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Title : Annales de l'École libre des sciences politiques : recueil trimestriel / publié avec la collaboration des professeurs et des anciens élèves de l'école ; comité de rédaction M. Émile Boutmy,... M. Léon Say,... M. Alfred de Foville,... [et al.]
Author : École libre des sciences politiques (Paris). Auteur du texte
Publisher : Ancienne librairie Germer Baillière et cie, Félix Alcan (Paris)
Publication date : 1887
Contributor : Boutmy, Émile (1835-1906). Collaborateur
Contributor : Say, Léon (1826-1896). Collaborateur
Contributor : Foville, Alfred de (1842-1913). Collaborateur
Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34422234c
Relationship : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34422234c/date
Type : text
Type : printed serial
Language : french
Format : Nombre total de vues : 9782
Description : 1887
Description : 1887 (A2).
Rights : Consultable en ligne
Rights : Public domain
Identifier : ark:/12148/bpt6k31477h
Source : Bibliothèque nationale de France
Provenance : Bibliothèque nationale de France
Online date : 15/10/2007
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ANNALES
DE L'ÉCOLE LIBRE
DES
SCIENCES POLITIQUES
Coulommiers. Imp. P. BRODARD ot GÂLI.O!S.
ANNALE S
DE L'ÉCOLE LIBRE
DES
SCIENCES POLITIQUES RECUEIL TRIMESTRIEL
PUBLIÉ AVEC LA COLLABORATION DES PROFESSEURS ET DES ANCIENS ELEVES DE L'ÉCOLE
COMITÉ DE RÉDACTION
M. ÊMtLE BOUTMY, de l'Institut, Directeur de l'École;
M. LÉON SAY, de l'Académie française, Sénateur, ancien Ministre des Finances; M. ALFRED DE FOVtLLE, Chef du bureau de statistique au Ministère des Finances, Professeur au Conservatoire des Arts et Métiers
M. STOURM, ancien Inspecteur des Finances et Administrateur des Contributions indirectes M. AUGUSTE ARNAUNÉ;
M. ALEXANDRE RIBOT, Député;
M. GABRIEL ALIX;
M. LOUIS RENAULT, Professeur à la Faculté de droit de Paris;
M. ANDRÉ LEBON, Chef du Cabinet du Président du Sénat;
M. ALBERT SOREL;
M. PIGEONNEAU, Professeur suppléant à la Faculté des lettres de Paris; M.VANDAL;
Directeurs des groupes de travail, Professeurs à l'École.
Secrétaire de la rédaction M. AUGUSTE ARNAUNÉ.
Deuxième année. 1887.
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET G'" FÉLIX ALCAN,ÉDITEUR
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108
DE LA DÉLIMITATION
DU RI Y A CE DE LA MER ET DE L'EMBOUCHURE DES FLEUVES ET RIVIÈRES.
La délimitation du rivage de la mer et de l'embouchure des fleuves et rivières dans la mer est une des questions les plus compliquées du droit administratif. Il est facile d'apercevoir l'origine, la nature et l'intérêt des difficultés que cette question soulève.
D'abord, et ceci est un trait commun à une grande partie de la législation sur les eaux, les textes de loi sur lesquels on peut se fonder pour trancher le débat qui s'élève entre la propriété publique et la propriété privée, pour fixer la limite qui les sépare, sont rares et incomplets. C'est dans quelques lignes de l'ordonnance sur la marine du mois d'août 1681, qu'on trouve une définition du rivage de la mer. L'application de ce texte, qu'il a fallu compléter par un emprunt au droit romain, avait donné lieu, avant 1789, à de vives controverses lorsqu'il s'agissait de fixer le rivage à l'embouchure des fleuves. La législation postérieure n'a pas fourni les éléments nécessaires pour éviter le retour des discussions entre les défenseurs de la propriété privée et les défenseurs des droits de l'État, dont le zèle pour l'intérêt public dépasse parfois la mesure. Il est bien intervenu, en 1852, quelques dispositions législatives nouvelles qui ont réglé la compétence des autorités administratives et qui ont servi de point de départ à de très nombreuses décisions préparées par le ministère de la marine ou par le ministère des travaux publics avec le concours du conseil d'État, mais elles n'ont rien changé, ni rien ajouté pour le fond de la matière. La jurisprudence a dû, par suite, suppléer au silence du législateur et créer la loi au lieu de se borner à l'appliquer. La variété des faits qui se produisent sur l'étendue considérable des côtes de la France, et qui tient à la nature et à la configuration des terrains où les fleuves et les rivières viennent se jeter dans la mer, a conduit à des solutions qui, dans certains cas, paraissent contradictoires. La jurisprudence administrative, généralement peu connue, n'est pas toujours d'accord avec les règles posées par les arrêts, peu nombreux
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d'ailleurs, du conseil d'État statuant au contentieux; elle l'est encore moins avec les arrêts de la cour de cassation. Au milieu de ces contradictions, il n'est pas toujours facile de dégager les principes. On comprend, d'autre part, que le bornage de la. propriété publique et de la propriété privée présente des difficultés particulières quand il s'agit non plus d'appliquer des titres, mais de vériuer des faits sujets à des variations sensibles, comme l'action des eaux, et particulièrement de rechercher non la moyenne des faits durant une certaine période, mais une sorte de maximum qui n'est censé se produire qu'une fois par an le plus grand flot de mars pour l'Océan, le plus grand flot d'hiver pour la Méditerranée et qui peut, d'une année à l'autre, être modifié par des circonstances exceptionnelles. La solution peut être déjà délicate pour une grève baignée exclusivement par les eaux de la mer; mais elle le devient bien davantage pour les terrains riverains de l'embouchure oû les eaux d'un fleuve ou d'une rivière se mêlent à celles de la mer. Avant de rechercher où se trouve le rivage, il faut d'abord examiner où finit le fleuve, où commence la mer.
L'administration croit de son devoir de revendiquer tous les terrains qui, d'après les principes généraux, lui paraissent rentrer dans le domaine publie, et elle est portée à considérer comme une usurpation toute occupation par les particuliers de ce domaine, inaliénable et imprescriptible. Mais précisément parce que, sur beaucoup de points, les faits ont varié suivant les époques et que les limites sont incertaines, elle se trouve souvent en présence de possessions fort anciennes, fondées sur des titres privés ou même sur des titres émanés de l'État. Les particuliers ne se résignent pas volontiers à être dépossédés de terrains qu'ils ont acquis par des ventes ou des héritages et pour lesquels l'État leur a pendant longtemps fait payer l'impôt. Leur émotion s'accroît quand ils voient, ce qui arrive parfois, que cette revendication du domaine publie, fondée sur une délimitation tracée d'après un fait unique dans l'année, a pour but non pas de consacrer les terrains litigieux au service public, mais de les remettre entre les mains de l'administration des domaines qui se propose, soit de les concéder, soit de les louer, de façon qu'ils ne rentrent dans le domaine public que pour en sortir. Les particuliers perdraient d'ailleurs tout espoir de voir les terrains leur revenir dans le cas ou ils seraient abandonnés par les eaux. Le régime des alluvions, des lais et relais, est en effet tou~diHerent pour les rives des neuves et pour le rivage de la mer. Quand un fleuve abandonne une partie de son lit par un mouvement naturel et lent, l'alluvion est attribuée au propriétaire riverain par l'article SS6 du code civil, bien que le lit d'où elle sort
fît partie du domaine public. Le législateur a voulu compenser ainsi la corrosion pratiquée souvent par les eaux courantes et la servitude du chemin de halage. Au contraire les lais et relais de la mer sont attribués au domaine de l'État par l'article 538 du même code, combiné avec l'article 41 de la loi du 16 septembre 1807. Les riverains des fleuves peuvent gagner ou perdre; les riverains de la mer n'ont que des chances de perte. L'État a donc intérêt à soutenir que la mer remonte dans l'intérieur des fleuves et rivières; et les riverains ont intérêt à soutenir que le fleuve conserve son existence propre et son caractère, même dans les parties les plus larges de son embouchure, malgré le mélange de ses eaux avec celles de la mer.
Ce ne sont pas seulement les droits de l'État représentant le domaine public et ceux des particuliers qui soulèvent des débats compliqués. II n'y a pas eu moins de contestations sur la question de savoir à quelle autorité il appartenait de trancher ces litiges. L'autorité administrative, chargée de la conservation du domaine public réclame le droit d'en fixer les limites. L'autorité judiciaire, chargée de statuer sur les droits de propriété revendiqués par les particuliers, même à l'encontre de l'État, prétend avoir sa part dans le jugement, sinon le pouvoir de statuer sur la totalité d'un litige dont la solution peut entraîner l'absorption par l'État de la propriété privée. La controverse qui a divisé pendant longtemps le conseil d'État et la cour de cassation a donné successivement naissance à plusieurs combinaisons différentes dont la dernière, consacrée par le tribunal des conflits depuis 1873, soulève encore des objections de la part de jurisconsultes autorisés. C'est une des rares décisions de ce tribunal qui aient contredit la jurisprudence du conseil d'État. Tel est le sujet que nous nous proposons de traiter dans cette étude.
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Le rivage de la mer est compris par l'article o38 du Code civil parmi les parties du territoire français non susceptibles de propriété privée, qui forment des dépendances du domaine public. On trouve le même principe dans l'article 1~ de la loi des 22 novembre 1- décembre 1790. Mais ces textes ne donnent pas la définition du rivage de la mer. II faut aller chercher cette définition dans l'artictel-du titre VII (livre IV) de l'ordonnance sur la marine du mois d'août 1681 ainsi conçu « Sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu'elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes et jusqu'où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves. »
Cette déSnition se trouvait déjà dans les ordonnances du 27 février 1834 et du 12 février 1596. Valin, dans son commentaire de l'ordonnance de 1681, fait remarquer qu'elle est plus exacte que celle de la loi romaine Littus est gMO usque ?nœMMMS ~Ms a mari ~'t'fm< (leg. 96 et 112, <~ cer6o?'M~ significatione), définition reprise par les Institutes de Justinien (livre II, titre 1~, § 3), en ces termes autem littus ?KaftS quatenus Â~'MM ~MC<US maa't'mHS excurrit. 11 fait valoir que « les hautes marées arrivent chaque mois, à la nouvelle et à la pleine lune et que, des marées des équinoxes et des solstices qui sont encore plus hautes, celle de l'équinoxe de mars l'emporte 1 ».
Les observations scientifiques, sur lesquelles Valin se fondait pour approuver les auteurs de l'ordonnance de 1681 d'avoir corrigé les lois romaines, sont-elles absolument exactes? Cela pourrait être contesté. Récemment- dans un procès engagé devant le conseil d'État statuant au contentieux au sujet de la délimitation du rivage de la mer dans la baie de la Seine, procès terminé par un arrêt du 10 mars 1882, sur lequel nous reviendrons, une commission du conseil d'État, déléguée pour vérifier les faits contestés, déclarait, par l'organe de M. le vice-amiral Bourgois, son rapporteur, que « le grand flot de mars est souvent dépassé en hauteur par d'autres marées, sans que celles-ci soient favorisées par des circonstances météorologiques, telles que de forts vents du large accompagnés par une baisse marquée du baromètre, et qu'ainsi, sans remonter au delà de dix années, on trouve qu'il y a eu, au Havre, en 1871, treize marées supérieures de un décimètre à la grande marée de mars de la même année; en 1872, six; en 1873, trois, en 1874, vingt, en 1875, une, en 1877, deux. « Cette dérogation apparente aux lois vulgairement admises s'explique, dit-il, par les lois mêmes qui président au mouvement des marées. Parmi les causes astronomiques nombreuses qui influent sur leurs hauteurs, les phases de la lune, la distance absolue du soleil à la terre et la déclinaison du soleil et de la lune sont les plus énergiques. Lorsque l'équinoxe du printemps, le plus rapproché du périgée, suit d'un jour ou deux une syzygie et qu'en même temps la lune est dans le voisinage de l'équateur, les principales conditions astronomiques sont réunies pour donner au grand flot de mars la plus grande hauteur de toute l'année; mais il arrive parfois que ce soit une quadrature qui arrive un jour ou deux après l'équinoxe ou qu'à ee moment la lune ait une forte déclinaison. Alors les influences qui, dans le premier cas, concouraient toutes à augmenter la hau-
l.VaIin,t.H,p.S~.
teur de la marée, se contre-balancent en partie et le grand flot de mars peut avoir une hauteur inférieure à celle de plusieurs autres marées de l'année. »
Malgré cette critique, le texte de l'ordonnance du mois d'août 1681 conserve son autorité légale, et il est incontestable qu'on n'aurait pas à tenir compte d'une marée supérieure à celle du plus grand flot de mars, sur les rivages où ce texte est applicable. Mais on a reproché justement à l'ordonnance d'août 1681 d'avoir statué exclusivement d'après les faits qui se produisent sur les côtes de l'Océan et de la Manche et de n'avoir pas tenu compte de ce que, dans la Méditerranée, où l'influence de la marée est très faible, le plus grand flot de mars n'est jamais celui qui s'avance le plus sur les grèves. Les législateurs romains, qui statuaient en vue de la Méditerranée, s'attachaient au plus grand flot d'hiver. Avant 1789, on avait continué à suivre la loi romaine sur les bords de la Méditerranée, malgré l'ordonnance de 1681. Merlin, dans ses Questions de droit, le constate en considérant la tradition comme maintenue en vigueur « Ainsi, dit-il, nous ne devons observer la disposition de l'ordonnance de 1681 que par rapport à l'Océan, et suivre, à l'égard de la Méditerranée, ce que prescrivent les lois romaines 1. » Il y a un accord complet sur ce point entre les auteurs 2, et la jurisprudence administrative est établie dans le même sens. Le ministre de la marine le constate expressément dans sa circulaire du 21 février 1853, et dans l'instruction plus détaillée du 18 juin 1864 (§ 7), écrite pour guider les commissions qui sont chargées de préparer la délimitation du rivage de la mer. Un arrêt du conseil d'État du 27 juin 1884 (ville de Narbonne) a consacré cette doctrine.
Valin ajoutait « Mais par rapport au rivage, il ne faut entendre que la partie jusqu'où s'étend ordinairement le grand flot de mars, laquelle partie est facile à reconnaître par le gravier qui y est déposé, et nullement l'espace où parvient quelquefois l'eau de la mer par les coups de vent forcés, causes et suites, tout à la fois, des ouragans et des tempêtes. » Et il invoquait en ce sens un arrêt du parlement d'Aix du 11 mai 1742.
Cette observation si juste est encore aujourd'hui la règle de la jurisprudence administrative. Le ministre de la marine le constate dans 1. Questions de droit V Rivages de la mer.
2. Voir Dalloz, Répertoire, VDo~ame publie, n° 28, et les auteurs cités. Voir aussi Chalvet, ~/M?-{;M sur la législation des bords de la mer, inséré en 1861 dans le Journal de droit administratif, n° 25. PIocque, De la mer et de la navigation maritime, n° 168. Fournier, De la domanialité joM&Me maritime, inséré dans la Revue maritime et coloniale en 1818, t. Lvu, p. 576.
son instruction du 18 juin 186~, aux §§ 8 et 9. « L'expression de plus grand flot d'hiver, dit-il, est synonyme, de plus grande vague. Cette vague forme généralement sur les plages, aux extrémités atteintes, un bourrelet parfaitement accentué, que l'on admet comme formant la limite du rivage sur le littoral méditerranéen. Il ne faut pas confondre le grand flot de mars ni le plus grand flot d'hiver avec le plus grand flot de tempête. Le devoir des commissions est de rechercher uniquement et de constater le point que les vagues d'hiver atteignent ordinairement. »
Assurément il faut reconnaître que le lit de la mer, comme celui des fleuves, est sujet à se déplacer et que si l'homme sait, a certains jours, faire sur la mer et les fleuves des conquêtes, la mer et les fleuves font à leur tour des conquêtes sur le domaine que l'homme s'est approprié. Dans ce cas, il n'est pas possible de ne pas constater le fait et de ne pas en tirer les conséquences. Ainsi la cour de Douai a jugé avec raison, par un arrêt du 10 janvier 1842, que 500 hectares de terrain appartenant au comte de Rocquigny et qui étaient envahis, non seulement par le grand flot de mars, mais par les marées de vive eau, et qui étaient couverts par le flot pendant quatre-vingt-seize jours de l'année étaient devenus, par suite de ces envahissements permanents des flots, une partie du rivage de la mer sur laquelle l'ancien propriétaire ne pouvait plus exercer aucun droit
Mais une pareille transformation ne se produit que par un envahissement permanent des flots et non par un fait accidentel. H ne suffit donc pas d'écarter, comme le demandait Valin, le résultat des tempêtes. Ce n'est pas le point que le plus grand flot de mars ou la plus haute vague d'hiver a atteint dans l'année où se fait la. délimitation qu'il s'agit de rechercher. C'est le point que les plus hautes vagues atteignent ordinairement. Le ministre de la marine le dit expressément dans le passage cité plus haut de son instruction du i8 juin 1864, § 9, et sa décision a ici une autorité incontestable puisqu'elle limite les droits de l'État qu'il est chargé de défendre. Aussi bien le conseil d'État au contentieux a consacré cette règle de la façon la plus formelle dans un arrêt du 10 mars i882 (Duval et aMfres). Appelé à statuer sur la réclamation de riverains de la baie de la Seine contre deux décrets dont l'un fixait les limites de la mer et de la Seine dans cette baie, dont l'autre déterminait le rivage de la mer le long de la partie de cette baie qui était considérée comme une dépendance de la mer, il a maintenu le premier (c'est un point sur lequel nous reviendrons plus tard), mais il a annulé le second. Les '1. Dalloz, Répertoire. V" Domaine public, n" 3t.
riverains soutenaient principalement que les terrains dont le décret de délimitation les dépouillait étaient des alluvions fluviales; subsidiairement qu'ils n'étaient pas couverts habituellement par le grand flot de mars. Une commission spéciale avait été déléguée par le conseil d'État au contentieux pour vérifier à nouveau les faits. Après le savant rapport de M. l'amiral Bonrgois, conseiller d'État, dont nous avons déjà cité un passage, il a été jugé « que la marée observée en mars 1873, qui avait servi de base à la décision attaquée par les riverains, avait été influencée par des circonstances météorologiques exceptionnelles sans lesquelles le flot n'aurait pas atteint la hauteur où il était parvenu, et qu'il suivait de là que la délimitation avait pu avoir pour effet de comprendre dans le rivage de la mer des terrains qui n'étaient pas habituellement couverts par le grand flot de mars dans le sens de l'article 1~ du titre VII du livre IV de l'ordonnance d'août 1681, sur la marine'. »
En vue d'assurer l'application exacte de cette règle, le ministre de la marine, dans une circulaire, en date du 16 janvier 1882, a prescrit aux commissions de délimitation de donner, dans leurs procès-verbaux, des renseignements sur les conditions météorologiques dans lesquelles se font les opérations en particulier, sur l'état de la mer, la force et la direction du vent, ainsi que la hauteur de la marée, s'il existe dans le voisinage un marégraphe qu'elles soient à portée de consulter.
Il peut sembler regrettable qu'on ait attendu jusqu'à 1882, pour ajouter cette prescription à celles que contiennent les instructions précédentes. Mais il ne faut pas croire, on l'a vu, qu'il y ait là autre chose qu'un moyen nouveau d'appliquer des principes anciens. Plus d'une fois les commissions chargées de préparer les décrets de délimitation, composées de fonctionnaires placés habituellement à des points de vue différents, appartenant les uns à la marine, les autres à la guerre, d'autres à l'administration des domaines et à celle des douanes, d'autres enfin au corps des ponts et chaussées, ont été tentées de ne pas s'appliquer minutieusement à retrouver sur le terrain les sinuosités trop nombreuses de la ligne atteinte par la plus haute vague. Les ingénieurs des ponts et chaussées surtout, habitués à tracer des plans d'alignement des routes, soutenaient qu'on simplifierait la décision et les mesures d'application qui devaient la suivre en traçant une série de lignes droites qui se rapprocherait le plus possible de la laisse des hautes mers sans en être la reproduction exacte. 1. Il faut consulter dans le Recueil des arréts du conseil d'État les remarquables conclusions données par le commissaire du gouvernement, M. Le Vavasseur de Précourt, à l'occasion de cette affaire.
Mais ce système entraînait à sacrifier ou les droits de l'État ou les droits des propriétaires riverains. Dès i839, le ministre de la marine décidait que les commissions devaient tenir un compte aussi exact que possible des sinuosités que la mer trace sur la côte et il a reproduit cette règle dans son instruction du 18 juin 1864 (§ 9). Le ministère de la marine n'a pas seul le mérite de la modération qui inspire cette jurisprudence. Une part en revient aux avis donnés par la section de la guerre et de la marine du conseil d'Etat ou par l'assemblée générale du conseil sur les nombreux projets qui lui ont été soumis, et le conseil d'État au contentieux a été obligé, on vient d'en voir un exemple, d'accentuer encore davantage une des règles essentielles qui protègent la propriété privée sans rien enlever d'ailleurs de légitime aux droits de l'État.
II
Le rivage des étangs salés est-il le rivage de la mer? Ici commencent les distinctions et les vraies difSeuItés.
En général, les auteurs tranchent cette question en quelques mots, à l'aide de rares arrêts de la Cour de cassation. Si l'étang salé est en communication directe et permanente avec la mer, it en forme une dépendance. Dans le cas contraire, il est une propriété privée. D'un côté le principe, de l'autre l'exception.
Il s'agit ici d'une question spéciale à certains départements du midi de la France. Il existe sur les bords de la Méditerranée, notamment aux environs de Narbonne, de Cette, d'Aigues-Mortes, des embouchures du Rhône et de Marseille, des étangs salés, les uns fort considérables et qui forment de petites mers intérieures, comme l'étang de Berre et l'étang de Thau, les autres d'une étendue beaucoup moindre, mais beaucoup plus nombreux. Ces étangs alimentent fréquemment des satins où se fabrique, chaque année, une quantité considérable de sel. Plusieurs de ces établissements ont une origine fort ancienne, par exemple les salins de Peccais, près d'Aigues-Mortes, qui ont fait partie du domaine royal.
Quand on étudie de près cette question, comme nous l'avons fait dans un mémoire présenté à l'Académie des sciences morales et politiques en 1882 on reconnaît que la plus grande partie des étangs salés, dont le nombre dépasse soixante-dix, n'est pas en communication directe et permanente avec la mer, qu'elle est par suite en 1. Ce mémoire a été inséré dans le Compte rendu des travaux de MeiK~tM~s sciences morales et politiques, publié par M. Ch. Vergé, en 1882, t H, p. T?3.
dehors du domaine public, que cette exception s'applique même à des étangs qui communiquent avec la mer et que les droits des particuliers et des communes qui en sont propriétaires, droits justifiés par des circonstances physiques et historiques toutes spéciales, fondés sur des titres réguliers, sur des décisions de la justice, ont été reconnus par l'administration de la marine et par l'administration des domaines représentant l'État.
Cette situation juridique assez anormale des étangs salés s'explique d'abord par leur origine et leur constitution physique. Nous demandons la permission de reproduire ici le résumé très bref des renseignements que nous avons puisés dans diverses études historiques ou dans des travaux techniques dus à d'habiles ingénieurs des ponts et chaussées 1.
Le littoral du golfe de Lyon (ou du Lion) a subi, à des époques très anciennes, de profondes transformations qui ont créé, sur beaucoup de points, un double rivage et formé par suite les étangs salés. Les géologues attribuent ce fait, semblable à celui qui s'est produit à l'embouchure du Nil et du Pô et sur d'autres rivages, à l'apport des sables et limons charriés par les fleuves dans une mer sans marée qui laisse les dépôts s'accumuler et les repousse ensuite vers la côte avec les sables de la plage par l'action des vagues et des courants. On a calculé que le Rhône apporte chaque année à la mer 21 millions de mètres cubes de limons. A l'embouchure même du fleuve, le bourrelet d'alluvions forme des îlots qui divisent ses eaux en plusieurs bras. Devant ces îlots, qui sont bientôt des îles, et sur d'autres points du rivage, se crée un cordon littoral qui constitue des baies dont l'entrée devient de plus en plus étroite. On voit là l'origine du delta du Rhône et celle des étangs salés. La cause qui a formé les étangs salés tend sans cesse à les modifier. Les fleuves, qui ont contribué par les limons qu'ils charriaient à fournir les éléments du rivage de l'étang, contribuent, par de nouveaux dépôts, à exhausser le fond et à faire de la lagune vive une lagune morte. L'étang reste alors en communication avec la mer par des ouvertures plus ou moins larges que les eaux pratiquent dans le rivage et qui, après avoir été permanentes, ne sont plus que temporaires et finissent par disparaître complètement. Dans ce 1. Nous avons consulté I'~e;'{;M historique sur les embouchures ~M Rhône, publié en 1866 par Ernest Desjardins dont l'Académie des inscriptions et belles-lettres vient d'avoir à déplorer la perte, les ouvrages de M. Lenthéric, sur les villes mortes du ~o//e de Lyon, sur la Grèce e< l'Orient en Provence, sur la Provence maritime et sur la ~;(M du &M-a/ionc, le mémoire de M. Pouite sur la Camargue, ceux de M. SureU sur /'<Mie7:o~!(M des embouchures du Rhône et <a Camargue, ceux de M. Régy sur l'amélioration ~M littoral de la mer AM:terranée dans le département de f//6ra:</<.
dernier cas, l'étang peut recevoir .encore les eaux de !a mer qui, pous~ sées par la tempête, franchissent le cordon littoral, ou bien celles qui pénètrent par des infiltrations. Mais il arrive parfois que toute communication cesse et qu'il n'a plus à vivre que de 'son propre fonds. Quelques arrêts de la Cour de cassation sont de nature à induire en erreur sur la condition physique et sur la condition légale des étangs salés, par des affirmations trop générales. Ainsi un arrêt rendu en 1842, assimilant les étangs salés à la mer au point de vue de la police de la navigation, en donne la définition suivante « Une baie communiquant à la mer par une issue plus ou moins étroite et qui en est une partie intégrante, formée des mêmes eaux, peuplée des mêmes poissons et soumise par conséquent aux mêmes mesures de police » Un autre arrêt de 1865 décide que « les étangs salés font partie inté~' grante de la mer; que leurs rivages, comme ceux de la mer, font partie du domaine public, et sont, à ce titre, destinés à l'usage public sans pouvoir être aliénés ».
La décision de la Cour de cassation était bien fondée pour les étangs de Leucate et de Mauguio dont il s'agissait dans les aiïaires au sujet desquelles ont été rendus les arrêts de 1842 et de 1865. C'est aussi avec raison que le conseil d'État a considéré que l'étang de Bages était une dépendance de la mer et a réprimé une usurpation commise sur le rivage de cet étang Il en est de même pour l'étang de Gruissan, dont la délimitation a été con6rmée par un arrêt du 27 juin 1884 (ville de .'Var&OHne). Mais ces décisions ne doivent pas être généralisées sans réserve. D'abord il y a des étangs salés qui ont cessé d'être en communication avec la mer et d'être navigables, et qui, après avoir fait partie autrefois du domaine public, ont perdu leur caractère, de même que les rivages de la mer, lorsqu'ils cessent d'être baignés par le plus grand ûot de mars ou le plus grand flot d'hiver, deviennent des lais et relais de la mer et passent dans le domaine de l'État, d'où ils peuvent passer par des titres ou par la prescription dans le domaine privé. C'est ce que la Cour de cassation a reconnu, après la cour de Montpellier, à l'égard de l'étang du Grec et il y a beaucoup d'exemples d'une situation pareille.
Mais la propriété privée peut s'étendre aussi, dans des circonstances spéciales, &. des étangs salés qui communiquent encore avec la mer 1. Cassation, ch. crim., 23 juin 1842 (Fabre). Dalloz,vo P~Ae maritime, n" 47. 3. Cassation, ch. req., 22 novembre 186S (G:7&M c. commune de ManyMM). Dalloz, i86S,i09.
3..4tT. cons., 27 mars 1874 (B<ïfM<').
4. Cassation, 29 juin 1847 (BoMy)-oK). Dalloz, 1849, I, 479, tribunal des eonflits, 22 mai i850 (commune de La~M).
et qui sont, au moins en partie, navigables, ainsi qu'aux canaux qui s'y rattachent. Ce n'est pas sans une lutte énergique et prolongée que les propriétaires de ces étangs et canaux ont fini par faire reconnaître la validité des titres qui justifiaient une dérogation aux règles générales sur le domaine public.
L'administration de la marine, qui attachait une importance considérable à reprendre la disposition des étangs salés pour y établir la liberté de la pêche au profit des marins soumis à l'inscription maritime et pour empêcher l'usage des procédés de pêche nuisibles à la reproduction du poisson, prétendait faire disparaître tous les droits privés qui, à l'occasion des modifications de l'état du sol et des eaux, s'étaient établis, souvent depuis plusieurs siècles, sur un nombre considérable d'étangs. A ses yeux, les concessions émanées de l'autorité publique elle-même, si anciennes qu'elles fussent, étaient sans valeur. Rien ne pouvait prévaloir contre le principe que la mer et ses dépendances font partie du domaine public. La salure des eaux était le seul criterium auquel on dût s'arrêter. Toutes les fois que l'eau était salée, la pêche devait appartenir aux marins inscrits.
Ces prétentions n'ont pas prévalu devant la justice. Après un débat qui avait commencé en 1845 et qui ne s'est terminé qu'en 1860, par suite de nombreux incidents successivement soulevés sur la compétence et sur le sens des titres invoqués, le marquis de Gallifet a été reconnu propriétaire du canal du Roi situé près de Martigues et qui forme une des communications établies de main d'homme entre l'étang de Caronte et l'étang de Berre. La cour de cassation, par un arrêt du 26 décembre 1860, a reconnu, après le tribunal et la cour d'Aix, que le principe de l'inaliénabilité du domaine public ne pouvait faire tomber des titres dont la plupart étaient antérieurs à .la réunion de la Provence à la France, alors que, dans ce pays, les biens que nous comprenons aujourd'hui dans le domaine public n'étaient pas inaliénables et imprescriptibles.
D'ailleurs on sait que, pour la France, le principe de l'imprescriptibilité du domaine public n'est considéré comme entré définitivement dans la législation qu'à partir de l'édit de Moulins de février 1566 et que les concessions antérieures à cette époque sont incontestablement valables.
De son côté, le conseil d'État a déclaré pour les étangs salés, comme il l'avait fait pour d'autres parties du domaine public, que le principe de l'inviolabilité des ventes de biens nationaux, provenant du domaine de la couronne, du clergé et des émigrés, proclamé par la charte de 1814, ne permettait pas de contester l'aliénation faite en 1812 d'un étang de l'ancien lit du Rhône, situé dans l'île de Camargue, bien
qu'il constituât un étang salé en communication directe avec la mer'. Après la promulgation du décret du 21 février 18S2, qui a force de loi, l'administration de la marine croyait avoir trouve un moyen sûr de faire rentrer dans le domaine public les étangs et canaux salés navigables. Sur les ordres du ministre, ptusieurs préfets avaient rendu, en exécution du § 2 de l'article 3 de ce décret, des déclarations de domanialité fondées sur ce que, par leur nature, ces eaux ne pouvaient être l'objet d'un droit de propriété privée. Nous discuterons plus loin la portée du texte sur lequel se fondait l'administration, II suffit de dire en ce moment que les arrêtés des préfets ont tous été annulés pour .excès de pouvoirs, par le motif qu'ils avaient, en délimitant la mer, empiété sur le pouvoir réservé au chef de l'État et qu'en outre, ils n'avaient pas réservé les droits des tiers
L'administration de la marine a terminé la lutte par la vérification générale des titres qu'on lui opposait. Un décret du 19 novembre 1859, déterminant, pour les côtes de la Méditerranée, les mesures d'ordre et de police propres à assurer la conservation de la pêche et à en régler l'exercice, a mis les propriétaires d'étangs et de canaux salés ~n demeure de produire leurs titres. On pouvait contester le droit que semblait s'attribuer l'administration de trancher à elle seule la question de validité des titres de propriété privée en imposant aus propriétaires un délai de trois mois pour faire leurs justifications, sous peine de déchéance (art. 93, 102 et 103). Sans doute c'était la reproduction de dispositions des arrêts du conseil du Roi du 21 avril et du 26 octobre 1739, qui avaient ordonné une vérification de titres analogue. Mais on oubliait que le souverain exerçait avant 1789 le pouvoir législatif, qu'il pouvait créer des juridictions exceptionnelles et des déchéances et qu'un décret réglementaire rendu en 18o9 ne pouvait rien faire de semblable.
Aussi bien les propriétaires d'étangs salés, de canaux, de pêcheries, sans abandonner le droit de recourir encore, s'il y avait lieu, aux tribunaux, n'ont pas hésité à produire leurs titres, et à la suite d'un examen approfondi fait en commun par l'administration de la marine et l'administration des domaines, le ministre de la marine a rendu, le 30 juillet 1864, une décision collective, complétée sur quelques points par deux décisions du 1~ avril et du 20 décembre 186o, peu connue parce qu'elle n'a pas reçu de publicité, qui reconnaît formellement les droits d'un grand nombre de propriétaires d'étangs salés, de 1.r. cons., i1 décembre 1857 (RMAaMc!).
2. -l)v. cons., M juin 1856 (de Gallifet), même date (Agard et cotMo;~), 7 jan.vier 1858 (.4~< !<tM, Fraix, de Gallifet et autres), 28 janvier 185S (de Graves).
canaux, de plans d'eau et de pêcheries. La notification adressée aux intéressés porte que, après examen des titres produits, l'administration de la marine n'élève aucune revendication à l'égard de leurs propriétés. Nous avons donné, dans notre mémoire lu à l'Académie des sciences morales et politiques en 1882, la longue liste des étangs salés sur lesquels existent des droits privés régulièrement reconnus par l'administration.
En résumé, il n'y a qu'un petit nombre d'étangs salés, même parmi ceux qui sont en communication directe et permanente avec la mer, qu'on doive considérer comme une dépendance de la mer et comme faisant partie du domaine public, quant à leurs eaux et quant à leurs rivages. Les seuls étangs qui nous paraissent dans ce cas sont les étangs de Salses, de Leucate, de Lapalme, de Bages, de Sigean, de Gruissan, du Grazels, de Thau, d'Ingril, de Pérols, de Mauguio, du Gloria, de Caronte et de Berre. Encore y a-t-il quelques parties de plusieurs de ces étangs qui sont l'objet de droits privés incontestés.
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Venons maintenant à la délimitation du rivage de la mer à l'embouchure des fleuves et rivières.
Pour être en mesure d'apprécier quelles sont les bases sur lesquelles on doit se fonder, il faut d'abord bien préciser la nature de l'opération et le but qu'il s'agit d'atteindre. Il s'est en effet souvent produit à cet égard des confusions.
Il y a, d'après la législation, trois délimitations distinctes que l'administration doit accomplir dans les fleuves et rivières affluant à la mer ou à leur embouchure et dont chacune a un but et des motifs différents. Le décret du 21 février 1852, qui a force de loi, règle les conditions dans lesquelles seront déterminées les limites de l'inscription maritime, les points de cessation de la salure des eaux et les limites de la mer. D'après l'article 1" qui modifie les dispositions de l'article 2 de la loi du 3 brumaire an IV et de l'article 3 de la loi du 15 avril 1829, les limites de l'inscription maritime et les points de cessation de la salure des eaux sont déterminés par des décrets du président de la République rendus sur la proposition du ministre de la marine. Les limites de l'inscription maritime sont destinées à fixer les localités où tous ceux qui naviguent sont considérés comme se livrant à la navigation maritime telle qu'elle est définie par la loi du 3 brumaire an IV et le décret du 19 mars 1852,e t par suite incorporés dans le personne
appelé éventuellement au service de la marine militaire. Les limites de la salure des eaux sont destinées à fixer le point jusqu'où s'étend la pêche maritime, dont le régime diffère du régime de la pêche fluviale par ce caractère essentiel que la pêche maritime est libre au profit de tous les inscrits maritimes, tandis que la pêche fluviale ne peut être pratiquée, en principe, qu'avec la permission de l'État et moyennant redevance. A la vérité, quand la limite de l'inscription maritime ne se confond pas avec le point de cessation de la salure des eaux et la dépasse, la pèche-continue à être libre jusqu'au point où s'arrête l'inscription maritime; mais elle est soumise, dans cette zone intermédiaire, aux règles de police et de surveillance prescrites par la loi du io avril 1829 sur la pêche fluviale. Les limites de l'inscription maritime et le point de cessation de la salure des eaux doivent être déterminés, non à l'embouchure des fleuves et rivières affluant directement ou indirectement à la mer, mais dans ces fleuves et rivières, ce qui implique le droit et le devoir pour l'administration de faire remonter ces limites dans l'intérieur des fleuves et rivières. C'est ce qui a été fait, par des mesures d'ensemble prises à la suite du décret du 9 janvier 1882 sur la pêche cotlere. Quatre décrets, en date du .4 juillet 1853, rendus pour les arrondissements maritimes de la Manche et de l'Océan et un décret du 19 novembre 1859, rendu pour l'arrondissement de la Méditerranée, modifiés eux-mêmes sur divers points par des décrets postérieurs, ont nxé les règles de police spéciales à la pêche maritime. A la suite de chacun de ces décrets, un tableau détermine pour tous les fleuves, rivières et canaux qu'il énumère, les limites de l'Inscription maritime et les limites de la salure des eaux.
11 est bon de préciser par des chiffres la distance qui sépare la mer du point jusqu'où les grandes marées de vive eau se font sentir sur les fleuves et rivières, et qui sert de base à la fixation des limites de l'inscription maritime. Quelques exemples suffiront. Dans la Seine, cepoint était primitivement à Poses, à 144 kilomètres de l'embouchure, bien au-dessus de Rouen; depuis la construction du barrage de Martot, il a été fixé à ce barrage, à 129 kilomètres de la mer. Dans la Loire, il est à 69 kilomètres de l'embouchure, à'Mauves, au-dessus de Nantes; dans la Charente, à 80 kilomètres du port des Barques; dans la Gironde. à 156 kilomètres de l'embouchure; dans la Dordogne, à,160 kilomètres de la mer.
Quant au point de cessation de la salure des eaux, il est généralement placé à une distance inférieure. II y a eu sur ce point un dissentiment entre le ministre de la marine et le ministre des finances. Une instruction du ministre de la marine, en date du 8 décembre 1852, expose qu'il désirait fixer ce point d'après l'influence de la haute marée
d'équinoxe; le ministre des finances pensait qu'il était préférable de s'attacher à l'influence de la marée basse. On a adopté une solution moyenne en prenant pour limite le point où se fait sentir l'influence des hautes marées moyennes de pleine et nouvelle lune. Pour ce qui est des limites de la mer à l'embouchure des fleuves, l'article 2 du décret du 21 février 18a2, qui les prévoit, est loin de les assimiler à celles que prévoit l'article 1" Les règles de compétence et d'instruction qu'il pose indiquent déjà qu'il s'agit d'une opération d'une autre nature, ayant un autre but, reposant sur des bases différentes. « Les limites de la mer, dit cet article, seront déterminées par des décrets du président de la République, rendus sous forme de règlements d'administration publique, tous les droits des tiers réservés, sur le rapport du ministre des travaux publics, lorsque cette délimitation aura lieu à l'embouchure des fleuves et rivières, et sur le rapport du ministre de la marine, lorsque cette délimitation aura lieu sur un autre point du littoral. »
L'opération prévue dans cet article et pour laquelle le législateur a donné de tout autres garanties que pour les limites de l'inscription maritime et de la salure des eaux est bien la délimitation du rivage de la mer. L'article prévoit deux cas. Dans ses derniers mots, il règle le cas le plus ordinaire, celui où la mer seule touche le rivage. Il s'agit de fixer les limites de la mer et de la terre c'est le ministre de la marine qui est chargé de diriger l'opération. Nous nous sommes déjà expliqué sur les bases de cette délimitation. Mais sur les points du littoral où le rivage est coupé par l'embouchure d'un fleuve ou d'une rivière et où les eaux du fleuve ou de la rivière se mêlent à celles de la mer, deux décisions successives sont nécessaires. Il faut, pour pouvoir fixer les limites de la mer et de la terre, déterminer d'abord le point où s'arrête le fleuve. Une fois ce point fixé par une ligne transversale, les rives situées en aval sont nécessairement considérées comme le rivage de la mer. C'est pour la délimitation préalable de la mer et du fleuve que le ministre des travaux publics, chargé de la police des fleuves et rivières, est appelé à intervenir.
Il ne faut pas confondre ces trois opérations et dire qu'elles ont pour but de déterminer, à divers points de vue, le domaine maritime, comme l'a fait la cour de cassation dans un arrêt du 28 juillet 1869 rendu au sujet de la fixation des limites de la mer à l'embouchure de la rivière la Vie 1. Il importe essentiellement de réserver le mot de domaine maritime, de domaine public maritime pour l'appliquer aux
L Dalloz, 1869, I, 489.
questions de propriété, comme le fait le code civil, et comme le font tous les auteurs.
Quelles sont les bases sur lesquelles doit se fonder une délimitation de la mer à l'embouchure d'un fleuve? La législation est muette à cet égard. Le texte de l'ordonnance de i68i ne s'applique évidemment qu'à la délimitation de la mer et de la terre, puisqu'il parle de ce que « la mer couvre et découvre pendant les nouvetles et pleines lunes, et jusqu'où le plus grand flot de mars se peut étendre sur les grèves, a
A quels signes peut-on reconnaître le point où le fleuve se termine et où commence la mer?
Les éléments dont on peut avoir à tenir compte sont d'un côté, la configuration des rives par lesquelles le fleuve se distingue facilement de la mer dans la plus grande partie de son cours, mais qui peut laisser place à des doutes quand on se trouve en présence d'estuaires subitement élargis où les eaux de la mer et celles du fleuve s'introduisent dans des proportions sensiblement différentes; d'un autre côté, les différents signes qui indiquent l'action puissante de la mer, à savoir le mouvement des eaux, leur salure, l'origine des terrains qui composent le rivage, la nature de la végétation qui les couvre. Faut-il s'attacher à l'un à l'exclusion de l'autre? faut-il les combiner? Si on les combine, devra-t-on considérer l'un d'entre eux comme prépondérant. et les autres comme accessoires?
Deux solutions simples, absolues, ne comportant aucune nuance, peuvent se présenter à l'esprit toutes deux radicalement opposées l'une à l'autre. On peut prétendre que la mer remonte dans les fleuves et rivières jusqu'au point où le plus grand flot de mars refoule les eaux du fleuve ou de la rivière. On peut soutenir au contraire que le fleuve ou la rivière se maintient jusqu'au moment où ses eaux se perdent définitivement dans la mer à marée basse et qu'il faut séparer la mer du fleuve par une ligne qui rétablit la continuité du rivage sans tenir compte de l'échancrure où pénètre le fleuve.
Ces deux systèmes étaient ceux entre lesquels se partageaient les opinions des auteurs etlajurisprudence avanti789, et ils ont été encore soutenus et appliqués à une époque très récente.
Examinons-les de près. En les appréciant nous pourrons préparer l'appréciation des systèmes intermédiaires qui se rattachent, avec certaines atténuations, à l'un ou à l'autre.
Commençons par l'opinion qui pousse à l'extrême les prétentions de l'État.
Avant 1789, la doctrine qui prétend faire remonter la mer dans l'intérieur des fleuves et rivières jusqu'au point où se fait sentir l'action
du plus grand flot de mars était soutenue par le domaine, et plusieurs décisions administratives l'avaient mise en pratique.
Mais elle fut énergiquement combattue par les auteurs et condamnée par les parlements et par le conseil d'État.
On a dit que Valin, dans son commentaire de l'ordonnance de 1681 semble l'approuver. II n'en est rien. Valin n'a pas abordé cette question. Il soutient, en expliquant l'article 1" du titre VII de l'ordonnance, que la juridiction de l'amirauté s'étend dans les rivières jusqu'à l'endroit où le grand flot de mars cesse de s'y faire sentir. Mais il ne s'agit ici que d'une question de compétence qu'il avait déjà approfondie en expliquant les articles a, 6 et 8 du titre II. Cette solution n'a aucune influence au point de vue domanial.
Deux auteurs considérables, tous deux arrivés en 1789 à la moitié de leur brillante carrière de jurisconsultes, exposent au contraire en détail la polémique qui s'est produite avant 1789. Nous voulons parler d'Henrion de Pansey et de Merlin.
Henrion de Pansey, dans ses Dissertations féodales, publiées en 1789 (on va voir que le travail était écrit avant la Révolution), discute cette thèse à l'occasion d'un débat plus général qui s'était soulevé sur la question de savoir à qui du roi ou des propriétaires riverains appartiennent les alluvions qui se forment sur les bords des fleuves et rivières navigables i
« Deux arrêts du conseil des 5 juillet et 31 octobre 1783, dit-il avaient ordonné l'aliénation au profit du roi de toutes les alluvions formées sur les bords des rivières de Gironde, Garonne et Dordogne. « Ces arrêts portaient la ruine et le trouble dans une multitude de familles. Le parlement de Bordeaux crut pouvoir s'opposer à leur exécution, et le roi voulut bien discuter cette question avec lui. En conséquence, les magistrats de cette cour se rendirent tous à Versailles. La conférence se tint dans le cabinet du roi le 29 juillet 1786 et commença à 11 heures du matin. Là cette importante question fut envisagée sous tous ses rapports; enfin, à 6 heures du soir, après avoir discuté toutes ces difficultés, examiné le véritable sens des lois antérieures; en un mot, après avoir tenu, pendant sept heures et d'une main toujours ferme, la balance entre la nation et la couronne, le roi prononça contre lui-même et déclara tous les riverains propriétaires des alluvions. »
C'est dans le cours de l'exposé des principes et des autorités sur lesquels est fondée la décision royale qu'Henrion de Pansey aborde le point qui nous occupe en ce moment.
1. Tome I", p. 650, v Eaux, § 6. A. TOME II.
« Ceux qui veulent dépouiller les riverains de leurs propriétés prétendraient-ils que les bords des fleuves navigables, dans lesquels il y a flux et reflux, et les terres que le grand flot de mars couvre sur les rives de ces fleuves font partie du domaine de la couronne? L'ordonnance de la marine ne parle que des bords de la mer et non de ceux des rivières navigables. Elle ne parle que des grèves qui sont sur le bord de la mer et non des terres cultivées au bord des rivières et possédées par des particuliers. La marée, qui couvre deux fois dans vingt-quatre heures les rives des fleuves navigables, n'opère aucun changement dans la propriété. Ces terres sont également susceptibles de culture. Elles peuvent être fertilisées par les mains de l'homme. La marée imprime une servitude de passage sur le fonds qui la reçoit, sans priver le cultivateur du fruit de son travail.
« Ces raisons suturaient sans doute. Mais la loi elle-même vient les consacrer et leur donne un degré d'autorité auquel il n'est pas permis de résister. Elle décide, en termes exprès, que le débordement des Neuves, causé par l'abondance des pluies et par les marées, n'étend point leur rivage et ne peut par conséquent nuire aux propriétés privées. »
Ici Henrion de Pansey invoque le § 5 de la loi 1 de /?MH!:M~Ms qui porte « c~erMm si ?Ma~o ~~Ms, mari, vel qua alia ratione ad tempus ~crCt)~, t'~as non mutat.
« n a été rendu depuis peu, ajoute-t-il, quatre arrêts solennels du conseil de la grande direction (on sait que c'était une commission permanente rattachée au conseil royal des finances) par lesquels il a été jugé que les terrains situés près des bords des rivières affluentes à la mer et couverts périodiquement par les eaux de ces rivières, lors du flux et du reflux, ne font pas partie des rivages de la mer et qu'ils appartiennent en toute propriété aux particuliers qui les possèdent et les font valoir.
M Les deux premiers de ces arrêts, du 6 août et du 13 décembre 1 /71, ont déclaré patrimoniaux les marais et grèves d'Abbeville et d'Amfreville sur lesquels le flux de la mer se porte régulièrement dans les hautes marées. t
« Le troisième, du 17 juillet 1778, rendu au profit du seigneur et des habitants de Salnelles, a annulé une concession, surprise en 1763, du marais ou commun de Salnelles, situé sur la rivière d'Orne, qui est baigné périodiquement par les eaux de cette rivière dans les hautes marées, et ce nonobstant aux arrêts du conseil des finances, par lesquels ce seigneur et ces habitants avaient été déboutés de leurs oppositions à cette concession.
<. Le quatrième, du 12 août 1782, sans s'arrêter à des fins de non-
recevoir proposées par le marquis de Courcy, concessionnaire, a ordonné l'exécution d'un arrêt du parlement de Rouen du 21 mars 1770 qui avait déclaré la concession obreptice et subreptice et avait jugé que la grève de Brevant n'était pas un bord et rivage de la mer,quoique le grand flot de mars s'y portât, et, en conséquence, avait maintenu le seigneur et les habitants propriétaires, etc. » De son côté, Merlin, dans ses Questions de droit, au mot Rivages de la mer, s'exprime ainsi « Très souvent dans les rivières qui ont leur embouchure dans la mer, le flux remonte les eaux beaucoup plus loin que le plus grand flot de mars ou d'hiver ne s'étend sur les grèves Doit-on, pour cela, réputer rivages maritimes les terres situées le long de ces rivières?
« Non, sans doute; et s'il en était autrement, les bords de la mer s'étendraient en certains endroits à plus de 30 myriamètres (soixante lieues) au delà de la mer même, chose absurde et qui n'est certainement pas entrée dans les vues de l'ordonnance de 1681.
« A la vérité, il est arrivé souvent que des gens, avides d'envahir des propriétés particulières, se sont servis de ce prétexte pour en demander la concession à l'ancien gouvernement, et qu'un zèle extrême à étendre les droits du domaine public a fait accueillir ces demandes indiscrètes; mais toutes les fois que l'ancien gouvernement a été instruit par de justes réclamations, il est revenu sur ses pas et a condamné ses propres concessionnaires.
« On peut citer là-dessus quatre arrêts du conseil bien remarquables. » (Ce sont les arrêts que rapporte Henrion de Pansey.) La même doctrine a été affirmée aussi nettement depuis 1789 par plusieurs décisions de l'autorité judiciaire.
Le 23 juin 1830, la cour de cassation rejetait un pourvoi formé contre un arrêt de la cour de Rennes, rendu au sujet de difficultés soulevées entre l'administration et un sieur Riou-Kerhallet, riverain de la Penfeld 1. La cour de Rennes avait jugé « que les terres situées sur le bord d'une rivière, quoiqu'elles soient successivement couvertes et découvertes par l'effet du flux et du reflux, ne cessent pas d'en former la rive et d'appartenir au propriétaire de l'héritage dont elles font partie, de la même manière que celles sur lesquelles s'exerce le marchepied des rivières navigables et flottables. » La cour de cassation n'a pas développé sa théorie en rejetant le pourvoi. Partant de ce point de droit que les articles 1 et 2 du titre VII du livre IV de l'ordonnance de 1681 ne s'appliquent qu'au rivage de la mer, et de ce point de fait que la Penfeld est incontestablement une rivière, elle 1. Dalloz, 1830, I, 307.
décide que la cour de Rennes n'a violé aucune loi en jugeant que les terrains litigieux étaient des propriétés privées.
La théorie s'affirme plus nettement dans l'arrêt du 22 juillet 1841 relatif à l'affaire du sieur Manneville, dont les terrains étaient situés près d'Honfleur, à l'embouchure de la Seine.
<c Attendu, dit cet arrêt, qu'il ne ressort d'aucune de nos lois et ordonnances, tant anciennes que nouvelles, sainement interprétées, qu'un fleuve affluant à la mer change de nature par l'effet du flux de la mer dans son lit, à ce point qu'il doive être considéré comme bras de mer dans les parties instantanément couvertes par les hautes eaux et que ses rives cessent d'être fluviales pour prendre le caractère de rives maritimes; que, loin qu'il en soit ainsi, la jurisprudence de tous les temps a généralement repoussé les prétentions du domaine public à cet égard '.H »
Du reste, le ministre de la marine a lui-même adopté cette doctrine à plusieurs reprises. Dans une circulaire du 3 avril 18Si, il disait « L'exercice de la libre pêche côtiëre dans la partie des fleuves et rivières où remonte la marée ne saurait imprimer à leurs rives le caractère de domanialité publique du rivage de la mer dont l'article 1" titre VII, livre IV de l'ordonnance d'août 1681 a déterminé la limite; j'adhère complètement en conséquence aux conclusions d'un arrêt du 23 juin 1830 par lequel la cour de cassation a décide que cc le bord d'une « rivière, même couvert par les flots de la mer, reste bord de rivière « et n'est pas rivage de la mer. ))
Cette circulaire est rappelée dans une lettre au préfet du Finistère en date du 9 octobre 18a5, insérée au Bulletin officiel de la ~w:< On pourrait croire, en face de ces instructions du minisire, qu'il était inutile d'insister comme nous venons de le faire sur l'inexactitude de la doctrine qui fait remonter la mer dans les fleuves et rivières jusqu'au point où se fait sentir le plus grand flot de mars. On verra bientôt que la doctrine adoptée par l'administration dans beaucoup de cas se rapproche singulièrement de cette doctrine excessive et n'en diffère que par une question de mesure.
Venons maintenant au système inverse, à celui qui n'admet pas qu'un cours d'eau perde sa nature, au point de vue de la domanialité des rives, par l'effet de l'introduction des eaux de la mer qui regonlient ses eaux.
Dans ce système, on s'attache exclusivement à la configuration des rives. La qualité de rivage de la mer, dit-on, ne peut être attribuée qu'à la grève, à la plage, au terrain qui, à marée basse, reste en 1. Dalloz, i8H, I, 329.
contact exclusif avec les eaux de la mer. Le mot de grève ne peut, sous aucun rapport, s'appliquer aux rives ou terrains entre lesquels se trouve resserré le cours d'une rivière. Il faut fixer la limite de la mer au point le plus bas de l'embouchure des fleuves et rivières, en tirant une ligne qui rétablisse la continuité du rivage interrompue par le fleuve.
Ce système a été soutenu par la cour de Rennes dans l'arrêt du 18 mai 1829 relatif à l'affaire de la Penfeld, confirmé en termes très sobres par la cour de cassation le 23 juin 1830. Il l'était également par la cour de Rouen dans l'arrêt rendu sur l'affaire de l'embouchure de la Seine, confirmé par la cour de cassation le 22 juillet 1841. Mais la cour suprême ne se l'était pas approprié explicitement avant l'arrêt du 28 juillet 1869, relatif à l'embouchure de la rivière la Vie (Vendée). « Attendu, dit cet arrêt, que si l'article 1' titre 7 de l'ordonnance du mois d'août 1681 répute bord et rivage de la mer tout ce qu'elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes et jusqu'où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves, elle n'entend évidemment parler que des terrains qui bordent la mer, de la plage qui, même en temps de marée basse, se trouve en contact avec les eaux de la mer;
« Attendu que lorsqu'un cours d'eau vient se jeter dans la mer, il conserve sa nature et sa dénomination propre jusqu'au moment où il se perd dans la mer. les limites de celle-ci s'arrêtant là où les falaises et les grèves sont interrompues par les rives du fleuve et, réciproquement, celui-ci et ses rives se prolongeant jusqu'au point où elles coupent les falaises et le rivage de la mer 1. »
Nous devons ajouter que le conseil général des ponts et chaussées s'est rallié à cette doctrine dans plusieurs de ses avis.
Ce système, inspiré par une répugnance légitime contre la doctrine opposée, a le tort de ne pas tenir un compte suffisant de la variété des faits qui se produisent à l'embouchure des fleuves et rivières dans la mer. Il paraît reposer sur une hypothèse géologique qui peut être vraie quelquefois, mais qui peut être souvent inexacte, à savoir que c'est le fleuve ou la rivière aboutissant à la mer qui a formé par son cours toute la coupure du rivage dans laquelle ses eaux viennent rejoindre celles de la mer. En est-il toujours ainsi? Cela est admissible pour de grands fleuves, surtout s'ils coulent à travers un terrain qui n'offre pas de résistance. Mais le rivage de la mer sur les points où n'aboutit aucun fleuve, aucune rivière, présente de nombreuses et profondes échancrures, par lesquelles les eaux de la mer semblent 1. Dalloz, 1869, J, 489.
remonter dans l'intérieur des terres, et dont le rivage est incontestablement le rivage de la mer. Pourquoi admettrait-on que toute échancrure du rivage dans laquelle un fleuve ou une rivière vient se j eter doit être attribuée à. l'action du fleuve ou de la rivière et être considérée comme la suite de son !it? Est-il vraisemblable que l'origine des nombreuses déchirures qui se sont produites dans les côtes granitiques de la Bretagne soit due aux eaux des petites rivières qui viennent s'y mêler à celles de la mer et n'en occupent à marée basse qu'une très faible partie?
Il n'y a donc pas là une règle générale, applicable en principe à tous les cas. Nous croyons qu'elle peut être invoquée avec raison lorsque les formes des rives du fleuve se distinguent nettement de celles du rivage de la mer qu'elles viennent couper, et lorsque le volume des eaux du fleuve qui coulent dans l'estuaire n'est pas trop sensiblement inférieur à celui des eaux de la mer. Aussi a-t-il été appliqué dans quelques cas, notamment pour la Loire, pour la Gironde et pour quelques petites rivières Mais il n'a pas été généralisé et les motifs que nous venons d'indiquer nous font penser qu'il ne devait pas l'étre.
Après avoir écarté ces deux solutions extrêmes, nous avons à chercher un système intermédiaire qui se rapproche davantage de la vérité.
Ici deux solutions se trouvent encore en présence. La section d'administration du conseil d'État, dans un avis adopté le 24 janvier 1850, au sujet de la délimitation du rivage de la mer dans la baie de l'Orne, avait cherché à établir des règles générales; mais sa doctrine n'était ferme que pour les bases qui devaient être écartées; elle ne t'était pas pour celles qu'il y avait lieu d'adopter. La section écartait l'assimilation des limites de la mer au point de vue du rivage avec celles de la pêche fluviale et de l'inscription maritime. Elle ajoutait « Les autres moyens d'appréciation qui seraient tirés de la salure des eaux de la nature des terrains ou de la forme des rives sont sujets à varier, dans leur application, d'après les lieux et les circonstances; d'où il suit que l'appréciation des faits et des circonstances doit indiquer les éléments de la solution à donner dans chaque espèce. ? I! n'y avait pas ta une règle qui fut de nature à empêcher les écarts. Aussi la jurisprudence administrative, tout en s'abstenant de prendre pour base de délimitation le point où s'arrête l'influence du grand flot de mars, n'en a pas moins fait remonter souvent la mer dans l'intérieur des fleuves et rivières. Elle a généralement, pendant une assez longue 1. Décrets du 8 novembre i8Si et du 26 août dSSTf, etc.
période à partir de 1852, omis de tenir compte de la configuration des rives et s'est fondée exclusivement sur les signes où elle reconnaissait l'influence prépondérante de la mer. Dans la circulaire du 23 mars 1832, le ministre de la marine donnait les instructions suivantes « Je crois opportun de faire observer aux administrateurs de la marine, qui sont régulièrement désignés pour faire partie des commisssions spéciales, que cette limite doit être fixée au point où les eaux cessent d'être~salées d'une manière sensible, où l'on ne remarque plus de dépôts marins, où l'influence des eaux sur la végétation n'est ni nuisible ni délétère, où l'on ne rencontre plus d'herbes marines ni aucun fait géologique prouvant une action puissante de la mer. » Trois ans après, le ministre constatait, dans une lettre en date du 9 octobre 1855, adressée au préfet maritime de Brest et insérée au Bulletin officiel, que sur 20 délimitations faites aux embouchures des rivières dans le deuxième arrondissement, 10 bornaient la mer à la limite extrême de la salure des eaux, 6 en aval et 4 en amont de cette limite. Dans cette lettre, le ministre repoussait, il est vrai, l'opinion du préfet qui considérait les limites de la mer et de la salure des eaux comme identiques. Mais il ne songeait nullement à rectifier les décisions antérieures et il prescrivait de reporter en amont la limite de la salure des eaux jusqu'à la ligne fixée pour la limite de la mer quand elle se trouvait en aval.
On pourrait citer, indépendamment des décisions mentionnées dans la lettre du ministre de la marine pour le deuxième arrondissement maritime, plusieurs décisions qui ont fait remonter la mer assez loin dans des rivières entre deux rives parallèles et qui la bornaient seulement au point où la navigation maritime était interrompue par un pont ou par des écluses. Une des décisions les plus remarquables en ce genre est le décret du 19 avril 1852, rendu au sujet de la rivière la Seudre (Charente-Inférieure), qui a fait remonter la mer jusqu'à l'écluse de Riberou à 22 kilomètres en amont de l'embouchure, malgré les réclamations des riverains qui alléguaient que cette délimitation attribuerait au rivage de la mer plus de 18,000 parcelles cadastrées couvertes par les eaux de la rivière au moment des marées, dont ils étaient propriétaires en vertu de titres authentiques ou d'une transmission héréditaire. A la vérité, l'administration a reculé devant les difficultés qu'entraînerait l'exécution de cette décision. L'affaire mérite d'être racontée en détail, et c'est un rapport du ministre de la marine inséré au Bulletin officiel en 1866 qui nous fournit les éléments de cet exposé.
Depuis un temps bien ancien déjà, les terrains situés au delà des marais salants, sur les bords de la Seudre et qu'on appelle sartières,
ont été en partie consacrés à rétablissement de claires à huîtres; c'est là que le coquillage déposé acquiert assez rapidement un développement, une couleur verdâtre, enfin des qualités qui ont donné à ces huîtres, connues sous le nom d'huîtres de Marennes, une réputation qui les fait rechercher.
Bien que ces terrains fussent recouverts par les eaux des marées de syzygie, et qu'on ne pût pas les entourer de dignes insubmersibles sans détruire l'industrie à laquelle ils étaient consacrés, ils n'en ont pas moins été considérés, pour un certain nombre de parcelles, comme propriétés privées des concessions avaient été faites antérieurement à 1789, et les tribunaux, appelés à se prononcer, ont reconnu la. validité des titres invoqués.
Mais peu à peu, quelques-uns de ces établissements ayant envahi une partie même du lit de la Seudre, l'administration dut faire cesser un état de choses préjudiciable à la navigation.
Une ordonnance du 5 octobre 1841 prescrivit une délimitation ayant pour objet de déterminer d'un côté, ce qu'il importait de laisser libre de tout obstacle, de tout établissement privé, enfin ce qui devait être considéré comme appartenant au domaine public; de l'autre, ce qui pouvait sans inconvénient entrer dans le domaine utile de l'État, sauf bien entendu les droits que les riverains pourraient faire valoir.
Cette ordonnance, dans son .article 3, porte que le lit de la Seudre et de ses affluents et les chemins nécessaires au halage des bâtiments seront limités par une ligne tracée sur les relais de chaque rive, à 10 mètres au moins de la ligne où le sol cesse d'être actuellement couvert d'herbes.
Tel était l'état des choses lorsque le décret du 19 avril 18o2 fixa la limite entre la mer et la Seudre à l'écluse de Riberou.
Malgré la réserve des droits des tiers insérée dans le décret de délimitation, les riverains considérèrent que leur situation était changée, que les terrains couverts par le plus grand flot de mars, à plus forte raison ceux qui étaient couverts par les marées ordinaires ou les hautes marées de chaque mois, pouvaient être revendiqués par l'administration comme une dépendance du domaine public imprescriptible et inaliénable. Ils purent craindre que leur possession, même fort ancienne, fût contestée si elle n'était pas fondée sur des titres antérieurs à 1S66 ou sur des ventes nationales. De 'nombreuses pétitions, appuyées par le conseil général de la Charente-Inférieure, demandèrent une décision nouvelle. Le gouvernement, sans rapporter expressément le décret du 19 avril 1852, en annula les effets. Un décret du 26 mai 1866 ordonna que les terrains des bords de la Seudre, situés
en dehors des limites tracées en exécution de l'article 3 de l'ordonnance du 6 octobre 1841, seraient remis à l'administration des domaines sous réserve des droits des tiers.
Par suite, au lieu de se trouver en face du domaine public, les riverains n'avaient plus pour adversaire que le domaine de l'État. La prescription ordinaire pouvait être invoquée. Leurs titres et leur possession avaient une tout autre valeur.
Cette décision, bienveillante à l'égard de certains riverains, strictement juste à l'égard d'un certain nombre d'entre eux, était peut-être inspirée par un arrêt du conseil d'État au contentieux rendu le 27 mai 1863 qui avait annulé, pour excès de pouvoirs, sur la demande du sieur Drillet de Lanigou, un décret relatif à la délimitation du rivage de la mer à l'embouchure de la rivière la Canche.
C'était la première fois que le conseil d'État au contentieux était appelé à apprécier la jurisprudence administrative établie pour l'exécution du décret du 21 février 1852. H fut frappé de l'analogie de cette jurisprudence avec celle contre laquelle s'étaient élevés les jurisconsultes de l'ancien régime. La doctrine développée par Henrion de Pansey, dans ses Dissertations féodales, fut rappelée dans les remarquables conclusions du commissaire du gouvernement, M. L'Hôpital, et elle servit de base à son argumentation contre le décret attaqué. H s'agissait d'un terrain situé à 13 kilomètres de l'embouchure de la Canche. Il avait été concédé aux auteurs du réclamant par arrêt du conseil du roi du 14 juin 1774; une partie avait été enclose par des digues; une autre partie, non protégée par des digues, avait donné lieu à un procès devant les tribunaux civils, entre le domaine et les auteurs du requérant, qui en avaient été reconnus propriétaires depuis 1822, en vertu de l'article 556 du code civil relatif aux alluvions des fleuves et rivières navigables.
L'administration des domaines prétendait que, par suite de la nouvelle délimitation de la mer à l'embouchure de la rivière la Canche, ces terrains étaient une dépendance du rivage de la mer; que, dès lors, ils étaient redevenus propriété domaniale. Elle avait expulsé les propriétaires et passé un bail avec leur propre fermier et, de son côté, le conseil de préfecture avait condamné les propriétaires à l'amende pour avoir planté une haie sur le terrain litigieux. Le conseil d'État, après avoir rapporté tous ces faits dans son arrêt, décida que le terrain litigieux étant situé à 15 kilomètres de l'embouchure de la Canche, et étant mis en culture, ne saurait, sous aucun rapport, être considéré comme une grève dépendant du rivage de la mer et que le décret de délimitation, qui avait compris ce terrain dans le rivage de la mer, en se fondant sur ce qu'il était couvert par le
regonflement des eaux de la rivière la Canche, à l'époque des plus grandes marées, avait été rendu contrairement aux dispositions de l'ordonnancedel681.
Toutefois il faut dire que l'arrêt du conseil d'État du 83 mai 1863 ne donnait pas un enseignement complet. Il signalait nettement l'excès dans lequel l'administration devait éviter de tomber. Il n'indiquait pas les éléments d'une solution destinée à remplacer celle qu'il condam'nait justement.
Le défaut capital du système soutenu par le ministre de la marine dans ses instructions, c'est qu'il prétend résoudre une question complexe avec un critérium unique, la salure des eaux.
Dès le début de notre enseignement a l'École des ponts et chaussées en 1863, nous avons soutenu, en nous inspirant des bonnes traditions du conseil d'État, qu'il fallait tenir compte d'abord de la configuration des rives, puis de la nature des eaux et de la nature des bords. La salure des eaux indique la mer, mais le parallélisme des rives indique le fleuve. Quand ce dernier élément est nettement accusé, il suffit pour distinguer le fleuve et la mer. Mais si l'on consulte la carte de l'état-major, on verra que la configuration des rives des fleuves et rivières à leur embouchure dans la mer est assez variable. II est rare de rencontrer deux lignes à peu près parallèles jusqu'au bout accompagnant le fleuve et coupant plus ou moins à angle droit le littoral de la mer.
Parfois le parallélisme, et ici on ne doit pas entendre le mot avec la rigueur géométrique, s'interrompt; on se trouve en face d'une vaste étendue d'eau ayant la forme d'un lac, puis le parallélisme reprend. Dans ce cas, on est toujours en face du fleuve.
Dans d'autres cas, le fleuve, resserré jusque-là entre deux rives plus ou moins parallèles, mais assez rapprochées, débouche dans un vaste estuaire, dont les bords, tout en pénétrant dans l'intérieur des terres, se rattachent plutôt par leur forme au rivage de la mer qu'aux rives du fleuve. IcHa configuration des rives peut faire douter si l'on est en présence du fleuve ou de la mer; il faut trancher la question en tenant compte du volume des eaux salées par rapport aux eaux douces et de la nature des atterrissements.
Cette solution, que nous croyons la plus exacte, a été consacrée en grande partie par un avis de doctrine du conseil d'État rendu le 4 mars 1875, conformément a la proposition de la section des travaux publics, et sur le rapport de M. Griolet, au sujet de la délimitation de la mer à l'embouchure de l'Odet (Finistère).
Le ministre des travaux publics, sur l'avis de la commission locale, avait proposé en 1872 de fixer les limites de la mer au port même de
Quimper, à 19 kilomètres dans l'intérieur des terres. La commission provisoire remplaçant le conseil d'État avait repoussé ce projet comme absolument contraire à la règle posée dans l'arrêt du conseil de 1863. Après une nouvelle instruction, le ministre proposait en 1875 de fixer la limite à quelques kilomètres en aval de Quimper, à un point où l'Odet forme un vaste bassin et où le parallélisme des rives est interrompu, bien qu'il reprenne ensuite sur une longueur considérable jusqu'à la mer.
Le nouveau projet de décret a été repoussé, comme le précédent. Voici les principaux motifs de l'avis qui justifiait la délimitation définitivement adoptée, et dont les termes n'ont jamais été publiés « Considérant que les fleuves et les rivières affluant directement à la mer conservent leur caractère propre jusqu'au point où leur lit s'élargit de manière à former une baie qui se confonde avec la mer, quelles que puissent être d'ailleurs, en amont de l'embouchure, l'altération des eaux et les déformations des rives;
« Qu'à la vérité, il importe de distinguer des fleuves proprement dits les baies étroites et profondes que présentent certaines côtes et qui font partie du domaine public maritime, alors même qu'elles recevraient les eaux de quelques cours d'eau de peu d'importance;« Mais que le lit dans lequel coule l'Odet à partir de Quimper jusqu'à l'Océan sur une étendue de 19 kilomètres environ offre les caractères généraux d'une véritable rivière, notamment à raison de la direction et de la forme de ses rives;
« Qu'en effet si, à quelques kilomètres de Quimper, l'Odet forme un vaste bassin appelé baie de Lédanon, il coule ensuite dans un canal relativement étroit et ne présentant qu'un petit nombre d'enfoncements, sur une longueur de près de 12 kilomètres; « Qu'en conséquence la limite de la mer à l'embouchure de l'Odet doit être Sxée non. mais au fond de la baie où débouchent les eaux de l'Odet. »
L'avis de 1875 ne résout pas complètement la question de savoir à quels signes on reconnaît qu'une baie où débouche un fleuve fait partie du Qeuve ou de la mer. Cette question a été tranchée par l'arrêt du 6 mars 1882, rendu dans l'affaire de la délimitation de la mer à l'embouchure de la Seine. Nous avons déjà indiqué cet arrêt en discutant les bases de la délimitation du rivage de la mer, mais nous avons dit que deux questions étaient soulevées devant le conseil d'État et que la délimitation de la mer et du fleuve était également contestée. Sur le premier point, les riverains ont obtenu gain de cause; sur le second, ils ont succombé.
Rien n'avait manqué à la défense des riverains. Ils avaient présenté
des observations dans l'instruction administrative qui a précédé le décret attaqué. Ils pouvaient invoquer comme précédent un arrêt de la cour de Rouen, confirmé par la cour de cassation en 1841, rendu dans l'affaire ~MMee~e. Le conseil d'État au contentieux, préoccupé de la difficulté de la question, avait fait vérifier les lieux par une commission spéciale de quatre de ses membres. EnGn à l'audience publique du conseil d'État, le commissaire du gouvernement, M. Le Vavasseur de Précourt, a conclu en leur faveur. C'est dans ces conditions que leur prétention a été rejetée.
Quelle est la doctrine que le conseil d'État a approuvée, qu'il a considérée comme conforme à la loi?
Dans une matière aussi détieate, il ne faut pas analyser, il faut citer. Le conseil décide que la délimitation transversale de la mer et de la Seine à son embouchure, telle qu'elle résulte du décret attaqué, n'a pas étendu le domaine maritime au delà de ses limites naturelles par rapport à l'embouchure de la Seine. Voici ses motifs.
« Le relief et la direction des côtes, dont le parallëlisme'a définitivement disparu, l'étendue et la forme du bassin qu'elles circonscrivent en aval de la délimitation contestée, révèlent l'existence d'une baie maritime qui pénètre à une certaine profondeur dans les terres et dans laquelle la Seine a son embouchure. Si les eaux du fleuve parcourent cette baie, avant de gagner la pleine mer, en suivant un chenal relativement étroit, dont la direction est mouvante et variable, il ne s'ensuit pas que ladite baie puisse être considérée comme formant le lit du fleuve.
« D'autre part, les eaux qui occupent la baie, en dehors du chenal dont il a été fait mention, sont les eaux de la mer, qui s'élèvent ou s'abaissent selon le mouvement des marées, et dont le volume dépasse dans des proportions considérables celui des eaux fluviales.
« Enfin les atterrissements qui se forment dans la baie ou sur ses bords proviennent non des apports du fleuve, mais des eaux de la mer qui déposent dans l'estuaire des matériaux enlevés par elle aux rivages de la mer.
Le conseil résume sa décision en disant « qu'ainsi le caractère maritime de la baie de Seine, en aval de la délimitation contestée, résulte à la fois de la configuration physique de ladite baie, de la nature des eaux qui l'occupent et de la nature des atterrissements qui s'y forment. »
En réunissant l'arrêt du conseil d'État du 27 mai 1863, l'avis de doctrine du 4 mars i87S et l'arrêt du 6 mars 1882, on a les éléments d'une théorie complète, juste pour les riverains, juste pour l'État.
Nous souhaitons qu'elle mette fin aux difficultés dont nous avons dû faire le trop long exposé 1.
IV
Il ne nous reste plus à étudier que les conditions dans lesquelles l'autorité publique statue sur la délimitation du rivage de la mer, à rechercher quels sont les pouvoirs des autorités locales et de l'autorité centrale, quels sont les effets des actes administratifs, quelles sont les réclamations auxquelles ils peuvent donner lieu, comment et par quelle juridiction ces réclamations sont jugées. On apprécie mieux les questions de cet ordre en les groupant.
Elles ont donné lieu à de très longs débats, à de profonds dissentiments entre le conseil d'État, la cour de cassation et le tribunal des conflits. Elles ont été discutées à de nombreuses reprises dans les ouvrages de droit administratif et dans les revues spéciales. La controverse entre le conseil d'État, statuant soit comme juge des conflits, soit comme juridiction administrative suprême, et la cour de cassation, a duré de 1842 à 1873. Elle n'a été terminée que par le tribunal des conflits institué par la loi du 24 mai 1872 et composé, comme on le sait, principalement de membres des deux juridictions suprêmes élus par le corps dont ils font partie.
La polémique entre les auteurs a été vive surtout en 1868, 1869 et 1872. La Revue critique de législation et de jurisprudence a publié successivement en 1868 et 1869 des articles de M. Albert Christophle et de l'auteur du présent travail, avec des répliques de chacun d'eux, puis des articles de M. Serrigny et de M. Batbie. La discussion s'est ranimée en 1872 entre M. Reverchon et M. Laferrière. M. Laferrière était seul avec nous à défendre complètement la jurisprudence du conseil. M. Batbie ne la soutenait qu'en partie Après les décisions 1. Cette opinion est soutenue par M. Chalvet dans son travail précité sur la législation des bords de la mer, n° 30, et l'auteur était fonctionnaire de l'administration des domaines quand il a publié cette étude. Elle est adoptée aussi par M. Plocque, De la mer et de la ?:a'u!'ya<:o7: maritime, n° 169. Mais elle est combattue par M. Fournier, commissaire de la marine, dans son travail sur la Domanialitépublique maritime inséré dans la Revue maritime et coloniale de 1878, t. LVII, p. 579. M. Fournier soutient que l'on doit tenir compte avant tout de la nature des eaux et de leur volume. C'est aussi dans ce sens que se prononce l'auteur anonyme d'un résumé de jurisprudence publié en tête d'une brochure sur la Délimitation de la mer à l'embouchure de la Seine (1882), p. 9.
2. Revue critique, 1868, Impartie, p. 385; 1869, l'-e partie, 121, 353 et 433; 2' partie, p. 105 et p. 297; 1872, p. 275 et 353.
prises par le tribunal des conflits en 1873, les Annales des ponts et chaussées ont publié, en 1874, d'abord un article de M. Schlemmer, ingénieur en chef, qui combattait une partie de ces décisions, puis un article de M. Kleitz, inspecteur général des ponts et chaussées, qui les approuvait presque complètement'.De son côté, M.Ducrocq, dans son Ct'Mt's de droit a~MH:M{yah' (6e édition, t. II, p. H9), a vivement attaqué la dernière jurisprudence du tribunal des conflits. M. Batbie la conteste également dans son Traité de ~'ot~MMc et administratif (2° édition, t. V, p. 328).
Il faudrait un volume pour reproduire et apprécier en détail ces polémiques. Mais quand on y regarde de près, alors qu'un certain délai s'est écoulé, qu'il a fait disparaître les circonstances qui donnaient à la lutte quelque vivacité, qu'il a permis d'élaguer les arguments inspirés par l'esprit de corps, les subtilités, quelquefois les confusions, on voit qu'il reste debout un très petit nombre de raisons assez graves pour faire pencher dans un sens ou dans l'autre. Il y a d'autres polémiquessur la compétence de la juridiction administrative et de l'autorité judiciaire, dont on ne retrouve plus guère la trace qu'en remontant très haut et qui ne sont plus que des curiosités, ou, si Fon veut, des matières d'érudition pure. Qui parle aujourd'hui de la longue controverse sur la question de savoir si les travaux de voirie et de bâtiments faits pour les services publics communaux peuvent être considérés comme des travaux publics? On signale la règle comme incontestable et l'on passe. Qui parle encore de la controverse sur la compétence relative aux dommages permanents causés par les travaux publics et qu'une jurisprudence longtemps persistante de la cour de cassation a voulu distinguer des dommages temporaires? La question n'est plus discutée depuis 1830.
Nous ne pouvons pas dire qu'il en soit ainsi de toute la controverse relative à la compétence en matière de délimitation du domaine public. Mais il y a beaucoup de points unanimement admis aujourd'hui, définitivement acquis, etsur lesquels il serait superflu d'insister. Et d'abord les pouvoirs de l'administration pour faire la délimitation ne peuvent plus être mis en question. La jurisprudence les a justifiés pendant longtemps, de 1842 à 1852, en se fondant sur le texte de la loi des 22 décembre 1789-janvier 1790 (section III, art. 2, n° 6), qui charge les administrations de département de veiller à la conservation. des rivières, chemins et autres choses communes. Ce texte, qui est encore la seule base de la jurisprudence en matière de délimitation du lit des cours d'eau navigables, est assurément un peu vague. Mais 1. Annales, 1874, n' li, p. 209; n° 12, p. 272.
il a été précisé et fortifié par cette considération que le rôle de l'administration, quand il s'agit de la conservation du domaine public, a un caractère tout différent de celui qui lui appartient quand il s'agit du domaine de l'État, par exemple des lais et relais de la mer qui ne sont plus jamais touchés par le plus grand flot de mars. Dans le second cas, l'administration fait un acte de propriétaire et elle est complètement justiciable des tribunaux civils. Dans le premier, elle fait un acte de puissance publique, dans l'intérêt général; elle exerce nécessairement une autorité. Ce principe fondamental était invoqué dès le début de la jurisprudence, par notre savant maître, M. Boulatignier, lorsqu'il donnait ses conclusions devant le conseil d'État sur le conflit élevé dans l'affaire de la baie des Yeys, jugé par ordonnance du 18 mars 1842. On n'a plus besoin de l'invoquer en matière de délimitation du rivage de la mer depuis la promulgation du décret, ayant force de loi, du 21 février 18o2 auquel nous avons déjà fait allusion et qui a modifié les règles antérieurement suivies.
D'après l'article 2 de ce décret, ce sont des. décrets du président de la République rendus sous forme de règlements d'administration publique, c'est-à-dire le conseil d'État entendu, qui déterminent les limites de la mer. Sur tous les points du littoral de la mer, c'est le ministre de la marine qui dirige l'instruction et fait rendre le décret fixant les limites du rivage. Nous ne reproduisons pas les termes du décret, afin d'en bien faire ressortir le véritable sens. Mais avant qu'un décret fixe le littoral de la mer à l'embouchure des fleuves et rivières, il faut qu'un autre décret fixe la limite qui sépare la mer et le fleuve ou la rivière. Ce décret doit être rendu sur le rapport du ministre des travaux publics. Les attributions du ministre des travaux publics s'exercent pour toutes les eaux courantes'aboutissant à la mer, quelle que soit leur importance.
Le ministre de la marine peut confier indistinctement les opérations préparatoires, soit aux préfets maritimes, soit aux préfets de département. Les plans sont dressés sous les ordres du préfet par des commissions composées de fonctionnaires des administrations de la marine, de la guerre, des finances et des travaux publics, après une visite des lieux et-une enquête dans laquelle les autorités locales et les propriétaires intéressés sont entendus 1.
Quant aux préfets, le décret de 1852 leur donne des attributions dans les termes suivants « Les déclarations de domanialité relatives à des portions du domaine public maritime seront faites par les pré1. Voir les détails dans la circulaire du ministère de la marine';du 18 juin 1864, qui reproduit et complète les précédentes, et dans celle du 16 janvier 1882.
fets maritimes ou par ceux des départements. Leurs arrêtés déclaratifs seront visés par le ministre de la marine. »
Le ministre de la marine a indiqué plusieurs fois la pensée que ce texte donnait aux préfets le pouvoir d'intervenir) en cas d'urgence, pour faire, dans des cas isolés, ce que pouvait faire, pour une grande étendue de littoral, le président de la République avec le concours du conseil d'État. Mais plusieurs déclarations de domanialité prises en i8S2, d'après les ordres du ministre, à l'égard du canal du Roi prés de Martigues, de divers étangs salés du département des Bouches-du-Rhône et du canal du Grau du Lez près de 'Montpellier, ont été annulées, pour excès de pouvoir, par le conseil d'État En effet, pratiqué de cette façon, le pouvoir des préfets aurait absorbé et rendu inutile le pouvoir réservé au chef de l'État. Toute déclaration de domanialité implique une délimitation du domaine public, et le chef de l'État seul peut faire ces délimitations avec les garanties indiquées dans le § i" de l'article 2 du décret de 1832.
Les pouvoirs des préfets doivent donc être bornés au droit de faire des applications partielles d'une délimitation générale résultant d'un décret.
Disons, pour en terminer à cet égard, que la délimitation par l'administration publique, qui est un acte d'autorité, est préjudicielle à tout débat devant l'autorité judiciaire. Cette règle, constamment établie par le conseil d'État, a été confirmée par une décision du tribunal des conflits du 1" mars 1873 (Guillée). Il n'en est pas de même pour la délimitation dans le passé, d'après cette décision, parce qu'il n'y a là qu'un intérêt domanial et non un intérêt de service public. Elle n'est pas nécessairement préjudicielle au jugement d'une contravention pour empiètement sur le rivage de la mer. Le juge de la contravention a nécessairement le pouvoir devériSer les faits qui constituent l'acte délictueux qu'on lui demande de réprimer Arrivons sans tarder au pointimportant, aux effets des décrets de déli.mitation rendus par le président de la République. Ces décisions sont rendues, d'après le texte formel du décret-loi du 2i février 1852, sous la réserve des droits des tiers. Quel est le sens dé cette réserve? Permet-elle aux riverains d'obtenir la rectification de la limite posée par le décret, s'ils prouvent qu'elle est inexacte, et d'obtenir par suite la remise en possession de leurs terrains englobés à tort dans le domaine public? t. cons., 19 juin 18S6(~e Gallifet). Id. (~ardeteoTMO~); 7 janvier 1838 (Agard, Vidal et autres); 28 janvier 1858 (de Graue).
2. A'r. cons., 13 mars i8'?3 (RotM-); 27 mars 18'?4 (Ba~~); 10 janvier 1S.7T
(P<M~.
Leur permet-elle du moins d'obtenir, dans ce cas, une indemnité de dépossession à défaut de la remise en possession de leurs terrains? 2 Les autorise-t-elle, alors même que la délimitation serait reconnue exacte, à faire reconnaître et maintenir leurs droits de propriété et de possession, s'ils justifient que leurs titres leur ont attribué une portion du domaine public à une époque où le domaine public pouvait être régulièrement aliéné?
La réserve des droits des tiers entraîne, d'après la jurisprudence actuelle, toutes ces conséquences. Il importe de préciser dans quelles conditions et de signaler les points controversables.
Ce n'est pas, nous l'avons dit, sans variations que la jurisprudence du conseil d'État et celle de la cour de cassation étaient arrivées aux deux doctrines que le tribunal des conflits a réunies, en élaguant une partie de l'une et une partie de l'autre, dans ses décisions de 1873. La jurisprudence du conseil d'État, tout en affirmant le droit, pour l'administration, de délimiter le domaine public, a pendant longtemps refusé d'admettre les recours contre les actes de délimitation sauf le cas où la délimitation était faite pour le passé et non pour le présent.
Mais l'autorité judiciaire, ne voulant pas laisser sans juges les riverains qui prétendaient que leurs terrains avaient été à tort englobés dans le domaine public, s'était reconnue compétente pour apprécier, à son point de vue, l'exactitude des délimitations. Elle ne prétendait pas avoir le droit de remettre les propriétaires en possession le principe de la séparation des pouvoirs administratif et judiciaire ne le lui permettait pas; mais elle accordait des indemnités si la délimitation lui paraissait inexacte. Cette jurisprudence avait été consacrée en 1850 par le tribunal des conflits 2. Pour justifier sa compétence, et pour éviter le reproche d'empiéter sur le terrain de l'administration, l'autorité judiciaire avait distingué les limites administratives et les limites naturelles. A l'administration appartenait le droit de fixer les limites administratives comme elle le jugerait convenable dans l'intérêt des services publics, à l'autorité judiciaire le droit de reconnaître les limites naturelles et de liquider une indemnité, s'il y avait une diH'érence entre ces deux limites au préjudice des riverains Ce système, légitime dans son but en présence de la jurisprudence adoptée par le conseil d'État à cette époque, avait, surtout dans ses 1. Arr. Cons., 4 avril 184S (Barsalon). 31 mars 1847 (Balias de Soubran). 2. ~ff. du 20 mai 1850 (co~mMne Fizes c. fjÉ<a<).
3. Cassation, 23 mai 1849 (Combalot). 20 mai 1862 (~ÉM c. F~racAow) 21 novembre 1865 (de Hédouville). 14 mai 1866 (Aurousseau).
A. TOME II. 3
motifs, l'inconvénient très grave de reconnaitre à l'administration un pouvoir que la loi ne lui donne pas. Nous l'avons vivement combattu dans les conclusions que nous présentions devant le conseil d'État sur l'affaire des salines de la Gaffette jugée par décret du 13 décembre 1866. L'administration n'a, en matière de rivages de la mer et de cours d'eau navigables, que le droit de conserver le domaine public, de constater les limites naturelles; elle n'a pas le droit d'acquérir et d'exproprier dans des conditions toutes différentes de celles que la loi du 3 mai 1841 a organisées.
Loin d'admettre la doctrine de l'autorité judiciaire sur cette manière d'expropriation sans garanties, le conseil d'État s'est décidé à admettre les recours contre les délimitations inexactes. Il les a accueillis d'abord avec une certaine timidité pour des cas qui semblaient exceptionnels, puis plus largement, et il a bientôt jugé, non plus pour excès de pouvoir, mais au fond, en annulant toute délimitation dont l'inexactitude lui était démontrée. Nous en avons donné plusieurs exemples en exposant les règles à suivre pour fixer les limites du rivage de la mer 1. Nous pourrions en ajouter de plus nombreux qui se rapportent à la fixation des limites du lit des fleuves et rivières navigables La doctrine du conseil a été consacrée par les décisions du tribunal des conflits de 1873; il est inutile d'insister. Ainsi un second point est acquis. La délimitation faite par décret, peut être revisée par le conseil d'État statuant au contentieux, et le résultat de cette revision doit être la remise en possession du propriétaire si la délimitation est démontrée inexacte.
Cette revision ne doit, d'ailleurs, être demandée que lorsque le propriétaire est atteint directement dans ses droits. Les délimitations de la mer à l'embouchure des fleuves, qui ne sont qu'une opération préliminaire de la délimitation du rivage de la mer, ne peuvent être attaquées qu'après que le décret qui fixe les limites du littoral et de la propriété privée a été rendu
N'était-il pas logique d'aller plus loin? Du moment que le conseil d'État ouvrait aux propriétaires un recours contre les fixations de limites inexactes et leur permettait de rentrer en possession de leurs terrains, ne devait-on pas dire que ce recours, qui leur donnait la satisfaction la plus complète, était le seul possible et que l'autorité judi1. 4t'r. coM., 27 mai 1863 (Drillet de Lanigou). V. aussi 15 avril 1868 (Sa.lines de Gaffette), 10 mars 1882 (Duval et autres), 27 juin 1884 (ville de
.'Vcr&OttKe).
a. A~. cons., 23 mai 186t (Coquart), 13 décembre 1866 (Coicaltd), 9 janvier 1868 (~cAaN~OMK), etc. Voir aussi 3 mars 1882 (~mM).
3..4}')'. eoM., 4 août 1876 (Courage ch< Parc).
claire n'avait pas le pouvoir d'infirmer indirectement la décision de l'administration en allouant des indemnités? C'est en ce sens que s'est prononcée la commission provisoire remplaçant le conseil d'État, par deux décisions sur conflit du 7 mai 1871 (Jaboin) et du 13 mars 1872 (Patron). Mais la cour de cassation résistait encore lorsque le tribunal des conflits a été appelé à trancher le débat. La discussion a été solennelle. Nous y avons pris part. Le rapporteur était M. Mercier, appelé peu de temps après à la présidence de la cour de cassation. Le commissaire du gouvernement, M. David, défendit avec une précision et une hauteur de vues remarquables la jurisprudence du conseil d'État. Par sa décision du 11 janvier 1873 (Pan'xLabrosse) le tribunal des conflits a consacré, sur ce dernier point, la jurisprudence de la cour de cassation. Il a jugé que les propriétaires avaient le choix entre deux voies, ou bien se pourvoir soit devant l'administration elle-même, soit devant le conseil d'État au contentieux pour obtenir la rectification des limites et la remise en possession, ou bien s'adresser à l'autorité judiciaire en réclamant une indemnité, et que l'autorité judiciaire avait le droit de reconnaître le droit de propriété invoqué devant elle, de vérifier si le terrain litigieux avait cessé, par le mouvement naturel des eaux, d'être susceptible de propriété privée, et de régler, s'il y avait lieu, une indemnité dans le cas où l'administration maintiendrait une délimitation contraire à son jugement. Cette doctrine a été confirmée par plusieurs décisions On ne peut méconnaître qu'il ne semble pas conforme au principe de la séparation des pouvoirs d'admettre l'autorité judiciaire à discuter une question résolue par l'autorité administrative, dans l'exercice de la puissance publique, et de lui reconnaître le droit de rectifier indirectement les limites contestées, par la mise en demeure d'avoir à payer une indemnité si l'administration ne restitue pas le terrain litigieux. Mais la cour de cassation répond, avec le tribunal des conflits, que les pouvoirs de l'administration doivent, d'après le texte du décret-loi du 21 février 1832, s'exercer sous la réserve des droits des tiers, réserve générale et absolue qui suppose l'exercice de la mission attribuée à l'autorité judiciaire pour trancher les questions de propriété privée, que le texte du décret de 1852 s'explique par la jurisprudence qu'avait adoptée le tribunal des conflits en 18SO et qu'il suffit à l'administration de garder la possession du terrain contesté pour l'affecter au service public.
L'administration des domaines a d'ailleurs trop souvent compromis la cause de la compétence exclusive attribuée à la juridiction adminisiM~f'D mars 1873 ~~)- mai 1876 (commune de .S~o~). 12 mai
1883 (Debordl.
trative en faisant voir que c'était l'intérêt du Trésor, et non celui du service public, qui inspirait certaines délimitations.
D'autre part, il n'est pas contestable (on nous l'avait objecté dans la polémique de 1869) que si le conseil d'État peut donner une satisfaction plus complète aux riverains en annulant directement la décision administrative et ordonnant la remise en possession, les recours devant le conseil ne sont recevables que dans le délai de trois mois à dater de la notification de l'acte attaqué. Au contraire, devant l'autorité judiciaire, l'action en indemnité n'est prescrite que par une durée de trente ans. Il y a là une différence considérable. Ces motifs nous ont amené à ne plus contester la jurisprudence du tribunal des conflits. Nous ne sommes pas seul à modifier notre ancienne opinion sur ce dernier point. Dans le savant ouvrage de M. Laferrière, vice-président du conseil d'État, sur la juridiction a~HHHM~M'e et les recours con~MM.r, qui a paru au moment où nous terminions ce travail, nous avons remarqué (p. 500) des observations analogues qui le conduisent à reconnaître que la solution adoptée par le tribunal des conflits est le seul moyen de concilier les deux compétences.
L'autorité judiciaire doit-elle accorder une indemnité si elle reconnaît que la limite tracée par l'administration est exacte? A notre avis, elle ne le doit pas. La mer se fait son lit. Si l'État n'a pas contribué par des travaux au déplacement des eaux, il n'est pas responsable de leurs caprices. Le tribunal des conflits, dans sa décision du 2-? mai 187& (commune de ~n~ouu~), déclare expressément que « les changements de limite qui peuvent résulter du mouvement naturel des eaux n'ouvrent aucun droit à indemnité ».
Enfin s'il était établi par les réclamants que la portion du domaine publie qu'ils occupent avait été concédée ou vendueà leurs auteurs par des actes passés à une époque où le domaine public était aliénable, ou par des actes de vente de biens nationaux, ce n'est pas une indemnité de dépossession que devrait l'État. La réserve du droit des tiers conduit ici au maintien de la possession on s'y est mépris parfois, mais la jurisprudence relative aux étangs salés, que nous avons exposée plus haut, en fournit de nombreuses preuves. Ce cas n'a rien d'analogue avec celui d'envahissement d'une propriété privée par les eaux de la mer. Les propriétaires ne pourraient être dépossédés que par l'expropriation dans les conditions organisées par la loi du 3 mai i84i. En somme, si la difficulté de trouver et d'appliquer les règles de la législation sur cette matière peut donner lieu à des erreurs, on voit que les propriétaires ne manquent pas de moyens de faire valoir et de faire respecter leurs droits. LÉON Aucoc,
Membre du Comité de perfectionnement de l'Ecole.
LA CONSTITUTION ALLEMANDE
ET
L'HÉGÉMONIE PRUSSIENNE
L'unité politique de l'Allemagne s'est faite principalement sous l'action de nécessités extérieures et nationales chacune des grandes dates de l'histoire contemporaine de ce pays est aussi celle d'un événement européen dont l'Allemagne subit le contre-coup 1806 l'arrache à sa torpeur; 1815 voit naître la Confédération germanique; 1840 réveille contre la France le patriotisme allemand; 1848 fait passer la révolution sur la rive droite du Rhin; 1866 rejette l'Autriche vers l'Orient; 1870 scelle l'alliance du Nord avec le Midi. D'autre part, l'unité politique a été précédée par l'unité économique le Zollverein a préparé la Confédération de 1867; le Parlement douanier de 1868, le Reichstag de 1871. Aussi, dans la constitution de 1867, modifiée en 1871 après la proclamation de l'empire allemand, tous les articles qui concernent le régime financier, douanier, militaire ou diplomatique de la nouvelle union sont-ils rédigés avec la plus extrême précision et la plus grande clarté « On croirait lire les statuts d'une société industrielle, » a dit un éminent publiciste, M. de Laveleye. Tout autre est le caractère des articles constitutionnels qui créent les pouvoirs publics de la Confédération et règlent leur fonctionnement et leurs rapports. C'est à peine si l'on y rencontre le strict -nécessaire; ici, la sobriété du législateur est si marquée et confine si souvent à l'obscurité que le lecteur ne peut se défendre d'éprouver quelque soupçon contre la sincérité et la loyauté du texte. M. de Bismarck, le grand artisan de l'unité allemande et de la constitution de 1867, n'a-t-il point disposé à dessein tous ces dédales juridiques, où se perd parfois l'esprit germanique lui-même, en dépit de sa subtilité bien connue? le chancelier n'a-t-il point voulu cacher sous des couleurs chatoyantes quelque sombre combinaison politique que son audace de joueur heureux reculait à exposer au grand jour? depuis dix-huit ans qu'il applique la constitution allemande, quel
usage en a-t-il fait? cet usage ne trahit-il pas l'intention qui a diète la rédaction du pacte fondamental? quelles sont enfin les conséquences, pour l'Allemagne et pour la Prusse, de la situation que M. de Bismarck a assignée aux divers facteurs de l'empire? C'est ce que l'on se propose de rechercher dans cette étude. Mais il convient tout d'abord de mettre en lumière les difficultés politiques spéciales auxquelles s'est heurté le constituant de 1867, et qu'il a su, en déSnitive, contourner avec une dextérité si consommée une constitution n'est point, en effet, comme la déesse Minerve, l'œuvre accidentelle d'un cerveau plus ou moins malade; elle nait de circonstances données, qui servent à l'éclairer et dont elle ne peut, sans erreur, être isolée.
1
La constitution d'un État fédératif repose, en général, sur deux éléments, dont le législateur s'attache à organiser la représentation l'élément fédéral proprement dit et l'élément populaire. D'un côté, les États ou Cantons qui ont décidé d'entrer en société; de l'autre, la masse du peuple, sans distinction d'origine.
Chaque État ou Canton était souverain avant l'union; il aliène une partie de sa souveraineté au profit d'un fonds commun; dans l'administration de ce fonds commun, il sera l'égal des autres États ou Cantons, comme tout citoyen français est l'égal d'un autre citoyen, sans acception de valeur relative. De là, l'institution du Sénat américain, celle du Conseil des États suisse; chaque État ou Canton y est représenté par un même nombre de membres, quels que soient son importance, son passé ou son avenir.
En même temps, la formation de l'union fédérative donne naissance à un nouveau peuple, au sens latin du mot les citoyens de chaque État ou Canton deviennent citoyens de l'union, et sont représentés en tant que tels, sur la seule base du nombre de ce chef, il y a inégalité entre les États ou les Cantons, soit à la Chambre des représentants aux États-Unis, soit, en Suisse, au Conseil national. Rien n'était aisé comme d'appliquer ce second principe a la Confédération de l'Allemagne du Nord en 1867 le Reichstag ou diète de l'empire fut, en effet, constitué sur la base d'un député par 100,000 habitants, avec un minimum d'un député par État; et ce n'était vraiment que justice d'agir ainsi, car l'unité nationale était due à la volonté du peuple allemand, bien plus qu'à celle de ses divers gouvernements.
Au contraire, la difficulté était grande d'accorder aux États l'égalité
de représentation au sein du Bundesrath ou Conseil fédéral; non pas qu'en droit, chacune des parties contractantes n'eût été souveraine, absolument souveraine, dans le passé; mais il existait entre elles des inégalités de fait si choquantes, qu'on ne pouvait raisonnablement songer à leur donner la même autorité dans les décisions intéressant la communauté. En effet, sur 30 millions d'habitants qui entrèrent dans l'union en 1867, les quatre cinquièmes appartenaient à un seul État, la Prusse; le dernier cinquième était réparti en vingt et une autres souverainetés, dont une seule, la Saxe royale, avait une population supérieure à celle de la capitale de la Prusse. Actuellement même, après l'accession de la Bavière, de la Saxe et du Wurtemberg, la Prusse comprend à elle seule près des deux tiers de la population totale de l'empire. Dans ces conditions, pouvait-on décemment concéder à ces souverainetés minuscules l'égalité complète? Évidemment non, sous peine d'aboutir à des conflits perpétuels entre le Bundesrath et le Reichstag; en faisant du premier l'apanage des petits, en abandonnant le second aux grands, on eût obtenu la négation, l'immobilisme, l'impuissance; or, c'était une oeuvre positive que l'on voulait accomplir, un organisme actif que l'on prétendait instituer au lieu et place du mécanisme rouillé et défectueux de l'ancienne Confédération germanique un organisme enfin, dont la Prusse entendait être le principal, voire l'unique moteur, car elle estimait avoir conquis assez de titres à la reconnaissance nationale pour être payée de ses services. Ainsi, soit au point de vue du simple bon sens, soit au point de vue politique, on ne pouvait imiter ni les États-Unis ni la Suisse. Mais que faire, alors?
Un Français, placé dans la situation où se trouvait M. de Bismarck, aurait, avec la logique inhérente à l'esprit latin, conclu que c'était peine perdue de chercher à constituer une fédération entre Brobdingnag et Lilliput; il n'aurait pas hésité à tenter la suppression radicale des petits gouvernements locaux, et à essayer de fonder l'unité allemande au moyen de l'absorption immédiate de l'Allemagne par la Prusse; pour ce faire, il n'aurait pas manqué d'invoquer ce vieil axiome que l'accessoire suit le principal. M. de Bismarck fut plus avisé il avait affaire, eu 1867, à dix-huit grands-duchés, duchés ou principautés, et à trois républiques oligarchiques; le désintéressement de ces petits êtres était fort loin d'égaler celui des Cantons suisses ou des États américains; ils n'acceptaient l'union qu'à contrecœur, sous la pression de l'opinion publique; leurs prétentions étaient aussi grandes que leur taille l'était peu; si même on brusquait les choses, la même opinion publique, qui poussait alors les petits souverains à s'incliner devant plus puissant qu'eux, eût peut-être
ressenti un subit remords les souvenirs historiques, le culte du passé sont choses fort répandues en Allemagne; en brisant trop brutalement la tradition, on eût risqué de réveiller les passions d'autonomie locale. M. de Bismarck résolut donc de traiter le mal par la douceur; il ne supprima pas les anciens gouvernements, mais il tissa autour d'eux une toile dont les mailles devaient se resserrer chaque jour jusqu'à complet étouSement.
De là, la conception, fort originale assurément, du Bandesrath allemand. Tous les États, les plus minces comme les plus gros, y sont représentés, mais à une échelle difFérente à chacun on donne une sorte de coefncient calculé suivant l'importance relative qui lui est attribuée; dans cette assemblée, la voix de la Prusse vaut j.7, celle de Schaumbourg-Lippe 1. Pourquoi 17? pourquoi iî Nul ne-le sait. La voix de la Prusse représente 1 pour i 600 000 habitants; celle de Schaumbourg, 1 pour 30 000 c'est de l'arbitraire pur', mais de l'arbitraire qui accuse, de la part de la Prusse, une abnégation vraiment évangélique; il n'est aucun de ses associés qui ne soit mieux traité qu'elle, proportionnellement a son importance réelle dans l'ensemble, sur S8 voix que compte aujourd'hui le Bundesrath, il y en a 41 qui sont distribuées entre les autres États de l'empire. Pauvre Prusse! 1 Quelle misère n'est pas ta sienne, et ne sera-t-elle pas sans cesse exposée à voir échouer ses efforts pour la patrie allemande devant les coalitions les plus éhontées et les plus mesquines?
A vrai dire, cette invention de M. de Bismarck était un trait de génie. En résolvant ainsi la question de la représentation au Conseil fédéral, l'homme d'État prussien imposait silence à toutes les susceptibilités, à toutes les vanités. Il donnait à la Prusse le rang le plus modeste l'honneur, la gloire, la puissance peut-ètre, étaient réservés aux autres confédérés; qu'avaient-ils a. craindre, désormais, de l'unité allemande, puisque, les chiffres en font foi, ils demeuraient les maîtres de faire ou de ne pas faire? L'indépendance de chacun était garantie pour toujours un article de )a constitution, l'art. 78, disait même que jamais on ne pourrait modifier les droits spéciaux stipulés en faveur de tel ou tel État, sans l'assentiment de cet État même. Les petits souverains renaissaient au calme et à la confiance sûrs de leur lendemain, ils n'avaient plus qu'à se laisser aller au grand courant qui emportait leurs peuples vers l'unité; ce courant, ils étaient certains de pouvoir 1. Les mêmes coefficients étaient en usage dans l'assemblée plénière de la diète de la Confédération germanique de i8i5. La Bavière seule s'est vu accorder une situation plus favorable en i8?i elle eut 6 voix au lieu de 4, comme au Bundesrath douanier de i867. Quant à la Prusse, elle a réuni aux 4 voix que lui donnait t'Aets fédéral de i8i8 les voix des royaumes et principautés qu'elle a annexés en i8G6.
toujours le modérer ou l'arrêter. L'avenir leur apparaissait si riant et si serein, qu'ils ne virent pas tout ce que leur fidèle ami, M. de Bismarck, avait mis en termes couverts dans d'autres articles de la constitution.
II
La constitution énumère dans l'ordre suivant les trois pouvoirs qu'elle établit le Conseil fédéral, la Présidence de la Confédération (Bundesprxsidium), le Reichstag. Ce n'est point pur effet du hasard modeste par la place qu'elle occupe au Conseil fédéral, la Prusse pousse la discrétion jusqu'à ses dernières limites; elle se laisse conférer la « présidence de la Confédération plus tard l'empire, et accepte que cette fonction soit héréditaire dans la famille de Hohenzollern, qui la gouverne; cependant, pour la seconde fois, elle tient à s'effacer devant les gouvernements confédérés, et ne laisse parler d'elle qu'après avoir parlé d'eux; sans doute, elle vient encore avant le pouvoir populaire, le Reichstag,'mais il est d'une telle importance de bien montrer à tous les sentiments profondément conservateurs et antirévolutionnaires qui animent les fondateurs de l'unité, que sa pudeur a pu, sans trop de peine, consentir à ce sacrifice et reléguer au dernier rang l'organe véritable de la volonté nationale.
