SOMMAIRE DU SUPPLÉMENT tÀ Muse de Compièsnis Edmond AiouC Henri Martin Victor Fournel. •̃/̃
Ea Jeune ReiNb Albert Delpit.
UN Hékos.
£es Amours DE Pascal Ant. Ricard.
J,E Drame des Champs:Elysées, Fray Garitto.
Là-Galerie Vandemissel Louis Dépret. J&. Style c'est la Femme L. Lemercier de Neuville.
A Travers les Revues Auguste Marcade.. a
LE (3RIFFON -.Ànstey. ¿"
La Semaine financière.
LA ÎIII DE GOMPUGHI
PETIT DIVERTISSEMENT EN MANIÈRE D'ACROSTICHE OFFERT
A SA MAJESTÉ L'IMPÉRATRICE
par
LES INVITÉS DE LÀ TROISIEME SÉRIE PHOIiOG-THE
X,R. MUSK
M. About se présente, dit-on, à l'Académie 5 c'est un journaliste de talent, un romancier d'imagination qui pourrait s'asseoir sous le dôme de l'Institut sans qu'il s'écroulât d'étonnement.
M. About a bien quelques petits péchés de jeunesse à se reprocher autrefois, il y a longtemps, il a donné dans la poésie, mais il faut lui pardonner en faveur du sentiment de reconnaissance qui conduisait sa plume. Il ne nous en voudra sûrement pas de reproduire la pièce de vers suivante l'acrostiche d'Eugénie écrite alors qu'il était un des plus assidus de Compiègne, sous l'Empire c'est un rien, mais ce rien ne doit pas être considéré comme un impedimentum ni retranché de son bagage littéraire.
Je suis la muse du palais;
Mon piédestal est sous les arbres
Mais ce soir il souffle un vent frais
Qui fait grelotter jusqu'aux marbres,
Nos maitres sont hospitaliers;
Souffriront-ils que je gémisse,
Quand la bravoure et la justice
Se réchauffent à leurs foyers ? 't
Vous me croyez peut-être morte?
C'est un bruit qu'on a fait courir.
Non, la muse ne peut mourir l
Voyez donc comme elle se porte
Si j'éprouve un léger frisson,
C'est que je n'ose et je désire
Montrer aux maîtres de l'Empire
Quelques tableaux de ma façon.
1
ÉTOILE
Etoile, d'où viens-tu ?Viens-tu de l'Orient ? 3 Conduis-tu les bergers vers l'étable bénie Où l'Enfant-Dieu s'éveille en souriant Pour nous donner sa vie?
Es-tu l'étoile du marin? 3
Reviens-tu de montrer la route
Au timonier qui veille et doute,
Les yeux au ciel, la barre en main ? P
Non, je te reconnais. C'est Dieu qui t'a placée, Etoile du bonheur, sur quelques fronts humains, Pour qu'au rayonnement d'une auguste pensée, Les peuples égarés retrouvent leurs chemins.
ll
UNIFORME
L'uniforme a changé. souvent
Dans ce vaillant pays de France
Qu'il soit de fer ou de garance,
On l'a vu toujours en avant
J'estime assez la vieille mode
De cuirasser comme une tour
Un gentilhomme fait au tour;
Mais la nouvelle est plus commode.
Voici deux chevaliers sans peur,
Dont l'un, héroïque figure,
Autour du corps a son armure;
Et vous, mon fier petit seigneur,
Vous l'avez tout autour du cœur.
III
GKACES
Vous octroyez souvent les grâces demandées Par la voix d'un coupable à genoux et tremblant: Mais les trois que voici ne seront accordées Qu'à l'honneur, au courage, au travail, au talent.
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ÉGÉRIB
Voici le bon roi Numa
Avec la nymphe Egérie,
Qui pour Numa résuma
Le sénat et la pairie.
Ce prince au cœur élevé
° N'eut pas de conseil privé.
Admirez comme il est sage,
Couvant d'un œil attentif
Ce beau Corps législatif
Qui, sans débat ni partage,.
