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Titre : Les cent nouvelles nouvelles. Tome 1 / publ. d'après le seul ms. connu avec introd. et notes par M. Thomas Wright

Éditeur : P. Jannet (Paris)

Date d'édition : 1857-1858

Contributeur : La Sale, Antoine de (1385?-1461?). Auteur présumé du texte

Contributeur : Wright, Thomas (1810-1877). Éditeur scientifique

Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb33290269h

Notice d'oeuvre : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb12077022w

Type : monographie imprimée

Langue : français moyen

Format : 2 vol. ; in-16

Format : Nombre total de vues : 348

Description : [Cent nouvelles nouvelles (français moyen). 1857-1858]

Description : Collection : Bibliothèque elzévirienne ; 14, 56

Description : Appartient à l’ensemble documentaire : GTextes1

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k277093

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Y2-21617

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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LES

CENT NOUVELLES

NOUVELLES


Paris, imprimé par GUIRAUDET et Jouaust, 338, rue S.-Honoré, avec les caractères elzeviriens de P. Jannet.


LES CENT

N 0 U V E L L E S

NOUVELLES

Publiées d'après le seul manuscrit connu

AVEC INTRODUCTION ET NOTES

Par

M. THOMAS WRIGHT

Membre correspondant de l'Institut de France

Tome I

A PARIS

Chez P. JANNET, Libraire

MDCCCLVIII



penser ae parier ici ae sa valeur littéraire. Par un hasard singulier, qui ne s'explique pas facilement, on n'en connoissoit pas un seul manuscrit, et toutes les éditions d'un ouvrage qu'on considère avec raison comme l'un des modèles de la vieille prose françoise n'ont été jusqu'à présent que la reproduction plus ou moins correcte des éditions imprimées dans les dernières années du quinzième siècle. Cependant on voit des indications assez exactes de deux manuscrits des Cent Nouvelles Nouvelles; Dans le Catalogue de la bibliothèque de Gaignat publié par De Bure en 1769, en deux volumes in-8, nous trouvons, sous le n° 2214: « Le livre des Cent Nouvelles Nouvelles composées pour l'amusement du • roi Louis XI lorsqu'il n'étoit encore que Duc

| e recueil de contes publié sous île titre des Cent Nouvelles Nouvelles est tellement connu, que > nous croyons pouvoir nous disrtnrïpr iri Hp ca valpnr lïttpraîrp

INTRODUCTION.


de Bourgogne (sic), manuscrit sur vélin, du quinzième siècle, en lettres gothiques, daté de l'année 1432 et décoré de petites miniatures assez jolies, petit in-folio, mar. cit. » Vendu ioo liv. 1 sol. Un autre catalogue, mais beaucoup plus ancien, l'Inventaire de la Bibliothèque des ducs de Bourgogne, publié dans la Bibliothèque protypographique (Paris, 1830, in-4, p. 283), nous indique un manuscrit du même ouvrage qui en étoit probablement l'exemplaire original. On y lit «N° 1261. Ung livre tout neuf escript en parchemin, à deux coulombes, couvert de cuir blanc de chamoy, historié en plusieurs lieux de riches histoires, contenant cent nouvelles, tant de Monseigneur, que Dieu pardonne, que de plusieurs autres de son hostel quemanchant le second feùillet, après la table, en rouges lettres celle qui se baignoit, et le dernier lit demanda. »

Voilà tout ce qu'on savoit des manuscrits des Cent Nouvelles Nouvelles et on les croyoittous les deux irréparablement perdus, quand, par un heureux hasard, durant une courte visite à Glasgow, j'ai trouvé un beau manuscrit de cet ouvrage dans la précieuse bibliothèque du Musée Huntérien, et qui répondoit assez bien à la description du manuscrit du


catalogue de 1769 d'un côté, et à celle du manuscrit des ducs de Bourgogne de l'autre. Ma première idée fut que les trois manuscrits n'en faisoient qu'un et que 'a vois devant tes yeux l'exemplaire original de ce célèbre recueil. En effet, je me suis bientôt convaincu que j'avois entre les mains le manuscrit même qui avoit figuré dans le catalogue de Gaignat. Non-seulement la description de ce Catalogue s'appliquoit parfaitement bien à notre manuscrit, mais là daté 1432 s'ytrouvoit. La chose s'explique sans difficulté le docteur Hunter, à qui l'Université de Glasgow doit le musée et la bibliothèque qui portent encore son nom, né en 1728, s'établit à Londres en 1763 et y est mort en 1793. Le catalogue de Gaignat est précisément de l'époque à laquelle le docteur Hunter s'occupoit le plus activement de l'achat des manuscrits. C'est sans doute lui qui acheta pour 100 francs l'exemplaire des Cent Nouvelles Nouvelles indiqué dans le catalogue de 1769.

Je ne pouvois donc plus douter que je tenois entre les mains le manuscrit de Gaignat; mais je me suis également convaincu que notre manuscrit n'étoit pas celui de l'Inventaire de la Bibliothèque des. ducs de Bourgogne, dont on avoit facilité l'identification, selon la


̃

manière usuelle au moyen âge, en donnant les premiers mots du second et du dernier feuillet. En effet, nous savons que le second feuillet du manuscrit appartenant au duc de Bourgogne commençoit par les mots celle qui se baignoit. Nous trouvons bien sur la première page de notre manuscrit (le premier feuillet manque), dans le titre du premier conte, les mots « trouva celuy qui se baignoit avec sa femme » mais ils ne sont pas les premiers mots de la page, et par conséquent du feuillet. L'auteur de l'Inventaire a voulu sans doute nous informer que l'avant-dernier feuillet finissoit par les mots lict, demanda, et nous trouvons dans notre manuscrit (tom. II, p. 248, de notre édition) les mots « la vit couchée au lict, demanda si pour ung seul, etc. »; mais les deux mots en question ne sont ni au commencementni àlafindufeuillet. Lemanuscrit de la bibliothèque des ducs de Bourgogne étoit évidemment™ exemplaire des Cent Nouvelles Nouvelles différent de celui, de Glasgow. Mais, en comparant ainsi les manuscrits, une autre circonstance a fixé mon attention. Les mots qui commençoient le second feuillet de l'exemplaire appartenant aux ducs de Bourgogne sont identiques dans: les deux manuscrits (car je regarde le celle de l'Inventaire


comme une simple erreur du compilateur), mais pas dans l'édition imprimée par Verard qui a changé un peu la phrase « le trouvoit qui se baignoit avec sa femme. » Nous devons conclure de cette conformité assez importante dans le peu de mots conservés du manuscrit des ducs de Bourgogne que le texte original des Cent Nouvelles Nouvelles est assez exactement représenté dans le'manuscrit de Glasgow, et par conséquent que le texte de Verard et des éditions subséquentes est très imparfait et très incorrect, car on n'a qu'à comparer quelques pages du texte de notre manuscrit de Glasgow avec celui des éditions imprimées pour se convaincre que le premier leur est très supérieur. Nous avons le droit même de supposer que non-seulement Verard a tiré son texte d'un mauvais manuscrit, mais encore qu'il l'a laissé imprimer avec beaucoup de négligence; qu'on a continuellement changé les phrases qui sentoient le dialecte picard plutôt que l'idiome parisien; qu'on a remplacé des expressions vieilles ou triviales par d'autres plus modernes ou plus en vogue enfin qu'on a fait des omissions assez considérables, quelquefois par accident bu négligence, mais plus souvent pour abréger le texte. Ces omissions


deviennent beaucoup plus nombreuses et plus importantes vers la fin de l'ouvrage qu'au commencement, et dans l'édition de Verard, comparée, avec le texte du manuscrit, le dernier conte,est abrégé presque d'un tiers. Le manuscrit de Glasgow nous permet donc de donner le texte des Cent Nouvelles Nouvelles beaucoup plus complet et plus correct que celui de toutes les éditions qui ont précédé la nôtre. Maintenant, qu'il me soit permis d'appeler l'attention des lecteurs sur une autre circonstance qui me paroît d'une grande importance pour l'histoire littéraire de, l'ouvrage remarquable que nous publions. On sait que, pour échapper aux poursuites de son père, Louis XI alors Dauphin de France, se retira, au milieu de l'année 1456, à la cour du duc de Bourgogne Philippe le Bon, et qu'il y resta jusqu'à la mort de Charles VII en 1461 Philippe le Bon lui assigna pour sa demeure le château de Génappe, et on prétend que c'étoit à la petite cour que le Dauphin réunit autour de lui dans ce séjour qu'on répétoit les divers contes que plus tard le duc de Bourgogne faisoit mettre en écrit pour en conserver la mémoire. Telle étoit, selon ce qu'on dit, l'origine du recueil des Cent Nouvelles Nouvelles mais on n'a jamais nié que le seul fondement de tous ces


prétendus faits se trouve dans la dédicace placée en tête de l'édition imprimée par Verard, à la fin de laquelle nous lisons les mots suivants « Et notez que par toutes les Nouvelles où il est dit par Monseigneur, il est entendu par Monseigneur le Dauphin, lequel depuis a succédé à la couronne et est le roy Loys unsieme car il estoit lors ès pays du duc de Bourgoingne.» Ce passage remarquable ne paroît pas dans notre manuscrit, et il faut avouer qu'il présente tout le caractère d'une addition émanant de Verard lui-même. Il me paroît évident aussi que ce passage manquoit également au manuscrit original indiqué dans l'ancien Inventaire dés livres de la bibliothèque des ducs de Bourgogne déjà cité, qui parle du manuscrit de cet ouvrage comme « contenant cent nouvelles tant de Monseigneur, que Dieu pardonne que de plusieurs autres de son hostel. » Je n'ai pas besoin de dire que la phrase « que Dieu pardonne » indique que celui dont on parle étoit alors mort, et qu'elle s'applique ici nécessairement à Philippe le Bon, mort en 1467; et, certainement, si on devoit finir par avouer que les contes attribués à Monseigneur étoient du Dauphin, on n'auroit pas commencé par dire qu'ils étoient du duc Philippe. Du reste, il


me paroit certain que, dans un ouvrage com-; posé à la cour de Bourgogne et par un sujet du duc, ayant rapport spécialement à des circonstances arrivées dans ses Etats, le titre de Monseigneur, sans autre qualification, ne pouvoit désigner que le duc de Bourgogne. Notre livre même le prouve suffisamment. Les deux premiers contes de notre recueil sont donnés, comme de raison, au duc Philippe. On ne donne le nom du conteur du premier que dans la table; mais le second, que la table donne également à « Monseigneur le Duc », porté, dans le texte du livre, qu'il étoit raconté « par Monseigneur ». Verard a donc eu tort de dire que le titre de Monseigneur s'appliquoit ici à Louis XI, et nous pouvons déclarer qu'il ne se trouve pas un 'seul mot dans le livre des Cent Nouvelles Nouvelles qui puisse faire croire que Louis XI étoit un des conteurs. Tout ce que dit son auteur, c'est qu'à la « requeste et advertissement a du duc Philippe, il avoit composé « ce petit oeuvre » en imitation de la collection italienne des Cento Novelle, qui, publiée au commencement du quatorzième siècle, étoit devenue célèbre, et qui lui avoit donné l'idée de limiter son recueil au même nombre de cent Contes et de lui donner le titre de Cent Nouvelles Nouvelles.


Il ajoute seulement que ces Nouvelles Nouvelles ne sont pas arrivées comme celles du conteur italien, en Italie, mais « ès parties de France, d'Allemaigne, d'Angleterre, de Haynault, de Brabant et autres lieux », et qu'elles sont toutes « d'assez fresche mémoire». C'étoit sans doute pour plaire au duc Philippe que l'auteur a mis les différents contes dans la bouche de lui et des individus les plus familiers de sa maison. Nous savons, du reste, que cette habitude de s'amuser en racontant de telles « nouvelles » entroit profondément dans les mœurs du temps, et que Louis XI qui y avoit sans doute participé souvent à la cour de Bourgogne, dans sa jeunesse, en avoit conservé l'habitude toute sa vie. Nous n'avons aucune raison de supposer que les contes de notre recueil étoient véritablement racontés par ceux dont les noms y sont attachés; mais le goût bien connu de Louis XI pour ces contes, en général, assez libres, et son long séjour à la cour de Bourgogne, pouvoient faire croire à Antoine Verard que ce roi étoit l'un des conteurs, celui qui se présente si souvent sous le titre de Monseigneur, un titre que le Dauphin auroit porté en France; mais, sans doute, il auroit été dis-


tingué en Bourgogne par le titre de Monseigneur le Dauphin.

Je regarde cet ouvrage, donc, simplement comme un recueil de contes composé à la cour de Bourgogne, à la « requeste », comme dit la dédicace, de Philippe le Bon.

Qui en étoit l'auteur? Nous savons seulement qu'il s'attribue cinq de ces Nouvelles, les 5 ie, 91e, 92e, 98e et 99e, et qu'ainsi il a dû être attaché à la cour de Bourgogne. J'avoue que je me sens porté à partager l'opinion émise par M. Le Roux de Lincy, que cet auteur est Antoine de La Sale déjà bien connu par deux ouvrages remarquables, le roman du Petit Jehan de Saintré et les Quinze Joies de Mariage; et cette opinion me paroît confirmée par une circonstance que M. Le Roux de Lincy n'a pas observée La Nouvelle cinquante est attribuée à monseigneur de La Sale, et la cinquante-et-unième porte le nom de « l'acteur» (l'auteur). Comme ses autres Nouvelles se présentent ensemble deux a deux, il me paroît,assez vraisemblable que l'auteur a voulu faire la même disposition ici et qu'ayant mis son nom à la première, il s'est contenté de se désigner modestement dans les autres par le seul titre de « l'auteur». « Monseigneur de La Sale » se désigne, en


supposant que c'est lui qui a composé cet ouvrage, par le titre de « premier maistre d'hostel de monseigneur le duc ». En effet, Antoine de La Sale, né en 1 598, en Bourgogne ou en Touraine, après un séjour en Italie (il étoit à Rome en 1422), s'établit en Provence, où il fut attaché à Louis III comte d'Anjou et de Provence, et nommé viguier d'Arles. Plus tard, La Sale passa en Flandres, où il fut accueilli favorablement par le duc Philippe le Bon. La date de son arrivée à la cour de Bourgogne n'est pas connue. C'étoit probablement durant son séjour en Italie qu'il avoit eu connoissance des Cento Novelle ouvrage beaucoup plus ancien, dont la compilation des Cent Nouvelles Nouvelles est (par le propre aveu de l'auteur) une imitation, ainsi que des Facéties du Pogge, dont l'auteur des Cent Nouvelles Nouvelles a tiré plusieurs de ses récits, et qui avoient dû être publiées tout récemment, quand La Sale étoit à Rome, et du Decameron de Boccace. On trouve dans les Cent Nouvelles Nouvelles quelques allusions historiques qui se rapportent principalement aux temps des guerres entre les Armagnacs et les Bourguignons. La Nouvelle soixante-deux raconte des circonstances de la conférence tenue en juil-


let 1440, au château d'Oye, entre Calais et Gravelines; et la Nouvelle quarante-deux commence par ces mots « L'an cinquante derrenier passé » d'où l'on peut conclure que ce livre a été composé dans l'intervalle de 1450 à 1460 et probablement pas longtemps après la première de ces années. Cette date s'accorde parfaitement avec celle des autres ouvrages d'Antoine de La Sale car la date des Quinze Joies est rapportée à 1450, et celle du Petit Jehan de Saintré à 1459. Le premier de ces deux ouvrages est cité directement dans les Cent Nouvelles Nouvelles.

De même que la plupart de celles qui figurent dans toutes les collections de contes, les Cent Nouvelles Nouvelles ne sont pas toutes nouvelles; La collection de Boccace et celle du Pogge y ont certainement contribué assez largement, et, des récits que notre auteur donne comme des anecdotes contemporaines, plusieurs sans doute sont empruntés aux fabliaux des treizième et quatorzième siècles. Cependant on a remarqué avec justice que notre recueil se distingue de tous les autres par un bon nombre d'histoires qu'on ne trouve dans aucun des recueils plus anciens. Cette partie des Cent Nouvelles Nouvelles-est sans doute la plus intéressante, et parok être composée


d'anecdotes que l'auteur savoit ou croyoit être arrivées dans la première moitié du quinzième siècle. En revanche, nul conteur n'a été si généralement mis à contribution par les compilateurs qui l'ont suivi que l'auteur des Cent Nouvelles Nouvelles. J'ai déjà eu occasion de dire que la première édition imprimée de ce recueil est sortie de l'imprimerie d'Antoine Verard elle date du mois de décembre 1486, et on peut supposer que la publication fut accueillie assez favorablement, puisque Verard lui-même l'a réimprimée. Cette seconde impression est sans date. Un autre imprimeur parisien, Nicolas Desprez, a donné une troisième édition des Cent Nouvelles Nouvelles, achevée d'imprimer le 3 jour de février 1 50$ et une quatrième, sans date, porte le nom du célèbre imprimeur Michel Le Noir. On connoît encore une édition de Paris, sans date, et une autre imprimée à-Lyon en 1 5 3 2. Nous ne connoissons pas d'autre édition de cet ouvrage avant le, commencement du siècle dernier. Il fut imprimé à Cologne, en. 2 volumes in- 1 2 avec des gravures d'après les dessins de Romain de Hooge. Cette édition, qui porte la date de 1 70 1 a été suivie d'une autre imprimée à La Haye en 173 3, et, comme l'autre, en 2


volumes. J'ai déjà dit que le texte original des Cent Nouvelles Nouvelles est assez mal représenté par celui des éditions de Verard, qui a été encore détérioré dans les éditions subséquentes; mais le texte de celles de Cologne et de La Haye est détestable, et ces éditions n'ont aucun intérêt littéraire on les prise seulement pour les gravures.

Dans l'édition que nous offrons à nos lecteurs, nous avons reproduit littéralement le texte du manuscrit de Glasgow, sauf quelques exceptions rares. Le manuscrit est en général très correct; mais, de temps en temps, l'écrivain a fait des omissions de quelques mots, et même de deux ou trois lignes, en passant, par négligence, d'un mot dans une ligne au même mot répété dans la ligne suivante ou deux ou trois lignes plus bas. J'ai été obligé de suppléer à ces lacunes d'après le texte de Verard, qui a été reproduit avec soin dans l'excellente édition de M. Le Roux de Lincy. J'ai indiqué les variantes les plus importantes du texte de Verard dans mes notes.

Nous publions ainsi un texte de cet ouvrage remarquable qui est entièrement nouveau, et qui en est probablement le seul bon texte


qu'aujourd'hui l'on puisse retrouver, et en même temps nous lui rendons pour la première fois sa véritable place dans l'histoire littéraire du quinzième siècle. Le livre des Cent Nouvelles Nouvelles n'est plus, comme on croyoit autrefois, un souvenir de la visite du Dauphin de France à la cour de Bourgogne. C'est un recueil de contes faits probablement par Antoine de La Sale, auteur spirituel et bien connu en imitation des conteurs italiens, dont il avoit eu connoissance durant son séjour à Rome. Notre auteur a composé son livre à la cour de Bourgogne, sous le duc Philippe.le Bon, qui, par un caprice sans doute, a voulu qu'on mît les diverses nouvelles dans la bouche de ses courtisans car la forme de la collection, le style uniforme qui y règne partout, les termes dans lesquels l'auteur en parle lui-même dans sa dédicace, rendent très peu vraisemblable l'idée qu'il a voulu nous rapporter une véritable scène de la vie intime de cette brillante cour. On se trompe grandement si l'on croit que c'étoit seulement à la Cour de Bourgogne qu'existoit l'usage d'égayer les loisirs de la vie féodale par le récit de telles « nouvelles » mais en Antoine de La Sale, en supposant que ce recueil


lui appartient, nous avons un des plus anciens, et, sous beaucoup de rapports, le plus intéressant des vieux conteurs françois.

THOMAS WRIGHT.


AMONTRÈSCHIER ET TRÈSREDOUBTË SEIGNEUR MONSEIGNEUR

LEDUC DE BOURGOIGNE, DE BRABANT ETC.

omme ainsi soit qu'entre les bons et

tmSÊpr-°Ufiitables passe-temps, le trèsgracieux exercice de lecture et d'esiude

soit de grande et sumptueuse recom-

mendacion, duquel, sans flaterie, mon trèsredoubte Seigneur, vous estes trèshaultement doé Je, vostre trèsobéissant serviteur, désirant, comme je dois, complaire à toutes vos trèshaultes et trèsnobles intencions en façon à moy possible, ose et presume ce present petit œuvre, à vostre requeste et advertissement mis en terme et sur met, vous présenter et offrir; suppliant trèshumblement que agréablement soit receu, qui en soy contient et tracte cent histoires assez semblables en matère, sans attaindre le subtil et trésor ni Cent T^ntnteilaf T

n-n.n. crco~rrre

Cent Nouvelles. I. j,


langage du livre de Cent Nouvelles. Et se peut intituler le livre de Cent Nouvelles nouvelles. Et pource que les cas descripii et racomptez ou dit livres de Cent Nouvelles advindrent la pluspart es marches et metes d'Ytalie, jà long temps a, neantmoins toutesfoiz portant et retenant nom de Nouvelles, se peut trèsbien et par raison fondée en assez apparente verité ce présent livre intituler de Cent Nouvelles nouvelles, soit ce que advenues soient ès parties de France, d'Alemaigne, d'Angleterre, de Haynau, de Brabant et aultres lieux; aussi pource que l'estoffe, taille et fasson d'icelles est d'assez fresche memoire et de myne beaucop nouvelle..

De Dijon, l'an m.iihc.xxxh.


Sensuyt la table de ce present livre, intitulé des Cent Nouvelles, lequel en soy contient cent chapitres ou histoires, ou pour mieulx dire nouvelles..

COMPTÉ PAR MONSEIGNEUR LE DUC.

La première nouvelle traicte d'un qui trouva façon d'avoir la femme de son voisin, lequel il avoit envoyé dehors pour plus aisément l'avoir; et luy, retourné de son voiage, trouva celuy qui se baĩgnoit avec sa femme. Et, non sachant que ce fust elle, la volut voir; et permis luy fut de seulement veoir le derrière et alors jugea que ce luy sembla sa femme, mais croire ne l'osa. Et, sur ce, se partit et vint trouver sa femme à Poste!, qu'on avoit boutée hors par une posterne; et luy compta son imaginacion. PAR MONSEIGNEUR LE DUC.

La secunde nouvelle, comptée par monseigneur le duc Philipe, d'une jeune fille qui avoit le mal de broches, la quelle creva à ung cordelier qui la vouloit médiciner ung seul bon oeil qu'il avoit; et du procès qui en fut. ̃'̃ PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.

La tierce nouvelle, de la tromperie que fist ung chevalier à la femme de son musnier,; à laquelle


bailloit à croire que son con luy cherroit, si luy recoingna pluseurs fois. Et le musnier, de ce advertv pescha ung dyamant que la femme au chevalier avoit perdu; et dedans son corps le trouva, comme bien sceut le chevalier depuis; si l'appela pescheur, et le musnier cuigneur le nomma. PAR MONSEIGNEUR.

La quatriesme nouvelle, d'un archier escossois qui fut amoureux d'une belle gente damoiselle femme d'un eschopier, laquelle, par le commandement de son mary, assigna jour au dit Escossois et de fait y comparut et besoigna tant qu'il voult, le dit eschopier estant caiché en la ruelle de son lit, qui tout povôit veoir et oyr.

PAR PHILIPE DE LOAN.

La cinquiesme nouvelle, par Philipe de Loan, de deux jugements de monseigneur Talebot, c est assavoir, d'un Francoisprinsparung Anglois soubz son sauf-conduict, qui d'aguillettes à aorner se defendit contre le François, qui d'une espée le feroit, présent Talebot; et d'un qui l'Eglise avoit robée, auquel il fist jurer de non jamais plus entrer en l'Eglise.

La sisiesme nouvelle, par monsieur de Launoy, d'un yvroigne qui au prieuré des Augustins de La Haye en Hollendre se voult confesser, et après sa concession, disant que en bon estat estoit, vouloit mourir. Et cuida avoir la teste trenchée et estre mort et par ses compaignons fut emporté, qui luy disoient qu'ilz l'emportoient en terre.

La septiesme nouvelle, par Monseigneur, de l'orfevre de Paris qui fist le charreton coucher avec luy et sa femme; et comment le charreton par der-


rière se jouoit avec elle, dont l'orfevre se parceut et trouva ce qui estoit; et des parolles qu'il dist au charreton.

La huictiesme, par monsieur de la Roche, d'un compaignon picard demourant à Bruxelles qui engrossa la fille de son maistre; et à ceste cause print congie de haulte heure et vint en Picardie se marier. Et tost après son partement, la mère de la fille se parceut de l'encloueure de sa fille, laquelle, à quelque meschief que ce fust, confessa le cas tel qu estoit. La mère la renvoya devers le dit compaignon et depuis leur espousée, par ung accident qui au compaignon advint Je jour de ses nopces. La nefviesme nouvelle, par Monsieur le Duc, d'un chevalier de Bourgoigne, amoureux d'une des chambifères de sa femme. Cuidant coucher avecques celle, cogneut que c'estoit mesmes sa femme, qui ou lieu de sa chambrière s'estoit boutée. Et comment ung aultre chevalier, son voisin, par son ordonnance, avecques sa femme aussi avoit cous-.chié, dont il fut bien mal content, jà soit ce que sa femme n'en sceut oncques riens, et ne cuidoit avoir eu que son mary.

La dixiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'un chevalier d'Angleterre, qui, puis qu'il fut marié, voult que son mignon, comme paravant son mariage, de belles filles luy fist finance; laquelle chose il ne voult faire, et s'excusoit; mais son maistre à son premier train le ramena par le faire servir de pastés d'anguilles.

La onziesme nouvelle par Monseigneur, d'un paillard jaloux qui, après beaucop d'offrandes faictes à divers sainz pour le remède de sa maudicte maladie, fist offrir une chandelle au deable qu'on mect communement desoubz saint Michel; et du songe qu'il songea, et de ce qui luy advint au reveiller..


La dousiesme nouvelle parte d'ung Hollandois qui nuyt et jour, à toute heure, ne cessoit d'assaillir sa femme au jeu d'amours; et comment aventure il la' rua par terre, en passant par une bois, soubz un grand arbre sur lequel estoit ung laboureur qui avoit perdu son veau. Et, en faisant inventoire des beaux membres de sa femme, dist qu'il il véoit tant de belles choses et quasi tout le monde; à qui le laboureur demanda s'il véoit point son veau qu'il cherchoit, quel il disoit qu'il lui sembloit en veoir la queue.

La tresiesme nouvelle, comment le clerc d'ung procureur d'Angleterre deceut son maistre pour luy faire accroire qu'il n'avoit nulz coillons, et à ceste cause il eut le gouvernement de sa maistresse aux champs et à la ville, et se donnèrent bon t«hps. La quatorsiesme nouvelle, de l'ermite qui deceut la fille d'une povre femme, et lui faisoit accroire que sa fille auroit ung filz dé luy qui seroit pape, et adonc, quant vint à l'enfanter, ce fut une fille; et ainsi fut l'ambusche du faulx hermite descouverte, qui à ceste cause s'enfouit du pais. La quinsiesme nouvelle, d'une nonnain que ung moyne cuidoit tromper, lequel en sa compaignie amena son compaignon, qui devoit bailler à taster à elle son instrument, comme le marchié'le portoit et comme le moyne mit son compaignon en son lieu, et de la response que elle fist.

La seiziesme nouvelle, d'ung chevalier de Picardie, lequel en Prusse s'en ala; et tandiz ma dame sa femme d'ung autre s'accointa; et, a l'eure que son mary retourna, elle;estoit couchée avec son amy, lequel, par une gracieuse subtilité,, elle le bouta hors de sa chambre; sans ce que son mary le chevalier s'en donnast garde.

La dix et septiesme nouvelle, d'ung président de parlement qui devint amoureux de sa chamberière,


laquelle à force, en bulletant la farine, cuida violer, mais par beau parler de lui se desarma et lui fist affubler le bulleteau de quoy elle tamisoit, puis ala quérir sa maistresse, qui en cet estat son mary et seigneur trouva, comme cy après vous orrez. La dix et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche, d'ung gentilhomme de Bourgoingne, lequel trouva façon, moyennant dix escuz qu'il fit bailler à la chamberière, de couchier avecques elle; mais, avant qu'il vou.îsist partir de sa chambre, il eut ses dix escuz et se fit porter sur !es espaules de la dicte chamberière par la chambre de l'oste. Et, en passant par la dicte chambre, il fist ung sonnet tout de fait advisé qui tout leur faijt encusa, comme vous pourrez ouyr en la nouvelle cy dessoubz. La dix neuviesme nouvelle, par Phelippe Vignieu, d'ung marchant d'Angleterre, du quel' la femme, en son absence, fist ung enfant; et disoit qu'il estoit sien; et comment il s'en despescha gracieusement comme elle luy avoit baillé à croire qu'il estoit venu de neige, aussi pareillement au soleil comme la neige s'estoit fondu. La vingtiesme nouvelle, par Phitippe de Loan d'ung lourdault Champenois, lequel quant il se maria, n'avoit encores lama monté sur beste crestienne, dont sa femme se tenoit bien de rire. Et de l'expédient que la mère d'elle trouva, et dt soudain pleur du dit lourdault à une feste et assemblée qui se fit depuis après qu'on lui eut monstré l'amoureux mestier, comme vous pourrez ouyr plus à plain-cy après. ̃̃.

La vingt et uniesme nouvelle, racomptée par Philippes de Loan, d'une abesse qui fut malade par faulte de faire cela que vous savez, ce qu'elle ne vouloit ,faire, doubtant de ses nonnains estre


"–~

reprouchée; et toutes lui accordèrent de faire comme elle; et ainsi s'en firent toutes donner largement.

La vingt et deusiesme nouvelle racompte d'ung gentilhomme qui engroissa une jeune fille, et puis en une armée s'en ala. Et, avant son retour, elle d'ung autre s'accointa, auquel son enfant elle donna. Et le gentilhomme de la guerre retourné, son enfant demanda; et elle lui pria que à son nouvel amy le laissast,. promettant que le premier qu'elle feroit sans faulte lui donneroit, comme cy dessoubz vous sera recordé.

La vingt et troisiesme nouvelle, d'ung clerc de qui sa maistresse fut amoureuse, la quelle à bon escient s'i accorda, pourtant qu'elle avoit passé la raye que le dit clerc lui avoit faicte. Ce voyant son petit filz dist à son père, quant il fut venu, qu'il ne passast point la raye car, s'il la passoit, le clerc lui feroit comme il avoit fait à sa mère. La vingt et quatriesme nouvelle, dicte et racomptée par monseigneur de Fiennes, d'ung conte qui une trèsbelle, jeune et gente fille, l'une de ses subjectes, cuida décevoir par force; et comment elle s'en eschappa par le moyen de ses houseaux; mais depuis l'en pnsa trèsfort, et l'aida marier, comme il vous sera declairé cy aprés. C,,Pt,, et

La vingt et cinquiesme nouvelle, racomptée et dicte par Monseigneur de Saint Yon, de celle qui de force se plaignit d'ung compaignon, lequel elle avoit mesme adrecié à trouver ce qu'il queroit; et du jugement qui en fut fait.

La vingt et siziesme nouvelle, racomptée et mise en terme par monseigneur de Foquessoles, des amours d'ung gentilhomme et d'une damoiselle, laquelle esprouva la loyauté du gentilhomme par une merveilleuse et gente façon, et coucha troys


nuytz avec lui sans aucunement savoir que ce fust elle; mais pour homme la tenoit, ainsy comme plus à plein pourrez ouyr.cy après.

La vmgt et septiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Beauvoir, des amours d'ung grant seigneur de ce royaume et d'une gente damoiselle mariée, laquelle, affin de baillier lieu à son serviteur, fist son mary bouter en ung bahu par le moyen de. ses chamberières, et léans le fist tenir toute la nuyt, tandis qu'avec son serviteur passoit le temps; et des gaigeures qui furent faictes entre elle et son dit mary, comme il vous sera recordé cy après.

La vingt et huitiesme nouvelle dicte et racomptée par messire Michault de Changy, de la journée assignée à ung grand prince de ce royaume par une demoiselle servante de chambre de la Royne; et du petit exploit d'armes que fist le dit prince, et des famtises que la dicte demoiselle disoit à la royne de sa tevrière, la quelle estait tout à propos enfermée dehors de la chambre de la dicte royne comme orrez cy après.

La vingt et nefviesme nouvelle, racomptée par monseigneur, d'ung gentilhomme qui dès la première nuyt qu'il se maria, et après qu'il eut heurté ung coup à sa femme, elle luy rendit ung enfant et de la manière qu'il en tint, et des paroles qu'il en dist à ses compaignons qui lui apportoient le chaudeau, comme vous orrez cy après.

La trentiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Beauvoir, François, de troys marchans de Savoye alans en pelerinage à saint Anthoine en Viennois, qui furent trompez et deceuz par trois cordeliers, lesquelz couchèrent avec leurs femmes, combien qu'elles cuidoient estre avec leurs mariz et comment, par le rapport qu'elles firent, leurs


maryz le sceurent, et de la manière qu'ilz en tindrent, comme vous orrez cy après.

La trente et uniesme nouvelle, mise en avant par Monseigneur, de l'escuier qui trouva la mulette de son compaignon et monta dessus, laquelle le mena à l'uis de la dame de son maistre; et fist tant l'escuier qu'il coucha léans, où son compaignon le vint trouver; et pareillement des paroles qui furent entre eulz, comme plus à plain vous sera declairé cy dessoubz.

La trente et deusiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Villiers, des cordeliers d'Ostelleric en Castelongne qui prindrent le disme des femmes de la ville; et comment il fut sceu, et quelle punicion.par le seigneur et ses subjetz en fut faicte, comme vous orrez cy après.

La trente et troisiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung gentil seigneur qui fut amoureux d'une damoiselle, dont se donna garde ung autre grant seigneur, qui lui dist; et l'autre tousjours plus lui celoit et en estoit tout affolé; et de l'entretenement depuis d'eulz deux envers elle, comme vous pourrez ouyr. cy après.

La trente et quatriesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche, d'une femme mariée qui assigna journée à deux compaignons, lesquelz vindrent et besoingnèrent; et le mary tantost après survint; et des paroles qui après en furent, et de la manière qu'ilz tindrent, comme vous orrez cy après.

La trente et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'ung chevalier du quel son amoureuse se maria, tandis qu'il fut en voyaige; et à son retour; d'aventure la trouva en mesnage, la quelle, pour couchiêr avec son amant, mist en son lieu couchier avec son mary une jeune damoiselle, sa


chamberière et des 'paroles d'entre le mary et le chevalier voyaigeur, comme plus à plain vous sera recordé cy après.

La trente et sisiesmé nouvelle, raçomptée par Monseigneur de la Roche, d'ung escuier qui vit sa maistresse, dont il estoit moult feru, entre deux autres gentilzhbmmes, et ne se donnoit de garde qu'elle tenoit chascun d'eulz en ses laz; et uns autre chevalier qui savoit son cas le lui bailla a entendre, comme vous orrez cy après.

La trente et septiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung jaloux qui enregistroit toutes les façons qu'il povoit ouyr ne savoir dont les femmes ont deceu.leurs mariz, le temps passé; mais à la fin il fut trompé par l'orde eaue que l'amant de sa dicte femme getta par une fenestre sur elle, en venant de la messe, comme vous orrez cy après. La trente et huitiesme nouvelle racomptée par monseigneur le seneschal de Guiénne, d'ung bourgois de Tours qui acheta une lamproye qu'à sa. femme envoya pour appointer, affin de festoier son curé et la dicte femme l'envoya à ung cordelier son amy; et cominentelle fist couchier sa voisine avec son mary, qui fut bastué Dieu sçait comment, et de ce qu'elle fist accroire à son dict mary, comme vous orrez cy dessoubz. r

La trente et nefviesme nouvelle racomptée par monseigneur de Saînt-Pol du chevalier qui, en attendant sa dame, besoingna troys fois avec la chamberière qu'elle avoit envoyée pour entretenir le dit chevalier, afin que trop ne luy ennuyast; et depuis besoingna troys fois avec la dame; et comment le mary sceut tout par la chamberière, comme vous orrez.

La quarantiesme. nouvelle, par messire Michault dé Changy, d'ung Jacopin qui abandonna sa dame par amour, une bouchière, pour une autre plus belle


et plus jeune; et comment la dicte bouchière cuida entrer en sa maison par la cheminée.

Laquaranteetuniesmenouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung chevalier qui faisoit vestir à sa femme ung haubergon quand il lui vouloit faire ce que savez, ou compter les dens; et du clerc qui lui apprint autre manière de faire, dont elle fut à pou prés par sa bouche mesmes encusée à son mary, se n'eust esté la glose qu'elle controuva subitement.

La quarante et deusiesme nouvelle, par Meriadec, d'ung clerc de villaige estant à Romme, cuidant que sa femme fust morte, devint prestre et impetra la cure de sa ville; et quand il vint à sa cure, la première personne qu il rencontra ce fut sa femme. La quarante et troisiesme nouvelle, par Monseigneur de Fiennes, d'ung laboureur qui trouva un homme sur sa femme, et laissa à le tuer pour gaingner une somme de blé; et fut la femme cause du traictié, affin que l'autre parfist ce qu'il avoit commencé.

La quarante et quatriesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung curé de villaige qui trouva façon de marier une fille dont il estoit amoureux, la quelle lui avoit promis, quant elle seroit mariée, de faire ce qu'il vouldroit; laquelle chose le jour de ses nopces il luy ramentéust, ce que le mary d'elle ouyt tout à plain à quoy il mit provision, comme vous orrez.

La quarante et cinquièsme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung jeune Escossois qui se maintint en habillement de femme l'espace de quatorze ans, et par ce moyen couchoit avec filles et femmes mariées, dont il fut puny en la fin, comme vous orrez cy après.

La quarante et siziesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Thienges, d'ung Jacopin et de la


nonnain qui s'estoient boutez en ung préau pour faire armes à plaisance, dessoubz ung poirier où s'estoit caiché un qui savoit leur fait tout à propos, qui leur rompit leur fait pour ceste heure, comme plus à plain vous orrez cy après. La quarante et septiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung president saichant la deshonneste vie de sa femme la fist noyer par sa mulle, la quelle il fit tenir de boire par l'espace de huit jours; et pendant ce temps lui faisoit bailler du sel à mengier, comme il vous sera recordé plus à plain.

La quarante et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche, de celle qui ne vouloit souffrir qu'on la baisast, mais bien vouloit qu'on lui rembourrast son bas; et habandonnoit tous ses membres fors la bouche, et de la raisoh qu'elle y mettoit.

La quarante et nefviesme nouvelle, racomptée par Pierre David, de celui qui vit sa femme" avec ung homme auquel elle donnoit tout son corps entierement, excepté son derrière, qu'elle laissoit à son mary, lequel la fist habiller ung jour, présens ses amys; d'une robe de bureau et fit mettre sur son derrière une belle pièce d'escarlate; et ainsi la laissa devant tous ses amys.

La cinquantiesme nouvelle, racomptée et dicte par Anthoine de la Sale d'ung père qui voulut tuer son fils pource qu'il avoit voulu monter sur sa mère grand, et de la reponse du dit filz.

La cinquante et uniesme nouvelle, racomptée par l'acteur, de la femme qui départoit ses enfans au lit de la mort, en l'absence de son mary, qui siens les tenoit et comment ung des plus petiz en advertit son père.

La cinquante et deusiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur de la Roche, de trois enseigne-


mens que ung père bailla à son fils, lui estant au lit de |a mort, lesquelz le dit filz mist à effet au contraire de ce qu'il lui avoit enseigné. Et comment il se destia d'une jeune fille qu'il avoit espousée, pource qu'il la. vit couchier avec le prestre de la maison la première nuyt de leurs nopces. 1 La cinquante et troisiesme nouvelle, racomptée par monseigneur l'amant de Brucelles, de deux hommes et deux femmes qui attendoi.ent pour espouser à la première messe bien matin; et, pource que le curé ne véoit pas trop cler, il print l'une pour l'autre, et changea à chascun homme la femme qu'il devoit avoir, comme vous orrez.

La cinquante et quatriesme nouvelle, racomptée par Mahiot, d'une damoiselle de Maubeuge qui se abandonna à ung charreton et refusa plusieurs gens de bien; et de la response qu'elle fist à ung noble chevalier, pource qu'il lui reprouchoit plusieurs choses, comme vous orrez.

La cinquante et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'une fille qui avoit l'épidimie, qui fit mourir troys hommes pour avoir la compaignie d'elle; et comment le quatriesme fut saulvé et elle aussi.

La cinquante et sixiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'ung gentilhomme qui attrappa en ung piege qu'il fist le curé, sa femme et sa chamberière, et un loup avec eulz; et brula tout là dedans, pour ce que le dit curé maintenoit sa femme. La cinquante et septiesme nouvelle, par Monseigneur de Villiers, d'une damoiselle qui espousa ung bergier, de la manière du traictié du mariage, et des paroles qu'en disoit ung gentilhomme frère de la dicte damoiselle.

La cinquante et huitiesme nouvelle, par Monseigneur le Duc, de deux compaignons qui cuidoient trouver leurs dames plus courtoises vers eulz; et


jouèrent tant du bas mestier que plus n'en pouvoient et puis dirent, pource qu'elles ne tenoient compte d'eulz, qu'elles avoient comme eulz joué du cymier, comme vous orrez cy après.

La cinquante et nefviesme nouvelle, par PonceIet, d'ung seigneur qui contrefist le malade pour couchier avec sa chamberière, avec laquelle sa femme le trouva.

La soixantiesme nouvelle, par Poncelet, de troys damoiselles de Malignes qui accointées s'estoient de troys cordeliers, qui leur firent faire couronnes et vestir l'abbit de religion, afin qu'elles ne fussent apperceues, et comment il fut sceu. La soixante et uniesme nouvelle, par Poncelet, d'utig marchant qui enferma en sa huche l'amoureux de sa femme; et elle y mist un asne secrettement, dont le mary eut depuis bien à souffrir et se trouva confuz.

La soixante et deuxiesme nouvelle, par monseigneur de Commesuram de deux compaignons dont l'ung d'eulz laissa ung diamant ou lit de son hostesse et l'autre le trouva, dont il sourdit entre eulz ung grant débat, que le mary de la dicte hostesse appatsa par trèsbonne façon.

La soixante et troisiesme nouvelle, d'ung nommé Montbleru, lequel, à une foire d'Envers, desroba à ses compaignons leurs chemises et couvrechiefs u'ilz avoient baillées à blanchir à la chamberière de leur hostesse; et comme depuis ilz pardonnèrent tout au larron; et puis le dit Montbleru leur compta le cas tout au long.

La soixante et quatriesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'ung curé qui sevouloit railler d'ung chatreur nommé Trenchecouille; mais il eut ses genitoires coupez par le consentement de l'oste. ̃•̃̃̃

La soixante et cinquiesme nouvelle, par monsei-


gneur le prévost de Vuatènes, de la femme qui ouyt compter à son mary que ung hostellier du mont Saint-Michiel faisoit raige de ronciner, si y alla cuidant l'esprouver; mais son mary l'en garda trop bien, dont elle fut trop mal contente, comme vous orrez cy après.

La soixante et siziesme nouvelle, par Philippe de Loan, d'ung tavernier de Saint Omer qui fist une question à son petit filz dont il se repentit après qu'il eut ouy la response, de laquelle sa femme en fut trèshonteuse, comme vous orrez plus à plain cy après.

La soixante et septiesme nouvelle, racomptée par Philippe de Loan, d'ung chapperon fourre de Paris qui une courdouennière cuida tromper; mais il se trompa lui mesme bien lourdement, car il la maria à un barbier, et, cuydant d'elle estre despesché, se voulut marier ailleurs; mais elle l'en garda bien, comme vous pourrez veoir cy dessoubz plus à plain.

La soixante et huitiesme nouvelle, d'ung homme marié qui sa femme trouva avec ung autre, et puis trouva manière d'avoir d'elle son argent, ses bagues, ses joyaux, à tout jusques à la chemise; et, puis l'envoya paistre en ce point, comme cy après vous sera recordé.

La soixante et neuviesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung gentil chevalier de la comté de Flandres, marié à une trèsbelle et gente dame, lequel fut prisonnier en Turquie par longue espace, durant laquelle sa bonne et loyale femme, par l'a-.monestement de ses amys, se remaria à ung autre chevalier; et tantost après qu'elle fut remariée elle ouyt nouvelles que son premier mary revenoit de Turquie, dont par deplaisance se laissa mourir, pource qu'elle avoit fait nouvelle aliance. La septantiesme nouvelle, racomptée par Mon-


seigneur, d'ung genti) chevalier d'AIemaigne, grant voyaigier en son temps, lequel après ung certain voyaige par lui fait, fist veu de jamais faire le signe de la croix, par la trèsferme foy et credence qu'il avoit ou saint sacrement de baptesme, en laquelle credence il combastit le dyable, comme vous orrez.

La septante et uniesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung chevalier de Picardie qui en la ville de Samt-Omer se logea en une hostellerie, où il fut amoureux de l'ostesse de léans, avec laquelle il fut trèsamoureusement; mais en faisant ce que savez, le mary de la dicte hostesse les trouva, lequel tint manière telle que cy après pourrez ouyr, La septante et deuxiesme nouvelle, par monseigneur de Commesuram, d'ung gentilhomme de Picardie qui fut amoureux de la femme d'ung che^ valier son voisin, lequel gentilhomme trouva façon par bons moyens d'avoir la grace de sa dame, avec laquelle il fut assiegé, dont à grand peine trouva manière d'en ysser, comme vous orrez cy-après. La septante et troisiesme nouvelle, par maistre Jehan Lambin, d'ung curé qui fut amoureux d'une sienne paroichienne, avec laquelle le dit curé fut trouve par le dit mary de la gouge, par l'advertissement de ses voisins; et de la manière comment le dit curé eschappa, comme vous orrez cy après. La septante et quatriesme nouvelle, par Philippe de Loan d'ung prestre bou!enois qui eleva par deux fois le corps de nostre Seigneur, en chantant une messe, pource qu'il cuidoit que monseigneur le seneschal de Boulor.gnefust venu tard à la messe et aussy comment il refusa de prendre la paix devant monseigneur le seneschal, comme vous pourrez ouyr cy après.

La, septante et einquiesme nouvelle, racpmplée


par monseigneur de Talemas, d'ung gentil galant demy fol et non guères saige, qui en grant aventure se mist de mourir et estre pendu au gibet, pour nuyre et faire desplaisir au bailly, à la justice et autres plusieurs de la ville de Troyes en Champaigne desquelz il estoit hay mortellement, comme plus à plain pourrez ouyr cy après.

La septante et sixiesme nouvelle, racomptée par Philippe de Loan, d'ung prestre chapellain à ung dSXr de Bourlingue lequel fut amoureux de la gouge du dit chevalier; et de l'aventure qui lui advint à cause de ses dictes amours, comme cy dessoubz vous orrez.

La septante et septiesme nouvelle, racomptée par Alardin, d'ung gentilhomme des marches de Flan-, dres, lequel faisoit sa résidence en France; mais, durant le temps que en France residoit, sa mère fut malade ès dites marches de Flandres; lequel la venoit tressouvent visiter, cuidant qu'elle mourust; et des paroles qu'il disoit et de la manière qu'il il te-; noit, comme vous orrez cy dessoubz.

La septante et huitiesme nouvelle, par Jean Mar-: tin, d'ung gentilhomme marié, lequel s'avoulenta défaire plusieurs loingtains voyages, durant lesJuelz saxonne et loyale preude femme de troys gentilz compaignons s'accointa que cy après pourrés ouyr; et comment elle confessa son cas à son mary, quand des ditz voyaiges fut retourné, cuidant le confesser à son curé et de la manière comment elle se saulva, comme cy après orrez. La septante et neuviesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'ung bonhomme de Bourbonnois lequel ala au conseil à ung saige homme du dit lieu,. pour son asne qu'il avoit perdu, et comment il croioit que miraculeusement retrouva son dit asne, comme cy après pourrez ouir. La huitantiesme nouvelle, par messire Michault


de Changy, d'une jeune fille d'Alemaigné qui de l'aage de xv à xvt ans, ou environ, se maria à ung gentil galant, laquelle se complaignit de ce que son mary avoit trop petit instrument à son.. gré, pource qu'elle véoit ung petit asne qui ri'avoit que demy an, et avoit plus grand ostil que son mary, .qui avoit xxnn ou XXVI ans.

La;huitante et uniesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Vaulvrain, d'un gentil chevalier qui fut amoureux d'une trèsbelle jeune dame mariée, lequel cuida bien parvenir à la grace d'icelle et aussi d'une autre sienne, voisine; mais il faillit à toutes deux, comme.cy après vous sera recordé.. La huitante et deusiesme nouvelle, par monseigneur de Lannoy, d'ung bergier qui fit marchié avec une bergière qu'il monterait sur elle afin qu'il véist plus loing, par tel si qu'il ne l'embrocheroit non plus avant que le signe qu'elle même fist de sa main sur l'instrument dit berger, comme cy après plus à plain pourrez ouyr.

La huitante et troisiesme nouvelle, par monseigneur de Vaulvrain, d'ung carme qui en ungvilaige e prescha et comment, après son preschement, il fut prié de disner avec une damoiselle; et comment, en disnant, il mist grant peine de fournir et emplir son repoint, comme vous orrez cy après. La huitante et quatriesme nouvelle, par monseigneur le marquis de Rothelin, d'ung sien mareschal qui se maria à la plus douce et amoureuse femme qui fut en tout le pays d'Alemaigné. S'il est vray ce que je dy sans en faire grant serment, affin que par mon escript menteur ne soye réputé, vous e pourrez veoir cy dessoubz plus. plain. La huitante et cinquiesme nouvelle, d'ung orfèvre marié à une trèsbelle, doulce et gracieuse femme, et avec ce trèsamoureuse, par especial. de


son curé leur prochain voisin, avec lequel son mary la trouva couchée par l'advertissement d'ung sien serviteur, et ce par jalousie, comme vous pourrez ouyr.

La huitante et sisiesme nouvelle racompte et parle d'ung jeune homme de Rouen qui print en mariaige une belle et gentè jeune fille, de l'aage de quinze ans ou environ, lesquelz la mère de la a dicte fille cuida bien faire desmarier par monseigneur l'official de Rouen; et de la sentence que lé dit official en donna, après les parties par luy ouyes, comme vous pourrez veoir cy dessoubz plus à plain, en la dicte nouvelle.

La huitante et septiesme nouvelle racompte et parle d'ung gentil chevalier, lequel s'enamoura d'une trèsbelle, jeune et gente fille, et aussi comment il luy print une moult grande maladie en ung œil; pour laquelle cause lui convint avoir ung medecin, lequel pareillement devint amoureux de la dicte fille, comme vous ourrez; et des paroles qui en furent entre le chevalier et le medecin, pour l'emplastre qu'il luy mist sur son bon œil. La huitante et huictiesme nouvelle, d'ung bon simple homme païsan, marié à une plaisante et gente femme, laquelle laissoit bien le boire et le mangier pour aymer par amours; et de fait, pour plus asseurement estre avec son amoureux, enferma son mary ou coulombier par la manière que vous orrez.

La huitante et nefviesme nouvelle, d'ung curé qui oublia par negligence, ou faulte de sens, à annoncer le karesme à ses paroichiens, jusqu'à la vigille de Pasques fleuries, comme cy après pourrez ouyr; et de la manière comment il s excusa devers ses paroichiens.

La nonantiesme nouvelle, d'ung bon marchant


du pays de Brebant qui avoit sa femme trèsfort malade, doubtant qu'elle ne mourust, après plu^ sieurs remonstrances et exortacions qu'il lui fist pour le salut de son ame, lui crya mercy, laquelle luy pardonna tout ce qu'il povoit luy avoir meffait, excepté tant seulement ce qu'il avoit si peu besoingmé en son ouvroir, comme en la dicte nouvelle pourrez ouyr plus à plain.

La nonante et uniesme nouvelle parle d.'ung homme qui fut marié à une femme laquelle estoit tant luxurieuse et tant chaulde sur le potaige que je cuide qu'elle fut née ès estuves, ou à demie lieue prés du soleil de midy car il n'estoit nul, tant bon ouvrier fust il, qui la peust refroidir; et comment il la cuida chastier, et de la réponse qu'elle lui bailla.

La nonante et deusiesme nouvelle, d'une bourgeoise mariée qui estoit amoureuse d'ung chanoine, laquelle, pour plus couvertement aller vers le dit chanoine, s'accointa d'une sienne voisine; et de'la noise et debat qui entre elles sourdit pour l'amour du mestier dont elles estoient, comme vous orrez cy après.

La nonante et troisiesme nouvelle, d'une gente femme mariée qui faignoit à son mary d'aler en pelerinaige pour soy trouver avec le clerc de la ville, son amoureux, avec lequel son mary la trouva; et de la manière qu'il tint quant ensemble les vit faire le mestier que vous savez.

La nonante et quatriesme nouvelle, d'ung curé qui portoit courte robe comme font ces galans à maner; pour laquelle cause il fut cité devant son juge ordinaire, et de la sentence qui en fut donnée aussi la deffense qui lui fut faicte, et des autres tromperies qu'il fist après, comme vous orrez plus à plain.


La nonante et cinquiesme nouvelle, d'ung moyne qui faignit estre trèsfort malade et en dangier de mort, pour parvenir à l'amour d'une sienne voisine, par la manière qui cy après s'ensuit. La nonante et sisiesme nouvelle, d'ung simple et riche curé de villaige, qui par sa simplesse avoit enterré son chien ou cymetière; pour laquelle cause il fut cité par devant son evesque; et comme il bailla la somme de cinquante escuz d'or au dit evesque; et de ce que l'evesque luy en dit, comme pourrés ouyr cy dessoubz.

La nonante et septiesme .nouvelle, par monseigneur de Launoy, d'une assemblée de bons compaignons faisant bonne chère à la taverne et buvans d'autant et d'autel dont l'un d'iceulx se combatit à sa femme, quant en son hostel fut retourne, comme vous orrez.

La nonante et huitiesme nouvelle, par l'acteur, d'un chevalier des marches de France, lequel avoit de sa femme une fille, belle damoiselle eagee de xvj à xvij ans ou environ; mais, pour ce que son père la vouloit marier à ung ancien chevalier, elle s'en alla avec ung aultre jeune chevalier, son serviteur en amours, en tout bien et honneur. Et comment, par merveilleuse fortune, ilz finirent tous deux piteusement, comme vous orrez.

La nonante et nefviesme nouvelle, par Philipe de Loan, d'un evesque d'Espaigne qui par defaulte de poisson mengea deux perdnz en ung vendredi et comment il dist à ses gens qu'il les avoit convertiz par parolles de char en poisson, comme cy dessous vous sera recordé.

La centiesme et derrenière de ces nouvelles, par l'acteur, d'un riche marchant de la cité de Jennes; qui se maria à une belle et jeune fille, laquelle, pour la longue absence de son mary, et par son


mesme advertissement, manda quérir ung sage clerc pour la secourir de ce dont elle avoit mestier; et de la response qu'il luy donna, comme cy après pourrez ouyr.



LA PREMIÈRE NOUVELLE.

uence et entre ses loables vertuz celle de liberalité ne fut pas la maindre, car par icelle vint en la grace des princes, seigneurs et aultres gens de tous estaz. En ceste eureuse felicité Fortune le maintint et soustint jusques en la fin de ses jours. Devant et après que la mort eust destaché de là chayne qui à mariage l'accouploit, le bon bourgois cause de ceste histoire n'estoit point si mal logé en la dicte ville que ung bien grand maistre ne se temst pour content et honoré d'avoir ung tel logis. Et entre les desirez et loez edifices, sa maison descouvroit sur pluseurs rues et de fait avoit une petite posterne vis à vis 'de laquelle demouroit ung bon compaignon. qui trèsbelle femme et gente avoit et encores en meilleur point.. Etr comme il est de coustume, tes yeulx d'elle, archiers du cueur, descochèCent Nouv. I.

n la ville de Valenciennnes eut naguères ung notable bourgois, en son temps receveur de Haynau, lequel entre les autres fut renommé de large et discrète pruntre ses loables vertuz celle de li1


rent tant de flèches en la personne dudit bourgois que sans prochain remède son cas n'estoit pas maindre que mortel. Pour laquelle chose seurement obvier, trouva par pluseurs et subtiles fassons que le bon compaignon mary de ladicte gouge, fut son amy trèsprivé et familier; et tant que pou de disners, de souppers, de bancquetz, de baings. d'estuves, et aultres telz passetemps, en son hostel et ailleurs, ne feissent jamais sans sa compaignie. Et à ceste occasion se tenoit nostre compaignon bien fier et encores autant eureux. Quand nostre bourgois plus subtil que ung regnard, eust gaigné la grace du compaignon, bien pou se soucya de parvenir à l'amour de sa femme; et en pou de jours tant et si trèsbien laboura que la vaillant femme fut contente d'oyr et entendre son cas. Et, pour y bailler remède convenable ne restoit mais que temps et lieu; et fut à ce menée qu'elle luy promist que, tantost que son mary iroit quelque part dehors pour sejourner une nuit, elle incontinent l'en advertiroit. A chef de peche, ce desiré jour fut assigné, et dist le compaignon à sa femme qu'il s'en alloit à ung chasteau loingtain de Valenciennes environ trois lieues, et la chargea de bien se tenir à l'ostel et garder la maison, pource que ses affaires ne povoient souffrir que celle nuyt il retournast. S'elle en fut bien joyeuse, sans en faire semblant en paroles, en manière, ne aultrement, il ne le fault jà demander. Il n'avoit pas cheminé une lieue quand le bourgois sceut ceste adventure de


NOUVELLE I. j k. Il fist tantost tirer les baings

peça désirée. Il hst tantost tirer les baings chauffer les estuves, faire pastez, tartres et ypocras, et- le. surplus des biens de Dieu si largement que l'appareil sembloit ung droit desroy. Quand vint sur le soir, la posterne fut desserrée et celle qui pour la nuit le guet y devoit saillit dedans; et Dieu scet s'elle ne fut pas trèsdoulcement receue. Je passe en bref, et espère plus qu'ilz ne firent pluseurs devises d'entre ceulx qui n'avoient pas eue ceste eureuse journée à leur première volunté. Après ce que en la chambre furent descenduz, tantost se boutèrent ou bàing devant lequel le beau soupper fut en haste couvert et servy. Et Dieu scet qu'on y beut d'autant et souvent et largement. Des vins et viandes parler ne seroient que redittes et, pour trousser le compte court, faulte n'y avoit que du trop. En ce trèsglorieux estat se passa la pluspart de ceste doulce et courte nuyt baisiers donnez, baisiers renduz, tant et si longuement que chacun ne desiroit que le lit. Tandiz que ceste grande chière se faisoit, et veez cy jà retourné de son voyage bon mary, non querant ceste sa bonne adventure, qui heurte bien fort à l'huys de la chambre. Et, pour la compaignie qui y estoit, l'entrée du prinsault luy fut refusée jusques ad ce qu'il nommast son parain. Adonc il se nomma hault et cler, et bien l'entendirent et cogneurent sa bonne femme et le bourgois. Elle fut tant fort esserrée à la voix de son mary que à pou que son loyal cueur ne failloit; et ne savoit jà


plus sa contenance si le bon bourgois et ses gens ne l'eussent reconfortée. Le bon bourgoys, tout asseuré, et de son fait trèsadvise, la fist bien à haste coucher, et au plus près d'elle se bouta, et luy chargea bien qu'elle se joignist près de luy et caichast le visage qu'on, n'en puisse rien appercevoir. Et, cela fait au plus bref qu'on peut, sans soy trop haster, il commenda ouvrir la porte. Et le bon compaignon sault dedans la chambre, pensant en soy que aucun mistère y avoit, qui devant l'huys l'avoit retenu. Et, quand il vit la table chargée de vins et de grandes viandes ensemble le beau baing très bien paré et le bourgois en très beau lit encourtiné avec sa secunde personne, Dieu scet s'il parla haultet blasonnabien les armesdesonbon voisin. Or l'appelle ribauld, après loudier, après putier, après yvroigne; et tant bien le baptise que tous ceulx de la chambre et luy avec s'en rioient bien fort. Mais sa femme à ceste heure n'avoit pas ce loisir, tant estoient ses lèvres empeschées de se joindre près de son amy nouvel. « Ha dist-il, maistre houllier, vous m'avez bien celée ceste bonne chère mais, par ma foy, si je n'ay esté à la grande feste, si fault-il bien qu'on me monstre l'espousée.» Et à cestcop, tenant la chandelle en sa main /se tire près du lit; et jà se vouloit avancer de hausser la couverture soubz laquelle faisoit grand penitence en silence sa trèsparfeete et bonne femme, quand le bourgois et ses gens l'en gardèrent dont il ne se contentoit pas, mais à force, malgré chascun,


toujours avoit la main au lit. Mais il ne fut pas maistre lors, ne creu de faire son vouloir, et pour cause. Mais ung appoinctement trèsgracieux et bien nouveau au fort le contenta, qui fut tel le bourgois fut content que luy monstrast à descouvert le derrière de sa femme, les rains et les cuisses, qui blanches et grosses estoient, et le surplus bel et honeste, sans rien découvrir ne veoir du visage. Le bon compaignon, tousjours la chandelle en sa main fut assez longuement sans dire mot. Et, quand il parla, ce fut en loant beaucop la trèsgrande beaulté de ceste sa femme; et afferma par ung bien grand serment que jamais n'avoit veu chose si trèsbien ressembler le cul de sa femme; et, s'il ne fust bien seur qu'elle fust à son hostel à ceste heure, il diroit que c'est elle! Elle fut taritost recouverte, et il se tire arrière, assez pensif; mais Dieu scet si on luy disoit bien, puis l'un, puis l'aultre, que c'estoit de luy mal cogneu et à sa femme pou d'honneur porté, et que c'estoit bien aultre chose, comme cy après il pourra veoir. Pour refaire les yeulx abusez de ce pouvre martir, le bourgois commenda qu'on le feist seoir à la table, où il reprint nouvelle ymaginacion par boire et menger largement du demoùrant du soupper de ceulx qui entretant ou lit se devisoient à son grand prejudice. L'eure vint de partir, et donna la bonne nuyt au bourgois et à sa compaignie et pria moult qu'on le boutast hors de leans par la posterne, pour. plustost trouver sa maison.


