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Titre : Bulletin de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France

Auteur : Société de l'histoire de Paris et de l'Île-de-France. Auteur du texte

Éditeur : H. Champion (Paris)

Éditeur : E. ChampionE. Champion (Paris)

Éditeur : Librairie d'ArgencesLibrairie d'Argences (Paris)

Éditeur : Société de l'histoire de ParisSociété de l'histoire de Paris (Paris)

Date d'édition : 1931

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34426544g

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34426544g/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 12652

Description : 1931

Description : 1931 (A58).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Île-de-France

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k33031k

Source : Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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DE L'HISTOIRE DE PARIS ET DE L'ILE-DE-FRANCE

BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ



L'HISTOIRE DE PARIS ET DE

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B U LL E TI N

DE LA SOCIÉTÉ

1/ILE-DE-FRANCE

A PARIS

Chez H. CHAMPION Libraire de la Société de l'Histoire de Paris QuaiMalaquais,5 5

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DE



BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE L'HISTOIRE DE PARIS ET DE L'ILE-DE-FRANCE

ig3i

1

COMPTE-RENDU DES SÉANCES

SÉANCES DU CONSEIL D'ADMINISTRATION Tenues à l'École des chartes.

Séance du 13 janvier 1931.

Présidence de M. DUPONT-FERRIER.

Étaient présents MM. Blanchet, Boucher, Deslandres, Dumolin, Dupont-Ferrier, Jarry, Lemoine, Lesort, Martin, Perrault-Dabot. Assistaient à la séance M°"'s et Mlles Auvray, Barry, Baudry, Brille, Courtois, Coutin, Gellet, Gillet, Guénée, Jullien, Lang, Mauclaire, Pierre, Rizet, Robert, Schwérer, Weill.

MM. Brame, Dupieux, Frémy, Gouge, Le Corbeiller, Méret, Normand, Prieur, Vaugelade.

Excusés MM. Aubert, Perrachon, Samaran.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. M. Paul Dupieux accepte le poste de trésorier adjoint en remplacement de M. Héron de Villefosse, retenu par d'autres fonctions. Sont admis sur les présentations requises le Dr Bourgeois, laryngologiste des hôpitaux, et M. Max Terrier, attaché au musée Carnavalet M°"*s Sarrente et Paul Fontan Mlles Wassner, Billye-Kaufman et Dyne Steel.

Dans une causerie sur l'agitation parisienne à la suite des réformes de Maupeou, en 1771-1772, M. Dupieux essaye de montrer comment


la répression du chancelier s'exerça contre des colporteurs de libelles, des avocats frondeurs et sans causes, au lieu d'atteindre les responsables eux-mêmes. Il décrit la misère des gens de loi qui avaient fermé leurs études, après la suppression du Parlement de Paris. I~enclos du Temple était devenu, sous la protection du prince de Conti, du bailli Lepaige, du commissaire de police Cochois, un véritable quartier général, d'où l'on expédiait dans des tonneaux les brochures prohibées, qui de là étaient diffusées dans les jardins et les promenades de Paris. Le travail de M. Dupieux a été composé surtout avec des documents tirés des Archives de la Bastille il ajoute quelques détails nouveaux à l'histoire du Temple et aussi du mécontentement qui régna dans Paris en 1771-1772.

M. Henri Lemoine retrace les mésaventures des colons parisiens envoyés en Algérie à la suite du décret du 19 septembre 18~.8. Les demandes affluèrent venant de nombreux ouvriers sans travail, alléchés par les promesses du gouvernement. Paris fournit un contingent imposant de maçons, terrassiers, charrons, charpentiers et, ce qui étonne davantage, de tailleurs, d'ébénistes et de bijoutiers. Le premier convoi partit du quai de Bercy le 8 octobre, sans grand enthousiasme d'ailleurs, et sur des bateaux plats qui devaient en remorque les conduire par la Seine, les canaux et le Rhône jusqu'à Arles. De là, ils devaient gagner Marseille, port d'embarquement. D'Algérie, certains écrivirent à leurs maires respectifs, et leurs lettres laissent paraître quelque désenchantement. D'autres firent de leur nouvelle résidence un lieu enchanteur. Mais la ténacité de ces premiers colons eut raison de toutes les dinicultés. La prospérité actuelle de l'Algérie montre quelle différence il y eut, malgré la hâte des premiers envois, entre cette entreprise qui rendit si florissante une de nos meilleures colonies et les utopies d'un marquis de Rays dont M. Lucas-Dubreton contait récemment les déboires, et qui, trente ans plus tard, devait si mal réussir avec sa colonie du Pacifique.

Séance du 10 Mvrier 1931.

Présidence de M. DupoNT-FERRiRn.

Étaient présents MM. Auvray, Barroux, Blanchet, Deslandres, Dumolin, Dupieux, Dupont-Ferrier, Jarry, Lemoine, Lesort, Meurgey, Martin, L. Mirot, Perrault-Dabot, de Rochegude.

Assistaient à la séance M'°ss et M"ss Barry, Batézat, Baudry, Corre, Courtois, Coutin, Guénée, Houllier, Hue, Huerre, Kowalska,


Latarse, Le Châtelier, Oster, Georges-Oudard, Poidevin, Robert, Schwérer, Wassner, Weill.

MM. Billaudel, Brame, Brosselin, Casidanus, Chevet, Coutelier, Crépin, Edwards, Marquet, A. Mirot, Méret, Motel, Léo Mouton, Ojardias, Olivier, Perrachon, Perrat, Vaugelade.

Excusés MM. Adhémar, Boucher, Janrot, chanoine Pisani, Samaran.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. Sont admis sur les présentations requises vicomtesse de Vassal, M"~ Suzanne Robert, M. Granger, conservateur des Eaux et Forêts. M. Albert Mirot lit une étude sur l'hôtel de la Barre du Bec. Dans ses recherches historiques sur Paris, Sauvai mentionne l'existence, en la rue de la Barre-du-Bec, d'un hôtel ayant appartenu aux abbés de l'abbaye bénédictine normande du Bec-Hellouin, et où avait habité au commencement du xve siècle le célèbre prévôt de Paris, Tanguy du Chastel, qui s'illustra en emportant à la Bastille le dauphin Charles, futur Charles VII, lors de l'entrée des Bourguignons à Paris en 1~.18.

Cette rue de la Barre-du-Bec, dont le nom a persisté dans la topographie parisienne jusqu'au milieu du xixe siècle, tirait son nom de l'hôtel des abbés du Bec-Hellouin. C'est par erreur que Sauvai a voulu voir dans cette rue deux maisons, l'une dite de la Barre-du-Bec, l'autre dite du Bec-Hellouin en réalité, il n'y eut qu'une seule et même maison, celle des abbés du Bec, qui y avaient établi leur barre de justice, d'où le nom de la maison de la Barre-du-Bec malgré l'opinion du marquis de Rochegude, qui voit en l'hôtel de la Barredu-Bec, et en l'hôtel du Chastel, deux maisons différentes, l'étude des documents montre que ces deux hôtels furent en réalité le même. Sis aux numéros 14 et 16 de la rue actuelle du Temple, cet hôtel tenait d'une part à une ruelle disparue de nos jours, et appelée alors rue Dorée, et plus tard cul-de-sac Sainte-Croix d'autre part, vers la rue de la Verrerie, il tenait aux dépendances de l'hôtel de Pierre de Canteleu, maître en la Chambre des Comptes de Paris, dont l'entrée principale se trouvait rue de la Verrerie par devant, il aboutissait à la rue de la Barre-du-Bec et par derrière aux jardins des Baillet et des Gentien.

Il comprenait deux pignons sur la rue de la Barre-du-Bec, avec un appentis sur la porte, cour et jardin, deux corps de bâtiments y donnant, étables, puits et issue sur la rue Dorée.

Au xiii~ siècle, cet hôtel appartenait déjà aux abbés du Bec. Parmi les cens touchés par le chapitre de Notre-Dame, on relève la mention d'une maison sise à l'opposite de l'hôtel de la Barre-du-Bec, vers le four du Temple. Les abbés du Bec, qui nommaient aux cures de


Saint-Gervais et de Saint-Jean-en-Grève, possédaient aussi des biens aux environs de Paris, entre autres lieux à Liancourt. En 1396, ils vendirent à Jean Bertault, secrétaire de Charles VI, leur maison de la rue de la Barre-du-Bec, moyennant une rente annuelle de 40 livres parisis, rente qu'ils cédèrent en 1403 au collège de Dormans-Beauvais et aux Chartreux de Vauvert.

A cette date, l'hôtel de la Barre-du-Bec était habité par Jacques Dupuy et, en 1414, un Lucquois, Gauvain Trente, y demeurait; celui-ci, refusant de payer la rente de 40 livres parisis aux Chartreux et au collège de Dormans, une sentence du prévôt de Paris le menaça d'une saisie, saisie qui dut être exécutée par la suite, puisque bientôt cet hôtel passait entre les mains du nouveau prévôt de Paris, Tanguy du Chastel. Celui-ci y demeura jusqu'en 1418, et, après sa fuite, occasionnée par l'entrée des Bourguignons dans la capitale, l'hôtel demeura vide. En 1425 seulement les Chartreux et le collège de Dormans s'occupèrent de leur rente sur cette maison. Un long procès avec Pierre de Canteleu, au sujet de dépendances de l'hôtel du Bec, rattachées à l'hôtel de Canteleu et contestées par les parties, avait absorbé leur activité un accord intervint heureusement entre les parties, qui se trouvèrent unies pour réclamer l'hôtel de la Barre-duBec, les Chartreux ayant vendu leur part à Pierre de Canteleu. Bien

que confisqué par le Roi, comme ancienne possession d'Armagnac

l'hôtel fut rendu aux réclamants, qui le louèrent à un certain Guillaume Rose pour 18 livres tournois de loyer annuel.

Las d'une communauté peu avantageuse, Pierre de Canteleu demanda en 1429 le partage de l'hôtel. Un état des lieux dressé en 1429 par des experts-jurés montra l'état de délabrement dans lequel se trouvait cet hôtel, auquel il fallait faire pour 400 livres de réparations afin de le rendre habitable. En mars 1429, le partage eut lieu, mais les nouveaux propriétaires élevèrent d'âpres contestations au sujet du montant des réparations ce ne fut qu'en 1435 que le roi Henri VI mit fin à ces disputes en déclarant que chacune des parties payerait le montant des réparations suivant la part qui avait été attribuée à chacune d'elles. Ce ne fut cependant qu'en 14.56 que l'hôtel fut définitivement partagé.

M. Perrat fait ensuite une communication sur les Origines d'Étienne M~ee/; il essaye de préciser, sur certains points, l'histoire des ancêtres du prévôt des marchands, particulièrement des trois Marcel, qui ont porté le prénom de Pierre à la fin du xins siècle et de Martin Marcel, qui a fait partie de l'hôtel du roi au temps de Philippe le Hardi. Perrat attire l'attention de la Société sur cinq mandements du roi de Sicile Charles II d'Anjou, dont il a retrouvé la copie aux Archives de l'État à Naples. De ces documents qui s'échelonnent chronologiquement entre les années 1290 et 1295, quatre sont adres-


sés à Pierre Marcel, marchand et bourgeois de Paris un seul aux échevins de Douai, avec lesquels Pierre dut se mettre en rapports pour l'exécution d'une commande de draps. Il s'agit, sans doute, de Pierre II Marcel, grand-père du prévôt Ëtienne. M. Perrat se réserve de publier prochainement ces textes, encore inédits, qui éclairent la physionomie d'un personnage jusqu'ici très mal connu et montrent le rôle qu'il a joué auprès du roi de Sicile, dont il a été le fournisseur, le banquier et, dans une certaine mesure, le confident.

Séance du 10 mars 1931.

Présidence de M. DUPONT-FERRIER.

Étaient présents MM. Auvray, Barroux, Batiffol, Deslandres, Dumolin, Dupieux, Dupont-Ferrier, Jarry, Lemoine, Lesort, Martin, L. Mirot, Viard.

Assistaient à la séance M"~s Miles Barry, Baudry, Courtois, Coutin, Digne, Georges-Oudard, Godart, Guénée, Houllier, Jean, Latarse, Le Maire, Méret, Oster, Pagniez, Poidevin, Mag. Robert, Schwérer.

MM. Billaudel, Didot, R. de Courcel, Edwards, Laurain, Lebègue, Le Corbeiller, Maquet, Marichal, Méret, Motel, Ojardias, Pagès, Quiéde ville.

Excusés MM. Marcel Aubert, Boucher, Samaran.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. Sont admis sur les présentations requises

Mme R. de Courcel, Courroy, Bonnel le comte Allard du Chollet MM. Marin et du Verdier.

Les appartements de Mme de Genlis à l'Arsenal font l'objet d'une étude de M"s Schwérer (en littérature Jean Harmand). Ils sont au nombre de deux et furent occupés par Mme de Genlis, de 1802 à 18 il. Le plus connu, au premier étage, a été longtemps désigné, à tort, comme faisant partie des salons de la duchesse du Maine un entresol s'y ajoutait, aménagé par Mme de Genlis et que des pièces récemment classées (Arch. nat., F13 1057-1058) ont permis de reconstituer. Une correspondance curieuse échangée alors entre Mme de Genlis et le ministre Champagny renseigne agréablement sur son influence et sur ses démêlés avec l'administrateur Ameilhon. Ce dernier ne cessera de réclamer, x dans l'intérêt de la Bibliothèque le départ d'une voisine que nul titre, sauf la faveur impériale, ne désignait à sa sympathie, et il obtiendra en 1805 le transfert


de Mme de Genlis au second étage. Mais l'hostilité d'Ameilhon la privera toujours de la jouissance des jardins, attachée aux appartements qu'elle occupe.

Grâce aux mêmes sources, ces jardins aujourd'hui disparus, ainsi que la disposition des bâtiments et l'état de leurs habitants, ont pu nous être connus. Parmi les hôtes de l'Arsenal, ceux qu'introduisit à demeure Mme de Genlis formaient une véritable petite colonie dont le principal bénéficiaire fut le fameux Casimir Baecker, logé à l'entresol qu'il conserva jusqu'en 1812. A cette époque, Mme de Genlis, contrainte par l'humidité d'abandonner un appartement dont murs et lambris s'effondraient, quitta l'Arsenal contre indemnité de 8,000 francs. Ameilhon presque aussitôt mourait.

M. Dupont-Ferrier fait une communication sur l'origine, le nom et l'emplacement exact de la Cour des aides de Paris, aux xiv~ et xve siècles principalement. Il donne les lignes générales et les conclusions d'une étude approfondie qu'il se propose de publier sur cette institution fameuse et dont les registres de plaidoiries, conservés aux Archives nationales dans le fonds Z~ i, aujourd'hui classé, lui ont permis d'établir la genèse et l'évolution.

Les généraux sur la justice des aides ont été séparés des généraux sur la finance dès 1370, au plus tard, puis en 1380, 1389, 1391, 1418, 1425, 1464 dans l'intervalle, les aides étant provisoires, ils ont été supprimés plusieurs fois. C'est sous Charles VII en 1425, puis, après une éclipse en 1462-1463, sous Louis XI, qu'ils ont fini, en 1464, par obtenir leur statut définitif.

2° Le nom donné à leur collège a été, aux xivs et xve siècles, tout à la fois Cour des aides et Chambre des aides. Le mot Cour n'a donc pas succédé au mot Chambre, comme on l'a cru jusqu'ici. Lorsque Cour n'est pas synonyme de Chambre, il désigne, de préférence, le personnel, le mot Chambre désignant spécialement le local. 3° La Cour ou la Chambre a toujours siégé à Paris, sauf pendant l'occupation anglaise, de 1420 à 1436 Charles VII les fixa momentanément à Poitiers, de 1425 à 1436. A Paris, la Cour ou la Chambre ont occupé au Palais deux emplacements le premier dans la cour actuelle de la Sainte-Chapelle, sur le côté oriental de la Chambre des comptes, laquelle occupait la moitié ouest de ladite cour actuelle. A partir de 1477, la Chambre ou Cour des aides a été, sur sa demande, transférée par Louis XI au-dessus de la galerie des_Merciers (galerie marchande d'aujourd'hui) elle y resta jusqu'à la Révolution. Les deux incendies du Palais, en 1737 et 1776, endommagèrent gravement ses archives, qui même auparavant, au témoignage de Boulin, qui les consulta dès avant 1737, étaient fort loin d'être complètes.


II

VARIÉTÉS

CLAUDE CHAHU, SEIGNEUR DE PASSY

Le nom de Claude Chahu, donné en 1881 à une rue du XVIe arrondissement, ne doit pas dire grand'chose aux habitants du quartier. Les érudits le connaissent comme celui d'un seigneur de Passy, qui agrandit le château et fit construire l'église du lieu. Mais la vie parisienne du personnage est restée jusqu'ici ignorée. Les treize cartons de papiers qui la racontent aux archives de l'Assistance publique (Hôtel-Dieu, liasse 1065) ont été déjà signalés~, mais non analysés. Ils offrent cependant un ensemble exceptionnel de documents pour l'histoire d'une famille du xvus siècle et, s'ils ne nous renseignent pas sur la vie intellectuelle et morale des acteurs, comme le ferait une correspondance privée, ils nous relatent leur vie sociale à une époque particulièrement curieuse et nous montrent comment la bourgeoisie s'élevait rapidement à la fortune et aux honneurs, soit par ses capacités et son travail, soit par ses fonctions dans l'entourage du souverain. C'est à ces différents titres qu'il a paru intéressant d'extraire l'essentiel de ces documents.

La f amille. Les Chahu étaient Parisiens, au moins depuis la pre-

mière moitié du xvie siècle. Mais les papiers de Claude ne renferment aucun renseignement sur ses ascendants lointains, en dehors d'une copie de lettres d'anoblissement délivrées par le roi Philippe de Valois, en mars 13~.5, à un Jean Chahu, son valet de chambre, en récompense de ses services et de ceux de Jean, son père, qui l'avait précédé dans les mêmes fonctions. Rien n'établit la filiation de nos Chahu avec ceux-là et les actes que nous possédons, peut-être oubliés à dessein par le seigneur de Passy, la contredisent.

En 1537, une Jeanne Chahu était femme de Claude Le Normant, notaire au Châtelet~. Le 2 mai 1559, un Guillaume Chahu, « praticien » au Palais, fils de Guillaume, procureur au Parlement, et de

Par le Dr Paul Raymond, avec de grosses erreurs, dans le Bulletin de la Société d'Auteuil-Passy, 1 (1893), p. 112-116. Les cartons n'ont pas de numéros spéciaux. Je prie M. Gaussen, archiviste de l'Assistance publique, de trouver ici l'expression de ma gratitude.

2. Arch. nat., Y 92, fol. 90.


Philippe Guerreau, fit donation à ses nièces Anne et Marguerite Chastellier de tous les biens lui venant de ses parents, ou pouvant lui venir de ses frères Michel et Jean, religieux Célestins~. C'est peutêtre à ce Guillaume Chahu qu'une note laconique de d'Hozier donne pour armes d'argent à une écrevisse de gueules posée en bander blason fort différent, comme on verra, de celui des Chahu qui nous occupent.

Le 9 juillet 1564, René Guillemot, procureur au Parlement, fit donation de terres près de Melun à ses deux filles, dont l'aînée, Renée, était femme de Gilles Chahu, avocat au Parlement s. Il s'agit bien cette fois du grand-père de Claude, qui devait être cousin du Guillaume précédent, tous ces Chahu gravitant autour du Palais. Le 8 mars 1576, devant Roger Rozé, fut signé le contrat de mariage d'Anne Chahu, fille de Gilles, avec François du Pleis, avocat au Parlement, et l'on ne trouve, du côté de la future, qui avait ~.ooo livres de dot, aucun parent mentionné, ses frères et sœur étant sans doute en bas âge. Le même jour, François du Pleis fit donation à sa fiancée de tous ses biens4. Le 3 janvier 1581, Mathurine de Rieu, veuve de Jean de Sainctyon, avocat, donna une somme de 600 livres à Gilles Chahu et sa femme qui, le 13 août 1582, acquirent une rente gagée sur une maison de Palaiseau6.

Le 21 septembre 1586, devant Pierre Cottereau, fut signé le contrat de mariage de leur fils, Emmanuel-Guillaume Chahu, avocat au Parlement, avec Léonor de Moiron, fille de Gaspard, procureur au Parlement, et de défunte Marguerite Ysembart, qui apportait en dot 2 666 écus deux tiers, valant 8 ooo livres tournois. Figurèrent cette fois dans l'acte, du côté du futur, outre ses père et mère, ses beauxfrères François du Pleis, avocat au Parlement, et Claude (Le) Sergent, procureur aux Comptes, lequel avait épousé, comme on verra, Charlotte Chahu'. Le 16 février 1590, Emmanuel Chahu, devenu substitut du procureur général, reçut les droits des frères Brethe et de leur sœur sur une rente de 100 livres~.

On s'étonne de ne pas voir mentionnés dans le contrat de 1586 les deux frères d'Emmanuel Chahu, Philippe et Balthazar, qui devaient

l. Arch. nat., Y 100, fol. 16~ v°.

3. Bibl. nat., PO 645, dossier 15185.

3. Arch. nat., Y 105, fol. 178 v°.

4. Arch. nat., Y 117, fol. 167 et 169.

5. Arch. nat., Y 122, fol. 330.

6. Arch. nat., Y 12~, fol. 9~ v".

7. Arch. nat., Y 128, fol. 180. Le contrat de Claude Le Sergent et Charlotte Chahu n'a pas été insinué au Châtelet.

8. Arch. nat., Y 131, fol. ~23.


être déjà grands, sinon majeurs, puisque, en 1596, Balthazar était receveur général des gabelles en Champagne~, et puisque, le 20 février 1599, devant Rossignol, Philippe, secrétaire du Roi, signa son

contrat de mariage avec Louise Duhamel, fille de défunts Louis Du-

hamel, sieur de Guibeville, maître des Comptes, et Nicole Hotman 2. Il n'est parlé, dans cet acte, que de son frère Balthazar et de sa sœur Charlotte, et aucun papier laissé par Claude Chahu, fils de Philippe, ne fera allusion à sa tante Anne et à son oncle Emmanuel, qui avaient dû mourir avant 1599 sans postérité et que nous ne connaissons que par les insinuations au Châtelet précitées~. Le mariage de Philippe, que les affaires avaient sans doute déjà mis sur la voie de la fortune, le faisait entrer dans une famille bourgeoise, mais plus relevée que la sienne. Les Duhamel, ou du Hamel, étaient originaires de Normandie' Le père de Louise, reçu auditeur aux Comptes en 1563, puis maître le 16 juillet 1572, était seigneur de Guibeville, près d'Arpajon, et était mort en 1595. De sa première femme, Louise Ripault, morte en 1576, il avait eu trois enfants, Marie, Pierre et Madeleine. La seconde, Nicole Hotman, sœur de François, trésorier de l'Épargne, lui en avait donné cinq autres, Lucrèce, Catherine, Anne, Louise et Nicolas, et était morte en mars 1597, le partage de sa succession et de celle de son mari ayant été fait par Privé le 17 juin suivant.

A ce moment, sa fille Marie avait épousé Nicolas Ladvocat, conseiller d'État. Pierre, auditeur aux Comptes depuis 1590, allait être reçu maître le 28 avril 1598 et épouser Marguerite de Beaulieu. Lucrèce était femme de Laurent Le Lectier, receveur général des finances à Tours, et Anne, d'Honoré Barentin, secrétaire du roi, plus tard maître de la Chambre aux deniers, trésorier des parties casuelles et seigneur de Charonne. Catherine était religieuse à Longchamp. Louise apportait à Philippe Chahu 2 500 écus en espèces et des rentes, et son oncle François Hotman y ajoutait 2 ~oo écus. Le jeune

ménage s'installa rue de la Verrerie. Le 7 avril 1601, Pierre Duhamel

prieur commendataire de Saint-Remy-l'Abbaye, près Clermont-enBeauvaisis, fit donation de 200 écus de rente à ses neveux et nièces, parmi lesquels Louise Duhamel et son mari Philippe Chahu 5. Le

i.Bibl. nat., PO 645, dossier 15185.

2. Papiers Chahu, Hôtel-Dieu, liasse 1065.

3. Une Jeanne Chahu, femme de Jean de Popincourt, marchand boucher, citée en 1599 (Arch. nat., Y 138, fol. 316 va) et une Judith Chahu, citée en 1616 (Y 157, fol. 28), paraissent sans liens avec les nôtres. II portaient D'or au chevron de gueules, accompagné de trois têtes de chien braque de sable.

5. Arch. nat., Y 140, fol. 31~.


a novembre 1600, celui-ci avait acquis, pour 6000 écus sol, une charge de trésorier triennal de la Marine du Levant et fut reçu à la Chambre des Comptes le 5 juillet 1601. Son beau-frère Claude Le Sergent, sieur de Faronville, avait été reçu auditeur aux Comptas .le 20 avril 1595 il devait passer correcteur le 18 septembre 1615 et rester en exercice jusqu'en 1617~.

Le 17 février 1602, devant Laurent Hauldesens, son frère Balthazar Chahu, seigneur d'ËtiolIes, qui venait d'acquérir une charge de secrétaire du roi et demeurait avec lui rue de la Verrerie, signa son contrat de mariage avec Françoise Gayant, fille de Thomas, seigneur de Varastre, président au Parlement, et de Marie Bochart, qui lui apportait des terres à Villoison et à Lieusaint, plus 225 écus de rente. Assistèrent à la cérémonie, du côté du futur, son frère Philippe et sa sœur Charlotte, du côté de la future, son frère Pierre, avocat, ses beauxfrères Antoine Brandon, trésorier de France à Caen, et Claude Lelièvre, seigneur de Mesnillet, secrétaire du roi, et son cousin germain Adrien Gayant, seigneur de Maucour 2. Cette union faisait aussi entrer Balthazar dans un excellent milieu. Le 11 juillet 1603, demeurant toujours rue de la Verrerie, il donna à sa nièce Anne du Pleis 200 livres de rente 2.

Pour en finir avec lui, disons que, dès 1603, il résigna son office de secrétaire du roi, acquit celui de trésorier de France en Bretagne et s'en fut résider à Nantes, où il acheta la terre de Montanger-la-Papotière. Le 8 janvier 1617, devant Bodin, notaire à Nantes, lui et sa femme se firent donation mutuelle de tous leurs biens au survivant et l'acte fut insinué, le 28, au Châtelet 4. Ils avaient, cependant, quatre enfants, Henri, plus tard trésorier de France en Bretagne, comme son père, et époux de Marguerite du Plessis Judith, mariée à Isaac de Liscouet, vicomte du Boschet, Marie, épouse, en 16~.5, de Paul Le Prévost, seigneur d'Oysonville, mestre de camp de cavalerie et lieutenant du roi en Alsace, et Françoise, mariée à Guillaume Bidé, sieur de la Bidière~. Balthazar Chahu mourut à Nantes en 1617. Revenons à Philippe Chahu, à qui trois enfants étaient nés, entre

i. Il portait D'azur à trois gerbes d'or liées de gueules.

2.Arch.na.t.,Yi~l,foI.8z.

3.Arch.na.t.,Yi~2,foI.i~.2.

4. Arch. nat., Y 157, fol. 397.

5. Il mourut à Paris, rue de Vaugirard, le 17 janvier 1679 et, veuf et sans enfants, légua ses biens à l'Hôtel-Dieu. Ses papiers (liasse 106~) n'intéressent pas l'histoire parisienne.

o. Bibl. nat., PO 6~5, dossier 15185, et Dossiers bleus 163, n" 4201. Françoise Le Prévost épousa Bernard Briçonnet, marquis d'Oysonville, lieutenant des chasses à Saint-Germain, et Françoise de la Bidière épousa René de Bue, marquis de la Guerche.


1599 et 1604, Claude, Philippe et Charlotte. Au début de 1606, il dut se rendre à Marseille, pour exercer sa charge, laissant sa famille à Paris. Une terrible épidémie de peste y sévissait et Louise Duhamel en mourut. Son inventaire fut fait par Le Voyer, rue de la Verrerie, le 14 mars et jours suivants. Son mari, qui était revenu y assister, repartit bientôt pour Marseille, confiant ses enfants et ses meubles à sa sœur et à son beau-frère Le Sergent, rue du Coq, paroisse SaintJean-en-Grève. A peine à son poste, Philippe Chahu mourut le

17 juillet 1606. Dès la veille, par ordre de Philippe-Emmanuel de

Gondi, comte de Joigny, général des Galères, les scellés avaient été apposés chez lui sur les coffres renfermant l'argent de l'État. Pierre Duhamel, demeurant rue Culture-Sainte-Catherine, fut nommé tuteur des trois orphelins et Claude Le Sergent subrogétuteur. Le 27 janvier 1607 et jours suivants, Le Voyer fit l'inventaire des meubles et bijoux laissés chez ce dernier, dont la vente, le 13 avril, produisit 4 439 livres 2 sous 10 deniers. Pour qu'elle pût avoir lieu, il fallut que les plus notables habitants du quartier certifiassent qu'aucun danger de maladie contagieuse n'y était à craindre. Le 19 février 1607, Duhamel et Le Sergent cédèrent, pour 40 000 livres la charge de trésorier de la Marine à Aymé Sirou, qui avait épousé ou épousa plus tard Élisabeth Le Sergent, fille de Claude, et qui était le prête-nom de Martin Le Sergent, frère de celui-ci.

Le MM~ag~. Pierre Duhamel résigna dès 1611 sa charge de maître des Comptes et mourut en 1621. Dans l'intervalle, en 1618, une taxe de 200 000 livres ayant été levée par le roi sur certains officiers des finances, il avait dû payer la part de ses pupilles, comme héritiers de leur père. Le 15 mars 1624, Claude Chahu acquit la charge de secrétaire du roi. Le 20 avril 1627, devenu majeur (étant né sans doute en 1601), il reconnut, devant Réversé, qu'Aymé Sirou avait versé jusqu'à ce jour, à lui et à ses frère et sœur, 32 000 livres de principal sur la charge de trésorier de la Marine, plus les arrérages, et ratifia en conséquence le contrat de 1607. De son côté, Sirou reconnut avoir reçu les comptes de Philippe Chahu, complètement apurés vis-à-vis du roi.

Les papiers ne disent pas ce que devint Charlotte Chahu, sœur de Claude; mais on sait que son frère cadet Philippe se fit jésuite et vivait encore en 1670~. Quant à Claude, il était entré dans les bureaux de Macé Bertrand, sieur de la Bazinière 2, trésorier de l'Épargne,

i. Il publia La Science du salut, Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1655, in-~°. Un exemplaire, aux armes de Louis XIV, a passé récemment en vente.

2. Peut-être l'avait-il connu chez son allié, le président Pierre Gayant, s'il


et devint, en 1630, son premier commis, aux appointements de 10 ooo livres, chargé non seulement des affaires du roi, mais des affaires particulières de son patron. Il resta son homme de confiance, puis, à partir de 1643, celui de sa veuve, Marguerite de Verthamon, et de son fils Macé II, pendant trente ans, et neuf comptes rendus par lui de 1630 à 1659 montrent les sommes énormes qui lui passaient par les mains.

De telles fonctions ne pouvaient que l'enrichir rapidement. Dès le 16 décembre 1637, il était en état d'acquérir, devant de Beaufort, de sa cousine Élisabeth Le Sergent, veuve d'Aymé Sirou, moyennant 75 000 livres, l'office de trésorier de France à Paris possédé par le défunt, et en obtenait les provisions le 5 janvier 1638. Il habitait alors dans l'hôtel de la Bazinière, rue des Petits-Champs (nO 21, rue Croix-des-Petits-Champs).

Le 15 février 1638, devant Chapelain, il signa son contrat de mariage avec Christine-Chrétienne de Heurles, fille de défunt Philippe de Heurles, seigneur de Poitronville, maître d'hôtel du roi, et d'Anne Vassault (ou de Vassault). Les conjoints devaient être communs en biens, suivant la coutume de Paris. La future recevait une dot de 75 ooo livres, dont le tiers entrait dans la communauté. Quant au futur, il fit faire, à cette occasion, l'inventaire de ses biens, qui se trouvèrent monter à 275 ooo livres, en réalité 200 ooo livres, car la charge de trésorier, comptée pour 75 ooo livres, n'était pas encore payée. Assistèrent au contrat, du côté du futur, son oncle Honoré Barentin, trésorier des parties casuelles, seigneur de Charonne s~s tantes Marguerite de Beaulieu, veuve de Pierre Duhamel Marie Duhamel, veuve de Nicolas Ladvocat Lucrèce Duhamel, veuve en secondes noces de Claude de Marolles son cousin Henri Chahu, trésorier de France en Bretagne, et ses amis Macé Bertrand, sieur de ia Bazinière, trésorier de l'Épargne, Louis Gedouyn, receveur général des finances à Soissons, et Pierre de Versoris, commis de F Épargne du côté de la future, ses cousins Michel Le Tellier, procureur au Châtelet Louis Le Peletier, trésorier de France en Dauphiné Marie Chauvelin, veuve Martin, et ses amis Étienne et Louis Aligre, conseillers d'État.

Philippe de Heurles, le père de la future, appartenait à une modeste famille de marchands de Montieramey (canton de Lusigny, Aube), où il avait été baptisé le 23 janvier 15767 Venu à Paris une vingtaine d'années plus tard, il était entré dans la maison de Henri IV et s'y était distingué par ses bons services. Le 30 août 1606, il avait obtenu l'office de gentilhomme du roi, puis, le 14 mars 1609, celui de

est vrai, comme le dit Tallemant, que Bertrand fut d'abord laquais chez celui-ci (Historiettes, IV, p. 425).


premier valet de chambre du dauphin, couchant dans sa chambre et ayant la clef des coffres, aux appointements de 266 livres. Le 17 mai 1610, le petit roi Louis XIII lui abandonna les dons qui lui seraient faits à son entrée dans les villes de Paris, Lyon, Rouen, Tours, Toulouse, Bordeaux, Marseille, Dijon, Metz, Nantes, Caen et Poitiers, et, le 7 novembre de la même année, le confirma dans l'emploi de premier valet de chambre. Hérouard le cite souvent dans son journal~. Le 13 décembre 161~ il obtint des lettres de retenue pour la charge de maître d'hôtel du roi et, le 2). février 1615, devant Deriges, signa son contrat de mariage avec Anne Vassault, qui lui apportait 2~000 livres de dot, dont 6000 en espèces et 18000 représentées par la terre et seigneurie de Poitronville, à l'entrée du Bourget, sur la route de Paris. La belle-mère ajouta plus tard 3 000 livres. Signèrent au contrat, du côté du futur, ses amis Achille de Harlay, seigneur de Bréval, et Oudette de Vaudétart, sa femme Henri de Vaudétart, baron de Persan, conseiller d'État Sopitte, de Beringhen et d'Armaignac, tous trois premiers valets de chambre du roi du côté de la future, ses amis Françoise de Languejoue, dame de Monglat, gouvernante des enfants de France Anne de Beauvilliers, dame de Fresnes Ëtienne Aligre Étienne Parfaict, contrôleur de la maison du roi Jean de Sancerre, contrôleur de l'argenterie, et ses cousins issus de germains François Toussaint, Alexandre et Jacques Chauvelin, le dernier seigneur de Crisenoy.

Anne Vassault était la seule fille restée dans le monde de Pierre Vassault, secrétaire du roi, et de Marguerite Gimardes, qui s'étaient mariés par contrat du 16 août 1593, devant de Beaufort. Pierre Vassault était décédé « de mort subite » au début de juin 1603 et son inventaire avait été fait le 4 juin et jours suivants dans la maison de la rue des Poulies, paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois, lui venant des parents de sa femme. Celle-ci était fille de François Gimardes, procureur au Parlement (dont la mère s'était remariée à un Chauvelin), et de Marguerite Gratia. Elle avait eu en dot 233 écus un tiers de rente, plus la moitié de biens immobiliers à Paris et à Argenteuil, évalués 5 8oo écus. Deux de ses filles, Françoise et Geneviève, étaient entrées à l'abbaye de Pont-aux-Dames les 5 septembre 1612 et 9 mai 1613, faisant de la troisième, Anne, sa seule héritière. Philippe de Heurles avait continué, après son mariage, à jouir de la faveur du jeune Louis XIII. Le 6 mars 1615, le petit roi lui fit l'honneur de visiter sa maison de Poitronville, où il confectionna lui-même des omelettes, des beignets et des œufs perdus~. En février 1620, il lui donna, en même temps qu'à Hérouard et à d'Armaignac, 20 toises

i. yoM~M~, I, p. 387; II, p. 5, i7, 67, 68, 72, 75, 148, I54, 157. 2. Hérouard, II, p. I74.

BULLETIN LVIII


du rempart de Charles V, entre la galerie du Louvre et la porte Saint-Honoré, pour y faire construire. Le 21 janvier 1621, il le gratifia d'une pension de 4 266 livres, pour remplacer ses gages de premier valet de chambre. Le 5 avril suivant, il le nomma chevalier de SaintMichel, dont le collier lui fut remis le 9 par le maréchal de Thémines. Le 28 décembre 1624, il lui accorda le titre de conseiller d'État, en avril 1625 lui donna l'office de contrôleur des mesures au grenier à sel de Châtillon-sur-Seine, et, le 30 novembre 1629, une seconde pension de 4 ooo livres. Le 17 avril 1631, il lui octroya encore les offices d'avocat au grenier à sel de Cholet, Ingrande et Saint-Jean de Losne et, le 26 août 1634, nomma son fils Philippe II, âgé de neuf ans, gentilhomme servant. Philippe de Heurles mourut le mois suivant et, le 8 octobre, le roi accorda à son fils sa charge de maître d'hôtel. L'inventaire du père fut fait par Jean Chapelain le 24 mai 1635 et jours suivants. Sa fille Christine avait alors dix-sept ans et son fils Philippe dix ans.

L'ère ~os~e~. Claude Chahu, qui devait avoir trente-sept ans, et sa femme, qui en avait vingt, logèrent d'abord dans la maison de la rue des Poulies qu'Anne Vassault avait héritée de sa mère. Puis, le 27 juillet 1639, devant de Beauvais, ils louèrent au chapitre de Saint-Honoré, pour six ans, à dater de la Saint-Remi (i~ octobre), au loyer de i 800 livres, une maison à porte cochère de la rue des BonsEnfants, alors occupée par M. de Loménie. Elle était située du côté pair actuel et adossée à l'hôtel de la Bazinière de la rue Croix-desPetits-Champs (n° 21), puisque les chanoines autorisèrent Chahu à percer à ses frais, dans le mur du fond, une porte communiquant avec la maison de son patron et qu'il devrait boucher à la fin de son bail. La maison devait donc correspondre à peu près à l'emplacement du n° 20 actuel. Anne Vassault dut y suivre ses enfants, puisque, le 2 juillet 1640, devant Chapelain, elle fit bail de la maison de la rue des Poulies, au loyer de i ooo livres, à Gabriel Testu, seigneur de Balincourt, et à Renée de Bauquemart, veuve d'Adam Chevrier. Elle mourut le 18 octobre de la même année, laissant 203 765 livres à partager entre sa fille et son fils, dont Claude Chahu fut nommé tuteur. Son inventaire fut fait par de Beaufort le 16 février 1641 et jours suivants, et le partage de sa succession, par le même de Beaufort, le 31 août 1644. Dans le lot de Mme Chahu entra la maison de la rue des Poulies, qu'elle et son mari continuèrent à louer, puis qu'ils vendirent le ier août 1659, devant Plastrier, pour 24000 livres, à François Carré, maître tailleur, et à Anne Maras, sa femme. Pour en finir de suite avec Philippe II de Heurles, frère de Mme Chahu, disons qu'il fut émancipé le 14 novembre 1643 et que, le 6 février 1644, devant Mathias Brunault, commissaire au Châtelet,


Chahu rendit compte de sa courte tutelle. Le i~ août iô~j.6, habitant avec sa sœur et son beau-frère rue du Mail, le jeune homme acquît, pour 38 000 livres, d'Alexandre Vaillant, trésorier des ponts et chaussées, et de François Tardif, trésorier de France à Orléans, une charge de conseiller au Parlement de Rouen mais il la revendit dès le isr janvier 1650, devant de Beaufort, pour 39000 livres, à JeanBaptiste Godard, sieur d'Omonville, habitant Rouen. Philippe II testa le 11 septembre 1657 et mourut le 15, dans la maison de son beau-frère, quai Malacquest. Son inventaire fut fait par de Beaufort le 18 et jours suivants, tous ses biens, notamment la terre de Poitronville, revenant à sa sœur, son unique héritière.

Le 28 juin 1641, devant de Beaufort, les Chahu acquirent de Guillaume Brisacier et sa temme, pour 28 ooo livres, un grand terrain de 378 toises, dans la rue du Mail, sur lequel ils firent construire, par les maçons et entrepreneurs Simon et Alexandre de Lespine, deux maisons joignantes (emplacement du n° 2) 1. En 16~.5, ils louèrent la plus

grande, située à l'ouest, contre l'hôtel de Bouillon, à Maximilien

chalart, marquis de la Boullaye, qui, le 2 octobre 1647, passa la suite de son bail, au loyer de i 500 livres, au sieur Coiffier. D'après les adresses indiquées dans les actes, il semble que les Chahu, dont le bail rue des Bons-Enfants expirait au isr octobre 1645, soient venus à cette date occuper la seconde maison de la rue du Mail, puis la première, dès qu'elle fut libre. En effet, en 1643, Chahu avait perdu son patron Macé Bertrand de la Bazinière, dont la veuve continuait à occuper l'hôtel de la rue Croix-des-Petits-Champs, mais dont le fils Macé II, trésorier de l'Épargne après son père, habitait le bel hôtel que celui-ci avait fait construire sur le quai Malacquest (n° 17). Chahu n'avait donc plus besoin de loger rue des Bons-Enfants. Le 13 mai 1644, devant de Beaufort, lui et sa femme se firent donation mutuelle, le survivant devant jouir de l'usufruit de tous les biens de l'autre. Le 17 mai 1651 eut lieu le partage de la succession d'Anne Duhamel, veuve d'Honoré Barentin et tante de Claude Chahu, dont le bel hôtel de la place Royale, acquis en 1637 des héritiers de Philippe de Coulanges, avait été revendu, le 23 mars 1650, devant Cornille, pour 97 ooo livres, à Antoine Boyer, seigneur de SainteGeneviève-des-Bois, et à Françoise de Vignacourt, sa femme. Chahu hérita de 122 367 livres, représentées par des rentes et des immeubles, entre autres un sixième dans une maison située « rue Comtessed'Artois, autrement dite des Trois-Pavillons ». C'est la première fois qu'on trouve ce dernier nom appliqué à la rue en question. Le 12 septembre 1651, Chahu reçut des lettres de maître d'hôtel du roi et, le

i.Cf.mes~M~s~<Oj6o~fa~II,p.223.


ier juillet 1653, obtint le titre de conseiller d'État et directeur des finances.

Entre temps, le 3 janvier i6/).6, devant Gallois, les Chahu avaient acquis, des créanciers de défunt Pierre Gayant, président au Parlement, frère de leur tante, moyennant 100000 livres, la terre et seigneurie de Varastre, près Corbeil~, mouvant de la seigneurie de Mosny (Mauny) en Brie, y compris les fermes de Rapouel, Villedon et des Clos, des maisons à Lieusaint et la justice haute, moyenne et basse. Gayant, qui tenait la seigneurie de son père, avait acheté la ferme de Rapouel le 24 août 1616, devant Chapelain, pour 11300 livres des frères Martin Rapouel, avocat, et Olivier, médecin, qui l'avaient héritée de leur père. Les Chahu conservèrent neuf ans la propriété et la revendirent le 15 mai 1655, devant Ricordeau, à Claude Martinet, payeur des gages du Parlement, et à Marie Perret, sa femme, contre 583 livres 6 sous 8 deniers de rente, au principal de 90 000 livres, et 20 ooo livres pour le mobilier.

Mais Macé II de la Bazinière trouvait sans doute son commis Chahu logé trop loin de lui rue du Mail et saisit l'occasion qui se présenta d'en faire son voisin.

Le n° 15 actuel du quai Malacquest, entre l'hôtel de Brienne (n°" 11-13) et l'hôtel de la Bazinière (n° 17), avait été construit par Louis Le Barbier, un des lotisseurs de l'hôtel de la reine Marguerite, et vendu par lui, le 18 novembre 1636, devant Marreau, pour ~5000 livres, à Jacques Kerver, receveur des tailles à Meaux, et à Françoise Daverdouyn, sa femme 2. Devenu receveur des tailles à Paris, puis receveur général des finances, Kerver avait prêté, en 1646, quatre millions au roi 3, en contractant de nombreux emprunts, et avait été brusquement ruiné par l'arrêt du Conseil du 14 juillet 1648, révoquant tous les prêts antérieurs.

i. Varastre est aujourd'hui une ferme à quatre kilomètres est de Corbeil et à deux kilomètres sud-ouest de Lieusaint.

2. Tallemant a consacré une historiette au ménage, qu'il appelle « Querver a, la femme laide et sotte, le mari breton et bibliophile (Historiettes, VI, P- 5~9-535)- Certains détails, notamment sur « Astrie » (Comans d'Astry, p. 533), montrent qu'il était bien informé des créanciers de Kerver. 3. Le dossier renferme un arrêt imprimé du Conseil du n novembre 1638, acceptant les offres de Nicolas Viart, bourgeois, pour un prêt au roi de 7 202 800 livres et lui déléguant, en remboursement, les revenants-bons de 1639, savoir i 266 ooo livres sur les deux premiers quartiers du taillon, 400 ooo sur les ponts et chaussées, 690 674 et 209 326 sur la recette de Caen, i 041 200 sur celle de Riom, 300 ooo sur celle de Paris, 1 205 680 et 575 ooo sur celle de Poitiers, 37 ooo et 263 ooo sur celle de Lyon, 77 397 sur celle de Rouen, 366 523 sur celle de Grenoble, 41 ooo sur celle de Dijon, 200000 sur les bois de l'Ile-de-France, 270000 sur ceux de Normandie, 30000 sur ceux d'Orléans, etc.


Le 20 décembre 1654, devant Leroux, il dut abandonner ses biens à ses créanciers, notamment la maison du quai, qui fut attribuée, pour 42 ooo livres, à Pierre Marbault, secrétaire du roi, lequel en était locataire depuis 1634 1. La Bazinière chargea Claude Chahu, qui avait prêté à Kerver 25 000 livres le 21 juin 1647, puis 25 ooo le 13 février 1648, de mettre une surenchère de 9 ooo livres, et la maison lui fut adjugée pour 51 ooo livres, par arrêt de la Cour des Aides du 18 août 1655. Il fut ensaisiné par le trésorier de l'abbaye Saint-Germain le 17 mars 1656, moyennant 2 700 livres de droits et prit possession de l'immeuble le i~ avril. Après décret volontaire, il fut nommé définitivement adjudicataire par arrêt du 11 décembre 1658. Le 15 janvier 1659, devant Gigault, La Bazinière, qui avait fourni les fonds, fit bail à Chahu de la maison, pour six ans, à dater du i~ janvier précédent au loyer de 2 000 livres. C'est là que l'adresse de Chahu est donnée de 1656 à 1665

Le 16 février 1658, les Chahu acquirent la seigneurie de Passy, sur laquelle je reviendrai. Le 7 août suivant, devant Gigault, ils achetèrent à Jeanne de Saveuse, épouse de Henri-Robert Eschalart, comte de la Marck, un terrain de 30 toises, rue du Mail, pour agrandir leur jardin. Le 13 février précédent, devant Gigault, ils avaient loué la petite maison, pour i 300 livres, à Louis Berryer, sieur d'Ampfernal, contrôleur des eaux et forêts de Normandie. Le 14 janvier 1661, ils les vendirent toutes deux à Jean Hérault, sieur de Gourville, secrétaire du Conseil, qui, le 10 novembre, se désista de son achat. Le 28 septembre 1665, les Chahu firent bail de la petite maison, pour i 400 livres, à Jacques Barbier, sieur du Metz, trésorier des gardes de la reine mère, puis, le 5 mars 1668, renouvelèrent le bail de la grande maison, pour 3 000 livres, à Vincent Hotman, conseiller au Parlement, seigneur de Fontenay, qui l'occupait depuis 1656. On a vu que, le ier août 1659, les Chahu avaient vendu, pour 24000 livres, la maison de la rue des Poulies (page 18). Le 20 mars 1660, devant Gigault, ils vendirent à François Blondel, secrétaire du roi, qui était depuis de longues années commis de Chahu et habitait dans sa maison quai Malacquest, le fief de Poitronville, leur venant de Philippe II de Heurles et situé à l'entrée du Bourget, sur le chemin de Paris, vis-à-vis la ferme des Mathurins. Il comprenait une maison, avec granges, étables, bergeries, colombier à pied, et environ 100 arpents de terres labourables et 10 de prés, répartis sur les terrains du Bourget, Blancmesnil, La Courneuve, Drancy et Dugny. Blondel leur céda en échange 2 500 livres de rente, au principal de 45 ooo livres, que Pierre Monnerot, trésorier des parties casuelles, lui avait constituée, devant Gigault, le 26 février précédent.

i. Kerver, voisin de Bachaumont, habitait rue Saint-Louis (de Turenne). 2. Cf. mes Études de <o~ogyN;~AM, I, p. 250, 253, et III, Additions.


Le 28 décembre 1660, devant Gigault, les Chahu acquirent encore de Pierre de Saint-Genys un terrain de la rue Saint-Honoré, touchant à l'ouest le couvent des Jacobins (emplacement du 334), contre 2000 livres de rente au principal de 40000 livres. Ce terrain était occupé par une maison en très mauvais état, qu'ils firent reconstruire entièrement à neuf, de 1661 à 1663. En janvier 1661, ils donnèrent ~67 livres 14 sous de rente aux Minimes de Nigeon pour une messe perpétuelle après leur décès, et, le 22 août suivant, acquirent, pour i ace livres de rente, une chapelle dans l'église des Jacobins de la rue Saint-Honoré. Le 3 septembre suivant, en son nom personnel, Mme Chahu donna 384 livres 17 sous de rente aux Petits-Augustins pour 72 messes de requiem à dire chaque année après son décès. Chahu qui atteignait la soixantaine, avait donné, à dater du ier janvier 1660, sa démission de premier commis de l'Épargne et songeait à se retirer dans sa maison de la rue Saint-Honoré.

Ajoutons qu'une note de 1671 indique que ses appointements fixes, en 1659, étaient les suivants

Gagesdei~commis. looool. Acquitpatent. 3000 GagesduConseil. 2000 Gages de maître d'hôtel goo Menus dons aux commis de l'Épargne. i zoo Total. 17100!.

La seigneurie de Passy. Le 20 mai 1653, étant encore en possession de la terre de Varastre (page 20), les Chahu avaient acheté, devant de Beaufort, à François de Turmenyes, notaire au Châtelet, et à Marguerite Le Certain, sa femme, une grande maison située « au dessous de Passy '), contre i 500 livres de rente, au principal de 30000 livres. Cette résidence, beaucoup plus proche de Paris que leur propriété voisine de Corbeil, dut leur plaire davantage et les décider à se défaire, en 1655, de la seconde (page 20).

Le 16 février 1658, devant Lefranc, ils acquirent, de Louis de Hangest, vicomte d'Argenlieu, et de Marie Lallemant, sa femme, la terre et seigneurie de Passy et le fief de Saint-Paul, paroisse d'Auteuil, que la dame avait hérités de ses parents. La vente comprenait, pour Passy, la maison seigneuriale, avec colombier à pied, un pressoir et ses ustensiles, un jardin clos de 12 arpents, la justice haute, moyenne et basse, 60 livres environ de menus cens et rentes, 15 arpents de prés, 4 de vignes et 2 de terres labourables, dominant des carrières non encore fouillées pour le fief Saint-Paul, la justice moyenne et basse, 6 arpents de prés, en deux pièces, du côté d'Auteuil, et le droit de passage sur la Seine entre le port de Nigeon et le port de Grenelle. La terre de Passy était mouvante du roi, à cause de son Châte-


let, et le fief de Saint-Paul des seigneurs de Garges. Les Chahu cédèrent en échange 2 goo livres de rente au principal de 54 000 livres, ces rentes étant destinées à rembourser les créanciers des vendeurs, qui en donnaient la liste.

En réalité, l'acte n'était fait sous forme d'échange que pour éviter les droits de mutation et Chahu conserva les rentes, payant les créanciers en principal. Mais les gens de la Chambre des Comptes éventèrent la supercherie et firent payer les droits de mutation. Le 9 janvier 1676, M°~ Chahu dut encore solder au trésor 550 livres de supplément.

Un acte additionnel, passé devant Lefranc le même jour que l'acte d'échange, spécifia que, si les Chahu n'étaient pas confirmés dans les droits de justice sur Passy, que le roi était maître de leur refuser, les vendeurs leur rembourseraient 3 000 livres, capital correspondant au revenu de ces droits. Il fut en outre stipulé que, si les vendeurs étaient confirmés dans le droit au bac sur la Seine, pour lequel ils étaient en procès, les Chahu ne participeraient que pour 150 livres au revenu, si celui-ci ne dépassait pas 500 livres, et pour zoo livres s'il était supérieur.

Disons de suite que le droit de justice sur Passy ne fut pas contesté aux Chahu. Quant au droit de bac, confirmé aux Hangest, Mme Chahu le leur racheta, après la mort de son mari, le 25 septembre 1671, pour la somme de 880 livres, puis, le 20 mars 1676, devant Béchet, céda ses droits à l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, représentée par Paul Pellisson-Fontanier, maître des requêtes, receveur du temporel, contre une rente de 300 livres.

Les 17 février et 25 juillet 1658, devant Bruneau, les Chahu acquirent encore, pour 6 ooo livres, des créanciers de défunt Jean Sauvat, trésorier de l'extraordinaire des guerres en Normandie, une petite maison voisine de celle achetée à Turmenyes.

Les Chahu se firent délivrer par la Chambre des Comptes copie des hommages et aveux rendus au roi pour la terre de Passy près Paris, lesquels établissent, avec quelques lacunes, la liste des anciens seigneurs depuis la fin du xive siècle.

Le 15 juillet 1394, Jean de Maucreux, valet de chambre du roi, avoua tenir en fief de celui-ci la seigneurie de Passy, paroisse d'Auteuil, comprenant un hôtel, un pressoir, 20 arpents de terre, 5 arpents un quartier de vignes, 6 livres 11 sous 2 deniers de menus cens et 38 sous 8 deniers de rentes~. Le 26 avril 14.00, aveu fut rendu, dans les mêmes termes, par Pierre de Maucreux, panetier du duc de

l. Jean de Maucreux, seigneur de Passy, est déjà cité dans la lettre de Charles VI de juin 1387 (Cocheris, éd. Lebeuf, IV, p. 216). Son aveu et le suivant sont dans Arch. nat., P 128, copies dans S 15~.


Berry, sans doute fils du précédent. Le 26 juillet 1417, un arrêt du Châtelet condamna celui-ci à payer à l'abbaye Sainte-Geneviève le cens pour ses terres de Passy qui relevaient du couvent. Pierre de Mau creux y est qualifié seigneur de Passy « en partie a

En 1463, 1464, 1466 et 1467, des permissions demandées par des

habitants de Passy pour clore leurs propriétés de murs prouvent que la seigneurie était alors dans la main du roi.

Le 24 août 1468, Louis XI donna la seigneurie et la justice de Passy à Jean de la Driesche, président aux Comptes, qui en fit hommage le 28 février 1469 (n. st.) Le 3 décembre 1472, celui-ci obtint du roi la nomination de commissaires pour faire le bornage de sa terre, dont le plan fut dressé le 6 décembre. Le 16 juillet 1473 furent vérifiées à la Chambre des Comptes des lettres patentes du roi affranchissant des tailles, gabelles et aides les habitants qui viendraient s'installer à Passy, pour vingt ans, à dater du i'~ octobre 1469. Le 10 janvier 1476 (n. st.), le roi fit encore don au président de la Driesche des terres et îles situées à Passy et lui appartenant par confiscation sur Louis de Luxembourg, comte de Saint-Paul. C'est là, certainement, l'origine du fief de Saint-Paul, joint plus tard à la seigneurie. Jean de la Driesche fut destitué en 1482 par les menées de Jacques Coictier, médecin du roi, qui désirait sa place. Les papiers mentionnent un hommage rendu le 28 février 1516 par Jean de Reilhac, qui concerne, en réalité, la terre de Passy-en-Brie, et un autre, le 25 janvier 1530, par Mathieu Macheco, huissier au Parlement~, que des actes des 26 janvier 1515, 5 septembre 1516 et i" juin 1518 montrent déjà en possession de la seigneurie de Passylez-Paris 4. Il dit, dans sa déclaration, l'avoir « par acquisition » et, suivant Lebeuf, il l'aurait achetée de l'avocat Danès. Il mourut en 1532 et la terre dut être adjugée sur sa succession à l'avocat Joachim Cerlieu, qui en versa le prix aux gens du roi le 19 août 1536 et en fit hommage le 18 avril 1537, disant l'avoir « par décret ))~. Le 20 octobre 1540, sa mère, Marguerite Louvat, veuve de François Cerlieu, lieutenant général d'Angoumois, lui fit donation du tiers de ses biens patrimoniaux à l'occasion de son mariage avec Marie Ruzé et renouvela sa donation le ii janvier 15436. Les 14 et 15 septembre 1522, 6 mai

i. Arch. nat., S 1543. Lebeuf (I, édition 1883, p. 403) cite une Jeanne de Paillard, dame de Passy en 1416 (cf. Léopold Mar, Bulletin d'Auteuil-Passy, I, p. 107). C'était peut-être la mère de Pierre de Maucreux. 2. Arch. nat., P l, n° 234.

3. Arch. nat., P2, no 317.

4. Arch. nat., S 1544 Tabariès de Grandsaignes, Bulletin d'AuteuilPassy, V (1904), p. 84 Coyecque, .RecMs~ d'actes notariés, I, n" 129. 5. Arch. nat., P 3, 4.

6. Arch. nat., Y 86, fol. 359, et Y 88, fol. 301 vo Campardon et Tuetey,


1524 et 7 avril 1542 des procès-verbaux de visite furent dressés au sujet des terres de la seigneurie enclavées dans le parc de Boulogne, et Cerlieu, nous apprend Lebeuf, figure, en 1542, dans ces actes. Il vivait encore en 1548

De son mariage avec Isabelle Leclerc, Mathieu Macheco avait laissé plusieurs enfants, dont l'un, Pierre, avocat au Parlement, était majeur en 1542 et s'intitulait en 1547, on ne sait de quel droit, seigneur de Passy, comme d'ailleurs un Jacques Macheco, valet de chambre du roi, probablement son frère~. Un autre acte de 1550, qu'on verra plus loin, donne à Pierre le même titre. Cependant, la seigneurie n'avait pas cessé d'appartenir à Cerlieu ou à ses héritiers, puisque les papiers Chahu nous apprennent que, le 26 février 1570, devant Boreau, Jean du Tillet, greffier en chef au Parlement, exécuteur du testament de Marie Ruzé, dame de Passy (femme, comme on l'a vu, de Joachim Cerlieu), et, suivant avis des parents, échangea la seigneurie avec Henri de Savoie, seigneur de Châteauvieux, contre des rentes. Par lettres de mars 1572, le roi confirma l'acquéreur dans la possession des droits de justice et de voirie.

Cet Henri de Savoie était, en 1561, « intendant et receveur général de Piémont et de Savoie », et, en 1569 et 1572, « général des finances », ou « superintendant des finances » du duc d'Anjou, le futur Henri III, les actes de 1572 lui donnant bien le titre de seigneur de Passy4. Il mourut avant le 8 août 1573, si c'est, comme il semble, le même personnage que le Gédéon de Savoie, « en son vivant seigneur de Châteauvieux et de Passy, trésorier de France, conseiller et superintendant des finances et maison du roi de Pologne » (jadis duc d'Anjou), dont la mère, Louise de Bouillon, se disait héritière à cette date 5. Effectivement, un Hugues d'Arragon, « seigneur de Passy », figure dans un acte du 3 septembre 1575 comme procureur d'Anne d'Este, duchesse de Nemours et de Savoie", et ces fonctions rendent très plausible qu'il ait acheté la terre aux héritiers de Henri de Savoie, probablement son compatriote. Cet Hugues Darragon (c'est ainsi qu'il signe) cautionna François du Plessis, le 21 juillet 1579, dans un

Insinuations au CAa<~<, nos 219 et 932. La mère est appelée « Lombat » et « de Louvat » le fils est appelé « Corlieu », comme dans d'autres actes mais l'hommage de 1537 dit « Cerlieu

i. Arch. nat., Y 93, fol. 239 Campardon et Tuetey, n° 2620. 2. Coyecque, I, n° 1851 Rivière, Bulletin d'Auteuil-Passy, VI, p. 57. 3. Arch. nat., Y 93, fol. i, et Y 97, fol. 41 Campardon et Tuetey, n°~ 2439 et 3953 Rivière, p. 58.

4. Caron, A travers les minutes de notaires ~s)'MMM~, nos 44, 373, 379, 6o6, 621 Rivière, p. 58-59.

5. Caron, n° 648 Rivière, p. 59.

6. Caron, 934 Rivière, p. 59.


emprunt pour payer l'hôtel de Losse, où devait naître le futur cardinal de Richelieu, donnant en garantie sa propriété de Passy, «assise près les Bonhommes lez Paris », et celle de Maudegier-en-Brie 1. Il s'intitulait encore seigneur de Passy le 5 février 1587~ et l'on verra que la terre fut saisie en 1600 sur un Yves Darragon, probablement son fils, à moins qu'il ne soit le même personnage.

Il résulte de ces actes que, à Mathieu Macheco, succéda en 1536 Joachim Cerlieu, en 1570 Henri de Savoie et, vers 1574, Hugues Darragon jusqu'en 1600. Cependant, les papiers Chahu mentionnent un hommage de la seigneurie rendu, le 4 octobre 1571, par Henri du Pré, ci-devant gentilhomme du roi, et un autre rendu, le 10 novembre 1598, par Jean du Moulin, trésorier de France à Paris. C'est une nouvelle erreur des gens des Comptes, les deux hommages concernant la terre de Passy-en-Brie, châtellenie de Corbeil, aujourd'hui commune de Chevry-Cossigny 3. Saisie sur Yves Darragon, la seigneurie de Passy-lez-Paris fut adjugée au Châtelet, le 23 septembre 1600, à Mathieu Lallemant, procureur aux requêtes de l'Hôtel, qui en fit hommage au roi le 20 janvier 1601 et qui, le 20 février 1621, devant Fontaine, racheta aussi le fief Saint-Paul.

Ce fief s'était, en effet, séparé de la seigneurie de Passy après la disgrâce, en 1482, du président de la Driesche (page 24). Son bel hôtel parisien, de la rue des Charités-Saint-Denis (des Grands-Augustins), dit « hôtel d'Hercule à à cause de ses peintures, avait été acquis, en 1484, par Louis de Hallwin, seigneur de Piennes, chambellan de Charles VIII, déjà propriétaire à Auteuil. Il dut en être de même de ses terres de Passy, au moins du fief Saint-Paul, car, le 30 mai 1541, devant Crozon, Françoise de Hallwin, épouse de Louis de Fust, seigneur de Fresnes, et Jean de Hallwin, son frère, le vendirent à Jacques de la Barde, président au Parlement et curé de Saint-Germain-d'Arcé, au diocèse d'Angers. Celui-ci est cité dans un acte du il juillet 1523 et, dans un autre du 28 septembre 1542, prend bien le titre de seigneur du fief Saint-Paul

Cependant, le 7 mars 1542, devant Maupeou, il en avait fait donation à son fils naturel, prénommé aussi Jacques. Le 3 octobre 1550,

i. Deioche, Père du Cardinal, p. 128, 131-133.

2. Arch. nat., Y 128, fol. 282.

3. Arch. nat., Pg, n° 1078, et P4, n° 1257. Jean du Moulin fit l'aveu de sa terre en 1610 (P?~, n" 3664). Le Nicolas Dupré, maître des requêtes, seigneur de Passy, cité par Félibien dans un acte de 1557 (Preuves, I, p. 657) était aussi seigneur de Passy-en-Brie.

4. Arch. nat., P 17, n" 398, et S 1544. Il en fit l'aveu en 1620 (P 74~ n° 3513).

5. Coyecque, I, nos 426, 965, 1900.


devant Cartault, celui-ci et sa femme Isabeau Boutin vendirent le fief à Pierre Macheco, avocat au Parlement et « seigneur de Passy ». On a vu plus haut (page 25) que ce titre semble quelque peu usurpé, comme il arrive souvent à l'époque. Pierre le prenait encore, cette fois, avec plus de fondement, puisqu'il était seigneur de Saint-Paul, les 8-11 mars 1588 et son fils, Mathieu Macheco, chanoine de Paris, les 3 mars 1590 et 7 février 1592

Ce dernier mourut en 1592 et, le 7 septembre 1599, un arrêt du Parlement adjugea le fief, sur ses héritiers, Jacques et Pierre Regnault, à Guillaume Deslandes, conseiller au Parlement, lequel le vendit le 20 février 1621, devant Fontaine, pour 9 ooo livres, à Mathieu Lallemant et à Marguerite Ménisson, sa femme~. Le 15 mars suivant, devant Fontaine, Lallemant rendit hommage à Nicolas de Hacqueville, seigneur de Garges, suzerain du fief, et le 10 juillet 1623, devant Fontaine, vendit à Charles Boucher la grande maison qui en formait le chef-lieu, pour la tenir en roture.

Mathieu Lallemant mourut en septembre 1623 et son inventaire fut fait par Simon Moufle le 31 octobre et jours suivants. Il laissait un fils mineur, Tanneguy, et quatre filles, dont trois se firent religieuses et dont la dernière, Marie, épousa Louis de Hangest, vicomte d'Argenlieu, page de la grande écurie, puis maréchal de camp. Sa veuve, Marguerite Ménisson, se remaria avec son cousin germain, Tanneguy Séguier, président au Parlement, seigneur de Drancy et de l'Ëtang-Ia-Ville, qui fut nommé tuteur de Tanneguy Lallemant, seigneur de Passy, déjà son filleul. En mars 1636, le roi le confirma comme tel dans les droits de justice de la seigneurie et, le 7 avril 1639, un arrêt du Parlement débouta les religieux de l'abbaye SainteGeneviève, qui faisaient opposition à ces droits.

Il mourut le i~ décembre 16~.2, son pupille en 16~5 et, le 20 septembre 16~.7, devant de Royer, un accord intervint entre sa veuve Marguerite Ménisson, son fils Pierre Séguier, conseiller au Parlement, et le ménage de Hangest, laissant à Marie Lallemant, héritière de son frère, la terre de Passy. On a vu que les Hangest la vendirent en 1658 aux Chahu.

Le 15 mars 1658, devant Lefranc, ceux-ci déclarèrent qu'ils n'entendaient pas annexer à la seigneurie la maison acquise en 1653 de Turmenyes, qui resterait en roture. Le 12 mai 1659, devant Gigault, Chahu fit hommage, pour le fief Saint-Paul, à François de Machault et Louis Garrot, coseigneurs de Garges. Il ne fit hommage au roi de la seigneurie de Passy que le 2 juin 1665.

i.Arch.iiat.,Yi3o,fot.72V.

2. Arch. nat., Y 130, fol. ~19, et Y 132, fol. 42~. 3. Arch. nat., S 1~44, ire liasse.


Les multiples quittances de travaux qu'on trouve dans ses papiers montrent que lui et plus tard sa veuve améliorèrent grandement la maison seigneuriale de Passy et ses dépendances, mais ne la firent pas reconstruire, comme on l'a prétendu. Chahu releva les murs de clôture du jardin, fit de nombreuses réparations aux maçonneries et à la toiture, et, le 17 mars 1661, devant Gigault, traita avec Didier et François Piart, charpentiers, pour la construction d'un moulin à vent, moyennant 2 000 livres. Plus tard, Mme Chahu rebâtit l'escalier du château et la porte d'entrée, devant laquelle elle éleva un perron, et reconstruisit entièrement le pressoir. Tous les devis, et notamment un dessin d'Antoine Le Paultre pour la porte, révèlent une habitation rurale, assez grande, mais d'aspect modeste, et n'ayant de seigneurial que le titre. C'est Samuel Bernard qui fit de la maison de Passy un palais. L'activité des Chahu se porta surtout, comme on va le voir, sur l'église et sur les écoles.

La fin de Chahu. On a vu plus haut (page 22) Claude Chahu et sa femme s'occuper, en 1661, de fondations pieuses. Le premier, qui avait donné sa démission de principal commis de l'Épargne et songeait à se retirer des affaires, ne devait guère pressentir le coup de tonnerre du 3 septembre 1661, l'arrestation du surintendant Nicolas Fouquet, suivie de l'édit de novembre, créant une chambre de justice pour juger les partisans. On sait que tous les manieurs d'argent de l'époque, honnêtes ou véreux, se trouvèrent pris dans la débâcle, le déplorable système financier d'alors, basé non sur le rendement des impôts, mais sur l'escompte de prêteurs, l'absence de comptabilité régulière et les risques énormes courus par les créanciers du roi (on l'avait vu dans l'affaire Kerver) étant les causes primordiales des agissements du surintendant.

Macé II de la Bazinière, trésorier de l'Épargne, fut impliqué dans les poursuites, mis à la Bastille, dont une tour conserva son nom, et perdit son énorme fortune, tout en conservant l'estime de ses contemporains. Son premier commis, Claude Chahu, no pouvait guère échapper à l'engrenage mais il ne fut pas arrêté. Le rôle du 24 novembre 1665 le condamna seulement à une restitution de 200000 livres sur ses remboursements de rentes sur la Ville, le roi ayant arbitrairement décrété que ces rentes, constituées au denier vingt, seraient remboursées au denier quinze, avec effet rétroactif depuis 1635. Encore la somme réclamée à Chahu fut-elle « modérée )) à i~ooo livres, dont il paya 44 ooo en espèces et 100 ooo en billets à lui dus par le roi. La quittance définitive lui fut donnée le 26 mai 1666, C'était s'en tirer à bon compte.

Les biens de la Bazinière avaient été saisis, notamment l'hôtel

occupé par Chahu, dont le bail expirait le 31 décembre 166~. Mais,


obligé de s'occuper des affaires de son patron, alors à la Bastille, Chahu y resta jusqu'au 30 septembre 1665 1. Ce n'est que le lendemain qu'il put s'installer dans la maison de la rue Saint-Honoré, dont il louait le corps de bâtiment sur rue à des commerçants et dont il avait loué une partie du corps de logis entre cour et jardin, par acte sous seing privé du 15 janvier 166~ pour six ans, à dater de Pâques, au loyer de 2 <).oo livres, à Ambroise, duc de Bournonville, et à Lucrèce de la Vieuville, sa femme. Il fit son logement du reste et renouvela le bail des Bournonville, pour six ans, dès le 6 juin 1669. Encore à la tête d'une belle fortune, Chahu s'occupa surtout, pendant ses dernières années, de la seigneurie de Passy. Le 9 mai 1666, les habitants du lieu décidèrent la construction d'une chapelle, comme succursale de l'église d'Auteuil, leur paroisse, dont ils étaient fort éloignés. Le 23 novembre, les Chahu s'engagèrent à la construire à leurs frais et à la doter de 166 livres 13 sous 4 deniers de rente. Elle leur coûta 19800 livres. Le 8 novembre 1669, Chahu céda son office de trésorier de France, pour 50 ooo livres, à François Chalmeau, avocat, qui était le prête-nom de Pierre Cadeau. Mais le marché fut résilié, car, le 2~ mai 1673, devant Gigault, Mme Chahu vendit la charge à Michel de Bourges, demeurant rue des Rosiers, paroisse Saint-Gervais, un acte annexe du même jour, devant Le Normand, spécifiant que l'acheteur serait responsable des taxes. Claude Chahu fit son testament le 8 avril 1669, le fit enregistrer le lendemain par Gigault et y ajouta un codicille le n mai. Il laissait comme héritiers, du côté paternel les enfants de son oncle Balthazar, savoir Henri Chahu, ancien trésorier de France en Bretagne, Judith, veuve d'Isaac de Liscouet, vicomte du Bochet, et Françoise, veuve de Guillaume Bidé, sieur de la Bidière, du côté maternel, Louise et Marthe Duhamel et Laurent Le Lectier. Il leur léguait à chacun 3 000 livres, faisait des dons à l'hôpital général, à la Charité, aux Minimes de Nigeon, aux pauvres de sa paroisse et de Passy, à ses domestiques, attribuait en particulier 12000 livres aux Jésuites « en considération de son frère, religieux en leur compagnie », et faisait du duc de Bournonville, son locataire, son légataire universel. Déjà, par acte du 12 mars 1666, il lui avait prêté 2~.000 livres, contre une rente de i ooo livres. Aucun indice ne fait deviner les causes de cette libéralité, certainement concertée avec Mme Chahu, dont elle restreignait les droits et dont tous les actes ultérieurs prouvent la vénération pour la mémoire de son mari. On doit supposer qu'Ambroise de Bournonville, personnage influent, qui avait été gouverneur de Paris, avait rendu de grands services à Chahu, peut-être, notamment, lors

i. Il devait à La Bazinière deux ans et neuf mois de loyer, soit 5 500 livres, mais on lui devait 11 900 livres sur ses appointements de 1639.


du procès des financiers, et on verra plus loin la preuve des relations intimes que sa veuve continua d'entretenir avec lesNoaiIles. Claude Chahu mourut dans sa maison de la rue Saint-Honoré le 2 janvier 1670 et fut inhumé dans sa chapelle de l'église des Jacobins. Le 31 janvier, sa veuve signa le devis d'une « ceinture x (litre) à faire au dedans et au dehors de l'église de Passy, dont la bande, « du plus beau noir d'Espagne », coûterait 12 sols la toise et chaque panneau d'armoiries 35 sols. Le total revint à 130 livres. D'après les armes de Judith Chahu, fille de Balthazar, la famille portait de gueules au chevron d'or, accompagné en chef de deux haches d'argent affrontées et en pointe d'un croissant de même. Mais, malgré les lettres d'anoblissement de 13~5 conservées dans les archives et citées plus haut, elle ne devait pas être bien sûre de sa noblesse, puisqu'une note de la main de d'Hozier mentionne~: « Henry Chahu, ci-devant trésorier de France en Bretagne (fils de Balthazar), demeurant à Paris rue de Vaugirard, s'est désisté de la qualité d'écuyer au greffe de la Connétablie le 19 janvier 1668. Déchargé de l'assignation (pour produire ses titres) sur son désistement par jugement des Commissaires généraux du Conseil du 18 octobre suivant~. » L'inventaire après décès de Claude Chahu fut fait par Gigault le 3 février 1670 et jours suivants.

Le t~MMg'e. Christine de Heurles était une femme bonne et intelligente, que ses actes montrent comme aussi pieuse et aussi généreuse envers les pauvres que soucieuse de ses intérêts et habile a tenir ses comptes. N'ayant pas d'enfants, ni de parents rapprochés, elle paraît avoir reporté son affection sur la fille du duc de Boumonville et sur les enfants de celle-ci, que leurs parents lui connaient quand ils avaient à s'absenter. Dans une lettre de septembre 1683, l'aînée, Marie de Noailles, l'appelle « ma chère ménine », nom donné encore dans le Midi aux grand'mères. Un portrait d'elle, daté de 1672, qui appartient à l'église de Passy, la représente sous sa coiffe et son voile de veuve, les traits distingués, le regard doux et &n~. A peine son mari était-il enterré qu'un sieur Thomas Billard, « chargé du recouvrement des restitutions sur les remboursements

i. Bibl. nat., PO 645, dossier 15185. Effectivement, le dossier des Chahu est des plus pauvres. La plupart des pièces concernent Balthazar Chahu, sa veuve ou ses enfants une seule (un affermage de la terre de Poitronville, du 8 juillet 1643) émane de Claude et sa femme, qui n'ont pas dû la produire eux-mêmes, puisque une généalogie esquissée par d'Hozier (Dossiers bleus 163, dossier 4291) fait de Claude un fils de Balthazar et de Françoise Gayant.

2. Lithographie dans Quillet, Chroniques de Passy (1836), et dans Bulletin d'Auteuil-Passy, 1 (1803), p. 93.


de rentes », intenta un procès à la succession pour des faits remontant à 1638. Mais l'arrêt du Conseil du ier juillet 1670 déchargea Mme Chahu de ses réclamations.

La première chose à faire était de régler sa situation vis-à-vis du duc de Bournonville, seigneur de la Motte-Tilly, légataire universel de son mari. Le 15 juillet 1670, suivant sentence du Châtelet, elle rendit compte à celui-ci des biens entrant dans la communauté entre son mari et elle. Le 10 août, devant Gigault, eut lieu entre eux le partage des autres biens, consistant dans la seigneurie de Passy (estimée 60 ooo livres), la maison acquise de Turmenyes, une autre acquise de Sauvat, la maison de la rue Saint-Honoré (estimée 150000 livres), les deux maisons de la rue du Mail et les rentes, le tout montant à ~29928 livres 19 sous. Il y avait lieu d'en déduire les propres de Mme Chahu, c'est-à-dire sa dot et ce qu'elle avait hérité de sa mère et de son frère, soit 1~.3 6q6 livres 7 sols 5 deniers, pour lesquels elle recevrait les deux maisons de la rue du Mail et des rentes. Le propre de Chahu se montait à 228 568 livres 15 sols 8 deniers, pour lesquels le duc aurait la seigneurie de Passy, la maison de la rue Saint-Honoré, les 2~ 000 livres de son emprunt et des rentes, le tout faisant 239 6oo livres et l'obligeant à une soulte de 11 031 livres sols deniers. Mais il laissait à Mme Chahu la seigneurie de Passy, contre l'exécution des legs de son mari, dont elle se chargeait, et lui devait 18 750 livres pour la part de la taxe de la chambre de Justice se rapportant aux trois années ayant précédé le mariage de Chahu. Sa part se réduisait donc à 158 868 livres 15 sols 8 deniers.

Restaient à partager les maisons de Turmenyes et de Sauvat et des rentes, montant à 76~63 livres 15 sols 8 deniers. On en fit deux lots égaux, dont le premier, comprenant la maison de Turmenyes, échut à Mme Chahu, qui en aurait de suite la pleine propriété, et dont le second, comprenant la maison Sauvat, échut au duc, qui n'en aurait la propriété qu'après le décès de Mme Chahu, en raison du don mutuel.

Le lendemain i août, devant Le Moyne, Mme Chahu et le duc de Boumonville convinrent que celui-ci recevrait de suite en toute propriété la maison de la rue Saint-Honoré et serait déchargé des loyers dus par lui, de la rente de i ooo livres constituée en 1656, de la soulte stipulée au partage de la veille et des dettes de Chahu. Moyennant quoi, Mme Chahu jouirait en pleine propriété de tout le reste en outre, elle conserverait, sa vie durant, la partie de la maison de la rue Saint-Honoré qu'elle occupait et toucherait les loyers du corps de logis du devant, loué par son mari au sieur Remy, cabaretier, moyennant 550 livres.

L'année suivante, le 23 juillet 1671, devant Gigault, le duc céda la maison à sa femme, Lucrèce-Françoise de la Vieuville, dont il se sépa-


rait de biens, pour partie de ses reprises, aux conditions stipulées dans l'acte précédent. Le 6 août suivant, devant Gigault, une nouvelle convention intervint entre le ménage de Boumonville et Mme Chahu, stipulant que, si la duchesse, maintenant propriétaire, décédait avant Mme Chahu, celle-ci pourrait, à sa seule volonté, quitter la maison et recevrait alors une rente de 2 400 livres de même, si la duchesse donnait la maison à sa fille à l'occasion de son mariage, comme elle en avait l'intention, la donation devrait comporter la condition précédente.

Une semaine après, le 13 août, devant Gigault, fut signé le contrat de mariage de Marie-Françoise de Boumonville avec Anne-Jules de Noailles, comte d'Ayen, et la première reçut de sa mère la maison dans sa dot, sous les réserves convenues. Le 20 juillet 1677, devant Ogier, les jeunes époux, devenus majeurs, confirmèrent à Mme Chahu la jouissance, sa vie durant, de l'appartement qu'elle occupait et des loyers du corps de logis du devant.

En 1671, Mme Chahu s'assura un petit appartement dans le couvent voisin de la Conception, pour y faire des retraites. Il se composait de deux chambres à cheminée et de quatre petits cabinets, et son loyer était de 600 livres. M°'e Chahu le conserva jusqu'à sa mort. Le 28 juillet 167r, devant Philippe Lemoyne, elle vendit à Vincent Hotman, seigneur de Fontenay, intendant des finances, et à Marguerite Colbert, sa femme, les deux maisons de la rue du Mail,'dont ils occupaient depuis longtemps la plus grande, contre 6750 livres de rente, au principal de 115 ooo livres. Le même jour, devant Sainfray, elle vendit à François Berthelot, commissaire des poudres, la maison de Passy acquise jadis de Turmenyes, contre 3 556 livres de rente, au principal de 70000 livres. Le 24 mai 1673, elle vendit encore, comme on l'a vu, la charge de trésorier de son mari à Michel de Bourges, sans que le prix soit indiqué.

Sa fortune dépassait de beaucoup ses besoins et lui permit de faire de nombreux prêts d'argent contre des rentes. Pour ne citer que les principaux, on la voit, le 31 juillet 1671, donner 36000 livres à l'Hôtel-Dieu, contre 3000 livres de rente viagère, et, la même année, 15.000 livres aux Jacobins-Saint-Honoré contre 1 400 livres. En 1672, elle prête 25000 livres au duc de Duras et 24000 aux QuinzeVingts en 1673, 20 ooo livres à François d'Espinay, marquis de Saint-Luc, 8000 à Christophe Marie, sieur de Monceaux, substitut au Châtelet, 5000 à Catherine Rose, veuve Langlée, et à son fils, 26 ooo à Antoine Girard, sieur de Villetaneuse, procureur aux Comptes en 1676, 14 ooo livres à Nicolas Cotignon, président à la Cour des Monnaies, et 23 ooo aux Jacobins pour les constructions qu'ils faisaient élever dans la rue Saint-Hyacinthe en 1682, i6 100 livres à Dangeau, 25000 au chapitre de Saint-Honoré, 13000


i. Arch. nat., P 145, 42 Cocheris, IV, p. 287.

à la Ville en rentes sur les gabelles en 1683, 12,000 livres à Louis de Guiscard et Angélique de Langlée, sa femme.

Le i avril 1680, devant Béchet, elle fit un placement immobilier, en acquérant, de Marie Limosin, veuve de Philippe Perceval, et consorts, deux petites maisons joignantes de la rue des Filles-Dieu, qu'elle paya 10000 livres et loua l'année suivante pour ~50 livres. Tous ces revenus nouveaux, joints aux rentes qui lui étaient échues par le partage de 1671 avec le duc de Bournonville, lui permirent d'augmenter sa terre de Passy, dont elle renouvela l'aveu au roi le 17 février 1672 et de faire de nombreuses libéralités. Le 17 janvier 1671, elle acquit du sieur Rousseau une masure pour i 500 livres. Les /). mai 1672 et 2 mai 1675, elle acheta, pour 2 ~oo livres, des héritiers Olivier, une petite maison devant le château. Le 18 décembre 1680, elle se fit adjuger au Châtelet, pour 2 720 livres, deux petites maisons dans la rue de l'Église.

Dès le 12 juillet 1670, elle demanda l'érection en cure de la chapelle de Passy, construite par elle et son mari, et l'obtint le 30 octobre suivant mais l'opposition du chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois retarda l'érection définitive jusqu'au 18 mai 1671. Suivant accords des octobre 1670 et 5 septembre 1671, l'église devait être desservie par les Barnabites, du prieuré de Saint-Ëloi, en la Cité. La fête patronale fut fixée au 25 mars, jour de l'Annonciation, ce qui explique le nom donné en 1867 à la rue voisine, jadis de l'Église, puis de la Paroisse, et le vocable souvent attribué à l'église, dédiée en réalité à Notre-Dame-de- Grâce. Le droit de nomination à la cure était dévolu à Mme Chahu, puis à ses successeurs.

Les 4 et 5 mai 1672, Mme Chahu signa un accord définitif avec les Barnabites, et donna 8 ooo livres pour la dotation de la cure, ainsi qu'une maison pour le presbytère. Le 29 janvier 1673, elle donna une autre maison, qu'elle avait fait construire de neuf, pour servir d'école, avec 150 livres de rente pour doter l'institutrice, et constitua le même jour i 200 livres de rente à l'église pour une messe journalière de requiem. Le 7 juin 1681, elle fit don encore de 5 000 livres aux Barnabites pour les aider à acheter, dans la Grande-Rue (Raynouard), une maison, payée 12 ooo livres, qui est le presbytère actuel. Le 3 août 1682, elle construisit dans l'église une chapelle particulière, qui lui coûta i 050 livres, et, la même année, donna encore 13 120 livres à la paroisse, pour l'achat de 656 livres de rente sur la Ville. Mais elle éprouva des ennuis et des procès du fait d'anciens créanciers du ménage de Hangest, qui produisirent des rentes hypothéquées sur la terre de Passy et non comprises dans le règlement de 1658. En particulier, elle dut, le 6 mars 1681, devant Dionis, après


quatre ans de procédure, payer 6956 livres à une dame Anne Robin, veuve d'un sieur Potier, le total de ses débours se montant à 1~86 livres. Mais elle avait droit de recours contre les Hangest ou leurs héritiers et, le 7 mars 1681, put céder sa créance à un sieur Nicolas Langlois, libérant ainsi sa terre de Passy de toute hypothèque. Mme Chahu fit son testament dès le ier septembre 1676, constituant de nombreux legs aux églises et aux couvents, contre des messes, et donnant tout le reste de ses biens à l'Hôtel-Dieu. Elle confirma ces dispositions le 23 août 1679, devant Béchet et, le 1°~ septembre 1681, étant malade au lit, y ajouta un codicille concernant de nouveaux legs, entre autres un don de ~.oooo livres à Marie de Noailles, pour s'acheter un collier de perles. Elle vécut encore deux ans et, en mars 1683, des lettres très affectueuses du duc et de la duchesse de Noailles la remerciaient du soin qu'elle prenait de leurs enfants. En septembre 1683, elle eut la joie de voir arriver son cousin Claude Le Peletier à la surintendance des finances. Elle était aussi cousine de Louvois et du chancelier Boucherat et, le 10 septembre, le duc de Bournonville, alors à sa terre de La Mothe-Tilly, lui écrivait de Provins « La Justice, la Guerre et les Finances sont présentement entre les mains de toute votre parenté. »

Mme Chahu mourut à l'hôtel de Noailles, rue Saint-Honoré, le 19 novembre 1683, et fut enterrée aux Jacobins, près de son mari. Son inventaire fut fait par Chupin, notaire de l'Hôtel-Dieu, le 25 novembre et jours suivants. Le 12 janvier i68/)., son notaire Béchet déposa chez Chupin 11 ooo livres en espèces que sa cliente lui avait laissées en garde le 9 novembre précédent. Plusieurs parents éloignés réclamèrent la succession, mais, après procès, furent évincés. Pour acquitter les legs, l'Hôtel-Dieu mit en vente la terre et seigneurie de Passy et l'adjugea, le août 168~ devant Chupin, pour 60000 livres, a Arnauld de la Briffe, maître des requêtes, président du Grand Conseil, demeurant rue Saint-Martin. L'acte spécifiait qu'il avait été pris récemment quelques portions de terre « pour le nouveau chemin, au long de la Seine, conduisant au pont de Sèvres )). Le 23 août suivant, l'Hôtel-Dieu versa à Élisabeth Pidou, veuve de Claude de Machault, seigneur de Garges et de Romaincourt, et tutrice de ses enfants, demeurant rue Neuve-Saint-Eustache, la somme de 250 livres, pour droit de rachat du fief de Saint-Paul.

Telle fut la vie du ménage Chahu. Le mari, dans un poste de second plan, mais encore fort important, n'y fit pas l'énorme fortune de son collègue Jean-Baptiste Lambert, mort assez tôt pour ne pas voir de chambre de Justice, mais y acquit une aisance plus que large et conserva, dans des temps particulièrement difficiles, la réputation d'un parfait honnête homme. L'épouse, privée du bonheur d'avoir des enfants, fut une femme de cœur et une femme de tête, à hauteur


de toutes les situations, qui vécut sans faire parler d'elle, sinon, chez les pauvres et les ordres religieux, et qui ne doit d'être connue que par le geste de suprême générosité qu'elle eut à son dernier jour. On se sent, dans leur commerce, en un milieu sain et bien français. Les maisons des Chahu. Je compléterai cette étude par quelques renseignements sur le sort des immeubles ayant appartenu aux Chahu, me contentant de résumer brièvement ce que j'ai dit ailleurs sur l'hôtel du quai Malacquest et sur la maison de Passy acquise par eux du notaire de Turmenyes et revendue à Berthelot.

Le premier (n° 15) fut vendu en 1684, par Macé II de la Bazinière, au duc et à la duchesse de Bouillon, déjà acquéreurs, en 1681, du grand hôtel voisin (n° 17), dont il suivit dès lors la destinée. Après être restés pendant plus de cent ans dans la famille de Bouillon, les deux immeubles furent acquis en 1801 par Roy, en 1809 par la duchesse d'Arenberg, en 1823 par Pellapra, en 1884 par l'État, qui les a incorporés à l'École des Beaux-Arts 1.

La seconde, achetée en 1653 au notaire de Turmenyes, qui la possédait depuis 1642, et revendue par Mme Chahu, en 1671, à François Berthelot, fut acquise en 1705 par le duc de Lauzun et revendue par sa veuve, en 1734, à la marquise de Saissac, dont le petit-neveu la céda, en 1783, à la princesse de Lamballe. Elle devint, en 1818, maison de santé du docteur Blanche, puis, en 1872, du docteur Meuriot, et a été lotie en 1923

L'hôtel de la rue Saint-Honoré où M. et Mme Chahu étaient morts (n° 334) fut donné par Marie-Françoise de Bournonville, duchesse de écailles, le 26 septembre 1723, devant Lefèvre, sous réserve d'usufruit, à son fils Adrien-Maurice, qui le donna, le i~r octobre suivant, aussi sous réserve d'usufruit, à son fils Philippe, marquis de Mouchy. Précédemment, la première l'avait loué à vie à Mlle de la Chausseray, qui le sous-loua, le 1°'' août 1724, au marquis de Puységur. Le 23 septembre 1743, devant Bapteste, la duchesse de Noailles, toujours vivante (elle ne mourut qu'en juillet 1748, à quatre-vingt-treize ans), reloua l'hôtel, pour neuf ans, à Claude-Henri Feydeau de Marville, lieutenant de police, qui, le 7 juin 1747, devant Doyen, céda la suite de son bail à son successeur Nicolas-René Berryer, lequel, dès le 26 avril 1748, devant Doyen, signa avec la duchesse une prolongation de six ans, à dater de 1751, au loyer de 6600 livres. Le 13 avril 1750, devant Doyen, Philippe, comte de Noailles, plus tard duc et maréchal de Mouchy, et Anne-Louise d'Arpajon, sa femme, demeurant rue de l'Université, vendirent l'hôtel, pour 160 ooo livres, à

i..Ëttt~es de <o/'o~a~e, I, p. 253-236.

2. Avezou et Dumolin, la Maison de Mme de Lamballe (Bulletin d'AuteuilPassy, XI, 1926, p. 93-10r).


Étienne-Claude Fizeaux de Clémont et à Marie-Anne Perinet, sa femme, qui continuèrent le bail de Berryerl. En ry8o, la maison était occupée par le comte de Brienne.

La maison du fief 5'cmt<-jPa:M~. On a vu (page 27) que, le 10 juillet 1623, devant Fontaine, Mathieu Lallemant, seigneur de Passy et du fief de Saint-Paul, avait vendu la grande maison dépendant de celui-ci à Charles Boucher, avocat au Parlement, pour la tenir en roture. Cette maison bordait la Grande-Rue (Raynouard) et était séparée du château de Passy par une ruelle, dite Saint-Paul (rue des Vignes). Lallemant s'engageait à ne pas planter d'arbres sur la terrasse située de l'autre côté de la rue de Passy et dépendant de son château.

La maison passa à Rogère Turgis, veuve d'Antoine Deraincy, qui la vendit, le 29 novembre 16~6, devant Levasseur, à Pierre Saulger, intendant des vivres aux armées, lequel l'agrandit d'une petite maison voisine et revendit le tout, le 10 décembre i6g6, devant de Beaufort, pour 15 ooo livres, à Jacques Gaboury, premier valet de garderobe du roi. Le 30 décembre 1665, devant Gigault, Gaboury céda la propriété, pour 20000 livres, à Guillaume de Tholozany, écuyer de la grande écurie, et à Marguerite d'Aussy, sa femme, lesquels dixhuit mois après, le 21 juin 1667, devant Gigault, revendirent au même prix, à Ignace Desloges, avocat. Comme dans les actes de 166~ et de 1656, la maison, comprenant un grand corps de logis et une grande galerie dans l'aile gauche, sous laquelle étaient les offices et les remises, plus des communs, avec écuries et étables, était dite tenir par devant à la rue de Passy, par derrière à des terres labourables, d'un côté à la ruelle Saint-Paul, conduisant à la Muette, de l'autre à des voisins dont le nom était laissé en blanc.

Desloges agissait pour le compte d'Anne Yvelin, veuve de Jacques Morin, secrétaire du roi, à qui il passa déclaration de son achat, après obtention du décret volontaire, le 8 mai 1668, devant Gigault. Ce Jacques Morin, dit « le Juif », ancien garçon de boutique, puis usurier et traitant, avait fait une énorme fortune et marié ses trois filles, l'aînée, Marie-Marguerite, en 1658, à Jean, comte d'Estrées, viceamiral et maréchal de France, la seconde, Anne-Françoise, en 1670; à Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, la troisième, Anne, en 1667, à Louis-Henri Habert, seigneur de Montmort, conseiller au Parlement~.

A la mort d'Anne Yvelin, au début du xvm° siècle, la maison fut mise en vente à la requête de sa troisième fille, Anne, veuve (depuis 1686) de Louis-Henri Habert, et fut adjugée au Châtelet, le 6 juin

i. Arch. nat., T 1911 et 19~

3. Saint-Simon, II, p. 130 XXIV, p. 268, 269.


1708, pour 14 500 livres, à François de Callières, seigneur de la Rochelay, secrétaire du Cabinet du roi, ancien plénipotentiaire à Ryswyk, un des quarante de l'Académie royale et grand ami du duc de SaintSimon 1. A cette occasion, le 6 juin 1708, devant Boscheron, Bonne de Barillon, veuve d'Arnauld de la Briffe, procureur général, et dame de Passy, fit remise de ses droits seigneuriaux à Marguerite Morin, veuve du maréchal Jean d'Estrées, demeurant quai Malacquest. Celle-ci avait quatre enfants, Victor-Marie, qui fut aussi maréchal de France et devint duc d'Estrées~; Jean, entré dans les ordres 3 Marie-Anne-Catherine, épouse de Michel-François Le Tellier, marquis de Courtenvaux, fils aîné de Louvois4 enfin, Élisabeth-Rosalie, damoiselle de Tourpes, restée célibataire 5. Cette dernière exerça son droit de retrait lignager et, le 29 août 1708, fut remise en possession, contre remboursement à Callières du prix payé par lui. Le 23 avril 1711, devant Boscheron, elle acquit une place en terrasse, située de l'autre côté de la rue de Passy, de Nicole Desfiez, fille majeure, qui en était elle-même propriétaire comme créancière d'Étienne Chaudé et de Marie Desfriches, sa femme. Le 28 octobre 1718, devant Richard, elle revendit le tout, y compris les meubles, pour 20000 livres, à Robert de Cotte, architecte du roi, demeurant rue des Orties, et à Catherine Bodin, sa femme. La propriété, qui couvrait g 220 toises, sans la terrasse, tenait d'un côté à la ruelle SaintPaul, de l'autre à plusieurs propriétaires, dont le duc d'Aumont, et par derrière à ce dernier' Dès le 3 mai 1723, par acte sous seing privé, Robert de Cotte et sa femme vendirent la maison à leur fils aîné Jules-Robert, moyennant 20000 livres, sous réserve d'usufruit. Ils en passèrent déclaration au terrier de Passy le 26 septembre 1730 et, en 1733, cédèrent encore à leur fils le mobilier. Robert de Cotte mourut dans la maison le 14 juillet 1735 et, le 20 août suivant, devant Ballot, sa veuve déclara que, en raison de ce décès et pour se dispenser des réparations, elle se désistait de l'usufruit en faveur de son fils. En 1739, Jules-Robert de Cotte, intendant des Bâtiments et directeur de la Monnaie, acquit des terres aux environs. Le 26 février 1742, devant Prévost, il acheta, pour 4 120 livres, une petite maison au nord. Le 7 mai 1753, devant Dupré, il acheta, pour 1500 livres, sous le nom du menuisier Le Maire, une place mesurant 4 toises de face sur 14 de profondeur, à Charles-Maurice Grimaldi de Monaco,

i. Saint-Simon, III, p. 279, 293-294, 300-301.

2. Saint-Simon, II, p. 99; XI, p. 17-18.

3. Saint-Simon, X, p. 234.

4. Saint-Simon, XI, p. 18.

5. Saint-Simon, IV, p. 320 XXIV, p. 270.

6. Sur la maison de Cotte, cf. Léopold Mar, Bulletin d'Auteuil-Passy, IV (1903), p. 260-264.


comte de Valentinois, et à Marie-Christine de Saint-Simon de Ruffec, son épouse, demeurant quai des Théatins. Il passa déclaration du tout au terrier de Passy le ier septembre 1762, la propriété tenant maintenant d'un côté à la ruelle Saint-Paul, de l'autre au comte de Valentinois 1.

Jules-Robert de Cotte mourut dans sa maison de Passy le 8 septembre 1766 et, par acte du i~j. mai 1767, devant Regnault, sa veuve, Suzanne Delaunay, en fit donation sur sa succession à son fils, JulesFrançois, président au Parlement, et à Anne-Claude Manslier, sa femme. Le 29 décembre 1780, devant Doillot, ceux-ci la vendirent, pour 39000 livres, aux Pères de l'Oratoire, qui, le rg octobre 1790, devant Doillot, la louèrent pour neuf ans, à dater du i< janvier suivant, au loyer de i 500 livres, à François-Artus-Timoléon de CosséBrissac, premier gentilhomme de Monsieur, et à Marie-AdélaïdeCamille de la Forest d'Armaillé, son épouse. C'est dans les archives des Pères que se trouve l'histoire de l'immeubles.

La maison mortuaire de Robert de Cotte occupait donc l'emplacement du n° 72 de la rue Raynouard.

Les derniers ~Mg'MgMM. Il reste à dire un mot des derniers seigneurs de Passy.

Arnauld de la Briffe, acquéreur de la terre en 168~ avait épousé Marthe-Agnès Potier de Novion, qui mourut à Passy le 28 mai 1686. Il se remaria le 28 février 1691 avec Anne-Bonne Barillon d'Amoncourt et mourut lui-même en 1700. Des démêlés de Lauzun au sujet de la censive de la maison acquise en 1705 des héritiers Berthelot (page 35) montrent que la seigneurie de Passy resta non au fils d'Arnauld de la Briffe, mais à sa veuve, Anne Barillon4. Ses héritiers durent la vendre, vers 1710, à Pierre Orceau, secrétaire du roi, qui apparaît comme seigneur de Passy dans un acte du 5 février 1711 5, et dont les héritiers revendirent la terre, le 8 juin 1720, à JacquesDaniel de Gueutteville, seigneur d'Orsigny. Le 30 avril 1722, celui-ci la revendit à Marie-Armande Carton, veuve de Louis-Guillaume de Fontaine, ancien commissaire de la Marine, et maîtresse du banquier Samuel Bernard~.

Cette dame de Passy est bien connue. C'est Bernard qui recons-

i. Sur la propriété des d'Aumont, puis des Valentinois, voir le Bulletin d'Auteuil-Passy, I, p. 138 III, p. 127 VII, p. 13-17. Le comte de Valentinois l'avait payée 80 000 livres en 1736.

a. La date de 1767, donnée par Jal (p. 434), doit être une erreur. 3. Arch. nat., S 6798, 3e liasse.

4. Avezou et Dumolin, loc. cit.

5. L. Mar, Bulletin Auteuil-Passy, III, p. 144.

6. 7M< I, p. 109.


truisit de fond en comble la maison seigneuriale, y dépensant plus de 300000 livres, soit six millions d'aujourd'hui 1. Après la mort de son protecteur, Mme de Fontaine céda le château au second fils de celui-ci, Gabriel Bernard de Rieux, président au Parlement, le 18 mars 1739, moyennant 182 400 livres. Celui-ci mourut en 1745 et, le 4 mai ~747, son fils, Anne-Gabriel-Henri, marquis de Boulainvilliers, loua la terre à vie, pour 120000 livres une fois payées, au fermier général Le Riche de la Popelimère, qui la posséda jusqu'à sa mort, le 5 décembre 1762 2.

En août 1769, Boulainvilliers fit un nouveau bail à vie, toujours pour 120000 livres, au duc de Penthièvre, qui ne prit possession du château, après un minutieux inventaire, que le 15 octobre 1771. Le 5 mai 1783, le duc transmit son bail au prince de Salm-Kirburg, que les tracasseries du propriétaire firent déguerpir rapidement, et le duc continua à rester maître de la propriété, qu'il n'habitait plus, jusqu'à sa mort en 1793.

En messidor an II (juin 1794), Boulainvilliers, que d'anciens services rendus à Fouquier-Tinville préservèrent de l'échafaud, vendit la terre et seigneurie de Passy, pour 400 ooo livres en assignats, à un certain Lys de Meulmester. Il mourut le 6 messidor an VI (24 juin 1798) et ses héritiers eurent beaucoup de peine à se faire payer 80 ooo francs par l'acquéreur.

Après différents propriétaires, la terre fut lotie en 1827. Maurice DUMOLIN

LES DALLES FUNÉRAIRES A EFFIGIES GRAVÉES DE L'ÉGLISE DE BAGNEUX (SEINE)

Lors de la séance tenue, le 11 février 1930, par la Société de l'his-

toire de Paris et de l'Ile-de-France, M"s Yvonne Bezard a fait une communication sur la Vierurale dans les environs de Paris, particulièrement dans l'archidiaconé de Josas, aux xve et xvie siècles, où elle s'est attachée à narrer les incidents de la vie paroissiale~. En effet, le clergé, qui s'intéressait à ses paroissiens pendant toute leur existence, ne les abandonnait pas, bien entendu, à l'heure de la

i. E. de Clermont-Tonnerre, Samuel Bernard, p. 98.

2. Ibid., p. 172, ï8o et 365.

3. La même année (1930), M"" Bezard a obtenu, pour ce travail, un prix de l'Institut.


mort. Il veillait avec soin à ce qu'ils accomplissent ces deux actes importants la dernière confession et le testament, où l'église n'était pas oubliée.

Tous donnaient quelque chose, si peu que ce fut, et les plus aisés tenaient à honneur d'être enterrés dans l'église.

C'est ce qui nous vaut aujourd'hui cette quantité de dalles funéraires, où s'exprimait l'art du tombier, formant, pour ainsi dire, de curieuses galeries de portraits de famille, où visages et costumes étaient habilement représentés.

Aux portes de Paris, il est une localité que bien peu de Parisiens connaissent, laquelle donne la preuve la plus convaincante de cette pieuse coutume. Il s'agit de Bagneux, dont l'église, d'autre part remarquable édifice du XIIIe siècle, présente par son architecture intérieure plus d'un point de ressemblance avec celle de Notre-Dame de Paris.

L'église Saint-Herbland ou Hermeland de Bagneux renferme un

certain nombre d'œuvres, classées comme elle-même, parmi les Monuments historiques un beau fragment de vitrail du xve siècle, une tribune d'orgues du xvie siècle, dont la balustrade est décorée de panneaux à médaillons, dont pas un ornement n'est semblable à l'autre, un bénitier de 1633, des plaques de fondations, etc. Mais ce qui fait de cette église un monument unique dans la banlieue parisienne, c'est la série de dalles funéraires, bien conservées, que l'on peut y remarquer encore.

Ces dalles, à effigies gravées, constituent là une sorte de musée lapidaire du costume, depuis le XIIIe siècle jusqu'au xvni~. Prêtres, laboureurs, vignerons, si fidèlement reproduits, que l'on croirait qu'ils ont posé de leur vivant, sont rassemblés dans le saint lieu, au nombre inusité d'une quinzaine, groupement d'une importance devenue bien rare à notre époque.

Parmi ces dalles, la plus ancienne est celle d'un prêtre, Yves Le Breton, t 1275. Elle ne porte pas d'effigie, l'emplacement destiné à celle-ci étant resté vierge du ciseau, mais l'inscription dont elle est largement bordée tout autour est gravée en superbes capitales gothiques. La tombe qui vient ensuite comme date est celle d'un prêtre, encadré d'une arcade ogivale malheureusement, presque effacée, je ne la mentionne que pour mémoire. Elle parait du xv~ siècle. La plus belle de toutes est encore celle d'un prêtre, -j- 1547, dont le nom est inconnu, car la partie de la bordure où il était gravé a été

i. Le bas-relief qui figure au tympan du portail est, bien qu'un peu mutilé, particulièrement intéressant au point de vue de la sculpture du xiii'! siècle. Il mériterait d'être signalé à part sur la liste des monuments historiques classés.


retaillée. Richement ornementée et, à part la susdite mutilation, admirablement conservée, l'architecture qui s'y trouve représentée

est, malgré la date inscrite, boyant. Une cavité carrée, creusée vers son centre, indique qu'elle a servi de table d'autel.

Enfin, la plus récente de ces dalles, en mettant à part les simples épitaphes armoriées et plaques de fondations, est encore celle d'un prêtre, Jacques Touchard, -i- 1558. Elle porte bien la marque de la Renaissance par son arcade surbaissée, avec fronton, supportée par d'élégantes colonnettes. Toutefois, comme nous l'avons dit, les prêtres ne sont pas en majorité dans cette assemblée. Ce qui en constitue surtout l'intérêt, c'est la présence, à côté de ceux-ci, inhumés de droit dans l'église, des artisans et des hommes des champs.

entièrement de style gothique flam-

Évidemment, ces gens du

peuple devaient payer assez cher le droit de faire creuser leur sépulture, et celle de leur

DALLE FUNÉRAIRE

DE L'ÉGLISE DE BAGNEUX Jacques Touchard, prêtre, 1558

famille, dans l'église même ce fait démontre au moins l'état de prospérité de leurs affaires, chacun dans sa profession. Il faisait vraiment bon vivre à Bagneux, en ce temps-là, et même y mourir. C'est ce que semblent dire les physionomies expressives des personnages représentés sur les dalles que nous allons énumérer succinctement, en faisant choix des mieux conservées, par ordre chronologique.

Guillaume Lefèvre, -i- 1~.81 sa femme, -j- 150~ et leurs enfants. Les figures et les mains sont en marbre blanc, et, parmi les enfants, le fils aîné seul a été honoré de cette distinction ornementale. Les têtes des époux sont encadrées par des coussins, sur lesquels elles reposent. Les enfants sont à genoux aux pieds de leurs parents de-


bout les garçons du côté du père, les Biles du côté de leur mère. La dalle, creusée à son centre, a aussi servi de table d'autel. Pierre Doucet, 1549. C'était un célibataire; il est seul, en costume semblable à celui du précédent. La dalle est en deux fragments.

DALLES FUNÉRAIRES DE L'ÉGLISE DE BAGNEUX

Guillaume Lefèvre, Philippe Bleuse, laboureur, sa femme et ses enfants et Catherine Hardy, sa femme Jehan Delassable, laboureur et vigneron Guillaumette Caigneux, sa femme, -}- 1553, et leurs enfants, au nombre de huit. Cette dalle est en trois fragments, non mutilés et se raccordant parfaitement. Remy La Chuche et Colette Garnier, sa femme, avec leurs enfants. Il n'y a pas de date, mais les costumes, analogues à ceux représentés sur les dalles énumérées ci-dessus, indiquent la même époque, c'està-dire le milieu du xvie siècle. Leur dalle a été fragmentée transversalement en trois parties, très bien raccordées.

Terminons cette série des dalles laïques les mieux conservées par celle de Philippe Bleuse, laboureur, et de Catherine (dite Catheline dans l'inscription) Hardy, sa femme, -}- 1557, avec leurs enfants.


Ces derniers méritent une mention spéciale j'en ai compté onze, sept fils et quatre filles Encore en manque-t-il, car on remarque les traces d'autres figures à peu près effacées.

En effet, les familles nombreuses n'étaient pas rares à cette époque. On en voyait souvent de dix ou douze enfants, et l'on ne commençait guère à y faire attention qu'au dix-septième

Sur cette dalle, le père de famille, seul, a la figure et les mains en marbre blanc. Elle est intacte.

On peut en rapprocher, pour la disposition ornementale, comme pour l'attitude, la profession et les costumes des défunts, la belle dalle, conservée dans une région qui n'est pas très éloignée, de Richard Flecher, laboureur à Laroche-sur-Yonne, et de sa femme, avec leurs neuf enfants, deux garçons et sept filles. Datée de 1551, elle paraît être due au même atelier de tombiers que plusieurs de celles qui viennent d'être énumérées.

Toutes ces dalles, beaucoup plus nombreuses autrefois, étaient encastrées dans le pavé de la nef, lorsque j'eus l'occasion, en 190~, de les examiner au cours d'une tournée d'inspection dans la région parisienne.

Frappé de leur nombre et de l'intérêt qu'elles présentaient, j'en obtins le classement par le service des monuments historiques, ce qui était le plus pressé puis ensuite leur relèvement le long des murs des collatéraux, où elles ont été, par les soins de M. l'architecte Chaine, fixées au moyen d'agrafes et de crampons en fer 2.

Elles sont donc, pour longtemps à présent, mise à l'abri de l'usure produite par les pas des fidèles, et leur conservation est désormais assurée, en même temps que leur ensemble forme, comme nous l'avons dit, un véritable musée iconographique, des plus précieux pour l'histoire locale, de laquelle nous ne saurions rien si ces documents n'avaient été préservés.

Elles ont été amplement décrites par le baron F. de Guilhermy, dans son magnifique travail sur les Inscriptions de la France, du Ve au -Y~s siècle, faisant partie de la Collection des documents inédits sur /M~we de France, publiée par les soins du ministre de l'Instruction publique, de 1873 à r883 s.

i. A l'église Saint-Séverin, à Paris, figure une dalle avec effigies en relief, du xvn~ siècle, sur laquelle sont représentés quinze enfants cinq garçons et dix filles.

2. J'ai donné lecture à la Société nationale des Antiquaires de France, dans sa séance du i~ mars 190~, du rapport que j'avais adressé, à cet effet, à M. le ministre des Beaux-Arts.

3. Le travail de M. de Guilhermy, exécuté en collaboration avec M. Robert de Lasteyrie, comprend cinq volumes in-~o, avec figures et planches, concernant l'ancien diocèse de Paris.


Toutefois, cet ouvrage, déjà ancien et devenu rare, n'étant pas à la portée de tout le monde, il m'a paru utile de mentionner à nouveau les particularités peu connues concernant l'église de Bagneux. En outre, l'ouvrage en question ne donne que deux illustrations relatives à ces tombes une fort belle gravure pour la tombe du prêtre inconnu, 1547, et un simple croquis au trait pour celle du curé Touchard, d'après des dessins de Ch. Fichot.

Or, ayant eu la bonne fortune d'acquérir dans une vente d'autographes trois excellents dessins inédits du même artiste, reproduisant les effigies de plusieurs défunts laïques de Bagneux, je les ai joints à la présente notice, pour laquelle il en a été fait des reproductions, de beaucoup préférables, pour la netteté du trait, à la reproduction des clichés photographiques, faits par moi-même, de toutes ces dalles, lors de leur enlèvement du pavé de l'église.

La reproduction de ces documents graphiques est d'autant plus importante que l'examen sur place des tombes dont il s'agit ne s'effectue pas avec toute la facilité désirable. Outre qu'elles sont placées à contre-jour, puisqu'il n'était pas possible de faire autrement, on distingue assez mal les linéaments de la gravure des effigies. Pour obvier à ce sérieux inconvénient, dans une mesure appréciable, il serait bon de faire passer légèrement au minium tous les creux des gravures en question. Ce procédé en augmenterait beaucoup la visi-

bilité et faciliterait énormément leur examen

sans nuire à l'aspect

général.

Puissent ces lignes qui précèdent engager les chercheurs de documents, et même les simples curieux des choses du passé, à se rendre à Bagneux, pour visiter cette jolie localité et sa belle église, qui mériterait une monographie spécialement détaillée et abondamment illustrée 1.

A. PERRÂULT-DABOT.

i. A la Bibliothèque nationale se trouve, sous le titre !?M MMct~ ignoré CjBtt~eohfKt~, une notice sur Bagneux, par M. Eug. Toulouze, en un volume in-8", avec figures, publié à Paris, en 1898 (cote LK. 731330). Ce travail a été fait par M. Toulouze, paraUèlement à, .celui de MM. de Guilhermy et de Lasteyrie, que l'auteur ne cite pas, et dont. il ne paraît-pas avoir eu connaissance mais il est très documenté et fort intéressant à consulter.


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L'AGITATION PARISIENNE

ET LES PRISONNIERS DE LA BASTILLE

EN 1771-1772

L'objet de cette étude n'est pas de reprendre une histoire admirablement racontée en 1883 par Flammermont, dans sa thèse sur le

Chancelier Maupeou et les parlements. L'auteur a exploré toutes les sources narratives. Dans la débauche de libelles qui suivit les réformes de Maupeou, il a opéré un choix judicieux il a analysé avec soin le pamphlet le plus important, celui du fermier général Augeard, qui s'intitule M~M~~OMa~a, ou Correspondance secrète et familière du chancelier MaM~OM avec son CtSMf Sorhouet, membre inamovible de la cour des ~at~ de France. Rien de mieux que tout cela, et je passerais pour un regrattier de l'érudition si je voulais revenir là-dessus. Aussi me bornerai-je, en curieux de l'histoire parisienne, à traiter ici de l'agitation dans Paris et des prisonniers de la Bastille en 1771-1772. A cette fin, j'utiliserai les Archives de la Bastille, encore inédites pour la période qui s'étend de 1769 à 1789. Je n'ai pas besoin de rappeler comment, le 3 décembre 1770, Maupeou déposait un édit qui brisait toute solidarité entre les Parlements, comment, à la fin de janvier 1771, les magistrats étaient exilés et remplacés, en attendant mieux, par le Conseil d'État du roi, que l'on surnomma par dérision le Sénat parisien.