Revient voter tous les Jours
La loi, dont l'article unique
Fonde un état monarchique
Tempéré par les amours.
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NUIT
0 nuit qui couvres de tes voiles
Les tourments d'un siècle agité
Nuit quipleuresdes flots d'étoiles
Sur les maux de l'humanité,
Fais-nous la liste des misères
Que tu rencontres dans ton cours
Dis-noas combien d'enfants sans mères Et de malades sans secours ?
J'invoquerai l'ange qui vole
Entre l'hôpital et l'école,
Riant et, pleurant à la fois,
L'ange radieux qui console
Plus de douleurs que tu n'en voisl
• VI
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(La Muse désigne du doigt un cadre vide.) C'est une idole au front d'ivoire,
Plus blanc que les perles d'Ophir
Sous une auréole de gloire
Brillent ses grands yeux de saphir.
Les rois s'inclinent devant elle;
Toi, pauvre, tombe à ses genoux.
Les cœurs volent à tire-d'aile.
(Ici la Muse s'aperçoit que lé cadre est vide, elle se tourne vers l'auditoire, et dit) Ah! pardon j'oubliais; cherchez-la parmi vous, La divinité souveraine
Qui fait battre nos cœurs en soupirant nos vers. Elle est trop grande pour la scène
Son vrai cadre est la France, ou plutôt l'univers. VII
,^t ESPAGNE
C'est donc toi, le,pays ou les citrons mûrissent? Deux fois, dans tes jardins, les orangers fleu[rissent,
La grenade y rougit aux buissons du chemin De raisins parfumés ta vigne se couronne; Sous ton ciel toujours bleu l'hiver n'est qu'un [automne
Qui tient le printemps par la main.
Eh bien! tu peux garder les trésors qu'on t'envie, Pays aimé de Dieu, forte terre au ciel doux 1 Ta plus noble beauté, nous te l'avons ravie, Ta plus auguste fleur n'a fleuri que pour nous! 1 Edmond About
Compiègne, 7 décembre 1866.
HENRI MARTIN
Sous ce titre î Figures d'Hier et d'Aujourd'hui, M. Victor Fournel publie à la librairie Calmann Lévy, un volume de portraits où l'intérêt de la biographie se joint au mérite du style et de la critique. Cette galerie comprend vingt-cinq personnages de première et de se- conde grandeur, les uns encore vivants, les auties morts depuis une dizaine d'années, qui revivent dans toute la vérité de leur physionomie sous la plume de l'érudit et spirituel écrivain. Nous reproduisons le très joli portrait suçant de M. Henri Martin.
Qui se doute que M. Henri Martin, a été mêlé au mouvement romantique ? Il faudrait exécuter des fouilles prolongées dans les profondeurs les plus poudreuses des plus antiques cabinets de lecture pour y découvrir ses romans. Saviezvous que M. Henri Martin a professé à la Sorbonne en 1848? Avez-vous jamais lu ses articles du Siècle, du National, de la Revue indépendante, de la Liberté de penser? Connaissez-vous • le drame héroïque de Vercingèlorix? Et le livre sur La France, son génie et sés destinées ? Il paraît aussi que M. Henri Martin a représenté le département de l'Aisne dans la dernière assemblée, et qu'il fait actuellement partie du Sénat. En politique, il est de l'école du Siècle; en histoire, c'est un Celte, qui combat sous les drapeaux de Camulogène en religion un druide, comme son ami Jean .Reynaud. On le croirait sorti en droite ligne du sanctuaire de l'île de Sayne. Il serait homme à épouser Velléda si elle n'était morte, et j'aime à croire qu'il a fait, après sa nomination, sacrifier deux taureaux blancs à Teutatès par. des eubages.
