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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1909-07-24

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 24 juillet 1909

Description : 1909/07/24 (Numéro 30).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k273026v

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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Sommaire

JjÉon Séché i Le cinquantenaire de Mme Desbordes-

Valmore

La. jeunesse d'Ondine

̃;•-̃_• D'après des docu-

ments iné'dits

Hugues Delormb..T7. Théâtre de verdure Poésie inédite

Sonia. Petits cahiers d'une étrangère

André Cokthis Clair de lune sur le clottre

Nouvelle inédite

JjÉon Gosset. L'hôtel des MenusPlaisirs

L'-colonel Peboz Don Carlos en Espagne

André Beaunier. A travers les Revues Paul GAULOT. Conventionnel et marquise

Edmond Glerat Représentations gratuites

G. Labadie-Laquave.. 0 Les Vieillards dans l'Industrie

Lectures

étrangères

M. Quentin- Batjghart « Souvenfrs de 1870-71 »

Le livre du jour

Page Jtfusicaie

Wadia Sabra La « Maree/a/se » des Turcs

LE CINQUANTENAIRE

DE Mme DESBORDES-VALMORE

w 1 i

la Jeunesse d'Ondine {d'après des documents inédits)

Mme Desbordes-Valmore étant morte le 23 juillet 1859, ses œuvres qu'on lira toujours sont tombées depuis hier dans le domaine public.

On a beaucoup écrit sur elle, il reste pourtant beaucoup à dire, ne fût-ce que sur ses rapports avec Henri de Latouche (1) qui sont encore entourés 'd'un certain mystère. J'essaierai de l'éclaircir V. quelque jour à l'aide de documents que je crois décisifs. En attendant, voici quelques lettres inédites qui ne manquent pas d'intérêt. Elles m'ont été gracieusement communiquées par M. Barthou,ininistre des travaux publics, chez qui l'homme politique est doublé d'un bibliophile !émérite et d'un lettré fort averti. Ces lettres nous renseignent abondamment sur la première jeunesse d'Ondine Valmore,

On savait depuis longtemps que la fille aînée de Marceline était née à Lyon le 7 novembre 1821, qu'elle avait reçu en naissant le prénom symbolique de Hyacinthe qui était l'un de ceux de Henri de Latouche, qu'elle avait hérité des dons ])oétiques de sa mère, qu'après avoir terminé ses études à la pension Bascans, · elle y avait été sous-maîtresse, et que Sainte-Beuve avait eu un moment la pensée de l'épouser. Mais sur ses commencements, sur la première éducation qui lui avait été donnée, nous ne savions rien encore. Les lettres que nous publions aujourd'hui comblent cette lacune. Elles sont adressées à Mlle Léonie d'Erville, dont la mère tenait à Lyon une institution, 12, place de la Plâtrière. C'est là que, sur la recommandation de Mme Pelzin, amie de Mme Desbordes-Val» more, Ondine fut placée à l'âge de douze ans. Elle y resta jusqu'à quinze, après, quoi ses parents la ramenèrent à Paris. Elle était déjà très sérieuse, elle avait déjà ce « quelque chose d'évangélique et de puritain » que lui trouvait plus tard Sainte-Beuve. Vouée toute enfant par sa mère à Notre-Dame de Fourvières, elle était foncièrement religieuse et pratiqua toute sa vie. Dans une lettre du 23 mai 1838, elle écrivait à Mlle d'Erville « J'ai communié il y a trois semaines et je n'ai oublié aucune de mes compagnes dans mes prières ce jour-là. Tous les samedis je dis aussi un chapelet pour elles et pour vous. »

Deux ans après, elle lui écrivait encore « Vendredi saint. Je viens de SaintRoch. J'ai demandé à Dieu de vous bénir et de vous exaucer. La chapelle du Calvaire était magnifique et bien triste. Comme ce temps est consolant pour tous ceux qui souffrent ou qui souffriront » Avec cela timide, réservée, 'volontaire et s'estimant toujours trop jeune, tant elle était pressée de gagner sa vie. En 1838, son père l'ayant emmenée avec lui à Milan, où il avait un engagement al theatro Corcano, elle écrivait à Mlle d'Erville

« Ce voyage de deux mois m'a vieillie de deux ans, il me semble au moins. Maintenant je ne peux,peut-être pas bien le savoir, mais plus tard je verrai s'il n'a pas un peu mûri cette raison qui serait bonne, je crois, si le cœur la guidait toujours. Le temps, j'espère, donnera à l'une le surplus de flamme que Dieu a donné à l'autre. »

