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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1907-03-30

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 30 mars 1907

Description : 1907/03/30 (Numéro 13).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k2729059

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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pelant qu'il était aussi cordonnier, il se fabriquait des chaussures pour la marche, l'action. Et c'est ainsi qu'il fut de ta Commune et du boulangisme. Comment Pierre Denis connut le général Boulanger, de quel secours il lui fut, ce sont renseignements que l'on trouve dans le Mémorial de Sainte-Brelade, le seul livre laissé par Denis, qui a écrit pourtant la matière de cinquante volu-

me?

Au moment de sa mort, il ,travaillait à une étude sur les contrats du travail et j'ai eu entre les mains, outre des drames historiques et jusqu'à des comédiesbouffes en vers libres, un projet de réforme de l'enseignement primaire plein de vues originales et d'observations justes. Il m'apparaissait alors, non plus comme Diogène sortant de son tonneau, avec des brins de paille dans les cheveux et des toiles d'araignées sur l'épaule, mais comme l'écrivain public qu'allaient consulter dans son échoppe les politiciens improvisés et les candidats dans l'embarras, gens de maison de la République. Il ne s'était pas fait prier pour inculquer au général Boulanger les notions de sociologie qui lui manquaient.

Non pas que les doctrines du boulan- gisme fussent les siennes; je puis dire loin de là Mais l'occasion tant désirée se présentait pour lui de jouer un rôle d'Eminence grise.

Gris, il ne l'était que de poussière. Qui sait .si l'on ne doit pas attribuer ses revers, moitié à son indépendance, moitié à l'invincible négligence de sa tenue? Incapable de s'en corriger, si même il ne la cultivait pas par goût, il était condamné à l'emploi de souffleur ou pour mieux dire d'inspirateur, dont il s'acquittait à merveille et avec un désintéressement sans égal. Il se contentait d'être le fournisseur d'idées et de mots d'un personnage décoratif et influent. Dédaigneux de se frotter pour reluire, il préférait faire reluire les autres. Il n'acceptait d'eux, pour son office, aucune rémunération. On le payait d'un remerciement. Encore ne pensait-on pas toujours à le remercier et oubliait-on vite le service rendu. Ce pauvre a fait l'aumône toute sa vie. Je n'ai pas pu compter les ingrats à son oonvoi ils n'y étaient pas- «,

Un jour que je lui demandais son opinion sur le général Boulanger, qu'il affectionnait, Denis me répondit par un détour charmant.

Michelet, que j'ai connu et qui m'avait en estime, raconte quelque part qu'il vit, un jour, une femme du peuple apporter des fleurs au tombeau d(Héloïse et' d'Abélard. « Savez-vous au moins qui était Abélard ? » dit-il à cette femme. Et elle répondit « Oui. C'était un amant. » Eh bien, le général Boulanger aussi était un amant, voilà mon opinion. Et croyez bien que je ne le rabaisse pas. Un amant a plus de chances de vivre dans la mémoire des hommes qu'un savant, qu'un philosophe ou qu'un grand capitaine.

Il est regrettable que Denis ne laisse pas les Mémoires qu'il avait l'intention d'écrire, car ils eussent égalé pour le moins en intérêt ceux de Léonard, ancien garçon maçon, par Martin Madaud, qui mourut, lui, questeur de la Chambre des députés. '.•:̃ Mais les Souvenirs qu'il n'a point fait imprimer, Pierre Denis les « causait », à moins qu'il ne les éparpillât, à la sollicitation d'un ami, sur des chiffons de papier, au dos d'une lettre de faire part ou d'un prospectus. Ah l'on pouvait frapper a la porte de celui-là il ouvrait toujours..

Longtemps, je ne m'expliquai pas la froideur et môme l'hostilité à son égard de ceux qui avaient combattu à ces côtés sous l'Empire et en 1871. Quand je leur parlais de lui, ils me rappelaient sévèrement « les accointances de Pierre Denis avec Jérôme », sans entrer, d'ailleurs, dans le détail d'une histoire qu'ils paraissaient ne pas mieux connaître que moi. Et je me faisais scrupule de demander à Denis des éclaircissements sur son inconséquence.

Un jour de l'année dernière, cependant, je résolus d'en avoir le cœur net, car Denis savait mon attachement pour lui et me le rendait en confiance. Aux premiers mots, il s'écria

Ah oui, ma trahison Il n'est pas moins vrai que, sans elle, la monarchie eût peut-être été restaurée en 1873. C'est souvent dans les petites causes qu'il faut chercher les grands effets. Je fus une de ces petites causes, et voici comment. J'étais, en i872,-rédacteur à la Constitution, le journal de Portalis, lorsque celui-ci eut l'idée d'acheter une petite feuille financière le Corsaire, qu'il rendit quotidienne et dont il fit un organe militant avec la collaboration de Ch. Quentin, Henry Maret, Tony Révillon, Jules Amigués, sous le pseudonyme d'Alceste, etc. Je signais mes articles C. C. Le succès fut rapide et j'y contribuai, je le dis sans fausse modestie. C'est moi qui pris l'initiative d'une souscription destinée à défrayer les délégués à l'Exposition de Vienne, après le refus par l'Assemblée nationale d'un crédit de 100,000 francs à cet effet. Notre souscription produisit 94,000 francs, envoyés cinq sous par cinq sous C'est également dans le Corsée que je soutins la candidature de Barodet contre celle de M. de Rémusat. Le journal ayant été supprimé, je passai avec Portalis et ses rédacteurs à l'Avenir national. C'est à ce moment que notre directeur fit la connaissance du princeNapoléon.parl'entremised'uneélégante et jolie femme, la comtesse de B. Nous sûmes par elle que le prince, abonné du journal sous un nom d'emprunt, approuvait sa ligne politique et s'intéressait a nos efforts pour conjurer le péril d'une restauration monarchique imminente, semblait-il.

