse subite aux engagements pris envers les nouveaux ? Comment arrêter la marche des Russes? Comment s'en passer dans la lutte à soutenir? Mais comment les laisser venir sans les payer? Le premier qu'on dut aviser de ce mécompte, ce fut Cumberland à qui il fallut remettre au moment où il s'embarquait ce qu'il appela dans un violent accès de colère le /M~~< papier apporté


par Bentink. Ce fut lui qui fut chargé de représenter au stathouder l'impossibilité absolue où était l'Angleterre de dépenser un sou de plus pour le payement des Russes et la nécessité où elle se verrait, si la demande était maintenue, de tendre sans délai à la conclusion de la paix. « Votre Altesse Royale, lui écrivait Newcastle sur un ton résigné et contraint, aura la bonté de parler sérieusement sur ce sujet au prince d'Orange et au greffier, et de leur faire comprendre qu'il serait impraticable de fournir même la moindre partie de la somme qu'ils demandent. Elle devra surtout leur faire sentir le déshonneur dont la république se couvrirait si elle ne pouvait fournir elle-même cette somme pour un objet aussi nécessaire que le payement des troupes qu'elle s'est engagée à soutenir (avec une extrême insistance de la part du stathouder lui-même). Quelle idée se fera-t-on de la faiblesse du gouvernement de Hollande, et pour tout dire aussi de son imprudence à s'engager dans des dépenses si considérables sans pouvoir en payer la première échéance? Quelque raison qu'eût Sa Majesté de ne pas s'attendre de la part de la république à une telle défaillance si contraire à ses assurances répétées, le fait n'est que trop


évident, et la nécessité n'en résulte que trop clairement de mettre un terme aussitôt que possible à ces dépenses dont le poids, par le fait d'une partie de nos alliés, devient chaque jour plus lourd pour Sa Majesté. Par ce motif, Sa Majesté désire que vous examiniez avec le stathouder quelles nouvelles instructions il conviendrait de donner aux ministres d'Aix-la-Chapelle afin de mettre à profit les dispositions que pourrait avoir la France de terminer la guerre à des conditions tolérables. » « Ce sont les Hollandais eux-mêmes, écrivait de son côté le duc de Bedford, qui commencent à pousser des cris pour la paix, en confessant leur absolue incapacité de continuer la campagne, et il devient nécessaire pour l'Angleterre, dont la situation n'est pas beaucoup meilleure que celle de la Hollande, de tenir aussi un langage pacifique. » Des instructions dans le même sens furent envoyées à lord Sandwich qui dut les recevoir avec d'autant plus de surprise qu'il avait quitté Londres sous une impression bien différente 1. Newcastle à Cumberland, Bedford à Pelham (Pelham <!dwM!M<a<!om, p. 398 et 400). D'Arneth, t. 111, p. 3a9. Parmi les motifs que M.. d'Arneth prête à la détermination subite de la Hollande, il fait figurer un projet qui aurait été formé par le roi d'Angleterre, au cas où les alliés seraient ren-


Un avis plus important encore suivit de près ce premier avertissement donné au chef désigné de la nouvelle campagne. Naturellement le parti pacifique du ministère anglais ne perdait pas un jour pour mettre à profit un revirement si inespéré, et entre Paris et Londres les communications n'étaient jamais ni complètement interrompues, ni difficiles à rétablir. Aussi Sandwich ne tarda pas à être informé que, par un intermédiaire qu'on ne lui nommait pas, on s'était assuré des dispositions du cabinet français. On savait par là de source certaine, lui dit-on, que toutes les propositions faites, l'automne précédent, par le maréchal de Saxe seraient maintenues. Le plénipotentiaire français n'avait donc pas à prendre l'initiative d'en faire de nouvelles; mais il aurait ordre de prêter l'oreille à toutes les conversations même particulières et secrètes que l'envoyé britannique voudrait engager avec lui sur ce terrain'. très en possession des Pays-Bas, d'y constituer une principauté indépendante pour son tUs le duc de Cumberland. Ce voisinage aurait paru intolérable au stathouder.

d. Newcastle à Cumberland, 18 mars n48 (Pelham af<M:'7:Mtralion, t. 1", p. 400).-Je n'ai pu découvrir ni au ministère des affaires étrangères, ni au Record office, par quel intermédiaire les deux cabinets de Londres et de Versailles furent mis en relation en ce moment et comment ïe ministère français eut connaissance des dispositions nouvelles du ministère britannique.


Un secret n'est pas aisément gardé quand les résolutions sont prises par des corps délibérants et quand une presse curieuse est aux aguets pour surprendre le bruit de leurs débats. Je ne puis vous cacher, écrivait encore Newcastle à Cuniberland, que le secret de cette déplorable affaire est déjà ébruité, et que la nature de la commission apportée par Bentink comme l'emprunt qu'il nous demande dans son mémoire sont des faits parfaitement connus et de telle manière qu'on ne peut douter que l'indiscrétion vienne de la Hollande. Le cabinet de George II non plus n'était pas un lieu sourd et les dissentiments de ses conseillers avaient leurs échos dans tous les couloirs parlementaires. Le résultat fut que l'envoyé autrichien ne tarda pas à être informé, ne fût-ce que par le bruit public, que le vent avait tourné dans les régions ministérielles. Il n'en fallut pas davantage pour qu'il fit parvenir à sa souveraine le pressentiment d'une défection à laquelle elle ajouta d'autant plus aisément foi qu'elle l'avait toujours redoutée. En effet, depuis la trahison un instant consommée du roi de Sardaigne (que, par prudence, elle avait feint d'ignorer, mais dont au fond de l'âme elle gardait mémoire et rancune), convaincue


également et avec raison que l'Angleterre avait été confidente, sinon complice de cette perfidie, l'altière princesse vivait dans des soupçons continuels sur la bonne foi de ses alliés. Son imagination était hantée par la pensée que, soit avec l'Espagne, soit avec la France, on en viendrait à traiter encore une fois en dehors d'elle, et à disposer de ses intérêts sans la prévenir ni la consulter. On a vu avec quelle jalouse inquiétude elle avait surveillé la rencontre de Puisieulx et de Sandwich à Liège, et quelle hâte elle avait mise à envoyer au commandant de son armée de Flandre les pouvoirs nécessaires pour s'y faire admettre à tout prix et y prendre part, même sans y être convié. Depuis lors, elle n'avait pas appris avec moins d'ennui qu'un Irlandais catholique, -officier supérieur au service d'Espagne, était venu à Londres et avait été reçu à plusieurs reprises par les ministres. A la vérité, on l'avait informée de cette tentative de négociation particulière qui, d'ailleurs, n'aboutissait pas, les prétentions de l'Espagne (qui n'allaient à rien moins .qu'a se faire restituer Gibraltar) étant trop exagérées pour être sérieusement mises en délibération. Mais elle n'était nullement sûre qu'on lu~ .eût tout dit et que les offres repoussées dans ces


termes excessifs ne fussent pas mieux agréées si on arrivait à les réduire à des conditions plus acceptables, Bref, elle s'attendait à quelque surprise dont elle n'envisageait pas, sans effroi, les conséquences'.

Car, une chose était certaine, elle le savait, c'est que, soit de la France, soit de l'Espagne, la paix ne pouvait être obtenue qu'au prix d'un établissement sérieux assuré en Italie au frère de Ferdinand IV, au gendre de Louis XV. A cet égard, les deux cours de la maison de Bourbon étaient intraitables. C'était le nœud de toutes les négociations engagées et qu'aucune n'avait réussi jusque-là à résoudre c'était la condition ~e ~M non de tout espoir de conciliation. Dès lors, dès qu'on prononçait le mot de paix, toute la 1. La mission de l'officier irlandais Watt, à Madrid, dont il est question à plusieurs reprises dans les correspondances de cette époque, est une affaire aussi mystérieuse que compliquée dont je n'ai pu réussir, mais dont il n'y a pas grand intérêt à pénétrer le fond. Ce fut, en effet, l'objet d'une méfiance égale à Paris et à Vienne. La France, à qui l'Espagne avait fait connaitre l'envoi de cet agent secret, ne se fiait pas complètement à la sincérité de cette confidence et soupçonnait que WaU pouvait avoir quelque instruction cachée dont on ne lui parlait pas. Marie-Thérèse, de son côté, bien qu'avertie du fait même de la mission, n'ajoutait que médiocrement foi au compte que le ministère anglais lui en rendait. Des deux parts 'on soupçonnait quelque piège. (Voir Correspondance d'Espagne passim, décembre n41 et janvier ~4S. Ministère des affaires étrangères.)

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question était de savoir aux dépens de qui serait accordée cette concession indispensable? Qui, de l'Autriche ou de Piémont, en ferait les frais? Le nouvel apanage créé pour un Bourbon serait-il détaché des possessions soit anciennes, soit récemment acquises de la maison de Savoie, ou des domaines que la fille de Charles VI gardait encore au delà des Alpes? Or, si l'Angleterre traitait seule et en secret, Marie-Thérèse savait d'avance par plus d'une épreuve déjà subie à qui seraient demandés les sacrifices. La faiblesse connue de l'Angleterre pour le roi de Sardaigne, l'intimité constante des deux cabinets de Londres et de Turin, et les procédés déjà employés plus d'une fois envers elle ne lui laissaient d'avance aucun doute. Deux fois déjà n'avait-eUe pas vu l'envoyé anglais lui mettre le couteau sur la gorge, tantôt pour arracher sa signature au traité qui cédait la Silésie à la Prusse, tantôt pour lui faire acheter, au prix de lambeaux détachés du Milanais, le concours si peu solide de CharlesEmmanuel ? Elle voyait donc se préparer encore cette fois une troisième répétition de la même scène. On lui apporterait encore un traité tout fait, tout signé, où on aurait stipulé d'avance et en son nom des cessions auxquelles, ne pouvant résister


à elle seule, bon gré mal gré elle devrait consentir. Ce serait alors une véritable duperie aussi ridicule que douloureuse tout le monde, sauf elle, aurait gagné à la guerre, et ceux qui en auraient tiré le meilleur lot, ce serait le perfide Frédéric, qui ferait consacrer par l'assentiment de l'Europe entière le fruit de ses attentats, et le volage Emmanuel, qui garderait, en abandonnant la lutte, le prix dont on l'avait payé pour la soutenir Cette crainte s'emparait d'autant plus facilement de son esprit qu'il ne manquait pas, à côté d'elle, d'habiles conseillers pour l'exploiter. C'était le sujet des entretiens et des constantes incitations de l'envoyé saxon à sa cour, agissant sous l'inspiration de son ministre, le comte de Brühl; car Brühl, on l'a vu, était toujours possédé du désir d'éloigner l'Autriche de l'Angleterre pour opérer 1. Voici comment un excellent observateur, l'ambassadeur de Venise à Vienne, rend compte, dès le 13 janvier de cette année, de la crainte que l'impératrice ne cessait de concevoir au sujet d'une entente secrète de l'Angleterre, soit avec la France, soit avec l'Espagne. Après avoir mentionné la présence à Madrid de l'agent secret Wafi dont je viens de parler « A quel point, ajoute l'ambassadeur, ta suite de cette auaire a troublé l'esprit de l'impératrice, il serait difficile de le dire; avec quelque apparence de sincérité que la cour de Londres ait rendu compte des communications qu'elle avait reçues, elle n'en a pas moins immédiatement cru que la grande oeuvre de la paix se fera. à Londres, que cette cour conviendra des conditions principales avec la France et l'Espagne et qu'elle n'aura qu'à les ratifier au congrès.


ensuite un rapprochement avec la France, dont il rêvait d'être le médiateur. La tentative, deux fois essayée, d'abord avant la paix de Dresde, et ensuite après le mariage de la dauphine, avait échoué par l'effet soit des préjugés de d'Argenson, soit de l'inexpérience et des hésitations de son successeur. Mais Brühl n'en avait pas désespéré et ne cessait pas d'y travailler. Les inquiétudes auxquelles il sut que l'impératrice était en proie lui donnaient une occasion naturelle de revenir à la charge. Il n'était pas malaisé de lui faire sentir que, si la paix devenait indispensable, il étai)t plus facile d'obtenir, sur le point le plus délicat et qui lui tenait le plus au cœur, une issue favorable de la France que de l'Angleterre. A Versailles, nul engagement ni d'amitié, ni d'honneur avec le roi de Sardaigne, et les armes françaises étant encore maîtresses du comté dé Nice et de la Savoie, il y avait dans ces provinces conquises soit une place à trouver pour la dotation de l'infant, soit un objet d'échange pour obtenir un équivalent dans quelque autre partie des possessions piémontaises.. Bref, le vrai moyen d'empêcher l'Angleterre de faire dans l'ombre, par un coup d'adresse et. d'autorité, une paix tout à son profit ou à celui de son allié favori, le roi de Sardaigne, c'était d'être


prêt d'avance à lui rendre la pareille et à la gagner de vitesse à la dernière heure par un arrangement direct avec la France. En tout cas, la précaution était bonne à prendre comme moyen défensifen cas de surprise. Ces représentations, faites avec adresse et persistance, ne pouvaient manquer de faire leur effet sur l'esprit déjà troublé de l'impératrice, et Brühl se crut bientôt assez sûr de D'être pas désavoué pour engager son représentant à Versailles à reprendre, avec le ministère français, les pourparlers au point où Richelieu les avait laissés l'été précédent. Le comte de Loos avait même déjà eu, à ce sujet, de mystérieux entretiens avec Puisieulx quand le bruit répandu du changement d'humeur survenu dans le cabinet britannique vint donner à l'éventualité dont la princesse s'était toujours méfiée un apparence à la fois plus prochaine et plus menaçante. A partir du jour où ces nouvelles dispositions de la cour d'Angleterre lui furent connues, tout indique que l'impératrice n'hésita plus. Elle comprit avec sa perspicacité accoutumée que du moment où la Hollande demandait gràce et où l'Angleterre làchait pied, la coalition était de faitrompue, et la paix, à laquelle personne ne .croyait encore autour d'elle, lui apparut comme


une nécessité devenue inévitable le tout était d'arriver à temps pour qu'elle pût en régler les conditions elle-même, au lieu d'attendre qu'elle n'eût plus qu'à souscrire à celles qu'on lui apporterait déjà arrêtées sans sa participation et à son insu. Sans doute après le mauvais accueil qu'avaient reçu, à Dresde, dans un moment douloureux, ses propositions presque suppliantes, tout en désirant le rapprochement avec la France, elle s'était promis de n'en plus prendre l'initiative, depuis lors elle avait toujours attendu qu'on vînt la chercher. Mais le souvenir de l'humiliation qu'elle avait éprouvée alors s'était effacé avec la chute du ministre qui la lui avait infligée, et l'àme la plus inflexible ne peut nourrir tous les ressentiments à la fois les injures récentes atténuent toujours, quoi qu'on fasse, l'impression laissée par les injures passées. Que tout réussît cette fois encore à Frédéric qui l'avait spoliée, à Emmanuel qui l'avait trahie, à l'Angleterre qui s'apprêtait à se jouer d'elle, c'était là maintenant la blessure que ne pouvait supporter son orgueil royal, et en promenant ses regards autour d'elle, elle ne voyait dans l'isolement où elle allait tomber que la France qui pût l'en préserver. Elle entra donc avec sa décision


accoutumée dans la voie que Brühl lui avait indiquée, et Puisieulx ne tarda pas à s'apercevoir que la démarche était sérieuse, à l'insistance du langage tenu par le représentant saxon à Versailles, et à la netteté des propositions que cet agent se déclara autorisé à lui faire D'après le rapprochement des dates, il semble que ces communications faites au nom de la cour de Vienne durent se rencontrer à Versailles 1. Je dois confesser qu'en attribuant la résolution prise à ce moment par Marie-Thérèse d'entrer sérieusement en négociation avec la France au revirement opéré dans les dispositions du ministère anglais, je fais une supposilion qui me parait fondée sur des indices très vraisemblables, mais dont je ne puis donner une preuve absolument certaine. J'éprouve ici l'embarras que j'ai déjà signalé et qui tient à l'irrégularité et à la lenteur des correspondances à cette époque. Quand deux faits se passent sur deux théàtres différents à des époques très rapprochées, il est impossible de savoir précisément lequel a procédé et par conséquent a déterminé l'autre. C'est le cas des deux résolutions analogues prises à Vienne et à Londres et consistant à traiter directement et à l'insu l'un de l'autre avec la France. Mais les textes que j'ai cités précédemment montrent quelle inquiétude Marie-Thérèse éprouvait, et depuis longtemps, de se voir délaissée par l'Angleterre, et il ne me parait pas possible que son ministre à Londres, toujours très bien informé et la tenant avec soin au courant de ce qu'il était mieux que tout autre à portée de savoir, ne l'ait pas avertie de très bonne heure du changement de dispositions du cabinet anglais. Comment ne pas croire alors que cette connaissance, confirmant d'anciens soupçons, ait été la cause déterminante de la résolution prise par l'impératrice? Je préfère cette supposition à celle de M. d'Arneth, qui pense que l'impératrice fut principalement portée à cette démarche par la crainte de voir Frédéric intervenir une troisième fois dans la lutte. Ce serait la supposer trop ignorante des intentions certaines et parfaitement connues où était Frédéric de rester neutre.


jour pour jour et presque heure pour heure avec les démarches de même nature faites par le ministère anglais. Quelle situation pour un ministre des affaires étrangères de France, s'il eût été doué d'une hauteur d'esprit suffisante pour la comprendre et en tirer parti! La paix lui était offerte par les deux puissances encore nominalement unies contre nous, à l'insu et au préjudice l'une de l'autre, se disputant en quelque sorte à la porte de son cabinet à qui obtiendrait de lui la première et la plus favorable audience. Rien n'était plus flatteur, on aurait pu même dire plus divertissant. Mais il semble que Puisieulx, que cette bonne fortune inespérée prenait par surprise, en fut plus ébloui que satisfait. Les offres de Marie-Thérèse, en particulier, lui causaient un trouble qui allait jusqu'à l'effroi. Quand le comte de Loos, ministre saxon, vint les lui transmettre, à peine le laissa-t-il achever. « Mais que dira la Prusse? s'écria-t-il. Et si l'accommodement que nous pourrions négocier n'est pas du goût de l'Angleterre, ne croyez-vous pas que le roi de Prusse serait capable de se laisser entraîner par elle et de prendre la place de l'impératrice contre nous? Je pense, ai-je répondu (écrit Loos au comte de Brühl), que ce pourrait


peut-être être un artifice inventé par le roi de Prusse pour vous faire peur; mais ce prince est trop clairvoyant pour ne pas voir qu'il n'aurait pas plus tôt pris le parti que vous dites que la Silésie serait en proie à l'impératrice-reine. Croyez-moi, ne vous arrêtez pas à de telles menaces. Le roi de Prusse sait parfaitement bien qu'il a plus besoin de vous que vous n'avez de raison de le ménager, » Puis, dans un entretien suivant, Loos s'enhardit jusqu'à représenter que l'alliance qu'il était chargé d'inaugurer était une affaire d'avenir qui pourrait survivre à la guerre terminée et que les cours catholiques de Versailles, de Vienne et de Madrid devraient rester unies dans une attitude défensive, de nature à faire face aux cours protestantes de Londres et de Berlin.

De telles vues, qui indiquaient un assez juste pressentiment des nécessités futures, dépassaient la portée du courage, sinon de l'esprit de Puisieulx. Pendant que Loos les développait, le ministre français regardait en quelque sorte avec crainte autour de lui pour s'assurer qu'aucune rumeur indiscrète n'en portât l'écho à Berlin. « II importe, répétait-il, que rien ne transpire de nos entretiens secrets et que le roi de Prusse


n'en ait pas le moindre vent. » Effectivement, aucune précaution n'était négligée, car les conversations avaient lieu à nuit close, dans un lieu écarté, et les courriers qui faisaient route entre Dresde et Versailles étaient censés apporter de petits présents, des bijoux, des objets de toilette ou de petits vases de porcelaine de Saxe qu'échangeaient entre elles la dauphine et la reine sa mère 1.

La négociation ainsi engagée, bien que s'avançant par ces chemins couverts, marcha avec la promptitude et la décision qui caractérisaient toutes les résolutions de Marie-Thérèse. Prenant hardiment l'initiative de parler la première, elle envoya au comte de Loos un projet de préliminaires de paix, en quinze articles, rédigé sous ses yeux, avec un pouvoir en règle pour les signer. Disons tout de suite que ce projet renfermait deux concessions véritables de la part de Marie-Thérèse. En premier lieu, l'interminable question de l'établissement réclamé pour la maison de Bourbon en Italie devait être réglée par l'attribution faite à l'infant, des duchés de Parme et de Plaisance. A la vérité, de ces deux duchés, 1. Loos au comte de Brühl, 27 janvier, 7-14 février n48. (Archives de Dresde.)


l'un, celui de Plaisance, avait déjà été cédé à Charles-Emmanuel par le traité de Worms; l'autre, celui de Parme, n'appartenait à la maison d'Autriche que depuis l'extinction de la famille Farnèse survenue à une date très récente. De plus, l'une et l'autre province n'étaient cédées qu'à titre de fief, devant faire retour à l'empire si Philippe venait à mourir sans enfants mâles, ou à être appelé au trône de Naples ou d'Espagne. En outre, l'impératrice déclarait se désintéresser de toutes les questions qui ne regardaient que l'Angleterre, et elle offrait même, si la France ne pouvait obtenir du cabinet britannique le maintien du rétablissement des fortificaions de Dunkerque, de lui céder elle-même la petite ville de Furnes pour assurer de ce côté la clôture de sa frontière septentrionale.

On ne peut nier que c'était là une manière très large d'entrer en matière. D'où venait donc à une souveraine jusque-là si jalouse de ses droits cette facilité inattendue? Le secret en est révélé par deux dispositions peu apparentes, l'une placée dans le document lui-même et l'autre dans une annexe secrète. La première porte que, sauf les modifications indiquées et moyennant la restitution réciproque de toutes les autres conquêtes,.


tout sera remis en Italie dans l'état a'K<ë?'i!'eM)' à la ~<c~'c. C'était déclarer en termes assez nets qu'à l'exception du petit duché de Plaisance, qu'on voulait bien transférer à l'infant, on tiendrait pour nulles et non avenues toutes les autres cessions de territoire bien autrement larges faites au roi de Sardaigne par le traité de Worms et qui n'allaient à rien moins, on peut se le rappeler, qu'à détacher des possessions autrichiennes près d'un tiers du Milanais. L'impératrice, en effet, n'avait jamais cessé de soutenir qu'un tel sacrifice ne pouvait être consenti par elle qu'en échange de la promesse qui lui était faite de la délivrer de toute rivalité de la maison de Bourbon en Italie et de lui assurer ainsi un dédommagement proportionné à ses pertes. Du moment où cet avantage ne peut plus lui être assuré et où elle se voit elle-même forcée d'y renoncer, elle se prépare à prétendre (et elle a toujours fait d'avance cette réserve) que la donation est nulle, comme tout contrat dont la condition n'est pas remplie et dont la clause résolutoire est réalisée. Elle entend rentrer dans la pleine propriété de son bien, ou plutôt s'en maintenir en possession, car la plus grande partie du territoire cédé étant occupée militairement par


ses armées, une fois la paix faite avec la France, ce ne seraient ni les vaisseaux de l'Angleterre, ni les troupes bien inférieures du roi de Sardaigne qui l'en feraient sortir

Et voici maintenant la seconde disposition qui, celle-là reléguée dans un appendice occulte, tout à la fin du projet, semble véritablement le ~o~cn~M~ mis au bas de la lettre par la main même de l'impératrice

« Quoique Sa Majesté l'impératrice, reine de Hongrie et de Bohême, soit très éloignée d'enfreindre au traité de paix de Dresde, en cas que Sa Majesté le roi de Prusse s'y tienne exactement, néanmoins il a été convenu que de même que dans les articles préliminaires signés aujourd'hui, il est fait abstraction des intérêts dudit prince et de la garantie de la Silésie, il en sera encore fait abstraction dans le traité de paix définitif à conclure 2. »

1. La prétention de Marie-Thérèse a fait dépendre )a validité. du traité de Worms de l'exécution de la promesse qui lui était faite de la délivrer de la présence de ia maison de Bourbon; en Italie, qui ne paraissait pas justifiée aux historiens précé-dents, l'est aujourd'hui par la publication de deux articles. secrets de ce traité, qui n'a été faite que dans ces derniers. temps par un recueil tiré des archives de la maison de Savoie et mis au jour en 1836. (D'Arneth, t. !H, p. 525.)

2. Vitzthum, Geheimnisse des Suc~'M/M?: Cabinets, t. I. p. 192. 193. D'Arneth, t. 11), p. 352, 4~9.


De la combinaison de ces deux textes on voit ressortir avec évidence la véritable intention de l'impératrice ce qu'elle cède d'un côté, elle veut le retrouver ailleurs et même avec avantage. Elle entend reprendre aujourd'hui ce qu'elle a abandonné en Italie et se réserve la liberté plus tard, quand l'occasion sera favorable, de regagner ce qu'elle s'est laissé arracher en Allemagne, et pour atteindre à ce double but, elle veut acheter de la France, par la paix qu'elle présente à sa signature, sinon son concours matériel, au moins son assentiment facile et la promesse de la laisser faire. Elle veut surtout l'empêcher d'entrer dans aucun engagement qui la contrarie. Inoffensive en apparence, cette prétention est pourtant con-sidérable, et si la France y consent, pourra la mener plus loin qu'elle n'a l'air, car c'est un premier pas dans une voie nouvelle; c'est l'abandon de toute la politique traditionnelle qui a toujours tendu à l'abaissement de l'Autriche sur tous les théâtres. Si ce n'est pas encore la rupture avec Frédéric, c'est du moins une complète séparation .d'intérêts, c'est le démenti donné à la maxime favorite de d'Argenson qui proclamait que, la .conquête de la Silésie, fût-elle le seul résultat de la guerre, c'était pour la France un avantage per-


sonnel qu'elle n'aurait pas encore payé trop cher. Quelque grands que fussent les sacrifices que Marie-Thérèse croyait s'imposer à elle-même par ses avances, elle ne pouvait assurément s'attendre à ce que tout fût agréé du premier coup, ce qui eût été, je crois, sans exemple en diplomatie. Mais le ministre français, de son côté, quand le projet lui fut communiqué, avait, pour demander le temps de la réflexion, deux motifs dont l'un au moins pouvait être très franchement exprimé. N'était-il pas nécessaire de faire connaître, sinon les termes, au moins le fond de l'arrangement offert à l'Espagne, qui ne pouvait manquer de trouver un peu mince le lot attribué au frère de son roi, et qu'on aurait quelque peine à ramener à une condition si modeste? Il ne fallait pas s'exposer de la part de cette cour fantasque à quelque éclat d'irritation et d'amourpropre qui, cette fois encore, comme dans plus d'une occasion précédente, aurait à la fois tout révélé et tout compromis Une autre raison plus grave qu'on ne pouvait pas dire tout haut, mais à laquelle on eût été inexcusable de ne pas penser, commandait à Puisieulx de faire attendre sa réponse avant de s'engager par un assentiment précipité. C'était bien de connaître et de tenir en


quelque sorte par écrit le fond du cœur du cabinet autrichien; mais le cabinet anglais avait fait savoir que lui aussi était animé d'intentions pacifiques. A la vérité, il parlait d'une façon plus vague, mais son ambassadeur arrivait chargé d'instructions confidentielles qui y donneraient plus de précision. C'eût été une souveraine imprudence de se prononcer avant de connaître et de pouvoir mettre en balance les termes offerts de part et d'autre. Puisieulx, sagement conseillé par son premier commis, l'abbé de La Ville, prit le parti très sensé de remettre lui-même, pour être expédié à Vienne, un projet portant avec les communications autrichiennes des différences assez sensibles pour que le retard parût naturel, pas assez cependant pour qu'il fût décourageant et ôtât l'espérance d'un accord définitif. Ainsi, aux duchés italiens assignés à l'infant on proposait de substituer la Savoie, fief de l'empire également, et d'une contenance à peu près égale, mais que l'Espagne paraissait préférer et dont en fait elle était déjà en possession. Quant au droit de réversion en cas de descendance du prince ainsi avantagé, on faisait remarquer que, la loi salique n'ayant jamais eu vigueur dans la famille royale d'Espagne, la prévision ne devait avoir d'appli.


cation qu'au défaut de toute postérité, aussi bien féminine que mâle. Enfin un modeste agrandissement était réclamé en Allemagne pour l'électeur palatin, fidèle allié de la France. Questions de détail dont, le principe une fois accordé, une discussion amiable pouvait aisément faire justice. Le temps s'écoulait cependant et l'ouverture du congrès ne pouvait être indéfiniment retardée. Avant que le contre-projet français fût parvenu à sa destination, le plénipotentiaire autrichien avait dû se mettre en route, et il était déjà arrivé dans une terre qui lui appartenait sur les bords du Rhin. Cet envoyé n'était autre que le même comte de Kaunitz, dont Maurice avait autrefois reconnu à Bruxelles l'habileté conciliante et à qui sa souveraine témoignait dès lors une confiance qu'elle devait lui continuer pendant près d'un demisiècle. Kaunitz était suivant toute apparence l'inspirateur des préliminaires autrichiens et il ne craignait pas de déclarer que cette pièce était un chef-d'œuvre dont l'envoi était un coup de maître. Marie-Thérèse ne crut donc pas pouvoir mieux faire que de lui renvoyer tous les documents, réponse et réplique, en l'engageant à entrer en conversation, dès son arrivée sur le théàtre du congrès, avec l'agent français, pour 5


ne paraître en scène, s'il était possible, qu'après s'être mis d'accord avec lui

Singulier rote, en vérité, qu'était chargé de remplir dans cette réunion solennelle l'envoyé qui allait porter la parole au nom de la France En apparence, il se présentait pour faire face à deux grandes puissances unies contre nous par le lien d'une hostilité commune. En réalité, il allait avoir dès le premier jour à devenir le confident, je dirai volontiers le confesseur, de leurs désirs, de leurs secrètes pensées et des desseins qu'elles nourrissaient à l'insu l'une de l'autre; et comme, épuisées déjà par leurs efforts communs, elles ne pouvaient songer à soutenir une lutte isolée, il était aisé de prévoir que le choix qu'il ferait entre elles serait décisif et qu'elles l'avaient ainsi constitué, sans le savoir, arbitre de leurs différends. Je ne crois pas que jamais plus étrange fortune soit échue dans les annales diplomatiques à un négociateur. Restait à savoir si celui à qui elle tombait en partage était bien l'homme capable d'en tirer tout le parti qu'une politique habile pouvait s'en promettre. C'est ce qu'à l'epreuve on allait connaître. 1. D'Arneth, t. 111, p. 350-352. Contre-projet français rédigé par l'abbé de La Ville. (Cort-Mpo~f/a~M <f~M~-t'e/ie. Ministère des affaires étrangères.)


Après quelques hésitations entre plusieurs noms mis en balance, le plénipotentiaire désigné pour se rendre à Aix-la-Chapelle fut le comte de SaintSéverin d'Aragon, que nous avons déjà rencontré dans ce récit, et qui avait rempli avec convenance la mission ingrate d'assister à Francfort à l'élection de l'époux de Marie-Thérèse. Issu d'une vieille famille napolitaine, Saint-Séverin n'était Français que par une adoption assez récente. Cette origine, quand sa nomination fut connue, donna lieu à des appréciations différentes. « Quoi! disaient les rivaux à qui on l'avait préféré, un Italien ambassadeur, quand un Allemand et un Danois s 3nt déjà maréchaux de France! La France ne trouve donc plus que des étrangers pour la servir » D'autres se plaisaient, au contraire, à rappeler que l'Italie était la terre classique de la diplomatie, et en tout temps la patrie des fins politiques. Le jugement le plus sévère fut naturellement celui que d'Argenson enregistrait, d'un ton chagrin, dans son journal. Pour lui, SaintSéverin n'est qu'un fourbe, ~ïec/M~, bilieux, ~<M~e, qui a c~c/'o~MC sa réputation d'habileté; c'est M~ ~rc ~<?M, sujet de la reine de Hongrie, qui lui livrera les intérêts qu'il est chargé de servir. « On veut se perdre, s'écrie-


t-il, on se perdra ». On sera peut-être plus près de la vérité en s'en tenant à l'impression médiocrement favorable que Kaunitz avait rapportée plus tard de ses relations avec lui « C'est, disait-il, une quintessence de finesse italienne francisée, sans être pourtant sorcier'. » Ce qui est certain, c'est que Saint-Séverin, maigre cette finesse dont il allait donner plus d'une preuve d'une loyauté douteuse, ne devait pas jouer dans cette réunion solennelle (la dernière de celtes qui ont réglé l'état de l'ancienne Europe) un rôle qui ait mis son nom dans l'histoire à côté de ceux des pères Joseph, des Servien et des d'Avaux. Il est vrai que les ministres dont il devait exécuter les volontés ressemblaient encore moins à Richelieu et à Mazarin.

1. Jo:M'?!a~ de d'~)'ye?MOn, t. V, p. 14S, n6. D'Arneth, t. 11I, p. ~~8.


CHAPITRE II

SIGNATURE DES PRÉLIMINAIRES DE PAIX

État d'esprit des diverses puissances et positions prises par

chacune d'elles à la réunion du congrès. Saint-Séverin,

plénipotentiaire de France, traverse Bruxelles et s'entretient

avec Maurice de Saxe des projets formés pour la prochaine

campagne. Double négociation engagée secrètement par

lui, dès son arrivée à Aix-la-Chapelle avec Kaunitz, plénipo-

tentiaire de France, et Sandwich, plénipotentiaire d'Angte-

terre. Leurs premiers entretiens. Saint-Séverin parait

trouver plus de facilité à s'entendre avec le ministre autri-

chien qu'avec le représentant de l'Angleterre. Nouvelle

subitement répandue de l'envahissement de Maëstricht par

Maurice de Saxe. Trouble que cette surprise cause à

Aix-la-Chapelle, à La Haye et à Londres. Les généraux

alliés Cumberland et Balthiany opèrent précipitamment un

mouvement de retraite. Le cabinet anglais envoie à

Sandwich des instructions modifiées dans un sens de con-

ciliation. Marie-Thérèse, de son côté, se montre disposée

à se prêter aux demandes de la France. Elle accueille

très mal et congédie sans vouloir l'écouter le ministre

anglais Hobison qui vient lui proposer des concessions din'é-

rentes de celles qu'elle charge Kaunitzde proposer à Saint-

Séverin. Saint-Séverin et Kaunitz paraissent à la veille

de s'entendre. Sandwich communique à Saint-Séverin

les instructions modifiées de l'Angleterre. Saint-Séverin

se décide brusquement à traiter avec le ministre anglais.

Signature des préliminaires de paix par Saint-Séverin,

Sandwich et le ministre hollandais Bentink. Consternation


etcolère des autres plénipoten Liai res. Joie générale causée par la signature des préliminaires en France et principalement en France et en Hollande. Les gouvernements français et anglais ratifient les préliminaires. Mécontentement de Maurice de Saxe qui avant de consentir à une amnistie exige la capitulation de Maëstricht. Lettre de Maurice de Saxe à 1Ilaurepas.

Le congrès, depuis si longtemps annoncé, allait donc enfin s'ouvrir. Mais j'ai fait comprendre par quelle raison cette réunion appelée de tant de vœux, et objet, au premier moment, de tant d'espérances, s'effectuait maintenant au milieu d'un défaut de confiance et d'un découragement général. La lenteur affectée que les plénipotentiaires avaient mise à s'y rendre contrastait avec l'activité des préparatifs militaires dont le lieu même, indiqué pour leurs séances, était entouré, et ils semblaient ainsi désespérer euxmêmes, d'avance, du succès de leurs efforts pacifiques. Les spectateurs s'attendaient donc uniquement à une représentation de parade où toutes les puissances viendraient faire, chacune à son tour, montre de son amour pour la paix, afin d'acquérir par là le droit d'imposer ensuite un nouveau tribut de sang et d'argent aux populations épuisées. A peine quelques initiés soupçonnaient-ils ce que l'histoire même n'a appris que dans ces derniers temps, c'est qu'avant que le


rideau fût levé, des intrigues particulières étrangères à la pièce annoncée étaient déjà nouées dans les coulisses, avec le dessein d'apparaitre à l'improviste sur la scène et d'y opérer un véritable coup de théâtre. En réalité, depuis que l'Autriche et l'Angleterre avaient l'une et l'autre, sans se consulter et se prévenir, invité la France à une entente secrète, le congrès était devenu une simple apparence et ne devait plus servir qu'à faciliter des entretiens tenus à voix basse par l'envoyé français tour à tour avec chacun de ses deux collègues, et à enregistrer ensuite, à un jour donné, le résultat inattendu de ces conférences occultes.

Pour bien suivre les incidents divers du drame qui allait se jouer, où devaient se succéder jusqu'à la dernière heure les péripéties imprévues et les surprises, et qui devait finir par une véritable journée de dupes, il est nécessaire de se rappeler quels étaicnt la situation exacte et l'état d'esprit de tous les acteurs appelés à y prendre part. Pour commencer par l'envoyé de France, celuilà pouvait se donner facilement, sur tous les autres, l'avantage de la sincérité et de la franchise. C'était un mérite payé peut-être un peu cher, car il le devait principalement à l'extrême


modestie des prétentions qu'il avait à défendre. Il arrivait avec une formule connue d'avance, circulant depuis longtemps dans toutes les chancelleries, et présentée à tous les peuples comme un modèle de désintéressement et de loyauté restitution réciproque de toutes les conquêtes, et en retour du sacrifice très inégal que faisait ainsi la France, une indemnité assurée aux alliés qui avaient combattu avec elle, soit en Italie, soit en Allemagne, c'était tout ce qu'elle réclamait. De ces deux articles, le second était le corollaire indispensable, et à (lire le vrai, la compensation très insuffisante' du premier. Sans ce complément, l'échange des territoires conquis aurait eu vraiment pour la France un caractère d'abnégation qui aurait mérité un autre nom; car les restitutions qu'elle offrait de faire, c'étaient les Pays-Bas soumis tout entiers par ses armes et où Maurice régnait en maitre; en outre, la Savoie et le comté de Nice, qui' n'avaient pas cessé, pendant toute la guerre, de servir de quatier général aux troupes espagnoles et françaises. Ce qu'elle demandait à ses ennemis de lui rendre, c'étaient quelques villes du littoral de la Méditerranée enlevées à la république de Gènes son alliée, et le petit duché de Modène, dont le


mari d'une princesse française était dépouillé; enfin, une île de l'Atlantique, le Cap-Breton, occupé par la marine anglaise. Quelque importante que fût cette dernière position, qui fermait l'embouchure du fleuve Saint-Laurent et dominait ainsi l'entrée de notre colonie du Canada, on ne pouvait pourtant pas la mettre sérieusement 't en comparaison avec .deux des plus belles provinces du centre de l'Europe. Ce n'était donc pas un excès d'ambition à la France de vouloir ajouter à des satisfactions si modérées la demande d'un établissement pour un Bourbon en Italie, et d'un accroissement de l'électoral palatin en Allemagne. Même, en y mettant ces deux appoints, les plateaux de la balance seraient encore très mal équilibrés. C'est ce que Louis XV appelait, par une expression déclamatoire (que Voltaire a célébrée, peut-être avec un peu d'ironie), traiter en roi et non en marchand.

Muni ainsi d'instructions auxquelles il ne lui était permis de rien ajouter, et dont il n'était guère possible de rien rabattre, il semble que Saint-Séverin n'avait qu'à attendre qu'on le vînt trouver, puis à ouvrir l'oreille et à se décider en faveur de celui des représentants d'Autriche ou d'Angleterre qui s'accommoderait le plus facile-


ment d'un programme si peu exigeant et se chargerait à meilleur compte d'en assurer l'accomplissement.

Une seule chose pouvait lui causer une gêne véritable, et c'était te même embarras qui avait fait le désespoir de la diplomatie de d'Argenson, aussi bien que de Belle-Isle et deMaiIfebois sur le champ de bataille c'était l'obligation de ménager, dans ses rapports avec le représentant de l'Espagne, les soupçons et les caprices d'une alliée à la fois ombrageuse et peu sûre, toujours prompte à crier à la trahison, bien que menaçant à tout moment elle-même de fausser compagnie, gardant mal toutes les confidences et pourtant irritée qu'on traitàt sans elle dans une cause où elle était intéressée. La nécessité d'user, avec une amie si susceptible et si douteuse, d'assez de réserve pour ne pas lui laisser tout connaître et la mettre en mesure de tout révéler, et cependant d'assez de confiance pour n'être pas accusé de lui tout cacher, la crainte d'en trop dire et de n'en pas dire assez, ne devait pas être l'une des moindres difficultés d'un négociateur qui, ayant un double secret à garder, avait à tout moment une double indiscrétion à craindre. « De quelque façon, lui écrivait Puisieulx, que vous vous con-


duisiez avec le ministre d'Espagne, il sera toujours important que vous vous gardiez les motifs de justification et de répondre à ses plaintes, dans le cas où la cour de Vienne viendrait à révéler le secret de notre négociation. C'est ainsi que j'en ai usé avec M. le duc d'Huescar, et j'ai tellement compassé ma conduite et mes discours, que je lui ai tout dit sans pourtant me mettre à découvert, » L'exemple n'était pas aisé à suivre, ni l'instruction à exécuter. On se souvenait du désordre qu'avaient fait naître à Bréda les incartades de Macanaz. Son successeur, Massonez, duc de Sotomayor, passait pour un meilleur choix, mais d'une capacité bornée qui ne le défendait ni des séductions qu'on pourrait lui offrir, ni des pièges qu'on pourrait lui tendre

Quant à l'agent autrichien, ses instructions étaient connues au moins de la France, puisqu'elles avaient déjà été consignées par écrit dans le projet de préliminaires de paix, communiqué à Versailles par le ministre saxon. Malgré quelques réserves qui trahissaient l'embarras d'une subite évolution, c'était, on l'a vu, de la part de Marie-Thérèse, un changement complet d'attitude 1. Puisieulx à Saint-Séverin, 12 avril 1748. (Co'i/i't'Mce de Br~da et d'Aix-la-Chapelle.) Ministère des affaires étrangères.


et d'allures. Avertie des dispositions pacifiques qui avaient fini par prévaloir dans les derniers conseils du cabinet britannique, et convaincue que c'était à ses dépens que ses alliés cherchaient à s'accommoder, elle prenait résolument les devants sur une défaillance qu'elle qualifiait déjà de défection, au besoin même de trahison. D'heure en heure, d'ailleurs, chaque courrier accroissait ses ressentiments et ses méfiances c'était CharlesEmmanuel qui, informé, pensait-elle, de ce qui se tramait contre elle à Londres, opposait à tous les plans qu'elle proposait pour une nouvelle campagne autour de Gènes, des difficultés, des ajournements sans cesse. renaissants. H se refusait à toute mesure offensive, il entendait s'enfermer strictement dans ses lignes de défense preuve évidente, disait Marie-Thérèse, qu'il voulait séparer sa cause de celle de l'Autriche. D'un autre côté, c'était Cumberland qui, arrivé à La Haye et trouvant partout la trace du dénùment et de l'imprévoyance du gouvernement hollandais, au lieu de s'appliquer à réparer )e ma!, semblait se plaire à le constater et même à l'exagérer. Tout, en un mot, paraissait à son esprit inquiet l'indice d'un plan concerté pour la réduire à accepter une paix dont les conditions fixées par avance, à son insu,


seraient pour elle celles d'une véritable capitulation. Dans cette situation pleine d'angoisses, un arrangement particulier et direct avec la France était plus que jamais à ses yeux son unique recours et son moyen de légitime défense. En réalité, elle ne tenait qu'à deux choses; d'abord à acquérir, moyennant cette satisfaction donnée à la France, la facilité de reprendre sur ses perfides alliés, et principalement sur le roi de Sardaigne, les larges cessions de territoire qu'elle avait consenties par le traité de Worms, sous l'empire des injonctions de l'Angleterre et en échange d'une promesse qu'elle n'espérait plus voir accomplir. Elle désirait ensuite que la France s'engageât à ne pas confirmer le concours qu'elle avait donné autrefois à la conquête de la Silésie, en y ajoutant une garantie nouvelle pour assurer l'avenir. De ces deux désirs, aucun n'était incompatible avec l'intérêt sainement entendu de la France. Pour le traité de Worms en particulier et toutes ses conséquences, la France y était restée complètement étrangère; c'était affaire de famille à régler entre ses ennemis d'hier; et s'il en naissait un sujet de discorde entre eux, la France n'avait ni à prévenir, ni à regretter ce dissentiment. Elle avait d'autant moins à s'en préoccuper,.


que, parmi les territoires cédés au roi de Sardaigne par le traité de Worms, figuraient des points importants du littoral de la Méditerranée, tel que le marquisat de Final, enlevé à la république de Gènes, et dont, en vertu du principe de réparation générale qu'elle avait posé, ella devait ellemême demander la rétrocession. Il était plus délicat, à la vérité, de retirer à Frédéric la garantie de sa conquête, qu'il ne cessait de réclamer, et qu'on lui avait plus d'une fois vaguement promise Nul doute qu'il ne conçût de ce refus qui lui serait bientôt connu, et où il verrait un manque de parole, une vive irritation, dont la pensée seule devait faire pâlir Puisieulx. Mais tout le monde ne partageait pas autour de Louis XV ce souci de ne jamais déplaire à Frédéric, qui, chez Puisieulx lui-même, était un effet non pas d'amour comme chez son prédécesseur, mais seulement de crainte. Plus d'un des collègues de ce ministre pulsillanime exprimait tout haut sa fatigue de cette alliance prussienne qui avait coûté tant de sacrifices en rapportant si peu de profit et même de sécurité. Des plans d'un système fédératif tout opposé, et dont un rapprochement avec l'Autriche devait être l'élément principal, étaient formés tout haut dans le con-


seil, et le roi de France, ennuyé de trouver dans un confrère en royauté de date si récente un auxiliaire exigeant et souvent un censeur insolent, laissait développer devant lui ces desseins nouveaux sans y contredire.