Hélas! c'est de cette flamme qu'elle devait être dévorée et mourir 1

Sa mère qui lui sentait une âme d'artiste et de poète aurait voulu la pousser vers la peinture ou la musique, mais Ondine qui savait par la gêne continuelle de ses parents que l'art rapporte plus de soucis que de bien-être, avait déjà résolu d'entrer dans l'enseignement et s'y prépara tout de suite en prenant des leçons d'anglais et d'italien, de solfège et de piano. Et bientôt elle suivit les cours méthodiques de M. Lévi, professeur très estimé, qui avait la spécialité de former les institutrices.

Elle écrivait le 13 janvier 1838 à son amie de Lyon

« Oh bonne amie, que votre lettre m'a rendue heureuse avec quelle joie (i) Cf. notre Sainte-Beuve, t. II (1904).

je l'ai lue et relue que les conseils que vous m'y donnez m'ont touchée oui, je le sens, chère bonne amie, ce n'est pas en quelques jours, fussent-ils remplis des réflexions les plus graves et les plus soutenues, que l'on peut décider de son sort, du chemin que l'on doit suivre dans la vie; une mission, surtout de la gravité de celle à laquelle je sens que penchent mes goûts et mes affections, doit être pesée mûrement et avec réflexion. Maman, je le crois, serait moins de l'avis de me voir choisir cette, carrière que celle de peintre ou de musicienne,' mais je vois, bonne amie, qu'il est trop tard pour ces deux professions, qu'il faut commencer en naissant pour y exceller et qui sont bien tristes pour une femme surtout, quand elle y est dans la médiocrité. L'éducation mêlée que j'ai reçue et que trois ou quatre ans d'études laborieuses pourrait (sic) perfectionner, mes goûts qui m'éloigneraient du monde, mon âme qui aurait besoin d'un grand calme et d'une grande régularité pour ne pas s'alanguir, mon bonheur même qui n'est jamais que dans l'accomplissement d'un devoir, tout me paraît m'appeler plutôt à cette profession qu'à toute autre. Je sais qu'elle amène toujours avec elle de tristes déceptions, d'amers découragemens, mais quel état n'a pas les siens? Celui-là a aussi de bien doux momens,. plus doux, je crois, que dans aucun autre.

» Ma résolution est maintenant de travailler le plus possible d'ici à un an mon travail se partage entre la musique, le dessin, l'histoire, l'anglais, l'arithmétique raisonnée jusqu'aux logarithmes. Si d'ici-là rien n'est venu en obstacles raisonnables pour briser mes chers projets, j'entrerai dans une pension préparatoire aux examens et après trois ans au moins, j'espère obtenir mon diplôme. J'aurai alors vingt ans et ma carrière sera toute prête. Mon. plan est-il si déraisonnable?

» Je vous écris ainsi toutes mes pensées, tous mes projets, sans craindre de vous fatiguer parce que je vous, aime tant que je suis sûre que vous m'aimez aussi; et je ne me trompe pas, n'est-ce pas, chère bonne amie? Je l'ai toujours pensé, j'ai toujours été sûre, alors même que je vous connaissais à peine, qu'un jour je vous aimerais comme ma sœur et ma meilleure amie, et que vous aussi vous m'aimeriez comme votre élève la plus affectionnée et votre amie la.plus sincère et la plus soumise.

» HYACINTHE VALMORE. »

Hyacinthe ne devait signer Ondine qu'à partir de l'année 1841. C'est sa mère qui lui avait donné ce joli surnom.

Trois mois après cette lettre, le 6 avril 1838, Mme Desbordes-Valmore écrivait de son côté à Mlle d'Erville

« Ondine est tout ce qu'il faut être pour se faire adorer. L'ordre qui manquait à ses actions et non à ses pensées lui vient de jour en jour. Ses petits meubles; ses vêtements, ses livres sont bien tenus, et l'élégance de la pauvreté, la propreté, commence à devenir un besoin assez vif chez cette gracieuse créature. Si Dieu voulait donner à mes enfants le bonheur que je n'ai pas eu, je me croirais bien heureuse de l'avoir payé d'avance. »