Mais le bourgois lui respondit qu'il ne saroit à ceste heure trouver la clef; pensoit aussi que la serure fust tant enrouillée qu'on ne la pourroit ouvrir, pour ce que nulle foiz ou pou souvent s'ouvroit. Il fut au fort content de saillir par la porte de devant et d'aller le grand tour à sa maison; et, tantdiz que les gens du bourgois le conduisoient vers la porte tenant le hoc en l'eaue pour deviser, la bonne femme fut vistement mise sur piez, et en pou d'heure habillée et lassée de sa cotte simple, son corset en son bras, et venue à la posterne; ne fist que ung sault en sa maison, où elle attendoit son mary, qui le long tour venoit, trésadvisée de son fait et de ses manières qu'elle devoit tenir. Véez cy nostre homme voyant encores la lumière en sa maison, hurte àl'huys assezrudement. Et sa bonne femme, quimesnageoit par léans en sa main tenant ung ramon, demande ce qu'elle bien scet « Qui est-ce là ? » Et il respond « C'est vostre mary. Mon mary! dist-elle mon mary n'est-ce pas il n'est pas en la ville. » Et il hurte de rechef et dit « Ouvrez, ouvrez, je suis vostre mary. Je cognois bien mon mary, dit-elle; ce n'est pas sa coustume de soy enclorre si tard, quand il seroit en la ville allez ailleurs, vous n'estes pas bien arrivé ce n'est point séans qu'on doit hurter à ceste heure. » Et il hurte pour la tierce, et l'appella par son nom, une foiz, deux foiz. Et adonc fist-elle aucunement semblant de le cognoistre en demandant dont il venoit à ceste heure. Et pour response ne


bailloit aultre que « Ouvrez, ouvrez! )) –« Ouvrez, dit-elle, encores n'y estes-vous pas, meschant houllier ? Par la force sainte Marie, j'aymeroie mieulx vous veoir noyer que séans vous bouter. Alez coucher en mal repos dont vous venez. » Et lors bon mary de se courroucer et fiert tant qu'il peut de son pié contre la porte, et semble qu'il doit tout abatre, et menace sa femme de la tant batre que c'est rage, dont elle n'a guères grand paour; mais au fort, pour abaisser la noise et à son aise mieulx dire sa volunté, elle ouvrit l'huys et, à l'entrée qu'il fist, Dieu scet s'il fut servy d'une chère bien rechignée, et d'un agu et bien enftambé visage. Et, quand la langue d'elle eut povoir sur le cueur trèsfort chargé d'ire et de courroux, par semblant les parolles qu'elle descocha ne furent pas mains trenchans que rasoirs de Guingant bien affillez. Et entre aultres choses fort luy reproucha qu'il avoit par malice conclu ceste faincte allée pour l'esprouver, et que c'estoit fait d'un lasche et recreant courage d'homme, indigne d'estre allyé à si preude femme comme elle. Le bon compaignonjà soit ce qu'il fustfort courroucé et mal meu par ayant, toutesfoiz, pour ce qu'il voit son tort à l'oeil et le rebours de sa pensée, refraint son ire, et le courroux qu'en son cueur avoit conceu, quand à sa porte tant hurtoit, fut tout à coup en courtois parler converty. Car il dit pour son excuse, et pour sa femme contenter, qu'il estoit retourné de son chemin pource qu'il avoit oublyé la


lettre principale touchant le fait de son voyage. Sans faire semblant de le croire, elle recommence sa grande legende dorée, luy mettant sus qu'il venoit de la taverne et des estuves et des lieux deshonnestes et dissoluz, et qu'il se gouvernoit mal en homme de bien, maudisant i'eure qu'oncques elle eut son aceointance, ensemble et sa trèsmaudicte allyance. Le pouvre désolé, cognoissant son cas, voyant sa bonne femme trop plus qu'il ne voulsist troublée, helas! et à sa cause, ne savoit que dire. Si se prend à meiser, et, à chef de sa meditacion, se tire près d'elle, plorant, ses genoulz tout en bas sur la terre, et dist les beaulx motz qui s'ensuyvent « Ma trèschère compaigne et très)oyate espouse, je vous requier et prie, ostez de vostre cueur tout courroux que avez vers moy conceu., et me pardonnez au surplus ce que je vous puis avoir meffait. Je cognois mon tort, je cognois mon cas, et viens naguères d'une place où l'on faisoit bonne chère. Si vous ose bien dire que cognoistre vous y cuidoye, dont j'estoye trèsdesplaisant. Et pour ce que à tort et sans cause, je le confesse, vous avoie suspessonnée d'estre aultre que bonne, dont me repens amerement, je vous supplie et de rechef que tout aultre passé courroux, et cest icy, vous obliez, vostre grâce me soit donnée, et me pardonnez ma folie. » Le malta!ant de nostre bonne gouge, voyant son mary en bon p[oy et à son droit, ne se monstra meshuy si aspry ne si venimeux « Comment, dist-elle, villain


putier, si vous venez de vos trèsinhonestes lieux et infâmes, est-il dit pourtant que vous devez oser penser ne en quelque fasson croire que vostre preude femme les daignast regarder? -– Nenny, par Dieu hélas ce scay-je bien, m'amye; n'en parlez plus, pour Dieu a, dist le bon homme. Et de plus belle vers elle' s'incline, faisant la requeste pieca trop dicte. Elle jasoit qu'encores marrye et enragée de ceste suspicion, voyant la parfecta contrition du bon homme, cessa son dire, et petit à pe tit son troublé cueur se remist à nature, et pardonna, combien que à grand regret, après cent mille seremens et autant de promesses, à celuy qui tant l'avoit grevé. Et pat ce point à mains de crainte et de regret se passa maintesfois depuis ladicte posterne, sans ce que l'embusche fust jamais descouverte à celuy à quy plus touchoit. Et ce souffise quant à la première histoire.

n la maistresse ville d'Angleterre nommée Londres, assez hantée et congneuedepluseursgens, n'a pas long temps demôuroit ung riche ~L-–

~–et puissant homme qui marchant et bourgois

LA'SECUNDE NOUVELLE, PAR MONSEIGNEUR.


estoit, qui entre ses riches bagues et tresors innombrables s'esjoissoit plus enrichy d'une belle fille que Dieu luy avoit envoyée que du bien grand surplus de sa chevance, car de bonté, beaulté, et genteté, passoit toutes les filles d'elle plus eagées. Et ou temps que ce très eureux bruyt et vertueuse renommée d'elle sourdoit, en son quinziesme an ou environ, Dieu scet si pluseurs gens de bien desiroient et pourchassoient sa grace par plusieurs et toutes fassons en amours acoustumées, qui n'estoit pas ung plaisir petit au père et à la mère d'elle. Et à ceste occasion de plus en plus croissoit en eulz l'ardent et paternel amour que à leur trèsbelle et trèsamée fille portoient. Advint toutesfois, ou car Dieu le permist, ou car Fortune le voult et commenda, envieuse et mal contente de la prosperité de celle belle fille, ou de ses parens ou de tous deux ensemble, ou espoir par une secrète cause et raison naturelle, dont je laisse l'inquisition aux philosophes et medicins, qu'elle cheut en une desplaisante et dangereuse maladie que communement l'on appelle broches. La douice maison fut trèslargement troublée, quand en la garenne que plus chère tenoient lesdictz parens, avoient osé lascher les levriers et limiers à ce desplaisant mal, et que plus est, toucher sa proye en dangereux et dommageable lieu. La pouvre fille, de ce grand mal toute affolée, ne scet sa contenance que de plourer et souspirer. Sa trèsdolente mère est si trèsfort troublée que d'elle il n'est


rien plus desplaisant, et son trèsennuyé père destort ses mains, ses cheveux detire, pour la grand rage de ce nouvel courroux. Que vous diray-je? toute la grand triumphe qui en cest hostel souloit comblement abunder est par ce cas abatue et ternye, et en amère et subite tristece à la male heure converty. Or viennent les parens, amys et voisins de ce dolent hostel visiter et conforter la compaignie; mais pou ou rien y prouffite, car de plus en plus est aggressée et opprimée la pouvre fille de ce mal. Or vient une matrone qui moult et trop enquiert de ceste maladie; et fait virer et revirer puis çà, puis là, la trèsdolente paciente, J à trèsgrand regret, Dieu le scet, et puis la medecine de cent mille fassons d'herbes; mais riens; plus vient avant et plus empire c'est force que les medicins de la ville et d'environ soient mandez, et que la pouvre fille descouvre son trèspiteux cas. Or sont venuz maistre Pierre, maistre Jehan, maistre cy, maistre là, tant de phisiciens que vous vouldrez, qui veullent veoir la paciente ensemble, et les parties du corps à descouvert où ce maudit mal de broches s'estoit, helas longuement embusché. Ceste pouvre fille autant prinse et esbahie que si à la mort fust adjugée, ne se vouloit accorder nullement qu'on la meist en fasson que son mal fust apperceu, mesmes amoit plus cher morir que ung tel secret fust à nul homme decelé. Ceste obstinée volunté ne dura pas gramment, quand père et mère vindrent, qui pluseurs remonstrances


luy firent, comme de dire qu'elle pourroit estre cause de sa mort, qui n'est pas ung petit peché, et pluseurs aultres mistères trop longs à racompter. Finablement trop plus pour à père et à mère obéir que pour crainte de sa mort vaincue, la pouvre fille se laissa ferrer et fut mise sur une cousche, les dens dessoubz, et son corps tant et si trèsavant descouvert que les medicins virent apertement le grant meschef qui fort la tormentoit. Ilz ordonnèrent son regime, font faire aux apothicaires clistères, pouldres, oignemens, et le surplus que bon leur sembla; et elle prend et fait tout ce qu'on voult pour recouvrer santé. Mais rien n'y vault, car il n'est tour ne engin que les dictz medecins sachent pour alleger quelque pou de ce destresseux mal, ne en leurs livres n'ont yeu ne accoustumé, que si trèsfort la pouvre fille empire avecques l'ennuy qu'elle s'en donne que autant semble morte que vive. En ceste aspre doleur et langueur forte se passèrent mains jours. Et comme le père et la mère, parens et voisins s'enqueroient par tout pour l'allegence de la fille, fut rencontré ung ancien cordelier qui borgne estoit, et en son temps avoit veu moult de choses, et de sa principale science se mesloit fort de medicine, dont sa presence fut plus agreable aux parens de la paciente, laquel, helas! à tant de regret que dessus, regarda tout à son beau loisir, et se fist fort de la garir. Pensez qu'il fut trèsvoluntiers oy, et tant que la dolente assemblée, qui de lyesse pieça


bannye estoit, fut à ce point quelque pou consolée, esperant l'effect sortir tel que à sa parolle le touchoit. Il part de léans, et prend jour à demain de retourner pourveu et garny de medicine si trèsvertueuse qu'elle en pou d'heure effacera la grand douleur et le martire qui debrise et gaste la pouvre paciente. La nuyt fut beaucop longue, attendant ce jour desiré; neantmains passèrent tant d'heures à quelque peine que ce fust, que nostre' bon cordeiier fut acquitté de sa promesse par soy rendre devers la paciente à l'heure assignée. S'il fut bien doulcement et autrëtant joyeusement receu pensez que oy. Et quand vint l'heure qu'il voult.besoigner et la paciente mediciner, on la print comme autrefois, et sur la cousche tout au plus bel qu'on peut fut à bouchons couschée et son derrière descouvert assez avant, lequel fut incontinent par matrones d'ung 'beau blanc drap de linge garny, tapissé et armé;'et à l'endroit du secret mal fut fait ung beau pertus, par le quel damp -cordelier le povoit apertement choisir. Il regarde ce mal puis d'un costé, puis d'aultre; maintenant le" touche d'un doy tant doulcement, une aultre foiz y souffle la pouldre dont mediciner la vouloit or regarde le tuyau dont il voult souffler ladicte: pouldre par dessus et dedans le mal; ore retourne arrière et jette -l'œil de rechef sur ce dit mal, et ne se peut .saouler de assez regarder. A chef de peche, il prend sa pouldre à la main gauche, mise en ung beau petit vaisseau plat, et de l'aultre son


tuyau que emplir vouloit de la dicte pouldre, et comme ]t regardoit trèsententivement et de trèsprès par ce pertus et à l'environ le destresseux mal de la pouvre fille, si ne se peut elle contenir, voyant l'estrange fasson de regarder à tout ung oeil de nostre cordelier, que force de rire ne la surprint, qu'elle cuida longuement retenir; mais si mal, hélas luy advint, que ce ris àforce retenu fut convertyen ung sonnet dont le vent retourna si très à point la pouldre que la pluspart il fist voler contre le visage etsurl'oeil de ce boncordelier, lequelsentent ceste doleur, habandonna tantost et vaissel et tuyau; et à peu qu'il ne cheut à la renverse, tant fut fort effrayé. Et quand il reut son sang, il met tout à haste la main à son oeil, soy plaignant durement, disant qu'il estoit homme deffait et en dangier de perdre ung bon oeil qu'il avoit. Il ne mentit pas, car en pou de jours la pouldre, qui corrosive estoit, luy gasta et mengea l'oeil, et par ce point aveugle fut et demoura. Si se fist guider et mener ung jour jusques à l'ostel où il conquist ce beau butin et firent tant ses guides qu'ilz parlèrent au maistre de léans, auquel il remonstra son piteux cas, priant et requerant, ainsi que droit le porte, qu'il luy baille et assigne, ainsi que à son estat appartient, sa vie honnorablement. Le bourgois luy respondit que de ceste son adventure beaucop luy desplaisoit, combien que en rien il n'en soit cause, n'en quelque fasson que ce soit chargé ne s'en ient. Trop bien est il content pour pitié et


aumosne luy faire quelque gracieuse aide d'argent, pource qu'il avoit entrepris de garir sa fille, ce qu'il n'a pas fait; car à luy ne veult en riens estre tenu luy veult bailler autant en somme que s'il eust sa fille en santé rendue, non pas, comme dit est, qu'il soit tenu de ce faire. Damp cordelier, non content de ceste offre demande qu'il luy assigne sa vie, remonstrant tout premier comme la fille l'avoit aveuglé en sa presence et d'aultres pluseurs, et à ceste occasion estoit privé de la digne et trèssaincte consecracion du precieux corps de Jhésus, du saint service de l'Eglise, et de la glorieuse inquisicion des docteurs que escript ilz ont sur la saincte Escripture; et par ce point de predicacion plus ne povoit servir le peuple, qui estoit sa totale destruction, car mendiant estoit, et non fondé sinon sur aumosnes, que plus conquester il ne povoit. Quelque chose qu'il allègue ne remonstre, il ne peut finer d'aultre response que ceste presente. Si se tira par devers la justice du parlement du dit Londres, devant lequel fut baillé jour à nostre homme dessus dit. Et quand vint l'heure de plaider sa cause par ung bon advocat bien informé de ce qu'il devoit dire, Dieu scet que pluseurs se rendirent au consistoire pour oyr ce nouvel procès, qui beaucop pleut aux seigneurs du dit parlement, tant pour la nouvelleté du cas que pour les allégations et argumens des parties devant eulz debatans, qui non accoustumées mais plaisantes estoient. Ce procès tant plaisant et nouveau,


t6 LES CENT NOUVELLES NOUVELLES. -)')f.j--t.–

_~A'A ~v ~'V'I.l..d.£.ù. affin qu'il fust de pluseurs gens congneu, fut en suspens tenu et maintenu assez et longuement non pas que à son tour de rolle ne fust bien renvoyé et mis en jeu, niais le juger fut diiîeré jusques la fasson de cestes. Et par ce point celle qui auparavant par sa beauté, bonté et genteté congneue estoit de.pluseurs gens, devint notoire à tout le monde par ce mauldit mal de broches, dont en la fin fut garie, ainsi que puis. me fut compté.

dame. Et assez près du chasteau où )e dit chevdier faisoit residence demouroit ung musnier, pareillement à une belle, gente et jeurre femme marié. Advint une fois entre les aultres que comme le chevalier, pour passer temps et prendre son esbatement, se pourmenast à l'environ de son hosfel et du long de la rivière sur laquelle estoient assis lesdictz hostel et molin du dit musnier, qui à ce coup n'estoit pas à l'ostel, mais à Dijon ou à Beaune, il perceut et choisit la femme du dit musnier

n la duché de Bourgoigne eut naguères ung gentil chevalier dont l'ystoire presente passe le nom, qui maryé estoit à une belle et gente assez près du chasteau nu )e dit

LA TROYSIESME NOUVELLE,

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


portant deux cruches et retournant de la ri- 1 vière de quérir de l'eaue. Si s'avança vers elle et doulcement la salua; et elle, comme sage et bien aprinse, luy fist honneur et la reverence comme il appartenoit. Nostre chevalier, voyant cestemusnière très-belle et en bon point, mais de sens assez escharsement hourdée, s'approucha de bonnes et luy dist: « Certes, m'amye, j'apperçoy bien que vous estes malade et en grand périt. )) Et à ces parolles la musnière s'approuchaet dist «Helas! monseigneur, et que me fault il '–Vrayement, m'amye, j'apperçoy bien que si vous cheminez guères avant, que vostre devant est en trèsgrand dangier de cheoir; et vous ose bien dire que vous ne le porterez guères longuement qu'il ne vous chiège, tant m'y cognois-je. » La simple musnière, oyant les parolles de monseigneur, devint très ebahie et courroucée ebahie comment monseigneur povoit savoir ne veoir ce meschef advenir, et courroucée d'oyr la perte du meiUeur membre de son corps, et dont elle se servoit le mieulx, et son mary aussi. Si respondit: « Helas monseigneur, et que dictes vous et à quoy conmoissez vous que mon devant est en dangier de cheoir? Il me semble qu'il tient tant bien. Dya, m amye, respondit monseigneur, suffise vous à tant, et soiez seure que je vous dy la verité, et ne seriez pas la première à qui le cas est advenu. Hetas! dist-elle, monseigneur, or suis je bien femme deffaicte, deshonorée et perdue; et que dira mon mary £'IbO'>"


nostre Dame! quand il saura ce meschef? Une tiendra plus comte de moi. Ne vous desconfortez que bien à point, m'amye, dist monseigneur encores n'est pas le cas advenu aussi il y a de beaulx remèdes..< » Quand la jeune musnière oyf qu'on trouveroit bien remède en son fait, le sang luy commence à revenir et, ainsi qu'elle scet prie à monseigneur, pour Dieu! que de sa grace luy.veille enseigner qu'elle doit faire pour garder ce pouvre devant de cheoir. Monseigneur, qui trèscourtois et gracieux estoit, mesmement tousiours vers les dames, luy dist. « M'amye, pource que vous estes belle fille et bonne, etque j'ayme bien vostre mary, il me prend pitié et compassion de vostre fait; si vous enseigneray comment vous garderez vostre devant.-Helas monseigneur, je vous en mercy, et certes vous ferez une euvre bien meritoire, car autant me vauldroit non estre que de vivre sans mon devant. Et que doyje dontfaire, monseigneur M'amye, dist-il, affin de garder vostre devant de cheoir, le remède si est que plus tost et souvent que pourrez le facez recoigner. Recoigner, monseigneur ? et qui le saroit faire A qui me fauldroit il parler pour bien faire ceste besoigne ? Je vous diray, m'amye, respondit monseigneur, pource que je vousayadvertye de vostre meschef, qui trèsprochain et gref estoit, et aussi du remède necessaire pour obvier aux inconveniens qui sourdre pourroient à l'occasion de vostre cas, dont je suis seur que bon gré m'en saurez, je suis content,


attm de plus en plus nourrir amour entre nous deux, vous recoigner vostre devant, et le vous rendrai en tel et si trèsbon estat que par tout le pourrez seurement porter, sans avoir crainte ne doubte que jamais il vous puisse cheoir; et de ce me fais je bien fort. » Si nostre musnière fut bien joyeuse, il ne le fault pas dire ne demander, qui mettoit trèsgrand peine du peu de sens qu'elle avoit de souffisaument mercier monseigneur. Si marchèrent tant, monseigneur et elle qu'ilz vindrent au molin, où ilz ne furent guères sans mettre la main à l'euvre, car monseigneur, par sa courtoisie, d'un oustil qu'il avoit recoigna en peu d'heure troys ou quatre foiz le devant de nostre musnière, qui trèslyée et joyeuse en fut. Et après que l'euvre fut ployé, et de devises ung millier, et jour assigné d'encores ouvrer à ce devant, monseigneur part, et tout le beau pas s'en retourna à son hostel. Au jour nommé se rendit monseigneur vers la musnière, et, en la fasson que dessus, le mieulx qu'il peut il s'employa à recoigner ce devant; et tant et si bien y ouvra, par continuacion de temps, que ce devant fut trèstout asseuré et tenoit trèsferme et bien. Pendent le temps que nostre chevalier recoignoit et chevilloit le devant de ceste musnière, le musnier retourna de sa marchandise et fist grand chère, et aussi fist sa femme. Et comme ilz eurent devisé de leurs affaires et besoignes, la trèssage musnière va dire à son mary: « Par ma foy, sire, nous sommes bien tenuz à monseigneur de ceste ville. -Voire, m'amye,


dist le musnier, en quelle fasson?-C'est bien raison que le vous dye, affin que le sachez remercier, car vous y estes bien tenu. Il est vray que tantdiz qu'avez esté dehors, monseigneur passoit par devant nostre maison une foiz que à tout deux cruches alloye à la rivière il me salua, si feis je luy, et comme je marchoie, il apperceut, ne scay comment, que mon devant ne tenoit comme rien et qu'il estoit en trop grand adventure de cheoir; et le me dist de sa grace, dont je fus si trèsesbahie, voire, par Dieu autant courroucée que si tout le monde fust mort. Le bon seigneur, qui me veoit en ce point lamenter, en eut trèsgrand pitié- et de fait il m'enseigna ung bon remède pour me garder de ce mauldit dangier. Et encores me fist il bien plus, ce qu'il n'eust pas fait à une aultre, car le remède dont il m'advertit, qui estoit de faire recoigner et recheviller mon devant, affin de le garder de cheoir, lui mesmes le mist à execucion; qui luy fut trèsgrand peine et en sua pluseurs foiz, pource que mon cas requeroit d'estre souvent visité. Que vous diray je plus? il s'en est tant bien acquitté que jamais ne luy saurions desservir. Par ma foy, il m'a tel jour de ceste sepmaine recoigné les trois, les quatre fois, ung aultre deux, ung aultre trois; il ne m'a jamais laissée tant que j'aye esté toute garie; et si m'a a mise en tel estat que mon devant tient à ceste heure aussi bien et fermement que celui de femme de nostre ville. » Le musnier, oyant cette adventure, ne fist pas semblant par dehors tel


que dedans son cueur portoit, mais, comme s'il fust bien joyeux, dist à sa femme « Or çà, m'amye, je suis bien joyeux que monseigneur nous a fait ce plaisir, et se Dieu plaist, quand il sera possible, je feray autant pour luy. Mais toutes foiz, pource que vostre cas n'estoit pas bien honeste, gardez vous bien d'en rien dire à personne, et aussi, puis que vous estes bien garie, il n'est jà mestier que vous traveillez plus monseigneur.–Vous n'avez garde, dist la musnière, que j'en sonne jamais ung mot, car aussi le me deffendit bien monseigneur. » Nostre musnier, qui estoit gentil cômpaignon, ramentevoit souvent en sa teste la courtoisie que monseigneur luy avoit faicte, et se conduisit si bien et si sagement que oncques mon dit. seigneur ne se perceut qu'il se doubtast de la tromperie qu'il luy avoit faicte, et cuidoit en soy mesmes qu'il n'en sceust rien. Mais, helas si faisoit, et n'avoit ailleurs son cueur, son estude, ne tous ses pensers, que à se venger de luy, s'ii savoit, en fasson telle ou semblable qu'il deceust sa femme. Et tant fist par son engin, qui point oyseux n'estoit, qu'il advisa une manière par laquelle bien luy semblait, s'il en povoit venir à chef, que monseigneur raroit, beurre pour œufs. A chef de peche, pour aucuns affaires qui survindrent à monseigneur, il monta à cheval etprintde madame congé bien pour ung moys, dont nostre musnier ne fut pas moyennement joyeux. Ung jour entre les aultres, madame eut volunté de se baigner, et fist tirer le baing et chauffèr tes estuves en son


hostel à part, ce que nostre musnier sceut trèsbien, pource qu'il estoit assez familier léans; si s'advisa de prendre ung beau brochet qu'il avoit en sa fosse, et vint au chasteau pour le presenter à madame. Aucunes femmes de madame vouloient prendre le brochet, et de par le musnier en faire present à madame mais le musnier trèsbien les en garda, et dist qu'il le voloit luy mesme à madame presenter, ou vraiement qu'il le remporteroit. Au fort, pource qu'il estoit comme de léans et joyeux homme, madame le fist venir, qui dedans son baing estoit. Le gracieux musnier fist son present, dont madame le mercya, et le fist porter en la cuisine et mectre à point pour le soupper. En .entretant que madame au musnier devisoit, il apperceut sur le bout de la cuve ung trèsbeau dyamant et gros qu'elle avoit osté de son doy, doubtant de l'eaue le gaster. Si le crocqua si simplement qu'il ne fut de ame apperceu et quand il vit son point, il donna la bonne nuyt à madame et à sa compaignie, et s'en retourne à son molin, pensant au surplus de son affaire. Madame, qui faisoit grand chère avecques ses femmes, voyant qu'il estoit desjà bien tard et heure de soupper, abandonna le baing et en son lit se bouta. Et comme elle regardoit ses braz et ses mains, elle ne vit point son dyamant si appella ses femmes et leur demande ce dyamant, et à laquelle elle l'avoit baillé. Chacune dist « Ce ne fut pas à moy.-Ne à moy. -Ne à moy aussi. » On cherche hault et bas, dedans la cuve, sur la cuve, et partout;


mais rien n'y vault, on ne te peut trouver. La queste de ce dyamant dura longuement, sans qu'on en sceust oyr nouvelle, dont madame se donnoit bien mauvais temps, pource qu'il estoit meschantement perdu et en sa chambre. Et aussi monseigneur luy donna le jour de ses espousailles, si l'en tenoit beaucop plus cher. On n'en savoit qui mescroire, ne à qui le démander, dont grand dueil sourd par léans. L'une des femmes s'advisa et dist « Ame n'est céans entré que nous qui y sommes et le musnier; si me sembleroit bon qu'il fust mandé. :a On lé mande, et il y vint. Madame, si trèscourroucée et si desplaisante que plus ne povoit, demanda au musnier s'il n'avoit pas veù son dyamant. Et il, autant asseuré en bourdes que ung aultre à dire verité s'excusa trèshaultement, mesmes osa bien dire à madame s'elle le tenoit pour larron à quoy elle respondit doulcement: « Certes, musnier, nenny; aussi ce ne seroit pas larrecin si vous aviez par esbatement mon dyamant emporté. Madame, dist le musnier, je vous promectz par ma foy que de vostre dyamant ne scay je nouvelles. » Adonc fut la compaignie bien simple, et madame specialement, qui en est si trèsdesplaisante qu'elle ne scet sa contenance que de gecter larmes à grande abundance, tant a regret de ceste verge. La triste compaignie se met au conseil pour savoir qu'il est de faire. L'une dit qu'il fault qu'il soit en la chambre, l'aultre dit qu'elle a serché par tout, et que impossible est qu'il y soit qu'on ne le trouvast,


attendu que c'est une chose qui à ceste heure bien se monstre. Le musnier demande à madame s'elle l'avoit à l'entrée du baing, et elle dit que si. « S'il est ainsi, certainement, madame, veue la grande diligence qu'on a faicte de le quérir sans en savoir nouvelle, la chose est bien estrange. Toutesfoiz, il me semble que s'il y avoit homme en ceste ville qui sceust donner conseil pour le retrouver, que je seroye celuy et, pource que je ne vouldroye pas que ma science fust descouverte ne cogneue de pluseurs, il seroit expedient que je parlasse à vous à part.-A cela ne tiendra pas", dist madame. Si fist partir la compaignie, et au partir que firent les femmes dirent dame Jehanne, dame Ysabeau et Katherine « Helas! musnier, que vous serez bon homme si vous faictes revenir ce dyamant.–Je ne m'en fays pas fort, dist le musnier; mais j'ose bien dire, s'il est possible de jamais le trouver, que j'en apprendray la manière. » Quand il se vit à part avec madame, il luy dist qu'il se doubtoit trèsfort et pensoit certainement, puis que à l'arriver au baing elle avoit son dyamant, qu'il ne fust sailly de son doy et cheut en l'eaue, et dedans son corps se bouté, attendu qu'il n'y avoit âme. qui le voulsist retenir. Et la diligence faicte pour le trouver, si fist madame monter sur son lit, ce qu'elle eust voluntiers refusé si ce ne fust pour mieulx faire. Et après ce qu'il l'eut assez avant descouverte, fist comme manière de regarder cà et.là, et dist « Seurement, madame, le dyamant est entré en vostre corps.


:es vous, musnier, que l'avez apper-

-Et dictes vous, musnier, que l'avez apperCeu?–Oy, vrayement.- Helas! dit-elle, et comment le pourra l'on tirer ? –Trèsbien, madame; je ne doubte pas que je n'en vienne bien à chef, s'il vous plaist. -Ainsi m'ayde Dieu, il n'est chose que je ne face pour le ravoir, dist madame; or vous avancez, beau musnier. » Madame, encores sur le lit couschée, fut mise par le musnier tout en telle fasson que monseigneur mettoit sa femme quand il luy recoignoit son devant, et d'un tel oustil fit il la tente pour querir et pescher le dyamant. Après les reposées de la première et deuxiesme queste que le musnier fist du dyamant, madame demande s'il l'avoit point senty. Et il dist que oy, dont elle fut bien joyeuse, et luy pria qu'il peschast encores tant qu'il l'eust trouvé. Pour abreger, tant fist le bon musnier qu'il rendit à madame son trèsbeau dyamant, dont trèsgrand joye vint par léans; et n'eut jamais musnier tant d'honneur ne d'avancement que madame et ses femmes Iuy donnèrent. Ce bon musnier, en la trèsbonne grace de madame après la trèsdesirée conclusion de sa haulte entreprinse, part de léans, et vint en sa maison sans soy vanter à sa femme de sa nouvelle adventure, dont il estoit plus joyeux que s'il eust tout le monde gaigné. La Dieu mercy, petit de temps après, monseigneur revint en sa maison, où il fut doulcement receu et de madame humblement bienvenu, laquelle, après pluseurs devises qui au lit se font, luy compta la trèsmerveHIeuse adventure de son dya-


mant, et comment il fut de son corps par le musnier repesché; et, pour abregier, tout du long luy compta le procès, la fasson et la manière que tint le dit musnier en la queste du dit dyamant, dont il n'eut guères grand joye, mais se pensa que le musnier luy avoit bailtée belle. A la première fois qu'il rencontra le bon musnier, il le salua haultement et dist « Dieu gard, Dieu gard ce bon pescheur de dyamant » A'quoy le bon musnier respondit « Dieu gard, Dieu gard ce recoigneur de cons !-Par nostre Dame tu dis vray, dist le seigneur; tays toy de moy et si ferai-je de toy. » Le musnier fut content, et jamais plus n'en parla; non fist le seigneur, que je sache.

d'une trèsbelle et gente damoiselle mariée et mercière, et, quand il sceut trouver temps et lieu, le mains mal qu'il peut compta son trèsgracieux et piteux cas, auquel ne fut pas bien respondu à son avantage, dontiln'estoit pas trop content ne joyeux. Neantmains, car

e roy estant naguères en sa ville de Tours, ung gentil compaignon escossois, archier de son corps et de sa grand garde, s'enamoura trèsfort _t,.o,. n~o r1.rn.C'ol1o t

LA QUARTE NOUVELLE,

PAR MONSEIGNEUR.


il avoit la chose fort au cueur, ne laissa pas sa poursuite, aincois de plus en plus et trèsaigrement pourchassa tant que la damoiselle, le voulant enchasser et donner le total congié, luy dist qu'elle advertiroit son mary du pourchaz deshoneste et damnable qu'il s'efforçoit d'eschever, ce qu'elle fist tout au long. Le mary, bon et sage, preu et vaillant, comme après vous sera compté, secourroussa amerement encontre l'Escossois qui deshonorer le vouloit et sa trèsbonne femme aussi; et, pour bien se venger de luy et à son aise et sans reprinse, commenda à sa femme que s'il retournoit plus à sa queste, qu'elle luy baillast et assignast jour, et, s'il estoit si fol que d'y comparoir, le blasme qu'il luy pourchassoit luy seroit cher vendu. La bonne femme, pour obéir au bon plaisir de son mary, dist que si feroit elle. Il ne demoura guères que le pouvre Escossois amoureux fist tant de tours qu'il vit en place nostre mercière, qui fut par luy humblement saluée, et de rechef d'amours si doulcement priée que les requestes du par avant devoient bien estre entérinées par la conclusion de ceste piteuse et derrenière; qui le oyoit, jamais femme ne fut plus loyalement obéye ne servye qu'elle seroit, si de sa grace vouloit passer sa trèshum ble et raisonnable requeste. La belle mercière, recordant de la leczon que son mary luy bailla, voyant aussi l'heure propice, entre aultres devises et pluseurs excusations servans à son propos, bailla journée à l'Escossois au lendemain au soir de comparoir personnelle-


ment en sa chambre, pour en ce lieu luy dire plus celéement le surplus de son intencion et !e grand bien qu'il luy vouloit. Pensez qu'elle fut haultement merciée, doulcement escoutée, et de bon cueur obéye de celuy qui, après ces nouvelles bonnes, laissa sa dame le plus joyeux que jamais il avoit. Quand le mary vint à l'ostel, il fut servy de prinsault comme l'Escossois fut léans, des parolles et grandes offres qu'il fist; et en conclusion, qui mieulx vault, comment il se rendra demain au soir devers elle en sa chambre. « Or le laissez venir, dist le mary; il ne fist jamais si folle entreprise, que je luy cuide monstrer avant qu'il parte, voire et son grant tort faire confesser, pour estre exemple aux aultres folz oultrecuidez et enragez comme luy. » Le soir du lendemain approucha, très désiré du pouvre Escossois amoreux pour veoir et joir de sa dame, trèsdésiré du bon mercier pour accomplir la trèscriminale vengence qu'il veult executer en la personne de celuy qui veult estre son lieutenant; trèsredoubté aussi de la bonne femme, qui, pour obéir à son mary, attend de veoir ung grand hutin. Au fort, chascun s'appreste le mercier se fait armer d'un grand, lourd et vieil harnois, prend sa salade, ses ganteletz, et en sa main une grand hache. Or est il bien en point, Dieu le set, et semble bien que aultres fois il ait veu hutin. Comme ung champion venu sur les rencs de bonne heure et attendant son ennemy, en lieu de pavillon se va mectre derrière ung tapis en .la


ruelle de son lit, et si trèsbien se caicha qu'il u ne povoit estre apperceu. L'amoureux malade, sentent l'heure trèsdesirée, se met au chemin devers Poste! à la mercière; mais il n'oblya pas sa grande, forte et bonne espée à deux mains. Et comme il fut venu léans, la dame monte en sa chambre sans faire effroy, et il la suyt tout doulcement. Et quand il s'est trouvé léans, il demande à sa dame si en sa chambre y avoit aultre qu'elle. A quoy elle respondit assez laschement et-estrangement, et comme non trop asseurée, que non. « Dictes verité, dist l'Escossois; vostre mary n'y est il pasr –Nenny, dist-elle. Or le laissez venir par sainct Trignan! s'il y vient, je luy fendray la teste jusques aux dens; voire par Dieu s'il estoient trois, j'en seray bien maistre hardiment. a Et après ces criminelles parolles, vous tire hors du fourreau sa grande et bonne espée, et si la fait brandir trois ou quatre foiz, et auprès de luy sur le lit la cousche, et ce fait, vistement baiser et accoler, et le surplus qu'après s'ensuyt tout à son bel aise et loisir acheva, sans ce que le pouvre coux de la ruelle s'osast oncques monstrer, mais si grand paour avoit qu'à pou qu'il ne mouroit. Nostre Escossois, après ceste haulte adventure, prend de sa dame congé jusques une aultre fois, et la mercye comme il scet de sa grand courtoisie, et se met au chemin et descend les degrez de la chambre. Quand le vaillant homme d'armes sceut l'Escossois enseur de luy, ainsi effrayé qu'il estoit, sans à peine savoir parler,


sault de son pavillon et commence à tenser sa femme de ce qu'elle avoit souffert le plaisir de l'archier. Et elle luy respondit que c'estoit sa cou)pe et sa faulte, et chargié luy avoit luy baiiterjour. « Je ne vous commenday pas, dist-il, de luy laisser faire sa volunté. Comment, dit-elle, le povois je refuser, voyant sa grand espée, dont il m'eust tuée en cas de refus? » Et à cest cop veez cy bon Escossois qui retourne et monte arrière les degrez de la chambre, et sault dedans et dit tout hault: « Qu'est cecy! » Et bon homme de se sauver, et dessoubz le lit se boute pour estre plus seurement, beaucop plus esbahy que par avant. La dame fut reprinse et de rechef par l'amoureux enferrée trèsbien et à loysir, en la fasson que dessus, tousjours ~espée au près de luy. Après ceste rencharge et pluseurs aultres devises entre l'Escossois et la dame, l'heure vint de partir, si luy donna bonne nuyt et picque et s'en va. Le pouvre martir estant soubz le lit, à peu s'il s'osoit tirer de là, doubtant le retourner de son adversaire, ou, pour mieulx dire, son compaignon. A chef de pièce, il print courage, et, ou l'ayde de sa femme, la Dieu mercy, il fut remis sur piez. S'il avoit bien tansé et villannée sa femme auparavant, encores recommença il plus dure légende car elle avoit consenty après sa defense le deshonneur de luy et d'elle. « Hetas! dit-ette, et où est la femme tant asseurée qui osast dedire ung homme ainsi eschauffé et enragé que cestuy est, quand vous, qui estes armé, embas-


tonné et si vaillant que c'est rage, à qui il a trop plus meffait que à moy, ne l'avez osé assaillir ne moy défendre ? Ce n'est pas response, dist-il, dame; si vous n'eussiez voulu, jamais ne fust venu à ses attainctes. Vous estes mauvaise et desloyale.- Mais vous, ditelle, lasche, meschant, et reprouché homme, par qui je suis deshonorée, car pour vous obéir j'assignay le mauldit jour à l'Escossois, et oncques n'avez eu tant de courage que d'entreprendre la defence de celle où gist tout vostre bien et honneur. Et ne pensez pas, j'eusse trop mieulx amé la mort que d'avoir de moy mesmes consenty ne accordé ce meschef. Et Dieu scet le dueil que j'en porte et en porteray tant que je vivré, quand celuy de qui je doy avoir et tout secours attendre, en sa presence et par son advis m'a bien souffert deshonorer » Il fait assez à croire et penser qu'elle ne souffrit pas la volunté de l'Escossois pour plaisir qu'elle y prensist, mais elle fut ad ce contraincte et forcée par non resister, laissant la resistence en la proesse de son mary, qui s'en estoit très bien chargé. Chacun d'eulx cessa son dire et sa querelle après pluseurs argumens et repliques d'ung costé et d'aultre; mais en son tort evident fut le mary conclu, qui demoura trompé de l'Escossois en la fasson et manière que avez oy.


deux jugemens dignes d'estre récitez et en audience et mémoire perpétuelle amenez; et, affin que aussi en soit fait d'iceulx jugemens en brefs motz ma première nouvelle, ou renc des aultres la cinquiesme, j'en fourniray et diray amsi. Pendant le temps que la mauldicte et pestilencieuse guerre de France et d'Angleterre regnoit, et qui encores n'a prins fin, comme souvent advient, ung François, homme d'armes, fut à ung aultre Anglois prisonnier; et puis qu'il se fut mis à finance, soubz le saufconduit de monseigneur Talebot, devers son capitaine s'en retournoit pour faire finance de sa renson, et à son maistre l'envoyer ou la porter. Et comme il estoit en chemin, fut par un Anglois sur les champs rencontré, lequel, le voyant François, tantost luy demande dont il venoit et où tt alloit. L'auitre respondit la vérité. « Et où est vostre saufconduit? dist l'Anglois.-Et il n'est pas loing», dit le François. Lors tire une petite boyte pendant à sa

onseigneur Talebot, à qui Dieu pardoint, capitaine anglois si preux, si vaillant, et aux armes si eureux, comme chacun scet, fist en sa vie a:m. a~

LA CÏNQUIESME NOUVELLE, PAR PHILIPE DE LOAN.


~t. ~,n. ~ute uc auu ujtttNLre, par Cent Nouv.

couroye, où sonsaùicondmt estoit, et àl'Anglois le tendit, qui d'unbout à Paultrele leut; et, comme il est de coustume de mettre en toutes lettres de saufeonduit Réservé tout vray habillement de guerre, l'Anglois note sur ces motz; et voit ehcores les aguilletes à armer pendans au pourpoint du François. Si va juger en soy mesmes qu'il avoit enfràint son saufconduit, et que aguillettes sont vray habillement de guerre, et luy dit « Amy, je vous fays prisonnier, car vous avez rompu vostre saufconduit. Par ma foy, non ay, dist le François, sauve vostre grâce ;;vbus voiez en quel: estât je suis.–Nenny, nenny, dist l'Arigloys, par sainct Jehan vostre saufconduit est rompu. Rendez vous, oujevoustuëray. » Le pouvre François, qui n'avoit queson paige et qui;estoittoutnùet de ses armes'desgarny, voyant l'autre armé et de trois ou quatre archiers acompaignë pour le denaire, à luy se rendit. L'Angiois le mena en une place assez près de là et en prison le bouta. Le François, voyant ce ~party, tout son estât à grand haste au capitaine manda; lequel, oyant le cas de sonJiomme, fut à merveilles esbahy; si fist tantost escripre lettres à monseigneur Talebot, et par ung hérauK les envoya, bien enditté et informé de ta matière que Phommé d'armes prisonnier avoit au long au capitaine rescript, c'est~assavoir.'comment: unglrel.<iè :ses gens avoit prin's ung tel dessiens soùbz son saufconduit. Ledit hérault, bien informé êtaprins qu'il devoit dire 'et faire de 'son maisfre, par~~nf Ar~ttit ï


tit, et à monseigneur Talebot ses lettres presenta. tl leslysit, et par ung sien secretaire en audience, devant pluseurs chevaliers et escuiers et aultres de sa rote, de rechef les feist relire. Si devez savoir que tantost il monta sur son chevalet, car il avoit la teste chaude et fumeuse, et n'estoit point bien content quand on faisoit aultre chose que à point, et par especial en matière de guerre, et d'enfraindre son saufconduyt, il enrageoit tout vif. Pour abreger le compte, il fist venir devant luy l'Anglos et le François, et dist au François qu':l deist son cas. ifdist comment il avoit esté prisonnier d'ung tel dé ses gens et s'estoit mis à finance. « Et soubz vostre saufconduit, monseigneur, je m'en aloye devers ceulx de nostre party pour querir ma renson. J'ay encontré ce gentil homme cy, aussi de voz gens; il m'a demandé où je alloye, et se j'avoie saufconduyt. Je luy dys que oy et luy monstre, et, quand il l'eut leu, il me dist que je l'avoye rompu, et je luy respondy que non avoie et qu'il ne le saroit monstrer. Bref, je ne peuz estre oy, et me fut force, si je ne me vouloye laisser tuer en la place, de me rendre. Et ne scay cause nulle par quoi il me doive avoir retenu si vous en demande justice. » Monseigneur Talebot, oyant le Francoys, n'estoit pas bien à son aise; néantmains, quand il eut dit, il dist à l'Anglois « Que respons-tu à cecy ? Monseigneur, dist-il, il est bien vray, comme il a dit, que l'encontray et voulu veoir son saufconduit, lequel de bout en bout et


tons ie levz. et nfr~pn tantr.~t ,ni';)

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tout au long je leyz, et perceu tantost qu'il l'avoit enfraint et rompu, et autrement je ne l'eusse arresté. –Comment te rompit-il? dist monseigneur Talebot; dy tost. Monseigneur, pource que en son saufconduit a et avoit « reservé tout vray habillement de guerre.»; etil avoit et encores ses aguillettes à armes, qui sont ung habillement de guerre, car sans elles on ne se peut armer. Voire, dist monseigneur Talebot, si aguillettes sont. donc vray habillement de guerre? Et ne scez-tu aultre chose par quoy il puisse avoir enfraint son saufconduyt? Vrayement, monseigneur, nenny, respond t'Angtoys. Voyre, villain de par vostre dyable! dist monseigneur Talebot, avez vous retenu ung gentilhomme sur mon saufconduyt pour ses aguillettes? Par saint George, je vous feray monstrer si ce sont habillemens de guerre. » Alors, tout eschaufé et de courroux trèsfort esmeu, vint au François, et de son porpoint print deux aguillettes et à l'Angloys les bailla, et au François une bonne espée d'armes fist en la main° livrer, et puis la belle et bonne sienne du fourreau tira, et à l'Anglois va dire « Defendez vous de cest habillement de guerre que vous dictes, se vous savez. » Et puis dist au François, <( Frappez sur ce villain qui vous a retenu sans cause et sans raison; on verra comment il se défendra de vostre habillement de guerre. Si vous l'espergnez, je frapperay sur vostre teste, par saint George! » Alors Te François, voulsistou non, fut contraint de ferir


surl'Angloisde l'espée toute nue qu'il tenoit, et le pouvre Angloys s'en couroit par la chambre le plus qu'il pouvoit, et Tâlebot après, qui tousjours faisoit ferir par le François sur l'aultré, et luy disoit « Defendez vous, villain de vosire habillement de guerre. » A la verité, l'Anglois fut tant batu que presque jusques à la mort, et crya mercy àTalebot et au Françoys, qui par ce moien fut délivré, et de sa renson par monseigneur Talebot acquitté/et, avecques ce, son cheval et son harnoys et tout son bagaige que au jour de sa prinse avoit luy fist rendre et bailler. Veez là le premier jugement que hst le bon seigneur Talebot. Reste à compter 1 aultre, qui fut tel Il sceut que l'un de ses gens avoit'desrobé en une église le ciboire où l'on met corpus Domini, et à bons deniers contens l'avoit vendu, je n'en scay pas la juste somme mais il estoit bel et grand et d'argent doré, et trèsgentement esmaillé. Monseigneur Talebot, quoy qu'il fust terrible et cruel, et en la guerre très criminel, si avoit il en grand reverenêe tousjours l'église, et ne voloitque nul en nesun moustier le feu boutast ne desrobast; et où il savoit qu'on le feist, il en faisoit merveilleuse discipline de ceulx qui, en ce faisant, son commendement trespassoient. Or fist il devant luy mener, et vint celuy qui ce ciboire avoit en église robé.' Et quand il. le vit, Dieu scet quelle chère il luy fist! Il le voloit à toute force tuer, se n'eussent ~esté ceulx qui entour luy estoieht, quitam_liiy pnèrent que sa vie luy fut sauvée. Mais néammamssi le


vouloit-il punir et luy dist « Traistre ribauld, comment avez-vous osé rober l'eglise oultre mon commendement et ma defense? Ha! monseigneur, pour Dieu, mercy dist le pouvre larron; je vous crye mercy; jamaisnem'adYiendra,–Venez avant, villain », dist-il. Et l'aultre, aussi voluntiers qu'on va au guet, devers monseigneur s'avance. Et monseigneur Talebot, de son poing, qui estoit gros et lourd, de charger sur la teste de ce bon pèlerin, et luy disoit « Ha.! larron, avez-vous desrobé l'église M Et l'autre de crier « Monseigneur, je vous crye mercy; jamais ne le fe-.ray. Le ferez-vous .Nenny, monseigneur.–Or, jurez donc que jamais en eglise, quelle qu'eltesoit, n'entrerez. Jurez, villain. –Et bien! monseigneur a, dist l'aultre. Et lors luy fist jurer que jamais en eglise pie ne mettroit, dont tous ceulx qui là estoient eurent grand ris, quoyqu'ilz. eussent pitié du larron, pource.quemonseJgneurTalebot luy defendoit l'église A tous jours et luy faisoit jurer de non jamais y entrer. Et croiez qu'il cuidoit bien faire et à bonne intencion lui faisoit. Ainsi avez oy les deux jugemens de monseigneur Talebot.


de la chapette Saint-Anthoine, située au bois près la dicte ville, il fut rencontré d'un grand lourd Hollandois si trèsyvre que merveilles qui demouroit en ung village nommé Stevelinghes, à deux lieues près d'illec. Le prieur, de loing le voyant venir, cogneut tantost son cas par les desmarches lourdes et malseures qu'il faisoit tirant son chemin, et, quand ils vindrent pour joindre l'un à Paultre, l'ivroigne salua premier le prieur, qui luy rendit son salut tantost et puis passe oultre, continuant son service, sans en aultre propos l'arrester ne interroguer. L'yvroigne, tant oultré que plus ne povoit, retourne et poursuit le prieur, et luy requiert confession. « Confession! dist le prieur; va-t-en, va-t-en! tu es bien confessé. Helas! sire, respond l'yvroigne, pour Dieu, confessés-moy: )'ay à ceste heure très fresche memoire de mes pechez et parfecte contricion. Le prieur, desplaisant d'estre empesché à ce cop par cest yvroigne, respond « Va ton chemin, il ne te fault aultre confes-

n la ville de La Haye, en Hollandre, comme le prieur des Augustins naguères se pourmenast disant ses heures, sur le serain, assés près il .1. 1 t"-

LA SIXIESME NOUVELLE,

PAR MONSEIGNEUR DE LAUNOY.


sion, car tu es en trèsboh estât. Ha dya! dist l'yvroigne, par la mort bieu, vous me confesserez, maistre curé, car j'ay devocion.» Et le saisit par la manche et le voult arrester. Le curé n'y voloit entendre, mais avoit tant grand fain que merveille d'eschapper de l'aultre mais rien n'y vault, car il est ferme en la ruse que d'estre confessé, ce que le curé tousjours refuse, et si s'en cuide desarmer, mais il ne peut. La devocion de l'yvroigne de plus en plus s'enforce, et, quand il voit le curé refusant de oyr ses peschez, il mect la main à sa grand coustille, et de sa gayne la tira, et dist au curé qu'il l'en tuera si bientost il n'escoute sa confession. Le curé, doublant le cousteau et la main périlleuse qui le tenoit, ne scet que dire, si demande à l'aultre « Que veulx-tu dire Je veil confesser, dit-il. -Or avant, je le veil », dit le curé, avance-toy. Nostre yvroigne, plus estourdy que une grive partant d'une vigne, commença, s'il vous plaist, sa devote confession, laquelle je passe car le curé point ne la revela, mais vous pouvez bien penser qu'elle fut bien nouvelle et estrange. Quand le curé vit son point, il couppa le chemin aux lourdeset longues parolles de nostre yvroigne et l'absolucion luy donne et congé luy donnant luy dist: « Va-t-en, tu es bien confessé. Dictes-vous, sire? respond-il.Oy vrayemement, dist le cure, ta confession est trèsbonne. Va-t-en, tu ne peuz mal avoir. Et puis que je suis bien confessé et que j'ay l'absolution receue, si à ceste heure je mou-


roye, n'yrois-je pas en paradis ? dit l'yvroigne. Tout droit, tout droit, sans faillir, dit le curé, n'en fay nulle double.–Puis qu'ainsi est, dit l'yvroigne, que je suis en bon estat maintenant, je veil morir tout dès maintenant, àffin que je y aille. » Si prend et baille son cousteau à ce curé, en lui priant et requerant qu'on luy trenche la teste, affin qu'i[ voist en paradis.- «Ha dya! dit le curé tout esbahy, il n'est jà mestier d'ainsi, faire, tu iras bien en paradis par aultre voye. –Nenny, respond l'yvroigne, je y veil aller tout maintenant, et cy morir par voz mains; avancez-vous et me tuez. Non feray pas; dit le curé; ung prestre ne doit ame tuer. Si ferez, sire, par la mort bieu, et, si bientost ne me despeschez et ne me mettez en paradis, je mesme à mes deux mains vous occiray. ') Et à ces motz brandit son grand cousteau, et en fait monstre aux yeulx du pouvre curé; tout espoentéetassimply. Au fort, après qu'il eutung peu pensée affin d'estre de son yvroigne despeschié, qui de plus en plus l'aggresse et parforce qu'it !uy pste la vie, il saisist et prent le Cousteau et si va dire « Or ça, puis que tu veulx par mes mains finer affin d'aller en paradis, mets-toy à genoulz cy devant moy. L'yvroigne ne s'en fist guères prescher, mais:tout à coup du hault de lui tumber se laissa, et à chef de pièce, quelque meschef que ce fust', sur ses genpu)z se releva, et à mains joinctes le cpp de respée, cuidant mourir, attendoit. Le curé, du doz du Cousteau, fiert sur le col de ryvrogneung


grand et pesant cop, et à terre l'abbat bien rudement. Mais vous n'avez garde qu'il se .reliève, mesme cuide vrayement estre en paradis. En ce point le laissa le curé, qui, pour sa seureté, n'oublia pas le cousteau. Et, comme il fut ung peu avant, il rencontra ung chariot chargé de gens, mesmes de lapiuspart, vint si bien, de ceulx qui avoient esté presens où nostre yvroigne se chargea, auxquelz il racompta bien au long tout le mystère, en leur priant qu'ilz le levassent et en son hostel le.voulsissent rendre et conduire, et puis leur bailla son cousteau. Hz promisrent de l'emmener et charger avec eulx, et puis le curé s'en va.Hz n'eurent guères cheminé qu'ilz perceurent ce.bon yvroigne couché comme s'il fûst mort, les dents contre la terre; et; quand ilzfurentprèsde)ui,tréstous àune voix par sonnom l'appelèrent mais ilz ont beau hucher, il n'a garde de respondre; ilz recommencent à crier, mais c'est pour neant. Adonc descendirent les aucuns de leur chariot, si le prindrent par testé, par piez et par jambes, et tout en air le sourdèrëntet tant huchèrent qu'il ouvrit ses yeulx, et quand il parla il dist « Laissez-moy, laissez, je suis mort. –Non estes, non, dirent ses compaignons; il vous en fault venir avecques nous. Non feray, dist l'yvroigne, où yrois je ? Je suis mort et desjà en paradis.- Vous vous en viendrez, dirent les aultres; il nous fault aler boire. Boire dit l'aultre; jamais je ne buray, car je suis mort. » Quelque chose que ses compaignons luy deissent ne fissent, il ne vouloit par-


tir ne mettre hors de sa teste qu'il ne fust mort. Ces devises durèrent beaucop, et ne savoient trouver les compaignons fasson ne manière d'emmener ce folyvroigne car, quelque chose qu'ilz dissent, tousjours respondoit « Je suis mort. En la fin, ung entre les aultres s'avisa et dit « Puis que vous estes mort, vous ne voulez pas demourer icy, et comme une beste aux champs estre enfouy; venez, venez avecques nous, si vous porterons en terre sur nostre chariot, ou cimeitére de nostre ville, ainsi qu'il appartient à ung crestian; autrement n'yrés pas en paradis. Quand l'yvroigne entendit que encores le faUoit enterrer, ains qu'il montast en paradis, il fut tout content d'obéyr; si fut tantost troussé et mis dessus le chariot, où guères ne fut sans dormir. Le chariot estoit bien atelé, si furent tantost à Stevelinghes, où ce bon yvroigne fut descendu tout devant sa maison. Sa femme et ses gens furent appelez, et leur fut ce bon corps saint rendu, qui si trèsfort dormoit que, pour le porter du chariot en sa maison et sur son lit le gecter, jamais ne s'esveilla, et là fut il ensevely entre deux linceux sans s'esveit'ter bien de deux jours après.


ge et grand provision de charbon de saulx. Advint ung jour, entre les aùltres, que le charreton qui ceste denrée livroit, pour la grand haste de l'orfévre, fist si grand diligence qu'il amena deux voictures plus que nul des jours par avant mais il ne fut pas si tost à Paris à sa derrenière charetée que la porte à ses talons ne fust fermée. Il fust trèsbien venu et receu de l'orfèvre, et, après que son charbon fut deschargé et les chevaulx mis en l'estable, il voult soupper tout à loysir, et firent tresgrande chère, qui pas ne se passa sans boire d'autant et d'autel. Quand la brigade fut trèsbien repeue, la cioche sonna xij heures, dont ilz se donnèrent grans merveilles, tant plaisammant s'estoit le temps passé à ce soupper. Chacun loa Dieu comme il savoit, faisans trèspetitz yeulx, et demandent le lit mais, pource qu'il estoit tant tard, l'orfévre retint au couscher son chareton, doubtant la rencontre du guet, qui l'eust en Chastellet logié si à ceste heure le trou-

ng orfèvre de Paris, naguères, pour despescher pluseurs besoignes de ,sa marchandise à l'encontre d'une feste de Lendit et d'Envers, fist lar1 u. ..1.- _L_1_ _1- t

LA SEPTIESME NOUVELLE, PAR MONSEIGNEUR.


vast. Pour cest cop nostre orfèvre avoit tant de gens qui pour luy ouvroient que force luy fut le chareton avec luy et sa femme en son lit heberger et, comme sage et non suspeconneux, fist sa femme entre luy et le chareton couscher. Or vous fault-il dire que ce ne fut pas sans grand mystère, car le bon chareton refusoit de tout point ce logis, et à toute force vouloit dessus le bang ou en la grange couscher; force luy fut d'obéir, et, après qu'il fut despoillé, dedans le lit pour dormir se boute, ou queldesjà estoient l'orfévre et sa femme en la fasson que j'ay jà dicte. La femme, sentant le chareton, à cause du froit et de la petitesse du lit, d'elle approucher, tost se vira vers son mary, et, en lieu d'aureillier, sa teste mist sur sa poictrine, et ou geron du chareton son gros derrière reposoit. Sans dormir ne se tint guères l'orfévre, ne sa femme sans en faire le semblant; mais nostre chareton, jasoit qu'il fust las et traveillé, n'en àvoit garde. Car, comme le poulain s'eschauffe sentant la jument, et se dresse et deinaine, aussi faisoit le sien, levant la teste cbntremont si très prochain de l'aurfauveresse, et ne fut pas en la puissance du chareton qu'à elle ne se joignist, et de trèsprès. Et cest estât fut assez longue espace sans que la femme s'esveillast, voire ou au mains qu'elle en fist semblant. Non eust pas fait le mary, si n'eust esté la teste de sa femme sur sa poictrine reposant, qui par l'assaultet hurt de ce poulain luy donnoit si grand branle que assez tost il s'en reveilla. Il cuidoit


bien que sa femme songeast, mais car trop longuement duroit, et qu'il oyoit le chareton se remuer et trèsfort souffler, tout doulcement leva sa main en hault, et si tresbien à point en bas la rabatit qu'en dommage et en sa garenne le poulain au chareton trouva, dont il ne fut pas bien content, et ce pour l'amour de sa femme. Si l'en fist à haste saillir, et dist au chareton « Que faictes-vous, meschant coquart ? Vous estes, par ma foy, bien enragé, qui à ma femme vous prenez n'en faictes plus, je vous en prie. Par la mort bieu s'elle se fust à cest cop éveillée que vostre poulain ainsi la harioit, je ne scay que vous eussiez fait: car je suis tout certain, tant la cognois-je, qu'elle vous eust tout le visage egratigné, et à ses mains les yeulx de vostre teste esrachez vous ne savez pas qu'elle est merveilleuse depuis qu'elle entre en sa manière, et si n'est chose ou monde qui. plustost l'y boutast. Le chareton à peu de motz s'excusa qu'il n'y pensoit pas; et, quant le jour fut, il se leva, et, après le bon jour donné à son hoste et à son hostesse, s'en va et au charroier se remect. Pensez, si la bonne femme eust sceu le fait du chareton, qu'elle l'eust fort plus grevé que son mary ne disoit. Combien que depuis le chareton le racompta en la façon que avez oye, sinon qu'elle ne dormoit point: non pas que le veille croire, ne ce rapport faire bon.


jeune compaignon picard qui servit trèsbien et loyaument son maistre assez longue espace. Et entre aultres services à quoy il obligea son dict maistre vers luy, il fist tant par son gracieux parler, maintien et courtoisie, que si avant fut en la grace de la fille qu'il couscha avec elle, et par ses euvres elle devint grosse et enceincte. Nostre compaignon voyant sa dame en cest estat, ne fut pas si fol que d'actendre l'heure que son maistre le pourroit savoir et appercevoir si print de bonne heure ung gracieux congié pour pou de jours, combien qu'il n'eust nulle envye de jamais retourner, faignant aller en Picardie visiter son père et sa mère et ses aultres parens. Et quand il eut à son maistre et à sa maistresse dit le derrain adieu, le trèspiteux fut à la fille sa dame, à laquelle il promist tantost retourner, ce qu'il ne fist point et pour cause. Luy estant en Picardie, en l'ostèl de son père, la pouvre fille de son maistre devenoit si trèsgrosse que son piteux cas ne se pouvoit plus celer, dont

;n la ville de Bruxelles, où maintes adventures sont en nostre temps advenues, demouroit n'a pas long temps à. l'ostel d'un marchant ung

LA HUITIESME NOUVELLE,

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


entre les aultres sa bonne mère, qui au mestier se cognoissoit, s'en donna garde la première. Si la tira à part et luy demanda, comme assez on le peut penser, dont elle venoit en cest estat et qui l'y avoit mise. S'elle se fist beaucop presser et menacer avant qu'elle en voulsist rien dire, il ne le fault jà demander; mais au fort en fin elle fut ad ce menée qu'elle cogneut son piteux cas, et dist que le picard varlet de son père naguères party l'avoit seduicte et en ce trèspiteux point laissée. Sa mère, toute enragée, forcenée et tant marrie qu'on ne pourroit plus, la voyant ainsi deshonorée, si prend à la tenser, et tant d'injures luy va dire que la pacience qu'elle eut de tout escouter, sans mot sonner ne riens luy contredire, estoit assez suffisante d'estaindre le crime qu'elle avoit commis par soy laisser engrosser du Picard. Mais, hélas ceste pacience n'esmeut en rien sa mère à pitié, mesmes luy dit « Va-t-en, va-t-en ensus de moy, et fay tant que tu trouves le Picard qui t'a fait grosse et luy dy qu'il te defface ce qu'il t'a fait, et ne retournes jamais vers moy jusques ad ce qu'il ara deffait tout ce que par son oultrage il t'a fait. )) La pouvre fille, en cest estat, marrie, Dieulescet, et desolée, part de sa cruelle et tumeuse mère et se met à la queste de ce Picard qui l'engrossa. Et croiez avant qu'elle en peust oyr nouvelle ce ne fut pas sans avoir peine et du malaise largement. En la parfin, comme Dieu le voulut, après mains gistes qu'elle fist en Picardie, elle arriva par


ung jour de dimenche en ung gros village en Artois. Si trèsbien luy vint, ce propre jour son amy le Picard faisoit ses nopses.~ dont elle fut bien joyeuse, et ne fut pas si peu asseurée pour à sa mère obéir qu'elle ne se boutast par la presse des gens, ainsi-grosse qu'elle estoit, et fist tant qu'elle trouva son amy et le salua, lequel tantost la recogneut, et enla recognoissant son salut luy rendit et luy dit « Vous soyez bien venue Qui vous ameine ceste heure, m'amyei' –Ma mère, dit-elle, m'envoye vers vous, et Dieu scet que vous m'avez bien fait tanser. Elle m'a chargée et comméndé que vous me deffacez ce que: m'ayez fait, et s'ainsi ne le faictes que jamais je ne retourne vers elle. » L'aultre entendit tantost la folie et au plustost qu'il peut il se deffist d'elle et luy dit « M'amye, je feray trèsvoluntiers ce que me requérez et que vostre mère veult que je face, c'est bien raison; mais à ceste heure, je n'y puis bonnement entendre si vous prie que aiez pacience meshuy, et demain je,besoigneray à vous.)) Elle fut contente, et alors.illa fist garder et en une chambre mener,:etjà'trèsbien penser, dont elle avoit bon mestier, à cause des grans labours et travaulx qu'elle avoit eu en ceste queste. Vous devez savoir que l'espousée se donna irèsbien garde etperceut son mary parler à npstre îilte 'grosse, dont elle n'estoit en riens, contente, mais' trèstroublée et marrye en estoit. Si garda ce courroux sans en rien dire jusques ad ce que son mary s'en vint coucher, et quand il la cuida accoler


et baiser et au surplus faire son devoir et gaigner le chaudeau, elle se vire puis d'ung costé puis d'aultre, tellement qu'il ne peut parvenir à ses attainctes dont il est tresëbahy et courroucé, et luy va dire s M'amye, pourquoy faictes vous cecy f–J'ay bien cause, dit-elle, et aussi quelque manière que vous facez, il ne vous chault guères de moy: vous en avez bien d'aultres dont il vous chault plus que de moy. Et non ay, par ma foy m'amye, dit-il je n'ayme en ce monde aultre femme que vous. Hélas dit-elle et ne vous ay-je pas bien veu après disner tenir voz longues parolles à une femme en la sale en bas ? On voit trop bien que c'est, vous ne vous en sariez excuser ne sauver. Cela, dit-il, nostre dame vous n'avez cause de vous en rien jalouser. Et adonc luy va tout compter, comment c'estoit la fille à son maistre de Bruxelles, et qu'il coucha avecques elle et l'engrossa, et que à ceste cause il vint par deçà; comment aussi après son departement elle devint si tresgrosse qu'on s'en perceut, et comme elle confessa à sa mère qu'il l'avoit engrossée, et qu'elle l'envoyoit vers luyaffin qu'il luy deffist ce qu'il luy avoit fait, ou aultrement vers elle ne retournast. Quand nostre homme eut tout au iong compté, sa femme ne reprint que l'ung de ses poinz et dist « Comment, dit-elle, dictes-vous qu'elle dist à sa mère que vous aviez couché avec elle.? Oy, par ma foy! dit-il, elle luy cogneuttout.–Par mon serment! dist-eHe, elle monstra bien qu'elle éstoit beste; le charreton Cent Nouv. J


de nostre maison a couché avecques moy plus de quarante nuiz, mais vous n'avez garde que j'en deisse oncques ung seul mot à ma mère je m'en suis bien gardée. Voire, dit-il, de par le deable! dame, estes-vous telle? Le gibet y ait part! Or allez à vostre charreton, si vous voulez car je n'ay cure de vous. )) Si se leva tout à coup et se vint rendre à celle qu'il engrossa, et abandonna l'autre. Et quand lendemain on sceut ceste nouvelle, Dieu scet la grand risée d'aucuns, et le grant desplaisir de pluseurs, especialement du père et de la mère~ I

ment naguères ung gentil chevalier de Bourgoigne, faisant residence en ung sien chasteau bel et fort, fourny de gens etd'artillerie, comme à seigneur de son estat appartenoit, devint amoureux d'une damoiselle de son hostel, voire et la première après madame sa femme. Et car amours si fort le contraignoit, jamais ne sâvoit sa manière sans elle, tousjours l'entretenoit, tous)ours la requeroit, et bref nul bien

our continuer le propos de nouvelles histoires, comme les adventures adviennent en divers lieux et diversement, on ne doit pas taire com-

LA NEUFIESME NOUVELLE.