On peut croire que Saint-Séverin, très bien en cour et ayant plus d'une manière de savoir ce qu'on y pensait, était lui-même assez enclin à prêter l'oreille à des projets de cette espèce. Quoique dans sa correspondance il se mette toujours en garde pour ne pas laisser apercevoir des préférences qui pourraient déplaire à son ministre, on distingue assez clairement que, dans le choix qu'il avait à faire entre les offres de Vienne et celles de Londres, ses inclinations comme ses espérances étaient portées du côté de l'alliance autrichienne. On voit aussi que le déplaisir de la Prusse, dont il ne prononce jamais le nom, n'était pas ce qui le préoccupait. L'idée d'un rapprochement avec l'Autriche n'était d'ailleurs pas pour lui absolument nouvelle car c'est d'Argenson lui-même qui, dans le portrait très noir qu'il trace de ce diplomate, nous apprend que, représentant la France à Francfort, au moment de l'élection de François de Lorraine, il avait donné le conseil de ne .pas disputer une


reconnaissance qu'on n'avait aucun moyen sérieux de contester. Il aurait très raisonnablement préféré qu'on fit acheter à Marie-Thérèse l'adhésion de la France, au prix de quelques concessions avantageuses « De quoi, ajoute toujours d'Argenson, Frédéric étant informé, s'était montré fort irrité, sans doute, parce qu'ayant en tête un dessein du même genre, il ne se souciait ni d'être devancé, ni d'être obligé de surenchérir. L'occasion, manquée alors, se présentant de nouveau, il était tout naturel que Saint-Séverin cherchât à la ressaisir, d'autant plus qu'il trouvait cette fois des dispositions tout à fait pareilles aux siennes chez l'envoyé autrichien, le comte de Kaunitz, inspirateur, on l'a vu, encore plus qu'interprète des pensées nouvelles de Marie-Thérèse. Pour ce politique, destiné à une si longue vie ministérielle, la réconciliation de la France et de l'Autriche, qui devait être l'acte le plus éclatant de sa car-. rière, était déjà son plan favori et, si on peut se servir de ce terme, à propos d'un esprit si, peu chimérique, le rêve de son ambition. Ainsi avec l'Autriche, le désir de s'entendre étant sincère de part et d'autre, la négociation pouvait paraître en bon chemin vers un résultat favorable. Avec l'Angleterre, au contraire, dont


les intentions n'étaient encore que vaguement connues, tout faisait craindre à première vue que le compte ne fût beaucoup moins facile à régler. Et tout de suite, pour commencer, on se trouvait transporté sur un terrain absolument dînèrent. Les traités de Breslau, de Dresde et de Worms sur lesquels reposaient les agrandissements nouveaux de la Prusse et de la Sardaigne, et dont Marie-Thérèse désirait effacer jusqu'au souvenir, avaient tous été conclus sous l'inspiration de l'Angleterre. Le traité de Worms, en particulier, était son œuvre, elle en avait presque dicté les termes. Elle ne pouvait guère se dispenser d'insister pour que des conventions, auxquelles elle avait directement concouru, fussent comprises dans l'acte final qui réglerait l'état de l'Europe. De là, en ce qui concernait au moins le traité de Worms, une difficulté contre laquelle on allait venir se heurter de front, car un des articles de ce traité avait dépouillé sans façon, comme je viens de le dire, la république de Gènes au profit du roi de Sardaigne de presque tout ce qu'elle possédait sur le littoral de la Méditerranée et la France, soit pour faire honneur au principe général qu'elle avait posé, soit pour ne pas se donner le tort d'abandonner une alliée fidèle et 6


dévouée, ne pouvait manquer d'en demander la restitution. II fallait s'attendre que CharlesEmmanuel serait aussi éloigné d'y consentir que l'Angleterre, de qui il tenait cet avantage, serait embarrassée de le contraindre à y renoncer. De plus, et à un point de vue plus général, la différence qui existait entre le mode d'agir et la situation intérieure des deux cours rendait toute espèce de relation plus difficile à entretenir et à mener à bonne fin avec l'Angleterre qu'avec l'Autriche. Marie-Thérèse, en effet, était maîtresse chez elle, libre de modifier à son gré la direction de sa politique. Les sacrifices qu'elle croyait devoir faire, c'est à elle-même et à elle seule qu'elle avait à en rendre compte. Il n'en allait pas du tout de même à Londres où un cabinet formé d'éléments disparates, placé entre un souverain irascible, un parlement divisé et une presse indépendante, se voyait obligé à tout moment de prévenir les ombrages qui pouvaient s'élever dans la pensée royale ou dans l'opinion populaire. Le parti pacifique, longtemps réduit au silence dans le conseil, venait bien de finir par se faire écouter sous l'empire d'une nécessité pressante; mais c'était un avantage encore faible, très disputé, qui ne pouvait être maintenu qu'à


la condition de ne pas imposer trop de sacrifices à l'orgueil britannique et ce sentiment, toujours très susceptible chez une nation jalouse de sa grandeur, après avoir été un instant très vivement froissé par la victoire de nos soldats, était maintenant plus exalté que jamais par la revanche qui venait d'être prise avec éclat dans deux grandes batailles navales.

Obtiendrait-on facilement, d'une opinion publique surexcitée par des succès récents, l'abandon de cette conquête du Cap-Breton qui en était le résultat sensible, en même temps que le témoignage éclatant, et où on s'était plu à saluer avec joie un premier pas fait vers l'annexion d'une de nos plus belles colonies? Supposé que le public anglais dût se résigner à cette pénible nécessité, il fallait s'attendre que la fibre de la vanité nationale devint plus sensible par là même sur d'autres points. Si le patriotisme n'avait rien gagné, au moins voudrait-il n'avoir rien perdu à la guerre. Or il était, on l'a vu, deux conditions particulièrement dures que la France avait dû subir dans les mauvais jours de la vieillesse de Louis XIV, dont elle s'était affranchie avec joie pendant la guerre présente, mais que l'Angleterre avait toujours annoncé, dans les pourparlers précé-


dents, l'intention arrêtée de lui imposer de nouveau je veux parler de la destruction du port de Dunkerque et du bannissement du prétendant Stuart et de sa famille. Rien ne faisait croire que le nouveau plénipotentiaire anglais fût d'humeur à se relâcher de cette double exigence. Et cependant ces servitudes déjà très pénibles, quand elles avaient été imposées par le traité d'Utrecht, le deviendraient plus encore par les événements survenus depuis que l'effet en avait été suspendu. On avait reconstruit les fortifications du port de Dunkerque, faudrait-il donc laisser les Anglais les raser sous nos yeux, ou travailler à leur démolition de nos propres mains? Puis le représentant de la dynastie déchue qu'on nous demanderait de proscrire, ce n'était plus le prince oublié et vieilli qui languissait à Rome, et dont l'exil et l'âge paraissaient avoir engourdi les qualités viriles c'était son fils, le jeune rejeton de la souche antique, le brillant guerrier qui avait un instant mis la main sur la couronne d'Écosse, et qui, trahi par la fortune et échappé ensuite à la mort, par une suite d'aventures romanesques, venait de faire sa rentrée avec éclat dans la société parisienne, le front ceint de la double auréole de la gloire et du malheur. C'était celui-là dont la renommée impor-


tunait le roi George et qu'à tout prix il voudrait éloigner de sa frontière. Mais pour le roi de France, qui avait publiquement encouragé l'entreprise du jeune héros et qui l'avait aidé de ses vœux, secondé par la promesse de ses secours, quel chagrin, quel dégoût ne serait-ce pas non seulement d'avoir dû l'abandonner, mais d'avoir encore à l'éconduire! C'était déjà beaucoup de le laisser succomber; mais le proscrire soi-même, n'était-ce pas un comble de honte? La France de Fontenoy subirait-elle ainsi, avec un redoublement d'amertume, des humiliations qui n'avaient paru justifiées que par les désastres de Ma)plaquet et de Ramillies, et n'y aurait-il point de différence pour elle entre avoir été victorieuse avec Maurice ou vaincue par Eugène et par Mariborough? Ce n'était pas seulement d'ailleurs l'amourpropre du peuple anglais, c'étaient aussi des intérêts devenus très exigeants et très susceptibles qui imposaient au gouvernement britannique des ménagements de nature à rendre la tâche des négociations épineuse et leur succès incertain. Il fallait faire droit aux réclamations d'une classe sociale dont l'influence croissait de jour en jour, et qui, engagée dans les spéculations du commerce maritime, tirait de la guerre un profit ines-


péré et verrait toujours la paix de mauvais œi!, à quelque condition qu'elle fùt conclue.

Par un singulier contraste, en effet, tandis que le trésor anglais succombait sous le poids des frais énormes causés par des armements excessifs et par les subsides dus aux auxiliaires étrangers, tandis que le parlement, composé en grande partie de propriétaires fonciers, se refusait à ajouter, pour faire face à ces dépenses toujours croissantes, de nouvelles charges aux contribuables, le commerce anglais, loin de souffrir de la prolongalion des hostilités, n'avait qu'à s'en applaudir. Toute rivalité lui était ainsi épargnée, puisque c'était le nôtre et celui de l'Espagne qui, privés de toute défense par la destruction de notre marine militaire, étaient réellement réduits aux abois. Encore quelque temps d'une lutte dans de telles conditions, et les croisières anglaises donnant la chasse sans résistance dans la mer des Indes et dans l'océan Atlantique, il ne resterait plus vestige dans ces parages d'un navire parti de Nantes, de Bordeaux ou de Cadix, et le commerce anglais aurait recueilli partout l'héritage de la clientèle laissée vacante.

C'était déjà une grande déception pour ces hardis négociants que de perdre, par le rétablis-


sement de la paix, l'espérance d'une domination absolue dont ils goûtaient déjà la jouissance anticipée. La moindre compensation que,le ministère britannique leur dût, c'était d'insister pour rétablir dans son intégrité le régime qui présidait avant la guerre aux relations commerciales des grandes puissances maritimes régime combiné par l'Angleterre elle-même avec une âpreté rigoureuse dans les grands traités du commencement du siècle, au moment de l'apogée de sa puissance et de sa gloire. C'était à l'Espagne surtout qu'elle en avait imposé le poids, en lui faisant payer cher, par une série de prescriptions vexatoires, aux dépens de sa suprématie dans le nouveau monde, la reconnaissance de la royauté de Philippe V. Parmi ces règlements que la force seule avait pu faire accepter et qui avaient toujours été supportés avec impatience, il en était de très étranges, tel que celui qui accordait à une compagnie anglaise le droit exclusif d'introduire des esclaves noirs dans toute l'Amérique espagnole; d'autres qui nous choquent moins aujourd'hui, mais qui paraissaient alors plus contraires aux idées reçues, comme la permission de faire entrer chaque année dans les ports de ces mêmes contrées un vaisseau de commerce sous


pavillon britannique, au préjudice du monopole commercial revendiqué alors par toutes les métropoles sur leurs colonies. C'est ce qu'on nommait dans la langue diplomatique du temps les contrats de l'a~o et du vaisseau ~<? ~rmission. Toutes ces exigences ne pouvaient manquer d'être reproduites dans le programme des négociateurs anglais, et nul doute qu'elles ne fussent suivies de vives protestations de la part de l'Espagne, auxquelles la France, pour ne pas délaisser son alliée, serait obligée de s'associer au moins en apparence. Autant de sujets de litige dont la discussion pouvait retarder indéfiniment et peut-être faire échouer toute solution pacifique.

Ajoutons que l'envoyé anglais Sandwich, dont les dispositions personnelles et le caractère étaient connus (puisque Puisieulx lui-même l'avait vu à l'épreuve dans les conférences de Bréda et dans leurs entretiens particuliers de Liège), n'avait fait preuve, ni dans l'une ni dans l'autre occasion, d'une humeur bien conciliante. Dans les démêiés intérieurs de sa cour, bien loin qu'il eut pris comme Kaunitz le parti des concessions et de la paix, c'était lui que le roi George avait choisi pour confident de ses pensées belli-


queuses, à l'insu et au grand déplaisir de ses propres ministres et pour se mettre en garde contre leurs faiblesses ce fait ne pouvait être ignoré, puisque c'était le motif même de la retraite d'Harrington et de Chesterfield, qui l'avaient publié avec une certaine amertume Dût Sandwich arriver cette fois, comme on l'annonçait, animé des meilleurs sentiments pour la paix, il n'aurait pas la liberté de s'y livrer sans réserve, car il allait être suivi et surveillé de près par ses collègues de Sardaigne et de Hollande, le comte de Chavannes et Bentink, qui s'attachaient à ses pas et remettaient leur fortune entre ses mains l'un et l'autre étaient très inquiets à des points de vue différents de ce que pourrait réclamer et obtenir la France; l'un ayant l'instruction de son maître de ne rien laisser distraire de ce que la guerre ou les traités lui avaient acquis, l'autre soigneux de ne rien souffrir qui pût compromettre la popularité du stathouder auprès de la faction fanatique et tumultueuse dont il tenait le pouvoir.

On le voit, les deux transactions clandestines 1. Voir, sur les rapports de Sandwich avec le roi et avec le premier ministre à l'insu du ministre des affaires étrangères, C/tM<e;eM'~ Correspondance, t. Ut, p. 220.


et séparées entre lesquelles Saint-Séverin avait à se prononcer, étaient loin de se présenter sous des auspices également favorables. Celle dont Vienne avait pris l'initiative, et dont Kaunitz était l'intermédiaire, se trouvait facilitée d'avance par les dispositions réciproques des deux cours et de leurs agents, et c'était celle aussi dont la conclusion, si elle avait lieu, serait certainement accueillie avec le plus de faveur par l'esprit public en France car les humiliations infligées par l'Angleterre à notre marine et les souffrances aiguës de notre commerce causaient dans tous les rangs de la société française une irritation qui rendait presque impossible une réconciliation sincère entre les deux peuples; au contraire, envers l'Autriche vaincue sur tous les théâtres et réduite à l'impuissance de nuire, des ménagements même excessifs avaient un air de condescendance qui flatteraient l'amour-propre national. L'une des deux voies semblait donc tout ouverte, tandis que dans l'autre on n'apercevait qu'obstacles, peut-être pièges et un terme éloigné autant qu'incertain.

II reste à faire comprendre comment la solution qui semblait inspirer au plénipotentiaire français le moins de confiance et d'attrait fut


pourtant celle qu'à la dernière heure il dut luimême prendre la responsabilité de préférer; et le même récit laissera prévoir que de toutes les manières de terminer cette longue guerre, cette conclusion peut-être inévitable ne devait pas être pourtant la plus propre à établir entre ceux qui y avaient pris part un accord sincère et durable'. 1. Pour rendre cet exposé tout à fait complet, j'aurais du faire figurer parmi les résultats de la guerre auxquels la paix devait pourvoir, les faits dont les Indes orientales avaient été le théâtre la prise de Madras par Mahe de La Bourdonnais et le siège de Pondichéry par les Anglais, qui durait encore au moment de la réunion du congrès. Mais je me suis abstenu de mentionner ces événements dont la suite seule a fait sentir l'importance, parce qu'au moment où ils ont eu lieu, ils n'attirèrent que peu d'attention en Europe et ne paraissent avoir tenu presque aucune place dans la préoccupation des divers cabinets. Parmi les points discutés entre eux pour le rétabtissement de la paix, je trouve partout la prise et la restitution de Louisbourg et du Cap-Breton, je ne rencontre jamais le nom de Madras ou de Pondichéry. Dans l'acte finat qui termine la guerre, il est dit simplement que toutes les conquêles faites soit en Europe, soit dans les deux fn~M, seront restituées. sans aucune mention spéciale des lieux occupés dans les Indes orientales. Je ne puis m'expliquer ce silence et cette indifférence (au moins de la part du gouvernement français) que par ce fait que la compagnie des Indes, de qui relevaient nos possessions coloniales dans ces régions, avait déclaré à ses agents qu'elle entendait ne pas profiter de la guerre pour se procurer un agrandissement de territoire. On ne considérait donc de part et d'autre les points occupés que comme des positions militaires dont la paix amènerait tout naturellement l'évacuation. C'est dans cette pensée et pour accomplir les instructions de la compagnie que La Bourdonnais, dans la capitulation de Madras, s'était contenté d'imposer à cette ville une forte contribution et qu'il annonçait l'intention de l'évacuer, quand le gouverneur de la colonie, le célèbre Dupleix, s'opposa à l'exécution d'une clause à laquelle il avait d'abord adhéré. De là, la vive contestation qui s'éleva entre ces deux hommes


III

Parti de Paris dans les derniers jours de mars, Saint-Séverin s'arrêta à Bruxelles, où il trouva tout préparé pour la rentrée de l'armée française en campagne, et Maurice prêt à mettre la main à l'exécution du plan secret dont, autour de lui, personne n'avait encore confidence. « Je vois nos deux maréchaux (Saxe et Lowendal), écrit-il à Puisieulx, si pleins de confiance que malgré tous les justes sujets d'inquiétude qu'on peut avoir sans être timide, je croirais presque aux pressentiments la position me parait belle. » Puis il ajoute en réponse à quelques observations qu'il était chargé de faire « II (Maurice) croit être sûr de son fait et que le coup doit être décisif de la façon dont il l'a projeté » La force et la victoire étant assurément de tous éminents et qui aboutit pour La Bourdonnais à une si rigoureuse condamnation. Ce conflit auquel évidemment on ne s'attendait pas et auquel on ne comprit rien en France, acheva de détourner absolument l'attention de ces incidents dont personne alors, pas plus dans le gouvernement que dans le publie, ne paraît avoir apprécié la portée.

i. Saint-Séverin à Puisieulx, 33-2'! mars n48. (Co/ët'e~CM de 7~'ëf~t et d'r-/a-C/tapeMe. Ministère des affaires étrangères.)


les arguments qu'un négociateur peut employer les plus efficaces, le plénipotentiaire se remit en route très encouragé par cette assurance, et l'accueil qu'il trouva à Aix-la-Chapelle était plus fait pour le divertir que pour le troubler. Le comte de Kaunitz et lord Sandwich l'attendaient de pied ferme depuis plusieurs jours, évitant, d'ailleurs, autant qu'il leur était possible, de se rencontrer et de se parler. Dès qu'ils surent son arrivée, ils accoururent à sa porte, sans attendre les formalités habituelles du cérémonial, l'Anglais avant et l'Autrichien après son dîner, celuici même s'excusant de s'être laissé devancer pour ne pas se donner, disait-il, un air d'empressement qui aurait pu paraître suspect. De part et d'autre, on voulut entrer en matière sur-lechamp. Et d'après les comptes rendus de ces premières entrevues, que chacun des envoyés dut en toute hâte transmettre à sa cour, on ne saurait dire ni duquel de ses collègues Saint-Séverin eut le plus à se louer, ni auquel, en répondant, il fit lui-même meilleur visage. Les dépêches, en vérité, à la différence près qui distingue la vivacité française et la netteté britannique de la lourde phraséologie propre à la chancellerie autrichienne du temps, ont l'air calquées l'une


sur l'autre. Mêmes politesses affectueuses de tous côtés et chez les deux ennemis de la France, même assurance non seulement d'une bonne intention générale à son égard, mais d'un désir de faire affaire en particulier et en secret avec elle, afin d'entrer ensuite, la main dans la main, dans .la conférence publique et d'y faire la loi. Saint-Séverin, sans la moindre hésitation, se prête successivement à la pensée de ses deux interlocuteurs. Jamais comédie ne fut plus complète, c'est véritablement don Juan entre ses deux maîtresses. « Le comte, dit Sandwich, me dit qu'il voyait bien que la paix dépendait des dispositions et des mesures de nos deux cours, que la réalité de la négociation se passerait dans nos conférences privées, et que ce qui se ferait en public ne serait plus qu'une apparence extérieure, puisque la conférence dépendrait entièrement de ce que nous aurions réglé auparavant entre nous. » Et Saint-Séverin répond qu'il est prêt à l'écouter où il voudra, surtout ici. « J'entendais par là, dit-il, dans ma chambre. M « Le comte de Saint-Séverin, écrit Kaunitz à Marie-Thérèse, a commencé l'entretien par les compliments les plus flatteurs de ma personne. II proteste que sa cour est disposée à sceller une


réconciliation parfaite avec Votre Majesté impériale et royale, et que, quant à lui, dans sa négociation secrète, il a reçu l'ordre formel de se mettre à l'œuvre avec moi loyalement et de tout son cœur. » Enfin, Saint-Séverin lui-même, sans perdre un instant son sérieux, raconte à son ministre qu'il a donné avec une égale chaleur deux protestations confidentielles pourtant assez difficiles à mettre d'accord'.

Les deux entretiens, bien qu'assez longs, se terminèrent encore dans les mêmes termes de courtoisie et presque de bonne amitié. Bien qu'on y eût passé en revue à peu près tous les points en litige, la discussion ne prit jamais, dans aucun des deux tête-à-tête, un caractère d'animosité ou d'aigreur. « Tout s'est passé entre Sandwich et moi, écrit Saint-Séverin, sans la moindre vivacité, au contraire, avec l'air de la plus grande intimité et confiance. Avec Kaunitz, c'est aussi bien et mieux encore. « Toute cette conversation s'est passée en douceur sans i. Sandwich au duc de Newcastle, 2~ mars n48. r<'en<~ Pape~ (Record office.) -Kaunitz à Marie-Thérèse, 28 mars. (Archives de Vienne.) Saint-Séverin à Puisieulx, 30 mars n48. (Ministère des affaires étrangères.) Tout le récit de la négociation que je vais faire est rédigé d'après les dépêches françaises, anglaises et autrichiennes dont la comparaison et le contraste paraitront peut-être au lecteur aussi instructifs qu'amusants. La plupart des détails sont entièrement inédits.


la moindre altération de part et d'autre dans le son de la voix ni dans le visage. »

Ce n'était pourtant pas que d'aucun côté on fût arrivé à se mettre d'accord ce n'est guère l'usage, on le sait, de gens qui traitent entre eux, même de moindres intérêts, d'en venir à s'entendre, dès le premier jour. Personne n'est jamais pressé de dire son dernier mot, et chacun, en prenant position, a soin de garder derrière lui assez de terrain pour pouvoir en céder au besoin, et élève ses exigences à une hauteur dont il puisse ensuite sans trop d'inconvénient les faire descendre. C'est un marchandage qui est presque de rigueur dans tous les genres de trafic. Pour Saint-Séverin (c'était là, je l'ai dit, son avantage), la base des négociations depuis longtemps posée était simple remise réciproque des conquêtes, et satisfaction modérée pour les alliés de la France. Sur le premier point, Sandwich paraissait cette fois disposé à prêter l'oreille, au moins en ce qui regardait les conquêtes propres à l'Angleterre; car il refusait de laisser toucher à tout ce que le roi de Sardaigne tenait du traité de Worms, soit par concession de l'Autriche, soit aux dépens de la république de Gènes. Sur l'établissement espagnol en Italie et sur les points si


délicats de la destruction du port de Dunkerque et du bannissement du prétendant, il ne paraissait encore autorisé à faire aucune concession. Aussi, bien qu'on se fût séparé avec des protestations amicales, Saint-Séverin n'emportait pas de l'ensemble de l'entretien une impression favorable. « Nous nous sommes parlé clair, disait-il, et si c'est tout de bon, cela n'aura pas plus d'euet qu'à Bréda.

Avec Kaunitz, la dissidence, qui n'était pas moins grave en apparence, prenait un caractère différent. Le contre-projet expédié de Versailles, en réponse aux propositions de Vienne, était loin d'être agréé par Marie-Thérèse et Kaunitz qui prétendait ne pas le connaître et s'en fit donner lecture par Saint-Séverin, afin de n'avoir pas de réponse positive à émettre séance tenante mais il ne put l'entendre jusqu'au bout sans pousser de profonds soupirs. La substitution de la Savoie aux duchés de Parme et de Plaisance pour l'établissement de l'infant en Italie lui paraissait surtout inacceptable. Jamais l'impératrice n'y consentirait, non que la proposition ne fût à son avantage personnel, puisque le duché de Parme lui appartenait encore, tandis que la Savoie, bien que conquise en fait tout entière, était en droit 7


sujette de Charles-Emmanuel; mais on connaissait la droiture de sa conscience, elle aimerait toujours mieux sacrifier ce qui lui appartenait que de traiter de la propriété d'un allié sans son consentement. Assurément, ce que le roi de Sardaigne avait reçu d'elle récemment par le traité de Worms, comme le duché de Plaisance, par exemple, sous une condition qui ne pouvait plus être remplie, elle se croyait en droit de le reprendre et d'en disposer mais la Savoie était le patrimoine héréditaire de Charles-Emmanuel ce serait un vol que d'y toucher. La nuance était assez délicate. On ne s'attendait peut-être pas à avoir à en tenir compte dans une négociation clandestine dont le caractère était d'une loyauté douteuse. Ce n'était pourtant pas un pur prétexte, et Kaunitz connaissait bien sa souveraine. Le mélange du scrupule religieux et de l'ambition royale, et, dans le conflit de ces sentiments d'ordre divers, une subtilité de casuiste appliquée à les concilier c'était bien là Marie-Thérèse tout entière, telle qu'elle s'était montrée déjà, et telle qu'on devait la retrouver jusqu'à sa dernière heure dans toutes les crises importantes de son glorieux régne.

Pourtant, comme Saint-Séverin laissait enten-


dre que la demande de la Savoie, faite pour être agréable à l'Espagne, ne serait peut-être pas maintenue quand on aurait pu s'expliquer avec l'ambassadeur de Ferdinand VI qu'on attendait encore, il n'y avait pas là de difficulté suffisante pour justifier le désappointement visible peint sur le visage de Kaunitz. La vérité est que ce qui blessait l'impératrice et ce qui inquiétait son représentant, c'était moins ce qui était écrit dans le contre-projet que ce qui ne s'y trouvait pas. On avait retranché, sans en faire même mention, l'article secret du projet primitif par lequel la France aurait dû s'engager à ne pas apposer sa garantie au traité de Dresde et à l'incorporation de la Silésie dans la monarchie prussienne et ce supplément tenant plus au cœur de l'impératrice que la pièce tout entière, il était à craindre que le document ainsi mutilé ne perdit beaucoup de sa valeur à ses yeux.

La nécessité de demander et d'attendre de nouvelles instructions après un entretien important n'est souvent qu'un prétexte pour éluder une explication embarrassante ou attendre un événement décisif; mais quand le télégraphe n'existait pas, c'était un motif de retard qui devait paraître naturel. Dans le cas présent, l'absence des minis-


tres d'Espagne et de Gênes en fournissait un autre qui ne l'était pas moins pour ajourner l'ouverture des conférences publiques. De là un temps d'arrêt de quelques jours pendant lequel, entre ambassadeurs séjournant dans le même lieu et se rencontrant à toute heure, des entretiens privés pouvaient avoir lieu et même n'auraient pu guère être évités sans affectation. Il y en eut plusieurs de ce genre entre Kaunitz et Saint Séverin, et leurs récits laissent clairement voir qu'il s'établit entre eux une sorte d'inclination réciproque et un sincère désir de s'entendre qui n'apparaissent pas au même degré dans les relations correspondantes imposées avec le ministre anglais par cette négociation en partie double. Les deux agents se mettent en confiance, autant que cela est possible à des diplomates, et se livrent entre eux à de véritables épanchements. Seulement comme les propos qui leur échappaient dans cette intimité improvisée auraient peut-être paru un peu trop vifs à leurs supérieurs, ce n'est jamais, dans leur correspondance, celui qui les tient, mais bien celui qui les entend, qui les rapporte; ainsi c'est Kaunitz, écrivant à Marie-Thérèse, qui nous apprend que SaintSéverin ne fait pas difficulté de faire avec lui une


critique sévère de la politique de d'Argenson. « Le comte de Saint-Séverin, dit-il, ne cherche pas à dissimuler la vérité, il reconnaît que le précédent ministère s'est conduit d'une façon absolument indigne envers Votre Majesté Impériale et Royale et a imprimé ainsi à sa mémoire une souillure bien difficile à effacer. »

C'est encore lui qui nous fait savoir que SaintSéverin convient qu'après la paix conclue, a le système politique de l'Allemagne devra être modifié, qu'il se formera une puissante ligne protestante à laquelle il faudra opposer une ligue catholique capable de la tenir en respect ». Mais c'est Saint-Séverin qui fait connaître à Puisieulx que Kaunitz s'excuse de ne pouvoir plaider assez chaudement à Vienne les intérêts français parce qu'on le soupçonne déjà de trop de partialité pour la France. « Je suis, dit-il, dans un cas plus embarrassant qu'un autre, on m'accuse d'être tout Français, et les explications que je puis présenter pour assurer de la sincérité de votre cœur sont imputées à de la prévention de ma part. » Crainte à la vérité un peu affectée, car, pendant qu'il tient ce langage, il a en poche plus d'une lettre autographe de Marie-Thérèse, où, après avoir discuté de nouveau tous les


articles des projets et contre-projets en discussion, et l'avoir engagé à tenir bon sur les points contestés, elle finit toujours par conclure qu'à aucun prix cependant il ne faut rompre, parce que les deux puissances maritimes et la SarJaigne joo:<a: ~oz~ c~M~co', ce qui serait péril bien aM~'cmeM~~aMe. Plus méfiante et plus irritée que jamais, elle soupçonne l'Angleterre qui accuse l'imprévoyance de la Hollande, et la Hollande qui se plaint de l'avarice de l'Angleterre, « de jouer contre elles un jeu concerté afin de sauver les apparences et de se rejeter l'une à l'autre la balle de la défection

Quand on se mettait en si bonne amitié avec l'ennemi, il devait être assez incommode de rencontrer les envoyés des puissances avec qui on était encore nominalement en alliance. Aussi rien de plus froid et de plus gauche que les rapports de Kaunitzavec ses collègues d'Angleterre, de Sardaigne et de Hollande. Avec le Sarde et le Hollandais, on s'en tire encore, parce qu'ils se rangent derrière l'Angleterre dans un rôle à peu près muet. Mais avec Sandwich, il faut bien causer, quand ce ne serait que pour faire semt. Marie-Thercse à Kaunilz, 28 mars, 4 avril n48. (Archives de Vienne.)


blant de se mettre d'accord sur l'attitude à prendre Je jour de l'entrée en commun dans la conférence publique. Aucune explication sérieuse n'est pourtant possible entre gens qui s'observent et se soupçonnent mutuellement, chacun ayant à part soi un secret et ne songeant qu'à défendre le sien, ou à surprendre celui de l'autre. Sandwich essaye bien d'entrer en matière en insistant sur la nécessité de la paix et la convenance de la fonder par un acte de désintéressement réciproque. Mais Kaunitz s'empresse de détourner le coup en rappelant que tous les sacrifices ont été faits jusqu'à présent par sa souveraine et qu'aucun des dédommagements promis n'a été reçu par elle. C'était toucher à la question même du caractère du traité de Worms et du retour exigé par l'Autriche en cas d'inexécution de ses clauses principales; mais le débat à peine soulevé n'est abordé directementp ni deart ni d'autre, chacun sentant que, si on sort du vague, on tourne à l'aigre, et que la discussion pourrait l'amener à dévoiler prématurément fe fond de sa pensée et de ses espérances Puis quand Sandwich veut 1. Sandwich à Newcastle, 2!) mars f!4S, T'ea<)/pet/je)'~ (Record office.) Kaunitz à Marie-Thérèse, même date. (Archives de Vienne.)


couper court à l'entretien, il parle de la convenance qu'il y aurait à prier le roi de Prusse d'envoyer un représentant au congrès, et Kaunitz de se récrier à l'instant et de terminer à tout prix la conversation.

Quelques jours se passent ainsi, chacun restant en observation et en arrêt, quand subitement une bombe éclate. On apprend que le même jour, presque à la même heure, la ville de Maëstricht s'est vue abordée à la fois, sur la rive gauche de la Meuse, par le maréchal de Saxe lui-même, et sur la rive droite par le maréchal de Lowendal, et que, les deux généraux n'ayant plus qu'à se donner la main à travers le fleuve, cette place forte va être investie avant même qu'on soupçonnàt qu'elle dût être attaquée. C'était le secret de Maurice et le coup de partie qu'il avait tenu si soigneusement en réserve. H ne pouvait oublier qu'à deux reprises différentes l'ennemi, battu sous les murs de Maëstricht, lui avait échappé parce que, pour des raisons diverses, il n'avait pu achever sa victoire en pressant les fugitifs, l'épée dans les reins, d'une des rives du fleuve à l'autre. La surprise pénible qu'il avait éprouvée, le lendemain de la journée de Lawfeldt, en voyant à son réveil les vaincus de la


veille qui le regardaient, presque en le narguant, derrière un infranchissable cours d'eau; ce mécompte, qu'on lui avait tant reproché, et dont il ne pouvait au fond accuser que lui-même, lui était reste sur le cœur, et il avait juré de n'être plus pris au même piège. Maëstricht serait à lui (il y allait de son honneur), et il en avait fait la promesse au roi '< La paix se fera dans Maëstricht », lui avait-il dit; mais la ville, ainsi condamnée d'avance, ne devait apprendre son sort que lorsque, enserrée de toutes parts, il serait trop tard pour qu'aucun de ses défenseurs pût lui venir en aide.

Dans cette vue, toutes les mesures prises par lui-même et sous ses yeux, et dont il paraissait uniquement préoccupé, furent combinées de manière à faire croire que, renonçant à une entreprise qui ne lui avait pas réussi, c'était du côté de la place, très importante également, de Bréda qu'il tournait sa pensée et ses efforts. Ce plan devait paraître même de sa part d'autant plus vraisemblable, qu'il avait opéré la même manœuvre avec succès après Lawfeldt en lâchant Maëstricht pour ne plus songer qu'à Berg-opZoom et c'était de cette place même, sa dernière conquête (où il se transporta à plusieurs


reprises de sa personne), qu'il faisait mine de préparer l'atlaque de Bréda; mais pendant qu'en causant aux ennemis cette illusion, ou en les laissant dans l'incertitude sur ses desseins, il les empêchait de se concentrer aussi Lien sur leur gauche que sur leur droite, Lowendal, par ses ordres, partait de Namur et se portait à Givet, aux frontières mêmes de la France. Là il trouvait tout un corps d'armée qui avait passé l'hiver dans le pays messin à Méziéres, à Sedan, à Carignan, à Montmédy, à Longwy, dans la contrée, en un mot, la Meuse qui la traverse est sur ses deux rives un fleuve français. A la tête de ce puissant détachement, il pénétrait dans le Luxembourg, et, traversant sans résistance cette province entière, où sa présence n'était pas attendue, il rejoignait le fleuve à Liège pour le remonter sur la droite il arrivait enfin, le 10 avril, à Maëstricht, prenant ainsi la place à revers du côté même où elle passait pour inattaquable. H y avait déjà vingt-quatre heures que Maurice l'attendait sur l'autre rive. Dés qu'il avait su, en effet, que le mouvement de Lowendal était commencé et en bon train, jetant le masque et laissant brusquement Bréda et toute cette frontière de la Hollande sur ses derrières, Maurice


avait repris en droiture le chemin de Maëstricht et était revenu se camper de nouveau en vue de la ville, à quelques lieues seulement du champ de bataille de l'année précédente.. L'erreur de Lawfeldt était ainsi réparée, et on aurait dit qu'il reprenait son opération victorieuse pour la compféter au point même où il avait eu un an auparavant le tort ou le malheur de l'interrompre.

Du reste, l'achèvement se fit de lui-même et sans nouvel effort, car le général autrichien Batthiany, ne se trouvant pas en force pour résister à cette concentration de l'armée française opérée dans des conditions inattendues, n'essaya pas de disputer la partie et se retira, en descendant le fleuve, jusqu'à Ruremonde. Le siège put alors commencer et la tranchée fut ouverte sans obstacle la ville se trouva cernée et comme elle n'avait pas de secours à attendre, malgré la forte garnison de près de dix mille hommes, moitié autrichienne et moitié hollandaise, qu'elle contenait, sa soumission n'était qu'une affaire de jours et peut-être d'heures. « Vous allez entendre ronfler le canon, écrivait Maurice à Saint-Séverin, je ne sais si le son de cette agréable musique portera les esprits à des pensées de


paix ou à une ardeur martiale. » C'est ce qu'on n'allait pas tarder connaître

Rien ne peut dépeindre, en effet, le trouble causé par cette surprise vraiment foudroyante, à la fois au quartier général des alliés, dans la réunion des plénipotentiaires à Aix-la-Chapelle, et dans tous les centres politiques ou populaires de la Hoflande. Là surtout l'épouvante fut générale et se communiqua de cité en cité avec la rapidité d'une chaîne électrique, produisant, comme il arrive quand le peuple est en émoi, les effets les plus opposés. Ici c'était un abattement subit, et le mot de paix, que naguère personne ne pouvait prononcer tout haut qu'au péril de sa vie; s'échappait des poitrines avec l'accent du désespoir. Ailleurs, au contraire, c'était un redoublement d'exaspération et de fanatisme; et contre l'invasion française, qu'on attendait d'heure en heure, on réclamait les mesures les plus extrêmes, comme la levée de toutes les digues et l'inondation de toutes les provinces maritimes. D'autres voulaient aller en masse se jeter aux pieds du roi de Prusse pour le supplier de ne pas laisser 1. Maurice à Saint-Séverin, 12 avril n48 (Co)v<'spoH~<Mce <<e Bréda et d'Aix-la-Chapelle. Ministère des anaires étrangères.)


périr le dernier asile de la foi réformée. Puis on demandait avec angoisse ce qu'était devenu le secours des Russes, si pompeusement annoncé par le stathouder et ses amis. C'était une désolation de s'entendre répondre que les Russes étaient bien en marche, mais que, n'ayant pas encore passé la frontière d'Allemagne, ils n'arriveraient pas sur le théâtre de la guerre avant les premiers jours du mois suivant. D'ici là Maurice serait entré, par toutes les portes désormais ouvertes devant lui, et la rép.'fbiique n'existerait plus. Au milieu de cet effarement général, le pauvre stathouder ne savait auquel entendre, d'autant plus qu'il avait au même moment des scènes violentes à subir de la part de son beaufrère Cumberland, qui lui reprochait amèrement de n'avoir rien préparé, rien prévu, tenu aucune de ses promesses, et de lui rendre par là la suite des opérations impossible'.

Et ce n'était pas un des signes des temps les moins apparents et les moins tristes que ce découragement profond dans lequel sembla tomber le général en chef, et dont il ne prit même pas soin de faire mystère. Un ordre de se replier sur toute i. Chiquet à Puisieulx, i8 avril n4S. (Correspondance de Hollande. Ministère des affaires étrangères.)


la ligne fut immédiatement donné par lui à toutes les troupes sous son commandement, à voir même les termes qu'il employait pour faire part à Londres de cette résolution, on serait tenté de croire que Marie-Thérèse n'avait pas tort quand elle le soupçonnait d'être entré dans les vues secrètes d'une partie des ministres anglais, et, au lieu de se préparer à la résistance, de pousser à la conclusion d'une paix précipitée dans des conditions réglées d'avance. Le siège de Maëstricht va son train, écrit-il au ministre Pelham, et nous ne sommes pas en mesure de tenter de le faire lever. Dans cette désagréable situation vous verrez, par mes lettres officielles, ce que j'ai proposé aux généraux alliés, et ce que nous sommes convenus de faire. Les mouvements rétrogrades sont toujours ennuyeux et ont mauvaise apparence, mais ils sont aussi quelquefois salutaires. Je suppose que c'est le cas, et, quoi qu'il en soit, c'est ce que nous pouvons faire de moins mal; car, dans noire situation présente, nous n'aurions pas tardé longtemps sans nous exposer à un affront fatal. » Je tiens, comme je le dois (dit-il encore dans la même lettre) lord Sandwich au courant de tout. I! n'est pas moins convaincu que nous ne le sommes tous de la nécessité de con-


clure immédiatement avec M. de Saint-Séverin. Le temps presse, et je suis convaincu qu'il ne laissera pas échapper une occasion favorable 1. »

Très touché d'entendre tenir ce langage par le chef de l'armée, partageant d'ailleurs l'émotion générale, le ministère anglais se décida sans délai à envoyer à Sandwich des instructions nouvelles. On l'autorisa à se montrer plus coulant sur la plupart des points (le bannissement du prétendant seul excepté) qui avaient fait matière à contestation dans la première conférence. Au sujet du port de Dunkerque, on consentait à entrer dans une distinction déjà proposée par d'Argenson et à borner la démolition demandée aux défendes maritimes du port, en laissant subsister les fortifications du côté de la terre auxquelles la France paraissait tenir essentiellement pour la sécurité de sa frontière septentrionale. Quant à l'établissement italien de l'infant, la concession était plus complète, et chose singulière, elle était faite exactement dans les mêmes termes que ceux qui étaient proposés par l'Autriche à savoir l'érection en principauté indépendante des duchés 1. Cumberland à Pelham, 23 avril H48. (M/tant administration, t.I, p. 4t8.)


de Parme et de Plaisance. Quelle était dès lors la différence entre les offres de Vienne et celles de Londres? Elle devenait à peu près nulle, il faut en convenir, en ce qui touchait les conditions immédiates de la paix et celles où la France était personnellement intéressée. Mais voici où commençait la distinction et même la contradiction directe. L'Angleterre réclamait une adhésion explicite sous forme de confirmation ou de garantie, de toutes les cessions territoriales faites soit à la Prusse, soit à la Sardaigne, par les traités de Dresde et de Worms, tandis que l'Autriche mettait un prix égal à ne laisser attacher aucune sanction nouvelle à des stipulations qui lui étaient devenues toutes également odieuses. Ainsi, on n'allait plus disputer pour savoir quels termes la France aurait à accepter pour elle-même le jour de la paix (à cet égard, de guerre lasse, on finissait par tomber d'accord), mais dans quelles conditions elle apporterait son concours pour établir un système de paix générale, et, par suite, dans que)le communauté d'intérêts et d'alliance elle se trouverait engagée le lendemain; et c'est sur <;e point, regardant au fond l'avenir plus que le présent, que les ennemis coalisés la veille .contre elle étaient déjà (et devaient devenir


de jour en jour davantage) foncièrement en dissidence

En même temps que ces instructions conciliantes, deux missives partaient également de Vienne à Londres l'une à l'adresse du ministre anglais pour lui faire part des concessions auxquelles la nécessité forçait de se résigner et le charger de préparer Marie-Thérèse aux sacrifices indispensables; l'autre à destination du roi de Prusse pour lui demander d'intervenir auprès de la France, au moins par une médiation officieuse, afin d'obtenir qu'elle ne se montràt pas trop exigeante, surtout en ce qui regardait le compte à régler entre la république de Gènes et le roi de Sardaigne. Celle-ci devait être portée et remise en mains propres par le nouveau ministre que George envoyait à son neveu et qui devait, en se rendant à Berlin, s'arrêter sur son chemin à Aix-la-Chapelle. En prévenant de cette démarche le ministre prussien à Londres, Mitchell, le duc de Newcastle lui disait que, si le roi de Prusse leur rendait le service qu'on lui demandait, le roi d'Angleterre lui en garderait une reconnaissance éternelle La triste 1. Newcastle à Sandwich, 19 avril 1748. (PeMam acimtttMh'alion, t. le', p. 414.)

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mine, disait Mitchel), que le duc avait en me parlant, me fait comprendre dans quel embarras est le gouvernement anglais »

L'effet du siège et de la prise désormais certaine de Maëstricht eût été aussi grand à Vienne qu'à Londres, si la surprise n'y eût été moindre; mais Batthiany, campé devant la ville, avait appris ou du moins soupçonné le mouvement tournant de Lowendal avant qu'il fût opéré, et put donner avis d'avance du résultat prévu aussi bien à sa cour qu'à Kaunitz et d'ailleurs, ne se laissant pas tromper comme Cumberland par les feintes manœuvres de Maurice, il n'avait jamais cessé de réclamer la concentration sur la Meuse de toutes les forces défensives 2. Aussi dans la disposition où était t Marie-Thérèse, l'imprévoyance et la facilité avec lesquelles on laissait se consommer une opération qui pouvait être décisive ne durent lui paraitre qu'une preuve nouvelle de la complaisance criminelte qu'elle soupçonnait c'était évidemment le parti-pris de se précipiter en l'entrainant elle-même dans ce qu'elle appelait une paix A~e et déloyale, i. y~'o~M, t. Ill, p. 449.

2. Kaunilz il Marie-Thérèse, H avril H48. A cette date l'ambassadeur fait savoir qu'il est averti par Batthiany qu'un corps d'armée français s'avance par la rive droite de la Meuse.


Résolue, pour ne pas souffrir cette pression, à gagner de vitesse ceux qui prétendaient l'exercer, elle se décida, quelques jours même avant que l'investissement de Maëstricht fùt opéré, à faire un pas de plus pour se rapprocher des vues de la France et faciliter elle-même une solution dont elle voulait dicter et non subir les conditions. Ainsi l'opération faite si à propos par Maurice agissait en réalité comme une épée à deux tranchants, frappant à droite et à gauche, et décidait aussi bien Marie-Thérèse que les conseillers de George II à rechercher, on dirait volontiers à courtiser plus que jamais les bonnes dispositions et presque l'amitié de la France.

Seulement le moyen imaginé dans cette vue par Marie-Thérèse est si singulier qu'on aurait peine à le prendre au sérieux si on n'y voyait un trait caractéristique du soin qu'elle mettait à concilier ses principes de moralité et de justice politique avec la défense passionnée de ses intérêts. Puisque la France et l'Espagne tenaient à garder la Savoie dont leurs armées étaient encore en possession, on les autoriserait à y placer l'établissement italien qu'elles réclamaient mais afin de ne pas exproprier le roi de Sardaigne sans indemnité d'un bien patrimonial, ce serait elle-


même, l'impératrice, qui en fournirait sur son propre domaine la compensation. Ce qu'elle proposait ainsi en échange, c'était ce même duché de Parme qu'elle avait offert pour former l'apanage de l'infant. H devait rester bien entendu que ce troc bizarre serait soumis aux mêmes conditions que l'offre dont il était destiné à tenir lieu, c'est-à-dire que l'effet cesserait et que chacun rentrerait dans son bien propre si l'infant venait à mourir sans postérité ou était appelé au trône d'Espagne ou de Naples. Ainsi, par cette résolution, suivant elle, aussi généreuse que mesurée, tous les droits seraient ménagés, et la transaction, disait-elle en propres termes, toujours due à un sacrifice dont elle faisait les frais, conserverait de sa part le même c~'ac/e de ~'aM~eM?' ~'a?/!<?. De malins observateurs auraient pu pourtant faire remarquer quela magnanimiténecoùtait pas cher, puisque, par l'annulation du traité de Worms qu'elle se proposait toujours de réclamer, elle reprenait d'une main à Charles-Emmanuel bien plus qu'elle ne lui offrait de l'autre, et qu'ainsi, la balance faite, l'opération se solderait largement en sa faveur.

Rien n'est plus curieux, et il faut en convenir, plus pénible à lire que l'exposition de ce système


compliqué qu'on trouve très largement dévelopé, avec beaucoup de réserves et d'ambages, dans deux ou trois dépêches successives dues probablement à la plume de quelque commis principal de chancellerie. Mais de loin en loin la forme pesante et embarrassée est tout à coup relevée par des expressions à la fois vives et lumineuses, tenant souvent de la satire et de l'invective. On reconnaît la main et on croit entendre la voix de l'impératrice elle-même. Elle dénonce et elle raille sans pitié l'/i~ocn'M'e ar~tCM'M.~ de la Sardaigne et les ~eM?~'cAe?'de la Hollande. Mais dès que le nom de l'Angleterre est prononcé, son irritation ne ménage plus rien » Le plan que l'Angleterre nous propose, dit-elle (elle le comprenait à travers la réserve de Sandwich), est conçu de telle façon qu'on pourrait le croire rédigé à Versailles plus qu'à Londres. Sans doute le contre-projet de la France renferme certaines choses qui sont pour nous menaçantes et nuisibles mais peut-on le mettre en parallèle avec les conditions que veut nous imposer l'Angleterre ? Un établissement de l'infant Philippe a nos dépens et toutes les concessions du traité de Worms gardant toute leur valeur! et par-dessus le marché, on complète ce fameux projet


par la proposition que le roi de Prusse serait associé à l'oeuvre de la paix générale. Dites au comte de Saint-Séverin que sa cour aussi bien que nous doit tirer de ce qui se passe une leçon et un avertissement. Sijusqu'à ce jour la France s'est montrée hostile aux intérêts de notre maison, ce sentiment a imposé aux deux nations des sacrifices incalculables, et d'autres ont su les mettre à profit. Encouragés par les bénéfices du passe, ils se disposent à opérer de même dans l'avenir et à susciter des agitations nouvelles. L'objet principal de la réconciliation qu'il s'agit de sceller, est précisément de déjouer ces manœuvres. A la vérité, si nous acceptons les propositions françaises, un soupçon peut s'élever (car ils sont peu nombreux, ceux qui sont en situation de pénétrer des secrets d'État) on croira dans le monde que si nous nous sommes réconciliés avec la France, ce n'était point par la nécessité ni pour éviter d'être sacrifiés par nos alliés, mais pour notre avantage personnel. Aussi la France doit-elle comprendre la légitimité de nos scrupules. elle peut avoir une confiance inébranlable dans nos sentiments d'amitié, mais il faut qu'elle montre elle-même l'esprit de justice et de loyauté qui inspire notre


politique. Il faut faire comprendre à la France que l'Angleterre et la Prusse travaillent, à l'envi, à l'anaiblisscment des grandes puissances catholiques, par conséquent que nos intérêts communs exigent des mesures propres à tromper de telles manœuvres. Le cardinal de Fleury a pleinement reconnu que c'est la Prusse qui a provoqué le bouleversement dont l'Europe est victime depuis la mort de notre vénérable père. Les révélations qu'il a faites après la conclusion des préliminaires de Breslau peuvent être invoquées pour appuyer ces considérations. Toutefois, c'est la voix et non la plume qui doit servir en pareil cas. Le système anglais est percé à jour, il consiste à assurer à nos dépens la grandeur de la Prusse et de laSardaigne. On opposerait ces deux rois à la maison de Bourbon, l'un en Allemagne avec ses partisans et l'autre en Italie. On peut se résigner à subir la volonté de l'ennemi quand la nécessité l'exige, et alors le sacrifice a ses limites; mais c'est trop en vérité que de vouloir nous sacrifier du même coup sans nécessité à la Prusse et à la Sardaigne, et c'est cependant ce que l'Angleterre veut, et elle ne s'en cache pas'. » 1. Marie-Thérèse à KauniLz, 9, <3, 18 avril H4S. (Archives de Vienne.)