Le coup d'État de Maupeou suscita dans Paris une réprobation unanime à peine, dans ce concert, distinguait-on quelques dissonances le parti des Jésuites expulsés, l'archevêque de Paris, Mgr Christophe de Beaumont, et avec eux le défenseur de Calas, Voltaire. Tout le monde voulut exprimer son opinion, depuis les princes du sang, qui, dès la fin de janvier 1771, avaient préparé un mémoire, jusqu'aux décrotteurs du Pont-Neuf, qui réclamaient « le pain à deux sols, le chancelier pendu ou la révolte à Paris ». La populace avait inventé un jeu de mots atroce, mais qui fit fortune Que de maux pour un pou

Sire, que ne l'écrasez-vous ~?

Des placards, injurieux pour les magistrats de Maupeou, étaient affichés partout, sur la porte de la Grand'chambre, sur les murs du Palais-Royal et au quartier latin 2. Rue des Fossés-Saint-Victor, rue

i. Cf. Journal de Hardy, éd. Tourneux et de Vitrac, p. 259 et suiv. 2. Flammermont, le CAaMC~Mf AfaM~soM et les Parlements, p. 251.


Bordet, à la devanture d'un perruquier, on en découvrit, le 26 février 1771 1. Les étudiants, surtout les futurs juristes, usaient de pommes cuites, afin de rabattre, disaient-ils, « la frisure orgueilleuse d'un faquin de laquais (ainsi traitaient-ils Maupeou) qui fait l'homme essentiel derrière le carrosse de son maître ». On avait dû poser des grilles de fer à l'entrée de leurs collèges, pour les empêcher de sortir par groupes et de se mêler à la foule

L'agitation gagna jusqu'aux académiciens, en passant par les salons de Mme Geoffrin et de Mme d'Épinay. On trouve l'écho de ces moindres potins relatifs à l'affaire du Parlement dans le Journal, exact et sincère, du libraire parisien Hardys. C'est lui qui nous raconte comment l'abbé de Voisenon, l'ami de Grimm et de Diderot, reçut à l'Académie française, dans la séance du 4 mars 1771, l'évêque de Senlis, Mgr de Roquelaure, conseiller d'État, et en cette qualité membre du Sénat parisien. Au discours du prélat, Voisenon répliqua par le persiflage le plus piquant, en faisant ressortir comment il se montrait à la fois évêque, magistrat et juge. « Ce qu'il y avait de plus mortifiant pour le récipiendaire, explique Hardy, c'est que l'assemblée, qui était très nombreuse, applaudissait par des battements de mains multipliés à la fin de chaque période, d'une manière à contrister le pauvre sénateur, au point qu'on lui trouvait l'air humilié d'un enfant qui recevait le fouet au milieu d'une école, après y avoir été vivement gourmandé 4. » L'auteur de cette correction spirituelle, l'abbé de Voisenon, était un poète facile et un causeur assez mordant, comme en témoigne une anecdote rapportée par Grimm. On sait que le maréchal de Richelieu avait été chargé de supprimer la Cour des aides et que, sur la fin de sa vie, il était devenu fort sourd. Un jour que le duc de Fronsac disait à l'abbé de Voisenon « Mon père est demeuré sourd au cri de la Cour des aides )), l'aimable ecclésiastique répartit « Il avait pris ses mesures d'avance )) Le Conseil d'État, sur lequel badinait l'abbé de Voisenon, avait été installé par Maupeou le 24 janvier 1771, pour servir de parlement provisoire, au milieu d'un déploiement considérable de forces militaires et policières, qui n'arrivaient pas à contenir la ruée envahissante du peuple parisien. Les avocats, pour ne pas s'associer à la

i. Hardy, éd. Tourneux et de Vitrac, p. 241.

2. Lire sur ce point Très ~M~M~ et très respectueuses remontrances des écoliers de l' Université de Paris, fille aînée du roi, s. t. n. d. (Bibl. nat., impr. Lb~ 1190).

3. Hardy, Mes loisirs. éd. Tourneux et de Vitrac. Paris, loiz, m-8°. 4. Hardy, p. 243.

5. Correspondance littéraire, ~/Myoso/'A:M6 et critique, par Grimm, Diderot, -Ra!yKft/, Meister, etc., publiée par Maurice Tourneux, 1879, in-8", IX, p. 320.


nouvelle justice, fermèrent leurs cabinets. Le 28 janvier, les comédiens ordinaires du roi eurent l'imprudence de jouer les Plaideurs, aux Tuileries. Il y eut un tapage insensé, lorsqu'ils déclamèrent l'alexandrin de Racine

Comment plaiderions-nous? Nous n'avons point d'avocatsl. Les rares basochiens, dévoués à Maupeou, se couvraient par là même de ridicule et se ressentaient, comme les autres, de la misère, générale ou à peu près, dans le monde des juristes. C'est encore le bon bourgeois janséniste Hardy, qui relate, le 14 juin 1771, l'histoire suivante, bien caractéristique (je lui laisse la parole). « Ce jour, un sieur abbé des Brosses, clerc minoré, chanoine de l'église collégiale de Saint-Cloud, reçu avocat au Parlement, mais qui n'avait jamais pu parvenir à se faire inscrire sur le tableau des avocats (parce qu'on lui connaissait le cerveau timbré), se présente au Châtelet, à l'audience du parc civil, en robe et bien calamistré, portant sous son bras quelques sacs de procédure qu'il tenait on ne savait trop d'où ni de qui. Il se place dans le banc destiné aux avocats. Les procureurs présents à cette audience, curieux de voir s'il occuperait pour quelqu'un et s'il porterait la parole, ne lui disent rien d'abord, se contentant de le regarder comme un homme qui se disposait à jouer un vilain rôle mais l'audience achevée, sans qu'il eût ouvert la bouche, il passe dans la pièce qui précède la salle du présidial, où il devient le jouet d'un grand nombre de clercs et même de procureurs, qui le bafouent comme il le méritait, en le pelotant et se le renvoyant les uns les autres, ce qui ressemblait assez au bernement de Sancho Pança. De quoi le syndic de la communauté des procureurs s'étant aperçu et craignant les suites d'une pareille scène, il prend cet abbé par la main et l'engage à se retirer, en lui en fournissant le moyen, ce qu'il ne fait rien moins qu'après avoir distribué à qui en voulait des exemplaires imprimés d'une pièce de vers français à la louange du roi, qu'il disait être de sa composition et au bas de laquelle il avait eu soin de mettre son nom et sa demeure, afin que tous ceux qui jugeraient à propos de lui confier la défense de leurs causes pussent le trouver facilement »

Tous les avocats ne ressemblaient pas à l'abbé des Brosses. La plupart se distinguèrent par leurs violents propos contre le chancelier. Ruinés par la destruction de la magistrature et les opérations de l'abbé Terray, ils se vengeaient en distribuant, par les rues et dans les promenades publiques, les brochures contre le nouveau Parlement.

l. Hardy, éd. Tourneux et de Vitrac, p. 236. 2. Hardy, éd. Tourneux et de Vitrac, p. 270.


Ils devenaient colporteurs, et ce commerce leur rapportait de W vivre. Ce fut contre eux et non contre les esprits vraiment dangereux, contre les auteurs des libelles, riches et protégés par le lieutenant de police Sartine, que Maupeou exerça une répression inconsidérée. D'accord avec La Vrillière, son collègue, il usa beaucoup des lettres de cachet. Les Archives de la Bastille nous en fournissent la preuve, en même temps qu'elles projettent quelque lumière sur l'état de pauvreté des gens de loi.

Le 27 mars 1771, vers dix heures du soir, deux escouades du guet surveillaient une maison de la rue Copeau, dans la paroisse SaintÉtienne-du-Mont. L'immeuble appartenait à Me de Veugny, ci-devant avocat au Parlement, âgé de soixante-quatorze ans. Deux

exempts et un commissaire l'arrêtent et le conduisent à la Bastille. Le bruit courait même qu'on l'avait enfermé dans les cabanons destinés aux criminels. Né à Paris, ancien officier d'infanterie au régiment du Vexin, il avait eu le malheur de recevoir un coup d'épée au ventre, dans un duel avec M. de Saint-Mathieu, gentilhomme de la Saintonge~. C'est alors qu'il s'était tourné vers la carrière du droit. Que lui reprochait-on? Des paroles indiscrètes prononcées au Châtelet et au jardin du Luxembourg. Apprenant que la feuille des bénéfices était retirée depuis peu à l'évêque d'Orléans, Mgr de Jarente, il avait, sans penser à mal, dit à quelques amis « Le roi aimait l'évêque d'Orléans mais ce prélat s'est rendu désagréable au chancelier, qui a demandé qu'il fût écarté, et le benêt (c'était Louis XV), qui n'a pas la force de lui résister, y a consenti 2. » On lui imputait encore une ode de fort mauvais goût et d'une plate grossièreté, la Chancelière. Interrogé sur ce dernier grief, le 28 mars 1771, il refusa énergiquement de répondre Quand on connaît la franchise, les scrupules de conscience du personnage, quand on sait de plus qu'il avait un style dur et incorrect, pareil à celui de l'ode, on se demande si les insinuations étaient bien calomnieuses. Le 29 mars 1771, Sartine écrivait au major de la Bastille, M. Chevalier « Vous pouvez faire promener M. de Veugny dans la cour et lui procurer des adoucissements à cause de son grand âge 4. » Cependant, il n'était pas encore autorisé à voir sa femme, le 17 avril' Le 8 août, il se plaignait amèrement dans un langage bien impropre et bien heurté « Prisonnier, dans des qualifications hasardées d'office, injustes, sans preuves ni conviction, je proteste et protesterai en toute occasion d'avoir été noté de citoyen dangeyeux et scandaleux. Mes moeurs sont pures.

i. Bibl. Arsenal, Arch. Bastille, ms. 12393, fol. 290. 2. Hardy, éd. Tourneux et de Vitrac, p. 253. 3. BiN. Arsenal, Arch. Bastille, ms. 12393, fot. 292. lbid., ms. 12512.

5. Ibid., ms. 12513, fol. 111.


Ma fidélité et ma soumission au roi est un devoir duquel je ne me suis jamais départi. Exact, ponctuel à payer le subside, je rends à César ce qui lui est dû. Borné et contraint dans une fortune modique, je déplore dans le sein de mon épouse tous frais inutiles. Je suis privé de la consolation d'une épouse, et pourquoi? 0M!~ dixi? quid male/ec<? Le nécessaire me manque. Un crime a un objet. Il a un point fixe, et depuis cinq mois j'ignore ce dont je suis accusé. A l'âge de soixante-quatorze ans dans les fers, je suis encore, contre l'esprit des lois divines et humaines, privé des sacrements. Le fermeté de cette défense m'annonce d'autres maux 1. » Finalement, on eut pitié de ce vieillard il sortit en protestant plus que jamais, le 29 novembre 1771 s.

Maupeou ne'se trompait pas. C'étaient bien des avocats, jansénistes farouches, comme de Veugny, qui rédigeaient la plupart des pamphlets dont Paris était inondé. Je rappelle que Blonde avait composé le Parlement /M~t'/M par ~'t'~t~~a~tes de Russie et ËIie de Beaumont la L~'e sur l'état actuel du crédit, datée du 20 juin 1771. Target connaissait un succès mérité avec ses Lettres d'un homme à un autre homme sur les a;a;t~M du temps. Mais ces noms-là demeuraient alors ignorés de l'autorité, puisque les ouvrages paraissaient sous le couvert de l'anonymat et sans indication d'éditeur s. A vrai dire, le lieutenant de police Sartine en savait très long sur toutes les énigmes du temps seulement il était l'ami de Choiseul et des parlementaires. Jamais le chancelier ne parvint à ébranler la situation d'un courtisan qui rendait à Louis XV les services les plus tristement célèbres' C'est pourquoi Maupeou et La Vrillière en étaient réduits à rechercher et à faire embastiller les malheureux gens de loi, quels qu'ils fussent, surpris avec des libelles en mains. Claude Roger, avocat et employé à la Gazette de France, incarcéré le 2 avril 1771, était, si l'on s'en réfère à son dossier, « un citoyen honnête ». Il avait « la probité, la candeur, l'ingénuité d'un enfant, le cœur le plus droit, les mœurs les plus épurées~ ». D'autres, Convers-Desormeaux, Henri Laroche, Edmond Caron, s'étaient bornés, comme Roger, à distribuer ou à vendre des brochures. Tout au plus avaient-ils exprimé leur mécontentement par d'assez mauvaises poésies. Les commissaires abusaient de la faiblesse de personnalité de ces individus pour essayer de leur extorquer des aveux. Mais ils n'obtenaient fatalement que les renseignements les plus insuffisants.

i. BiN. Arsenal, A rch. Bastille, ms. 12512, fol. 394.

2.j'&fol.4.27.

3. Flammermont, le Chancelier Maupeou et les Parlements, p. ~15-18. 4. Id., Ibid., p. 333-334.

5. Bibl. Arsenal, Arch. Bastille, ms. 12393, fol. 146.


Dans cette galerie de prisonniers plus imprudents ou plus nécessiteux que coupables, il faut mettre à part Jean-Joseph-Gabriel Prudhomme, un de ces avocats sans causes, fort nombreux en cette nn du xvme siècle, qui acceptaient toutes les besognes, sans conviction, avec le seul désir de dorer un peu leur misère. Il avait mené une vie de bohème il se targuait de faire des poésies qu'il croyait spirituelles et qui étaient si plates que je dois renoncer à les citer ici. Il supportait fort mal sa détention à la Bastille, se lamentait, écrivait, le 18 mai 1773, à Mme de Sartine « Semblable en mérite à Esther qui triompha d'Assuérus, en le rendant de dur qu'il était aussi doux qu'un mouton, une parole de votre bouche aura la même vertu à son égard » Prudhomme, à la Bastille, apparaît comme le plus malheureux des hommes c'est lui-même qui nous apprend que son épouse avait accepté de l'argent pour le dénoncer et favoriser son incarcération. D'un nommé Boileau, son ennemi personnel, il écrit « Ce scélérat de voisin, non content d'une. (mettons d'une personne) qui vient le voir toutes les semaines, courtise. ma femme, au grand scandale du voisinage, qui gémit qu'on offense Dieu. On le voit aux guinguettes avec ma femme, on le rencontre dans les rues avec elle en fiacre » Si ridicule qu'il fût, Prudhomme méritait pourtant quelques adoucissements, pour avoir perdu un œil et pour avoir dépassé la soixantaine, comme il le déclare à l'archevêque de Paris, dans une lettre du 23 juin 1773~. Son unique tort fut d'avoir livré quelques écrits à des magistrats, moyennant des récompenses en espèces sonnantes. Sa femme, née Charlotte Galiche, emprisonnée avec lui le 22 juillet 1772, avait été rendue à ses foyers trois mois après, le 26 novembre pendant son séjour à la Bastille, elle avait reçu d'un ami des serins en cage pour charmer son ennui 4. On conçoit aisément que, mise en liberté, elle ne souhaitait guère l'élargissement de son mari.

C'était encore un personnage misérable que Jean-François Levasseur, Normand d'origine, entré à la Bastille le 7 octobre 1772, pour '< mauvais propos contre le gouvernement et distribution de brochures sur les affaires présentes ». Avocat au Parlement, ou se disant tel, il avait été ruiné lui aussi par les réformes de Maupeou. Il avait suivi le Palais pendant trois mois mais la mort de son père, survenue en août ~770, avait interrompu ses études. Sa mère, d'une avarice sordide, l'avait fait enfermer à Saint-Lazare vers l'âge de dix-huit ans

BiM. Arsenal, Arch. Bastille, ms. 12401, fol. 186.

2. Ibid., passim et notamment fol. 179, 189.

3. Ibid., fol. 192.

4. Bibl. Arsenal, ~4!'cA. Bastille, Interrogatoire du P. AHf&?M«, ms. iz~oi, fol. 146.


pour mauvaise conduite, et il y avait passé près d'un an et demi. Aigri, surexcité, prodigue et appauvri, il s'était mêlé, le jour de l'inauguration du nouveau Parlement, à la foule qui conspuait Maupeou sur le Pont-Neuf, et, ayant reçu d'un garde quelques bourrades, il s'était vengé en composant des vers contre le Sénat parisien~. La manie de prendre la plume et de révéler des talents imaginaires avait également gagné la noblesse. Le 28 mars 1771, on conduit à la Bastille, sur une dénonciation, un habitué du café de la Croix-deMalte, situé quai Pelletier. On l'interroge. Il dit se nommer ZacharieMathieu de Ponchon, chevalier de Montfort, âgé de trente-six ans environ, né à Poitiers, paroisse Saint-Didier, ancien officier au régiment des volontaires de Hainaut et pensionnaire du roi, logé en garni rue de la Mortellerie, à l'hôtel du Barillet-d'Or. « J'ai vu la mort de bien près en maladie, déclare-t-il. Elle ne m'a point épouvanté. Je n'ai heureusement ni femme, ni enfant, ni maîtresse, par conséquent rien qui m'attache. » Ce célibataire convaincu s'intéressait vivement au bien public. Il était l'auteur d'un ouvrage demeuré manuscrit et aujourd'hui perdu, qui s'intitulait jRc~&~M~MMS la noblesse au roi sur les s//<M~M ~M~M~.s. Il y réclamait la convocation des États généraux (c'était du moins une idée intéressante) et il devait faire parvenir son œuvre au duc d'Orléans. Mais il y avait encore dans ses papiers diverses épigrammes et un Billet d'enterrement du Parlement 2. Le chevalier de Montfort, Levasseur, Prudhomme peuvent passer pour des individus exaltés, mais dont les noms et les projets demeurent assez obscurs. Avec le P. Guillaume Imbert de Boudeaux, on arrive en pays mieux connu. Ce bénédictin défroqué, âgé de vingthuit ans en 1772, né à Limoges vers 1744 et non vers 1740, comme on l'a cru jusque-là~, fréquentait déjà d'Alembert et le salon de Mme Geoffrin. Il s'était distingué d'une manière précoce par une traduction de l'État présent de ~E~ag~M~, d'Edward Clarke, et avait eu maille à partir avec l'inspecteur de la librairie, d'Hémery. C'est lui qui plus tard fournira les matériaux d'une Correspondance MCt~, célèbre sous le nom de Afe~a~, parue à Neuwied, de 1774 à 1793. En novembre 1772, il eut pour la première fois les honneurs de la Bas-

i. Bibl. Arsenal, ~c/ Bastille, ms. 12400, fol. t99, 228 v°. 2. Bibl. Arsenal, ~~eA. Bastille, ms. 12239, fol. 207, 208-209, 2il, 219 v°. Ce ne fut pas le seul noble embastillé. Il y eut notamment le chevalier Duregne, ancien officier au régiment de Brancas, entré le 2 avril 1771 pour écrits sur les affaires du Parlement, sorti le 15 mai 1771 (voir Funck-Brentano, les Prisonniers de la Bastille, n° 4872).

3. Voir l'article de Maurice Tourneux, dans la Grande ~Keye~o~6~g. Parue en 1770, 2 vol. in-i2.

Métra était le banquier de Frédéric II.


tille. Il demeurait alors au couvent des Carmes-Billettes. Un ensemble de menus faits lui était reproché. Il avait lu la Co~es~OKdance de Maupeou avec Sorhouët. Le 9 novembre, il avait acheté au Palais, pour 12 sols, le 9 du .SM~J~K~ /a: Gazette de Fyance, regardé comme très séditieux. Un nommé Devaux lui avait vendu les Protestations des Princes, dans la boutique où il oSrait à lire, rue Croix-des-Petits-Champs. Enfin, il possédait chez lui des livres contre la religion, « pour les réfuter », prétendait-il. Autant de délits graves, puisqu'il ne recouvra sa liberté qu'au bout de quinze mois, le il février 1774~.

Le P. Imbert, Levasseur, Prudhomme, le fanatique Lagueyrie, receveur de la ville le tailleur Pestrelle, qui faisait des collections rue des Deux-Écus la veuve Méquignon, libraire rue de la Juiverie, et beaucoup de commis aux fermes avaient été enfermés à la Bastille comme suite à un arrêt de mars 1772, qui ordonnait une information contre les distributeurs de libelles et condamnaient au feu tous les écrits impies et blasphématoires de l'opposition~. Le fruit défendu avait une saveur particulière et les acheteurs étaient légion. Le duc Emmanuel de Duras, très généreux, payait 6 livres des pamphlets vendus 3 livres à d'autres 6. Il y avait de nombreux courtiers, tels que Kauffmann, interprète en langues. Les diplomates étrangers, le comte de Werther, ministre de Saxe, M. de Sanzos, chargé d'affaires de Prusse, avaient tenu à se procurer la plupart des brochures en circulation'.

Une fois au moins la police de Sartine eut la main_ heureuse. Nous allons voir à quelle occasion. Les historiens du Béarn connaissent à merveille, pour un confrère savant et averti, le P. Mirasson, barnabite, « religieux vertueux, disait le procureur Moreau, (et) qui a rempli les devoirs de son état pendant soixante-trois ans, avec l'approbation universelle de ses supérieurs et l'estime de la capitale, où il s'était fait un nom mérité par son zèle à porter dignement la parole sainte et par des ouvrages de littérature ». Né à Oloron, il avait enseigné avec talent aux collèges de Lescar et de Mont-de-Marsan, puis avait

i. Bibl. Arsenal, ~e&B~MKe, ms. 12400, fol. 94., 9~ et suiv. 2. Bibl. Arsenal, ~cA. Bastille, ms. 124.03, fol. 39 et 40, ms. 12400, fol. 245 et 246.

3. Bibl. Arsenal, Arch. Bastille, ms. 12403, fol. 48.

4. On trouvera les noms de tous ces prisonniers dans l'ouvrage de FunckBrentano, les Lettres de cachet à Paris, étude suivie d'une liste des prisonniers de la Bastille Cf<)?f)-f7<yf)~, Paris, 1903 (Hist. de Paris. Coll. de documents), p. 384-390.

g. Flammermont, le Chancelier Maupeou et les Parlements, p. $43. 6. ~)'e/ Bastille, ms. 12401, fol. 143.

7..fM~ ms. 12403, fol. 198 et 63.


été envoyé à Paris, dans la maison des Barnabites, qui se trouvait rue de la Barillerie, en face du palais de justice. Il était allé passer les fêtes de la Saint-Louis à Fontenay-aux-Roses, chez un orfèvre de ses amis. Comme il revenait en voiture, le soir du 2~ août, une vingtained'exempts l'attendaient près de Montrouge, et ils le suivirent jusqu'à son couvent. Ici je laisse la parole au procureur Moreau, dont l'indignation me semble inimitable « Il entre un de la troupe entre en même temps et demande s'il n'est pas le P. Mirasson. Sur sa réponse, il lui dit qu'il veut lui parler en présence de son supérieur. Ce religieux, à qui l'âme ne reproche rien, fait avertir lui-même le supérieur. Alors cet exempt et le commissaire qui venait d'entrer disent qu'ils sont chargés, de la part du roi, de faire la visite dans la cellule du P. Mirasson. Aussitôt une vingtaine d'alguazils et de misérables entrent dans le couvent, s'emparent de toutes les portes et de toutes les issues on monte à la cellule on y fait la perquisition la plus exacte; on n'y trouve rien. Cependant, on annonce au supérieur qu'il y a ordre d'enlever le P. Mirasson et de le conduire au château de la Bastille le supérieur et lui représentent qu'on n'a trouvé aucun indice qui l'annonce coupable de la moindre chose. N'importe 1 c'est l'ordre, il faut l'exécuter, et qui est-ce qui annonce cet ordre injuste et tyrannique? C'est un commissaire de police, Rochebrune, qui est l'élève du couvent, qui y a fait ses études dans leur collège, à Montargis 1. »

Pour nous, qui ne partageons pas aujourd'hui les passions du procureur Moreau, la culpabilité du P. Mirasson paraît bien démontrée. C'était un habile chansonnier, et il avait célébré, sur l'air 0 filii et filiae, la fameuse séance de la veille de la Pentecôte de 1772, où les magistrats du nouveau Parlement écrasèrent quantité d'œufs rouges,

au grand amusement de la foule. Il vendait des brochures en se promenant au jardin des Tuileries, et, comme on lui faisait observer que c'était là chose bien indécente pour un barnabite, il répondait que l'exercice du corps lui était absolument nécessaire, à cause de ses catarrhes. Causeur charmant, il avait vu souvent Mme de Barville, depuis l'exil de son mari, procureur général en la Cour des aides. Ce n'était pas le plus grave. Le P. Mirasson avait connu au Temple un certain Martin Morizot, qui y vivait sous le faux nom de Vialdome

i. BiM. nat., Récit du procureur Moreau, ms. 13733, p. 359-360. Sur le P. Mirasson, voir J.-B. Lahitte, Lettres du P. Isidore Mirasson. Pau, 1902, m-8°, et Durafour (abbé), le P. Isidore Mirasson, &<:fMS& dans Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Pau, 1888. L'interrogatoire du P. Mirasson, auquel nous empruntons beaucoup et qui est très intéressant, se trouve à la BiN. Arsenal, Arch. Bastille, ms. 12401. De là, nous extrayons ce qui va suivre.

BULLETIN LVIII ~j*


et y travaillait à un ouvrage sur le droit public. Morizot, ancien boursier au collège de la Marche, dont il avait troublé la paix pendant quarante ans, était un juriste consommé, qui avait son mot à dire sur les affaires du temps. Acharné à l'étude, réduit à un état voisin de l'indigence, il avait préparé, de concert avec le P. Mirasson, un traité fort sérieux, qui parut vers juillet 1772, sous le titre Inaugura<MK de Pharamond, ou Exposition des loix fondamentales de la monarchie françoise, avec les preuves de leur exécution, ~MMS sous les trois races de nos rois.

Je suis d'autant plus libre pour parler de cet ouvrage, intéressant et bien référencé, que Flammermont n'en dit rien. Que le P. Mirasson y ait très activement collaboré, cela ne fait nul doute 1, car dès la première page l'Histoiye de la Navarre de Favin y est citée. Dans le cours de leur démonstration, les auteurs appellent à leur aide Flodoard, Ermoldus Nigellus, Nithard, les Capitulaires de Charles le Chauve, dom Bouquet, pour prouver que les rois tiennent exclusivement leur pouvoir de la volonté du peuple, selon l'adage vox ~'o~)M~, vox Dei. En réalité, les idées de Jean-Jacques Rousseau, dans le Contrat social, y rejoignent celles de Bossuet, dans la Politique tirée de l'Écriture sainte. Bref, les deux philosophes, Morizot et Mirasson, s'acharnent à démolir les théories absolutistes, qui étaient chères à Maupeou.

Il y a pour nous quelque intérêt à savoir où s'imprimaient les libelles contre le chancelier, où on les lisait dans une sécurité relative, comment ils passaient de mains en mains, étaient colportés et diffusés dans Paris. Mais on est en mesure de présenter à cet égard de vagues suggestions bien plutôt que des certitudes. Il faut se souvenir qu'à la fin de l'ancien régime il existait encore à Paris ce que l'historien Dulaure appelle « un reste de l'anarchie féodale » je veux parler de l'enclos du Temple, où précisément le P. Mirasson avait connu Martin Morizot. Débiteurs insolvables, ouvriers affranchis de la tutelle corporative, banquiers véreux, gens de lettres en passe d'une condamnation se pressaient dans cette enceinte et y vivaient tranquilles, sous le couvert d'un ancien privilège. Ils sortaient le dimanche sans être inquiétés. Les autres jours, ils étaient sans cesse épiés, aux portes et du dehors, par des créanciers aux abois et une police dissimulée. Le prince de Conti régnait sur ces diverses catégories de parias, en sa qualité de grand prieur de Malte. Il était enchanté que l'affaire du Parlement lui fournît une occasion de devenir le chef d'une coterie. « Il n'eut garde, écrit le baron de Besenval qui ne l'aimait guère, de ne pas se faire l'âme du parti de l'opposition il n'en avait pas d'autre à prendre pour être cité, et le reste de femmes qu'il tenait à sa pen-

i. BiN. Arsenal, Arch. Bastille, ms. 12401, fol. 139-150.


sion, ainsi que celles à qui il donnait du thé le dimanche, l'appelèrent le défenseuy de la Patrie 1. » De ce texte il convient de rapprocher certaines révélations tirées des Archives de la Bastille.

L'inspecteur de police Receveur, non content de surveiller rigoureusement les abords du Temple, introduisait dans les murs des émissaires qui, alléchés par l'appât d'une récompense, essayaient de faire parler les délinquants. On sait ainsi que des lectures et des conversations sur des sujets politiques avaient lieu chez un dénommé Moret, réfugié au Temple pour dettes, qui logeait là chez un cordonnier, appelé Elle, dans la cour de l'église, et y entretenait une Allemande, la femme Hoffmann. Ce Moret, à la date du 30 mai 1772, était secrétaire du baron de Wrecht et avait un intérêt de 100 louis par mois dans sa banque. Mais, très intelligent, il avait exercé tous les métiers employé dans les cuirs à Saint-Germain-en-Laye, courtier en vins, n'avait-il pas même voyagé en Prusse, vers 176~, avec un sieur Bernard, pour y établir des bureaux de postes? Le 4 mai 1772, Moret avait lu les trois premières parties de la Correspondance; le 5 mai, il attendait la quatrième partie, qui paraissait pour la première fois ce jour-là. Chez lui, on trouvait à peu de frais toutes les brochures sur les récents événements. Il les tenait d'un certain Simonot, avocat de Paris, qui habitait en garni rue Simon-le-Franc. Simonot avait toutes les raisons de maudire le chancelier, car, sans cette damnée réforme du Parlement, il aurait acheté l'office d'un procureur de l'ancienne cour, Pépin, chez lequel il était clerc. Il avait à sa disposition deux cents écrits qui sortaient des presses et qu'il distribuait à ses connaissances, tant aux alentours du Palais que dans le Temple. C'est dans ce milieu que Receveur opérait ses investigations, et il se servait d'un espion tout dévoué. Lisons le rapport de l'inspecteur « Le 29 (mai), Moret et un nommé Jacquinet, réfugié aussi dans le Temple, ci-devant courrier du cabinet (du roi), s'entretenaient sur tous les écrits en question, et Jacquinet dit qu'il venait de lire la cinquième partie (de la Correspondance) et que, si on en écrivait autant contre lui, particulier, il ne s'en vengerait qu'en cassant la tête d'un coup de pistolet à l'auteur, s'il le connaissait. Moret et lui ont fait un récit de cet ouvrage, où, ont-ils dit, il y a deux estampes, dont l'une a pour inscription Alterius Samsonis !WM (Maupeou-Samson y renverse le temple de la monarchie), l'autre Canis infandi rabies (Maupeou y prend figure de chien enragé). » Moret, Jacquinet, Simonot et le délateur allaient de compagnie dans le jardin du Temple et parcouraient « une brochure toute fraîche, les feuillets non coupés, ayant pour titre Ré flexions sur la liquidation des oy~cM, du 13 avril

i. Mémoires <fM baron de Besenval, avec avant-propos et notices, pat Barrière, 1857, m-8", p. 197-198.


~7 y~ 7~ ». « Pendant la promenade, note encore l'inspecteur de police, Moret raconta à mon homme une histoire à dormir debout, mais qui prouve qu'il pense quelquefois à la Bastille. Il lui a dit qu'un jeune homme y avait été mis depuis peu pour les écrits en question, qu'il y mourut et que, ses parents ayant obtenu qu'on leur rendît le cadavre pour le faire enterrer, ils le firent ouvrit et le trouvèrent empoisonné~. »

Claude Simonot est embastillé le 11 juin 1772 et Nicolas Moret le 13. Les dépositions de celui-ci permettent de voir un peu plus clair dans ce qui se passait au Temple. Il avoue « que Simonot lui avait dit plusieurs fois qu'il était l'ami du sieur Le Blanc, secrétaire du prince de Conti, et qu'il pensait que quelques-uns des ouvrages avaient pu s'imprimer dans le Temple, qu'il lui avait dit aussi qu'un grand nombre d'exemplaires de la quatrième partie de la Correspondance avait pu passer dans des tonneaux de vin, que M. Le Pège, bailli du Temple, était un homme d'un grand mérite et une excellente tête,

et qu'il voulait insinuer par là qu'il était fort opposé a, l'administra

tion de la justice actuelle. (Simonot) m'a ajouté qu'il y a environ deux mois et demi qu'un particulier nommé Monnier, logeant ici en garni à l'hôtel d'Artois, rue Montmartre, lui dit un jour qu'il l'allait voir au Temple « Trouvez-vous demain chez le sieur Cochois~, com« missaire de police du bailliage du Temple, y demeurant. Vous enten« drez faire lecture de la troisième partie de la Co~M~OM~MM », et que c'est là où le Jacquinet dont est question l'entendait lire 2 ». Ce n'était pas là seulement, car Jacquinet déclarait, le 20 juillet 1772, au greffe du nouveau Parlement, qu'il fréquentait, dans l'enclos du Temple, trois marchandes de toiles, les femmes Duchesne, Delaunay et Villette, et qu'on lisait chez elles divers libelles, spécialement le Mandement de MoMMtgMeMf ~c/M!~Me fa~M~. Les dames s'intéressaient aux affaires de l'État dans les magasins comme dans les salons.

Flammermont s'exprime ainsi au sujet de l'information ouverte contre les auteurs et les colporteurs de libelles « Au mois de septembre, un faux témoin vint dire que le dépôt de toutes les brochures factieuses était au Temple et que le bailli Lepaige en organisait la distribution dans Paris 4. » Celui qui parla de cette manière n'était pas un faux témoin. Flammermont aurait pu s'en rendre compte, s'il avait eu le loisir de dépouiller les Archives de la Bastille. Il y avait au Temple non pas une, mais plusieurs officines louches, et il est extrê-

l. BiN. Arsenal, ~tt'e/t. Bastille, ms. 12403, fol. 34-37 2. /&;f/ ms. 12403, fol. 85 v°.

3.7M~ fol. 192-193.

4.P.545.


mement vraisemblable, on l'a vu, que dans le fameux enclos fut imprimée au moins l'Inauguration de Pharamond.

Le Temple était devenu, en 1772, le refuge des têtes échauffées. Mais la pensée parisienne débordait de beaucoup cet enclos. Chacun voulait approfondir la constitution de l'État le mécontentement était tellement général que Maupeou ne parvenait pas à le calmer. Cela était d'autant plus sensible et évident qu'il avait contre lui les princes du sang, le parti Choiseul et le lieutenant de police Sartine. Nous avons passé en revue toutes les classes de la société avocats, nobles, religieux, commerçants, gens du peuple. En chacun des prisonniers de la Bastille, nous avons retrouvé l'homme du xvme siècle, s'intéressant passionnément, irrésistiblement, aux affaires publiques. Paul DupiEUX,

archiviste adjoint de la Seine.

III

BIBLIOGRAPHIE

Henry-René D'ALLEMAGNE. Les Saint-Simoniens, 1827-1837. Paris, Gründ, 1930. In-~°, 453 p., 13 ng. et 55 pi.

Ce n'est pas en quelques lignes qu'un ouvrage aussi important peut être commenté. Je laisserai donc de côté toutes les théories sociales du saintsimonisme, même celle de l'émancipation de la femme, même les projets du canal de Suez et du barrage du Nil, réalisés plus tard par d'autres mains que celles des adeptes.

Ici, il faut signaler seulement une partie des matériaux que ce livre compact fournit à l'histoire de Paris et de Ménilmontant en particulier. La propriété, où s'installèrent les Saint-Simoniens en 1832, était celle de la famille Enfantin, au n° 179 de la rue de Ménilmontant. Ce fut un couvent laïque qui ne manqua pas d'attirer les traits de la satire. En effet, l'illustration du beau et précieux livre de M. d'Allemagne emprunte ses éléments aux estampes satiriques, dont quelques-unes sont spirituelles, dont aucune n'est vraiment artistique, mais dont toutes sont inséparables de l'histoire de Paris et d'une période déjà vieille, puisqu'elle a cent ans. On trouvera aussi des portraits de personnages connus, qui complètent cet ouvrage digne d'attention.

Adrien BLANCHET.


Marcel FossEYEUx. Le Paris ~e~ca~ en r6'~0. Libr. Le François. i vol. petit in-

Ce livre aurait pu s'intituler le romantisme et la médecine. Du romantique, Alibert, qui fait son cours sous les tilleuls de l'hôpital Saint-Louis, en a la faconde et l'allure, Broussais lui-même, qui s'épuise en polémiques acerbes, en a la ferveur et l'esprit de système. Cette large fresque ne fixe pas seulement une époque curieuse de la profession médicale. Grâce à l'érudition variée de son auteur, nous revivons dans ce Paris lointain et désuet que parcourent, affairés ou nonchalants, les personnages de Balzac. La grande ombre de l'écrivain se profile au milieu du monde médical; le voici s'initiant auprès de son médecin Nacquart aux mystères de la phrénologie, fréquentant les thaumaturges et les magnétiseurs, prenant comme personnages de ses romans les médecins contemporains les plus illustres en transformant à peine leurs noms Récamier en Cameristus, Broussais en Broussel, Magendie en Maugredie, Bouillaud en Bianchon, Dupuytren en Desplein, écrivant lui-même une Physiologie du mariage, tandis qu'Auguste Comte soigne un accès de folie dans la maison de santé d'Esquirol à Ivry. Ce travail, d'analyse en même temps que de synthèse, intéresse à la fois la littérature, l'histoire et les sciences.

P. J.

Louis BATIFFOL. Le LoM~~S sous H~MM IV et Louis XIII, la vie de

la cour de France au ~~J/e siècle. In-iz, 235 p. Calmann-Lévy

Voici le second volume d'une collection intitulée Châteaux de France, brillamment inaugurée par le CM<ea:M Rambouillet de M. Lenôtre. Ce livre est dû à un spécialiste réputé de l'histoire du xvii~ siècle. On y trouve d'abord une description archéologique du Louvre, éclairée par plusieurs plans, puis la journée du roi et de la reine, la description des plus célèbres fêtes qui ont été données au Louvre. Mais le palais de nos rois voit se produire bien des drames Henri IV y est rapporté mort le 14 mai 1610 et de cette fin tragique naît soudain sa popularité. Louis XIII y habite après lui mis a l'écart par sa mère, dominée par Concini, maréchal d'Ancre, il laisse tuer celui-ci en 1617. Cette tragédie a pour résultat un premier exil de Marie de Médicis. Anne d'Autriche continue de résider au Louvre, et à ce propos M. Batitlol nous trace une histoire aussi discrète que savante de ce ménage royal et éclaircit toutes les circonstances de la naissance de Louis XIV. Ce livre excellent ne saurait être trop recommandé.

Paul DËSLANDRES.

Le XV/7" arrondissement ~cn~s les âges, par E. BABIZE. Paris, chez l'auteur, 2, rue Lamandé, et les principaux libraires de l'arrondissement, 1931. i vol. in-8°, 436 p., nouvelle édition, revue, augmentée et illustrée de 8~ gravures. Prix 12 fr.

Le succès obtenu par la première édition de ce livre a décidé l'auteur à


en donner une autre, abondamment illustrée. Dans une charmante préface, M. Léon Mirot a fait ressortir tout l'intérêt de ces études locales, qui font revivre dans son originalité un coin de province ou un coin de Paris, et permettent à ses habitants de mieux connaître, donc de mieux aimer leur petite patrie. Le travail de M. Babize a pleinement rempli ce programme. Il l'a divisé en deux parties, l'une traitant de l'histoire générale de la région, l'autre du détail de ses rues. La première ne remonte pas très haut, car le quartier des Batignolles n'a pas derrière lui un long passé, sauf en quelquesuns de ses points, comme les châteaux des Ternes et de Monceau. Mais l'auteur écrit pour le grand public, sans prétention à l'érudition, et les événements postérieurs à la Révolution lui fournissent matière suffisante. Certains chapitres, comme ceux concernant les troubles de 1848 et la Commune, sont particulièrement intéressants. La seconde partie est remplie de détails curieux et de renseignements utiles, notamment sur les étymologies des rues, dont certains parrains sont quelque peu oubliés. Simplement écrit, plein d'anecdotes amusantes et bien présenté, ce livre réalise un excellent tableau d'ensemble de la région et constitue un bon point de départ pour les études de détail. Il faut souhaiter que l'exemple donné par H. Bonnardot pour le VIII~ arrondissement, par H. Doniol pour le XVIe, enfin par M. Babize pour le XVIIe, soit suivi et que chaque quartier de Paris trouve bientôt son historien.

M. DUMOLIN.

Études lucquoises, par Léon MIROT, avec lettre-préface de Henri PIRENNE, associé étranger de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, professeur honoraire à l'Université de Gand. Paris, 1930. i vol. in-8°, 2z).6 p., tiré à 100 exemplaires non mis dans le commerce.

Dans cette étude magistrale, d'une érudition aussi sûre qu'étendue, où les notes tiennent autant de place que le texte et constituent une source inépuisable de renseignements, M. Mirot raconte l'établissement, au cours du xin~ siècle, de la colonie lucquoise de Paris et son développement jusqu'à la fin du xve. Marchands d'étoffes de luxe, de pièces d'orfèvrerie, de chevaux, surtout banquiers, les Lucquois, comme les Florentins, les Siennois et autres « Lombards », commencèrent, dès le xn~ siècle, à fréquenter les foires de Provence, de Languedoc, de Champagne, de Flandre, puis s'installèrent dans la capitale et y fondèrent une nombreuse agglomération, groupée dans la rue de la Vieille-Monnaie et dans celle de la Buffeterie, devenue bientôt à cause d'eux rue des Lombards. Les Bondoz (Bondo), L'Esclat (Sciarra), L'Espée (Spada), Cename (Cenami), Burlamaque (Burlamacchi), Guidichon (Guidicionni), Trente (Trenta) et tant d'autres, qui apparaissent dans les tailles, les comptes des souverains ou les opérations monétaires, dissimulent, sous leurs noms francisés, d'authentiques Lucquois, entretenant, dans une chapelle de l'église du Saint-Sépulcre, rue Saint-Denis, le culte du Santo ~o~o de la mère patrie. Des sociétés commerciales puissantes, ayant leur marque spéciale et entretenant de nombreux comptoirs à Londres, à Bruges, à Tournai, à Lyon, à Venise, à Lucques


même, groupaient les membres des principales familles et leurs parents rapprochés et étendaient leur rayon d'action jusqu'en Orient. Après une vue d'ensemble, M. Mirot consacre des chapitres spéciaux, qui sont peut-être les plus captivants, à la famille des Isbarre (Sbarra), dont le représentant le plus connu, Augustin, fut longtemps maître des monnaies n Tournai et mourut en 1~27 à la famille des Raponde (Rapondo), surtout à l'un d'eux, Dine Raponde, le plus grand homme d'affaires de la fin du xiv<' siècle et du début du xve (vers ig~o-i~ig), qui fut le fournisseur d'objets de luxe, le conseiller financier et le ministre des Travaux publics du duc Philippe le Hardi, qui négocia la libération de son fils, Jean, comte de Nevers, après le désastre de Nicopolis, et dont l'hôtel parisien de la rue de la Vieille-Monnaie, dont M. Mirot précise l'emplacement et les destinées, était un des plus luxueux de la capitale enfin, à la famille des Cename ou Cenesmes (Cenami), qui se fixa à Paris et à Lyon, s'y francisa par ses alliances avec de vieilles familles du pays et dont les filles prolongèrent la lignée jusqu'au xvme siècle et même au delà. Mais il en est bien d'autres, comme celles des Spifame, des Guidichon, des Bondoz, des l'Esdat, que l'auteur aurait pu suivre avec le même intérêt et il y a, dans son sujet, une matière quasi inépuisable d'études, auxquelles la sienne pourra servir de parfait modèle.

M. DUMOLIN.

Cénacles et vieux logis ~'<M'MM)M, par Paul JARRY. Éditions Jules Tallandier, 1930. i vol. m-8°, xv-zS~j p. et 16 gravures. L'auteur a réuni dans ce volume différentes études, déjà publiées, pour la plupart, dans des périodiques spéciaux et dont il a corrigé plusieurs avec un soin digne de tous éloges. Théophile Gautier a Neuilly et dans l'île Saint-Louis, Fersen, Pauline Borghèse, le comte d'Ëvreux et Beaujon au faubourg Saint-Honoré, Victor Hugo rue Jean-Goujon, MMc Hus et Balzac H. Passy, Mle Guimard à la chaussée d'Antin, le président Aubry à la place Royale, M. Thiers à la place Saint-Georges s'y succèdent en une série d'histoires, traitées surtout au point de vue anecdotique et pleines d'épisodes savoureux. De belles illustrations, en partie inédites, ajoutent à l'intérêt du livre, aussi bien présenté qu'amusant.

M. D.

Nogent-le-Rotrou, imprimerie DAUpELEY-LrouvBRNEUR.


BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE L'HISTOIRE DE PARIS ET DE L'ILE-DE-FRANCE

ig3i

1

COMPTE-RENDU DES SÉANCES

SÉANCES DU CONSEIL D'ADMINISTRATION Te?: MM à l'École des chartes.

Séance du 21 avril 1931.

Présidence de M. DUPONT-FERRIER.

Étaient présents MM. Adhémar, Auvray, Barroux, Deslandres, Dumolin, Dupieux, Dupont-Ferrier, Hartmann, Jarry, Lemoine, Martin, Léon Mirot, Perrault-Dabot, Prinet.

Assistaient à la séance Mmes et M"ss Baudry, Bonnel, Brisac, Courtois, Coutin, Gellet, Gillet, Godart, Guénée, Billye Kaufman, Marraud, Méret, Pierre, Robert, Schwérer.

MM. chanoine Aubert, Brouillonnesques, Fremy, Guillemot, Lepine, Maillard, Marichal, Méret, Alb. Mirot, Quiédeville. Excusés MM. Boucher, Lesort, Samaran.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. Sont admis sur les présentations requises

M. Henri Courteault, directeur des Archives nationales; M~ea Marg. Chicault, Françoise de Catheu, Arlette Ledran MM. Lafontaine, Michel Légrand.

Des remerciements sont votés à M. Henri Lemoine pour l'organisation de la récente visite faite à Versailles par la Société.


M. Paul Deslandres, à l'aide de documents inédits, fait une conférence sur Sébastien Mercier, sa vie et ses écrits.

Sébastien Mercier, Parisien de Paris, né le 6 juin 174.0 quai du Louvre, est mort rue de Seine le 25 avril ]:8i~ Il se dénommait luimême le plus grand Jt~Mf de France. Parmi les œuvres qui font le mieux connaître son caractère, il faut citer son théâtre (/).g pièces, dont 30 seulement sont imprimées), l'An n~o, rêve s'il en /M< iamais, et le 7'aMeaM de Paris. Il fut élu député à la Convention, où il vota pour la détention de Louis XVI. Ayant protesté contre l'arrestation des Girondins, il fut emprisonné pendant dix mois. Il entra ensuite au Conseil des Cinq-Cents et à l'Institut. Son NoMMaM jPe~M a beaucoup d'intérêt pour l'histoire de la Révolution. Le dictionnaire de Néologie, à côté de quelques bizarreries, renferme beaucoup de mots utiles. Toujours hostile à Napoléon, il mourut au lendemain de la première abdication. Son caractère trop rude et sa trop grande facilité ont fait tort à son talent. Son œuvre immense est assez justement oubliée, mais Paris doit un souvenir à son prolixe historien.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

Tenue à l'École des Chartes le f2 mai Jp~r. ·

Présidence de M. DUPONT-FERRIER.

Étaient présents MM. Adhémar, Auvray, BIanohet, Boucher, Deslandres, Dumolin, Dupieux, Dupont-Ferrier, Jarry, Le Grand, Lemoine, Lesort, Martin, Meurgey, L. Mirot, Perrault-Dabot, Schmidt.

Assistaient à la séance Mmes et M'~s Baudry, Coutin, Fontan, Gellet, Gillet, Oudet, Pierre, Rizet, Robert, Weill; MM. de Beauchesne, Chevet, Courteault, Courtois, Delacourcelle, Douël, Jouvenet, Kuczinski, Lyon, L.-M. Michon, A. Mirot, Prieur, Quiédeville, Rizet, Rubé, Vaugelade.

Excusés vicomtesse d'Espagny MM. Janrot, Samaran. Sont admis sur les présentations requises

Mmes paul Grizot et Saladin MM. Babize et Lucien Morel d'Arleux.

Le vice-président demande la parole et fait connaître que l'Aca-

démie des inscriptions et belles-lettres a décerné le grand prix Gobert, destiné à récompenser « le travail le plus savant et le plus profond sur l'histoire de France », à notre président, M. G. DupontFerrier, pour son Étude des !M~:<M<t<MM financières de la Pf~MM


(lit ~M moyen âge. Notre président est chaudement félicité pour cette haute distinction.

M. Dupont-Ferrier prononce ensuite le discours suivant Mesdames, Messieurs,

Ce n'est pas sans quelque confusion que je me vois, pour la quatrième année, si je compte bien, dans ce fauteuil présidentiel que tant d'autres, parmi nous, mériteraient beaucoup plus que moi d'occuper. Le nombre des années serait moins pesant à leurs épaules et ils pourraient communiquer à notre chère Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France un peu de cette jeunesse qui est une des formes les plus attrayantes de la vie. Que serait une année sans son printemps?

Quatre deuils nous ont été cruels, depuis notre dernière Assemblée générale du 13 mai 1930 M"<* Bochu, M. Aubry-Vitet, M. Germain Lefèvre-Pontalis et M. Maurice Prou.

M"s Bochu était entrée il y a trois ans dans notre Société elle voulait montrer, par son exemple, aux élèves qu'elle avait formées, quel merveilleux complément de culture pouvait apporter à des cerveaux féminins la connaissance toujours plus approfondie de Paris et de l'Ile-de-France, de leur art et de toute leur histoire. Elle a vaillamment poursuivi une carrière de quarante ans ou environ dans un des cours les plus parisiens de Paris, et auquel Mme Knoertzer, membre de notre Société, a mérité d'attacher son nom. Terrassée par un mal subit, M"~ Bochu a vu venir sa fin avec une lucidité d'esprit et une force morale admirables, se bornant à dire quelques minutes avant d'expirer « Je sais où je vais. Je suis prête )'

C'était un de nos doyens que M. Eugène Aubry-Vitet né à Paris le 20 décembre 18~.5, il appartenait à l'élite de la société parisienne, à laquelle il conserva, jusqu'à son dernier souffle, cette élévation de l'intelligence et de l'âme, qui demeuraient une des plus nobles parures de la vieille France. Il était sorti de l'École des chartes, en 1860, à la tête d'une promotion qui comptait Antoine Héron de Villefosse, Arthur Loth, Léopold Pannier, Étienne Charavay, Fernand Calmette et Camille Pelletan. Il avait consacré sa thèse à Guiraut Riquier de Narbonne et aux derniers temps de la poésie provençale. Il avait fait, non sans éclat, toute la guerre de 1870-1871, comme aide de camp du général de Chabaud La Tour. Au lendemain de notre défaite, il travailla aux côtés de son oncle, l'historien Vitet. Sans un moment d'hésitation, il garda tout son cœur au comte de Paris et au duc d'Orléans, n'ayant d'autre ambition que de leur consacrer sa vie. Président du conseil d'administration de la Revue des .DeM.~ Mondes, où sa parole était fort écoutée, il y donna maintes fois la preuve, comme dans la direction des papeteries d'Essonnes, qu'il savait harmoniser les qualités réclamées par les affaires de la vie moderne avec le culte du passé et le goût désintéressé des livres. Il disparaît à quatre-vingt-cinq ans, dans toute la vigueur d'une intelligence qui avait su ne pas vieillir.

Et pourquoi faut-il que je sois encore appelé à saluer ici, en dépit d'une


émotion poignante, la chère mémoire d'un de ceux qui ajoutaient au renom de notre Société, de Germain Lefèvre-Pontalis. En mai dernier, retenu à la. chambre par ordre de la Faculté, il m'écrivait son regret de n'être pas au milieu de nous, pour notre Assemblée générale et, quelques jours après, il avait cessé de vivre.

C'était une charmante nature, faite de science précise et d'aménité, de distinction et de finesse courtoise, de cordiale générosité, d'enthousiasme et de poésie chez lui, la précoce facilité, qui lui valut tant de succès au Concours général et à l'École des chartes, s'alliait avec l'amour du travail méthodique et obstiné. Ce Parisien de Paris, né en_t86o, ce secrétaire d'ambassade honoraire, avait fait de Jeanne d'Arc et des dernières années de la guerre de Cent ans le centre de ses études. A son.çadet, qui fut mon collègue à l'École des chartes, à Eugène Lefèvre-Pontalis, dont tant d'archéologues sont restés les obligés, il avait voué une admiration et une tendresse sans bornes. Il avait voulu qu'une partie des livres d'art de ce frère bien-aimé fût attribuée à cette École où, dans cette salle même où je vous parle, je crois encore entendre sa voix. Son nom est gravé sur le marbre de nos donateurs, au-dessus de cette porte qui s'ouvre devant vous tous les mois. Et qui saurait dire si la crise cardiaque, à laquelle a finalement succombé un de nos plus érudits et de nos plus charmants collègues, n'a pas été aggravée par l'inguérissable blessure due au décès prématuré de son frère. En tout cas, nul d'entre nous ne saurait oublier le très distingué historien que nous perdons, et moins que personne celui qui évoque devant vous son souvenir, car c'est lui qui m'a conduit à ce fauteuil présidentiel, qu'il avait magistralement occupé, et où votre fidélité et votre confiance ont voulu jusqu'ici me retenir. Germain Lefèvre-Pontalis a su porter dignement un nom connu de tous, qui reste très cher au Paris d'autrefois, au Paris d'aujourd'hui, aux belles-lettres, à l'érudition, à l'histoire et à l'art. Enfin, comment oublier que M. Maurice Prou, directeur <le l'École des chartes, nous donnait généreusement ici l'hospitalité, dans cette salle où est magistralement évoquée l'image de cette abbaye de Saint-Germain-desPrés, à laquelle l'érudition française et mondiale doivent tant. Aussi bien, Maurice Prou était un disciple fervent de dom Mabillon il a, pendant plus d'un quart de siècle, enseigné ici même cette diplomatique dont les Bénédictins d'autrefois ont fondé, précisé et codifié les premières règles. Maurice Prou, il me le disait quelques mois avant de mourir, à soixante-huit ans, aurait voulu faire partie de notre Société, qu'il estimait et qu'il aimait, car plusieurs de ses maîtres, Léopold Delisle entre autres, avaient figuré parmi nos fondateurs et nos plus illustres présidents. Mais Maurice Prou, qui se donnait de tout cœur aux tâches qu'il acceptait, n'aurait pas voulu, parmi nous, être un confrère inactif, et, pour travailler avec nous et pour nous, les loisirs et les forces lui manquèrent. Quelle collab_oration, cependant, aurait pu être la sienne Rien de ce qui touche au moyen âge français ne lui était étranger archéologie, numismatique, institutions, droit, historiographie, diplomatique et paléographie. Sa science n'avait d'égale que sa conscience. Intelligence agile, vive, pénétrante, aiguë, au service d'une vaste culture et d'un esprit critique très sûr, il avait conquis, d'emblée et depuis


longtemps, l'estime et l'admiration des érudits, en France et à l'étranger. Ajoutons la déférente amitié de tous ceux qui l'approchaient. Car il n'était pas seulement dévoué à la science, mais à tous ceux qui, si modestement que ce soit, contribuent à la faire. Tous ses élèves le savent et aucun d'eux ne saurait l'oublier. Chez lui, et c'est tout dire, l'homme valait le savant. Les murs où nous sommes ne reverront plus sa physionomie soucieuse et inquiète, ses épaules un peu courbées, sa démarche qui semblait hésitante ils n'entendront plus les éclats de sa verve et de ses boutades, ni son ardente parole, ni ses suggestions, ni ses conseils si autorisés nul de ceux qui l'ont connu ne saurait laisser s'effacer en lui sa chère mémoire, ni son héroïque vaillance, devant l'intégralité du devoir quotidien. Et voilà pourquoi j'ai tenu à évoquer aujourd'hui son souvenir.

Celui qui a bien voulu accepter le très lourd honneur de succéder à cet homme qu'on ne saurait remplacer, M. Clovis Brunel, le nouveau directeur de l'École des chartes, nous continue, en nous prêtant périodiquement la salle où nous sommes, la bienveillance à laquelle l'ancien directeur nous avait habitués que M. Clovis Brunel accepte notre remercîment et compte sur notre gratitude.

C'est donc ici même que nous pourrons, dans les mois qui suivent, constater la courbe toujours ascendante de notre recrutement. Dans les douze derniers mois, trente-sept membres nouveaux ont été admis parmi nous. C'est pour moi un devoir très agréable de leur souhaiter la bienvenue. Tout récemment, le directeur des Archives nationales et départementales de la France entière, M. Henri Courteault, dont la bonne grâce, la souriante érudition et l'inlassable dévouement ont su depuis fort longtemps, au palais Soubise et en dehors, susciter l'applaudissement unanime de tous les amis de l'histoire.

Depuis le mois de juin dernier, douze communications ont été faites, avec autant d'érudition que de bonne grâce, à nos réunions du second mardi de chaque mois. M. Albert Mirot nous a parlé de Jean Varin et de la Monnaie de Paris M. H. Soulange-Bodin nous a retracé la vie sentimentale d'un intendant de la minuscule duchesse du Maine M. Donald Mon Roë a prouvé ce qu'avait été le meurtre juridique du comte de Lally-Tollendal M. Lesort a évoqué devant nous le général Lecourbe, à Soisy-sous-Étiolles notre cher vice-président, M. Maurice Dumolin, nous a promenés devant les œuvres et à travers la viede quelques architectes français du XVII'* siècle; M. P. Dupieux nous a conté l'accueil de Paris aux réformes de Maupeou notre infatigable secrétaire adjoint, M. Henri Lemoine, nous a montré les colons parisiens en Algérie, de 1848 à 1851; M. Charles Perrat a démêlé sous nos yeux les origines d'Étienne Marcel M. Albert Mirot nous a conduits à l'hôtel parisien de La Barre du Bec, au xve siècle M"<* Schwérer nous a présentés à Mme de Genlis, en son logis de l'Arsenal votre président, au risque de vous paraître bien austère, s'est risqué à rechercher, devant vous, l'origine, le nom et le local parisien de la Chambre ou de la Cour des aides fort heureusement, M. Deslandres vous a déridés en étudiant pour vous la vie, les œuvres, les chimères et les méchants propos de l'auteur des Tableaux de Paris, Sébastien Mercier.

Nous avons, après ces communications, et pour peu que l'heure ne fût pas trop avancée, invité votre auditoire à discuter les détails ou les conclu-


sions de chaque exposé, surtout dans nos <' séances d'étBdes et, en plus d'un cas, cet échange d'idées n'a pas été inutile.

Loin de cette salle et à sept reprises, les membres de notre Société onjE visité et interrogé sur place quelques-uns des monuments les plus significatifs de Paris et de l'Ile-de-France la basilique de Saint-Denis, sous la conduite de M. André Barroux Saint-Ëtienne-dn-Mont, sous la conduits de M. Henri Lemoine la bibliothèque Sainte-GeneviëvB, dont M. LouisMarie Michon nous a dévoilé tous les trésors l'Observatoire de Paris, dont trois astronomes, infiniment qualifiés, nous ont révélé le passé historique et les travaux quotidiens l'hôpital de la Maternité, où M. Dumolin, à qui l'histoire de la topographie parisienne doit tant, a ressuscité, devant nous, le Port-Royal d'autrefois. A Versailles, où M. Henri Lemoine nous a lumineusement initiés à ses études sur les grandes et petites écuries le lieutenant-colonel Saraut, directeur du cours de cavalerie, a fait exécuter pour nous de remarquables exercices d'équitation au grand manège puis M. Pichard du Page nous a présenté l'admirable bibliothèque municipale, dont il est le distingué conservateur.

Enfin, s'associant à la Fédération des Sociétés savantes de l'Ile-doFrance, que M. André Lesort préside avec tant d'autorité et d'entrain juvénile, plus de deux cents de nos membres ont écouté à Notre-Dame de Paris la parole si séduisante et précise de M. Marcel Aubert, l'historien quaiiné de la merveilleuse basilique.

Conférences et causeries à l'École des chartes ou excursions artistiques en dehors de la vieille Sorbonne ont obtenu le succès le plus vif la qualité et le nombre des personnes présentes, parmi lesquelles le général Gouraud, gouverneur de Paris, ont été, pour les orateurs et les cicevone, une précieuse récompense, à laquelle nous avons l'agréable devoir de joindre aujourd'hui nos remerciements très cordiaux. c

Ainsi, grâce au concours harmonieux de chacun et de tous, les souvenirs et les monuments de notre Ile-de-France et de son incomparable capitale 'e sont de plus en plus connus de cette élite empressée qui compose notre compagnie une compagnie à laquelle, Mesdemoiselles _st Mesdames, vous t~ apportez la grâce printanière de votre jeunesse. Vousrserez là, laissez-moi l'espérer, pour célébrer, dans quarante-deux ans, le glorieux centenaire de notre fondation. D'ici là sachons croître et multiplier nous étions un pou plus de 300, il y a cinq ans nous sommes près de sept cents aujourd'hui.

<<=

Mesdames, Messieurs,

En ce moment, pour ne pas me dérober à l'usage que nos anciens nous ont légué, je voudrais, en utilisant quelques documents nouveaux, vous parler d'un des plus glorieux parmi les enfants de Paris de JULES MiCHELET.

Ce qui me semble faire sa puissante originalité, c'est qu'il s'est efforcé d'être tout ensemble un historien érudit, jaloux de connaître tous les secrets de nos annales un poète, qui a senti dans son cceur toutes Igs émotions de notre passé et qui, à force de les vivre, a su, pour nous, les


faire revivre enfin, un apôtre, qui ne s'est pas cru le droit de vivre dans le passé, de vivre du passé et de revivre pour le passe il a voulu, par ce passé, agir sur le présent. Il a voulu, dans ses cours de professeur, dans ses livres d'écrivain, agir sur le peuple de France, grandir son âme et l'épurer. La France fut sa grande passion et, à travers la France, la fraternité humaine, l'affranchissement de l'esprit et le gouvernement du peuple par le peuple.

Historien érudit, poète, apôtre, comment a-t-il élaboré sa vie, développé son génie, écrit son œuvre? Et quelle a été son influence? 1

Sa biographie tient en quelques lignes il vient au monde à Paris, le 21 août 1798, dans le chœur d'une ancienne église « occupée », nous dit-il, < et non profanée », par une imprimerie. Son père y avait installé son atelier de typographe. J'ai poussé, nous dit encore Michelet, « comme une herbe sans soleil, entre deux pavés de Paris Comment se passèrent les soixantequinze années et demie qu'il vécut?

A douze ans, il entre au lycée Charlemagne, où les railleries de quelques camarades lui font de cruelles blessures. Mais il y est l'élève de Villemain et de Leclerc, qui découvrent le germe de ses qualités. Bachelier à dix-neuf ans, licencié à vingt, il est docteur ès lettres l'année suivante, dès 1819, puis agrégé en 1821.

A vingt-quatre ans, en 1822, il est professeur d'histoire, à Sainte-BarbeRollin, chez l'abbé Nicole. En 1824-1829, il publie ses Tableaux et manuels d'histoire. En 1827, il enseigne à l'École normale, qui a été rétablie l'année précédente. Il fait paraître, en 1831, son Histoire romaine et devient chef de section aux Archives nationales. En 1833, il donne les deux premiers volumes de son Histoire de France.

Il a trente-six et trente-sept ans quand il supplée Guizot à la Sorbonne (1834-1835). A quarante ans, il devient, contre Benjamin Guérard, son concurrent et, grâce à l'appui de la famille royale, professeur d'histoire au Collège de France la même année, 1839, il est élu à l'Académie des sciences morales.

Il perd, en 1839, sa première femme, M"s Pauline Rousseau, épousée en 1824 il se remarie en 1850 avec une institutrice, Mle Mialaret, de trente ans plus jeune que lui. Le cours de Michelet avait été suspendu dès 1849 il doit en 1851 quitter sa chaire et en 1852 son poste d'archiviste, pour vivre désormais de sa plume, car il a refusé de prêter serment à Napoléon III. De 18;) à 1867, il fait paraître les onze volumes de son Histoire de France. La mutilation de la France, en 1871, le frappe au cœur il se survit encore jusqu'au 9 février 1874, où il s'éteint à Hyères.

Sa situation aux Archives, ses lectures et ses voyages, depuis 1833, ont formé son érudition. Son enseignement et ses livres donnent à ses facultés de poète un aliment solide. Sa chaire, au Collège de France, lui offre la tribune que réclamait son âme d'apôtre, 'à un moment où la presse était bâillonnée et où l'opinion publique éprouvait le besoin de dire tout haut ce qu'elle sentait et ce qu'elle voulait.


II

Le génie de Jules Michelet, qui s'est ainsi formé, peu à, peu, est singulièrement complexe il abonde en contrastes et même en contradictions, qu'expliquent, en partie, l'ascendance et le milieu.

Sa mère est d'origine ardennaise c'est une nature concentrée, sensible, irritable, triste, mais raisonnable. Son père est un Picard, léger, ironique, voltairien. Au total, Michelet tient de sa mère beaucoup plus que de son père. « A chaque instant, nous confie-t-il, dans mes idées,_dans mes paroles, c'est ma mère que je retrouve en moi. » Au reste, cette mère et ce père ne vivent que pour leur enfant et croient de bonne heure en son génie. L'atmosphère que Michelet respire est imprégnée de romantisme tout écrivain se doit alors de parler surtout au cœur et plus qu'à la raison, de susciter, avec le mouvement et la couleur de la vie, les choses mortes, de s'adresser aux jeunes gens et aux femmes et de mépriser ce que l'on nomme les « vieilles perruques ».

Avec cet atavisme et dans cette ambiance, figurons-nous le corps débile de notre Parisien que le destin réservait à une gloire prochaine. Dès trente ans, Michelet a des cheveux blancs ils contrastent avec ce teint frais et rose de jeune garçon, qu'il conservera jusqu'au bout de sa vie. Un Lavater aurait constaté d'autres oppositions dans ce visage totalement rasé le front et les yeux d'un idéaliste le nez, aux ailes frémissantes, d'un scnsitif et d'un artiste la bouche fine et les lèvres moqueuses le menton lourd d'un volontaire et d'un homme aux instincts bas. Quant au caractère, c'est la sensibilité qui le domine et l'accapare affections filiale, conjugale, semi-conjugale, extra-conjugale, amicale, humaine, animale.

II écrit, dans son journal, en 1820, le 24 août, quand il a vingt-deux ans Dieu m'a prodigué. les objets les plus dignes d'être aimés outre le meilleur père et la meilleure mère. il m'a successivement fait connaître des personnes d'un cœur vraiment rare, en sorte que j'ai toujours quelque peine à croire que tout ce qu'il y a de bon, de vertueux, de sensible, sur la terre, ne soit pas autour de moi. »

Par delà ses affections filiales, Michelet eut, en dehors de son foyer, les tendresses avouées, pour trois ou quatre femmes surtout ainsi jMmM Fourcy et Dumesnil. Et il se demanda sincèrement s'il n'irait pas, avec elles, jusqu'au mariage, inclusivement.

Son respect inné pour la femme, même quand il la voyait traiter avecmépris par ses contemporains, le préserva d'écarts trop graves. Et ce ne fut pas sans mérite. Car il y avait en lui, et dès treize ou quatorze ans, des inclinations amoureuses infiniment précoces et tenaces.

Cela ne l'empêcha pas d'être, pour les deux femmes qu'il épousa, un mari modèle. La première, qui lui donna une fille et un fils, ne sut pas vraiment le comprendre. La seconde lui apporta un bonheur domestique complet. Elle fut sa collaboratrice discrète, mais totalement dévouée. Elle a publié ses Souvenirs, qu'elle a parfois un peu truqués. Elle osa même remanier ou lacérer quelques pages du journal de son mari celles,


par exemple, où ce mari parlait des sentiments que lui inspira Mme Dumesnil, mère du futur gendre de Michelet.

L'amitié masculine donna quelques-unes de ses joies les plus pures à Michelet amitié pour tels de ses camarades de collège Poinsot, dont l'âme était si délicate, et Poret, dont la fermeté était si virile. Plus tard, Edgar Quinet et Mickiewicz furent aussi des amis fidèles, presque des frères, et, sur eux, il comptait au moins autant que sur lui-même.

Né peuple, Michelet avait, pour les foules, une affection infiniment profonde. Il ressentait physiquement les souffrances subies par les pauvres vilains et les serfs de jadis. La misère de Jacques Bonhomme lui tirait des larmes et ses deux chapitres sur Jeanne d'Arc sont restés célèbres « Elle eut la douceur des anciens martyrs, mais avec une différence. Les premiers chrétiens ne restaient doux et purs qu'en fuyant l'action, en s'épargnant la lutte et l'épreuve du monde. Celle-ci fut douce dans la plus âpre lutte, bonne parmi les mauvais, pacifique dans la guerre même la guerre, ce triomphe du diable, elle y porta l'esprit de Dieu. « Elle prit les armes, quand elle sut « la pitié qu'il y avoit au royaume de France ». Elle ne pouvait, sans pleurer, voir « couler le sang françois ». Cette tendresse de cœur, elle l'eut pour tous les hommes elle s'affligeait après les victoires et soignait les Anglais blessés.

« Le sauveur de la France devait être une femme. La France était femme elle-même. Elle en avait la mobilité, mais aussi l'aimable douceur, la pitié facile et charmante, l'excellence. du premier mouvement. « Puisse la nouvelle France ne pas oublier le mot de l'ancienne « Il n'y a que les grands cœurs qui sachent combien il y a de gloire à être bon » Et ce n'était pas seulement au paysan de France qu'allait la pitié de Michelet, mais à la plèbe de tous les peuples il était démocrate dans le sens le plus large, le plus noble et, faut-il ajouter, le plus rare du mot. Sa générosité pour les deshérités était presque intarissable. Il avait une clientèle de pauvres, qu'il visitait et secourait, et jusque dans les moments où la pauvreté l'assiégea lui-même. Et, enfin, son besoin d'aimer allait jusqu'à nos frères inférieurs les animaux.

Avec cela, il n'oubliait pas de s'aimer lui-même, avec un égoïsme très masculin, candide et total. II trouvait naturel que son père, sa mère, ses femmes successives s'occupassent, d'abord, de lui. « Tous s'aimaient en moi », écrivait-il.

Du moins, avait-il en lui-même une confiance absolue, que l'affection admirative de ses parents et de ses amis avait fait grandir ce qui lui fut une force.

Son cœur est-il allé jusqu'à Dieu? Oui. En 1816, notamment, il eut une crise mystique. Plus tard, l'Imitation de y~M~-CAfM< fit, sur son cœur, une impression profonde et durable.

« Je ne lisais pas, avoue-t-il, j'entendais. comme si cette voix, douce et paternelle, de l'Imitation se fût adressée à moi-même. Je vois encore la grande chambre froide et démeublée elle me parut vraiment éclairée d'une lueur mystérieuse. Je ne pus aller bien loin dans ce livre, ne comprenant pas le Christ mais je sentis Dieu. »

Ce qu'il n'aimait pas, c'était ce qui, dans la religion, lui semblait trop humain le clergé. Et surtout, dans le clergé, les disciples de Loyola.


Les qualités qui pouvaient faire contrepoids à. sa sensibilité excessive ne lui manquaient point le sens pratique d'abord; la passion du travail ensuite et, enfin, la volonté, que rien ne pouvait fléchir. Dans son livre ~c Peuple, il rappelle un souvenir de ses quinze ans « Un jeudi matin (c'était en i8i/).), je me ramassai sur moi-même sans feu (la neige couvrait tout), ne sachant pas trop si le pain viendrait le soir, j'eus en moi, sans nul mélange d'espérance religieuse, un pur sentiment stoïcien. Je frappai de ma main, crevée par le froid, sur ma table de chêne. et je sentis une joie virile de jeunesse et d'avenir. Ma foi n'était pas absurde. Elle se fondait sur la volonté. Je croyais à l'avenir, parce que je le faisais ~Ot-~sMS. )) Dans sa nature intellectuelle, ce qui domine c'est l'imagination. Il voit les choses et les êtres parce qu'il les sent, et il les ressuscite parce qu'il les voit. Il a besoin d'imaginer pour penser.

Il croyait aimer la solitude, mais il n'était jamais seul. Sa réflexion suscitait autour de lui tout un monde. Il aimait promener ses rêveries dans le cimetière du Père-Lachaise, parce que la foule des morts se levait à son appel. Quand ses doigts touchaient les vieux papiers ou les parchemins du palais Soubise, ses doigts tremblaient, car, sous les lignes qu'il lisait, il croyait percevoir des voix d'outre-tombe.

Quand, dans l'atelier paternel, ses doigts d'enfant assemblaient les caractères d'imprimerie, il nous raconte que son imagination vagabondait en tous sens, à l'aventure.

Les jeûnes, les privations, son goût pour s'exclure du monde, qu'il nomme son a ourserie », surexcitaient ce qu'il nomme encore sa grosse puissance Imaginative ».

Mais cette imagination veut revêtir les idées de formes exactes et de couleurs précises. Il a le besoin de savoir et de comprendre il analyse tout et il s'analyse lui-même. Comme tous les romantiques, il se raconte luimême. Chateaubriand dans ses mémoires, Lamartine dans le commentaire de ses poésies, Hugo dans ses préfaces et dans le livre écrit sur lui-même, sous le nom de sa femme, se sont, comme Michelet, racontés eux-mêmes. Ils l'ont fait pour le public. Michelet le faisait pour soi.

Michelet a beau être sensitif et imaginatif, il est, en même temps, réaliste. La vision de chacun de ses camarades est restée, à cinquante ans d'intervalle, gravée dans son cerveau. La mort de sa mère est demeurée devant sa rétine. Écoutez

« Je passai la journée, les yeux fixés sur maman. La mort ne l'avait point beaucoup changée. Sa figure s'était raccourcie. Sa lèvre inférieure débordait un peu l'autre. »

Aussi bien le réalisme de Michelet va tout droit aux sciences exactes. On le jugeait fait pour les mathématiques autant que pour les lettres. Son journal, de 1820 à 1822, nous le montre résolvant chaque jour des problèmes. L'histoire naturelle, la médecine, la physiologie l'attirent et le retiennent. En toutes choses il aime la précision il est un de ceux qui ont, avec l'École des chartes, permettez-moi de le dire devant vous, contribué le plus à ramener l'histoire vers les documents originaux et les sources. Chez lui, l'imagination se concilie avec l'analyse, l'observation, l'étude minutieuse des faits.

Il pense avec les yeux autant qu'avec le cerveau c'est lui qui réclame


les gravures, les peintures, les sculptures, les médailles, les monuments figurés, comme des auxiliaires de l'histoire. Et, en réclamant leur aide, il a été vraiment novateur. En cela, nous restons tous aujourd'hui ses disciples. L'histoire, comme il la conçoit, parle à nos sens autant qu'à notre esprit. Elle ne raconte pas, elle évoque. Et il en a donné lui-même la formule fameuse l'histoire doit être une résurrection.

Le poète crée des êtres imaginaires, l'historien doit créer à nouveau des êtres qui ont vécu.

Michelet s'en charge mieux que personne. Il est le poète, non pas de la fiction, mais de la vérité.

L'émotion de son cœur, l'imagination de son génie et la précision de ses recherches s'harmonisent et la vie déborde si bien en lui qu'il la communique aux siècles endormis, dont il nous parle. Tout s'anime à sa. voix. Il.est le grand magicien de l'histoire.

III

L'amour de Michelet pour l'humanité ne se cantonne pas dans le passé. Il s'étend aux générations présentes. Son œuvre ne sera donc pas seulement verbale elle doit être secourable, comme une œuvre de miséricorde. Il fait fi de l'histoire qui se bornerait à être une curiosité d'érudit. La lumière du passé, en se projetant sur le présent et l'avenir, leur sera salutaire.

Il s'agit de reconstituer la vie intégrale de jadis, mais pour améliorer la vie d'aujourd'hui.

Michelet avait souffert et grandi au milieu du peuple qui peinait il vouait donc, de toutes les forces de son cœur et de son esprit, atténuer, sinon guérir, la grande souffrance populaire. Son ambition, c'était de tirer de l'histoire non pas simplement une doctrine, mais bien un principe d'action. H visait à créer plus que des esprits, il rêvait de tremper des âmes et des volontés.

Chez Michelet, l'érudit et le poète devaient être au service de l'apôtre. Sa chaire au Collège de France lui en faisait un devoir, car elle s'appelait chaire de morale et d'histoire ». Le Collège de France, dès François I< avait contribué à libérer l'esprit humain il avait ouvert à la science des voies nouvelles. Et Michelet estimait que, nommé en 1838 à ce même Collège, il devait rester fidèle à la tradition. Par suite, ne pas s'abstraire du présent. Cette mission, d'ailleurs, était conforme à ses tendances et à son système. Voici ce qu'il en écrivait « Ces cours, qu'on pourrait nommer de physiologie sociale, dirent comment la plante humaine, l'arbre de vie, part d'en bas, de l'obscure mais toute-puissante inspiration populaire. Ils posèrent le droit du ~eM~/e. De là, mon livre de ce nom. De là, ma Révolution [publiée de 1847 à 18531 de là, tous mes écrits. »

Il ajoutait « Cette ardente recherche du droit m'imposait de pénétrer dans l'intelligence de l'esprit des masses, plus qu'on n'avait fait encore bien plus, m'obligeait à refaire, à ressusciter ces vieux âges. Berthelot a dit, en chimie, cette parole féconde On ne sait que ce qu'on refait. » Ces mots, c'est une méthode même. Voilà pourquoi j'ai nommé l'histoire .EMMf~ction. »


Sans doute. Mais, dès tors, l'histoire ne risque-t-elle pas de changer de nom? Au lieu d'être au-dessus des partis, elle prend parti. Au lieu de dominer les passions et de leur rester étrangère, elle s'y plonge. Elle devient la politique. Au lieu de ne rechercher que la vérité, elle supprime les faits compromettants, elle devient un plaidoyer. Elle conclut avant d'avoir étudié. Elle remplace l'objectivité par l'esprit de système. Elle n'expose pas,, elle prêche.

Au Collège de France, Michelet reprochait a ses collègues ce qui était précisément leur force de poursuivre leurs investigations dans un esprit purement scientifique et critique. Et d'abord Michelet se sentit isolé cela pendant trois ans, de 1838 à 1840. Mais, en 1840-1841, deux nouveaux collègues lui vinrent, qui concevaient leur rôle, au Collège de France, comme lui Mickiewicz, un Polonais réfugié, chargé, en iS~o, d'un cours de langue et littérature slaves, et Quinet, venu delaBresseetde Lyon, nommé, en 18~1, professeur des langues et littératures de l'Europe méridionale. Michelet, Mickiewicz et Quinet avaient ceci de commun « qu'ils se croyaient tous trois chargés de donner à la France un haut enseignement moral et que tous trois avaient le sens profond de la vie et de l'âme populaires ».

De 1838 à. 18~ [, les cours de Michelet n'avaient pas encore l'accent politique qu'ils prirent ensuite, quand Mickiewicz, Quinet et lui furent à l'unisson.

En 1838, Michelet entrait, les yeux modestement baissés. Il n'avait pas la cravate blanche, que l'usage imposait alors au professeur, mais, comme Guizot jadis, le gilet blanc et la cravate noire.

Un de ses auditeurs les plus fervents, Étienne Gallois, nous le décrit alors en ces termes « Dans la salle où il devait se faire entendre, la_plus spacieuse de l'établissement, Michelet était précédé par une foule qui se disputait les places les plus rapprochées de lui elle se montrait désireuse de ne rien perdre d'une parole pleine d'érudition, sans aridité, et d'ingénieux aperçus. Cependant, à plusieurs déjà elle paraissait trop amie de la digression, visant à l'effet et quelque peu mélangée de paradoxe. Les dames abondaient à ce cours. Les mères y menaient leurs filles, munies de cahiers qui revenaient abondamment annotés. Parmi celles-ci on reconnaissait, à la distinction et à la grâce de toute sa personne, la fille même du professeur. »

A partir de 1841, tout changea. Les enthousiasmes de la jeunesse des écoles recommencèrent à secouer les échos des salles du vieux collège, comme sous la génération précédente.

La foule enseignée, nous dit Michelet, nous enseignait, à son tour, et réagissait à son insu. Ce grand auditoire de tout peuple et de tout âge, Français, étrangers, vieux, jeunes, étudiants, pMfesseurs, dames, influait puissamment sur nous. »

La chaire du professeur était bien devenue la tribune que nous avons annoncée. La salle était préparée. Jules Vallès, dans ses souvenirs de 1846iS~y, nous fait cet aveu « Le cours de Michelet était notre grand champ de bataille. Je parie que les trois quarts de ceux qui applaudissaient ne comprenaient pas. On attendait toujours pour applaudir. Quand ce n'était pas tout indiqué par l'intonation et le geste du maître, deux grands garçons


donnaient le signal et pas seulement pour l'applaudissement, mais pour le rire aussi. »

Contre les cours de Michelet, de Quinet, de Mickiewicz, le clergé et les amis du clergé ne se contentaient pas de protester dans les journaux, dans les chaires, dans les deux Chambres. Ils déchaînaient des orages dans les salles mêmes des cours.

Les professeurs étaient accablés de lettres de menaces. Mais leurs amis, les étrangers surtout, Italiens, Polonais, étaient prêts à venir en armes pour soutenir la cause de leur maître.

Le i mai 18~3, à une des leçons sur les Jésuites, « on vit auprès de moi Quinet et Mickiewicz, nous dit Michelet, l'un à droite, l'autre à gauche, et donnant à cette jeunesse le spectacle de l'amitié ».

Dans la suite, Michelet parut presque toujours à son cours assisté ainsi par ses deux amis.

Quant à sa parole, elle était chaude et vibrante, sans doute, mais hésitante quelquefois et déclamatoire. Elle ne valait pas son style écrit. Ce style est coloré, nerveux, saccadé, trépidant il est fiévreux, rythmé, souple, plastique il est puissant, il est lyrique. Les vers blancs de huit et douze syllabes y abondent. La syntaxe use d'une grande liberté. Le verbe est souvent supprimé et la conjonction e< pareillement. Nul, depuis Chateaubriand, n'avait manié notre langue avec plus d'originalité, de fantaisie, de désinvolture, d'indépendance et de maîtrise.

En somme, ce qu'il y a de surprenant et d'unique chez Michelet, c'est bien moins qu'i] fut un historien soucieux de s'abreuver aux sources pures des documents originaux ou un poète aux magnifiques envolées ou un apôtre de la patrie, du petit peuple, de l'humanité. C'est bien plutôt qu'il fut, à la fois, tout cela un historien, un poète, un apôtre.

Il voulait accorder ce qu'il y a de contradictoire dans l'érudition et l'imagination, dans la science et la politique, dans le rêve et la réalité. Il s'eSorça d'accorder ce qu'il y avait de puissant, dans son cerveau, avec ce qu'il y avait de généreux dans son cœur.

Convenons, pour être justes, que sa valeur d'historien fut diminuée par ses passions politiques, ses rêves d'artiste et ses chimères. Mais ses cours du Collège de France, plus encore que ses livres, peut-être, lui ont permis d'agir sur sa génération. La nôtre ne l'oublie pas. Son nom a été donné à un amphithéâtre de la nouvelle Sorbonne, à une rue et à un lycée de Paris. Il a contribué à répandre jusqu'à nous le goût de l'histoire. Nul n'a su la rendre plus vivante. Il a aimé tout ce qu'il y a de beau, de juste, de grand, chez tous les peuples martyrs. Ce Parisien de Paris a su répandre à travers le monde le culte passionné de la France. Les rapports du secrétaire et du trésorier sont lus et adoptés Situation financière au /2 KM! ~9-?~.

Actif disponible au 13 mai 1930. 8,151 fr. 94


Cotisations

à 3ofr.:275. S.zgofr.so

à 2ofr.: 6. Mo » »

à 25fr.: 2. 50 » n 9'~° 50 agoofr.: 4. i,2QO » » 1

Subvention du ministère de l'Instruction publique. 800 oe » Subvention du Conseil général (I928 et 1020). Soo » » Intérêt des valeurs. 566 M Intérêtducompteenbanque. 15 39 Total. 19,953~-93

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Fa.ctureDa.upetey a.iggfr.So Reliquat de la facture Dumoulin 800 )) t Clichés. 785 » Envoisdecircula.ires. 1,500 » » Imprimés 65~. » » ~Timbres. s~g » n Fraisde bureau. yi 50 Gratifications i~ » » Frais du compte postal 32 6o Fra.isdelabanque. 11 70 Visites et excursions (pourboires). iyo » a Total des dépenses. 13,600 fr.ôo

Reste en caisse. 6,353~r.gg

Il est procédé au renouvellement des membres du Conseil Sont réélus à l'unanimité MM. Auvray, Fosseyeux, Le Grand, Batiffol, Blanchet, Coyecque, Stein, Valentin de Courcel, Omont. Sont élus de même MM. Courteault, Robert deCourceletDu.pieux.

Séance du 19 mai 1981.

Présidence de M. DupoNT-FERRiER.

Étaient présents MM. Auvray, Barroux, Blanchet, Deslandres, Dumolin, Dupieux, Dupont-Ferrier, Hartmann, Jarry, Martin, L. Mirot, Prinet.

Assistaient à la séance Mmes et Miles Auvray, Barry, Baudry, Bonnel, de Catheu, Coutin, Paul Fontan, Gillet, Guénée, Houllier, Kowalska, de Lamothe-Dreuzy, Lejoindre.Oster, Pierre, Poidevin, Robert, Schwérer, Steel MM. Allard du Chollet, Coutelier, Delacourcelle, Didot, Guillemot, dé La Roche, Lebègue, Maillard, A. Mirot, Motel, Léo Mouton, Ojardias, Philippot, Prieur, Rubé, Vaugelade, Vimont.


Excusés MM. Boucher, Debidour, Lemoine, Perrault-Dabot, Samaran.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. Sont admis sur les présentations requises

Mme Clère Salles la Bayerische Staatsbibliothek, à Munich. Il est ensuite procédé au renouvellement du Bureau. Sont réélus à l'unanimité ~M«~Mi' M. Dupont-Ferrier ft~M! M. Dumolin secrétaire M. Paul Jarry; secrétaire a;o!M< M. Henri Lemoine trésorier M. André Martin ~MO~Mf c~/o<M< M. Paul Dupieux.

Sont également réélus Comité des fonds MM. Couderc, Le Grand, Stein, Dumolin. Comité de publication MM. Coyecque, Omont, Auvray, Mirot, Dumolin, Perrault-Dabot.

Au cours de la séance d'études, M. Maurice Dumolin fait une communication sur Les origines de la CM/<M~-J'~f~M6. Ayant poursuivi ses recherches sur ce coin de Paris, M. Dumolin en arriva à des constatations curieuses. Il a pu se convaincre que le diplôme daté d'Aixla-Chapelle le 19 octobre 820, confirmant les privilèges accordés par Pépin et Charlemagne à l'Église de Paris, était faux. Son auteur n'a pas voulu confondre en un seul les deux diplômes des 9 septembre 814 et 29 octobre 820, mais fonder les droits de l'évêque sur la totalité de la Cité et sur le bourg Saint-Germain. Même constatation pour la bulle de 980, dont le faussaire s'est servi, pour la confectionner, d'une bulle véritable, en ajoutant certaines phrases, afin d'authentiquer le faux diplôme du 19 octobre 820. De ces faux, M. Dumolin donne les raisons, les excuses et les résultats, qui seront développés in-extenso dans notre Bulletin.

M. Léon Mirot évoque Quelques souvenirs de la vie de cour à la fin du XIVe siècle par un Florentin.

Bonacorso Pitti appartenait à une ancienne famille florentine. Né le 25 avril 1354, il quitta son pays à vingt ans et, après quelques années aventureuses, il vint en 1380 à Paris. Joueur, prêteur, marchand, il fréquenta la France, la Flandre, la Hollande et l'Angleterre, et sut se glisser dans l'intimité des grands seigneurs et dans celle de la cour de Charles VI il rendit sans doute des services diplomatiques officieux à sa patrie jusqu'au jour où, à la demande d'Isabeau de Bavière, il devint l'agent le plus actif d'une alliance entre la France et Florence. Dès lors, il fut l'ambassadeur attitré de la République toscane, jusqu'au jour où l'âge le confina dans des fonctions administratives plus sédentaires il mourut après le mois d'août 1429. Il laissait de nombreux enfants, qui augmentèrent après lui le renom et la fortune de la famille. L'un d'eux, Lucca, fit construire par Brunelleschi


le palais Pitti, résidence royale et l'un des plus riches musées italiens. Bonacorso laisse de sa vie un récit vif, mouvementé, rempli d'anecdotes et de scènes de mœurs piquantes, si l'on en juge par les quelques passages d'une saisie chez le duc de Brabant Wenceslas de Bohême, d'une querelle de jeu en présence du duc d'Orléans et d'une audience h. lui donnée par Charles VI.

Séance du 9 juin 1931,

Présidence de M. DupONT-FERRiER.

Étaient présents MM. Barroux, R. de Courcel, Courteault, Dumolin, Dupieux, Dupont-Ferrier, Hartmann, Jarry, Lemoine, Lesort, Mirot, Prinet, Viard.

Assistaient à la séance Mmes et Miles Baudry, Bonnel, Coutin, Diot, Fontan, Guénée, Houllier, Hue, Huerre, Lejouidre, Mauclaire, Georges Oudard, Pierre, Poidevin, Rizet, Robert MM. Babize, Camille Bloch, Bossuat, Delacourcelle, Didot, Drouel, Jouvenet, Marichal, Motel, Léo Mouton, Prieur, Rizet.

Excusés MM. Adhémar, Boucher, Méret, Meurgey, Samaran

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. Le président exprime ses plus vives condoléances à notre collègue M. Méret, vivement éprouvé par la mort de Mme Méret, membre ellemême de la Société, et à M. Léo Demode, qui vient de perdre un fils de vingt ans.

Il est décidé que la table en cours sera prorogée et portera le titre de Tables décennales 190~-1933.

M. Robert Anchel fait ensuite une communication sur LesJuifs à Paris <M< ~/7/<' siècle.

Les règlements et les usages qui régissaient la condition des Juifs en France au xvme siècle ne leur permettaient d'habiter que dans certaines localités, les excluaient des corporations d'arts et métiers, des associations ouvrières, généralement de toutes les professions libérales, les soumettaient à des taxes particulières, ne les reconnaissaient comme Français qu'à certains égards seulement. La grandemajorité des Juifs vivait très pauvrement et se montrait étroitement

attachée à son existence familiale et à ses traditions religieuses. Ils étaient arrivés à Paris dès la période mérovingienne et en avaient été expulsés pour la dernière fois en 1615. On en retrouve quelques-uns dans cette ville au début du xvme siècle. En 1750, ils pouvaient être une centaine, et peut-être 500 en 1789. Souvent, d'ail-


leurs, ils ne restaient à Paris que quelques mois ou quelques années. Les Juifs voyageaient alors beaucoup en France.

Ceux de Paris venaient de l'Est (Metz-Alsace-Lorraine) ou du Midi (Bayonne, Bordeaux, États pontificaux) ou de l'étranger (villes rhénanes, Allemagne, Pologne, Hollande). Un très grand nombre de ceux qu'on rencontre à Paris étaient colporteurs. Ceux du Midi vendaient fréquemment des étoffes. Quelques-uns avaient fondé des manufactures. On trouve aussi parmi eux des banquiers et surtout des hommes d'affaires, fournisseurs aux armées ou autres, qui fréquemment étaient protégés par de très nobles et très grands personnages, parfois même associés avec eux.

Les Juifs du Midi formaient un groupe habitant la rive gauche la foire Saint-Germain les avait fixés dans cette région de la ville. Les Juifs de l'Est résidaient au voisinage du Temple. Les franchises dont jouissait l'enclos du Temple favorisaient leurs occupations. Malgré les difficultés opposées à leur existence, peu de Juifs eurent à répondre à la justice d'actes délictueux. Un seul, nommé Joseph Lami, commit un assassinat. Un autre juif hollandais fit parler de lui à propos de ses démêlés avec une actrice de l'Opéra. La régularité d'existence de ces Juifs est d'autant plus remarquable que les corporations entravaient leur activité. En 1767, profitant de l'Édit de mars, cinq Juifs parisiens achetèrent des brevets de merciers. Les corporations parisiennes firent échec à cette tentative d'ouvrir boutique et réussirent à écarter définitivement les Juifs en 1777. Les écrits auxquels cette affaire donna naissance sont propres à faire connaître les différents aspects de l'opinion sur la question juive. Les anciens règlements continuaient, d'ailleurs, à être appliqués strictement. Les réunions publiques étant interdites, les assemblées religieuses juives étaient dispersées. A partir de 1770 seulement, une synagogue fut ouverte rue Saint-André-des-Arts, puis une autre rue Brisemiche. Les enterrements juifs se faisaient sous le contrôle de la police, de nuit, dans un terrain dépendant de l'auberge Cameau, à la Villette (aujourd'hui rue de Flandre). En 1780, le lieutenant de police permit l'acquisition d'un terrain à usage de cimetière, puis d'un autre en 1785. Ces deux vieux cimetières ne servent plus, mais existent encore.

La vie journalière même des Juifs était contrôlée par la police, qui

enfermait ou expulsait à son gré ceux qui n'avaient pas de passeport ou n'avaient pas fait de déclaration de résidence. Tout était aggravé d'ailleurs par les abus du personnel subalterne des commissaires et inspecteurs de police.

Mais, parallèlement à la tendance conservatrice maintenant les anciens règlements, se manifestait un mouvement libéral et réformateur favorable à l'admission des Juifs dans la nation française. Mon-


tesquieu, qui a montré l'incompa.tibilité du change avec un régime despotique, fut le philosophe dont l'opinion appuya le plus fortement les théories libérales.

Celles-ci triomphèrent lors du vote par la Constituante du décret du 27 septembre 1791, qui assimilait les Juifs aux citoyens français. Cet acte, une des conséquences pour ainsi dire obligatoires de la Déclaration des Droits, avait donc été en réalité préparé par le travail d'idées réalisé en France au xvme siècle, spécialement lors du conflit des Juifs parisiens avec les corporations. Contradictoirement à la croyance antérieure que pour être Français il fallait professer la religion du roi, on était arrivé à disjoindre les deux notions de religion et de nationalité. Ainsi les Juifs ont été reçus dans la patrie française par la Révolution et par une longue évolution.

II

VARIÉTÉS

LA

CONSTRUCTION DE L'ARSENAL AU XVIII" SIÈCLE ET GERMAIN BOFFRAND

Il en est des bâtiments de l'Arsenal comme d'autres monuments parisiens. Les descriptions de Paris au xvm~ siècle donnent des dates pour leur édification on répète ces dates de confiance, puis, un jour, des documents originaux viennent nous apprendre qu'elles sont inexactes.

D'après Piganiol de La Force, Germain Boffrand aurait élevé en 1718, pour le duc du Maine, grand maître de l'artillerie, l'édi&ce dont on voit la grande façade de style Louis XIV sur le boulevard Morland et aurait fait exécuter les fines boiseries des salons xviïl~ siècle qui décorent les intérieurs Les critiques avertis jugeaient bien que les boiseries en question ne pouvaient être du temps de la Régence, à moins que Boffrand ne fût un précurseur surprenant, mais plutôt du

i. Piganiol de la. Force, Description de Paris. Paris, ]:742, in-r2, t. IV, p.144-148.


beau moment du milieu du xvme siècle, où l'art Louis XV atteint toute sa grâce et sa légèreté élégante. Ils trouvaient aussi que les dessins de ces boiseries n'étaient pas précisément de la manière de Boffrand, manière plus riche, plus fastueuse, moins sobre et afBnée mais, arrêtés par des dates que l'on croyait certaines, ils se bornaient à penser que Boffrand avait eu sans doute ici une première façon inconnue, supérieure à la seconde, et ils lui faisaient un mérite de plus. Des textes nouveaux vont permettre de rectifier les faits et de préciser les dates exactes, ainsi que les noms des artistes qui ont travaillé au monument dont nous parlons.

Le principal de ces documents est le journal manuscrit d'un intendant du duc du Maine, M. Brillon. Pierre-Jacques Brillon, avocat au Parlement de Paris, né en 1671, auteur d'un volumineux DictionMftM~ ~'a~e~s qui eut jadis quelque notoriété, avait accepté, n'étant pas très riche, de devenir, en octobre 1717, « intendant général des maisons, affaires et finances du duc du Maine. Il l'est resté jusqu'à sa mort en 1736 et a rédigé, durant ce temps, un journal quotidien qui représente vingt-huit volumes manuscrits in-folio conservés aujourd'hui à la Bibliothèque de l'Institut. C'est un fatras indigeste de notes relatives aux faits journaliers des fonctions de l'auteur, mais dans le nombre le lecteur patient peut glaner des quantités de détails curieux et instructifs. M. Brillon est un brave homme, prudent, craintif, honnête père de famille, bon paroissien, que ses moyens de fortune réduits obligent à une humilité parfois solliciteuse, sachant, d'ailleurs, à l'occasion, trousser l'anecdote avec esprit. Son journal jette un jour singulier sur l'existence magnifique en apparence, et misérable en réalité, d'un grand seigneur au xviii~ siècle, même fils de Louis XIV 1.

Ce grand seigneur, le duc du Maine, qui a un an de plus que Brillon, petit, infirme, boiteux, assez bien de figure et accueillant 2, apparaît dans notre journal, non comme un duc et pair prince du sang, mais comme un pauvre petit bourgeois, modeste, doux, malheureux, affligé de 3,500,000 livres de dettes dont il ne peut pas sortir, à son

i. Bibliothèque de l'Institut, mss. 373-401. C'est dans ce journal qu'on trouve des renseignements sur la vie de l'auteur sa date de naissance (ms. 382, p. 48), ses titres (ms. 375, p. 91 ms. 387, p. 76 cf. Almanach royal de 1712, p. 207), ses œuvres (ms. 376, p. 346 et 686; ms. 378, p. 175). Il était propriétaire rue Saint-Louis, à Paris (ms. 394, p. lt5; ms. 395, p. 15). Il n'a eu que deux filles (ms. 387, p. 526). Il habita successivement rue de Grenelle, quartier Saint-Honoré (ms. 376, p. 652), rue des Prêtres-SaintPaul (ms. 380, p. 571), rue Vieille-du-Temple (ms. 387, p. 484). 2. Voir Ezéchiel Spanheim, Relation de la cour de France en 76~0. Paris, Renouard, 1882, in-8°, p. 102. Il avait les jambes tournées et estropiées


grand désespoir, et qui augmentent tous les jours 1 puis de la femme la plus acariâtre de la terre. La duchesse du Maine, petite-fille altière du grand Condé, ne pardonne pas à son faible mari son origine doublement irrégulière et l'accable perpétuellement de sarcasmes et de scènes dont Brillon nous fait entrevoir, sans malveillance, car il a un religieux respect pour ses maîtres, l'âpre violence. Le duc du Maine a. manqué sa vocation. Il aurait dû être un tranquille rentier dans quelque paisible ville de province. II avoue à Brillon avoir insisté auprès de son père, Louis XIV, pour n'être pas déclaré « prince du sang je n'ai pas de titre à cela )), disait-il en gémissant. Le roi a pa.ssé outre 2.

Autant il voudrait être économe et de train réduit, autant sa femme, magnifique, fantasque, dépense sans compter. Il tremble devant elle. Pour avoir le ton de la duchesse, écoutons-la s'emportant contre Brillon qui essaie de refréner les dépenses « Vous êtes un lâche, vous ne soutenez pas votre place d'intendant. Cette maison est une véritable pétaudière chacun veut en être le maître. Et, mort de ma vie si vous n'avez pas le courage de parler à M. du Maine, ne vous plaignez pas de ce qu'on vous méprise comme un zéro. » Brillon conclut avec humilité « Nous sommes faits pour souffrir. » Et le duc du Maine, mis au courant, ajoute avec mélancolie « J'aurais été plus heureux d'épouser une bergère~ x » Donc le ménage se ruine. « Je suis malade de douleur, écrit Brillon, de voir tout ce qui se passe et qui de jour en jour devient plus affreux pour le déshonneur et la ruine de cette maison que j'affectionne. » Le comte de Toulouse, frère du duc du Maine, demandant narquois son neveu, le prince de Dombes « Vole-t-on toujours chez vous? )) le prince se borne à répondre négligemment qu'il ignore ce détail~.

t. Brillon écrit du duc du Maine le 17 janvier 1721 (Bibl. de l'Institut; ms. 379, p. 47) « C'est un prince qui a toutes les vertus d'un particulier, mais à qui il manque le courage d'un homme de son état. Il est infiniment sensé, difficile à prendre son parti, humble par tempérament, doux par habitude. Ces sortes de douceur et d'humilité, louables dans les condi* tions privées, cessent d'être des vertus méritoires dans les hauts rangs. » 2. Ibid., ms. 385, p. 222. Ailleurs (ms. 379, p. 323-324), le duc du Maine fait de curieuses confidences à Brillon sur son père, Louis XIV, lui dit l'idolâtrie » qu'il professait pour lui, lui raconte les conversations qu'il a eues avec le roi et dans lesquelles le roi lui avoue ne pas imposer ses volontés à ses ministres dans les conseils, mais les laisser libres lui explique que son manque de conversation est voulu et que la constance apparente devant les défaites comme celle d'Hochstedt est non moins étudiée. 3. Ibid., ms. 379, p. 394. La scène aurait été faite à propos de < balais, verdettes, pots de chambre ms. 400, p. 82, « j'ai eu moi seul tous les gros mots e, dit Brillon.

4. Ibid., ms. 384, p. 430. Il y a de nombreux comptes dans le Journal de


Brillon ne peut même pas se payer ses appointements il devra vendre sa vaisselle d'argent pour vivre. Un rôtisseur et un chandelier saisissent les rentes du duc du Maine. Les créanciers « piaillent », répète l'intendant au duc, qui répond avec chagrin « Je suis persécuté. Tout cela est fort triste! » Et on écrit à Brillon « Son Altesse est fort abattue et prête à jeter, comme l'on dit, le manche après la cognée. Elle dit ouvertement qu'elle ne cherche qu'un moyen honnête de mettre la clef sous la porte. Elle voudrait être morte elle verrait la mort sans regret 1. »

Tous ces détails sont utiles pour comprendre ce qui va se passer au sujet des constructions de l'Arsenal.

Comme grand maître de l'artillerie, le duc du Maine est censé résider à l'Arsenal, qui est, ainsi que le dit Brillon, « son domicile de dignité, son habitation générale » En réalité, tant que Louis XIV a vécu, le duc est demeuré à Versailles et au château de Clagny, qui lui appartient, lui venant de sa mère M°'s de Montespan. Après la mort du grand roi, il est venu habiter les Tuileries, afin de suivre le jeune roi Louis XV dont il doit surveiller l'éducation. Puis les disgrâces sont arrivées le régent a fait casser par le Parlement de Paris toutes les décisions du roi défunt relatives à ses enfants naturels et aux privilèges qu'il leur a accordés, et force a été au duc du Maine, chassé des Tuileries, de trouver logis ailleurs.

Il n'aurait pas demandé mieux que de s'installer à l'Arsenal. La maison construite par Sully lui plaisait. Il y venait fréquemment pour présider les conseils de ses hommes d'affaires où l'on discutait et réglait les questions relatives à ses domaines et celles de la grande maîtrise de l'artillerie. Il répétait qu'à l'Arsenal « ses commodités étaient parfaites ». Il y avait un bel appartement tout meublé, garni d'une tapisserie représentant le sujet de Phaéton, en huit pièces, venant des ducs de Guise un lit de velours vert brodé puis la vue magnifique sur la Seine, la tranquillité, le silence de l'endroit le reposaient. On avait constaté que les bâtiments pouvaient loger « honorablement et commodément » le prince, la princesse, leurs deux fils, Dombes et Eu quant à la fille, Mlle du Maine, on la mettrait au couvent 3.

Malheureusement, la tempétueuse duchesse du Maine avait l'Arsenal en horreur. Quoiqu'elle y eût, elle aussi, un grand appartement et un petit appartement ordinaire, c'est-à-dire ce qui lui fallait,

Brillon donnant le chiffre des dépenses et des dettes, par exemple, ms. 391 p.56 ms. 388, p. 223.

i. BiM. de l'Institut~ms. 386, p. 409 ms. 401, p. 260 ms. 391, p. 37. 2. Ibid., ms. 375, p. 60.

3. Ibid., ms. 382, p. 346 ms. 384, p. 393 ms. 377, p. 184 ms. 374 p.231.


elle ne pouvait s'y souffrir 1. Elle avait fait aménager au point où les fossés de la Bastille rejoignent la Seine et d'où l'on a une vue superbe sur Paris, l'île Saint-Louis, Notre-Dame, lieu occupé antérieurement par un château d'eau, un petit pavillon qu'elle appelait sa petite maison de l'Arsenal. A la rigueur, elle venait là. Elle y faisait entre-' tenir vaches, poules, pigeons, ce qu'elle nommait « sa ménagerie ». Elle avait fait faire un parterre et un potager 2. En 1729, le pavillon brûlera et la duchesse en fera reconstruire un autre qui coûtera .).4,ooo livres et que bâtira Germain Boffrand, avec un beau salon ovale de dix mètres de long sur sept de large, éclairé de cinq croisées donnant au midi et à l'ouest, et flanqué de deux petits cabinets de trois mètres sur trois, et, au-dessus, un étage de cinq pièces Mais, quittant les Tuileries, elle déclara net qu'elle ne voulait à aucun prix loger à l'Arsenal. Elle entendait acheter un hôtel plus près du centre, pas loin de sa mère, la princesse de Condé, et elle avait jeté son dévolu sur l'hôtel de la princesse de Conti, rue de Bourbon, aujourd'hui rue de Lille, au lieu dit la Grenouillère, à. côté de l'ambassade actuelle d'Allemagne. L'achat de l'hôtel allait être ruineux, accablant, pour des gens aussi endettés. On essaya de la raisonner. Elle fulmina. « L'Arsenal, disait-elle à Brillon, est un séjour mortel pour moi j'ai pensé y perdre un ceil j'ai eu des fluxions épouvantables sur les dents. Il ne me convient pas d'entrer dans une maison d'où mon fils pourrait ms chasser le lendemain. » D'ailleurs, « c'était une demeure inhabitable qui ne pouvait servir de retraite qu'à des voleurs qu'on n'y venait pas chercher. Cartouche, le célèbre Cartouche, aurait crainte d'y demeurer ». De plus, les bâtiments étaient en mauvais état ils tombaient en ruine on n'y pouvait allumer du feu sans risquer l'incendie. Enfin sa mère le lui avait bien dit « Une maison sur le bord d'une rivière était bonne à la campagne, où l'on n'est que dans les beaux jours de l'été. Une telle maison dans une ville, où l'habitation est perpétuelle et nécessaire, ne convenait point à une personne délicate sujette aux rhumes, fluxions et maux de dents. » Elle s'entêta, et le duc du Maine, « le désespoir dans l'âme o, dut signer l'acte d'achat de l'hôtel de la Grenouillère. Mais, lui, disait-il, il irait habiter l'Arsenal tant qu'il n'aurait pas de meilleur logis ailleurs. Alors ce fut une nouvelle scène agir de la sorte, criait la duchesse a son mari, « c'était une espèce de reproche du parti

i. Bibl. de l'Institut, ms. 379, p. 13 ms. 375, p. 79 ms. 382, p. 95, 169. 2. Ibid., ms. 382, p. 283. On disait aussi « le pavillon dm bastion de l'Arsenal n (Bibl. de l'Arsenal, ms. 4043, fol. 60). Cf. Bibl. de l'Institut, rus. 375, p. 74 ms. 373, p. 640.

3. Ibid., ms. 399, p. 67, 69, 74, 83, 97, 238.1-e maçon sera Destriches, que nous retrouverons plus loin. Pour le plan du pavillon, voir Bibl. de l'Arsenal, ms. 6485, fol. 12.


qu'elle prenait de n'y point aller cela ferait un mauvais effet dans le monde cela exciterait un murmure général ».

Ces incidents se passaient le 9 décembre 1718 le 29 décembre suivant, M. et Mme du Maine étaient arrêtés et envoyés en exil au loin, en province, à cause de la conspiration de Cellamare. Mais est-ce en raison de la répugnance connue de la duchesse pour le vieil édifice de Sully, est-ce par suite de l'état de délabrement trop avancé des constructions ou pour tout autre motif, bref, depuis longtemps, du vivant même de Louis XIV, il était question de modifier, d'agrandir et d'embellir l'hôtel du grand maître de l'artillerie. Le soin de faire les plans avait été confié à l'architecte du roi chargé, au début du xvme siècle, de l'entretien de l'Arsenal, M. Boffrand. Originaire de Nantes, où il était né en 1667 d'un père sculpteur et d'une mère qui était la sœur de Quinault, Germain Boffrand avait été amené à Paris par celui-ci, son oncle, lorsqu'il avait quatorze ans, avait appris le dessin et avait été placé dans le service des bâtiments du roi, où le jeune architecte eut l'occasion de collaborer avec Mansard à l'édification de la première place Vendôme. En 1709, Boffrand était reçu à l'Académie royale d'architecture. Sa réputation s'établissait des princes allemands, l'électeur de Bavière, l'évêque de Wurtzbourg, le duc de Lorraine avaient recours à ses services. Le roi le chargera en 1728 de l'Hôpital général de Paris. On lui fera construire des ponts, des écluses, creuser des canaux, car il était ingénieur et sera inspecteur général des ponts et chaussées. Il a été même auteur et a publié un grand livre d'architecture où il a décrit les édifices qu'il a élevés, comme les châteaux de Nancy, Lunéville, La Malgrange, Wurtzbourg, les hôtels, à Paris, de Craon, de Montmorency, d'Argenson, les portes du Petit-Luxembourg, les décorations de l'hôtel Soubise. Il devait laisser quatre enfants, deux garçons et deux filles, mais, ayant spéculé malencontreusement dans le système de Law, il mourra à peu près ruiné, à quatre-vingt-sept ans, le 18 mars 175~ Parmi ses attributions d'architecte du roi, il avait « l'inspection sur les bâtiments et réparations du château de l'Arsenal », office pour lequel il touchait 1,000 livres par an, avec, comme budget annuel pour l'entretien de ces bâtiments, 5,000 livres, somme modique, ces deux dépenses imputées sur les fonds de l'artillerie. II habitait rue des Deux-Boules, qui allait de la rue des Lavandières à la rue Bertin-Porée. Il avait droit à un appartement à l'Arsenal, qu'il ne paraît pas avoir occupé 3. Ses biographes rapportent qu'il était

l. BiN. de l'Institut, ms. 374, p. 130, 157, 317, 343, 372 ms. 375, p. 291 ms. 380, p. 228.

2. Pierre Patte, ~4 &yeg~ de la vie de M. Boffrand. Paris, 1754, in-8°. 3. Bibl. de l'Institut, ms. 386, p. 453 ms. 381, p. 541 ms. 374, p. 382


« agréable de conversation, d'un caractère doux et facile, d'un commerce aimable et d'un enjouement qu'il a conservé jusqu'à une extrême vieillesse ». Ses rapports avec le duc du Maine et le personnel de la maison de celui-ci ne confirment pas tout à fait ces affirmations. On a l'impression d'un personnage assez ombrageux, distant, peu maniable et de caractère plutôt quinteux.

C'est peu de temps avant la mort de Louis XIV, c'est-à-dire avant 1715, que fut décidée la transformation de l'Arsenal. Le bâtiment appartenant au roi, le roi ferait les frais des constructions des sommes fixées chaque année par le souverain seraient mises à la disposition de la grande maîtrise de l'artillerie le duc du Maine n'aurait rien à payer de ses deniers personnels. Boffrand dressa les plans, que le duc du Maine approuva.

On ne démolirait pas les constructions de Sully, qui subsistent encore, grand logis édifié en 1600 par le maçon Jacquet Marceau contre le mur de Paris de Charles V, que le devis de 1600 appelle « le gros mur du côté de la rivière~ )). Mais, en avant de la façade méridionale, du côté de la Seine, on édifierait un nouveau bâtiment à un premier étage élevé avec attique au-dessus et acrotère, chargé de canons et d'obusiers en pierre. Dans ce corps de bâtiment nouveau adossé à l'ancienne façade de Sully, dès lors masquée, on aurait des salles spacieuses, élégantes, ensoleillées, rendues agréables par la vue du fleuve, des îles et l'horizon étendu. Peut-être les sentiments de répulsion de Mme du Maine se modifieraient-ils.

Les travaux commencèrent dès 1715 sous la direction de Boffrand. Nous le savons par les comptes, les témoignages de M°~ de StaalDelaunay et de Saint-Simon 2. Louis XIV avait donné une première somme de 100,000 livres. Mme de Staal et Saint-Simon disent qu'on aurait d'abord « abattu, renversé » certaines constructions antérieures. Il y a des raisons de croire que ces expressions s'appliquent à un avant-corps que l'on relève sur d'anciens plans de l'Arsenal et qui a été édifié en encorbellement au temps de Henri IV ou de

nM. 376, p. n. Boffrand avait succédé à l'Arsenal à l'architecte Pipault (Ibid., ms. 376, p. 739).

i. F. de Mallevoue, les Actes de Sully. Paris, Impr. nationale, 1911, in-~°, p. 27~-285. Les constructions antérieures, notamment le grand portail, avaient été élevées sur les dessins de Philibert Delorme. Maurice Roy, Philibert Delorme à Paris, 15~.6-1559, dans Revue du ~V~ siècle, t. VIII, 1921, p. 246.

2. BiN. de l'Institut, ms. 391, p. 181 ms. 397, p. 275, lettre de Brillon à M. Le Boiteulx, lui envoyant le a compte des ouvrages faits au bâtiment neuf de l'Arsenal en 1715. signé de M. Boffrand n. Mémoires de Madame de Staal. Londres, 1755, in-12, t. I, p. 28~ Saint-Simon, Mémoires. Paris, Hachette, in-i2, t. XII, p. ~07.