Portalis*eut plusieurs entrevues avec le prince, et je le rencontrai moi-même deux ou trois fois, la première au restaurant Véfour. Il parla librement du coup d'Etat, qu'il blâmait de la guerre, dont il rendait l'Impératrice responsable; de son cousin, qui lui avait enseigné les mathématiques et qu'il tenait pour un brave homme. Le prince, en définitive, m'apparut comme un esprit supérieur affranchi de préjugés, républicain à la manière américaine et s'illusionnant seulement sur le prestige de son nom. C'est vous dire que j'étais loin de m'attendte à l'émotion que j'allais, soulever en lui adressant une lettre ouverte l

J'appris par Portalis qu'il s'était révélé partisan d'une action énergique, appuyée par l'armée. Il assurait le concours d'un général, commandant une division éloignée de Paris, de deux généraux de bri-

gades plus rapprochées et d'une centaine d'anciens sergents de ville dévoués. Je projetai alors un coup de main analogue à celui de Mallet. Les agents, obéissant à un chef d'une audace et d'un courage à toute épreuve, s'emparaient de la préfecture de police; on réduisait à l'impuissance le gouverneur de Paris; et tandis qu'une des brigades sur lesquelles on pouvait compter était appelée à Paris et prenait possession des ministères, l'autre brigade occupait le lieu de réunion de l'Assemblée de Versailles et l'empêchait de se réunir.

Mais il était nécessaire qu'une campagne de presse préparât l'opinion publique à ce mouvement. Je la commençai, n'innovant rien, au reste, puisqu'on avait déjà entrepris, sous la Restauration, d'unir les républicains et les bonapartistes démocrates contre l'ennemi commun.

J'écrivis trois lettres destinées à la publicité, la première à M. Thiers, la seconde à Gambetta, la troisième au prince Napoléon.

Celle que j'adressais à Thiers lui fut remise par un de ses secrétaires, ancien rédacteur en chef du Bien public. Thiers fit répondre qu'il approuvait l'idée en principe et demandait seulement, outre deux corrections assez légères, quelques jours de réflexion. Gambetta garda le silence.

Quant au prince Napoléon, je lui disais en substance

« Les républicains constitutionnels ou radicaux et les bonapartistes sont fils de la Révolution. Frères ennemis, soit, ils n'en sont pas moins également menacés dans leurs intérêts et dans leurs espérances par l'éventualité d'une restauration. Ramenés par les circonstances à i815, ils doivent donc suivre l'exemple de leurs pères et se réconcilier provisoirement pour prévenir un retour à la monarchie de droit divin. S'ils sont incapables de sacrifier leurs rancunes au salut commun, ils auront bientôtàs'en repentir ensemble dans l'exil et la proscription. » ̃'̃

A cette lettre, qui lui fut envoyée le 25 septembre 1873, le prince répondit le soir même, et sa réponse, apportée au journal par son secrétaire, fut composée immédiatement.

« L'alliance de la démocratie populaire et des Napoléon a été le but que j'ai poursuivi dans tous les actes de -ma vie politique, disait le prince. ,Soutenons notre drapeau en face des menaces du drapeau blanc, étranger à notre France moderne. Oui, il faut oublier les dissentiments, Les attaques, les luttes, les souffrances réciproques, les insultes même, pour affirmer le principe de la souveraineté nationale, en dehors duquel il n'y a que danger, discorde et nouveaux désastres. Soyons unis pour déjouer des tentatives funestes et formons ainsi la Sainte-Alliance des patriotes. »

Logiquement, ce manifeste eût dû suivre ma lettre, à laquelle il répondait. Mais, par déférence envers le prince, Portalis intervertit l'ordre de la publication et aggrava encore cette erreur en donnant au texte, imprimé en- gros caractères, l'apparence d'un document officiel. J'en avertis Portalis, mais sans insister, de peur qu'il n'attribuât mon observation à un froissement d'amourpropre mesquin.

Hélas l'événement justifia mes prévisions On déchira, on brûla le journal devant les kiosques. Beaucoup ne lisaient que là signature du prince, détachée, comme au bas d'un décret impérial.