PAR MON&EtGNEUR.


sans elle avoir il ne povoit, tant estoit-il au vif feru de l'amour d'elle. La damoiseUe bonne et sage, voulant garder son honneur, que aussi cher elle tenoit que sa propre ame voulant aussi garder la loyaulté que à sa maistresse elle devoit, ne prestoitpas l'oreille à son seigneur toutesfoiz qu'il eust bien voulu; et si aucunes foiz force luy estoit de l'escouter, Dieu scet la trèsdure response dont il estoit servy, luy remonstrant sa trèsfole entreprinse, la grand lascheté de son cueur, et au surplus bien luy disoit que, si ceste queste il continue plus, que à sa maistresse il sera decelé. Quelque manière ou menace qu'elle face il ne veult laisser son emprinse, mais de plus en plus la pourchasse, et tant en fait que force est à !a bonne fille d'en advertir bien au long sa maistresse. La dicte dame, advertie des nouvelles amours de monseigneur, sans en monstrer semblant, en est très malcontente mais non pourtant elle s'advisa d'ung tour ainçois que nen luy en dist, qui fut tel. Elle charge à sa damoiselle que à la première foiz que monseigneur viendra pour la prier d'amours que, trestous refuz mis arrière, elle luy baille jour à lendemain se trouver devers elle dedans sa chambre et en son lict « Et s'il accepte la journée, dit madame, je viendray tenir vostre place, et du surplus laissez moy faire. » Pour obéir comme elle doit à sa maistresse, elle est contente d'ainsi faire. Si ne tarda guères après que monseigneur ne retournast à l'ouvrage, et s'il avoit auparavant bien fort menty en-


cores à ceste heure il s'en efforce beaucop de l'affermer, et qui à ceste heure l'oyst, mieulx luy vauldroit la mort que sans prochain remède vivre en ce monde. Qu'en vauldroit le long compte? Ladamoiselle de sa maistresse est escollée et advoée que mieulx on ne pourroit, baille au bon seigneur à demain l'heure de besoignier, dont il est tant content que son cueur tressault tout de joye, et dit bien en soy mesmes qu'il ne fauldra pas à sa journée. Le jour des armes assignées, survint au soir uns gentilhomme chevalier, voisin de mon~isneur et son trèsgrand et bon amy, qui le vint veoir, auquel il fist trèsgrande et bonne chère, comme trèsbien le savoit faire; si fait madame aussi, et le surplus de la maison s'efforcoit fort de luy complaire, saichant estre le bon plaisir de monseigneur et de madame. Après les trësgrandes chères et du soupper et du bancquet; et qu'il fut heure de retraire la bonne nuyt donnée et à madame et à ses femmes les deux bons chevaliers se mettent en devises de pluseurs et diverses matères, et entre aultres propos le chevalier estrange demanda à monseigneur si en son village avoit rien de beau pour aler courre l'aguillette car la devocion luy en est prinse après ces bonnes chères et le beau temps qu'i fait à ceste heure. Monseigneur, qui rien ne luy vouldroit celer pour la grand amour qu'il luy porte, luy va dire comment il a jour assigné de coucher ennuyt avecques sa chambrière, et pour '.v faire plaisir, quand il aura esté avecques


elle aucune espace, il se lèvera tout doulcement et le viendra quérir pour le surplus parfaire. Le chevalier estrange mercya son compaignon, et Dieu scet qu'il luy tarde bien que l'heure soit venue! L'oste prend congé de luy et se retrait en sa garderobe, comme il avoit de coustume pour soy deshabiller. Or devez vous savoir que tàntdiz que les chevaliers se devisoient, madame se alla mettre dedans le lict où monseigneur devoit trouver sa chambrière, et droit là attendoit ce que Dieu luy vouldra envoyer. Monseigneur mist assez longue espace à soy deshabiller tout à propos pensant que desjà madame fust endormie, comme souvent faisoit, pource que devant se couchoit. Il donne congé à son varlet de chambre, et à tout sa longue robe s'en va au lict où madame l'attendoit, cuidant y trouver aultry; et trestout coyement de sa robe se desarme, et dedans le lit se boute, et car la chandelle est estaincte et madame mot ne sonne, il cuide avoir sa chambrière. Il n'y eut guères este sans faire son devoir, et si trèsbien s'i acquitta que les trois, les quatre foiz guères ne luy coustèrent, que madame print bien en gré, qui tost après, pensant que ce soit tout, fut endormye. Monseigneur, trop plus legier que par avant, voyant que madame dormoit et recordant de sa promesse tout doulcement se lève, et puis vient à son compaignon, qui n'attendoit que l'heure d'aller aux armes, et luy dist qu'il aille tenir son lieu mais qu'il ne sonne mot, et qu'il retourne


quand il aura bien besoigné et tout son saoul. L'aultre, plus esveillé qu'un rat et viste comme ung levrier, part et s'en va, et auprès de madame se loge sans qu'elle en sache rien. Et quand il est tout rasseuré, si monseigneur avoit bien besoigné, voire et à haste encores fist-il mieulx, dont madame n'est pas ung peu esmerveillée, qui après ce bel passetemps, qui aucunement traveil luy estoit, arrière s'endormit. Et bon chevalier de l'abandonner, et à monseigneur s'en retourne, qui comme paravant emprès madame se vint relogier, et de plus belle aux armes se ratoille, tant bien luy plaist ce nouvel exercice. Tant d'heures se passèrent, tant en dormant comme en aultres choses faisant, que le trèsbeau jour s'apparut; et comme monseigneur se retournoit, cuidant virer l'œil sur la chambrière, il voit et congnoist que c'est madame, qui à ceste heure luy va dire « N'estes-vous pas bien putier, creant, lasche et meschant, qui, cuidant avoir ma chambrière, par tant de foiz et oultre mesure m'avez accolée pour acomplir vostre desordonnée volunté, dont vous estes, la Dieu mercy bien deceu, car aultre que moy, pour ceste heure, n'aura ce qui doit estre mien. » Se le bon chevalier fut esbahy et courroucé se voyant en ce train, ce n'est pas de merveilles. Et quand il parla, il dist « M'amye, je ne vous puis celer ma folie, dont beaucop il me poise que jamais l'entreprins; si vous prie qu'en soyez contente et n'y pensez plus, car )our de ma vie plus


ne m'adviendra cela vous prometz-je, et sur ma foy. Et affin que n'aiez occasion d'y penser, je donneray congé à la chambrière qui me bailla le vouloir d'envers vous faire ceste faulte. » Madame, plus contente d'avoir eu l'adventure de ceste nuyt que sa chambrière, et oyant la bonne repentence de monseigneur, assez legièrement s'en contenta, mais ce ne fut pas sans grans langages et remonstrances. Au fort trestout va bien, et monseigneur, qui a des nouvelles estoupes en sa quenoille, après qu'il est levé, s'en vient devers son compaignon, auquel il compte tout du long son adventure, luy priant de deux choses la première si fut qu'il celast trèsbience mistère et sa trèsdesplaisant adventure l'autre si est que jamais il ne retourne en lieu où sa femme sera. L'autre, trèsdesplaisant de ceste male adventure conforte le chevalier au mieulx qu'il peut, et promect d'accomplir sa trèsraisonnable requeste, et puis monte à cheval et s'en va. La chambrière, qui coulpe n'avoit au meffait desusdit, emporta la punicion par en avoir congié. Si vesquirent depuis assez longtemps monseigneur et madame assez paisiblement ensemble, sans qu'elle sceust jamais qu'elle eust eu afaire au chevalier estrange.


ta pluspart ne serviroit pas à la continuacion de ceste hystoire presente. Neantmains ceste presente hystoire, pour son propos continuer, et le nombre de ces histoires accroistre, fera mencion comment ung grand seigneur dudit royaume d'Angleterre entre les mieutx nez, riche, puissant, et conquerant, entre les aultres ses serviteurs avoit parfecte fiance, confidence et amour en ung jeune et gracieux gentil homme de son hostel, pour pluseurs raisons, tant pour sa beauté, diligence, subtilité et prudence; et, pour le bien qu'en lui avoit trouvé, ne luy celoit rien de ses amours; mesmes par succession de temps, pour mieulx s'entretenir en la grace de son maistre, te dit gentil homme estoit celuy qui procuroit la plus part des bonnes adventures qu'en amour il avoit, et ce pour le temps que son dit maistre encores estoit à marier. Advint certain espace après, que, par le conseil de pluseurs ses parens, amis et bien veillans, monseigneur se marya à une tresbeUe, bonne,

luseurs aultres haultes et dures adventures ont esté demenées et à fin eonduictes ou royaume d'Angleterre, dont la recitacion à present de 1

LA DIXIESME NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


et riche dame, dont pluseurs furent trèsjoyeux, et entre les aultres nostre gentil homme, qui mignon se povoit bien nommer, n'en fut pas le mains contant, sentant en soy que c'estoit le bien et honneur de son maistre, qui le retireroit de pluseurs menues folies, ausquelles espoir trop se donnoit. Si dist ung jour à monseigneur qu'il estoit trèsjoyeux qu'il avoit si trèsbelle et bonne dame espousée car à ceste cause il ne seroit plus empesché de faire queste ça et là pour luy., comme il avoit de coustume. A quoy monseigneur respondit que pourtant ne se remuoit droit, et, jasoit qu'il soit marié, si n'est-il pas pourtant du gracieux service d'amours osté, mesmes de bien en mieulx s'i veult employer et donner. Son mignon, non content de ce vouloir, luy respondit que sa queste en amours doit estre bien finée, quand amours l'ont party de la nonpareille des aultres, de la plus belle, de la plus sage, de la plus loyalle et toute bonne et quand à luy, face Monseigneur ce qu'il luy plaist, mais, de sa part, jour de sa vie à aultre femme parolle ne portera au prejudice de sa maistresse. « Je ne scay quel prejudice, dit le maistre, mais il vous fault trop bien remettre en train mes besoignes à telle, et à telle, et à telle, rop long-temps sans pourchaz abandonnées. Et ne pensez pas qu'encores ne m'en soit autant que quand vous en feiz premier parler.Ha dea! monseigneur, dit le mignon, je ne sçay trop emerveillerde vostre fait; il faut dire que vous prenez plaisir à abuser femmes, qui


par ma foy n'est pas bien fait car vous savez mieulx que nul aultre que toutes celles que vous avez cy nommées ne sont pas à comparer en beauté ne aultrement à madame à qui vous ferez mortel desplaisir s'elle savoit vostre desordonné vouloir. Et, qui plus est, vous ne povez ignorer qu'en ce faisant vous ne damnez vostre ame. Cesse ton prescher, dit monseigneur, et va dire ce que je te commende. Pardonnez-moy, monseigneur, dit le mignon; un mot pour tous, j'aymeroie mieulx mourir que à mon pourchaz sourdist noise ou debat entre vous et madame, mesmes pour vous la mort eternelle si vous prie estre content de moy, s'il vous plaist, car je n'en feray rien plus. » Monseigneur, qui voit son' mignon enhurté, pour ce cop ne le presse. Mais à chef de pièce de trois ou quatre jours, sans faire en rien semblant des parolles precedentes, entre aultres devises à son mignon demande quelle viande il mengoit plus voluntiers. Et il luy respondit que nulle viande tant ne. luy plaisoit que pastez d'anguilles. « Saint Jehan, c'est bonne viande, ce dist le maistre, vous n'avez pas mal choisy. » Cela se passe et monseigneur se trait arrière et mande venir vers luy ses maistres d'ostel, auxquelx il charge si cher qu'ilz luy veulent obeir que son mignon ne soit servy d'aultre viande que de pastez d'anguille, pour rien qu'il dye. Et ilz respondent et promectent d'accomplir son commendement, ce qu'ilz feirent trèsbien car, comme le dit mignon fut


assis à table pour menger en sa chambre le propre jour du commendement, ses gens luy apportèrent largement de beaulx et gros pastez d'anguittes qu'on leur delivra en la cuisine, dont il fut bien joyeux. Si en menga tout son saoul. Au lendemain pareillement, et cinq ou six jours ensuyvans tousjours revenoient ces pastez en jeu, dont il estoit desjà tout ennuyé si demanda à ses gens si on ne servoit léans que de pastez. « Ma foy, Monseigneur, dient-ilz, on ne vous baille autre chose; trop bien voyons-nous servir en sale et ailleurs d'aultres viandes mais pour vous, il n'est mémoire que de pastez. » Le mignon, sage et prudent, que jamais sans grand cause pour sa bouche ne feroit plainte, passa encores pluseurs jours tousjours usant de ces ennuyeux pastez, dont iln'estoit pas bien content. Si s'advisà ung jour entre les aultres, d'aller disner avec les maistres d'ostel., qui le firent servir comme paravant de pastez d'anguilles. Et quand il vit ce, il ne se peut plus tenir de demander la cause pour quoy on le servoit plus de pastez d'anguilles que les aultres, et s'il estoit pasté. « Par la mort bieu! dist-il, j'en suis si treshodé que plus n'en puis il me semble que je ne voy que pastez. Et pour vous dire, il n'y a point de raison, vous le m'avez fait trop longuement il y a plus d'un mois que vous me faictes ce tour, dont j'en suys tant maigre que je n'ay force ne puissance; et ne saroyeestre content d'estre ainsi gouverné.» Les maistres d'ostel dirent que vrayement ilz


ne faisoient chose que monseigneur n'eust commendé, et que ce n'estoit pas par eulz. Nostre mignon, plain de pastez, ne porta guères sa pensée sans la déceler à monseigneur, et luy demanda à quel propos il l'avoit fait servir si longuement de pastez d'anguilles, et defendu, comme disoient les maistres d'ostel, qu'on ne luy baillast aultre chose. Et Monseigneur, pour response, luy dist « Ne m'as-tu pas dit que la viande qu'en ce monde plus tu ames ce sont pastez d'anguilles? Saint Jehan monseigneur, dist le mignon, oy. De quoy te plains-tu donc? dist monseigneur; je te fais bailler ce que tu aymes. Aime! dit le mignon, il y a manière j'ayme trèsbien voirement pastez d'anguilles pour une foiz, ou pour deux, ou pour trois, ou de fois à aultre, et n'est viande que devant je preisse; mais de dire que tous les jours les voulsisse avoir sans menger aultre chose, par nostre Dame, non feroye il n'est homme qui n'en fut rompu et rebouté mon estomac en est si traveillé que, tantost qu'il les sent, il a assez disné. Pour Dieu monseigneur, commendez qu'on me baille aultre viande pour recouvrer mon appetit, aultrement je suis homme deffait.-Ha dya, dit monseigneur, et te semble-il que je ne soye ennuyé, qui veulx que je me passe de la char de ma femme tu peuz penser, par ma foy, que j'en suys aussi saoul que tu es de pastez, et que aussi voluntiers me renouvelleroye d'une aultre, jasoit que point tant ne l'aymasse, que tu feroies d'aultre viande que point tant


n'aymes que pastez. Et, pour abreger, tu ne mengeras jamais aultre viande jusques à ce. que tu me serves ainsi que souloyes; et me feras avoir des unes et des aultres, pour moy renouveller, comme tu veulx changer de viande. » Le bon mignon, quand il entendit le mystère et la subtille comparaison que monsieur a faicte, fut tout confus et se rendit, et promect à son maistre de faire tout ce qu'il voudra affin qu'il soit quitte de ses pastez. Et pour ce point monseigneur, pour changer voire et madame espergnier, au pourchaz du mignon, passa le temps comme il souloit avecques les belles et bonnes; et nostre bon mignon fut delivré de ses pastez et à son premier mestier ratellé.

aultres pevent appercevoir et oyr dire, ne savoit à qui recourre ne soy rendre pour trouver garison de sa dolente, miserable et bien pou plaincte ma.ladie. Il faisoit huy ung pelerinage, demain ung aultre et aussi le plus souvent par ses gens ses devocions et offrandes faisoit faire, tant estoit

ng lasche paillard et recreant, jaloux, je ne dy pas coulx, vivent à l'ayse ainsi comme Dieu scet et que les entachez de ce mal pevent sentir et les _L ·

LA XIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR,


assoté de sa maison, voire au mains du regard de sa femme, qui misérablement son temps passoit avecques son trèsmaudit mary, le plus suspessonneux hoignard que jamais femme accointast. Ung jour, comme il pensoit qu'il fait et fait faire pluseurs offrandes à divers sains de paradis, et entre aultres à monseigneur saint Michel, il s'advisa qu'il en feroit une aultre à l'ymage qui est dessoubz ses piez, qui est la representacion d'un deable. Et de fait commenda à ung de ses gens qu'il luy allumast et feist offre d'une grosse chandelle de cyre, en luy priant pour son intention. Son commendement fut fait et accomply par le varlet, qui luy fist son rapport. « Or ça, dist-il en soy mesmes, je verray si Dieu ou deable me pourroit garir. Ensonaccoustumédesplaisir, après ceste nouvelle offrande, se va coucher ce trèspaillard jaloux auprès de sa trèsbonne femme; et, jasoit ce qu'il eusten sa teste des fantasies et pensées largement, si le contraingnit nature qu'elle eust ses droiz. Et de fait bien fermement s'endormit; et, comme il estoit au plus parfont de son somme, celuy à qui ce jour la chandelle avoit fait offrir par vision à luy s'apparut, qui le remercya de l'offrende que naguères luy envoya, affermant que piecà telle offrande ne luy fut donnée. Dist au surplus qu'il n'avoit pas perdue sa peine, et qu'il obtendroit ce dont il l'avoit requis. Et, comme à l'aultre sembla, en ung doy de sa main ung anel y bouta, disant que, tant que cest anel y fust, jaloux il ne seroit, ne cause aussi jamais


venir ne luy pourroit qui de ce le tentast. Après l'esvanuissement de ceste vision, nostre jaloux se reveilla, et si trouva l'un des doiz de sa main bien avant ou derrière de sa femme bouté > dont il et elle furent bien esbahiz. Mais du surplus de la vie au jaloux, de ses affères et manières et maintiens, ceste histoire se taist.

teau de mariage, jasoit que alors il fust yver, il fut si fort eschaufé que on ne le savoit tenir. Les nuiz, qui pour ceste saison duroient et neuf et dix heures, n'estoient point assez souffisantes ne d'assez longue durée pour estaindre le trèsardent desir qu'il avoit de faire lignée et de fait, quelque part qu'il encontrast sa femme, il l'abbatoit, fust en sa chambre, fust en l'estable; en quelque lieu que ce fust, tousjours avoit ung assault. Et ne dura pas ceste manière ung moys ou deux seullement, mais si trèslonguement que pas ne le vouldroye escripre, pour l'inconvenient qui sourdre en pourroit si la folie de ce grant ouvrier venoit à la cognoissance de pluseurs femmes. Que vous en diray-je

s metes du pais de Hollande, ung fol si naguères s'advisa de faire le pis qu'il ?| pourroit, c'est assavoir se marier; et, | tantost qu'il fut affublé du doulx man-

LA XIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


plus ? Il en fist tant que la memoire jamais estaincte ne sera ou dit pais. Et à la verité, la femme qui naguères au bailly d'Amiens se complaignit de son mary pour le trèsgrand traveil qu'il luy donnoit de semblable cas n'avoit pas si bien matère de soy douloir que ceste cy. Quoy que fust, jasoit que de ceste plaisante peme aucunes foiz se fust trèsbien passée, pour obéir comme elle devoit à son mary, jamais ne fut rebourse à l'esperon. Advint ung jour après disner que trèsbeau temps faisoit, et que le soleil ses raiz envoyoit et departoit par la terre paincte et brodée de belles fleurs, si leur print volunté d'aller 'jouer au bois eulx deux tant seulletnent, et si se misrent au chemin.'Or ne vous fault il pas celer ce qui sert à l'ystoire A la foiz que noz bonnes gens eurent ceste devocion, ung laboureur avoit perdu son veau qu'il avoit mis paistre dedans un pré marchissant au dit bois; lequel il vint veoir et ne le trouva pas, dont il ne fut pas moyennement courroussé, et se mist à la queste, tant par le bois comme ès prez, terres et places voisines d'environ; mais il n'en scet trouver nouvelles. Si s'advisa que à l'adventure il s'estoit bouté dedans quelque busson pour paistre, ou dedans aucun fossé herbu dont il pourroit bien saillir quand il auroit le ventre plain. Et, affin qu'il puisse mieulx veoir et à son aise, sans aller courre cà ne là son veau où il est, comme il pensoit, il choisist le plus hault arbre et mieulx houssé du bois, et monte dessus. Et quand il se trouve au plus hault de


cest arbre, qui toute la terre d'environ descouvroit, il luy est bien advis que son veau est à moitié trouvé. Tantdiz que ce .bon laboureur gectoit ses yeulx de tous costés après son veau, véezcy nostre homme et sa femme qui se boutent ou boys, chantans, jouans, et devisans, et faisans feste, comme.font les cueurs gaiz quand ilz se trouvent ès plaisans lieux. Et n'est pas merveille si le vouloir luy creut et desir l'enorta d'acêoler sa femme en ce lieu si plaisant et propice. Pour executer ce vouloir à sa plaisance et à son beau loisir, tant regarda à dextre et à senestre qu'il apperceut le trèsbel arbre dessus lequel estoit le laboureur, dont il ne sçavoit rien et soubz cest arbre il disposa et conclut ses gracieuses armes accomplir. Et quand il fut au lieu, il ne demoura guères après la semonce de son desir, tenant le heu de mareschal, qu'il ne mist main à la besoigne, et vous assault sa femme, et la porte par terre, et car alors il estoit bien degois, et sa femme aussi d'autre part, il la voult voir devant et derrière, et de fait prend sa robe 'e et la luy osta, et en cotte simple la mect. Après il la haussa bien hault malgré elle, comme efforcée, et n'est pas content de ce, mais, pour le bien veoir à son aise et sa beaulté regarder, la tourne, et sus son gros derrière par trois, par quatre foiz sa rude main il fait déscendre il la revife d'àultre; et comme il avoit son derrière regardé, aussi fait il le devant, ce que la bonne simple femme ne veult pour rien consentir; mesmes avec la grant ré-


sistence qu'elle fait, Dieu scet que sa langue n'estoit pas oyseuse Or l'appelle malgracieux, fol, et enragé, aultre foiz deshoneste, et tant luy dit que c'est merveille mais riens n'y vault, il est trop plus fort qu'elle, et si a conclu de faire inventoire de tout ce qu'elle a -> si est force qu'elle obéisse, mieulx aymant, comme sage, le bon plaisir de son mary que par refus son desplaisir. Toute defense du costé d'elle mise arrière te vaillant homme va passer temps à ce devant regarder, et, si sans honneur on le peut dire, il ne fut pas content si ses mains ne descouvroient à ses yeulx les secrez dont il se devoit bien passer d'enquerre. Et comme il estoit en ce parfond estude, il disoit maintenant « Je voy cecy, je voy cela encores cecy, encores cela. » Et qui l'oyoit, il voyoit tout le monde et beaucop plus. Et, après une longue pause, estant en ceste gracieuse contemplacion, dist de rechef « Saincte Marie, que je voy de choses! Helas dist lors le laboureur sur l'arbre juché, et ne véez-vo.us pas mon veau, beau sire ? il me semble que j'en voy la queue. » L'aultre jasoit qu'il fust bien esbahy, subitement fist sa response et dist « Ceste queue n'est pas de ce veau. » Et à tant part et s'en va et sa femme le suyt. Et qui me demanderoit qui le laboureur mouvoit à faire ceste sa question, le secretaire de ceste histoire respond que la barbe du devant de ladite femme estoit assez et beaucop longue, comme il est de coustume à celles de Hollande; si cuidoit


bien que ce fust la queue de son veau attendu aussy que le mary d'elle disoit qu'il voyoit tant de choses, voireà pou tout le monde, si pensoit en soy mesmes que son veau ne pouvoit guères estre esloigné et que avec aultres choses léans pourroit-il bien estre embusché.

hgent et bien escripvant, qui trèsbeau filz estoit et, qu'on ne doit pas oblier, pour ung homme de son eage il n'en estoit point de plus subtil. Ce gentil clerc, frez et viveux, fut tantost picqué de sa maistresse que trèsbelle, gente et gracieuse estoit et si trèsbien luyvint, que, aincois qu'il luy osast oncques dire son cas le Dieu d'amours l'avoit ad ce menée qu'il estoit le seul homme ou monde qui plus luy plaisoit. Advint qu'il se trouva en place ramonnée et de fait, toute crainte mise arrière, à sa dicte maistresse son trèsgracieux et doulx mal racompta, laquelle, pour la grand courtoisie que Dieu en elle n'avoit pas obliée, desja aussi attaincte comme

Londres en Angleterre, tout dedans avoit naguères ung procureur en parlement qui entre aultres ses serviteurs avoit ung clerc habile et dit.:e., e,a ,z"t. c.

LA XIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE CASTREGAT, ESCUIER DE MONSEIGNEUR.


dessus est dit, ne le fist guères languir car après plusieurs excusacions et rembnstrances qu'elle en bref luy troussa, qu'elle eust à aultre plus aigrement et plus longuement demené, elle fut contente qu'il sceust qu'il luy plaisoit bien. L'aultre, qui entendoit son latin, plus joyeux que jamais il n'avoit esté, s'advisa de batre le fer tantdiz qu'il estoit chault et si trèsroidde sa besoigne poursuyt qu'en pou de temps joyt de ses amours. L'amour de la maistresse au clerc et du clerc à elle estoit et fut longtemps si trèsardente que jamais gens ne furent plus esprins, et n'estoit en la puissance de Malebouche, de Dangier, ne d'aultres telles maudictes gens, de leurs bailler ne donner destourbier. En ce trèsglorieux estat et joyeux passetemps se passèrent pluseurs jours qui guères aux amans ne durèrent, qui tant donnez l^un à l'aultre estoient qu'à pou à Dieu eussent quitté leur paradis pour vivre au monde leur terme en ceste fas.son. Et comme ung jour ensemble estoient, après les trèshaulx biens que amour leur souffrit prandre, et se devisassent, en pourmenànt par une sale, comment ceste leur joye impareille continuer se pourroient seurement, sans que l'embusche de leur dangereuse entreprinse fust descouverte au mary d'elle, qui du renc des jaloux se tiroit trèsprès du hault bout, pensez que plus d'un advis leur vint au devant, que je passe sans plus au long escripre. La .finale conclusion et derrenière résolution que le bon clerc emprint sur luy de Ja trèsbien conduire


et à sa seure fin terminer, à quoy point ne fail-rlit, veezcy comment. Vous devez savoir que l'accointance et alliance que le clerc eut à sa maistresse, à laquelle diligemment servoitet complaisoit, qu'il n'estoit pas mains diligent de servir et complaire à son maistre, jasoit que en toutes fassons aultres ce fust, et ce pour mieulx couvrir son fait et aveugler les jaloux yeulx de celuy qui pas tant ne se doubtoit qu'on luy en forgeoit bien la matère. Ung jour, nostre bon clerc,yoyant son maistre assez content de luy; emprint de parler et tout seul trèshumblement, et doulcement et en grand révérence luy dist qu'il avoit en son cueur ung secret que voluntiers luy decelast s'il osoit. Et ne vous fault pas celer que comme pluseurs femmes ont larmes à commendement qu'elles espandent toutesfoiz ou le plus souvent qu'elles veulent si eut à cest cop nostre bon clerc, car grosses larmes, en parlant, luy descendoient en très grand abundance et n'est homme qui ne cuidast qu'elles ne fussent ou de contricion, de pitié ou de très bonne intencion. Le pouvre maistre abusé, oyant son clerc, ne fut pas ung peu esbahy n'esmerveillé, mais cuidoit bien qu'il y eust aultre chose que ce que après il sceut. Si luy dist: « Que vousfault-il, mon filz, et qu'avez vous à plorer maintenant ? – Helas sire et j'ay bien cause plus que nul aultre de douloir, mais helas mon cas est tant estrange, et non pas mains piteux sur tous requis d'estre celé, que jasoit que j'aye eu vouloir de le vous


dire, si m'en reboute crainte quand j'ay au ii long à mon maléur pensé. Ne plorez plus i mon filz, respond le maistre, et si me dictes "l qu'il vous fault, et je vous asseure, s'en moy est de vous aider, je m'y emploiray comme je" doy.-Ha! mon maistre, dit le renard clerc,

je vous mercie mais j'ay bien tout regardé,

je ne pense pas que ma langue eust la puis-

sance de descouvrir la trèsgrand infortune que

j'ay si longuement portée. Ostez-moy ces

propos et toutes ces doléances, ce dist le maistre; je suis celuy à qui rien ne devez céler;

je veil savoir que vous avez avancez vous

j et le me dictes. » Le clerc, sachant le tour de son baston, s'en fist beaucop prier, et a très-

grand crainte par semblant, et à grand abundance de larmes et à volunté se laisse ferrer,

et dit qu'il dira, mais qu'il luy veille promettre

î, que par luy jamais ame n'en sçaura nouvelle, J car il aymeroit autant ou plus cher morir que

son maleureux cas fust cogneu. Ceste pro-

messe par le maistre vouée, le clerc mort et

|j descoloré comme ung homme jugié à pendre a si va dire « Mon trèsbon maistre, il est vray que jasoit que pluseurs gens et vous aussi pourriez penser que je fusse homme naturel comme ung aultre, ayant puissance d'avoir compaignie avecques femme, et de faire lignée, je vous ose bien dire et monstrer que = point je ne suis tel, dont, hélas trop je me Ê deulz. » Et, à ces paroles, asseurément tira son | membre à perche et luy fist monstre de la peau 5 où les coillons se logent, lesquelx il avoit par


industrie fait monter en hault vers le petit ventre, et si bien les avoit cachez qu'il sembloit qu'il n'en eust nul. Or va il dire « Mon maistre, vous veez mon infortune, dont de rechef vous prie qu'elle soit celée et oultre plus, trèshumblement vous requier, pour tous les services que jamais vous féis, qui ne sont pas telz que j'en eusse eu la volunté, si Dieu m'eust donné le povoir, que me facez avoir mon pain en quelque monastère dévot, où je puisse le surplus de mes jours au service de Dieu passer, car au monde ne puis-je de rien servir.» L'abusé et deceu maistre remonstre à son clerc l'aspreté de religion, le pou de mérite qui luy en viendroit quand il se veult rendre comme par desplaisir de son infortune, et foison d'aultres raisons luy amena, trop longues à racompter, tendans à fin de l'oster de son propos. Savoir vous fault aussi que pour rien ne l'eust voulu abandonner, tant pour son bien escripre et diligence que pour la fiance que doresenavant à luy adjoustera. Que vous diray-je plus ? Tant luy remonstra, que ce clerc au fort pour une espace en son estat et en son service demourer luy promet. Et comme ouvert luy.avoit son secret, le sien luy voult deceler, etdist « Monfilz, de vostre infortune ne suis je pas joyeux, mais, au fort, Dieu, qui fait tout pour le mieulx et scet ce qui nous duyt et vault trop mieulx que nous mesmes, en soit loé vous me pourrez doresenavant trèsbien servir, que à mon povoir vous merîteray. J'ay jeune femme assés legière et volage,


et je suis, ainsi que vous véez, desjà ancien et sur eage, qui aucunement peut estre occasion à pluseurs de la requerre de deshonneur et à elle aussi, s'elle estoit aultre que bonne me bailler matière de jalousie et, pour eviter ce danger et aultres pluseurs, je la vous baille et donne en garde, et si vous prie que ad ce tenez la main que je n'aye cause d'en trouver aucune matère de jalousie.» Par grand deliberacion fist le clerc sa response et quand il parla, Dieu scet s'il loa bien sa trèsloyalle et bonne maistresse, disant que sur tous aultres il l'avoit belle et bonne, et qu'il s'en devoit tenir content. Neantmains, en service et autres choses, il est celuy qui s'i veult du tout son cueur employer, et ne laissera, pour rien que luy puist advenir, qu'il ne l'advertisse de tout ce que loyal serviteur doit faire à son maistre. Le maistre, lye et joyeux de la nouvelle garde de sa femme, laisse l'ostel et en la ville à ses afaires va entendre. Et le bon clerc incontinent fault à sa garde et, le plus longuement que il et sa dame osèrent, n'espergnèrent pas les membres qui en terre pourriront et ne firent jamais grigneur feste, puisque la dame fut advertie de la fasson subtile qui son mary abuseroit. Assez et longue espace dura le joieux passetemps de ceulx qui tant bien s'entramoyent. Et si aucunes fois le bon mary alloit dehors, il n'avoit garde d'emmener son clerc plustost eust emprunté ung serviteur à ses voisins que l'aultre n'eust gardé l'ostel et si la dame avoit congié d'aller en aucun peleri-


nage plustost allast sans chambrière que sans le trèsgracieux clerc. Faictes vostre compte jamais clerc vanter ne se peut d'avoir eu meilleure adventure, qui point ne vint à cognoissance, voire au mains que je sache, à celuy qui bien s'en fust desesperé s'il en eust sceu le demene.

les histoires qui à present courent, je n'ose bien avant mettre et en bruyt ce que naguères y advint. Assez près d'un gros et bon village assis sur la rivière d'Ouches avoit et encores a une montaigne où ung hermite tel que Dieu scet faisoit sa residence, lequel, soubz umbre du doulx manteau d'ypocrisie, faisoit des choses merveilleuses qui pas ne vindrent à congnoissance ne en la voix publicque du peuple, jusques ad ce que Dieu plus ne vouloit son trèsdamnable abus permettre ne souffrir. Ce saint hermite, qui de son coup à la mort se tiroit, n'estoit pas mains luxurieux que ung vieil cinge est malicieux mais la manière du

a grande et large marche de Bourgoigne n'est pas si despourveue de pluseurs adventures dignes de memoire et d'escripre, que, à fournir À ~¿.

LA XIIIIE NOUVELËE.

PAR MONSEIGNEUR DE CRÉQUY, CHEVALIER DE L'ORDRE DE MONSEIGNEUR.


conduire estoit si trèssubtille qu'il fault dire qu'elle passoit les termes des engins communs. Veez cy qu'il fist Il regarda qu'entre aultres femmes et belles filles ses voisines, la plus digne d'estre aimée et desirée estoit la fille à une simple femme vefve, trèsdevote et bien aumosnière; si va conclure en soy, si son sens ne lui fault, qu'il en chevira bien. Ung soir, environ la mynuyt, qu'il faisoit noir et rude temps, il descendit de sa montaigne et vint à ce village, et tant passa de voies et sentiers que soubz le toit de la mère à la fille sans estre oy, seul se trouva. L'ostel n'estoit pas si grand, ne si pou de luy hanté tout en devocion, qu'il ne sceust bien les engins. Si va faire ung pertuys en une paroy non guères espesse, à l'endroit de laquelle estoit le lict de ceste simple vefve et prent ung long baston percé et creux dont il estoit hourdé, et, sans lavefvette esveiller, auprès de son oreille l'arresta, et dit en assez basse voix par trois foiz « Escoute moy, femme de Dieu je suis ung angel du Createur, qui devers toy m'envoye toy annuncer et commender, par les haulx biens qu'il a volu en toy enter, qu'il veult par ung hoir de ta chair, c'est à savoir ta fille, l'Eglise son espouse reunir, reformer, et à son estat deu remettre. Et veez cy la fasson Tu t'en yras en la montaigne devers le saint hermite, et ta fille luy meneras, et bien au long luy compteras ce que à present Dieu par moy te commende. Il congnoistra ta fille, et d'eulx viendra ung filz


eleu de Dieu et destiné au saint siege de Romme, qui tant de bien fera que à saint Pierre et à saint Polie pourra l'on bien comparer. Atant. m'en vois, obéy à Dieu. » La simple femme, trèsebahie souprinse aussi et à demy ravye cuida vrayement et de fait que Dieu luy envoiast ce message; si dit bien en soy mesmes qu'elle ne desobeira pas si se rendort une grand pièce après, non pas trop fermement, attendant et beaucop desirant le jour. Et entretant le bon hermite prend le chemin devers son reclusage en la montaigne. Ce trèsdesiré jour à chef de piece fut annuncé par les raiz du soleil, qui, malgré les voirrières des fenestres, vindrent descendre enmy la chambre, firent mère et fille bien à haste lever. Quand prestes furent et sur piez mises, et leur pou de mesnage mis à point, la bonne mère si demande à sa fille s'elle n'a rien oy en ceste nuyct, et elle luy respond « Certes, mère, nenny. Ce n'est pas à toy, dit-elle aussi, que de prinssault ce doulx message s'adresse, combien qu'il te touche beaucop. » Lors luy va dire tout au long l'angelicque nouvelle que en ceste nuyt Dieu luy manda demande aussi qu'elle en veut dire. La bonne fille, comme sa mère simple et devote, respond « Dieu soit loé; ce qu'il vous plaist, ma mère, soit fait. C'est trèsbien dit, respond la mère. Or en allons à la montagne à la semonce du bon angel devers le samt preudomme. » Le bon hermite, faisant le guet quand la deceue veille sa simple fille amenroit, la voit venir; si laisse son huys


entreouvert, et en prière se va mettre enmy sa chambre, affin qu'en devocion fust trouvé. .Et comme il desiroit il advint, car la bonne femme et sa fille, voyans l'huys entreouvert sans demander quoy ne comment, dedans entrèrent. Et, comme elles parceurent l'ermite en contemplacion, comme s'il fust Dieu l'onnorèrent. L'ermite, à voix humble et casse, les yeulx vers la terre enclinez, de Dieu salue la compaignie. Et la veillote, desirant qu'il sceust l'occasion qui l'amenoit, le tire à part et luy va dire de bout en bout tout le fait qu'il savoit trop mieulx qu'elle. Et, comme en grand reverence faisoit son rapport; le bon hermite gettoit ses yeulx en hault, joignoit les mains au ciel; et la veille ploroit, tant avoit et joye et pitié. Quand ce rapport fut au long achevé, dont la veillotte attendoit la response celuy qui la doit faire ne se haste pas. Au fort, à chef de pièce, quand il parla ce. fut « Dieu soit loé Mais, m'amye, dist-il vous semble-il à la vérité, et à vostre entendement, que ce que droit cy vous me dictes ne soit point fantosme ou illusion? Que vous en juge le cueur ? Sachez que la chose est grande. -Certainement, beau père, j'entendiz la voix qui ceste joieuse nouvelle apporta aussi plainement que je /aiz vous, et croiez que je ne dormoye pas. Or bien, dit-il, non pas que je veille contredire au vouloir de mon createur,si me semble-il que vous etmoy dormions encores sur cefait; et, s'il vous appert de rechef, vous reviendrezicy versmoy, et Dieu nous donnera bon conseil et advis.


On ne doit pas trop legierement croire, ma bonne mère; le dyable, aucunesfois envieux d'aultruy, bien treuve tant de cautelles et se transforme en. angel de lumière. Créez, -ma mère, que ce n'est pas pou de chose de ce fait cy; et, si je y mectz ung pou de refus, ce n'est pas merveille: n'ay je pas à Dieu voué chasteté? Et vous m'apportez la romptture de par lui. Retournez en vostre maison, et priez Dieu, et au surplus demain nous verrons que ce sera; et à Dieu soiez. » Après ung grand tas d'agyos, se part la compagnie de l'ermite, et vindrent à l'ostel devisant. Pour abréger, nostre hermite à l'heure accoustuméè et deue, fourny du baston creux en lieu de crochette, revint à l'oreille de la simple femme, disant les propres motz, ou en substance, de la nuyt precedente et; ce fait, vistement retourne en son manoir. La veille, de joye emprise, cuidant Dieu tenir par les piez, lève de haulte heure, à sa fille racompte ses nouvelles sans doubte, confermans la vision de l'autre nuyt passée. Il n'est que d'abreger « Or allons devers le saint homme. » Elles s'en vont, et il les voit apprbucher, si va prendre son breviaire, et son service à recommançër, etencest estat devant l'huys de sa maisonnette se fait des bonnes femmes saluer. Si la veille hier luy fist ung grand prologue de sa vision, celuy de maintenant n'est de rien maindre dont le preudomme se signe et émerveille disant: « Et vray Dieu, qu'est cecy ? Fay de moy tout ce qu'il plaist, combien que, si n'estoit ta


large grace,je ne suys pas digne d'executer ung si grand euvre. Or regardez, beau père, dist lors la bonne femme, vous voiez bien que c'est à certes quand de rechef à moy s'est apparu l'angel. En verité m'amye, ceste matère m'est si haulte et si trèsdifficile et non accoustumée que je n'en sçay bailler, dist l'ermite, que doubtive response. Non mye affin que vous entendez sainement qu'en attendant la tierce apparition je veille que vous tentez Dieu mais on dit de coustume A la tierce foiz va la luycte si vous prie et requier qu'encores se peust passer ceste nuyt sans aultre chose faire, attendant sur ce fait la grace de Dieu; et, si par misericorde il nous demonstre ennuyt comme les aultres precedentes, nous ferons tant qu'il en sera loé. » Ce ne fut pas du bon gré de la bonne veille qu'on tarda tant d'obeyr à Dieu, mais au fort l'ermite fut creu comme le plus sage. Comme elle fut couchée, ou parfond pensemens des nouvelles qui en teste luy revient l'ypocrite pervers, de sa montaigne descendu, luy mect son baston creux l'oreille, en luy commendant de par Dieu, comme son ange, une foiz pour toutes qu'elle meine sa fille à l'ermite pour la cause que dicte est. Elle n'oblya pas tantost qu'il fust jour ceste charge: car, après les grâces à Dieu de par elle et sa fille rendues, se mettent à chemin par devers l'ermitage, où l'ermite leur vient au devant, qui de Dieu les salue et beneist. Et la bonne mère, trop plus que nulle aultre joyeuse, ne


luy cela guère sa nouvelle apparicion, dont l'ermite, qui par la main la tient, en sa chapelle les convoye et la fille les suyt, et leans font les trèsdevotes oroisoils à Dieu le tout puissant, qui ce trèshault mystère leur a daigné monstrer. Après ungpou de sermon que fist l'ermite touchant songes, visions, apparicions et revelacions, qui souvent aux gens adviennent, il cheut en propos de toucher leur matière pour laquelle estoient assemblés. Et pensez que l'ermite les prescha bien et en bonne devocion, Dieu le scet « Puis que Dieu veult et commende que je face lignée papale voire et le daigne reveler non pas une foiz ou deux seullement, mais bien la tierce d'abundance, il fault croire, dire et conclure que c'est ung hault bien qui de ce fait en ensuyvra. Si m'est advis que mieulx on ne peut faire que d'abreger l'execution en lieu de ce que trop espoir j'ay différé de baillier foy à la saincte aparicion. Vous dictes bien, beau père; comment vous plaist-il faire ? respond la veille ? Vous laisserez ceans vostre belle fille, dit l'hermite, et elle et moi en oroisons nous mettrons, et après au surplus ferons ce que Dieu nous apprendra. » La bonne veille fut contente, si fut sa fille pour obéir. Quand damp hermite se treuve à part avec la belle fille, comme s'il la voulsist rebaptiser toute nue la fist despoiller; et creez qu'il ne demoura pas vestu. Qu'en vauldroit le long compte ? Il la tint tant et si longuement avec luy, en lieu d'aultre clerc, tant ala aussi et


vint à l'ostël d'elle, pour la doubte des gens, que le ventre luy commença à bourser, dont elle fut si trèsjoyeuse qu'on ne vous le saroit dire. Mais, si la fille s'esjoissoit de sa portée, la mère d'elle en avoit à cent doubles et le mauldit bigot faignoit aussi s'en esjoir, mais il en enrageoit tout vif. Ceste pouvre mère abusée, cuidant de vray que sa belle fille deust faire ùng trèsbeau filz pour le temps advenir de Dieu eleu pape de Romme ne se peut tenir que à sa plus privée voisine ne le comptast, qui aussi esbanie en fut comme si cornés luy venissent, non pas toutesfois qu'elle ne se doubtast de tromperie. Elle ne cela pas longuement aux aultres voisins et voisines comment la fille d'une telle est grosse, par les œuvres du saint ermite, d'un filz qui doit estre pape de Romme. « Et ce que j'en sçay, dit-elle, la mère d'elle le m'a dit, à qui Dieu l'a voulu reveler. » Ceste nouvelle fut tantost espandue par les villes voisines. Et en ce temps pendant la fille acoucha, qui à la bonne heure d'une belle fille se delivra, dont elle fut trèsesmerveillée et courroucée, et sa trèssimple mère et les voisines aussi, qui attendoient vrayement le saint Père advenir recevoir. La nouvelle de ce cas ne fut pas mains tost sceue que celle précédente et entre aultres l'ermite en fut des premiers servy et adverty, qui tantost s'en fuyt en aultre pais, ne sçay quel, une aultre femme ou fille decevoir, ou ès desers d'Egipte de cueur contrit la penitence de son peché satisfaire. Quoy


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que soit ou fust, la pauvre fille fut deshonorée, dont ce fut grand dommage, car belle, gente et bonne estoit.

toire taist le nom et la marche particulière Ces deux maisons voisines estoient, comme i on dit de coustume, la grange et les bateurs: car, Dieu mercy, la charité de la maison des nonnainsestoit si trèsgrande que pou de gens estoient esconduis de l'amoureuse distribucion voire si dignes estoient d'icelle recevoir. Pour venir au fait de ceste histoire, ou cloistre des blancs, moynes.avoit uhg jeune et bel religieux qui devint amoureux si fort que c'estoit rage d'une nonnain sa voisine; et de fait eut bien le courage, après les prémisses dont ces amoureux scevent les femmes abuser luy demander à faire pour l'amour de Dieu. Et la nonnain, qui.bien par renommée congnoissoit ses oustilz., jasoit qu'elle fust bien courtoise, luy bailla trèsdure et aspre response.Il ne fut pas pourtant enchâssé, mais tant continua sa trèshumble requeste que force fut à la belle C on+ J\T/t liai Y

u gentil pays de Brabant, lez ung monastère de blancs moynes,.est situé ung aultre de nonnains qui trèsdévotes et charitables sont, dont l'ys~'1t:Jr, __u_L-

LA QUINZIÈME NOUVELLE. PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


nonnain ou de perdre le bruit de sa trèslarge courtoisie ou d'accorder au moyne ce que à pluseurs sans prier avoit accordé. Si luy va dire: « En vérité, vous poursuyvez et faictes grand diligence d'obtenir ce que à droit ne sariés fournir; et pensez vous que je ne sache bien par oyr dire quelz oustilz vous portez ? croiez que si faiz; il n'en y a pas pour dire grans merciz. Je ne sçay, moy, qu'on vous a dit, respond le moyne; mais je ne doubte point que vous ne soiez bien contente de moy, et que je ne vous monstre que je suis homme comme ung aultre. Homme, ditelle, cela croy je assez bien mais vostre chose est tant petit, comme l'on dit, que, si vous l'apportez en quelque lieu, à peu on se perçoit qu'il y est. II va bien aultrement, dit le moyne; et si j'estoye en place je feroye, par vostre jugement, menteurs tous ceulx ou celles qui bruyt me donnent.» Au fort,, après ce gracieux débat, la courtoise nonnain, affin d'estre quitte de l'ennuyant poursuitte que le moyne faisoit, aussi qu'elle sache qu'il vault et qu'il scet faire, et aussi qu'elle n'oblye le mestier qui tant luy plaist, elle luy baille jour, à douze heures de nuyt, devers elle venir et heurter à sa treille; dont mercyée elle fut haultement. « Toutesfoiz, dit-elle, vous n'y entrerez pas que je ne sache à la verité quelz oustilz vous portez et se je m'en saroie aider ou non. Comme il vous plaist », respond le moyne. A tant s'en va et laisse sa maistresse, et vint tout droit devers frère Courard, l'un de ses compaignons,


qui estoit oustillé Dieu scet comment! et à ceste cause avoit ung grand gouvernement ou cloistre des nonnains.- Il luy compta son cas tout du long, comme il a prié une telle, la response et le refus qu'elle fist, doubtant qu'il ne soit pas bien solier à son pié, et en la parfin comment elle est contente qu'il entre vers- elle, mais qu'elle sente et sache premier de quelles lances il vouldra jouster encontre son escu. « Or est-il ainsi, dit-il, que je suis mal fourny de grosse lance telle que j'espere et voy bien qu'elle désire d'estre rencontrée. Si vous prie tant que je puis que anuyt vous venez avecques moy, à l'heure que me doy vers elle rendre et vous me ferés le plus grand plaisir que jamais homme fist à aultre. Je sçay qu'elle vouldra, moy là venu, sentir et taster la lance dont je entens à fournir mes armes; et, à la coup qui me fauldra ce faire, vous serez derrière moy sans dire mot, et vous mettrez en ma place, et vostre gros bourdon ou poing luy mettrez. Elle ouvrera l'huys cela fait, je n'en doubte point, et vous en irez, et dedans j'entreray; et du surplus laissez moy faire. » Frère Courard, desirant à complaire à son compaignon, accorde ce marché, et à l'heure assignée se met avec luy par devers la nonnain; et quand ilz sont à l'endroit de la fenestre, maistre moyne, plus eschaufé qu'un estalon, de son baston ung coup heurta; et la nonnain n'attendit pas l'autre hurt, mais ouvrit sa fenestre et dist en basse voix « Qui est là ? C'est moy, dit-il; ou-


vrez tost l'huys, qu'on ne nous oye.-Ma foy, dit-elle, vous ne serez pas en mon livre entegistré, n'escript, que premier ne serez pas à monstre, et que Je ne sache quel harnois vous portez. Approuchez prè set me monstrez que c'est. –Très voluntiers, dit-il. » Adonc tire frère Courard, qui s'avançoit pour faire son personnage, qui en la main de madame la nonnainmist son bel et trèspuissant bourdon, qui gros et long estoit. Et tantost comme elle le sentit, comme si nature luy en baillast la congnoissance, elle dist « Nenny, dist-elle, je congnois bien cest ycy c'est le bourdon de frère Courard. Il n'y a nonnain céans qui bien ne le cognoisse vous n'avez garde que j'en soye deceue je le cognois trop. Allez quérir ailleurs vostre adventure. » Et à tant sa fenestre referma bien courroussée et mal contente, non pas sur frère Courard, mais sur l'autre moine, lesquelz, après ceste adventure, s'en retournèrent vers leur hostel, tout devisant de ceste advenue.

deux ensemble par longue espace passèrent

n la conté d'Artoys naguères vivoit ung gentil chevalier, riche et puissant, lyé par mariage avecques une trèsbelle dame et de hault lieu. Ces 1 1 1_ t'I.<l"'o. n~<prp.nt

LA SEIZIÈME NOUVELLE. PAR MONSEIGNEUR.


pluseurs jours paisiblement et doulcement. Et car alors, la Dieu mercy, le trèspuissant duc de Bourgoigne, conte d'Artois, et leur seigneur, estoit en paix avec tous les bons princes chrestians, le chevalier, qui trèsdevot et craignant Dieu estoit, delibera à Dieu faire sacrifice du corps qu'il luy avoit presté bel et puissant, assouvy de taille desirée autant et plus que nul de sa contrée, excepté que perdu avoit ung oeil en ung assault où avec son prince s'estoit trèsvaillamment porté. Et pour faire son oblacion en lieu eleu et de luy desiré, après les congez à madame sa femme prins et de pluseurs ses parens et amys, se mectà voye devers les bons seigneurs de Perusse, vraiz champions et defenseurs de la trèssaincte foy chrestiane. Tant fist et diligenta qu'en Perusse, après pluseurs adventures que je passe, sain et sauf se trouva où il fist assez et largement de grans proesses en armes, dont le grand bruyt de sa vaillance fut tantost espandu en pluseurs marches, tant à larelacion deceulx qui veu l'avoyent, en leur pais retournez, que par lettres que les demourez rescripvoient à pluseurs, qui grand d gré leur en sceurent. Orne vous fault pas celer que madame, qui demourée est, ne fut pas si rigoreuse que à la pryère d'un gentil escuier, qui d'amours la requist, elle ne fust tantost contente qu'il fust lieutenant de monseigneur, qui aux Sarrazins se combat. Tandiz que monseigneur jeune et fait penitence, madame fait gogettes avecques l'escuier; le plus des foiz monseigneur se disne et souppe de biscuit et de


la belle fontaine, et madame a de tous les biens de Dieu si largement que trop; monseigneur au mieulx se couche en la paillace, et madame en ung trèsbeau lit avec l'escuyer se repose. Pour abreger, tantdiz que monseigneur aux Sarrazins faitguerre, l'escuier à madame combat, et si trèsbien s'i porte, que, si monseigneur jamais ne retournoit, elle s'en passeroit trèsbien, et à pou de regret, voire tant qu'il ne fasse aultrement qu'il a commencé. Monseigneur voyant, la Dieu mercy, que l'effort des Sarrazins n'estoit point si aspre que parcy devant a esté, sentant aussi que assez longue espace a laissié son hostel et sa femme, que moult le regrette et desire, comme par pluseurs ses lettres elle luy a fait savoir, dispose son partement, et avec le pou de gens qu'il avoit se mect en chemin et si bien exploicta à l'ayde du grand desir qu'il a de se trouver en sa maison et es braz de madame, que en pou de jours en Artois se trouva. Il, à qui ceste haste plus touche que à nul de ses gens, est tousjours le premier descouchez trestout le premier prest et le devant au chemin. Et de fait sa trop grande diligence le fait bien souvent chevaucher seul devant ses gens, aucunesfoiz ung quart de lieueou plus. Advint ungjour que monseigneur, estant au giste, environ à six lieues de sa maison où il doit trouver madame, se descoucha si matin et monta à cheval que bien luy semble que son cheval à sa maison le rendra ains que madame soit descouchée, qui rien de ceste sa venue ne scet. Ainsi comme il le proposa il-


advint, et comme il estoit en ce plaisant chemin dist à ses gens «Venez tout à vostre aise, et ne vous chaille jà de moy suyvir je m'en iray tout mon train pour trouver ma femme au lict. » Ses gens hodez et traveillez, et leurs chevaulx aussi, ne contredirent pas à monseigneur, qui picque son courtaut et fait tant en peu d'heure qu'il est en la basse court de son hostel descendu, où il trouva ung varlet qui le deffist de son cheval.Ainsi housé ettoutàinsique descendu estoit, s'en va tout sans ame rencontrer, car encores matin estoit, devers sa chambre où madame encores dormoit, ou espoir faisoit ce qui tant a fait monseigneur traveiller. Creez que l'huys n'estoit pas ouvert, à cause du lieutenant, qui tout fut ebahy, et madame aussi, quand monseigneur heurta de son baston ung trèslourd coup « Qui est-ce ? dist madame.-C'est moy, c'estmoy, ce dit monseigneur; ouvrez, ouvrez. » Madame, qui tantost a congneu monseigneur à son parler, ne fut pas des plus asseurées neantmains fait habiller incontinent son escuier, qui mect peine de soy advancer le plus qu'il peut, pensant comment il pourra eschaper sans dangier. Madame, qui fainct d'estre encore toute endormie et non recognoistre monseigneur, après le second hurt qu'il fait à l'huys demande encores: « Qui est ce là ?-C'est vostre mary, dame; ouvrez bien tost ouvrez. Mon mary! dit-elle; helas il est bien loingd'icy; Dieu le ramaine à joye et bref Par ma foy, dame, je suis vostre mary, et ne me cognoissez vous au parler ? Si tost que je vous oy'res-


pondre, je cogneu bien que c'estiez vous.Quand il viendra, je le sçaray beaucop devant, pour le recevoir ainsi que je doy, et aussi pour mander messeigneurs ses parens et amys pour le festoier et convier à sa bien venue. Allez, allez, et me laissez dormir. Saint Jehan! je vous en garderay ce dit monseigneur; il fault que vous ouvrez l'huys et ne voulez-vous cognoistrevostre mary ? » Alors l'appelle par son nom et elle, qui voit que son amy est à tout prest, le fait mettre derrière l'huys, et puis va dire « Ha! monseigneur, est-ce vous? Pour Dieu, pardonnez moy, et estes vous en bon point? Oy, la Dieu mercy, ce dist monseigneur. Or loé en soit Dieu ce dit madame je vien incontinent vers vous et vous mettray dedans, mais que je soye un peu habillée et que j'aye de la chandelle. Tout à vostre aise, dit monseigneur. En verité, ce dit madame, tout à cest coup que vous avez hurté, monseigneur, j'estoye bien empeschée d'un songe qui estdevous.-Et quel est-il, m'amye? Par ma foy, monseigneur, il me sembloit à bon escient que vous estiez revenu, que vous parliez à moy, et si voiez tout aussi cler d'un oeil comme de l'autre. Pleust ores à Dieu dit monseigneur. Nostre Dame, ce dit madame, je croy que aussi faictes-vous. Par ma foy, ditmonseigneur, vous estes bien beste et comment ce seroit-il Je tien, moy, dit elle, qu'il est ainsi.- Il n'en est riens, non, dit monseigneur, et estes-vous bien si foie que de le penser ? Dya, monseigneur, dit-elle, ne me


créez jamais s'il n'est ainsi, et, pour la paix de mon cueur, je vous requier que nous l'esprouvons. » Et à cest coup elle tenoit l'huys, tenant la chandelle ardant en sa main. Et monseigneur, qui est content de ceste epreuve, souffrit' bien que madame luy bouchast son bon oeil d'une main, et de l'autre elle tenoit la chandelle devant l'oeil de monseigneur qui crevé estoit et puis luy demanda « Monseigneur, ne voiez vous pas bien, par vostre foy ? -Par mon serment, nenny, m'amye, ce dit-il. » Et entretant que ces devises se faisoient, le lieutenant de monseigneur sault de la chambre sans'qu'ilfust apperceu de luy. « Or attendez, monseigneur, ce dit-elle, et maintenant vous me voiez bien, faictes pas? Par Dieu! m'amye, nenny, dit monseigneur, comment vous verroie je ? vous avez bouchié mon dextre oeil, et l'autre est crevé passé a dix ans. Alors, dist-elle, or voy-je bien que c'estoit songe voirement qui ce rapport me fist; mais, toutesfoiz, Dieu soit loé et gracié que vous estes cy Ainsi soit-il », ce dit monseigneur. Et à tant s'entreacolèrent et baisèrent moult de foiz, et feirént grand feste, et n'oblya pas à compter comment il avoit laissé ses gens derrière, et que pour la trouver ou lit il avoit fait telle diligence. « Et vrayement, dit madame, encores estes vous bon mary. Et à tant vindrent femmes et serviteurs qui bien beneirent monseigneur et le deshousèrent et de tous poins le deshabillèrent. Et ce fait se bouta ou lit avecques madame, qui le repeut du demourant de l'escuier, qui s'en va son chemin,


lye et joieux d'estre ainsi eschappé. Comme vous avez oy fut le chevalier trompé, et n'ay point sceu, combien que pluseurs gens depuis le sceurent, qu'il en fust jamais adverty.

toit, tant en sa manière d'estre comme en ses devises, où qu'il les adressast, ou aux hommes ou aux femmes. Ce bon seigneur avoit femme espousée desja ancienne et maladive, dont il avoit belle lignée. Et entre aultres damoiselles, chambrières et servantes de son hostel celle où nature avoit mis son entente de la faire trèsbelle, meschine estoit, faisant le mesnage commun, comme les litz le pain et aultres telz affaires. Monseigneur, qui ne jeunoit jour de l'amoureux mestier tant qu'il trouvast rencontre, ne cela guères à la belle meschine le grant bien qu'il luy veult, et lui va faire ung grand prologue d'amoureux assaulx que incessamment amour pour elle luy envoye, continue aussi ce propos, promettant tous les biens du monde, monstrant comme il est bien en luy de luy faire tant en telle mâ-

'aguères que à Paris presidoit en la chambre des comptes ung grand 1 clerc chevalier assez sur eage, mais très joyeux et plaisant homme es_d- ..J'

LA DIX-SEPTIÈME NOUVELLE. PAR MONSEIGNEUR.