Du Reichstag, nous n'aurons rien à dire sur les 397 membres que comprend cette assemblée, les électeurs prussiens en élisent 236, soit près des deux tiers; la Prusse serait toujours certaine d'y dominer s'il y avait entre ses habitants unanimité d'opinions politiques; mais il est loin d'en être ainsi; les voix prussiennes du Reichstag ne forment, à aucun titre et sur aucune question, une phalange unie et disciplinée. D'ailleurs, alors même que la situation serait différente, ce n'est point au Reichstag que la Prusse aurait cherché à asseoir solidement son hégémonie sur l'Allemagne rien n'est plus contraire à sa tradition que de livrer sa politique aux oscillations des votes populaires, et l'on a pris soin d'annihiler par avance l'autorité du Reichstag, soit en soustrayant le pouvoir exécutif à son action par les doctrines les plus étranges sur la responsabilité ministérielle, soit en restreignant son contrôle financier. Là n'est donc point l'intérêt de la question qui nous occupe, à savoir l'étude des moyens employés par la Prusse pour s'assurer la prépondérance de droit ou de fait dans la politique impériale.
Le Bundesrath est, au contraire, le véritable théâtre où s'exerce l'ac-
tivité prussienne; le recrutement même de cette assemblée n'échappe pas à l'influence de la Prusse, si sacrifiée en apparence. Les membres du Conseil fédérât sont, en effet, nommés par les gouvernements des États confédérés. Ce sont des ministres plénipotentiaires au sens strict du mot votant suivant les instructions qu'ils ont reçues, et, par conséquent, s'ils sont plusieurs pour représenter un État, votant dans le même sens; responsables envers l'autorité qui les a nommés et révocables par elle; protégés enfin, durant leurs séjours à Berlin, par le privilège d'exterritorialité. Ils n'ont donc point de vitalité propre, et, pour apprécier l'autorité dont ils peuvent jouir, il faut connaitre celle des gouvernements qui les ont accrédités. Ces gouvernements, que sont-ils? Dès 186 î, par un traité du 18 juillet, la Prusse s'est emparée de toute l'administration intérieure de la principauté de Waldeck; en 1884-85, elle a fait exclure la maison de Hanovre du trône de Brunswick, et obtenu la nomination d'un prince prussien aux fonctions de régent perpétuel le plénipotentiaire du Waldeck au Bundesrath, les deux représentants du Brunswick ne seront jamais, selon toute évidence, que des personnages agréables au cabinet de Berlin et agissant sur son ordre; voilà, déjà trois voix de gagnées pour la Prusse, et rien n'indique que ce travail d'assimilation progressive doive s'arrêter. Mais les autres? Les autres M. de Bismarck s'est un jour brouillé avec l'un des plénipotentiaires bavarois il a obtenu son rappel. La Bavière est cependant, après la Prusse, le plus puissant des confédérés. Que faut-il penser des plus petits? La persuasion, la pression de la Prusse ont beau jeu pour agir sur le choix des personnes; et si, par mésaventure, les négociations secrètes échouent à imposer l'obéissance passive, si elle est battue au Conseil fédéral, la Prusse a une ressource suprême elle peut envoyer ses plénipotentiaires au Reichstag user du droit accordé à tout État confédéré d'y exposer ses vues particulières; elle peut ainsi publier officiellement les causes de dissentiment ou de conflit survenues entre elle et ses alliés; elle peut, en un mot, provoquer un mouvement d'opinion nationale qui force les petits gouvernements à modifier les instructions de leurs représentants au Bundesrath.
Mais il en coûterait peut-être à la Prusse d'en appeler à un procédé si révolutionnaire aussi a-t-elle pris quelques précautions qui lui permettent de ne recourir au spectre rouge qu'en cas d'extrême nécessité. Nous touchons ici aux attributions du Bundesrath. Ces attributions sont, en apparence, réglées le plus libéralement du monde. Le Bundesrath est un organe législatif tous les projets de lois, même le budget, sont préparés par lui avant d'être soumis au Reichstag;.il les examine à nouveau, après le vote du Reichstag,
pour autoriser l'empereur à les promulguer. Le Bundesrath est un pouvoir politique il dissout le Reichstag, de concert avec l'empereur la guerre ne peut être déclarée, la plupart des traités ne peuvent être conclus sans son assentiment préalable; les fonctionnaires des finances, les consuls sont nommés avec son approbation; les juges de la cour suprême, sur sa présentation; il élit les magistrats de la Cour des comptes; il désigne ceux de ses membres qui soutiendront devant le Reichstag les projets de lois qu'il aura préalablement approuvés. Le Bundesrath fait des instructions administratives; il a le pouvoir réglementaire quand un texte spécial le lui a délégué, et il va même, dans le silence de la loi, jusqu'à sanctionner ses règlements par l'établissement de pénalités. Le Bundesrath, enfin, est parfois un tribunal il ordonne l'exécution fédérale contre les confédérés récalcitrants il prononce sur les dénis de justice commis à l'intérieur d'un État, quand les voies de droit sont épuisées; il fait fonctions d'arbitre légal entre États confédérés; il cherche à résoudre à l'amiable les conflits constitutionnels qui s'élèvent dans un État de l'empire, et s'il n'y réussit pas, il provoque une loi impériale sur la matière. Bref, le Bundesrath est un véritable caméléon tour à tour conférence diplomatique, chambre haute, conseil d'État, grand juge; successivement législateur, administrateur, gouvernant et magistrat. Voilà ce que l'on voit, ce que l'on voit clairement dans les textes; il est autre chose que l'on ne voit pas toujours, ou du moins que l'on voit moins bien c'est que le Bundesrath ne peut rien par lui-même; il lui faut partout l'adhésion et le concours de la Prusse. Sur certains points, cela ne fait pas de doute, car la constitution est formelle aucune modification ne peut être apportée à la constitution si quatorze voix se prononcent contre, au sein du Bundesrath, et la Prusse a dixsept voix en droit, vingt en fait; dans les questions relatives à la guerre, à la marine, aux impôts de consommation, dans tous les règlements administratifs, dans toutes les instructions sur l'exécution de la législation financière impériale, aucune décision ne peut être prise sans l'avis conforme de la Prusse, si la Prusse se prononce pour le maintien du statu ~Mû. Mais c'est là un pouvoir tout négatif que les textes donnent à la Prusse elle peut empêcher, et non agir. Si, à l'inverse, le Bundesrath est obligé, en fait, de suivre en tout et sur tout la politique de la Prusse, c'est grâce aux instruments de contrainte morale dont dispose cet Etat, c'est aussi par la savante confusion des rôles distribués à ses personnages dirigeants. Quelques indications sur l'organisation du pouvoir exécutif de l'empire sont ici nécessaires.
ni
La première pensée de M. de Bismarck en étabHssaat le pouvoir exécutif de la Confédération avait été de noyer en quelque sorte ce pouvoir dans le Bundesrath et de le soustraire à tout contrôle de l'assemblée populaire. Il rédigea un projet dans ce sens, et fit de ce projet un commentaire complet dans un discours qu'il prononça au Reichstag constituant les 26-27 mars i867. Dans la pensée de M. de Bismarck, il ne devait exister aucune autorité exécutive fédérale, indépendante et responsable, en dehors du Bundesrath; le chancelier de la Confédération devait être un fonctionnaire p?'MMMH, auquel le ministère prussien donnerait des instructions et dont ce ministère serait seul responsable dans les termes et conditions où la constitution ~t'Mss~K~e admet la responsabilité ministérielle 1; enfin, partout où la constitution fédérale ne donnerait pas au Bundesrath la compétence executive, cette compétence appartiendrait au ministère jM'MMMt~ qui l'exercerait sous sa responsabilité prussienne.
Ce système prêtait à trop d'objections pour n'être point vivement contesté. M. de Bennigsen fit tous ses efforts pour faire poser le principe d'une responsabilité effective et régulière du pouvoir exécutif à l'égard de la Confédération, et non pas seulement à l'égard d'un des États confédérés, fût-ce la Prusse elle-même. Après avoir été battu sur divers textes, il obtint enfin de la majorité du Reichstag la rédaction actuelle de l'art. 17 de la constitution cet article déclare que les ordonnances de l'empereur sont rendues au nom de l'empire, que le chancelier les contresigne et qu'il en assume ainsi la responsabilité. Quelle responsabilité? pénale ou politique? La constitution ne le dit point, mais de ce fait qu'elle parle d'une responsabilité, sans dire devant qui ni comment elle s'exerce, il en faut conclure qu'il s'agit d'une responsabilité fédérale et non d'une responsabilité prussienne, la constitution fédérale n'ayant rien à voir avec la constitution prussienne.
De ce double courant d'idées est résultée la situation la plus bizarre ~t la plus complexe.
i. On sait que la constitution prussienne proclame en principe la responsabi)ité ministérielle, mais laisse à une loi organique le soin d'en régler les conditions, les formes et la procédure; cette loi n'ayant pas été faite, les jurisconsultes allemands, au contraire de la doctrine admise en France, arguent de ce que tout est de droit strict en matière pénale, pour nier la responsabilité pénale des ministres. Quant à la responsabilité politique, jamais le gouvernement prussien n'a voulu consentir à l'introduction des pratiques parlementaires.
La présidence de la Confédération ou l'empire est héréditaire dans la famille royale de Prusse et suivant les règles constitutives de cette famille. Une seule tête réunit donc les qualités d'empereur d'Allemagne et de roi de Prusse; il importe de les distinguer avec soin, malgré la confusion que la constitution impériale laisse planer sur la matière.
L'empereurn'estpas souverain dans l'empire il est toujours, en principe, le délégué des gouvernements confédérés. Nous savons déjà que son droit de nommer les fonctionnaires est souvent entravé par l'obligation d'obtenir le concours du Bundesrath; de même, en matière de politique extérieure; de même encore, dans les questions intérieures, ce n'est pas à lui, mais au Bundesrath, qu'appartient le plus généralement le pouvoir réglementaire. S'il procède à une exécution fédérale, s'il dissout le Reichstag, c'est après une décision du Bundesrath il n'exerce]effeetivement en toute liberté que la direction des affaires militaires, dans les limites de la compétence fédérale. Partout ailleurs, il est l'agent secondaire d'exécution; la décision appartient au Bundesrath.
Ce caractère subordonné de la puissance impériale est encore plus marqué dans ses rapports avec les pouvoirs publics au point de vue législatif. L'empereur d'Allemagne, en tant que tel, n'a l'initiative des lois ni au Bundesrath, ni au Reichstag; sur les résolutions votées par ces deux corps, il n'a ni droit de sanction ni veto suspensif il est obligé de transmettre au Reichstag tout ce qui est adopté par le Bundesrath 1 et seulement ce qui a été adopté par lui, obligé de promulguer tout ce qui est régulièrement sorti des délibérations des deux assemblées, après un nouvel examen de la question par le Bundesrath, qui habilite l'empereur à faire la promulgation
Ajoutons enfin que l'empereur n'est point représenté personnellement comme empereur dans les délibérations du Reichstag lorsque le chancelier se rend aux séances de cette chambre, il y parle soit au nom du Bundesrath, soit comme plénipotentiaire de Prusse. 1. La transmission d'une proposition émanée de l'initiative du Reichstag se fait par le président de cette assemblée au chancelier de l'empire, qui préside le Conseil fédéral.
2. Plusieurs commentateurs de la constitution de i8'!l, Laband notamment, soutiennent que l'empereur jouit en fait d'un droit de veto absolu. L'empereur doit, disent-ils, avant de promulguer une loi, vérifier si elle a été régulièrement votée, et il se prononce souverainement sur ce point; aucune autorité fédérale n'a qualité pour réformer sa décision; il peut donc, si bon lui semble, prétexter une irrégularité de forme pour refuser la promulgation; ce n'est là que le droit de veto absolu. -Cet ingénieux raisonnement trouvera peut-être quelque application, si jamais il éclate un conflit aigu entre l'empereur et le Conseil fédéral. Mais nous en avons assez dit sur ce dernier pour montrer qu'un tel conflit n'est guère vraisemblable.
Qu'est-ce donc que ce chancelier de la Confédération, aujourd'hui chancelier de l'empire? En créant un certain nombre de services impériaux, celui des ambassades, celui des consulats, celui des postes et télégraphes, etc., la constitution de 1867 n'a nominativement désigné qu'un seul fonctionnaire impérial, le chancelier, qui est nommé par l'empereur, préside le Conseil fédéral et possède quelques attributions propres, mais dont la principale fonction est de contresigner les actes de l'empereur, autrement dit de concentrer entre ses mains la direction de toute l'administration impériale En fait, dans la plupart des cas, l'administration des intérêts impériaux est conSée aux fonctionnaires des États confédérés; l'empire n'exerce directement que le contrôle supérieur, par l'entremise de quelques hauts fonctionnaires qui sont presque toujours pris dans le personnel prussien et dirigés par le chancelier. Ce dernier n'a jamais voulu se laisser assister de collaborateurs responsables; lui-même, comme on l'a déjà vu, ne s'est résigné à être responsable que contraint et forcé par la majorité du Reichstag constituant. Veut-on savoir ce qui peut résulter de ce rudiment d'organisation constitutionnelle? En 1880, un conflit s'éleva entre l'empereur et le chancelier d'une part, et le Bundesrath de l'autre il s'agissait d'un projet d'impôt sur les quittances. Le système préconisé par la Prusse fut repoussé au Conseil fédéral par trente voix contre vingt-huit, et remplacé par un autre. Grâce à la singulière composition du Bundesrath, la majorité représentait 7 millions et demi d'habitants, la minorité 30 millions, la Bavière et la Saxe ayant voté avec la Prusse. Quoi qu'il en soit, le vote était valable. M. de Bismarck refusa néanmoins de transmettre le projet au Reichstag, au nom de l'empereur. II n'en avait pas le droit, car le vote du Bundesrath était régulier, et la Constitution prescrit alors en termes impératifs la transmission au Reichstag. M. de Bismarck avait agi par simples motifs politiques. Cela était Inadmissible. Plus inadmissible encore eût été la décision contraire, car, d'après le système en vigueur, le chancelier, obligé de transmettre, n'était nullement obligé de soutenir au Reichstag le projet qu'il avait précédemment combattu. AI. de Bismarck crut néanmoins sa responsabilité en jeu. Laquelle? nul ne le sait mais il offrit sa démission, montrant par là que les despotes eux-mêmes ont parfois besoin de recourir aux fictions parlementaires. L'empereur refusa la démission qui lui I. Le chancelier peut se faire suppléer dans cette fonction. En vertu du traité du 23 novembre 18M, s'il ne désigne point à cet effet un plénipotentiaire de Prusse, il doit choisir un Bavarois.
2. La loi du 17 mars 1818 autorise ]e chancelier à se faire suppléer pour tout ou partie de ces attributions.
était offerte en invitant M. de Bismarck à préparer un projet de loi pour régler le conflit de devoirs qui venait de se révéler. L'affaire n'eut cependant pas de suite le Bundesrath, toujours conciliant, modifia sa première décision; M. de Bismarck négligea de résoudre la question constitutionnelle pour l'avenir. Mais cet incident prouve qu'il serait absolument impossible de faire fonctionner le mécanisme si incomplet institué par la constitution de 1867-1871, si l'empereur et le chancelier ne cumulaient, avec ces qualités, d'autres attributions qui corrigent certaines imperfections de la constitution impériale.
IV
Aux termes de la constitution, l'empereur est le roi de Prusse; d'un autre côté, en fait et sans qu'aucun texte l'y oblige, le chancelier est représentant de la Prusse au Bundesrath et président du conseil des ministres prussiens. Le premier de ces cumuls est obligatoire; le second est nécessaire.
Le roi de Prusse, comme tout membre de la Confédération, a l'initiative au sein du Bundesrath, où il est représenté par 17 plénipotentiaires de même, ses délégués au sein du Conseil fédéral ont entrée au Reichstag et peuvent y faire connaître, dans toutes les matières l'opinion du gouvernement prussien. Ainsi, grâce à la réunion de deux qualités sur la même tête, l'empereur-roi jouit indirectement de deux droits que la constitution refuse à l'empereur seul le droit d'initiative, et celui d'être représenté dans les deux assemblées de l'empire. Mais, dans l'un et l'autre cas, c'est comme roi de Prusse qu'il exerce ces droits et non pas comme empereur cette distinction, si subtile qu'elle paraisse, est capitale; nous verrons plus tard les conséquences qu'il convient d'en tirer.
De même encore, l'empereur-roi a, comme roi de Prusse, une sorte de veto en matière constitutionnelle d'abord, puisque la Prusse a plus de voix qu'il n'en faut pour s'opposer à une revision du statut fondamental en matière de guerre et de marine, dans les questions relatives aux impôts de consommation et aux douanes, parce que, comme présidente de la Confédération, la Prusse peut s'opposer à toute innovation, quel que soit le chiffre de la majorité qu'une telle innovation réunisse au sein du Conseil fédéral. C'est donc bien un droit de veto, si limité que soit ce droit, mais, ici encore, l'empereur-roi agit comme roi de Prusse, pourvu d'une voix prépondérante dans certains cas, et non comme empereur.
Le cumul obligatoire et constitutionnel des fonctions d'empereur et de roi de Prusse donne donc au chef de l'empire des attributions qui, dans tous les pays constitutionnels, sont considérées comme essentielles aux rapports entre le pouvoir exécutif et le législatif: initiative, entrée aux chambres, veto Sans ce cumul, il serait désarmé à l'égard du Bundesrathet du Reichstag. On peut dire, àlavérité, qu'alors même qu'il n'en serait pas ainsi, l'empereur serait du moins représenté au Bundesrath par le chancelier, qu'il nomme sans condition, et qui préside les travaux du Conseil fédéral; mais nous savons déjà combien sont restreintes, en droit pur, les attributions du chancelier il n'aurait même pas l'initiative au Bundesrath, s'il n'était que chancelier, et, s'il se présentait au Reichstag, ce serait au nom du Bundes- rath qu'il y parlerait, comme délégué des gouvernements confédérés ou comme plénipotentiaire de Prusse, et non comme ministre de l'empereur.
Le chancelier actuel, outre ses fonctions impériales, remplit celles de membre du Bundesrath pour la Prusse et de président du conseil des ministres prussiens. De là, au point de vue de sa responsabilité, des conuits de devoirs sur lesquels il importe tout d'abord de s'arrêter un instant.
Le chancelier, dit la constitution, assume la responsabilité des actes de l'empereur, qu'il a contresignés. Quelle est exactement la nature de cette responsabilité? est-elle judiciaire et pénale, ou seulement politique ? On lui conteste le premier de ces caractères, parce qu'il n'y a pas de loi organique sur la matière et que le Reichstag constituant a repoussé un amendement disant que cette loi devrait être faite. M. de Bismarck n'admet même pas qu'il ait une responsabilité politique devant le Reichstag, et déclare, chaque fois que l'occasion s'en présente, qu'il n'est responsable qu'à l'égard de l'empereur. Peu importe, d'ailleurs, à notre point de vue, la solution donnée à ce problème. Ce qu'il nous faut seulement retenir, c'est que le jour où, d'une manière ou de l'autre, la responsabilité de M. de Bismarck, en tant que chancelier impérial, entrerait en jeu, elle ne pourrait s'appliquer qu'aux actes contresignés par lui en qualité de chancelier les actes du président du Bundesrath, ceux du plénipotentiaire de Prusse, ceux du président du conseil prussien échapperaient totalement à la compétence impériale, quelle que soit l'autorité qui ait cette compétence on ne pourrait, par exemple, l'accuser d'avoir fait mauvais usage du veto de la Prusse, ni incriminer les instructions que, comme ministre prussien, il se serait données à lui-même.
l.Dans la. plupart, des constitutions, le pouvoir exécutif a ces trois droits réunis; aux Etats-Unis, l'entrée aux Chambres lui est refusée; en Suisse, le veto.
Des lors, n'eût-il pas été plus simple, pour éviter toutes les obscurités qui enveloppent le cumul de cette triple qualité sur la tête du chancelier, d'éviter ce cumul, et de nommer autant d'hommes qu'il y avait réellement de fonctions? M. de Bismarck lui-même et plusieurs commentateurs soutiennent que le cumul, n'étant pas imposé par la constitution, n'est pas nécessaire. Contre eux, on a pu faire valoir un argument de droit la voix prépondérante de la Prusse au Bundesrath, a-t-on dit, est qualifiée par la constitution de « voix présidentielle », depuis même que le chef de l'empire porte le titre d'empereur; il en résulte que cette voix appartient, non à l'empereur, qui n'est pas directement représenté au Bundesrath, mais au chancelier, qui préside cette assemblée; or, comme cette voix est une voix prussienne, le chancelier doit être évidemment plénipotentiaire de Prusse. Outre que cet argument a le tort d'être seulement juridique, et, comme tel, sujet à être contredit par les faits, il n'explique pas pourquoi le chancelier est aussi président du conseil des ministres de Prusse. En réalité, ce sont des motifs politiques de la dernière importance qui imposent le cumul. Que serait, en effet, la situation du chancelier dans l'empire, s'il n'était, en outre, plénipotentiaire et premier ministre de Prusse?
Président du Bundesrath, il pourrait peut-être y parler au nom de l'empereur, mais il ne pourrait y déposer de proposition c'est dire que le chef de l'empire serait seul à n'avoir point de voix utile dans le Conseil fédéral, que le chef de l'armée, de la marine, de la diplomatie, de l'administration serait constamment paralysé dans son action, sans moyen direct de formuler ses vues sur la direction à imprimer aux affaires communes, placé enfin, à l'égard des gouvernements confédérés, dans une situation aussi inférieure que l'était, en France, le Corps législatif vis-à-vis du gouvernement sous l'empire de la constitution de 1852. Pour éviter ce danger, qu'il suffit de signaler pour en montrer toute la gravité, il n'existe qu'un procédé il faut que le chancelier soit plénipotentiaire de Prusse.
Il faut encore qu'il soit président du conseil des ministres de Prusse; autrement dit, il faut qu'il se donne à lui-même les instructions en vertu desquelles il réglera sa conduite au Bundesrath. Plaçons-nous, en effet, dans l'hypothèse contraire comme plénipotentiaire, il reçoit les instructions du gouvernement quelconque qui préside aux destinées de la Prusse; comme chancelier, il est responsable des actes de l'empereur; supposons un instant le moindre désaccord entre les instructions du plénipotentiaire et les actes du gouvernement impérial, dont la responsabilité pèse sur le chancelier il y a là une situation absurde et insoluble. Prenons, par exemple, le conflit A. TOME II. 4
de 1880 dont il a été parlé plus haut; admettons que le gouvernement prussien ait donné pour instructions à ses plénipotentiaires de voter dans un certain sens;M.de Bismarck, plénipotentiaire de Prusse, est forcé de voter dans ce sens; mais, comme ministre impérial, il estime ce vote contraire aux intérêts de l'empire s'il n'a pu rédiger lui-même ses instructions et conformer son vote prussien à son opinion impériale, il se verra acculé à la plus outrageuse des contradictions, à un cas de conscience auprès duquel celui qui s'est réellement posé en i880 n'était rien, puisque, là au moins, le vote du chancelier était d'accord avec son opinion.
Il résulte donc de la nature même des choses que le cumul s'impose en fait pour le chancelier, comme la constitution le prescrit en droit pour l'empereur de même qu'il y a confusion de couronne entre l'Allemagne et la Prusse, de même aussi il doit y avoir confusion de politique sur toutes les matières de la compétence impériale, et cette confusion de politique se traduit par l'institution d'une nouvelle divinité trinitaire, qui est !e chancelier impérial.
Y
Divinité n'est point de trop, en parlant d'un si haut personnage la constitution de 1867-1871 tout entière n'est faite qu'en vue d'un homme et à sa mesure. C'est seulement en la bouleversant de fond en comble que des pratiques libérales pourraient s'introduire, soit en Allemagne, soit en Prusse; l'enchevêtrement inextricable des pouvoirs publics de la Confédération avec ceux du plus puissant des confédérés n'est qu'une ingénieuse machine dont les engrenages ont été calculés de façon à absorber peu à peu tous les membres de l'empire; un seul. doit subsister, en dernière analyse la Prusse; de la Prusse comme de l'Allemagne, on a pris soin d'écarter jusqu'à la possibilité d'établir de longtemps le régime parlementaire; il n'est point de monument à la fois plus hypocrite et plus complet du gouvernement personnel. La Prusse, en apparence, a les mêmes devoirs et moins de droits parfois que les autres confédérés; avec eux, elle a laissé limiter sa souveraineté par l'établissement d'une souveraineté supérieure, à qui elle a abandonné une partie de ses droits sans songer à s'en réserver quelques-uns, comme l'ont fait certains États du Sud; elle s'est même sacrifiée parfois, et, dans le Bundesrath, n'a. pas voulu réclamer une part proportionnelle à son importance partout enfin, elle s'est dissimulée avec le désintéressement du plus pur patriotisme. Mais en ré&-
lité, elle est maîtresse du Bundesrath, où figurent seulement en grande pompe les vassaux qu'elle a admis dans son cortège royal; maîtresse du Reichstag, qu'elle a d'ailleurs réduit à sa plus simple expression, pour n'avoir point à céder à de périlleux entraînements; maîtresse de l'armée, de l'administration, de la diplomatie, qui sont ses vrais moyens d'action et d'assimilation et où des fonctionnaires prussiens travaillent, avec la plus absolue discipline, au bonheur et à l'unité de l'Allemagne. Contre le mésusage de tous les pouvoirs qu'elle possède il n'y a point de sanction; en vain le Bundesrath parlerait-il, dans un subit accès d'indépendance, d'exécution fédérale contre la Prusse l'empereur d'Allemagne ne peut exécuter le roi de Prusse. Ce qu'il exécute, en revanche, c'est la liberté politique, et cela, tant pour l'Allemagne que pour la Prusse. Les députés des États du Sud au Reichstag, le centre ultramontain ou les progressistes au Landtag prussien implorent en vain la constitution d'un ministère responsable qui obéisse aux volontés de l'opinion publique ils ne l'auront pas, car on ne peut le leur donner, sous peine d'arrêter du même coup le fonctionnement de l'organisme entier. Le roi de Prusse ne peut plus, aujourd'hui, avoir une politique différente de l'empereur d'Allemagne il faut à l'empereur la libre disposition des voix prussiennes au Bundesrath pour n'être pas réduit à un rôle passif vis-à-vis de l'empire; il faut que les instructions des plénipotentiaires prussiens soient calquées sur la politique de l'empereur et du chancelier; il faut que la politique impériale soit celle de la Prusse, puisque c'est la Prusse qui doit l'exécuter. Ainsi donc, point de place au Landtag ni au Reichstag pour les mouvements de l'opinion publique et pour le jeu des partis le chancelier ne doit pas tomber devant un vote du Reichstag, ni le président du conseil prussien devant un blâme du Landtag; ou les deux assemblées seront d'accord pour soutenir la même politique, ou, ce qui est plus probable, on se privera du concours de l'une et de l'autre et l'on gouvernera, par l'empereur et en son nom, pour l'unité allemande. Point d'entraves, point de cahots rien que la pensée d'un homme se déroulant à loisir, rien qu'une volonté unique dédaignant tous les obstacles.
Une telle constitution a pu répondre à des nécessités contingentes et passagères elle ne saurait avoir d'avenir durable. Un des représentants les plus distingués de notre école historique, comparant récemment la langue allemande à la langue française, disait de la première qu'elle est un moulage, toujours façonné sur la réalité des choses .et la complexité des idées, au lieu que la seconde est une sculpture, parce qu'elle est simple et synthétique. La constitution de 1867-1871, elle aussi, est un moulage; chacune de ses parties s'adaptait
merveilleusement, à l'origine, aux difncultés du jour. Le Bundesrath? une satisfaction d'amour-propre jetée en pâture aux petits souverains que l'on voulait amoindrir. Le Reichstag? un appeau pour le libéralisme, un réservoir où viendrait se perdre le trop-plein du courant progressiste. Entre les deux, un être abstrait, la présidence de la Confédération, au caractère discret et mal défini, insaisissable et fuyant, mais cachant un être vivant, qui étend successivement sa main sur tous les organes de l'Allemagne unifiée. Derrière le Bundesrath, rien, sinon le souvenir du passé qui s'éteint; derrière le Reichstag, rien, sinon un peuple, encore tout surpris de se trouver rassemblé, n'ayant point conscience de sa force, ne sachant que faire du hochet qu'on lui a donné pour le distraire, toujours prêt à l'abandonner pour courir sus à ceux qui menaceraient sa jeune indépendance; derrière la présidence, au contraire, le seul moteur de l'empire, un État constitué par des luttes séculaires et par les fortes traditions de ses princes, un État dont une poigne de fer retient et dirige aujourd'hui tous les rouages. Mais le fer s'émousse à la longue; les grands souverains s'en vont, les grands ministres passent, les anciennes institutions tombent, les êtres nouveaux se développent. Après Guillaume 1~, après M. de Bismarck, que restera-t-il de l'oeuvre constitutionnelle à laquelle ils ont attaché leur nom? Ils ont réussi à absorber pour un temps toutes les forces politiques de l'Allemagne parce qu'ils personnifient, pour l'avoir faite, l'unité nationale. Leur dictature, fondée sur les services rendus, a été acceptée eux disparus, qui oserait assumer un semblable héritage? qui s'imposerait assez pour pouvoir étouffer le particularisme ? qui, pour refuser l'entrée à la liberté politique, lorsque le peuple allemand se sentira vivre? La Prusse, jadis concentrée sur elle-même, disciplinée quand elle était resserrée par des frontières trop étroites, énergique quand elle avait à combattre pour l'existence, la Prusse, en s'étendant, s'énervera; l'intégrité de son caractère s'effacera au contact des populations qu'elle a appelées à une vie commune; la Prusse aura l'Allemagne peut-être, mais, à coup sûr, elle ne sera plus la Prusse; le fragile édifice constitutionnel qu'elle a élevé devra, comme elle, se transformer, pour que les pouvoirs publics de l'empire acquièrent l'autorité, l'autonomie et la dignité qui leur manquent, pour que l'avenir politique de l'Allemagne ne soit 'plus livré aux hasards du pouvoir personnel. Après avoir moulé, il faudra sculpter. ARDRE LEBON,
Directeur du Groupe de droit public et privé.
LES VALLÉES FRANÇAISES DU PIÉMONT.
L'ancien royaume de Sardaigne, d'avant 1859, était au point de vue ethnographique un État sui generis qui ne pouvait se comparer qu'à la Suisse. Bien que la nationalité italienne eût des droits de préséance dans l'ensemble de la monarchie, néanmoins. la nationalité française n'était nullement opprimée. Les deux langues, italienne et française, étaient officielles, chacune pour la partie de la monarchie où elle se parlait, et, en outre, le français avait presque le rang de langue officielle comme l'italien pour l'ensemble de la monarchie. Les lois étaient promulguées dans les deux langues, et au parlement de Turin, les députés et les sénateurs pouvaient se servir indifféremment de l'une ou de l'autre de ces deux langues 1. Ce système était rendu facile, dans l'application, par le fait que la langue française était d'un usage très répandu en Piémont, que toutes les personnes bien élevées la parlaient couramment. Grâce à ce système libéral, les deux nationalités ont pu vivre sans trop de tiraillements dans le même État, qui formait ainsi une sorte de Suisse monarchique.
Le jour où la Savoie et le comté de Nice se sont séparés du royaume de Sardaigne, et où celui-ci, par ses agrandissements, est devenu un grand État avec une nationalité prédominante, la situation a brusquement changé pour les habitants de ces vallées alpestres dont la langue nationale et traditionnelle, le français, avait jusque-là été respectée.
D'une façon générale, on peut dire que les Alpes qui séparent l'Italie de la France et que la partie supérieure des vallées qui descendent des Alpes en Piémont sont de langue française, et que l'italien ne commence que dans la partie inférieure des vallées.
Le langage qui quelquefois traduit inconsciemment la réalité par une dénomination instinctive et expressive, le langage représente ce fait dans le nom même de Piémont (~~e?HOH<!Mm) donné à la région des Alpes, c'est-à-dire « pays au pied des monts », nom qui, à l'ori1. Les légendes des monnaies étaient en latin, c'est-à-dire dans une langue neutre.
gine et dans sa signification primitive, excluait la montagne, par cela seul qu'il s'en distinguait.
Ces vallées françaises forment trois groupes, sans rapports les uns avec les autres
i° Au nord, et formant le coin nord-ouest du Piémont, la vallée de la Doire-BaItée (plus connue sous le nom de Vallée d'Aoste, du nom de sa ville principale) avec ses nombreuses vallées latérales; 2" Dans la haute vallée de la Doire-Ripaire, les premiers villages au débouché du tunnel international de Modane, de la frontière française jusqu'à Suse;
3" A l'ouest de Pignerol, les vallées du Pélis (en italien Pe~ce), de l'Angrogne et du Cluson (en italien Chisone), appelées vallées vaudoises, du nom des protestants vaudois qui les habitent; 4" A l'ouest de Saluces, la haute vallée de la Varaïta (au sud du mont yiso).
A l'exception des Vaudois, ces populations sont catholiques. La dernière fois que le recensement piémontais a tenu compte de la langue parlée, voici quel était, au moins d'après les publications officielles du gouvernement piémontais i, le nombre des personnes parlant le français comme langue maternelle dans la province de Turin
AHMNNSSEMNTS LANGUE MALIENNE. LANGUE FR.U~AKE. LANGUE ALLEMANDE. (Circondari). Hommes. Femmes. Hommes. Femmes. Hommes. Femmes.
3,373 1,211 37,373 40,3~
~T–77~87– 609 1~~ J~~J~ iM 29 12 6
Ivrëc. ~~g
Pignerol. S6,4S!) SS,H6 J.0,583 U,9S8 8 9
Pignerol. lll,571 8 !)
Pignerol.
33,995 33.8S7 7,757 8,378
Suse. g~ -i3S 2 1 231.G8S 224,608 3,287 1,967 88 89
Turin .n-Mm__ Oo oc
turm. -~6~ 3,254
Totaux. SOi.OM 121,747 4,329
i.S~M!Md'c.ToT'ino,i862,t.UI,p~64.
2. La population du Val d'Aoste est aujourd'hui de 85 000 habitants. L'arron~ dissement d'Aoste se compose de sept mandements (ou cantons) Aoste, ~torgex, Gignod, Quart, Ch&tinon, Verrès et Donnas, et il comprend 13 communes.
1
LE VAL D'AOSTE.
Le groupe le plus important par le nombre et par son attachement à la langue française je dirai presque le seul important est tout au nord. Il occupe la vallée de la Doire-Baltée, vallée qui de sa ville principale est généralement appeJéele Val d'Aoste, d'oùl'adjectifValdôtain. Aoste (prononcé Oste) est la transformation du nom latin de « Augusta Prsetoria ou Prsetorianorum », ainsi appelée parce qu'elle fut fondée par Auguste avec des colons romains tirés des cohortes prétoriennes 1. La ville d'Aoste est pleine de souvenirs et de monuments romains, arc de triomphe porte fortifiée amphithéâtre pont, etc.
La vallée d'Aoste et ses habitants ne sont guère connus en France que par le titre d'une nouvelle de Xavier de Maistre, le Lépreux de la cité d'Aoste, qui, malgré quelques termes vieillis de la sentimentalité affectée de la fin du xvin~ siècle, n'en reste pas moins une œuvre touchante et sincère De ce qu'un unique lépreux y a vécu quelque temps confiné dans une tour solitaire il ne faudrait pas conclure que la lèpre, cette horrible' maladie, aujourd'hui heureusement éteinte, ait été plus répandue là qu'ailleurs. Mais les vallons secondaires de la vallée, étroits et profonds, sont peu salubres; aussi le goitre- et le crétinisme y sont-ils fréquents Ainsi, les sites pittoresques qu'admirent sans y rester les touristes et les alpinistes, ne sont pas les plus favorables au développement de l'espèce humaine. La Vallée d'Aoste, qui formait autrefois un duché, est une des plus grandes vallées des Alpes. Large de deux à quatre kilomètres, elle s'étend du flanc oriental du mont Blanc jusque près d'Ivrée, sur une longueur d'environ cent kilomètres; c'est la vallée de la Doire1. Notre ville d'Aoste en Dauphiné vient également du latin Augusta ou Augustum (~Mo6?'oyM??t). C'est également du nom d'Auguste que vient, comme on sait, le nom de notre mois d'août.
2. Signalons à ce propos l'édition valdôtaine de cet opuscule (Aoste, Joseph Brivio) qui contient un commentaire intéressant et une gravure de la Tour du Lépreux.
3. Ce lépreux n'était du reste pas indigène; il était originaire du comté de î~ice.
4. D'après le Dr Delasiauve, le Val d'Aoste compte un crétin sur trente-cinq habitants. (Journal de médecine mentale, juin 1861, p. 16')
Baltée, alimentée par de nombreux torrents. A sa partie inférieure, quelques lieues avant Ivrée, la vallée est fermée par ie fort de Bard, qui faillit arrêter l'armée française dans son célèbre passage des Alpes .en 1800. Un peu au delà du fort de Bard se trouve la localité de Pont-Saint-Martin, dernier village de l'arrondissement et du diocèse d'Aoste, et qui est la limite de la langue française.
Aux premiers temps de l'histoire, la vallée était habitée par le peuple gaulois des Salasses. Un siècle et demi avant l'ère chrétienne, ils entrent en contact avec les Romains. Ce fut le commencement de longues et sanglantes luttes, qui, après des vicissitudes diverses, se terminèrent, sous l'empereur Auguste, par l'extermination et la transportation de ce vaillant peuple. Pour repeupler le pays, on y établit des colons romains, pris principalement parmi les vétérans des cohortes prétoriennes, et la ville d'Aoste, fondée à l'endroit où se réunissent les vallées qui descendent des Alpes Grées et des Alpes Penmnes, doit son origine à cette colonisation. La route moderne qui descend la vallée est faite sur l'emplacement de la voie romaine dont les restes sont encore visibles en plusieurs points.
Ce petit pays disparaît'des lors dans l'empire romain dont il suit les. destinées. Au v~ siècle, les Burgondes ou Bourguignons en prennent possession. Ce territoire leur fut quelque temps disputé par les Lombards, mais finit par être réuni au royaume de Bourgogne. En 613, ce dernier État fut incorporé aux États du roi Franc, Clotaire Il. La Vallée d'Aoste suivit la fortune de la monarchie mérovingienne et, plus tard, de l'empire de Charlemagne. Après !amortdeCharIcsIeGros(888), elle fit partie quelque temps du royaume de Bourgogne transjurane, puis passa, dans des circonstances difficiles à déterminer, sous la domination des rois d'Italie. Mais ces dominations successives n'étaient guère plus que celles de puissances suzeraines. Là, comme ailleurs, les grands officiers établis par les rois transformaient leurs commandements en fiefs et en possessions directes. Au xf siècle, l'histoire fait mention d'une Adélaïde de Suse comme possédant cette région. Or, cette Adélaïde l'apporta en dot à Eudes ou Odon, comte de Maurienne, et ce sont les comtes de Maurienne qui devinrent plus tard comtes, puis ducs de Savoie
Depuis ce temps, l'histoire du Val d'Aoste mérite peu de nous. arrêter. Rappelons seulement qu'au xvi" siècle, s'il faut en croire la 1. Nous résumons ici le chapitre consacré par M. Ed. Auhert à l'histoire de ce pays, dans son livrela Vallée ~o~e (Paris, 1860, in-4"), qui est l'ouvrage le plus. complet publié sur ce pays. C'en est aussi le plus beau, car il contient un grand nombre de magnifiques illustrations, représentant les principaux sites et ies monuments.-
chronique d'Aoste, le réformateur Calvin, qui comptait dans la ville d'Aoste un certain nombre de partisans, excitait les habitants de la Vallée à proclamer leur indépendance, et à se joindre à la ligue des Cantons suisses. Mais ces intrigues échouèrent et Calvin, menacé d'être emprisonné, fut forcé de s'enfuir secrètement et précipitamment, par la Valpelline. La persécution détruisit le noyau du protestantisme naissant. Une colonne surmontée d'une croix qui s'élève dans la rue Croixde-Ville conserve le souvenir de cet événement et atteste la foi catholique des Valdôtains Il est vrai que cette légende, acceptée jusqu'à ces derniers temps par tous les historiens, a été convaincue de fausseté, et l'on sait aujourd'hui que le réformateur n'a jamais été au Val d'Aoste et que la « fuite de Calvin », célébrée par le monument de la rue Croix-de-Ville, n'est autre chose que la défaite du calvinisme 2. Le Val d'Aoste eut beaucoup à souffrir des guerres des xvn° et xvm" siècles pendant lesquelles il fut souvent occupé par des armées françaises avec des fortunes diverses En mai 1800, le général Bonaparte le traversa après avoir franchi le Grand-Saint-Bernard, et l'on sait que, sans le subterfuge ingénieux d'une marche de nuit, le fort de Bard, qui commande l'étroite vallée, l'eût empêché de faire passer son artillerie. Sous l'empire, la Vallée d'Aoste fit partie du département de la Doire. Elle fut française de 1799 4 1814, époque à laquelle elle fut rendue à la maison de Savoie.
En 1860, la Vallée d'Aoste fut oubliée, quoiqu'elle fût l'annexe naturelle de la Savoie, qu'elle eût autant de titres à revenir à la France, et que la France eût autant de droit à la revendiquer. Les princes de Piémont l'avaient presque toujours tenue comme une dépendance de la Savoie, plutôt que comme une des provinces du Piémont. Le duché d'Aoste était compris dans le ressort du Sénat (Haute Cour) de Savoie. Le règlement particulier du duché f/4o~e, de 1773, a été publié avec un « manifeste du Sénat de Savoye ». Ce n'est que par les patentes royales du 16 octobre 1792 (renouvelées par l'édit royal du 22 septembre 1822) qu'il a été compris dans le ressort du Sénat de Turin. Mais avec l'ignorance en ethnographie des Français, et lorsqu'un 1. Calvin au Val d'Aoste, par M. Jules Bonnet. (Mémoire lu en 1861 à l'Académie des sciences morales et politiques, et inséré ensuite dans les Récits du sv:~ siècle (1864) du même auteur.)
2. Voyez A. Rilliet, Lettre à M. ~eWed~M&~ne (Genève, 1864), et l'article AosTE, par M. H. Bordier, dans l'Encyclopédie des sciences religieuses, t. 1 (18T!), p. 392. 3. C'est aux guerres souvent malheureuses faites par les Français dans la haute Italie que se réfère l'orgueilleux dicton des Italiens Il Piemonte e la sepoltura dei Francesi, « le Piémont est le tombeau des Français ». 4. La nomination du premier maire français d'Aoste est datée du f'- janvier n99.
préfet, envoyé de Paris en Savoie, arrivait à son poste avec une grammaire et un dictionnaire italiens dans son sac, il n'y a pas lieu de nous étonner de cet oubli de 80,000 Français au delà des Alpes. Quant aux Italiens qui pensaient à tout, prévoyaient tout, qui, dans le comté de Nice, se faisaient rétrocéder les villages de Tende et de La Brigue (pour rester maîtres du col de Tende et des passages stratégiques), ils usèrent de même d'une petite ruse dans l'établissement de la frontière entre la Savoie et la Vallée d'Aoste, entre lesquelles le principal passage est la belle route du Petit-Saint-Bernard, à l'extrémité de notre vallée de l'Isère. En effet, l'Italie se fit attribuer alors l'hospice du Petit-Saint-Bernard, bien que celui-ci fût précédemment compris dans le territoire de la Savoie, et même à quelque distance de la ligne frontière entre la Savoie et le Piémont. Elle a continué son télégraphe jusqu'à l'hospice même, d'où l'on domine le versant français, et d'où, en cas de guerre, on peut observer les mouvements des troupes françaises. Naturellement, faute d'observatoire, les Français ne pourraient se rendre compte de ce qui se passe sur le versant italien. En se faisant céder cet hospice, les Italiens onb donc obtenu Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui t
Ce n'est pas sans regrets qu'en 1860 la Vallée d'Aoste vit ses destinées séparées de celles de la Savoie. La communauté de langue et de nationalité la destinait à être également réunie à la France. Dans le Val d'Aoste, comme en Savoie, c'est en France que se portait- et que se porte encore l'émigration du pays. Il y a à Paris une petite colonie valdôtaine qui, grâce à la communauté de langue, se perd dans notre population sans que rien indique son origine étrangère Le dialecte populaire tient au savoyard, dont il est le voisin et comme la continuation, mais il est recouvert par le français comme langue littéraire En effet, le français était encore, il y a peu d'années, la langue officielle de la Vallée, comme il l'était en Savoie, et cette circonstance avait jusqu'à notre époque préservé la Vallée d'Aoste (comme aussi les vallées plus méridionales dont nous parlerons plus loin) de toute influence italienne.
C'est donc un pays tout français le peuple surtout est français, quoique le passage par l'armée et la religion du drapeau le rattachent i. L'EcAo du fM d'Aoste, dans son n" du 20 août 1886, annonçait justement qu'une souscription était ouverte dans la colonie valdôtaine de Paris pour contribuer à l'embellissement du jardin public établi récemment près de la gare, autour d'un monument ëtevé Au roi chasseur (Victor-Emmanuel), comme dit l'inscription rédigée en français.
2. Notons au passage que l'Almanach de l'agriculteur valddtain de 1886 contient une série de proverbes sur le temps en patois valdôtain.
peu à peu à l'Italie; car, dans certaines familles de la classe aisée, il règne un sentiment italien par ce fait que leurs fils sont entrés au service du gouvernement italien et occupent des emplois publics en Italie. Tel était le cas en Savoie sous la domination piémontaise, ce qui explique qu'un certain nombre de Savoisiens des classes élevées de la société aient opté pour l'Italie en 1860.
Au surplus, peu de Valdôtains ont fait parler d'eux dans le monde, sauf le philosophe Anselme, dit de Cantorbéry, mais cela est déjà bien ancien. Peu de Valdôtains sont sortis de leur vallée pour se mêler à la vie générale, soit de l'Italie, soit de la France. Nous pouvons citer pourtant le général Hector Perron de Saint-Martin, dont la vie fut en quelque sorte partagée entre deux patries. Ancien élève de l'école de Saint-Cyr, il fait les campagnes du premier empire sa carrière s'arrête en 1814 comme chef de bataillon. Il reprend du service en 1830, devient général de brigade en 1839 et commande la subdivision du département de la Loire pendant six ans. Après avoir pris sa retraite en France, il offre ses services au roi de Sardaigne pendant la dramatique période de 1848, et il est tué à la bataille de Novare. Un général français du premier empire, le baron Cerise, était Valdôtain, et un neveu de ce dernier, le D*' Cerise, qui s'était établi à Paris en 1831, s'est fait un nom dans la littérature médicale de notre pays. Bien que résidant et marié en France, il ne cessait de s'intéresser à son pays natal, et celui-ci, reconnaissant, lui a élevé une statue en 1873 sur la grande place d'Aoste.
La situation de l'élément français fut menacée du jour où les Français d'outre-monts se trouvèrent une infime minorité dans le royaume d'Italie. La présence d'un groupe français sur la frontière même de France donnait un trop éclatant démenti au prétendu principe des nationalités au nom duquel le Piémont s'agrandissait peu à peu de toute l'Italie. On devait chercher à effacer cette contradiction en italianisant ces Français d'Aoste et des autres vallées, dont la France du reste s'occupe si peu; savait-elle même leur existence? Dès 1861, c'est-à-dire un an après la cession de la Savoie et de Nice, des publicistes et des hommes d'État italiens proposaient d'enlever à la langue française ses droits de langue officielle dans les vallées du Piémont. Peut-être cette proposition était-elle mise en avant pour sonder l'opinion des Valdôtains; mais, si tel était le cas, on put se convaincre de leur attachement à leur langue nationale. A cette date (1861), un député au parlement italien, M. Vegezzi-Ruscalla, publiait une brochure intitulée « Droit et nécessité d'abroger le français comme langue officielle dans quelques vallées de la pro-
vince de Turin », brochure dédiée à M. Ratazzi. De la présence de l'élément français en Piémont, l'auteur disait « Cette gêne, cette tache à la nationalité italienne doit disparaître ». Il demandait qu'on abrogeât l'article de la loi du 23 juin 1884, d'après lequel les lois devaient être traduites en français pour les communes ou se parle cette langue, qu'on abrogeât aussi l'article 9 du décret royal sur l'exécution de cette loi et qui était ainsi conçu
« Dans les communes des provinces de Savoie et dans celles des pro« vinces d'Aoste, dans les communes formant le canton de Césanne et « d'Oulx dans la province de Suse, et dans celles qui forment les cantons « de Guillaumes et de Puget-Théniers de la province de Nice, outre « l'affichage d'un exemplaire des lois et décrets en italien, on fera en « même temps l'affichage d'un exemplaire en français. Pour ne rien oublier, M. Vegezzi-Ruscalla demandait qu'on abolit les articles i50 et 374 de la loi scolaire du 13 novembre 18S9, et que l'enseignement ne se donnât qu'en italien dans les écoles primaires et secondaires'.
C'était se hâter beaucoup de vouloir proscrire l'une des deux langues de la monarchie sarde, la langue du pays (la Savoie) berceau de la monarchie et de sa dynastie.
Le droit qu'invoquait M. Vegezzi-Ruscalla, c'était la raison d'État. Sa brochure suscita une réponse publiée officiellement par le conseil municipal de la ville d'Aoste, et qui a ainsi la valeur d'une protestation nationale. Cette brochure est anonyme, mais tout le monde sait aujourd'hui qu'elle est l'oeuvre d'un des ecclésiastiques les plus estimés du pays, li, le chanoine Bérard. Quelques extraits sont nécessaires pour en faire apprécier l'esprit et en faire connaître les arguments. Non, jamais l'insolence d'un despote étranger, pas plus que les trames des réactionnaires ne pourront proscrire la langue d'un peuple. La Variée d'Aoste applaudit à ces paroles. Pourquoi donc, aujourd'hui, M. Juvénal Vegezzi-Ruscalla, député au Parlement, fait-il paraître un opuscule portant pour titre DM't'Mo e necM~d di s&rog'are francese corne H?~:M u/~cMc in f~CMHe caMt della procMMM di Torino? Il répond, dans son ouvrage, qu'il n'a écrit sur ce sujet, ni par mandat ministériel, ni par hostilité contre nous; et il nous appelle ses concitoyens bien-aimés, ses frères chéris. Avec tant
i. DM~o MM&MtM <~ s&o<ya;'e !7 /)'attcMe corne /n<~M M/~oM'i'e M n~M?
t'a~K <~Ma;p)'<K!iMCK:<K T'oWMo, per Giovenaie Vegezzi-RuscaHa,deputato in Lucca ne) Pariamento itauano. Torino, Bocca, i861, p. 2 et 46. L'auteur était teuen)ont.
nel Parlamento italiano. Torino, Bocca, :1.861, p. 2 et 46, L'auteur était tellement
enflammé contre tout ce qui est français qu'il proposait d'italianiser tous les noms de lieu des vallées françaises, et qu'il reprochait au fondateur de l'unité italienne d'avoir pris pour son nom la forme française Cavour, tandis que la forme italienne de ce nom de lieu est Cavorre. Le marquis de Cavour tenait son nom d'une localité du Piémont tout au pied des Alpes et toute proche des vallées françaises.
d'amour sur es. e~res,. il nous demande.Ie sacrifice de notre langue; il veut que nous cessions de parler français dans nos temples, dans nos tribunaux, dans nos écoles! Il propose au gouvernement, pour mener à bonne fin ce projet, d'abolir l'article 62 du Statut, portant que la langue italienne est la langue officietle des Chambres, mais qu'il est facultatif de se servir de la langue française, soit aux membres qui appartiennent aux contrées où cette langue est en usage, soit à ceux qui voudraient y avoir recours pour leur répondre. Il sollicite le Parlement d'abroger l'article 4 de la loi du 23 juin 18S4, qui ordonne de traduire en français les lois pour les communes où l'on parle la langue française, de rendre obligatoire (et à l'exclusion du français) l'usage de la langue italienne dans les tribunaux, les gymnases, les écoles secondaires et dans toutes les écoles élémentaires, d'ordonner que tous les actes des notaires, toutes les délibérations des conseils communaux et les livres de commerce soient écrits en italien.
Pour réussir dans cette entreprise, il propose à ceux qui ont le pouvoir entre les mains, d'assigner des subsides aux curés qui s'emploieront à répandre la langue italienne, de distribuer des croix de chevalier à ceux qui, ayant soif d'honneurs, s'occuperont avec activité à répandre la connaissance de l'italien; de fonder un petit journal en cette nouvelle langue d'employer certain nombre de Valdôtains dans l'exécution des travaux publics, afin d'empêcher leur émigration en France et en Suisse; enfin, de donner au municipe d'Aoste une subvention, pendant cinq ans, pour faire représenter au théâtre de notre ville une série de pièces dramatiques en italien. Si de telles propositions étaient le fruit d'une imagination juvénile et exaltée, nous les aurions entendues avec pitié; mais, sachant que l'auteur de l'opuscule a été, pendant vingt-un ans, inspecteur général des prisons; pendant seize ans, attaché au ministère des affaires étrangères, puis député de Lucca, nous devons raisonnablement nous demander Quel a été le motif de cette publication? Aucune réponse satisfaisante ne se présente à notre étonnement; car, connaissant le dévouement de M. le chevalier Vegezzi à l'État, nous avons dit L'Italie est-elle menacée, parce qu'une pauvre vallée des Alpes parle français? Le ministère a-t-il besoin de se créer des ennemis? En un moment où la fièvre des nationalités agite tant de peuples, est-il prudent de venir dire à une population Tu ne parleras plus la langue qu'ont parlée tes pères, qu'ils ont parlée depuis plus de mille ans! Lorsque nous sommes encore étonnés de la cession de la Savoie et de Nice à la France, lorsqu'un bruit sourd de futures annexions bourdonne à nos oreilles, est-il prudent, est-il sage de réveiller en sursaut, de son abattement, une population fatiguée et du sang qu'elle a versé et des impôts qu'elle a payés? Est-il humain de venir lui dire Tu as payé en sang, tu as payé en argent ton obéissance proverbiale au gouvernement; tu dois maintenant livrer ta langue, ta nationalité. Tu as parlé jusqu'ici français, désormais tu parleras italien dans tes églises, dans les sanctuaires de la justice, dans les écoles où tu envoies tes enfants 1.
1. La langue française dans la vallée d'Aoste. Réponse à M. le chevalier VegezziRuscalla. Aoste, Lyboz, 1862, p. 7-10.
Vouloir prouver que notre langue littéraire ou cultivée est la langue française, ce serait prouver qu'il fait jour en plein soleil. Tous nos curés prêchent en français, tous nos avocats plaident en français, nos magistrats jugent en français, tous nos notaires stipulent en français; nos écrivains, nos journaux écrivent en français.
Notre collège, fondé en 1596 pour les Valdôtains et même pour les Savoyards, a toujours conservé le français dans son cours principal, jusqu'à ces deux dernières années. Nos imprimeries ont toujours été françaises. La bibliothèque du roi possède deux exemplaires de notre coutumier rédigés tous les deux, par ordre du souverain, en français, l'un imprimé en i588, l'autre imprimé en i 684 chez RiondetËtienne,à à Aoste. Les statuts des États généraux, les anciens règlements de police, les suppliques aux souverains, les correspondances de la Cour de Turin avec le Conseil des Commis sont en français. En faut-il davantage pour qu'une langue soit littéraire ou cultivée? Et n'est-ce pas la langue française que vous désirez nous enlever, monsieur le chevalier? Pourquoi vous donner ainsi qu'à nous tant de peines, si ce n'est pas notre langue?
En présence de tels faits et d'une telle évidence, on ne peut s'attendre raisonnablement à une réplique. Nous nous trompons. Voici le formidable argument qui, pareil au terrible cheval de Troie portant dans ses flancs la ruine de toute une nation, doit nous prouver que l'italien est notre langue littéraire. Le voici Le français n'est pas la langue maternelle de la Vallée d'Aoste, puisqu'Emmanuel-Philibert, ayant ordonné, par lettres patentes du 23 septembre 156i, que l'italien fût la langue des tribunaux en deçà. des Alpes, pour seconder les désirs des Valdôtains, les autorise à se servir du français. Voici le texte Fusons savoir qu'ayant toujours et de tout temps été la langue /raMCOMe en Notre pays et duché d'Aoste, plus conHKMKC et g'eyte)'a<e que point d'autre; et ayant le peuple et sujets dM~tpays, ace)'K et accoutumé de pa)'!e)' ladite langue plus aisément que nulle autre (que la langue latine), aurions entendu que, nonobstant nosdits statuts et of~OMMtMees, aMCUMS ~obéissants usent en leur procédure tant de justice que autre, de la langue latine, laquelle outre ce qu'ils ne la savent pas tfsc)' parfaitement, n'est si intelligible au peuple com~ la langue ~'ancatse; a cette cause, etc.
Et c'est après une thèse fondée sur cinq faux supposés, étayée par des sophismes élaborés quelquefois avec une adresse digne d'une meilleure cause, que l'auteur supplie le ministère d'abolir l'article 62 du Statut Quel respect pour le Statut! d'user de tout son pouvoir pour nous enlever notre langue et dans les tribunaux, et dans nos écoles, et dans nos églises 1 Il y a là trop de mépris ou pour le ministère ou pour nous.
Vous proposez l'abrogation de notre langue française? Par quel droit? Par le droit du plus fort? Par le droit turc? Par le droit russe? Vous lui 1. La langue française, ete., p. 49-50. Au temps d'Emmanuel-Philibert, nous dit.M. Vegezzi-Ruscalla (p. 40), la population française dans les États du due était de 500,000, et la population italienne de 700,000.
substituerez l'italien comme langue officielle? Comme langue officielle! Dans un pays où elle n'a pas droit de bourgeoisie, où on ne la comprend pas, où on ne l'a jamais comprise? Est-ce pour multiplier les procès, pour payer le salaire de vos percepteurs et de vos huissiers? Est-ce afin de laisser à des notaires étrangers le droit de disposer de nos fortunes ?. -L'Autriche, faut-il parler à sa louange, n'a jamais imposé la langue allemande à la Vénétie et à la Lombardie. L'Angleterre a laissé la langue italienne à Malte, comme langue littéraire et officielle. Les îles Ioniennes se servent de la langue grecque sous la protection des Anglais. Le gouvernement italien voudrait-il traiter une de ses plus anciennes provinces plus durement que ne le font l'Angleterre et l'Autriche à l'égard de pays qu'elles possèdent par cession ou par conquête! Le gouvernement italien, portantsi haut le drapeau de la liberté, ferait-il ce que n'a pas fait le despote autrichien ?
Pour nous faire parler sa langue, il userait de violence et de corruption! A un jour donné, nos juges, nos avocats, nos notaires, nos syndics, nos secrétaires de commune, recevraient la défense de parler et d'écrire en français 1
Pour importer l'italien dans nos écoles communales, on attirerait àAoste, par l'appât de vingt-cinq francs qu'on leur promet par mois, quelques maîtres d'école dont le gosier n'est pas plus fait que celui d'un Français pour parler italien! On continuerait, pendant cinq ans, à puiser dans nos bourses, pour leur faire faire un si violent exercice gymnastique On les lancerait ensuite dans toutes les communes pour nous arracher notre nationalité! Quel rôle! quelle indignité 1
Commencez par nous alléger du poids de vos impôts écrasants. Ouvreznous de grandes routes à travers les Alpes; rapprochez-nous de l'Italie par des communications faciles multipliez nos rapports sociaux entre vous et nous; ne lésinez pas pour quelques milliers de francs, quand vous prodiguez ailleurs les millions. Alors peut-être, lorsque vous nous aurez fait quelque bien, nous nous plairons a balbutier votre langue. Mais, pendant que vous n'aurez fait que détruire sans rien édifier, pendant que vos journaux n'auront pour nous que l'injure et le sarcasme, c'est bien assez et même trop que vous ayez nos hommes à la levée [conscription], et le produit de nos sueurs dans vos caisses. Ne nous enlevez rien de plus.
Mais si, malgré la raison, malgré la justice, malgré tous nos droits, un édit de proscription devait sortir du sein d'une assemblée où l'Italie se voit représentée par ce qu'elle a de plus libéral, on dira alors et à bon droit Aoste, qui a été PUCELLE pendant neuf siècles qu'on appelle barbares, a été brutalement violée par une nation civilisée 1J
Ailleurs (p. 42), l'auteur anonyme évoque la pensée que si on opprime tes Valdôtains en leur imposant l'italien ils pourront tourner leurs regards et leurs vœux vers la France ou vers la Suisse. Mais la 1. La langue française, etc., p. 83 et suiv.
France, où. l'on parlait tant du principe des nationalités sans comprendre ce que ces mots signifiaient, la France s'occupait-elle des Français au delà de ses frontières politiques? 'f
En 1872, lorsque j'arrivai à m'occuper d'Aoste dans le cours de géographie et d'ethnographie qui m'était confié à l'École des sciences politiques, pour me renseigner sur l'état des choses dans la vallée, j'eus l'idée de me faire venir un numéro de chacun des journaux qui se publiaient à Aoste. Je reçus trois journaux, tous trois rédigés en français, la Feuille d'Aoste, I'7K~p<MM&[~et lÉcho du Pa/ d'Aoste. Par un heureux hasard, les deux premiers parlaient des bruits qui couraient dans le pays, qu'on voulait y introduire l'italien, comme langue officielle, et voici en quels termes ils accueillaient ce bruit. Voici ce que disait la Feuille d'Aoste dans son n° du 3 avril 1872 LANGUE FRAtç.usE. Des bruits étranges et alarmants pour les habitants de la Vallée d'Aoste circulent depuis quelques jours dans notre pays. Nous n'en connaissons, pour le moment, ni les auteurs ni le motif. Devons-nous les attribuer à des ennemis du gouvernement ou à des ennemis de notre pays? Nous ne saurions le dire. Dans l'intérêt. de l'un et de l'autre, nous croyons devoir les reproduire dans notre J!%Mt~e dévouée aux intérêts moraux et matériels de la Vallée.
On dit que le gouvernement, excité et trompé par des hommes étrangers au pays, et qui se posent, depuis trop longtemps déjà, comme des représentants de l'instruction et de la moralité dans notre ville et même dans l'arrondissement, a manifesté l'intention de rétablir dans notre collège les études et la discipline contre lesquelles toute la Vallée a protesté en 1863. L'on dit que le gouvernement, malgré les protestations de tous les Valdôtains, manifestées il y a quelques années, de vouloir conserver la langue française comme langue légale dans leur pays, se propose de l'abolir dan$ le collège, les tribunaux, à la sous-préfecture et dans les écoles. L'on dit que, malgré les décisions du Sénat, prises il y a peu d'années, de conserver à la Vallée d'Aoste son droit de faire ses contrats en langue française, l'on veut nous obliger aujourd'hui à. stipuler en langue italienne. Nous le répétons, ces bruits sont peut-être répandus par des hommes qui veulent jeter le trouble dans le pays, et augmenter le mécontentement qu y règne à cause des impôts qui s'y font sentir plus que partout ailleurs. Les autorités préposées au gouvernement de la chose publique dans notre pays, feraient bien d'empêcher la propagation de ces nouvelles, si elles sont fausses et, si elles sont vraies, d'instruire le gouvernement sur l'état des choses, et de l'empêcher d'ajouter un nouveau motif de plainte à ceux que la Vallée d'Aoste a déjà contre le gouvernement italien.
L'TH~pen~a~, dans son n° du 4 avril 1872, avait un article intitulé « Suppression de la langue française dans le Duché d'Aoste o, où il disait, entre autres choses
Nous voici de nouveau en face de l'un de ces tristes et graves dangers bien capables d'alarmer l'honneur et le sentiment d'un peuple. Notre langue, la langue française, va cesser, dit-on, d'être la langue de nos actes publics, c'est-à-dire de ceux qui règlent nos relations et nos intérêts. Sera-t-il donc vrai que l'antique Duché d'Aoste non seulement continuera à ne rien retirer du gouvernement italien que des impôts toujours plus disproportionnés et partant toujours plus écrasants; mais qu'il devra encore subir tout ce que le despotisme le plus effréné a pu trouver pour vexer et humilier une nation? Rien, en effet, de plus amer et de plus flétrissant pour un peuple que de se voir imposer une langue qu'il n'entend pas. Lorsqu'on est forcé de se soumettre à de semblables lois, on cesse d'être des hommes; l'on n'est plus que de vrais et vils esclaves. On sait qu'à l'exception d'une centaine d'employés, ce qui ne fait pas le pays, de quatre à cinq mille étrangers, au plus, venus chez nous pour y chercher fortune, et de quelques jeunes gens sortis naguère de notre collège par trop italien, tout le reste de la Vallée, qui compte 80,000 habitants, ignore parfaitement la langue italienne; et quoi que l'on fasse, il en sera ainsi pour de bien longues années encore. Ainsi tout le haut Val d'Aoste, les vallées de Gignod et de Valpelline, celles de Valtornanche et d'Ayas connaissent à peu près autant l'italien que le sanscrit ou le chinois. Que feront nos bons paysans, c'est-à-dire la grande majorité de notre population, la partie la plus réglée et la plus honnête, si la mesure est adoptée?
C'est donc le moment de nous réveiller, chers compatriotes. Tous, sans
C'est donc le moment de nous réveiller, chers compatriotes. Tous, sans
distinction d'opinion et de parti, toujours dans les limites de la légalité sans doute, parlons, crions, pétitionnons et ne cessons pas de nous agiter que nous n'ayons au moins obtenu le maintien de notre langue.
Les vallées françaises du Piémont échappèrent quelque temps encore à ce danger, mais il était évident que la langue italienne finirait par leur être imposée. C'est la tendance des grands États modernes de vouloir introduire l'uniformité de langue dans tout le territoire. C'est ce que la France a fait dans ses provinces de langue étrangère, ce que l'Allemagne fait dans ses provinces polonaises et au Slesvig, ce que les Magyars font en Hongrie. Mais l'historien a le droit de remarquer que c'est surtout depuis que le principe des nationalités a fait son apparition dans le monde et que de grands États ont la prétention d'appliquer ce principe pour arriver à l'unité c'est depuis ce moment que les petites nationalités sont menacées et attaquées dans leur existence même.
La Vallée d'Aoste devait pourtant se résigner à son sort; elle devait perdre tout espoir d'être annexée à la France ou à la Suisse, et un Valdôtain patriote pouvait, il y a quelques années, dire avec tristesse et sans exagération « La France ne nous connaît pas! x Mais, en se A. TOME II. 5
résignant, les Valdôtains pouvaient demander au gouvernement italien de développer et de favoriser leurs intérêts matériels. Un chemin de fer qui reliât Aoste à Turin était surtout l'objet de leurs vœux, et voici en quels termes amers deux écrivains valdôtains le réclamaient en 1876
Actuellement la Vallée d'Aoste, fidèle et dévouée comme toujours à son roi, après avoir perdu son titre de province, son Conseil des Commis, son droit de ne subir point d'impôts réguliers, mais de ne faire que des donatifs volontaires à son souverain, le droit pour ses enfants de ne point porter les armes hors de leur vallée, après avoir perdu une à une ses franchises et ses privilèges que les souverains devaient jurer de maintenir avant de pouvoir exiger eux-mêmes aucun hommage et aucun serment de fidélité, la Vallée d'Âoste se borne et s'épuise à demander la conservation de la langue usuelle et traditionnelle et l'avantage d'une voie ferrée depuis si longtemps promise, toujours retardée et toujours en suspens.
Vingt ans après la terrible expédition de Terentius Varron Murena, une importante voie consulaire longeait toute la vallée des Salasses vingt-huit ans après le Statut, la liberté générale qui l'a privée de ses libertés et de ses franchises particulières, la vallée des Salasses paye pour le reste de l'Italie de sa bourse et de son sang; elle demande, soupire et attend pour ellemême
Un dernier conflit, un dernier effort des Valdôtains patriotes pour conserver les anciens privilèges de leur langue eut lieu en août 1883, à la session des assises un avocat, mort aujourd'hui, M" Defey, avait commencé sa plaidoirie en français. Le ministere public s'opposa à ce qu'il parlât dans cette langue. M" Defey répliqua qu'il voulait se servir du français, s sa langue maternelle, en usage depuis des siècles dans la Vallée, et sanctionnée par d'antiques privilèges ». Le ministère public répondit que ces privilèges avaient été abolis implicitement par la constitution du royaume d'Italie. II conclut au renvoi de l'affaire et à la suspension de la session jusqu'à nouvel avis du gouvernement et des autorités judiciaires. La cour suspendit en effet la session les avocats présents, à l'exception de deux, s'étaient jointsà la protestation de M" Defey. Mais cette protestation fut inutile, car il fut décidé en haut lieu que les plaidoiries devaient être en italien Il en a-été ainsi depuis lors devant les tribunaux d'Âoste, et la Feuille <fAos~, dans sonn" du i8 août 1886, parlait des mésaventures d'accusés i. Gorret et Bich, Guide dans la Vallée e~<M<< Turin, 1876, p. il, <2. 2. Il faut dire que, pour la cour d'assises, l'italianisation est facilitée par ce fait que les arrondissements d'Aoste et d'Ivrée (ce dernier est italien) ne forment qu'une circonscription de jury, et que le jury est ainsi formé moitié de Valdôtains et moitié d'Italiens.
jugés dans une langue qu'ils ne comprenaient pas, et elle concluait en s'écriant « 0 justice italienne! »
Aujourd'hui la langue italienne a tous les droits officiels. Les tribunaux rendent leurs jugements en italien; la procédure est en italien les avocats doivent plaider en italien. Le sous-préfet d'Aoste correspond en italien avec les communes. Les lois et décrets ne sont affichés qu'en italien. Les actes de l'état civil et les bans de mariage sont en italien; mais, pour faciliter la rédaction à des populations qui peut-être « ne savent pas plus l'italien que le sanscrit ou le chinois », on envoie aux communes des formulaires tout imprimés où il n'y a qu'à mettre le nom des intéressés dans les blancs. Les cours du lycée, de l'école technique et des écoles normales se font en italien. Dans les écoles primaires, on enseigne l'italien, mais en enseignant aussi le français, et tant que l'ancien personnel des instituteurs n'aura pas été renouvelé par un personnel italianisé, le français, par la force des choses, y occupera encore plus de place que ne comportent les nouveaux programmes De tous ses anciens privilèges, la langue française n'en a encore conservé que deux le premier, bien humble, est que les notaires peuvent encore dresser leurs actes en français, le second est que les publications communales se font encore en français. En effet, tant que la connaissance de la langue italienne ne sera pas répandue dans le peuple, des publicatious communales faites en italien seraient lettre morte pour la plupart des administrés. Dans la ville d'Aoste même, où la connaissance de l'italien est bien plus répandue que dans les villages, et où sont établis un certain nombre de .Piémontais, le français a gardé ses droits de langue communale ainsi le règlement de police urbaine, imprimé en 1882, est rédigé exclusivement en français.
Mais il y a un asile où la langue française restera longtemps inexpugnable, c'est l'église. L'église en effet et cela dans les autres pays d'Europe comme ici ne se préoccupe pas de la langue politique des Etats, et elle s'adresse au peuple dans sa langue traditionnelle et maternelle elle prêche aux fidèles pour être comprise d'eux, et, dans ce but, elle se sert de la langue qui leur est le plus intelligible, se faisant ainsi, suivant les paroles de l'apôtre, toute à tous. Les traditions de l'église d'Aoste sont toutes françaises et toutes gallicanes, et c'est au farouche M.Yegezzi-RuscaIIa que j'emprunterai les faits suivants où ces traditions éclatent pleinement 1. Comme nous nous en sommes assuré chez les libraires d'Aoste, les livres scolaires français en usage dans les écoles sont des livres publiés par la librairie veuve Belin à Paris.
Ce n'est pas seulement contre le souverain, mais aussi contre le pape que l'église d'Aoste défendit ses privilèges. En 1660, le pape Alexandre VII lança une bulle qui imposait une contribution à toutes les églises italiennes pour secourir l'Empereur qui à Vienne luttait pour repousser les Turcs des pays catholiques. Ma]gré la gravité de ce motif, l'évêque d'Aoste, Adalbert, refusa laconiquement de payer, en disant que, comme suffragant de la métropole de la Tarentaise [la Tarentaise est l'ancienne province ecclésiastique qui a pour chef-lieu Moutiers en Savoie], il était d'église gallicane, et que son clergé était de langue française, non de langue italienne. En i6i4, l'évêque d'Aoste avait refusé de laisser établir la Sainte Inquisition comme en Piémont, parce que son église était gallicane. Enfin de notre temps, quand le Saint-Siège voulut enlever à cette église sa liturgie particulière pour lui substituer la liturgie romaine, il dut recourir à l'intervention du gouvernement du roi, et ce .ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'il obtint ce changement en 1829 1.
L'évêché d'Aoste avait été supprimé par le gouvernement français le 14 thermidor an XIII (2 août 1805); il fut reconstitué par Lettres apostoliques du 17 juillet 1817 et fait suffragant de l'archevêché de Cbambéry; il le resta jusqu'à la réunion de la Savoie à la France. Il en fut alors séparé pour être rattaché à l'archevêché de Turin. Les évêques d'Aoste ont toujours été ou Valdôtams ou Savoisiens. Malgré la séparation politique, les relations ne sont pas entièrement rompues entre le clergé valdôtain et notre côté des Alpes. Ce sont souvent des prêtres français qui vont prêcher dans les retraites ecclésiastiques du clergé valdôtain; c'est de France que ce ctergé fait le plus souvent venir les petits livres de littérature d'édincation qu'il distribue parmi ses paroissiens. Il se rapproche, du reste, de notre clergé par son costume comme le nôtre, il porte le rabat (blanc pour les prêtres de la ville d'Aoste, noir pour les prêtres des communes rurales), tandis que le clergé italien porte le collet.
On prêche en français dans les 76 paroisses du diocèse dont les limites correspondent à celle de l'ancien duché d'Aoste et même depuis quelques années dans deux qui sont de langue allemande. Ce sont dans la partie supérieure de la vallée de Gressoney, et sur le versant piémontais du mont Rose, les villages de Gressoney-làTrinité et Gressoney-Saint-Jean. C'est la continuation de la population de langue allemande du canton suisse du Valais 2. Les curés de ces 1. Vegezzi-Ruscalla, op. cit., p. 33.
2. Sur les villages allemands du versant, italien du mont Rose, on peut consulter Albert Schott, Die deutschen Colonien in Piemont. Stuttgart, t8M. Bresslau, ZM' Geschichte der deutschen Ge??!<'MMt im Gebiete des Mo~e Rosa und MH Ossolathale, dans la Zeitsch. d. Ges. f. Erdkunde SM Be~M. T. XVI (1881),
villages étaient le plus souvent des enfants du pays ou des prêtres venus de Bavière actuellement ce sont deux Valdôtains qui, m'a-t-on dit, prêchent en français. Le français est du reste connu dans ces deux villages; la population en est intelligente, instruite et riche. Comme l'instinct de race, maintenu par la langue, est difficilement eSaçabIe, elle manifestait des sympathies allemandes pendant la guerre de 1870-1871, tandis que les vœux des Valdôtains étaient pour le succès de la France 1. Un grand nombre émigre loin de leurs villages, dans toutes les directions, pour faire le commerce, et la connaissance de trois langues (allemand, français et italien) leur est un précieux instrument. On voit à Gressoney-Saint-Jean, m'a-t-on dit, plus de vingt villas bâties par des gens du pays revenus après avoir fait fortune.
La langue française a enfin un autre refuge, le cœur des Valdôtains qui sont attachés à la langue traditionnelle de leur pays. Ceux même qui, appartenant aux classes élevées et moyennes de la société, sont fonctionnaires du gouvernement italien, concilient cet attachement particulier avec leur fidélité au roi et à l'État. Ce sentiment s'est manifesté tout récemment lorsque, à l'occasion de l'inauguration du chemin de fer, on a élevé, par souscription, un monument à VictorEmmanuel c'est de propos délibéré qu'on a rédigé en français la courte inscription de ce momunent Au ROI CHASSEUR. Au reste, la maison de Savoie était très aimée, dans les pays alpestres qui lui ont servi de berceau, et le peuple valdôtain est plein de fidélité et de loyalisme (pour prendre le mot anglais) pour la dynastie de ses anciens souverains. C'est un dévouement moins politique que dynastique, analogue à celui des Tyroliens qui sont dévoués à la maison d'Autriche plus qu'à l'État autrichien. La famille régnante connaît ces sentiments et en tient compte. Ainsi, lors du passage de la reine d'Italie à Châtillon, en août 1886, le syndic (maire), M. Cretier, crut faire sa cour en souhaitant la bienvenue à ia reine en italien la reine lui répondit en français
173-194, avec une carte. L. Neumann, Die deutsche Sprachgrenze in den Alpen. Heidelberg, 1883, p. 1S-18.
Plus à l'est et dans la partie italienne du Piémont, et encore dans le périmètre du mont Rose (dans la haute vallée de la Sesia et de son affluent, la Sermenta), il y a encore quelques villages de langue allemande, débris d'une zone allemande plus étendue.
1. Le village voisin d'Issime a été autrefois allemand, et on y comprend encore cette langue, mais il est en grande partie francisé.
2. Feuille d'Aoste du 18 août 1886. Ce journal ajoute malicieusement « Le bruit court maintenant que plusieurs cercles philologiques se disputent l'honneur de s'agréger M. Cretier comme membre correspondant, et que la population de Châtillon va faire une humble pétition pour lui obtenir le cordon de comman-'
II ne paraît aujourd'hui à Aoste que deux journaux: la Feuille ~'Aos~e qui est cléricale et l'Fc~o du Val ~'Aos~e qui est gouvernemental et ministériel, quel que soit le ministère. Ces journaux ne sont qu'hebdomadaires et ne s'occupent que d'affaires locales; aussi les journaux quotidiens du Piémont se crient-ils maintenant dans les rues d'Aoste.
Il ne faut pas se le dissimuler ce pays est destiné à s'italianiser avec le temps. Déjà quelques Piémontais sont établis dans le pays, car le Piémontais a plus le sens du commerce et des affaires que le Valdôtam qui est surtout agriculteur. Le chemin de fer qui, depuis le 4 juillet 1886, relie Aoste à Turin, va rendre les rapports plus fréquents et plus intimes entre le Yal d'Aoste et l'Italie. Lors de notre passage dans le Yal d'Aoste (en août 1886), nous l'avons trouvé plein de touristes italiens, dès les premiers villages de la haute vallée qui confine à la Savoie et à la Suisse. La présence de la reine d'Italie, pour le troisième été, à Courmayeur, au pied du mont Blanc, était sans doute pour quelque chose dans cette affluence; mais l'ouverture du chemin de fer et la plus grande facilité des communications l'expliquent davantage. Le Yal d'Aoste a trois stations thermales (Saint-Yineent, Pré-Saint-Didier et Courmayeur), qui seront de plus en plus fréquentées par les Italiens (d'autant que la reine a mis Courmayeur à la mode) les hôtels sont organisés à l'italienne. C'est une sorte de colonisation quand une villégiature de ce genre s'abat régulièrement chaque été sur un pays.
II
LES VALLÉES VAUDOISES.
Malgré la similitude de noms, il ne faut pas confondre les Vaudois du Piémont avec les Vaudois de Suisse, habitants du canton de Vaud. Cette homonymie est un pur jeu du hasard.
Les noms ethniques et géographiques ont souvent une origine obscure pour nos Vaudois, deux étymologies ont été proposées l'une les explique comme Vallenses, <: habitants des vallées », l'autre comme ïraMe~ses, c'est-à-dire disciples de Waldus, réformateur qui vivait dans la seconde moitié du xn" siècle. Cette étymologie est la plus probable, mais les Vaudois la rejetaient parce qu'ils voulaient faire deur de la. Couronne d'Italie. Certes, ce n'est pas trop, vu les nombreuses preuves d'éloquence italienne et de connaissances linguistiques qu'il a déjà. données. »
remonter leur secte beaucoup plus haut. Par sobriquet, les catholiques parlaient souvent des « vallées des barbets », jouant sur le sens méprisant du mot barbet et sur le nom de barbes par lequel les Vaudois désignaient autrefois leurs ministres.
Ces vallées sont situées « au revers occidental deg Alpes », entre le mont Tabor et le mont Viso 1. Elles sont formées par le bassin du Pélis (en italien Pellice) et par une partie de celui du Cluson (en italien Chisone), tous deux affluents du Pô « Leur ensemble, dit M. Rochas, présente la forme d'un quadrilatère nettement délimité par des crêtes d'un accès difficile. »
Ce sont ces défenses naturelles de la montagne qui ont à plusieurs reprises permis aux Vaudois de résister aux campagnes d'extermination dirigées contre eux, au nom de l'orthodoxie catholique, tantôt par les rois de France, tantôt par les ducs de Savoie. Leur histoire est celle d'un long et cruel martyre, et, sans la forteresse de leurs montagnes, il ne resterait sans doute aujourd'hui aucune trace de ce petit peuple, protestant d'avant la Réforme.
L'ancienneté de cette secte forme son originalité dans l'histoire, et les protestants ont, dans les Vaudois, sinon des ancêtres, au moins des précurseurs. A l'époque de la Réforme, des relations intimes s'établirent aussitôt entre les uns et les autres les protestants croyaient se rattacher directement, par les Vaudois, à l'Église primitive dont l'Église catholique se serait elle-même détachée. Sous l'influence de la passion religieuse, bien naturelle chez un petit peuple persécuté pour sa foi, on a cru en effet longtemps à une très haute antiquité de la secte vaudoise mais il paraît bien établi aujourd'hui qu'elle remonte seulement à Waldus 3.
La langue des Vaudois était un dialecte provençal les Vaudois se trouvaient ainsi appartenir au mouvement intellectuel et littéraire de la France du Midi, si vif dans la seconde moitié du moyen âge, et, 1. Cette région, ainsi que son histoire politique et militaire, a été étudiée dans le plus grand détaiipar un écrivain militaire français, M. A. de Rochas d'Aiglun, dans les ouvrages suivants: Topographie des vallées vaudoises (dans l'Annuaire de la Soci été desTouristesdu Dauphiné).Ce mémoire est accompagné d'une « cartehistorique au 1/100,000, qui a été aussi publiée à part, et qui accompagne aussi l'ouvrage suivant Les vallées vaudoises. Paris, 1881, 328 p. in-8. Tirage à part d'une série d'articles publiés dans le Spee<~e:~ militaire de 1880 et 1881.–M. deRochas d'Aiglun a aussi publié un ouvrage du xvu~ siècle relatif à cette région La topographie militaire de la /7.o~r<. des Alpes, par M. de Montannel, ingénieur-hydrographe du Roi (Grenoble, 18T5, in-8). r 2. Ces deux vallées, qui vont déboucher près de Pignerol, s'augmentent de vallées latérales dont les principales sont le Val d'Angrogne et le Val Saint-Martin 3. Voir Em. Comba, Valdo ed i Valdesi avanti la ~/br~M, cenno storico. Firenze, 1880, et Revue critique, 1880, t. II, p. 323.
comme ils ont eu des écrivains, ils figurent avec honneur dans l'histoire de la même littérature provençale. Le monument le plus connu de cette littérature est le poème Nobla Leyczon, « la noble leçon », quijpara!t avoir été écrit au commencement du xv° siècle Comment d'un dialecte provençal, et plus exactement dauphinois (au point de vue géographique), dialecte qui est leur langue littéraire jusqu'à la Réforme, et même un peu après (pour plusieurs de leurs écrits), comment les Vaudois sont-ils passés à la langue française ? Il est probable que c'est par suite de leur union avec les premiers réformés français. L'union amena l'assimilation. C'est en effet à ce moment que leur confession de foi se précise, qu'ils renoncent au célibat de leurs ministres, à la confession, etc., et qu'ils se séparent nettement et formellement de l'Église catholique car antérieurement ils semblent avoir été plutôt une société de piétistes qu'une secte indépendante. On a souvent dit que le français est devenu la langue de la prédication et de la liturgie vaudoise à la suite d'une peste qui, en 1630, aurait enlevé tous les barbes à l'exception d'un seul et il aurait alors fallu les remplacer par des ministres de langue française. Cela paraît une légende inventée après coup; car, un siècle plus tôt, les Yaudois, faisant imprimer la Bible pour leur usage, la publiaient en franpais. En effet, la première traduction de la Bible en notre langue (faite sur les textes originaux) a été imprimée à Serrières près Neuchâtel en 183S, par l'ordre et avec l'argent des vallées du Piémont, et par les soins de Pierre-Robert Olivétan, cousin de Calvin. C'est cette version, retouchée fréquemment, qui est encore en usage dans les églises protestantes de France et des pays de langue française. Il est probable que la langue française s'est introduite chez les Vaudois, par suite de leurs rapports avec les protestants de langue française (France et Suisse), comme langue plus cultivée et plus générale
On a souvent appelé le petit peuple vaudois « l'Israël des Alpes », expliquant par là sa foi inébranlable, ses persécutions, ses dispersions passagères) son exode de ses vallées en Suisse et de Suisse dans
1. La. chronotogie des anciens écrits vaudois a été longtemps obscure par l'absence de renseignements précis et par le patriotisme des écrivains vaudois qui en exagéraient l'ancienneté. EUe a été éclaircie de notre temps par la critique et par la publication de documents conservés dans les bibliothèques d'outreManche. Voir un article de M. Paul Meyer dans la Revue critique, 1866,1.1, p. 36 et auiv. Cf. aussi Revue ft~MC, i8'!8, 1.1, p. IM.
2. Iî semble pourtant qu'à certain moment les Vaudois se sont servis de l'italien, car le pasteur Gilles, écrivant (en français) au commencement du xvtt" siècle une histoire des Vaudois, parle dans sa préface de « notre langue italienne ». Mais il ne semble pas que les Yaudois aient rien écrit dans cette langue: du provençal, ils ont passé directement au français.
ses vallées (fin du xvn" siècle). Cette histoire a été souvent racontée elle est du reste hors de notre sujet. Disons seulement que les Vaudois étaient en quelque sorte à cheval sur les Alpes et se rencontraient en Dauphiné aussi bien qu'en Piémont. En Dauphiné, ils ont été à peu près exterminés par les persécutions, surtout t celles de Louis XIV; pourtant, il en subsiste encore quelques-uns, notamment dans les vallées de Freissinières et du Queyras (HautesAlpes). Ils appartiennent à l'Église réformée, c'est-à-dire qu'ils sont entrés dans l'Église protestante française et qu'ils ne se rattachent plus à la secte vaudoise que par leurs origines historiques 2.
On comprend aisément que le souvenir des cruautés qu'il a subies ne se soit pas effacé chez ce petit peuple, mais il serait injuste de les attribuer toutes aux Français, en passant sous silence celles des Piémontais et des ducs de Savoie. M. de Rochas l'a fait remarquer avec beaucoup de raison dans la préface de son livre
Dans un but patriotique facile à comprendre, on entretient soigneusement chez les Vaudois la mémoire des expéditions de Catinat et des infamies dont ce général se serait rendu coupable. Certes, je n'ai point l'intention de nier et encore moins d'excuser la barbarie des armées d'autrefois, composées en majeure partie de cette classe d'hommes, écume des grandes villes, qui fait aujourd'hui les révolutions; mais on verra, par la suite de ce récit, que les plus cruels persécuteurs des Vaudois ont toujours été les Italiens. C'est un officier français, le capitaine de Petit-Bourg', qui, en i6o5, proteste publiquement contre les atrocités commises par les Piémontais et refuse de laisser son régiment y prendre part; en 1686, c'était le duc de Savoie luimême, qui, parlant de ses malheureux sujets, recommandait à Catinat d'achever de nettoyer la vallée de Saint-Martin de ces obscénités. Cependant une légende s'est faite, et les Vaudois ont oublié aujourd'hui les torts de la Maison qui les gouverne, pour les rejeter tous du côté de la France; mais leurs pères; plus près des événements, ne s'y trompaient point. L'éphémère république de Saint-Martin s'était fondée en 1704 sous la protection de Louis XIV, et nous nous rappelons, de ce côté des Alpes, le dé1. La liste serait longue des ouvrages d'histoire écrits sur les Vaudois; nous nous bornons à renvoyer le lecteur à t'intéressant résumé publié par M. HudryMénos sous ce titre l'Israël des Alpes ou les Vaudois du Piémont '<, dans la Revue des Deux-Mondes des 15 novembre 1867, l"' avril et 1" août 1868 et 1" janvier 1869. Notons seulement qu'on ne peut avoir confiance en M. Hudry-Ménos pour les questions d'origine; il a accepté les légendes courantes chez les écrivains vaudois sur l'antiquité de leur secte et de leur littérature. On peut voir aussi Les vallées vaudoises de M. de Rochas d'Aiglun, qui traite tout particulièrement de l'histoire des guerres et des combats des Vaudois.
2. Ils forment les deux paroisses (protestantes) de Freissinières et d'Arvieuxen-Queyras pour plus de détails voir les Vallées de Félix JV6/~ (Hautes-Alpes) et leur état présent. Lyon, Georg., 1875, in-8, et les rapports publiés par le comité protestant de Lyon.
vouement de nos udèies alliés pendant les campagnes de la Révolution, ainsi que les réclamations de la légion vaudoise quand elle dut passer de notre service à celui du Piémont
Les Vaudois n'ont vécu sans être molestés que depuis 1694. A cette date, !e duc de Savoie, pour les récompenser d'avoir pris son parti dans sa guerre avec le roi de France et d'avoir contribué à son succès, leur accorda le droit de vivre en paix en pratiquant leur religion. « Le duc reconnut leurs services par i'édit du 23 mai 1694 qui fut la charte de la restauration vaudoise. La dissidence religieuse n'avait été jusqu'alors qu'un fait dans ses États, un fait impatiemment supporté et souvent contesté; elle devint un droit légal et écrit à dater de cet édit qui provoqua une tempête incroyable de récriminations. Le pape protesta par sa bulle du 19 août suivant, qui déclara la nouvelle loi nulle et de nul effet, et défendit, sous peine d'excommunication, de l'observer. Irrité de cette intervention papale, le duc déféra la bulle au sénat du Piémont, et la peine de mort fut prononcée contre tout prêtre ou évéque qui la publierait. » (Hudry-Menos.) Pour les Vaudois, c'était la tolérance; ce n'était pas l'égalité de droits avec leurs co-sujets catholiques ils ne pouvaient avoir accès aux fonctions publiques ils ne pouvaient s'établir hors de leurs vallées mais c'était une sécurité relative après de cruelles persécutions, et la liberté dans leurs montagnes. Pourtant l'édit ne fut pas toujours respectueusement observé par leur souverain et jusqu'au commencement du xvm" siècle, les Vaudois eurent parfois de cruelles surprises. Affranchis par les conquêtes de la France révolutionnaire, ils jouirent, dans le royaume d'Italie de Napoléon 1*~ de l'égalité civile politique; mais lorsque leur pays retourna à la maison de Savoie en 1814, un édit royal remit en vigueur tous les anciens édits qui les concernaient, lis restèrent sous ce régime d'exception jusqu'en 1848, où l'Acte d'émancipation de Charles-Albert fit d'eux des citoyens et les égaux de leurs compatriotes catholiques. Le terme de vallées vaudoises n'était plus désormais qu'une expression géographique. L'Église vaudoise forme quinze paroisses dans ces vallées elle en 1. De Rochas d'Aigtun, Les uaNëM vaudoises, p. 7-8.
2. On peut en voir !a liste (avec les noms de leurs pasteurs) dans t'tt~a pM<M< tant pourl'année /MC, Paris, Fischbacher, 1886, p. 259-261, sous ce titre Ëgiise évangélique vaudoise »; mais nous sommes étonné que cet agenda donne le, noms italiens des localités, et non pas leurs noms français. Voici ces noms /WMf~ Angrogne, Bobi, Luserne, Masse!, Périer, ManeiHe, Pomaret, Prai, Pramol, Prarustin, Rodoret, Rorà, Saint-Germain, la Tour-Pé]is, Villar-Pélis, Villes&ohe. Nous donnons ces noms d'après l'orthographe suivie dans le Rapport de la Table au Synode s'ouvrant à La Tour le C Mp~M&M 1886. Pignerol, ~886, p. 44. Les noms des hameaux composant ces différentes paroisses se trouvent, avec une description fort détaillée des vallées vaudoises en l'an 1808 (qui est due à,
a aussi une à Turin, et deux à Rosario dans l'Uruguay (Amérique du Sud) qui a une petite colonie vaudoise 1.
D'après M. de Rochas, le nombre des Vaudois est de 12,000 sur une population totale de 25,000 âmes. Ce chiffre est en effet celui « des membres de l'Église » inscrits sur les registres des paroisses 2. L'Église vaudoise est sévère et prononce l'expulsion contre ceux de ses membres qui commettent des fautes graves de conduite. Ce chiffre était autrefois plus élevé en 1828, on comptait 19,000 Vaudois ce nombre a sans doute diminué par le fait de l'émigration et peut-être d'un commencement d'indifférence religieuse 3. Les catholiques, au milieu desquels vivent les Vaudois, sont pour une partie les descendants de Vaudois dont la foi a fléchi devant les persécutions, pour une partie des Piémontais établis dans le pays, surtout dans les centres où commence à se développer une industrie. Mais la population catholique (exception faite de la haute vallée du Cluson à partir de Fenestrelle) n'emploie que la langue italienne. Le protestant se distingue du moins s'est distingué jusqu'ici par l'emploi du français, qui était comme le palladium de sa religion.
C'est par l'école et par l'église que le français a conservé cet empire, aujourd'hui diminué et menacé par les progrès de la langue italienne. Les écoles des Vaudois sont à la fois publiques et confessionnelles leurs locaux appartiennent aux consistoires. Elles comprennent 190 écoles primaires, un collège à La Tour-Pélis, une école latine à Pomaret (préparant aux cours du collège de La Tour) et une école supérieure de filles. Il y n. aussi, sous le nom d'Écoles de méthode, deux écoles normales (une pour chaque sexe). On peut voir par ces paroles du Rapport de la Table, etc., de 1886 (p. 25) que l'italien commence à l'emporter sur le français dans l'enseignement M. P. Appia), dans Ch.-H. Hahn, Geschichte der Waldenser, Stuttgart, 1847, p. 555 et suiv. Tous sont français. f.
1. Son nom complet est « Colonia agricola del Rosario orientale La colonie est à 20 lieues N.-O. de Montevideo et elle est mélangée de Suisses et d'Allemands. Sur ses origines, on peut voir Raffo (G.-B.), Notizie sulla colonia italovaldese del Rosario, Republica orientale dell' Uruguay. (Bollettino consolare, ocobrel862,p. 601.611.) Elle est aujourd'hui partagée en deux paroisses, Colonia-Valdense et Cosmopolita, qui ont ensemble 839 « membres de l'Église a inscrits. (Rapport de la Table, etc., p. 44.) -II a paru en 1870, à Pignerol, une brochure intitulée Les ~z/doM dans f~t~May.
2. Le Rapport de la Table, etc., cité plus haut, donne un total de 13,205 « membres de l'Église », mais en comprenant la paroisse de Turin et les deux paroisses de l'Uruguay.
3. Ch.-H. Hahn, dans sa Geschichle der Waldenser, publiée en 1847, évaluait (p. 557) le nombre des Vaudois à environ 20,000, et celui des catholiques à 4,000
ou 5,000.
Nos 190 écoles primaires des Vallées ont été fréquentées par 4,714 enfants, chiffre qui dépasse celui de l'année précédente de quelques dizaines. La seule observation générale qui nous ait frappés, dans les rapports de quelques consistoires, c'est le fait, malheureusement vrai, que l'enseignement de ia. langue française occupe toujours moins de place dans te programme de nos écoles paroissiales. Si, à côté de la connaissance de la langue nationale dont tout le monde, parmi nous, a salué avec joie les progrès rapides, nous voulons conserver à nos enfants celle de la langue française qui nous est si utile, il faut de toute nécessité que les commissions scolaires avisent an moyen de parer au danger que nous avons signalé.
Autrefois les ministres de l'Église vaudoise étaient forcés d'aller achever leur instruction à l'étranger, surtout en Suisse. Depuis 1860, ils se forment à Florence, dans une école de théologie (avec trois professeurs) qui leur est propre; l'enseignement s'y donne aujourd'hui en italien. Le comité de direction de l'Église porte le nom de Table vaudoise l'Église vaudoise a un journal hebdomadaire rédigé en français, et qui paraît à Saint-Germain, le Témoin, Écho des FsJ~es vaudoises
Il y a en outre un certain nombre de Vaudois aujourd'hui disséminés dans toute l'Italie, plusieurs milliers peut-être. « Ces Vaudois, a dit M. de Laveleye, sont les apôtres de la Réforme en Italie. Ils parlent italien, et, étant Piémontais, ils ne sont pas considérés comme étrangers, ce qui leur assure un plus facile accueil » Dans le Val d'Aoste, où quelques communautés protestantes sont en voie de formation, les missionnaires sont des Vaudois
1. L'Église vaudoise entretient, outre ses écoles, plusieurs établissements de Charité, et elle est aidée par des subsides des protestants d'Angteterre, d Allemagne et de Hollande. Pour tous les détails de statistique et d'organisation de l'Eglise vaudoise, on peut voir le Rapport de la Table déjà cité, et surtout 1-47:nuario evangelico ad uso dei ministri e dei membri <Me eA:Me BiM~eHc/K- ~:s. Anno 1886, Roma e Firenze, p. 3-16.
2. De Laveleye, Lettres d'Italie. Bruxelles, 1880, p. 158. L'~n:M~:o ~a~e&eo, cité ci-dessus, donne (p. 10 et suiv.) la liste des villes d'Italie où se trouve un missionnaire vaudois.
3. Les Vaudois avaient antérieurement fondé d'autres colonies, aux ~v et xv° siècles, en Italie même, dans la Pouille et la Calabre; plus tard, a l'époque des persécutions, des réfugiés allèrent s'établir dans des pays protestants d'Allemagne. Ces colonies sont aujourd'hui fondues dans la population environnante, soit par la religion (Pouille et Calabre), soit par !a. langue (Allemagne). Dans un village de Calabre, Guardia Piemontese, on parle encore, parait-il, le patois des vallées vaudoises. (Cité par M. J.-B.-G. Galiffe. Les vallées vaudoises du Piémont. Genève, 1884, p. 16, n.) L'histoire de cette colonie a été écrite par M. VegezziRuscalla dans la Rivista Contemporanea de novembre 1862. Dornholzhausen, près de Hombourg-es-Monts (à peu de distance de Francfort-sur-le-Mein), ancienne colonie vaudoise, a congédié, il y a trois ans, son dernier pasteur de langue française, parce qu'on ne parle plus qu'allemand.
Malgré l'union tous les jours plus intime avec l'Italie, malgré la connaissance de la langue italienne, les Vaudois sont jusqu'ici restés fidèles à la langue française qui règne seule dans leurs églises. Le patois local varie grandement, paraît-il, de vallée en vallée, et il forme sans doute la transition entre le patois dauphinois et le patois piémontais il est du reste sans importance sociale et sans culture littéraire. La lutte est entre les langues française et italienne, et on. peut prévoir qu'elle se terminera par la victoire de l'italien, langue de l'État. A notre époque, les progrès de la langue politique des États s'accomplissent rapidement par l'intervention plus directe de l'État dans la vie privée, par l'école, par le régiment, par la centralisation, par la facilité des communications. Quoiqu'il y ait dans les vallées vaudoises, comme dans tout le Piémont, un mouvement d'émigration des classes pauvres qui viennent chercher du .travail en France, l'activité des Vaudois qui ont reçu quelque instruction se tourne plutôt vers l'Italie. La fusion est d'autant plus aisée que les Vaudois, sincèrement attachés à l'Italie, semblent avoir oublié ce que leurs ancêtres ont souffert des Piémontais, pour ne se souvenir que de leur émancipation de 1848.
III
AUTRES VALLÉES.
Les vallées dont nous allons parler maintenant ont fait partie de la France jusqu'en 1713 ce sont des démembrements du Dauphiné consacrés par le traité d'Utrecht. Louis XIV les cédait au duc de Savoie en échange de la vallée de Barcelonnette 1. Ce sont la vallée de Bardonnêche (si l'on peut appliquer ce nom à un petit pays traversé par un court torrent), la haute vallée de la Doire-Ripaire, la vallée de Pragelas ou de Fenestrelle (autre nom pour la haute vallée du Cluson) et la vallée de Château-Dauphin (autre nom pour la haute vallée de la Varaïta).
Il semble que jusque-là la géographie politique se soit peu inquiétée de la ligne de faîte (ou de partage des eaux) qui aujourd'hui est si volontiers prise comme ligne-frontière entre les États. Jusqu'à l'époque qui nous occupe, les divisions administratives et politiques traversent les Alpes. Le Dauphiné s'étendait sur une partie des montagnes et des hautes vallées du Piémont actuel. Le traité de 1713 inaugure ici un 1. Barcelonnette est aujourd'hui chef-lieu d'arrondissement de notre département des Basses-Alpes.
principe nouveau en établissant que « tout ce qui est à l'eau pendante du costé du Piémont » appartiendra au duc de Savoie, et « tout ce qui est à l'eau pendante du costé du Dauphiné » appartiendra à Louis XIY Le nom de Piémont qui signifie « le pays au pied des monts se trouvait ainsi transporté jusqu'à la crête des Alpes.
Ces vallées cédées en 1713 forment deux groupes distincts qu'il convient de décrire à part.
§i. ~M'~oHKcc~e/tM~ee de la jOoH'e-~MM'6; vallée de ~'SHe~e~e. Cette région forme une zone peu étendue, de langue française et catholique, qui sépare les vallées vaudoises du territoire français (plus exactement dauphinois). C'est le pays que le voyageur allant à Turin traverse en chemin de fer depuis le tunnel de Modane jusqu'à Suse. Bardonnêche et Oulx en sont des stations. On est là. dans la vallée de la Doire-Ripaire. Césanne et Fenestrelle sont au sud de cette ligne Césanne est le premier village après avoir quitté Briançon et à mi-chemin entre Briançon et Oulx; quant au bourg de Fenestrelle, il est beaucoup plus à l'est; on y arrive (de Briançon) par le col de Sestrières. C'est une forteresse, entourée de plusieurs forts qui barrent la vallée du Cluson (appelée dans sa partie supérieure vallée de Pragelas).
Toute cette région faisait partie du Dauphiné quand elle en fut détachée en 1713 pour être cédée au due de Savoie. La population n'eut pas à souffrir de ce changement, au point de vue de l'usage de sa langue a cette époque on ne persécutait pas les nationalités, parce que le « principe des nationalités » n'était pas encore inventé. Au surplus, les ducs de Savoie étaient des princes aussi français qu'italiens, puisqu'une partie de leurs États était française. Les décrets, 1. Le « traité de paix et d'amitié entre Louis XIV, roi de France, et VictorAmédée, due de Savoye », dit dans son article IV <t Sa Majesté Très Chrétienne, pour Elle, ses Héritiers et Successeurs, cède et transporte à Son Altesse Royale de Savoye, à ses Héritiers et Successeurs irrévocablement et à toujours les Vattées qui suivent, scavoir la Va!!ée de Pragelas, avec les forts d'Exilles et de Fenestrelle, et les Vallées d'Oulx, de Sezane, de Bardonache et de Château-Dauphin, et tout ce qui est à l'eau pendante du costé du Piémont Réciproquement Son Altesse Royale cede à Sa Majesté Très Chrétienne et à ses Héritiers et Successeurs irrévocablement et à toujours la Vallée de Barcelonnette et ses dépendances, de manière que les sommités des Alpes et Montagnes serviront à l'avenir de limites entre la France, le Piémont et le Comté de Nice, et que les plaines qui se trouvent sur lesdites sommités et hauteurs seront partagées, et la moitié avec les eaux pendantes du costé du Dauphiné, et de la Provence, appartiendront à Sa Majesté Très Chrétienne, et celles du costé du Piémont et du Comté de Nice appartiendront & Son Altesse Royale du Piémont. » (J. Du Mont, RcetMt7 des r!-a:<M, etc., t. VIH, ira partie (Amsterdam, n31), p. 363.)
ordonnances et actes relatifs à cette région furent rédigés en français pour-cette région comme pour la Savoie et la Vallée d'Aoste 1. Au point de vue ecclésiastique, ce pays resta jusqu'en 1748 sous la juridiction de l'évêque d'Embrun. A cette époque fut créé l'évêché de Pignerol, et son premier titulaire fut un prélat originaire d'Oulx, qui, ayant reçu une éducation française, avait de la prédilection pour notre langue. Son successeur fut un Italien, mais il ne garda son siège que trois ans, l'évêché de Pignerol ayant été supprimé par les Français en 1802. Ce siège épiscopal fut rétabli en 1817, dans le but de convertir les Vaudois au catholicisme, et, ceux-ci employant le français comme langue religieuse, cette intention de propagande fit choisir des Savoisiens pour évêques de Pignerol. C'est en 1849 que, pour la première fois, un Italien fut élevé à ce siège La région dont nous parlons était pourtant démembrée au point de vue ecclésiastique, car en 1772 on avait fondé l'évêché de Suse auquel on avait attribué les cantons d'Oulx et de Césanne; mais, bien que les évêques de Suse ne fussent pas choisis dans le clergé de Savoie, comme ceux de Pignerol, ceux-ci ne firent rien pour amoindrir l'usage du français. La langue française, langue nationale du pays, y avait d'autant plus de force que Césanne et Oulx restaient en relation fréquente avec le Dauphiné 3. Tant que la monarchie comprit la Savoie et fut un État franchement bilingue, le français garda ses anciens droits dans cet ancien fragment de notre Dauphiné. Le canton de Césanne et d'Oulx, dans la province de Suse, est nommé en propres termes dans le décret royal du 30 juin 1854 sur l'emploi officiel de la langue française 4. Depuis 1861, le gouvernement italien s'est occupé d'italianiser cette région, et ici la tâche lui était d'autant plus facile qu'il ne se heurtait pas à un groupe compact et nombreux comme les habitants de la Vallée d'Aoste, et que ces localités dépendent d'évêchés italiens. Par l'enseignement des écoles, la connaissance de l'italien se répand chez les jeunes générations; le service militaire et les relations avec l'Italie augmentent l'influence de la langue politique. C'est encore l'église qui reste l'asile de la langue nationale dans toutes ces localités on prêche ordinairement en français; le curé ne parle italien au prône que lorsqu'il lit les lettres pastorales de l'évêque, et encore en fait-il l'explication en français 5. Tous les habitants comprennent et parlent 1. Voir Vegezzi-Ruscalla, Diritto e necessità, etc., p. 35.