Pauvre femme, cette satisfaction devait lui être refusée. Bientôt la santé d'Ondine lui causa toutes sortes de soucis que Latouche aggrava encore en s'attachant d'une façon Touche aux pas de sa pseudo-filleule. Etait-il vraiment animé d'intentions coupables. à son égard? Je n'en jurerais pas; en tout -cas il s'en est défendu en termes qui font naître le doute, mais il avait inspiré une telle frayeur à Marceline que, pendant plus de deux ans, elle ne savait où cacher Ondine, et qu'elle finit par rompre avec lui, quoi qu'il lui en coûtât. Le commencement de la lettre suivante, datée du 12 octobre 1840, fait allusion à cet incident pénible

« Je n'ai eu que peu de causes de frayeur de la part de qui vous savez, relativement à Line. J'espère que les mauvais sentiments de cet homme ont pris un autre cours et je surveille de façon par moi-même à lasser toute persévérance dans le mal; la pureté de cœur de votre élève est de plus une sauvegarde puissante. D'un autre côté, Line m'afflige beaucoup. Son ardeur au travail n'a nulle mesure, elle y sacrifie tout soin d'elle-même, et sa santé ne lui est d'aucun prix. Elle pleure avec excès et s'irrite de la moindre observation. Plusieurs fois, il lui échappe de dire «Tant t mieux, je voudrais être bien malade. » J'ai du chagrin, Léonie. Mes doux rêves de mère s'attristent. Elle a été trop louée pour son intelligence spirituelle. Elle y met sa vie et la mienne. Cette charmante enfant abuse des mots et se crée bien des orages avec de faux raisonnements. Je suis à la fois trop faible et trop exigeante pour garder toujours mes droits à son tendre respect. Elle s'égare et moi je suis souvent consternée, car elle toùsse beaucoup et fait mille imprudences dont elle ne veut pas être avertie. Elle a pris la peinture avec la même passion, et notre retour presque décidé à Lyon la met dans de grandes tristesses, qu'elle ne veut point avouer, car elle est toujours impénétrable sur la véritable cause qui l'affecte ou l'irrite. Elle se révèle seulement à son insu par ses impatiences dans les petites choses. Je n'espère plus remédier à ce caractère inné, recouvert de toutes les grâces de l'esprit et racheté par une âme d'ange, mais je souffre parce que sa santé en souffre et qu'elle ne sera pas heureuse comme je l'espérais. Mme Récamier, qui m'aime tendrement, m'a offert, si je pars, de lui faire obtenir sa pension à l'Abbaye-auBois où elle demeure, et de la surveiller dans mon absence. Je ne sais'que résoudre et je suis la plus irrésolue des mères. Cette idée de séparation m'ouvre

le coeur, et, d'un autre côté, je vois que ce départ de Paris la désespère, malgré son amitié pour moi, pour son père, et je peux dire pour vous qui êtes à part de toutes ses affections. Mon mari lui-même se résoudra-t-il à ce sacrifice ? La santé de Line subira-t-elle impunément le climat de Lyon qui a détruit la mienne?. Je suis absorbée par tant de causes d'inquiétude que je n'ai plus qu'à m'abandonner à Dieu pour me pousser au chemin qu'il voudra me faire prendre. » Cela dit sur Ondine, car Line n'était que le diminutif de ce nom, Mme Desbordes-Valmore avait quelques mots sur Inès, sa seconde fille .« Pour Inès, d'un extérieur moins séduisant et douée déjà de vertus intimes, je suis. aussi combattue. Elle voudrait tout apprendre pour n'être pas inférieure à sa soeur qu'elle aime, dont elle est jalouse franchement et qui lui fait trop sentir sa supériorité. Je pense qu'une séparation momentanée serait bonne à toutes deux, pour suspendre ses petites querelles vaniteuses, où la pauvre Inès est toujours vaincue et la plus grondée, parce qu'elle y met plus de sauvagerie. Votre maison est la seule je sentirais l'une ou l'autre avec bonheur et sécurité, mais je ne peux avant. un mois prendre à cet égard aucun parti. D'une part, vous ne répondez pas, Léonie, sur le prix de sa pension, et de l'autre, je ne sais positivement si nous retournerons tous à Lyon, bien que cela paraisse plus que probable, Expliquez-vous donc,chère amie, sur cette pension à laquelle je suis déterminée d'une manière ou d'une autre, chez vous ou à Paris, si mpn cher mari revenait, car pour la santé de l'enfant, pour tous les obstacles de localités, de courses lointaines par des temps affreux pour moi et pour eux, vous n'imaginez pas combien cette éducation extérieure est brisante à Paris, ou dispendieuse pour les voitures. II faut qu'Inès entre deux ans dans une maison d'éducation. Elle est musicale et pleine d'ordre,' ardente au piano. Elle comprend déjà-, bien l'anglais et brûle de mieux écrire. Son caractère jaloux est du moins très,, sincère, et la moindre caresse amollit ce petit cœur de feu. Elle s'accuse elle- même avec une candeur qui désarme1 toujours, et nous pouvons en faire une- charmante créature, heureuse surtout de ses devoirs remplis.