nière, en telle et en telle. Et qui oyoit le chevalier, jamais tant d'eur n'advint à la meschine que de luy accorder son amour. La belle meschine, bonne et sage, ne fut pas si beste que aux gracieux motz de son maistre baillast response en rien à son advantage, mais s'excusa si gracieusement que monseigneur en son courage trèsbien l'en prise, combien qu'il amast mieulx qu'elle tenist aultre chemin. Motz rigoreux vindrent en jeu par la bouche de monseigneur, quand il.perceust que par doulceur il ne fasoit rien mais la trèsbonne fille et entière, amant plus cher morir que perdre son honneur, ne s'en effraya guères, ains asseurement respondit, dye et face ce qu'il luy plaist, mais jour qu'elle vive de plus près ne luy sera. Monseigneur, qui la voit ahurtée en ceste opinion, après ung gracieux à Dieu,.laisse nesçay quans jours ce gracieux pourchaz de la bouche tant seulement; mais regards et aultres petiz signes ne luy coustoyent guères, qui trop estoient à la fille ennuyeux. Et si elle ne doubtast mettre male paix entre monseigneur et madame, il ne luy chauldroit guère de la desloyaulté de monseigneur; mais au fort elle conclud se déceler au plus tard qu'elle pourra. La devocion que monseigneur avoit aux sains de sa meschine de jour en jour croissoit, et ne luy suffisoit pas de l'amer et servir en cueur seullement, mais d'oroison, comme il a fait cy devant, la veult arrière resservir: Si vient à elle, et de plus belle recommença sa harengue en la fasson comme dessus, laquelle


il confermoit par cent mille sermens et autant de promesses. Pour abreger, rien ne luy vault il ne peut obtenir ung tout seul mot, et encores mains de semblant qui luy baille quelque pou d'espoir de jamais non pervenir à ses attainctes. Et en ce point se partit, mais il n'oblya pas à dire que, s'il la rencontre en quelque lieu marchant, ou elle obeyra, ou elle fera pis. La meschine guères ne s'en effraya, et sans plus ygu eres penser va besoigner à sa cuisine ou aultre part. Ne sçay quans jours après, par ung lundi matin, la belle meschine, pour faire des pastez,.thamisoit de la fleur. Or devez vous savoir que la chambrette où se faisoit ce mestier n'estoit guere loing de la chambre de monseigneur, et qu'il oyoit trèsbien le bruyt et la noise qui se faisoit. A ce coup savoit aussi trèsbien que c'estoit sa chambnere qui de thamis jouoit; si s'avisa qu'elle n'aroit pas seule ceste peine, mais luy vouldroit aider, voire et fera au surplus ce qu'il luy a bien promis, car jamais mieulx à point ne la pourroit trouver. Dit aussy en soy mesmes .«, Quelque refus que de la bouche elle m'ayt fait si en cheviray je bien si je la puis à graux tenir.» Il regarda que bien matin encores estoit, et que madame n'estoit pas encores éveillée il sault tout doulcement hors de son lit à tout son couvrechef de nuyt, et prent sa robe longue et ses botines, et descend de sa chambre si celeement qu'il fut dedans la chambrette où la meschine tamisoit qu'elle oncques n'en sceut rien tant qu'elle le vit tout dedans. Qui fut


bien esbahie, ce fut la pouvre chambrière, qui à pou trembloit, tant estoit afferrée, doubtant que monseigneur ne luy ostast ce que jamais rendre ne luy saroit. Monseigneur, qui la voit effraiée, sans plus parler luy baille ung fier assault, et tant fist en pou d'heure qu'il avoit la place emportée s'il n'eust esté content de parlamenter. Si luy va dire la fille « Helas monseigneur, je vous cry mercy, je me rends à vous ma vie et mon honneur sont en vostre main, aiés pitié de moy. – Je ne scay quel honneur, dit monseigneur, qui trèseschaufé et esprins estoit vous passerez par là. » Et à ce coup recommence l'assault plus fier que devant. La fille, voyant qu'eschapper ne pouvoit, s'advisa d'ung bon tour, et dist « Monseigneur, j'ayme mieulx vous rendre ma place par amours que par force; donnez fin, s'il vous plaist, aux durs assaulx que me livrez, et je feray tout ce qu'il vous plaira. J'en suis content, dist monseigneur; mais créez que aultrement vous n'eschapperez. -D'une chose vous requier, dist lors la fille. Monseigneur, je doubte beaucop que madame ne vous oye et ait oy, et s'elle venoit d'adventure, et droit cy vous trouvast je seroie femme perdue, car du mains elle me feroit batre ou tuer. Elle n'a garde de venir, non, dit monseigneur; elle dort au plus fort.- Helas monseigneur; je la doubte tant que je n'en scay estre asseurée si vous prie et requier, pour la paix -de mon cueur et plus grande seureté de nostre besoigne, que vous me laissés aller veoir s'elle


dort ou qu'elle fait. Nostre Dame, tu ne retournerois pas, dit monseigneur. Si feray, par mon serment, dit-elle, trestout tantost.Or je le veil! dit-il, avance toy. Ha! monseigneur, se vous voulez bien faire, dit-elle, vous prendrez ce thamis et besoignerez comme je faisoie, affin d'adventure, se madame est esveillée, qu'elle oye la noise que j'ay devant le jour encommancée. Or monstre ça, je feray bon devoir, et ne demoure guère. Nenny, monseigneur; tenez aussi ce buleteau, dit-elle, sur vostre teste, vous semblerez tout à bon escient estre une femme.Or ça, dit-il, pardieu ça. » Il fut affublé de ce buleteau, et si commence à thamiser, que c'estoit belle chose tant bien lui siet. Et entretant la chambrière monta en la chambre et esveilla madame, et luy compta comment monseigneur par cy devant d'amours l'avoit priée et qu'il l'avoit assaillie à ceste heure où elle tamisoit. « Et s'il vous plaist veoir comment j'en suis eschappée et en quel point il est, venez en bas, vous le verrez. » Madame tout à coup se lève, et prend sa robe de nuyt, et fut tantost devant l'huys de la chambre où monseigneur tamisoit diligemment. Et quand elle le voit en cest estat, et affublé du buleteau, elle luy va dire « Ha! monseigneur, et qu'est cecy? et où sont vos lettres, vos grands honeurs vos sciences et discretions ?» Et monseigneur, qui deceu se voit, respondit tout subitement « Au bout de mon vit, dame, là ay je tout amassé aujourd'uy. »


Lors très-marry et courroucé sur la meschine se desarma du thamis et du buleteau, et en sa chambre remonte et madame le suyt qui son preschement recommence, dont monseigneur ne tient guères de compte. Quand il fut prest, il manda sa mule, et au palais s'en va, où il compta son adventure à pluseurs gens de bien qui en risirent bien fort. Et me dist l'on depuis, quelque courroux que le seigneur eust de prinsault à sa belle meschine, si l'ayda il depuis de sa parolle et de sa chevance à marier.

coustume de querir tousjours les meilleurs logiz. Il n'eut guères esté en son logis, luy qui cognoissoit mousche en laict, qu'il ne perceust tantost que la chambrière de leans estoit femme qui devoit faire pour les gens. Si ne luy cela guères ce qu'il avoit sur le cueur, et sans aller de deux en trois, luy demanda l'aumosne amoureuse Il fut de prinsault bien rechassé dés meures « Voire, dist-elle, estce à moy que vous devez adrecer telles pa-

ng gentil homme de Bourgoigne nagueres pour aucuns de ses affaires s'en alla à Paris, et se logea en ung trèsbon hostel car telle estoit sa ,a~ _ll_u- 1-

LA XVIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


s

rolles? Je veil bien que vous sachez que je ne suis pas celle qui fera tel blasme à l'ostel où je demeure. » Et qui l'oyoit, elle ne le feroit pour aussi gros d'or. Le gentil homme tantost congneut que toutes ses excusacions estoient erres pour besoigner, si luy va dire « M'amye, si j'eusse temps et lieu, je vous diroye telle chose que vous seriez bien contente, et ne doubte point que ce ne fust grandement vostre bien; mais pource que devant les gens ne vous veil guères araisonner, affin que ne soiez de moy souspeçonnée, croiez mon homme de ce que par moy vous dira; et s'ainsi le faictes, vous en vauldrez mieulx. Je n'ay, dit-elle ne à vous ne à luy que deviser. » Et sur ce point s'en va, et nostre gentil homme appella son varlet, qui estoit ung galant tout veillé, puis luy compta son cas et le charge de poursuir roidement sa besoigne sans espergner bourdes ne promesse. Le varlet, duyt et fait à cela, dit qu'il fera bien son personnage. Il ne mist pas la chose en obly, car au plus tost qu'il sceut trouver la meschine, Dieu scet s'il joa bien du bec Et s'elle n'eust esté de Paris, et plus subtile que foison d'aultres son gracieux langage et les promesses qu'il fait pour son maistre l'eussent tout à haste abatue. Mais aultrement alla, car, après pluseurs parolles et devises d'entre elle et luy elle luy dist ung mot tranché « Je scay bien que vostre maistre veult, mais il n'y touchera jà si je n'ay dix escuz. » Le varlet fist son rapport à


son maistre, qui n'estoit pas si large, au mains en tel cas, de donner dix escuz pour joyr d'une telle damoiselle. « Quoy que soit, elle n'en fera aultre chose, dit le varlet; et encores y a il bien manière de venir en sa chambre, car fault passer par celle à l'oste. Regardez que vous vouldrez faire. – Par là mort bieu! dit-il, mes dix escuz me font bien mal d'en ce point les laisser aler; mais j'ay si grant dévotion au saint, et si en ay fait tant de poursuite, qu'il fault que je besoigne. Au deable voit chicheté! elle les ara. Pourtant le vous dy-je, dit le varlet, voulez vous que je luy dye qu'elle les aura ? Oy, de par le dyable oy, dit-il. Le vallet trouva la bonne fille et luy dit qu'elle aura ces dix escuz, voire et encores mieulx cy après. «Trop bien, dit-elle.» Pour abréger, l'eure fut prinse que l'escuier doit venir coucher avec elle; mais avant que oncques elle le voulsist guider par la chambre de son maistre en la sienne, il bailla tous les dix escuz content. Qui fut bien mal content, ce fut riostrë homme,. qui se pensa, en passant par la chambre et cheminant aux nopces qui trop à son gré luy coustoient, qu'il jouera d'un tour. Hz sont yenuzsi doilleement en la chambre que maistre ne dame ne scevent rien; si se vont despoilier, et dit nostré èscuiet qu'il emploira son argent s'il peut. Il se mectà à l'ouvrage et fait merveille d'armes, et espoir plus que bon ne luy fut. Tant en devisés que aultrement se passèrent tant d'heures que le jour estoit voisin


et prouchain à celuy qui plus voluntiers dormist que nulle aultre chose feist; mais la trèsbonne chambrière luy va dire « Or ça, sire pour le trèsgrant bien, honneur et courtoisie que j'ay oy et veu de vous, j'ay esté contente mettre en vostre obeissance et joissance la rien que plus en ce monde doy cher tenir. Si vous prie et requier que vistement vous veillez appresteret habiller et de cy partir, car il est desja haulte heure; et, si d'advanture mon maistre ou ma maistresse venoient icy, comme assez est leur coustume au matin, et vous trouvassent, je seroie perdue et gastée, et vous ne seriez pas le mieulx partydu jeu. –Je ne sçay quoy, dit le bon escuier, quel bien et quel mal en adviendra; mais je mereposeray et dormiray tout à mon aise et à mon beau loisir avant que j'en parte et, affin que n'aye paour et que point je ne m'espante, vous me ferez compaignie, s'il vous plaist. Ha! monseigneur, dist-elle, il ne se peut faire ainsi; par mon serment, il vous convient partir. Il sera jour trestout en haste et si on vous trouvoit icy, que seroit ce de moy ? J'aymeroie mieulx estre morte qu'ainsi en advenist et, si vous ne vous avancez, ce que trop je doubte en adviendra. Il ne me chault, moy, qu'en advienne, dit l'escuier; mais je vous dy bien que se ne me rendez mes dix escuz, jà ne m'en partiray, advienne ce qu'en advenir peut. Voz dix escus ? dit-elle; et estesvous tel, se vous m'avez donné aucune courtoisie ou gracieuseté, que vous me le voul-


drez après retollir par ceste façon? Sur ma foy, vous monstrez mal que vous soiez gentil homme. Tel que je suis, dit-il je suis celuy qui de cy ne partiray, ne vous aussi, tant que ne m'aiez rendu mes dix escuz vous les aviez gaignez trop aise.; Ha! dit-elle, se m'aist Dieu, quoy que vous diez, je ne pense pas que soiés si mal gracieux, attendu le bien qui est en vous et le plaisir que vous ay fait, que fussez si pou courtois que vous n'aidissiez à garder mon honneur. Et pour ce de rechef vous supplie que ceste ma requesté passez et accordez et que d'icy vous partez. » L'escuier dit qu'ilh'en fera rien et,pourtrousser le compte, force fut à la bonne gentil femme, à tel regret que Dieu scet, de desbourser les dix escuz j affin que l'escuier s'en aille., Quand les dix escuz furent en la main dont ilz estoient, celle qui les rendoit cuidoit bien enrager tant estoit mal contente et celuy qui les a leur fait grant chière. « Or avant, dit la courroucée et desplaisante, qui se voit ainsi gouverner, quand vous estes bien joué et farsé de moy, au mains advancez vous, et vous suffise que vous seul cognoissez ma folie et que par vostre tarder elle ne soit congneue de ceulx qui me deshonoreront s'ilz en voient l'apparence. A vostre honneur, dit l'escuier, point je ne touche; gardez le autant que vous l'aimez. Vous m'avez fait venir icy, et si vous somme que vous me rendez et mettez au lieu dont party, car ce n'est pas mon intencion comme de venir et de retourner. » La


chambrière, où rien n'avait à Je courroucer, non pas mains doubtant l'esclandre de son fait que la ^mort voyant aussi que le jour commence à aparoir, avec tout le desplàisir et crainte que son ennuyeux cueur charge et empire, se hourde de l'escuier et à son col lé charge. Et comme à tout ce fardeau passôit par la chambre de son maistre marchant le plus soef qu'oncques peust le, courtois gentil homme, tenant lieu de bahu sur le doz de celle qui sur son ventre Tavoit soustenu, laissa couler ung gros sonnet, doptle ton et le bruyt firent l'oste eveiller, et demanda assez effrayement «Qui est cela? –C'est vostre chambrière, dist l'escuier, qui me porte rendre elle m'avoit emprunté. » A ces motz, la pduvre gentil femme n'eut plus cueur,' puissance-ne vouloir de soustenir son fardeau desplaîsant si s'en va d'ung costé et l'escuier de l'aultre. Et l'oste qui congnoist bien que c'est, parla trèsbien à l'espousée, qui, toute decëute: et esclandrie, tost après se partit de leans. Et l'escuier en Bourgoigne se retourna qui aux galans et compaignons de sorte joyeusement racompta ceste son adventure dessus dicte.


eschaufa l'atrenipé cueur et vertueux courage d'un bon et riche marchant de Londres en Angleterre, qu'il abandonna sa belle et bonne femme et sa belle maignye d'enfans, parens, amis, héritages et la pluspart de sa chevance, et se partit de son royaulme assez et bien fourny d'argent content et de très grande abundance de marchandises dont le pàis d'Angleterre peut les autres servir, comme d'estains, de riz, et foison d'autres choses que pour bref je passe. En ce son premier voyage vaqua le bon marchant l'espace de cinq ans, pendant lequel temps sa bonne femme garda trèsbien son corps, fist le prouffit de pluseurs marchandises et tant et si trèsbien le fist que son mary, au bout des diz cinq ans retourné, beaucop la loa et plus que par avant l'ama. Le cueur au dit marchant, non encores content, tant d'avoir 'veu et congneu pluseurs choses estranges et merveilleuses, comme d'avoir gaigné largement, le feist arrière sur la mer bouter

rdent desir de veoir pays, savoir et cognoistre pluseurs experiences qui par le monde universel journellement adviënnent nagueres si. fort n.,t..e, W~

LA.XIXe NOUVELLE.

PAR PHILIPE VIGNIER, ESCUIER DE MONSEIGNEUR.


cinq ou six mois puis son retour, et s'en reva à l'adventure en estrange terre tant de chrestians que de Sarrazins et ne demoura pas si pou que les dix ans ne furent passez ains que sa femme le revist. Trop bien luy rescripvoit et assez souvent, à celle fin qu'elle sceust qu'il estoit encores en vie. Elle qui jeune estoit et en bon point et qui point n'avoit de faulte des biens de Dieu, fors seulement de la presence de son mary, fut contrainte par son trop demourer de prendre ung lieutenant, qui en peu d'heure luy fist ung trèsbeau filz. Ce filz fut elevé nourry et conduit avec les aultres ses frères d'un cousté, et au retour du marchant mary de sa mère avoit environ sept ans. La feste fut grande à ce retour, d'entre le mary et la femme; et, comme ils fussent en joyeuses devises et plaisans propos, la bonne femme, à la semonce de son mary, fait venir devant eulx tous leurs enfans, sans oblier celuy qui fut gaigné en l'absence de celuy qui en avoit le nom. Le bon marchant, voyant la belle compaignie de ses enfans, recordant trèsbien du nombre d'eulx à son partement, le voit creu d'un dont il est trèsfort esbahy et moult esmerveillé si va demander à sa femme qui estoit ce beau filz, le derrenier en reng de leurs enfans. « Qui c'est? dit-elle, par ma foy, sire, c'est nostre filz à qui seroit-il ? Je ne sçay, dist-il; mais pour ce que plus ne l'avoie veu, avez vous merveille si je le demande ? Saint Jehan! nenny, dist-elle, mais il est mon filz.Et comment se peut il faire? dist le màry;


vous n'estiez pas grosse mon partement. –Non vrayement, dit-elle, que je sceusse mais je vous ose bien dire à la verité que l'enfant est vostre, et que aultre que vous à moy n'a touché.– Je ne dy pas aussi, dit-il; mais toutesfoiz il a dix ans que je party, et cest enfant se monstre de sept comment doncques pourroit-il estre mien ? L'auriez-vous plus porté que ung aultre ? Par mon serment, dit-elle je ne sçay mais tout ce que je vous dy est vray. Si je l'ay plus porté qu'un aultre, il n'est rien que j'en sache, et si vous ne le me feistes au partir, je ne sçay moy penser dont il peut estre venu, sinon que, assez tost après vostre partement, ung jour j'estoie par ung matin en nostre grand jardin, où tout à coup vint ung soudain appetit de menger une fueille d'oseille qui pour l'heure de adonc estoit couverte et soubz la neige tappie. J'en choisy une entre les aultres belle et large que je cuiday avaler; mais ce n'estoit que ung peu de nege blanche et dure; et ne l'eu pas si tost avalée que ne me sentisse en trestout tel estat que je me suis trouvée quand mes aultres enfans ay porté. De fait, à chef.de terme, je vous ay fait ce trèsbeau filz. » Le marchand cogneut tantost qu'il en estoit noz amis, mais il n'en voult faire semblant, ainçois se vint adjoindre par parolles à conformer la belle bourde que sa femme lui bailloit, et dit « M'amye, vous ne dictes chose qui ne soit possible et que à aultres que à vous ne soit advenue. Loé soit Dieu de ce qu'il nous a envoyé


S'il nous a donné ung enfant par miracle, ou par aucune secrete fasson dont nous ignorons la manière, il ne nous a pas oblié d'envoier chevance pour l'entretenir. » Quand la bonne femme voit que son mary veult condescendre à croire ce qu'el luy dit, elle n'est moyennement joyeuse. Le marchant, sage et prudent, en dix ans qu'il fut puis à l'ostel sans faire ses loingtains voyages, ne tint oncques manière envers sa femme en parolles ne aultrement par quoy elle peust penser qu'il entendist rien de son fait, tant estoit vertueux et pacient. Il n'estoit pas encores saoul de voyagier, si le vouloit recommencer, et le dist à sa femme, qui fist semblant d'en estre trèsmarrie et mal contente. « Appaisez-vous dit-il; s'il plaist à Dieu et à monseigneur saint George, je reviendray bref. Et pource que nostre filz que feistes à mon aultre voyage est desja gra^id d et habile et en point de veoir et d'aprendre, si bon vous semble, je l'emmeneray avecques moy. Et par ma foy, dit-elle, vous ferez bien et je vous en prie. Il sera fait », dit-il. A tant se part, et emmaine le filz dont il n'estoit pas père, à qui il a pieca gardé une bonne pensée. Hz eurent si bon vent qu'ilz sont venus au port d'Alixandrie, où le bon marchant trèsbien se deffist de la pluspart de ses marchandises, et ne fut pas si beste, affin qu'il n'eust plus de charge de l'enfant de sa femme et d'ung aultre et. que après sa mort ne succedast à ses biens, comme ung de ses aultres enfans qu'il ne le vendist à bons deniers


contens pour en faire ung esclave. Et pource qu'il estoit jeune et puissant, il en eust près de cent ducatz. A chef de pièce il s'en revint en Angleterre sain et sauf, Dieu mercy. Et n'est pas à dire la joye que sa femme luy fist quand elle le vit en bon point.'Elle ne voit point son filz si ne scet que penser. Elle ne se peut guères tenir qu'elle ne demandast à son mary qu'il avoit fait de leur filz. « Ha! m'amye, dist-il, il ne le vous fault jà celer il luy est trèsmal prins.– Hélas comment ? ditelle est-il noyé ? Nenny vraiement, distil mais il est vray que fortune de mer par force nous mena en ung pais où il faisoit si chault que nous cuidions tous mourir par la grant ardeur du soleil qui sur nous ses raidz espandoit et comme ung jour nous estions sailliz de nostre nave pour faire en terre chascun une fosse pour nous tappir pour le soleil, nostre bon filz qui de neige comme sçavez estoit, en nostre presence, sur le gravier, par la grand force du soleil, il fut tout à coup fondu et en eaue résolu. Et n'eussiez pas dict une sept seaumes que nous ne trouvasmes plus rien de luy. Tout aussi à haste qu'il vint au monde, aussi soudainement en est party. Et pensez que j'en fuz et suis bien desplaisant, et ne vy jamais chose entre les merveilles que j'ay veués dont je fusse plus esbahy. Or avant, dit-elle, puis qu'il a pieu à Dieu le nous oster comme il le nous avoit donné loé en soit-il » Si elle se doubla que la chose allast aultrement, l'ystoire s'en


taist et ne fait pas mencion, fors que son mary lui rendit telle qu'elle luy bailla, combien qu'il en demoura toujours le cousin.

qu'il sembleroit assez estrange à pluseurs, pourtant qu'ilz sont si près voisins à ceulx du mal engin. Assez et largement d'ystoires à ce propos pourroit on mettre avant confermant la bestise des Champenois mais, quant au présent, celle qui s'ensuyt pourra souffire. En la dicte conté naguères avoit ung jeune filz orphenin qui bien riche et puissant demoura puis le trespas de son père et sa mère, et jasoit qu'il fust lourd, très pou sachant, et encores aussi mal plaisant, si avoit-il une industrie de bien garder le sien et conduire sa marchandise. Et à ceste cause beaucop de gens, voire de gens de bien, luy eussent voluntiers donné leur fille à mariage. Une entre les aultres pleut aux parens et amys de nostre Champenois, tant pour sa bonté, beaulté, chevance, etc. et luy dirent qu'il estoit temps qu'il se mariast, et que bonnement il ne povoit conduire son

1 n'est pas chose nouvelle que en i la conté de Champaigne a tous1 jours eu bon à recouvrer de foison » de gens lourds en la taille, combien 1" ,,1

LA XXe NOUVELLE. PAR PHELIPE DE LOAN.


fait. « Vous avez aussi, dirent-ilz, desjaxxiiij ans, si ne pourriez en meilleur eage prendre cest estat; et, si vous y voulez entendre, nous avons regardé et choisy pour vous une belle fille et bonne qui nous semble bien vostre fait. C'est une telle, vous la cognoissez bien.a » Lors la luy nommèrent. Et nostre homme, à qui ne chaloit qu'il feist fust maryé ou aultre chose, mais qu'il ne tirast point d'argent, respondit qu'il feroit ce qu'ilz vouldroient. « Et puis que ce vous semble mon bien, conduisez la chose au mieulx que savez, car je veil faire par vostre conseil et ordonnance. Vous dictes bien, dirent ces bonnes gens; nous regarderons et penserons pour vous comme pour nous mesmes ou ung de noz enfans. » Pour abreger, à chef de pièce, nostre Champenois fut maryé de par Dieu mais si tost la première nuyt qu'il fut près de sa femme couché, luy, qui oncques sur beste crestiane n'avoit monté, tantost luy tourna le doz, après je ne scay quants simples baisiers qu'elle eut de Iuy, mais du surplus nichil au doz. Qui estoit mal contente, c'estoit nostre espousée, jasoit qu'elle n'en feist nul semblant. Ceste maudicte manière dura plus de dix jours, et encores eust si la bonne mère à l'espousée n'y eust pourveu de remède. JI ne vous fault pas celer que nostre homme, et neuf en fasson et en mariage, du temps de feu son père et sa mère, avoit esté bien court tenu; et sur toute rien luy estoit et fut defendu le mestier de la beste à deux doz, doubtant, s'il s'iesbatoit,


qu'ily despendroit sa chevance. Et bien leur semblôit et à bonne cause qu'il n'estoit pas homme qu'on deust aimer pour ses beaulx yeulx. Luy, qui pour rien ne courroussast père et mère, et qui n'estoit pas trop chault sur potaige, avoit tousjours gardé son pucellage, que sa femme eust vôtuntiers desrobé par bonne fasson s'elle eust sceu. Ung jour se trouva la mère à nostre espousée devers sa fille, et luy demanda de son mary, de son estat, de ses condicions, de son mariage, et cent mille choses que femmes scevent dire. A toutes choses bailla et rendit nostre espousée à sa mère trèsbonne response, et dist que son mary estoit trèsbon homme et qu'elle ne doubtoit point qu'elle ne se conduisist bien avecques luy. De ce fut nostre mère bien joyeuse, et, pource qu'elle scavoit bien par elle mesme qu'il fault en mariage aultre chose que boire et menger, elle dist à sa fille « Or, vien ça et me dy par ta foy, et de ces choses de nuyt, comment t'en est-il ? Quant la pouvre fille oyt parler de ces choses de nuyt, à pou que le cueur ne luy faillit, tant fut marrye et desplaisante et ce que sa langue n'osoit respondre, monstrèrent ses yeulx, dont sailloient larmes à trèsgrand abundance. Si entendist tantost sa mère que ces larmes vouloient dire, et dist « Ma fille, ne plorez plus mais dictes moy hardiement, je suis vostre mère, à qui ne devez rien celer, et de qui ne devez estre honteuse. Vous a-i) encores rien fait ? » La pouvre ti))e, revenue de paumoison et ung peu


rasseurée et de sa mère confortée, cessa la grand flotte de ses larmes mais elle n'avoit encores force ne sens de respondre. Si l'interroge encores sa mère, et luy dit « Dy moy hardiement et oste ces larmes. T'a il rien fait f )) A voix basse et de plours entremeslée respondit la fille et dist « Par ma foy, ma mère, il ne me toucha oncques mais du surplus qu'il ne soit bon homme et doulx, par ma foy, si est. –Or,dy moy, dit la mère, scez tu point s'il est fourny de tous ses membres ? Dy hardiement si tu le sces. Saint Jehan si est trèsbien, dist-elle. J'ay pluseurs foiz senty ses denrées d'aventure, ainsi que je me tourne et retourne en nostre lit, quant je ne puis dormir.– Il souffist, dist la mère; laisse moy faire du surplus. Veez cy que tu feras Demain au matin il te convient faindre d'estre malade\trèsfort, et monstrer semblant d'estre tant oppressée qu'il semble que l'âme s'en parte. Ton mary me viendra ou mandera querir, je n'en doubte point, et je feray si bien mon personnage que tu sçaras tantost comment tu fuz gaignée, car jeporteray ton urine à ung tel médicin qui donnera tel conseil que je vouldray. Comme il fut dit il fut fait, car landemain, sitost qu'on vit du jour, nostre gouge, auprès de son mary couschée se commença à plaindre et faire si trèsbien la malade qu'il sembloit que une fièvre continue luy rongeast corps et ame. Noz amis son mary estoit bien esbahy et desplaisant; si ne savbit que faire ne que dire. Si manda tantost sa belle mère/qui ne se fist


guères attendre. Tantost qu'il la vit « Helas belle mère, vostre fille se meurt. Ma fille! dit-elle; et que luy fault-il ? Lors, tout en parlant, marchèrent jusques en la chambre de la paciente. Si tost que la mère voit sa fille, elle luy demande comment elle fait; et elle, bien aprinse, ne respondit pas à la première foiz, mais à chef de pièce dit « Mère, je me meurs. Non faictes, si Dieu plaist, fille; prenez courage mais dont vous vient ce mal si à haste? Je ne sçay, je ne sçay, dit la fille; vous me paraffolez à me faire parler. » Sa mère la prent par la main, et luy taste son poux, et son corps, et son chef, et puis dit à son beau filz « Par ma foy, creezqu'elle est malade; elle est plaine de feu. Si fault pourveoir de remède. Y a-il point ycy de son urine ? Celle de la mynuytyest, dit une des meschines.-Baillez la moy, dit-elle. Quand elle eut ceste urine, fist tant qu'elle eut ung urinal et dedans la bouta, et dit à son beau filz qu'il la portast monstrer à ung médicin pour savoir qu'on pourra faire à sa fille, et si on y peut aider. Pour Dieu! n'y espergnons rien, dit-elle; j'ayencores de l'argent que je n'ayme pas tant que ma fille. -Espergner dist noz amis; créez, si on luy peut aider pour argent je ne luy fauldray pas. Or vous avancez, dit-elle, et tandiz qu'el se reposera ung peu je m'en iray jusques au mesnage tousjours reviendrày je bien, s'en a mestierde moy. ? Or devez vous savoir que nostre bonne mère avoit, le jour devant, au partir de sa fille, forgé le médicin qui estoit bien


adverty de la response qu'il devoit faire. Veezcy nostre gueux qui arrive devers nostre medicin à tout l'orine de sa femme et, quand il luy eut fait la reverence, il luy va compter comment sa femme estoit deshaitée et merveilleusement malade « et veezcy son urine que à vous j'apporte, affin que mieulx vous informez de son cas, et que plus seurement me puissez conseiller. » Le medicin prend l'orinat et contremont le lève, et tourne et retourne l'urine, et puis va dire « Vostre femme est fort aggravée de chaulde maladie et en dangier de mort s'elle n'est prestement secourue. Veezcy son urine qui le monstre. Ha! maistre, pour Dieu mercy, veillez moy dire, et je vous paieray bien, qu'on luy peut faire pour recouvrer santé, et s'il vous semble qu'elle n'ayt garde de mort. – Elte n'a garde, si vous luy faictes ce que je vous diray, dit le medecin; mais, se vous tardez guères, tout l'or du monde ne la garantira pas de la mort.-Dictes, pour Dieu, dit l'aultre, et on luy fera. – !t faut, dit )e medicin, qu'elle ayt compaignie d'homme, ou elle est morte. Compaignie d'homme dit l'aultre, et qu'est ce à dire cela? C'est à dire, dit le médecin, qu'il fault que vous montez sur elle et que vous la roucynez trèsbien trois ou quatre foiz tout à haste, et le plus que vous pourrez à ce premier faire sera le meilleur; aultrement ne sera point estaincte la grand ardeur qui la seche et tire à lin. -Voire, dit il, et seroit ce bon Elle est morte, et n'y a pas de rechap, dit le medicin, s'ainsi ne le faictes, voire et


bientost encores. Saint Jehan ? dit l'aultre, j'essaieray comment je pourray faire. » Il se part de là, et vient à l'ostel, et trouve sa femme qui seplaignoit et dolosoit trèsfort. « Comment va, dit il, m'amye ?-Je me meurs, mon amy, dit elle. Vous n'avez garde, si Dieu plaist, dist il j'ay parlé au médecin, qui m'a enseigné une medicine dont vous serez garie. » Et durant ces devises, il se despoille et au près de sa femme se boute et, comme il approuchoit pour executer le conseil du médicm tout en tourdoys:« Quefaictes vous, dit elle; me voulez vous partuer? Mais je vous gariray, dit il, le medicin l'a dit. -a Et ce dit, ainsi que nature luymonstra, et à l'aide de la paciente, il besoigna trèsbien deux ou trois fois et, comme il se reposoit tout esbahy de ce que advenu luy estoit, il demande à sa femme comment elle se porte. « Je suys ung poumieulx, dit-elle, que par cy devant n'ay esté.– Loé soit Dieu dit il; j'espere que vous n'avez garde et que le medicin ara dit vray Alors recommence de plus belles. Pour abréger, tant et si bien le fist que sa femme revint en santé dedans pou de jours, dont il fut trèsjoyeux, si fut la mère quant el le sceut. Nostre Champenois, .après ces armes dessus dictes-, devint ung pou plus gentil compaignon qu'il n'estoit par avant et luy vint en courage, puis que sa femme restoit en santé, qu'il semondroit à disner ung jour ses parens et amys et le père et la mère d'elle, ce qu'il fit; et les servit grandement en son patoys, à ce disner, faisoit trèsbonne et joyeuse


chère. On buvoit à luy, il buvoit aux aultres c'estoit merveille qu'il estoit gentil compaignon. Mais escoutez qu'il lui advint à la coup de la meilleure chère de ce disner, il commenca trèsfort et soudainement à plorer, et sembloit que tous ses amys, voire tout le monde, fussent mors, dont n'y eut celuy de la table qui ne s'en donnast grant merveille dont ces soudaines larmes procedoient; lesungset les aultres luy demandent qu'il a, mais à pou s'il povoitousavoit respondre, tant le contraignoient ses folles larmes. Il parla au fort, en la fin, et dist «J'aybien cause de plorer.-Et par ma foy, non avez, ce dist sa belle mère que vous fault-il ? Vous estes riche et puissant et bien iogié, et si avez de bons amys; et qui ne fait pas à oublier, vous avez belle et bonne femme, que Dieu vous a remise en santé, qui naguères Mt sur le bord de sa fosse; si m'est advis que vous devez estre lye et joyeux. –Hetas non fays, dit-il; c'est par moy que mon père et ma mère, qui tant m'aymoient, et m'ont assembié et laissé tant de biens, ne sont encores en vie, car ilz ne sont mors tous deux que de chautdt maladie; et si je les eusse aussi bien rouchynez quand ilz furent malades que j'ay fait ma femme, ilz fussent maintenant sur piez. » Il n'y eut celuy de la table après ces motz à pou qui se tenist de rire, mais non pourtant il s'en garda qui peut. Les tables furent ostées, et chacun s'en alla, et le bon Champenoys demoura avec sa femme, laquelle, affin qu'elle demwurast en santé, fut souvent de luy racoMe.


acoucha malade. Ses bonnes sœurs devotes et charitables tantost la vindrent visiter, en la confortant et administrant à leur povoir de tout ce qu'elles sentoient que bon luy fut. Et quand elles parceurent qu'elle ne se disposoit à garison, elles ordonnèrent que l'une d'elles yroit à Rouen porter son urine, et compteroit son cas à ung medicin de grand renommée. Pour faire ceste ambaxade, à lendemain l'une d'elles se mist au chemin et fit tant qu'el se trouva devers le dit medicin, auquel, après qu'il eut visité l'urine de madame l'abbaesse, elle compta tout au long la fasson et manière de sa maladie, comme de son dormir, d'aller à chambre, de boire et de menger. Le sage medicin vrayement du cas de madame informé tant par son urine comme par la relacion de la religieuse, voulut ordonner le regime. Et, jasoit qu'il eust de coustume à plusieurs de leur bailler par escript, il se fya bien de tant à la religieuse que de bouche luy diro'it « Belle seur, dit-il,

ur les mètes de Normandie siet une bonne et grosse abbaye de dames, dont l'abbesse, qui belle et jeune et en bon point estoit, naguères se T)a)ade. Ses bonnes sœurs devotes et

LA XXIe NOUVELLE.

PAR PHILIPE DE LOAN.


pour recouvrer la santé de madame l'abbesse, il est mestier et de necessité qu'el ait compagnie d'homme; et bref aultrement elle se trouvera en pou d'espace si adicte et dé mal souprinse que la mort luy sera derrain remède. Qui fut bien esbahye d'oyr si trèsdures nouvelles, ce fut nostre religieuse, qui alla dire « Hélas 1 maistre Jehan, ne voiez vous aultre fasson pour la recouvrance de la santé de madame ?-Certes nenny, dit-il, il n'en y a point d'aultre, et si veil bien que vous sachez qu'il se fàult avancer de faire ce que j'ay dit car si la maladie, par faulte d'ayde, peut prendre son cours comme el s'efforce, jamais homme à temps n'y viendra. » La bonne religieuse à pou s'elle osa disner à son aise, tant avoit haste de nuncier à madame ces nouvelles. Et à l'ayde de sa bonne hacquenée, et du grant desir qu'el a d'estre à l'ostel, s'avança si bien que madame l'abbesse fut trèstoute esbahie de si tost la reveoir. « Que dit le medicin, belle seur ? ce dist-elle; ay je garde de mort? Vous serez tantost en bon point, si Dieu plaist, Madame, dist la religieuse messagière faictes bonne chère et prenez cueur. Et ne m'a le medicin point ordonné de regime, dit madame ? Si a, dit-elle. » Lors luy va dire tout au long comment le medicin avoit veu son urine, et tes demandes qu'il fist de son eage, de son mengier, de son dormir, etc. « Et puis pour conclusion il dit et ordonne qu'il fault que vous aiez compaignie charnelle avecque homme, ou bref autrement vous estes


morte car à vostre maladie n'a point d'aultre remède. Compaignie d'homme! dit madame j'ayme plus cher morir mille foiz, s'il m'estoit possible. » Et lors va dire « Puis que mon mal est incurable et mortel si je n'y pourvoy de tel remède, loé soit Dieu, je prens la mort en gré. Appellez moy bien tost tout mon couvent. » Le tymbre fut sonné, si vindrent tantost devers madame trestoutes ses bonnes religieuses. Et quand elles furent en la chambre, madame, qui avoit encore toute la langue à commendement, quelque mal qu'elle eust, commença une grande et longue harengue devant ses seurs, remonstrant le fait et estat de son église, en quel point elle la trouva et en quel estat elle est aujourduy; et vint descendre ses parolles à parler de sa maladie, qui estoit mortelle et incurable, comme elle bien sentoit et congnoissoit, et au jugement aussi d'ung tel medicin elle s'arrestoit, qui morte l'avoit jugée. « Et pour tant, mes bonnes sœurs, je vous recommende nostre eglise, et en voz plus devotes prières ma pouvre ame.. » Et, à ces parolles, larmes en grand abundance saillirent de ses yeux, qui furent accompaignées d'aultres sans nombre, sourdans de la fontaine du cueur de son bon couvent. Ceste plorerie dura assés longuement, et fut là long temps le mesnaige sans parler. A chef de pièce, madame la prieure, qui bonne et sage estoit, print la parole pour tout le couvent et dist « Madame, de vostre maladie, ce scet Dieu, à qui nu) ne peut riens celer, il nous des-


plaist beaucop, et n'y a celle de nous qui ne se vouldroit emploier autant que possible est et seroit à personne vivant à la recouvrance de vostre santé. Si vous prions toutes ensemble que vous ne nous espergnez en rien qui soit des biens de vostre egtise, car mieulx nous vauldroit, et plus cher l'aymerions, de perdre ta plus part de noz biens temporelz que le prouffit espirituel que vostre presence nous donne. Ma bonne seur, dist madame, je n'ay pas tant deservy que vous m'offrez, mais je vous en mercie tant que je puis, en vous advisant et priant derechef que vous pensez comme je vous ay dit aux afferes de nostre eglise, qui me touchent près ducueur, Dieu le scet, en acompaignant aux prières que ferez ma pouvre ame, qui grant mestier en a. Helas Madame, dist la prieure, et n'est-il possible par bon gouvernement et soigneuse medicine que vous puissez repasser? Nenny, certes, ma bonne seur, dit-elle. Il me fault mettre ou reng des trespassés, car je ne vaulx guères mieulx, quelque langage qu'encores je pronunce. » Adonc saillit avant la religieuse qui porta son urine à Rouen, et dist « Madame, :t y a bon remède, s'il vous plaisoit. –Créez qu'il ne me plaist pas, dit-elle; véez cy seur Jehanne qui revient de Roen, et a monstré mon urine et compté mon cas à ung tel medicin, qui m'a jugée morte, voire si je ne me vouloye abandonner à aucun homme et estre en sa compagnie. Et par ce point esperoit-il, comme il trouvoit par ses livres, que je n'a-


roye garde de mort; mais, s'ainsine le faysoie, il n'y a point de ressource en moy. Et quant à moy j'en loe Dieu, qui me daigne appeller aincois que j'aye fait plus de péchez à luy me rens, et à la mort je presente mon corps, vienne quand elle veult. Comment, Madame, dist l'enfermière, vous estes de vous mesmes homicide! Il est en vous de vous garir et sauver, et ne vous fault que tendre la main et requerre ayde, vous la trouverez preste; ce n'est pas bien fait, et vous ose bien dire que vostre ame ne partiroit point seurement si en cet estat vous moriez. Ha belle seur, dist madame, quantesfoiz avez-vous oy prescher que mieulx vauldroit à une personne s'abandonner à la mort que commettre ung seul peché mortel Et vous savez que je ne puis ma mort fuyr n'estoignier sans faire et commettre peché mortel Et qui bien autant au cueur me touche, s'en ce faisant ma vie esloigneroie, ne viveroys-je pas deshonorée et à tousjours mès reprochée, et diroit-on Veez la dame, etc. ? Mesmes vous toutes, quelque conseil que me donnez, m'en ariez en irreverence et en mains d'amour. Et vous sembleroit, et à bonne cause, que indigne seroie d'entre vous presider et gouverner. Ne dictes et ne pensez jamais cela, dit madame la tresorière; il n'est chose qu'on ne doye entreprandre pour eschever la mort. Et ne dit pas nostre bon père saint Augustin qu'il ne loist à personne de soy ester la vie ne tollir ung sien membre ? Et ne yrez directement encontre


sa sentence si vous laissez à escient ce qui vous peut de mort garder ? Elle dit bien dit le couvent en gênerai. Madame, pour Dieu, obeissez au medicin, et ne soiez en vostre opinion si ahurtée qu'en la soustenant vous perdrez corps et ame, et laissez vostre pouvre couvent, qui tant vousayme, desolé et despourveu de pastoure. Mes bonnes seurs, dit madame, j'ayme mieulx à la mort voluntairement tendre les mains, soubmettre mon col et honorablement l'embrasser, que par la fuyr je vive deshonorée. Et ne diroit on pas Veez la dame qui fist ainsi et ainsi ? Ne vous chaille, Madame, qu'on dye; vous ne serez jà reprouchée de gens de bien. Si seroie, si seroie, dit madame. » Le couvent se alla esmouvoir, et firent les bonnes religieuses entre elles ung consistoire dont la conclusion s'ensuyt etportalesparolles d'icelle la prieure «Madame, veez cy vostre desolé couvent si trèsdesplaisant que jamais maison ne fut si desolée ni troublée qu'el est, dont vous estes cause et créez, si vous estes si mal conseillée de vous abandonner à la mort que fuyr vous povez, vous occirez, j'en suis bien seure. Et, affiri que vous l'entendez que nous vous aimons de bonne et loyale amour, nous sommes contentes et avons conclu et meurement deliberé, toutes ensemble generalement, que, s'il vous plaist, en sauvant vostre vie et nous, avoir compaignie secretement d'aucun homme de bien, nous pareillement le ferons comme vous, affin que vous n'ayez pensée ne yma-


ginacion qu'en temps advenir vous en sourdist reprouche de nulle de nous. N'est ce pas ainsi, mes seurs? dit-elle. – Oy, oy », dirent-elles trestoutes de bon cueur. Madame l'abbesse, oyant ce que dit est, et portant au cueur ung grand fardeau d'ennuy, pour l'amour de ses seurs se laissa ferrer et s'accorda, combien que ce fut à, grand regret, que le conseil du medicin fut mis en euvre, pourveu que ses seurs luy tiendront compaignie. Adonc furent mandez moynes, prestres et clercs, qui trouvèrent bien à besoigner; et le feirent si trèsbien que madame l'abbesse fut en pou d'heure rappaisée, dont son couvent fut trèsjoyeux, qui par honeur faisoit ce que par honte oncques puis ne laissa.

tre lever. Et droit à la coup qu'élle s'en perceust et donna garde, monseigneur fist une assemblée de gens d'armes; si fut force à nostre. gentilhomme d'abandonner sa dame <t avecques les aultres aller au service de mon

'a guères que ung gentilhomme demourant à Bruges tant et si tonguement se trouva en la compaignie d'une belle fille qu'il luy fist le venDr ~7.f ~~1. ,7,.11,7.

LA XXIIe NOUVELLE.

PAR CARON.


dit seigneur, ce que de bon cueur et bien il fist. Mais avant son partement iinst garnison et pourveance de parrains et marraines et de nourrice pour son enfant advenir, logea la mère avecques de bonnes gens, luy laissa de l'argent, et leur recommenda. Et quand au mieulx qu'il sceut et le plus bref qu'il peut ses choses furent bien disposées, ordonna son partement et print congé. de sa dame, et au plaisir de Dieu promect de tantost retourner. Pensez que s'elle n'eust jamais plouré, nes'en tenist à ceste heure, puis qu'elle voit d'elle eloigner la rien en ce monde dont la presence plus luy plaist. Pour abreger, tant luy despleut ce dolent départir qu'oncques mot ne sceut dire, tant empeschèrent sa douice langue les larmes sourdantes du parfond de son cueur. Au fort el s'appaisa, puis que aultre chose estre n'en peut. Et quand vint environ ung mois après te partement de son amy, desir luy eschaufa le cueur et .si luy vint ramantevoir les plaisans passetemps qu'elle souloit avoir, dont la trèsdure et trèsmaudicte absence de son amy, helas 1 l'avoit privée. Le dieu d'amours, qui n'est jamais oiseux, luy mist en:t)0uche,et en termes les haulx biens, les noHes ve.rtuz 'et la trèsgrand loyaulté d'un marchant son voisin, qui pluseurs foiz avant et puis le partement de son amy, luy avoit presenté la bataille, et conclure luy fist que, s'il retourne plus à sa queste, qu'il ne s'en retournera pas esconduyt mesme, si la laissoit arrière, elle tiendra bien telles et si bonnes


manières qu'il entendra bien qu'elle en veult à Juy. Or vint-il si bien que au. lendemain de ceste conclusion, à la première euvre, Amour envoya nostre marchant devers sa paciente, et luy presenta comme aultresfoiz, chiens et oyseaulx, son corps et ses biens, et cent mille choses que ces abateurs de femmes scevent tout courant et par cueur. Il ne fut pas escondit car, s'il avoit bonne volunté de combatre et faire armes, elle n'avoit pas mains de desir de luy delyer son emprinse et le fournir de tout ce qu'il vouldra requerre. Sans faire long procès, au prejudice de nostre gentil homme, qui maintenant est en la guerre, nostre gentil femme fournit et accomplit au bon marchant tout ce dont la requist; et si plus eust osé demanderelle estoit preste d'accomplir; et tant trouva en luy de bonne chevalerie, de proesse et de vertuz qu'elle oublya de tous poins son amy par amours, qui à ceste heure guères ne s'en doubtoit. Beaucop aussi au bon marchant pleut la courtoisie de sa nouvelle dame et tant furent conjoinctes les voluntés desirs et pensées de luy et d'elle, qu'ilz n'avoient pour eulx deux que ung seul cueur. Si s'appensèrent que. pour le bien loger et à leur aise, il souffiroit bien d'un hostel si troussa ung soir nostre gouge ses bagues et habillemens, et avec elles à l'hostel du marchant se vint rendre, en abandonnant le premier amy, son hoste, son hostesse et foison d'aultres gens de bien auxquelx il l'avoit recommandée. Elle ne fut pas si folle, quand elle se vit bien


logée, qu'el ne dist incontinent à son marchant qu'elle se sentoit grosse, qui en fut trèsjoyeux, cuidant bien que ce fust de ses euvres. Au chef de sept moys, ou environ, nostre gouge fit ung beau filz dont le père adoptif s'acquitta trèsgrandement et de la mère aussi. Advint certain espace après que le bon gentilhomme retourna de la guerre et vint à Bruges, et au plustost qu'il peut honestement prmt son chemin vers le logis où il laissa sa dame. Et luy venu leans, il la demanda à ceulx qui en prindrent la charge de la penser, garder et aider en sa gesine. « Comment! dirent-ilz, est ce ce que vous en savez ? Et n'avez vous pas eu les lettres que vous avons rescriptes ?-Nenny, par ma foy, dit-il, et quelle chose y a-il Quelle chose! saincte Marie! dirent-ilz; nostre Dame c'est bien raison que on le vous dye. Vous ne fustes en allé d'un mois qu'elle ne troussa pignes et miroirs et s'en alla bouter cy devant en t'ostet d'un tel marchant, qui la tient à fer et à clou. Et de fait elle a fait ung beau filz et a jeu leans, et l'a fait le marchant chrestienner, et si le tient à sien. Saint Jehan! véez cy aultres nouvelles, dit le bon gentilhomme mais au fort, puis qu'el est.telle, au dyable voit elle! Je suis content que le marchant t'ayt et la tienne; mais quant est de l'enfant, il est mien, et si le veil ravoir, a Et sur ce mot, part et s'en va, et vint heurter bien rudement à l'huys du marchant. De bonne adventure, sa dame qui fut vint à ce hurt, qui ouvre l'huys, comme toute de léans qu'elle es-


toit. Quant elle vit son amy oblié et qu'il la congneut aussi, chacun fut esbahy. Non pourtant luy demanda dont elle venoit en ce lieu. Et elle respondit que fortune ly avoit amenée. « Fortune dist-il or fortune vous y tienne mats je veil ravoir mon enfant; vostre maistre ara la vache, et j'aray le veau, moy: Or le me rendez bien tost, car je le veil ravoir,-quoy qu'en advienne. -Helas dit la gouge, que diroit mon homme? Je seroye deffaicte, car il cuide certainement qu'il soit sien. –Ne m'en chault, dit l'autre, dye de ce qu'il vouldra, mais il n'ara pas ce qui est mien. Ha mon amy, je vous requier que vous laissiez cest enfant à mon marchant, et vous me ferez grand plaisir et à luy aussi. Et pour Dieu, si vous l'aviez veu, vous ne feriés jà presse de l'avoir c'est une let et ort garson, trestout roigneux et contrefait. Dya, dit l'aultre, tel qu'il est il est mien, et si le vueil ravoir. Et parlez bas, pour Dieu, ce dit la gouge, et vous appaisez de vostre demande, je vous en supplie; et s'il vous plaist ceans laisser cest enfant, je vous promectz, par ma foi, s'il vous plaist ainsi faire, je vous donneray le premier que j'aray jamais.)) Le gentil homme, à ces motz, jasoit qu'il fust esmeu et courroucé, ne se peut tenir de soubrire, et sans plus dire de sa bonne dame se partit, et tien, comme l'on me compta, qu'il n'a plus demandé le dit enfant, et qu'encores le nourrist celluy qui la mère engranga en J'absence de nostre gentil homme.


ungtrès beau filz et gentil compaignon, du quel sa femme à chef de pièce s'enamoura très fort et très bien luy sembloit qu'il estoit mieulx taiDié de faire la besoigne que son mary. Et affin qu'el esprouvast si son cuider estoit vray, elle conclut en soy mesmes qu'el tiendra telz termes que, s'il n'est plus beste qu'un asne, il se donnera tantost garde qu'el en veult à luy. Pour executer ce désir, ceste vaillant femme, jeune, fresche et en bon point, venoit menu et souvent couldre et filer auprès de ce clerc, et devisoit à luy de cent mille besoignes dont la pluspart en fin sur amours retoumoient. Et devant ces devises elle n'oMya pas de le servir de landes, Dieu scet, largement une foiz le boutoit du coste en escripvant, une aultre foiz luy ruoit des pierrettes qui brouilloient ce qu'il faisoit, et luy failloit recommancer. Ung aultre jour retournoit ceste feste et luy ostoit papier et parchemin, tant qu'il faiMoit qu'il cessast l'euvre,

'a guères qu'en la ville de Mons, en Haynau, ung procureur de la cour du dit Mons, assez sur eage et jà ancien, entre aultres ses clercs avoit beau filz et gentil comoaisnon. du

LA XXIIIE NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE Q_UIEVRAIN.


dont il estoit trèsmal content, doubtant le courroux de son maistre. Quelque semblant que la maistresse long temps à son clerc eust monstré, qui tiroit fort au train de derrière, si luy avoit jeunesse et crainte les yeulx si bandez que en rien il ne s'aparcevoit du bien qu'on luy vouloit neantmains enfin, par estre beaucop hutiné, il s'apparceut aucunement qu'il estoit bien en grace, et se pensa qu'il l'esprouveroit. Ne demoura guères après ceste deliberacion que, nostre procureur estant hors de l'ostel, sa femme vint à nostre clerc bailler l'arrière ban et assault en escripvant qu'elle avoit de coustume, voire trop plus aigre et plus fort que nulle foiz de devant. Tant de ruer, tant de bouter, tant de parler; mesme pour le plus empescher et bailler destourbier, elle respandit sur buffet, sur papier, sur robe, son cornet à l'encre. Et nostre clerc plus cognoissant et mieulx voyant que cy dessus, saillit en piez, assault sa maistresse et la reboute en sus de luy, priant qu'elle le laisse escripre. Et elle, qui demandoit estre assaillie et combatue, ne laissa pas pourtant l'emprinse encommancée, mais de plus belle rend estire. « Savez-vous qu'il y a, ce dit le clerc, Madamoiselle? c'est force que j'escheve en haste l'escript que j'ai encommancé; si vous requier que vous me laissez paisible, ou, parla mort bieu, je vous livreray castille. Et que me ferez-vous, beau sire, ce dit-elle; la moue ? Nenny, par Dieu. Et quoy donc ? ,Quoy ?- Voire quoy ~– Pour ce, dit-il, que


vous avez respandu mon cornet à l'encre et avez brouillé et mon escripture et ma robe:, je vous pourray bien brouiller vostre parchemin et affin que faulte d'encre ne m'empesche d'escripre, je pourray bien pescher en vostre escriptoire. Par ma foy, dit-elle, vous en estes bien l'&mme et creez que j'en ay grand paour. Je ne scay quel homme, dist le clerc mais tel que* je suis, si vous y rembatez plus, vous passerés par là. Et de fait véez cy une raye que je vous faiz, et par Dieu, si vous la passez, tant pou soit-il, si je vous faulx je veil qu'on me tue. Et par ma foy, dit-elle, je ne vous en craings, et si passeray la raye, et puis verray que vous ferez. p Et disant ces parolles, marcha la dureau, faisant le petit sault oultre la raye bien avant. Et le bon clerc la prend aux grifz, sans plus enquerre, et sur son banc la rue, et créez qu'il la punit bien car, s'elle l'avoit brouillié, il ne luy en fist pas mains, mais ce fut en aultre fasson~ car elle le brouilla par dehors et à descouvert, et il à couvert et par dedans. Et de ce cas fut le notaire ung jeune enfant environ de deux ans, filz de léans. Il ne fault pas demander si après ces premières armes de la maistresse et du clerc s'il y eut plusieurs secrètes rencontres à mains de parolles que les premières. Il ne vous fault pas celer aussi que peu de jours après ceste adventure, le dit petit enfant ou comptouer estant où le clerc escripvoit, le procureur et maistre de leans survint, et marche avant pour tirer vers son clerc, pour re-


garder qu'il escripvoit, ou espoir pour aultre chose; et comme il approucha de la raye que son clerc fist pour sa femme, qui 'encores n'estoit effacée, son filz tuydistetcrya: « Mon père, gardés bien que vous ne passez ceste raye, car nostre clerc vous abateroit et huppilleroit ainsi qu'il fist naguères ma mère. )) Le procureur, oyant son filz, et regardant la raye, si ne scet que penser, car il luy alla souvenir que folz, yvres et enfans ont de coustume de vray dire; mais non pourtant il n'en fist pour ceste heure nul semblant et n'est encores venu à ma cognoissance se il differa la chose ou par ignorance ou par doubte d'esclandre.

petit grand vouloir de nommer, en ma petite ratelée, le conte Walerant, en son temps conte de saint Pot, et appelle le beau conte. Entre aultres ses seigneuries, il estoit seigneur d'un village en la chastellenie de Lisle nommé Vrelenchem, près du dit Lisle environ d'une lieue.

asoit que ès nouvelles dessus dictes les noms de ceulx et celles à qui elles ont touché et touchent ne soient mis n'escripz, si me donnemon ap"1 -1-

LA XXIVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE FiENNES.


Ce gentil conte, de sa bonne et doulce nature, estoit et fut tout son temps amoureux oultre l'enseigne. H sceut, au rapport d'aucuns ses serviteurs qui en ce cas le servoient, que au dit Vrelenchem avoit une très belle fille gente de corps et en bon point. Il ne fut pas si paresseux que, assez tost après ceste nouvelle oye, il ne se trouvast en ce village. Et feirent tant ses serviteurs, que les yeulx de leur maistre confermèrent de tout point leur rapport touchant la dicte fille « Or ça, qu'est-il defaire? dist lors le gentil conte; c'est force que je parle à elle entre nous deux seulement, et ne me chault qu'il me couste. L'un de ses servi teurs, docteur en son mestier, dit: « Monseigneur, pour vostre honneur et celuy de la fille aussi, il me semble qu'il vault mieux que je luy descouvre l'embusche de vostre vouloir et selon la response j'auray advis de parler et poursuyre. Comme l'aultre dist, il fut fait, car il vint devers la belle fille et très courtoisement la salua. Et elle, qui n'estoit pas mains sage ne bonne que belle, courtoisement luy rendit son salut. Pour abréger, après pluseurs parolles d'accointances, le bon macquereau va faire un grant premisse touchant les biens et les honneurs que son maistre luy vouloit et de fait, se à elle ne tenott, elle seroit cause d'enrichir et honorer tout son lignage. La bonne fille entendit tantost quelle heure il estoit, si feist sa response telle qu'elle estoit, c'est assavoir belle et bonne car, au regard de monseigneur le conte, elle estoit celle, son r~t m"


honneur saulve, qui luy vouldroit obéir, craindre et servir en toutes choses. Mais qui la vouldroit requerre contre son honneur, qu'elle tenoit aussi cher que sa vie, elle estoit celle qui ne le cognoissoit et pour qui elle ne feroit neant plus que le singe pour les mauvais. Qui fut esbahy et courroucé, ceste response oye, ce fut nostre va luy-dire, qui s'en revint devers son maistre à tout ce qu'il avoit de poisson, y car à char avoit-il failly. Il ne fault pas demander si le conte fut mai content quand il sceut la trèsfière et dure response de celle dont il desiroit l'accointance et joissance, et autant et plus que de nulle du monde. A chef de pièce va dire « Or avant, laissons la là pour ceste foiz; il m'en souviendra quant el cuidera qu'il soit oblié.)) Il se partit de là tantost après, et n'y retourna que les six sepmaines ne furent passées et quand il revint, ce fut si trèssecrètement que nouvelle nulle n'en fut en la ville, tant simplement et en tapinage s'i trouva. Il fist tant par ses espies qu'il sceust que nostre belle fille sayoit de l'erbe au coing d'un bois, asseulée de toutes gens; il fut bien joyeux, et, tout housé encores qu'il estoit, se mist au chemin devers elle, en la compaignie de ses espies. Et quand il fut près de ce qu'il queroit, il leur donna congé, et fist tant qu'il se trouva aaprès de sa dame sans ce qu'elle en sceust nouvelle sinon quand el le vit. S'elle fut soupprinse et esbahie de se veoir tenue et saisie de monseigneur le conte, ce ne fut pas merveilles mesme el en changea coleur, mua sem-


blant, et pour ung peu en perdit la parolle car elle savoit par renommée qu'il estoit perilleux et noiseux entre femmes. « Ha dya Madamoiselle, dit lors le gentil conte, qui se trouva saisy, vous estes à merveilles fière. On ne vous peut avoir sans siège. Or pensez bien de vous defendre car vous estes venue à la bataille et avant que de moy partez vous amenderez à mon vouloir et tout à ma devise des peines et travaulx que j'ay souffers et enduré tout pour l'amour de vous. Helas Monseigneur, ce dist la jeune fille, toute esbahye et soupprinse qu'elle estoit, je vous cry mercy Si j'ay dit ou fait chose qui vous desplaise, veillez le moy pardonner, et combien que je ne pense avoir dit ne fait chose dont me devez savoir mal gré. Je, ne scay, moy, qu'on vous a rapporté. On m'a requis en vostre nom de deshonneur; je n'y ay point adjousté de foy, car je vous tiens si vertueux que pour rien ne vouldriez deshonorer une vostre simple subgecte, que je suys, mesmes la vouldriez bien garder. -Ostez ce procès, dit monseigneur, et soyez seure que vous ne m'eschapperez si que vous auray monstré le bien que je vous veil et ce pourquoy j'envoyai par devers vous. » Et, sans plus dire, la trousse et prend entre ses braz, et dessus ung pou d'herbe mise en tas qu'elle avoit assemblé, souvyne la coucha et fort et roidde, et vistement faisoit ses preparatives d'accomplir le desir qu'il avoit de pieça. La jeune fille, qui se veoit en ce dangier et sur le point de perdre ce qu'en ce


monde trèschier tenoit, s'advisa d'un bon tour, et dist à monseigneur « Je me rends à vous je feray ce qu'il vous plaira sans nulz refus ne contredictz. Soiez plus content de prendre de moy ce qu'en vouldrez par mon accord et volunté, qui tant y puis et en doy bien requerre, que malgré moy vous paroultrez vostre vouloir desordonné. A dya'. dit monseigneur, que vous m'eschappez non que voulez vous dire ? Je vous requier, dit elle, puis qu'il il fault que vous obéisse, que vous me facez cest honneur que je ne soye pas souillée de voz bouleaux, qui sont et gras et ors, et vous suffise du surplus. Et comment en pourray-je faire ? ce dit monseigneur. Je les vous osteray, ce dit elle, très bien, s'il vous plaist; car, par ma foy, je n'aroye cueur ne courage de vous faire bonne chière avec ces paillards houseaulx. C'est peu de chose des houseaulx, ditmonseigneur; maisnon pourtant, puis qu'il vous plaist, il seront ostez. )) Et alors il abandonna sa prinse et se siet dessus l'erbe, et tend sa jambe et la belle fille luy oste l'esperon et puis luy tire l'un de ses houseaulx, qui bien estroiz estoient. Et quand il fut environ à moitié, à quoy faire elle eut moult de peine, pour ce que tout au propos le tira de mauvais bihès elle part et s'en va tant que piez la peuvent porter, aider et soustenir de bon vouloir, et là laissa le gentil conte et ne fma de courre tant qu'elle fut à l'ostel de son père. Le bon seigneur, qui se trouva ainsi deceu, s'il enragoit, plus n'en pouvoit; et qui à


ceste heure l'eust veu rire, jamais n'eust eu les fievres. A quelque meschef que'ce fut, se mist sur piez, cuidant parmarcher sur son houseau et par ce l'oster de sa jambe mais c'est pour neant il estoit trop estroict;' si n'y trouva aultre remède que de retourner vers ses gens. De sa bonne adventure, il n'eut pas loing allé quand il trouva ses bons disciples sur le bord d'un fossé qui l'attendoient, qui ne seurent que penser quand Hz le voyent ainsi atourné. Il leur compta tout son cas et se fist rehouser. Et qui l'oyoit, celle qui l'a trompé ne seroit pas se) [rement en ce monde, tant luy cuide et bien luy veult faire desplaisir. Quelque vouloir qu'il eust pour lors quelque mal content qu'il fust pour ung temps, tant qu'il fut ung peu refroidi, tout son courroux fut converty en cordiale amour. Et qu'il soit vray, depuis à son pourchaz et à ses chers coustz et despens il la fist marier trèsrichement et bien, à la contemplacion seullement de la franchise et loyaulté qu'en elle avoit trouvé dont il eut la vraye congnoissance par le refus icy dessus compté.


oster. Il est vray que au Quesnoy vint une belle fille naguères au prevost se complaindre de force et violance en elle perpétrée et commise par le vouloir desordonné d'un jeune compaignon. Ceste complaincte au prevost faicte, le compaignon encusé de ce crime fut en l'heure prins et saisi et, au dict du commun peuple, ne valoit guères mieulx que pendu au gibet, ou sans sa teste au vent sur une roe enmy les champs faire les monstres. La fille, voyant et sentant celuy dont elle se doutoit emprisonné, poursuyvoit roiddement le prevost qu'il luy en feist justice, et de ce que, oultre son gré et vouloir, violantement et par force on l'a deshonorée. Et le prevost, homme discret et sage et en justice trèsexpert, fist assembler les hommes et puis manda le prisonnier. Etaincois qu'il le feist venir devant les hommes desjà tout prest pour le juger, s'il confessoit par geheyne où aultrement l'orrible cas dont il estoit chargé, parla

a chose est si fresche et si nouvellement advenue dont je veil fournir ma nouvelle, que. je n'y puis ne tallier, ne roigner, ne mettre ne

LA XXVe NOUVELLE.