Ma lettre à moi était signée P. S., pre* mière et dernière lettre de mes prénom et nom. Nous n'avions pas songé qu'elle pouvait être aussi bien imputée à Portalis qu'à moi. Mais je ne bénéficiai du doute qu'auprès du public. Mes collaborateurs, Jules Amigues lui-même, l'auteur des Lettres de Paris, me désavouèrent, donnèrent leur' démission. Ils en furent quittes pour rentrer au journal, la quinzaine suivante, sous des pseudonymes.

Mais on n'en continua pas moins à me dénigrer sourdement. On insinua que j'avais reçu du prince Napoléon une somme considérable,et ce bruit,pf opagé, trouva créance auprès des réfugiés de la Commune à l'étranger. Voilà l'histoire de ma trahison.

>Et voilà pourquoi, ajouterai-je, le bon Pierre Denis, rêveur sincère, naïf et désintéressé, a été conduit, l'autre jour, à sa dernière demeure par une douzaine d'hommes à peine, les seuls sans doute qui ne fussent ni ses compagnons de lutte ni ses obligés. Lucien Descaves.

«*N*si.

LA COMTESSE D'HOUDETOT dans la vallée de Montmorency

Mme d'Houdetot à Eaubonne

En 1757, pendant la belle saison, Mme d'Houdetot vint séjourner à Eaubonne, dans la vallée de Montmorency, où elle avait loué « une assez jolie maison n, au dire de Rousseau. Cotte maison fut, démolie en 1867. Elle était située dans la rue de Paris, juste en face la rue de la Mairie les fondations existent encore l'entrée de grille a disparu en 1896. La comtesse avait la jouissance d'une partie du parc, environ mille mètres carrés. Ce parc, où l'on peut voir encore des traces de charmilles et quelques arbres du temps, faisait partie du domaine de Meaux, dont le propriétaire était alors Georges Forquenot de la Fortelle, écuyer, valet de chambre du roi. Le petit château actuel, que n'a jamais habite Mme d'Houdetot, a été construit sous la Restauration par l'architecte Goupy, et pour lui-même, en même temps qu'il faisait élever le Palais-Bourbon, à Pans.

Notre grand peintre Meissonier venait souvent, dans sa jeunesse, passer les vacances dans la petite maison qu'avait illustrée l'amie de Rousseau. Peut-être en a-t-il laissé un croquis dans ses cartons.

La raison qui avait attiré Mme d'Houdetot à Eaubonne est facile à comprendre. SaintLambert y avait une proprieté et y séjournait lorsqu'il n'était pas à l'armée. Sa demeure était pleine d'agréments. Elle existe toujours et est située rue de Soisy. Les limites n'ont pas changé, et ce sont toujours les mêmes murs entourant un petit parc de cinq arpents et demi. On y voit encore quelques arbres contemporains de l'auteur des Saisons. Mme d'Houdetot et lui n'étaient séparés que par des vergers aucune maison, alors, ne s'interposait entre leurs habitations. Comme ces coeurs avides qui se plaisent à évoquer des souvenirs d'amour dans les lieux mêmes qui les virent éclore, j'ai voulu récemment visiter Eaubonne, la place où s'élevait la maison de la comtesse, et le parc

immortalisé par Jean-Jacques, et les arbres contemporains de ces jours disparus, et les rejetons de l'acacia fameux cité dans les Confessions, dont les fleurs embaument à jamais les lettres françaises, et le ruisseau jageur, et tout ce coin de terre privilégié. Je restai là longtemps mon regard et mon âme interrogeaient tour à tour l'eau, les fleurs, la verdure, la brise, et je m'anéantissais avec délices dans ces amours incandescentes et dans cette nature harmonieuse. L'acacia de Mme d'Houdetot n'existe plus il est mort en 1873. Il était planté presque en face du lavoir d'Eaubonne,près du muret du ruisseau, à quatre mètres cinquante du presbytère. Avec les années, il était devenu creux, et un essaim d'abeilles y séjournait toujours. Ignoraient-elles la gloire de ce poétique abri? N'avaient-elles point été envoyées là par quelque divinité mystérieuse ? Un poète de l'antiquité eùt reconnu dans leur présence la volonté des dieux et eût chanté dans de beaux vers ces gardiennes vigilantes d'un arbre consacré.

Pendant de longues années, les jardiniers qui se succédaient firent des fouilles au pied du vieil acacia, espérant y trouver un trésor caché, des écrits secrets, des lettres cherchées en vain. Puisque, depuis la publication des Confessions, on parlait tant de cet arbre, puisque des visiteurs sans cesse demandaient à le voir, il fallait bien qu'il y eût quelque richesse enfouie sous ses racines

Le vieux tronc succomba, les abeilles s'envolèrent. Quelques jeunes tiges repoussèrent, mais les fervents laissaient à peine croître les branches. Le ruisseau coule toujours avec un léger murmure, mais la cascade, dont le philosophe avait donné l'idée à la comtesse, n'existe plus elle a été détruite, comme tout ce qui sort de la main des hommes. La chute d'eau n'a point complètement disparu du chemin, on la peut voir à travers un grillage scelle dans la muraille de chaque côté et permettant d'embrasser l'ensemble du domaine. Au temps de Mme dîloudetot, il n'y avait pas de pont sur la route et on passait le ruisseau à gué. On sait qu'un charretier y embourba sa voiture le soir de mai 1757, pendant le fameux tête-à-tête raconté dans les Confessions Ses jurons troublèrent la comtesse, et surtout Rousseau, et grâce à ce fâcheux, comme l'a dit Paul Boileau, « la poésie resta seule maîtresse,de là nuit ».