Louis XIII. Cet avant-corps, a-t-on dit, contenait les deux précieuses pièces connues sous le nom de cabinet de Sully, que nous avons conservées, et qui sont en réalité la chambre à coucher et le cabinet de la duchesse de La Meilleraye, femme du grand maître de l'artillerie sous Louis XIII. On sait que les décorations de ces pièces, œuvre de Simon Vouet, qui a reproduit ici des dessins analogues à ceux dont il avait orné l'appartement de la reine Anne d'Autriche au Palais-Royal, constituent un des rares témoins qui subsistent à Paris de l'art décoratif des intérieurs vers 16~0. Boffrand aurait eu, ajoute-t-on, l'intelligence de ne pas détruire ces décorations, qui étaient sur bois, par suite aisément transportables, et il les aurait remontées intactes plus loin, vers l'ouest, à la suite de la construction qu'il devait élever au-dessus du mur de Charles V. Mais ces assertions ne sont pas sûres nous avons lieu de croire que les deux pièces dites cabinet de Sully étaient déjà sous Louis XIII à l'endroit où les a trouvées Labrouste en 186~ sans qu'elles y aient été transportées par Boffrand. Au xixe siècle, Labrouste les a déplacées et les a mises perpendiculairement à la Seine, face au couchant, dans un endroit obscur. Les projets d'agrandissement de l'Arsenal, en préparation, conséquence de l'achat des terrains fait par l'État à l'ouest de la Bibliothèque à cette intention, achèveraient de perdre ces deux salles, qui seraient noyées dans les constructions nouvelles à édifier, si on n'avait pris le parti, dans les projets à l'étude, de reporter les deux pièces en question à l'endroit où elles étaient au xvme siècle, vers le midi. Il

La mort de Louis XIV arrêta les travaux de l'Arsenal. On avait fait très peu de chose nous verrons plus loin ce qui avait été précisément exécuté. Les comptes indiquent que seul le maçon Saint-Olive a été occupé cette année-là. Les sommes dépensées ne s'élevaient pas à plus de 2o,ooo livres 1.

Les travaux ne reprirent pas les trois années suivantes. Au milieu des préoccupations politiques et financières du moment, le régent n'était guère disposé à combler de faveurs d'argent, ou autres, les fils légitimés de Louis XIV, qu'il s'appliquait au contraire à disgracier progressivement en leur enlevant tous leurs états et privilèges. Lorsque, en 1718, le duc et la duchesse du Maine furent chassés des Tuileries et cherchèrent un gîte, l'entourage se demanda si ce n'était pas le moment de profiter de l'occasion pour solliciter la reprise des constructions de l'Arsenal, seul moyen de décider la princesse à venir

i. En 1719, causant avec M. de Torpanne, Brillon dit qu'on a dépensé 30,000 livres (Bibl. de l'Institut, ms. 376, p. 487). Mais ailleurs il dit que sur les 100,000 livres accordées par Louis XIV il reste 80,000 livres (Ibid., n~s. 374, p. 75), ce qui est confirmé ultérieurement.


habiter cette demeure. Brillon, calculant qu'il y avait encore 80,000 livres de disponibles sur les 100,000 accordées par Louis XIV, estimait que, dût M. du Maine les avancer, mieux valait bâtir ici que de s'engager dans les dépenses inconsidérées et les réparations infinies qu'entraîneraient les idées d'achat par la duchesse de l'hôtel de la Grenouillère. Il se démena et parvint, on ne sait comment, à, obtenir

du contrôleur général qu'il accordât 30,000 livres pour.l'Arsenal. Il alla annoncer cette bonne nouvelle au duc du Maine; contre son attente, le duc ne parut même pas écouter. D'accord avec un personnage important de la jmaison du prince, M. de Torpanne, lieutenant de l'artillerie et secrétaire des commandements de M. du Maine, M. Brillon fut alors d'avis de demander d'abord des comptes à M. Boffrand sur ce qu'il avait fait en 1715 quelles sommes il avait exactement reçues et dépensées et ce qui restait à exécuter du plan adopté alors par le duc du Maine. Malheureusement, ces questions donnèrent lieu à des discussions orageuses entre Boffrand et Brillon. Elles traînèrent jusqu'à l'arrestation du duc et de la duchesse du Maine, le 29 décembre 1718, et les choses en restèrent la~. Durant l'exil des princes, le comte de Toulouse, frère du duc du Maine, devait administrer ses biens. Boffrand lui fit savoir qu'il était prêt à reprendre les travaux si le comte de Toulouse lui donnait des ordres et des fonds. On ne lui répondit pas.

Le 19 novembre suivant, le comte de Toulouse, s'entretenant avec Brillon, lui dit qu'il avait questionné le trésorier général de la grande maîtrise de l'artillerie, M. Landais, au sujet des 100,000 livres attribuées à la construction de l'Arsenal par Louis XIV M. Landais lui avait répondu que c'était lui qui détenait ce qui restait de ces 100,000 livres, à savoir 92,000 livres, disait-il, en billets d'État, mais que le régent lui avait ordonné de verser ces billets au Trésor. M. Leblanc, ministre de la Guerre, interrogé, ajoutait le comte de, Toulouse, avait répondu qu'il solliciterait les ordres du régent pour savoir s'il y avait lieu ou non de reprendre les travaux de l'Arsenal. Le régent refusa-t-il? En tout cas, les travaux ne furent pas repris 2. En mars 1720, le duc du Maine revient de l'exil. L'entourage aussitôt songe à poursuivre la construction de l'Arsenal. Brillon va voir Boffrand. Boffrand n'est pas content. La duchesse du Maine a commandé de grands travaux à l'hôtel de Conti, à la Grenouillère, et elle a choisi M. Mollet comme architecte, au lieu de lui, Boffrand. Il est aigri. Il se plaint de tout il n'a pas assez de gratification, dit-il on lui doit de l'argent qu'on ne lui a pas payé. Brillon l'invite a présenter

i. Nous suivons le Journal de Brillon (Ibid., ms. 376, p. 488 et suiv.; i ms. 377, p. 127 et suiv.).

2. Ibid., ms. 376, p. ~.91.


ses comptes et reçoit dix jours après une note de 28,000 livres de frais dus depuis 1705, depuis quinze ans, sur lesquels, dit Boffrand, on ne lui a donné que 2,000 livres. Boffrand ajoute, avec quelque impertinence, qu'il veut bien travailler à poursuivre l'Arsenal, mais pas gratuitement. D'ailleurs, en ce moment les matériaux sont chers les ouvriers rares il faut attendre deux ou trois mois. M. Brillon trouve Boffrand désagréable et sa note « exorbitante ». Il s'en entretient avec le duc du Maine, qui placidement lui répond qu'il n'y a pas d'urgence à commencer les travaux, qu'il est vrai qu'on doit à Boffrand pour plusieurs plans et diverses dépenses commandées par i~me du Maine et d'autres effectuées à leur ancien appartement du Louvre, mais que, néanmoins, il faut essayer tout de même d'obtenir de lui la reprise des constructions de l'Arsenal. Sur de nouvelles instances de Brillon, Boffrand, plus conciliant, consent à travailler. Il va voir le ministre de la Guerre, M. Leblanc, et, chose inattendue, de son plein gré, M. Leblanc promet les fonds nécessaires. Enfin, on va reprendre les travaux Ceci se passe en avril 1720~.

Or, à cette date d'avril 1720, où en était-on de ces travaux? Nous allons l'apprendre par une lettre de Brillon à M. du Maine du 25 avril de cette année Voici ce qui a été exécuté antérieurement, c'est-àdire en 1715. Les fondations sont faites, les voûtes des caves achevées. Sur ce bord de la Seine, où le sol d'alluvions est assez meuble et peu stable, il aurait fallu descendre à huit mètres de profondeur pour trouver un banc calcaire épais qui s'étend sous tout le cours du fleuve. Boffrand n'est pas descendu si bas tout le long de sa construction, mais, de place en place, il a construit en sous-sol des salles voûtées, substructions descendant jusqu'au calcaire que des travaux récents ont permis de retrouver, et sur lesquelles s'élèvera la façade. En 1715, on s'est arrêté là à fleur de terre. Voilà donc le travail fait sous Louis XIV, les fondations. En 1720, il s'agit, explique Boffrand, de « commencer par l'élévation de la façade et d'assurer ainsi la conservation des voûtes construites. On se met à l'œuvre le lundi 29 avril.

Le lundi 29 avril I720, l'entrepreneur de maçonnerie Saint-Olive amène sur des voitures pierre de Saint-Leu, sable, chaux. Il n'y a pas eu moyen, paraît-il, d'avoir de la pierre de lambourde qu'on désirait, coûtant moitié moins cher que celle de Saint-Leu, parce qu'il aurait fallu l'attendre, ce qui aurait retardé le bâtiment. Boffrand a approuvé. Les ouvriers ne sont pas encore nombreux, mais SaintOlive promet de les augmenter 3.

i. Bibl. de l'Institut, ms. 377, p. 141, 165, 171, 182, 198. 2.1bid.,p.2i8.

3. Ibid., p. 244, 245, 264, 27:.


Le travail commence, marche, avance. Au bout -de deux mois et demi, en juillet, brusquement, l'argent manque impossible de payer les ouvriers ceux-ci réclament, menacent de cesser le travail et, effectivement, le 17 juillet le travail est arrêté; il y avait plus de soixante ouvriers sur le chantier~.

En septembre, Boffrand expose que, si on ne reprend pas bientôt la construction, ce qui a été déjà fait court risque de se délabrer. On cherche des expédients, on tâche de faire accepter des entrepreneurs des billets à ordre majorés de l'escompte, plus une somme en espèces, par exemple 2,000 livres, au maçon Saint-Olive. On va voir M. Landais, le ministre M. Leblanc. Les démarches n'aboutissent pas. C'est le régent qui s'oppose à l'attribution des fonds. Il faut de nouveau attendre. On attendra trois ans Enfin, le 2 décembre 1723, le régent meurt et le duc de Bourbon, mieux disposé envers le duc du Maine, est nommé premier ministre à sa place. La situation va donc peutêtre changer 2.

Entre temps, Saint-Olive s'est tué accidentellement en tombant du haut du bâtiment. Il est mort sur le coup. Se présente pour le remplacer le nommé Destriches, que Brillon recommande à Boffrand et que le duc du Maine accepte. Destriches est nommé3. Comme on l'espérait, le duc de Bourbon sollicité consent le 13 janvier 1724 à accorder les fonds nécessaires à la continuation de l'Arsenal. Après examen de la question, il donne 8,000 livres par mois, M. du Maine en aurait voulu 12, jusqu'à concurrence provisoirement de 50,000 livres. Avec cette somme, écrit Brillon, on pourra faire la carcasse et la couverture il n'y aura plus que le dedans à parfaire ». Notons bien ces mots carcasse et couverture, parce que c'est exactement ce qui va être réalisé, rien de plus, pour une durée de vingt-cinq ans, c'est-à-dire jusque vers 1745. Le 24 mars, on apprend que, faveur insigne du premier ministre, les 50,000 livres promises ont été intégralement versées au trésorier général de M. le duc du Maine, M. Racine, et non au trésorier général de l'artillerie, M. Landais les deux comptables devant toutefois s'entendre entre eux et opérer par virements. Le duc du Maine n'est qu'à moitié satisfait de la forme de cette libéralité l'architecte Boffrand, dit-il, aura affaire au trésorier particulier d'un prince plutôt qu'au trésorier de l'artillerie, qui est un officier du roi sévère et tenu. Or, Boffrand dépense sans

i. Bibl. de l'Institut, p. 355, 9 juillet « Saint-Olive, Desmaisons, dit Brillon, le plombier et autres ouvriers crient miséricorde et à l'argent »; P. 37'. 17 juillet « Le bâtiment de l'Arsenal est suspendu faute d'argent, sans lequel on ne peut conserver des ouvriers. »

2. Ibid-, ms. 378, p. 21, 432.

3. Ibid., ms. 380, p. 289, 3o6, 372, 382.


compter, dit-il. « Il faudra lui tenir la main ferme, observe le duc, et ne pas se lâcher à toutes les dépenses qu'il est capable de proposer. » A table, la duchesse du Maine, devant laquelle on parle de cette affaire, renchérit et s'exprime vertement sur le compte de Boffrand. Brillon en est affligé « J'ai peine, dit-il, à entendre que M. Boffrand soit un malhonnête homme. On ne lui veut du mal que parce qu'il a voulu vendre à Mme la duchesse du Maine une maison plus cher qu'il ne l'a vendue à un autre »

Les travaux de l'Arsenal reprennent donc à la fin d'avril 1724. Destriches, le nouveau maçon, déploie une activité fiévreuse. Il fait venir d'un coup pour 15,000 livres de matériaux, embauche soixante ouvriers, « se pique d'honneur, voulant que S. A. S. soit contente », écrit Brillon. De son côté, M. Boffrand a promis également d'aller vite. Le charpentier Furet reçoit l'ordre de mettre dix-huit hommes sur le chantier. Le duc du Maine est tout aise. Il paraît surtout flatté de ce que le ministre lui ait confié directement les 50,000 livres consenties. Il met en apostille à une lettre de Brillon du 27 mai « Je ne suis que l'administrateur des 50,000 livres que le roi m'a données pour la réédification de son château de l'Arsenal. Vous avez grande raison de dire que cette dépense est privilégiée »

Le 26 juin, Brillon explique au duc du Maine qu'on a déjà dépensé 21,000 livres sur les 50,000. Il reste 29,000 livres. Peut-être serait-il prudent que le prince sollicitât dès maintenant de nouveaux fonds sans doute, M. le duc de Bourbon « n'aurait pas la force de les lui refuser. Et moi, répond mélancoliquement le prince, celle de les lui demander. Oh voilà, Monseigneur, ce qui nuit à vos affaires Il faut de la confiance, de l'ouverture de cœur ') Un mois après, cependant, le duc se décide à faire la démarche prévue 3. Destriches a si bien travaillé qu'au mois de septembre les murs sont élevés à la hauteur des combles et qu'on va s'occuper de la couverture. Les maçons viennent tout heureux présenter au prince un bouquet, selon l'usage. Comme il y a un pourboire à donner, le duc s'esquive, refuse le bouquet. Les ouvriers vont le porter à Brillon, qui leur fait donner par Destriches 15 livres. Destriches explique qu'il a déjà fait de fortes avances d'argent et qu'il voudrait bien être payé. M. du Maine répond qu'il ira voir le contrôleur général et lui demandera 10,000 livres par mois jusqu'à concurrence de la somme nécessaire à l'achèvement de l'Arsenal

Le 27 septembre a lieu une conférence avec le couvreur, Blin.

l. Bibl. de l'Institut, ms. 388, p. 29, 1~2, 153, lyy. 2.Ibid.,p.251, 6~2, 658, 730.

3. Ibid., ms. 389, p. 44.

~.Ibid.,p.i85,49i.


Celui-ci, inspection faite .des maçonneries, dit qu'il ne peut établir la couverture si on ne lui met tous les murs et les charpentes exactement en état et à la hauteur voulue. Puis il faut de l'argent il n'y en a pas. « Le pauvre Destriches est tout désolé. » Le 30 septembre, enfin, on apprend de la cour, qui est à Fontainebleau, que le roi donne les 10,000 livres par mois sollicitées. « Voilà Destriches rassuré~. »

Et l'on reprend activement le travail. Boffrand annonce que, dès la seconde quinzaine d'octobre, le quart de la couverture sera fait le reste suivra vite si les fonds ne manquent pas. Le couvreur réclame le 28 septembre qu'on achève les souches de cheminées, parce qu'il ne peut terminer son travail si cette opération n'est pas faite L'argent, cette fois, vient régulièrement. Le duc du Maine signe chaque semaine les ordres nécessaires. '< Le bâtiment, dit Brillon, va bon train » Boffrant dit « tout bellement ». Maçons, charpentiers, serruriers sont payés. Malheureusement, à mesure qu'on approche de la fin de l'année 172~ peu à peu les paiements se ralentissent. Au début de 1725, les entrepreneurs demandent des fonds. Le duc du Maine répond « qu'il n'a point d'argent ». Mémoires sur mémoires sont envoyés à Brillon il les transmet au prince. A la date du 25 janvier, les travaux de couverture sont achevés. Par bribes, les entrepreneurs obtiennent des sommes de mille, deux mille livres, afin de satisfaire les plus exigeants. Tant bien que mal les travaux se poursuivent avec des intermittences, des arrêts, jusqu'au milieu de 1725, puis, le 21 août de cette année, Brillon écrit brusquement dans son journal « le prince a ordonné la suspension de tous les travaux ». Il n'y a plus un sol Et c'est fini la construction est arrêtée Elle ne sera plus reprise du vivant du duc du Maine et de Brillon, ni avant vingt ans 3. Alors les réclamations pleuvent de tous côtés. Si le roi, dit-on au duc du Maine, ne donne plus de fonds, que le prince paye de ses biens personnels. Mais M. du Maine ne veut rien entendre. (c S. A. S., écrit l'intendant, croit être quitte, ayant témoigné à M. Boffrand que son intention n'était que d'employer le fonds du roi et de ne le point outrepasser. S. A. S. ne regarde point les entrepreneurs comme ses créanciers personnels, parce qu'elle s'est expliquée avec M. Boffrand. o La thèse n'est pas admise. Brillon dit s'attendre à des assauts. Ils se produisent le prince proteste il ne veut pas qu'on ait l'air de vouloir lui forcer la main au delà des fonds qui étaient destinés par le

i. BiM. de l'Institut, p. 187, 512.

2.1bid.,p.9l,~i2.

3. Ibid., ms. 391, p. 37, 78, iog, 445 ms. 392, p. 58. Brillon écrit le 22 août (p. 59) Le prince m'a remis une lettre de M. Boffrand, qui propose de donner à Destriches 1,500 livres pour congédier les ouvriers. »


roi aux travaux. Alors les entrepreneurs se fâchent, ils annoncent des procès où ils prouveront que c'est le duc personnellement qui les a employés.

Les discussions, les récriminations, les menaces vont ainsi se multiplier, infinies, empoisonnant le malheureux duc, qui en fait une maladie. Brillon tient tête comme il peut à l'orage. « Les créanciers m'accablent, dit-il ils me font faire du mauvais sang » Il reçoit chacun et tâche de donner de bonnes paroles. La même note accompagne chaque visite. Un tel est venu, dit-il, « il demande de l'argent. les saisies sont à craindre ». Il écrit « M. Boffrand est venu. Il m'a parlé modestement de ce qui lui est dû. Je lui ai permis d'espérer la moitié de son paiement. )) 1726, 1727 se passent avec les mêmes scènes, les mêmes réponses dilatoires. Le 6 décembre 1727, Brillon note « M. Boffrand est venu je lui ai donné espérance pour ce mois. » Mais quand l'intendant parle de cette espérance au duc du Maine, celui-ci répond « M. Boffrand? c'est l'affaire du roi » Alors Boffrand prend un ton irrité et déclare qu'il veut « qu'on en finisse avec lui 1 ». D'un compte établi le 9 février 1729, il résulte qu'au moment de la cessation des travaux, en 1725, il avait été dépensé 85,500 livres Les documents qui vont suivre nous révèlent que pour ce prix on avait édifié les murailles, la façade, les murs de refend, les cheminées, qu'on avait planchéié les deux étages et recouvert le bâtiment, combles et toitures. Mais c'était tout. Il restait à faire les intérieurs il n'y avait ni portes ni fenêtres, ni décoration quelconque l'édifice demeurait une « carcasse », comme a dit Brillon, vide et ouverte à tous les vents. Il va demeurer ainsi jusqu'en 1741. Dans l'intervalle, le duc du Maine et Brillon meurent le premier le 14 mai, le second le 29 juillet 1736. Or, voici ce qui va suivre.

Nous apprenons par une lettre adressée au marquis de Paulmy d'Argenson, futur gouverneur de l'Arsenal, que le maçon Destriches, qui a construit le bâtiment et qui s'est associé son fils, n'étant pas payé de son travail, a demandé en 1724 qu'on le laissât au moins, en compensation de ce qu'on lui doit, prendre un logement à l'Arsenal et l'occuper gratuitement. On a accédé à son désir. Le fils, après la mort de son père, auquel on doit toujours de l'argent, ayant continué des travaux d'entretien, maçonnerie, serrurerie et se mariant en 1741, sollicite du comte d'Eu, devenu grand maître de l'artillerie après la disparition du duc du Maine et fils de celui-ci, l'autorisation de s'installer dans une partie du bâtiment construit par Boffrand et laissé vide, inachevé de prendre au premier étage, à l'extrémité

i. Bibl. de l'Institut, ms. 392, p. 190, 351 ms. 393, p. 161, 190; ms. 397, P.32,63,97.

2. Ibid., ms. 399, p. 23.


ouest, la valeur des deux premiers salons actuels dans cette partie de l'édifice, de les aménager en logement, pratiquant un escalier, mettant des enduits aux murs, installant portes et fenêtres, bref construisant un appartement logeable, le tout à ses- frais. Le comte d'Eu a accédé. La lettre à M. de Paulmy dont nous parlons dit « En 1741, M. le comte d'Eu lui permit (à Destriches) d'établir un logement, en faveur de son mariage, dans le grand bâtiment neuf de l'Arsenal que le père du suppliant a fait bâtir et à qui il reste dû encore 11,799 livres. Il n'y avait en ce temps pas plus portes que croisées. Il a dépensé plus de 4,000 livres 1. » L'emplacement de l'appartement de Destriches est donné dans un plan des états de logements de l'Arsenal en 1756 où l'on voit, aux endroits indiqués aujourd'hui, un salon Louis XVI près de la salle de lecture actuelle et le cabinet attenant de l'administrateur, les mots « Logement occupé par le sieur Destriches fils. » Destriches fils a divisé les deux salons en cinq pièces assez incommodes, se commandant et quelques-unes obscures2. Mais l'exemple de la suggestion faite par Destriches va être suivi très peu de temps après dans des conditions qui sont un des points tout à fait nouveaux de l'histoire de l'Arsenal et de sa décoration. Un certain architecte, en effet, peu connu, nommé Dauphin, se présente au comte d'Eu les années qui suivent, vers 174.5, et demande à son tour l'autorisation, semblable à celle accordée à Destriches, de prendre pour son usage personnel et de transformer en appartement un certain nombre de pièces toujours vides, cinq, du premier étage de l'Arsenal, faisant suite à celles concédées au maçon il les aménagera lui aussi à ses frais, mettra portes et fenêtres, et son œuvre aura au moins l'avantage de préserver la construction abandonnée et de l'empêcher de se délabrer.

Le comte d'Eu acquiesce. A-t-il exigé que l'architecte, dans ses travaux, prévît que les pièces qui lui étaient attribuées pourraient un jour servir à loger le grand maître de l'artillerie et que, dès lors, il fallait que le preneur songeât à faire des salles dont les proportions, la décoration, fussent en rapport, par leur élégance ou leur magnificence, avec le maître, prince et petit-fils de Louis XIV, qui devait vivre plus tard dans ce cadre? Ou bien riche et homme de goût, M. Dauphin a-t-il eu la fantaisie de réaliser un appartement tel que l'édifice et le lieu le comportaient? On l'ignore. Toujours est-il qu'il a aménagé et orné avec un art remarquable cette série de salons de l'Arsenal conservés aujourd'hui intacts, dont le plus grand, destiné à être un salon de musique, on le voit par les motifs qui courent sur les frises et se répètent sur les panneaux, est une merveille, comme

i. Bibl. de l'Arsenal, ms. 4043, fol. 49. La lettre n'est pas datée. 3. Ibid., ms. 6045, fol. g.


composition, de mesure, d'harmonie et d'élégance françaises. Les sculptures en plein chêne qui le décorent et qui sont d'une grande légèreté restent un des beaux spécimens de l'art décoratif Louis XV à. Paris vers 1745, 1750. Les dessus de portes, peintures en grisailles, reproduisent les bas-reliefs de la fontaine de Bouchardon de la rue de Grenelle, qui est précisément du même temps. La pièce devait être dorée. On a retrouvé sous les enduits les apprêts de la dorure, mais cette dorure n'a pas été exécutée. N'ont pas été exécutées non plus les quatre portes qui devaient comporter des décorations sculptées sur bois dans le genre de celles des panneaux. A la place ont été mises des portes plus simples se rapprochant du style Louis XIV. Le petit salon, de son côté, est une pièce charmante par sa décoration distinguée, discrète on voit bien là que nous n'avons pas affaire à Germain Boffrand, qui eût préféré plus de richesse et de faste. Sauf le grand salon, très élevé de plafond, les autres pièces sont entresolées, marque d'un temps qui vers le milieu du xvme siècle, à côté des grandes salles d'apparat, a voulu des pièces plus intimes, pensons aux cabinets de la reine Marie Leczinska, à Versailles, où la vie de société se fait plus familière. La décoration de ces autres pièces, moulures aux courbes heureuses, dans ]e style plutôt antérieur de la Régence, est d'un goût excellent.

Sur les cinq pièces qu'occupait M. Dauphin, quatre sont demeurées telles qu'elles étaient et telles qu'il les a laissées. Voici ce que dit de cet appartement « l'État des logements donnés dans l'Arsenal de Paris par M. le comte d'Eu », daté du i novembre 1755, avec plan à l'appui, et qui va confirmer de point en point tout ce que nous venons de dire de la véritable origine de ces pièces « Logement dans le bâtiment du grand maître, composé de cinq pièces de plain-pied, avec des entresols, donné au sieur Dauphin, architecte, qui l'a construit MS ~B~MS, M'ay~M~ trouvé que les murailles et les planchers 1. » L'année suivante, on semble avoir donné une pièce de plus à M. Dauphin, car on lit dans un tableau des logements de 1756 « Au sieur Dauphin, un logement au premier étage, dans le bâtiment neuf, cour du grand maître, composé de six pièces de plain-pied, dont la vue est sur le mail, et de cinq entresols au-dessus, dont une sorte de cuisine~. »

Ainsi, il faut en prendre son parti jamais la duchesse du Maine n'a habité ces salons jamais elle n'y a donné de fêtes. Elle n'a pas reçu M. de Cellamare dans la petite pièce, qui n'existait pas à l'époque de la célèbre conspiration. Au moment où M. Dauphin construisait, elle avait plus de soixante-dix ans. Elle vivait à Sceaux, un peu seule

i. BiM. de l'Arsenal, ms. 4042, fol. 5 v°. 2. Ibid., fol. i3.


et retirée, en vieille femme toujours agitée. Elle n'avait nu<~une raison, ni aucun droit de venir à l'Arsenal où, son mari disparu depuis 1736, elle n'était plus rien, et elle n'y est pas venue. Elle n'a jamais dû voir ces salons, n'étant pas curieuse de ces sortes de choses. Il faut donc cesser d'appeler cet appartement « l'appartement de la duchesse du Maine », ne plus dire « le salon de la duchesse du Maine ». Consolonsnous à la pensée que la joie artistique que procure la vue de cet art exquis Louis XV n'en est pas diminuée et que les pièces, n'ayant jamais servi, conservent leur fraîcheur première et leur caractère intact assez rare.

Après l'appartement de M. Dauphin, le reste du premier étage de l'Arsenal, à l'est, fut attribué vers la même époque et dans les mêmes conditions à un M. Limanton, intendant du comte d'Eu, qui, mis en goût par l'exemple du maçon et de l'architecte, sollicita à son tour l'attribution de ce qui restait libre de la construction de Boffrand à cet endroit. Les États de logement de l'Arsenal de 1755 portent en effet « Item, dans le bâtiment du grand maître, logement composé d'une antichambre, d'une salle à manger, d'une chambre à coucher, d'un cabinet, d'une petite cuisine et de plusieurs entresols, avec une cave et un bûcher, donné par le comte d'Eu au sieur Limanton, son intendant, qui l'a construit, de même que le SMM~.DiM~/MM, à ses ~e~MS, n'ayant eu que la cage. » Le renvoi au plan annexé précise l'emplacement des pièces. Les États de 1756 portent « Au sieur Limanton, intendant de Mgr le comte d'Eu, un logement au premier étage dans le bâtiment neuf de la cour du grand maître, composé d'une antichambre, d'une cuisine à côté, avec deux entresols dessus, ayant vue sur le mail, d'une salle à manger, d'une pièce cloisonnée où il y a une garde-robe, d'une chambre à coucher et d'un cabinet dont la vue est sur la cour du grand maître »

Il ne paraît rien rester des décorations qu'a pu faire M. Limanton, son appartement ayant été transformé par le marquis de Paulmy d'Argenson, qui lui a succédé. °

Car en 1756, c'est-à-dire pas très longtemps après les installations des premiers occupants, Destriches, Dauphin, Limanton, arrive dans le vieil hôtel de Sully et du duc du Maine le marquis de Paulmy d'Argenson, ministre, ambassadeur, qui, à la place du grand maître de l'artillerie dont on a supprimé la charge l'année précédente, en 1755, vient administrer l'Arsenal avec le titre de gouverneur et celui de bailli d'épée de l'artillerie de France 2. Il restera là jusqu'à sa mort,

r. Bibl. de l'Arsenal, fol. 5 et fol. 13.

a. Barbier explique dans son Journal (t. VI, p. -210) que Louis XV demanda en 1755 au comte d'Eu sa charge de grand maître de l'artillerie. pour la supprimer. Comme gouverneur de l'Arsenal, M. de Paulmy ne tou-


à la veille de la Révolution, en 1787. C'est lui-même qui nous apprend, dans une lettre du 10 février 1781 au marquis de Ségur, ministre de la Guerre, la date à laquelle il est venu s'installer dans les constructions de Germain Boffrand. Il dit de l'Arsenal « J'y habite depuis 17561. » Il l'habitera avec des intermittences, car il sera envoyé ambassadeur en Pologne en 1762, à Venise de 1766 à 1770 mais il reviendra fidèlement dans la grande demeure où il groupe et organise petit à petit la célèbre bibliothèque qui est devenue la bibliothèque de l'Arsenal. On devine la tâche de M. de Paulmy. Il va progressivement expulser tous ceux qui logent dans l'Arsenal et se faire donner régulièrement par le roi les locaux du logis du grand maître, afin d'y installer sa bibliothèque de plus en plus envahissante. Un décret de 1765 dispose que sont mis à sa disposition tout le premier étage de l'Arsenal, soit 1~1 pièces, dit le document (y compris la grande porte de l'Arsenal, œuvre de Philibert Delorme, qui barre ce qui est aujourd'hui la rue de Sully et où est l'horloge) plus, au deuxième étage, trente et une pièces et cabinets 2. M. de Paulmy a pris l'appartement de Limanton afin d'y résider avec la duchesse, sa femme. Lorsqu'il s'est installé à l'Arsenal, il avait commencé par coucher près de la pièce qu'on appelle le cabinet de Sully (qui est, comme nous l'avons dit, la chambre de la duchesse de La Meilleraye, peinte par Simon Vouet). Nous savons ce détail grâce à un procès-verbal d'une mise de scellés effectuée en 1791, où le rédacteur écrit « Nous avons été conduits. dans deux pièces situées à l'extrémité de l'appartement dépendant de ladite bibliothèque, l'une desquelles servait autrefois de chambre à coucher à M. de Paulmy et l'autre dans un cabinet précédant la dite chambre, le dit cabinet appelé cabinet de Sully » Aidé des deniers du roi qu'il a pu obtenir grâce à son nom, sa situation, la place de sa famille dans les conseils de la couronne, M. de Paulmy a procédé ensuite à des réfections et à des aménagements qui subsistent encore pour la plupart. Dans la lettre au marquis de Ségur du 10 février 1781, dont nous venons de parler, il déclare avoir eu du roi depuis 1756, c'est-à-dire depuis vingt-cinq ans, ou avoir dépensé

chait que 600 livres par an (mémoire de lui de 1787. Bibl. de l'Arsenal, ms. 4046, fol. 507).

i. Ibid., ms. 40~5, fol. 270.

2.1bid.,ms.40~2,fol.l87.

3. Arch. nat., RI 16. Le document a trait à une estimation du Cabinet des médailles de l'Arsenal faite par M. de Moncrif, commissaire pour le comte d'Artois à l'administration de sa maison et de son domaine. M. de Moncrif appose les scellés en présence de l'abbé de Vauxelles, bibliothécaire, et Saugrain, garde des livres de la bibliothèque. Les médailles sont estimées 15,000 livres. On voit plus loin que dans une liste des biens du comte d'Artois l'Arsenal est estimé valoir 600,000 livres.


de ses deniers pour les réparations des intérieurs de l'Arsenal près de 100,000 livres. Il a eu deux architectes de 1756 à 1777, M. de Saint-Martin, puis M. Le Moine de Couzon, « ancien pensionnaire du roi à Rome ». Un manuscrit de l'Arsenal nous fournit les noms de tous les ouvriers qu'il occupait, maçons, charpentiers, couvreurs, plombiers, fumistes, menuisiers, peintres, sculpteurs et marbriers. Sur place, nous pouvons suivre ses travaux. En dehors des pièces de l'architecte Dauphin, auxquelles il n'a pas touché, tout ce qui existe de l'époque Louis XV ou Louis XVI, au moins de marquant, est de lui.

De l'appartement de Destriches, qu'il a expulsé en le dédommageant au moyen d'une rente il a fait deux salons, l'un a une décoration Louis XVI charmante avec de fines et jolies guirlandes, l'autre, plus simple, très simple même, porte la date sur une plinthe de 1773, les derniers mois du règne de Louis XV, où l'on voit que l'on construisait déjà dans le style du règne suivant c'est le cabinet actuel de l'administrateur.

Il a surtout transformé son appartement personnel, celui de Limanton. Nous en avons plusieurs plans, dont un dressé au début de la Révolution~. Les pièces ont subi quelques modifications au Xtxe siècle. Charles Nodier, qui a habité l'appartement et a fait du salon le berceau célèbre du romantisme, l'a laissé tel qu'il l'avait trouvé, au moins dans ses dimensions. Il ne subsiste rien de la décoration du XVIIIe siècle, qui nous est inconnue, sinon une jolie cheminée Louis XVI, dans une petite pièce attenante au salon de Nodier, jadis chambre à coucher de Mme Nodier, aujourd'hui la réserve des livres de la bibliothèque, et un agréable cabinet, à la suite, avec des boiseries gracieuses d'une petite bibliothèque, aujourd'hui cabinet d'un des conservateurs.

Un compte de travaux permet de relever qu'en 1771 l'architecte Saint-Martin, ayant à faire peindre la chambre de Mme de Paulmy, l'a décorée de « blanc de roi préparé sur un fond de bleu ». Sous les enduits, nous avons pu retrouver des témoins de cette peinture~. Il y a lieu aussi de signaler un état de réparations effectuées au '< cabinet de Sully x en 1782 et en août 178~ par M. de Paulmy. On voit que l'appellation de « cabinet de Sully était dès cette époque consacrée. Les travaux sont conduits par l'architecte Le Moine. Il

i. Bibt. de l'Arsenal, ms. 4045, fol. 25 et 26 pour les architectes, Ibid., ms. 4046, fol. 2-3.

2. BiM. de l'Arsenal, ms. 4042, fol. 195. La rente viagère s'élevait à 300 livres.

3. Ibid., pièce liminaire.

4. Ibid., ms. 4045, fol. 25 v°.


s'agit de refaire le plancher au-dessus du cabinet « en conservant en place, dit le texte, le plafond de menuiserie de forme antique et peint sur bois », celui de Simon Vouet. Ici se présente une difficulté. Ce plafond, d'après le compte, aurait 18 pieds de long sur 9 de large. Ces dimensions s'appliquent non au cabinet de Sully proprement dit, qui est beaucoup plus grand, mais à la pièce qui l'accompagne, également peinte par Vouet et que l'on appelle aujourd'hui, on ne sait pourquoi, l'oratoire de Mme de La Meilleraye. Au xvme siècle, considérait-on que c'était cette petite pièce seule qui était le cabinet de Sully et non la grande? « La réfection du dit plancher, dit le texte, cloisons et scellements, avec les précautions nécessaires pour ne point endommager le dit plafond », a coûté 330 livres. En 178~, on a dû refaire aussi le comble au-dessus du même cabinet de Sully, une descente d'eau ayant pourri les planchers. Le travail a été plus important il a fallu démolir des planchers, desceller seize solives, installer au-dessus des étais boulonnés pour « soutenir le plafond antique de bois peint ». La pièce intéressée a toujours 17 ou 18 pieds de long sur 9 de large c'est donc encore le petit cabinet de Mme de La Meilleraye et non sa chambre. Le mémoire des ouvriers insiste sur les précautions prises, « afin, dit-il, de ne point endommager la dorure du plafond ». La réparation a coûté 2,802 livres 5 sous~.

Tels sont les renseignements nouveaux que nous apportent sur les constructions de l'Arsenal au xvni~ siècle les documents encore inutilisés dont nous venons de faire état. On voit combien ils diffèrent de ce qui a été écrit jusqu'à ce jour. Les salons de l'Arsenal n'ont donc pas vu, en définitive, les personnages princiers dont ils portent les noms et qu'on se plaisait à évoquer dans ce cadre royal. Tout au plus le petit salon et l'emplacement des salles de Destriches ont-ils servi à Mme de Genlis, qui y a habité sous le Premier Empire et où elle a présidé ces réunions agréables que la présence d'illustres personnages comme Talleyrand, Mme Tallien, Fontanes, Chateaubriand, Talma, a rendues célèbres.

Dès lors, ces salons perdent un peu de ce mystérieux prestige que donne aux choses le souvenir de grandeurs disparues ou l'attrait d'événements historiques lointains. Mais la vérité a ses droits et la satisfaction de la retrouver doit passer avant tout autre contentement sentimental.

Louis BATIFFOL.

i. Bibl. de l'Arsenal, fol. 386-388 ms. ~046, foL 271.


COLONS PARISIENS EN ALGÉRIE

(1848-1851)

En pleine conquête de l'Algérie, le maréchal Bugeaud, avec sa profonde connaissance du pays et des mœurs, avait songé à la colonisation de la nouvelle province que son épée donnait à la France. Sa conception toute militaire s'inspirait un peu des « castra stativa )) que les Romains avaient installés sur les frontières de l'Empire et des villages de soldats que les Autrichiens avaient autrefois opposés aux invasions turques.

Il réunit en camps agricoles les soldats qui n'avaient plus que quelques années de service à faire, les dota d'outils, de cheptel et en fit des colons qui, à l'occasion, sauraient délaisser la charrue pour reprendre le fusil.

Trois villages furent ainsi créés à titre d'essai (1846). Mais, comme il fallait que la colonie durât et que ses habitants eussent intérêt à rester, il les obligea, sous peine de mesures disciplinaires, à se pourvoir de femmes que ceux-ci allèrent chercher à Toulon. L'idée, si bizarre qu'elle fût, parut plausible au gouvernement, qui demanda aux Chambres, pour l'appliquer en grand, un crédit de trois millions mais la Commission, sur un rapport de M. de Tocqueville du 2 juin 1847, le refusa à l'unanimité.

Le rapporteur avait fait valoir avec raison que si, dans l'organisation d'une colonie, l'État doit se charger des travaux publics, ports, routes, chemins de fer, il doit laisser la colonisation proprement dite à l'initiative privée. Fournir aux particuliers des capitaux et du matériel risque fort d'être une opération stérile une entreprise prospère par le travail, la valeur et la capacité vertus que l'État ne peut procurer. Si la terre est féconde, l'argent et les hommes viendront d'euxmêmes, sinon l'effort public n'y fera rien. Au surplus, les trois villages militaires du maréchal n'avaient pas réussi ce n'était pas un essai à encourager.

Une ordonnance royale du 11 juin 1847 enterra définitivement le projet de Bugeaud.

Deux autres généraux d'Afrique, Cavaignac et La Moricière, le reprirent un an après, sous une forme un peu dinérente, et cette fois il fut adopté. C'est que bien des événements avaient eu lieu de juin 1847 à juin 1848.

La révolution de Février avait renversé le trône de Louis-Philippe et celle de Juin avait mis, dès le berceau, la jeune République en péril. Il y avait là, dans l'ombre, tumultueuse, agitée, en butte à des me-


neurs sans scrupules, toute une foule d'ouvriers en chômage, de mécontents, d'intellectuels aigris, à qui il fallait trouver à tout prix une occupation et, si possible, loin de Paris.

Le gouvernement, sans l'avouer ouvertement, se débarrassa avec plaisir de ces éléments suspects, en reprenant l'idée de colonies agricoles en Algérie.

Déjà, en mars 18~8, le comte de Raousset-Boulbon, ce fol aventurier qui devait, six ans plus tard, se faire fusiller au Mexique, alors colon en Afrique du Nord, avait préconisé, au point de vue social plus qu'économique, la colonisation de l'Algérie par des équipes de prolétaires sans travail ».

Il voyait la régénération de l'ouvrier, à qui l'on procurait ainsi une propriété, tandis qu'avec son salaire journalier en France il resterait toujours sous la « tyrannie capitaliste ».

Quelques-unes de ses idées étaient bien un peu bizarres exploitation des mines par des sociétés ouvrières qui éliraient leurs chefs expropriation des indigènes, que l'on indemniserait avec des titres de rente française, etc. mais ce factum, présenté avec chaleur, animé d'un souffle d'idéal et d'aventure, dut contribuer beaucoup à lancer dans le public l'envie d'aller coloniser l'Algérie. Selon lui, avec 3,000 francs par famille, l'État pourrait assurer aux colons l'habitat, les outils, le bétail et même des vivres pendant la première année de défrichement.

Donc un décret du 19 septembre 18~8 ouvrit un crédit de cinquante millions de francs destiné à l'installation de colonies agricoles en Algérie. Cinq millions étaient prévus pour 18~.8, dix pour 18~.9, trente-cinq pour 1850 et 1851.

Une première liste de 12,000 colons devait être établie; arrivés en Algérie, on leur distribuerait des lots de deux à dix hectares suivant l'importance de la famille, des semences, des outils, du bétail, et pendant trois ans ils devaient être nourris par l'État. Pour des ouvriers sans travail, ces promesses constituaient une agréable perspective, aussi les demandes furent-elles nombreuses, à Paris surtout.

On s'inscrivait dans les mairies il fallait fournir certaines pièces d'état civil, un certificat de bonnes vie et mœurs et un certificat d'aptitude physique.

Les futurs colons eurent le droit de retirer sans frais leurs dépôts des caisses d'épargne et du mont-de-piété.

La capitale fournit naturellement, et de beaucoup, le plus fort contingent de départs. Mais combien, parmi les postulants, étaient aptes à leur nouveau métier? Très peu.

Dans le 1er arrondissement (Ville d'aujourd'hui), on relève bien parmi les inscrits neuf cultivateurs, seize maçons, terrassiers, char-


rons et charpentiers, dix-sept menuisiers et mécaniciens et quatre ouvriers de l'alimentation mais à côté l'on trouve des tailleurs, des ébénistes, des bijoutiers, des relieurs, des graveurs, des employés de commerce, un marchand de pommes de pin (?) ce ne sont pas là des métiers qui disposent à un rude travail sous un climat torride. Les listes du 11° arrondissement (IXe aujourd'hui) étaient semblables quatre-vingt-dix-huit cultivateurs, jardiniers et vignerons, un certain nombre d'ouvriers d'état, mais aussi deux relieurs, deux artistes dramatiques, quatre artistes peintres, trois concierges, deux anciens notaires, deux clers d'avoués, un <' jurisconsulte )) et, enfin (qu'allaient-ils faire là-bas?), un professeur d'écriture et un professeur de trompes de chasse

Le premier convoi, composé de 843 colons, partit du quai de Bercy le dimanche 8 octobre 18~.8, au milieu d'un grand concours de population.

Il y avait là, comme personnages officiels, Trélat, le président de la Commission des Colonies agricoles, le général La Moricière et le curé de Bercy.

Il fallait réconforter les colons, qui partaient sans enthousiasme, mais confiants dans les promesses du gouvernement.

Le président et le général leur firent des discours enflammés, leur assurant qu'en échange de leur travail ils trouveraient là-bas la prospérité et peut-être la fortune ils leur recommandèrent notamment la bonne conduite, l'entr'aide et la fraternité, et La Moricière termina par ces paroles, qui pourraient être répétées aujourd'hui à nos paysans de la Marne « si jamais en travaillant vos champs vous trouvez une croix de bois entourée de quelques pierres, donnez une larme ou une prière à ce pauvre enfant du peuple, votre frère, qui est mort là, en combattant pour la patrie et qui s'est sacrifié pour que vous puissiez un jour, sans même savoir son nom, recueillir le fruit de son courage et de son dévouement. »

Le curé de Bercy bénit le drapeau et les colons s'embarquèrent dans de grands bateaux plats, remorqués par deux vapeurs qui devaient les emmener jusqu'à Arles, par la Seine, les canaux et le Rhône. D'Arles, ils devaient gagner Marseille par chemin de fer, puis Oran. Leur destination était Saint-Cloud, entre Oran et Arzeule-Port, à treize kilomètres de cette dernière ville. Quelle ironie de la destinée envoyait ces Parisiens à 500 lieues de la capitale dans une localité qui s'appelait. Saint-Cloud

i. Il y a, aux archives de la Seine, d'assez nombreux documents sur les colons originaires des I" et 11~ arrondissements, notamment leurs lettres, dont on lira plus loin des extraits.


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La hâte que mit le gouvernement à organiser ces départs prouve bien qu'il était pressé de se débarrasser de ces sans-travail. Le décret avait paru le 19 septembre et le premier convoi embarquait dix-neuf jours après. Entre le 8 octobre et le ip décembre, il y eut seize départs, toujours avec le même cérémonial, et les demandes pour 1849 affluaient déjà.

Voici quels furent les lieux de destination des convois Le premier Saint-Cloud, entre Oran et Arzeu (Oran). Le deuxième Saint-Leu, près d'Arzeu (Oran).

Le troisième Rivoli, près Mostaganem (Oran).

Le quatrième Castiglione, près Koléa (Alger).

Le cinquième Robertville, au nord de Constantine (Constantine). Le sixième Fleurus, au sud d'Oran (Oran).

Le septième Saint-Louis, près Mostaganem (Oran). Le huitième Damiette, près Médéa (Alger).

Le neuvième Montenotte, près Ténès (Alger).

Le dixième Jemmapes, prèaPhilippeviIle (Constantine). Le onzième Mondovi, près Bône (Constantine).

Le douzième Marengo, entre Alger et Cherchel (Alger). Le treizième Zurich, entre Blida et Miliana (Alger). Le quatorzième Héliopolis, près Guelma (Constantine). Le quinzième Abouldr, près Mostaganem (Oran). Le seizième Millésime, près Guelma (Constantine). Ils furent bien reçus par les troupes africaines et même par les

indigènes. On avait fait ce qu'on avait pu pour les installer, mais la hâte, le manque d'argent et d'organisation gâtèrent les débuts. Or, dans des expéditions de ce genre, si les commencements sont trop rudes, l'homme est déçu, aigri tout de suite et son courage tombe aussitôt. Nos colons étaient déjà partis sans grand enthousiasme, en criant, comme on l'a dit plus tard « La misère le veult » » Bien installés dès l'arrivée, fournis de tout, sans doute auraient-ils eu plus de cœur à se mettre à l'ouvrage, mais, comme on va le voir, il y eut loin des promesses qu'on leur avait faites à.ja. réalité, qu'ils trouvèrent en arrivant.

Nous avons lu un certain nombre de lettres que les colons originaires du 1~ arrondissement écrivirent à leur maire, M. Despeux, qui avait toujours montré pour eux beaucoup d'humanité et de sollicitude. En voici des extraits

De Jemmapes, un boulanger écrit que « le génie gaspille une masse d'argent» et que les travaux sont mal dirigés il se plaint de la mauvaise conduite de quelques débauchés, qui ne veulent rien faire et volent leurs voisins. « Aussi longtemps, dit-il, que l'~Ét9.t les nourrira, ils resteront et après se nxeront spit à Philippeville pu dans une autre ville. » C'était, en effet, un des vices du système de n'exiger aucun


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rendement des colons avant trois ans; les paresseux se laissaient nourrir sans travailler c'était toujours du temps passé à ne rien faire!

A Aboukir, la situation semble mauvaise un colon avoue que celui qui travaillait était beaucoup plus heureux à Paris. Le défrichement consiste à arracher à grand'peine des lentisques et des palmiers nains. « Notre position, dit la lettre, est misérable nous sommes arrivés à Saint-Louis le 13 décembre 18~.8 on nous a casés dix à douze personnes dans des baraques non couvertes il plut torrentiellcment pendant deux jours. nous eûmes à subir l'intempérie et on nous couvrit après nous sommes toujours engloutis dans les baraques [mars 1849]. Traités comme des esclaves, je ne brave pas sur le texte, c'est littéral Vous vous adressez poliment, on vous répond brutalement si vous insistez, on vous jette dehors. Exemple le i <~ mars, on nous dit de faire des bons pour 6 kilos de haricots et 3 kilos 500 de fèves pour semences, il nous manquait à chacun près de 2 kilos de haricots et moitié de fèves une réclamation fort polie fut adressée on commença par nous traiter de bandes à Mandrin et autres termes qui sont trop sales pour les répéter. Mais, comme l'erreur était trop patente, on nous remit quelques haricots et quelques fèves, mais pas notre compte. »

Les colons n'avaient ni bestiaux, ni charrues, rien que quelques outils de jardinage l'eau est rare et souvent salée.

En général, tous se plaignent de la suppression de la petite allocation de o fr. 10 par jour, qui leur permettait d'acheter quelques suppléments, notamment pour les enfants beaucoup, en effet, étaient complètement sans ressources.

Un autre colon, du même village, déclare que la santé générale est assez bonne, mais que « la fraternité n'existe pas » les maisons sont seulement en construction (mai 18~.9) elles seront communes à plusieurs familles, les célibataires ayant droit à une pièce, les ménages avec enfants (quel qu'en soit le nombre !) a deux.

Un optimiste est heureux malgré tout il a un puits d'eau salée, mais « il espère qu'elle sera douce à l'avenir )) Il se voit un avenir heureux et confortable et demande au maire qu'on lui envoie son beau-frère. Tout de même il regrette « les deux sous de poche et la chandelle, qui étaient une grande douceur ». Pauvres gens Speisser, écrivant à sa femme, fait de la colonie de Kléber un lieu enchanteur. Il parle de « ses hectares, qui sont d'une étendue à perte de vue et renferment quantité de tortues délicieuses ? Il est fier de ses i,ooo pieds de haricots et de maïs, mais l'argent liquide lui manque, il n'a pas de quoi se faire raser, ni blanchir, et demande à son épouse de lui envoyer 5 ou 6 francs.

Dans une lettre collective au maire, le même Speisser est moins


optimiste. Les lots sont durs et l'on manque d'outils huit charrues pour quatre-vingt-dix-huit familles Pour gagner 2 francs par jour, il faut travailler dix heures pour le génie il n'y a ni église, ni école et pas la moindre distraction

De Saint-Cloud, un cocher écrit une lettre poignante le malheureux était parti avec sa femme amputée du bras droit et sept enfants il avait vendu tout ce qu'il possédait, deux chevaux, des harnais, des voitures, ses meubles et s'était embarqué avec 270 francs pour neuf personnes En Algérie, il ne trouve que menaces et mauvais traitements ils ont pour eux tous, leurs outils et leur matériel, deux pièces de 2~50 sur 5 mètres. Il supplie le maire qu'on le rapatrie en France, il fera n'importe quoi, mais qu'il revienne Il écrit ces mots désabusés « Si l'Angleterre possédait l'Afrique, ses colons feraient fortune, et depuis longtemps elle en tirerait ses céréales. » Ferdinand Paris, lui aussi installé à Saint-Cloud, se plaint de l'administration militaire « Nous avons plusieurs bals, plusieurs goguettes nous allons avoir un théâtre, mais nous n'avons pas d'école, x La vie en commun dans les baraquements a bien des inconvénients pour les familles.

~me Diesnis était partie à Aboukir comme sage-femme. En avril 1849, elle donnait encore ses consultations sous une tente Plusieurs colons se plaignent de n'avoir pas été guidés par des agriculteurs du pays (on trouve un pharmacien chef de culture !) ils ont employé les méthodes françaises et les récoltes ont été perdues tous se plaignent de la vie commune, mais en général ils sont courageux et désireux d'arriver. A Millesimo, emplacement d'une ancienne ville romaine, les baraquements sont dans un bas-fond humide et malsain on avait donné à chaque famille une chèvre, mais on l'a retirée pas de maisons (mars 1849).

Les Arabes pillards attaquaient souvent le village il avait fallu creuser un fossé et élever un mur là non plus pas de maisons, peu d'outils, de la misère, mais du courage.

La ration journalière allouée par l'État aux colons était celle de la troupe 750 grammes de pain, 250 grammes de viande, un quart de litre de vin, 12 grammes de café et de sucre. Pour quatre jours, 125 grammes de riz ou de haricots et un demi-pain blanc les légumes et les fruits des jardins fournissaient le complément. Pour le travail pénible du défrichement, cette ration était trop faible, et les dix centimes de prêt qu'on avait supprimés au mois de janvier leur étaient absolument nécessaires pour acheter quelques suppléments.

i. Café chantant où chaque consommateur dit sa romance c'est un vieux mot parisien.


Jules Renaut, établi à Zurich, se plaint de l'immoralité de certains de ses compagnons on a envoyé des filles prostituées et des gens vivant en concubinage~, et, comme après une scène scandaleuse plainte avait été portée par le directeur de la colonie, il fut répondu à celui-ci « Passez sur l'immoralité des colons, car ce sont presque tous gens tarés dont on a été bien aise de débarrasser le pavé de la capitale »

Cette phrase reflète bien le sentiment général on ne faisait guère de différence entre les colons d'Algérie et les déportés de Belle-Ile 1 François Moulin écrit dé Sour-Kel-Miton qu'il regrette bien la France et se trouve très mal de son changement d'état. Ils ont une pioche pour six personnes, les célibataires couchent sur la paille, sous des tentes, et les familles dans des baraquements (mai 1849). A El-ASroun, sur les bords du Bou-roumi, la situation est meilleure. On y reçoit avec plaisir la nouvelle qu'une administration civile va remplacer l'autorité militaire Clermont, limonadier, avoue que le travail de la terre et la conduite des bestiaux sont des travaux « auxquels le plus grand nombre des colons est tout à fait étranger x. Ils avaient pourtant là comme directeur de la colonie le lieutenant; du génie Buquet, dont tous s'accordent à faire l'éloge « il est très bon et humain avec nous », dit un colon ils possédaient une église desservie, avec une infirmerie et un docteur.

Chaque colon a un jardin et deux hectares de terre défrichée le village, à cinq lieues de Blida, est sain et agréable il y a de l'eau en quantité, les habitants ont reçu 40,000 boutures de vigne et d'arbres fruitiers et ont à leur disposition soixante-dix-huit bœufs, dix chevaux et trente chèvres. Une seule ombre au tableau les maisons trop petites et mal distribuées, sans étables, ni granges, ni même de cour clôturée comment y renfermer les approvisionnements? Un autre grief encore, mais peu grave « Nous désirerions que le comptable chargé de la distribution des liquides ne craignît pas tant qu'il nous arrivât des maux de tête, c'est-à-dire qu'il ne mît pas tant d'eau dans notre vin, la quantité qu'on nous en délivre n'étant pas, du reste, assez abondante pour exalter nos pacifiques cerveaux » Genot, du même village, demande au maire qu'on leur fasse parvenir leurs armes et uniformes de gardes nationaux. « Nous serions heureux de nous retrouver dans notre nouvelle patrie comme nous étions à Paris. »

A Ponteba, près Orléansville, le pays est très laid, sans arbres ni abri pas de bestiaux, pas de maisons.

De Fleurus, Victor Cieutat, chef de culture, demande qu'on lui envoie des jeunes gens qu'il aidera de ses conseils il s'étonne avec

i. Pourtant on exigeait au départ un certificat de bonnes vie et mœurs t


raison de voir qu'à Saïd-Ali, à trois kilomètres, il y a une grande ferme appartenant au gouvernement où on laisse perdre tout le r fumier sans seulement le donner aux colons pour leurs terres. A Saint-Leu, on se plaint de ce que le génie ne fait pas travailler les habitants le chef de la colonie, un lieutenant de chasseurs, est très mal vu. « Il ne faudrait plus que l'usage du knout pour compléter les rigueurs de son administration », lit-on dans une lettre. Le pays au bord de la mer est beau et sain il reste d'énormes ruines romaines avec sculptures et mosaïques, qui fournissent de la bonne pierre.

Les quelques bœufs qu'on a donnés aux colons étaient dans un tel état de maigreur que d'abord personne n'en a voulu enfin, après plusieurs mois de soins, on a pu les mettre à ces charrues arabes qui trouent la terre sans la retourner. Les aménagements hydrauliques romains, réservoirs et aqueducs, auraient pu être utilisés, mais rien n'a été fait. « Nous sommes trompés et nous savons que le gouvernement n'y est pour rien, la direction du génie qui nous a été imposée a été une fatalité, car les chefs ne prennent aucun souci de nous. » De la lecture de ces lettres, on peut conclure à trois principales revendications de la part des colons

Être débarrassés de l'autorité militaire qui les traite comme des condamnés.

Recevoir de nouveau le prêt de o fr. 10 qui avait été supprimé. Être propriétaires de maisons propres et bien aménagées. Tous les officiers d'Afrique ne pensaient pas comme Cavaignac et La Moricière au sujet des colonies agricoles.

Dès le début de 18~9, le général Le Pays de Bourjolly, dans une brochure rendue publique, prédisait l'insuccès de l'opération. Il blâmait l'emplacement des villages, trouvait qu'on avait eu tort d'exproprier les Arabes, même en les indemnisant ils ne comprendraient jamais pourquoi on leur avait pris la terre où reposaient leurs ancêtres.

On a accepté pêle-mêle tous les colons qui se présentaient, alors qu'on aurait dû faire un choix enfin, il calcule les frais de l'opération à 7,000 francs par famille, sans compter les frais généraux, et estime que les colonies agricoles, très coûteuses, ne rapporteront rien. On verra plus loin que l'expérience lui donna presque complètement raison.

Les lettres des colons, lues à Paris, découragèrent bien des postulants dans le 1er arrondissement, sur les 3~.7 inscrits pour les départs du printemps de 18~.9, 103 se firent rayer.

L'impression devenait franchement mauvaise le ministère de la Guerre commençait à douter du succès de l'entreprise et arrêta les convois qui devaient partir en mars.


Aussi dans la loi de finances du 19 mai 1849, qui affectait cinq millions pour J'envoi de 6,000 colons nouveaux, fut-il stipulé que l'opération ne serait entreprise qu'après une inspection officielle et un rapport motivé.

En conséquence, une mission partit de Paris le 27 juin 184.9. Elle était composée de MM. de Rancé, président Testu, chef du bureau de colonisation au ministère de la Guerre, secrétaire Reybaud, rapporteur Faure, Richier, Dutrône, Dussert, ancien secrétaire général de la direction des Affaires civiles d'Alger, membres Louis de Montault, ingénieur des ponts et chaussées, et Louis de Rancé étaient adjoints à titre consultatif. Les inspecteurs visitèrent tous les villages, un par un, écoutant les doléances des colons et les explications des directeurs leur voyage dura quatre mois et ils déposèrent leur rapport au ministre de la Guerre en novembre 1849. Leur impression générale fut que l'opération avait été trop improvisée, bien des mécomptes avaient surgi au sein des colonies et l'opinion publique était devenue peu bienveillante.

La moralité était suffisamment bonne certes, il y avait bien eu quelques agitateurs, oisifs volontaires préférant être nourris par le gouvernement que se mettre sérieusement au travail, mais la grande majorité des colons était active, travailleuse et de bon esprit. Les idées socialistes, dont on redoutait la diffusion dans ce milieu éminemment favorable, n'étaient pas du tout en honneur les colons avaient en horreur la communauté de l'habitation et du travail. « Chacun chez soi, chacun pour soi », telle semblait être leur devise. Les chefs de village, officiers en activité, investis d'un pouvoir quasi souverain, traitaient généralement les colons avec humanité et douceur quelques-uns avaient seulement les manières un peu brusques inhérentes à leur métier on peut être excellent officier, admirable chef et mauvais administrateur d'autre part, les colons, hommes faits, dont la plupart n'avaient jamais été soldats, refusaient de se laisser commander comme de jeunes recrues. En ce qui concerne les professions des habitants, la Commission déclara formellement qu'il fallait à l'avenir n'accepter que les cultivateurs de métier il y avait trop d'ébénistes, de bijoutiers et de relieurs

La santé publique laissait beaucoup à désirer la mortalité chez les enfants était très élevée en huit mois, il y eut 477 décès, dont 363 d'enfants en dessous de dix ans, sur une population qui atteignait, le 30 juin 184.9, 13,628 personnes, pourcentage extrêmement élevé (plus de 3 %).

Les 314 naissances ne compensaient pas ce déficit, heureusement les nouveaux colons avaient comblé, et au delà, la différence, en sorte que la population avait finalement augmenté.


D'autre part, il était bien certain que les enfants nés sur place supporteraient mieux le climat que ceux venus de France, et qui se trouvaient déjà, en bien des cas, en état de moindre résistance physiologique.

Certains villages avaient été mal placés, dans des bas-fonds ou le long de rivières insalubres les fièvres y régnaient perpétuellement (à Rôbertville, ~.go habitants sur 460 furent touchés) et le régime des baraquements ne contribuait pas à l'hygiène générale. Il était de toute obligation de presser vigoureusement la construction des maisons.

La nourriture était insuffisante pour les travailleurs et plus encore pour les enfants il fallait absolument rétablir l'allocation journalière de o fr. 10, supprimée au mois de janvier la Commission était donc sur ces deux points, les maisons et le prêt, absolument d'accord avec les colons. Le travail effectué n'était pas considérable sur les .57,571 hectares concédés, 3,966 seulement avaient été défrichés au 30 juin, avec l'aide des soldats et des Arabes les colons avaient pour excuses les difficultés d'arrachage des palmiers nains et la mauvaise qualité des outils qu'on leur avait donnés.

La grave question du remplacement de l'autorité militaire par l'administration civile fut soigneusement étudiée par la Commission. Tout en reconnaissant ce que la première pouvait avoir d'un peu rude pour des « civils », elle l'estima néanmoins la plus utile dans un pays neuf, encore exposé aux soulèvements, et en face d'une population de colons qui, par sa composition même, toute factice, n'était pas en état de s'administrer elle-même.

Pendant deux mois, les inspecteurs parcoururent tous les villages voici quelques notes de détail

Dans le département d'Alger, Marengo, Lodi, Montenotte sont en bon état le premier de ces villages compte 856 habitants ElAffroun est meilleur encore malgré la difficulté du défrichement, l'état d'esprit est excellent, le directeur et les colons sont en fort bons termes 1 Novi manque d'éléments agricoles à Damiette, Castiglione et Ponteba, l'eau fait malheureusement trop défaut de plus, cette dernière localité a vu ses rares récoltes ravagées par les sauterelles.

Dans le département de Constantine, Jemmapes, Millésime et Mondovi sont de très bonnes colonies Robertville et Gastonville ont été très éprouvés par les fièvres.

Dans le département d'Oran, Kléber est en pleine prospérité, ainsi qu'Aboukir et Rivoli à Saint-Leu se trouvent des ruines romaines

i. Voir plus haut en quels termes élogieux un colon parle du lieutenant Buquet.

BULLETIN LVIU 8


qui ont été fort utiles aux colons à Saint-Cloud, les défrichements sont pénibles, mais le bourg est prospère (708 habitants) il possède même un théâtre~. Saint-Louis souffre de la présence d'eau salée dans le sous-sol.

Bref, les conclusions du rapport peuvent se résumer ainsi nous avons créé des colonies agricoles de toutes pièces, et trop hâtivement « Reconnaissons que nous avons fait fausse route, mais soutenons les colons travailleurs que nous avons encouragés à partir et que nous n'avons pas le droit d'abandonner maintenant à leurs propres forces donnons-leur tout ce qu'il leur faudra, mais n'en envoyons plus de nouveaux, sauf de véritables cultivateurs ou d'anciens soldats d'Afrique. L'acclimatation des premiers colons se fera peu à peu, et nous aurons dans quelques années un noyau d'habitants éprouvés, façonnés par les dures leçons de l'expérience personnelle. Sachons attendre, ne prenons pas pour la mesure de nos opinions l'impatience de nos désirs plus une œuvre est laborieuse, plus elle résiste avec succès au choc des années ce que les siècles fondent est toujours ce qu'ils respectent le mieux. ))

Le rapport Reybaud fut discuté à la Chambre des représentants les 17 juin, 4, 5 et 19 juillet 18~0.

Il y eut de nombreuses interpellations de Rancé, Barrault, Raudot attaquèrent l'opération en particulier et la colonisation officielle en général Didier et le général d'Hautpoul, ministre de la Guerre, la défendirent ce dernier mit hors de cause l'administration militaire en rejetant sur la paresse des colons l'insuccès de l'affaire. La question des expulsions fut aussi agitée avec passion on voulut dénier au gouvernement le droit de rembarquer les colons qui mettaient le trouble dans les villages le ministre de la Guerre protesta que les expulsions n'avaient jamais été ordonnées qu'après une sérieuse enquête en fait, il n'y en eut que 257 de pratiquées, ce qui n'est pas exagéré pour une population de 13,628 individus recrutés on a vu comment.

Sur les quinze millions votés pour i8/).8 et 18~.9, non seulement il ne restait rien, mais il y avait un dépassement de crédit de 1,~90,000 francs, et bien des travaux en cours étaient à terminer promptement, notamment toutes les maisons commencées en 18~.9, en vue de l'installation de douze nouvelles colonies. Enfin, le 20 juillet fut votée une loi qui affectait un crédit de cinq millions pour compléter l'aménagement des villages fondés en 1848 et finir d'installer ceux de 18~.9.

Mais le recrutement des colons fut complètement modifié.

i. Nous avons signalé plus haut le départ de deux « artistes dramatiques D du IIe arrondissement.


On n'admit plus pour combler les vides des anciennes colonies et peupler les nouvelles que des soldats libérés ayant servi en Afrique et des cultivateurs français ou algériens.

Les directeurs militaires subsisteraient jusqu'en 1851, mais on leur adjoignait une commission consultative, composée des notables du village, qui serait chargée de la police et des propositions d'éviction des colons paresseux ou débauchés.

Le dernier décret intéressant les colonies agricoles d'Algérie est celui du 8 décembre 1851, qui accordait 1,200,000 francs pour celles de 1848.

On avait définitivement renoncé à en fonder de nouvelles. D'après un état officiel arrêté au 31 décembre 1850, elles comptaient à cette date 10,376 habitants répartis en 42 villages et 3,745 maisons, qui possédaient 5,350 animaux divers (dont 3,348 bœufs) et 27,937 outils. Sur les 23,728 hectares qui leur avaient été distribués, ils en avaient mis en culture 10,491 enfin, ils avaient planté 311,350 arbres 1.

Malgré les difficulté de leurs débuts, malgré les tâtonnements qui ont marqué le commencement de leur histoire, les colonies de 1848 ont prospéré, et il n'est pas sans intérêt de savoir ce qu'elles sont à l'heure actuelle.

Une seule, Ponteba, est restée un petit centre de 493 habitants, dans le canton d'OrléansviIle toutes les autres sont maintenant des communes ou des chefs-lieux de canton.

Dès le 31 décembre 1856, un décret impérial érigeait en communes de plein exercice Saint-Cloud (actuellement chef-lieu de canton de 5,467 habitants) Rivoli (4,793 habitants) Fleurus (1,035 habitants) Saint-Louis (2,605 habitants) Marengo, chef-lieu de canton (8,128 habitants) et Aboukir (2,803 habitants).

Dans le rapport à l'Empereur qui précédait le texte du décret, le maréchal Vaillant, ministre de la Guerre, disait « Le district d'Arzeu s'est accru en 1853 de treize colonies agricoles fondées dans la province d'Oran en exécution du décret du 19 septembre 1848. Ces colonies ont reçu leur assiette définitive au double point de vue du peuplement et de la distribution des terres. L'une d'elles, Saint-Cloud, est devenue le siège d'une justice de paix. toutes communiquent facilement avec le chef-lieu du département il ne reste plus qu'à laisser à l'énergie propre à la vie municipale le soin de développer leur avenir. »

Jemmapes devint même le chef-lieu d'un nouveau district; le cli-

i. Tableau de la situation des établissements français en Algérie, I846.t<*< Paris, 1851, p. 240-24.1.


mat salubre, le sol fertile, les eaux abondantes et la facilité des communications attirèrent un si grand nombre de colons qu'il fallut se hâter de construire mairie, écoles, église, hôpital, etc. Actuellement, Jemmapes groupe vingt-cinq douars et centres comptant 29,503 habitants.

Les autres villages sont devenus à leur tour des communes complètes par décrets de dates diverses (1861 à 1899) leur population a grandi considérablement Saint-Leu a 5,792 habitants El-Affroun, 6,463 Castiglione, 3,650 Robertville, 6,153 Gastonville, 3,813 Lodi, 3,442 Damiette, 4,173 Montenotte, 3,948 Mondovi, 4,88o; Héliopolis, 3,252 Millesimo, 3,791 Novi, 1,039.

Pour certaines de ces colonies, l'accroissement de population a été extraordinaire Marengo est passé de 856 habitants à 8,128 SaintCloud de 708 à 5,467; Robertville de 460 à 6,153~.

La ténacité, le courage et la persévérance des colons de 1848 ont eu raison de toutes les difficultés ces citadins, en grande partie des Parisiens, sont devenus d'excellents cultivateurs, et c'est une belle leçon d'énergie française qu'ils ont donnée à leurs contemporains et au monde.

Henri LEMOINE,

Archiviste départemental de Seine-et-Oise.

LES ORIGINES DE LA CULTURE-L'ÉVÊQUE Dans mon étude sur la Ville-l'Ëvêque je m'étais contenté, quant aux origines du terroir, de résumer ce qu'en avaient dit Jaillot, Berty et Piton, ce qui était peu de chose. Depuis, j'ai relu les deux fameux mémoires de Terrasson et de Bouquet au sujet de la censive de l'hôtel de Soissons, dont le second surtout renferme d'intéressants aperçus sur la question qui m'occupait. J'ai revu surtout les anciennes chartes, soit dans les originaux ou dans les copies des Archives, soit

i. Nous devons nos renseignements sur l'éta.t actuel de ces colonies à notre obligeant confrère M. Esquer, administrateur des Archives et de la Bibliothèque nationale d'Alger. Qu'il veuille bien trouver ici nos plus sincères remerciements.

-2. Bulletin ~e SoM'e~ AM<o)'Ms ~M F.ff.T'' ~fOM~MM~eM~, décembre 1927, p. 417.

3. Terrasson, M~sMges ~'M~<K~, KK~a~tt~ e< c~t~Me, 1770. .). A~~tMOtff At~o/t~Me critique sur /a <o~og'~a~A!e Paris, 1771.


dans les publications de Guérard 1 et de Lasteyrie Et je suis arrivé à des constatations curieuses, qui complètent et rectifient ce que j'ai dit dans mon étude précitée.

.S<MM<-G~M~mJ'~4M.M~oM. Contrairement à l'opinion de Lebeuf, Bouquet et Jaillot, Quicherat paraît avoir démontré que la plus vieille église parisienne du titre de Saint-Germain était l'abbaye de la rive gauche, fondée vers 5~3 par Childebert que la seconde en date était celle de la Cité, fondée vers ~yo par Chilpéric et dite plus tard Saint-Germain-le-Vieux; enfin, que la plus jeune était celle de la rive droite, probablement non antérieure au vin~ siècle, qu'un diplôme de 811 appelle Saint-Germain-le-Neut, par opposition à l'église de la Cité, et qui porta plus tard les surnoms de Saint-Germain-le-Rond, puis ~M~ffOM~.

Lors de la fondation de cette dernière église, il ne devait exister, sur la rive droite, que l'église Saint-Germain et la basilique SaintLaurent, remontant au moins au vie siècle, puisqu'elles sont citées par Grégoire de Tours et Fortunat. Saint-Germain devint bientôt le centre d'un bourg et fut la paroisse de la région occidentale de cette rive, Saint-Gervais restant la paroisse de la région orientale. Les droits conservés plus tard par Saint-Germain sur les églises SaintLeufroy, Sainte-Opportune, Saint-Sauveur, Saint-Eustache semblent indiquer que la limite du territoire des deux paroisses devait se trouver au voisinage de la voie romaine devenue la rue Saint-Martin. Les droits de Saint-Germain sur la chapelle de la Madeleine de la Ville-l'Évêque montrent que, vers le nord et vers l'ouest, son territoire devait s'étendre jusqu'à la ligne circulaire de marais, reste de l'ancien bras de la Seine, qui, le long des hauteurs de Montmartre, de Monceau et du Roule, rejoignait le fleuve au pied de la colline de Chaillot.

Bien que beaucoup de vieux diplômes qualifient le Saint-Germain de la rive droite « d'abbaye )) et bien que l'opinion courante au xvms siècle fût que cette abbaye avait été supprimée par CharlesMartel, Lebeuf a reconnu lui-même qu'on ne trouve pas trace de moines de ce côté et que l'église dut être, dès l'origine, une canoniale, relevant de l'évêché. Du territoire défini plus haut, le Chapitre avait la juridiction spirituelle, non la propriété foncière, puisque les collégiales de Sainte-Opportune, au ixe siècle, de Saint-Thomas et Saint-

i. Guérard, Ca~M~M'ye Notre-Dame, 1850.

2. Robert de Lasteyrie, CfM~M~KM général de Paris, i88y, t. 1 (seul paru), chartes de 528 1180.

3. Quicherat, les T'~OM Saint-Germains (Me~ Soc. des Antiq., 3e série, VIII (1865), p. 156-180).


Nicolas-du-Louvre, à la fin du xn~, de Saint-Honoté, au début du xin°, furent fondées sur ce territoire, sans autre formalité que le consentement, si même il fut sollicité, des chanoines de SaintGermain. Si ceux-ci durent posséder de bonne heure en propre, par achats ou donations, une bonne partie du terrain avoisinant l'église, il n'y avait rien de commun entre cette propriété dite séculière et les droits seigneuriaux dont on voit bientôt l'évêque investi sur toute la région.

La charte de ~o. Le premier acte où soient spécifiés ces droits sur la terre de Saint-Germain est un diplôme daté d'Aix-la-Chapelle, le 19 octobre 820, par lequel Louis le Pieux, à la requête de l'évêque Inchade, confirme les biens et privilèges accordés par Pépin et Charlemagne à l'Église de Paris 1. Les premières phrases de l'acte sont rédigées en termes très généraux, comme il est d'usage dans ces sortes de déclarations, se référant à des documents antérieurs. Puis vient un paragraphe commençant par le mot « Insuper », où le roi déclare accorder « en outre » à l'évêque la souveraineté sur la terre SainteMarie, en la Cité, assimilée non pas seulement au cloître, mais à l'île tout entière. Ce paragraphe est suivi d'un autre, concernant le bourg Saint-Germain, que je cite plus loin textuellement et qui contraste, par ses précisions, non seulement avec le début du diplôme, mais même avec le passage concernant la terre Sainte-Marie, et plus encore avec la fin de l'acte. Cette fin traite de la condition des hommes libres vivant sur la terre Sainte-Marie, conformément à un diplôme antérieur du roi Pépin, cette terre étant évidemment celle de la Cité, dont il est question précédemment.

La phrase concernant le bourg Saint-Germain dit « Praecipimus etiam atque jubemus ut de regali via ex parte Sancti Germani a Sancto Mederico usque ad locum qui vulgo vocatur Tudella, in ruga Sancti Germani, neque in aliis minoribus viis quae tendunt ad monasterium ejusdem prenominati Sancti Germani, ullus missus dominicus aliquam judicariam potestatem ibi exerceat, neque aliquem censum, neque ripaticum, neque foraticum, neque ullum teloneum recipiat sed missus episcopi secundum propriam voluntatem ordinet et advocatus ejusdem ecclesiae, tam de ipsa terra Sancti Germani quam de predicta terra Sanctae Mariae in insula posita, rectam ac legalem rationem reddat, sine aliqua judicaria potestate inibi vel banno, nisi in mallo legitimo vel regali placito, sicuti lex ecclesiarum praecipit. »

Les commentaires qu'a provoqués ce latin barbare montrent qu'il est susceptible de plusieurs interprétations suivant la manière dont

i. Lasteyrie, 32, p. 43-45 les sources sont indiquées.


on le ponctue. J'y reviendrai plus loin. Le sens général est que, sur la voip Royale du côté de Saint-Germain, dans la rue Saint-Germain et les rues avoisinantes, les officiers de l'évêque auront seuls le droit de commander, de lever le cens et autres impôts fonciers, sur le même pied que dans la terre de Sainte-Marie, sans posséder toutefois aucun pouvoir judiciaire, ou aucun ban, lesquels s'exerceront dans l'auditoire ordinaire, ou plaid royal, conformément aux lois de l'Église. La phrase précitée paraît constituer l'essentiel de notre diplôme, puisqu'on lui a donné comme titre « De ~Mg's Sancti GeMK~Kt, Au sujet de la rue Saint-Germain. »

Lasteyrie a indiqué pourquoi ce diplôme, que nous ne possédons que par des copies, dont la plus ancienne est du xie siècle, est suspect. Il est daté d'Aix-la-Chapelle, le xiv des calendes de novembre de la septième année du règne de Louis le Pieux, ce qui correspond au 19 octobre 820. Or, nous savons par Éginhard que l'empereur passa l'automne de 820 à Quiercy (ou Quierzy, sur l'Oise, entre Noyon et Chauny) et ne revint à Aix-la-Chapelle que tout à fait à la fin de l'année, ce qui nous est confirmé par un diplôme du 29 octobre 820, qui est bien daté de Quiercy. Aussi les autres éditeurs du premier acte l'ont-ils reporté les uns en 819, les autres en 821. Lasteyrie a cru devoir maintenir la date de 820, d'abord parce qu'il n'est pas matériellement impossible que Louis fût le 19 à Aix et le 29 à Quiercy, distants de soixante-dix lieues ensuite, parce que rien ne prouve qu'il faille corriger l'année, plutôt que le jour ou le lieu, et que, dans le doute, mieux vaut s'en tenir à la date fournie par le texte enfin, parce qu'il présente un air de parenté incontestable avec celui du 29 octobre 820. Le commencement et la fin y sont identiques tous deux sont signés du même notaire « Durandus ad vicem Fridugisi » tous deux se terminent par une formule insolite « Actum Carisiaco (ou Aquisgrani) palacio publiciter », au lieu de « Actum Carisiaco palacio regio. »

Mais le diplôme du 19 octobre reproduit aussi, dans la dénomination des péages, certains termes d'un diplôme antérieur, du 9 septembre 81~, dont nous avons l'original et dont l'authenticité semble incontestable, par lequel Louis le Pieux confirme l'exemption de ces péages accordée par son père Charlemagne aux envoyés de l'évêque de Paris 1. Ces rapprochements suspects font soupçonner à Lasteyrie que l'acte du 19 octobre 820 pourrait bien être « une amplification de celui du 29 octobre, fabriquée au xe siècle par un interpolateur habile, qui a voulu confondre en un seul acte le contenu de plusieurs diplômes, notamment celui du 9 septembre 81~ et celui du 29 octobre 820 ».

!.Lasteyrie,n<'3°.P-4°'4~-


Avant d'aller plus loin, remarquons que le diplôme du 29 octobre 820, que nous ne possédons que par les copies des cartulaires de Notre-Dame, dont le plus ancien est de la fin du xu" siècle (Livre noir), est, comme celui du 19 octobre, une confirmation des biens de l'Église de Paris. Or, si le début et la fin des deux actes sont identiques, le corps lui-même est tout différent.

Dans le diplôme du 29 octobre Louis le Pieux expose que l'évêque Inchade lui a mis sous les yeux un acte de Charlemagne, délivré a la requête de l'évêque Erchenrade, où il était dit que, par l'incurie des gardiens de l'église, les anciens titres de propriété ayant été brûlés ou perdus, l'empereur lui confirmait ses possessions. A la prière d'Inchade, Louis ajoute son autorité à celle de son père, pour permettre à l'évêque et à ses successeurs de jouir paisiblement de leurs biens et de se défendre en justice, comme si les anciens titres n'avaient pas disparu. La correction de la date de l'acte, la simplicité de son formulaire, qui ne sort pas des termes généraux usités en pareil cas, lui donnent un cachet d'authenticité beaucoup plus sérieux que celui de l'acte du 19 octobre. Toutefois, la formule de la fin est, comme on l'a vu, insolite et l'on s'étonne que, dans une confirmation destinée à remplacer des titres perdus, les biens confirmés ne soient pas énumérés en détail.

Il est vrai que l'acte se réfère à un acte antérieur de Charlemagne, où ce détail devait être donné. On trouve effectivement dans les cartulaires de Notre-Dame et en plusieurs copies, dont la plus ancienne est du xie siècle, un prétendu diplôme de Charlemagne, faussement daté de 829 et confirmant à l'Église de Paris ses biens, qui sont énumérés Mais ce diplôme ne parle pas de la disparition des anciens titres il dit même le contraire, s'appuyant sur les documents existants pour justifier la confirmation. D'ailleurs, pour des raisons de diplomatique, Sickel a démontré que ce diplôme était un faux et Lasteyrie a confirmé son dire. Si le diplôme de Louis le Pieux du 19 octobre 820, qui invoque un acte de Pépin, était lui aussi un faux du x<~ ou xi~ siècle, comme le soupçonne Lasteyrie, on s'expliquerait que, en le fabriquant, on ait remplacé en même temps le vrai diplôme de Charlemagne, attestant la disparition des actes antérieurs. Au xviii~ siècle, l'historiographe Louis Bouquet n'avait pas la science diplomatique des Sickel et des Lasteyrie, mais il avait du bon sens. Il avait bien vu la fausseté du prétendu diplôme de Charlemagne et, d'après le fond du diplôme de Louis le Pieux du 19 octobre 820, n'hésitait pas à le classer dans la même catégorie~.

i. Lasteyrie, 33, p. 45-46. 2.Lasteyrie,n°27,p.34-36. 3. Bouquet, p. ix, 22-27, 6t-6z.


Si ce diplôme était vrai, pourquoi l'évêque Inchade aurait-il obtenu, dix jours après, de l'empereur un second diplôme ayant le même objet, mais sans aucune des précisions du premier et parlant de la destruction de titres que celui-ci invoquait? C'est absolument invraisemblable et l'argument suffirait. Mais notre diplôme mentionne les « albains », classe d'hommes libres créée par le régime féodal et inconnue au ixe siècle. Il exempte de tout cens la terre SainteMarie, assimilée à la Cité tout entière, situation qui n'a jamais existé~. Nous possédons en original une charte du 17 juin 911 de Charles le Simple confirmant l'immunité accordée par Charlemagne au seul cloître Notre-Dame 2 elle n'aurait aucune raison d'être si la charte du 19 octobre 820, qui étend l'immunité à toute l'île, était opérante.

Notre diplôme intercale, au milieu de préceptes concernant la terre Sainte-Marie, en la Cité, un paragraphe concernant la terre SaintGermain, qui est sans lien avec le reste. La clause se contredit en retirant au comte, agent du roi, le pouvoir judiciaire et en donnant à l'évêque la police et le cens, mais sans la puissance judiciaire, qui continuera à s'exercer au plaid royal. Elle se termine par les mots « sicut lex Ecclesiarum ~~MC~t< », qui ne veulent absolument rien dire, attendu qu'on ignore de quelle loi il peut s'agir. Mais cette clause est restée aussi inopérante que celle concernant la terre Sainte-Marie. Nous avons, en effet, une charte de Charles le Chauve du 14 juillet 861 donnant à l'évêque Énée le Grand-Pont, nouvellement construit sur la terre de Saint-Germain, et y ajoutant la rue Saint-Germain, conduisant du pont à l'église~. Si la terre de Saint-Germain appartient depuis 820 à l'évêque, la donation du pont, du moment qu'on l'assimile à cette terre, est inutile, et plus inutile encore la donation de la rue, celle de 820 s'étendant sur un beaucoup plus grand espace. Bouquet conclut que le diplôme du 19 octobre 820 est un faux, où les tirades concernant la terre Sainte-Marie et la terre Saint-Germain ont été forgées de toutes pièces, sans logique, ni méthode. Je crois qu'il a pleinement raison. A ses arguments, on peut ajouter que l'église Saint-Merry, citée dans l'acte, ne fut fondée qu'à la fin du ixe siècle, après le départ des Normands, par Eudes le Fauconnier, sous le vocable de Saint-Pierre et Saint-Merry, au voisinage d'une chapelle, Saint-Pierre-des-Bois, où Merry, abbé de Saint-Martin d'Autun, avait été inhumé en 700. Sa citation en 820 est donc un anachronisme. L'auteur du faux s'est servi des diplômes du 9 sep-

i. Ce qui a fait croire à Bouquet (p. 26) que l'île en question était l'île Notre-Dame, plus tard Saint-Louis, opinion peu soutenable. 2.Lasteyrie,n°59,p.8o-8l.

3. Lasteyrie, n° 45, p. 62-63. On verra plus loin que c'est aussi un faux.


i. Lasteyrie, no 6g, p. 89-gi.

tembre 814 et du 29 octobre 82o; mais il n'a emprunté au premier que quelques mots, au second que le commencement et la fin tout le corps de l'acte est différent. Ce n'est donc pas pour confondre « en un seul acte le contenu de plusieurs diplômes )), comme le dit Lasteyrie, opération dont on ne voit pas bien l'intérêt, qu'il a forgé son document. C'est pour fonder les droits de l'évêque sur la totalité de la Cité et sur le bourg Saint-Germain. D'autres actes vont le confirmer, en fournissant quelques indications sur la date où le faux a pu être confectionné.

La bulle de ~o.– Les cartulaires de Notre-Dame contiennent, à la date du 30 décembre 980, une bulle du pape Benoît VII confirmant les biens et privilèges de l'Église de Paris, d'après les données fournies par l'évêque Élisiard, dans un voyage ad HMMM6:. Après avoir énuméré les églises et les propriétés rurales qui dépendent de l'évêché, le pape interdit aux empereurs, rois, marquis, ducs, comtes ou princes d'exercer une autorité judiciaire quelconque sur l'île entière de la Cité et sur le bourg Saint-Germain, dans les limites dénnies par la charte du 19 octobre 820, dont les termes sont reproduits textuellement

Ces copies des cartulaires dérivent d'un même original, qui est aux Archives. Or, en l'étudiant, Lasteyrie a constaté que ce n'était qu'une copie d'une bulle quelconque du xie siècle, à. laquelle on a voulu donner un caractère d'authenticité en y ajoutant le Benevalete et la date qui manquaient, et en y suspendant un bout de ficelle qui simule grossièrement les attaches d'une bulle de plomb. On doit d'autant moins hésiter à rejeter cet acte que, sur l'exemplaire dont tous les autres dérivent, le nom même du pape est d'une main plus moderne que le reste de la pièce et qu'on aperçoit par-dessous les traces d'un autre nom, qui a été gratté ».

Le formulaire de l'acte semble bien indiquer que le faussaire a dû se servir, pour le confectionner, d'une bulle authentique. Mais rien n'indique que le modèle fût du xie siècle c'est la copie qui est de cette époque, comme le montre l'écriture. Rien n'indique non plus que, sur le modèle, le Benevalete et la date manquaient, puisque nous avons affaire à une copie remaniée. Ce que l'examen de la pièce paraît révéler, c'est qu'elle a été datée postérieurement à sa confection. A ce moment, on a corrigé le nom du pape, inscrit en tête, qui ne cadrait pas avec la date choisie, ou inscrite sans faire attention au nom du pape. C'est sans doute lors de cette mise au point qu'on a donné à notre copie l'allure d'un original, en y figurant des traces de sceau.

L'objet du faussaire est facile à discerner. Il a voulu interpoler


dans son modèle la phrase concernant la terre Sainte-Marie et la terre Saint-Germain, qui authentiquait le faux diplôme de Louis le Pieux du 19 octobre 820. Non seulement la rigoureuse similitude des termes est frappante non seulement ces précisions particulières, dans un acte conçu en formules très générales, dénotent nettement l'intention du rédacteur mais on voit la collégiale Saint-Germain qualifiée inexactement « d'abbaye », comme le faux diplôme de Louis 1~' la qualifiait de « monastère ». Et si le faussaire a perfectionné ultérieurement son œuvre, c'est qu'elle lui a servi, une centaine d'années plus tard, à tromper un autre pape.

Nous possédons, en effet, cette fois en original, une bulle du pape Alexandre III, du 20 avril 1165, confirmant les biens du Chapitre de l'Église de Paris, où le pape se trouvait alors 1. Or, cette bulle fait allusion à la fausse bulle de Benoît VII et, dans l'énumération des biens, en reproduit rigoureusement le texte, y compris le qualificatif « d'abbaye o donné à Saint-Germain et le surnom de « ~oi!MM~M~ », depuis longtemps périmé y compris la phrase sur l'île de la Cité et sur le bourg Saint-Germain, avec le lieu dit Tudella, sans doute complètement oublié. La seule différence est que le notaire romain a estropié cinq ou six noms de lieux, qu'il a mal lus. Les chanoines ont donc profité de la présence du pape à Paris pour lui mettre sous les yeux la fausse bulle de Benoît VII, sans doute mise au point pour la circonstance, et le pape l'a fait copier de confiance, peut-être sans voir qu'il confirmait ainsi non pas les biens propres au Chapitre, mais ceux de l'Église parisienne tout entière, dont l'évêque Maurice de Sully n'est pas nommé.

Il semble donc bien que le diplôme de Charlemagne, inscrit sous la date de 829, que celui de Louis le Pieux du 19 octobre 820 et que la bulle de Benoît VII du 30 décembre 980 sont des faux contemporains et solidaires, ayant pour objet d'authentiquer les droits de l'évêque sur l'île entière de la Cité et sur la terre de Saint-Germain. Les plus anciennes copies des deux premiers actes étant du xie siècle et l'écriture de l'apocryphe de Benoît VII étant de la même époque, c'est probablement à cette date que les trois faux ont été fabriqués, assez longtemps avant un autre, qui complète la série. La charte de <M Les cartulaires de Notre-Dame nous fournissent encore un diplôme de Charles le Chauve, donné à Compiègne « la veille des ides de juillet, indiction III, la vingt-deuxième année du règne », par lequel le roi concède à l'évêque Énée le Grand-Pont, nouvellement bâti~. Ayant, dit-il, « jugé utile, pour le bien de son royaume et la défense de l'Église contre les dévastations des Nor-

i. Lasteyrie, 457, p. 386-389. 2. Lasteyrie, 45, p. 62-63.


mands, de construire à ses frais un grand pont, en dehors de la ville, sur la terre du monastère de Saint-Germain, dit de toute antiquité l'Auxerrois et soumis à l'église Sainte-Marie, il a résolu, sous l'inspiration divine, de le mettre en la puissance de l'évêque Ënée et de ses successeurs, ainsi que la rue qui y conduit à travers la terre de SaintGermain, en les exemptant de la juridiction du comte, comme la chose existait autrefois et comme l'indiquent les diplômes de ses prédécesseurs et le sien propre sur la rue Saint-Germain ». Lasteyrie a donné les raisons matérielles pour lesquelles « il serait téméraire d'accorder à ce diplôme une confiance absolue ». Il y a, en effet, discordance entre les deux éléments essentiels de la date, la vingt-deuxième année du règne de Charles le Chauve commençant le 20 juin 861 et l'indiction III ne pouvant convenir qu'à l'année 8yo. Comme, en juillet 861, le roi était bien à Compiègne et comme il n'y était pas en juillet 8yo, il semble que l'erreur porte sur l'indiction, qui devrait être IX et non III néanmoins, un doute subsiste. En outre, la formule d'annonce du sceau est bizarre. Le notaire Gislebertus, qui figure dans l'acte, ne se rencontre ailleurs qu'en 853 et 855. Enfin, nous n'avons pas de diplôme de Charles le Chauve « sur la rue Saint-Germain » mais nous en avons un de Louis le Pieux qui porte ce titre, et c'est le faux du 19 octobre 820. Serait-ce à celui-ci que Charles fait allusion?

A ces motifs de suspicion tirés de la forme s'en ajoutent d'autres tirés du fond. L'indication que le nouveau Grand-Pont a été construit sur la terre de Saint-Germain est insolite. Le fleuve devait, à l'origine, appartenir au roi, non aux riverains. Les droits de pêche, les moulins, les îles y firent l'objet de donations spéciales et arbitraires. Ainsi, l'île Maquerelle, voisine de la rive de Grenelle, appartenait au xin~ siècle, moitié à l'abbaye de Longchamp à cause de son fief de Chaillot, moitié à la seigneurie du même lieu. Le fait que le débouché nord du Grand-Pont était sur la terre de Saint-Germain ne l'assimilait aucunement à celle-ci. En justifiant ainsi la donation royale, le rédacteur de l'acte a pris une précaution inutile, donc suspecte.

En prétendant que Saint-Germain porte, de haute antiquité, le surnom de J'~M.ve~oM, le rédacteur prouve lui-même qu'il n'écrit pas au ixe siècle. En 811~, 1, on l'appelait le Neuf (ci-dessus) et vers 900 le Rond, comme l'atteste le poème d'Abbon. La fausse bulle de Benoît VII, rédigée au xie siècle, mais probablement, comme je l'ai dit, d'après un modèle antérieur, use du même qualificatif. Vers 1110, la confirmation par Louis VI des droits de voirie de l'évêque

i. Lebeuf l'a bien pressenti (édit. 1883, I, p. 2~).


l'appelle Saint-Germain de Paris (Parisiensis) 1. C'est seulement au XIIe siècle que le surnom de l'Auxerrois, sans doute déjà employé au xie, devient courant.

Il paraît très probable que c'est au diplôme de Louis le Pieux du 19 octobre 820, intitulé De ruga Sancti Germani, que Charles le Chauve fait allusion. En lui faisant dire qu'il est de lui, le rédacteur lui fait commettre une bévue énorme. Il en commet une autre en liant la donation du pont à celle de la rue Saint-Germain qui y conduit, alors que le diplôme auquel le roi se réfère en accordait bien davantage. Une cinquantaine d'années plus tard, le 16 septembre 909, Charles le Simple confirmera à l'évêque Anschericus la donation du Grand-Pont faite par son aïeul, mais du pont seul, avec ses places à bâtir (areae) et ses moulins, sans souffler mot de la terre de Saint-Germain et de la rue du même nom 2. Cette charte, dont le formulaire ne donne prise à aucune critique, et qui concerne, semble-t-il, l'ancien pont romain (pont Notre-Dame), doit nous fournir le sens primitif du diplôme de Charles le Chauve, avant les interpolations et les remaniements qui l'ont défiguré. Vers 982, Lothaire et Louis confirmeront à l'évêque Élisiard les biens de son église Or, pas plus que le précédent, leur long diplôme, détaillé et précis, que nous possédons en original, ne fait mention de la terre de Saint-Germain.

Enfin, le roi Charles le Chauve dit expressément que l'exemption qu'il accorde à la terre de Saint-Germain ne fait que rétablir l'état de choses ancien, sicut antea fuit. Il s'agit donc d'une restitution. Or, nous possédons en original très authentique le diplôme du 22 avril 867 par lequel le même roi restitue à l'évêque Ënée l'île Notre-Dame, reprise par ses prédécesseurs, probablement au temps de CharlesMartel, à la réserve des neuvième et dixième parties des revenus 4. La formule employée est tout autre et n'offre aucune des invraisemblances de la pseudo-donation qui nous occupe.

Je crois donc que si Lasteyrie, doué d'un excellent esprit critique, avait serré la question de plus près, il eût été beaucoup plus catégorique sur la confiance que mérite l'acte de 861. C'est, certainement, un nouveau faux, de la fin du xie siècle ou du début du xns, visant le même but que le groupe des trois faux précédents, fonder les droits de l'évêque sur la terre de Saint-Germain, mais postérieur à ce groupe, puisqu'il se réfère au faux diplôme de Louis le Pieux, et postérieur de pas mal d'années, puisqu'il paraît n'en connaître que

i. Lasteyrie, n° 156, p. 179. 2. Lasteyrie, n° 58, p. 79. 3. Lasteyrie, n° 66, p. 92-94' 4. Lasteyrie, n° 47, p. 64-65.


le titre. Par ignorance ou distraction, notre faussaire se trompe, en effet, sur le signataire du diplôme, et même sur son contenu, comme il se trompe sur l'indiction correspondant à la date choisie et sur le surnom de l'église Saint-Germain à la date où il est censé écrire. Il ne vaut pas ses devanciers.

Ces lignes étaient écrites depuis longtemps quand j'ai lu, sous la signature de M. Ferdinand Lot « Ce dont il n'existe aucune mention, c'est du soi-disant « Pont-Neuf », construit par Charles le Chauve sur !e territoire de Saint-Germain-l'Auxerrois. Le <~M~e en date du 7~ juillet <~7, qui ~M/efMM ce renseignement, est MKS ~C6 forgée par le chapitre de la cathédrale de Paris ait moyen ~'MM diplôme ~M~/tSM~MC ~~f~M à dessein) confirmé par Charles le Simple 6M pop, diplôme où il n'est question que de l'antique pont romain. »

Par conséquent, la date de la construction du second « grand pont », générateur de la rue Saint-Denis, nous est inconnue, mais paraît postérieure à gog.

Pour comprendre ces faux, qui nous semblent aujourd'hui invraisemblables, il faut se rappeler ce qu'étaient les évêques du xie siècle et leur entourage 2. L'instauration du régime féodal avait eu sur eux des effets déplorables. Devenus des seigneurs et de gros propriétaires, ils avaient pris les habitudes de la noblesse d'alors, s'absorbant dans leurs intérêts temporels et s'embarrassant peu des moyens de les assurer. Depuis longtemps, ils n'étaient plus élus par les fidèles, mais nommés par le roi ou le seigneur souverain du lieu, qui vendaient les places au plus offrant. A un vertueux candidat, qui venait le trouver les mains vides, quand son compétiteur les avait pleines d'or, Philippe I~ disait avec cynisme « Laisse-moi faire mes affaires avec celui-là., tu pourras ensuite l'accuser de simonie et je verrai à te donner sa place. »

D'ailleurs, la plupart des acheteurs d'évêchés ou d'abbayes étaient des fils de grandes familles, ayant souvent femme et enfants, le mariage des clercs n'étant pas interdit. Ces barons mués en prélats gardaient le tempérament batailleur, l'instinct de cupidité et l'absence de scrupules de leurs congénères.

D'autre part, c'est au xie siècle, avec l'avènement de la dynastie capétienne, que le rôle politique de Paris, jusque-là à peu près nul, commence. La présence du roi dans la capitale met fin aux conflits des seigneurs locaux et fixe la propriété territoriale. Les fondations de Robert le Pieux achèvent de distribuer les terres disponibles. Pour reconstituer le domaine de sa famille, Philippe Is' inàugure une politique d'annexions, que Louis le Gros et Philippe Auguste poursui-

i. Le Moyen Age, 1905, p. 138.

2. Luchaire, Histoire de France de Lavisse, II, 2e partie, p. 107 et suiv.


vront avec une tout autre énergie. On conçoit que l'évêque de Paris ait voulu prendre ses précautions. A la force brutale, il n'avait à opposer que les foudres ecclésiastiques et les parchemins vénérables. Mais l'ignorance des chancelleries lui permettait de forger ceux qui lui manquaient, et c'est ce qu'il fit.

Les résultats. En ce qui concerne la terre de Saint-Germain, les agissements de l'évêque auront un plein succès. On a vu qu'il n'est pas encore question d'elle dans le diplôme de Lothaire et Louis, qui date des environs de 982. Mais, vers nio, quand Louis VI confirme à l'évêque Galon ses droits de voirie, la terre de Saint-Germain de Paris (Parisiensis) est expressément mentionnée~, ce qui tend à prouver que nos faux existent alors et ce qui confirme l'époque où ils ont dû être fabriqués.

Vers 1135, quand le même roi transfère le marché de la Grève aux Champeaux, sur la terre de Saint-Germain, dans une « couture » de l'évêque Étienne, il abandonne à celui-ci, au début de 1137, le tiers des revenus 2. Dans la circonstance, ce n'est pas l'évêque, comme le croit Lebeuf, qui est dépouillé des deux tiers de ses droits c'est le roi, comme l'a bien vu Bouquet, qui authentique à son insu des droits inexistants. En 11~ et 1176, quand Louis VII confirme aux chanoines de Sainte-Opportune la donation à eux faite par Louis II, vers 877, de la ligne de marais allant du pont Perrin à Chaillot, il réserve les droits de cens dus à l'évêque sur son territoire, restriction qui ne figurait pas dans la donation primitive. En 1185, en 1196, l'évêque Maurice de Sully parle de « son bourg x de Saint-Germain-l'Auxerrois et de « sa culture x (cM~M~a nostra Parisius), dont la dîme appartient à la même église Saint-Germain 3.

Mais, en 1190, Philippe Auguste commence l'enceinte de la rive droite, qui englobe le bourg Saint-Germain-l'Auxerrois. Il ne peut être question, à deux pas du Louvre, d'en laisser la pleine juridiction à l'évêque et moins encore celle des deux principales voies, qui, longeant le Louvre, conduisent, à travers la terre épiscopale, aux deux ponts de l'égout les plus proches, ceux du Roule et de Chaillot. En créant, en effet, le Louvre hors de l'enceinte, le roi a voulu s'assurer un abri pour son trésor et un refuge pour sa personne, lui donnant la clef des champs. Il manquerait complètement son but s'il risquait d'avoir la route barrée au passage de l'égout.

Le conflit qui s'engage à ce sujet avec l'évêque est tranché par le diplôme de 1222, dit CAa~a ~scM' Par cet acte, le roi se réserve, dans

i.Lasteyrie,n°ig6,p. 179-

2. Lasteyrie, 264, p. 260.

3. Lasteyrie, n°s 378, 385, 538 à 5~1, p. 336, 340, 443 a 445. 4. Arch. nat., S 1092-A, no 3, original scellé Guérard, I, p. Lxxix et 122.


le bourg Saint-Germain, la Culture-l'Évêque et le Clos-Bruneau (ce dernier sur la rive gauche), les cas de rapt et de meurtre (assassinat), tous les autres crimes relevant de la justice de l'évêque. Il s'y réserve pareillement la taille pour la chevauchée, la chevalerie de ses fils, le mariage des ses filles et la rançon de sa personne, s'il est fait prisonnier, la justice sur les marchands et sur les mesures de vin et de blé, la taille du pain et du vin tous les trois ans. Il se réserve, enfin, « la justice de la voirie sur la terre de l'évêque, depuis la maison que Henri, ancien évêque de Reims (son oncle), a fait bâtir jadis près du Louvre, jusqu'au ponceau de Chaillot, c'est-à-dire sur la voie Royale (strata Regalis), large de dix-huit pieds, à la mesure du pied-main~, et aussi sur la voie Publique (strata Publica), depuis l'église Saint-Honoré jusqu'au pont du Roule. Quant aux autres voies ouvertes ou à ouvrir sur la terre de l'évêque, dans le marais et les limites susdites, la voirie et la justice en appartiendront à l'évêque, sauf les cas de rapt et de meurtre. Il en sera de même pour toute nouvelle villa ou tout nouveau bourg qui seront construits dans les limites susindiquées ».

Ici encore, où Lebeuf voit un nouvel empiétement de la puissance royale sur les antiques droits de l'évêque, apparaît au contraire une concession de la royauté, qui, leurrée par des faux, crée le premier titre sérieux de l'Église parisienne à la propriété d'un immense domaine, qu'elle conservera jusqu'à la Révolution.

Telle est, semble-t-il, l'origine de la CM~M~-J'M~, nom étendu d'abord à l'ensemble du terroir, localisé ensuite à quelques centres cultivés d'emplacements précis, le reste constituant le « marais x. Quand, au début du xui" siècle, elle entre dans l'histoire, une agglomération de cultivateurs s'est déjà formée vers son extrémité occidentale, au voisinage de l'égout, à proximité du chemin du Roule. A cette époque, où les routes sont mauvaises et peu sûres, quelques kilomètres d'isolement suffisent pour obliger les gens de la campagne à se grouper pour se nourrir et se défendre. Ce hameau est dit la Ville~tM, non à cause d'une villa appartenant en propre à l'évêché, dont aucun texte ne fait mention, mais à cause du nom de la « Culture » sur laquelle il s'est formé.

Piton prétend, sans donner de référence, qu'une chapelle y existe dès 1205 et j'ai vainement cherché le document sur lequel il s'appuie. Mais une charte de décembre 1238, citée par Jaillot, parle bien d'une maison ayant appartenu « au prêtre de la Ville-l'Évêque 2 ». Dès lors,

i. Mesure non encore déterminée, peut-être celle du pied augmentée de la largeur de la main.

2. Jaillot, p' Quartier, p. Sg Guérard, III, p. 62.


le bourg est constitué et je ne puis que renvoyer, pour la suite de son histoire, à mon étude précitée.

La ~o~'o~'a~M primitive. Il reste à dire quelques mots sur les renseignements topographiques fournis par les chartes de 820 et de 1222.

Le latin barbare de la phrase « de regali via ex parte Sancti Germani a Sancto Mederico usque ad locum qui vulgo vocatur Tudella, in ruga Sancti Germani, neque in aliis minoribus vu, etc. )), est susceptible, comme je l'ai dit, de sens différents suivant la manière dont on le ponctue. Jaillot ne veut pas qu'il y ait de virgule après Tudella et place ce lieu dit dans la rue Saint-Germain. Mais Lasteyrie a fait observer combien il est vain de vouloir rétablir la ponctuation vraie de ces vieux textes 1. Sans reprendre ce petit jeu, on peut cependant faire les remarques suivantes.

Le membre de phrase « A Sancto Mederico usque ad locum qui vulgo vocatur Tudella », paraît impossible à couper et l'indication de Saint-Merry montre que le territoire dont il est question s'étend à l'est jusqu'à la rue Saint-Martin. Saint-Merry est à un carrefour de rues à angle droit. Donc, l'expression « de Saint-Merry au lieu dit Tudella » ne peut s'entendre que dans trois directions 1° La direction sud-nord, la rue Royale étant la rue Saint-Martin et « Tudella » se trouvant au nord

2° La direction nord-sud, la rue Royale étant toujours la rue Saint-Martin et « Tudella » se trouvant vers le débouché de l'ancien Grand-Pont (pont Notre-Dame)

3° La direction est-ouest, la rue Royale étant la rue des Lombards, prolongée, en contournant l'enclos de Sainte-Opportune, par la rue de la Ferronnerie et la rue Saint-Honoré, et « Tudella » se trouvant sur cette voie, au voisinage de Saint-Germain.

La quatrième direction, qui placerait « Tudella » à l'est de SaintMerry, sur le tracé de la rue de la Verrerie, n'est pas admissible, puisqu'elle nous écarterait de la terre de Saint-Germain, qui nous intéresse. Voyons quelle est, des trois autres, la plus plausible. Lebeuf a placé « Tudella » à la Grange-Batelière 2. Mais il s'est laissé prendre à des mots. Il croit que la Grange-Batelière s'est appelée au xni~ siècle Granchia Praeliata (en réalité Batilliaca), parce qu'elle servait à des joutes et à des exercices militaires, ayant rencontré, dans la Culture-l'Évêque, un lieu dit les Joutes et n'ayant pas discerné qu'il se trouvait à l'emplacement de la place de la Concorde, fort loin de la grange en question. D'autre part, il voit dans « Tu-

i. Jaillot, VIe QMafttef, p. 28 Lasteyrie, p. xxn-xxm. 2. Lebeuf (1754), I, p. ti?.


della » une déformation de « Tutela », qui a été employé dans le sens d'ouvrage de défense, clos fortifié. D'où le rapprochement. Jaillot a bien montré sa fragilité. La terre de Saint-Germain, dont parle notre diplôme, est celle qui avoisine l'église, à peu près entre la rue du Louvre, les Halles et la rue Saint-Martin actuelles. La Grange-Batelière, distante de 1,200 à 1,500 mètres, est hors de question~. On peut ajouter qu'elle ne se trouve pas sur une voie partant de Saint-Merry, ce qui ne permet pas de lui appliquer la phrase précitée.

Guérard et Lasteyrie supposent que la rue Royale est la rue Saint-Martin 2. Si on l'admet, je crois qu'on peut écarter la direction sud-nord, qui placerait « Tudella » beaucoup trop loin de la terre Saint-Germain visée par l'acte. Reste la direction nord-sud, qui mettrait « Tudella » au débouché de l'ancien Grand-Pont, l'actuel pont Notre-Dame. J'avoue alors ne pas comprendre comment, pour limiter la juridiction de l'évêque suivant cet axe, on lui indique deux points à la lisière orientale de son territoire, la rue Saint-Martin devant former séparation entre la terre Saint-Germain et la terre Saint-Gervais.

La direction est-ouest, en assimilant la rue Royale à la rue des Lombards et à son prolongement la rue Saint-Honoré, paraît plus satisfaisante. C'est le sens dans lequel a dû se développer le bourg Saint-Germain, dont la voie principale, la rue Saint-Germain, reliait l'église au Grand-Pont primitif, puis, au x° siècle, au nouveau Grand-Pont. Au xie siècle, quand notre charte est fabriquée, la rue Royale, assimilée à la rue Saint-Honoré, doit traverser ce bourg presque en son centre. La terre de l'évêque est ainsi bien délimitée entre Saint-Merry à l'est, « Tudella à à l'ouest, la rue Saint-Germain et les rues avoisinant l'église depuis la ligne précédente jusqu'au fleuve. L'identification de la rue Royale du faux diplôme de Louis le Pieux avec la rue Saint-Honoré paraît confirmée, comme on verra, par la styata Regalis dont parle la charte de 1222.

Remarquons que les'termes de « via Regalis » et « via Publica » sont synonymes et doivent désigner les grandes routes empierrées. En effet, dans le faux diplôme de Charles le Chauve du 25 avril 860 en faveur de Saint-Denis (xe ou xle siècle), on lit <f Usque ad uMMt publicam quae ad Luperam ducit3 x, alors que dans le diplôme de Louis VI de 1122, pour la même abbaye et qui paraît authentique, on trouve « Usque ad ~g~M stratam que ducit ad Luperam les

i. Jai1lot, VIe Qt<N!)'<:ef, p. 27-28.

2. Guérard, II, p. LXXVII Lasteyrie, p. XXII. 3.Lasteyrie,n°i93,p.2i~.

~.Lasteyne.n°l9g,p.2l~


deux actes parlant certainement de la même voie, là route conduisant à Louvres-en-Parisis.

Le second diplôme est intéressant à un autre titre. Il défend de bâtir, sans une permission de l'abbaye de Saint-Denis, dans un périmètre défini par le phrase suivante « Interdicimus itaque regie majestatis auctoritate et prohibemus ne qua mansio vel habitatio a predicto burgo (Beati Dyonisii) usque ad ecclesiam Sancti Laurencii, que sita est prope pontem Sancti Martinis de Campis, et, ex altera parte strate regie, ab eadem villa Sancti Dyonisii usque ad alium pontem prope Parisium, juxta domum Leprosorum, versus etiam Sequanam ab eadem villa Sancti Dyonisii usque ad Montem Martyrum, a quoquam deinceps fiat, nisi ad jus predictorum martyrum pertineat, excepto Clipiaco, quod ex antiquo ad fiscum regium pertinere dinoscitur ex altera etiam parte, ab eadem villa Sancti Dyonisii usque ad regiam stratam que ducit ad Luperam. »

Donc, quatre ouvertures de compas sont prises

1° De Saint-Denis à l'église Saint-Laurent, voisine du pont de Saint-Martin-des-Champs

2° « De l'autre côté de la route royale », de Saint-Denis à l'autre pont voisin de Paris, tout près de (juxta) la maison des Lépreux 30 « Du côté de la Seine », de Saint-Denis à Montmartre dans le périmètre ainsi fixé, on excepte de la juridiction de Saint-Denis le bourg de Clichy, ancienne villa mérovingienne et, de toute antiquité, terre royale

~o « De l'autre côté », de Saint-Denis à la route royale conduisant à Louvres.

La première limite montre que l'église Saint-Laurent se trouvait alors au même emplacement qu'aujourd'hui, à environ 300 mètres au nord du pont dit de Saint-Martin-des-Champs, sur lequel l'antique voie romaine franchissait l'ancien bras de la Seine, transformé en égout, qui suivait le tracé des rues actuelles du Château-d'Eau et des Petites-Écuries. On a retrouvé les fondations de ses arches en 1894, lors de la construction de la nouvelle mairie du Xe arrondissement. La seconde limite, prise « de l'autre côté de la route royale », c'està-dire à l'ouest de la rue Saint-Martin, va jusqu'au pont de l'égout, « tout proche de la maison des Lépreux ». Il ne paraît pas douteux que ce pont soit celui où passe la rue Saint-Denis et que la léproserie soit celle de Saint-Lazare, dont l'enclos devait alors s'étendre jusqu'à l'égout. Il y a bien un autre pont, touchant une léproserie, qui répondrait à la question c'est celui du Roule, la « route royale pouvant être alors la chaussée Saint-Honoré. Mais la maladerie du Roule, citée pour la première fois en 1206, a dû être fondée vers 1200 et rien ne permet de croire qu'elle existât en 1122.

En direction nord-sud (versus .S~M~M~), la butte Montmartre


limite la juridiction de Saint-Denis, qui ne s'étend pas de ce côté jusqu'à l'égout. Enfin, vers l'est, cette juridiction s'arrête entre Pantin et le Bourget, à la route de Louvres, prolongement de la rue Saint-Martin. La « strata Regia x de la quatrième limite paraît donc la même que celle de la première et le terme devait s'appliquer aux deux voies perpendiculaires formant « la croisée de Paris ». Quelle que soit la solution que l'on adopte pour le texte de 820, il est impossible, en l'absence de tout recoupement, de dire où était situé le lieu dit Tudella et quelle en était l'origine. Ce nom paraît bien, comme le pensait Lebeuf, une déformation de Tutela et devait remonter à l'époque gallo-romaine. Comme on ne saurait songer, dans cette région, aux restes d'un édifice dédié à « la Tutelle » de Paris, on doit s'en tenir à l'acception « ouvrage de défense )' et supposer qu'il s'agissait d'un vieux retranchement, élevé à une date inconnue 1. Par la charte de 1222, Philippe Auguste se réserve la justice de la voirie sur les deux voies principales traversant la Culture-l'Ëvêque, entre la nouvelle enceinte et l'égout du nord, l'une (strata Regalis) depuis la maison de l'ancien évêque de Reims, voisine du Louvre, jusqu'au ponceau de Chaillot, et l'autre (strata Publica) depuis la chapelle Saint-Honoré jusqu'au ponceau du Roule. La seconde existe encore et n'offre pas la moindre ambiguïté. Mais le point de départ de la première est moins facile à préciser, puisque nous ignorons l'emplacement de la maison de l'évêque.