2. Vegezzi-Ruscalla, ibid., p. 35.
3. Le 1" juin 1803, l'évêché de Suse fut supprimé et le diocèse rattaché à celui de Turin. Il fut rétabli en 1817.
4. Voir plus haut, p. 60.
5. Notons pourtant qu'à Chaumont (en italien Chiomonte), station entre Méana-Suse et Salbertrand, on prêche en italien depuis une quinzaine d'années.
le français, outre le patois local qui est le dauphinois les personnes qui ont dépassé la quarantaine parlent plus volontiers le français que l'italien, mais c'est déjà le contraire avec les jeunes générations. La classe aisée parle également bien les deux langues, mais la classe pauvre parle mieux !e français que l'italien; et les vieillards et les femmes préfèrent le français à l'italien le français reste la langue maternelle. Il y a même à Oulx, à côté de l'école officielle où l'enseignement se donne en italien, une école libre très fréquentée où les cours se font en français.
A Bardonnêche, tout le monde comprend le français; mais l'italien gagne du terrain chaque jour, parce que c'est en été un lieu de villégiature pour de nombreuses familles italiennes. A Césanne, on parle presque exclusivement français; il est aisé de s'y faire comprendre en parlant piémontais, par suite de la parenté et de la ressemblance entre les patois dauphinois et piémontais; mais il est, m'a-t-on dit, difficile de s'y faire comprendre en parlant italien, surtout auprès des femmes et des vieillards. Il en est de même de Fenestrelle et des villages disséminés dans le pays; plus ils sont éloignés du chemin de fer et privés de moyens de communication, plus le français est la langue dominante
C'est en France que les gens du pays (qui n'émigrent pas sans espoir de retour) viennent chercher du travail et un commencement de pécule. Voici ce que m'écrit à cet égard un correspondant obligeant Dans rémigration de nos pays, il faut distinguer l'émigration temporaire qui dure de six mois à quelques années et la véritable émigration. La première se dirige sur Lyon, Marseille, Saint-Étienne, Grenoble, Paris même, et ce sont surtout les jeunes gens (filles et garçons) qui vont ainsi chercher fortune en France. Les filles ne reviennent qu'après avoir économisé une somme qui leur permette de se marier plus facilement ou de vivre de leurs économies; mais il faut convenir qu'elles reviennent en petit nombre. Les garçons vont chercher de l'ouvrage en France en hiver, quand la terre chez eux n'a pas besoin de leurs bras; ils reviennent alors au commencement de l'été. Ou bien ils travaillent plusieurs années en France et reviennent quand ils ont amassé un petit pécule très peu se fixent hors de chez eux. Cette émigration temporaire se porte donc à peu près uniquement sur la France.
L'émigration définitive a très peu d'importance, comparée à la première. Elle se porte vers les mêmes pays d'outre-mer que l'émigration italienne de la haute Italie, l'Amérique du Sud, surtout la République Argentine, BuenosAyres et Montevideo. Il faut dire aussi que cette émigration est beaucoup i. La ville de Suse elle-même n'est pas comprise dans la région dont nous parlons; quelques familles y parlent français, mais ce sont des familles savoisiennes qui ont opté pour l'Italie en i860.
moins forte chez nous que dans les vallées de l'Orco et de la Stura. Chez nous, en effet, le paysan est assez à l'aise; la propriété est très divisée et la vigne est d'un très bon rapport. Depuis quatorze ans le prix du vin a plus que doublé, tandis que les besoins et les dépenses des cultivateurs ne se sont pas accrus. Aussi restent-ils volontiers au pays, tout en allant chercher du travail pendant l'hiver.
§ 2. Vallée de Château-Dauphin.
Il s'agit ici d'un pays peu fréquenté et bien moins connu que ceux dont nous venons de parler. Il est en dehors de toute ligne de communication et les alpinistes qui parcourent le massif du mont Viso, d'où il descend en étages, sont sans doute seuls à l'avoir exploré. Nous espérions trouver quelques renseignements sur son ethnographie et l'état de l'élément français dans la collection de notre Club alpin; mais les alpinistes, tout enfiévrés de leur sport, n'ont de regard que pour la montagne et le glacier et ils se préoccupent moins des hommes que du paysage.
La vallée de la Varaïta se trouvant en dehors des grandes voies de communication et étant un pays pauvre, à peu près sans bourgeoisie, le français y a résisté moins heureusement à l'influence piémontaise et italienne. C'est jusque vers 1850 environ que dans les deux paroisses de Pont-Chanal, les deux de Bellins et celle de Château-Dauphin 1, que les curés ont prêché et fait le catéchisme en français Aujourd'hui ils font le catéchisme en italien ou en piémontais, et ils prêchent en piémontais. Le piémontais, en effet, est plus intelligible aux gens du pays que l'italien, parce qu'il se rapproche beaucoup du patois local et ce patois local (nous écrit une personne du pays) a plus de rapport avec le dauphinois qu'avec le piémontais. On nous apprend aussi que jusqu'à la même date (1850) ou environ, le français était la langue employée dans les conseils municipaux de ces communes. Le peuple parle de préférence son patois on y trouve pourtant (nous écrit-on de Château-Dauphin) des personnes qui parlent et lisent le français avec facilité. Cette connaissance du français est entretenue par l'émigration temporaire d'une partie des hommes qui 1. Au x° siècle, cette localité s'appelait Saint-Eusèbe. Vers 1336, Humbert II dauphin de Vienne, y ayant élevé un château (aujourd'hui en ruines), la ville reçut le nom de Château-Dauphin; on donna même plus tard le nom de Castellala aux trois localités de la haute vallée de la Varaïta (Château-Dauphin, Pontchanal et Bellins). Ce pays a aussi, pendant un certain temps, fait partie du marquisat de Saluces.
2. Le chiffre de la population de ces cinq paroisses est d'environ 4,000 âmes. C'est en descendant de Château-Dauphin à Sampeyre, à un hameau qui porte le nom expressif de Les Confines, que se trouve l'ancienne limite entre le Dauphiné et le marquisat de Saluces. L'endroit précis est marqué par. une croix placée sur une pierre au milieu de la Varaïta, et qui subsiste encore. A.ToMlI. 6
vont travailler dans le Midi de la France, surtout à Marseille et à Toulon. La population sédentaire, pauvre, mais sobre et économe, vit surtout de l'agriculture et de l'élève du bétail.
On nous a assuré que, dans la région la plus élevée des vallées de la Maira et de la Stura, il se trouve aussi quelques éléments français. Nous n'avons pu vérISer l'assertion. Une enquête locale sur leef langues et surtout sur les patois parlés dans cette zone alpine mériterait de tenter un de nos romanistes qui s'occupent de l'étude des patois; car l'intérêt linguistique se double ici de l'intérêt de la question ethnographique.
IV
LES CHASSEURS AMINS.
Un des traits les plus pénibles, pour nous Français d'en deçà des monts, de cette situation qui fait de ces Français d'outre-monts des sujets italiens, est leur rôle dans l'organisation de l'armée italienne. Le système militaire italien, comme on l'a déjà remarqué, est réglé et dirigé contre la France et dès nos désastres de 1871 les stratégistes italiens étudiaient des plan d'invasion en France Or, c'est justement dans cette population montagnarde, de race et de langue française, que se recrute principalement cette infanterie légère, les chasseurs alpins, ou par abréviation les Alpins qui, dans la pensée des Italiens, doivent servir d'avant-garde à la future armée d'invasion en France. C'est ainsi que, dans la guerre de d8'70, on a vu quelquefois les Allemands employer, comme éclaireurs, des Français descendants des réfugiés (de la Révocation de l'Ëdit de Nantes), auxquels une vie de deux siècles en Allemagne avait fait perdre l'amour de leur ancienne patrie, tout en leur laissant la tradition de notre langue. <[ Le recrutement des troupes alpines est régional; chaque compagnie tire ses hommes de la vallée même où elle est stationnée. Une partie du contingent alpin provient toutefois de quelques districts des Apennins cet appoint est nécessaire pour suppléer à l'insuffisance du recrutement dans certaines vallées. Outre les exercices ordinaires des troupes d'infanterie, les Alpins font pendant les bonnes saisons de
1. Voir Brachet, l'Italie qu'on voit et l'Italie ~M'Ott ne t'oit pas. Édition Marpon (1882), p, ii3, note, et p. i3t; et Philippe Daryl dans la ~VoMccKc Revue, n° du 15scptembrel88n,p.3i8.
2. Voir notre article La presse étrangère et la France dans la Revue de F;'aMce du 2 décembre 18T!i.
l'année de longues excursions destinées à les habituer aux marches pénibles de la montagne et à leur faire étudier topographiquement et tactiquement les vallées dont ils ont la garde. Ils reconnaissent toutes les positions, les attaquent et les défendent, déterminent les travaux de fortification passagère qui en augmenteraient la valeur, manient souvent la pioche, la pelle et le pic. Dans les courses qui durent ordinairement du lever du soleil jusqu'à quatre et cinq heures du soir, ils quittent la vallée pour atteindre les sommets les plus élevés, traversent même les glaciers et campent où ils peuvent )) « Le gouvernement italien fait un mystère de leurs manœuvres, qui consistent à reconnaître sans cesse la montagne à laquelle ils sont attachés. On ne permet pas aux o/y?c~ étrangers de les suivre s. » Ce que l'on sait de ces manœuvres montre la valeur de l'entraînement spécial auquel sont soumis ces montagnards 3. Souvent, du territoire français, on leur voit faire leurs tours de force d'alpinistes 4.
« Quant au rôle que les compagnies alpines sont destinées à jouer en Italie, on doit le définir en disant que c'est celui de la cavalerie au début de la guerre en plaine, masquer et assurer la concentration de l'armée proprement dite »
Ces troupes ne s'écartent pas, même en hiver, du voisinage des Alpes. Au surplus, les montagnards qui les composent sont chez eux et sont tout acclimatés.
1. Revue militaire de l'Étranger (Cité dans le Co?'~p07:~aM<, n° du 25 juin 1885, p. 1146).
2. Lettres d'Italie du journal le Temps, n« du 27 avril 1885.
3. On écrit de Suse à l'Esercito « La marche qui vient d'être exécutée par le bataillon alpin de la valiée Dora a été répétée à trois jours d'intervalle par 'le bataillon du mont Cenis, et, chose incroyable, avec plus de rapidité, puisque dans l'espace de trois heures seulement il s'est porté de Suse à Fenestrelle. Cette célérité que je nommerai exceptionnelle prouve une fois de plus la valeur de la troupe qui bat la montagne. Le bataillon du mont Cenis a exécuté sa marche si rapidement qu'il eût été en mesure de prendre position et de combattre soit au Col-de-l'Assiette, soit à Arquel comme à Fraise, avec des chances de succès. Si l'on réfléchit à la saison dans laquelle nous nous trouvons et à la quantité de neige tombée, ce fait acquiert une certaine importance. » 4. Le Temps, dans son na du 5 septembre 1881, publiait la dépêche suivante., qui lui était adressée de Saint-Martin-Lantosque (Alpes-Maritimes) « On est ému ici de voir qu'une partie de l'armée italienne a jugé à propos de venir faire les grandes manœuvres presque en vue de Saint-Martin. Au sanctuaire de la Madone de Fenêtre, qui est exactement à trois heures d'ici, sur la route du col, les chasseurs des Alpes sont venus faire l'exercice, et non pas seulement la manœuvre du fusil, mais celle de la fronde, à l'aide de laquelle ils transportent des paquets. De l'autre côté, c'est plus grave encore. A Santa-Anna, c'est-à-dire à dix kilomètres d'une petite localité française (Isola, dans la vallée de la Tinie), il y a huit à dix mille hommes depuis trois mois. On fortifie les passages, on amène des canons Krupp; on va jusqu'à miner les routes.. » 5. Philippe Daryl, Bersagliers et chasseurs des Alpes, dans la Nouvelle Revue, n" du 15 septembre 1883, p. 329.
Des inspections annuelles tiennent ces troupes en haleine, se rendent compte des cols, étudient les points stratégiques, même les moins accessibles. Le roi Humbert a plus d'une fois présidé à ces inspections. Bien plus, pour augmenter la force de cette frontière, on a créé plus récemment une milice territoriale alpine, formée des anciens chasseurs alpins. Ce corps n'existe pas seulement sur le papier; on a déjà fait (dès 1883) des essais de mobilisation dont on a été satisfait.
Le corps des chasseurs alpins, créé en 1872, forme aujourd'hui six régiments composés de 72 compagnies à 5 officiers et 250 hommes. Nous ignorons l'effectif de la milice territoriale qui compléterait ce corps en temps de guerre. La répartition de ces troupes sur l'arc de cercle que la frontière de l'Italie forme au nord, montre bien que cette troupe est organisée en prévision d'une guerre avec la France Frontière française. 43 compagnies Frontière suisse. 8
Frontière autrichienne. 21
Lors de la réorganisation de l'armée française, un député des Hautes-Alpes, M. Cézanne, qui était au courant des choses d'Italie, et qui pensait que la guerre des montagnes ne s'improvise pas, demanda que six des trente bataillons de chasseurs à pied fussent spécialement affectés à la défense des montagnes il cita l'exemple de l'Italie. Un membre de la commission s'opposant à la proposition de M. Cézanne, ne manqua pas de faire valoir les raisons sentimentales par lesquelles on remplace souvent les considérations du sens commun quand il s'agit de l'Italie. « Nous ne voudrions pas, dit-il, qu'un corps spécial, placé sur la frontière et créé pour elle, parût témoigner des défiances envers lItalie, dont l'armée a été la compagne de la notre sur les champs de bataille, et avec laquelle nous espérons bien ne jamais cesser d'entretenir des relations amicales. » (Très bien très bien') M. Cézanne eut beau répondre « Je dois protester contre l'interprétation qui a été donnée à mes paroles. Je n'ai aucune défiance envers l'Italie. Et je ne vois pas en quoi nous lui témoignerions la moindre défiance, en prenant les précautions ~M'e~e a cru devoir prendre elle-même. » Il eut beau s'écrier « Nos montagnes sont pleines de Thermopyles! il fut décidé que la France n'aurait pas de bataillons alpins
1. On peut voir le tableau d'emplacement de ces troupes dans la Géographie
M!~a:redeM.NtOx,t.n,Ita.[:e(2'èd.),p.269.
militaire de l'Assembla na.tioMte du 15 janvier 1875.
2. Séance de l'Assemblée nationale du 15 janvier 1815.
Depuis, on a essayé de remédier à cette lacune de notre organisation militaire en affectant plusieurs bataillons de chasseurs à pied à la région des Alpes où ils manoeuvrent dans la belle saison. Mais ces bataillons ne sont pas formés de montagnards, c'est-à-dire d'hommes rompus à la vie de montagne; ils ne sont pas du pays, et par conséquent ne connaissent pas d'instinct les passages et les chemins du pays; -ils passent le reste de l'année dans des garnisons de l'intérieur, où ils perdent en partie l'expérience de leurs manœuvres d'été; enfin, un simple ordre ministériel peut les envoyer ailleurs ou les affecter à un autre service. Il n'y a pas, des deux cotés des Alpes, égalité d'organisation et de défense, et un écrivain militaire français émettait récemment la crainte (si l'on n'imite l'organisation italienne) « que les hautes régions alpines tombent en leur pouvoir[des Italiens], sans combat, le jour même de la déclaration de guerre M V
CONCLUSION ET MORALITÉ.
La conclusion de cette esquisse de la partie française du Piémont .est celle qu'on a souvent occasion de tirer des études' d'ethnographie politique, c'est que le prétendu principe des nationalités », établi sur .la communauté de langage, a été surtout un engin de guerre dont .certains États (le Piémont et la Prusse) se sont servis pour élever des prétentions sur des territoires voisins et pour justifier leurs velléités d'agrandissement. On n'a pas encore ouï dire que l'Italie ait sollicité la France d'adopter pour frontière politique entre les deux pays la .frontière des nationalités, ni qu'elle ait offert de nous rendre ces compatriotes d'au delà des monts qui montrent pour notre langue un tel attachement.
Sa réserve à cet égard est facile à comprendre, car ce serait mettre aux mains des Français les Alpes et leurs défilés; ce serait enlever toute sécurité stratégique au Piémont et par suite au reste de l'Italie. 1. L'Invasion italienne et la défense des Alpes françaises, par le capitaine H* dans le .B:t//e<:?: de la réunion desofficiers, n° du 10 avril 1886, p. 331. On peut lire aussi, comme paroles inspirées par un patriotisme prévoyant, un article d'un des fondateurs du Club alpin français < La guerre de montagne, et l'Alpinisme .militaire par JI. E. Talbert, dans l'Annuaire du Club alpin de 1880, p. M9 et suiv. M. de Rochas émet aussi un désir analogue, à la fin de son livre sur les vallées vaudoises, et il rappelle à ce propos qu'au xivc siècle des troupes de .montagnes ont été organisées dans le Briançonnais.
Mais si les Italiens laissent ici dormir le « principe des nationalités », parce que cette application particulière serait à leur détriment, on peut leur contester le droit de l'invoquer ailleurs, et nous avons le droit de nous offenser que dans les programmes officiels de leur enseignement, que dans leurs livres, que dans leurs journaux, ils fassent rentrer Nice et la Corse dans les frontières naturelles de l'Italie (confini naturali) au même titre qu'ils y faisaient entrer (il y a dix ans) la Vénétie et les États pontificaux 1. Les Italiens parlent souvent d7<aJ:Œ Mve<&?M~, c'est-à-dire d'Italie non encore délivrée, et pourtant nous ne parlons pas ici, nous, de T~KCM! ~'B~Mto!.
Nous n'ignorons pas que cette ambition ardente de l'Italie et que ces prétentions si audacieusement avouées sur le bien du prochain sont encouragées, en France du moins, par la sympathie qu'inspire cette jeune et intelligente nation, par l'ignorance où l'on est généralement des revendications qu'elle élève sur notre propre territoire, et aussi par les notions assez vagues d'ethnographie qui règnent chez nous, même dans le publie lettré et instruit Les Français d'Italie notamment, qui sont l'objet de cette étude, nous sont restés en quelque sorte cachés par les Alpes, et ils n'ont pas réussi à attirer une part de la sympathie que l'on accorde si volontiers aux « Italiens qui ne sont pas encore annexés à l'Italie. Un de nos historiens les plus érudits et les plus brillants, parlant il y a quelque temps du principe des nationalités », écrivait « Il reste des Italiens hors de l'Italie et des Allemands hors de l'Allemagne. L'unité italienne est presque achevée, car le nombre des Italiens restés au dehors n'est pas considérable. Z''aM<re part, il n'y a en Italie que des Italiens. s » Ce Valdôtain avait raison de dire avec tristesse « La France ne nous connaît pas 1 »
HENRI G&IDOZ,
Professeur de Géographie et d'Ethnographie
à l'Ecole libre des sciences politiques.
1. Voir les nombreux documents réunis par M. Brachet dans son livre, L'Italie qu'on voit et l'Italie qu'on ne M!<M. Paris, Marpon, 1882. 2. On nous pardonnera de renvoyer pour le développement de cette idée à notre article, .Ma~~y tVa~o!Mc~?'M.M<e?tM, Notes de voyage (août 1885), dans le Correspondant du-10 septembre 1886.
3. E. Lavisse, La poH~ug européenne ~om.! les ~a~ contemporains, dans la ReMMepo&Mf littéraire du 31 octobre 188S, p. 547 et S48. –Cet article forme )a préface de la traduction française de Freeman, Ilistoire générale de l'Europe par la 0~<MM!~A:& volitiauc.
1
De toutes les associations constituées en dehors du droit commun, il n'en est pas qui aient été plus réglementées que les congrégations religieuses. « On ferait, dit M. J. Simon, un recueil immense des édits, ordonnances, arrêts, proclamations, circulaires, décrets ou lois qui les concernent; monuments législatifs dus aux époques les plus différentes, aux régimes les plus opposés, ne visant le plus souvent qu'un détail ou une espèce, inspirés par la circonstance, par un besoin présent, par un péril, par une rancune, d'une authenticité douteuse, d'une légalité contestable, d'une application difficile ou impossible 1. » Néanmoins, et quelle que soit l'opinion inspirée par le fatras législatif dont les associations religieuses sont entourées, il est facile d'en tirer les règles relatives aux autorisations gouvernementales à obtenir pour fonder légalement une congrégation. Résumons d'abord cette législation.
Les lois de la Révolution, en cette matière, sont d'une absolue clarté et d'une netteté radicale. Elles font table rase du passé et suppriment purement et simplement toutes les congrégations religieuses. En vain prétend-on, en équivoquant sur les termes de la loi du 18 août~n92, qu'elle n'a fait qu'interdire le port du costume ecclésiastique en complétant par cette mesure les dispositions du décret du 13 février 1790, qui avait supprimé les vœux monastiques. Il suffit de se reporter au texte de la loi de 1792 pour acquérir la preuve que tout autre fut le but des législateurs.
Sans doute, la mesure prise par l'Assemblée constituante ne fut pas aussi radicale que celle décrétée en 1792 par l'Assemblée législative. Un premier décret des 28 octobre-ler novembre 1789 s'était borné à suspendre l'émission des vœux monastiques. Cette décision provisoire avait été transformée en disposition définitive par la loi des 13-19 février 1. Rapport fait au nom de la commission chargée d'examiner la proposition de M. Dufaure sur le droit d'association.
LES CONGRÉGATIONS RELIGIEUSES.
1790, dont l'article ~r était ainsi conçu « La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels des personnes de l'un ni de l'autre'sexe. En conséquence, les ordres et congrégations réguliers dans lesquels on fait de pareiisvœux sont et demeu rent supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi de semblables à l'avenir. » Dans les articles suivants, le décret assure une pension ou une maison de retraite, à leur choix, aux religieux qui quitteront les monastères; il permet seulement à ceux qui le voudront de rester dans leurs couvents et déclare qu'il n'est rien changé, quant à présent, à l'égard des établissements de charité et des maisons chargées de l'éducation publique.
Si ce texte était seul, il serait facile de discuter sur la portée de l'oeuvre de la Révolution au point, de vue des congrégations; mais il est complété par la loi du 18 août n93, dont l'intitulé seul indique suffisamment l'objet et ne peut laisser aucun doute sur la pensée du législateur. La loi est mise, en effet, sous cette rubrique « Décret relatif à la suppression des congrégations séculières et des confréries », et son texte, il nous semble, est aussi décisif que possible; en voici le préambule et l'article premier.
« L'Assemblée nationale, considérant qu'un État vraiment libre ne doit souffrir dans son sein aucune corporation, pas même celles qui, vouées à l'enseignement public, ont bien mérité de la patrie, et que le moment où le corps législatif achève d'anéantir les corporations religieuses est aussi celui où il doit faire disparaître à jamais tous les costumes qui leur étaient propres et dont l'effet nécessaire serait d'en rappeler le souvenir, d'en retracer l'image et de faire penser qu'ellessubsistent encore, décrète ce qui suit:
« Titre 1°' Suppression des congrégations s~cM~eres e~ des COM/r~'KM.
« Art. i* Les corporations connues en France sous le nom de congrégations séculières ecclésiastiques, telles que celles des prêtres de l'Oratoire, de Jésus, de. et généralement toutes les corporations religieuses et congrégations séculières d'hommes et de femmes ecclésiastiques et laïques, même celles uniquement t'OM~es <M< service des hôpitaux et au soulagement des malades, sous quelque dénomination qu'elles existent en France, soit qu'elles comprennent une seule maison, soit qu'elles en comprennent plusieurs; ensemble les famitiarités, les confréries, les pénitents de toute couleur, les pèlerins et toutes autres associations de piété ou de charité sont éteintes et supp?'Mn~es à partir de ce jour. »
On voit donc bien que les personnes qui, en se référant aux derniers mots du préambule et à l'article 9 de la loi, prétendent que ce décret
s'est contenté de supprimer l'habit ecclésiastique, semblent avoir complètement oublié et la rubrique de la loi, et l'intitulé du titre 1°' et l'article ler, et surtout l'esprit dans lequel il fut fait. Il est incontestable que l'article 9 interdit sans commentaires le port de l'habit ecclésiastique; mais si l'on n'isole pas cette disposition des articles qui l'entourent, il est aisé de se convaincre qu'elle se réfère surtout aux articles 2 et 6, qui permettent aux congréganistes employés dans les hôpitaux ou dans l'enseignement de continuer leurs fonctions à titre individuel, c'est-à-dire en tant que laïques. C'est alors que l'article 9 défend aux membres des congrégations supprimées le port de leur ancien costume, même à ceux qui voudront bénéficier des dispositions des articles 2 et 6. La nation garde désormais ces anciens congréganistes à titre de fonctionnaires publics payés par l'État. Nous trouvons une preuve de cette conception de la Législative dans un décret de la Convention du 3 octobre 1792, « qui chasse des hôpitaux et des établissements d'enseignement les anciennes congréganistes qui n'ont pas prêté le serment prescrit par la loi et les remplace par des citoyennes connues pour leur attachement à la Révolution. » En présence de textes aussi formels, aussi décisifs, il nous paraît téméraire de prétendre qu'il ait pu survivre quelque chose des anciennes congrégations, et que cette forme de l'association n'ait pas complètement disparu en 1792.
On n'en entendit plus parler jusqu'en l'an XII, époque à laquelle un décret du 3 messidor, tout en reproduisant les dispositions du décret de l'Assemblée législative, y introduisit un tempérament dont l'effet fut, en fin de compte, de détruire l'oeuvre de la Révolution en cette matière. Ce décret-loi reconnaissait au gouvernement la faculté d'autorisation que lui refusait la législation très nette et très radicale de 1792.
Par dérogation à cette législation, le décret de l'an XII reconnaissait l'existence légale de certaines congrégations religieuses de femmes, à charge pour elles de faire examiner leurs statuts par le conseil d'État. Ce retour aux choses de l'ancien régime se justifiait, disait-on, par l'intérêt des classes pauvres, aux misères desquelles ces congrégations pouvaient, par leurs soins, apporter quelques soulagements. C'est dans le même esprit que fut conçu le décret du 18 février 1809, qui compléta celui de l'an XII, en reconnaissant d'une façon générale toutes les congrégations hospitalières de femmes dont le but serait de desservir les hospices ou de porter secours aux pauvres, à condition cependant qu'elles se feraient nominalement autoriser par décret en conseil d'État, avant le 1<~ janvier 1810.
A la veille de la Restauration, il y avait en France quatre congrégations d'hommes reconnues et quatre-vingt-trois de femmes, dont quatre-vingts l'avaient été à la suite du décret de 1809. Dès le début de la Restauration, par suite de la tolérance religieuse du gouvernement, le nombre des congrégations non autorisées s'accrut assez rapidement pour émouvoir le législateur. Malheureusement, la crainte de nuire ouvertement au développement de la vie monastique le rendit timide et obscur. On fit une loi destinée à restreindre l'accroissement inquiétant des congrégations, mais dont les termes furent si équivoques que l'on put se demander si la loi leur était applicable et qu'on alla même jusqu'à le contester. Cette loi, du 2 mars 1817, ne visait pas directement le associations religieuses, mais exigeait que tout nouvel établissement ecclésiastique fût préalablement autorisé par une loi.
En présence des incertitudes que faisait naître ce texte et du peu de garanties qu'il donnait à l'État, le gouvernement de Charles X dut faire une loi plus claire et plus complète que celle de 1817. Cette loi, en date du 24 mai 1888, laissa les congrégations d'hommes sous l'empire de la règle générale de 1817 et ne se préoccupa que des associations de femmes, dont le nombre croissait avec rapidité. La loi, sans toucher en rien à la situation des congrégations précédemment autorisées, exigea une autorisation législative pour toutes les congrégations nouvelles et ne permit la reconnaissance par ordonnance royale que pour les congrégations de femmes existant de fait en France avant le 1'~ janvier 1823. jOeMa? cent trente-sept congrégations de femmes obtinrent cette autorisation sous la Restauration.
Cette législation ne changea pas sous la monarchie de Juillet, et ne fut désormais modifiée que par le décret du 31 janvier 18S2, exclusivement relatif aux associations de femmes, et dont les dispositions peuvent se résumer ainsi
L'autorisation par décret sera substituée à l'autorisation législative dans les cas suivants 1° lorsqu'une congrégation déclarera adopter des statuts déjà venues en conseil d'État et approuvés pour une autre communauté religieuse, quelle que soit l'époque de la fondation de la communauté qui demande l'autorisation 2° lorsque la congrégation qui présente ses statuts au conseil d'État, aura une attestation de l'éyêque diocésain affirmant qu'elle existait le 1~ janvier 1825; 3° lorsqu'il y aura nécessité de réunir plusieurs congrégations autorisées qui ne pourraient plus subsister séparément; 4° lorsqu'une association religieuse de femmes, après avoir été d'abord reconnue comme communauté religieuse régie par une supérieure locale, justifiera qu'elle était réellement dirigée, à l'époque de
son autorisation, par une supérieure générale et qu'elle avait formé à cette époque des établissements sous sa dépendance. Depuis 18S2, la législation relative aux congrégations n'a jamais varié, et, quoi qu'on en dise, aucune loi postérieure n'a eu pour effet de modifier le régime auquel elles sont soumises.
En résumé, sont autorisées
l" Les congrégations d'hommes
a) qui, du 3 messidor an XII au 2 mars 1817, ont obtenu un décret d'autorisation
b) qui ont été reconnues par une loi, depuis le 2 mars 1817 2° Les congrégations de femmes
a) qui ont été autorisées par décret entre le 3 messidor an XII et le 24 mai 1825;
b) qui, existant en fait avant le 1s'-janvier 1825, ont été reconnues par ordonnance royale avant le 21 janvier 1852;
c) qui ont été reconnues par ~décret, dans les termes du déeret-1'oi du 31 janvier 1832;
d) qui l'ont été par une loi.
D'après un rapport fait par M. Brisson en 1881, au nom de la commission du budget, il y aurait actuellement 672 congrégations reconnues, dont 33 d'hommes et 639 de femmes. Mais il importe ici de faire une sérieuse réserve, surtout en ce qui concerne les congrégations d'hommes, dont la plupart ne sont pas autorisées légalement. Le plus grand nombre d'entre elles ont été simplement autorisées, par des décrets postérieurs à 1817, à fournir des instituteurs primaires à tel ou tel département or, ces décrets ne peuvent ni avoir transformé ces associations en établissements d'utilité publique, ni leur avoir donné la personnalité civile. C'est ce qu'a toujours décidé la jurisprudence, et lorsque nous en serons aux congrégations non autorisées, nous examinerons si l'on ne doit pas faire à ces sortes d'associations une situation à part.
Quant au nombre des communautés d'hommes régulièrement autorisées et jouissant de la personnalité civile, nous n'en connaissons que onze. Ce sont 1° les prêtres des missions étrangères; 2" les prêtres du Saint-Esprit et du Sacré-Cœur de Marie; 3° les frères des Écoles chrétiennes 4° les frères de Saint-Charles; a" les prêtres de 1. On a contesté que le décret de 1808 sur l'Université ait eu pour effet de conférer la personnalité civile aux frères des Écoles chrétiennes; on l'a fait sans succès pratique jusqu'à présent, malgré quelques raisons d'apparence assez forte fournies à l'appui de cette thèse.
Saint-Sulpice; 6° les lazaristes; '7° cinq congrégations établies exclusivement en Savoie, autorisées avant l'annexion par le gouvernement sarde et dont l'autorisation a été consacrée par le traité franco-sarde du 4 août 1863: ce sont les missionnaires'de Saint-François de Sales, les religieux cisterciens et les capucins de Chambéry, d'Yenne et d'Hautecombe.
Toutes ces associations, ainsi que les communautés de femmes autorisées, jouissent de là personnalité morale, et, dans tous les actes de la vie civile, elles sont représentées par le supérieur de la communauté.
Leur capacité n'est cependant pas entière elle subit quelques restrictions. C'est ainsi qu'il leur faut l'autorisation du conseil d'État 1° pour acquérir à titre onéreux ou pour aliéner des immeubles ou des rentes sur l'État; 2" pour acquérir à titre gratuit. Le supérieur n'a pas même le droit d'accepter provisoirement et de prendre des mesures conservatoires. Cette faculté, laissée aux communes et aux hospices, constitue une dérogation au droit commun que la loi n'étend pas aux congrégations.
Leur capacité d'acquérir à titre gratuit reçoit encore une double restriction. Elles ne peuvent recevoir que des libéralités à titre particulier, l'art. 4 de la loi de 182S défendant de leur faire des libéralités à titre universel. L'art. 5 de la même loi défend encore à la congrégation de recevoir de l'un de ses membres une libéralité dépassant le quart de ses biens, à moins qu'il ne s'agisse d'une somme inférieure a 10,000 francs. Cette incapacité s'applique également aux membres des congrégations entre eux.
La loi de 1823 n'ayant trait qu'aux associations de femmes, ces incapacités n'atteignent législativement que les communautés de femmes. Mais en fait, elles s'appliquent aussi aux congrégations d'hommes, par l'effet de l'autorisation nécessaire du conseil d'État pour accepter les libéralités, autorisation qui n'est donnée qu'aux conditions prévues par la loi de 1825 pour les femmes. r C'est de la même façon que se justifie légalement la disposition de l'ordonnance du 18 janvier 1831 qui prohibe les libéralités en nue propriété faites aux congrégations, disposition excellente, mais dont l'illégalité serait flagrante, si l'ordonnance avait eu pour but de créer directement une incapacité civile. Il n'en est pas ainsi; par cet acte, le gouvernement a voulu simplement faire savoir qu'il prenait envers lui-même l'engagement de toujours refuser aux congrégations l'autorisation d'accepter des libéralités en nue propriété. C'est un avis aux donateurs ou testateurs, avis qui ne lie personne, pas même le gouvernement, et que certainement il n'était pas nécessaire de rédiger
en forme d'ordonnance pour atteindre le but qu'on se proposait. La capacité civile, sauf les restrictions que nous venons d'indiquer, est accordée indistinctement à toutes les congrégations reconnues légalement, c'est-à-dire à celles qui ont satisfait à la triple condition prévue par la loi, savoir faire vériuer et enregistrer leurs statuts par le conseil d'État; obtenir un décret ou une loi d'autorisation suivant les distinctions faites plus haut; enfin, vivre avec le consentement permanent de l'évêque diocésain.
Si l'évêque, à un moment quelconque, retirait son consentement, la congrégation cesserait d'exister aussi légalement que si la loi ou le décret d'autorisation était abrogé par un acte législatif. Dans l'un et dans l'autre cas, la succession de la congrégation serait ouverte. S'il s'agit d'une communauté de femmes, cette succession est réglée conformément à l'article 7 de la loi de 1825, qui prend à cet égard les dispositions suivantes. On sert aux membres de l'association dissoute une pension alimentaire prise sur les biens acquis à titre onéreux, et subsidiairement sur ceux acquis à titre gratuit. Les biens dus à des libéralités retournent aux auteurs de ces libéralités ou à leurs héritiers, sous cette réserve que ce retour n'a lieu qu'après l'extinction des pensions alimentaires, dans le cas où ces biens ont été entamés par leur service. Enfin les biens acquis à titre onéreux reviennent à l'État, après le service des pensions, et celui-ci doit en remettre la moitié aux établissements ecclésiastiques et l'autre moitié aux hospices du département.
S'il s'agit, au contraire, d'une association d'hommes, la loi de 1825 cesse de s'appliquer et aucun texte ne statue sur la destinée des biens de l'association dissoute. Mais la difficulté est plus apparente que réelle, car si le cas se présentait, la loi qui est nécessaire pour retirer l'autorisation et dissoudre la congrégation, réglerait en même temps sa succession, soit qu'elle rendît applicable à l'espèce la loi de 182S, soit qu'elle créât des règles spéciales.
II
Grâce à la longue tolérance des gouvernements qui se sont succédé en France depuis le commencement du siècle, un grand nombre de congrégations se sont établies sans autorisation et ont vécu sur notre territoire. Quelle est, au point de vue légal, la situation exacte de ces congrégations et de leurs membres? La réponse semble aisée, mais tant d'esprits éminents la trouvent si difficile que nous n'osons pas avouer combien elle nous paraît simple à première vue.
Il nous semble que les congrégations dans ce cas, n'ayant satisfait à aucune des prescriptions légales, n'existent pas; que si elles n'existent pas, elles ne peuvent être ni le sujet ni l'objet d'aucun acte valable, et que si un acte est fait soit par elles et directement, soit pour leur compte par un intermédiaire, il est non seulement annulable, mais frappé d'une nullité absolue et radicale qui l'empêche de produire un effet quelconque. Quant aux membres de cette association qui n'existe pas, ce sont des citoyens qui ont le tort de s'associer sans autorisation administrative; qui, par suite, commettent le délit prévtL par l'article 292 du code pénal et s'exposent ainsi à tous les désagréments auxquels seraient soumis leurs concitoyens en pareil cas. Malheureusement, cette réponse a contre elle toute l'autorité de la jurisprudence et l'opinion d'un grand nombre de jurisconsultes. Tout le monde est d'accord pour refuser à ces congrégations la personnalité civile. Nous verrons plus loin les tempéraments que la jurisprudence a cependant apportés à cette règle. Mais en dehors de ce point, tout le reste est controversé. Les uns prétendent que l'article 292 du code pénal n'est jamais applicable aux congréganistes; les autres pensent, au contraire, qu'il serait applicable si les congréganistes se réunissaient après une première dissolution. Les uns croient que la dissolution d'une association religieuse non autorisée doit être prononcée et exécutée exclusivement par l'autorité administrative d'autres, au contraire, veulent que la dissolution soit prononcée par l'autorité judiciaire. Sur un point plus général, les uns soutiennent que soit judiciairement, soit administrativement, les pouvoirs publics sont toujours armés du droit de dissolution; les autres sont d'un avis opposé et prétendent que le droit de dissolution n'existe plus sous quelque forme que ce soit, et que la seule duTérence entre les congrégations autorisées et celles qui ne le sont pas, réside dans la personnalité civile qui appartient aux premières et qui manque aux secondes.
Il nous faut dire maintenant les raisons pour lesquelles nous préférons la solution indiquée ci-dessus aux systèmes dont nous venons de parler, malgré la compétence incontestable des jurisconsultes qui les ont soutenus.
La base de la législation sur cette question est la loi du 18 août 1792. Elle n'a jamais été abrogée et l'on peut dire que tous les textes législatifs ou réglementaires promulgués postérieurement ne sont que des exceptions à son principe. En vain prétend-on que cette loi, toute de haine et de persécution, a disparu avec les circonstances au milieu desquelles elle a pris naissance. Cette théorie, bien qu'acceptée par un arrêt de la cour d'Aix du 29 juin i830, n'est pas sérieuse, car on ne
saurait admettre qu'un changement, soit dans le gouvernement, soit dans l'état d'esprit, soit dans la situation morale d'un pays, puisse abroger des lois en dehors de toute disposition législative. Or, il n'existe aucune loi abrogeant celle de 1792, et, contrairement à la théorie de la cour d'Aix, en 1813, c'est-à-dire à une époque où étaient certainement disparues les circonstances au milieu desquelles la loi de 1792 avait pris naissance, on la considérait encore comme en vigueur, puisqu'elle est visée par un décret du 3 janvier 1812 qui supprime les congrégations dans les départements annexés depuis 1810. La situation créée par la loi de 1792 reste donc entière. Cette opinion a pour elle la haute autorité de M. Dupin.
Deux textes auraient pu modifier cette situation.
Ce sont d'abord le concordat et les articles organiques. Le concordat n'y touche pas et l'article 11 de la loi de germinal la confirme. « Les évêques, dit-il, pourront, avec l'autorisation du gouvernement, établir des chapitres cathédraux et des séminaires. Tous autres établissements ecclésiastiques sont supprimés. » Le second texte dont je veux parler est encore plus formel c'est le décret du 3 messidor an XII. Les plus ardents défenseurs des congrégations, désespérant de tourner la position dans laquelle ce décret met leurs clients, ont pris le parti de contester son existence. Ils reconnaissent d'abord que son texte ne prête guère à controverse. « Ce décret est une loi de dispersion, » dit M. Jacquier 1. « Ce décret, dit M. de Vatisménil s'il subsistait encore, serait le seul acte dont on pût s'armer contre les corporations religieuses )'. Aussi les deux écrivains prétendent-ils que ce décret n'est plus en vigueur et qu'il est abrogé par les articles 291 et suivants du code pénal, ainsi que par les différentes chartes et constitutions promulguées depuis 1814. De cette façon, on en serait revenu à la loi de 1790, et les congrégations, en principe, auraient toutes le droit d'exister; la législation postérieure à 1814 n'aurait pour but que de régler les conditions auxquelles les congrégations pourraient acquérir le bénéfice de la personnalité civile.
Écartons d'abord l'argument qui consiste à dire que les déclarations sur la liberté d'association contenues dans les constitutions ont pu abroger le décret de messidor. Jamais les déclarations plus ou moins emphatiques contenues dans une constitution n'ont eu d'effet sur les textes positifs. Peut-on dire également que le décret n'est plus en vigueur parce qu'il manque de sanction et qu'il vise une procédure 1. Mémoire sur ~<ai! légal en France des associations non autorisées. 2. De la condition légale des communautés religieuses.
extraordinaire abolie depuis longtemps? On peut d'abord répondre que ce n'est pas une raison parce que la procédure extraordinaire n'existe plus pour que le délit ait disparu. On en sera quitte pour le poursuivre par une procédure administrative ou judiciaire autorisée par nos lois. Quant à la peine par laquelle est sanctionné ce délit, elle est dans le décret lui-même c'est la dissolution prononcée administrativement et exécutée e/zaM manu mili.tari.
Ce système, loin d'être abrogé par l'art. 292, y est conSrmé et complété. Nous ne croyons pas, comme M. Graux que l'art. 292 et le décret de messidor constituent deux législations diiférentcs, l'une applicable aux congrégations, l'autre aux associations laïques. A son avis, cet article pas plus que la loi de 1834 sur le droit d'association ne s'appliquant aux congrégations, même au point de vue de la répression, le système de l'an III se suffit à lui-même. Nous pensons, au contraire, qu'il faut combiner tous ces textes, et que la vérité juridique est la suivante. En principe, toutes les associations sont illicites, si elles ne sont pas autorisées. Par exception, les associations composées de moins de 20 personnes (art. 392, § 1) sont licites sans autorisation. Mais cette exception el'e-même en comporte une autre qui est écrite dans le décret de messidor an XII, c'est que cette exception du code pénal ne s'applique pas aux congrégations dont le cas a été réglé par ce décret. Donc, toutes les congrégations non autorisées sont des associations illicites, et leurs membres sont, par suite, soumis aux conséquences de l'art. 292 du code pénal.
Ce système fait disparaître l'objection que l'on tirait du second § de l'art. 292 portant que l'article ne s'applique pas aux personnes domiciliées ensemble, ce qui est le cas des communautés religieuses. On en concluait que toutes les congrégations étaient autorisées, quant à leur existence, par l'article 292, §2. Or, il suffit de lire l'exposé des motifs fait par Berlier au Corps législatif pour se convaincre que le législateur n'a jamais voulu donner une telle portée à sa disposition et qu'il vise seulement « ces petites réunions que les rapports de famille, d'amitié ou de voisinage peuvent établir sur tous les points de l'Empire ». Le système que nous proposons empêche aussi de prétendre qu'une congrégation composée de moins de vingt personnes est autorisée par l'art. 292, §2.
Cette situation des congrégations n'a jamais été modifiée, ni par la loi du 1S mars 1850, ni par le décret-loi du 31 janvier 1852, ni par la loi du 12 juillet 1875. C'est à tort que, dans un rapport au Sénat, M. Bérenger déclarait que l'existence des congrégations non autorisées, 1. Les COn~?ya<MM C~MNf la loi.
illégale avant 1850, avait été régularisée par la loi du 18 mars 1850 sur la liberté de l'enseignement secoH~aM-e. On appuie cette opinion sur les paroles fameuses du rapporteur, M. Beugnot « La République ne connaît pas les corporations; elle ne les connaît ni pour les gêner, ni pour les protéger; elle ne voit devant elle que des professeurs 1, » et sur le rejet de l'amendement Bourzat, aussi conçu « Nul ne pourra tenir une école s'il fait partie d'une congrégation religieuse non reconnue )). Mais on ne peut conclure qu'en refusant d'insérer un amendement qui ne faisait, en somme, que consacrer l'état légal des choses, l'Assemblée ait entendu abroger la législation antérieure sur les congrégations. En repoussant l'amendement, l'Assemblée et le rapporteur ont simplement voulu réserver la question du droit d'association, et ne pas compromettre le sort de la loi sur.l'enseignement secondaire en y mêlant une question religieuse. C'est ce qui ressort clairement de ces paroles prononcées par M. Thiers dans la discussion « Quand on discutera le projet de loi sur les associations, l'Assemblée devra se prononcer, et alors en se prononçant elle décidera ceci si telle association religieuse peut exister en France à titre d'association, si elle peut y avoir des maisons, des noviciats, si elle peut recevoir des legs, former des élèves, avoir de grands établissements, et alors, à titre d'association, vous prononcerez sur son sort ». Quant à la loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l'enseignement supérieur, elle n'a pas plus changé le sort des congrégations que la loi du 15 mars 1850. Elle a simplement pour effet de rendre inapplicable l'art. 292 du code pénal aux associations formées pour créer et entretenir des établissements d'enseignement supérieur.
Le maintien en vigueur du décret de messidor, que niaient MM. Jacquier et de Vatisménil, a été reconnu en 1880 par maintes décisions judiciaires 2. Plusieurs arrêts ont pensé, au contraire, que ce décret, bien qu'existant toujours, ne donnait pas au gouvernement un droit de dissolution administrative, car les poursuites, devant être exercées par les procureurs généraux, n'étaient susceptibles que d'une sanction judiciaire. D'après cette doctrine, le gouvernement devait mettre en mouvement l'action judiciaire, et les tribunaux auraient prononcé la dissolution des congrégations s'ils l'avaientjugé à propos. Ces décisions, qui méconnaissaient si gravement le principe de la séparation des pouvoirs, ont été annulées sur arrêtés de conflit On n'a
1. Mon. offi., 22 octobre 1849.
2. Toulouse, 2 août 1880; Castres, 8 août 1880. D. P., 80, 5, 73. 3. Trib. des conf., 5, 13, 17 et 20 novembre 1880. D. P., 80, 3, 127-131. A. TOME H
pas manqué de dire que l'opinion du tribunal des conflits avait été inspirée par la passion politique, mais cette interprétation du décret de messidor n'est pas nouvelle, puisqu'on la trouve déjà dans un arrêt de la cour de Paris rendu le 18 avril 1826 contre les jésuites, à une époque où les passions en matière de foi n'avaient pas précisément la même direction qu'en 1880,
En résuEùé, nous répéterons que le droit du gouvernement de dissoudre administrativement une congrégation non autorisée et d'en poursuivre les membres en police correctionnelle est absolu, avec la législation actuelle.
Si l'art. 292 s'applique aux congrégations, il faut qu'il s'y. applique tout entier, et .non pas seulement dans ce qu'il leur est désavantageux. Toute association, sans acquérirla personnalité civile, peut vivre légalement en obtenant une autorisation du gouvernement. Les juristes qui voient dans nos lois deux législations distinctes sur les associations, Fune s'appliquant aux associations religieuses (décret de messidor), l'autre aux associations laïques (art. 292 et loi de 1834), ne peuvent admettre que cette disposition soit applicable aux congré'gations. Ceux qui pensent, au contraire, qu'il faut combiner tous ces textes pour en faire sortir une législation unique, ne peuvent hésiter à déclarer que les communautés religieuses doivent bénéficier légalement de l'autorisation qu'elles obtiennent, par application de l'art. 292. Et ce qui donne une bonne raison à ce système, c'est que les faits sont d'accord avec lui.
Il existe un grand nombre de congrégations 1 que l'on range à tort parmi les congrégations autorisées et qui cependant ne jouissent pas de la personnalité civile. Ce sont des congrégations qui ont bien obtenu une autorisation gouvernementale, mais non pas celle qui était nécessaire pour leur conférer la personnalité morale. Ce sont, par exemple, des communautés d'hommes qui, postérieurement à 1817, ont été autorisées par une simple ordonnance ou un décret, ou bien des communautés de femmes qui ont été autorisées par décret sans faire la preuve qu'elles existaient avant 1825 sur le sol français. La jurisprudence refuse toujours-la capacité civile à ces sortes d'associations, et cela a été notamment jugé pour les frères de Saint-Joseph, reconnus par ordonnance du 28 juin 1823 pour les frères de Saint-Viateur, reconnus par ordonnance du 10 janvier 1830
1. 24 congrégations d'hommes sur les 34 congrégations autorisées. 2. Cass. civ., 3 juin i86i, rej. D,, 61,1, 218.
3. Lyon, 12 juillet 1878, D. 81, 2, iM.
pour les frères de la Doctrine chrétienne de Saint-Charles, reconnus par ordonnance du 17 juillet 1822
Néanmoins ces congrégations, quoique ne jouissant pas de la personnalité civile, ne doivent pas être assimilées aux congrégations non reconnues; le gouvernement ne pourrait les dissoudre qu'en rapportant le décret d'autorisation et ne pourrait pas poursuivre leurs membres en police correctionnelle. Or, de deux choses l'une ou les décrets rendus en faveur de ces communautés sont illégaux, ou bien ils sont réguliers. S'ils violent les lois sur les congrégations en accordant des autorisations qu'ils sont impuissants à donner, ils sont radicalement nuls, et les communautés visées doivent être assimilées entièrement aux congrégations illicites; mais si ces décrets sont réguliers et produisent un effet, ils ne peuvent valoir que comme autorisation administrative accordée en vertu de l'art. 292 du code pénal. Ces congrégations occupent donc une place intermédiaire entre celles qui sont reconnues et celles qui ne le sont pas. Quant à leur existence, elles sont assimilées aux congrégations reconnues; quant à leur capacité, aux congrégations non reconnues. Il serait donc bon de faire trois catégories d'associations religieuses
le Les congrégations jouissant de la personnalité civile; 2° Les congrégations autorisées par décision administrative rendue en vertu de l'article 292 du code pénal;
3° Les congrégations non reconnues.
Au point de vue de la capacité, ces deux dernières catégories se ressemblent; elles n'en ont aucune. Cependant, en fait, elles jouissent de fortunes considérables, qu'elles acquièrent et qu'elles conservent par les procédés que nous allons voir.
III
II nous reste à examiner la situation faite, au point de vue des actes de la vie civile, aux congrégations non autorisées et à celles qui ne le sont que par simple décision administrative.
Juridiquement ces associations n'existent pas et la jurisprudence, comme nous l'avons dit, leur refuse à toutes indistinctement la personnalité civile. Elles ne peuvent ni acquérir, ni posséder, ni ester en justice. Cependant elles acquièrent, elles possèdent et elles plaident. Elles font indirectement ce qu'elles ne peuvent faire directement. On admet sans aucune contestation possible que tous les actes de la vie civile accomplis par elles ou à leur profit, soit par leurs mem1. Nancy, 15 juin 1818. D. 79, 2, 226.
bres agissant ut universi, soit par leurs représentants ou directeurs en cette qualité, sont frappés d'une nullité irréparable. La jurisprudence ast absolument constante en ce sens Aussi, pour réaliser ces actes et suppléer à la personnalité qui leur manque, les congrégations non reconnues emploient-elles l'un des moyens suivants ou bien une personne interposée agit pour le compte de la communauté, ou bien les membres de l'association se constituent en société civile et agissent au nom de cette société, ou bien, quand l:acte est de nature à rendre la chose possible, ils se mettent dans l'indivision et agissent comme propriétaires indivis.
Quels sont les effets reconnus à ces actes? Il semble que l'on ne devrait leur en reconnaître aucun et les déclarer radicalement nuls, non pas précisément parce qu'ils sont illicites, faits par une société illicite ou à son profit, mais parce qu'ils sont faits par une personnalité qui n'existe pas ou à son profit. Il est impossible de donner au néant une capacité quelconque, et, comme dit M. Beudant, la congrégation non autorisée, c'est le néant juridique.
La conséquence de ce principe serait la nullité complète des contrats passés, au nom des congrégations non reconnues, par des personnes interposées. Il faudrait déclarer ces actes, non pas annulables pour défaut de capacité, mais nuls comme n'ayant jamais existé. La jurisprudence n'a pas été à cette conséquence extrême, et, gràce aux palliatifs que, dans l'intérêt d'une équité contestable, elle a cru devoir introduire, elle a fini par établir au profit des congrégations non reconnues une sorte de personnalité civile mal définie, mais indépendante de celle des membres composant la congrégation.
Voici comment peut se résumer la jurisprudence.
Elle parait d'abord s'inspirer de ce principe qu'on ne peut pas faire indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement. Aussi trouve-ton souvent posée cette règle que l'acquisition faite par une congrégation non reconnue est nulle, soit que l'association ait figuré elle-même, soit qu'elle ait été représentée par un prête-nom Du moment qu'une congrégation non autorisée ne peut être sujet de droits, il est naturel qu'elle ne puisse pas plus acquérir par l'Intermédiaire d'un prête.nom que par elle-même. Tous les actes, ventes, dons ou legs faits dans ces conditions doivent donc être déclarés nuls, sinon les congrégations
1. Nancy, 15 juin 1878; D., 19, 2, 236.
2: S~ 6.. Cass., civ. (rej.), 20 ~t K% ~S, 1,41-. Cass., req., 15 décembre
1856; D., 57, 1, 81. Cass., req., 9 novembre 1859; D., 60, 1, no. Cass., civ.,
Sn~'6?b 6tl M8 Paris, 20 mai 1851. Caen, 26 avril 1865; Lyon, 23 février &D. '67 2, 1U. Grenoble, 8 décembre 18~; Caen, 15 décembre Ss. D Nancy, 15juin 18M, D., 79, 2, 236. Caen, 19 août 188~ D., 82, 2, 213
non autorisées pourraient, par ce moyen, acquérir sans limite et sans contrôle.
Mais, d'autre part, les anciennes incapacités individuelles frappant les congréganistes n'existent plus. En tant que particulier, chaque membre de la congrégation jouit de tous ses droits civils; il peut donc acquérir et contracter valablement pour son compte Pour que l'acte soit nul, il faut qu'il soit prouvé qu'il est fait au profit de la congrégation et que le contractant n'est qu'un intermédiaire. Cette preuve peut être faite par tous moyens, même par présomptions graves, précises et concordantes, comme le veut l'arrêt de Nancy de 1878; il ne suffirait pas, cependant, comme le disait jadis M. Emile OUivier qu'une disposition fût faite au profit d'un membre de la congrégation pour qu'elle fût supposée faite à la congrégation elle-même. La présomption doit être contraire; ce n'est pas au bénéficiaire de la disposition à faire la preuve que cette disposition est faite exclusivement à son profit et non à celui de sa communauté, mais aux adversaires à prouver qu'elle est faite au profit de la communauté et que le bénéficiaire n'est qu'un prête-nom 3.
Par application de l'idée absolument vraie que chaque congréganiste jouit de ses droits civils, on a admis que les membres d'une même congrégation peuvent se constituer en société civile. Le tribunal de Châtillon a reconnu qu'une société de ce genre pouvait valablement acquérir des immeubles, et que les membres de cette société étaient recevables à exercer, en leur nom personnel, les actions relatives à la conservation de l'immeuble commun. Le jugement ajoute que nul, s'il ne prétend à aucun droit réel sur l'immeuble; ne peut contester le droit de propriété des associés. La cour d'Orléans a a été plus loin encore en décidant que l'acquisition faite en commun par des religieuses appartenant à un ordre non autorisé, est valable s'il n'est pas prouvé que ces religieuses ont acheté comme personnes interposées pour le compte de la communauté dont elles font partie. De cette façon, si le jugement de Châtillon devait faire jurisprudence, il arriverait que, pour acquérir, les membres des congrégations non autorisées n'auraient pas même besoin de se constituer en société civile; il leur suffirait d'acheter en commun et de rester dans l'indivision. A condition que personne ne puisse faire valoir de droit réel sur l'immeuble acheté, ce qui arriverait presque toujours, 1. Grenoble, 6 avril 1881 D., 82, 2, 9.
2. Revue pra~Me, t. V, p. H2.
3. Caen, 19 août 1882 D., 84, 2, 21S.
4. 3 juillet 1881; D., 82, 3, 54,
5. Orléans, 14 juin 1882; D., 84, 2, 108.
les congrégations pourraient ainsi se constituer un domaine immense sans qu'il existât aucun moyen judiciaire de les rappeler au respect de laloi.
Dans le même arrêt, la cour d'Orléans semble d'ailleurs prendre à tâche de leur faciliter le moyen de violer la loi. Elle déclare valable et parfaitement licite la stipulation par laquelle ces religieuses, devenues propriétaires indivis, conviennent que l'immeuble acheté et les constructions qui y seraient élevées par la suite, appartiendront exclusivement à la survivante d'entre elles, chaque communiste devant perdre tous ses droits par le seul fait de son décès ou de sa sortie volontaire de la communauté. De'cette façon, la dernière survivante n'aura qu'à léguer l'immeuble à toutes les sœurs de son ordre individuellement désignées dans son testament. Celles-ci, propriétaires indivis, referont entre elles la convention qu'avaient faite les précédentes, et, moyennant le payement de loin en loin d'une taxe de succession, la communauté restera éternellement propriétaire, sans avoir la capacité de l'être.
Enfin, pour que les congrégations ainsi armées ne puissent être inquiétées d'aucune manière, la cour s'empresse de déclarer qu'une pareille convention ne saurait être assimilée à une tontine, et que, par conséquent, elle n'a pas besoin de l'autorisation du gouvernement, qui, certainement, y regarderait à deux fois avant de l'accorder. La cour d'Orléans avance ainsi dans la voie indiquée par un arrêt de la cour de cassation de 1882 décidant que, bien qu'une congrégation religieuse non autorisée ne puisse recevoir ni contracter valablement, néanmoins ses membres pourront faire entre eux un contrat commutatif en s'engageant à verser et consommer en commun dans cette société de fait leurs revenus, même ceux provenant de leurs talents personnels.
Il ressort de cette jurisprudence que les membres d'une congrégation peuvent valablement se constituer en société civile ou rester propriétaires indivis avec clause de réversion sur le survivant, à condition que la société civile ou l'indivision n'ait pas pour but de masquer la congrégation, mais la preuve de cette simulation ne peut être faite par un tiers que si ce tiers a un intérêt matériel à contester le droit des associés ou des propriétaires indivis.
Si la preuve de la simulation était faite, il semble que dans tous les cas et quelles que soient les circonstances, l'acte devrait être déclaré nul erga omnes, et les intermédiaires représentant la congrégation déclarés inadmissibles à plaider désormais à propos de cet acte. Si 1.0MS.,Req.,i9juiUetl882;D.,82,2,4SO.
logique que paraisse cette conséquence, elle n'a cependant pas été admise sans réserve par les tribunaux. C'est ainsi que l'on a décidé que l'acte fait par quelques membres de la communauté en leur nom personnel obligeait tous les membres de l'association, lorsqu'il était prouvé que l'acte était passé au profit de la société, et que même ces congréganistes pouvaient être collectivement déclarés responsables Tout en déclarant nuls les contrats ainsi passés, on leur reconnaît donc néanmoins une certaine force, puisqu'ils obligent les membres de la communauté.
Sous prétexte que les congrégations ne peuvent exciper de leur incapacité pour se soustraire aux obligations nées des contrats passés pour leur compte, la jurisprudence n'hésite pas à les condamner à exécuter des obligations ayant leur cause dans des actes que les mêmes décisions déclarent nuls
En voulant ainsi concilier les intérêts particuliers avec les principes du droit, les tribunaux arrivent aux contradictions que nous signalons. Mais dans cette voie, on est allé encore plus loin. En admettant même que les contrats passés au profit des congrégations non reconnues puissent être valablement invoqués contre elles, il fallait s'en tenir là, ne considérer pour ce cas la communauté que comme une réunion d'individus, et les assigner tous comme collectivement responsables d'obligations prises dans leur intérêt commun. Un arrêt de la cour d'Aix 3 a franchi cette limite et décidé qu'une communauté non reconnue pouvait être actionnée dans la personne de ceux qui la dirigent. On admet ainsi qu'une association qui n'existe pas peut être représentée en justice, ou plutôt que cette association, qui juridiquement n'a pas d'existence légale, existe cependant par certains côtés.
On voit apparaître nettement ici la personnalité civile accordée par certains tribunaux à des congrégations non reconnues, et la cour d'Aix rester conséquente avec ce qui précède en permettant à des jésuites, agissant M~M!~M/ d'ester en justice pour réclamer la réparation d'un dégât causé à un immeuble conventuel. Après avoir reconnu que les congréganistes ne pouvaient exciper de la non-existence de la communauté pour se soustraire aux obligations contractées par elle, après avoir admis que des tiers pouvaient l'attaquer pour ces obligations et même l'assigner dans la personne de son supérieur, 1. Cass., civ., rej. 30 décembre 1857. Civ., rej. 12 mars 1866. 2. Cass., civ., 30 décembre 1857; D., 58, 1, 21. Paris, 8 mars 1858; D., 58, 2, 49. Cass., civ., rej. 12 mars 1866; 66, 1, 193.
3. Aix, 2 mars 1814; D., 74, 2, 217.
à moins d'avoir deux poids et deux mesures, on ne pouvait refuser aux jésuites d'Aix le droit de défendre personnellement contre des tiers des immeubles dont la communauté était propriétaire dans des conditions déclarées régulières par la jurisprudence, d'autant plus que la cour de cassation elle-même était allée beaucoup plus loin dans l'arrêt Parabère dont nous allons parler.
Des concessions de terrain avaient été faites en Algérie à la compagnie de Jésus. N'ayant pas la capacité civile nécessaire pour être propriétaire, la compagnie, suivant son usage, avait placé les concessions sur la tête de l'un de ses membres, dont elles devenaient, aux yeux de la loi, la propriété personnelle. Le jésuite mourut sans faire de testament et laissant des héritiers naturels. Ceux-ci réclamèrent les terrains qui étaient la propriété personnelle de leur oncle et que prétendait retenir la compagnie de Jésus, arguant que le propriétaire apparent n'était qu'un prête-nom. Un procès s'engagea entre les jésuites et les héritiers; il se dénoua par un arrêt qui, en déboutant les héritiers, reconnaissait qu'une congrégation non reconnue pouvait avoir un patrimoine sous le couvert de l'un de ses membres; « attendu, disait l'arrêt, que les tribunaux ne sauraient admettre qu'une association religieuse non reconnue, mais existant au grand jour et avec la tolérance de l'État, puisse être dépossédée par tout venant des biens qu'elle détient. » »
Si cette jurisprudence s'était généralisée, on ne voit plus très bien la différence qu'il y aurait eue entre les congrégations autorisées et celles qui ne le sont pas, au point de vue de la personnalité civile. Les différences auraient peut-être été encore dans la forme, mais il n'y en aurait plus eu dans le fond. Par un véritable monument de droit f prétorien, la cour de cassation, en se fondant sur l'équité, aurait donné la personnalité morale aux communautés non autorisées. En admettant qu'il y ait eu un contrat entre Parabère et les autres jésuites, et qu'en vertu de ce contrat la propriété des terrains ait appartenu à la compagnie et non à Parabère, rien n'en révélait l'existence, et la cour n'avait pas à en tenir compte. Elle devait déclarer fondée la prétention des demandeurs, et quand bien même par cette décision elle eût donné aux héritiers Parabëre des biens qui légitimement n'étaient pas à eux, elle n'aurait pas dû sacrifier une règle d'ordre publie aux intérêts d'une association violant outrageusement la loi. Ce n'eût pas été une spoliation, dit excellemment M. Gide, mais un châtiment. Il serait à désirer, en attendant que la loi sur les associations vienne donner une solution à ces questions, que les tribunaux abandonnasi. Cass., Req., ter juin 1869. D., 69, 1, 313.
sent tous ces palliatifs qui conduisent à reconnaître une sorte de personnalité civile aux congrégations non reconnues, et qu'ils revinssent à l'application rigoureuse des principes juridiques. Ces principes me paraissent être les suivants. La personnalité civile ne peut être accordée, à quelque degré que ce soit, à des associations auxquelles l'État ne l'a pas conférée. En admettant même qu'en existant, les congrégations ne soient pas illicites, n~ayant aucun titre à la personnalité civile, elles ne peuvent ni acheter, ni vendre, ni ester en justice, ni recevoir des libéralités, ni faire aucun des actes de la vie civile, soit directement, soit indirectement, d'une manière ou d'une autre. Tous les actes faits au mépris de cette règle-sont frappés d'une nullité radicale, et l'on ne doit pas plus pouvoir les invoquer contre elles que pour elles. Ce sont des actes qui ne comptent pas, et les tribunaux ne devraient s'en occuper que pour maintenir l'état de choses antérieur à l'acte impuissant à le changer.
Malheureusement, il est peu probable que les tribunaux se décident à considérer les congrégations non reconnues comme n'existant pas. L'administration 'et le pouvoir législatif, eux-mêmes ne peuvent pas se résoudre à les regarder comme telles et à les délaisser dans leur néant juridique jusqu'au jour où le vote de la loi sur les associations aura mis les congrégations religieuses en demeure d'opter entre la dissolution ou la soumission aux prescriptions législatives. Le vote de cette loi vaudrait beaucoup mieux que toutes les mesures financières prises, depuis quelques années, à l'égard des congrégations, et, entre autres avantages, il aurait au moins celui de faciliter singulièrement la tâche, entreprise par le Parlement, de soumettre aux impôts généraux toutes les associations religieuses.
IV
Jusqu'en 1880, les biens des congrégations échappaient à plusieurs des impôts ordinaires dont sont frappés les biens des particuliers, sans pour cela payer d'autre impôt spécial que la taxe des biens de mainmorte établie par la loi du 20 février 1849. Cette taxe, représentant l'équivalent des droits de transmission entre vifs ou par décès, était fixée à 62 centimes 1/2 pour franc du principal de la contribution foncière. L'article 5 de la loi du 30 mars 1872 éleva ce quantum à 70 p. 0/0 du principal de l'impôt foncier.
Mais cette taxe ne pouvait atteindre que les immeubles des congrégations autorisées. Tous leurs autres biens et ceux de toute nature
des associations non reconnues n'étaient soumis a aucune contribution particulière et jouissaient même de certaines exemptions inexplicables. C'est ainsi que, jusqu'en 1880, on ne percevait de droit de mutation sur les biens possédés en commun par des congréganistes avec reversion sur les survivants, qu'au décès du dernier mourant, alors qu'à chaque décès il s'ouvrait une véritable succession dont les survivants étaient les héritiers. La loi de finances de 1880, dans son art. 4, afin qu'aucune contestation ne soit plus possible, déclare formellement que ce droit doit être perçu au décès de chaque copropriétaire 1. De même jusqu'en 1880, on exemptait du droit proportionnel d'enregistrement les actes par lesquels les membres des congrégations religieuses de femmes déclaraient, dans les six mois de leur reconnaissance légale, que les biens acquis en leur nom personnel étaient la propriété effective de la communauté. A moins de reconnaître comme légitime un état antérieur illégal, il y avait là une véritable transmission de propriété tombant sous le coup de l'art. 17 de la loi du 18 avril 1831. C'est illégalement qu'une décision ministérielle du 25 juin 18S2 avait dérogé à la loi de 1831 en faveur des congrégations. Un arrêté du 3 avril 1880 a rapporté la décision de 1852.
Ces mesures~administratives n'ont pas évidemment eu pour effet de frapper les congrégations d'impôts particuliers; elles ont eu pour but de les ramener au droit commun.
Tel fut aussi le caractère de la décision administrative du 26 novembre 1880. Elle eut pour objet de soumettre à la patente « les divers établissements où sont exercées des professions passibles de la patente et qui ne sont pas assujettis à cette contribution par le motif qu'ils seraient au'ectés à des œuvres de bienfaisance et de piété, auxquelles seraient consacrées les ressources provenant de l'exercice des professions dont il s'agit ou pour d'autres causes analogues » L'administration déclare, avec juste raison, que ces exemptions sont abusives et qu'elle n'a qu'a. rechercher les professions soumises à la patente, sans s'inquiéter des causes pour lesquelles elles sont exercées. Cette circulaire, qui n'est elle-même que la reproduction de la circulaire ministérielle du 3 juin i8M, vise évidemment les établissements tenus par les congréganistes, comme les ouvroirs, les maisons de refuge, etc., dans lesquels sont exercées certaines industries dont les produits sont vendus à d'autant plus bas prix que la main-d'œuvre coûte peu de chose et que la maison n'est pas astreinte à la patente
t. Depuis 1880, l'administration perçoit un droit de succession à chaque décès. Solution adm., 15 janvier 1880. Cass. Req., 26 juillet 1880; D:, 8t, 1, no. 2. Cir. du Dir. gen. des contrib. dir., 26 novembre 1880.
payée par les mêmes industries dans la vie ordinaire. Cette exemption protégeait ainsi, dans la même industrie, certains individus au détriment de leurs concurrents français, et elle pouvait n'être pas sans influence dans la fixation des salaires des travailleurs. L'avantage que constituait cette exemption au profit de ces établissements, était important que l'on en juge par ces deux exemples. Les sœurs de Saint-Vincent de Paul possédaient, dans le seul département de la Seine, soixantecinq établissements de lingerie, de confection, de ganterie, de fabriques de fleurs, etc., où 3,700 jeunes filles étaient employées. Sur ces soixante-cinq établissements, un seul, celui de Clichy, était imposé à la patente, et payait 15 francs. Les maisons d'éducation des jésuites de Vaugirard et de la rue de Madrid, ayant une valeur locative de 295,000 francs, payaient 362 fr. 45 cent. de patente; l'institution Sainte-Barbe, pour une valeur locative de 2,680 francs payait 3S7 fr. 92 cent.
Les mesures fiscales prises par la loi de finances du 28 décembre 1880 à l'égard des congrégations, pas plus que les décisions administratives dont nous venons de parler, n'eurent pour effet de créer des contributions nouvelles à la charge des associations religieuses. On essaya simplement de les soumettre aux impôts généraux, à l'acquittement desquels l'injustifiable tolérance de l'administration leur avait permis de se soustraire. Les dispositions relatives à cet objet dans la loi de 1880 sont au nombre de deux.
La première, ratifiant une solution administrative dont nous avons parlé plus haut, soumet au droit de mutation les accroissements opérés au décès d'un copropriétaire indivis au profit de ses copropriétaires survivants, lorsqu'une clause de reversion a été introduite dans leur contrat.
La seconde mesure est celle prise par l'art. 3 de la même loi, dont voici le texte « L'impôt établi par la loi du 29 juin 1872 sur les produits et bénéfices annuels des actions, parts d'intérêt et commandites, sera payé par toutes les sociétés dans lesquelles les produits ne doivent pas être distribués en tout ou en partie entre leurs membres. Les mêmes dispositions s'appliquent aux associations reconnues et aux sociétés ou associations reconnues ou non reconnues. « Le revenu est déterminé lo pour les actions, d'après les délibérations et documents indiqués à l'art. 2 de la loi du 29 juin 1872; 2" pour les autres valeurs, soit par les déclarations des représentants de la société, appuyées de toutes les justifications nécessaires, soit, à défaut de délibérations et de déclarations, à raison de 5 p. 0/0 de l'évaluation détaillée des meubles et des immeubles composant le capital social. Le payement de la taxe applicable à l'année expirée sera fait
dans les trois premiers mois de l'année suivante sur la remise des extraits des délibérations et documents analogues et de la déclaration souscrite conformément à l'art. 16 de la loi du 22 frimaire an VU. L'inexactitude des déclarations, des délibérations, comptes rendus et documents analogues peut être établie conformément aux art. 17,18 et 19 de la loi du 22 août 1871. Les contraventions seront punies conformément à l'art. 5 de la loi du 29 juin 1872. »
Ce texte, rédigé par le Sénat, fut substitué à l'article fort net, fort clair, fort précis de la Chambre, article qui ne laissait aucune place aux faux-fuyants et aux dissimulations, et qui armait suffisamment l'administration pour assurer la perception de l'impôt. Le Sénat craignit de paraître faire une loi d'exception; il ne vit pas qu'il s'agissait simplement, comme dit le rapport de M. J. Roche, « d'appliquer le droit commun à des êtres moraux d'ailleurs très favorisés et devant rester encore privilégiés de bien d'autres façons ? et il noya la rédac~ tion qui visait les congrégations dans des généralités qui permirent à celles-ci d'échapper en grande partie à l'impôt, à tel point que le rendement, qui avait été prévu au budget de 1881 pour 4,o96,500 francs, ne dépassa guère 200,000 francs.
« Le procédé des congrégations est, d'ailleurs, bien simple, dit le rapport déjà. cité. Lorsqu'on s'adresse à elles comme sociétés ne devant pas distribuer leurs bénéfices entre leurs membres, elles répondent en montrant des délibérations qui autorisent la distribution des bénéfices; donc la loi de 1880 est inapplicable. Si l'on veut alors recourir à la loi de 1872, elles répondent que la loi de 1872 ne frappe que les bénéfices effectivement distribués; or nous pouvons bien distribuer, disent-elles, mais nous ne l'avons pas encore fait, donc la loi de 1872 ne nous touche pas plus que la loi de 1880. Lorsqu'il s'agit de percevoir le droit d'accroissement et qu'on invoque l'article 4, les congrégations répondent en montrant des statuts dans lesquels ne figure pas l'une des deux conditions indiquées par cet article pour que le droit soit exigible; quelquefois même aucune de ces deux conditions n'est inscrite dans les statuts. L'agent du Trésor est ainsi réduit à l'impuissance, tandis que les congrégations continuent à s'enrichir à l'abri de contre-lettres et de tous autres contrats leur permettant de « tourner » respectueusement la loi. Il est temps que cette mystification finisse 1. »
Dans ce but, lors de la discussion de la loi de finances de 1888, la Chambre vota un article spécial, que le Sénat finit par adopter après 1. Rapport général sur le budget des dépenses et des recettes de l'exercice d88S.
quelques hésitations. La justice de la cause l'emporta finalement sur les sympathies qu'inspirent encore les congrégations à une fraction de la haute assemblée. Voici le texte adopté « Les impôts établis par les art. 3 et 4 de la loi du 28 décembre 1880 seront payés par toutes les congrégations, communautés et associations religieuses autorisées ou non autorisées et par toutes les associations ou sociétés désignées dans cette loi, dont l'objet n'est pas de distribuer leurs produits en tout ou en partie entre leurs membres. Le revenu est déterminé à raison de 3 p. 0/0 de la valeur brute des biens meubles et immeubles possédés ou occupés par les sociétés, à moins qu'un revenu supérieur ne soit'constaté, et la taxe est acquittée sur la remise d'une déclaration détaillée faisant connaître distinctement la consistance et la valeur des biens. »
La loi est de date trop récente pour que les effets de son application soient déjà connus; espérons toutefois qu'elle aura pour résultat de contraindre les associations religieuses à payer désormais des taxes dont trop longtemps elles ont été exemptes, contrairement à toute justice.
Quand on examine dans leur ensemble les lois sur les congrégations religieuses, la jurisprudence relative à celles qui ne sont pas autorisées, les lois financières qui essayent de les soumettre à l'impôt, on ne peut manquer d'être frappé de la contradiction qui existe entre tous ces monuments. La congrégation A, dit la loi, n'étant pas autorisée, ne saurait exister à aucun titre; sans doute, réplique la jurisprudence, elle n'existe pas, mais comme elle existe tout de même, on pourrait la traiter, bien que n'existant pas, comme si elle existait, afin de pouvoir la confirmer en la possession des biens qu'elle ne saurait avoir, puisqu'elle n'existe pas, mais qu'elle a néanmoins, puisqu'elle existe. Le législateur financier, tout aussi logique que la jurisprudence, fait le même raisonnement, clair, simple et harmonieux pour soumettre à l'impôt des personnes dont il s'empresse de nier l'existence.
Cette cacophonie législative, qui s'accroît de plus en plus à mesure que les dispositions visant les congrégations se multiplient, tient surtout à notre mauvaise législation sur les associations, qui fait de la prohibition le droit commun en cette matière. Sauf en ce qui concerne les syndicats professionnels, le régime de l'association est aujourd'hui ce qu'il était en i852.
On hésite à proclamer la liberté pour toutes les associations indistinctement, sans jechereher quels sont leurs membres et quel est leur but, tant que ce but n'est contraire ni aux bonnes mœurs, ni à l'ordre public. II semble que l'on craigne de faire une loi applicable également aux associations laïques et aux associations religieuses~ loi qui aurait le redoutable inconvénient, aux yeux de certaines personnes, de ne pas refuser aux unes la liberté qu'elle accorderait aux autres.
Cet esprit s'accusa ouvertement dans le premier projet de la loi sur les associations déposé par M. Tolain à la tribune de l'Assemblée nationale. Ce projet laissait subsister toutes les lois réglementant les congrégations et abrogeait purement et simplement les articles 291 et 292 du code pénal ainsi que la loi du 10 avril 1834. La commission nommée pour examiner la proposition de M. Tolain ne crut pas prudent de donner ainsi aux associations laïques une liberté illimitée qui rendrait inapplicable en fait les lois répressives de droit commun; consentant à supprimer l'autorisation préalable* et toute mesure préventive, elle voulait au moins rendre facile et efficace la répression contre les sociétés qui feraient courir des dangers à l'ordre public. M. Bertauld, nommé rapporteur de la commission, déposa son rapport à la fin de décembre i8'?i. Le projet fut discuté en première lecture; l'Assemblée décida qu'elle passerait à la seconde, mais elle se sépara sans avoir eu le temps de le faire.
Ce projet n'était pas fait, d'ailleurs, pour satisfaire les esprits vraiment libéraux. Il donnait aux associations une nouvelle réglementation, et non pas la liberté. Le législateur enlevait bien au pouvoir exécutif le droit d'accorder les autorisations préalables, mais il le transférait au pouvoir judiciaire. Chaque cour d'appel acquérait la faculté de s'opposer à la constitution d'une association, dans l'étendue de son ressort. Le pouvoir de la magistrature eût été d'autant plus redoutable qu'un article du projet déclarait illicites, a~'Mrt, toutes les associations ayant pour but i" de changer la forme du gouverne.ment établi; 2" de mettre obstacle à l'action des pouvoirs publics ou d'en usurper les attributions; 3" de provoquer, organiser ou subventionner des grèves, ou d'entraver par un moyen quelconque la liberté du travail ou des conventions; 4" de porter atteinte au libre exercice des cultes, aux principes de la morale publique et religieuse, de la famille ou de la propriété, ainsi qu'à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Avec l'interprétation dont une pareille énumération était susceptible, l'on peut dire que la. faculté d'association n'eût existé, à cette époque, que pour les congrégations religieuses et les sociétés littéraires. Cette opinion a pour elle l'autorité d'un illustre ora-
teur, .qui n'est point suspect de violence révolutionnaire, celle de M.J.Simon Le maintien de la législation de 1810 et de 1834 valait mieux que le vote d'une loi dont la conséquence eût été de mettre, en fait, les associations laïques dans une situation plus rigoureuse que les associations religieuses. Personne, à gauche, ne voulait faire revivre les lois répressives de la liberté des associations religieuses; M. Brisson le déclarait aussi bien que M. Naquet, mais encore fallait-il au moins placer les unes sur le même pied d'égalité que les autres. Pendant la discussion de ce projet, on avait plusieurs fois fait appel à la grande autorité de M. Dufaure, vieux partisan de la liberté d'association, très pénétré de la nécessité d'une loi unique sur la matière 2. Il promit son concours, mais ce ne fut que plusieurs années après ces débats qu'il put tenir sa promesse et déposer un projet de loi sur le bureau du Sénat. La proposition fut examinée par une commission présidée par M. de Bondy et dont M. J. Simon fut nommé rapporteur.
Sans nous étendre sur les travaux de cette commission, nous pouvons dire qu'elle s'efforça surtout de trouver des formules qui convinssent également aux associations laïques et aux congrégations religieuses. La préoccupation de ne point établir de différence entre ces deux catégories éclate à chaque ligne du remarquable rapport annexé à la proposition de loi.
L'économie du projet peut se résumer ainsi Toute association ayant un but licite peut se constituer librement, sous cette seule condition que les fondateurs feront une déclaration préalable .indiquant le nom, l'objet, le siège et la situation financière de l'association, ainsi que la liste des sociétaires; ils seront tenus, en outre, de déposer les statuts de l'association. Les associations ainsi constituées ne jouissent point de la personnalité civile, qui ne peut leur être attribuée que par une loi spéciale. Néanmoins, elles sont aptes à posséder les biens mobiliers et les immeubles strictement nécessaires pour le but qu'elles se proposent. Enfin, la loi ne devait pas avoir d'effet rétroactif et n'atteignait en aucune façon les associations légalement. reconnues antérieurement à sa promulgation.
On reprocha surtout à ce projet de loi ce qui, dans la pensée de ses auteurs, en était la principale qualité, c'est-à-dire l'absence de distinction entre les associations laïques et les congrégations religieuses. L'esprit public, vivement excité, soit pour, soit contre les congrégations, par l'exécution des décrets du 29 mars et les débats de d. Rapport déjà cité, p. 13.
2. Ibid.
toute nature qui les avaient précédés et suivis, n'avait plus la même tolérance qu'en 1874; plus d'un homme politique, qui ne demandait à l'Assemblée nationale que la liberté égale pour tous, se montrait disposé en 1883 à prendre quelques précautions contre le dangereux développement des associations religieuses. Cet état des esprits amena le gouvernement à se déclarer contre le projet Dufaure et à proposer lui-même un nouveau projet, qui fut déposé, le 23 octobre 1883, à la tribune de la Chambre des députés par M. Waldeck-Rousseau, ministre de l'intérieur.
Le projet distingue trois formes d'association
1" Les associations ordinaires, constituées par simple déclaration au greffe du tribunal civil, déclaration rendue publique par son insertion dans cinq des journaux du département. Ces associations ne jouissent pas de la personnalité civile, mais leurs membres peuvent mettre en commun un certain nombre de valeurs qui, suivant les cas, sont soumises aux règles du code civil ou à celles du code de commerce, soit en matière d'indivision, soit en matière de société.
2° Les associations reconnues. Ce sont les associations de la première catégorie auxquelles la personnalité civile aura été conférée, sur leur demande, par décret en conseil d'État. Elles ne pourront acquérir à titre gratuit ou onéreux, aliéner en échange d'immeubles, ou transiger sans autorisation par décret.
3" Les associations qui ne peuvent se former sans autorisation préalable. Ce sont les associations internationales et les congrégations religieuses. Les autorisations seraient données soit par le pouvoir législatif, soit par le pouvoir exécutif, suivant les distinctions actuellement en vigueur. Après leur autorisation, ces associations auraient la personnalité civile dans les mêmes conditions que celles de la seconde catégorie.
D'après le projet, la loi doit être appliquée à toutes les associations existantes au moment de sa promulgation; toutes celles qui ont été autorisées antérieurement, contrairement aux dispositions de la loi nouvelle, auront un délai de six mois pour s'y conformer. Ce projet de loi, qui n'a pas abouti, avait sur celui du Sénat l'avantage de donner aux associations une personnalité morale plus nette et plus étendue et de ne pas autoriser sans conditions les associations internationales dont les dangers sont incontestables; il avait l'inconvénient de créer entre les associations laïques et les congrégations des différences que ne justifient qu'insuffisamment les raisons sociales données dans l'exposé des motifs. Sans doute, il faut prendre des précautions contre l'excessif développement des congrégations, mais il n'y a pas de raisons pour exclure de ces précautions les asso-
ciations laïques, dont un certain nombre pourrait d'ailleurs être animé du même esprit que les communautés religieuses. La trop grande puissance d'une association pourra toujours être un danger pour l'État, que cette association soit ou non laïque.
Nous ne pensons pas que la solution du problème soit dans les distinctions du projet Waldeck-Rousseau. Pour le résoudre dans un sens vraiment libérai, il faut donner aux associations, sans distinction, la plus grande somme de liberté compatible avec la sécurité de l'État. Mais où se trouve la limite des concessions que peut faire l'État dans la voie de la liberté absolue?
On peut dire avec une exactitude presque mathématique que la puissance d'une association est en raison proportionnelle du nombre de ses membres, et surtout des ressources dont elle dispose. Une association ne deviendra dangereuse pour l'État que si elle intéresse un grand nombre d'individus et peut mettre de grosses sommes au service du but qu'elle poursuit. Tant que l'une de ces conditions fera défaut. l'État ne sera pas menacé. Il lui suffit donc de veiller à ce qu'une association ne devienne pas suffisamment riche pour l'inquiéter. Mais comme, d'un autre côté, la plupart des associations seront plus utiles que nuisibles à l'État en développant l'individu et en le faisant valoir, il faut que l'association puisse acquérir assez de ressources pour réaliser son objet. Il nous semble que l'on pourrait arriver à ce résultat par une simple réglementation de la personnalité civile des associations, qui ne gênerait pas leur libre développement, qui empêcherait la constitution de la grande propriété de mainmorte et qui ferait l'État juge de la somme de ressources dont a besoin chaque association pour accomplir sa mission.
On obtiendrait ces résultats en limitant pour les personnes morales le droit d'acquérir et en proportionnant pour chacune d'elles l'étendue de cette faculté au but qu'elle poursuit. Pour faire obstacle à la reconstitution de la grande propriété de mainmorte, on pourrait ne permettre aux associations que l'acquisition des immeubles absolument indispensables à la réalisation de leur objet. II est en effet inutile que des sociétés politiques, littéraires ou religieuses possèdent de grandes fortunes foncières. Quant à leur fortune mobilière, il serait toujours possible d'en surveiller à peu près le développement. Il suffirait de ne laisser les associations acquérir soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, que sous le contrôle de l'administration. Dès que le gouvernement jugerait qu'une association a les ressources qui lui sont nécessaires pour remplir sa mission, il n'autoriserait plus l'acceptation des libéralités et contraindrait ainsi la société à vivre sur ses revenus, A. TOME II. 8
tout en l'empêchant de prendre un développement dangereux pour l'État.
Avec ces précautions et en soumettant, d'autre part, les associations internationales à une autorisation législative préalable qui déterminerait les conditions de leur existence en France, l'État serait armé et n'aurait rien à redouter de la liberté d'association. Il pourrait la donner entière; il pourrait permettre a tous les citoyens de se constituer en société pour tel objet qui leur conviendrait, moyennant une simple déclaration d'ordre et la communication de la liste de leurs membres constamment tenue à jour. Toutes ces associations jouiraient de la personnalité civile dans les conditions que nous avons indiquées plus haut sans avoir à remplir aucune formalité spéciale. On aurait ainsi toute la liberté compatible avec la sécurité de l'État, c'est-à-dire toute la liberté qu'on peut raisonnablement désirer. Toutes les difficultés relatives aux congrégations religieuses disparaîtraient. Religieuses ou laïques, toutes les associations seraient sur le même pied et jouiraient de la liberté dans la même mesure. Le gouvernement ne pourrait pas plus interdire la constitution des unes que des autres et il aurait contre les unes et contre les autres le même droit de s'opposer au développement excessif d'une richesse qui deviendrait dangereuse dès qu'elle ne serait plus en rapport avec les besoins de la société.
Les associations existantes n'auraient pas de motifs légitimes de vouloir se soustraire à ce nouveau régime. Aucune ne se révolterait, mais si par hasard il s'en trouvait quelques-unes pour le faire, l'opinion publique approuverait énergiquement les mesures de fermeté que le gouvernement prendrait certainement contre elles. Le respect volontaire des lois est une des conditions de la liberté pour les associations comme pour les individus.
ÉMUE MûRMT,
Membre du Groupe de droit public et privé.
LA RÉORGANISATION
DE L'IMPOT SUR LES TERRES EN ITALIE.
(Loi du mars ~886.)
Deux impôts frappent la propriété immobilière en Italie, l'impôt sur les immeubles bâtis (imposta fabbricati) et l'impôt sur les terres (imposta fondiaria). Séparés par la législation qui les régit, ces deux impôts se distinguent tant par leur assiette que par la nature des biens qu'ils atteignent. Le premier, qui est un impôt de quotité, a été créé par la loi du 26 janvier 1865; il pèse sur le revenu des immeubles bâtis la matière imposable est déterminée par la déclaration que sont tenus de faire les contribuables sous le contrôle de l'administration c'est à proprement'parler une cédule de l'impôt sur le revenu. Le second, impôt de répartition qui a pour base le cadastre, est analogue à l'impôt foncier français.
Fort ancien en Italie, puisque dès 1723 on trouve un véritable cadastre dans le Milanais, l'impôt sur les terres vient d'être réorganisé par la loi du ler mars 1886. Ce sont les réformes introduites par cette loi que nous nous proposons d'étudier. Cependant comme, par mesure transitoire, la législation antérieure et les cadastres anciens sont maintenus en vigueur pendant le délai de vingt ans jugé nécessaire pour la confection du nouveau cadastre, nous passerons en revue ces anciens cadastres, après avoir montré, dans un rapide historique de Funincation politique et financière de l'Italie, quel est le régime législatif qui restera provisoirement applicable.
Notre étude comprendra donc d'abord un exposé de l'assiette actuelle et du rendement de l'impôt foncier proprement dit, laissant de côté les taxes afférentes aux immeubles bâtis qui depuis 186S font l'objet d'une législation parallèle et d'une réglementation distincte. Dans une seconde partie, nous étudierons les principales dispositions de la loi de 1886, refonte et conservation du cadastre, péréquation et abaissement de l'impôt, transformation progressive de cet impôt de répartition en impôt de quotité, caractère d'authenticité à donner aux men-
tions cadastrales qui serviraient désormais de titre et de preuve à la propriété; et nous les rapprocherons des travaux préparatoires afin de tirer de cette comparaison l'explication et le commentaire des, articles les plus importants.
Empruntées, pour la plupart, à la législation des peuples voisins, les réformes apportées parla nouvelle loi se rapprochent en plusieurs points de celles qui, à diverses reprises, ont été proposées aux Chambres françaises et qui, malgré leur urgence, n'ont pas encore été l'objet d'une prise en considération définitive. Ce sont ces points de contact que nous nous efforcerons surtout de mettre en lumière Les documents dont nous nous servirons seront le plus souvent d'origine parlementaire. Nous prendrons principalement pour base de nos recherches le très remarquable rapport présenté par M. Minghetti, nous réservant de consulter à-l'occasion un certain nombre de documents officiels et de traités spéciaux dont l'indication sera donnée sous chaque citation.
ASSIETTE ACTUELLE ET RENDEMENT DE L'tHPÔT SUR LES TERRES.
0
~e~'o~o~Me financière de l'Italie, régime antérieur L'union territoriale des différentes provinces de l'Italie date de l'année 1860, qui est aussi la première année financière du royaume. A l'œuvre du politique succéda, selon le mot de Victor-Emmanuel, l'oeuvre de l'économiste et de l'administrateur; ce pays unifié, il fallut lui donner une organisation unique, centraliser son administration et répartir d'une façon plus uniforme les impôts qui le grevaient. Cette tâche fut entreprise par le nouveau ministre des finances, le comte Bastogi. Pour l'année 1860 il y avait encore eu autant de budgets que de provinces. La loi du 17 mars 1861 ayant proclamé le royaume d'Italie il n'y eut plus que deux budgets comprenant: l'un, les provinces de Naples et la Sicile, l'autre, le reste de la péninsule, déduc.tion faite des provinces pontificales et autrichiennes. La lieutenance générale du roi, qui avait une véritable autonomie administrative en matière de finances, fut supprimée en 1861 pour Naples et en janvier 1862 pour la Sicile. M. Bastogi put donc présenter en 1862 un < Quant !m texte de la loi qui a été reproduit :M ca~MO dans te BulLetin de statistique et de législalion comparée du Ministère des finances (mars 1886), nous nous bornons a renvoyer à cette traduction très exacte, qui comprend également l'exposa des motifs présenté aa Sénat le 8 février 886.
budget unique pour tout le royaume. L'énorme déficit qui se produisait d'une manière presque permanente obligea le ministre à procéder à d'importants relèvements de taxes parmi lesquelles nous citerons la taxe des biens de mainmorte; les réformes relatives à l'impôt foncier restèrent à l'état de projet. En 1863, M. Minghetti, qui avait pris le portefeuille des finances, attira l'attention du législateur sur les conclusions de la commission d'enquête instituée en 1861 pour la revision de l'impôt foncier, et proposa d'augmenter le~produit de cette taxe, en la rendant applicable à certains biens qui avaient jusque-là été exemptés. Le bénéfice présumé pour le Trésor devait être de 35 millions environ. II est à noter que tous les projets de loi sur cette matière tiennent compte des exemptions imméritées ou même des oublis qui peuvent avoir été commis par les agents du fisc; il semblerait que les immeubles qui échappent illégalement à l'impôt sont aujourd'hui .encore fort nombreux et que le préjudice causé à l'État se chiffre par millions, ce qui, pour le dire en passant, n'est pas à l'éloge des procédés de cadastrage employés. Le rapport de M. Minghetti (1884) estime à 10 millions environ la plus-value qui résultera pour le Trésor d'un recensement plus exact des terres imposables.
Avec l'année 1864 commença la période la plus critique pour les finances italiennes. Après avoir assuré à l'État un revenu de 30 millions par l'établissement de l'impôt sur la richesse mobilière, M. Minghetti ~présenta un projet de loi sur le nivellement provisoire de l'impôt foncier (Legge del Congluaglio ~-ou~o~o) qui devait augmenter les .ressources du budget de plus de 20 millions; cette loi fut promulguée le 14 juillet 1864.
La commission chargée de préparer le projet de loi employa concurremment les trois méthodes suivantes. L'une consistait à examiner les cadastres existants en tenant compte de leur origine et des bases d'évaluation employées, à comparer leurs résultats avec le revenu présumé de chaque fonds, et à déduire de cette comparaison le rapport -entre le revenu effectif et le revenu inscrit comme imposable dans chaque cadastre. L'autre avait pour but d'examiner les actes de vente intervenus dans un laps de temps donné et de déduire de cet examen, d'abord le revenu effectif des fonds, puis le rapport entre le revenu et l'impôt dont ils étaient frappes. Enfin la troisième méthode employée, tout en tenant compte des deux précédentes, consistait à comparer l'impôt perçu avec d'autres éléments, tels que la densité de la population, la masse des produits agricoles et la richesse générale. Le résultat de ces trois enquêtes conduisit à des conclusions identiques .qui devinrent la base du projet de péréquation
1. Rapport de M. Miaghetti, 20 mars 1884.
La commission proposa cependant diverses mesures transitoires pour arrivera l'application rigoureuse de cette péréquation; le ministre puis la Chambre modifièrent à leur tour ses propositions, et il fut décidé d'en échelonner l'exécution sur quatre années consécutives, la péréquation dite provisoire ne devant avoir son plein effet qu'en 1867.
On verra dans le tableau ci-dessous les différentes gradations proposées en prenant comme base le chiffre uniforme de 110 milllions que l'on continuerait à réclamer des contribuables, non compris le décime de guerre, perçu sur tous les impôts directs, et non compris les frais de perception.
PROPOSITIONS
'°~ modifiées par le ministre et CADASTRALES absolues du de transaction votées par le parlement.
CADASTRALES comité élu par du comité et de
comité é!u par la commission.
ta commission, [a commission. pmrfMameN iimrtfrde
i86.t-MM. iMy.
!'re. lire. lire. )jM
Piémont et Ligurie 80,g07,06t) 20,079,107 1S.679.876 a),079,10S Lombardic. IC,9S9,SSS 17,7i7,~2 f9,HO,S9I; 17,7j7,~8 Parme. 2,508,719 3.50S,717 2,7T6,OS7 X,SOS,7I9 Modene. 3,~91,696 3,491,696 3,437,1H 3,491,606 roscme. 8,805,119 8,585,120 7,8M,OiO 8,87ù,598 Anciens Étabpontiaeaux. 11,036,151 H.~6,153 I:,027,ST1 11,570,675 ~aplos. 33,690,3M 33,530,355 33,S95,33t 33,530,353 Sicite. 10,184,585 10,184,533 9,635,833 10,lSj,5SB Sardaigne. g,6!6,7SS S,6t6,7S8 g,623,t50 ?,6!9,7~9 Total générât. 110,000,000 110,000,000 110,000,000 110,000,000
La .loi du 14 juillet 1864 abolit tous les privilèges et exemptions; seules les constructions destinées à l'exercice des cultes autorisés, les constructions et terres domaniales et, en général, tous les immeubles appartenant à l'État ou servant à un service public gratuit, restèrent exempts de l'impôt. Le contingent de 186~ qui devait être appliqué pour l'année entière le fut seulement à partir du second semestre. On était alors aux plus mauvais jours des finances de l'Italie il fallait absolument trouver 200 millions avant la fin de 1864. Après les grands emprunts des années précédentes, qui n'avaient pas encore eu le i. Loc. cit.
temps d'être classés, toute nouvelle opération de crédit devenait impossible. M. Sella, qui venait de reprendre le portefeuille, comprit la nécessité de recourir à d'autres mesures et proposa de percevoir par anticipation l'impôt foncier payable en 1865, en bonifiant aux contribuables l'intérêt au taux de 5 p. 0/0. Les Chambres approuvèrent les propositions du ministre, et une loi du 34 novembre 1864, fixant à 121 millions, y compris le décime de guerre, la contribution sur les biens ruraux et urbains, ordonna son payement anticipé au plus tard le la décembre 1864, avec la bonification de l'intérêt à 6 p. 0/0 1. La plupart des contribuables répondirent à l'appel qui leur était fait par le gouvernement. Beaucoup payèrent en renonçant à l'escompte qui leur était offert.
En 1865 continuant son œuvre d'unification de l'impôt, le Parlement vote la loi du 26 janvier relative à l'impôt sur la propriété bâtie. Celle-ci allait être imposée en proportion de son revenu net, d'après une cote uniforme qui fut fixée plus tard.
L'impôt foncier sur les terres pour 1866 fut perçu conformément à la loi du 14 juillet 1864, déduction faite du contingent de l'impôt sur les immeubles bâtis qui y était réuni et qui n'avait pas été déduit par effet de la loi de janvier 186a
En 1867 une loi augmente de deux décimes l'impôt perçu sur les biens ruraux et urbains. En 1868 fut enfin voté l'impôt de la mouture qui fut perçu à partir du 1'janvier 1869. Une loi du mois de juin 1868 augmenta d'un nouveau décime les impôts fonciers à percevoir pendant les années 1869 et 18'?0.
A partir de 1869 de nombreux projets de loi ayant pour but la réforme de la taxe foncière vont être présentés aux Chambres. Nous les laissons provisoirement de côté, nous réservant deles reprendre quand nous aborderons l'étude de la loi de 1886.
Au mois de septembre 1870 eut lieu l'annexion de Rome. Le conseil d'État pour les finances qui y existait fut supprimé, et on y installa une lieutenance royale pour gérer temporairement les affaires. Le 13 octobre on y publia, ainsi que dans les provinces romaines, la plus grande partie des lois, décrets et règlements relatifs aux impôts, qui furent effectivement substitués à partir du l''r novembre au système 1. Isid. Sachs L'Italie, ses /M:a?:CM.e< son développement économique depuis l'uni-
ficatioza du royaume.
2. Rappelons qu'après la déclaration de guerre contre l'Autriche (30 avril 1866) la Banque nationale et plusieurs banques provinciales furent autorisées à donner cours forcé à leurs billets, ce qui amena progressivement une dépréciation de ces valeurs dont il sera bon de tenir compte pour l'évaluation des revenus budgétaires.
financier de l'ancien régime. Au mois de juin 1871 la capitale du royaume fut. transférée à Rome. `
En résumé, l'impôt foncier perçu en Italie sur les immeubles non bâtis est régi par les textes suivants lois du 14 et du 20 juillet 1864 sur la péréquation, suivies du règlement du 25 mai 1865; loi d'uniScation pour les provinces vénitiennes, du 28 mai 1869; loi du 26 juillet 1868 sur le troisième décime et sur la répartition afférente au com~o (région) Piémont-Ligurie, suivie du décret royal du 16 août 1868; loi du 31 décembre 1870 et le décret royal du 8 janvier i871; lois du 16 juin 1871 sur la péréquation dans la province de Rome, du 30 juin 1872 relatives à l'impôt du Piémont-Ligurie pour les années 1873, 1874 et 1875, du 23 juin 1873 sur la formation des rôles; loi du 1"' juillet 1873 modifiant les art. 77 et 163 de la loi communale et provinciale; enfin loi du 1" mars 1886
Les anciens ca~~gs. La quote-part de chaque contribuable à l'impôt foncier est déterminée au moyen d'un cadastre. Le royaume d'Italie s'étant formé par l'adjonction progressive de différents territoires qui avaient été pendant de longues années sous les régimes les plus divers, son cadastre est, lui aussi, composé de la réunion des cadastres multiples en vigueur dans ces territoires. Cette diversité, on le comprend aisément, n'est pas sans nuire à la bonne répartition de l'impôt et à une juste distribution des charges; aussi l'une des premières préoccupations du législateur a-t-elle été de donner au royaume uniSé un cadastre unique. Mais son œuvre est encore loin d'être accomplie la moitié des terres de la péninsule manque de cartes et d'un relevé géométrique régulier; même après le vote de la loi Magtiam, il doit s'écouler de longues années avant que les opérations de mesurage et d'évaluation qu'elle prescrit puissent être accomplies; il est donc indispensable que nous jetions un rapide coup d'œi! sur les différents cadastres applicables aux neuf compartimenti ou régions que comprend actuellement l'Italie considérée au point de vue financier. Ces neuf régions sont les suivantes 1° Piémont et Ligurie; 2~ Lombardo-Yénétie;3"Parme et Plaisance; 4" ex-duché de Modène; S" Toscane 6° ex-États pontificaux ou romains; 7° provinces napolitaines; 8" Sicile; 9" Sardaigne. Quelques-unes ont un cadastre unique, ce sont Parme et Plaisance, la Sardaigne, la Sicile. Les autres ont plusieurs cadastres correspondant aux divers territoires dont ils sont la réunion. La Lombarde-Vénétie en a trois l'ancien Milanais; celui de Mantoue (ancien ou transformé), et le nouveau cadastre. Modène en a dix. Les provinces napolitaines ont le cadastre romain à Ponte4. Gius. ManteUini Lo Stato e il codice e~e.
corvo et à Bénévent, le cadastre napolitain partout ailleurs. Les exÉtats pontificaux ont le cadastre romain revu dans quelques provinces et non dans d'autres. La Toscane compte quatre cadastres le Toscan continental; les deux cadastres des îles (Elbe et Pianosa, Giglio); celui de Lucques. Le Piémont et la Ligurie en ont quatre le français; !e piémontais ancien avec toutes ses subdivisions; le milanais; le ligurien. Soit vingt-deux cadastres principaux. Notons en outre que le nouveau cadastre de la Lombardo-Vénëtie tendait progressivement à se substituer à ceux de Milan et de Mantoue, et que la loi avait ordonné l'exécution de deux cadastres qui devaient en remplacer plusieurs actuellement en vigueur celui du Piémont (1855) qui s'est arrêté aux premières opérations du relevé, mais dont les cartes pourront être utilisées par les communes, et celui de Modène (1880) qui est en cours d'exécution.
Les différences entre ces nombreux cadastres sont considérables. On peut cependant les ranger en deux grandes catégories cadastres géométriques et cadastres descriptifs.
La première catégorie comprend l'ancien cadastre milanais, celui de Mantoue, le nouveau cadastre lombarde-vénitien, le Toscan continental et les deux cadastres des îles, l'ex-pontifical, le nouveau cadastre de Lucques, ceux de Parme, de Massa, de Sardaigne, ceux d'origine française dans le territoire de Piémont et Ligurie, et en partie les anciens cadastres du Piémont. Les nouveaux cadastres du Piémont et de Modène auraient le même caractère, du moins en ce -qui concerne les cartes déjà dressées un certain nombre de communes ont déjà terminé leurs travaux topographiques.
Tous les autres cadastres sont descriptifs, c'est-à-dire qu'ils n'ont point pour base un relevé géométrique régulier représenté par des plans.
Sur les 8,382 communes dites administratives dont se composait le royaume en 1871, 4,663 possédaient un cadastre géométrique se rapprochant du cadastre français. Sur les 28,374,185 hectares formant la superficie imposable du royaume (chiffre probablement insuffisant donné par l'enquête de 1871), les cadastres géométriques s'appliquaient à 14,710,185 hectares parmi lesquels 2,424,665 hectares formant la superScie de la Sardaigne, dont le cadastre (à l'exemple des cadastres français de 1804 et de 1807 en Piémont) contient un relevé géométrique des grandes masses, mais non des parcelles individuelles .Ë'a?e?Mp<oMs non yMs~eM. Nous avons fait remarquer plus haut que le législateur s'est préoccupé à plusieurs reprises des nombreuses 1. Rapport Minghetti.
exemptions qui diminuent le rendement normal de l'impôt foncier. Les commissaires enquêteurs de 1871, évaluant cette fois à 28,372,225 hectares la superficie cadastrale du royaume, et mettant à part les 3,497,684 hectares de la région Piémont-Ligurie, estiment que, sur les 24,87.4,841 hectares restants, 20,374~275 seulement sont qualifiés de productifs et figurent comme tels au cadastre.. 4,018,494 hectares sont donc considérés comme improductifs ou. stériles, ou encore ont échappé au recensement. Ajoutons à ce dernier chiffre, pour atteindre le total général, 2S3,170 hectares occupés par les eaux et les chemins publics, et 28,602 hectares correspondant au sol des édifices ne servant pas à l'agriculture.
En somme, les terrains dits improductifs, c'est-à-dire épargnés par le cens, formeraient presque un sixième, soit '16 p. 0/0 de la superficie totale, déduction faite des routes et des édifices. Cette proportion, établie sur des chiffres moyens, est considérable; elle s'aggrave encore dans certaines régions si l'on prend les chiffres réels. Elle n'est nulle~ ment en rapport avec la stérilité effective du sol. La cause en est le plus souvent dans la grande diversité des bases choisies et des méthodes employées, et surtout dans l'emploi des cadastres descriptifs où les erreurs sont inévitables. Ainsi, pour le cadastre napolitain, qui rentre dans cette catégorie, si l'on compare la superficie recensée avec la superficie géographique, on trouve une proportion de 29 p. 100 de terres qui ne sont pas rangées au nombre de terres productives, mais qu'il n'a pas paru possible de réunir sous une même rubrique, le fisc ignorant si elles sont vraiment stériles ou si elles ont été simplement omises en fait.