II

La comtesse d'Houdetot à Sannois En quittant Eaubonne vers la fin de 1758, Mme d'Houdetot ne s'éloigna pas fidèle à la vallée de Montmorency, elle alla habiter le joli village de Sannois; elle y séjourna pendant la belle saison jusqu'à la fin de sa vie. Elle s'y plaisait et y recevait ses amis. Le jardin, comme l'habitation, était rempli de souvenirs qui rappelaient les lettres et les arts. C'est là qu'il faut aller, si l'on veut évoquer les longs jours de son heureuse vieillesse, après la tourmente de la Révolution. Sa maison était un des lieux où se retirait la société élégante et lettrée du dix-huitième siècle.

Les séjours de Mme d'Houdetot à Sannois se prolongèrent pendant un demi-siècle. Elle y vint chaque été jusqu'à sa mort, en 1813. Son mari avait acheté la maison qu'elle habitait.

Comme je l'avais fait pour Eaubonne, j'ai voulu visiter Sannois, et y rechercher les traces de Sophie. Sa demeure a été détruite, son jardin n existe plus, les marbres de son parc ont été dispersés, bref le temps a fait son œuvre, et ce qui pouvait périr a disparu. Mais le souvenir de l'aimable femme survit à ce fatal changement des choses humaines, et son prestige de grâce et de bonté est à jamais attaché à ce coin de terre.

Sur le plan terrier de la commune, j'ai'pu retrouver à quel endroit précis habitait la comtesse. La demeure s'élevait à un des angles formés par la rue de Paris, qui se confond avec la( grande route de Paris à Pontoise. En bordure de celle-ci s'étendaient les jardins. La vue était très belle.

Avant et après la Révolution, Mme d'Houdetot, comme nous le disions plus haut, reçut à Sannois une société d'élite, grands seigneurs et grandes dames, gens de lettres, poètes, académiciens, les survivants de 1 ancien temps et les hommes des temps nouveaux. Une visite qui, parmi beaucoup d'autres, laissa sa trace à Sannois fut celle de Frank- lin, le 22 avril 1781. L'illustre Américain fut reçu par Sophie avec une déférence pleine d'affection; des amis avaient été invi- tés, une petite fête eut lieu en son honneur, Au déjeuner, elle dit des vers qu'elle avait composés pour célébrer sa venue, et chaque convive récita un quatrain. Dans le jardin, le vieillard planta de ses augustes mains un acacia de Virginie. Ce fut un jour heureux. Mme d'Houdetot aimait ces réunions affectueuses où on fêtait l'amitié, les doux attachements, le talent, le génie, la liberté, la naturç; où pas une parole amère n'était prononcée le cœur et l'esprit, le cœur surtout, se manifestaient dans des causeries sans prétention et sans solennité.

Franklin emporta de cette réception une impression qui ne s'effaça point. Rentré en Amérique, à la tête des affaires, il s'en souvenait avec émotion, et il écrivait à Mme d'Houdetot une lettre intéressante et émue. « Le souvenir de votre amitié, disait-il, et des heures fortunées passées en votre agréa- ble compagnie à Sannois m'a souvent fait déplorer la distance qui rend pour toujours impossible une nouvelle rencontre entre nous. »

Mme d'Houdetot a le charme autour d'elle voltige une séduction particulière, faite de sentiment, d'intelligence et de culture littéraire. Elle avait au suprême degré le sens de la vie comme nous l'entendons, c'est-à-dire qu'elle fermait les yeux devant les laideurs de ce monde, et les tournait sans cesse vers ses lumières et ses beautés.

Elle fut la femme la plus harmonieuse de son époque, aussi fut-elle aimée par tous ceux qui la connurent. Le génie pénetrant et si sensible de Rousseau eut vite fait de la comprendre aussitôt, il se passionna pour elle, bien convaincu qu'il ne rencontrerait pas deux fois sur sa route urr caractère si aimable, si affectueux et si enjoué.

Hippolyte Buffenoir.

La Pâque à Jérusalem

AU TEMPS DU CHRIST (o

Supposons-nous un instant plus jeunes de mille neuf cents ans, et entrons à Jérusalem, le jour de la Pâque, en nous mêlant aux caravanes de Juifs qui accourent ce jour-là vers la Ville Sainte de tous les points de l'empire romain. Sur la crête du mont Scopus, les pèlerins tombent à genoux, car c'est de là qu'on 'découvre Jérusalem une ceinture de remparts couleur d'ocre, jalonnés de tours massives, enfermant une écume de dômes bleus, jaunes ou roses, un amas confus de murailles et de terrasses blanches. A l'arrière-plan, la ligne crénelée des remparts escalade la colline de Sion.