Comme il est certain, cependant, que l'enceinte récemment bâtie n'avait pas de porte au bord du fleuve, la voie Royale devait partir, elle aussi, de la porte Saint-Honoré. Contournant ensuite le Louvre, soit par l'est, le long de la muraille, soit par l'ouest, à travers le futur clos des Quinze-Vingts, elle devait gagner le bord du fleuve, puis le longer jusqu'au ponceau de Chaillot. Au xie siècle, il ne devait encore exister qu'un seul chemin, dénommé indifféremment voie Royale ou voie Publique, conduisant vers l'ouest à la villa de Villiers, coupant la rue Saint-Martin à hauteur de Saint-Merry et se prolongeant vers l'est par les rues de la Verrerie, du Roi-de-Sicile et du faubourg Saint-Antoine actuelles. C'est cet état de choses que la fausse charte de 820 semble révéler.

Maurice DUMOLIN.

i. M. Meurgey (Revue des Études anciennes, XXVIII, 1926, n" 3, p. 252) est du même avis et incline à situer Tudella à la place aux Bourgeois, à l'extrëmité ouest de la rue Saint-Germain.


SÉBASTIEN MERCIER (1740-1814)

LE DRAMATURGE. L'ANTICIPATEUR. L'HOMME POLITIQUE. LE PHILOLOGUE. L'HOMME PRIVÉ.

Sébastien Mercier, Parisien de Paris, né quai de l'École (aujourd'hui quai du Louvre), le 6 juin 1740, et baptisé le 8 à Saint-Germainl'Auxerrois, est mort le 2~ avril 1814, au 12 de la rue de Seine. Sa vie s'écoula donc entre le Louvre et la Coupole, sauf quelques rares voyages en France et un assez long séjour à l'étranger. Il se dénommait lui-même le plus grand « livrier » de France (il aimait à créer des mots) et son œuvre recueillie comprend plus de quatre-vingts volumes et trente pièces de théâtre. On doublerait facilement ce chiffre en recueillant ses dix-neuf pièces de théâtre inédites et les nombreux articles qu'il donna aux journaux depuis 1789. Aussi devrai-je me borner à retenir dans ses œuvres seulement ce qui peut contribuer à faire connaître son caractère, ses idées politiques et sociales. Au premier rang doivent figurer son Théâtre, l'An 3~<?, le Nouveau Paris et son Dictionnaire de néologie.

Sébastien Mercier était de naissance modeste son père, JeanLouis, né à Metz le 21 août 1693, était un maître fourbisseur; il resta toujours à Sébastien quelque chose de son manque d'éducation première il fut toujours du peuple et le laissa voir, même dans ses ouvrages les plus soignés se glissent parfois la vulgarité et la trivialité malgré tous ses efforts, il n'a jamais pu franchir l'étape. Il avait un frère cadet, Charles-André, qui est au moins aussi curieux que lui et qui est tout récemment entré dans l'histoire (Revue d'histoire littéraire, 1912, p. 411-417, et 1927, p. 582-~88; M. Émile Dacier, dans l'A mateur d'estampes, et Gazette des Bg~M~f~, 1 er nov. 1929, p. 177-192). D'abord graveur, il illustra les poésies de jeunesse de son frère, et marchand de tableaux, Charles-André tint ensuite l'hôtel des Trois-Villes ou de l'Empereur (aujourd'hui restaurant Foyot, rue de Tournon), où il eut l'honneur de recevoir l'empereur Joseph II. Une de ses filles se maria en Angleterre. Il fonda ensuite la Société littéraire d'Anspach, en Bavière, dont le margrave était le fils de la charmante Wilhelmine, la sœur si aimée de Frédéric le Grand. Mais cette belle amitié fraternelle a été bientôt rompue. Et pourquoi? Pour une question d'argent. Charles-André, marié et père de cinq enfants, avait revendiqué une part de collaboration dans les œuvres dramatiques de son frère, notamment Natalie et Zoé.

Pour Natalie, la critique interne suffit à l'attribuer à Sébastien


Mercier seul, car elle correspond entièrement à ses théories dramatiques et à ses idées morales. Charles-André dut en 1782 signer un désaveu formel de ses prétentions littéraires. Cette pièce fut produite de nouveau en 1823, lors de sa mort. Mais pendant plus de trente ans les deux frères ne se revirent plus. Charles-André, inquiété en Allemagne, désavoua son frère, devenu conventionnel.

1

Les premiers essais poétiques de Mercier n'avaient pas eu grand succès, des Élégies et des Héroïdes il donna une traduction « plus que libre du poème de Pope (Lettre d'Héloïse à AbéiMd) aussi, vexé de son échec, il renonça à la poésie et déclara que les prosateurs étaient nos vrais poètes. C'est en prose qu'il écrivit désormais. Ses pièces de théâtre sont au nombre de quarante-neuf, trente seulement sont imprimées. Malheureusement, le mauvais caractère de Mercier, qui devait le poursuivre toute sa vie, nuisit beaucoup à son succès. Mercier était un novateur, les comédiens français ne voulurent pas d'abord accepter ses pièces il voulut les y contraindre par autorité de justice et se fit recevoir avocat à Reims pour pouvoir plaider contre eux (1775). Alors on lui retira ses entrées. Mais ses pièces eurent beaucoup de succès en province, d'où peu à peu elles revinrent à Paris à la Révolution, avec la liberté des théâtres, elles y obtinrent une grande vogue en partie méritée.

Mercier est considéré à juste titre, avec Diderot et mieux que lui, comme le fondateur du drame bourgeois Le véritable inventeur du genre est en réalité Nivelle de La Chaussée, auteur du f~'Mg~ ht MO~s et de AM<tMK&, créateur de la comédie larmoyante. Mais Mercier eut beaucoup plus de talent que ses deux devanciers. Quand on connaît ses autres ouvrages, pleins de digressions et de déclamations, on croirait volontiers qu'il était absolument inapte au théâtre cependant, par une grâce d'état, il excella dans le genre dramatique. C'est lui qui donne à ce nouveau genre le nom de drame (préface de Natalie) il y met toutes'ses aspirations généreuses et égalitaires il. s'y peint tout entier. Il traite des sujets d'actualité, comme l'adoucissement du code militaire il s'élève contre la peine de mort infligée aux déserteurs et il imagine l'émouvante situation du colonel retrouvant devant le conseil de guerre son fils prodigue jadis disparu. Lareine Marie-Antoinette demanda à Mercier de changer le dénouement et lui fit accorder une pension de 600 livres. Patrat, l'auteur de

i. Voltaire ne parle qu'une fois de Mercier dans sa correspondance (édition Beuchot, t. L, p. 155). Dans une lettre du 16 décembre 1775, il compare plaisamment son 7feK<! à « un drame de M. Mercier t.


l'Anglais OM /OM raisonnable, se chargea de remanier le cinquième acte il se contenta d'ailleurs d'adapter le dénouement du Déserteur, l'opéra-comique de Sedaine et Monsigny.

L'Habitant de la Guadeloupe connut un extraordinaire succès la collection Rondel, à la bibliothèque de l'Arsenal, n'en conserve pas moins de douze éditions, publiées dans des villes différentes, de France, des Pays-Bas et de Suisse c'est le thème bien connu de l'oncle d'Amérique, revenant, sous un déguisement, pour confondre le mauvais riche et récompenser la femme pauvre et courageuse. Mais, dans ce genre populaire, la meilleure pièce de Mercier est sans doute la Brouette du vinaigrier. C'est ici qu'il s'est montré le meilleur historien du peuple de Paris l'honnête père Dominique, par ses écus patiemment amassés, sauve un négociant de la ruine et fait épouser la jeune fille à son propre fils.

Mais Mercier se signale par bien d'autres nouveautés il fait appel au théâtre étranger. On trouve dans son oeuvre des adaptations de l'allemand, de l'anglais et de l'italien. Il était polyglotte, comme devait l'être son petit-fils Paul Duca. Mercier adapte Othello, Timon a!<AeMM et 7~Mog~Me de Shakespeare; le )~~e~ de Gœthe (sous le nom de Romainval) 1 et la Jeanne d'Arc de Schiller (Mercier et son ami Rétif ont beaucoup aimé la Pucelle d'Orléans) et aussi le Molière de Goldoni.

Mais, ce qui était plus nouveau encore, même après l'Adélaïde Du ~KMC~'K et le Tancrède de Voltaire, après le Siège de Calais par de Belloy, Mercier emprunta plusieurs sujets à l'histoire de France Childéric /sr la Vie g~ la Mort de Louis XI, la Destruction de la Ligue et surtout Jean Hennuyer, eM~M~ Lisieux. C'est une belle leçon de tolérance. La scène se passe au lendemain de la Saint-Barthélémy pour dérober les huguenots aux ordres du roi, Jean Hennuyer leur ouvre les portes des églises de sa ville épiscopale. Par un geste analogue, dans des circonstances heureusement moins tragiques, le cardinal de Cabrières devait en 1908 ouvrir les églises de Montpellier aux vignerons de Marcellin-Albert. Ainsi, à travers les siècles, se répètent les gestes miséricordieux de l'Église.

Mercier n'oublie pas non plus dans sa galerie les souverains étrangers et trace des portraits peu flattés de Philippe II d'Espagne et de Charles II d'Angleterre. Il est donc le précurseur de Henri III et sa cour, d'Alexandre Dumas père, du Louis XI de Casimir Delavigne il est même l'ancêtre du théâtre « d'idées )) d'Emile Augier, d'Alexandre Dumas fils et de François de Curel. Il a l'instinct dramatique et le sens de la composition, mais les négligences de son style ont fait vieillir rapidement son théâtre.

i. Cette pièce est inédite.


II

Le goût de Mercier pour les réformes humanitaires se retrouve dans I'-4M 3~o, rêve s'il ~M /M< jamais, ouvrage « ingénieux et piquant », et soigné comme style. Mercier imagine qu'il se réveille à yoo ans, dans un Paris transformé sans doute, les romanciers anglais Wells, dans la AfseAtM~ e~~o~y le temps, et Hugh Benson, dans le Maître de la terre, ont fait beaucoup mieux comme anticipation. Mais, pour son époque, l'ouvrage de Mercier est neuf et vraiment intéressant aujourd'hui. Bien entendu, il n'a aucune idée des progrès scientifiques que réaliseront le xixs et le xxe siècle on n'y peut donc chercher que des tendances politiques, morales et sociales. Par une lueur curieuse, il prévit l'essor du Japon. En 2~0, la France est gouvernée par Louis XXVII la monarchie subsiste donc, avec la suppression des abus les plus criants. Le roi se rend familier à ses sujets et s'invite parfois chez eux, comme faisait Louis XI, l'un des héros de Mercier il a fait ouvrir des hôtels où les étrangers trouvent pour un prix modéré des repas excellents. Il n'y a plus de censure, mais l'homme coupable d'avoir écrit un livre immoral porte un masque sur la figure les bons auteurs sont honorés et des extraits sont lus de leurs livres lors de leur enterrement. Voilà qui doit leur être agréable. Il n'y a plus de mort civile, plus de torture. Dans l'église, le curé fait l'éloge d'un paysan. N'y a-t-il plus que d'hpnnêtes gens Mercier n'a pas cette illusion. Il y aura encore un crime passionnel le coupable, meurtrier de son frère, est laissé libre de choisir lui-même sa destinée il peut vivre déshonoré ou se livrer volontairement à la mort il se juge lui-même digne de mort et expie librement. Par une conception analogue, le philosophe lyonnais Ballanche devait imaginer la Ville des expiations.

Mercier va au théâtre il y voit jouer un Calas en prose et ce sera le lendemain la Mort de Charles /sr. Son ami Delisle de Sales a raison de le présenter comme un précurseur du pacifisme; la France, en 2~0, n'a plus de colonies, chaque pays suffit à sa propre subsistance on a banni le tabac, le café et le thé on a proscrit le luxe des perles les navires ne servent ni au commerce, ni à la guerre, mais seulement aux voyages d'agrément.

Mercier ne peut pas oublier qu'il est auteur dramatique et il a placé la scène à faire. L'héritier de la couronne sera élevé à la campagne par des paysans, sans rien savoir de sa naissance si sa conduite est irréprochable, à vingt et un ans on l'amènera à la salle du trône, où son vrai père lui ouvrira ses bras. Pour connaitre les besoins du peuple, il faut d'abord, selon Mercier, que le jeune prince ait vécu comme le plus humble de ses sujets. Cette idée ne manque pas de noblesse.


Quels changements Mercier va-t-il trouver dans Paris? La démolition de la Bastille, la réunion du Louvre aux Tuileries et le transfert de l'Académie française à Montmartre On y lit des éloges de la tempérance, de l'amitié et de la fidélité les académiciens en seront si ravis qu'ils pleureront dans le gilet l'un de l'autre. Mieux vaut encore travailler au Dictionnaire.

Il n'y a plus qu'une seule religion, dont Mercier se garde bien de préciser les dogmes, plus de vœux monastiques, plus de célibat des prêtres. Mais qu'en a dit le pape? D'abord, il n'a pas été satisfait, puis il s'est résigné, et un de ces jours nous apprendrons son mariage Ce trait de mauvais goût valut à l'An s-~o une mise à l'index. Le titre d'une autre brochure, Rêveries d'un a~~a~M~, nous engage à prendre au sérieux les sentiments gallicans de Mercier. Écrivant sous Louis XV, en 1771, il est forcé de conserver encore la statue de ce roi sur la place Louis XV, mais il est bien difficile de considérer Mercier, encore qu'il s'en soit vanté, comme un précurseur de la Révolution. Ses idées politiques n'avaient pas tant de précision.

Mais il n'est si beau rêve qui ne doive finir. Au milieu des ruines de Versailles apparaît Louis XIV, se lamentant sur les folles dépenses que lui a coûtées ce palais maintenant détruit, les statues gisent en miettes sur le sol, une couleuvre en sort et pique au pied Mercier, qui se réveille.

Cet ouvrage curieux, qui répondait si bien aux espérances sentimentales des bourgeois les plus éclairés, obtint de nombreuses éditions et il est aujourd'hui encore un des principaux titres de Mercier à la réputation.

Le Tableau de Paris, qui commença de paraître dix ans après, est loin de valoir l'An 2~0. Mercier croyait avoir fait un ouvrage à la fois agréable et utile. Il eût pu y réussir sans doute s'il avait su se délivrer de son goût pour la déclamation. Cet ouvrage est plus utile qu'agréable. Il y a de tout dans ce livre, disait Monselet, des tréteaux, des auberges à quatre vues, des réverbères, du guet, des greniers, du Bicêtre, des chiens tondus, enfin de tout ce qu'on ne voit pas ou de tout ce qui fait détourner la tête. Il manque à Mercier pour être un bon historien deux qualités essentielles, le sens de la composition et l'impartialité.

On a peine à comprendre que ce Tableau, qui nous paraît aujourd'hui si anodin, ait presque fait scandale et que Mercier ait été invité, non point à prendre le chemin de la Bastille, mais à voyager à l'étranger. Il y resta huit ans, surtout en Allemagne et en Suisse. A Mannheim, en 178~, il assiste à la représentation des Brigands; il ne comprend pas tout le célèbre drame de Schiller mais il se rend compte que c'était une action violente En Suisse, il poursuit la publication de plusieurs de ses ouvrages et d'une grande édition de


Jean-Jacques Rousseau. Il a même l'audace d'ajouter de son cru à la Nouvelle Héloïse une lettre de Saint-Preux après la mort de Julie. Il traduit l'ouvrage du célèbre historien suisse Jean de Muller sur l'Association des princes du corps g'efw~M~M~ et un roman allemand d'Auguste Meissner intitule .4 ~ct6!~e. Les Allemands lui rendent d'ailleurs la politesse, le considèrent comme le plus grand des écrivains français, et le libraire Cramer traduit le Tableau de Paris. Quand Mercier apprit le commencement de la Révolution, il rentra en France.

III

Ses drames, qui se jouaient maintenant partout, lui avaient donné une grande popularité. La publication du Tableau de Paris (12 volumes, 1781 à 1788) y avait encore ajouté. Aussi Mercier fut-il reçu avec une grande faveur dans les cercles politiques et il désira jouer un grand rôle. Il rédigea presque seul pendant dix-huit mois les .4'MMa~M politiques et littéraires, puis la Chronique ~M mois, et il collabora avec Carra et Brissot. Il devait mettre à l'épreuve les idées de l'An .3.0 et voir ce qu'il pourrait en réaliser.

C'est à cette époque que se place l'événement qui devait changer sa vie privée, sa rencontre avec Louise-Anne-Marie Machard, née le 18 juillet 1768 à Corberon, près de Dijon, canton de Seurre. On peut se demander pourquoi il voulut faire croire qu'il y avait eu un mariage religieux célébré à Saint-Étienne-du-Mont en 1791. En réalité, jusqu'en 1814, il ne passa ni devant le maire, ni devant le curé. D'ailleurs, dans son drame de Natalie, M. de Fondmaire, qui doit être le porte-parole de l'auteur, soutient le droit à l'amour libre et l'inutilité du mariage pour avoir des enfants. Il se conforma logiquement à ses principes, et il n'y a pas lieu de s'en étonner. De même, dans les montagnes du Doubs, vivait alors un magistrat, père, sans être marié, de deux enfants qu'il adorait l'un d'eux était Charles Nodier. Ce détail n'est point signalé par esprit de médisance, mais à titre de symptôme. La défaillance des mœurs, dans les classes élevées comme dans les classes bourgeoises, est une des explications de la Révolution.

En 1790, Mercier s'était donc découvert la bosse de la paternité Et j'avais cinquante ans quand cela m'arriva

Il eut trois Elles Marie-Héloîse, née le 5 novembre 1792 Sébastienne, née le 25 pluviôse an II (15 février 179~) Pauline, née le 15 mars 1796. La veuve de Mercier lui survécut quarante ans et mourut à quatre-vingt-six ans, le 14 février ~86~. Ses filles tinrent un pensionnat de demoiselles sous la Restauration au Palais-Royal,


cour des Fontaines. Pauline seule se maria, elle épousa un médecin italien, né à Cividale, dans le Frioul, le 7 juin 1799, donc de trois ans plus jeune qu'elle, Jean-Baptiste Duca leur fils fut Paul Duca, né le 7 juillet 1832, ministre plénipotentiaire, chef du bureau des traducteurs au ministère des Affaires étrangères. Il a brillamment franchi l'étape et disait de lui-même « Mon cerveau comprend tout. » Marié à M"s Simonard, il mourut en 1901. Son fils unique, Roger Duca, est âgé de cinquante et un ans. Sébastienne mourut le 8 juin 1876, à quatre-vingt-deux ans Pauline à soixante-quatorze ans, comme son père, le 16 juin 1870, et Héloïse à près de quatre-vingt-dix ans, le 12 février 1882. Elles n'avaient donc point manqué aux traditions de longévité de la famille. Dans ses ouvrages, Mercier, qui est si bavard, ne parle qu'une fois de ses filles et jamais de leur mère. Le rôle de Sébastien Mercier dans la presse quotidienne l'avait mis en vue et il fut élu député à la Convention par le département de Seine-et-Oise. Un homme de mérite est presque toujours déplacé dans une assemblée parlementaire, nécessairement niveleuse il en fut de Mercier comme plus tard de Melchior de Vogüé et de Barrès, pour ne parler que des morts. Il faut toute l'amitié indulgente de Delisle de Sales pour transformer Mercier en homme d'État. En réalité, il ne joua à la Convention qu'un rôle très effacé et c'est à peine si dans toute sa carrière politique de cinq ans on peut signaler quatre interventions, dont deux sont malheureuses. La première est son vote dans le procès de Louis XVI. Il avait été scandalisé par les outrances des Montagnards. « Qu'on le mette à mort, braillait à tue-tête le boucher Legendre, qu'on le coupe en quatre-vingt-trois morceaux et qu'on le distribue entre les quatre-vingt-trois départements~ » <' Ces paroles feront horreur, dit Mercier, et l'on attribuera à tous la bêtise d'un seul homme, dont on ne parvint pas à fermer la bouche. » Mercier, dont le vote est cité in extenso dans le Dictionnaire des ~a~MMM&M~s, t. V, p. 3~1, se prononça pour la détention de Louis XVI à perpétuité. Plus tard, il devait s'exprimer avec moins de dignité sur le malheureux monarque « J'ai fait ce que j'ai pu pour le sauver, mais, s'il l'avait fallu, j'aurais dansé sur son cadavre. » Tout de même, en janvier 1793, ce vote contre la mort était un véritable acte de courage. Ce jour-là, Mercier avait payé la dette du Déserteur. Mercier intervint encore dans une motion déclarant que la République ne traite pas avec un ennemi occupant son territoire (18 juin 1793). « Avez-vous fait, dit-il, un pacte avec la victoire? Non, répondit Basire, nous avons fait un pacte avec la mort. » Charles Nodier, qui assistait à cette séance, déclare que Mercier fut absolument cloué par cette réponse grandiloquente et optimiste.

i. Lenôtre, Vieilles maisons, vieux ~s~M~s, t. VI, p. 229.


Mercier montra encore du courage quand il protesta contre l'arrestation des Girondins après le coup d'État du 2 juin 1793. Il fut luimême emprisonné avec les soixante-douze députés protestataires, le 6 octobre 1793, dix jours avant la mort de la reine. Pendant sa prison, il fit des réflexions morales et même religieuses, comme en témoignent les soixante-seize lettres qu'il écrivit à sa femme. Il nous assure, et nous pouvons l'en croire, qu'il ne quitta pas la plume un instant jusque dans la nuit des cachots. Il ne fut sauvé que par le 9 Thermidor la Révolution avait épargné son prophète. Mais cette captivité avait eu un contre-coup des plus sérieux sur sa mentalité. Il avait toujours eu tendance à la bizarrerie. Mais, dans les vingt années qui lui restaient à vivre, il va accumuler les excentricités et les contradictions. Dans une polémique, un de ses adversaires se demande crûment s'il faut accuser Mercier d'aliénation d'esprit ou de défaut de jugement.

11 reparut à la Convention et fit partie de ceux qui passèrent dans le Conseil des Cinq-Cents, où il fut élu par les Côtes-du-Nord et le Nord. Quand il prétendit refuser à Descartes les honneurs du Panthéon (mai 1797), on eut beau jeu à lui rappeler qu'il avait composé autrefois un éloge du philosophe. Quand il se fit nommer au contrôle général de la Caisse de la Loterie, on lui objecta plus justement encore que jadis il s'était déclaré contre le jeu. Il crut s'en tirer par un mot d'esprit « Depuis quand n'est-il plus permis de vivre sur les dépouilles de l'ennemi? » Il eût pu alléguer plus justement ses charges de famille. Le 5 frimaire an V, il fit un rapport « contre les arts », où il laissa échapper des grossièretés de langage choquantes (la peinture, sœur idiote du dessin) Il signait certains articles du nom de Reicrem, ce qui lui valut cette épigramme

Reicrem, quel est Reicrem? C'est Mercier à. l'envers

Et c'est comme à l'endroit un esprit de travers.

En 1798 (frimaire an VII) parut le Nouveau Payîs, six tomes en trois volumes, ouvrage d'un cynisme révoltant, dit Quérard. Ce jugement sévère ne peut s'appliquer qu'aux idées politiques de l'auteur et non à sa moralité. On ne peut citer comme étant de mauvais goût qu'un chapitre sur les annonces de mariage dans les journaux. La nécessité d'observer l'ordre chronologique force Mercier à faire un effort de composition. Il ne se contente plus de la nonchalance du Tableau et il prétend nous donner une philosophie de l'histoire de la Révolution. H voit la main de l'Angleterre dans tous nos troubles,

i. Réponse au rapport Contre les arts, bibl. de l'Arsenal, nouveau fonds, n° 5.}8go.


d'accord en cela avec Camille Desmoulins dans son fragment d'His<o~ Mcy~ Jalouse de la France après la guerre de l'Indépendance des États-Unis, l'Angleterre a suscité Danton, le mauvais génie de la France Mercier, précurseur de M. Mathiez, n'est pas plus indulgent pour Robespierre. Mais il est toujours plein d'admiration pour Brissot, à qui il consacrera un drame en cinq actes Sur les préludes et le récit de la journée du 10 Août, son témoignage mérite d'être retenu. Mercier est d'ailleurs partisan de la nécessité de la Révolution « Il fallait tuer la cour de Versailles, pour qu'elle ne nous tuât point. » Mais il blâme tous les excès « C'est Paris qui a fait la Révolution. C'est Paris qui l'a gâtée. Le peuple montra le courage le plus héroïque et la férocité la plus lâche. Qu'il fut grand, qu'il fut abject. Pour peindre tant de contrastes, il faudrait un Tacite ou un Shakespeare. » Et Mercier n'était ni l'un, ni l'autre. Malgré la Terreur, il reste ennemi des royalistes il loue le 13 Vendémiaire et le 18 Fructidor. Il termine ce livre par sa propre épitaphe 2

Hommes de tous pays enviez mon destin

Né sujet, je suis mort libre et républicain.

A la création de l'Institut, il fut nommé membre de la troisième classe, qui correspond aujourd'hui à l'Académie des sciences morales c'était peut-être ironique. Il fut ensuite transféré (il dit ~e~o~e) dans la classe de langues et littératures anciennes, aujourd'hui Académie des inscriptions. L'Académie française lui eût mieux convenu. Il se signala encore par son mauvais caractère. Le 31 juillet 1799, il refuse d'interrompre une lecture trop longue sur Caton d'Utique et la séance doit être levée dans la plus grande agitation. IV

Le 18 Brumaire vient mettre fin à la liberté de la presse. Ne pouvant se passer d'écrire, Mercier met ses idées sous forme de dictionnaire. En 1801, il fait paraître sa Néologie ou Traité des mots MOMMSM:f, à renouveler ou pris dans des acceptions MOMt~M. L'idée de recenser les mots usuels qui n'étaient pas encore admis dans le Dictionnaire de l'Académie était assez heureuse mais il eût fallu faire un choix plus sévère. On eut raison de se moquer de Heureuseté et de Z,MCt/Mg~, qui fuit la lumière (l'athée est lucifuge). Mais on dit joyeuseté et fébrifuge, qui sont formés de même. Il proposa encore Albeur

i. CEMM~s de Camille Desmoulins, publiées par Jutes Claretie, t. 1, p. 305. 2. On lui fit une autre épitaphe

« Ci-gît Mercier qui fut académicien

Et qui cependant ne fut rien. »


pour blancheur et Noverque pour belle-mère. Beaucoup d'autres mots, par contre, sont vraiment excellents et sont maintenant usi.tés dans le langage courant, sans que l'on sache aujourd'hui qu'ils proviennent de Mercier. Tels sont alarmiste, animateur (qui est l'animateur du monde? C'est Dieu, adorons), idéaliser, improbité, inacceptable, inachevé, inapte, incendiaire, inconstance, inconvenance, indélicat, journalisme, lucidité, machiavélisme, outrecuidant, torpeur, tourbillonner, etc.

Ses dernières œuvres ne lui font point grand honneur. Douze satires en prose rimée contre Racine et Boileau, les bêtes noires du Romantisme, que Delisle de Sales voulut en vain lui faire supprimer l'Impossibilité du système de Newton et de Copernic, et jusqu'à un projet de conflagration des bibliothèques dont Paul Lacroix s'est indigné. Il avait même promis une Platopodologie, connaissance des hommes par l'inspection des pieds. C'est plus fort que la Physiognomonie de Lavater.

V

Après avoir parlé des œuvres les plus caractéristiques de Mercier, il f.j.ut essayer de retracer son aspect moral. D'après le portrait gravé en tête du livre de Léon Béclard, Mercier avait été un assez bel homme dans sa jeunesse. Mais, à la fin de sa vie, il n'était plus qu'un paysan du Danube, assez négligé dans sa mise comme dans ses propos.

« Qui n'a pas vu Mercier, dit Charles Nodier, avec son chapeau d'un noir équivoque et fatigué, son habit gris de perle un peu étriqué, sa longue veste chamarrée d'une broderie aux paillettes ternies, relevées de quelques petits grains de verroterie de couleur, son jabot d'une semaine, largement saupoudré de tabac d'Espagne, et son lorgnon en sautoir. »

Au point de vue moral, la bizarrerie et le pédantisme de Mercier se montrent bien dans le dîner qu'il offrit en 1794 à un jeune ménage On sert la soupe et des cuillers de bois. Ensuite des petits pois et des cuillers d'étain, bientôt après des fraises et des cuillers d'argent, puis du café et des petites cuillers de vermeil, et,. enfin, des glaces avec de très petites cuillers en nacre de perle ornées d'or. Voici quelle était l'explication de ce symbolisme. La cuiller de bois explique la manière modeste et simple dont un auteur doit commencer son ouvrage. La cuiller d'étain annonce qu'il doit entrer en matière les cuillers d'argent annoncent que la logique et la rhétorique vont se donner la main. Le vermeil indique le courageux effort que l'on doit

i. D'après Delort, Voyage aux emcfOK~ de Paris


faire pour donner à son ouvrage le plus haut degré d'intérêt. Et, enfin, la nacre de perle a pour objet de rappeler qu'un ouvrage doit toujours finir par les plus belles pensées » Voilà des conseils dont Mercier eût bien fait de profiter pour lui-même.

Parfois, au contraire, Mercier servait au convive un sermon politique

« Je dînais quelquefois avec Mercier pauvre et oublié, dit le comte de Puymaigre, et cet ancien républicain, qui, du reste, n'a jamais volé ni tué personne, me parut n'avoir pas renoncé à ses utopies d'égalité. Il déplorait que les titres honorifiques fussent venus remplacer la qualification de citoyens, et il exécrait le gouvernement impérial. Comme j'avais lu en Allemagne, et faute de mieux, ses plus mauvais ouvrages, tels que Natalie, que personne ne connaît, il m'avait pris en affection et me prônait, sans pouvoir me convertir, les avantages de la République. Ah jeune homme, me disait-il, il n'y a que ce gouvernement qui convienne aux âmes nobles et généreuses j'avoue qu'il a de mauvais moments, mais ses rigueurs mêmes sont préférables à la plus douce servitude 1. »

Le jeune de Puymaigre ne se laissa pas persuader que la guillotine valait mieux qu'une pension.

Mercier ne s'améliorait pas avec les années. Vieilli, il rompt avec le peu d'amis qui lui restait il raille méchamment la pauvreté de Rétif de la Bretonne, à qui il se considérait sans doute comme très supérieur (lettre du 30 prairial an X au Journal des arts). La postérité a beaucoup changé l'ordre des valeurs l'auteur de la Vie de mon Père et des Nuits révolutionnaires, plein de relief et de vigueur, passe pour un écrivain des plus remarquables du xviii~ siècle. Mercier n'était cependant pas dépourvu de charité ayant vu à Sceaux que la tombe de Florian était abandonnée, il donna tout ce qu'il avait sur lui au gardien du cimetière mais il est plus facile d'honorer les morts que d'aimer les vivants. En politique, il est de ces idéologues que détestait Napoléon le 6 mai 1807, au sortir de la séance où l'abbé Sicard avait reçu l'abbé Maury, admis pour la seconde fois à l'Académie française, il disait qu'on avait assisté aux répons de la messe Dominus vobiscum. Et cM~M spiritu <MO~. Mais, bien revenu de ses péchés de jeunesse, il n'était hostile à l'Église qu'en tant qu'alliée du régime impérial. Lors de la naissance du roi de Rome, il adresse une poésie au médecin Corvisart.

Dans l'intimité, causant avec Delisle de Sales, un ami de cinquante

i. Alexandre de Puymaigre, Souvenirs sur ~<!<!OM. Paris, 188~, p.n8.

2. Hyacinthe de Latouche, la Vallée aux /OM~~ (1833), p. 132. 3. De Lanzac de Laborie, dans la Revue de Paris, ier janvier 1931, p. 95.


ans, Mercier disait « Moi aussi je suis un peu comme le fier Sicambre, je suis tenté, aujourd'hui que mes rêves politiques se sont évanouis, de brûler ce que j'avais adoré et d'adorer ce que j'avais brûlé. » Il se demandait si les Français seraient un jour mûrs pour la liberté. Il ne vivait plus que par habitude et pour voir comment cela finirait. Comme sa fin approchait, il voulut mettre ordre à ses affaires; le 9 février 181~, devant Alexandre-Nicolas Lemoine, maire-adjoint du Xls arrondissement, Louis-Sébastien Mercier, demeurant 12, rue de Seine, épousa Louise Machard, domiciliée 2~, rue Pérou et reconnut ses trois filles, qui, ainsi que sa veuve, furent les gardiennes vigilantes de sa mémoire.

Il put voir se lever l'ère nouvelle, car il mourut le 25 avril, peu après la première abdication de Napoléon. Mongez, directeur de l'Institut, loua avec quelque indulgence son affection pour ses amis Delisle de Sales prononça un discours véritablement ému qu'il fit suivre d'une précieuse note bibliographique il félicita Mercier, successeur de l'abbé de Saint-Pierre, apôtre de la paix perpétuelle, d'avoir connu le nouvel Alexandre, l'empereur de Russie, pacificateur de l'Europe. C'est le même enthousiasme que devaient inspirer, un siècle plus tard, le président Wilson et sa Ligue des Nations. On était si las du régime impérial, qui n'avait jamais été très solide (les belles études de M. Madelin sur le Consulat nous le prouvent), que la Restauration, si honnie ensuite pour ses maladresses à l'intérieur, fut d'abord saluée avec enthousiasme.

Mercier fut-il bon? fut-il méchant? Je pencherais plutôt pour la bonté. Au dire de Delisle de Sales, ses épigrammes partaient plus de sa verve que de son cœur. Il eût défendu, disait-il, ses adversaires contre la tyrannie de Napoléon, de même que La Fontaine osait. défendre Fouquet et Pellisson contre Louis XIV. Seulement, il ne put jamais se refuser le plaisir de lancer un bon mot. Son mauvais caractère avait nui à sa réputation. Lorsqu'il était jeune, ses disputes avec les comédiens avaient retardé la représentation de ses pièces à Paris plus tard, de brutales agressions avaient écarté de lui ses derniers amis.

Au point de vue littéraire, il avait gâté de très beaux dons par sa déplorable facilité. Avec plus de soin, il eût pu se faire un grand nom au théâtre. Que n'a-t-il écrit dix volumes au lieu de cent et plus Il a travaillé contre lui-même, car en face d'un tel fatras la postérité a mieux aimé laisser tomber son œuvre entière plutôt que de chercher a en recueillir quelques morceaux de choix il y en a de tels dans ses

i. Témoins Antoine Liébaud, jurisconsulte Michel de Cubières, homme de lettres François Fournier de Pescavy, docteur en médecine FrançoisLouis d'Escherny, chambellan et comte de l'Empire.


œuvres les plus défectueuses. Il nous a donc donné une leçon négative et nous a prouvé par l'absurde l'utilité du labeur probe et consciencieux. A aucun point de vue, il ne fut un bénédictin. Pour le définir d'un mot, un nom vient irrésistiblement à notre esprit, c'est celui de Gavroche, le gamin de Paris. Mercier en a à la fois l'esprit et le courage il chante une chanson satirique, mais il sait aussi ne pas trembler devant Robespierre ou devant Napoléon. Sous tous les régimes, il garde sa fière et loyale indépendance. Il mérite donc la justice qu'il a toujours refusée aux autres. Comme conclusion pratique, je demanderais pour Sébastien Mercier non une statue, ni même un buste, mais une simple plaque sur la maison où il est mort, 12, rue de Seine. Paris doit bien un souvenir à l'auteur injustement oublié du Tableau de Paris et du Nouveau Paris. Paul DESLANDRES.

BIBLIOGRAPHIE

Sébastien MERCIER, Théâtre, pièces séparées. Bibl. de l'Arsenal, B. L. 13324 à 13338, et collection Rondel.

Tableau de Paris et An M 2-0, chacun en trois petits volumes de la Bibiothèque nationale. An ~<to, extrait dans la collection Henri Gautier, n° 333.

Nouveau Paris, an VII, 3 vol. in-8". BiM. de l'Arsenal, 8077 bis. Dictionnaire de néologie (1801). BiM. de l'Arsenal, nouveau fonds, n° 32548. SUR SÉBASTIEN MERCIER

Bibliographie générale, dans QUÉRARD, France littéraire, t. VI, p. 58-62. Léon BÉCLARD, Sébastien AfefCMf, t. 1 (1740-1789), 810 p. Il serait souhaitable que cet ouvrage fût continué.

DELISLE DE SALES, Discours prononcé aux obsèques de Sébastien Tt~e~CM~, le 2 7 avril ~~f4. Bibl. nat., Ln~ 14000.

Biographie universelle de HOEFER, t. XXXV, col. 20-26.

Biographie universelle de MICHAUD, t. XXVIII, p. 11-16.

Charles MONSELET, Oubliés et dédaignés, t. 1 (1859), p. 51-99. Le CM~MM/f, t. I, p. 32 et 318.

Intermédiaire des chercheurs et curieux, t. I, p. 3~.1 t. II, p. 60 t. X, p. 7~). t. XVII, p. 478 t. XX, p. 36 et 116 t. XXII, p. 304 t. XXIII, p. 681 t. XXXII, p. 203, 386, 459, 570 t. XXXIII, p. 643 t. XXXIV, p. 174; t. XXXVI, p. 737; t. XLI, p. 389; t. LIII, p. 951; t. LIV, p. 94 t. LXIX, p. 648, 766 t. LXXXI, p. 46 t. LXXXV, p. 623, 742, 833, 836,930 t. LXXXVI, p. 287,418 t. LXXXIX, p. 209,267, 305,309,400.


III

BIBLIOGRAPHIE

La MMMOM retraite de La Rochefoucauld, par Jean COUTEAUX, avec une préface de M. Alfred RÉBELLiAu, membre de l'Institut. Imprimerie Solsona, 1926. 87 p.

Il faut signaler la publication de cette étude, qui a fait l'objet des communications de M. Couteaux à notre Société les 12 janvier et 20 avril 1926 (voir Bulletin, p. 18 et 23). Elle donne, sur la fondation de cet hôpital et sur sa construction de 1781 à 1783 par l'architecte Antoine, des renseignements précis qu'on ne trouve nulle part ailleurs, toutes les notices antérieures étant erronées.

M. D.

Les vieux hôtels de Paris; 20° série Le Temple et le Marais (t. III), avec notices historiques par Paul JARRY. Contet. i vol. in-fol. en carton, 12 p. de texte et 41 pi.

Les hôtels étudiés dans cette série, digne des précédentes, sont ceux d'Albret (31, rue des Francs-Bourgeois), de Manneville (76, rue de Turenne), d'Hozier (110, rue Vieille-du-Temple), de Vigny (10, rue du ParcRoyal), de Soubise (60, rue des Francs-Bourgeois), Aubert de Fontenay (5, rue de Thorigny), Bergeret de Frouville (3-5, rue Béranger) et de Tourolle (10, rue Charlot). L'auteur des notices a mis à profit les travaux antérieurs et, par des recherches aux Archives nationales, dans les titres de propriété ou chez les notaires, apporté des renseignements nouveaux et intéressants sur plusieurs de ces immeubles. Les magnifiques photographies, reproduites en héliogravure, qui forment la partie principale du volume, constituent de précieux documents d'étude, dont la valeur ne fera qu'augmenter, beaucoup de ces vestiges du Vieux-Paris étant fatalement appelés à disparaître. L'ouvrage est accompagné d'une table alphabétique générale des hôtels publiés dans les vingt séries.

M. D.

Les égouts de Paris, du .XT~ siècle Jo'2.?, par Henri L.EMOINE, archiviste de Seine-et-Oise (extrait de la Revue de la Chambre syndicale de maçonnerie, ciment et béton armé de la ville de Paris et du ~e~~MMM~ Seine, 1020-1030).

L'histoire d'ensemble des égouts de Paris n'a pas encore été faite et il faut savoir grand gré à M. Lemoine d'en donner un résumé solide et précis,


uniquement basé sur des documents d'archives. La partie la plus intéressante, parce que la plus mal connue, est celle qui est antérieure à x6oo. On y trouve le curieux procès-verbal d'enquête du 19 décembre 14.12 pour le détournement de l'égout de la rue Saint-Antoine vers la porte du Temple, seul point où, jusqu'au xvn~ siècle, les petits égouts de la région pussent se déverser dans le collecteur circulaire du nord. En 1636, même en 1663, le très rudimentaire réseau d'égouts ne comprenait encore que 1,152 toises voûtées contre 3,828 à ciel ouvert. Toute cette étude fait voir combien les questions d'hygiène, qui nous semblent vitales aujourd'hui, étaient autrefois négligées, puisqu'elles sont restées à peu près stationnaires jusqu'au commencement du xix<* siècle. On signalera à l'auteur que le pont Hersan (ou Hersent) ne traversait pas l'égout au bout de la rue d'Anjou, dont la partie nord ne date que du XVIIIe siècle, mais au bout du chemin qui devait devenir la rue de l'Arcade.

M. D.

Histoire de Paris, par Lucien DUBECH et Pierre D'EspEZEL. Payot, 1926. In-8°, 512 p. et un plan.

Comme il n'est jamais trop tard pour réparer une omission fâcheuse, on tient à signaler ce livre aux jeunes confrères venus récemment aux études parisiennes comme constituant pour eux un excellent point de départ. Sans prétention à l'érudition, précis, concis, élégamment écrit et basé sur les meilleures sources, il donne un tableau exact et complet des transformations de la capitale, en même temps que des événements politiques dont elle fut le théâtre, et permet d'aborder ensuite les études de détail sans qu'on risque de s'y perdre. C'est un des meilleurs travaux de synthèse qui aient paru dans ces dernières années, et dont une réimpression illustrée, en deux volumes, est actuellement sous presse aux Éditions ~'«o~e~M~. M. D.

Le Panthéon, par Jean MONVAL, 2~ édition. Laurens, 1928. i vol. in-12, 64. p., dont 46 de pl. (Collection des Memoranda). Cette petite monographie, copieuse et condensée, consacrée au monument de Soufflot, relate les longues péripéties de sa construction et en donne les vues aux différentes époques et les principales œuvres d'art. Elle est appelée, comme tous les ouvrages de la même collection, à rendre les plus grands services aux visiteurs.

M. D.

Les premières constructions de Pierre Lescot au Louvre, d'après de nouveaux documents, par Louis BATIFFOL, administrateur de la Bibliothèque de l'Arsenal, dans Gazette des Beaux-Arts, novembre 1030, p. 276-303.

Les quatorze actes notariés signalés à M. Batiffol par le regretté Germain Bapst, qui les avait découverts lors de ses recherches sur Jean Goujon, per-


mettent de suivre la marche des travaux de Pierre Lescotjde 154.6 a 1555. Le projet primitif de François 1~ ne visait que la reconstruction de l'aile occidentale du vieux Louvre, avec un seul étage et un escalier central. En 15~9, Henri II décida d'étendre la salle des fêtes sur toute la longueur du rez-de-chaussée, en reportant l'escalier à l'extrémité nord_du bâtiment et en flanquant celui-ci de deux avant-corps latéraux, semblables à celui du centre. En décembre 1550, on jugea cette salle des fêtes trop grande et on résolut de construire, au sud, la salle du tribunal, ou tribune. Enfin, en avril 1551, naquit le projet d'édifier du même côté sud un pavillon monumental de trois étages, destiné à devenir le logement personnel du roi, qui provoqua l'exhaussement d'un étage de l'aile déjà construite et qui impliquait, semble-t-il, par raison de symétrie, le quadruplage de l'ancienne cour, avec quatre pavillons semblables à celui du roi aux angles de la nouvelle cour.

Il paraît donc aujourd'hui tout à fait plausible que le « grand dessein e du Louvre, c'est-à-dire le quadruplage de la cour, date de Henri II, en 1551, comme le projet de jonction du palais avec les nouvelles Tuileries date de Charles IX, en 1566, et que c'est Pierre Lescot qui a mis sur pied l'ensemble de ces deux projets, bien que le premier détruisît l'harmonie de sa façade primitive, conçue pour un « petit Louvre Il ne pouvait que s'incliner devant les manifestations successives de la volonté royale et y adapter au mieux ses plans.

Ainsi s'éclaire peu à peu l'histoire du vieux Louvre, si pleine jusqu'ici d'obscurités, et l'on peut dire que M. Batiffol y aura contribué plus que personne.

M. D.

Nogent-le-Rotrou, imprimerie DAUpELEy-GouvEMtEUR


BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE L'HISTOIRE DE PARIS ET DE L'ILE-DE-FRANÇE

ig3i

VARIÉTÉS

NOTES SUR L'ABBAYE DE MONTMARTRE

CHAPITRE 1

HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ABBAYE

Moins heureuse que Saint-Germain, Saint-Denis ou Saint-Martin, l'abbaye de Montmartre attend encore son historien. Aux xvu~ et XVIIIe siècles, les savants, comme Du Breul, Sauvai, Lebeuf, Félibien, les faiseurs de « Guides », comme Brice, Saugrain, Piganiol, Thiéry, n'en ont parlé qu'incidemment. Dominique Chéronnet, en i8~3\ Michel de Trétaigne, en 1862, n'ont tenté qu'une ébauche, et si le premier (très supérieur au second) a certainement compulsé les archives du monastère, il a eu le tort de ne pas indiquer ses sources. Guilhermy, dont le travail de 1842 n'a paru intégralement qu'en 1906, a vu aussi, et de plus près, les pièces originales mais, plus archéologue que chartiste, il ne les a pas toujours bien lues et, comme Chéronnet, n'a fourni aucune référence.

En 1883, Édouard de Barthélemy a publié un Cartulaire de .MoM~martre, qui n'est pas un bon travail. Non seulement les documents sont reproduits sans aucune critique de la valeur des copies, quelquefois même d'après Félibien, mais les erreurs de lecture et de date, comme les fautes d'impression, sont nombreuses et l'absence de

I. Sur ce modeste employé de librairie, qui sut bien travailler et mérite le titre de premier historien de Montmartre, voir la notice de Sellier, Curiosités du FMM~-MoM<<Ms~B, p. 321-326.


cotes d'archives exactes ou de notes explicatives arrête le lecteur à chaque page. Infiniment supérieurs sont le Ca~MM~ général de Paris, publié en 1887 par Robert de Lasteyrie, œuvre vraiment scientifique, dont le seul défaut est de s'être arrêtée au premier volume, soit à 1180, et le Recueil des chartes de Saint-Martin-des-Champs, publié par le regretté Depoin, qui n'intéresse malheureusement que le début de notre sujet.

Depuis la fondation de la Société du ï~MM~-MoK~Mf~, de solides études sur l'abbaye ou sa censive ont été données par Charles Sellier et Lucien Lazard. Mais ce ne sont, jusqu'ici, que des fragments. Il est donc ardemment à souhaiter qu'un jeune « Vieux-Montmartrois », ayant l'avenir devant lui, se laisse tenter par ce beau sujet. L'âge a fait reculer Lucien Lambeau, le consciencieux historien des communes annexées à Paris, devant la grandeur de la tâche. « C'est un monde, et je suis trop vieux », répondait-il quand on lui parlait d'aborder Montmartre après la Chapelle. Est-ce vraiment un monde, si l'on se borne à l'essentiel? On a peine à le croire, quand on constate que la moitié des archives du monastère concerne des terres situées en grande banlieue ou, quand elles avoisinent Montmartre, impossibles à identifier.

Le présent travail n'est qu'une esquisse, où l'on se bornera à extraire de ces archives, encore à peine explorées, ce qui en paraîtra le plus intéressant. On résumera l'histoire générale de l'abbaye en confrontant Guilhermy, Chéronnet, Trétaigne et Barthélemy, et euxmêmes avec les documents originaux, dont on fournira les cotes. On traitera en annexes quelques sujets de détail particulièrement curieux et l'on s'estimera trop heureux si ces notes peuvent aider un jour le futur historien de Montmartre2.

I. LES ORIGINES. L'ABBAYE AU XIIe SIÈCLE

Les origines. La colline de MoM~a~e (c'est très probablement le nom primitif) était habitée aux temps gallo-romains. Il s'y trouvait des villas, dont les vestiges ont été mis à jour, et aussi un

i. L'auteur ne dit même pas ce qu'il appelle cartulaires A et B. Le cartulaire A est un recueil du xuis siècle, qui se trouve dans le carton L 1030 le B est un recueil du xvi~ siècle, dans LL 1605.

2. Pour la bibliographie, cf. dom Beaunier, ~cA. de la France monastique (1905), I, p. 72 U. Chevalier, .R~~OM~ des sources M~o~Hes, topobibliographie (1903), II, col. 2003 Vieux-Montmartre, II (1895), p. 2~7252 ajouter Fonds Parent de Rosan (mairie du xvi° arr.), t. 17, 53 à 55 et 61 archives de Saint-Denis archives du Vieux-Montmartre. Dans les références aux Bulletins du Vieux-Montmartre, on appelle tome 1 les vingt premiers fascicules (l886-i89<).), paginés séparément.


temple, vers l'emplacement de l'église du Sacré-Cœur 1. Dans la première moitié du vu<' siècle, Frédégaire l'appelle « mons M~co~e », et tout fait supposer qu'elle était dédiée à Mercure, habitant des hauts lieux. Le Mo~~a~~ voisin d'Avallon portait, lui aussi, un temple de ce dieu~. Au ixe siècle, Hilduin conserve cette tradition; mais l'auteur des Miracles de Saint-Denis assimile le dieu à Mars, très souvent d'ailleurs associé à Mercure.

Vers cette dernière époque, peut-être plus tôt, la légende de SaintDenis, qui a rempli la capitale, qu'on retrouve dans la Cité à SaintDenis-de-la-Chartre et à Saint-Denis-du-Pas, sur la rive gauche à Saint-Ëtienne-des-Grés et à Notre-Dame-des-Champs, se localisa, sur la rive droite, à Montmartre, appelé dès lors « mons Martyrum ». Des sources narratives de l'histoire de saint Denis, les plus anciennes, le Gloriosae (fin ve siècle), la Vie de Geneviève (vers 520), le diplôme de Clovis II de 63~ ne connaissent que le martyre et l'ensevelissement du saint au bourg de Catholacus, c'est-à-dire à SaintDenis. Le supplice à Montmartre et la céphalophorie, qui en est la conséquence, n'apparaissent que dans les écrits d'Hilduin et de son disciple Hincmar, au temps de Louis le Pieux (81~-8~.0). Les tombes trouvées en 1875 et 1891 autour de Saint-Pierre montrent que, dès les temps mérovingiens, une église, peut-être dédiée à saint Denis, avait remplacé l'ancien temple. En outre, sur la pente, du côté de Paris, devait exister une chapelle construite sur un martyrium, ou, comme on disait à Rome, une confession, c'est-àdire sur une crypte, naturelle ou artificielle, désignée par la tradition comme ayant servi de tombeau à d'anciens confesseurs de la foi. Peut-être cette chapelle avait-elle contribué à la localisation de la légende peut-être en était-elle la conséquence. En tout cas, cette légende repose sur une très ancienne tradition 3.

Détruite certainement au ixe siècle par les Normands, l'église fut rétablie et de nouveau détruite, en 9~, par une tornade racontée par Flodoard~. Au xie siècle, le territoire de Montmartre était dans la seigneurie des puissants barons, les Bouchard de Montmorency, et tenu en fief par Gautier Payen, vicomte de Meulan, et sa femme,

i. De Pachtère, Paris à l'époque gallo-romaine, p. 40 et suiv. et p. 127 A. Maillard, communication faite au Vieux-Montmartre en décembre 1931. 2. Blanchet, Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris, 1921, p. 57 et suiv. Longnon, Noms de lieu (3~ fasc., 1925), p. 377-380, où la discussion est reprise en détail; Levillain, Bibliothèque de l'École des chartes (1921), p. 40-47.

3. Duchesne, Fastes épiscopaux, II, p. 469 de Pachtère, p. 118, 122. Le Blant (Manuel d'épigraphie chrétienne, p. 152-162) croit à l'authenticité du tombeau de saint Denis cf. Bournon, p. 523. Contra, Levillain, p. 45-47. 4. Guilhermy, p. 25.


Jourdaine Comtesse 1. En 1096, ceux-ci firent don à l'abbaye de Saint-Martin-des-Champs, fondée en 1039 et transformée en 1079 en un prieuré de Cluny, de l'église située au Mont-des-Martyrs, « à savoir l'autel, la nef, le cimetière, avec l'aitre~ nécessaire pour construire les logements des frères, le tiers de la dîme, le tiers des hôtes 3 et la moitié de la terre que pouvait labourer une charrue ». Bouchard de Montmorency confirma solennellement la donation de son vassal, Hugues étant abbé de Cluny, Ourson prieur de Saint-Martin et Guillaume évêque de Paris4. Le 14 juillet 1096, une bulle d'Urbain II, donnée à Nîmes, plaça le prieuré de Saint-Martin sous la protection du Saint-Siège et l'église du Mont-des-Martyrs figure dans les possessions du couvent, ce qui prouve que la donation de Payen est antérieure à cette date~.

Quelque temps après, la chapelle du Martyrium, qui appartenait à une congrégation de laïcs, fut donnée par eux au prieuré SaintMartin-des-Champs. Le prieur Ourson afferma les offrandes, sa vie durant, au laïc Bernard, contre un cens de dix sous, payable à la Saint-Jean-Baptiste il devait y faire dire la messe deux ou trois fois par semaine6. En 1098, Guillaume, évêque de Paris, confirma à Saint-Martin-des-Champs la possession des autels (églises) dépendant de son diocèse, notamment de celui du Mont-des-Martyrs' L'autel du Martyrium n'étant pas nommé, il est probable qu'il n'était pas encore, à cette date, aux mains des moines. Le 27 no-

i. Comtesse (Comitissa) n'est pas ici un titre, mais le surnom (cognomen) de Jourdaine (Hodierna), comme Payen est le surnom de son mari. Quand le baptême d'un enfant était différé, on lui donnait un surnom, et .PaïgK, ou Ss~Ni~tK, précise, chez les garçons, le fait de ce retard. Ceux des filles étaient plus gracieux Idoine, Blanche, Rose, Reine, Comtesse (a cause du titre porté par une aïeule), etc. Cf. Depoin, Liber ~Bs<CHMSK<o~MM!, p. 2g, note 95 Hérédité des noms, p. 3 Recherches Mtf /'e<a:< civil, p. l/).. 2. L'aître (~!M)M) est l'espace de soixante pas avoisinant l'église Flach, Origines de l'ancienne France, II, p. 171. Le mot deviendra synonyme de cimetière, les ensevelissements étant faits dans cet espace. 3. Les hôtes (&o~!<Bs) étaient, au xe siècle, des cultivateurs libres et nomades, vendant leurs bras au plus offrant pour défricher les forêts et marais. Aux xie et XIIe siècles, ils se fixèrent au sol et devinrent propriétaires, moyennant une faible redevance cf. Luchaire, Hist. de France de Lavisse, II, 2'* partie, p. 23-29 et 336. Cette question des hôtes présente encore bien des obscurités.

-t. Lasteyrie, n° 116 Depoin, .L!~)* ~<aHMM<o)'MMt/ traduction à peu près exacte dans Guilhermy, p. 30-31. Barthélémy a donné cette charte (p. 57) d'après Félibien (III, p. 60), en la datant faussement de 1116. 5. Lasteyrie, 118 et la note 2 pour la date.

6. Lasteyrie, n° 117 bonne traduction dans Guilhermy, p. 31-32. 7. Lasteyrie, 14.6. Il n'est pas question de la perception des dîmes, quoi qu'en dise Guilhermy, p. 32.


vembre 1119, une bulle de Calixte II, donnée à Saint-Denis, confirma les biens et privilèges du prieuré. Cette fois, « l'église de Saint-Denis du Mont-des-Martyrs, avec la chapelle dite du Saint-Martyrium », figure dans ces biens 1.

En 1124, une charte d'Étienne, évêque de Paris, sanctionna un accord conclu, grâce à son intervention et après un long conflit, entre Bouchard de Montmorency et le prieur Mathieu de Saint-Martin, au sujet des possessions du couvent. Elle indique que, postérieurement à la donation de Gautier Payen et de sa femme, un sieur Adam Vinnezol2 et sa femme avaient donné au prieur Thibaud un sixième de la dîme de Montmartre, ce qui faisait, au total, la moitié. Bouchard confirma toutes les donations faites aux moines par ses féaux ou par lui-même 3.

La fondation. En 1133, le roi Louis VI le Gros et sa femme, Adélaïde de Savoie, résolurent de fonder à Montmartre un couvent de femmes. En conséquence, Thibaud, prieur de Saint-Martin, leur donna l'église du Mont-des-Martyrs avec ses dépendances, en y ajoutant la chapelle du Saint-Martyrium, la culture Morel et la maison de Guerry, le changeur. Il reçut en échange l'église de Saint-Denisde-la-Chartre, dans la Cité, avec ses dépendances~. Peu de temps après, Pierre, abbé de Cluny 5, approuva l'échange. Sa charte montre que la donation faite au roi comprenait l'église libre, telle que les moines la tenaient, avec la dîme lui revenant, ses vignes et ses terres arables, un hôte à Drancy (Darenciacum) et les autres dépendances, plus la chapelle du Saint-Martyrium, la vigne Adan, la culture Morel et le champ acquis par le prieur Mathieu de Garnier du Port. La maison de Guerry est omise~. La même année, 1133, Étienne, évêque de Paris et chancelier du roi, confirma, en tant qu'évêque, la cession de Saint-Denis-de-la-Chartre au prieuré Saint-Martin. L'acte montre que les dépendances de cette église consistaient en un moulin au lieu dit Mibray, un four près de l'église, les villages de Fontaines, Limoges, Fourcilles, avec les dîmes et autres droits fonciers, d'autres biens encore'. Les moines recevaient donc autant qu'ils donnaient. Le roi transmit à la nouvelle abbaye les propriétés qu'il avait reçues du prieuré Saint-Martin et en ajouta d'autres. L'année suivante, 1134, entre le 3 août et le 25 octobre, il confirma ses donations

i. Lasteyrie, n°i8~.

2. Guilhermy l'appelle Adam de Vignerolles (p. 31) et Barthélemy Adam de Vigneux (de Vinerolis) (p. i) il se peut que le copiste ait mal lu. 3. Lasteyrie, 203, d'après des copies des xn~ et xili*' siècles. Lasteyrie, 2~.0 Barthélemy, p. 59 Depoin, Recueil, II, p. 13. 5. Guilhermy l'appelle Hugues (p. 35).

6. Lasteyrie, n° 2~1 Félibien, III, p. 60 Depoin, II, p. l~. 7. Lasteyrie, n° 239 Depoin, II, p. 11,


par une charte qui constitue l'acte de fondation du couvent. En voici la traduction'

Au nom de la sainte et indivise Trinité, Amen. Moi, Louis, porté à la royauté des Francs par la miséricorde de Dieu. Nous voulons faire savoir à tous nos fidèles, tant futurs que présents, que, pour le repos de notre âme et de celle de nos prédécesseurs, sur les prières et conseils de notre très chère épouse la reine Adélaïde~, nous avons construit, avec l'aide de Dieu, une église et une abbaye sur le mont dit Mont des Martyrs. A cette église et aux moniales qui y servent Dieu, nous donnons et concédons en perpétuelle jouissance les biens ci-après indiqués, faisant partie de nos propriétés, d'accord en cela avec notre fils Louis, déjà associé au trône s le village 4 situé en face de Saint-Cloud et'appelé Menus (Mansionillum, aujourd'hui Boulogne), avec toutes ses dépendances, vignes, prés et bois, pour leur usage et celui de leurs hommes un moulin à Clichy, avec sa conduite d'eau et la mouture de tout le village dans la ville de Paris, un four, que nous y avons en propre, avec toutes ses coutumes (droits féodaux) 5 dans notre forêt de Vincennes, nous leur concédons une charretée quotidienne de bois mort. Aux religieuses précitées, nous donnons, en outre, à perpétuité la maison de Guerry le changeur, située près de la porte de Paris °, avec les boutiques (stationes) et échoppes (/eMM<MM)'' qui y sont construites, ainsi que la justice (vicariam) de la terre entièrement libre de toute coutume et franche. Nous voulons qu'il soit connu de tous que nous avons donné à Guillaume de Senlis, voyer (vicarius) de cette terre, en

i. On a confronté les quatre copies ou vidimus du xnie siècle que possèdent les Archives, L 1030, L 1031 et S 163. Le copiste de Lasteyrie (nO 255) parait avoir suivi la version qu'il appelle A (L 1030, liasse, n° z~) et qui omet quelques mots essentiels. Deux copies du xVt~ siècle sont dans LL 1605. La traduction de Guilhermy (p. 35-36) est fautive, comme la transcription de Barthélemy (p. 60 et suiv.). Sur les sources, cf. Depoin, .R~Kg~, II, p. 15 à 18.

2. Louis VI, associé au trône en 1100, roi en titre depuis le 3 août 1108, avait épousé, en 1115, Adélaïde de Savoie, ou de Maurienne, nièce du pape Calixte II, femme très laide, qui lui avait donné neuf enfants, dont six fils Luchaire, ~oc. cit., p. 311-312.

3. Depuis 1131.

Villa, dès le ix'* siècle, est le synonyme de village ou maison de campagne l'interprétation dépend du contexte Flach, Origines, II, p. 51 à 5~. Au xi" siècle, le sens usuel est village Ibid., p. 93, n. 3. 5. Sur le sens du mot, cf. Luchaire, ~oc. cit., p. 27 à 29.

6. Devant le Grand Châtelet on disait plus tard « l'Apport-Paris ». y. Les fenestrae devaient être des étalages extérieurs, les stationes des locaux où la vente avait lieu à l'intérieur.

S. Félibien (I, p. 160) traduit < la voirie », ce qui n'est pas un contresens mais il vaut mieux traduire la justice », comme une charte du même Louis VI, citée par Du Cange (Glossarium, v° Vicaria), le montre; l'abbaye posséda, en effet, la justice sur la Grande Boucherie jusqu'en i6y~ cf. de nombreux exemples à l'appui dans Flach, Origines, notamment, I, p. 203, 308; II, p. 93, 276 III, p. 108, uo.


échange de cette vicairie, un étal parmi les vieux étaux de bouchers 1 et deux boutiques dans un autre quartier de Paris. Aux mêmes religieuses, nous donnons trois hôtes (Aos~!<e~) dans notre marché de Paris, libres de tout impôt et francs 2 la terre que nous avons acquise de Théobert, fils de Geinard, dite les Pointes (-PMMC~:) le droit de pêche que nous avons à Paris, dans la Seine la terre de l'île de Bercy 4, libre de toute coutume à Chelles, dix arpents de prés ° dans le terroir de Senlis, à Bray (Braium) s, une maison et les vignes que nous y avons, et la terre cultivable par une charrue, libre de tout impôt et coutume, de manière que, pour cette charruée, ou pour les autres, si, Dieu aidant, elles en ont plusieurs, elles ne supportent ni droit de champart', ni aucune autre coutume. Nous leur donnons aussi, dans le terroir (pagus) d'Étampes, le village de Torfou s, avec toutes ses dépendances dans le terroir de Melun, une forêt et un bateau pour amener le bois par la Seine, libre de tout impôt et coutume, avec un hôte, libre de tout impôt, chevauchée et taille, pour conduire leur provision (de bois) par la Seine de Melun à Paris, étant entendu que, s'il ne les sert pas bien, ou s'il vient à mourir, on leur en donnera un autre, propre à ce travail9. Nous leur donnons à perpétuité, dans le pays de Gâtinais, trois fermes, avec la terre, un moulin et toutes les autres dépendances 1°, et tout ce qui peut relever de notre fief à Étampes, un four que nous y avons, avec toutes ses coutumes au .P~HMMtK, la villa que nous avons fait construire, avec toutes ses dépendances~. Nous ne voulons pas passer sous silence que, en échange de la maison de Guerry, que les moines de Saint-Martin-des-Champs possédaient, et de l'église du

l. Ils devaient être voisins de la maison de Guerry.

2. Félibien (III, p. 61) met à tort « ~M~MOf qui est dans Arch. nat., LL 1603 Lasteyrie omet le chiffre. Ces hôtes devaient probablement servir de pourvoyeurs à l'abbaye. Une note du xvil" siècle (dans L 1030) dit qu'ils furent supprimés lors de la création des corporations de marchands. Il n'en est plus reparlé ailleurs.

3. On ne savait plus, au xvil° siècle, ce que c'était (note de la traduction, dans Arch. nat., L 1030). Une déclaration au terrier de 1376 concerne 7 quartiers au lieu dit les .PotM~s (Arch. nat., S 4425, n° 27). Ce triage était le triangle compris entre les rues du Faubourg-Montmartre, Cadet et Coquenard (Atlas de Sainte-Opportune, N'" Seine 45, feuille XI). 4. Insula de B~ctHtM c'est la seule mention qu'on en ait. Elle devait être formée par un bras de la Seine, à l'emplacement de l'entrepôt actuel. 5. L'abbaye les posséda jusqu'à la Révolution baux et arpentage dans Arch. nat., S 4452, 3e et 4e liasses.

6. Bray, à huit kilomètres nord-est de Senlis.

7. Part de la récolte due au seigneur et variant, suivant les provinces, du tiers au vingtième.

8. Torfou, terre voisine d'Étampes et incorporée plus tard dans la châtellenie de Montihéry Depoin, Recueil, II, p. 16, note 15. 9. On voit par ces détails, et l'on verra par la suite, l'importance qu'avait alors, comme aujourd'hui, la question du chauffage et de la cuisine. 10. Voir la charte suivante.

11..Pf~eMMfK Holdeum (pour Holdeuini) ce village prendra ensuite le nom de Pont-Ia-Reine (encore en 1231 cf. Depoin, C/ta~fM de .Sa!Mt<-Ma<'<tK, IV,


Mont-des-Martyrs, nous leur avons donné l'église de Saint-Denis-de-laChartre, que nous avions en mains propres, avec toutes ses dépendances. Pour que la chose ne tombe pas en oubli, nous avons ordonné de l'écrire et, pour qu'elle ne soit pas contestée à l'avenir, nous l'avons confirmée par l'autorité de notre sceau et la signature de notre nom. Fait publiquement à, Paris, dans notre Palais, l'an de l'Incarnation 1134, de notre règne le 27' avec l'approbation de notre fils Louis, dans sa 3e année d'association au trône, en présence de ceux dont les noms et signatures suivent Raoul, comte de Vermandois, notre maître de l'hôtel Guillaume, bouteiller Hugues, connétable Hugues, chambrier. Fait de la main d'Étienne, chancelier.

Dans une autre charte de la même année, Louis VI ajouta à la propriété du Pré-Hilduin les terres qu'y possédait Gervais de Châteaufort, lequel reçut en échange une vigne à Bagneux. Dans une troisième, il précisa sa donation dans le Gâtinais, qui comprenait les villages de « Boissy-le-Respoux )), », Mainbervilliers et Merlanval, avec leur justice, la moitié des revenus donnés à Thierry de Milly, la terre d'Herbauvilliers, acquise de Robert de Viriniac, les dîmes acquises d'Adam de Lapouille, la moitié du village d'Auxy, acquise de Ferlon de Nanteuil, un moulin sur l'Essonnes cédé par Garsilin de Bunon et Adam de Lapouille, enfin le mesnil de Nissard, donné par Galeron. L'abbaye est encore désignée dans ces actes sous le nom d' « Église Saint-Denis du Mont-des-Martvrs ». En 1137, le roi rendit au prêtre Galon des biens qu'il possédait à Vitry, sous condition d'une rente de 10 sous payée à l'abbaye, dont il ferait son héritière s. 7' S&&MM, Adélaïde. On ignore d'où vinrent les religieuses bénédictines qui furent installées à Montmartre. On sait seulement, par un nécrologe de Reims, que la première abbesse fut tirée du couvent de Saint-Pierre, en cette ville, et s'appelait Adélaïde. Elle serait morte, après trois ans seulement d'abbatiat, le 9 avril 1137 Louis VI mourut le i~ août suivant et, avant le 2~ octobre, Louis VII, son fils, confirma les donations faites à Montmartre, exactement dans les mêmes termes que son père 4.

P. 75. 93). puis de Bourg-la-Reine (dès 1164), en l'honneur, croit-on, de la reine Adélaïde. L'identification n'est pas douteuse; cf. cependant Lebeuf, III, p. 554, et Depoin, II, p. 17, note.

i. Boissy-le-Repos c'est aujourd'hui Boissy-aux-Cailles, à six kilomètres est de MaJesherbes. Les autres terres mentionnées sont aux environs. Les actes concernant ces terres sont dans S 4453, 4454 et 4489. 2. Arch. nat., L 1030, n°s 17 et 18 S 4454, liasse Guilhermy, p. 36 Barthélemy, p. 63, 70.

3. Félibien, I, p. 160 Gallia Christiana, liste des abbesses, VII, col. 614 Guilhermy, p. 38 Barthélemy, p. 30.

4. Lasteyrie, n° 266, et, pour la date, les notes des p. 261 et 262 Barthé-


En 1138, Guy de la Motte et Béatrice, sa mère, accrurent ces donations de la grange Sainte-Lucie, à Béthisy (Béthisy-Saint-Pierre), et, en 1142, la reine Adélaïde y ajouta d'autres terres, situées au même lieu. En 1143, Louis VII donna son verger de Saint-Léger, avec un étang et un moulin 1. Les papes Innocent II, en 1137, Eugène II, en 1140, et Lucius II, en 1144, confirmèrent les privilèges de l'abbaye2. 2~ abbesse, Christine. L'abbesse Adélaïde avait été remplacée par Christine de Courtebrone, qui, en 1146, bailla à cens une maison donnée à l'abbaye par le prêtre Robert des Ormes 3. A cette date, les travaux de reconstruction de l'église, commencés par Louis VI et poursuivis par son fils, étaient assez avancés pour que la dédicace pût avoir lieu*. Suivant Mabillon, le pape Eugène III, qui avait célébré la fête de Pâques à Saint-Denis, le 20 avril 1147, serait venu le 21 ou le 22'~ à Montmartre et, assisté de saint Bernard, abbé de Clairvaux, et de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, aurait fait la dédicace de l'église, consacrant la partie orientale, réservée aux sœurs (chœur, transept et dernière travée de la nef), à la Vierge et à saint Denis, et la partie occidentale, servant d'église paroissiale (trois premières travées), à saint Pierre6. Aucun document ancien ne confirme la chose et peut-être Mabillon n'a-t-il fait qu'authentiquer ce qui existait de son temps. En tout cas, le ler juin 1147, le pape revint à Montmartre et consacra « l'autel majeur » (majus altare) aux saints Denis, Rustique et Éleuthère. Par une bulle du 13, il accorda 700 jours d'indulgence aux fidèles qui visiteraient le sanctuaire le jour anniversaire de sa consécration et y feraient des offrandes~.

Mabillon a admis que cette seconde consécration concernait l'autel de la chapelle du Martyrium et Corrozet dit que, de son temps, la

lemy, p. 71. On n'y parle pas de l'abbesse Christine, quoi qu'en dise Guilhermy, p. 39.

i. Arch. nat., L 1030, cart. A, fol. 23 Barthélemy, p. 73, 75, 76. La terre de Saint-Léger était près de Saint-Denis les archives de l'abbaye renferment de nombreux documents sur elle.

2. Copies dans Arch. nat., L 1030, liasse 2 &M; Lasteyrie, 309 Barthélemy, p. 67 Guilhermy, p. 41.

3. Lasteyrie, 328 Barthélémy, p. 84.

4. Les absidioles, l'avant-chœur, le transept et la dernière travée de la nef paraissent de cette époque, la partie la plus ancienne étant peut-être l'absidiole nord cf. Deshoulières, BM/ monum., 1913, p. 11, 13. 5. Sur la date, cf. Trétaigne, p. 40-41.

6. Annales ordinis sancti Benedicti, VI, p. 417 et 701. Sur la question des patrons, cf. Guilhermy, p. 40-41. Mabillon a confondu les deux côtés; mais c'est un lapsus.

7. Lasteyrie, n° 341.


bulle d'Eugène III y était affichée~. Lebeuf a objecté que « majus altare » ne pouvait s'appliquer qu'au maître-autel de l'église abbatiale, la petite chapelle ne devant avoir qu'un seul autel, et Guilhermy juge l'argument « décisif~ ». On peut ajouter que, au xvie siècle et après, la fête de la dédicace de la chapelle se célébrait le 19 avril, non le i~' juin, et que, ne semblant pas avoir été reconstruite vers 1147, elle n'avait pas besoin d'une nouvelle consécration. Mais la chapelle du Martyrium pouvait déjà avoir la crypte qui est signalée au xiv~ siècle (cf. ci-après), et « majus altare » désigne peutêtre l'autel supérieur. On a pu, en 1147, profiter de la présence du pape, pour lui donner une consécration solennelle, puis, avant le xvie siècle, reporter la fête de la dédicace à une date voisine de la fête de Saint-Pierre pour fusionner les deux solennités. Enfin, la solution proposée par Lebeuf rend inexplicable que le pape s'y soit repris à deux fois pour consacrer, dans la même église, d'abord le bâtiment, puis, deux mois après, le maître-autel, alors qu'il est à peu près certain que l'église du xn~ siècle a été commencée par le chœur et qu'elle n'était terminée que jusqu'à la dernière travée de la nef lors de la solennité de 1147~, donc que ce n'est pas le retard des travaux qui a empêché de consacrer le maître-autel la première fois. Par conséquent, tout compte fait, l'opinion de Mabillon paraît la plus plausible. Par une bulle du 7 juin 1147, Eugène III confirma à l'abbesse Christine les biens et privilèges du couvent et ce document est intéressant, car il fournit l'accroissement du temporel de 1137 à 11474. Il reproduit intégralement la donation de Louis VI, sauf qu'il mentionne deux moulins à Clichy, au lieu d'un, et ne parle déjà plus des trois hôtes du marché. En revanche, il ajoute 20 livres de rente données par Louis VII sur le change de Paris à Béthisy, 10 arpents de prés et 40 de terres labourables, avec une chapelle le verger royal de Saint-Léger, avec un étang et un moulin une pierre à poisson, entre la Boucherie et le Châtelet une rente de ooo harengs à prendre à BouIogne-sur-Mer~ la partie de l'impôt sur les chasses royales attribuée à Mathias, en deçà de la Seine (?) à Vitry, la terre qui fut au prêtre Galon à Paris, une maison près du Petit-Pont et une autre près de la Boucherie sur la colline de Savies (Belleville), la vigne de Bouchard, un pressoir et la garde (custodiam) des vignes à

i. Corrozet, édition 1561, fol. 56 v°.

2. Guilhermy, p. 127.

}.Cf.Deshouliëres,~oe.c~p.ii,i6,i9,28.

4. Copie dans Arch. nat., LL 1605 Félibien, III, p. 62 Barthélemy, p. 79.

5. Elle avait été donnée, en 1144, par Mahaut, fille d'Eustache, comte de Boulogne, et première femme d'Étienne, roi d'Angleterre; Guilhermy, p. 37 Barthélémy, p. 3.


Brumille, 15 sous de cens et la justice à Montmartre, la moitié d'une vigne, celles données par Gautier de Boron et la garde des vignes à Pomponne, une terre et 4. sous 2 deniers de cens à Chaumontel (près de Luzarches), une chapelle, la maison de Payen Trencebise et celle de Garsilie le don fait à l'abbesse Christine 1 par son frère Eustache et ses sœurs Cécile et Hildeburge, avec leur homme Gozon et ce qu'il tenait d'eux enfin, 11 arpents de prés, dits « les Marais~ )'. Il est fort difficile d'identifier toutes ces propriétés, plusieurs étant désignées par des lieux dits disparus ou modifiés, d'autres par des villages ayant de nombreux homonymes. Mais les déclarations ultérieures permettront d'en retrouver quelques-unes.

.?s abbesse, Adèle. On ignore la date de la mort de l'abbesse Christine. En 1153, elle était remplacée par une autre, nommée Ada ou Adèle. Cette année-là, c'est-à-dire entre le i~ avril 1153 et le 3 avril 1154, l'année officielle commençant alors à Pâques, Louis VII, avec l'approbation d'Adèle et du Chapitre, modifia les droits de l'abbaye sur les étaux de la maison de Guerry, devant la porte du GrandPont. Il est probable que, dès le xe ou xjs siècle, les bouchers s'étaient installés dans une maison voisine de celle de Guerry et avaient obtenu des statuts fixant sur ce seul emplacement l'exercice de leur commerce. Ces « vieux étaux » apparaissent dans la charte de 1133, et Guillaume de Senlis en reçut un, en échange de son droit de justice (page 151).

On a supposé que les nouveaux étaux, installés dans la maison de Guerry, avaient provoqué un conflit entre les bouchers et l'abbesse de Montmartre, et que le roi y avait mis fin en supprimant les anciennes boucheries, obligeant ainsi les bouchers à louer la maison de Guerry 3. Mais la charte de 1153 ne dit rien de tel. Elle mentionne que la maison de Guerry, en face du Grand-Pont, était le seul endroit où les bouchers avaient jusque-là le droit de vendre leurs viandes mais que, pour la commodité des habitants, le roi a jugé nécessaire d'établir a~M~ d'autres boucheries. En outre, pour élargir des rues, il a dû exproprier une partie de la maison de Guerry et une autre que l'abbaye possédait rue du Petit-Pont. Le couvent tirant de la maison Guerry environ 30 livres par an, tantôt plus, tantôt moins, il lui accordait, à perpétuité, une rente de 30 livres sur le tonlieu des

l. Ce don, fait en 1147, consistait en une rente d'un demi-marc d'argent et de 20 sols, « au poids de Boulogne »; il fut confirmé par Milo, évêque de Thérouanne. La copie du xve siècle le date, par erreur, de 1167 (LL 1605, cartul. B, fol. 2 v°), date reproduite par Barthélemy (p. 10~, 106). 2. Au voisinage de l'égout du nord, jalonné par la rue de Provence actuelle.

3. Barthélemy, Préface, p. 3-4.

4. Droit de place sur les marchés et foires.


bouchers, payable en quatre termes, à Noël, à Pâques, à la SaintJean et à la Saint-Denis

Il semble donc que, si Louis VI avait demandé aux moines de Saint-Martin la maison de Guerry pour la nouvelle abbaye, c'est qu'elle était déjà louée ~ay les bouchers comme annexe de leurs vieux étaux. En 1153, Louis VII, supprimant les privilèges des bouchers et créant de nouvelles boucheries, causait un préjudice à l'abbaye qui participait indirectement à ces privilèges, et c'est pour l'en dédommager, comme de l'expropriation de ses maisons, qu'il transforma en rente perpétuelle son revenu locatif moyen. Quand, en 1162, il rendit aux bouchers leurs privilèges et remit les choses en l'état ancien il ne toucha pas à la rente de l'abbaye, par faveur pour elle. Il est vrai que, en i2io, une charte de Philippe Auguste, qu'on verra plus loin, attribue la fondation de la rente de 30 livres au rétablissement des privilèges des bouchers 3. Il y a là, semble-t-il, une simple inadvertance de la chancellerie royale, qui avait mal relu la charte de 1153.

Veuve, en 1137, de Louis VI, à qui elle avait donné neuf enfants, dont six fils, la reine Adélaïde s'était remariée au connétable Mathieu de Montmorency, dont elle eut encore trois enfants. En 1153, elle obtint de son second mari (qui vécut jusqu'en 1160) l'autorisation de se retirer à Montmartre, où elle prit le voile et mourut l'année suivante 4. Elle fut enterrée devant le maître-autel et sa pierre tombale, transférée au xvii~ siècle dans le bas côté nord, puis dans le chœur des Dames (transept), y a été retrouvée en 1901 par Sauvageot~.

Louis VII était alors en pèlerinage à Compostelle. Dès son retour à Paris, entre le 9 février et le 26 mars 1155, il confirma le don fait par sa mère à l'abbaye du village de Barberie (sept kilomètres nordest de Senlis), avec le droit de justice 6. Vers la même époque, entre le avril 1154 et le 26 mars 1155, l'abbesse Adèle concéda aux marchands de poisson un emplacement (platea), voisin du Grand-Châtelet et de la maison de Guerry, moyennant un cens annuel de 60 sous'. Il avait été donné à l'abbaye par un autre changeur,

i. Lasteyrie, n° 380 Guilhermy, p. 42. On ne sait comment Barthélémy y a vu une confirmation des acquisitions de l'abbaye D (p. 85). 2.Lasteyrie, n°428.

3. Arch. nat., L 1030, g Barthélémy, p. 140.

4. L'opinion qui en fait une abbesse (Chéronnet, p. yi), et même la première, ne repose sur rien et est contraire au simple bon sens. 5. Sellier, CMWox!<M du Vieux-Montmaytre, p. i~i et suiv. reproduction dans BMMe<Mt monacnxental, 1913.

6. Lasteyrie, n" 390 Barthélemy, p. 89. Tous les titres de Barberie sont dans S 4420, 4421 et 4422 terriers S 4487 (1560) et 4488 (l6l8). 7. Original dans Arch. nat., S 4448; Lasteyrie, 384; Barthélemy,


nommé Archer. Entre le 27 mars 1155 et le 14 avril 1156, le roi confirma aux religieuses la possession de ce terrain et de la rente de 30 livres due par les bouchers 1.

La même année, il ajouta à la donation de Barberie les terres que Pierre Le Coq y possédait sans son autorisation 2. L'année suivante, il autorisa l'abbaye à prendre à bail, au même endroit, avec promesse de vente, la terre de Guillaume Normand et confirma la vente d'une vigne faite jadis à l'abbesse Christine par Gautier de Boolim 3. En 1158, il concéda au couvent une seconde charretée de bois mort, à prendre journellement dans le bois de Vincennes, en dehors des fossés des Bons-Hommes de Grandmont 4. En 1159, il confirma la vente faite par Thion de Nanteuil à l'abbesse Adèle, moyennant 120 livres, d'une terre à Billancourt~. En 1160, il rendit à l'abbaye la terre de Pont-la-Reine (ancien Pré-Hilduin), que son frère Philippe, maintenant décédé, avait prise à bail de l'abbesse Adèle En 1165, il confirma la vente faite à l'abbaye par Regnault de Camptembre de la dîme de Buters (Buthiers, deux kilomètres sud de Malesherbes), que lui et son frère Robert avaient déjà baillée au couvent contre 80 livres de rente'. 7.

Le 7 février 1164, le pape Alexandre III confirma les privilèges et biens des Dames de Montmartre. La première partie de sa bulle est la copie textuelle de celle donnée en 1147 par Eugène III, dont elle reproduit l'invocation directe à l'abbesse Christine, morte depuis longtemps. La suite mentionne les acquisitions postérieures, savoir les terres de Barberie, les 30 livres de rente sur le tonlieu des bouchers, les terres achetées par l'abbesse Adèle à Jean de Milly et Barthélemy d'Auvers aux environs de Mainbervillers, Boissy et Merlanval, celles achetées à Philippe de Saint-Yon près de Torfou, enfin l'église construite par l'abbaye à Bourg-la-Reine (ancien Pré-Hilduin). La bulle montre aussi que les religieuses élisaient leur abbesse et leur fait des recommandations à ce sujets.

Entre 1166 et 1187, Gui III de Senlis, bouteiller de France, confirma la donation d'un étal de la Boucherie, faite à l'abbaye par son

p. 87. C'est là que fut élevée plus tard la « Maison de la marchandise du sel » (Des Cilleuls, Mém. de ~s Soc. de l'Hist. de Paris, XXII, p. 25-27). i. Lasteyrie, 391 Barthélemy, p. 90.

2. Barthélemy, p. 91.

3. Arch. nat., L 1030 Barthélemy, p. 92-93.

4. Lasteyrie, 404 Barthélémy, p. 94.

5. Arch. nat., L 1030 Barthélémy, p. 94.

6. Arch. nat., L 1030 Barthélemy, p. 95 et 97, qui donne deux fois le même acte.

7. Arch. nat., L 1030 Barthélemy, p. 104.

8. Arch. nat., LL 1605 Barthélemy, p. 98-103. On a conservé six terriers de Bourg-la-Reine, de 1535 à 1720 S 4491, i à 6.


frère Hugues le Loup 1, à condition que sa nièce Tencia, fille d'Hugues, en touchât le revenu sa vie durant2. Entre mars et novembre 1171, l'évêque de Paris, Maurice de Sully, confirma les dons faits à l'infirmerie du couvent par l'abbesse Ada, qui l'avait fondée et lui avait attribué les 20 sous de cens provenant de la vente d'une maison du Petit-Pont, par Constance, sœur de Louis VII et femme de Raymond VI, comte de Toulouse, qui lui avait assigné io sous 8 deniers de cens assis à Aubervilliers et acquis d'Hugues de Chailly, plus un moulin à Clichy, acquis des religieuses d'Hierres, avec le droit de pêche, à condition que sa nièce, Élisabeth, toucherait, sa vie durant. dix-huit setiers de farine et la moitié du droit de pêche, enfin, par Remode, préchantre de Compiègne, qui, avec ses frères et sœurs, avait donné à la même infirmerie une boutique de boulanger, près de la Porte de Paris~. Entre le 24 mars 117~. et le 12 avril 1175, Louis VII confirma le don fait par Mathilde, châtelaine de Douai, fille de Baudouin de Saulx, de 7 arpents et demi de vignes situés à Savies (Belleville), à la prieure Rissende et à sa sœur, Béatrice, pour en employer les revenus en aumônes, à son intention, leur vie durant. Après leur mort, la propriété appartiendrait au couvent et la sœur qui en serait chargée paierait 20 sous au réfectoire des religieuses le jour de l'obit de Mathilde 4. A la même époque, sous l'abbatial d'Ada, le Temple donna à l'abbaye un moulin situé à Barberie, avec un nommé Guillaume et sa famille, contre une redevance de 10 muids de froment 5.

Malgré l'importance de ces dons, le nombre des religieuses croissait avec une telle rapidité que les revenus du couvent restaient très insuffisants. En conséquence, par une charte donnée entre le 13 avril 1175 et le 3 avril 1176, Louis VII fixa à soixante moniales l'effectif du couvent « de la Glorieuse Vierge Marie, institué sur le Mont-desMartyrs ». Tant que ce nombre ne serait pas atteint, par suite des décès, aucune nouvelle sœur ne pourrait être admise, sinon à l'article de la mort. En 1178, le pape Alexandre III ratifia cette décision~. Cette mesure, dictée par la sagesse, arrêta l'essor de l'abbaye. Coïncidant avec la maladie de Louis VII, l'association au trône de son fils Philippe (i~ novembre 1179), puis la mort du vieux roi, qui

i. Hugo LM~Ms c'est probablement lui qui avait donné son nom à, la rue du Huleu, plus tard du Grand-Hurleur, détruite par la rue de Turbigo. 2. Lasteyrie, 463 Barthélemy, p. 134 (il n'a pu dater).

3. Lasteyrie, 497 Guilhermy, p. 46-47 Barthélémy, p. 107 copie dans S 4440-4441, Ire liasse.

4. Lasteyrie, nOS 522 et 523 Barthélemy, p. 134 (n'a pu dater). 5. Arch. nat., L 1030, cartul. A, fol. 24 Guilhermy, p. 48 Barthélemy (p. 324) a placé cet acte vers 1306

6. Lasteyrie, nos 529 et 553 Barthélemy, p. 109.


avait participé à la fondation du monastère (18 septembre 1180), elle marqua la fin des grandes libéralités, d'où dépendait le nombre des moniales. Sans doute, pendant tout le xiu~ siècle, l'abbaye resta florissante et reçut encore des dons. Mais ceux-ci furent peu de chose par rapport aux largesses de Louis VI, d'Adélaïde et de Louis VII, et l'on peut dire que, vers 1180, le temporel du couvent avait atteint sa plus grande extension.

II. L'ABBAYE AU XIIIe SIÈCLE

abbesse, Élisabeth. L'abbesse Adèle, qui semble avoir administré la communauté pendant au moins vingt-cinq ans 1, était remplacée, en 1179, par l'abbesse Élisabeth2. Cette année-là, c'est-à-dire entre le ier avril 1179 et le 19 avril 1180, elle concéda à Nicolas de Neuilly, moyennant 45 sous de cens, une place voisine de la Porte de Paris, l'autorisant à y construire une maison et à appuyer ses solives sur les poutres séparant les échoppes voisines de la place concédée~. Vers la même époque, Henri, évêque de Senlis, confirma le don, fait par Waleran de Pont et son père, d'un muid de blé sur leur grange de Chamissi (Chamicy, deux kilomètres est de Bray) et d'un arpent de vignes à Taregni (?). Vers 1180 encore, Constance, comtesse de Toulouse, déjà bienfaitrice de l'abbaye (page 158), lui donna, pour la nourriture des sœurs, 25 sous 6 deniers de cens sur une terre sise à Montreuil (Montreuil-sous Bois) 4. En 1181, elle fit don à l'hôpital de Jérusalem d'une somme de 1~5 livres, pour acheter une maison sur le Grand-Pont, à condition de payer, sur les revenus, une rente de 100 sous au chapelain qu'elle établissait dans la chapelle du Martyrium. En II85, le grand maître, Roger des Moulins, ratifia la donation et l'évêque Maurice de Sully concéda à l'abbesse la nomination du chapelain, après la mort de Constance 5.

En 1183, le même évêque confirma les religieuses dans la possession de certaines terres de Barberie, qui leur étaient contestées~. En 1184, l'abbesse Élisabeth concéda, à titre viager, à la comtesse Constance la terre de Chaumontel, que le couvent tenait de Louis VII

i. Et non pendant « près de quarante », comme le dit Guilhermy (p. 50). Sa première mention est, en effet, de 1153 et celle d'Élisabeth de 1179. 2. Guilhermy (p. 51) prétend qu'elle figure dans une charte de 1177. Il est probable qu'il se trompe sur la date de la charte indiquée ici. 3. Lasteyrie, 566; Barthélemy, p. 110. L'original (Arch. nat., K 25, n° 13~) est orné du premier sceau d'abbesse qui nous ait été conservé et que Lasteyrie a reproduit (pl. IV, 17).

4. Barthélemy, p. 112 Arch. nat., L io3o.

5. Guilhermy, p. 51 Barthélemy, p. 123 Arch. nat., L 1030. 6. Barthélemy, p. 115-122 Arch. nat., cartul. B, fol. 8 v°.


en compensation, Constance lui donna le fief Bataille, sis à Montreuil, et 120 livres de rente. Elle fonda à Chaumontel une chapelle dont elle laissa la collation à l'abbesse, après sa mort~. En 1188, Maurice de Sully confirma le don, fait par Payen du Bosc, d'un arpent de vignes situé à Sèvres, contre 8 deniers de cens, et Hugues, abbé de Saint-Denis, donna au couvent 4 arpents et demi de vignes, situés au même lieu, contre 3 sous de cens2. En 1190, Gautier, camérier du roi, donna, pour terminer l'infirmerie, 100 sous de rente sur la Ville. En 1192, Sanceline, sœur de Thibaut le Riche et femme du changeur Ascelin, donna deux maisons dans la rue du Sablon (apud Sabulum) et 5 arpents de vignes à Bagneux, sous réserve d'usufruit pendant sa vie et celle de sa fille Sibylle, religieuse à Montmartre*. En 1193, Ferry de Bronay et sa femme confirmèrent le don de 30 sous de cens sur Gentilly, fait par leur oncle Ferry de Gentilly. En 119~, Jean de Luzarches confirma le don, fait par Pierre de Chaumontel, de différentes terres à Bauvillers (deux kilomètres nordouest de Luzarches)

Par contre, en 1182, Philippe Auguste avait retiré aux religieusesle droit qu'elles avaient sur le bois mort de la forêt de Vincennes et l'avait remplacé par la dîme du village d'Auvers-sur-Oise, ce qui n'était guère à l'avantage du couvent~. Mais les rois tenaient à être les maîtres dans leurs terrains de chasse. En 1236, saint Louis enleva aussi à l'abbaye et aux habitants de Menus leurs droits sur le bois mort et la bruyère de la forêt de Rouvray et donna aux moniales une rente de 10 livres sur la Ville pour acheter leur bois. Deux cents ans plus tard, en 1550, quand Henri II voulut clore de murailles le bois de Boulogne, il retira encore au couvent le droit de justice sur 40 arpents qui en dépendaient et leur donna en échange~ par lettres patentes du 21 septembre, le bois de la Minière (entre Croissy et Roissy-en-Brie) il s'appelle encore aujourd'hui « le bois Montmartre' ». Au XVIIe siècle, un receveur de l'abbaye constatait mélancoliquement que les dîmes d'Auvers rendaient 860 livres, quand

i.GuiIhermy,p.52.

2. Barthélemy, p. 124, 125 Arch. nat., L 1030.

3. Elle longeait le côté nord de l'Hôtel-Dieu, dans la Cité.

4. Arch. nat., L 1030 Guilhermy, p. 53 Barthélémy, p. 126-127. En 1200, le Chapitre de Notre-Dame confirma la cession de 3 quartiers de vignes à Bagneux, faisant partie des 5 arpents et situés sur sa censive Barthélemy, p. 135.

5. Barthélemy, p. 128, 129 Arch. nat., L 1030.

6. Arch. nat., J 731, n° i on y voit un second sceau d'Élisabeth; VieuxMontmartre, IV, p. 87 Barthélemy, p. 113.

7. Arch. nat., S 44.52, Q" et 10~ liasses, avec plans du bois Guilhermy, p. 37-38 Barthélémy, p. 155 Chéronnet, p. 114.


les cotterets de Vincennes auraient donné cinq fois plus, et que le bois de la Minière était si loin de Montmartre que ses bûches y revenaient aussi cher que si elles avaient été achetées au marché de Paris 1.

3'e abbesse, G. L'abbesse Élisabeth était morte en 1195~, car une charte de cette année-là, concernant le don d'une maison, située dans la Cité, entre les ponts, par Galéran Liviautres et sa famille, est rédigée par une abbesse dont l'initiale est G.3. En 1197, Nivelon, frère du bouteiller du roi, et sa femme confirmèrent le don de il arpents de terre arable, au territoire de Rouvray, fait par Pierre de Chauvigny (CsMfMaco, pour Chaverciaco), lors de l'entrée de sa fille à Montmartre. En 1198, Adam Cochon (Porcus), précepteur de Louis, fils du roi, mit fin à une contestation concernant des terres de Barberie, moyennant paiement par l'abbaye d'une somme de 30 livres. En 1202, Geoffroy, évêque de Senlis, confirma le don, fait par Pierre de Choiseul et sa femme, de 10 arpents de terre à Barberie et Balagny (deux kilomètres ouest de Barberie). La même année, Eude, évêque de Paris, confirma l'abandon, fait par Pierre et Robert de Béthisy, de 23 sous 3 deniers de cens que leur devait le couvent. En 1206, Philippe Auguste confirma le don de 20 sous de rente fait par Guy de Danemois à l'occasion de l'entrée de sa fille à Montmartre. La même année, le maire et les jurés de Compiègne garantirent à l'abbesse G. et à ses sœurs le bail d'une terre fait par elles, moyennant livres 15 sous de cens, à Mathieu, fils de Grimard 4.

En novembre 1206, le roi confirma le don, fait par le boucher Nicolas, d'une voûte (échoppe sous la voûte) du Grand-Châtelet. Les religieuses payèrent à Nicolas 60 livres parisis, dont Gautier le jeune, camérier du roi, leur fournit ~.o, à condition que le tiers des revenus de l'échoppe servirait à acheter des vêtements, sa vie durant, à Isabelle, fille de son ami Robert de Milly, religieuse à Montmartre, et un autre tiers à Agnès d'Espies, nièce de l'abbesse5.

C'est probablement sous l'abbesse G., à l'extrême fin du xns siècle ou au début du xiii~, que l'abside de l'église fut refaite 6.

l. Arch. nat., note du carton L 1030.

2. La liste des abbesses de la Gallia Christiana (VII, col. 614 et suiv. reproduite par Barthélémy, p. 30-34) dit qu'elle obtint une bulle d'Innocent III en 1199. On ne l'a pas retrouvée, et la chose est peu croyable, puisque l'abbesse G. est citée en 1195 et en 1206.

3. Arch. nat., L 1030, cartul. A, fol. 18 Barthélemy, p. 130. 4. Arch. nat., L 1030; Barthélemy, p. 131, 132, 137, 138, 139, 140. Tous les titres de la rente de Compiègne sont dans S 4419.

5. Arch. nat., L 1030, cartul. A, no n Guilhermy, p. 53 Barthélemy, p. 141 à 143.

6. Deshoulières, loc. cit., p. 13.


fie abbesse, -Ë~MM. En 1207, dans une charte concernant la chapelle Sainte-Lucie à Béthisy, apparaît une nouvelle abbesse, dont l'initiale est E. et dont le nom, Édeline, est donné en toutes lettres dans une autre charte de 12091. Dans celle-ci, elle explique que, avec l'argent qu'une nièce lui a envoyé de Constantinople, elle a constitué 7 livres de rente, gagées sur la maison de Nicolas le Boucher, près du marché au poisson, et qu'elle en a concédé livres à sa nièce Berthe et 3 à sa nièce Agnès, leur vie durant, la rente devant ensuite faire retour au vestiaire de l'abbaye. En 1210, Philippe Auguste mit fin à un conflit qui s'était élevé entre les bouchers et l'abbaye au sujet de la rente de 30 livres due à celle-ci. Il semble que, depuis le rétablissement, en 1162, du privilège des bouchers (page 156), on avait augmenté le nombre des étaux de la maison Guerry, en les portant à vingt-trois en outre, l'abbaye avait reçu en dons deux des « vieux étaux ». Elle jugeait dès lors insuffisante la rente fixée en 1153 et réclamait une augmentation, que les bouchers refusaient. Le roi lui donna satisfaction en portant la rente à 50 livres 2. Plus tard, en 1392, la rente fut portée à 60 livres 17 sols 6 deniers, puis, au xvIIIe siècle, à 77 livres. En 1790, elle était encore de 77 livres 13 sous. En juillet 1212, l'abbesse signa un compromis avec les chanoines de Saint-Merry au sujet d'une vigne à Savies (Belleville)~. En 1213, Jean, abbé de Sainte-Geneviève, confirma le don d'une maison rue du Sablon, contre 6 deniers de cens, et le don de 20 sous de rente, fait par le chevalier Guillaume de Buc. En 1215, le maire et les jurés de Compiègne reconnurent devoir à l'abbaye 10 livres de cens, pour ses terres situées entre l'Oise et la forêt~.

y~ abbesse, Hélissende. En juin 1216, une nouvelle abbesse, Hélissende, signa de son sceau un accord avec les chanoines de SaintVictor, au sujet des droits de voirie que Louis VII leur avait donnés à Boissy-le-Repos, où les moniales avaient des biens elle leur céda en indemnité 3 muids de blé et 20 sous de rente sur la ferme de Mainbervilliers~. En juillet 1221, elle concéda un arpent de marais au jar-

i. Arch. nat., LL 1605, cartul. B, fol. II v° et 15 v°, et S 44.61, 3~ liasse; Barthélémy, p. 143, 145. Ni l'abbesse G. ni Édeline ne figurent sur la liste de la Gallia Christiana. L'abbé Corbierre donne à la seconde l'initiale T t~MM~-AfoM~tK~f~s, VI, p. 155.

2. Arch. nat., L 1030, 9 Barthélémy, p. 140. Sur l'erreur commise dans les considérants, cf. ci-dessus, p. 156.

3. M~Mt. Soc. de l'Hist. de Paris, XVIII, p. 128.

4. Arch. nat., L 1030 Barthélémy, p. 148, 149.

5. Original dans Arch. nat., S 2102, 48 Barthélemy, p. 150 à 154 !~t6M~-A~OK<t)!s~fe, IV, p. 88 VI, p. 155. Les titres concernant ces terres sont dans Arch. nat., S 4453.


dinier Pierre, contre 12 deniers de cens 1. En octobre 1226, elle fit bail à cens d'une maison rue Saint-Martin 2.

En mars 1232, elle accorda 3 sous à chaque religieuse pour une paire de bottes fourrées, destinée aux offices de nuit elle affecta à cette dépense 9 livres (ou 180 sous) sur une rente de 10 livres, produite par une grange des Marais, dont l'autre livre était déjà affectée à l'infirmerie du couvent. On voit donc que, à raison de 3 sous par paire de bottes, les sœurs devaient être soixante, nombre fixé par la charte deiiyg (page 158), et c'est sans doute la réduction à ce chiffre qui permettait à l'abbesse ces dépenses de luxe. Par la même charte, elle affecta 30 sous sur le cens de la maison de Floria, acquise de ses deniers dans le bourg Saint-Martin-des-Champs, pour augmenter le menu des sœurs le jour de son anniversaire~. Guilhermy dit que, un peu plus tard, elle donna 2 sous à chaque religieuse pour une paire de socques, affectant à cette dépense 6 livres de cens sur une terre de Barberie, ce qui confirme l'effectif du couvent4.

En février 1236, l'Official de Paris confirma la vente à l'abbaye par Guillaume de Montfort, prêtre, son frère Philippe, vitrier, et Agnès, femme du second, moyennant 63 livres, d'une maison de la rue de la Ferronnerie (.F~OMMaMa:), au bourg des Champeaux (les Halles), voisine de la maison de Richard de Mauregard, qui se porta garant du traité, avec sa femme et ses enfants 5. La maison, située dans la censive du roi, devait 18 deniers de cens et 10 sous de « croît de cens6 ». En mai 1236, une transaction intervint entre les Dames de Montmartre, propriétaires des dîmes d'Auvers-sur-Oise, et l'abbaye Saint-Vincent de Senlis, propriétaire de la cure, qui réclamait la dîme des « novales » (terres nouvellement défrichées). Celle-ci abandonna ses prétentions contre un versement de 30 livres et, le dimanche après la Pentecôte, Robert, abbé de Saint-Vincent, confirma l'accord, se soumettant à une amende de 20 livres en cas d'infraction'.

En juin 1237, l'Official confirma la vente, par Roger Chrétien, sa femme et son frère, moyennant 6 livres, de 12 sous de croît de cens sur deux maisons situées à Montmartre, dans la censive des Dames. En juillet suivant, Geneviève, fille de Baudoin des Champs, donna à

i. Arch. nat., L 1030, 4e liasse.

2. Arch. nat., S 446]:, ioe liasse, fol. 54 vo, 55 ro.

3. Arch. nat., L 1030 Guilhermy, p. 54 Barthélemy, p. 159. 4. Guilhermy, p. 54.

5. Arch. nat., L 1030, cartul. A, fol. 21 ro Barthélemy (p. 163) date, par erreur, de 1237.

6. Droit d'augmentation de la valeur des terres.

7. Arch. nat., LL 1605 Barthélemy, p. 161, i62.


l'abbaye, après son décès, 2~ sous de « croît de cens i) sur la moitié d'une maison du Grand-Pont 1. En juillet 1238, Pierre et Jean Choisel, chevaliers, au nom des enfants mineurs de Philippe de Mote, chevalier, donnèrent à l'abbaye une grange à Béthisy, près de l'église Sainte-Lucie, et les terres en dépendant, que Guy de Béthisy, oncle des enfants, tenait à ferme de l'abbaye, plus deux arpents, appelés « la Vigne o, au lieu dit le Clos-1'Ëvêque~.

abbesse, Pétronille. En avril 1239, on possède deux chartes, données par une nouvelle abbesse, appelée Pétronille. Elle expose dans la première que Bernard de Limoges et Adeline, sa femme, ont donné à leurs filles, Isabelle et Adeline, religieuses à Montmartre, une maison de la rue Charauri 4, pour en toucher les revenus, leur vie durant après leur mort, ces revenus reviendraient au vestiaire du couvent. Le seigneur de la censive n'ayant pas permis de tenir l'im-

meuble en mainmorte, l'abbesse précédente l'avait vendu pour 100 livres, et Pétronille avait convenu avec les filles de Bernard que cet argent servirait à la réparation d'un four appartenant au couvent « dans la grande rue de la Hanterie ». Sur les revenus de ce four, 7 livres seraient versées, leur vie durant, aux deux moniales et 20 sous à l'église pour son entretien après la mort des deux sœurs, les 7 livres de rente reviendraient au vestiaire du couvent.

Dans la seconde charte du même mois, l'abbesse explique qu'elle a donné à Ermesende Campanie, religieuse à Montmartre, 40 sous de rente sur les revenus du four que le couvent possède « dans la grande rue appelée la Hanterie x. Après son décès, 2~ sous iront à Adeline de Sévère, autre moniale, et 15 au réfectoire de l'abbaye le jour anniversaire d'Isabelle de Chauvigny. Enfin, après la mort d'Adeline, sa part ira aussi au réfectoire, le jour anniversaire de Pierre de Chauvigny, père d'Isabelle, qui, on l'a vu (page 161), avait fait un don au couvent s.

La rue de la Hanterie, dite plus tard de la Tabletterie et de la Cordonnerie, était, à la fin du xni" siècle, le prolongement occidental de la rue de la Heaumerie, de l'autre côté de la rue Saint-Denisg.

i. Arch. nat., L 1030, cartul. A, fol. 23 et 22 Barthélemy, p. 16~ t65.

2. Arch. nat., L 1030; Barthélemy, p. 166.

3. Arch. nat., L 1030, liasse; Barthélemy a donné l'acte deux fois, d'après l'original (p. i6y) et d'après une copie, faussement datée de 1230 (p. 157), sans s'apercevoir du double emploi.

4. Dans la Cité, en face de l'hôtel des Ursins elle prit plus tard le nom de rue de Perpignan, à cause d'un jeu de paume.

5. Arch. nat., L 1030, liasse Barthélemy, p. 169.

6. Jaillot, -fjfje Quartier, p. 51.


L'acte de 1239 prouve que, à cette époque, le nom de la Hanterie s'étendait au côté oriental, car c'est de ce côté, devenu plus tard rue de la Heaumerie, qu'était situé le four en question. En effet, en mai 12~.7, l'abbesse Agnès constitue à la sœur Marie de la Porte une rente de 22 sous sur le four de la rue de la Heaumerie 1. Le plus ancien bail connu de la maison, où les Dames tenaient leur justice, date de juillet 129~ et, rédigé en français, dit que Guillaume Beauvais, armurier, et Isabelle, sa femme, louent, moyennant 17 livres parisis de cens et rente, une maison « assise en la rue de la Hyaumerie, tenant, d'une part, à la méson Osanne, dite de la Rosière, et, d'aultre part, à la méson Marie Damblainville et à la ruelle des dictes religieuses du four, et par devant à la rue de la Hyaumerie et par der~Mfg au manoir du four qui est aux dictes religieuses )).

On peut se demander, en passant, la signification du mot « la Hanterie », dont on n'a rencontré aucune explication. Peut-être est-il une déformation de Hansterie, séjour des Aaws~M~, fabricants de hanstes ou lances 3. On inclinerait plutôt à croire qu'il est une forme primitive de Ganterie, « gant )) venant d'un germanique Wante (bas latin Wantus), qui a donné, en allemand et en anglais, hand, main4. La rue de la Heaumerie, orientée comme la rue de Rivoli, qui l'a absorbée, présentait du côté nord plusieurs impasses. C'est la plus à l'ouest, voisine de la rue Saint-Denis, qui donnait accès au four, puis au For-aux-Dames, lequel était donc situé à l'emplacement des magasins de Pygmalion. Cette dernière dénomination, mot savant, forgé par les scribes et mal compris du populaire, n'apparaîtra que dans les dernières années du xve siècle s.

Dans une troisième charte, d'août 1239, munie de son sceau6, l'abbesse Pétronille expose que Raoul de Bouvenelle et sa femme avaient donné au couvent 20 sous de rente sur une grange des Marais' l'ayant vendue à Hémery d'Orléans, ils rachetaient la rente pour 11 livres, dont elle leur donnait quittance. En avril 12~.0, elle vendit à Pierre de Bouvenelle, pour 50 sous, une rente de 5 sous gagée sur la même fermer En novembre 12~ Guillaume de Jouy, seigneur de Trésent, reconnut le droit de justice et de pêche que possédait l'abbaye sur les marais de Trésent (formés par l'Essonnes,

!.Arch.nat.,S446i,5~~sse,foJ.22r".

2. Arch. nat., S 4445, 4e liasse baux de 1295 à 1712.

3. Godefroy, Dictionnaire, v° hanstier.

4. On sait que Gillot cite, vers 1305-1310, une rue de la Ganterie, que ni Mareuse (p. 53) ni Bournon (Additions à Lebeuf, p. 416) n'ont pu identifier. 5. Voir chapitre 11, le For-aux-Dames.

6. Arch. nat., M 575 et L 1030, 4e liasse Barthélémy, p. 171. 7. Cf. ci-dessus, p. 155, note 2.

8. Arch. nat., L 1030 BarthéJemy, p. 172.


au sud de Malesherbes) et lui racheta le droit de pêche pour 60 sous de rente, à payer dans la maison d'HerbauviUiers~. En décembre i24g, l'Official enregistra les déclarations faites par Jean de Suresnes, Louis de Passy et autres, pour des cens dus à l'abbaye sur des terres situées entre Auteuil et Billancourt".

abbesse, Agnès. Comme l'indiquent les listes de la Gallia Christiana3 et du Monasticon Benedictinum4, la seconde antérieure à l'autre et ayant peut-être utilisé des documents aujourd'hui perdus, Agnès est citée dans une charte de mai 1247, par laquelle, ayant reçu 14 livres pour la sœur Marie de la Porte, léguées par son oncle Jean, elle lui constituait 22 sous de rente sur le four de la rue de la Heaumerie5. Elle aurait obtenu d'Innocent IV, en 1254, une bulle concernant la réception des religieuses.

En mai 1248, Pierre Apostole déclara une rente de 10 sous, léguée par sa mère à l'abbaye, sur une maison touchant le cimetière SaintLa.ndrv et qu'il avait transférée sur une autre de la rue Charauri. En février 1254, Aalis la Gaufrère (veuve de Gaufrer) donna une maison à Montmartre, sous réserve d'usufruit

? f~ abbesse, Émeline. Elle serait citée en 1260~. En février 1261, Simon et Jean d'Auxerre déclarèrent une rente de 40 sous, donnée par leur père à leur sœur Marguerite, religieuse à Montmartre, et transférée par eux au vestiaire du couvent, rente gagée sur une maison de la rue du MoM~M-jP~~M~.

f fe abbesse, Hélissende. Elle serait citée entre 1260 et 1270°. En mai 1264, Pierre Trochart, chevalier, donna plusieurs cens et rentes sur des propriétés situées à Barberie

f~s abbesse, Mahaut de Fresnoy. Elle serait citée en 1270 et serait morte en janvier 1280 on l'enterra devant l'autel".

t. Arch. nat., L 1030; Barthélemy, p. 173.

2. Arch. nat., L 1030 Barthélemy, p. 173, 176.

3. VII, col. 614 Barthélemy, p. 31.

4. Bibl. nat., ms. lat. 12685, fol. 290 Barthélemy, p. 36.

3. Arch. nat., S 4461, 5e liasse, fol. 22 r°.

6. Barthélemy, p. 177, 178.

7. Sur les deux listes, Barthélemy, p. 31, 36.

8. Arch. nat., cartul. B, fol. 16 et 23 Barthélemy, p. 179. Il s'agit certa.inement de la rue des Prouvaires.

9. Liste de la Gallia, Barthélémy, p. 31.

10. Arch. nat., LL 1605, cartul. B, fol. 12 v° Barthélemy, p. 181. n. Les deux listes, Barthélemy, p. 31, 36. Sa pierre tombale, en assez bon ètat, est conservée dans l'absidiole sud.


fj~ abbesse, Alips ou Alix. Elle serait citée en 1280 et serait morte le premier jour de carême 128~. En 1281, elle donna quittance à l'Hôtel-Dieu de 100 sols, pour cinq années de cens sur la ferme que l'hôpital possédait au marais du Cordonnier2. La liste du Monasticon l'appelle « Alips de Don o. Cependant, en avril 1282, Lambert Le Clerc et Valde Le Pescheur déclarèrent le bail du moulin et écluse de Clichy, à eux fait le mois précédent, pour six ans, moyennant 25 muids de blé, par '< Alix de Noé n, humble abbesse de Montmartre, et les sœurs De 1265 à -1284, une religieuse de l'abbaye, Émeline Reine, acquit quatre rentes sur des maisons de Paris4. En avril 1282, Raoul de Tircis, prêtre, déclara une maison rue SaintMartin et, en 1285, Pierre de Queux en déclara une autre rue des Petits-Champs (Saint-Martin), dans la censive du couvent5. ~s abbesse, Adeline ~MCtKy. Elle aurait fait, en 1285, une déclaration des biens de l'abbaye~. En 1290, Jean Paon et sa femme vendirent, pour 35 livres, à Pétronille Dasche, religieuse à Montmartre, 60 sous de cens et rente sur une pierre à poisson voisine du Châtelet, la rente devant ensuite faire retour au vestiaire du couvent'.

En 129~, le mercredi après la Saint-Martin d'hiver (fêtée le 11 novembre), l'abbesse renonça, moyennant 20 livres, à tous droits de cens sur deux maisons joignantes de la rue Neuve-Saint-Merri, données par Jacques de Forrives, matriculaire de Saint-Merry, à la congrégation de femmes veuves établies « vers la porte du Temple D. Il s'agit certainement des Bonnes Femmes de Sainte-Avoie, fondées en 1283 par Jean Sequence, chevecier de Saint-Merry, dans la rue du Temple, la porte du même nom venant d'être ouverte depuis peu (vers 1285) dans l'enceinte de Philippe Auguste, entre la rue Rambuteau et le passage Sainte-Avoie actuels 9.

7~e abbesse, Philippe. L'abbesse Adeline mourut en 1299 ou

i. Les deux listes, Barthélemy, p. 31, 36.

2. Barthélémy, p. 183. La ferme se trouvait au coin ouest de la rue de la Chaussée-d'Antin et de la place de la Trinité Atlas de SatK~-O~o~MKe, feuille XVI.

3. Arch. nat., S 4440-4441, Ire liasse.

4. Arch. nat., S 4429, Ire liasse.

j. Barthélemy, p. 184, 186 cf. le paragraphe du For-aux-Dames. 6. Les deux listes, Barthélemy, p. 31, 36, qui imprime Aucilly. 7. Arch. nat., S 4448, 4e liasse Barthélemy, p. 187.

8. Arch. nat., LL 1605, cartul. B, fol. 14 v°; Barthélemy, p. 311 Guilhermy, p. 56.

9. Legrand, Mém. de ~s Soc. de l'Hist. de Paris, XX, p. 335.


1300, mais fut remplacée dès 1299, au dire des auteurs de la Gallia, par une abbesse, Philippe, de la famille de Clérambault, dont on ne connaît que le nom 1.