-» Votre fidèle,

» Marceline Valmobe. »

Ondine n'entra point à l'Abbaye-auxBois et Inès ne fut point confiée à Mme d'Erville, parce que leur 'mère n'alla-' point à Lyon. Mais Ondine partit bientôt pour l'Angleterre avec Mme Branchu qui, la voyant malade, avait conseillé à Marceline de la remettre aux mains du docteur Curie, célèbre homœopathe de Londres. Cela résulte de la lettre suivante

« Paris, 2 octobre 1841.

« Chère Léonie, j'ai attendu qu'une occasion sûre me permît de vous envoyer cette lettre de ma fille, et j'en profite pour vous dire moi-même quelques j signes de tendresse.

1 « J'ai cédé Line aux instances de mes amies Mesdames Branchu, et je l'ai en quelque sorte forcée au repos de cette bonne vacance dont sa santé avait grand besoin. Elle a voulu apprendre tant de choses, cette chère enfant, pour acquérir le droit de les enseigner aux autres, qu'elle avait mis le feu dans sa tête et dans ses nerfs. Trop de courage, ma bonne Léonie, fait aussi beaucoup de mal. Ondine est très douce, vous le savez, bonne et chère amie, mais elle est persistante et renfermée. La raison ne guide pas ses charmantes ailes si pures, et j'ai eu des frayeurs si graves sur sa santé, que j'en suis tombée à mon tour malade.

» Enfin elle est bien, chez un médecin libre, établi à Londres, où il fait une grande fortune, et qui est un peu parent de Mme Branchu. Un entier repos, des distractions utiles, et, s'il faut le dire, chère amie, l'oubli momentané de notre infortune à nous qui l'attristait plus que son âge ne semblait le permettre, enfin les mille soins savants dont elle est l'objet la rendent calme, et moi aussi J'irai la chercher après notre déménagement, qui a lieu à la mi-octobre, car ce vain espoir de nous rattacher à l'Odéon a nécessité la présence dé mon mari tout près de ce théâtre, et il paraît que ce n'est qu'un leurre. C'est à peine s'il ouvrira, et s'il ouvre, ce ne sera sans doute que pour peu de jours. Nous sommes donc dans la même position, et ce n'est pas pour vous consoler sur nous que je vous écris, mais pour vous embrasser d'un cœur qui ne cessera jamais d'être à vous dans ses affections les plus vives. » Marceline Valmore. »

Quatre ans passèrent; les affaires de Marceline, bien loin de s'améliorer avec le temps, devinrent encore plus mauvaises. Non seulement Valmore était sans place, mais Ondine et Inès qui auraient dû lui être une source de joies ne lui causaient que des tourments Le 25 mars 1845, Mme Desbordes-Valmore écrivait à Mlle Léonie d'Erville « .Depuis cinq mois ma chère Inès est malade. Je vous envoie un des premiers sourires de sa convalescence. Elle est bien faible bien pâle et bien grande 1 ce qu'elle a souffert ne peut vous être rendu. Toutes' les tortures de sa croissance étaient dans l'estomac. Jamais je n'avais vu de crises de nerfs à personne et sa nature passionnée les a rendues bien touchantes! Une telle convalescence sera peut-être fort longue, car c'est une jeune âme triste. Me voilà convalescente avec elle,.car les fatigues de ce cher devoir m'ont épuisée, jugez des terreurs secrètes.