La Prusse et la Sardaigne, ce sont donc là les deux mots qui reviennent à toutes les lignes, les deux craintes, je dirais volontiers les deux fantômes qui hantent par des vivions vraiment prophétiques l'imagination de l'héritière de CharlesQuint c'est. la menace de ces deux ambitions rivales qu'elle.aperçoit et qu'elle poursuit dans les deux traités dont l'un lui a en quelque sorte subtilisé, par une promesse restée vaine, une partie de son patrimoine italien, tandis que l'autre lui arrachait, avec la Silésie, comme un lambeau de sa chair.

Aussi la première de ces conventions détestées, elle entend la déchirer à l'heure même. c Je suis prête à accomplir le traité de 'Worms ~a?~ reciproco, s'écrie-t-elle (dans un langage bizarrement mêlé de formules juridiques et d'images passionnées), pouvu qu'on l'accomplisse aussi à mon égard. Sinon, je suis déliée de tout engagement, je-le déclare devant le monde ~<?r. » Quant a l'autre traité que la force lui a imposé et l'oblige encore de subir, au moins ne veut-elle pas souffrir que l'adhésion de la France vienne y ajouter une valeur de plus, et elle exige encore dans ces nouvelles instructions, comme dans les précédentes, un engagement à cet égard, sinon


sous la forme solennelle d'un article de traité, au moins par une déclaration verbale, dont une attestation resterait entre ses mains.

Ce nouveau terrain ainsi nettement établi, elle attend de pied ferme la demande annoncée du ministre anglais, porteur d'une mission qui lui est connue d'avance. Ce ministre était toujours notre ancienne connaissance, sir Thomas Robinson, que le lecteur de ces études, s'il a bonne mémoire, peut se rappeler avoir déjà vu à plusieurs reprises, chargé de la tâche ingrate de réclamer de l'impératrice des cessions territoriales, et par suite aux prises avec elle dans des discussions orageuses. Mais, cette fois, il arrivait plus résigné qu'inquiet, certain d'avance qu'il n'obtiendrait rien, et s'attendant à ne pas être écouté jusqu'au bout. H savait parfaitement comment l'impératrice comprenait le traité de Worms, elle-même lui en ayant plusieurs fois donné l'interprétation. Il comptait donc qu'au premier mot qu'il prononcerait sur la nécessité d'une cession nouvelle, en Italie, on lui répondrait que la conséquence devait être le retrait de toutes les précédentes. C'est ce dont le ministre Ulfeldt le prévint, quand il vint demander une audience, en l'engageant à y renoncer parce qu'elle serait


superflue. Il tint bon cependant et obtint qu'une heure lui fùt indiquée pour le lendemain. Dans l'intervalle, il aurait désiré s'entretenir avec l'empereur, qu'en plusieurs circonstances il avait trouvé d'un abord plus facile que Marie-Thérèse; mais François eut soin de partir et de rester en chasse toute la journée. Introduit au palais, Robinson remarqua qu'il n'était pas reçu dans la salle ordinairement réservée aux audiences, mais dans une galerie que la princesse devait traverser pour aller à la messe et où elle passait, accompagnée des gens de sa suite. <t II n'est pas aisé, écrit-il à son ministre, de dire ce qui ce passa alors. Vous m'avez rappelé vous-même que j'avais eu plusieurs fois à m'acquitter d'instructions d'une nature aussi délicate. C'est bien aussi le reproche qu'elle m'a fait. « C'est donc vous, m'a-t-elle dit, qui avez eu tant de part au sacrie fice que j'ai fait de la Silésie, vous qui avez contribué plus que personne à amener les cessions ? conditionnelles que j'ai faites au roi de SarB daigne, c'est vous qu'on charge de me conN vaincre. Je ne suis ni un enfant, ni une sotte a <et'/Ae~ a c/<M, ~Jy a /~). Les récits qu'on » vous fait de l'état de la Hollande sont exa)' gérés. On peut se défendre encore, il y a assez


de force pour résister. Si vous voulez faire la » paix tout de suite, eh bien! faites-la, je verrai » si je dois y adhérer je puis aussi négocier B pour moi-même, et pourquoi n'ai-je pas le a droit de faire mes propres affaires? Mes ennes mis me font de meilleures conditions que mes » amis; au moins ils ne me refuseront pas une )) paix dont ils ont aussi besoin que moi uniquex ment pour un peu plus ou un peu moins de » territoire à céder au roi de Sardaigne, ou pour » l'interprétation d'un traité. Et qui vous dit que )) l'Espagne désire Parme et Plaisance? Je sais » qu'elle préfère la Savoie. Remettez-moi dans a l'état où j'étais avant la guerre et c'est moi qui » ferai l'établissement de l'infant. Mais votre roi x de Sardaigne il faut donc que tout soit pour » lui! Bon Dieu, comme cette cour nous a traiN tés! Et puis, il y a encore votre roi de » Prusse en vérité, tout ce qui se passe rouvreles anciennes blessures et en fait de nouD velles. » Ce ne sont là, milord, que des échantillons de ce qu'elle m'a dit c'est mon devoir de rapporter ces propos tels qu'ils sont et c'est bien assez en vérité sans que le besoin soit d'y rien ajouter.

» Je lui ai répondu que je la suppliais de vou-


~ir bien faire les plus mûres réflexions ellemême, de tenir conseil avec l'empereur, d'entendre ses ministres, et si j'osais le dire, je la 'conjurais de se laisser ftéchir pour son salut, pour celui de sa famille, et enfin pour celui de toute l'Europe. »

A force d'instances il obtint enfin qu'elle lui demandàt comment il entendait les conditions de l'établissement de l'infant. Mais la réponse suscita une nouvelle explosion de colère, car il n'eut pas plus tôt dit que le nouveau duché en .cas de vacance prévue devrait retourner à ses ~!MC!'c?M ~OMe~eM~ « Les anciens possesseurs s'écria la princesse (Plaisance donc au roi de Sardaigne), non! non! je perdrai plutôt ma tête que d'y consentir. » Et elle fit de la main un geste significatif.

En sortant, l'impératrice se vantait elle-même a ses ministres de la manière dont elle avait traité l'ambassadeur du roi d'Angleterre. <: A ce ,qu'elle m'a dit aujourd'hui, écrivait Uhlfeldt à Kaunitz, elle l'a bien ?'c?M6oM~T/ il avait voulu J'attendrir, comme il a fait autrefois, lorsqu'il .s'agissait de faire la. paix avec le roi de Prusse, mais elle lui a dit que, pour la troisième fois, ,elle ne se laisserait ni attendrir ni tromper. »


Aussi, quand Robinson, en désespoir de cause, essaya encore de frapper à la porte de quelquesuns des ministres, il trouva partout, ou l'accès fermé, ou un accueil d'une froideur glaciale. « Cette cour, écrivait-il, est comme un homme mourant qui sait bien que le dernier moment doit venir, mais qui veut lutter jusqu'à la dernière heure'.

Mais pendant ces allées et venues et cette agitation dans le vide, la scène changeait à Aix-IaChapelle et se précipitait vers un dénouement dont ni Autriche ni Angleterre ne pouvaient plus déterminer le caractère à leur gré. Non cependant que le plénipotentiaire français se fût trouvé en mesure de profiter, autant qu'il eût été en droit de le faire, du puissant renfort que lui apportait l'intervention armée, mais au fond non moins diplomatique que militaire, de Maurice. Il restait astreint par la lettre impérieuse de ses instructions à un programme de générosité déclamatoire que plus d'une fois, se sentant porté par la fortune, il dut, j'imagine, intérieurement maui. Robinson au duc de Newcastle, 1" mai 1848. L'entrevue rapportée est du 26 avril, le récit, d'abord expédiéen chiffres, n'est envoyé que cinq jours après par courrier. (Co't-e.'pondance de Vienne. Record office.) Uhlfeldt à Kaunitz, 27 avril 1748. D'Arneth, t. fft, p. 483.


dire. L'ambassadeur d'Espagne étant arrivé, l'ouverture des conférences générales ne pouvait tarder. Quelle entrée brillante lui eût été réservée, s'il eut pu prendre l'attitude qui lui appartenait! Personne de ceux auprès de qui il prenait séance ne pouvait ignorer que chaque coup de canon tiré à Maëstricht portait une angoisse mortelle dans le coeur de la Hollande consternée. Tous savaient également que le commandant en chef de l'armée alliée déclarait lui-même sa partie perdue d'avance. Chaque courrier apportait les nouvelles d'une retraite dont la précipitation prenait le caractère d'une déroute. Le ministre de France entrait donc dans une réunion de diplomates en désarroi, portant le trouble et l'effroi sur leurs visages et pressés de le prendre à part pour lui conter leurs griefs réciproques et préparer le tour qu'ils comptaient se jouer l'un à l'autre. Enfin, il arrivait (suivant la vive expression employée autrefois par d'Argenson lui-même) pour plaider les mains ~a?'yMM, c'est-à-dire possédant, par la conquête de deux des plus belles provinces d'Europe, le gage assuré d'avance de toutes les satisfactions que le droit de la guerre permet au vainqueur de réclamer. On se demande, en vérité, quel parti n'aurait pas tiré de cet ensem-


ble de bonnes fortunes un ambassadeur à qui la confiance de son souverain aurait permis d'élever la voix au ton que justifie le sentiment de la force. MaisSaint-Séverin ne recevait de Versailles aucun encouragement de cette nature. Les dépêches ministérielles, bien loin de l'autoriser à émettre des prétentions nouvelles qui auraient donné lieu à des contestations ou à des retards, ne respiraient que la hâte d'en finir pour fermer la bouche aux critiques impatientes du public parisien, aux gémissements du commerce en souffrance et aux réclamations suscitées par les exigences d'un fisc aux abois.

Ce cri de douleur poussé par ceux de qui on aurait pu attendre des chants de victoire causait dans l'Europe attentive une surprise assez générale on en trouve l'expression dans les lettres de Frédéric, qui savait mieux que personne comment on doit faire la paix après une victoire on dirait un grand artiste qui éprouve une irritation dédaigneuse à voir dénaturer par une main timide ou maladroite une œuvre dont il sent ce qu'il saurait faire si l'exécution lui en était confiée. « A dire le vrai, écrit-il à Chambrier, les Français me paraissent bien superficiels à cette heure. La France, pour un de ses vaisseaux pris


en dernier lieu par les Anglais, n'est ni perdue, ni ruinée. Fait-elle jusqu'ici la guerre sans succès ? Toute autre puissance ne serait-elle pas glorieuse d'avoir pu faire ce que cette dernière a fait jusqu'à présent? Toutefois, pour quelques vaisseaux qu'elle perd sur mer, la voilà qui jette de hauts cris et se voit réduite à telle crise où elle se trouvait en l'an 1709. Il est étonnant, au suprême degré, écrit-il encore, de voir l'impatience de la France. pour sortir de la guerre présente, pendant un temps où elle se trouve dans une situation qui ne laisse pas de lui promettre beaucoup de succès favorables par la continuation de cette même guerre. Il me semble qu'elle pourrait fort bien se tranquilliser plus qu'elle ne le fait sur l'état actuel de ses affaires, évitant surtout de marquer du faible. et si elle se conduisait ainsi, son rôle n'en serait que plus brillant, et elle ne manquerait pas de faire la paix à son gré en voyant accomplir ses volontés'. »

Ne pouvant prendre sur lui l'initiative d'aucune proposition nouvelle, Saint-Séverin dut se borner à attendre, en gagnant du temps, et en 1. Frédéric à Chambrier, G et 2S avril n48. (Pol. Cor; t. VI, p. 74, 89.)


disputant sur des points de détail, tantôt avec Kaunitz, tantôt avec Sandwich, le contre-coup que ne pouvait manquer de produire soit à Londres, soit à Vienne, l'effet de terreur et de surprise répandu par l'investissement inattendu de Maëstricht. Il n'eut pas du reste à user de patience bien longtemps; on vient de voir que des deux cours partirent presque au même moment, et sous l'impression d'une crainte pareille, des instructions modifiées dans un sens de conciliation et de rapprochement. La communication autrichienne, expédiée, ainsi que je l'ai dit, avant l'anglaise (puisqu'elle avait devancé l'arrivée de Lowendal devant Maëstricht), parvint aussi la première à Aix-la-Chapelle, et Kaunitz la porta dès le soir même, à Saint-Séverin, et il y mit d'autant plus d'empressement que le même courrier lui apportait l'expression de la vive irritation causée à Marie-Thérèse par les premières ouvertures de l'Angleterre, et que ses relations avec Sandwich prenaient de jour en jour un caractère d'aigreur et d'animosité croissante. Une conférence s'engagea dans la demeure du ministre français et dura la nuit presque entière. Après des débats par moment assez animés, après beaucoup d'instances faites par Kaunitz sur un 9


ton tantôt menaçant, tantôt pathétique, on se sépara sans être arrivé encore à une entente complète, mais avec l'espérance fondée des deux parts que, les différends se réduisant à de légères dissidences, on ne tarderait pas à tomber d'accord. Tout d'abord, l'étrange invention de l'impératrice qui consistait à substituer la Savoie au duché de Parme pour l'établissement de l'infant, en offrant ce duché même, comme compensation, à Charles-Emmanuel, fut acceptée sans difficulté par Saint-Séverin. C'était plutôt, a la vérité, comme une preuve d'un sincère désir de concorde que comme un arrangement définitif puisqu'on pourrait toujours espérer que l'Espagne retirerait l'exigence qui pouvait rendre cet échange nécessaire. Mais où l'entente fut moins facile à établir, ce fut au sujet de la précaution que Kaunitz tenait toujours à prendre contre toute garantie que la France pourrait être appelée à donner au traité, de Dresde et à la conquête de la Silésie.

Saint-Séverin consentait bien, avec une facilité assez inattendue, à donner de bouche et d'homme à homme, à cet égard, toutes les assurances désirables, mais il se refusait absolument à en laisser une attestation écrite. « A quoi bon? disait-il.


La France n'a pas été mêlée aux traités de Dresde ni de Breslau dont elle a souffert et dont elle n'a eu connaissance qu'après qu'ils étaient conclus elle n'a pas à retirer une adhésion qu'elle n'a pas donnée. Son silence équivaut à l'abstention qui lui est demandée. » A quoi Kaunitz répondait comme le fit dans une occasion pareille un diplomate aussi fameux que lui <t Si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le disant ». Mais Saint-Séverin fut inflexible, tout en donnant à son engagement verbal une telle netteté que Kaunitz, sans être autorisé à s'en déclarer satisfait, dut laisser voir qu'il y reconnaissait une valeur véritable.

Une autre difficulté était plus grave; mais celle-là même prouvait qu'on regardait comme possible, et même comme probable, le cas où on pourrait s'accommoder sur toutes les autres; car il s'agissait uniquement de fixer les conditions et les délais dans lesquels devrait s'opérer, une fois les préliminaires de paix signés, la restitution promise des Pays-Bas. Kaunitz la demandait immédiate. Saint-Séverin entendait l'ajourner jusqu'à la signature de la paix générale, et donnait pour ce retard la meilleure raison du monde. La remise des Pays-Bas ne devait-elle pas avoir


essentiellement pour contre-partie la restitution pareille des conquêtes de la marine anglaise en Amérique? Comment l'un des objets de l'échange serait-il donc livré avant l'autre? Or, à l'égard de ces conquêtes anglaises, l'Autriche ne pouvait rien promettre de certain, ni surtout rien exécuter à elle seule, puisque ni Louisbourg, ni le Cap-Breton n'étaient en sa possession. Sans doute il était moralement sûr que l'Angleterre, délaissée par son principal auxiliaire, ne pourrait longtemps continuer, au moins sur terre, une lutte trop inégale qui exposerait sa fidèle amie la Hollande à tous les maux d'une invasion. Son adhésion à des préliminaires signés sans elle, ou plutôt contre elle, ne pouvait manquer d'avoir lieu tôt ou tard; mais sans la refuser, elle pourrait la faire attendre, et quelques mois lui suffiraient pour achever sur mer ce qui restait de la marine de la France, et en prolongeant l'agonie de son commerce, le condamner à une ruine irrémédiable. Et dans cet intervalle, que de difficultés pourraient s'élever avant que les bases de paix qu'on allait poser fussent converties en articles de traités définitifs? Jamais créancier prudent s'est-il dessaisi d'un gage avant le remboursement?


Kaunitz, de son côté, éprouvait une répugnance qu'on peut concevoir à rester ainsi, pour l'un des objets les plus importants de la paix qu'il allait signer, à la discrétion de l'Angleterre, et cela, au moment où il était en train de l'offenser peut-être mortellement. Ce fut SaintSéverin qui proposa de trancher le différend par la moitié, en offrant de ne garder en dépôt que la partie maritime des provinces flamandes, pourvu qu'on lui procurât au moins l'accession de la Hollande et que la France se trouvât n'avoir plus, du côté de la terre, ni opérations de guerre à poursuivre, ni représailles à craindre. Ce n'étaient là pourtant que des propos officieux qu'il fallait encore renvoyer à l'examen, soumettre à l'approbation des deux cours, et cependant, tous les plénipotentiaires étant arrivés, on n'avait plus de raison à donner pour retarder la séance solennelle de l'ouverture du congrès. Ce fut encore Saint-Séverin, homme de ressource, qui se chargea de trouver au moins un prétexte pour motiver un nouveau délai. Le ministre de Gênes, le marquis Doria, demandait à être accueilli avec tous les honneurs rendus aux représentants de têtes couronnées, et sa prétention soulevait d'assez vives contestations.


Saint-Séverin déclara qu'il ue pouvait se prononcer sur la question sans en référer à Versailles, ce qui donnait le temps d'attendre le retour des courriers. Kaunitz s'engagea de son côté à apporter avant la fin du mois, date extrême, une réponse décisive. On ne pouvait évidemment s'y préparer, de part et d'autre, avec plus de désir et d'espérance de la recevoir favorable

Ce qui prouve avec quel empressement SaintSéverin était à ce moment porté à conclure presque à tout prix avec l'Autriche, c'est le ton même des communications qu'il avait à faire à son ministre. Dans le compte rendu de la conversation, dans l'exposé qu'il présente des difficultés soulevées et des moyens qu'il a lui-même proposés pour les résoudre, il s'exprime avec une réserve calculée qui déguise ses vrais sentiments. Il se méfie évidemment que Puisieulx, <. Saint-Séverin à Puisieulx, 23, 25, 26 avril 1748. (Con/MCM de Bréda et d'~M-/a-C/iape//e. Ministère des affaires étrangères.) Kaunitz à Marie-Thérèse, 18, 24 avril 1748. (Archives de Vienne.) J'ai supprimé de ce compte rendu tous les détails relatifs à des sujets de discussion peu importants (ta restitution des capitaux pris aux'Génois, le partage de l'ordre de la Toison d'or entre l'Espagne et l'Autriche); aucun de ces objets n'ayant figuré, comme on le verra, dans tes arrangements de paix définitifs, j'ai cru inutile d'en fatiguer l'attention du lecteur.


toujours en crainte et en susceptibilité du côté de la Prusse, pourrait lui reprocher de témoigner à l'ennemie de Frédéric une complaisance excessive et compromettante. Mais dans une autre lettre moins. officielle, il se plaît à peindre la situation générale sous des couleurs très sombres, nullement en rapport avec la réalité des faits qu'il avait sous les yeux, et dont l'exagération a évidemment pour but de faire considérer les offres autrichiennes comme une ressource précieuse à saisir contre les embarras qu'on doit prévoir. De gros nuages, suivant lui, se rassemblent à l'horizon. « Les Russes, dit-il, n'arriveront pas de sitôt, mais enfin ils arriveront. le mouvement des cercles (germaniques) c/«?~M et prend forme et consistance le nombre des ennemis augmente tous les jours, et bien que, dans mon maintien et mes discours, j'affecte toute la tranquillité possible, je vous avoue qu'il s'en faut beaucoup que je ne le sois (sic). Un seul événement peut nous jeter dans des embarras et des malheurs affreux. » C'est tout au plus, en vérité, s'il ne prévoit pas le cas où on serait obligé de défendre l'Alsace contre l'invasion allemande.

Évidemment, rien n'est sérieux dans de telles


craintes et n'a pu lui paraître tel. Les Russes, que Marie-Thérèse a cessé de presser, avancent avec une lenteur magistrale; la Diète germanique, dont elle n'a jamais pu secouer l'inertie, est moins disposée que jamais à se mettre en mouvement. On ne peut donc voir dans ces terreurs anectées que la malice d'un agent qui se fait un jeu de la pusillanimité de son supérieur. Mais sa véritable pensée est celle-ci « Je finirai par une réflexion, c'est que, si nous ne concluons pas avec la cour de Vienne, cette assemblée-ci embarrassera, embrouillera les affaires au lieu de les avancer les soupçons, les méfiances, les mystères se succéderont et se multiplieront à l'infini ». Réflexion très judicieuse et qui lui suffirait pour justifier son inclination pour l'Autriche, s'il ne voulait se défendre du soupçon de partialité

Si cette insistance, faite autant au nom de mauvaises que de bonnes raisons, ne produisit pas tout de suite sur l'esprit de Puisieulx toute l'impression que Saint-Séverin pouvait désirer, au moins l'effet fut-il assez grand pour jeter ). Saint-Séverin à Puisieulx, <1-26 avril n4S. (Conférences de Bréda et d'Aix-la-Chapelle. Ministère des affaires étraugères.)


l'esprit du timide ministre dans une extrême perplexité, entre la crainte de laisser échapper une occasion favorable et l'inquiétude d'offenser Berlin. Des notes de sa main jetées en marge du récit de Saint-Séverin, et traduites ensuite dans ses dépêches en termes plus mesurés, portent la trace visible de ce trouble. Il semble bien reconnaître que tout se réduit désormais avec l'Autriche à des termes sur lesquels on pourrait s'entendre. Il serait encore préférable de traiter avec l'Angleterre, « mais il est à craindre qu'elle ne soit instruite de notre négociation avec l'Autriche, et que son dessein ne soit plutôt de l'embarrasser que de conclure avec nous ». Puis vient le point capital de l'engagement demandé au sujet de la Silésie. Saint-Séverin est pleinement approuvé de n'avoir pas voulu laisser à cet égard un mot écrit, car le roi ne veut eo~M~e ni en ?M~ ni en blanc, les <?'a!7M de Worms et de Breslau, qui lui sont aussi odieux <yM'~ la reine de Z7o~<?, mais ~a~' û~aM/ye~ raisons. Mais le silence même suffira-t-il? Quoi que ?MM~ /MO?M ~M?' cet article, le ?'M de Prusse en MM~'O! connaissance et nous en saura toujours mauvais gré; c'est ce <~<'27 faudrait éviter! Bref, il finit par laisser à Saint-Séverin


une sorte de blanc-seing pour conclure ou rompre suivant les circonstances. « Le roi, écrit-il dans un billet particulier, me charge de vous dire qu'il ne vous fera pas pendre pour avoir pris quelque chose sur vous. » Et deux jours après « Le roi ne craindra jamais de vous mettre à votre aise et de vous confier son ultimatum'. »

Quand ces instructions ambiguës arrivèrent à destination, Saint-Séverin avait déjà pris quelque chose sur lui et quelque chose même de très important et de très décisif, mais dans un sens tout opposé à ce que lui-même avait fait prévoir.

Voici, eh effet, ce qui s'était passé. Dans une conférence tenue à l'hôtel de ville d'Aix-la-Chapelle, entre tous les plénipotentiaires, au sujet des prétentions du ministre de Gênes, SaintSéverin remarqua que Sandwich le recherchait avec une certaine affectation. « Je ne m'y fiais nullement, dit-il, ne croyant pas qu'il y ait rien à faire avec l'Angleterre. » Et effectivement dans leurs dernières rencontres, Sandwich s'était montré encore assez raide, surtout sur les sujets i. Puisieulx à Saint-Severin, 2-24-26 avril, i" mai n4S et pnMtM.


qui, touchant à un point d'honneur royal, excitaient les plus légitimes susceptibilités de la France. Saint-Séverin désira pourtant savoir d'où provenait ce changement apparent d'humeur et demanda lui-même un rendez-vous pour le lendemain, « afin de récapituler, dit-il, les divers points sur lesquels on était soit en accord, soit en dissidence ». A la veille d'une rupture possible et même probable, c'était une bonne précaution, ne fût-ce que pour préparer de quoi la motiver et la justifier.

Mais, dès le premier moment de l'entretien, quelle ne fut pas sa surprise de trouver le ton de l'Anglais sensiblement radouci, et dans l'énumération des sujets de litige, de se voir offrir non sans doute des concessions tout entières, mais du moins des atténuations qui enlevaient à la plupart des prétentions britanniques c& qu'ell'es avaient d'aigu et d'impérieux; en un mot, une moitié du chemin fait et une espèce d'invité, à lui adressée, pour faire l'autre! Ce changement à vue, nous le savons, résultait de l'effet produit par l'événement de Maëstricht, et Saint-Séverin dut s'en douter, mais la transaction était pourtant si brusque qu'il demanda le temps de la réflexion, en emportant un&


note écrite des avances qui lui étaient faites'. Rentré chez lui, sa surprise restait extrême, mais son embarras n'était pas moindre. Des deux solutions que, depuis plusieurs semaines, il tenait en balance, on a vu que son penchant, aussi bien instinctif que raisonné, était pour celle qui amenait la réconciliation avec l'Autriche, et il se croyait arrivé à la veille de l'obtenir. Mais le dernier débat même qu'il venait d'avoir avec Kaunitz, sans le détourner de cette solution préférée, en avait mis pourtant à découvert le côté faible il avait bien fallu reconnaître que le résultat était destiné à rester imparfait et incertain tant qu'à l'arrangement convenu manquerait l'adhésion de l'Angleterre, qui pouvait ne l'accepter tardivement et à regret. C'était le désavantage de l'Autriche que, dans une négociation dont les échanges réciproques étaient la base, elle avait tout à recevoir et rien à donner. L'Angleterre avait, au contraire, un objet des plus précieux à offrir, puisqu'elle tenait ses conquêtes maritimes, et n'avait qu'à ouvrir la main pour nous les rendre. De plus, l'Angleterre, 1. Saint-Sèverin à Puisieulx, 25 et 26 avril 1748. (Co~MncM~eBreda et d'Aix-la-Chapelle. –Ministère des affaires étrangères.) Sandwich à Newcastle, 28 avril U48. (Tt'M<y faper~. Record office.)


même abandonnée par l'Autriche, pouvait encore prolonger la lutte avec ses escadres; l'Autriche, privée des contingents piémontais en Italie, hollandais et britanniques en Flandre, ne pouvait disputer le terrain même un seul jour. En un mot, avec l'Autriche, la paix n'était encore qu'une promesse faite sous condition et à échéance; avec l'Angleterre, c'était une jouissance immédiate, apportant à la France une joie et une surprise dont lui-même Saint-Séverin aurait tout l'honneur. La tentation était donc forte de profiter de cette occasion inespérée pour tout terminer d'un seul coup. Mais, d'un autre côté, ne s'était-il pas trop avancé lui-même? N'avait-il pas engagé son gouvernement trop avant pour qu'il fût honorable et même possible de reculer? Et si, pendant qu'il se lancerait sur une piste nouvelle, arrivait de Vienne la réponse favorable qu'on pouvait espérer, dans quelle situation serait-il alors placé? Comment refuser d'accepter ce qu'il avait lui-même proposé et provoqué? Vouloir courir les deux chances à la fois, n'était*ce pas s'exposer à les perdre l'une et l'autre? Pour ne pas se trouver pris de la sorte dans les fils croisés d'une double intrigue, il ne fallait pas moins à Saint-Séverin que cette habileté


dont ses amis, comme ses détracteurs, faisaient honneur à la race dont il sortait; et de fait le tour d'adresse et le trait d'audace qui allaient lui servir à sortir d'embarras, s'Ls ne le placent pas tout à fait à côté des plus célèbres compatriotes de Machiavel, lui donnent un air de famille avec les types connus de la comédie italienne. Tout d'abord, il s'empressa d'aller retrouver Kaunitz. Avez-vous enfin, lui dit-il, une réponse satisfaisante? Et quand l'attendez-vous? Kaunitz lui fit remarquer que le délai convenu n'était pas expiré et qu'avant huit jours, il ne pouvait compter 1 qu'on lui accusât réception de son rapport. Saint-Séverin témoigna alors la plus vive impatience, « me répétant, écrit Kaunitz à Marie-Thérèse, avec les protestations les plus chaleureuses que non seulement lui, mais le marquis de Puisieulx et la cour de France en général et tout le monde n'avait qu'un désir, un désir loyal de se réconcilier de préférence avec ma cour, et ajoutant que, depuis que les difficultés principales relatives à la Savoie étaient levées, il serait déplorable qu'un nouvel incident vînt à la traverse. » Ses affirmations 1. On était au 2'! avril et il indiqua )e 6 mai comme [a date qu'il attendait


étaient si nettes et paraissaient si sincères que Kaunitz, à qui certains mots échappés à Sandwich avaient inspiré des soupçons, se tint pour parfaitement rassuré

Saint-Séverin était donc sûr d'avoir huit jours devant lui avant d'être mis au pied du mur par la réponse de Vienne. Huit jours, c'était suffisant pour mener à bien une affaire, mais à la condition de n'avoir à attendre ni retour de courrier de Versailles, ni surtout des communications avec Londres sujettes à tous les hasards d'une traversée maritime. Aussi, entrant brusquement chez Sandwich, au moment où celui-ci fermait la dépêche qu'il allait faire porter pour rendre compte de son premier entretien Je viens, ditil, vous poser une question décisive. Pouvez-vous, oui ou non, conclure avec moi ici-même et sur-lechamp ? Si vous ne pouvez pas le faire immédiatement, il sera trop tard, et tout est manqué. « II me dit alors, écrit Sandwich, qu'il avait- des preuves positives que les cours de Vienne et de Madrid mettaient la main à un traité particulier, assurant un large établissement à l'infant, aux dépens du roi de Sardaigne, qu'il était certain i. Kaunitz à Marie-Thérèse, 3 mai n48. (Archives de Vienne.)


que l'envoyé d'Espagne s'était rendu secrètement la nuit dernière chez le comte de Kaunitz, qu'ils hâtaient leur négociation autant que pessible, que, si nous ne prenions pas les devants sur eux, c'étaient eux qui nous devanceraient et rendraient tout ce que nous faisions impraticable. Il conclut que, si nous voulions prévenir cette trahison et la confusion qui en résulteraient je devais abandonner tous les points qui restaient contestés entre nous et en particulier ce qui regardait Dunkerque et le marquisat de Final, sans quoi il devait m'avertir que, cette occasion perdue, on n'en pourrait retrouver d'autres, vu que le temps nécessaire pour attendre le retour de nos courriers suffirait à nos alliés pour achever d'embarrasser nos affaires et que si je ne lui donnais pas une réponse à ce moment même (le seul qui nous restât), il serait obligé lui-même de prendre d'autres mesures et de considérer notre négociation comme terminée »

La vérité m'oblige de convenir que, toute recherche soigneusement faite, je n'ai pu découvrir un mot de vrai dans le fait allégué par SaintSéverin. Ni Autriche, ni Espagne ne songeaient d. Sandwich au duc de Newcastle, 28 avril H48. (Trealy Pqpers. Record office.)


à préparer une si noire trahison, et du prétendu traité passé entre eux pas plus que de l'entrevue nocturne de leurs ambassadeurs, il n'y a pas le moindre vestige dans les correspondances de Kaunitz, qui ne l'aurait certainement pas laissé ignorer Marie-Thérèse. Saint-Séverin lui-mème, qui probablement ne tenait pas à se vanter de son artifice, n'en touche pas un mot à son ministre; le tout était donc, pour parler comme Molière, tiré de l'Imaginative de Saint-Séverin. Seulement la loyauté de l'Espagne n'était pas en bon renom; on l'avait accusée plusieurs fois, et on la soupçonnait toujours de vouloir faire ses affaires à elle seule le dessein qu'on lui prêtait n'avait donc rien en soi d'invraisemblable; de plus, l'attitude inquiète de son ministre, !e duc de Sotomayor, honnête homme d'un esprit borné et ombrageux qui, ne recevant de Saint-Séverin que des demi-confidences, se doutait qu'on ne lui disait.pas tout et s'agitait pour savoir davantage, donnait une certaine apparence à la supposition.

Sandwich donna donc tête baissée dans le piège, non pourtant sans quelque trouble de conscience. « Je conviens, dit-il, que ce langage de M. de Saint-Séverin me mit dans un grand 10


embarras, car je voyais toutes les raisons possibles d'être convaincu de la vérité de ce qu'il me dit sur les négociations de la cour de Madrid et de Vienne. Il était dur cependant, soit de prendre sur moi d'agir sur des points importants en dehors de mes instructions, soit d'être celui qui aurait refusé une offre de paix, dans un moment où tous les rapports que je reçois me montrent que les sujets de Sa Majesté en ont besoin. et où l'affection que Sa Majesté porte à son peuple la lui fait désirer. »

La conséquence fut qu'on se mit à l'œuvre séance tenante, et que, sur le bureau même du ministre anglais, des préliminaires de paix en vingt-quatre articles furent rédigés et mis en forme de manière à pouvoir être signés aussitôt que transcrits.

Naturellement, Saint-Sévérin, ayant trouvé pour agir sur son collègue un moyen de pression qui opérait à souhait, ne le laissa pas respirer, et se fit faire largement la meilleure part dans les arrangements convenus. Ainsi la restitution complète de toutes les conquêtes dans les deux mondes est stipulée sans aucune réserve. Final et son territoire sont restitués à la république de Gênes sans compensation ou indemnité d'aucune


sorte pour le roi de Sardaigne; enfin l'établissement assigné à l'infant est grossi du petit duché de Guastalla, dépendance naturelle de Parme, mais dont le nom n'avait pas même été prononcé. Au sujet du port de Dunkerque, il n'était guère possible d'aller au delà de ce que d'Argenson avait autrefois accepté; ainsi il fallut se contenter du maintien des fortifications territoriales en acceptant la destruction des défenses maritimes. Seulement il demeura entendu que l'accomplissement de cette triste obligation serait laissé à la bonne foi du gouvernement français, et qu'aucun commissaire anglais n'en devrait surveiller l'exécution, et Sandwich ne craignit pas de dire tout bas « Vous en ferez ce que vous voudrez; nous ne vous ferons pas la guerre pour cela s. On n'obtient pourtant jamais tout ce qu'on veut en ce monde, et il fallait craindre jusqu'au dernier moment que Sandwich, dont l'inquiétude était visible, fût poussé par un excès d'exigence à un coup de désespoir, et à aucun prix on ne devait le laisser sortir de la chambre. Il fallut donc lui céder sur deux points l'exclusion de CharlesEdouard du territoire français dut être accordée; on voila seulement la rigueur de cette condition par cette forme adoucie qu'on étendait à tous les


descendants du prétendant, les eugagements pris à son égard dans les traités antérieurs. De plus, parmi ces traités préexistants que la guerre avait suspendus et que, suivant une formule générale dont on convint, la paix allait remettre en vigueur, ûguraient les prescriptions commerciales touchant, et à dire le vrai, blessant particulièrement l'Espagne. Sandwich exigea et obtint qu'on en mentionnât nommément le rétablissement, soit qu'il eût à cet égard des recommandations formelles au nom des intérêts du commerce anglais, soit que Saint-Séverin, venant de dénoncer la mauvaise foi du roi catholique, ne se trouvât plus en mesure de plaider sa cause. De l'ensemble de ces dispositions résultait naturellement la confirmation implicite (sauf les quelques modifications consenties) de tout l'état territorial créé en Italie par le traité de Worms, et en Allemagne par celui de Dresde. On aurait pu se dispenser de le dire deux articles spéciaux furent pourtant consacrés à donner une forme expresse à cette garantie. C'était frapper MarieThérèse du coup le plus rude aux deux points les plus sensibles. Saint-Séverin, qui ne l'ignorait pas, ne sentit pas trembler sa main en le lui infligeant, et malgré les assurances contraires qu'il


venait de lui faire porter par Kaunitz, Une parait pas s'être fait beaucoup prier pour y consentir. Enfin, par un article qui dut rester secret, il fut réglé que, si quelques-unes des puissances intéressées dans ces arrangements y refusaient ou même faisaient attendre leur assentiment, l'Angleterre et la France procéderaient à l'exécution, sans plus tarder, sauf à ceux qui auraient tenu à rester en dehors à perdre le bénéfice des dispositions arrêtées en leur faveur.

Pour compléter et assurer ce succès d'une oeuvre mystérieuse qui ressemblait plus à un complot qu'à une négociation, le mieux aurait été de signer tout de suite et de conclure ainsi l'affaire à deux et sans prévenir personne. Sandwich se refusa absolument à cette mesure précipitée, donnant pour motif qu'on lui avait enjoint de ne rien faire qui pût faire accuser l'Angleterre d'avoir trompé ou trahi ses alliés. Ce refus faillit même un instant tout compromettre, parce que Saint-Séverin, de son côté, reculait avec une inquiétude visible devant la nécessité de communiquer quoi que ce soit à l'Espagne à qui sa conscience devait lui reprocher d'avoir fait tort. Mais Sandwich, qui avait autant que lui envie d'en finir, ne se montra pas trop difficile sur la


manière de lever son scrupule, car il consentit que le document rédige et prêt à être souscrit fût présenté par chacun des contractants à l'adhésion de ses alliés, sauf en cas de refus à passer outre sans admettre ni changement, ni discussion 1.

Vingt-quatre heures furent réservées pour remplir cette formalité, dont, à vrai dire, l'exécution ne devait pas être agréable à faire. Avec le ministre de Hollande, à qui on dut s'adresser le premier, la difficulté, bien que réelle, ne fut pas des plus grandes, Bentink ayant l'instruction générale de ne pas se séparer de l'envoyé d'Angleterre. Le cas, pourtant, lui parut imprévu et extrême, et l'acte de subordination qu'on lui demandait bien considérable; il aurait voulu obtenir un délai pour se munir d'une autorisation nouvelle. Saint-Séverin lui ferma la bouche en lui promettant de faire rendre par la France à la république toutes les faveurs commerciales dont elle jouissait avant la guerre, et en lui faisant savoir à l'oreille que la mine était déjà placée Saint-Séverin à Puisieulx, 29 avril n48. (Conférences de Bréda e< ~it~t-C/i~e~e. Ministère des affaires étrangères.) Sandwich au duc de Newcastle, 28 avril 114S. (Treaty Pa/je; -'Record office.) La parole de Sandwich relative à l'exécution de la clause de Dunkerque est tirée d'une dépêche postérieure (du 4 mai).


sous les remparts de Berg-op-Zoom, et que, si on perdait seulement un jour, la république serait privée d'une de ses plus importantes barrières. Par ce mélange de caresses et de menaces, on obtint qu'un troisième contre-seing fût placé à côté de ceux que portait déjà le document préparé. Ce premier pas fait, non sans quelque peine, Saint-Séverin aurait encore désiré en rester là. II lui en coûtait, on le conçoit, et son trouble le laissa voir, d'aller trouver Kaunitz, qu'il avait leurré de fausses espérances, ainsi que le ministre d'Espagne, qu'il venait d'accuser à tort, et de s'exposer de leur part à un accueil injurieux. Mais Sandwich, qui n'avait rien de pareil à se reprocher, ne comprenant rien à cette hésitation tardive, y crut voir un piège pour se dégager après l'avoir compromis, et, n'entendant pas raillerie, se fâcha cette fois tout de bon. D'ailleurs, avec le sang-froid britannique, une fois son parti pris, il allait tout droit au but, et l'idée qu'on pût y faire plus de façon ne lui entrait pas dans l'esprit. Son impatience fut telle que peu s'en fallut que, même à cette dernière heure, une rupture ne pût s'ensuivre. « Cet Italien, disait-il plus tard en rapportant cet incident final, est bien l'homme le plus difficile à traiter que j'aie rencontré; il


change à tout moment de langage. » De gré ou de force, il fallut donc que Saint-Séverin se décidât à l'accompagner chez Kaunitz, qui, par un singulier hasard, 'avait convié ce jour-là tous les plénipotentiaires à diner.

L'air d'intimité, joint à l'apparence d'embarras que Kaunitz remarqua, dès leur entrée, chez ses deux collègues, lui donna tout de suite à penser, et il se proposait de les sonder l'un et l'autre après le repas; mais ils semblèrent s'être donné Je mot pour se retirer tous deux en sortant de table. Trois heures après, tous les autres convives étant partis, il voyait revenir Sandwich tenant à la main la pièce de conviction, dont il fut invité à prendre connaissance.

La surprise, la confusion, la colère dont l'empreinte dut passer successivement sur le visage de Kaunitz pendant cette lecture sont plus aisées à imaginer qu'à dépeindre. Jamais, finit-il par s'écrier, ma souveraine n'acceptera ces conditions, et jamais je ne me déciderai à les lui proposer. Puis il ajouta qu'avant de prêter foi à un fait d'une telle gravité, il lui fallait le témoignage verbal et personnel du ministre de France. -Allez donc le trouver, lui dit Sandwich, onrant en même temps de l'aider à obtenir de


meilleures conditions, mais sans lui laisser aucun espoir d'y réussir.

Chez Saint-Séverin, où Kaunitz se rendit surIe-champ, nouvelle scène, au premier moment un peu différente car, malgré l'heureux succès de sa manœuvre, Saint-Séverin ne put se défendre de quelque embarras quand, obligé de convenir que Sandwich avait dit vrai, il dut s'entendre rappeler par Kaunitz ses protestations contraires si nettes et si récentes. Mais il n'était pas homme à perdre aisément contenance, et il ne se mit même pas beaucoup en frais d'imagination pour trouver une excuse, car il lui suffit d'avoir recours, avec un très léger changements de mots, au même tour qui lui avait déjà si bien réussie ce fut encore (peut-on le croire?) sur l'Espagne et la nécessité de couper court à ses intrigues qu'il se rejeta. C'était encore l'Espagne qu'il avait prise en nagrant délit de négociation secrète (non, pas avec l'Autriche cette fois, comment le soutenir à Kaunitz?), mais bel et bien avec l'Angleterre. L'Espagne allait traiter avec l'Angleterre, c'était fait il n'était arrivé que juste à temps pour l'en empêcher. En vérité, si on n'avait sous les yeux les dépêches anglaises et autrichiennes. à mettre en regard, on aurait peine à croire à


tant d'aplomb; mais, après avoir douté un moment, le trait est vraiment trop plaisant pour n'en pas sourire'.

Le lendemain tout était connu, et une pierre, lancée dans une fourmdière, ne donne qu'une faible idée du trouble qui se répandit à l'instant dans tout Je personnel diplomatique réuni à la porte du congrès pour en attendre l'ouverture. Au premier moment, personne, absolument personne, ne voulait, s'associer à un acte aussi subrepticement improvisé Bentink partait sans rien dire pour éviter de s'expliquer, sous prétexte d'aller rendre compte au stathouder; Kaunitz rédigeait une protestation en règle et épanchait tout haut sa douleur. Le ministre d'Espagne tombait littéralement des nues il était arrivé tout gonflé d'espérances et de prétentions; il s'était même flatté d'en obtenir la restitution de Gibraltar; on lui imposait au contraire le retour t. Voici les deux textes « Il me dit, écrit Sandwich, le 28 avril, qu'il avait des preuves positives que les cours de Vienne et de Madrid étaient sur le point de conclure un traité -de paix. )'–Kaunitz, de son côte, écrit le 30 avril Sa confusion (à Saint-Séverin) élait telle qu'il ne trouvait qu'une .excuse, les négociations secrètes entre l'Angleterre et l'Espagne étaient fort avancées, il y avait lieu de s'inquiéter t'Espagne pouvait prévenir la France. Voita pourquoi il n'avait pu différer d'avantage à s'entendre avec niilord. » (Kaunitz a Atarie"Thërese. Archives de Vienne.)


du joug humiliant des contrats de l'assiento et du MCM~e~M permission. La surprise, seule, retenait sur ses lèvres l'expression de sa fureur. Le ministre de Sardaigne, Chavanes, qui avait remis avec pleine confiance aux mains de Sandwich les intérêts de son souverain, sommé maintenant de sacrifier Plaisance à l'infant et Final à la république de Gênes, se lamentait avec l'amère expression de l'amitié trompée.

Il n'en fallait pas moins, dès le lendemain, envoyer la pièce et chercher une ratification à Versailles et à Londres. On peut supposer avec quelle anxiété les trois signataires, on aurait dit volontiers les trois complices, attendaient la réponse qui leur ferait connaître l'impression causée par la brusque opération à leur cour et dans leur patrie. Au premier moment, SaintSéverin voulait partir lui même pour aller plaider sa cause, en passant d'abord par Maëstricht pour y gagner, s'il le pouvait, le maréchal de Saxe. Réftexion faite, il se borna à envoyer son premier secrétaire, Tercier, agent déjà très estimé (le même qui devait être destiné plus tard aux premiers emplois du ministère), en le chargeant d'ajouter à sa dépêche toutes sortes d'explications et de justifications verbales, en lui remettant de


plus des )et!res pour le' comte d'Argenson, le maréchal de Noailles et plusieurs personnages influents de la cour. H avait soin d'ailleurs, dans sa dépêche, de n'exprimer son inquiétude qu'en la déguisant par l'accent de la joie et même du triomphe « J'ai cru devoir, disait-il, prendre la balle au bond et terminer à la fois toutes les querelles de terre et de mer. Je désire que le roi soit content. J'ai craint, jusqu'au dernier moment, qu'il arrivât chose qui culbutât l'édifice. C'est la peur que j'ai faite à lord Sandwich d'un accommodement opposé (il n'en indique pas autrement la na~re) qui l'a forcé à doubler de jambes. Plus je lis et j'examine mes instructions, plus je trouve que j'en ai rempli tous les objets au delà de ce que je pouvais espérer. J'aurais bien voulu supprimer l'article qui regarde le prétendant et celui du vaisseau de pe~M~'o~ le sieur Tercier a été témoin de la violente agitation où ils m'ont mis: j'ai été vingt fois sur le point de rompre, mais je n'ai vu que le bien de la chose. Je suis au comble de la joie d'avoir été l'instrument d'un ouvrage aussi glorieux pour le règne de Sa Majesté qu'à la France »

1. Saint-Séverin à Puisieulx, 29 avril, ler mai n48. (Co?t/erence de Bréda et f/t~a-C/ta~e~e. Ministère des atf&ires étrangères.)