~.f temporel. Si l'on résume les données précédentes sur le temporel de l'abbaye à la fin du xni~ siècle, resté à peu près tel qu'il était à la fin du XIIe, on voit qu'il comprenait 1° des biens parisiens 2° des biens ruraux.

Les biens parisiens comprenaient eux-mêmes

a) Le territoire de Montmartre, où l'abbaye possédait tous les droits, jusqu'à la haute justice. Il était à peu près limité au nord, par les rues Custine, Francœur, Marcadet et Carpeaux à l'ouest, par les rues Ganneron, Cavallotti, Forest et Blanche au sud, par une ligne irrégulière passant par les rues Saint-Lazare, La Rochefoucauld, La Bruyère, Notre-Dame-de-Lorette, Lamartine et Bleue à l'est, par les rues du Faubourg-Poissonnière, Christiani et de Clignancourt. Il était donc constitué par la butte proprement dite et par une annexe méridionale, faite de terres labourables, dont la partie voisine des Porcherons était peut-être l'ancienne « culture Morel » (page 149), dite plus tard la « culture des Dames x. b) Des terres en « marais », dont l'abbaye avait la dîme, situées dans la région comprise entre le faubourg Poissonnière, les rues Lamartine, Saint-Lazare, de la Chaussée-d'Antin et la ligne des boulevards, terres qu'elle semble avoir portées, entre le XIIIe et le xvie siècle, d'une dizaine d'arpents à une soixantaine ou davantage2. c) Le territoire dépendant de l'ancien four royal de la rue de la Heaumerie (page 164), où l'abbaye avait les mêmes droits qu'à Montmartre. Au xns siècle, le four, comme le moulin, était un attribut de seigneurie. Il impliquait une banalité, dont les feudataires devaient lui apporter leur farine pour la faire cuire, moyennant un droit, qui entraînait tous les autres attachés à la terre justice, tonlieu, cens, champart, lods et ventes, etc. En donnant le four, Louis VI donnait les droits, ou, comme on disait alors, les coutumes (page 150). La juridiction du four de la Hanterie, puis de la Heaumerie, s'étendait sur un territoire dont il semble que, dès le xn~ siècle, l'abbaye n'avait recueilli que des lambeaux, peut-être à cause d'autres fiefs concédés par Louis VI ou ses prédécesseurs.

Ces lambeaux comprenaient la maison de Guerry, devant le Châtelet un pâté de trois maisons au coin des rues de la Heaumerie et Saint-Denis six maisons du côté nord de la rue Neuve-Saint-

i. Barthélemy, p. 31.

2. Voir le paragraphe /s Tour-des-Dames. 3. Flach, Origines, I, p. 327 et suiv.


Merry une trentaine de maisons du côté oriental de la rue SaintMartin, depuis la rue des Ménétriers au sud (emplacement de la rue Rambuteau) jusqu'un peu au delà de l'impasse de Clairvaux, y comprises la cour du Maure et la rue des Petits-Champs-Saint-Martin (rue Brantôme) enfin, une soixantaine de maisons dans l'îlot sis entre la rue de l'Arbre-Sec (côté est), la rue du Château-Fêtu, ou Saint-Honoré (côté sud), et la rue Tirechappe (côté ouest, emplacement de la rue du Pont-Neuf) au total, une centaine d'immeubles~. 1.

Des propriétés, cens ou rentes dans d'autres quartiers de Paris, par suite de donations une échoppe sous la voûte du Châtelet et des pierres à poisson dans le voisinage, des rentes sur le Grand-Pont, rues du Sablon et Charauri dans la Cité, rue de la Ferronnerie, près des Halles.

La rente sur le tonlieu des bouchers et quelques rentes sur le domaine du roi ou de la ville.

Les biens ruraux pouvaient se partager en quatre groupes, correspondant aux quatre points cardinaux.

a) Au groupe nord, le plus important, appartenaient les biens situés à Auvers-sur-Oise, Chaumontel (près Luzarches), Barberie et environs, Béthisy-Saint-Pierre et Compiègne.

b) Le groupe ouest comprenait les terres de Clichy, Sèvres, Auteuil, Billancourt, Menus et Rouvray.

c) Dans le groupe sud étaient placés les biens de Bourg-la-Reine, Vitry, Gentilly, Torfou, Melun et ceux réunis autour de Boissy-leRepos, à l'est de Malesherbes.

Enfin, le groupe est, le plus mince, était formé par les propriétés de La Chapelle, Bercy, Montreuil, Bagneux, Belleville et Aubervilliers2. Il se grossit plus tard des propriétés de Roissy-en-Brie et de Collégien.

On verra plus loin les vicissitudes de ce temporel jusqu'à la Révolution.

III. L'ABBAYE AU XIVe SIÈCLE

abbesse, ~4~a Mincy. Suivant les listes déjà citées, cette nouvelle abbesse apparaît en 130~ En effet, elle enregistra cette année-là le don fait par Jeanne, veuve de Simon le Fruitier, à Jeanne Desgranges, religieuse à Montmartre, d'une rente de ~o sous sur une

l. Voir le paragraphe du For-aux-Dames.

2. Les baux et déclarations concernant Clichy et La Chapelle sont dans Arch. nat., S 4423 et 4424.

Barthélemy, p. 31, 37.


maison de la rue des Petits-Champs-Saint-Martin Elle était peutêtre déjà en fonctions, quand, en 130~, la chapelle du Martyrium, dite des SŒ!M<ï-MN;~y~, subit un accroissement notable. On a vu (page 159) que, en 1181, Constance, comtesse de Toulouse et de Saint-Gilles, avait fondé une première chapellenie, dotée de 100 sous de rente. Mais, après 120 ans, ce revenu était devenu tout à fait insuffisant. Hermer de Montmartre, écuyer du roi, et sa femme, Catherine, y ajoutèrent une rente de 6 livres, sur une rente de 16 que le roi leur avait donnée. Leurs moyens ne leur permettant pas de fonder une seconde chapellenie, comme ils en avaient l'intention, ils s'adressèrent au roi Philippe le Bel, qui, en octobre 130~ leur donna une rente de 20 livres, à affecter à la fondation. Hermer et sa femme s'engagèrent à construire une maison pour les deux chapelains, et une autre à côté pour eux-mêmes et leur famille, si bon leur semblait, celle-ci devant, plus tard, faire retour à l'abbaye. Ils échangèrent avec les religieuses une pièce de vignes, dite la Cay~ touchant la cuisine du couvent, contre une autre, dite la Goechière, située derrière la chapelle, et ajoutèrent celle-ci à leur donation. En 1305, le vendredi après la Saint-Denis, Guillaume Beaufet, évêque de Paris, confirma la fondation et, en 1306, le mardi après le dimanche de Quasimodo (12 avril), l'abbesse Ada de Mincy fit de même, se réservant de nommer les chapelains sur la présentation d'Hermer et de ses descendants, ou de les choisir elle-même, à défaut de candidats se réservant aussi, après la mort du dernier descendant d'Hermer, de disposer des deux maisons construites par eux, si l'abbaye en avait besoin, pour une cause quelconque, notamment pour y e~Mt~ un prieuré, quitte à donner aux deux chapelains une autre maison voisine de leur cure~.

En 1317, le mardi après l'Ascension, l'Official confirma le legs, fait par Jeanne, veuve de Garnier de Saint-Cloud, à ses deux filles, Édeline et Eule, religieuses à Montmartre, de 10 livres de rente. Après leur mort, 2 livres iraient à l'abbaye, pour son vestiaire, et 8 à Gautier, moine de Gournay, et à Marguerite, moniale d'Yerres3. ~s abbesse, Jeanne de Repenti. L'abbesse mourut en 1317, le jour de la Saint-Cosme (27 septembre), et fut remplacée par Jeanne de Repenti, citée la même année~. En juin 1317, en effet, elle fit bail de la maison du Four-aux-Dames, rue de la Heaumerie, à Étienne le

i. Arch. nat., S 4461, 12~ liasse, fol. 62 v°.

2. Arch. nat., L 1030, j" liasse, et LL 1605 Guilhermy, p. 128-129 Barthélemy, p.313 à 324.

3. Barthélémy, p. 326 Arch. nat., LL 1605.

4. Barthélémy, p. 31, 37. La pierre tombale de « Ade de Minci est dans l'absidiole méridionale.


Haubergier et Hyacinthe, sa femme, moyennant 100 livres, plus une rente de 10 livres 10 sols 1.

En 1308, à la suite d'un pèlerinage du roi Philippe IV et de quelques habitants de Menus à Notre-Dame-de-Boulogne-sur-Mer, célèbre par ses miracles, une confrérie s'était formée dans ce village sous son invocation. En février 1319, le roi Philippe V autorisa les confrères à élever une chapelle à cette Vierge, et, en 1320, le dimanche après l'Ascension, l'abbesse de Montmartre, seigneur du lieu, leur céda cinq arpents dans ce but2. Les pèlerins affluèrent et le nom de Boulogne remplaça bientôt ceux de Menus et de Rouvray. 7< abbesse, Jeanne de t~eM~OM~ Nommée en 1328~, elle céda, en 1330, la dîme de 9 arpents au lieu dit « les Marais )' à la grande Confrérie de la Madeleine, en la Cité, contre 36 sous de cens~. En 1332, le dimanche après la Purification, soit le 8 février~, elle autorisa les gouverneurs de la Confrérie de Saint-Julien-des-Ménétriers à fonder une chapelle à la place d'une maison leur appartenant rue Palée (aujourd'hui cour du Maure), au coin de la rue Saint-Martin, et amortit le terrain, moyennant 8 livres payables pendant six ans, une rente de 5 livres et la réserve de ses droits de cens et de justice. En 1344, elle loua, pour 10 livres de rente, la voûte sous le Châtelet à Jean Champdavoine et à sa femme En 1345, elle passa un accord avec les maîtres de la Confrérie de Notre-Dame-de-Boulogne au sujet des droits sur les terres à eux cédées

En juin 1346, le mardi après la Saint-Barnabé, soit le 13~, elle trancha un différend qui s'était élevé, à propos de leur logement, entre les deux chapelains de la chapelle des Martyrs, Jean du Chemin, de la première fondation, et Guillaume le Boutonnier, de la seconde. Elle décida que la partie nord de la maison, touchant la chapelle, et le premier étage du colombier seraient au premier chapelain, que la partie sud, vers Paris, et le rez-de-chaussée du colombier seraient au second, la cour, la cuisine et la porte d'entrée demeu-

i. Arch. nat., S 4445, 4e liasse Chéronnet, p. 74, qui date l'acte, par erreur, de 1319. En 136]:, le petit-fils des précédents transféra le bail à Étienne le Bourguignon, maître armurier I bid., p. 80 cf. le paragraphe du FortfM~-DaitMM.

2. Guilhermy, p. 57.

3. Barthélemy, p. 31, 37.

4. Chéronnet, p. 76.

5. Arch. nat., S 4461, I2e liasse, fol. 64 Guilhermy (p. 58, 59) metl'acte en octobre 1330. La Purification se fête le 2 février, qui, en 1332, tomba un lundi.

6. Arch. nat., LL 1605 Barthélemy, p. 190.

y. Barthélémy, p. 192.

8. En 1346, la Saint-Barnabé, qui se fête le 11 juin, tomba un dimanche.


rant communes. Le jardin serait partagé comme la maison, la partie nord, le long de la chapelle, étant au premier chapelain et la partie sud à l'autre

La chapelle de 1304 comprenait une nef à hauteur du sol, régulièrement orientée et longue de 9 toises, avec une crypte au-dessous, chacune ayant leur autel. Après la fondation d'Hermer (page 170), une seconde nef avait été construite au-dessus de la première. L'usage s'établit que les deux premiers autels fussent desservis par le chapelain titulaire de la première fondation et celui de la chapelle supérieure par l'autre. Les orfèvres et affineurs de Paris avaient fondé une Confrérie, dite des Saints-Martyrs, qu'ils prétendaient remonter à 1202, bien avant leur formation en corps de métier (1330). Ils faisaient dire tous les dimanches une messe basse dans la chapelle inférieure et une grand'messe le 19 avril, anniversaire de la dédicace, puis le 22, lendemain de la Saint-Denise

Le 19 janvier 1348, Jeanne de Vallengoujart donna reçu de 32 livres 10 sols à Geoffroy le Flamand, receveur général des dettes des Lombards3. On en aurait encore mention en 1356, d'après la liste du MoM<M<tcoM' Cependant, les registres de la Chambre des Comptes signalent, dès 1354, une autre abbesse, Jeanne de Mortéri, qui était certainement en fonctions en 1358.

~')B abbesse, Jeanne de Mortéri. Au milieu du xiv" siècle, les troubles qui ensanglantèrent la capitale et ses environs sévirent certainement à Montmartre, qui était, pour les assaillants, un point d'appui et un poste d'observation. Privées de toute défense, les religieuses durent plus d'une fois se réfugier dans leurs maisons ou dans d'autres couvents de Paris et virent leurs propriétés mises au pillage. En mars 1361. l'antipape Clément VII pria l'abbé de Sainte-Geneviève d'intervenir pour faire rendre leurs biens aux religieuses, sous menace de la censure ecclésiastique pour les détenteurs illégaux. En juin 1364, Charles V accorda à l'abbaye des lettres de sauvegarde, probablement bien impuissantes. En 1365, Urbain V et, en 1373, Grégoire VI excommunièrent les spoliateurs5. La répétition de ces mesures prouve leur inanité et montre que le règne de Charles V ne parvint pas à réparer les malheurs que celui de son père avait provoqués et que celui de son fils empira~.

i. Arch. nat., L 1030, 5e liasse; Barthélemy, p. 193-193, d'après l'original Guilhermy, p. 130, d'âpres Du Breul, qui n'est pas tout a fait exact. 2. Registre de la confrérie, Arch. nat., KK 1345.

3. Barthélemy, p. 195 Bibl. nat., coll. Gaignières, 251, fol. 273. 4. Barthélemy, p. 37.

5. Chéronnet, p. 79, 8o Barthélemy, p. 7, 196.

6. Barthélemy, p. 197.


Rares sont les actes de cette époque. Le 23 juin 1362, le garde de la prévôté enregistra la déclaration de Jean Pépin, « escrinier )),~et de sa femme, locataires de la voûte du Châtelet appartenant à l'abbaye, moyennant une rente de 12 livres. Le 20 octobre 1372, Charles de Navarre, comte d'Évreux, ordonna à son trésorier de faire payer aux religieuses les rentes qu'elles avaient sur des moulins de Pacysur-Eure~. Les deux listes d'abbesses disent que le dernier acte de Jeanne de Mortéri est de 1371, et Chéronnet, qu'elle est morte en 1373~. Cependant, le 19 novembre 1376, devant le notaire Boyleau, cinq bourgeois de Paris déclarèrent le bail à eux fait par l'abbaye de 7 arpents de vignes, au lieu dit les Saccalis, moyennant 12 septiers de vin par arpent, et le nom de Jeanne de Mortéri y figure en toutes lettres 3.

20 et 2~ s e abbesses, Isabelle de Rieux et Rothberge de Nantilly. Elle dut être remplacée en 1376 par Isabelle de Rieux4. La même année, Charles VI fit une neuvaine à l'abbaye pour le rétablissement de sa santé. En 1377, c'est Rothberge de Nantilly qu'on trouverait comme abbesse~. En tout cas, Isabelle avait repris la crosse avant février 138~, comme on va le voir. On avait donné une garde de gens d'armes au couvent, car, le 16 janvier 1382, la trésorière lui paya 12 sous 4 deniers pour l'empêcher de faire du mal à l'église~. Nous avons d'Isabelle de Rieux un intéressant document. C'est sa déclaration au Trésor des biens de l'abbaye, faite le 11 février 138~. Copie en a été fournie à Jacques Ligier, seigneur de Clignancourt et de Montmartre, en 158~, à propos d'un procès qu'il avait avec l'abbaye, et c'est cette circonstance qui l'a conservée.

Ces biens consistent à Montmartre, dans l'église et dans les bâtiments conventuels, qui sont exigus et ont besoin de grosses réparations, qu'on ne peut faire à cause des pertes subies « pour le fait des guerres » dans 120 arpents de terre labourable, dont une partie est en friche et sert de garenne au roi dans 5 arpents et demi de vignes, dont une partie sur d'autres censives, auxquelles l'abbaye doit 58 sols 6 deniers de cens. Les revenus de ces terres, qui étaient

i. Barthélemy, p. 198 Arch. nat., L 1030.

2. Chéronnet, p. 80; Barthélemy, p. 31, 37.

3. Trois copies dans Arch. nat., S 4424. Chéronnet le donne comme du temps d'Isabelle de Rieux (p. 81 cf. Barthélemy, p. 199, qui déforme les noms).

4. Barthélemy, p. 31, 38.

5. Guilhermy, p. 60.

6. Chéronnet, p. 82.

y. Une copie dans Arch. nat., L 1031, et deux dans S 4424 Barthélemy, P.199.


de 170 livres de rente et 8 livres de menus cens, sont réduits à 100 livres et 4 livres.

2° « Aux marais de Paris », un petit hôtel et jardin, devant le moulin à vent pour lesquels l'abbaye doit à la censive de Sainte-Opportune 36 sous 6 deniers et qui rapportent, l'hôtel, 13 livres, et le moulin, 6 livres.

3° Dans la ville de Paris, des rentes réduites de 260 livres à 200, en plusieurs censives, plus 4 livres 2 sols de cens.

4° A « Boulogne-la-Petite lez Saint-Cloud », un hôtel en « petit état D, 100 arpents de terre labourable, la majeure partie en friche, et 16 arpents de prés, le tout rapportant jadis 40 livres et aujourd'hui 24.

5° A Bourg-la-Reine, des cens réduits de 28 livres à. 20, 8o chapons au lieu de 120, 3 muids et demi d'avoine et « trois queues de vin de pressoir, receus en la grange aux Merciers 2 ».

6° Près du pont de Charenton, 2 muids de seigle de rente. 7° A Torfou, 13 livres de ferme, au lieu de redevances bien supérieures.

8° A Herbeauvilliers, près de Boissy-le-Repos, village et hôtel seigneurial ont été brûlés à côté, à Mainbervuliers, 24 livres de ferme au lieu de I90 livres et 100 chapons.

A Vitry et environs, 16 sous de ferme.

[0° A Montreuil et Vincennes, 32 sous de ferme.

11° Au Bourget et environs, 8 livres de ferme au lieu de 16. 12° A « Chelles-Saint-Bautour », 10 arpents de prés, rapportant 8 livres.

t3" A Chaumontel-les-Nonnains, près Luzarches, un hôtel en partie enbndré, 70 arpents de terre arable, 6 de prés, 3 de pâtis, le tout rapportant jadis 30 livres, aujourd'hui i~, qui sont employées à la réparation de l'hôtel.

14° A Auvers-lez-Pontoise, des dîmes, qui donnaient jadis 30 muids de blé et 5 d'avoine, aujourd'hui 4 et 2.

i~° Aux Prés-Saint-Gervais et à Pontronville (Belleville), 60 sous de rente.

Il n'est plus question des gros revenus de Barberie, Béthisy et Compiègne, même des redevances plus modestes d'Auteuil ou Billancourt, et il semble bien que les rentes de l'abbaye soient réduites au tiers, sinon au quart de leur valeur primitive.

En 1392, le prévôt de Paris avait porté la rente due par les bou-

i. Il ne s'agit pas du moulin dit, au xvti" siècle, la Tour-des-Dames et qui a donné son nom à une rue voir le paragraphe sur la Tour-des-Dames. 2. Ceci ferait supposer que la Grange-aux-Merciers, voisine de l'actuel entrepôt de Bercy, qui a donné lieu à tant d'hypothèses, était déjà., au xrv" siècle, un dépôt de vins.


chers à l'abbaye (page 156) à 60 livres 17 sous 6 deniers et condamné les premiers à payer, en outre, 20 livres 8 sous 9 deniers d'arrérages dus avant l'ouverture du procès. Sur appel des bouchers, le Parlement confirma le jugement du prévôt le ier mars 13931. La liste du .Mo~a~co~ signale un compte, rendu en 1395, devant Isabelle de Rieux, « naguère abbesse », et suppose qu'elle avait abdiqué~ Chéronnet, qui semble avoir vu le compte, fait par Jean Frogier, procureur de l'abbaye, confirme cette abdication 3. IV. L'ABBAYE AU XVe SIÈCLE

2 2 abbesse, Jeanne du Coudray. Isabelle de Rieux fut remplacée par Jeanne du Coudray, citée pour la première fois en 1398 et pour la dernière en 1426~. Elle trouvait l'abbaye dans un état lamentable. Un compte rendu de 1403, fait par Guy Salomon, receveur du couvent, montre qu'il ne restait à Montmartre que six religieuses, l'abbesse, la prieure, la sous-prieure, la trésonère et deux moniales, les autres étant réfugiées à Paris °.

En 1402, l'abbesse avait loué à Guillaume Le Coq, écorcheur de la Grande Boucherie, les pierres et auvents voisins du Châtelet. Le 23 mai 1408, le roi lui octroya une nouvelle lettre de sauvegarde, aussi vaine que les précédentes et, en 1410 et 1411, on se battit à Montmartre et aux environs 6. Le 26 mai 1411, l'abbesse donna reçu au vicomte de Coutances de 58 sous 6 deniers'. En 1416, la Grande Boucherie ayant été rasée et ses revenus saisis, à cause du soutien donné par les bouchers à la faction bourguignonne, les religieuses obtinrent du prévôt, le 30 décembre, un arrêt stipulant que leur rente de 60 livres 17 sous 6 deniers et leurs 25 sous de cens seraient payés par le receveur de la Ville, jusqu'à ce que le roi les eût indemnisées autrement. Le 4 mai 1417, le prévôt donna au receveur l'ordre de paiement8. Mais, en août 1418, le roi, sous la pression du duc de Bourgogne, autorisa les bouchers à reconstruire leurs étaux au même endroit et, dès 1420, les choses étaient remises en l'état ancien. En avril 1422, la voûte du Châtelet fut louée pour quatre ans, au

i. Barthélemy, p. 203 Arch. nat., LL 1605.

2. Barthélemy, p. 38.

3. Chéronnet, p. 83. Guilhermy s'est trompé (p. 60) en disant que c'est Rothberge qui a abdiqué à cette date.

Barthélemy (p. 38) imprime, par erreur, 1~16 cf. le même, p. 32, et Guilhermy, p. 6~

5. Chéronnet, p. 83.

6. Guilhermy, p. 63.

y. Barthélemy, p. 205, 2o6 Arch. nat., LL 1605, et Bibl. nat., coll. Gai gnières, 251.

8. Barthélemy, p. 207 Arch. nat., LL 1605.


loyer de 7 livres 4 sols, à Regnault Anzoust, enlumineur. Le 17 octobre 1424, Jean. de Blaise, maître des eaux ét forêts, reconnut les droits de l'abbaye sur 40 arpents de la forêt de Rouvray sur lesquels le bois du roi s'était étendu. Le 5 mars 1426, Girard Le Grand, gainier, passa déclaration d'une échoppe sous le Châtelet, « du costé devers Saint-Lieffroy », louée à l'abbaye, moyennant 8 livres, pendant sa vie, celle de sa femme et celle de son fils aîné

sj~ abbesse, Simone d'Herville. Une nouvelle abbesse, Simone d'Herville, ou d'Arville, est citée en 1429 et 1434~. Le 15 avril 1429, elle loua à Philippe Damien la maison de la rue de la Heaumerie, où était l'auditoire de Montmartre, au bout d'un cul-de-sac « vulgairement appelé la ruelle du Four-aux-Dames de Montmartre* ». Le 19 juillet 1430, le prévôt Simon Morbier enregistra le bail à vie fait à Henri Mariavale, moyennant 6 livres 8 sous, d'une échoppe sous le Châtelet, voisine de celle de Le Grand. En septembre 1432, le couvent continua aux enfants de Guillaume Le Coq le bail à vie fait à leur père 4.

2~s abbesse, Agnès Desjardins. En 1436, les actes mentionnent comme abbesse Agnès Desjardins, qui fut bénie, le 7 mai 1439, par Jean Raphaël, évêque de Senlis. Les religieuses habitaient alors une maison de la rue de la Heaumerie et les loups rôdaient sur les hauteurs de Montmartre5. En 1445, logée dans l'hôtel du Plat-d'Étain, rue Saint-Honoré, qui dépendait de sa censive, l'abbesse présenta un état du temporel, indiquant qu'une rente de 35 livres sur le domaine du roi n'était pas payée qu'on ne touchait plus rien de Chelles, Chaumontel, Torfou, Compiègne, etc. que les revenus du Gâtinais se réduisaient à 26 livres, très irrégulièrement payées enfin, que les dîmes ne donnaient qu'un muid de blé, les terres n~étant pas cultivées °. En 1446, elle vendit des terres et contracta des emprunts pour payer des dettes urgentes et faire les réparations indispensables au cloître et au dortoir. En 1448, elle céda à l'Hôtel-Dieu, moyennant 24 sous de cens, une place vide rue du Sablon. En 1451, elle fit condamner le curé de Montmartre, Anceau Langlois, qui encaissait à son profit les dîmes des terres de sa cure mais, le 9 novembre, elle augmenta son traitement et lui fit remise de 28 sous de cens qu'il

t. Barthélemy, p. 210, 2ii, 212 Arch. nat., LL 1605.

2. Barthélemy, p. 38. Chéronnet (p. 85) met son avènement en 1410. 3. Arch. nat., S 4445, 4~ liasse S 4461, 5" liasse, fol. 25 r°-v° Chéronnet, p. 85. Cf. le paragraphe sur le For-aux-Daines.

4. Arch. nat., LL 16o5; Barthélemy, p. 214.

5. Barthélemy, p. 38 Guilhermy, p. 65.

6. Chéronnet, p. 86.


devait pour 2 arpents de vignes. En 1454, elle obtint du prévôt un arrêt ordonnant de payer avant toute autre la rente de 100 sous due à la chapelle des Martyrs sur une maison du Grand-Pont Cependant, le chœur et le clocher de l'église du couvent menaçaient ruine et Guillaume Chartier, évêque de Paris, qui les avait fait visiter par des experts et les avait vus lui-même, pressait vivement les religieuses de s'en occuper. Celles-ci, objectant leur misère et les réparations qu'elles avaient faites déjà aux bâtiments conventuels, l'évêque s'était fait présenter l'état de leur temporel et avait dû reconnaître le bien-fondé de leurs observations. Mais, depuis plusieurs années, l'abbaye était en procès avec Jean Bureau et sa femme, acquéreurs de la Grange-aux-Merciers, au sujet d'un droit qu'elle prétendait avoir sur ce domaine et que le nouveau propriétaire contestait. Le 24 août 1460, l'évêque obtint de Jean Bureau qu'il rachetât ce droit, à condition que la somme versée servît à la réfection du clocher, et le 22 octobre suivant l'abbesse et les sœurs ratifièrent l'accord 2.

2~s abbesse, Perrenelle la .Ha~tMe. Agnès, encore citée en 1462, fut remplacée cette année-là ou la suivante par la fille d'un des procureurs de l'abbaye, Perrenelle ou Pétronille la Harasse. Elle trouvait la communauté chargée de lourdes dettes et ne touchant pas ses revenus, beaucoup de ses fermiers étant ruinés, ou profitant de la destruction des archives pour ne pas payer leurs redevances. En 1468, elle dut solliciter l'appui de Louis XI, qui, le 4 février 1469, chargea le prévôt de Paris de nommer un commissaire pour administrer, pendant trois ans, le temporel de l'abbaye il ferait trois parts des revenus, l'une consacrée à l'entretien des sœurs, l'autre à la réparation des bâtiments, la troisième au paiement des dettes, sans que les religieuses pussent être inquiétées pour celles-ci 3. Robert d'Estouteville désigna Jean Merlot.

Le 15 octobre 1470, celui-ci fit condamner les bouchers à lui verser 65 livres dues sur la rente de l'abbaye4. L'abbesse plaida encore contre le duc de Nemours, qui avait usurpé des bois dans le Gâtinais 5, contre les gens du roi, qui contestaient ses droits sur le bois mort de la forêt de Boulogne, contre le pape Sixte IV lui-même, qui avait fait saisir une terre du couvent pour la dîme destinée à la

i. Chéronnet, p. 86, 87 Barthélemy, p. 216.

2. Arch. nat., LL 1603 Barthélemy, p. 217 à 220 Guilhermy (p. 66) a donné une version inexacte.

3. Félibien, III, p. 563 Chéronnet, p. 90 Barthélemy, p. 320. 4. Barthélemy, p. 223 Arch. nat., LL 1605.

5. Le village d'Auxy était dans la censive du duché de Nemours déclarations dans Arch. nat., S 4455, 2~ liasse.


guerre contre Mahomet, et qui, après avoir excommunié l'abbesse, fut condamné par le Parlement à lui rendre son bien 1. Elle mourut en 1477 et fut remplacée, le 9 mai, par Marguerite Langlois ou Langlesche2.

V. L'ABBAYE AU XVIe SIÈCLE

26~ abbesse, Ma~MeM~c Langlois. Le 14 septembre 1481, la nouvelle abbesse attribua l'autel inférieur de la chapelle des Martyrs à. Thibaud Quarré, après démission de Guidon Jolivet. Le 28 décembre 1483, elle accorda à la confrérie des orfèvres une clef de la chapelle Saint-Denis-des-Martyrs pour y faire dire leurs messes (page 172). En juillet 1493, elle obtint une bulle d'Alexandre VI, confirmant les privilèges et les biens (non énumérés) de l'abbaye~. A ce moment, la situation morale de la communauté était aussi fâcheuse que sa situation matérielle. Les religieuses, qui avaient dû tant de fois fuir le couvent et qui, d'ailleurs, avaient le droit de sortir, n'observaient plus aucune clôture. Les offices étaient irréguliers. En outre, le recrutement était tari. Un état de 1493, vu par Chéronnet, mentionne l'abbesse, cinq sœurs de chœur ou sœurs converses et sept autres religieuses (probablement des novices), en tout treize personnes4. En 1492, l'évêque Jean Simon rétablit la discipline et commença une réforme, que son successeur Étienne Poncher mena à bonne fin. Les statuts dressés par lui en 1503 et approuvés, en février 1504, par Georges d'Amboise, archevêque de Rouen et légat du SaintSiège, rappelèrent les moniales à l'observation stricte des règles anciennes et y ajoutèrent deux innovations importantes l'élection triennale des abbesses et la création d'un visiteur~.

3y~a;&6MM, Marie Cornu. Marguerite Langlois mourut le i juin 1503, ayant fait faire son service funèbre depuis le 9~. Elle fut remplacée, le 26, par Marie Cornu, venant de l'abbaye de Fontaines, près Senlis, et dont l'abbatiat dura pendant sept ans'. Son premier soin fut de remercier le receveur de l'abbaye, Garrout, en charge depuis

l. Chéronnet, p. 90, 91.

z. Guilhermy, p. 67 Barthélemy, p. 38.

3. Barthélemy, p. 227, 229, 230 Arch. nat., LL 1605.

4. Chéronnet, p. 93.

5. Original dans Arch. nat., LL 1606, et deux copies dans L 1031, 1~ liasse; autre copie dans Bibl. nat., ms. fr. 25070. Ces statuts servirent pour Jouarre, Chelles et la Malnoue.

6. Lazard, Vieux-Montmartre, III, p. 37-41, d'après Arch. nat., H~ ~oo~. La liste du Monasticon la fait mourir le 4 cf. Chéronnet, p. 95. 7. Chéronnet, p. 96 Barthélemy, p. 38.


vingt-huit ans, et dont les comptes étaient mal tenus, et de le remplacer par Guillaume Dutertre, qui mit la comptabilité à jour. Le 7 septembre 1507, devant de Larche, Alix Ripaut, veuve Cornu, mère de l'abbesse, fit donation de ses biens au couvent, entre autres la ferme de Collégien-en-Brie 1.

28e abbesse, Martine DM~MOM/tM. En 1510, Marie Cornu fut chargée d'introduire la même réforme à Chelles, puis à Faremoutiers, et fut remplacée, en juin, à Montmartre par Martine du Moulin, qui venait de Chelles. On constate que, à cette époque, il existait, dans la première cour du couvent une communauté de religieux, formée de prêtres et de convers, qui ne semble pas, quoi qu'en disent les Bénédictins, remonter jusqu'à la fondation de l'abbaye2. Le 27 juillet 1512, devant François Bastonneau, Catherine de Neuville, veuve de Jean Catin, avocat, donna à l'abbesse une maison à Noisy-le-Grand et des îles sur la Marne, pour la profession de sa fille Marie 3. L'élection triennale n'était pas observée, car Martine resta abbesse jusqu'en 1515 et fut alors envoyée à l'abbaye de Jarcy, où elle ne mourut que vingt ans après' En 1514, elle avait obtenu de Louis XII des lettres patentes pour la réfection du terrier complet de l'abbaye~. zp~ abbesse, Claude Mahulle. Élue en 1515, Claude Mahulle obtint de François Ier une nouvelle lettre de sauvegarde et, de Léon X, une bulle confirmant les privilèges du couvent. Celui-ci avait retrouvé son ancienne réputation, puisqu'une religieuse, Catherine Le Cogneux, fut envoyée à l'abbaye de Gergy, pour la réformer~. 3oe abbesse, Antoinette Auger. Claude mourut en 1518 et fut remplacée, le 6 novembre, par Antoinette Auger, abbesse de Gif, depuis 1517. Par ordre du roi du 15 septembre 1522, les détenteurs des biens de l'abbaye furent sommés de nouveau de les déclarer. Le 15 juillet 152~ le roi interdit aux gens de guerre de se loger dans l'abbaye'.

31 e abbesse, Catherine Le Charron. En 1526, Catherine Le Charron fut élue abbesse et resta en fonctions jusqu'en 1532. A partir de cette époque, les actes de vente ou d'échange des biens du couvent se font nombreux, mais ne présentent pas, en général, grand intérêt.

i. Titres de cette ferme, dans Arch. nat., S 4452, ire, 5e et 6e liasses. 2. Guilhermy, p. 69 Chéronnet, p. 100.

g. Arch. nat., S 4457, i~ liasse.

4. Guilhermy, p. 68.

5. Celui de Barberie avait été refait en 1512.

6. Chéronnet, p. io5 Barthélemy, p. 39.

y. Barthélemy, p. 237.


.?2~ abbesse, Antoinette Auger. En 1532, Antoinette Auger avait repris les fonctions d'abbesse~. Le 10 décembre 1533, elle déclara à la Chambre du Trésor les biens de l'abbaye, comprenant2 la terre et seigneurie de Montmartre, avec haute, moyenne et basse justice, l'église et les bâtiments claustraux, 22 arpents et demi de vignes, 76 de terre, un moulin à vent et les cens, rapportant 5 livres 7 sous 9 deniers

hors la porte Montmartre, au clos des Ailiers, en la censive de Saint-Magloire, 26 arpents un quartier et demi de marais, rapportant 5 livres 5 sous 6 deniers de rente, au lieu de la dîme de 4. sous par arpent

une maison et jardin à Clignancourt, contenant 5 arpents, en la censive de Saint-Denis

aux marais de Paris, sous la montagne de Montmartre, au lieu dit le Val-Larroneux, en la censive de Sainte-Opportune, 20 arpents de marais

a Paris, les droits juridiques et fonciers sur

deux maisons, rue de la Heaumerie,

douze maisons, rue de l'Arbre-Sec,

vingt-cinq maisons, rue Saint-Honoré,

dix maisons, rue Tirechappe,

dix maisons, rue Saint-Martin,

onze maisons, rue des Petits-Champs (Saint-Martin),

sept maisons, rue Neuve-Saint-Merri,

deux maisons, rue du Molin (plus tard de la Lanterne) sur la Grande Boucherie, 25 sous de cens et 60 livres 17 sous 6 deniers de rente;

sur trois pierres à poisson, chacune 4 sous;

une voûte sous le Châtelet

une maison, rue Saint-Sauveur

des rentes sur des maisons rue du Sablon, rue de la Bûcherie, rue du Temple, rue Aubry-le-Boucher, rue de la Vieille-Draperie, rue de la Bretonnerie, au coin de la rue du Temple, rue de la Heaumerie, rue Saint-Jean-en-Grève, rue des Petits-Champs, près de la porte Saint-Honoré, rue Saint-Martin, enfin sur le domaine du roi à la Courtille, 4 arpents de vignes

à Belleville, 10 arpents 3 quartiers

à Colombes, 3 arpents

à Arcueil, une maison et des vignes

sur la Marne, 5 quartiers de saulsaie

i. Cf. deux reçus, des 24. janvier et i" août iggz, délivrés aux directeurs de la Grande Boucherie, dans Bibl. nat., ms. fr. 11748, fol. 7, 8. 2. BiM. nat., ms. fr. 11748, fol. 10-21.


à Longjumeau, une maison

à la Ville-des-Bois, près Montlhéry, deux maisons

à Saint-Denis, une maison

à Noisy-le-Grand, une maison

à Argenteuil, 3 arpents et un demi-quartier de vignes à Collégien, plusieurs maisons et 110 arpents, en la censive des Dames de Faremoutiers

à Chelles, 10 arpents de prés

à Chaumont-les-Nonnains, un hôtel avec colombier

au Bourget, la moitié de la seigneurie, du côté de l'église, rapportant 8 livres 10 sous de cens

à Menus, aujourd'hui Notre-Dame-de-Boulogne, la seigneurie et la justice, une maison avec prison, 147 arpents de terre, 40 de bois, 25 de prés et les cens rapportant 29 livres

à Bourg-la-Reine, la seigneurie et les cens, rapportant 25 livres 15 sous;

à Torfou, la seigneurie, avec une maison et les cens, rapportant 11 livres.

Le jour de l'Assomption de l'an 1534, Ignace de Loyola et six compagnons vinrent en pèlerinage à la chapelle des Martyrs~. En janvier 1537, les terres de Boulogne furent affermées pour neuf ans, moyennant 60 livres et 4 septiers de navets, celles de Torfou, moyennant 60 livres et 12 chapons, les dîmes d'Auvers, moyennant 4 muids 17 septiers de blé et 30 septiers d'avoine2. Antoinette mourut en ~539 et fut enterrée dans le chœur une partie de sa pierre tombale a été retrouvée et se voit aujourd'hui dans l'absidiole nord. 33e abbesse, Jeanne Lelièvre. En 1540, Jeanne Lelièvre fut élue, mais mourut dès le 30 mars 1541 et fut enterrée près d'Antoinette3. ~s abbesse, .M~M Cathin. 35e abbesse, Marguerite de Havard. Elle fut remplacée par Marie Cathin, qui céda ses fonctions, avant le 20 mars 1542, à Marguerite de Havard, fille de Jacques, seigneur de Sénantes, près Chartres. L'évêque Jean du Bellay venait de charger les prieurs de Saint-Lazare et de Saint-Victor de remettre en vigueur à Montmartre la stricte observance de la règle, et il est probable que Marie Cathin avait été déposée par eux. Il est probable aussi que Marguerite de Havard ne réussit pas, car, en 1548, elle se retira ou fut reléguée aux Filles-Dieu. Elle mourut le 18 juillet 1552 et fut enterrée dans le chœur de Montmartre~.

1. Guilhermy, p. 70.

2. Chéronnet, p. 108, icg.

3. Chéronnet, p. 111 Guilhermy, p. 70 Barthélemy, p. 32, ~o. 4. La version de Guilhermy (p. 71) paraît plus plausible que celle de Chéronnet (p. 112-113) cf. Barthélemy, p. 12.


.?6~ abbesse, Catherine de C~M!OM<. –Le concordat signé entre Léon X et François I' avait attribué au roi la nomination des abbés et abbesses. Usant de cette prérogative en 1548, Henri II désigna pour Montmartre Catherine de Clermont, fille de son chambellan, Antoine II, vicomte de Clermont, et d'Anne de Poitiers, sœur de Diane. Sa sœur, Marguerite de Clermont, était abbesse de SaintPierre de Lyon et son autre sœur, Anne, avait épousé, en 1540, René de Beauvilliers, comte de Saint-Aignan. Elle inaugurait la lignée des abbesses de haute noblesse, qui allaient se succéder à Montmartre jusqu'à la Révolution~.

Elle était alors religieuse dominicaine à Montfleury, près Grenoble. Elle prit l'habit de Saint-Benoît à Saint-Pierre de Reims, fit profession à Montmartre à la fin de 1548 et fut bénie, le 11 août 1549, par François de Dinteville, évêque d'Auxerre.

Le 20 juillet 1551, elle déclara au Châtelet les biens de l'abbaye, qui comprenaient2

A) Paris et environs.

A Montmartre, le logis abbatial, les bâtiments conventuels et le pourpris, 22 arpents et demi de vignes, 76 de terre, un moulin à vent et les cens, rapportant 17 livres 6 sous.

A Clignancourt, une maison et un arpent.

Au Val-Larroneux, censive de Sainte-Opportune, 20 arpents de marais.

A Paris, les droits de justice, cens, lods et ventes sur deux maisons dans la rue de la Heaumerie,

douze maisons dans la rue de l'Arbre-Sec,

vingt-cinq maisons dans la rue Saint-Honoré,

dix maisons dans la rue Tirechappe,

neuf maisons dans la rue Saint-Martin,

onze maisons dans la rue des Petits-Champs (Saint-Martin), sept maisons dans la rue Neuve-Saint-Merri,

deux maisons dans la rue du Molin (plus tard de la Lanterne) 3. Sur la Grande Boucherie, 25 sous de cens et 60 livres ly sous 6 deniers de rente.

Sur trois pierres à poisson, chacune 4 sous.

Une voûte sous le Châtelet.

Une maison, dite des Marmousets, rue Saint-Sauveur. Les rentes comprennent

24 sous sur une maison à l'Hôtel-Dieu, dans la rue du Sablon, touchant à la Sainte-Chapelle (celle de l'hôpital),

i. Guilhermy, p. 71 Chéronnet, p. 113.

2. Arch. nat., S 4~2~ la déclaration est à peu près identique à celle de 1533.

3. Ces soixante-dix-huit maisons constituaient le fief du For-aux-Dames.


32 sous sur une maison rue de la Bûcherie, à l'Hôtel-Dieu, 4 livres 16 sous sur une maison rue du Temple,

11 livres 8 sous sur une maison rue des Étuves,

22 sous 8 deniers sur une maison rue Vieille-Draperie, 5o sous sur une maison rue de la Bretonnerie, au coin de la rue du Temple,

16 livres sur la maison de l'Annonciation, rue de la Heaumerie, 30 sous sur la maison de l'Image-Saint-Nicolas, rue Saint-Jean-enGrève,

32 sous sur une maison rue des Petits-Champs, près de la porte Saint-Honoré,

40 sous sur une maison rue Saint-Honoré,

35 livres sur le domaine du roi,

7 sous sur l'hôtel de la Planchette, rue Saint-Martin, 30 sous sur une place rue Saint-Jean-en-Grève, à l'Hôtel-de-Ville. B) Petite et grande banlieue.

A Argenteuil, 3 arpents et un demi quartier de terre. A la Courtille, 4 arpents de vignes.

A Belleville, Prés-Saint-Gervais, Pantin, La Villette, 10 arpents

3 quartiers de vignes, rapportant 4 livres 5 sous n deniers, actuellement non payés.

A Colombes, 3 arpents de vignes.

A Arcueil, une maison devant l'église, une autre maison et une saulsaie.

A Longjumeau, une maison.

A la Ville-des-Bois, près Montlhéry, deux maisons.

A Saint-Denis, une maison.

A Noisy-le-Grand, une maison et une saulsaie.

A Chelles, 10 arpents de prés.

A Collégien-en-Brie, plusieurs maisons et 110 arpents. A Chaumontel-les-Nonnains, un hôtel avec chapelle.

Au Bourget, la moitié de la seigneurie.

A Boulogne, la seigneurie, une prison, 127 arpents de terre, 40 de bois, 24 ou 25 de prés.

A Bourg-la-Reine, la seigneurie.

A Torfou, un hôtel seigneurial et des cens.

La même année, l'abbesse négocia avec le domaine royal l'abandon du droit de justice sur les 40 arpents du bois de Boulogne, contre la cession du bois de la Minière, près de Croissy-en-Brie (page 160). En 1555, Mathieu de Longue-Joue, évêque de Soissons, donna au couvent une maison et jardin à Montmartre

Le 3 février 1555, Philibert de Lorme fit marché avec le maçon

i. Chéronnet, p. 114..


Jean Marchant pour la construction, à l'abbaye de Montmartre, d'un s corps d'hôtel en forme de pavillon », dont il avait fourni les plans, ayant 12 mètres sur 6, comprenant deux celliers en sous-sol, deux pièces en rez-de-chaussée, deux au premier et un grenier, plus une galerie de 24 mètres sur 4. Il doit s'agir du logement de l'abbesse, à l'extrémité de l'aile du cloître touchant l'église~.

Au début de 1559, par l'imprudence d'une religieuse, le feu prit au dortoir de l'abbaye, détruisit trente-huit cellules et se communiqua à la sacristie, où il consuma les ornements sacerdotaux, entre autres la chasuble et le missel qui passaient pour avoir servi à la consécration de 1147. Pour aider aux réparations, le roi donna au couvent ce qui restait des bois ayant servi, en 1549, à l'édification de la « salle de Triomphe » au palais des Tournelles, et Philibert de Lorme prépara le plan d'une reconstruction complète du monastère, sous la forme d'un énorme cylindre, de 50 à 60 mètres de diamètre, coiffé d'un dôme. Mais la mort du roi la même année et la disgrâce de l'architecte empêchèrent la réalisation du projet2.

Ce malheur donna lieu à une nouvelle déclaration de biens, faite le 4 octobre 1561, par Catherine de Clermont, qui mit en regard les recettes et les dépenses, celles-ci fortement accrues par la réparation des locaux détruits. L'abbaye comptait à ce moment soixante religieuses, deux confesseurs, un chapelain, un receveur et seize serviteurs, soit, avec l'abbesse, quatre-vingt-une personnes à nourrir3. Les biens consistaient dans

A Montmartre, l'hôtel abbatial et le couvent, « récemment détruit et bruslé, et le reste vieil et caduc »; son revenu est nul et son entretien une lourde charge 22 arpents de vignes très vieilles, non labourées depuis longtemps et ayant besoin d'être remplacées; 80 arpents de terre labourable, y compris Saint-Denis et Clichy, rapportant 8 livres de cens les rentes et cens, y compris la Chapelle et Montreuil, donnant 406 livres 13 sols 6 deniers 2 muids de vinaigre, 12 livres~.

A Paris, 28 livres 9 sols 3 deniers de cens et rentes sur des maisons 28 livres 10 sols de rente sur la Ville, employés aux appointements des officiers.

Au Bourget, la seigneurie, 10 livres.

i. M. Roy, Me'tM. de /<t Soc. de l'Hist. de Paris, XLVII (1920), p. 25-27, et Artistes et monuments de la Renaissance (1928), p. 367-368. 2. Vieux-Montmartre, 8 (1929), p. 190-192.

3. Arch. nat., S 442~.

4. Les baux de terres et déclarations de cens pour le terroir de Montmartre, conservés nombreux pour les xive et xve siècles, sont presque nuls pour les xvie et xviie; Arch. nat., S 4425 et 4426.


A Chaumontel, un hôtel, ayant besoin de grosses réparations et ne rapportant rien.

A Notre-Dame-de-Boulogne, des terres affermées 95 livres, qui sont employées aux réparations des immeubles.

A Bourg-la-Reine, la seigneurie, 90 livres, le greffe, 25 livres. A Torfou, les revenus sont affectés aux réparations.

A Herbeauvilliers, Boissy-le-Repos et Auxy, en Gâtinais, 6~.0 livres de revenus, employées en réparations.

Une voûte sous le Châtelet, 15 livres.

Une pierre à poisson, 80 livres.

Une maison, rue des Petits-Champs, 10 livres, une autre, rue SaintSauveur, 96 livres, servant en partie aux réparations, une autre à Clignancourt, 27 livres.

Le moulin entre Montmartre et les Porcherons, qui est « rompu », 28 livres.

A Montmartre, une maison touchant l'enclos, 10 livres 10 sols, employés aux réparations.

Aux Marais de Paris, un arpent dans la censive de Sainte-Opportune, 20 livres 8 sous.

Les dîmes de vin de la paroisse de Montmartre, rapportant 30 livres, ne sont pas payées.

A Barberie, les revenus en nature servent à la nourriture de l'abbaye.

A Collégien, des cens et 100 arpents de prés, dont le revenu est absorbé, pour deux ou trois ans, par les réparations.

A Auvers, les dîmes employées à la nourriture des serviteurs du couvent.

A Chelles, 10 arpents, 20 livres.

A Argenteuil, 4 arpents de vignes, 2~. livres.

A Noisy-le-Grand, une maison et saulsaie, 10 livres.

Au bois de la Minière, près Croissy-en-Brie, 215 arpents 23 perches, rapportant 200 livres.

A Auteuil, près Saint-Cloud, 22 arpents de prés, ne rapportant rien. Les dépenses se montent à boucherie, i 200 livres poisson, beurre, œufs, fromages (les religieuses ne mangeant chair que les dimanche, mardi et jeudi), 800 livres chandelles de suif, 100 livres 250 voies de bois, pour huit fours ordinaires, 800 livres vêtements, 300 livres apothicaire, huile, raisins, amandes, etc., 300 livres pour le menu entretien, pour les serviteurs allant aux champs, etc., 300 livres.

Les religieuses doivent, « à cause de l'infortune du feu » qui a brûlé leur dortoir et trente-huit de leurs chambres avec leurs effets, et tous les ornements de l'église au maçon, qui a refait le dortoir, 518 livres, sur une note de 800 au charpentier, 100 livres au


menuisier, 100 livres au couvreur, 400 livres au serrurier, 50 livres au vitrier, 10 livres. Elles doivent, en outre, à l'apothicaire, 460 livres, et au boucher, 211 livres.

La balance n'est pas faite, mais, si l'on additionne, on trouve i 110 livres io sous 9 deniers de revenus disponibles pour une dépense de 3 8oo livres et l'amortissement de i 849 livres de dettes. Le tableau est notoirement tendancieux et calculé pour obtenir des secours.

Le 4 janvier 1572, Catherine de Clermont fit aux Trésoriers de France une nouvelle déclaration, qu'il est intéressant de comparer à celle de 1551.

A Montmartre, les terres arables se montent à 80 arpents au lieu de 76. Hors la porte Montmartre, on compte 26 arpents, un quartier et demi au clos aux Altiers et un arpent au t~-La~oM~M: Les maisons du fief du For-aux-Dames sont au nombre de trois, rue de la Heaumerie (au lieu de deux), et de vingt-quatre, rue SaintHonoré (au lieu de vingt-cinq), le total de soixante-dix-huit restant le même. L'état donne la suite des propriétaires de chaque immeuble. L'abbaye possède de plus qu'en 1551

une pierre à poisson (quatre au lieu de trois),

un jardin rue du Faubourg-Saint-Martin, 13 sous 4. deniers, une maison à CAaM~M (Chaillot).

Ses cens sur Paris sont les mêmes mais elle touche de plus qu'en 1551, sur ses biens ruraux

à Belleville, les Prés-Saint-Gervais, Pantin et la Villette, 4 livres 5 sous 11 deniers à Colombes, 24 sous à Arcueil, 4 livres à Longjumeau, 20 sous à la Ville-des-Bois, 20 sous a Collégien, 56 sous au Bourget, 8 livres 10 sous à Boulogne, 29 livres à Bourg-la-Reine, 25 livres 10 sous à Boulogne, 29 livres à Bourg-la-Reine, 25 livres 12 sous à Torfou, i livres. Ces chiffres dénotent une notable amélioration dans la situation du pays et prouvent les résultats obtenus par la puissante abbesse. Le 13 janvier 1553, devant Joyeulx, Nicolas Bourgeois racheta 28 livres de rente qu'il devait sur la maison de l'Annonciation, rue de la Heaumerie, pour 43 livres 15 sous de rente sur la Ville. Le 3 septembre suivant, Denise Marrest racheta de même 8 livres de rente sur une autre maison de la même rue pour 10 livres de rente sur les gabelles. Les 10 septembre 1554 et 18 septembre 1555, des rentes sur

i. Le lieu dit « le Val-Larroneux » existait au xiH~ siècle; voir une charte de juin 1265 concernant 2 arpents « in Valle Latrocinosa », dans Depoin, Chartes de 5a!M<-Msf<!M, V, p. 65. La vraie étymologie doit être « ~ftNM ad ranas a, le vallon aux grenouilles cf. la rue « Chantereine ».


des maisons de la rue Saint-Honoré et de la rue de l'Arbre-Sec furent ainsi remplacées par des rentes sur le sel

Le 23 juin 1572, devant Mussart, Marie de Champagne, veuve de Nicolas de Quincy, habitant Troyes, donna à l'abbaye 33 livres 6 sous 8 deniers de rente sur les Aides. Le 26 juillet suivant, elle lui donna 400 livres pour la profession de sa fille, Anne de Quincy. Le 23 septembre 1590, devant Charles, elle légua à celle-ci io écus, plus 53 livres 10 sous de rente2.

Le 7 octobre 1574, devant Mussart, Marie Chauveau, religieuse à Montmartre, donna à l'abbaye tous ses biens, consistant en deux contrats de 25 livres de rente sur le Clergé, 25 livres sur une maison rue Saint-Germain-l'Auxerrois, 13 livres 18 sous 9 deniers sur les Aides, 300 livres comptant et un billet de 140 livres sur son frère pour être employés en rentes. Le 22 octobre 1590, devant Le Normand, une transaction fut signée avec les héritiers Chauveau, qui versèrent au couvent 43 écus soleil a.

Par lettres patentes du 11 janvier 1560, le roi Charles IX avait prescrit la confection d'un nouveau terrier4. Parmi les déclarations qui furent faites, devant Belot, on relève celle du 17 mars 1587, de Pierre Chambiche (ou Chambiges), juré du roi en l'office de maçonnerie, demeurant rue Geoffroy l'Angevin, pour différentes parcelles qu'il possédait du chef de sa femme, Marguerite de Saint-Quentin~. Nouveau titre fut plus tard passé par ses deux gendres, Jean Fontaine, maître des œuvres des bâtiments du roi, et Paul Le Maire, contrôleur à la ferme de la Duché, époux de Suzanne et Anne Chambiche~.

En mai 1576, Henri III autorisa les habitants de Barberie à fortifier leur village' En 1577, Grégoire XIII permit au roi de prendre 15 ooo livres de rente sur les biens ecclésiastiques pour sa lutte contre les protestants et l'abbaye de Montmartre, taxée à 20 écus soleil, dut vendre, le 8 février, un demi-arpent de vignes à la Chapelle~. Par brevet du 29 septembre 1584, le roi donna comme coadjutrice à l'abbesse sa nièce, Élisabeth de Crussol. Mais, quand Catherine de

i. Arch. nat., b 4432-4433, 4e fiasse.

2. Même source.

3. Arch. nat., S 4432-4433, liasse.

4. Table du terrier dans Arch. nat., S 4433.

5. Sellier a déjà signalé un achat de terre fait en 1597 par Chambiges, CKfMMt~M, p. 21~.

6. Arch. nat., S 4427, 4e liasse.

7. Barthélemy, p. 239. Le 24 août 1570, il avait donné la même autorisation à ceux de Gonesse Arch. nat., S 4458-44~9, 4e liasse. 8. Chéronnet, p. 115-116.


Clermont mourut, le 11 septembre 1589, après quarante ans d'abbatiat, sa nièce, qui n'était encore que novice, renonça à prononcer ses vœux et les religieuses élurent à sa place Claude de Beauvilliers. A ce moment, la communauté était réfugiée à Paris, à cause de la présence de l'armée royale, qui assiégeait la capitale. Les obsèques de l'abbesse eurent cependant lieu à Montmartre, sous la présidence de Louise de Lorraine, abbesse de Chelles.

.')'7~ abbesse, Claude de .BeaMM~M~. La nouvelle abbesse, née le 4 avril 1573 et âgée par conséquent de seize ans, était fille de Claude II de Beauvilliers, comte de Saint-Aignan, et de Marie Babou de la Bourdaisière, donc petite-nièce de l'abbesse défunte, qui lui avait donné le voile le i~r février 1587. Différents actes passés en son nom prouvent qu'elle avait bien la qualité d'abbesse, mais les troubles l'empêchèrent d'en recevoir le brevet.

Le zo novembre 1584, René Benoist, curé de Saint-Eustache et lecteur du roi, qui fut plus tard le confesseur de Henri IV, avait donné à l'abbaye 10 écus d'or sol de rente. Le 29 novembre 1589, il transforma cette rente en un don de 120 écus sol, à employer en rentes sur l'État ou la Ville, à condition de dire deux « hautes messes », l'une le 14 novembre, jour de la Saint-René, l'autre le 14 octobre, jour de la Saint-Denis

En mai 1590, Henri IV, qui avait fait placer deux pièces d'artillerie sur la butte Montmartre vint mettre son poste de commandement à l'abbaye pour voir l'attaque de Paris. Les prédicateurs et les pamphlétaires au service de la Ligue ont raconté que le couvent fut transformé en un mauvais lieu et que le roi obtint notamment les faveurs de l'abbesse (âgée alors de dix-sept ans). Sauvai s'est fait l'écho de ces bruits, en ne reprochant d'ailleurs à l'abbesse que d'avoir « changé de vie », par suite du refuge à Paris, et en n'incriminant les mœurs que de « quelques religieuses restées à Montmartre 3. Le roi, obligé de se replier sur Meaux, aurait emmené avec lui Claude de Beauvilliers et lui aurait donné, la même année, l'abbaye de Pontaux-Dames, pour la dédommager de la destruction de celle de Mont-

t. Chéronnet, p. 116 Arch. nat., S 4434-4435, i*° liasse.

2. « Le samedi 16 juin 1590, ceux du Roy tirèrent à coup perdu sur Paris de deux pièces qu'ils avoient posées sur le mont des Martirs, de Montmartre du boulet de l'une desquelles fut blessé le président Rebours, qui en eust la jambe rompue, comme il estoit dans la chambre de M. de Roissy, devisant avec lui. Et pour ce que ledit Rebours estoit tenu pour Roial et Politique, les predicateurs en leurs chaires en faisoient une gosserie et disoient que les coups que tiroient les Roiaux alloient tout à rebours. » L'Estoile, V, p. 27. 3. L'Estoile, V, p. 84 Sauvai, I, p. 354 Guilhermy, p. 73. Les éditeurs de celui-ci ont estropié le texte de Sauvai.


martre. Toute une littérature, friande d'histoires salées, a exploité ce thème jusqu'à nos jours, en mettant l'aventure au compte de Marie de Beauvilliers, beaucoup plus célèbre que sa sœur aînée 1. Suivant la version des Bénédictins, l'abbesse Claude avait été recueillie, par sa grand'mère, M'°s d'Aumont2, et sa cousine, M"~ de Sourdis, dans une terre de la famille les jeunes religieuses étaient réfugiées à Paris seules « les anciennes étaient restées au couvent, complètement séparées des soldats. Le roi, campé dans le logis abbatial, aurait veillé à la discipline et empêché qu'on ne fît aucun tort au monastère 3.

Guilhermy a admis la première version Chéronnet a soutenu énergiquement la seconde. Sans vouloir défendre la vertu du VertGalant, la première paraît un pur roman, d'abord parce que les sources contemporaines qui la rapportent sont sans valeur ensuite parce qu~ùne enfant de dix-sept ans, de haute noblesse et de nombreuse famille, avait tous les moyens et toutes les raisons de ne pas rester à Montmartre dans un pareil moment. Le roi, qui préparait déjà sa réconciliation avec l'Église catholique, était trop politique pour provoquer pareil scandale, et Claude de Beauvilliers, nommée abbesse de Pont-aux-Dames en 1590~, n'aurait pu avoir ce poste si le scandale avait été patent. Enfin, sa famille était honorable et Pierre Forget, son beau-frère, homme pieux et rigide, resta, de 1589 à sa mort le 10 avril 1610, un des conseillers les plus intimes de Henri IV. Qu'il y ait eu des désordres, en 1590, à Montmartre, c'est possible; mais qu'on ait brodé sur eux à plaisir, c'est certain. 38e abbesse, Catherine de Havard. Les religieuses, reprenant une seconde fois le droit d'élection, un roi hérétique ne pouvant nommer à l'abbatiat, choisirent, pour remplacer Claude, Catherine de Havard, nièce de Marguerite, qui avait été abbesse en 1542 (page 181) et, comme elle, de la famille de Sénantes~. Elle ne put obtenir le brevet après l'abjuration de Henri IV, qui, à l'instigation de son secrétaire Pierre Forget, seigneur de Fresnes, époux d'Anne de Beauvilliers, sœur aînée de Claude, le donna en 1598 à une sœur cadette de celle-ci. Marie de Beauvilliers.

i. C'est Piganiol qui a commencé, édition 1742, II, p. 612.

2. Françoise Robertet, veuve de Jean Babou de la Bourdaisière et remariée au maréchal Jean VI d'Aumont.

3. Chéronnet, p. 120-122 Barthélemy, p. 40.

4. Gallia Christiana, VIII, col. 1726.

5. Les auteurs de la Gallia Christiana commettent une confusion évidente en mettant après elle « N. de Sénantes f Guilhermy, p. 74 Barthélemy, p. 33, note.


VI. L'ABBAYE AU XVII" SIÈCLE

.?os abbesse, Marie de Beauvilliers. Marie de Beauvilliers, qui fut nommée le 7 février 1598 et gouverna l'abbaye jusqu'en 1657, soit pendant près de soixante ans, fut une des grandes abbesses de Montmartre. Née le 26 avril 1574, elle n'avait pas encore vingt-quatre ans au moment de sa nomination et était religieuse à Beaumont-lesTours, comme coadjutrice de sa tante, Anne Babou. Chéronnet et Trétaigne~ 1 ont longuement parlé d'elle et des dimcultés qu'elle éprouva au début pour réformer la communauté. Sauvai, qui la connaissait personnellement, doit tenir d'elle la tentative d'empoisonnement dont elle aurait été l'objet de la part de sœurs récalcitrantes et que d'autres historiens ont multipliée2. Il attribue cet attentat manqué la difficulté pour parler et respirer qu'elle conserva par la suite. Elle s'en remit cependant, puisqu'elle vécut quatre-vingt-trois ans moins cinq jours, et l'on est tenté de voir quelque exagération dans cette apologie. Il est certain, en tout cas, qu'elle manifesta des talents d'administration remarquables, tant pour le spirituel que pour le temporel, puisque deux cent vingt-sept religieuses firent profession entre ses mains, que quarante allèrent réformer d'autres maisons, et puisqu'elle laissa puissante et riche une communauté qu'elle avait trouvée à demi ruinée.

Aidée par Dom Didier de la Court pour le spirituel, par Pierre Forget pour le temporel, l'abbesse mena les deux tâches de front. Dès le 30 mars 1598, elle obtint du roi des lettres patentes pour la réfection du terrier de l'abbaye, grâce à de nouvelles déclarations des détenteurs de ses biens3. Le 8 février 1599, elle se fit donner d'autres lettres patentes l'autorisant à aliéner des biens du couvent jusqu'à concurrence de ses dettes et des sommes nécessaires aux réparations. Le 11 février 1600, le Parlement homologua ces lettres et permit de vendre pour 3 ooo écus, en particulier une maison à Paris et la seigneurie de Bourg-la-Reine. En conséquence, le ier mai 1600, par acte sous seing privé, elle vendit cette seigneurie au duc de Gesvres, pour 4 500 livres.

Disons de suite que, en 1664, l'abbesse Françoise-Renée de Lorraine intenta une action contre René Potier, duc de Tresmes, fils du

i. Chéronnet, p. 124 et suiv. Trétaigne, p. 69-122 cf. Guilhermy, p. 74 et suiv.

2. Sauvât, I, p. 354 Trétaigne, p. 82, 83.

3. Barthélemy, p. 2~.1, 2~ déclarations dans Arch. nat., S 4428, ire et 2" liasses terrier S 4496. Les déclarations montrent les ruines accumulées à Montmartre de 1590 à 1595.


précédent, en restitution de la seigneurie, que Marie de Beauvilliers avait vendue, prétendait-elle, sans consulter la communauté Malgré les objections du duc, elle obtint, le 16 décembre 1665, des lettres de rescision et, le i~. mai 1667, remboursa au duc le prix de son achat, ayant repris possession, le 10, de la seigneurie~. Le 14 septembre 1707, devant Laideguive, Marie Gigault de Bellefonds, ayant encore besoin d'argent, revendit pour la seconde fois la seigneurie de Bourgla-Reine, moyennant 5 500 livres, à Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine. En 1735, Catherine de la Rochefoucauld engagea des pourparlers pour la rentrée en possession mais le duc exigeait un supplément de 500 livres, et l'affaire alla au Parlement. Le duc mourut le 14 mai 1736 et sa veuve, Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé, se montra plus accommodante. Une sentence des requêtes du Palais du 16 octobre 1736 remit l'abbaye en possession contre remboursement des 5 500 livres, qui furent payées le 27, et, le i~ novembre, l'abbesse fut réinstallée dans sa seigneurie 2.

Marie de Beauvilliers fut bénie le 7 janvier 1601, par François d'Escoubleau, cardinal de Sourdis, son cousin germain. En août 1600, le roi confirma les privilèges du couvent et l'exempta de tous droits pour le transport à Montmartre des vivres ou effets nécessaires aux religieuses 3. La même année, l'abbesse eut quelques difficultés avec la confrérie des orfèvres au sujet des messes dites dans la chapelle du Martyrium. Trois jugements des 6 avril 1609, 23 avril 1610 et 27 août 1611 réglèrent les droits respectifs des parties4. En 1610 mourut Pierre Forget, seigneur de Fresnes, conseiller d'État et intendant des Bâtiments, qui légua à l'abbaye 333 livres 6 sous 8 deniers de rente sur la Ville la délivrance eut lieu le septembre 161~. En 1612, l'évêque Henri de Gondi autorisa les sœurs à quitter le vêtement blanc pour la robe noire, plus austère et surtout moins salissante~.

En 1611, un événement, qui devait avoir de graves conséquences dans la vie de l'abbaye, se produisit. La chapelle du Martyrium, ou des Saints-Martyrs, dont on a vu les premiers développements (pages 159, 170 et 172), avait partagé, au xve siècle, les vicissitudes du monastère, sans cependant être détruite. On a des nominations aux

i. Tous ces actes dans Arch. nat., S 4444, 7e liasse.

2. Même source.

3. Barthélémy, p. 2~-24.8.

~Arch.nat.,KKi3~.

5. Résumé des titres dans Arch. nat., S ~32-~33, 4e liasse cahier intitulé Rentes sur la Ville, le Clergé et autres, notamment celle de M. de Fresnes.

6. Sauvai, I, p. 355 Guilhermy, p. 76.


chapellenies faites en 1~.81 et 1486 par Marguerite Langlois, en 1562, 1566 et 1574 par Catherine de Clermont~. Mais en 1590, pendant l'attaque de Henri IV, qui avait sa batterie tout près de là, la voûte de la chapelle s'effondra, les murailles se lézardèrent et l'édifice fut abandonné. En 1611, ayant obtenu des dons de la Cour et des quêtes publiques, Marie de Beauvilliers entreprit de le reconstruire, en l'agrandissant, par les soins de Jean Gobelin, maître maçon. On a vu que la chapelle primitive, longue de 9 toises, était régulièrement orientée et tournait son chevet à l'est (page 172). Le 13 juillet, comme on creusait des fondations au delà de ce chevet, on mit à jour l'entrée d'un escalier de trente-sept marches conduisant à une crypte, longue de 32 pieds, large de 7 a 16, avec une pierre portant une croix gravée, et, sur les murs, des inscriptions à demi effacées~. On ne douta pas qu'on vînt de mettre au jour le tombeau de saint Denis, et pèlerins et aumônes affluèrent. La chapelle fut reconstruite plus grande et englobée dans l'enceinte de l'abbaye. Le 30 mai 1626, notamment, devant Leroux, celle-ci acheta, pour i 650 livres, à Henri Cresse et consorts, 2 arpents 3 quartiers tenant au prieuré et au chemin de Montmartre à Paris (rue des Martyrs) 4.

En 1612, les princesses Catherine et Marguerite d'Orléans, demoiselles de Longueville et d'Estouteville, Anne de Beauvilliers, veuve de Pierre Forget, et l'abbesse sa sœur résolurent de fonder un prieuré à la Ville-l'Évêque, les deux princesses, qui logeaient dans ce quartier, désirant avoir près d'elles un couvent, où elles fussent maîtresses. Le août 1612, devant Louis Le Camus, elles acquirent de Marie Le Picart, veuve du maître des requêtes Guillaume Courtin, sieur de la Grange, une grande maison sur le chemin d'Argenteuil (rue de l'Arcade), tenant aux terres de la cure de l'église de la Madeleine. Le 2 avril 1613, devant Le Camus, elles en tuent don à l'abbaye de Montmartre, à charge d'y fonder un prieuré et sous réserve du terrain nécessaire à la construction d'un oratoire particulier, donnant sur l'église du couvent. Elles lui donnèrent aussi, sous réserve d'usufruit, la maison où elles habitaient, située en face de la précédente et couvrant 7 à 8 arpents, acquise par elles le 28 avril 1607, devant Libault, de Madeleine Leprestre et autres. De son côté, Anne de Beauvilliers dota le nouveau prieuré de i 200 livres de rente, qui seraient éteintes quand ses revenus auraient atteint ce chiffre, grâce aux dots

i. Arch. nat., L 1030 Guilhermy, p. 131.

2. Il y en avait, en réalité, cinquante, mais treize étaient ensevelies sous les décombres.

3. Procès-verbal dans Arch. nat., KK 1345 publié par Du Breul, Marrier, Guilhermy (p. 132), Chéronnet (p. 182).

4. Arch. nat., S 4451, 3e liasse.


des religieuses ou aux dons des fidèles~. Le 10 avril suivant, l'évêque Henri de Gondi approuva la fondation. Le prieuré, placé sous l'invocation de 2Vo~-DaMM-G~ace et surnommé le .P~<MoM<MM)' reçut une dizaine de religieuses, sous la direction de Marguerite de Veyni d'Arbouze, nommée prieure.

En novembre 1618, Louis XIII confirma les privilèges de l'abbaye et, le 13 février 1623, lui donna des lettres de sauvegarde, l'exemptant du logement des gens de guerre 2.

Le 22 janvier 1622, devant Leroux, Nicole Barry, fille majeure, donna à l'abbaye, contre 50 livres de rente viagère et le paiement d'une dette de 200 livres, une maison qu'elle avait fait construire près de la chapelle du Martyrium 3. La même année, Anne de Beauvilliers, dame de Fresnes, pour remplir les intentions de son mari, Pierre Forget, résolut de transformer cette chapelle en prieuré, dépendant de l'abbaye. Par acte du 10 mars 1622, devant Leroux, elle lui transporta les i 200 livres de rente affectées en 1613 au prieuré de la Ville-l'Évêque, les revenus de celui-ci dépassant de beaucoup ce chiffre, et y ajouta une somme de 27 ooo livres, à employer en rentes ou biens-fonds. Le 7 juin suivant, Henri de Gondi, cardinal de Retz, approuva la fondation du prieuré, sous l'invocation des Saints-Martyrs, et réunit à ses biens les rentes des deux anciennes chapellenies. Les 27 ooo livres de M'"s de Fresnes servirent à acheter 2 700 livres de rente sur les Aides, comme l'abbesse le déclara le 23 juin 1627, devant Leroux 4.

Disons de suite que, en décembre 1630, Louis XIII y ajouta 300 livres de rente sur le domaine de Paris, pour l'entretien du chapelain, et que, le 31 juillet 1662, devant Mousnier, la reine Anne d'Autriche donna encore au prieuré 800 livres de rente sur son domaine de Calais, pour la fondation d'une messe quotidienne, donation confirmée par Louis XIV en mai 1663 s.

Dix religieuses occupèrent, en 1622, le nouveau prieuré, sous la direction de Denise de Murât s. Mais, le nombre des postulantes augmentant, il fallut agrandir le chœur de la chapelle et construire de nouveaux bâtiments claustraux. Le 11 novembre 1632, le devis des

l. Arch. nat., S 4451, 6e liasse; Barthélémy, p. 248-252. Cf. notre étude sur La Ville-l'Évêque, Bull. de la Soc. du ~777~ arrondissement, 1927, p. 417 et suiv.

2. Barthélemy, p. 248, 256.

3. Arch. nat., S 4424.

4. Arch. nat., L 1031, 4e et 6e liasses Barthélemy, p. 252, 256. 5. Arch. nat., L 1031, 3" liasse; S 4446, 2~ liasse; Barthélemy, p. 257, 26o,265.

6. Guilhermy, p. 138-139.


travaux fut établi, devant Leroux, et signé par l'abbesse le 17 octobre 1634- Un dôme s'éleva au-dessus de l'ancienne chapelle. En 1639, l'avocat D. H. I., continuateur de Du Breul, écrit « Les religieuses et abbesse de Montmartre, considérant la grande dévotion des Parisiens au lieu appelé les Martyrs, en. ont fait une fort belle église, au même lieu où était l'ancienne chapelle, embellie de belles chapelles très bien parées et d'un grand autel des plus beaux qui se voient » Le 4 février 16~.2, l'abbesse traita, pour y ~oo livres, avec Jean Blanchard, sculpteur du roi, et Nicolas François, menuisier, pour les travaux à faire à l'autel de la crypte. Le 22 mars, elle acheta à Blaise Chariot, maçon à Auxerre, la pierre de Bailly nécessaire au même autel".

Elle fit construire, aux abords du prieuré, quelques maisons restant en dehors de la clôture, mais pouvant, sans doute, y être annexées en cas d'extension. Le 18 décembre 163~, elle loua à Louis Leleu, maître boulanger, pour six ans, à 700 livres, une grande maison, bâtie depuis dix ans devant la chapelle des Martyrs, se réservant quelques salles pour y loger ses hôtes les jours de fête ou de professions, et l'écurie pour loger les ouvriers travaillant au prieuré. Le 25 juin 163;), elle loua une maison semblable, pour six ans, moyennant 500 livres, à Nicolas Cupriolive, marchand de vin~. Pour solder une part de ces dépenses, l'abbaye aliéna la partie occidentale de son jardin primitif, sur laquelle fut ouverte la place du Tertre4. On a vu (pages 172, 178) que la confrérie des Orfèvres venait souvent à la chapelle des Martyrs. Le g février 1628, devant Marion, elle acquit d'Aubin Guyard, affineur, un terrain de 6 perches, place du Tertre, pour 180 livres, et y fit construire une maison, qui lui servait de lieu de réunion les jours de visite au Martyrium et qu'elle louait le reste de l'année. En tant que propriétaire de cet immeuble, la confrérie était représentée auprès de l'abbesse de Montmartre par « un homme vivant et mouvant », au décès duquel elle devait au couvent un droit de mutation de 100 livres. Pour rendre ce droit aussi peu fréquent que possible, les orfèvres désignaient pour « homme mouvant x un enfant de douze à quinze ans, fils de l'un d'eux. Ils acquittèrent la redevance le 3 mai 16~0, devant Leroux, et le 7 mars 1671, devant Sainfray. Cette seconde fois, ils convinrent avec l'abbesse de remplacer « l'homme mouvant » par une rente annuelle de 100 sous et un cens de 4 deniers s.

r. Supplément à Du Breul, p. 84.

2. Étude Pierre Robineau.

3. Arch. nat., S 4432-4433, 4e liasse.

4. Voir le paragraphe sur l'A bbaye d'En-Haut. 5. Arch. nat., KK ]:3~.5 et S 4~.32-4.33, Ire liasse.


Le 17 janvier 1630, la donation, devant Marion, par Charlotte Asselin, fille majeure, d'une somme de 10 ooo livres, permit à Marie de Beauvilliers d'acquérir le couvent des Récollets, à Montargis, pour y fonder un prieuré, où elle envoya quatre religieuses, sous la direction de soeur Marie Granger, nommée prieure 1.

Le 2 juin 16~3, voyant les fermes du Gâtinais à demi détruites et désertées par leurs habitants à cause du logement trop fréquent des gens de guerre, Marie de Beauvilliers échangea les terres de Boissyle-Repos, Herbauvilliers et Mainbervilliers, avec Pierre Huault, marquis de Bussy et de Vère, contre une ferme de 80 arpents, située au Mesnil-Aubry. Mais, en 1657, l'abbesse Françoise-Renée de Lorraine constatait que cette ferme ne rendait que 800 livres, alors que les autres en donnaient 2 ooo. Le 5 décembre, elle obtint des lettres de rescision, confirmées par un arrêt du 12 octobre 1658 et, en 1659, rentra en possession des biens échangés 2.

C'est vers 16~.5 que le faubourg Poissonnière commença à se construire, dans le terroir dit le Val-Larroneux et maintenant la NouvelleFrance, à cause de l'enseigne d'une guinguette montrant une vue du Canada, que la glorieuse défense de Samuel de Champlain avait mis à la mode depuis 1628. L'abbaye y possédait, depuis des temps très anciens, un terrain de 3 arpents faisant partie du dîmage de SaintGervais, dont le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois, son voisin jusqu'aux Porcherons, lui contesta la propriété aussitôt que des immeubles s'y élevèrent. Un croquis du xvni~ siècle~ montre que ces terrains bordaient la rue du Faubourg-Poissonnière entre la rue de Bellefond au sud et, au nord, une ligne correspondant à l'actuelle rue de Dunkerque, soit entre les n°s 107 et 157 (croquis i). Le 22 août iô~j.8, les religieuses adressèrent une requête au Conseil « pour être maintenues en droit de censive et justice sur 3 arpents, au lieu dit le P'a~-Z.a~OM~M.v, sur le chemin des Poissonniers, où ont été depuis peu basties des maisons, appellées la Nouvelle-France ». L'arrêt du 7 mai 1650 leur donna raison et débouta les chanoines4. Une liste de 16~.7, des « Maisons basties de neuf au Val-Larroneux, dit la NouvelleFrance », montre qu'il existait alors, dans la censive des Dames, du côté occidental du chemin des Poissonniers (probablement entre les n°~ 107 et 137 actuels), neuf petites maisons joignantes. Une dixième fut déclarée le 26 février 1653

i. Minutier Marion. Les Bénédictines de Montargis émigrèrent sous la Révolution en Angleterre, où elles existent encore.

2. Arch. nat., S 4453, 5e liasse; Terriers dans S 4480, 4492, 4493 et 4494. g. Arch. nat., Nu' Seine 734.

4. Arch. nat., S 4451, 3e liasse.

5. Arch. nat., S 4445.


Depuis 1629, les religieuses du prieuré de la Ville-l'Évêque, soutenues par la fondatrice Catherine d'Orléans, avaient engagé une action pour secouer le joug de l'abbaye de Montmartre et se constituer

(Croquis n<* i.)

en monastère indépendant. Une transaction, signée le 2 février 1636, n'eut pas de suite, en raison de la mort de Catherine d'Orléans. L'abbesse de Montmartre, qui avait fait de grosses dépenses à la Ville-l'Évêque, réclamait son dû et le Parlement lui donnait raison. Après dix-huit ans de procédure, un accord intervint, et, par acte du 7 mai 16~7, devant Leroux, l'abbesse Marie de Beauvilliers accepta la séparation du prieuré. Les dépenses faites à la Ville-l'Évêque s'étaient élevées à 76 5~9 livres 10 sous 2 deniers. Elle se contenta d'une indemnité de 36 ooo livres, les religieuses du prieuré renonçant, de leur côté, à tout droit sur les biens fonciers de leur ancien monastère Ces 36 ooo livres furent employées aux travaux du prieuré des Martyrs.

EnËn, le 27 février 1638, devant Leroux et de Mas, Marie de Beau-

i. Arch. nat., S 4451, 6~ liasse Guilhermy, p. 77. Voir notre étude sur La Ville-l'Évêque, précitée.


villiers avait cédé la seigneurie de Torfou, près d'Étampes, qui ne rapportait que 60 livres, à Charlotte de Balzac, dame de Bassompierre, contre 350 livres de rente et 200 livres en argent comptant pour acheter des ornements à l'église de l'abbaye. Le 3 mars 1639, Hubert Rollet, visiteur de Montmartre, avait approuvé cette transaction, si profitable au monastère

Dès le 31 mars 1633, Marie de Beauvilliers avait, sur sa demande, reçu comme coadjutrice sa nièce, Henriette-Catherine de Beauvilliers, qui mourut le I5 septembre 163~. Le 22 janvier 1638, elle obtint, pour le même emploi, sa cousine, Césarine-Henriette d'Escoubleau, fille de Charles, marquis de Sourdis, qui mourut aussi, à vingtdeux ans, le 18 janvier 16~.3. Enfin, le 12 décembre 16~, elle reçut Françoise-Renêe de Lorraine, fille de Charles de Lorraine, duc de Guise, et de Henriette-Catherine de Joyeuse, veuve en premières noces de Henri de Bourbon, duc de Montpensier. Élevée à SaintPierre de Reims, elle en était abbesse depuis 1637. Elle amena avec elle à Montmartre ses cousines, Marie et Henriette de Lorraine, princesses de Chevreuse, qui y prirent le voile en 16~.7, avec chacune ~oooo livres de dot 2. Dès lors, Marie de Beauvilliers, qui avait soixante-dix ans, vécut à peu près dans la retraite, présidant les fêtes religieuses et les professions de moniales, mais laissant à sa coadjutrice l'administration du couvent.

Sous la direction de cette femme de très haute naissance, ayant de puissants appuis, appartenant à une famille très riche et douée d'éminentes qualités d'organisatrice, l'abbaye de Montmartre allait atteindre un degré de prospérité matérielle qu'elle n'avait jamais connu. La famille de Guise n'attendit pas qu'elle fût abbesse en titre pour exercer ses bienfaits. Dès 16~.7, sa mère, la duchesse de Guise, paya les travaux d'une galerie couverte, construite en 1622 et reliant le dortoir du nouveau prieuré des Martyrs à l'église haute, où se faisaient les offices de nuit 3. Longue d'environ 200 toises et grimpant tout droit la pente, en bordure de la rue des Martyrs, par une série d'escaliers, reliés par des paliers inclinés, elle avait coûté 23 ooo livres4.

:[.Arch.nat.,S~57.3"Ha-sse.

2. Chéronnet, p. 135-136 Guilhermy, p. 78.

3. Sauvai, I, p. 352. En 1639, l'avocat D. H. I. la mentionne dans son supplément à Du Breul (p. 84) « Du depuis, la Dame de Montmartre a fait faire une longue allée couverte, depuis l'abbaye qui est sur la montagne jusques à cette Église des Martyrs. »

4. On voit bien sa disposition sur le plan du fief Montmoyen, fait en 1716 par l'ingénieur Claude Duchesne pour le chapitre de Saint-Germainl'Auxerrois (N" Seine 40) et publié par le Vieux-Montmartre (III, p. ~2), ainsi que sur le plan de Verniquet (i~gi).


La duchesse donna, en outre, à l'église de superbes ornements et, en 1654, y fit élever un mausolée pour le cœur de son second mari. Sa belle-sœur, la fameuse duchesse de Chevreuse, dont les deux filles du second lit, Marie et Henriette, avaient, comme on l'a vu, accompagné à Montmartre leur cousine, la coadjutrice, paya pour chacune d'elles une pension de 5 ooo livres, et, lors de leur prise de voile en 1647, leur donna une dot de 40 000 livres 1. Le frère de l'abbesse, Henri de Lorraine, duc de Guise, légua au couvent, pour doter trois filles pauvres désireuses d'entrer à l'abbaye, une somme de 30 000 livres, qui fut payée en 1657 par sa soeur, Marie de Lorraine, dite Mlle de Guise.

Le 23 mai 1639, celle-ci donna à l'abbaye i ooo livres de rente pour la reconstruction des murs de l'enceinte et, en 1672, se fit construire dans l'abbaye un logement et un oratoire, dont la maçonnerie fut prisée par Pierre Thévenot, le 26 septembre, la charpenterie et la menuiserie les deux jours suivants2. Quelques années après, elle donna 25 ooo livres pour racheter la rente de 1 ooo livres, constituée en 1659. Le 3 août 1682, devant Bouret, elle donna encore 400 livres de rente3 et, par son testament du 6 février 1690, légua à l'abbaye une somme de 150 ooo livres, dont les revenus devaient servir à l'entretien gratuit de vingt jeunes filles pauvres des duchés de Bar et de Lorraine. L'abbesse Françoise-Renée de Lorraine contribua elle-même, de ses deniers, à la réfection du portail, aux réparations des bâtiments et à la décoration de l'église. Aussi, par acte du 25 juin 1672, devant Sainfray, les religieuses mirent-elles tous ces membres de la famille de Guise au nombre de leurs bienfaiteurs, s'engageant à célébrer un service solennel à chacun de leurs anniversaires 4.

~t~s abbesse, .F~aMpoMë-~M~ Lorraine. Marie de Beauvilliers mourut, à près de quatre-vingt-trois ans, le 21 avril 1657, et sa coadjutrice, qui dirigeait la communauté depuis douze ans, en devint abbesse en titre. Elle fut bénie le 24 mai suivant, avec une pompe extraordinaire, par le cardinal Antoine Barberini, archevêque de Reims et grand aumônier de France. Son frère, Henri de Lorraine, lui fit don d'une crosse en vermeil, du poids de 36 marcs (8 kilos 800) 5.

i. En 1647 et non en 1664, comme le dit, par erreur, l'acte du 25 juin 1672 (Arch. nat., L 1031) et comme le répètent Guilhermy (p. 80) et Barthélemy (p. 267). En effet, dès 1652, Marie de Lorraine mourut et Henriette devint abbesse de Pont-aux-Dames.

2. Arch. nat., Y 196, fol. 429 v°, et Z'~ 317.

3. Arch. nat., L 1031, 5e liasse; Barthélémy, p. 273.

4. Arch. nat., L 1031, 56 liasse Barthélémy, p. 265-268.

5. Guilhermy, p. 79; Chéronnet, p. 138.


Le 6 avril 1662, Louis XIV et Charles IV, duc de Lorraine, signèrent à Montmartre le traité qui, après la mort du duc, donnait son pays à la France Le 31 juillet suivant, Anne d'Autriche donna au prieuré des Martyrs les 800 livres de rente sur Calais, dont on a déjà parlé (page 193). Vers 1665, l'abbesse intenta un procès à Claude Garrot, seigneur de Champroust, ancien receveur des consignations des requêtes du Palais, qui avait acheté une propriété comprenant le terrain de « la Bonne Fontaine » et en avait démoli le bassin pour conduire l'eau dans son réservoir particulier. Cette eau étant bien meilleure que les autres et ne provenant pas d'une source, mais « des pleurs de la montagne, recueillies par trois pierrées artificielles faites dans les terres voisines », Garrot privait les habitants, dont l'abbesse se faisait le défenseur, d'un « ouvrage public », qui leur était indispensable. Un accord intervint, car, le 29 septembre 1669, elle vendit à Garrot toutes les eaux du versant oriental de la butte et, le 28 mai 1671, devant Le Semelier, signa avec lui un nouvel accord pour l'alimentation de l'abbaye et des cultivateurs voisins2.

Elle s'occupa aussi d'étendre la seigneurie du monastère. Le i~ mai 1667, comme on l'a vu (page 191), elle racheta celle de Bourgla-Reine, qu'on avait dû aliéner en 1660. Le 6 juin 1669, devant Sainfray, elle acquit de Paul de Gondi, cardinal de Retz, abbé de SaintDenis, moyennant 2~. 028 livres 15 sols et i ooo livres de « relief » à chaque changement d'abbesse, la seigneurie de Clignancourt, comprenant la maison seigneuriale, devenue simple ferme et située au coin nord-est du croisement des rues Marcadet (nos 102-106) et Saint-Denis (du Mont-Cenis), avec colombier, pressoir et jardin couvrant 3 arpents et demi un arpent de vignes au lieu .dit le B~MMM~, touchant l'enclos de l'abbaye 40 livres de cens sur diverses terres ~8 sols de cens sur 7 arpents au lieu dit « le Pressoir Bénédicité x enfin, les droits de justice sur deux fiefs mouvants de la seigneurie, dits les fiefs 7'M~M~M et Graville, dont le second était déjà incorporé à elle3. Cette acquisition étendait la juridiction de l'abbaye, au voisinage de la butte, au nord jusque vers la rue Ordener, à l'est jusque vers la rue Stephenson, et mettait fin aux perpétuels « combats de fiefs », comme on disait alors, que l'enchevêtrement des censives faisait naître.

i. Guilhermy, p. 82.

2. Arch. nat., S 4436-4437, 2e liasse Sellier, Curiosités, p. 68 et suiv. 3. Arch. nat., S 2245 B et S 4436, 2e liasse. Sellier a consacré aux seigneurs de Clignancourt, dans le Bull. de la Soc. de l'Hist. de Paris (1891, p. 99 et suiv.), puis dans ses Curiosités (1904, p. 191 et suiv.), une très bonne notice que l'on complète et rectifie sur certains points dans le chapitre sur le même sujet.


En 1674, le roi, désirant supprimer les justices particulières à l'intérieur de Paris, demanda aux détenteurs de fiefs de nouvelles déclarations. Le 24 janvier, l'abbesse déclara à la Chambre du Trésor que le fief du « Fort-aux-Dames » (sic), comprenant haute, moyenne et basse justice, s'étendait sur les propriétés suivantes (cf. pages 180 et 182)

quatre maisons rue de la Heaumerie,

vingt-trois maisons rue Saint-Martin, y compris celles de l'impasse de Clairvaux et de la cour du Maure,

quatorze maisons rue des Petits-Champs (Saint-Martin), deux maisons rue des Ménétriers,

cinq maisons rue Neuve-Saint-Méderic,

deux maisons Vieille-Place-aux-Veaux, autrement dite rue de la Lanterne.

les droits sur la Grande Boucherie,

cinq places à vendre trippes et poissons contre le Châtelet, une banne sous la voûte du Châtelet,

quatorze maisons rue de l'Arbre-Sec,

trente-trois maisons rue Saint-Honoré,

six maisons rue Tirechappe,

24 sous de rente dus par l'Hôtel-Dieu sur une étable rue du Sablon, 30 sous dus par l'Hôtel-de-Ville pour une maison absorbée dans ses constructions 1.

L'édit royal du mois de février suivant supprima les justices particulières et les réunit au Châtelet. C'était un grave préjudice pour l'abbaye, qui entretenait un bailli, un lieutenant, un procureur fiscal, un greffier et deux sergents, sans leur faire payer leurs charges, en récompense des services qu'ils lui rendaient dans ses affaires particulières, et pour qui les amendes, confiscations et autres droits judiciaires constituaient un revenu intéressant. En outre, les officiers du Châtelet contestèrent les droits du couvent dans la prévôté de Montmartre et de Clignancourt.

Sur la réclamation de l'abbesse, le roi déclara, par lettres patentes du 14 avril 16762, qu'il n'avait supprimé que la juridiction du Foraux-Dames qu'il maintenait les droits de l'abbaye sur le territoire de Montmartre et autres lieux hors de Paris que le siège de cette juridiction serait transféré de la rue de la Heaumerie en l'auditoire de Montmartre, d'où ressortiraient les appels des prévôtés de Boulogne, Bourg-la-Reine et autres lieux, les appels de la prévôté de Montmartre ressortissant directement du Parlement. Comme dé-

i. Arch. nat., S 4422 et S 4445, 2~ liasse très inexactement reproduit par Barthélemy, p. 268.

2. Copie dans Arch. nat., S 4445, 2e liasse.


dommagement des droits perdus, il transféra à l'abbaye, dans le domaine de sa juridiction, les droits qu'il avait créés sur les échanges~ 1 et la déchargea de la rente de 50 livres, à laquelle elle avait été taxée pour l'entretien des enfants trouvés~. L'auditoire de Montmartre, ou maison du bailliage, se fixa dans une impasse, dite cour du -P~ssoir, séparant les communs du cloître (aujourd'hui rue Saint-Éleuthère) 3.

Le 21 juillet 1675, Marguerite d'Orléans, grande-duchesse de Toscane, nièce de l'abbesse, arriva à Montmartre, où elle devait rester dix-huit ans' On construisit à son intention un pavillon spécial, à cheval sur le mur de clôture du prieuré des Martyrs, à l'ouest de celui-ci, avec des communs plus à l'ouest encore et on entoura le tout d'une clôture, qui coupait, à hauteur de l'actuelle rue Antoinette, l'ancien chemin des Martyrs, montant tout droit vers le village de Montmartre~. En mars 1678, pour dédommager les habitants de la perte de ce chemin, on en ouvrit un nouveau par la sente des Saccalis (aujourd'hui rue de Ravignan), que le roi fit paver sur les fonds du pavé de Paris

Les bâtiments de la vieille abbaye tombaient en ruine et depuis longtemps les religieuses songeaient à transférer le monastère au prieuré. Mais il fallait des agrandissements, qui dépassaient les moyens du couvent. En 1681, le roi promit 50 ooo écus et, le 12 août 1681, François de Harlay, archevêque de Paris, permit la réunion du prieuré et de l'abbaye, le transfert des reliques et la démolition des anciens lieux conventuels, sauf le côté du cloître touchant l'église' Les pierres des vieux bâtiments servirent à l'édification des nouveaux.

~s abbesse, Ma~M-~MMe de Z.o~aMMe-~f~eoM~. Françoise de Lorraine mourut à soixante-trois ans, le 4 décembre 1682, quand les

i. Les échanges d'une terre contre une rente, qui étaient de véritables ventes, n'étaient pas soumis précédemment aux droits de Jods et ventes. 2. Trétaigne, p. 129 à t~ BarthéJemy, p. 270.

3. Voir le paragraphe sur l'Abbaye d'En-Haut.

4. Capon, ~MM~-AfoM~Ms~fe, VI, p. 231 et suiv.

g. Le pavillon était à l'emplacement des n°s 96-98 actuels de la rue des Martyrs, qui a repris son ancien tracé. M. Capon (loc. cit., p. 236) s'est trompé en le mettant aux n°s 90-92, c'est-à-dire au coin de la rue d'Orsel, d'après le plan du fief Montmoyen (Arch. nat., N" Seine 40) qui le montre mal. On le voit bien mieux sur le plan de Verniquet. Si le nouveau chemin, en 1678, a tourné à gauche plus bas, c'est pour emprunter la sente des Saccalis, qui s'embranchait là sur la rue des Martyrs.

6. Arch. nat., S 442~ Capon, p. 237-239.

7. Guilhermy, p. 81 Barthélemy, p. 271-273.


travaux venaient de commencer, et fut enterrée dans l'église haute, qui continua à servir de sépulture aux religieuses. Le 26 novembre 1683, le roi nomma abbesse Marie-Anne d'Harcourt, fille de François de Lorraine, comte d'Harcourt et de Rieux, et d'Anne d'Ornano, et âgée de vingt-cinq ans.

Le 8 décembre 1686, les soeurs de l'Abbaye d'En-Haut se réunirent à celles du Prieuré.

Le 19 avril 1687, le roi donna des lettres patentes pour la confection d'un nouveau terrier, qui ne fut commencé qu'en 1696~. Le i mars 1688, devant Sainfray, l'abbesse concéda au curé Gilbert et aux habitants de Montmartre l'ancien « choeur des Dames » (dernière travée de la nef et transept), pour agrandir l'église paroissiale, ne se réservant que l'abside et le clocher. Les habitants donnèrent en échange 7 quartiers de terre au lieu dit les Saccalis. L'abbesse céda aussi, du côté nord de l'église, un coin du verger, pour en faire le cimetière paroissial. Le 22 juillet 1697, elle donna, un emplacement à côté pour construire le clocher paroissial et 24. toises de plus pour agrandir le cimetière (aujourd'hui dit du Calvaire), à charge par les habitants de refaire la clôture et de fournir un jour de corvée ou une livre pour l'entretien des chemins publics ou tout autre travail dont l'abbaye aurait besoin 2.

Le 21 juin 1693, l'abbesse fit une nouvelle déclaration des biens au Bureau du Clergé.

Les dîmes sur Montmartre et Clignancourt consistaient en 5 ou 6 muids de tous grains et 7 à 8 de vin. Les cens et rentes rapportaient 160 livres un arpent au clos des Halliers, 90 livres, plus la dîme la maison du Chanoine, sur la grande place de Montmartre, 76 livres un moulin à vent sur le haut (la Lancette), 180 livres 8g arpents de terre labourable, 42~ livres la maison seigneuriale de Clignancourt, avec colombier et pressoir banal le moulin des Dames, 200 livres le cens sur les maisons de Paris, 28 livres, plus les droits de )ods et ventes (non spécifiés) une rente des Pères de la Doctrine chrétienne, occupant l'hôpital Saint-Julien, 60 livres la rente sur la Grande Boucherie, 77 livres le For-aux-Dames, rue de la Heaumerie, loué 150 livres; une maison rue des Petits-Champs, 27~ livres; une boutique au Grand Châtelet, 200 livres une pierre à poisson, 36 livres les rentes sur le domaine de Paris, 4.06 livres sur l'HôtelDieu, go sols sur Calais, 800 livres. La seigneurie de Boulogne rapportait 55o livres celle d3 Bourg-la-Reine, 106 livres celle de Barberie, 330 livres celle du Gâtinais, i 260 livres la terre de Collégien, 700 livres les 10 arpents de Chelles, 125 livres la terre de Chaumon-

i. Arch. nat., S 4434-4435, 4" liasse.

2. Arch. nat., S 4422, 4424 Barthélemy, p. 276, 277 (très incomplet).


tel, 450 livres les revenus du bois de la Minière (180 arpents) et de la terre d'Argenteuil (4 arpents) ne sont pas spécifiés. La ville de Compiègne devait une rente de 12 livres et les dîmes d'Auvers rapportaient 750 livres.

Le 9 février 1696, une déclaration additionnelle mentionna vingtneuf pensions viagères faites à des soeurs, montant à 10 048 livres, dont un quart mal payé les rentes sur les Aides et Gabelles, 2 867 livres, et sur le Clergé, 210 livres 1.

Marie de Lorraine d'Harcourt mourut le 29 octobre 1699, à quarante-deux ans.

VII. L'ABBAYE D'EN-HAUT

Le clos Primitif. Nous n'avons pour nous renseigner sur la disposition primitive des bâtiments de l'abbaye qu'un plan, très peu exact, des Archives nationales, qui doit dater de la fin du xvie siècle ou des premières années du xvus siècle~. Il montre le couvent encore réduit au sommet de la butte, c'est-à-dire avant l'extension de l'enclos jusqu'à la chapelle des Martyrs (vers 1612-1615) et la construction de la galerie de jonction entre l'abbaye et le prieuré (1622). Il a été fait dans une circonstance spéciale, car, représentant en noir la majeure partie des bâtiments, il figure en rouge la sacristie méridionale, l'aile orientale du cloître et une partie de l'aile méridionale. Ce sont les constructions atteintes par l'incendie de 1559, qui prit naissance dans le dortoir, au premier étage de l'aile sud, et se propagea jusqu'à la sacristie, où il consuma les ornements sacerdotaux, entre autres la chasuble de saint Bernard et le missel qui passait pour avoir servi à la consécration de 1147 (page 184). Il semble donc avoir été établi en vue de leur réparation mais la copie qui nous en reste, d'après le dessin du jardin et du cartouche qui la décore, ne doit pas être antérieure aux premières années de l'abbatiat de Marie de Beauvilliers, entre 1600 et 1610.

Ce plan, dont on trouvera ci-joint le schéma (croquis 2), est très inexact comme dessin. Il donne à l'abside de l'église Saint-Pierre une forme trapézoïdale qu'elle n'a jamais eue, ne figure pas les deux absidioles adjacentes, ne marque pas la saillie du transept et attribue cinq travées à la nef, au lieu de quatre. Sa comparaison avec le plan de Verniquet (1791) montre que le cloître y est beaucoup trop grand par rapport à l'église, ayant son aile occidentale à l'aplomb de la

i. Arch. nat., S 4424.

2. Arch. nat., N'" Seine 736. Il a été publié dans le Vieux-Montmartre (38e fasc., 1900, III, p. 284-285), qui l'indique à tort comme donnant « la partie du Haut de l'abbaye et comme datant du xvill" siècle.


façade et son aile orientale à l'aplomb de l'avant-chœur, alors que Vemiquet les indique respectivement à hauteur de la deuxième travée et du transept. Or, le vieux cloître ayant été conservé lors des démolitions de la fin du xviis siècle, c'est bien lui que représente Verniquet. D'ailleurs, les sondages faits par Sauvageot devant le portail, de 1899 à 1905, lors de sa belle restauration de l'église, la présence, au revers de la façade actuelle, de deux piles du xn~ siècle et d'une partie du mur qui les unissait prouvent que l'église primitive n'a jamais eu que quatre travées.

Par suite de son erreur, l'auteur du plan représente mal le « choeur des Dames », qui n'occupait pas les deux dernières travées de la nef, mais la dernière et le transept, que les religieuses cédèrent, en 1688, aux paroissiens (page 202). Mais il montre que, de chaque côté de l'abside, on avait construit deux sacristies, une au nord pour le curé, l'autre au sud pour le chapelain des Dames, puisque c'est dans celle-ci que furent brûlés, en 1559, les ornements appartenant au couvent. On devait y accéder par des portes percées au fond des absidioles, à moins que les absidioles elles-mêmes ne servissent de sacristies. Son principal intérêt consiste dans ses références, qui indiquent la répartition des locaux, laquelle n'a pas dû beaucoup varier du xne au xvi" siècle. Ces inscriptions, qui utilisent toutes les places libres du papier et empiètent même sur le cartouche, ne sont pas de l'auteur du plan, ni même, pour la plupart, de l'auteur de la copie et ont dû être complétées postérieurement.

On entrait dans l'abbaye par une porte cochère C, située au sud du parvis B, à l'emplacement de l'entrée actuelle du cimetière du Calvaire. On trouvait de suite à gauche une petite porte D, donnant accès au parloir K et, par lui, au cloître L, qu'entouraient sur trois côtés les locaux conventuels. A côté du parloir était la loge du portier S.

Le rez-de-chaussée de l'aile occidentale était consacré aux hôtes. On y trouvait une grande salle, ou salon T, un salon à manger V et une série de chambres II, ou de « bouges o III, avec un « vestibule pour le jardin » IV. Toutes ces pièces ouvraient sur le cloître et sur un corridor intérieur. Cette aile avait été allongée au delà du cloître et, dans sa partie méridionale, avaient été aménagés les services de la cuisine VII, « chopinière » VIII, « dépense )) IX, « souliarde » X, latrines XI et réfectoire des domestiques XII.

L'aile méridionale comprenait un grand escalier M, montant au dortoir du premier étage, et le réfectoire R.

i. Voir l'excellent plan d'Albert Mayeux, accompagnant la monographie de M. Deshoulières. Bulletin monumental, 1913, p. 10, et croquis n° 4 cijoint.


(Croquis no 2.)


L'aile orientale présentait trois pièces, dont une seule est marquée « greniers XIV, mais dont les deux autres devaient avoir le même office, la salle du Chapitre N et un autre escalier M, permettant de descendre de l'étage supérieur à l'église.

Du premier étage, nous ne connaissons avec certitude qu'un emplacement, celui du dortoir, au-dessus du réfectoire R. Des notes biffées, sur le côté droit du cartouche, mentionnaient les chambres des aumôniers, la bibliothèque, l'infirmerie, d'autres pièces encore. On renonça sans doute à leur donner des références, dans l'impossibilité de superposer celles du premier étage à celles du rez-de-chaussée. Il n'est pas fait mention du logis de l'abbesse, qui devait se trouver dans l'aile orientale, au-dessus du chapitre N, près de l'église. Les communs formaient deux groupes, l'un à droite de l'entrée, comprenant le pressoir seigneurial EE, les écuries F, la remise G, simple hangar, et les chambres des domestiques H, ouvrant sur les grandes cours E et 1 (emplacement de la place du Tertre) l'autre au sud de l'enclos, formé par le grenier à blé XV, le bûcher XIX, le lavoir XVIII et la boulangerie XX, près d'une « fontaine )' ou d'un puits Q.

Les jardins 0 entouraient l'abbaye, avec deux petits parterres au sud XVI et à l'ouest P. La partie orientale s'étendait jusqu'au carrefour du chemin des Rosiers (rue du Chevalier-de-la-Barre) et du chemin de Saint-Denis (rue de la Bonne), en face de la fontaine de la Bonne. Le mur oriental devait suivre la partie nord du chemin de Mauregard, s'embranchant sur le chemin des Martyrs, à hauteur de l'actuelle rue Condorcet et desservant les carrières de la région~. La partie occidentale des jardins s'étendait le long de la rue Traînée (de Norvins) jusqu'à la place Jean-Baptiste-Clément et, au sud, jusqu'à la partie supérieure du chemin des Martyrs (à peu près à l'emplacement de la rue Gabrielle), qui aboutissait au village sur la place J.-B.Clément actuelle.

L'e~MMOM <~M clos. Telle devait être l'abbaye au début du xvn" siècle, semblable, à peu de chose près, à ce qu'elle était au moment de sa fondation. Après la découverte, en 1611, de la crypte, où l'on reconnut le tombeau de saint Denis (page 192), on engloba la chapelle des Martyrs dans l'enclos du couvent. Un mur, partant du coin du grenier à blé XV, au coude du chemin des Martyrs, descendit droit au sud, le long de ce chemin, jusqu'à, la chapelle, puis, après l'avoir contournée, remonta au nord-est, le long du chemin de Mauregard, pour rejoindre l'ancien enclos à peu près à l'aplomb de l'aile orientale du cloître. Le nouvel enclos prit la forme qu'il a sur le plan

i. Voir ci-après les CsffMfM à ~M<f6.


de Jouvin de Rochefort (167~) Pour couvrir une partie de ces dépenses, le côté occidental du jardin fut aliéné et la place du Tertre se forma. C'est en 1628, on l'a vu (page 194.), que la confrérie des Orfèvres y acheta un terrain et obtint l'autorisation d'y bâtir. On ne trouve pas mention du « tertre )) avant le second quart du xvu~ siècle. La transformation, en 1622, de la chapelle des Martyrs en prieuré (page 193) provoqua, en 1622, la construction de la galerie de la duchesse de Guise (page 197), pour relier le dortoir du nouvel établissement à l'église haute et établir une communication praticable en toute saison. Partant du prieuré, vers le point A (croquis 3), la galerie longeait le mur du nouveau clos, du côté oriental du chemin des Martyrs, puis tournait à l'est, presque à angle droit, pour se raccorder, en C-D, avec l'aile occidentale du cloître, prolongée au sud 2. Cette galerie se composait d'une série d'escaliers, reliés par des paliers inclinés. Au coude B était une chapelle, dédiée à Notre-Dame-deLorette, où les sœurs s'arrêtaient pour couper l'ascension. Deux croquis des Archives montrent que, au XVIIIe siècle, un ruisseau d'eaux pluviales, descendant de la place J.-B.-CIément, était recueilli, sous cette chapelle, dans une cuve en plomb, d'où une conduite de plomb, longeant la face interne de la galerie, le conduisait à un grand réservoir situé au nord du prieuré.

Un peu au-dessous de la chapelle, avant le tournant du chemin des Martyrs, une porte P barrait ce chemin (croquis 3). On l'appelait porte du Palais, à cause du moulin du même nom, le premier au nordouest, sur la crête, au-dessus de la place J.-B.-CIément. On la voit bien, ainsi que la galerie, sur le plan du fief Montmoyen, dressé en 1729 par l'architecte Claude Duchesne pour le chapitre de SaintGermain-l'Auxerrois, dont les propriétés s'enchevêtraient, entre les Martyrs et les Porcherons, avec celles de l'abbaye4.

Au cours du xvn~ siècle, l'aliénation de la partie occidentale du jardin et la suppression des anciens communs, qui en avait été la conséquence, obligèrent de remplacer ceux-ci par un grand bâtiment parallèle à l'aile occidentale du cloître (M du croquis n° 3), qu'on raccorda aussi avec la galerie de Guise. Ce bâtiment était séparé du cloître par une rue en impasse dite du Pressoir, à cause du pressoir

i. Voir le croquis n° 6.

2. Le raccord a disparu sur ]e plan de Verniquet.

3. Arch. nat., N"' Seine 602 et 736.

4.. Ce plan est en deux parties, cotées Arch. nat., N" Seine (sud) et N'i Seine 30 (nord). Une fraction de la seconde partie donnant la vue cavalière de l'abbaye a été publiée dans le ~MM~-MoM~Maif~e (III, p. 42). Le plan est accompagné d'un grand atlas de détails (N"' Seine 8), donnant chaque parcelle.


banal, transporté au milieu du nouveau bâtiment (M du croquis 3). Il était terminé en 167~, puisque c'est dans la cour du Pressoir que s'établit l'auditoire de Montmartre, après la suppression du Foraux-Dames (page 201).

En 1675, on construisit pour Marguerite d'Orléans, grande-duchesse de Toscane, un pavillon au nord du prieuré des Martyrs, à cheval sur le mur d'enceinte de l'abbaye (N du croquis 3), avec des communs à l'ouest. L'ensemble de ces constructions barra l'ancien chemin des Martyrs et provoqua, en 1688, l'ouverture d'une nouvelle voie, suivant la sente des Saccalis, pavée aux frais du roi et aboutissant au village, comme l'ancien chemin, à la place J.-B.-Clément. C'est l'actuelle rue de Ravignan (page 201).

Cet événement, suivi, en 1681, du transfert de l'abbaye au prieuré des Martyrs (réalisé le 8 décembre 1686, page 202), fut cause d'une nouvelle extension vers l'ouest de l'enclos du couvent. Les communs de la duchesse de Toscane furent agrandis et formèrent le « Grand commun F, dont la juridiction spirituelle provoqua, en 1708, un conflit avec le curé du village (ci-après). En 1688, lors de la cession aux paroissiens du « Chœur des Dames » (page 202), les religieuses reçurent en échange 7 quartiers de terre, au lieu dit les Saccalis, et y ajoutèrent l'ancien enclos de la maison de Bel-Air. Le tout forma un vaste jardin E, au nord du « Grand Commun ».

Enfin, de 1690 à 1700, les Dames de Montmartre étendirent leur enclos à l'est, bien au delà du chemin de Mauregard, à la suite des acquisitions et des procès qu'on verra plus loin. Dès lors, l'enceinte de l'abbaye prit la forme qu'elle conserva jusqu'à la Révolution et que montre le plan de Verniquet (croquis g).

Si le pourtour de la place du Tertre était construit dès 1650, comme le prouvent les déclarations au Terrier le terrain au sud, dit « Gamache », et le terrain au sud-ouest, dit « la Provence », étaient encore vagues en 1775. Le 3 septembre de cette année-là, devant Prévost, l'abbesse en fit bail à vie, moyennant ~o livres de rente, au sieur La Biche, marchand mercier, y compris la maison de Bel-Air, en bordure de l'ancien chemin des Martyrs. La Biche fit ouvrir un passage, donnant sur ce chemin, et commença des constructions. Le 23 juillet 1778, par acte sous seing privé et du consentement de l'ab-

i. L'une des principales maisons était, avec celle des Orfèvres (coté occidental), celle du pavillon des Princes, louée le 4 novembre 1720, à. Pierre Duchef, marchand de vin, qui l'occupait déjà., pour sept ans, moyennant 400 livres, une tourte de six pigeons à la Saint-Denis et vingt douzaines d'échaudés à Pâques. Le 7 juillet 1763, devant Prévost, elle fut louée à J.-B. de Bize, marchand de vin, le loyer en espèces tombant à 250 livres (Arch. nat., S ~32-4433,.)." liasse).



besse, il céda son bail, pour vingt-neuf ans, au duc de Montmorency, moyennant 600 livres de rente, payables à lui sa vie durant et, après son décès, s'il se produisait avant l'expiration des vingt-neuf années, aux Dames de Montmartre 1. Le plan de Verniquet semble indiquer que le duc fit construire en cet endroit, au nord de la maison de BelAir, une habitation de plaisance 2.

Le cimetière du Caj!MMf. Le premier cimetière paroissial de Montmartre s'étendait, aux temps mérovingiens, tout autour de la chapelle qui a précédé l'église Saint-Pierre du xne siècle, puisque, en 1891, on en a retrouvé des tombes devant le portail de celle-ci, à l'entrée de la rue du Mont-Cenis, comme on en avait découvert, en 1875, derrière le chevets. Après la construction de l'église, les inhumations se localisèrent en ce dernier endroit et continuèrent jusqu'au xvf siècle comme le prouvent les débris trouvés dans les fouilles4. De Trétaigne dit que ce cimetière est encore cité en 1635, puis que, en 1688, on en établit un nouveau 5; mais Barthélemy a donné un acte qui semble reculer cette fondation au 22 juillet 1697*. C'est Trétaigne qui a raison et la fondation du cimetière dit du Calvaire est bien de 1688, comme le prouve l'acte suivant'.

Le 11 mars 1688, devant Sainfray, l'abbesse Marie-Anne de Lorraine et les soeurs passèrent une convention avec le curé Claude Gilbert et Pierre Vallée, marchand de vin, procureur-syndic, représentant les habitants du lieu. Les premières délaissaient à la fabrique et aux habitants, à titre d'usufruit, les deux arcades (travées) de 'l'église abbatiale, « où elles faisaient ci-devant leur choeur », ainsi que les deux collatéraux, pour agrandir l'église paroissiale, suivant le

i. Pièces jointes au croquis, Arch. nat., N"' Seine 602.

2. La maison de JM-~M', dont on a indiqué l'emplacement sur le croquis de l'abbaye d'après Verniquet, appartenait de longue date aux religieuses, qui l'avaient louée, devant Leroux, le 29 novembre 16~1, pour quatrevingt-dix-neuf ans, moyennant 200 livres de rente et 12 livres de cire blanche, à Antoine Desmartins, lequel s'était chargé de la reconstruire. Son terrain comprenait un arpent 3 quartiers (Arch. nat., S ~25). Le 10 décembre 1661, ce bail fut résilié, moyennant 7 ooo livres d~indemnité payées par les Dames. Le 17 novembre 1666, devant Charles, elles relouèrent la propriété de Bel-Air, « vis-à-vis le clos des Dames x, couvrant <(. arpents et demi, pour neuf ans, moyennant 200 livres, à Michel Lambert, maître de la musique de la Chambre du roi (Arch. nat., S ~32-4.33, 4" liasse). 3. Ch. Sellier, Curiosités. p. 168, 169.