» Ondine, par bonheur très gaie et très bien portante, se résout à essayer ses forces dans un, pensionnat: je touche à cette séparation dont j'ose à peine vous entretenir pour garder le courage, appa-

rent du moins, dont je tâche de m'armer encore une fois. Elle le veut, Léonie, sa volonté est très forte. Son indépendance est attachée à ce parti qui lui ouvre l'avenir qu'elle désire. Je ne peux lui offrir le bonheur et je m'enferme dans une résignation dont Dieu seul daignera consoler l'amertume. Elle est ou sera près de Paris. Je la verrai un peu, et si elle reconnaît que ce parti la fatigue trop, sa maison lui reste. Elle vous écrira sans doute sa résolution qui paraît la combler de joie. parait la « Mon bon Hippolyte, resté le même, toujours près de toutes les blessures de mon cœur et le meilleur des enfants, va se résoudre aussi au plus grave des sacrifices pour ses goûts. Il quitte la peinture qui répond trop lentement à ses efforts, il veut gagner de l'argent et choisit un état lucratif! Je suis si bourrelée au milieu de tous ces mouvements imprévus, que j'ai bien du mal à vous les expliquer, surtout pressée comme je le suis de vous envoyer ma lettre, mais il reste au toit. Dieu est si bon Il frappe et soutient, Léonie

» Mon cher mari n'est pas assuré de l'Odéon. Bien moins qu'en y entrant. Cette administration va tomber. Mme Montgolfier vous dira tout ce que j'en sais, moi-même. Nous sommes donc toujours flottants dans un marais. Pas un 'mot rassurant à vous envoyer, sinon ce que vous savez aussi bien que moi, l'inépuisable bonté de la' Providence, qui nous soutient depuis si longtemps sur l'abîme. Aie revoir Je ne sais pourquoi, mon enfant, je crois à ce mot en vous l'écrivant. Lyon m'appelle à voix basse, et je vous y embrasserai de si bon cœur. »

» Marceline Valmore. »

L'année d'après Inès mourait de la poitrine, et Ondine, qui était atteinte du même mal, effrayait parfois'sa mère par une petite toux sèche qui l'étranglait. Cela n'empêchait pas Marceline de penser à la marier, surtout depuis qu'elle était inspectrice des pensionnats de demoiselles du département de la Seine. 1 « Ondine, toujours affairée comme une hirondelle, t'envoie ses gracieuses amitiés, écrivait-elle à son frère au mois de mai 1840. Je te dirai (cœur à cœur) que je voudrais bien la voir occupée à faire son nid, car enfin elle est au bel âge pour cela, et cette jeunîsse a besoin d'aimer enfin. Un bon et honnête mari irait bien à cette charmante et sage enfant. Elle rit quand j'en parle, et moi je ne ris pas, car il faut une dot aux filles. Il est vrai que sa profession lui donnera dans un an trois mille livres de rentes c'est déjà beaucoup dans un ménage. Prie Notre-Dame pour qu'un bel amour s'allume dans cette jeune âme, pourvu qu'il soit partagé »

La Notre-Dame de Marceline était celle de* Douai, sa ville natale; elle avait toujours eu pour elle un véritable culte et recommandait toujours à son frère d'ôter son chapeau à son intention, quand il passait devant son église. A force de la prier et de couvrir ses pieds de fleurs, elle obtint de Notre-Dame la grâce qu'elle lui demandait. Le 16 janvier 1851, Ondine épousait M. Jacques Langlais, avocat, député de Mamers. Cette union contractée sous les plus heureux auspices fut de courte durée. Le 12 février 1853, Ondine mourait dans les bras de sa mère et Sainte-Beuve, qui l'avait courtisée pendant deux ou trois ans sans oser demander sa main, expliquait son attitude en disant à Marceline qu'il ne pouvait s'accoutumer « à l'idée qu'elle avait cessé d'être ce qu'il semblait qu'un Dieu clément et sévère lui avait commandé de rester toujours » Cela voulait dire qu'elle aurait dû rester jeune fille. Il ajoutait « Depuis longtemps et de loin je suivais l'affaiblissement de cette jeune santé déclinante et je tremblais en silence d'une fin trop prévue. Vous êtes véritablement une mère de douleur! »

Oh oui, et pour ma part, quand je songe à ce tout ce que souffrit cette pauvre femme, si tendre, si compatissante aux autres, je ne la vois pas autrement qu'avec une couronne de hyacinthes et d'épines." Léon Séché.

THÉÂTRE DE VERDURE Les théâtres sont fermés,

Mais chaque été nous ramène

Au sein des bois parfumés

Athalie et Théramène

Des artistes guillerets

En plein air cherchent fortune;

Seuls les hôtes des forêts

Trouvent leur œuvre importune.