La crainte que Saint-Séverin devait éprouver au fond de l'âme, bien qu'il n'eût garde d'en parler, c'était qu'ayant tout fait lui-même pour préparer son ministre à l'accommodement avec l'Autriche, et même réussi à l'y résigner, on trouvât singulier que ce fût lui aussi qui, du soir au lendemain, proposât de passer du blanc au noir. Tant de promptitude et de souplesse dans les mouvements ne sont pas des qualités communes et peuvent surprendre ceux qui n'en sont pas doués au même degré aussi la première impression de Puisieulx fut-elle celle d'un homme qui, entré péniblement dans un ordre d'idées, a quelque peine aussi à en sortir. La nouvelle lui arriva, à la vérité, au moment même où il terminait une dépêche qui résumait avec les avantages de la solution autrichienne toutes les précautions dont on devait pourtant l'entourer, ce ne fut qu'en ~c~M qu'il dut mettre –'a Vous venez de faire un grand ouvrage et bien brusquement il ne reste plus qu'à y donner de la solidité, a Puis tout de suite les inconvénients apparaissent, et l'approbation n'est plus donnée qu'avec réserve. L'affaire du prétendant, quoique « plus désagréable que ~a~a~~e~e, sera pourtant difficile à accepter. Et quelle ~ca?'-


tade va nous faire l'Espagne? » Aussi dans les dépêches suivantes, il demande encore s'il est décidément impossible d'obtenir pour cette exigeante alliée des conditions plus favorables Mais le temps était déjà passé où les événements qui intéressent tout un peuple pouvaient être décidés à huis clos et de sang-froid par ceux qui les gouvernent, où l'opinion publique, pour se prononcer, attendait qu'on lui dictât ses jugements, et, pour les exprimer, qu'on lui donnât la parole. A peine le bruit de l'arrivée du message porteur de la paix fut-il répandu à Paris que le sentiment public se fit jour avec une vivacité qu'on ne put contenir. C'était la paix conclue n'importe avec qui, et on pensait tout bas n'importe à quelles conditions. « Le courrier, dit le chroniqueur Barbier, est le secrétaire d'ambassade de M. le comte de Saint-Séverin d'Aragon, qui a causé une grande joie et une grande nouvelle dans Paris, hier dimanche, 5 mai, que la paix était faite. Tout le monde a couru chez ses amis, au spectacle, à la promenade, bien qu'il ne fît guère beau, pour apprendre les détails. » Puisieulx à Saint-Séverin, 2 mai U48. (Co't'Mpott~atce de Bréda et 6<<C/t6t~eMe. Ministère des afTaires étrangères.)


L'élan fut plus vif encore et plus impétueux dans les provinces et principalement dans les villes de commerce où la souffrance était cruelle et où la paix annonçait une résurrection inespérée. Dans la Guyenne, entre autres, la dernière récolte ayant été mauvaise, et tous les arrivages de blé par mer étant interrompus, on se croyait menacé de la famine. « Le jour où ce bienheureux courrier arriva à franc étrier (dit un récit du temps) à Bordeaux, criant partout la grande nouvelle, les boutiques des boulangers étaient quasi assiégées par un grand nombre de personnes attendant le moment où le pain serait tiré du four pour en avoir à peine de tout ce monde en resta-t-il la dixième partie. Le reste s'en fut courant comme des fous, dansant, chantant, s'embrassant, criant « La paix est faite » et oubliant qu'il avait besoin de pain'. Il

Il n'y avait pas moyen de résister à une pression pareille. Saint-Séverin reçut donc après quelques jours d'hésitation un assentiment sans réserve. « Vous avez eu de grandes difficultés, disait Puisieulx, vous en sortez triomphant. » Le ministre était encouragé par l'opinion du contrôi. Journal de Barbier, mai n48. (Voir Revue historique, n° de juillet année n9i, p. 2U3.)


leur général qui disait que, si la guerre avait duré, il voyait l'enfer ouvert devant lui, et par l'approbation du comte d'Argenson, dont le sentiment avait en sa qualité de ministre de la guerre un prix tout particulier. « Le besoin de nos -affaires intérieures l'exigeait, lui écrivait-il, et le peu de confiance que nous pouvons avoir dans nos alliés semblait en imposer la loi; nos succès militaires ont été heureux, mais cet État a besoin de repos, et de reprendre de nouvelles forces en ajoutant à l'expérience qu'il vient d'acquérir l'esprit d'ordre et de discipline dont tant de motifs ont encore à l'écarter! » Et effectivement il ne savait que trop que les derniers contingents, levés à grand'peine, étaient composées de chétives re-cruesdontgrand nombre désertaient en campagne. Une adhésion plus significative encore était celle du marquis son frère, qui oubliait qu'il n'avait cessé d'être prophète de malheur depuis sa disgràce et qui, pour se consoler de n'avoir pas été l'auteur de la paix, voulut au moins l'avoir prédite « Je prévoyais bien, dit-il dans son journal, que la paix suivrait bientôt, 'dans le désarroi où étaient nos ennemis. Voici des préliminaires signés et un armistice établi', s » f. Le comte d'Argenson à Puisieulx, 4 mai i'M8. (Correspon-


En Hollande, la satisfaction ne fut pas moindre, et le prince de Nassau ne fut pas celui qui la ressentit le moins vivement; car la rapidité même de la solution le tirait d'un embarras cruel. Comme toutes les popularités factices, la sienne était fort compromise il ne réussissait plus à satisfaire ni les partisans fanatiques de la guerre, qui l'accusaient de l'avoir mal préparée, ni les timides et les pacifiques, qui avaient subi son avènement à regret et, parlant maintenant tout haut, y voyaient la cause de la ruine prochaine de leur patrie. Dans ce conflit, la proposition de rendre son pouvoir héréditaire (actuellement en délibération dans les divers États) courait grand risque de n'être pas adoptée. A Groningue, la résistance était déclarée et des mouvements insurrectionnels déjà prêts à l'appuyer. La résolution de l'Angleterre mettait fin à tout débat, car personne, même les plus belliqueux, ne pouvait sincèrement lui demander de rester en guerre sans cette unique et indispensable amie. Aussi le contentement général s'exprima sans détour, et le chargé d'affaires de France à La Haye, Chiquet, voyait arriver chez lui notre ancienne connaisdance deBt'e~<e~d'B-CAetpeHe. Ministère des afTaires étrangères. JoM)'/M~ et Mémoire de d'etMOt:, t. V, p. 24S.) 11


sance Van Hoey, naguère ministre à la cour de France, l'ami personnel de d'Argenson, et qui n'avait jamais cessé (peut-être peut-on se le rappeler) de travailler de concert avec lui au maintien de la paix dans des vues à la fois chrétiennes et philosophiques. « Vive le roi, s'écriait ce brave homme dans un véritable état d'exaltation, le plus puissant des rois et le plus sage des hommes! Quel bien pour la France et pour ma chère patrie Puisse la France, puissent les hommes, pendant un temps infini, admirer de telles vertus et en recueillir le fruit salutaire »

Et peu de jours après, le chargé d'affaires, admis à la cour du stathouder pour la première fois depuis l'entrée des troupes françaises sur le territoire de la république, y était comblé de compliments et presque de caresses, « Plusieurs, dit-il, allèrent jusqu'à me dire qu'ils avaient versé des larmes de joie à la première nouvelle qu'ils avaient eue de la signature de la paix, quoiqu'ils en ignorassent encore les conditions, et que ces sentiments s'étaient tournés en admiration de voir tant de modération et de désintéressement de la part du roi. Vous voyez, ajoutait1. Chiquet à Puisieulx, 'H mai 1848. (Correspondance de ~oMnntfe. Ministère des affaires étrangères.)


il, que si Sa Majesté n'a pas étendu les frontières de ses États, elle a fait de plus solides conquêtes encore en se conciliant l'estime et l'affection d'un peuple chez qui nous avions beaucoup perdu en perdant l'une et l'autre. »

« Vous voilà à votre aise, disait Sandwich à Saint-Séverin et à Bentink qui lui montraient les témoignages d'approbation qu'ils avaient reçus, mais moi je ne le suis pas. Effectivement, l'assentiment du cabinet britannique fut Je dernier qui parvint à Aix-la-Chapelle. Non que là, pas plus qu'ailleurs, la résolution définitive fût un instant douteuse. Mais entre la nation anglaise et son gouvernement, les sentiments et les rôles se partageaient précisément à l'inverse de ce qui se passait en France. Ce fut le public qui reçut l'annonce de la paix avec une certaine froideur. La classe puissante des commerçants se voyait arracher à regret une proie certaine, et après avoir salué avec joie dans la prise du Cap-Breton les prémisses de la conquête du Canada tout entier, c'était une déception de renoncer à un accroissement de l'empire colonial, dont on jouissait déjà en espérance. Il fallut quelques jours et la hausse marquée des fonds publics pour faire taire tous les mécontents. Le ministère, au con-


traire, et ses amis, ne savaient que trop à quels embarras financiers la continuation de la guerre les exposait, et les difficultés qu'ils auraient à obtenir du Parlement une aggravation de charges devenue indispensable; et Cumberland ne leur avait laissé aucune illusion sur la faiblesse des ressources militaires dont il disposait. La paix les délivrait d'un cruel souci; et il n'y eut qu'une impression parmi ceux qui avaient connaissance du secret de la politique: c'était la surprise que la France se fût, contentée de pareilles conditions, et n'eût pas été tentée de mieux profiter du bon vent qui s'élevait en sa faveur. La peinture de cet état d'esprit assez complexe est faite en termes piquants, dans une lettre de Chesterfield, où respire une joie maligne d'avoir eu raison avant tout le monde et peut-être aussi quelque regret d'avoir quitté le pouvoir avant que la démonstration fût faite.

« Ma prophétie est accomplie, écrit-il à son ami, le ministre d'Angleterre à La Haye, je vous en félicite aussi bien que moi, car si une partie de ma prédiction n'était pas réalisée, c'eût été l'autre, c'est-à-dire notre ruine inévitable. Si les Français n'avaient pas signé les préliminaires au moment où ils l'on fait et s'ils avaient voulu


profiter des avantages qu'ils avaient entre les mains, nous étions perdus. Beaucoup de personnes sont étonnées ici de la modération de la cour de France et ne peuvent s'en rendre compte d'après les règles connues de la politique. De profonds historiens qui veulent toujours donner de grandes causes à tout événement auront de la peine à en assigner une pour celui-ci. Moi qui aime à voir les choses sous un jour plus simple et qui cherche plutôt les causes dans les faiblesses que dans la sagesse des hommes, voici comment je m'en rends compte le roi de France est un prince tranquille et sans ambition qui était fatigué de la guerre et particulièrement de la vie des camps à laquelle il ne pouvait renoncer, l'ayant une fois adoptée, tant que la guerre durait. Les courtisans français ne sont pas assez maladroits pour ne pas conformer leurs sentiments aux désirs du prince, sans s'inquiéter de savoir s'ils sont contraires ou non à l'intérêt public. Changez le mot de paix en celui de guerre, et le même principe vous expliquera pourquoi nous avons, nous, continué la guerre quand il était clair que nous n'étions pas en état de la soutenir. Mais quelles que soient les causes de l'événement, nous l'échappons belle, et nous tous


en général, et quatre personnes en particulier le duc de Cumberland échappe à la défaite et à la disgrâce, le prince d'Orange échappe à être déposé et le duc de Newcastle et lord Sandwich à être. Bien loin de blâmer la paix, ajoute-t-il, je suis cordialement satisfait qu'elle soit faite j'étais pour la faire plus tôt et par conséquent meilleure. mais ma démission est peut-être ce qui l'a amenée en ouvrant les yeux au pays. La république est sauvée d'une ruine complète et l'Angleterre de la banqueroute'. »

Dans cette satisfaction générale de la première heure, un seul osa laisser voir son mécontentement. Ce fut Maurice, qui n'avait pas caché son désir de pousser jusqu'au bout une campagne si heureusement commencée. Personne n'ignorait qu'il aurait vu avec plaisir la négociation se prolonger sans aboutir, pour lui donner le temps de changer et d'étendre, par quelque coup d'éclat, le terrain étroit et ingrat où elle était placée. On savait qu'il pressait vivement le roi de se rendre à l'armée, pensant que la présence royale rendrait toute concession excessive impossible. e Nous demandons la paix comme des lâches, lui i. Chesterfield à Dayroll, 13 mai U48. (Correspondance générale, t. III, p. 261-263.)


avait-on entendu dire, et nous ne pouvons pas l'obtenir. » Aussi Saint-Séverin, se rendant parfaitement compte de la surprise pénible que la signature précipitée des préliminaires allait lui causer, avait eu soin, en stipulant l'armistice qui en était la conséquence naturelle, d'excepter de la suspension d'armes les opérations engagées devant Maëstricht, afin de ne pas priver le maréchal, avec la prise de cette place célèbre, du couronnement de ses exploits.

I! n'était que temps quand la nouvelle de l'armistice parvint au camp, tous les travaux du siège étaient terminés, et il ne restait plus qu'à commencer l'attaque décisive. Si l'on en croit même le récit, toujours sujet à caution, du brillant chevalier de Valfons, depuis vingt-quatre heures déjà le signal aurait pu être donné. Seulement, c'étaient les gardes françaises qui, d'après leur tour de service, auraient dù, ce jour-là, ouvrir le feu, et Lowendal fit remarquer que la moindre perte, dans ce corps d'élite, ferait crier tout Paris. « Demain, dit-il, ce sera le tour des Suisses; leurs morts passeront inaperçues, car on n'entendra pas les cris de leurs montagnes. Vous pensez à tout, avait dit Maurice en riant. A demain donc D t. Valfons, Souvenirs, p. 246.


Mais le lendemain on vit arriver un aide de camp du duc de Cumberland, accompagné d'un officier hollandais, annonçant tout haut que la paix était faite et comptant que le siège serait levé sur-le-champ. Maurice, ne pouvant dissimuler son impatience, le prit de très haut et déclara que, si la ville n'arborait pas à l'instant le drapeau blanc pour demander à être admise à capitulation, les opérations ne subiraient aucun retard. « Vous êtes des faibles et des vaincus, dit-il, c'est a vous de recevoir la loi que je vous impose. » Le Hollandais insista pour obtenir un délai de quarante-huit heures afin de recevoir des Etats-Généraux la permission de se rendre, et Maurice n'y consentit qu'à la condition que des otages lui seraient immédiatement remis. Le 10 mai, enfin, tous les articles de la capitulation étant réglés, l'armée française eut la satisfaction de voir défiler devant elle les Autrichiens et les Hollandais qui formaient la garnison, l'arme au bras, n'emportant avec eux que quelques pièces de campagne et laissant au vainqueur tout le matériel de défense. Le maréchal de Lowendal prit possession de la ville, et Maurice, en faisant lui-même son entrée, aHa droit à l'église faire chanter le Te Deï< La soumission


ainsi bien constatée, l'armistice put être proclamé, à son de trompe, à la tète des deux armées.

Pendant les relations nécessaires pour préparer ce glorieux cérémonial, il n'était sorte d'empressement et d'honneurs qui ne fût témoigné au maréchal par Cumberland lui-même et par les représentants du stathouder. Ce n'était pas seulement de la politesse, c'était presque de la déférence. Tant d'égards, sans dissiper sa mauvaise humeur, qui restait visible, en adoucirent pourtant l'expression. « Ces messieurs, le duc de Cumberland et le stathouder, écrivait-il au roi, ne savent où donner de la tête. Je suis joliment avec eux, et ils m'écrivent des lettres des p!u& polies. » Et il ajoutait d'un air résigné « Voici enfin le chemin de la paix, j'en suis bien aise! » A Saint-Séverin, il se décidait enfin à faire compliment, mais d'un ton qui sentait encore Fépigramme. « Je n'ai jamais douté, lui disait-il, de la satisfaction que le roi et le royaume ont naturellement de ce que vous venez de conclure, et je suis persuadé que vous ne pouviez rien faire qui leur fût plus agréable mais comme il est dans les /M~MM (sic) d'être inconstants et qu'ils désirent la guerre quand ils ont eu


la paix pendant quelque temps, je suis persuadé qu'ils auront regret à la conclusion de celle-ci. Mais vous ne pouviez et vous ne pouvez faire autrement ainsi mes réflexions là-dessus ne sont qu'un radotage inutile »

Puis, quelques jours après, ne pouvant contenir son déplaisir, il épanchait son humeur dans le sein du ministre Maurepas, le membre du Conseil royal avec qui il entretenait la relation d'amitié la plus familière. Il se rattachait à l'espérance que, si les négociations qui devaient suivre venaient à ne pas aboutir, la restitution promise n'aurait pas lieu, et il annonçait très clairement l'intention de ne pas rendre pour sa part un pouce de terrain, tant qu'il resterait un moyen et une chance quelconque de faire autrement.

« Je ne suis qu'un bavard en fait de politique, disait-il, et si la partie militaire m'oblige quelquefois d'en parler, je ne vous donne pas mes opinions pour bien bonnes; ce que je crois savoir et vous assurer est que les ennemis, en quelque nombre qu'ils viennent, ne peuvent plus pénétrer en ce pays-ci; et qu'il me fâche de le rendre, car i. Maurice de Saxe à Saint-Séverin, 11 mai U4S. (Cori'esjtMttdance de Bréda et d'Aix-la-Chapelle. Ministère des affaires étrangères.)


c'est en vérité un bon morceau, et nous nous en repentirons, dès que nous aurons oublié notre mal présent. Je n'entends rien à la finance, et ne connais pas nos moyens ce que je sais est que l'argent en Angleterre n'était à la fin de la grande guerre qu'à quatre pour cent, et qu'il était ces jours derniers à quatorze et à quinze pour cent, de quoi il n'y a point d'exemple; et comme le crédit est la seule chose qui soutient les Anglais s et les Hollandais, je conclus qu'ils sont à bas, et qu'ils n'en peuvent plus. Ce n'est pas comme chez nous, nous avons une force intrinsèque, et, quoique l'argent nous manque, nous allons encore longtemps, et je crois que ce n'est pas faire un mauvais marché, que de se mettre mal à son aise pour acquérir une province comme celle-ci, qui vous donne des ports magnifiques, des millions d'hommes, et une barrière impénétrable et de petite garde telles sont mes pensées. Au demeurant, je ne connais rien à votre diable de politique je vois, je sais que le roi de Prusse a pris la Silésie, et qu'il l'a gardée, et je voudrais que nous puissions faire de même; au bout du compte, il n'est pas si fort que nous, il est beaucoup plus mal posté, on peut le prendre par les pieds et par la tête, et il a de furieux voisins qui ne l'aiment


assurément pas plus que nous nous n'avons rien de tout cela, et il me parait difficile, ou plutôt impossible, que l'on nous fasse rendre ce que nous tenons.

» Voilà, monsieur, ce que je pense. Vous ne laissez pas que de me tranquilliser beaucoup, et si les fanfreluches des négociations commencent une fois à se mêler, nous en avons pour dix ans sans tirer un coup de fusil; c'est votre affaire, la mienne est de prendre et de garder, et je vous réponds de m'en acquitter en conscience! Je vous promets aussi de combattre jusqu'au trépas pour des vérités que je ne comprends pas; c'est à vous de prêcher et de bien établir les principes, les détailler, les prouver, que les hérésies soient confondues, et qu'on écrive de part et d'autre plus de volumes là-dessus qu'il n'y en avait dans la bibliothèque d'Alexandrie, et que n'en ont écrit tous les pères de l'Eglise! Je vous promets d'attendre tranquillement sur le Demer, jusqu'à ce que la vérité soit triomphante. Les ennemis ne s'enrichiront pas pendant ce temps-là, s'ils restent armés, et cette position leur coûtera plus qu'à nous; s'ils désarment, nous désarmerons aussi, et songerons à l'épargne. Battez-vous donc bien, monsieur. Que Dieu donne de la force à votre


plume. Je vous proteste que je n'ai nulle envie d'interrompre vos occupations, mais jusqu'à ce que tout cela soit évident, ne rendons rien, ou ne rendons guère »

Si Saint-Séverin eut, dès lors, connaissance de cette répugnance assez bien motivée du grand homme de guerre, c'était un ~e~e~o Ao~o dont, dans toute la jouisssance de son succès, il pouvait avoir besoin. Lui-même cependant, il faut lui rendre cette justice, pressentait déjà qu'une fois passé le premier instant de soulagement, quand on viendrait à comparer les fruits réels de la paix avec les efforts que la guerre avait coûté, on les trouverait médiocres, presque nuls, et qu'un retour d'opinion pourrait s'en suivre assez peu favorable à ceux qui y attachaient leur nom; aussi à défaut d'avantages matériels, il en indiquait d'autres, d'une nature différente que la France était sûre au moins de recueillir. <t Ce que je vois de meilleur dans cette affaire, écrivait-il dès le 2 mai, c'est que de longtemps les cours de Vienne et de Sardaigne n'oublieront pas le tour que les puissances maritimes viennent de d. Le maréchal de Saxe au comte de Maurepas au camp sous Maëstricht, 15 mai H48. (Lettres et Mémoires du maréchal de Saxe, publiés par Grimoard, 1791, t. V, p. 269.)


leur jouer, et je mets le comble au commencement de méfiance et d'aigreur qui sont établis parmi nos ennemis »

La réflexion était juste, et les éclaircissements qui me restent à donner pour compléter ce récit feront voir, en effet, que, si les pacificateurs s'étaient proposé de dissoudre toutes les anciennes alliances, et de laisser ainsi tous les États d'Europe dans un état de défiance et d'hostilité réciproque, le résultat était complètement atteint. Mais une paix dont l'effet principal était de jeter de nouvelles semences de discorde et de préparer par là de nouvelles luttes, était-ce une paix véritable et méritait-elle d'être appelée de ce nom? 1. Saint-Séverin à Puisieulx, 2 mai n48. (Co're~pon~oice de Bréda et d'~M'/a-C/topcHe. Ministère des affaires étrangères.)


DERNIÈRES NÉGOCIATIONS. LE TRAITÉ. Nécessité d'expliquer le délai qui s'écoule entre la signature des préliminaires et la conclusion de la paix. La Sardaigne et l'Espagne se décident, bien qu'à regret, à donner leur accession aux préliminaires. L'Autriche seule continue à s'y refuser. Motifs de sa résistance. Kaunitz rentre en relation avec Saint-Séverin par l'intermédiaire du secrétaire de légation saxon Kauderbach. Saint-Séverin conseille à l'Autriche, au lieu de protester en principe contre les préliminaires, d'essayer d'en modifier les conditions et de l'interpréter dans un sens plus favorable à ses intérêts. MarieThérèse se décide à suivre ses conseils. Kaunitz reçoit l'ordre d'accéder aux préliminaires avec des réserves qu'il communique à Saint-Séverin qui n'y fait pas opposition. Cette accession conditionnelle est acceptée provisoirement par les plénipotentiaires d'Angleterre et de Hollande. Saint-Séverin est appelé à Compiègne pour rendre compte au ministre français de la situation. Kaunitz espère obtenir de lui un écrit qui engage la France à ne pas. prendre part à l'exécution des clauses des préliminaires que l'Autriche n'a pas voulu accepter.- Saint-Séverin de retour à Aix-la-Chapelle ne rapporte aucun engagement de cette nature, qu'il n'a pas même essayé de proposer. Différend survenu entre Sandwich et Saint-Séverin sur la date de l'évacuation du Cap-Breton.- Saint-Séverin prend occasion de ce différend pour rentrer en pourparlers avec Kaunitz et l'encourager à prolonger sa résistance. La négociation paraît suspendue et tout remis en question. Attitude de

CHAPITRE III


Frédéric pendant cette négociation. -Joie que lui cause la rupture probable de l'Autriche et de l'Angleterre, et l'insertion dans les préliminaires d'une clause qui garantit la conquête de la Sitésie. Dans la première audience qu'il donne à l'envoyé anglais, il lui annonce le dessein, aussitôt que la paix sera conclue, de s'éloigner de la France et de faire alliance avec l'Angleterre et la Hollande Contrariété qu'il éprouve de la suspension de la négociation. U craint d'avoir ofTensé la France et tend à se rapprocher d'elle. Conversation de Frédéric avec le marquis de Valori qui retourne en France en congé. -Impatience causée en France, au pub)ie et au roi par le temps d'arrêt de la négociation. Les préliminaires, d'abord favorablement acceptés, commencent à être sévèrement jugés. Saint-Séverin, rappelé en France une seconde fois, reçoit l'ordre d'en finir à tout prix, et on lui adjoint Laporte-Dutheil en qualité de second plénipotentiaire. Le cabinet anglais adjoint pareillement a Sandwich le ministre d'Angleterre à Vienne, Robinson. L'Autriche, découragée par l'attitude résolue des ministères anglais et français, se décide à céder. Conclusion du traité. Deux pairs d'Angleterre sont envoyés à Paris en otage pour y rester jusqu'à la restitution du Cap-Breton. Un article du traité exige que le prince Edouard, te fils du prétendant au trône d'Angleterre, quitte la France.– Le prince ne veut pas se soumettre à cette injonction, malgré les invitations et l'ordre du roi. On est obligé de faire l'exécution par la force. Arrestation du prince à t'Opéra il est conduit à Vincennes et ne consent à céder qu'à la force. La pénibte impression causée par cette scène douloureuse accroit la sévérité du jugement porté en France et en Europe sur les conditions de la paix. Conclusion. Etat des relations de diverses puissances, et indice visible des conditions dans laquelle devra s'engager une nouvelle guerre européenne. Les préliminaires de paix signés par les plénipotentiaires de France, d'Angleterre et de Hollande portent la date du 30 avril 1748. L'acte définitif, qui convertit ces articles, rédigés à la hâte et revêtus seulement de trois signatures, -en un traité régulier, engageant toutes les


grandes puissances et réglant pour un temps indéfini la situation générale de l'Europe, n'est que du 18 octobre de la même année. H sera aisé pourtant de se convaincre qu'entre les deux documents n'existe aucune différence essentielle. Les négociateurs avaient donc eu, dès l'abord, un sentiment assez juste des conditions qu'imposerait à tous un intérêt commun et supérieur. Il n'en est que plus intéressant de connaître comment un si long délai dut encore être employé à des discussions épineuses pour mener à fin une combinaison que, de gré ou de force, chacun devait finir par accepter. Si cette étude un peu compliquée paraît stérile au premier abord, puisque ces débats n'eurent aucune suite immédiate, on y trouvera tout au moins l'avantage de bien définir de quels sentiments réciproques restèrent animées les diverses puissances qui vinrent, l'une après l'autre, et toutes de mauvaise grâce, mettre leurs signatures au bas du traité de paix et comme cette paix ellemême ne devait durer, on le sait, que très peu d'années, on est ainsi en mesure de prévoir dans quelles conditions devront s'engager, après un délai très court, de nouveaux et plus graves conflits. On voit déjà à découvert non seulement 12 `?


se préparer, mais presque s'accomplir, la grande révolution diplomatique, qui, en rapprochant du même coup la France de l'Autriche, et la Prusse de l'Angleterre, changea toutes les traditions d'une politique séculaire, et qui est demeurée jusqu'à nos jours l'objet de tant de contestations. En sorte qu'à le bien prendre, les faits qu'il nous reste à faire connaître forment moins le dernier chapitre de la guerre de la suc-, cession d'Autriche que le premier de la guerre de Sept ans.

1

En réalité, à la manière dont les préliminaires avaient été préparés et conclus, ce fut déjà une merveille que d'arriver à en faire admettre la discussion par les puissances qu'on n'avait pas appelées à y prendre part tant était grand, le premier jour, le trouble, c'est trop peu dire, l'indignation, que par leur initiative mystérieuse et hardie, les plénipotentiaires d'Angleterre et de France avaient causé à leurs collègues. C'était, on l'a vu, un tolle et un récri général petits et grands, tous se plaignaient, tous se regar-


daient comme joués ou lésés Sardaigne Espagne, Autriche, et jusqu'aux modestes clients à qui la France avait promis son appui l'électeur palatin qu'on avait à peine nommé, la république de Gênes et le duc de Modène, qui trouvaient mauvais qu'en leur restituant leurs États, on ne parlât pas de leur accorder les intérêts des biens et des capitaux qu'on leur avait confisqués. Il ne fallut pas moins, pour imposer un peu de silence à ces clameurs discordantes, que l'accueil favorable et presque enthousiaste fait au seul mot et à la seule espérance de paix, par les populations souffrantes. Mais ce qui contribua aussi bientôt à calmer les mécontents et à leur faire prendre le ton plus bas, ce fut qu'il ne se trouva aucun terrain commun sur lequel ils pussent mettre leurs griefs d'accord pour en poursuivre ensemble le redressement. Ce dont chacun d'eux, au contraire, croyait avoir à se plaindre, c'était d'avoir été sacrifié à l'autre, et il n'en était aucun qui ne se vît bientôt réduit par là à reconnaître, quel que fût son dépit ou son regret, que l'isolement le condamnait à l'impuissance.

Le premier à se rendre compte de cette faiblesse de situation, ce fut le roi de Sardaigne.


Les préliminaires lui reprenaient le marquisat de Final et tous les points du littoral de la Méditerranée qu'il avait enlevés à la république de Gênes. C'était un grand désappointement, car il perdait ainsi l'espoir de garder une communication directe de toute une partie de ses États avec la mer, à laquelle il attachait un grand prix. De plus, il prenait en très mauvaise part qu'on eût compris dans l'établissement de l'infant le duché de Plaisance qui faisait partie des concessions à lui faites par le traité de Worms, et dont ses troupes étaient restées en possession depuis la bataille livrée sous les murs mêmes de la ville. Il jetait donc d'abord feu et flamme contre l'Angleterre, qui trompait sa confiance. Mais à qui aurait-il été conter ses doléances? 't A l'Espagne qui détenait son patrimoine héréditaire de Savoie, et qui demandait hautement à n'en pas sortir? A l'Autriche qui n'annonçait pas, avec moins d'éclat, la prétention de tenir le traité de Worms tout entier pour non avenu, et le sommait ainsi d'avoir à évacuer non seulement la cité de Plaisance, mais toute la partie du Milanais bordant le cours supérieur du dont ce traité lui avait fait don? C'était, au contraire, la possession de ces belles provinces dont


tes préliminaires lui assuraient la confirmation, et un grand pas était ainsi fait vers cette domination suprême de la haute Italie qui était l'ambition héréditaire de sa race. C'était là un pis-aller dont on pouvait se contenter. Le raisonnement amena donc assez vite la résignation, et le mois de mai n'était pas écoulé que le comte de Chavannes recevait l'instruction d'adhérer aux préliminaires.

Il fallait bien s'attendre que l'Espagne, d'humeur moins endurante, se trouvant peut-être encore moins bien traitée, fût plus difficile à réconcilier. Puisieulx se trompait pourtant, quand il se préparait à voir éclater à Madrid M/ï vacarme ejooMï~M~ Ce fut, au contraire, par un silence de mort régnant dans l'entourage royal que l'arrivée d'un courrier apportant de graves nouvelles fut annoncée au public, et quand l'ambassadeur Vauréal dut se rendre au palais, portant le texte des préliminaires que l'envoyé l'Espagne avait déjà transmis, il n'eut point à subir ces emportements de passion dont il avait dû, du temps de Philippe et d'Élisabeth, braver les orages. Mais ce fut de la part du débile Ferdinand, qui en tout temps parlait peu, et de la reine, dont le naturel était également


concentré, un accueil glacial puis, quand il fallut s'expliquer, un ton de dignité blessée et un accent d'amertume qui firent voir que le trait avait porté au cœur. Parme et Plaisance, même accrus du petit duché de Guastalla, paraissaient un mince échange à offrir en retour de la restitution réclamée de'la Savoie et du comté de Nice. Puis le rétablissement des exigences vexatoires imposées par l'Angleterre au commerce espagnol était un affront pour l'indépendance de la nation et pour l'honneur de la couronne que la fierté castillane ne pouvait manquer de ressentir cruellement. Enfin c'était toujours, disait-on, le même procédé disposer de l'Espagne et de ses plus chers intérêts sans prendre même la peine de la prévenir. Interprète de ces sentiments, mais moins mesuré dans son langage que ses maîtres, le duc d'Huescar fit à Puisieulx des scènes si vives que ce ministre, dont le sang-froid n'était pas la qualité principa'e, en éprouva un trouble même physique dont Saint-Séverin s'aperçut dans sa correspondance. « Du courage donc et de la santé, mon cher marquis, lui écrivait-il, l'Espagne fait beaucoup de bruit, mais finira par se rendre. Et il avait quelque mérite lui-


même à ne pas s'émouvoir davantage, car il n'était pas mieux traité à Aix-la-Chapelle par le duc de Sotomayor, qui ne lui adressait pas la parole et lui tournait le dos quand il le rencontrait. En revanche, entre l'Autriche et l'Espagne, l'intimité paraissait rétablie et complète. Kaunitz et Sotomayor passaient leurs journées à faire de la musique ensemble et à épancher dans le sein l'un de l'autre leurs griefs contre leurs alliés. A les voir ainsi inséparables on aurait pu croire qu'ils méditaient quelque opération commune*.

Mais de quel secours pouvait être l'Autriche à l'Espagne, et l'Espagne qu'aurait-elle pu lui rendre en échange, une fois qu'elle était abandonnée de la France et ne pouvait se rapprocher de l'Angleterre? Quelle mesure efficace pouvait sortir du concert de ces deux co-héritiers de la succession de Charles-Quint, du moment où ils ne pouvaient plus se donner la main ni par mer, dont les croisières anglaises leur rendaient la communication impossible, ni par terre à travers le Piémont et la Provence 1. Vauréal à Puisieulx, 15, 11, 21 mai n4S. (Correspondance d'Espagne). Saint-Séverin'a. Puisieulx, 7, 14 mai n48. (Correspondance de Bréda et d'Aix-la-Chapelle. Ministère des affaires étrangères.)


qui leur étaient désormais fermés? L'Autriche avait-elle des vaisseaux à envoyer dans l'Océan pour empêcher les escadres britanniques d'achever la ruine, déjà presque consommée, du commerce espagnol, et barrer le chemin aux galions du Nouveau Monde ? Puis les troupes espagnoles ne pouvaient se maintenir en Savoie et à Nice qu'avec le concours des Français, et en s'adossant en quelque sorte à la frontière de France; une fois privées de cet appui, elles ne pouvaient rester au delà des Alpes et se verraient forcées de quitter la place sans délai. Mieux valait encore recevoir Parme et Plaisance en retour, que de s'en aller les mains vides. Aussi fut-il bientôt visible que la colère, d'abord si vive, s'atténuait insensiblement. On ne parla bientôt plus que d'obtenir la promesse que les humiliants contrats de l'asiento et du vaisseau de ~'MM'o~, dont 'la durée avait toujours été limitée, ne seraient renouvelés que pour le nombre d'années qui restaient à courir à la déclaration de guerre enfin, dans les termes maussades, l'accession fut accordée. « Mon honneur, dit Ferdinand à Vauréal, a été attaqué par la signature faite à mon insu, il le serait plus encore si on me soupçonnait de vouloir


continuer la guerre pour mon intérêt. C'est la seule raison qui m'engage à ordonner à mon ministre de signer, x « Et la reine, fort allumée (dit l'évêque), a ajouté que sans cette raison il n'aurait jamais consenti à une chose qui est aussi contraire à son intérêt qu'à sa gloire 1. »

L'Autriche restait donc seule mais à elle non plus, la solitude ne laissait pas plus de ressources que d'espérance. Elle ne pouvait continuer sans alliés une lutte que, même avec de puissants concours, elle avait très faiblement soutenue. Batthiany, sans Cumberland, pouvait-il même essayer de regarder Maurice en face? Exilé de la Hollande, où se serait-il replié, ne pouvant plus poser le pied dans les Pays-Bas? Les Russes, ce suprême espoir, n'étaient encore qu'à moitié de leur route si péniblement parcourue pour les empêcher de faire un pas de plus, il suffisait que les deux puissances maritimes, qui s'étaient chargées des frais de leur transport, les avertissent qu'on allait leur couper les vivres. En Italie, la partie était peut-être tenable pour les troupes impériales, tant qu'elles n'auraient en face d'elles 1. Vauréat à Puisieulx, 3 juillet n48. (Correspondance d'Espa~)!e. Ministère des affaires étrangères.)


que les Piémontais; mais qui pouvait répondre que Charles-Emmanuel ne fît pas preuve une fois de plus de cette facilité à passer d'une alliance à l'autre qui était la vieille habitude de sa dynastie? Pour se retourner vers la France et l'appeler à son aide, il n'avait qu'à tirer de ses cartons le traité préparé naguère par d'Argenson, et le consacrer par une de ces alliances de famille qui avaient si souvent uni les maisons de Savoie et de Bourbon. Si le dauphin était marié, le prince de Piémont ne l'était pas, et Louis XV avait plus d'une fille dont la main serait facilement obtenue. De ce côté, comme de tout autre, le regard ne rencontrait que des ennemis et l'horizon était fermé à l'espérance. A une force majeure si évidente, comment se fait-il que l'Autriche ait sérieusement essayé de faire tête et qu'elle ait prolongé, six mois durant, une vaine résistance? L'impératrice, malgré la ténacité connue de son caractère, n'était dépourvue ni de prudence ni de jugement, et son orgueil avait dû fléchir à plusieurs reprises devant des nécessités moins impérieuses. Cette obstination serait vraiment incompréhensible, si les documents autrichiens ne nous en fournissaient une explication inattendue. Quelle sur-


prise n'est-ce pas, en effet, de reconnaître que ce fut le ministre de France en personne, le même Saint-Séverin, qui venait d'enlever par surprise, et presque d'arracher de force, la signature de l'Angleterre et de la Hollande, qui, se retournant dès le lendemain, vint chercher son collègue autrichien pour lui suggérer tout bas la pensée qu'après tout, rien n'était fait, que les préliminaires étaient conçus en termes si larges qu'en disputant sur l'exécution au lieu de les repousser en bloc, on pouvait encore en modifier le sens, en atténuer la rigueur, changer les clauses les plus pénibles et préparer ainsi la voie à de nouvelles et plus heureuses combinaisons? Quel but poursuivit-il par ce manège clandestin, dont le ministère français ne fut jamais complètement informé, et dont la trace est à peine visible dans sa correspondance? Partageait-il luimême l'espoir ou l'illusion qu'il se plaisait à faire naître? Avait-il réellement l'intention de réparer en partie le tort qu'il avait causé, de panser, sinon de guérir, la blessure qu'il avait faite, et de se faire pardonner ainsi par Kaunitz, le manque de foi dont il sentait qu'il avait justement encouru le reproche? Voulait-il tout simplement se donner l'apparence d'un esprit de-


conciliation affecté, faire ressortir, par ce contraste, la raideur et la dureté des exigences britanniques et envenimer ainsi le différend qu'il s'applaudissait d'avoir suscité entre les deux alliés? C'est ce qu'il est difficile de déterminer. On ne peut pourtant se défendre de croire que, des deux suppositions, celle qui prête à l'agent de la France le plus d'adresse et le moins de franchise, étant la plus conforme au caractère que nous lui avons vu déployer, est la plus vraisemblable car c'est celle qui répond le mieux à la joie maligne qu'il éprouvait (c'est lui qui l'a <tit, en propres termes) « d'avoir mis le comble au commencement de méfiance et d'aigreur établies entre les ennemis de la France ». Les relations entre Kaunitz et Saint-Séverin étaient restées naturellement plus que froides, et .à peine polies, depuis la scène assez vive qui avait suivi les explications échangées à la suite de la signature des préliminaires; mais elles ne tardèrent pas à être renouées par l'intermédiaire officieux d'un secrétaire d'ambassade saxon, le baron de Kauderbach, que son ministre, le comte de Brühl, avait envoyé à Aix pour suivre de près .et lui faire connaître la marche de la négociation. Si l'on se souvient de l'ardeur et de la persévé-


rance que Brühl avait mises à préparer le rapprochement de la France et de l'Autriche, on peut comprendre le désappointement qu'il avait dû éprouver en apprenant la rupture survenue entre les représentants des deux cours d'autant plus que, tenu au courant, sinon des détails, au moins des progrès de leur transaction secrète, il se croyait à la veille de mettre la main sur un résultat si longtemps attendu. Il était dur d'échouer au port. Pénétré du chagrin qu'éprouvait son maître et recevant d'ailleurs journellement la confidence de la douloureuse irritation de Kaunitz, Kauderbach se décida à aller trouver tout droit Saint-Séverin. Qu'avez-vous fait, lui dit-il, et que sont devenues les espérances de paix et de conciliation que vous nous aviez données ? Puis il lui rappela ce nouveau et grand système politique, déjà plus d'une fois développé à Versailles par le comte de Loos, et à Aix par Kaunitz lui-même, et qui consistait à prévenir la ligue, toujours prête à se former, des puissances protestantes, en lui opposant une union catholique capable d'y tenir tête. Ces grandes vues, dont Saint-Séverin s'était laissé entretenir, dont il avait paru apprécier la portée, avait-il cessé d'y être sensible? Comment ne voyait-il pas que


les préliminaires, en consacrant, de concert avec l'Angleterre, tous les avantages de la Prusse, préparaient précisément cette union protestante qui, une fois la paix conclue, deviendrait intime et menaçante?

Saint-Séverin le laissa parler sans s'émouvoir, puis il lui affirma que ses sentiments, ni ceux de sa cour, n'étaient nullement changés. Mais que voulez-vous, lui dit-il, l'Autriche nous faisait attendre, et de l'autre côté on ne cessait de nous presser. Vous ne croiriez jamais jusqu'où de ce côté-là on poussait les concessions et le désintéressement. On allait au-devant de tous nos désirs. Pouvions-nous manquer une occasion pareille? Tenez-vous encore pour heureux que nous n'ayons pas exigé davantage. Pour peu que j'eusse insisté, je faisais imposer à l'Autriche des conditions bien plus désavantageuses encore, et l'Angleterre aurait tout accepté. Croiriez-vous qu'il s'en est peu fallu que j'aie fait insérer dans les préliminaires la restitution de Gibraltar? Abordant ensuite les vues générales que Kauderbach avait rappelées, Saint-Séverin n'eut pas assez d'admiration à .témoigner pour la justesse et la supériorité d'esprit que Kaunitz ayait déployées en les développant. Et puis quelle


noblesse dans toute sa conduite! On ne saurait en faire trop d'éloges, surtout si on la comparait à celle des autres ministres des alliés, car de ce côté il fallait bien le reconnaitre, il y avait eu des manoeuvres odieuses de nature à laisser les jo~M implacables ?'a~cMMes. Pourquoi enfin, dit-il, se préoccuper si fort de telle ou telle clause des préliminaires; ce sont de maigres détails auxquels il ne faut pas s'arrêter. Ces articles sont si vagues qu'on leur fera dire tout ce qu'on voudra. J'en tirerai, moi, ce qui me conviendra. C'est !<~e ~~e mo~e,e?! ferai wx cA~, zciz chat, ~yc, tout ce qui ~M ~a;. L'essentiel est qu'on ait confiance dans la France et qu'on lui dise clairement ce qu'on désire. Il est encore temps d'aviser.