Notons a titre de comparaison que la Toscane, qui a pourtant un cadastre géométrique, accuse une proportion de 27.12 p. 0/0 de terres considérées comme improductives. D'un autre côté, la même enquête nous apprend que les provinces de Catanzaro et de Naples ont fait figurer sur leur cadastre une étendue dite productive qui serait supérieure à la surperncie géographique de leur territoire; en revanche, les provinces de Foggia et de Salerne ne font figurer au cadastre que 40 p. 0/0 de leur territoire.
On pourrait multiplier les exemples, mais ces citations suffisent à montrer combien est défectueuse l'assiette de l'impôt, et combien étaient urgentes les réformes qui viennent d'être adoptées. Le travail de revision devra porter non seulement sur le recensement des fonds et sur l'évaluation de leurs revenus, mais même sur les opérations techniques de topographie. Les cartes actuellement employées remontent aux époques les plus diverses, depuis les cartes du Milanais qui datent de l'an 1723 jusqu'à celles de la Sardaigne exécutées de 1839
à 1850, du Piémont terminées en -1858, et de l'île de Giglio terminées en 1874. En ce qui concerne l'arpentage, ce fait peut n'avoir pas grande importance si les cartes ont été tenues à jour au fur et à mesure des mutations; mais à un autre point de vue, la différence des époques peut avoir une grande influence, nous voulons dire au point de vue de l'état des fonds et des cultures qui sont figurés sur la carte. Le cadastre, en cette matière, est demeuré immuable; les cartes, quelle qu'en soit l'ancienneté, représentent toujours les terrains dans l'état où ils étaient lors du relevé primitif. Cet inconvénient est d'ailleurs inhérent à l'idée de la stabilité du cadastre, tant qu'il n'a pas été procédé à une revision générale.
Nous n'insisterons pas sur les diversités considérables entre les échelles et entre les procédés géométriques employés pour la confection des cartes, mais nous ferons remarquer qu'au point de vue même de leur exactitude technique, leur valeur varie considérablement d'un territoire à l'autre. Les cartes sont généralement parcellaires,. c'est-àdire que les parcelles de terre ou de culture sont figurées d'une façon distincte, et que leur forme et leur étendue sont relevées par des procédés géométriques. Mais dans les cartes sardes, les parcelles ont été simplement relevées de visu et leur étendue calculée approximativement, ce qui enlève à la carte toute valeur technique pour ne lui laisser que celle d'un vague croquis.
La même diversité se retrouve dans les méthodes employées pour la détermination de la valeur des fonds. On peut en distinguer trois principales. On a procédé tantôt par voie de tarifs généraux par qualités et par classes, tantôt par l'évaluation directe des parcelles individuelles. Dans d'autres régions on s'est contenté des déclarations des possesseurs, sauf à les faire contrôler par des commissions spéciales ou par des experts. Les deux premières catégories pourraient encore se subdiviser à raison des bases d'évaluation qui ont été choisies, prix de location et d'achat, valeur locative et vénale, analyse par voie d'experts des produits des fonds; ou bien encore selon que l'évaluation s'est faite par masses de cultures et de propriétés ou par parcelles individuelles ou enfin suivant que l'évaluation a porté sur la valeur du sol en capital ou sur le revenu présumé ou réel qu'il est susceptible de produire.
Comme complément à ces observations critiques, nous donnerons dans deux tableaux empruntés aux statistiques officielles du ministère des finances un état comparé des cotes indûment imposées et des cotes irrécouvrables, s'étendant de l'année 1877 à l'année 1883 inclusivement.
Cotes indûment imposées
IMPOT FOKCtEU SOR LES IMMEUBLES NON BATIS AtTEMKT AUX ANNÉES
REOIOM
CAPMITRALES 1877 Total des
CAPMTHA~ ~g~ ,g~
dt années 1878. 1879. 1880. 1881. 1882. 1883. 1!çnidéca
Mt~tet- en MS9 (9).
rMJt).
1. e. 1. c. 1. c. 1. c. 1. c. 1, c. 1. c.
~b~o-Venctie. '355~ ''6~ 'li5M '21~0 ~66~ 2~9~ 7'6KM H.620t7 Modene. S.489 35~ » 8141 M98i S8167 1,89! 08 45091 :,6~:t i Naples 6,99141 5,42067 9,4922: 9.64215 80,31766 39,6936637.72104119,17781 P~rme. » 5 15 70443 9,36715 9S31 10,16903 Piémont. 46872 30101 490 S9 67343 1,79816 3,0546311,1576417,94408 Territ.ir.p.nHM. 143 133 S 356 Ot 39681 47838 8&776~t993 4,44353 Sardaipie. 3:,590 87 19,040 90 S.S12 39 44,923 6S 100,291 35 60.006 97 3.843 93 883,510 08 Sicite.l0.6G660 3,13685 4,319 M 4,66412 7,33749 19,3t5 Si 19,50185 68,87:12 Toscans. · S0706 92 14 11540 10755 17651 3,0t067 74875 4,45308 Total général. 51,36650 S8,~ 33 37,843 38 60,73610 133,19178 139.1M05 83.3S363 533,87367 (1) Total des cotes afférentes à l'année 1877 et à plusieurs années antérieures, dont la Uqmdatiot
a eu lieu en 1883.
(3) Années 1877 à 18S3, dont la liquidation a eu lieu en 1883.
Cotes irrécouvrables
IMP&T FONCIER SUR LES IMMEUBLES NON BATIS AFFERENT AUX ANNÉES
REGIONS CADA.TBALE. ~g,_ j~ isSg. arnêriea- eni883.
rMfii.
ru~e~u~r ®r a~ir ~.r~ ~r ® rr rrri~
im~I~I" C, Modcn. » » ~S4 2585 S46! 560 81S3 Nap!M. 12,99812 36 .!6 53 5S 31179 1,~552 1,57385 390516,73837 P.rm6. n 32385 3,47459 3,79344 Piémont. n » Territoire p~.B..). » 154 1M Sardaipie. 48,072 62 » 4S,072C2 Sicile. 1,17237 n 327 228 » 1.1768! TosMM. lOSI 123t 33S 8653 Total générât. 63,243 Ci 36i6 100 03 35152 1,76478 l,9t976 3,5t36t 69,929 SO
I. c.
Les cotes indûment imposées se montaient en 1883 à 522,872 67 et en 1882 à. §7~307 73 soit, pour l'année 1883, une diminution de. 48,635 06 Les cotes irrécouvrables s'élevaient en 1883 à. 6992920 et en 1882 à. s 39805
Cette augmentation considérable dans le montant des cotes irrécouvrables vient de ce qu'en 1883 on a régularisé divers comptes afférents des exercices antérieurs même à 1877, qui viennent apporter dans cette somme de 69,9291.20 cent. un contingent qui n'est pas inférieur à 22,243 I.01 cent.
Expropriation des petits propriétaires insolvables. H est facile de voir, par les chiffres qui précèdent, que la mauvaise répartition de l'impôt tend d'une façon lente, mais certaine, à ruiner les petits propriétaires. L'Italie est, de tous les pays, celui qui paye le plus fort contingent d'impôt foncier, proportionnellement à l'état de culture du sol; en présence du nombre toujours croissant des débiteurs insolvables, il a fallu prendre des mesures de recouvrement d'une rigueur exceptionnelle.
Une loi du 20 avril 1871 a autorisé l'État à s'approprier les immeubles dont les propriétaires ne peuvent payer les taxes auxquelles ils sont assujettis. Pendant les six premières années d'application de cette loi, l'État a acquis de la sorte 11.791 petites propriétés d'une valeur de 1,424,082 lire sur lesquelles 459 seulement, évaluées 173,611 lire, ont pu être rachetées par les propriétaires dépossédés ou par leurs créanciers.
On comptait, en outre, à la fin de 1876, 6,614 immeubles, valant 926,774 lire, qui, saisis pour cause d'insolvabilité vis-à-vis du fisc, n'attendaient, pour passer au domaine public, que l'accomplissement de certaines procédures. En 1877, de nouvelles saisies ont été faites, au nombre de 6,644 pour une valeur de 662,772 lire.
C'est principalement en Sicile, en Sardaigne et dans le sud de la péninsule que se trouvent les parcelles confisquées. Sur les 6,644 saisies de 1877, 5,370 atteignent des biens situés dans les provinces de Cagliari, Girgenti, Palerme et Sassari.
On avait pensé que la v&nte des biens ecclésiastiques rendrait à la petite propriété ce que lui fait perdre, en vertu de la loi de 1871, la disproportion existant souvent entre les charges et les ressources. Mais il a été reconnu que ces aliénations elles-mêmes n'avaient guère profité qu'à la grande propriété. H faut espérer que l'enquête agricole qui se poursuit depuis plusieurs années déjà en Italie jettera quelque
lumière sur cette situation et permettra d'y trouver un remède. La prise de possession de ces propriétés minuscules et leur administration sont, d'une part, une solution économique détestable, et, d'autre part elle entraîne pour le Domaine des charges et des frais hors de proportion avec la somme à recouvrer. Aussi, en 1878, M. Seismit-Doda avait-il présenté un projet de loi relatif aux cotes minimes et tendant à exempter celles de 21. 43 cent. pour l'impôt foncier sur les constructions et de 1 1. 50 cent. pour l'impôt sur les terres. M. Magliani, en présentant de nouveau le projet, a fixé à 3 1. 35 cent. et 2 lire les cotes minimes pour le recouvrement desquelles le receveur des impôts ne pourra plus procéder à l'exécution immobilière. D'après le projet ministériel, 1,499,696 propriétaires de terrains et 649,949 propriétaires de constructions, qui ensemble ne payent pas même 2 millions 1/2 d'impôts, échapperont au péril de voir leurs biens connsqués. Tout le montant de ces cotes minimes ne sera pas perdu pour le Trésor, car le percepteur conserve son action vis-à-vis du contribuable par l'exécution mobilière.
Pour terminer ce chapitre, nous donnons ci-dessous, d'après les statistiques officielles pour 1883, divers renseignements sur le rendement de l'impôt et sur son assiette.
Le nombre des articles du rôle s'est élevé à S,3a3,903 pour l'ensemble des neuf régions, Parme ayant le chiffre le plus faible (86.62S) et Naples le plus fort (1,442,938). L'impôt perçu au profit de l'État s'élève à 125,596,288 1. 63 cent. (dont 2.96 millions pour Parme et 32.84 millions pour Naples), qui se décomposent comme suit
I. c.
Principal. 96,331,80386Trois décimes. 88,898,76768 Rcimposition. 381,94955 Frais d'expertise et divers. 14,06'? 84 Total. 128,896,28863
Les surtaxes sont au nombre de deux
Surtaxe provinciale 81,821,078 63 Surtaxe communale. 78,329,70711 Total. 126,850,782 74 4
Le total général ou la somme des charges supportées par la propriété non bâtie ressort donc à 252,447,0711. 37 cent.
Les surtaxes sont très inégalement réparties ;à Rome, elles atteignent82 p. 0/0 de l'impôt de l'État, 100 p. 0/0 en Lombardie, 103 jp. 0/0 dans le Napolitain, 117 p. 0/0 à Parme, 137 p. 0/0 en Toscane et enfin 147
p. 0/0 dans les Romagnes. Comme dans beaucoup de pays, les surtaxes locales en Italie tendent à s'accroître chaque année dans une proportion beaucoup plus considérable que l'impôt perçu au profit de l'État. Si nous considérons les deux années extrêmes de la période décennale 1871-188 1, nous trouvons les chiffres suivants SURTAXES
IMPÔT DE L'ÉTAT. provinciales communales TOTAL.
millions de lire.
1871 126.9 33.6 44.9 205.4 4 d881 126.4 50.2 76.1 252.7 Le tableau suivant indique le revenu moyen et l'impôt moyen payé par hectare, ainsi que la proportion de l'impôt perçu par 100 lire de revenu cadastral. On remarquera que la région Piémont-Ligurie n'y figure pas elle possède en effet des cadastres tellement différents que la comparaison par la réduction à une unité commune est chose impossible.
REVENU MOYEN IMP&T MOYEN IMPÙT
RÉGIONS CADASTRALES PAR PAR PAR 100 LIRE HECTARE HECTARE DE REVENU
'.C. Le.
Sardatgne. 735 igg 1373 Modène. 8 05 6 38 79 29 AnciensEtatspontiScaux. 854 425 49 80 Toscane. 12 98 316 24 39 Napolitain. 15 86 4 14 26 12 Lombardo-Vénétie~ ancien recensement. 15 98 16 90 [ 44 27 nouveau recensement. 16 99 99 529 )
Sicile. 18 71 320 17 12 Parme. 21 40 541 25 26 MOYENNE. 1399 435 31 11
1. Sachs, loc. cit.
II
Mt DE 1886
Historique. Dès 1861, le législateur, frappé des imperfections que nous venons de signaler, s'est préoccupé de leur porter remède et a. discuté un certain nombre de projets de loi tendant à assurer une répartition plus équitable de l'impôt foncier. L'enquête de 1861 aboutit, nous l'avons vu, à la loi du H juillet 1864 que ses'auteurs eux-mêmes qualifièrent de loi du nivellement provisoire de l'impôt. Cette loi spécifiait dans son dernier article (art. H) que ses dispositions n'auraient d'effet que pour 1865, 1866 et 1867, et qu'au mois de février de cette dernière année, au plus tard, le ministre des finances présenterait au Parlement un nouveau projet de péréquation de l'impôt foncier entre les provinces du royaume.
H serait hors de propos d'exposer ici les causes pour lesquelles cette prescription était jusqu'à présent restée inexécutee. Il suffira de rappeler que ce ne sont ni les études ni les propositions qui ont manqué; de 1869 à 1882, cinq projets de loi ont été présentés au Parlement après avoir été élaborés par des commissions composées des hommes les plus compétents et les plus autorisés.
Le premier de ces projets est celui de M. Cambray-Digny, qui, pour atteindre l'unification de l'impôt foncier, proposait un système uniforme de cadastre; les administrations provinciales ou'communales devaient se charger des diverses'opérations-graphiques; pour la partie estimative, les terrains de chaque commune auraient été divisés en différentes classes, et des commissions-auraient nxé le revenu de l'hectare pour chaque espèce de culture ~t pour chaque classe; enfin les tarifs auraient été réglés par des commissions provinciales et revisés par une commission centrale. M. Cambray-Digny estimait qu'un délai de quatre ans serait suffisant pour mener à bonne fin cette série d'opérations. En '1874 et 1875, M. Minghetti présenta divers projets qui durent bientôt être abandonnés, le déficit toujours croissant et l'augmentation de la circulation fiduciaire à cours forcé suffisant amplement a. absorber les esprits. En 1877, M. Depretis soumit à la Chambre des projets de loi relatifs aux deux branches de l'impôt foncier la péréquation de l'impôt sur les terres devant s'obtenir au moyen de nouveaux cadastres parcellaires.
Enfin M. Magliani, ministre des finances, déposa une première fois le 28 avril 1882, son projet de loi sur le bureau de la Chambre; diverses circonstances l'ayant amené à le retirer, il le déposa une seconde fois le 21 décembre.
Le rapport définitif de la Commission parlementaire est dû à deux hommes éminents, MM. MessadagMa et Minghetti. Le premier, ayant résigné son mandat, consentit cependant à terminer la première partie du rapport dont il avait été chargé et confia à M. Minghetti, devenu rapporteur unique, le soin de le présenter à la Chambre. De longues discussions se produisirent dans l'enceinte de MonteCitorio. Cette loi provoquait une double opposition elle lésait les intérêts de certaines provinces privilégiées qui se voyaient avec peine ramenées au droit commun, et elle offrait un terrain de ralliement aux adversaires du gouvernement groupés sous les ordres des pentarques. L'opposition pentarchique proprement dite ne s'était pas fait scrupule d'exploiter le particularisme et l'égoïsme régional pour battre en brèche le cabinet. On avaitpu craindre, à un certain moment, que l'attitude d'une fraction de la droite ne vînt faciliter le succès de cette coalition d'intérêts et d'ambitions. Mais on comptait sans l'influence personnelle, encore sans rivale, du président du conseil, M. Depretis, secondé par M. Magliani. Le 5 février 1886, le projet fut voté par la Chambre à une forte majorité. Trois jours après, le gouvernement en saisissait le Sénat avec un exposé de motifs qui a le mérite de résumer d'une manière substantielle et concluante toutes les considérations invoquées à l'appui de la réforme. Sanctionnée par la haute assemblée, la loi fut promulguée le 1°'' mars 1886.
Les divers projets de loi dont il vient d'être question avaient avec la loi votée cette année ces deux points de communs, d'abord qu'ils tendaient à réformer l'impôt foncier et à établir la péréquation au moyen d'un cadastre géométrique parcellaire, et ensuite qu'ils excluaient toute aggravation d'impôt. Mais ils différaient par les modes d'exécution proposés. Le projet de 1869 partait de la commune et l'obligeait, si elle n'avait pas de plan, à en faire dresser un à ses frais et à procéder à l'évaluation. Puis, par le rapprochement des tarifs, on passait de la commune à la province, de celle-ci à la région et enfin à l'État qui conservait sur les opérations un droit de surveillance générale. Le pouvoir exécutif était chargé de régler tous les détails des travaux, à cette seule condition que l'évaluation fût faite par classes et par tarifs. La péréquation devait provisoirement se faire dans chaque région pour être étendue plus tard et d'une façon définitive au royaume tout entier. Le projet de 1874 prescrivait la même marche et répartissait par avance les frais entre la commune, A. TOME II. 9
la province et l'État. Au contraire, le projet de 1883, devenu loi de 1886, part directement de l'État et procède, pour ainsi dire, d'un seul coup, à la péréquation générale entre les différents contribuables. L'État lui-même fait exécuter un cadastre unique et ne s'adresse aux communes et aux provinces que pour réclamer leur collaboration. La réforme porte uniquement sur l'impôt foncier au sens propre du mot, c'est-à-dire sur l'impôt qui frappe les terrains et leurs annexes, abstraction faite des immeubles bâtis; ces derniers sont taxes en vertu de la loi du 26 janvier 1865, à laquelle aucun des projets n'a. eu la volonté de déroger. Ces deux impôts, par la nature même des objets auxquels ils s'appliquent, ont des qualités et des caractères absolument distincts qui ont conduit le législateur à ne point les confondre. L'impôt sur les terrains doit avoir dans son assiette un degré de stabilité relative que l'on ne pourrait exiger de la taxe sur les maisons.
Pourtant il est deux cas dans lesquels la loi de 1886 a dû s'occuper indirectement de ce dernier impôt. II est, d'une part, indispensable de · marquer sur le plan les périmètres de tous les édifices au même titre que ceux des terrains exemptés. D'autre part, l'art. 15 a compris dans le cadastre les constructions rurales avec leurs annexes lorsqu'elles appartiennent au propriétaire des terrains au service desquels elles sont affectées. Lesdits bâtiments et la superficie qu'ils occupent seront exempts de l'impôt.
Le nouveau cadastre et la p~Ms~om. L'article premier de la loi est ainsi conçu Il sera pourvu dans tout le royaume, par les soins de l'État, à la formation, suivant une méthode uniforme, d'un cadastre géométrique parcellaire basé sur l'arpentage et l'évaluation; ce cadastre aura pour but i° de constater les propriétés immobilières et d'en enregistrer les mutations 2" de faire la péréquation de l'impôt foncier.
Le cadastre a donc un double but but civil d'une part, but financier de l'autre. Le ministre, sans négliger le premier, donnait une plus grande importance au second. La commission, tout en conservant au second la valeur qu'il mérite, en assignait une plus grande encore au premier; elte souhaitait que le Parlement, apportant quelques modifications au code civil, attribuât au cadastre la valeur d'une preuve ou du moins d'une présomption légale. Ce système, que les cadastres descriptifs rendent absolument impraticable, jouit dans d'autres pays d'une grande faveur; il tend à assurer la possession, à éviter d'incessants litiges, à faciliter les mutations de propriété et surtout à augmenter le crédit foncier et agraire.
Le législateur ayant adopté cette manière de voir, l'exécution du
cadastre géométrique et parcellaire devra se faire avec plus de précautions que n'en édictait le projet ministériel; elle nécessitera quelques opérations préliminaires comme la délimitation contradictoire entre possesseurs limitrophes et le bornage de leurs fonds; la procédure des réclamations et des jugements définitifs a dû être entourée de garanties efficaces. Ces points ont été réglés par les articles suivants Art. 5. On reconnaîtra d'abord les limites du territoire communal. Art. 6. La délimitation et l'abornement des propriétés comprises dans l'intérieur des communes se feront sous la direction d'un expert délégué par la commission communale du cens et sous la surveillance de cette commission, contradictoirement avec tes différents possesseurs, qui pourront se faire représenter par simple déclaration légalisée par le maire; leur absence n'interrompra pas le cours des opérations. Les difËcuItés qui s'élèveront relativement aux démarcations seront tranchées à l'amiable par la commission, ou jugées par des arbitres nommés par les parties; ou bien la commission pourra s'en tenir à l'état de fait, pour les effets du levé; sans préjudice de tel recours que de droit. Les limites définitives seront reportées sur la carte, et de toutes les opérations intervenues ainsi que des déclarations des possesseurs il sera dressé un procès-verbal en double exemplaire, dont l'un sera conservé par la commune et l'autre par l'administration du cadastre.
Art. 7. Les fonds seront immatriculés sous le nom des possesseurs que l'acte du levé aura désignés. Ceux qui font l'objet d'un débat seront attribués au possesseur de fait, mais une annotation spéciale fera toutes réserves quant au droit. Les biens dont les possesseurs ne pourront être connus seront provisoirement immatriculés parmi les dépendances du domaine de l'État.
Art. 8. Une loi spéciale déterminera les effets juridiques du cadastre et les réformes à apporter dans ce but à la législation civile. Le gouvernement devra présenter, dans le délai de deux ans à dater de la promulgation de la présente loi, le projet de 'loi relatif à cet objet. On l'a vu, toute une série d'opérations doit être conduite par les particuliers et les communes pour la délimitation de leurs biens, tout un personnel spécial devra être formé pour procéder aux expertises et aux opérations techniques. Aussi est-ce avec raison que le délai de dix ans fixé par le ministre dans l'art. 16 du projet pour l'achèvement des travaux a été porté au double par le législateur.
Mais, objectait-on, c'est tenir pendant vingt ans dans l'incertitude le pays tout entier, et en particulier les provinces où l'agriculture réalise d'incessants progrès. Qui osera entreprendre des améliorations dans cet état de doute? qui osera acheter des terrains sans savoir à
l'avance Ce qu'ils supporteront d'impôt? La réponse du législateur est dans l'article 12, aux termes duquel il ne sera tenu aucun compte des plus-values résultant d'améliorations que le propriétaire prouvera avoir faites postérieurement à la promulgation de la présente loi. L'importanc.e de cette disposition est évidente; l'agriculteur, loin de se sentir découragé, sera porté à faire toutes les améliorations, étales faire au plus tôt, puisque si les opérations du cadastre doivent durer vingt ans, si en outre (art. 36) la revision générale du cadastre ne pourra se .faire que trente ans après sa mise à exécution, il est assuré de jouir pendant un demi-siècle des nouveaux fruits de son intelligence et de son travail,.sans que l'État vienne les frapper d'aucun impôt. Cependant, en admettant que le contingent total de l'impôt reste le même, les dégrèvements qu'obtiendront certaines régions cadastrales ne viendront-ils point se reverser sur les autres, ce qui tiendra toute une catégorie de propriétaires sous la menace d'être surchargés par cette péréquation? Ce danger a été écarté par deux importantes dispositions de la loi nouvelle. L'art. 45 décide que pendant la période de vingt ans qui est considérée comme nécessaire à l'achèvement des opérations, et qui courra à partir de la promulgation, de la loi, le principal de l'impôt foncier ne pourra être augmenté. En second lieu, le délai une fois écoulé, on prendra pour base de la future répartition la quote-part régionale la plus faible. Ce dernier point demande quelques explications.
Pendant vingt ans, avons-nous dit, les contingents régionaux doivent rester 6xés au taux actuel et leur répartition demeurer invariable. Le nouveau cadastre prescrira des méthodes uniformes pour déterminer la valeur de chaque parcelle de terre par qualités et par classes; une simple opération d'arithmétique permettra donc de reconnaître la valeur des fonds de chaque propriétaire ou plutôt son revenu im posable, lequel sera égalé proportionnellement à celui de tous les autres propriétaires. Le cadastre une fois achevé, on ne comprend plus l'idée de contingent, mais celle d'une quote-part unique qui frappera également tous les revenus.
Admettons que le revenu de toutes les terres, en Italie, s'élève à 1 milliard, et que la somme d'impôt nécessaire aux besoins du Trésor soit de iOO millions; la quote-part sera de 10 p. 0/0 du revenu imposable de chaque parcelle estimé au cadastre. Le contingent régional n'aura plus de raison d'être et disparaîtra entièrement; il pourra rester un contingent communal ou provincial, mais non plus en tant que somme à répartir: ce sera le total des quotes-parts individuelles afférentes aux propriétaires de cette commune ou de cette province. Ce travail une fois accompli, si nous additionnons toutes les quotes-
parts individuelles d'une même région, nous aurons le contingent régional, au nouveau sens du mot; en le comparant à l'ancien, il sera aisé de voir si le cadastre a eu pour résultat de surcharger ou de dégrever chacune des régions. Or, cette enquête doit forcément être favorable au nouveau système et apporter aux cultivateurs une entière sécurité. Prenant pour point de départ le chiffre de 1 milliard, qu'elle considère comme la somme des revenus fonciers constatés au cadastre, la commission Minghetti a déterminé le revenu de chaque région cadastrale actuelle et l'a comparé avec le contingent qu'elle paye. Le rapport obtenu s'est trouvé être ici de '12, ta de 10, plus loin de 9. C'est ce dernier, le plus faible, qu'elle choisissait, et dont elle voulait faire application à tout le royaume un simple décret royal aurait pris les mesures nécessaires et prescrit les détails d'exécution. Le législateur a été plus loin dans son article 46, il a fixé au taux de 7 p. 0/0 du revenu imposable la contribution totale du royaume. Si la contribution ainsi calculée dépasse 100 millions, le taux en sera proportionnellement réduit. Il sera pourvu par une loi à l'application des nouvelles évaluations. Le bénéfice de l'application du taux de 7 p. 0/0 pourra même être plus rapidement acquis aux provinces qui, en faisant l'avance de la moitié de la dépense, demanderont que les travaux soient activés dans leurs territoires respectifs et que le cadastre soit mis en vigueur dès qu'il sera terminé.
On le voit, ces propositions sont séduisantes; toutes les régions seront dégrevées, y compris celle qui payait le contingent le plus faible. Reste à savoir si le Trésor sera assez riche pour ratifier des promesses aussi libérales.
Qu'on le remarque bien nous parlons des régions, et non de tels fonds pris individuellement; le cadastre apportera nécessairement des modifications à l'impôt qui les grève, puisque le but de la péréquation est précisément de proportionner la charge au revenu qu'on aura évalué avec une plus grande exactitude. Mais chaque.possesseur sentira que s'il paye davantage c'est parce que son voisin dans la même commune, dans la même province, est dégrevé; on a espéré qu'une facile comparaison lui fera sentir la justice de ce changement, et que tout soupçon, toute défiance, toute animosité locale disparaîtront. Cependant la commission a dû prévoir le cas fâcheux, mais nullement improbable, où l'adoption de son système donnerait une somme notablement inférieure à celle qu'il faut au Trésor. Le gouvernement devrait alors présenter au Parlement un projet de loi pour relever les tarifs. Elle estimait toutefois qu'il n'y aurait pas lieu de recourir à cet expédient; le vœu du pays est de voir alléger les charges qui pèsent sur l'agriculture le Trésor saura se contenter du rendement normal de
l'impôt foncier. En fait, la loi de 1886 ne contient aucune disposition sur ce point.
Voilà qui est fait certainement pour rassurer ceux qui craignaient d'être surchargés outre mesure; mais n'est-il pas juste d'écouter aussi les plaintes des propriétaires qui ont droit à un dégrèvement, et qui, trouvant déjà fort long le délai de dix ans proposé par le ministre, s'insurgent contre les vingt ans de la loi Magliani? n est certain qu'en présence de la crise que traverse l'agriculture et des conclusions de la récente enquête, il est impossible d'ajourner les réformes promises jusqu'à l'achèvement des opérations cadastrales. On s'est posé la question de savoir si le dégrèvement devait être général et uniforme pour tous ou bien s'il ne devait bénéficier qu'aux propriétaires dont la charge était la plus lourde. Ce dernier parti semblait le plus raisonnable et le moins onéreux pour le Trésor. On aurait pu reviser la péréquation provisoire de la loi de 1864, et, prenant pour unité l'arrondissement, dégrever ceux d'entre eux qui portaient ie poids le plus lourd le Trésor se serait récupéré au moyen de la plus-value provenant des fonds indûment omis à l'impôt foncier. Mais cette plus-value, personne ne la connaît; les appréciations varient de la somme de 5 millions à celle de 1S millions; d'autre part, l'exécution d'une semblable péréquation provisoire aurait offert de grandes difficultés pratiques, car les fonds ont pu changer de valeur depuis 1864; enfin, on a craint que ce provisoire ne devînt définitif et n'entravât l'exécution du cadastre. Bref, on se décida à un dégrèvement général et uniforme, dont l'application serait graduée de façon à ne pas mettre en péril l'équilibre du budget.
L'objectif de la commission était de supprimer les 3 décimes de guerre, dont chacun représente un total d'environ 9 millions et demi. La disparition du premier devait laisser un vide que le rendement des fonds indûment omis viendrait combler sans peine; un délai de cinq ans au moins serait nécessaire pour constater l'existence de ces fonds et pour les soumettre légalement à la taxe. Le second décime pourrait disparaître au bout de dix ans, et le troisième cinq ans plus tard. L'État pourvoirait facilement à ces découverts en économisant, dans les années comprises entre la cinquième et la quinzième, une somme annuelle de 1,200,000 lire, ce qui ne semble pas impossible à réaliser avec un budget qui se monte au chiffre de i,400 millions; cette économie serait d'ailleurs facilitée par la plus-value constatée chaque année dans le rendement des autres impôts.
Cette fois encore, les Chambres se sont montrées plus libérales que la commission. L'art. 49 dispose que le premier décime de guerre ajouté au principal de l'impôt foncier est aboli à partir du fer jan-
vier 1886. Le second décime cessera d'être perçu à dater du 1e-' juillet 1887; le troisième à dater du ~juillet 1888.
Mais l'engagement que prend l'État de ne pas augmenter les taxes générales ne saurait suffire au contribuable, qui reste encore exposé aux taxes locales, lesquelles, on le sait, tendent, dans tous les pays, à égaler et même à dépasser sensiblement le principal de l'impôt. L'art. 50, pour empêcher les pouvoirs locaux de s'attribuer le bénéfice des nouveaux dégrèvements, limite au maximum de 100 le nombre des centimes additionnels à l'impôt perçu par le Trésor sur les bâtiments et les terrains, que les provinces et les communes pourront établir en vertu de la loi du 20 mars 1865. Les communes et les provinces qui ont déjà établi un nombre de centimes additionnels dépassant cette limite, devront s'arrêter au maximum de fait qu'elles ont atteint dans les trois années 1884,1885, 1886.
Revision des <ar! publication du cadastre; recours des particuliers 1. Les travaux d'arpentage et de classement une fois terminés, les opérations matérielles relatives au cadastre ont atteint leur but, mais il serait prématuré de les considérer comme définitives. Il faut encore les soumettre à une revision, à une rectification, qui est la partie la plus délicate de la procédure cadastrale. Le législateur a cru devoir, sur ce point, suppléer aux insuffisances du projet ministériel et ne point laisser à un règlement d'administration publique le soin de régler des questions d'une importance aussi grande.
Les recours peuvent être de deux espèces, suivant la nature des opérations auxquelles ils se rapportent recours généraux ou publics d'une part, recours particuliers ou privés d'autre part. Les recours généraux concernent les tarifs et sont, d'ordinaire, exclusivement réservés aux assemblées représentatives locales les recours particuliers se rapportent au classement ou à l'arpentage et émanent des possesseurs individuels, dont ils sauvegardent l'intérêt spécial. L'ordre dans lequel ces recours doivent être présentés varie avec les différents pays; ainsi en Lombardo-Vénétie les recours se produisent successivement en commençant par ceux qui ont rapport aux tarifs, mais on ne tranche les questions de qualification et de classification qu'après le jugement des recours privés, et la décision finale d'évaluation est unique. En Autriche, dans le nouveau cadastre, le tarif ne devient définitif qu'après le jugement des recours privés; ce qui a sa raison d'être, car les réclamations des particuliers peuvent conduire à la rectification du tarif proprement dit et surtout de la classification. Mais ce système a l'inconvénient d'encourager les particuliers 1. Rapport Minghetti.
à multiplier les recours en vue d'exercer une pression sur les pouvoirs publics. Aussi la loi de i886 a.t-elle jugé bon de séparer ces deux ordres de réclamations et de les rendre indépendants l'un de l'autre; le tarif doit être devenu déSnjtif avant que les plaintes des particuliers puissent être écoutées de la sorte, tout empiètement, toute confusion sera évitée (art. 29 § 3).
La formation des tarifs est confiée à desj'Mnfes techniques, sous la surveillance du bureau central du cadastre; ces assemblées devant comprendre des éléments locaux élus, il faut s'attendre à des divergences et à des inégalités plus ou moins grandes dans les tarifs qu'elles auront préparés. D'où un premier travail de péréquation à accomplir dans le sein de ces mêmes assemblées.
L'approbation définitive des tarifs est réservée à la commission centrale du cadastre, qui joue le rôle d'un véritable tribunal en ce qui concerne les questions d'évaluation, et qui, par sa composition même, a un caractère judiciaire (art. 33).
A leur tour, les commissions communales et provinciales de cens auront un droit d'examen et de recours qui aboutira, surtout de la part des secondes, à une véritable revision.
En résumé, les tarifs préparés par les juntes techniques seront revisés et définitivement approuvés par les commissions instituées aceteffet~ en suivant l'ordre hiérarchique de leur compétence; elles devront toujours prendre l'avis des juntes techniques intéressées, et, s'il y a lieu, de la commission centrale du cadastre, qui a précisément pour but d'apporter à ces travaux une direction d'ensemble.
La procédure de cette revision sera divisée en deux périodes la première aura surtout pour but l'unification des tarifs à l'intérieur d'une même commune ou entre communes d'une même province; la seconde comprendra la péréquation entre les diverses provinces. La commission centrale prononcera en dernier ressort. C'est elle qui devra recueillir les réclamations partielles et les propositions motivées qui émaneront d'abord des commissions communales, puis des commissions provinciales et ayant trait aux tarifs intérieurs de chaque province; c'est elle qui publiera ultérieurement les tarifs pour l'ensemble de chaque province; qui recevra à. ce sujet les réclamations des commissions et qui prononcera enfin en dernier ressort. Il: a semble aux Chambres que, cette procédure une fois accomplie, toute nouvelle réclamation des assemblées locales contre les tarifs cesse d'être recevable. Le principe contraire est admis dans les. cadastres austro-hon.grois et prussien. En Autriche, peuvent réclamer contre le tarif les particuliers qui payent au moins un sixième de la contribution totale de la commune. En Italie, nous l'avons vu, le recours ne peut être-
exercé que par les assemblées locales chargées de représenter les intérêts privés.
Voilà donc les tarifs unifiés; les recours qui pouvaient se produire à leur sujet ont été jugés; il faut maintenant veiller à ce que chaque possesseur, chaque parcelle occupe bien sur le cadastre la place qui lui convient, et, pour cela, il faut que chaque particulier soit admis à formuler ses observations. Ceci suppose, outre la publication générale des tarifs, une publication préalable du cadastre qui doit se faire dans chaque commune. Ce « cadastre de publication a, comme on l'appelle en Lombardie, comprend les plans, les résultats de l'arpentage et de l'application des natures de culture et des classes aux diverses parcelles du terrain. Les plans sont déposés à la mairie et peuvent être consultés par tout intéressé. Sont recevables les recours des particuliers, ceux des juntes communales ou de toute autre personne morale ayant un intérêt.
Les recours peuvent porter 10 sur les mentions cadastrales tendant à attribuer les différentes parcelles à leurs possesseurs respectifs; 2" sur l'arpentage et le plan, c'est-à-dire la délimitation, la forme et la superficie des parcelles; 3° sur le classement, c'est-à-dire la nature de culture et la classe des biens.
Quelques observations sur ce dernier point.
La classification, nous le savons, a pour résultat de former le tableau général des fonds d'une même commune; ce tableau doit rester invariable, les propriétaires particuliers n'y peuvent rien changer; mais ils peuvent prétendre que la place qu'on leur assigne dans ce tableau n'est pas celle à laquelle ils ont droit; que, par exemple, leur fonds qu'on a classé comme prairie irriguée est une prairie sèche, et qu'il y a lieu de la ranger dans la seconde classe et non dans la première. A l'appui de ce recours on peut présenter des raisons péremptoires, absolues l'injustice alléguée peut être aussi simplement relative, par comparaison avec le classement d'autres fonds de même nature c'est sur cette dernière base que se forment la plus grande partie des recours. Il peut arriver que l'ensemble des recours amène à reconnaître des erreurs générales et pour ainsi dire systématiques portant sur des régions entières au point de vicier la base de la classification. Ces recours devront être présentés aux commissions communales compétentes qui les transmettront, avec leur avis, à la commission provinciale celle-ci commettra un expert délégué par l'administration du cadastre, et, sur son rapport, rendra une décision définitive. Ces garanties semblent suffisantes sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir la commission centrale, dont le concours ne servirait qu'à retarder l'expédition de ces affaires. Le recours à cette commission ne sera admis
que dans les cas de violation de la'loi ou pour les questions de principe il sera ouvert à la minorité de la commission provinciale ou encore à l'administration du cadastre si elle reconnaît inexactes les bases prises comme point de départ du classement dans les diverses communes.
Les délais et les modes de publication du cadastre, ainsi que la procédure spéciale des recours, seront déterminés par un règlement d'administration publique.
L'art. 31 décide qu'aucun recours judiciaire ne sera admis contre les décisions des commissions spéciales (commissioni censuarie) dont il vient d'être parlé. La formation du cadastre est une opération essentiellement administrative; cet instrument financier ne confère aucun droit acquis avant le jour où commence sa mise en œuvre. Ces opérations sont, dans une certaine mesure, arbitraires ou discrétionnaires et incompatibles avec la rigueur des règles judiciaires. Aussi est-ce avec raison qu'on a choisi les commissions spéciales pour être les juges exceptionnels, les « prud'hommes M de l'évaluation; seules elles peuvent offrir aux particuliers des garanties d'équité et de réelle compétence.
Le projet de 1874 admettait en dernier ressort les provinces et les communes à recourir de la commission centrale au conseil d'Etat; mais la loi de 1886 n'a pas reproduit cette disposition, parce que la commission centrale se compose d'éléments pris dans cette haute assemblée et dans les premiers corps de l'Etat.
Il reste bien entendu que la compétence des tribunaux demeure entière en matière de propriété ou de possession des différentes parcelles inscrites au cadastre, suivant les règles du droit commun. L'autorité judiciaire sera également compétente pour sanctionner les dispositions de l'art. 32 qui permet aux agents du cadastre d'accéder aux fonds particuliers et punit d'une amende la résistance des possesseurs. Quel sera, au moment de l'application du nouveau cadastre, le nombre de ces recours dont nous venons d'étudier la procédure? Nous ne pouvons, sur ce point, donner que des présomptions basées sur l'analogie. Les nouvelles statistiques relatives aux récentes opérations du cadastre en Lombardo-Yénétie montrent que l'ensemble des recours contrè les tarifs s'est monté à 2S,000 environ, sur lesquels 8,M9 ont été admis et 16,594 repoussés. Les admissions s'élèvent donc à un tiers en chiffres ronds, ou à 33 p. 0/0 du chiffre total, ce qui est encore fort considérable. Quant aux recours des particuliers, on en compte un par 9.50 numéros de cadastre, soit une proportion de 3.38 p. 0/0, et, par comparaison avec le nombre des possesseurs, un par 3.39 possesseurs, soit une proportion de 29.81 p. 0/0.
Co):se~a<ton et revision du cadastre. Le cadastre, considéré en tant que document, se compose d'un certain nombre de registres qui, sous des noms divers et avec quelque différence dans la forme, se rencontrent dans tous les pays à cadastre géométrique régulier. Il est nécessaire de figurer séparément les différents immeubles, de les inscrire sur une double liste en les distinguant d'après le mode de culture, puis d'après ]e nom du propriétaire; de faire le total des biens attribués à un même propriétaire dans une commune pour servir de base à la répartition de l'impôt; enfin de prendre note des mutations successives au moyen de transports ou de virements (volture). En conséquence la loi prescrit la formation de quatre registres, livres ou documents fondamentaux, portant les noms suivants 1° le plan cadastral (mappa joay'ce~are) c'est une carte où les parcelles imposables sont distinguées par des chiffres arabes en série progressive par chaque commune; parcelle ou numéro du plan sont donc une seule et même chose; 2° le tableau censier (tavola censuaria), correspondant à nos états de sections, où sont enregistrées les parcelles dans l'ordre de leur numéro sur le plan, avec l'indication de leur superficie, de leur revenu total et du nom du propriétaire; 3" la matricule des possesseurs de biens (matricola dei jooM~sot*!), contenant par ordre alphabétique la liste des propriétaires, avec réunion, sousle nom de chacun d'eux, des numéros du plan qui leur sont attribués c'est notre liste alphabétique des propriétaires; 4° le registre des parcelles (re~o delle partite), qui groupe sous le nom de chaque possesseur les différentes parcelles qui y correspondent, avec l'indication de leur évaluation. Comme notre matrice du rôle, ce registre sert de base à la répartition et à la perception de l'impôt, du jour où l'on a fixé la quote-part commune; c'est aussi sur ce registre que l'on mentionne les changements survenus, grâce à un système de double comptabilité qui porte à la charge ou à la décharge du propriétaire les valeurs qu'il y a lieu d'ajouter ou de retrancher. Tels sont les registres essentiels, auxquels on pourra, s'il y a lieu, ajouter des registres auxiliaires où l'on inscrira par exemple les parcelles qui figurent sur le plan, mais sans y joindre leur revenu, ou bien celles qui ont été recensées, mais qui n'ont encore été ni évaluées ni imposées.
L'instrument financier est prêt; il peut être mis en œuvre d'un seul coup, dans toute l'étendue du royaume. Il n'y a plus à parler de contingents régionaux, l'impôt va devenir de quotité; la péréquation générale de l'évaluation se trouve virtuellement comprise dans la péréquation déjà opérée entre les différents tarifs le contribuable ne saurait exiger rien de plus. Mais ce cadastre, dont la formation a
coûté tant d'efforts, il faut le conserver, le tenir au courant des changements qui peuvent survenir dans l'état des parcelles et dans celui des propriétaires; le moindre oubli, la moindre négligence peut engendrer un désordre qui irait chaque jour s'augmentant, au grand détriment des finances de l'État et des institutions qui, de près ou de loin, pouvaient se baser sur des données du cadastre.
En ce qui concerne les plans, l'œuvre de conservation devra être faite de façon à mettre en évidence toutes les mutations successives et à en conserver la trace d'une façon continue. Le plan doit être l'histoire topographique de la propriété dans ses limites, sa configuration et sa superficie. Un seul élément du cadastre est destiné, par sa nature même, à rester invariable jusqu'à l'époque de la revision générale c'est celui qui correspond à la classification, c'est-à-dire la détermination des qualités et des classes; tous les autres sont essentiellement variables et varient, en fait, à des intervalles plus ou moins rapprochés.
Dans quelques pays, comme la Belgique et la Hollande, on essaye même de tenir note des variations qui viennent à se produire dans l'état des cultures. En France, au contraire, on a toujours eu de la répugnance à toucher aux plans, qui finiront bientôt par ne plus représenter l'état actuel de la propriété. Le rapporteur de la commission parlementaire a déclaré détestable le système des ratures qui consiste à gratter les cartes pour modifier les périmètres conformé-' ment aux nouvelles mutations, insuffisant le procédé de dessiner avec une encre d'une autre couleur les nouveaux périmètres sur le plan original. Il a proposé, tout en laissant intact le premier plan, de figurer la mutation sur une feuille séparée que l'on annexera au cadastre de façon qu'elle se trouve placée immédiatement au-dessous du périmètre à transformer. Le jour où cela sera nécessaire, on fera une nouvelle feuille sans pourtant détruire la précédente. Le législateur ne s'est pas expliqué sur ce point.
En cas de division d'une parcelle on exigera (comme dans le nouveau cadastre de Lombardie) que les parties fournissent un plan figuratif, ce qui implique de leur part une délimitation consensuelle qui est d'une grande importance. En Allemagne, tout ce travail se fait sous la direction des géomètres du cadastre. Nous en dirons autant de la numérotation. Il faut toujours conserver les numéros primitifs; les divisions ultérieures seront indiquées par des lettres qui serviront d'exposant au numéro original. Quant aux changements qui se produiront dans la personne des propriétaires, c'est à ceux-ci qu'it appartiendra, sous les peines et dans les délais que fixera un règlement d'administration publique, d'en aviser l'administration. On se confor-
mera sur ce point aux principes posés par la loi du 11 août 1870 sur les mutations cadastrales, et le règlement du 24 décembre suivant. Les particuliers devront appuyer leurs dires par un acte authentique, un acte public, ou un acte privé à signature légalisée. Le législateur, dans son art. 34, se montre exigeant en cette matière à cause de l'importance civile qu'il attribue au cadastre.
La conservation sera, en principe, une œuvre continue. II sera fait cependant une sorte de revision périodique à des intervalles de cinq ou de dix ans au plus, et ayant pour but de recenser les nouvelles parcelles qu'il y a lieu d'inscrire au cadastre ou d'en éliminer; ce qui se produira au cas d'une exemption qui survient ou qui cesse, de la destruction matérielle d'un édifice ou d'un fonds rongé par les eaux, de la quasi-destruction d'un fonds résultant de son absolue stérilité survenue par cas fortuit, du passage d'un terrain non bâti sur le cadastre urbain. Cette revision permettra de reconnaître les erreurs matérielles qui pourraient s'être glissées dans le cadastre et de s'assurer que le travail de conservation est fait d'une façon régulière. Mais, notons-le bien, cette revision n'est elle-même qu'un simple acte de conservation, elle ne peut pas modifier la base de l'estimation, qui reste invariable jusqu'à la revision générale du cadastre. Les Chambres avaient à se prononcer entre deux systèmes 1° considérer comme invariables le tarif et la classification, mais non le classement, ce qui permettrait de faire passer une parcelle d'une qualité dans une autre, ou bien de l'élever ou de l'abaisser d'une classe dans une même qualité; 2° considérer comme invariables tous les éléments du cadastre, en sorte qu'une parcelle donnée continue, jusqu'à la fin, à appartenir à la qualité et à la classe qu'on lui avait attribuées dès l'origine. C'est à ce second système qu'elles ont cru devoir se ranger; seul il leur a paru conforme au principe de la stabilité du cadastre c'est d'ailleurs celui qui est le plus généralement employé.
Le cadastre, instrument juridique servant a constater la propriété Nous avons déjà reproduit plus haut les dispositions de la loi qui assignent au nouveau cadastre italien un rôle spécial en matière de propriété ou de possession. La brièveté et l'insuffisance de ces dispositions tiennent à ce fait que le projet primitif, dont l'élaboration avait été concertée avec le Garde des sceaux Zanardelli,avait dû être abandonné à la suite d'une crise ministérielle. Désireuse de ne pas retarder outre mesure l'adoption de la loi relative à l'impôt foncier, la commission a provisoirement renoncé à son premier projet et s'est 1. Loc. cil.
bornée à en poser le principe dans le texte actuel, laissant à une loi subséquente le soin de le développer et d'y conformer la législation en vigueur (art. 8).
Voici, en résumé, les principes que la Commission, a adoptés et qui devront servir de base à la loi future. Un cadastre juridique (probatorio ou giuridico) est un cadastre qui, outre son utilité en matière de finances, serait susceptible de servir de preuve légale à la propriété qui y est inscrite et figurée; un cadastre qui, avec ses registres et ses plans, ferait état juridique de la propriété; qui assurerait le droit dans son titre et dans son objet.
Telle est, du moins, la conception absolue de cette institution. Mais, dans la pratique, il peut y avoir lieu à des distinctions que l'on devra admettre ou même multiplier suivant les cas. Le cadastre peut faire preuve absolue de la propriété, ou emporter simple présomption réfutable par la preuve contraire. Sans avoir la valeur d'une preuve, il peut fournir un juste titre pour acquérir par une prescription plus ou moins longue; ou bien ne servir que de preuve subsidiaire a défaut de toute autre. On peut donner au cadastre la mission de préciser un droit par ses mentions, et non d'en préciser l'objet par ses plans. Toutes ces combinaisons ont existé dans la pratique on peut leur opposer le système français, qui les exclut toutes, et qui fait du cadastre un simple instrument financier. Actuellement, dans les cantons de Genève et de Neuchâtel, le cadastre a la valeur d'une simple présomption. L'inscription même dépend de la ~ansen'~ot! et en assure les effets juridiques. Le cadastre n'est, en effet, que le répertoire méthodique des transcriptions. En Prusse, en Autriche, et dans un certain nombre d'Ktats allemands, la valeur de l'inscription dépend exclusivement d'une autre institution parallèle au cadastre, mais qu'il ne faut pas confondre avec lui, le Livre foncier; la propriété s'acquiert moyennant une inscription au livre foncier. En Prusse, cette inscription vaut par elle seule et forme titre; en Autriche, c'est un mode spécial de tradition jouissant de la prescription acquisitive de trois ou six ans qui est celle des meubles. Le cadastre reproduit les mentions du livre foncier; celui-ci, d'autre part, les désignations topographiques du cadastre, mais sans leur conférer aucune force probante. Ces deux institutions sont confiées à des administrations différentes; le livre foncier à la justice; le cadastre aux finances. Dans ces deux États, il n'existe qu'un seul livre foncier pour tous les droits réels; d'autres ont un registre spécial pour les constitutions d'hypothèque. Dans l'État de Hesse-Darmstadt le plan, après avoir établi une simple présomption, vaut titre aujourd'hui, et sert de
preuve absolue. Il en est de même dans les États de Saxe-Weimar et de Hesse-Cassel.
Ainsi, deux choses sont à considérer, l'inscription au cadastre et le plan. La première consiste à établir le droit en soi la seconde individualise l'objet matériel du droit, l'immeuble. Il faut d'abord affirmer le droit avant de décrire son objet c.ette seconde opération pouvant à la rigueur être négligée. Le système est complet lorsque l'inscription et le plan réunis forment un tout ayant une valeur juridique et c'est à cela que doit tendre le législateur.
La création d'une semblable institution entraîne une étude complète et approfondie de la législation civile. La commission parlementaire n'a pas cru devoir s'attarder à un semblable travail; elle a sur ce point donné délégation à une loi ultérieure, se bornant à en poser le principe. Mais elle lui a facilité sa tâche en exigeant que les opérations techniques du plan fussent faites avec tout le soin désirable, en prenant un certain nombre de mesures tendant à rendre définitives les limites des parcelles telles qu'elles sont figurées sur le plan et en s'efforçant de n'y inscrire que les véritables propriétaires. Elle espère que les données du plan pourront, au point de vue civil, servir au moins de présomptions légales et qu'il sera plus tard facile, au moyen de quelques perfectionnements, de passer de l'état de fait à l'état de droit. PAUL FUZIER,
Membre du Groupe de finances
et d'économie politique.
CORRESPONDANCES.
CHRONIQUE DE ROUMANIE
DtSCOMfS du trône. Relations internationales. Négociations commerciales avec l'Autt'iehe-Hongl'ie, la Suisse, la F/'cMM, Russie, la Grande-Bretagne, la Turquie. Convention consulaire avec l'Allemagne. Règlement des frontières. rrfï'BaMa: publics. Situation ~Manct~e. Élections communales. Principales lois de ~S. Réformes p)'oj'eMcs. L<t succession au trône.
Avec l'ouverture des corps législatifs, la vie politique a repris. Le discours du trône a, cette année, une importance exceptionnelle; il touche à toutes les grandes réformes projetées par le gouvernement et à toutes celles qui ont été déjà accomplies l'année dernière par le cabinet que préside M. Jean C. Bratiano. L'analyse détaillée des deux parties de ce discours (lS/2i7 novembre) nous permettra de jeter un coup d'œil rétrospectif sur les travaux parlementaires de la dernière session législative. Nous y ajouterons les éclaircissements complémentaires, les dates officielles et les renseignements statistiques nécessaires à l'entente des questions multiples soulevées par le discours royal.
Après l'expiration de la convention commerciale austro-roumaine (20 mai/l°''juin 1886), qui était le pivot de notre politique économique, nos relations commerciales avec l'étranger devaient nécessairement entrer dans une nouvelle phase. La convention de commerce avec l'Autriche-Hongrie du 22 juin 1875 avait été signée sous la pression d'un intérêt politique supérieur, celui de faire oeuvre d'indépendance alors que la Roumanie subissait encore, de droit sinon de fait, la suzeraineté de la Sublime Porte on paya cher cette ambition nationale. De plus, de 187S à 1886, de grands progrès s'étaient accomplis en Roumanie dans l'ordre économique, un grand nombre d'industries avaient pris naissance, malgré la concurrence austrohongroise d'autres en plus grand nombre encore pouvaient prendre l'essor si elles étaient mises en mesure de lutter avec l'étranger. Le nouveau tarif autonome (comprenant 590 articles) doit nous amener à ce but par une protection des plus franches. Suivant l'impulsion unanime du pays, le gouvernement roumain dénonça la convention de i87S. Par cette dénonciation, le tarif conventionnel se libérait de plus de 500 articles. Mais cela ne suffisait point, attendu que plusieurs des articles qui restaient engagés
par les conventions existantes, surtout par celles avec l'Allemagne du 14 novembre 1877, et avec la Grande-Bretagne du 24 mars/5 avril 1880, intéressaient au suprême degré le commerce roumain H s'agissait donc de trouver le moyen de garantir même ces articles dans les conventions commerciales à conclure à l'avenir. Pour le faire il fallait n'admettre dorénavant qu'avec des restrictions la clause de la nation la plus favorisée. La conférence pour la conclusion d'un nouveau traité de commerce entre la Roumanie et l'Autriche-Hongrie, qui se réunit à Bucarest du 19 avril/ 1 er mai au 25 avril/7 mai 1886, échoua. Le conflit douanier qui suivit la rupture des négociations surexcita naturellement les passions des deux côtés des Carpathes. Aujourd'hui que l'expérience a été faite, et que les deux pays ont également subi des pertes sensibles, on parle de tous côtés d'une reprise des négociations.
L'année 1886 a été encore marquée, jusqu'à ce jour, par plusieurs autres négociations commerciales.
L'ancien traité de commerce avec la Suisse du 30 mars 1878 expirait le 4 décembre 1885. M. Pherekyde, ministre des affaires étrangères, et MM. Alpls, ministre de la confération helvétique à Vienne, et Staub, consul général de Suisse à Bucarest, ont signé le 26 mai/7 juin 1886 un nouveau traité de commerce, qui représente assez exactement les idées économiques préconisées par le gouvernement roumain. C'est un traité purement commercial, ne comprenant que 7 articles et limitant l'application de la clause de la nation la plus favorisée une liste, comprenant vingt articles, spécifie les marchandises qui sont soumises au tarif général Les corps législatifs s'empressèrent d'approuver ce traité, fait sur des bases nouvelles, et entrant dans les idées communément admises en Roumanie. Bientôt après, la session touchant à sa fin, et les intérêts du commerce devant être sauvegardés, les Chambres, par la loi du 16/38 juin 1886, autorisèrent le gouvernement à signer des arrangements provisoires, dont la durée ne dépasserait pas le 1er janvier 1887.
Conformément à cette autorisation, le 17/29 juin 1886, MM. Pherekyde et G. de Coutouly signèrent à Bucarest un arrangement provisoire applicable du 19 juin (1~ juillet) 1886 au 20 décembre 1886 (1< janvier 1887). La Roumanie bénéficie du traitement dont elle jouissait avant le décret du 20 août 1885, en vertu duquel les produits roumains étaient soumis en 1. Des 111 articles dont se compose le tarif conventionnel après l'expiration de la convention avec l'Autriche, 81 sont compris dans le traité avec l'Allemagne, 26 dans celui avec l'Angleterre, 2 dans celui avec l'Italie et 2 dans celui avec la Belgique. 2. Il me paraît intéressant de donner ici cette liste elle indique clairement quelles sont les industries que la Roumanie entend protéger. Voici cette liste « Farine de blé; farine de seigle; légumes farineux secs et leurs farines; pâtes farineuses dites d'Italie cire brute, blanche ou jaune, de toute espèce cire ouvrée, blanche ou jaune; savons de toute espèce, à l'exception des savons de parfumerie; bougies de stéarine et de spermacéti, de toute sorte; cuirs (peaux tannées), ordinaires, non dénommés spécialement; ouvrages en cuir ordinaires; tissus de laine ordinaires; ouvrages en feutre ordinaires; toile écrue très ordinaire papiers et papeteries ordinaires; papiers non dénommés; bois de construction ouvrages en bois; pétrole et huile de schiste, bruts et rafunés. A. ToM II. –1887. 10
France à des droits de 50 p. 0/0 ad valorem. D'un autre côte, le bénéfice des droits qui sont ou seront inscrits dans les tarifs conventionnels roumains, est accordé aux produits français, à l'exception des articles ënumérës dans une liste annexée à l'arrangement cette liste est presque identique à celle qui accompagne le traité avec la Suisse, et que nous avons donnée plus haut. Cet arrangement a été soumis à l'approbation de ]a. chambre des députes dans la séance du 24 novembre dernier. Les négociations pour la conclusion d'un traité définitif continuent.
La convention de commerce et de navigation conclue entre la Roumanie et la Russie le 15/27 mars 1876 a pris fin le 2i octobre/2 novembre dernier. Un nouveau traité a été signé le 5/17 décembre 1886.
Le gouvernement vient de faire un nouveau pas dans le programme économique qu'il s'est tracé. MM. Pherekyde, ministre des affaires étrangères, et Percy Sanderson, chargé d'affaires de la Grande-Bretagne, ont signé, le 14/26 novembre 1886, un traité modifiant la tarification de certains rticles du traité de commerce du M mars/5 avril-1880. Ce traité est déjà exécutoire, avant l'échange des ratifications, en vertu de la loi dont nous avons parlé plus haut, qui autorise le gouvernement roumain à conclure des arrangements commerciaux provisoires, et, pour l'Angleterre, en vertu des prérogatives constitutionnelles. Les modifications introduites consistent essentiellement en-ceci l'Angleterre a renoncé à la tarification conventionnelle du pétrole brut et raffiné, de l'huile de schiste, du verre, des clous en fer forgé et filé, des semelles, chaussons, chapeaux de feutre ordinaires; ces articles, que la Roumanie entend protéger, ont été rendus au tarif général. En échange, nous avons accordé des avantages aux articles suivants, de provenance angtaise biscuits pour le thé, non sucrés, poix, colophane, goudron, huile de lin, 61s de coton teints, fa;ence unicolore, assiettes ordinaires, etc. En même temps, le traité de commerce du 24 mars 1880, qui devait expirer le 30 juin/12 juillet 1890, a été prorogé jusqu'au 28 juin/iO juillet 189i, date à laquelle expire notre traité de commerce avec l'Allemagne, et qui sera probablement le terme de tontes les conventions commerciales à conclure.
Avec la Turquie, le gouvernement a été moins heureux. Malgré les efforts persévérants de M. Démètre Stourdza, qui s'est rendu a Constantinople pour négocier avec la Sublime Porte un traité de commerce, l'entente n'a pas pu s'établir.
Une autre question de politique extérieure qui a préoccupé vivement le pays pendant cette année a été la convention consulaire signée à Berlin le 3 juin 1886, et présentée par le gouvernement roumain a la chambre des députés le 6/18 juin 1886. Cette convention a soulevé dans la presse des attaques passionnées. H ne nous appartient pas d'approfondir ici la question ni d'émettre une opinion personnelle sur un débat de la politique militante par excellence. Je me bornerai a dire que la convention consulaire introduisant le statut personnel en matière de succession (système admis par le code civil italien et soutenu par un grand nombre de jurisconsultes) a donné libre carrière aux discussions; les controverses de droit les plus
subtiles se sont fait jour. Cependant il est juste de reconnaître que toutes les prescriptions contenues dans la convention consulaire de 3 juin 1886 se retrouvent dans d'autres conventions consulaires, notamment dans celles conclues par l'Allemagne avec la Serbie (6 juin 1883) et la Grèce (6 novembre 1881), et dans celles du 22 juillet 1868 entre l'Italie et la Suisse, et du 5/17 août 1880 entre la Roumanie et l'Italie.
La question d'Arab-Tabia, ou de la délimitation entre la Dobroudja et la Bulgarie, question qui a fait tant de bruit dans le temps, a été également réglée d'une manière satisfaisante. La commission a été sur le terrain faire le bornage et placer les pierres le dernier protocole n° 7, du 27 septembre 1886, constate le parfait accord qui s'est établi à ce sujet et le règlement définitif de cette affaire. On doit souhaiter que la Roumanie obtienne le même résultat avec l'Autriche-Hongrie. MM. le général C. Barozzi et le colonel S. Baïcoyano. qui sont nos délégués chargés de fixer, d'accord avec les délégués austro-hongrois, les frontières qui séparent la Transylvanie et la Bucovine du territoire de la Roumanie, se trouvent actuellement à Vienne. En retournant aux paragraphes suivants du discours du trône, nous abordons les détails donnés sur les lignes de chemin de fer construites dans le cours de cette année. On en a construit cette année, par les soins des ingénieurs de l'État, environ 400 kilomètres, au prix moyen de 80,000 fr. le kilomètre; lorsque les lignes de Berlad à Vaslui, de Bucarest à Calarache-Fetesti, de Faurei à Tenderei, dernièrement inaugurées, et d'autres qui sont sur le point d'être livrées à la circulation, seront terminées, nous posséderons un réseau de 2,500 kilomètres. J'ajouterai que le gouvernement a été autorisé à émettre de la rente amortissable 5 p. 0/0 jusqu'à concurrence de la somme effective de 9,978,426 fr., pour la construction des lignes suivantes Focs(HK-<Mo6esct,H kilomètres, 683,015 fr.; Craiova-Calafat, d03 kil. 7,386,792 fr.; 'Ter~oM~e-PMCMsa, 20 kil., 2,018,619 fr. Pendant ces dernières années, il a été également construit beaucoup d'édifices publics je citerai l'École des ponts et chaussées, inaugurée il y a très peu de temps, et la Banque nationale, dont les travaux sont très avancés. On continue aussi très activement l'achèvement des fortifications de Bucarest.
Tous ces travaux publics ont nécessité beaucoup d'argent. Nous laissons ici la parole à la couronne, qui expose clairement la situation « Les difficultés financières que nous traversons auraient été moins sensibles si nous avions pu éviter les pertes éprouvées par le fisc à cause de l'agio et si nous ne nous étions pas trouvés en présence d'une crise économique générale et des nécessités inévitables imposées par notre développement politique et économique. « Les dépenses considérables effectuées pour augmenter la force et le développement de l'État ont eu pour conséquence forcée une élévation de la dette publique. Depuis la dernière conversion de d882, la dette a augmenté de 620 à 774 millions. Mais, pendant le même espace de temps, la dette de l'État a été amortie pour 46 millions; 1. 17 p. 0/0.
il a été construit des voies ferrées pour 71 millions, des édifices publics pour 21 millions; l'armement et les moyens de défense du pays ont été accrus pour une somme de 52 millions; il a été donné au monopole des tabacs un fonds de roulement de 7 millions il a été versé aux Crédits agricoles un capital de 6 millions. Pour nous rendre un compte exact de la marche de nos nuances, nous ne devons pas perdre de vue que si, l'année passée, quelques nouveaux impôts ont été créés, ces impôts sont loin d'atteindre le chiffre des dégrèvements dans le cours de dix années. Notre crédit est maintenu haut. Cela est dû au payement exact des annuités, à l'emploi des emprunts pour des dépenses utiles et productives, au développement de la richesse nationale, aux améliorations continues introduites dans l'administration des finances de l'État. »
La. situation du Trésor publie, close le 30 septembre 1886, et qui vient d'être soumise au Parlement par M. Naco, ministre des finances, indique pour l'année 1885-86 (notre année financière va du 1' avril au 30 septembre) 130,038,7X0 francs aux évaluations budgétaires et 121,478,397 francs aux encaissements; le résultat est un excédent d'évaluations de 3,560,323 fr. En même temps, le ministère des finances a fait le compte provisoire pour les six premiers mois (1er avril au 30 septembre) de l'exercice 1886-87, et le résultat accuse aux encaissements 61,369,174 fr., et aux dépenses 59,613,847 francs. Les encaissements pour l'exercice 1885-86 étant de 134,478,397 fr., et les dépenses de 129,971,648 fr., auxquelles il faut ajouter le déficit de l'exercice 1884-8S, de 2,993,048 fr., soit ensemble !32,964,690fr., le déficit budgétaire serait de 8,486,293 fr. si l'on déduit de cette somme 3,993,048 fr., représentant l'excédent de l'exercice 1886-87, il reste & couvrir un déficit budgétaire net de 4,493,248 francs.
Les élections communales, qui se font chez nous tous les quatre ans, ont donné encore, le 2 et le 4 novembre, gain de cause au parti national-libéral. Ces élections, étant devenues presque exclusivement politiques, ont une grande importance à raison de l'influence qu'elles pourront exercer sur les élections législatives, qui auront lieu en 1888. A ce titre elles méritent donc l'attention. Voici la statistique des résultats obtenus. Dans les 31 districts, la proportion moyenne du nombre des votants aux électeurs inscrits a été de 88 à. 90 p. 0/0, et le minimum de 8i p. 0/0. Dans 2 districts, l'opposition n'a eu aucune voix; dans 24, elle a eu 3 à 30 p. 0/0 des suffrages exprimés, dans 4 de 31 à 48 p. 0/0, et dans 2 de 50 à 74 p. 0/0. Les nationauxlibéraux ont obtenu 74 p. 0/0, l'opposition 23 p. 0/0 des suffrages les bulletins blancs ou nuls forment le surplus. En résumé, le parti nationallibéral a réuni 30,432 votes, et l'opposition 6,400.
Parmi les lois votées pendant la dernière session, je citerai l'impôt sur les successions; la loi relative aux mesures générales pour venir en aide à l'industrie nationale dans l'esprit protectionniste qui a cours, prévoyant des exemptions d'impôt et de taxes dq douane, des réductions du prix de transport, des fournitures obligatoires, etc.; la loi du i2 juin 1886 sur l'élection des conseils communaux, en conformité de laquelle ont été faites les dernières élections communales.
La seconde partie du discours du trône s'occupe des réformes à accomplir. Le plus important des projets de loi que le gouvernement a déjà déposés est celui qui modifie de fond en comble la loi organique de l'enseignement public du 5 décembre 1864. Le pays attend avec impatience l'œuvre élaborée par M. Démètre Stourdza, avec le concours des personnes les plus compétentes dans la matière. Dans l'ordre judiciaire, la chambre des députés a déjà entamé la discussion du nouveau code de commerce voté par le sénat dans la dernière session législative. Le code de commerce actuellement en vigueur chez nous a été promulgué en Valachie en 1840 et étendu à la Moldavie en 1864. Les deux chambres auront également à voter le projet de loi de M. E. Statesco, créant une commission législative permanente, une espèce de conseil d'État, qui aura à s'occuper exclusivement de la préparation et de la confection des lois. La future commission législative sera aussi chargée de la publication périodique d'un bulletin des lois. Enfin un projet de loi doit être déposé, qui assurerait l'inamovibilité des membres des cours d'appel et des présidents de tribunaux. Le Parlement devra compléter la réforme de la loi communale, dont la discussion a déjà commencé à la chambre, et établir les règles pour l'admissibilité aux fonctions administratives. Citons enfin le projet de loi tendant à améliorer la situation du clergé séculier.
Le 14/28 novembre, le prince Léopold de Hohenzollern, frère du roi, et son fils, le prince Ferdinand, ont été nommés, le premier, chef du 3e régiment d'infanterie, le second, sous-lieutenant au même régiment. La signification politique de cette double décision a été clairement marquée dans le discours prononcé par le roi à la fête militaire qui a eu lieu le même jour. Le prince Ferdinand de 'Hohenzollern a été désigné comme héritier présomptif du trône, en l'absence de fils du roi, conformément à la constitution roumaine du 1' juillet 1886 (articles 82 et 83), à l'acte d'acceptation éventuelle signé à Sigmaringen, le 12 novembre 1880, par les frères du roi, les princes Charles, Antoine, Léopold et Frédéric, et à la renonciation faite à ses droits en faveur de ses fils par le prince Léopold, frère aîné du roi, le 22 novembre de la même année. La Roumanie peut donc, désormais, à l'abri des compétitions qui la bouleversèrent tant de fois dans le passé, considérer avec confiance l'avenir et s'appliquer à marcher d'un pas résolu dans la voie du progrès et de la civilisation.
F. GEORGES DjUYARA,
Ancien élève de l'Ecole des Sciences Politiques.
ANALYSES ET COMPTES-RENDUS
Paul Janet. Histoire de la science poKM~Me dans ses rapports avec la mo!'a~e, 3e édition. Paris, Félix Alean, 2 vol. in-8". M. Paul Janet donne au public la troisième édition de son Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale. Elle diffère trop des éditions précédentes pour que t'en y voie simptement une réimpression. C'est un ouvrage renouvelé dans toutes ses parties, tout à. fait nouveau pour certaines d'entre elles. M. Janet y a ajouté une introduction qui est une œuvre politique considérable. 11 y discute, au point de vue historique et au point de vue critique, la Déclaration des droits de l'homme de la Révolution française, ces principes du droit publie contemporain, tant exaltés ou tant attaqués, selon les passions politiques dominantes. Il la compare aux déclarations analogues qui avaient eu lieu en Amérique, lors de la guerre de l'indépendance il dégage la portée et le sens exact de ces principes sur lesquels des interprétations diverses, et souvent passionnées, ont fait naître tant de malentendus; il revendique enfln les droits de la libre raison de l'homme, et montre que si elle abdiquait de parti pris devant les traditions, il faudrait renoncer à tout progrès. Le corps de l'ouvrage a reçu aussi de nombreux développements. M. Janet a voulu tenir compte des travaux qui ont paru depuis les éditions précédentes et rendre son histoire aussi complète que possible. Le premier volume nous conduitjusqu'à l'époque de la Renaissance et de la Réforme. 11 contient l'exposition des théories politiques des peuples de l'Extrême Orient, de l'antiquité classique, des pères de l'Église, du moyen âge et de Machiavel. Le second volume expose en détail les doctrines du xvf, du xvu° et du xvnf siècle, et comprend plusieurs chapitres entièrement nouveaux, entre autres ceux qui traitent des encyclopédistes et des publicistes américains. Ce livre est donc un grand tableau d'ensemble de la science politique considérée dans son développement historique nous ne croyons pas que rien de semblable ait été fait à l'étranger.
M. Janet étudie la science politique dans ses rapports avec la morale. H soumet donc les différentes doctrines qui se succèdent à un examen critique et philosophique. Il les ramène à leurs principes, il en considère l'origine, la valeur et la légitimité. Sa dialectique serrée et pressante dissipe les équivoques, et réfute les sophismes dont les théories politiques ont toujours fourmillé. Naturellement M. Janet prend parti sur les questions fondamentales. Espritfermement libéral, respectueux de l'histoire, mais ennemi de tout préjugé, il n'a pas pour la logique cette sorte de déSance superstitieuse qui
fait rejeter les conséquences quand on admet les principes. Il expose nettement quelles doivent être à ses yeux les bases de la science politique. Il obtient ainsi une règle qui lui permet de critiquer les différents systèmes sans tomber dans la contradiction ou dans l'arbitraire. Là est l'unité de ce livre, qui passe en revue tant de faits, tant d'idées, tant de doctrines diverses. Cette unité ne pouvait être réalisée que dans la pensée et par la pensée de l'auteur. Non que M. Janet s'efforce de réduire les conceptions politiques à quelques types abstraits. Il a soin au contraire de rattacher chaque doctrine à ses origines et de la replacer dans les circonstances où elle est née. Mais tout expliquer n'est pas tout justifier, et après l'exposition historique, l'examen critique a sa place.
Ce scrupule est poussé si loin, que, pour laisser à son œuvre un caractère purement historique et scientifique, M. Janet s'est interdit toute généralisation qui eût pris la forme d'une philosophie de l'histoire. Peut-être voudrat-il nous faire connaître ailleurs ses hypothèses sur les lois de l'évolution des doctrines morales et politiques. Au moins nous permet-il d'espérer le complément de son Histoire pour le xixe siecte, et nous prenons acte de cette promesse. Plusieurs de ses travaux relatifs à cette période sont déjà entre les mains du public. La conclusion de l'ouvrage qui parait aujourd'hui donne le cadre de l'étude d'ensemble. Cette étude si complexe et si intéressante, personne n'est mieux que M. Janet préparé à l'écrire, et ce sera le couronnement de son Histoire de science politique.
L. LEYY BRCHL.
E. Laferrière (vice-président du Conseil d'État). Traité de !ctj'M!'MtCtion administrative et f~s t-ecoufs contentieux. Paris, Berger-Levrault, 1887. Les traités de droit administratif sont rares et M. Laferrière en donne lui-même !a raison dans sa préface inante,
« Pour le droit codifié, l'exégèse des textes est la méthode dominante, et la jurisprudence ne peut être qu'un auxiliaire; pour le droit administratif, c'est l'inverse; l'abondance des textes, la diversité de leurs origines, le peu d'harmonie qu'ils ont souvent entre eux, risquent d'égarer le commentateur qui voudrait leur appliquer les mêmes méthodes qu'en droit codifié. La jurisprudence est ici la véritable source de la doctrine, parce qu'elle seule peut dégager les principes permanents des dispositions contingentes dans lesquelles ils sont enveloppés, établir une hiérarchie entre les textes, remédier à leur silence, à leur obscurité ou à leur insuffisance, en ayant recours aux principes généraux du droit ou à l'équité, » Aussi devons-nous signaler comme un événement important dans la littérature juridique la publication de l'œuvre à laquelle M. Laferrière consacre, avec l'autorité de son nom; l'expérience et la compétence toutes spéciales acquises par lui dans les hautes fonctions qu'il a successivement occupées au Conseil d'État.
En dehors de la valeur intrinsèque de l'ouvrage, où la rigueur de l'argumentation et la solidité de la doctrine s'unissent à une clarté d'exposition et à une souplesse de style qui en rendent la lecture facile et même attrayante, Intérêt tout particulier de ce traité réside dans la méthode, qui est absolument nouvelle dans l'enseignement du droit administratif. Tous les ouvrages classiques, ceux de MM. Cormenin, Dufour, Aucoc, Ducrocq, ont généra emcnt considéré d'une part « l'organisation administrative », d'autre part « les matières administratives », en présentant, à propos de l'étude de chacun de ces organes ou de chacune de ces matières. les solutions juridiques des questions qui les concernent; mais on n'avait pas songé a réunir ces questions d'après la nature des liens juridiques et des actions engagées; seul, M. Serrigny avait composé dans cet esprit son traité « de la compé.tence ».
M. Laferrière a eu, au contraire, l'idée d'étudier les obligations et les actions qui se rencontrent dans le droit administratif, en les groupant uniquement d'après leur nature, et sans se préoccuper pour leur classification des matières diverses auxquelles elles peuvent se rattacher. Cette conception permet à l'auteur de rechercher et de formuler les principes fondamentaux du droit administratif, qui, dans la systématisation savante adoptée par lui, arrivent à former un véritable corps de doctrine, & défaut d'une codification reconnue depuis longtemps impossible.
Le « Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux » comprendra deux volumes le second volume, que l'on nous fait espérer pour le courant de l'année prochaine, sera consacré à l'étude approfondie du contentieux administratif qui est divisé par M. Laferrière en contentieux de pleine juridiction, contentieux de l'annulation, contentieux de l'interprétation, contentieux de la répression.
Le premier volume, qui vient de paraître, s'applique a délimiter le domaine de ce contentieux administratif qui doit être plus tard examiné en détail. Après avoir dénm le contentieux administratif, recherché ses origines et suivi ses développements dans notre histoire, puis comparé, dans une étude très serrée et très neuve de législation étrangère, le système suivi en France et celui qui est en vigueur dans les principaux États, l'auteur indique, dans le livre II, l'organisation des din-érents tribunaux administratifs, détermine les règles de procédure arrêtées par la jurisprudence, et consacre une dissertation très intéressante à la question du « ministre juge » si débattue dans la doctrine et non encore définitivement résolue II aborde ensuite dans le livre III, qui remplit toute la seconde partie de ce premier volume, la question des limites entre la compétence administrative et la compétence judiciaire. M. Laferrière à ce sujet passe en revue successivement les questions d'état, de droits civils et autres droits individuels, les questions de propriété et la question des contrats parmi lesquels il distingue les contrats proprement dits et les actes de puissance publique ayant un caractère contractuel, tels que les contrats de concession, d'affectation, et d'engagement militaire. Puis il examine les poursuites dirigées contre les fonctionnaires publics autres que les ministres et les conséquences du
décret du 19 septembre 1870 qui a abrogé l'article 75 de la constitution de l'an VIII. Enfin il étudie les poursuites, pénales ou civiles, dirigées contre les ministres et présente, à cette occasion, un résumé très complet des tentatives nombreuses et toujours infructueuses faites par le Parlement en vue d'arriver à une loi sur la responsabilité ministérielle.
Tel est l'aperçu sommaire des nombreuses et importantes questions traitées dans cette puissante synthèse dont la portée doctrinale est considérable tous ceux qui auront goûté la lecture de ce premier volume souhaiteront que M. Laferrière puisse livrer le plus tôt possible le second volume à la publicité et couronner ainsi une œuvre qui sera un véritable monument dans la science du droit.
V~ de Caîx de Saint-Aymour. La France en Éthiopie. Histoire des relations de la France avec l'Abyssinie chrétienne sous les régnes de Louis XIII et de Louis XIV f~g~ 1706) d'après les documents inédits des Archives du .'tftKM~'e des Affaires étrangères. Paris, Challamel aîné, 1886, 1 vol. in-12. Le nouveau volume de M. de C. est le complément naturel de son précédent travail sur les Mef~s /?'6mea!'s dans le Soudan éthiopien (<884). Des trois études qu'il renferme nous laisserons décote la première, un peu aride par son érudition, <f Premières relations de l'Éthiopie avec l'Europe chrétienne », pour ne nous attacher qu'aux deux autres. La seconde, intitulée « Un prince éthiopien à la cour de France (1634-1638) », est curieuse. L'épisode de Zaga Christ méritait bien d'être remis au jour, et M. de C. t'a fait d'une façon intéressante. Il nous montre ce personnage, prince ou aventurier, chassé d'Éthiopie par une révolution, recueilli à Jérusalem par les Récollets qui le convertissent et t'amènent à Rome, enfin arriva.nt à Paris sans qu'on sût ni qui l'y avait appelé, ni ce qu'il y venait faire. Sa présence excita une vive curiosité, trop vive même, s'il faut en croire Tallemand des Réaux. Il amusa un instant la cour, et après sa mort à Rueil, en 1638, il devint un héros de roman. M. de C. résume ce que les contemporains nous ont laissé sur ce singulier personnage, discute son origine et comme conclusion cite son épitaphe
Ci git du roy d'Éthiopie
L'original ou la copie.
La mort a vuidé les débats
S'il fut prince ou ne le fut pas.
La dernière étude « Voyages de Poncet. Ambassade de M. du Roule », est la plus importante et c'est la seule ou l'on trouve réellement trace de relations entre la France et l'Ethiopie. Quand on sait quelle importance avait, au point de vue commercial, sous le règne de Louis X[V, le passage ,par la mer Rouge, on doit s'étonner de voir combien ces rapports ont été peu suivis. Le consul de France au Caire, M. de Maillet, poussait le gouvernement à les multiptier et à les rendre profitables, mais il semble que Louis XIV y
a été surtout décidé par des intérêts de propagande religieuse. Le hasard créa les premières relations.
Il faut lire dans le volume de M. de C. les aventures singulières du pharmacien Poncet qui, revenant de soigner le Négous, se fit accompagner par un ambassadeur que personne ne voulait reconnaître les rapports tendus et souvent comiques de cet ambassadeur avec M. de Maillet qui l'empêcha de passer en France, les intrigues des ordres religieux, enun les négociations qui amenèrent l'envoi par Louis XIV d'une ambassade au Négous. Cette mission n'arriva même pas jusqu'à lui. M. du Route, son chef, fut massacré avec tous ses compagnons, et ainsi furent interrompues pour longtemps les relations qui allaient commencer avec l'Abyssinie.
M. de C. a fait suivre son récit d'un appendice qui augmente encore l'intérêt du volume, et dont les pièces les plus importantes sont les mémoires de M. de Maillet à la cour de France, et les instructions données à. M. du Route. Quelque courtes et infructueuses qu'aient été nos relations avec l'Ethiopie, nous devons remercier M. de C. de nous les avoir rappelées, et d'avoir ainsi tiré de l'oubli le nom de M. du Roule et celui de Maillet.
Paul Monceaux, ancien membre de l'école d'Athènes. Les proxénies grecques. Paris, Thorin, 1 vol. in-8, 1886. La proxénie rendait, dans la Grèce ancienne, les services que l'on attend aujourd'hui des consulats. Malgré l'ouvrage classique de Tissot, elle était mal connue. L'étude qu'en a faite M. Monceaux, et qui paraît déSnitive, nous la montre dans tous ses détails, et il est curieux de voir combien l'institution antique et l'institution moderne qui répondent à des besoins analogues, se ressemblent peu dans leur esprit et dans leur organisation. C'est dans l'essence même de la constitution de la cité antique qu'il faut chercher le fondement de la proxénie. On sait que la cité formait, dans le monde grec, une sorte d'organisme particulier, dont la vie nationale et la vie religieuse étaient intimement mêlées, et que, les étrangers étant exclus du culte national, la cité leur était également fermée. Ils étaient des ennemis envers lesquels les citoyens ne so reconnaissaient aucun devoir et qui ne pouvaient revendiquer aucun droit. Cet état de choses, tolérable aux temps primitifs, où les rapports de peuple à peuple consistaient surtout en actes de pillage et de piraterie, ne pouvait plus subsister dès que se fut établie une habitude régulière de relations commerciales. On sut tourner la loi et trouver un- intermédiaire qui rapprocha l'étranger des citoyens. Cet intermédiaire fut le proxène. Une ville qui avait des relations d'affaires avec une ville voisine et tenait & y commercer librement, nommait proxène un citoyen de cette ville; .celui-ci couvrait dès lors de sa protection les citoyens de l'État qui l'avait nommé, les associait pour ainsi dire à certains de ses droits, et devenait
officiellement leur hôte dans sa patrie. Ainsi les étrangers, en principe, n avaient pas droit à la justice c'est avec leur proxène qu'ils se rendaient devant les juges; il répondait en quelque sorte pour eux, et c'est grâce à sa présence que fléchissait la rigueur de la loi. Ce n'étaient pas Seulement les intérêts privés des citoyens qu'il était appelé à sauvegarder; il prenait en main également les affaires de l'État à qui il était lié. On le voit chargé de lui rendre des services importants, comme par exemple d'en assurer les approvisionnements de blé. Si l'on envoyait des ambassadeurs dans sa patrie, c'est lui qui les recevait et qui s'attachait à faciliter leur tâche par son crédit; parfois même il prenait à leur mission une part plus active, et se joignait à eux dans leur négociation. La charge du proxène était fort lourde, et entraînait souvent des frais considérables. On aurait eu sans doute quelque peine à trouver beaucoup de personnages semblables à ce Gellias, d'Agrigente, qui logea un jour à ses frais 500 étrangers, ou qui leur eussent offert ['hospitalité magnifique des Callias à Athènes; aussi, à côtédes charges qui leur incombaient, avait-on su ménager aux proxènes des avantages considérabies. De même que les charges étaient infiniment diverses suivant qu'étaient différents les intérêts des États que représentait chaque proxène, de même leurs avantages n'étaient pas les mêmes partout. C'étaient plutôt des avantages matériels dans la plupart des villes commerçantes tantôt la cité qui nommait un proxène lui donnait le droit, s'il plaidait devant les juges de la République, de faire inscrire son procès d'office; tantôt il était soustrait aux impôts:que payaient les étrangers, et assimilé, en matière de contributions, aux citoyens; certaines villes l'autorisaient à posséder des immeubles sur leur territoire, et d'autres même lui accordaient le droit de cité. Quelques-unes allèrent plus loin, et déclarèrent franches de droits toutes les marchandises importées ou exportées par leurs proxènes. Les grands centres religieux, tels que Delphes et Délos, n'étaient avares ni de privilèges ni d'honneurs envers les proxènes qui géraient dans leur patrie les intérêts d'Apollon ils consultaient l'oracle avant les autres fidèles, assistaient aux jeux à une place d'honneur et étaient couronnés solennellement « de feuilles de laurier cueillies sur l'arbre du dieu ». On ne ménageait nulle part ce moyen de reconnaître de bons offices à Athènes, le sénat recevait le proxène qui entrait dans la ville, lui offrait un festin, lui décernait, avec des couronnes, des éloges qu'on gravait sur des stèles placées dans l'Acropole, et y ajoutait souvent le titre de « bienfaiteur ». Ces honneurs étaient goûtés des Grecs an moins autant que les privilèges; aussi les plus illustres citoyens ne se faisaient-ils pas faute de rendre au peuple d'une cité voisine des services onéreux pour se donner le droit de réclamer de lui le titre envié de prosène.
Il est certain que nous sommes loin de tout cela aujourd'hui; les relations des nations entre elles sont simplifiées, et il ne paraît pas qu'aucun État vienne jamais à s'inspirer de la proxénie grecque dans la réorganisation de son administration consulaire. Aussi est-ce en helléniste et non point en jurisconsulte que M. Monceaux a étudié l'institution.Il a fait œuvre d'érudit; il s'est entouré de tout l'appareil que la science épigraphique mettait à sa
disposition, et sans doute il ne me convient pas de le suivre sur ce terrain; mais il faut remarquer avec lui, et il l'a noté avec une extrême clarté, quelle influence ont eue les proxénies sur l'histoire de la Grèce. Aux mains de certains peuples, cet instrument en somme assez défectueux a rendu des services dont rarement, hormis dans quelques pays d'Orient, nos consuls ont été capables. Athènes surtout en a tiré un parti merveilleux, et c'est peut-être aux proxénies qu'elle a du l'admirable développement de son empire colonial. Dans toutes les villes du littoral de la mer Ë~co qu'elle voulait attirer dans son alliance, en Chalcidique et en Thrace, elle choisissait ses proxènes avec un art infini c'étaient toujours des citoyens influents; les marques d'honneur dont les comblait la capitale du monde civilisé flattaient leur vanité; ils devenaient les amis dévoués ou les chefs du parti athénien; c'est ainsi que, tout le long de la route du Pont-Euxin, son marché principal et aussi son grenier, elle échelonna des stations pour ses Sottes. Ce fut une œuvre de longue patience, les discours des orateurs le prouvent; et si elle atteignit son but, il n'y eut pas plus de hasard dans sa politique que dans celle qui, de nos jours, assura aux Anglais la route de l'Inde. L'empire d'Athènes croula quand elle s'écarta des principes qu'elle avait pratiqués d'abord, et que ses ennemis, Sparte d'abord, Philippe de Macédoine ensuite, en ayant reconnu l'excellence, les appliquèrent à leur tour et les tournèrent contre elles.
Si les Grecs surent tirer un parti aussi avantageux de la proxénie, ils ne furent pas pourtant sans en reconnaître les inconvénients. Ce n'était pas une médiocre tentation que de recevoir d'une ville étrangère des honneurs et des privilèges tels que ceux des proxènes. Les citoyens les plus illustres d'Athènes, proxènes de Sparte, n'y échappèrent pas; Cimon, Xénophon et d'autres payèrent de l'exil les éloges qu'ils faisaient imprudemment des Lacédémoniens. Parfois, dans les négociations dont ils étaient chargés, l'impartialité était difficile aux proxènes, et l'on cite beaucoup d'exemples où la reconnaissance l'emporta sur le patriotisme. L'institution, toutefois, était si nécessaire et si profondément entrée dans les maeurs du monde grec, qu'on l'y retrouve partout, depuis Odessus jusqu'à Marseille, en passant par l'Asie, l'Egypte et l'Italie. Une seule ville, semble-t-il, une petite ville de la côte de la mer Ionienne, eut le courage de la supprimer ses habitants se corrompaient au contact trop fréquent des Illyriens sauvages; elle décida que chaque année un seul citoyen s'en irait chez les Illyriens, et se chargerait de toutes les affaires à traiter avec eux. On pourrait voir là une sorte de transition entre le système des proxénies et les consulats; mais cet exemple ne fut pas suivi. Les proxènes continuèrent de subsister, et ils vivaient encore, bien que leur objet et leur nom même eussent disparu depuis longtemps, quand la paix romaine eut donné à tout venant l'accès des vieilles cités fermées dont ils avaient jadis eu mission d'entr'ouvrir les portes.
RAYMOND K(ECHLH<.
Nîox (lieutenant-colonel). (Mos'fap/MeMM~nM'e, éditions nouvelles. L. Baudoin et Cie. Les publications militaires de M. N. sont trop connues pour que nous insistions sur l'ensemble. Mais nous croyons utile de signaler tout spécialement les nouvelles éditions remaniées que l'auteur vient de publier. Son volume sur la France (tome 1 de l'ouvrage, 3e édit., 1886) est particulièrement intéressant. M. N. y étudie notre pays, en rapportant toutes ses observations aux intérêts de la défense. C'est dire que son attention se porte surtout vers les frontières, dont tous les détails sont appréciés et pour ainsi dire pesés au point de vue stratégique, tant en considération de la défensive que de l'offensive. On y trouvera un résumé curieux des questions relatives aux pays neutres en cas de conflit entre la France et l'Allemagne et leurs alliés éventuels. Le tome II (2e édit., I885) porte spécialement sur le massif des Alpes, et décrit les routes qui le percent. La Suisse et l'Italie sont ensuites étudiées dans leur forme géographique, dans leur organisation militaire, en un mot, dans leurs moyens d'attaque et de défense. Le tome III (2e édit., 1855) est entièrement consacré à l'Allemagne et à ses appendices la Hollande et le Danemark. Il se termine par un chapitre spécial sur les frontières occidentales de la Russie, de la Baltique à la mer Morte. Le tome IV (Autriche-Hongrie) n'a pas encore été retouché, mais M. N. ne tardera sans doute guère à le compléter car, en géographe consciencieux, il n'aime pas à laisser vieillir ses livres. En revanche, il a refondu complètement le tome V (le Levant et le bassin de la Méditerranée, 2e édit.), qui comprenait autrefois les Balkans. Cette péninsule, siège actuel des plus pressantes préoccupations européennes, formera, avec la Turquie, le sujet du tome VI, en préparation. Nous devons encore à M. N. le meilleur travail d'ensemble qui ait été publié jusqu'à présent sur notre belle colonie algérienne (Algérie, géographie physique, 1884). La description géographique générale et par provinces est accompagnée d'une intéressante série d'études sur l'organisation administrative, sur la colonisation, l'ethnographie, les confréries religieuses, la défense. Un précis des événements militaires depuis la conquête d'Alger, et un très utile vocabulaire des noms de lieu si sujets à variation dans nos documents européens complètent le volume LÉON POtNSARD.
1. Tous ces volumes sont accompagnés de cartes, plans et croquis dressés spécialement pour l'ouvrage, et qui ajoutent beaucoup à sa valeur.
CHRONIQUE DE L'ÉCOLE.
Section coloniale. Un décret du 3 janvier 1887, rendu en conseil d'État, réorganise l'administration centrale des colonies. Il supprime les emplois de sous-directeurs, répartit les services en 3 divisions comprenant 7 bureaux, et édicté des règles nouvelles pour le recrutement des employés. Les employés sont divisés en deux catégories les expéditionnaires et les rédacteurs; les uns etles autres sont nommés après concours en qualité de stagiaires et ne sont définitivement commissionnés qu'après un au de service dans l'administration.
Les candidats à l'emploi d'expéditionnaire (traitement de 2,OOOA 3,600 fr.) doivent avoir de vingt à trente ans..Les candidats à l'emploi de rédacteur (traitement de 3,700 fr. à 4,800 fr.) doivent être âgés de vingt ans au moins et de vingt-cinq ans au plus, trente ans s'ils appartiennent déjà a l'adminis.tration coloniale. Ils doivent en outre être pourvus de l'un des diplômes ou certificats suivants licencié en droit, ès sciences ou ès lettres, Écoles des langues orientales vivantes, des chartes, polytechnique, normale supérieure, spéciale militaire, navale, forestière, centrale des arts et manufactures, ou du brevet d'ofRcier en activité.
Des arrêtés ministériels, que nous ferons connaître, détermineront les conditions et programmes des concours; nous tenons à signaler dès à présent à nos lecteurs l'important débouché qui s'ouvre de ce côté, les sérieuses garanties de capacité qui seront désormais exigées du personnel central des colonies, et les avantages matériels qui lui sont assurés.
Concours. Auditorat au Conseil d'État. Concours de décembre 1880. Ont été admis MM. Lacroix, Clos, Schmidt, Silhol, MouIIè, Laroze. Tous, excepté le second, sont d'anciens élèves de l'École.
Les compositions écrites ont porté sur les sujets ci-après 1° Épreuve préparatoire. Des autorités administratives fonctionnaires de l'administration active et leurs conseils; leurs principales attributions; limites de leurs pouvoirs et rapports qu'ils ont entre eux; 2" Épreuve définitive Exposer les principales règles qui président à. l'engagement, à l'acquittement et à la justification des dépenses publiques; indiquer quels sont les agents de tout ordre qui y participent et quel est leur rôle.
SOCIÉTÉ DES ANCIENS ÉLÈVES ET ÉLÈVES La séance de rentrée de la Société a eu lieu à l'Ecole, le 15 décembre, sous la présidence de M. Sorel, professeur à l'École, membre d'honneur. M. le Directeur assistait à la séance. Après une allocution de M. Sorel, M. H. Begoüen, membre du groupe de droit public et privé, a fait une conférence sur les origines du KuLturkampf.
Les travaux des sections de la Société ont repris dans la première semaine de janvier.
Le premier dmer mensuel a eu lieu le 23 décembre au Cercle historique.
MOUVEMENT DES PÉRIODIQUES.
Histoire et diplomatie.
REVUE DES DEUX MONDES.–oc<o&re. Duc de Broglie. Le ministère du H aoùt. nouemAfe.R.Rot.han. La question romaine:faconférence.–C.de Varigny. San-Francisco. 1 les origines. 15 KOt'eM~re. G. Rothan. La question romaine au Corps législatif. La Prusse et la conférence. C. de Varigny. SanFrancisco, II. décembre. C. de Varigny. San-Francisco, 111. G. Valhert. Une biographie de missionnaire écossais.
REVUE BRITANNIQUE.-Novembre. Le marécha) Davout.
LECoRKESPONnAXT.OKOvembre. P. DavoUe.L'œuvre doctrinalede Léon Xin.- 0. Thureau Dangin. La question d'Orient. Comte Waliszewski, Condé et d'Enghien candidats au trône de Pologne, 1656-1667. novembre. C. Demay. Le clergé français en Tunisie. Comte Waliszewski (suite et fin).
REVUE niSTORiQOE. Septembre-octobre. Gachon. Notes sur quelques passages des Mémoires de Richelieu. Novembre-décembre. Études sur la Correspondance de Napoléon I" ses lacunes.
HISTORISCHE ZEITSCHRIFT (Munich) -y" livraison 1887. Die Anfânge des wurtembergischen Ministeriums Linden.
PREUSSICEE JAHRBÙCHER (Berlin). Octobre. Die bulgarische Krisis und ihre Rùckwirkungen. Novembre. Aus der œsterreichischen Revolutionszeit. Bulgarische Krisis. Egyptische Frage. RUSSISCHE REVUE (Saint-Pétersbourg). .?" livraison. 1886.
Arved Jiirgensohn. Die Lebensjjeschreibuug des Feldmarschall Milnnich.– 3° livraison. Jiirgensolin, Die Memoiren des Feldm. Munnich.
UNSERE ZF.IT (Leipzig). Octobre. 0. Speyer. Das Konigreich Italien in den Jahren 1S'!9-1886 (suite). Sulzer. Die erste Prâsidentschaft Grevy (suite). Diercks. Spanien unter Alfonso XII. A'ot;en:A?'e. 0. Speyer (suite). V. Hellwald. Egypten und der Sudan (suite). Dierks ~suitc). Die Parteien im œsterreichischen Reichsrathe.
DEUTSCHE Rc~DSCHAU (Berlin). Octobre. J. Rodenberg. Bilder aus dem Berliner Leben, I. Fournier. Hentz und der Friede von Schonbrunn. Novembre. J. Rodenberg, II.
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Économie politique et finances,
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NOUVELLE REVCE. ~3' ttOMM6M. E. Fournier de Flaix. La suprématie monétaire de la France. .REVUE BMMNMQL'E. Oc<0&M. Stanley Jevons. youMK&c. Le canal des Deux Mers et la marine militaire.
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LE CORRESPONDANT.STiOoem&t'e. C. Jannet. Les faits économiques et le mouvement social.
BULLETIN DU MtMSTERE DES FINANCES. Octobre. Le mouvement des impôts. -Le commerce extérieur en 1885. Le budget tunisien, 1886-87. Le projet de budget du Tonkin. -Notices sur les salaires dans les houillères en Saxe; les banques anglaises les exploitations rurales en Angleterre; l'impôt sur ta fortune mobilière en Suisse (Vaud); les budgets provinciaux en Italie le commerce de l'Inde anglaise, de la Chine; l'enquête sur les crises aux États-Unis. Décembre. L'organisation du Ministère des nuances.–La marine marchande et la navigation. Les produits de l'enregistrement, des domaines et du timbre en 1883. L'impôt de capitation dans la Kabylie. Le programme économonique dugouverneurde l'Algérie. Réorganisation de la régence de Tunis. -Notices sur la crise en Angleterre; la cédule D de l'MiCom~a.c; le revenu imposable des terres; 1& poids comparatif des impôts et
le régime des spiritueux en Ang)eterre;ia. conversion et!a. question ouvrière en Belgique; les c~aft~-AoMM; les budgets en Autriche-Hongrie; les contributions et octrois en Egypte; les crises aux États-Unis.
REVUE smssË. Décembre. G. Van Muyden. Les habitations ouvrières.
LA RËFOMtE SOCIALE. noMM&fe. Angot des Rotours. La crise monétaire du x\T'siecie. e E. Cheysson. L'enquête sur les prix et le comité des travaux historiques et scientifiques. décembre. La protection de la petite propriété. A. Boyenval. Les perspectives de la démCtcratie. -Le Congrès des oeuvres sociales à Liège. P. de Coubertin. Les Universités anglaises. L. de Tatianel. Le rengagement des sous-officiers.
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wichtgsten Resultate derwirthschafttichen Thatigkeit des Kaukasus im Jahre 1884. Der Landhandel Russlands mit China ùber Kjachta im zweiten Drittel des Jahres 1885. Die Ertheilung von Darlehen an die Kustenbewohner des Murmam-Ufers. Russlands Land-wirthschaftliche vereine.
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NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS
DU TOME PREMIER
Les cédules immobilières de r&ïcome &KE Le document anglais consulté indiquait, pour la cédule A, un nombre total de cotes (separate properties) égal à 7,6il,S24, dont 1,188,877 exemptées de la taxe et 34,520 soumises à une taxe réduite: En retranchant ces deux derniers nombres du précèdent, il semblait, à première vue, qu'il existait en Angleterre 6,432,947 cotes d'une valeur égale ou supérieure à 10,000 francs en revenu. L'invraisemblance de ce résultat demandait un éclaircissement, que le- B(Mfd of /n<aH~.ReueHM6 a bien voulu nous fournir dans la lettre suivante. Nous la communiquons à nos lecteurs à titre de document
« Le nombre 7,611,824 représente le chiffre total de separate properties existant dans le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande. Le chiffre 1,188,877 représente le nombre des separate properties déchargées de l'income tax, cédule A, à raison de ce fait qu'elles appartiennent à des personnes dont le revenu total, ces separate properties comprises, est inférieur à 3,750 francs par an, et non pas parce qu'elles constituent à elles seules un revenu inférieur à 3,750 francs. De même, le chiffre 34,820 représente le nombre de separate properties appartenant à des particuliers dont le revenu total égale ou excède 3,7SO fr., mais n'atteint pas 10,000 francs par an.
« On voit ainsi que le nombre résultant de la soustraction des deux derniers chiffres, du premier, ne représente pas seulement les cotes dépassant 10,000 francs de revenu par an, mais bien toutes les cotes de moins de 10,000 francs de revenu annuel appartenant S. des personnes dont le revenu total, ces cotes comprises, est inférieur à 10,000 francs. En résumé, la décharge ou la réduction sont accordées à raison du revenu total, et non pas d'une portion quelconque de ce revenu. »
II faut donc lire, page 144, ligne 21 « 6,388,427 cotes (sfpa~e properties) appartenant à des personnes dont le revenu total atteint ou dépasse 10,000 francs ». Ce renseignement ne modifie d'ailleurs en rien les conclusions qui terminent l'alinéa.
1. V. l'article, p. 127.
Errata. Page ~SO, ligne 7 (1875), lisez rapport 0/0, « 35 H au lieu de « 28 ».
Page 265, ligne 10 de la note 6, lire «gouvernement serbe», au lieu de « gouverneur serbe )).
Page 292, ligne 3, lire « ii mars » au lieu de « 16 mars ».
Page 471, lignes 29 à 31 pour tous les nombres contenus dans ces lignes on a supprimé par erreur trois zéros. II faut donc lire « 600 millions, 70 millions, 780 millions, 1 milliard 360 millions ».
Page 834, lignes 5-6, lire « Thuringe x au lieu de « Thudnge H. Page 550 en note, lire « aus seinen Briefen und aus eigener Erinnerung ». Page 558, ligne 4, lire « Sedlnitzki » au lieu de « SedIniMd ».
Page S64, ligne 36, lire « les Italiens » au lieu de <' les PiémontaisM. Le Propriétaire-Gérant FËux AhCÂS.
Coutomtnters. fmt). P. BMDAM et GAH.M:.
LES CHAMBRES DE COMMERCE.
ÉTUDE SUR LEUR RÔLE FINANCIER ET SUR LES RÉCENTS PROJETS DE RÉFORME SOUMfS AU PARLEMENT FRANÇAIS.
1
L'institution des chambres de commerce est de date presque récente. Elles étaient rares, sinon tout à fait inconnues avant le xv[ii° siècle. Seules, quelques villes maritimes possédaient des assemblées de marchands formées en vue des intérêts spéciaux du commerce de mer. Marseille, par exemple, avait une compagnie de ce genre dès 1599. Au début du xvn° siècle, cette chambre eut maille à partir avec les gens du roi, et fut supprimée tout net. Rétablie en 1612, elle est dissoute de nouveau en 1618, se rouvre encore en 1649 pour disparaître dix ans plus tard, en 16S9. L'année suivante, en 1660, le gouvernement consent à la laisser se reconstituer, mais en l'enfermant dans les bornes étroites d'un règlement spécial
Ce fait n'est vraisemblablement qu'un épisode de la grande lutte engagée du xvie au xvm° siècle entre la monarchie absolue, administrative, et le régime du se/~o!;e?'KmeH< local. Pendant toute la durée de ce régime, le pouvoir communal étant presque partout aux mains des marchands et des corporations, 'qui l'exerçaient avec une grande indépendance, les intérêts commerciaux restèrent liés à tous les autres, et n'éprouvèrent guère le besoin d'une représentation spéciale. Mais lorsque tout le pouvoir politique et administratif eut été accaparé par le pouvoir central; quand l'administration des villes et la direction des unions corporatives furent remises en des mains vénales et trop souvent incompétentes, la situation changea. Le commerce sentit la nécessité d'une représentation qui fût au courant de ses besoins et de ses intérêts. Le gouvernement comprit de son côté qu'il lui serait souvent indispensable de s'entourer de conseils autorisés, pour le guider dans son œuvre législative, rendue plus difficile par la complication croissante des rapports économiques En 1664, 1. A. Foulon, Étude .!K!' la wp~M~'fM légale du coBMngfee. Nantes, 18T6. 2. H. Pigeonneau, Dict. du coM)n~rce, v CuAMBRE DE COMMERCE. A. TOME II. AvR;L 1887. z
Colbert, renouvelant avec des chances meilleures des essais restés infructueux avant lui, érigea en conseil général du commerce une section du conseil du roi 1. Dans la suite, il provoqua dans les principales villes des réunions de commerçants, et leur demanda des mémoires sur l'état des affaires et sur les desiderata du négoce. Après lui, le mouvement se continua, et un arrêt du 29 juin 1700 ordonna la formation d'un conseil supérieur composé de notables commerçants députés par leurs pairs. Un second arrêt du 30 août 1701 eonfirma ces dispositions et les compléta en autorisant la formation de chambres locales dans diverses villes du royaume Les plus importantes en profitèrent aussitôt Lyon eut sa chambre dès 1702, Rouen, Toulouse en 1703, Montpellier en 1104, Bordeaux en 1703. Viennent ensuite La Rochelle en 1710, Lille en 1714, Bayonne en 1736 Les chambres de commerce restèrent peu nombreuses pendant le xvit~siëcle, etleur rôle semble avoir été étroitementlimité, durant dette période, par la méEance du pouvoir central et la jalousie des municipalités. Aux termes de l'arrêt de 1701, ce rôle se bornait a recevoir les mémoires et observations des négociants de leur ressort, à en délibérer, et à transmettre ces documents revêtus de leurs appréciations, ainsi que leurs avis originaux, au conseil du commerce à Paris. Pourtant quelques-unes d'entre elles laissèrent des dettes lors de leur suppression en 1791 où cet argent avait-il passé? Une portion s'était transformée peut-être en menus travaux d'utilité publique, notamment dans les ports; le reste avait sans doute été prêté au roi, selon la pratique courante à cette époque elle ne l'est guère moins de nos jours des emprunts indirects et déguisés.