Les bêtes n'ont pas le don

Inné de la Tragédie

Au diable ces pantins dont

Le zèle les congédie

Tous dans les bois ou les champs, Bœuf gras et chétif insecte,

De ces gens qu'ils croient méchants Maudissent l'horrible secte

Grecs et Romains, ennemis

Aux visages taciturnes,

Mettent à mort les fourmis

Sous le poids de leurs cothurnes,

Et, gonflant leurs pectoraux,

De tirades sans égales

Couvrent la voix des taureaux

Et la chanson des cigales.

Lorsque sous les vâstes cieux

Plane un reposant mystère,

En vérité, ces messieurs

Ne pourraient-ils pas se taire ? `?

Non Ils jouent dans les prés verts Que baigne un soleil torride

Une Iphigénie en vers,

Peut-être même en Tauride.

Quand s'alignent deux guerriers, Ou que tonitrue Oreste,

Les lapins vers leurs terriers

-̃• Fuient sans demander leur reste;

Un Agamdmnon trop noir -•-

Dans l'ombre se silhouette.

Son casque semble un miroir

A la fantasque alouette, ̃̃-

Qui, pour y mirer son bec,

S'approche, oiselle stupide.

Le grand roi la chasse avec

Un vers traduit d'Euripide.

Frêle, les gestes tremblants,

Mais d'une grâce infinie,

Très blanche en ses voiles blancs Apparaît Iphigénie.

Linotes et moineaux joyeux

(Ils sont aux premières loges)

Hors des nids montrent leurs yeux Et gazouillent des éloges.

« Vraiment, marmonne un bouvreuil, Cette petite est charmante! »

Soudain, Clytemnestre en deuil

Surgit, hurle, se lamente.

Alors, les oiseaux en chœur,

Recommençant leur vacarme,

Sifflotent un air moqueur

Mais non dépourvu de charme « Seuls (chantent ces détracteurs Dont la haine est âpre et dure),

Nous avons droit d être acteurs

Des Théâtres de Verdure! »

Hugues Delorme.

Petits cahiers

d'une étrangère

Bizeneuille me dit, en 'sortant du ThéâtreFrançais « La pièce est toujours jolie mais si vous.l'aviez vu jouer, il y a quinze ans 1 » Est-il bien sûr qu'elle ait été mieux jouée il y a quinze ans que ce soir? Je n'en sais rien et Bizeneuille, au fond, n'en sait rien non plus. Comment le saurait-il `?

Deux quantités, deux « longueurs », ne peuvent être exactement comparées entre elles qu'à la condition qu'une longueur, une quantité commune et immuable serve à les mesurer et cette mesure, ici, qu'est-ce que c'est ? C'est.un jugement, c'est une impression que.le temps, l'expérience des choses, les circonstances, l'état de santé de celui qui juge ont pu faire différente, il y a quinze années, de ce qu'elle eût été l'année d'avant, et font, à notre insu, différente aujourd'hui de ce qu'elle était autrefois.

D'heure en heure, nous sommes d'autres femmes et d'autres hommes que nous n'avons été, et nous voudrions faire de cette pauvre sensibilité changeante la mesure de quelque chose. Nous revoyons, devenus grands,le jardin où nous avons joué quand nous étions enfants nous le trouvions alors immense, et il nous semble à présent tout petit. Cependant il n'a pas changé, ce jardin c'est nous qui avons d'autres yeux, d'autres âmes.

Et c'est pourquoi, Bizeneuille, vous avez le droit de dire « Cette pièce est bien jouée » ou « ces acteurs sont exécrables » mais non pas « Cette pièce est mieux jouée qu'autrefois ou « ces comédiens ne valent pas leurs aînés. » Cela,. mon ami, vous n'en savez rien. A dix ans, à dix mois d'intervalle, vous j n'avez plus le même esprit. Vous n'êtes plus le même mètre.

J'étais restée à Paris, il y a huit jours, pour voir la Fête nationale et J'en ai, je crois, tout vu le défilé militaire de Longchamp, les illuminations, les bals publics. Ce fut très beau, je crois, et assez joyeux. Cependant un seul I souvenir' un petit souvenir de rien du tout domine tous les autres et quand je pense au Quatorze Juillet, je ne revois plus en pensée que ceci

Des chevaux, qui, mélancoliquement, traij naient à travers les boulevards et les rues des véhicules divers, avec de petits drapeaux tricolores plantés le long des oreilles. Ils faisaient, les pauvres, leur métier de tous les jours, et cependant, paraient nos rues. Ils promenaient de la gaité dans Paris, sans savoir. Ils avaient la grâce comique et douloureuse de ces « humbles » que chanta Coppée. Je n ai regardé qu'eux.