4. Longperrier, Bull. de la Soc. de f.HM<. de Paris, 1875, p. 77. 5. Montmartre et Clignancourt, p. 211.

6. Caytulaiye, p. 277. Il résume l'acte de 1688 sans parler du cimetière. 7. Arch. nat., S 4.422, dossier de la Cure et Fabrique.


plan annexé à la minuter Elles en gardaient d'ailleurs la nue propriété et se réservaient de les reprendre, en rendant les terres reçues en échange. Les habitants pourraient faire abattre le mur .auquel était adossé le principal autel de l'église paroissiale, à charge de -le e rétablir si les Dames reprenaient leur chœur. Celles-ci se réservaient aussi la propriété du clocher, mais autorisaient les habitants à .en construire un autre, au-dessus du collatéral de gauche, pour y mettre trois cloches. Les frais d'entretien de la partie cédée resteraient à la charge des religieuses, mais elles se réservaient la concession des bancs devenus disponibles elles se réservaient encore le droit de messe à certaines fêtes et les offrandes recueillies ces jours-là. En reconnais.sanoe, les habitants donnaient à l'abbaye 7 quartiers de terre, .au lieu dit les Saccalis, faisant partie de 7 arpents aliénés par l'abbaye, trois cents ans auparavant, à un sieur Jourdain de Nahteuil, à charge de les planter de vignes et de leur fournir quatre-vingt-seize pintes de vin de mère goutte par arpent. Les Dames rendraient ce terrain si elles reprenaient les deux arcades. Elles abandonnaient également aux habitants un terrain au coin de leur verger, pour en faire le cimetière paroissial, à charge pour la fabrique de faire le mur de clôture (cf. page 202).

Le 22 juillet 1697, devant Sainfray, l'abbesse et ses sœurs autorisèrent le curé et les habitants à construire leur clocher sur une place du clos qu'elles leur abandonnaient, à condition que ce clocher restât deux pieds au-dessous de celui de Saint-Pierre. La population étant passée à i 800 communiants, elles cédaient aussi une nouvelle parcelle de 2~ toises pour agrandir le cimetière, à charge pour les habitants de refaire la clôture et de leur fournir un jour de corvée par habitant ou une livre d'amende, pour l'entretien des chemins publics ou tout autre travail dont l'abbaye aurait besoin. A l'acte était joint un devis du nouveau clocher 2.

On sait que l'église Saint-Pierre se compose d'une nef de quatre travées, flanquée de bas côtés simples, d'un transept peu saillant 3, enfin d'une abside, encadrée de deux absidioles et précédée d'une partie droite, ou avant-chœur (croquis no 4). Construite d'abord, au xiis siècle, comme église abbatiale, on a dû lui donner de bonne heure le rôle d'église paroissiale, en en affectant une partie au culte des habitants de la butte. Les différences de construction qui existent entre la dernière travée de la nef A et les trois autres, et plusieurs plans anciens de l'abbaye4 montrent que la partie réservée à la pa-

i. Cette minute de l'étude Pierre Robineau est aujourd'hui aux-Archives. 2. Arch. nat., S 4422 et 4424.

3. La saillie du côté sud a disparu dans les réfections du xix~.siècle. 4. Voir notamment celui reproduit dans le Vieux-Montmartre, III, p. 284-285..


roisse était formée par les trois premières travées de la nef, B à D Un mur MN séparait cette partie de celle réservée aux religieuses. Le a chœur des Dames », comme le montre le croquis, occupait la partie centrale de la travée A du transept 2. C'est cette partie, plus les deux bas côtés, que les religieuses abandonnèrent en 1688 au curé et à la fabrique, jusqu'à la ligne PQ, ne se réservant que l'abside E-F, où étaient enterrées leurs abbesses et qui comprenait le clocher, emblème de leur souveraineté. A cette époque, en effet, elles jouissaient pour elles seules de l'église du monastère d'En-Bas et n'avaient plus besoin de Saint-Pierre que pour quelques solennités particulières. L'acte de 1688 a donc un double intérêt, puisqu'il fixe la date de fondation du cimetière dit du Calvaire, sur le côté nord de l'église, et qu'il révèle un agrandissement de l'église paroissiale non encore signalé

Les carrières à plâtre. Dans ses Curiosités historiques du VieuxMontmartre (190~), le regretté Charles Sellier a consacré aux carrières de la Butte et aux accidents qu'elles provoquaient un très intéressant article, et il a été souvent question de ces carrières dans les bulletins du t~MM-MoK~M)~. En 1903, notamment (44e fascicule, IV, p. 10~ et suiv.), M. Gaston Capon a donné une plainte de l'abbesse de Montmartre (alors Marie-Anne de Lorraine) contre un sieur Bertrand, transmise par Pontchartrain à La Reynie le 17 avril 1692 & et le procès-verbal de la visite des carrières faite, quatre-vingt-six ans plus tard, le 5 août 1778, par le juge criminel, le voyer et l'arpenteur du bailliage5, En 1921 (8oe fasc., nouvelle série, n<* i, p. 39 et suiv.), M. J. Mauzin a résumé les délibérations du conseil municipal sur la question, de 1800 à 1860, date de la fermeture des carrières. Il a reproduit en appendice, d'après les notes de Parent de Rosan, le récit d'accidents survenus aux xvn~ et xvm'* siècles, en particulier l'histoire d'un conflit entre l'abbesse et un sieur Jacques Penel, exploitant une carrière le long du chemin de Mauregard (1675t679).

Il existe aux Archives, dans les affaires soumises au Conseil6, un dossier qui montre que l'affaire Bertrand était la suite de l'affaire Penel et qui est surtout curieux par le singulier jour qu'il jette sur la manière dont on rendait la justice en l'an de grâce 169~.

i. Sauvageot, Causerie sur Sa!M<-PMf~, t~MM~MoK<MM)'< III, p. 279. 2. Chéronnet (p. 218), Trétaigne (p. 171) et Sellier (p. 151) ont confondu ce chœnr avec l'abside.

3. Sauf par Trétaigne (p. 139) et Barthélemy (p. 277), mais très inexactement.

4. Arch. nat., 0~ 36, fol. 10~ v°.

5. Arch. nat., Z2 2~61.

6. Arch. nat., V~ 379.


On rappellera en deux mots que le gisement de Montmartre était divisé, par les anciens exploitants, en haute masse, dans la partie

supérieure de la butte, présentant ~2 pieds (i6'"6o) de gypse, pierre franche, présentant i~. pieds (~).°'6o) de gypse, séparée de la masse précédente par une couche de 12 pieds (3°'8o) de marne,

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(Croquis ~.)


enfin,. basse carrière, présentant 14 pieds de gypse (~60), en six bancs discontinus et située, non dans la butte même, mais dans la plaine au nord, au-dessous du chemin de Monceau à Clignancourt~. Sur la butte, la haute masse était surtout exploitée, soit à ciel ouvert, ou en venue, comme on disait alors 2, ce qui était sans grand danger pour les voisins, soit en souterrain, ou en cavage, l'entrée dans les couches se faisant par puits ou par &oMc/:M~. C'est ce second mode d'exploitation qui causait tous les malheurs car, la masse de gypse n'étant pas compacte, mais disposée en bancs, séparés par de minces couches de marne, les infiltrations provoquaient parfois l'efîùndrement des piliers de soutènement ménagés dans les galeries. On tentait d'y parer en faisant donner aux exploitants, par le voyer, des alignements, enregistrés au greffe, qu'ils s'engageaient à ne pas dépasser.

En 1675, un sieur Jacques Penel exploitait une carrière située au chemin de .MaM~t: derrière l'enclos de l'abbaye. Des éboulements s'étant produits, il déclara qu'ils étaient dus aux écoulements d'eau. Le juge criminel et le voyer visitèrent sa carrière, imputèrent les éboulis, qui obstruaient le chemin, à ses fouilles et, le 10 décembre, lui défendirent de les continuer, en lui infligeant 300 livres d'amende. Penel fit reconstruire le mur bordant le chemin, qui s'effondra trois semaines après. En novembre 1677 un nouvel éboulement entraîna le reste du chemin et, le 26 février 1679, le mur de clôture des religieuses tomba à son tour dans la carrière, sur une longueur de i toises. Le 2~ octobre, Penel fut condamné à rétablir le chemin, à combler les escavations, à refaire le mur des Dames, a payer 100 livres d'amende, les frais du procès et des dommages et intérêts à l'abbaye et aux habitants pour la privation du chemin*.

Le dossier Bertrand nous apprend que Penel, jugeant sans doute que la remise des lieux en état serait par trop onéreuse et d'ailleurs peu durable, préféra conclure avec l'abbaye une convention, par laquelle il lui abandonnait son terrain, et lui payait <). 500 livres moyennant quoi, on le déchargeait de toute responsabilité dans les dommages futurs, qui pourraient se produire au même endroit. En 1691, un sieur Gaspard Bertrand, marchand bourgeois, exploitait une carrière voisine de l'ancien chantier de Penel. Un éboulement s'y produisit aussi, entraînant le chemin de Mauregard et 13 toises du mur de l'abbaye. Les Dames lui firent défense de continuer ses travaux et lui réclamèrent 12 ooo livres de dommages.

t.Ch.Sellier,/oc.ct<p.i8.

2. Voir le procès-verbal publié par Capon. 3. Ch. Sellier, <oc. cit., p. 24, note i. 4.. Mauzin, ~oc. cit., p. 6~, 65.


Comme son prédécesseur, Bertrand déclara que l'accident était dû, non à ses fouilles, mais aux écoulements d'eau, entraînant les terres que les religieuses, après leur prise de possession de la propriété Penel, avaient besoin de ses terres pour arrondir leur clos qu'il leur en avait offert lui-même une partie, mais qu'elles avaient refusé qu'on lui réclamait indûment une indemnité de 12 ooo livres pour une réparation qui en coûterait tout au plus 500. Il répondit donc par une demande reconventionnelle en 10 2/j.o livres de dommages pour interruption de ses travaux, ses carrières étant son seul bien. Par jugement du Châtelet du 21 juin 1692, les Dames de Montmartre furent déboutées de leur plainte et condamnées aux dépens. Mais, entre-temps, l'abbesse Marie-Anne de Lorraine d'Harcourt, sentant sa cause peu sûre, s'était adressée directement au roi. Fille de François de Lorraine, comte d'Harcourt et de Rieux, et d'Anne d'Ornano, elle avait reçu en 1683, à vingt-cinq ans, l'abbaye de Montmartre, où elle était élevée depuis l'âge de quatre ans. Son père était le troisième fils de Charles II de Lorraine, duc d'Elbeuf, et de Catherine-Henriette, fille légitimée de Henri IV et de la belle Gabrielle. Elle était alliée aux plus grandes familles et avait de puissants protecteurs. Le malheureux Bertrand allait s'en apercevoir. Le 17 avril 1692, le secrétaire d'État, Pontchartrain, écrivit au lieutenant général de police, La Reynie, une lettre, que M. Capon a déjà publiée mais qu'il faut relire si l'on veut comprendre la suite de l'affaire. « Le Roy, qui, comme vous scavez, donne une protection particulière à l'abbaye de Montmartre, a esté informé que les carriers qui travaillent au plastre aux environs causent un dommage considérable à la closture de cette maison, particulièrement le nommé Bertrand, et comme Sa Majesté est bien aise ~s~M~ à Madame de Montmartre le procez qu'elle seroit obligée de ~OMfMM! Sa Majesté m'ordonne de vous escrire de prendre connaissance des contestations qui peuvent estre entre eux, de tâcher de les régler à l'amiable et, en cas que ledit Bertrand se trouve déraisonnable, de me faire scavoir2 l'estat de la chose et le remède qu'on y pourroit a~o~<e~ par l'authorité de Sa Majesté. » Sans attendre le résultat de l'enquête, un arrêt du Conseil du 20 juin 1692 (veille du jugement du Châtelet) interdit à Bertrand de continuer ses travaux et au Châtelet de s'occuper de la question.

La Reynie nomma comme expert Michel de Meseretz l'aîné~, qui,

i. Capon, loc. cit., p. 105 Arch. nat., 0' 36, fol. 10~ v°.

2. M. Capon a imprimé, par erreur « De ne point scavoir. ); 3. Il appartenait à une famille de charpentiers et d'entrepreneurs, dont on retrouve le nom dans tous les grands travaux depuis le début du xvii~ siècle.


i. Copie dans Arch. nat., S 442~.

après avoir prêté serment, visita les lieux le samedi octobre 1692. Son rapport fut entièrement favorable à Bertrand, l'accident ne pouvant être imputé, suivant lui, qu'aux fouilles antérieures de Penel et aux infiltrations des eaux de pluie. Le procureur des Dames répondit, en incriminant la probité de l'expert, en renouvelant ses arguments antérieurs et en accusant de plus Bertrand d'avoir changé l'alignement qui lui avait été fixé. Bertrand répliqua à son tour que l'expert était parfaitement honnête, et qu'il l'était moins de lui réclamer 12 ooo livres pour une réparation de goo; il renouvela sa demande reconventionnelle et exhiba un alignement du voyer du 10 novembre 1682, auquel il s'était strictement conformé. Mais le procureur de l'abbaye déclara que ce document était faux, que le greffe du bailliage, dont Bertrand pouvait consulter les archives, ne renfermait aucune trace de ce procès-verbal et que les signatures des deux habitants de Montmartre qui l'authentiquaient n'avaient aucune autorité.

Bien que cet alignement, vrai ou faux, fût tout à fait en dehors de la question, du moment que l'expert avait conclu que l'éboulement ne provenait pas des fouilles, et bien que l'abbaye fût incapable de produire l'autre alignement qu'elle accusait Bertrand d'avoir violé, La Reynie, qui avait su lire comme il fallait la lettre de Pontchartrain, saisit la balle au bond. Le 30 septembre 169~ dans un long rapport, il fit l'historique du débat et conclut que le faux alignement produit par Bertrand prouvait sa mauvaise foi, qu'il était bien responsable de l'accident et, en outre, coupable d'avoir continué ses travaux malgré la défense du roi, lequel avait consacré de grosses sommes à la réfection des murs de l'abbaye. Il estimait donc que Bertrand devait être condamné à remettre les lieux en leur état primitif mais, comme la chose serait par trop coûteuse et d'ailleurs impossible, comme il était désormais indispensable de déplacer les murs de l'enclos pour qu'ils pussent tenir, Bertrand devait abandonner à l'abbaye 3 arpents estimés 600 livres, payer i 500 livres de dommages et renoncer définitivement à ses travaux.

Le 23 octobre suivant, le Conseil rendit un arrêt conforme à ces conclusions Bertrand y fit opposition mais un nouvel arrêt du i" février 1605 le débouta. Penel et lui durent méditer la fable du pot de terre, du sieur de La Fontaine.

D'autres actes montrent à l'évidence que cette mainmise sur les terrains en question était la conséquence d'un plan prémédité d'extension, suite lui-même de la translation, en 1681, de l'abbaye d'EnHaut au prieuré d'En-Bas. On consentait à acheter les parcelles; mais, quand les propriétaires ne voulaient pas vendre, on s'arran-


geait pour les leur prendre. Ainsi, le 19 février 1689, devant Sainfray, Jacques Belhomme avait vendu au couvent, pour 200 livres, 3 quartiers, déjà fouillés, au lieu dit MttM~ga~, tenant d'un bout « au vieux chemin ruiné dudit Mauregard ». Le ier octobre 1691, devant Sainfray, Guillaume Boucher et sa femme lui cédaient, pour i 400 livres, 3 arpents un tiers au lieu dit Beauregard et le pressoir Bénédicité, tenant à l'abbaye et à Bertrand. Le 18 juillet 169~, Philippe Rouy lui vendit, pour i 610 livres, un demi-arpent, tenant « au chemin qui conduit de la pointe des Ma~y~s aux carrières ». L'abbaye l'avait vendu, le 10 décembre 1661, à Jacques Dalibert, et celui-ci à Rouy, le 28 janvier 1663. Sur requête de l'abbesse, il avait été condamné à le restituer par sentence du 17 juillet 1669 et avait mis vingt-cinq ans à s'exécuter.

Le 6 juillet 1695, devant Henri Venant, tabellion de la prévôté de Montmartre, les héritiers de Nicolas Bailly cédèrent, pour ~.7 livres 10 sous, 9 perches et demie, au lieu dit Mauregard, tenant à Bertrand. Le 20 juillet, Guillaume Penel et sa femme cédèrent, pour 28 livres 6 sous 8 deniers, 5 perches deux tiers, tenant aussi à Bertrand. Le 26 juillet, les héritiers Bourdin cédèrent, pour 6 livres 13 sous deniers, une perche un tiers, tenant aux Dames au lieu de Bertrand. Le 29 juillet, les héritiers Lecuit cédèrent, pour 22 livres 10 sous, 4 perches et demie, tenant à Penel et à Bertrand. Le 19 août, Morice et sa femme cédèrent, pour 17 livres 10 sous, 3 perches et demie, tenant aux Dames, au lieu de Bertrand

On comprend dès lors pourquoi les Dames avaient été si dures pour Bertrand.

Où étaient donc le chemin de Mauregard et les carrières de Penel, Bertrand et autres?

Dès le 15 juillet 1597, l'aveu rendu par Jacques II Ligier à l'abbé de Saint-Denis pour ses terres de Clignancourt et Montmartre mentionne « le grand chemin de Mauregard, qui conduit de Montmartre à Paris o. De 1644 à 1668, de nombreux actes concernent la carrière de Mauregard, en la censive de Clignancourt, tenant au chemin de Montmartre à Paris, et dont le nom devient Beauregard au xviii'' siècle~. En 1767, l'arpenteur Pierre Lesourd dit du chemin de Mauregard « On prétend qu'anciennement il conduisait de Paris à Montmartre, mais que, Mme de Lorraine et les abbesses suivantes ayant augmenté leur clos et donné un terrain plus sinueux pour y faire passer, par une pente plus douce, le chemin de Paris à Montmartre, tel qu'on le voit aujourd'hui, le chemin a cessé d'être public.

i. Tous ces actes dans Arch. nat., S 4424. 2. Arch. nat., S 4436-4437, Ire liasse. 3. Arch. nat., S 4439, 8e liasse.


Son entrée est dans la rue des Martyrs, au commencement de la rue de la Tour-d'Auvergne mais il finit à la porte Jaune, au clos des Dames, et ne sert que pour y déverser les immondices des Porcherons dans quelqu'une des pièces voisines »

Si l'on se reporte, en effet, au plan de Jouvin de Rochefort (16~5), à celui du fief Montmoyen (1716) 2, à celui de Roussel (1730), et surtout à un croquis des archives de l'abbaye, qui donne les terrains de

(Croquis 5.)

Bertrand et semble avoir été établi à l'occasion des litiges racontés ci-dessus on constate que, au xvn~ siècle, un peu au nord de la rue de la Tour-d'Auvergne, au croisement des rues actuelles VictorMassé et Condorcet, la rue des Martyrs, obliquant au nord, détachait dans sa direction primitive un embranchement, formant avec elle ce qu'on appelait « la pointe des Martyrs x (A du croquis n° 6). Tandis que la rue des Martyrs montait tout droit, le long du côté occidental du clos des Dames et de la galerie couverte, construite aux frais de M"~ de Guise, l'embranchement suivait le côté oriental du même clos, en décrivant un double coude et en allant se perdre dans la rue des Rosiers, au coin de la fontaine de la Bonne. Cet embranchement était le chemin de Mauregard.

i. Arch. nat., Z 8514. Mauzin, Joe. cit., p. 6~ note 3.

2. Arch. nat., N'" Seine 30, partiellement publié dans le Vieux-MontMsf~e.III.p.~z.

3. Arch. nat., N'" Seine 376 (croquis n° 5).


A la suite des arrêts des 23 octobre 169~ et i~f février 1695 (page 216) l'arpentage des 3 arpents que Bertrand devait abandonner aux Dames eut lieu le 7 mars 1695. Un croquis joint à l'acte montre le point où s'était ouverte la « braische 1 », en M du croquis ci-joint, en avant de l'actuelle église du Sacré-Cœur.

Le plan de Jouvin (i6') marque bien « les Plastrières de Penel et

(Croquis 6.)

de Bertrand, en face de l'angle rentrant formé par le clos primitif. Les plans de Roussel (1730) et de Verniquet (1791) montrent les terrains acquis ou conquis par l'abbaye sur les exploitants (partie hachurée du croquis 6), qui doublèrent presque l'étendue du clos et dégagèrent l'ancien prieuré des Martyrs, devenu le couvent principal. Le plan de Verniquet mentionne « la porte Jaune », dont parle Lesourd (B du croquis n° 6), et laisse apercevoir, à l'intérieur du

i. Arch. nat., Z'~ ~28 (croquis 7).


clos, la trace de l'ancien chemin. Le plan de Roussel figure encore, au centre du clos étendu, l'ancienne carrière de Bertrand. Enfin, les plans de Vivien (1828) et de Jacoubet (1836) dessinent toujours la « pointe des Martyrs », mais appellent l'embranchement « rue de

(Croquis 7.)

Beauregard », seconde dénomination du vieux chemin. Son tracé est encore marqué (1929) par la rue Lallier et la Cité des Bains. Ajoutons que, le 29 mars 1762, devant Géraud, Mmes Séjourné et Lechanteur vendirent à Antoine Gaullet, maréchal, un arpent de terre « en face de la porte Jaune de l'enclos des Dames de Montmartre, tenant au chemin qui conduit à la maison de l'Aveuglel ». Cette dernière maison était donc située, non à l'emplacement du Château-Rouge, comme l'indique le plan de Caries~, mais à l'entrée

i. Arch. nat., S 4~7<)., fol. 32 vo. .Cf.SeIUer,p.2go.


de la rue de Clignancourt, côté impair. C'est l'immeuble, figuré sur le plan de Verniquet, que Carles appelle « maison du Commandeur ». Le 12 mars 1776, devant Trudon de Roissy, Jean-François Gillain vendit à Pierre-Joseph Christophe, architecte, une maison au bas de la butte « dite l'Aveugle '), faisant face au chemin de Clignancourt, plus un arpent de terre vis-à-vis de la maison et cinq au PressoirBénédicité. Il la tenait de son père, qui l'avait acquise d'André d'Avey, devant Delambon, le 29 avril 172~. Ce second renseignement confirme le premier.

VIII. L'ABBAYE AU XVIIIe SIÈCLE

42e abbesse, .Ma~M Bellefonds. Le 2~ décembre 1699, le roi donna le brevet d'abbesse à Marie-Ëléonore Gigault de Bellefonds, alors prieure de Sainte-Marie-des-Anges, près Rouen~. Née en 1658, elle était fille de Bernardin Gigault, marquis et maréchal de Bellefonds, mort en 169~, et de Madeleine Fouquet de Chalain. Elle devait ce poste à l'amitié du roi pour son père mais elle était pauvre et sa mère avait obtenu de conserver un appartement au château de Vincennes, dont son mari avait été gouverneur et où elle vivait très retirée~. C'est pendant son gouvernement qu'apparaît pour la première fois le sceau de l'abbaye 4.

Le 13 mai 1701, devant Dionis, Marie de Villers, veuve de Louis Hinard, entrepreneur des tapisseries de la manufacture de Beauvais, qui avait eu quatre filles religieuses à Montmartre, donna à l'abbaye 200 livres de rente sur les Aides et Gabelles~. Le 12 mai 170~, le roi donna des lettres patentes pour la confection d'un nouveau terrier6; mais il ne fut entrepris qu'en 1719, après de nouvelles lettres patentes de 1718 (ci-après). A ce moment, l'abbaye avait des dettes et, malgré un secours de 2~ ooo livres sur les fonds des loteries7, l'abbesse dut, pour les payer, aliéner des biens, notamment, comme on l'a vu (page 191), la seigneurie de Bourg-la-Reine, vendue au duc du Maine, châtelain de Sceaux, pour 5 ~oo livres 8. Le 20 novembre 1708, devant de Mahault, Marie Gigault de Bellefonds signa une transaction avec le curé Pierre Thévenin au sujet des sacrements à administrer aux habitants du « grand commun de la

i. Arch. nat., S 4476, fol. 143 v°.

2. Brevet dans Arch. nat., L 1031, gs liasse.

3. Saint-Simon (éd. Boislisle), I, p. 131 III, p.2ii; XVIII, p. 119. 4. Vieux-Montmartre, IV, p. Il8.

5. Barthélémy, p. 280.

6. Barthélémy, p. 282 copie dans Arch. nat., S 4445, 2~ liasse. 7. Chéronnet, p. 148.

8. Chéronnet a cru à tort qu'il s'agissait de Clignancourt (p. 147).


duchesse de Toscane » (cf. page 208). Le curé reconnut que ces domestiques n'étaient pas ses paroissiens, mais dépendaient de l'aumônier du couvent et se désista de ses droits. En compensation, l'abbesse lui attribua une rente de 5 livres

43e abbesse, Marguerite de Rochechouart. Marie de Bellefonds mourut le 28 août 1717 et fut remplacée, le 13 septembre, par Marguerite de Rochechouart de Montpipeau, alors prieure de Fontevrault Elle était très instruite, sachant le latin et le grec. Les travaux de l'abbaye d'En-Bas, notamment ceux du logis abbatial, n'étaient pas encore terminés et l'abbesse dut habiter quelque temps aux Filles-Dieu. Pour amortir les dettes du monastère, elle obtint 10 ooo livres de l'archevêque de Paris. Lors de l'apogée du « système » de Law, elle reçut de la duchesse d'Orléans dix actions de la Banque, qui donnèrent 39 000 livres, dont 33 ooo furent consacrées aux dettes. Mais, presque aussitôt, la débâcle du système (1720) et le remboursement des rentes à un taux désastreux (1727) réduisirent la communauté à un tel dénuement, que l'abbesse dut s'adresser au roi, qui accorda une pension de 12 ooo livres sur les loteries~. Le 4 juin 1720, devant de Mahault, elle signa une nouvelle transaction avec le curé J.-B. Lucas et les marguilliers, comme suite à celles du 11 mars 1688 (page 210) et du 20 novembre 1708 (page 211), au sujet de la suppression de messes et du service de la chapelle de Clignancourt 4.

En 1721, le chemin des Porcherons à Clignancourt, ou chemin de Bouqueval, fut aligné et baptisé rue de Rochechouart, en même temps que la rue transversale dite de Bellefond.

Le 7 avril 1722, un arrêt du Conseil ordonna la démolition de la voûte du Châtelet appartenant aux religieuses, avec quatre autres boutiques, pour agrandir la prison. Le 18 décembre 1723, le roi accorda 200 livres de rente en compensation 5.

~s abbesse, Louise de la Tour ~M:M~M. L'abbesse mourut le 22 octobre 1727 et fut remplacée, en novembre, par Louise-Émilie de la Tour d'Auvergne, fille de Frédéric-Maurice, comte de la Tour d'Auvergne, et de Henriette-Françoise de Hohenzollern. Elle avait soixante ans et était depuis vingt ans abbesse de Villers-Cotterets.

i. Arch. nat., S 4.422. Ce « grand commun s'étendait, l'ouest de l'ancien clos, entre la rue des Martyrs primitive, coupée en 1688 et la nouvelle voie (rue de Ravignan).

2. Brevet dans Arch. nat., L 1031, ge liasse.

3. Guilhermy, p. 83 Chéronnet, p. 150-152.

4. Arch. nat., S 4422.

5. Barthélemy, p. 284.


On a vu (page 198) que, par testament du 6 février 1690, M~ de Guise avait laissé au couvent une somme de 150 ooo livres, dont le revenu devait servir à l'entretien gratuit de vingt jeunes filles pauvres des duchés de Bar et de Lorraine. La famille n'avait jamais payé le legs, mais servait les dix douzièmes de l'intérêt, soit 6250 livres. En 1731, le renchérissement de la vie rendant cette somme tout à fait insuffisante, l'abbesse obtint du roi, par lettres du mois de décembre, que le nombre des pensionnaires fût réduit de vingt à douze 1.

Dès février 1735, une attaque de paralysie l'obligea à abdiquer et elle se retira au prieuré du Cherche-Midi, où elle mourut le i~ juin 1737-

~5's abbesse, Catherine de la Roche f oucauld. En mars 1735, le roi nomma à sa place Catherine de la Rochefoucauld de Cousage, fille de François de la Rochefoucauld, comte de Cousage, et de Louise de Saint-Martial. Elle était alors abbesse de Saint-Jean-Baptiste de Buxo, près Orléans.

Le 17 septembre 1738,'devant Sainfray, elle acquit de Jean Chevenot et Alexandre Boucher, moyennant 28 ooo livres, la ferme de la Masure, ou de la Neuville, au terroir de Clichy, comprenant 100 arpents de terre. Les vendeurs l'avaient eux-mêmes achetée, le 13 novembre 1725, devant Capet, moyennant 16 500 livres, de Marguerite-Thérèse Bautru, veuve de Nicolas Bautru, marquis de Vaubrun, et dame de Clichy, habitant à Paris, à l'hôtel d'Estrées, rue de Grenelle-Saint-Germain. Les sœurs payèrent 16 ooo livres comptant et constituèrent, pour les 12 ooo restantes, une rente de 600 livres, qui ne fut rachetée que le 2 octobre 1773, devant Menjaud, après procès~.

Le 23 novembre 1742, devant Prévost, l'abbesse échangea avec Gaspard Grimod de la Reynière, fermier général et seigneur de Clichy, demeurant rue Vivienne, 3 arpents de terre, dits le Chantier de Paradis, faisant partie de la ferme précédente et touchant au parc du château de Clichy, propriété de la Reynière, contre deux pièces de terre, situées à Clichy, au lieu dit la Côte, l'une de 2 arpents et demi, l'autre de 3 quartiers3.

En 1745 furent alignées la rue de la Rochefoucauld, la rue de Cousage (aujourd'hui de la Tour-des-Dames) et, probablement, la rue de la Tour-d'Auvergne.

i. Barthélemy, p. 288.

2. Arch. nat., S 4440-4441, 3e et 4e liasses.

3. Arch. nat., S 4.~40-1, Ire liasse. Ce carton renferme les actes concernant Clichy et Monceau et une partie de ceux de Boulogne.


Le 21 novembre 1747, devant Touvenot, l'abbesse signa avec le curé une convention, stipulant que le « gros » (revenu) de la cure, fixé jadis en nature à 2 muids de vin, 18 septiers de blé, 9 d'orge et 9 d'avoine, et converti par l'abbesse Gigault de Bellefonds, le 26 juin 1713, en une rente de 400 livres, serait porté à 405 livres, plus les 5 livres stipulées le 20 novembre 1708

Le 25 juin 1718, Marguerite de Rochechouart avait obtenu des lettres patentes pour la confection d'un nouveau terrier (cf. page 221), et la sentence du Châtelet du 26 août suivant avait désigné le notaire de Mahault pour recevoir les déclarations. Les opérations avaient commencé le 25 avril 1719 et se prolongèrent jusqu'en 1760. Sainfray succéda à de Mahault en 1728 et Prévost le jeune à Sainfray en 1741 On groupera ici quelques déclarations intéressantes, recueillies soit dans ce terrier, soit dans les registres d'ensaisinement~. Le 27 mai 1717, devant Baudin, Nicolas d'Orbay, architecte du roi, acquit, pour 7 500 livres, une maison rue des Rosiers (rue du Chevalier-de-Ia-Barre)~. On sait que d'Orbay était un des bons artistes de son temps, dont le père avait construit notamment la salle de la Comédie-Française, rue des Fossés-Saint-Germain. Le 27 juin 1719, devant Buirette, Pierre de la Tour, sieur des Essarts, contrôleur général de la Monnaie, acheta, pour 8 ooo livres, de Paul Flotte, ancien capitoul de Toulouse, la maison dite « du Palais 5 ». Ainsi nommée du moulin du Palais, le plus voisin au nord, sur la crête, elle était située à l'ouest de l'actuelle place J.-B.-Clément. Le 20 février 1740, Pierre Genest, postillon du duc de Saint-Simon, demeurant dans l'hôtel de celui-ci, rue Saint-Dominique~, déclara une maison, en haut de Montmartre, en face de l'église, qu'il possédait du chef de sa femme, Élisabeth Bressin, héritière de sa mère, Élise Petit, elle-même héritière de son père'.

Le 28 juillet 1750, Charles-François Gaillard de La Bouexière, fermier général, demeurant place Louis-le-Grand, déclara être propriétaire de 7 arpents 86 perches un tiers 19 pieds, aux lieux dits « les Portes-Blanches )), « les Grands-Champs o et « Grattepaille » il en avait acquis la majeure partie, le 30 décembre 1747, devant Fortier, d'Alexandre-Jean Le Riche de La Pouplinière, fermier général, qui

x. Arch. nat., S 4422.

2. Arch. nat., S 4432-4433, liasse, et S 4434-4435, liasse. 3. On en trouvera d'autres aux chapitres suivants.

4. Arch. nat., S 4472, fol. 66 v°.

5. Arch. nat., S 4472. fol. 91 v°.

6. C'est le n° 218 du boulevard Saint-Germain voir notre étude sur le Noviciat des y<!CO&tKS, dans les Procès-verbaux de la Commission du VieuxPayis, 1930.

7. Arch. nat., S 4434-443~, 5e liasse, Registre de 1738-1748, fol. 107.


lui-même avait acheté les terrains de 1732 à 17~ il y avait ajouté 9 perches et demie, par contrat du 13 mai 1750, devant Sauvaige, et devait, pour le tout, à l'abbaye, une dîme de ~.7 boisseaux un quart d'avoine, payable en espèces au cours du jourl. Le 18 août 1757, La Bouexière déclara encore une pièce de 3 quartiers, faisant partie d'un arpent et demi, dont le surplus était sur la censive de SaintDenis, acquis le 6 novembre 1750, devant Sauvaige, de Marie Penel, veuve Le Comte, héritière de son père, Jacques Penel~.

Le noyau de-la propriété en question avait été constitué par une grande maison ouvrant rue des Portes-Blanches, avec un clos de 3 arpents et demi 6 perches, que Jean-Joseph-Alexandre Le Riche de la Pouplinière (bien connu par ses aventures conjugales) avait acquise, le 2 juillet 1732, devant Fortier, de Françoise-Claude Le Poitevin, femme séparée quant aux biens de François Bachelier. Elle avait fait construire la maison sur le terrain acheté par elle, le 30 avril 1726, de Marin Cordroy, jardinier, et de Marie Baudin, sa femme 3. La Pouplinière avait beaucoup augmenté la propriété, et, quand il l'avait vendue à La Bouexière, le 30 décembre 17~.7, elle s'étendait sur 18 arpents, tant dans la censive de Montmartre que dans celle de Saint-Denis (fief de la Panneterie) et du chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois, réuni au chapitre de Notre-Dame (fief Montmoyen) 4.

Charles-François Gaillard de la Bouexière, fermier général, était le fils aîné de Jean-Baptiste, aussi fermier général, avec lequel on l'a constamment confondu et qui ne mourut qu'en 1759~. Son frère cadet, Jean-Baptiste Gaillard de Beaumanoir, fut un grand spéculateur de terrains 6. Un autre frère, Gaillard de Gagny, mourut peu après leur père un quatrième était abbé. Enfin leur soeur avait épousé Jean-Hyacinthe Hocquart, aussi fermier général'. En 1757, 1758, 1763 et 176~, Charles-François Gaillard fit encore de nombreux achats de terrains 8, portant la propriété à 32 arpents un quart

i. Arch. nat., S 4434-4435, 5e liasse, Registre de 1750 S 4473, fol. 177. 2. Arch. nat., S 4434-4435, cahier G, fol. l v°.

3. Ensaisinements dans Arch. nat., S 241, nos 517 et 538.

4. Ensaisinement dans S 241, n° 594. Pour les divisions féodales, voir le paragraphe sur la Petite-Maison du duc de Richelieu.

5. Le partage de sa succession fut fait, devant Laideguive, le 15 mai 1760. Pour la confusion, cf. Capon, Vieux-Montmartre, IV, p. 26. 6. Voir nos études sur les Petites Cordelières et sur l'.H~<~ d'Abrantès (Bull. des Soc. des VIle et V777~ arrondissements).

7. Voir notre étude sur la Place de t~fM~Me (Procès-verbaux de la Commission du Vieux-Paris, 1927).

8. Ensaisinements dans Arch. nat., S 4474, fol. 2 vo, 3 r°, 7 v°, 8 ro, 46 ro, 78 v°, 79 r°-v°, 80 r°-v°, 85 r°.


6 perches 6 toises i pied (environ 11 hectares), et faisant élever au centre, par Carpentier, le charmant pavillon dont les seuls vestiges sont à Carnavalet~. Il mourut en 1774 et sa « folie », adjugée à son neveu le président Hocquart, fut vendue par lui en 1775 à l'architecte Le Foullon. Celui-ci en lotit la moitié méridionale et, après divers propriétaires, le reste échut, en 1806, au comte Greffulhe, dont les héritiers revendirent, en 1826, aux organisateurs du troisième Tivoli

Le 29 octobre 1751, devant Gervais, Pierre-Jean-François de la Porte, intendant du Dauphiné, vendit pour 12 600 livres, à François Mahé de la Bourdonnais, une maison rue Saint-Lazare, tenant à l'est à la rue de la Rochefoucauld, à l'ouest au sieur Aubé, au nord à la rue de Cousage (rue de la Tour-des-Dames) le vendeur en avait hérité de Louis-Charles de la Porte de Montval, son oncle, qui l'avait acquise, le 1er avril 1749, devant Gervais, de Louis Douet de SaintGermain, lequel l'avait achetée, le i mars 1746, de Berger de Recy 3. Louis de la Porte y avait ajouté un jardin d'un arpent et demi, acheté à Berger de Recy, qui possédait le tout par adjudication du 18 mars 1739, sur la succession de Jacques Boulay, à Guillaume Daspremont, lequel en avait passé déclaration à Recy, le 25, devant Doyen 4.

On sait que La Bourdonnais, rappelé en France en 1748, avait été mis à la Bastille sous une accusation de concussion et venait seule- ment d'en sortir, après s'être justifié. Il mourut en 1755 et sa propriété, qui correspondait aux nos 54-56 de la rue Saint-Lazare, fut acquise par le notaire Jean-Baptiste-Claude Patu, qui en passa déclaration. le 9 décembre 1755, devant Armet, à Jean-Claude Goupy, marchand mercier. Celui-ci y fit construire plusieurs immeubles et, le 14 décembre 1762, devant Arouet, revendit l'un d'eux, portant le n des limites de Paris (n° 56 actuel), moyennant 27 ooo livres, à Anne-Marie Danton de Vaugirault, veuve de Toussaint Noblet, greffier en chef de la cour des Comptes

Le u août 1773, devant Duprez, elle le revendit au même prix à Louis-Antoine de Bougainville, brigadier des armées, qui le déclara le 21 juin 1774' Il s'agit du célèbre navigateur qui, après son voyage autour du monde, était rentré pour quelques années dans l'armée de

i. Plan dans Arch. nat., S 2271, et !~MM.t;-MoM<M!N;~e, III, p. 316; V, P. 39.

2. Voir le paragraphe sur la Petite-Maison du ~Mc Richelieu. 3. Voir le paragraphe sur la Tour-des-Dames.

4. Arch. nat., S 4473, fol. 222 r°.

5. Arch. nat., S 4474, iol. 45 r°.

6. Arch. nat., S 4476, fol. 78 r°, et S 237.


terrer La maison à l'ouest, acquise de Goupy par un sieur de Vimont, avait été revendue par le fils de celui-ci, le 19 juin 1770, devant Clos, à Antoine-Toussaint Noblet. Le i novembre 1773, devant Duprez, il la revendit à Germain-Jean-François de Bougainville de Merville, capitaine d'infanterie, cousin du précédent~.

Le 27 août 1737, François-Alexandre de Garsault, chirurgien, déclara une maison à porte cochère sur le Tertre, tenant d'un bout au cul-de-sac Traînée, de l'autre à la maison des Orfèvres 3, qui était donc située du côté occidental de la place (cf. page 194.). Le 8 janvier 1757, Jean-Baptiste Pigalle, sculpteur, déclara être propriétaire 1° d'un terrain acquis le 16 juin 1756, devant Théresse, pour 4 600 livres, de Pierre-Denis Ménissier, maçon, qui le tenait de la veuve Darbel, celle-ci, en 1747, de Charles Sentier et celui-ci de Berger de Récy, lequel avait été adjudicataire au Châtelet, le 18 mars 1739. de 4 arpents 3 quartiers sur la succession de Jacques Boulay (cf. page 226) 2° d'un autre terrain de i ooo toises, acquis, le 2 juin 1756, devant Théresse, pour 8 ooo livres, de Berger de Récy. Le tout formait 2 arpents, sur lesquels il avait fait construire une maison et un grand atelier, tenant à la rue Saint-Lazare et à la rue de Cousage, par devant à la rue Blanche 4.

Pigalle appartenait, comme on sait, à une famille de cultivateurs de la Chapelle, dont le nom revient souvent, du xvi~ au xvm~ siècle, dans les archives de l'abbaye. Il y avait même, au xvie siècle, entre Clignancourt et la Chapelle, un lieu dit « les Noyers Pigalle ». Le 26 juillet 1777, devant Bro, Pigalle acheta au sieur Mutel, pour 50 ooo livres, une grande propriété ouvrant à la fois rue Saint-Lazare (n°~ 44 à 50) et rue de la Rochefoucauld (n°s 4 à 12), dont il passa déclaration au chapitre de Notre-Dame le 14 janvier 1778 et où il mourut le 21 août 1785~. Le 29 janvier 1787, devant Lefèvre, sa veuve, Marie-Victoire Pigalle, qui était aussi sa nièce, la revendit, pour 60 ooo livres, à Jacques Valleteau de la Roque, maître honoraire à la Chambre des Comptes s, qui la céda, le 23 juin 1789, devant Péan

i. Il mourut le 31 août 1811, passage des Petits-Pères.

2. Arch. nat., S 4476, fol. 14 r° et 85 r".

3. Arch. nat., S 4434-4435, cahier G, fol. 2 v°.

4. Arch. nat., S 4432-4433, cahier de 1757, fol. 2 r°-v°; cf. S 4473, fol. 248 r°-v°.

5. Arch. nat., S 4495, terrier de 1545, fol. 77 r°.

6. Arch. nat., S 237 c'est le lot 36 du fief Montmoyen (1729). 7. L'histoire en a été faite par M. Coyecque, Bull. de la Soc. de l'Hist. de Paris, 1914, p. 36 et suiv. On ne revient sur la question que pour citer les cotes d'archives qu'il ne semble pas avoir connues.

8. Arch. nat., S 542, ensaisinement du 15 février 1787.


de Saint-Gilles, pour 50 ooo livres, à Armand de la Porte, maître des requêtes, et à Charlotte-Louise de Cotte, sa femme, demeurant rue de Bourbon elle tenait alors, au nord, « à une rue nouvellement agrandie, appelée ci-devant la ruelle Saint-Georges ». Le 14 février 1757, Pierre-Antoine-Marie Ruggieri, artificier du roi, demeurant rue Montorgueil, déclara une grande maison rue Saint-Lazare, sur un terrain en forme de T, avec longue allée d'accès il l'avait acquise le 24 décembre 1753, devant Plastrier, pour 4 700 livres, de Françoise Tixerand, veuve de Pierre-Claude Forget, qui l'avait achetée aux héritiers de Martin Courtin 2. Elle correspondait aux lots 46, 88 et 89 du fief Montmoyen et à l'actuel 18, comme l'indique le plan de Maire (1808).

Le 28 février 1757, Jean-Denis Dupré, « l'un des douze académiciens du roi pour la danse », déclara une maison rue Royale, avec seconde entrée sur la rue des Martyrs, acquise par lui, le 29 juillet 1750. de Marie Dalbert, héritière de son père~.

Le 20 mars 1757, Jean-Baptiste-Maximilien Titon, seigneur de Menneville, conseiller au Parlement, déclara une grande maison de la rue Poissonnière, occupée par lui, qu'il avait acquise, le 29 août 1749, devant Deshayes, pour 30 000 livres, dont 13 ooo pour le mobilier, de Louis Phelipeaux, comte de Saint-Florentin4. Celui-ci la tenait par déclaration du 11 juillet 1740, devant Marchand, de l'architecte Jacques Hardouin-Mansart, qui l'avait acquise le même jour, pour 12 ooo livres, de Louis Lagoille, seigneur de Courtagnon. Celui-ci en avait été adjudicataire, au même prix, le i juin 1734, sur AlexandreVincent Duprat, son débiteur, dont la mère, Marie-Charlotte Scorion, épouse de Jean-Joseph Duprat de Lespinasse, avait acheté la maison, le 20 septembre 1719, devant Lemaignan, pour 25 ooo livres, de Laurent Danet, lieutenant de la Fauconnerie du roi. Danet l'avait fait bâtir sur cinq maisons acquises de Louise de Beauchamp et Titon en avait ajouté une sixième, adjugée sur Jacques Lalonde, le 6 juillet 1752, au sieur Advenier, qui lui en avait passé déclaration~. Cette maison, qui portait le 9 des limites de Paris, avait été déclarée précédemment par M"~ Duprat le 22 juillet 1723 et par Mansart le 19 juillet 1740. Elle se trouvait à la fois sur les censives de Montmartre, du chapitre de Notre-Dame et des religieux de Saint-

i. Arch. nat., S 542, ensaisinement du 9 septembre 1789.

z. Arch. nat., S 4432-4433, cahier de 1757, fol. 8 S 4473, fol. zgg vo S 241, ensaisinement n° 617.

3. Arch. nat., S ~32-4433, cahier de 1757, fol. 9 V.

4. Ensaisinement dans Arch. nat., S 241, 599.

5. Arch. nat., S 4432-4433, cahier de 1757, fol. 18 r°, complété par S 4472, fol. 126 ro, et S 4473, fol. 11 ro et 200 r°.


Lazare, et la vente à Mansart avait nécessité une ventilation du terrain entre les trois suzerains

Où était située cette propriété Titon? On a donné plus haut (page 196), un croquis du xviii** siècle montrant l'ensemble du dîmage de Saint-Gervais, entre la rue des Martyrs et la rue du FaubourgPoissonnière (croquis i). Vers 1750, la moitié orientale de ce dîmage, entre la rue de Rochechouart et la rue du Faubourg, la rue

(Croquis n° 8.)

de Bellefond et la rue Pétrelle, était occupée, en majeure partie, par la petite maison du comte de Charolais, dont M. Capon a fait l'historique 2. Il en a publié un plan, dont la réduction photographique a rendu les inscriptions à peu près illisibles et dont on donne ci-contre un schéma (croquis 8), d'après l'original des Archives~. Le cartouche du haut porte « Plan d'une maison avec ses dépendances, provenant de la succession de S. A. S. Monseigneur le comte de Cha-

i. Arch. nat., S 238-239, 2~ liasse.

2. ~MM~-AfoM~s~s, VII (1923), p. 121-180. 3.Arch.na.t.,S2~o.


rolais, située à la Nouvelle-France. Fait et levé par Gillet le jeune, architecte, demeurant rue du Faubourg-Saint-Martin, le 15 janvier 1764." »

Ce Gillet n'était qu'un médiocre géomètre. Il trace la rue de Rochechouart à peu près parallèle à. la rue du Faubourg-Poissonnière et la rue de Bellefond parallèle à la rue Neuve (rue Pétrelle actuelle), ce qui est faux. Il donne à ce carré trop de largeur pour sa hauteur. En tout cas, il montre que la propriété de Charolais ne touchait la rue du Faubourg-Poissonnière qu'au voisinage de la rue Pétrelle. Au sud, jusqu'à la rue de Bellefond, s'étageaient des maisons particulières, parmi lesquelles, au centre du pâté, une très grande, formant profonde échancrure dans la propriété du prince et ayant une issue sur la rue de Bellefond. Un autre croquis de 1729, accompagné d'une liste de propriétaires, dans le même carton, indique, pour cette maison « M. du Prat. » On a ajouté postérieurement « De Courtagnon, puis Titon. » C'est donc la maison qui nous intéresse (partie ombrée du croquis n° 8). L'actuel 121 de la rue du Faubourg-Poissonnière doit en être un reste et elle s'étendait jusqu'à l'emplacement de la rue de Maubeuge, comme le montre le croquis, où l'on a figuré les nouvelles voies.

Le 23 février 1770, devant Collet, Jean-Baptiste-Pierre-Maximilien Titon de Villotron, héritier de son père, revendit la maison, pour 32 200 livres, à Jeanne Camus de Pontcarré, veuve de Louis-Christophe de la Rochefoucauld, marquis d'Urfé~. Par testament du 2 avril 1774, déposé chez Chavet le 14 novembre 1775, celle-ci la laissa à son petit-fils, Achille-François, marquis du Châtelet, qui la vendit, le 13 octobre 1785, devant Chavet, moyennant 66 ooo livres, à Charles-Antoine Degonne, procureur général honoraire à la Cour des Monnaies, pour l'usufruit, et à Charles-Nicolas Duclos-Dufresnoy, notaire, rue Vivienne, pour la nue propriété

Le i~ mars 1760, par acte sous seing privé, déposé chez Quinquet, le 9 mai suivant, le marquis de Liré vendit, pour 54 800 livres, à Charles-Joachim Rouault, marquis de Gamaches, une maison rue Saint-Lazare, entre la barrière Blanche et celle de la Rochefoucauld. Par acte du 28 mai 1761, devant Bioche, le prix fut réduit.à a 45 ooo livres en principal 3. Le 29 novembre 1769, devant Momet, le marquis de Gamaches, qui avait fait reconstruire la maison, la reven-

i. Arch. nat., S 4476, fol. 9 v°. En 1783, Titon de Villotron se rendit acquéreur, dans la même rue, du joli hôtel Louis XVI, encore existant au no 58, dont M. P. Jarry a raconté l'histoire (Vieux hôtels de Paris, fasc. 14). On voit qu'il y eut deux hôtels Titon rue du Faubourg-Poissonnière. 2. Arch. nat., S 542, ensaisinement du 15 octobre 1785.

}. Arch. nat., S 4474, fol. 21 v°.


dit, pour 130 ooo livres, à Louis-Claude Dupin de Francueil, receveur des finances à Metz, qui l'occupait déjà comme locataire 1. Cette superbe propriété, qui devint hôtel de Valentinois, était située à l'emplacement du n° 60.

Le 11 avril 1766, devant Jourdain, un sieur Montaban et sa femme vendirent, pour 33 000 livres, à Antoinette Véronèse, fille majeure, une maison rue Royale (Pigalle), qu'ils tenaient par partage du 13 septembre 17~.7 de la succession du sieur Jacques Boucher, dont la femme en avait hérité du sieur Bailly, son père 2. L'acte a été biffé sur le registre des ensaisinements, la maison étant sur la censive du chapitre de Saint-Germain, c'est-à-dire sur le fief Montmoyen3. Le 26 novembre 1767, devant Quatremère, le sieur Lefèvre et sa femme vendirent, pour 11 300 livres, à Camille-Jacquette-Antoinette Véronèse, fille majeure, une maison de la rue de la Tour-des-Dames, dite de la Rochefoucauld, tenant à droite (au nord) à la dame Rubantel, à gauche au sieur Philibert, par derrière aux héritiers Boucher. Elle appartenait à Lefèvre du chef de sa première femme, qui l'avait acquise avec son premier mari, Neyrand, le 6 février 1753, devant Fortier, de Maximilien, comte de Watteville, lequel avait acheté le terrain, sous le nom de Pierre Ligné, les 18 et 22 juin 1750, devant Chéruel, de Charles Bourgeois et autres 4.

M. Mauzin a consacré à l'actrice Camille Véronèse une excellente étude, où il montre que, en 1759, elle habitait rue Blanche Il a cru à tort qu'elle y était morte, ce que M. Capon a déjà rectifié, en produisant l'acte d'achat de la maison de la rue Pigalle, mais non celui de la maison de la rue de la Rochefoucauld Il met la première « à droite en montant avant d'arriver au croisement de la rue de la Rochefoucauld o mais il semble qu'elle était située bien avant ce croisement.

En effet, vers la rue Pigalle, les anciens terrains de Jacques Boucher s'étendaient du n° 16 actuel jusque vers les nos 30 ou 3~ après, iusqu'au croisement, venaient ceux de Robert Aubry (plan du fief Montmoyen). Vers la rue de la Rochefoucauld, la maison du banquier Philibert correspondait au n° 19 actuel et les terrains de Watteville aux nos 21-25. En revendant l'emplacement des nos 21-23 à Neyrand,

i. Arch. nat., S 4476, fol. i vo.

2. Arch. nat., S 4475, fol. 49 contrat dans Z'~ 2460, avec plan. 3. Les ensaisinements du chapitre, de 1759 à 1782, manquent. 4. Arch. nat., S 4475, fol. 84 ro.

5. F~M~-MoM~a~ fasc. 7 (i888), p. 10.

6. G. Capon, les -Petites maisons galantes, p. 70-71 copié, avec de nombreuses fautes, par Hervé-Piraux, les T~s d'amouy, p. 55-56. 7. Hervé-Piraux la met au croisement même.

8. Voir le paragraphe sur la Tour-des-Dames.


Watteville garda celui du n" 25, pour y construire une très jolie maison, où il mourut le 10 mai 1779~. La seconde acquisition de Camille Véronèse (nos 21-23) faisant le prolongement oriental de la première, celle-ci doit correspondre au 18 actuel de la rue Pigalle, tout près de la maison du peintre Drouais (n° i~.), la dernière située, de ce côté, sur la censive de Montmartre 2. En 1767, l'actrice fit reconstruire cette maison et c'est là qu'elle mourut, le 20 juillet 1768, à. trentetrois ans 3.

Parmi les maisons appartenant à l'abbaye, il en est une dont le nom revient assez souvent dans les actes, c'est celle dite « de la Brière ». Elle était située au lieu dit les Saccalis, qui apparaît dès 1376 et qu'on peut localiser à l'ouest de l'abbaye d'En-Bas. On a vu que la rue de Ravignan avait utilisé l'ancienne « sente des Sacçalis (page 201), nom identique à celui de la rue ~acaJte (aujourd'hui Zacharie) du quartier de l'Université, et qui désignait un égout, ou « un trou punais ». La maison avait été bâtie par Charles Gouin, maître chirurgien, sur des terrains acquis de 16~7 à 1650~. Le 20 mai 1706, devant Touvenot, ses héritiers la vendirent, pour ~j. ooo livres, à François Montbrun, marchand drapier, qui la céda pour 12 000, le 12 juin 1716, devant Renard, à Michel Champion, sieur de la Touche, substitut du procureur à la Cour des Aides la maison et le jardin, couvrant arpents, tenaient aux terres des Dames et à un moulin, d'un bout, vers Paris, au chemin de l'abbaye à Clichy (emplacement du boulevard), d'autre bout, par devant, au chemin montant au moulin".

Le 13 mai 1720, devant Bapteste, Champion, revendit, pour ~o ooo livres en billets de banque, à Guillaume Labeur, qui en passa déclaration, le 12 juin, devant Dutartre, à Pierre-Christophe Tessier, notaire. Le 18 juin 1723, devant Hargenvilliers, celui-ci revendit pour 10 ooo livres en espèces à Simon La B< maître plombier, fontainier de la Ville, qui revendit, le 18 septembre 1732, devant Gervais, pour 16 ooo livres, à Jean Bardeau de Fontenay, et celui-ci,

i. Capon, Petites maisons, p. 78-79 copié, avec des fautes, par HervéPiraux, Folies ~'swoMf, p. 41-44. Par acte de licitation du 2 mars 1780, devant Collas de Marimon, la maison de Watteville passa à sa scenr Anne, épouse dn baron de Stain, qui, par testament du 3 avril suivant, la légua & son fils Charles-Léopold, comte de Stain de Watteville, lequel la vendit, le 17 mai 1782, devant Rouen, pour 88 ooo livres, à Jean Jauberthon, médecin inoculateur du roi, qui la déclara le 8 juillet suivant; Arch. nat., S 237 et S 541,p.i.

2. Voir le paragraphe sur la ToM~x-DsfKes.

3. Scellés et inventaire dans Arch. nat., Z~ 2452 Capon, p. 71. 4. Arch. nat., S 4432-4433, ire liasse S 4481, fol. 440.

5. Arch. nat., S 4472, fol. 58 v".


le 17 mai 1738, aux Dames de Montmartre. La maison est alors dite rue Royale (Houdon) Le 29 août 1772 et le 9 août 1776, des transactions intervinrent entre l'abbaye et les carriers Richard au sujet de fouilles poussées trop près de la maison

~~<' abbesse, Louise de MoM~Mo~eMcy-Laua~. Catherine de la Rochefoucauld mourut le 9 septembre 1760, ayant gouverné vingt-cinq ans l'abbaye3, et fut remplacée, le 14 décembre, par Marie-Louise de Montmorency-Laval, religieuse du prieuré de Saint-Julien-duPré, au Mans~. Née le 31 mars 1723 et âgée de trente-sept ans, elle était fille de Guy-Claude-Roland de Montmorency, comte, puis duc de Laval, maréchal de France, et de Marie-Élisabeth de RouvroySa int-Simon 5.

En 1763, elle fournit un état intéressant de la situation financière de l'abbaye 6

I. Les yevenus étaient les suivants

A MoM<<MCf~

Grossesdîmes. 9001. 1. Dîmes vertes, à 40 sous l'arpent. 300 Sept muids de vin, à 20 livres. 140 Cens.rentesetcorvées. 200 Un arpent de marais, au clos des Alliers 200

86 à 87 arpents de terre, dont les sœurs font

valoir 28 728 6 arpents de luzerne. 180

Affermage du reste i 096

Ferme de Clignancourt ~50

Un quartier de terre rue Royale (Pigalle). 40 o Bail de la Tour-des-Dames à M. de Saint-Ger-

main. igo Bail de la maison de la Brière. 200 MoulindelaLancette. 3~0 Une maison sur le tertre. 250

Dans la cour extérieure de l'abbaye, trois ap-

i.Arch.nat.,54431.2*~ liasse, et S 4424.

2. Arch. nat., S 4434-4435, 2e liasse.

3. Sa pierre tombale est conservée dans l'absidiole nord.

4. Brevet dans Arch. nat., L 1031, o~ liasse.

5. Voir l'excellent livre de Mlle H. M. Delsart, la Dernière abbesse de Montmartre.

6. Arch. nat., L 1031, u~ liasse; Guilhermy, p. 87 Barthélemy, p. 291303, sans référence.


partementsioués. 663 Dans l'ancienne abbaye, dix logements 562 Dans l'intérieur, M"s de Penthièvre i 500 Deux petites rentes 23 Lods et ventes 1800 A Paris:

Une maison rue de la Heaumerie 300 Une maison rue des Petits-Champs-Saint-

Martin. 650 Une échoppe au Grand Châtelet 100 Rente sur la Grande Boucherie 77 I. 13 s. Rente des Pères de la Doctrine 60 Cens sur cent maisons dans divers quartiers 60 Lods et ventes 700 Terres

Ferme de Barberie 4300 Lods et ventes. 180 FermesduGâtinais. 1900 Lods et ventes. 40 Un marais. 70 Ferme de Boulogne. 900 Greffe 60 Rente sur une maison. 1811. 6 s. 6 d. Lods et ventes. 1300 Cens à Bourg-la-Reine. 50 Prison 150 Lodsefventes. 130 FermedeCollégien. 050 Ferme de Chaumontel-les-Nonnains. 600 Ferme de Clichy (acquise en 1728). ooo Rentes à Clichy 305 Dîmesd'Auvers. 1200 PrésdeCheIIes. 150 Rente au Mesnil-Aubry 27 Rentes à Argenteuil. 80 13 120 arpents de bois à Roissy (la Minière). 1500 Rentes sur le domaine de Paris. 606 lo Rentes sur le domaine de Calais. 800 Rentes sur Compiègne~ 12 10

i. <t Dont on ne connaît pas l'origine dit l'état. Tous les titres de cette rente sont dans Arch. nat., S 4419 ils vont de 1206 à 173~ cf. ci-dessus, p. 32.


i. Le prix de la pension variait entre 3~0 et 400 livres. 2. H y a, dans le compte, une erreur d'une livre.

Rentes sur les Aides et Gabelles. 2 554 5 Rentes sur les Tailles 39 12 Rentes sur le Clergé. 63 Legs de Mlle de Guise pour douze religieuses 6 250 Legs de Mlle de Guise pour une messe 400 Pensions à six religieuses. i 453 6 8 Seize pensionnaires 1 6 250 Total 2. 45o84l.i6s.2d.

II. Les charges étaient

Luminaire et ornements. 900 I. « Gros du curé et du vicaire 730 Décimes de l'abbaye et de son chapelain. 2180 Nourriture de quarante-huit religieuses, à

500 1. 24000 Nourriture de trois ecclésiastiques, un inten-

dant et un chirurgien. 2 500 Dîner au conseil de l'abbaye (chaque mois).. 800 Nourriture de dix-sept domestiques, à 3501.. 5 950 Six chevaux, à.3os.parjour. 3285 Hamaisetvoitures. 952 Couvertures. 1800 Bois et chauffage. 3500 Réparations aux vitres 240 i 200 livres de chandelle. 700 Frais de justice. 1000 Messesdefondation. 700 Prédicateurs. 100 Entretien de l'orgue 70 Aumônes. 800 Seize minots de sel aux officiers des gabelles 275 Culture des terres 650 Confesseur, intendant, chirurgien, sacristain. i 766 Domestiques et servantes. i 571 Rente pour 12 ooo 1. dues sur la ferme de

Clichy 600 55069l.

Réparations, année commune 12 606 1. 9 s. Total. 67675!. 1. 9 s.


III. Les dettes étaient

Aux ouvriers pour réparations. 50 147 Il s. Fraisduterrier. 3000 Diversfournisseurs. 19000 Gensdeservice. 3437 Total. 75~841.115.

Il était dû à l'abbaye, pour legs non payés ou

pensionsarriérées. 43 697 1. 6s. ~d.

La situation n'était certes pas brillante, puisque les charges annuelles, réparations comprises, dépassaient les recettes de 22 600 livres, soit moitié de celles-ci, et que le couvent devait 75 600 livres, contre une recette très aléatoire de ~.3 700 livres. Mais le tableau devait être poussé au noir pour attendrir le roi, qui, en 1768, accorda 30 000 livres, payables en cinq ans. En 1782, on eut encore de lui 20 ooo livres, payables en dix ans. Mais, le i~ octobre 1788, un incendie à l'église Saint-Pierre causa de nouveaux dégâts~. En 1786, lors de la construction de l'enceinte des Fermiers-Généraux, l'abbesse obtint qu'on fît décrire à celle-ci un angle rentrant au sud de la Butte (boulevards de Clichy et de Rochechouart), pour ne pas diminuer sa censive et pour soustraire les habitants du village aux droits d'entrée.

La déclaration des biens, faite au début de 1790, en exécution du décret du 13 novembre 1780, est très différente de la précédente et doit être plus exacte 2. Après un résumé, assez fantaisiste, de l'histoire du couvent, elle donne comme biens

A Montmartre, le clos de 37 arpents.

Les cens et rentes. 250!. Les lods et ventes. ioo8~.1.i8s.9<i. La location des bâtiments extérieurs (dont un

de 1072 1. la comtesse de Choiseul). 2296 Quatre maisons. 1600 Le moulin à vent. 400 22 arpents et demi de terres, loués. 675 Autres, à Clichy, Saint-Ouen, La Chapelle 94 Fermes de Montmartre et Clignancourt (67 ar-

pents et demi). 4500 Rentesioncières. 290

l. Delsart, p. 19, 22.

2. Arch. nat., S 4419 et D XIX arch. Seine, H~, car. 539.


A Paris, seigneurie du For-aux-Dames, sur

cent maisons. 9885 Une maison rue des Petits-Champs. 600 Une échoppe au Châtelet 80 Un marais rue d'Enfer (rue Bleue). 250 Rente sur la Boucherie y y 13 Rente sur les Pères de la Doctrine chrétienne. 60 En province

Terres de Barberie 6 422 lo TerresduGâtinais. 2510 Terres de Boulogne. 5122 i 4 Terres d'Auteuil (12 arpents). 800 Terres de Bourg-la-Reine 749 Bois à Roissy-en-Brie. 5 000 Ferme à Chaumontel. 700 Ferme à Clichy. 1455 Dîmesd'Auvers. 1500 PrésaChelles. 148 Rentes sur le domaine. 606 lo Rentes sur Calais. 800 RentessurCompiègne. 12 lo Rentes sur les Aides et Gabelles. 2 856 17 Legs de Guise 150 ooo 1., pour douze reli-

gieuses, somme dont la famille paie dix dou-

zièmes des intérêts, plus 400 1. de rente pour une

messe. 6650 Diverses rentes. 183 Avec quelques autres recettes, le total se mon-

tait à. 66713 10 i Leschargesétaientde. 28758 9 9 Il restait. 37955L 3S.4d-

l'J. -1~ ~t, _1't.J.. 1.L.L .J-

pour l'entretien de cinquante-deux religieuses, dont trente et une de chœur, vingt et une converses, trois novices, deux postulantes et vingt-trois autres personnes (confesseurs, intendant, sacristain, domestiques), en tout quatre-vingts habitants.

L'état du mobilier mentionne cinquante-neuf cellules, comprenant chacune un lit à colonnes, avec housse de serge brune, une paillasse, deux couvertures de laine, deux bas d'armoire en forme d'oratoire, une table, une chaise de paille et une cassette de bois blanc. L'ameublement de l'abbesse n'était pas beaucoup plus somptueux. La bibliothèque comptait trois cents volumes dépareillés et en mauvais état~.

i. Un catalogue détaillé (Arsenal, ms. 5276) donne i 813 volumes, dont


Il était dû au couvent 52 514. livres 4. sous il deniers, mais ses dettes s'élèvent à, 1~.0 299 livres 13 sous 3 deniers, dont 78 68l livres 13 sous pour les travaux ou réparations.

Barthélémy a publié, d'après les archives de l'Hôtel-de-Ville (carton 1270), un état d'octobre 1790, où les recettes ne sont plus que de ~2 728 livres 16 sous 6 deniers et les charges de 13 960 livres 13 sous 6 deniers~, et une liste des religieuses, où, après la sortie de sept d'entre elles au début de 1790, leur nombre s'élève encore, en décembre, à vingt-huit dames de chœur et dix-huit converses2. Il est impossible de concilier ces chiffres, comme de juger la valeur respective de ces différents documents, dont certains ont dû être rédigés à la hâte ou dans un but tendancieux. Il est probable que la déclaration officielle est la plus proche de la vérité.

L'abbaye fut évacuée le dimanche 19 août 1792. Le 23 juillet 179~. (5 thermidor an II), la dernière abbesse de Montmartre monta sur l'échafaud. Elle avait soixante et onze ans 3.

CoMC/MMOM. Le tableau qui précède résume à peu près l'essentieL de ce qu'on sait de certain sur l'abbaye de Montmartre, sa dotation initiale, le nombre et les noms de ses abbesses, ses revenus aux diverses époques et l'étendue exacte de sa censive. Il montre que le rôle urbain du monastère ne fut pas comparable a celui des abbayes Saint-Germain et Sainte-Geneviève, du Temple et même de l'abbaye.Saint-Antoine. Jusqu'à la Révolution, Montmartre resta un couvent de banlieue et ne fut même pas englobé dans un faubourg. Son domaine parisien du For-aux-Dames était fixé dès l'origine et ce ne fut que dans les quartiers des Porcherons et de la Nouvelle-France que l'abbaye put participer tardivement au développement de la Cité. Les noms des rues de la Rochefoucauld, de la Tour-des-Dames, de la Tour-d'Auvergne, de Laval, de Rochechouart, de Bellefond, rappellent cette participation.

Maurice DUMOLIN.

(A SMtt~)

136 manuscrits il doit faire état de la bibliothèque particulière de l'abbesse, la déclaration ne parlant que de celle des religieuses cf. Delsart, p. 26 et suiv.

t. Barthélémy, p. 30~.

2. Barthélémy, p. 306 cf. Delsart, p. 51 à 56.

3. Guilhermy l'appelle la abbesse et en cite cependant ~5. On voit, d'après notre liste, qu'on en connaît ~6. Le plan de lotissement de l'abbaye en 1792 est dans Arch. nat., Q~ 125.


L'UNIVERSITÉ DE PARIS

DEMANDE LE DROIT DE NOMMER DES ÉLECTEURS AUX ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1789~ i

Monsieur 2,

L'Université de Paris, qu'une possession ancienne et presque immémoriale paraissait autoriser à réclamer le droit d'avoir une députation directe et immédiate aux États généraux, ne l'ayant point obtenue, elle croit pouvoir au moins demander aujourd'hui à nommer par elle-même et dans son sein des électeurs qui concourent avec ceux des autres corporations au choix des députés de la ville de Paris.

L'Université de Paris est elle-même une grande corporation, elle est peut-être la plus ancienne de la capitale, elle est aussi une des plus importantes. Ses contributions aux charges publiques, la nature et la dignité de ses fonctions, son influence morale et civile doivent la mettre au moins de niveau avec tous les autres corps, chapitres et communautés qui jouiront du droit de choisir leurs électeurs. On ne saurait considérer l'Université comme un collège ou séminaire particulier. Elle renferme dans son sein tous les genres d'instruction et d'enseignement public, elle les préside et les dirige ellemême administre les biens de ses collègues et de ses différentes compagnies, ou en surveille l'administration.

Quoique divisée en différentes compagnies, elle ne forme qu'un seul et même corps. Admettre des distinctions ou des différences dans la manière dont chacune de ces compagnies doit voter pour les élections, ce serait introduire une espèce de schisme dans un corps qui est régi par les mêmes loix, par les mêmes principes et qui ne reconnaît qu'un seul et même chef.

La forme de circonscription par paroisse ou par quartier, dût-elle procurer à l'Université un plus grand nombre d'électeurs, cette forme ne saurait cependant lui paraître avantageuse, ni même équitable, puisqu'alors ce ne serait plus l'Université qui se choisirait à elle-même ses électeurs, et qu'indépendamment des hazards qu'elle aurait à courir les électeurs choisis seraient les mandataires non de l'Université, mais du quartier ou de la paroisse qui les auraient nommés. L'Université a son chef qui la préside et à qui appartient le droit de notifier à son corps la convocation faite par Sa Majesté. Il ne conviendrait en aucune manière à la dignité de sa place qu'il fût

i. Original signé aux archives de Seine-et-Oise. 2. Adressé vraisemblablement à Necker.


appellé comme simple particulier avec tous les ecclésiastiques de la paroisse sur laquelle il réside. Ainsi, dans la supposition où l'Université ne procéderait pas comme corporation à l'élection de ses représentans à la ville, le chef même de l'Université ne pourrait avoir aucune part à la nomination des électeurs pour le choix des députés. Qui pourrait mériter une telle défaveur à l'Université? Ses principes, son zèle pour le bien public, son attachement à la personne sacrée de nos rois et aux loix de l'État l'ont distinguée dans tous les temps aux yeux du gouvernement. La demande qu'elle forme aujourd'hui n'est point une prétention nouvelle et extraordinaire, élevée par une ambition dangereuse ou déplacée. Son vœu est de jouir des mêmes avantages que les autres corporations de la capitale. Pourrait-elle ne pas obtenir autant d'égards et de considération que des communautés religieuses et des chapitres séculiers et réguliers?

L'Université croirait donc se manquer à elle-même si elle ne réclamait pas en ce moment le droit de nommer ses députés comme corporation, de les nommer en raison du nombre qui sera indiqué dans les lettres de convocation et selon les usages et les formes de sa constitution.

C'est une justice qu'elle attend avec la plus grande confiance d'un ministre, que tous les corps utiles regardent en ce moment comme leur plus ferme soutien, et des magistrats respectables qui secondent d'une manière si glorieuse les intentions bienfaisantes de Sa Majesté. Nous sommes aves respect, Monsieur, vos très humbles et très obéissans serviteurs.

Les recteurs, doyens des Facultés de Théologie, de Droit, de .Me<CtM6 et procureurs des quatre nations

DUMOUCHEL, recteur BERARDIER, ex-syndic de la

Faculté de théologie MALLET, procureur de la

nation de France CABOCHE, procureur de la na-

tion de Picardie LEMARCHAND, procureur de la

nation de Normandie BuRKE, procureur de la

nation d'Allemagne GOULLIART, doyen de la

Faculté des droits BOURRU, doyen de médecine.

Paris, le 20 mars 1789.

P. C. C. H. LEMOINE,

Archiviste départemental de Seine-et-Oise.

~ogent-te-Rotrou, imprimerie [)At,'pELEY-GouvERNEt;R


BULLETIN

DE LA SOCIÉTÉ

DE L'HISTOIRE DE PARIS ET DE L'ILE-DE-FRANCE

tg3i

1

COMPTE-RENDU DES SÉANCES

SÉANCES DU CONSEIL D'ADMINISTRATION Tenues à l'École des chartes.

Séance du 10 novembre 1931.

Présidence de M. DUPONT-FERRIER.

Étaient présents MM. Barroux, Batiffol, Blanchet, Debidour, Deslandres, Dumolin, Dupieux, Dupont-Ferrier, Herlaut, Jarry, Lesort, Martin, Mirot, Perrault-Dabot, Prinet.

Assistaient à la séance M" et M"ss Auvray, Baudry, Bonnel, de Cathen, Clère-Salles, Coutin, Gellet, Guyot, Houllier, Hue, Huerre, Lang, Oster, Georges Oudard, Péchard, Pierre, Sarrente, Sorbel. MM. Allard du Chollet, Allienne, Courtois, Coutelier, Crépin, Delacourcelle, Droulers, Guénée, Jouvenet, Larrieu, Lebègue, Maillard, Maquet, A. Mirot, Léo Mouton, Ojardias, Perrache, Rubé, Vaugelade.

Excusés MM. Aubert, Boucher, Courteault, Lemoine, Samaran. Sont admis sur les présentations requises M°~ Maurice Maunoury Mlle Suzanne Langlais MM. René Dupuis, général Le Hénaff, François Le Hénaff, Marcel Pain, G. Poulard, Raymond Charon, commandant Lacassée, William N. Taylor, André Rooy. Le président félicite notre confrère M. Marcel Fosseyeux, nommé chevalier de la Légion d'honneur.


Il prononce, en termes émus, l'éloge funèbre de M. Raymond Kœchlin, président du Conseil des Musées nationaux et des Amis du Louvre.

M. Philippe du Verdier donne lecture de son étude sur l'Industrie ~<MM faubourg Saint-Germain à la fin ~M XVe siècle L'industrie du bourg Saint-Germain-des-Prés, en pleine décadence depuis la fin du xni° siècle, connut au xve siècle une prospérité que les registres des causes civiles de la juridiction de l'abbaye nous font connaître. Auprès de la Boucherie s'établirent entre i/j.82 et 1~.99 des industries florissantes les chandeliers, les sueurs ou cordonniers, savetiers, baudroyeurs-corroyeurs, bourreliers ce ne furent pas les seules et nous trouvons également à cette époque des tisserands en draps et en toiles, des tissutiers, des bonnetiers, des chapeliers, des serruriers, menuisiers, etc. Cette renaissance industrielle est due à plusieurs causes d'abord le voisinage du Louvre, qui incita de hauts personnages, seigneurs de la cour et parlementaires, a construire des maisons de plaisance dans le bourg lorsque la paix fut rétablie, et surtout la réouverture en 1~.82 de la fameuse foire qui attira marchands et commerçants à Saint-Germain. Les métiers furent groupés en corporations calquées sur celles de Paris ce qui montre l'influence considérable qu'exerça la royauté sur les juridictions seigneuriales de la capitale bien avant leur suppression en 1672.

Séance du 8 décembre 1981.

Présidence de M. DUPONT-FERRIER.

Étaient présents MM. Adhémar, Auvray, Barroux, Blanchet,

Courteault, Deslandres, Dumolin, Dupieux, Dupont-Ferrier,.Herlaut, Jarry, Lemoine, Lesort, Martin, Mirot, Perrault-Dabot, Prinet, Viard.

Assistaient à. la séance M~ss et M"es Auvray, Barry, Baudry, Bonnel, Brisac, de Cathen, Clère-Sailes, Dorion, Gellet, Godart, Jean, Le Châtelier, Lefeubvre, Oster, Poidevin, Robert, Sarrente. MM. Allard du Chollet, Babize, André Barroux, Courtois, Crépin, Delacourcelle, Didot, Droulers, Edwards, Guénée, Lebègue, Maillard, Maquet, Marichal, A. Mirot, duc de Montmorency, Léo Mouton, Perrache, Rubé, Vaugelade.

Excusés MM. Marcel Aubert, Boucher, Janrot, Samaran. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.


Sont admis sur les présentations requises M" W. N. Taylor MM. René Bouyer et Dauvergne.

Comme suite à la visite de l'église Saint-Germain-des-Prés, dirigée par M. Deshoulières, qu'il remercie de son érudite conférence, le président indique au tableau les différentes époques de construction que présente l'édifice et fait passer quelques projections documentaires sur les anciens aspects de ce sanctuaire parisien.

M. Marius Barroux lit une communication sur Paris et la région ~<MMM'Më dans le roman de Theseus.

M. Marius Barroux fait connaître les scènes du roman de Theseus qui intéressent Paris et la région parisienne (Laon, Melun, Soissons, Dammartin, le Bourget ou Bourg-la-Reine, Charenton, Bondy, Meaux). Il établit d'abord que ce très long roman, édité seulement au XVIe siècle, est la « traduction » d'une chanson de geste remontant au moins au xtvs siècle et dont existent, à la Bibliothèque nationale et au British Muséum, des manuscrits, tous deux incomplets. Il s'agit dans cette œuvre très vivante d'un prince de Cologne, devenu empereur de Rome, qui eut avec son fils Gadifer et les trois fils de celui-ci des aventures en Italie, en Orient surtout, mais aussi en France. A cette histoire sont mêlés Dagobert, Clovis II, la reine sainte Bathilde et des comtes fabuleux de Dammartin, Assaillant et Gérard, son fils, qui vainquit dans un duel le roi de Frise, conquérant de la France, et lui enleva sa femme, Colombe. L'épisode peut-être le plus original, celui de l'aigle d'or dans lequel s'était caché Théseus pour séduire la fille de l'empereur de Rome, se retrouve en tête des Anciennes Chroniques de Savoie, rattachant à ce héros légendaire la maison régnante d'Italie. Par les soins des Chabannes, trois manuscrits de la Bibliothèque nationale donnent des extraits, mais en prose, de la chanson de geste l'un d'eux contient jusqu'à cinquante-cinq miniatures.


11

VARIÉTÉS

NOTES SUR L'ABBAYE DE MONTMARTRE

CHAPITRE II

LE DOMAINE URBAIN

Les possessions de l'abbaye de Montmartre à l'intérieur de la. ville de Paris ne comprenaient à l'ot~gine que le fief du « For-aux-Dames )), faisant partie de sa dotaticitdnitiale. Il se composait de 80 à 100 immeubles, formant plusieurs îlots, sur lesquels elle avait tous les droits seigneuriaux, y compris la complète justice (cf. pages 168,182). Plus tard, les terrains du Val-Larroneux et des Porcherons, dont elle n'avait que la dîme (page 168), furent englobés dans la cité grandissante et étendirent beaucoup le domaine urbain du couvent. Il y a imprimé sa marque par les noms d'abbesses donnés aux nouvelles rues, alors que son souvenir a entièrement disparu dans la partie de ce domaine où il était jadis tout-puissant.

On se bornera, dans le présent chapitre, à quelques données précises sur le fief du For-aux-Dames, laissé à peu près dans l'oubli par les vieux historiens de l'abbaye, et à quelques compléments aux indications déjà fournies sur les terrains des Porcherons et de la Nouvelle-France à propos du terrier de 1719 (page 224 et suiv.). I. LE FOR-AUX-DAMES

L'origine. -On a vu, dans l'histoire générale de l'abbaye (page 150), que Louis VI lui avait donné, en 1134, un four, situé à Paris et lui appartenant, avec toutes ses « coutumes », c'est-à-dire ses droits féodaux, et deux chartes de 1239, de l'abbesse Pétronille, placent ce four rue de la Hanterie (page 164), nom qui devint, en 1247, rue de la 7-f~!KMM)'te (page 165).

Cette rue était un tronçon de la voie importante conduisant de la place de Grève au marché des Champeaux ou des Halles (fondé avant 1135). et portant, de l'est à l'ouest, vers la fin du xme siècle, les différents noms de rue Jean-de-1'Épine, rue Jean-Pain-Mollet, rue des Écrivains (à hauteur de Saint-Jacques-la-Boucherie), rue de la


Heaumerie (entre les rues de la Vieille-Monnaie et Saint-Denis), rue de la Hanterie (puis de la Tabletterie), enfin rue des Fourreurs, à son aboutissement dans la rue des Déchargeurs, non loin de la rue de la Ferronnerie Les chartes de 1239 précitées prouvent que, primitivement, le nom de « la Hanterie », sans doute forme ancienne de « la Ganterie )), s'étendait à tout l'intervalle compris entre la rue de la Vieille-Monnaie et la place Sainte-Opportune.

Dans la rue de la Heaumerie, représentée aujourd'hui par le tronçon de la rue de Rivoli bordant les magasins de Pygmalion, ouvraient du côté nord plusieurs impasses, dont la plus à l'ouest, voisine de la rue Saint-Denis, donnait accès au four des Dames. Au xns siècle, le four, comme le mOM~'K, était un attribut de seigneurie, impliquant une banalité (on disait tour banal, ou /OMf &a~MM~'), dont les feudataires devaient lui apporter leur farine3. L'abbaye SaintGermain avait le sien, dont la rue du Four rappelle le souvenir. L'évêché avait aussi le sien, qui a donné naissance à la juridiction du For/Et~Me, tout comme le four de Montmartre a créé celle du For-auxDames 4.

Lebeuf à peu près suivi par Bournon~, s'est donc trompé en niant qu'il y eût un four à l'origine de la juridiction du For-l'Évêque, tandis que Cocheris et Tanon 8 ont raison d'affirmer le contraire. Seulement Cocheris a tort de croire qu'il s'agissait d'un four « où les évêques faisaient cuire le pain pour leur maison car ce n'était pas un four particulier, et seul le conseiller Tanon a vu la question sous son vrai jour. Par suite, l'interrogation que s'adresse Bournon « Ce nom vient-il ~'MM four que les évêques auraient possédé autrefois dans ce lieu, ou a-t-il toujours désigné le siège de la juridiction épiscopale ?)) est mal posée. Car si le nom ne vient pas du four. la juridiction en vient.

Le nom de .Fo~-1'Évêque (ou For-aux-Dames) ne peut être l'altération populaire, comme le croyait Guilhermy", du nom de l'ancien Four, d'abord parce que les règles de la phonétique s'y opposent,

i. On est surpris de voir M. Halphen (Paris sous les premiers Capétiens, p. go) déclarer que l'emplacement de la rue de la Hanterie est « incertain ». 2. Cf. chapitre l, p. 165.

3. Marion, Dictionnaire des Institutions, Banalité.

Cf. Funck-Brentano, la Bastille des comédiens, p. 15-18. 5. Édition de 1754,1, p. 60.

6. Additions à Lebeuf, p. 13.

7. Édition de Lebeuf, I, p. 177.

8. Histoire des justices, p. 170.

a. Guilhermy, p. 90. Ce qui rend son opinion tout à fait étrange, c'est qu'il écrit Fort (avec un t) et le fait dériver de Furnum,


ensuite parce que les documents prouvent le contraire. Dans toutes les chartes latines du xne au xiv~ siècle, on ne trouve que les termes .FM~MMS Episcopi, ou Furnus D<WKM~MM!. Dans les vieilles traductions ou dans les chartes en français des xiv~ et xve siècles, le scribe dit toujours « le jFoM~ de l'Évêque », « le Fouy-aux-Nonnains de Montmartre », comme font Guillebert de Mets 1 et même Mathurin Régnier, un siècle plus tard Quand, à l'extrême fin du xve siècle ou au début du xvi~ apparaît le nouveau terme, il se montre, neuf fois sur dix, sous la forme Fort, avec un t, comme s'il s'agissait d'une forteresse. C'est, semble-t-il, la preuve manifeste que les clercs de notaire ou les scribes de bailliage ne l'ont pas compris qu'il est la traduction savante, par les humanistes de la Renaissance, du terme JFo~M~t .E~Meo~< (ou Do~M~~MtM), jamais employé dans les vieilles chartes de l'Ile-de-France4. A cette époque, où le vieux four avait disparu, mais où sa juridiction subsistait, on a cru que « Four-1'Ëvêque » était un contresens et on lui a forgé de toutes pièces une étymologie. Seul le peuple est resté dans le vrai, en faisant du mot « four », jusqu'à la fin du xvme siècle. le synonyme de « prison ».

Le &<oM~. Dès 1134, à l'époque de sa donation à l'abbaye de Montmartre, la « banalité » du four de la Heaumerie avait dû être très entamée par des donations antérieures, car le territoire qui en restait était des plus morcelés. Il s'étendait, comme on l'a vu 5, sur une centaine d'immeubles, disséminés devant le Châtelet (maison de Guerry), au coin des rues de la Heaumerie et Saint-Denis, du côté nord de la rue Neuve-Saint-Merry, du côté oriental de la rue Saint-Martin, entre la rue des Jongleurs et l'impasse de Clairvaux, enfin dans l'îlot compris entre les rues de l'Arbre-Sec, Saint-Honoré et Tirechappe 6.

Nous avons, de ces maisons, un certain nombre de listes, qui s'échelonnent de 1551 à 1790, et où leur nombre varie de 78 en 1551 et 1572, à 93 en 1647, 103 en 1674, 107 en 1727, loo en

Paris et ses historiens, p. 197.

2. Édition Jannet, Sat. V, p. 52.

3. L'époque se vérifie aisément sur le registre coté aujourd'hui S ~ôl des archives de Montmartre, qui donne des extraits (traduits) de tous les titres de rente sur les maisons de Paris 5e liasse, rue de la Heaumerie. Il date du début du xvif siècle et traduit quelquefois « Fort a. La confrontation avec ['original prouve qu'il y a « Furnus ».

4. Dans le sud-ouest, les « fors privilégiés existent dès le xni'* siècle cf. Flach, Origines de l'ancienne France, 11, p. 206, 208, note. Chapitre i, p. 168.

6. C'est peut-être cet écart qui a fait confondre par Trétaigne (p. 127). le For-aux-Dames de la rue de la Heaumerie avec la Croix-du-Trahoir


1763 et 1790~. Bien entendu, l'étendue de la censive ne bouge pas. L'augmentation du nombre des immeubles est due soit au lotissement d'anciens jardins, soit à la séparation, entre propriétaires différents, de maisons ayant plusieurs corps de logis. La diminution minime constatée à la fin du xvii:s siècle doit provenir soit de regroupements inverses, soit de la suppression, en 167~, du droit de justice et du rachat des cens et rentes de plusieurs immeubles.

D'ailleurs, le manque d'uniformité de ces listes rend illusoire la comparaison de leurs chiffres. Ainsi, les maisons de la NouvelleFrance figurent sur les listes de 1727 et non sur les autres. En 1689, l'ouverture de la rue du Roule enlève à l'abbaye cinq maisons de la rue Saint-Honoré, mais lui en donne neuf dans la nouvelle voie or, les cinq maisons détruites figurent encore, pour mémoire, dans la liste de 1727'. Compte tenu de ces rectifications, le chiffre des immeubles relevant de la censive du For-aux-Dames est très voisin de la centaine indiquée, sans détail, dans les déclarations de 1763 et 1790. Ënumérer tous les propriétaires fournis par ces listes serait sans intérêt, la plupart étant de petits bourgeois, dont on ne connaît que les noms. On se bornera donc, en se basant sur les listes de 1551, 1647 et 1727, les plus détaillées~, à préciser l'emplacement et la désignation de chaque immeuble, en ajoutant quelques renseignements sur les plus notables 3.

Rue de la Heaumerie. Au coin des rues de la Heaumerie et Saint-

Denis, l'abbaye possédait un pâté de quatre petites maisons, traversé par l'impasse du For-aux-Dames. Le plus ancien plan, à grande échelle, qu'on en possède, fait par l'ingénieur Desmaisons, est daté sur la couverture de 1766, mais doit être de la seconde moitié du xvif siècle, comme on le verra plus loin 4. Le plan terrier de l'archevêché, de 1786, dont la censive enveloppait le pâté, en donne

(Croquis 9.)

l. Chapitre i, p. 182, iSô, 200, 234, 237, et Arch. nat., S 4445. 2. Arch. nat., S 4445, reliasse.

3. On numérote les immeubles anciens en chiffres romains, réservant les chiBres arabes pour la correspondance actuelle et pour les numéros, du Terrier du roi (entre parenthèses).

4. Arch. nat., ?" Seine 449 (croquis no 9).


un aspect plus réduit Le premier de ces deux plans (croquis n" 9) permet de se faire une idée de l'état ancien.

I. Maison de J'.<4MMOKCM~OM-~Vo~-D<~Ke, ayant remplacé (avant

(Croquis 10.)

1475) les anciennes maisons du .HeaMMe-CoMMMM!~ et de J''7MM~-?fo~<'D<MMe et faisant le coin de la rue Saint-Denis. Le 22 juin 1475, son propriétaire, Nicolas Joly, bonnetier, est condamné à payer aux Dames 6 livres de rente qu'il leur doit2. Le 13 janvier 1553, Nicolas Bourgeois, marchand pelletier, rachète 28 livres de rente qu'il doit aux Dames par 43 livres 15 sous de rente sur la Ville La maison tient alors, vers

la rue Saint-Denis au Donjon (B du croquis) et au .F<:MCOM (C), vers la rue de la Heaumerie au Chapeau-Royal et, par derrière, x à une petite ruelle appelée le Fort-aux-Dames ». En 16~.7, le propriétaire est Nicolas Chuppin, maître tabletier (on sait que la rue de la Tabletterie est en face). La maison passe ensuite à Jean Muteau, à sa fille Geneviève, épouse Brochant (1687), à son fils Philippe Brochant, maître des Comptes, qui la vend, le 9 juin 1730, devant Doyen, en même temps que la maison suivante, à Guillaume-Joseph Lhomme, quartenier*.

Lhomme achète peu après la maison du jF<M'M.t:-D~KM, puis, en 1743, la maison de l'Image-Saint-Nicolas (cf. ci-après). L'ancienne maison de l'Annonciation prend l'enseigne de ~HbMMMe-~MMc. Le 20 septembre 1764, devant Baron, Lhomme revend le tout, pour 69 ~00 livres, à Pierre-Léonard Lesourd, marchand de vin 5. Celui-ci acquiert, vers la rue Saint-Denis, la maison voisine (B du croquis), à l'enseigne des Trois-Maures, puis des ~f~M-~e-~aMee, la fait rebâtir en la réunissant à l'Homme-Armé, achète aussi, derrière l'îlot, un passage dépendant de la censive de l'archevêché (D du croquis) et revend le tout, le 19 mai 1773, devant Menjaud, à Pierre-Nicolas

i. Publié par Brette, 1906, feuille XXXII (croquis n° 10). 2. Arch. nat., S 4461, 5° liasse, fol. 25 vo.

3. Arch. nat., S 4432-4433, 4" liasse, et S 4461, 5e liasse, fol. 25 v°. 4. Arch. nat., S 4445, ire liasse.

5. Arch. nat., S 4474, fol. 83 ro.


Taillebot, marchand mercier le prix est de 97 ooo livres, dont 82 ~oo pour la partie située sur la censive de Montmartre Taillebot est encore propriétaire en 1786.

II. Maison du Chapeau-Royal, formant enclave au sud de la précédente, contre l'impasse. Elle ne figure pas sur le plan de Desmaisons, mais se voit sur celui de 1786. Dès 1553, elle appartient à Nicolas Bourgeois et suit, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le sort de la maison précédente.

III. Maison du Four, puis du For-aux-Dames, formant à l'origine deux corps de logis, ou « louages », un petit en bordure de la rue, un plus grand derrière, auquel on accède par l'impasse, avec, au fond de celle-ci, l'ancien four, transformé en « auditoire o ou « plaidoyer ». On a déjà cité les chartes de 1239 et 12~7 la concernant et le premier bail, fait en juillet 1295, moyennant 17 livres, à Guillaume Beauvais, armurier, et à sa femme On possède d'autres baux assez nombreux, s'échelonnant jusqu'en 1712~. On en citera quelques-uns, parmi les plus anciens, comme preuves de ce qu'on a dit (page 2~.6) sur l'étymologie de l'enseigne.

En juin 1317, les deux corps de logis sont loués par l'abbesse Jeanne de Repenti à Étienne Le Hautbergier, haubergier de son métier (fabricant de hauberts, ou cottes de mailles). « avec la ruelle par laquelle on va aux plaids de ladite maison, appelée vulgairement le Four de Montmartre », moyennant 10 livres 10 sols de rente, « à la charge que les religieuses ou leurs officiers tiendront à toujours, paisiblement et sans contredit, leurs plaids en la maison, en la manière accoutumée, et y auront lieu convenable et suffisant à tenir lesd. plaids item, un lieu pour prison suffisante item, il y aura un four à cuire pain, tel et en telle part de lad. maison qu'il plaira au preneur )).

En février 1361, le petit-fils du précédent, Étienne Le Hautbergier, fils de Jacques, vend à Étienne Le Bourguignon, armurier, et à Philippe de Cornille, haubergier, « la maison dite le foM~-aux-Nonnains de Montmartre », tenant à une autre, qui fut aussi à son grand-père et qui est hors du présent contrat, « en laquelle maison les Dames ont leur cour pour tenir leurs plaids », une prison et un four, « que le preneur pourra faire grand ou petit à sa volonté x (ce n'est déjà plus

l. Arch. nat., S 4476, fol. 73 à 74 r°.

2. Cf. chapitre l, p. 164-165.

3. Arch. nat., 84445, liasse; 84461, 5t liasse, fol. 22 et suiv. 4. Arch. nat., S 4461, 5e liasse, fol. 22 v°. Plus loin, 8e liasse, fol. 38 ro, le même acte est faussement daté de 1319, ce qui a induit Chéronnet en erreur; cf. chapitre i, p. 171, note i.


qu'un symbole) le prix est de « neuf vingts francs d'or, au coing du roi)).

La maison passe ensuite à Alain Dronis et, le il octobre 1420, Laurent de Millon, qui le cautionne, est condamné à payer à l'abbaye 10 livres 10 sols de rente pour la maison « assise au FoM~-auxDames ». Le 3 janvier 1421, la maison « sise en la rue du Fot~-auxDames », saisie sur Alain Dronis, est adjugée à l'abbaye par décret du Châtelet. Le 15 avril 1429, devant Guillaume Poret, elle la loue, moyennant 4 livres de rente, à Philippe Damien la maison, qui mesure 5 toises 2 pieds un quart de long sur 3 toises 4 pieds de large, est dans une ruelle sans issue, vulgairement appelée la ruelle du Fouraux-Dames de Montmartre » une pièce y sert de « plaidoyer » ou de ? parloir o le preneur devra souffrir l'exercice de la justice des Dames. Une note jointe à l'acte indique que Nicolas Bourgeois a racheté la rente de cette maison, comme de celle de l'Annonciation, en 1553. Le 15 juin 1482, titre nouvel d'une partie de la maison du FoM~aux-Dames est passé par Philippe de Hubert, armurier. Le 26 avril 1497, titre nouvel est passé par François Le Vielz, armurier, de la maison qu'il a acquise de Philippe de Hubert et Guillemette, sa femme, « contre la ruelle dite la rue du Fort-aux-Dames x. Le 18 décembre 1505, l'abbaye est taxée pour sa maison de la rue de la Heaumerie, contenant deux corps de logis, appelée le Fort-aux-Dames 2. Le 16 avril 1506, Étienne Bourdet, voyer de Montmartre, donne les alignements aux propriétaires de la maison du Four-aux-Dames, qui veulent la faire reconstruire. Le 20 janvier 1524, titre nouvel estpassé par Jean de Boutigny et consorts pour une partie de la maison dite le Fort-aux-Dames. Le 22 janvier 1531, Philebert Angrain déclare la maison dite du Fort-aux-Dames, qui fut jadis à Philippe Damien, dont il est héritier, et où se trouve le plaidoyer des Dames. Dès lors, il n'est plus question que du Fort, le four ayant entièrement disparu, même comme symbole.

Vers 1590, Catherine Angrain, épouse Bourgeois, fille du précédent, vend le corps de logis du fond de l'impasse, contenant le tribunal, à Claude Révérend, marchand bourgeois, qui approprie l'auditoire à son usage. Les Dames réclament aussitôt et, sur son refus de le rendre, obtiennent, le 27 juin 1591, une sentence des requêtes du Palais le condamnant à leur restituer « le bas édifice, vulgairement appelé le plaidoyer, où se tiennent de tout temps les plaids et justice, contenant 11 pieds de long, 6 de large et 8 de haut* ». Le 19 septembre 1592, un second jugement confirme le premier et, le i~ février 1602,

i. Arch. nat., S 4461, 6e liasse, fol. 31 r°-v°. Arch. nat., S 4461, 5e liasse, fol. 27 r°. 3. Arch. nat., S 4461, 6~ liasse, fol. 32 r<v°.


une « descente » de justice a lieu dans la maison. Claude Révérend est mort dans l'intervalle et ses héritiers se sont retournés contre Jean Bourgeois et consorts, héritiers de Catherine Angrain, qui a vendu à Révérend. Pour en finir, le 27 juillet 1604, devant Leroux, Jean Bourgeois et consorts vendent à l'abbaye « le petit corps d'hôtel, lors en ruines », sis au bout de la ruelle du Fort-aux-Dames, avec la maison de /'7MM~Sa!M<-A~'eo/iM, moyennant 420 livres, et la décharge donnée aux héritiers Révérend des dépens du procès

Le corps de logis, reconstruit en 1607, est loué en 1647, pour 170 livres, à l'huissier Cottel, qui doit l'acheter peu après, à l'exception de la petite salle du tribunal, comme le prouvent les annotations figurant au plan des Archives. En 1660, par arrêts des 14 avril et 14 juin, le Parlement ordonne de réparer la prison, jugée malsaine et incommode En 1674, la justice des Dames est supprimée dans Paris et l'auditoire est transféré à Montmartre. La maison, d'abord louée, est acquise, vers 1730, par Lhomme, de qui elle passe à Lesourd et Taillebot (ci-dessus).

IV. Maison de /'7MMg~MM<-2Vtco/<M, formant, semble-t-il, le corps de devant de la maison précédente et acquise par les Dames en 1604 (ci-dessus). En 1647, elle appartient aux héritiers des sieurs florin et Boucher. Le 29 juillet 1743, devant Alleaume, Antoine Girard, capitaine aux gardes suisses, la vend pour 14 ooo livres à Guillaume-Joseph Lhomme 3.

En 1786, l'impasse est devenue un couloir couvert et les quatre maisons se réduisent à deux, plus un petit terrain détaché, provenant peut-être d'un échange, auquel on accède par l'ancienne impasse D, dépendant de l'archevêché (voir le croquis). Le tout appartient au sieur Taillebot.

/~Me 7\Sa;M<-Mef~)/. C'est la rue Saint-Merry actuelle. L'îlot relevant de la censive de Montmartre est englobé dans celle de SaintMerry 4.

I. Maison de la Coquille, puis des Deux-Boules, faisant le coin de la rue Saint-Martin et appartenant, en 1647, à Simon Benoist, ancien changeur du roi. Le 10 avril 1710, devant Demahault, les frères Linnard des Brières la vendent à Carpentier, dont le fils Jacques Carpentier de la Fosse, maître des Comptes, la revend, le 30 septembre

i. Arch. nat., S 4461, 7e liasse, fol. 34 v° à 35 S 4445, 2~ liasse. 2. Félibien, V, p. 167, 169 Trétaigne, p. 127.

3. Arch. nat., S 4473, fol. 70.

4. Terrier du roi, Arch. nat., QI 1099 'o B, fol. 161, i6g, nos 69 à 72 (croquis 11).


1751, devant Desmures, à Guillaume Constant, premier valet de chambre du duc de Penthièvre, qui la déclare le 29 avril 1762~. ? ~8 actuel.

(Croquis 11.)

II. Maison appartenant, en 16~.7, à Chevalier, conseiller an Parlement. M. de Liancourt (1705). ? ~j.8.

in et IV. Maisons appartenant, en 16~7, à Pierre Cordelier et à J.-B. Forme, banquier, et vendues avec la suivante à Jabach. M. de la Brosse (~705). ? 46.

I. Arch. nat., S 4434-4435, 5e liasse, Terrier de 1738, p. 2~.ç.


V. Maison à J.-B. Forme, banquier (1647), dite jadis la Grande5s~4M~e. Le 16 octobre 1659, devant Lemoyne, Forme la vend, avec les deux précédentes, pour 104 ooo livres, au fameux banquier et collectionneur Éverhard Jabach', qui les remplace par un seul immeuble, qu'il lègue à sa veuve. Vendu à vie au président Remigeau-Montoire et à sa femme Marie Formenin, il revient, après le décès de celle-ci, à François-Antoine Jabach, qui le revend, avec la maison suivante, pour 77 500 livres, le 9 décembre 1756, devant Laideguive, à Jean Girost, tabletier N°s 44-42.

VI. Maison du Mo~M~'O~, à Jean Charles, tapissier (1647), puis à Pierre Bourlon et consorts, qui la vendent, pour 6 ooo livres, le 31 juillet 1669, devant Gallois, à Éverhard Jabach~. En 1756, son héritier la vend, avec la précédente, à Jean Girost. Nos 44-42. Rue du Moulin, ou du Mo/!M. C'est le nom primitif de la rue de la Lanterne, ou Vieille-Place-aux-Veaux.

Deux petites maisons sans intérêt.

Rue SatM~-Ma~M. Les maisons de la rue Saint-Martin relevant de Montmartre, situées du côté oriental, sont englobées dans la censive de Saint-Martin-des-Champs. Elles commencent un peu au nord de l'impasse de Clairvaux et finissent au sud un peu avant la rue des Jongleurs, puis des Ménétriers, à l'emplacement de la rue Rambuteau 4.

I. Maison du Cerf- Volant, tenant au nord à l'hôtel de Salus, propriété des Minimes de Vincennes la maison appartient au sieur Billonnois (1647), puis à ses héritiers (1705 et 1727). ? 182. II. Maison de /ËeM-B~a:~Me, faisant le coin nord du cul-desac de Clairvaux, appartenant aux héritiers de Roch Hurtel (1647), puis au sieur Lejeune, tapissier (1705) et au sieur Leroy (1727). ? i8o.

III. Partie postérieure de la maison précédente, donnant sur le cul-de-sac et appartenant au notaire Nicolas Ménard (1647) 5, puis à ses héritiers.

IV. Maison du Moulinet, donnant sur le cul-de-sac et appartenant à Augustin Trois-Œufs (1647). M. Drouet, qui loue au sr Boutonnier (1705).

i. Arch. nat., S 4469, fol. 92 v°.

2. Arch. nat., S 4473, M. 2~1 v".

3. Arch. nat., S 4470, fol. 7 r°.

4. Terrier du roi, Arch. nat., QI 1099'° A~ fol. 34, 39 (croquis n° n). 5. Il exerça de 1645 à 1675, succédant à son père Claude le répertoire de Thomas lui donne le même prénom.


V. Maison du C~OMMM< et grande maison de la Croix-de-Fer, ouvrant au fond du cul-de-sac, avec issue sur la '( cour aux Mores o et, par les jardins, sur la rue Beaubourg. En novembre 1244, Étienne (de Lexington), abbé de Clairvaux, passa déclaration de la maison qu'il avait récemment acquise, avec l'autorisation de l'abbesse de Montmartre, de Jean de Beauvais et Isabelle Bouteille, sa femme, et pourlaquelle il devait 4 sous 5 deniers de chef cens 1. Ayant obtenu du pape, en 1246, l'autorisation de faire suivre à ses moines les cours de l'Université. Étienne fonda, sur la rive gauche, le collège des Bernardins, que Clairvaux dut vendre, en 1320, à Cîteaux, sa maison mère, pour payer ses dettes. L'année suivante, elle revendit aussi sa maisondu quartier Saint-Martin à l'abbaye de Reigny, près de Vermenton, au diocèse d'Auxerre. Cette maison était alors située non au fond d'un. a cul-de-sac, mais en bordure d'une rue, dite « Petite-Troussevache o, traversant de la rue Saint-Martin à la rue Beaubourg, et dont le cul-de-sac Bertaud est le reste oriental.

En 1321, les moines de Reigny passèrent déclaration de leur achat l'abbesse Jeanne de Repenti, qui amortit à 100 livres les droits de, lods et ventes dus par Clairvaux. En 1369, pour finir un procès pendant avec Montmartre, Jean de Mailly, abbé de Reigny, prit à cens quatre places vides, autrefois bâties, situées dans la rue Palée ou Saint-Julien (aujourd'hui cour du Maure). En 1433, les moines deReigny passèrent nouvelle déclaration à l'abbesse Simonne de Herville 2.

Vers 14.50, ils obtinrent de relier leurs immeubles de la petite ruelle Troussevache à ceux de la rue Palée, en transformant la première en double impasse, dont la partie occidentale conserva le nom de Clairvaux et dont la fraction orientale devint le cul-de-sac Bertaud. Le 3 mars 1634, ils vendirent 100 toises de leur jardin, en bordure de la rue Beaubourg, où le sieur Henin, conseiller au Grand Conseil, fit. construire une maison. Le 31 janvier 1691 eut lieu la visite de la mai-; son de la Croix-de-Fer, louée aux Messageries de Strasbourg~. En 1696, leur propriété comprenait, outre la maison de la Cf<M~-<&jFg~, sept maisons adjacentes (voir ci-après), dont trois donnant sur la cour du Maure. Le 6 juin 1696, cette propriété fut partagée entre la mense de l'abbé et celle des moines. L'abbé reçut la partie nord, comprenant la maison de la Croix-de-Fer et trois autres, et s'étendant, derrière Cerf- Volant et l'Écu-de-Bretagne, jusqu'à l'hôtel de Salus, sur la censive de Saint-Martin-des-Champs. Suivant déclaration du

i. Arch. nat., S 4461, ne liasse, fol. 57 r°-v°.

3. Arch. nat., S 4446-4447, 7e liasse S 4461, 10" liasse, fol. 54 vo, et ii°Iiasse,M.57v°,58v.

3.Arch.nat.,Z'-<405.


10 février 1705, l'une des maisons de l'abbé, la plus au nord, était louée à la marquise de Nancré 1, qui était Marie-Thérèse de Montmorency-Logny. L'abbaye de Reigny vendit la propriété en 17882. VI. Maison à Pierre Cordier, procureur (16~.7), puis a l'abbaye de Reigny (1696). ? 178.

VII. Maison de la Rose-Blanche, puis de Saint-Cosme et SaintDamien, à Richard Doublet (16~.7), puis à l'abbaye de Reigny (1696). ? 176. Le passage de la Réunion, ainsi baptisé de la section révolutionnaire de ce nom, a été ouvert en 1790 sur l'emplacement de cette maison, qui en faisait cinq en 1705 (n°s 62 à 66 du Terrier du roi). N°s 176, 174, 172.

VIII. Maison faisant le coin nord de l'ancienne rue Palée, appartenant aux héritiers de Marie Chambon (1647), puis à M. du Chastelier (170;)) et à l'abbaye de Reigny (1726). ? 170.

La cour du Maure est l'ancienne rue Palée (xiv~ siècle), puis SaintJulien (xve), puis du More (1606). L'abbaye de Montmartre y avait le cens sur deux maisons, appartenant, en 164.7, l'une à Michel Roussel, avocat, l'autre aux héritiers de Robert Boitte, et toutes deux, en 1696, à l'abbaye de Reigny. Emplacement du 170.

IX. Église et hospice Saint-Julien, fondés en 1332, sur l'emplacement d'une maison appartenant à la confrérie des Ménétriers, et amortis, le 8 février, par l'abbesse Jeanne de Valengoujard, moyennant 8 livres payables pendant six ans et une rente de 5 livres, plus les droits de cens et de justices. Les 6 février 1408 et 13 décembre 1492, des sentences du prévôt condamnèrent la confrérie à payer les rentes et cens dus, et, le 2 mai 1.544, ses gouverneurs déclarèrent encore la propriété~. En 1649, elle passa aux Pères de la Doctrine chrétienne, qui acquirent, les 22 février 1635 et 29 janvier 1661, deux maisons situées derrière et constituèrent à l'abbaye de Montmartre, pour ses droits de lods et ventes, les 12 janvier 1658 et 19 mai 1661, deux contrats de 30 livres de rente chacun5. Emplacement du no 168. En 1705, la maison touchant l'église au sud appartenait aux

l. Arch. nat., S 4445, Ire liasse, et S 4446-4447, 7e liasse.

2. Plan et description, en 1790, de la maison de la Croix-de-Fer, qui couvre 434 toises et est estimée 109 797 livres, dans Arch. nat., Q~ 121, dossier 18 plans et estimations des trois maisons de la rue Saint-Martin au sud de la précédente (anciens n°s n8 à 120), même carton, dossier 19. 3. Cf. chapitre l, p. 171 Du Breul, p. 990 Piganiol, III, p. 468 Jaillot, Xe Quayliey, p. 49 Cocheris, édition Lebeuf, II, p. 253 Bournon, Additions, p. 140; Vidal, la Chapelle ~st~-jM/M~ (1878).

4. Arch. nat., S 4461, 12~ liasse, fol. 64 v°, 65 r", 66 r°.

5. Arch. nat., S 4450, 6e liasse.


vingt-quatre joueurs de violon du roi, héritiers des Ménétriers (partie du 166).

X. Maison aux héritiers de Guillaume de Caen, correcteur aux Comptes (1647), puis à l'enseigne du Cheval-Pie, et appartenant au marquis de Cheurié (1705), puis à M. de Bernage, prévôt des marchands (1727). No i66.

XI. Maison faisant le coin nord de la rue des Petits-ChampsSaint-Martin, aux héritiers de François Prudhomme (1647), puis aux religieux de Saint-Julien (1727). ? 164.

XII. Maison du Faucheur, faisant l'autre coin de la rue des Petits-Champs, aux héritiers de Jean Le Vasseur (1647), à. Bernard Dognière, sieur de Gilly (1656), qui la vend, le 28 janvier 1684, devant Vallet, à Jean Richer, architecte des bâtiments du roi~. Elle passe à Mme Amelin, puis au sieur Chuppin (1727). ? i6z.

XIII. Maison de ~fow~te-~cMua~, à M. Salonnier, conseiller au Trésor (1647). M. de Vaucorbeil (1705). C'est la belle maison, reconstruite au xviu~ siècle, qui porte le no 160.

XIV. Maison de la Cloche-Blanche, aux héritiers Botliier-Landry (1647), englobée dans la précédente. No 160.

XV. Maison de la Croix-Blanche, appartenant à Dreux Amelot de Chaillou, maître des requêtes (1647). Par partage, devant Louvet, du 13 janvier 1657, elle passe à son fils Jean-Baptiste Amelot de Bisseuil, qui la donne, le 18 janvier 1688, à sa fille Marguerite-Françoise, épouse de Charles Bourgoin, marquis de Faulin. Celle-ci la déclare le 21 mars 1703 et figure toujours sur la liste de 1727. ? 158. XVI. Autre moitié de la maison précédente, appartenant aux héritiers de Melcbissédec Garnier, avocat (1647), puis à Martin, maître des Comptes (1727). ? ~56.

Rue des Petits-Champs. C'est aujourd'hui la rue Brantôme, qui a gardé son ancien aspect. La censive de l'abbaye s'étendait sur cinq maisons du côté nord et autant du côté sud

Côté nord. 1. Maison sans désignation, dont Marie Leydet, veuve de Gilles Durant, lieutenant général des eaux et forêts, s'est rendue adjudicataire, le 26 janvier 1611, sur la succession de Claude Mathé. Le 11 décembre 1625, devant Hauldesens, elle l'échange avec Jacques de Flécelles, trésorier des ponts et chaussées, qui la lègue à

i. Arch. nat., S 4470, fol. 141 r°.

2. Arch. nat., S 4446-4447, 7" liasse.

3. Terrier du roi, Arch. nat., Q~ logo.'o M. 118 (croquis n° il).


son fils Philippe. Celui-ci figure sur la liste de 1647 et la déclare le 2 août 1673 1. Isaac Cherré, maître des Comptes, est propriétaire d'une partie de la maison, donnée à Marguerite de Flécelles, sa femme, par sa mère Marguerite Lambert, veuve de Jacques de Flécelles, par son contrat de mariage, devant Raymond, du 12 juin 1632. M. Lambert (1705). En 1727, le tout appartient aux Pères de Saint-Julien. ? 16.

II. Maison sans désignation, à Claude Le Roux, conseiller au Parlement (1647), à M. Admirai, seigneur de Louptière (1705), puis aux Pères (1727). ? i6.

III. Maison à Delaborde, huissier au Châtelet (1647), puis aux Pères (1705). ? 14.

IV. Maison à Doussin, huissier au Parlement (1647), puis aux Pères (1705). ? 12.

V. Maison à Guillaume Le Comte (1647), à M. de Viallard (1705), puis aux Pères (1727). ? lo.

Côté sud. VI. Maison aux héritiers de Jean Pellerin, sieur de Menestrel (1647), à M"s de Longecourt (1705), puis aux héritiers Parisot (1727). ? 17.

VII. Maison à Marguerite Sainctot, veuve de Jacques de Creil (1647), puis à Mme de Longecourt, a M. Chéret (1705) et à Mme de la Savonnière (1727). ? 15.

VIII. Maison appartenant à l'abbaye de Montmartre et louée au président Larcher pour 350 livres (1647) ? 13.

IX. -Maison à Charlotte Célérier, veuve de Jean Lambert (1647), puis à Delarue (1705) et à Léperon (1727). ? u.

X. Maison à Claude Colombel, avocat au Parlement (1647), puis à Neret, greffier (1705 et 1727). ? 9.

Rue des Ménétriers. Ancienne rue des Jongleurs (1235). L'abbaye y possède deux maisons, à l'emplacement du 54 de la rue Rambuteau 2.

I. Maison de l'Image-Saint-jean, au sieur Bouteroue, procureur au Parlement (1647), puis à Michel Tetard, payeur des gages (1727).

i. Arch. nat., S 4446-4447, 4e liasse.

2. En 1790, elle est louée 660 livres et estimée 11 566 livres Arch. nat. Q~ 121,dossieri,avec plan.

g. Terrier du roi, Arch. nat., QI 1099'° B, fol. 121.