Les menues dépenses de ces chambres étaient couvertes par des ressources dont l'origine variait avec le lieu. La chambre de Marseille prélevait un droit fixe au départ et à l'arrivée sur les navires faisant le commerce du Levant. Cette compagnie gérait des intérêts considérables, allant jusqu'à conclure des conventions avec le Grand Turc et les pirates africains pour diminuer l'étendue de leurs déprédations. Elle était aussi chargée d'entretenir des consuls dans les Échelles du Levant Celle de Rouen taxait diverses marchandises débarquées 1. Sully, puis Richelieu avaient fait déjà des tentatives analogues en 1601 et 1626. Voy. Léon BioUa.y, Pacte de famine; M(h?KMM<?'aHM du conarnerce sous ~'aMMn t'~ow:?. Guillaumin, 1885.
2. L'arrêt désigne Lyon, Rouen, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, La Rochelle, Nantes, Saint-Maie, Lille et Bayonne. Voy. A. Foulon, op. c:< p. 49. 3. Dict. du commerce, op. cit., et A. Foulon, p. 84.
Voy. décret des 5-6 septembre 1792, art. 3.
5. Voy. A. Foulon, op. << p. 82, et A. Vandal, la Fiance en 0)'~ au coMM<;?teeM6~ du xynie siècle. Annales du 15 juillet 1886, page 336.
sur les quais ou venues par terre. A Toulouse et à Montpellier, villes de pays d'états, les dépenses des chambres de commerce étaient inscrites au budget particutier de la province. A Lyon, Lille, Bayonne, le budget communal les supportait intégralement. A Amiens, la chambre prélevait 12,000 livres par an sur le produit des octrois municipaux. A la Rochelle, le service financier de la chambre prenait le caractère d'une taxe additionnelle au contingent de la généralité dans ]a capitation A Bordeaux, on affecta au service de la chambre, créée en t705, une rente de 4,086 livres, due par le Trésor aux corps de marchands, pour une finance de 95,380 livres payée en rachat d'offices Nous venons de voir que les chambres pouvaient en outre contracter des emprunts, au même titre que les états, corps de ville, corporations et associations diverses, moyennant l'autorisation préalable par lettres patentes ou arrêt du conseil.
Les dépenses ordinaires des chambres étaient d'ailleurs peu de chose. Le traitement du député au conseil du commerce, allant à 6,000 ou 8,000 livres, celui du secrétaire, quelques jetons de présence en argent, quelques médailles d'or remises aux présidents et députés à leur sortie de charge, enfin les menus frais de bureau, voilà toute la liste. Les plus gros budgets ne dépassaient pas 12,000 à 13 000 livres. L'organisation de la comptabilité était des plus simples. Un membre, faisant fonctions de trésorier, recevait en compte la subvention allouée à la chambre, et soldait les dépenses sur mandats signés de plusieurs de ses collègues. Aucun contrôle extérieur n'était exercé sur ces opérations, le trésorier ne rendait de comptes qu'à la compagnie 3.
La Constituante trouva les choses en cet état. Les chambres de commerce, malgré leur caractère tout spécial et absolument neutre, n échappèrent pas à la méfiance, poussée jusqu'à l'aveuglement, que toutes les associations et compagnies inspiraient aux légistes et aux philosophes de l'Assemblée. Un décret, adopté le 27 septembre 1791 sur le rapport de Goudart, sanctionné le 16 octobre, les supprima en même temps que les bureaux de visite et de marque On associait ainsi dans la même réprobation deux institutions bien différentes comme but et comme utilité l'une étant destinée à maintenir l'industrie dans les liens étroits d'un contrôle sévère jusqu'à l'excès; l'autre organisée simplement en vue d'éclairer le pouvoir sur des questions pratiques d'un intérêt général. D'ailleurs on reconnut 1. yo~ officiel, 1884, documents du Sénat, p. 441 exposé des motifs du projet de loi déposé par JI. Hérisson. (Voy. ci-après l'analyse de ce projet.)
2. A. Foulon, p. ,j8.
:J./&:d.
bientôt les inconvénients de cette suppression brutale, et il fallut tolérer l'existence illégale des chambres de Marseille et de La Rochelle, à cause de l'importance des Intérêts dont elles étaient chargées Puis, pour mettre un terme à cette situation irrégulière, l'Assemblée ordonna, par un nouveau décret des 5-6 septembre 1TJ2, le maintien ~a~uvel ordre des droits établis à leur profit. Elle en remit la perception aux directoires de département en affectant leur produit F~cquit des dépenses incombant aux anciennes chambres, notamment au payement des intérêts de leurs dettes. Enfin, le gouvernement, reconnaissant son erreur, encouragea d'abord quelques tentatives faites pour reconstituer spontanément les chambres en forme d'assoc~o~ libres. Malheureusement les circonstances ne tarderen pas ~mraver ces premiers essais. Pourtant une chambre libre fonctionna à Nantes durant quelques années; mais elle resta isolée, m~gré quelques honorables efforts faits sur divers points pour suivre l'exemple des Nantais.
11
La question resta ainsi en suspens pendant toute la durée de la période violente de la Révolution. Mais dès le début de la période de réorganisation, le Premier Consul rétablit à la fois, par le décret du 3 nivôse an XK24 déc. 1802), les chambres locales et le conseil supérieur du commerce. L'art. 9 invitait les nouvelles chambres à présenter au ministre l'état de leurs dépenses et à proposer « les moyens de les acquitter ». Ces moyens ne furent fixés officiellement que quatre ans plus tard, par le décret du 23 septembre 1S06, assimilant les dépenses des chambres à celles des bourses de commerce. Ces bourses étaient également d'origine ancienne. On en trouve à Lyon et à Toulouse dès le xv~ siècle Le M septembre 1~4, la bourse de Paris est fondée par arrêt du conseil et ouverte aux nego. ciations de valeurs mobilières. Le 27 juin 1793, la Convention les supprime sous prétexte d'arrêter l'agiotage sur les assenât Un décret du Directoire en date du 5 floréal an 111 les rétablit, et la loi du 38 ventôse an XI compléta leur organisation, en affectant à leur entretien une contribution à établir sur les patentés des deux premières classes et sur les agents de change et courtiers, proportionnellement à leur cote (article 4), jusqu'à concurrence d'une somme annuellement fi.ée par le préfet. Une seconde loi du 12 brumaire an XI régla les détails de perception; elle décida en outre que les
L Voy. Dalloz, Hc/Jf<'<o:M, v BocRSES DE coN~EncE.
comptes relatifs à cette gestion seraient soumis à l'examen du tribunal de commerce et arrêtés par le préfet.
Le décret du 23 septembre 180(i appliqua l'article 4 de la loi de ventôse an IX et celle de brumaire an XI à l'administration financière des chambres de commerce, en leur réservant, en outre, la jouissance des revenus particuliers qui pourraient leur échoir. C'était limiter singulièrement leur action en principe, car ces textes ne prévoyaient à titre de dépenses imputables sur l'impôt que des frais très restreints d'administration 1. Par suite, les chambres dépourvues de ressources personnelles devaient renoncer à toute entreprise sortant du cercle ordinaire de leurs attributions ce cercle était d'ailleurs étroitement délimité par l'article 4 de la loi de nivôse an XI, et ne dépassait guère les proportions du rôle consultatif.
Ce décret de 1806 est pourtant resté le texte fondamental de l'organisation des chambres de commerce au point de vue financier. H en est résulté que la plupart de ces chambres, principalement celles des villes situées à l'intérieur du pays, ont dû renoncer à toute initiative personnelle en matière de travaux ou de créations utiles, faute de ressources suffisantes. Elles ont essayé souvent de dépasser le cadre qui leur était tracé, en introduisant dans leur budget des crédits destinés a subventionner des missions commerciales, à fonder des prix, à couvrir les frais de certaines expositions et des études préparatoires de travaux publics, à organiser l'enseignement commercial. Mais jusqu'à ces derniers temps, l'administration a dû opposer un non possM~us inflexible aux désirs des chambres de commerce, tant pour faire respecter dans sa rigueur théorique le principe de la spécialité de l'impôt, que pour protéger les intérêts des patentés 3.
La loi de finances du 23 juillet 1820 est venue compléter le décret de 1806 en décidant que, chaque année, des ordonnances royales 4 détermineraient les sommes à imposer, en se basant sur les propositions des chambres intéressées. Quelques années plus tard (1829), le conseil d'État refrénait certaines tentatives d'indépendance, en décidant que la destination des fonds applicables aux dépenses des 1. En cas de reliquat, il est imputé à valoir sur les ressources à réaliser l'année suivante.
2. Présenter des vues sur les moyens d'accroître la prospérité du commerce; faire connaître au gouvernement les causes qui en arrêtent le progrès; indiquer les ressources qu'on peut se procurer; surveiller l'exécution des travaux publics relatifs au commerce (curage des ports, navigation des rivières, exécution des lois et arrêtés concernant la contrebande (sic).
3. Voy. JoMfKa~ officiel, eod. ~oc.
4. Aujourd'hui des décrets du chef de l'État.
chambres et bourses de commerce devait rester sous le contrôle direct de l'administration, avec l'examen et l'approbation de leurs budgets.
L'ordonnance des 16 jum-le'- juillet 1832 élargit cependant un peu le cercle où pouvait s'exercer l'initiative des chambres. Les articles 13 et li leur remettaient d'une façon formelle l'administration des bourses, magasins, entrepôts, bureaux de conditionnement, cours publics, lorsque les frais en étaient couverts par des contributions établies sur les commerçants, ou bien encore sur le vœu des fondateurs de tels établissements, enfin par délégation de l'autorité publique. Mais le décret de 1806 étant maintenu par l'article 13, )'administration persista dans sa rigueur doctrinaire et maintint dans d'étroites limites le budget des chambres de commerce.
Les tendances de ces compagnies vers un rôle économique actif, donnant lieu à de grosses dépenses plus ou moins productives, n'étaient d'ailleurs pas encore très marquées. Bien que le pays fût dès ce moment en plein progrès manufacturier, son vieil outillage de transport ne se modifiait que très lentement, et l'on commençait à peine à sentir d.uis nos ports le besoin d'une organisation plus complète et plus efficace. Mais dès la fin du régime de juillet, les premières lignes de chemins de fer et de bateaux à vapeur firent naître des besoins nouveaux, qui revêtirent en quelques années un caractère d'urgence. Les chambres de commerce étaient naturellement désignées pour prendre en mains les intérêts des producteurs français, et pour se faire au besoin les agents d'exécution de leurs vœux. Le gouvernement comprit qu'il en pourrait, à l'occasion, tirer de notables secours, et s'empressa de refondre la législation dans un sens un peu plus large. Le décret du 3 septembre 1831 confirma les attributions données aux chambres par l'ordonnance de JL83:2, régla la forme de leurs comptes et budgets, les rattacha au ministère de l'agriculture et du commerce 1, et leur conféra explicitement la personnalité civile avec la qualité d'établissements d'utilité publique. C'était leur ouvrir la voie de l'initiative personnelle et de l'action directe. Certaines chambres s'emprcssérent'd'en profiter. Dès 1852, la chambre de Bordeaux établissait à ses frais 15 grues et une machine à mater sur les quais verticaux du port. Comme les quais appartenaient au domaine public, l'autorisation prit la forme d'une concession à long terme avec retour à l'Ëtat des apparaux à l'expiration du contrat En 1831, 1. Aujourd'hui elles dépendent du ministère du commerce et de l'industrie. 2. Le conflit des intérêts des chambres et de ceux de l'État a donne lieu )t d'importantes discussions dans le sein du conseil d'Etat. I! y a là d'intéressantes questions de droit public soulevées, mais elles restent en dehors de notre cadre.
la chambre de Lyon entreprit la construction d'un palais consulaire avec dépendances pour divers services utiles au commerce local. En 1858, la chambre d'Avignon établit une bourse de commerce; et à partir de ce moment, presque chaque année vit une ou plusieurs chambres, parmi les plus importantes, s'engager dans des entreprises parfois assez considérables.
Où les chambres prenaient-elles les ressources nécessaires pour former et entretenir ces établissements, puisque l'administration persistait à maintenir dans de strictes limites la contribution spéciale établie sur les patentés en vertu de la loi de ventôse an XI et du décret de 1806? En premier lieu, leur qualité nouvelle de personnes morales leur permit de recourir à l'emprunt pour parer aux frais de construction. En second lieu, les dépenses d'entretien et les charges d'emprunt furent couvertes par les recettes d'exploitation. Enfin, dans quelques cas assez rares, l'administration, sous l'influence de ses nouvelles dispositions, autorisa une surcharge temporaire aux taxes prévues par la loi de ventôse an IX et le décret de 1806. Prenons quelques exemples.
L'augmentation de la taxe sur les patentés s'imposait particulièrement en ce qui concerne les chambres des régions intérieures du pays, qui n'ont à leur disposition aucun moyen commode d'établir des contributions spéciales à leur profit. C'est ainsi'qu'à Lyon l'exécution des travaux entrepris en 1854 ayant donné lieu à un emprunt de 1,500,000 francs, la taxe fut augmentée de 10 centimes par franc du principal des patentes, plus les centimes prévus pour les frais de perception et les non-valeurs De même à Avignon en 1858, où une contribution extraordinaire de 3 centimes fut ajoutée à la taxe courante
Dans les villes maritimes, la situation était beaucoup plus favorable au développement de l'activité des chambres de commerce. Le mouvement du port fournissait en effet une base commode pour l'établissement de taxes spéciales à leur profit. Mais jusqu'en 1866 elles ne purent user de ce procédé qu'avec une extrême modération, car les droits de tonnage, perçus au profit de l'État au double titre fiscal et protecteur, laissaient peu de place à des exigences nouvelles. La loi du 19 juin 18G6 mit un terme à cet obstacle en supprimant d'une façon générale les droits de tonnage, sauf exception en faveur des contributions spéciales déjà établies en vue d'éteindre des dettes 1. Prorogés en 1861 pour couvrir les frais d'un nouvel emprunt de 600,000 francs. 2. Notons à titre d'exception l'exemple de Bordeaux où le produit de l'entrepôt suffit pour couvrir les dépenses ordinaires, ce qui rend inutile toute perception sur les patentés (Rapport annuel de la chambre de Bordeaux, 1884.)
locales en cours d'amortissement, ou qui seraient imposées à l'avenir dans le même but. Le maximum de ces droits était fixé à 2 fr. SO cent. par tonneau de jauge, et la perception pouvait en être autorisée par décret en conseil d'État
Ce mode de taxation n'a pas été utilisé au profit des seules chambres de commerce. Les municipalités se sont, elles aussi, fait autoriser à l'employer, lorsqu'elles se chargeaient d'exécuter dans les ports des travaux d'utilité générale. C'est ainsi qu'une loi du 22 juin 18S4 concédait à la ville du Havre la perception de droits de cette nature, transférés depuis par la loi du 10 juin 1864 à la chambre de commerce, à charge pour celle-ci de faire à l'État une avance de 8 millions de francs, à valoir sur les frais de construction d'un nouveau bassin à flot et de trois formes de radoub. Ces textes, modifiés par une troisième loi du 21 juillet 1865, fixaient la taxe à 0 fr. 75 cent. par tonneau de jauge sur tous navires français ou étrangers jouissant des avantages d'un traité de navigation, et à 0 fr. 90 cent. pour les autres. A Bordeaux, un décret du 28 mai 1868 autorisa la chambre de commerce à faire à l'État une avance de 10 millions, aussi pour la construction d'un bassin à Sot, moyennant l'établissement d'une taxe de 0 fr. 20 cent. par tonneau. De même, un décret du 20 février 1869 complétant celui du 3 mai 18S2 autorise la construction de nouvelles grues de déchargement et fixe à 0 fr. 25 cent. par 1,000 kilogrammes le droit à percevoir sur les marchandises mises en manutention. En résumé, on peut reconnaître assez facilement, dans les quelques faits épars sur toute la période remplie par le régime impérial, deux tendances contraires. La méfiance, habituelle chez les gouvernements centralisés vis-à-vis des corps fortement constitués en dehors de l'administration, porte celle-ci à restreindre l'initiative des chambres de commerce et à les réduire à un rôle consultatif. D'autre part, les difficultés financières croissantes entraînent l'Ëtat dans la voie des emprunts indirects, et le portent à accepter les offres de concours des chambres en étendant le cercle de leurs attributions. Cette tendance devait s'accentuer beaucoup dans la période suivante.
III
Depuis 1870, le rôle de ces compagnies. a pris en effet une importance extrême, d'abord parce que la résistance administrative a cédé 1. Le Bulletin de statistique du ministère des travaux publics a donné récemment un tableau des droits de cette nature actuellement établis (M86,11, 28). Les chiffres varient de 0 fr. 05 cent. à 0 fr. 75 cent. par tonneau.
en partie sous la pression de tendances plus libérales, ensuite parce que la pratique des emprunts indirects est restée à l'ordre du jour. En revanche, on leur a imposé quelques obligations précises. Ainsi, la loi de finances du 29 décembre 1876 dispose par son article 10 que les chambres de commerce devront, à l'avenir, publier le budget des taxes dont la perception est autorisée à leur profit. On leur demande en outre les comptes séparés des divers établissements remis à leur administration, mais cette fois sans obligation de publicité. Sous cette impulsion, les chambres se sont mises à la besogne avec un empressement et une énergie fort remarquables. Leur œuvre est, il est vrai, localisée par les circonstances et restreinte aux seules grandes villes de l'intérieur et à quelques ports maritimes, mais c'est là précisément que leur initiative trouve le plus fréquemment l'occasion de s'exercer avec efficacité.
Parmi les villes de l'intérieur, Paris et Lyon occupent une place à part. Le puissant courant d'affaires dont ces villes sont la source donne à leurs chambres de fréquents sujets d'étude, et fait entrer dans le budget de ces compagnies des ressources notables. La tolérance de l'administration leur a permis en ces derniers temps d'emprunter, d'augmenter les taxes spéciales, et d'agir avec activité. Les créations de la chambre de Paris sont bien connues; elles ont eu surtout pour but le développement de l'enseignement technique à tous ses degrés, et en cette matière elle a fait les choses largement, on pourrait presque dire avec faste. En ce moment même, elle s'occupe, d'accord avec la ville, de l'établissement d'une bourse de commerce. dont le négoce parisien ressent depuis longtemps le besoin. En principe, c'est la ville qui se charge des travaux d'organisation, mais la chambre est désignée d'avance pour prendre en main 1 exploitation du nouvel établissement, à charge pour elle d'avancer les 25 millions nécessaires pour la mise en état des locaux et de leurs abords. L'emprunt qu'elle devra contracter dans ce but sera couvert d'abord par les droits perçus à l'occasion de l'usage de la bourse, ensuite par un prélèvement sur les produits des halles centrales, enfin par une contribution spéciale de 0 fr. 23 cent. sur les patentes les plus élevées. IL est à remarquer que ce dernier article ne sera point perçu, en principe, au profit de la chambre, mais bien de la ville, qui recevra 450,000 francs s sur les 650,000 francs qu'il produira. Le surplus sera attribué à la chambre à titre de subvention pour des œuvres d'enseignement com-
mercial vec honneur les tra-
~T~'on, la chambre de commerce continue avec honneur les tra1. Projet de loi, et rapport de M. Buvignier, député, D~. p~ C~& n<
ditions laissées par ces fortes corporations marchandes, dont le renom emplit notre histoire économique. Elle administre ou protège nombre d'établissements utiles une bourse, un bureau pour le conditionnement des soies, un autre pour les laines, un laboratoire pour l'étude des soies, des écoles et cours techniques, un musée, etc Ses discussions, ses enquêtes, les rapports de ses agents en mission, fournissent chaque année la matière d'un volume plein de faits intéressants Quelques chambres moins importantes suivent de loin ce mouvement, en proportionnant leurs efforts à l'étendue de leurs ressources, qui est limitée, et aux besoins des localités où leurs sièges sont établis. Citons entre autres les chambres de Lille, de Chambérv etc. Dans les villes maritimes, le rôle des chambres a été généralement plus étendu, à cause de l'imminence plus grande des intérêts qui se recommandaient directement à leur sollicitude. Le développement des moyens de transport de terre et de mer appelait depuis longtemps déjà des mesures de transformation et d'organisation d'une importance considérable. Nous avons vu comment le gouvernement impérial avait été amené à accepter l'entremise de certaines chambres de commerce, pour se procurer une partie des fonds nécessaires. Nous savons aussi que cet exemple fut suivi après la chute de l'Empire C'est am.i qu'en 1874 la chambre de.Marseille, entre autres, avança lo millions pour tes travaux du port. La période prospère de 1873.1879 vint accroitre encore les besoins; elle inspira le projet fameux audui Freycinet a laissé son nom, et qui prit corps dans la loi du 28 juillet 18.9. A ce moment, on pouvait croire que le gouvernement, mettant à profit une période de grande prospérité, allait agir hii-méme avec toute sa puissance et mener rapidement son œuvre multiple. Mais cette heureuse période se ferma trop tôt, et dès les premiers mois de 1882 le ministre des travaux publics se voyait obligé d'adresser aux chambres de commerce un appel collectif- et des plus pressants pour réclamer leur concours. Rappelant à leur souvenir la loi de 1879 encore inexécutée, il insistait sur la nécessité de terminer les travaux pour l'agrandissement et l'accessibilité des ports, devenus insuffisants pour les colosses de la marine actuelle. La question de l'outillage de manutention n'était point oubliée non plus Le ministre reconnaissait aux chambres une compétence spéciale pour le choix des machines, des abris et de leurs emplacements, et il insis a~ sur ce fait, qu'elles étaient particulièrement désignées pour exploiter ces établissements dans les meilleures conditions possibles, en dehors de toute idée de profit. Il terminait en faisant un appel pressant au concours financier des chambres
1. Voy. Journal o/y., 1882, p. 379.
Ces idées n'étaient d'ailleurs pas nouvelles. Dès 1879, le conseil supérieur des voies de communication, saisi de diverses questions Xe~ à l'achèvement et a l'outillage des ports, s'était nettement relatives en faveur de coopération active des chambres de commerce. M. al Jt président de la chambre du Havre, proposa de les faire contribuer aux frais des travaux neufs dans la proportion du quart de la dépense, à la condition de leur abandonner tous les droits perçus pour l'usage de ces travaux, y compris les droits de quai encore aujourd'hui réservés à titre de frais Q, Rambuteau concluait, dans un rapport très étudié, à l'utilité d'en confier l'exploitation aux chambres. Il va a dans tous ces faits l'indice d'un heureux retour, accompli dans beaucoup de bons esprits, vers l'idée salutaire du recours fréquent à l'initiative nrivép et à ses puissantes ressources.
L'appel de 1~2 a été entendu. La plupart des chambres de commer~ répondu avec empressement par des offres de concours et par des créations nouvelles. Presque partout on a construit ou augmenté les hangars, abris à voyageurs, magasins-docks, entrepôts; à vapeur et hydrauliques, machines à mâter les voies fergares maritimes, qui sont les accessoires nécessaires d un port t ,~n Certaines chambres, comme celle de Rouen, ont emprunté pour aider au développement des quais de débarquement. La chambre du Havre offre actuellement 17 millions et demi pour hâter la construction d'un dixième bassin à flot et l'ouverture d'une nouvelle :~t~ Celle de Marseille a ~P- installation hydraulique comprenant une bigue de 1~ chambre de Lorient a doté cette ville d'un entrepôt et d'un magasin général. Les chambres de Boulogne, Dieppe, Calais, Dunkerque ne se sont pas bornées à faire a l'État de simples avances, elles lui ont consenti, en outre, des subventions fermes, en échange desquelles on leur a concédé la perception de taxes d'un caractère parti-
uulier.
Ces grosses dépenses ont été couvertes surtout par l'emprunt. Vovons comment le service en est assuré au moyen des ressources attribuées aux chambres par les lois en vigueur.
L'emprunt est autorisé par une loi, en vertu des principes généraux de notre droit public. Cette loi fixe, selon une formule à peu
,1. Ce droit est de 0 fr. GO cent. par tonneau de jauge sur tous navires venant
II a produit en 1882
un peu plus de 1 millions de francs.
"V~y'd' député, déposé dée.
3. Machine servant à soulever les plus lourds fardeaux.
K 0~ ~P=T~
(a p. 0/0), le chiffre de la somme à emprunter, et les conditions géné-
rales qui sont d'ailleurs fort larges. On permet aux chambres d'employer: soit adjudication publique, soit la souscription ouverte soit !a souscription de gré à gré sous forme d'obligations au porteur ou missibles par endossement, soit enfin la concession directe à un établissement de crédit.. Le terme de remboursement vient ensuite, et il est, toujours limité à une période restreinte, seize à vingt-cinq ans, rarement plus Lorsqu'il s'agit d'une simple avance faite au Trésor, la loi fixe également les délais de restitution en les faisant coïncider avec les échéances mises à la charge de la compagnie par son prêteur car elle n'est naturellement dans ce cas qu'un intermédiaire Pour couvrir les charges résultant d'une opération de ce genre, la chambre de commerce reçoit concession de droits variables. s s agit d'installer un outillage de manutention ou un agencemen d'abri ou de dépôt, elle propose un tarif de droits d'usage que la loi approuve et rend exécutoire. Si les établissements à conspire sont d'utilité plus générale, les droits sont établis sur le mouvement maritime et frappent tous les navires venant prendre ou laisser charge, proportionnellement à leur tonnage. On affranchit toujours de cette surcharge les bâtiments légers auectés à la pèche 0~~ cabotage, au remorquage et pilotage, ainsi que les navires de l'État. L es taxes spéciales sont perçues par les agents des douanes, qui en remettent le produit au trésorier de la chambre contre mandats dûment ordonnancés par le préfet. "'a"udn,
Il a été établi récemment dans trois ports de la Manche, Calais, Boulogne et Dieppe, des droits de cette nature dans des conditions
assez curieuses.
Ces ports se trouvent dans une situation sensiblement pareille au point de vue du transit des marchandises et des voyageurs; aussi sontils entrés ensemble dans le mouvement provoqué et encouragé par le gouvernement. Boulogne avait besoin d'un port eu eau profonde, Calais et Dieppe réclamaient des bassins nouveau.. Chacune de ces trois villes vit sa demande accueillie, à la condition de contribuer personnellement aux dépenses d'amélioration. Les chambres de commerce intervinrent dans le but de donner satisfaction à cette demande 1. Ce dernier mode est le plus avantageux; il évite les frais de trésorerie et de
timbre. Les fonds peuvent être retirés successivement et à l'instant du besoin.
Ils donnent lieu à l'ouverture d'un compte courant productif d'intérêts. A l'occa-
sion, on peut se libérer par anticipation sans grands frais.
d~O~D~ ports de Boulogne, de Calais,
de Dieppe. Duverg., p. 310 et suivantes.
de l'État. Celle de Boulogne offrit à titre de subside 2 millions, et fournit de plus 4 millions en forme de prêt; la chambre de Calais donna 4,250,000 francs, et en prêta 8,430,000; celle de Dieppe apporta aussi un subside de 4,250,000 francs, et consentit un prêt de 4,U50,000 francs. Ces sommes relativement considérables furent enpruntées 1, et pour en assurer le remboursement, on autorisa dans les trois ports la perception de droits spéciaux. C'est ici que commence le côté singulier de cette triple opération. Ces trois ports ayant à peu près la même situation économique sont naturellement rivaux. Ils s'imposaient à l'envi des sacrifices pour l'amélioration de leurs établisse- ments maritimes, dans le but de les maintenir respectivement à la hauteur des besoins modernes et dans la crainte de voir le trafic se concentrer au profit de l'un d'eux. Mais il ne fallait pas que les charges résultant de ces sacrifices devinssent précisément une cause d'inégalité, aussi voyons-nous les trois chambres de commerce et les municipalités se préoccuper avant tout, dans leurs négociations avec l'État, des dispositions prises par leurs voisines, afin de rester avec elles sur, un pied d'égalité quant aux charges à imposer aux navires fréquentant leur port.
Il est résulté de ces communes préoccupations un système unique de taxation, qui est appliqué simultanément dans les trois ports. Les droits sont les mêmes, et ils doivent rester basés sur des tarifs égaux. Ce sont
'1° Un droit de 0 fr. 30 cent. par tonneau de jauge sur tout navire placé dans les conditions indiquées plus haut;
2" Un droit de 0 fr. 06 cent. par tonneau de jauge sur les navires à voyageurs;
3° Une taxe de 1 franc par voyageur embarqué ou débarqué. Les compagnies de navigation se sont empressées de rejeter le poids de ce dernier droit sur leurs clients en l'ajoutant au prix du passage, si bien que l'opération fournit à la fois un modèle très particulier de capitation spéciale et un exemple curieux d'incidence de l'impôt. Nous pouvons citer encore à titre d'exemple intéressant les dispositions prises d'accord par la municipalité et la chambre de commerce de Dunkerque, dispositions qui ont été ratifiées par une loi en date du 5 septembre 1884 La ville doit avancer à l'État 3i millions de francs, pour la garantie desquels la chambre s'est engagée solidaire1. Au Crédit foncier, qui est le banquier ordinaire des établissements publics.
2. EUes l'ont même un peu aggravé. Comme ce sont des compagnies anglaises, elles ont augmenté leurs prix de 1 shilling, soit 1 fr. 25 cent. par tête. 3. Duvergier, p. 311.
ment avec elle. Cette somme sera remboursée par l'État en capita seulement, au moyen de 20 annuités de 1,850,000 francs chacune payables à partir de 1887. Ainsi la ville et la chambre consentent supporter intégralement la charge annuelle des intérêts, moyennan la concession d'une surtaxe de 0 fr. 30 cent. ajoutée à un droit de ton nage établi en 1882. Ce droit a été porté par là à 0 fr. 70 cent. pai tonneau de jauge.
De tout ce qui précède il résulte que les opérations financières de: chambres peuvent se répartir en deux catégories 1° celles qui on un caractère personnel, en ce sens que les compagnies empruntent su) leur seule initiative et à leur propre usage; 2" celles qui constituen au fond de véritables emprunts d'État, réalisés par une voie indirecte Autrefois, on employait déjà ce moyen, en prenant parfois pour intermédiaires des personnes dont le seul but était de profiter de iapénurit et du discrédit du Trésor pour s'enrichir à ses frais. Le cas n'est certes pas le même ici, et pourtant le procédé n'est guère plus recomman.dable. En effet, l'État n'a aucun intérêt sérieux à emprunter de cette façon; l'intérêt est au moins égal au taux courant des émissions direc. tes. Le Trésor doit recevoir les fonds même sans besoin immédiat; il les verse alors à la Banque, où ils restent improductifs, alors que l'Etat doit servir 4 ou 4 p. 0/0 aux chambres afin d'assurer le service de l'emprunt. M. Léon Say, signalant en 1879 ces inconvénients, proposait de remplacer le système actuel par un procédé beaucoup plus rationnel et tout à fait conforme aux idées de décentralisation signalées plus haut. « Il faut, disait-il, laisser aux chambres à la fois la responsabilité de leurs emprunts et la direction des travaux, en venant à leur aide au moyen de subventions fournies directement par le Trésor, x Ce système aurait en effet le double avantage d'intéresser puissamment les chambres à la prompte exécution des travaux, tout en leur laissant une part de responsabilité suffisante pour garantir la sagesse et la maturité de leurs décisions; de dégager l'Etat d'unefoule de soins secondaires, qui compliquent sa tâche et détournent son attention des parties principales de son rôle. Il est suivi assez généralement par les autres pays maritimes, où l'État laisse à des corporations diverses l'initiative et le soin des travaux d'entretien et d'amélioration, sauf bien entendu son droit de contrôle supérieur. Une proposition de loi récente, due à l'iniative parlementaire t, est entrée assez complètement dans cet ordre d'idées; elle est d'ailleurs sujette à critiques, ainsi que nous le verrons tout à l'heure.
1. \'oy. ci-après les observations relatives à la proposition de MM. Faure et Siegfried, députés.
IV
Dès que le pouvoir central a permis aux chambres de commerce de déployer une certaine initiative personnelle, elles ont donc montré, dans plusieurs régions, une activité bien propre à montrer que la centralisation administrative n'est pas encore parvenue à tuer complètement nos vieux instincts de libre vie locale. Cette expérience, très probante dans sa brièveté, ne pouvait manquer de fixer l'attention des pouvoirs publics. Elle a motivé le dépôt de plusieurs projets de loi sur la matière; nous devons maintenant les examiner en nous tenant toujours au seul point de vue du rôle financier des chambres. De ces projets, le premier en date fut présenté au Sénat par M. Hérisson, ministre du commerce, au mois d'aoùt 1884. Il était évidemment inspiré par la préoccupation de donner à la représentation commerciale tout l'éclat, toute l'influence, tous les pouvoirs possibles, et même quelque chose de plus. Ce vaste plan avait un défaut bien grave il était insuffisamment étudié et ne trouvait point sa place dans l'édifice compliqué de nos lois administratives. II tomba avec son auteur; mais, nous le verrons bientôt, ses dispositions financières furent utilisées dans la suite, ce qui nous dispense de les discuter ici.
Pourtant le branle était donné, la nécessité de faire quelque chose s'imposait; les chambres de commerce, justement émues, étudiaient de leur côté la question de leur propre réforme. M. Pierre Legrand, successeur de M. Hérisson, se décida à déposer à son tour un projet (26 décembre 1884), qui avait surtout pour but d'organiser l'institution sur une base plus large, sans modifier sensiblement les règles de sa gestion financière L'échec de M. Pierre Legrand aux élections générales de 188o ayant amené sa retraite, son projet resta également lettre morte. M. Edouard Lockroy, le ministre actuel, en déposa un troisième sur le bureau de la chambre le 2 février 1886 2. Trois projets en dix-huit mois, présentés par autant de ministres successifs On voit que la matière est délicate et les avis partagés. Ajoutons qu'un quatrième projet a été élaboré et déposé par MM. F. Faure et J. Siegfried en avril 1886 3. Ces deux honorables députés trouventles propositions du gouvernement incomplètes, et réclament davantage. Malheureusement, abondance de biens nuit quelquefois; le commerce français 1. Voy.o: o/~c. Documents de la Chambre, 1884, p. 2269.
2. Chambre des députes, annexe n" 394, session de 1886.
3. Chambre, annexe n° 108.
a lieu de s'en apercevoir aujourd'hui, car, selon toute apparence, il n'est pas près encore de voir aboutir selon ses désirs et ses besoins le long travail de préparation de la charte constitutive de sa représentation légale.
Si nous examinons, en effet, la solution proposée par M. Lockroy, nous verrons bientôt qu'elle prête le flanc à de graves critiques, et que son projet, bien qu'il soit inspiré par de très louables intentions, devra subir avant d'entrer en application de profonds remaniements. Au point de vue financier notamment, il a été calqué sur le projet Hérisson et présente par suite les mêmes défauts. Il résulterait de son adoption d'inextricables conflits entre la loi nouvelle et les textes anciens qui régissent diverses branches de l'administration publique. C'est ce que nous allons essayer de démontrer.
Le projet se divise en 7 titres et 46 articles. Les dispositions générales relatives à la gestion financière des chambres de commerce remplissent le titre V tout entier (article 26-33). H y faut ajouter l'article 46 et dernier, qui abroge en masse les textes antérieurs. Résumons rapidement ces dispositions, en indiquant d'abord que la question électorale est réglée par l'article 25, appliquant aux chambres la loi du 8 décembre 1883 sur la constitution des tribunaux de commerce'. Il en résulte une assimilation fort peu justifiée entre les deux institutions, et de véritables impossibilités pratiques. Ainsi, l'article 26 supprime l'article 38 de la loi sur les patentes du 15 juillet 1880, calqué luimême sur la loi de 18M, qui impose à une partie seulement des patentés la contribution spéciale établie au profit des chambres d& commerce. Le nouveau texte propose d'étendre cette charge à « tous les patentés de la circonscription de la chambre inscrits sur les listes électorales ». Dans l'exposé des motifs (p. 15 du docum. cité), on allègue pour justifier cette mesure que « l'application du suffrage universel à l'élection des membres des chambres de commerce (art. 23 du projet) doit avoir pour conséquence la répartition proportionnelle des charges entre tous les intéressés ». On pourrait croire en lisant ceci qu'à partir de l'application du projet, toute personne payant patente va prendre part à la fois aux droits et aux charges qu'il prévoit. 11 n'en est rien cependant. Les rédacteurs de ce document se sont laissé séduire par la sonorité creuse d'un mot et d'une théorie, sans prendre le temps d'aller au fond des choses.
Nous remarquons en effet, en premier lieu, que la loi du 8 décembre 1883, appliquée par l'article 25 du projet aux élections consulaires, met par son article i~ des conditions rigoureuses à l'obtention i. Duvergier, 1883, p. 334.
de l'électorat commercial. Ainsi, il faut.justiSer de cinq ans d'exercice du négoce, et de cinq ans de domiciie'dans un même ressort de tribunal de commerce pour être inscrit sur les listes. Voilà donc une catégorie très nombreuse de commerçants exclus des listes, et par suite dispensés tous du paiement de la taxe spéciale, puisque le S 3 de l'article ~6 du projet limite formellement « aux patentés admis à élire les membres des chambres de commerce et d'industrie » le poids de cette contribution supplémentaire.
De même, 1 article 2 de la loi de -1883 édicte de nombreuses incapacités dont la plupart n'excluent pas ta'quatité de commerçant patenté. Voici une seconde catégorie, assez importante, privée du privilège de voter, mais revêtue du privilège de ne point payer.
Une circulaire récente du ministre de la justice a encore exclu des listes consulaires un certain nombre de personnes patentées à raison de professions étrangères au commerce. Autant d'exceptions à ajouter aux précédentes; beaucoup parmi ces patentés payent aujourd'hui la taxe. On les décharge, d'où un déficit notable à prévoir dans les recettes. Nous allons maintenant trouver des électeurs qui voteront sans payer. En effet, la loi de 1883 admet à l'électorat consulaire des personnes que celle du la juillet 1880 a dispensées de la patente Tels sont, par exemple, diverses catégories d'associés en nom collectif, les membres anciens des tribunaux de commerce (lorsqu'ils ont quitté'les affaires), les capitaines de navires, les directeurs de sociétés anonymes etc Ainsi beaucoup de commerçants ou assimilés, fort intéressés d'ailleurs aux agissements des chambres, tirant grand profit de leurs institutions et établissements, appelés peut-être à en faire partie, seraient entièrement exonérés des charges d'administration, de construction, d'entretien. D'autres au contraire, peu touchés personnellement par les faits et gestes de ces compagnies, supporteraient une partie des dépenses. Il y aurait là une inégalité flagrante, un privilège fiscal bien caractérisé, que le Parlement ne peut sanctionner. On remplacerait, par l'adoption de ce projet, le système actuel qui frappe de préférence les gros négociants, par une combinaison peu logique, distribuant la fiscalité au hasard de circonstances arbitraires et purement fortuites. C'est là un exemple caractéristique des résultats obtenus par l'abus des formules toutes faites.
La proposition déposée par MM. Faure et Siegfried est plus logique à ce point de vue, que le projet du ministre. Elle prend la question par le côté opposé et accorde en principe l'électorat à tous les patentés actuellement désignés par la loi fiscale du 15 juillet 1880, et en outre t. Voy. art. 17, 21, 23 de cette loi et l'art. 2 de la loi de 1883.
A. TOME II. 13
à ceux des commerçants exemptés qui consentiraient à se soumettre à la taxe spéciale imposée au profit des chambres. Ce système aurait l'avantage de ne point contrarier les dispositions de notre code finaneier, tout en réalisant le but cherché par tout le monde imposer la charge à celui qui jouit du droit de vote.
En examinant attentivement l'article 26 du projet du ministre, on y découvre encore plusieurs défauts graves au point de vue de l'applictHion Cet article ne fixe pas d'une façon nette la base dela taxe spéciale destinée à pourvoir aux dépenses des chambres de commerce. L'article Hi de la loi de finances du 2 juillet 1820 décidait que cette taxe spéciale serait prélevée sur « le principal de la patente ». L'article 26 se borne à dire qu'elle sera « proportionnelle à la patente »,
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sans préciser sur la question de savoir si cette patente comprend à la fois le principal, et les centimes, qui sont aujourd'hui fort lourds et très inégaux. Comme l'article 46 abroge tous les textes antérieurs, celui de 1820 disparaît dans la débâcle commune et doit être remplace dans toute sa teneur~. t-
A un autre point de vue, cette même loi de 1820, par son article JS 5 combiné avec l'article .4 de la loi de finances du 14 juillet 1838, règle les frais de perception et la taxe de non-valeurs afférents à la contribution établie au profit des chambres. Les rédacteurs du projet ont oublié toutes ces dispositions nécessaires. Il faudra les rétablir au projet avant de lui donner une sanction définitive.
L'article 27 autorise en principe les emprunts en désignant les ressources destinées à les gager. Ces ressources seraient tout simplement des surtaxes ajoutées à la contribution prévue par l'article 26, et venant par suite aggraver ses défauts.
L'article 28 fixe un détail de comptabilité il conserve la règle actuelle de la spécialité des ressources, qui exige un budget spécial pour les dépenses ordinaires, et des comptes séparés pour chacun des établissements gérés par les chambres. Cette prescription est motivée par la nature différente des sources de revenus qui alimentent les dépenses, et par la nécessité d'éviter toute confusion dans l'emploi des fonds fournis par l'impôt. Mais elle a l'inconvénient de gêner beaucoup les chambres dans l'organisation de leurs budgets, en les empêchant de compenser à l'occasion une insuffisance de l'un des comptes par un reliquat obtenu sur tel autre. Faure et Siegfried proposent de supprimer ces distinctions en fondant en un seul bloc, sous le nom de
1. Le g 2 de l'art. 29 du projet, ainsi conçu dans aucun cas, le nombre des centimes additionnels ~p~c~~ ne ~~epasser iO~~nt~ bien que resprit du document est dans !o sens de la loi de 182~ Il n.n e~ pas moiM utile de préciser !e sens de Fai-t. 26, capital & ce point de vue.
« recettes ordinaires », les ressources provenant de la taxe spéciale sur les patentes; des redevances payées pour l'usage des établissements des taxes d'occupation perçues sur les parties du domaine public concédées aux chambres des droits de quai alors abandonnés par le Trésor; des titres et valeurs possédés; des contingents accordés par l'État, les départements, les communes. Cette solution paraît critiquable. En premier lieu, la spécialisation des fonds provenant de la taxe sur les patentés est une garantie donnée au contribuable commerçant, auquel on demande un sacrifice supplémentaire en vue d'un service nettement déterminé. II est difficile de supprimer cette garantie en fondant le produit de la taxe dans la masse des recettes indiquées. En second lieu, il nous parait difficile de compter comme ressource ordinaire les contingents, accidentels par leur nature, fournis par le Trésor ou les localités en vue de l'établissement d'ouvrages coûteux.
L'article 29 décide que le taux des perceptions annuelles sera arrêté pour chaque chambre par un décret. Il ajoute que le nombre des centimes additionnels ne devra en aucun cas dépasser 10. Nous ignorons sur quels éléments on s'est basé pour fixer ce maximum, qui n'a aucune valeur pratique. Dans l'état actuel des choses, lorsque l'impôt des patentes pris dans son ensemble supporte déjà le poids écrasant de 106 1/4 centimes additionnels, soit 106 fr. 23 cent. de supplément par 100 francs d'impôt, ce chiffre de 10 centimes peut passer pour imprudent. Si au contraire le commerce venait à jouir d'une situation moins grevée, on pourrait dans certains cas permettre, sans grand inconvénient, de dépasser ce nombre. MM. Faure et Siegfried ont trouvé une formule plus élastique en permettant de dépasser 10 centimes moyennant l'approbation du Parlement.
L'article 30 autorise spécialement les chambres de commerce à contracter des emprunts en vue de concourir aux dépenses pour travaux publics, par application de l'article 10 précédent. Ces dispositions, introduites avec une sorte d'affectation dans le projet, dénotentbien la tendance actuelle, qui pousse le gouvernement appauvri vers les emprunts indirects. C'est là une voie assez dangereuse; elle a causé autrefois de graves embarras dont on ferait bien de se souvenir un peu plus aujourd'hui.
L'article 31 règle les conditions de ces emprunts. Un décret rendu en conseil d'État pourrait les autoriser (aujourd'hui il faut une loi, t. Cette idée de concéder aux chambres des portions étendues du domaine (quais, docks, etc.) est l'une des plus importantes du projet; la loi actuelle ne l'exclut pas d'ailleurs, mais la pratique administrative en restreint l'application.
et cette disposition restera préférable tant que les contribuables seront menacés d'une surcharge du fait de ces opérations). Les conditions de réalisation sont celles indiquées dans toutes les lois récentes d'autorisation, et restent très larges. Nous n'en pouvons dire autant de la condition d'amortissement établie par le § 2 de l'article 29, qui en fixe la durée maximum à douze ans. Nous ne voyons pas bien sur quoi l'on s'est basé pour établir ce terme de rigueur, sans tenir aucun compte de la variabilité des cas. La pratique actuelle est bien plus sage en laissant à l'autorité compétente le soin de fixer ce point selon les nécessités de chaque opération.
L'article 32 réclame des chambres « un compte rendu annuel d'amortissement H de leurs emprunts; cette formule gagnerait à être remplacée par une indication plus précise. Un compte rendu peut prendre bien des formes différentes et parfois insuffisantes. C'est un « tableau annuel d'amortissement qu'il faut demander, et non pas un compte rendu.
Enfin l'article 33 renvoie au conseil d'Etat le soin de déterminer les procédés de comptabilité propres à faciliter le contrôle de la gestion financière des chambres Le projet de M. Hérisson faisait déjà de ces compagnies des « établissements publics M et les soumettait par là. au contrôle du corps de l'inspection. Les intéressés ont assez mal accueil!: cette assimilation, qui les ferait entrer de plain-pied dans la hiérarchie des corporations soumises au contrôle étroit de la tutelle administrative. Leur opposition ne semble pas avoir produit grand elfet sur les auteurs des projets de 1886, car ils ont aussi revêtu les chambres du caractère public. En présence de l'extension donnée aux attributions de ces compagnies, on a senti le besoin de les surveiller de plus près qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Mais l'inquisition administrative rencontrera toujours une vive opposition dans les chambres, qui sont fort jalouses du secret de leur vie intérieure, et ne laissent voir au public, dans l'état actuel des choses, que ce qu'il leur plaît de montrer en dehors de la publicité très restreinte imposée par la loi. En résumé, M. Lockroy, partant à la suite de M. Hérisson d'un principe général dont on abuse par trop aujourd'hui, est arrivé à un système injuste et illogique d'abord, impraticable ensuite au point de vue financier. Avant d'adopter son projet, il sera nécessaire d'en modifier radicalement les dispositions concernant l'assiette de la taxe spéciale sur les patentes, et de combler les lacunes qu'il renferme en ce qui concerne les règles d'application. Essayons de trouver une solution acceptable pour la première de ces deux questions.
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Le système actuel soumet à la taxe les patentés compris dans les trois premières classes du tableau A annexé à la loi du 15 juillet 1880, et de plus ceux qui, étant inscrits dans les tableaux B et C, sont passibles d'un droit fixe égal ou supérieur à celui desdites classes. Les trois premières classes du tableau A comprennent tous les négociants en gros et en demi-gros, et les fabricants marchands de moyenne importance, payant un droit fixe de 400 à 18 francs. Le tableau B réunit un grand nombre d'affaires difficiles à catégoriser, très disparates, et notamment les grosses entreprises de banque, d'assurances, de commission, les sociétés anonymes, etc., dont la patente est très élevée. Il n'était que juste d'assimiler cette classe de contribuables aux trois premières du tableau A, dont elle n'est séparée dans le texte de la loi que par les raisons d'application fiscale.
Les patentés compris dans ces diverses catégories payent la contribution spéciale destinée aux chambres de commerce, quelles que soient d'ailleurs la nature de leurs occupations et l'étendue de leurs droits électoraux en matière commerciale. Tous les autres et cette seconde division englobe presque exclusivement le menu commerce et les petits ateliers sont exempts de la taxe spéciale, ce qui ne les empêche pas de jouir de l'électorat et de l'éligibilité consulaires, pourvu qu'ils remplissent les conditions de qualité, de temps et de domicile fixées en dernier lieu par la loi de 1883. Donc, s'il y a aujourd'hui privilège en cette matière, c'est au profit des plus pauvres qu'il s'exerce. Et dans la pratique, ce privilège est mince, car il est bien évident que le haut négoce et la grande industrie s'intéressent bien davantage à l'institution des chambres et en tirent une utilité plus directe que ne peut le faire le commerce de détail. L'adoption du projet Lockroy aurait pour résultat d'assujettir à la taxe les petits marchands électeurs, en exonérant les grosses maisons de création récente et les grandes entreprises impersonnelles. Le privilège disparaîtrait en théorie, il ne serait en réalité que déplacé, et cela de la façon la moins justifiée. Dans ces conditions, mieux vaut, croyonsnous, conserver les choses dans leur état actuel. La vraie justice en sera mieux gardée, malgré les apparences et en dépit des formules de haute philosophie politique dont on veut faire ici une application bien inopportune.
Si l'on désire arriver à une suffisante égalité de traitement entre tous les commerçants, il faut examiner la question de plus haut et
établir un raisonnement plus complet. En effet, si nous admettons d'abord que tous les négociants dignes de ce nom ont un intérêt certain à l'existence d'une représentation commerciale, il en résultera que tous devront contribuer proportionnellement aux frais de ce rouage plus ou moins directement utile à chacun. Nul ne pourra. échapper à cette contribution sous le prétexte qu'il ne jouit point du droit d'électoral consulaire, car ce n'est en aucune façon ce droit qui constitue la raison d'être de l'obligation fiscale, mais bien le profit que l'on tire de l'institution en elle-même. A-t-on jamais exempté un individu de ses taxes générales sous prétexte qu'il était dépourvu de l'électorat politique ou municipal? Nullement. C'est que l'on paye des impôts non pas pour jouir d'un droit abstrait, mais bien pour profiter des divers avantages résultant de l'organisation politique et locale qui nous entoure et nous protège, en nous gênant aussi un peu quelquefois.
Il résulte de ce qui précède que si tout commerçant doit jouir, en principe, du droit électoral consulaire, il n'en est pas moins vrai que le législateur se considère comme autorisé, par des raisons d'intérêt commun, à mettre certaines restrictions à l'exercice de ce droit. Or ces rayons n'existent pas en matière fiscale, ou plutôt il est à ce point de vue des raisons différentes. On refuse à tel individu le droit d'élire parce qu'il ne remplit pas les conditions imposées par la loi, ou bien parce qu'il s'est rendu lui-même incapable; on ne doit l'exonérer d'une taxe qu'à raison de la modicité de ses ressources. De là nous devons conclure que la situation commerciale de l'individu doit seule déterminer ses obligations fiscales, à l'exclusion de sa qualité. Pour ces motifs, le système actuel, que l'on pourrait peut-être étendre un peu en procédant avec beaucoup de prudence, nous parait devoir être préféré. C'est d'ailleurs le parti auquel s'était arrêté M. Pierre Legrand en rédigeant son projet de décembre 1884. Dans son état actuel, il comporte sans doute quelques irrégularités, par exemple quand il frappe les patentés non commerçants d'une taxe qui ne les intéresse en aucune façon, mais ces défauts sont peu de chose auprès de ceux qui déparent le projet nouveau 1.
Maintenant, une autre question se présente à nos réflexions, et elle n'est pas moins grave que la précédente. Doit-on donner aux chambres de commerce, en même temps qu'un large champ d'initiative, les moyens de le parcourir en imposant aux contribuables commerçants les charges résultant de leurs entreprises? Nous admettons en principe 1. Ces lignes étaient écrites quand le projet Faure-Siegfried est venu entre nos mains. La solution que ces deux honorables députés proposent remplit très suffisamment le but que nous indiquons.
que jusqu'ici l'activité de ces compagnies est restée trop étroitement bridée, et nous croyons que l'on doit faire quelque chose pour leur permettre de l'exercer plus librement. Mais cela ne veut pas dire qu'il serait bon de leur laisser trop de facilités pour puiser dans la bourse des particuliers, déjà si rudement éprouvée par les exigences multiples de l'administration générale et locale. Le recours aux taxes sur les patentes doit rester exactement surveillé; seule, la faculté de recueillir et d'appliquer librement des contributions volontaires peut être rendue aussi large que possible. La loi devrait toujours intervenir pour autoriser des surcharges d'impôt. De cette manière, on laisserait une issue ouverte aux dépenses vraiment utiles, tout en opposant des obstacles notables aux entreprises imprudentes ou injustifiées. Dans l'état actuel des choses, et le projet de M. Lockroy maintient cette situation, un simple décret suffit pour établir la perception de chaque chambre sur ses propres propositions. Jusqu'ici les tendances de l'administration ont sévèrement maintenu ces propositions dans un cadre assez restreint. Qui sait si, sous l'influence des idées nouvelles, nous ne verrions pas le gouvernement tomber dans l'excès contraire, au risque d'exciter un vif mécontentement dans certaines localités, et de faire servir l'argent des contribuables à des entreprises mal conçues ou tout au moins mal accueillies par une grande partie des intéressés, sinon par tous?
En résumé, si l'on étend les prérogatives et attributions des chambres de commerce, et de cela nous ne nous plaindrons pas, si on juge indispensable d'étendre aussi leurs pouvoirs fiscaux, il faut en même temps entourer l'application de ces pouvoirs de garanties capables de protéger le contribuable contre l'inexpérience, l'imprudence et l'abus. Mais, dira-t-on, le contribuable ne peut-il se défendre lui-même, puisqu'il tient dans ses mains l'autorité définitive conférée par le droit électoral? Cette raison n'est juste qu'en partie; nous savons en effet que bien des commerçants payent sans voter, et le projet ne changerait rien à cette situation. Les contribuables placés dans cette catégorie n'ont par suite aucun recours contre ceux qui disposent de leur bourse sans les consulter. Il est donc nécessaire que le pouvoir central les remplace en exerçant sur la gestion des chambres un contrôle rigoureux.
VI
A l'étranger les institutions consulaires affectent des formes très variées. Dans quelques pays, ce sont des associations entièrement
libres, fondées par la seule initiative du commerce et ne subsistant que de ses cotisations spontanées. L'Angleterre présente l'exemple le plus ancien et le plus complet de ce système; les chambres de commerce y forment une association puissante, à laquelle les pouvoirs publics ont souvent recours pour s'éclairer sur des questions spéciales. En Prusse, les chambres de commerce ont besoin, pour se former, d'une approbation ministérielle, qui leur donne le droit d~imposer des taxes sur tours électeurs. Ces derniers sont pris exclusivement parmi les négociants enregistrés, ce qui exclut le commerce de détail. En Autriche, ces compagnies jouent un rôle important dans le domaine de l'administration et de la politique elles envoient des députés spéciaux dans les chambres législatives. Leurs ressources proviennent des cotisations versées par leurs membres et au besoin de contributions sur les commerçants. En Hollande et en Russie, leurs dépenses sont couvertes par les budgets communaux. En Italie enfin, tes recettes des chambres de commerce sont fort variées. Souvent elles possèdent en propre des biens patrimoniaux si le produit de ces biens est insuffisant, ou s'ils font défaut, la chambre peut taxer certains actes qu'elle est chargée de délivrer, ou même imposer les négociants et industriels. Ceux-ci sont alors divisés en classes à raison de l'importance de leurs affaires et payent de 1 à 1,000 francs selon leur classe. C'est là un véritable impôt spécial sur les bénéfices
Entre ces divers systèmes, celui qui appellerait toutes nos préféMnces est, sans aucune hésitation, le système anglais. Il constitue une application vraiment large et libérale du droit d'association dont nos voisins jouissent depuis si longtemps, et que nous devrions bien apprendre à pratiquer, maintenant que nous le détenons sans conteste. Le haut commerce français n'est-il pas assez éclairé, assez pénétré de ses intérêts, pour comprendre pleinement l'utilité de ces compagnies, qui sont ses organes naturels auprès des pouvoirs publics, ses agents d'études et d'information au dedans et au dehors? Les efforts accomplis sous l'égide et aussi sous la contrainte un peu jalouse de l'administration nous permettent de. croire qu'il saurait continuer son mouvement, même après la rupture des liens officiels.
Le souvenir de la chambre libre de Nantes et de son budget alimenté uniquement par les contributions volontaires de ses membres participants est bien fait pour appuyer cette opinion, et le bel exemple donné par la chambre de Bordeaux montre d'ailleurs que, dans certains cas, ces compagnies peuvent réduire leurs sacrifices au minimum par une bonne gestion. En affranchissant les chambres de commerce 4. Rapport présenté à la chambre de commerce de Paris, 1884.
de la tutelle administrative, on leur donnerait cette vitalité propre, cet intérêt passionné qui anime les corporations libres et les fait vivre et prospérer longuement. Elles deviendraient alors la vraie tête pensante et agissante du commerce français; se sentant plus libres et par suite plus responsables, elles mettraient à honneur de faire mieux et davantage que par le passé. Enfin, chose qui n'est pas à dédaigner, Lien des embarras et bien des difficultés disparaîtraient; le gouvernement perdrait un souci, en même temps qu'une de ces greffes parasites qui se sont implantées parmi les rameaux déjà si touffus de ses attributions. Personne, à notre avis, n'aurait lieu de s'en plaindre, nous croyons fermement que tout le monde ne tarderait pas à s'en féliciter
LÉON POINSARD,
Membre du Croupe d'économie politique et de finances.
1. Le nombre des chambres de commerce est aujourd'hui de 91, plus 5 en Azérie. La taxe spéciale a été réclamée en 1885 par ~8 chambres, et s'est élevée ,a 341~67 francs, y compris 12,233 francs spécialement destinés à 21 bourses de commerce. Voici quelques chilfres à titre d'exemple La chambre d'Annonay a demandé 3;j0 francs; Nice, 4~ francs; le Havre, 39,138 francs: Marseitle, 62,800 francs; Paris, 64,000 francs (Bull. clés lois, 1884-85).
Nous ne pouvons parler ici en détail des chambres de commerce récemment fondées par les résidents français dans certaines villes étrangères. Ce sont des corporations entièrement libres, parfois subventionnées par notre gouvernement, et appelées, croyons-nous, à rendre des services. Ce mouvement vient bien à l'appui de l'opinion exprimée plus haut sur l'efficacité de l'initiative privée, car ces compagnies vivent surtout de cotisations volontaires.
LA POLITIQUE FRANCISE
AU CONGRÈS DE RASTADT
Cl 797-1799) iStti~t
LA CESSION DE LA BtVE GAUCHE DU NHN
1
~gMe!'H:cA aHHOHce à /a ~g~u~c~oK que /a ~epM~MC &M~e /a c~~MM ~c ~a to~H~ ~e ~e~NMcAe ~M ~/Mn. Profes~~oHS ~a ~M~~MK/ ecAdM~e ~c KO~s. /~o/!<~Me ~'M<tMï~atMH des FranpaM. F?'reMr ~M 2)t?'cpfotre jo'~Mmc trop ~s J'aMfor<M /<ï ~M~a~'OM e< M~OMHf<~ Ja~MMsa~ec as ~~6'M~e?'eM?\ Z'AMfrzche es~ ~s~osce à uenc~e ei' non à ~OHKf)' son coKseM<e?Ken<. Ze 7)~ec<OM'<' ?'e/MM de ~ac/!e<e~. y're<7Aa?'s cro~ ~H /a vertu de /'a//tanceprMssMKH~. /Kce?'<~M~e des ~Mcs d'M ~OMue?'HeMMH~ /?'aKfaM. ~'OMue~/es notes conMMHa~otres. Z.a ~epM<s~oM ~en~ l'avis des p'~rcsen~anfs HOH-~M<~ des ~c!~ /'F/npM'c.
La légation ft'ançatse avait annoncé le i7 janvier 1798 à Metternich et Albini les exigences du Directoire; ce fut deux jours après, à !a. séance du 19, que le plénipotentiaire impérial transmit aux députés la communication dont il avait été chargé. « L'expérience, dit-il a prouvé malheureusement à la députation de l'Empire à quel ennemi elle a affaire, et comment cet ennemi se permet d'interpréter sa parole donnée d'après sa propre convenance se rappelant peu la foi des 1. Voir les .4MM/M des 15 janvier et 15 juillet 1886.
2. --1M.. t. 6'!4, n" 1H. Dans toutes les citations des notes reeues par ia légation française et des fmtres pièces dont l'original est en allemand, je m'attacherai à conserver !a traduction, exacte d'ordinaire, mais pou élégante qu'en faisait Rosenstiel. Les notes se trouvent presque toutes dans l'ouvrage intitulé jPt'otokolt de), Reichsfi,iedens£leputation zit Rastadt, par le baron l\fünch von Bel- <o~oM f~' .RM'c/M/Men~<jM<a<!0/t XM .Ra~a~, par )e baron Mûnch von Beltinghausen. Rastadt, 1800, 6 voi. pour Je me bornerai en gênera) à les analyser.
Eues ont. Été pubtiees également pour ]a ptapart dans ie ~ON:<eMr et dans les
JVoMM'Me.! p0~t<!yMM de Leyde (NOMM~M e~MOf~Ma~'M ~'MM Cttd't'O:~).
peuples, il a déclaré inadmissible l'importante condition préliminaire de l'intégrité de l'Empire et a extorqué la production de pouvoirs illimités par la menace de la rupture des négociations. » Puis il annonçait que les Français exigeaient « comme base principale du traité a la limite du Rhin, et exhortait les députes à ne pas « livrer l'Empire à ses ennemis ». Ces expressions, comme le remarquait Treilhard, n'étaient « pas trop mesurées D mais on ne pouvait vraiment savoir mauvais gré à Metternich d'un accès d'humeur; il était naturel qu'il fit ses doléances dans un moment aussi solennel. Les discours d'ailleurs ne pouvaient être de grand effet, car le résultat du vote de la députation n'était pas douteux, et personne n'attendait qu'elle cédât à la première sommation. Les plénipotentiaires français n'avaient même pas cru devoir tenter une démarche pour atténuer les rigueurs du refus; pour eux, ce premier échange de notes était tout de forme, et ils se bornaient à souhaiter que les députés leur fissent perdent le moins de temps qu'ils pourraient. Or le protocole, rédigé le 22 janvier, ne fut signé que trois jours après, et le 27 seulement Metternich envoya le CMC/MSMH!. La proposition des plénipotentiaires français, y était-il dit, s'éloignait de celles qu'avaient eues en vue l'Empereur et l'Empire; puis la députation énumérait tous les justes motifs qu'elle avait de s'y opposer sans s'arrêter aux raisons d'État dérivées d'anciens droits et conservant toute leur force, elle ne pouvait passer sous silence que, par la limite proposée, les trois parties du cercle du Rhin les plus considérables seraient détachées de l'Empire, indépendamment du cercle de Bourgogne, et que beaucoup d'États marquants perdraient leurs pays et leurs possessions. La France ne se procurerait pas par cette annexion un agrandissement considérable, à cause de la différence de la langue et des mœurs, tandis que l'Empire et son système seraient ébranlés et qu'il ne pourrait plus soutenir ses rapports avec les autres puissances la constitution germanique, garantie par la France au traité de Westphalie, serait ruinée et laisserait un grand vide en Europe. D'ailleurs la France avait été l'agresseur; elle avait en outre déclaré qu'elle était éloignée de toute vue de conquête. Elle pouvait se promettre une véritable grandeur par sa modération, si elle présentait un autre projet. Après avoir repoussé les demandes de la République, la députation lui en adressait à son tour elle ne remit pas sur le tapis, comme on avait fait en séance, les droits de l'Empire « dans l'Alsace, la Lorraine, le cercle de Bourgogne, qui, à la vérité, auraient dû être restitués en vertu du traité de Ryswick 1. Déctaration de .Metternich. Cf. sur cette question Legrelle, Louis XIV et S~a~oM)' 4° édit., Hachette, in-8", 1886, et Albert Sorel, L'~Mro~e et la Reco/Ktion /~a):i'a: t. II, ch. III, Paris, 1887, in-8.
elle se borna à réclamer une plus stricte observation de l'armistice le retrait des troupes françaises sur la rive gauche du Rhin, et plus de douceur dans le traitement des émigrés, dans la levée des contributions et dans les <: républicanisations s Tout cela était « enveloppé de considérations verbeusement exprimées si bien qu'il faut parfois faire effort pour saisir la pensée de la députation.
La légation française connaissait toutes ces objections et ces plaintes; c'étaient celles que les députés ne cessaient de faire dans toutes les conversations particulières et que répétaient à l'envi les journaux allemands. Mais à attendre une semaine le coKC/M~Mm, la patience assez courte des Français avait commencé de se lasser; ils s'étaient irrités, et la note allemande, aussi raisonnable en réalité qu'on pouvait l'espérer, leur avait paru tout à fait déplacée. Aussi leur réponse fut-elle faite d'un ton qui, ils le croyaient, couperait court au <c bavardage a et accélérerait la négociation. Dès le lendemain, 28 janvier, elle était prête. Les plénipotentiaires accusaient réception à Metternich du ~OKC~tSMM et déclaraient le transmettre à leur gouvernement; mais ils tenaient à faire d'abord quelques observations c'était l'Empire qui avait déclaré la guerre à la République, qui n'y songeait pas; donc l'Allemagne ne pouvait se prévaloir du principe qu'on ne ferait pas de conquêtes. Ce principe n'ôtait rien d'ailleurs à l'idée d'une juste indemnité pour une attaque violente, et la députation reconnaissait-elle-même que, par sa nouvelle frontière, la République n'acquerrait qu'un médiocre agrandissement elle se bornait à pourvoir à sa sùreté à venir et à se donner des limites fixes. Quant à la constitution de l'Empire, la cession de la rive gauche ne l'altérait en rien. Du reste, ajoutaient les Français, les réflexions de la députation n'étaient d'aucune utilité; elle connaissait l'objet de leurs propositions y accéder et aux demandes subséquentes était le seul moyen de faire cesser le fléau de la guerre. Pour que personne n'en ignorât, la note fut insérée au J/oH:~M?'
On ia trouva, à Ratisbonne, « fondée dans tous ses points H du moins Bacher l'écrivait aux plénipotentiaires il ajoutait même à Talleyrand .< En comparant les deux pièces avec impartialité, on verra que la note allemande ne présente que de tristes et ennuyeuses vérités, tandis que la note des plénipotentiaires français contient des tournures extrêmement adroites, des assertions hardies, des remarques spirituelles, renfermées dans le cadre d'une rédaction très élégante ?. En admett..1M., t. 674, n° 176.
2. 12 février 1798, 24 pluv. \'I.
3. Bâcher aux ptén., 17 pluv. VI (5 fév. 179~, ~K., t. 682, p. 71, et Bacher à Tall., 17 pluv. (11 février); Alt., t., 697, p. 98.
tant même que telle fut l'opinion de la Diète, il est certain qu'on ne jugea pas de même à Rastadt. On y était si bien accoutumé, il est vrai, aux brusqueries des plénipotentiaires français, que la note ne choqua pas trop; elle parut même plus modérée qu'on ne l'attendait 1; mais ce « style d'avocat déplut, et naturellement la plaidoirie ne convainquit personne. Les députés semblaient décidés à tenir ferme; même une nouvelle grave qui venait de se répandre au congrès et ne pouvait manquer, selon les prévisions de la légation française, d'agir sur leurs résolutions, ne les ébranla pas le 25 janvier, le dernier retranchement de l'Empire sur la rive gauche, la tête de pont de Manheim, sommée par les troupes françaises d'ouvrir ses portes, avait été, sur son refus et malgré l'armistice, eanonnée et enlevée d'assaut. Cette « violation du droit des gens » sembla encourager la députation à la résistance plutôt qu'elle ne l'intimida le 31, elle vota sur la note française, et le 2 février Metternich envoyait le coHC/usMM?. C'était une rapidité à laquelle on n'était guère habitué de la part des négociateurs d'Empire; pourtant leur réponse demeurait dans les saines traditions de la diplomatie germanique si les plénipotentiaires français n'avaient pas été frappés tout de suite « de l'importance et de la vérité des raisons alléguées dans la précédente note, c'était « qu'on n'avait voulu présenter les choses préalablement que dans des propositions concises », et on les développait il y eût eu peutêtre d'autres moyens de les rendre plus claires. D'ailleurs les arguments demeuraient les mêmes l'Empire, qui avait été attaqué, ne devait pas être démembré sa constitution allait être ruinée; il y aurait violation des préliminaires de Léoben la République ferait mieux de préférer aux conquêtes « la vraie gloire de la modération politique ». On ajoutait toutefois que le cours du Rhin était tellement sinueux et semé de tant d'îles, qu'il ne pouvait être qu'une fort mauvaise frontière
Si les plénipotentiaires français avaient trouvé juste que dans une première note la douleur de la députation s'épanchât librement, ils estimaient que la seconde eût dû leur apporter déjà quelque concession, et puisque la députation ne l'avait pas senti d'elle-même, ils étaient disposés à le lui faire comprendre. Ils ripostèrent le lendemain 3 février, déclarant simplement qu'ils maintenaient leur première proposition; toutefois ils voulaient bien encore réfuter brièvement certaines objections jamais l'intégrité de l'Empire n'avait été prise pour base,.« il y aurait un excès inconvenable de crédulité à 1. Hüffer, Rast. coK~ I, 94.
2. ~M., t. 674, n° 199.
penser le contraire ?) mais ils seraient « coupables s'ils se laissaient entrainer dans des divagations M de ce genre et avertissaient la députation qu'elle serait responsable des suites de ses refus'.
Il était clair que les plénipotentiaires français perdaient patience et commençaient à trouver, après quatre notes échangées en vain, que la « comédie » durait trop. Ils paraissaient en effet, depuis qu'ils étaient entrés officiellement en discussion avec la députation, s'être accoutumés à envisager la négociation sous un aspect nouveau. Ils avaientété loin, au début, d'en considérer le succès comme assuré, leur correspondance en fait foi; mais si l'influence de l'Autriche et des ecclésiastiques sur les votes de la députation leur avait semblé d'abord étrangement redoutable, peu à peu, et sans peut-être qu'eux-mêmes en eussent clairement conscience, leurs inquiétudes s'étaient dissipées. Les formes surannées de la négociation, la faiblesse de l'Empire dans l'affaire de Mayence et dans celle des pouvoirs, les jalousies mesquines et les querelles bruyantes dont les petits princes fatiguaient le congres, avaient inspiré à Treilhard et à Bonnier un singulier mépris pour la députation. Ils n'imaginaient plus devoir en attendre autre chose qu'une prompte soumission à leur volonté la résistance qu'elle y fit les surprit et les irrita. Mais assurément c'eût été perdre le temps, jugeaient-ils, que d'entrer en discussion avec de tels adversaires; des propos un peu forts suffiraient, ils n'en doutaient pas, pour les réduire et obtenir d'eux tout ce qu'on estimerait convenable d'exiger. Le Directoire, où les idées modérées ne prévalaient guère, partageait naturellement ces sentiments. S'il est vrai que Talleyrand, comme il s'en est vanté, a toujours pris à tâche de modérer la politique agressive du gouvernement, ses efforts demeurèrent parfaitement vains; au reste, on n'en trouve pas la trace; dans ses dépêches officielles et dans les lettres particulières qu'il écrivait à Treilhard et où l'on pourrait prétendre découvrir sa pensée plus intime, le ton est le même; il n'y a qu'une politique à suivre, la politique d'intimidation. Il n'est plus question, ni à. Paris, ni à Rastadt, d'élever un doute sur l'issue de la négociation, et l'on semble partager l'opinion de ce ministre à Ratisbonne qui disait de la députation c'était Bacher du moins qui l'affirmait que quand elle aurait eu « le plaisir de suivre la guerre de plume qu'elle avait entamée et épuisé ses munitions diplomatiques en observations, répliques, dupliques, on finirait vraisemblablement par s'entendre et elle, par céder~ M. Seulement cette guerre de plume devait 1..fM.. t. 674. n" 192.
2. Bacher à Tall., 17 pluv. VI (Il fcv. H98), All., 697, p. 8-1. Ces quelques mots paraissent avoir rendu exactement la pensée de Talleyrand, puisqu'il se les approprie dans une lettre à Bonaparte du 3 vent. VI (21 fév. 1798). Corresp. inédite, o f ficielle et confidentielle, t. IV, p. 445.
prendre fin le plus tôt possible, aussi le langage des plénipotentiaires était-il approuvé sans réserve. « Votre riposte, leur écrivait Talleyrand, par sa précision et son énergique clarté, serait de nature à faire cesser les lenteurs, si l'art d'embrouiller une question et d'éloigner sa solution n'était particulièrement connu de ceux avec qui vous traitez. Encore quelques jours de patience et d'attente. Mais si les négociateurs continuent à manifester l'intention de ne point conclure, il faudra bien aviser aux moyens de brusquer leur détermination, et le Directoire n'en manquera pas » Rudoyer la députation était donc, aux yeux du Directoire et de ses plénipotentiaires, le meilleur moyen de se faire écouter d'elle.
Assurément au premier abord et lorsqu'on se borne à envisager la situation respective de la République et de l'Empire, il paraît que la conduite des plénipotentiaires français ait été au moins imprudente, et qu'il y avait beaucoup de chances pour que leurs procédés d'intimidation n'eussent qu'un fort mauvais succès. En effet si, au début du congrès, la députation s'était résignée à céder, sans faire plus de difficultés, sur l'article des pouvoirs, c'était que les sommations des Français avaient pris à l'improviste des diplomates habitués aux formes et aux lenteurs des négociations de l'ancien régime la nouvelle de la prise de Mayence survenue au cours de la discussion avait ajouté d'ailleurs aux menaces un poids singulier. Mais peu à peu ils avaient eu le temps de se familiariser avec les procédés républicains, et à la fois de considérer que ces brusqueries de langage étaient vraiment les seules armes quelle Directoire eût contre la députation, car les États dés princes qui la composaient se trouvaient pour la plupart hors de l'atteinte des réquisitions ou de l'occupation françaises. Aussi y avait-il à craindre que le seul effet des violences fût de resserrer l'union des bonnes volontés et des forces de tous les princes d'Allemagne et de les jeter dans les bras de l'Empereur, seul capable de défendre l'Empire contre l'ennemi commun. On est tenté de croire au contraire que la politique eût dû être plus efficace c'était par intérêt que la députation luttait contre les Français, beaucoup plus que par patriotisme elle céderait, si on l'intéressait à cesser la lutte; si, aux promesses de l'Autriche, qui assurait aux membres de la députation l'intégrité de leurs États pour prix de leur résistance, la République opposait d'autres promesses, et leur offrait, pour prix de leurs concessions, d'arrondir à leur gré leurs territoires. Il semble que l'on doive donc reprocher à la légation française de ne s'être pas avisée de vérités aussi évidentes, de s'être plue à parler haut et à frapper fort, au lieu
T
1. Tall. aux plen., 23 pluv. VI (11 fév. 1798), All., t. 6-!4, n° 218.
d'user, comme il convenait, du raisonnement et des procédés diplomatiques, et en somme d'avoir par sa violence augmenté les difficultés de la négociation.
Et pourtant, malgré ces apparences, l'événement donna raison aux plénipotentiaires leur but était de faire céder la députation la députation céda; le but était atteint. Ils ne s'inquiétèrent pas d'irriter la députation par leurs procédés violents, parce qu'ils avaient compris son impuissance. S'ils avaient conscience qu'une sérieuse entente entre les princes d'Allemagne et l'Autriche suffisait pour faire échouer les plans du Directoire, ils se rendaient compte aussi que dans la crise présente cette entente était impossible les sentiments des Allemands a l'égard de l'Autriche en étaient de sûrs garants. Nul ne doutait en effet à Rastadt que l'Empereur n'eût entrepris avec les Français quelque négociation particulière et qu'alliés pour dépouiller l'Empire, habiles d'ailleurs à lui donner le change par leurs apparentes querelles, ils n'eussent décidé entre eux d'avance du traité qu'il convenait d'imposer à la députation. On remarquait que l'Empereur continuait de tenir secret le traité de Campo-Formio; que Lehrbach, son ministre, réservait son vote à chaque séance et ne s'opposait ainsi qu'en paroles & la cession de la totalité de la rive gauche, et dans les déclarations de principes de Cobenzl, aussi bien que dans ses encouragements à la résistance, on persistait à ne voir que des ruses. Le souvenir de l'abandon de Mayence était présent à tous les esprits; chacun accusait l'Autriche de duplicité ses conseils étaient accueillis avec une invincible méfiance. On parlait de secrets conciliabules, le soir, dans une salle basse du château, entre Metternich et Bonnier Les plénipotentiaires français s'attachaient à entretenir ces craintes; ils disaient au Congrès et le 37oK!<etu' répétait après eux « que la cour de Vienne adhérait entièrement à la demande de la République ? » Aussi la députation, persuadée de la trahison de l'Autriche et incapable de défendre l'Empire par ses seules forces, devait se laisser émouvoir plus que de raison par les menaces, et ne pas opposer aux prétentions du Directoire toute la résistance qu'on aurait pu attendre Mais la perspicacité que put montrer le Directoire sur ce point ne doit en aucune façon tempérer la sévérité du jugement qu'il faut porter sur l'ensemble de sa politique. Il sut réduire, il est vrai, la 1. Hausser, fcM~c/te G~cA., H, 1S9 (f édit., 1S69).
2..VoHt'~Mf, 23 fév. nos (5 vent. VI).
3. La situation où se trouve le Congres devient chaque jour plus désagréable », écrit aux iVoMMc~M politiques de Leyde son correspondant de Rastadt; après avoir eu confiance dans leur chef, '< les membres -de l'Empire germanique voient tout a coup que le traité de Campo-Formio les laisse à leurs propres forces ou plutôt à toute la rigueur de leur sort ». (Supplément au n" du 29 décembre.)
députation mais il ne reconnut pas que ce n'était là, après tout, qu'ua point de détail, et que le nœud de la question était la négociation particulière avec l'Autriche. C'était de la députation qu'il attendait la cession de la rive gauche; ce fut sur elle qu'il crut devoir porter son effort, et il imagina que le but serait atteint dès qu'elle aurait cédé. C'étaient là d'étranges illusions. Quelles que fussent les attributions constitutionnelles de la députation, il ne pouvait être douteux pour quiconque n'était pas trop étranger aux traditions de la diplomatie allemande, que ce serait toujours en réalité l'Empereur qui tiendrait en mains le sort de la négociation s'il estimait que la députation se pliait à des concessions qu'il ne pouvait admettre, et que par ses votes elle avait compromis des intérêts qu'il tenait pour nécessaire de sauvegarder, rien ne pourrait l'empêcher de refuser les conditions qu'elle aurait acceptées, de ne pas accorder sa ratification au traité qu'elle aurait conclu, et d'aller, s'il le jugeait convenable, à l'encontre des volontés qu'elle aurait le plus solennellement exprimées. S'il croyait même devoir recommencer les hostilités, aucun fait émané de la députation ne l'arrêterait, et il déclarerait la guerre, assuré que l'Allemagne, tout en protestant pour la forme, le suivrait bon gré mal gré dans toutes les luttes où il lui plairait de l'entraîner.
Le Directoire ne s'avisa de rien de tel. Il ne sentit pas que c'était avant tout le consentement de l'Empereur ou du moins « sa passivité » qu'il devait se ménager, puisque, ce consentement obtenu, celui de la députation suivrait naturellement; la crainte même que témoignaient les princes de l'Empire d'une entente entre la République et la cour de Vienne ne lui ouvrit pas les yeux sur ses véritables intérêts. n ne sut pas davantage comprendre les ouvertures de l'Autriche. Elle ne se faisait pourtant pas faute de montrer qu'il y avait un moyen assuré d'atténuer son horreur à voir, comme elle disait, « )a patrie entre les mains des coquins », et que ses déclamations sur l'intégrité de l'Empire n'étaient que pour la forme. Elle ne dissimulait pas davantage quels étaient les arguments propres à la persuader. Sans doute Cobenzl ne proclamait pas que, si l'Empire, comme l'écrivait le jeune Metternich, « était au diable » et « s'il fallait en faire son deuil, les affaires particulières de l'Autriche pourraient n'en pas moins réussir »; néanmoins ses ouvertures étaient encore assez claires et il n'y avait pas à s'y tromper. Même dans sa véhémente harangue du D janvier, Metternich ne s'était pas coupé toute retraite « Tous les principes du droit des gens, avait-il dit, la politique et l'exemple de nos ancêtres doivent engager les députés à 1. Metternich, Mémoires, I, 347.
A. TOME II. 14.
réclamer contre la France les droits de l'Empire et à faire des protestations. Si par un développement plus particulier des circonstances, avait-il eu soin d'ajouter, l'Empereur et l'Empire se trouvaient dans la nécessité de se désister de leur résolution prise, du moins, par ce moyen, on tiendrait ouverte la voie de l'indemnisation, » Talleyrand n'eut garde de ne pas relever un tel aveu; l'arrière-pensée n'était guère déguisée. Mais de cet avis discret de Metternich, pas plus que des déclarations tout à fait nettes de Cobenzl, le Directoire ne voulut tenir compte. Dans la conférence du 18 janvier, Cobenzl avait marqué fort précisément à quel prix l'Empereur mettait sa résignation à la cession de la totalité de la rive gauche du Rhin au lieu de débattre le prix et de marchander, comme il convenait, le Directoire se borna à continuer vis-à-vis de la députation le système qu'il avait inauguré et se mit en devoir, suivant sa coutume, d'imposer de force sa volonté à l'Autriche. Celle-ci, à la vérité, ne protestait pas; elle paraissait toujours conserver quelque espoir d'accommodement et d'arrondissement, se montrait patiente et évitait toute provocation; son représentant à la députation, Lehrbach, continuait de réserver son vote à chaque scrutin, « sous prétexte qu'il attendait des instructions M. Elle ne cherchait, comme le disait très justement Treilhard, qu'à « gagner du temps jusqu'à ce qu'elle eût quelque chose de réglé sur son équivalent », mais fermement résolue d'ailleurs à maintenir les principes qu'elle avait fait adopter à Campo-Formio, que tout agrandissement de la France en Allemagne serait compensé par un égal agrandissement de l'Autriche, et à ne pas dépasser avec Treilhard et Bonnier les concessions qu'elle avait faites à Bonaparte, les dernières, jugeait-elle, auxquelles elle pût se résoudre sans compromettre à jamais ses intérêts et l'équilibre de l'Europe.
Treilhard ne pouvait se faire de pleines illusions, tant la situation était claire; il était pourtant trop peu l'ami de la cour de Vienne et connaissait trop les passions du Directoire pour conseiller de faire des concessions à l'Empereur et d'arrondir ses États. Mais comme il prévoyait les difficultés que ne pouvait manquer d'entraîner l'opposition de l'Autriche aux projets de la République, il n'hésitait pas à demander une fois de plus que le gouvernement se décidât enfin à prendre appui sur la seule puissance allemande capable de balancer l'influence de l'Empereur, sur la Prusse. Sans doute elle n'avait donné encore à la France dans la négociation présente aucune preuve marquée de dévouement, et l'on pouvait être assuré qu'elle ne serait aucunement « empressée à solliciter une solution définitive tant qu'elle ne saurait pas à quoi s'en tenir pour elle-même H. Il n'en fallait pas moins, diraitil, faire effort pour se l'attacher, et peut-être le moment était-il venu
où « un peu d'ouverture aux Prussiens sur les conventions secrètes ne serait pas hors de saison 1 ». On peut supposer, bien que Treilhard n'en souffle mot, que ce n'était pas la communication intégrale du traité secret de Campo-Formio qu'il entendait; elle n'aurait pas eu précisément sur la Prusse l'effet qu'il souhaitait, et il s'agissait sans doute de quelque édition expurgée. Quelques précautions qu'il pût prendre, la politique de Treilhard présentait assurément bien des inconvénients il n'était pas certain que la Prusse consentît à une entente; il était moins certain encore que le concours de la Prusse eût permis au Directoire de négliger l'Autriche et lui eût donné la tranquille possession de la rive gauche; il faut reconnaître pourtant que c'était une politique. Mais sur ce point, le Directoire s'était fait une théorie devenue peu à peu un dogme pour lui il avait décidé a ~:o~, on s'en souvient, qu'il était de son intérêt et de sa dignité de tenir la balance égale entre l'Autriche et la Prusse et de ne s'attacher ni à l'une, ni à l'autre des deux puissances. Les observations des plénipotentiaires ne purent l'ebranler; il avait son siège fait; il n'écouta personne, persista dans son système d'arbitrage, et s'en tint à sa propre politique, qui consistait en somme à n'en point avoir. Il continuait à n'envoyer à Rastadt que des exposés de principes vagues et peu en rapport avec les circonstances présentes, ou même'ne répondait pas aux lettres de ses plénipotentiaires.
Ces indécisions et cet entêtement n'empêchaient pourtant pas la négociation de suivre son cours pour adresser leurs sommations à la députation, les plénipotentiaires n'avaient nul besoin de savoir ce que pensait le Directoire de l'alliance prussienne ou d'une entente avec l'Autriche, ou même s'il n'en pensait rien. D'ailleurs, malgré les menaces, les notes s'étaient succédé sans amener aucun changement dans les dispositions de la députation. Les Français attendaient que l'on répondit à celle qu'ils avaient envoyée le 3 février son « énergie )) n'avait pas corrigé les députés de leurs lenteurs, et le 6 seulement ils en entendaient la lecture officielle. Mais, ainsi qu'on l'avait prévu, l'effet en fut considérable; elle souleva bien des colères, pourtant certains députés prirent peur. Treilhard et Bonnier avaient eu soin de préparer le terrain; ils avaient dit « doucement à l'un d'eux qu'on les croyait trop sages pour forcer, en tergiversant, une décision par le droit canon )) le mot d'ordre avait été donné aux deux amis de la République, à Bade et à Darmstadt, qui répétaient partout et « assez nettement qu'il fallait se résoudre aux sacrifices »; à les entendre, Franct. Treilhard à TaU., 4 pluv. VI (22 janv. n98i. t. 6~4, n° 165. 2. M., 18 pluv. VI (6 fév. H93), t. 674, n° 205.
fort, s'était laissé persuader et Brême n'était pas éloigné de se résigner. C'était un premier effort on savait qu'il ne serait pas décisif et que « l'influence de l'Autriche ferait donner encore une réponse évasive »; ·, mais on pouvait espérer.déj& moins de raideur dans le refus de la députation ~.Le 10 février arriva enfin la note; ce n'était plus le ton des précédentes on regrette « que les derniers éclaircissements n'aient pas obtenu le suffrage des plénipotentiaires français; mais quoiqu'on espère toujours qu'elles seront prises en considération juste et équitable par le gouvernement français, cependant pour éviter même l'apparence de vouloir retarder les négociations de paix, on s'abstient non seulement de les déduire dans ce moment plus au long, mais aussi de toutes les observations solides que l'on pourrait opposer aux nouveaux faits présentés dans ladite note ». Il semble que l'éventualité d'une concession soit envisagée, et l'on se borne à demander quelles sont exactement les prétentions de la France, et si « les possessions domaniales. resteront à ceux qui seront dans le cas de faire des cessions La députation reculait évidemment; il fallait profiter de ses craintes et ne lui laisser aucun répit. Dissimulant leur satisfaction, le jour même les Français donnèrent leur réponse « l'hésitation aurait pu faire croire que le gouvernement n'avait pas une volonté invariable'de la limite du Rhin » « On ne peut préciser, observentils, avec plus de netteté qu'ils n'ont fait l'objet de leur première proposition. La République demande le Rhin pour limite des deux États. Il ne s'agit pas. de rechercher quelles possessions doivent rester aux princes qui ont perdu. La cession de ce qui est au delà du Rhin, voila la base; le reste viendra ensuite. » Ils se référaient à leur note du 3, et persistaient à rendre la Députation responsable des conséquences de ses refus 4. Elle ne s'attendait pas à une telle vigueur c'était intolérable, disait-on; mais que faire? La discussion n'était pas possible les Français refusaient d'entendre aucun argument; chercher des échappatoires ne valait guère mieux ils vous rappelaient rudement au fait. Prévoyant « l'inutilité de toutes les représentations et la nécessité de céder aux circonstances mais ne voulant pas se rendre sans épuiser tous les moyens de défense, la députation prit le dernier parti que lui indiquassent ses instructions, et communiqua la note française aux représentants non-députés des princes et États, qui se trouvaient à Rastadt. Elle leur demandait leur avis, et les priait I. Trei)hat-d &Ta!).. 20 pluv. T! (8 fév. I79S),~M., t. 674, no 208.
2. 33 fluv. VI (10 fév. 1798), All., t. 674, n" 212.
3. Mén. à Tall., 22 pluv. VI (10 fév. 1798), ~H., t. 67~, n" 2l1.
4..tM., t. 674, n° 213.
'<S. Bacher à Tall., 25 ptuv. VI (13 fév. i79S), All., t. 697, p. iOl.
de lui marquer « par écrit, sans perte de temps, tout ce qui leur paraîtrait utile et convenable )).
II
Avantages que trouvent les Français a mêler à la négociation les représentants non-députés des États. Avidité despetits princes; ~'o~eM~s des ~aKca:'s. 6'erutces que leur rendent leurs alliés allemands; leurs alliés e'a~e~ représentants des rejoM~~Mes-~a'Mrs. Ils tentent un mo?~c<'meM< ~'o~!H~M en faveur de la cession. Opposition de l'Autriche et de ses amis; /'e/<?c<eM' de Bavière. Tentative de rapprochement entre la /rMsse et /'AM~'M;Ae. Les FraHpaM obtiennent de la ~'MMc MHe déclaration portant qu'elle renonce à ses possessions de la rive gauche. Effet de cette déclaration; la majo?'~e efg~ princes suit l'exemple de la Prusse. La députation cède la moitié de la rive gauche.
L'Instruction générale pour les députés nommés au congrès de paix avait en effet prévu le cas où la députaHon, sans vouloir user de l'extrémité d'un recours à la Diète, croirait devoir, dans une question grave, et afin de dégager sa responsabilité, s'éclairer de l'opinion des divers États de l'Empire.
« Leurs représentants à Rastadt, était-il dit, se concerteront confidentiellement avec la députation dans toutes les opérations décisives qui pourront être projetées ou prises, seront toujours prêts à lui donner, lorsqu'elle le demandera, les éclaircissements verbaux dont elle aura besoin, et assisteront, s'il est nécessaire, à ses séances. » Ce n'était pas de son plein gré que l'Empereur avait introduit cet article dans l'Instruction générale des députés; la capitulation qu'il avait signée au moment de son élection et de précédents décrets l'y obligeaient tout État de l'Empire particulièrement intéressé dans une négociation avait « le droit et la faculté inaltérable H de s'y faire représenter par des ministres spéciaux. Assurément on avait reconnu à Vienne qu'il n'était pas sans danger d'appeler les moindres princes et les plus besoigneux à prendre dans une telle crise une part active aux afFaires générales de l'Allemagne; aussi avait-on eu soin de déclarer dans l'Instruction « qu'on aimait à conserver l'assurance que les pleins pouvoirs de tous les représentants seraient conçus de manière que l'on pût y reconnaître, ainsi que dans leur conduite, 1. V. Dijk, Cong. de ~6!< p. 64.
2. 4 nov. 1797, All., t. 687, p. 26.
l'union de leurs commettants avec S. M. Impériale et l'Empire ». Mais ce n'était là que des vœux, et cet espoir ne devait pas s'accomplir.
En réalité cette combinaison était tout à l'avantage de la République. La députation en effet était composée en grande partie d'États hostiles aux Français; sur dix, ils n'en comptaient, on s'en souvient, que deux qui leur fussent favorables; c'étaient aussi, pour la plupart, des princes considérables, que leur situation dans l'Empire attachait à sa constitution et dont il devait paraître sinon très difficile, au moins assez coûteux, de modifier les opinions. Pour les princes qui n'étaient pas représentés à la députation et dont les ambassadeurs particuliers défendaient les intérêts à Rastadt, c'était une tout autre affaire il faut sans doute laisser de côté certains ennemis irréconciliables, ceux qui luttaient pour la vie, comme les ecclésiastiques et tous ceux que la nécessité liait à l'Autriche ceux-là menaient grand bruit contre les prétentions du Directoire et il ne pouvait être question de les gagner. Mais à côté d'eux et aussi nombreux qu'eux, intriguaient tes comtes et les princes laïques, que l'on pouvait prétendre séduire sans trop de peine; de temps immémorial, ils s'étaient toujours rangés du parti du plus offrant, et cette fois encore les promesses de sécularisations ne les trouvaient pas sourds. « Les laïques qui auront perdu tout ou partie de leurs possessions seront indemnisés », ne se lassaient de répéter les Français; et quel prince n'avait à regretter sur la rive gauche quelque fief ou quelque redevance dont il souhaitait, fût-ce avec l'appui de la France, de recevoir une riche indemnité? Le plénipotentiaire impérial lui-même, Metternich, sollicitait la levée du séquestre qui pesait sur ses biens, et le succès de cette négociation lui tenait singulièrement au cœur Ceux dont les possessions étaient situées tout entières sur la rive gauche, ruinés par le passage des armées, traités d'émigrés et menacés de tout perdre par l'annexion au territoire de la République, ne voyaient de salut que dans la sécularisation, et étaient prêts pour la plupart à servir les intérêts de la France si elle leur assurait un dédommagement. Les plus considérables des princes allemands avaient déjà avec elle des traités particuliers sans compter Bade et Darmstadt, qui appuyaient ouvertement la politique française à la députation, et le duc de Deux-Ponts, héri- tier de l'électeur de Bavière, qui intriguait encore, d'autres, tels que le duc de Wurtemberg et le landgrave de Hesse-Cassel, avaient accepté d'avance leur part des dépouilles des princes ecclésiastiques et s'efforçaient de cultiver de toutes manières l'amitié de la France x qu'ils 1. Metternich aux plén., 7 niv. VI (2~ dée. n9'!), 6T4, 92; Cf. V. Dijk, op. cit., 74.
« chérissaient z On ne faisait pas mystère de ces négociations, et les chancelteries des petites cours ne trouvaient pas motif, dans les exemples que leur offraient leurs puissants co-États, de se résigner à un patriotique, mais coûteux desintéressement; aussi leurs agents affluaient-ils à Paris. II en était venu de partout: le prince de Linange en avait envoyé, réduit, disait-il, à la mendicité, et la maison de Salm, et la princesse de HohenzoHern, et jusqu'à l'ordre de Malte, qui demandait sa réunion avec l'ordre teutonique Leurs prétentions croissant avec leur nombre, ceux qui n'avaient parlé d'abord que d'équivalents en étaient venus peu a peu et tout naturellement à réclamer des arrondissements. li fallut même bientôt « couper court à ce débordement d'agents étrangers » et le Directoire, sur la proposition de Talleyrand, dut rendre un arrêté portant que « tout ce qui concernait la négociation avec l'Empire germanique devant être traité à Rastadt, tout agent venant en France pour cet objet n'y serait point reçu H, qu'on lui refuserait dorénavant des passeports, et que ces personnages non accrédités devaient quitter Paris sous trois jours et la France sous dix~. On ne voit pas que la troupe de solliciteurs se soit froissée de si étranges procédés ils continuèrent ouvertement à Rastadt leurs manèges interrompus pour quelque temps à Paris. Le marchandage était cynique « Ce congrès, disait Thugut, ressemble à une grande foire, où l'on fait commerce de biens d'Empire4. » Tous les moyens étaient bons pour acquérir ou sauver quelques parcelles de territoire 5 la légation française, accablée de réclamations extrava1. Instruction pour l'ambassadeur du duc de 'Wurtemberg a Paris, tS février 1798, et le Directoire au duc, 13 avril, dans Vreedc, La &'oMa6e après la paix de B<Me (L'trecht, 18'), in-8, p. 72 et 81).
2. M. de Bray, envoyé de Matte, offrait à Bonnier, sans doute en échange de cette réunion et moyennant certaines indemnités, de lui communiquer des pièces qui constataient les propositions faites a son ordre pour la cession de son île Bien que Bonnier estimât que le Directoire devait prendre avec le corps potitiqu); de Matte des arrangements utiles et former entre elle (sic) et lui des liens de protection et de secours qui préservassent ce petit Etat de la séduction des puissances ennemies (Bonnier à RewbeU, 6 niv. VI (26 déc. 1797), All., t. 679, p. 79), il ne poussa guère avant cette négociation malgré ses instances, il ne reçut aucune instruction. A Paris, du reste, on avait connaissance des propositions faites à i'ordre de Matte, et l'on s'en occupait. Cf. Tall. à Bonaparte, 26 vend. Vt (27 sept. 1797). dans Le 7~')'fc<ot/'c f< /'f'.7'pct~'<;o/t d'.Ef/.yp<?, par le comte Boulav de la -MeurHu. Hachette, 1885, in-)6, p. 27.
3. TaH. a Treilhard, 3 vend. VI (21 fev. t7!)8), t. 674, n" 237. L'arrêté, daté de la veille, se trouve au tome 679. p. 239.
4. Vivenot, /faA-<. Co?t.y., p. 89. Cf. Wertheimer, (jMC/t;e/!<<? OM/e~~M/M MHd t/n<M)'n.< < e)'<c?! J<t?':eA/;< des /.9 y<ï/t;'AM;M<<;r~ t. I, p. 36 (Leipzig, 1884, in-8). 5. Les historiens allemands sont très sévères pour les membres de la légation française, et les accusent de s'être vendus au plus offrant. Hausser (Deulsche GMcA/c/~c, Il, p. 157, en note, 4e édit.) fixe exactement, dit-il, d'après les papiers des ministres d'un Etat secondaire, le prix des services des secrétaires de
gantes et doutant qu'elle pût trouver même dans une sécularisation totale de quoi satisfaire tous ces appétits, n'en discutait pas moins, donnait de vagues assurances et se gardait surtout de décourager aucun espoir. Il se formait ainsi peu à peu au congés un parti sinon favorable à la France, mais au moins gagné_ par eUe, et persuadé qu'en beaucoup de questions l'intérêt de la République et l'intérêt. des princes laïques de {'Empire étaient solidaires. Quelques-uns, it est vrai, ne se laissaient toucher ni par les promesses, ni par les arguments des Français et continuaient d'estimer que le meilleur moyen de conserver leurs États était de sauvegarder l'intégrité de l'Empire. Treilhard menaçait de la colère de la République ceux dont on pour vait espérer des concessions par intimidation, et en ce cas il ne lui depiaisâit pas de prendre lui-même l'affaire en mains mais il en était aussi, parmi ceux qu'on avait des chances de persuader, au gré desquels la légation française était trop peu désintéressée dans la question pour qu'ils ne crussent pas devoir se défier parfois de ses raisonnements c'est à leur usage, pour vaincre leurs IiMitations et endormir leurs scrupules, que Treilhard s'était fait .des amis, aussi pressants et moins suspects que lui-même dans leurs conseils. Il avait des agents de propagande parmi les représentants des petits princes et jusque dans la députation: c'étaient, entre autres, le ministre de Darmstadt, qui lui rendit souvent de bons offices, et celui de Bade, le baron d'Edelsheim. C'est à ce dernier qu'il s'adressait de préférence pour les affaires sérieuses, et il put, malgré quelques.brouilteries passagères et assez justifiées, en apprécier les services. Mais les Allemands ne pouvaient tout dire; aussi pour certaines besognes délicates employait-il plutôt les ministres que les républiques-sœurs et les autres États soumis à l'influence française avaient envoyés à Rastadt c'étaient des auxiliaires dévoués, et tout à fait propres à répandre à l'occasion le bruit de quelque prochain éclat et à préparer les voies aux. plénipotentiaires français.
Bonaparte avait stipulé, il est vrai, au traité de Campo-Formio fart. 20), que le congrès serait « uniquement composé des plénipotentiaires de l'Empire germanique et de ceux de la H.épub)ique française H. Aucune puissance n'avait protesté, et si M. de Fersen avait Treithard et de Bounier; il raconte aussi (p. 155) qu'un attaché français vola la voiture d'un des plénipotentiaires allemands. Ce sont des altérations que naturellement l'examen des papiers de la légation ne nous permet pas de contrôler; il faut remarquer pourtant qu'on ne peut relever aucune accusation précise de eorruption contre les ministres mêmes. Au reste, leur protection eût ét& médiocrement utile à ceux qui l'auraient achetée. Talleyrand et le Directoire décidaient tout, par eux-mêmes, et, dans ta plupart des affaires, tenaient peu de compte des recommandations qui leur venaient de Rastadt.
prétendu faire valoir ses droits d'envoyé du roi de Suède, s'il fut même assez sérieusement question à Berlin un moment d'une médiation russe 1, ces projets furent bientôt abandonnés le czar ne se fit même pas représenter comme seigneur de Jever (Oldenbourg) 2. Les alliés de la France n'avaient pas suivi l'exemple des puissances amies de l'Empire et ne s'étaient pas abstenus comme elles de paraître à Rastadt. Les républiques batave, cisalpine et ligurienne, ainsi que le roi de Sardaigne, avaient chacune leur agent; elles avaient trouvé moyen toutefois de ne pas violer la lettre du traité ce n'est pas au congrès qu'elles étaient représentées; tous les intérêts qu'elles pouvaient y avoir étaient « remis avec tranquillité aux habiles négociateurs français qui devaient fixer le sort de l'Europe )'. et leurs envoyés étaient accrédités seulement auprès de la légation française « pour donner les renseignements de détail et de localité qui pourraient être utiles dans les affaires majeures qu'on aurait à traiter » Ces affaires étaient en effet assez considérables, puisque la République batave ne demandait, en échange des provinces qu'elle avait cédées à la France par le traité de la Haye en '1795, rien moins que l'extension de sa frontière jusqu'à l'Ems 1, avec une partie du duché de Westphalie et de l'évêché de Munster. On alla même plus tard jusqu'à parier de la limite du Weser. Les républiques italiennes, plus modestes, ne désiraient, ainsi que le roi de Sardaigne, qu'une renonciation en forme de la part de l'Empire -à tous ses anciens droits sur leurs territoires c'étaient à de telles revendications qu'aboutissaient ces querelles illustres qui avaient rempli tout le moyen âge. La légation française avait prévu les -avantages qu'elle pourrait tirer de ces agents qui n'attendaient rien .que.de sa bonne volonté; aussi les accueillit-elle de son mieux. Mais -elle avait soin de les surveiller exactement et de s'en débarrasser, s'ils s'avisaient de faire les indépendants on étudia le ministre cisalpin qui, disait-on, avait parlé, à son passage à Bâle, d'une manière assez incivique~. Quant aux Suisses, leur sort fut vite réglé ils prétendaient avoir des intérêts à défendre au congrès; « le traité de Westphalie allant être annulé, l'existence politique de la Suisse exigeait, selon €ux, que son indépendance lût de nouveau consacrée~ et ils vou1. Corresp. de Caillard, fin oct. commencement nov. 1797, Prusse, t. 222. 2. Garden, N~o~'e.~fraye f~' ~v;;<M de yjn~ t. VI, p. II. Paris, in-8, s. d. 3. La commission des rotations extérieures de l'Assemblée nationale représeuta.nt fj peuple batave, aux citoyens plénipotentiaires de la République française au congrès de Rastadt. 28 uov. 1797. t. 679, p. 38. 4. Maver, min. plén. de la Rép. batave à Paris, à Talleyrand. 10 nov. 1797. ~H.. t. 674, n° 14.
H. Rapport au Directoire, 25 niv. Vf (14 janv. 1798). All., t. 679, p. 127. 6. Bâcher ù TaH., 23 brum. Vf (13 nov. 119i).
laient eux-mêmes plaider leur cause. Bonaparte ne s'y était pas opposé et avait insinué à messieurs de Berne d'envoyer un député patriote à Rastadt. Mais ce fut deux aristocrates qu'on choisit, « les plus fougueux oligarques de la ville et < qui avaient plus de titres que personne à la défaveur de la France Ils n'eurent pas le temps de nouer de sérieuses intrigues, et aussitôt arrivés, le ministre de Bade leur fit savoir qu'ils agiraient sagement en retournant chez eux. Avec l'aide des ministres allemands qu'elle avait gagnés à sa cause et des représentants des nouvelles républiques, la légation française mena une rude campagne ce n'est pas à Rastadt seulement, au milieu du congrès et parmi les princes, qu'elle cherchait des alliés; les populations de la rive gauche elles-mêmes furent remuées. Rudler, le commissaire du gouvernement, « chargé de répandre sur elles les bienfaits d'une administration paternelle redoubla d'activité pour leur faire connaître et chérir les principes de la constitution française. Les clubs le secondèrent à l'envi cercles constitutionnels, sociétés des amis de la liberté, cercles de la réunion, tous s'empressèrent de proclamer leurs sentiments républicains. A Cologne, à Bonn, à Coblentz, on planta des arbres de la liberté; des journaux se fondèrent Goerres publiait le /<e ~/a~, et dans des articles d'une ironie amère et puissante, comme le Testament du tS'a!N/m~):?'e, livrait à la risée et au mépris public la constitution caduque de l'Allemagne. Ce fut un débordement de brochures et de pamphlets. Les municipalités, simples délégations des clubs, réclamèrent dans des adresses au Directoire l'annexion de la rive gauche du Rhin à la France; ce furent, à la vérité, les enfants des écoles qui durent les signer. Les bourgeois étaient mécontents ils se plaignaient de l'arbitraire des impôts, des exactions des fonctionnaires français, des contributions que levaient les généraux, et déclaraient préférer leur ancienne vassalité à une liberté si chèrement achetée. De Rastadt, les plénipotentiaires demandèrent au Directoire de mettre ordre, pour quelque temps du moins, aux violences; ils accueillirent toutes les plaintes, écoutèrent les Juifs eux-mêmes et promirent à chacun le redressement de ses griefs, « regardant cet objet comme très important pour le succès de leurs opérations Ils comptaient par toutes ces promesses et ces concessions exciter au congrès une sorte de mouvement d'opinion. Les princes qu'ils gagnaient n'avaient pour la plupart que voix con1. Men~aud, successeur de Bacher en Suisse, aux plén. fr., 42 niv. V! (i< janv. H98). -4M., t. 682, p. 27.
2. Les Juifs d'Allemagne au Directoire, 10 niv. Vt (30 déco H9'!). All., t. 674, n" 400, et Tall. aux plén., 17 ptuv. Vt (5 fév. n98); M.; n" 203.