M.' Henri Martin a son article dans tous les dictionnaires, dans Didot, dans Vapereau, dans Larousse, mais il n'a jamais été visé par les entrepreneurs de biographies; les reporters n'ont jamais éprouvé le besoin d'escalader le mur de sa vie privée, ni les photographes d'afficher son portrait entre ceux de Capoul et de M. Gambetta. Grâce à son Histoire de France, la notoriété de M. Henri Martin est pourtant très grande, mais elle n'est pas de celles qui excitent la passion ou même la curiosité. Quoiqu'il ait été souvent mêlé à la politique, son nom nous laisse calmes, et sa vie bourgeoise, unief n'offre aucun de ces incidents qui font la joie des chroniqueurs, .,iI"~
Henri Martin est né le 20 février 1810 à Saint-Quentin, où il fit ses études. Son père, juge au tribunal civil, le destinait au notariat. Le notariat était une tradition de famille à laquelle, malgré les apparences, M. Henri Martin n'a pas entièrement manqué. A dix-huit ans, il fut expédié à Paris comme petit clerc d'un honnête notaire dont l'étude s'ouvrait rue de la Harpe. Mais à Paris il retrouva son compatriote et ami Félix Davin, employé de commerce et mordu comme lui de la tarentule littéraire. Davin avait trois ans de plus, et il ne pouvait que pervertir davantage encore l'imagination du jeune candidat notaire. Ils s'associèrent pour créer un chef-d'œuvre et de leur collaboration naquit, dans les premiers mois de 1830, un roman étrange Wolfthurm ou la Tour du loup.
Le jeune clerc avait signé Irner, car il faut avouer que son nom de Martin n'avait rien de romantique et qu'il était peu fait pour se graver dans la mémoire des masses. Il y a vingt Martin dans Vapereau i\ y en a quarante-cinq dans la Qiograpliié Didot; il y en a six cents dans l'Annuaire d'u commerce, pour
Paris seulement les bottiers, tes charcutiers et les épiciers àonsMsmt dans cette immense nomenclature, si beaucoup se prénomment Henri. Néanmoins, à partir de son deuxième ouvrage, le petit clerc reprit le nom de sa famille "et il eut,raison toute la concession qu'il fit au romantisme fut de l'écrire avec un y, auquel il a fini par renoncer, à l'âge où l'on revient de toutes les vanités de ce monde..
Avons-nous besoin de dire que le jeune Henri Martin était un libéral, qui avait voué un culte aux sergents de la Rochelle et haïssait Polignac de tout son cœur? « Je me souviendrai toujours, me racontait un écrivain célèbre, de l'avoir vu arriver chez moi le troisième jour de la révolution de Juillet, tête nue, portant en guise de ceinturon un foulard rouge dans lequel était passée une épée sans fourreau, et criant avec exaltation « La liberté l'emporte! » II voulait m'entraîner moi, je voulus le faire asseoir Mais il repartit, toujours tête nue, et avec sa terrible épée dans son mou- choir. » Martin, fils des preux, c'està-dire des héros de la Bastille Cela mériterait un couplet dans la Parisienne.
#*#
Après Wollilturm, @Davin le présenta à M. Paul Lacroix, qui l'accueillit à bras ouverts. Il brûlait de se si'gnaler et surtout de gagner suffisamment avec sa plume, pour obtenir de l'autorité paternelle la permission de quitter le notariat. L'étonnant bibliophile, l'un des esprits les plus prodigieusement actifs /qu'on- ait jamais vus, dirigeait alors trois ou quatre journaux il fit écrire Martin dans le Mercure, dans le Gastronome dans lè Garde national, que M. de Girardin avait créé en 1830, et dont il avait offert la direction à M. Paul Lacroix, mais qui dura trois mois à peine.
M. Henri Martin, rédacteur du Gastronome, c'est assez imprévu, n'est-ce pas? Et de la Mode, donc 1 Et du Journal des demoiselles Et du Livre de beauté! Et des Sensitives, album des Salons 1 Où n'a-t-il pas écrit alors? De 1830 à 1835, vous auriez peine à trouver une revue littéraire, un magazine, un recueil quelconque où il n'ait porté sa prose, et quelquefois ses vers. Chose bizarre 1 Henri Martin se croyait surtout poète il avait une passion pour les légendes, et il allait en chercher partout, jusqu'en Orient, car il étudiait sérieusement les langues orientales, qu'il a abandonnées depuis. Il s'était marié à vingt et un ans, avec la fille d'un commerçant de Saint-Quentin;et le jeune ménage n'était pas riche. Jusqu'à l'époque de sa grande Histoire de l'ranc^dl mena courageusement une vie laborieuse et difficile.