Kaunitz avait trop chèrement payé sa confiance dans les compliments et les caresses de Saint-Séverin pour mordre cette fois à l'appât sans précaution. Il se borna donc à engager Kauderbach à continuer la conversation, mais en le chargeant de bien faire comprendre qu'après ce qui s'était passé, ce n'était pas à l'Autriche à parler, mais bien à attendre ce qu'on aurait à lui dire. Puis rendant compte à sa cour de cet étrange entretien, il laissait voir assez clairement


sa crainte de donner dans un nouveau piège. La France, disait-il, a cette fois bien réussi à &?'oM~e)' /OM~ les ca~/M; elle a brisé tous les liens qui unissaient entre eux les alliés, elle a levé tous les scrupules qui pouvaient nous faire hésiter à rompre avec les puissances maritimes elle voit l'Angleterre aux abois; il est tout simple qu'elle veuille profiter d'une situation si adroitement ménagée, mais il faut savoir ce qu'elle en veut tirer. Des paroles dites à voix basse et des promesses vagues ne sauraient nous suffire. Le tableau était exact et la réserve prudente. Seulement ce qu'avec son sens pratique et la précision un peu lourde de son esprit Kaunitz ne pouvait deviner, c'est que derrière les allures changeantes et les retours capricieux de l'envoyé de France, ne se cachaient réellement aucune espérance, ni aucun calcul d'intérêt. Témoin du désarroi des cours naguère alliées, et heureux de pouvoir l'accroître, Saint-Séverin, à qui ses instructions n'avaient pas permis d'en profiter à son gré, se plaisait faute de mieux à s'en donner le spectacle et à s'en faire un jeu

A Vienne on prit la chose plus au sérieux, et I. Kaunitz à Marie-Thérëse, 6-16 mai n48. (Archives de Vienne).


l'ouverture fut accueillie avec plus de confiance et plus d'empressement peut-être qu'elle ne méritait. C'est que, si la brusque signature des préliminaires, succédant à des espérances tout opposées, n'avait pas causé à Marie-Thérèse une surprise moins pénible qu'à son envoyé, l'impression pourtant qui lui restait était différente. Kaunitz était surtout sensible au désagrément personnel qu'il éprouvait d'avoir été ou du moins de paraître dupe des bonnes paroles de SaintSéverin. Pour Marie-Thérèse, il n'y avait qu'un vrai, un seul, un grand coupable, c'était l'envoyé anglais, ou plutôt le cabinet britannique luimême dont ces préliminaires prétendus improvisés n'avaient fait que mettre au jour les frauduleux desseins, conçus déjà de longue date. De ce côté tous les soupçons étaient enfin justifiés, et dès lors l'irritation de l'impératrice portée à son comble. Qu'importait que Saint-Séverin eût manqué d'égards, en se dérobant à la dernière heure à un arrangement presque conclu, et qu'il eût même usé de ruse pour cacher son jeu? Qu'était-ce auprès du trait bien plus noir de l'Angleterre oubliant une amitié presque séculaire et jetant au vent la foi jurée par vingt traités différents? On pardonne plus volontiers le 13


stratagème d'un adversaire que la trahison d'un ami. Et quelle joie ne serait-ce pas pour l'impératrice de profiter à son tour des irrésolutions, des artifices mêmes de la France et de sa politique à double face pour retourner contre son alliée infidèle l'instrument qu'elle avait forgé et la faire tomber à son tour dans le piège qu'elle avait tendu 1

Il faut ajouter que l'impératrice fut appuyée dans cette ligne de conduite un peu hasardeuse par ses meilleurs conseillers. Le vieux Bartenstein, en particulier, entra presque de lui-même dans la pensée, au lieu de repousser les préliminaires en bloc et en principe, d'y pénétrer en quelque sorte pour en modifier le détail, en changer l'esprit et en prévenir les effets. En vieux praticien qu'il était, portant dans les affaires politiques l'esprit de procédure et presque de chicane juridiques, il examina article par article, dissequa en quelque sorte le document, et n'eut pas de peine à y reconnaître les traces d'une précipitation irréfléchie. Des points nécessaires à résoudre avaient été omis, et la difficulté se retrouverait à l'exécution. D'autres avaient reçu une solution imparfaite et obscure qui donnerait lieu entre les contractants à de nouvelles dissi-


dences et peut-être à de longs débats. Dans le cours de ces contestations inévitables, l'Autriche, appuyée comme elle pouvait l'être par l'Espagne (dont la colère à ce premier moment n'était pas encore calmée), trouverait l'occasion de présenter et peut-être de faire prévaloir ces justes griefs. Le tout était de savoir si la France était sérieusement disposée à se prêter à cette métamorphose insensible de l'œuvre qu'elle avait elle-même préparée. C'est ce que Kaunitz fut chargé de tirer au clair, < car en ce cas, lui disait une lettre officielle, il y aurait remède à tout L'impératrice développa elle-même cette instruction dans une longue -dépêche dont la rédaction confuse était, suivant son habitude, parsemée et comme éclairée par des traits lumineux. Après avoir envoyé à son fidèle agent sa pleine approbation de sa conduite, le rassurant ainsi contre les reproches qu'il se faisait à lui-même « Ne perds point courage, lui disait-elle, l'intérêt supérieur de notre service te commande de reprendre possession de toi-même. » Elle convenait alors qu'il n'y avait plus lieu de se fier 1. Uhlfeld à Kaunitz, 13 mai 1748. Béer, Friede von Aachen. Archives de l'histoire d'Autriche publiées par l'Académie de Vienne, t. XLVII, p. 38.


pas ~)/:M aux ~~<?HtM ~«~~M'c! irréconciliables de notre maison qu'à c<?K~ qui s'appelaient nos alliés. » Aussi elle avait appris avec plaisir que, sous le coup d'une première impression, il s'était exprimé avec vivacité, aussi bien devant lord Sandwich que devant Saint-Séverin, sur l'indignité de leur conduite, et elle comprenait qu'il eût été &~M dans l'âme par les procédés /0!«~ et indécents du ministre français. « Il est toujours utile, disait-elle, de se montrer sensible à un 'affront et surtout avec l'Angleterre qui, ainsi que l'atteste l'expérience des temps anciens et modernes, est toujours prnmpte à o'OMu~' ~e~<o~~e de ses appétits (Nachdem sie ihre ~7~e~~M??!??ïe~~e~ ~Œe~Aa/). ? Mais ce n'était pas une raison pour rompre en visière à ses collègues et briser tous les rapports avec eux. Il ne faut se souvenir des torts déjà ressentis < que pour empêcher qu'en nous croyant indifférents, on ne continue à nous sacrifier ». Entrant alors elle-même dans la discussion détaillée des articles préliminaires, elle distingue ceux qu'elle pourrait accepter ou sur lesquels elle peut, au moins, passer condamnation, ceux, au contraire, qui la blessent au vif et qu'elle trouve autant que jamais intolérables. Dans la


première classe, elle range naturellement tout ce qui intéresse la France et peut servir à ménager son appui, comme l'établissement de l'infant en Italie et les satisfactions données à la république de Gênes. La seconde comprend, est-il besoin de le redire? les faveurs faites, les garanties accordées aux deux grandeurs rivales et détestées que la guerre a fait accroître à ses dépens à CharlesEmmanuel et à Frédéric. Puisque la France a fait la faute de laisser inscrire ces concessions maudites dans l'acte qu'elle a signé, la princesse ne lui demande plus de s'y opposer directement, mais seulement de s'en désintéresser, de ne pas s'attacher à les maintenir dans l'acte définitif, et de montrer par cette indifférence qu'en tout cas on ne peut compter sur elle pour en assurer l'exécution. C'est de cette indifférence (Gleichgültigkeit) de la France que Kaunitz doit se procurer la certitude, et c'est le sujet sur lequel il ne faut cette fois tomber dans aucune méprise. Ainsi, avec cette ténacité peu raisonnée qui est souvent un des traits du caractère féminin, le seul qu'on puisse relever dans cette âme virile, c'est toujours sur les mêmes points fixes que sa pensée est tendue, et le double engagement qu'elle n'a pu empêcher la France de prendre, elle veut,


au moins, qu'on lui promette de ne pas le tenir. Une autre recommandation qui n'est pas faite à Kaunitz avec moins d'insistance, c'est de n'accepter à aucun prix, en échange des réclamations de divers genres qu'il aura à présenter, les compensations pécuniaires que l'Angleterre pourrait lui offrir. « H vaut mieux, s'écrie-t-elle, se fier désormais à nos propres forces que de mendier l'argent étranger et de rester ainsi dans une éternelle dépendance. Notre maison n'a que trop éprouvé la réalité du proverbe fi~M~ o~ce canit. Les subsides d'Angleterre sont estimés dix fois plus qu'ils ne valent. Pour suppléer aux engagements qu'elle n'a jamais remplis, nous avons dépensé bien plus que ce qu'elle nous a donné pendant quelques années, malgré l'éclat qu'elle a mis à en faire, aux yeux du public, un odieux étalage »

En exécution de ces instructions, Kaunitz vint déclarer à Saint-Séverin qu'il recevait de l'impératrice les pouvoirs nécessaires pour accéder aux préliminaires, mais seulement en ce qui touchait i. Marie-Thèrëse à Kaunitz, 14 mai n48. (Archives de Vienne.) Le proverbe cité par l'Impératrice est le commencement d'un vers connu Fistula dulce canit volucrem dKM: decipit auceps. Voir à l'appendice A les principaux passages de cette importante dépêche de l'Impératrice.


les différends à régler entre elle et les États avec qui elle était en guerre. Cette adhésion limitée excluait par là même les clauses qui n'intéressaient que le roi de Sardaigne, puisqu'il n'avait pas cessé d'être son allié nominal, et le roi de Prusse, avec qui elle était en paix depuis le traité de Dresde. Quant à ce dernier traité, l'ayant déjà. souscrit et ne songeant pas à le violer, elle ne voyait pas par quel motif elle aurait à y donner une adhésion nouvelle. Pourtant, ce traité luimême, ajoutait Kaunitz toujours au nom de sa souveraine, comme toutes les conventions du monde, comportait des obligations réciproques. En même temps que le roi de Prusse avait reçu la cession de la Silésie, il avait dû s'engager à respecter tout le reste des possessions héréditaires de la maison d'Autriche. L'une de ces obligations n'étant pas moins sacrée que l'autre, l'impératrice ne pouvait croire que, co/<Mrement à toutes les lois humaines et eh'~e.s', les puissances signataires des préliminaires eussent le dessein de les séparer, et n'eussent pas entendu donner à toutes deux une égale confirmation. Que ce point fût bien éclairci, qu'il fût clairement exprimé, que la garantie donnée à la Prusse pour sa conquête était assurée également à l'Au-


triche pour tout ce qui restait de ses domaines patrimoniaux, et elle consentirait que cet ensemble de dispositions corrélatives prit place dans les actes qui établiraient la paix générale

Une déclaration, posant ces deux réserves, était déjà préparée et devait précéder l'acte formel d'adhésion aux préliminaires. Kaunitz n'hésita pas à en donner connaissance à Saint-Séverin qui ne fit pas de difficulté non plus d'en prendre lecture. Il n'y présenta aucune objection positive, indiqua même quelques modifications à faire qui furent insérées, suivant son conseil. II ne pouvait se dissimuler cependant que, sous une forme ambiguë, et moyennant quelques précautions de langage qui ne pouvaient tromper personne, la pièce à laquelle il collaborait ainsi avait pour effet d'écarter implicitement un des articles des préliminaires et de donner à un autre une très grave extension. Or ces points étaient ceux auxquels son collègue anglais attachait un prix tout particulier. La manœuvre allait donc assez directement à altérer le texte et encore plus l'esprit de l'acte dont il était lui-même l'auteur principal. Il sentait si bien ce que ce procédé avait i. D'Arneth, t. p. 369-370.


de louche, sinon de positivement déloyal, qu'il n'en rendait à son ministre qu'un compte imparfait et très atténué. « M. de Kaunitz, écrivait-il, m'a témoigné ne vouloir se déterminer que d'après mon conseil. Le rôle est difficile à jouer je crois m'en être tiré de manière à ne laisser naître aucun soupçon sur notre fidélité à remplir nos engagements, mais d'une façon à ne pas nous aliéner absolument la cour de Vienne, mais plutôt à l'entretenir dans de certaines dispositions pour la retrouver au besoin, »

Pas un mot de la confidence qu'il avait reçue et de l'accueil qu'il y avait fait. A plus forte raison, n'en donna-t-il aucun avis à Sandwich, avec qui il restait en rapports journaliers, dans des termes d'intimité et de confiance apparents, et qui devait être à cent lieues de soupçonner l'atteinte qu'il laissait porter à leur œuvre commune'.

Naturellement, quand la déclaration fut communiquée aux envoyés d'Angleterre et de Hollande, ceux-ci se récrièrent et déclarèrent d'un commun accord' qu'ils ne pouvaient accepter 1. Kaunitz à Marie-Thérèse, 26 mai n48. (Archives de Vienne.) Beer, Friede von ~fac/ten, p. 42. Saint-Séverin à Puisieulx, 24 mai n48. (Correspondance de Bréda et d'Aix-la-Chapelle. Ministère des affaires étrangères.)


qu'une adhésion pure et simple et ne se prêteraient à aucune réserve. Obligé à son tour de s'expliquer, Saint-Séverin s'en tira par une équivoque. « Je pris la parole, dit-il, et je dis que comme Sa Majesté n'avait pris aucune part aux traités de Worms, de Breslau et de Dresde, je ne pouvais rien dire sur ce point et que je m'en tenais à l'accession aux préliminaires. » C'était conclure comme ses collègues, mais en s'appuyant sur un motif que Kaunitz, croyant l'entendre à demi-mot, pouvait prendre pour un encouragement. Aussi ce ministre se borna-t-il à répondre qu'il n'avait rien à retrancher, ni à ajouter à sa déclaration et que c'était à prendre ou à laisser. Réflexion faite, on trouva qu'il valait mieux se contenter d'une acceptation conditionnelle que de s'exposer à une rupture absolue. Acte fut donc donné à Kaunitz de son adhésion, mais en le prévenant d'avance que dans la suite de la négociation on regarderait ses réserves comme nulles et on n'en tiendrait aucun compte. <c Après tout, disait Saint-Séverin à Kaunitz, dans un entretien qui suivit cette conférence, en signant les préliminaires, nous n'avons pas pris l'engagement d~intervenir en Italie à main armée pour y exercer sur vous une contrainte, et ce ne


sont pas les flottes anglaises que vous avez à y craindre. » Et il laissa entendre qu'il était mandé à Compiègne pour entretenir verbalement de la situation le roi et ses ministres, et que c'était là à peu près le langage qu'il comptait leur tenir. Il est vrai qu'au même moment, i! affirmait à Sandwich que son voyage n'avait pas, dans sa pensée, d'autre but que de préparer les mesures qu'ils auraient à prendre en commun, si l'Autriche persistait dans son attitude de résistance et de réserve

Les paroles de Saint-Séverin étaient consolantes et se rapprochaient assez de la promesse d'/e?'~c~ que désirait l'impératrice et que Kaunitz était chargé d'obtenir. Ce n'étaient pourtant que des paroles, et le moindre écrit aurait mieux valu. C'est à quoi il paraîtrait que Kaunitz réfléchit, mais un peu tard, quand il eut laissé partir SaintSéverin pour se rendre à l'appel royal et alors qu'il eût été difficile de courir après lui. Mais SaintSéverin avait laissé à Aix en son absence, pour veiller aux affaires, son secrétaire d'ambassade Tercier, que j'ai déjà nommé et à qui une capacité ). Sandwich à Newcastle, 19 mai n48. (7'rea<y pa~e~. Record office.) Beer, p. 43. Kaunitz à Marie-Thérèse, 26 mai 1748.


reconnue avait valu (on le savait) la pleine confiance de son chef. Ce fut à ce modeste agent que, faute de mieux, Kaunitz crut devoir s'adresser, en usant avec lui d'une ouverture de cœur qui ne laissa pas de l'étonner un peu. Il fallait, lui dit-il, que l'on sût enfin à quoi s'en tenir sur ce que voulait la France. L'Autriche ne pouvait continuer à marcher à l'aventure et elle devait se former ce que dans la langue diplomatique du temps on appelait MM système. Si ce n'était pas avec la France, ce serait donc avec ses anciens alliés qu'elle devrait lier de nouveau sa partie, et il ne manquerait pas de gens qui la pressaient d'y revenir. Mais pourquoi donc la France tiendraitelle à ce qui pouvait accroître la situation du roi de Sardaigne? Est-ce que le traité de Worms n'avait pas été fait contre elle dans la ferveur de la guerre et avec le dessein avoué d'exclure la maison de Bourbon d'Italie? Et est-ce que la France ne voyait pas que depuis ce jour-là le roi de Sardaigne était devenu la ~Mro/~ de ~~7eterre « Quant à nous, ajouta-t-il, nous offrons à la France une réconciliation loyale et solide l'établissement de l'infant Philippe deviendra par notre concert aussi sûr que stable nous lui servirons pour ainsi dire de garde du corps et.


nous ne demandons qu'une seule chose à la France qu'il lui est très facile de nous accorder, c'est de ne prendre aucune part à ce qui se fera relativement à l'exécution du traité de Worms. Ce sera à nous à voir ce qu'il nous conviendra de faire, et nous n'aurons pas même besoin de recourir à des voies de fait car le pays est tout ouvert, et la citadelle de Plaisance est la seule place de quelque défense. mais il nous faut quelque chose de plus que des paroles, et c'est jusqu'à présent tout ce que j'ai pu donner à ma cour. Quelque illimités que soient les pouvoirs qu'elle m'a donnés et quelque confiance qu'elle ait en moi, cependant comme dans les cours les sentiments sont différents, je voudrais bien que l'on pût ne me rien reprocher. Pour offrir donc des sûretés à ma cour, je voudrais que le comte de Saint-Séverin me donnàt un écrit en forme de déclaration de lettre ou de quelque autre manière que ce soit, car je me prêterai à la forme qu'il voudra choisir, qui nous donnât l'assurance que nous avons les mains libres et que ni la France, ni ses alliés ne s'opposeront à ce que nous voudrons entreprendre. » Et ce disant, il tira de sa poche un petit papier écrit d'avance et portant que « Sa Majesté Très-Chrétienne n'avait


pris aucune part aux traités de Worms, de Breslau et de Dresde et que, par conséquent, par les articles des préliminaires où il est fait mention des cessions déjà faites par Sa Majesté l'Impératrice, Sa Majesté Très-Chrétienne n'entend point avoir rien ajouté ni été à la valeur de ces cessions. » La communication ainsi faite dépassant par sa nature même la compétence d'un simple chargé d'affaires, Tercier n'avait qu'à s'incliner en promettant de la transmettre. Mais c'était un esprit droit et simple, nullement mêlé, et probablement n'entendant rien aux finesses de son supérieur; il avait prêté sa plume réputée très habile à la rédaction des préliminaires; c'était lui qui avait été envoyé pour en porter le texte à Versailles. L'idée d'en altérer le sens naturel par une sorte de restriction mentale imaginée après coup lui causa une surprise qu'il eut peine à dissimuler et effectivement, sans y être préparé d'avance, il était difficile de comprendre par quelle subtilité de conscience on pouvait souscrire une convention d'une main et de l'autre prendre l'engagement d'en laisser annuler, en fait, une des clauses les plus importantes 1. Tercier à Puisieulx, 15 juin n48. (Conférence de Bt'eda et d'Aix-la-Chapelle. Ministère des affaires étrangères.)


L'expédition aussitôt adressée par Tercier ne rejoignit pourtant pas Saint-Séverin à Compiègne, où on ne le garda que quelques jours. Mais il est certain qu'il n'aurait fait aucun effort pour obtenir la permission de mettre sa signature au bas d'un acte pareil à celui que Kaunitz essayait de tirer de lui. Outre qu'il n'avait certainement nulle envie lui-même de laisser une pièce d'une nature si compromettante entre les mains d'un confident qui avait tout intérêt à en user sans discrétion, une fois à Compiègne, il n'avait pas été longtemps à reconnaître qu'une telle proposition ne trouverait aucun accueil pas plus auprès du roi que du ministre. L'un et l'autre, préoccupés avant tout de mener à fin une conclusion qui n'avait que trop tardé à leur gré, écartaient tout ce qui pouvait ouvrir la porte à de nouveaux débats. C'est le propre des caractères irrésolus, une fois que les circonstances les ont obligés à prendre un parti, de repousser avec une sorte d'effroi tout ce qui pourrait les replonger dans les difficultés dont ils sont sortis. Puisieulx, en particulier, informé par le ministre saxon, le comte de Loos, du dépit qu'éprouvait l'Autriche et des expédients auxquels elle essayait de se rattacher dans sa détresse, avait déjà refusé absolu-


ment de donner à ces espérances un mot d'encouragement K M. de Kaunitz, écrivait-il dès le 21 mai, a écrit une lettre très forte au comte de Loos, ce dernier est venu exprès ici pour m'en faire la lecture. Elle porte que le roi doit être satisfait des coups qu'il a portés depuis quinze ans à la maison d'Autriche. Sa Majesté est trop généreuse pour la réduire au point de se trouver peut-être par la suite obligée de la relever. Cette lettre est remplie d'aigreur contre l'Angleterre et contre le roi de Sardaigne. Le comte de Loos m'a dit encore que la reine de Hongrie souhaiterait qu'on la laissât agir contre le roi de Sardaigne en Italie pour reprendre tout ce qui avait été cédé par le traité de Worms et qu'alors maîtresse de tous les États qui devaient former l'établissement de l'infant, elle les remettrait dans la main de Sa Majesté. et cet ambassadeur m'a prié d'aider la cour de Vienne de mes conseils dans une circonstance si critique. J'ai reçu cette déférence avec la modestie qui me convenait. Je lui ai répondu que, me mettant pour un moment à la place de la cour de Vienne, je sentais toute l'amertume de la situation où elle se trouvait par sa faute, que je croyais qu'elle n'avait rien de mieux à faire pour le présent que de ne


montrer aucune aigreur à ses alliés, d'accéder aux préliminaires et d'attendre de l'adoucissement du temps et des circonstances. Je lui ai déclaré que le roi ne ferait rien sans le concours de l'Angleterre tant sur ce qui avait rapport à l'Italie que sur les autres articles des préliminaires. II me paraît, ajoutait-il, que la cour de Vienne est convaincue que l'Angleterre cherchera désormais l'alliance du roi de Prusse de préférence à la sienne, et ce système, qui ne peut être encore qu'en perspective, a déjà commencé depuis quelque temps à faire faire de sérieuses réflexions à la reine de Hongrie, et cette appréhension vraie ou fausse peut nous servir utilement mais il faut pour en tirer parti que nous ayons l'air d'ignorer tout cela. »

Sur un esprit ainsi disposé, on peut juger quelle impression avait dû produire la déclaration pleine de restrictions et de réserves dont l'Autriche avait fait précéder son accession aux préliminaires « C'est la pièce la plus captieuse, s'était-il écrié, qui soit sortie de la boutique de Bartenstein ». Saint-Séverin ne fut pas pressé, on le conçoit, de se vanter d'y avoir mis la main. Il aurait craint de s'attirer cette réponse méritée c'est que, s'il y avait dans les préliminaires des i4


articles dont l'Autriche pouvait réellement se plaindre, c'était en les rédigeant qu'il aurait dû y songer, et qu'il était trop tard pour réparer l'imperfection de son œuvre par des voies obliques et des interprétations subtiles

Aussi dut-il revenir à Aix-la-Chapelle, ne rapportant rien qui répondit à l'attente impatiente de Kaunitz et aux espérances qu'il lui avait laissé concevoir. En revanche, des propos flatteurs, des compliments empressés pour lui et sa souveraine de la part du roi, du ministre et de toute la cour, y compris madame de Pompadour, il en revenait, dit-il, les mains pleines et, effectivement, il s'en montra prodigue. Tout le monde regrettait, assurat-il, les malentendus qui avaient divisé les deux cours et les fausses mesures auxquelles le dernier ministre s'était laissé entraîner, contrairement aux véritables intérêts de la France. A l'avenir, il fallait vivre des deux parts sur un pied de confiance et de cordialité réciproques, et la France, pour sa part, était décidée à travailler, non seulement au maintien, mais à l'agrandissement de la maison impériale. Mais, pour le présent, 1. Puisieulx à Saint-Séverin, 22-6 mai n48. (Co)')'M/)o?M<a?ice de Bréda et d'a-C/~peKe. Ministère des affaires étrangères.)


les préliminaires étant signés, il fallait les exécuter, l'honneur du roi ne lui permettant pas de rien faire qui parût tendre à en éluder l'obligation.

A part cet objet, sur tout autre point, la France était prête à rendre à l'Autriche tous les services qui étaient en son pouvoir, et il en était un en particulier qu'elle offrait tout de suite et de grand cœur. On avait de bonnes raisons de croire que le roi de Prusse songeait à embrasser la religion catholique et qu'il avait même fait prier le pape de lui envoyer deux missionnaires pour l'éclairer. Cette conversion ne pouvait avoir d'autre but que de préparer une candidature à la dignité impériale au détriment du jeune archiduc qui n'était pas encore déclaré roi des Romains la France était décidée à s'opposer formellement à la réalisation d'un tel dessein.

C'était une étrange manière de détourner la conversation, et la promesse d'un concours contre un danger lointain et probablement imaginaire était une mince compensation au refus de toute assistance immédiate contre un grief présent Kaunitz eût été excusable de n'y voir qu'une plaisanterie d'un goût médiocre. II se borna à dire qu'il croyait volontiers que le roi dé France ne


songerait pas à disputer la dignité impériale à l'Autriche afin d'en faire don à un souverain dont la puissance serait bien plus à craindre pour les intérêts de sa couronne et les libertés germaniques, et il se retira à la fois piqué et découragé Ce n'était pas le compte de Saint-Séverin, à qui quelques mots jetés par Kaunitz, dans son entretien avec Tercier, avaient fait craindre que l'Autriche, si on la poussait à bout, ne finît par se rejeter dans les bras, ou plutôt aux pieds de ses anciens alliés, et n'obtint d'eux quelques concessions qui lui permettraient de rentrer en grâce. Cette réconciliation entre les ennemis de la France (si elle avait lieu) lui enlèverait précisément le seul fruit véritable qu'il se vantait, on l'a vu, d'avoir tiré de sa négociation. Il lui importait donc de tenir Kaunitz en espérance et en quelque sorte en haleine; mais la difficulté était de le faire revenir après s'être vu contraint de lui refuser la seule chose qu'il demandât, et qu'il mît du prix à obtenir. L'occasion naturelle se trouva pourtant, et Saint-Séverin ne perdit pas un moment pour la saisir.

1. Kaunitz à Marie-Thérëse, 25-29 juin 4S48. Beer, p. 45, 46. Il paraîtrait que l'idée de la conversion de Frédéric fut alors généralement répandue. On la trouve mentionnée dans les correspondances du ministre d'Angleterre en Russie.


Bartenstein avait bien jugé quand il prévoyait que les signataires des préliminaires auraient quelque peine à s'entendre sur bien des points que, dans leur hâte à conclure, ils avaient négligé de tirer au clair une dissidence de ce genre s'éleva en effet au sujet de la date qui devait servir de point de départ à la restitution réciproque des provinces conquises. La France voulait en faire remonter les effets au jour de la signature des préliminaires l'Angleterre, tenant à garder le plus longtemps possible ses conquêtes maritimes, demandait à retarder l'exécution jusqu'à la conclusion du traité définitif. On pouvait la soupçonner de vouloir ainsi se ménager le temps d'achever la démolition des défenses qui protégeaient le Cap-Breton et le fort de Louisbourg opération qui, soustraite par la distance à toute surveillance, pourrait être menée à fin sans qu'on en fùt même prévenu. Le dissentiment ne put rester longtemps secret parce qu'au même moment le roi d'Angleterre, profitant de l'armistice, venait visiter son cher électorat de Hanovre en compagnie de son premier ministre, et Sandwich, désirant vivement trouver un moyen de conciliation, prit le parti d'aller demander à ses supérieurs de nouvelles instruc-


tions. Ce départ donna lieu à beaucoup de commentaires, et on put croire un moment que, si un arrangement n'intervenait pas à la satisfaction des deux parties une rupture aurait lieu qui remettrait tout en question.

Saint-Séverin n'éprouvait, en réalité, aucune inquiétude véritable sur l'issue de ce débat, car Sandwich, dont les bonnes dispositions lui étaient connues, n'avait pas craint de lui dire que son roi, ne jouissant pas du même pouvoir despotique que le roi de France et les autres souverains d'Europe, était souvent obligé, pour ménager l'opinion de son peuple, de faire des démonstrations qui ne tiraient pas à conséquence il s'était fait fort de revenir avec un moyen d'accommodement. Mais le seul bruit répandu d'une rupture possible fournissait à Saint-Séverin le prétexte qu'il désirait pour rechercher Kaunitz dans la retraite où il ne voulait pas le laisser s'affliger et s'aigrir plus longtemps. L'officieux intermédiaire saxon était toujours à son service, et il ne fallut qu'un signe pour le faire revenir. M. de Kaunitz, dit-il à Kauderbach, nous a demandé une chose impossible et qu'on a dû lui refuser. La France ne peut se prêter à rien de ce qui ferait mettre en doute sa bonne foi dans


l'exécution des conventions qu'elle a signées. Mais si d'autres puissances venaient d'ellesmêmes à manquer à l'engagement pris la chose serait bien différente, et la France, retrouvant sa liberté, pourrait se retourner vers d'autres alliances. Seulement, ajouta-t-il, le cas serait très grave, car la reprise de la guerre avec l'Angleterre, qui en serait la conséquence, amènerait la perte des colonies et la ruine du commerce français il faudrait donc que la France trouvât un équivalent aux risques qu'elle aurait à courir et aux sacrifices qu'elle pourrait faire. Saint-Séverin, paraissant alors s'abandonner à son imagination traça sous une forme hypothétique un plan de partage absolument différent de celui qu'avaient consacré les préliminaires, et à l'avantage commun de la France et de l'Autriche. On pourrait, disait-il, laisser à Marie-Thérèse tout ce qu'elle réclamait en Italie, même Parme et Plaisance, en donnant à l'infant la Savoie et Nice en apanage, et en attribuant à la France quelques places fortes de Pays-Bas, principalement choisies, comme Maëstricht, parmi celles qui dépendaient de la Hollande. Paraissant alors se monter et se découvrir de plus en plus, il entra dans certains détails d'exécution. Il faudrait, dit-il,


que l'impératrice obtînt de la Russie, son alliée, la promesse de tenir en respect le roi de Prusse, pour l'empêcher de venir prêter appui aux puissances maritimes. Kauderbach, qui écoutait, tout oreilles, mais un peu étourdi, demanda alors s'il devait faire part à Kaunitz de ces vastes et nouvelles perspectives. Saint-Séverin n'hésita pas à l'y engager, mais sous la condition expresse qu'il donnerait le plan tout entier comme une idée à lui personnelle et en se gardant de dire qu'il parlait au nom de la France ou de son envoyé. D'ordinaire, de telles recommandations sont enfreintes par ceux qui les reçoivent, et ceux qui les donnent ont rarement la naïveté de croire qu'elles seront respectées. II était difficile de supposer d'ailleurs que Kaunitz pût s'y méprendre et prêtât à l'humble secrétaire d'une petite puissance le dessein ambitieux de remanier, même en pensée, les territoires et les frontières des grands États. Kauderbach n'eut donc rien de plus pressé que de faire savoir, ou du moins de laisser entendre de quelle part il venait. Mais il trouva Kaunitz plongé dans un abattement profond et accueillant toute parole qui portait la marque d'origine française avec un sourire d'incrédulité mélancolique. Au premier mot qui


lui fut touché d'un dédommagement à réclamer par la France en échange de l'offre conditionnelle de son alliance Et où voulez-vous que je le prenne? amis et ennemis se sont entendus pour nous dépouiller. Où trouverions-nous quelque chose encore à céder? Kauderbach lui fit entendre que l'Autriche pourrait bien obliger la France sans lui donner rien dû sien. Êtesvous donc si contents, dit-il, de la Sardaigne et de la Hollande que vous craigniez de faire une affaire à leurs dépens?

L'idée ainsi présentée parut faire sortir l'Autrichien de sa torpeur. C'est autre chose, dit-il, bien que toujours avec un accent de défiance; vous me parlez d'inaugurer un système tout à fait nouveau en Europe et qui vaut la peine que j'entretienne ma cour. Je vais lui envoyer un exprès pour l'en informer. Kauderbach se retira en lui recommandant une discrétion absolue dont il ne lui avait pas lui-même donné l'exemple.

Saint-Séverin se doutait si bien que la responsabilité de cette démarche aventureuse lui serait imputée et que de Vienne la nouvelle en serait renvoyée à Versailles, qu'il ne crut pas cette fois nécessaire d'en faire mystère à son ministre. Il


prit donc les devants pour l'en informer sans trop de détour, mais en insistant sur ce point qu'il n'avait agi et parlé que dans la supposition d'une rupture menaçante avec l'Angleterre et en vue de se ménager une parade et une représaille à cette infidélité. « D'ailleurs, disait-il, Kauderbach est un garçon sage et adroit. je n'avais aucun risque à m'ouvrir à lui sur une simple idée qui n'engage à rien à rien; » Et Puisieulx ne s'étant montré qu'à moitié rassuré par cette précaution « Ne soyez point inquiet, lui répétait-il, de ce que j'ai fait dire par Kauderbach; nous ne sommes engagés et compromis en rien. Je suis de votre avis qu'il faut, de préférence à tout, suivre le plan que nous avons formé, mais je ne crois pas qu'il y ait inconvénient à jeter des propos qu'on peut suivre ou abandonner suivant que le cas l'exige'. » Et il ajoutait, en même temps, que Sandwich était de retour, apportant sur le point débattu entre eux une concession à peu près complète du cabinet anglais. Dès lors, la précision d'une rupture n'étant pas réalisée, la démarche qu'il avait faite pour s'y préparer tombait d'elle-même. L Saint-Séverin à Puisieulx, 26 juin, 6 juillet n48. (Conférence de Bréda et ~r-~a-C/:apeMe. Ministère des afTaires étrangères). D'Arneth, t. III, p. 374. Beer, p. 48.


L'effet n'en était pas moins obtenu. Kaunitz, sans ajouter beaucoup de foi à une ouverture trop séduisante pour être bien sérieuse, n'en était pas moins obligé d'attendre ce qu'on en penserait à Vienne. L'idée d'un rapprochement avec l'Angleterre (si jamais il l'avait conçue) était par là même éloignée; et quant à l'impératrice, prompte à se rattacher à tout ce qui lui laissait l'espérance de satisfaire ses ressentiments, elle était confirmée dans la pensée qu'elle avait tout profit à gagner du temps, l'union dirigée contre elle pouvant d'un jour à l'autre se dissoudre d'ellemême par le désaccord de ceux qui l'avaient formée. Kaunitz dut donc continuer par son ordre à faire naître une série de difficultés dans le dessein évident d'éluder et de retarder indéfiniment toute conclusion.

Ce fut d'abord une difficulté de forme. A quoi bon, dit-il, un traité général, signé en commun par toutes les puissances et prétendant trancher par un acte d'ensemble toutes les questions pendantes ? Pourquoi ne pas recourir plutôt à des conventions particulières entre les divers États belligérants, réglant entre eux, isolément, et chacun en tête à tête avec son rival et son adversaire de la veille, les points qui les intéressent et


qui les divisent? Le motif de cette préférence pour un mode de négociation si compliqué n'était que trop visible c'était toujours le désir d'écarter ces engagements collectifs que l'Autriche ne voulait pas subir. Et effectivement, on ne voit pas dans quelle convention particulière aurait pu trouver place la garantie promise aux cessions territoriales des traités de Dresde et de Worms. Il n'y avait donc aucune chance que ceux qui avaient repoussé cette pensée sous la forme des réserves mises à l'accession des préliminaires y fissent meilleur accueil, quand elle reparaissait sous une autre tout à fait équivalente. Mais Kaunitz pouvait pourtant invoquer, en faveur du procédé qu'il réclamait, tous les précédents et tous les souvenirs diplomatiques, entre autres les plus récents et les plus chers à l'Angleterre, ceux de la paix d'Utrecht, qui n'avait pas donné lieu à moins de neuf traités différents entre tous les intéressés de la succession d'Espagne. Il croyait donc sa cause si bonne à défendre que, d'avance, il se faisait envoyer de Vienne un traité tout rédigé en dix-huit articles qu'il offrait à la France de signer directement avec l'Autriche, et le remettant à Saint-Séverin, il lui fit remarquer que, si l'Angleterre en prenait connaissance, elle


ne verrait rien qui pût l'offenser, car elle restait pleinement libre de régler de même ses intérêts avec qui et comme il lui conviendrait. SaintSéverin reçut la pièce, mais sans lui promettre cette fois de la faire agréer, et peut-être que Kaunitz n'y comptait pas

Une prétention plus embarrassante, parce qu'elle reposait sur des motifs valables, fut celle qu'il émit au sujet de la restitution promise des Pays-Bas. L'Autriche entendait rentrer dans la possession pleine et entière de ces provinces, et la France avait toujours déclaré ne les avoir reçues et ne les garder qu'en dépôt. De ce côté, par conséquent, il n'y avait nulle contestation, ni à élever, ni à craindre. Mais j'ai déjà eu occasion de rappeler que, par un arrangement diplomatique qui avait suivi la paix d'Utrecht, l'Autriche avait reconnu à la Hollande le droit de tenir gar1. Saint-Séverin à Puisieulx, 16-23 juillet, 2 août ns8. (Co<r~poMd<M<x B/'eda d'<z-CAa~/<?. Ministère des respondance de Edda et d'Aix-la-Chapelle. Cet écrivain affaire étrangères). Beer, p. 46-53. 1.51-1.15. Cet écrivain donne le texte même du traité proposé, et ce qui prouve la ténacité des espérances de Marie-Thérèse, c'est qu'à ce texte étaient ajoutés deux articles secrets ayant encore pour but d'obtenir de la France la promesse de ne pas concourir à l'exécution du traité de Worms. Kaunitz savait si bien, par une première épreuve, qu'il ne pouvait rien obtenir de pareil, qu'il se hâta, sur la prière de Saint-Séverin, de biffer lui-même ces deux articles Seutement, dit-il, ne nous mettez pas le couteau sur la gorge pour cette exécution. C'est tout ce que nous vous demandons.


nison dans la plupart des forteresses flamandes, afin de constituer ainsi une &<~n'<<? (c'était l'expression consacrée) qui défendit la république contre toute agression de la France. Kaunitz déclara au nom de sa souveraine qu'il ne consentirait pas au renouvellement de ce singulier privilège, et il donna pour motif de son refus que, la plupart de ces forteresses ayant été déjà démolies à la suite de la conquête française, leur possession était devenue sans impoi tance d'ailleurs, elles avaient toutes cédé si facilement aux premières attaques de Maurice de Saxe que l'impuissance et la vanité de la précaution prise par la Hollande pour sa défense étaient suffisamment démontrées. La raison était bonne, mais ce n'était pas la véritable. En réalité, quand cette fameuse barrière avait été dressée, Autriche, Angleterre et Hollande sortaient d'une lutte acharnée soutenue ensemble contre la France toute mesure était bienvenue qui les préserverait d'un nouvel assaut de l'adversaire commun. Tout se passait en famille, chacun ayant même intérêt et même crainte. Mais dans les termes où de part et d'autre aujourd'hui on se préparait à rester, un pareil accord n'était plus possible et l'apparence même en semblait dérisoire. Aux yeux de l'impératrice


irritée, la Hollande n'était qu'un satellite de l'Angleterre, complice de ses trahisons; au moment où elle recherchait l'amitié de la France, admettre dans ses murailles les soldats du gendre du roi George, c'était se donner à elle-même des gardiens dont la surveillance allait être très incommode, et il y avait même telle hypothèse déjà prévue où ce serait loger l'ennemi dans la place. Mais par cette même raison, la république, soupçonnant vaguement ces desseins, n'en était que plus pressée de se garantir contre les chances d'un mauvais voisinage. Le stathouder fit donc défense à son envoyé de rien céder sur ce point capital, et Kaunitz maintenant son exigence, la négociation se trouva absolument e.n arrêt devant un obstacle en apparence infranchissable

Que faire, en effet, du moment où l'Autriche ne voulait pas prendre livraison des Pays-Bas sous la condition que d'autre part on persistait à lui imposer? A qui pouvait-on en faire remise! A quel titre demander à la France de commencer l'évacuation qu'elle avait promise et de se des1. Coxe, Pelham administration, t. 1er, p. 450. Saint-Séverin à Puisieulx, 24 juillet 1S4S. (Correspondance de Bréda et ~M;<C7Mp~ Ministère des affaires étrangères.) Beer, p. 54.


saisir de ce précieux gage sans lui faire savoir dans quelles mains elle le laisserait? Et cependant l'échange réciproque des restitutions étant la base même sur laquelle reposait tout l'échafaudage des préliminaires, tant qu'un soldat français restait en Flandre, l'Angleterre ne voulait pas lâcher prise en Amérique. On espéra bien, un instant, obtenir que la France remit la conquête en dépôt entre les mains de la Hollande, mais la France n'avait pas eu assez à se louer de la république pour lui donner une telle marque de confiance. Personne ne voulant ainsi faire le premier pas, tout se trouvait paralysé.

Ce n'était pas tout, ni le seul inconvénient de ce retard indéfini. Tant que l'acte formel n'était pas conclu, la paix n'existait encore qu'en expectative et en espérance l'humanité commandait bien de suspendre les opérations militaires, mais la prudence ne conseillait pas moins impérieusement de ne pas se dessaisir des moyens de les reprendre, si l'accord préparé venait à ne pas se réaliser. Un armistice, le mot l'indique, n'a jamais permis de désarmer. Chacun garde ses positions et reste en éveil pour se préparer à tout événement et se préserver de toute surprise. Point de difficulté pour les troupes qui de part


et d'autre restaient en présence sur les deux rives de la Meuse. Mais que faire de ces étranges auxiliaires qu'on avait appelés de si loin, à si grands frais, en proclamant si haut que leur apparition au jour du combat serait nécessaire autant que décisive? Fallait-it renvoyer les Russes dans leurs solitudes lointaines, au risque de ne plus les retrouver au cas peu probable, mais toujours possible, d'une reprise d'hostilités ? Mais les arrêter en pleine marche au centre de l'Allemagne, dans des campements improvisés, imposer aux populations déjà mécontentes le poids incommode de leur présence, était-ce possible? Pouvait-on abuser à ce point d'un simple droit de passage et mettre à si forte épreuve la tolérance du corps germanique? H était dur pourtant de laisser ces troupes avancer, quand chaque jour de marche était une lettre de change tirée sur le trésor anglais, et accroissait d'avance les frais du retour à opérer, après une course probablement inutile. L'embarras était grand, d'autant plus qu'il ne fallait pas compter, pour en rendre la charge moins lourde, sur la bonne grâce et l'obligeance de la tsarine.

Cette capricieuse princesse ne s'était décidée, après bien des hésitations, à se mettre en mou15


vement, que parce qu'on avait grandi à ses yeux l'importance du rôle qu'elle allait jouer, en mettant par un coup d'éclat un terme aux souffrances des peuples. Elle y avait pris goût et ne renonçait qu'à regret à faire cette entrée brillante sur la scène diplomatique et militaire de l'Europe. La signature imprévue des préliminaires lui avait causé une vive contrariété et presque autant qu'à elle, à son chancelier Bestoucheef et au ministre anglais accrédité à sa cour, lord Hyndfort, qui, après l'avoir provoquée à se mettre en avant, se trouvait fort déconcerté par le brusque revirement de sa cour. Aussi, ministre, souveraine et ambassadeur travaillaient-ils de concert à tout entraver. A tout le moins, la tsarine aurait-elle voulu, en récompense du concours qu'on avait exigé d'elle, être représentée au congrès, mettre sa signature à côté de celle de ses frères en royauté qui ne l'avaient jamais traitée en égale, et acquérir ainsi droit de cité parmi les puissances civilisées honneur que n'avait pas eu en partage même le grand Pierre, son illustre père. Pour maintenir cette prétention que l'Autriche appuyait, que l'Angleterre ne décourageait pas, mais que la France combattait résolument, il lui importait d'être présente et


de faire sentir sa main jusqu'à la dernière heure; aussi, ne négligeait-elle rien pour rapprocher ses troupes du lieu où se jouerait le dénouement du grand drame, et on put remarquer que ses soldats n'avaient jamais avancé plus rapidement que depuis qu'au rendez-vous où ils avaient hâte d'arriver, ils n'étaient plus attendus, ni désirés par personne

Cette attitude des Russes qu'on voyait se porter en avant d'un pas précipité, comme pour arriver à temps sur un champ de bataille au moment où tout le monde croyait à la paix conclue, ce retard inexplicable d'une solution qu'on avait saluée d'avance comme certaine, répandirent bientôt dans toute l'Europe un trouble et un malaise général, d'autant plus qu'on apprenait en même temps que l'Autriche rassemblait des troupes sur le Tessjn, et paraissait prête à les mettre en campagne. Le but de cette démonstration ne pouvait être (nous le savons), de la part de l'impératrice, que de se préparer à défendre contre le roi de Sardaigne, 1. Coxe, Pelham administration. –.Frédéric à Chambrier, 43 juin n48. (Ministère des affaires étrangères.) /'o~. Corr., t. V, p. 3. Droysen, t. ]H, p. 4T!. Le ministre de Prusse à Saint-Pétersbourg dit qu'on a été frappé de la signature des préliminaires comme par un coup de tonnerre.


ou à reprendre sur lui les territoires qu'elle se repentait de lui avoir cédés. Mais pour ceux qui ne connaissaient pas ce dessous de cartes, on pouvait croire que, ne s'étant pas fait comprendre dans l'armistice, elle méditait quelque coup de main, et Richelieu, toujours enfermé dans Gènes, aussi bien que Belle-Isle qui avait enfin été prendre le commandement de l'armée d'Italie, se mettaient en garde pour ne pas se laisser surprendre. On entendait ainsi de tous côtés le bruit des armes et on se voyait prêt à rentrer dans les épreuves dont on se croyait sorti. C'était une consternation universelle, et de toutes parts on se retournait vers les signataires des préliminaires pour leur demander compte des fausses espérances qu'ils avaient fait naître et de l'attente dans laquelle ils laissaient languir ceux qui s'étaient fiés à leur parole Saint-Séverin était peut-être moins troublé qu'un autre d'une émotion qu'il avait dû prévoir, et dont la cause était en partie imputable aux encouragements secrets qu'il avait donnés à la résistance de l'Autriche. Mais il n'en était pas de même de ses associés Sandwich et Bentinck, qui se sen-

i.Coxe. Pelham administration, t. 1er, ch. xvn,et t. H, eh. xvm.


taient compromis aux yeux de leurs concitoyens et placés, par le retard qui suivait leurs promesses, dans une position fausse dont ils avaient hâte de sortir. Leur impatience contre les difficultés suscitées par l'Autriche (dont ils ignoraient l'origine) était très vive et s'exprimait en termes amers. Ils demandaient instamment qu'à tout prix on en finit, et, pour couper court à toute hésitation, qu'on procédàt à l'acte définitif, comme on avait fait pour la convention provisoire, c'est-à-dire en recevant tout de suite les signatures qui seraient prêtes et en laissant le protocole ouvert pendant un délai fixé d'avance pour l'accession des dissidents. Nul doute que l'Autriche, devant ce parti nettement pris, ne finît par se résigner, surtout si on lui faisait entendre qu'on pourrait se passer d'elle, en cédant les Pays-Bas en apanage à l'infant. Le moyen était énergique et, suivant toute apparence, la menace seule aurait suffi mais le conseil, pour être suivi, avait besoin d'un agrément sur lequel on croyait avoir droit de compter et qui, au dernier moment, ne put être obtenu. Ce fut le roi d'Angleterre qui se refusa absolument à faire un pas de plus dans une voie où il n'était entré qu'à regret, comme contraint et


forcé. Le rapprochement avec la France, fait à l'insu et aux dépens de la plus ancienne alliée de l'Angleterre, renversait toutes ses habitudes et choquait toutes les préventions dans lesquelles son esprit étroit était nourri dès l'enfance. Son ministère anglais l'y avait difficilement converti, en lui parlant au nom d'un parlement qui tenait les clefs de son trésor épuisé. Mais dès que la mer le séparait de ses conseillers britanniques, il repassait sous'le joug de son ministère hanovrien bien plus cher à son cœur, et lui parlant un langage plus conforme à ses sentiments. Ces confidents, dont les sympathies pour l'Autriche s'étaient manifestées à plus d'une reprise pendant la guerre, n'eurent pas de peine à lui persuader que, la France étant ennemie héréditaire et l'Autriche une amie de longue date, il fallait se garder, par un excès de rigueur et par une injure qui laisserait de longs ressentiments, de convertir une dissidence passagère en une rupture durable. La crise du jour passée, il fallait garder la porte ouverte pour revenir à ce que George appelait lui-même son vieux système, la coalition antifrançaise qui avait fait, depuis le commencement du siècle, la force et la sécurité de sa dynastie


Le premier ministre Newcastle qui accompagnait le roi et qui avait toujours partagé ou flatté ses préférences, entra aisément dans la même pensée, et la conséquence fut qu'au lieu de l'autorisation de conclure sans délai, Sandwich reçut l'interdiction de pousser les choses à l'extrême et l'ordre de prendre avec Kaunitz un ton plus affectueux pour chercher de concert un terrain de conciliation. L'instruction assez sèche lui laissait voir qu'on le soupçonnait de s'être laissé séduire par l'envoyé de France et de subir aveuglément son influence'.

La réprimande, qui ressemblait à un désaveu tardif, causa à Sandwich et à son collègue hollandais, qui ne se séparait plus de lui, un effet égal de colère et de désespoir. Bentinck s'écria que tout était perdu, qu'il n'y avait rien à faire avec des gens dont l'humeur variait tous les jours, et qu'il retournait à La Haye, ne voulant plus se mêler de rien. On peut juger quelle impression produisait, dans les cercles bruyants de la Hollande, l'éclat de cette retraite précipitée. Chez Sandwich, très piqué du reproche

1. Coxe, Pelham QtfMt'?tM<rs~o' t. 1", ch. xvii, t. H, ch. xvm.


qui lui était fait, la fierté du pair d'Angleterre se montra plus résistante il n'hésita pas à en appeler du Hanovre à Londres, et du premier ministre au chef de la majorité parlementaire. II écrivit directement à Pelham pour le prévenir que les instructions qu'il recevait conduisaient tout droit à la reprise des hostilités, attendu que des ménagements qui paraîtraient dictés par la faiblesse n'amèneraient certainement pas l'orgueil de l'Autriche à capitulation. Il savait à qui il parlait, car rien ne pouvait moins convenir à celui qui avait affaire dans le parlement aux critiques souvent amères de l'opposition, que la perspective d'y reparaître avec de nouveaux impôts à proposer et de nouveaux sacrifices à demander. Aussi vit-on s'engager entre les deux frères Pelham une correspondance où les formes habituelles de l'affection dissimulaient mal un fond d'aigreur. L'un réclamait la paix à tout prix, l'autre insistait sur les précautions à prendre en vue de l'avenir, avant de s'engager à fond dans une voie nouvelle. Un peu plus, et de cette querelle de famille pouvait sortir la dissolution du ministère. Pour le coup, le désarroi était au comble, et si Saint-Séverin n'avait voulu que jeter partout la confusion, il


pouvait s'applaudir d'y avoir réussi, peut-être au delà de son attente. C'est ce dont le duc de Newcastle se rendait compte avec une perspicacité qui lui fait honneur. « Ne voyez-vous pas, écrivait-il à Sandwich, la joie que vous causez à Saint-Séverin? Il a réussi à se mettre bien des deux côtés, et il sait le parti qu'il en peut tirer; s'il peut nous faire choquer les uns contre les autres (~oc~ our Aeaa~ together), il n'y manquera pas, et il est en bon chemin d'y parvenir'. »

II

Il était naturel que les puissances engagées dans la dernière lutte et menacées d'avoir de nouveau à en courir les chances vissent avec un trouble profond cet échec inattendu d'une grande affaire qu'elles croyaient terminée. Mais il paraît moins facile de comprendre au premier abord par quelle raison cette inquiétude fut presque aussi vivement ressentie par un adroit 1. Tercier à Puisieulx, 19 août n4S. (Conférence de Bréda et d~4M:a-C/tapeMe. Ministère des affaires étrangères.) Pelham administration, t. II, p. 7. Beer, p. 64. 102-105.


politique qui aurait dû y rester indifférent, puisqu'il avait su prudemment se tenir à l'écart, au moins pendant les dernières années, de tous les hasards de la guerre.

Il est pourtant vrai que Frédéric qui, de Berlin suivait avec sa vigilance accoutumée toutes les phases de la négociation, s'émut vivement de ce temps d'arrêt, et que peut-être à aucune époque de sa vie on ne le vit en proie à une aussi grande agitation que pendant ces mois d'attente. C'est qu'il sentait que tout le système fédératif de l'Europe était remis en question dans un sens encore mal défini, et qu'il se demandait avec anxiété à quoi il devait dès lors se préparer, quelles amitiés il avait à rompre, quelles inimitiés à braver, sur quels nouveaux auxiliaires il pouvait compter.