A gauche, à pic sur le ravin du Cédron, le Temple étage ses trois enceintes successives jusqu'à la façade du Saint des Saints, dont le faîte, hérissé de flèches dorées, éblouit l'ceil. Une rougeoyante colonne de flamme et de fumée y révèle l'emplacement du brasier inextinguible qui brûle sur l'autel des Holocaustes.

(1^ M. Maurice de Waleffe a brillamment expose ces idées dans une conférence faite au cercle féministe « La Française » sur son roman, la Madeleine amoureuse.

Nous entrons à Jérusalem par la porte dite des Brebis, qui justifie son nom en ce jour des milliers d'agneaux s'y engouffrent, si pressés qu'ils forment comme un tapis de laine blanche sur le sol.

Sous la voûte de la poterne, des mains rongées par la lèpre se tendent vers nous et des faces masquées d'une croûte grise nous demandent l'aumône à voix rauque. Ces lépreux, à qui l'entrée de la Ville Sainte est interdite, les autres Juifs ne les peuvent toucher sans être frappés d'impureté religieuse. Ils en abusent pour terroriser les pèlerins.

Nous voici maintenant dans les rues de Jérusalem, ce qui n'a rien d'enchanteur, car ces rues sont en pente rapide, étroites et sales. Sous les passages voûtés, des mendiants galeux dorment pêlemêle avec les chiens errants. La foule est si compacte qu'à |out moment il faut piétiner sur place. Un tohu-bohu de cris, de rires, de menaces Des odeurs abominables s'exhalent de ces gens malpropres et de ces pavés souillés par le passage des troupeaux.

Quelle foule hétéroclite 1

Voici les Juifs nomades qui habitent par delà la mer Morte. Encapuchonnés de laine brune, ils guident des files de chameaux chargés de sel et d'asphalte. La beauté de leurs femmes est célèbre. Drapées dans des étoffes sombres, on ne voit que leurs grands yeux peints et le galbe élégant de leur bras hâlé qui soutient un enfant à califourchon sur l'épaule. Bien qu'elles marchent ainsi depuis des jours, leur allure reste fière et cadencée, et elles semblent traîner dans leur sillage la poésie de la liberté et du désert.

Voici les Juifs qui habitent Antioche et Ephèse. Au sein de ces villes fastueuses et corrompues, ceux-là se sont enrichis en pratiquant l'usure. Leurs ceintures crasseuses sont gonflées de pièces d'or qu'ils viennent offrir au Temple avec une sorte de joie farouche.

Voici une famille de Juifs d'Alexandrie, juchée sur un éléphant dont le dos gigantesque tient toute la largeur de la rue. Enfin," voici les Juifs du bord de l'Euphrate, qui portent le turban de gaze et la barbe annelée des Babyloniens. Ils caracolentsur des cavales minces comme des antilopes, car ce sont de grands éleveurs de chevaux et, après les fêtes, ils s'en retourneront à pied, ayant vendu leurs montures à la garnison romaine. Mais, en ce moment, ils n'ont de regard que pour le Temple, qui étage ses colonnades et ses toits d'or sur un soubassement d'énormes pierres jaunâtres. Trois ponts, jetés par-dessus les.ravins de la ville basse, relient le Temple à la ville haute. Franchissons celui qui donne accès au fameux Portique Royal, et poussons enfin notre premier cri d admiration

Quatre rangs de colonnes en marbre polychrome soutiennent à perte de vue un riche plafond de cèdre. A l'ombre de cette forêt de marbre grouille une foule bariolée. A gauche, en plein soleil, miroitent les dalles polies d'une cour immense, qu'on appelle le Parvis des Gentus. Des groupes de pèlerins traversent ce parvis, se rendant au Sanctuaire, et leurs manteaux bigarrés se reflètent sur le dallage comme s'ils glissaient miraculeusement sur, les eaux d'un lac. Nous avançons. Nous nous heurtons aux vendeurs de pains d'offrande et de tourterelles. Sur des tréteaux, les prêtres mettent aux enchères les dépouilles des victimes, des toisons blanches, doublées d'une peau sanguinolente, qui exhalent une odeur âcre de suint. Les marchands de laine bourdonnent alentour comme des mouches. Des changeurs circulent, faisant sonner leur sac de monnaie et troquant les deniers latins, à l'effigie de Tibère, contre des sicles juifs en bronze, seuls susceptibles d'être offerts au'l'emple parce qu'ils ne portent aucune figure idolâtre.

Quelques soldats romains, reconnaissables à leur dur visage glabre et à leur court manteau rouge, vont et viennent pour maintenir l'ordre Fuyons les comme la peste, car leur simple contact nous obligerait à aller prendre un bain de purification et nous serions impurs jusqu'au soir!