Ouvrez le livre des Cent et Un (1832), vous y trouverez un article d'Henri ou plutôt d'Henry Martin -.une visite à Sainl-Germain-en-Laye, écrit en style de notaire solennel. J'y rencontre un certaine période de trente-deux lignes, où l'on perd pied trois ou quatre fois de suite
« Vous donc qui aimez ces sites historiques que l'homme et la nature ont parés à l'envi, si, par impossible, SaintGermain n'a point reçu le tribut de vos admirations, attendez que cet hiver soit descendu à son tour dans l'abime du passé, et quand une brise d'est, etc., quand le soleil d'avril, etc., un beau matin, un dimanche, soit, traversez la rue Saint-Honoré à l'heure où, etc., marchez droit à ce recoin vers lequel vous guide une rumeur confuse, un tumulte incessant d'hommes de roues et de chevaux; là, à l'angle nord-est du CarrQusel, près de la place ou tomba Georges Farcy, heureux d'être mort pour, pendant et non après une révolution heureux si toutefois son âme ignore, au sein d'un autre monde, ce qui se passe en celui-ci là, pour la modique somme de deux francs, voir un franc cinquante centimes, se ruent sur vous en masse, des phaëtons de toutes figures et de toutes espèces, etc., etc. »
Ouf La fameuse phrase du chapeau de M. Patin est un modèle de concision rapide et nette a côté de celle-là. Restons-en sur cette métaphore effrayante des phaétons se ruant sur nous pour la modique somme de deux francs 1 C'est pis encore que les chevaux de Diomède. A cette même date, l'inépuisable adolescent écrivait Gad le forgeron pour les Cent et une nouvelles; il entreprenait une satire hebdomadaire le XIXe Siècle, dont deux ou trois numéros seulement ont paru il publiait Minuit et Midi, bientôt suivi du Libelliste. romans historiques la Vieille, fronde, scènes à la façon de Vitet.
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Enfin, toujours en 1832, il donnait à la Gaîté, avec Pixérécourt, un drame en trois actes et six tableaux V Abbaye aux Bois OM la Femme de chambre, que M. Marmier a complètement et sans doute volontairement oublié dans sa réponse, mais qui mérite d'arrêter le chroniqueur.
Au lever du rideau, Adèle est assise devant un métier à broder, près du berceau de son fils
« Cher enfant son sommeil est agité. A son âge, pourtant, on ignore les chagrins qui, plus tard, nous poursuivent jusque dans nos songes. Comme il sera beau, mon Charles Cher Emile, hâtetoi donc, viens revoir ton fils. » (Elle soupire et se remet à l'ouvrage). Julie annonce la visite de M. Armand. Adèle refuse d'abord de le recevoir; elle y consent enfin, en apprenant qu'il est bien changé et qu'il vient faire ses adieux
« II part tant mieux 1 En me ramenant de l'Opéra, il y a trois jours, il m'a tenu des discours étranges il avait l'air égaré. En me quittant, il m'a serré la main avec une force !» u
1
Cela se corse, comme on voit.
Entre Armand. La conversation s'engage.
ADÊjrjL: Vous nous quittez, donc pour
iQ^temDs..
Armand. Pour toujours, madame f Le motif qui. m'arrache à toutes mes affections ne cessera qu'avec ma yie.comme -{a douleur éternelle qui me suivra sur la 'riire étrangère..
Adèle. -7- Monsieur Armand, nulle douleur n'est éternelle en ce monde. La main du temps cicatrise les plus profondes blessures.
Armand, avec un sourire amer. Le temps, madamel.il ne peut rien contre le mal qui me dévore.