La langue populaire, en France, est pleine d'amusantes expressions. « Heureux comme un roi » me semble être une des plus comiques.

Le plus grand charme de la vie de Paris vient, ce me semble, de l'extrême liberté dont on y jouit dans l'arrangement de ses relations. En province, il faut s'aimer si l'on se fréquente, et se fréquenter quand on s'aime. A Paris, ce n'est pas nécessaire. On n'y est l'esclave ni des contacts ni des sentiments, et cette ville est pleine de gens que leurs rapports quotidiens n'obligent à aucun devoir d'amitié, ou qui, séparés par « la vie », persistent à s'aimer énormément. En cela surtout, Paris est admirable. On n'a point de comptes à s'y rendre. Un jour, dans le monde ou dans la rue, apparaît le « vieil ami » qu'on n'avait point rencontré depuis trois ans. C'est une vraie joie. « Tu vas bien ? Oui et toi? Pas mal. Quoi de neuf? Pas grand chose. » On évoque des souvenirs. On trouve que la vie passe bien vite on se jure, en riant, de « ne plus rester si longtemps sans se voir ». Et l'on se quitte, avec la certitude que de deux ou trois ans on ne se verra | plus. Cela n'a aucune importance. On s'aime bien, voilà tout.

Vraiment, il n'y a pas d'endroit au monde ̃ soient assurées à l'esprit une si parfaite indépendance, et à l'égoïsme une si délicieuse sécurité.

J'ai rencontré dans le monde, quelquefois, des hommes de science sans esprit qui, pour ^n'avoir pas l'air pédant, faisaient les badins. 'C'était un douloureux spectacle.

J'ai eu, hier, des économistes à dîner. Conversation grave. On a parlé de la dépopulation. Car il parait que la France se dépeuple. V. cite des chiffres qui m'effarent. Il ajoute.:

La situation est grave. Et vous en êtes vous-même, chère amie, la preuve vivante. Moi ?

Oui, vous. Je regarde en ce moment votre toilette; l'espèce de gaine, d'ailleurs jolie, qui vous moule la taille. Est-ce que vous l'avez mise toute seule, cette robe-là ? ï' Ce n'est pas possible, mon cher; elle s'agrafe et se boutonne par derrière.

Je le vois bien. C'est pour cela que je vous pose la question. Alors, quelqu'un vous a boutonnée et agrafée ?

̃ Oui, ma femme de chambre.

Et si vous n'aviez pas de femme de chambre ?

Je réclamerais l'aide de ma bonne,ou de mon mari. Et si vous n'aviez ni domestique, ni mari ? 2

J'appellerais ma concierge.

Bien. Mais si vous aviez un petit enfant à qui il vous fallût donner le sein plusieurs fois par jour? J'étais interloquée, et mes convives me considéraient en riant. ."̃'̃ •̃̃• Dans ce cas, dis-je, il me serait impossible de m'habiller selon la mode.

Vousvoyez bien, dit V.combienles économistes ont raison d'être inquiets. Qu'une Pa-

risienne élégante puisse tenir à avoir des enfants et à les nourrir, cela semble une fantaisie tellement folle que le couturier a cessé de la prévoir. C'est une idée qui ne vient même plus à l'esprit.

Mon mari me fait remarquer qu'une bougie allumée dans une chambre à coucher projette aux murs et au plafond des ombres si comiques que c'en est gênant, quelquefois. Et il estime, à cause de cela, que l'éclairage électrique en dehors de tous les autres avantages qui s'y attachent a été profitable à la dignité du mariage.

Sonia.

Clair de Lune

sur îe Cloître

« i

JXTOTT'VBLXjEI iriSTÉIDITH

Amen dit le prêtre debout devant l'autel, dont le grand retable churrigueresque, tout miroitant, semblait aspirer la flamme des huit cierges par chacune de ses saillantes et lourdes volutes d'or. Et derrière la double grille et le rideau cramoisi, les dix nonnes invisibles, pour qui le rosaire venait d'être dit, répétèrent •̃•̃'•. Amen! Alors le prêtre rentra dans la sacristie; l'enfant de chœur éteignit les cierges l'église demeura abandonnée aux princesses mortes, bâtardes ou maîtresses de rois qui furent, au cours des siècles sans pitié, contraintes de prendre le voile en ce couvent et reposent sous les dalles creusées d'un nom, d'une devise et d'une tète de mort. Derrière la grille et le rideau, dans le chœur, les dix nonnes se levèrent à la fois.