3. Rapport au Dir., s. d..411., t. 6'74, n" 68.
sultative à la députation, mais leur avis sans doute pèserait singulièrement sur les délibérations; il faudrait bien en quelque façon en tenir compte si les princes de la rive gauche se prononçaient en faveur de la réunion à la France, la députation de l'Empire serait mal venue de refuser une cession qu'auraient acceptée les intéressés euxmêmes, ceux qu'elle refusait, disait-elle, de laisser dépouiller'. L'Autriche Damait tout haut « le vit langage que tenait l'Allemagne et mettait toute son ardeur à contrecarrer ces démarches. Elle déclarait, à sentir chanceler certaines volontés, « que les princes seraient responsables de leur adhésion à la demande de la République x; aux ecclésiastiques, elle disait « qu'il n'y aurait pas de sécularisation )), car ce serait la ruine de la constitution de l'Empire aux princes héréditaires, « qu'il n'y aurait d'indemnités que pour ceux qui auraient tout perdu, et que ces indemnités seraient nécessairement très courtes M; on ne précisait même pas de quelle nature elles seraient, en argent ou en territoires, afin que « plusieurs, devant l'incertitude de l'indemnité, balançassent à se déclarer nettement pour la cession » Du reste, ajoutait-on, dès que la République sera satisfaite, dès que la rive gauche lui appartiendra, elle ne manquera pas de se désintéresser des affaires d'Allemagne, et ne s'occupera plus de tenir ses promesses. II ne fallait pas croire même que cette cession tînt si fort au cœur des directeurs; « ce n'était que le but d'un ministre (Treilhard) qui voulait s'en faire un mérite et se frayer un chemin pour arriver au Directoire x des brochures répandaient dans toute l'Allemagne ces insinuations. Aussi les menaces des plénipotentiaires impériaux faisaient leur eS'et et empêchaient bien des défections. Les amis de l'Autriche joigna'ient leurs efforts aux siens. L'électeur de Bavière, Charles-Théodore, lui prêta entre autres un secours inattendu sans doute, mais qui n'était pas à dédaigner. 1. On peut consulter, sur ce mouvement d'opinion, Ramb!ind,LM~~7:i;aM~f Rhin; Perthes, Po/;<e/!e ~Mn~e M~ Po'Mn~ in D<eA/a?:~ zur 2M detFt-anzM~~f/t H~w.'Aa'/ï (Gotha, 2 éd., 1862, in-8); Venedey, Die DcM~<en /}cpMM~aKe)' :M<<;?' der F;'aMO.!McAf/< /<cpK&M (Leipzig, 1870, in-8); et particulièrement sur les contributions exigées. Remling, jD~ /</tf!M-P/a/ 1792-1798 (Spire, 1865, 2 vol.). On trouvera dans Rambaud, dans Perthes, dans Venedey et dans Huu'er des extraits des pamphlets publiés en 1797 et 1798; quelques-uns, La Passion du congrès de la Pa/.r. par exemple, sont loin de manquer de valeur littéraire. La bibliothèque du ministère des affaires étrangères en possède quelques-uns; (11° 5562, 2 vol.); l'un d'eux, An dm Co/e.M :K Rastadt, von einem Staatsmanne 1797, est assez curieux l'auteur prêche la soumission à la volonté de la France, puisqu'une nouvelle guerre entrainerait sùrement la perte de Hambourg et de la ligne de l'Elbe.
2. De Pradt, Antidote au coH~'ct' de Rastadt (Hambourg, 1798, in-8, p. xn). Treilhard à TaU., 4 vent. VI (22 fév. 1798). A Il., t. 674, n" 238. 4. V. Dijk, op. c~ p. 75. Lettre de Lucius, 28 fév. 1798.
-Dans une circulaire qu'il tança, le 27 janvier, il rappelait & ses co-Htats les suites incalculables.qu'aurait l'abandon de la rive gauche, et. leur soumettait les seuls moyens qu'il jugeait effcaces pour l'empêcher < former entre les Etats d'Allemagne une alliance étroite, parter un langage concordant et énergique, et requérir dans cet embarras près S. M. Impériale, comme chef et protecteur de l'Empire, ainsi que des quatre autres membres puissants de l'Empire-et des princes étrangers~. t.H faisait en même temps appel « au patriotisme allemand du roi d'Angleterre, au czar lui-même, disait-on, et remptacait son ministre, au congrès, le cointe de Preising, accusé de tiédeur par Moravitzki, qui passait pour un ferventAutrichien. C'est en. vain que le duc de Deux-Ponts, héritier de l'électeur, et fort occupé à se ménager des Français une riche compensation de la perte de son duché, essayait de l'excuser. C'était un mauvais exemple, et- dangereux pour }a France. Personne pourtant ne le suivit, et Charles-Théodore lui-même parut bientôt se repentir de son zète Les amis de l'Autriche se découra"_geaient, et les Français gagnaient peu à peu leur cause auprès des États de la rive gauche. A,Ratisbonne, écrivait Bâcher, « oh se-persuade que le concours des circonstances majeures qui vont jeter l'Empire germanique dans un nouveau moule est. tel, qu'il y aurait de la folie à vouloir chercher à s'y soustraire. les princes ecclésiastiques attendent la décision de leur sort avec la plus grande résignation; et se disposent peu à peu à faire un don patriotique de leurs principautés, sachant très bien que.leur règne n'est plus de ce monde M; et il ajoutait « Ils ne considèrent la marche actuelle de ladéputation de l'Empire que comme propre à rendre plus pénible leur agonie ». TreUhard n'était pas naïf au point d'ajouter foi à de pareilles exagérations mais tout en craignant encore les menées autrichiennes, il avait conscience que ses affaires avec les députés n'étaient pas mauvaises. Plusieurs m'ont assuré, ecrivait-i!, qu'ils s'expliqueraient franchement sur la nécessité d'accéder à notre demande. J'ai tâché de les échauS'er; je leur ai glissé que nos conventions particuliëressupposaient une cession absolue de tout ce qui est sur la rive gauche; t..4M,, t. 67t, n<" 178 et 179..
2. Le chevatierde L&ng, assez mauvais plaisant, à qui les historiens allemands (Hausser, !I, 155) reprochent de n'avoir t aucune pitié pour l'ancienne constitution germanique donne une autre raison du départ de Preising sa table, dit-il, était très fréquentée à CMse des hures de sangliers qu'il faisait venir de ses terres; quand il jugea en avoir fait un suffisant carnage, il céda la place. (.tfc)KO!')'M, 3<S.) 3. Bacher à Tall., 3 vent. VU (Mi fév. n9S), .4~ t. 697, p. 124.
Bacher aux plén., li ptuv. VI (30 jany. n9S),4H., t. 682, p. 66. a. Bâcher à Tall, 17 pluv. V! ($. fev. 1798), ~M., t. 697, p. 8i.
que si nous n'obtenions pas cette cession, alors tenant tout de nos armes et rien de la volonté de l'Empire, nous n'avions plus d'engagement à remplir vis-à-vis de ses membres; qu'ils étaient par conséquent directement et fortement intéressés à empêcher que la considération de quelques intérêts particuliers fît rejeter une proposition juste et convenable; qu'après tout nous ne voulions que ce que nous tenions, etc. Ils m'ont promis monts et merveilles, mais je ne m'y fie que faiblement. Ils n'ont pas le courage de parler, quand ils craignent de contrarier une grande puissance » Et deux jours après « Ce qui pourra nous aider, c'est qu'on a si peu de confiance dans les assertions de l'Autriche, qu'elle ne pourra jamais faire croire, quoi qu'elle dise, que nous ne sommes pas convenus avec elle de la totalité de 'la rive gauche, et l'on pensera peut-être agir dans son sens en nous la donnant. Je n'oublie rien de ce qui peut fortifier indirectement cette opinion 2. »
Le terrain était bien préparé et les mines disposées de tous côtés ce fut la Prusse qui, bien malgré elle d'ailleurs, y mit le feu. Depuis plusieurs semaines, la Prusse et l'Autriche faisaient des efforts pour se rapprocher l'une de l'autre, et des pourparlers avaient été entamés; elles étaient inquiètes de l'influence prépondérante que prenait la France dans les affaires de l'Empire, et, dans la crainte de l'ennemi i commun, paraissaient disposées à oublier pour un temps leurs querelles. Mais les vieilles méfiances et les rancunes enracinées empêchaient les tentatives d'aboutir. Thugut « songeait avec indignation aux absurdes projets d'intrigaillerie que Caesar (le chargé d'affaires prussien à Vienne) enfantait; quoique n'ayant pas le sens commun, disait-il, ils n'en faisaient pas moins voir ce penchant aux tripotages dont s'occupait sans cesse cette odieuse race pr ussienne '). Peut-être le langage de la cour de Berlin était-il moins amer, mais elle était loin d'être satisfaite de la conduite de ses nouveaux amis. L'Autriche l'accusait d'avoir livré en égoïste l'Empire à la France, et les Prussiens rendaient à l'Empereur la monnaie de sa pièce~. Toute leur politique tendait, on s'en souvient, à connaître les articles secrets de CampoFormio. La France tardait singulièrement à les leur communiquer; ils avaient espéré les obtenir plus rapidement de l'Autriche, et, pour la mettre en goût de confidences, lui avaient révélé le traité de n96 mais elle avait reçu leur secret sans leur découvrir le sien, et leur humeur s'en était accrue. Les conférences se succédaient à Vienne orageuses 1. Treilhard à Tall., 26 p)uv. VI (14 fév. 1798), All., t. 614, n° 223. 2. M., 28 pluv. VI (16 fév. 1798), All., t. 674, n" 224.
3. Vivenot, Cor~p. de TAM;yM<, M, p. 84.
4. Wertheimer, op. c:< I, p. 36.
et sans résultat A Rastadt, où la proximité de l'ennemi faisait sentir plus fortement la nécessité de l'union, les relations étaient moins tendues; mais cette demi-intimité n'avait d'autre résultat pratique que d'éveitter les défiances des plénipotentiaires de la République. Ceux-ci du reste n'épargnaient point les reproches aux Prussiens ils les accusaient d'avoir trompé l'espoir d'entente que leurs premiers discours avaient fait. naître, d'insister outre mesure pour pénétrer un secret que l'honneur, disait-on, engageait le Directoire à garder, et d'encourager, par dépit, la députation à la résistance. Les esprits de part et d'autre étaient vivement excités de menus faits, des bruits de gazettes prenaient soudain une importance démesurée. On pouvait croire qu'à la première difficulté ce serait une rupture les circonstances en décidèrent autrement.
En même temps que toute la rive gauche, la province prussienne de Clèves avait été organisée par l'administration française. Le gouvernement prussien avait protesté la République n'avait pas le droit de fonder un établissement définitif dans un pays qui ne lui avait été cédé qu'éventuellement 2. Le commissaire Rudtern'encontinuaitpas moins ses opérations nouvelles plaintes et nouvellès réponses évasives. Il fallait bien en venir à une discussion sérieuse les Français surent choisir le moment favorable. Ils allèrent trouver leurs collègues prussiens peu de jours après que la députation avait demandé aux représentants non-députés des princes leur avis sur la cession de la rive gauche. Il n'y avait qu'à s'expliquer, dirent Treilhard et Bonnier, et le dilemme était simple si le roi n'entendait pas garder ses provinces, que lui importait-il qu'elles fussent organisées un peu plus tôt ou un peu plus tard? S'il voulait d'ailleurs les conserver, on les lui rendrait sans faute, car on n'y tenait guère; seulement K cela pourrait entraîner quelque dommage pour la Prusse dans l'avenir ». -Les Prussiens répondirent qu'ils n'avaient garde de les redemander. Assurément, répliqua Treilhard, leur conduite ne témoignait rien de tel, et pour convaincre le gouvernement français, ce ne serait pas trop peut-être d'une déclaration écrite. Il n'y avait guère de raison plausible à donner pour la refuser après s'être fait prier longuement, ils cédèrent Sa Majesté tient invariablement, déclarèrent-ils, à la convention secrète du 5 août i796. dont l'article premier exprime la cession de ces prot ~<f' ~Me Rastadter C~M (Historische Zeitschrift, t. \I), 1S62) Le récit de M. HuS-er des négociations entre la Prusse et l'Autriche est moins détaillé que !a monographie de Hausser, mais.beaucoup plus clair et plus impartial. Le résumé qu'en donne Sybet est à la fois brillant et très précis. .Sur la question de la cession éventuel des provinces prussiennes, cf. Albert bore), La Paix de &M<- (Revue A~o-~Me, nov. dSTT-juiHet ~8~8)
vinces (transrhénanes) pour le cas où la rive gauche du Rhin serait cédée à la France à l'époque de la paix avec l'Empire 1 ». Ils avaient rédigé leur note en ces termes, disaient-ils, « parce qu'ils ne pouvaient se donner vis-à-vis de l'Empire le tort d'avoir les premiers altéré son intégrité, que l'Empereur déclarait tous les jours devoir être maintenue 2 ils ne voulaient pas « attacher le grelot ». A la vérité, la déclaration était insignifiante, et les plénipotentiaires français avaient raison de la juger telle; mais les circonstances lui donnèrent une valeur qu'elle n'avait pas par elle-même, et la prudence de ses auteurs se trouva en défaut. Les princes étaient occupés à préparer leur réponse à la consultation des députés plusieurs, séduits par les promesses de la République, s'étaient déjà déclarés pour la cession; les hésitants n'attendaient plus, pour suivre cet exemple, que d'être assurés de l'assentiment d'un des États considérables de l'Empire. Ce fut l'avis de la Prusse qui les entraîna liée par son traité et par sa dernière note, elle ne pouvait se déjuger; le -14 février, elle dut faire cette déclaration « Si la députation, y était-il dit en substance, croit que, pour arriver à la paix d'Empire, il faut consentir à la base demandée par la France, c'est-à-dire à la cession de la rive gauche, les ministres de Prusse, quelque sensible qu'il soit au roi de perdre des sujets si attachés, sont autorisés à dire qu'il n'hésite pas à faire ce sacrifice au bienêtre général, pourvu que tout soit prévu pour le bonheur des habitants et que'lui-même reçoive une indemnité suffisante » Des notes analogues furent signées par la grande majorité des princes laïques de la rive gauche; ils se déclaraient « prêts à faire le sacrifice de leurs possessions pour le repos et la prospérité de l'Allemagne assurés du reste de ce que leur rapporterait ce sacrifice.
Les Français jugeaient qu'après une pareille manifestation la députation renoncerait à la lutte elle ne crut pourtant pas encore s'être suffisamment défendue. Ce fut, à la séance du 14, où on lut la déclaration prussienne, un nouveau concert de plaintes, et la proposition de Saxe fut adoptée, de n'offrir à la France qu'une moitié de la rive gauche. Bade eut beau soutenir qu'on avait tout à craindre de la colère des républicains; le 16, quand on ajusta le conclusum, il supplia encore une fois de prendre garde, de revenir sur un vote qui pourrait perdre l'Empire, et de céder enfin. La majorité ne voulut rien entendre, et, le 19, Metternich envoya lanote à la légation française. Le système de Treilhard était d'opposer aux lenteurs de la députation une promp1. 11 fév. 1198. All., t. 674, n" 217.
2. PIén. à Tall., 24 pluv. VI (12 fév. n98). All., t. 674, n° 219.
3. 14 fév. n98. ~f/ t. 674, n" 222.
4. V. Dijk, op. cit., p. 65.
titude qui doublait la force de ses ripostes. Le lendemain les Français répondirent ce partage était inadmissible;; aucun avantage n'en balançait les inconvénients toutefois ils remarquaient que les arguments donnés jusqu'ici contre l'entière cession s'appliquaient aussi bien au cas de la cession d'une moitié de la rive gauche ces argutïfent& étaient donc ann ulés par le fait même de la dernière proposition. Du moment d'ailleurs que les États intéressés ne repoussaient pas la demandede la République, la députation n'avait plus qu'ordonner une réponse /H*oM!~e et positive 1. Le raisonnement était à la vérité sans répliquer la députation néanmoins trouva moyen de tourner encore une fois la demande. Cependant, tandis que les plénipotentiaires français s'effornaient de décourager par leurs sommations et leurs menaces la résistance de la députation et de se ménager à la fois parmi les princes d'Allemagne d'utiles alliés, l'Autriche, tout en s'employant à faire repousser officiellement les demandes de la légation, n'en continuait pas moins avec elle la négociation particulière que Cobenzl avait, entamée, et dont l'issue devait régler le sort de la négociation de Rastadt tout entière.
III
~oM~?Mrs6MeK<s M /<a;/M.– Z'AM~'M'Ae demande ap~'eH~eenIfaHe les '"OM~MNsa~'OHS qu'elle a~asM'e pour l'agrandissement de la République aux dépens du .S'a~S'~e e~ celles qui lui sont dues en échange de la tession de la totalité de la rive 9,auche du Rhin Raisons du /<! <*es~:OM de ne <o<a/<ë <~e à ?'iue yaMcAc ltalie. 7?~tH. ~aiso~s ~M j9~cc<OM'e de ne ~M?! ce~e?' a ~AMfrtcAe eM 7<c:~e. <7o&<MM//b?'M:u~ ses propositions. Le !'e/MS des /aMca:s Mt CH coKf~at~tc{!OH /b?'melle avec les stipulations de Ca:mpo-o/'m:'o. –TVoMfMM;~ ~M/ements de la République en Italie, en Suisse' et en ~oMa~e. Co~eMS~ menace de )'OM~e les négociations. ?~<?~a~ conseille la prudence. -Le Directoire ne tient aucun compte des avis ~eso~~JeHfpo~n~'at~.
Ce n'était pas une proposition chimérique qu'avait mise en avant Cobenzl à la conférence du 18 janvier, de placer en Italie l'équivalent du à l'Autriche pour la cession réclamée par le Directoire de la totalité de la rive gauche du Rhin. Bonaparte, il est vrai, dans les négociations de Campo-Formio, s'était attaché particulièrement à restreindre la domination autrichienne en Italie; mais un événement venait de se produire à Rome qui pouvait-entraîner des changements 1. ~M., t. 6-!4, no 235.
considérables dans la constitution de la péninsule entière et amener le gouvernement français à modifier la politique qu'il y avait suivi constamment. Le 28 décembre, le général Duphot et plusieurs patriotes avaient été tués dans une émeute par les soldats du pape. L'ambassadeur de la République, Joseph Bonaparte, accusa aussitôt le gouvernement pontifient de complicité avec les meurtriers et quitta Rome. Il était à prévoir que le Directoire ne ménagerait guère un souverain pour lequel il était loin de professer aucune sympathie; un bouleversement s'ensuivrait sans doute; or, si la République française ou, ce qui était tout un, si la Cisalpine s'agrandissait aux dépens des États pontificaux, le principe de t'équihbre européen, dont l'Empereur se faisait à ses heures le rigoureux champion, exigeait que l'Autriche fût agrandie de même. C'était en Italie que Thugut comptait demander cet équivalent du moment que le Direcloire, comme la cour de Vienne l'attendait, ne se refuserait pas à une rectification de ce chef des frontières tracées à Campo-Formio, peut-être aussi ne ferait-il pas trop de difficultés de consentir du même coup que l'Autriche prît également en Italie l'équivalent qui lui serait dû pour la cession de la totalité de la rive gauche du Rhin. Assurément la question au 18 janvier ne pouvait être qu'effleurée, puisqu'on ne savait encore rien de précis sur les projets du Directoire; aussi Cobenzl, on l'a vu, s'était-H borné à poser des jalons. Après la marche de l'armée de Berthier à la fin de janvier et son entrée à Rome, le sort du Saint-Siège n'était plus douteux Cobenzl eut ordre de réserver absolument le droit de l'Autriche à obtenir des compensations, au cas où la République acquerrait quelque accroissement de puissance, tout en marquant d'ailleurs le désir de l'Empereur que le gouvernement français se prêtât à un accommodement avec le pape mais il devait, en attendant que les affaires de Rome fussent débrouillées au point que l'Autriche pût mesurer ses demandes aux agrandissements du Directoire, continuer la négociation entamée pour l'équivalent de la totalité de la rive gauche du Rhin, émettre le vœu que cet équivalent fût placé en Italie, et réclamer de ce fait les Légations, la ligne de l'Oglio et les îles Ioniennes. Bien que, au gré de Thugut, ces prétentions ne fussent pas excessives, Cobenzl était autorisé, si le succès de la négociation dépendait d'une concession faite à propos, à ne pas insister sur les îles Ioniennes, à céder même sur l'article de l'Oglio et à se contenter des seules Légations.
On était fort éloigné à Paris d'envisager « l'événement de Rome n comme on faisait a Vienne, et d'estimer que l'Empereur pourrait être 1. Thugut :t Cobenzl, 16 janvier H9S. Sybe], <<!f< t. V, p. 424.
A. ToME I!. ig
fondé à réclamer pour lui-même un équivalent de ce que la République ou la Cisalpine acquerrait aux dépens du Saint-Siège. Chacun y était convaincu que l'Autriche n'était pas étrangère au soulèvement du 28 décembre, et la chute de son allié ou plutôt de son complice paraissait devoir être pour elle une humiliation et un châtiment mérité. Le Directoire prétendait donc qu'elle ne se mêlât en rien à la vengeance qu'il lui plairait de tirer du gouvernement pontifical; les instructions de Bernadotte, qui au même moment partait ambassadeur à Vienne} sont très précises à cet égard « Il est nécessaire, y était-il marqué, que le citoyen Bernadotte fasse sentir aux ministres de S. M. Impériale combien il importe à la loyauté et à la réputation de ce prince d'abandonner les intrigants, s'il est prouvé qu'ils sont criminels, au sort qu'ils méritent. Et pour mettre le cabinet autrichien à même de connaître la volonté entière du gouvernement français, l'ambassadeur déclarera que si, malgré les représentations qu'il a été chargé de faire, on faisait mouvoir des troupes autrichiennes hors de leur territoire pour s'opposer à celles de la République, les armées françaises marcheraient imédiatement sur la Toscane et de l'autre côté sur le Rhin » L'Empereur n'avait donc, aux yeux du gouvernement français, aucun droit d'intervenir dans les affaires, de l'Italie; mais comme le Directoire connaissait les habitudes de la cour de Vienne et prévoyait, d'après les théories qu'elle professait sur l'équilibre de l'Europe, qu'elle ne manquerait pas de chercher dans les futurs remaniements de la péninsule quelque matière à compensation, il prit soin de proclamer tout d'abord le désintéressement de la République et son refus de considérer en aucune façon l'occupation de Rome comme un agrandissement. Vous ne négligerez pas, écrivit TaIIeyrand aux plénipotentiaires dans un billet autographe, d'assurer le ministre de l'Empereur « que ce n'est par aucune vue d'agrandissement ni pour la République française, ni pour la Cisalpine, que cette direction de forces (sur Rome) a été ordonnée que le gouvernement français est décidé à n'en rien retirer qu'il veut uniquement une réparation éclatante et certes bien légitime de l'horrible attentat commis pour la seconde fois contre la nation française ».
Si le Directoire était aussi fermement résolu à empêcher l'Autriche de tirer aucun profit pour ses « projets italiens de la querelle où il était avec le Saint-Sfège, il n'y avait guère de chances pour qu'il favo1, Supplément d'Instructions pour Bernadotte, 28 niv. VI (n janv. lf9S). CorfMpde t'MM~. t. 368, p. 59. M. F. Masson a donné une Ms exacte analyse de ces instructions dans Les Ûij~oMc~M de la Révolution, p. 15S. Charavay, 1882, in-8. 2. 23 niv. VI fia janvier 1798). All., t. 6?9, p. 116. Allusion à )'assa93iaat de Hugou de Bassville à Rome le 13 janvier n93. Cf. Mdsson, Dipl. A<f.
risât davantage ces projets, quand elle émettait l'idée de transporter en Italie les indemnités qui lui seraient dues pour la cession de la totalité de la rive gauche du Rhin. Il faut reconnaître d'ailleurs qu'il avait de bonnes raisons de se refuser à cet arrangement. Celle qu'il a] léguait officiellement, chaque fois qu'il s'agissait d'agrandissement autrichien en Italie, l'impossibilité de rien ôter aux républiquessœurs, ses alliées, de ce qu'il leur avait donné et de replacer sous le joug des tyrans des populations qui avaient goûté de la liberté, cette raison, sans doute, n'était pas trop sérieuse. Il n'y avait point là matière à politique sentimentale, et la vérité était beaucoup plus terre à terre on avait conscience que pour l'Autriche la possession des Légations était la domination de toute l'Italie sans les Légations, malgré Venise et la Terre-Ferme, elle demeurait isolée, coupée des petits Etats du centre par les nouvelles Républiques; maîtresse des Légations, elle touchait la Toscane, Rome et Naples, libre d'y nouer ses intrigues et d'y recruter des alliés contre la France. Tout agrandissement de l'Autriche en Italie était donc un danger pour la République; au contraire c'était à l'Autriche même qu'un agrandissement en Allemagne nuirait d'abord elle ne pouvait le prendre que dans « la mine ecclésiastique » or les États ecclésiastiques étaient ses plus fermes appuis dans l'Empire, et pour elle, les affaiblir, c'était s'affaiblir soi-même; cette alternative lui était laissée, ou de perdre une part de son influence en Allemagne, si elle concourait aux sécularisations, ou, si elle se refusait à en profiter, de s'ôter toute compensation pour ses pertes territoriales. C'avait été un coup de génie de Bonaparte, à Campo-Formio, de l'intéresser, en lui abandonnant Salzbourg et Passau, dans la grande opération des sécularisations, et la politique du Directoire ne pouvait être que de l'y enfoncer plus avant, de peur de laisser à l'Empereur le champ libre en Allemagne pour s'opposer aux entreprises de la République, et pour travailler, sous le couvert de la défense de l'intégrité de la constitution, à consolider sa popularité ébranlée.
On trouve trop souvent ces idées marquées dans la correspondance de Rastadt, pour croire que Treithard ait pu imaginer véritablement, lorsque Cobenzl, le 18 janvier, l'entretint pour la première fois de l'Italie, que le Directoire consentirait à y prendre l'équivalent que demandait l'Autriche et renoncerait ainsi d'un coup à toute sa politique si le plénipotentiaire français s'avança en effet autant que le mandait Cobenzl à Thugut, on a peine à se persuader qu'il y eût là propos délibéré de sa part 1; au reste, on s'en souvient, il se garda de rien l. Les ministres aUemands accusent dans leur Correspondance les plénipoten-
écrire à Paris qui pût le compromettre; ni le Directoire, ni TaIIeyrand ne furent informés par Treilhard ou Bonnier des démarches de Cobenzl relatives à l'Italie, et pendant trois semaines il n'est question dans la correspondance ni de transports d'indemnités, ni de compensation pour la ~jOM~caHM~tOM des États pontificaux. Le 10 février seulement, dans une lettre particulière, Treilhard s'avisa de demander à Talleyrand, négligemment et en forme de post-scriptum « L'événement de Rome fournirait-il quelque moyen de satisfaire l'Autriche sans toucher à la Bavière '? » Le ministre ne parait pas avoir considéré cette question plus sérieusement que ne faisait sans doute Treilbard, et n'y répondit pas. Il n'y eut pas d'autre allusion à l'Italie. Sur la question du principe de l'équivalent réclamé par l'Autriche en échange de son consentement à la cession de la totalité de la rive gauche du Rhin, les plénipotentiaires au contraire avaient été parfaitement nets Cobenzl avait demandé l'exécution de l'article 7 du traité secret de Campo-Formio, et sa demande avait été transmise au Directoire. Il ne semblait pas que le gouvernement français pût hésiter un instant et qu'il y eût matière à aucune discussion toute acquisition de la République en Allemagne au delà de la ligne de la Nette devait, de par le traité, être compensée à l'Autriche par un égal agrandissement. II n'y avait qu'à se conformer à ce principe précédemment reconnu, sauf, si l'on persistait à l'égard de l'Autriche dans une politique de vexations et de tracasseries, à en renvoyer l'application à l'époque des sécularisations. Le Directoire ne pouvait aller plus loin, sans violer ses engagements ce fut de quoi il s'occupa fort peu. H est bon, en examinant la politique qu'il suivit dans toute cette affaire, de se souvenir de cette phrase que Talleyrand écrivait à Gaillard .< Notre position est telle, qu'il s'agit beaucoup moins d'arguer de ce qui a été convenu que de s'occuper de ce qui sera fait'. ? » Les instructions qu'il envoya aux plénipotentiaires le 28 janvier (9 pluv.) ne sont véritablement que le commentaire de cet étrange principe « Ce que l'Autriche a cédé en Ftandres et en Italie, disait-il, est compensé dans le traité patent par ce qu'elle a acquis autour de l'Adriatique. La compensation est complète, si l'on songe que l'Autriche a été vaincue, titres français de boire souvent plus que de raison, et de n'être pas toujours maîtres d'eux-mêmes dans les discussions Comme la conférence avait lieu le Mf! Treilhard ne sortit pas des bornes de la décence et d'an ton convenable écrit par exemple Cobenzl (27 mars H98; Sybe), trad., t. V, p. 442). Je ne serais pas trop disposé à expliquer la conduite de Treilhard, le i8 janvier, par cette hypothèse au reste Cobenzl, rendant compte à Thugut de l'entretien, ne dit pas que les plénipotentiaires français fussent excités.
t..4M.. t. 6Tf4, n" 2i5.
2. 17 ptnv. VI (5 fév. n98). Prusse, t. 222, p. <6-7.
toujours vaincue, et que l'armée française était à vingt milles de Vienne. Ce qui lui est promis par le traité secret (une partie de la Bavière) est plus qu'un équivalent pour l'assentiment qu'elle donne à l'extension de notre territoire. » Le début était assez heureux la suite des explications ne laissait rien à désirer. « II est possible, ajoutait Talleyrand, de contester à l'Autriche l'interprétàtidn qu'elle fait de cet article 7 et de soutenir au contraire que l'acquisition par la maison d'Autriche des objets énoncés dans l'article S~Ia partie de Bavière) est elle-même susceptible d'un équivalent en faveur de la République. C'est sur quoi on pourrait élever une question iriterminable, et ce ne serait pas le premier traité qui aurait ainsi prêté à des interprétations tout à fait opposées. Mais cette guerre de chicanes, qui n'est point à dédaigner avec les hommes auxquels vous avez affaire, n'empêchera point que vous n'employiez des arguments plus péremptoires et tirés de la situation même des choses. La République veut le Rhin pour limite. Elle veut garder des pays que depuis quatre ans elle occupe par droit de conquête, droit qui est légitime, quand le vaincu fut l'agresseur. Maîtresse aujourd'hui de la ville et du fort de Mayence, du fort de Kehl, bientôt de celui d~hrenbreitstein, il n'est point une réunion de puissances et de forces qui puisse lui ravir le prix de ses longs efforts 2. »
En bon légiste, Treilhard dut assurément admirer l'art du Directoire à tourner les textes qui l'embarrassaient :'lui-même aussi d'ailleurs devait peu après faire dans cet inépuisable article 7 quelques autres découvertes. Au premier moment pourtant/il paraît avoir hésité sur l'efficacité de ces mesures. « Je crois, répond-ilsimplement, qu'on peut batailler sur le sens des articles de Campo-Formio et il n'ajoute pas un mot. Il connaissait assez les sentiments des Autrichiens pour imaginer quel accueil ils feraient à cette étrange interprétation du traité, et ne jugeait pas sans doute avoir l'autorité nécessaire pour la leur imposer et les faire céder devant ses seules menaces; peut-être même envisageait-il les suites qu'elle pourrait entraîner et répugnait-il à en prendre l'endosse. Cette fois encore, c'est à Bonaparte qu'il proposait d'avoir recours « Je crois fermement, conclut-il, qu'un 1. Voici le texte de cet article Il est convenu, en outre, entre les deux P. C. que si, lors de la pacification prochaine de l'Empire germanique, la République française fait une acquisition en Allemagne, S. M. l'Empereur, roi de Hongrie et de Bohême, doit également y obtenir un équivalent, et, réciproquement, si S. M. t. et R. fait une acquisition de cette espèce, la République française obtiendra un semblable équivalent
2. Tall. aux plén., 9 pluv. VI (28 janv. 1798). All., t. 674, n° 181. On se souvient que les mêmes idées sont développées dans le premier mémoire des Ins<rMC~'o?t~ jy~mefa/es.
seul homme peut terminer la négociation. le général Bonaparte osera ce que tout autre n'aurait pas Je droit d'oser. Il pourra montrer les dents quand il sera nécessaire, sans craindre qu'on lui en fasse un crime 1. »
Bonaparte demeura à Paris; mais même sans son secours les plénipotentiaires s'entendirent fort bien à « montrer les dents », et ses premiers scrupules n'incommodèrent point Treilhard. La conférence eut lieu le 17 février. Cobenzl commença par répéter que « l'Empereur s'était flatté qu'il ne serait rien changé à la ligne convenue par le traité de Campo-Formio; que cependant S. M. ne serait pas absolument éloignée d'acquiescer à la nouvelle limite demandée par la République française; mais qu'elle ne pouvait y consentir qu'autant que préalablement il aurait été convenu entre les deux puissances de l'équivalent, de l'Autriche pour cette nouvelle acquisition de la France; que S. M. désirerait même que cet équivalent prévu en pareil cas par les articles secrets de Campo-Formio fût pris en Italie, où l'on pourrait transporter les indemnités qui lui sont déjà assurées en Allemagne, ce qui contribuerait à étendre l'étoffe nécessaire pour l'indemnisation des princes dépossédés sur la rive gauche 1 ».
Ces communications furent faites « du ton le plus convenant »; il n'y avait rien là qui pût étonner les plénipotentiaires français Cobenzl ne faisait que répéter un peu plus nettement peut-être ses précédentes propositions. Treilhard se chargea de répondre; mais, pour lui, il ne se mit guère en peine d'accorder sa réplique avec la « causaillerie » du 18 janvier. Il se borna à déclarer, comme le portaient ses instructions, que l'Autriche n'avait plus rien à réclamer et que la ligne de l'Inn était un suffisant équivalent de la totalité de la rive gauche du Rhin. Il faut reconnaître qu'il ne parla pas, comme le Directoire semblait le désirer, d'un équivalent à donner à la République pour cette ligne de l'Inn; mais il racheta cette dhcrôtion par une nouvelle finasserie. En admettant même pour l'instant, dit-il en revenant à la demande de Cobenzl, que l'Empereur eût quelque droit à un équivalent, « il ne pouvait aux termes du traité y prétendre que lorsque nous aurions nous-mêmes fait l'acquisition de la rive gauche; que par conséquent et dans tous les cas, le consentement de l'Empereur à cette acquisition était un préalable que les deux gouvernements s'entendraient ensuite facilement. parce qu'ils voulaient également ce qui est juste; mais que rien ne devait t. Treilhard à Tall., 16 ptuv. VI (4 fev. I79SL All., t. 674, n° 200. 3. Bonnier à Rewbell, 30 ptuv. Yt (18 fév. H9S)..4M.. t. 679, p. 231. C'est une des races tettres de Bonnier qui aient été conservées; je n'en donne que des fragments; elle n'est pas assez intéressante pour être citée tout entière.
retarder la décision snr la proposition faite par la République M. La question du principe ainsi réglée, Treilhard passa à l'application et à l'article de l'Italie. Ici encore naturellement les dépêches françaises et les dépêches autrichiennes diffèrent Treilhard aurait dit à Cobenzl qu'il n'avait sur ce point aucune réponse de Talleyrand, parce qu'il l'aurait traité « dans une lettre particulière et non dans une dépêche officielle M. L'excuse eût été médiocre; il est vrai qu'on avait accoutumé les ministres allemands à se contenter de pires raisons. Au Directoire, Treilhard et Bonnier présentèrent les demandes de Cobenzl relatives à l'Italie comme de nouvelles ouvertures. Ces propositions, auraient-ils répondu au ministre de l'Empereur, étaient trop importantes, elles tenaient à des éléments trop nouveaux pour eux, à des intérêts trop divers et qui leur étaient dans le moment trop peu connus, pour qu'ils pussent s'expliquer; ils ne pourraient le faire qu'après avoir reçu les ordres du Directoire'. Quel qu'ait été le prétexte allégué, le résultat de la conférence ne pouvait être douteux. Cobenzl avait aisément compris, au silence même des plénipotentiaires, que c'était décidément la politique d'envahissements qui prévalait à Paris. Les nouvelles qu'il recevait de sa cour le confirmaient dans cette assurance. Sur toutes les frontières de la République, chaque jour presque, c'étaient de nouveaux empiètements. « Il importait, avait-on dit, à la philosophie et à* la raison que la papauté cessât d'exister M le 15 février la République romaine était prociamée,et le « ci-devant pape M transporté à Sienne5. La Toscane, enclave des nouvelles Républiques, travaillée par leurs agents, ne relevait plus que de la France. Une série de coups d'Etat avaient mis sous l'absolue domination du Directoire les Républiques batave et cisalpine, et lui en livraient sans contrôle les finances, les armées et les flottes. La République de Mulhouse était incorporée au territoire français et la Suisse elle-même n'était pas épargnée; appelées par des pa~n'o~es mécontents, les troupes françaises y étaient entrées, démocratisant sur leur passage les gouvernements vieillis, et le 1" février, Mengaud, l'agent de la République, plantait à Aarau 1. Plén. a'M.,30 pluv. VI (t8 fév. 1798). t. 674, n° 227.
2. Hüffer, 100.
3. Bonnier à Rewbell, !'<
4. Bernadotte à Tall., 20 vent. VI (10 mars -1798). Co~ de Vienne, t. 368, p. 168.
5. Cf., sur les rapports de la République romaine et de la Toscane avec le Directoire, les articles de M. Ludovic Sciout dans la Revue des questions historiques (janvier et octobre 1886), en attendant le grand ouvrage que prépare le comte Boulay de la Meurthe. et sur la Suisse, la Hollande, la Cisalpine, les excellents chapitres de Hliffer et ceux de Sybe).
6. 28 janvier n98.
un arbre de la liberté. Si le Directoire avait consenti à donner à l'Autriche des équivalents des territoires qu'il réclamait en Alle.magne et des républiques qu'il fondait en Italie à son usage, l'Empereur aurait accepté sans protester la spoliation, peut-être même la captivité du Saint-Père'; les plaintes du grand-duc de Toscane, son frère ni les appels des nobles bernois ne l'auraient guère troublé, et il ne se serait pas ému outre mesure de l'assujettissement de la Hollande. Mais son plénipotentiaire avait dû entendre que la République ne se tenait pas pour engagée à lui compenser tous les agrandissements qu'elle acquerrait en dehors des stipulations de Campo-Formio; la conduite des ministres français et leurs déclarations marquaient assez la mauvaise volonté de leur gouvernement et le peu de foi qu'il fallait mettre en lui; une prompte rupture était inévitable, si le Directoire persistait dans sa politique. La douceur et les raisonnements n'avaient pas eu d'effet sur lui; peut-être Cobenzl espéra-t-il par des paroles plus fermes, sinon l'intimider, au moins le faire réfléchir comme réponse, et avant de clore l'entretien, il eut soin de laisser entendre que l'Autriche ne voulait pas être prise pour dupe, et qu'elle n'hésiterait pas à reprendre les armes si les clauses du traité de paix étaient violées.
Quelques déclamations que fit le Directoire, il n'avait nulle envie de'recommencer la guerre, et ses agents ne l'ignoraient pas; aussi la menace de Cobenzl, bien qu'ils n'en soufflent pas mot dans leurs dépêches, produisit son effet sur les plénipotentiaires. Vraisemblablement ils ne la prirent pas à la lettre; ils avaient trop de confiance dans l'affaiblissement de l'Autriche après les campagnes de 1796 et de 1797, pour imaginer qu'elle osât après un an de paix entamer une nouvelle lutte avec son vainqueur; mais sans doute ils songèrent que malgré tout il ne serait pas prudent de la pousser à bout, et se hasardèrent à donner au Directoire des conseils de modération « J'ignore, écrivit Treilhard à Talleyrand, si l'état actuel des choses en Italie permettrait de céder quelque petite portion de territoire qu'on ferait passer pour un équivalent de notre nouvelle acquisition; si on le pou.vait sans compromettre la sûreté de nos alliés, il serait peut-être convenable de le faire. » Il discutait à la vérité les demandes de Cobenzl, que celui-ci avait précisées dans un mémoire tiré de ses instructions, et n'en dissimulait pas les dangers « J'ai peine à croire, disait-il, que nous fissions une bonne opération en transportant en Italie toutes les indemnités de l'Empereur. [Sa demande] me paraît cacher une arrière-pensée. S'il n'a plus de prétentions sur l'archevêché de Salz1. Thugut à Cobcoz), i6 janvier 1798. Sybel, < V, 423, et HM'er, I, 141. 2. Wertheimer, op. cit.. t, 35.
bourg, il combattra le système des sécularisations et nous contrariera sur ce point, en s'attachant encore une grande partie de l'Allemagne. » Mais s'il faut toujours être en garde du côté de l'Italie et user de prudence, en Bavière au contraire on peut le satisfaire sans crainte « Tout ne sera pas bénéfice pour l'Empereur, puisque la Bavière a en horreur la domination autrichienne, et que cette cession sera par conséquent un germe d'inquiétude et de trouble pour l'Autriche » D'ailleurs une rectification de frontières il ne prononce pas le mot de concession aurait bien des avantages, car l'Empereur s'engageait en échange à délier « le gouvernement français de sa garantie solennelle, stipulée en termes exprès dans le traité de Campo-Formio, contre toute nouvelle acquisition de la Prusse, sous la condition cependant bien entendue que les indemnités qui seraient adjugées au roi de Prusse sur la rive droite du Rhin, n'excéderaient pas ses possessions actuelles au delà du Rhin 2. »
C'eût été là une singulière simplification dans la négociation et sans doute un prompt acheminement vers la paix d'Empire. Mais l'habitude du Directoire n'était guère d'écouter les conseils de ses plénipotentiaires. Il avait beau leur écrire que « son intention était de laisser beaucoup à leur habileté et de leur abandonner tous les détails du grand ouvrage x de la paix sitôt qu'ils manifestaient quelque velléité d'action personnelle, alors surtout qu'on y croyait découvrir quelque trace de « faiblesse », c'était un rappel à l'ordre. Ils s'étaient irrités d'abord de ce « rôle de mannequin 4», puis en avaient pris leur parti. Une fois de plus le Directoire ne tint nul compte de l'avis qu'on lui envoyait; il n'y fit point de réponse, et la légation, comme toujours, s'accommoda de ce silence; il ne fut plus question de rien accorder à l'Autriche. Treilhard avait eu pourtant cette fois une vue exacte de la situation et l'avait traduite en quelques mots d'une vérité frappante « Jusqu'à ce que sa part soit faite, avait-il dit dans cette même lettre à Talleyrand, l'Autriche nous entravera tant qu'elle pourra, et elle peut à peu près tout ce qu'elle veut. » II faut regretter que, s'il fut capable un moment de concevoir cette pensée, il n'ait pas osé y persévérer davantage, et qu'il n'ait pas mis plus d'énergie à défendre un avis fondé sur son expérience de la négociation, contre les théories vagues et les ambitions irréfléchies du Directoire.
(~e?'a coM~'Muc.) Raymond KOECHLIN,
Membre du Groupe d'histoire et de diplomatie.
1. Treilhard à Tall., 30 pluv. VI (18 fév. 1798). All., t. 674, n° 231. 2. Note de Cobenzl, All., t. 674, n° 228.
3. Ta!I. à Treilhard, 9 vent. VI (27 fév. 1798). All., t. 674, n° 244. 4. Treithard à TaU., 20 niv. VI (9 janvier 1198). All., t. 674, n" 111.
LA PÉRÉQUATION DE L'IMPÔT FONCIER.
L'histoire de l'impôt foncier en France n'est guère que le récit des efforts vainement tentés depuis le commencement de notre siècle pour obtenir une répartition équitable de cette taxe. C'est que la contribution foncière subit encore actuellement les conséquences de la répartition de 1791. L'Assemblée constituante, sans procéder à aucune enquête, avait réparti la nouvelle taxe uniquement à raison du chiffre des anciens impôts payés par chaque circonscription. Les contribu-.tions directes et indirectes, vingtièmes, tailles, gabelles, aides, dîmes et capitations, si impopulaires sous l'ancienne monarchie, devinrent ainsi la base de l'impôt que l'on créait pour les remplacer. Ce système empirique maintenait toutes les inégalités qui avaient dej& donné lieu à tant de plaintes.
Les inégalités primitives ont été d'ailleurs, depuis 1791, aggravées par le temps. Les trois grandes enquêtes de 1821, de i88i et de 1879 ont donné à ce point de vue des renseignements tout à fait topiques. Elles attestent un accroissement général du revenu foncier; mais tandis que le taux de la progression atteint, dans certaines communes, 100, 200, 250 p. 0/0, dans d'autres, au contraire, les revenus du sol demeurent à peu près stationnaires. Ces incessantes modifications économiques ont contribué dans beaucoup de cas à augmenter encore les injustices de la première répartition.
Ces deux influences combinées ont amené une situation véritablement intolérable. Les résultats officiels de l'enquêtedè 1879 ont mis en évidence des inégalités profondes. Tandis que les vignes payent seulement 2.95 p. 0/0 de leur revenu, les bois sont imposés à 8.30 p. 0/0. Depuis le département des Hautes-Alpes, qui abandonne a l'impôt '7.21 p. 0/0 des produits du sol, jusqu'au département de la Corse, qui est imposé seulement à 0.95 p. 0/0, le taux de l'impôt varie de département à département, si bien que cette contribution répond bien peu aujourd'hui à la pensée du législateur, qui avait voulu la faire supporter par chacun proportionnellement à ses revenus fonciers. Telle est la situation. Bien qu'elle soit officiellement constatée
depuis longtemps, on est toujours surpris de voir un tel état de choses subsister dans une société comme la nôtre. Il y a un véritable intérêt publie à refaire la répartition de l'impôt foncier. M. Leroy-Beaulieu, qui s'est fait le plus vaillant avocat de ces revendications, exprime d'une façon saisissante la nécessité d'une réforme. « On pourrait faire produire à l'impôt foncier 40 millions de plus et rendre en même temps à l'agriculture un service signalé et durable. Quand un impôt est mal assis et qu'on réussit à le mieux asseoir, non seulement on augmente les revenus du fisc, mais encore on facilite l'essor de la production nationale. »
II ne faut pas croire cependant que tout le monde admette, comme M. Leroy-Beaulieu, la nécessité de la péréquation. Nous rencontrons sur ce point une théorie économique hardie, spécieuse, presque admise dans la pratique, savamment et puissamment soutenue. L'impôt, nous dit-on, est une charge de la terre, et, par conséquent, un des éléments de sa. valeur. Tout acquéreur en tient compte quand il achète. Il le déduit du revenu et ne paye la terre que selon le profit qu'elle donne. Il en résulte que toute diminution de l'impôt est un avantage gratuit concédé au propriétaire et que toute augmentation de taxe devient, en somme, un prélèvement sur la valeur même du sol. « Une remarque essentielle en ce qui concerne l'impôt territorial, dit M. H. Passy, c'est qu'il finit par ne plus être constitué à titre véritablement onéreux pour ceux qui l'acquittent. Cet effet résulte des transmissions dont la terre est l'objet. Sur chaque fraction du sol pèse, par l'effet de l'impôt, une rente réservée à l'État. Acheteurs et vendeurs le savent et les prix auxquels ils traitent entre eux se règlent uniquement en vue de la portion du revenu qui, l'impôt payé, demeure nette. Aussi le temps arrive-t-il où nul n'a plus le droit de se plaindre d'une redevance antérieure à son entrée en possession et dont l'existence, connue de lui, a atténué proportionnellement le montant des sacrifices qu'il a eu à faire pour acquérir. »
L'exposé de cette théorie ne pouvait être présenté d'une façon plus nette et certainement on est séduit au premier abord. On doit reconnaître en effet avec les économistes de cette école que l'impôt est une charge de la terre. Il n'est pas douteux non plus que, dans un pays où certaines terres sont frappées de l'impôt tandis que les autres en sont exemptées, les acquéreurs tiennent compte de l'impôt pour fixer le prix de leur achat. Il n'est pas moins vrai cependant qu'une injustice a été commise, que toute une classe de possesseurs du sol a rejeté sur une autre classe sa part de charges publiques. Les lois économiques ont peut-être allégé le poids de cette injustice, mais elles ne l'ont pas repayée. L'Assemblée constituante de 1789 n'a point pensé sans
doute qu'elle faisait acte d'injustice en proclamant le grand principe de l'égalité de tous les citoyens devant l'impôt. En outre, lorsqu'elle répartit pour la première fois la contribution foncière entre les départements, elle n'avait établi qu'une taxe provisoire avec promesse de procéder à une répartition nouvelle. Cette promesse n'a jamais été démentie depuis par le législateur. Toutes les lois relatives au cadastre et à l'évaluation des revenus territoriaux ont eu en vue au contraire une répartition meilleure de l'impôt foncier. Si donc il est vrai, en général, que l'acquéreur tient compte de l'impôt comme de toute autre charge de la terre pour fixer le prix de son achat, ne peut-on pas croire aussi qu'en présence de cette situation et de ces promesses, il a pu faire entrer dans ses prévisions la possibilité d'une réduction de l'impôt conforme au principe de l'égalité proportionnelle proclamée par la loi? Les inégalités dans la répartition de l'impôt foncier ne peuvent donc se justifier par cet équilibre naturel que les transactions y viennent apporter. Mais que devient la théorie de la fixité de l'impôt en présence de situations que les transactions n'ont point modifiées? Quand ce sont les propriétaires contemporains de la confection du cadastre ou leurs héritiers qui souffrent encore, et il en existe de nombreux dans cette situation, on ne croit plus sans doute qu'il soit alors possible d'invoquer l'effet réparateur des changements de propriétaires. Il faut donc faire disparaître l'injustice de la répartition au moins à l'égard de ces derniers.
Mais la théorie de la fixité de l'impôt prend un autre aspect. On l'invoque aussi dans l'intérêt de l'agriculture eton l'applique alors non seulement à la répartition de la contribution, mais à son chiffre. L'agri. culture, dit-on, a besoin de sécurité pour progresser. Elle resteraimmobile si elle peut croire que ses efforts n'auront d'autre effet que d'enrichir le fisc. L'agriculture aurait d'ailleurs pleinement raison. Mais il faut distinguer entre l'absorption complète du revenu nouveau et sa participation aux charges publiques dans la mesure où le revenu ancien y contribue lui-même. Cette distinction doit être opposée à la confusion volontaire que l'on fait trop souvent. L'art des finances publiques sait fort bien qu'il faut ménager toutes les sources de revenu & peine de les tarir, et la crainte de voir l'impôt foncier absorber tout le surplus des revenus que pourraient réaliser les progrès agricoles n'est assurément pas justifiée de nos jours. Il n'y aurait pour les propriétaires fonciers aucun motif sérieux de découragement si leurs efforts devaient profiter à l'État dans la mesure de 5 à 6 p. 0/0. On ne saurait réclamer pour la richesse territoriale un privilège que personne n'a invoqué pour les revenus des-capitaux etdu travail. Pourquoi
le fabricant et le capitaliste ne tiendraient-ils pas le même langage que le propriétaire foncier? Le négociant qui accroît son commerce ne voit-il pas augmenter sa patente? Assurément c'est une bonne règle économique de ne pas décourager la production, mais on peut fort bien la combiner avec cette autre règle qui veut que l'on applique aux taxes le principe de l'égalité.
La science des finances consiste en effet à établir les impôts selon la faculté des contribuables. Chacun doit participer aux dépenses de la société en raison de ses ressources et proportionnellement à ses moyens.
II faut donc chercher un remède aux vices de la répartition de l'impôt foncier. Les systèmes sont nombreux et la seule difficulté consiste ici à choisir le meilleur, sinon le bon.
La plupart des projets de péréquation soumis aux délibérations des Chambres ou discutés par les économistes reposent sur la distinction de la propriété bâtie et de la propriété non bâtie. Ces deux genres de propriétés foncières sont, en effet, fort différents. Les revenus qu'on en retire ne sont point de même nature, les crises qui les affectent ne sont point produites par les mêmes causes. Il y a là, en vérité, deux matières imposables distinctes pouvant donner lieu à des taxes spéciales.
C'est pourquoi la loi du 15 septembre 1807, article 34, ordonnait expressément la séparation, dans les matrices, de la propriété bâtie et de la propriété non bâtie. Cette distinction ne fut abandonnée qu'à la suite des travaux de péréquation accomplis en 1821 et des dégrèvements considérables accordés à cette époque aux départements surtaxés. Le Trésor s'était imposé de si grands sacrifices pour rétablir l'égalité, que le gouvernement croyait avoir mis fin à toutes les réclamations et coupé court à toutes demandes de péréquation nouvelle. Aussi le règlement du 10 octobre 1821 prescrivait-il de réunir dans la même matrice et dans le même rôle les propriétés bâties et les propriétés non bâties, la répartition de l'impôt foncier ne paraissant plus devoir désormais recevoir de modifications. L'expérience est faite aujourd'hui; en présence de la différence d'accroissement constatée entre les revenus du sol et ceux des maisons, il importait de rétablir la séparation, .afin de permettre aux assemblées législatives d'agir isolément sur chacune des deux catégories d'immeubles. Cette mesure a été ordonnée par la loi de finances du 20 juillet 1881. Elle facilitera singulièrement la péréquation. Les Chambres ont voulu, par là, montrer l'intérêt qu'elles portent à l'achèvement d'une réforme déjà étudiée par le gouvernement et jugée nécessaire.
I. ~'oprM~c bâtie. -Dans l'état actuel de notre législation, les pro.priétés bâties, dont la valeur s'est accrue beaucoup plus rapidement que celle des propriétés non bâties et dont les revenus sont beaucoup plus élevés, se trouvent relativement ménagées dans la. répartition de la contribution foncière. Cette inégalité doit disparaître. En élevant les cotes foncières des propriétéos bâties jusqu'au niveau moyen, non seulement on assurera une plus équitable répartition des taxes, mais on augmentera au profit de l'État le produit de l'impôt sans inquiète: ou gêner en rien la production ou le travail, uniquement par un meilleur aménagement et une perception plus exacte d'une contributior déjà établie et payée depuis longtemps. t
Le projet de réforme de l'impôt sur les propriétés bâties présente en 1879 par M. Léon Say, ministre des finances, repose sur un procéda bien simple et tout à fait Ingénieux. Il consiste, à mesure que des constructions nouvelles s'élèvent, à rehausser les contingents, suivant un procédé analogue à celui qui a été mis en action par la loi du 4 août 1844, article 3, à l'égard de la contribution personnelle et mobilière. Le calcul de l'accroissement du contingent foncier ne se ferait donc plus comparativement à la valeur locative des autres propriétés bâties de la commune, mais d'après une quotité déterminée de la valeur locative des maisons nouvelles, 5 p. 0/0 par exemple, taux auquel les propriétés non bâties paraissent être imposées actuellement en moyenne. Le contingent ainsi modifié serait ensuite réparti entre toutes les constructions, soit anciennes soit nouvelles, de la commune, proportionnellement à leur revenu cadastral. Les bâtiments démolis continueraient à motiver une diminution de contingent égale à l'impôt qu'ils supportaient. L'influence des constructions nouvelles et des démolitions tendrait ainsi constamment à rapprocher les contingents en principal des communes du taux de 3 p. 0/0 de la valeur locative nette de l'ensemble des constructions imposables or comme ce taux est aujourd'hui le plus souvent inférieur à ce chiffre, il en résulterait une augmentation progressive des ressources du Trésor qui peut être évaluée annuellement à 400,000 francs. Un exemple rendra plus claire cette explication Supposons une maison nouvelle d'une valeur locative de 12,000 francs. Le revenu net imposable calculé, déduction faite du quart, suivant les règles établies par la loi de frimaire an VII, serait de 9,000 francs. Dans le système que nous venons d'exposer, le contingent foncier de la commune serait augmenté de 5 p. 0/0, c'est-à-dire de 480 francs. Si, dans la commune, la proportion de l'impôt au revenu est inférieure à 8 p. 0/0, si elle est, par exemple, de 3 p. 0/0; la cotisation du contribuable n'aurait été, d'après le système de la loi de 1835, que de
300 francs. Le contingent de la commune se trouvant, sous le nouveau régime, augmenté de 450 francs, la différence devra être répartie entre les autres propriétés bâties, et les cotes individuelles se trouveront ainsi lentement et insensiblement rehaussées.
L'effet inverse se produira dans les communes où la proportion de l'impôt au revenu imposable est supérieure à 5 p. 0/0. Le cas sera rare. II parait cependant, si l'on en croit les résultats présentés au conseil général de la Somme, que dans la ville d'Amiens la proportion de l'impôt au revenu net imposable des propriétés bâties est évaluée à 5.15 p. 0/0. Dans ce cas, les cotisations iraient en s'abaissant successivement à mesure des constructions nouvelles. Ce système présente de très grands avantages et répond certainement au double but qu'il s'agissait d'atteindre. Si on l'appliquait pendant quelques années, il ne manquerait pas de réparer les inégalités de la répartition et de prévenir en même temps celles qui pourraient se produire dans l'avenir. Cependant il a donné lieu, sous plusieurs points de vue, à des critiques assez vives.
Le premier reproche qu'on lui adresse repose sur la différence profonde qui le distingue du régime auquel sont actuellement soumises les constructions nouvelles. La loi de 1835 n'avait pour effet d'augmenter les contingents que d'une somme égale au montant des cotisations afférentes aux constructions nouvelles. Il en résultait que les cotes individuelles n'étaient pas modifiées. Ne semble-t-il pas au contraire étrange et inique de relever les cotes individuelles, par le fait seul que des constructions nouvelles auront été faites? Dans les petites communes où viendrait à s'élever un château ou une grande usine, le résultat se ferait immédiatement sentir. On peut répondre qu'il faut d'abord écarter le cas exceptionnel de la construction d'un château ou d'une usine dans une commune rurale. Du reste la difficulté ne serait pas moindre s'il s'agissait simplement d'établir la cote individuelle, puisqu'il n'existe encore aucun terme de comparaison. Ce n'est pas en vue de cas particuliers et exceptionnels que les dispositions proposées doivent être appréciées. A un point de vue général, l'augmentation du nombre des constructions accuse d'une manière certaine l'augmentation du revenu de la propriété bâtie. gera-t-on fondé à se plaindre de l'augmentation du contingent afférent à ces propriétés lorsque le fait qui y donne lieu est l'indice le plus cet-tain de l'augmentation de leur valeur?
On objecte encore que l'évaluation du revenu réel est bien difficile et délicate. C'est l'obstacle contre lequel se sont brisés ceux qui voulaient transformer l'impôt foncier en impôt de quotité. Ne va-t-on pas leur ouvrir la porte en proposant de faire cette évaluation? Déjà
depuis que le projet est connu, des publicistes éminents ont remis en question la transformation de l'impôt foncier en impôt de quotité. M. de Versigny et d'autres membres de la Chambre ont dépose en ce sens une proposition qui prend sa base dans les dispositions mêmes contenues au projet. C'est là se méprendre sur l'esprit de cette reforme. L'évaluation du revenu vrai est entreprise en vue de la détermination du contingent et non au regard du propriétaire pour la fixation des cotes individuelles. La loi du 4 août i8H a adopté pour la formation des contingents de la contribution mobilière un procédé tout à fait analogue à celui qu'on voudrait mettre en usage pour l'impôt foncier, et le rapporteur de cette loi a pu dire à la tribune, sans faire naître de protestation, qu'on ne saurait l'accuser d'ouvrir de nouveau la question de l'impôt de quotité. L'expérience qui est faite depuis plus de quarante ans, les résultats obtenus par le système de la loi du 4 août 18M, sont un garantie suffisante. En i8i4 on a mis en vigueur pour la contribution mobilière le système qu'on voudrait appliquer maintenant à l'impôt foncier. Le régime qui fut inauguré à cette époque fonctionne sans difficulté. L'estimation du revenu net imposable vrai, en vue de la fixation du contingent, se fait avec un parfait accord entre les répartiteurs et les agents de l'administration. On a pris, dans les communes rurales, des ménagements qui s'imposeront encore pour la fixation des contingents fonciers, mais l'expérience n'est plus à faire et on peut s'en rapporter au tact et à la prudence de l'administration.
Il est permis toutefois de penser que le projet de péréquation présenté par M. Léon Say semble avoir sacrifié au désir de n'alarmer personne, la rapidité de la réforme, et aussi l'intérêt du Trésor. C'ejt pourquoi on propose, en vue d'opérer plus rapidement et d'augmenter dans une plus large mesure les revenus du fisc, de procéder immédiatement à l'évaluation de toutes les propriétés bâties et de faire porter la répartition non seulement sur les propriétés nouvelles, mais sur les anciens bâtiments. Les auteurs de cette proposition n'ignorent pas qu'un pareil recensement, opéré dans le but avoué de rehausser partout les contingents, ne saurait être considéré comme populaire; mais ils trouvent exagéré de rappeler à ce propos les troubles qu'avaient provoqués, en 1841, les projets de répartition nouvelle de la contribution mobilière. Ils pensent qu'avec l'habitude, la nation française est devenue plus patiente de l'impôt et qu'il n'est pas à craindre de voir naître aujourd'hui de pareilles agitations. Sous l'influence de ces considérations, encouragé d'ailleurs par le succès des travaux d'évaluation de la propriété non bâtie, le législateur semble préférer aujourd'hui au système de M. Léon Say un procédé
plus rapide et plus absolu de péréquation. La loi de finances du 8 août 1885 a chargé l'administration des contributions directes de procéder au recensement de toutes les propriétés bâties et à l'évaluation de la valeur locative de chacune d'elles. En conséquence, à la date du 29 mai ~886, le ministre des finances présentait à la Chambre un projet de loi portant ouverture des crédits nécessaires pour couvrir les frais de ce travail et faisait connaître, dans l'exposé des motifs, les vues de son département sur les moyens d'exécution. Une semblable opération a déjà été accomplie en Belgique. Elle n'a pas duré moins de sept ans. L'administration des contributions directes, forte de l'exemple de nos voisins et après l'expérience qu'elle a déjà faite elle-même pour l'évaluation des propriétés non bâties, espère mener à bout les opérations de recensement « dans la limite de deux ou trois ans à dater du commencement de l'entreprise, sans qu'il soit d'ailleurs possible de préciser d'avance le nombre des propriétés qui pourront être évaluées chaque année. »
Le travail sera fait par l'administration des contributions directes avec le concours de celle de l'enregistrement. On prendra, pour bases des estimations, les baux, les déclarations de locations verbales et tous les autres actes ou documents propres à constater le cours normal des loyers. Des termes de comparaison seront établis, et, en définitive, il sera rédigé, pour chaque bâtiment, une feuille spéciale présentant son revenu net imposable. Ces bulletins seront ensuite récapitulés par communes, par arrondissements et par départements. « Le Parlement aura ainsi à sa disposition, dit l'exposé des motifs, de précieux éléments d'appréciation des charges que supporte la propriété bâtie en matière d'impôt direct, et il se trouvera à même d'étudier en connaissance de cause les réformes qui seraient susceptibles d'être effectuées de ce chef. »
On peut donc dire que le système proposé en 1879 vient d'être abandonné par le ministre des finances. La revision de toutes les propriétés bâties rendra possible une nouvelle et entière répartition, de l'impôt. On y avait renoncé, au début, par crainte des lenteurs et des dépenses qu'une semblable opération semblait devoir entraîner. II paraît qu'avec 2 millions, si l'on en croit l'exposé des motifs présenté par le ministre, avec 500,000 francs seulement, d'après la commission de la Chambre, il sera possible de mener l'opération à terme. Si l'on compare les deux projets, il faut reconnaître que le dernier assure d'une façon plus complète la péréquation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties, puisqu'il permettra d'appliquer le taux moyen de la contribution même aux anciennes propriétés. Il serait à souhaiter, cependant, qu'une fois la réforme accomplie, on assurât, par le proA. ToME II. 16
cédé que proposait M. Léon Say ou par tout autre moyen équivalent, le maintien de cette égalité proportionnelle, obtenue à si grands frais. 11. PMPMETÉ NON BA'ftE. Le système que nous venons d'exposer ne donne solution qu'à une moitié du problème. La question reste entière pour la part d'impôt afférente aux propriétés non bâties. Le moyen de trancher toutes les difficultés se trouve, pour un grand nombre d'esprits fort éclairés, dans une modification complète de la nature de l'impôt. Les impôts de répartition, pour cette école, sont des « taxes barbares dignes de gouvernements rudimentaires comme la Turquie, comme le fut, à certains égards, la Constituante, qui fonda l'impôt foncier. L'impôt de répartition qui fixe H p?'MM'! une somme totale que les contribuables doivent parfaire entre eux ressemble à une sorte de rançon qui leur est imposée. Quand la Constituante, en quelques mois, dut improviser cet impôt, elle n'avait guère le choix des moyens. Elle dut organiser ce système barbare de la répartition qui renonce par avance à l'équité dans les charges. » La violence de ces attaques est beaucoup plus nouvelle que le système lui-même. Déjà, en 1807, le duc de Gaéte exprimait à la tribune la pensée que l'achèvement du cadastre conduirait au régime de la quotité; et plus tard, dans ses H/emoM'es, il développa longuement son opinion sur ce point. « La disposition de la loi de 90 qui autorisait la réduction au cinquième de toute cote qui excéderait cette proportion du revenu, prouve sans réplique que l'Assemblée constituante avait bien senti que l'impôt de quotité pouvait seut approcher de l'égalité qu'il convient d'établir entre les contribuables de toutes les parties de la France. Elle n'avait donc pas eu la prétention de parvenir à l'égalité proportionnelle entre les départements autrement que par la fixation uniforme des taxes individuelles. » La question s'est présentée de nouveau en 1832 devant la commission du budget, et à cette époque on l'examina encore sous toutes ses faces. On pensait alors, comme aujourd'hui d'ailleurs, qu'en théorie le régime de la quotité permet d'arriver beaucoup plus facilement- à l'égalité que le régime de la répartition. H est certain, en effet, que les contribuables seront tous également frappés lorsqu'on aura décidé que l'impôt sera, par exemple, du dixième du revenu net, et il n'est pas douteux que la péréquation ainsi obtenue sera beaucoup plus durable, puisque le montant de l'impôt payé par chacun suivra les variations du revenu.
Mais la première condition, pour opérer cette réforme, serait de connaître le revenu net de chaque propriétaire. Or le cadastre nous ftnnnf à ce noint de vue des renseignements, suffisants peut-être pour
évaluer le revenu des terres par voie de comparaison dans une circonscription restreinte, mais assurément incomplets s'ils doivent servir à fixer la quotité même de l'impôt. H faut donc rechercher non plus le revenu comparatif, mais le revenu vrai de chaque parcelle. Cette opération présenterait les plus grandes difficultés. La France est cultivée dans une très faible proportion par des fermiers, et les baux qui pourraient servir de base à l'établissement d'un impôt foncier de quotité font absolument défaut dans la plupart des cas. Il y a des propriétaires cultivant eux-mêmes, des colons partiaires à moitié ferme, enfin toute autre chose que des fermiers. Il faudrait alors ou bien calculer le revenu des terres directement, ce qui ne semble pas facile, ou bien soumettre les cultivateurs à des déclarations, ce qui n'est pas beaucoup plus praticable. La plupart des propriétaires seraient incapables d'ailleurs de faire des déclarations sérieuses, en admettant qu'ils le voulussent. La comptabilité agricole n'existe pas chez les petits cultivateurs, on pourrait même dire qu'elle est fort imparfaite chez les grands. La vérification de leurs livres ne donnerait pas des résultats suffisants. On ne pourrait songer davantage à reprendre le système pratiqué à Florence au moyen-âge et qui consistait à établir le revenu des terres d'après un tableau officiel des prix. La pensée de soumettre les cultivateurs de la France à une sorte d'exercice analogue à celui que les bouilleurs de cru n'ont pu tolérer, ne peut ni au point de vue administratif, ni au point de vue politique, supporter l'examen. Un gouvernement qui entreprendrait une pareille tâche, dût-il l'accomplir, surtout s'il l'accomplissait, ne pourrait pas y survivre.
On a taxé de procédé barbare le système de la répartition. Cependant c'est le seul qui soit capable de soustraire la propriété individuelle aux inquisitions des agents du fisc,toujours dangereuses et vexatoires. Turgot disait des impôts de quotité « Quand il s'agit d'impôts de cette sorte, le roi est seul contre tous '). Si l'on veut arriver à connaître le revenu vrai de chaque parcelle, le contrôleur aussi, lorsqu'il viendra sur le terrain pour procéder à la revision des évaluations, sera seul contre tous. Les essais qui ont été faits en 1831 et en 1841 pour convertir la contribution mobilière en impôt de quotité ont suffisamment fait connaître l'opinion des contribuables et l'impopularité de la réforme.
Les partisans de l'impôt de quotité ont l'habitude de répondre à ces raisons en invoquant l'exemple de la Belgique. Sans refaire une étude qui a déjà été publiée ici 1, nous rappellerons seulement que si la loi 1. Marcel Trélat. De l'impôt foncier en Belgique et en Hollande. ~t?M~ du 15 juillet t886, page 426.
du 7 juin 1867 a déclaré que le contingent de chaque commune serait augmenté ou diminué annuellement dans la proportion de 6.70 p. 0/0 (7 p. 0/0 depuis 1871) à raison des accroissements ou des diminutions du revenu imposable, cette mesure, qui donne à l'impôt foncier certains caractères des impôts de quotité, n'en fait pas cependant un impôt de quotité véritable. Il ne faut pas perdre de vue que les impôts de quotité sont perçus uniquement d'après un tarif et que leur produit augmente ou diminue, en suivant les transformations de la matière imposable. En Belgique il n'en est point ainsi. Le montant de l'impôt foncier est annuellement Sxé par les Chambres, qui en font ensuite la répartition entre les provinces. La loi de 1867 porte, il est vrai, que les contingents des provinces et des communes seront rehaussée à raison des constructions nouvelles. Mais on ne saurait voir dans cette disposition qu'une précaution assez semblable à celle qui a été ordonnée en France par la loi du 7 août 1835. L'impôt foncier en Belgique n'est point un impôt de quotité. It ressemble fort à notre contribution des portes et fenêtres, laquelle est perçue elle aussi d'après un tarif, bien que la répartition en soit faite chaque année par les corps élus entre les départements et les communes.
La même observation s'applique au projet.de réforme de l'impôt foncier en Alsace-Lorraine. Les évaluations du revenu qui vont être refaites serviront à établir le montant de la contribution à payer par les départements, les communes et les contribuables. Cette réforme permettra sans doute, comme le dit le rapporteur, M. Charles Grad, de mieux proportionner l'impôt au revenu, mais certainement on ne saurait reconnaître qu'elle conduit à transformer l'impôt foncier en .impôt de quotité.
La solution du problème ne nous parait donc pas se trouver dans la transformation de l'impôt foncier en impôt de quotité. On est ainsi ramené à chercher un mode de péréquation compatible avec le système de la répartition.
Un plan de réforme fort ingénieux a été conçu par M. Garnier (la péréquation sans un nouveau cadastre). « L'imperfection des procédés administratifs, dit M. Garnier, s'opposera toujours à l'étabtissement .d'une base équitable de répartition, laquelle d'ailleurs, si on parvenait à la trouver, ne tarderait pas à être viciée par les continuels changements dans la valeur des propriétés immobilières. Le seul moyen de porter remède à cet état de choses consisterait à prendre pour base d'opération le prix exprimé dans les actes de vente et les valeurs énoncées dans les actes de donation. Ces évaluations, fournies par les receveurs de l'enregistrement, permettraient de faire une répartition proportionnelle à la fortune de chacun, et de la maintenir
à l'unisson des accroissements ou des décroissements successifs de la fortune territoriale de !a France. »
Ce système, comme on le voit, prend pour base de l'impôt, non plus le revenu déclaré, mais le capital. M. Georges Bonjean, qui a rédigé en un ouvrage fort intéressant les études du président Bonjean, son père, développe les avantages de cette nouvelle base de l'Impôt foncier. Elle est, d'après lui, beaucoup plus équitable que l'ancienne, car il existe dans les villes des terrains d'une grande valeur capitale qui, ne produisant que de faibles revenus, contribuent aux charges publiques d'une manière insuffisante. M. Bonjean fait en outre observer que l'impôt comparé au revenu étant dans le rapport de 1 à 10, tandis qu'il est de 1 à 310 vis-à-vis du capital, une erreur commise dans l'évaluation de la valeur capitale aurait moins d'influence sur le chiffre de l'impôt qu'une erreur d'appréciation dans le revenu.
Nous ne saurions contester au projet de M. Garnier les avantages qu'il contient, mais il nous paraît s'étendre bien au delà de la contribution foncière. Il met en question tout le système financier sur lequel sont établis nos impôts. Notre législation a consacré l'impôt sur le revenu. Nous ne pouvons discuter ici cette question et réfuter les arguments sur lesquels on fait reposer la théorie de l'impôt sur le capital. C'est là une grave controverse qui nous conduirait fort loin. Qu'il nous suffise ici de dire que la réforme proposée par MM. Garnier et Bonjean entraînerait la revision de tous nos impôts, ce qui n'est pas tout à fait la question qui nous occupe actuellement.
Examinons les systèmes qu'il serait possible de mettre en vigueur sans modifier le régime des autres impôts.
Un premier procédé consisterait à opérer, comme on l'a fait en 1790, en 1819 et en 1821, en mettant à profit les documents de tous genres que l'administration des contributions directes et celle de l'enregistrement ont recueillis pour préparer les travaux d'évaluation des revenus fonciers dont on les a chargées à ces diverses époques. La répartition des contingents pourrait ainsi se faire promptement, puisqu'on aurait sous la main les documents essentiels. Quant au cadastre, il ne servirait, comme maintenant d'ailleurs, que pour la répartition individuelle entre les contribuables. Ce système ne comporte ni arpentage, ni revision du cadastre. La répartition est basée uniquement sur les renseignements statistiques et les documents recueillis par l'administration.
Ce procédé ne nous semble pas résoudre le problème. H est évident en effet, que les augmentations ou les diminutions qui seront successivement apportées aux contingents des départements, des arrondisse-
ments et des communes, ne sauraient, dans beaucoup de cas, sauf une injustice flagrante, être réparties sur tous les contribuables dans la proportion de leurs revenus cadastraux actuels. Les revenus fonciers ne progressent pas d'une façon uniforme dans toute l'étendue de la commune, et les inégalités qui ont pu se produire ainsi depuis la confection du cadastre seraient rendues plus choquantes encore par l'augmentation du contingent. L'arrondissement surchargé dans la répartition actuelle, mais appartenant à un département ménagé, recevrait du fait de la péréquation une surcharge nouvelle. La réciproque serait également exacte. Mais, pour mieux montrer les inconvénients de ce système, nous prendrons un exemple tiré de l'évaluationdes revenus fonciers à laquelle vient t <!e procéder le ministère des finances i. Nous voyons au tableau 38 qu'en 1881, dans le département des Vosges, la valeur vénale minima de l'hectare de terres labourables s'élevait à 800 francs, et le revenu imposable par hectare à 16 francs. Ces chiffres sont sensiblement les mêmes qu'à l'époque du cadastre. En 1879, dans le même département, l'hectare de terre se vend au minimum 600 francs. Comme on le voit, cette valeur n'a point varié depuis la confection du cadastre. Pour les bois (tableau 41) il n'en a pas été de même. En 1851, l'hectare de bois se vendait au minimum 100 francs dans le département des Vosges. Depuis cette époque, des routes nouvelles ont été ouvertes. La valeur des bois a augmenté à mesure que le transport des arbres abattus devenait plus facile et moins coûteux, si bien qu'en 1879 l'hectare de bois atteignait un prix qui n'était pas inférieur à 350 francs. Dans le premier cas le rapport entre la taxe foncière et le revenu net imposable n'a pas sensiblement varié, tandis que, dans le second cas, le revenu a augmenté considérablement. En présence de cette situation, si on diminue le contingent foncier du département, la réduction s'opérant au centime le franc du principal de toutes les cotes, les propriétaires de bois en profiteront comme les propriétaires de terres labourables, bien que ces derniers soient taxés actuellement dans une proportion beaucoup plus forte. La mesure aurait ainsi pour conséquence de dégrever certaines propriétés imposées à un taux inférieur à la moyenne. Si, au contraire, le contingent foncier du département est augmenté par le travail de la péréquation, et ce serait le cas pour le département des osges, les propriétés surtaxées seraient frappées comme les autres. Une semblable péréquation pourrait donc, à condition d'être bien faite et de reposer sur de bonnes statistiques, mettre fin aux inégalités qui existent entre les contingents départementaux, mais elle laisserait subsister entre les propriétaires des injustices choquantes.
). ~VOM'eM<- évaluation du revenu dMp!-0~!< non &~<;M.
Ce premier système étant reconnu imparfait, la pensée vient alors de procéder à une revision sommaire du cadastre pour opérer ensuite la péréquation sur des bases plus exactes. On ajournerait l'opération lente et difficile d'un nouvel arpentage. Les parcelles seraient prises telles qu'elles sont inscrites à l'ancien cadastre avec les modifications qu'elles ont subies et qui sont constatées aux matrices cadastrales par le travail annuel des mutations, et on se bornerait à reviser le tarif des évaluations pour le mettre en rapport avec le produit imposable actuel Ce travail, que l'on croit pouvoir opérer dans un délai très court, serait appelé à donner les bases d'une péréquation qui s'étendrait jusqu'aux propriétés trop imposées par rapport à leur produit net actuel, aussi bien dans les départements dégrevés que dans ceux dont le contingent devrait être augmenté.
Ce projet ne présente pas les mêmes inconvénients que le précédent. Cependant en l'examinant de près, on ne tarde pas à lui trouver des défauts. Une revision sommaire du cadastre ne saurait donner des résultats assez certains pour asseoir une répartition définitive de l'impôt foncier. Un exemple suffira pour le démontrer. Supposons une masse de terres labourables qui présentaient à l'époque de la confection du cadastre une même nature de cultures et qui appartenaient au même propriétaire. Ces terres formaient alors et forment encore au cadastre une même parcelle. Supposons maintenant que cet ensemble de terres appartienne aujourd'hui à plusieurs propriétaires et forme autant de portions affectées à des cultures différentes. Il est évident que pour faire une juste évaluation cadastrale et attribuer à chacun des nou.veaux propriétaires la part d'impôt qui lui incombe, il est nécessaire de précéder à un nouvel arpentage, puis à un nouveau classement des cultures et enfin à une estimation de leur fertilité relative. Les mutations inscrites à la matrice cadastrale ne sauraient suppléer à ces opérations. Elles peuvent bien faire connaître la quote-part de chaque propriétaire actuel dans la parcelle tracée au plan cadastral, mais pour évaluer à part chacune de ces portions et pour imposer chaque nature de cultures, il est indispensable de savoir quelle est son importance et quel est son revenu. Pour cela il faut en tracer la division sur le plan et en faire une évaluation spéciale.
Mais même dans le cas où l'ancienne parcelle appartient encore tout entière au propriétaire qui la possédait à l'époque du cadastre ou à son successeur, la division en plusieurs parcelles nouvelles avec leurs contenances déterminées par l'arpentage sera souvent nécessaire. Il en sera ainsi par exemple lorsque le genre de culture aura été modifié dans certaines parties de la parcelle, ou bien encore lorsque ces parties auront acquis une plus grande fertilité, car alors il y aura
lieu de les ranger dans une autre classe que le reste de la parcelle. Ces exemples ne sont pas des exceptions. La ptupart des parcelles ont subi depuis la confection du cadastre des modifications profondes. Elles ont été divisées soit par des ventes, soit par des partages. Des changements de culture y ont été apportés aussi bien par les propriétaires anciens que par les nouveaux possesseurs. Dans la plupart des cas, une estimation qui ne reposerait pas sur un arpentage exact risquerait fort d'être incomplète-ou fausse et ne saurait servir à opérer la péréquation de l'impôt.
Conclusion. Dans cette matière des finances où les questions se compliquent de tant d'éléments, il en est peu qui aientfait naître plus de difficultés que la péréquation de l'impôt foncier.
Le dégrèvement est le seul moyen qui n'ait pas rencontré de résistances. Mais il ne donne qu'une solution tout à fait insuffisante. Le nivellement complet des contingents par voie de dégrèvement nécessiterait du reste des sacrifices que l'on ne peut imposer au Trésor. D'ailleurs, comment faire disparaître par ce moyen, entre les diverses natures de cultures, les inégalités qui résultent des, modifications incessantes du commerce et de l'industrie ou des progrès de l'agriculture ? Nous savons que la transformation de la contribution foncière en impôt de quotité n'est guère réalisable. Les procédés de revision partielle du cadastre sont insuffisants.
Les difficultés que l'on rencontre sont considérables, mais il faut reconnaître que les solutions proposées et la méthode suivie jusqu'ici ne sont pas de nature à les aplanir. Le problème, à notre sens, présente deux degrés au premier degré, la répartition du contingent entre les départements; au second, la répartition entre les contribuables. L'opération offre ainsi un double caractère et doit être divisée pour aboutir.
La répartition du contingent foncier entre les départements, les arrondissements et les communes ne saurait être faite avec une précision absolue; le cadastre, qui peut servir à comparer entre eux les revenus d'une même commune, conduirait aux résultats les plus injustes si l'on étendait son action à des circonscriptions plus importantes. La première répartition entre les départements a eu pour base des statistiques,et les répartitions subséquentes ont été faites au moyen de statistiques. Du reste, on n'a pas besoin, pour faire une répartition entre les départements, d'une base plus exacte. Quand il s'agit de répartir sur toute la France un impôt tel que la contribution foncière, on ne peut se flatter d'arriver à la vérité absolue, et l'eùt-on obtenue, on ne l'aurait pas obtenue pour longtemps. C'est pourquoi nous pensons qu'il faut se contenter, dans cette première répartition des con-
tingents, de l'exactitude approximative à laquelle peuvent conduire des statistiques bien faites. Le ministère des finances vient de terminer un travail d'évaluation des revenus fonciers qui fournira des renseignements précieux quand on voudra opérer la péréquation entre les départements; tenu au courant des modifications que peut subir la valeur du sol, ce travail pourra contribuer à conserver à l'impôt foncier son caractère de proportionnalité en lui faisant suivre les variations du revenu. C'est ainsi d'ailleurs que l'honorable M. Bisseuil comprenait la réforme. S'appuyant sur les résultats fournis par le travail de l'administration qui fixe à 4.49 p. 0/0 du revenu netimposable lapart de l'impôt, il demandait à la Chambre des députés de soumettre tous les départements à cette moyenne. La Chambre avait adopté sa manière de voir; dans la loi du budget de 1884, elle dégrevait les départements trop imposés de 11 millions qu'ils supportent à tort et répartissait cette somme entre les autres départements. Le gouvernement, qui n'avait pas cru devoir s'associer à la proposition Bisseuil, la combattit devant le Sénat et la nt rejeter. Il est fâcheux que la crainte de mécontenter les départements privilégiés en les ramenant à l'égalité ait fait échouer une proposition qui marquait le commencement d'une réforme depuis longtemps demandée etimpatiemmentattendue. Au second degré, la répartition équitable de l'impôt foncier entre les contribuables ne pourra être assurée tant qu'il n'aura pas été procédé à une revision sérieuse du cadastre; elle ne sera maintenue que par la conservation de ce cadastre, tenu au courant des variations de la propriété et de ses revenus. Nous avons trop insisté sur ce point au cours de cette étude pour qu'il soit nécessaire d'y revenir maintenant.
Il ne faut pas se méprendre toutefois sur l'importance que nous attachons à la reconfection du cadastre. Cette mesure ne saurait avoir d'effet que sur la répartition individuelle en vue d'assurer, par voie de comparaison, l'égalité entre les contribuables de la même commune. Le montant de l'impôt communal doit rester tout à fait indépendant des évaluations cadastrales. C'est pourquoi nous pensons que la péréquation entre les départements pourrait être faite dès maintenant, à l'aide des statistiques, bien que l'égalité entre les contribuables ne doive être obtenue que par la réfection du cadastre. Lorsque la péréquation sera opérée entre les départements, puis entre les arrondissements et les communes, un grand progrès aura déjà été accompli; les conseils municipaux prendront alors, s'ils le jugent nécessaire, l'initiative d'une revision du cadastre. La réforme s'achèverait ainsi peu à peu suivant les besoins et les nécessités locales. Commencée par le haut, la péréquation s'étendrait, en suivant les divers degrés de la
répartition, jusqu'aux contribuables. Attendre au contraire que le cadastre soit révisé pour commencer le péréquation, c'est y renoncer, car les statistiques ne tarderont pas à devenir inexactes, et quand le cadastre sera terminé il faudra refaire les statistiques.
Les réformes comme celle-ci ne s'accomplissent pas facilement. Peu de ministres osent les entreprendre, parce qu'elles soulèvent les réclamations des privilégiés dont le privilège disparaît, et d'ailleurs, les eût-on commencées, il faudrait encore du courage et de la persévérance pour les mener à bout.
EDOUARD EYMUND,
Membre du Groupe d'économie
politique et de finances.
MARQUIS D'ÉGUILLES EN ÉCOSSE
AUPRÈS DE CHARLES-EDOUARD. (1745-1'746.)
Un projet de débarquement en Angleterre, et le dessein d'une invasion destinée à provoquer jn soulèvement britannique en faveur des Stuarts, constituent depuis la révolution de 1688 jusqu'au milieu du xvui" siècle la partie traditionnelle de tous les plans de campagne dirigés par la France contre la Grande-Bretagne. Le souvenir malheureux de la Boyne et de la campagne de 1C90 en Irlande, la pénible répétition des échecs subis en Écosse, en 1708, en 1713, en 1719, n'empêchèrent pas le gouvernement de Louis XV, quand l'ouverture de ia guerre de la Succession d'Autriche remit la France aux prises avec son ancienne ennemie, de songer sérieusement aux chances que pouvait offrir une heureuse diversion, entreprise moins contre la nation anglaise que contre la maison de Hanovre. Après trois générations d'exil, la maison de Stuart offrait encore, dans la personne de l'héritier de son sang, assez de vigueur et d'initiative pour laisser espérer le succès d'une pareille entreprise, et, sans parti pris de dénigrement ou d'enthousiasme, les ministres français pouvaient avec suffisamment de vraisemblance s'attendre à voir le caractère entreprenant de CharlesEdouard réussir, là où l'apathie du chevalier de Saint-Georges son père n'avait provoqué que des désastres.
Louis XIV, qui faisait tout en roi, avait eu en Irlande, auprès de Jacques II détrôné, un ambassadeur aussi régulièrement accrédité qu'à Londres même avant la révolution Le comte d'Avaux avait 1. Instruction de d'Avaux, mars 1689, intitulée « Mémoire du Roy pour servir d'instruction au comte d'Avaux, s'en allant avec le Roy de la Grande Bretagne en qualité d'ambassadeur extraordinaire de Sa Sieste. » (Arch. Afî. étr., Corr. pot., Angleterre, 168.)
LA MISSION
DU
rempli ces fonctions à Dublin et à la suite de l'armée, pendant toute l'année 1689, entretenant avec Colbert de Croissy une correspondance régulière En 1708, au moment où la flotte qui alla inutilement croiser devant les côtes d'Ecosse se préparait à Dunkerque, le comte de Gacé avait été chargé auprès du chevalier de Saint-Georges d'une mission analogue mission éventuelle que la rentrée de l'expédition au port empêcha en fait d'avoir jamais lieu 3. L'envoi d'u& représentant du gouvernement français, accrédité près de son fils, était par conséquent chose toute naturelle, et le marquis déguilles, en I748 devint en quelque sorte titulaire de ce poste aux longues intermittences, dans lequel il pouvait compter déjà des prédécesseurs Il l'occupait, toutefois, avec la diminution graduelte d'appareil et 'de crédit qui ne correspondait que trop à la différence du traitement réservé par Louis XIV à Jacques 11 et par Louis XV à Charles-Edouard. A la dissemblance insensible des formules officielles, d'Avaux, accrédité <s'en allant avec le roi de la Grande-Bretagne en qualité d'ambassadeur extraordinaire de Sa Majesté s Gacé, envoyé pour agir en qualité d'ambassadeur en Écosse »; d'Éguilles, expédié furtivement « allant en Écosse », il est facile de sentir que Jacques H venait seulement de tomber du trône, que le chevalier de Saint-Georges n'avait été roi qu'à Avignon ou à Rome, et que Charles-Edouard était seulement l'héritier d'un père qui n'avait jamais régné que de nom. il y eut donc auprès du prince Charles-Edouard Stuart, pendant la campagne extraordinaire qu'il entreprit en Écosse, en 17-45 et 1746, un ambassadeur presque attitré. Les œuvres d'imagination célèbres, au souvenir desquelles s'associe inconsciemment pour ainsi dire tout récit d'événements relatifs à cette période de l'histoire écossaise, évoquent mal, semble-t-il, l'idée d'un négociateur accrédité auprès d'un prince dont les aventures relèvent autant de la fiction que de la réalité On. t. Correspondance de d'Avaux. Brest, 6 mars 16S9. Dublin, 25 janvier 1690 (Id., 168-HC et n2.)
L'instruction de Gacé n'a pas été conservée. I) y est seulement fait allusion dans une dépêche de Torcy à Gacé, du 6 mars n08, dans laquelle il est désigné <t pour apir en qualité d'ambassadeur en Écosse ». (M., 226.)
3. Correspondance de Gacé. Dunkerque, 11 mars 1T08. (Id., 2S6.~
4. Instruction de d'Ëguiiies, 24 septembre 1!45, intitulée « Mémoirj pour servir d'instruction de la part du Roy au sieur marquis d'ÉguiDes allant en Ecosse. (Arch. AfT. étr., M6tn. et Doc., Angleterre, 79.) Voir ci-dessous. 5. Correspondance de d'Eguilles. (M., 79 et 80.) Voir ci-dessous. G. En ni3 et en 1719, la France se trouvant en paix avec l'Angleterre, on n& trouve pas trace d'un agent accrédité auprès du chevalier de Saint-Georges, qui ne fut soutenu que par l'Espagne.
7. On sait cependant que, pour ne considérer que l'exactitude des renseignements, le récit des événements d'ordre historique dans H'aM~ey et dans les. Tales o/a Ci-an~/Me)' est une des meilleures relations connues.
se fait difficilement à l'idée d'un diplomate obligé, pour rester aux eûtes du souverain qu'il veut suivre, de partager les marches forcées des montagnards, d'adopter leur existence et leurs fatigues, de mener avec eux la vie de guerre, presque à l'état sauvage, comme le prince qu'il devait accompagner la supportait lui-même. Ce caractère exceptionnel et singulier sera cependant celui de la mission du marquis d'Éguilles. Marin, ambassadeur, colonel d'artillerie au besoin, on le verra déchiffrer ses dépêches sous une tente, dans un camp, sur la plage d'où va repartir le corsaire qui l'amena. Sa négociation commence par un combat naval et se termine par une ruse de guerre qui le sauve lui et ses compagnons d'une exécution sommaire t. Les correspondances et documents utilisés dans cette étude, indépendamment de ceux compris dans les séries régulières des dépôts des ~/ya!t'M élran~)'M,de la .Vat'Mf et de la GMo're, proviennent pour la plupart de la collection de lettres, de rapports, de pièces de toute origine et de toute nature qui ont formé peu à peu aux Archives des .l/ya:'t'M étrangères le fond dit des Stuarts, actuellement jMM:ot'rM et docKH:e~, Angleterre, volumes 76 à 95, anciennement désignés ~ua?' 1 n 19.
Les documents ofHoiols relatifs à la mission de d'EguiDes sont reliés, chaque pièce à sa date respective, dans les volumes 79, 80, 83 de cette série. L'instruction de d'Éguilles (vol. 79) a été publiée dans les pièces justificatives de l'histoire de Charles-Hdward de A!. Pichot (/fM<ot)-e de CAar/M-.Mtcafd, dernier pt'Mce de da maison de .~Mar<, quatrième édition, Paris, 1842, 2 vol. in-8"). Des parties de la correspondance de d'Egnilles (vol. 79 et 80) ont été insérées dans la publication intitulée Un protégé de Bachaumont, parue dans le recueil reconstitué sous le nom de HcuKe ~'(Mpcc~'M (~MKe rétrospective, recueil de pièces intéressantes et de citations CM)'~M< sous la direction de M. Paul Cottin, Paris, Lepin, in-18, t. III, juillet-décembre 1885, pp. 93-158). Le Jlémoire au ?-ot (vol. 80) intitulé mémoire de M. le président d'Éguilies sur sa commission en Ecosse, et qui parait avoir été rédigé vers la fin de 1747 ou au commencement de 1748, a été imprimé au commencement de ce siècle dans les ~t?'c/i:fe~ littéraires de rEio'ope (Archives ~'«ow'f.s'de rE'K!'op'?,OM Mf~H.~M de M<era<M!'c,d'/u~oo'e et de philosocphie, p<;r une société de </(;?! de Mh-es, Paris, 1804-1808, 17 vol. in-8", t. I, pp. 78101). Un autre mémoire (vol. 83), sans titre ni mention d'origine, est cité ci-dessous sous la rubrique Mémoire sur le rôle de d'Hguilles en Ecosse. Plusieurs citations se réfèrent aussi aux recueils imprimés dont l'indication sommaire évitera une fois pour toutes des répétitions continuelles. Culloden uape~ from thé originals in possession of Duncan George Forbes, of Culloden, publié par H.-R. nuff. Londres, 1815, un vol. in-4°. The ~oe~ar< tMpe~ containing. Journals and Memoirs of the Young Pretenders expedition jn 174S. Publié par Anthony Anfrère, Londres, 1817, 2 vol in-4°. Jacobite co;fMuoHdence of the Atholl family during the rebellion 1745-1746. Publié par J.-IL Burton et David Laing, dans la collection du Maitland Club, Edimbourg, 1840, un vol in-4".
Les meilleurs ouvrages d'ensemble relatifs à ces événements spéciaux sont, en fait de relation contemporaine, celle de Home, qui fit la campagne dans l'armée anglaise en qualité de volontaire, et, en fait d'étude complète, IW/~OH-e des Highlands de M. James Browne, qui a pu mettre en œuvre les S<a;'< Papers recueillis à Rome dans la succession du cardinal d'York et transportés en Angleterre en 1817. Home, //M<Ot'.y o/' the Rebellion, Londres, 1802, un vol. in-4". James Browne, H~ot'y of the M.~and.s and of the H:<d clans, Glasgow, 1838, vol. in-8".
1
Le parti jacobite en ~7~. Nouvelle de la descente de C/M~M~Ma!t'~ en Écosse. .l/Ms:'o?: pt'ea~a~~ de C~eaM~MH, /~M~'K~<OH de ~Kt~es. Son départ, sa traversée et son c~a}'~M~MM~.
Depuis la déclaration de guerre de l'Angleterre à l'Espagne, en octobre 1739, en pleine paix européenne et un an avant l'ouverture de la Succession d'Autriche, le parti jacobite avait repris l'espoir qu'ii n'avait jamais entièrement abdiqué. De Rome où il vivait entouré d'une petite cour d'émigrés, le fils de Jacques II Jacques III pour ses fidèles, le chevalier de Saint-Georges pour la diplomatie continentale y le Prétendant pour les hommes d'Etat anglais renouait des négociations plus actives avec ses amis des trois royaumes. Ses agents, Mac-Gregor de Balhaldie en Ecosse, lord Barrymore en Angleterre, lord Sempill, plus spécialement accrédité auprès du gouvernement de Louis XV, multipliaient les voyages, les rapports et les démarches Immédiatement après l'ouverture des hostilités avec l'Espagne, Barrymore et Balhaldie, présentés au cardinal de Fleury, au commencement de 1740, obtiennent une vague promesse de coopération avec l'Espagne. A la suite d'un second retour de Balhaldie à Paris, au printemps de 1741, un débarquement en Écosse est plus sérieusement projeté, puis retardé pour le combiner avec une invasion sur les côtes d'Angleterre. Un voyage inconsidéré de la duchesse de Buckingham à la cour de France sert de nouveau prétexte pour ajourner le dessein, dévoilé assure-t-on, par cette démarche imprudente. George II, du reste, n'avait pas à se plaindre de ses ennemis Fleury se chargeait de fournir lui-même à Londres les informations nécessaires. A la suite du voyage de Barrymore en France, il venait d'écrire de sa main à Robert Walpole pour l'avertir de ce qu'on lui proposait contre les intérêts de la maison de Hanovre, et, avec cette naïveté inconsciente dont il possédait le secret, s'offrait à continuer ces avis si le gouvernement anglais voulait s'engager à ne pas exercer des poursuites contre les jacobites Ce qui suit, d'après deux mémoires de lord Sempill, datés de novembre i~t et de mars n49, et deux mémoires anonymes intitulés, )'un Sur la situation présente de l'intérieur de l'Angleterre, daté du 30 janvier n4S, l'autre Réflexions particulières, daté du 2 mars. 17t5, portant tous deux la mention Affaires secrètes à garder. (Areh. An', étr., Mém. et Doc., Angleterre, ?9 )
compromis'. Deux ans plus tard, quand la divulgation de la correspondance de Fleury avec le maréchal de Kœnigseck divertit si fort l'Europe, Walpole dut avec étonnement reconnaître une habitude du ministre'français dans ce qu'il avait dû regarder comme un exemple insolite d'absence passagère .j
L'avènement du ministère belliqueux de lord Carteret, l'entrée de George 11 dans la guerre de la Succession d'Autriche, en tant qu'électeur de Hanovre, au commencement de 1743, coïncidant avec la mort de Fleury, fait passer l'entreprise de la condition de chimère sentimentale a'l'état de diversion utile en pays ennemi. La France avait dès lors un intérêt direct à inquiéter la maison de Hanovre, en soutenant une dynastie rivale et un prince dont l'apparition eût soulevé l'Angleterre et amené le rappel des troupes qui opéraient en Allemagne de concert avec celles de la maison d'Autriche. Le gouvernement de Louis XV avait entre les mains, dès cette époque, des renseignements et des engagements qui lui permettaient de se rendre compte des forces et du dévouement des partisans des Stuarts. C'était en premier lieu un acte écrit et solennel, signé en 1741 à Édimbourg par les sept principaux chefs des Highlands d'Écosse, dont l'adhésion ouverte, un débarquement une fois opéré, devait soulever toutes les Hautes-Terres 3. A défaut d'un serment aussi formel des tories anglais, l'émissaire français, qui sur leur demande avait récemment parcouru les comtés d'Angleterre, avait rapporté des notions assez précieuses sur leurs dispositions et leur état d'esprit S'il fallait se montrer Ce qui était arrivé -r~rF~'p'~r~:SrrM~
glois très circonspects; ce milord étuit venu en France pour proposer à M. le
~'°~e"F~"e~ fb~~ Roques. Monseigneur le cardinal répondit d'une façon ambiguë, sans accepter ni refuser, mais il informa Walpole
par une lettre écrite de sa main, des motifs du voyage de milord Barimurd, en luy
mettant qu'il continueroit de luy donner avis de tout ce qu'on pourroit luy
proposer contre les interests du Roy Georges, à condition qu'on tiendroit le cas
=~ ni puniroit personne. Cette lettre a été guardée
avec beaucoup de soin dans l'idée de s'en servir s'il se faisoit quelque mouve-
ment en faveur ds~d~~d~ c'est cette même lettre qui » (Jlémoire
anonyme intitulé Sur la situation présente de l'intérieur de l'Angleterre, déjà
cité.)
2. Cette lettre, dont l'existence ne paraît pas avoir été signalée, est en effet à
rapprocher de la justification demeurée célèbre que Fleury envoya au maréchal
de Kœnigseck, au début de la guerre de 1iuccession d'Autriche, pendant1e siège
de Prague, et sur laquelle M. le duc de Broglie a émis un jugement définitif. t. l, chap. 1er, note de la p. ~e.
3. L'original de cette pièce historique scellée de sept cachets de cire rouge,
est aux Archives des Affaires étrangères. Elle est forme de lettre :r~y~a~X~ n~ (Arch. Aff. étr., ~.et
Doc., Angleterre, 17.)
~t'~ Archives des Adirés étrangères. Il porte !a date du 3 novembre et est intitulé État des seigneurs ou gentilshommes qui ont le plus
moins confiant qu'eux dans le soulèvement simultané de la Cornouaille, du pays de Galles et du Lancashire, dont ils se prétendaient assures, il n'en restait pas moins avéré que la dynastie hanovrienne était partout l'objet de l'indifTérence générale, et, en plusieurs endroits, d'un mépris qui allait jusqu'à la haine'. C'est dans ces conditions, l'Angleterre même, en tant que nation, se trouvant encore en apparence en paix avec la France, que dans les derniers jours de 1743 une expédition destinée à des chances de succès très réelles est combinée avec l'Espagne que dix mille hommes de troupes sont réunis à Dunkerque, Maurice de Saxe désigné pour les commander, et que Charles-Edouard arrive de Rome pour passer dans la Grande-Bretagne en qualité de régent du Royaume-Uni. La tempête du 6 au 7 mars 1744, qui met hors de service la plus grande partie des bâtiments légers disposés pour le transport, fait abandonner le projet 3, et malgré l'ouverture ofGcielle des hostilités entre la Grande-Bretagne et la France, qui a de crédit dans les différentes provinces d'Angleterre et sur lesquels on peut compter (Arch. Auetr., Mém. et Doc., Angleterre, ~.) M. Pichot, dans son HM~'e de CAa~M-MoMnrc:, en a inséré quelques passages
1. <t On mena ensuite l'homme du R. T. C. dans les provinces pour lui prouver les sentiments et les dispositions de la noblesse on tui donna une liste d'environ 70 pairs du royaume sur lesquels on pouvait compter pour le service du roi Jacques Tro.s. L'homme du R. T. C. fut présent aux courses de de°vaux qui se firent alors à LitchCétd, ville principale de la province de Stafford; il y avoit une assemblée de plus de trois cents seigneurs ou gentiihommes dont le moins riche avoit près de trois mille livres sterling de rente en fonds de terres, dans toute cette assemblée il ne se trouva qu'un seul gentilhomme qui fut partisan du gouvernement présent, tous les autres faisoient gloire d'être attachés au roi Jacques et ils déclarèrent ouvertement qu'ils étoient prêts à nren.dre les armes pour son service aussitôt qu'un seigneur qui étoit de !& compagnie leur en donneroit le signal. (Mémoire de lord Sempill de mars HH,
déjà cité.)
2. Ce qui suit, d'après Flassan, Histoire .?~ ~~M~. /<<
t. V, p. 276.281.
3. Voici comment un contemporain bien informé apprécie cette entreprise « \Qtcy ce que je pense sur l'affaire d'Angleterre.
Tout dépend de l'embarquement et du débarquement.
Il ne s'agit que d'arriver, et, humainement partant, tout sera fait. faire~a y réussir il faut à Dunquerque tout ce qui sera nécessaire pour
faire la descente.
Mais i) est très important que l'on ne retombe plus dans les mêmes fautes que 'd~s~Srab~en~ les affaires de marine furent con-
duites misérablement.
sa~r'en~~o~fa~ avoit fait préparer un yacht pour se
sauver si la descente s'étoit faite l'année passée.)
On fit grand armement & Brest, et on rassembla quantité de bâtiments sur les côtes de Flandres, avec si peu de précautions que l'on aNcha pour ainsi dire le dessein que t'en avoit de faire une décente en Angleterre. On en donna la direction "? personne qui n'avoit nulle connoissance de la Manche, ni des ~1'P~(M~oire anonyme intitulé Réflexions particulières, déjà cité.)
lieu au milieu des préparatifs, Louis XV porte vers l'Allemagne l'attention et les efforts de sa politique.
Charles-Edouard paraissait oublié à Gravelines, à Fitz-James, au château de Navarre, où il cherchait successivement l'isolement. D'Argenson, qui avait succédé à Fleury après le court ministère d'Amelot, s'occupait à lui refuser une commission d'officier dans l'armée de Flandre 1, quand on apprit en France, et presque à la fois, le débarquement et les premiers succès du prince, qui, ne se fiant qu'à son initiative, venait de fréter une frégate à Nantes et de se jeter en partisan dans les montagnes de l'Écosse. Le 12 juin 1745 il avait quitté sans éclat sa résidence de Navarre, près d'Evreux; le 21 3, il s'embarquait à Saint-Nazaire, sur la Doutelle, avec sept compagnons, et, le 15 août après plusieurs semaines de navigation et de cabotage dans les Hébrides 5, il abordait à la côte occidentale d'Écosse, dans le Loch Nanuagh, bras de mer encaissé de montagnes qui sépare le pays de Muidart du pays d'Arisaig, au nord de la dépression calédonienne qui coupe en deux les Hautes-Terres. Puis, les succès se précipitant, il était acclamé régent au rendez-vous de Glenfinnin, le 30 août; le 7 septembre, ayant passé les montagnes, il commençait à descendre cette longue vallée d'Athol et de la Tay qui prend les Highlands en écharpe. Le 10, il atteignait déjà le château de Blair; le 1S, il entrait à Perth, le 28 à Édimbourg. Quatre jours après, la victoire de PrestonPans lui assurait au moins la possession de l'Écosse et lui ouvrait peut-être le chemin de l'Angleterre
1. Note de la main de d'Argenson, adressée à du Theit, premier commis des AiTaires étrangères, sur la réponse à faire à la lettre de M. O'Bryen du 20 avril 1745, qui insistait sur la demande du prince. « La vérité est que le Roy a refusé déjà par deux fois que le prince de Galles servît à l'armée: le second refus est de la semaine passée la vraye raison est que nous ne devons pas davantage augmenter l'injure n'y irriter le roy d'Angleterre hanovrien contre nous, il l'est déjà assez. M. du Theil est prié de découvrir d'antres raisons honnêtes à alléguer. a (Ârch. Aff. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.)
2. Cette date, d'après Pichot, Histoire de C/i~M-jMMM~.
3. Cette date, d'après Browne, ~M<or;/ of <<? Highlands, t. 111.
4. Cette date, d'après la lettre de sir Thomas Sheridan à d'Argenson, datée d'une baie de la côte d'Écosse, le 4/13 août, et d'après celte de Charles-Edouard à Louis XV, évidemment écrite encore à bord de la Doutelle, le 6/n août. (Arch. Aft. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.) Voir aussi la lettre de Norman MacLeod au président Duncan Forbes de Culloden, datée de Dunvegan, 3/14 août, signalant le navire. (C~Mo~e/t Pa~M~, n" 246.)