Adèle. II n'est qu'un mal sans remède la perte de l'honneur.
Armand. J'ignore celui-là. Je puis encore parlor de mon honneur; il me coûte assez cher. Patrie, famille, fortune, espérances, voilà le prix dont il me fait payer le droit d'aller mourir loin de tout ce que j'adore.
Adèle. –Mourir! à votre tâge! plein de jeunesse, d'avenir! 1
ARMAND, ,avec chaleur. D'avenir 1 C'est vous qui me parlez d'avenirl Comme s'il m'en restait encore loin de vousl l ADÈLE, avec dignité.. Monsieur Ar- mand 1
Armand Oui, le voilà te secret qui devait descendre avec moi dans la tombe !̃ Insensé, je croyais la revoir, sans qu'il brisât mon sein pour s'élancer jusqu'à vous.
Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que. cela est beau comme l'antique.
Emile et Armand viennent pour se battre dans le jardin de l'Abbaye-aux- Bois, où l'on aperçoit des tombes et des croix funéraires.
.Emile. On nous suit. Ah cette porte 1 Un jardin isolé. Entrons 1 ARMAND. Quoi, tu veux?.
Emile. Sur-le-champ.
ARMAND. Sans témoins?
EMILE. Dieu nous en servira. ARMAND. Où sommes-nous?. Des tombes!
EMILE. L'un de nous y trouvera la sienne.
Corneille n'a pas fait mieux. Emile et Armand sont deux amis, brouillés par les machinations infernales de la femme de chambre Julie, amoureuse d'Emile et qui a trouvé avantageux de lui faire croire qu'il a été blessé dans son honneur conjugal par son ami Armand. Mais, au moment où Emile, exaspéré, tire sur celui-ci, l'odieuse Julie, soeur tourière au couvent depuis le matin même, sort à point pour recevoir toute la charge, conformément à cette morale admirable des mélodrames qui, pour punir. le vice et récompenser la vertu, range au dénouement tous les bons d'un côté et tous les méchants de l'autre, et exterminé ceux-ci au moyen d'un rocher ou d'une muraille qui s'é- croùle justement de leur côté.
« Dieu est juste, dit Julie; il m'a punie par cette main qui ne pouvait être à moi. (Elle saisit avec force la main d'Emile). Heureuse encore de mourir par elle! Pardonnez-moi, vous à qui j'ai causé tant de maux. Les mauvais conseils m'ont perdue. Pardonnez-moi, car j'ai bien aimé et bien souffert.
EMILE. Oh! ma mère, est-ce ainsi que j'ai accompli tes derniers vœux? Julie, d'une voix taible. Emile 1 (Elle >place la main d'Emile sur son cœur.) Oui, là! »
Elle meurt. Consternation générale,
Le rideau tombe.
On lit dans la pièce des indications de jeux de scène comme celles-ci Emile froisse violemment la lettre; il bondit de rage et de désespoir. Il remonte chez lui dans un état d'exaspération difficile à décrire. Il la repousse et Yatlerre du regard.
Elle se relève comme inspirée. elle semble fortifiée par la grâce d'en haut.
Dire que M. Henri Martin écrivait ces choses l'année m&me où paraissait la 'Vieilte Fro~ade, qui est une oeuvre fort remarquable, et une année avant son Histoire des Gaulois, point de départ de cette fameuse Histoire de France, qui, à partir d'un certain moment, a si bien rempli sa vie, et dépasse tellement ses autres ouvrages en longueur, en largeur et en profondeur, qu'elle a caché et pour ainsi dire anéanti tout le reste 1 Victor Fournel.
LA JEUNE REINE
Notre confrère et collaborateur Albert Delpit, le jeune écrivain qui chaque jour affirme son talent de romancier et de dramaturge, a publié avant-hier, dans notre numéro quotidien,une page émue sur le triste destin que le XIXe siècle semble avoir réservé aux rois, aux empereurs, aux grands de la terre.