PAR PHILIPE DE SAINT YON.


à luy à part, et si le conjura de dire la vérité. « Véez cy telle femme, dist-I[, qui devous se complaint de force. Est-il ainsi ? L'avez vous efforcée!' Gardez que vous diez verité, car, si vous faillez, vous estes mort; mais si vous dictes vray, on vous fera grace. Par ma foy, monseigneur le' prevost, dist le prisonnier, je ne veil pas nyer ne celer que je ne l'aye pieca requise de son amour. Et de fait, avant hier, après pluseurs parolles, je la ruay sur ung lict pour faire ce que vous savez, et luy levay robe et chemise, et mon furon, qui jamajs n'avoit hanté larrier, ne savoit trouver la douyère de son conin, si ne faisoit qu'aller çà et là; mais elle, par sa courtoisie, luy dressa le chemin, et à ses propres mains le bouta tout dedans. Je croy trop bien qu'il ne partit pas sans proye,mais qu'il yeust entré à force, par mon serement, non eust. Est-il ainsi dit le prevost. Oy, par mon serement, dit le bon compaignon. Or bien, dist-il, nous en ferons trèsbien. » Après ces parolles, le prevost se vient mettre en siège pontifical à dextre et environné de ses hommes, et le bon compaignon fut mis et assis sur le petit banc 1 ou parquet, ce voyant tout le peuple et celle qui l'accusoit. «Or ça, m'amye, dit le prevost, que demandez vous à ce prisonnier ? –Monseigneur le prevost, dit-elle, je me plains à vous de la force que il m'a violée oultre mon gré et ma volunté, et malgré moy, dont je vous demande justice.'–Que respôndez vous, mon amyr dit le prevost au prisonnier.


Monseigneur, dist-il, je vous ay jà dit comment il en va, et je ne pense pas qu'elle dye au contraire. M'amie, dit le prevost, regardez bien que vous dictes et que vous faictes de vous plaindre de force. C'est grant chose. Véez cy qu'il dit qu'il ne vous fist oncques force, mesmes avez esté consentant et pou près requerant de ce qu'il a fait; et qu'il soit vray, vous mesmes adressastes et mistes son furon, qui s'esbatoit à l'entour de vostre duyere, à voz deux mains ou à tout l'une, tout dedens la duyere de vostre connin, laquelle chose il n'eust peu faire sans ceste vostre ayde et si vous y eussez tant pou soit resisté, jamais n'en fust venu à bout. Si son furon a fourragé l'esté!, il n'en peut mais, car, dès adonc qu'il est par eries ou duyere, il est hors de son chastoy. –Ha! monseigneur le prevost, dist la fille plainctive, comment l'entendez vous? H est vray, je ne le veille pas nyer, que voirement je prins son furon et le boutay en ma duyere, mais pour quoyfut ce? Par mon serement, monseigneur, il avoit la teste tant roidde et le museau tant dur, que je scay tout de vray qu'il m'eust fait ung grant pertus, ou deux ou trois, ou ventre, si je ne l'eusse bien à haste bouté en celuy qui y estoit davantage et véez là pourquoy je le feiz. » Pensez qu'il y eust grand risée, après la conclusion de ce procès, de ceulx de la justice et de tous les assistens. Et fut le compaignon delivré, promettant de retourner à ses journées quand sommé en seroit. Et la fille s'en


alla bien courroussée qu'on ne pendoit bien en haste et bien hault celuy qui avoit pendu à ses basses fourches. Mais ce courroux, ne sa roidde poursuite, ne dura guères, car, à ce qu'on me dist, tantost après par bons moyens la paix entre eulx si fut trouvée et fut'abandonnée au bon compaignon garenne, connin et duyere, toutesfoiz et quantes que chasser y vouldroit.

pour fournir une nouvelle ne doit pas estre rebouté. Et, affin qu'il soit enregistré et en apert congneu et declaré, il fut tel A l'ostel d'un grant baron du pais demouroit et residoit ung jeune, gent et gracieux gentilhomme, nommé Gerard, qui s'enamoura trèsfort d'une damoiselle de leans nommée Katherine. Et, quand il vit son cop, il luy osa bien dire son gracieux et piteux cas. La response qu'il eut de prinsault, chacun la peut penser et savoir, que pour abreger je trespasse, et vien ad ce

n la duché de Brabant, n'a pas long temps que la memoire n'en soit fresche et presente à ceste heure, advint ung cas digne de reciter; et .1_

LA XXVIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE FOQUESSOLES, DE LA CHAMBRE DE MONSEIGNEUR.


que Gerard et Katherine par succession de temps s'entr'amèrent tant fort et si loyalement qu'ilz n'avoient qu'un seul cueur et ung mesme vouloir. Ceste entière, leale et parfaicte amour ne dura pas si peu que les deux ans ne furent accompliz et passez à chef de ceste pièce de temps, amour, qui bande les yeulx de ses serviteurs, les bouscha si trèsbien que là où ilz cuidoient le plus secretement de leurs amoureux affaires conclure et deviser, chacun s'en parcevoit et n'y avoit homme ne femme à l'ostel qui trèsbien ne s'en donnast garde mesmement fut tant la chose escriée qu'on ne parioit par leans que des amours Gerard et Katherine. Mais, hélas! les pouvres aveugles cuidoient bien seulz estre empeschez de leur besoigne, et ne se doubtoient guères qu'on en tenist conseil ailleurs qu'en leur presence où le troiziesme de leur gré n'eust pas esté receu sans leur propos changer et transmuer. Tant au pourchaz d'aucuns maudictz et detestables envieux que pour la continuelle noise de pluseurs qui ne scevent taire ce qui rien ou pou ne leur touche, vint ceste matière à la congnoissance du maistre et de la maistresse des deux amans, et d'iceulx s'espandit et saillit en audience du père et de la mère de Katherine. Si luy escheut si trèsbien que par une damoiselle de leans, sa trèsbonne compaigne et amye, elle fut advertie et informée du long et du large de la descouverture des amours de Gerard et d'etie, tant à monseigneur son père et à ma'dame sa mère comme à monseigneur et à ma-


dame de leans. « Hélas! qu'est-il de faire, ma bonne seur et m'amye ? dit Katherine. Je suis femme denaicte, puis que mon cas est si manifeste que tant de gens le scevent et en devisent. Conseillez moy, pour Dieu, ou je suis femme perdue et plus que aultre desolée et mal fortunée. Et, à ces motz, larmes à tant saillirent de ses yeulx et descendirent au ,long de sa belle et clère face jusques bien bas sur sa robe. Sa bonne compaigne, ce voyant, fut très marrie et desplaisante de son ennuy, et pour la conforter luy dist « Ma seur, c'est folie de mener tel dueil et si grand car on ne vous peut, la Dieu mercy, reproucher de chose qui touche vostre honneur, ne celuy de voz amys. Si vous avez entretenu ung gentilhomme en cas d'amours, ce n'est pas chose defendue en la court d'honneur, mesme est la sente et la vraye adresse de y parvenir; et pour ce vous n'avez cause de douloir, et n'est ame vivant qui à la verité vous en puisse ou doyve charger. Mais toutesfoiz il me sembleroit bon, pour estaindre la noise de pluseurs parolles qui courent aujourduy à l'occasion de vos dictes amours, que Gerard, vostre serviteur, sans faire semblant de rien, prensist ung gracieux congié de monseigneur et de madame, colorant son cas ou d'aller en ung loingtain voyage ou en quelque guerre apparente et soubz cest umbre s'en allast quelque part soy rendre en ung bon hostel, attendant que Dieu et amours aront disposé sur voz besoignes et luy arresté, vous face savoir de


son estat, et par son mesme message lui ferez savoir de voz nouvelles: Et par ce point s'appaisera le bruit qui court à present, et vous entreamerez et entretiendrez l'un l'aultre par lettres, attendans que mieulx vous vienne. Et ne pense point pourtant que vostre amour doive cesser, ancois de bien en mieulx se maintiendra, car par longue espace vous n'avez eu rapport ne nouvelle, chacun de sa partie, que par la relacion de vos yeulx, qui ne sont pas les plus eureux de faire les plus seurs jugemens, mesmes à ceulx qui sont te-nuz en l'amoureux servage. » Le gracieux et bon conseil de ceste gentilfemme fut mis en œuvre et à effect, car au plus tost que Katherine sceut trouver la fasson de parler à Gerard son serviteur, elle en bref luy compta comment l'embusche de leurs amours estoit descouverte et venue desjà à la cognoissance de monseigneur son père et de madame sa mère, et de monseigneur et de madame de leans. « Et créez, dit-elle, avant qu'il soit venu si avant, ce n'a pas esté sans passer l'abbayt au pourchaz des rapporteurs devant tous ceux de ceans et de pluseurs voisins. Et pour ce que fortune ne nous est pas si amye de nous avoir permis longuement vivre si glorieusement que en notre estat encommancé, et si nous menace, advise, et forge et prepare encores plus grans destourbiers, si ne pourveons à l'encontre, il nous est mestier, et utile et necessité d'avoir advis bon et hastif. Et car le cas beaucop me touche et plus que


à vous, quant au dangier qui sourdre s'en pourroit, sans vous desdire je vous diray mon opinion. » Lors luy va compter de chef en bout le conseil et advertissement de sa bonne compaigne. Gerard, desjà ung peu adverty de ceste maudicte adventure, plus desplaisant que si tout le monde fust mort, mis hors de sa dame_, respondit en telle manière « Ma leale et bonne maistresse, véez cy vostre humble et obeissant serviteur, qui après Dieu n'ayme rien en ce monde si lealement que vous; et suis celuy à qui vous povez ordonner et commender tout ce que bon vous semble, et qui vous vient à plaisir, pour estre lyement et de bon cueur sans contredit obéye. Mais pensez qu'en ce monde ne me pourra pis advenir quant il fauldra que j'esloigne vostre trèsdesirée presence. Helas! s'il fault que je vous laisse, il ne m'est pas advis que les premières nouvelles que vous arez de moy, ce sera ma doulente et piteuse mort adjugée et exécutée à cause de vostre esloignier; mais, quoy que soit, vous estes celle et la seulle vivante que je veil obéyr, et ayme trop plus cher la mort en vous obéissant qu'en ce monde vivre, voire estre perpetuel, non acomplissant vostre noble commendement. Véez cy le corps de celuy qui est tout vostre taillez, roignez, prenez, ostez faictes tout ce qu'il vous plaist. )) Si Katherine estoit marrye et desplaisante d'oyr son serviteur qu'elle amoit plus que aultre loyalement, le voiant aussi plus troublé que dire on ne vous pourroit, il


ne le fault que penser et non enquerre et, si ne fust pour la grant vertu que Dieu en elle n'avoit pas oblyé de mettre largement et à comble, elle se fust offerte de luy faire compaignie en son voyage mais, esperant de quelque jour recouvrer ad ce que trèseureusement faillit, le retira de ce propos, et à chef de pièce si dist « Mon amy, c'est force que vous eloignez; si vous prie que vous n'obliez pas celle qui vous a fait le don de son cueur, et affin que vous aiez courage de mieulx soustenir la trèscrueuse et horrible bataille que raison vous livre et amaine à vostre doloreux departement, encontre vostre vouloir et desir, je vous promectz et asseure, sur ma foy, que tant que je vive aultre homme n'aray espousé de ma volunté et bon gré que vous, voire tant que me serez loyal et entier, que j'espere que vous serez. Et en approbacion de ce, je vous donne ceste verge, qui est d'or esmaiHée de larmes noires. Et, si d'adventure on me vouloit aiUeurs marier, je me defendray tellement et tiendray telz termes que vous devrez de moy estre content, et vous monstreray que je vous veil tenir sans faulser ma promesse. Or je vous prie que tantost que vous serez arresté, où que ce soit, que m'escrivez de voz nouvelles, et je vous rescriray des miennes. Ha! ma bonne maistresse, ce dit Gerard, or voy-je bien qu'il fault que je vous abandonne pour ung espace. Je prie à Dieu qu'il vous doint plus de bien et plus de joye qu'il ne m'appartient d'en avoir. Vous m'avez fait de vostre


grace, non pas que j'en soye digne, une si haulte et honorable promesse, qu'il n'est pas en moy de vous en savoir seullement et suffisamment mercier. Et encores ay-je mains le povoir de le deservir; mais pourtant ne demeure pas que je n'en aye bien la parfecte cognoissance, et si vous ose bien faire la pareille promesse, vous suppliant trèshumblement et de tout mon cueur que mon bon et loyal vouloir me soit reputé de tel et aussi grand merite que s'il partist de plus homme de bien que moy. Et adieu, ma dame; mes yeulx demandent leur tour d'audience, qui couppent à ma langue son parler. » Et à ces motz la baisa, et elle luy trèsserrément, et puis en allèrent chacun en leur chambre plaindre ses douleurs, Dieu scet plorant des yeux, du cueur et de la teste. Au fort, à l'heure qu'il se faillit monstrer, chacun s'efforca de faire aultre chère de semblant et de bouche que le desolé cueur ne faisoit. Et pour abreger, Gerard fist tant en peu de jours qu'il obtint congé de son maistre, qui ne fut pas trop difficile à impetrer, non pas pour faulte qu'il eust faicte, mais à l'occasion des amours de luy et de Katherine, dont les amys d'elle estoient mal contens, pour tant que Gerard n'estoit pas de si grand lieu ne de si grande richesse comme elle estoit; et pour ce doubtoient qu'il ne la fiançast. Ainsi n'en advint pas, et si se partit Gerard, et fist tant par ses journées qu'il vint ou pays de Barrois, et trouva retenance en l'ostel d'un grand baron du pais. Et luy arresté, tantost manda et fist


savoir à sa dame de ses nouvelles, qui en fut très joyeuse, et par son message mesmes luy rescripsit de son estat et du bon vouloir qu'elle avoit et aroit vers luy tant qu'il veille estre loyal. Or vous fautt-il savoir que, tantost que Gerard fut parti de Brabant, pluseurs gentilzhommes, escuyers et chevaliers, se vindrent accointer de Katherine, desirans sur toutes aultres sa bienveillance et sa grace, qui, durant le temps que Gerard servoit et estoit present, ne se monstroient n'apparoient, sachant de vray qu'il alloit devant eulx à l'offerende. Et de fait pluseurs la requisrent à monseigneur son père de i'avoir en mariage et entre aultres y en vint ung qui luy fut agréable. Si manda pluseurs ses amis et sa fille aussi, et leur remonstra comment il estoit desja ancien, et que ung des grans plaisirs qu'il pourroit en ce monde avoir, ce seroit de veoir sa fille en son vivant bien allyée. Leur dist au surplus « Ung tel gentilhomme m'a fait demander ma fille. Ce me semble trèsbien son fait, et si vous le me consentez et ma fille me veille obéir, il ne sera pas escondit en sa trèshonorable et raisonable requeste. H Tous ses amis et parens loèrent et accordèrent beaucop ceste aliance, tant pour les vertuz, richesses et aultres biens du dit gentilhomme. Et, quant vint à savoir la volunté de la bonne Katherine, elle se cuidoit excuser de non soy vouloir marier, remonstrant et allegant pluseurs choses dont elle se cuidoit desarmer et eslonger ce mariage; mais en la parfin elle fut ad ce menée que s'elle ne vouloit


estre en la male grace de père, de mère, de parens, de amis, de maistre et de maistresse, qu'elle ne tiendroit point la promesse qu'elle avoit faite à Gerard son serviteur. Si s'advisa d'un trèsbon tour pour contenter tous ses parens, sans enfraindre la loyaulté qu'elle veult tenir à son serviteur, et dit « Mon trèsredoubté seigneur et père, je ne suis pas celle qui vous vouldroye en manière du monde désobéir, voire sans la promesse que j'aroie faicte à Dieu mon createur, de qui je tiens plus que de vous. Or est-il ainsi que je m'estoye en luy resolue, et proposé et promis luy avoie en mon cueur, non pas de jamais moy marier, mais de le non faire encore, ne encore, attendant que par sa grace enseigner me voulsist cest estat, ou aultre plus seur, pour saulver ma pouvre ame. Neantmains, pource que je suis celle qui pas ne veil troubler, où je puisse bonnement à l'encontre, je suis contente d'emprandre l'estat de mariage, ou aultre tel qu'il vous plaira, moyennant qu'il vous plaise me donner congié aincois faire ung pelerinage à saint Nicolas de Warengeville, lequel j'ay voué et promis avant que jamais je change l'estat où je suis. » Et ce dit-elle affin qu'elle puisse veoir son serviteur en chemin et luy dire comment elle estoit forcée et menée contre son veil. Le père ne fut pas moyennement joyeux d'oyr le bon vouloir et la sage response de sa fille, et luy accorda sa requeste, et prestement voult disposer de son partement, et desjà disoit à madame sa femme, sa fille


presente « Nous luy baillerons ung tel gentilhomme, ung tel et ung tel; Ysabeau, et Margarite, et Jehanneton; c'est assez pour son estat.- Ha! Monseigneur; dit Katherine, nous ferons aultrement, s'il vous plaist. Vous savez que le chemin de cy à saint Nicolas n'est pas bien seur, mesmement pour gens qui mainent estat et conduisent femmes et à quoy on doit bien prendre garde, je n'y saroie ainsi aller sans grosse despence, et aussi c'est une grande bée, et s'il nous advenoit meschef ou d'estre prins ou destroussez de biens ou de nostre honneur, que jà Dieu ne veille! ce seroit un merveilleux desplaisir. Si me semble bon, sauve toutesfoiz vostre bon plaisir, que me feissez faire ung habillement d'homme et me baillassez en la conduicte de mon oncle le bastard, chacun monté sur ung petit cheval. Nous irons plus tost, plus seurement et à mains de despense; et, si ainsi le vous plaist faire, je l'entreprendray plus hardiement que d'y aller en estat. » Ce bon seigneur pensa ung peu sur l'advis de sa fille 'et en parla à madame sa femme si leur sembla que l'ouverture qu'elle faisoit luy partoit d'ung grand sens et de bon vouloir. Si furent ses choses prestes tantost pour partir, et ainsi se misrent au chemin, la belle Katherine et son oncle le bastard, sans aultre compaignie, habillez à la fasson d'Allemagne, bien et gentement, et estoit Katherine le maistre, et l'oncle le varlet. Ilz firent tant par leurs journées que leur pelerinage voire de saint Nicolas, fut


acomply. Et comme ilz se mettoient au chemin de retour, loans Dieu qu'iiz n'avoient enc_ores eu que tout bien, et devisans de pluseurs aultres choses, Katherine va dire à son oncle « Mon oncle, mon amy, vous savez qu'il est à moy, la mercy Dieu, qui suys seulle héritière, de monseigneur mon père, de vous faire beaucop de biens, laquelle chose je féray voluntiers, quand en moy sera, si vous me voulez servir en une menue queste que j'ay entreprinse c'est d'aller en l'ostel d'ung seigneur de Barrois, qu'elle luy nomma, veoir Gerard, que vous savez. Et affin que, quant nous reviendrons, puisse compter quelque chose de nouveau, nous demanderons leans retenance et, si nous la povons obtenir, nous y serons par aucuns jours et verrons le pays et ne doubtez que je n'y garde mon honneur, comme une bonne fille doit faire. » L'oncle esperant que mieulx luy en seroit cy après, et qu'el est si bonne qu'il n'y fault jà guet sur elle, fut content de la servir et de l'accompagner en tout ce qu'elle vouldra. Il fut beaucop mercyé, ne doubtez; et dès lors conclurent qu'il appellera sa niepce Conrard. Ilz vindrent assez tost, comme on leur enseigna, ou lieu desiré, et s'adrecèrent au maistre d'os~ tel du seigneur, qui estoit ung ancien escuyer, qui les receut, comme estrangiers, trèstyement et honorablement. Conrard luy demanda si monseigneur son maistre ne vouldroit pas )e service d'un jeune gentilhomme qui queroit adventure et demandoit à veoir pais. Le mais-


tre d'ostel demanda dont il estoit, et il luy dist qu'il estoit de Brabant. « Or bien, dist-it, vous viendrez disner ceans, et après disner j'en parleray à monseigneur. » Il les fist tantost conduire en une trèsbelle chambre, et envoya couvrir la table et faire beau feu et apporter la souppe, et la pièce de mouton, et le vin blanc, attendant le disner. Et s'en ala devers son maistre, et luy compta la venue d'un jeune gentilhomme de Brabant, qui le vouldroit bien servir. Le seigneur estoit content, si luy semble bien son fait. Pour abreger, quand il eut servy son maistre, il s'en vint devers Conrard pour luy tenir compaignie au disner, et avecques luy amena, pour ce qu'il estoit de Brabant, le bon Gerard dessus nommé, et dist à Conrard « Véez cy ung gentilhomme de vostre pays. H soit le trèsbien trouvé, dist Conrard. Et vous le trèsbien venu », ce dit Gerard. Mais créez qu'il ne recognut pas sa dame, mais elle luy trèsbien. Durant que ces accointances se faisoient, la viande fut apportée, et s'assiet après le maistre d'ostel chacun en sa place. Ce disner dura beaucop à Conrard, esperant après d'avoir de bonnes devises avec son serviteur, mais pensant aussi qu'il la recognoistra tantost, tant à la parolle comme aux responses qu'elle luy fera de son pais de Brabant mais il ala tout aultrement, car oncques durant le disner le bon Gerard ne demanda après homme ne femme de Brabant, dont Conrard ne savoit que penser. Ce disner fut passé, et après disner monseigneur retint


son service. Et [e maistre d'esté!,

Conrard en son service. Et le maistre d'esté!, trèssachant homme, ordonna que Gerard et Conrard, pour ce qu'ilz sont d'un pays, auroient chambre ensemble. Après ceste retenue, Gerard et Conrard se prennent à braz et s'en vont veoir leurs chevauix; mais à deaMe Gerard s'il parla oncques ne demanda rien de Brabant. Si se print à doubter le pouvre Conrard, c'est assavoirlabelle Katherine, qu'elle estoit mise avec les pechez obliez, et que, s'il en estoit rien à Gerard, il ne se pourroit tenir qu'il n'en demandast, ou au mains du seigneur et de la dame où elle demouroit. La pouvrette estoit, sans guères le monstrer, en grant destresse de cueur, et ne savoit lequel faire, ou de soy encores celer et l'esprouver par subtilles paroles, ou de soy prestement faire cognoistre. Au fort, elle s'arresta que encores demourra Conrard et ne deviendra pas Katherine, si Gerard ne tient aultre manière. Ce soir se passa comme le disner, etvindrent en leur chambre Gerard et Conrard, parlans de beaucop de choses, mais il n'y venoit nulz propos en termes que pleussent à Conrard. Quand elle vit qu'il ne dira rien si on ne luy mect en bouche, elle luy demanda de quelz gens il estoit de Brabant, et il en respondit ce que bon luy sembla. « Et congnoissez-vous pas, dit-elle, ung tel seigneur, et une telle dame, et ung tel ?Saint Jehan! oy, dit-il. » Et au derrenier elle luy nomma le seigneur où ilz demouroient. Et il dist qu'il le cognoissoit bien, sans dire qu'il y eust demeuré. «On dit, ce dit-elle, qu'il y


a de belles filles leans; en cognoissez-vous nulles ? – Bien peu, dit-il, et aussi il ne m'en chault; laissez-moy dormir, je meurs de somme. Comment, dit-elle, povez-vous dormir quand on parle de belles filles ? Ce n'est pas signe que vous soiez amoureux. » II ne respondit mot, mais s'endormit comme ung pourceau; et la pouvre Katherine se doubta tantost de ce qui estoit, mais elle conclud qu'elle l'esprouvera plus avant. Quant vint à i'endemain, chascun s'abilla, parlant et devinant, de ce que plus luy estoit, Gerard de chiens et d'oiseaulx Conrard des belles filles de leans et de Brabant. Quand vint après disner, Conrard fist tant qu'il destourna Gerard des aultres, et luy va dire que le pais de Barrois desjà luy desplaisoit, et que vraiement Brabant est toute aultre marche, et en son langage luy donna assez à cognoistre que le cueur luy tiroit fort devers Brabant. « A quel propos ? ce dit Gerard que voiez-vous en Brabant qui n'est icy ? et n'avez vous pas icy les belles forestz pour la chasse, les belles nvieres, les belles plaines tant plaisantes que à souhaiter, pour le deduyt des oyseaulx en temps de gibier et aultre ? Encores n'est ce rien, ce dit Conrard les femmes de Brabant sont bien aultres, qui me plaisent bien autant et plus que voz chasses et voteries. -Saint Jehan c'est aultre chose, ce dit Gerard; vous y seriez hardyement amoureux en vostre Brabant, je l'oz bien.–-Par ma foy, ce dit Conrard il n'est jà mestier qu'il vous soit celé, je y suis amou-


reux voiremént. Et à ceste cause m'y tire te cueur tant roiddement et si fort que je faiz doubteque force me sera d'abandonner vostre Barrois, car il ne me sera pas possible à la longue de longuement vivre sans veoir ma dame.-C'est folie donc, ce dit Gerard, de l'avoir laissé, si vous vous sentez si inconstant.–Inconstant! mon amy; etouestceluy qui puist mestrier loyaux amoureux? !l n'est si advisé ne si sage qui s'i sache souvent conduire. Amours bannist souvent de ses servans et sens et raison. Ce propos sans plus avant le deduire se passa, et fut heure de souper et ne se reatelèrent à deviser tant qu'ilz. furent au lict couchez. Et créez que de par Gerard jamais n'estoit nouvelle que de dormir, se C.onrard ne l'eust assailly de procès. qui commença une piteuse, longue etdotoreuse plaincte: après sa dame, que je passe pour abréger. Et si dit en la fin « Hélas Gérard, et comment povez-vous avoir envye de~ dormir emprès de moy qui suis tant eveillé, qui n'ay esperit qui ne soit plain de rëgre.tz, d'ennuy et de soucis? C'est merveille que vous n'en estes ung peu touché; et créez, si .c'estbit maladie contagieuse, vous ne seriez pas sëurement si près sans avoir des. esclabotures.HeIas! je vous prie si vous n'en sentez nulles, aiez au mains compassion de moy qui meurs sur bout si je ne voy bien bref madame.–Je ne vy jamais si fol amoureux, ce dit Gérard et pensez vous que je n'aye point este amoureux? Certes je sçay bien que c'est, car j'ay passé


par là comme vous, certes si ay; mais je ne fuz oncques si enragé que d'en perdre le dormir ne la contenance, comme vous faictes à present vous estes beste, et ne prise point votre amour ung blanc. Et pensez-vous qu'il en soit autant à vostre dame? Nenny, nenny. Je suis tout seur, ce dit Conrard, que si elle est trop loyalle pour m'oblier. A dya, vous direz ce que vous vouldrez, ce dit Gerard, mais je ne croiray jà que femmes soient si loyalles que pour tenir telz termes et ceulx qui le cuident sont parfaiz coquars. J'ay amé comme ung aultre, et encores en ayme Je bien une. Et pour vous dire mon fait, je party de Brabant à l'occasion d'amours, et à l'heure de mon partement j'estoie bien avant en la grace d'une trèsbelle, bonne et noble fille, que je laissay à trèsgrant regret; et me despleut beaucop par auçuns pou de jours d'avoir perdu sa presence, non pas que j'en laissasse le dormir, ne boire, ne menger, comme vous. Quand je me vy ainsi d'elle eloigné, je vouluz user pour remède du conseil d'Ovide, car je n'eu pas si tost accointance ne entrée ceans que je ne priasse une des belles filles qui y soit; et ay tant fait, la Dieu mercy! qu'elle me veult beaucop de bien, et je l'ayme beaucop aussi. Et par ce point me suys-je deschargé de celle que par avant amoye, et ne m'en est à present non plus que celle qu'oncques ne viz, tant m'en a rebouté ma dame de present. Et comment, ce dit Conrard, est-il possible, si vous amiez bien l'aultre, que vous la puissez


si tost oublier et abandonner? Je ne le sçay entendre, moy, ne concepvoir comment il se peut faire. – H s'est fait toutefoiz, ce dit Gérard entendez le si vous voulez. Ce n'est pas bien gardé loyauté, ce dit Conrard quant à moy, j'aymeroie plus cher morir mille foizj si possible m'estoit, que d'avoir fait à ma dame si grande faulseté. Et jà Dieu ne me laisse tant vivre que j'aye non pas tant seulement le vou~ loir ne une seule, pensée de jamais amer ne prier aultre qu'elle.. Tant estes vo.us plus beste, ce dit Gerard, et si vous maintenez ceste folie, jamais vous n'arez bien et ne ferez que songer et muser, et sécherez sur terre comme la belle herbe dedans ie four chautt, et serez homicide de vous mesmes et si n'en ares jà gré mesme, que., plus est, vostre dame n'en fera que rire, si vous estes si eureux qu'il vienne sa cognoissance. Comment ce dit Conrard ,vous savez d'amours bien avant; je vous requier doncques que vei)lez. estre mon moien céans ou auhre part que je face dame par amours, asavoir mon si je pourroie garir; comme vous,. Je vous diray, ce dit Gerard, je vous feray demain deviser. ma dame, et aussi je tuy diray que nous sommes compaignons et qu,'elle face vostre besoigne à sa.compaigne et je ne doubte point que, si vous_vou-, lez, qu'encores n'ayons du bon temps, et que bien bref se.passera la resverie qui vous affole, voire si à vous ne tient. -Si ce n'estoit fautser mon serment à ma dame, je le desireroye beauçop, ce dit Conrard mais au.fort~'essa.)e-


ray comment il m'en prendra. )) Et à ces motz se retourna Gerard et tantost s'endormit. Et la trèsbelle Katherine estoit de mal tant oppressée, voyant et oyant la desloyauté de celuy qu'elle aymoit plus que tout le monde, qu'elle se souhaitoit morte. Non pourtant elle adossa la tendreur feminine, et s'adouba de virile vertu. Car elle eut bien la constance de longuement et largement lendemain deviser avecques celle qui luy faisoit tort de la rien au monde que plus cher tenoit; mesmes forsa son cueur, et ses yeulx fist estre notaires de pluseurs entretenances à son trèsgrand et mortel préjudice. Comme elle estoit en parolles avecques sa compaigne, eHe apperceut la verge que au partir donna à son desloyal serviteur, qui luy parcreut ses doleurs mais elle ne fut pas si fote, non pas par convoitise de la verge, qu'elle ne trouva bonne gracieuse fasson de la regarder et bouter en son doy. Et sur ce point. comme non y pensant, se part et s'en va. Et tantost que le souper fut passé, elle vint à son oncle et lui dit « Nous avons assez esté Barroisiens, il est temps de partir; soiez demain prest au point dù jour, et aussi seiay-je. Et regardez que tout nostre bagage soit bien attinté. Venez si matin qu'il vous pfaist.– Une vous fauldra que monter )), répondit l'oncle. Or devez vous savoir que tantdis, puis souper, que Gerard devisoit avec sa dame, cet)ë qui fut s'en vint en sa chambré et se mect à escripre unes lettres qui narroieht tout du long et du lé tes amours d'elle et Gerard, comme les pro-


messes qu'ilz s'entrefirent au departir, comment on l'avoit voulue marier, le refus qu'elle en fist, et le pelerinage qu'elle emprinst pour sauver son serinent et se rendre à luy la desloyaulté dont elle l'a trouvé saisy, tant de bouche comme découvre et dé fait. Et pour les causes dessus dictes, elle se tient pour acquittée et désobligée de son serment et promesse qu'elle jadiz luy ns~. Et s'en va vers son pais, et ne le quiert jamais ne veoir, ne rencontrer, comme le plus desloyal qu'il est qui jamais priast femme. Et si emporte la verge qu'elle luy donna, qu'il avoit desjà mise en main séquestre. Et si se peut bien vanter qu'il a couché par trois nuiz au plus près d'elle s'il y a que bien, si le dye, car elle ne le craint. Escript de la main de celle dont il peut bien co~ gnoistre la lettre, et au dessoubz: « Katherine, etc., surnommée Conrard » et sur le dos « Au desloyal Gerard, etc. Elle ne dormit pas* guères la nuyt, et aussitost qu'on'vit du jour; elle se leva tout doulcement,ets'abilla sans ce qu'oncques Gerard s'en eveillast, et prend sa lettre qu'elle avoit bien close et fermée, et la bouta'en la manche du pourpoint de Gerard et à Dieu le cômmenda tout en basset; en plorant tendrement, pour le grand deuil qu'elle avoit du tresfàulx tour qu'il luy avoit joué.Gérard, qui dormoit,.motnëluy rëspondit. Elle s'en vint devers son onelé, qui luy bailla son cheval, et elle monte et puis tire pais tant qu'ilz vindrent en Brabant, où ilz furent receuz joyeusement. Dieu le scet. Et fut bien qui leur


demanda des adventùres de leur voyage mais quoy qu'ilz respondissent, ilz ne se vantèrent pas de la principale. Pour parler comment il advint à Gerard quant vint le jour du partement de la bonne Katherine, environ dix heures, il s'esveilla, et regarde que son compaignon estoit levé; si pensa qu'il estoit tard si sault sus tout en haste et saisit son pourpoint; et comme il boutoit son'bras dedans l'une des manches, il en saillit une lettre, dont il fut assez esbahy, car il ne luy souvenoit pas que nulles y en eust bouté. Il les releva toutesfoiz, et voit qu'elles sont fermées et avoit au dos escript « Au desloyal Gerard, etc. )) Si par avant fut esbahy, encores le fut-il beaucop plus. A chef de pièce, il les ouvrit et voit la soubscription qui disoit Katherine surnommée Conrard. Si ne scet que penser; il les leut neantmains; en lysant le sang luy monte et le cueur luy fremist, et devint tout aheré de manière et de coleur. A quelque meschef que ce fut, il escheva de lyre sa lettre, par laquelle il cogneut que sa desloyaulté estoit venue à la cognoissance de celle qui luy vouioit tant de bien non qu'eue sceust estre tel au rapport d'aultruy, mais elles mesmes en personne en a la vraye informacion; et, qui plus près du cueur luy touche, il a Goucbé trois nuiz avec elle sans l'avoir guerdonnëe de la peine qu'elle avoit prinse que de si loing le venir esprouver. H ronge son frain aux dens et tout vif enrage quand il se voit en celle peletérie. Et après beaucop d'advis, il ne scet aultre remède que


de la suyvir et bien lui semble qu'il la ïataindra. Si prent congié de son maistre, et se met à la voie suyvant le froissie des chevaulx de ceulx qu'oncques ne rataindit jusques ad ce qu'ilz fussent en Brabant, où il vint si à point que c'estoit le jour des nopçes de celle qui l'a esprouvé. Laquelle il cuida bien aller baiser et saluer, et faire une orde excusance de ses faultes mais il ne luy fut pas souffert, car elle luy tourna I'espaule et ne sceut tout ce jour ne oncques puis trouver manière ne fasson d'avoir devises avec elle. Mesmes il s'avanca une foiz pour la mener dancer, mais elle le refusa plainement devant tout le monde, dont pluseurs se prindrent garde. Ne demoura guères après que ung aultre gentilhomme entra dedans, qui fist corner les menestrielz, et s'avança par devant elle et elle descendit, voyant Gérard et s'en a!a dancer. Ainsi qu'avez oy perdit le desloyal sa femme. S'il en est encores de telz, ils se doivent mirer à cest exemple, qui est notoire et advenu depuis naguères.

compaignie des gentilz compaignons. Et à

e n'est pas chose pou accoustumée, especialement en ce royaume que les belles dames et damoiselles se treuvent voluntiers et souvent en la '.1 1

LA XXVIle NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE BEAUVOIR.


l'occasion des bons et joyeux passetemps qu'elles ont avec eulx, les gracieuses et doulces requestes qu'ilz leurs font ne sont pas si difficiles à impetrer. A ce propos, n'a pas long temps que ung trèsgentil homme qu'on peut mettre ou renc et du compte des princes, dont je laisse le nom en ma plume, se trouva tant en la grace d'une trèsbelle damoiselle qui mariée estoit, dont le bruit n'est pas si pou cogneu que le plus grand maistre de ce royaume ne se tenist trèseureux d'en estre retenu serviteur, laquelle luy voult de fait monstrer le bien qu'elle luy vouloit. Mais ce ne fut pas à sa première volunté, tant l'empeschoient les anciens adversaires et ennemis d'amours. Et par espécial plus luy nuysoit son bon mary, tenant le lieu en ce cas du trèsmaudit Dangier car, si ne fust-il, son gentil serviteur n'eust pas encores à luy tollir ce que bonne'ment et par honneur donner ne luy povoit. Et pensez que ce serviteur n'estoit pas moyennement mal content de ceste longue attente, car l'achevement de sa gente chasse luy estoit plus grand eur et trop plus désiré que nul aultre quelconque bien qui luy povoit jamais advenir. Et à ceste cause tant continua son pourchaz que sa dame luy dist « Je ne suis pas mains desplaisante que vous, par ma foy, .que je ne vous puiz faire aultre chère mais vous savez, tant que mon mary soit céans, force est qu'il soit entretenu. Helas dist-il et n'est-il moien qui se puisse trouver d'abreger mon dur et cruel martire ? » Elle qui, comme


dessus est dit, n'estoit pas en maindre desir de se trouver à part avec son serviteur que luy mesme, luy dit « Venez ennuyt, à certaine heure, qu'elle luy baillast, hourter à ma chambre; je vous feray mettre dedans, et trouveray fasson d'estre delivrée de mon mary, si fortune ne destourne mon emprinse. » Le serviteur n'oyt jamais chose qui mieulx luy pleust; et, après les mercimens gracieux et deuz en ce cas, .dont il estoit bon maistre et ouvrier, se part d'elle, et s'en va, attendant et désirant l'heure assignée. Or devez vous savoir que environ une bonne heure, ou plus ou mains, devant l'heure assignée dessus dicte, nostre gentille damoiselle, avec ses femmes et son mary, qui va derrière, pour ceste heure estoit en sa chambre retraicte puis le souper et n'estoit pas, creez, son engin oiseux, mais labouroit à toute force pour fournir la. promesse à son serviteur; maintenant pensoit d'un, puis maintenant d'un aultre, mais rien ne luy venoit à son entendement qui peust éloigner ce maudit mary et toutesfoiz approuchoit fort l'heure trèsdésirée. Comme elle estoit en ce profond penser, fortune luy fut si trèsamye que mesme son mary donna le trèsdoulx advertissement de sa dure cheance et male adventure, convertie en la personne de son adversaire c'est assavoir du serviteur dessus dit, en joye non pareille, déduit, solaz et lyesse très accomplie. Et veez cy la fasson. Le pouvre mary, voyant sa femme ung peu muser et ententivemeYit penser,.et ne savoit à qui ne à quoy, la regar-


doit trèsfort, puis l'une puis l'autre des femmes de leans, et aucunes foiz par la chambre. Tant regarda sans mos dire qu'il perceut d'adventure au pié de la couchette ung bahu qui estoit à sa femme. Et affin de la faire parler et Poster hors de son penser, demanda de quoy servoit ce bahu en la chambre et à quel propos on ne le portoit point en la garderobe ou en quelque aultre lieu, sans en faire leans parement. « Il n'y a point de peril, Monseigneur, ce dit madamoiselle ame ne vient icy que nous aussi je l'y ay fait laissier tout à propos pour ce qu'encores sont aucunes de mes robes dedans mais n'en soiez jà mal content, mon amy; ces femmes l'osteront tantost. Mal content dit-il nenny, par ma foy; je l'aymé autant icy que ailleurs, puis qu'il vous plaist mais il me semble bien petit pour y mettre voz robes bien à l'aise, sans les froisser, attendu les grandes et longues queues qu'on fait aujourd'huy. Par ma foy, Monseigneur, dit-elle, il est assez grand. Il ne le me peut sembler vraiement dit-il et le regardez bien. Or ça, Monseigneur, voulez faire un gage à moy ? Oy vraiement dit-il quel sera-il ? Je gageray à vous, s'il vous plaist, pour une demye douzaine de bien fines chemises encontre le satin d'une cotte simple, que nous vous bouterons bien dedans tout ainsy que vous estes.- Par ma foy, ditil, je gage que non. Et je gage que si. Or avant, ce dirent les femmes, nous verrons qui le gaignera. A l'esprouver le scera l'on,


viiu nuner a la cnamDre; et au nurt qu u nsi Cent Nouv. I. 1 1

dit monseigneur. » Et lors s'avance et fist tirer du bahu les robes qui dedans estoient; et quand il fut vuide, madamoiselle et ses femmes à quelque peine firent tant que monseigneur fut dedans tout à son aise. Et à cest cop fut grande la noise, et autant joyeuse, et madamoiselle alla dire « Or, monseigneur, vous avez perdu la gaigeure, vous le congnoissez bien, faictes pas ?-– Ma foy, oy, ditil, c'est raison.» Et, en disant ces parolles, le bahu fut fermé, et tout jouant, riant et esbatant, prindrent toutes ensemble et homme et bahu, et l'emportèrent en une petite garderobe assez loing de la chambre, et là le laissèrent. Et il crye et se demaine, faisant grand noise; mais c'est pour néant, car il fut là laissé toute la belle nuyt, pense, dorme, face du mieulx qu'il peut car il est ordonné par madamoiselle et son estroit conseil qu'il n'en partira meshuy, pource qu'il a tant empesché le lieu de celuy qu'elle ayme beaucop mieulx que luy. Pour retourner à la matière de nostre propos encommencé, nous lairrons nostre homme ou bahu, et dirons de madamoiselle, qui attendoit son serviteur avec ses femmes, qui estoient telles, si bonnes et si secretes, que rien ne leur estoit celé de ses affaires. Lesquelles savoient bien que le bien amé serviteur, si à luy ne tenoit, tiendra la nuyt le lieu de celuy qui ou bahu fait maintenant sa penitence. Ne demoura guères que le bon serviteur, sans faire effroy ne bruyt, vint hurter à la chambre; et au hurt qu'il fist Jl.1" r


on le cogneut tantost, et là fut bien qui le bouta dedans. Il fut receu joyeusement et lyement, et entretenu doulcement de madamoiselle et sa compaignie, et ne se donna garde qu'il se trouva tout seul avec sa dame, qui luy compta bien au long la bonne fortune que Dieu leur a donnée, c'est asavoir comment elle fist la gageure à son mary d'entrer ou bahu, comment il y entra, et comment elle et ses femmes l'ont porté en une garderobe. « Comment ce dit le serviteur, je ne cuidoye point qu'il fust céans; par ma foy, je pensoie, moi que vous eussiés trouvé aucune fasson de l'envoier ou faire aller dehors, et que j'eusse icy meshuy tenu son lieu.-Vous n'en yrez pas pourtant dehors, dit-elle, il n'a garde de yssir dont il est, et si a beau crier, il n'est ame de nulz sens qui le puist oyr et croiez qu'il y demourra meshuy par moy si vous le voulez desprisonner, je m'en rapporte à vous. Nostre Dame, dist-il, s'il ne sailloit tant que je l'en feisse oster, il aroit bel attendre. Or faisons donc bonne chère, et n'y pensons plus.» » Pour abréger, chacun se despoilla, et se couchèrent les deux amans dedans le trèsbeau lit, bras à bras, et firent ce pourquoy ilz estoient assemblez, qui mieulx vault estre pensé des lysans qu'estre noté de l'escripvant. Quant vint au point du jour, le gentil serviteur se partit de sa dame au plus secretement qu'il peut, et vint à son logis dormir, j'espoire, ou desjeuner: car de tous deux avoient besoin. Madamoiselle, qui n'estoit pas mains subtille que sage


NOUVELLE XXVII. 165 quand il fut heure, se leva et dist à

et bonne, quand il fut heure, se leva et dist à ses femmes « II sera desormais heure de oster nostre prisonnier je vois oyr qu'il dira et s'il se vouldra mettre à finance. Mettez tout sur nous, ce dirent-elles, nous l'appaiserons bien. -Creez que si feray-je », dit-elle. Et à ces motz se seigne et s'en va; et comme non pensant ad ce qu'elle faisoit, tout d'aguet et à propos entra dedans la garderobe où son mary encores estoit dedans le bahu clos. Et quant il l'oyt il commença à faire grand noise et crier à la volée « Qu'est cecy! me lairra l'on cy dedans ?» Et sa bonne femme; qui l'oyt ainsi demener, respondit effrayement et comme craintivement, faisant l'ignorante' Emy qu'est-ce là que j'oy crier C'est moy, de par Dieu, c'est moy, dit le mary. – C'est vous, dit-elle, et dont venés vous à ceste heure – Dont je viens? dit-il; et vous le savez bien, madamoiselle, il ne fault jà qu'on le vous die; mais vous faictes de moy, au fort je feray quelque jour de vous. Et s'il eust enduré, ou osé, il se fust très voluntiers courroucié et eust dit villannie à sa femme. Et elle, qui le cogrioissoit, luy-couppa la parolle et dist « Monseigneur, pour Dieu, je vous crye mercy; par mon serment, je vous asseure que je ne vous cuidoie pas icy à ceste heure et creez que je ne vous y eusse pas quis, et ne me sçay assez esbahir dont vous venez à y estre encores: car je chargé hier soir à ces femmes qu'elles vous missent dehors, tandiz que je diroye. mes heures, et elles me dirent que si feroient elles. Et


de fait l'une me vint dire que vous estiez dehors et desjà allé en la ville et que ne reviendriez meshuy. Et à ceste cause, je me couchay assez tost après sans vous attendre. Saint Jehan! dit-il, vous veez qu'est ce; or vous avancez de moy tirer d'icy, car je suis tant las que je n'en puis plus. Cela feray-je bien, monseigneur, dit-elle, mais ce ne sera pas devant que vous n'ayez promis de moy paier de la gaigeure qu'avez perdue et pardonnez moy toutesfoiz, car aultrement ne le puis faire. Et avancez, de par Dieu, dit-il je le paieray voirement. Et ainsi vous le promettez ? r – Oy, par ma foy. Et ce procès finy, madamoiselle defferma le bahu et monseigneur yssit dehors, lassé, froissé et traveillé. Et elle le prend à braz et baise et accole tant doulcement qu'on ne pourroit plus, en luy priant pour Dieu qu'il ne soit point mal content. Et le pouvre cocquard dit que non est-il, puisqu'elle n'en savoit rien mais il punyra trop bien ses femmes, s'il y peut advenir. « Par ma foy, monseigneur, dit-elle, elles se sont bien vengées de vous je ne doubte point que vous ne leur ayez aucune chose meffait.- Non ay, certes, que je sache, mais creez que le tour qu'elles m'ont joé leur sera cher vendu. Il n'eut pas finé'ce propos quand toutes ces femmes entrèrent dedans, qui si très fort rioyent et de si grand cueur qu'elles ne sceurent mot dire grand pièce après. Et monseigneur, qui devoit faire merveilles, quand il les vit rire en ce point, ne se peut tenir de les contrefaire. Et


madamoiselle, pour luy faire compaignie, ne s'i faignoit point. Là veissez une merveilleuse risée et d'un costé et d'aultre, mais celuyqui en avoit le mains cause ne s'en pouvoit ravoir. A chef de pièce ce passetemps cessa, et dist monseigneur « Mesdamoiselles, je vous mercye beaucop de la courtoisie que m'avez ennuyt faicte. -A vostre commendement, respondit l'une, encores n'estes vous pas quitte vous nous avez fait et faictes tousjours tant de peine et de meschef que nous vous avons gardé ceste pensée et n'avons aultre regret que plus n'y avez esté. Et si n'eussions sceu de vray qu'il n'eust pas bien pleu à madamoiselle, encore y fussez vous et prenez en gré.-Est-ce cela ? dit-il. Or bien, bien vous verrez comment il vous en prendra et par ma foy je suis bien gouverné, quand avec tout le mal que j'ay eu l'on ne me fait que farser et encores, qui pis est, il me fault paier la cotte simple de satin. Et vrayement je ne puis à mains que d'avoir les chemises de la gaigeure, en recompensacion de la peine qu'on m'a fait. Il n'y a, par Dieu, que raison, dirent les damoiselles; nous voulons en ce estre pour vous, monseigneur, et vous les arez n'ara pas, madamoiselle ? Et à quel propos, dit-elle ? il a perdu la gaigeure. Dya, nous savons bien cela, il ne les peut avoir de droit; aussi ne les demande-il pas à ceste intencion, mais il les a bien deservies en aultre manière. A cela ne tiendra-il pas, dit-elle, je feray voluntiers finance de la toille; et vous, mesdamoiselles,


qui tant bien procurez pour luy, vous prendrez bien la peine de les coudre. Oy vrayement, oy, madamoiselle. » Comme ung chien qui ne fault que escourre la teste au matin quand il se lève qu'il ne soit prest, estoit monseigneur; car il ne luy faillit que une secousse de verges à nettoier sa robe et ses chausses qu'il ne fut prest. Et ainsi à la messe s'en va, et madamoiselle et ses femmes le suyvent, qui faisoient de luy, je vous asseure, grans risées et créez que la messe ne se passa pas sans foison de ris soudains, quand il leur souvenoit du giste que monseigneur a fait ou bahu, lequel ne le scet, encores qui fut celle nuyt enregistré ou livre qui n'a point de nom. Et si n'est que vienne d'aventure ceste histoire entre ses mains, jamais n'en ara, si Dieu plaist, la cognoissance, ce que pour rien je ne vouldroye. Si prye aux lisans qui le cognoissent qu'ilz se gardent bien de luy monstrer.

LA XXVI Ile NOUVELLE.

PAR MESSIRE MICHAULT DE CHANGY, GENTILHOMME DE LA CHAMBRE DE MONSEIGNEUR.

e au temps du trèsrenommé et éloquent Boccace l'adventure dont je veil fournir ma nouvele fust advenue et à son audience ou cognois-

sance parvenue je ne doubte point qu'il ne


l'eust adjoustée et mise ou reng du compte des nobles hommes mal fortunez. Car je ne pense pas que noble homme eust jamais pour ung coup guères fortune plus dure à porter que le bon seigneur, que Dieu pardoint, dont je vous compteray l'adventure. Et se sa male fortune n'est digne d'estre ou dit livre de Boccace, j'en fais juges tous ceux qui l'orront racompter. Le bon seigneur dont je vous parle fut en son temps ung des beaulx princes de son royaulme garny et adressié de tout ce qu'on saroit loer et priser en ung noble homme. Et entre aultres ses proprietez, il estoit tel destiné que entre les dames jamais homme ne le passa de gracieuseté. Or luy advint que au temps que ceste sa renommée et destinée florissoit et qu'il n'estoit bruyt que de luy, Amours, qui sème ses vertuz où mieux luy plaist et bon luy semble, fist allyance à une belle fille jeune, gente, gracieuse et en bon point en sa fasson ayant bruyt autant et plus que nulle de son temps, tant par sa grande et non pareille beaulté comme par ses trèsloables meurs et vertus; et qui pas ne nuysoit au jeu, tant estoit en la grace de la royne du pays qu'elle estoit son demy lit, les nuyz que point ne couchoit avec le roy. Ces amours que je vous dy furent" si avant conduictes qu'il ne restoit que temps et lieu pour dire et faire, chascun à sa partie la chose au monde que plus luy pourroit plaire. Ilz ne furent pas pou de jours pour adviser et elire lieu et place convenables ad ce faire


mais en la fin celle qui ne desiroit pas mains le bien de son serviteur que la salvacion de son ame, s'advisa d'un bon tour, dont tantost l'avertit, disant ce qui s'ensuit « Mon trèsloyal amy, vous savés comment je couche avec la royne,. et que nullement m'est possible, si je ne vouloie tout gaster, d'abandonner cest honneur et avancement, dont la plus femme de bien de ce royaume se tiendroit pour bien eureuse et honorée; combien que par ma foy je vous vouldroye complaire, et faire autant de plaisir et d'aussi bon cueur que à elle. Et qu'il soit vray, je le vous monstreray de fait, toutesfoiz sans abandonner celle qui me fait et peut faire tout le bien et l'onneur du monde. Je ne pense pas aussi que vous voulsissez que aultrement je feisse. Non, par ma foy, m'amye, respondit le bon seigneur; mais tou^ tesfoiz, je vous prie qu'en servant vostre maistresse, vostre loyal serviteur ne soit point arrière du bien que faire lui povez, qui ne luy est pas maindre que mieux y vouldroit et desire parvenir que gaigner le surplus du monde. -Veezcy que je vous feray, dit-elle, monseigneur la royne a une levrière, comme vous savez, dont elle est beaucop assotée, et la fait coucher en sa chambre; je trouveray fasson ennuyt de l'enclorre hors de la chambre sans qu'elle en sache rien; et quand chacun sera retrait, je feray ung sault jusques en la chambre de parement, et deffermeray l'huys, et le lairray ouvert. Et quand vous penserez que la royne sera couchée, vous viendrez


tout secrètement, et entrerez en la dicte chambre et fermerez l'huys; vous y trouverez la levrière, qui vous cognoist assez, si se lairra bien approucher de vous; vous la prendrez par les oreilles et la ferez bien hault crier; et quand la royne l'orra, elle la cognoistra tantost si ne me doubte point qu'elle ne me face lever incontinent pour la mettre dedans. Et en ce point viendray-je vers vous; si n'y faillez point si jamais vous voulez parler à moy. Ha ma trèschère et loyale amye, dit monseigneur, je vous mercye tant que je puis, pensez que je n'y fauldray pas. » Et à tant se part et s'en va, et sa dame aussi chacun pensant et désirant d'achever ce qui est proposé. Qu'en vauldroit le long compte ? La levrière se cuida rendre, quand il fut heure, en la chambre de sa maistresse, comme elle avoit accoustumé, mais celle qui l'avoit condemnée dehors la fist retraire, en la chambre au plus près. Et la royne se coucha sans ce qu'elle s'en donnast garde et assez tost après luy vint faire compaignie la bonne damoyselle, qui n'attendoit que l'heure d'oyr crier la levrière et là a semonce de bataille. Ne demoura guères que le gentil seigneur se mist sur les rengs et tant fist qu'il se trouva en la chambre où la levrière se dormoit. Il la quist tant au pié et à la main qu'il la trouva, et puis la print par les oreilles, et la fist hault crier deux ou trois foiz. Et la royne, qui l'oyt, congneut tantost que c'estoit sa levrière, et pensa qu'elle vouloit estre dedans si appela sa damoiselle et dist « M'a-


mye, veezla ma Ievrière qui se plaint là hors; levez vous, si la mettez dedans.-Voluntiers, madame», ce dist la damoiselle, et jasoit qu'elle attendist la bataille dont elle mesme avoit l'heure et le jour assigné, si ne s'arma elle que de sa chemise; et en ce point s'en vint à Thuys èf l'ouvrit, où tantost luy vint à l'encontre celuy qui l'attendoit. Il fut tant joyeux et tant surprins, quant il vit sa dame si belle et en si bon point, qu'il perdit force sens et advis et ne fut oncques en sa puissance de tirer sa dague pour esprouver et savoir s'elIe pourroit prendre sur ses cuirasses. Trop bien de baiser, d'accoler, de manier le tetin, et le surplus, faisoit-il assez diligence, mais du parfait, nichil! Si fut force à la gente damoiselle qu'elle retournast sans luy laisser ce que avoir ne povoit se par force d'armes ne le conquéroit. Et ainsi qu'elle se vouloit partir, il la cuidoit retenir par force et par belles parolles, mais elle n'osoit demourer, si luy ferma l'huys au visage et s'en revint par devers la royne, qui luy demanda s'elle avoit mise sa levrière dedans. Et elle dit que non, car oncques ne l'avoit sceu trouver, et si avoit beaucop regardé. « Or bien, dit la roine, toujours l'ara-on; couchez vous. » Le pouvre amoureux estoit à celle heure, Dieu scet bien mal content, qui se voit ainsy deshonoré et adnéanty; et si cuidoit auparavant bien tant en sa force qu'en mains d'heure qu'il n'avoit esté avecques sa dame il en eust bien combatu telles troys, et venu au dessus d'elles à


son honneur. Au fort il reprint courage et dit bien à soy mesmes, s'il est jamais si eureux que de trouver sa dame en si belle place elle ne partiroit pas comme elle a fait l'aultre fois. Et ainsi animé et aguijlonné de honte et de désir, il reprend la levrière par les oreilles, et la tira si rudement, tout courroucé qu'il estoit, qu'il la fist crier beaucop plus haultqu'elle n'avoit fait devant. Si hucha arrière à ce cry la royne sa damoiselle, qui revint ouvrir l'huys comme devant, mais elle s'en retourna devers sa maistresse sans conquester ne plus ne mains qu'elle fit à l'autre foiz. Or revint à la tierce foiz que ce pouvre gentilhomme faisoit tout son pouvoir de besoigner comme il avoit le desir, mais au deable de l'omme s'il peut oncques trouver manière de fournir une pouvre lance à celle qui ne demandoit aultre chose, et qui l'attendoit de pié coy. Et quand elle vit qu'elle n'aroit point son panier percé, et qu'il n'estoit pas à l'aultre de seulement mettre sa lance en son arrest, quelque avantage qu'elle luy feist, tantost cogneut qu'elle aroit à la jouste failly, dont elle tint beaucop mains, de bien du jousteur. Elle ne voulut n'osa là plus demourer, pour acquest qu'elle y feist; si voulut entrer en la chambre, et son amy la retiroit à force et disoit « Helas m'amye, demourez encores ung peu, je vous en prie.Je ne puis, dit-elle, je ne puis, laissez moy aler je n'ay que trop demouré pour chose que j'aye prouffité. » Et à tant se retourne vers la chambre, et l'autre la suyvoit, qui la


cuidoit retenir. Et quand elle vit ce, pour le bien payer, et la royne contenter, elle alla dire tout en haut « Passez, passez, orde caigne que vous estes; par Dieu, vous n'y entrerez meshuy, meschante beste que vous estes. » Et en ce disant, ferma l'huys. Et la royne, qui l'oyt, demanda « A qui parlez vous, m'amye? C'est à ce paillard chien, madame, qui m'a fait tant de peine de le querir; il s'estoit bouté soubz ung banc là dedans et caiché tout de plat le museau sur la terre si' ne le savoye trouver. Et quand je l'ay eu trouvé, il ne s'est oncques daingné lever, quelque chose que luy aye fait. Je l'eusse trèsvoluntiers bouté dedans, mais il n'a oncques daigné lever la teste si l'ay laissé là dehors tout par despit et fermé l'huys à son visage. C'est trèsbien fait, m'amye, dit la royne couchez vous, couchez vous, si dormirons. » Ainsi que vous avez oy, fut trèsmal fortuné ce gentil seigneur et pour ce qu'il ne peut, quand sa dame voulut, je tien, moy, quand il eust depuis bien la puissance à commendement, le vouloir de sa dame fut hors de ville.


que le très désiré jour de ses nopces fut venu Après les bonnes chères et aultres passetemps accoustumez, l'espousée fut couchée, et il a chef de pièce la suyvit et se coucha au plus près d'elle, et sans delay bailla l'assault incontinent à sa forteresse, et tellement qu'en peu d'heure, quelque meschef que ce fust, il entra ens et la gaigna; mais vous devez entendre qu'il ne fist pas ceste conqueste sans faire foison d'armes qui longues seroient à racompter, car aincois qu'îl venist au donjon du chastel, et force luy fut de gaigner et emporter boulevars, baillés, et aultres plusieurs fors dont la place estoit bien garnye, comme celle qui jamais n'avoit estéprinse, dont fust encores nouvelle, et que nature avoit mis en defense. Quand il fut maistre de la place, il rompit seulement une lance, et lors cessa l'assault et ploya' l'œuvre. Or ne fait pas à oublier que la bonne damoiselle qui se vit en la mercy de ce gentilhomme son mary, qui desjà avoit fourragié la pluspart de son manoir, luy vou-

"a pas cent ans d'huy que ung gen'tilhomme de ce royaume vouiut.sa/voir et esprouver l'aise qu'on a en mariage; et, pour abréger, fist tant

LA XXIXe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR.


lut monstrer ung prisonnier qu'elle tenoit en ung trèssecret lieu encloz et enserré; et pour parler plain, elle se delivra, cy prins cy mis, après ceste première course, d'ung trèsbeau filz, dont le pouvre mary se trouva si honteux et tant esbahy qu'il ne savoit sa manière si non de soy taire. Et pour honesteté et pitié de ce cas, il servit la mère et l'enfant de ce qu'il savoit faire. Mais créez que la pouvre gentil femme à cest coup gecta ung bien hault et dur cry, qui de pluseurs fut clerement oy et entendu, qui cuidoient à la vérité qu'elle gectast ce cry à la despuceller, comme c'est la coustume en ce royaume. Pendant ce temps, les gentilzhommes de l'ostel où ce nouvel marié demouroit vihdrent hurter à l'huys de ceste chambre et apportèrent le chaudeau ilz hurtèrent beaucop sans ce que ame respondist. L'espousée en estoit bien excusée, et l'espousé n'avoit pas cause de trop hault caqueter « Et qu'est ce cy? dirent-ilz, et n'ouvrirez-vous pas l'huys? Par ma foy, si vous ne vous hastez, nous le romperons le chaudeau que nous vous apportons sera tantost tout froit. » Et lors commencèrent à rehurter de plus belle. Et le nouveau maryé n'eust pas dit ung mot pour cent francs, dont ceulx de dehors ne savoient que penser, car il n'estoit pas muet de coustume. Au fort il se leva, et print une robe longue qu'il avoit, et laissa ses compaignons entrer dedans, qui tantost demandèrent si le chaudeau estoit gaigné, et qu'ilz l'apportoient à l'adventure. Et lors fut ung d'entre eulx qui couvrit la table et


mist le beau bancquet dessus, car ilz estoierit en lieu pour ce faire, et où rien n'estoit esperen tel cas et aultres semblables. llz s'assirent tous au menger, et bon mary print sa place en une chaize à doz assez près de son lit, tant simple et tant piteux qu'on ne le vous sauroit dire. Et quelque chose que les aultres dissent, il ne sonnoit pas ung mot, mais se tenoit comme une droite statue ou une ydole en quetaille « Et qu'est cecy? dit l'un, et ne prenez vous point garde à la bonne chère que nous fait nostre hoste ? encores a-il à dire ung seul mot. A dya, dit l'autre, ses bourdes sont rabaissées. Par ma foy, dit le tiers mariage est chose de grant vertu regardez quand pour une heure qu'il a esté marié il a jà perdu la force de sa langue! S'il l'est jamais longuement, je ne donneroye pas maille du surplus. » Et à la verité dire, il estoit auparavant ung trèsgracieux farseur, ettant bien luy séoit que merveilles; et ne disoit jamais une parolle puis qu'il estoit de gogues qu'elle n'apportast sa risée avec elle; mais il en est à ceste heure bien rebouté. Ces gentilzhommes buvoient d'autant et d'autel, et à l'espousé et à l'espousée, mais au dyable des deux s'il avoit fain de boire; l'un enragoit tout vif et l'aultre n'estoit pas mains en malaise « Je ne me cognois en ceste manière, dist ung gentil homme, il nous ` fault festoier de nous mesmes. Je ne vy jamais, moy, homme de si hault esternu si tost rassis pour une femme j'ay veu qu'on n'oyst pas Dieu tonner en une compaignie où il fust;


et il se tient plus coy que ung feu couvert. A dya ses haultes parolles sont bien bas entonnées maintenant. Je boy à vous, noz amys », disoit l'autre. Mais il n'estoit pas plegé car il jeunoit de boire, de menger, de bonne chère faire, et de parler. Non pourtant à chef de pièce, quand il eust bien esté ramponné sur ce et rigolé de ses compaignons, et, comme ung sanglier mis aux abaiz de tous coustez, il dit « Messeigneurs, quant je vous ay bien entendu qui me semonnez de parler, je veil bien que vous sachez que j'ay bien cause de beaucop penser, et de me taire trèstout coy; et si suis seur qu'il n'y a nul de vous qui n'en fist autant s'il en avoit le pourquoy comme j'ay. Et par la mort bieu, se j'estoie aussi riche que le roy, que monseigneur, et que tous les princes chrestians, si ne saroys-je fournir ce que m'est apparent d'avoir à entretenir véezcy pour un pouvre coup que j'ay accollée ma femme elle m'a fait ung enfant. Or regardez, si à chacune foiz que je recommenceray elle en fait autant, de quoy je pourray nourrir le mesnage ?- Comment ung enfant ? dirent ses compaignons.- Voire, vrayement ung enfant, dit-il; véezcy de quoy, regardez. » Et lors se tourne vers son lit et lève la couverture et leur monstre et la mère et l'enfant. « Tenez, dit-il, véezla la vache et le veau, suis-je pas bien party? » Pluseurs de la compaignie furent bien esbahiz et pardonnèrent à leur hoste sa simple chère; et s'en allèrent chacun à sa chacune. Et le pou-


vre nouveau marié habandonna ceste première nuyt la nouvelle acouchée, et, doubtant que elle n'en fistune aultre foiz autant, oncques depuis ne s'y trouva.