Au premier moment, le fait même de la paix, ou tout au moins les conditions dans lesquelles elle paraissait prête à être conclue l'avaient comblé d'une satisfaction sans mélange. Rien ne pouvait mieux lui convenir qu'une rupture ouverte entre l'Angleterre et l'Autriche. Il sentait que, privée de cette amitié précieuse, l'Angleterre devait naturellement chercher à la remplacer. C'était du côté de la Prusse que les liens


de parenté des deux familles royales et la communauté d'origine et de religion des deux peuples devaient tourner ses regards. Quant à lui, tout son désir, je l'ai dit, était depuis longtemps de trouver à Londres un appui qu'il put substituer avec avantage à cette tutelle de la France, dont il avait tour à tour, avec une égale impatience, porté le poids et secoué le joug, mais dont il savait que le patriotisme germanique lui savait très mauvais gré. Par un singulier hasard, il avait eu, justement la veille du jour où la signature des préliminaires fut connue à Berlin, l'occasion de s'exprimer à cet égard avec une franchise inattendue. H donnait une première audience ce jour-là au ministre anglais, sir John Legge, que le roi George, on l'a vu, s'était enfin décidé, bien à regret, et après bien des hésitations, à lui envoyer. Bien que la démarche de l'oncle ne fut encore qu'à moitié cordiale, le cabinet anglais avait cru pouvoir en profiter pour faire parvenir au neveu les plus chaudes protestations d'amitié. Frédéric les. reçut de la meilleure grâce, comme s'il ne doutait pas de leur sincérité, et se mit de lui-mêmeà exposer sous une forme presque dogmatiqueses prévisions et ses desseins d'avenir.


« Dès que je suis arrivé à Potsdam, écrivait l'agent anglais, il m'a fait admettre immédiatement et asseoir auprès de lui et commença tout de suite à me dire qu'il était, très sensible aux bons sentiments du roi de la Grande-Bretagne à son égard. Il se défendit alors de tout engagement avec la France, et de tout désir d'en -contracter de nouveaux, et donna de très justes raisons de cette opinion. Je me souviens, en particulier, qu'il insista sur ce point, que la France était à une trop grande distance de lui pour lui venir en aide dans les moments critiques, où cette assistance pourrait lui être nécessaire. Il a ajouté que personne n'avait.jamais longtemps à s'applaudir d'une alliance avec la France, et qu'il connaissait trop bien le tempérament de la cour de France, pour ne pas savoir les exigences excessives qu'elle impose .à ceux qui s'appellent ses alliés, de sorte qu'en réalité, être allié de la France, c'est être son esclave. Il savait, au contraire, m'a-t-il dit, que la situation des puissances maritimes les mettait ~n mesure de lui venir en aide plus efficacement. De ce côté, un fonds substantiel d'intérêts communs, les liens les plus forts de la religion, de la politique et du sang permettaient


d'établir une alliance solide et sur laquelle on pourrait compter, principalement avec l'Angleterre. Si donc il avait été obligé de recourir par occasion à l'appui de la France, il savait où étaient les vrais et substantiels intérêts de son pays, et il était prêt, aussitôt que la paix générale le délivrerait entièrement de ses obligations envers la France, à entrer dans l'union la plus étroite et la plus cordiale avec les puissances maritimes pour la sécurité future des libertés de l'Europe. Et là-dessus il me donna la main et m'exprima le désir que j'écrivisse à ma cour afin d'obtenir les pouvoirs et les instructions nécessaires pour conclure une alliance défensive avec la Grande-Bretagne, dès que la guerre serait terminée. »

Legge, un peu surpris de la promptitude et de la franchise de l'ouverture, n'avait qu'à abonder dans un sens si conforme à ses instructions et à ses espérances. Mais comme il était loin de s'attendre encore à une si prochaine conclusion de la paix, il aurait désiré naturellement obtenir quelque promesse d'une application plus immédiate. D'ailleurs, il avait reçu à Aix-laChapelle, principalement du ministre hollandais, la commission de représenter au roi le


danger que l'attaque vigoureuse portée par Maurice de Saxe sur le territoire de la république faisait courir à la religion protestante et de l'engager à s'y opposer au besoin par la force. Puisque le roi voulait, lui dit-il, avoir la Hollande pour alliée dans l'avenir, pourquoi souffrir qu'elle fùt accablée dans le présent et laisser fermer ainsi la communication naturelle de l'Allemagne et de l'Angleterre? Connaissant d'ailleurs qu'une des faiblesses de Frédéric était sa méfiance haineuse contre son voisin de Dresde, Legge ne manqua pas d'ajouter que le commandant de l'armée française était allié de la maison de Saxe et qu'on pouvait le soupçonner de travailler, en même temps qu'au succès de la France, à l'agrandissement de sa famille. « Sa Majesté m'a répondu, continue Legge, qu'il y avait du vrai dans ce que je lui disais, mais qu'il ne lui était pas possible de prendre en ce moment aucune mesure qui le fit sortir de la neutralité. La France, ajouta-t-il, avait mis tout en oeuvre pour le décider à lui venir en aide par une action de cette nature, mais il s'y était constamment refusé. Il avait assurément toute raison de n'être pas satisfait de la conduite de la France à son égard mais, d'un


autre côte, il avait reçu d'elle tant de services et d'assistance dans ses premières difficultés, qu'il se faisait un point d'honneur de ne pas prendre parti contre eIle. II désirait donc voir la tranquillité générale rétablie, et quand il n'aurait plus de ménagements à garder avec la France, il serait prêt à s'unir d'une façon aussi ferme que cordiale avec les puissances maritimes'. »

Pas plus tard que le lendemain, la condition était remplie, puisque la nouvelle de la signature des préliminaires se répandait comme un. éclair dans toute l'Allemagne. Frédéric, en mettant ainsi sa pensée à découvert, avait-il eu une communication anticipée de ce brusque dénouement ? On ne peut le supposer, puisque tout s'était passé, on l'a vu, à huis clos et en quelques heures, dans le cabinet du ministre d'Angleterre. Il est probable que c'était d'un côté opposé qu'il regardait, et qu'informé des relations intimes qui avaient existé jusqu'à la veille de la signature des préliminaires entre Kaunitz et Saint-Séverin, et plus inquiet qu'il n'en vou1. Legge au duc de Newcastle. Berlin, il mai n48. (Co)-<Mpondance de Prusse. Record office.) Cet entretien est raconté dans des termes assez semblables par Frédéric luimême. Pol. Cori' t. VI, p. 100.


lait convenir de ce qu'il appelait ce chipotage entre la France et l'Autriche, il se mettait en garde contre l'éventualité qui en pouvait sortir. Quoi qu'il en soit, c'était la paix, il était libre et dans les termes où la solution s'annonçait, l'Angleterre se trouverait également en liberté de répondre à l'invitation pressante qu'il avait eu la bonne fortune de lui adresser par avance. Le texte des préliminaires, quand il lui fut communiqué, était bien de nature à accroître sa satisfaction; il y trouvait, en effet, en termes exprès, cette garantie de sa conquête de Silésie qui était l'objet de ses vœux et qu'il n'avait jamais cessé de solliciter. Et ce qui peut-être lui fut aussi agréable que la chose elle-même~ c'est que Sandwich eut l'attention de lui faire connaître sans délai cette disposition si désirée tandis que Saint-Sévérin fit la faute de n'y pas songer. Dès lors, il était en droit d'en attribuer tout le mérite, et d'en rapporter toute la reconnaissance à la seule Angleterre. Puisieulx, à la vérité, averti de la négligence de son agent, s'efforça de la réparer. C'était la France, assura ce ministre, qui n'avait jamais cessé d'insister pour faire confirmer une conquête qu'elle avait toujours regardée comme son avantage per-


sonnel. Mais il était trop tard, le bienfait avait perdu le mérite de la nouveauté, et Frédéric en fit des remerciements très froids sur un ton d'incrédulité presque ironique. a Les soupçons, écrit Valori, trouvent ici un accès facile, et pour peu qu'ils y soient aidés, ils y prennent racine. Le prince de Prusse (le frère du roi), interrogé par le maréchal de Schmettau, a dit qu'on avait trouvé la France très refroidie sur cet article, depuis que le roi, son frère, avait refusé d'entrer dans aucune mesure pour traverser la marche des Russes, et que, soit pour s'en venger, soit pour quelque autre intérêt, elle se mettait médiocrement en peine de lui procurer cette garantie et eût été charmée d'en abandonner le projet, moyennant quelque intérêt réversible à elle-même. Je ne serais pas étonné que ce fût le sentiment du roi de Prusse. Il est assez dans son caractère de chercher des raisons pour diminuer l'obligation qu'il a au roi et tendre à faire partager le service avec d'autres. » « Je ne doute pas, écrivait en effet Frédéric à Chambrier, que si la France avait pu faire des convenances à son gré, elle ne m'eût sacrifié pour se les procurer. Les sentiments que M. de Puisieulx vous exprime sont admirables, et de 16


nature qu'il ne me resterait rien à désirer à leur égard. Aussi mon intention est-elle que vous le combliez de compliments de ma part, et que vous le payiez de la même monnaie que celle qu'il vous a donnée »

Ainsi délié des obligations qui lui pesaient, il se livre avec une véritable effusion de joie à l'espérance d'une nouvelle amitié bien plus conforme à ses goûts; et il fait part de cette espérance avec une précipitation peu réfléchie à ceux qui représentent ses intérêts dans les lieux où ils sont le plus sérieusement engagés. A Mardefeld, son ministre à Saint-Pétersbourg « Quoique j'aie, lui écrit-il, toutes les apparences par devers moi de me voir sur un très &OH pied avec l'Angleterre) et ~M'<M/M! je n'aurais jt~ïM grand' chose a <~)?'eAeM6~' de la Russie, je ~e vous en recommande pas moins pour cela de MM.y co?!~M~c prudemment /H CM vous êtes. ') Avec Podewils, son ministre à Vienne, il est plus net encore « Tout ce que le sieur Robinson (le ministre anglais à Vienne) peut vous dire ne signifie autant que rien, parce qu'il n'est pas au t. Valori à Puisieulx, 25 mai ~48. (Co)'?'Mpo7id<!nce de l'russe. Ministère des affaires étrangères.) Frédéric à Chambrier, 20 mai U4S. Pol. Co)-t' t. VI, p. 118, 186.


fait des affaires. Vous pouvez compter, tout au contraire, fort et ferme sur ce que je vous écris, me revenant de la part du chevalier Legge, qui est instruit à tous égards du vrai état des affaires. Comme il paraît que vous ne savez pas proprement ce qui se traite à Vienne, je veux bien vous informer, moi, que le système de ~M~e s'est déjà eliangé ~%c/M~?M~ sa plus .~Yi~<? partie, que je me trouverai dans peu sur un bon pied avec la Grande-Bretagne, qu'il y a une grande désharmonie et mécontentement entre la reine de Hongrie et l'Angleterre; que le ministère autrichien est même dans une rage terrible contre l'Angleterre. Dans vos raisonnements sur les conjectures présentes, vous vous bornez simplement à la cour de Vienne sans envisager en même temps le tableau universel de l'Europe, ce que pourtant vous dussiez faire pour vous convaincre que ceux qui gouvernent et donnent le branle aux affaires d'Europe ne sont pas r~co~e~ à Vienne. x Ainsi point de souci l'Autriche a beau résister, quand les subsides des puissances maritimes lui manqueront, elle poussera des cris de douleur, mais il faudra bien qu'elle cède; les Russes ont beau avancer et s'attarder en Moravie, comme ils sont


MercëH~'M de l'Angleterre, « ils n'y feront pas d'autre effet que s'ils étaient auprès des marais Méotides, et quant à la bonne intelligence qui semble vouloir se mettre entre la France et l'Angleterre, elle se fonde sans doute plutôt sur de simples compliments et politesses que sur quelque chose de réel. Les intérêts de ces deux couronnes sont trop différents et trop éloignés les uns des autres pour qu'il en résulte jamais rien de solide »

Quelque chose aurait toujours manqué chez Frédéric à la joie de l'orgueil triomphant et de l'ambition satisfaite, s'il n'avait pu y joindre le plaisir de se jouer, par des propos blessants, de ceux dont il s'applaudissait de contrarier les desseins; et quand c'était la France qui se trouvait sur son chemin, ce contentement paraissait prendre pour lui une saveur toute particulière. Aussi, autant il se félicitait, pour son avantage personnel, de cette paix inespérée, autant il se plut à faire remarquer que le profit en était nul pour la France et qu'elle se faisait mal payer de ses sacrifices et du succès de ses armes « Ce 1. Frédéric à Mardefeld, 27 mai; à Podewils, ministre à 'Vienne, 24 mai, 3 juin; à Chambrier, 22 juin 1748. Pol. Corf., t. VI, p. 122, 126, 130, 146.


sont donc des idiots et des ignorants qui gouvernent la France, disait-il, pour savoir si mal tirer parti de leurs avantages. » Ce jugement était exprimé si haut, et en termes souvent si plaisants, que Valori (attaché, à la vérité, au souvenir de d'Argenson et toujours prêt à prendre en bonne part le mal qu'on pouvait dire de son successeur) ne put s'empêcher d'en rire, et fit même la faute de s'y associer. « Vous n'avez pas l'air content, disait la reine en souriant à cet ambassadeur. Je suis enchanté, répondit-il, que le roi ait donné la paix à ses ennemis. C'était une manière assez fine et un peu hautaine de faire sentir qu'elle n'avait pas su la leur faire acheter.

Le seul des serviteurs de la France qui fut excepté du blâme commun, c'était toujours le maréchal de Saxe, que Frédéric continuait encore, dans une lettre flatteuse, à combler de compliments. Encore pourrait-on trouver l'intention malicieuse de le distinguer de son gouvernement, dans le soin avec lequel, après s'être étendu sur les nouveaux triomphes que le maréchal aurait pu obtenir, si on l'avait laissé achever la campagne, Frédéric ajoutait < Que la paix se fasse, ou que la guerre se rallume,


que la France maintienne ses conquêtes ou qu'elle les restitue, que les Russes joignent les alliés ou qu'ils retournent aux fanges des PalusMéotides dont ils sont partis, tout cela peut être égal à votre réputation. C'est une vérité que j'ose vous dire en face, la gloire qui vous est acquise est si solidement établie que dans les fastes des guerriers, malgré la rouille de l'envie et l'oubli du temps, votre nom sera toujours célèbre parmi ceux des plus grands généraux qui ont réuni dans un plus grand degré de perfection des talents les plus opposés. » Et il finissait par l'inviter à venir auprès de lui avec son ami Folard qui « donne de bons préceptes et qui radote' ».

Quelques semaines se passent et voilà que rien ne se conclut l'incertitude, au contraire, renaît et se prolonge; son enchantement alors diminue. Ou lui apprend que des rapports intimes et confidentiels paraissent repris entre Kaunitz et Saint-Sévérin. D'où vient cela? Serait-ce que l'Autriche, furieuse contre l'Angleterre, au lieu de comprendre la France dans sa colère, tend au 1. Valori, JUe'MOtt'M, t. I", p. 218. Frédéric il Chambrier, 24 mai; à Maurice de Saxe, 20 mai H4S. ~o/. Corr., t. Vt, p. U9, 123.


contraire à se rapprocher d'elle pour préparer sa vengeance? « Surveillez cela », écrit-il à Chambrier. Puis ce sont les retards et la marche également inexplicable des troupes russes qui le surprennent et l'inquiètent. Il n'en avait cure tant qu'il les voyait courir vers un champ de bataille dont il avait eu la prudence de se tenir à l'écart. Mais maintenant pourquoi restent-elles et même avancent-elles encore? Pourquoi ces longues stations, puis ces rapides passages le long de ses frontières? Serait-ce que l'Autriche, après avoir fait sa paix à tout prix, songerait à retourner contre lui ces redoutables auxiliaires et chercherait à retrouver au Nord la compensation de ce qu'elle aurait dû céder au Midi? Enfin ce qui achève de le jeter dans une perplexité croissante, c'est le séjour du roi et du premier ministre d'Angleterre en Hanovre, le langage qu'ils y tiennent, leurs efforts visibles pour panser la blessure de l'Autriche et se faire pardonner par elle. Voici Legge qui revient après avoir profité du voisinage pour visiter son souverain. Ses sentiments sont très refroidis, son langage bien plus réservé; il recherche les ministres d'Autriche et de Russie à Berlin et s'entretient confidentiellement avec eux. II


semble que ce qu'on propose maintenant à la Prusse, ce n'est plus une alliance particulière avec l'Angleterre, mais une place dans une vaste coalition de toutes les puissances allemandes contre les desseins futurs de la France, où on lui ofïrirait de figurer à côté et presque à la suite de Marie-Thérèse. Puis on commence à parler d'ajouter à la garantie que les préliminaires donnent à la conquête de la Silésie, une caution réciproque assurée à l'Autriche pour le reste de ses domaines et à laquelle il serait lui, Frédéric, comme tous les autres souverains, sommé d'accéder. Rien de tout cela ne fait son compte, rien de tout cela surtout ne présente une idée claire à son esprit il se sent entouré d'intrigues croisées qu'il ne réussit pas à démêler; ce sont des fils enchevêtrés qu'il ne vient pas à bout de débrouiller

Dans cet embarras, c'est vers la France, objet tout à l'heure de ses appréciations dédaigneuses, qu'il se retourne pour l'associer à ses inquiétudes. D'ailleurs, c'est son habitude, on l'a vu, à plus d'une reprise, de recourir à la France, après 1. Frédéric à Chambrier, 7 juin, 8, 16 juillet 1748. Pol. Corr., t. VI, p. 141, 150, 154, 159, 168,192,198. Droysen, t. H), p. 488 et suiv. Valori, Mémoires, t. I, p. 279.


s'être éloigne d'elle, quand il voit l'horizon s'assombrir autour de lui, car il se croit sûr, même après l'avoir offensée, de la retrouver toujours en cas de besoin. Est-ce que la France ne voit pas que tout le monde se joue d'elle, que l'Autriche et l'Angleterre ne sont brouillées qu'en apparence, qu'on est en train de les réconcilier en Hanovre, et que c'est pour fondre sur elle par surprise que l'Angleterre a prolongé à grands frais le séjour des Russes en Allemagne? « Avertissez donc la France, écrit-il à Chambrier, de ce qui se trame là contre elle; mais cependant, ajoute-t-il, mesurez bien vos expressions afin de ne pas donner lieu au reproche ignominieux que les ministres de France m'ont déjà fait, comme si je ne songeais qu'à souffler le feu et à pêcher en eau trouble »

Effectivement, c'était l'opinion assez, généralement répandue sur son compte en Europe, et l'interprétation qu'on aimait à donner, surtout à Versailles, aux jugements sévères, portés par lui, d'une façon si blessante, sur la générosité excessive des concessions de la France. L'amourpropre de Louis XV et de ses ministres se plaii. Frédéric à Chambrier, 16 juillet n48. Pol. Corr., t. VI, p. H3.


sait à n'y voir que l'expression d'une contrariété égoïste; s'il médisait ainsi des conditions de la paix, c'est que, dans quelques termes qu'elle fût conclue, ayant su rester tranquille lui-même au milieu de l'agitation générale, il aurait toujours regretté de voir cesser la discorde qui, en épuisant tout le monde, le grandissait lui seul en proportion. « On accuse, lui écrit franchement Chambrier, Votre Majesté de désirer l'affaiblissement de toutes les puissances, sans embarras de la destruction du genre humain, pourvu que Votre Majesté croie que cela convient à ses vues. Il y a, outre cela, des impressions données que Votre Majesté ménage peu le ministère de France, et que, dans ses soupers familiers, elle lâche quelquefois des choses qui blessent le maître et ses ministres. Je sais que ceux-ci ont le cœur un peu gros, et bien qu'ils ne m'en aient laissé rien entrevoir, qu'ils sont un peu piqués. »

Averti ainsi du tort qu'il s'était fait et ne voulant laisser fermer aucune des portes auxquelles il pouvait encore, dans l'occasion, avoir besoin de frapper, Frédéric prit le parti assez peu généreux de rejeter la faute sur le malheureux ambassadeur qu'il avait lui-même mené à mal < Vous direz au marquis de Puisieulx, écrit-il à


Chambrier, que je prenais véritablement part à ce que le roi de France venait de rendre la paix à l'Europe d'une manière qui lui était d'autant plus glorieuse qu'elle était moins intéressée; que, bien loin que j'en eusse témoigné le moindre mécontentement, j'étais pénétré de la plus vive reconnaissance envers Sa Majesté Très-Chrétienne de ce qu'elle avait bien voulu me faire inclure dans les préliminaires; qu'en attendant, je ne pouvais lui cacher que c'était le marquis de Valori lui-même qui avait jeté partout les hauts cris contre les préliminaires, qu'il en avait fait ses doléances à tous ceux qui les avaient voulu entendre et que, de mon côté, je l'avais fait avertir en secret de son imprudence. Vous insinuerez au marquis de Puisieulx qu'il se pourrait peut-être qu'on eût mis ces explications peu mesurées du marquis de Valori sur mon compte; que je faisais avertir ingénument lui, le marquis de Puisieulx, qu'après que le marquis de Valori eût fait autant de bruit sur les préliminaires, je m'étais upe bonne fois donné l'innocent plaisir, sachant le caractère de ce marquis, qui se fàchait aisément et avec qui on se divertissait quelquefois en le mettant en feu, mais qui se radoucissait d'abord qu'on lui disait quelque chose de


flatteur sur la personne du maréchal de BelleIsle, je m'étais, dis-je, donné l'innocent plaisir de l'agacer un tant soit peu; que cependant je ne pouvais pas concevoir que le marquis de Valori dût avoir pris des piaisanteries pour des choses sérieuses et en eût fait rapport de la sorte à sa cour; que si toutefois il en avait agi ainsi, j'espérais que lui, le marquis de Puisieulx, ne voudrait pas prendre pour un tout de bon ce qui peut-être s'était passé entre le marquis et moi pour nous égayer un peu. que, tout au contraire, le marquis de Puisieulx pouvait compter fort et ferme sur une continuation des sentiments invariablement bons de ma part; qu'au reste je me donnerai bien de garde de parler à l'avenir, de quelque façon que ce puisse être, d'affaires soit avec le marquis de Valori ou tel autre ministre étranger. Vous ne manquerez pas de faire toutes ces insinuations au marquis de Puisieulx d'une manière tout à fait honnête et des plus convenables. »

Avant d'accomplir cette commission si peu digne, Chambrier crut pouvoir demander à son souverain si vraiment il voulait faire à Valori un tort qui l'exposerait certainement à être révoqué « Car c'est toucher, disait-il, une corde si déli-


cate auprès du roi de France et du marquis de Puisieulx que rien ne pourra faire excuser ici le marquis de Valori, et on ajouterait en augmentation de déplaisance contre lui son peu de légèreté à se tirer des plaisanteries de Votre Majesté »

Frédéric n'avait, en réalité, aucun désir de se séparer d'un représentant de la France dont il croyait connaître de longue date le fort et le faible, qui, s'il lui avait quelquefois résisté, ne l'avait jamais desservi. Courant donc encore de nouveau après ses paroles, il ne crut pas pouvoir mieux faire que de charger Valori lui-même d'aller en son nom s'expliquer à Versailles sur les reproches qu'ils avaient encourus en commun. Le pauvre marquis avait obtenu un congé, assurément très mérité, car il n'avait pas quitté son poste un seul jour pendant les sept laborieuses années de la guerre, et quelles épreuves n'avaitil pas dû traverser! Le roi le convia à dîner la veille de son départ, et avant et après le repas et eut avec lui une conversation dont il l'engagea à prendre note sur ses tablettes à mesure qu'il t. Frédéric à Chambrier, 17, 29 juin 1749. Pol. Corr., t. VI, p. 142 et 155. -Chambrier à Frédéric, 17 juin, 26 juillet nt8. (Ministère des affaires étrangères.)


parlait. Il s'exprima alors absolument avec le même accent de franchise que peu de jours auparavant avec l'agent anglais, et le lecteur jugera lui-même si la ressemblance du ton n'est pas justement ce qui fait le mieux ressortir la diffé-. rence de langage. Il aborda tout de suite le sujet des rapports qu'on lui supposait déjà avec le cabinet anglais. « Je vais vous dire, lui dit-il, de quoi il s'agit. Les Anglais m'ont proposé une alliance et en même temps le mariage du duc de Cumberland avec ma soeur. J'ai répondu au premier article qu'avant de donner une réponse sur ce point, il fallait savoir le but de l'alliance proposée, et la nature des engagements qu'on voulait me faire contracter. Quant au mariage de ma sœur, ma réponse a été purement négative, et en effet, si je ne trouve pas un roi ou un prince, je la garderais; nous avons de quoi la nourrir, et je ne la crois pas faite pour épouser un sujet'. A l'égard de la proposition d'alliance, le seul éclaircissement qui m'ait été donné sur son but a été qu'on exigeait de moi que je garantisse la sanction pragmatique dans toute son étendue. Or, ce n'est pas mon compte, et je ne crois pas que ce i. Je n'ai pas trouvé trace dans la correspondance anglaise de ce projet de mariage.


soit celui de votre cour, et il n'y a pas d'apparence que vous me le conseilliez. » Revenant alors sur le jugement qu'il avait porté au sujet des conditions de paix, « quant à ce qui lé touchait, il dit qu'il avait tout lieu d'en être satisfait, mais qu'on ne pouvait avec justice lui faire un crime d'avoir désiré pour la France de plus grands avantages, et d'avoir raisonné en ami sur cet événement qu'il savait qu'on l'avait accusé d'avoir tenu des propos tendant à faire croire que, non seulement il improuvait la paix, mais qu'il eût désiré la continuation de la guerre ». Valori l'ayant interrompu ici pour lui dire que ce n'était là que le langage de quelques critiques oisifs et ignorants, et que le ministre ne se prétait pas à de tels soupçons « Je connais mes amis à votre cour, reprit-il, et je ne crois pas que M. de Puisieulx en soit. Peut-être apprendrezvous, quand vous serez sur les lieux, ce qu'il faut pour vous convaincre que je suis bien informé. Mais pour peu qu'on réfléchisse à mes intérêts, on verra qu'ils sont d'être unis avec la France. J'en fais ma principale occupation; mais rien n'est plus rebutant que ces méfiances elles sont de la fabrique de la cour de Vienne. Soyez sûr que vos intérêts me sont chers et que vous


me trouverez toujours prêt à les appuyer. Je crois vous en avoir donné une preuve en vous confiant les propositions de l'Angleterre pour une alliance avec moi. Je suis averti qu'on traite entre les cours d'Angleterre, de Vienne et de Russie et avec la Hollande. Ces différents objets ont beaucoup de part à la marche des Russes. Je suis au fait de bien des choses depuis quelque temps. C'est le ministère de Hanovre qui gouverne le roi d'Angleterre, et par là ce ministère a la plus grande influence sur le conseil de Londres. z Là-dessus, il congédia Valori en le priant d'assurer le roi de France qu'il connaissait tout le prix de son amitié, qu'il n'aurait jamais un plus fidèle allié, ni un admirateur plus zélé, et qu'il désirait ardemment et de tout son cœur trouver les occasions de l'en convaincre

III

J'ignore si Valori, revenu en France, réussit à justifier Frédéric et à se disculper lui-même du i. Conversation que le sieur marquis de Valori a eu l'honneur d'avoir avec Sa Majesté prussienne, le i5 août 1748, jour de son départ de Postdam pour se rendre à la cour. (Cor)-Mpondance de Prusse. Ministère des affaires étrangères).


reproche d'avoir mal parlé des conditions de la paix, mais ce qu'il y a de certain, c'est que Chambrier n'exagérait rien quand il disait que Louis XV et ses ministres étaient dans un état de susceptibilité et d'excitation extrêmes au sujet des reproches de complaisance excessive et presque de duperie qui commençaient à leur être communément adressés. Un mal apaisé, on le sait, est vite oublié, et la sécurité est pour les peuples, comme la santé pour les individus, un bien négatif dont la perte est très sensible, mais dont on cesse de goûter la jouissance dès qu'on s'habitue à le posséder. Ainsi on n'avait d'abord vu dans la paix que la fin des souffrances devenues insupportables; mais, dès que le, premier effet fut passé, dès que le commerce ne se plaignit plus de souffrances aiguës, dès que l'on cessa d'entendre parler de nouveaux impôts et de nouvelles recrues, on se prit à réfléchir et on dut reconnaître l'insuffisance des avantages obtenus en compensation de tant de sacrifices, et surtout en comparaison des conditions qu'on était obligé de subir. Le marquis d'Argenson qui, au premier moment, s'était vu forcé d'applaudir à la nouvelle de la paix, note avec satisfaction ce revirement de l'opinion dans son journal. Il oubliait 17


sans doute que ces conditions, à la vérité assez peu satisfaisantes, étaient celles mêmes qu'il avait proposées, sans réussir à les faire accepter. Dès le 17 juin, il écrivait « A Paris et dans les provinces on est consterné. Quoi! dit-on, nous rendons toutes nos conquêtes, tout sans exception Louisbourg seul nous est rendu, Louisbourg, que ce mauvais ministre de la marine avait laissé prendre; nous n'obtenons qu'un petit établissement pour don Philippe, établissement d'un bâtard de pape, à qui originairement il fut donné; et l'Espagne, à qui nous rendons service, est mécontente des conditions. C'est un étranger, un Italien, seul ministre du roi au congrès, qui dispose ainsi de la fortune du royaume, et qui tranche comme il veut pour le plus mal Voilà des discours que je n'ai pu dicter, mais qui font quelque honneur à la mémoire récente de mon ministère

Ce n'était plus là seulement le ton, des conversations de la cour, mais des chansons railleuses circulant sous le manteau et des pamphlets. acerbes en portaient partout les échos. Un de ces libelles, très avidement recherché, traitait net1. Joto'M! de d'~t'~MMO)~, t. V, p. 221.


tement la paix de déshonorante, et ce qu'il y avait de plus grave, c'est que cet écrit plein de fiel était dédié au maréchal de Saxe, et qu'il y avait toute raison de croire qu'il n'avait pas été le dernier à en prendre connaissance. Maurice, en effet, revenu de Flandre, que ses troupes occupaient encore, ne se gênait pas pour dire très haut qu'on l'avait arrêté en pleine course vers de nouveaux triomphes, que si on l'eût laissé suivre son plan quelques semaines de plus, il menait l'armée française tambour battant jusqu'à Nimègue, et qu'il ne resterait plus rien qu'un souvenir de la république qui avait bravé Louis XIV et de la patrie de Guillaume d'Orange'. Il est vrai qu'il lui échappait de laisser percer des regrets personnels qui ôtaient quelque valeur à ses appréciations. <' Voilà la paix, disait-il, nous allons tomber dans l'oubli nous sommes comme les manteaux, on ne songe à nous que pendant la pluie. »

Mais l'opinion fut bien plus émue encore, quand on vit que rien ne se terminait, et qu'on entendit même dire que cette négociation, déjà si peu attrayante, était menacée de ne pas aboutir. 1. Chambrier Frédéric, 8 juillet 1748. (Ministère des afTaires étrangères.)


Ce ne furent plus seulement des murmures, mais une clameur générale. En vérité, même au prix de tant d'efforts et après tant de succès, ne pouvoir pas même compter sur un peu de repos! Avoir perdu un temps précieux, laisser échapper une occasion qui ne reviendrait peut-être plus; en tout cas, effacer par la faiblesse de la politique l'impression de terreur causée par nos armes, la déception était pénible, c'était la preuve chez les gouvernants d'une incapacité notoire. Puisieulx, tout en faisant bonne contenance, ne laissait pas d'être ému « Les libelles contre les préliminaires, écrivait-il à Belle-Isle, courent les cafés de Londres et de Paris on fronde autant le ministère anglais que je le suis ici cette différence d'opinion est une preuve des préventions de la critique des hommes. L'ouvrage d'Aix-laChapelle a été plus applaudi d'abord qu'il ne méritait et on le critique trop aujourd'hui. J'ai reçu, grâce à Dieu, la louange et le blâme avec la même indifférence parce que j'ai cru voir les choses telles qu'elles sont. II semblerait que les alliés voudraient donner des interprétations forcées aux préliminaires si cela est, nous aurons bientôt repris les armes. J'espère cependant qu'ils y feront réflexion et que tout s'apaisera. Les


peuples qui doivent être comptés pour quelque chose verraient avec douleur les espérances qu'ils ont conçues s'évanouir*, »

Les peuples, en effet, auraient été très déçus si, prenant au sérieux les saillies frondeuses de quelques critiques, on les eût replongés dans les maux dont ils ne commençaient à parler légèrement que parce qu'ils croyaient en être délivrés. Mais ce n'était pas seulement avec les peuples qu'il fallait compter, c'était aussi et surtout avec le roi qui, dégoûté de la vie des camps après l'ingrate station qu'il y avait faite l'année précédente et rentré cette fois pour jamais dans ses habitudes de plaisir, était résolu à ne plus s'imposer de nouveaux ennuis. Il prenait très mal les murmures mêmes du maréchal de Saxe « Voilà, dit-il, le style de MM. les généralissimes, leur politique est toujours à boulet rouge. » Comprenant très bien que la seule manière de mettre un terme à cette agitation incommode était de placer les mécontents en présence d'un fait définitivement accompli sentant que tout serait compromis si, l'incertitude se prolongeant, la paix se trouvait décriée avant d'être conclue, 1. Puisieulx Be)fe-Jste,i7juin n48.(Ministère de la guerre; série supplémentaire).


il donna ordre de faire revenir de nouveau SaintSéverin, sous prétexte de lui remettre le cordon bleu, mais, en réalité, pour lui enjoindre cette fois, sans commentaire, de tout terminer au plus vite.

C'était, en effet, sur cet envoyé, un instant porté aux nues, qu'on commençait à rejeter toutes les fautes et à lui que l'impatience publique s'en prenait; on l'accusait couramment de s'être précipité, avec un empressement sans dignité, dans une voie si mal préparée qu'on ne savait plus aujourd'hui où elle allait conduire. Puisieulx, sans pouvoir désavouer un agent qu'il avait choisi et dont il avait approuvé tous les actes, laissait pourtant faire à côté de lui par ses meilleurs amis ce reproche qui lui servait à lui-même, au moins en partie, de justification. « Je ne crois point du tout, lui écrivait, de Gênes, Richelieu (que la reprise des hostilités pouvait exposer à de véritables périls), que mon attachement pour vous m'aveugle, et je suis bien persuadé qu'il n'y avait que vous de capable de faire une paix qui pût être raisonnable et durable, et il me semble en même temps que personne n'y était moins propre que M. de Saint-Séverin tout ce qui m'en revient est d'un homme qui a tous les défauts


opposées à toutes les qualités qui seraient nécessaires en pareil cas, et je crois que l'empressement démesuré et scandaleux que nous montrons de finir nous fera faire un ouvrage qui nous conduira à une guerre prochaine et à des embarras sans fin. Mais pour vous et pour moi, sortons vite de ceux-ci au moins, car votre situation et la mienne est très mélancolique »

Rappelé ainsi à Versailles en toute hâte, SaintSéverin reçut l'ordre de conclure sans délai, non seulement de la bouche royale, mais d'une autre qui, pour un bon courtisan comme lui, avait plus d'autorité encore; ce fut madame de Pompadour qui, dès son premier entretien et sans le laisser parler, lui dit « N'allez pas revenir sans la paix, le roi ne veut plus de guerre. » Avec Puisieulx, son explication, dont nous n'avons pas les détails, dut être un peu vive, car les étranges communications qu'il n'avait pas craint de faire à Kaunitz, par l'intermédiaire du secrétaire saxon, rapportées, commentées et amplifiées par ce confident indiscret, circulaient de Vienne à Dresde et formaient un véritable com1. Richelieu à Puisieulx, 10 août n48. (Ministère de la guerre, partie supplémentaire.) Voir aussi dans le même recueil une lettre de Chavigny à Belle-Isle dans le même sens.


mérage diplomatique. On ne savait plus comment s'en tirer. Puisieulx était harcelé par le comte de Loos, qui venait lui demander avec surprise pourquoi le langage tenu par l'envoyé de France à Aix-la-Chapelle différait de celui qu'on lui faisait entendre à lui-même, à Versailles, et annonçait que sa cour faisait partir un envoyé exprès pour venir tirer la chose au clair. « Dans quel galimatias sommes-nous fourrés? s'écriait Puisieulx avec impatience si on a trompé l'Autriche, comment la désabuser sans l'offenser, et si la chose se sait, comme cela ne peut manquer d'arriver, que va-t-on penser de nous à Londres et à Berlin? & Je ne sais comment Saint-Séverin réussit cette fois à présenter des explications rassurantes de sa conduite. Ce qu'il y a de certain, c'est que sous prétexte de lui donner un collaborateur plus expert que lui en écritures diplomatiques, en réalité peut-être pour le surveiller et prévenir de nouveaux coups de tète, on lui donna un adjoint qui dut repartir avec lui; c'était le même La Porte du Theil, qui avait déjà figuré à la conférence de Bréda et qui dut être chargé de tenir la plume pour la rédaction du traité définitif. Les deux représentants reçurent un pouvoir collectif qui ne leur permettait


pas d'agir, ni même de correspondre l'un sansl'autre, et le roi, en le leur remettant, leur dit. d'un ton qui ne souffrait pas de réplique « Allez, messieurs, et finissez vite'. »

Une instruction si impérative ne pouvait_manquer d'être obéie dans la situation dominante qu'occupait la France et dont elle profitait si mal,. l'effet en était certain. D'autant plus qu'au même moment le gouvernement anglais, éprouvant aussi. beaucoup d'impatience d'un retard qui remettait tout en question, recourait pour y mettre un terme au même moyen que le ministre français. Aussi peu content de Sandwich qu'on l'était, sans le dire, de Saint-Séverin à Versailles, bien que par d'autres motifs, il crut devoir lui adjoindre, sous forme d'auxiliaire, un véritable surveillant. Le choix porta sur le ministre anglais à Vienne,. Robinson, dont la situation en face de MarieThérèse, après tant de violentes altercations, Campardon, Madame de Po!):padou; Puisieulx à SaintSéverin, 26 juillet, 25 août, 13 septembre H48. (Correspondance de Bréda et d'~i-r-~a-C/tapeM?. Ministère des afTairos étrangères) Aucun témoignage direct n'existe des entretiens qui durent être échanges verbalement entre Puisieulx et SaintSéverin au sujet de Kauderbach, j'ai dû emprunter les détails que j'ai placés ici à des dépêches adressées à Saint-Séverin après son retour à Aix-la-Chapelle et qui font clairement allusion à ce qui s'était passé dans ses conversations avec son ministre.


4tait devenue très difficile, mais qui, en raison de son long séjour à Vienne, paraissait plus propre qu'un autre à trouver quelque moyen de faire sortir l'Autriche de sa position de bouderie hautaine. Robinson arrivait donc de Vienne, très froidement congédié par l'impératrice, et, par là même, très pressé d'en finir. Les quatre plénipotentiaires, auxquels se joignit le Hollandais, qu'on décida à revenir, formaient ainsi un congrès en miniature, qui se mit à l'œuvre sans retard, et tout marcha dès lors assez rapidement*. Du Theil était un esprit conciliant et un écrivain habile, fertile en expédients pour ménager, par des rédactions heureuses, les amours-propres en conflit. Robinson, au contraire, était un Anglais de la vieille roche, prenant volontiers le ton dogmatique, et pensant tout emporter de haute lutte. Mais ni la douceur insinuante de l'un, ni la hauteur de l'autre, ne suffiraient à expliquer comment des difficultés qui, la veille, paraissaient insolubles, disparurent par enchantement. La vérité est que le retour de SaintSéverin en compagnie et sous bonne garde fit comprendre à Kaunitz et par lui à Marie-Thérèse 1. Coxe, PeMam administration, t. H, ch. XIX et XX.– D'Arneth, t. III, ch. ïtv, p. 3~385.


qu'ils n'avaient plus rien à attendre du langage ambigu de la France et du double jeu de son envoyé. Le mieux était donc de courber pour ce jour-là la tête sous la nécessité afin de mieux préparer la revanche du lendemain; c'est ce que Saint-Séverin trouva encore moyen de faire entendre à l'oreille. « Laissez finir ceci, dit-il à Kaunitz après chacun pourra se faire un système à l'avenant de son goût, et c'est alors que l'Autriche nous retrouvera si elle nous cherche sincèrement et de bonne foi J)

L'accord étant fait ainsi, par suite de cette résignation forcée, au fond des choses, la forme ne devait pas tarder à suivre.. Successivement, en effet, la marche des Russes fut arrêtée par une convention intervenue entre les puissances maritimes, sous la condition que la France reti-. rerait, en même temps, des Pays-Bas, un nombre de troupes sensiblement égal à celui que devait apporter ce corps auxiliaire. L'Autriche consentit à laisser rentrer les troupes hollandaises dans celles des places de la barrière dont les fortifications'n'étaient pas démolies, moyennant une forI. Saint-Séverin à Puisieulx, 31 août n40. (Correspondance de Bréda et d'E-/a-C/iapeKe. Ministère des affaires étrangères).


mule qui réservait ses droits de souveraineté. La garantie des cessions faites à la Sardaigne et à la Prusse qui arrachait l'âme à Marie-Thérèse fut plus difficile à obtenir d'elle; mais elle céda à l'assurance qui lui fut donnée que la pragmatique sanction de Charles V serait mentionnée dans le traité, comme l'une des bases de la paix, et qu'une consécration nouvelle serait ainsi donnée à ce qui subsistait encore de cet acte, après toutes les violations et les atteintes qui y avaient été portées. Quand des points de cette importance étaient réglés, que pouvaient signifier les contestations, encore assez vives, élevées par l'Espagne au sujet de la date fixée pour l'expiration du néfaste contrat de l'o et des cas où l'apanage constitué à l'infant devrait faire retour à ses anciens possesseurs! Ces discussions stériles faisaient seulement voir que chacun, étant mécontent, ne cédait qu'à regret et ne subissait la nécessité qu'en la maudissant. Ce fut par suite de ce sentiment de mauvaise humeur générale que le traité, signé entre les plénipotentiaires de France, d'Angleterre et de Hollande, le 18 octobre 1748, ne reçut qu'après quelques jours et même quelques semaines-d'attente, l'accession de l'Autriche, de l'Espagne, et


même de la Sardaigne. Toutes ces puissances tenaient à bien établir qu'elles n'abandonnaient pas volontairement leurs prétentions mais qu'elles n'en faisaient le sacrifice provisoire qu'au bien des peuples et au repos général de l'Europe « Nous entrons dans une maison de carton, dit Kaunitz, il faudra voir si on pense en faire quelque chose de plus solide »

Chose singulière, une des premières accessions qui vinrent s'ajouter à la signature des plénipotentiaires, ce fut celle de Frédéric qui, pourtant, s'était tenu jusqu'à la dernière heure à l'écart de la négociation et s'était refusé constamment à accorder à l'Autriche, en échange de ce que le traité lui attribuait à lui-mème, la réciprocité qu'elle réclamait et qu'on avait fini par lui accorder. Son historien et son panégyriste, Droysen, s'étonne de cette contradiction et finit par en donner une explication qu'il croit véritable c'est, suivant lui, que, n'ayant aucune confiance dans la durée de la paix, Frédéric ne voulait pas se trouver isolé en Europe le jour prochain et probable où de nouveaux conflits 1. L'adhésion de l'Autriche est du 8 novembre, celle de l'Espagne du 20 octobre, la Sardaigne ne fit accession que le .20 novembre. (Beer, Friede von Aachen, p. 89.)


éclateraient, ni être signalé d'avance comme un trouble-fête qui conspirait dans une retraite maussade contre le repos commun. Il craignait de paraître préparer et provoquer le retour des troubles qu'il prévoyait. Ainsi, ajoute l'historien allemand, voyant l'horizon se charger de nuages, il voulait éviter tout ce qui les ferait amonceler sur sa tête

Le traité, composé de vingt-quatre articles comme les préliminaires, serrait de très près le texte primitif, auquel n'étaient ajoutés que quelques compléments et explications indispensables. Chose singulière, parmi ces additions qui pouvaient paraître nécessaires, il en est une qu'on devait s'attendre à y trouver et qu'on cherche pourtant vainement, c'est celle qui aurait dû constater la reconnaissance par la France du titre impérial de Marie-Thérèse et de la couronne décernée à François de Lorraine par la Diète germanique. Non que la France n'eût fait à plusieurs reprises, pendant les négociations, l'offre de retirer par un acte formel la très vaine protestation qu'elle avait opposée à l'élection de Franc1. Droysen, t. III, p. 501-502. -L'accession de Frédéric fut offerte par lui, mais ne parait pas avoir été effectivement donnée, on n'en trouve pas la trace officielle dans les archives de Berlin. Droysen, t. IV, p. 9.


fort. Mais Marie-Thérèse avait dédaigné de faire accueil et même de prêter l'oreille à cette satisfaction tardive, pensant probablement (comme le général Bonaparte devait le dire plus tard de la République française) que son droit était trop éclatant pour avoir besoin de la reconnaissance ou de la confirmation de personne. L'omission, pourtant singulière, passa, ce semble, complètement inaperçue. Ainsi de la prétention même qui avait motivé la première prise d'armes, du dessein d'enlever à l'héritière orpheline de la maison d'Autriche la succession de Charlemagne et de Charles-Quint, le souvenir même avait disparu! Rien ne restait, dans aucun esprit, du rêve qui avait enflammé l'imagination de BelleIsle, auquel Louis XV, par une violation éclatante de la foi jurée, n'avait pas craint de sacrifier l'honneur de la parole royale, et qui avait fini par troubler de tant d'angoisses les dernières veilles de Fleury. A voir même avec quel soin le nouveau traité rappelait et rétablissait, autant que la chose était possible, les moindres dispositions des conventions antérieures et s'efforçait de replacer l'Europe dans l'état où la guerre l'avait trouvée, il semble que ce fût cette guerre ellemême et toutes ses péripéties qu'on voulait effacer


-de la mémoire des peuples, pour ne la laisser figurer dans les annales de l'histoire que comme un sanglant intermède. Les seuls changements, -en définitive, qu'il eût fallu consacrer, c'étaient ceux qui étendaient la domination du roi de Sardaigne en Italie et du roi de Prusse en Allemagne, en sorte que tant de vie et d'or français n'avaient été sacrifiés que pour satisfaire J'am:bition de la maison de Savoie et préparer la grandeur de l'électeur de Brandebourg. Je ne -crois pas que la justice du sort ait jamais porté -sur un acte aussi répréhensible qu'impolitique une condamnation plus éclatante

Tout étant cependant connu d'avance, la publication officielle du traité n'apprit rien à personne et ne pouvait causer aucune émotion. Ce ne fut ni la joie du premier jour, ni la déception qui -avait suivi. Une disposition assez étrange donna même un instant quelque consolation à la vanité française ce fut celle qui stipulait que pendant 1. Voir à l'appendice B le texte des préliminaires et celui du .traité. 11 sera aisé d'apprécier par cette comparaison le peu 'd'importance des modifications apportées au premier de ces .documents par le second. Les préliminaires portaient l'article suivant Le Prince élu à la dignité d'Empereur sera reconnu en cette qualité par toutes les puissances qui ne l'ont .pas reconnu. Cette disposition n'est pas reproduite dans le traité.


l'intervalle de quelques semaines qui devait s'écouler entre l'évacuation des Pays-Bas et la restitution de Louisbourg, deux pairs d'Angleterre viendraient en France pour y être gardés en otages. Paris vit passer ces deux seigneurs avec une curiosité polie, et la cour les reçut avec une courtoisie de bon goût, non sans se divertir un peu à suivre sur leur visage la trace du léger embarras qu'ils devaient éprouver, et dont, du reste, en gens de bonne compagnie, ils prenaient galamment leur parti.