Le sort de la jeune reine Mercédès, morte dans l'épanouissement de sa jeunesse et de son amour, a tout particulièrement touché notre collaborateur Albert Delpit. En 1880, il avait déjà, dans un recueil de poésies intitulé les Dieux qu'on brise, publié sur ce triste sujet une émouvante pièce de vers que voici
Ne. la plaignez pas d'être morte
Celle qui vient de s'en aller
Plaint-on l'oiseau de s'envoler
Quand l'oiseleur ouvre la porte ?
Ici bas elle aura passé
A peu près comme une étrangère;
Sa couronne était si légère
Que son front n'en fut pas blessé 1
Le bonheur seul lui fit escorte
Dès son berceau qu'il a doré i
Elle n'aura jamais pleuré
Ne la plaignez pas d'être morte l
Qui sait ce qu'elle aurait souflert?
Notre siècle d'erreur profonde
A pour les reines de ce monde
Un calice toujours offert i
1 Elle eût connu l'exil peut-être, T. Et les douleurs de l'abandon.
Les peuples n'ont point dé pardon
Pour celui qu'ils ont fait'leur maître ï Elle a fui l'abfme entr'ouvert
Au paradis que Dieu lui donne,
Et, vivant avec la couronne;
'̃ ̃; Qui sait ce qu'elle aurait souffert ? f Ne la plaignez pas d'être morte
En plein rêve délicieux.
Elle s'est éveillée aux cieux
Auprès de l'ange qui l'emporte
Et la sublime floraison
De son bonheur de jeune femme
Aura pu parfumer son. âme
Sans connaître la trahison 1
Elle était aimée. Eh! qu'importe
Qu'elle s'en aille à dix-huit ans 1
Pas d'hiver après ce printemps.
Ne la plaignez pas d'être morte l
(Ollendorf, éd.) Albert Delpit.
UN HEROS Nous avons annoncé, il y a quelques jours déjà, la mort du lieutenant-colonel" Taillànd. C'est un nom qui mérite d'être inscrit un des premiers au livre d'or dé la bravoure française, Le colonel Tailland est né en 1816, à PontSaint-Esprit à dix-huit ans, il s'engagea au 130 régiment de ligne, et passa par tous les grades qu'il conquit fort lentement d'ailleurs. Nommé enfin lieutenant-colonel au début de la guerre de 1870, le colonel Tailland sut résister jusqu'au bout et lutter sans cesse avec honneur contre l'ennemi. Pendant de longs mois, à Phaïsboùrg, sans pain, presque sans vivres, dans une pénurie absolue, avec une poignée d'hommes dévoués à la patrie, il tint tête à l'ennemi et soutint un siège qui rappelle celui de Gênes, défendu par Masséna. Parmi les héroïques défenseurs de Phalsbourg, se trouvait M. Bœltz, qui a sténographié au jour le jour les divers incidents de la lutte ne pouvant rappeler tous les épisodes glorieux du siège, nous empruntons au journal de M. Bceltz les quelques extraits que voici, éloquents dans leur simplicité et leur laconisme; c'est un hommage que nous nous plaisons à rendre à la mémoire du colonel Tailland, ce valeureux soldat, que nous proposerions en exemple à notre armée, si elle né comptait pis tant, de braves officiers ;̃ l'énergie et la bravoure qu'il a déployées à Phalsbourg seront l'éternel honneur de son nom.