Nous traversons le Parvis des Gentils et nous arrivons à une esplanade dont des écriteaux de marbre interdisent l'accès aux étrangers sous peine de mort. L'enceinte des bâtiments sacrés dresse là sa muraille de pierres rouges et jaunes, percée de portes étroites et mystérieuses. Passons sous ces portes Trois parvis intérieurs nous séparent encore de l'autel des Holocaustes celui des femmes, celui des hommes purs, celui des prêtres. Mais une telle foule 'les remplit en ce jour solennel qu'on n'y voit que des écharpes de prière ondulant sur des milliers de têtes. Debout, échelonnés sur l'escalier qui mène au second parvis, les lévites drapés de blanc chantent des psaumes que la multitude répète avec une voix grandiose. Les femmes ne peuvent dépasser cette première cour. Cependant, il existe une terrasse grillée d'où elles sont admises à entrevoir le sacrifice. Pour y parvenir, contournons la salle réservée aux ascètes de la secte Nazir. Ces Nazirs, amaigris par les jeûnes et vêtus d'un sac grossier, nous les apercevons qui se rasent mutuellement le crâne autour d'une chaudière de poix fumante, dans laquelle ils jettent leur chevelure sacrifiée à l'Eternel. L'odeur du bitume et du poil brûlé e,mpeste l'air. Ouf! respirons avec soulagement en émergeant sur la Terrasse des Femmes!

Beaucoup de celles-ci s'y pressent déjà, collant aux barreaux de bois doré leur jeune visage. Ce sont de nouvelles mariées, venant au Temple pour la première fois, et curieuses d'en voir les mystères. La nouveauté du spectacle accapare leur attention. ̃ Devant une porte bardée d'or la porte infranchissable du Saint des Saints! sur un cube de pierres rugueuses, un brasier flambe. A ses quatre angles, armés de crocs d'airain, se reconnaît l'autel des Holocaustes. La flamme est ardente, terrible, monstrueuse, et, comme un monstre, on l'abreuve de sang. A ses pieds, dans une mare de pourpre, on égorge sans relâche. Les agneaux arrivent par files de vingt-quatre. Des lévites les saisissent par les oreilles, leur relèvent la tète et fendent la gorge d'un seul coup de couteau. Leur vie toute chaude fuse dans les bassins d'or. Des files de prêtres drapés de blanc, les pieds nus trempés de rouge jusqu'aux chevilles, se passent de main en main ces bassins en les agitant pour empêcher le breuvage divin de se coaguler avant d'arriver à l'autel, où le prêtre le plus

proche le verse dans la flamme. Le liquide pleut en gouttes vermeilles sur la langue jaune du feu, éclaboussant jusqu'aux quatre grands crocs d'airain, couverts d'une croûte brune de sang

séché.

D'autres prêtres vident dans le gouffre embrasé des écuelles pleines de graisse, car l'Eternel aime la graisse onctueuse qui entoure les entrailles des victimes. La flamme violacée l'avale comme elle boit le sang, toujours plus insatiable, en faisant entendre un ronflement irrité. C'est le festin de Iahau, le dieu d'Israël.1 Il semble que, si ses prêtres cessaient un instant de le nourrir, il bondirait hors de sa fournaise pour les dévorer. Aussi n'a-t-il pas jeûné un seul jour depuis le retour de la captivité de Babylone. Sacrifices de péché, holocaustes, taureaux agenouillés et beuglants, béliers rétifs, boucs puants, tourterelles palpitantes, d'un bout de l'année à l'autre son peuple ne l'a laissé manquer de rien. Avec les victimes immolées à sa voracité depuis cinq siècles, on édifierait une pyramide jusqu'au ciel!

Mais c'est le jour de la Pâque qu'il fait son plus énorme repas. Ce jour-là, chaque famille israélitedoit lui offrir un agneau. Certaine année, le roi Hérode commanda aux sacrificateurs de mettre de côté un rognon de chaque agneau immolé. On compta six cent mille rognons. Avec le père, la mère et deux ou trois fils par famille, Jérusalem abritait donc, au moment des pèlerinages, trois millions d'hommes, la population de Paris 1 A la tombée de la nuit, le père de famille rapportait chez lui le cadavre exsangue de l'agneau dont l'Eternel avait bu le sang et mangé la graisse. On l'embrochait au-dessus de l'âtre, on s'étendait sur des banquettes autour de la table, et on le consommait ep récitant des psaumes. A minuit, on allait dormir, et le sommeil s'étendait sur la cité, le sommeil inquiet d'une cité surpeuplée, troublé par l'aboi des chiens errants et mille rumeurs confuses, tandis que la flamme du Temple, qu'on ne laissait jamais éteindre, éclairait toute la ville comme une torche colossale.

Parfois une patrouille de soldats romains regagnait la citadelle, ébranlant les rues d'un fracas de piques et de cuirasses. La nuit s'écoulait, scandée par le chant des coqs, s'égosillant de terrasse en terrasse. Enfin, les prêtres postés sur le pinacle du Temple déchiraient l'air d'une sonnerie de trompettes; et une nouvelle année commençait pour les Juifs d'il y a dix-neuf cents ans, cependant que, non loin de là, au bord d'un lac de Galilée, Jésus de Nazareth regardait se lever l'aurore.

Maurice de Waleffe.

CHARLES GUÉRIN

Louis-Joseph-Augustin-Charles Guérin, qui vient de mourir, était né à Lunéville le 29 décembre 1873. Les Guérin sont, .depuis quatre générations, propriétaires de la faïencerie de Lunéville mais Charles Guérin ne se sentit que poète. Sa mère, née Génin, et la mère de celle-ci, née de Metz, femmes très distinguées et cultivées, favorisèrent son goût de la littérature.