5. La confusion constante entre l'ancien et le nouveau style du calendrier, la réforme grégorienne n'ayant été adoptée en Angleterre qu'à partir de 17S2, fait régner une très grande incertitude parmi les dates des événements de cette époque, et surtout parmi celles de la traversée et de l'arrivée de CharlesEdouard en Ecosse. Toutes les dates citées ci-dessus et ci-dessous sont arrêtées d'après le nouveau style, à moins de double indication.
6. Ces dates, d'après Browne, 7h'~o)' o/'</<e Highlands, t. 111.
A. TOME Il. n
Immédiatement, dès l'annonce de ce projet d'embarquement isolé, qu'il n'apprenait du reste que par le prince lui-mcme à cinq semaines de distance le ministère français voulut dépêcher auprès de lui un agent chargé de se renseigner sur ses desseins. Au reçu de la lettre de sir Thomas Sheridan, secrétaire de Charles-Edouard, qui le priait de transmettre à Louis XV celle de son maître annonçant le départ de Navarre d'Argenson donna ordre à M. de Châteaubrun~ déjà en relations avec les agents du chevalier de Saint-Georges, de se rendre auprès du Jeune ~)'ë<eM~an~ qu'on croyait encore en France, et de savoir si quelque puissance étrangère, la cour d'Espagne par exemple, n'était pas dans la confidence des projets des Stuarts. Des instructions secrètes lui furent remises dans ce sens 3. Mais, à la date où d'Argenson la minutait de sa main, le 2S juillet, au camp de Bost en Flandre, CharlesEdouard abordait aux Hébrides.
La nouvelle de la descente du Jeune jP?'c~H6~~ sur la terre fermc d'Écosse détermina bientôt une mission plus réelle. Au commencement de septembre, au retour du navire qui avait transporté le prince et ses premiers partisans, les dépêches de Charles-Edouard et de Sheridan, écrites à bord de la frégate qui allait lever l'ancre, décidèrent Louis XV à agir moins éventuellement. Il fallait expédier en Ecosse un agent intelligent et actif, capable de renseigner exactement le gouvernement français sur l'état du pays, la réalité des promesses des jacobites et les risques de réussite ou d'échec d'une expédition si témérairement commencée, dont le brusque succès ne pouvait encore se pressentir. Pour remplir cette charge, d'Argenson fit choix d'un personnage nouveau venu dans la pratique des négociations, mais dont l'esprit d'aventure lui semblait sans doute préférable, pour un poste de cette nature, aux qualités d'un diplomate de profession. Alexandre-Jean-Baptiste Boyer, marquis d'EguiiIes, était le second fils d'un procureur général au parlement d'Aix, dont la famille, qui occupait héréditairement les premières charges de cette compagnie, se trouvait alliée aux plus grands noms de la Provence s. II était frère Lettre de sir Thomas Sheridan à d'Argenson, datée de Navarre, 12 juin 17M, reçue le 22 juillet. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.) 2. Lettre de Charles-Edouard à Louis XV, datée de Navarre, 12 juin 1743. Publiée par M. Pichot, NMoM'c de C/ts;e.s-JMoMarc!, ch. xvn.
3. Instruction de Châteaubrun, datée de Bost, 23 juillet 1745, intitulée Instruction pour M. de Châteaubrun. (Arch. AfT. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.) -t. Lettre de Charles-Edouard à Louis XV, écrite à bord de la Doutelle, 6/i7 août, et de sir Thomas Sheridan à d'Argenson, datée de « Long Aylart )), 4/15 août, déjà citées. La DoM<eH? était revenue le 6 septembre. (Billet de Walsh, du 6 septembre. Arch. AfT. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.)
5. BiM. Nat., Cabinet des titres Nouveau d'Nbs!'e)', Dossier 4233, de Boyer, Article Boyer en Provence. Voir aussi Vo~MMM !'e~. Généalogies de Provence, t. i, p. 250.
du célèbre marquis d'Argens, l'auteur des Lettres juives, qui fut chambellan de Frédéric II et dont la carrière cosmopolite eut tant d'analogie avec celle de Voltaire.
Après avoir été lui-même chevalier de Malte et officier au service de la France, versé dans l'étude du droit et de plusieurs sciences, il s'était fait recevoir avocat à Aix et était destiné à la survivance de la charge de son père. Des voyages en Allemagne, en Prusse, en Italie et dans la Méditerranée l'avaient instruit des mœurs et des intérêts de l'Europe. Intimement lié avec le nouvelliste Bachaumont, il se trouvait en relations à Paris avec toute la société de la Paroisse qui se réunissait autour de Madame Doublet de Persan. Pendant le ministère d'Amelot, Bachaumont avait adressé pour lui une recommandation à l'appui d'une demande d'emploi, qui parait être demeurée inutile Quoi qu'il en soit, quand la nouvelle des premiers succès de CharlesÉdouard décida d'Argenson à accréditer auprès de lui un agent diplomatique, ce fut sur le marquis d'Éguilles qu'il jeta les yeux. Le 24 septembre 1743, ses instructions rédigées par d'Argenson lui furent remises à Versailles où il attendait les ordres du roi 4, et il se mit immédiatement en mesure, avec dix mille francs comme pécule s, de partir pour Dunkerque et de là pour l'Écosse. Il serait intéressant de connaître l'état des informations parvenues au gouvernement français, au moment exact où la pensée d'accréditer auprès de Charles-Édouard un représentant direct prit corps et fut adoptée. Aucune trace des intentions de Louis XV et de d'Argenson 6 n'étant demeurée, et ce que l'on connaît de la correspondance des agents jacobites avec Jacques III à Rome étant mue sur ce point', tout ce qu'il est possible de prendre comme point de départ est la date 1. Mémoire de Bachaumont à Amelot, publié dans la Revue rétrospective, c. 2. Instruction de d'Éguilles, intitulée Mémoire pour servir d'instruction de la part du Roy au sieur marquis d'Éguiiies allant en Écosse, datée de Choisy, 24 septembre 1745. Voir ci-dessus.
3. Par suite d'une confusion d'écritures, I'/?M~Mc<:OK de d'Éguiiies est attribuée par M. Pichot au comte de Maurepas, ministre de la marine.
4. Mémoire au roi. Voir ci-dessus.
:i. « Vous aviez jugé vous-même que six mille francs ne suffisaient pas et qu'il luy faudroit dix mille francs. Je n'ay parlé à M. d'Éguiiies de deux mille cens que pour le sonder et luy faire trouver d'autant meilleur ce que vous voudriez bien y ajouter. Je crois en effet que deux mille écus sont bien peu pour une commission aussi délicate. (Le Dran à d'Argenson, Paris, 24 septembre 1745, Arch. Aff. étr., Mém. et. Doc., Angleterre, 79.)
6. D'Argenson dit seulement « Le marquis d'Éguiiies a été employé par moi auprès du prince Edouard tant clu'il a été en Écosse. (Journat de d'Argenson, 29 décembre 1749, dans Journal et .MeM<M?'M de ~)'~e~o?t, t. VI, p. < 09.) 7. Aucune allusion dans la série de lettres de lord Sempill à Jacques III, publiée par M. Browne dans les pièces justificatives de t'o?-o/'<Ae ~A&M~ (T. III, p. j. 3).
de l'Instruction de d'Éguilles. Or le 24 septembre, jour même où elle était signée à Choisy, Chartes-Edouard continuant sa. route de Perth à Édimbourg, occupait la ville de Doune au débouche dans la plaine des Basses-Terres et, dans l'après-midi, passait le Tay au Ford of the Frew, se dirigeant sur Édimbourg où il entra, comme on a vu, le 28. Nouvelles qui n'arrivèrent d'ailleurs en France que pendant le séjour de d'ÉguilIes à Dunkerque, à la veille de son embarquement Ainsi, dans la troisième semaine de septembre, on ne pouvait guère savoir à Paris, par les lettres particulières venues de Hollande, que l'insurrection partielle des cantons les plus sauvages de l'Écosse. En somme, le 7, après le rendez-vous de Glenfinnin, Charles-Edouard avait autour de lui un peu plus de deux milliers d'hommes le 10, à Blair, le duc d'Athol et lord George Murray lui en présentaient un millier le 15, à Perth, le duc de Perth lui en amenait autant Mais on l'ignorait certainement à la cour de France, et, en décidant comme il le faisait l'envoi d'un ambassadeur immédiatement et sans délai, d'Argenson risquait fort de le faire arriver trop tôt à la côte orientale d'Écosse, que le soulèvement pouvait n'avoir pas encore atteint. Cette crainte était du reste écartée quand d'Éguilles sortit de Dunkerque, instant où, sans être encore informé du succès de Preston-Pans, on était déjà certain de l'occupation d'Édimbourg.
li n'est pas moins important de se rendre exactement compte quel était, au même moment, pendant cette période d'expectative et d'incertitude sur l'étendue du soulèvement écossais, l'état des secours que le gouvernement français avait spontanément préparés ou était résolu à donner, « connaissance qui m'est absolument nécessaire », remarquait fort bien d'Éguilles, « pour proposer de delà tels ou tels partis et pour pouvoir envoyer ici un plan d'opérations raisonnées 1. » Lors « Par les lettres écrites icy de Hollande, il parott presque certain que le prince est bien pret d'Edimbourg s'ii n'y est pas déjà entre ce seroit là un; grand événement. » (D'Éguilles à d'Argenson. Dunkerque, i< octobre n4S.) 2. Exactement 2,030, ainsi décomposes
Camerons, sous Lochiel 700
Maedonatds, sous Clanranald 250
Stuarts d'Appin, sous Ardshiel. 220
Macdonatds de Keppoch. 260
Macdonatds de Glengarry. 600
(Lettre de Thomas Fraser de Gortuleg au président Duncan Forbos de Cuttoden~. Gortuleg, T septembre nt5, dans Culloden Papers, n° 202.)
On peut comparer ce dénombrement émanant d'un témoin oculaire avec celui. donné par d'Éguilles à son arrivée en Ecosse, publié ci-dessous. 3. Sir John Cope au président. Duncan Forbes de'Culloden. Aberdeen, 23 septembre n45. (Culloden Papers, n'- 261.)
4. f&M., id.
5. D'ËguitIes à d'Argenson. Dunkerque, 6 octobre 1745.
du projet d'expédition de l'année précédente, les jacobites anglais, quand il s'était agi de préciser des chiffres, avaient formulé la demande suivante en Angleterre, un débarquement de dix mille soldats; en Écosse, un envoi d'armes pour vingt mille hommes des clans prêts à se soulever, avec un soutien de deux ou trois bataillons réguliers Dans la lettre du 12 juin à d'Argenson, Charles-Édouard, par l'intermédiaire de Sheridan, ne demandait, outre des armes et de l'argent, que l'envoi éventuel du régiment de cavalerie de Fitz-James et de la brigade irlandaise ces troupes que, selon l'expression de d'Argenson, Louis XV -considérait « comme une espèce de dette ou de dépôt confié à la France depuis la révolution de'i688~. Les agents du chevalier de SaintGeorges plus ou moins officieusement accrédités à la cour de France montraient plus d'exigences. L'Irlandais O'Bryen, qui depuis quelques mois négociait concurremment avec SempHl avec lequel il était en assez mauvais rapports °, demandait formellement un corps d'armée de dix à douze mille hommes en transmettant à d'Argenson la nouvelle du départ du prince, qu'il disait avoir reçue aussi tardivement que le ministre En même temps, vers la fin de juillet, deux nouveaux agents rejoignaient la cour en Flandre, lord Clancarty, ancien chef d'escadre dans la flotte anglaise, plus spécialement délégué par les jacobites d'Angleterre, et lord Marishall, envoyé de Rome par le Prétendant'.Malgré les jalousies et des intrigues qui divisaient tous ces diplomates occultes, la présence de lord Marishalt et le crédit spécial dont il était muni'"décidèrent la mise à l'étude d'un embarquement de six mille hommes destinés soit à l'Écosse soit à l'Angleterre Un mémoire fut rédigé à cet effet sous la direction de Maurepas~, et, le 31 août, d'Ar1. Mémoire de lord Sempill de novembre 1744, déjà cité.
2. Sir Thomas Sheridan à d'Argenson. Navarre, 12 juin '1745. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.)
3. Instruction de Châteaubrun.
4. Lettre de créance d'O'Bryen, Jacques III à d'Argenson. Rome, 27 février 1743. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.)
5. Lettre de créance de lord Sempill, Jacques III u d'Argenson. Rome, 23 février 1745. (Ibid., !)
6. Instruction de Chateaubrun.
1. O'Bryen à d'Argenson à Maurepas, 29 juillet 1745. (Arch. Au. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.)
8. O'Bryen à d'Argenson, 24 juillet 1745. (Ibid., id.)
9. O'Bryen à d'Argenson, 7 août 174S. Jacques III à Louis XV, Il août 1745. (/Md., id.)
10. Mémoire remis par lord Marishall a. d'Argenson, daté du 20 août 1745. ~Md., id.)
11. Lettre de d'Argenson à Maurepas, du 20 août, à laquelle il est fait allusion dans sa lettre à lord Marishall en réponse au mémoire de celui-ci du 20, datée du 23 août 174a. (/& id.)
12. Mémoire de Maurepas, dressé à la suite de la lettre de d'Argenson du 20, daté du 24 août, et lettres de Maurepas à d'Argenson, des 25, 28 août. (Ibid., M.)
genson rendait compte à Louis XV des objections opposées par le ministre de la marine 1 au projet officiel des jacobites anglais, qui insistaient pour une descente dans la baie de Meldon, au nord de la Tamise, à onze lieues de Londres Les études et le travail des bureaux en étaient là/quand d'Ëguilles reçut ses instructions à Versailles; les retards qu'il subit à Dunkerque ne lui fournirent pas des notions plus abondantes sur ce sujet qui le préoccupait avec raison. « J'aurais bien voulu savoir avant mon départ ce qui en est », écrit-il dans sa dernière dépêche
L'étude de l'Instruction qu'il emportait, comme un ambassadeur régulier, n'était guère faite pour le renseigner davantage. «Des pouvoirs très amples et des instructions très bornées ~), tel pouvait se déunir, d'après son expression même, le caractère de la mission qui lui était confiée. Le mémoire qui lui était remis porte en effet d'un bout à l'autre cette double marque d'équivoque sur l'étendue de son crédit et d'incertitude sur la valeur des engagements que le ministère français entendait prendre envers la maison de Stuart. C'est un informateur et non un représentant que Louis XV dépêche auprès de Charles-Edouard; c'est pour connaître avec précision la situation du parti jacobite, les ressources qu'il peut se flatter de tirer des pays soulevés en sa faveur, que d'Éguilles se rend en Écosse, bien plus que pour donner au fils de Jacques III l'autorité de sa présence avouée à la cour improvisée d'Holyrood.
Hésitations, désir de ne s'engager qu'à coup sûr, défaut de confiance dans le soulèvement commencé, tous ces traits éclatent dès les premières lignes. « Ce qui se passe en Écosse, x débute d'Argenson, « depuis que le prince Charles-Edouard y a débarqué et s'y est fait connaître comme fils aîné du chevalier de Saint-Georges, peut avoir des suites plus ou moins considérables, par rapport à la guerre où le roi se trouve engagé contre le roi de la Grande-Bretagne; électeur de Hanovre; elles peuvent être telles que ce jeune prince trouve plus de facilités qu'on n'avait pu le prévoir à former un parti assez fort pour le soutenir et peut-être même pour oser le proclamer roi. » Suit une série de réflexions sur les chances de succès du soulèvement qui vient d'éclater, sur ce « feu qui dans sa naissance s'étend rapidement et qui peut embraser en peu de temps non seulement l'Écosse, mais aussi l'Irlande et l'Angleterre ». Le roi promet en principe son assistance et surtout prodigue ses vœux, mais n'entend s'engager à fond 1. Note de d'Argenson en marge de la lettre de Maurepas du 28. 2. Mémoire remis par lord Marishall à d'Argenson, déjà. cité.
3. D'ËguiUes à d'Argenson. Dunkerque, 6-7 octobre IT~S.
4. Mémoire au roi.
qu'en cas de certitude du succès final. Il accrédite officiellement d'Eguilles auprès du prince, mais exige que sa commission soit tenue secrète, et qu'il paraisse en Écosse comme un officier français attiré simplement par le goût des aventures Pour Charles-Édouard « et la personne qui sera le plus dans son intimité », le marquis d'Éguilles sera le représentant de la France; pour tout le reste de l'Écosse, un militaire servant à son rang, et sa qualité ne dépassera jamais celle d'un ambassadeur à huis clos.
Surtout il devra s'abstenir d'enthousiasme. Sur ce point l'insistance de d'Argenson, si naturelle qu'elle soit, est particulièrement significative. « Le sieur marquis d'Éguilles », écrit-il, « doit bien prendre garde qu'il n'entrerait nullement dans les intentions de Sa Majesté, si au lieu d'approfondir la vérité des choses et ne demander que le vrai dans ses relations, il croyait devoir prendre pour constant tout ce que l'enthousiasme des jacobites pourrait exagérer. » «.Quelque volonté que Sa Majesté ait de soutenir généralement le parti qui commence à se déclarer ouvertement par une révolution dans ce royaume, » ajoute-t-il, « elle est bien éloignée de penser qu'elle doive, dans cette vue, donner aveuglément dans toutes les idées que des gens faussement prévenus ou le prince lui-même, excité par eux, voudraient faire adopter à Sa Majesté, sans crainte des suites ruineuses et honteuses qui à défaut de succès pourraient en résulter. » Impossible de faire plus clairement comprendre que l'ambassadeur porterait seul tout le poids de l'échec d'une intervention amenée par ses informations ou provoquée par ses conseils.
Voir le prince Charles-Edouard s'établir fortement en Écosse, tel semble le vœu qui, sous la correction des formules, se dégage de cette Instruction enveloppée l'aider au besoin dans cette entreprise, par des secours modérés en argent et en hommes, telle paraît être toute la promesse que le ministère français s'engage à souscrire. Dans tout le cours de ce document, la question de l'indépendance écossaise est constamment séparée de la restauration des Stuarts en tant que souverains du Royaume-Uni. « Sa Majesté », dit Maurepas, « n'en sera que plus disposée à continuer et augmenter ses assistances et secours pour aider le prince Charles-Edouard à se soutenir en Écosse, en sorte qu'il ait lieu de se flatter de voir ses affaires prospérer de jour en jour, non seulement dans ce royaume, mais aussi en Angleterre et en Irlande. Et, plus loin encore « Le sieur marquis d'Éguilles saura sur quels amis il pourra compter en Angleterre et en Irlande de même 1. La minute de la première dépêche de d'Argenson à d'ÉgniUes, datée du 20 octobre n4S, porte en marge cette mention Ne pas lui donner le titre de ministre du roy. (Arch. AT. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.)
qu'en Écosse. Séparation de l'Angleterre et de l'Écosse, affaiblissement de la puissance britannique et satisfaction donnée aux obligations dues aux Stuarts, tel eût été dans la pensée des hommes d'Etat français le double avantage de cette politique.
D'Argenson l'a revendiquée sans dissimulation, et l'Instruction de d'Ëguilles n'est en somme que le développement du passage de ses Mémoires où il expose sa conduite dans les affaires d'Écosse. « Le prince », dit-il avec une certaine complaisance, « a marqué souvent à M. d'Éguilles des sentiments de mépris et de mésestime contre le ministère de France, et il disait souvent qu'il n'y avait vu que moi d'honnête homme à qui il se fiait totalement. Cependant, ne me connaissant pas encore, il s'imagina que je voulais le tromper et faire languir cette affaire, lorsque je voulais qu'on se contentât de son établissement dans la seule Écosse, en séparant pour quelque temps les deux royaumes » Voici donc, formulée par le premier ministre même, quelle était la disposition du gouvernement de Louis XV. D'Argenson désirait voir un Stuart roi d'Écosse et ne souhaitait, pas à la dynastie d'autre couronne, mais si les ressources particulières du parti jacobite rendaient à l'héritier du trône le Royaume-Uni tout entier, il voulait être à même de faire valoir la mission de son ambassadeur, afin d'exigée, en retour des compensations plus matérielles et moins équivoques.
Trois jours après la remise de ces instructions, d'Éguilles était prêt à partir pour Dunkerque où il arrivait le 28 septembre au soir Les ordres 4 avaient été donnés au comte d'Aunay, commandant de la place, pour préparer l'embarquement de l'ambassadeur, de quelques compagnons, et de l'équipement nécessaire à deux mille quatre cents hommes. Mais ils avaient été si mal transmis que les navires commandés pour l'appareillage se trouvaient être des bâtiments de 40 à 50 tonneaux, de sorte qu'il en eût fallu huit pour porter ce qu'on voulait ne charger que sur trois. En outre, les pistolets manquaient, on avaient été oubliés, malgré l'utilité de cette arme si familière aux 1. Journal de d'Argenson, 29 décembre [749, dansJowM/fO&'MOM-M~t'~)-genson, t. M, p. 109. (./owK<~ -U~mo:')'M du HMu-~KM c!t;KMK. publiés par M. Rathery, dans la collection de la Société d'Histoire de France, Paris, i8M-i869 9 vol. in 8°.)
S. Mémoire au roi.
3. D'Éguilles à d'Argenson, Dunkerque, 29 septembre 1MS.
4. Les détails qui suivent, jusqu'au départ de Dunkerque sont extraits des dépêches do d'Ëguit!es à d'Argenson, datées de Dunkerque, 29 septembre, 30 septembre- octobre, 1< octobre, 6 octobre 1745.
5. Sur ce point, voir la dépêche de d'ËguiMes à d'Argenson, du 1er octobre 1745. Dans son mémoire au roi. d'ËguiHes se loue cependant de l'exactitude des ordres donnés par Maurepas.
montagnards des clans. Néanmoins, grâce à l'initiative des agents de la marine et de la guerre, grâce à l'arrivée imprévue d'un fin voilier réputé pour sa marche, tout se trouvait embarqué le ler octobre. D'Éguilles, après avoir pris place d'abord sur le./7a?'<?My Couronné, corsaire de 120 tonneaux, avait préféré risquer le passage sur l'excellent bâtiment, de dimensions égales, mais d'allure supérieure, qui venait d'entrer dans le port de Dunkerque après avoir échappé en haute mer à deux croiseurs anglais. C'est donc sur l'Espérance qu'après une longue semaine d'attente, le 7 octobre an matin, l'ambassadeur et ses compagnons de fortune quittèrent le quai de Dunkerque, faisant route vers la rade de Montrose nom d'augure impressionnant et semblant comme prédestiné à servir de ralliement aux partisans des Stuarts. Le petit bâtiment qui portait cette étrange mission diplomatique devait être suivi à quelques jours de distance de deux autres 2. L'Espérance emportait toute la poudre et l'équipement de 1,100 hommes; les deux autres navires, le reste des armes et six canons à la suédoise quele comte d'Aunay s'était procurés au dernier moment,avecdesmunitions supplémentaires. Avec d'Ëguilles s'embarquaient trois hommes de valeur, Brown, capitaine au régiment irlandais de Lally, Sheridan, neveu de sir Thomas Sheridan, conseiller intime du prince, et le master de Strathallan, fils aîné du lord de ce nom, destiné à rallier autour de lui aux environs de Montrose les tenanciers des domaines de sa 1. D'après le mémoire de d'ËguitIes au roi, on voit que la rade de Montrose était le but prémédité de la traversée, et que ce ne fut pas un hasard de navigation qui y fit aborder le vaisseau.
2. Les traités d'affrètement des navires i'~wancf, le .HafeNy couronné, le Nep<MM, ainsi qu'un marché pour vivres, signés du 24 au 28 septembre, sont encore conservés aux Archives de la Marine. (Arch. Mar., Campagnes, 1745.) Voici les renseignements fournis sur chacun de ces bâtiments Espérance, 120 tonneaux, 14 canons de 6 et de 4; Ho'en/y couronné, 120 tonneaux, 12 canons de 4 et de 3, 4 pierriers; A~p<Mnc, 90 tonneaux, 6 canons de 4 et de 3. Aucune trace de l'affrètement d'un quatrième navire mentionné par d'ËguiiIes par une de ses dépêches.
Voici l'état exact des armes et munitions embarquées à Dunkerque 2,405 sabres dans 42 caisses;
2,424 gibernes, fourniments et ceinturons dans 73 caisses;
2,400 fusils dans 200 caisses, chaque fusil a sa baïonnette;
120,000 cartouches chargées dans 200 caisses;
4 milliers de poudre dans 40 barils;
7 milliers de plomb dans 70 barils;
2 barils de pierres à fusil;
75 pistolets.
« Ce dernier article devrait être plus fort, vu l'usage des Écossois, qui se servent plus volontiers du sabre et du pistolet que de toute autre arme. » (D'Éguilles à d'Argenson, Dunkerque, 29 septembre 1745. Arch. An', étr., Mém. et Doc. Angleterre, 79.)
Il faut y joindre les 6 canons à la suédoise et leurs munitions. (Icl., 6 octobre 174S.)
famille'. Auprès de ses compagnons, la veille inconnus de lui, et avec lesquels le commissaire de marine Charron l'avait mis en rapport, d'Égaillés ne passait que pour un Français « qu'un fanatisme singulier avait déterminé à aller servir leur prince et leur héros s. Aucun d'eux, assur e-t-il, ne le soupçonnait chargé de la moindre commission. Un calme plat, un premier coup de vent sur les côtes basses de la Hollande, un ouragan en vue des montagnes d'Écosse, telle fut cette traversée si audacieusement entreprise La nuit du 16 au 17 octobre l'pp~nee, en perdition depuis la veille, donnait à l'insu du capitaine EempiM 5 et des passagers dans les eaux calmes d'une rade voisine du Firth of Tay. Au matin, la côte était en vue, mais devant la plage stationnait une escadre anglaise. Le hasard voulut que pendant qu'on se consultait à bord, un navire marchand écarté de sa route passât sous le vent du corsaire français. D'EguIHes raconte, dans son mémoire au roi, comment une heureuse inspiration lui fit aborder le vaisseau, dont le capitaine, ardent jacobite, se trouva en même temps un pilote et une recrue. Laissant croira qu'il cédait à la violence, et préservé des représailles des Anglais par de feintes lettres de rachat dont il reçut la quittance, ce fut avec joie qu'il accepta de conduire les Français dans la rade de Montrose, où, dans l'après-midi, entre deux et cinq heures, le navire mouillait en vue de la ville. Sans perdre un instant, harcelé par la crainte de voir déboucher les quatre vaisseaux de guerre anglais signalés par son pilote, d'ËguilIes s'empresse de mettre à terre ses quarante-deux hommes d'équipage. Un seul mousse garde l'Fs~'aHce mouiliée en rade. Chaque matelot prend dans ses poches autant de cartouches qu'il en peut porter, sur l'épaule autant de fusils qu'il en peut tenir, et, commandée par Brown, Sheridan et Stratbàllan, cette bizarre troupe de débarquement, d'Éguilles et le capitaine écossais en tête, s'avance jusque sur la place de Montrose. Là, devant les habitants stupéfaits, d'Éguiiles offre des armes à qui veut en prendre. La nuit n'était pas tombée que toutes les munitions étaient débarquées, chargées sur 1. Mémoire au roi.
2. D'Ë~uiUes à d'Argenson, Dunkerque, 1< octobre H4S.
3. Récit de la traversée et du débarquement à Montrose, d'après te mémoire de d'Éguilles au roi et d'après les dépêches de d'Éguilles à d'Argenson datées de Montrose, 17 octobre n4S, et d'Edimbourg, 2Tf-30 octobre H4S.– Ces relations qui se complètent mutuellement présentent cependant certaines contradictions. 4. Ou bien du 15 au 16. Le moment réel du débarquement dépend du calcul du temps employé au déchargement du navire.
S. Capitaine au long cours, de Dunkerque. (Traité d'affrètement de l'jE'~p<')'<!7tee, Arch. Mar., Campagnes, 1745.)
G. Peut-être fallut-il vingt-quatre heures pour le déchargement, et est-ce seulement à. la nuit suivante qu'il fut complètement opéré.
des chariots, et déjà en route, sous l'escorte de Brown et de trente marins bien armés, pour le poste jacobite de Brechin, situé à quelques lieues dans les terres et où le parti du prince avait une garnison de deux cents hommes. Le lendemain matin, l'escadre anglaise, avertie par la voie de terre, trouva en se présentant le convoi hors d'insulte, l'jë'speraKce repartie vers un port du Nord avec son équipage rentré à bord et les dépêches de d'Éguilles, la ville de Montrose soulevée et les habitants en état de défense. Du premier coup, d'Éguilles avait conquis au prince Charles-Edouard une ville en Écosse et un port d'attache avec la France.
II
/)'F~M!~e~ à jË'a!ttH&oM?'~ aMp~'M de Charles-Édouard. Ses jtH'e?H:o'es 6~~C/!es. Son opinion sur le débarquement. Mission de ./M/y~ de 6'o?'<~fH et de ~Mo't en France.
La nouvelle de ce hardi coup de main fut connue de toute l'Écosse avant même que d'Éguilles et ses compagnons eussent rejoint le prince. Quarante-huit heures après la prise de Montrose, CharlesEdouard était informé de ce succès dont l'effet moral devait être si grand à Édimbourg Le duc d'Athol rentré depuis l'insurrection dans ses domaines d'où l'avait chassé l'exil, en recevait directement l'annonce par un exprès de Sheridan 3, et, de son château de Blair, avertissait immédiatement le chef des Macpherson et le puissant chef des Frasers, lord Lovat 5, de la décision duquel dépendait le sou<. Le secrétaire .Murray de Broughton au duc d'Atho!, Holyrood, 20 octobre 1745. (Jaco&:<e co?'r., 74.)
2. Le duc d'Athol, si souvent mentionné dans la Jacobite Co~'Mpon~eKec et dans ce récit, était le compagnon de débarquement de Charles-Edouard, désigné antérieurement sous le nom de marquis de Tullibardine, et qui, en rentrant dans ses domaines, avait repris son titre légitime de duc d'Athol, apanage de l'a!né de sa famille, transporté par acte du parlement d'Angleterre à son frère cadet, depuis l'insurrection de 1715 où le duc avait été compromis. John Murray, premier duc d'Athol, avait eu de ses deux mariages quatre [I!s WiUiam, duc d'Athol, désigné dans l'exil sous le nom de marquis de Tullibardine, dont il est ici question, mort prisonnier à la Tour de Londres; James, marquis de Tullibardine, duc d'Atho! pendant l'exil de son frère ainé; Lord George Murray, lieutenant général de l'armée de Charles-Edouard, le plus dévoue et le plus énergique des chefs écossais; Lord John Murray, n)s du second mariage, colonel d'un régiment dans l'armée anglaise qui combattait ses frères.
3. Sheridan au duc d'Athol, Cupar, 19 octobre 1745. (Jacobite eo~ 70.) 4. Le duc d'Athol à Cluny Macpherson, Milnearn, 20 octobre 1745. (Jacobite M;')- 72.)
5. Le duc d'Athol à lord Lovat, Milnearn, 20 octobre 1745. (Jacobite cm'?- 71.)
lèvement de tout le pays d'Inverness Cependant la petite troupe, laissant derrière elle son convoi sous la garde de Brown, s'acheminait vers Édimbourg, retardée à chaque pas par les difficultés de la route. Le Firth of Forth était parcouru par les chaloupes des vaisseaux de guerre anglais; l'une d'elles, quelques jours auparavant, avait capturé devant Alloa les gens de lady George Murray il fallait donc passer en amont du château de Stirling encore aux mains de sa garnison hanovrienne, comme celui d'Édimbourg. Le laird de Gask fut chargé de fournir l'escorte nécessaire, et deux cents hommes descendirent des montagnes d'AthoI pour intimider les Anglais du château D'ÉguiDes, qui était aux environs de Doune le 21 à Doune même, en face du passage, le ~3 arriva le 2o à Edimbourg prêt à se transformer, pour Charles-Edouard seul, en ambassadeur du roi de France. Nul ne paraissait encore avoir découvert l'objet de sa mission. Les lettres que le duc d'Athol échangeait avec ses correspondants, pour organiser la traversée du Forth, faisaient mention du gentilhomme français qui venait d'apporter un renfort inespéré au parti national mais sa réelle identité demeurait inconnue, quand le dimanche 26 octobre il se présenta au palais d'Hoiyrood devant sir Thomas Sheridan, qui possédait toute la confiance de Charles-Édouard. Il faut le laisser raconter lui-même son audience du lendemain et sa conversation avec le prince. Charles-Édouard vient de manifester toute sa joie, en lisant la lettre de Louis XV. « Je pars dans huit jours, » i. A cette date, lord Lovat était en pourparlers dans son château de Casttc Downie avec Macdonald de Barisdale et l'avocat Alexandre Mac-Leod de MuirAvonsido qui étaient parvenus à décider son adhésion au soulèvement, qu'il rétracta, peu après. (Browne, HMo~ of </tf F~A/an~, t. IU.)
2. Le master de Strathallan au due d'Athot, Machany, 3t octobre 174S. (Jacobite corr., '79.) D'Éguilles au duc d'Athol. (M.. 133.) Voir d'un autre côté la correspondance de lord Lovat avec le président Duncan Forbes de CuUodea, du 15 août au 4 décembre 17.4S, (Culloden PcpM's, n" 254 à 304.)
3. « The long boat of the man of war is more to be feared than the castle of Stirling. George Lockhart de Carnwrath au colonel Mercer d'Aldie, Atva, 29 octobre 'n4S. (Jacobite co! 106.)
4. Le duc d'Athot au laird de Gask, Dunlield, 23 octobre i'H6. Le master do Stratballan au duc d'Athol, Douce, 23 octobre 17M. (Jacobite eot'f., 87 et 90.) S. D'Éguiites au duc d'Atho), &fachany, 21 octobre ms. Le duc d'Athot à d'EguHies, Dunkeld, 22 octobre 1745. (Jacobite co)'r., 133 et 134.)
6. Le master de Strathallan au duc d'Athol, Doune, 23 octobre n45. ;Jaco&t7e co'')' 90.)
7. D'ÉguUtes à d'Argenson, Édimbourg, 21-30 octobre 1745. Lord George Murray au duc d'Athol, Édimbourg, 25 octobre 1145. (Jacobite co)' 97.) D'Éguilles au duc d'Atho), Edimbourg, 26 octobre 1743. (Jacobite co)' ICi.) 8. « The gentleman who is come from France », dit le duc d'Athot au secrétaire Murray de'Broughton. « The french gentleman », dit le master de Strathallan au due d'Athol. Le lord do Strathallan constate qu'il ne parle que français. (Jacobite con- 85, 90, 93.)
dit-il à d'Éguilles, «je marche droit à Londres; si vos troupes descendent et obligent nos ennemis à une diversion, l'Angleterre est à nous dans deux mois; mais si par malheur le débarquement si souhaité et si nécessaire n'avait pas lieu, ou se faisait trop tard, toutes les autres deviendraient inutiles. )) D'Éguilles, selon la lettre et l'esprit de ses instructions, se garde de promettre catégoriquement un secours à date fixe; il propose d'attendre la réponse aux dépêches qu'il va envoyer en France, avant de tenter une marche en avant qui pourrait ne pas coïncider avec le débarquement en projet. « Si le roi très chrétien a déjà à donné des ordres pour le débarquement, » reprend Charles-Édouard, « mon père règne, et quand même il n'en donnerait qu'en recevant vos dépêches, nous aurions encore du temps, car il m'est impossible de joindre mes ennemis avant un mois. » Dans la soirée du lendemain, mardi 28, d'Éguilles eut une seconde entrevue avec le prince, qui insista de nouveau sur la nécessité d'un prompt secours, souhaitant que le duc d'York son frère ou le duc d'Ormond fussent de l'expédition si elle ne devait pas s'en trouver retardée Un mot de sir Thomas Sheridan résumait en effet la situation « Le moment est venu de frapper les grands coups\ »
D'Éguilles, dès sa première entrevue avec Charles-Édouard, se trouvait donc initié au secret de sa marche. Les renseignements que ses premières dépêches allaient donner sur l'état de l'armée écossaise, sur sa force réelle, étaient par conséquent d'immense importance au cas où le ministère français se fût décidé à presser l'expédition projetée de manière à faire coïncider une descente sur la côte anglaise du sud avec la marche des clans sur Londres. Dès son entrée à Édimbourg, cl'Éguilles s'occupait de cette tâche délicate, avec conscience et lucidité. J'ai été voir l'armée après dîner, » écrit-il dès le 27 « elle est campée à une demi-lieue de la ville j'y ai compté treize cent vingt et une tentes, ce qui doit faire près de huit mille hommes, à les évaluer à six par tente. Il y en a d'arrivés outre cela que j'ai rencontrés et comptés en chemin il y a dans ce nombre cinq cents chevaux montés par presque autant de gentilshommes. Il vient encore des îles du Nord près de trois mille hommes, mais comme ils ne peuvent être ici que dans trois semaines, on ne les attend pas. Nous entrons donc en Angleterre avec un peu moins de dix mille hommes effectifs, tous bien armés, sept 1. D'Éguilles à d'Argenson, Édimbourg, 27-30 octobre 1745. Conversation publiée en partie dans Pichot, Histoire Charles-Édouard, ch. xvut. 2. Sir Thomas Sheridan à d'Argenson, Edimbourg, 26 octobre 174S. (Arcli. Aff. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.) C'est par erreur que M. Pichot attribue cette expression à Charles-Édouard.
pièces de canon et quatre mortiers » Le 28, il annonce l'arrivée prochaine de six cents hommes sous le frère du duc de Gordon, et, le 30, celle de cinq mille Écossais du Nord Un état précis des forces du prince, annexé à la dépêche du 3 novembre, porte letotal de l'infanterie à huit mille huit cent vingt-cinq hommes, celui de la cavalerie à cinq cent soixante-six, soit neuf mille trois cent quatre-vingtonze combattants pour le tout. Il paraît qu'à cette date les contingents de Gordon n'étaient pas encore arrivés, et que les cinq mille insulaires annoncés devaient, en tout cas, être réduits à trois mille 3. Enfin, 1. Artillerie prise aux Anglais après la bataille de Preston-Pans. Ce parc improvisé, d'après un témoignage contemporain, porté à i3 pièces de canon après l'arrivée de l'artillerie amenée de France sur le vaisseau qui suivit d'jÉguiHes, avait une assez imposante apparence. (Account of the Young P~r'~ operations, faisant partie des Journals and Memoirs of the Young Pretender's expédition in 174S dans I.oe&/ta)'< Papers, t. H.)
2. Ce dénombrement est tiré de la dépêche de d'Éguilles à. d'Argenson, datée d'Édimbourg, 21-30 octobre 1745.
3. Voici cette pièce importante.
État aussi détaillé que j'ay pu l'avoir: i" des troupes que nous avons; et 2" de celles que nous attendons.
[i0]
INFANTEME.
Ducd'Hatto). 2,027 hommes Duc de Perth. 406 LestroisMagdonets. 1,851 Les Camerons 752 Les Stuards. 360 Les Gordons de Gfanbuehet. 302 (Ils n'étaient d'abord que 200.)
LesMackmtosh. 563LesPhrœsers. 619 Les Mephersons. Mo LesMagreger. 205 Les2MeÎ!ennons. 450 Les Robinsons 280 Le duc de Cordon. 350
Total infanterie 8,825 hommes. 8,825 hommes. CAVAt-EME.
Gardes commandés par le comte Elcho. 120 hommes. Les gentilshommes venus avec lord
Pistligo. MO
Leurs domestiques formant une com-
pagniede. 70
Gentilshommes volontaires des Pays-
Bas.
Gens de la maison et société du
prince. 49
Totalea.viilerie. 566 hommes. 566 Total de l'armée comme elle est. ~,39i hommes
au moment d'entrer en Angleterre, ce n'est plus par tente, c'est soldat par soldat que d'Éguilles dénombrera l'armée. « Dans une revue générale, faite avant-hier, » écrit-il de Menât, le 17 novembre, « et où j'ai compté onze bataillons homme à homme, je n'en ai pas trouvé plus de sept mille'. » Témoignage significatif et qui peut faire foi entre les versions différentes admises jusqu'ici par les historiens des deux nations 2.
Quel était, de l'aveu de Charles-Édouard lui-même, et d'après l'estime de d'Éguilles, le secours nécessaire à cette poignée d'hommes pour assurer efficacement l'invasion de l'Angleterre?
La question d'une diversion française avait, comme il est facile de se l'imaginer, été agitée tout d'abord. La première demande de CharlesÉdouard à d'Éguilles, le jour de leur première entrevue 3, avait été celle-ci « Mais, monsieur le marquis, ne puis-je pas compter sur un débarquement prochain? Parlez-moi sincèrement~. » Dans la conversation du lendemain,le prince avait communiqué à l'ambassadeur une lettre d'Angleterre; les promesses de soulèvement y abondaient. Un débarquement de huit mille hommes, avait-il dit, assurait la conquête du Royaume-Uni 5. En même temps, il adressait à Louis XV cette lettre instante. « Monsieur mon oncle », écrivait-il d'Édimbourg quelques heures après l'arrivée de d'Éguilles, « je viens de recevoir avec beaucoup de plaisir les assurances d'affection et d'assistance que Votre ~po)'< 9,391 hommes.
[2°]
On attend encore
Le duc Gordon [avec] au moins six cents cavaliers 600 montés on assure que les Macleod et les Magdonels
des isles viennent avec plus de. 3,000 S'ils arrivent, l'armée sera de. 13,991 hommes. Sans compter ce qui pourra se joindre à nous le long
de la route.
(Pièce jointe à la dépêche de d'Éguilles à d'Argenson. Édimbourg, 3 novembre 1745. Arch. Aff. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.)
1. D'ÉguiMes à d'Argenson, Moffat, 17 novembre 1745.
2. On a beaucoup disserté sur le chiffre réel de l'armée de Charles-Édouard. L'historien le plus exact des événements de 1745, Home, témoin oculaire et généralement bien informé, affirme que l'armée écossaise, à son départ pour l'Angleterre, ne comptait que 5,500 hommes, dont 500 cavaliers. Il s'appuie sur le témoignage de Patullo, MM~et'-)?Ms<e?' de l'armée jacobite. (H:~o~ o/* the t'eMlion, appendice xxx, et ch. iv.) Le tableau donné par M. Pichot, Histoire de C/ta)'/M-.Ë~oMa'fd, ch. xxx, présente un chifîre intermédiaire 7,100 fantassins environ et 300 cavaliers seulement, le tout au départ d'Édimbourg même, le 12 novembre. Un E~<a;< de lettres <Ed:n!&oM~ de la fin d'octobre, qui se trouve aux Archives des Affaires étrangères, est également à consulter. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 79.)
3. Le lundi, 27 novembre. Voir ci-dessus.
4. D'Éguilles à d'Argenson, Édimbourg, 27-30 octobre 1745.
5. 7& id.
Majesté m'a données par le sieur marquis d'Eguilles, dont la personne me sera toujours très agréable. J'espère que moiennant cette assistance, je viendray à bout d'une entreprise dont Dieu a si visiblement béni les commencements. Mais je ne saurai me dispenser de répéter ici ce que j'ai chargé ledit marquis d'Eguilles de vous représenter plus en détail, qui est qu'il n'y a point de temps à perdre, et je suis trop avancé pour pouvoir ou reculer ou chercher des délais. Ainsi je conjure Votre Majesté de hâter le plus qu'il est possible le secours qu'elle me destine. Si elle voudra bien le faire, j'ai tout lieu de me flatter que la querelle sera bientôt décidée et la paix rendue par là à l'Europe » D'ËguHles,deson côté, insistait dans ses dépêches sur la nécessité d'un prompt débarquement. Très clairvoyant d'ailleurs et gardant une entière lucidité de prévisions, il ne s'abusait pas sur l'inutilité de l'expédition, si elle était destinée à se trouver retardée, et s'expliquait très ouvertement sur l'inanité des espérances du parti jacobite, s'il devait se trouver réduit à ses seules forces. « Par le parti qu'a pris le prince Édouard de marcher droit à Londres, » écrit-il le 28 octobre, « il régnera ou il sera totalement perdu dans moins de deux mois » Et quelques jours après, à la date du 3 novembre « Ils sont perdus, Monseigneur, même en gagnant des batailles, si les Français ne débarquent point 3. »
Il ne dissimulait pas non plus un danger plus pressant et plus immédiat. « Tout l'argent d'Édimbourg est dans le château », ajoutet-il, le 31, à sa longue dépêche fermée la veille, « celui que les Espagnols avaient envoyé a été pris, celui que le prince Charles-Edouard a levé dans le pays est consumé. Il compte, à la vérité, d'en trouver en Angleterre dès qu'il y aura mis le pied, et c'est ce qui le détermine à avancer sa marche; mais en attendant, l'armée n'est point payée. On a trouvé heureusement 26,000 livres à emprunter, moyennant une lettre de change sur M. de Montmartel. Je n'ai point hésité à tirer sur lui et à gagner par là cinq à six jours »
Le bruit courut un instant à Édimbourg que les six mille Français dont d'Éguilles avait pu annoncer le rassemblement 1 étaient descendus à Peterhead, au nord de Montrose, avec lord Marishall à leur tête. « Cela ne nous parait pas encore bien croyable, » écrivait immédiat. Chartes-Edouard à Louis XV, Édimbourg, 15/26 octobre 1745. (Arch. AfT. étr., Mem. et Doc., Angleterre, 79.)
3. D'ÉgtuUes à d'Argenson, Édimbourg, 27-30 novembre 47M.
3. D'JEguittes à d'Argenson, Édimbourg, 3 novembre 174S.
4. D'ÉgtHUos à d'Argenson, Édimbourg, 31 octobre 174S. (Areh. atf. 6tf., Mem. et Doc., Angleterre, 79.)
S. Voir ci-dessus.
tement l'ambassadeur, le 4 novembre, « mais si ce général et ces hommes sont réellement partis de France, vous pouvez les compter en Écosse. Ce serait un grand coup qu'ils fussent arrivés avant notre départ et que par là ils pussent nous joindre » Il n'en était rien cependant il s'agissait seulement des deux vaisseaux partis à la suite de d'Éguilles, qui venaient d'aborder à Stonehaven, mais dont l'arrivée prouvait au moins la liberté du passage Ainsi, par les premières dépêches de l'ambassadeur, la cour de France était exactement informée de la situation de l'Écosse et de la nécessité de hâter le débarquement, sous peine de le voir devenir inefficace Mais il ne suffisait pas de prodiguer, dans une correspondance soigneusement obérée, le détail des effectifs, le nombre des canons, des.fusns et des sabres distribués à l'armée de l'existence de laquelle on doutait encore à Versailles. II fallait faire parvenir à leur destination ces dépêches que le ministère français était si soucieux de tenir entre les mains avant de rien confier aux hasards d'une descente Dès sa première audience avec le prince.d'Éguilles avait pu apprendre le départ d'un envoyé spécial, Kelly, l'un des sept officiers de la /A~e~, expédié le jour même de la bataille de Preston-Pans pour en porter la nouvelle à Louis XV L'arrivée de d'Éguilles et l'heureux effet de son débarquement décidèrent immédiatement Charles-Édouard à faire partir un nouvel émissaire. Le P. Gordon se mit en route, le 28 octobre, porteur de la lettre de Charles-Édouard à Louis XV d'une autre de Sheridan à d'Argenson, et chargé en outre de présenter à la cour de France l'exposé des projets du prince mais, allant s'einbarquer à Dumfries, sur la côte occidentale, il avait à contourner toute 1 Ecosse avant d'atteindre un port et de songer à remplir sa mission C'est à la voie de la Hollande, qui lui avait été indiquée à son départ de Versailles, puis à un troisième courrier, que d'Éguilles, au courant de ces deux missions antérieures, confia successivement ses dépêches. L'abbé de la Ville, chargé d'affaires de France à la Haye, avait reçu les ordres nécessaires pour se servir de l'intermédiaire de marchands de Rotterdam La dépêche des 27-30 octobre, si explicite déjà, suivit 2'T~°"S, 4 novembre 1745. (Ibid., id.)
2. Le 26 et le 27 octobre. (Le docteur Colvill au duc d'Athol, Jacobite corr.
de d'Éguilles du 3 et du 7 novembre.)
3. Départ de Kelly, le 2 octobre. (Browne, ~on/ o/- t. ÏH Por.r:S~ qu'il fut brûler en Hollande, comme on
le verra plus loin.
4. Départ de Gordon, le 28 octobre. (M.) Porteur des lettres de D. t Édouard ~.t.° à d'Argenson du 26 octobre, publiées et citées plus
haut. Voir ci-dessous.
,j. D'Argenson à l'abbé de la Ville, 24 oct.obre 1745. Le comte d'Argenson
i't J'abbé de la Ville, 25 octobre 1745. (Arch. Aff. étr., Corr. pol., Hollande.)
A. TOME I!. 18
18
ainsi que celle du 31 cette route convenue. Celle du 3 novembre, qui donnait l'état complet de l'armée, fut conËéeavecune dernière lettre' 1 du 7 à sir James Stuart que Charles-Édouard, quelques jours après le départ de Gordon, prit le parti d'envoyer en France, muni d'une créance spéciale ='. Le billet du 4, qui contenait la nouvelle prématuré du débarquement de lord Marishall, envoyé à tout hasard à la côte fut sans doute remis à l'un des navires qui abordèrent plus tard dans ces parages, et parvint ainsi en France par cette voie détournée. Stuart, prêt à partir le 3 novembre, retenu par les vents contraires jusqu'au 7, pouvait annoncer à la cour de France que l'armée était à la veille de s'ébranler, et Charles-Édouard dans l'intention de marcher sur Londres. Le renseignement était d'une valeur facile à saisir, au cas où lé ministère français eût été décidé à faire concorder mathématiq'uement une descente sur la côte d'Essex ou de Kent avec le mouvement de l'armée écossaise. On conçoit avec quelle anxiété d'HguilIes et Charles-Édouard devaient attendre le résultat de sa traversée.
(.Sera continué.) GERMAIN LEFËVM-PONTAMS, Membre du Groupe d'histoire et de diplomatie.
1. Voir ces quatre dépêches.
2. Départ de Stuart, le Tf novembre. (Voir la dépêche.) Porteur des dëp6che: <]e d'Égaines du 3 au 7 novembre, et de nouvelles lettres du prince et de Sheridan, du 5 novembre.
3. Voir cette dépêche.
4 Accusé de réception de toutes ces dépêches dans la dépêche de d'Argenson & d'ËKuittes, datée de Versailles, 33 décembre 1745, la M~f qui parvint jamais à d'ËguiUes pendant toute sa mission. (D'ËguiUes à d'Argenson. Inverness, 5 avril n46.)
LE « RULTUKKAMPF )),
La question de l'infaillibilité pontificale avait été très vivement discutée en Allemagne et il faut bien reconnaître que la plupart des évêques et des théologiens allemands y étaient opposés. Ceux qui s'étaient rendus au concile du Vatican, furent jusqu'au dernier moment dans la minorité, tandis que les membres du clergé restés en Allemagne entretenaient soit par des brochures, soit par des discours, une agitation très vive sur ce sujet.
La déclaration de la guerre avec la France survenue le 19 juillet 1870, le lendemain du jour où le pape Pie IX avait proclamé le dogme de l'infaillibilité, en clôturant le concile d'une façon qu'il croyait provisoire et qui devait être définitive, détourna pendant quelque temps l'attention publique. Mais si le bruit des batailles étouffait pour le moment la voix des théologiens, ces derniers ne s'en agitaient pas moins et les discussions religieuses continuaient toujours. Les évêques revenaient peu à peu de Rome et les uns après les autres promulguaient dans leurs diocèses la bulle Paslor a~'HMs, en la faisant suivre de considérants pour expliquer leur conduite et leur soumission finale aux décrets du concile. Il y eut un homme cependant qui refusa avec éclat de reconnaître le dogme de l'infaillibilité, et détermina par son exemple un certain nombre de catholiques à faire une scission dans l'Église d'Allemagne. Dôllinger, professeur d'histoire ecclésiastique à ['université de Munich, était un des maîtres les plus écoutés et les plus vénérés par le clergé et les catholiques. L'austérité de sa vie, la pureté de sa doctrine, sa haute valeur et son rare savoir étaient les justes raisons de la faveur dont il jouissait. Mais pour se servir d'un mot qui fut appliqué à son ancien ami Montalembert, il ne sut pas vaincre la superbe et ressentit un vif mécontentement de n'avoir été appelé par le Pape ni dans la commission préparatoire du concile, ni dans aucune des commissions qui siégèrent pendant le concile. 1. V. dans les ~na/M du t5 octobre 1886, page 534 :V" H. Begouën, La Prusse et l'Église ea<o~M<' de /&/g à /S70.
2. Voir sur le concile, Z.'jË<e et ~<<!< au concile du !~<M:<M, par Émile Olivier. 2 vol., Paris, Garnier frères, 3<- édit., 1884; et, sur les vieux catholi-
Le Pape eut beau le faire assurer de sa sympathie personnelle; il était trop tard, son orgueil froissé s'était révolté. Il refusa de se rendre à Rome, et continua à enseigner à Munich que la question de l'infaillibilité avait été résolue dans un autre sens, au xy' siècle, par deux eonciles généraux (Constance et Baie) et que les conclusions en avaient été solennellement publiées par les décrets de plusieurs papes. Cette doctrine pouvait s'enseigner avant la promutgation du dogme, mais devenait hérétique dès que, selon l'ancienne formule, Rome s'était prononcée. Dôilinger refusa pourtant de changer son enseignement. Lorsque le 21 juillet 1870, Mgr Scherr, archevêque de Munich, réunit à son retour de Rome, les professeurs de la faculté de théologie afin de leur exposer les motifs de son adhésion au dogme qu'il avait repoussé de son vote, Dôllinger proclama sa rupture. L'archevêque terminait son discours par ces mots « Remettons-nous donc à travailler pour la Sainte Eglise »; les explications de l'archevêque étaient très nettes, mais dites avec une certaine gravité triste, qui montrait les luttes qu'avait eues à subir sa conscience. Dotlinger, qui les avait écoutées avec impatience, avec irritation même~ dit-on, ne se contint plus à la fin, et s'écria qu'il travaillerait toujours pour l'ancienne Église. « Il n'y a qu'une seule Église, reprit doucement l'archevêque, ni nouvelle ni vieille. u « On en a fait une nouvelle », riposta DoHinger, et il sortit bruyamment de la salle.
Lorsqu'on apprit en Allemagne qu'un homme de l'autorité de Dôilinger persistait dans son opposition, un grand nombre de théologiens qui avaient combattu le dogme de l'infaillibilité, enhardis par i'exemple, refusèrent à leur tour de se soumettre et vinrent se ranger derrière lui. Le 25 août, onze prêtres et deux laïques qui s'étaient fait remarquer par l'ardeur de leur polémique se réunirent sur sa convocation à Nuremberg et signèrent un memorandum contenant l'exposé de leur doctrine et que DoIIihger avait rédigé. Parmi les signataires, nous relevons les noms du Dr Friedrich de Munich, des professeurs Rainkens de Breslau, Michelis de Braunsberg et de Schulte, alors à l'Université de Prague, etc. Cette note ne s'occupait que de la question de l'infaiMibitité et quoiqu'étant le premier document du schisme des vieux catholiques, elle n'expose pas leur doctrine sur divers points tels que la confession et le mariage des prêtres qui ne furent examinés que peu à peu. La déclaration du 26 août 1870 fut publiée dans les journaux et le mouvement vieux catholique se dessina aussitôt d'une façon inquiétante, recueillant des adeptes surtout dans les classes ques, Der ~K/M<oRcMM:M. Geschichte MMe;' E~M):'eMMK< M~'M GM~HM~ und i'fcMtC/M!: Stellung in BeM~cM<M~, par le D'- J.-F. de Schulte, professeur de droit & l'université de Bonn, 1 vol. Gressen, EmUe Roth, 1887.
aisées de la bourgeoisie et parmi les professeurs. Les évêques cherchèrent à arrêter ce schisme et, réunis le 30 août à Fulda auprès du tombeau de saint Boniface, l'apôtre de l'Allemagne, ils signèrent une lettre pastorale affirmant leur obéissance aux décrets du concite et firent en même temps des démarches personnelles auprès des dissidents pour les ramener. La plupart persévérèrent dans leur opinion et furent les uns après les autres frappés par des mesures disciplinaires. C'est ainsi que Dôllinger fut excommunié le 17 avril 1871, par l'archevêque de Munich, qui étendit la même pénalité le lendemain au D" Friedrich et à tous leurs adhérents.
Parmi les prêtres qui prirent part à ce mouvement schismatique, se trouvaient deux ecclésiastiques du diocèse d'Ermeland dont la conduite donna naissance à un conflit très grave entre l'évêque et le gouvernement. C'est là même que l'on trouve les premiers actes de la politique anti-catholique du gouvernement prussien. Les deux prêtres étaient, l'un le Dr WoHmann, professeur de religion au gymnase de' Braunsberg, l'autre le D' Treibel, directeur du séminaire de la même ville. Ils avaient toujours été adversaires de l'infaillibilité, et comme ils n'avaient indiqué par aucun acte public leur adhésion au dogme après sa proclamation, MgrKrementz, évêque d'Ermeland, jugeant que dans la situation qu'ils occupaient tous deux, il était de toute importance que leur doctrine fut bien en rapport avec l'enseignement de l'Église, leur fit demander dans le courant de l'automne 1870 quelle était leur façon de penser à ce sujet. La réponse parvint à l'évèché par voie administrative. Le conseil provincial des écoles de Konigsberg (Provinzia)sehulkollcgium) déclara, le 24 décembre, que Wollmann en sa qualité d'employé de l'État n'avait aucun éclaircissement à fournir dans cette question. A la suite d'une nouvelle démarche qui resta sans résultat, l'évêque d'Ermeland retira aux deux prêtres la missio caHOHtcct, c'est-à-dire le droit d'enseigner la religion et la théologie. L'affaire fut alors portée à la connaissance du ministre des cultes, M. de Muhler. Mgr Krementz ayant frappé le Dr Wollmann d'excommunication et ayant défendu aux enfants de suivre son cours de religion, le ministre déclara que le décret de l'évêque n'avait aucune force pour empêcher le Dr Wollmann d'exercer une charge d'État (28 avril 1871). Il alla même plus loin et força les élèves catholiques du gymnase de Braunsberg à suivre les cours de religion. L'évêque protesta, rappelant que si les règlements obligent les élèves à recevoir l'instruction religieuse, cette instruction ne doit être donnée que par des prêtres autorisés par l'évêque, ce qui n'était plus le cas. Une nouvelle lettre du ministre des cultes, en date du 29 juin 1871, déclara que le Dr Wollmann était toujours catholique, puisqu'il ensei-
gnait encore la même doctrine qu'il professait avant le 18 juillet 1870 avec l'assentiment de ses supérieurs ecclésiastiques. « Mais, ajoutait-il, si les élèves catholiques ne sont pas contents de leur professeur de religion, aucune loi, que je sache, n'oblige d'aller au gymnase de Braunsberg, ou à n'importe quel autre étabiissement d'instruction. » Le conuit allait toujours en s'aggravant, et troublait profondément les catholiques.Les évoques allemands se réunirent de nouveau à Fulda et signèrent une protestation au roi de Prusse (7 septembre). Le roi répondit le 18 octobre à l'archevêque de Cologne, Mgr Melchers, qui lui avait remis cette protestation, par une lettre assez longue, mais' assez sèche aussi, où il exprimait son « étonnement que les évêques cherchassent à ébranler la confiance que les catholiques avaient eue jusqu'à présent pour le pouvoir. » H parlait aussi de nouvelles lois rendues nécessaires par les circonstances actuelles, mais sans préciser sur quel point elles porteraient spécialement. Le ministre avait eu à lutter durant ce conflit avec un conseil établi depuis 1841 dans son ministère même pour régler toutes les affaires religieuses concernant les catholiques. La direction catholique n'avait cessé de critiquer les mesures prises par le ministre, aussi sa suppression fut-elle décidée, et un décret du 8 juillet 1871 prononça la dissolution de ce conseil. L'exposé des motifs, fort long, n'était que la paraphrase de l'accusation portée quelque temps après par le prince de Bismark, qu'au lieu de défendre les droits de l'État contre l'Eglise, la direction catholique en était arrivée à soutenir les intérêts de l'Église contre ceux de l'État (30 janvier 1872).
L'agitation causée par ce conflit et quelques autres semblables n'était pas restreinte parmi les membres du clergé, mais gagnait peu à peu tous les catholiques et, quittant le terrain purement théologique, gagnait le terrain politique. Dès le début du nouvel Empire, cette tendance s'était déjà manifestée, mais tous ces événements ne faisaient que l'accentuer davantage. Au mois de janvier i871, il avait paru un appel aux électeurs du nouveau Reichstag, les engageant à voter pour « des hommes décidés à ne sacrifier les particularités qu'autant qu'elles seraient nuisibles à l'ensemble et à défendre les libertés religieuses ainsi que les civiles, et le droit des sociétés ecclésiastiques aussi bien contre les empiètements possibles d'une législation que contre les menées des partis. » Cette proclamation était signée par deSavigny, l'ancien envoyé de Prusse à Francfort, Windhorst, l'ancien ministre du roi de Hanovre, les deux Reichensperger, de SchorlemerAlst, Mallmekrodt, etc., etc. Le même jour, environ cinquante membres du Landtag prussien se réunirent et reconstituèrent la fraction catholique, qui avait cessé d'exister depuis la législature de 1859. Les
élections au Reichstag eurent lieu le 3 mars, et le 2i le Parlement était réuni à Berlin. Dès les premières séances, le nouveau parti entra en scène, ce qui causa une très vive irritation au chancelier. Il a plus d'une fois parlé avec violence contre cette fraction qu'il considérait comme une mobilisation des forces catholiques dirigée contre l'État », et la presse allemande ne lui ménagea pas les attaques. L'officieuse ~.jë~e d'~M~OMry alla jusqu'à dire que « la constitution de cette fraction était plus nuisible pour la nation allemande qu'une grande défaite de l'armée allemande sur la Loire. » De là à appeler les catholiques ennemis de l'Empire, il n'y avait qu'un pas, qui fut vite franchi. C'est d'ailleurs l't'-pithète que le chancelier donne volontiers à ceux qui lui font de l'opposition.
En réponse au discours du trône, le Reichstag prépara une adresse. Le texte en fut rédigé par M. de Bennigsen et fut discuté le 30 mars. Une seule phrase donna naissance à un débat. L'Empereur avait dit Le respect que l'Allemagne a pour son indépendance, lui impose à son tour l'obligation de respecter l'indépendance des autres États et des autres peuples, des.faibles comme des forts. » On voulut voir dans cette phrase le renoncement à toute intervention en faveur du Pape, et l'idée que le nouvel Empereur ferait des démarches en sa faveur, était très répandue en Allemagne depuis la réponse faite à Versailles aux chevaliers de Matte. L'occasion était bonne pour couper court à ce bruit et M. de Bennigsen avait écrit dans l'adresse « Les jours d'ingérence dans la vie intérieure des autres peuples ne reviendront, espérons-nous, sous aucun prétexte ni sous aucune forme. » Et pour préciser encore sa pensée, il déclara dans son discours (30 mars) que le nom d'empereur d'Allemagne éveillait des souvenirs d'interventions et de luttes en Italie qu'il fallait écarter à tout prix. « II importe, ajoutait-il, d'établir que le nouvel Empire ne veut pas s'engager dans les voies d'une politique allemande-italienne ou allemande-catholique. Nous devons dès à présent poser une borne claire et visible pour le monde entier, indiquant que notre politique doit se contenter des affaires intérieures de l'Allemagne et ne pas aller troubler la vie intime des autres peuples. » Le parti du centre demanda la suppression de cette phrase, ne -voulant pas, dirent ses orateurs, Aug. Reichensperger, Mgr de Ketteler, Windhorst, etc., écarter à tout jamais la possibilité d'une intervention en faveur de la papauté. Il ne s'agissait pas d'une guerre, ni même de négociations diplomatiques immédiates, mais il était imprudent et inutile d'engager l'avenir. Lorsqu'on alla au scrutin, le projet d'adresse proposé par M. de Bennigsen fut adopté par 243 voix. Les Polonais s'étaient abstenus. Seuls les 63 membres du centre avaient voté contre.
Le même classement des partis devait se retrouver peu de jours après lors de la discussion de la constitution du nouvel Empire. Le 1- avril, M. Pierre Reichensperger proposa comme articles 2 à 7 des amendements qui n'étaient que la copie textuelle des articles 27 à 3& et i2 et 13 de la constitution prussienne. Les premiers donnaient une grande liberté à la presse et accordaient le droit d'association et de réunion, tandis que les deux derniers, s'occupant des libertés religieuses, tendaient a introduire dans tout l'Empire allemand la législation large et libérale de la Prusse. Cette idée n'était pas nouvelle parmi les catholiques. Dès que les victoires de l'armée allemande eurent fait entrevoir la possibilité de l'unité, vers la fin de l'automne 1870, le bouillant évéque de Mayence, Mgr de Ketteler, avait adressé au chancelier à Versailles une lettre où il exposait la nécessité pour l'Allemagne unifiée de se baser sur une constitution chrétienne. Le comte de Bismark avait laissé cette lettre sans réponse, mais Mgr de Ketteler, pénétré de cette idée, s'était fait élire dans ce seul but On le vit en effet se démettre de son mandat au bout de peu de mois lorsqu'il vit que ses efforts n'aboutissaient pas. Il se fit remarquer dans cette discussion par la vigueur de sa parole et l'ardeur de ses convictions. Sa vivacité étonna une assemblée, habituée jusqu'alors à des discours plus posés, cachant la violence du fond sous le calme de la forme. La discussion s'envenima peu à peu. Lasker chercha à écarter tout débat en déclarant qu'il ne fallait pas mêler la religion à la politique ni s'en occuper dans la constitution. Mais Treitscke y vit la possibilité d'un conflit entre la constitution de l'Empire et les lois des différents pays confédérés et développa cette pensée dans un discours élégant, écouté avec plaisir, malgré le terrible défaut de prononciation de l'orateur. Aux ripostes de Malinckrodt et de l'évêque de Mayence,le D~ Marquard-Bart, député libéra! de Bavière, qui se vanta plus tard d'avoir dès avant la guerre, fait alliance avec le comte de Bismark sous !a condition de souleva la colère du centre en s'écriant < qu'on avait commencé la guerre à l'ultramontanisme et qu'il fallait continuer A la suite de ces débats, la motion Reichensperger fut repoussée.
Le parti du centre était jusqu'alors plutôt disposé à se rallier très loyalement aux nouvelles institutions de l'Empire. Mgr de Ketteler t raconte que la fraction aurait sans contredit apporté un appoint à la majorité conservatrice sur laquelle le chancelier comptait s'appuyer, si elle avait pu avoir confiance dans les dispositions du gouverneh~fîs~~t~ JS~ Reichstag. Mayence,
heim, 1872 j et Die l~atholiken in Deutschen Reisch. Id.
ment. Mais à la suite de ces différents débats où le chancelier tout en assistant à la séance n'intervint pas et sembla même approuver les discours de Bennigsen et autres, en voyant aussi la protection que le ministère accordait partout aux vieux catholiques contre le clergé et les évêques, sa conduite se modifia et son opposition s'accentua. Le chancelier chercha alors à détruire ce parti, et comme les catholiques se recommandaient du pape, il voulut les faire désavouer par Pie IX. Dans le courant de mai, le bruit circula que le cardinal Antonelli causant avec l'envoyé intérimaire d'Allemagne, le comte Taufkirschen, avait parlé du mécontentement du pape vis-à-vis du parti du centre. En ce moment un député, le comte de Frankenberg, qui, quoique catholique, ne faisait pas partie du centre et avait voté contre ses propositions, avait été désapprouvé par ses électeurs. Il répondit en assurant que le pape blâmait hautement le centre et, à l'appui de son dire, il publiait une lettre que lui avait adressée le chancelier (19 juin). Par malheur, quelques jours auparavant (26 mai) Mgr de Ketteler, ému de cette rumeur, avait écrit au cardinal secrétaire d'État, et les catholiques ripostèrent à la lettre du chancelier en publiant la réponse du cardinal Antonelli du 5 juin. Il y était dit qu'en causant avec le comte Taufkirschen, il avait été amené à parler du Reichstag et qu'il avait déclaré considérer la demande d'intervention en faveur du pouvoir temporel seulement comme prématurée. En même temps, sur l'ordre du pape, il avait répondu à l'ouverture du ministre prussien que le Saint-Siège n'a pas l'habitude de se mêler aux affaires intérieures de l'Etat tant que les intérêts de l'Église n'y sont pas directement engagés Cette réponse ne calma pas le chancelier et, à partir' de cette époque, la scission est complète entre les catholiques et le prince de Bismark. Il n'épargne aucune dureté au parti du centre, l'accable de ses railleries et même de ses injures, lui reproche d'être un parti confessionnel dans une assemblée politique, de vouloir tout ramener à des questions de thootogie; puis, irrité de voir des hommes comme MM. de Savigny et Windhorst à sa tête, il les accuse de n'avoir d'autre but que le renversement de l'Empire. L'adhésion de M. de Gerlach, un protestant convaincu, jadis le leader des conservateurs et ami personnel de Frédéric-Guillaume IV, ne lui fut pas moins désagréable que l'entrée dans la fraction an titre « d'hôtes )) (hospitanten) des députés hanovriens protestants. Aussi la lutte allait-elle commencer, et, dès la rentrée du Parlement en octobre 1871, les mesures de tracasserie, puis de persécution, furent-elles proposées.
1. Émile Olivier, .L'~y/Mc e< /'E<a< au concile du ra<ca?:, p. 4i0. Tome III.
II
Le premier projet de loi ne vint pourtant pas de la Prusse. Le chancelier voulant prouver que, même dans les pays catholiques, on blàmait la conduite du centre, n'avait pas voulu proposer la première mesure de rigueur et s'était entendu avec le ministre des cultes de Bavière, M. de Lutz, pour faire ajouter un nouvel article au code pénal qui venait d'être voté. M. de Lutz, actuellement encore ministre et président du conseil en Bavière, était sous Hnuence du chanoine Düllinger. U avait interdit aux évêques de publier la constitution « Pas<o?' a.'<6)'HMs » et avait révoqué plusieurs professeurs de religion, pour avoir enseigné à leurs élèves la doctrine de l'infaillibilité. Mais mal secondé par la Chambre dont la majorité catholique lui refusait toute loi favorable aux vieux catholiques, il vint à Berlin demander un appui. De ses pourparlers avec le chancelier sortit la loi que l'on baptisa du nom de son auteur « Lex Lutziana o. C'était un nouveau paragraphe à ajouter à l'art. 130 du code pénal, qui condamne à 600 marks d'amende ou à un emprisonnement pouvant aller à deux ans, ceux qui troublent la paix publique en excitant les diverses elasses de la société les unes contre les autres. L'article additionnel, malgré les protestations du centre, fut voté à une très forte majorité. Dans sa forme primitive, il était ainsi conçu c Un ecclésiastique ou tout autre serviteur religieux qui, dans l'accomplissement ou à l'occasion de l'accomplissement de son service, aura parlé, soit en public, soit dans une église ou tout autre lieu servant au culte, des affaires de l'Htat d'une façon paraissant ~MMtXM'r ~'ou~' la paix publique, sera condamné à un emprisonnement ou à un internement dans une forteresse pouvant aller jusqu'à deux ans. » La seule modification que purent obtenir les députés catholiques porta sur ces mots paraissant ~OMt)OM- ~'oM~cr la paix publique. On jugea avec raison ce texte trop élastique et pouvant se prêter à une interprétation trop large et trop arbitraire. C'est peut-être ce que désiraient ses auteurs. L'un d'eux n'avait-il pas dit qu'il fallait établir un système de bastions pour M <e~e contre fF~se romaine qui revendiquait la suprématie SM?' /a<? Quoi qu'il en soit, le Reichstag adopta l'amendement de M. Windhorst qui remplaçait ce membre de phrase par d'une /apoM ~NHyereMse pour la paix publique.
Le 10 décembre 1871, l'article ainsi modifié était promulgué comme devant être l'art 130, § a. du code pénal allemand.
Une autre affaire, qui n'apporta aucun adoucissement aux discus- sions religieuses, eut lieu à propos de l'envoyé allemand auprès du
Vatican.
Le comte Arnim, qui avait rempli cette fonction pendant toute la durée du concile, avait été envoyé à Paris d'abord d'une façon provisoire pourrég)er les conditions de la paix, puis d'une façon définitive comme ambassadeur. Le poste de Rome était donc vacant l'intérim fut d'abord fait par l'envoyé bavarois, M. de Taufkirschen, puis par un chargé d'affaires prussien, JI. de Derenthai. Le chancelier crut faire un coup de maitre en nommant ambassadeur auprès du Saint-Siège (24 avril), le cardinal prince de Hohenlohe-Waldenbourg-Schillingsfiirt, qui avait longtemps habité Rome. Mais, se trouvant de la minorité du concile, il était revenu en Allemagne après la proclamation du dogme de l'infaillibilité. Le cardinal refusa de se rendre à Rome avant de savoir si sa nomination serait bien accueillie par la curie et, à la colère du chancelier, le cardinal Antonelli répondit le 2 mai à -U. de Derenthal « Sa Sainteté, tout en étant très reconnaissante de la pensée de Sa Majesté l'empereur et roi, regrette infiniment de ne pouvoir, dans les circonstances actueiïes, autoriser un cardinal de la Sainte Église romaine à accepter une position si délicate et si importante. » Une discussion sur ce sujet se greffa le 14 mai 1872,au Reichstag, sur la discussion du budget, et le chancelier avec la franchise hardie de son langage s'éleva contre ce refus « C'est une chose presque inouïe, dit-il; que de répondre par un Ho/< à la question de courtoisie que l'on pose à une cour, si tel ambassadeur est /)e/soHC! yra<a »; puis, s'animant peu à peu, il en arriva à cette phrase qu'on lui a si souvent reprochée depuis « Soyez sans crainte, nous n'irons à Canossa, ni de corps, ni d'esprit. » Renchérissant encore sur le prince de Bismark, M. de Bennigsen déclara que la grande majorité du peuple allemand regarderait la non-acceptation du cardinal Hohenlohe comme une provocation et saurait bien relever le gant. L'occasion ne tarda pas à se présenter. Le 15 mai, l'ordre du jour appelait la discussion des pétitions présentées au Reichstag contre les jésuites. Le rapporteur était le même qu'en 18C9 à la Chambre prussienne, l'éminent professeur Gneist, et il concluait à la nécessité de modifier la législation sur ce point. Les débats durèrent deux jours. Le prince de Bismark s'abstint d'y paraître, mais le député Wagener, l'ancien rédacteur de la Gazette de la r?'o/.y, l'ami et le confident du chancelier, « fut certainement considéré en son absence comme une sorte de commissaire du gouvernement 1. » Ce fut lui qui, de concept avec Marquardsen, proposa de renvoyer les pétitions au chancelier 4. Ludwig Hahn, Ge.scleichte des liulturkanepfes in ,Prev.ssen, in Actenstücke dard. Ludwig Hahn, Ge.M/iieAi'e~M L. Hahn dirigea longtemps la presse officieuse'yM~M<. Ber)in. 1881. M. L. Hahn dirigea tongtemps [a. presse officieuse auemande, et son ouvrage, incomplet fort souvent, se ressent de cette préoccupation de défendre et d'approuver toujours les actes du gouvernement.
en priant « le gouvernement de déposer un projet de loi qui réglementerait la situation des congrégations et ordres religieux et placerait sous le coup de pénalités rigoureuses leur activité dangereuse, notamment celle de la Compagnie de Jésus. » Cet ordre du jour fat adopté à une forte majorité.
Le gouvernement, muni des pleins pouvoirs du Reichstag, prépara aussitôt un projet de loi sur les congrégations, et le présenta au Parlement quinze jours à peine après ce vote. La discussion eut lieu le Hjuin.
On répéta de part et d'autre les accusations et les louanges si souvent entendues déjà sur cet ordre qui, selon l'expression de Lacordaire, « n'a trouvé le plus souvent que des détracteurs insensés ou des panégyristes exaltés ». Le projet du gouvernement ne fut pas adopté. On le trouvait trop vague et trop arbitraire. Il déclarait en effet qu'il pouvait être interdit à un membre de l'ordre des jésuites ou d'une congrégation qui y serait affiliée de résider sur le territoire de l'Empire même s'il possédait l'indigénat allemand. Le Bundesrath était chargé de prendre toutes les mesures nécessaires pour l'exécution de la loi. Ce texte adopté en première lecture, mais difficilement, fut remplacé à la seconde (17 juin) par un amendement proposé par les conservateurs libres, qui était ainsi conçu
Article 1' L'ordre de la Société de Jésus et les ordres qui lui sont affiliés ainsi que les congrégations semblables sont dissous sur le territoire de l'Empire allemand. La fondation de nouveaux établissements est interdite et les établissements actuellement existants devront être dissous dans un délai que fixera le Bundesrath et qui ne devra pas dépasser six mois.
2. Les membres de la Société de Jésus ou des ordres qui lui sont affiliés pourront, s'ils sont étrangers, être expulsés du territoire de l'Empire s'ils sont indigènes, le séjour dans certains districts et dans certaines localités peut leur être interdit ou imposé. 3. Les règlements devant assurer l'exécution complète de la loi seront faits par le Bundesrath.
183 députés votèrent cette loi, tandis que la minorité était de 101 membres.
Au centre s'étaient joints les Polonais, une partie des progressistes et quelques nationaux libéraux, entre autres Kanngiesser et Lasker qui commençait sa rupture avec le chancelier.
Le 4 juillet 1872, la loi contre les jésuites était promulguée comme loi d'empire et, dès le lendemain, le Bundesrath déclarait qu'en vertu de la loi du 4 juillet 1872, tout ministère soit dans une église, soit dans une école, était interdit aux jésuites; leurs établissements devaient être
dissous dans les six mois et toute infraction à la loi serait poursuivie devant le tribunal correctionnel.
Plusieurs mois après, un décret du 20 mai 1873 appliquait ces mêmes pénalités aux ordres soi-disant affiliés aux jésuites et qui étaient, d'après le chancelier, les rédemptoristes, les lazaristes, les prêtres du Saint-Esprit et les dames du Sacré-Cœur. En vertu de la dictature encore existante en Alsace-Lorraine, le prince de Bismark étendit à ces deux provinces l'effet de ces décrets. A la suite d'un discours prononcé par Pie IX en recevant des pèlerins allemands le 24 juin, les relations diplomatiques furent rompues entre Rome et Berlin. Le pape avait dit « Nous nous trouvons sous le coup d'une persécution depuis longtemps préparée, mais qui ne se fait sentir que maintenant. C'est le premier ministre d'un gouvernement puissant qui après les succès victorieux des champs de bataille s'est mis à la tète de cette persécution. Je lui ai fait savoir qu'un triomphe sans modération n'a pas de durée, qu'un triomphe qui s'engage contre la vérité et l'Église est la plus grande folie. Qui sait si bientôt une petite pierre ne se détachera pas des hauteurs pour briser les pieds d'argile du colosse? Si Dieu veut pourtant que de nouvelles poursuites arrivent, l'Église n'a pas de crainte. Au contraire! Dans les persécutions elle sera purifiée, fortifiée et entourée d'une beauté nouvelle. » On voulut y voir une provocation ,et une insulte à l'Empereur et au chancelier. Le lendemain du vote de la loi sur les jésuites, le Reichstag avait clos sa session; il n'allait plus d'ailleurs avoir à s'occuper que par extraordinaire des questions religieuses. Le chancelier avait tenu à ce que l'impulsion dans cette circonstance vînt du Parlement de l'Empire, mais il allait maintenant s'adresser au Landtag prussien pour pousser la lutte avec plus de vigueur. D'ailleurs la Chambre prussienne ne se montrait pas en retard. Dès le mois de décembre 1871, le ministre des cultes, M. de Miihier, avait proposé un projet de loi ôtant l'inspection des établissements d'instruction et d'éducation aux membres du clergé. D'après la législation antérieure, le curé ou le pasteur exerçait les fonctions d'inspecteur comme président du comité des pères de famille de la commune. Ce droit leur était enlevé; mais ce projet avait tellement irrité les catholiques et même un grand nombre de protestants, que le ministre, qui l'avait proposé, déclara à l'Empereur qu'il n'aurait pas le courage de le défendre et donna sa démission (20 décembre). Il fut remplacé le 17 janvier 1872 par le Dr Falk, membre du Bundesrath, qui arrivait au ministère sans scrupule et bien décidé à suivre jusqu'au bout le chancelier dans la voie où il s'était engagé. Le prince de Bismark intervint dans la discussion et prononça une véritable diatribe contre le clergé catholique. La loi
promulguée le 11 mars 1872 décidait dans ses dispositions essentielles Article 1" « La surveillance de tous les établissements d'instruction et d'éducation publics et privés incombe à l'État. Toutes les autorités et tous les fonctionnaires chargés de cette surveillance agissent par ordre de l'État. 2. La nomination des inspecteurs locaux et de cercle, ainsi que la délimitation de leurs ressorts, appartient à l'État. ? A la suite de cette loi, presque tous les prêtres exerçant les fonctions d'ins.pecteurs en furent déchargés. Le D-- Falk montra une grande rigueur dans l'exécution de ces décrets. Reprenant le conflit presque calmé qui s'était élevé avec l'évoque d'Ermeland au sujet du Dr Wollmann, il rendit le 29 février un arrêté général autorisant les élèves à ne pas suivre le cours de religion dans les établissements supérieurs d'instruction publique, pourvu qu'il y eût un motif raisonnable invoqué. Il semblerait qu'une telle mesure aurait dû faire cesser tout conflit; il n'en fut rien, car le ministre demanda à l'évêque de relever le D' WoUmann et le D'' Micheiis de l'excommunication majeure dont ils avaient été frappés te 4 juillet précédent. « L'évêque, était-il dit dans cette lettre du ti mars 1872, a outrepassé les limites que le droit prussien accorde à sa fonction. Il était donc invité à faire cesser la contradiction qui existait entre les lois du pays et les décrets de censure. » Mgr Krementx répondit qu'il ne voyait aucune contradiction entre des pénalités purement spirituelles et les lois prussiennes, mais que .s'it y avait conflit, il n'était pas en son pouvoir de le trancher. Le 21 mai 1872, le ministre écrivit une nouvelle lettre, cita des textes et réclama de l'évêque « la déclaration immédiate qn'il était disposé à observer toutes les lois de l'État, dans toute leur étendue)). La correspondance continua quelque temps encore devenant de plus en plus aigre. Il devait y avoir dans le courant de l'automne de grandes fêtes à Marienbourg, dans le diocèse d'Ermeland, à l'occasion de l'anniversaire de l'annexion de la province au royaume de Prusse, et l'Empereur avait promis de s'y rendre. Mgr Krementz demanda l'autorisation d'aller porter personnellement à Sa Majesté l'expression de ses sentiments de fidélité et de dévouement, ainsi que ceux de son clergé. Le prince de Bismark, après avoir répondu f9 septembre) que l'évêque avait désobéi aux lois du pays en prononçant l'excommunication majeure à l'insu du gouvernement contre un sujet de Sa Majesté le roi, exigeait que l'évêque reconnût le fait en présence du souverain. Mgr Krementz répondit directement à l'Empereur qu'it se voyait forcé de ne pouvoir se rendre à Marienbourg. Un décret du 2g septembre frappa d'interdiction le temporel de l'évêché, et toutes les juridictions auxquelles s'adressa Mgr Krementz pour obtenir la mainlevée de cette opposition se déclarèrent incompétentes. Ce conflit se
termina quelques années après par la déposition et l'emprisonnement de l'évêque. En même temps, le ministre de la guerre suspendit (28 mai.), puis révoqua le grand aumônier Mgr Namzanowski, pour avoir refusé de célébrer le service divin dans l'église Saint-Pantaléon de Cologne, qui avait été accordée aux vieux catholiques. Mais toutes ces mesures administratives étaient parfois d'une légalité discutable, et si elles n'étaient, pas en contradiction formelle avec les lois, on était souvent obligé d'ergoter sur des textes pour s'en servir comme considérants. Le gouvernement vit qu'il était indispensable de reviser les lois qui réglaient les questions religieuses, et le discours du trône annonça à l'ouverture de la session du Landtag (12 novembre 1872) que l'on « étudierait des projets de loi destinés à éclaircir la question des relations de l'État avec les sociétés religieuses ». Huit jours s'étaient à peine écoulés que le docteur Falk déposait un projet de loi fixant les limites dans lesquelles devrait s'exercer le droit de discipline et de censure; puis, deux mois après, le 9 janvier, il proposait trois nouvelles lois sur l'exercice du pouvoir disciplinaire, sur la préparation et la nomination des ecclésiastiques et sur la sortie de l'Eglise. La première lecture de ces projets eut lieu le 16. M. Pierre Reichensperger déclara aussitôt que ces projets étaient en contradiction formelle avec la constitution prussienne. Les débats furent longs et violents, quoique le centre se soit peu engagé dans la lutte. C'est dans une des séances de cette discussion, le 17 janvier, que le célèbre anthropologiste, le docteur Virchow, député progressiste de Berlin, déclara qu'il voterait le projet, malgré la grande puissance qu'il accordait au ministère, parce qu'il était convaincu que dans ce conllit il s'agissait d'une lutte pour la civilisation » (Kutturkampf). Le mot fut employé d'abord d'une façon ironique par les catholiques, puis peu à peu adopté par tous, il servit à désigner l'ensemble des mesures religieuses prises par le gouvernement.
Une commission composée de 21 membres fut nommée pour examiner le projet le centre y avait envoyé trois de ses membres, Mallinckrodt, Aug. Reichensperger et le député hanovrien protestant, D' Bruel. Bennigsen en fut élu président, et Gneist, rapporteur. Dès le début de son travail, elle dut reconnaître le bien fondé des observations de P. Reichensperger les lois proposées étaient bien réellement contraires à la constitution. On jugea l'obstacle facile à surmonter et le même Gneist qui, durant le conflit constitutionnel de 1862-1866. s'était montré le défenseur si jaloux de la constitution, fut le premier à proposer sa revision. Le 31 janvier, le Landtag modifiait les articles 18 et 18 de la constitution prussienne du 31 janvier 1851, de telle sorte que la liberté de l'Église n'était plus garantie par la consti-
tution, mais était à la merci de la législation. D'après cette modification en effet les Églises évangélique et catholique romaine restaient soumises aux lois de l'État et à sa surveillance telle qu'elle est « organisée par la loi », et le § 8, préparant les voies a~ projetsannoncés, se terminait ainsi « La loi règle d'ailleurs les droits de 1 h at touchant la préparation, la nomination et la révocation des ecctésias tiques et des serviteurs de l'Église et fixe les limites du~onvoir disciplinaire de l'Église. » P°"'
Cette modification ne fut votée qu'avec peine à la Chambre des seigneurs. La discussion fut longue, et trois ministres durent intervenir. Le général comte de Roon, ministre de la guerre, avait re~ ace~e janvier, à la présidence du conseil le prince de Bismarck, qui s'était retiré disait-il, pour cause de santé ce ne fut pourtant pas lui qui ouvrit les débats, mais le chancelier lui-même que deux mois de repos avaient complètement remis. Dans son discours du 10 mars, il n'accusait plus, comme dans celui du 30 janvier 1872, le parti du centre d'avoir commencé la lutte. il reprenait les choses de plus haut et trouvait l'origine de ce conflit dans les plus lointains souvenirs de l'histoire ou même de la fable « La question où nous sommes engagés est essentiellement politique. Il ne s'agit pas, comme on l'a fait croire à nos compatriotes catholiques, de la lutte d'une dynastie évangélique contre l'aise catholique, il ne s'agit pas de la lutte pour la foi ou l'incrédulité; il s'agit de l'antique conflit de pouvoir aussi vieux que l'espèce humaine, du conflit de pouvoir entre la royauté et la prêtrise, du conflit de pouvoir qui est beaucoup plus ancien que la venue de Notre-Sauveur en ce monde, du conflit de pouvoir qu'Agamemnon en Aulide eut à soutenir contre ses prophètes, qui lui 00~ et empêcha les Grecs de mettre à la voile, etc. » Plus loin, il disait que la papauté était une puissance politique poursuivant continuellement le même but, l'assujettissement du pouvoir séculier au pouvoir religieux. « La lutte du prêtre contre le roi, continuait-il, et dans le cas présent, la lutte du pape contre l'Empereur, telle que nous l'avons déjà vue au moyen-âge, doit être jugée comme toute autre lutte; elle a ses conclusions de paix, elle a ses temps d'arrêt elle a ses armistices. Aussi ce conflit de pouvoir est soumis aux mêmes conditions que toute autre lutte poHtique. On déplace la question en laconsidérant comme une persécution de l'Église. s'agit de la défense de l'État il faut délimiter jusqu'où doit aller le pouvoir des Drêtres jusqu'où celui du roi. Et cette délimitation doit être faite de telle sorte e que de son côté l'État puisse subsister dans ces limites cardes l'empire de ce monde il a le pouvoir et la préséance.. » Le lendemain, le général de Roon répondit aux orateurs qui avaient attaqué le projet,
s'efforçant surtout d'amener les quelques protestants qui, dans cette circonstance, avaient fait alliance avec les catholiques, à rompre cette alliance et à voter la modification de la constitution. Son discours s'occupe beaucoup de l'infaillibilité, de « cette infaillibilité qui, revendiquée par un homme, est devenue la cause déterminante de la lutte où nous sommes engagés D il cherche à exciter les méfiances confessionnelles et en arrive à prononcer cette phrase que les orateurs catholiques ne manquèrent pas de relever « Je comprends les craintes des fanatiques catholiques, mais non celles des protestants. A mon avis l'Église évangélique n'a rien à redouter de ces !ois. M Les orateurs catholiques furent les comtes Galen, Brühl, Landsberg, etc. Ils reprirent les arguments dont s'était servi le 30 janvier au Landtag M. Pierre Reichensperger. Avec sa science juridique et son talent oratoire, celui-ci avait du premier coup épuisé la question. Le ministre des cultes, IeD''Fa!k riposta en déclarant que la situation faite à l'Église par la constitution était intolérable pour t'État et qu'il importait d'établir les droits du gouvernement d'une façon stable et définitive.
Le projet ne fut voté qu'avec 30 voix de majorité, grâce aux 2i. membres nouveaux de la Chambre des seigneurs. Le 30 novembre précédent en effet, le gouvernement, voyant qu'il ne pourrait pas faire voter un projet relatif à une nouvelle délimitation des districts dans les provinces de l'Ouest, parce qu'il ne respectait pas un certain nombre de droits féodaux encore existants, avait, par une fournée de nouveaux membres, assuré le succès de ses projets. Dès le lendemain du vote des nouveaux articles de la constitution (5 avril 1873) ils avaient reçu la signature royale et étaient promulgués. L'on pouvait maintenant voter les lois proposées sans se heurter au reproche qu'elles étaient contraires à la constitution. D'ailleurs la Chambre des députés n'avait pas attendu; pendant qu'on discutait encore à la Chambre des seigneurs, elle avait commencé l'examen des quatre projets qui lui étaient soumis; et, le 20 mars, ils étaient adoptés sans grande discussion. Le centre jugeait la partie perdue d'avance et se contentait de temps à autre de faire des déclarations de principes. A la Chambre des seigneurs, la discussion, commencée après les vacances de Pâques, le 24 avril, fut plus longue et plus pénible. Ainsi que lors du vote sur la revision de la constitution, un grand nombre de députés protestants et de conservateurs vinrent apporter au centre l'appui de leur parole et de leurs votes. A côté des orateurs catholiques, les comtes Bruhl, Hompesch, de Landsberg, etc., nous trouvons parmi les adversaires du projet, et non des moins violents, M. de Witzleben, le Dr de Gruner, l'ancien secrétaire d'État au ministère des affaires étrangères, puis surtout le baron de ManteuHe), A. T(H:E II.
l'ancien président du conseil, à qui le prince de Bismark envoyait de si intéressantes lettres lorsqu'il était à la diète de Francfort, etc. Le chancelier dut soutenir le général de Roon et Je D' Falk. Sans s'occuper à fond de la question législative, il prononça une véritable philippique contre le centre, qui était un danger pour l'État « Tous les sujets fidèles du roi, disait-il, tous les partisans de l'État prussien dans lequel nous vivons, doivent s'unir contre ces adversaires. » Chaque article fut vivement discuté, et l'on parvint à introduire quelques légères modifications adoucissant un peu le projet primitif. Les lois ainsi amendées revinrent le 9 mai à la Chambre des députés aucun orateur ne vint les défendre, et après les protestations de Malinckrodt, Schorlemer-Alst, etc., elles furent adoptées par assis et levé. Les il, 12, 13 et 14 mai, elles recevaient la sanction royale. La première de ces lois, comprenant 39 articles, règle la préparation et la nomination des ecclésiastiques Aucun emploi ecclésiastique ne peut être donné qu'a un sujet allemand dont la personne a été agréée parle gouvernement (art. l*~). H.doit avoir reçu une éducation classique complète, constatée par l'examen de sortie d'un gymnase (Abiturientenexamen et avoir étudié durant trois ans dans une université (art. 4). Après ses études théologiques, il doit en outre subir un examen officiel et public afin de savoir s'il a acquis les connaissances scientifiques générales qu'exige sa profession, spécialement dans le domaine de la philosophie, de l'histoire et de la littérature allemande (art. 8). Les petits séminaires étaient supprimés par le fait qu'il était défendu d'en ouvrir de nouveaux et qu'il était interdit aux établissements existants de recevoir de nouveaux élèves sous peine de fermeture immédiate (art. 14). Quant à ce qui regarde la nomination d'un prêtre à un poste quelconque, son supérieur doit notifier cette nomination au président supérieur qui peut, dans les trente jours, y mettre opposition non seulement lorsque le candidat ne remplit pas les conditions légales susmentionnées, mais lorsqu'il existe contre lui des faits qui autorisent à penser qu'il n'observera pas les lois de l'Etat ou les dispositions légales de l'autorité, ou qu'il troublera la paix publique (art. 15, 16). Les paroisses où il y a un desservant révocable devaient être pourvues de titulaires inamovibles dans le délai d'un an. Toute violation de la loi était punie par la suppression du traitementet par des amendes pouvant aller jusqu'à 1,000 thalers. De plus la menace et l'application 1. L't'K~'Mc~on et l'éducation du c~re, étude comparative des principes catholiques et des exigences formulées dans les lois de mai, par Irenée Themistor. Trèves, Dasbach, 1884. On dit que le pseudonyme d'Irenée Themistor cache i'éveque de Trèves.
de la peine peuvent être renouvelées jusqu'à ce qu'il soit satisfait à la loi (art. 18).
La seconde loi (12 mai) institue une cour royale pour les affaires ecclésiastiques, qui a son siège à Berlin, et lui confère un pouvoir absolu sur les questions religieuses en Allemagne. Cette cour devait, aux yeux de ses auteurs, remplacer le pape dans les affaires disciplinaires. Ses pouvoirs étaient même plus étendus que ceux du Saint-Père, puisqu'elle pouvait déposer les évêques à la moindre infraction aux lois, tandis qu'il faut des motifs extraordinaires pour que le pape agisse de la sorte. C'est elle qui doit connaître tous les appels formés contre des autorités ecclésiastiques ayant prononcé des peines disciplinaires (révocation, suspension, envoi dans une maison de retraite, ~eMe~~eMAustall), soit sans qu'il y ait eu procédure irrégulière, soit pour omission de certaines formalités. L'appel peut être fait, soit par l'ecclésiastique frappé, soit, quand l'intérêt public est en jeu, par ic présiden 1; supérieur lui-même.
La loi du t3 mai est le corollaire de la précédente et limite l'emploi des moyens de punition et de correction ecclésiastiques à l'égard des membres laïques de l'Église. Il n'est permis d'employer que des peines purement spirituelles et ne frappant ni la fortune, ni la liberté, ni l'honneur civil. De plus, ces peines ne peuvent être prononcées à cause d'un acte commandé par la loi et on ne peut en menacer dans le but d'amener par là l'omission d'un acte exigé par les lois ou les ordonnances des autorités publiques. Le prononcé de ces peines ne peut être rendu public que parmi les membres de la communauté, et encore ne doit-il pas revêtir un caractère outrageant.
La dernière des lois de mai est la moins importante. Elle détermine les formalités à remplir par celui qui désire changer de confession religieuse. Elle facilite la sortie de l'Église et décharge les propriétaires juifs de biens-fonds de l'obligation qui leur avait été imposée de contribuer à l'entretien des Églises chrétiennes. Aucune discussion sérieuse n'avait marqué le vote de cette loi, les catholiques s'étant déclarés prêts à voter pour tout ce qui augmenterait la liberté individuelle.
Le jour du vote final de ces lois, le baron de Schorlemer-Alst, le grand propriétaire westphalien qui fonda la ligue des paysans et en tira son surnom de « roi des paysans », s'était écrié « Ces lois ne seront jamais exécutées, jamais nous ne nous inclinerons, car elles blessent notre conscience », et M. Windhorst avait ajouté « Nous devons, nous voulons y opposer et nous y opposerons la résistance passive et légitime. »Les protestations ne tardèrent pas à se produire ce furent d'abord les évêques qui adressèrent le 26 mai une lettre collective au gouver-
nement, disant « qu'ils se voient dans la cruelle obligation de déclarer qu'ils ne peuvent pas obéir aux lois promulguées. L'Église en effet ne peut, sans nier la divinité du Christ et le caractère divin de son enseignement et de son œuvre, sans rendre le christianisme même dépendant du bon plaisir des hommes, reconnaître le principe de l'État païen d'après lequel les lois civiles sont la source de tout droit et l'Église ne possède que les droits que lui accordent la législation et la constitution de l'Etat. » Ils indiquaient ensuite rapidement les divers points où les lois étaient en contradiction avec la doctrine de l'Église, sujet qu'ils avaient déjà traité dans une lettre pastorale datée de Fulda, le 2 mai, avant la promulgation des lois. Ils avaient fait ressortir jusqu'à quel point le gouvernement se mêlait de la vie la plus intime de l'Église, puisqu'il réglementait même des questions de doctrine, décrétant les conditions sous lesquelles l'excommunication serait ou non licite, et faisait des onze laïques de la cour royale les juges suprêmes en des matières qui ne relèvent que du pouvoir spirituel. Au point de, vue pratique, les évêques cherchèrent a prendre des mesures pour éluder ces lois, mais le gouvernement veillait à leur exécution et les circulaires se succédaient sans relâche pour régler les plus minimes points de détail et éviter toute fraude. On retient les dotations des écoles de théologie, en attendant qu'on ferme ces établissements. L'archevêque de Cologne, ayant publié dans le journat officiel de l'évêché l'excommunication prononcée contre deux prêtres, fut traduit devant la cour et condamné à une amende. Monseigneur Martin, évêque de Paderborn, avait été condamné à lever la suspension dont il avait frappé un prêtre de son diocèse. Naturellement il refusa d'obéir et fut condamné à une amende. Comme il avait en même temps refusé d'obtempérer aux ordres du président supérieur de Westphalie, qui lui avait commandé de pourvoir certaines charges de titulaires définitifs, le total de ses condamnations s'éleva à la somme de plus de 15,000 thalers (86.2SO fr.). Le etergé inférieur fut aussi durement poursuivi. Tout prêtre faisant un acte quelconque de son ministère en dehors de la paroisse où il était régulièrement attitré tombait sous le coup de la loi. Le fait d'avoir dit la messe, d'avoir entendu une confession, etc entraînait une peine. Les condamnés ref'jsaient de payer, il s'ensuivait des saisies, des ventes, qui troublaient profondément les populations. Puis, si le produit de la saisie ne couvrait pas le montant de l'amende, le. prêtre condamné devait aller en prison.
Le pape, ému de cette situation douloureuse de l'Eglise d'Allemagne, voulut tenter une dernière démarche et s'adressa directement à l'Empereur, par une lettre autographe du 7 aoùt 1873. Feignant de croire
que l'Empereur désapprouvait les dernières lois, il en rejetait toute la responsabilité sur les ministres. Il voulait « espérer que le gouvernement prussien ne s'engagerait pas plus avant dans cette voie, qui serait néfaste pour le trône ». Sa lettre se terminait en disant que son devoir lui imposait de dire la vérité même aux non-catholiques.«D'ailleurs, ajoutait-il, tous ceux qui ont été baptisés relèvent du pape d'une manière qu'il n'y a pas lieu d'examiner ici. » La réponse de l'Empereur était longue. Il commençait par revendiquer la responsabilité des actes de son gouvernement. Si le pape était mieux renseigné sur les affaires d'Allemagne, il saurait que rien ne peut se faire sans son -assentiment. Puis il se plaignait, en termes amers, de la conduite du clergé et des catholiques allemands, qui, depuis deux ans, troublaient la paix religieuse. Mais il voulait espérer que le pape, mieux informé de la situation en Allemagne, userait de son autorité pour mettre fin à cette agitation. A la fin de sa lettre, il repoussait ce que Pie IX avait dit au sujet du baptême. « Les croyances évangéliques que je professe ne nous permettent pas de prendre dans nos rapports avec Dieu d'autre intermédiaire que Jésus.Christ. » Cette correspondance mit fin .a. tout rapport entre la cour de Berlin et le Vatican. On dit cependant que le pape ne laissa pas la lettre de l'Empereur sans réponse, mais aucun document ne fut publié à ce sujet.
Les élections pour le Landtag approchaient. Le gouvernement fit distribuer à profusion les lettres du pape et de l'Empereur afin de bien montrer aux électeurs que l'Église cherchait à se placer audessus du pouvoir civil. En même temps, le ministre des cultes (24 octobre) envoyait une circulaire pour faire poursuivre les contrevenants aux lois de mai avec plus de rigueur encore. Dans le cas où l'emprisonnement serait nécessaire, il ne faudrait pas reculer quelle que soit la position du prêtre poursuivi en un mot, il fallait appliquer la loi «dans toute sa rigueur et sa sévérité ». Le résultat ne fut pas celui auquel on s'attendait. Le parti catholique, merveilleusement organisé dans toute la Prusse, vit le nombre de ses députés au Landtag monter de 50 à 90 (4 novembre). Le même fait se produisit le 10 janvier 1874 aux élections pour le Reichstag, et la fraction du centre comprit 91 membres au lieu de 63.
Dès la rentrée, le Landtag fut saisi d'un projet de loi concernant le mariage civil. La tenue des registres de l'état civil appartenait dans .tout le royaume, sauf sur les bords du Rhin où le code Napoléon est en vigueur, aux ministres des différents cultes. A la suite des lois de mai, un certain nombre de prêtres, ayant été déposés par l'autorité .civile, n'en avaient pas moins célébré des mariages, mais les tribunaux déclarèrent ces unions nulles de plein droit, comme célébrées
par des personnes n'en ayant pas le pouvoir. De là des complications sérieuses dont il était urgent d'empêcher le retour. D'ailleurs, l'idée d'introduire en Prusse le mariage civil n'était pas nouvelle. Une proposition dans ce sens avait été repoussée le 18 décembre i8i9, grâce à un très violent discours de M. de Bismark, e H espérait, avait-il dit alors, pouvoir vivre assez longtemps pour voir le bateau chargé de fous de notre époque venir se briser contre le rocher de l'Eglise chrétienne. » En i859, 1861, 1869, des propositions dans ce sens furent faites à la Chambre des députés avec des fortunes diverses, mais la Chambre des seigneurs les repoussa toujours. Enfin, au commencement de décembre 1873, le gouvernement déposa un projet de loi rendant le mariage civil obligatoire. Les orateurs catholiques, secondés par MM. Bruel et de Gerlach à la Chambre des députés et par M. de Kleist-Redow à la Chambre des seigneurs, prétendaient que le projet ôtait aux ministres des cultes une influence salutaire et se mettait en opposition avec des mœurs et des usages fortement enracinés. Le Dr Falk s'attacha à prouver surtout les avantages qui découleraient de la nouvelle loi, et montra par des statistiques tirées des pays allemands où le mariage civil existait déjà, que les intérêts religieux n'auraient pas à souffrir du nouvel état de choses. Le prince de Bismark examina la question sous un autre point de vue et déclara que le conflit grave, existant entre l'État et l'Eglise catholique, était la véritable raison d'être du projet. Il importait d'ôter aux ministres de ce culte toute ingérence dans les fonctions civiles. Comme on pensait qu'il serait difficile de trouver dans chaque commune un homme capable de tenir les registres de l'état civil, le projet primitif autorisaii, ie choix exceptionnel des ecclésiastiques. Différents amendements furent présentés et vivement soutenus pour y substituer au contraire une interdiction formelle; mais, combattus par le gouvernement, its furent repoussés par le Landtag. La Chambre haute déclara cependant (art. 4) que les ecclésiastiques ne pourraient jamais être choisis, et ce paragraphe passa dans la loi qui fut promulguée le 9 mars 1874. La mort de l'évêque de Fulda avait déterminé le gouvernement à ne vouloir reconnaître comme successeur qu'un évoque qui se déclarerait prêt à obéir aux lois religieuses et à cesser toute opposition. Pour arriver à ce but, un arrêté royal du 6 décembre 1873 modifia le serment que les évéques devaient prêter entre les mains du souverain, en y insérant l'engagement d'observer scrupuleusement toutes les lois de l'État. Aucun ecclésiastique ne consentit à prêter ce serment, et le siège de Fulda resta vacant. Peu de temps après, un autre évêché devait être privé de son titulaire, mais d'une .façon anormale qui allait aggraver encore la situation.