baint Anthoine de Viennois; et pour y aller plus dévotement et rendre à Dieu et à monseigneur saint Anthoine leur voyage; plus agréable, ilz conclurent entre eulx et avecleurs femmes, dès le partir de leurs maisons, que tout le voyage ilz ne coucheroient pas avec elles, mais en eontinenceyronr.et viendront. Hz arrivèrent ung soir en la ville de Chambery, et se logèrent à ung trèsbon logis, et firent au souper trèsbonne chère, comme ceulx qui avoient trèsbien de quoy, et qui trèsbien le sceurent faire; et croy et tiens fermement que si n'eust esté le veu du voyage, que chacun d'eulx eust couché avec sa chacune. Toutefoiz ainsi n'en advint pas, car quand il fut heure de soy retraire, les femmes donnèrent la bonne nuyt à leurs mariz et les laissèrent, et se boutèrent en une chambre au plus près, où elles

kl est vray comme l'Euyangile, que trois bons marchans de Savoye se mirent à chemin avecques leurstrois «femmes pour aller en pèlerinage à _.L_

LA XXXe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE'BEAUVOIR.


avoient fait couvrir chacune son lit. Or devez vous savoir que ce soir propre arrivèrent léans trois cordeliers qui s'en alloient à Genève, qui furent ordonnez à coucher en une chambre non pas trop loingtaine de la chambre aux marchandes. Lesquelles, puis qu'elles furent entre elles, commencèrent à deviser de cent mille propos, et sembloit, pour trois qu'il y en avoit, de quoy on oyoit la noise qu'il suffiroit oir d'un quarteron. Ces bons cordeliers, oyans ce bruit de femmes, saillirent de leur chambre sans faire effroyt ne bruit, et tant approuchèrent de l'huys sans estre oiz, qu'ilz perceurent par les pertus ces trois belles damoiselles, qui se couchèrent chacune à part elle en ung beau lit assez grand et large pour le deuxième recevoir d'aultre cousté puis se revirent, et entendirent leurs maris qui se couchoient en l'autre chambre. Cela fait, ils rentrèrent en leur chambre, et puis dirent que fortune et honneur à ceste heure leur court sus, et qu'ilz ne sont pas dignes d'avoir jamais bonne adventure, si ceste, qu'ilz n'ont pas pourchassée, par lascheté leur eschappoit. « De fait, dit l'un, il ne fault aultre deliberacion en nostre fait; nous sommes trois et elles trois, chacun prenne sa place quand elles seront endormies. » S'il fut dit, aussi fut il fait et si bien vint à ces bons frères qu'ilz trouvèrent la clef de la chambre aux femmes dedans l'huys si l'ouvrirent si très souef qu'ilz ne furent de ame oiz. Ils ne furent pas si folz quand ilz eurent gaigné ce premier fort, pour plus seurement assaillir l'au-


tre qu'ilz ne tirassent la clef dedans et resserrèrent trèsbien l'huys et puis après, sans plus enquerre, chacun print son quartier, et commencèrent à besoigner chacun du mieux qu'ilz peurent. Mais le bon fut car l'une cuydant avoir son mary parla et dist « Et que voulez-vous faire ne vous souvient il de vostre veu? » Et le bon cordelier ne disoit mot, mais faisoit ce pour quoy il vint de si grand cueur, qu'elle ne se peut tenir de luy aider à parfourmr. Les aultres deux, d'aultre part, n'estoient pas oiseux; et ne savoient que penser ces bonnes femmes, qui mouvoit leurs mariz de si tost rompre et casser leur promesse. Neantmains toutesfoiz, elles qui doivent obéir, le prindrent bien en patience, sans dire mot, chacune doubtant d'estre oye de sa compaigne, car il n'y avoit celle à la vérité qui ne cuidast ce bien avoir seulle et emporter. Quand ces bons cordeliers eurent tant fait que plus ne povoient, ilz se partirent sans dire mot, et retournèrent en leur chambre, chacun comptant son adventure. L'ung avoit rompu trois lances, l'aultre quatre, l'aultre six. Oncques gens ne furent tant eureux. Ilz se levèrent par matin, pour toute seureté, et tirèrent pays. Et ces bonnes femmes, qui pas n'avoient toute la nuyt dormy, ne se descouchèrent pas trop matin, car sûr le jour sommeil les print, qui les fist lever sur le tard. D'aultre costé leurs maris, qui avoient assez bien beu le soir, et qui s'attendoient à l'appeau de leurs femmes, dormoyent au plus fort à l'heure que ès aultres


jours avoient jà cheminé deux lieues. Au fort elles se levèrent après 'le repôsdu matin, et s'abillèrent au plus roidde qu'elles: péurént, non point sans parler. Et entré elles celle qui avoit la langue plus preste ala; dire «Entre vous, mes damoiselles, comment avez-vous passé la nuyt ? Voz mariz vous ont iiz réveillées- comme a fait le mien? Il ne cessa ennuyt de faire la besoigne. –Saint Jehan! dirent-elles, si vostre màry a bien besoigné ennuyt, les nostres n'ont pas esté oyseux; ilz ont tantost oublié ce qu'ilz promtsrent au partir, et creez qu'on ne leur oblyra pas à dire. J'en adverty trop bien le mien, dist l'une, quand il commença, mais il n'en laissa oncques pourtant l'euvre car, comme ung homme affamé, pour deux nuiz qu'il a couché sans m.oy, il à fait rage de diligence. » Quand elles furent prestes, elles vindrent trouver leurs mariz qui desjà estoient comme tous prestz et en pourpoint « Bon jour, bon jour à ces dormeurs, direntelles _La vostre mercy, dirent-ilz, qui nous avez si bien huchez, Ma foy, dit l'une, nous avions plus de regret à vous âppeller matin que vousn'avez fait ennuyt de conscience de rompre et casser vostre vèuV– Quel veu t dit l'un. Le véu que' vous feistes au partir, dit-elle, de point coucher avec vostre femme. Et qui y couché ? dit-il: Vous le savez bien, dit-elle, et aussi fais-ie,– Et moy aussi dit sa compaigne véez mon mary^qui ne fut pieça si rude qu'il fut 1k nuyfpassée>, et s il n'éust si bien fait son devoir je ne serôye pas


si contente de la ronteuîre de son veu; mais au fort je le passe, car il a fait comme les jeunes enfans qui youlent emploier leur bature quant ilz ont deservy le punir. Saint Jehan! si a fait le mien dit la tierce, mais au fort je n'en feray jà procès si mal y a, il en est cause. Et je tien par ma foy, dit l'un, que vous radoubiez, et que. vous estez- yyres de dormir. Quant est de moy, j'ay icy couché tout seul et n'en party ennuyt. Non ay-je moy, dit l'aultre. Ne moy, par ma foy, dit le tiers; je ne voudroye pour rien avoir enfraint mon veu. Et si cuideestreseur de mon compère, qui cy est, et de mon voisin, qu'ilz ne l'eussent pas. promis pour si tostl'oblier. » Ces femmes commencèrent à changer coleur, et se doubtèrent de tromperie, dont l'un des mariz d'elles tantost se donna garde, et.luy jugea le cueur la verité du fait. Si ne leur bailla pas induce de respondre; aincois, faisant signe à ses compaignons; dist en riant « Par ma foy mes damoiselles, le bon vin de séans et la bonne chière du soir passé nous ont fait oublier nostre promesse; si n'en soyez jà mal contentes. A l'adventure, se, Dieu plaist, nous avons fait ennuyt,' à vostreayde, ehascunung bel enfant; qui est chose de si hault mérite qu'elle sera suffisante d'effacer la faulte du cassement de nostre veu. Or, Dieu le veille dirent-elles. Mais ce que si affermement disiez que. n'aviez pas esté vers nous nous a fait ung petit doubter. Nous l'avons fait tout au propos, dit l'autre, affin d'oyr que vous di-


riez. Et vous avez double péché, comme de faulser vostre veu et de mentir à escient et nous mesmes avez beaucop troublées. Ne vous chaille non, dit-il, c'est pou de chose, mais allez à la messe et nous vous suivrons. » Elles se mirent au chemin devers l'eglise, et leur mariz ung pou demourèrent sans les suyvir trop raidde puis dirent tous ensemble, sans en mentir de mot « Nous sommes trompez, ces dyables de cordeliers nous ont deceuz ilz se sont mis en nostre place et nous ont monstré nostre folie, car, si nous ne voulions pas coucher avec noz femmes, il n'estoit jà mestier de les faire coucher hors de nostre chambre; et s'il y avoit dangier de lictz, labelle paillasse est en saison.– ,Dya dit l'ung d'eulx, nous en sommes chastiez pour une aultre foiz et au fort il vault mieulx que la tromperie soit seulement sceue de nous que de nous et d'elles, car le dangier y est bien grand s'il venoit à leur congnoissance. Vous oyez par leur confession que ces ribaulx moynes ont fait merveilles d'armes, et espoir plus et mieulx que nous ne savons faire. Et s'elles le savoient, elles ne se passeroient pas pour ceste foiz seulement s'en est mon conseil que nous l'avalons sans mascher.-Ainsi m'aist Dieu, ce dit le tiers, mon compère dit trèsbien; quant à moy je rappelle mon veu, et n'ay pas intencion de plus me mettre en ce dangier. Puis que vous le voulez, dirent les deux aultres et nous vous ensuyvrons. Ainsi couchèrent tout le voyage et femmes et mariz ensemble dont


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ilz se gardèrent trop bien de dire la cause qui ad ce les mouvoit. Et quand les femmes virent ce, ce ne fut pas sans demander la cause de ceste raherce; et ilz respondirent, par couverture, puis qu'ilz avoient commencé de leur veu entrerompre, il ne restoit que du parfaire. Ainsi furent les trois marchans deceuz des trois bons cordeliers, sans ce qu'il venist à la cognoissance de celles qui bien en fussent mortes de dueil s'elles en sceussent la vérité comme on en voit tous les jours morir de maindre cas et à mains d'achoison.

toutes ses diligences de parvenir à sa grace. Mais fortune luy fut si contraire, et sa dame si peu gracieuse, qu'enfin il abandonna sa queste comme par desespoir. Il n'eut pas trop grand tort de ce faire, car elle estoit ailleurs pourveue, non pas qu'il en sceust rien, combien qu'il s'en doubtast, toutesfoiz celuy qui en joissoit, qui chevalier et homme de grand auctorité estoit, n'estoit pas si peu privé de luy qu'il n'estoit guères chose au monde qu'il ne se fust bien à luy descouvert sinon de ce

?ng gentilhomme de ce royaume, ^escuyer bien renommé et de grand j bruit, devint amoureux, à Rouen, » d'une trèsbelle damoiselle, et fist 1Q r~i~iaanrae !7P Tl~ri7Pt11Y e~ rcrora

LA XXXIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA BARRE.


cas. Trop bien luy disoit-il souvent « Par ma foy, mon amy, je veil bien que tu saches que j'ay ung retour en ceste ville dont je suis beaucop assoté; car quand je suis par force de traveil si rebouté, qu'on ne tireroit point de moy une lyeuette de chemin, si je me treuve vers elle, je suis homme pour en faire trois ou quatre, voire les deux tout d'une alaine. Et n'est-il requeste, ne prière, disoit l'escuier, que je vous sceusse faire, que je sceusse tant seulement le nom de celle ?- Nenny, par ma foy, dist l'autre, tu n'en sceras plus avant.- Or bien, dist l'escuier, quand je seray si eureux que d'avoir rien de beau, je vous seray aussi pou privé que vous m'estes estrange. » Advint ce temps pendant que ce bon chevalier le prya de soupper au chasteau de Rouen, où il estoit logé. Et il y vint, et firent trèsbonne chère, et quand le soupper fut passé et aucun pou de devises après, le gentil chevalier, qui avoit heure assignée d'aller vers sa dame, donna congé à l'escuier, et dit « Vous savez que nous avons beaucop demain à besoigner; et qu'il nous fault lever matin pour telles matères, et pour telles, qu'il fault expedier; c'est bon de nous coucher de bonne heure, et pour ce je vous donne la bonne nuyt. » L'escuier, qui estoit subtil, ce voyant, se doubta tantost que ce bon chevalier vouloit aller courre, etqu'il se couvroit des besoignes de lendemain pour luy donner congié mais il n'en fist quelque semblant, ainçois dist en prenant congié et donnant la bonne nuyt « Monseigneur, vous


dictes bien, levez vous matin et aussi feray-je. » Quand ce bon escuier fut en bas descendu, il trouva une petite mulette au pie des degrez du chasteau, et ne vitamequi la gardast; et pensa tantost que le page qu'il avoit encontré en descendant alloit quérir la housse de son maistre, et aussi faisoit-il. « Ha! dit-il en soy mesmes, mon hoste ne m'a pas donné congé de si haulte heure sans cause; véezcy sa mulette qui n'attent aultre chose que je soie en voye, pour porter son maistre où l'on ne veult pas que je soye. Ha! mulette, dist-il, si tu savoies parler que tu diroies de bonnes choses je te pry que tu me maines où ton maistre veult estre. » Et à cest coup il se fist tenir l'estrief par son paige, et luy mist la rené sur le col, et la laissa aller où bon luy sembla tout le beau pas. Et'la bonne mulette le mena par rues et ruelles, deçà et delà, tant qu'elle se vint arrester au devant d'un petit guichet qui estoit en une rue oblicque où son maistre avoit acoustumé de venir, qui estoit l'huys du jardin de la damoiselle qu'il avoit tant amée et par desespoir abandonnée. Il mist pié à terre, et puis hurta ung petit coup au guichet, et une damoiselle qui faisoit le guet par une faulse treille, .cuidant que ce fust le chevalier, s'en vint en bas et ouvrit l'huys, etdisi « Monseigneur, vous soiez bien venu, véezla madamoiselle en sa chambre qui vous attend. » Elle ne le congneut pas, pource qu'il estoit tard, et avoit une cornette de veloux devant son visage. Et le bon escuier respondit « Je


vois vers elle. » Et puis dit à son paige tout bas en l'oreille « Va t'en bien à haste, et remaine la mulette où je la prins, et puis t'en va coucher. Si feray-je, monseigneur, dit-il. » La damoiselle reserra le guichet, et s'en retourna en sa chambre. Et nostre bon escuier, trèsfort pensant à sa besoigne, marche trèsasseurement vers la chambre où sa dame estoit, laquelle il trouva desjà mise en sa cotte simple, la grosse chayne d'or au col. Et comme il estoit gracieux, courtois, et bien enparlé, la salua bien honorablement, et elle, qui fut tant esbahie que si cornes luy venissent, de prinsault ne sceut que respondre, sinon à chef de pièce elle luy demanda qu'il queroit léens, et dont il venoit à ceste heure, et qui l'avoit. bouté dedans. « Madamoiselle, dit-il, vous povez assez penser que si je n'eusse eu aultre aide que moy mesmes je ne fusse pas icy mais la Dieu mercy, ung qui a plus grant pitié de moy que vous n'avez encores eu, m'a fait cest avantage.-Et qui vous y a amené, sire? dit-elle. – Par ma foy, madamoiselle, je ne le vous quier jà celer ung tel seigneur, c'est assavoir son hoste du soupper, m'y a envoié. Ha! dit-elle, le traistre et desloyal chevalier qu'il est, se trompe-il en ce point de moy ? P Or bien, bien, j'en seray vengée quelque jour. Ha! madamoiselle, ce n'est pas bien dit à vous, car ce n'est pas traïson de faire plaisir à son amy, et luy faire secours et service quand on le peut faire. Vous savez bien la grand amytié qui est de pieça entre luy et moy, et


qu'il n'y a celuy qui ne dye à son compaignon tout ce qu'il a sur le cueur. Or est ainsi qu'il n'y a pas long temps -que je luy comptay et confessay tout le long la grant amour que je vous porte, et que à ceste cause je n'avoie un seul bien en ce monde; et si par aucune fasson je ne parvenoye à vostre bonne grace, il ne m'estoit pas possible de longuement vivre en ce doloreux martire. Quand le bon seigneur a cogneu à la verité que mes parolles n'estoient pas faintes, doubtant le grant inconvenient qui m'en pourroit sourdre, a esté bien content de moy dire ce qui est entre vous deux; et ayme mieulx vous abandonner en me sauvant la vie, qu'en me perdant maleureusement vous entretenir. Et si vous estiez telle que vous devriez, vous n'eussez pas tant attendu de bailler confort et garison à moy vostre obéissant serviteur, qui savez certainement que je vous ay loyaument servie et obéye. Je vous requier, dit-elle, que vous ne me parlez plus de cela, et si vous en allez d'icy. Maudit soit celuy qui vous y fist venir – Savez-vous qu'il y a, madamoiselle ? dit-il; ce n'est pas mon intencion de partir d'icy qu'il ne soit demain. Par ma foy, dit-elle, si ferez tout maintenant. Par la mort bieu, non feray, car je coucheray avec vous. » Quand elle vit que c'estoit à bon escient et qu'il n'estoit pas homme pour enchacier par rudes parolles, elle luy cuida donner congié par doulceur, et dist « Je vous prie tant que je puis, allez vous en pour meshuy; et par ma foy une aultre foiz je feray ce que


vous vouldrez.- Dya, dit-il, n'en parlez plus, car je coucheray céans. » Et lors commence à soy despoiller, et prend la damoiselle et la baise et la maine bancqueter, et fist tant, pour abreger, qu'elle se coucha et luy d'emprès elle. Ils n'eurent guères esté couchez, et plus couru d'une lance, quand véezcy bon chevalier qui va venir sur sa mullette, et vient hurter au guichet. Et le bon escuier qui l'oyt le cogneut tantost; si commence à grouiller, con trefaisant le chien trèsfièrement.

Le chevalier, quant il l'oyt, fut bien esbahy, et autant courroucé. Si rehurte de plus belle très rudement au guichet, et l'autre de recommencer à grouiller plus fièrement que devant. « Qui est-ce là qui grouille ? dist celui de dehors; par la mort bieu je le sauray. Ouvrez l'huys, ou je le porteray en la place. » Et la bonne gentil femme, qui enrageoit toute vive, saillit à la fenestre, en sa chemise, et dist « Estesvous là, faulx chevalier et desloyal ? Vous avez beau hurter, vous n'y entrerez pas. – Pourquoyn'y entreray-je pas ? dit-il.– -Pource, ditelle, que vous estes le plus desloyal qui jamais femme accointast; et n'estes pas digne de vous trouver avecques gens de bien. Madamoiselle, dist-il, vous blasonnez très bien mes armes je ne sçay qui vous meut, car je ne vous ay pas fait desloyauté, que je sache.– Si avez, dist elle, et la plus grande que jamais homme fist à femme. – Non ay, parmafoy, mais dictes moy qui est là dedans. Vous le savez bien, traistre mauvais, dit-elle, que vous es-


tes. » Et à cèstcoup bon escuier qui ou lit estoit commença .àgroutter, contrefaisant le chien, comme: par avant. « A dyardist celuy de dehors je:n'entens. point cecy; et ne sceray point qui est ce grouilleur ? Saint Jehan si ferez » dist-il et il saùltsus d'emprès sa dame, et. vint à la fenestre, et dist « Que vous plaist-il, monseigneur vous avez tort de nous ainsi reveiller. Le bon chevalier, quand il cogneut qui parloit à luy, fut tant esbahy que merveilles. Et quand il parla il dist « Et dont viens tucy? Je vien de soupper de vostre maison pour coucher céans, A male faute », dit-il. Et puis adressa sa parole à la damoiselle et dist « Madamoiselle, hébergez vous telz hostes céans ? Oy, monseigneur, dit-elle, la vostre mercy qui le m'avez envoyé. – Moy dit-il saint Jehan il n'en estrien; je suys mesmevenu pour y tenir ma place, mais c'est trop tard. Et au mains je vous prie, puis que je n'en puis avoir aultre chose, ouvrez moy l'huys, si buray une foiz.– Vous n'y entrerez jà, par Dieu -I dit-elle; .Saint Jehan si fera dist l'escùier. Et lors descendit et ouvrit l'huys, et s'en vint recoucher, et elle aussi, Dieu scet bien honteuse et mal, contente; mais il luy convènoit obéir pour ceste heure. Quand le bon seigùeur fut dedans, et il eut alumé delachandelle, ilregarda la belle compaignie.dedans lelict, et dist:: « Bonpreu vous face, madamoiselle, et à vous aussi, mon escuier.– Bien grand mercy, monseigneur », dist il. Mais la'damoiselle qui plus-ne po-


voit si le cueur ne luy sailloit du ventre ne peut oncques dire ung seul mot, et cuidoit tout certainement que l'escuier fust léans arrivé par l'advertissement et conduicte du chevalier si luy en vouloit tant de mal qu'on ne le vous saroit dire « Et qui vous a enseigné la voye de céans, mon escuier ? dist le chevalier. Vostre mulette, monseigneur, dist-il, que je trouvay en bas, au chasteau, quant j'eu souppé avecque vous elle estoit là seule et esgarée, si luy demanday qu'elle attendoit, et elle me respondit qu'elle n'attendoit que sa housse et vous. Et pour où aller ? dis-je. Où nous avons de coustume, dist-elle. Je sçay bien, dys-je, que ton maistre ne yra meshuy dehors, car il se va coucher; mais maine moy là où tu scez qu'il va de coustume, et je t'en prie. » Elle en fut contente, si montay sus, et elle m'adressa céans, la sienne bonne mercy. Dieu mecte en mal an l'orde beste qui m'a encusé, dist le bon seigneur. Ha! que vous le valez loyaument, monseigneur dit la damoiselle, quant elle peut prendre la peine de parler. Je voybien que vous trompez de moy, mais je veil bien que vous sachez que vous n'y arez guères d'honneur. Il n'estoit jà mestier, si vous n'y vouliez plus venir, d'y envoier aultruy soubs umbre de vous mal vous cognoist qui oncques ne vous vit. Par la mort bieu je ne l'y ay pas envoyé, dist-il mais puis qu'il y est, je ne l'en chasseray pas; et aussi il en y a assez pour nous deux; n'a pas, mon compaignon? Oj, monseigneur,


oy, dit-il, tout à butin, et je le veil; si nous fault boire du marché. » Et lors se tourna vers le dressouer, et versa du vin en une grant tasse qui y estoit, et dist « Je boy à vous mon compaignon.- Je vous plege, dit l'autre, mon compaignon », et puis fist verser de l'aultre vin à la damoiselle, qui ne vouloit nullement boire mais en la fin, voulsit ou non, elle baisa la tasse. « Or ça, dist le gentil chevalier, mon compaignon, je vous lairray cy, besoignez bien, c'est vostre tour aujourdui, le mien sera demain, si Dieu plaist; si vous prie que vous me soiez aussi gratieux, quand vous m'y trouverez, que je vous suys maintenant. Nostre dame, mon compaignon, si seray je, ne vous doubtez. » Ainsi s'en ala le bon chevalier, et là laissa l'escuier, qui fist le mieulx qu'il peut ceste première nuyt. Et advertit la damoiselle de tout point de toute la verité de son adventure, dont elle fut ung peu plus contente que si l'aultre l'y eust envoyé. Ainsi que avez oy fut la belle damoiselle deceue par la mulette, et contraincte d'obéir au chevalier et à l'escuier, chacun à son tour, dont en la fin elle s'accoustuma et trèsbien le print en patience. Mais tant de bien y eut, que si le chevalier et l'escuier s'entraimoyent bien par avant ceste adventure, l'amour d'entre eulx deux à ceste occasion en fut fedublée, qui entre aucuns mal conseillez eust engendré discort et mortelle hayne.


de ce présent livre, je vous racompteray en bref une adventure nouvelle par laquelle l'on me tiendra pour acquitté d'avoir foumy la nouvelle dont-j'ay naguères esté sommé. Il est notoire verité que en la ville d'Ostellerie, en Casteloigne, naguères arrivèrent pluseurs frères mineurs, qu'on dit de l'observance, eschassez et deboutez par leur mauvais gouvernement et faincte devocion du royaume d'Espaigne. Et trouvèrent fasson d'avoir accès et entrée devers le seigneur de la dicte ville, qui desjà ancien et chargé d'ans estoit; et tant firent, pour abréger, qu'il leur fonda et fist une trèsbelle église et couvent, et les maintint et entretint toute sa vie le mieulx qu'il peut. Régna après son filz aisné, qui ne leur fist pas mains de bien que son bon père. Et de fait ilz prosperèrent en peu d'ans, si trèsbien qu'ilz avoient suffisaument tout ce qu'on saroit demander par raison en ung couvent de mandians. Et affin que vous sachez qu'ilz ne furent pas oyseux pendant le temps qu'ilz acquisrent

| ffin que ne soye seclus du trèseureux et hault mérite deu à ceulx qui tra| veillent et labourent à l'augmentacion et accroissement des histoires r.

LA XXXIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE VILLIERS.


ces biens, ilz se misrent à prescher tant en la ville que par les villages voisins, et gaignèrent tout le peuple, et tant firent qu'il n'estoit pas bon crestian qui ne s'estoit à eulx confessé, tant avoient grand bruyt et bon los de bien savoir remonstrer aux pecheurs leurs defaultes. Mais qui les loast et eust bien en grace, les femmes estoient du tout données à eulx, tant les avoienr trouvés sainctes gens de grant charité et de profunde devotion. Or entendez la deception mauvaise et horrible traison que ces faulx ypocrites pourchassèrent à ceulx et celles qui tant de biens de jour en jour leur faisoient ilz feirent entendre à toutes les femmes generalement de la ville qu'elles estoient tenues à Dieu de rendre le disme de tous leurs biens, « comme au seigneur de telle chose et de telle, à vostre parroisse et curé de telle chose et telle; et à nous vous devez rendre le disme du nombre des foiz que vous couchez charnellement avecques voz mariz. Nous ne prenons sur vous aultre disme, car, comme vous savez, nous ne portons point d'argent; et si n'en querons point, car il ne nous est rien des biens temporelz ettransitoires de ce monde. Nous querons et demandons seullement les biens espirituelz. La disme que nous devez et que nous vous demandons, elle n'est pas des biens femporelz; elle est à cause du saint sacrement que vous avez receu, qui est une chose divine et espirituelle. Et de celuy n'appartient à nul recevoir le disme que à nous seullement, religieux de l'observance. »


Les pouvres simples femmes, qui mieulx cuidoient ces bons frères estre anges que hommes terriens, ne refusèrent pas ce disme à paier. Il n'y eust celle qui ne le paya à son tour, de la plus haulte jusques à la maindre; mesmes la dame du seigneur n'en fust pas excusée. Ainsi furent toutes les femmes de la ville appaties à ces vaillans moynes; et n'y avoit celuy d'eulz qui n'eust à sa part de quinze à seize femmes le disme à recevoir; et à ceste occasion, Dieu scet les presens qu'ilz avoient d'elles, tout soubz umbre de devocion. Ceste manière de faire dura beaucop et longuement sans qu'elle venist-à la cognoissance de ceulx qui se fussent bien passez de ceste disme nouvelle. Elle fut toutesfoiz en la fin descouverte en la manière qui s'ensuyt Ung jeune hommenouvellement marié fut prié de soupper à l'ostel d'un de ses parens, et luy et sa femme; et comme ilz retournoient de ce couvine, passans par devant l'église des bons cordeliers dessus ditz, la cloche de l'Ave Maria sonna tout'à ce coup et le bon homme s'enclina sur la terre pour dire ses devocions, et sa femme luy dist « S'il vous plaisoit, j'entreroye voluntiers dedans ceste église pour dire ung Pater noster et ung Ave Maria. Que ferez-vous là dedans à ceste heure ? dist le mary; vous y reviendrez bien quand il sera jour, demain ou une aultre foiz. Je vous requier, dit-elle, que je y aille par ma foy, je retourneray tantost. Nostre dame, dist-il vous n'y entrerez jà maintenant. Par ma foy, dit-elle


c'est force, il m'y convient aller; je ne demoureray rien si vous avez haste d'aller à l'ostel, allez tousjours devant, je vous suyvray tout à ceste heure. Picquez, picquez devant, ditil, vous n'y avez pas tant à faire; si vous voulez dire Pater noster ne Ave Maria, il y a assez place l'ostel, et vous vauldra autant là le dire que maintenant en ce moustier, où lèn ne voit goute. -A dya dit-elle, vous direz ce qu'il vous plaira mais, par ma foy, il fault necessairement que j'entre ung petit dedans. – Et pourquoy? dit-il; voulez-vous aller coucher avecques les frères de léens ? » Elle qui cuidoit à la verité que son mary sceust bien qu'elle payoit le disme, luy respondit «Nenny, je n'y veil pas aller coucher, mais je veil aller payer. -– Quoy paier? dit-il. Vous le savez bien, dit-elle, et si le demandez. Que scay-je bien? dit-il; je ne me mesle pas de voz debtes.– Au mains, dit-elle savez vous bien qu'il me fault paier le disme. Quel disme ? Ha hors, dit-elle, c'est ung jamès; et le disme de nuyt de vous et de moy; vous avez bon temps, il fault que je le paye pour nous deux. Et à qui le payez vous ? dit-il. ,– A frère Eustace. Allez tousjours à l'ostel; si m'y laissez aller que j'en soye quitte c'est si grant peché de ne le non point paier que je ne suis jamais aise quand je luy doy rien. Il est meshuy trop tard, dit-il, il est couché passé une heure. Ma foy, ce dit-elle, je y ay esté ceste année beaucop plus tard; puis qu'on Veult paier on y entre à toutes heures. AI-


Ions, allons, dit-il, une nuyt n'y fait rien. » Ainsi s'en retournèrent le mary et la femme mal contens tous deux, la femme qu'on ne l'a pas laissée paier son disme, et le mary, qui se voit ainsi deceu estoit tout esprins d'ire et de maltalent, qui encores luy redoubloit sa peine qu'il ne l'osoitmonstrer. A chef de pièce toutesfoiz, ilz se couchèrent le mary, qui estoit subtil, interroga sa femme de longue main, si les aultres de la ville ne payoient pas aussi bien ce disme qu'elle fait. « Quoy donc dit-elle; par ma foy, si font; quel privilége aroyent elles plus que moy ? Nous sommes encores seze ou vingt qui le payons à frère Eustace. Ha! il est tant devot et créez que ce luy est une grand peine et une bien méritoire pacience. Frère Bertholomeu en a autant ou plus, et, entre les aultres, madame est de son- nombre. Frère Jacques aussi en à beaucop, et frère Anthoine aussi; il n'y a celuy d'eulx qui n'ayt son nombre. Saint Jehan, dit le mary, ils n'ont pas œuvre laissée; or cognois je bien qu'ilz sont beaucop plus devotz qu'ilz ne semblent; et vrayement je les veil avoir céans pour trëstous l'un après l'autre les festoier et oyr leurs bonnes devises. Et pource que frère Eustace reçoit le disme de céans, faictes que nous ayons demain bien à disner, car je l'amainray. Très voluntiers, dit-elle au mains ne me fauldra-il pas aller en sa chambre pour payer; il le recevra bien céans. -Vous dictes bien, dit-il; or dormons. » Mais créez qu'il n'en avoit garde, et si


luy tardoït beaucop qu'il fust jour et en lieu de dormir il pensa tout à son aise ce qu'il vou, loit à lendemain executer. Ce disnér vint, et frère Eustace, qui ne sçavoit pas l'intention de son hoste fist assez bonne chère dessoubi son chaperon. Et quand il véoit son point il prestoit ses yeulx à Tostesse, sans espargner par dessous la table le gracieux jeu des piez, de quoy s'apercevoit et donnoit très bien garde. l'oste, sans en faire semblant combien que ce fust à son préjudice. Après les grâces, il apWpela frère Eustace, et luydist qu'il luy vouloit> monstrer une ymage de Nostre Dame et une belle oraison qui estoit en sa chambre; et il respondit qu'il le verroit voluntiers. ilz entrèrent dedans, et l'oste ferma l'huys, et puis saisit une grande hache, et dist à nostre cor- delier « Par la mort bien, beau père vous ne saulterez jamais d'icy sinon les piez devant, se vous ne confessez verité. Hélas 1 mon'hoste, dist frère Eustace, je vous cry mercy 1 et que me demandez-vous? -–Je vous demande, dit-il, le disme de la disme que vous avez prins sur ma. femme, a Quand le cordelier oyt parler du disme, il se pensa bien que ses besoignes n'ëstoient pas bonnes; si ne sceut que respondre, sinon de crier mercy, et de s'excuser le plus beau qu'il povoit « Or me dictés dist l'oste, quel disme est ce que vous prenez sur ma femme et sur les autres » » Le pouvre cordelier estoit tant efferré qu'il ne savoit parler, et ne respondoit mot. « Dictes moy, dist l'oste, la chose comment elle


va, par ma foy je vous lairray aller, et ne. vous feray jà mal; si non je vous tueray tout roidde. » Quand l'autre se vit asseuré, il ayma mieulx confesser verité et son peché et celuy de ses compaignons et eschapper, que le celer et tenir clos et estre en dangier de perdre sa vie si dist « Mon hoste, je vous cry mercy, je vous diray vérité. Il est vray que mes compaignons et moy avons fait accroire à toutes les femmes de ceste ville qu'elles doivent le disme des foiz que vous couchez avec elles elles nous ont creuz, si le payent et jeunes et vieilles; puisqu'elles sont mariées, il n'en y a pas une qui en soit excusée madame mesmes la paye comme les aultres, ses deux niepces aussi et generalement nulle n'en est exemptée. Ha dya, dist l'oste, puis que monsei-.gneur et tant de gens de bien le payent, je n'en doy pas estre quitte, combien que je m'en passasse bien. Or vous, en allez, beau père, par tel fin que vous me quitterez le disme que ma femme vous doit. » L'autre ne fut oncques si joyeux quand il se fut sauvé dehors, si dist que jamais n'en demanderoit rien,'comme non fist-il, ainsi que vous orrez. Quand l'oste. du cordelier fut bien informé de sa femme et de son dismeur de ceste nouvelle disme, il s'en vint à son seigneur et luy compta tout du long le cas du disme, comme il est touché sy dessus. Pensez qu'il fut bien esbahy et dist « Oncques ne me pleurent ces papelars, et si me jugeoit bien le cueur qu'ilz n'estoient pas telz par dedens qu'ilz se monstroient par de-


hors. Ha maudictes gens qu'ils sont maudicte soit l'heure qu'onques monseigneur mon père, à qui Dieu pardoint, les accoincta Or sommes nous par eulx gastez et deshonorez. Et encore feront-ilz pis s'ils durent longuement. Qu'est-il de faire ? Par ma foy, monseigneur, dit l'autre, s'il vous plaist et semble bon, vous assemblerez tous vos subjects de cette ville la chose leur touche comme à vous si leur declarez ceste adventure, et puis arez advis avec eulx de pourveoir au remède, combien que ce soit tard. » Monseigneur le voult si manda tous ses subjectz mariez tant seullement, et ilz vindrent vers luy; et en la grand sale de son hostel, il leur declara tout au long la cause pourquoy il les avoit assemblez. Si monseigneur fut bien esbahy de prinsault, quand il sceut premier ces nouvelles, aussi furent toutes ces bonnes gens qui là estoient. Les uns disoient Il les faut tuer; les aultres II les fault pendre; les aultres noyer.. Les aultres disoient qu'ilz ne pourroient croire que ce fust verité, et qu'ilz sont trop devotz et de saincte vie. Ainsi dirent longuement les unz d'un et les aultres d'aultre. « Je vous diray, dist le seigneur nous manderons icy noz femmes, et ung tel maistre Jehan, etc., lequel fera une petite collacion, laquelle enfin cherra à parler des dismes, et leur demandera au nom de nous tous s'elles s'en acquictent, car nous voulons qu'elles soient paiées; nous orrons leur response. » Et après advis sur cela, ilz s'accordèrent tous au conseil et à l'oppinion


de monseigneur. Si furent toutes les femmes mariées de la ville mandées si vindrent en la sale où tous leurs mariz estoient. Monseigneur mesme fist venir madame, qui fut toute esbahie de voir l'assemblée de ce peuple. Ung sergent de par monseigneur commenda faire silence. Et maistre Jehan se mist ung peu au dessus des aultres, et commença sa petite collacion comme il s'ensuyt « Mesdames et mesdamoiselles, j'ay la charge de par monseigneur qui cy est et ceulx de son conseil vous dire en bref la cause pourquoy vous estes icy mandées. Il est vray que monseigneur, son conseil et son peuple qui cy est, ont tenu à ceste heure ung petit chapitre du fait de leurs consciences la cause si est qu'ilz ont volunté, Dieu devant, dedans bref temps de faire une belle procession et devote à la loange de Nostre Seigneur Jhesu Crist et de sa glorieuse mère, et à icelluy -jour se mettre trestous en bon estat affin qu'ilz soient mieulx exaulsiez en leurs plus devotes prières et que les œuvres qu'ils feront soient à celuy jour à Dieu plus agréables. Vous savez assez que, la mercy Dieu, nous n'avons eu nulles guerres de nostre temps et noz voisins en ont esté terriblement persecutez, et de pestilence et de famine. Quand les aultres en ont esté examinez, nous avons peu dire et encores disons que Dieu nous en a preservez. C'est bien raison que nous cognoissons que ce vient non pas de noz propres vertuz, mais de la seulle large et libérale grace de nostre benoist redempteur,


qui huche, appelle, et invite au son des devotes prières qui se font en nostre église parochiale, et où nous adjoustons très grand foy et tenons ferme devocion. Le devot couvent des cordeliers de ceste ville nous a beaucop valu et vault à la conservacion des biens dessus dictz. Au surplus nous voulons savoir de vous si vous acquittez faire ce à quoy vous estez tenues; et combien que nous tenons assez estre en vostre mémoire l'obligacion qu'avez à l'église, il ne vous desplaira pas pour- plus grand seureté si je vous en touche aucuns des plus gros--poinets. Quatre foiz l'an, c'est assavoir, à quatre nataulx, vous devez confesser du mains à quelque ung prestre ou religieux ayant sa puissance et si à chaqu'une foiz receviez vostre créateur, ce seroit trèsbien fait; deux foiz ou une foiz l'an du mains le devezvous faire. Allez à l'offrande tous les dimanches, et à chacune messe; celles qui en ont la puissance, paiez loyaument les dismes à Dieu, comme de fraiz7'depo'ules d'aigneaulx de cochons, et aultres telz usages accoustumez. Vous devez aussi ung aultre disme aux devotz religieux du couvent de saint Françoys, que nous voulons expressement qu'il soit payé; c'est celuy qui plus nous touche au cueur, et dont nous desirons plus l'entretenance et pourtant s'il y nulles de vous qui en ait fait son devoir aultrement que bien, soit ou par sa negligence ou par faulte de le demander, de le payer s'avance. Vous savez que ces bons religieux ne peuvent venir en voz


hostelz querir leur disme, ce leur seroit trop grand peine et trop grand destourbier; il doit bien suffire s'ilz prenent la peine de le recevoir. Véezla partie de ce que je vous ay à dire; reste à savoir celles qui ont paié et celles qui doivent. » Maistre Jehan n'eut pas sitost finé son dire que plus de vingt femmes, toutes à une voix commencèrent à crier « J'ay paié, moy j'ay paié, moy; je ne doy rien ne moy, ne moy! » D'aultre costé dirent ung cent d'aultres, et generalement toutes, qu'elles ne devoient rien; mesmes saillirent avant quatre ou six belles jeunes femmes dtii dirent qu'elles avoient si bien payé qu'on leur devoit sur le temps advenir, à l'une quatre foiz, à l'autre six, à l'autre dix. Il y avoit aussi d'autre costé je ne scay quantes veilles qui ne disoient mot; et maistre Jehan leur demanda s'eUes avoient bien payé leur disme, et elles respondirent qu'elles avoient faict traicté avec les cordeliers. « Comment, dit-il ne paiez vous pas? vous devriez semondre et contraindre les aultres de ce faire, et vous mesmes faictes la faulte – Dya, ce dit l'une, ce n'est pas par moy je me suis plusieurs foiz presentée de faire mon devoir, mais mon confesseur n'y veult jamais entendre; il dist tousjours qu'il n'a loisir. Saint Jehan, dirent les aultres veilles, nous avons converty par traicté fait avec eulx la disme que devons en toille, en drap, en coussins, en bancquiers, en oreilliers, et en aultres telles bagues; et ce par leur conseil et advertissement, car nous,


amerions mieulx à paier comme les aultres.Nostre Dame, dist maistre Jehan, il n'y a point de mal, c'est trèsbien fait. Elles s'en peuvent bien aller quand leur plaira, monseigneur, dist maistre Jehan; ne font pas?-Oy, dit-il mais quoy que soit, que ce disme ne soye pas oublyé. » Quand elles furent toutes hors de la sale, l'huis fut serré; si n'y eut celu des demourez qui ne regardast son compaignon. « Or ça, dist monseigneur, qu'est-il de faire? Nous sommes acertenez de la tra'ison que ces ribaulx moynes nous ont faicte par l'un d'eulx et par noz femmes; il ne nous fault plus de tesmoings. » Après pluseurs et diverses opinions, la finale et derrenière resolucion si fut, qu'ils yront bouter le feu ou couvent, et brulleront et moynes et moustier. Si descendirent en bas en la ville, et vindrent au monastère; et ostèrent hors le Corpus Domini, et aucuns aultres reliquiaires, et l'envoyèrent en la parroisse; et puis, sans plus enquerre, boutèrent le feu en divers lieux léens et ne s'en partirent tant que tout fut consumé, et moynes, et convers, et eglise, et dortoir, et le surplus des edifices dont il avoit foison léens. Ainsi achetèrent bien chèrement les pouvres cordeliers le disme non accoustumé qu'ilz misrent sus. Dieu mesmes, qui n'en povoit mais, en eut bien sa maison. brullée.


temps, entre les mieulx et plus renommez, se trouva tant et si bien en la grace d'une belle damoiselle qu'il en fut retenu serviteur, et d'elle obtint à chef de pièce tout ce que par honneur donner luy povoit et au surplus, par force d'armes ad ce la mena que refuser ne luy peut nullement ce que pluseurs devant et après ne peurent obtenir. Et de ce se print et, donna trèsbien garde ung très gentil et gracieux seigneur, trèscler. voyant, dont je passe le nom et le& vertuz lesquelles, si en moy estoit de les racompter, n'y-a celuy de vous qui tantost ne congneust de quoy ce compte se feroit, ce- que pas ne vouldroye. Ce gentil homme que je vous dy, qui se perceut des amours du chevalier dessus dit; quand il vit son point, luy demanda s'il n'estoit point amoureux d'une telle damoiselle, c'est assavoir de celle dessus dite? Et il luy respondit que non et l'autre, qui bien savoit le contraire, luy dist qu'il cognoissoit trèsbien que si. Neantmains, quelque chose qu'il luy dist ou remonstrast, qu'il ne luy devoit

jng gentil chevalier des marches :de Bourgoigne, sage, vaillant, et ,très bien adrecié, digne d'avoir bruit et los, comme il eut tout son ritri- lpç mianlv ar.l"o .o"e.

LA XXXIIIE NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR.


pas celer ung tel cas, et que si il luy estoit advenu semblable, ou beaucop plus grand, il né luy celeroit jà si ne luy-voult oncques confesser ce qu'il savoit certainement et bien. S'il se pensa qu'en lieu d'aultre chose faire, et pour passer temps, s'il scet trouver- voie ne-fasson, en lieu que celuy luy est tant estrange et prend si peu de fiance en luy, il s'accointera de sa dame etse fera privé d'elle. A quoy il ne faillit pas, car en peu d'heure il fut vers elle si très bien venu, que celuy qui le valoit, qu'il se povoit vanter d'en avoir aultant obtenu, sans faire guères grand queste ne poursuite que eeluy qui mainte peine et foison de travaulx en soustint et si avoit ung bon point il n'en estoit en rien feru. Et l'aultre, qui ne pensoit point avoir compaignon en avoit tout au long du bras ou autant qu'on en pourroit entasser à force ou cueur d'un amoureux. Et ne vous fault pas penser qu'il ne fust entretenu de la bonne gouge autant et mieulx que par avant, qui le faisoit plus avant bouter et entretenir en sa fole- amour. Et affin que vous sachez que ceste vaillant gouge n'estoit pas oiseuse ,:qui en avoit à entretenir deux du mains, lesquelz elle eust à grand regret perduz, et spécialement le derreniervenu, car il estoit de plus haulte estoffe et trop mieulx soulier à son pié que le premier venu', et elle leur bailloit et assignoit tousjours heure de venir vers elle l'un après l'aultre, comme l'un aujourd'huy et l'aultre demain; Et de- ceste manière de faire savoit bien


l'occasion le derrenier venu, mais il n'en faisoit nul semblant, et aussi à la vérité il ne luy en challoit guères, si non que ung pou luy desplaisoit la folie du premier venu, qui trop fort à son gré se boutoit en chose de petite value. Et de fait se pensa qu'il l'en advertiroit tout du long, ce qu'il fist. Or savoit-il bien que les jours que la gouge luy defendoit de venir vers elle, dont il faisoit trop bien le mal content, estoient gardez pour son compaignon le premier venu. Si fist le guet par pluseurs nuiz et le véoit entrer vers elle par le mesme lieu et à celle heure que ès aultres ses jours fâisoit. Si luy dist ung jour entre les aultres « Vous m'avez beaucop celé les amours d'une telle et de vous et n'est serment que vous ne m'ayez fait au contraire, dont je m'esbahis bien que vous prenez si peu de fiance en moy, voire quand je sçay davantage et véritablement ce qui est entre vous et elle. Et affin que vous sachiez que je scay qui en est, je vous ay veu entrer de vers elle par pluseurs foiz à telle heure et à telle et de fait hier, n'a pas plus loing, je teins sur vous, et d'un lieu où j'estoye, je vous y vy entrer; vous savez bien si je dy vray. » Le premier venu, quand il oyt si vives enseignes tant notoires, il ne sceut que dire si luy fut force de confesser ce qu'il eust très voluntiers celé, et qu'il cuidoit que ame ne sceust que luy. Et dist à son compaignon le derrenier venu que vrayement il ne luy peut plus ne veult celer qu'il en soit bien amoureux, mais il luy prie qu'il


n'en soit nouvelle. «Et que diriez-vous, dit l'autre, si vous aviez compaignon ? Compaignon dist-H, quel compaignon ? En amours, je ne le pense pas, dit il. Saint Jehans! dist le derrenier venu, et je le scay bien il ne fault jà aller de deux en trois, c'est moy. Et pour ce que je vous voy plus féru que la chose ne vaille vous ay-je pieça voulu advertir, mais vous n'y avez voulu entendre et si je n'avoie plus grant pitié de vous que vous mesmes n'avez, je vous' lairroye en ceste folye; mais je ne pourroye souffrir que une telle gouge se trompast et de vous et de moy si longuement. » Qui fut bien esbahy de ces nouvelles, ce fut le premier venu, car il cuidoit tant estre en grace que merveilles; si ne savoit que dire ne penser. Au fort, quand il parla, il dist « Nostre dame on m'a bien baillé de l'oye, et si ne m'en doubtoiê guères si en ay esté plus aisié à decevoir; le dyable emporte la gouge quand elle est telle Je vous diray, dit le derrenier venu, elle se cuide tromper de nous, et de fait elle a desjà trèsbien commencé, mais il la fault nous mesmes tromper. Et je vous en prie, dist le premier venu, le feu de saint Anthoine l'arde quand oncques je l'accointay –Vous savés, dist le derrenier venu, que nous allons vers elle tour à tour, il fault qu'à la première foiz que vous yrez ou moy, ainsi qu'il viendra, que vous dictes que vous avez bien cogneu et apperceu que je suis amoureux d'elle, et que vous m'avez veu entrer et vers elle venir, à


telle heure, et ainsi habillé et que parla mort bieu, si vous m'y trouvez plus, vous me tuerez tout roidde, quelque chose qui vous en doibve advenir. Et je diray pareillement de vous, et nous verrons sur ce qu'elle fera et dira et arons advis du surplus. C'est très bien dit, et je le veil)) dit le premier venu. Comme il fut dit il en fut fait, car je ne scay quans jours après, le derrenier venu eut son tour d'aller besoigner, si se mist au chemin et vint au lieu assigné. Quand il se trouva seul avecques ta gouge, qui le receut très doulcement et de grand cueur, comme il sembloit, il faindit, comme bien le savoit faire, une sure et matte chère, et monstra semblant de courroux. Et elle, qui avoit accoustumé de le voir tout aultre, ne sceut que penser; si luy demanda qu'il avoit et que sa manière monstroit que son cueur n'estoit pas à son aise. «Vrayement, madamoiselle, dist-il, vous dictes vray, que j'ay bien cause d'estre mal content et desplaisant la vostre mercy toutesfoiz que le m'avez pourchassé. Moy, dist-elle. Hétas non ay, que je sache car vous estes le seul homme en ce monde à qui je vouldroye faire plus de plaisir, et de qui plus près me toucheroit l'ennuy et le desplaisir. Il n'est pas damné qui ne le croit, dit-il; et pensezvous que je ne me soye bien apperceu que vous entretenez ung tel, c'est assavoir le premier venu. Si faiz, par ma foy, je l'ai trop bien veu parler à vous à part et que plus est, je l'ay espié et veu entrer ceans. Mais par la


dunre. na! monseigneur, dit elle, par CfnfJVo~.–t. I. 14

mort bieu, si je l'y trouve jamais, son derrenier jour sera venu, quelque chose qu'il en doyve ou puisse advenir que je souffrisse ne peusse veoir qu'il me fist ce desplaisir, j'aymeroye mieulx à morir mille foiz, s'il m'estoit possible. Et vous estes aussi bien desloyalle, qui savez certainement et de vray que, après Dieu, je n'ayme rien tant que vous, qui à mon très grant préjudice le voulez entretenir. Ha monseigneur, dit-elle, et qui vous a fait ce raport ? Par ma foy, je veil bien que Dieu et vous sachez que la chose va tout aùltrement, et de ce je le prëns à tesmoignage qu'oncques en jour de ma vie je ne tins termes à cestuy dont vous parlez, ne à aultre, quel qui soit, tant que vous ayez tant soyt peu de cause d'en estre mal content. Je ne veil pas nyer que je. n'ayé parlé et parle à luy tous les jours, et à pluseurs aultres, mais qu'il y ait entretiennement, rien; ains tiens que ce soit la maindre de ses pensées, et aussi, par Dieu, il se abuseroit: Jà Dieu ne me laisse tant vivre que aultruyquevous ait une partne demye en ce qui est tout entière vostre. Madamoiselle, dit-il/vous le savez très bien dire, mais je ne suis pas si beste de le croire. » Quelque malcontent qu'il y eust, il fist ce pourquoy il estoit venu, et au partir luy dist « Je vous ay dit et de réchef vous faiz savoir que si je m'appercoy jamais que l'aultre y vienne, je le mettray ou feray mettre en tel point qu'il ne courrousserâ jamais ne moy ne aultre. Ha! monseigneur, dit elle, par Cent Nouv. t.


dieu vous avez tort de prendre vostre ymag~nacion sur luy, et croiez que je suis seure qu il n'y pense pas. Ainsi departit nostre derrenier venu. Et au lendemain son compaignon le premier venu ne faillit pas à son lever pour savoir des nouvelles et il luy en compta largement et bien au long le demené, comment il fist le courroucié comment il la menasse de tuer, et les responses de la gouge. « Par mon serment, c'est bien joué. Or laissez moy avoir mon tour si je ne fays bien mon personnage, je ne fuz oncques si esbahy. » A chef de pièce son tour vint, et se trouva vers la gouge qui ne luy fist pas mains de chère qu'elle avoit de coustume, et que le derrenier venu en avoit emporté naguères. Si l'aultre son compaignon le derrenier venu avoit bien fait du mauvais cheval et en maintien et en paroles, encores en fist-il plus, et comme celuy qui sembloit plus courroucié qu'oncques homme ne fut joyeux, dist en telle manière « Je doy bien maudire l'heure et le jour qu'oncques j'eu vostre accointance; car il n'est pas possible à Dieu ne au monde tout ensemble d'amasser plus de doleurs, regretz, et d'amers desplaisirs au cueur d'un pouvre amoureux que j'en trouve aujourd'uy dont le mien est environné et assiégé. Hélas je vous avoye entre aultres choisie comme la non pareille de loyaulté, genteté et gracieuseté, et que je y trouveroye largement et à comble la trèsnoble vertu de loyauté; et à ceste cause m'estoye de mon cueur defait et du tout l'a-


voye mis en vostre mercy, cuidant à la vérité que plus noblement ne en meilleur lieu asseoir ne le pourroie mesmes m'avez ad ce méné que j'estoye prest et délibéré d'attendre la mort, ou plus, si possible eust esté, pour vostre honneur sauver. Et quand j'ay cuidié estre plus seur de vous, que je n'ay pas seullement sceu par estrange rapport, mais à mes yeulx mesmes perceu ung aultre venu de costé, qui me toust et rompt tout l'espoir que j'avoye en vostre service d'estre de vous tout le plus cher tenu. Mon amy, dist la gouge, je ne scay qui vous a troublé, mais vostre mamère etvoz parolles portent et jugent qu'il vous fault quelque chose, que je ne saroie penser ne inferrer que ce peut estre si vous n'en dictes plus avant, si non ung peu de jalousie qui vous tourmente, ce me semble, de laquelle, si vous estiez bien sage, n'ariez cause de vous accointer. Et là où je saroye, je ne vous en vouldroye pas bailler l'occasion et si vous pensez bien à tout, vous n'estes pas si peu accoinct de moy que je ne vous aye monstré la chose au monde qui plus vous en peut donner et bailler cause d'asseurance, à quoy vous me feriez tantost avoir regret, par me servir de telz paroles. Je ne suis pas homme, dit le premier venu, que vous doyez contenter de paroles, car excusance n'y vault rien. Vous ne povez nyer que ung tel, c'est asavoir le derrenier venu, ne soit de vous entretenu; je le scay bien, car je m'en suis donné garde, et si ay bien fait te guet, car je


l'ay veu venir vers vous hier, n'a pas plus loing il y vint à telle heure et ainsi habillé. Mais je voue à Dieu qu'il en a prins ses quaresmeaux, car je tendray sur luy; et tust-il plus grand maistre cent foiz, si je l'y puis rencontrer je luy osteray la vie du corps, ou luy à moy, ce sera l'un des deux; car je ne pourroie vivre voyant ung aultre joir de vous. Et vous estes bien faulse et desloyale, qui m'avez en ce point deceu et non sans cause maudiz-je l'heure qu'oncques vous accointay, car je scay tout certainement que c'est ma mort, si'l'aultrescetmavolunté, et espère que oy. Et par vous je scay de vray que je suis mort; et s'il me laisse vivre, il aguyse le cousteau qui sans mercy à ses derrams jours le mainra. Et s'ainsi en advient, le monde n'est pas assez grand pour moy sauver que morir ne me faille. » La gouge n'avoit pas moyennement à penser pour trouver soudaine et suffisante excusance pour contenter celuy qui est si mal content. Toutesfoiz ne demoura qu'elle ne se mist en ses devoirs de l'ester hors de ceste melencolie, et pour assiete en lieu de cresson, elle luy dist « Mon amy, j'ay bien au long entendu vostre grand ratelée qui, à la vérité dire, me baille à cognoistre que je n'ay pas esté si sage que je deusse, et que j'ay trop tost adjousté foy à voz semblans et decevables parolles, et qu'elles m'ont conclut et rendue en vostre obéissance vous en tenez à présent trop mains de biens de moy. Aultre raison aussi vous meut, car vous savez


et assez cognoissez de fait que je suis prinse et que amours m'ont ad ce menée que sans vostre presence je ne puis vivre ne durer. Et à ceste cause et pluseurs aultres qu'il ne fault jà dire, vous me voulez tenir vostre subjecte et esclave, sans avoir ioy de parler ne deviser à nul aultre que à vous. Puis qu'il vous plaist, au fort j'en suis contente, mais vous n'avez nulle cause de moy suspessonner en rien de personne qui vive, et si ne fault.aussi jà que m'en excuse verité, que tout vaint, m'en defendra si luy plaist. Par dieu; m'amye, dist le premier venu, la verité est telle que je vous ay dicte, qui vous sera quelque jour prouvée et cher vendue pour aultry et pour moy, si aultre provision de par vous n'y est mise. )) Après ces parolles et aultres trop longues à racompter, se partit le premier venu. qui pas n'oblya lendemain tout au long racompter à son compaignon le derrain venu, Et Dieu scet les risées et joyeuses devises qu'à ceste cause qu'ilz eurent entre eulx deux. Et la gouge en ce lieu avoit bien des estouppes en sa quenoille, qui veoit et savoit très bien que ceulx qu'elle entretenoit se doubtoient et percevoient chacun de son compaignon, mais pourtant ne laissa pas de leur bailler tousjours audience, chacun à sa foiz, puis qu'ils la requeroient, sans en donner à nul congié. Trop bien les advertissoit qu'ilz venissent bien secrètement vers elle, affin qu'ilz ne fussent de quelque ung apperceuz. Mais vous devez savoir, quand le premier venu avoit son tour,


qu'il n'oblioit pas à faire sa plaincte comme dessus et n'estoit rien de la vie de son compaignon s'il le povoit rencontrer. Pareillement le derrenier, le jour de son audience, s'efforcoit de monstrer semblant plus desplaisant que le cueur ne luy donnoit et ne valoit son compaignon, qui oyoit son dire, guères mieulx que mort, s'il le treuve en belles. Et la subtille et double damoiselle le cuidoit abuser de paroles, qu'elle avoit tant à main et si prestes, que ses bourdes sembloient autant véritables'comme l'Euvangile. Et si cuidoit bien en son sens tant, quelque doubte ne suspicion qu'ilz eussent, que jamais la chose ne fust plus avant efforcée, et qu'elle estoit aussi bien femme pour les fournir tous deux et mieux trop que nesung d'eulx à part n'estoit pour la seulle servir à gré. La fin fut aultre, car le derrenier venu, qu'elle craignoit beaucop à perdre, quelque chose qu'il fust de l'aultre, luy dist ung jour trop bien sa leçzon. Et de fait. dit qu'il n'y retourneroit plus et aussi ne fist-il grand pièce après, dont elle fut très desplaisante et malcontente. Or ne fait pas à oblyer, affin qu'elle eust encores mieulx le feu, il envoya vers elle ung gentilhomme de. son estroict conseil, affin de luy remonstrer bien au long le desplaisir qu'il avoit d'avoir compaignon en son service et bref et court, si elle ne lui donne congé il n'y reviendra jour qu'il vive. Comme vous avez oy dessus, elle n'eust pas voluntiers perdu son accointance si n'estoit saint ne s.aincte qu'elle ne parjurast,


soy excusant de Tentretenance du premier et en fin comme toute forcenée dist à l'escuier « Et je monstreray à vostre maistre que je l'ay- = me et me baillez vostre cousteau. Quand elle l'eut, elle se desatourna, et couppa tous ses cheveulx de ce cousteau, non pas bien à l'ung. L'aultre print ce present, qui bien savoit toutesfoiz la verité du cas, et s'offrit de faire le mieulx qu'il pourroit et du présent faire devoir, ainsi qu'il fist tantost après. Le derrenier venu receut ce present, qu'il destroussa et trouva les cheveulx de sa dame, qui beaulx estoient et beaucop longs si ne fut guères aise tant qu'il trouva son compaignon, au quel il ne cela pas l'ambassade qu'on a mise sus, et à luy envoyée, et les gros presens qu'on luy envoye, qui n'est pas pou de chose; et lors monstra les beaulx cheveulx « Je croy, dit-il, que je suis bien en grace vous n'avez garde qu'on vous en face autant. Saint Jehan, dit l'aultre, véez cy aultre nouvelle or voy je bien que je suis frict. C'est fait, vous avez bruyt tout seul sur ma foy, fist le derrenier venu, je tien moy, qu'il n'en est pas encores une telle je vous requier, pensons qu'il est de faire ? Il luy fault monstrer à bon escient que nous la cognoissons telle qu'elle est. Et je le veil )), dit l'aultre. Tant pensèrent et contrepensèrent qu'ilz s'arrestèrent à faire ce qui s'ensuyt. Le jour ensuyvant, ou tost après, les deux compaignons se trouvèrent en une chambre ensemble où leur loyale dame avec pluseurs aultres estoit chacun s'assiste! print


sa place où mieulx luy pleut, le premier venu auprès de la bonne damoiselle, à laquelle tantost après pluseurs devises il monstra les cheveux qu'elle avoit envoyez à son compaignon. Quelque chose qu'elle en pensast, elle n'en monstra nul semblant d'effroy; mesme disoit qu'elle ne les cognoissoit, et qu'ils ne venoient point d'elle.–« Comment, dist-il, sont-ilz si tost changez et descogneuz ? Je ne scay, dit-elle, qu'ilz sont, mais je ne les cognois. » Et quand il vit ce, il se pensa qu'il estoit heure de jouer son jeu et fist manière de vouloir mettre son chapperon qui sur son espaule estoit dessus sa teste, et en ce faisant tout au propos luyfist hurter si rudement à son atour qu'il l'envoya par terre, dont elle fut bien honteuse et malcontente, et ceulx qui là estoient apperceurent bien que ses cheveulx estoient couppez, et assez lourdement. Elle sailtit sus bien à haste, et si reprint son atour et s'en entra en une aultre chambre pour se aller ratourner, et il la suyt; si la trouva toute marrie et courroucée, voire bien fort plorant de dueil qu'elle avoit estre desatoumée. Si luy demanda qu'elle avoit à plorer, et à quel jeu elle avoit perdu ses cheveulx ? Elle ne savoit que respondre, tant estoit à celle heure prinse soupprinse. Et il, qui ne se peut plus tenir de executer la conclusion prinse entre son compaignon et luy, luy dist « Faulse et desloyale que vous estes, il n'a pas tenu à vous que ung tel et moy ne nous sommes entretuez et deshonorez. Et je


tien moy que vous l'eussiez bien voulu, à ce que vous en avez monstré, pour en racointer deux aultres nouveaulx mais Dieu mercy, nous n'en avons garde. Et affin que vous sachez que je scay son cas et luy le mien, véez cy voz cheveulx que luy avez envoyez, dont il m'a fait présent ne pensez pas que nous soyons si bestes que nous avez tenuz jusques cy. )) Lors se part d'elle, et il appelle son compaignon, et il y vint « J 'ay rendu à ceste bonne damoiselle ses cheveulx, et si luy ay commencé à dire comment de sa grâce elle nous a bien tous deux entretenuz et combien que à sa manière de faire elle a bien monstré qu'il ne luy challoit se nous deshonnorions l'un l'autre, Dieu nous en a gardez.-Saint Jehan, ce a mon », dit-il. Et alors adressa sa parolle mesmes à la gouge; et Dieu scet s'il parla bien à elle, en luy remonstrant sa très grand lascheté et desloyauté de cueur. Et ne pense pas que guères oncques femme fust mieulx capitulée qu'elle fut pour adonc, puis de l'un puis de l'aultre. A quoy elle ne savoit que dire ne respondre, comme prinse en méfiait évident, sinon de larmes, que point ellen'espargnoit. Et ne pense pas qu'elle eust oncques guères plus de plaisir en les entretenant tous deux qu'elle avoit à ceste heure de desplaisir. La conclusion fut telle toutesfoiz qu'ilz ne l'abandonneroient point, mais par accord doresenavant chacun à son tour ira et silz y viennent tous deux ensemble l'un fera place à l'autre, et bons amys comme devant, sans


plus jamais parler de tuer et de batre. Ainsi en fut-il fait, et maintindrent les deux compaignons assez longuement ceste vie et plaisant passetemps, sans ce que la gouge les osast oncques desdire. Et quand l'un aloit à sa journée, il le disoit à l'autre; et quand d'adventure l'un esloignoit la marche, et le lieu demouroit à l'autre, très bon faisoit oyr les recommendacions qu'il faisoit au partir mesmes firent de très bons rondeaulx, et pluseurs chansonnettes, qu'ilz mandèrent et envoyèrent l'un à l'autre, dont il est aujourduy bruyt, servans au propos de leur matère dessus dicte, dont je cesseray le parler, et donneray fin au compte.