II. Maison de ~MMgï'SsM~-yMHsM, aux religieuses de PortRoyal (1647 et 1727).

Rue de l'Arbre-Sec. Entre les rues de l'Arbre-Sec, Saint-Honoré et Tirechappe, la parcelle relevant de la censive de Montmartre est bornée au nord et à l'ouest par la censive de l'évêché, au sud par la

(Croquis 12.)

censive de l'évêché et les fiefs du Roule et Tirechappe, à l'est par l'évêché (croquis 12) 1.

Les maisons de la rue de l'Arbre-Sec sont énumérées du sud au nord, comme dans les listes anciennes (croquis 13).

I. Maison du Dauphin, faisant le commencement de la justice

l. Il existe aux Archives (N~ Seine 213) un plan muet de cette partie du fief, figurant douze maisons rue de l'Arbre-Sec (non comprise celle du coin), dix-nuit rue Saint-Honoré avant la rue du Roule, neuf entre celle-ci et la rue Tirechappe et deux à l'est de celle-ci. Terrier du roi, Arch. nat., QI 1099- fol. 17 et 2~-25, nos 63 à 76.


de l'abbaye du côté de la rue de Béthisy et tenant au sud, au xvi~ siècle, à la « Cave de Ponthieu faisant le coin de la rue précitée. Elle appartient alors (vers 1580) au sieur Lobigeois, auditeur aux Comptes, puis à ses héritiers, qui la vendent à Jean Oudeau, contrô-

(Croquis n°l3.)

leur de la maison de la feue reine mère (Catherine de Médicis). Le 28 novembre i6oy, elle est déclarée par sa veuve, Marie Le Prévost, puis, le 19 janvier 1612, par Jean Gaboury, tapissier, qui l'a acquise de la précédente~. Le 2t juin 1621, elle appartient à ses neveux, Jean

i. Arch. nat., S 4461, i7e liasse, fol. 125 v°, 126 r°, et listes des maisons reliées à la suite.


Gaboury, aussi tapissier du roi, Marie Delaunay, veuve Fiburier, et Jean-Pierre Chubéré, veuf de Marie Fiburier~. Après partage, Jean Gaboury reçoit le corps de bâtiment sur le derrière (cf. ci-après) et les enfants de Chubéré celui sur le devant.

Ce dernier appartient en 1647 à Rémond Maignan, puis à un sieur Noblet. En 1703, il est revenu, par décret, à Jean-Pierre Chubéré, secrétaire du roi, propriétaire aussi du bâtiment du fond par son mariage avec Anne-Marie Février, fille de Guillaume (ci-après) Par partage du i~r octobre 1762, devant Dupont, entre ses héritiers, l'immeuble échoit à Février de la Bellonnière. Sur licitation entre les héritiers de celui-ci, le bâtiment du devant est adjugé, par sentence des requêtes de l'Hôtel du 19 mai 1772, moyennant 24 200 livres, à Guillaume Mondron 3. Emplacement du 44 et de la rue de Rivoli. II. Partie postérieure de la maison précédente, vendue, vers 1638, par les héritiers de Jean II Gaboury à Jean Thiriot, architecte des bâtiments du roi, le maître maçon et l'entrepreneur de toutes les constructions de Richelieu, qui la revend, le 5 mai 1639, devant de la Croix, pour 22 ooo livres, à Jacques Le Mercier, architecte des bâtiments du roi, le constructeur du Palais-Cardinal et de l'Oratoire, et à Marguerite Platrier, sa femme4. Le Mercier meurt en 1654 et, le 18 décembre 1670, devant Néra, son fils, François Le Mercier, sieur de Marigny, mousquetaire de la garde du roi, revend la moitié de la maison, pour 17 ooo livres, à Guillaume Février, sieur de la Bellonnière, ancien contrôleur de la maison de Madame, duchesse d'Orléans Février a déjà acquis l'autre moitié de Françoise Guerry, veuve du notaire Claude Platrier, héritier de la femme de Le Mercier 6. Sa fille Anne-Marie épouse Jean-Pierre Chubéré, qui réunit la totalité de la maison et dont les héritiers la possèdent jusqu'en. 1772 (ci-dessus).

III. Maison à Pierre Billard (vers 1580), à Thomas Le Clerc, intendant des finances, puis à sa veuve et à ses enfants. Par décret des requêtes du Palais du 13 mai 1643, elle est adjugée sur eux à Guillaume Le Brun, trésorier du grand sceau", dont les héritiers l'échangent, le 26 février 1701, devant Boucher, contre des rentes, avec Jean Delaleu, échevin, qui la déclare le 28 février 1703.~ Le

t.Arch.nat.,S4450)2°Ma~se.

2. Arch. nat., S 4484, et QI 1099~, fol. 24, 63.

3. Arch. nat., S 4476, fol. 53 ro.

4. Arch. nat., S 4468, fol. 163 vo. Cf. la Construction du F'&-Gy<!ce, Bulletin 1930, p. 11~-116.

5. Arch. nat., S 4469, fol. 237 v°.

6. Arch. nat., S 4469, fol. 10 r".

7. Arch. nat., S 4450, 2'* liasse et QI t099~, fol. 24, 64.


27 février 1717, devant Dutartre, ses héritiers la vendent, pour 12.5 ooo livres, à Jacques du Moulin, médecin. ? 46.

IV. Maison de ~mag'e-6'aMM~/aeyMM, puis de ~'O~'aMg'teRoyale, à Pierre Dutot, notaire (en exercice de 1559 à 1581), puis à ses enfants, dont les tuteurs la vendent à François de Jordis, orfèvre, et celui-ci à la veuve de Hugues Chapelain, mousquetaire à la première compagnie. Elle passe à son fils Jean Chapelain, notaire (mort en 1645), puis à sa veuve, Jeanne Langlier (1647 et 1675), enfin à son fils Hugues Chapelain (1703) et à Jean-Louis Chapelain (1727). ? 48. V. Maison des SMai~-ft~y~o~, puis de la Duchesse-de-Bourgogne, appartenant à Claude Bazin, médecin (vers 1580), puis à ses héritiers, qui vendent la partie postérieure à Étienne d'Audemare, contrôleur de la maison de la duchesse de Guise, lequel la cède au notaire Jean Chapelain (1621). En 1647, les deux paities sont réunies par l'orfèvre Le Mercier. Le 14 août 1673, la maison est déclarée par Denis Langlois, contrôleur des décimes de Normandie, donataire de N. Le Mercier, sa mère, veuve d'Étienne Langlois, Antoine Le Mercier, huissier du roi, Pierre Bellant, cirier de la Grande Chancellerie, et Marie Le Mercier, Françoise Vizée, veuve de Claude Le Mercier~. En 1703, elle est à René et Pierre-François Langlois, fils de Denis, et, le 27 février 1727, Pierre-François vend sa moitié à Gérard Livres ? 50.

VI. Maison à Nicole Malon (vers 1580), puis à ses héritiers. Le 30 aoûr 1583, devant Parque, Claude Malon, conseiller au Parlement, en vend un quart à Élisabeth Le Riche, veuve de Jean Boullanger, qui en possède déjà la moitié et qui achète le dernier quart, le 9 août 1384, devant Maheu, à Arnoul Boucher, seigneur d'Orsay, premier président au Grand Conseil, et à Élisabeth Malon, sa femme 3. Après 1602, l'immeuble passe à son fils Jean Boullanger, qui vend à Noël Mesnier. En 1647, il est à la veuve de celui-ci, Anne Gautray, qui le cède à Marie-Madeleine Devaux, épouse de Nicolas-François Damas, marquis d'Anlézy. Devenu veuf, celui-ci le déclare en 1703, au nom de ses enfants la maison est en face de la rue BaiIIeuL On verra la suite ci-après.

VII. Maison du Croissant, puis des Deux-Croissants, à Claude Rivière, marchand de vin, à sa veuve, à son fils (1647), à Émon, de même profession. Le 25 octobre 1660, devant Le Fouin, elle est acquise par François Bernoin, premier barbier du roi 4, passe à son

i.Arch.nat.,S445°. 2*~ liasse. 2. Arch. nat., S 4472, fol. 149 ro. 3. Arch. nat.,84461, lys liasse. 4. Arch. nat., S 4469, fol. 97 ro.


gendre Pierre Petit et à sa Elle Marie-Anne Bernoin et porte en 1703 l'enseigne de J'.H~MM&:g~. Le 30 mai 1712, devant Le Maignen, Pierre Petit et sa femme vendent à André Eynaud, qui, le 26 août 1715, devant Moultrot, acquiert la maison précédente, pour 20 ooo livres, du tuteur des enfants mineurs du marquis d'AnIézy~. 2. Sur l'ensemble des deux immeubles, Eynaud fait construire la belle maison Louis XV, avec un superbe balcon, qu'on peut encore admirer au n" 52. Elle lui est délaissée par ses enfants, après le décès de sa femme, suivant acte, devant Le Maignen, du 12 juin 1717. Elle passe à son fils André, secrétaire du roi, dont le fils Louis Eynaud, correcteur aux Comptes, agissant comme procureur de son père, la vend, le 7 mars 1776, devant Dehérin, moyennant 120 ooo livres, à François Monnot, notaire au Châtelet 3, et à Denise Dumoulin, sa femme 4. Elle a été louée et a appartenu ensuite à la famille de l'échevin Trudon. Na 52.

VIII. Maison de la Rose-Rouge, puis de la P~e-MpOK, à Jean Boullanger (après 1602), à Charles Bernard, lecteur du roi, à ses héritiers (1647), qui vendent, le 25 janvier 1666, devant Moufle, pour 44 000 livres, à Guillaume Billion, écuyer du roi 6. Elle passe à sa fille Claude, épouse de Claude David, premier chirurgien du roi. En 1703 elle est à Claude Billion, veuve David, et à ses deux filles, MarieLouise David, épouse de Jacques de Troyes, et Marie-Catherine, qui épouse peu après François Baraton de Villeneuve, receveur des finances à Bourges. Par partage du 4 septembre 1710, elle échoit au second ménage, qui la déclare le 18 mars 1721". ? 5~. IX. Maison de J'.fM!S<K'M<-y<'<M!, puis du G~K~-P"MM', à, Jean Marcourreau (vers 1580), à ses héritiers (1602), à Jean Lhuillier, a. sa veuve, Françoise Morin. Par décret du Châtelet du 31 mai 1679, elle est adjugée, pour 18 550 livres, à Savinien Rifles, premier commis de Louvois, puis de Chamillart qui la possède encore en 1727. Na 56. X. Maison du Heaume, de ~ËeM-a"~4~M!poM et de Notre-Dame-deLorette, à Richard Lerbacher (1580), à Louis Bourgeois, à Orson Leschauguette, à sa veuve, à l'orfèvre Jalon (1647), à Pierre Capitaine, à Jacques Viguier (1703, 1727). ? 58.

La partie postérieure appartient à Jean Pèlerin, à Germain Le

i. Arch. nat., S 4484.

2. Arch. nat., S 4472, fol. 49 ro.

3. En exercice de 1772 au 7 juillet 1801. 4. Arch. nat., S 4476, fol. 143 r".

5. Arch. nat., S 4469, fol. 146 v°.

6. Arch. nat., S 4484 et S 4434-4433, 2~ liasse. 7. Arch. nat., S 4470, fol. 105 v°.


Charron, notaire, à son fils, à la veuve de celui-ci, Madeleine Sauvat, qui vend à Claude Aubry, épicier celui-ci la déclare le 23 octobre 1608 et la vend à l'orfèvre Jalon, seul propriétaire en 1647. XI. Maison de la Rose-Blanche, puis du Nom-de-Jésus et de la Ville-du-Mans, à Pierre de Saint-Étienne, à Charles Le Tellier, à de Creil, conseiller au Grand Conseil (1647), à Lormier, à sa veuve Catherine Cabat (1703), à Le Gendre (1727). ? 6o.

XII. Maison de la -F~M~M, puis de Saint-Charlemagne, à Jean et Pierre Harelle, puis au second seul, qui la partage entre ses gendres Frison et Dupuis elle passe à Joseph Caillou, à Jean Yvonnet, à ses héritiers (1647) et est acquise, avant 1673, par CharlesFrançois de Creil, conseiller au Parlement, qui la laisse à sa fille Élisabeth, épouse séparée de biens de Jean-Baptiste Amelot, président à la Cour des monnaies, et à son neveu Augustin Le Roux (1703). M. d'Audebert (1727). ? 62.

XIII. Maison du Perroquet, à Lefèvre, à sa fille Marie et à ses nièces, les demoiselles Casaubon (1703), au sieur Bouillette (1727). No64.

XIV. Maison du Héron, à Nicolas Brayer, à Charles Loiseau, conseiller au Parlement (1703), à la veuve Lucas (1727). ? 66. Rue Saint-Honoré. Jusque vers 1450, tous les titres l'appellent rue du Chasteau-Festu (de Castello-Festuce), puis « rue Saint-Honoré, dicte Chasteau-Festu )). Toute la partie de la rue en la censive de Montmartre (côté sud) a conservé son aspect ancien 2. I. Maison des T'fOM-.Mo~B~a~, puis de la Place-Royale, faisant le coin de la rue de l'Arbre-Sec, à Nicolas Croiset, receveur des tailles à Nogent (1647), dont les héritiers vendent, le 31 août 1672, devant Lemoyne, pour 24 400 livres, à Nicolas Brayer, médecin Acquise aussi par François Bernoin, barbier du roi, elle est vendue par ses héritiers, les 27 juillet 1699, 9 et 15 janvier 1700, devant Doyen, à Jean Nau, qui la déclare le 18 avril 1703' et figure encore sur la liste de 1727. ? 109.

i. Arch. nat., S 4449, i*~ liasse Terrier, QI 1099~.

2. On trouve dans les vieux titres (Arch. nat., S 4449) une vente de 1377, par Guillaume Gupperel, marchand de chevaux, et sa femme à Guillaume Bunot, de trois maisons « assises oultre la porte Saint-Honoré », dont une devant l'église de ce nom « faisant le coin d'une ruelle dite la Court Ourry », et de terres « oultre la Bastide Saint-Honoré (porte de Charles V), « entre icelle et le Roule ». On voit que le nom de « Cour Orry a, encore existant au temps de Richelieu, remonte haut.

3. Arch. nat., S 4469, fol. 231 r°.

4. Arch. nat., S 4449, 2e liasse. Le Terrier l'appelle Hénault, bonnetier.


II. Maison de Madame-la-Dauphine, aux héritiers de Jean Moullaud (1647), puis à Chapuzeau (1705 et 1727). ? 107. 111. Maison de l'Image-Saint-Michel, à Antoine PijaNit, procureur (1647), réunie avant 1705 à la suivante. ? 105.

IV. Maison de ~CM-K~OM, à Robert Dominois, boulanger (1647), puis à Jean Saulnier (1727). ? 105.

V. Maison de ~'M-CoMMWMM, puis de la Renommée, à Guillaume Piron (1647), puis à Lebert (1727). ? 105.

VI. Maison du Roi-d'Espagne, à Adam Havet (1647), puis à. Nisseron (1705 et 1727). ? 103.

VII. Maison de la G~o~e-f~~MO~~e, à Nicolas Jayet (1647), à Antoine de Meaux, sieur de Vallière, à Nicolas Delaunay, directeur de la Monnaie (1687 et 1705), au sieur Cotte (1727). ? loi. VIII. Maison du Petit-Paradis, puis de la Bonne-Foy, à Camille Roger, garde des cabinets de la Reine (1647), puis à ses héritiers (1705 et 1727). Na 99.

IX. Maison de la Croix-d'Or, puis du Frères-Jacques, à Jean Morin, orfèvre (1647), à sa veuve, Cécile Hadancourt, qui la déclare le 26 juillet 1673 son mari l'a acquise des héritiers Leclerc, par trois contrats des 2 juillet 1643 et 10 juillet 1645, devant de Beauvais, et du 27 juillet 1646, devant Plastrier. Le 21 décembre 1697, devant Plastrier, elle la vend à Louis Damoraison, intendant du Hainault, dont la veuve, Françoise Collot. la déclare le g novembre 1705 elle tient alors d'un côté à la veuve Roger, de l'autre à Félix 1. La maison passe à son fils Louis-Timoléon Damoraison, qui la vend à Pierre Moreau de Séchelles, lequel la donne à son fils François et celui-ci à son frère Jean. Le i<~ avril 1733,00 Jean Moreau de Séchelles la donne à sa fille Marie-Hélène, à l'occasion de son mariage avec René Hérault, seigneur de Fontaine-l'Abbé. Mme Hérault, devenue veuve, vend la maison, le 27 avril 1754, devant Garceran, pour 63 ooo livres, à François Audinet elle est dite en face de la rue du Four ? 97. II s'agit de la grand'mère de Marie-Jean Hérault de Seychelles, guillotiné en 1794.

X. Maison de ~oîJe-CoMfOMMM, puis de la Coste-Rostie, à Jean Grandcerf et Jean Le Vacher (1647), à Marie Croiset, épouse tCossart, et autres, qui la vendent, le 27 janvier 1683, pour 24 500 livres, à Charles-François Félix, premier chirurgien du rois; à Lebas du PIes-

i. Arch. nat., S 4449, a" liasse, et S 4484. 2. Arch. nat., S 4473, fol. 237 ro. 3. Arch. nat., S 4470, fol. 137 r°.


sis (1727) adjugée par sentence des requêtes de l'Hôtel du 6 avril ~753' pour 55 100 livres, à Marie Quantin, veuve de Louis Lebas de Girangy elle est en face de la rue du Four Réunie depuis à la précédente. ? 97.

XI. Maison du Bourdon-Saint-jacques, puis du BoM~o~O)', à Marie Huidelaine de Lislefort (1647), puis à M. Vittard (1705) et à M. de Clerambourg (1727). ? 95.

XII. Maison de /c~!)MM, puis de la Tête-d'Argent, à Geneviève de Bourdeaux, veuve de Martin de Laune, correcteur aux Comptes (1647), puis à M. Chenard (1705) et à Louise Chenard (1727). C'est un démembrement de la maison suivante. ? 93.

XIII. Grande maison du Plat-d'Étain, qui a servi d'abri aux Dames de Montmartre, en temps de troubles, notamment en 144.5 Le 24 avril 1471, devant Denis Chevalier, un accord, mettant fin à un long procès sur les rentes dues par l'immeuble, est conclu entre Simon Le Doulx, proviseur du collège des Prémontrés, représentant l'abbaye du même nom, Pierre Favereau, avocat au Châtelet, représentant les héritiers de Jean de Ribemont, ancien propriétaire de la maison, et Pétronille de Harasse, abbesse de Montmartre. L'acte montre que, en 1467, le roi Louis XI a donné un privilège aux bourgeois sur les maisons vides et abandonnées~. Celle-ci passe à un sieur Pierre de Bourdeaux, puis (avant 1599) à Martin de Laune, correcteur aux Comptes, époux de Geneviève de Bourdeaux, à sa veuve (avant 1647) et à la famille Lemaire (avant 1672), enfin à Chenard (1705). N"91.

XIV. Maison du Château-de- Vincennes, puis du Cerf- Volant, démembrée aussi de la précédente. En 1647, elle appartient à Jean Sauzion, secrétaire de la Chambre du roi, à cause de Madeleine de Bourdeaux, sa femme de Bellavoine, payeur des rentes (1705). ? 89. XV. Maison du sieur de la Balle (1705), démembrée de la suivante. ? 87.

XVI. Maison du Moulinet, puis de la Reine-d'Angleterre, à Martin Lemaire (1647), puis à ses héritiers (1705 et 1727). ? 87. XVII. Maison du .So~M'O~, puis de Madame-la-duchesse-deBourgogne, à Macaire, drapier (1647), puis à Langlois (1705) et à Mignonneau (1727). ? 85.

XVIII. Maison du Cheval-Noir, à Nicolas Louvet (1647). M. de Laistre (1705). ? 83.

i. Arch. nat., S 4472, fol. 166 r°. 2.Cf. chapitre l, p. 176.

3. Arch. nat., S 4449, ire liasse.


XVIII bis. Maison de la Rose-Rouge, puis de la Providence, aux héritiers de Le Tellier, maître des Comptes (1647). ? 8l. XVIII ter. Autre moitié de la maison précédente, à Pierre Legrand, secrétaire du roi (1647). ? 8i.

XIX. Maison de la Z.Se (1414), puis de la Levrette-Blanche et du Saint-Esprit, à Thibault du Plessis (1647). Mme Pellé (1705).. ? 79.

XX. Autre moitié de la même maison, à Jean Laboury, avocat au Conseil privé (1647). ? 79.

XXI. Maison de t'Image-Saint-jacques, puis de la Ville-deTLyoM, à Barbe de Voulges, veuve Robert (1647), puis à Guillaume Coutant, qui vend à la Ville, pour 28 ooo livres, devant Taboué, le 29 juillet 1689~.

XXII. Maison de ~<Ma~Vo~-Da;M~, à Catherine Huault, veuve de Claude de Bragelonne (1647), puis à Charles Rousset, marquis d'Alembon (1687).

XXIII. Maison du B<BM/-CoM~oMMg, à Jean Marot (1647). XXIV. Maison de ~Mg'e-f<<& à Claude Cha.nterea.u, Élisabeth et Anne Beaucousin (1647), puis à leurs héritiers (1687). No 77.

XXV. Maison des Deux-Anges, puis de Mg~jDaM~AM!, à Louis Habert, procureur au Châtelet (1647). ? 75.

Ces cinq dernières maisons furent détruites en 1689 par l'ouverture de la rue du Roule (cf. ci-après). La quatrième (n° XXIV) devint la maison de la Toison-d'Or, au sieur Bouret (1705) la cinquième (n° XXV) la maison du G~a~-DsM~/MM, au sieur de Lacoste, curé de l'Hôtel-Dieu (1705).

XXVI. Maison du Z.MM-0< puis du jP~Moe-~s-CoM~, à. Élisabeth Marlot, veuve de Thierry Charpentier, au lieu de M. Charpentier, président à Metz (1647), puis ses héritiers (1705 et 1727). ? 73 (voir ci-après).

XXVII. Maison de la Cage, puis du Château-de-Veysailles et de la Reine-d'Espagne, à. Duval, tapissier (1647). En 1686, elle est adjugée sur sa succession à Léon Pajot, seigneur d'Onsembray, contrôleur général des postes (1703 et 1727). ? 71 elle a gardé son fronton. XXVIII. Maison du Chasteau-Festu, puis de la Courette et du Gya,nd-Louis, à François Dufour, secrétaire du roi (1647). M. Coutard; contrôleur de la chancellerie (1705). ? 69.

i. Arch. nat., S 4470, fol. 21~ V.


XXIX. Maison de /'&M~ puis du CAs~aM-M~ŒM et du .'M'a~M-C~, aux héritiers de Jean Roullier (1647). Le sr Masson, drapier (1705). Réunie au xviiie siècle à la suivante. ? 67.XXX. Maison des Ardents, puis de l'Étoile-d'Or, aux marguilliers des Saints-Innocents (1647 et 1727). ? 67.

XXXI. Maison de /ta~-A~'oi'Da!MM, puis du Duc-de-Savoie, aux héritiers de Philippe Contenot, notaire (1647). Veuve Ferret (1705). ? 65.

XXXII. Maison de la Ville-de-Beauvais, faisant le coin occidental de la rue Tirechappe, à Catherine Beauchesne, veuve Depoix (1647), puis au sr Noblet (1705) et à de Messac (1747). ? 63. XXXIII. Maison des Quatre-Vents, à la veuve Robert (1705). XXXIV. Maison du Point-du-Jour, puis du Grand-Monarque, faisant la fin de la justice de Montmartre, à Claude Nivert, drapier (1647), puis au sr Cousinet (1705) et à Robert, greffier en chef de la Cour des aides (1727).

Ces deux dernières maisons sont à l'emplacement de la rue du Pont-Neuf.

Rue Tirechappe. La bonne orthographe est Tirechape. Citée en 1233, elle devait son nom au fief qu'elle traversait, et celui-ci à un particulier 1.

I. Maison de la veuve Robert (cf. n" XXXIII).

II. Maison de Claude Nivert, drapier (1647), ayant un corps de logis de ce côté (cf. n° XXXIV).

III. Maison à Pierre Corbilly et consorts (1647), puis à de Seigny, prêtre (1705).

IV et V. Deux maisons à Corbilly (1647), réduites à une en 1705. VI. Maison du Croissant-d'Or, à Jacques Porcher (1647), confondue avec la précédente avant 1705. Emplacement des nos 29 à 25 de la rue du Pont-Neuf.

Du côté occidental de la rue

VII et VIII. Deux maisons à Louis Houy (1647), puis à M~ Duguay et au sr Noblet, secrétaire du roi (1705), enfin aux héritiers Marrois (1727).

Rue du Roule. On a vu (cf. le croquis n° 12) que le fief du Roule bordait au sud la censive de Montmartre. Il semble avoir été formé

t. Terrier. Arch. nat., Q~ 1099~, fol. 104.


au début du xiv~ siècle par le riche bourgeois Geoffroy Coquatrix et, après de nombreux propriétaires, était passé au président Nicolas Chevalier, puis à la famille de Longueil l. En 1689, il était la propriété, comme le fief voisin de Béthisy, du président Jean de Longueil, marquis de Maisons, qui obtint de le lotir en perçant une rue faisant communiquer les rues de la Monnaie et des Prouvaires. Cette rue fut ouverte en 1689-1690, détruisant cinq maisons de la rue SaintHonoré relevant du fief du For-aux-Dames, que la Ville ou le président Longueil achetèrent et qu'ils revendirent aux entrepreneurs de la rue, l'architecte Jean-Baptiste Predot et son associé Jean Perrault. Par sentence du Châtelet du 24 novembre 1694, rendue entre Jean de Longueil et les Dames de Montmartre, les limites des deux fiefs du Roule et du For-aux-Dames furent de nouveau fixées le il décembre suivant Ce bornage laissa dans la censive de l'abbaye deux des nouveaux immeubles de la rue du Roule du côté oriental (n°s 22 et 20 actuels) et cinq du côté occidental (n°s 23 à 15). Elle trouvait donc aussi son avantage à la percée.

Ainsi, le 15 septembre 1696, devant Clément, André Le Nostre, contrôleur général des bâtiments et jardins du roi, demeurant aux Tuileries, achète à J.-B. Predot, pour 18 ooo livres, une maison de la rue du Roule, tenant à celles de Jean Tristan, peintre, et de la veuve Pelle". C'est le 21 actuel, encore intact, qui appartient en 1705 à la veuve de Le Nostre (mort en 1700) et porte l'enseigne de f~MCMsede-Savoie. La maison du peintre Tristan, à l'enseigne de la jonquilleRoyale, est le 19' Le 29 juin 1740, Catherine Dièvre, femme de Charles Chifandelle des Barres, marchand bourgeois, déclare une maison faisant le coin des rues Saint-Honoré et du Roule, à l'enseigne de la Toison-d'Or, que son mari et elle ont acquise, le 25 du même mois, devant Bellanger, de Louis-Henri Véron, ancien échevin. Celui-ci l'avait héritée de sa mère, veuve de Jean Véron, drapier, qui l'avait achetée, avec la maison voisine sur la rue du Roule, le 16 juin 1708, devant Goudin, des héritiers de Jean-Baptiste Prédot. Celui-ci les avait fait bâtir sur partie de l'emplacement du B~BM/-CoM~OMM~ (cf. n" XXIII), à lui vendu, le 26 mars 1689, devant de Beauvais, par Jean de Longueil, marquis de Maisons 5. C'est le 77 de la rue SaintHonoré (cf. page 266).

Le n octobre 1757, Jean-Pierre Rivière, pour les trois quarts, et

i. Voir notre étude sur le .FM/ ~< Roule, Bull. de la Soc. de l'Hist. de Paris, l93°<P-7~etsuiv.

2. Arch. nat., S 4445, 1~~ liasse.

3. Arch. nat., S 4471, fol. 48.

4. Arch. nat., QI 1099~, fol. 100.

5. Arch. nat.. S 4434-4435, 5~ liasse, Terrier de 1738, p. 141.


Jean Annillion, seigneur d'Épinay, pour l'autre quart, déclarent une maison de la rue Saint-Honoré, à, l'enseigne de la DMcAeM~O~eaMS qui doit être l'ancienne maison du Saint-Esprit (n° 79, page 266). En résumé, si cette esquisse de la censive du For-aux-Dames ne présente pas un très grand intérêt, quant aux propriétaires des immeubles, elle fixe les limites d'une juridiction dont on ne connaissait jusqu'ici que le nom et à laquelle on attribuait parfois une énorme étendue elle précise l'emplacement du four primitif, centre de cette juridiction; enfin, elle constitue une contribution modeste à l'histoire, à peine ébauchée, du Paris féodal.

II. LA TOUR-DES-DAMES

Les origines. Les plus anciens titres de l'abbaye ne parlent pas de ce moulin, car on sait que notre tour, dont une rue a gardé le nom, en était un. En 1134, dans l'acte de fondation de Louis VI, dit le Gros, figure bien un moulin, mais il est à Clichy, sur la Seine, et c'est un moulin à eau 2. En 1171, sa fille Constance, femme de Raymond VI, comte de Toulouse et de Saint-Gilles, y ajouta un second moulin, au même endroit, qu'elle avait acquis de Clémence, abbesse d'Hierres, et que celle-ci avait eu en don de Baudoin le Flamande Mais, aux XIIe et XIIIe siècles, et pendant la majeure partie du xiv~, il n'est pas question d'un moulin à vent appartenant à l'abbaye à la place qui nous intéresse, ni même ailleurs.

La première mention qu'on ait d'un moulin de ce genre est celle qui figure dans la déclaration des biens du couvent donnée à la Chambre du Trésor par l'abbesse Isabelle de Rieux le 11 février 1384. Elle déclare, « aux marais de Paris », un petit hôtel et jardin. « devant le moulin à vent », pour lesquels l'abbaye doit au chapitre de Sainte-Opportune 36 sous 6 deniers de sens, et qui rapportent, l'hôtel 13 livres, le moulin 6 livres par an. Louis VII le Jeune avait ajouté beaucoup à la donation de son père, entre autres choses 11 arpents de prés, dits « les Marais », qui figurent dans la bulle de confirmation du pape Eugène III, le 7 juin 1147 s. L'abbaye avait dû étendre cette terre par des dons et des acquisitions, car on la trouve propriétaire,

i. Même source.

2. Arch. nat., copies dans L 1030 et 1031, et S 163 Lasteyrie, C~M~t~e de Paris, 255 cf. chapitre l, p. 150.

3. Arch. nat., L 1030 et S 4440-4441, i~s basse Lasteyrie, Cartulaire de Paris, 497 cf. chapitre l, p. 158.

4. Arch. nat., L 1031 et S 4424 (deux copies) cf. Sellier, p. 114, et chapitre I, p.174.

5. Arch. nat., LL 1605 FéUbien, III, p. 62. Cf. chapitre l, p. 155.


au début du xve siècle, de la dîme de vastes terrains s'étendant jusqu'aux fossés de la Ville.

Ainsi, le i~r juillet 1422, elle intenta un procès au chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois au sujet de 36 arpents, faisant partie de 60 dont elle avait le dîmage et situés entre le Petit-Hôtel-Dieu le chemin du Val-Larroneux (rue du Faubourg-Poissonnière), le chemin qui va du clos Saint-Ladre aux Porcherons (rues Bleue, Lamartine et Saint-Lazare) et les fossés de la Ville et des égouts. Suivant transaction du 24 mai 1431, le chapitre reconnut que l'abbaye avait droit à la dîme sur 32 de ces 36 arpents, dont Nicolas Olivier, mesureur juré du roi, fixa le bornage. Celui-ci commençait « une borne joignante de la voirie de la porte Saint-Denis (butte Bonne-Nouvelle), en allant tout du long du chemin de la Marée (faubourg Poissonnière), jusques au ponceau des Filles-Dieu (coin des rues Richer et des Petites-Ëcuries), en allant au long des aigoux de Paris (rue Richer), en continuant iceux aigoux jusques au chemin de Montmartre qui passe par devant le Petit-Hôtel-Dieu (rue du Faubourg-Montmartre), lequel est du nombre des dits 32 arpents, et d'iceluy chemin de Montmartre, en venant par devant iceluy Petit-Hôtel-Dieu, au long de dix arpents appartenant à la confrérie des Bourgeois et Bourgeoises de Paris, c'est assavoir au long dud. chemin de Montmartre, près de la porte percée 2, lesquels dix arpents sont du dismage des défendeurs, aboutissant à une pièce de deux arpents à Pierre Aluart et une à Jacques Lemire, en laquelle pièce (il y) a une borne de pierre faisant le coin de la voirie de devers Montmartre, laquelle demeure aussi du dismage desd. défendeurs )).

Le même jour, 24 mai 1431, une seconde tra.ns.action intervint entre les mêmes, au sujet de 4 arpents sur 8 occupés au Clos-desAlliers par le Petit-Hôtel-Dieu, en la censive de Sainte-Opportune~. Le « Clos-des-Alliers )) ou « Clos-aux-Halliers )), dont il est question dans ce bornage, était un terroir, jadis propriété d'une famille Allier, compris entre l'enceinte de Charles V (rue de Cléry), le chemin des Poissonniers à l'est, le chemin de Montmartre à l'ouest et l'égout (rue Richer) au nord. Il fut coupé en son milieu par le boulevard Poissonnière. Au xvm~ siècle, la partie nord du boulevard relevait seule de

i. Cette dépendance de l'Hôtel-Dieu, qui était probablement, à l'origine, une maison d'isolement pour les contagieux, puis devint une ferme, était située à l'angle sud-est de la rue du Faubourg-Montmartre et de la rue Richer, s'étendant jusqu'aux rues de Trévise et Bergère actuelles. j. Il s'agit de la porte Montmartre de l'enceinte de Charles V (coin de la rue d'Aboukir), murée en 1408 et rouverte en 142~, six ans avant la présente transaction.

3. Arch. nat., S 4434-4435, 2*! liasse.

4. Arch. nat., S 4429, z" liasse.


Montmartre, comme le montre un plan (fort mal fait) de 1728 (croquis i~j.) 1. La partie méridionale, sur laquelle avait été construit le

(Croquis i~)

cinquième bastion de l'enceinte de Louis XIII, relevait de la confrérie de Saint-Fiacre

Le 6 mars 1438, devant Pierre Quatrelivres, Jean Chappon, sergent à cheval du guet de nuit et mesureur de grain, vendit pour 20 livres à Vincent Thuault deux pièces de terre situées hors la porte Montmartre, consistant en un arpent de marais au C~M-~M-M~s, près du chemin du Val-Larroneux, tenant d'un bout aux égouts, en

i. Arch. nat., N'" Seine 72~. Cf. Vieux-Montmartre, VI, p. 16~, note (article de M. Prod'homme sur l'R~ des Menus-Plaisirs). z. Cf. Dumolin, Études de topographie, II, p. 133.


la censive de Saint-Magloire, et devant 3 sols 9 deniers de dîme à l'abbaye de Montmartre 2° en une pièce touchant à la précédente et au chemin du Val-Lanoneux, devant 10 sols de rente à SaintLadre et une dîme à Montmartre que le vendeur disait ignorer Cette région des « Marais était formée par l'ancien bras nord de la Seine, allant de Bercy à Chaillot, et remplacé par un égout, dont les rues des Marais, des Petites-Écuries, Richer et de Provence jalonnent l'ancien tracé. La majeure partie des terrains était dans la censive du chapitre de Sainte-Opportune, à qui Louis II les avait donnés vers 878 et que Louis VII avait autorisé, en 115~ à les mettre en culture L'abbaye de Montmartre n'avait, comme on l'a vu, que la dîme de certaines parcelles, dîme, qu'elle remplaça, au cours des xive, xve et xvi" siècles, par des rentes 3. Au contraire, à l'emplacement du moulin qui nous occupe, elle était sur sa censive, bien qu'entourée de toutes parts par le fief Montmoyen du chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois. Cet îlot, peut-être l'ancienne « culture Morel )) de la donation de 1133~, était dénommé, au xvn~ siècle, « la Culture-des-Dames )). En 1717, ayant à fournir au Trésor leurs titres de propriété, elles se contentèrent, pour le moulin de la Tour, du dernier baU, fait le 30 mai précédent à Pierre Langlois, avec cette note « Les Dames religieuses ne rapportent point de titre de propriété de cette maison, parce que la terre sur laquelle est bastie cette maison ou moulin est un bien dépendant du titre de leur dotation »

De tout ce qui précède, il résulte que le moulin à vent cité en ig8/)., « aux marais de Paris », sur la censive de Sainte-Opportune, n'est certainement pas le moulin de la Tour, comme certains l'ont cru. Celui-là devait être situé quelque part entre la Chaussée-d'Antin et le square Montholon, où les vieux plans en montrent plusieurs. Quant au nôtre, nous ignorons la date de sa fondation, qui remonte peut-être aussi au xive siècle, plus probablement à la fin du xve, étant donné le silence des archives avant 1517. Son emplacement était un centre de cultures, donc d'approvisionnement facile, et les Dames vou-

i. Arch. nat., S 4434-4435, i' liasse.

2. Jaillot, V7/C Quartiey, p. 38 Mentienne, Fief de /a: Grange-Batelière, p. 14; Luchaire, Actes de Louis VII, p. 200.

3. En 1376, condamnation de Jean Yvard, dit de Metz, à 22 sous de rente, au lieu de la dîme, pour 2 arpents du Clos-des-Alliers (Arch. nat., S 44.29, 2" liasse). Le 27 mai 1508, jugement contre l'Hôtel-Dieu, le condamnant a 16 sous de rente, pour 4 arpents du Clos-des-Alliers, où est le Petit-HôtelDieu (S 4~30). Le 13 juillet 1552, condamnation de Geoffroy Granger a 15 sous de rente, au lieu de la dîme, pour 3 arpents 3 quartiers du Clos-desAUiers (S 4431, ire liasse).

4. Cf. chapitre l, p. 149.

5. Arch. nat., L 1030, liasse 5 Inventaire des titres fournis en 17~7.


lurent sans doute avoir un moulin à elles, moins éloigné que ceux de Clichy, pour moudre les grains récoltés ou achetés dans la région. On s'étonne cependant qu'elles l'aient placé dans un fond et si loin de leur grenier de Montmartre, quand les bons endroits au sommet de la butte ne leur manquaient pas. Sans doute, ce fond était un couloir, entre la butte Montmartre et la butte Bonne-Nouvelle, où devait souffler un courant d'air, et d'autres moulins se trouvaient dans le voisinage, l'un, par exemple, près de la Grange-Batelière (moulin de la Planche), un autre près de la porte Montmartre, sur le talus des Fossés-Jaunes. Néanmoins, ce qui prouve que le site était médiocre, c'est que, au xvu~ siècle, les dames substituèrent à ce moulin, pour l'usage du couvent, celui des Lancettes ou de la Lancette, construit à la pointe orientale de la butte, près de la fontaine de la Bonne, à deux pas de l'abbaye. Ce qui le prouve aussi, c'est que, pour ne perdre aucun souffle et marquer en même temps le moulin seigneurial, on dut construire celui des Porcherons en pierre, en lui donnant une silhouette et, sans doute, une hauteur inusitées « Un moulin en forme de tour )', disent les actes. D'où le surnom « la Tour-des-Dames », qui lui fut donné.

Les locations. Comme on l'a indiqué plus haut, les archives de l'abbaye n'en parlent pas avant le xvi~ siècle. Mais, à partir de 1517, et surtout de 1585, une série de baux permettent de suivre sa croissance et son déclin jusqu'au milieu du xvius siècle~.

Le 8 octobre 1517, devant Delarche, un bail de 9 ans fut fait, moyennant 30 livres, à Jean Desmond, meunier. Mais les guerres civiles durent bientôt interrompre l'exploitation, car la déclaration du 4 octobre 1561 mentionne que « le moulin entre Montmartre et les Porcherons » est « rompu ')

Le 22 octobre 1585, devant Lafrongne, un nouveau bail de 6 ans est fait, moyennant 16 écus deux tiers, à Marin Guynard, habitant alors sur la butte le moulin du Palais. Il fera moudre le grain des Daines, en le prenant à leur grenier et en y rapportant la farine, et devra fournir 15 boisseaux de farine pour 12 de grain. Dans le bail sont compris trois quartiers de terre autour du moulin. La série des baux continue, dès lors, presque sans interruption. Le 7 juin 1594, devant Leroux, bail pour 6 ans, au même, au même prix.

Le 4 juillet 1600, bail pour 6 ans, au même, moyennant 25 écus. Le 18 juillet 1605, bail pour 6 ans, à Pierre Foupé, à 150 livres. Le 14 février 1614, bail pour 6 ans, à Thomas Boucher et Eustache,

i. Arch. nat., S 4432-4433, 2~ liasse, et S ~425. 2.Cf.ciia.pitrei,p.i8g.


son fils, à 150 livres ils ne devront plus rendre qu'un setier de farine pour un de blé.

Le 28 avril 1617, suite du bail précédent à Jean Auvray et Charlotte Boucher.

Le 7 mars 1618, bail pour 3 ans, à Nicolas Henrard, qui paie 300 livres, mais ne moud plus gratuitement pour le couvent. Le 26 mars 1621, bail pour 6 ans, après décès d'Henrard, à Jean Guignard, alors au moulin de la Planche, près la Grange-Batelière, à 330 livres.

Le 23 mars 1627, bail pour 6 ans, à François Hanyart le loyer est réduit à 75 livres, mais la terre autour du moulin est supprimée et la mouture pour l'abbaye rétablie.

Le 7 mars 1633, bail pour 6 ans, à Denis Guignard, à 2~0 livres. Le I8 octobre 1636, bail pour 6 ans, à Philippe Hurard, au même prix.

Le 17 août 1638, bail pour 6 ans, à Nicolas Chevallier, au même prix. Le bénéfice ne doit pas être brillant, car les locataires résilient leurs baux avant terme.

Le 7 janvier i6/).7, bail pour 6 ans, à Jean de Bauche, moyennant 300 livres, payables d'avance par quartier.

Le 2 juillet 1650, Jean Dole, qui a épousé la veuve du précédent, transporte le bail à Jean Hély.

Le 2 janvier 1659, bail pour 6 ans, à Étienne Martin, moyennant 250 livres et des clauses très simplifiées.

Le 10 novembre 166~, bail pour 6 ans, à Hugues Gaudin, à 300 livres.

Le 8 février 1674, bail pour 6 ans, au même, à 2/j.o livres. Le 28 mars 1675, il le cède à Philippe Denisart.

Le 27 avril 1679, bail pour 3 ans, à Nicolas Gilbert, à 200 livres. Le 2 juillet 1682, bail pour 3 ans, au même, à 180 livres, Le 7 septembre 1687, bail pour 6 ans, à Jean Leclerc, au même prix. Le 23 novembre de la même année, bail pour 6 ans, à Claude Lagache, au même prix.

Le 5 avril 1689, bail pour 3 ans, à Isaac Cabry, à 200 livres. Le 2~ juin 1692, bail pour 6 ans, à Claude Lagache, à 210 livres. Le 12 octobre 1696, bail pour 3 ans, à Louis Delamotte, à 200 livres. Le 9 avril 1697, une prisée, commencée le /)., à la demande de Delamotte, évalua le moulin à i 037 livres 3 sols 4 deniers et constata que ses rouages et sa maçonnerie étaient en piteux état. Des réparations furent faites, car, le 15 mars 1715, devant de Mahault, le moulin fut loué pour 3 ans à Pierre Laurent, moyennant 100 livres, et une note inscrite sur l'acte mentionne qu'il fut reloué, le 30 mai 1717, pour 6 ans, à Pierre Langlois, moyennant 120 livres 1.

t. Arch. nat., S 4~32-~33, 4e liasse.


Mais il devait être alors tout à fait sur ses fins et on jugea sans doute impossible de le remettre à neuf, en un endroit que les nouvelles constructions commençaient à envahir. Le 21 février 1734, les religieuses louèrent à Nicolas Bazot, jardinier, moyennant ioo livres, le demi-arpent de terre tenant à la Tour-des-Dames et, le 19 avril suivant, elles louèrent à Arnoult Dameras, « pigeonnier », moyennant 60 livres, « un colombier dit la Tour-des-Dames », avec le morceau de terre qui l'entourait 1.

Ze lotissement. A ce moment intervint dans le quartier un personnage, qui y fit de nombreux achats de terrains. Il s'appelait Louis Douet, seigneur de Saint-Germain, le Chambon, Vichy, Beauregard, Charmeil et autres lieux, et était, avec M. de Tréfontaine, directeur de l'Opéra, poste qu'ils durent abandonner en 1749 à cause du désordre de leur gestion. Il avait épousé la fille de Gédéon Godet, orfèvre de la paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois et fort riche. Son frère, qui se faisait appeler Douet de Vichy, était conseiller à la cinquième chambre des Enquêtes.

Le 12 décembre 1742, devant Robineau, Douet de Saint-Germain avait fait acheter par sa belle-mère, Mme veuve Godet, sous le nom de Jean-Pierre Colbeau, une maison de la rue des Portes-Blanches, portant le n° 2 des limites de Paris et correspondant au lot 10 du plan du fief Montmoyen en 1729 2, au 9 actuel de la rue Blanche. Les vendeurs étaient Paterne Saunié et Marie-Anne Filleux, sa femme, héritière de Jean Filleux, son père, dont le père, FrançoisIgnace Filleux de Roncière, avait acquis le terrain en 1719~. Le 15 novembre 1743, devant François Prévost, Douet prit à bail emphytéotique pour 99 ans, de l'abbesse Catherine de la Rochefoucauld de Cousage, une petite maison avec jardin tenant à la Tour-desDames, à la rue Saint-George (rue de la Tour-des-Dames) et à la rue descendant dans la rue Saint-Lazare (rue de la Rochefoucauld), plus <' un colombier en forme de tour dit la Tour-des-Dames », le tout pour 150 livres de rente. Il s'engageait à entretenir sur le terrain concédé 100 arbres fruitiers et 600 pieds de vigne, qui s'y trouvaient4. C'est le lot 34 du fiet Montmoyen et le 2 actuel de la rue de la Tourdes-Dames.

Le 4 mars 1745, devant Robineau, Douet acquit encore 2 arpents et demi non loin du moulin de la Tour 5, correspondant au lot 94 du fief et aux nOS 14-18 actuels de la rue de la Rochefoucauld. Le 10 no-

i. Arch. nat., S 4432-4433, 4e liasse.

2. Arch. nat., N~ Seine 4 et N4 Seine 8.

3. Arch. nat., S 24.1, ensaisinement n° 56~. 4. Arch. nat., S 4425 et S 24.1, ensaisinement 604. 5. Arch. nat., S 241, ensaisinement 576.


vembre suivant, il acheta à Guillaume Mézières un terrain de 37 perches, derrière le précédent (lot 93), qu'il revendit, le 23 août 1758, au comte Maximilien de Watteville 1; n°s 57-59, rue Taitbout. Le 21 mars 1748, il acquit encore du même Mézières un terrain d'un demi-arpent derrière le précédent (lot 92). Le n mars 1746, devant Doyen, il acquit de Pierre Berger de Recy, conseiller au Parlement, pour 6 ooo livres, une maison rue Saint-Lazare, près de la barrière Blanche, à l'emplacement du n° 56 actuels. Le 12 janvier 1747, par sentence de la prévôté de Montmartre, il se fit encore adjuger, moyennant 3 322 livres, un terrain de 531 toises le long de la ruelle de la Tour-des-Dames~ n°s 4 et 6 actuels. Mais, à cette époque, il était déjà propriétaire du terrain à l'ouest, faisant l'angle de la rue de la Tour-des-Dames et de la rue Pigalle, et, pas plus que M. Capon, nous n'avons pu découvrir la date de cet achat4.

La rue Pigalle actuelle, qui portait encore, en 1751, le nom de chemin du Désert (à cause d'un lieu dit) ou de chemin de la Cochonnerie fut alors alignée sous le nom de rue Royale. Le terrain qui la bordait à l'est, du n° 6 au n° 14 actuels, mesurant sept quartiers (lot 32 du fief Montmoyen), appartenait, dès la fin du XVIIe siècle, à Claude Charles, clerc tonsuré, qui en avait fait donation, le 28 avril 1704, à son parent Jean Lemaistre, maître jardinier, lequel le lotit. L'emplacement du n° 2 actuel fut vendu par lui à Douet de SaintGermain, mais, comme on vient de le dire, ni les archives de Montmartre, ni celles du chapitre de Notre-Dame ne mentionnent l'acte. De 1747 à 1752, Douet fit construire sur ce terrain une « petite maison" )), dont le jardin, grâce à ses autres acquisitions, s'étendait jusqu'à la rue de la Rochefoucauld. Il ne semble pas l'avoir habitée, car on en connaît les locataires 7.

Les 300 toises de la parcelle voisine (n° 6 actuel, il n'y a pas de · 4) furent vendues par Lemaistre à un sieur Regnier, qui fit bâtir et transmit la maison à sa fille Marie, épouse séparée de biens du sieur Cazaubon. Le 26 octobre 1751, devant Hazon, elle la vendit pour 11 ooo livres à Claude Philibert, banquier genevois, demeurant

i. Arch. nat., S 241, ensaisinements n°~ 605, 606 et 632.

2. Arch. nat., S 4473, p. 110. Là s'élevèrent plus tard les maisons de La Bourdonnais et de Bougainville cf. chapitre I, p. 226-227. 3. Arch. nat., S 4473, p. 144.

4. G. Capon, Petites maisons galantes, p. 61-62 la Rue Pigalle, Vieux, Montmartre, IV, p. 246 et suiv. M. Capon l'appelle à tort « Donel de SaintGermain

5. Arch. nat., ZS 2458.

6. Arch. nat., ZS 2458 et 2460. Nous avons cru à tort (Vieux-Montmartre 1925, p. 341) qu'elle s'étendait du 2 au 8.

7. Capon, ~MM~-MoM<MMf~, IV.~p. 246 et suiv.


rue Saint-Pierre (rue Paul-Lelong) 1. L'année suivante, celui-ci étendit sa propriété jusqu'à la rue de la Rochefoucauld. Le 4 août 1732, devant Hazon, il acquit, pour 674 livres, un tiers d'arpent à Charlotte Venant, veuve de Gilbert Coutard. Le 4 septembre, Louise Langlois, veuve de Jean Rousselet, lui vendit, pour 600 livres, un quartier et demi. Enfin, le 11 septembre, il acquit de MaximilienEmmanuel, comte de Watteville, pour 200 livres, une parcelle de 56 toises en bordure de la rue de la Rochefoucauld, pour avoir issue sur celle-ci 2. Sur l'ensemble de ces trois lots, il fit construire un hôtel, entouré de jardins, ayant sa façade au sud et ouvrant à la fois rue de la Rochefoucauld (n° 19) et rue de Cousage (n° 6, rue de la Tour-desDames) par une longue allée traversant le terrain de Saint-Germain. Philibert déclara ses deux maisons au terrier de Montmartre le 5 janvier 1757. Celle de la rue Royale tenait d'un côté à Douai (sic) de Saint-Germain, de l'autre au sieur de la Cude. Celle de la rue de la Rochefoucauld tenait à la Tour-des-Dames. Le tout devait 17 sols 6 deniers de cens et rente 3.

Les deux maisons de Philibert passèrent à sa veuve, qui se remaria au marquis de Matharel et les revendit, en 1790, au baron Louis Hersant-Destouches. C'est le fils de ce dernier, Guillaume Hersant-Destouches, qui revendit en 1818 au ménage Valton le n° 6 de la rue Royale, lequel n'a jamais fait partie de la propriété Ragondet de la Cude 4.

Celle-ci, acquise de Jean Lemaistre le 14 novembre 1747 (et non 1757), comprenait 470 toises, sur lesquelles furent construites deux maisons, tenant d'un côté au sieur Philibert (n° 6), de l'autre au sieur Dorlan (n° 14); et correspondant aux nos 8 à 12 actuels. M. Capon en a fait l'histoire. Ragondet en passa déclaration le 12 septembre 1753, en même temps que de quatre autres maisons rue des Martyrs5. Les 200 toises du n° 14 actuel furent vendues par Jean Lemaistre, le 21 mai 1737, devant Billeheu, à Pierre Dorlan~, officier du duc d'Orléans, qui fit construire et revendit la maison, le 27 avril 1747, à Hubert Drouais, peintre du roi, qui en passa déclaration le 5 février

i. Arch. nat., S 4473, fol. 221 v°. La maison de Philibert figure bien dans l'état des petites maisons de 1752; Arsenal, arch. de la Bastille, 10252; Capon, Petites maisons, p. 68. Capon s'est trompé en croyant que le terrain de Saint-Germain était mitoyen de celui de Ragondet de la Cude ~MM~Montmartre, IV, p. 246 et suiv.

2 Arch nat, S 4473, fol. 226 v°, 227 v°, 228 r°.

3. Arch. nat., S 4432-4433. Cahiers des déclarations de t757, devant Prévost, fol. l r° et v°.

4. Sur les locataires, cf. Capon, Petites maisons galantes, p. 65 et 67. 5. Arch. nat., S 4434-4435, cahier B, fol. il vo et 12 r°.

6. Les actes disent aussi Dorlans et Porléans.


~757 elle tenait alors d'un côté au sieur de la Cude (n° 12), de l'autre au sieur Le Cœur (n° 16) 1. Ce Drouais, portraitiste distingué, reçu à l'Académie le 29 novembre 1730, était le père du célèbre FrançoisHubert, reçu à la même Académie, à trente et un ans, le 25 novembre 1758, et devant qui posèrent le roi, Mme de Pompadour et toute la cour de France. Drouais père, qui logeait rue des Orties, loua sa maison des Porcherons à des filles entretenues, M"<*s Dumesnil, Petit et La Neuville. Le 15 février 1762, devant Desmeure, lui et sa femme, Marguerite Lusurier, la revendirent, pour 6 ooo livres, à MarieJeanne Gerbault, qui la céda, le 2.). avril suivant, devant Desmeure, à Marie-Catherine Leroux, épouse séparée de biens de Louis Souday 2. On peut ajouter que le 16 avait été aussi construit par Pierre Dorlan, officier du duc d'Orléans, sur un terrain de 23 perches, acquis le 2 mai 1713, devant Marchand, de Claude Bailly et sa femme. Le 20 janvier 1730, il passa déclaration de l'immeuble, qui tenait alors au sud à Lemaistre, au nord à Regnier, sculpteur du roi 3. Suivant partage du 19 décembre 1736, cet immeuble, dit la Maison-Blanche, fut adjugé à Paul-Isidore Le Cœur, commissaire aux parties casuelles, et à Madeleine Dorlan, sa femme4, qu'on a vus encore figurer, en 1757, comme voisins de Drouais. Quant au 18, tenant au nord à Dorlan, René Regnier, sculpteur du roi, et sa femme l'avaient acquis, le 23 avril 1722, devant Marchand, de Louise Guérin, veuve de Laurent Jupin, et autres, et en passèrent déclaration les 20 juillet 1722 et ~.août1730 s.

En face, le 17 actuel (lot 26 du fief Montmoyen) est à l'emplacement de l'immeuble dit la Maison-Rouge, construit par Pierre Dorlan, maître serrurier de feu Monsieur frère du roi o (le même qu'on a rencontré au i~ et au 16), sur un terrain de 6 perches, acquis, le 16 octobre 1721, devant Bapteste, de François Leleu, « maître à danser », et de sa femme, qui le tenaient, le 30 avril 1719, devant Lecourt, de Guillaume Mézières, jardinier. Son fils, Pierre Dorlan, aussi maître serrurier, le vendit, le 27 novembre 1752, à Jean-Gaspard Genève, négociant, et à sa femme, qui le revendirent, le 17 septembre 1754, devant de Savigny, pour 8 500 livres, au comédien Charles-François Racot de Grandval~.

i. Arch. nat., S 4432-4433, déclarations de 1757, fol. 5 V; cf. Capon, Petites maisons, p. 6~.

2. Arch. nat., S 4474, fol. 30 r" et 33 V.

3. Arch. nat., S 237.

4. Arch. nat., S 241, ensaisinement 610.

5. Arch. nat., S 237.

6. Arch. nat., S 241, ensaisinement 617; cf. J. Mauzin, ~MM~-jMoM<~aW~, VII, p. 7.


A côté, le 19 (lot 27 du fief) faisait aussi partie du terrain de Mézières, vendu en 1719 à François Leleu et sa femme, qui cédèrent la parcelle, couvrant un demi-quartier, le 22 novembre 172~, devant Lecourt, à Jean-Louis Molière, marchand de toile, lequel construisit la maison et en passa déclaration le 28 novembre 1729~. Sa veuve, Anne Sézille, la laissa à son neveu, Jean-Hyacinthe Vion, dont les héritiers la vendirent, le 12 août 1786, devant Aleaume, pour 10 500 livres, à François-Joseph Bellanger, premier architecte du comte d'Artois, demeurant rue du Sentier elle tenait alors, au sud, à Grandval, au nord, à la comtesse de Bernis

A côté, le square La Bruyère (lots 28, 12~ et 125) est à l'emplacement d'une grande maison vendue, le 10 décembre 1783, par la veuve de Théodore de la Croix, directeur des fermes, pour 80 ooo livres, au comte de Bernis et à sa femme 3.

Plus haut, jusqu'à l'actuelle rue Chaptal, s'étendait un vaste terrain de 2 26o toises, borné à l'ouest par la rue Blanche, acquis par Hubert Vassal, fermier général, vers 1780, et adjugé sur sa succession, pour 20 ooo livres, par sentence du Châtelet du 15 septembre 1787, à son fils Jean-André Vassal, receveur des finances à Riom, déjà propriétaire du terrain au sud au nord, la propriété tenait à la ruelle que la fabrique de Saint-Roch avait fait pratiquer pour arriver au cimetière de la paroisse, établi en 1782 vers l'emplacement du 59 et supprimé en 1798' Jean Vassal fit élever, vers l'emplacement de la rue La Bruyère, un grand hôtel qu'indique le plan de Maire (1808). Enfin, plus haut encore, du côté pair, au n° 66 actuel de la rue de la Rochefoucauld, alors assimilée, dans cette partie, à la rue Pigalle, s'élevait l'hôtel, encore existant, construit par l'architecte Pierre Rousseau, sur une parcelle de 43 perches 13 pieds 6 pouces, acquise, le 30 septembre 1776, devant Lambot, de Marguerite Bertault, veuve de Vincent Raget, et autres, et augmentée de 225 toises, acquises, le 21 octobre suivant, devant Lambot, de Pierre Devaux. Rousseau passa déclaration de son terrain le 31 octobre 1776 et revendit l'hôtel, le 21 janvier 1789, devant Péan de Saint-Gilles, pour 50 000 livres, à Auguste de Mauperché, conseiller-clerc en la Grand'Chambre du Parlement 5. L'histoire en a été faite par notre confrère Paul Jarry et on se borne à citer les cotes d'archives qu'il n'a pas connues'.

i. Arch. nat., S 237.

2. Arch. nat., S 542, ensaisinement du 12 septembre 1786.

3. Arch. nat., S 541.

4. Arch. nat., S 542, ensaisinement du 15 octobre 1787.

j. Arch. nat., S 237 et S 542, ensaisinement du 6 février 1789. 6. VMM.tr-MoM~a;)' VI (fasc. 73), p. 75 et suiv.

7. On ne parle pas de la maison de M" Dumesnil, rue Blanche, M. Mau-


La fin de la Tour. Au moment du bail emphytéotique fait à Douet de Saint-Germain, l'actuelle rue de la Rochefoucauld était une ruelle « descendant dans la rue Saint-Lazare » et dite quelquefois « ruelle du Moulin-de-la-Tour ». La rue de la Tour-des-Dames était une autre ruelle, dite Saint-Georges, du nom de son prolongement oriental, qui aboutissait aussi, par un retour d'équeite, dans la rue Saint-Lazare. C'est seulement en 17~.5 que Pierre Berger de Recy, gros propriétaire dans cette dernière rue, s'entendit avec l'abbesse Catherine de la Rochefoucauld de Cousage pour aligner les deux ruelles et leur donner les noms omciels de rue de la Rochefoucauld pour la première et rue de Cousage pour la seconde. Cette dernière dénomination fut peu appliquée. Les actes et les plans appellent notre rue ruelle Baudin (à cause d'une famille de propriétaires du côté oriental), ruelle Saint-Germain (à cause de Douet), rue Bougainville (à cause de la maison du marin) rue du Désert (plan de Verniquet), mais surtout rue de la Tour-des-Dames, nom qu'on appliquait aussi, par erreur, à la rue de la Rochefoucauld (plan de Jaillot). Au 19 de cette dernière rue existe encore l'hôtel construit entre 1752 et 1756 par le banquier genevois Claude Philibert (page 277). Le 9 avril 1766, il signa son contrat de mariage, devant Hazon, avec Marie-MadeIeine-Geneviëve Delaviers, fille majeure, habitant déjà dans l'hôtel, construit probablement pour elle, les futurs époux se faisant don mutuel de leurs biens 3. Devenue veuve, Mme Philibert se remaria avec le marquis Armand de Matharel et, le 27 novembre r790, devant Duclos du Fresnoy, revendit la propriété au baron Alexandre-Louis Hersant-Destouches et à Claudine-Maximilienne Louchier, sa femme.

Dès le 5 août 1782, devant Duclos du Fresnoy, ce Destouches avait acheté, pour 60 ooo livres, le terrain faisant le coin de la rue de la Rochefoucauld et de l'ancienne ruelle Saint-Georges (n° 2, rue de la Tour-des-Dames) à Claude Turlin et à Élisabeth Courier, sa femme, qui, le 9 décembre 1780, avaient acquis de Douet de Saint-Germain la suite de son bail emphytéotique. En 1790, Destouches acheta aussi la e petite maison » de Douet (n° 2, rue Royale). Enfin, en 1792, le terrain de la Tour, baillé par l'abbaye à Douet, ayant été saisi comme bien national, Destouches se le fit adjuger le 30 juin, sous le nom du sieur Grenard.

zin ayant traité à fond ]e sujet Vieux-Montmartre, VII (fasc. 8g), p. ï et sniv.

i. Cf. p. 276 et chapitre i, p. 226, zzy.

2. Cf. chapitre I, p. 226.

3. Cf. Dumolin, la Fin de la Tour-des-Dames, ~MM~-MoM~oi~f~, avril 192~, p. 342 et suiv. On a rectifié ici différents noms estropiés dans les titres de propriété des immeubles.


Destouches perdit sa femme en mai 1795 et mourut lui-même le ier octobre, laissant pour seul héritier son fils Alexandre-ÉtienneGuillaume, préfet de Seine-et-Oise, sous la Restauration. En 1820, celui-ci se décida à lotir la propriété. Le 18 décembre, devant Riant, il vendit, pour 16 ooo francs, à Jean-Augustin Lapeyrière, receveur général des finances de la Seine, 2 313 mètres de terrain, correspondant aux n°s 2 à 6 actuels de la rue de la Tour-des-Dames. Le même jour, devant Riant, il vendit à M. Constantin 806 mètres, correspondant aux n°s 15 et 17 de la rue de la Rochefoucauld et, le 25 octobre 1822, à Mme veuve Constantin, mère du précédent, pour 33 ooo francs, le no 19, alors 7.

Mme Constantin se reconstitua une sortie sur la rue de la Tour-desDames en rachetant à Lapeyrière, le 15 novembre 1822, devant Fourchy, 258 mètres de terrain, représentant l'allée du 6 actuel, et, les 18 et 20 mai 1830, devant Clausse, revendit le tout pour 2oo ooo francs à Mme veuve Roch. En juillet 1834, celle-ci loua l'hôtel à M"s Duchesnois, qui, obligée de vendre sa jolie maison du 3 de la rue de la Tour-des-Dames mourut dans sa nouvelle habitation le 8 janvier 1835. En 1847, Mme Roch fit bail aux tuteurs de Mme de Lavalette, veuve de l'ancien ministre des Postes de l'Empereur, laquelle, après avoir sauvé son mari en 1815, avait perdu la raison 2. A la mort de Mme Roch, en 1848, sa fille Nina, vicomtesse de Forestier, recueillit l'immeuble et le vendit, le 15 mars 1854, pour 205 ooo francs, à Joséphine de Lavalette, veuve du baron de Forget, qui habitait avec sa mère. Celle-ci mourut dans la maison le 18 juin 1855. Elle habitait au rez-de-chaussée, dans l'ancienne salle à manger de l'hôtel, encore existante.

La baronne de Forget mourut en 1886 et ses héritiers vendirent l'année suivante au comte Ambroise-Théodore d'Étampes, dont les héritiers ont revendu, en 1923, à la Compagnie des forges de Châtillon, Commentry et Neuves-Maisons, déjà propriétaire des n°s 2 et 4, rue de la Tour-des-Dames, 15 et 17, rue de la Rochefoucauld3. 111. LA (( PETITE MAISON i) DU DUC DE RICHELIEU RUE DE CLICHY

Dans le journal le 7'e~s du 14 septembre 1926, M. Georges Montorgueil a consacré au centenaire du quartier de l'Europe un très inté-

l. Sur cette maison, cf. Paul Jarry, VMM~-A~OM~Ms~e, avril 1925, p. 277290.

2. Cf. Dumolin, l'Évasion de Lavalette, Bull. de la Soc. du VT/s ~ffo~MMeM<,IV(i923),p.i3~etsuiv.

3. Cf. notre étude précitée, F!eM~-MoM<M!s)' 1925, p. g~ô-g~S.


ressant article. Il y rappelait, en particulier, que le second Tivoli fut établi « au 3~ de la rue de Clichy (il aurait dû dire à l'ancien 34), dans un pavillon qui avait appartenu au duc de Richelieu » et où fut plus tard édifiée la première église de la Trinité, suivant ainsi la version donnée par M. G. Capon dans son étude sur les Tivolis 1. Dans le numéros du 18 septembre parut une note rectificative, envoyée de Royan par le regretté Edgar Mareuse, où il était dit « Quant au deuxième Tivoli (1810-1812), il fut tout à fait éphémère il était beaucoup plus haut que Gaston Capon ne l'a placé il a été, en effet, ~o~~ par les changements de numérotage. Sur l'atlas de Maire de 1813, les jardins Richelieu sont dessinés avec soin-; ils étaient situés entre l'eknplacement actuel de /a. rue Moncey et de la rue Nouvelle, aujourd'hui rue du Cardinal-Mercier. Quant à l'église de la Trinité, ce n'était pas la première, mais la seconde. I~a première était presque à l'angle sud-est de la rue de Calais et de la rue de Vintimille, et avait été ouverte au culte vers i8~j, au moment du lotissement des terrains du troisième Tivoli elle a disparu il y a vingt-cinq ans environ. L'église actuelle, qui date de 1867, est donc la troisième. » Trois jours après, dans une lettre du 21 septembre à M. Perrot, président du « Vieux-Montmartre », Mareuse lui annonçait une communication sur ce sujet. Il précisait que le deuxième Tivoli était l'ancien 34 de la rue de Clichy, qui devait correspondre a:M ~C ou 38 actuel, ce qu'il tâcherait de fixer par les titres de propriété, s'il pouvait les obtenir que la première église de la Trinité était au 21 de la rue de Calais et la seconde « vers le 14 actuel de la rue de Clichy )), ce qu'il indiquerait exactement dans sa communication. Nous ne devions malheureusement pas l'entendre, puisque, parti le ier octobre, en automobile, de Royan, la mort le surprenait brutalement, le 5 au matin, à Poitiers. On voudrait donc élucider à sa place le petit problème de la maison du duc de Richelieu, celui des églises de la Trinité n'offrant aucune difficulté. Mais il importe de dire de suite que Mareuse s'est complètement trompé dans sa rectification. Écrivant de Royan, loin de sa belle bibliothèque, il n'a pas relu Capon et s'en est tenu au plan de Maire, qui l'a induit en erreur. Capon ne s'est aucunement laissé prendre à la discordance des numérotages ancien et moderne. D'après l'ordre de police du 13 juillet 1811 cité par lui, il est certain que l'entrée et la sortie du second Tivoli se faisaient par les anciens n°s 34 et 36, et il est non moins certain, d'après le plan de Jacoubet, invoqué par Capon, que ces anciens numéros ont été remplacés par l'actuel Casino de Paris. En les mettant « beaucoup plus haut », Mareuse n'a pas réfléchi que, la création de la place de la Trinité avant supprimé six maisons de la rue de Clichy du côté

t. ~teM~-Mo!:<MM)' IV, p. 17 et 2g.


pair, l'ancien 3~ correspond à un chiffre beaucoup plus bas dans l'échelle actuelle, non au 38, mais au 18. Les jardins de Richelieu n'ont jamais été où il les met, entre la rue Moncey et la rue Nouvelle ils n'ont fait qu'y pousser une pointe et très tardivement, comme on va le montrer.

.P~KMe~M églises de la Trinité. Réglons d'abord la question des premières églises de la Trinité, pour lesquelles les indications de Mareuse sont très exactes. La première, commencée en 18~.9 et inaugurée le 29 mai 1850, peu après le lotissement du ~oMMMt~ Tivoli, reste de la « folie » La Bouexière existait encore il y a vingt ans au n" 21 de la rue de Calais et figure toujours, par inadvertance, sur certains plans actuels, bien qu'elle ait été remplacée, vers igo5, par une maison de rapport. La seconde, édifiée par décret du 2 septembre 1831 et inaugurée le 9 novembre 1832, était en face et un peu au sud de la rue de Tivoli, aujourd'hui rue d'Athènes, à l'emplacement du 12 actuel de la rue de Clichy (ancien go de Jacoubet), comme le montrent tous les plans de l'époque, notamment celui du IXe arrondissement dans le Nouveau Paris de Labédollière (1860). C'était un édifice en bois peint, portant au tympan de son portail une peinture sur lave de Devers, imitant la mosaïque et représentant le Christ entre les symboles des évangélistes. Elle a disparu en 1868.

Divisions féodales. L'emplacement de la « petite maison » du duc de Richelieu peut être fixé tout aussi sûrement d'après les documents d'archives.

Le chemin des Porcherons à Clichy montait jadis la côte en serpentant un peu et coupait l'actuel boulevard des Batignolles à la hauteur de la rue Biot, qui en est un ancien tronçon. Il fut rectifié vers 1730, suivant son tracé actuel. A l'emplacement des rues des Dames et Ganneron était un chemin, dit des Trois-Coins ou des Quignons, à cause de lieux dits du voisinage 2, ou « chemin des Porcherons à Clignancourt », ce qui est inexact, ou « chemin de Monceaux à la Hutte-aux-Gardes », ce qui était plus vrai A son croisement avec le vieux chemin de Clichy (coin des rues Biot et des Dames) était plantée la croix de Montmoyen, qui avait sans doute donné son nom au grand fief voisin du chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois, réuni en 17~.0 au chapitre de Notre-Dame (croquis 13).

Le côté oriental du chemin de Clichy et le côté méridional du che-

i. Cf. chapitre l, p. 22~-226.

2. Voir la montrée )' de 1665 dans le chapitre sur Clignancourt. 3. Le chemin de la Cure (lieu dit) aux Martyrs, indiqué sur le croquis, est représenté par les rues Tourlaque et Durantin. Cf. le plan de Deharme (1763).


min des Trois-Coins étaient bordés, sur une faible largeur, par un nef de l'abbaye de Saint-Denis, dit de la Panneterie ou du Pannetier, comme relevant de ce dignitaire du monastère A l'est, ce fief touchait aux censives de Montmartres et de Saint-Germain-l'Auxerrois, à l'ouest aux terres du seigneur de Clichy. Le 6 novembre 1705, un premier bornage avait été fait par les abbayes de Saint-Denis et de Montmartre pour préciser leurs juridictions respectives. A la suite de la rectification de la rue de Clichy, deux nouveaux bornages furent arrêtés, le 28 mars 1733 entre l'abbaye de Saint-Denis et le chapitre de Saint-Germain, les 11-26 septembre 1749 entre la même abbaye et Gaspard Grimod de la Reynière, seigneur de Clichy2. Par la convention de 1733, l'abbaye céda au chapitre la partie méridionale de la rue de Clichy, qu'elle s'était d'abord attribuée. Par celle de 1749, elle céda à Clichy, contre une autre parcelle, le triangle compris entre l'ancien chemin de Clichy, son nouveau tracé et le chemin des TroisCoins.

Dans l'intervalle, le 12 février 1726, Gilles Dumontier, voyer de Saint-Denis, avait dressé un plan du fief du Pannetier, qu'il compléta ultérieurement et dont il fit des extraits pour les bornages de 1733 et 1749~. Ces différents dessins indiquent l'hôtel de Richelieu, qui se trouvait à cheval sur les censives de Saint-Denis et de Saint-Germain, et, du côté occidental, la maison Brochet, où le nouveau tracé du chemin de Clichy se confondait avec l'ancien. On a groupé sur le croquis n° 15 les différents renseignements qu'ils fournissent et qui intéressent aussi la grande propriété de La Bouexière, beaucoup plus étendue, avec ses 32 arpents un quart (environ il hectares), qu'on ne l'a cru jusqu'ici4.

i. Un autre fief du même nom se trouvait à Chaillot.

2 La seigneurie de Clichy appartenait, vers 1720, à Marguerite-Thérèse Bautru, héritière de son grand-père maternel Macé Bertrand de la Bazimère et veuve de son cousin Nicolas Bautru, marquis de Vaubrun (cf. chapitre l, p. 223), qui mourut le 31 mars 1726. Son fils Nicolas-Guillaume, abbé de Vaubrun, en avait vendu la nue propriété, le 15 mars 1728, à LouisAntoine Rouillé de Roissy, conseiller au Parlement, qui avait revendu, pour 2.}0 ooo livres, le 2 mai 1740, à Grimod de la Reynière. En 1755, la seigneurie passa à sa veuve, Marie-Madeleine Mazade, bientôt remariée au marquis de la Ferrière, puis, en 1773, à sa fille Louise, épouse de Marc-Antoine, comte de Lévis, enfin, en 1777, à sa petite-fille, Antoinette-Madeleine de Lévis, qui épousa son cousin Guy-Henri, marquis de Lévis, et revendit la seigneurie, en 1787, à la fabrique de Saint-Philippe-du-Roule; cf. abbé Narbey, Hist. de CHe&y.

3. Arch. nat., S 2271 autre croquis du bornage de 1733, avec le procèsverbal, dans S 238-239.

4. Cf., par exemple, Capon, /oc. cit., p. 26.



Première maison Richelieu. On sait que Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis, duc de Fronsac, puis duc de Richelieu, était né le 13 mars 1696 et devait mourir, à quatre-vingt-douze ans, !e 8 août 1788. Le 12 février 1711, n'ayant pas encore quinze ans, il avait épousé Anne-Catherine de Noailles, fille du premier lit de la troisième femme de son père, qui en avait vingt et dont il se soucia peu. Aussi bien doué pour la figure que pour l'esprit, il devint « la coqueluche de la cour », dit Saint-Simon, et, livré à lui-même, « fit force sottises », qui obligèrent son père, trois mois après son mariage, à demander sa mise à la Bastille, où il resta plus d'un an. Entré aux mousquetaires en 1712, blessé à Fribourg en 1713, membre de l'Académie française en 1720, il renoua connaissance, à deux reprises, avec la Bastille, fut envoyé comme ambassadeur à Vienne en 1724 et nommé brigadier des armées en 1734, commandant en Languedoc en 1738, lieutenant général en 1744. En 1746, il fut renvoyé comme ambassadeur à Dresde. Promu maréchal de France en 1748, il commanda l'expédition de Minorque en 1736 et l'armée d'Allemagne en 1757, où il se discrédita par les rapines qu'il commit et laissa commettre. Sa carrière militaire était dès lors terminée et il vécut davantage à Paris, partageant son temps entre les intrigues de cour et les intrigues de boudoir. Veuf en 1716 de sa première femme, il s'était remarié, en 1734, avec M~s de Guise, qu'il perdit en 1740, et convola une troisième fois, en 1780, à quatre-vingt-quatre ans, avec la jeune veuve d'un lieutenant général, M. de Booth. De son second mariage, il avait eu un fils, Louis-Antoine-Sophie, duc de Fronsac, né en 1736, marié en 1764 à M'~e de Hautefort, puis en 1776 à M~s de Galliffet, et une fille, née en 1740, mariée en 1756 à Casimir, comte d'EgmontPignatelli et morte sans enfants en 1773. En 1774, l'avènement de Louis XVI et la froideur du nouveau roi lui avaient montré que son rôle de courtisan était aussi fini. Il mourut en 1788 dans son hôtel de la rue d'Antin, qu'il avait acquis en 1757 et fait remanier par Chevautet.

Ce qui a provoqué l'erreur de Mareuse, c'est que Richelieu eut deux domiciles aux Porcherons. Vers 1730-1732, il loua dans la rue de Clichy une maison toute construite et paraît l'avoir conservée comme locataire jusqu'en 1776. A partir de 1746, il acquit, en bordure de la rue Blanche et au nord de la maison précédente, un vaste jardin, qu'il ne put relier à la rue de Clichy qu'en 1776, lors du lotissement de la « folie ') La Bouexière, et sur lequel il fit construire alors une nouvelle maison. C'est la première que vise Capon en parlant du deuxième Tivoli c'est la seconde qu'envisage Mareuse en invoquant le plan de Maire.

La première « petite maison » de Richelieu est très facile à identifier. En effet, elle est coupée presque en son milieu par la ligne ab,


marquée en rouge sur le bornage de 1733, séparant le fief de la Panneterie du fief Montmoyen. Le même plan indique que le point a était à 1~0 toises (273 mètres) du coin de la rue Saint-Lazare. Si l'on reporte cette distance sur un plan actuel, en rétablissant l'ancien tracé de la rue Saint-Lazare, coupant obliquement la place de la Trinité, on constate que cette ligne ab sépare le 22 actuel du n° 24. La maison de Richelieu porte le 20 sur le plan d'ensemble du fief Montmoyen de 1729, dont le grand atlas en donne un plan détaillé D'après l'échelle, les longueurs y sont évaluées en perches de Paris, qui mesuraient 18 pieds, ou 3 toises. La maison formait un trapèze, ayant 21 perches ~/6 ou 65 toises (126°~) de façade~ sur

(Croquis 16.)

la rue de Clichy (dont 70 mètres environ au nord de la ligne ab et 57 mètres environ au sud), sur 33 toises de profondeur moyenne, soit 2 igo toises carrées, dont 152 pour les bâtiments et i 998 pour le jardin. Les bâtiments, qui occupaient le tiers nord de la parcelle, comprenaient une cour, flanquée à droite du logement du portier, à gauche des communs et, au fond, le pavillon d'habitation, ayant environ io toises sur 5. Au sud, le jardin formait deux terrasses successives, en contre-bas, à cause de la déclivité du sol. En 1729, la maison tenait au nord au sieur Péricard (lot 15), à l'est à Péricard (lot 15) et à Charlier (lot 12), au sud au sieur Gilbert, marchand de fer (lot 21), dont la maison portait l'enseigne du Bon-Laboureur (croquis 16).

De tout ce qui précède, il résulte que le premier logis de Richelieu, ayant son mur méridional à 113 toises 9 pouces (220°*6o) du coin de

l. Arch. nat., N~ Seine 4 et N4 Seine 8 (croquis 16).

2. Le sommier des rentes nationales, de tyoo, lui donne 70 toises 2 pieds 2 pouces de façade, soit igy~zo Arch. nat., Q~ 200, fol. 112-115.


la rue Saint-Lazare et une façade de 65 toises (126~75), puis de 70 toises 2 pieds 2 pouces (ig~~o) quand le passage du lot 15 lui. fut réuni, occupait l'emplacement des nos à 38 actuels, anciens n°s 36 à ~.6 de Jacoubet, et engloba ensuite le ~.o.

Le duc occupait cette maison avant 1733, puisqu'elle figure sous son nom sur le plan de bornage de cette époque~. Il n'en était que locataire ou usufruitier, puisqu'on ne trouve aucune déclaration de lui, tandis qu'on a celles des divers propriétaires de l'immeuble. Le 26 octobre 1717, devant Masson, les héritiers d'un sieur Baudin, cultivateur, vendirent le terrain des lots 15 et 20 aux héritiers Gillain, qui firent construire sur le lot 15 une maison bordant la rue Blanche et revendirent le tout, le 5 décembre 1719, devant Buirette, à Pierre Péricard, trésorier de France à Paris. Celui-ci garda pour lui la maison du lot 15 2, en se ménageant une allée aboutissant rue de Clichy, et revendit le lot 20, le 23 avril 1723, devant Péan, à Renée-Françoise Feydeau, agissant pour son maii, Jacques Papillon de la Grange, seigneur de Fonspertuis, capitaine des chasses du duc d'Orléans. Papillon fit bâtir la petite maison décrite plus haut, puis fit faillite3 et, le 18 janvier 1731, les commissaires royaux préposés à sa liquidation judiciaire adjugèrent l'immeuble, pour 25 ooo livres, à Simon Moufle, secrétaire du roi, receveur général des finances à Amiens, un des nombreux descendants des Moune de la Tuilerie4, qui en passa déclaration au terrier de Saint-Germain le 27 juin 1738. C'est sans doute lui qui la loua, ou en vendit l'usufruit, en 1731 ou 1732, au duc de Richelieu.

Le 3 août 17~2, devant Daoust, il la vendit à Barthélemy de Vougny de Boquestan, ancien capitaine de cavalerie au régiment de Brissac, qui la revendit moins d'un an après, le 2 avril 1743, devant Sauvaige, à Robert Jannel, avocat, contrôleur général des Postes, qui en passa nouvelle déclaration au terrier de Notre-Dame (ex-terrier de Saint-Germain-l'Auxerrois) le 14 juin 17~3 elle couvrait alors 2 030 toises 6 pieds, dont 1316 toises 2 pieds sur le fief de la Panneterie, et tenait au nord à la famille Péricard (lot 15), à l'est à la même

i. En 172~-1725, il louait au sieur Charpentier, dans la rue Cadet (n° 16 actuel), l'ancienne maison occupée par le prince de Monaco; Arch. nat., Q~ 1090-1166.

2. Sa veuve, Madeleine Coutet, tutrice de ses deux filles mineures, la déclara à nouveau le n juillet 17~ Arch. nat., S 237.

3. Arch. nat., V7 4.00. Le premier jugement pris contre lui par ses créanciers est du 10 avril 1717 l'affaire durait encore en 176~. En 1763, son fils Papillon de Fonspertuis, fermier général, fit faillite à son tour. Ils étaient cousins de Papillon de la Ferté, intendant des Menus-Plaisirs. Voir le chapitre sur Clignancourt.


(lot 15) et à Filleux de Roncière (lot 12), au sud à Lamarre (lot 21) 1. Jannel renouvela sa déclaration au terrier de Saint-Denis le 17 mai [758 Le 16 février 1757, devant Sauvaige, il avait acquis du fils de Filleux de Roncière le lot 12, puis, le 7 décembre 1758, acheta des filles de Pierre Péricard le lot n° 15

En 1790, le sommier des rentes nationales indique la maison comme appartenant aux héritiers Rigoley d'Ogny. Elle est parfaitement identifiée par sa superficie de 2 030 toises 6 pieds, par sa position à cheval sur les censives de Saint-Denis (1316 toises 2 pieds) et de Notre-Dame (714 toises 4 pieds) et par la déclaration de Jannel du r~ juin 1743, rappelée en marge; on lui donne 70 toises 2 pieds 2 pouces de façade, soit i37'°2o~. Le dernier propriétaire était Claude Rigoley, baron d'Ogny, né à Dijon en 1725, intendant général des Postes et époux d'Élisabeth d'Alencé. Sa fille Marie avait épousé en janvier 1775 Jean-Anaclet, comte de Bassompierre, maître de camp du régiment de Picardie, et sa petite-fille Élisabeth-Pauline de Bassompierre fut baptisée, en décembre 1775, dans sa « maison de campagne de la rue de Clichy 5.

A cette date, Richelieu devait encore occuper l'ancienne maison Jannel, puisqu'il ne fit bâtir l'autre qu'en 1776-1777 (ci-après). Mais le sommier montre que d'Ogny était aussi propriétaire d'une maison du côté occidental de la rue, sur la censive de Clichy, juste en face de la précédente et touchant au nord les jardins Boutin. Cette maison, qui avait 21 toises 2 pieds 2 pouces de façade, occupait l'emplacement du 25 actuel 6. C'est là, certainement, qu'il habitait d'abord. En 1779, comme on le verra, il avait remplacé Richelieu. En 1790, la maison appartenait à son fils Claude-François, ancien officier aux dragons de Jarnac, et à son petit-fils Claude-Élisabeth, né en 1767 et capitaine en 1786 au régiment de Picardie. Le plan de Maire de 1808 l'indique encore sous le nom d'hôtel d'Ogny. Le sommier de 1790 montre qu'ils possédaient aussi, du côté occidental de la rue Blanche, les anciens lots 12 et 15, acquis par Jannel~.

i. Arch. nat., S 237 et S 241, ensaisinements n°s 472, 554, 566 et 567. 2. Arch. nat., S 2271, terrier, p. 30 et suiv.

3. Arch. nat., S 241, ensaisinements nos 627 et 636. Il semble que ce « Fil- leux de Roncière o soit le même personnage que Fillion de Roncière, fils de Jeanne de Vertillac, dite «la Fillion )', la célèbre entremetteuse, propriétaire aussi du terrain en face, qu'il vendit à M"" Dumesnil. Capon, Vieux-Montwatf~, IV, p. 321, et Mauzin, Ibid., VII, p. i. Ci-dessus, p. 275. 4. Arch. nat., Q2 200, fol. 112-115.

5. Registres de la paroisse, cités par t'abbé Narbey, ,HM<. de Clichy, p. 203.

6. Areh. nat., Q~ 198, fol. 222-226.

7. Arch. nat., Q~ 200, fol. 99 et suiv.


DMM-t~MM MMMOM Richelieu. Passons à la seconde maison de Richelieu. C'est en 1746 que, à l'imitation d'Alexandre Le Riche de la Pouplinière 1, le duc avait commencé de nombreux achats pour se créer une propriété dans le quartier. Le 17 mars 1746, devant Demay, il acquit une maison de la rue Blanche de Jacques Vattebaux, maître vannier, et sa femme, qui l'avaient achetée, le 9 août 1723, devant Bapteste, des frères Florentin, qui la tenaient, le 20 mai 1772, devant Bapteste, du sieur Jean Gillain, qui l'avait fait bâtir sur partie de 2 arpents et demi, acquis, le 8 février 1721. devant Goudin, de l'architecte Pierre Nativelle et de sa femme, lesquels les avaient achetés, le 15 décembre 1719, devant Goudin, des héritiers de Thomas Bailly. C'est le lot 18 probablement et le n° 45 actuel 2.

Le même jour, 17 mars 1746, devant Dutartre, Richelieu acquit trois autres maisons de la rue Blanche, avec deux jardins derrière, du curateur à la succession vacante de J.-B.-Gilles Brulay, procureur au Châtelet, qui les avait eues, les 8 mai et 25 août 1730, devant Touvenot, de Martin Cordroy et de Marie Baudin. Lot n° 16 (nos 39-41). Le avril 1746, devant Lechanteur, il acquit 10 toises de terre et une maison rue Blanche, de Pierre Dujardin, serrurier, dont les pré décesseurs n'offrent pas d'intérêt. Partie du lot 17 parallèle an lot 18 (n° 43).

Le 29 juillet 1746, devant Prevost le Jeune, il acquit de NoëlleMarie Rubantelle l'usufruit d'un jardin potager, entre les rues de Clichy et Blanche, mesurant 29 toises de long sur 10, dont Martin Germain, maître sellier, lui vendit la nue propriété le 3 août suivant, devant Gervais il le tenait, partie par achat de Pierre Bourgeois, partie par échange avec Le Riche de la Pouplinière. Portion du lot 17 entre le lot 18 et le lot 15.

Le 26 août 1746, devant Prévost, Richelieu acquit encore du comte Maximilien de Watteville, propriétaire de plusieurs terrains rues Pigalle et la Rochefoucauld l'usufruit d'une maison avec jardin rue de la Barrière-Blanche, près de la « Grande-Pinte lieu dit « les Portes-Blanches », mesurant 10 toises i pied et demi de large sur 29 toises de long. Il en acheta la nue propriété, moitié le 23 mars 1751,

ï. Ses achats datent de 1732-1744 cf. chapitre l, p. 225.

z. La correspondance est indiquée sur la déclaration de Richelieu du 28 décembre 1779 Arch. nat., S 237. Ensaisinements dans S 241, n°s 583, 584, 585, 588.

3. Voir chapitre l, p. 231-232, et chapitre n, p. 277.

4. La « Grande-Pinte est le lot n° 2, ancien cabaret de Jacques Magny, adjugé à sa veuve, Élisabeth Davignon, le 28 juin 1724, et vendu par ses enfants le 22 décembre 1772, devant Giraudeau, à Jean Ramponeaux et à Barbe Georges, sa femme, qui le déclarèrent le 30 janvier 1773 Arch. nat., S 237.


devant Delaleu, des créanciers de Claude Hugault, marchand de fer, moitié le 4 juin 1753, devant Demay, de Mme Charpentier et consorts. Les vendeurs l'avaient achetée en commun, le 16 juillet 1737, devant Bapteste, de Martin Germain, maître sellier. La concordance est omise dans la déclaration de 1779 et les actes d'achat ne figurent pas dans les ensaisinements conservés. Mais il paraît évident, d'après l'identité des dimensions et du propriétaire initial, le sellier Germain, qu'il s'agit d'une seconde bande du lot 17, parallèle à la rue Blanche. Le 7 décembre 1746, permission avait été donnée à La Pouplinière d'aligner la rue Blanche le long de son jardin, jusqu'à celui du sieur de Roncière (lot n° 12). Le 25 juin 1747, la même permission fut don- ° née à Richelieu pour la partie de la rue comprise entre le pignon de sa maison (lot 18) et celle de Roncière (lot 12)

Ces achats ne constituaient qu'un embryon de domaine, les terrains acquis ne communiquant que par la partie méridionale (lot 15) avec la maison occupée comme locataire par Richelieu. Faute de fonds, de loisirs ou de suite dans les idées, les choses en restèrent là pendant trente ans. Comme je l'ai déjà dit (pages 286 et 289), le maréchal dut conserver durant cette période l'ancienne maison de Papillon, de Moufle et de jannel, puisque les scènes que les rapports de police placent en 1765, 1766 et 1771 n'ont pu se passer que Ià~ et puisque, en 1772, les registres de la paroisse de Clichy mentionnent l'inhumation d'Apolline Le Sueur, « concierge chez M. le maréchal duc de Richelieu, rue de Clichy x. Ce n'est qu'en 1775 que l'occasion se présenta pour celui-ci de réaliser enfin son projet.

Du côté nord, les jardins achetés par lui (lots 16, 17 et 18) et l'ancienne allée de la maison Péricard (lot 15), qui, depuis l'achat de ce lot par Jannel, avait dû être supprimée et réunie à la maison de Richelieu 4, touchaient à la grande propriété commencée, de 1732 à 1744, par Le Riche de la Pouplinière, agrandie et aménagée, de 1747 à 1764, par Charles-François Gaillard de la Bouexière~. Au sud, cette propriété se terminait en hache, descendant plus bas le long de la rue de Clichy que le long de la rue Blanche, où le jardin de Richelieu y faisait enclave. On le voit sur le plan qui est aux Archives et dont le « Vieux-Montmartre x possède la gravure, deux fois reproduite dans son Bulletin6.

i.Arch.nat.,ZS238~.

2. Piton, Paris sous Louis II, p. 209 III, p. 74., 93, 309. 3. Abbé Narbey, Hist. de Clichy, p. 201. La maison est figurée, avec ses trois terrasses, sur le plan de Deharme (~763).

Ceci résulte des tenants qui figurent dans les actes cités plus loin. S. Voir chapitre i, p. 224-225.

6. Arch. nat.. S 2271 t~MM~-AfoM~a~fs, III, p. 316, et V, p. 39.


Charles-François Gaillard mourut en 1774.~ et, par sentence de licitation du Châtelet du 30 novembre, rendue entre ses héritiers, la propriété fut adj ugée à son neveu, Jean-Hyacinthe-Emmanuel Hocquart, seigneur de Montfermeil, président au Parlementa Le 15 avril 1775, devant Chavet, celui-ci la vendit à Guillaume-Ëlie Le Foullon, architecte juré expert, entrepreneur de bâtiments, et à Marie-Constance Cucu d'Hérouville, sa femme, moyennant 186 700 livres de principal, non compris les meubles et le pot-de-vin, cette somme étant payée 36 700 livres comptant et le solde en une rente de 7 500 livres. Une ventilation faite pour le paiement des droits de lods et ventes et conservée, avec plan annexé, dans les archives du chapitre de Notre-

(Croquis 17).

Dame, Axe à 55 700 livres la part correspondant à la censive de SaintDenis (9 arpents trois quarts), à 118 8oo livres celle de Montmartre (17 arpents et demi 24 perches) et à 12 200 livres_ celle du Chapitre (~ arpents i perche), la propriété couvrant au total 32 arpents un quart 6 perches 6 toises i pied

Le Foullon la lotit et, le 13 août 1776, devant Dumoulin, vendit à Richelieu un terrain de 972 toises i pied 8 pouces, d'un seul tenant, dont 596 toises 3 pieds 3 pouces du côté de la rue Blanche et 375 toises

i. Le partage de sa succession ne fut fait, devant Rendu, que le 30 juillet '7?6.

Il était fils de Jean-Hyacinthe Hocquart, fermier général, et de MarieAnne Gaillard (voir notre étude sur les Propriétaires de la place P6K<MMM', Procès-verbaux de la Commission du Vieux-Paris, 19x7). Il habitait une belle propriété, avec grand jardin, faisant l'angle oriental de la Chausséed'Antin et de la rue Saint-Lazare. Il épousa en secondes noces, le 22 février i yy8, sa cousine Catherine-Eugénie Gaillard de Beaumanoir et mourut en émigration, laissant cette veuve et une fille unique, Adélaïde-Jeanne Hocquart, qui furent remises, en 1799, en possession de ses biens. 3. Arch. nat., S 2~.0 le croquis est assez inexact (ci-joint, 17).


4 pieds 5 pouces du côté de la rue de Clichy. Sur ce total, 772 toises 4 pouces étaient sur la censive de Notre-Dame et le reste sur celle de Saint-Denis. Le tout provenait de la propriété La Bouexière, dite '< le Petit-Château », sise au bout de la rue du Coq et chemin de Clichy. Un plan des archives de Saint-Denis donnant le lotissement de la propriété La Bouexière 1 montre qu'il doit s'agir du lot C (voir le croquis i~).

Par autre contrat du 16 octobre 1776, devant Dumoulin, le maréchal acheta encore à Le Foullon un grand terrain de 3 894 toises 2 pieds 10 pouces, dont 2 o6t toises dans la censive du Chapitre et le

reste dans celle de Montmartre, à prendre sur l'ancien parc de La Bouexière, du côté de la rue Blanche. La suite prouve que la vente comprend les lots A et B et une partie du lot E (croquis 18). Sur l'ensemble de ces terrains, le maréchal fit construire une jolie habitation et aménager un vaste parc, et, le 28 décembre 1779, devant Péron, passa déclaration au Chapitre de Notre-Dame de la partie de la propriété située sur le fief Montmoyen. La maison est dite tenir, au nord

(Croquis 18.)

à un jardin ayant constitué jadis le parc de La Bouexière, au sud à la maison occupée par le baron d'Oigny, qui n'est autre que l'ancienne maison de Richelieu (p. 289).

La seconde maison de Richelieu avait son entrée principale sur la rue Blanche, mais possédait aussi une issue sur la rue de Clichy, où elle prit en 1800, comme on verra plus loin, le 18. Les actes et plans précités n'indiquent pas où était cette issue. Elle se trouvait, croit-on, dans la partie sud du lot D, vendu par Le Foullon au sieur Lardant, vers l'emplacement des n°s ~2 et actuels. Richelieu mourut le 8 août iy88 et, le 5 juin 1789, devant Quatremère, ses héritiers revendirent la propriété, pour 120 ooo livres de principal, à Jean Arthur, négociant, et Suzanne-Caroline Dejean, sa femme, Jean-Jacques Arthur, leur fils, aussi négociant, et René Grenard, marchand mercier. L'acte, ensaisiné le 26 juin au Chapitre

t. Arch. nat., S 12~1 il est basé sur le précédent.


de Notre-Dame 1, fournit quelques renseignements sur la seconde maison du maréchal. Elle se composait d'un pavillon d'habitation, précédé d'une cour, avec logement de concierge et de jardinier, et suivi d'un grand jardin la cour était close, sur la rue de Clichy, d'un mui avec porte cochère, servant d'entrée. A côté était une basse-cour, renfermant un autre logement de concierge, des remises et écuries. Le pavillon d'habitation était un édifice isolé, de forme octogonale, placé devant le mur de la terrasse et au bout de l'allée tracée à droite de celle-ci. II était flanqué de deux ailes, réunies par une face en pan coupé, et comprenait un étage souterrain, un rez-de-chaussée, un premier étage, <( dans partie duquel il y a des entresols », et un second étage, couvert en terrasse, avec balustrade. Dans la partie méridionale du jardin était un bâtiment appelé « l'Hermitage », percé de cinq croisées de face et élevé d'un rez-de-chaussée et d'un étage. Devant le pavillon principal s'ouvrait une double rangée d'arbres, « avec charmilles d'appui », divisant le jardin en deux parties derrière l'Hermitage, une allée de tilleuls conduisait à une « salle », plantée des mêmes arbres, et à « une figuerie, placée dans l'enclave formée par le retour du mur mitoyen et du mur de face sur la rue Blanche, du costé de Paris ». Au nord de la terrasse était la seconde partie du jardin, consistant en un quinconce s'étendant sur toute la longueur de la terrasse, avec, au bout, un compartiment de basse charmille, le surplus étant divisé, par deux allées tournantes, en diverses salles de verdure, décorées de statues, vases, gaines et autres ornements en terre cuite ou en pierre. Ces frondaisons cachaient un réservoir, recevant les eaux d'une pompe en cuivre, avec balancier et manivelle de fer et tuyaux de plomb. Tous les murs du jardin étaient garnis d'arbres, de palissades, d'espaliers et de treillages avec ceps de vigne. Sur les 120 000 livres du prix de vente, To ooo correspondaient aux terrains sur la censive de Saint-Denis, 28 ooo à ceux de Montmartre et 82 ooo à ceux du Chapitre de Notre-Dame.

Quelques mois après, Jean-Jacques Arthur, le fus, riche fabricant de papiers peints de la rue Louis-Ie-Grand, devenait un fougueux révolutionnaire et un membre influent de la section des Piques. Le 10 août 1792, à l'attaque des Tuileries, il se rendit à jamais fameux en dévorant le cœur d'un Suisse qu'il avait assassiné. Membre de la Commune, c'est lui qui, en 1793, fit arrêter le ministre Clavière et provoqua son suicide. Arrêté lui-même après la chute de Robespierre, il fut guillotiné, à trente-quatre ans, le 12 thermidor an II (30 juillet 1794)'- 9.

x. Arch. nat., S 542.

2. Arch. nat., W 434, dossier 978 Campardon, Tribunal révolutionnaire, 1,p.429,552.


La maison de la rue de Clichy, dont il était copropriétaire, fut confisquée et adjugée comme bien national à un sieur Dejean, qui devait être le beau-frère d'Arthur père. Celui-ci y habitait encore en ventôse an VIII, âgé de quatre-vingt-quatre ans. Elle portait alors le 18 et le surnom de « Pavillon-de-Richelieu )). Le 18 noréal an V (y mai 1797), Marie-Suzanne Arthur, épouse de Louis-Julien Gohin et fille de l'ancien condamné, obtint la restitution des biens de son père et, en ventôse an IX (février 1801), fit opposition à l'enlèvement des glaces du pavillon Richelieu, quand on voulut les vendre au profit du Trésor 1.

A ce moment, la maison était occupée par la belle Mme Hamelin, et c'est là que fut arrêté, en 1802, son amant, le colonel Fournier, accusé de conspiration 2.

Le sommier de 1790 place le terrain de « M. Grenard » immédiatement au nord de celui de M. Rigoley d'Ogny (cf. page 289) et lui donne 66 toises pieds 7 pouces de façade sur la rue de Clichy (130 mètres), ce qui correspond aux n°s 44 à 48 actuels et prouve que, peu après leur achat aux héritiers Richelieu, Arthur et Grenard avaient dû acheter à Lardant tout le terrainD (cf. page 293). En 1811, les renseignements donnés par M. Capon sur le deuxième Tivoli établissent nettement que le sieur Baneux, organisateur du spectacle, s'était rendu aussi acquéreur ou locataire de la propriété d'Ogny (anciens lots 12, i~ et 20), au moins de la partie donnant sur la rue de Clichy (lot 20), et avait ouvert par là une communication avec les jardins de la seconde propriété Richelieu 3.

Les voisins. Voilà ce que semblent apprendre les archives sur les petites maisons du maréchal rue de Clichy. Elles fournissent aussi quelques renseignements intéressants sur les maisons voisines. Par acte d'août 1777, ensaisiné le 26~, Le Foullon vendit au sieur François-Alexandre Gély une parcelle de ~80 toises 2 pieds 3 pouces, dont 103 toises 3 pieds sur là censive de Notre-Dame et le reste sur celle de Saint-Denis. Gély y fit construire une maison entre cour et jardin, qu'il revendit, le 29 novembre 1780, devant Collas de Marimon, pour 34 000 livres, à Jacques Chechin de Beaurepaire, bourgeois, dont l'achat fut ensaisiné le 2 décembre suivant s. Le plan précité des archives de Saint-Denis indique comme vendu au sieur Gély

i. Arch. Seine, Dom., cartons 415, dossier 5229.

2. Gilbert Augustin-Thierry, ~<:t~ Donnadieu, Rev. des .D<MM' Mondes, 1908, p. 45 et 554.

3.Capon,/oe.c!<p.i8.

4. Arch. nat., S 2487, table la page correspondante, 145, manque. 5. Arch. nat., S 2487, p. 168,


le lot E, correspondant au 50 actuel, dont la vieille porte du xvin~ siècle a survécu.

Le n novembre 1778, devant Laroche, Le Foullon vendit une autre parcelle de 411 toises, dont 10 toises 3 pieds de face sur la rue et 39 toises 3 pieds 10 pouces de profondeur moyenne, au sieur Philippe-Marie-Nicolas Perrard, qui la revendit le 3 février 1781, devant Laroche, pour 10 ooo livres, à Pierre-Antoine Duret, peintre du roi, demeurant rue du Faubourg-Montmartre. La longueur de façade sur rue était à prendre « ~(M~'y du mur MM~oygM <%K SMM<' Gély o Cette parcelle, tout entière sur le fief de Saint-Denis, ne figure pas sur le plan de lotissement et doit correspondre à la partie du lot D voisine de E (n° 48 actuel) 2.

Le 12 avril 1779, devant Dehérain, Le Foullon vendit une grande parcelle, ayant 17 toises de face sur la rue et couvrant 2 072 toises 4 pieds 8 pouces, dont 465 toises sur la censive de Notre-Dame et le reste sur Montmartre et Saint-Denis, à Gaspard-Louis Rouillé d'Orfeuil, maître des requêtes, intendant des villes frontières de Champagne, et à Anne-Charlotte Bernard de Montigny, sa femme, qui la déclarèrent le 25 juin au terrier de Notre-Dame~. Elle est dite tenir, d'une part au sieur Gély et au maréchal de Richelieu, de l'autre au sieur Le Foullon. Elle correspond, d'après le plan de Saint-Denis, au lot F et aux n°s 54, 54 bis et 56 actuels, ainsi qu'à une partie de la rue Nouvelle. Rouillé y fit construire un grand hôtel, qui fut loué en 1790 à l'Anglais Crawfurd, l'ami de la baronne de Korff, et qui, acheté par l'État en 1826, devint la prison pour dettes, dite de Clichy4. En 1780, Le Foullon vendit encore trois autres parcelles, au nord de la précédente, aux sieurs Pasquier père et fils et Moinery~ elles correspondent aux lots G, H, 1 et aux n°s 56 bis, 58 et 60 elles sont représentées sur le plan du troisième Tivoli, y faisant enclave, le lot Moinery (ou I) ayant, comme on le verra, plus de 20 toises de faces. Le sommier de 1790 confirme à peu près ces identifications, avec cependant une petite discordance qu'il est assez difficile de ré-

Arch. nat., S 2~87, p. 169. La page du premier ensaisinement, 155, manque mais la date de l'achat est donnée par le second, qui est du 18 février 1781.

2. Duret était le frère du sculpteur François-Joseph Duret, auteur du fronton de Saint-Philippe-du-Roule, l'oncle du sculpteur FrancisqueJoseph Duret (180~-1865), auteur de la fontaine Saint-Michel et de très nombreuses oeuvres parisiennes.

3. Arch. nat., S 237 l'ensaisinement à Saint-Denis (S 2~.87, p. 159) manque.

Cf. Vuaflart, Mélanges Le Senne, p. 298.

5. Arch. nat., S 2~87, p. 16~ et 165, qui manquent.

6. Capon, /oe. cit., p. 32-33.


soudre 1. Au nord du terrain de Grenard, ancienne propriété Richelieu (cf. page 293), il met un terrain à Mme veuve de Verville, ayant 10 toises .5 pieds 2 pouces de façade, puis, au nord, la parcelle de Rouillé d'Orfeuil, parfaitement identifiée par sa superficie et la déclaration du 25 juin 1779 rappelées en marge. Si la maison de Mme de Verville est l'ancienne maison de Gély (n° ~o), comme ses dimensions le font croire, il faut supposer que la parcelle de Duret, mitoyenne de celle de Gély (page 296), a été ensuite absorbée dans les achats d'Arthur et Grenard (page 293).

Au nord de la parcelle Rouillé, entre celle-ci et les terrains demeurés aux héritiers de Le Foullon, le sommier en met bien trois l'une de 14 toises g pieds 9 pouces de face à M. de la Roque (ancien lot G de Pasquier fils), la seconde de 9 toises 4 pieds 8 pouces à M. Pasquier père (lot H), la troisième de 20 toises 2 pieds 10 pouces à M. Moinery (lot I).

Le Foullon paraît avoir arrêté ses lotissements au n° 60 actuel. Il garda entière, faute peut-être d'acquéreurs, la partie septentrionale de l'ancienne folie La Bouexière, comprenant le joli pavillon construit par Carpentier, que ses héritiers revendirent, pour 73 500 livres, le 8 germinal an III (28 mars 1795), à James Monroë, ambassadeur des États-Unis, et à Elisa Kortingh, sa femme, que ceux-ci cédèrent, en l'an VII (1799), à Henriette Kingtiey, épouse non commune en biens de Jacques Mathis, et que celle-ci revendit, pour 100 ooo francs, le 1er avril 1806, devant Chodron, à Jean-Henri-Lucien Greffulhe, fils aîné, le futur comte Greffulhe 2. C'est la propriété ainsi réduite qui figure sur les plans de Verniquet (1791) et de Maire (1808, 1813), et qui devint, en 1826, le troisième Tivoli, dont M. Capon a reproduit le plan Elle formait à peine la moitié du « Petit-Château » du fermier général.

Disons, enfin, quelques mots de la partie méridionale de la rue, toujours du même côté. On a vu que, en 1729, la première maison de Richelieu tenait au sud à celle du sieur Gilbert, marchand de fer, à l'enseigne du BoM-.La6oM~M~ (page 287), en 1743 à celle du sieur Lamarre (page 289). En 1790, ce lot, 21 du fief Montmoyen, qui mesurait 47 toises i pied pouces de face, avait formé quatre maisons. La plus au nord (n° 12 actuel), ayant n toises 5 pieds de face, appartenait à François-Louis, baron d'Eschemy, chambellan du roi de Prusse, à qui elle avait été adjugée, par sentence du Châtelet du 2 août 1780, sur les héritiers de Guillaume Gilbert, et qui l'avait dé-

i. Arch. nat., Q2 200, fol. 114-115.

2. Arch. Seine, Dom., carton 507, dossier 947. 3. Capon, loc. cit., p. 32-33.


clarée le 15 décembre suivant~. C'est là que s'éleva plus tard la seconde église de la Trinité (cf. page 283). La maison suivante (n° 10), ayant 12 toises 4 pieds de face, était la propriété de Mme Gilbert, veuve de Guillaume Gilbert, marchand de fer, qui l'avait déclarée le 29 juin 1769 et qui lui-même était fils du Gilbert de 1729. La suivante (emplacement de la rue de la Trinité), mesurant 11 toises 2 pieds 9 pouces de face, appartenait à M. Thomas Robec, qui l'avait déclarée le 2 août 1775. Enfin la suivante (n° 8), de il toises i pied 8 pouces de face, appartenait à Mme de la Marre, dont la belle-mère, Claude-Jeanne Gilbert, veuve de Jacques de la Marre, l'avait déclarée le 30 septembre. 1738.

Au sud du précédent, le lot 22, qui mesurait près de 60 toises de face, avait formé, en 1790, huit immeubles, savoir deux maisons au ménage Robec, ayant 13 toises 4 pieds de face (n°s 6 et 4), déclarées aussi en 1775 une maison à M. de Paulians, de 13 toises 3 pieds 4 pouces de face (n° 2) une à M. de Vismes, de 4 toises 4 pieds une encore à M. Robec, de 6 toises 5 pieds 10 pouces enfin, trois à Jean Ramponeaux, le propriétaire de la Grande-Pinte de 18 toises 5 pieds 8 pouces de face.

Enfin, au sud du lot 22, le lot i, faisant l'angle de la rue SaintLazare et ayant 6 toises 6 pouces de face sur la rue de Clichy, appartenait à M. Besallet. C'était le cabaret de la Belle-Chopine, rival malheureux de son voisin la Grande-Pinte, qui appartenait en 1729 à Le Tellier, puis à sa veuve, remariée à Claude Millin, qui avait vendu, le 10 juillet 1744, à Jean Magny~.

Ces six dernières maisons, dont une avait abrité, en 1805, Mme Hugo et ses enfants*, ont été supprimées par le square de la Trinité, qui a ainsi amputé le côté pair de la rue de Clichy de 36 toises 4 pieds, ou 71 "'50.

CHAPITRE III

CLIGNANCOURT

SES SEIGNEURS ET SES PRINCIPAUX HABITANTS Charles Sellier a consacré aux Seigneurs de Clignancourt un des meilleurs chapitres de ses Curiosités du Vieux-Montmartre, où il a cité à peu près tous les documents connus sur la question 6. Mais il ne

t.Areh.nat.,S2g7.

2. Cf. ci-dessus, p. 290, note

3. Arch. nat., S 2~1, ensaisinement n° 573. Ed. Biré, V. Hugo avant J~o, I, p. ~y. 5. Curiosités, p. 191-271.


semble pas qu'il les ait présentés avec une clarté suffisante et on se perd un peu, à première et même à seconde lecture, dans la hiérarchie des fiefs de Clignancourt, de Turquan et de Pommereux, comme dans les différentes « maisons seigneuriales » qui en auraient dépendu. On se propose donc de fixer plus nettement les grandes lignes du sujet et d'ajouter quelques renseignements, d'après les déclarations et les cueillerets, sur les habitants les plus notables du village 1. Le terre de Clignancourt. La donation de Louis VI à l'abbaye de Montmartre ne comportait, dans la région nord de Paris, que la butte elle-même et une petite annexe de champs cultivés au sud, peut-être l'ancienne « culture Morel », plus tard la « culture des Dames ». Au nord et à l'est, les terres relevaient de l'abbaye de Saint-Denis et faisaient partie de sa dotation initiale, comme le prouve la charte de connrmation du 25 janvier 10082. Au nord, juste au pied de la butte, se trouvait le hameau de Clignancourt (on écrivait jadis C~g~McoM~), formé autour de la maison de campagne (cortis) de quelque chef francs.

Dès le xii~ siècle, et peut-être avant, l'abbave de Saint-Denis donna en fiefs les terres dépendant du village, c'est-à-dire qu'elle déléguait, moyennant finances, à des particuliers, le droit de toucher à sa place les taxes féodales attachées au sol sur un territoire stipulé au contrat. Le prix de ces petits fiefs étant fonction de leur revenu, leur achat était un placement comme un autre, qui procurait en outre aux roturiers se portant acquéreurs la satisfaction d'accoler à leur nom un titre nobiliaire. L'abbé de Saint-Denis se réservait les droits de justice et le possesseur du fief lui devait un aveu à chaque changement de feudataire ou de suzerain. Ces petits fiefs pouvaient euxmêmes donner naissance à des arrière-fiefs, généralement par mariages, un seigneur faisant figurer dans la dot de sa fille, avec l'assentiment de son suzerain, une fraction de ses droits féodaux, à prendre sur des parcelles déterminées. Ces quelques indications étaient indispensables pour comprendre ce qui va se passer à Clignancourt. Le fief Harent. Chose rare, on peut suivre, dans les archives de Saint-Denis et de Montmartre, la suite presque ininterrompue des possesseurs d'un de ces fiefs, du XIIe au XVIIIe siècle. Chacun d'eux

i. On laissera de côté les maisons de la Boule-d'Or (112, rue Marcadet), Labat (71, même rue) et du Château-Rouge (rue Ramey), dont Sellier a fait l'historique, lac. cil., p. 273, 287 et 297.

2. Lasteyrie, p. 107 Sellier, p. 192.

3. Le premier terme est obscur le nom est seul de son espèce en France Bournon, Additions à Lebeuf, p. 53~.


s'intitule, bien entendu, « seigneur de Clignancourt », quoiqu'il ne le soit qu'en partie.

Le premier qu'on trouve ainsi qualifié est Adam Harent (avant 1197), qui a pour suzerain Hugues le Loup (Hugo f.M~)M), personnage notable de l'époque, appartenant à la famille des Bouteillers de Senlis et qu'on rencontre dans un grand nombre d'actes. Il s'agit donc d'un arrière-fief, qui d'ailleurs s'étend très loin, non seulement sur le territoire de Clignancourt, mais sur ceux de la Villette, de Belleville et jusqu'au faubourg Saint-Antoine. Harent 1 a pour successeur son fils, prénommé aussi Adam (avant 1232), et celui-ci son fils Jean (après 1260). Mais, à la mort de ce dernier (1287), un important changement se produit. D'abord, les Bouteillers de Senlis revendent leurs droits sur le fief Harent, mouvant de leur seigneurie de Villepinte, à l'abbé de Saint-Denis, de qui le fief Harent relève désormais directement. Ensuite, ce fief est démembré. Une moitié, héritée par Isabelle Harent, épouse de Thomas de Nesle, est vendue par elle à Jacques Gentien, d'une grande famille bourgeoise (1287), de qui elle passe à Geoffroy Cocatrix (avant 1321), qui donne son nom à cette moitié. Son dernier titulaire, Edme Privé de Chavigny, la cédera en 1686 à l'Hôpital général Elle ne nous intéresse pas, car elle ne comprend pas le domaine de Clignancourt.