17 août. « La garnison est informée par le commandant que le corps d'officiers du 8° régiment d'artillerie prussienne a chargé à son passage à Burscheid le curé de cette localité de félicitations à l'adresse des Phalsbourgeois, pour la belle défense de leur place. Le prince Frédéric-Charles était parti le 11, a deux heures du matin, de Sarrebourg, en disant: «Le temps de faire le chemin, de fumer une cigarette, et préparez mon déjeuner pour neuf heures, je vous apporterai au dessert les clés de Phalsbourg 1 » Or le prince a,fait du chemin, a dû fumer des quantités de cigarettes pendant les onze heures de bombardement, et n'a pas rapporté les clés de la ville; il est parti en témoignant au maire de Sarrebourg son étoanement et son admiration. »
20 août. « Visite matinale de deux parlementaires. L'accueil toujours raide du commandant ne décourage pas ces messieurs. »
25 août. «Les livres, la viande fraîche surtout commencent à manquer. 1OJ septembre. « Un de nos émissaires rentre en ville, après avoir traversé les lignes prussiennes; les nouvelles qu'il apporte sont excellentes. Les Prussiens auraient été battus par Bazaine, Douai et Mac-Mahon en deux ou trois endroits. Le blocus de Bitche est levé. On affiche l'annonce de ces succès; la joie est très vive. J'admire cette population si pleine de patriotisme, qui, en présence des ruines de sa ville à moitié détruite, oublie ses propres désastres pour ne penser qu'à la France, et rien qu'à la France. n
4 septembre. « De nouveaux parlementaires se sont présentés hier; comme toujours, c'est pour traiter de la reddition de la place, et comme toujours on les renvoie avec la même réponse. » 10 octobre.- « Les travaux de défense sont poussés avec une vigueur, extrême: la banquette des remparts 'est mise en état;- des sacs à terre sont installés pour protéger les tireurs. »
i5 novembre. « Le sel manque ab- solument; la dyssenterie a commencé ses ravages; il fait froid, il neige, tout se réunit pour nous accabler. » o
30 novembre. « Le dénouement se précipite il est inévitable. La vie est presqu'impossible dans les conditions où nous nous trouvons. Le Conseil de défense a décidé avant-hier que l'on s'occuperait de noyer les poudres qui excèdent les besoins de la défense. »
2 décembre. Depuis quelques jours le pain que nous mangeons et qui constitue notre seule nourriture, est un mélange de balayures 'de magasins et de blé à peine concassé. La population de la ville prend part aux distributions qui nous sont faites. Rien n'est si lugubre que de voir dans les rues ces espèces de squelettes ambulants qu'on y rencontre à chaque pas; les soldats n'ont guère meilleure mine. Depuis longtemps chevaux, chiens, chats ont disparu de la circulation tout a été mangé. Et pour comble de misère, le froid vient s'ajouter a toutes nos souffrances. C'est épouvantable, nos malades meurent en nombre Considérable. Quant aux blessés il nen réchappe presque plus. 1)..
7 Décembre. « La famine est si forte que le Conseil de défense s'est réuni ce matin pour délibérer sur lé parti à prendre. Les hommes sont tellement affaiblis qu'une sortie est presque impossible. Du reste, il est arrivé des renforts aux assiégeants; 'l'ennemi a craint les dernières convulsions de notre brave petite place, et il a pris ses mesures en cor^ séquence. »
9. Décembre. "« La reddition est, dit-on, résolue en pricipe aujourd'hui on commence à noyer les poudres dans la citerne de la caserne, hélas est-ce à ce résultat que devaient aboutir ces quatre longs mois de blocus !»