n'estainctes, mais en commune audience publicquement blasonnées. Vous orrez en bref, s'il vousplaist, en la deduction de ceste nouvelle, la chose de quoy j'entens amplier et accroistre sa trèseureuse renommée. Ceste vaillante preude femme, par saint Denis, mariée à ung tout oultre noz amys, ayoit pluseurs.serviteurs

'ay congneu en mon temps une notable et vaillant femme, digne et de memoire et de recommendacion, car ses vertuz ne doivent estre ceHées

LA XXXIVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


en amours, pourchassans et desirans sa grace, qui n'estoit pas trop difficile de conquerre, tant estoit doulce et pitéable celle qui la vouldit et pouvoit'departir largement par tout où bon et mieulx luy sembloit. Advint ung jour que les deux vindrent devers elle, comme ilz avoient de coustume non sachans l'un de l'autre, demandans lieu de cuyre et leur tour d'audience. Elle, qui pour deux ne pour trois n'eust reculé ne desmarché leur bailla jour et heure de se rendre vers elle, comme à lendemain, l'un à huyt heures du matin, et l'autre à neufensuyvant, chargeant à chacun par exprès et bien acertes qu'il ne faille pas à son heure assignée. Jlz promisrent sur foy et honneur, s'ilz n'ont mortel exoine, qu'ilz se rendront au lieu au terme limité. Quand vient au lendemain, environ vj. heures du matin, le mary de ceste vaillant femme se lève, habille, et mect en point; et la huche et appelle pour se lever, mais il ne fut pas obey, ains refusé tout plainement « Ma foy, dit-elle, il m'est prins ung tel mal de teste que je ne saroye tenir sur piez, si ne me pourroye encores lever pour morir, tant suis et foible et traveillée; et que vous le sachez, je ne dormy ennuyt. Si vous prie que me laissez icy, j'espoire quand je seray seuUe je prendray quelque pou de- repos. s L'aultre, combien qu'il se doubtast, n'osa contredire ne replicquer, mais s'en alla, comme il avoit charge, besôigner en la ville, tantdiz que sa femme ne fut pas oiseuse à Fostel car huit heures ne furent pas si tost sonnées que


véezcy bon compaignon, du jour devant à ce point assigné, qui vint hurter à l'huys et elle le bouta dedans. Il eut tantost sa longue robe despoillie, et le surplus de ses habillemens, et puis vint faire compaignie à madamoiselle, affin qu'elle ne s'espantast. Tant furent entre eulx deux bras à bras et aultrement que le temps s'écoula et passa et ne se donnèrent garde qu'ilz oyrent assez rudement hurter à l'huys. «Ha, dist-elle, par ma foy, véezcy mon mary, avancez vous bien tost, prenez vostre robe. Vostre mary, dit-il et le cognoissez vous à hurter ? Oy, dit-elle je scay bien que c'est il; abrégez-vous, qu'il ne vous trouve icy. II faut bien, se c'est il qu'il me voye je ne me saroye où sauver. Qu'il vous voye, dit-elle non fera si Dieu plaist, car vous seriez mort et moy aussi il est trop merveilleux. Montez en hault, en ce petit garnier, et vous tenez tout coy, sans mouvoir, qu'il ne vous voye. » L'autre monta, comme elle luy dist, et se vint trouver en ce petit garnier, qui estoit d'ancien edifice, tout desplanché, delaté et pertuisé en plusieurs lieux. Et madamoiselle le sentent tout là dessus, fait ung sault jusques à l'huys, très bien sachant que ce n'estoit pas son mary et mist dedans celuy qui ce jour avoit à neuf heures promis devers elle se rendre. Ilz vindrent en la chambre, où pas ne furent longuement debout, mais tout plat s'entreaccotèrent et baisèrent en la mesme ou semblable fasson que celuy du garnier avoit fait lequel par ung


pertuis véoit à l'ceil la compaignie, dont iL n'estoit pas trop content. Et fut grant pièce à son courage, asavoir sf bon estoit .qu'il parlast ou si mieulx luy valoit le taire. Il conclud tdutesfoiz tenir silence et nul mot dire jusques ad ce qu'il verra mieulx son point; et pensez qu'il avoit belle pacience. Tant attendit, tant regarda sa dame avecques le survenu, que bon mary vint à l'ostel pour savoir de Festat et santé de sa très bonne femme, ce qu'il estoit trèsbien tenu de faire. Elle l'oyt tantost, si n'eut aultre loisir de faire subitement lever sa compaigne et car elle ne savoit où le sauver, pour ce que ou garnier ne l'eust jamais envoyé, elle le fist bouter en la ruelle du lit, et puis le couvrit de ses robes, et luy dist « Je ne vous scay où mieulx loger, pre- nez en pacience. a EÎle n'eut pas finé son dire que son mary entra dedans, qui aucunement ce luy sembloit avoit noise ehtreoye si trouva le lit tout defroissié et despillié, la couverture mal honnye etd'estrangebyhès; et sembloit mieulx le lit d'une espousée que couche de femme malade. La doubte qu'il avoit auparavant, avecques l'apparence de présent, luy fist sa femme appeller par son nom, et dist « Paillarde meschante que vous estes, je n'en pensoye pas mains huy matin, quand vous contrefeistes la malade! Où est vostre houllier ? Je voue à Dieu, si je le trouve, il aura mal finé et vous aussi. » Et lois mist la main à la couverture, disant Véezcy pas bel appareil ? il semble que les pourceaux y ayent


couchié. Et qu'avez vous, meschant yvroi-

couchié. Et qu'avez vous, meschant yvroigne, ce dist-elle, fault-il que je compare le trop de vin que vostre gorge a entonné ? Est ce la belle salutacion que vous me faictes de m'appeller paillarde? Je veil bien que vous le sachez que je ne suis pas telle; mais suis trop bonne et trop loyale pour ung tel paillard que vous estes; et n'ay aultre regret que si bonne vous ay esté, car vous ne le valez pas. Et ne sçay qui me tient que je ne me lève et vous egratigne le visage par telle fasson que tousjours mes aurez memoire de m'avoir sans cause viHennée. Et qui me demanderoit comment elle osoit en ce point respondre, et à son mary parler, je y trouve deux raisons la première si est le bon droit qu'elle avoit en la querelle, et l'aultre car elle se sentoit la plus forte en la place. Et fait assez penser que, si la chose fust venue jusques aux horions, celui du garnier et l'aultre de la ruelle l'eussent servy et secouru. Le pouvre mary ne savoit que dire, qui oyoit le dyable sa femme ainsi tonner; et, pource qu'il véoit que hault parler ne fort toucher n'avoit pas lors son lieu il remist le procès tout en Dieu, qui est juste et droiturier. Et à chef de sa meditacion, entre aultres parolles, il dist « Vous vous excusez beaucop de ce dont scay tout le voir; au fort, il ne m'en chault pas tant qu'on pourroit bien dire; je n'en quier jamais faire noise celuy qui est là hault paiera tout. » Et par celuy de la hault il entendoit Dieu, comme s'ils voulsist dire « Dieu, qui rend àchacun ce qui luy est deu, vous paiera de vostre


desserte. » Mais le galant qui estoit ou garnier, qui oyoit ces parolles, cuidoit à bon escient que l'autre l'eust dit pour luy, et qu'il fust menacié de porter la paste au four pour le meffait d'aultruy; si respondit tout en hault: « Comment, sire, il suffist bien que j'en paye la moitié celuy qui est en la ruelle peut bien paier l'autre, il y est autant tenu que moy. » Qui fut bien esbahy, ce fut l'oste car il cuidoit que Dieu parlast à luy; et celuy de la ruelle ne savoit que penser, car il ne savoit rien de l'aultre. Il se leva toutesfoiz, et l'aultre descendit, qui le congneut. Si se partirent ensemble, et laissèrent la compaignie bien troublée et mal contente, dont guères ne leur chaloit à bonne cause.

d'une trèsbeHe damoiselle et à chef de pièce fut si avant en sa grace que rien ne luy fut escondit de ce qu'il osa demander. Advint, ne sçay combien après ceste alliance, que ce bon chevalier, pour mieulx valoir et hon-

ng gentilhomme, chevalier de ce royaume, trèsvertueux et de grand renommée, grand voyagier et aux armes trèspreu, devint amoureux

LA XXXVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE VILLIERS.


neur acquerre et embrasser, se partit de sa marche, trèsbien en point et accompaigné, portant emprinse d'armes du congé de son maistre. Et s'en alla ès Espaignes et en divers lieux, où il se conduisit tellement que à grand triumphe à son retour fut receu. Pendant ce temps, sa dame fut mariée à ung ancien chevalier, qui gracieux et sachant homme estoit, qui tout son temps avoit hanté à court, et pour vray dire estoit le vray registre d'honneur. Et n'estoit pas ung petit dommage qu'il n'estoit mieulx allié, combien toutesfoiz qu'encores n'estoit pas descouverte l'encloueure de son infortune si avant que d'estre commune, comme elle fut depuis, ainsi comme vous orrez. Ce bon chevalier amoureux dessusdit, retournant d'accomplir ses armes, comme il passoit pais, arriva d'aventure à ung soir au chasteau où sa dame demouroit. Et Dieu scet la bonne chère que monseigneur son mary et elle luy feirent, car de pieça avoit grand accointance et amytié entre eulx. Mais vous devez savoir que tantdiz que le seigneur de léens pensoit et s'efforçoit de faire finance de pluseurs choses pour festoyer son hoste, l'oste se devisoit à sa dame qui fut, et s'efforcoit de la festoyer et conjoyr comme il avoit fait aincois que monseigneur. Elle, qui ne demandoit aultre chose, ne s'excusoit en rien sinon du lieu. « Mais il n'est pas possible qu'il se puisse trouver. Ha! madame, dist-il, par ma foy, si vous voulez bien, il n'est manière qu'on ne treuve. Et que scera vostre mary, quand il


sera couché et endormy, si vous me venez veoir jusques en ma chambre? ou si mieulx vous plaist et bon vous semble, je viendray bien vers vous. Il ne se peut certes ainsi faire, ce dit-elle, carle dangieryesttrop grand; car monseigneur est de trop legier somme, et ne s'esveille jamais qu'il ne taste après moy et s'il ne me trouvoit point, pensez que ce seroit. Et quand il s'est en ce point trouvé, dit-il, que vous fait-il?-Aultre chose, ditelle, point; il se vire d'aultrecosté.–Ma foy, dit-il, c''est ung trèsmauvais mesnagier, il vous est bien venu que je suis arrivé pour vous secourir, et luy aider parfournir ce qui n'est pas bien en sa puissance d'achever. Si m'aist Dieu, dit-eUe, quand il besoigne une foiz en ung moys, c'est au mieulx venir; il ne fault jà que j'en face la petite bouche; creez que je prendroye bien mieulx. Ce n'est pas merveille, dit-il, mais regardez comment nous ferons. H n'est manière que je voye dit elle, comment il se puisse faire.- Et comment, dit il, n'avez vous femme céens en qui vous osassiez fier de luy deceler nostre cas?-J'en ay, par Dieu, une, dit-elle, en qui j'ay bien tant de fiance que de luy dire la chose en ce monde que plus vouldroye en estre celée, sans avoir suspicion ne doubte que jamais par elle fust descouverte. Que nous fault-il donc plus? dit-il, regardez vous et eUe du surplus. )) La bonne dame, qui bien avoit la chose au cueur, appella ceste damoiselle et luy dist « M'amye, c'est force ennuyt que CM< Nouv. I. 1


tu me serves, et que tu m'aydes à achever une des choses au monde qui plus au cueur me touche. Madame, dist la damoiselle, je suis preste, et contente comme je doy, de vous servir et obéir en tout ce qui me sera possible; commendez, je suis celle qui accompliray vostre commendement. Et je te remercye, m'amye, dist madame, et soies seure que tu n'y perdras rien. Véezcy le cas ce chevalier qui céens est, est l'homme ou monde que le plus j'ayme; et ne vouldroye pour rien qui fust qu'il se partit de moy sans autrement avoir parié à luy. Or ne me peult-il bonnement dire ce qu'il a sur le cueur sinon entre nous deux et à part; et je ne m'y puis trouver si tu ne vas tenir ma place devers monseigneur. Il a de coustume, comme tu scez, de se virer par nuyt vers moy, et me taster ung peu, et puis me laisse et se rendort. Je suis contente de faire vostre plaisir, madame; il n'est rien qu'à vostre commendement ne face.- Or bien, m'amye, dit-elle, tu te coucheras comme je faiz, assez loin de monseigneur et garde bien que, quelque chose qu'il face, que tu ne dies ung tout seul mot; et quelque chose qu'il vouldra faire, seuffre tout. A vostre plaisir, madame, et je le feray. » L'heure du soupper vint, et n'est jà mestier de vous compter du service; ce seulement vous souffise qu'on y fist trèsbonne chère, et qu'il y avoit bien de quoy. Après soupper, la compaignie s'en ala à l'esbat; le chevalier estrange tenant madame par le braz, et aucuns aultres


zhommes tenans le surplus des damoi~o me. ç~ ,J~ 1)_1

gentilzhommes tenans le surplus des damoiselles de léens. Et le seigneur de l'ostel venoit derrière; etenqueroit des voyages de son hoste à ung ancien gentil homme qui avoit conduit le fait de sa despense en son voyage. Madame n'oblya pas de dire à son amy que une telle de ses femmes tiendra ennuyt sa place, et elle viendra vers luy. Il en fut trèsjoyeux, et largement la mercya, trèsdesirant que l'heure fust venue. Il se misrent au retour et vindrent en la chambre à parer, où monseigneur donna la bonne nuyt à son hoste, et madame aussi. Et le chevalier estrange s'en vint en sa chambre, qui estoit belle à bon escient, bien mise à point; et estoit le beau buffet fourny d'espices, de confictures, et de bon vin de pluseurs façons. Il se fist tantost deshabiller, et beut unefoiz, puis fist boire ses gens et les envoya coucher, et demoura tout seul, attendant sa dame, laquelle estoit avec son mary, qui tous deux se despoilloient et se mettoient en point pour entrer au lit. La damoiselle estoit en la ruelle, qui tantost que monseigneur fut couché, se vint mettre en la place de sa maistresse; et elle qui aultre part avoit le cueur, ne fist que ung sault jusques à la chambre de celuy qui l'attendoit de pié coy. Or est chacun logé, monseigneur avec sa chambrière, et son hoste avec madame. Et fait à penser qu'ilz ne passèrent pas toute la nuyt à dormir. Monseigneur, comme il avoit de coustume, une heure environ devant le jour, se reveilla, et vers sa chambrière se vira, cuidant estre sa femme, et au


taster qu'il fist hurta sa main d'adventure à son tetin, qu'il sentit trèsdur et poignant; et tantost cogneut que ce n'estoit point celuy de sa femme, car il n'estoit point si bien troussé. « Ha, dit-il en soy mesme, je voy bien que c'est, on m'a joué d'un tour, et j'en bailleray ung aultre. » Il se vire vers ceste belle fille, et à quelque meschef que ce fust, il rompit une seulle lance, mais elle le laissa faire sans dire ung seul mot, ne demy. Quand il eut ce fait, il commence à appeller tant qu'il peut celuy qui couchoit avecques sa femme « Hau, monseigneur de tel lieu, où estes vous? parlez à moy. » L'aultre, qui se oyt appeller, fut beaucop esbahy, et la dame fut tant esperdue, qu'elle ne savoit sa manière. « Helas dit-elle, nostre fait est descouvert, je suis femme perdue. » Et bon mary de rehucher « Hau! monseigneur, hau, mon hoste, parlez à moy. » Et l'aultre s'adventura de respondre et dist « Que vous plaist, monseigneur? Je vous feray tousjours ce change quand vous vouldrez. Quel change? dist-il.– D'une vieille jà toute passée, deshonneste et desloyale, à une belle, bonne, et fresche jeune fille; ainsi m'avez-vous party, la vostre mercy. » La compaignie ne sceut que respondre; mesme la pouvre chambrière estoit tant soupprinse que s'elle fut à la mort condemnée, tant pour le deshonneur et desplaisir de sa maistresse que pour le sien mesmes qu'elle avoit meschamment perdu. Le chevalier estrange se départit de sa dame au plus toust qu'il sceut, sans mer-


cier son hoste, et sans dire adieu. Et oncques puis ne s'i trouva, car il ne scet encores comme la chose se conduit puis avec son mary plus avant ne vous en puis dire.

proveu pour bien choisir et son temps employer, donna cueur, corps et biens à une belle damoiselle et bonne, qui mieulx vault laquelle, faicte et duicte de façonner gens, t'entretint bel et bien assez longuement. Et trop bien luy sembloit qu'il estoit bien avant en sa grace; et à dire la verité, si estoit il voire comme les aultres, dont elle avoit pluseurs. Advint ung jour que ce bon gentilhomme trouva sa dame d'adventure à la fenestre d'une chambre, ou mylieu d'un chevalier et d'un escuyer, auxquetx elle se devisoit par devises communes. Aucunesfoiz parloit à l'un à part, sans ce que Paultre en oyst rien; d'aultre costé faisoit à l'aultre la pareille, pour chacun contenter mais, quelque fust bien à son aise, le pouvre amoureux enrageoit

ng trèsgracieux gentilhomme, désirant d'emploier son service et son temps en la trèsnoble court d'amours, soy sachant de dame im-

LA XXXVle NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


tout vif, qui n'osoit approucher la compaignie. Et si n'estoit en luy d'esloigner, tant fort desiroit la presence de celle qu'il amoit mieulx que le surplus des aultres. Trop bien luy geoit le cueur que ceste assemblée ne se departiroit point sans conclure ou procurer aucune chose à son prejudice; dont il n'avoit pas tort de ce penser et dire. Et s'il n'eust eu les yeulx bandez et couvers, il povoit veoir appertement ce dont ung aultre à qui rien ne touchoit se perceut à l'œii. Et de fait luy monstra, et véez cy comment. Quand il congneut et perceut à la lettre que sa dame n'avoit loisir ne volunté de l'entretenir, it se bouta sur une couche et se coucha mais il n'avoit garde de dormir, tant estoient ses yeulx empeschez de veoir son contraire. Et comme il estoit en ce point, survint ung gentilhomme qui salua la compaignie, lequel voyant que la damoiselle avoit sa charge, se tira devers l'escuyer, qui sur la couche n'estoit pas pour dormir. Et entre aultres devises luy dist l'escuyer « Par ma foy, monseigneur, regardez à la fenestre, véez là gens bien aises. Et ne veez vous pas comment ilz se devisent plaisamment ? Saint Jehan, tu diz voir, dist le chevalier. Encores font-ilz bien aultre chose que deviser. Et quoy ? dit l'autre. Quoy ? dit-il et ne voiz-tu pas comment elle tient chacun d'eulx par la resne. Par la resne dit-il. Voire vrayement, pouvre bèste, par la resne. Où sont tes yeulx ? Mais il y a bien chois des deux, voire quant à!a


façon, car celle qu'elle tient de gauche n'est pas si longue ne si grande que celle qui emplist sa dextre main. Ha dit l'escuyer, par la mort bieu! vous dictes voir; saint Anthoine arde la louve » Et pensez qu'il n'estoit pas bien content. « Ne te chaille, dit le chevalier, porte ton mal le plus bel que tu peuz ce n'est pas icy que tu doiz dire ton courage, force est que tu faces de necessité vertuz. » Aussi fist-il, et véez cy bon chevalier qui s'approuchoit de ia fenestre où la galée estoit, si perceut d'adventure que le chevalier à la r.esne gauche se }iève en piez, et regardoit que faisoient et disoient la damoiselle gracieuse et l'escuier son compaignon. Si vint à luy et luy dist, en iuy donnant ung petit coup sur le chapeau « Entendez àvostre besoigne, de par le dyable, et ne vous soussyez des aultres. » L'aultre se retira et commença de rire; et la damoiselle, qui n'estoit pas femme à effrayer de legier, ne s'en mua oncques trop bien tout doulcement laissa sa prinse, sans rougir ne changer coleur. Regret eut elle assez en soy mesmes d'abandonner de la main ce que aultre part luy eust bien servy. Et fait assez à croire que par avant et depuis n'avoit celuy des deulx qui ne luy fist très voluntiers service; si eust bien fait, qui eust voulu le dolent amoureux malade qui fut contraint d'estre notaire du plus grand desplaisir qu'au monde advenir luy pourroit, et dont la seule pensée en son pouvre cueur renurée estoit assez, et trop puissante de le mettre en desespoir, si raison ne l'eust à ce


efS~y~"°~abandonner, et aultre part sa queste en amours commencer la quelle il puisse aultrement achever~ïe ceste cy on ne pourroit ung seul bon mot à son avantage compter.

toire presente, je vous compteray, en brefz termes, en quelle façon fut deceu le plus jaloux de cest royaume pour son temps. Je croy assez qu'il n'a pas esté seul entaché de ce mat; mais toutesfoiz, car il le fut oultre l'enseigne, je ne le saroie passer sans vous faire savoir le gracieux tour qu'on luy fist. Ce bon jaloux dont je vous compte estoit très grand historien et avoit beaucoup veu, leu et releu de diverses histoires; mais la fin principale à quoy tendoit son exercice et tout son estude, estoit de savoir et cognoistre les façons et manières et quoy et comment femmes pevent decepvoir leurs mariz. Et car, la Dieu mercy, les histoires anciennes, comme Matheolet Juvenal, les Quinze Joyes de mariage, et au~

antdiz que les aultres penseront et a leur memoire ramainront aucuns ~cas advenuz et perpetrez, habiftes et suffisans d'estre adjoustez à J'vsP~nt~ ïo ~r~t~

LA XXXVIle NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


très pluseurs dont je ne scay le compte, font mencion de diverses tromperies, cauteles, abusions et deceptions en cest estat advenues. Nostre jaloux les avoit tousjours entre ses mains, et n'en estoit pas mains assotté qu'un follastre de sa massue tautesfofz lysoit, tousjours estudioit, et d'iceulx livres fist ung petit extrait pour luy, ou quel estoient emprmses, descriptes et notées pluseurs manières de tromperies, au pourchaz et emprinses de femmes, et ès personnes de leurs mariz executées. Et ce fist-il tendant à fin d'estre mieulx premnny et sur sa garde si sa femme à l'adventure vouloit user de telles querelles en son livre croniquées et registrées. Qu'il-ne gardast sa femme d'aussi près comme ung jaloux Ytalien, si faisoit, et si n'estoit pas encores bien asseuré, tant estoit fort féru du maudit mal de jalousie. En cest estat et aise delectable fut ce bon homme trois ou quatre ans avecques sa femme, laquelle pour tout passetemps n'avoit aultre loisir d'estre hors de sa presence infernale, sinon allant et retournant de la messe, accompaignée d'une vieille serpente qui d'elle avoit la charge. Ung gentil compaignon, oyant la renommée de ce gouvernement, vmt rencontrer ung jour ceste bonne damoiselle, qui gracieuse et belle à bon escient estoit et luy dist le plus gracieusement que oncques peut le bon vouloir qu'il avoit de luy faire service, plaignant et souspirant pour l'amour d'elle sa maudicte fortune, d'estre allyée au plus jaloux que la terre


soustiene, et disant au surplus qu'elle estoit la seule en vie pour qui plus vouldroit faire. « Et pource que je ne vous puis pas icy dire combien je suis à vous, et pluseurs aultres choses dont j'espere que ne serez que contente, s'il vous plaist, je le mettray par escript et demain le vous bailleray, vous suppliant que mon petit service, partant de bon vouloir et entier, ne soit pas refusé. » Elle l'escouta voluntiers mais, pour la presence du Dangier, qui trop près estoit, guères ne respondit toutesfoiz elle fut contente de veoir ses lettres quand elles viendront. L'amoureux print congé assez joyeux et à bonne cause et la damoiselle, comme elle estoit doulce et gracieuse, le congya mais la vieille qui la suyvoit ne faillit pas de demander quel parlement avoit esté entre elle et celuy qui s'en va. « II m'a, dit-elle, apporté nouvelle de ma mère, dont je,suis bien joyeuse, car elle est en bon point.» » La vieille n'enquist plus avant si vindrent à t'ostel. L'aultre au lendemain, garny d'unes lettres Dieu scet comment dictées, vint rencontrer sa dame et tant subitement et subtilement les luy bailla que oncques le guet de la vieille serpente n'en eut la cognoissance. Ces lettres furent ouvertes par celle qui voluntiers les vit quand elle fut à part. Le contenu en gros estoit comment il estoit esprins de l'amour d'elle, et que jamais ung seul jour de bien n'aroit si temps et loisir prestez ne luy sont pour plus au long l'en advertir, requerant en conclusion qu'elle luy veille de


sa grace jour et lieu assigner convenable à ce faire, ensembles et response à ce contenu. Elle fist unes lettres par lesquelles très gracieusement s'excusoit de vouloir en amours entretenir aultre que celuy auquel elle doit et foy et loyauté néantmains toutesfoiz, pourtant qu'il est tant fort esprins d'amours à cause d'elle, qu'elle ne vouldroit pour rien qu'il n'en fust guerdonné~ elle seroit très contente d'oyr ce qu'il luy vouldroit dire, si nullement povoit ou savoit; mais certes nenny; tant près la tient son mary, qu'il ne la laisse d'ung pas sinon à l'heure de la messe, qu'elle vient à l'église, gardée et plus que gardée par la plus pute veille qui jamais aultruy destourba. Ce gentil compaignon, tout aultrement habillé en point que le jour precedent vint rencontrer sa dame, qui très bien le congneut et au passer qu'il fist assez près d'elle receut de sa main sa lettre dessus dicte. S'il avoit faim de veoir le contenu, ce n'estoit pas de merveille il se trouva en ung destour où tout à son aise et beau loisir vit et congneut l'estat de sa besongne, qui luy sembloit estre en bon train. Si regarda qu'il ne luy fault que lieu pour venir au dessus et à chef de sa bonne entreprinse, pour laquelle achever il ne finoit nuyt ne jour de adviser et penser comment il se pourroit conduire. Il s'advisa d'un trèsbon tour en la parfin, qui ne fait pas à oublier: car il s'en vint à une sienne bonne amye qui demouroit entre l'eglise où sa dame alloit à la messe et l'ostel d'elle et luy compta sans


rien celer le fait de ses amours, luy priant que à ce besoing luy veille aider et secourir. « Ce que je pourroye faire pour vous, dist-elle, ne pensez pas que je ne m'y employe de trèsbon cueur. Je vous mercye, dit-il; et seriez vous contente qu'elle venist céans parler à moy? Ma foy, dit elle, pour l'amour de vous, il me plaist bien. Et bien dit il, s'il est en moy de vous faire autant de service, pensez que j'araycognoissance de ceste courtoisie. » Il ne fut oncques aise tant qu'il eust t rescript à sa dame et baillé ses lettres, qui i contenoient qu'il avoit tant fait à une telle « qui i est ma très grande amye, femme de bien, loyalle et secrète, et qui vous ame et cognoist bien, qu'elle nous baillera sa maison pour deviser. Et véez cy que j'ai advisé je seray demain en la chambre d'enhault, qui descouvre sur la rue, et si aray emprès de moy ung grand seau d'eaue et de cendres entremesiées, dont je vous affubleray tout à coup que vous passerez. Et si seray en habit si descogneu que vostre veille ne ame du monde n'ara garde de moy cognoistre. Quand vous serez en ce point atournée, vous ferez bien de l'esbahie et vous sauverez en ceste maison et par vostre Dangier manderez querre une aultre robe; et tantdiz qu'elle sera au chemin, nousparlerons ensemble. » Pour abréger, ces lettres furent baillées, et la response fut rendue par celle qui fut contente. Or fut venu ce jour, et la damoiselle affublée par son serviteur du seau d'eaue et de cendres, voire par


telle façon que son couvrechef, sa robe et le surplus de ses habillemens furent tous gastez et percez. Et Dieu scet qu'elle fist bien de l'esbahie et de la malcontente; et comme elle estoit estollée, elle se bouta en l'ostel ignorant d'y avoir cognoissance. Tantost qu'elle vit la dame, elle se plaindit de son meschef, et n'est pas à vous dire le dueil-qu'elle menoit de ceste adventure. Maintenant plaint sa robe, maintenant son couvrechef, et l'aultre foiz son tixu bref, qui l'oyoit, il sembloit que le monde fust finé. Et Dangier sa meschine, qui enrageoit d'angaigne, avoit ung coulteau en sa main dont elle nestoioit sa robe le mieulx qu'elle savoit. « Nenny, nenny, m'amye, vous perdés vostre peine, ce n'est pas chose à nettoyer si en haste vous n'y sariez faire chose maintenant qui valust rien; il fault que j'aye une aultre robe et ung aultre couvrechef, il n'y a point d'aultre remède allez à l'ostel et les m'apportez, et vous avancez de retourner, que nous ne perdons la messe avecques tout nostre mal. » La vieille, voyant la chose estre necessaire n'osa desdire sa maistresse si print et robe et couvrechef soubz son manteau et à l'ostel s'en va. Elle n'eut pas si tost tourné les talons que sa maistresse ne fut guidée en la chambre où son serviteur estoit, qui voluntiers ta vit en cotte simple et en cheveulx. Et, tantdiz qu'ilz se devisèrent, nous retournerons à parler de la vieille qui revint à l'ostel, où elle trouva son maistre, qui n'attendit pas qu'elle parlast, mais demanda


incontinent « Qu'avez vous fait de ma femme, et où est elle ? Je l'ay laissée, dit-elle, chés une telle, et en tel lieu. Et à quel propos? » dit-il. Lors elle luy monstra robe et couvrechef, et luy compta l'adventure de la tyne d'eaue et des cendres, disant qu'elle vient querir aultres habillemens, car en ce point sa maistresse n'osoit partir dont elle estoit. « Est ce cela ? dit-il; nostre dame, ce' tour n'estoit pas en mon livre Allez, allez, je voy bien que c'est. Il eust voluntiers dit qu'il estoit coux, et creez que si estoit-il à ceste heure et ne l'en sceut oncques garder livre ne brevet où pluseurs tours estoient enregistrez. Et fait assez à penser qu'il retint si bien ce derrenier qu'oncques depuis de sa memoire ne partit, et ne luy fut nesung besoing que à ceste cause il l'escripsist, tant en eut fresche souvenance le pou de bons jours qu'il vesquit.

LA XXXVIIIE NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LOAN.

~a guères que ung marchant de Tours, ?pour festoyer son curé et aultres i) gens de bien, achatta une belle et grosse lemproye, et l'envoya à son

hostel, et chargea trèsbien sa femme de la


mettre à point, ainsi qu'elle savoit bien faire. « Et faictes, dist-il, que le disner soit prest à douze heures, carj'ameneray nostre curé, et aucuns aultres qu'il luy nomma. Tout sera prest, dit-elle, amenez qui vous vouldrez. a Elle mist à point ung grand tas de bon poisson et quand vint à la lemproie, elle la souhaicta aux Cordeliers, à son amy, et dist en soy mesmes « Ha, frère Bernard, que n'estez vous cy! Parmafoy, vous n'en partiriez tant qu'auriez tasté de la lemproye, ou, se mieulx vous plaisoit, vous l'emporteriez en vostre chambre; et je ne fauldroye pas de vous y faire compaignie. » A trèsgrant regret mettoit ceste bonne femme la main à ceste lemproye, voire pour son mary, et ne faisoit que penser comment son cordelier la pourroit avoir.Tant pensa et advisa qu'elle conclud de luy envoyer par une vieille qui savoit de son secret, ce qu'elle fist, et luy manda qu'elle viendroit ennuyt soupper et coucher avecques luy. Quand maistre cordelier vit celle belle lemproye et entendit la venue de sa dame, pensez qu'il fut joyeux et bien aise; et dist bien à la vieille, s'il peut finer de bon vin, que la lemproye ne sera pas frustrée du droit qu'elle a, puis qu'on la mengeue. La vieille retourna de son message et dist sa charge. Environ douze heures, véez cy nostre marchant venir, le curé et aucuns aultres bons compaignons, pour devorer ceste lemproye, qui estoit bien hors de leur commendement. Quand ilz furent trestous en l'ostel du marchant, il les mena trestouz en


Ja cuisine pour leurmonstrer la grosse lemproye dont il les veult festoier; et appella sa femme, et luy dist « Monstrez nous nostre lemproye, je veil savoir à ces gens si j'ay eu bon marché. Quelle lemproye ? dit elle. La lemproye que je vous fiz bailler pour nostre disner, avecques cest aultre poisson. –Je n'ay point veu de lemproye, dit elle; je cuide, moy, que vous songez. Véezcy une carpe, deux brochez et je ne scay quelx aultres poissons; mais je ne viz aujourd'uy lemproye. Comment, dit il, et pensez vous que je soye yvre ? Ma foy ouy, dirent lors et le curé et les aultres, nous n'en pensasmes aujourd'uy mains; vous estes un peu trop chiche pour acheter lemproye maintenant. Par Dieu, dist la femme, il se farse de vous, ou il a songé d'une lemproye, car seurement je ne viz de cest an lemproye. ». Et bon mary de soy courroucer, et dit « Vous avez menty, paillarde, ou vous l'avez mengée, ou vous l'avez cachée quelque part; je vous promectz qu'oncques si chère lemproye ne fut pour vous. « Puis se vira vers le curé et les aultres, et juroit la mort bieu et ung cent de sermens qu'il avoit baillé à sa femme une lemproye qui luy cousta ung franc. Et ilz, pour encores plus le tourmenter et faire enrager, faisoient semblant de le non croire, et tenoient termes comme s'ilz fussent mal contens, et disoient « Nous estions priez de disner cheux ung tel et cheux ung tel, et si avons tout laissé pour venir icy, cuidans menger de la lemproye; mais ad ce que nous voyons, elle


ne nous fera jà mal. L'oste, qui enrageoit tout vif, print ung baston et marchoit vers sa femme pour la tresbien frotter, si les aultres ne l'eussent tenu, qui l'emmenèrent à force hors de son hostel, et misrent peine de le rappaiser le mieulx qu'ilz sceurent, quand ilz le virent ainsi troublé. Puis qu'ilz eurent failly à la lemproye, le curé mist la table et firent la meilleure chère qu'ilz sceurent. La borine,damoiselle à la lemproye manda l'une de ses voisines qui vefve estoit, mais belle femme et en bon point, et la fist disner avec elle. Et, quand elle vit son point, elle dist « Ma bonne voisine, il seroit bien en vous de me faire ung service et un tressingulier plaisir et si tant vouliez faire pour moy, il vous seroit tellement par moy desservy que vous en devriez estre contente. Et que vous plaist il que je face? dit l'aultre. Je le vous diray, dit elle mon mary est si trèsrude à ses besongnes de nuyt que c'est. grand merveille; et de fait, la nuyt passée,. il m'a tellement retournée que, par ma foy, je ne l'oseroye bonnement ennuyt attendre. Si vous prie que vous veillez tenir ma, place et si jamais puis rien faire pour vous, me trouverez preste de corps et de biens. » La bonne voisine, pour luy faire plaisir et service, fut contente de tenir son lieu, dont elle fut beaucop et largement mercyée. Or devez vous savoir que nostre marchant à la lemproye, quand il vint puis le disner, il fist trèsgrande et grosse garnison de bonnes verges de boul


qu'il apporta secrètement en sa maison, et auprès de son lit il les caicha, disant en soy mesmes que sa femme ennuyt en sera trop bienservie. Ilnescéutcefaire si celéement que sa femme ne s'en donna trèsbien garde, qui n'en pensoit pas mains, cognoissant assez par longue expérience la cruau)té de son mary, lequel ne souppa pas à l'ostel mais tarda tant dehors qu'il pensa bien qu'il la trouveroit nue et couchée. Mais il faillit à son emprinse, car quand vint sur le soir et tard, elle fit despouillier sa voisine et couchier en sa place, en la chargeant expressément que elle ne responde mot à son mary quand il viendra, mais contreface la muette et la malade. Et si fist encores plus, car elle estaindit le feu de léens, tant en la cuisine comme en la chambre. Et ce fait, à sa voisine chargea que tantost que son mary sera levé le matin qu'elle s'en voise en sa maison. Elle, lui promist que si feroit elle. La voisine ainsi logée et couchée, aux Cordeliers s'en va lavaillantfemme pour mengerla lemproye et gaigner les pardons, comme assez avoitde coustume. Tantdiz qu'elle se festiera léens, nous dirons du marchant, qui après soupper s'en vint à son hostel, esprins d'ire et de maltalent à cause de la lemproye; et pour executer ce qu'en son pardedans avoit conclud, il vint saisir ses verges et en sa main les tint, cherchant par tout de la chandele, dont il ne scéut oncques recouvrer; mesmes en la cheminée faillit il au feu trouver. Quand il vit ce. il se coucha sans dire mot, et dor-


mit jusques sur le jour, qu'il se leva et s'abilla, et print ses verges et baptit tant la lieutenante de sa femme que à pou qu'il ne la cravanta, en luy ramantevant la lemproye, et la mist en tel point qu'elle saignoit de tous costez, mesmes les draps du lit estoient tant sanglans qu'il sembloit que ung beuf y fut escorché mais la pouvre martire n'osoit pas dire ung mot, ne monstrer le visage. Ses verges luy faillirent, et fut lassé; si s'en alla hors de l'ostel. Et la pouvre femme, qui s'attendoit d'estre festoyée de l'amoureux jeu et gracieux passetemps, s'en alla tantost après à sa maison, plaindre son mal et son martire, non pas sans menacer et sa voisine bien maudire. Tantdiz que le mary estoit dehors, revint des Cordeliers sabonnefemme, qui trouvasa chambre de verges toute jonchée, son lit dérompu et desfroissié et ses draps tous ensanglantez si cogneut bien tantost que sa voisine avoit eu afaire de son corps, comme elle pensoit bien et sans tarder ne faire arrest renst son lit et d'aultres beaulx draps et frez le rempara, et sa chambre nettoya, et puis vers sa voisine s'en alla, qu'elle trouva en piteux point et ne fault pas dire qu'elle ne trouva bien à qui parler. Au plus tost qu'elle peut en son hostel s'en retourna, et de tous poins se deshabilla, et ou beau lit qu'elle avoit mis à point se coucha, et dormit trèsbien jusques ad ce que son mary retourna de la ville comme sanchié de son courroux, pource qu'il s'en estoit vengé, et vint à sa femme, qu'il trouva


ou lit faisant la dormeveille « Et qu'est cecy, madamoiselle, dist il, n'est il pas temp.s de lever ? Emy, dit elle, et est il jour? Par mon serment, je ne vous ay pas oy lever; j'estoye entrée en ung songe qui m'a tenue ainsi longuement. Je croy, dit il, que vous songiez de la lemproye, ne faisiez pas Ce ne seroit pas trop grand merveille, car je la vous ay bien ramantue à ce matin. Par dieu, dit elle, il ne me souvenoit de vous ne de vostre lemproye. Comment, dit il, l'avez vous si tost oublyée ? Oubiyée, dit elle, ung songe ne m'arreste rien. Et a ce esté songe, dit il, de ceste poingnée de verges que j'ay usée sur vous n'a pas deux heures.–Surmoy? dit elle. Voire vrayement, sur vous, dit-il. Je scay bien qu'il y appert largement, et aux draps de nostre lit avecques. Par ma foy, beaulx amys, dit elle,, je ne scay que vous avez fait ou songié, mais quant à moy il me souvient très bien qu'aujourduy, au matin, vous feistes de trèsbon appétit le jeu d'amours; aultre chose ne scay je aussi bien povez vous avoir songé de m'avoir fait aultre chose comme vous feistes hier de m'avoir baillé la lemproye. -Ce seroitung estrange songe dit il; monstrez vous ung peu que je vous voye. » Elle osta la couverture et reversa, et toute nue se monstra, sans tache ne blesseure quelconque. Voit aussi les draps beaulx et blancs sans souilleure ne tache. Si fut plus esbahy qu'on ne vous saroit dire, et se print à muser et largement penser; et en ce point longuement


se tint. Mais tbutesfoiz à chef de ptecë il dist « Par mon serment, m'amye, je vous cuidoye à ce matin avoir trèsfort'jusquesau sang batue, mais je voy bien qu'il n'en est rien,' si-ne scay qu'il m'est~advenu. Dya, dit elle, osiez vous hors d'ymaginacion de ceste batene, car vous ne me touchastès oncques, vouste povez veoir faictesvostre compte, vous l'avez songé. Je cognois dist il lors, que vous dictes voir si vous reqùier qu'il me soit pardonné, car je scay bien que j'euz hier tort de vous dire villannie devant les estrangiers que j'amenay céans. -– !l vous est legierëment pardonné, dit elle, mais toutesfoiz advisez bien que vous ne soyez plus si legier ne si hastif en voz affaires. Non seray je, dit il, m'amye. » Ainsi qu'avez oy fut le marchant par sa femme trompé, cuidant avoir songé avoir acheté la lamproye et le surplus fait ou compte dessus dit.

LA XXXIXe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE SAiNT POL.

rig gentil chevalier des marches de Haynau, riche, puissant, vailiant, et trèsbeau compaignon fut amoureux d'une trésbelte dame assez et r.

longuement fut aussi tant en sa grace, et si


privé d'elle, que toutesfoiz que bon luy sembloit se rendoit en ung lieu de son hostel à part et destourné, où elle luy venoit faire compaignie et là devisoient tout à leur beau loisir de leurs gracieuses amours. Et n'estoit ame qui rien scéust de leur très plaisant passe temps, sinon une damoiselle qui servoit ces te dame, qui bonne bouche trèslonguement porta et tant les servoit à gré en tous leurs affaires qu'elle estoit digne d'ung grand guerdon en recevoir. Elle avoit aussi tant de vertu que non pas seulement sa maistresse avoit gaignée par la servir comme dit est, et aultrement, mais le mary de sa dame ne l'amoit pas mains que sa femme, tant la trouvoit loyalle, bonne, et diligente. Advint ung jour que ceste dame sentent son serviteur le chevalier dessusdit en son hostel, devers lequel elle ne povoit aller si tost qu'elle eust bien voulu, à cause de son mary qui les destournoit, dont elle estoit bien desplaisante, s'advisa de luy mander par la damoiselle qu'il eust encores ung peu de pacience, et que au plustost qu'elle saroit se desarmer de son mary qu'elle viendra vers luy. Ceste damoiselle vint vers le chevalier qui sa dame attendoit, et dist sa charge. Et il, qui gracieux estoit, la mercya beaucop de ce messaige, et la nst seoir auprès de luy, puis la baisa deux ou trois foiz très doulcement elle l'endura voluntiers, qui bailla courage au chevalier de proceder au surplus, dont il ne fut pas renusé. Cela fait, elle revint à sa mai-


stresse, et luy dist que son amy n'attendoit qu'elle « Helas dit elle, je scay bien qu'il est vray, mais monseigneur ne se veult coucher ilz sont cy je ne scay quelz gens que je ne puis laisser. Dieu les maudye j'aymasse mieulx estre vers luy. Il luy ennuye bien, fait pas, d'estre ainsi seul ? Par ma foy, creez que oy, dit elle, mais l'espoir de vostre venue le conforte, et attend tant plus aise.-Je vous en croy, mais toutesfoiz il est là seul, et sans chandelle, et sont plus de deux heures qu'il y est; il ne peut estre qu'il ne soit beaucop ennuyé. Si vous prie, m'amye, que vous retournez encores vers luy une foiz pour m'excuser, et luy faictes compaignie ung espace et entretant, si Dieu plaist, le dyable emportera ces gens qui nous tiennent cy. Je feray ce qu'il vous plaira, madame; mais il me semble qu'il est si content de vous qu'il ne vous fault jà excuser, et aussi se je y alloye vous demourriez icy toute seule de femmes, et pourroit monseigneur demander pour moy, et l'on ne me saroit où trouver. Ne vous chaitle de cela, dist elle, j'en feray bien s'il vous mande; il me desplaist que mon amy est seul allez veoir qu'il fait, je vous en prie. Je y vois, puis qu'il vous plaist dit elle. S'elle fut bien joyeuse de ceste ambassade, il ne le fault jà demander; mais pour couvrir sa volunté, elle en fist l'excusance et le refus à sa maistresse. Elle fust tantost vers le chevalier attendant, qui la receut joieusement; si lui dist « Monseigneur; madame m'envoie


encores icy s'excuser devers vous pource que tant vous fait attendre, et croyez qu'elle en est !a plus courroucée. Vous luy direz, dit il qu'eUe face tout à loisir, et qu'elle ne se haste de rien pour moy, car vous tiendrez son lieu. )) Lors de rechef la baise et acole, et ne la souffrit partir tant qu'il eut besognié deux foiz qui guères ne luy coustèrent car alors il estoit frez et jeune et homme fort à cela. Ceste damoiselle print bien en pacience sa bonne adventure et eust bien voulu avoir souvent une telle rencontre, sans le prejudice de sa maistresse. Et quand vint au partir, elle pria au chevalier que sa maistresse n'en sceust rien. «Vousn'avez garde, dit il.-Je vous en requiers, dist elle. Et puis s'en vint à sa maistresse, qui demanda tantost que fait son amy f « Il est là, dit elle, et vous attend. Voire, dit elle, et est il point mal content Nenny, dit elle, puis qu'il a compaignie. Il vous scet trèsbon gré que vous m'y avez envoyée et si ceste attente estoit souvent à faire, il seroit content m'avoir pour deviser et passer temps; et par ma foy je y voys voluntiers car c'est le plus plaisant homme de jamais et Dieu scet qu'il le fait bon oyr maudire ces gens qui vous retiennent, excepté monseigneur à luy ne vouldroit il toucher. Saint Jehan dit elle, je voudroye que luy et ta compaignie fussent en la rivière, et je fusse dont vous venez. )) Tant passa le temps que monseigneur, Dieu mercy, se deffist de ses gens, vint en sa chambre, se déshabilla et coucha. Madame


se mist en cotte simple, etprintsoiraltour de nuyt, et ses heures en sa main, et commence devotement, Dieu le scet, à dire, sept pseaulmes et patemostres, mais monseigneur, qui estoit,ptus esveillé qu'un rat, avait grand fain de deviser, si vouloit que madame laissast ses oroisons jusques à demain, et qu'elle parle à luy « Ha monseigneur, dit elle, pardonnez moy, je ne puis vous entretenir maintenant Dieu va devant, vous le savez -je n'aroye meshuy bien, ne de sepmaine, si je n'avoie dit le tant pou de service que je luy scay faire et encores de mal venir je n'eu piéça tant à dire que j'ay maintenant. » Alors dist monseigneur « Vous m'affolez bien de ceste bigoterie et est ce à faire à vous de dire tant d'heures ? Ostez, ostez, laissez les dire aux prestres. Dy je pas bien, Jehannette ? » dist il à la damoiselle dessus dicte. « Monseigneur, dit elle, je n'en scay que dire, sinon, puis que madame est accoustumée de servir Dieu, qu'elle parface.-A dya, dit madame, monseigneur, je voy bien que vous estes avoyé de plaider, et j'ay volunté d'achever mes heures si ne sommes pas bien d'un. accord. Si vous lairray Jehannette qui vous entretiendra, et je m'en iray en ma chambrette là derrière tancer à Dieu. » Monseigneur fut content. Si s'en alla madame les grans galotz vers le chevalier son amy, qui la receut Dieu sceten grand liesse et reverence, car l'onneur qu'il luy fist n'estoit pasmaindre qu'à genouz ployez et enclinez jusques à terre. Mais vous devez savoir que


tantdiz que madame achevoit ses heures avec son amy, monseigneur sor~mary, ne scay de quoy il lui sourvint, prya Jehannette, qui luy faisoit compaignie, d'amours à bon escient. Et pour abreger, tant fist par promesses et par beau langage, qu'elle fut contente d'obeyr mais le pis fut que madame, au retour de son amy, qui l'acola deux foiz à bon escient avant son partir, trouva monseigneur son mary et Jehannette sa chambrière en tel ouvrage et semblable qu'elle venoit de faire, dont elle fut bien esbahye, et encores plus monseigneur et Jehannette, qui se trouvèrent ainsi sourprins. Quand madame vit ce, Dieu scet comment elle salua la compaignie, soit qu'elle eust bien cause de se taire et se print à la pouvre Jehannette par si très grant courroux qu'ilsembloit bien qu'elle eust ung dyable ou ventre, tant luy disoit de villainnes parolles. Encores fist elle plus et pis, car elle print ung grant baston et l'en chargea trèsbien le doz, voyant monseigneur, qui en fut mal content et desplaisant, et se leva sur piez et batit tant madame qu'elle ne se povoit sourdre. Et quant elle vit qu'elle n'avoit puissance que de sa langue Dieu scet s'elle la mist en œuvre, mais adressoit la plus part de ses motz venimeux sur la pouvre Jehannette, qui n'en peut plus souffrir, si dit à monseigneur le gouvernement de madame, et dont elle venoit à ceste heure de dire ses oroisons et avec quy. Si fut la compaignie bien troubtée, monseigneur tout le premier, qui se.doubtoit assez, et madame, qui


se trouve affolée et batue et de sa chambrière accusée. Le surplus du gouvernement du mesnaige bien troublé demoure en la bouche de ceulx que le scevent, si n'en fault jà plus avant enquérir.

femme d'un bouchier, par telle et si bonne façon qu'elle l'aimoit plus que tout le monde, et n'avoit jamais au cueur bien ne en soy parfaicte liesse s'elle n'estoit emprès luy. Mais maistre moyne en la parfin s'ennuya d'elle, et estoit sur son corps dependant, ce qu'il luy feist grand pièce après, et eust trèsbien voulu qu'elle se fust deportée de si souvent le visiter dont elle estoit tant mal contente que plus ne povoit, mesmes le reboutement qu'il Iuy faisoit trop plus avant en son amour l'enracinoit. Damp moyne, ce voyant, luy defendit sa chambre, et chargea bien expressement à son clerc qu'il ne la souffrist plus entrer dedans, quelque chose qu'elle luy dye. S'elle fut

1 advint naguères à Lille que ung grand clerc et prescheur de l'ordre Saint Dominicque convertit, par sa sainte et doulce predicacion, la 'n~ L_L: a..lle va ~i hn»»~

LA XLe NOUVELLE.

PAR MESSIRE MICHAULT DE CHANGY.


plus mal contente que par avant, ce ne fut pas de merveille, car elle estoit ainsi que forcenée. Et si vous me demandez à quel propos damp moyne ce faisoit, je vous respons que ce n'estoit pas par devocion ne pour vouloir qu'il eust de devenir chaste mais la cause est qu'il en avoit racointée une plus belle, plus jeune beaucop, et plus riche, qui desjà estoit tant privée qu'elle avoit la clef de sa chambre. Tant fist toutesfoiz que la bouchière ne venoit plus vers luy comme elle avoit de coustume si avoit trop meilleur et plus seur loysir sa dame nouvelle de venir gaingner les pardons en sa chambre et paier le disme, comme les femmes d'Ostellerie, dont cy dessus est touché. Ung jour fut prest de faire bonne chère en la chambre de maistre moyne, après disner, où sa dame promist de comparoir et faire apporter sa porcion, tant de vin comme de viande. Et car aucuns de ses frères de léens estoient assez de son mestier, il en invita deux ou troys tout secrètement et Dieu scet la grand chère qu'on fist à c~ disner, qui ne se passa point sans boire d'autant. Or devez vous savoir que nostre bouchière cognoîssoit assez les gens de ces prescheurs~ qu'elle veoit passer devant sa maison, qui portoient puis du vin, puis'des pastez, et puis des tartres, et tant de choses que merveilles. Si ne se peut tenir de demander quelle feste on fait à leur hostel ? F Et it tuy fut respondu que ces biens sont pour ung tel c'est assavoir son moyne, qui a gens de bien au disner. « Et qui


sont ilz ? dit elle. Ma foy je ne scay, dit il je porte mon vin jusques à l'huys tant seuilement, et là vient nostre maistre qui me descharge je ne scay qui y est. Voire, dit elle, c'est la secrète compaignie. Or bien allez vous en et les servez bien. » Tantost passa ung aultre serviteur qu'elle interrbga pareillement, qui luy dist comme son compaignon, mais plus avant, car il dit « Je pense qu'il y a une damoiselle qui ne veult pas estre veue ne congneue. » Elle pensa tantost ce qui estoit; si cuida bien enrager, tant estoit mal contente, et disoit en soy mesmes qu'elle fera le guet sur celle qui luy fait tort de son amy, et qui luy a baillé le bout. Et s'elle la peut rencontrer, ce ne sera pas sans iuy~dire sa leçon, et egratigner le visage. Si se mist au chemin en intencion d'exécuter ce qu'elle avoit conclud. Quand elle fut venue au lieu desiré, moult luy tardoit de rencontrer celle qu'elle hayt plus que personne si n'eut pas tant de constance que d'attendre qu'elle saillist de la chambre où elle avoit fait maintes bonnes chères, mais s'advisa de prendre une eschalle que ung couvreur avoit laissée lez son ouvrage tantdiz qu'il estoit allé disner; elle dressa ceste échelle à l'endroit de la cheminée de la cuisine de l'ostel, où elle vouloit estre pour saluer la compaignie, car bien savoit que aultrement n'y pourroit entrer. Ceste eschelle mise à point comme elle la voulut avoir, elle monta jusques à la cheminée, à l'entour de laquelle elle lya très bien une moyenne corde


qu'elle trouva d'adventure. Et cela fait, trèsbien, comme luy sembloit, elle se bouta dedans la dicte cheminée, et se commença à descendre et ung peu avaler mais le pis'fut qu'elle demoura en chemin, sans se pouvoir ravoir, ne monter, ne avaler, quelque peine qu'elle y mist, et ce à l'occasion de son derrière qui estoit beaucop gros et pesant, et de sa corde qui rompit, par quoy ne se povoit ressourdre. Si estoit, Dieu scet, en merveilleux desplaisir, et ne savoit que faire ne que dire. Si s'advisa qu'elle attendroit le couvreur et qu'elle se mettroit en sa mercy, et l'appellera quand il viendra querre son eschelle et sa corde. Elle fut bien trompée car le couvreur ne vint à l'oeuvre jusques au lendemain bien matin, pource qu'il fist trop grand pluye, dont elle eut bien sa part, car elle fut toute percée. Quand vint sur le soir, bien tart, nostre bouchière oyt gens deviser en la cuisine si commença à hucher, dont ilz furent bien esbahiz et effraiez, et ne savoient qui les huchoit ne où elle estoit. Toutesfoiz, quelque esbahiz qu'ilz fussent, ilz entendirent encores ung peu s'iiz oyrent la voix du par avant, arrière hucher très aigrement; si cuidèrent que ce fut ung esperit, et le vindrent annuncer à leur maistre, qui estoit en dortouer, et ne fut pas si vaillant d'y venir veoir que c'estoit, mais il mist tout à demain. Pensez la belle patience que ceste bonne femme eut, qui fut toute la nuyt en ceste cheminée. Et de sa bonne adventure, il ne pleut long temps aussi fort. ne


si bien. Lendemain, assez matin, nostre couvreur revint à t'œuvre pour recouvrer la perte que la pluye luy fist le jour devant. Il fut tout esbahy de veoir son eschelle ailleurs qu'il ne la laissa, et la cheminée lyée de sa corde si ne savoit qui ce avoit fait ne à quoy. Si s'advisa d'aller querre sa corde, et monta à mont son eschelle, et vint jusques à la cheminée, et destacha sa corde et de bien venir, bouta sa teste dedans la cheminée, où il vit nostre bouchière plus simple qu'un chat baigné, dont il fut très esbahy. « Et que faictes vous icy, dame? dit il voulez vous desrober les pouvres religieux de céans Hélas mon amy, dist elle, par ma foy, nenny. Je vous requier, aidez moy à saillir d'icy, et je vous donneray ce que me vouldrez demander. A! je m'en garderay bien, dist le couvreur, si je ne scay dont vous y venez. Je le vous diray, puis qu'il vous plaist, dit elle; mais je vous prie, qu'il n'en soit nouvelle, Lors luy compta tout du long les amours d'elle et du moyne, et la cause dont elle venoit là. Le couvreur eut pitié d'elle, si fist tant, à quelque meschef que ce fut, moyennant sa corde, qu'il la tira dehors, et la mena en bas. Et elle luy promist que, si tenoit bonne bouche elle luy donneroit de la char et de bœuf et de mouton pour fournir son mesnage pourtoute ceste année, ce qu'elle fist. Et l'autre tint si secret son cas que chascun en fut adverty.


trouvez en mariage ne sceut passer son temps sans soy lyer comme il fut par avant, car ii espousa une trèsbelle et gente damoiselle, non pas des plus subtiles du monde car, à la verité dire, elle estoit ung peu lourde en la taille, et c'estoit en elle qui plus plaisoit à son mary, pource qu'il esperoit par ce point mieulx la duyre et tourner à la fasson qu'avoir la vouldroit. Il mist sa cure et son estude à la fassonner, et de fait elle luy obéissoit et complaisoit comme il le desiroit, si bien qu'il ne sceut mieulx demander. Et entre aultres choses, toutesfoiz qu'il vouloit faire l'amoureux jeu, qui n'estoit pas si souvent qu'elle eust bien vouiu il luy faisoit vestir ung très beau jaserant, dont elle estoit bien esbahie et de prinsault lui demanda bien à quel propos il la faisoit armer. Et il luy j~spondit qu'on ne se doit point trouver à l'assault amoureux sans armes. Et fut contente de vestir se jaserant

ng gentil chevalier de Haynau, sage, subtil et trèsgrand voyageur, après la mort de sa très bonne femme et sage, pour les biens qu'il avoit n mariaee ne sceut casser son ternes

LA XL!e NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


et.n'avoit aultre regret que monseigneur n'avoit l'assault plus au cueur, combien que ce luy estoit ;assez grand peine s'aucun » plaisir ne fust ensuy. Et si vous demandez à quel propos son seigneur ainsi la gouvernoit, Je vous respons que la cause qui à ce faire le mouvoit estoit affin que madame ne désire pas tant l'assault amoureux, pour la peine et empeschement de ce jaserant. Mais combien qu'il fust bien sage, il s'abusoit de trop; car si le jaserant à chacun assault luy eust cassé et doz et ventre, si n'eust elle pas refusé le vestir, tant luy estoit et doulx et plaisant ce qui Vensuyvoit. Ceste manière de faire dura beaucop, et tant que monseigneur fut mandé pour servir son prince en la guerre, et en aultre assault que le dessusdit. Si print congié de madame et s'en alla où il fut mandé: Elle dèmoura à l'ostel en la garde et conduicte d'un ancien gentil homme et, d'aucunes damoiselles qui la servoient. Or devez vous, savoir qu'en cest hostel avoit gentil compaignon clerc, qui trèsbien chantoit et jouoit de la harpe et avoit ]a charge de la despense. Et après disner s'esbatoit voluntiers de la harpe; à quoy madame prenoit trèsgrand plaisir, et se ren.doit souvent vers luy au son de la harpe. Tant y ala et tant s'i trouva que le clerc la pria d'amours et elle, désirant de vestir son jaserant, ne l'escondit pas, ainçois luy dist « Venez vers moy à tele heure et en telle chambre et je vous feray response telle que vous serez content. » Elle fut beaucop merciée, et à l'heure assi-


gnée, nostre clerc ne faillit pas devenir hurteroù madame luy dist, qui l'attendoit de pié coy, le beau jaserant en son doz. Elle ouvrit la chambre, et le clerc la vit armée; si cuida que ce fust aultry qui fust embusché léens pour luy faire desplaisir; dont il fut si trèseffrayé que, de la grand paour qu'il eut, il chéut à la reverse et descompta ne sçay quants degreez si trèsroiddement qu'à pou qu'il ne se rompit le col. Mais toutesfoiz il n'eut garde, tant bien luy aida Dieu et sa bonne querelle. Madame, qui le vit en ce point et dangier, fut très desplaisante et mal contente; si vint en bas et luy aida à sourdre, et luy demanda dont luy venoit ceste paour. Et il luy compta et dist que vrayement il cuydoit estre deceu. « Vous n'avez garde, dit elle, je ne suis pas armée pour vous faire mal »; et en ce disant, montèrent arrière les degrez, et entrèrent en la chambre. « Madame, dit le clerc, je vous pry, dictes moy, s'il vous plaist, qui vous meut de vestir ce jaserant. » Et elle, comme ung peu faisant la honteuse, luy respondit « Et vous le savez bien. Par ma foy, sauf vostre grace, madame, dit il, se je le sceusse je ne le demandasse pas. Monseigneur, dit elle, quand il me veult baiser et parler d'amours, il me faiten ce point habiller, et je sçay bien que vous venez icy à ceste cause et pour ce me suys mise en point. Madame dit il, vous avez. raison et aussi vous me faictes souvenir que c'est la manière des chevaliers d'en ce point faire adouber leurs dames. Mais les clercs ont


tout aultre manière de faire, qui à mon advis est trop plus belle et plus aisée, Et quelle est elle, dist la dame, je vous prie? –Je la vous monstreray», dit il. Lors la fist despoiller de son jaserant et du surplus de ses habillemens jusques à la belle chemise, et il pareillement se deshabilla, et misrent à point le beau lit qui là estoit, et se coucherent tout dedans et se désarmèrent de leurs chemises et passèrent temps deux ou trois heures bien plaisammeni. Et avant partir, le gentil clerc monstra à madame la coustume des clercs, quelle beaucop loa et trop plus que celle des chevaliers. Assez et souvent se rencontrèrent depuis en la fasson dessusdicte sans qu'il en fust nouvelle, quoy que madame fust pou subtille. A chef de pièce, monseigneur retourna de la guerre, dont madame ne fut pas trop joyeuse en son pardedans, quelque semblant qu'elle monstrast au pardehors. Et à l'heure de disner, et car el savoit sa venue, il fut servy, Dieu scet comment. Ce disner se passa et quand vint à dire graces, monseigneur se mist en son reng, et madame print son quartier. Tantost que graces furent achevées et dictes, monseigneur, pour faire du mesnagier et du gentil compaignon, dist à madame « Allez tost en nostre chambre et vestez vostre jaserant. » Et elle, recordant du bon temps qu'elle avoit eu avec son clerc, respondit tout subit « Ha! monseigneur, la coustume des clercs vault mieulx. La coustume des clercs! dit-il. Et savez vous leur coustume? » Si se commença à fumer, et coleur


changer, et se doubta de ce qui estoit, combien qu'il n'en sceut oncques rien, car il fut tout à coup mis hors de sa doubte. Madame ne fut pas si beste qu'elle n'aperceust bien que monseigneur n'estoit pas content de ce qu'elle avoit dit si s'advisa de trouver le ver « Monseigneur, je vous ay dit que là coustume des clercs vault mieulx, et encores le vous dy je. Et quelle est elle ? dit il. Hz boivent après grâces. Voire dya dit il saint J ehan 1 vous dictes vray, c'est leur coustume voirement, qui n'est pas mauvaise; et pource que vous la prisez tant, nous la tiendrons doresenavant. Si firent apporter du vin et beurent, et puis madame alla vestir son jaserant, dont elle se fust bien passée, car le gentil clerc luy avoit monstré aultre fasson de faire qui trop mieulx luy plaisoit. Comme vous avez oy fut monseigneur par madame en sa response abusé. Et fault dire que le sens subit qui luy vint à mémoire à ce coup luy descende en la vertu du clerc qui depuis luy monstra foison d'aultres tours, dont monseigneur en là parfin se trouva noz amis.


qui sont tels que chascûn sçait se mist à chemin, en la compaignie de pluseurs gens de bien de Noyon, de Compiengne et des lieux voisins. Mais avant son departement disposa de ses besoignes bien et surement premièrement de sa femme et de son mesnage, et le fait de sa coustrerie recommenda à ung jeune gentil clerc pour la desservir jusques à son retour. En assez bref temps il vint à Romme lui et sa compaignie, et firent chacun leur devocion et pelerinage le mains mal qu'ilz sceurent mais vous devez savoir que nostre clerc trouva d'adventure à Romme ung de ses compaignons d'escole du temps passé, qui estoit ou service d'un grand cardinal, et en grand autorité qui fut trèsjoieux de l'avoir; trouvé, pour l'accointance qu'il avoit à luy,et luy demanda de son estat. Et l'autre luy compta tout du long tout premier comment il estoit, hélas maryé, son nombre d'enfans, et

'an cinquante derrenier passé, le clerc d'un village du diocèse de Noyon pour impetrer et gaigner les pardons qui furent à Romme,

LA XLIIe NOUVELLE.