Neuf s'en furent l'une après" l'autre par une petite porte qui s'ouvrait entre deux stalles. Leurs jupes, pour bruire, étaient trop molles et lourdes et leurs mouvements, au lieu do ces murmures d'étoffe qui chantent, de coutume, autour des vivantes, éveillaient seulement le cliquetis sec des longs rosaires dont les boules s'entrechoquaient comme font t les os des squelettes.

La dixième nonne, sœur Mercédès, demeura seule, seule avec les petites bougies falotes qui avaient éclairé les bréviaires où l'on suivait l'office, seule avec les hautes stalles, le lutrin porté par un aigle de bronze, à l'air méchant, et le Christ, grand comme un homme, qui, debout, lié par de vraies cordes à une colonne de marbre noir, se tordait dans la pourpre qui l'enveloppait et laissait retomber sa tête aux longs cheveux sur sa poitrine ruisselante d'un sang vif et terrible.

Sœur Mercedes était la sœur sacristine, Parce qu'elle descendait d'une ancienne famille andalouse, très noble, elle avait voulu cet emploi qui l'obligeait à des besognes, basses, comme de balayer Je, chœur, de secouer les petits carrés de sparterie sur lesquels les nonnes essuyaient, leurs sandales, et d'épousseter les gros psautiers, si lourds, si vieux, qu'elle ne les pouvait manier sans s'écorcher les doigts à quelque cloirperçant t le cuir ou à des fermoirs mal ajustés. Et elle chérissait ces menues souffrances comme' aussi celle de la peur qui l'envahissait parfois dans la nocturne solitude, comme aussi celle de la faim, car 1 son repas à elle était retardé de tout le J temps qu'elle passait lit et quand ello arrivait au réfectoire, où soupaient ses compagnes, sa soupe était figée daiu. l'écuelle et une peau grisâtre se plissait t sur sa tasse de lait. Toute vie, à commencer par la sienne, lui paraissait ne | valoir que par le tourment, qui rapproche du ciel. Elle était la nonne par excellence. Tout enfant on l'avait mise dans un couvent où étudiaient d'autres enfants, puis dans celui-ci, où elle était restée. Elle ne savait pas très bien si elle avait quinze ans ou si elle en avait cinquante. Quelquefois, malgré toute sa patience et sa grande dévotion, elle s'ennuyait. Alors, dans son désir d'autre chose, elle souhaitait mourir, avec une curiosité, une ardeur, qu'ensuite elle se reprochait beaucoup.

Sa besogne terminée, elle s'agenouilla t devant le Christ aux cheveux pendants, et, comme ses sœurs, elle sortit par la petite porte que, derrière elle, elle ferma à double tour.

Le couvent, un des plus anciens de Tolède, avait autrefois pu contenir jusqu'à deux cents nonnes. C'était une bâtisse immense et toute délabrée. Pour gagner la partie encore habitable, il fallait traverser tout le cloître. Comme le reste de l'édifice, il était surtout une ruine, Au-dessus du promenoir dallé de pierres tombales, la fine arête des arceaux gothiques s'ébréchait; lès colonnes étaient rompues; une grande vigne vivace lancée de l'une à l'autre, grimpante, retombante, les enlaçait et les brisait. Le jardin était tout embroussaillé au centre, un jet d'eau mince, hérissé de petites bulles qui le faisaient floconneux comme un fil de la vierge, s'élançait d'une vasque moussue et plate. Et tout autour poussaient des buis odorants et mal taillés, de petites salades fripées, des rosiers sauvages, et un grand encalyptus aux feuilles dures qui fusait vers le ciel, dépassait les toits du couvent, et que bien sûr on devait apercevoir de la ville environnante. Il y avait tant d'échevèlement dans ce jardin, prisonnier des pierres et des morts, qu'il semblait un parc infini. Certaines âmes désordonnées donnent ainsi l'illusion des profondeurs merveilleuses. Ce soir-là, quand sœur Mercedes s'y .aventura, ce cloître était rempli de clair de lune. -Là-bas, là-haut, miroitantes, les petites feuilles des buis et les. grandes feuilles de l'eucalyptus ressemblaient à des flammes d'argent. Quelle nuit On ne reconnaissait plus la couleur du ciel; ce qu'on en pouvait .•apercevoir,, tout flambant de lune, dans l'encadrement des grands murs, était comme un lait éclatant contenu