11 Décembre. « C'en est fait, notre sort est décidé et la place va ouvrir ses portes. Pendant la journée, on s'occupe de détruire munitions et matériel; il y en avait pour plus d'un million de francs en réserve. On répand la poudre dans la neige, sur les remparts, dans les fossés, dans les rue. A l'arsenal, on brise les armes, on ëncloue les canons, on brûle leurs affûts. Rien ne peut dépeindre la douleur des soldats ils pleurent silencieusement, et, ne regrettent qu'une chose, c'est de ne pouvoir continuer la lutte. Mais hélas tout espoir d'être secouru s'est évanoui. Nous sommes bien seuls abandonnés à nos propres forces; et à la suite de cette série de revers et de désastres, dont le douloureux écho à si souvent traverséleslignes des assiégeants pour venir jusqu'à nous et nous atteindre au plus profond de notre patriotisme etde notre orgueit militaire, plus une illusion ne nous est permise. Et encore-s'il '1 n'y avait que nous eh jeu Mais les habitants, nos malades, nos blessés 1 Il faut voir ces femmes, ces enfants, ces vieillards, hâves, exténués, mourant de faim, qui, chaque matin, sans un mot de découragement, sans une plainte, viennent dans la neige attendre à la porte de la caserne la maigre distribution de pain et quel pain 1 avec lequel ils soutiennent leur vie. Mais ces privations, ces épreuves, ne peuvent se prolonger plus longtemps il faut qu'elles aient~un terme plusieurs personnes déjà sont mortes de faim. Et les malades, les blessés, entassés dans les ambulances, dans l'hôpital, dans les casemates, où tout manque pour leur donner les soins que réclame leur position 1 »
12 Décembre. « Notre dernier espoir a disparu. Un ordre du jour du commandant a paru ce matin, c'est pour rendre un dernier hommage à la conduite des troupes qui, sous ses ordres, ont défendu la place pendant quatre mois, et leur déclare qu'elles ont bien mérité de la patrie. »
MM. de Villatte, de Geoffroy et Desmares, nos plénipotentiaires, se rendent au quartier. général prussien. Ils sont porteurs d'une lettre de M. Taillant, dont voici la teneur: I: AU MAJOR DE GIESÊ
« Monsieur le major,
» Le trop grand éloignement de l'ar-- )) mée française et la famine qui torture )) les habitants, les blessés et les pri» sonniers de guerre, mais qui ne pour» ralt nous dompter si nous étions seuls » ici, ne nous permettent pas de conti» nuer la lutte, parcequ'il est de notre » devoir d'être humain avant tout. « C'est pour obéir aux lois de l'huma» nité que j'ai dû ne pas céder au voeu » de mes compagnons d'armes, qui ont » demandé de s'ensevelir avec leur chef » sous les ruines de la forteresse qu'ils » défendent si bien depuis quatre mois. « Les portes de Phalsboùrg sont ou» vertes.
« Vous nous y trouverez désarmés, » mais non vaincus. »
13 Décembre. « Dans la matinée, le major de Giese est entré en ville avec une escorte de cavaliers. Durant une entrevue» avec M. Taillant, il se passa une scène que je dois noter. M. de Giese, en abordant notre brave commandant, remarqua son air abattu et sa tristesse, et le spectacle de cet ennemi que ni le îevL ni le fer n'ont pu vaincre, et que la faim seule oblige à capituler, l'émeut et fait couler ses larmes. Il s'avance vivement près de M. Taillant et lui serre la main en proie à une émotion qu'il ne cherche pas à dissimuler. »
Arrêtons ici les citations de cet intéressant journal de siège, qui peint bien l'angoisse do ces habitants courageux et fiers bien dignes d'un tel chef.
LES AMOURS DE PASCAL Mgr Ricard, prélat de la maison du Pape, vient de publier, à la librairie Pion, un ou- vrage extrêmement curieux sur la biographie intime des Premiers Jansénistes et les mes-; sieurs de Port-Royal.
Les chapitres consacrés par l'habile écrivain à Pascal sont du plus haut intérêt. Nous lu empruntons le curieux récit qui va suivre. On ne voit ordinairement que deux hommes dans Pascal, le savant qui'se consume en travaux immortels, et le solitaire de Port-Royal écrivant les Provinciales et préparant les Pensées. Mais il y en a un troisième encore, l'homme du monde, qui a connu les passions de l'humanité et participé à toutes ses faiblesses.
Suivons un peu cet homme-là.
Il est dix heures du matin.
M. Pascal est encore dans son lit, oui du reste il n'entre que bien longtemps après minuit. La soirée s'est prolongée fort avant, et les nombreux invités du brillant et aristocratique hôtel où noud entrons ont assisté à un véritable drame» dont notre penseur fut le héros et faillit être la victime.
On se l'était montré avec admiration durant la petite fête que le duc de Roannez, propriétaire de l'hôtel, avait organisée en l'honneur de son savant ami. Il était, se disait-on, d'une famille depuis longtemps anoblie, fort à son aise,