Il fit ses études au collège Saint-Maur, à Lunéville puis il prépara et passa, à la Faculté de Nancy, sa licence ès lettres. Il ne destinait pas à une ambition précise son travail. Sa courte vie fut inquiète, errante, confiée doucement aux volontés inconnues du sort, comme si, assurée de sa seule brièveté, elle ne voulait pas se consacrer à de réelles entreprises. Il voyagea, d'abord en Allemagne, demeura quelque temps à Munich, oü il publia le deuxième recueil de ses poésies, l'Art parjure; puis il fit d'assez longs séjours à Rome. Il avait passé ses deux derniers hivers à baint-Moritz, dans l'Engadine. Il en revenait quand il fut, à Lunéville, atteint de la congestion pulmonaire qui l'a tué. On ne le vit guère à Paris. Je ne l'ai pas connu. A peine l'ai-je rencontré, un jour, chez Maurice Barrès, son compatriote, qui l'aimait et qui l'admirait. Je me souviens d'un visage pâle, encadré de cheveux et de barbe noirs; un visage aux traits réguliers et nobles; des yeux noirs et peu mobiles; des lèvres larges et qui ne souriaient pas un visage grave, attristé une fois pour toutes ou qui, plutôt, ne s'est point égayé un air d'ignorer toute joie et de ne goûter, mais voluptueusement, que sa mélancolie. D'ailleurs, une politesse parfaite, une indulgence étonnée et courtoise à l'égard de qui badinerait plus volontiers, demandant à la plaisanterie comme lui au rêve l'occupation d'une pensée pessimiste.

Son œuvre, bien qu'il meure à trentetrois ans, est abondante déjà. En voici le relevé Fleurs de neige, 1893 l'Agonie du soleil, Joies grises, avec une préface ne Georges Rodenbach, 1894 l'Art parjure, 1894; le Sang des crépuscules, 1895; le Cœur solitaire, 1898 l'Eros funèbre, 1900; le Semeur de cendres, 1901 VHomme intérieur, 1905. Tous ces volumes sont des recueils de vers. En fait de prose, on n'a de Guérin qu'une plaquette, publiée en 1895 et consacrée à Georges Rodenbach, son ami, qui allait mourir bientôt. Charles Guérin n'estpas un poète très habile. Bien qu'il aitété le contemporain des plus subiilset des plus ingénieux ouvriers en l'art des vers, on l'a toujours vu dédaigneux de ces recherches. Le rythme ancien lui suffisait; il n'éprouvait pas le désir d'innover, et les trouvailles de combinaisons adroites ne le ^entèrent pas. Autour de lui, on bouleversait la métrique et la prosodie; il parut ignorer cette aventure. D'autres que lui, qui comme lui préféraient l'alexandrin classique ou romantique, essayèrent un peu de se mettre à la mode et firent au moins trois ou quatre poèmes en vers libres ou libres à demi pour démontrer ou tâcher de démontrer que, s'ils l'avaient voulu, ainsi que la Garonne, leur muse se fût libérée. Guérin dédaigna cette futile prétention de réactionnaires honteux. Je ne sais pas s'il eut raison de négliger le vers libre, ou s'il eut tort. Mais il eut raison de suivre sa nature et d'avoir le courage de ses prédilections.

Pourtant, il accueillit quelques-unes des réformes que les réformateurs préconisaient. Ceux-ci avaient dénigré la rime riche ce « bijou .d'un sou », comme Verlaine l'appelait; ils recommandaient une rime plus simple, et même simplifiée parfois jusqu'à n'être plus que l'assonance.

Guérin fait rimer, ou assoner, octobre et cloches, syllabes et malade, veuve et heu-

reuses, automne et homme, caresses et gestes, etc.

Peut-être faut-il le lui reprocher, même si l'on a reconnu tout ce qu'a de puéril et de vain le travail de la rime .exacte et minutieuse. Mais la substitution de l'assonance à la rime était, dans le programme des réformateurs, l'un des éléments "d'une poésie nouvelle. De ce programme, Guérin n'a. pris que les commodités qui lui < plaisaient; de telle sorte que sa poésie n'évite pas toujours l'apparence au moins de la négligence. L'ancienne métrique," à laquelle il restait fidèle, était. caractérisée par ses rigueurs mêmes en la libérant à demi, on ne constituait pas une. métrique nouvelle on n'obtenait qu'une < métrique affaiblie.

D'ailleurs, il n'importe guère. 'Et, si i Guérin commit cette petite faute, louonsle en tout cas d'avoir, évité l'erreur beaucoup plus grave de ces théoriciens qui, prenant l'instrument de l'art qu'ils pratir, quaient pour la fin, l'objet de cet art-,v n'ont réussi qu'à composer des vers d'in-. dustrieux ouvriers, au mépris de la pensée et du sentiment, au mépris de la poésie même.

Guérin, lui, ne songeait qu'à l'idée poétique; et il semble que son idée eût naturellement la forme, du vers.