Un décret ministériel avait décidé que l'instruction aurait lieu en allemand dans toutes les écoles des provinces polonaises et que même les professeurs de religion devraient se soumettre à cette prescription. L'archevêque de Posen, Mgr Ledochowski, avait, en dépit de cet arrêté, donné aux prêtres de son diocèse l'ordre d'enseigner le catéchisme en langue polonaise là où le polonais était la langue courante, c'est-à-dire presque partout. A la suit3 de cette décision, une longue correspondance s'engagea entre le ministre des cultes et l'archevêque. Mgr Ledochowski avait été jadis persona ~'a<s à Berlin, mais depuis la guerre, depuis sa visite a Versailles, les sentiments du gouvernement avaient change à son égard. Le chancelier lui avait reproché le titre de primat de Pologne que le pape lui avait conféré, et qui, disait-on, rappelait trop l'ancienne nationalité polonaise. Mais à mesure que le conflit s'accentuait, l'archevêque devenait plus populaire; lui qui, après sa nomination à l'archevêché de Posen, ne pouvait sortir de son palais sans avoir il craindre les insultes ou le mépris des passants, était adoré maintenant par le peuple. Et cette popularité croissante ne contribuait pas peu à augmenter le mécontentement du pouvoir. Le conflit devint tellement aigu que le 24 novembre le président supérieur du grand-duché de Posen somma Mgr Ledochowski de se démettre de ses fonctions archiépiscopales. Sur le refus de l'archevêque, il fut traduit devant les tribunaux qui le condamnèrent à de fortes amendes. Le mobilier de l'archevêque fut saisi le 31 décembre et, après la vente, une somme de 16,000 thalers était encore réclamée par le fisc. Le 3 février au matin, l'archevêque fut arrêté etconduit à la prison d'Ostrowo. Peu de jours après, l'évêque de Trèves (7 mars) et l'archevêque de Cologne (31 mars) étaient arrêtés à leur tour pour des motifs analogues et emprisonnés. Mais l'affaire ne devait pas en rester la pour Mgr Ledochowski. Traduit devant la cour royale des affaires ecclésiastiques, il fut déposé de ses fonctions (15 avril) en vertu de l'art. 2~ de la loi du 12 mai 1873. Mais alors le gouvernement se trouva très embarrassé le chapitre refusa de pourvoir à la nomination d'un nouvel archevêque et de considérer le siège comme vacant; or aucune loi ne permettait à l'État de s'insérer dans cette affaire. Aussi proposa-t-on aux Chambres deux lois interprétatives des lois précédentes. La raison d'être de ces mesures et le but a atteindre étaient clairement indiqués dans l'exposé des motifs. Pour la première loi, il était dit que, par suite de la révocation prononcée contre un évêque, il était nécessaire d'envisager les différentes éventualités que cet événement pouvait faire naître, et qu'étant donnée la position que l'épiscopat et les fidèles avaient prise par rapport aux lois indiquées, il y avait à craindre que dans cette
résistance aux lois de l'État on allât jusqu'à refuser de reconnaître la décision de la cour royale et d'en accepter les effets. Nous avons vu que le gouvernement prévoyait juste, puisque le chapitre de Posen agissait de la sorte au moment même où les lois étaient proposées. L'opposition fut très vive dans la Chambre. M. Windhorst s'éleva avec vigueur contre l'immixtion de l'Etat dans des questions purement intérieures « De quel droit et de quelle autorité déposez-vous les évoques ? ils tiennent le pouvoir non des gouvernements, mais de Dieu même u et, répondant aux exclamations que ces paroles soulevaient sur les bancs des nationaux libéraux « Vous ne connaissez:-pas notre Eglise, vous ne connaissez pas nos croyances et vous voulez vous mêler de la constitution même de notre Église et réglementer nos dogmes. Mais nous n'admettrons jamais la révocation d'un évoque faite par vous comme valable et nous considérerons toujours l'évêque révoqué comme investi de ses fonctions. » Le ministre des cultes, le D' Falk, soutint dans les deux Chambres que les catholiques jetaient le trouble dans le pays et prêchaient ouvertement la rébellion, et que le gouvernement ne faisait que son devoir en cherchant à les contraindre à l'obéissance. C'était la même thèse que l'Empereur avait soutenue en écrivant à lord Russel le 18 février, en réponse à une adresse d'un congrès de protestants anglais félicitant l'Empereur d'avoir entrepris la lutte contre Rome.
La première loi, votée le 5 mai par 257 voix contre 95 (promulguée le 21), oblige tout prêtre exerçant les droits ou fonctions épiscopales après la vacance d'un siège (qu'il soit évêque ou simplement vicaire capitulaire, peu importe), à prêter serment aux lois sous peine d'un emprisonnement de six mois à deux ans. La même pénalité est applicable au mandataire personnel de l'évêque qui n'a pas l'autorisation du gouvernement. Enfin lorsque, dans les 10 jours après la vacance, un vicaire capitulaire n'aura pas été nommé, le ministre des affaires ecclésiastiques enverra un commissaire civil pour administrer le temporel de l'évêché.
La seconde loi, promulguée le 21 mai, interprète quelques points douteux de la loi du 11 mai 1873 et « établit quelques prescriptions complémentaires, soit pour empêcher d'éluder la loi comme on l'a essayé, soit pour en assurer l'action vis-à-vis de l'opposition toujours croissante, par l'institution de moyens de défense plus énergiques ». Dans le cas par exemple où une cure serait laissée sans desservant, le temporel serait aussitôt mis sous séquestre et les « patrons » ou la commune auraient le droit de pourvoir eux-mêmes à la réoccupation des places vacantes. Il ne se trouva aucune commune pour user de ce
droit, et il n'y eut qu'en Silésie et en Posnanie où quelques patrons non catholiques nommèrent des curés t/&Va<.
C'était pour atteindre le même but que le chancelier fit proposer en même temps une loi de répression relative à l'exercice illégal des fonctions ecclésiastiques. Mais cette fois pour donner une plus grande importance à la loi, ce ne fut pas le Landtag prussien qni en fut saisi, mais bien le Reichstag. La loi d'exception devait être une loi impériale. Elle est bien une des plus rigoureuses que vota le Parlement allemand et, sur plus d'un point, dépasse en sévérité les lois sur les socialistes.
La discussion dura deux jours (21 et 23 avril). Ce fut là que Mallinckrodt prononça son dernier discours peu de jours avant d'être brusquement enlevé par une fluxion de poitrine, laissant le souvenir d'un des meilleurs orateurs que l'Allemagne parlementaire ait possédés et ce discours fut le plus beau et le plus entraînant qu'il ait prononcé. Laissant de côté les points de détails, il passa rapidement en revue les événements des dernières années et fit un tableau saisissant de la situation actuelle de l'Église. Sa péroraison impressionna ses adversaires eux-mêmes « C'est un fait étrange que les souffrances engendrent le désir de souffrir. Ah [ vous avez cru peut-être que nos évêques reculeraient devant les amendes, la prison, l'exil. Voyez avec quel joyeux empressement ils courent au-devant des persécutions. Les prêtres suivent cet exemple et les laïques marcheront, s'il le faut, sur leurs traces. Tous vos expédients se trouvent impuissants, toutes vos armes émoussées. Il vous faudra en forger de plus tranchantes. Il est temps pour vous d'y songer. Pour nous, en attendant, nous méditons cette parole /c?'MfeMac~MceM. par la souffrance à la lumière!.)) » Après lui, la discussion resta dans les généralités, mais personne n'atteignit son éloquence. La seule chose à relever dans le débat fut le discours purement juridique du commissaire du gouvernement il prétendit que la loi n'était que l'imitation des art. 201, 202, 204 et 208 du code pénal français et d'un article du code pénal espagnol. Seulement la peine du bannissement n'existant pas dans la législation allemande, on la remplaçait par l'expulsion avec perte de nationalité. Car c'en était là que le chancelier était arrivé si un ecclésiastique révoqué par une décision judiciaire faisait un acte impliquant prétention de sa part à continuer d'exercer son ministère, la police pouvait lui interdire ou lui prescrire de résider dans des districts ou. des lieux déterminés. Dans le cas où l'ecclésiastique revendiquerait expressément ou exercerait son ministère d'une façon effective, il pouvait être déclaré .déchu de sa nationalité et expulsé de l'Empire. De même dans le cas .de contravention à un arrêté de résidence.
Les effets de ces lois ne tardèrent pas à se faire sentir de tous côtés des prêtres étaient condamnés à l'amende et à la prison où, mêlés aux condamnés de droit commun, ils étaient astreints aux mêmes travaux; quelques-uns devaient s'expatrier, et le nombre des paroisses qui se trouvaient sans curés allait toujours en augmentant. Mais le moment où la persécution entra dans la période la plus aigüe fut après la tentative d'assassinat qui eut lieu contre le chancelier (23 juillet). Un jeune ouvrier tonnelier de vingt et un ans, nommé Kullmann, tira sur le prince de Bismark à Kissingen, pendant sa promenade, un coup de pistolet qui ne l'atteignit pas. Interrogé sur les mobiles qui l'avaient poussé à ce crime, l'auteur de l'attentat répondit que c'était la persécution religieuse. En examinant sa vie, on apprit qu'il avait fait partie d'une association catholique, d'où sa mauvaise conduite l'avait fait exclure. Il n'en fallut pas plus pour que la presse officieuse tout entière accusât le parti catholique de solidarité avec l'assassin. Le chancelier lui-même le prétendit et le proclama dans un discours. Il s'agissait d'une de ces nombreuses interpellations que les affaires religieuses soulevaient continuellement à la Chambre. Le prince de Bismark, selon son habitude, voulait rendre le ccntre responsable de tout, il l'appela le ~6M'<! de A't<M?KaHM, et aux protestations indignées du centre il répondit « Répudiez cet assassin tant qu'il vous plaira, il s'accroche aux pans de vos habits et vous nomme son parti M (4 décembre 1874).
Une circulaire ministérielle ordonna la dissolution d'un grand nombre d'associations catholiques fort nombreuses en Allemagne il y eut des perquisitions et des arrestations, parce qu'on voulait trouver une conspiration contre le chancelier et établir la complicité des catholiques dans l'attentat de Kissingen. On ne trouva rien, mais les mesures coërcitives ne cessaient pas pour cela. Les procès de presse se multiplièrent un journal, la CenHa~a, reçut en un seul jour 18 citations (H novembre), et l'on profita des vacances parlementaires pour arrêter quelques députés, entre autres l'abbé Paul Majunke, membre du Reichstag et rédacteur de la 6'o'/K<:HM. Mais toutes ces mesures ne suffisaient pas au chancelier, et le printemps f875 vit encore la discussion de nouvelles lois religieuses plus sévères encore et plus dures. C'était sa réponse à l'encyclique adressée le 3 février par Pie IX aux évoques d'Allemagne. Dans ce document, le pape ne gardait plus aucun ménagement et s'élevait avec une grande vigueur contre les lois religieuses de la Prusse. Il annonçait aux fidèles qu'ils n'étaient pas tenus d'obéir à cette législation nulle en soi, puisqu'elle se trouvait en contradiction formelle avec la doctrine et l'institution de l'Église. De plus, les catholiques qui aide-
raient à l'exécution de ces lois étaient excommuniés ipso facto. L'irritation produite par la publication de l'encyclique fut très grande en Allemagne, et le gouvernement profita de la circonstance pour déposer un projet de loi supprimant toute allocation budgétaire aux ecclésiastiques, à moins qu'ils ne s'engageassent par écrit vis-à-vis du gouvernement à obéir aux lois de l'État (22 avril -1875). Les trois lectures du projet soulevèrent de vifs débats à la Chambre des députés. Le chancelier intervint à plusieurs reprises pour répondre aux orateurs de l'opposition. M. Pierre Reichensperger qualifia la loi de loi de MM~MMce et « qui cherchait à réduire le clergé par la famine », puis il s'efforça de démontrer l'odieux et l'iniquité de cette mesure en se basant sur cette déclaration officielle d'un ancien ministre des cultes, M. de Ladenberg « L'État ne saurait supprimer le système existant d'allocations et de subsides, sans un manquement de parole et de foi dont les conséquences retomberaient sur lui-même. » Le prince de Bismark prétendit que l'on n'était tenu de payer le clergé que sous la condition qu'il reconnaîtrait et respecterait les lois de l'État, ce qui n'était plus le cas. « Obéir à Dieu, ajouta-t-il, ne veut pas dire obéir au pape, fourvoyé par les jésuites, plutôt qu'au roi. »
Pendant que le projet était encore en discussion au Landtag, les évêques qui étaient libres se réunirent à Fulda et envoyèrent à l'Empereur une requête collective, le priant de refuser sa sanction à une loi que leur conscience les empêchait de suivre. Le ministre d'État répondit, par ordre de son souverain, que la loi serait promulguée. En même temps on envoya des ordres pour que les prêtres ne touchassent au mois d'avril que le traitement d'un mois au lieu de trois comme de coutume, et en effet, à peine la loi promulguée, les allocations budgétaires furent complètement supprimées (1~ mai). A la Chambre haute, le prince de Bismark ne se contenta pas de parler de l'intérêt de l'État, mais il chercha à animer l'esprit confessionnel en montrant le pape comme « ennemi de l'Évangile et par conséquent de l'État prussien », et en signalant le Kulturkampf comme une phase « de la lutte de la Réforme contre Rome ».
Le 31 mai 1873, une loi supprimait les couvents en Allemagne. Les ordres religieux tant d'hommes que de femmes étaient interdits, sauf les ordres hospitaliers, qui poMM~e~ être autorisés à recevoir de nouveaux membres. Quant aux biens de ces communautés, ils n'étaient pas mis sous séquestre, mais « l'État était chargé de leur conservation et administration ». Au cours de la discussion, Pierre Reichensperger avait adressé à cette mesure le reproche d'être inconstitutionnelle, et aussitôt le chancelier avait demandé la suppression pure et simple des articles 15, 16 et 18 de la constitution prussienne. Les amende-
ments votés en 1873 n'étaient plus suffisants on allait plus loin et on rayait d'un seul coup toutes les garanties qui restaient à l'Église en Prusse (18 juin). La gravite d'un pareil acte n'échappait à per,sonne. Les orateurs catholiques toujours sur la brèche luttèrent .vaillamment, mais en vain. M. Windhorst prétendit que son parti n'était nullement l'instrument passif du pape et ne désirait qu'une chose, c'était la tranquillité que l'on cesse cette politique de tracasseries et de persécutions, et les catholiques seraient satisfaits. On ne releva pas cette proposition de paix, le chancelier n'avait-il pas dit la veille « Nous sommes en présence d'un étranger, d'un Italien, élu par des prélats italiens ou italianisés, poursuivant des intérêts différents des nôtres. Si le pape arrivait à dominer en Prusse, il se ferait un devoir de conscience d'en finir avec les chrétiens évangéliques. Mais, ainsi que le montre l'histoire, un jour viendra où nous aurons un pape pacifique, qui ne voudra pas aspirer à l'omnipotence, mais qui laissera aussi vivre les autres gens tranquilles. C'est avec un pape pareil que je ferai la paix. Ces paroles, il devait les rappeler plus tard, afin de montrer qu'au milieu des vicissitudes de sa politique, sa ligne de conduite n'avait pas changé.
Comme le clergé possède en Allemagne de grands biens, le gouvernement craignit qu'il ne pût éluder les dispositions de la loi du 22 avril 1875 et la rendît ainsi absolument inefficace. Aussi fit-il voter par le Parlement (20 juin) une loi retirant au clergé l'administration indépendante de ses biens, et donnant dans les conseils de fabrique et l'assemblée paroissiale la prépondérance à l'élément laïque sur l'élément religieux. Lors de la discussion, M. Windhorst déclara qu'en présence de cette situation, la séparation complète et absolue de l'Église et de l'État serait bien préférable. Mais M. H. de Sybel développa la théorie du gouvernement, d'après laquelle l'Église est une institution d'État, ses prêtres des fonctionnaires ayant des devoirs envers lui, même lorsqu'ils ne sont pas payés, et que la liberté religieuse telle qu'elle existe en Angleterre et en Amérique ne pouvait exister en Prusse. Chose singulière, cette loi qui avait, avant sa promulgation, soulevé les colères du centre (à la troisième lecture 5 orateurs parlèrent contre elle tandis qu'aucun député ne la défendit), ne souleva aucune opposition parmi les catholiques c'est la seule des lois religieuses de cette époque qui eut. cette fortune. Les évoques, tout en se rendant compte des tendances sécularisatrices de ce texte, eurent confiance dans l'esprit religieux des communes catholiques et donnèrent au clergé des instructions pour faciliter l'application de ces mesures. Le pape avait approuvé cette conduite et les catholiques allemands n'eurent pas à s'en plaindre.
Les débats sur la cinquième loi (4 juillet) ne furent pas intéressants. Il s'agissait d'un projet émanant de l'initiative parlementaire, mais ayant l'assentiment tacite du gouvernement, et qui avait pour but d'accorder aux vieux ratholiques la jouissance et la co-propriété des paroisses catholiques romaines. « Ce fut d'abord, dit la Gazette de /'raMc/b~ du 4 mai racontant cette séance, ce fut d'abord un dialogue entre vieux catholiques et ultramontains, dans lequel ces derniers eurent les rieurs de leur côté, puis un monologue des ultramontains jusqu'à la clôture..) Mais là les vieux catholiques l'emportèrent, et le projet du Dr Pétri fut adopté par 202 voix contre '75. D'après cette loi, dès qu'une commune possède un Hon~-e important de vieux catholiques, la jouissance et la propriété des meubles et immeubles de la paroisse devraient être partagées entre les fidèles et les vieux catholiques. Le prêtre se faisant vieux catholique conservait son bénéfice, et si la majorité de la paroisse l'avait suivi dans cette circonstance, son successeur devait aussi être vieux catholique.
Outre ces lois, le gouvernement prit, par arrêtés, un certain nombre de mesures qui montraient jusqu'à quel point de tracasseries il était arrivé. C'est ainsi qu'il interdit dans les collèges les prières qu'à la fin de la messe les prêtres avaient coutume de dire pour le pape (3 novembre 1875); de même les processions ne furent plus autorisées, ni aucune manifestation extérieure du culte. A l'occasion du trentième anniversaire du couronnement de PieIX (16 juin 1876), les catholiques des bords du Rhin préparaient des illuminations. L'autorité fit savoir que tout lampion, même placé dans l'intérieur des pièces, amènerait une amende de 9 marcs ou un jour de prison.
Deux lois sans grande importance complétèrent le « système de bastions » organisé contre l'Église. La première du 7 juin 1876 réglementait l'administration de certains biens ecclésiastiques, ayant une destination charitable ou scolaire et que la loi du 20 juin 1873 avait né'~Igés. C'est encore pour combler une lacune de cette loi que fut votée celle du 13 février 1878.
On commençait cependant dans les sphères gouvernementales à se lasser du Kulturkampf. Les mesures prises, au lieu de briser la résistance des catholiques, n'avaient fait que l'exaspérer. Le mouvement vieux catholique sur lequel on avait compté ne faisait que diminuer, malgré l'appui des gouvernements. Tout le monde aspirait à la paix. Le 23 mai 1877, un membre conservateur de la Chambre des députés avait déclaré au nom d'un certain nombre de ses amis que « parmi les protestants sages, honnêtes, éclairés, on en avait assez du Kulturkampf que l'on ne considérait que comme une guerre à l'Église ». Aussi un
député catholique, le baron de Heeremann exprima-t-il l'espoir, lors de la discussion de la loi du 13 février 1878, qu'elle serait une sorte de testament du Kulturkampf.
L'avenir allait lui donner raison. Deux événements d'un ordre bien différent devaient amener une modification dans la politique du chancelier. Les attentats de Iioedel et de Nobiling allaient détourner ses préoccupations d'un autre côté, et la mort de Pie IX faisant monter sur le trône pontifical un pape pacifique, nullement compromis dans la lutte précédente, lui rendait plus faciles l'abandon de la lutte et les tentatives de paix 1.
(~e?'a: continué.)
V'° HENM BËGOUËN,
Membre du Groupe de droit publie et privé.
1. Consulter, outre les ouvrages déjà indiqués
Dr Wiermann, GMcAt'cA~ des .M<M)~amjo/<M. Leipzig, 1885. Renger. F.-X. Schulte, GMc/iM/t<e des RM~Mr/MMp/i~ in Preussen. Essen, 1882. Fredebeul et Kœnen.
Dr P. Majunke. Geschichle des M<M)-&aMp/M in Preussen-Deulschland. Paderborn, 1886. Schoningh.
N. Siegfried, ~c<eH~<ac&e &e<M~%nd den p)'e:c/MM XMKM<'&6[?Mp/ Fribourgen-Brisgau, 1882. Herder.
Juristiche, .SeM.~ =M?M ~M~MfA;aMp/'a!M <<e?: ~AeM~M~a. Première livraison. Elberfeld, 1886. Friedrich.
.l/MtïMM'e de /M~<MK étrangère, années 1873 à 18M. Paris.
Bismark, Discours. Paris, Sandoz et Fischbacher.
Dr Raich, Briefe an und !<)? ~E. FM:7t~)'~ von gcMc~ Mayence, 18'!9. Kirohheim.
Pierre Reichensperger, ËMKM)-&aMp/' 0~6!' Friede in Staat und X'~cAe. Berlin, 1876. Springer.
Dr P. Majunlie, Das eMa~e~McAf /taMe;-</iMtK. Berlin, 1881. Bidder. H. de Sybel, A'~n'/M~ Politik im neunzehnten ~a/M'AMM~ Bonn, 187~. Max Cohen.
Etc., etc.
CORRESPONDANCES
L'ORGANISME DÉPARTEMENTAL AU JAPON 1.
Avant de m'engager dans l'examen du système administratif japonais, je crois indispensable de mettre sous les yeux du lecteur un exposé sommaire de la géographie politique ou mieux de la division territoriale de l'empire japonais.
Depuis bien des siècles et jusqu'en 1871, le Japon était divisé en régions (do); celles-ci se subdivisaient en provinces (huni ou Mtt), qui comprenaient chacune un certain nombre d'arrondissements (kori ou gun), répartis entre elles dans des proportions fort inégales. Du reste, la dimension relative des provinces était l'œuvre de l'histoire et non celle d'un pouvoir unique. De même que la France a eu ses ducs de Bourgogne, le Japon avait ses princes de Satsuma et d'Owari. En dépit du décret qui constitue la nouvelle organisation départementale sur les ruines des anciennes divisions provinciales et qui a la prétention de faire table rase du passé, l'usage prévaut toujours en dehors des bureaux de l'administration de désigner les pays par leurs vieilles dénominations; il n'est pas probable que cet état de choses soit à la veille de disparaitre une coutume qui est fondée sur un développement séculaire d'intérêts, sinon communs par eux-mêmes, du moins mis en communauté par les circonstances, est assez vivace pour résister longtemps à une œuvre de nivellement révolutionnaire. Cette résistance ne se traduit, bien entendu, que par une manière de dire et non par des actes illégaux; mais cela prouve néanmoins combien l'usage qui a pour lui l'histoire peut être fort devant la loi, si sage qu'elle soit, n'ayant pour elle que le génie politique d'une époque. Nul ne songe en France à porter requête aux vieux parlements ni à convoquer les s')'aH(<s j'OMt's; pourtant on ira toujours passer les vacances en Bretagne ou visiter l'AM~t'g~e. Un marchand ou un touriste japonais qui se rend à Nagoya annonce son départ pour l'Owari et non pour l'Aiti.
Il importe de noter toutefois que, dans le travail de centralisation administrative au moyen de la division départementale, le gouvernement japonais s'est plus attaqué aux noms qu'aux limites territoriales. Tandis qu'aucune des vieilles dénominations n'a trouvé grâce devant lui, il a au contraire attribué aux nouveaux départements les anciennes frontières des provinces, autant que cela a pu se concilier avec les exigences du principe d'équilibre qui présida à cette transformation. Dans notre pays, il est vrai, il semble à première vue, d'après la méthode adoptée par l'enseignement
i. Voir les Annales du 15 octobre 1886, p. 608.
classique, que chaque province a été morcelée en un certain nombre de départements; mais combien de ceux-ci sont pour ainsi dire à cheval sur deux des anciennes divisions? Les cas analogues sont plus rares au Japon et, en se montrant en quelque sorte conservateurs sur ce point, les Japonais me paraissent avoir été plus sages que nos pères de la Révolution. H est juste d'ajouter que la répartition antérieure de leur territoire se prêtait mieux que cette de la vieille France à cette conservation; il y avait ici moins d'écarts que chez nous. Un grand nombre de départements japonais occupent exactement la place d'une province; il n'y a eu pour eux qu'un changement de nom et d'administration. Çà et là, deux ou trois petites provinces ont été réunies en un seul département et c'est même le cas le plus fréquent. Enfin, si ce n'est qu'exceptionnellement et seulement en vue de la division à peu près égale du damier qu'une province a dû concourir avec une autre, chacune pour une portion d'elle-même, à la formation' d'un département, it ne s'en est pas trouvé une seule assez vaste pour qu'on pût y tailler plus de deux ou trois préfectures. On peut, d'ailleurs, marquer en chiffres la distinction fondamentale entre les deux révolutions géographiques que nous avons mises en parallèle. Dans le but identique d'égaliser pour centraliser, on a surtout coupé en France, soudé au Japon. L'ancien état politique de l'un et de l'autre pays l'exigeait ainsi. Le décret de la Constituante partagea nos 33 provinces en 83 départements. Au Japon, les anciennes provinces étaient au nombre de 74 et on ne compte que 44 départements, dont 41 et 3 fu. (Nous reviendrons plus loin sur ces distinctions.)
Ce serait, du reste, une grave erreur de conclure de tout ce qui précède que l'ancienne division du Japon en provinces répondait exactement aux possessions respectives des daïmio. Cette division, malgré ses origines diverses et'peu coordonnées, était plus géographique que seigneuriale; il y avait pour ainsi dire deux cartes du Japon, l'une impériale et l'autre féodale mais, tout en étant distinctes, elles cadraient ensemble dans une certaine mesure; elles pouvaient, si je peux m'exprimer ainsi, s'emboîter à peu près l'une dans l'autre, c'est-à-dire que certains daïmio possédaient chacune une province, d'autres plusieurs provinces plus ou moins contiguës, d'autres enfin et c'était le plus grand nombre seulement quelques arrondissements dans telle ou telle province. La couronne avait son domaine propre qui n'était pas non plus d'un seul tenant. il résultait de cet état de choses que la carte féodale du pays présentait encore beaucoup moins de régularité que la carte suzeraine; elle était surtout beaucoup plus morcelée, le nombre des daimio ayant, à la fin du gouvernement des To/t~aM~, dépassé trois cents 1.
1. Le régime féodal est du reste plus récent que l'ancienne division provinciale de Japon. C'est t'cy~MK, le chef de la dynastie To~a des ,SAo~ qui, le premier, au commencement au xvu~ siècle, a donné une sorte de constitution à la féodalité. Jusque-~ il y avait bien sur divers points du territoire des seigneurs plus ou moins indépendants en fait, mais dont la situation à cet égard n était pas offioeUement reconnue par le pouvoir.
L'antique division du Japon en do (régions) ne répondait à aucun besoin commercial ou populaire, ni à aucune idée administrative ou gouvernementale. On pourrait comparer le do à ce que nous appelons un bassin; mais tandis que les limites de nos bassins sont purement orographiques et que ieur tracé reste par conséquent dans le domaine exclusif de la géographie physique, celles des do étaient officielles et appartenaient à la géographie politique du Japon. Toutefois ces grandes lignes de démarcation, bien que .conventionnelles, n'étaient pas arbitraires la main souveraine qui les avait tirées s'était laissé guider en partie par l'orographie et l'hydrographie maritime du pays; puis, lorsqu'il s'était agi de baptiser ces vastes régions, on avait fait entrer dans la combinaison les quatre points cardinaux concurremment avec le relief du sol. Le centre de la rose des vents qui avait servi de base à ces dénominations était placé à Kioto, ancienne capitale. On peut dire que les do étaient certaines étendues de territoire baignées par les mêmes mers et limitées par les mêmes chaînes de montagnes. Chaque do comprenait un certain nombre de provinces. Mais ces régions ne constituaient pas à proprement parler des divisions administratives, aucune autorité centrale ne réunissant dans une seule main le gouvernement des diverses provinces qui y étaient groupées. Le do n'était pas, comme on dit en droit, une personne morale, mais une sorte d'agglomération de territoires soumis à des seigneurs plus ou moins indépendants les uns des autres, et n'ayant en général d'autre raison d'être ni d'autres Jimites que celles arrêtées par la nature. Il en est résulté que les noms des do n'ont pas survécu comme ceux des provinces au remaniement de la carte le peuple qui n'en avait que faire ne les avait guère adoptés dans son langage usuel. Si quelques-uns de ces noms sont encore prononcés, ils ne s'appliquent plus à des régions proprement dites, mais à certaines grandes routes qui les parcourent d'une extrémité à l'autre et qu'on avait pris l'habitude de désigner de la même manière. Les voies de communication étant d'utilité générale et l'usage de leur attribuer des noms répondant à un besoin populaire, ceux-ci ont subsisté et le gouvernement n'a d'ailleurs pas cru nécessaire de les faire disparaître, en tant que pris dans cette acception, même des actes officiels. La plus importante de ces routes et la plus connue des Européens est le To-Aat-do, qui s'étend de Tol;io à Kioto. !t y a pourtant une exception à la désuétude que nous venons de signaler on désigne encore souvent sous le nom de ~H<t: la région qui entoure l'ancienne capitale et qui était en quelque sorte le do central d'après lequel tous les autres, suivant leur position géographique, avaient été dénommés. Fait singulier, l'usage se trouve justement ici en contradiction avec l'état de choses actuel. Ki-nai signifie pays environnant la résidence impériale et celle-ci aété en 1869 transférée à Tokio; le Xt-M! n'en continue pas moins d'être la région de jS:M(o. Au contraire, les autres do, dont les noms ne sont plus guère prononcés, pourraient encore dans une certaine A. TûME H. 20
II
mesure, comme on va le voir, les porter sans faire injure à la vérité. Jusqu'en 1868 le Japon était divisé en huit do i" le JS-)MÎ, pays environnant la résidence impériale; 2° le To-M-do, région de la mer de l'Est; 3° le To-san-do, région des montagnes de l'Est; 4° le Ho~M-ro~M-do, région de la terre du Nord; 8° le SaH-Mt-do, région au nord des montagnes; 6° le San-yo-do, région au sud des montagnes; '7" le JVoH-Aa~-do, région de la mer du Sud; 8" le Sin-~az-do, région de la mer de l'Ouest Au moment de la restauration impériale de 1868, un neuvième do a été ajouté à la liste, le Hb&-Aa{-do c'est-à-dire région de la mer du Nord. C'est ainsi qu'on appela désormais la grande île désignée jusque-la, sous la dénomination assez vague de Yeso. Avant cette époque elle était peu connue des Japonais eux-mêmes et il n'y existait aucune division territoriale. Les habitants de Yeso 3 sont, d'ailleurs, d'une race fort distincte de celle qu'on rencontre dans le reste du Japon, d'une intelligence beaucoup moins vive et do mœurs moins délicates. Cette région a été placée sous l'administration du département des colonies et elle y est restée depuis lors. Aussi la transformation de t87t ne l'a pas atteinte; elle est entrée telle quelle dans. la nouvelle carte. C'est ainsi que le dernier-né des do est le seul survivant. On dit communément aujourd'hui que le Japon est divisé en 3 fu, -H ken et 1 do. Les subdivisions du Ho&'M-do ont été conservées presque intégralement lors du remaniement général, et leurs noms eux-mêmes n'ont pas été chances. Il n'y avait pas là une puissance féodale à faire disparaître comme dans les autres parties de l'empire. Au demeurant, ces circonscriptions ne sont pas administratives, le do étant sous l'autorité d'un seul préfet, sorte de gouverneur colonial, résidant à Sapporo.
Cette grande colonie du Nord tend à occuper une place toujours croissante dans la fortune du Japon. Elle a été, à une époque qui n'est pas très éloignée, la cause de scandales dont les chefs des partis les plus avancés ont pris prétexte pour échauffer la passion populaire en vue des libertés à conquérir et de la représentation nationale à provoquer. U s'agissait d'immenses territoires concédés par la faveur, et de spéculations plus ou moins avouables, entreprises sous le couvert des exploitations agricoles. Mais le scandale a cessé et tout est rentré dans l'ordre. Aujourd'hui le Hok-kaï-do est l'objet d'une sollicitude toute particulière de la part du gouvernement;
1 Le Ki-na! comprenait 5 provinces; le To-kaï-do, 15; le To-san-do, 13; le Hohuroku-do 7; le San-in-do et le San-yo-do, chacun 8; le Nan-kai-do, 6; le Saï kat do 9 En outre, les Mes de f/cM/H~a et de Tsushima ainsi quet'archipel des MoM-~OM comptaient pour ainsi dire à part et formaient comme trois provinces extra-régionales. Les autres îles se rattachaient à telle ou telle province ou constituaient des provinces séparées, mais appartenant à l'une des régions. Par exemple, Awadji, qui est une des ptus grandes îles secondaires du Japon, située à l'entrée orientale de la mer Intérieure, était une des six provinces du
Nan-kaï-do.
2. Le Hok-Itaf-do est divisé en onze provinces, ou plutôt en onze circonscriptiens car, ainsi qu'on le verra par la suite, ces divisions n'ont pas le même caractère que les anciens &M!M du reste de l'empire.
3. On les appelle Aïno.
c'est pour le Japon comme une Algérie du Nord; on ne craint pas d'y verser de gros capitaux en vue du rapport futur; on est encore dans la période du défrichement, mais celui-ci avance vite et en vérité il semble que les Japonais ont fort bien compris tout le profit qu'ils peuvent tirer de cette terre restée si longtemps inféconde par son isolement. Les anciens habitants de Yeso ne vivaient guère que des produits de la pêche et de la chasse. 1I[
C'est en 1871 que les anciennes provinces ont été, pour ainsi dire, remises à la fonte et qu'il est sorti du creuset administratif un Japon moderne composé de quarante-quatre départements (fu et ken), sans parler du do sur lequel nous n'aurons plus guère à revenir, cette portion de l'œuvre n'ayant pas alors subi de nouvelles transformations. Les fu et les ken, ainsi que le Hok-kai-do, sont subdivisés en grMK ou arrondissements qui ont été empruntés, sans grandes modifications, à l'ancien régime Enfin le territoire des gun est partagé entre les communes qui sont pourvues chacune d'un administrateur dont la situation est à peu près analogue à celle de nos maires 2. Les villes les plus importantes forment un arrondissement à part ne comprenant aucune autre localité; dans ce cas l'arrondissement est un ~M et non pas un gun; il comporte une administration spéciale qui réunit les attributions de la sous-préfecture et de la mairie Tokio, Kioto et Osaka renferment plusieurs ku
Les fu sont les départements ayant pour chefs-lieux ces. trois mêmes villes, où le pouvoir a tour à tour établi un siège et qu'on appelle encore les trois capitales du Japon 5. A l'époque féodale, ces grandes cités faisaient partie du domaine impérial aucun daïmio n'y était chez lui, mais tous y venaient en temps de paix faire des séjours plus ou moins prolongés, soit 1. La préfecture d'un fu s'appelle fu-tyo; celle d'un ken, ken-tyo. Ilok-kaï-do<o est le nom de l'administration centrale de la colonie du Nord dont le siège est à Sapporo. Dans chaque gun il y a une sous-préfecture (~Mn-ya~M-~o). 2. Ce fonctionnaire a le titre de kotyo-yakuba.
3. On appelle cette administration ku-yaku-syo.
4. Les y!m sont au nombre de 802 et les ku de 37. Tokio renferme 15 ku; Kioto, 2; Osaka, 5. II y a 15 villes qui constituent chacune un ku. Les départements dont ces villes sont les chefs-lieux comprennent en outre un certain nombre de gun. Ainsi le fu d'Osaka, outre les cinq ku de la ville elle-même, est composé de 42 gun; c'est celui qui a le plus d'arrondissements cela tient à ce qu'il est le plus peuplé, bien qu'il ne soit pas des ptus vastes comme superficie.
5. A la vérité, sous l'ancien régime, il y avait effectivement deux capitales à la fois, la résidence du mikado, souverain en titre, et celle du shogun, souverain réel. Mais la condition faite au mikado, surtout sous la dernière dynastie du shogunat, était telle que la capitale apparente n'était pas celle où trônait le divin descendant du Soleil. Par la force naturelle des choses, toute l'activité du pays convergeait vers le siège du pouvoir effectif. Quant à l'empereur, on s'en occupait tout autant que d'une idole enfermée dans son temple et que personne ne voit.
pour rendre hommage aux souverains, soit pour y mener la. vie élégante et joyeuse dont ils ne jouissaient guère au fond de leurs châteaux de province à la ville ils possédaient des hôtels, des palais même assez somptueux, où ils vivaient en grands personnages, mais non en seigneurs et maitres. Pendant une partie de l'année ces princes levaient sur leurs sujets respectifs les sommes qu'ils allaient ensuite en brillant équipage dépenser à la capitale, parfois pour leur agrément, sotHent aussi contraints et forcés par les shogun qui, ne voyant pas avec plaisir s'accumuler la richesse chez les vassaux de l'empire, inventaient à l'occasion quelque grosse entreprise à laquelle chacun suivant ses moyens était invité à contribuer 1. C'étaient en général des édifices religieux qui servaient de prétexte aux saignées que le pouvoir jugeait prudent de pratiquer dans la fortune des daïmio; plusieurs y ont trouvé la ruine. Par contre, les capitales ont du une partie de leur splendeur à l'application de ce système de nivellement politique. Les préfectures des autres départements ou ken ont en général pour siège d'anciens chefs-lieux de province, c'est-à-dire des résidences de daïmio. Leur importance est très variable suivant les régions; sur des espaces fort étendus, on ne rencontre guère une ville dépassant les dimensions d'un village, tandis que, dans la partie moyenne du Japon et sur les côtes du Sud, il s'en trouve plusieurs comparables aux grandes capitales. Hagoya par exemple est une des plus belles villes de l'empire c'était autrefois le siège du gouvernement des princes d'Owari; le château-fort qui domine la ville et qui est occupé aujourd'hui par l'armée impériale, est là comme un témoin de l'ancienne puissance de ces téméraires vassaux dontla tradition raconte merveilles et avec lesquels les Louis XI japonais eurent souvent maille à partir. Ce château est le plus beau spécimen de l'antique architecture militaire du Japon. Avec ses trois siècles d'existence et son donjon à cinq étages il ferait sans doute triste figure devant l'artillerie moderne. Mais il n'en a pas moins un aspect imposant qui saisit le voyageur. Grande devait être la puissance, arrogante la fierté du seigneur qui, retranché derrière les murs de cette citadelle, n'avait à craindre que les Sèches de ses ennemis.
On a vu le Japon partagé, vers la fin du pouvoir des shogun, entre plus de trois cents daïmio ou seigneurs féodaux, maîtres absolus sur leurs han (territoires) respectifs. Il existait de grandes disproportions sous le rapport de la fortune et de la puissance entre tous ces princes; s'il y avait quelques ducs de Bourgogne, plus nombreux étaient les rois d'Yvetot. Les tiraillements qui s'ensuivaient n'en étaient que plus funestes pour le pays chaque /M:K avait son administration propre, plus ou moins tyrannique, à coup sur toujours fort désordonnée et arbitraire; chaque daïmio dans ses terres rendait la justice à sa manière, levait les impôts à sa guise. Si les provinces avaient des limites bien arrêtées par le pouvoir impérial, il n'en I. Aux époques où le pouvoir central était assez puissant pour imposer sa votonté, les daïmio étaient obligés de passer au moins six mois de l'année auprès de la résidence du shogun et d'y entretenir une certaine force armée affectée à la défense de l'empire.
était pas de même des domaines féodaux; de là des contestations sans fin et des luttes intestines. Graduellement les seigneurs s'étaient retranchés davantage dans leur indépendance, et dans les dernières années qui précédèrent la révolution chacun d'eux était devenu comme un petit roi dans ses États 1. C'était l'esprit de décentralisation qui dominait sur le Japon depuis plusieurs siècles et qui avait, amené ce statut social auquel les populations participaient malgré elles et à leur grand préjudice. Il ne pouvait en être autrement les limites des han étaient alors comme les frontières enchevêtrées de trois cents États distincts, ayant chacun ses douanes ou plutôt ses péages arbitraires et variables du jour au lendemain, ses prohibitions fantaisistes, ses violations quotidiennes de territoire et ses empiètements plus ou moins clandestins. Les lois étaient aussi capricieuses que le reste; d'un domaine à l'autre elles étaient contradictoires. Partant les intérêts du menn peuple étaient pour ainsi dire cantonnés dans l'intérieur de chaque han et les mœurs des divers groupes offraient des variétés singulières à quelques lieues de distance.
Tel était le vieil édifice que le gouvernement de la restauration impériale avait à tâche de renverser. H lui était impossible de concilier ce système suranné avec les principes d'unité administrative et de mouvement progressif qui sont sa raison d'être. La localisation du pouvoir et des intérêts populaires avait été trop complète pour être conservée même réduite; la supprimer en partie eût été un problème insoluble; il fallait l'anéantir. Toutefois la transformation administrative du territoire ne se fit pas d'un coup de baguette. Le gouvernement impérial eut la sagesse de procéder avec mesure et il s'y prit pour arriver a ses fins d'une façon fort ingénieuse. En reprenant en mains le pouvoir à la suite des événements de 1868, le mikado abolit la féodalité sans pour cela congédier les daïmio; au contraire il les engagea provisoirement à son service; chacun d'eux reçut de l'empereur le titre < (préfet ou gouverneur), avec la mission d'administrer au nom de Sa Majesté jusqu'à nouvel ordre son ancien domaine féodal. Étouffer ainsi dans i'œuf, pour ainsi dire, le mécontentement des grands en ne lui laissant aucun prétexte plausible d'éclosion et pourvoir du même coup à des emplois pour lesquels on n'avait pas encore un personnel sous la main, c'était sans doute s'en tirer habilement et poser sans secousse nouvetle les bases du futur édifice. Mais ce n'était, à vrai dire, encore là qu'une réforme bâtarde, tout au plus satisfaisante pour une période de transition l'administration ainsi constituée n'était guère plus ordonnée que jadis; les anciens seigneurs, bien que placés sous la surveillance directe, mais au début du moins peu effective, de l'autorité centrale dont ils étaient devenus les agents en titre plutôt qu'en fait, continuaient à gouverner leurs territoires à peu près à leur gré. On comprendra du reste qu'il leur eût été bien difficile aussi de se dépouiller subitement du vieil homme. Ce n'était 't. Plusieurs daïmio, maîtres des côtes, possédaient même des flotilles où figuraient au milieu des/o~KM quelques voiliers achetés à des Européens; ces navires, armes en guerre à la japonaise et de la sorte démarqués pour ainsi dire de leur origine, devaient offrir un aspect assez grotesque.
pas non plus, il faut le croire, sur quoi comptait le gouvernement. Il n'y avait là pour lui qu'un expédient; il voulait reprendre haleine après le coup d'État et se donner le temps de sortir de la. phase révolutionnaire, de se fortifier assez pour affronter les mécontents et les frondeurs, de préparer un personnel administratif suffisant pour être substitué aux daïmio. Cela dura quatre ans. Se croyant enfin maître du feu de la révolution, le mikado décréta l'abolition définitive du système des han et de l'administration locale par les seigneurs, derniers vestiges de la féodalité; en même temps il proclama la division territoriale en départements (/< et lien) et mit à la tête de chacun d'eux un préfet choisi par son gouvernement. Ceux-ci n'ont rien de commun avec les anciens daïmio; la plupart ne sont pas originaires des pays qu'ils administrent; de la sorte, l'autorité impériale exerce plus facilement son action sur eux; elle les tient mieux dans sa main.
IV
Ce qui frappe à première vue dans l'organisation d'une préfecture japonaise, c'est sa similitude avec l'administration d'un de nos départements. Au début, toutefois, le gouvernement crut sage de ne laisser à ses nouveaux préfets qu'une très faible part d'initiative, afin de rendre plus complète et décisive la centraiisation de l'autorité et aussi peut-être eu égard au caractère particulier'du fonctionnaire japonais qui, toujours ponctue) à l'exécution d'une consigne, ne sait pas la plupart du temps en distinguer les limites exactes; aussi bien tel agent public, soucieux avant tout de suivre les ordres de ses chefs, aurait une tendance fatale à s'en faire l'esclave au delà et à l'encontre du sens commun, saus s'inquiéter des conséquences. Dans ces conditions et pour éviter de fâcheuses erreurs d'appréciation provenant d'un zèle exagéré, le pouvoir central devait se réserver une action directe dans presque tous les détails de l'administration des départements, sauf à s'en départir graduellement à mesure que l'éducation expérimentale des fonctionnaires les rendrait plus aptes à gouverner par eux-mêmes et moins timides devant la responsabilité.
Il serait donc plus exact peut-être, pour suivre le parallèle entre notre administration et celle du Japon, de comparer à certains égards les quarante-quatre préfectures japonaises à autant de nos sous-préfectures relevant d'un préfet unique qui n'est autre ic: que le gouvernement lui-même. Un décret impérial a énuméré les matières sur lesquelles un préfet ne peut statuer sans en avoir référé au ministre compétent; cette énumération est fort longue, elle ne contient pas moins de trente-quatre articles et quelquesuns d'entre eux dénotent qu'on n'a pas seulement entendu traiter les départements comme des mineurs placés, ainsi que chez nous, sous la tutelle de l'État, mais encore les tenir en lisière comme des enfants qui ne sont qu'à leurs premiers pas. Les fu et les ken sont néanmoins, de même que nos départements, des personnes morales en droit, et non, comme nos arrondissements, de simples circonscriptions administratives. Chacun d'eux
.a son budget distinct de celui de l'État. Les dépenses en sont couvertes par des contributions dites locales. Le traitement des fonctionnaires de la préfecture et les frais de ses bureaux restent seuls dans l'ordre administratif à la charge exclusive du Trésor public, et le gouvernement n'accorde que des subventions, pour certains services ayant un caractère d'utilité générale. Le département doit pourvoir de ses propres deniers à toutes les autres dépenses susceptibles d'être localisées à un titre quelconque, y compris même les traitements des fonctionnaires d'arrondissement, le service des prisons, des mairies maritimes, les frais de naufrages, etc. Il semble donc que, si au point de vue administratif proprement dit la centralisation est plus complète au Japon qu'en France, il n'en est pas de même en ce qui concerne le budget. Mais cela est plus une apparence qu'une réalité, car il ne faut pas oublier que, vu le peu d'initiative abandonné à l'autonomie départementale dans son modMS vivendi, elle est aussi fort peu maîtresse du maniement de ses fonds. Si le gouvernement n'a pas craint de laisser la bourse aux mains de l'enfant, c'est que celui-ci dans sa faiblesse ne saurait l'ouvrir sans lui.
Les contributions locales affectées au budget du département sont l'impôt foncier, la patente et la taxe de logement. L'impôt foncier frappe toute la surface du sot sans distinction, aussi bien les rizières et les champs que les jardins et les terrains couverts de constructions. La préfecture dans la perception de cet impôt vient en concurrence avec l'État, mais elle ne doit pas prélever pour son compte plus du tiers de la contribution due de ce chef par chaque parcelle de terre au Trésor public, laquelle est calculée à raison de 2 p. 0;0 de la valeur.- La patente atteint le commerce et tous les corps de métiers, sans en excepter les courtiers de théàtre, les lutteurs, acteurs, chanteurs, danseurs, les maîtres de danse, de chant et de musique et en général tous les artistes, qui dans un pays doué comme le Japon apportent aux recettes budgétaires un sérieux appoint. Les industriels moins apparentés avec les Muses payent également patente, cela va sans dire; mais si leur quote-part individuelle dépasse en moyenne celle des artistes, il ne sont peut-être pas les plus nombreux. Le fisc qui n'est pas poète considère .ceux-ci pour la qualité, ceux-là pour la quantité. Enfin la taxe de logement est levée sur toute maison habitée.
Dans les limites fort étroites et très déterminées qu'ils n'ont du reste, il s'en faut, aucune tendance à franchir, les préfets japonais peuvent prendre des arrêtés concernant certaines mesures administratives de minime importance. Comme en France aussi, bien que relevant hiérarchiquement du ministre de l'intérieur, ils correspondent directement avec les autres départements ministériels.
Le principe gouvernemental du Japon, tel que nous l'avons exposé, aussi bien que la tendance naturelle des fonctionnaires amènent forcément ceuxci à prendre langue heure par heure auprès de l'autorité centrale. Qu'on ajoute à cela que les Japonais ont, qu'on me passse l'expression, la manie d'écrire poussée au delà non pas du nécessaire, mais même de l'utile, que tout est pour eux prétexte à prendre la plume, je veux dire le pinceau, et
on sera effrayé à la pensée des volumes de correspondance officielle qui peuvent, d'un bout de l'année à l'autre, parcourir en tous sens l'empire du mikado. Heureusement encore pour les postiers que le papier à lettres est d'une admirable légèreté.
Le préfet d'un /M ou d'un est assisté dans ses fonctions par un secrétaire de préfecture qui le remplace en cas d'absence ou d'empêchement. Dans quelques départements d'une importance exceptionnelle il y a deux secrétaires. Le service préfectoral est généralement divisé en dix bureaux qui se répartissent les affaires d'après la classification suivante police, perception des impôts, affaires générales, santé publique, travaux publics, comptabilité, instruction publique, recrutement, géographie, encouragements à l'industrie. Les préfectures des départements où se trouve un port ouvert sont en outre pourvues d'un bureau spécialement aSëcté à toutes les affaires concernant les étrangers. A Yokohama, vu l'importance de ce service, il est placé sous la direction du premier secrétaire de la préfecture. La plupart des chefs de bureau relèvent exclusivement du préfet et ne reçoivent d'ordres que les siens. Toutefois ceux qui sont chargés de la police et de la perception des impôts, tout en dépendant de lui dans une certaine mesure, relèvent directement des ministres de l'intérieur et des finances, avec lesquels ils peuvent respectivement correspondre sans avoir recours à l'intermédiaire du préfet et même à son insu. C'est sur les questions de haute police, et surtout pour la recherche des crimes et délits politiques que le premier de ces fonctionnaires, qui a le titre de commissaire en chef s, reçoit les instructions particulières du ministre de l'intérieur et lui rend personnellement compte de sa mission. Le second, appelé percepteur en chef 3, adresse lui-même au département des finances, sous le timbre de la perception générale, des rapports sur les affaires de sa compétence et en reçoit les directions immédiates. Les différents chefs de service des préfectures ont sous leurs ordres, chacun en proportion de l'importance des travaux qui lui incombent, des commis et expéditionnnaires < doublés souvent eux-mêmes d'emptoyés surnuméraires. Le personnel d'une préfecture comprend, selon le département, de deux à trois cents fonctionnaires de tous grades. Ce chiffre parait énorme à première vue, et on est tenté de penser qu'avec une telle armée l'administration ne doit rien laisser à désirer, à moins, au contraire, qu'elle ne soit par cela même en désarroi. Je serais plutôt tenté de me ranger à cette seconde opinion, ayant toujours considéré comme une plaie, pour ne pas dire un fléau le~fonctionnarisme exagéré, et craignant pour le Japon qu'il ne soit justement à cet égard sur le chemin de l'excès. Mais pour conserve)impartial notre jugement, ne perdons pas de vue que ces deux ou trois. cents empfoyés sont affectés, non seulement aux affaires préfectorales proprement dites, mais encore à beaucoup d'autres services qui, chez nous, constituent autant d'administrations distinctes.
1. Ces fonctionnaires, appelés syoki-kwan, correspondent assez exactement à nos secrétaires généraux.. 2. En japonais &e:'6M-o.
3. En japonais ~y/t-zc!-<yo.
4. Ces fonctionnaires subalternes s'appellent M~M'aH.
Nous compléterons cette étude par quelques considérations sur les assemblées administratives qui siègent auprès de chaque préfecture et dont la constitution a été, dans une certaine mesure, empruntée à celle de nos conseils généraux, avec lesquels elles offrent de réelles analogies. Dès les premières années de la révolution, les hommes au pouvoir ont subi la nécessité d'appeler le peuple à participer aux affaires et surtout de l'admettre, sinon à disposer souverainement des fonds publics prélevés sur son revenu, du moins à en contrôler l'emploi. Le gouvernement de la restauration impériale ne pouvait, sans renier son origine et, par conséquent, sans compromettre son avenir, suivre une autre voie. Mais avant de laisser la nation exercer ce contrôle sur l'administration générale de l'empire, on crut bon de l'y préparer sur une échelle moins vaste et moins périlleuse, en lui octroyant les conseils départementaux et locaux. Ce premier pas ne se fit point toutefois sans hésitation. En 187o, le gouvernement convoqua en assemblée générale les préfets, pour les consulter sur cette singulière question un conseil départemental devant être institué auprès de chaque préfecture, était-il préférable que ce fût un corps populaire composé de contribuables et émanant de l'élection, ou bien un conseil absolument officiel formé par les maires des communes, c'est-à-dire d'une part un conseil général indépendant, ou, de l'autre, une réunion de menus fonctionnaires ressemblant assez à une cour des comptes au petit pied et, à coup sûr, à une cour des comptes complaisante? Si le pays n'était pas encore mûr alors pour être doté de la première de ces institutions, la seconde aurait dû logiquement être écartée comme vicieuse en elle-même et donnant l'apparence, le leurre peut-être d'un contrôle n'existant pas en fait, ce qui est pire en politique intérieure que l'absence de tout contrôle. Ce fut elle pourtant qui obtint la grande majorité des voix des préfets réunis. Ceux-ci se souciaient sans doute fort peu de voir leurs administrés s'immiscer dans leurs affaires, et préféraient cela va de soi que ce rôle incombât à leurs subordonnés ceux-ci auraient les regards plus discrets et les mains plus timides; ils seraient plus souples à la persuasion. N'était-il pas bien puéril aussi de la part du pouvoir de consulter une assemblée de préfets sur pareille question? C'était presque les inviter à choisir leurs juges. Au demeurant, si ce vote devait être prévu, la consultation n'était peut-être que calcul du gouvernement qui, lui aussi, avait son idée faite par avance et savait bien, en agissant ainsi, ce qu'il en adviendrait. L'année suivante, les premières assemblées des maires siégèrent dans les départements. Il ne paraît pas cependant que le peuple ait été très satisfait de la tournure que prirent alors les choses. Peu à peu, ses yeux s'étaient ouverts depuis les premiers jours de la restauration; ses ambitions avaient grandi, ses impatiences allaient bientôt déborder il commençait à ne plus être dupe des escamotages. Aussi la nouvelle institution n'était pas
v
née viable. Trois ans plus tard, c'est-à-dire en i878, dans une période de tourmente populaire où, pour sauver la barque de l'État, on jetait à la mer tout ce qui n'était pas indispensable à la solidité de sa coque, le gouvernement crut le moment venu d'instituer les conseils généraux électifs et d'admettre enfin le peuple à. participer à l'administration locale. Les préfets furent appelés de nouveau en consultation, mais non plus cette fois pour opter entre deux principes opposés ie principe du conseil populaire élu était arrêté par le gouvernement. Ces fonctionnaires furent seulement invités à discuter le projet de loi préparé d'office sur cet objet; leur rôle ne devait être, bien entendu, que consultatif. C'était investir en quelque sorte l'assemblée générale des préfets d'une partie des pouvoirs d'un conseil d'État; mais en cela du moins il n'y avait rien de contraire à la logique gouvernementale.
Le conseil général institué par un décret impérial à la suite de cette délibération, émane d'une élection censitaire. Sont électeurs les hommes de toutes les classes de la société âgés de plus de vingt ans et payant au moins cinq yen d'impôt foncier annuellement. Sont éligibles tous ceux qui sont âgés de plus de vingt-cinq ans et payent au moins dix yen d'impôt foncier. Chaque arrondissement gun ou /:M, c'est-à-dire circonscription rurale ou urbaine constitue un collège électoral et peut élire, suivant son importance et son étendue, de un à cinq conseillers généraux. Ceux-ci sont nom~ més pour quatre ans, et les conseils se renouvellent par moitié tous les deux ans. Ces assemblées départementales doivent tenir tous les ans au mois de novembre une session ordinaire, dont la durée ne peut, pour aucun motif, ni sous aucun prétexte, excéder trente jours. U peut y avoir en outre une session extraordinaire à une époque indéterminée de l'année, mais le maximum de durée de celle-ci est de sept jours. Tout projet que le conseil n'a pas le temps de discuter dans les délais prescrits peut être mis à exécution par le préfet, sur l'avis conforme du ministre de l'intérieur. A l'ouverture de chaque session ordinaire, le conseil élit son président et son viceprésident.
Les principales attributions des conseils généraux sont le contrôle des comptes de l'administration départementale pour les exercices écoutés et le vote des dépenses à imputer pour l'année suivante sur les contributions locales; ils déterminent en outre le mode de perception de ces impôts. Mais là se borne leur rôle financier, et encore n'est-il pas aussi large qu'on pourrait le croire à première vue, t'autorité gouvernementale ayant soin de se réserver les moyens d'emménager et de déménager par la fenêtre au cas où un conseil générât serait assez mal-appris pour lui fermer la porte. Au début du moins, cette précaution n'était peut-être pas inutile, car certains 1. Le conseil générât s'appelle en japonais &io~ et par conséquent /M-/f:~ dans les trois départements capitaux, et ~M-s~ dans les autres. 2. La. valeur au pair du .yftt d'or est de 5 fr.-16 1/6 cent.; mais, au cours .actuel, cinq yen ne représentent que 22 francs environ.
3. Au Japon, l'année fiscale et budgétaire commence le i" avril.
conseillers avaient adopté pour système de refuser toute demande de crédit et de critiquer toute dépense. Ils avaient pris le mors aux dents dans le galop général du Japon, et leur folle puérilité qualifiait d'opposition ce qui n'était qu'un fougueux emportement.
En dehors de ses attributions financières, le conseil général a encore le devoir d'éclairer le préfet de ses avis sur les questions d'utilité départementale. Enfin, il est autorisé à s'adresser directement au ministre de l'intérieur pour lui soumettre toutes réclamations ou propositions qu'il croirait à propos de formuler dans l'intérêt du département. Chaque année, le conseil général élit dans son sein une commission permanente composée de 5 membres au moins et de 7 au plus. Celle-ci siège dans l'hôtel même de la préfecture et sous la présidence du préfet; son rote est purement consultatif elle donne des avis sur l'exécution des travaux et, en général, sur l'emploi des fonds départementaux eu égard aux votes du conseil général. Elle est, en outre, chargée de préparer le travail de ce conseil à l'approche des sessions.
Quelles qu'aient été les réserves du gouvernement dans l'institution des conseils généraux, il n'est pas douteux que ceux-ci, malgré leurs entraves, prennent chaque jour une plus grande place dans le pays. Graduellement ils arrivent à avoir conscience de leur force, cette force plus ou moins sourde suivant qu'elle est plus ou moins comprimée, mais à coup sûr toujours croissante, d'une réunion d'hommes sortis du suffrage populaire même restreint.
Au surplus, les Japonais peuvent tirer plus d'un profit de leurs conseils généraux sans s'en douter peut-être ils s'y essayent au régime parlementaire, de même que dans les chambres de commerce; et à des points de vue différents, les deux écoles se valent. D'autre part, le département étant ainsi constitué, il existe entre administrateurs et administrés des rapports nécessaires où chacun peut trouver son avantage. Enfin, il est à noter que, la plupart du temps, les électeurs japonais envoient au conseil général des hommes doués de quelque instruction et favorisés d'une certaine fortune. Ceux-ci, une fois élus, se sentant forts de la considération publique, se mettent volontiers à la tête des entreprises industrielles et commerciales qui développent la richesse de chaque région. Durant ces dernières années, de nombreux travaux ont été entrepris avec des capitaux privés, réunis en syndicats par ceux-là mêmes qui sont les plus intéressés à l'exécution et à l'achèvement de ces ouvrages. Ce sont, par exemple, les propriétaires du sol qui fournissent les fonds pour la construction du chemin de fer qui doit multiplier le rendement de leurs exploitations, et ils n'attendent pas pour cela l'initiative officielle; la société est constituée, le capital formé avant même que la concession soit demandée. Qui sait si les Japonais ne devront pas un jour leur prospérité à leur foi dans l'union des intérêts commerciaux ou industriels? Toute exploitation est, ici, matière à syndicat. Le syndicat, c'est la force du Japon. Ce sera peut-être son salut.
L. PASMENTRY.
ANALYSES ET COMPTES RENDUS.
Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Précis de droit commercial. Paris, Pichon, 2 vol. 1879-1886. MaHM~ de ~'oM commercial, spécialement destiné aux étudiants des Facultés de droit. Paris, Pichon, i vol. 1887. MM. L.-C. et R. ont publié sous ces titres deux ouvrages d'importance inégale, mais tous deux de grande valeur. Le premier est un exposé à la fois concis et complet du droit commercial français. Dans ces deux volumes très compacts, les auteurs ont réuni un commentaire extrêmement clair et précis du Code et des lois complémentaires; un exposé sommaire, mais fort précieux, de la législation étrangère, chose trop négligée jusqu'ici dans les ouvrages du même genre; une abondante bibliographie; enfin une jurisprudence non moins abondante. Tous ces éléments sont combinés avec soin et forment un ensemble dont la valeur scientifique et pratique a déjà attiré l'attention des savants et des hommes d'affaires.
Bien que cet ouvrage soit en réalité considérable (2000 pages in-S" de petit texte), il fallait un réel talent et une profonde habitude de ce genre de travaux pour réussir condenser aussi fortement une matière de cette étendue. Le droit commercial touche à tant d'intérêts, il comporte pour bien des questions tant de solutions différentes, il présente, surtout chez nous, tant de points controversables, que la tendance à s'étendre est toute naturelte. Sans rien négliger, les auteurs ont su résister à cette tendance, et leur travail y a gagné un degré de clarté et de précision rares dans ces sortes d'ouvrages.
Parmi les divisions de notre droit commercial qui présentent le plus de lacunes et de règles vieillies, nous citerons, particulièrement, celles qui concernent les sociétés par actions et le change. MM. L.-C. et R. ont traité amplement ces deux matières, en signalant les nombreux défauts de la législation française, et en tenant compte des opinions des principaux auteurs nationaux et étrangers. Leur livre est donc tout à fait au courant. Les difncu)tés relatives aux émissions d'obligations, au fonctionnement des sociétés en commandite sous le régime des lois de I8S6 et 1867, aux obscurités de cette dernière loi en ce qui concerne les sociétés anonymes; les confusions établies par ces textes entre les deux genres de sociétés, sont examinées dans des notes courtes et nettes, qui laissent toute sa clarté au, texte du' commentaire en l'appuyant par des critiques judicieuses et des exemples
pris dans la jurisprudence française, dans les lois étrangères, dans les auteurs.
En matière de change, MM. L.-C. et R. ont très bien fait ressortir le caractère suranné de notre législation, qui appelle des réformes sur bien des points. Le droit comparé était ici fort important, car on a beaucoup innové à l'étranger en cette matière depuis une vingtaine d'années. Les auteurs n'ont pas ménagé les indications à ce point de vue.
MM. L.-C. et R. ont donné une grande place au droit maritime, qui occupe à lui seul la première moitié du tome H (567 pages sur 1041). La matière prêtait d'ailleurs à développement, car elle est plus importante que jamais, et en outre ses conditions principales se sont singulièrement modifiées dans le cours de ce siècle. Une loi récente (1885) a corrigé certaines erreurs graves du système vieilli du Code de commerce, mais il reste encore beaucoup à faire. De même en matière de faillites.
La plupart des législations ont abandonné les rigueurs dont la nôtre reste armée contre le failli quelles que soient d'ailleurs les causes de sa situation. Elles ont en outre étendu le bénéSce du système aux non-commerçants, chose admise par notre ancien droit et négligée par le Code et la loi de i838.
Le deuxième volume se termine par des tables de concordance et par une table alphabétique bien faite, qui rendent facile le maniement de l'ouvrage. C'est là, en résumé, un excellent livre; mais, grâce à l'imperfection de notre législation, surannée par tant de côtés, il ne tardera guère à demander une seconde édition.
Le J~aNMe~, qui répond à un autre besoin, n'est pas conçu sur le même plan. Les auteurs ont pris soin de simplifier encore le texte, en y concentrant les solutions admises et en élaguant autant que possible la discussion. Les notes et la législation comparée ont aussi disparu. L'étudiant se trouve ainsi en présence d'un texte net et serré, où il ne court pas risque de se perdre. Les qualités de ces deux ouvrages leur ont procuré un succès immédiat, d'ailleurs assuré d'avance à l'autorité européenne des savants auteurs. LÉON POINSARD.
F. de Bourgoing ancien secrétaire d'ambassade. Histoire ~6 l'Europe pen'M Révolution française. 186S-1885, 4 vol. in-8". Lévy. L'ouvrage de M. de Bourgoing sur l'histoire diplomatique de la Révolution, commencé il y a vingt ans, est demeuré inachevé; la mort est venue interrompre l'auteur. Il forme néanmoins un tout complet, grâce au fascicule publié l'an dernier, et qui conduit la narration jusqu'à la conclusion de la paix de Bâle, terme de la première coalition.
Il est incontestable que les événements de 1870, si douloureux pour nous, ont profondément modifié le point de vue de l'histoire, surtout de l'histoire de la Révolution. Bien qu'il n'y ait jamais en politique, et cela est heureux pour les vaincus, de solution définitive, la guerre franco-prussienne et la
création du nouvel empire d'Allemagne apparaissent comme le dénouement sinon du drame, du moins d'un de ses principaux actes. La plus grande partie du travail.de M. de B. était écrite avant la guerre; cependant, grâce à ses éminentes qualités d'historien, ses concisions sur l'époque révolutionnaire ont été plus souvent justinées que contredites par les événements ultérieurs.
M. le duc de Broglie a p!acé au commencement du dernier volume une courte préface. Amené à envisager les conséquences lointaines de la paix de Baie, jusqu'à léna et jusqu'à Sedan, il explique comment, au lieu d'apaiser le dissentiment séculaire des deux peuples, cette paix n'a servi qu'à envenimer leur rivalité. Les vues qu'il expose sur la politique des frontières naturelles ne sont point absolument neuves; il se borne à accuser l'ambition outrée des révolutionnaires et de Napoléon 1er. « Comment un but poursuivi pendant des siècles par tous les politiques français, obtenu tout d'un coup comme par miracle, nous a-t-il échappé avec une rapidité égale? Il faut bien le reconnaître, c'est que la paix de Bâle ne fut point mise en œuvre avec le même esprit de sagesse et de discrétion qui avait présidé & sa conclusion. » –tf
L'ouvrage de M. de B. a eu la mauvaise fortune de paraître en même temps que celui de M. H. de Sybet. L'écrivain français ne connaissait pas les travaux allemands lors de la publication de son premier volume. Il s'en est largement servi dans les volumes suivants, principalement pour ce qui concerne le second partage de la Pologne. Tout n'est donc pas ici de première main. Mais M. de B. n'en complète pas moins très utilement les ouvrages allemands. Tout ce qui s'est publié au delà du Rhin au moment de la lutte entre l'Autriche et la Prusse a subi le contre-coup des passions politiques du moment. La question si controversée de la part qui revient à chacune des deux grandes puissances allemandes dans l'échec de la première coalition est très bien résolue par M. de B. Entièrement désintéressé dans la lutte, exempt du parti pris si évident chez nos voisins, il présente les événements sous leur véritable aspect et ne cherche pas à déplacer les responsabilités. r
Le récit des opérations militaires, puisé dans Jomini et les écrivains spéciaux. tient une assez grande place. « C'est un des plus dangereux écueils que présente le sujet à qui n'a pas étudié profondément les diverses parties de l'art si compliqué de la guerre. t La compétence de l'auteur en cette matière lui a été d'un grand secours. S'appuyant sur les témoignages de Dumouriez et de Napoléon, il a démêlé, avant M. C. Rousset et M. A. Chuquet, le vrai et le faux dans la légende des volontaires de 92, dont les exploits doivent être attribués, nul ne l'ignore aujourd'hui, aux volontaires de 9i.
Il importe de signaler comme une des meilleures parties de l'ouvrage tout ce qui concerne l'émigration, ses sentiments, ses illusions, le peu de sympathie de Marie-Antoinette pour le « maudit borgne < (c'est ainsi qu'elle appelait le prince de Condé). M. Ernest Daudet, l'historien des émigrés, cite parfois M. de B., et c'est presque toujours pour conSrmer sa façon de voir.
Les débats du Parlement anglais, qui ont exercé une si grande influence sur la politique générale, ont reçu beaucoup de développements. Le tome II s'ouvre par un chapitre intéressant sur les finances et les armées des différents États en 1792. Les chiffres sont empruntés pour la plupart à l'Encyclopédie, où l'on a souvent le tort de ne point les chercher, les parties démodées de l'ouvrage ayant fait oublier celles qui demeurent excellentes. Nous signalerons encore ce qui concerne la propagande française sur les bords du Rhin, en Savoie, en Italie. C'est là un point capital de l'histoire diplomatique de la Révolution. Les alliés avaient d'abord prétexté ce danger sans y croire; d'imaginaire qu'il était au début, il devint bientôt très réel. Déjà commençait, dans les derniers mois de 1792, la contagion des idées révolutionnaires, que Napoléon promènera plus tard par l'Europe avec ses armées victorieuses.
Si le récit des négociations de Dumouriez avec les Prussiens et de la retraite de la première coalition n'est pas entièrement neuf, il est du moins remarquable par sa clarté les choses sont dites en si bons termes, qu'un lecteur français trouvera toujours plaisir et profit à les y lire. L'intéressante question du droit des neutres est traitée en détail. On sait quelles étaient les doctrines restrictives professées à cet égard par l'Angleterre, doctrines que lui dictait son intérêt évident, puisqu'elle était maîtresse des mers. La France défendait la cause contraire, et sa générosité dans ce cas était d'accord avec ses calculs. La question se posa en 1793 avec le Danemark, qui refusait d'admettre les théories des coalisés sur la contrebande de guerre, puis peu de temps après avec les États-Unis, qui, plus puissants que le petit État scandinave, faillirent rompre avec l'Angleterre. Tout ce qui touche au projet d'une alliance franco-suédoise après la mort de Gustave lli est tiré des pièces conservées aux archives des affaires étrangères à Paris. L'auteur ne partage pas l'avis de M. de Sybel, qui a rendu compte de toute cette négociation d'après un rapport inédit de M. de Staël, et qui rattache la conduite de Danton à un vaste plan de politique étrangère; M. de B. ne consent pas à accorder à Danton une haute valeur d'homme d'État.
La mission de Maret à Naples, et Ide Sémonvilfe à Constantinople, ainsi que leur arrestation au mépris du droit des gens, amène l'auteur à parler de la négociation secrète qui aurait été nouée par Maret au sujet de la sûreté de la reine et de sa famille. Une note fort étendue établit que les Mémoires du duc de Bassano, mieux compris, ne prouvent rien de positif, et que le ministre de France à Naples n'était pas autorisé à promettre formellement la vie de la reine. Ce qui montre bien que les membres du second Comité de Salut public n'étaient disposés à aucune concession, c'est que leurs intentions à cet égard furent la cause des échecs du baron de Bourgoing dans les missions dont il fut chargé à Madrid, et dont il s'acquitta avec intelligence et habileté, ainsi que le prouve le récit de ces négociations dans l'ouvrage de son fils.
L'ouvrage de M. de B. se recommande principalement par ses qualités de style écrit avec méthode toujours, avec art souvent, il tient lieu presque par-
tout des publications allemandes, qu'il corrige et complète sur plusieurs points. Il permet d'attendre l'achèvement des travaux de M. Albert Sorel sur cette matière.
AUGUSTM BERNARD.
Alfred Rambaud, la France coloniale. 1 fort vol. in-8 Paris, Armand Colin et C' 1886.'
La question coloniale intéresse, passionne même tous les peuples, tous les individus. M. Rambaud, professeur à la Faculté des lettres de Paris, vient de mettre chacun à même de la traiter avec compétence. M. de Lanessan n'a pas reculé devant un voyage à travers le monde pour nous retracer un tableau plus fidèle de l'expansion coloniale de la France. M. Rambaud ne s'est pas non plus laissé effrayer par l'immensité de la tâche. N'ayant pas le loisir de quitter la Sorbonne, il s'est résigné à mettre en pratique la théorie de la division du travail. Des hommes éminents appartenant à l'armée, à J'enseignement, à la science, au commerce, & la politique, à l'administration, lui ont apporté leur concours, et la collaboration a donné les plus heureux résultats. Tout en puisant ses documents aux sources les plus diverses, M. Rambaud a su conserver à la France coloniale toute l'homogénéité qui convenait. Toutes nos possessions, la plus étendue comme la plus exiguë, la mieux organisée comme la plus embryonnaire, le Tonkin comme les îles Kerguelen, l'Algérie comme Porto-Novo ou Cheik-Saïd, sont étudiées avec une commune méthode, et donnent lieu à des développements proportionnés à leur importance actuelle ou à leur avenir.
Histoire, géographie, ethnographie, administration, ressources politiques et militaires, économiques et sociales, tels sont les points de vue successifs sous lesquels est présentée chaque colonie. Les dates des événements, les données de la statistique sont tout à fait récentes; quelques-unes remontent à peine au printemps de 1886. M. Léveillé nous fournit des renseignements particulièrement intéressants, sur le problème pénitentiaire posé à la Guyane; M. le sénateur Isaac et M. le député Hurard, sur les aspirations de la Guadeloupe et de la Martinique; M. Deloncle, sur les castes et les langues de l'fnde; M. Marcel, sûr la politique des Hovas; M. de Cordemoy, sur l'organisation du travail à la Réunion; enfin M. Dutreuil de Rhins, sur les rapports de Brazza avec les peuplades et les souverains de l'Ouest africain, et sur l'attitude.de la France vis-à-vis de la Belgique et à la conférence de Berlin au sujet de l'État libre du Congo. Quant à M. Rambaud, dans son introduction et sa conclusion, il juge avec beaucoup de sûreté et d'impartialité le rôle des différents peuples dans l'oeuvre de la colonisation, et il fait preuve d'une connaissance approfondie des droits et des intérêts de notre mère patrie.
ËNILE MAUCOMBLE.
Albert Vandal. Une ambassade française en Orient sous Louis ZV. Za mission dit marquis de Villeneuve (1728-174.1). Paris, Plon, in-8", 1887. L'article que M. Vandal avait publié au mois de juillet dans les Annales semblait annoncer aux lecteurs de ce recueil un nouvel ouvrage auquel il servirait d'introduction. Leur attente n'a pas été trompée, et ils trouvent à lire le volume qui vient de paraître tout le plaisirqu'ils espéraient. En effet à la possession complète de l'histoire d'Orient, à l'étude approfondie des documents inédits renfermés dans les archives de Paris et de Venise qui donnent à ses travaux une grande valeur historique, M. Vandal joint la connaissance des lieux qu'il décrit, et un style délicat et imagé, qui font de ses livres d'histoire une œuvre vraiment littéraire.
Dans l'introduction, on s'en souvient, M. Vandal décrit en quelques pages, qu'on ne saurait trop louer, la situation de la France en Orient au xvue siècle, l'importance de son protectorat sur les religieux, la prospérité de son commerce, puis il montre comment, dès le commencement du xvmc siècle, cette prépondérance s'était amoindrie, comment, par suite de la rivalité des Hollandais et des Angtais. nos capitulations avaient reçu de graves atteintes et notre commerce avait décliné, tandis qu'en même temps les conquêtes des Autrichiens et des Russes annonçaient la ruine de l'Empire ottoman. La France ne pouvait laisser tomber son allié traditionnel; elle ne pouvait pas non plus se laisser évincer d'une région où un million de ses sujets s'enrichissaient en commerçant. Habilement secondé par le marquis de Villeneuve, dont la mission fait l'objet du travail de M. Vandal notre gouvernement réussit à rendre à l'Empire ottoman la vigueur qui paraissait lui manquer, à écarter de lui ses ennemis, et à rétablir un instant l'ancienne prépondance de la France en Orient. Ce fut un des derniers triomphes de notre diplomatie.
Ce n'était pas chose facile que de ramener à nous les conseillers du sultan. Notre politique les avait déjà bien souvent trompés, et ils s'inquiétaient de. ce que le roi très chrétien n'avait jamais voulu signer un véritable traité avec eux. Une de ces révolutions si subites en Orient vint aider notre ambassadeur. Les faibles ministres du sultan que leur timidité rendait partisans des Impériaux et des Moscovites furent remplacés par des hommes énergiques qui voyaient dans l'alliance française le salut de la Turquie. Villeneuve trouva auprès d'eux un appui; et, grâce à la bienveillance du grand vizir Topai Osman, du capitan-pacha Djanum Khodja, notre commerce reconquit ses anciens privilèges, nos religieux tous leurs droits. En même temps l'armée turque s'organisait sous la direction d'un singulier personnage, le comte- pacha de Bonneval. Villeneuve espérait que la France pourrait profiter de ces bonnes dispositions pour agir dans l'affaire de la succession de Po'ioo-na qui venait de s'ouvrir.
Mais une nouvelle révolution amena de nouveaux ministres, bien plus circonspects, quoique assez bien intentionnés pour la France. Une conduite énergique pouvait seule les entraîner à soutenir Stanislas. Villeneuve y réussit, malgré les hésitations du cardinal Fleury. Mais au moment ou il' décidait la Porte à agir, la cause de Stanislas était déjà perdue, et Fleury A. TOME II.
« s'était dérobé ». Cette volte-face du cardinal laissait la Turquie seule visà-vis de l'Autriche et de la Russie, qui, après leur victoire de Pologne, n'attendaient que le moment de fondre sur elle. Villeneuve sentait tous les dangers de cette situation, car il considérait l'existence de l'Empire ottoman comme une garantie de repos pour l'Europe, et il redoutait la ruine de notre commerce. Ayant fait adopter ses vues par te cabinet de Versailles et lui ayant fait reconnaître la faute qu'il avait commise en ne s'intéressant pas assez activement aux affaires de' Pologne, il n'eut plus qu'une pensée arrêter les hostilités en Orient. Muni par la France d'un plein pouvoir pour négocier et entraver la marche des alliés russes et autrichiens, il reçut de la Porte le titre de Médiateur, qu'il fit reconnaître par l'Autriche. Mais la guerre menaçait de s'éterniser, des conférences commencées à Niémirov s'étaient rompues; la Turquie s'était révei!tée; sa résistance ayant découragé les Impériaux, Villeneuve voulut en profiter pour conclure la paix. S'étant transporté devant Belgrade, au camp du grand-vizir, il fit accepter par le général Neipperg, que l'Empereur, sous le coup de ses défaites, avait envoyé négocier avec lui, un traité assez humiliant, et pour empêcher que les Autrichiens; dont les affaires s'étaient subitement rétablies, ne rompissent cette paix, il y apposa la garantie du roi de France. C'était un coup de maître. L'Empereur ne put que ratifier la paix de Belgrade; la Tzarine fut forcée de l'accepter; elle ne pouvait combattre seule, et elle se sentait menacée par la Suède, que les intrigues françaises avait excitée contre elle. Ainsi l'Empire ottoman était sauvé; il reprenait quelques-unes des provinces que ses adversaires lui avaient arrachées; et la France, tout en retrouvant sa prépondérance en Orient, brouillait la Russie avec l'Autriche, et se voyait recherchée par chacune de ces puissances. « Grâce au marquis de Villeneuve, et par le seul effort d'une habile politique, la France reprenait, sans combat, cette direction de l'Europe, que la force des armes lui avait autrefois attribuée. »
A. BoppE.
Léonce Kngaud. C/MtMt~-GoM/~r. I,ù! Ft'aKce en Orient sous Louis .3TF7. ivo).i[i-8".Pioard.
Le livre de M. Pingaud est le dernier chapitre de l'histoire de la politique française en Orient au xvH~ siècle. Ce n'est pas le moins intéressant. M. P. l'a traité avec' science et avec art, avec une possession complète du sujet, de ses sources, de ses éléments divers, jointe à un réel talènt d'exposition.
L'influence traditionnelle de la France dans les pays du Levant, compromise sous Louis XIV par suite de nos différends avec la Porte, restaurée plus tard par le même monarque à l'aide d'un persévérant travail, avait atteint pendant la première moitié du xvni" siècle son plein développement; à cette époque, si la France n'était plus seule en Orient, comme au xvf siècle, elle y gardait incontestablement la première place; elle jouait entre la Porte
et les puissances chrétiennes le rôle d'intermédiaire et d'arbitre. Vers la fin du règne de Louis XV, notre prestige et notre autorité déclinèrent dans toutes les parties de l'Europe, à Constantinople comme ailleurs. En même temps la Russie se levait à l'horizon, grandissait, dévoilait ses projets et se présentait déjà comme l'héritière designée des Osmanlis. En présence des progrès continus et irrésistibles de cet empire, la France commençait à douter de la valeur du système qu'elle avait suivi jusqu'alors; elle se demandait si, en persistant dans la politique qui se proposait pour but la conservation de l'État ottoman, eUe ne risquait point de se vouer à une œuvre impossible et de s'unir à un cadavre, si ses vrais intérêts ne lui commandaient pas, au contraire, de tenter un rapprochement avec la grande puissance du Nord. La Turquie n'était plus pour nous que l'amie du passé; la Russie ne pouvait-elle être considérée comme l'alliée de l'avenir? Il était difficile pourtant à la France d'adopter une politique franchement russe un intérêt majeur l'en détournait. Au xvnf siècle, les questions économiques et commerciales exercèrent souvent sur les relations entre les peuples une intluence décisive. Or, à cette époque, le commerce du Levant nous appartenait presque en entier; à elle seule, la France faisait plus de trafic dans les Échelles que toutes les autres nations réunies. Le monde musulman, qui consomme et ne travaille pas, offrait un débouché assuré, permanent, à toute une partie des produits de notre industrie. C'était gràce aux privilèges reçus successivement de la main des sultans que la France s'était procuré et qu'elle conservait cet immense marché, d'où elle avait exclu peu à peu les autres peuples; le maintien de son empire commercial se trouvait donc lié à celui de la domination ottomane. « Ce n'est pas les Turcs que le roi voudra défendre, écrivait Choiseul-Gouffier, mais les millions de Français que nourrit l'indolence des musulmans tributaires de notre industrie. » Aussi, tandis que Ségur portait à Pétersbourg de la part du roi des paroles de paix et d'amitié, à Constantinople, Choiseul-GoufËer recevait mission de soutenir, d'éclairer les Ottomans et, sans se compromettre ouvertement avec eux, de les assister dans leur détresse. Choiseul-Gouffier poursuivit cette tâche ingrate avec zèle, quoique sans enthousiasme. Russe d'inclination, il se fit Turc par devoir. La première partie de son ambassade (1785-1787) fut remplie par ses tentatives pour rétablir auprès du Divan notre crédit ébranlé, pour empêcher le sultan Abdul-Hamid, en répondant par une déclaration de guerre aux provocations de la Russie, de se jeter dans une périlleuse aventure. Les incidents divers de cette période, les intrigues de la Russie, les incohérences de la politique ottomane, le double jeu de l'Autriche qui, tout en demeurant officiellement gotre alliée, négociait avec Catherine 11 le partage de l'Orient, ont été étudiés par M. P. avec beaucoup de soin et de pénétration. Au milieu des difficultés de son rôle politique, Choiseul-Gouffier ne perdait pas de vue le grand intérêt français dans le Levant, celui du commerce; il rêvait d'accroître encore nos privilèges et d'ouvrir pour la première fois à notre pavillon la mer Noire et la mer Rouge. Ce dernier. point eût été d'une importance capitale. La faculté de passage par l'isthme de Suez et la mer
Rouge nous eût assuré une voie nouvelle et directe vers les Indes; l'Égypte fût redevenue pour la France, suivant l'expression de Leibnitz, la « porte de communication » avec l'extrême Orient. M. P. donne sur ce projet des détails neufs et précis, et montre comment il échoua par suite de l'anarchie qui désolait l'Égypte, des préjugés de la Porte et de son aveugle ignorance,
En 1787, la guerre éclata entre la Turquie d'une part, la Russie et l'Autriche de l'autre. Cette crise surprit la France à la veille de la Révolution absorbé par ses embarras intérieurs, le gouvernement du roi n'osait plus agir air dehors et laissait notre~poutique flotter sans direction. Spontanément, Choiseul-Gouffier essaya de faire jouer à la France un rôle digne de son passé, celui de médiateur entre les belligérants. Malheureusement, derrière cet ambassadeur actif, l'Europe n'apercevait plus qu'un pouvoir frappé de paralysie; aussi nos conseils furent-ils dédaignés, nos démarches mal accueillies. La France ne participa pas aux négociations qui précédèrent le rétablissement de la paix, et les traités de Sistova et de Jassy, conclus en i79i, à la veille de la coalition qui allait l'exposer au choc des armées européennes, se firent sans elle et contre elle. L'approche de la Révolution avait suspendu notre action politique en Orient; la Révolution elle-même ruina notre prépondérance commerciale. L'introduction dans nos comptoirs d'une liberté illimitée, succédant brusquement à un ordre rigoureux, produisit l'anarchie. Notre négoce du Levant périt dans cette crise et ne s'est point relevé depuis.
En somme, il est permis de croire, avec M. P., que Choiseul-Gouffier fut supérieur à la politique débile qu'il dut servir et représenter. Toutefois, s'il n'avait été qu'un diplomate bien intentionné et ma)heureux, on pourrait se demander s'il méritait un historien. Mais il fut aussi un homme de goût et de savoir, un amateur éclairé des antiquités grecques, un collectionneur incomparable; il fut enfin l'instigateur de recherches et de découvertes de tout genre sur le sol fécond de l'Orient. M. P. a consacré une partie de son volume àmettre en lumière cette partie du rôle de son personnage; nous ne pouvons que renvoyer à ces pages particulièrement attrayantes. On y verra comment l'ambassadeur sut s'entourer d'une pléiade de lettrés, d'artistes, de curieux, dont il se fit à la fois le protecteur, l'auxiliaire et l'émule. Si sa culture d'esprit, aimable et étendue, demeura un peu superficielle, s'il fut ami de la science plutôt que savant, ses travaux n'en contribuèrent pas moins à répandre le goût de l'antiquité, des arts, des monuments de la Grèce, et le désir de les mieux connaître. En politique, ChoiseulGouffler avait été le défenseur impuissant et peu convaincu d'un système qui touchait à sa fin dans le champ de l'érudition et des études arohéolo.. giques, il fraya une voie nouvelle et fut un précurseur. A. V.
Th. Funck-BrentanO. JVoMueaM précis d'économie politique. Les Eléments. Paris, 1887. i vol. in-i3. Plon et Chevalier-Marescq. Ce volume est la première partie d'une œttvre générale qui en comprendra quatre. M. F.-B., d&Snissant l'économie politique « la science des rapports qui
s'établissent entre les hommes en vue de la satisfaction de leurs besoins remarque qu'elle se présente sous des aspects différents suivant que les phénomènes dont elle s'occupe proviennent de l'initiative d'individus, d'associations, d'États ou de nations; de là sa division en Eléments, Economie -sociale, Economie publique, Economie internationale. Nous aurions préféré, pour la symétrie, la dénomination d'Economie individuelle à celle d'Eléments, qui aurait pu être mise en sous-titre. Quoi qu'il en soit, les .Eléments portent sur « les besoins de l'homme, les efforts qu'il fait pour les satisfaire, les principes qui régissent ces efforts et les formes générales qui en résultent ». Voici d'ailleurs la suite des chapitres de l'ouvrage, qui montrera mieux que cette explication un peu vague la matière traitée .état social objet de l'économie politique valeurs consommation et production propriété travail formes principales du travail échanges capital offre et demande concurrence et spéculation–coordination des formes du travail répartition des produits rente intérêt salaires impôt nature des bénéfices consommation des produits -circulation monétaire crédit épargne population richesse et misère. On voit de suite, par cette énumération, que M. F.-B. n'accepte pas la division classique production circulation répartition consommation. Ainsi il étudie la valeur avant la consommation et la production, le capital entre les échanges et l'offre et la demande; la circu-lation monétaire se trouve rejetée fort loin des échanges, dont elle est séparée par les questions relatives à la répartition ordre nouveau qui -déconcerte un peu et ne semble pas propre à répandre plus de clarté que l'ordre ancien. La pensée qui a présidé à cette distribution nous échappe, l'auteur nous la laissant ignorer. Nous serions assez disposé à y trouver la caractéristique de son esprit qui saisit chaque sujet dans sa réalité -concrète, mais ne semble pas faire entre les divers sujets les comparaisons et les rapprochements qu'exigerait une classification rationnelle. Chaque chapitre constitue de la sorte un petit tableau économique, et le volume une série de dissertations ayant leur existence propre, presque exclusive, présentées sans préoccupation de classement méthodique au moins apparent. C'est là peut-être un défaut regrettable pour un ouvrage destiné à renseignement.
Les Éléments débutent par une introduction très remarquable, consacrée à l'histoire des doctrines économiques, dans laquelle M. F.-B. fait ressortir avec une grande clarté l'opposition des deux principes qui les ont respectivement inspirées, le principe de liberté avec les économistes individualistes et le principe de contrainte avec les socialistes; les premiers, fidèles à la formule de Gournay laissez faire, laissez passer, défendant la liberté, sans nier que ses abus ne puissent entraîner des maux, nécessaires à leurs yeux; les seconds, surtout préoccupés de ces maux qu'ils exagèrent, réclamant la suppression totale de la liberté (socialistes révolutionnaires), ou bien en demandant la restriction par les principes moraux et religieux (socialistes -chrétiens) ou par la force publique (socialistes d'État). Si la question est ttien posée, M. F.-B. est moins heureux lorsqu'il cherche à la résoudre.
« Entre le principe de liberté du travailleur et celui de sa soumission & quelque titre que cc soit, il n'y a point de conciliation possible », suivant lui, et il condamne l'éclectisme de MM. Scha~tne et Wagner qui ont tenté l'aventure. Que propose-t-il donc à la place? I) reconnaît que la liberté est la source de tous progrès, mais aussi de toutes misères; le moyen d'empêcher ces dernières de se produire n'est ni dans la liberté ni dans la contrainte, mais dans la eoM'~MM~Mt des e~o~s des hommes « « H n'y a point, dit-il, de progrès qui ne soit dû à l'initiative individuelle, et il n'existe point d'état social qui ne soit fondé sur une commune solidarité. » Mais comment faire régner cette solidarité? Comment réaliser la coordination des efforts? Voilà, ce que l'auteur ne nous apprend pas, ou plutôt il nie la possibilité d'arriver à ce résultat par d'autres voies que les efforts individuels eux-mêmes puisque ce sont eux qui produisent l'état social et économique. C'est répondre à la question par la question. Le principe avancé comme solution du problème n'en est au fond que l'énonciation sous une autre forme. La question sociale, pour l'appeler par son nom, et la question de la coordination des efforts des hommes, c'est tout un. Économistes et socialistes ne s'en sont jamais proposé d'autre; ils ont cru la trancher les uns par la liberté, lesautres par la contrainte; et, en dénnitive, après avoir critiqué les deux solutions, M. F.-B. ne nous en offre aucune autre.
Nous ne saurions assurément examiner en défait !es ~Mmenfs, contentonsnous de signaler les points importants. Sur le sujet spécial de la valeur l'auteur soutient qu'elle dépend de nos besoins, notion qui avec le principede la coordination des efforts domine tout son travail, Il ne sépare pas la production et la consommation qu'il compare assez heureusement à l'inspiration et à l'expiration constituant la respiration, ce sont les deux temps d'un même phénomène; à ce propos, il a quelques aperçus vraiment originaux, touchant les bénéfices réels que la société recueille de la production. M définit le capital une accumulation de l'instrument d'échange; le revenu ce qu'on appelle communément les frais de production. H 'substitue à la division du travail et à la concurrence comme causes des perfectionnements économiques, l'union, la simplification et la coordination du travail d'une part, la spéculation d'autre part; il refuse à la loi de l'offre et de la demande le caractère de loi et attribue les variations des prix aux besoins, aux craintes, aux espérances, etc.
M. F.-B. laisse donc subsister peu de chose de l'économie politique orthodoxe, et un critique sévère relèverait toutes ces innovations comme autant d'hérésies, mais-nous croyons qu'elles sont beaucoup plus dans la forme que dans le fond, et qu'en réalité, à n'en retenir que l'essence, elles ne s'éloignent pas beaucoup des idées en cours. L'auteur ne s'en sépare vraiment que sur un point, mais sur un point capital, qui fait son originatité, c'est par sa manière d'observer les phénomènes économiques dans leur réalité vivante pour ainsi dire, qui nous donne de la société l'impression d'un organisme agissant, procédé qui a l'avantage de ne pas défigurer les faits, de les représenter tels qu'ils sont, mais qui n'est pas exempt toutefois de quelque obscurité lorsqu'une analyse détaillée des faits n'en précède pas
l'application. C'est pourquoi le volume de M. F.-B. sera lu utilement par les personnes qui connaissent déjà les principes de la science œuvre solide par l'idée générale qui l'a inspirée, propre à servir de conclusion à la plupart des traités actuels qui. donnant souvent trop de place à l'analyse, arrivent fréquemment à fausser la réalité, qu'une synthèse subsèquente devrait reconstituer.
ADOLPHE HOUDARD,
Les A)M't~es ont, en outre, reçu les ouvrages suivants, dont il sera rendu compte uHérieurement
Baron A. d'Avril. A'~octaMoMi relatives CtK traité de Berlin. 1873-1886, Leroux, in-8".
A. des Cilleuls. Le domaine de ville de Paris dans le présent e< dans le passé. Paris, 188o.
R. Rochat-Gautierez. Lf< Vet-~fdeM y la falsa Democ~acM. 1887, Garnier fre.res.
L. Pauliat. La' po<t<t<y:<e co~oHM~e sous ~'<mcteK régime. 1887, Calmann Lévy, in-18.
A. Chuquet. Les guerres de ~tReuc~u~OK. Valmy. 1887, Cerf. A. GeNroy..Urne de MfHH<eHOK d'après sa cofrespoMdaMce. 1887, Hachette. J. R. Seeley. CoMrfe histoire de Napoléon ler, trad. Baille, 1887, Colin, in-18.
G. Hanotaux. Études historiques sur le xvf et le xvn<' siècle en France. 1887, Hachette, in-t6.
P. de la Gorce. Histoire de la seconde République française. 1887, Plon, in-8'\
L. de Laborie. Jean-Joseph ~oMme)', sa vie poH~Mf et ses écrits. 1887, Plon.
Dislère. r)'a:(e de ~ts~MH coloniale. 1886, Dupont, in-8".
Glasson. Histoire du droit et des institutions de <a France. 1887, Pichon, in-8°, tome I"
Vührer. Histoire de la dette publique en France. 1887, Berger-Levrault. De Lanessan. L'expansion coloniale de <a France. Alcan, 1886. De Lanassan. La T'!f~SM'. Alcan, 1887.
A. de Foville. L'.t .F<'<MM economt~Me. A. Colin, 1887.
È. Boutmy. Le deM<oppCMteH< de la constitution et de société politique eRAHS'<e<e)Te. Pion,! 887.
Lieutenant-colonel Niox. Géographie militaire. 7V, AM~cAe-H<M; les Bc~ans, 2" édit. refondue.
Une série de brochures sur la question des mines, publiées par Chaix. 1887.
CHRONIQUE DE L'ÊCOLE.
Section coloniale. Nous reproduisons ci-dessous, ainsi que nous l'avions annoncé les dispositions essentielles de l'arrêté par lequel le Ministre de la marine et des colonies a réglementé le concours pour l'emploi de commis rédacteur à l'administration centrale des colonies. Cet arrête, en date du 28 février 1887, a paru dans le Journal officiel du Smars. Onremarquera la disposition aux termes de laquelle le nombre des points est augmenté d'un vingtième pour les concurrents pourvus du diplôme de l'École. (c Art. i~. Un concours pour l'emploi de commis rédacteur de 4" classe de l'administration centrale des colonies est ouvert à Paris, chaque année, avant le 1' mai.
2. Le concours comprend des épreuves écrites et des épreuves orales. 3. Les épreuves écrites sont au nombre de deux, savoir fo Une composition sur la législation et sur l'organisation administrative et judiciaire des colonies françaises; 2° une composition sur la géographie physique et politique des diverses parties du monde.
Les épreuves orales comprennent des interrogations portant sur les objets suivants
/° Notions générales de droit civil, commercial et criminel; organisation politique de la France, principes du droit administratif; 3" notions générales de finances et d'économie politique; organisation des pouvoirs publics dans les colonies françaises et étrangères; S" histoire et géographie des colonies françaises; 60 géographie industrieUe et commerciale; 7<' droit international.
Les candidats ont, enfin, à prouver, par une traduction à livre ouvert et par une épreuve de conversation, qu'ils connaissent l'anglais, l'allemand, l'espagnol, le portugais ou l'italien.
8. Le jury procède d'abord à l'ouverture du paquet contenant les compositions, que chaque membre examine et apprécie en chiffres de 0 à 20 qu'il iBSM'tsur la composition même.
La ru te obtenue pour chaque partie du concours est nruitiptiée par les coefficients ci-après législation, organisation administrative et judiciaire des colonies françaises, 12;géographie physique et politique des diverses parties du monde, 8.
9. Nul n'est admis à subir les épreuves orales si la somme des points qu'il a obtenus pour l'ensemble de ses épreuves écrites est inférieure à 340, 1. Voir les Annales du 15 janvier 1887, page 1S8.
et si la note qui lui est donnée pour une matière quelconque de l'examen est inférieure à 8.
Les candidats sont informés vingt-quatre heures à l'avance, par lettre adressée à chacun d'eux, du jour et de l'heure où le résultat des épreuves écrites pourra être lu en séance publique.
10. 11 est procédé aux épreuves orales le surlendemain du jour de la proclamation du résultat des épreuves écrites.
Les candidats sont interrogés successivement dans l'ordre déterminé par le tirage au sort qui a lieu en leur présence.
L'interrogation sur chaque matière dure dix minutes, de même que l'épreuve relative à chacune des langues vivantes que le candidat aura déclaré connaître.
Les notes sont données de 0 à 20 par un seul examinateur sur chaque matière.
Les coefficients indiquant la valeur relative de chaque partie du programme sont fixés comme suit:
Notions générales de droit civil, commercial et criminel, 6; –~° organisation politique de la France. Principes du droit administratif, 6; 3" notions générales de finances et d'économie politique, 4; 4° organisation des pouvoirs publics dans les colonies françaises et étrangères, 4; –5° histoire et géographie des colonies françaises, u 6° géographie industrielle et commerciale, 4; 7° droit international, 3; S" langue vivante, 4. 11. Les épreuves orales terminées, le jury procède au classement des candidats d'après le nombre de points obtenus par chacun d'eux dans l'ensemble des épreuves écrites et orales. Une liste indiquant les points et dressée par ordre de priorité est remise à l'administration des colonies avec le dossier des pièces du concours. 12. Nul candidat n'est admis si la somme des points qu'il a obtenus pour les épreuves orales est inférieure à 400 ou si la note qui lui a été attribuée pour l'une de ces épreuves est inférieure à 8. Le nombre des points est augmenté d'un vingtième pour le candidat qui produit soit le diplôme de docteur en droit, soit deux des diplômes ou certificats énumérés à l'article 8 du décret du 3 janvier 1887 soit, enfin, un certificat constatant qu'il a satisfait aux examens de sortie de l'École des sciences politiques ou de l'École des hautes études commerciales.
Le nombre des points est également augmenté d'un vingtième pour le candidat qui prouve de la manière indiquée à l'article 3 qu'il connaît deux des langues mentionnées audit article. »
Concours. Ministére des affaires étrangères. -Le concours s'est ouvert le 24 janvier. Les épreuves écrites ont porté sur les sujets suivants l" Du principe de la liberté des mers et de ses conséquences; 2° La deuxième coalition état de l'Europe pendant le congrès de Rastadt; rôle du roi des Deux-Siciles; traités des divers coalisés entre eux; court résumé des événe1. Voir les Annales du 15 janvier 1887, page 158.
ments militaires; traités qui mettent fin la coalition, depuis le traité de LunéviHe jusqu'à celui d'Amiens; tableau de l'Europe à ce moment. Ont été reçus MM. Steeg, Jordan, Doulcet, Sauveur de la Chapelle, de Laevivier, Doeschner, Dejean de la Bâtie, Monod, Jullemier, Cil!ière, Chayet, de Seynes, Labrouche, Rousseau et Guillemin. Onze d'entre eux sont d'anciens éiëyes de l'École.
jH~pee~OM ~s finances. Le concours s'est ouvert le H; mars. Les coinpositions ont porté sur les sujets suivants 1° Le taux de l'intérêt paraît, en général, s'abaisser depuis quelques années. Quelles sont les conséquences de ce fait pour l'État et pour les particuliers? 2° Qu'entend-on par droits spéci8ques et droits ad valorem en matière de douanes? Avantages et inconvénients au point de vue économique et au point de vue de la perception des tarifs basés sur l'un ou sur l'autre de ces systèmes. 3° Comment le payement des dépenses de l'État est-il assuré, effectué et contrôlé? Ont été reçus MM. Froissart et Touchard, anciens élèves de t'Ëcote. Bibliothèque. Un don de 500 francs a été fait à la bibliothèque de l'École par M. Isaac Kaan.
GROUPES DE TRAVAIL
Groupe de Séances et d'économie politique. M. Léon Say, président. Séance du ~MMer. M. Campagnole étudiera le compte du patrimoine dans la comptabilité publique italienne; M. Desroys du Roure, le rôle fiscal de la poste; M. Delatour, i'œuvre financière de la France à Tunis; Mi Ravarin, les taxes communales en Belgique et en Hotlande; M. Richard, Fceuvre de Corvetto; M. Guybert, là loi belge sur la caisse nationale d'épargne et de retraites. Séance du /7 février. MM. Delatour, Campagnole et Guybert donnent le plan de leurs travaux. M. de la Fournerie étudiera l'influence de la loi douanière de 1885 sur le prix du bté il communique le ptan de son travail. S~'fUMe <hf 31 mars. M. Marcel Trélat lit un travail sur l'impôt progressif dans le canton de Vaud.
Groupe de droit public et privé. M. Ribot, président. S~)M6 du 19 ~MMe)'. M. Borjeaud étudiera l'influence de la Révolution française sur la constitution helvétique; M. Godefroy, l'application de la loi municipale de 1884 en Atgérie; M. Piot, la vente des biens ecclésiastiques en Italie; M. Raiberti, la réforme judiciaire en Italie; M. Noulens, les questions de nationalité d'origine et de naturalisation. M. Meyer donne lecture d'un travail sur l'organisation du Protectorat en Tunisie. Séance du 9 février. M. Piot donne le plan de son étude sur la vente des biens eccfésiastiques en Italie. M. Menant communique son étude sur 1es législations minières de l'étranger. Séance du ~5 mars. M. Borjeaud fait eonnaitre le plan de son travail. M. Begouën donne lecture de la seconde partie de son mémoire sur le Kulturkampf.
Groupe d'histoire et de diplomatie. Séance dit ~0 ~(HCte?-. M Vandal, président. M. Jordan propose comme sujet une étude sur les traités de barrière. M. Paisant étudiera les rapports de la France et de l'Angleterre sous le ministère Fleury; IVI. Gauvain, l'attitude des cours allemandes pendant la guerre de Crimée. Séance ~< 17 janvier. M. Pigeonneau, président. M. Delavaud étudiera le mouvement de la colonisation allemande, au point de vue diplomatique. M. Monod étudiera la même question au point de vue économique. Séances des et mars. M. Pigeonneau, président. M. Daubigny donne lecture d'une étude sur une tentative de colonisation à la Guyane, sous le ministère Choiseul. Séance du 7 mars. M. Sorel, président. M. Raymond Kœch)in lit la troisième partie de son étude sur la politique française au Congrès de Rastadt. Séance du 10 mars. M. Vandal, président. M. Germain Lefèvre-Pontalis donne lecture de son travail sur la mission du président d'Ë°-u.IIes auprès de Charles-Édouard (i7S5-J7M). Séance ~M mars. M. Pigeonneau, président. M. Poinsard lit la seconde partie de son mémoire sur l'Afrique équatoriate. Séances des 2.~ janvier, 15 et 26 février, 6 et 28 mars. M. Sorel, président. Préparation d'une bibliographie de l'histoire diplomatique depuis les traités de Westphalie.
SOCIÉTÉ DES ANCIENS ÉLÈVES ET ÉLÈVES.
Séance générale du H janvier. M. Poinsard a fait une conférence sur l'Afrique équatoriale. Dans la même séance, la Société a procédé à l'élection de son bureau. M. Auburtin, maître des requêtes au Conseil d'État, a été réélu président de la Société; M. Raymond Kœehtin, vice-président pour la section d'histoire; M. Chardon, auditeur au Conseil d'État, viceprésident pour la section de finances et de législation; M. le Dr Lacroix, trésorier. M. le D'- Lacroix a rendu compte des recettes et dépenses de l'exercice; des remerciements lui ont été votés par la Société. La Société a tenu, en outre, sous la présidence de M. Kœeh!m, une série de séances hebdomadaires. Les sujets étudiés ont été les suivants M. de Guichen, le traité de Bâle avec l'Espagne (i79a); M. Koechlin, le traité de Campo-Formio et le congrès de Rastadt; M. de Valdrôme, le traité de LunévUte; M. Paisant, le traité d'Amiens; M. Dugon, le traité de Presbourg; M. Defrémo-y, le traité de Titsitt; M. MaueomMe, les traités de Vienne; M. Chivet, ia Confédération du Rhin; M. Schefer, la Suède et le Danemark. Les dîners mensuels de la Société ont eu lieu les i9 janvier, -t0 février et 9 mars, au Cercle historique.
MOUVEMENT DES PÉRIODIQUES.
Histoire et diptotnatic.
REVUE DES DEUX MONDES. dé<:em<e. Les missions catholiques en Chine et ie protectorat de la France. P. Lavisse. Etudes sur l'histoire d'Allemagne. janvier. C. Rousset. Les commencements d'une conquête, VI. L. Biart. Une page de l'histoire du Mexique. ~on'ct-. C. Rousset, VII. L. Carrau. Le déisme anglais au xvm' siècle et lord Bolingbroke. J. Valbert. La dissolution du Reichstag et la politique électorale en Allemague. YS février. H. Taine. Napo)éon Bonaparte, I. La France en Tunisie. E. Grimaux. La mort de Lavoisier. Les inquiétudes du jour. MM- li. Taine (suite). C. Rousset, VU}.–0. Valbert. L'intervention du SaintSiège dans les élections allemandes. 15 M~M. La France en Tunisie, Il. REVUE nKTOMQUE. J<MM6)'<'M'!M'. D'Avenel. Le clergé français et la liberté de conscience sous Louis XIM. Bon du Casse. Etude sur la correspon'dance de Napoléon I' ~a~-au?- Desclozeaux. Étude critique sur les .EconoHMM royales. As. Grose. La Uanse anglaise. E. Bourgeois. Deux lettres de Montcatm. G. Monod. Une lettre inédite de K. Hillebrand.
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