Tout se serait donc passé paisiblement, et la légèreté française, si prompte à tout oublier, aurait bientôt fait taire critiques, louanges et discussions de toute sorte, quand un scandafe inattendu vint jeter une triste lumière sur l'une des faces les plus douloureuses de la nécessité qu'on avait dû subir. L'engagement était pris, en termes très nets, bien que sous une forme mitigée, d'éloigner de France le jeune et brillant guerrier qui avait eu un instant la bonne fortune de disputer la couronne d'Angleterre à la dynastie protestante. L'exécution était pénible, et par là même, il convenait de la faire sans éclat. Rien ne devait faire prévoir qu'on dût rencontrer aucun obstacle sérieux. Pareil sacrifice avait été 18


imposé à Louis XIV après les malheurs de ses dernières guerres, et le chef de la maison de Stuart, celui à qui toute la France rendait les honneurs royaux sous le nom de Jacques III, acceptant sans murmure ce surcroît de proscription, s'était retiré à Rome et trouvait dans cet asile des grandeurs déchues une situation conforme à la dignité de son rang et de son caractère. On devait espérer du prince, son fils, la même résignation aux exigences de la politique et aux caprices de la fortune. Il n'en fut rien le jeune héros, au milieu des péripéties tour à tour glorieuses et romanesques qu'il avait traversées, s'était accoutumé à voir son nom répété par les échos de la renommée; il était en France l'objet d'une curiosité admirative dont il recevait à toute heure les témoignages les plus flatteurs; il se consolait d'ailleurs de ses disgrâces en prenant sa part des plaisirs de la capitale. Il lui en coûta trop de rentrer dans l'obscurité et dans l'isolement, où s'était écoulée son enfance. Quand il reçut l'invitation de se retirer sans bruit, il déclara hautement qu'il n'y déférerait pas, laissant en même temps entendre qu'il avait en main une lettre (qu'il ne montra pourtant pas), par laquelle Louis XV s'engageait à ne pas l'éloigner de sa présence, tant


qu'il n'aurait pas pu lui assurer un établissement convenable. Tous les moyens furent mis en oeuvre pour vaincre cette puérile obstination. On lui fit envoyer de Rome, par son père, l'injonction de se conformer au désir du roi. Pour lui épargner l'ennui de retourner au point dont il était parti, on lui ménagea aux portes de France, à Fribourg, une retraite que, malgré les menaces de l'Angleterre, les magistrats de ce petit canton ne craignirent pas de lui offrir. Enfin, pour rompre les liens les plus chers qui l'attachaient au séjour de Paris, on fit défense à sa maîtresse, la princesse de Talmont, de le recevoir chez elle; elle dut se conformer à cet ordre, de sorte que, se présentant à sa porte, il la trouva fermée, et qu'essayant de la forcer, il fut arrêté par le poste voisin, accouru pour s'opposer à cette violence. Rien n'y fit, le prince persista dans sa résistance, affectant même de se montrer avec ostentation dans les lieux publics. « II verrait bien, s'écriaitil, si on oserait mettre la main sur lui, et d'ailleurs, il était décidé à ne pas sortir vivant de France, de sorte qu'il faudrait ou le tuer ou le laisser se tuer lui-même, si on voulait être délivré de lui. e Au duc de Gesvres qui venait une dernière fois le sommer d'obéir à l'ordre


royal « Sans le respect que je dois au roi, lui répondit-il, je ne vous laisserais pas sortir comme vous êtes entré. » Enfin, averti un soir que les deux seigneurs qu'on gardait en otages devaient assister à la comédie, il vint se placer en face d'eux pour faire lever toute l'assistance à son arrivée, et se faire rendre par ceux qui l'entouraient les honneurs dus aux princes royaux.

Après avoir supporté cette bravade pendant plus d'une semaine, il devenait impossible de laisser défier à ce point l'autorité royale et compromettre sans profit le repos public. Ordre fut donc donné par le conseil des ministres, réuni sous les yeux du roi, de faire finir le scandale, en arrêtant le prince le jour où il essayerait encore de se montrer de nouveau dans une réunion publique. Ce fut à l'Opéra qu'eut lieu cette triste exécution, et quoi qu'on pût faire, malgré tous les soins pris pour en adoucir la rigueur, l'emploi de la force ayant toujours plus ou moins un air de brutalité, rien ne put empêcher que les circonstances prissent un caractère repoussant et presque cruel. La salle de l'Opéra était alors contiguë au Palais Royal, demeure du duc d'Orléans on demanda au duc, qui n'y consentit


qu'à regret, l'autorisation de faire passer, par les cours intérieures du palais, des gardes déguisés en bourgeois, qui se trouvèrent en face du prince au moment où il descendait de son carrosse. D'autres agents apostés fermèrent au même moment le passage derrière lui. On le saisit, en mettant la main sur son bras pour l'empêcher de tirer son épée et on le conduisit en étouffant ses cris jusqu'à une rue écartée où l'attendait le duc de Biron avec un carrosse à six chevaux pour le conduire à Vincennes. Il se débattait violemment, et bien qu'on eût eu soin de lui enlever tout de suite un pistolet et un poignard qu'il portait sur lui, on craignait tellement qu'il n'eût quelque autre arme cachée dont il pût faire usage contre lui-même ou contre ceux qui le détenaient, qu'on crut devoir lui lier les pieds et les mains avec un cordon de soie, et l'emporter à bras dans la voiture, le corps renversé et la tête en arrière. Pendant tout le chemin, il s'emportait en injures contre ses gardiens. Au chevalier de Vaudreuil qui était placé en face de lui « Vous faites là, mon cher monsieur, dit-il, un bien vilain métier. Où sommes-nous donc? `? Est-ce la France? Je serais mieux traité au Maroc. Arrivé à Vincennes, où un appar-


tement très convenable lui était réservé et un souper lui était préparé, il refusa de manger et se coucha tout habillé. Cet état de fureur dura plusieurs jours, donnant lieu à des accès de fièvre qui faisaient craindre pour sa vie ou pour sa raison.

Il était impossible de le faire partir dans cette crise, au risque de voir les mêmes éclats se renouveler tout le long de la route. Il fallut attendre que, la solitude produisant l'effet calmant qui est assez ordinaire, le captif luimême s'avouàt vaincu et se laissât mettre en voiture pour Fontainebleau et de là pour Avignon. Une lettre d'excuse qu'il adressa à Louis XV était encore écrite d'un ton assez fier, et, dit Luynes, comme traitant de couronne à couronne

Les récits commentés, amplifiés, envenimés de ces tristes faits, dont l'apparence, au moins, était barbare, répandirent partout la stupeur et 1. Voir à l'appendice C quelques fragments d'un drame historique que le marquis d'Argenson avait composé dans sa retraite sur ce triste incident. J'ai retrouvé cette pièce de peu de valeur au point de vue littéraire dans les cartons des archives du ministère des affaires étrangères. J'appelle l'attention du lecteur sur la scène où le marquis fait parler les ministres, ses collègues de la veille, réunis en conseil sous tes yeux du roi.


bientôt l'indignation.. La nécessité qu'on ne pouvait guère contester était une excuse difficilement acceptée. On y voyait plutôt la condamnation de l'incapacité et de l'imprévoyance qui n'avaient pas su prévenir une telle extrémité. Dans l'entourage même du roi, le mécontentement s'exprima avec une liberté et une audace inaccoutumées; le dauphin, qui était très lié avec le prince Édouard, ne put s'empêcher de verser des larmes qui lui étaient arrachées moins par la douleur de l'affection blessée que par le ressentiment de l'injure faite au sang royal. La princesse de Talmont, devenue presque une héroïne de roman, grâce à la tendresse dont elle ne faisait pas mystère, prit prétexte de l'arrestation d'un de ses serviteurs, qui avait été pris avec la suite du prince, pour écrire au ministre, Maurepas, cette épitre insolente

« Monsieur, voilà les lauriers du roi portés à leur comble, mais comme l'emprisonnement de mon laquais n'y peut rien ajouter, je vous prie de me le rendre. »

Les vers suivants, dont on est surpris de rencontrer l'accent généreux dans les recueils du temps, à côté de pièces d'un ton bien différent,


attestent par ce contraste même la vivacité du sentiment public

Peuple, jadis si fier, aujourd'hui si servile,

Des princes.malheureux vous n'êtes plus i'asite.

Vos ennemis vaincus au champ de Fontenoy

A leurs propres vainqueurs ont imposé la loi,

Et cette indigne loi qu'Aragon nous procure

Est pour eux un triomphe et pour nous une injure. Hélas! avez-vous donc couru tant de hasards

Pour placer une femme au trône des Césars?

Pour voir l'heureux Anglais dominateur de l'onde,

Voiturer dans ses ports tout l'or du Nouveau Monde? Voilà le fils de Stuart, par vous-même appelé,

Aux frayeurs de Brunswick làchement immolé.

Et toi, que les flatteurs ont paré d'un vain titre,

De l'Europe, aujourd'hui, te diras-tu l'arbitre,

Lorsque dans tes États tu ne peux conserver

Un héros que le sort n'est pas las d'éprouver,

Mais qui, dans les horreurs d'une vie agitée.

Au sein de l'Angleterre à sa perte excitée.

Abandonné de tous, fugitif mis a prix,

Se vit toujours du moins plus libre qu'à Paris '?

Un autre factum, dont on ne peut citer que quelques vers, se terminait également par une apostrophe à Louis XV, plus amère et plus injurieuse encore

George, dis-tu, t'oblige à refuser l'asile

Au vaillant Édouard s'il t'avait demandé,

Roi sans religion, que ta p. s'exile.

Réponds-moi, malheureux, l'aurais-tu concédé?

Belle Agnès tu n'es plus! Ton altière tendresse

Dédaignerait un roi flétri par la faiblesse.

i. JoHrna~e Rarbicr, novembre et décembre n4S ;–JoMt'na~ de Z.M;/?:M, t. IX, p. 60 et suiv.; .7oMf?ta< de d'h'~etMon, t. V, p. 289 et suiv.


Dans toutes les pièces du monde, c'est le dénouement qui reste gravé dans la mémoire des spectateurs. Ainsi, un incident, au fond sans importance, allait marquer d'une note de déshonneur et d'humitiation une paix chèrement achetée et dont on contestait déjà les avantages. Bête comme la paix, disait-on, par une expression qui courut et qui fit fortune. Avec plus de justice encore et non moins de sévérité, on aurait pu appliquer la même qualification, non pas à la paix seulement, mais à la guerre elle-même, qui, mal engagée, le plus souvent mal conduite, finissait sans profit, sans éclat, sans que ni le génie de Maurice de Saxe, ni la gloire de Fontenoy, eussent pu réparer l'erreur et la faute du premier jour. Le présent ainsi péniblement rég)é, que devaiton espérer et que.n'avait-on pas à craindre de l'avenir! C'était la question que tout le monde se posait et que chacun s'apprêtait à résoudre dans le sens de ses intérêts et de ses passions. Quelque chose manquerait donc à la conclusion de ce long récit si, avant de tourner la dernière page, je ne rappelais quels devaient être, dans une situation qui demeurait si incertaine, les vœux et les desseins avoués ou secrets des diverses puissances. Aucune d'entre elles, on l'a vu, ne plaçait la


moindre confiance dans la durée de la paix. C'était la déclaration que faisait tout haut, dès le premier jour, un excellent observateur, parlant avec la clairvoyance propre à l'intérêt personnel, et avec la sagacité pénétrante qui était la qualité principale de son génie. « Cette pacification générale, écrivait Frédéric, ressemble plutôt à une trêve dans laquelle toutes les parties profitent d'un instant de repos, cherchent des alliances pour être mieux en mesure de reprendre les armes, » Rien de plus juste; et rien ne fait mieux comprendre comment l'encre du traité était à peine séchée, que déjà personne n'allait plus le prendre au sérieux. Un vague sentiment d'instabilité continuait à peser sur l'atmosphère. Vainement, les pacificateurs se sont-ils vantés d'avoir remis l'Europe dans l'état le plus voisin possible de l'équilibre où la guerre l'avait trouvée. Chacun sent que, sous le calme assez mal rétabli de la surface, de profonds changements s'opèrent, de nouvelles combinaisons se préparent, d'où peuvent sortir des périls imprévus, et c'est à qui regardera autour de soi pour reconnaître d'avance sur quel appui il peut compter, et, le jour de la prochaine épreuve venue, quels auxiliaires se mettront en ligne à ses côtés.


Frédéric pouvait d'autant plus parler pertinemment à cet égard, que pour sa part sa résolution est prise, et nulle incertitude ne subsiste plus dans son esprit. Délié, il le croit du moins, de tout engagement envers la France, c'est contre elle qu'il va lier partie avec l'Angleterre. Ne venons-nous pas de l'entendre annoncer ce projet sur un ton de franchise presque cynique, dans son premier entretien tenu avec le ministre anglais, le jour même de la signature des préliminaires de paix? N'est-ce pas lui qui nous apprend que cette paix, attendue comme une délivrance, va lui permettre de retirer de la main de la France celle qu'il se propose de tendre luimême à l'Angleterre? La neutralité jalouse dans laquelle il s'est renfermé pendant les dernières années de la guerre lui a laissé le temps de préparer et de masquer son évolution. Elle est prête maintenant, et s'il garde encore quelques ménagements de prudence et de politesse avec les ministres de Louis XV, c'est pour rester libre de choisir le moment où il conviendra de déclarer ses nouveaux sentiments. Assurément, il ne dénoncera pas le premier l'armistice européen il a trop affaire à garder ce qu'il a gagné, pour se jeter à l'aventure dans de nouveaux hasards. H


ne s'agit encore que de former une ligue défensive pour assurer (c'est son expression) la liberté de l'Europe contre les menaces de l'ambition française. Mais il sait parfaitement à qui il parle, et ce n'est pas lui qui se trompera jamais sur le sens et la portée des paroles. Il n'ignore pas qu'entre France et Angleterre subsiste une rivailité à peine assoupie, excitée par le souvenir d'un partage égal de revers et de victoires, et que le plus léger incident, une querelle de frontière, -une chicane élevée sur une interprétation de texte, peut, d'un instant à l'autre, porter à l'état aigu. Vienne ce conflit, qu'il prévoit inévitable, il déclare d'avance auprès duquel des combattants il a marqué sa place, et pour une cause qu'il aura une fois embrassée, il n'est pas homme à former longtemps des vœux stériles.

C'est bien ainsi que l'Angleterre entend l'alliance qui lui est offerte et qu'elle a d'ailleurs toujours attendue et sollicitée. Pendant toute la guerre, il n'y a pas eu un jour où l'Angleterre n'ait travaillé à détacher Frédéric de la France, et à le faire passer dans le camp de ses adversaires à plus d'une reprise, elle a pu croire y avoir réussi. De la part de Frédéric, ç'a été, avec les ministres et les agents anglais, une suite de


rapports tantôt secrets, tantôt publics, mais qui, entretenus parfois à l'insu et au préjudice de ses propres alliés, ont eu le caractère d'une véritable trahison si, à d'autres moments, ces relations ont paru se refroidir et même s'aigrir, ce n'est pas que Frédéric les ait jamais découragées; au contraire, il a toujours tenu à garder l'oreille ouverte pour entendre ce qui lui viendrait de Londres. Mais c'est que le roi George, songeant plus au Hanovre qu'à l'Angleterre, ou cédant à une sotte antipathie personnelle, a entravé et entravera peut-être quelque temps encore les vues politiques de ses ministres. La nation anglaise n'a jamais partagé ces mesquins dissentiments de famille elle a toujours suivi avec une sympathie instinctive et prophétique les exploits du jeune héros, enfant de Luther comme elle, et qui semble destiné à raviver, pour l'honneur de la foi protestante, les glorieux souvenirs de Gustave-Adolphe et de Guillaume d'Orange. Vainement l'Autriche est-elle encore l'alliée officielle et la Prusse l'ennemi nominal les victoires de Moiwitz et de Kettelsdorf n'en sont pas moins saluées, avec une satisfaction peu déguisée, dans les cafés et les lieux publics de Londres. Et à toutes les étapes de la longue négociation qui vient de passer sous nos


yeux, n'avons-nous pas toujours vu l'Angleterre prendre en main la cause de Frédéric, se prêter à toutes ses exigences, aux dépens, en dépit et malgré les protestations de l'Autriche? N'est-ce pas elle enfin, qui, par un dernier acte d'autorité, met la conquête de la Silésie sous la garantie du nouveau droit public? Ainsi l'alliance de la Prusse ne lui est pas encore proposée que déjà l'Angleterre s'empresse d'en fournir le gage, et ce témoignage anticipé de reconnaissance atteste assez les services qu'elle en attend, et qu'à un moment donné elle se croira en droit de réclamer. Mais ces avances n'ont pu être faites ni ces avantages assurés à la Prusse sans contrister péniblement l'Autriche. A quel point MarieThérèse est offensée de se voir porter le dernier coup par une main qu'elle croyait amie, en quels termes elle qualifie cet abandon, c'est ce qu'on aurait peine à croire, si dans les textes que j'ai fait connaître, on n'entendait sortir de sa bouche même l'expression de son ressentiment. L'Angleterre, à ses yeux, par la garantie donnée à la conquête de la Silésie, s'est faite complice de l'attentat dont elle a été victime. Si le Prussien a fait le vol, l'Anglais, en le garantissant et en le mettant à l'abri de toute reprise, a joué le


rôle ingrat de receleur; et c'est tout au plus si le complice, moins hardi et plus perfide que l'auteur principal, n'est pas plus digne de réprobation. A ce grief, qui est toujours le plus grave, l'Angleterre a mis le comble par ses faiblesses pour le roi de Sardaigne, en sorte que, si l'héritage de Charles VI n'arrive à sa fille qu'après une double mutilation, c'est l'Angleterre qui la lui a fait subir. Aux traits que j'ai rapportés pour peindre cet état d'âme de Marie-Thérèse, il semble qu'on ne puisse rien ajouter il en est un pourtant qui les complète et qui les couronne. La paix conclue, quand arrive à Vienne le nouvel envoyé anglais qui doit remplacer Robinson, l'impératrice refuse de le voir « Je lui ai donné en réponse, écrit le ministre Uhlfeld en lui transmettant ce refus, qu'après avoir fait rapport à Leurs Majestés, ils avaient trouvé que nos pertes étaient trop récentes, et la plaie des préliminaires faits à nos dépens était trop fraîche, pour qu'il leur convînt de recevoir un compliment de félicitations, pendant qu'un de condoléance conviendrait de préférence. Je lui ai doré la pilule de mon mieux a

1. D'Arneth, M), p. 4S9.


L'indifférence que l'Angleterre oppose à ces emportements de la passion féminine atteste assez qu'elle s'y est préparée et même résignée d'avance, et que la perte d'une ancienne amitié, déjà remplacée par une nouvelle, si elle lui cause quelque regret, ne lui fait pourtant concevoir aucune inquiétude sérieuse. Sans doute, il y a encore des politiques attardés, entre autres le roi-électeur et son premier ministre, qui restent fidèles à ce qu'ils appellent le vieux système, à cette coalition des forces impériales et britanniques devant laquelle a fléchi, au début du siècle, l'orgueil de Louis XIV. Les victoires remportées en commun à Malplaquet et à Ramillies vivent encore dans plus d'une mémoire. Mais outre que dans la dernière campagne cette union très difficilement maintenue, est loin d'avoir produit d'aussi brillants résultats, le bon sens du public anglais ne s'y trompera pas longtemps. Il comprend déjà d'instinct, qu'entre la catholique Autriche et la nation qui a chassé ses souverains légitimes pour cause de papisme, l'alliance qui n'est fondée sur aucun rapport d'institution, de croyance ou de moeurs, ne peut être qu'accidentelle et doit cesser avec la combinaison de circonstances qui l'a fait naître. Après tout, ce que


la politique anglaise appréciait dans l'alliance autrichienne, c'était le concours d'une grande force militaire dont les canons étaient braqués contre la France, et qui complétait par de gros bataillons la très petite armée qu'elle peut ellemême envoyer au dehors. II lui fallait aussi une grande alliance continentale pour être libre de consacrer toutes ses ressources à établir et à exercer sa domination sur les mers. Mais voici qu'elle peut attendre ce double service dans des conditions égales, sinon supérieures, d'une puissance bien plus rapprochée d'elle par des affinités de foi et de race dès lors, entre l'alliée d'hier, déjà très affaiblie, qui devient exigeante et impatiente, et celle qui s'offre avec toute l'audace de la jeunesse et de la victoire, sa préférence ne peut être douteuse, et s'il est nécessaire de choisir, elle ne regrettera pas l'échange. S'il faut affronter de nouveau, même sur terre, la fortune des combats, l'Angleterre n'est pas certaine que du sein de sa propre armée s'élèvera un second Malborough, mais elle peut déjà compter qu'en fait d'auxiliaire elle trouvera dans Frédéric plus grand que le prince Eugène.

Ainsi délaissée par l'Angleterre, inquiète pour sa propre sécurité des pièges que peut lui tendre 19


à toute heure un voisin sans foi et sans scrupule, n'ayant renoncé d'ailleurs ni à la revanche, ni à la vengeance, à qui Marie-Thérèse auraitelle recours, sinon à la France? Quel autre espoir, que! autre appui possible lui reste? L'alliance de la Russie si tardivement, si péniblement obtenue et si sujette encore à tant d'incertitudes est loin de lui présenter une garantie suffisante. Assurément, il est dur d'implorer le secours, et de se mettre ainsi à la discrétion de l'ennemi héréditaire. Elle aussi a bien des préjugés à vaincre, bien des souvenirs de gloire et des ressentiments d'injure à effacer. Mais le temps presse, la nécessité commande, et MarieThérèse n'est pas d'humeur à faire à moitié ce qu'elle entreprend. Aussi avec quelle ardeur elle tend tout de suite les bras à la France! On dirait que, n'était l'orgueil impérial qui la retient, elle va se jeter à ses pieds. Rechercher presque à tout prix l'alliance française c'est la seule instruction que son confident Kaunitz emporte à Aix-la-Chapelle, et il se croit un moment à la veille de la remplir. Déçu par la brusque signature des préliminaires, il se remet à l'œuvre dès le lendemain pour renouer les fils brisés de sa négociation clandestine. La paix ne découragera


ni lui ni sa souveraine c'est à Vienne surtout que cette paix ne paraît qu'une trêve, et Kaunitz va passer d'Aix-la-Chapelle à Paris comme ambassadeur, afin que, confiée à la même main, la poursuite du même dessein ne subisse ni interruption ni relâche.

Reste à savoir ce que fera la France de ces invitations qui, à certains moments, prennent l'apparence de véritables supplications. Mais comment le savoir, si elle ne le sait pas elle-même? Rien n'égale, on a pu tristement s'en apercevoir, en face de la révolution significative qui s'opère et dont les symptômes sont visibles, en quelque sorte à l'œil nu, l'irrésolution et l'embarras des hommes qui dirigent la politique de la France, ou plutôt qui sont censés la conduire. Louis XV prête peu d'attention à son conseil, et ses ministres ne s'entendent pas aucun d'eux, le roi moins que tout autre, ne sait clairement ce qu'il pense et moins encore ce qu'il veut. On est las des caprices, des exigences, des impertinentes railleries de Frédéric, mais on n'ose lui déplaire. Les offres de l'Autriche sont séduisantes, mais pour les accepter, il faudrait rompre avec les traditions d'une inimitié sécuinire, et le courage d'esprit fait défaut. C'est


ainsi que se perdent toutes les faveurs de la fortune. Grâce à la division de ses ennemis, la France était maîtresse de faire la loi de la paix mais il semble que, fléchissant sous le poids d'une situation trop forte pour le génie de ses ministres, elle se soit hâtée d'en déposer le fardeau par une conclusion précipitée, qui ne termine rien, laisse tout en suspens, et ne la fera pas sortir elle-même de ses perplexités.

Et pourtant, aujourd'hui que le temps doit avoir fait justice de préventions sans fondement, on ne comprend pas ce qui pourrait faire hésiter la France à céder aux instances pressantes de l'Autriche. A quelque point de vue qu'on se e place, qu'il s'agisse de prolonger la durée de la paix, ou de descendre de nouveau dans l'arène, le rapprochement de l'Autriche présente à la France des avantages auxquels les plus sages conseillers de Louis XV sont déjà sensibles et qu'on s'étonne de voir si peu et si mal appréciés. C'est, au fond, la seule combinaison qui, servant de contre-partie et faisant contrepoids à l'intimité dont l'Angleterre et la Prusse ne feront bientôt plus mystère, puisse maintenir le repos précaire et l'équilibre instable, fondé


à Aix-la-Chapelle sur des bases si chancelantes.

Si au contraire, comme chacun s'y attend et s'y prépare, le sort de l'Europe est livré de nouveau aux chances de la guerre, où la France chercherait-elle, pour tenir tête aux menaces de l'orgueil britannique, un auxiliaire plus sûr et maintenant plus ardent qu'à Vienne? Est-ce à Berlin, où elle n'a jamais trouvé que des mécomptes, des déceptions, et la désertion au moment critique, suivie de la raillerie et de l'insulte? Peut-elle oublier que, pendant que Frédéric, après avoir appelé ses armées au fond de l'Allemagne, les abandonnait sans prendre souci de leur sort, Marie-Thérèse, pour obtenir non pas leur concours, mais seulement leur inaction et leur retraite, a offert un jour d'importantes concessions territoriales propres à étendre la frontière française sur le point où il a toujours paru le plus essentiel de la régulariser et de la couvrir? L'engouement naïf et crédule d'un ministère philosophe a perdu cette occasion inespérée. Mais dans une lutte nouvelle elle peut renaître où est le mal, où est le danger de se mettre d'avance en mesure pour ne pas la laisser une seconde fois échapper?


Est-ce sérieusement qu'on invoquerait, pour rester sourd aux propositions de l'Autriche, la crainte de s'écarter d'une tradition glorieuse inaugurée par des souverains ou des ministres de génie, d'offenser en quelque sorte, en faisant pacte avec la petite-fille de Charles-Quint, la mémoire d'Henri IV et de Richelieu? La politique peut-elle vivre à ce point de sentiments et de souvenirs ? Quand tout change autour d'une nation, peut-elle ne pas changer ellemême, et quand de nouveaux courants traversent l'atmosphère, le pilote n'est-il pas obligé de modifier la direction du navire*~ C'est bien assez que, par une fidélité aveugle à de grands exemples, Fleury, suivant à regret les conseils de Belle-Isle, ait précipité la France dans la guerre stérile qui vient de finir. Une telle leçon ne doit pas être perdue. L'épreuve, chèrement payée, a fait voir que, si la nouvelle maison d'Autriche est trop solidement établie dans son patrimoine héréditaire pour qu'on puisse lui susciter un concurrent sérieux à la dignité impériale, hors d'Allemagne, privée comme elle l'est, de l'Espagne et bannie de la moitié de l'Italie, elle ne peut plus exercer la prépondérance qu'on devait redouter de la part de


ses aïeux. Nulle précaution n'est donc plus de saison contre une omnipotence dont le fantôme a disparu. En Allemagne aussi, tout est devenu bien différent le saint-empire affaibli n'est plus que l'ombre d'un grand nom, et du sol allemand lui-même s'est levée une nouvelle puissance qui, pour son premier coup d'essai, a vaincu l'Autriche en bataille rangée. La grandeur soudaine de la Prusse change tout le régime intérieur du corps germanique. Du moment qu'il y a au delà du Rhin deux États en mesure de se tenir tète et de se faire équilibre l'un à l'autre, l'intérêt de la France est non d'écraser l'un des deux, mais de maintenir entre eux la balance en se portant alternativement du côté qui paraît fléchir. Dans le cas présent, c'est évidemment l'Autriche sur son déclin qui reste menacée c'est elle donc qu'il convient de soutenir, et c'est ce que le coup d'œil du génie aurait sans doute fait reconnaître aux grands maîtres politiques dont les ministres de Louis XV se piquaient de suivre les leçons, mais en les interprétant avec plus de docilité que d'intelligence, et en s'attachant à la lettre plus qu'à l'esprit.

Au demeurant, le moment va venir, et il


ne tardera pas, où le pas qu'on se refuse à faire, de gré ou de force, il faudra le franchir. Quelques années seront à peine écoulées, et pour un prétexte frivole qui ne prouve que mieux l'incompatibilité d'humeur des deux peuples, l'hostilité sera rallumée entre la France et l'Angleterre, et tout de suite Frédéric aura pris parti contre son ancienne ennemie et pour sa nouvelle alliée par un traité encore défensif dans la forme, mais au fond tout à fait agressif et qui n'est que l'application littérale du plan que nous avons entendu sortir de sa bouche. II faudra bien alors, pour ne pas rester dans un périlleux isolement, que la France se décide à écouter ce que l'Autriche, toujours éconduite, mais jamais découragée, n'aura pas cessé de lui redire. Seulement l'heure favorable sera peut-être passée la nécessité de s'unir étant devenue égale et également reconnue des deux parts, les conditions qu'on aurait pu dicter, il faudra les débattre, et peut-être en subir qu'on n'aurait pas offertes. Faute d'avoir su se décider à temps et prévoir, l'alliance que la France aurait pu accorder en 1748, en 1756 elle sera heureuse de l'accepter.


Quoi qu'il en soit, je crois en avoir dit assez pour affirmer, sans contestation possible, que le fameux changement de politique, tant reproché à Louis XV, loin d'être son œuvre propre, était opéré autour de lui et sans lui et devenu par là même nécessaire avant qu'il eùt songé à y prendre part. Il faut être juste même pour ce souverain digne, sur d'autres points, de tant de reproches.

Cette résolution capitale ne fut de sa part ni l'effet d'une complaisance pour sa maîtresse, blessée d'une épigramme ou flattée d'une caresse royale; ce ne fut pas davantage un acte de dévotion superstitieuse il ne songea pas à réparer par le secours prêté à une puissance catholique le tort fait à la religion par les désordres de sa conduite.

Ces contes, d'une ineptie ridicule, propagés par les flatteurs gagés de Frédéric, répétés par les déclamations démagogiques de nos clubs révolutionnaires, et pieusement transmis ensuite à la crédulité populaire par des historiens français même de notre âge, n'ont pas l'ombre d'un fondement. Le traité de 1756 ne fut point, comme on l'a dit, la faute du règne la faute fut d'avoir attendu pour le conclure une néces-


sité si pressante, que rien n'en avait préparé l'exécution et qu'il ne restait plus qu'à y apposer d'une main tremblante une signature tardive.


Je donne ici quelques fragments de la lettre si curieuse et si caractéristique adressée par MarieThérèse à Kaunitz pour 1 ui dicter sa conduite après la signature des préliminaires. J'ai du en retrancher beaucoup de détails inutiles portant sur des points relativement de peu d'importance et des développements confus et verbeux qui n'ajoutaient rien à la pensée de l'Impératrice et ne faisaient même que la rendre moins claire et moins facile à saisir à travers les formalités pédantesques de la chancellerie autrichienne. Ces extraits donnent en même temps quelque idée de la nature

APPENDICES

APPENDICE A (Page 197.)


des documents que j'ai tirés des archives de Vienne et de la peine que j'ai dû prendre pour en bien déterminer le sens et en faire apprécier la portée.

Vienne, 14 mai n48.

C'est le 7 courant qu'est arrive ton rapport du 30 du mois dernier, par conséquent la nouvelle que la conclusion et la signature des préliminaires entre la France et les deux puissances maritimes est un fait accompli. Même à cette époque, nous n'avons jamais eu la pensée de rejeter sur toi la moindre part de responsabilité, en présence d'un résultat si contraire à nos espérances. Et ce sentiment que nous daignons t'exprimer, ton rapport ultérieur du 3 n'a fait que le confirmer, ou plutôt il l'a justifié sans réserve. Par conséquent, il ne faut point perdre courage. Tout au contraire, l'intérêt supérieur de notre maison te commande, dans la mesure de ton zèle et de ton dévouement, de reprendre pleine et entière possession de toi-même.

Au reste, quand nous avons appris l'événement par ton rapport du 30 du mois dernier, les exigences de la situation devenaient claires. D'une part, il est vrai, il fallait dissimuler en présence des ennemis et des prétendus amis, au lieu de nous opposer inutilement à leur entente déloyale, ce qui n'eût fait que d'envenimer la plaie. Mais enfin, d'autre part, et relativement aux deux points capitaux qui concernent les cessions consenties par le traité de Worms .et la garantie individuelle de la possession de la


Silésie et de Glatz, au profit de la Prusse, nous ne pouvions pas sacrifier nos intérêts au point de souscrire aux manœuvres que nos soi-disant alliés ont combinées contre nous, renchérissant ainsi sur les exigences de l'ennemi. Quant à d'autres objections secondaires dirigées contre le plan qui nous guide, il convenait de céder et d'attendre, avant tout, le dispositif in extenso des préliminaires. D'un autre côté, l'évidence saute aux yeux il n'y a lieu de se fier ni aux ennemis implacables de notre maison, ni à ceux qui, jusqu'à ce jour, ont été nos alliés. Par conséquent, il faut prendre aussi peu de part que possible, pour le moment, aux combinaisons diplomatiques éventuelles, par suite ne renouveler aucune espèce d'engagements, sauf ceux qu'exige impérieusement le rétablissement de la paix.

Rien n'était plus utile pour l'orientation de nos combinaisons futures que le détail des incidents qui se sont produits, depuis le 27 du mois dernier jusqu'au jour de la signature des préliminaires. A ce propos, comme nous l'avons mandé, ta conduite ne soulève aucun reproche. Tout au contraire, nous daignons l'approuver sans réserve. Sans doute, après les leçons si instructives de l'expérience, il n'y a plus lieu de se reposer sur les déclarations nouvelles du comte de Saint-Séverin elles ont beau paraître moins insuffisantes que les précédentes. Mais enfin, ce n'est nullement une raison pour ne pas te conduire dans les négociations à venir, comme si on tenait sa parole pour sincère, bien que dans le fond on ne puisse s'y fier.

Tes récriminations ne sont que trop fondées. Les procédés employés à ton égard, aussi bien par le


comte de Saint-Séverin que par lord Sandwich, nous apparaissent comme une véritable duperie, une duperie d'autant plus étrange, que ni l'un ni l'autre n'avait besoin d'y recourir. Maintenant, qui s'est conduit le plus mai de deux ministres, dont l'un est soi-disant allié, et l'autre ennemi? Les faits parlent assez haut. A coup sûr, ils ont usé tous deux de moyens peu louables. Mais enfin il ne s'ensuit pas qu'il faille s'abstenir de dissimuler son ressentiment, aussi bien devant Sandwich que devant Saint-Séverin. Aujourd'hui, il ne s'agit plus que d'une chose chercher à cicatriser les plaies du passé, dans la mesure du possible, et notamment en faisant appel aux intérêts bien entendus du comte de Saint-Séverin. Sa cour est un peu plus réservée que l'Angleterre dans ses préférences pour la Sardaigne et la Prusse, et il reste une autre observation à formuler. Si, du côté de l'Angleterre, la France a réussi à faire triompher ses combinaisons, relativement au Cap-Breton et aux intérêts de son commerce, en revanche, elle a besoin de notre consentement et de notre concours sur plusieurs points essentiels, et principalement pour satisfaire la cour d'Espagne.

Nous avons appris avec plaisir que, sous le coup de la première impression, tu t'es exprimé non sans quelque vivacité, aussi bien devant lord Sandwich que devant le comte Saint-Séverin, qualifiant ainsi l'indignité des procédés, soit des ministres ennemis, soit des ministres alliés. D'autant que l'expérience nous a fait connaître le caractère de la nation anglaise, tel qu'il s'est révélé, dans les temps anciens comme dans les temps modernes. Quand cette nation a assouvi ses instincts naturels, il est plutôt utile


que nuisible de montrer qu'on ressent le tort subi. Mais, encore une fois, il ne s'ensuit point qu'il faille rompre en visière immédiatement ou briser tout bon rapport. H faut que l'expression de notre sentiment serve à prévenir un danger éventuel si nous paraissions insensibles, on persisterait à sacrifier nos intérêts.

De ce qui précède, il ressort clairement que nous approuvons sans réserve ton attitude.

Sans doute, nous dis-tu, les procédés hypocritse et inconvenants du comte de Saint-Séverin t'ont blessé dans l'âme. Mais, aux yeux d'un serviteur aussi dévoué que tu l'es, le soin de nos intérêts passe avant tout. Et d'ailleurs tu as dû céder à d'autres considérations dont la gravité est évidente. Tu as donc fait violence à tes sentiments et, deux jours après l'événement, tu as tenu au comte un langage plein de modération.

Cette réserve concorde avec les recommandations de notre rescrit du 18 du mois dernier, et il ne te reste qu'à persévérer dans cette voie.

Tout particulièrement, nous approuvons le langage que tu as tenu au comte de Saint-Séverin, après la signature des préliminaires, touchant les concessions du traité de Worms. Avec cette restriction toutefois qu'il ne faut point s'en tenir là. Il est urgent d'insister auprès de Saint-Séverin la déclaration de la neutralité de la France et de l'Espagne n'est nullement subordonnée au consentement de l'Angleterre et de la Hollande. Sans doute, le résultat le plus précieux serait d'obtenir du même coup ce consentement et cette neutralité. Mais enfin il n'y a pas lieu de lier une éventualité à l'autre.


Voici pourquoi.

1° La France et l'Espagne ont encore besoin du concours de notre bonne volonté, pour le règlement de différentes questions graves qui sont posées dans les préliminaires.

La neutralité de la France est d'un plus grand poids pour nous que le consentement des deux puissances maritimes, ou plutôt c'est la seule question qui nous préoccupe.

Enfin et 3°, il y a plus d'espoir de réussir dans le premier cas que dans le second.

A ce propos et pour appuyer ce qui précède, il est une remarque que nous ne pouvons pas négliger. A la vérité, aujourd'hui moins que jamais, il n'y a. lieu de se fier aux belles paroles du comte de SaintSéverin. Mais enfin il ne peut pourtant pas retirer la déclaration qu'il t'a faite, le lendemain même de la signature des préliminaires Z'œu~re de la pact/!ea/tOK commencée, se <?'OMue?'a bien quelques ~'aM <7Mt p<?rme«ron~ de se faire des coHceM:OHs ?HM<Me~/M et <<H'?'tU~' à constituer MK ensemble satisfaisant pOM?' tout le monde pourvu, que /'e~?'<< ~'onimos!<e ne soit point poussé par ~'op /o?M.

Et, pour obtenir du comte de Saint-Sévcrin la déclaration en question, il faut lui faire des confidences personnelles. Nous prenons sur nous de montrer à toutes les nations réputées honnêtes l'injustice et l'illégalité, par conséquent la. nullité de ces cessions.

Nous irons plus loin, dans notre démonstration. L'honneur même de la cour de France est en jeu. Elle ne peut pas s'opposer à nos desseins en cette matière, ni contrarier nos revendications si manifes-


tement légitimes, soit directement, soit indirectement, par sa propre mauvaise volonté, ou par la mauvaise volonté de ses alliés. Cette déclaration nous suffirait. Par conséquent, nous ne songerions nullement à proposer à Saint-Séverin et à sa cour des combinaisons qui seraient en contradiction avec les termes des préliminaires. En revanche, si la France se refusait à cette déclaration, nous penserions pouvoir prétendre à formuler des récriminations légitimes la France s'imprimerait à elle-même la flétrissure d'une injustice manifestement contraire au droit naturel et au droit des gens. Au contraire, en donnant son consentement, elle aura l'assentiment unanime et, de plus, en un instant et sans la moindre peine, elle assurera pleinement la paix générale.

En même temps que tu tiendras compte des renseignements et des propositions qui précèdent, tu dois déployer tous les efforts imaginables pour faire triompher, aux yeux du comte de Saint-Séverin les considérations claires et détaillées, classées et relatives aux concessions du traité de Worms. Il importe d'user de tous les moyens pour obtenir ce résultat il faut que la déclaration de neutralité de la France coïncide juste avec l'époque où l'on fixera le jour des renonciations et des restitutions générales.

Toutefois, au cas où le succès ne serait point possible, il ne faudrait pas retarder pour celaJIes restitutions et les mesures propres à les assurer. Car enfin, in pessimum casum, nous devrions nous contenter d'avoir réservé le prix de notre coopération; après l'exécution des autres clauses du traité de 90


paix il nous sera aussi facile qu'auparavant de reconquérir nos droits, et de rentrer en possession de territoires cédés sous la réserve de certaines éventualités et de certaines conditions.


APPENDICE B (Page 272.)

Nous insérons ici le texte des préliminaires de paix, et celui du traité même d'Aix-la-Chapelle. Ces documents ne sont en général que sommairement et assez imparfaitement analysés dans la plupart des récits de cette époque. Le lecteur trouvera quelque avantage à les connaître sans avoir besoin d'aller les chercher dans les collections volumineuses, qu'on a souvent peine à se procurer.

PRÉLIMINAIRES DE PAIX SIGNÉS

A AIX-LA-CHAPELLE LE 30 AVRIL 1748. Au nom de Sa Très Sainte Trinité, Sa Majesté .TrèsChrétienne Sa Majesté Britannique, et les seigneurs. Etats-Généraux desProvinces-Unies également animés du désir sincère de se réconcilier et de contribuer au prompt rétablissement de la paix générale en Europe,


et persuadés que les autres puissances qui ont jusqu'à présent été ennemies concourront avec le même empressement a des démarches aussi salutaires que celles qui doivent mettre fin aux calamités publiques et ne feront pas difficultés d'accéder à des arrangements dont le bonheur des peuples est l'objet, ont, pour cet effet, donné pouvoir (Suivent les noms des plénipotentiaires.)

l" Les traités de Westphalie, de Bréda de 1667, de Madrid entre les couronnes d'Espagne et d'Angleterre de 1670, de Nimègue, de R.yswic)<, d'Utrecht, de Bade de 17t3, de la Quadruple Alliance, signés à Londres le 2 août IftO, serviront de base aux présents articles préliminaires et seront renouvelés à la réserve des articles auxquels il a été ci-devant ou sera déroge par les présents articles préliminaires.

2" On restituera de part et d'autre toutes les conquêtes qui ont été faites depuis le commencement de la présente guerre, tant en Europe qu'aux Indes orientales et occidentales, en l'état qu'elles sont actuellement.

3° Dunkerque restera fortifié du côté de terre en l'état qu'il est actuellement et, par le côté de la mer, il restera fortifié sur le pied des anciens traités. -4° Les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla seront cédés au sérénissime infant Don Philippe pour lui tenir lieu d'établissement avec le droit de reversion aux présents possesseurs après que Sa Majesté le roi des Deux-Siciles aura passé a la couronne d'Espagne ainsi que dans le cas ou le sérénissime infant viendrait à mourir sans enfants. 5° Le sérénissime duc de Modène sera remis en possession de ses États, biens, rentes, prérogatives et


dignités de la même manière qu'il les possédait avant la présente guerre, ou il lui sera donné un dédommagement de ce qui ne pourrait lui être rendu. 6° On rendra à la sérénissime république de Gènes tout ce dont elle était en possession avant la présente guerre avec les mêmes droits, privilèges et prérogatives dont elle jouissait en l'année 1740. 7° Sa Majesté le Roi de Sardaigne restera en possession de tout ce dont il jouissait anciennement et nouvellement, et particulièrement de l'acquisition qu'il avait faite en 1743 du Vigevanasque, d'une partie du Parmesan et du comté d'Anghiera, de la manière que ce prince les possède aujourd'hui, en vertu des cessions qui lui ont été faites.

8° Sa Majesté Britannique sera comprise dans les présents préliminaires en qualité d'électeur de. Hanovre, ainsi que l'électorat d'Hanovre.

9° Sa Majesté Britannique ayant, en sadite qualité d'électeur de Hanovre, des prétentions à former sur la couronne d'Espagne pour des sommes d'argent, Sa Majesté Très-Chrétienne et tes seigneurs EtatsGénéraux s'engagent d'employer leurs bons offices auprès de Sa Majesté Catholique, pour procurer à Sa Majesté Britannique la liquidation et le paiement de ces sommes.

10° Le traité de /'A~!CH<o pour la traite des nègres signé à Madrid le 26 mars 1713, et l'article du vaisseau annuel sont confirmés par présents articles préliminaires pour les années de non jouissance. 11° L'article V du traité conclu à Londres le 2 août 1718, contenant la garantie de la succession au royaume de la Grande-Bretagne dans la maison de Sa Majesté Britannique à présent régnante, et par


lequel a été réglé tout ce qui peut être relatif à la personne qui a pris le titre de roi de la Grande-Bretagne et à ses descendants des deux sexes, est expressément rappelé et renouvelé par les présents articles préliminaires, comme s'il y était inséré dans tout son contenu. 12° Les prétentions de l'électeur palatin sur le fief de Pleystcin seront renvoyées au congrès général pour être discutées et réglées.

13" Sa Majesté Très-Chrétienne et Sa Majesté Britannique s'engagent à interposer leurs bons offices et leurs soins amiables pour faire régler et décider par le congrès général les différends concernant la grande maîtrise de l'ordre de la Toison d'or.

14° Le Prince élu à la dignité d'Empereur sera reconnu en ladite qualité par toutes les puissances qui ne l'ont pas encore reconnu.

15" Le différend concernant les enclaves de Haynault, l'abbaye de Saint-Hubert, les bureaux nouvellement établis et autres de cette nature sont renvoyés au futur congrès et y seront décidés.

16" La cessation des hostilités entre toutes les parties belligérantes aura lieu par terre dans six semaines, à compter du jour de la signature des présents articles préliminaires, et par mer on suivra les termes portés dans l'acte de suspension d'armes entre la France et l'Angleterre signé à Paris le 19 août 1712. Les restitutions annoncées ci-dessus dans l'article II n'auront lieu qu'à l'accession aux présents articles préliminaires de toutes les puissances qui y sont intéressées.

18° Lesdites concessions, restitutions, établissement du sérénissime infant Don Philippe se feront en même et marcheront d'un pas égal.


i9° Toutes les puissances intéressées aux présents articles préliminaires renouvelleront dans la meilleure forme qu'il sera possible la garantie de la Sanction pragmatique du 19 avril 1713 pour tout l'héritage du feu empereur Charles VI en faveur de sa fille présentement régnante et de sa descendance selon l'ordre établi par ladite Sanction pragmatique, à l'exception cependant des cessions déjà faites par ladite princesse et de celles stipulées par les présents articles préliminaires.

20° Le duché de Silésie et le comté de Glatz tels que Sa Majesté Prussienne les possède aujourd'hui, seront garantis à ce prince par toutes les puissances parties et contractent dans les présents articles préliminaires. 21° Il y aura un oubli général de tout ce qui a pu être fait ou commis pendant la présente guerre, et chacun an prix de l'accession de toutes les parties sera conservé et mis en possession de ses biens, dignités, bénéfices ecclésiastiques, honneurs, rentes dont il jouissait ou devait jouir au commencement de la guerre, nonobstant toutes dépossessions, saisies, ou confiscations occasionnées par la présente guerre.

22° Toutes les puissances qui ont part aux arrangements pris par les présents préliminaires seront invitées à y accéder le plus tôt qu'il sera possible. 23° Toutes les puissances intéressées et contractantes dans les présents articles prélimin nires en garantissent réciproquement et respectivement l'exécution. 24° Les ratifications des présents articles préliminaires seront échangées dans cette ville d'Aix-IaChapelle dans l'espace de six semaines ou plus tôt si faire se peut.

En foi de quoi (suivent les signatures).


ARTICLE SÉPARÉ ET SECRET

En cas de refus ou de délai de la part de quelquesunes des puissances intéressées aux présents articles préliminaires de concourir à la signature et à l'exécution desdits articles, Sa Majesté Très-Chrétienne, Sa Majesté Britannique et les seigneurs États-Généraux des Provinces-Unies se concerteront ensemble sur les moyens les plus efficaces pour l'exécution de ce qui est convenu entre elles ci-dessus; et si, contre toute attente, quelqu'une de ces puissances persistait à n'y pas consentir, elle ne jouira pas des avantages qui lui sont procurés par les présents articles préliminaires. Cet article séparé et secret aura la même force que s'il était inséré mot à mot dans les articles préliminaires conclus et signés aujourd'hui. Il sera ratifié de la même manière et les ratifications en seront échangées dans les mêmes termes que celle des articles préliminaires.