RACOMPTÉE PAR MÉRIADECH.


comment il estoit clerc d'une parroiche. « Ha dit son compaignon, par mon créateur, il me desplaist bien que vous estes maryél Pourquoy ? dit l'autre. Je le vous diray, dit il; ung tel cardinal m'a. chargé expressément que je luy trouve un serviteur pour estre son notaire, qui soit de nostre marche et croiez que ce seroit trèsbien vostre fait, pour estre tost et largement pourveu se ce ne fust vostre mariage, qui vous fera repatrier, et espoire plus grans bien perdre que vous n'y arez.. Par ma foy, dit le clerc, mon mariage n'y fait rien, mon compaignon; car, à vous dire vérité, je me suis party de nostre pays soubz umbre du pardon qui e'st à present icy. Mais creez que ce n'a pas esté ma principale intencion, car j'ay conclud d'aller jouer deux ou trois ans par pays et ce pendant ce temps si Dieu vouloit prendre ma famme, jamais je ne fu si eureux. Et pourtant je vous requier que vous soyez mon moyen vers ce cardinal que je le serve et, par ma foy, je feray tant que vous n'arez jà reprouche pour moy et s'ainsi le faictes vous me ferez le plus grand service que jamais compaignon fist à autre. Puis que vous avez ceste volunté, dist son compaignon, je vous serviray à ceste heure, et vous logeray pour avoir bon temps, se à vous ne tient. Et, mon amy, je vous mercie», dit l'autre. Pour abreger, nostre clerc fut logié avecques ce cardinal, laquelle chose il manda à sa femme, l'ensemble et son intencion, que n'est pas de retourner par delà si


tost qu'il luy dist au partir. Elle se conforta, et luy rescripst qu'elle fera le mieulx qu'elle pourra. Ou service de ce cardinal se maintint et conduisit gentement nostre bon clerc, et fist tant à chef de pièce qu'il gaigna son maistre, lequel n'avoit pas pou de regret qu'il n'estoit habile à tenir bénéfices, car largement l'en eust pourveu. Pendant le temps que nostre dit clerc estoit ainsi en grace que dit est, le curé de son village alla de vie à mort, et ainsi vaca son benefice, qui estoit ou mois du pape, dont le coustre, tenant le lieu de son compaignon estant à Romme se pensa qu'au plus tost qu'il pourroit qu'il courroit à Romme et feroit tant à l'ayde de son compaignon qu'il auroit ceste cure. Il ne dormit pas, car en pou de jours, après maintes peines et travaulx, tant fist qu'il se trouva à Romme, et n'eut oncques bien tant qu'il eust trouvé son compaignon, le clerc servant le cardinal. Après grosses recognoissances et d'ung costé et d'aultre le clerc demanda de sa femme, et l'autre, esperant de luy faire ung trèsgrand plaisir, et affin que la besoigne dont il le veult requerre en vaille mieulx, luy respondit qu'elle estoit morte; dont il mentoit, car je tien qu'à ceste heure elle saroit bien tanser son mary. « Dictes vous doncques que ma femme est morte, dit le clerc, et je prie à Dieu qu'il luy pardonne ses péchez. – Oy vrayement, dit l'autre, la pestilence de l'année passée avecques aultres pluseurs l'emporta. » Or faindoit il ceste bourde, qui depuis


luy fut cher vendue, pource qu'il savoit que le clerc ne s'estoit party de son pais qu'à l'occasion de sa femme,. qui estoit trop peu paisible, et que plus plaisant nouvelle d'elle ne luy pourroit on apporter que de sa mort. Et à la vérité ainsi en estoit il, mais le rapport fut faulx. « Et qui vous amaine en ce pais ? dist il après pluseurs et diverses devises. Je le vous diray, mon compaignon et mon amy. Il est vrai que le curé de nostre ville est trèspassé si vien vers vous pour que par vostre bon moien je puisse parvenir à son benefice. Si vous prie tant que puis que me veillez aider à ce besoing. Je sçay bien qu'il est en vous de le me faire avoir, à l'aide de monseigneur vostre maistre. » Le clerc, pensant sa femme estre morte et la cure de sa ville vacquer, conclud en soy mesmes que il happera ce benefice, et aultres encores, s'il y peut parvenir. Mais toutesfoiz il ne le dit pas à son compaignon, ainçois luy dist qu'il ne tiendroit pas à luy qu'il ne soit curé de leur ville, dont il fut beaucop mercyé. Tout aultrement alla car au lendemain nostre saint père, à la requeste du cardinal maistre de nostre clerc, luy donna ceste cure. Si s'en vint ce clerc à son compaignon quand il sceut ces nouvelles, et luy dist « Ha! mon amy, par ma foy, vostre fait est rompu, dont me desplaist bien. Et comment? dit l'aultre. -4- La cure de nostre ville est donnée, dit il, mais je nëscay à qui. Monseigneur mon maistre vous a cmdé aider, mais il n'a pas esté' en sa puissance dé


faire vostre M?'-» Qui1 fut bien mal content, ce fut celuy qiii estoïtvenu'ae si lpiflg'perare *e sa peine et despendre son argent /dont ce-;ne fut pas ddmmaige. Si print côngié bien piteux desoncompaignori, et s'en retourna en son pais, sans soy yanter de la bourde; qu'il a a semée. Or retournons ànostre clerc, quiestoit plus gay que une mitaine de là mort de sa femme, et de la cure de ledr ville que nostre saint père, à là requeste de son rriaistre, luy avoit donnée pour recompense. Et disons comment il devint prestre à Romme, et y chanta sa bien dévote première messe, et print congié de'son maistre pour ung espace 'e de temps, à venir par deçàà à leur ville prendre possession de sa cure. A l'entrée qu'il fist de leur ville, de son boneur la première personne qu'il rencontra ce fut sa femme, dont il fut bien esbahy, je vous en asseùre et encores beaucop plus courroucé. « Et qu est Ce cy, dist il', m'amye? et on m'avoit dit que vous estiez trespassée. Je m'en suis bien gardée, dit elle; Vous le dictes, ce croy je, pource que l'eussëz bien voulu et vous 1 avez bien monstré, qui m'avez laissée l'espace de cinq ans à tout ung grant tas de petiz enfàns. M'amye, dit il, je suis bieh)oyeux. de vous veoir en bon point, et en loe Dieu tte: -tout mon cueurv maudit soit qui m'en apporta aultres nouvelles! Ainsi sort il dit elle. Or je vous diray, m'amye je ne puis arrester pour maintenant; force est que je m en aille hastivement devers monseigneur de Noyon,


266 LES CENT NOUVELLES NOUVELLES. pour une besongne qui luy touche; mais au

pour une besongne qui luy touche; mais au plus bref que je pcurray je vousverray. » Il se partit de sa femme et prend son chemin devers Noyon, mais Dieu scet s'il pensa en chemin à son pouvre fait « Hélas dit il, or suis je homme deffait et deshonoré prestre, clerc, et maryé Je croy que je suis le premier maleureux de cest estat. » Il vint devers monseigneur de Noyon, qui fut bien esbahy d'oyr son cas, et ne le sceut conseiller; si le renvoya à Romme. Quand il y fut venu, il compta à son maistre, du long et du lé, la verité de son adventure, qui en fut trèsamèrement desplaisant. Au lendemain il compta à nostre saint père en la presence du colliège des cardinaux et de tout le conseil, l'adventure de son homme qu'il avoit fait curé. Si fut ordonné qu'il demourra prestre et maryé et curé aussi. Et demourra avec sa femme en la façon que ung homme maryé honorablement et sans reprouche, et seront ses enfans legitimez et non bastards, jà soit que le père soit prestre. Mais au surplus, s'il est trouvé qu'il aille aultre part que à sa femme, il perdra son benéfice. Ainsi qu'avez oy fut ce galant puny par faulx donner à entendre de son compaignon et fut contraint de venir demourer sur son bénéfice et qui plus et pis est, avecques sa femme, dont il se fust bien passé si l'eglise ne l'eust ordonné.


et manière, au pourchaz de luy et de ses bons amis d'avoir à femme une trèsbelle jeune fille qui n'estoit pas des plus riches; et aussi n'estoit son mary, mais trèsconvoiteux estoit et homme de grand diligence, et qui fort tiroit d'acquerre et gaigner. Et elle d'aultre part mettoit peine d'entretenir le mesnage selon le desirier de son mary, qui à ceste cause l'avoit beaucop en grace, lequel à mains de regret alloit souvent es affaires de sa marchandise, sans avoir doubte ne suspicion qu'elle feist aultre chose que bien. Mais le pouvre homme sur ceste fiance tant y alla et tant la laissa seule, que ung gentil compaignon s'approucha, et pour abreger fist tant à pou de jours qu'il fut son lieutenant, dont guères ne se doubtoit celuy qui cuidoit avoir du monde la meilleur femme, et qui plus pensast à l'accroissement de son honneur et de sa chevance. Ainsi n'estoit pas, car elle abandonna tost l'amour qu'elle luy devoit, et ne luy

l 'a guères que ung bon homme, laboureur et marchant et tenant sa résidence en ung bon village de la chastellenie de Lille, trouva facon

LA XLIIIe NOUVELLE. PAR MONSEIGNEUR DE FIENNES.


challut du prouffit ne du dommage; ce seulement luy suffisoit qu'elle se trouvast avecques son amy, dont il en advint ung jour ce qui s'ensuyt. Nostre bon marchant dessusdit estant dehors, comme il avoit de coustume, sa femme le fist tantost savoir à son amy, qui n'eust pas failly voluntiers à son mandement, mais vint tout incontinent. Et affin qu'il ne perdist temps, au plustost qu'oncques peut ne sceust s'approucha de sa dame, et luy mist en terme pluseurs et divers propos amoureux; et pour conclusion, le désiré plaisir ne luy fut pas escondit néant plus que autresfbiz, dont le nombre n'estoit pas petit. De mal venir, tout à ce beau cop que ces amours se faisoient, véez bon mary d'arriver, qui trouve la compagnie en besoigne, dont il fut bien esbahy, car il n'eust pas pensé que sa femme fust télle. « Qu'est ce cy? dist il; par la mort bieu, ribauld je vous tueray tout roidde. » Et l'aultre, qui se treuve surprins et en meffait present achopé, ne savoit sa contenance mais car il le savoit diseteux et fort souffreteux, il luy dist tout subit « Ha! Jehan, mon amy, je vous cry mercy, pardonnez moy si je vous ay rien meffait, et par ma foyje vous donray six rasures de blé. Par dieu, dit il, je n'en feray rien; vous passerez par mes mains et auray la vie de vostre corps, si je n'en ay douze rasures. Et la bonne femme, qui oyoit ce débat, pour y mettre le bien comme elle estoit tenue, s'advanca de parler et dist à son mary « Et Jehan, beau sire, lais-


sez luy achever ce qu'il a commencé je vous requier, et vous aurez huit rasures. N'ara pas? dit elle,.en se virant vers son amy. J'en suis content, dit il, mais, par ma foy, c'est trop, ad ce que le blé est cher. Est ce trop ? dist le vaillant homme; et par la mort bieu, je me repens bien que je n'ay dit plus hault, car vous avez forfait une emende s'il venoit à la cognoissance de la justice, qui vous seroit beaucop plus tauxée pourtant faictes vostre compte que j'en aray douze rasures, ou vous passerez par là. – Et yrayement dit sa femme, Jehan, vous avez tort de me desdire; il me semble que vous devez estre content à ces huit rasures, et pensez y que c'est ung grand tas de blé. -Ne m'en parlez plus, dit il, j'en auray douze rasures, ou je le tueray et vous aussi. A dya dit le compaignon vous estes ung fort marchant et au mains puis qu'il fault que vous aiez tout à vostre dit, j'auray terme de paier.-Cela veil je bien, mais j'aray mes douze rasieres. » La noise s'appaisa et fut prins jour de paier à deux termes, les six rasures au lendemain, et les aultres à la saint Remy prouchainement venant, et ce par l'ordonnance de sa femme comme moien, qui dist à son mary « Or ça, vous estes content, n'est ce pas, de recevoir vostre; blé comme j'ay dit.Oy, vrayement, dit il..– Qr vous en allez, dit elle, tant qu'il ayt achevé ce qu'il avoit encommencé quand vous sourvenistes aultrement son marché seroit nul, que vous l'entendez, car je l'aymis eri devis, s'il vous en soubvient. – Saint


Jehan, il est ainsi, dit le bon compaignon je n'yray pas à l'encontre de mon mot, dist le bon marchand. Jà Dieu ne veille que en marché que je face on me trouve trompeur ne mensongier. Vous achèverez ce qu'avez entreprins, et j'aray mes douze rasieres de blé aux termes dessusdictz. Veez là nostre marchié, n'est pas? Oy, vrayement, dit sa femme. -Et adieu donc, dist il; mais toutesfoiz qu'il n'y ait pas faulte que je n'aye demain six rasieres de blé.- Ne vous doubtez, dit l'aultre, je vous tiendray promesse. Ainsi se partit ce vaillant homme de sa maison, joyeux en son courage, pour ces douze rasieres de blé qu'il doit avoir. Et sa femme et son amy recommencèrent de plus belle. Du payer soit à l'adventure, combien toutesfoiz qu'il me fut dit depuis que le blé fut payé et délivré au jour et terme dessus dictz.

ne leur sont impossibles ne difficiles, âvoit n'a guères en ung bon village de Picardie ung

omme il est aujourduy largement de prestres et curez qui sont si gentilz :ompaignons que nulles des folies }ue font et commettent les gens laiz .a .7tt_- _7·rr -1

LA XLIVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


maistre curé qui faisoit rage d'amer par amours. Et entre les autres femmes et belles fi lles de sa parroiche,. il choisit et enoeilla une trèsbelle jeune et gente fille à marier, et ne fut pas si peu hardy qu'il ne luy comptast tout du long son cas. De fait, son bel et asseuré langage, cent mille promesses et auttretant de bourdes, la menèrent ad ce qu'elle estoit assez comme contente d'obéyr à ce curé, qui n'eust pas esté ung petit dommage, tant estoit belle, gente, et de plaisans manières et n'avoit en elle que une faulte, c'estoit qu'elle n'estoit pas des plus subtilles du monde. Toutesfoiz je ne sçay dont luy vint cest advis.ne manière de respondre elle dist ung jour à son curé, qui chauldement poursuyvoit sa besogne, qu'elle n'estoit pas conseillée de faire ce qu'il requéroit tant qu'elle fust à marier car si par adventure, comme il advient chacun jour, elle faisoit ung enfant, elle seroit à tousjours mès femme deshonorée et reprouchée de son père, de sa mère, de ses frères, et de tout son lignage laquelle chose elle ne pourroit souffrir, et n'a pas cueur pour soustenir et porter ledesplaisir et ennuy qu'endurer luy conviendroit à ceste occasion « Et pourtant hors de ce propos, si je suis quelque jour mariée, parlez à moy, le feray ce que je pourray pour vous et non autrement; affin que vous ne vous y attendez point. je le vous dy, et m'en créez une fois pour toutes. » Monseigneur le curé ne fut pas trop joyeux de ceste response absolue et .ne scet penser de- quel courage, ne à quel


propos elle part toutesfoiz luy, qui estoit prins ou las d'amours et féru bien à bon escient, rie veult pas pourtant sa queste abandonner; si dit à sa dame « Or ça, m'amye, estez vous en ce fermée et conclue que de riens faire pour moy si vous n'estes mariée ? Certes oy, dit elle. Et si vous estiez mariée, dit il, et j'en estoie le moien et la cause, en ariez vous après cognoissance, en moy tenant loyaulment et sans faulseté ce que m'avez promis ? -rPar ma foy, dit elle, oy, et de rechef le vous promectz. Or bien grant mercy, dit il, faictes bonne chère car je vous promectz seurement qu'il ne demourra pas à mon pourchaz ne à ma chevance que vous ne le soyez, et de bref, car je suis seur que vous ne .le desirez pas tant que je faiz.; et affin que vous voiez à l'œil que je suis celuy qui veil emploier. et corps et biens en vostre service, vous verrez comment le me conduiray en ceste besoigne. Or bien, dit elle, monseigneur le curé, l'on verra comment vous ferez. » Sur ce se fist la despartie; et bon curé, qui avait le feu d'amours, ne fut depuis guères aise tant qu'il eut trouvé le père de sa dame, et se mist en langage avecques luy de pluseurs et diverses matères et en la fin il vint et cheut à parler de sa fille, et luy va dire bon curé: « Mon voisin, je me donne grand merveille, si font aussi pluseurs voz voisins et amys, que vous ne mariez vostre fille, et à quel propos vous la tenez tant d'emprès vous, et si savez toutesfoiz que la garde est périlleuse. Non pas,


Dieu me veille garder que je dye ou voulsisse dire qu'elle ne soit toute bonne mais vous en voiez tous les jours mesadvenir puis qu'on les tient oultre le terme deu. Pardonnez-moy toutesfoiz que si fiablement vous ouvre et descouvre mon courage car l'amour que je vous porte, la foy aussy que je vous doy, en tant que je suis vostre pasteur indigne, me semonnent et obligent de ce faire. Par dieu monseigneur le curé, dist le bon homme, vous ne me dictes chose que je ne cognoisse estre vraye et tant que je puis vous mercye et ne pensez pas ce que je la tiens si longuement avecques moy c'est malgré moy; car quand son bien viendra, par ma foy, je me traveilleray pour elle comme je doy. Vous ne voulez pas que je luy pourchasse ung mary, mais s'il en vient ung qui soit homme de bien, je feray comme ung bon nère doit faire. Vous dictes trèsbien, dit le curé, et par ma foy, vous nepovez mieulx faire que de vous en despescher, car c'est grand chose de veoir ses enfans allyez en sa plaine vie. Et que diriez vous d'un tel le filz d'un tel vostre voisin ? par ma foy, il me semble bon homme, bon mesnagier, et ung grand laboureur. Saint Jehan, dit le bon homme, je n'en dy que tout bien; quant à moy je le cognois pour ung bon jeune homme et bon laboureur. Son père et sa mère et tous ses parens sont gens de bien; et quand ilz feroient cest honneur à ma fille que de la requerre à mariage pour luy, je leur en responCent Nouv. i


droye tellement qu'ilz devroient estre contens par raison. Ainsi m'aïst Dieu, dist le curé, l'on ne dist jamais mieulx, et pleust à Dieu que la chose en fust ores bien faicte ainsi comme je le desire et pource que je scay à la verité que ceste allyance seroit le bien des parties, je m'y veil emploier et sur ce adieu vous dy. » Si ce maistre curé avoit bien fait son personnage au père de sa dame, il ne le fist pas mains mal au père du jeune homme qu'il avoit mis en bouche à son beau père qui sera s'il peut; et luy va faire ung grand premisse, que son filz estoit en eage de marier, et qu'il le deust pieça estre; et cent mille raisons luy amène par lesquelles il dit et veult conclure que le monde est perdu si son filz n'est tantost maryé. « Monseigneur le curé, dit cesegond bon homme, je scay que vous dictes au plus près de verité et en conscience, si je fusse aussi bien à l'avantage que j'ay esté puis ne scay quants ans, il ne fust pas encores à marier; car c'est une des choses en ce monde que plus je desire; mais faulte d'argent l'en a retardé, et c'est force qu'il ait encores pacience jusques ad ce que nostre seigneur nous envoye plus de bien que encores n'avons. A dya, dit le curé, je vous entens bien, il ne vous fault que de l'argent. Par ma foy non, dit il; si j'en eusse comme aultresfoiz ay eu, je luy querroye tantost une femme. J'ay regardé en moy, dit le curé, pource que je, vouldroye le bien et avancement de vostre ftlz, que la fille d'un tel, c'est assavoir sa dame,


seroit trop bien sa charge; elle est. belle et bonne, et a son père bien de quoy, et tant en sçay je il luy veult trèsbien aider, et qui n'est pas pou de^chose, c'est ung sage homs, de bon conseil, et bon amy, et à qui vous et vostre filz, ariez ung grand recours et trèsbon secours. Quen dictes vous ? Certainement, dit le bon homme, pleust à Dieu que mon filz fust si eureux que d'avoir allyance en si bon hoStel et certes si je pensoye en aucune fasson qu'il y peust parvenir, et je fusse fourny d'argent aussi bien que je ne suis mye, je y emploiroye tous mes amis, car je sçay tout de vray qu'il ne saroit en ceste marche mieulx trouver. Je n'ay pas donc, dit le curé mal choisy. Et que diriez vous se je parloie de ceste besoigne au père, et je la condùisoie tellement qu'elle sortist à effect désiré, et je vous faisoie encores avecques ce le plaisir que de vous prester jusques a vingt frans jusques à ung terme que nous deviserons? –Par ma foy, dit le bon homme, monseigneur le curé, vous m'offrez plus de biens que je ne vaulx ne qu'en moy n'est du deservir. Mais s'ainsi le faisiez, vous m'obligeriez à tousjours mès à vostre service. Et vrayement, dit le curé, je ne vous ay dit chose que je ne face et faictes bonne chère, car j'espère ceste besongne mener à fin. » Pour abréger, maistre curé, esperant de joyr de sa dame quand elle seroit mariée, conduisit les besoignes en tel estat, et par le moien des vingt francs qu'il presta ce mariage fut fait et passé


et vint le jour des nopces. Or est il de coustume que l'espousé et l'espousée ,se confessent à tel jour. Si vint l'espousé premier, et se confessa à ce curé; et quand il eut fait, il se tire.ung petit arrière de luy, disant ses oroisons et paternostres. Et véez cy l'espousée qui se mect à genoux devant le curé et se confesse. Quand elle eut. tout dit, il parla voire si hault que l'espousé, qui n'estoit pas loing, ^entendit tout du long, et dist « M'amye je vous prie qu'il vous souvienne maintenant, car il est heure, de la promesse que me feistes n'a a euères: vous me promistes que quand vous seriez mariée que je vous chevaulcheroye; or t'estes vous, Dieu mercy, par mon moien et pourchaz, et moyennant mon argent que j'ay presté., Monseigneur le curé, dit elle, je vous tiendray cé que je vous ay promis, se Dieu plaist, n'en faictes nulle doubte.– Je vous en mercie »,. dit il puis luy bailla l'absoluciôn après ceste devote. confession, et la laissa courre. Mais l'espousé, qui avoit oy ces parolles, n'estoit pas bien à son aise. Toutesfoiz il n'estoit pas heure de faire le courroucié. Après que toutes les solenratez de î'eslise furent passées, et que tout fut retourné à l'ostel, et que l'heure de coucher approuchoit, l'espousé vinf à ung sien compaignon qu'il amoit trèsbien ét luy pria qu'il luy feist garnison d'une grosse poignée de verges, et qu'il la mist secrètement soubz le chevet de son lit et l'autre le fist. Quand il fut heure, l'espousée fut couchée, comme il est de cou-


stume, et tint le coing du lit, sans mot dire. L'espousé vint assez, tost après et se meet à l'autre bbrt du lit sans l'approuchery ne mot dire et à lendemain se lève sans aultre chose faire, et caiche ses verges dessoubz son Hit. Quand il fut hors de la chambre vréezcy bonnes matrones qui viennent, et ttouvent: l'espousée où lit, et "ne fut pas sans demander commentc'est portée la nuyt, et qu'il luy semble de son jnary. « Ma foy, dit elle, véezlà-sa place, là loing monstrant le bort du lit, et véezcy la mienne il n'approucha, ennuyt de plus près et aussi n'ay je de luy. « Elles furent bien esbahies et plus y pensèrent les unes que les aultres; toutesfoiz elles s'accordèrent ad te qu'il l'a laissie par devocion, et n'en fut plus parlé pour cestefoiz< La deuxiesme nuyt vint, et se coucha l'espousée en sa place du pur devant, et le mary arrière en la sienne, fourny de ses verges; et ne luyfistaultre chose, dont elle n'estoit pas contente, et ne faillit pas de le dire au lendemain à ses matrones, qui ne scevent que penser. Les aucunes disaient « Espoir qu'il n'est pas homme, il le fault esprouver, car jusques à- la nue nuyt il a continué ceste manière. Si fault dire qu'il y ait à dire en son fait pourtant si la nuyt qui vient il ne vous fait aultre chose, dirent elles à l'espousëe,tirez' vers luy si l'accolez et le baisez, et luy demandez si on ne fait aultre chose en mariage. Et s'il vous demande quelle chose vous voulez qu'il vous face,; dictes luy que vous voulez qu'il vous chevauche, et vous


orrez qu'il vous dira. Je le feray », dit elle. Elle ne faillit pas car quand elle fut couchée en sa place de tousjours, le mary reprint son quartier et ne s'avançoit aultrement qu'il avoit fait les nuiz passées. Si se vira tost vers luy et le print à bon braz de corps et luy commence à dire ;« Et venez çà, mon mary, est. ce la bonne -e chère que vous me ferez ? Véezcy jà la cinquiesme nuyt que je suis avecques vous, et si ne m'avez daigné approucher et par ma foy, si je ne cuidasse qu'on feist aultre chose en mariage, je ne m'y fusse jà boutée. Et quelle chose, dist lors, vous a l'on dit que l'on face en mariage ? On m'a, dit, dit elle, qu'on y chevauche l'un l'autre; si vous prie que vous me chevauchez. Chevaucher, dit il, cela ne vouldroye je pas faire encores, ne suis je pas si mal gracieux. Hélas, je vous prie que vous si facez, car on le fait en mariage. Le voulez vous ? dit il. Je vous en requier, dit elle; et en ce disant le baisa trèsdoulcement. Par ma foy, dit il, je le faiz à grand regret, mais puis que vous le voulez le feray, mais je sçay bien que vous ne vous en loerez jà. » Lors prend, sans plus mot dire, ses verges de garnison, et descouvre madamoiselle et l'en batit trèsbien et dos et ventre, jambes et cuissez, tant que le sang en saillôjt de tous costez. Elle crie, elle plore, elle se demaine, c'est grand pitié que de la veoir; elle maudit qui oncques luy fîst requerre d'estre chevauchée « Je le vous disoye bien », dit lors son mary. Après la prend entre ses braz


et la roucina trêsbien, qui luy fist oublier la douleur des verges. « Et comment appelle on dit elle, ce que vous m'avez maintenant fait r On l'appelle, dit il, souffle en cul. Souffle en cul! dit elle, le nom n'est pas si beau que de chevauchier mais la manière de le faire vault trop mieulx d'assez, et puisque je le scay, je sceray bien doresenavant duquel je vous doy requerre. » Or devez vous savoir que monseigneur le curé tendoit tousjours l'oreille quand sa nouvelle mariée viendroit à l'eglise, pour luy ramantevoir ses besoignes, et luy souvenir de sa promesse. Le jour qu'elle y vmt, se pourmenoit et se tenoit près du benoistier; et quand elle fut près il luy bailla de l'eaue beneite, et luy dist assez bas « M'amye, vous m'avez promis que je vous chevaucheroie quand vous seriez mariée vous l'estes, Dieu mercy, si seroit heure de penser quand ce pourroit estre. Chevaucher dit elle, j'aymeroie par dieu mieulx que vous fussez noyé, voire pendu ne me parlez point de chevaucher. Mais je suis contente que vous me soufflez ou cul, si vous voulez. Et je feray, dit le curé, voz fièvres quartaines, paillarde que vous estes, qui tant estes et orde et sale et malhonneste ay je tant fait pour vous que d'estre guerdonné pour vous souffler ou cul ? s> Ainsi mal content se partit monseigneur le curé de la nouvelle mariée qui se va mettre en son siège pour oyr la devote messe que le bon curé vouldra dire. En la fasson qu'avez oy dessus perdit monseigneur le curé son adventure de joir de


sa dame, dont il fut cause et non aultre, pource qu'il parla trop hault à elle le jour qu'il la confessa car son mary qui l'oyt l'empescha en la fasson que dessus, par faire acroire à sa femme que la fasson de roucyner s'appelle souffle en cul.

mencion des advenues en France, Alemaigne, Angleterre, Flandres et Brabant, si s'estendra elle toutesfoiz, à cause de la fresche advenue, à ung cas Romme naguères advenu et connus, qui fut tel A Romme avoit ung Escossois de l'eage d'environ vingt à xxu ans, lequel par l'espace de xnu ans se maintint et conduisit en l'estat et habillement de femme, sans ce que dedans le dit terme il fust venu à la cognoissance publicque qu'il fust homme et se faisoit appeler donne Margarite, et n'y avoit guères bon hostel en la ville de Romme à rate de temps où il n'eust son tour et cognoissance, et spécialement estoit il bien venu des femmes, comme entre, les chambrières, meschines de bas estat, et.aussi des aucunes

ombien que nulle des histoires précédentes n'aye touché ou racompté aucun cas advenu es marches d'Ytalie mais seullement face u"a.r_ .I_u_

LA XLVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


des plus grandes de Romme. Et affin de vous descouvrir l'industrie de ce bon Escossois, il trouva fasson d'apprendre à blanchir les draps linges, et s'appelloit la lavendière et-soubz ceste umbre, hantoit, comme dessus est dit, par toutes bonnes maisons de Romme, car il n'y avoit femme qui sceust l'art de blanchir draps comme il faisoit. Mais vous devez savoir qu'encores savoit il bien plus car puis qu'il se trouvoit en quelque part à descouvert avecques quelque belle fille, il luy monstroit qu'il estoit homme. Il demouroit bien souvent au couscher, à cause de faire la buée ung jour, deux jours, ès maisons dessus dictes; et le faisoit on coucher avecques la chambrière et aucunes foiz avecques la fille et bien souvent et le plus, la maistresse, si son mary n'y estoit, vouloit bien avoir sa compaignie. Et Dieu scet s'il avoit bien le temps, et moyennant le labour de son corps, il estoit bien venu partout; et n'y avoit bien souvent meschine ne chambrière qui ne se combatist pour luy bailler la moitié de son lit. Les bourgois mesmes de Romme, à la relacion de leurs femmes, le voient trèsvoluntiers en leurs maisons et s'ilz alloient quelque part dehors, trèsbien leur plaisoit que donne Margarite aidast à garder le mesnage avecques leurs femmes; et qui plus est la faisoient coucher avecques elles, tant la sentoient bonne et honeste, comme dessus est dit. Par l'espace de xiiij ans continua donne Margarite sa manière de faire. Mais fortune bailla la cognois-


sance de l'abus de son estat dessus dit par la bouche,d'une jeune fille, qui dist à son père qu'elle avoit couché avec elle et luy dist qu'elle l'avoit assaillie, et luy dist veritablement qu'elle estoit homme. Ce père feist preuve à la relacion de sa fille de donne Margarite; elle fut regardée par ceulx de la justice, qui trouvèrent qu'elle avoit tous telz membres et oustilz que les hommes portent, et que vrayement elle estoit homme, et non pas femme. Si ordonnèrent qu'on le mectroit sur ung chariot et qu'on le mainroit par la ville de Romme, de quarrefour en quarrefour, et là monstreroit on, voyant chacun, ses genitoires. Ainsi en fut fait, et Dieu scet que la pouvre donne Margarite estoit honteuse et soupprinse. Mais vous devez savoir que comme le chariot venist en ung quarrefour, et qu'on faisoit ostension des denrées de donne Margarite, ung Rommain qui le vit dist tout hault « Regardez quel galioffe il a couché plus de vingt nuiz avecques ma femme. » Et le dirent aussi pluseurs aultres comme luy pluseurs ne le dirent point qui bien le savoient mais pour leur honneur ilz s'en teurent. En la fasson que vous oyez fut puny nostre pouvre Escossois qui la femme contrefist et après ceste punicion il fut banny de Romme, dont les femmes furent bien desplaisantes car oncques si bonne lavendière ne fut, et avoyent bien grand regret que si meschantement l'avoient perdu.


hanta visita et fréquenta en une bonne maison de dames de religion de ce royaume, qu'il parvint à son intencion laquelle estoit de coucher avec une des dames de léens. Et Dieu scet puis qu'il eut ce bien s'il estoit diligent et soigneux de se trouver vers celle qu'il amoit plus que tout le demourant du monde et tant y continua sa hantise que l'abbesse de léens et pluseurs des religieuses se parceurent de ce qui estoit, dont elles furent bien mal contentes. Mais toutesfoiz, pour éviter esclandre, elles n'en dirent mot, voire au religieux, mais trop bien chantèrent la leczon à la religieuse nonnain, laquelle se sceut bien excuser; mais l'abbesse qui yeoit cler et estoit bien peroevante, cogneut tantost à ses responses et excusances, aux manières qu'elle tenoit et aux apparences qu'elle avoit veues, qu'elle estoit coulpable du fait si voulut pourvoir de remède, car elle fist tenir bien de court, à cause de ceste religieuse, toutes les

e n'est pas chose estrange que les moynes hantent voluntiers les nonnains. A ce propos il advint naguères que ung maistre jacobin tant ,v., F ~w,. 1.

LA XLVIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE THIEUGES.


aultres, fermer les huys des cloistres et des aultres lieux de léens, et tellement fist que le pouvre jacobin ne povoit plus venir veoir sa dame. Si luy endesplaisoit, et à elle aussi, il ne le fault pas demander. Et vous dy bien qu'ilz pensoient et jour et nuyt par quelle façon et moien ilz se pourroient rencontrer; mais ilz n'y savoient engin trouver, tant faisoit faire le guet sus eulx madame l'abbesse. Or advint toutesfoiz ung jour que une des niepces de madame l'abbesse se marioit, et faisoit sa feste en l'abbaye; et y avoit grosse assemblée des gens du païs; et estoit madame l'abbesse fort empeschée de festoyer les gens de bien qui estoyent venuz à la feste faire honneur à sa niepce. Si s'advisa bon jacobin qu'il viendroit veoir sa dame et que à l'adventure pourroit il estre si eureux que de la trouver en belle. Il y vint, comme il proposa, et de fait trouva ce qu'il queroit et à cause de la grosse assemblée, et de l'empeschement que l'abbesse et ses guettes avoient, il eut bien loisir de dire à sa dame ses doléances et regretter le bon temps passé et elle qui beaucop le amoit le vit trèsvoluntiers, et si en elle eust esté elle luy eust fait aultre chère. Entre aultres parolles il luy dit « Hélas! m'amye, vous savez qu'il à jà long temps que point ne sommes devisez ainsi que nous soûlions; je vous requier, s'il est possible, tantdiz que l'ostel de céens est fort donné à aultre choses que à nous guetter, que vous me diez où je pourray parler à vous à part. Ainsi m'aist


t-elle; mon amy, je ne te désire pas

Dieu, dit-elle, mon àiïjy, je ne te désire pas mains que vous. Mais je ne scay penser ne lieu ne place ou ce se puisse faire car tout le monde est par céens, et ne seroit- pas en moy d'entrer en ma chambre, tant y a d'estrangiers logez qui sont venuz à ceste feste; mais je vous diray que vous ferez. Vous savés bien le grand jardin de céens, faictes pas ? Saint Jehan! oy, dit-il. Au coing de ce jardin, dit-elle, a ung trèsbeau préau bien encloz de belles hayes fortes et espesses,.et au milieu ung grant poirier, qui rendent le lieu umbragé et couvert. Vous en yrez là et m'attendrez et tantost que je pourray eschapper je feray ma diligence de me trouver bientost vers: vous. » Elle fut beaucop merciée, et dit maistre jacobin qu'il s'i en va tout droit. Or devez vous savoir que ung jeune galant venu à la feste n'estoit guères loing de ces deux amans, si oy et. entendit toute leur conclusion si s'advisa, car il savoit le préau, qu'il s'i viendra embuscher pourveoir les armes qui s'i feront. Il se mist hors de la presse, et tant que piez le peurent porter, il s'en court devers ce préau, etfist tant qu'il y fut devant le jacobin. Et luy là venu, il monte sur ce beau poirier qui estoit large et ramu, trèsbien vestu de fueilles et de poires, et s'i ambusCha si bien qu'il n'estoit pas aisié à.veoir. Il n'y eut guères esté que véezcy bon jacobin qui attrotte, regardant derrière lui si ame le suyvoit. Et Dieu scet qu'il fut bien joyeux de se trouver en ce beau lieu, et se garda bien de lever


les yeuix contre mont le poirier; car jamais ne se fust doublé qu'il y eust quelqu'une mais tousjours avoit l'œil vers le chemin qu'il estoit venu. Tant regarda qu'il vit sa dame venir le grand pas, qui fut tost d'emprès luy; si se firent grand feste et bon jacobin d'oster sa goune et son scapulaire, et de baiser et accoler bien serrément la belle nonnain. Hz vouldrent faire ce pour quoy ilz estaient venuz et se mist chacun en point, et en ce faisant commence à dire la nonnain « Pardieu, mon amy frère Aubry, je vuil bien que vous sachez que vous avez aujourduy à dame et en vostre commendement ung des beaulx corps de nostre religion; et je vous en fais juge, vous le voiez regardez quelz tetins, quel ventre, quelles cuisses, et du surplus il n'y a que dire. Par ma foy, dist frère Aubry, seur Jehanne m'amye, je cognois ce que vous dictes; mais aussi vous povez dire que vous avez à serviteur ung des beaulx religieux de tout nostre ordre, aussi bien fourny de ce que ung homme doit avoir que nul de ce royaume. » Et à ces motz mist la main au baston dont il vouloit faire ses armes, et le brandissoit voyant sa dame, en luy disant « Qu'en dictes-vous? que vous en semble? n'est-il pas beau? vault-il pas bien une belle fille?– Certes oy, dit-elle. Et aussi l'arez vous. Et vous arez dist lors celuy qui estoit'dessus le poirier, sur eulz, tous des meilleures poires du poirier. » Lors prend à ses deux mains les brances du poirier, et fait


tumber en bas sur eulx et ou préau des poires trèslargement, dont frère Aubry fut tout effraié qu'à peu s'il eut sens ne loisir de reprendre sa goune; si s'en picque tant qu'il peut sans attendre, et ne fut oncques asseuré tant qu'il fut hors de léens. Et la nonnain, qui fut autant ou plus effrayée que luy, ne sceut si tost se mettre au chemin que le galant qui estoit sur le poirier ne fut descendu, qui la va prandre par la main et luy défendit le partir, et luy dist « M'amye, ainsi n'en yrez vous; il vous fault bien premier paier le fruictier. » Elle, qui estoit prinse et soupprinse, vit bien que le refuz n'estoit pas de saison, et fut contente que le fruictier fist ce que frère Aubry avoit laissié en train.

discret en'conseil et en bref dire, en lui estoient tous les biens de quoy l'on pourroit jamais loer homme. D'une chose tant seulement estoit noté dont il n'estoit pas cause, mais estoit celuy à qui plus en desplaisoit; et

> n Prouvence avoit naguères ung president de haulte et bien eureuse prénommée, qui trèsgrand clerc et prudent estoit, vaillant aux armes,

LA XLVIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


la raison y estoit bonne. Et pour dire la note que de luy estoit, c'estoit qu'il estoit coupault par faulte d'avoir femme aultre que bonne. Le bon seigneur veoit et cognoissoit la desloyauté de sa femme, et la trouvoit encline de tous poincts à sa puterie; et quelque sens que Dieu luy eust donné, ne savoit remède à son cas, fors de soy taire et faire du mort; car n'avoit pas sj peu leu et veu en son temps qu'il ne sceust vrayement que correction n'a point de lieu à femme de tel estat. Toutesfoiz vous povez penser que ung homme de courage et vertueux, comme cestuy estoit, ne vivoit pas bien à son aise, mais fault dire et conclure que son dolent cueur portoit la paste au four de ceste maladie infortune. Et car au pardehors avoit manère et semblant de rien savoir et percevoir le gouvernement de sa femme, ung de ses serviteurs le vint trouver un jour en sa chambre, à part, et luy va dire par grand sens « Monseigneur, je suis celuy qui vous vouldroye advertir, comme je doy, de tout ce qui peut especialement toucher à vostre honneur je me suis prins et donné garde du gouvernement de madame vostre femme, mais je vous asseure qu'elle vous garde trèsmal la loyaulté qu'elle vous a promise carseurement un tel (qui luy nomma) tient vostre lieu bien souvent. » Le bon pre.sident, sachant aussi bien ou mieulx l'estat de sa femme que son serviteur qui faisoit ce rapport, luy respondit trèsfièrement « Ha! ribauld, je scay bien que vous mentez de tout


ce que me dictes; je cognois trop ma femme, elle n'est pas telle, non. Et vous ay-je nourry pour me rapporter une telle bourde, voire de celle qui tant est bonne et loyale? Et vrayement vous ne m'en ferez plus dictes que je vous doys, et vous en allez tost, et ne vous trouvez jamais devant moy, si cher que vous amez vostre vie. » Le pouvre serviteur, qui cuidoit faire grand plaisir à son maistre de son adventure, dist qu'il luy devoit. Il le receut et s'en alla. Nostre président, voyant encores de plus en plus rafrescher la desloyautë de sa femme, estoit tant mal content et si trèsfort troublé qu'on ne pourroit plus. Si ne savoit que penser ne ymaginer par quelle facon il s'en pourroit honestement descharger. Sis'advisa, comme Dieu le voult, ou comme fortune le consentit, que sa femme devoit aller à unes nopces assez tost; et si ce qu'il pense peut advenir il sera du monde le mieulx fortuné. Il vint à ung varlet qui la garde avoit de ses chevaulx, et d'une belle mule qu'il avoit, et luy dit « Garde bien que tu ne bailles à boire à ma mule de nuyt ne de jour, tant que je le te diray; et à chacune foiz que tu luy donneras son avene si mectz parmy une bonne poignée -de sel; et garde que n'en sonnez mot. Non feray-je, dit le varlet, et si feray 'ce que vous me commendez. «Quand le jour des nopces de la cousine de madame la présidente approucha, elle dist au bon président « Monseigneur, si c'estoit votre plaisir, je me trouveroye voluntiers aux nopces de ma cou-


sine, qui se feront dimenche en ùng tel lieu. Trèsbien, m'amye, j'en suis bien content; allez, Dieu vous conduyse. Je vous mercie, monseigneur, dit-elle mais je ne sçay bonnement comment y aller; je n'y menasse point voluntiers mon chariot, pour le tant pou que ay à y estre; vostre hacquenée aussi est tant desfrayée que je n'oseroie pas bien emprendre le chemin sur elle. Et bien m'amie, si prenez ma mule; elle est trèsbelle et si va bien et doulx, et est aussi seurë du pié que je n'en trouvay oncques point. Et, par ma foy, monseigneur, dit-elle je vous en mercye, vous estes bon mary. » Le jour de partir vint, et se firent prestz les serviteurs de madame la presidente et ses femmes qui la devoient servir et accompaigner; pareillement vont venir à' cheval- deux ou troys gorgyas qui la devoient accompaigner, qui demandent se madame est.preste, et elle leur fait savoir qu'elle viendra maintenant. Elle fut preste et vint en bas, et luy fut amenée la belle mule au montouer, qui n'avoit beu de viij. jours-; et enrageoit de soif, tant avoit mengé de sel. Quand elle fut montée, les gorgias se misrent devant, qui faisoient fringuer leurs chevaulx et estoit ragé qu'ilz faisoient bien et hault. Et se pourroit bien faire que aucuns de la compaignie savoient bien que madame savoit faire. En la compaignie de ces gentilz gorgyas, de ses serviteurs et de ses femmes, passa madame par la ville, et se vint trouver aux champs et tant alla qu'elle vint à ung destroit auprès duquel


passe la grosse rivière du Rosne, qui en cel endroit est tantroidde que merveilles. Et comme ceste mule, qui de viij. jours n'avoit beù, :pèrceut la rivière, courant sans demander pont ne passage, elle de plain vol saulta dedans à tout sa charge, qui estoit du precieux corps de madame. Ceulx qui la virent la regardèrent trèsbien; mais aultre secours ne luy firent, car aussi il n'estoit pas en eulx; si fut madame noyée, dont ce fut grand dommage. Et la mule, quand elle eut beu son saoul, nàigéà tarit par le Rosne qu'elle trouva la rive, si fut sauvée. La compaignie fut moult troublée, qui eutperdu madame si s'en retourna en la ville; Et vint ung des serviteurs de monseigneur le président le trouver en sa chambre, qui n'atteridoit àultre chose que les nouvelles qu'il luy dist, et luy va dire tout plorant la.piteuse'advënture de madame sa rriaistres.se. Le .b.bnt président, plus joyeux en cuéùr qu'oncques triste ne fut, se monstra trèsdesplaisant et de fait se laissa cheoirdu haultde luy, menant trèspiteux dueil en regretant sa bonne femme. Il maudisoit sa mule, les belles nopces .qui firent sa. femme partir ce jour. « Et Dieu! dit-il, ce vous est grand reprouche qui .estiez tant de gens et n'avez sceu rescourre la pouvre femme qui trèstant vous arrioit; 'vous estes lasches et meschans, et l'avez bien monstre. 1) Le serviteur s'excusa et les aultres aussi, le mains mal qu'ilz sceurent et laissa monseigneur le président, qui loa Dïeil joinctes mains de ce qu'il est quitté dé sa femme. Quand point fut,


il fist faire ses funérailles comme il appartint; mais croiez, combien qu'encorez il fust en eage, il n'eut garde de se rebouter en mariage, craignant le dangier où tant avoit esté.

façon d'avoir vers elle accointance il compta son cas, et au rapport qu'il fist, il sembloit fort malade et à la verité dire, aussi estoit-il bien picqué. Elle fut bien si gracieuse qu'elle luy bailla bonne audience, et pour la première foiz il se partit trèscontent de la response qu'il eut. S'il estoit bien féru au paravant, encores fut il plus touché au vif quand il eut dit son fait si ne dormoit ne nuyt ne jour, de force de penser à sa dame et de trouver la façon et manière de parvenir à sa grace. Il retourna à sa queste quand il vit son point; et Dieu scet, s'il avoit bien parlé la première foiz, que encores fist-il mieulx son personnage à la deuxiesme, et si trouva de son boneur sa dame assez encline à passer sa requeste, dont il ne fut pas moyennement

ng gentil compaignon devint amoureux d'une jeune damoiselle qui n'a guères estoit mariée et le mains mal qu'il sceut, après qu'il eut trouvé rnif «orc alla Oi-tonifit-o-n^o «1 a a «•_«.

LA XLVIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


joyeux. Et car il n'avoit pas tousjours ne le temps ne le loisir de se trouver vers elle, il luy dist à ceste foiz la bonne volunté qu'il avoit de luy faire service et en quelle façon. Il en fut mercyé de celle, qui estoit tant gracieuse qu'on ne pourroit plus. Bref il trouva en elle tant de courtoisie en maintien et parler qu'il n'en sceust plus demander par raison si se cuida avancer de la baiser, mais il en fut refusé de tous poins mesme quand vint au partir et au dire adieu, il n'en peut oncques finer, dont il fut. trèsesbahy. Et quand il fut en sus d'elle, il se doubta beaucop de point parvenir à son intencion, veu qu'il ne povoit obtenir d'elle ung seul baiser. Il se confôrtoit d'aultre costé des gracieuses parolles qu'il eut au dire adieu, et de l'espoir qu'elle luy baille. Il revint comme aultresfoiz à sa queste et pour abréger, tant y alla et tant y vint qu'il eut heure assignée de dire à sa dame, à part, le surplus de ce qu'il ne vouldroit dire sinon entre eulx deux. Et car temps estoit, il print congé d'elle, si l'embrassa bien doulcement et la voulut baiser; et elle s'en défend trèsbien et luy dit assez rudement « Ostez, ostez-vous, et me laissez, je n'ay cure d'estre baisée. » Il s'excusa le plus gracieusement que oncques sceut, et sur ce se partit. « Et qu'est cecy ? dist-il en soy-mesnies je ne vy jamais ceste manière en femme elle me fait la meilleure chère du monde, et si m'a desjà accordé tout ce que je luy ay osé requerre; mais encores n'ay je peu finer d'un pouvre


baiser. » Quand il fut heure il vint où sa dame luy avoit dit, et fist tout ce pour quoy il y vint tout à son beau loisir car il coucha entre ses braz toute la belle riuyt, et fist tout ce qu'il voulut, fors seullement baiser, et de cela n'eust-i jamais finé. « Et je n'entens point cestë manière de faire, disoit-il en son pardedens; ceste femme est contente que je couche avecques elle et que je face tout ce qu'il me plaist mais du baiser je n'en fineroye neant plus que de la vraye croix ? Par la mort bieu! je ne sçay entendre cecy il fault qu'il y ait aucun mistère; il est force que je le sache. » Ung jour entre les aultres, qu'il estoit avecques sa dame à goguettes et qu'ilz estoient beaucoup dehet tous deux « M'amye dist-il, je vous requier que vous me dictas la cause qui vous meut de moy tenir si grand rigueur quand je vous veil baiser. Vous m'avez de vostre grace baillé la joyssance de vostre beau et gracieux corps tout entièrement, et d'un petit baiser vous me faictes le refus Par ma foy, mon amy, ditelle, vous dictes voir, le baiser vous ay refusé, et ne vous y attendez point, vous n'en finerez jamais'; et la raison y est bonne, si la vous diray Il est vray, quand j'espousay mon mary, que je luy promis de la bouche tant seullement beaucop de belles choses. Et car ma bouche est celle qui luy a juré et promis de luy estre bonne, je suis celle qui. luy veil entretenir, et ne souffreroye pour mourir qu'aultre de luy y touchast; elle est sienne et à nul


aultre; et ne vous attendez d'en rien avoir. Mais mon derrière ne luy a rien promis ne juré; faictes de lùy et du surplus de moy, ma bouche hors, ce qu'il vous plaise; je le vous habandonne. » L'autre commença à nfetrèsfort, > et dist « M'amye, je vous mercye, vous dictes trèsbien, et si vous scay grand gré que vous avez la franchise de bien garder vostre promesse. Jà Dieu ne veille dist-elle, que je luy face faulte. » En la façon que avez oy fut ceste femme abustinée le rriary avoit la bouche seullement, et son amy le surplus; et si d'adventure le mary se servoit aucunes, foiz z des aultre's membres, ce n'estoit que par manière d'emprunt, car ilz estoient à son amy par le don de sa dicte femme. Mais il avoit ceste advantage, que sa femme estoit contente qu'il emprint sur ce qu'elle avoit donné à son amy; mais pour rien n'eust souffert que l'amy eust joy de ce que à son mary avoit donné.

LA XLIXe NOUVELLE.

PAR PIERRE DAVID.

'ay bien scéu que n'a guères, en la ville d'Arras, avoitung bon marchant auquel il rnescheut d'avoir femme espousée qui n'estoit point de meilleur ~u"11.

au monde car elle ne tenoit serre tant qu eue


peust veoir son cop et qu'elle trouvast à qui neant plus que une vieille arbaleste. Ce bon marchant se donna garde du gouvernement de sa femme; il en fut aussi advertv par aucuns ses plus privez amis et voisins. Si se bouta en une bien grande frenesie et parfonde melencolie, dont il ne valut pas mieulx. Puis s'advisa qu'il esprouveroit s'il savoit par bonne façon s'il pourroit veoir ce qu'il scet que bien peu luy plaira c'estoit de veoir venir en son hostel, devers sa femme, ung ou pluseurs de ceulx qu'on dit qui sont les lieutenans. Si faĩ mt ung jour d'aller dehors, et s'embuscha en une chambre de son hostel dont luy seul avoit la clef. Et destournoit la dicte chambre sur la rue, sur la court, et par aucuns secrez pertus et treilliz regardoit en plusieurs aultres lieux et chambres de léens. Tantost que la bonne femme pensa que son mary estoit dehors, elle fist prestement savoir à ung de ses amys qu'il vensat vers elle; et il obéyt comme il devoit, car il suyvit pié à pié la meschine qui le vint querre. Le mary, qui, comme dit est, estoit en sa chambre, vit trèsbien entrer celuy qui venoit tenir son lieu; mais il ne dit mot, car il veult veoir plus avant s'il peut. Quand l'amoureux fut léens, la dame le mena parléans par la main tout devisant en sa chambre, et serra l'huys, et se commencent à baiser et à accoler, et faire la plus grand chère de jamais; et bonne damoiselle de despoiller sa robe, et se mectre en cotte simple; et le bon compaignon de la prendre à bons braz de corps", et


faire ce pourquoy il vint. Et tout ce veoit à l'oeil le pouvre mary par une petite treille; pensez s'il estoit à son- aise; mesme estoit-il si près d'eulz qu'il entendoit plainement tout ce qu'ilz disoient. Quand les armes d'entre la bonne femme et son serviteur furent achevées, ilz se mirent sur une couche qui estoit en la chambre, et se commencent à deviser de pluseurs choses. Et comme le serviteur regardast sa dame, qui tant belle estoit que merveilles, il la commence à rebaiser, et dit en baisant « M'amye, à qui est ceste belle bouche ?-C'est à vous, mon bel amy, dit-elle: -Et je vous en mercie dit-il. Et ces beaulx yeulx ? A vous aussi dit-elle. Et ce beau tetin qui tant est bien troussé,n'est-ilpas de mon compte? dit-il.– Oy par ma foy, dit-elle, il est à vous, et non à aultre. » Il mect après la main au ventre et à son devant, où il n'avoit que redire, et luy demanda « A qui est cecy, m'amye ?Il ne le fault jà demander, on scet bien que tout est vostre. » Il vint après gecter la main sur son gros derrière, et luy demanda en soubzriant « Et à qui est cecy ?-Il est à mon mary, dit-elle, c'est sa part mais tout le demourant est vostre. -Et vrayement, dit-il, je vous en mercie beaucop. Je ne me doy pas plaindre, vous m'avez très bien party; et aussi d'aultre costé, par ma foy, pensez que je suis tout entier vostre. – Je le sçay bien », dit elle. Et après ces offres recommencèrent leurs armes de plus belle; et ce fait, le serviteur se partit de léans. Le pouvre mary, qui tout avoit


veu et oy, n'en povoit plus, s il n enraigeoit tout vif; toutesfoiz, pour mieulx faire que laisser, il avala ceste première, et au lendemain fist trèsbien son personnage faisant semblant qu'il vient de dehors. Et quand vint au disner, il dist qu'il vouloit avoir au disner, dimenche prochain venant, son père et sa mère, telz et telles de ses parens et cousines; et qu'elle face garnison de vivres, et qu'ilz soient bien aises à ce jour. Elle se chargea de ce faire et il de les inviter. Ce dimenche vint, le disner fut prest, et ceulx qui mandez y furent comparurent, et print chacun place comme leur hoste l'ordonnoit, qui estoit debout et sa femme aussi, qui servirent du premier mes. Quand le premier mes fut assis, l'oste, qui secrètement avoit fait faire une robe pour sa femme de gros bureau gris, et à l'endroit du derrière fist mectre une pièce de bonne escarlate, à manière de tasseau, dist à sa femme « Venez jusques en la chambre » il se mect devant et elle le suyt. Quand ilz y furent, il luy fist despoiller sa robe et va prendre celle de bureau dessusdicte et luy dit « Or vestez ceste robe. » Elte là regarde et voit qu'elle est de gros bureau si en est toute esbahie et ne scet penser qu'il fault à son mary, ne pourquoy il la veult ainsi habiller. « Et à quel propos me voulez-vous ainsi housser? dit-elle.-Ne vous chaille, ditil, je veil que vous la vestez. Ma'foy, dit elle, je n'en tien compte, je ne la vestiray jamais. Faictes-vous du fol ? Vous voulez-vous bien faire farcer de vous et de moy devant


tant de gens. – II n'y a ne fol ne sage, dit-il vous la vestirez.-Au mains, dit-elle, que je sache pour quoy. Vous le sarez, Ôit-il, cy après.» Pour abréger, force fut qu'elle endossast ceste robe, qui estoit bien estrange à regarder. Et en ce point fut amenée à la table, où la pluspart de ses amys et parens estoient. Mais pensez qu'ilz furent bien esbahiz de la veoir ainsi habillée; et créez qu'elle estoit bien honteuse; et si la force eust esté sienne, elle ne fust pas là venue. Droit là. fut bien qui demanda que signifioit cest habillement. Et le mary respondit qu'ilz pensent trestous de faire bonne chère, et que après disner ilz le sceroient. Mais vous devez savoir que la bonre e femme houssée du -bureau ne mengea chose qui bien luy feist; et luy jugeoit le cueur que le mistère de sa housserie luy feroit ennuy. Et encore eust-elle esté plus troublée d'assez s'elle eust sceu du tasseau d'escarlate; mais nenny. Le disner se passa, et fut la table ostée, les grâces dictes, et chacun debout. Lors le mary se mect avant etcommence dire:«Voustelz qui cy estes, s'il vous plaist, je vous diray en bref la cause pourquoy j'ay vestu ma femme de cest habillement. Il est vray que pieçà j'ay esté adverty que vostre fille qui cy est me gardoit trèsmal la loyaulté qu'elle me promist en la main du prestre; toutesfoiz, quelque chose que l'on m'ait dit, je.ne l'ay pas creu legerement, mais l'ay voulu esprouver; et qu'il soit vray, il n'y a que six jours que je faindy d'aller dehors, et m'enbuschay en ma chambre là hault.


Je n'y eu guères esté que véezcy venir ung tel, que ma femme mena tantost en sa chambre, où ilz firent ce que mieulx leur pleut. Entre leurs aultres devises, l'homme luy demanda de sa bouche, de ses yeulx, de ses mains, de son tetin, de son ventre, de son devant et de ses cuisses à qui tout ce bagage estoit. Et elle luyrespondit «A vous, mon amy.» Et quand vint à son derrière, il luy dist « Et à qui est cecy, m'amye ? A mon mary » dist elle. Lors, pource que je l'ay trouvée telle, je l'ay en ce point habillée elle a dit que d'elle il n'y a rien mien que le derrière, si l'ay houssé comme il appartientà mon estat; le demourant ay-je houssé de vesture qui est deue à femme desloyale et deshonorée, car elle est telle je la vous rends.» » La compaignie fut bien esbahie d'oyr ce propos, et la pauvre femme bien honteuse. Mais toutesfoiz, quoy qu'il fust, oncques puis avecques son mary ne se trouva, ains deshonorée et reprouchée entre ses amys depuis demoura.


LA Le NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA SALLE, PREMIER MAISTRE D'HOSTEL DE MONSEIGNEUR LE DUC.

le filz d'un laboureur qui fut depuis l'eage de dix ans jusques à l'eage de vingt et six tousjours hors du pays; et puis son partement jusques à son retour, oncque son père ne sa mère n'en eurent une seule nouvelle si pensèrent pluseurs foiz qu'il fust mort. Il revint après toutesfoiz, et Dieu scet la joye qui fust en l'ostel, et comment il fut festoié à son retour du tant pou de biens que Dieu leur avoit donné. Mais qui le vit voluntiers et en fist grand feste, sa grand mère, la mère de son père, luy faisoit plus grand chère et estoit la plus joyeuse de son retour; elle le baisa plus de cinquante foiz,' et ne cessoit de loer Dieu qu'il leur avoit rendu leur beau filz et retourné en si beau point. Après ceste grande chère, l'heure vint de dormir; mais il n'y avoit à l'ostel que deux lictz l'un estoit pour le père et la mère et l'autre pour la grand mère. Si fut ordonné que leur filz coucherait avecques

omme jeunes gens se mettent à i voyager et prennent plaisir à veoir et sercher les adventures du monde, il y eut n'a guèresau pays de Lannoys


sa taye, dont elle fut joyeuse; mais il s'en fust bien passé combien que pour obéir il fut content de prendre la pacience pour ceste nuyt. Comme il estoit couché avec sa taye, ne scay de quoy il iuy sourvint, il monta dessus. « Et que veulz-tu faire? dit-elle. Ne vous chaille, dit-il, ne dictes mot.» Quand elle vit qu'il vouloit besoigner à bon escient, elle commence de crier tant qu'elle peut après son filz, qui dormoit en la chambre au plus près; si se leve de son lit et se va plaindre à luy .de son filz; en plorant tendrement. Quand l'autre entendit la plainte .de sa mère et l'inhumanité de son filz, il se leva sur piez trèscouroussié et mal. meu et dit qu'il l'ocçira. Le filz, oye ceste menace, si sault sus, et s'en picque par derrière et se sauve. Son père le suyt, mais c'est pour néant: il n'estoit pas si radde du pyé comme luy; il vit qu'il perdoit sa peine, si revint à l'ostel et trouva sa mère lamentant à cause de l'orFense que.son filz. avoit faicte. « Ne vous chaille, dit-il, ma mère, je vous en verigeray bien. » Ne sçay quants jours après ce père vint trouver son filz, qui jouoit à.la paulme en la ville de Laon et tantost qu'il le vit, il tire bonne dague et marche vers luy et l'en cuide ferir. Le filz se destourna, et son père fût tenu. Aucuns qui là estoient sceurent bien que c'estoit le père et le filz. Si dit l'un au filz « Et vien çà qu'as tu meffait à ton père, qui. te veulftuer?– ^Ma foy, dist-il, rien. Il le plus grand tort de jamais il me veult tout le mal du monde pour


une pouvre foiz que j'ay voulu rouciner sa mère il a rouciné la mienne plus de cing cens foiz, et je n'en parlay oncques ung seul mot.» Tous ceux qui oyrent ceste response commencèrent à rire de grand cueur et dirent bien qu'il estoit bon homme. Si s'efforcèrent à ceste occasion de faire sa paix à son père, et tant si employèrent qu'ils en vindrent au bout, et fut tout pardonné d'un costé et d'aultre.

FIN DU TOME PREMIER.