Son inspiration le mène et elle le mène à la tristesse. Je ne sais si aucun poète contemporain fut aussi habituellement que lui le compagnon d'une mélancolie- véritable. Les titres de ses recueils indiquent déjà ce qu'avait de douloureux et de découragé son rêve. Le Sang des Cré-; puscules, le Cœur solitaire, l'Eros funè-"nèbre, le Semeur de Cendres, l'Homme intérieur, voilà les noms que préférait sa poésie vêtue de noir.

Quel deuil portait-il ainsi? quelle dé-,ception l'avait ainsi écarté de toute allé- gresse? quel chagrin personnel plaignaitil?. Eh bien, on peut lire d'un bout à l'autre son œuvre sans trouver de réponse. à de telles questions. Et notons cette pudeur, cette fierté, cette maîtrise de soi, que n'ont pas souvent les poètes d'aujour-, d'hui. Le lecteur du Guérin né sait pas., et ne saura pas quelle.douleur l'avait touché il ne sait et ne saura pas si une dou- <' leur secrète a été la cause première de ce poétique tourment.

Cette noblesse d'âme est émouvante; elle caractérise l'auteur du Cœur solitaire, elle le distingue de ces élégiaques faciles qui ont pris le public pour confi- dent de leurs plaisirs ou de leurs déplaisirs amoureux.

C'est l'idée de la mort qui,est au fond de cette tristesse inconsolable; c'est elle qui revient sans cesse, et qui hante et qui habite cette âme harmonieuse, cette âme qui voudrait chanter la vie active et voluptueuse et.qui, en fin de rêve, aboutit à sentir la mort inévitable et proche, cachée en toute chose, dissimulée en toute velléité vive, et soudain surgissant sereine et fatale. Guérin ne la nomme pas toujours, cette sœur ou cette amante de son rêve il ne la réalise pas sous les tangibles espèces, d'un symbole, Mais on devine sa présence. Elle est perpétuellement là, invisible et manifeste.

Le poète chante, et elle l'accompagne. Cet accompagnement est si impérieux qu'il faut que le chant du poète, docile, se soumettre à lui et suive les exigences de la funèbre musicienne.

Cèderait-il à ce désir d'être, parmi les hommes, un de ceux qui marquent leur volonté hardie, leur conquérant orgueil ou leur charité efficace? Elle le conduit au désespoir; elle le pénètre de sa farouche abnégation et il chante les morts inutiles, leur repos, leur apaisement après la vaine tentative de vivre.

̃ Aimerait-il l'essai des tendresses déli-, cieuses? Elle l'appelle à contempler la fin de tout. L'œuvre de Charles Guérin, c'est la> chanson perpétuelle de la Mort. Chanson variée, car l'.idée de la Mort, selon les jours et les heures, se présente à l'esprit différemment, terrible ou souriante, redoutée ou désirée, ironique ou bienveillante. Mais, quelle qu'elle fût de par les jours ou les heures, l'esprit de ce poète ne manqua point de l'accueillir avec douceur, avec une courtoisie héroïque, avec l'obligeante manière de qui l'attendait et n'est point surpris. Il n'est ni guindé ni familier, mais simple et grave. Sa hautaine résignation n'a point de larmes.

Ses poèmes sont les chants d'attente dé la Mort. Leur musique a le son des hymries liturgiques. Je la comparerais à la musique de l'orgue, dont les larges phràr' ,` ses cadencées ont des résonances nom- breuses et pathétiques.

Et la muse de Charles Guérin, je la verrais, drapée de noir et de violet, pas-» sante pensive, dont la silhouette lente se" profile sur un ciel d'automne où la Nuity- ̃ semeuse de cendres, éteint letragique incendie du crépuscule.

Pierre Somèza.

FÊTES FORAINES A PARIS

«AÏS ET MllTIS

Les banquistes sont les vrais nomades -4 des fêtes foraines. Point ne leur est besoin pour amuser les gens et pratiquer .;< leur art des coûteuses installations, des ̃• dispendieuxmatérielssans lesquels leurs concurrents ne réussiraient pas à attirer le public; il leur suffit de si peu pour plaire et recueillir des applaudisse- ments une échelle, quelques chaises, des cerceaux, un mouchoir, une barre fixe, un trapèze, un tapis surtout, un" matelas au besoin, et l'univers est leur domaine ils vont où ils veulent, ils s'arrêtent où leur fantaisie les inspire; ils portent sans cesse avec eux toute leur fortune. Ils vivent et travaillent au grand air, dans la lumière, ils sont des hommes libres, et des artistes. En faut- il plus pour expliquer le mépris qu'ils professent pour les entrepreneurs do spectacles, les managers de carrousels et de théâtres, véritables industriels, notables commerçants à la tète de puissants capitaux, présidents et administrateurs de sociétés plus ou moins anonymes le souverain mépris de ceux qui paient de leurs personnes, qui tra- vaillent de leurs mains. et de leur pieds et vivent, quand ils y parviennent! dë; leur effort personnel, pourceux qui s'enrichissent du travail des .autres.

Des artistes, certes, et pourquoi pas ? Leur art est de force et de grâce, de précision et de souplesse, et l'on n'y supplée