L'autre moitié du fief, y compris ce dernier domaine, passe, en 1287, à Gauthier de Clignancourt, cousin germain du père de Jean Harent, et est cédée par sa veuve Agnès, en 1315, à Guyot de Verdelo, qui en fait directement l'aveu à l'abbé de Saint-Denis, le mercredi suivant la deuxième quinzaine de Pâques. En 1315, Pâques tombant le 30 mars, cette date est le 30 avril Mais il n'est pas le seul à se partager les terres de l'endroit. En effet, le mercredi après Pâques fleuries 1316 (soit le 7 avril), Isabelle, dame de Fontaine-Archière, veuve de Philippe de Nanteuil, seigneur de Mérencourt, revend à l'abbaye de Saint-Denis, moyennant 300 livres, les terres situées à Clignan-

f. Sur lui et sa famille, cf. Des Cilleuls, Ménz. de la Soc. de ~'Bï~. de Paris, XXII, p. 3o et suiv.

2. Des Cilleuls, Dt~K~tHf de la Ville, p. 89-90 Parloir SM.); Bourgeois, p. 31-32 Sellier, p. 199, note 2, qui attribue à tort la part de Verdelo à Cocatrix. Le 6 septembre 1601, la Chambre du Trésor rendit un arrêt, déboutant le fermier du domaine royal de ses prétentions sur le fief Cocatrix, ou Harenc, appartenant alors à Nicolas Privé, secrétaire de M. le Prince. Il se compose de 200 maisons et de 115 arpents, en neuf pièces, au faubourg Saint-Antoine et dans le voisinage de la Bastille, dont l'arrêt fixe les limites. Jeanne de Viste, dame du Fresne, en a fait l'aveu à ]'a.bbé de Saint-Denis le 3 janvier 1536. Le 3 août 1584, il appartenait à. Renée Baillet, veuve de Jean de Thou et tutrice de ses enfants mineurs (Arch, nat., Q1 1099~). 3. Arch. nat., S 22458 Sellier, p. 200.


court et Montmartre qu'elle tenait en fief de celle-ci, savoir une maison à Clignancourt, avec colombier et un arpent de vignes, tenant au chemin qui va de Clignancourt à Montmartre (rue du Mont-Cenis) et à la maison de feu Jean Harent, plus 6 arpents de terre en deux pièces, au voisinage de la même maison Harent 1. Le dimanche de Quasimodo de la même année (soit le 18 avril), devant les notaires Richard de la Balle et Nicolas de Gisors, Guillaume de Châteauvillain, sire de Boissy-sur-Morin, vend à l'abbaye de Saint-Denis, moyennant 408 livres, un manoir à Clignancourt et diverses terres qu'il a eues par échange d'Émard de Ver et qui relèvent de la « dame de Clignancourt o, laquelle doit être Isabelle de Fontaine-Archière. D'autres actes semblables doivent nous manquer. Ils montrent que, quand l'abbaye est en fonds, elle rachète ses anciennes concessions féodales pour profiter de la plus-value des terres, ou '< croît de cens ». On en verra plus loin un autre exemple.

Après Guyot de Verdelo, il semble bien que la partie de l'ancien fief Harent qui nous occupe passe à Adam Paon, bourgeois et êchevin, puis à Benoît d'Aubigny, à son neveu Jean (1340), qui vend à Girard de la Chapelle, qui lègue à sa nièce Jeanne de Fontenay, qui doit vendre à Jean Cosson et celui-ci à Jean Turquan, lieutenant criminel à la prévôté de Paris. Le fief prend dès lors le nom de fief f Turquan, mais il ne faut pas oublier que c'est une fraction du fief Harent.

Le fief Turquan. En 1406, il échoit à un cousin, appelé aussi Jean Turquan, dont le second aveu, du 26 novembre 1426, montre que le domaine s'étend jusqu'au Val-Larroneux (faubourg Poissonnière, déjà cité en 1263), la Villette, Poitronville (Belleville), Baffer (Basfroi) et la bastide Saint-Antoine 3. Il le lègue à son cousin Pierre Turquan, mineur, dont le père Jean, procureur général au Châtelet, rend l'aveu en son nom le i~ octobre 1433.

Le fief Le AfseoM. A ce moment apparaît un arrière-fief, dépendant du précédent, dont Jean Le Maçon l'aîné, orfèvre, fait l'aveu à Jean Turquan le 5 mars 1435. Cet arrière-nef a appartenu jadis à Laurent Boucquier, à Jean de Compiègne père et fils, à Guillaume de Saint-Yon, à Nicolas et Jean Marcel, bouchers, héritiers de la femme du précédent, enfin à Augustin Ysebarre, qui l'a vendu à

i. Arch. nat., S 4436-4437, Ire liasse, original; Sellier, p. 200. 2. Arch. nat., S 4436-4437, 2~ liasse, vidimus du 27 septembre 13~.3 acte non cité par Sellier.

3. Arch. nat., S 224~~ et Ql 1042. Sur le « Val Larroneux )', cf. chapitre I, p. t8ô, note.


Le Maçon Il consiste en un hôtel à Clignancourt, avec un jardin couvrant 3 quartiers et demi, un arpent de vignes et un revenu de 40 sous de menus cens sur différentes terres Cet arrière-nef tire vraisemblablement son origine du démembrement qui a suivi, en 1387, la mort de Jean Harent. Le 19 octobre 1443, devant Guillaume Hemonnet, Guillaume Le Maçon, changeur, avoue de nouveau ce fief, comme donataire de son frère Jean, héritier lui-même de Jean l'aîné, leur père~.

Le 16 février 1479, les Dames de Montmartre achètent au changeur Pierre Hiver, moyennant 100 sols de rente, une maison avec colombier et 2 arpents de vignes, située à Clignancourt, « devant l'orme dudit lieu », et tenant à Jean Le Maçon et au chemin de Clignancourt à Montmartre 4. Sellier juge cette description identique à celle de la maison vendue, en 1316, par Isabelle de Fontaine-Archière à l'abbaye de Saint-Denis (page 301). C'est loin d'être évident. Si les deux maisons ont un colombier et bordent la rue du Mont-Cenis, la première a un jardin d'un arpent, la seconde de deux, et rien n'indique que la maison mitoyenne de Jean Le Maçon soit la même que celle de Jean Harent. Tout ce qu'on peut dire, c'est que la maison d'Hiver, se trouvant devant l'orme du lieu, symbole de la justice seigneuriale, est au centre du village, c'est-à-dire au croisement des rues du MontCenis et Marcadet, sans qu'on puisse préciser à quel angle, mais certainement au voisinage de la maison seigneuriale dudit lieu, qui est distincte de la précédente.

En 1465, 1476 et 1514, Pierre Turquan renouvelle l'aveu de son fief, qui a toujours la même étendue. En 1518, ce fief appartient à ses deux gendres, Étienne Destas et François de Larche, puis, en 1523, au second seul, notaire au Châtelet, par suite de partage avec ses cohéritiers.

En 1543, l'arrière-fief Le Maçon appartient par moitié à Guillaume de Pommereux, maître des Comptes, époux de Marie Le Maçon, fille de Guillaume, et à son fils Jean, avocat au Parlement5. Le fief est dit désormais de Pommereux.

La SMg'M6M~M Clignancourt. La famille Ligier. Tous les seigneurs de Clignancourt qu'on vient d'énumérer (sauf peut-être la dame de Fontaine-Archière) n'avaient droit à ce titre qu'en partie

i. Saint-Yon et Ysebare sont aussi des noms de bouchers de l'époque. z. Arch. nat., S 4436-4437. Le carton S 4439 renferme un vieux registre d'ensaisinements du fief de Jean Le Maçon en 1427.

3. Arch. nat., S 4436-4437 et QI 1042.

4. Arch. nat., S 4436 Sellier, p. 207-208.

5. Arch. nat., S 4436, Ire liasse, et Q1 1076. Le carton S 4439 renferme un autre registre des ensaisinements de 1533 à 1544.


et par procuration. Le vrai seigneur du lieu restait l'abbé de SaintDenis, qui conservait le droit de justice, l'hôtel seigneurial, avec sa geôle et son pressoir banal, et un important domaine non aliéné en fief. Le 6 octobre 1565, on le voit affermer les revenus fonciers de ce domaine, y compris l'hôtel seigneurial, moyennant 120 livres par an, à Pierre de Rue, boulanger, qui, le 11 juin 1567, cède le reste de son bail à Pierre Trochereau, laboureur.

Mais, en 1568, le roi Charles IX obtient du pape que le clergé aliène des domaines jusqu'à concurrence de 50 ooo écus d'or de rente, pour l'aider dans sa lutte contre les protestants. L'abbaye de Saint-Denis, taxée pour sa part à 300 écus soleil de rente, met en vente, entre autres biens, la seigneurie de Clignancourt. Les enchères, commencées le 3 avril 1569, aboutissent le 13 mai à l'adjudication à Jacques Ligier (ou Liger), bourgeois, moyennant 2 88o livres, représentant 120 livres de rente, et 5 de frais. La cession comprend les droits de justice, haute, moyenne et basse, la maison seigneuriale et tous les revenus fonciers des terres affermées en 1565 à de Rue~. Cette fois (la première depuis 1315 au moins), Jacques Ligier est bien M~g~Mf de Clignancourt et c'est à lui que les titulaires du fief Turquan devront foi et hommage.

Jacques Ligier, qui habite rue Saint-Jacques, contre la chapelle Saint-Yves, est trésorier du cardinal Charles de Bourbon, un des trois délégués du pape pour l'applicaticn de la taxe sur le clergé, ce qui explique son intervention. Il s'intitule désormais « seigneur de Clignancourt et de Montmartre en partie ». Le 3 mars 1579, il obtient de Pierre de Gondi, évêque de Paris, l'autorisation de faire construire une chapelle, près de sa maison seigneuriale, en l'honneur de la sainte Trinité, et d'y faire dire une messe basse tous les jours par la curé de Montmartre, de qui cette chapelle dépendra, ou par un prêtre agréé par celui-ci, sans que cette fondation dispense les habitants de Clignancourt d'assister les dimanches et jours de fête à l'office paroissial C'est l'emplacement du n° 67 actuel de la rue du Mont-Cenis.

Jacques 1er Ligier meurt en 1581 et le fief passe à sa veuve, Marie Buhot, commune en biens avec lui. Le 28 juillet 1579, son mari en a affermé les revenus fonciers, pour neuf ans, moyennant ~.6 écus sol deux tiers, ou 1~.0 livres, et quatre douzaines de pigeons, à Pierre Trochereau, précédemment fermier de l'abbé de Saint-Denis (ci-des-

i. Arch. nat., S ~36-~37, 2~ liasse.

2. Arch. nat., S ~36-~37, 3e liasse. En 1615, Henri de Gondi autorisa à y dire la grand'messe le dimanche en hiver, les habitants de Clignancourt ne pouvant aller à Montmartre par le mauvais temps. Lebeuf (I, p. 457) n'est pas exact.


sus). Le 10 août 1584, Marie Buhot reloue, au même prix, à Nicolas Moreau, sergent au bailliage du Palais

Le 5 mars 1585, Jacques II Ligier, secrétaire du roi, fils aîné de Jacques Ier, tant en son nom qu'au nom de sa mère et de ses frères et sœurs, fait l'aveu de son fief au cardinal de Guise, abbé de SaintDenis. Ce fief comprend le logis seigneurial, formé de deux grands corps d'hôtel, colombier, pressoir et 2 arpents de vignes, le tout couvrant 3 arpents et demi, un autre arpent de vignes au lieu dit le BMMMtt~, touchant l'abbaye de Montmartre, enfin 40 livres de cens et rente sur différentes terres, parmi lesquelles 48 sols de rente sur 7 arpents situés à Montmartre, au lieu dit le Pressoir-Bénédicité 2. De cette seigneurie dépendent les deux fiefs Turquan et Pommereux, maintenant réunis ils appartiennent le fief Turquan, deux tiers à Nicolas de Larche, ci-devant conseiller au Parlement, fils de François (page 302), et un tiers à Germain Fallaize, auditeur aux Comptes, petit-fils dudit François par sa mère Claude de Larche, le fief Pommereux, neuf dixièmes à Germain Fallaize et un dixième à Jean Doujat, époux de Jacqueline Fallaizes.

En effet, par un acte du 27 janvier 1558, devant Jean Donsac, qui nous manque et que confirmera une sentence de la Chambre des requêtes du 9 janvier 1586, l'arrière-fief Pommereux est sorti de cette famille et a été réuni au fief Turquan, appartenant à François de Larche. Lors du partage de la succession de celui-ci, son fils Nicolas a reçu les deux tiers du fief Turquan, son petit-fils Germain Fallaize l'autre tiers et l'ancien fief Pommereux, dont il a, ultérieurement, cédé un dixième à son gendre Doujat.

Les terres de Ligier et de Fallaize sont enchevêtrées et tous deux sont en procès pour des questions de censive. Pour y mettre fin, ils signent, le 13 février 1586, devant Jacques Chappelain et Philippe Lamyral, une convention, par laquelle Germain Fallaize vend à Jacques II Ligier l'ancien fief Le Maçon, puis Pommereux, moyennant 33 écus un tiers*. Le 19 février, devant Belot, Jacques II Ligier rend hommage à sa mère Marie Buhot pour ce fief s, à qui il donne le nom de Graville, une de ses terres de Normandie.

Le 27 décembre 1594, devant Belot, Marie Buhot afferme les terres de Clignancourt, pour six ans, moyennant 30 écus d'or sol, à Michel Bourdin, laboureur~. Elle meurt le 10 mai 1597 et, le 15 juillet sui-

i. Arch. nat., S 4436-4437, ~<* liasse.

2. Ce lieu dit était à peu près à l'emplacement du collège Rollin. 3. Arch. nat., S 4436-4437, Ire liasse. En réalité, Jean Doujat, notaire au Châtelet, semble être mort en 1583.

4. Arch. nat., S ~36-~37, 2~ liasse.

g. Arch. nat., S ~36-4437, i~ liasse.

6. Arch. nat., S 4436-4437, 4e liasse.


vant, Jacques II Ligier renouvelle son aveu à Louis de Lorraine, abbé de Saint-Denis. Le fief Turquan appartient maintenant deux tiers à François II de Larche, fils de Nicolas, et un tiers à Germain FaIIaize~. Le i*~ mars 1600, devant Belot, Jacques II Ligier renouvelle son bail à Michel Bourdin, pour six ans, moyennant 50 écus sol et toujours quatre douzaines de pigeons 2.

Jusqu'ici les Ligier n'ont jamais habité Clignancourt, n'y ayant que la maison seigneuriale, qu'ils afferment. Suivant Trétaigne, qui dit avoir eu sous les yeux les titres de propriété, à lui communiqués par « M. le vicomte de Romanet )', l'un des possesseurs de 1861, Jacques II ferait alors sa résidence d'une propriété acquise de l'abbesse de Montmartre, Marie de Beauvilliers, et qui se trouverait à l'emplacement du n° 103 de la rue Marcadet (angle sud-ouest du croisement), où se voit encore la tour du colombier s.

Sellier, qui reproduit l'indication de Trétaigne, met le manoir à l'emplacement du 101 de la rue Marcadet, « à l'angle sud-est de celle-ci et de la rue du Mont-Cenis, M.s-s-M une <OM~ d'ancien colombier, formant encoignure au 103 », en n'enregistrant cette mention « que sous bénéfice d'inventaire » et sans dire pourquoi il la modifie quant au numéro~. Plus loin, mettant toujours le manoir Ligier au n° 101, il indique que le père du vicomte, le sieur FrançoisConstantin Romanet, avait acquis la maison de la veuve Cottin peu avant février 1808~. On peut préciser que l'ancienne propriétaire s'appelait Marie-Catherine Mézières, habitant la Chapelle, veuve et héritière de Jean-Pierre Cottin, cultivateur, à cause de leur communauté de biens, et que Romanet, demeurant à Vierzon, avait été nommé adjudicataire à l'audience des criées du tribunal de la Seine du 8 juillet i8oy pour 29~.08 fr. 72, frais compris. L'acte avait été enregistré le 15 juillet au IVe arrondissements.

Trétaigne n'a pu inventer la filiation Ligier-Romanet, qu'il a dû trouver dans les titres. Les tenant du propriétaire, il n'a pu davantage se tromper sur l'emplacement de la maison Romanet, laquelle

i. Arch. nat., S 4436-4437, i''s liasse.

2. Arch. nat., S 4436-4437, 4e liasse.

3. Trétaigne, p. 235-236.

4. Curiosités, p. 228-229.

5. Ibid., p. 270.

6. Arch. Seine, Q14 56, et Enregistrement, registre 1609. Cottin a acquis de nombreuses propriétés à Clignancourt et Montmartre les 22 novembre 1770, 27 octobre 1771, 28 avril et 31 juillet 1772, et en 1774 (Arch. nat., S 4476, fol. 20 r°, 37 va, 5o va, 56 v°, 89 r°, ce dernier feuillet a été coupé). Notre maison n'y figure pas malheureusement, les ensaisinements de la période précédente (1756 à 1770) manquent et ceux plus anciens (Arch. nat., S 4475, de 1740 à 1756) ne parlent pas de lui.

BULLETIN LVIII 20


était bien au 101, non au 103. En effet, par décret du ter mars 1813, François-Constantin Romanet, qui exploitait des carrières à plâtre, obtint l'autorisation de construire deux fours à chaux dans sa propriété et le plan joint à l'acte (croquis 19) montre qu'elle remplis-

(Croquis n" 19.)

sait le coin sud-est du carrefour~. D'ailleurs, des actes qu'on verra plus loin prouvent que, au xviis siècle, les Brisard, héritiers des Ligier, et au xvme les Neyret, acquéreurs des Brisard, étaient propriétaires de ce même coin. On verra également plus loin les différents propriétaires du coin sud ouest, ancienne « Porcelainerie de Monsieur », dé 1792 à 1818, où Romanet ne figure pas. Ennn, le plan manuscrit de restitution de l'ancien Montmartre, exécuté par Caries de 18~8 à 18~8, sous les propres auspices de Trétaigne, place bien au coin sud-est « l'ancien château seigneurial x de Clignan-

court, identifié alors avec le manoir Ligier 2.

Si donc, dans son livre, Trétaigne a indiqué le n° 103, c'est par un lapsus, une faute d'impression ou un changement de numérotage c'est bien au n° 101 actuel qu'il voyait le manoir Ligier et qu'on doit vraisemblablement le placer.

Il est probable que cette maison est celle que les Dames de Montmartre avaient acquise en 1~79 du changeur Hiver et dont le signalement, devant l'orme du lieu, touchant la rue du Mont-Cenis, correspond bien à l'emplacement du 101 (page 302). Mais cette habitation particulière de Ligier reste complètement distincte de l'ancienne « maison seigneuriale o de Clignancourt (qui était aux n°s io/)-lo6, comme on le verra plus loin), passée à l'état de simple ferme et louée avec les terrains~.

i. Arch. nat., A FIV 739.

2. BiN. nat., Cartes, Inv. gén. 201.

3. Sellier les a confondues, p. 231, 253, 270. Voir le croquis n" 20.


Jacques II meurt le 20 octobre 1620, sans postérité, et son fief passe à sa sœur Marguerite, veuve de Charles Brisard, conseiller au Parlement, qui en fait l'aveu à Louis de Lorraine, cardinal de Guise, abbé de Saint-Denis, le 12 juin 1621, devant de Saint-Vaast~.

(Croquis n" 20.)

Le 13 octobre 1639, devant de Saint-Vaast, l'aveu est renouvelé par son fils, Julien Brisard, abbé de Saint-Prix, à Saint-Quentin, en Vermandois, à l'abbé Henri de Lorraine. A ce moment, le fief Turquan appartient à Jacques Doujat, fils de Jean Doujat, qu'on a vu propriétaire en 1~8~, par sa femme Jacqueline Fallaize, du dixième du fief Pommereux (page 304). Jacques Doujat a hérité du tiers du fief Turquan, appartenant à son grand-père Germain Fallaize, et a hérité ou a acquis le reste des ayants droit de François II de Larche. Il a

i. Arch. nat., S 4436-4437, ire liasse.


fait l'aveu de son fief dès le i~ juin 1636~. Le 6 février 16~.3, Julien Brisard renouvelle l'aveu du sien à Armand de Bourbon, prince de Conti, abbé commendataire de Saint-Denise Le 17 septembre 1653, devant de Saint-Vaast, l'abbé Julien Brisard fait donation de sa seigneurie à son neveu Claude Brisard, conseiller au Parlement, qui en prend possession, par acte notarié fait par de Saint-Vaast, le io juin 1655", et qui en renouvelle l'aveu au cardinal Mazarin, abbé de Saint-Denis, le 16 novembre 1660 le fief Turquan est toujours à Jacques Doujat4. Dès le 23 mars 1659, Brisard a affermé l'hôtel seigneurial et les terres, pour six ans et six dépouilles (récoltes), à Barthélemy Bardon, laboureur, moyennant 179 livres 10 sols, un coq et deux paires de chapons 5.

Mais, en i66/)., Paul de Gondi, cardinal de Retz, qui a succédé au cardinal Mazarin, veut profiter de la plus plus-value des terres pour rentrer en possession de la seigneurie de Clignancourt et intente à Claude Brisard une action en « retrait féodal ».

Avant de rendre son jugement, le Conseil décide qu'une « montrée au doigt et à l'oeil )) des terres réclamées par l'abbé de Saint-Denis sera faite contradictoirement devant Claude Mareil, seigneur de Bouqueval, doyen du Grand Conseil. Elle dure du 26 août au 26 septembre 1665 et son procès-verbal remplit un gros registre in-folio 6. Ce document montre que la maison seigneuriale de Clignancourt, située à l'angle nord-est des rues du Mont-Cenis et Marcadet, a son entrée principale sur la première (n° 62) sur la seconde donnent le pressoir, la prison, l'auditoire et la grange, alors méconnaissables. La maison particulière des Brisard touche la précédente à l'est (G du croquis 20). Quant au terroir, le procureur de l'abbé, partant de la CroixMoreau, au coin des rues de Clignancourt et Marcadet, promène les enquêteurs à la TVaM~F~Mce, par la rue du Foubourg-Poissonnière, et à la Croix-Cadet (coin des rues Lamartine et Cadet), revient vers l'ouest, le long de l'égout, par la chapelle Notre-Dame-de-Lorette et la C~OM;-a'M-.Po~cÂ~'oMS (coin des rues Saint-Lazare et des Martyrs), jusqu'au chemin de Clichy, remonte au nord par ce chemin jusqu'à la C)'oM'MoM<M!oyeM (coin des rues Biot et des Dames), puis tourne au nord-est par le chemin des Trois-Coins ou des Quignons (rues des Dames et Ganneron) pour aboutir vers les Grandes-Car-

r. Arch. nat., 0~1078.

2. Arch. nat., S 4436-4437, Ire liasse. 3. Arch. nat., S. 4436-4437, 2~ liasse. 4. Arch. nat., S 4436-4437, Ire liasse. 5. Arch. nat., S. 4436-4437, 4e liasse. 6. Arch. nat., S 4460.

7. Voir chapitre !l, p. 283.


rières. Chemin faisant, il montre une suite de bornes, qu'il dit séparer la seigneurie de Clignancourt de celles de Saint-Lazare, SainteOpportune, Saint-Germain-l'Auxerrois, Montmartre et Clichy. Mais le procureur de Brisard conteste ses dires, attribuant aux arrièrefiefs Turquan et Graville une bonne partie des terres désignées. Le doyen Mareil ne peut que leur donner acte de leurs déclarations respectives. On a l'impression nette que, à cette époque, faute de bornages précis et entretenus, le vieux morcellement féodal est devenu à peu près lettre morte.

Daniel Hallé, maître peintre, dont un ancêtre présumé, Claude Hallé, a possédé, au xvie siècle, un fief à Clignancourt est nommé par jugement pour faire le plan des terrains et la description de l'état des bâtiments, et remet ses rapports les 25 septembre 1665 et 6 août 1666. Le 30 septembre 1666, un arrêt du Grand Conseil prononce le retour à Gondi des droits et biens aliénés en 1569, dont la valeur est liquidée an 868 livres 15 sols, savoir 3 868 livres 15 sols de principal, 7 500'livres pour les augmentations et améliorations et 500 livres pour la recherche des eaux et fonds de terre. Mais de cette somme est à déduire celle de i 89~ livres pour procès-verbaux et frais d'expertise, mis à la charge de Brisard. Le 28 septembre 1668, Étienne de la Fons, seigneur de Ranty, chambellan de Gondi, dépose les fonds chez le notaire Levesque et Brisard en donne reçu le 5 octobre 2. L'abbaye de MoK<tKa~ Le 6 juin 1669, devant Sainfray, le même Étienne de la Fons vend à l'abbesse de Montmartre, FrançoiseRenée de Lorraine, la seigneurie de Clignancourt moyennant 11 528 livres 15 sols payés à Brisard (chiffre qui ne concorde pas avec ceux des actes précédents), i 500 livres pour les faux frais et une soulte de i ooo livres, dont i ooo destinées à la décoration de l'église de Saint-Denis et 10 ooo au paiement de la seigneurie d'Auvers-surOise, dont Gondi a opéré aussi le retrait féodal. En outre, à chaque mutation d'abbesse, le monastère paiera à Saint-Denis un droit de « relief x de i ooo livres. L'acte explique longuement que Gondi a accepté ces propositions parce qu'elles étaient inespérées, ce qui se comprend de reste 3.

Le retrait de 1666 a laissé Claude Brisard en possession du fief de Graville, jadis Pommereux et Le Maçon, acquis par Jacques II Ligier en 1586 (page 304), du manoir particulier acquis par celui-ci des Dames de Montmartre (page 305) 4, d'un second manoir particu-

i. Sellier, p. 2i2.

2. Arch. nat., S 4436-4437, 2<' liasse.

3. Arch. nat., S 4436, liasse, et S 2243 B.

4. Sellier l'a confondu (p. 251 et 253) avec la vieille maison seigneuriale


lier construit par Brisard à l'est de la maison seigneuriale de Clignancourt (cf. page 308), enfin des terres relevant du fief Turquan, que Jacques II avait ajoutées à sa seigneurie primitive de Clignancourt. Le 6 mars 1700, devant de Clersin, le partage de sa succession entre ses trois fils donne ces biens à l'aîné, Claude-Charles Brisard, lieutenant de grenadiers aux Gardes-Françaises, qui les revend, le 17 mars 1702, devant Dionis, moyennant 10 ooo livres, à Jacques Devaux, procureur aux Comptes, lequel en passe de suite déclaration à Charlotte Neyret et celle-ci à son frère, Antoine Neyret. La cession comprend une maison à porte cochère, « ci-devant la maison seigneuriale », située à Clignancourt, « grande rue dudit lieu, qui conduit de Clichy à la Chapelle » (c'est le manoir Brisard, 100, rue Marcadet), tenant aux Dames de Montmartre (à cause d'un jardin de z arpents dont on reparlera), la chapelle de la Trinité, avec l'entretien du chapelain, à raison de 200 livres par an, et un jardin de 15 perches, les droits et terres appartenant au fief de Graville (y compris probablement le manoir Ligier, 101, rue Marcadet), enfin, 61 arpents 65 perches, en 81 pièces, à Montmartre, Clignancourt, la Chapelle, Saint-Denis, Saint-Ouen, Clichy et autres terroirs relevant du fief Turquan

Antoine Neyret, conseiller au Parlement, appartient à une bonne famille de robe. De son mariage avec Marguerite Boussingault, il a un fils, François, aussi conseiller au Parlement et commissaire aux requêtes du Palais, et deux filles, l'une, Marie-Anne, mariée à Nicolas Petit de Villeneuve, président à la cour des Aides, l'autre, Marguerite, mariée à Alexandre-Guillaume de la Vieuville, secrétaire des commandements de la Dauphine.

Le i janvier 1705, devant de Mahault, les Dames de Montmartre louent, pour six ans, à Guillaume Legrand, laboureur, et sa femme, moyennant 500 livres, douze douzaines de pigeons et deux chapons, la maison seigneuriale de Clignancourt (acquise, en 1669, avec la seigneurie) et 22 arpents de terres en dépendant. Ce bail sera renouvelé le 2 juillet 1709, pour six ans, au même, le 26 juillet 1757, à Jacques Rocher, pour g/).o livres seulement, le n novembre 1790, à Edme Bouret, pour i 027 livres 10 sols, les bâtiments venant d'être reconstruits. Devenue bien national, cette ferme sera adjugée le 13 novembre 1792, pour 31 ooo livres, à Edme Basset, plâtrier, et un plan de l'époque 2 montre bien qu'elle était située à l'angle nord-est

de Clignancourt, louée à Trochereau, Moreau et Bardon, qui, elle, était comprise dans le retrait féodal et qui se trouvait au 10~ (Ibid., p. 255). i. Arch. nat., S ~36-~37, 2" liasse.

2. BiN. nat., Estampes, Va 325, Paris-Montmartre; croquis n° 21 ci-joint.


des rues Marcadet et du Mont-Cenis, c'est-à-dire à l'emplacement des actuels n°s 10~-106, rue Marcadet (page 306). Là était l'antique maison seigneuriale et la rue Hermel, ouverte sur son emplacement, s'est appelée jusqu'en 1863, au nord de la rue Marcadet, fMe du AfsMO~. Revenons à 170~. Après son achat de 1702 à Brisard (page 310), Antoine Neyret a fait l'aveu de son fief de Graville, le ier décembre 1703, à sa suzeraine, l'abbesse de Montmartre. Mais celle-ci a «blâmé cet aveu », jugeant les titres des mouvances insuffisants, et a déclaré

(Croquisn°2l.)

qu'une partie des parcelles appartenait en propre à la seigneurie de Clignancourt, leurs possesseurs lui payant le cens et les droits de lods et ventes depuis 1669. Neyret lui a fait un procès (dit « combat de fief »), produisant ses titres et réclamant 8 ooo livres de dommages pour les contrats indûment ensaisinés par l'abbaye depuis 1669. Sur la vue de ces pièces, l'abbesse a reconnu le bien-fondé des droits de Neyret, sauf sur une dizaine de parcelles, mais a déclaré n'avoir indûment perçu que ooo livres de droits. Pour mettre fin au litige, une transaction est signée, devant de Mahault, le 26 mars 170~, par laquelle Neyret vend à l'abbaye l'arrière-nef de Graville et tous les droits y afférant, la chapelle de la Trinité et son jardin de i~ perches, enfin une pièce de 61 perches touchant à ce jardin, le. tout évalué i ooo livres. En échange, les Dames lui cèdent un jardin de 2 arpents, touchant celui de Neyret et dépendant de la maison seigneuriale de Clignancourt, acquise en 1669. Elles se chargeront de la rente de 200 livres au chapelain de la Trinité, moyennant quoi Neyret les tient quittes des 4 000 livres indûment perçues. Bien


entendu, Neyret leur devra le cens pour la maison et les autres terres, relevant du fief Turquan, acquises en 1702

Le zo décembre 17~0, François Neyret, seigneur de Pin-Courgain, et sa sœur Marie-Anne, veuve de Nicolas Petit de Villeneuve, président à la Cour des aides, héritiers d'Antoine Neyret, leur père, et de Charlotte Neyret, leur tante, passent déclaration au terrier de l'abbaye de 45 arpents 92 perches, représentant les terres en question 2.

L'abbaye restera propriétaire de la seigneurie de Clignancourt et du

fief de Graville jusqu'à la Révolution, réunissant la justice de Clignancourt au bailliage de Montmartre.

Quant au fief Turquan, dit maintenant la Fosse-Turquan 8, que nous avons laissé entre les mains de Jacques Doujat (page 307), il est passé à sa mort, en 1666, à sa fille Françoise, épouse de Jean Scarron, seigneur de Mandiné, qui l'a vendu, le 2 juin 1666, devant Guichard, aux frères Louis, Simon et Benjamin Moufle, descendants des Turquan, dont le premier est procureur aux Comptes et les deux autres notaires au Châtelet. Ils en ont fait hommage, le 8 août suivant, à leur suzerain, Claude Brisard. Suivant leur aveu du 26 avril 1669, le fief s'étend sur ~9 arpents 29 perches à Montmartre et Clignancourt, et sur 109 arpents ~6 perches et demie à Belleville, la Courtille, le Baffroy et autres terroirs, en tout sur 1~8 arpents 75 perches et demie4. Suivant un autre aveu du 13 mars 170~, il appartient alors à Benjamin Moufle, sieur de Bourneville, colonel d'infanterie au service du roi d'Angleterre Jacques II, héritier de son père Benjamin, le notaire, qui en a réuni la totalité~. Un Moufle, avocat au Parlement, est encore propriétaire du fief en 1730 et 175~°. Puis on trouve, en 1760, un sieur Pothouin, aussi avocat, dont la veuve vend le fief, en 1786, à Jean-Marie-Eusèbe Braconnière de Salverte, administrateur des domaines du roi, qui le possède toujours en 1792

Les principaux habitants. Le cueilleret de i6~s montre que,

i. Arch. nat., S 4436-4437, 2" liasse.

2. Arch. nat., S 4434-4435, Terrier de 1738, p. 163.

3. Sur l'origine de ce nom, cf. Sellier, p. 266.

4. Arch., Q1 1078 et Q1 1099~ Sellier, p. 262 et suiv.

5. Arch. nat., S 54.

6. Arch. nat., Q1 1079~.

7. Arch. nat., S 34, et Sellier. Le 11 mars 1786, il signe une transaction avec le chapitre de Notre-Dame au sujet d'une terre contestée entre son fief du Grand-Marché et celui de la Fosse-Turquan, « par lui acquis depuis peu de la dame Pothouin D (Arch. nat., Q1 1078). Le <' combat de fief » été commencé le 14 juillet 1772 par Pothouin (Arch. nat., S 54). 8. Première épreuve, donnant les dates des déclarations, dans Arch. nat., S 4497 mise au net dans S 4481.


dès la première moitié du xvme siècle, Clignancourt a cessé d'être un simple village de cultivateurs pour devenir un lieu de villégiature à l'usage de la bonne bourgeoisie. Il montre aussi que les principales propriétés sont groupées au centre du hameau, vers le croisement des rues Marcadet et du Mont-Cenis, non loin des manoirs seigneurieux de Clignancourt (A du croquis 20), de la famille Ligier (B) et de la famille Brisard (G).

Ainsi, le 6 août i6~, Madeleine Péan, veuve de Simon Plastrier, sieur de la Croix, déclare être propriétaire d'une maison et jardin, couvrant trois arpents, tenant d'un côté au chemin de Clignancourt à Paris (rue Ramey), d'autre au sieur de Niesié, d'un bout par devant au chemin de Clignancourt à. la Chapelle (rue Marcadet) et par derrière au sieur Dalibert. Elle lui est échue par partage de la succession de son père, Louis Péan, sieur de la Coullardière Cette propriété doit se trouver vers l'emplacement du 9~ actuel de la rue Marcadet (H du croquis). Madeleine Péan est parente, probablement bellesœur, du notaire Claude Plastrier et fort riche. Entre 1637 et 16~0, son mari a fait construire les n°s i à 5 de la rue de Beaune, la première maison faisant le coin du quai (n° 27, quai Voltaire) 3. Sa fille épousera Guillaume d'Hauterive, seigneur de Villesecq ses petites-filles se marieront avec Eustache, marquis de Saint-Simon, et Nicolas de Bragelongne, trésorier de France à Paris.

Entre 16~5 et 1667, Jacques Roussel, notaire au Châtelet (16171656), puis son fils Gilles sont propriétaires d'une maison et jardin, au carrefour de Clignancourt, tenant d'un côté à la veuve de Michel Bourdin, d'autre au chemin de Clignancourt à Montmartre (rue du Mont-Cenis), d'un bout, par haut, au seigneur de Clignancourt (qui est alors l'abbé Julien Brisard) et par devant sur le carrefour (peut-être R du croquis) 4.

Péronne du Montier, veuve de Pierre de la Planche, possède, au voisinage du village, une grande maison, dite Rapines », couvrant 7 arpents, tenant au chemin de Clignancourt à Saint-Ouen (rue du Poteau), par derrière au chemin de Clignancourt à Saint-Denis (prolongement nord de la rue du Mont-Cenis) et aux terres du seigneur du lieu son mari l'a acquise de Jean Le Riche. Elle possède, en outre, 2~ à 30 arpents de terre en de nombreuses pièces

i. Comme le faisait voir le terrier de 1545, Arch. nat., S 4495 2 Arch. nat., S 4481, fol. 13, et S 4497, fol. 20 ro.

3. Voir nos Études de topographie parisienne, I, p. 305.

4. Arch. nat., S 4481, fol. 19, et S 4497, fol. 24 V.

5. Arch. nat., S 4481, fol. 68, et S 4497, fol. 73 r°. Le plan de Caries met le lieu dit « les Rapines x au nord de Clignancourt, vers la rue du Simplon actuelle.


Michel de la Serré, porte-chaire et garçon ordinaire de la Chambre de la reine, veuf de Louise de la Planche, déclare une grande maison, au carrefour de Clignancourt, devant l'orme, tenant d'un côté à la chapelle seigneuriale il la possède par décret du Châtelet sur Jean du Moulin. Il a aussi de nombreuses terres 1. Sa maison est à l'emplacement du 65, rue du Mont-Cenis.

Martin Prieur, notaire au Châtelet (1632-1652), possède aussi une maison au carrefour, devant la fontaine, couvrant 2 arpents et demi, tenant d'un côté à Contesse 2 et à la ruelle de la Procession (rue de la Bonne), d'autre au chemin de Clignancourt à Montmartre (rue du Mont-Cenis), d'un bout à Le Roux, aussi notaire, et par devant sur la grande rue il en est propriétaire pour moitié à cause de Marie Baraguer, sa femme, héritière de son père Rolin Baraguer, marchand libraire, et pour l'autre moitié par achat de Jacques Baraguer, son beau-frère. En 1647, la maison est achetée à sa veuve par Jean de Gomont, avocat 3. Il semble qu'elle devait se trouver vers le coin sudest du carrefour (M du croquis).

Louis de Nieslé, secrétaire ordinaire de la Chambre du roi, est propriétaire d'une maison, couvrant 2 arpents, située dans la rue conduisant à la Chapelle, tenant d'un côté et d'un bout à Mme de la Croix (page 313), d'autre au sieur Midorge. La propriété était un ancien jardin appartenant à Nicolas du Clos, adjugé sur lui à Louis Courtin et retiré par Nieslé par droit de retrait lignager4. C'est l'emplacement approximatif du 97, rue Marcadet (J du croquis). Ce Nieslé était beau-frère de Gilles Boileau, époux d'Anne de Nieslé, qui avait une villa en face de la sienne et qui fut le père du satirique 5. Gilles Boileau, commis au greffe du Parlement, déclare, le 5 novembre 1645, une maison située dans la Grande-Rue, tenant d'un côté au seigneur du lieu, d'autre aux héritiers Brice, par derrière au chemin de la Chapelle à Saint-Ouen (rue Ordener). Il l'a acquise en 1639 des héritiers Lefebvre, ses cousins, et sa famille en paiera le cens jusqu'en 1663 6. Elle doit être vers l'emplacement du no 98, rue Marcadet, en face de celle de son beau-frère Nieslé (K du croquis).

i. Arch. nat., S 4481, fol. 76, et S 4497, fol. 82 r". Son beau-frère, Michel Cappet, chef de l'échansonnerie du roi, époux de Péronne de la Planche, en a d'autres à côté (S 4497, fol. 87 r°), ainsi que Pierre de la Planche, maréchal des logis de la Petite-Écurie (Ibid., fol. 88 va).

2. Il s'agit de Thomas Contesse, marchand-mercier Arch. nat., S 4497, fol. 191 r".

3. Arch. nat., S 4481, fol. 102, 420 et 426.

4. Arch. nat., S 4481, fol. 148, et S 4497, fol. 152 vo.

5. Sellier, Curiosités, p. 240, note 2. Son frère Nicolas était propriétaire rue Bergère Vieux-Montmartre, VI, p. 164 et suiv.

6. Arch. nat., S 4481, fol. 165, et S 4497, fol. 169 v°,


Guillaume Le Roux, notaire au Châtelet, possède une maison entre Montmartre et Clignancourt, au lieu dit « la Grosse-Pierre », tenant d'un côté au chemin de Montmartre à Clignancourt, d'autre aux terres de Brisard, par devant à la ruelle de la Bonne-Fontaine (rue de la Bonne), par bas au chemin de la Tuilerie à ladite Bonne-Fontaine. Elle lui est échue, avec des terrains de culture, par le partage de la succession de son père, Pierre Le Roux, aussi notaire 1. La propriété doit se trouver dans la région N du croquis. Les Le Roux, qui habitent à Paris à la pointe Sainte-Eustache, sont les notaires de l'abbaye de Montmartre et leur minutier, comme celui de Sainfray, leur successeur, renferme de nombreux renseignements sur l'histoire du couvent au xviie siècle 2.

Jacques Dalibert, contrôleur des finances du duc d'Orléans, demeurant rue des Vieux-Augustins (rue Hérold), est détenteur d'une grande maison, ouvrant sur la grande rue et couvrant 7 arpents, tenant par derrière au chemin de jDeMOM~MM~ (?). Il la tient du chef de sa femme, Étiennette Charpentier, à qui elle a été donnée en dot par Jean Charpentier et Étiennette Marais, ses père et mère. Il en paie le cens de 16~1 à 1658 Elle doit se trouver dans la région P ou N du croquis. Dalibert est un gros brasseur d'affaires, familier de Richelieu, qui a participé, avec Le Barbier, au lotissement de l'enceinte de Charles V et à la formation du quartier du Palais-Cardinal 4. François Mansart possède quelques quartiers de terre à la Chapelle et Jean Androuet du Cerceau un arpent à Montmartre, au lieu dit « les Trois-Coins~ ». Ce dernier est le fils de Baptiste, le petit-fils de Jacques Ier, l'auteur des hôtels de Sully et de Bretonvilliers, des portes Montmartre et Richelieu de l'enceinte de Louis XIII. Sa déclaration des terrains de Montmartre, le 15 mai 16~.9, est la dernière mention qu'on ait de lui

Au xvme siècle, Clignancourt conserve cette population d'agriculteurs, panachée de bourgeois paisibles, gens d'affaires ou gens de robe. Il aura cependant une fille d'opéra, mais une fille sérieuse et qui n'est guère connue que par son mari. Le 2 octobre 176~, devant Le Pot d'Auteuil, Jean-Nicolas Baujon de Seilhan, trésorier et payeur des gages de la chambre des Comptes, vend pour 15 ooo livres à Françoise-Suzanne Foulquier, « pensionnaire du roi », femme non

l. Arch. nat., 84481,fol. 354.

2. Le minutier ancien de l'étude Pierre Robineau est déposé, depuis 1930, aux Archives nationales.

3. Arch. nat., S 4481, fol. 367.

4. Voir nos Études de <o~og')'a~/t!e parisienne, II, p. 320.

Arch. nat., S 4481, fol. 235 et 393 S 4497, fol. 244 v°, 41~ r°. 6. H. de Geymuller, les Du Cerceau, p. 272.


commune en biens de Charles-Antoine Bertinazzi, officier du roi, une maison située à Clignancourt, rue Marcadet, et couvrant 3 arpents avec le jardin. Il l'a acquise le 10 novembre 1761, devant Horque de Cerville, pour 7 500 livres, de Luc Langlois, coutelier privilégié~. En remontant dans les cueillerets, on constate que Luc Langlois l'a acquise, le 13 novembre 1759, devant Lecointre, d'un sieur Audace, qui la tenait, le 10 novembre .[750, devant Demay, d'un sieur Jean Corval, qui l'avait eue, le 30 juin 1739, devant Demay, d'un sieur Denis-Bernard Samson, marchand fripier. Celui-ci en avait été adjudicataire, pour 8 150 livres, le 5 juillet 1727, sur les héritiers de Gabriel-Paul Boucher, lequel en avait hérité de son père, Pierre Boucher, marchand mercier privilégié suivant la Cour, qui l'avait achetée, le 29 décembre 1697, devant Robillard, des héritiers de Jean Bidus, contrôleur des Guerres, lequel l'avait déclarée le 17 décembre 1696, comme adjudicataire des biens de Michel Gellée~. La propriété couvrait alors 7 arpents environ et tenait d'une part à Mme Brisard, de l'autre à M. Fleury, par derrière à Dalibert3. Là s'arrête la filiation directe. Mais on reconnaît aisément la maison dans celle déclarée le 2 novembre 1645 par Pierre Midorge, bourgeois, donnant sur la rue de Clignancourt à la Chapelle, couvrant aussi 7 arpents, appelée « le Clos-Badaire )) à cause d'un propriétaire antérieur et tenant d'un côté <K< sft~MCMf de Clignancourt (Julien Brisard), de l'autre à Louis de Nieslé (page 314), par derrière à Dalibert~.

La maison de Nieslé étant aux environs du 97 de la rue Marcadet, celle-ci doit se trouver à l'emplacement du 99 et ses tenants prouvent que la famille Brisard possédait le 101, faisant le coin SK<M< du carrefour, comme on l'a déjà mentionné (page 306). Charles-Antoine Bertinazzi, dit Ca~tM, était né à Turin le 2 décembre 1710, avait quitté la carrière militaire pour le théâtre et avait été appelé en 1741, par les ac<eurs de la Comédie italienne, à Paris, où il avait eu de suite le plus grand succès dans le rôle d'Arlequin. Il avait été naturalisé en 1745. Le 14 juin 1760, il avait épousé à SaintEustache sa camarade Françoise-Suzanne Foulquier, fille d'un musicien de la Comédie et née à Nantes le 28 mai 1740. Il avait donc trente ans de plus qu'elle. Elle dansait dans les ballets et jouait sans grand talent les rôles de soubrette. On lui prête une intrigue, en 1763,

i.Arch.nat.,S4474.8.5 v°.

2. Ce Michel Gellée, plâtrier, avait une autre propriété à Clignancourt, également adjugée à Bidus, et qui devint l'hôtel Labat (71, rue Marcadet) cf. Sellier, p. 298 et suiv.

3. Arch. nat., S 4474, fol. 26 S 4472, fol. 194 ro S 4498, fol. g8i etloiv°.

4. Arch. nat., S 4497, fol. 151 r°.


avec l'ambassadeur de Hollande. Elle reçut sa retraite dès 1769, tandis que son mari joua jusqu'en 1783. Il mourut le 6 septembre de cette année-là, dans sa maison de la rue des Petits-Champs, et fut enterré à Saint-Roch.

C'était un parfait honnête homme, ami d'enfance du pape Clément XIV et intime de d'Alembert, lequel se chargea de la pension d'une de ses filles, qui était aveugle. Bertinazzi a fourni, dit-on, à son ami Goldoni le type du Bourru &MM/aMa;Mi'. De son mariage étaient nés de nombreux enfants, dont un fils et trois filles survécurent à leur père. Quant à sa femme, elle avait, dès le 28 septembre 1774, devant Lafresnaye, revendu sa maison de Clignancourt, pour 13 ooo livres, à Pierre Bonhomme, bourgeois Après son veuvage, le 7 juillet 1787, devant Duclos-Dufresnoy, elle céda pour 30 ooo livres à Jeanne-Marie-Bemard Mercier, fille majeure, le bail emphytéotique d'une maison de la Chaussée-d'Antin, acquis par elle, devant Chavet, le 21 avril 1776, de l'architecte Brongniart; cette maison tenait par derrière à l'hôtel de Montesson 2. Elle émigra en 1793 et on ignore la date de sa mort s.

Enfin, il est une autre propriété de Clignancourt dont les actes parlent souvent, dont le nom a été accolé à celui de personnages notoires et dont l'histoire se rattache à celle d'une des seigneuries du lieu. C'est la maison de la Tuilerie, située entre Montmartre et Clignancourt, du côté occidental de la rue du Mont-Cenis, à l'emplacement du carrefour des rues Caulaincourt et Francœur. La Tuilerie. Cette maison remplaçait une ancienne tuilerie et appartenait, vers 1580, à Jean Doujat, notaire au Châtelet, gendre de Germain Fallaize (page 30~). Mort vers 1583, il a laissé un fils, Jacques, propriétaire avant 1636 du fief Turquan (page 307), et une fille, Geneviève, mariée à Simon I' Moufle, notaire au Châtelet*. En 16~.5, Jacques Doujat, secrétaire du roi, est propriétaire du tiers d'une maison et jardin, couvrant 2 arpents, dont les deux autres tiers appartiennent à Louis Moufle et à Marie Guillebon, veuve de Philippe Mouillard. Elle est située au lieu dit la Tuilerie, entre Montmartre et Clignancourt, tient d'une part à Moufle, d'autre à la veuve Mouillard, par derrière à la ruelle des Saulsayes (rue des Saules), par devant à la rue tendant de Montmartre à Clignancourt (rue du Mont-Cenis). Cette part lui vient de la succession de feu Jean Doujat, notaire, son père~. C'est la parcelle D du croquis 20.

i. Arch. nat., S 4476, fol. iog v°.

2. Arch. nat., S 1246, p. 397.

3. Campardon, la 7'~OM~'e italienne, I, p. 42-60. 4. Celui-ci a exerce de 1604 à 1638.

g. Arch nat., S 4481, fol. 331.


Jacques Doujat est aussi propriétaire, au sud du lot précédent, d'un grand terrain (E du croquis), qu'il laissera en 1666, avec le fief Turquan, à sa fille Françoise, épouse de Jean Scarron, seigneur de Mandiné (page 312).

En même temps que Jacques Doujat, Louis Ier Moufle, procureur aux Comptes et secrétaire du prince de Condé, déclare le second tiers de la Tuilerie, qu'il détient par sentence de licitation du Châtelet du 30 mai 16~6, rendue entre lui, son père Simon Ier Moufle, ci-devant notaire (il a résilié en 1638), et ses frères Simon II, Léon et Benjamin Moufle

Enfin, Marie Guillebon, veuve de Philippe Mouillard, marchand drapier, déclare le troisième tiers de la Tuilerie, qu'elle tient de Louis ,Moufle; mais elle a augmenté ce tiers d'un arpent et demi, acquis du seigneur de Clignancourt et de Jean Bourdin. Sa propriété tient au nors aux terres de Brisard, mais s'étendra par la suite jusqu'à la rue Marcadet (C du croquis)

Le 2 juin 1666, devant Guichard, les trois frères Louis 1er, Simon II et Benjamin Moufle (Léon a dû mourir dans l'intervalle) achètent aux Scarron, héritiers de Jacques Doujat, le fief Turquan (page 312). Le même jour, Simon II et Anne Guillemot, sa femme, achètent aux Scarron, en leur propre nom, la propriété située au sud de la Tuilerie (E du croquis).

En 1669, le territoire de Clignancourt entre dans la censive de l'abbaye de Montmartre (page 309) et, en 1698, de nouvelles déclarations au terrier de celle-ci nous font connaître, pour la Tuilerie, une autre couche de propriétaires.

Le 20 juillet 1698, Jacques Moufle, trésorier général des ponts et chaussées, déclare une maison et jardin, dite la Tuilerie, tenant d'une part à Simon III Moufle, notaire et ancien échevin~, ayant les droits de Louis Moufle, son père, qui avait ceux de Simon 1er Moufle et Geneviève Doujat, d'autre part à une ruelle conduisant à la grosse pierre de la fontaine du Buc (rue Saint-Vincent), par derrière à la ruelle des Saussaies, par devant au chemin de Montmartre à Clignancourt (E du croquis). Il la déclare en son nom et au nom de ses cohéritiers dans la succession d'Anne Guillemot, sa mère, veuve de Simon II, qui l'avait acquise de Jean Scarron et Françoise Doujat, devant Guichard, le 2 juin 1666 Françoise Doujat était héritière

t. Arch. nat., S 4481, fol. 332. Simon II, successeur de son père en 1638, fut notaire jusqu'au 9 janvier 1672. Benjamin acheta en 1647 la charge de Mathieu Soudée et exerça jusqu'au 19 décembre 1690. Il fut notaire de M "M de Sévigné et eut pour successeur son neveu Louis II (1679-1690). 2. Arch. nat., S 4481, fol. 333.

3. Il exerce du 21 novembre 1664 au 31 mars 1706.


de Jacques, son père, héritier lui-même de Jean. Dans la déclaration est compris le tiers d'une maison et de deux arpents de terre, dont les deux autres tiers appartiennent à Simon III Moufle et au sieur Alexandre (D du croquis)

Le 19 mai 1698, Simon III Moufle déclare le tiers de la maison mitoyenne en termes beaucoup plus succincts. Elle est située au lieu dit la Tuilerie, tient à Jacques Moufle et à Alexandre, par derrière à la ruelle des Saussaies, par devant à Alexandre encore, « ayant la sortie de la porte sur le carrefour de la Tuilerie )).

Enfin, le 21 juin 1698, Claude-François Alexandre, premier commis du ministre Barbezieux, et Catherine Héron, sa femme, déclarent être propriétaires, du chef de celle-ci (petite-fille de Mme Mouillard), d'une maison entre Montmartre et Clignancourt, tenant d'une part (à l'est) au sieur Brisard, au chemin de Montmartre à Clignancourt (rue du Mont-Cenis) et aux ayants cause de Jean Bourdin, d'autre à la ruelle des Saussaies, d'un bout par haut au sieur Moufle (SimonIII) et au carrefour de la Tuilerie, d'autre par bas au chemin de Clignancourt 3. Il semble bien que ce dernier chemin soit la rue Marcadet et qu'Alexandre soit propriétaire de la majeure partie du lot C du croquis.

Le plan de Roussel, en 1730, montre cette grande propriété, remplissant presque tout le terrain compris entre les rues actuelles Marcadet, du Mont-Cenis, Saint-Vincent et des Saules, et rejoignant obliquement la rue du Mont-Cenis derrière la maison Roussel. Il montre également sa division en trois lots.

On n'a pas retrouvé, dans les registres d'ensaisinement de l'ab-

baye 4, où les identifications sont souvent malaisées, la suite des propriétaires du lot E. On sait seulement, par les tenants du lot D, qu'il est encore en 1720 à un Moufle, en 1745 à un sieur Loutre, en 176~ à un sieur Chappé. On est mieux renseigné sur les lots D et C. Lot D. Le 27 mai 1708, devant Durand, Simon III Moufle cède sa propriété, dont il s'est rendu adjudicataire par sentence de licitation du 31 décembre 1697, rendue entre lui et ses frères, Louis II et Barthélemy à son fils Jean-Baptiste, époux de Catherine Rocheron,

i. Arch. nat., S 4434-4435, 4e liasse, Terrier de 1696, fol. 169 r°. 2. Arch. nat., S 4434-4435, 4~ liasse, Terrier de 1696, fol. 163 r°. 3.1bid.,fol.i68v°.

4. Arch. nat., S 4466 à 4476 les années 1699 à 1710 manquent. 5. Arch. nat., S 4472, fol. io8 r°. Ce dernier frère de Simon III, Barthélemy Moufle, qui s'intitule dans tous les actes « Moufle de la Tuilerie », fera une fortune énorme. Le 15 décembre 1725, il achète pour 600 ooo livres la charge de trésorier général de la Marine, qu'il revendra, en 1743, pour 800 ooo livres, à son frère Louis II, sieur de Gerville. Le 4 juillet 1733, il


qui la revend, le Ier juin suivant, devant Durand, à Charles-Louis Normand, conseiller au Parlement. Le 19 août 1710, devant Roussel, ses deux enfants, Élisabeth-Françoise et Alexandre-Roland Normand, la revendent, pour 3 ooo livres, à Sébastien de Saint-Julien, orfèvre elle tient toujours à Jacques Moufle et à Alexandre~. Le 16 février 1720, devant Bapteste, Saint-Julien revend pour 16 oôo livres (on est en plein agiotage) à Louis Roland, sieur d'Aubreuil, qui revend, le 28 août, devant Ballot, au même prix, à Eustache-Georges Le Prince, agissant pour Angélique d'Albret.

Le 12 septembre 1722, devant Pillon, celle-ci cède la maison, pour 12 ooo livres, à François de la Bos-Dupré, qui en passe déclaration à Jean Bonnaire, maître boucher, dont le fils revend, en novembre 1745, devant Le Cours, pour 3 500 livres seulement, à Claude-Joseph Halbou elle tient alors à Richer (au nord) et à Loutre Saisie sur Halbou, marchand mercier, et sa femme, elle est adjugée, par sentence des requêtes du Palais du 4 juillet 1758, moyennant 6 100 livres, à Jean-Julien Langlois, procureur de la capitainerie de la Varenne du Louvre, qui la revend le 12 juin 1765, devant Prignot de Beauregard, pour 8 ooo livres, à André-Joseph Tack; elle tient alors au comte de Jaucourt (au nord) et au sieur Chappé3. Lot C. Après la mort d'Alexandre, premier commis de Louvois, puis de Barbezieux, cette propriété revient à sa veuve, Catherine Héron, qui la tient moitié du chef de ses père 'et mère, moitié par achat de son mari à ses cohéritiers. Le 21 juin 1714, devant Mesnil, elle et ses enfants la vendent, pour 7 000 livres, et comme couvrant 6 arpents, à Thomas-Florent Croquet, qui achète de nombreuses terres aux environs4. Suivant partage du 10 mai 1730, devant Blanchard, la propriété échoit à sa veuve, Claude Tournay, qui la déclare

acquiert, pour 140 ooo livres, l'hôtel portant le n° 16 de la place Vendôme, marie sa fille, en 1745, au marquis de la Saône et meurt en 1753 (voir notre étude sur la Place P~M~M~M). Il est propriétaire à Boulogne d'une grande maison, rue de la Procession, tenant à la place du Parchamp, près de l'Église, et couvrant environ 5 arpents, qu'il revend, le 6 avril 1739, devant Bapteste, à Claude-Nicolas Morel de Vindé, conseiller au Grand Conseil, et que celui-ci déclare le 3 juillet 1740 (Arch. nat., S 4442, 3° liasse). Cette maison passera à M'~ Coupée, puis à Joseph Thurin, suisse du duc d'Orléans, qui la vendra. le zo août 1760, devant Marchand, pour 24 ooo livres, à Françoise-Renée de Carbonel de Canisy, marquise de Ponderoy, veuve du comte de Forcalquier (Arch. nat., S 4474, fol. 16 r°).

i. Arch. nat., S 4472, fol. 5 v°.

2. Arch. nat., S 4472, fol. 107 v°, 137 v°, 161 v° S 4473, fol. 102 S 4475, fol. 102 r°.

3. Arch. nat., S 4474, fol. 12 v° S 4475, fol. 16 v°.

4 Arch. nat., S 4472, fol. 36 v° et suiv.


le 22 mars 1739~ et la vend, le 30 juin 17~0, devant Delafosse, pour 10 ooo livres, à Nicolas Richer, procureur au Parlement. Celui-ci la déclare à son tour le 13 août 1753 et la revend, le 2~ avril 1760, devant Maquer, pour 9 ~.oo livres et 700 livres de pot-de-vin, à PierreArmand, comte de Jaucourt qui augmente le jardin de 234 perches, acquises, le 31 mai 1765, devant Vivien, de Charlotte Neyret, petitefille d'Antoine Neyret (cf. page 312).

La mort de Pierre-Armand de Jaucourt fait passer la maison à son frère Jacques-Anne, qui la vend, le 13 décembre 1772, devant Raince, pour 22 000 livres, à François-Antoine Ruby, marchand fripier 4.

Les maisons Brisard et Ligier. Quant au manoir particulier de Brisard (G du croquis), acquis en 1702 par Antoine Neyret (cf. page 310), il a été vendu par celui-ci et par Marguerite Boussingault, son épouse, le 7 juin 1710, devant Perrichon, y compris le jardin de 2 arpents acquis en 1705 des Dames de Montmartre (page 311), à François Dupin, ancien syndic des rentes, et à sa femme, moyennant 6 ooo livres. Le is'' décembre 1719, devant de Mahault, au beau temps de l'agiotage, les Dupin le revendent, pour 25 000 livres, à Antoine de la Gombaude, bourgeois, plus tard fermier général, et à Jeanne Camaret, sa femme la propriété est dite couvrir 3 arpents 7 perches. Le ier décembre 1740, devant Daoust, Jeanne Camaret, devenue veuve, revend, pour 7 000 livres seulement, à Pierre Fleury, caissier de l'extraordinaire des Guerres, et à Anne-Marguerite Guérin, sa femme

On n'a pas relevé d'autres mutations. C'est sur l'emplacement de cette maison qu'a été ouverte, vers 1858, la rue du Manoir, ainsi nommée de la maison seigneuriale de Clignancourt (page 311) et devenue en 1863 rue Hermel, à cause d'un propriétaire, lors de son alignement et de son prolongement 2.

La porcelainerie. Dans tout ce qui précède, il n'a été question qu'une fois du coin sud-ouest du carrefour (n° 103 actuel), qu'on a cru pouvoir identifier avec la maison du notaire Roussel, en 1645 (page 313), et qui dut être bâti très anciennement en raison de sa situation privilégiée. Cette ancienneté résulte aussi de la tourelle de colombier qu'on y voit encore et qui paraît antérieure au xvme siècle.

l. Arch. nat., 84434-4435, 5" liasse. Terrier de 1738, p. 22. 2. Ibid., cahier B, fol. 3 r°, et S 4473, p. 13.

3. Arch. nat., S 4474, fol. 21 v°.

4. Arch. nat., S 4439, 5e liasse, et S 4476, fol. 70 v°. g. Arch. nat., S 4472, fol. 96 r°, et S 4473, fol. 22 r°. 6. Sellier, p. 270.


Elle prouve qu'il y avait là un logis important, se donnant, lui aussi, des airs de seigneurie. La maison de Roussel est dite tenir d'un côté à Michel Bourdin (vers S du croquis) et par haut au seigneur de Clignancourt (T du croquis).

On trouve, en effet, dans le cueilleret du fief Turquan, commencé en 1586, une déclaration de Jean Bourdin, maître apothicaire, et d'Antoine Dupuis, valet de garde-robe de la reine Marguerite, pour une maison couvrant i arpent et demi, acquise par eux des héritiers Bourdin, devant Contesse, le 16 juillet 1613, et tenant d'une part au chemin de Clignancourt à Montmartre (rue du Mont-Cenis), d'autre part et d'un bout par haut au seigneur de Clignancourt, d'autre bout par bas au carrefour dudit lieu 1. Cette maison a bien l'air de correspondre à celle de Roussel. On a vu, en 16~.5, Marie Guillebon, propriétaire du tiers nord de la TMt~M (vers C du croquis), s'étendre vers la rue Marcadet par des achats au seigneur de Clignancourt et à Jean Bourdin (page 318), et, en 1765, son successeur de Jaucourt s'étendre aussi par un achat à Charlotte Neyret, petite-Slle d'Antoine, acquéreur des Brisard (page 321).

Au début du xvme siècle, l'ancienne maison Roussel doit a.ppa.rte-

nit à Léon Glasser, marchand de vin, et à Geneviève Paysan, sa femme. En effet, le 30 décembre 1751, devant Deruelle, Pierre-François Barré, prêtre, vend, pour 7 ooo livres, à Anne Jacquin, veuve de Thomas Barré, marchand boucher, une maison sise à Clignancourt, « sur la place <~M carrefour, faisant encoignure sur la ruelle qui conduit à Montmartre », comprenant des bâtiments, bergerie et jardin, le tout couvrant 2 arpents elle lui est échue, par partage, devant Gillet, du 28 avril 1739, sur la succession de son père, Antoine Barré, qui l'avait acquise, le 6 mars 1707, de Léon Glasser, marchand de vin, et de Geneviève Paysan, sa femme

Le 12 mai 1767, devant Clos, Anne Jacquin, veuve de Thomas Barré, revend, pour 7 000 livres, la maison précédente, décrite de la même manière, à son gendre Pierre Deruelle, architecte l'ayant acquise, le 30 décembre 1751, devant Deruelle, de Pierre-François Barré, elle l'a vendue, le 20 avril 1758, devant Deruelle, à Philippe Le Reboulet mais elle est rentrée en possession par sentence du Châtelet du 27 janvier 1767, résiliant la vente précédente, sans doute pour défaut de paiements.

Or, cette maison n'est autre que la « Porcelainerie de Monsieur », établie là, en 1771, et peut-être avant, par Pierre Deruelle, qui agran-

i. Arch. nat., S 4479, fol. 277.

a. Arch. nat., S 4473, fol. 222 v°.

3. Arch. nat., S 4475, ici. 75 v°. Cité sans références par M. Mauzin T''M!M'-Mo}:<<M)' 1922, p. 79, note.


dit son usine en acquérant, le 8 août 1775, devant Arnoult, du sieur Baldoureaux, marchand de vin, et de Geneviève Lécuyer, sa femme, moyennant 5 ooo livres, une maison sise à Clignancourt, dans la Grande-Rue 1, maison qui doit correspondre au io5 de la rue Marcadet.

Trétaigne prétend que la porcelainerie de Clignancourt, qui n'a fermé définitivement qu'en 1803, se trouvait à l'emplacement de l'immeuble portant, de son temps, le 35 de la rue Saint-Denis 2, que Sellier identifie avec le 53 de la rue du Mont-Cenis~, dont M. Mauzin a raconté l'histoire en remontant jusqu'à la veuve Barré 4. Mais aucun n'a dit nettement que le clos de la porcelainerie occupait tout le coin sud-ouest du carrefour et que, si l'entrée principale du dernier lot important qui en restait, après morcellement, se trouvait au 53 de la rue du Mont-Cenis, elle ne devait pas être là précédemment, ce point correspondant à l'extrémité méridionale du clos. Il semble qu'elle se trouvait au 61 actuel. Vendue par Deruelle à son gendre Moitte le 28 juillet 1792, la propriété passa, le 5 fructidor an VIII, au sieur Caillois, le 22 floréal an XI au sieur Robit et le 26 juillet 1808 au sieur Bertrand, qui, en 1816, vendit la maison d'angle, portant la tourelle, au sieur Componet, puis le reste, le 14 août 1818, au sieur Douillon. Ce dernier revendit ce reste, le 9 octobre 1828, à Mme Tardieu, dont les héritiers le possédaient encore lors de sa disparition, vers 1895.

Parmi les habitants de Clignancourt, on n'a rencontré qu'un nom de grand seigneur, celui de Louis-Augustin de Canouville, comte de Raffetot, qui a acquis avant 1720 une toute petite maison rue Marcadet, laquelle entrera plus tard dans la formation de l'hôtel de Trétaigne (emplacement du 112) 5. Poursuivi par les Dames de Montmartre pour le paiement des droits de lods et ventes, se montant à 600 livres, il cède la maison, le 18 juillet 1722, à son fils Charles-LouisJoseph-Alexandre, marquis de Raffetot, qui, le 16 février 1725, verse un acompte de 300 livres à l'abbesse Marguerite de Rochechouart 2, mais voit la maison saisie et adjugée au Châtelet, le 3 mars suivant, pour 5 ooo livres, au boucher Jean Chévenot.

Il faut, enfin, mentionner pour mémoire le contrôleur des Guerres Jean Bidus (1694), le capitaine Jean-Baptiste de Beaucousin, de la garde du prince de Conti (1752), le chirurgien Pierre Brasdor (1782),

i. Arch. nat., S 4476, fol. 135 r°. 2. Trétaigne, p. 234-235.

3. CM~o~M, p. 312-313.

4. ~MM~-AfoM<M!N!y~, 1922, p. 77 et suiv. 5. Sellier, p. 277.

6. Copie du reçu en notre possession.


prédécesseurs de la famille Labat au 71 de la rue Marcadet, dont Sellier a raconté l'histoire et que Brasdor fit augmenter 1. Conclusion. En résumé, la seigneurie de Clignancourt doit être nettement distinguée des fiefs qui en dépendaient. Restée à l'abbaye de Saint-Denis jusqu'en 1369, passée alors à Jacques Ligier, puis à ses descendants, récupérée en 1666 par l'abbaye de Saint-Denis et vendue en 1669 à l'abbaye de Montmartre, elle est demeurée à celle-ci jusqu'à la Révolution. Le fief Harent, Turquan ou de la Fosse-Turquan, l'arrière-fief Le Maçon, Pommereux ou Graville sont des entités féodales fort différentes de la précédente, ne comportant pas de pouvoirs de justice, mais seulement des droits fonciers, s'acquérant comme de simples propriétés rurales et changeant fréquemment de titulaires. Les qualités dont se parent ceux-ci, à une époque où tout le monde veut se donner des airs de noblesse, ne doivent pas faire illusion et entraîner leur assimilation aux vrais suzerains du terroir.

Les maisons seigneuriales des petits potentats du lieu se groupent au centre du village, autour du croisement des rues Marcadet et du Mont-Cenis. Le manoir du seigneur justicier de Clignancourt, remplaçant probablement l'antique villa mérovingienne qui a donné son nom au site, est au coin nord-est. A côté est la maison des Brisard. Le manoir de Jacques II Ligier, peut-être ancienne maison d'Isabelle de Fontaine-Archière (pages 301 et 302) est au coin sud-est. En face est la maison des Doujat, peut-être d'abord des Turquan, dite, au XVIIe siècle, la Tuilerie. L'angle nord-ouest est occupé par une petite place, toujours existante, où s'érige l'orme seigneurial, mentionné au xve siècle et figurant encore sur un plan du xvme. Possédant un colombier, un pressoir banal et, le cas échéant, une geôle, ces maisons sont, à l'origine, le tribunal du seigneur et la recette où il perçoit le cens. Dès le xvie siècle, ce ne sont plus que des fermes ou des demeures d'agrément.

Autour d'elles, ou sur leurs emplacements, s'édifient, au xvn~ siècle, les habitations de bourgeois aisés, les Plastrier et les Boileau, les la Planche et les Niesié, le financier Dalibert, le capitaine Beaucousin, le chirurgien Brasdor, les notaires Roussel, Prieur, Le Roux, l'innombrable dynastie des Moufle, tous gens que leurs affaires retiennent à Paris et qui viennent goûter la paix des champs, le dimanche au printemps, plus longuement en été, à une heure de carrosse de la capitale, comme ils iraient aujourd'hui passer leur :oM~'s end en automobile à Deauville ou au Touquet. Gens paisibles et sachant compter, moins attirés par les cimes de la colline de Mont-

i. Sellier, p. 298 et suiv. Plans et élévation de la maison Brasdor, Arch, nat.,N~ Seine 1172.


martre, encombrée par son abbaye, creusée par ses carrières et inaccessible aux lourds véhicules du temps, que par cette plaine tranquille et verdoyante, où la rêverie reste au ras du sol et où les cultures paient l'entretien de la villa.

Clignancourt garde cette physionomie pendant tout le xvins siècle et le premier quart du xixs, jusqu'à ce que le flot envahissant de la grande ville, ayant escaladé la butte, vienne à son tour le submerger. Maurice DUMOLIN.

L'HOTEL DE LA BARRE-DU-BEC

Dans la nuit du 28 au 29 mai ]:i8, grâce à la complicité de Perrinet Leclerc, qui leur ouvrit la porte de Saint-Germain-des-Prés, les Bourguignons, sous la conduite de L'Isle-Adam, rentrèrent à Paris, où les Armagnacs dominaient depuis quatre ans. Se précipitant dans la ville plongée dans le sommeil, ils se répandirent rapidement un peu partout, arrêtant les principaux officiers du connétable d'Armagnac quant à celui-ci, il avait disparu. Faisant irruption dans l'hôtel Saint-Pol, ils se saisirent du roi, mais ne purent mettre la main sur le dauphin Charles. Aux premiers bruits de l'entrée des envahisseurs dans la ville, le prévôt de Paris, Tanguy du Chastel, avait compris l'inutilité de la résistance. Il venait de licencier quatre cents hommes d'armes employés à la garde de la ville et dont les bourgeois avaient récemment refusé de payer la solde. Réunir une troupe suffisante pour arrêter l'attaque bourguignonne? Il ne fallait pas y songer pour le moment la surprise avait trop bien réussi le temps manquait pour se ressaisir. Aussi courut-il à l'hôtel du Petit-Musc, où logeait le dauphin, et, l'enveloppant en hâte dans une couverture, l'emporta à la bastille Saint-Antoine, au travers des jardins de l'hôtel Saint-Pol, aidé de quelques familiers du prince, Robert Le Maçon, Frotier, Guillaume d'Avaugour, Batailler et Pierre de Beauvau. Ce hardi enlèvement n'avait pu être exécuté que grâce à la rapidité d'exécution du prévôt de Paris et aussi à la relative proximité de l'hôtel où il demeurait.

Dans son Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, Sauvai nous dit que le prévôt de Paris, Tanguy du Chastel, possédait deux hôtel à Paris l'un situé rue des Deux-Portes, nommée aussi rue Galiace, à l'angle de la rue de la Verrerie (à l'opposite de l'emplacement occupé de nos jours par le bazar de l'Hôtel-de-Ville) 1. Cet hôtel

i. H. Sauval, .Ht.s~oM'e et recherches des antiquités de la ville de Paris. Paris, i72~in-foI.,t.II,p.i~8.


avait appartenu autrefois à Raoul Rousselet, évêque de Laon et de Saint-Malo, puis à Jean Rousselet, archidiacre de Reims, et enfin à Arnaud de Corbie 1. L'autre, sis en la rue de la Barre-du-Bec, n'aurait été autre que l'hôtel ayant appartenu aux abbés de l'abbaye bénédictine normande du Bec-Hellouin 2.

Cette double possession de Tanguy du Chastel nous est confirmée par deux extraits du registre terrier de la ville de Paris, refait en i-j.37 sur celui de 1391~ « Messire Tanneguy du Chastel pour sa maison ensuivant, louages, cours et jardins, étant en la dicte rue de la Verrerie, qui fut à Me Jehan Rousselet, depuis au comte d'Auxerre et depuis à messire Regnault de Corbie, chancelier de France, pour tout le dit, aboutissant par derrière à l'hôtel de la reine Blanche, 5 d. p. » t( [Traversés la dite rue des Billettes et prenes l'autre coin de la dite rue en descendant]. Messire Tanneguy du Chastel, chevalier, pour sa maison en la dite rue de la Barre-du-Bec, qui fut à l'abbé du Bec, et pour le jardin, pour ce. 3 d. p. » Il est certain que ce fut de l'un de ces deux hôtels que Tanguy du Chastel, aux premiers bruits de l'entrée bourguignonne, partit pour sauver le dauphin. Quel fut son itinéraire pour arriver à l'hôtel du Petit-Musc? Il semble que ce fut par les rues de la Verrerie, du Roi-de-Sicile et des Ballets en effet, par ces rues non encore troublées par l'émeute, il pouvait arriver assez rapidement à l'hôtel du dauphin et l'emporter avant l'envahissement par les Bourguignons de l'hôtel Saint-Pol. Seul l'hôtel de la rue de la Barre-du-Bec nous retiendra aujourd'hui. Cette rue, dont le nom a persisté dans la topographie parisienne jusqu'au milieu du xixe siècle, se trouvait sur l'emplacement actuel. de la rue du Temple. Faisant suite à la rue des Coquilles, comprise entre les rues de la Tixanderie et de la Verrerie, elle était elle-même prolongée, à partir des rues Saint-Merry et Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, par la rue Sainte-Avoye 4. L'origine du nom de cette rue a été fort discutée. Suivant Sauvai, trois maisons, sises dedans, auraient pu le lui donner. C'était soit une maison appelée en 1273 « domus de Barra )) ou maison de la Barre, soit une autre appelée au xvie siècle la maison de la Barre-du-Bec et appartenant au président de Boulencourt, soit enfin l'hôtel des abbés du Bec-Hellouin Dans son étude sur la maison du Temple de Paris, M. de Curzon pensait

i. Arch. nat., M 141, n~ 7 A, 16, 17 A.

2. Sauvai, o~. cit., t. II, p. 269, et t. III, p. 305.

3. BiM. nat., ms. fr. 8611. Papier terrier de la ville de Paris, renouvelé en ~437, sur celui de 1391, en la Chambre des comptes et la Chambre des domaines, fol. 36 r° et 38 v°.

4. Jaillot, Recherches critiques, historiques et <o~o~a~~Mes sur la ville de Paris: t. IV Quartier Sainte-Avoye. Paris, 1773, in-8°, p. 9. 5. Sauvai, o~. cit., t. I, livre II, p. ïi3.


que le nom de cette rue venait de la maison de la Barre et qu'on y avait ajouté le nom des abbés du Bec, qui avaient un hôtel dans la rue~. Or, en réalité, il semble bien qu'on ait donné trois noms à la même maison. En effet, dans un accord passé en 1273 entre Philippe le Hardi et le chapitre de Saint-Merry au sujet de la censive du dit chapitre, il est dit que celle-ci s'étend en « une terre au delà du carrefour du Temple devant la maison de la Barre, qui fut la maison de Simon le Parisien et est maintenant propriété de l'abbé et du monastère du Bec ». Ainsi la maison de la Barre, à la fin du xnis siècle, appartenait déjà aux abbés du Bec, et il semble donc difficile de vouloir la différencier de l'hôtel appelé plus tard l'hôtel de la Barre-duBec. D'autre part, l'hôtel de la Barre-du-Bec, où habita le président de Boulencourt, faisait partie de la censive du chapitre de SaintMerry. Dans le censier de 1572, cette maison est ainsi désignée « Et encore leur dict fief [du chapitre Saint-Merry] s'estend de l'autre côté de la dicte rue Barre-du-Becq, sur une maison appelée l'hostel de la Barre, appartenant à la veuve et aux héritiers de feu Me Jehan Lhuillier, en son vivant sr de Boulencourt, président en la Chambre des comptes~, » Nous savons, d'autre part, que l'hôtel des abbés du Bec dépendait en 1478 de la censive de Saint-Merry~, et comme, d'autre part, il se trouve ainsi désigné en 1~.57 cc Maison de la Barredu-Bec, sise en la rue de la Barre-du-Bec, appellée l'hôtel du BecHellouin 5 », il est difficile de supposer qu'il ait existé trois maisons différentes, portant toutes trois le même nom, situées dans la même rue et faisant partie de la même censive. Il est plus vraisemblable qu'il n'y eut qu'une seule maison, appelée maison de la Barre, puis de la Barre-du-Bec et enfin de la Barre-du-Bec-Hellouin ce fut elle qui donna son nom à la rue. Cette vraisemblance est confirmée par le nom de rue du Tort, du Bec recourbé, que Guillebert de Metz donnait à la fin du xive siècle à la rue de la Barre-du-Bec 6. Cet hôtel se trouvait aux n°s 14 et 16 de l'actuelle rue du Temple. Notons à ce sujet une légère inexactitude du marquis de Rochegude. Ce dernier

i. Curzon, la Maison du 7'~M~/e de Paris. Paris, 1898, in-8°, p. 313. 2. Abbé Baloche, l'Église Saint-Merry de Paris. Paris, 1911, in-8", t. II, appendice D, p. ~88-~89. Cet accord était déjà cité par Sauvai, o~. cit., t. I, p.113.

3. Arch. nat., S 916 B, fol. 50.

4. Ibid., fol. 23 r°.

5. Arch. nat., M 101. En 1435, nous la trouvons appelée « domus vulgariter Barra de Becco-Helluyni » (Arch. nat., S 6357).

6. Leroux de Lincy, Paris et ses historiens aux XIVe et XVe siècles (Histoire générale de Paris, collection de documents). Paris, 1867, in-fol., p. 214. H. Legrand, Paris ~M ~<S'o (Histoire générale de Paris, plan de restitution). Paris, 1868, in-fol., texte p. 65 et plan.


plaçait l'hôtel du Chastel au 21 de la rue du Temple et l'hôtel de la Barre-du-Bec aux n°s 14 et 16 Or, le terrier de 1~.37 déjà cité montre bien que ces deux hôtels n'étaient en réalité que le même. Un autre document le désigne ainsi « Hostel contenant deux pignons de pierre de taille, avec un petit appentis, assis en la rue de la Barre-du-Bec, appelé l'hostel du Bec-Hellouyn, qui fust et apparteinst à messire Tanneguy du Chastel » Au xve siècle, cette maison tenait, d'une part, à une ruelle qui a disparu de nos jours, mais dont on peut refaire le tracé en passant par le square de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. En entrant dans ce square par la rue des Archives et en regardant du côté de la rue du Temple, on voit une coupure dans l'ensemble des maisons; cette coupure, occupée actuellement par des cours entourées de murs, part du 16 de la rue du Temple et aboutit au square Sainte-Croix. Au xviii~ siècle, cette ruelle avait disparu Sauvai dit « Cette ruelle est bouchée et il y a du bâtiment dessuss. » Déjà, au xve siècle, des constructions l'avaient transformée en passage couvert il est, en effet, fait mention à cette époque d'un comptoir établi sur cette ruelle et appartenant à Georges Delamer, marchand, et à sa femme' Cette ruelle, appelée rue Dorée et aussi ruelle allant à Sainte-Croix, fut-elle plus tard le cul-de-sac Sainte-Croix? C'est peu probable, car au xviii~ siècle ce cul-de-sac existait encore 6 et la rue Dorée est donnée comme bouchée. Vers la rue de la Verrerie, l'hôtel de la Barre-du-Bec tenait à une maison du curé de Saint-Nicolas-des-Champs et aux dépendances de l'hôtel de Pierre de Canteleu maître en la Chambre des comptes et futur trésorier des guerres en Languedoc'. L'hôtel de Pierre de Canteleu, sis rue de la Verrerie, ne formait pas l'angle de cette rue et de la rue de

i. Marquis de Rochegude, Promenades à travers toutes les rues de Paris. IVe arrondissement. Paris, 1918, in-8", p. u8.

2. Arch. nat., M 101.

3. Sauvai, op. cit., t. III, p. 305.

4. Arch. nat., S 6357, pièce non cotée. La maison de Delamer, sise de l'autre côté de ce comptoir, tenait, d'autre part, à l'hôtel de Beuil; elle dépendait de la censive du Temple (Arch. nat., S 5586, fol. 52 S 6071 B, liasse 56, MM 135, fol. 52 v"). Le cens était de 45 sols parisis (S 6071 B, acte du 18 mai 1~64.). A cette époque, Georges Delamer était mort et sa femme occupait toujours la maison.

5. Arch. nat., 9*~ lOQo'O, fol. 52.

6. Arch. nat., S 6357, acte du 13 décembre 1414 acte du 28 janvier ï4.29 acte du 29 mars 1456.

7. Sur Pierre de Canteleu, voir Bibl. nat., PO 588 Canteleu, n°s 2 à 12. Sur ses débuts, cf. de Circourt, Louis d'Orléans, frère de Charles VI; ses enweprises en dehors du yoy<:MtMe. Bruxelles, 1889, 3 fasc. in-8° (extraits de la Revue des Questions historiques).


la Barre-du-Bec, occupé par la maison appartenant au curé de SaintNicolas-des-Champs il devait contourner cette maison pour revenir toucher à l'hôtel du Bec-Hellouin Par devant, l'hôtel de la Barredu-Bec s'étendait dans la rue du même nom sur une longueur de 26 perches trois quarts par derrière, il tenait aux jardins des Gentien et des Baillet. Il comprenait deux pignons sur rue, avec un petit appentis sur la porte, deux grands corps de bâtiment, cour, jardin, étables, issue sur la rue Dorée et puits, etc. Sauf le Simon de Paris, cité dans l'accord de 127~, on ne connaît pas les propriétaires de l'hôtel de la Barre-du-Bec avant l'abbaye du Bec-Hellouin. Possesseurs de biens importants à Paris et aux environs, à Liancourt, Appegard, Vitot, le Tronc, etc. les abbées du Bec nommaient aux cures de Saint-Gervais et de Saint-Jean-en-Grève~.

Ils possédèrent cette maison dès le milieu du XIIIe siècle. Elle leur fut donnée en juillet 1259 par Étienne de la Porter Cette donation leur fut confirmée en novembre 12614. Avant d'appartenir à Étienne de la Porte, cette maison avait appartenu à Étienne Barbette 5, et la famille de ce dernier avait gardé quelques droits de cens sur cet hôtel, car au xiii~ siècle Jean, fils de Philippe Barbette, avait un cens en cette maison 6; il est probable qu'Étienne de la Porte continua à habiter l'hôtel de la Barre-du-Bec, appelé alors <! maneriumde Barra », jusqu'à sa mort, survenue avant 1271 en effet, lors de sa donation, il avait conservé sur sa maison un droit d'hospitation auquel il re-

i. Bibl. nat., ms. fr. 8611, fol. 38 ro « [Rue de la Verrerie.] Me Pierre de Canteleu, conseiller et Me des comptes du Roi, nostre sire, pour sa maison à deux pignons de pierre de taille, qui fust à Jehan Haudry, depuis à Arnoul le Bouchier, depuis à M. Jehan Berteault. Le curé de SaintNicolas-des-Champs pour sa maison. faisant le coin de la Barre-du-Bec. qui fut Vincent Lescuier, depuis Jean Gentien. a

2. Abbé Lebeuf, .H~OM'6 ville et du diocèse de Paris. Paris, 1872, in-8°, t. I, p. 368, note 2.

3. Abbé Porée, Chronique du Bec, publ. dans la Société de !'&M<otM Normandie. Rouen, 1883, in-8°, p. 78, note l, et Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 190, p. 1780.

/).. Bibl. nat., ms. lat. 1390~, fol. 55 vo.

5. Bibl. nat., ms. lat. 13905, fol. 55 vo. Cet Étienne Barbette pourrait être soit Étienne Ier, soit Étienne II. Cf. Ch. Sellier, le 0MS~Mf Barbette (Bibliothèque de la Société des Études historiques, fasc. II). Paris, 1899, in-8°, p. 10 et 13.

6. L. Cadier et C. Couderc, Ca~M~M~s de Saint-ll1Jerry de Paris (Mémoires de la Société de /M<otfg de Paris et de /e-~aMce, t. XVIII, année 1891, p. 165). Jean, fils de Philippe Barbette, mourut assassiné en 1261 (Ch. Sellier, o~. cit., p. 13).

7. Bibl. nat., ms. latin 13905, fol. 55 v°.


nonça en 1270~. Ce serait donc en 1271 qu'elle aurait été donnée en usufruit par les abbés du Bec à Simon de Paris, archidiacre de Vendôme Celui-ci dut habiter peu de temps cet hôtel, car, dans l'accord passé en l'église de Chartres entre Philippe III et Saint-Merry au sujet de la censive de celle-ci, nous trouvons mention de cette censive s'étendant « en une place devant la maison qui fut à Simon de Paris et étant alors aux abbés du Bec )) cette maison prit très rapidement le nom du Bec-Hellouin, car elle est ainsi désignée parmi les cens touchés par le chapitre de Notre-Dame de Paris4. En 1278, les chanoines de Saint-Merry remirent à l'abbaye du Bec tous leurs droits sur cette maison, sauf un cens de 12 deniers pour le fonds de terre Ce fut dans cette maison que les abbés du Bec établirent leur barre de justice, et par corruption le nom de barre de justice des abbés du Bec devint barre du Bec6 les mentions que nous possédons sur cette maison de la fin du xine siècle à la fin du xiv" siècle sont rares. Fut-elle louée ou toujours habitée par les abbés, nous l'ignorons. En 1328, nous trouvons encore une mention de cet hôtel « oultre le carrefour du Temple, à la Barre du Bec-Hellouyn, aboutissant par derrière à la rue Dorée' )).

En 1390, l'abbaye du Bec, désireuse de se libérer de plusieurs dettes, céda au collège de Dormans-Beauvais, fondé en 1370 par Jean de Dormans, évêque de Beauvais, et aux Chartreux de Vauvert les dîmes qu'elle touchait à Liancourt cette donation fut confirmée par un arrêt du Parlement du 16 juin 1~03~; en 1396, l'abbé du BecHellouin cédait à Jean Berteault, secrétaire du roi Charles VI, moyennant une rente annuelle de 40 livres parisis, l'hôtel de la rue de la Barre-du-Bec9. Jean Berteault possédait dans le quartier d'autres

i.AbbéPorée,o~.et~.et<.

a. Nous n'avons aucun renseignement sur ce Simon de Paris, qui n'est pas cité parmi les dignitaires de Chartres. Cf. L. et A. Merlet, les Dignitaires en l'église Notre-Dame de Chartres. Paris, 1900, in-8".

3. Abbé Baloche, l'Église Saint-Merry de Paris. Paris, 1911, in-8°, t. II, appendice D, p. ~88-~89.

Guérard, Cartulaire de Notre-Dame de Paris (collection des Documents inédits sur l'histoire de France, t. III). Paris, 1850, in-4°, p. 363 et 387 « In vico ad Turnum Templi ab oppositis domus de Becco-Hellyuni. » 5. Abbé Porée, o~. et p. cit. L. Cadier et C. Couderc, o~. cit., p. 238 < Item ont et prennent sus la maison de la Barre de l'abbaye du Bec, pour le fonds de terre, si comme elle se comporte, xu d. »

ô. Sauvai, Oj&. cit. L'abbé Lebeuf, moins affirmatif, parle d'un hospice (abbé Lebeuf, op. cit., t. I, p. 368, note i).

7. Curzon, op. cit., p. 313.

8.Arch.nat.,M85i,foI.i6-]:7.Cf.X'Ai~8o,fol.ii~.v<

Q.Arch.nat..Mo8,n<


maisons, entre autres celle sise rue de la Verrerie, qu'il devait vendre entre 1400 et 1405 à Pierre de Canteleu~, et qui n'était autre que la maison touchant à l'hôtel de la rue de la Barre-du-Bec. La cession des dîmes de Liancourt n'avait pas complètement libéré l'abbaye du Bec-Hellouin de ses dettes envers le collège de Dormans et les Chartreux. Encore débitrice envers eux d'une rente de 100 livres parisis, qu'elle ne pouvait leur payer, elle leur céda, en 1403, sa rente de 40 livres parisis sur l'hôtel de la Barre-du-Bec les Chartreux devaient avoir 12 livres et le collège de Dormans 28 livres Le 17 mai 1403, en l'église des Billettes, Guillaume, abbé du Bec, par l'intermédiaire de ses procureurs, faisait mettre les Chartreux et le collège de Dormans en possession de cette rente 3. Un arrêt du Parlement du mois de juin de la même année autorisait l'abbaye à hypothéquer son temporel pour terminer cette affaire4. Après cette cession, l'abbaye du Bec acheta une maison rue Saint-Jacques en 1407 s. Au moment de la cession de la rente de 40 livres parisis, l'hôtel de la Barre-du-Bec était habité par un certain Jacques Dupuis et sa femme. Étaient-ils propriétaires ou locataires?. Les documents sont muets à ce sujet je croirais de préférence à la seconde supposition en 1414, nous trouvons l'hôtel habité par un certain Gauvain Trente celui-ci, propriétaire de l'hôtel, car il est désigné « détenteur et propriétaire en saisine et possession », refusait de payer aux Chartreux et au collège de Dormans leur rente et ses arrérages. Une sentence du prévôt de Paris, Audry Marchand, en date du 13 décembre 1414, le mit en demeure de payer la rente et ses arrérages Nous ne savons s'il obtempéra à la sentence du prévôt de Paris, ni à quelle date il quitta l'hôtel. Le 20 février 1415, Audry Marchand était remplacé en sa charge de prévôt par Tanguy du Chastel. Descendant d'une vieille famille bretonne, ancien serviteur du duc d'Orléans et du duc d'Anjou, Louis II, qu'il avait suivi en 1400, lors de son expédition en Italie, le nouveau prévôt, né en 1360, était alors âgé de quarante-six ans. Entré au service du dauphin Louis, duc de Guyenne, par l'entremise du duc d'Anjou, il était beaucoup plus qu'un Armagnac, un serviteur de la maison

i. Bibl. nat., note i.

2.Arch.nat., 3. Ibid.

4. Arch. nat., 5. Arch. nat. beuf (op. cit., p

ms. fr. 8611, fol. 37 r°. Cf. Arch. nat., X~c gzB et p. 5, M 100, n° 2 S 6357, pièce non cotée.

XIA 1480, fol. 114 v°, et X'c SgD.

JJ 104, 310. Ce document a été cité par l'abbé Le368, note 2) mais celui-ci plaçait l'achat de la maison de

la rue Saint-Jacques à la date de ces lettres (juillet 1410) celles-ci mentionnent l'achat en 1407 et ne sont que des lettres d'amortissement. 6. Arch. nat., S 6357. Sur G. Trente, cf. L. Mirot, Études hte~MOMM. Paris, 1931.


d'Anjou Ce fut sans doute à cette époque qu'il vint occuper l'hôtel de la Barre-du-Bec, qu'il posséda jusqu'au moment où il quitta Paris, soustrayant le dauphin au duc de Bourgogne. Après cette date, l'hôtel fut confisqué comme bien d'Armagnac.

Non seulement l'hôtel lui-même, mais encore ses dépendances étaient pour les Chartreux et le collège de Dormans un sujet de litige l'hôtel acheté par Pierre de Canteleu à Jean Berteault tenait à l'hôtel de la Barre-du-Bec par une petite place, avec galeries. Cet endroit était-il compris dans la rente des 40 livres parisis les Chartreux et le collège de Dormans l'affirmaient. De son côté, Pierre de Canteleu soutenait que cette place avait été enlevée illicitement à son hôtel et en tout cas qu'elle n'avait jamais été comprise dans l'hôtel de la Barre-du-Bec, lors de l'établissement de la rente. Ce différend donna lieu entre les parties à un fort long procès, qui ne se termina qu'en 1425. Les demandeurs réclamaient 20 livres parisis d'arrérages de rente non payée par le défendeur, celui-ci moyennant 100 sols parisis de rente non amortie, qui furent rachetés contre 60 sous parisis, obtint leur désistement, et la place litigieuse fut laissée à l'hôtel de Canteleu Libérés de ce côté, les propriétaires malchanceux de l'hôtel de la Barre-du-Bec durent s'occuper sérieusement de leur immeuble, cause perpétuelle d'ennuis pour eux. Depuis la fuite des Armagnacs, en 1418, l'hôtel était resté inoccupé non entretenu, il était en fort mauvais état, et les Chartreux et le collège de Dormans songèrent à le faire mettre en criées. Celles-ci eurent lieu en 1425, et personne ne se présenta pour réclamer cet hôtel, si ce n'est Georges de la Mer et sa femme, pour leur comptoir, et le procureur du roi, qui déclarait que, cette maison ayant été confisquée comme bien d'Armagnac, le roi Henri VI devait en disposer comme bon lui semblerait. Malgré cette opposition, le prévôt de Paris remit l'hôtel aux Chartreux et au collège de Dormans, par arrêt du 3 janvier 1426~, et débouta définitivement le procureur du roi par sa sentence du 9 juillet de la même année' L'hôtel fut loué par la suite à un nommé Guillaume Rose et sa, femme, moyennant un loyer annuel de 28 livres tournois. Ceux-ci

i. Cf. A. Mirot, Vie politique de Tangtty du Chastel. Position des thèses soutenues à l'École des chartes par les élèves de la promotion de Tp~6. Paris, t926,in-8'p.n)i-io~.

2.Arch.nat.,M98.

3. Arch. nat., S 6357.

Arch. nat., S 6357. Longnon (Paris sous la domination anglaise (Docum.ents publiés par la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-deFrance). Paris, 1878, in-8°, CXXXV, p. 285) pensait que cet hôtel, compris dans les biens confisqués sur Tanguy du Chastel, avait été donné en 1~28 à Thomas Chantemode. Cette opinion est formellement contredite par les documents concernant l'hôtel de la Barre-du-Bec.


ne devaient pas y demeurer longtemps, car en 1429 l'hôtel était de nouveau inoccupé.

Peu après la fin de leur procès avec Pierre de Canteleu, sans doute en 1426, les Chartreux, pour qui cet hôtel ne représentait qu'une suite ininterrompue de déboires, vendirent leurs 12 livres parisis de rente à Pierre de Canteleu, qui devint ainsi propriétaire de l'hôtel avec le collège de Dormans. La communauté de possession ne devait pas plaire au premier ne pouvant toucher, par force majeure, sa part de rente, il dut penser qu'il lui serait préférable de demander le partage de l'hôtel.

Le 31 décembre 1428, Denis le Bonhomme, Robert de la Vieuville, Hugues de la Forest, maçons, et Robert Chauvin, charpentier, jurés, se rendirent à l'hôtel de la Barre-du-Bec pour voir s'il était possible de le diviser 1 leur avis ayant été favorable, Denis le Bonhomme, Robert Chauvin et Jean Dubois, couvreur, se rendirent à nouveau dans l'hôtel pour se rendre compte des réparations nécessaires. Leur expertise eut lieu le 28 janvier 1429 accompagnés de Jean de Blaru, aux lieu et place de Pierre de Canteleu et de Guillaume de Bailly, procureur du collège de Dormans, ils visitèrent l'hôtel de fond en comble et purent juger de l'état lamentable dans lequel il se trouvait. Leur rapport au prévôt de Paris montrait que cette maison tombait en ruines 2. Selon eux, il était dangereux d'y habiter. Les deux pignons sis sur la rue de la Barre-du-Bec étaient complètement pourris et leur chute était à craindre d'un moment à l'autre. Des infiltrations s'étaient produites dans les murs et les avaient tellement dégradés qu'il fallait les reprendre entièrement la toiture et les poutres, entièrement rongées, étaient à changer les escaliers étaient rompus les croisées privées des châssis des fenêtres les cheminées et leurs tuyaux ne pouvaient plus servir les planchers s'étaient soulevés en maints endroits et il fallait les refaire entièrement. Les communs et les écuries se trouvaient dans le même état de délabrement. Toutes ces réparations étaient évaluées à 400 1. p. On comprend que le dernier locataire, Guillaume Rose, n'ait pu rester longtemps dans cet hôtel. A la suite de cette expertise, le collège de Dormans et Pierre de Canteleu demandèrent que de nouveaux experts fussent nommés pour envisager de quelle manière le partage serait fait. Trois dixièmes de la maison devaient être attribués à Pierre de Canteleu et sept dixièmes au collège de Dormans. Au mois de mars 1430, les mêmes experts, auxquels s'était adjoint Robert de la Vieuville et Jean Morellet, charpentier, se rendirent de nouveau rue de la Barre-du-Bec

i. Arch. nat., S 6357. 2. Ibid.

3. Ibid.


pour déterminer d'une manière définitive le partage de l'hôtel. Ils décidèrent que celui-ci serait divisé de la manière suivante. Pierre de Canteleu devait avoir la cour et le jardin, le corps de maison où se trouvaient les étables au bout du jardin, les retraits auprès et le corps de maison situé entre les retraits et le grand corps de maison où se trouvait la cuisine, et la moitié du puits. Restaient pour le collège de Dormans les deux grands corps de maison donnant sur la rue de la Barre-du-Bec, l'autre moitié du puits et la sortie sur la rue Dorée. On devait élever entre les deux parties un mur d'un pied d'épaisseur les fenêtres seraient mises à la hauteur convenable pour empêcher les parties de se gêner mutuellement. Au milieu du puits serait placée une grille 1. Mais il y avait toujours des réparations à faire. Le collège de Dormans, trouvant celles-ci trop élevées, fit opposition Un nouvel examen de l'hôtel fait en avril de la même année confirma les précédents le collège de Dormans, refusant toujours de faire faire les réparations, Pierre de Canteleu entama contre eux un long procès Afin de se défaire de cet hôtel, le collège prétendit la rente mal assise et attaqua les héritiers Berteault; des lettres patentes d'Henri VI, de juin 1430, confirmèrent leur possession4. De son côté, Pierre de Canteleu faisait évoquer l'affaire devant le Parlement, qui, le 28 juin 1430, ordonnait l'appointement entre les parties la question n'était pas liquidée exaspéré, Pierre de Canteleu fit mettre en la main du roi les rentes que le collège possédait rue Bau doyer et rue de la Mortellerie; cette saisie ayant été levée en septembre 1431, Pierre de Canteleu demanda la saisie de la partie de l'hôtel appartenant aux écoliers et du reste de leur temporel. Cette saisie eut lieu et ce ne fut qu'en 1435 que le roi la leva~, ordonnant l'accord entre les parties, au sujet des réparations. Cette décision royale confirmait l'arrêt du Parlement du même mois, concluant dans le même sens6.

Pendant tout ce procès, et malgré son état de dévastation, il semble que l'hôtel ait été momentanément occupé par Jean de Blaru. Ainsi, en 1435, rien n'était encore fait, ni séparation, ni réparations. Nous ne savons plus rien de cet hôtel jusqu'en 1458. Le 29 mars de cette année, le collège de Dormans renonça définitivement à la possession de cet hôtel. La séparation avait-elle eu lieu entre temps? Peut-être, car nous trouvons présents à la renonciation

i. Arch. nat., S 6357.

2. Ibid.

3.Arch.na.t.,X'Ai~gi,fol.29r°. 4. Arch. nat., S 6357.

5. Ibid.

6. Arch. nat., XIA 1481, fol. 96 v°.


Guillaume de Canteleu, docteur en décrets Guillaume du Sollier, procureur de Jean de Canteleu Pierre Fournier, procureur d'Eustache de Canteleu, Jean Blaru et sa femme et de Marguerite de Canteleu 1 Jean Charpentier, procureur du chapitre de Saint-Merry, seigneurs censiers 2. Cette renonciation mettait fin à la possession de l'hôtel de la Barre-du-Bec par le collège de Dormans. Quelles allaient être les destinées de l'hôtel allait-il disparaître de la topographie parisienne? Non, car, ainsi que nous pouvons le voir, on le trouve habité à la fin du xve siècle et toujours appelé hôtel de la Barredu-Bec. Mais le souvenir de l'un de ses occupants, le célèbre Tanguy du Chastel, était demeuré si vivace que, même en 1478, on appelait encore l'hôtel de la Barre-du-Bec l'hôtel « qui fust à messire Tanguy du Chastel3 ».

Albert MIROT.

III

BIBLIOGRAPHIE

Abbé Jean REBUFAT, Histoire de la paroisse Saint-Lambert de Vaugirard. Chez l'auteur, 200, rue Lecourbe, Paris, 1930. i vol. in-8 jésus, 380 p., nombreuses illustrations.

Si l'église Saint-Lambert, construite de 18~0 à 1853 par l'architecte Naissant, n'offre pas un bien grand intérêt au point de vue architectural, il n'en est pas de même de l'histoire de la région, que M. l'abbé Rebufat a su exposer en tous détails, sans répéter ses prédécesseurs, notamment Lucien Lambeau. Il a reproduit et commenté avec précision nombre de plans anciens des archives de Saint-Germain-des-Prés et de Sainte-Geneviève, et tracé un tableau de Vaugirard du xiv~ au xvill~ siècle, auquel il y aura bien peu à ajouter. Il passe en revue les principaux habitants, les seigneuries, les cimetières, les maisons ecclésiastiques qui possédaient là des suceur-

l. Jean de Canteleu, avocat au Parlement, et Guillaume, étaient fils de Pierre de Canteleu (Bibl. nat., ms. Clairambault 763, fol. 137 et 159). Marguerite de Canteleu, fille de Pierre, avait épousé Dreux des Portes, clerc de notaire du roi, déjà mort en 1435, dont elle avait eu cinq enfants Pierre, Isabeau, Marguerite, Denisette et Jeanne (Ibid., fol. 139). Jean de Blaru avait épousé lui, aussi, une fille de Pierre (Ibid., fol. 174). 2. Arch. nat., M 101.

3. Arch. nat., S 916 B, fol. 23 r°.


sales et termine son livre, puisé aux meilleures sources, par la biographie des curés et l'histoire des rues de la paroisse. Un index alphabétique rend les recherches faciles et une abondante illustration égaye l'ouvrage, aussi bien présenté qu'élégamment écrit.

M. D.

A.-F. AUDE. Un ancien châtelain ~4~'ay-OK, Michel jeune (1771-1852). i vol. Ch. Bosse, 1931.

L'affaire Petit du Petitval, dont Léonce Grasilier s'était en 1927 fait l'historien (i vol., Perrin) et qui eut pour théâtre le château de Vitry, vient d'avoir un « rebondissement n, comme on dit au Palais. Dans la petite Bibliothèque Brenouse, éditée par les soins de M. Joseph Thibault, M. A.-F. Aude consacre, en effet, un joli volume, dont le cadre élégant ne nuit pas a. la solide documentation, à Michel jeune, dit Michel l'Assassin, mêlé au drame de Vitry. C'était un «émule du financier Ouvrard, un des banquiers les plus opulents de Paris. Il habitait un somptueux hôtel place Vendôme (n° i~) et était propriétaire d'une des plus belles terres seigneuriales du Berry et de la Touraine ». Sa femme fut une amie de Mme Tallien. « Cet assassin, ajoute l'auteur, qui peut-être n'assassina jamais, mais fut un malhonnête homme, mourut multimillionnaire. » Un personnage peu sympathique en somme, dont le frère aîné se contente du surnom de Michel le Voleur, mais dont M. Aude met singulièrement en relief la triste figure. La fortune énigmatique des Michel fit accuser les deux frères d'avoir participé au crime, d'autant plus, disait-on, que la victime aurait eu, sur ces banquiers malfamés », une forte créance. Il n'en fallait pas plus à la malignité populaire, pour les accuser. Les surnoms dont on les affubla alors leur sont restés, bien qu'une ordonnance de non-lieu soit intervenue en leur faveur.

Michel jeune était sans éducation. Son frère débuta comme garçon de magasin chez un drapier de Toulouse, où le cadet le rejoignit. Après un premier séjour à Paris, Michel jeune, ayant fait fortune, on ne sait trop comment, s'associa avec son frère et tous deux revinrent sur les bords de la Seine fonder leur maison, sous la raison sociale Mïc/M~ frères jeune.

Malgré sa mauvaise réputation, Michel jeune trouva une demoiselle Bernard, qui consentit à l'épouser, mais sans éclat ni invitation i Quand il mourut, en 1831, instituant son aîné pour légataire universel, il était séparé de sa femme, qui décéda trois ans plus tard en son hôtel, rue de Provence, n" ~6, et fut inhumée au cimetière Montmartre, « en tranchée gratuite ». Cela dit assez en quel état d'indigence Michel laissait son épouse. Ce parvenu, soupçonné d'assassinat, était vraiment un homme sans coeur. Paul JARRY.


Jacques PANNIER. L'Église ~/OfM!M Paris sous Louis XIII de 1621 à 1629. Champion, 1932. i vol. in-8°, 635 p., et i vol. de tables et pièces justificatives.

Poursuivant ses études sur l'Église réformée de Paris, dont il conta successivement l'existence sous Henri IV et au début du règne de Louis XIII, M. le pasteur Pannier aborde cette fois la période allant de 1621 à 1629 environ. Les rapports de l'Église et de l'État, la vie publique et privée des protestants, leur part dans l'histoire de la capitale, le mouvement des idées, les arts, les lettres, la société, autant de sujets qui rattachent tout particulièrement cet ouvrage à l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France. Le livre s'ouvre au moment où, après l'incendie du temple de Charenton, le gouvernement s'engage à le rétablir et où le duc de Montbazon fait savoir à Pierre de Launay que ses coreligionnaires « peuvent aller à Charenton en sûreté x. C'est l'occasion pour l'auteur de consacrer tout un chapitre à ce temple, qui fut déjà l'objet de ses savantes recherches, et à sa reconstruction par Salomon de Brosse. Ce dernier, peut-être, était-il déjà l'auteur du premier temple. Malheureusement, les plans conservés au château de Blérancourt ont disparu lors de l'occupation allemande en 1014 et échappé, depuis, à toutes recherches.

Les cercles protestants du faubourg Saint-Marcel et du faubourg SaintGermain ont retenu, non sans raison, l'attention du pasteur Pannier. La partie iconographique n'a pas été négligée dans ce livre abondamment illustré et les chapitres sur les familles parlementaires, les secrétaires du roi, les hommes de lettres et les artistes achèvent de faire de cet ouvrage une histoire très vivante du Paris de la réforme à cette époque encore troublée. Paul JARRY.

Henri MALO. Une journée à Chantilly. Braun, 1932. Petit in-i6, ~.8 p., guide illustré.

Nous tenons à signaler ce nouveau guide illustré rédigé par le conservareur adjoint du musée Condé, et qui permettra de visiter avec profit le domaine légué par le duc d'Aumale. Le passage de M. Henri Malo à l'hôtel Thiers avait été marqué par de nombreux ouvrages d'érudition et une heureuse gestion de cette remarquable bibliothèque d'histoire contemporaine. A Chantilly, où il succède au regretté Gustave Macon, M. Malo continue les traditions de haute courtoisie et de parfaite amabilité qui sont de règle à. l'Institut de France.

P. J.


AUVRAY.

FOSSEYEUX.

LE GRAND.

BATIFFOL.

BLANCHET.

POETE (Marcel).

LENÔTRE.

BARROUX (Marius).

COUDERC.

MIROT (Léon).

LABORDE (Comte A. DE). HERLAUT.

HARTMANN (G.).

MARQUET DE VASSELOT.

GUILLEMOT (Et.).

AUBERT (Marcel).

LEMOINE (Henri).

DESLANDRES.

MEURGEY.

VIARD.

DEBIDOUR.

LESORT (André).

MoussET (Albert).

ADHÉMAR.

COURTEAULT.

Comité des fonds (1935) MM. COUDERC, LE GRAND, STEIN, DuMOLIN.

Comité de publication (1935) MM. CoYECQUE, OMONT, AuvRAY, MIROT, DUMOLIN, PERRAULT-DABOT.

.LISTE DES MEMBRES DU CONSEIL AVEC L'ANNÉE DE LEUR RENOUVELLEMENT 1931.

MM.

COYECQUE.

STEIN.

COURCEL (Baron DE).

OMONT.

1932.

JARRY (Paul).

MARTIN (A.).

DUPONT-FERRIER.

PERRAULT-DABOT.

PRINET (G.).

1933-

BÊMONT (Ch.).

Roy (Maurice).

ANDIGNÉ (Comte D').

DEROY (L.).

DUMOLIN.

1934-

JULLIAN (Camille). `

HÉRON DE VILLEFOSSE.

BoucHER (Fr.).

ROCHEGUDE (DE).

SCHMIDT.

1935.

CouRCEL (Robert DE).

DUPIEUX.

LAUER (Ph.).

LE SENNE (Eug.).

ESPAGNY (Vicomtesse D').


ERRATA

P. H3, 1. 15, lire ,Ss!K<-Gs~aM, au lieu de Saint-Germain. P. 125,1. 8, lire NMs, au lieu de SM.

M. Dupieux tient à signaler et à redresser un lapsus qu'il a commis dans son article intitulé l'Agitation parisienne et les ~fMOKKMfs de la Bastille en /77/773, paru dans le Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris, 58~ année, 1931, fascicule I, p. 45-57. Il a faussement attribué à Racine et donné comme un alexandrin (p. ~7) le vers suivant, qui a treize pieds « Comment plaiderions-nous? Nous n'avons point d'avocats. » Racine a écrit, en réalité, dans les Plaideurs (acte II, scène xiv, vers 630631)

« Il faut de part et d'autre avoir un avocat

Nous n'en avons aucun. »

M. Dupieux a été trompé par le témoignage du libraire parisien Hardy, qu'il juge utile de reproduire ici textuellement

« Les Comédiens français ordinaires du Roi ayant donné sur le Grand Théâtre de la salle du château des Thuileries, où ils ont été transférés l'année dernière, les Plaideurs, comédie de Racine en trois actes, à l'endroit de cette pièce où il est dit Comment plaiderions-nous? nous n'avons point d'avocats, le parterre applaudit à l'unanimité des pieds et des mains avec tant de fracas et si longtemps que l'acteur crut ne pouvoir jamais achever son rôle. (Hardy, Mes loisirs, ou Journal d'événements tels qu'ils parviennent à ma connaissance, t. I, ire partie; Bibl. nat., ms. fr. 6680, fol. 207 v°, 28 janvier 1771).

NOTA BENE

I] est rappelé aux membres de la Société qu'en raison du caractère privé de certaines visites et des autorisations spéciales accordées à cet égard, la carte de membre peut être réclamée à l'entrée. Cette carte est envoyée par le trésorier au reçu du paiement de la cotisation annuelle, fixée à 30 francs (M. André Martin, 27 bis, rue Saint-Louis, à Versailles, c/c Paris 8~.0-79). Le trésorier-adjoint se tient, au mêmes effets, à la disposition des sociétaires, à l'issue de chaque séance.


TABLE DES MATIÈRES POUR jg3i

Pages

Compte-rendu des séances. 5, 61, 74., 941 Assembléegénérale. « 62 Compte-rendu Snancier. 73 COMMUNICATIONS

ANCHEL(R.). Les Juifs à Paris au~xvm*! siècle. 76 BARROux (M.). Paris et sa région dans le roman de Theseus. 243 DUPONT-FERRIER (G.). L'origine et l'emplacement de la Cour des aidesa.uxxiv<'etxv°sieeles. 10 DupoNT-FERNBR(G.).JuIesMichelet. 67 Du VERDJER (P.). L'industrie dans le faubourg Saint-Germain à la. fin du xve siècle 942 MtROT (L.). Souvenirs de la vie de cour à la fin du xiv~ siècle par un Florentin. 75 PERRATfC.). Les origines d'Ëtienne Marcel. 8 ScHWERER (Mlle). Mme de Genlis à l'Arsenal 9 VARIÉTÉS

BATiFFOi. (L.). La construction de l'Arsenal au xvHi~ siècle et Germain Boffrand 78 DESLANORES (P.). Sébastien Mercier (1740-1814.). i2Q DUMOLIN (M.). Claude Chahu, seigneur de Passy. n x DUMOLIN (M.). Les origines de la CuItnre-1'.Évêque. 112 DuMOUN (M.). Notes sur l'abbaye de Montmartre. 145,24~ DupiEUX (P.). L'agitation parisienne et les prisonniers de la Bastille 0~771-1772. 45 LEMOtNE (H.). Colons parisiens en Algérie (tS~S-iS~i). · 98 LEMOINE (H.). L'Université de Paris demande le droit de nommer des électeurs aux États-Généraux de 1780. 239 MiROT (A.). L'hôtel de la Barre-du-Bec. 325 PERRAULT-DABOT (A.). Les dalles funéraires à effigies gravées de l'églisedeBa.gneux(Seme). 39 Bibliographie.57,i4Z,3;;5 Liste des membres du Conseil. 338 Planche hors texte. Église de Bagneux. 44

Errata 339

Nogent-te-Kotrou, imprimerie UAupELEY-~ouvERtfEUK.