En foi de quoi.

TRAITÉ D'AIX-LA-CHAPELLE 1

ARTICLE PREMIER.

Il y aura une paix chrétienne, universelle et perpétuelle, tant par mer que par terre, et une amitié sincère et constante, entre les huit puissances cidessus nommées, entre leurs héritiers et successeurs, royaumes, États, provinces, pays, sujets et vassaux, de quelque qualité et condition qu'ils soient, sans 1. France, Angleterre, Espagne, Autriche, Hollande, Sardaigne, Gênes, Modène.


exception de lieux ni de personnes; en sorte que les hautes parties contractantes apportent la plus grande attention à maintenir entre elles et leurs dits États et sujets, cette amitié et correspondance réciproque, sans permettre que de part ni d'autre on commette aucune sorte d'hostilités, pour quelque cause, et sous quelque prétexte que ce puisse être; et évitant tout ce qui pourrait altérer à l'avenir l'union heureusement rétablie entre elles, et s'attachant au contraire à procurer en. toute occasion, ce qui pourrait contribuer à leur gloire, intérêts, et avantages mutuels, sans donner aucun secours ou protection, directement ou indirectement, à ceux qui voudraient porter quelque préjudice à l'une ou à l'autre des dites hautes parties contractantes.

ARTICLE II.

li y aura un oubli général de ce qui a pu être fait ou commis pendant la guerre qui vient de finir; et chacun, au jour de l'échange des ratifications de toutes les parties, sera conservé ou remis en possession de tous les biens, dignités, bénéfices ecclésiastiques, honneurs, rentes, dont il jouissait ou devait jouir au commencement de la guerre, nonobstant toutes dépossessions, saisies ou confiscations occasionnées par ladite guerre.

ARTICLE III.

Les traités de Westphalie de 1648; ceux de Madrid entre les couronnes d'Espagne et d'Angleterre, de 1667 et de 1670; les traités de paix de Nimègue, de 1678 et de 1679, de Ryswick, de 1697, d'Utrecht, de


1713 de Bade, de 1714; le traité de la triple alliance de La Haye, de 1717; celui de la quadruple alliance de Londres, de 17t8, et le traité de paix de Vienne de 1738, servent de base et de fondement à la paix générale et au présent traité; et, pour cet effet, ils sont renouvelés et confirmés dans la meilleure forme, et comme s'ils étaient insérés ici mot à mot en sorte qu'ils devront exactement être observés a l'avenir dans toute leur teneur, et religieusement exécutés de part et d'autre, à l'exception cependant des points auxquels il est dérogé par le présent traité. ARTICLE IV.

Tous les prisonniers faits de part et d'autre tant sur terre que sur mer, et les otages exigés ou donnés pendant la guerre et jusqu'à ce jour, seront restitués sans rançon, dans six semaines au plus tard, à compter de l'échange de la ratification du présent traité, et l'on y procédera immédiatement après cet échange; et tous les vaisseaux, tant de guerre que marchands, qui auront été pris depuis l'expiration des termes convenus pour la cessation des hostilités par mer, seront pareillement rendus de bonne foi, avec tous leurs équipages et cargaisons; et il sera donné de part et d'autre des sûretés pour le paiement des dettes que les prisonniers ou otages auraient pu contracter dans les États oit ils auraient été détenus jusqu'à leur entière liberté.

ARTICLE V.

Toutes les conquêtes qui ont été faites depuis le commencement de la guerre, ou qui, depuis la con-


clusion des articles préliminaires signées le 30 du mois d'avril dernier, pourraient avoir été ou être faites, soit en Europe, soit aux Indes orientales ou occidentales, ou en quelque partie du monde que ce soit, devant être restituées sans exception, conformément à ce qui a été stipulé par lesdits articles préliminaires, et par les déclarations signés depuis les hautes parties s'engagent à faire incessamment procéder à cette restitution, ainsi qu'à la mise en possession du sérénissime infant don Philippe dans les États qui lui doivent être cédés en vertu desdits préliminaires; lesdites parties renonçant solennellement, tant pour elles que pour leurs héritiers et successeurs, à tous droits et prétentions, à quelque titre et sous quelque prétexte que ce puisse être, à tous les États, pays et places qu'elles s'engagent respectivement à restituer ou à céder, sauf cependant la réversion stipulée des États cédés au sérénissime infant don Philippe.

ARTICLE VI.

Il est arrêté et convenu' que toutes les restitutions et cessions respectives en Europe seront entièrement faites et exécutées de part et d'autre, dans l'espace de six semaines, ou plutôt si faire se peut, à compter du jour de l'échange des ratifications du présent traité, de toutes les huit parties ci-dessus nommées; de sorte que dans le même terme de six semaines, le Roi Très-Chrétien remettra, tant à l'Impératrice Reine de Hongrie et de Bohême, qu'aux Seigneurs ÉtatsGénéraux des Provinces-Unies, toutes les conquêtes qu'il a faites sur eux pendant cette guerre. L'Impératrice Reine de Hongrie et de Bohême sera


remise en conséquence, dans la pleine et paisible possession de tout ce qu'elle a possédé avant la présente guerre dans les Pays-Bas et ailleurs, sauf ce qui est réglé autrement par le présent traité.

Dans le même temps, les seigneurs États-Généraux des Provinces-Unies seront remis dans la pleine et paisible possession, et telle qu'ils l'avaient avant la présente guerre, des places de Berg-op-Zoom et de Maëstricht, et de tout ce qu'ils possédaient avant ladite présente guerre dans la Flandre dite hollandaise et dans le Brabant dit hollandais et ailleurs. Et les villes et places dans les Pays-Bas, dont la souveraineté appartient à l'Impératrice Reine de Hongrie et de Bohême dans lesquelles leurs hautes puissances ont le droit de garnison, seront évacuées aux troupes de la République dans le même espace de temps.

Le Roi de Sardaigne sera de même, et dans le même terme, entièrement rétabli et maintenu dans le duché de Savoie et dans le comté de Nice aussi bien que dans tous les États, pays, places et forts conquis et occupés sur lui à l'occasion de la présente guerre. Le sérénissime duc de Modène et la sérénissime république de Gênes seront aussi dans le même terme entièrement rétablis et maintenus dans les États, pays, places et forts conquis ou occupés sur eux pendant la présente guerre; et ce, conformément à la teneur des articles XIII et XIV de ce traité qui les concernent. Toutes les restitutions et cessions desdites villes, forts et places, se feront avec toute l'artillerie et munitions de guerre qui s'y sont trouvées au jour de leur occupation dans le cours de la guerre par les puissances qui ont à faire lesdites cessions et restitu-


tions, et ce, suivant les inventaires qui en ont été faits ou qui en ssront délivrés de bonne foi de part et d'autre bien entendu qu'à l'égard des pièces d'artitlerie qui ont été transportées ailleurs pour être refondues ou pour d'autres usages, elles seront remplacées par le même nombre de même calibre ou poids en métal; bien entendu aussi que les places de Charleroi, Mons, Ath, Oudenarde et Menin dont on a démoli tous les ouvrages extérieurs, seront restituées sans artillerie. on n'exigera rien pour les frais et dépenses employés aux fortifications de toutes les autres, ni pour autres ouvrages publics ou particuliers, qui ont été faits dans les pays qui doivent être restitués. ARTICLE VII.

En considération des restitutions que Sa Majesté Très-Chrétienne et Sa Majesté Catholique font par le présent traité, soit à Sa Majesté l'Impératrice Reine de Hongrie et de Bohême, soit à Sa Majesté le Roi de Sardaigne, les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla appartiendront à l'avenir au sérénissime Infant don Philippe, pour être possédés par lui et ses descendants mâles, nés en légitime mariage, en la même manière et dans la même étendue qu'ils ont été ou dû être possédés par les présents possesseurs; et ledit sérénissime Infant ou ses descendants mâles, jouiront desdits trois duchés conformément et sous les conditions exprimées dans les actes de cession de l'Impératrice Reine de Hongrie et de Bohême et du Roi de Sardaigne.

Ces actes de cession de l'Impératrice Reine de Hongrie et de Bohême et du Roi de Sardaigne seront


remis avec leurs ratifications du présent traité, à l'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Roi Catholique; de même que les ambassadeurs extraordinaires et plénipotentiaires du Roi Très-Chrétien et du Roi Catholique remettront, avec les ratifications de Leurs Majestés, à celui du Roi de Sardaigne les ordres aux généraux des troupes françaises et espagnoles, de remettre la Savoie et le comté de Nice aux personnes commises par ce Prince à l'effet de les recevoir; de sorte que la restitution desdits États et la prise de possession des duchés de Parme, Plaisance et Guastalla, par ou au nom du sérénissime Infant don Philippe, puissent s'effectuer dans le même temps, conformément aux actes de cession dont la teneur s'ensuit. (Suit le texte des actes de cession de Marie-Thérèse et du Roi de Sardaigne qui n'ajoutent rien aux dispositions du traité.)

ARTICLE VIII.

Pour assurer et effectuer lesdites restitutions et cessions, on est convenu qu'elles seront entièrement exécutées et accomplies de part et d'autre, en Europe dans l'espace de six semaines, ou plutôt si faire se peut, à compter du jour de l'échange des ratifications de toutes les huit puissances bien entendu que quinze jours après la signature du présent traité, les généraux ou autres personnes que les hauts contractants, de part et d'autre, jugeront à propos de commettre à cet effet, s'assembleront à Bruxelles et à Nice, pour concerter et convenir des moyens de procéder aux restitutions et mises en possession, d'une façon également convenable au bien des troupes, des


habitants et des pays respectifs; mais aussi de sorte que toutes et chacune des hautes parties contractantes se trouvent, conformément à leurs intentions et aux engagements contractés par le présent traité, en possession tranquille et entière, sans rien excepter, de tout ce qui doit leur revenir, soit par restitution, soit par cession, dans ledit terme de six semaines, ou plustôt si faire se peut, après l'échange des ratifications du présent traité de toutes lesdites huit puissances.

ARTICLE IX.

En considération de ce que, nonobstant l'engagement mutuel pris par l'article XVIII des préliminaires,. portant que toutes les restitutions et cessions marcheront d'un pas égal et s'exécuteront en même temps, Sa Majesté Très-Chrétienne s'engage par l'article VI du présent traité, à restituer dans l'espace de six semaines, ou plutôt si faire se peut, à compter du jour de l'échange des ratifications du présent traité, toutes les conquêtes qu'elle a faites dans les Pays-Bas pendant qu'il n'est pas possible, vu la distance des pays, que ce qui concerne l'Amérique ait son effet dans le même temps, ni même de fixer le terme de sa parfaite exécution, Sa Majesté Britannique s'engage aussi de son côté à faire passer auprès du Roi TrèsChrétien, aussitôt après l'échange des ratifications du présent traité, deux personnes de rang et de considération, qui y demeureront en otage jusqu'à ce qu'on y ait appris d'une façon certaine et authentique la restitution de l'île Royale, dite Cap-Breton, et de toutes les conquêtes que les armes ou les sujets de


Sa Majesté Britannique pourraient avoir faites avan ou après la signature des préliminaires, dans les Indes orientales et occidentales. Leurs Majestés TrèsChrétienne et Britannique s'obligent pareillement de faire remettre, a l'échange des ratifications du présent traité, les duplicata des ordres adressés aux commissaires nommés pour remettre et pour recevoir respectivement tout ce qui pourrait avoir été conquis de part et d'autre dans lesdites Indes orientales et occidentales, conformément à l'article II des préliminaires et aux déclarations des 21 et 31 mai et 8 juillet derniers, pour ce qui concerne lesdites conquêtes dans les Indes orientales et occidentales. Bien entendu néanmoins que l'île Royale, dite le CapBreton, sera rendue avec toute l'artillerie et munitions de guerre qui s'y seront trouvées au jour de la reddition, conformément aux inventaires qui en ont été dressés et dans l'état où était ladite place le jour de sa reddition.

Quant aux autres restitutions, elles auront leur effet, conformément à l'esprit de l'article II des préliminaires et des déclarations et conventions des 21 et 31 mai et 8 juillet derniers, dans l'état ou se seront trouvées les choses le 11 juin, nouveau style, dans les Indes occidentales, et le 31 octobre, pareillement nouveau style, dans les Indes orientales. Toutes choses d'ailleurs y seront remises sur le pied qu'elles étaient ou devaient être avant la présente guerre. Lesdits commissaires respectifs, tant ceux pour les Indes occidentales que ceux pour les Indes orientales, devront être prêts à partir au premier avis que Leurs Majestés Très-Chrétienne et Britannique recevront de l'échange des ratifications, munis de toutes les ins-


tructions, commissions, pouvoirs et ordres nécessaires pour le plus prompt accomplissement des intentions de leurs dites Majestés et des engagements qu'elles contractent par le présent traite.

ARTICLE X.

Les revenus ordinaires des pays qui doivent être restitués ou cédés respectivement, et les impositions faites dans ces pays pour le traitement et les quartiers d'hiver des troupes, appartiendront aux puissances qui en sont en possession jusqu'au jour de l'échange des ratifications du présent traité, sans néanmoins qu'il soit permis d'user d'aucune voie d'exécution, pourvu qu'il ait été donné caution suffisante pour le paiement. Bien entendu que les fourrages et ustensiles pour les troupes se fourniront jusqu'aux évacuations. Au moyen de quoi toutes les puissances promettent et s'engagent de ne rien répéter, ni exiger des impositions et contributions qu'elles pourraient avoir établies sur le pays, villes et places qu'elles ont occupés dans les cours de la guerre, et qui n'auraient point été payées au temps que les événements de ladite guerre les auraient obligé à abandonner lesdits pays, villes et places; toutes prétentions de cette nature demeurant, en vertu du présent traité, anéanties.

ARTICLE XI.

Tous les papiers, lettres, documents et archives, qui se sont trouvés dans les pays, terres, villes et places qui sont restitues, et ceux appartenant aux pays cédés, seront délivrés ou fournis respectivement 2i


de bonne foi dans le même temps, s'il est possible, de ta prise de possession, ou au plus tard deux mois après l'échange des ratifications du présent traité de toutes les huit parties, en quelque lieu que lesdits papiers ou documents se puissent trouver, nommément ceux qui auraient été transportés de l'archive du Grand Conseil de Malines.

ARTICLE XII.

Sa Majesté le Roi de Sardaigne restera en possession de tout ce dont il jouissait anciennement et nouvellement, et particulièrement de l'acquisition qu'il a faite en 1743 du Vigevanasque, d'une partie du Parmesan et du comté d'Anghiera, de la manière que ce Prince les possède aujourd'hui en vertu des cessions qui lui en ont été faites.

ARTICLE XIII.

Le sérénissime duc de Modène, en vertu, tant du présent traité, que de ses droits, prérogatives et dignités, prendra possession six semaines, ou plutôt si faire se peut, après l'échange des ratifications dudit traité, de tous ses États, places, forts, pays, biens et rentes, et généralement de tout ce dont il jouissait avant la guerre; lui seront pareillement rendus dans le même temps ses archives, documents, écrits et meubles, de quelque nature que ce puisse être, comme aussi l'artillerie, attirail et munitions de guerre, qui se seront trouvés dans ses pays au temps de leur occupation. Quant à ce qui manquera, ou qui aura été converti en une autre forme, le juste


prix des choses ainsi ûtées, et qui doivent être restituées, sera payé en argent comptant; lequel prix, ainsi que l'équivalent des fiefs que le sérénissime duc de Modène possédait en Hongrie, s'ils ne lui sont pas remis, sera réglé et constaté par les généraux ou commissaires respectifs qui, suivant l'article VHt du présent traité, doivent s'assembler à Nice quinze jours après la signature, pour convenir des moyens d'exécuter les restitutions et mises en possessions réciproques, de sorte que dans le même temps et le même. jour que le sérénissime duc de Modène prendra possession de tous ses États, il puisse entrer aussi en jouissance, soit de ses fiefs en Hongrie, soit dudit équivalent, et recevoir le prix des choses qui ne pourraient lui être restituées. Lui sera pareillement fait justice, dans ledit terme de six semaines après l'échange des ratifications, sur les allodiaux de la maison de Guastalla.

ARTICLE; XIV.

La sérénissime république de Gênes en vertu, tant du présent traité, que de ses droits, prérogatives et dignités, rentrera en possession six semaines, ou plutôt si faire se peut, après l'échange des ratifications du présent traité, de tous les États, forts, places et pays, biens de quelque nature que ce puisse être, rentes et revenus dont elle jouissait avant la guerre; spécialement tous et chacun des membres et sujets de ladite république, rentreront dans le terme susdit, après l'échange des ratifications du présent traité, en possession, jouissance et liberté de disposer de tous les fonds qu'ils avaient sur la banque de Vienne, en


Autriche, en Bohême, ou en quelque partie que ce soit des États de l'Impératrice Reine de Hongrie et de Bohême, et de ceux du Roi de Sardaigne, et tes intérêts leur seront payés exactement et régulièrement à compter dudit jour de l'échange des ratifications du présent traité.

ARTtCLH XV.

Il a été arrêté et convenu entre les huit hautes parties, que pour le bien et affermissement de la paix en général, et la tranquillité de l'Italie en particulier, toutes choses y demeureront dans l'état où elles étaient avant la guerre, sauf et après l'exécution des dispositions faites par le présent traité.

ARTICLE XVI.

Le traité dc )'As!CM<o pour la traite des nègres, signé à Madrid le 26 mars 1713, et l'article du vaisseau annuel, faisant partie dudit traité, sont spécialement confirmés par le présent traité, pour les quatre années pendant lesquelles lajoui-sance en a été interrompue depuis le commencement de la présente guerre; et seront exécutés sur le même pied et sous les mêmes conditions qu'ils ont été ou dû être exécutés avant ladite guerre.

ARTICLE XVII.

Dunkerque restera fortifié du côté de terre en l'état qu'il est actuellement; et pour le côté de mer, il restera sur le pied des anciens traités.


ARTICLE XVIII.

Les prétentions d'argent que Sa Majesté Britannique a, comme électeur de Hanovre, sur la couronne d'Espagne, les différends touchant l'abbaye de SaintHubert, les enclaves du Hainaut et les bureaux nouvellement établis dans les Pays-Bas, les prétentions de l'Électeur palatin et les autres articles qui n'ont pu être réglés pour entrer dans le présent traité, lé seront incessamment à l'amiable, par les commissaires, nommés à cet ell'et de part et d'autre, ou autrement, selon qu'il en sera convenu par les puissances intéressées.

ARTICLE XIX.

L'article Y du traité de la Quadruple Alliance, conclu à Londres le 2 août 1718, contenant la garantie de la succession au royaume de la GrandeBretagne dans la Maison de Sa Majesté Britannique à présent régnante, et par lequel on a pourvu à tout ce qui peut être relatif à la personne qui a pris le titre de Roi de la Grande-Bretagne et à ses descendants des deux sexes, est expressément rappelé et renouvelé par le présent article, comme s'il y était inséré dans tout son contenu.

ARTfCLE XX.

Sa Majesté Britannique en sa qualité d'Électeur de Brunswick-Lunebourg, tant pour lui que pour ses héritiers et successeurs, et tous les États et possessions de Sadite Majesté en Allemagne, sont compris et garantis par le présent traité de paix.


Toutes les puissances intéressées au présent traité, qui ont garanti la Sanction pragmatique du 19 avril 1713, pour tout l'héritage du feu empereur Charles VI, en faveur de sa fille l'Impératrice Reine de Hongrie et de Bohême, actuellement régnante, et de ses descendants à perpétuité, suivant l'ordre établi par ladite Sanction Pragmatique, la renouvellent dans la meilleure forme qu'il est possible; à l'exception cependant des cessions déjà faites, soit par ledit Empereur, soit par ladite Princesse, et de celles qui sont stipulées par le présent traité.

Le duché de Silésie et le comté de Glatz, tels que Sa Majesté Prussienne les possède aujourd'hui, sont garantis à ce Prince par toutes les puissances parties contractantes du présent traité.

Toutes les puissances contractantes et intéressées au présent traité, en garantissent réciproquement et respectivement l'exécution.

Les ratifications solennelles du présent traité, expédiées en bonne et due forme, seront échangées en cette ville d'Aix-la-Chapelle entre toutes les huit parties, dans l'espace d'un mois, ou plutôt s'il est possible, a compter du jour de ia signature.

ARTICLE XXI.

ARTICm XXII.

ARTICU: XX1H.

ART!Cm XXIV.


En foi de quoi, nous soussignés leurs Ambassadeurs extraordinaires et Ministres plénipotentiaires, avons signé de notre main en leur nom, et en vertu de nos pleins pouvoirs, le présent traité définitif et y avons fait opposer le cachet de nos armes.

Fait a Aix-la-Chapelle, le dix-huit octobre mille sept cent quarante huit.

(L. S.) SAINT-SËVERIN D'ARAGON.

(L. S.) LA PORTE MU TUEIL.

(L. S.) SANDWICH.

(L. S.) G. ROBINSON.

(L. S.) W. BENTINK.

(L. S.) G.-A. UASSEL~ER.

(L. S.) J.-V. BORSELA.

(L. S.) 0. X. VAN HAREN.

ARTICLES SÉPARÉS.

1

Quelques-uns des titres employés par les puissances contractantes, soit dans les pleins pouvoirs et autres actes pendant le cours de la négociation soit dans le préambule du présent traité, n'étant pas généralement reconnus, il a été convenu qu'il ne pourrait jamais en résulter aucun préjudice pour aucune desdites parties contractantes; et que les titres pris ou omis de part et d'autre, à l'occasion de ladite négociation et du présent traité, ne pourront être cités ni tirés à conséquence

i. Cet article contient la seule allusion qui soit faite à la protestation que la France avait opposée jusque-)a à la dignité impériale conférée à Marie-Thérèse par l'élection de son époux.


Il

H a été convenu et arrêté que la langue française employée dans tous les exemplaires du présent traité, et qui pourra l'être dans les actes d'accession, ne formera point un exemple qui puisse être allégué, ni tiré à conséquence, ni porter préjudice en aucune manière à aucune des puissances contractantes, et que l'on se conformera à l'avenir à ce qui a été observé et doit être observé à l'égard et de la part des puissances qui sont en usage de donner et de recevoir des exemplaires de semblables traités et actes, en une autre langue que la française; le présent traité et les accessions qui interviendront, ne laissant pas d'avoir la même force et vertu que si ledit usage y avait été observé; et les présents articles séparés auront pareillement la même force que s'ils étaient insérés dans le traité.

En foi de quoi, nous soussignés Ambassadeurs extraordinaires et Ministres plénipotentiaires de Sa Majesté Très-Chrétienne et de Sa Majesté Britannique et des seigneurs États-Généraux des Provinces-Unies; avons signé les présents articles séparés et y avons fait apposer le cachet de nos armes.

Fait à Aix-ia-ChnpeHc, le dix-huit octobre mille sept cent quarante.


APPENDICE C

(PageSSO.)

LA PRISON

DU PRINCE CHARLES-EDOUARDSTUART' 1 C'est le titre que porte le drame composé par le marquis d'Argenson, et qui se trouve dans le dossier de ses papiers au ministère des affaires étrangères. (Fonds de France, n" 502.)

J'en extrais les scènes suivantes

ACTE IV

SCËNH PREMIÈRE.

Le conseil du roi à Versailles.

LE ROI, LE CARDINAL TENCIN, LE MARÉCHAL DE NOAILLES, M. DE MAUREPAS, M. D'ARGENSON, M.DE PUISIEULX.

M. DE puisjEULx(~MMp~~recr<<comMe!M~:) J'ai à demander à Votre Majesté ses ordres sur quelques points principaux de l'exécution de la paix. 1. Scène tirée d'une tragédie anglaise à l'imitation de Shakespeare, traduite (le l'anglais en prose par le S. J!.


Nous revenons au traité d'Utrecht et à celui de Londres, nous allons même plus loin encore quant à la proscription de la maison Stuart; mais cette extension n'est qu'une intégrité plus complète des premières stipulations. Le feu Roi s'était attiré la guerre de 1688, pour avoir reçu en France le roi Jacques II, pour l'avoir traité comme seul roi légitime et pour avoir refusé de reconnaitre le roi Guillaume à la paix de Ryswyck on reconnut le successeur sans pour cela dégrader le prédécesseur et sans lui rien ôter du traitement qui lui avait été accordé; mais a la paix d'Utrecht, l'Espagne, conservée dans la Maison de France, les temps difficiles, un heureux accord terminèrent tant de calamités; l'obligation enfin que nous en eûmes a l'Angleterre, tout fit supporter facilement la dégradation et la proscription de la Maison Stuart; on renvoya à Rome le chevalier de Saint-Georges, on ne reconnut plus sa Maison comme Maison royale. Pendant la minorité de Votre Majesté, le Régent acheva la paix générale; l'Espagne n'était pas encore pacifiée avec l'Empereur ni l'empire Albéroni commençait de nouvelles entreprises qui eussent enflammé l'Europe; on se servit de l'Angleterre pour contraindre l'Espagne et par la on ajouta encore de nouvelles perfections a l'exclusion des Stuart. Il est né des fils au prince malheureux que ses partisans nomment Jacques H[ le roi d'Angleterre demande qu'on traite les fils comme le père, qu'ils n'habitent aucune des terres enclavées dans le royaume, qu'ils résident à Rome, cour non seulement fort distante de l'Angleterre, mais dont l'air même infecte pour ainsi dire leurs droits sur un royaume protestant. Votre Majesté l'a accordé ainsi par le


traité d'Aix-la-Chapelle; il n'est plus question d'en peser ici la justice ou la dignité. Cette proscription des Stuart, ainsi que la démolition du port de Dunkerque, ne sont plus aujourd'hui des sujets d'humiliation pour la France; elles furent accordées dans des temps où elles rachetaient par là de grands malheurs et acquéraient beaucoup de bien et de gloire; il est beau de garder sa parole en tout temps; la guerre dont nous sortons n'était pas pour notre compte. Votre Majesté n'a jamais prétendu y rien gagner, elle n'a fait que suspendre les conventions précédentes; la paix les rétablit. Certainement les Anglais ont plus a cœur l'éloignement du fils du Prétendant que du Prétendant lui-même, Jacques Ht fils de Jacques II. Ils ne regardent plus ce Jacques Ht que comme mort et canonisé mais plus son fils, le prince Edouard a montré de valeur et d'opiniâtreté, plus ils ont à souhaiter de le voir hors de portée d'inquiéter la Grande-Bretagne. Ce sont ces mêmes grandes qualités qu'admirent les uns, que rabaissent les autres, qui nous jettent aujourd'hui dans un très grand embarras et dont il y a peu d'exemples dans l'histoire. (~ de Puisieulx dit ce qui suit sans ~?'p).

Votre Majesté connaît elle-même quels défauts accompagnent et font haïr malheureusement ces vertus du prince Edouard; elle a su quelle vie il mène ici depuis son retour d'Écosse, son peu de docilité, enfin son manque de respect pour un Roi, son bienfaiteur et son appui. Le père de ce prince se montra tout autrement Français dès qu'il sut quelle était la paix d'Utrecht; il se fit honneur de l'obéissance; le sacrifice de ses droits lui parut une trop légère preuve


de la reconnaissance. Le prétendu duc d'York, son second fils, aujourd'hui cardinal, a imité son père, et a même prévenu d'abord les ordres qu'il pressentait. Pour le prince Edouard, il affecte la conduite la plus indécente en toutes choses; je dis qu'il l'affecte, car ses actions peuvent-elles être regardées comme les suites d'une opinion raisonnable ou de quelques espérances prétextées et colorées? Tout a été employé pour rappeler sa raison, négociations, prières, ordres, menaces, lettres de son père et de son Roi; rien ne l'a pu fléchir; tout l'irrite, tout accroît sa résistance et le plonge dans une insolence qui brave le souverain dans le centre même de. son empire.

Sitôt après la signature des préliminaires, je l'avais fait pressentir de ce qui allait arriver; connaissant sa mutinerie naturelle, je prévis bien qu'il résisterait; cette raideur de caractère lui aurait profité si elle eût connu des bornes, car j'avais imaginé de lui procurer un asile en Suisse; le canton de Fribourg le recevait; les Anglais s'y prêtaient, même en secret, connaissant notre embarras; et rien n'était plus heureux à tous égards. Mais le prince Edouard refuse tout, il veut rester à Paris malgré Votre Majesté; il blesse le droit des gens, il viole l'hospitalité accordée, il donne aux sujets de Votre Majesté le terrible exemple de résistance; son hôtel paraît une citadelle ennemie au milieu même de votre capitale; je dis une citadelle, car il est rempli d'armes et de munitions; tous les lieux où il promène son audace paraissent soumis à sa puissance; il y traine une cohorte de partisans et de sujets; spectacles, promenades publiques, églises, il se montre partout avec la hauteur d'un souverain


et le dédain d'un rebelle; il insulte la puissance publique, il affecte et il augmente tout ce qui peut blesser Votre Majesté. Cependant, les otages anglais nous en font des reproches; ils crient avec raison à l'infraction des traités; eux qui répondent sur leurs têtes de l'exécution qu'y doit l'Angleterre. De quelle injustice ne trouvent-ils pas nos manquements? Ainsi Votre Majesté se doit à elle-même, à ses alliés, à ses voisins et à ses peuples la fin d'un spectacle si scandaleux.

Mais il y a plus, Sire; pourvoyons aussi à la conservation de ce même prince, seul reste, pour ainsi dire, de sa triste Maison, seul capable de la faire prospérer, seule espérance de ses droits; on sait qu'il en veut à ses propres jours; il y attentera si on le contraint sans précaution, il porte sur lui nuit et jour des armes à feu et un poignard; c'est la folie qui déshonore le courage.

Dans ces circonstances, quel parti conseiller à Votre Majesté pour terminer tant d'embarras? 11 y a plus de trois mois que dure cette conjoncture. Tout a été tenté, mais tout accroît le mal; je ne puis donc proposer que le parti de la force. Il faut faire arrêter ce prince violent par le régiment des gardes quand il arrivera à l'Opéra, lui faire traverser le Palais Royal et de là l'enfermer à Vincennes, mais la plus essentielle de toutes les précautions est de lui lier les mains et les pieds et de le désarmer; voilà mon avis. LH ROI.

C'est avec peine que je me porte à ce parti; je veux cependant, avant de l'ordonner, savoir les avis de mon conseil parlez, monsieur le cardinal.


Sire, ce sera le plus grand trait de mon obéissance et de mon respect que de dire mon avis dans une affaire qui tient de profondes racines à mon cœur et aux sentiments les plus précieux de ma reconnaissance. Votre Majesté m'ordonna elle-même, il y a dix ans, d'accepter la nomination du Prétendant au cardinalat mes serments me lient à votre couronne et au pape; mes obligations, à ce malheureux Prince et à sa Maison. Mais le premier de mes devoirs est pour mon maître et pour ma patrie. La puissance douce et aimable qui nous gouverne doit être obéie; la moindre tache l'affaiblit et peut la détruire. J'avouerai donc, Sire, que la résistance du Prince Edouard me paraît d'une terrible conséquence; je vois que son père non seulement la désavoue, mais qu'il emploie inutilement l'autorité la plus sainte de père et de roi pour la faire cesser; ainsi ce n'est pas seulement venger les droits de Votre Majesté que de prendre de justes mesures pour renvoyer le Prince Edouard en Italie; c'est même exaucer les prières d'un ami et d'un digne allié tel que le chevalier de Saint-Georges; il réclame votre autorité coercitive pour tirer son fils des mauvais conseils et du désordre. Ce père infortuné est un prince du premier mérite; il ne lui manque que d'être connu personnellement de Votre Majesté pour en être estimé et même admiré; il aime Votre Majesté de tout son cœur; il aime Dieu et le repos des nations, il prie pour les ennemis; son fils, le cardinal d York, a toutes les vertus de ses ancêtres; il en aura. la sainteté sans en avoir essuyé les faiblesses pendant sa jeunesse; ce sera un soldat vierge

IjË CARDINAL DHTtSNCIN.


de l'armée de Jésus-Christ. (Le conseil éclate de t't/'e.} Pour l'âme, j'avoue qu'il est incompatible avec ses supérieurs, dédaigneux avec ses égaux, ingrat avec ses serviteurs; pour quelque courage (que bien des gens lui disputent encore), il nous fait trop acheter ce qu'il a de vertu par ses défauts qui éclatent; il semble être modelé sur les fanatiques du bas peuple qu'il aspire à gouverner. J'en dirais trop, je me contente de conclure qu'il n'y a aucune difficulté à suivre le sage parti que vient de proposer M. le marquis de Puisieulx.

LE MARÉCHAL DH NOAILLES.

Puisque Votre Majesté me permet de parler dans un lieu si respectable par la Majesté qui y préside et par l'importance de ce qui s'y délibère, je dirai ce que mon père et madame de Maintenon disaient souvent au feu Roi dans le secret de leurs conversations familières tout ces ~<Ma?'< ne sont y:<e des <ra!He-po<eKC~qui filent /ew corde; les uns ne sont pas plus raisonnables que les autres; comment Dieu les aiderait-il puisqu'ils ne savent pas s'aider eux-mêmes? M. de Lauzun qui était à la bataillle de la Boyne, ou fut tué le pauvre maréchal de Schomberg, m'a dit que le Roi Jacques lisait son bréviaire au lieu de combattre il n'en n'est pas ainsi véritablement de son petit-fils; il sait se battre, et on a tort de mal parler de son courage à la guerre, mais il est encore plus mauvais politique que son père n'a été mauvais soldat. Pour moi, je voulais qu'on le soutint en Ecosse et qu'il ne fût jamais question de porter nos armes en Angleterre; j'en ai dit souvent ma pensée à Votre Majesté dans son conseil et dans le particulier


où elle me fait l'honneur de m'admettre. Depuis que le Prince Edouard est de retour en France, quelle vie mène-t-il? du libertinage, de la débauche même, à ce que m'a dit le duc d'Agen qui lui trouve d'ailleurs peu d'esprit. Non, Messieurs, ce n'est pas par une telle conduite qu'on s'acquiert la protection de Dieu et le secours des hommes je vous le dis, t/ aura une mauvaise /t~ il sera donc aussi bien a Rome qu'ici. Quand nous aurons besoin de lui, nous saurons bien le trouver et l'avoir à nous. Ce n'est pas entendre la politique que de se livrer à un seul parti il faut donner à penser aux hommes, a espérer à nos ennemis et à craindre a nos amis. Voici un temps nouveau depuis la paix; les Anglais nous recherchent, ils ont besoin de nous plus qu'on ne croit pour des raisons que je sais bien; il faut aujourd'hui leur plaire et les servir. Le temps viendra de leur nuire, je le dirai; d'ailleurs l'Impératrice reine de Hongrie s'intéresse beaucoup à eux on ne connait pas encore ici toutes les vertus de cette Princesse; j'ai beau le dire j'ai prédit juste qu'elle serait impératrice, je ne me suis trompé en rien; je sais qu'elle est remplie d'amitié pour la France; ce serait un grand trait de malhabileté de ne pas profiter de cette occasion pour servir ses intérêts en toutes choses. Je n'en dirai pas davantage, je pense comme M. le marquis de Puisieulx; c'est un ministre fort éclairé; il me croit, il me consulte autant que son prédécesseur s'éloignait de moi sans savoir pourquoi; aussi lui est-il arrivé malheur. Je suis donc du même avis:

M. DH MA UDHPA S.

Ce qui vient d'être proposé a. Votre Majesté étant <le mon département quant à l'exécution, je signerai


ce que Votre Majesté ordonne pour le régiment des gardes et le guet de Paris. La matière est épuisée, et Votre Majesté nous a assez marqué d'avance queUes étaient ses dispositions dans cette affaire; il faut cependant s'attendre à des gazettes anglaises fort choquantes de la part du parti de l'opposition; j'en ai déjà traduit plusieurs et je rendrai compte des autres attendons-nous aussi à. bien des satires et des chansons françaises; je songe à tout j'ai déjà prévenu M. Berryer de ce qu'il avait à faire pour contenir les criards, les nouvellistes et les mauvais Français; ce ne sera pas par moi que le service manquera. Je prévois que madame de Talmont défendra son héros du bec et des ongles, elle le couvrira de son égide; pour elle, elle se pendra à l'anglaise ou se jettera du haut du Pont-Royal. J'ai dit.

M. D'AR&ENSON' <~MM NM' ~*M<C et CM!&a!aMë. Sire, je n'ai pas assez bien suivi cette affaire dans ses différentes phases depuis la paix pour donner mon avis à Votre Majesté avec l'exactitude que mérite son importance; je vois toute la nécessité de faire obéir un grand Roi et de faire cesser un scandale public déjà trop long; mais d'un autre côte, je sais combien le Prince Edouard est digne de compassion. Il serait à souhaiter que sa prudence fût égale à sa valeur; sa situation passée et future doivent toucher également; il a été utile à nos armes pendant le siège de Bruxelles. M. le maréchal de Saxe qui exécuta ce projet avec beaucoup de secret en dut principalement le succès à la diversion d'Ecosse, ce que je ne dis pas i. Ministre de la guerre et frère de l'auteur de ce drame. 22


pour ôter rien de la gloire d'un général qui est cher à Votre Majesté. Je dois ajouterque le Prince Edouard est aimé dans Paris, il a plus d'intrigue qu'on ne croit; il possède des partisans jusque dans les Halles; ainsi l'on ne saurait prendre trop de précautions pour ce grand coup d'autorité puisque l'intention de Votre Majesté est absolument qu'il s'exécute. MM. de Puisieulx et de Maurepas sont doués de toute la prudence et de l'intelligence nécessaires; rien ne manquera par eux ce seront leurs troupes qui s'en chargeront; celles du département qui m'est confié vont se reposer désormais; tout mon soin sera qu'elles coûtent peu aux finances de Votre Majesté et que leur réduction soit faite de façon qu'elles puissent s'augmenter facilement quand la guerre recommencera, avenir que je crois très éloigné par la bonne et sage conduite de l'administration politique.

LE ROI, se levant.

Monsieur de Maurepas, vous me rendrez compte ce soir, à quelque heure que ce soit, de ce qui se sera passé.

ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE.

Le théâtre représente la place du Palais-Royal

et le cul-de-sac de t'Opéra.

M. DE VAUDREUIL, pa~aHt à ses soMa/s et se)~eH<x. Enfants, tout est-il disposé comme je l'ai ordonné, vos armes sont-elles en bon état, les postes sont-ils


placés, vos camarades sont-ils bien travestis, les carrosses de louage sont-ils avancés dans la petite rue?

UN SERGENT.

Oui, mon général, et je me suis avisé de plus de fermer une grille derrière l'Opéra par où le peuple aurait pu accourir par les faux fuyants du PalaisRoyal.

UN AUTRE SERGENT.

Voici les menottes et des cordons de soie pour lier les membres de ce prince si méchant; nous en avons vu bien d'autres.

M. DE VAUDREUtL.

Bon, quelle heure est-il?

LE SERGENT.

Cinq heures sonnées.

UNE MOUCHE.

Monsieur, voilà le Prince qui arrive, son carrosse est vis-à-vis la rue de Richelieu avec un carrosse de suite, qui a été séparé par un embarras. (Le Prince arrive avec sa suite, il descend dans le cul-de-sac, on /'a;')'e~ et on le ~arro~e, on emmené au fond du cul-de-sac où il </M/3ara!<; ceux qui descendent du second carrosse sont aussi <M're<M et menés à la Bastille; la populace et l'affluence de badauds se taisent un ?)!OM!en<, puis s'écrient en chorus

Ah! c'est ce pauvre prince Edouard qu'on arrête et qu'on mène en prison; quel revers, quelle cruauté! 1


UN PETIT MAITRE.

Voilà qui va troubler t'Opéra.

UNE FEMME.

Hélas! c'était un si beau prince?

UN COURTAUD DE BOUTIQUE.

Il était brave comme l'épée qu'il porte; ils font bien de la lui ôter, ces vilains pierrots! voila un exploit digne d'eux.

UNE VIEULH FEMME.

Hé! je me souviens d'avoir été guérie des fièvres par une neuvaine que je fis au tombeau de son grand père, le bon roi Jacques; j'y dis bien des injures au prince d'Orange. Que dira-t-il là-haut, ce saint Roi, quand il parlera au bon Dieu et à la bonne Vierge et quand il leur àpprendra que son petit-fils est emmené ici comme une bête morte? Hélas! le pauvre enfant; on trompe notre bon Roi, ce sont ces vilains maltôtiers qui conseillent tout cela.

UN BADAUD.

Courons vite! on tue tout le monde dans le PalaisRoyal on a beau garrotter le brave Prince, il a déjà tiré vingt coups de pistolet et tué plus de quarante hommes; c'est bien fait.

UN SECOND BADAUD.

Bon, le Prince est déjà bien loin; on lui fait courula poste, on l'emmène dans une citadelle au bout de la France, d'où ces Judas doivent le livrer aux Anglais,


UN SERGENT AUX GARDES.

Taisez-vous canailles, retirez-vous, retenez vos langues ou je vous perce de ma hallebarbe; holà, gardes, faites feu si on n.e se retire. (On dissipe la popMlace.)

FIN



Annonce du congrès au Parlement d'Angleterre. Les puissances ne continuent pas moins les préparatifs militaires. Maurice de Saxe est accusé de vou)oir la continuation de la guerre. H est nomme administrateur des Pays-Bas. Le due de Richelieu reçoit le commandement de Gênes, vacant par la mort du due de Boufllers. Marie-Thérèse presse l'arrivée des auxiliaires russes en Flandre. Frédéric refuse de mettre opposition à leur passage à travers l'Allemagne. Entrée des Russes en Pologne. Le gouvernement français n'appuie pas les seigneurs polonais qui voudraient y mettre obstacle. Arrestation de l'agent français La Salle à Dantzick. Changement subit des dispositions du cabinet anglais, par suite du refus des Hollandais de payer leur part dans les frais de transport du corps d'armée russe. Des propositions de paix sont faites pnr le ministre anglais à la France. Marie-Thérèse qui craint de se laisser devancer, en fait également deson côté. Projet de traité remis en son nom par le ministre de Saxe, le comte de Loos. Puisieulx ne prend pas parti entre les deux propositions. Le comte de Saint-Séverin d'Aragon est nommé plénipotentiaire au congrès et, part pour Aix-ta-ChapeUe.

CHAPITRE PREMIER

LES PRELIMtNAtHES DU CONGRÈS

TABLE


CHAPITRE II

SIGNATURE DES PRULUtINAIRES DE PAIX

L'état d'esprit des diverses puissances et positions prises par chacune d'elles à la réunion du congrès. SaintSéverin, plénipotentiaire de France, traverse Bruxelles et s'entretient avec Maurice de Saxe des projets formés pour la prochaine campagne. Double négociation engagée secrètement par lui, dès son arrivée à Aix-laChapelle avec Kaunitz, plénipotentiaire de France, et Sandwich, plénipotentiaire d'Angleterre. Leurs premiers entretiens. Saint-Séverin parait trouver plus de facilité à s'entendre avec le ministre autrichien qu'avec le représentant de l'Angleterre. Nouvelle subitement répandue de l'envahissement de Maëstricht par Maurice de Saxe. -Trouble que cette surprise cause à Aix-la-Chapelle, à La Haye et à Londres. Les généraux alliés Cumberland et Batthiany opèrent précipitamment un mouvement de retraitf. Le cabinet anglais envoie à Sandwich des instructions modifiées dans un sens de conciliation. Marie-Thérèse, de son côté, se montre disposée à se prêter aux demandes de la France. Elle accueille très mal et congédie sans vouloir Féconter le ministre anglais Robinson qui vient lui proposer des concessions différentes de celles qu'elle charge Kaunitz de proposer à Saint-Séverin. Saint-Séverin et Kaunitz paraissent à la veille de s'entendre. Sandwich communique à Saint-Séverin les instructions modifiées de l'Angleterre. Saint-Séverin se décide brusquement à traiter avec le ministre anglais. Signature des préliminaires de paix par Saint-Séverin. Sandwich et le ministre hollandais Bentink. Consternation et colère des autres plénipotentiaires. Joie générale causée par la signature des préliminaires en France et principalement en France et en Hollande. Les gouvernements français et anglais ratifient les préliminaires. Mécontentement de Maurice de Saxe qui avant de consentir à une amnistie exige la capitulation de Maëstricht. Lettre de Maurice de Saxe à Maurepas. CHAPITRE UI

DERNIÈRES NEGOCIATIONS. LE TIIAITÉ

Nécessité d'expliquer le délai qui s'écoule entre la signature des préliminaires et la conclusion de la paix.


La Sardaigne et l'Espagne se décident, bien qu'à regret, à donner leur accession aux préliminaires. L'Autriche seule continue à s'y refuser. Motifs de sa résistance. Kaunitz rentre en relation avec Saint-Séverin par l'intermédiaire du secrétaire de légation saxon Kauderbach. Saint-Séverin conseille à l'Autriche, au lieu de protester en principe contre les préliminaires, d'essayer d'en modifier les conditions et de l'interpréter dans un sens plus favorable à ses intérêts. Marie-Thérèse se décide à suivre ses conseils. Kaunitz reçoit l'ordre d'accéder aux préHminaires sur des réserves qu'il communique à Saint-Séverin qui n'y fait pas opposition. Cette accession conditionnelle est acceptée provisoirement par les plénipotentiaires d'Angleterre et.de Hollande. SaintSéverin est appelé à Compiègne pour rendre compte au ministre français de la situation. Kaunitz espère obtenir de lui un écrit qui engage la France à ne pas prendre part à l'exécution des clauses des préliminaires que l'Autriche n'a pas voulu accepter. Saint-Séverin de retour à Aix-la-Chapelle ne rapporte aucun engagement de cette nature, qu'il n'a pas même essayé de proposer. DifTérend survenu entre Sandwich et SaintSéverin sur la date de l'évacuation du Cap-Breton. Saint-Séverin prend occasion de ce difïérend pour rentrer en pourparlers avec Kaunitz et l'encourager à prolonger sa résistance. –La négociation paraît suspendue et tout remis en question. Attitude de Frédéric pendant cette négociation. Joie que lui cause la rupture probable de l'Autriche et de l'Angleterre, et l'insertion dans les préliminaires d'une clause qui garantit la conquête de la Si)ésie. Dans la première audience qu'il donne à l'envoyé anglais, il lui annonce le dessein, aussitôt que la paix sera conclue, de s'éloigner de la France et de faire alliance avec l'Angleterre et )a Hollande. Contrariété que lui cause la suspension de la négociation. Il craint d'avoir offensé la France et tend à se rapprocher d'elle. Conversation de Frédéric avec le marquis de Valori qui retourne en France en congé. Impatience causée en France, au public et au roi par le temps d'arrêt de la négociation. Les préliminaires, d'abord favorablement acceptés, commencent à être sévèrement jugés. Saint-Séverin rappelé en France une seconde fois reçut l'ordre d'en finir à tout prix, et on lui adjoint La Porte-Dutheil en qualité de second plénipotentiaire. Le cabinet anglais adjoint pareillement


à Sandwich le ministre à Vienne, Robinson. L'Au-

triche, découragée par l'attitude résolue des ministères

anglais et français, se décide à céder. Conclusion du

traité. Deux pairs d'Angleterre sont envoyés à Paris

en otage pour y rester jusqu'à la restitution du Cap-

Breton. Un article du traité exige que le prince

Edouard, le fils du prétendant au trône d'Angleterre,

quitte la France. Le prince ne veut pas se soumettre

à cette injonction, et malgré les invitations et l'ordre

du roi, on est obligé de faire l'exécution par la force.

Arrestation du prince à l'Opéra; il est conduit à

Vincennes et ne consent à céder qu'à la force. La

pénible impression causée par cette scène douloureuse

accroit la sévérité du jugement porté en France et en

Europe sur tf's conditions de la paix. Conclusion.

État des relations de diverses puissances, et indice

visible des conditions dans laquelle devra s'engager une

nouvelle guerre européenne. n6 ArpEKDiCES. 299

Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.