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Titre : Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche

Éditeur : Le Figaro (Paris)

Date d'édition : 1891-07-25

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb343599097/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Description : 25 juillet 1891

Description : 1891/07/25 (Numéro 30).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k272606r

Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-246

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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où les indigènes sont aujourd'hui plus nombreux que les Européens, celle de Fort-National.

Outre les écoles laïques, il en existait deux qui avaient été fondées par les jésuites, l'une à Aït-Larbâ, chez les BeniYenni l'autre à Djemâa-Sahridj chez les Aït-Fraoucen.

Les jésuites s'étaient installés dans le pays presque au lendemain de l'insurrection de 1871, déchaînée par une congrégation musulmane, celle des Rahmanya. C'était donc un ordre religieux contre un ordre religieux, les pères contre les khouan, les fils de Loyola contre les disciples d'Abd-er-Rahman bou-kobreïn, l'homme aux deux tombeaux ». Ces deux associations avaient un trait commun le principe de l'obéissance passive envers le supérieur. Le fameux perindé ac cadaver se retrouve presque textuellement dans là règle des Rahmanya « Tu seras entre les mains de ton cheikh comme le cadavre entre les mains du laveur des morts. »

Malgré la vive opposition des deux esprits sous des formules analogues, les écoles des jésuites avaient réussi. Quand leur congrégation fut dissoute, elles passèrent entre les mains des Pères Blancs de Notre-Dame d'Afrique. Ces soldats obéissants du cardinal Lavigerie, avec leur costume qui reproduit presque celui des indigènes, la longue robe blanche qui est une sorte de gandoura, le burnous blanc à capuchon, la chéchia rouge crânement campée sur la nuque, leur visage bronzé et barbu de zouaves de l'Eglise, leur esprit large et la rondeur de leurs manières, eurent sur les vaincus d'hier plus d'influence encore que leurs devanciers. Une de nos meilleures écoles est celle que dirige le père Chartron au pic d'Iril-Ali, chez les BeniAbbès.

Si intéressantes que fussent les tentatives des congrégations catholiques, elles ne purent augmenter que de quelques douzaines d'unités le chiffre si faible de nos effectifs scolaires.

La situation réclamait donc un effort énergique du département de l'instruction publique. L'œuvre des écoles indigènes en Kabylie date vraiment du premier ministère de M. Jules Ferry. Il convient d'associer à son nom celui de notre ami Masqueray, dont ce journal a publié des études si colorées et si vivantes sur l'Algérie.

Dans un rapport de 1874 il signalait déjà la Kabylie comme le pays qui, par son état social et la densité de sa population, se prêtait le mieux à une expérience sérieuse d'acclimatation de la langue et des idées françaises.

Quand M. Jules Ferry eut notifié au gouverneur général de l'Algérie sa résolution de prendre l'initiative des créations car, disait-il, « c'est par les écoles que nous réaliserons le plus aisément les améliorations désirables », il chargea M. Masqueray d'une nouvelle mission dans le pays.

Celui-ci le parcourut en tous sens et détermina des emplacements pour les futures écoles. Grâce à sa parfaite connaissance des deux langues arabe et kabyle, il se mit en relations directes avec les intéressés. Avant tout, comme il n'entendait pas qu'un si grand bienfait pût leur apparattre comme une charge nouvelle, il s'efforça d'agir uniquement par la persuasion.

Dans le bordj de Fort-National, il commença par réunir, en une sorte de grand meeting, les chefs naturels des populations il y avait là les amin élus des villages et les tamen, qui sont leurs adjoints. Ceux-là sont comme l'aristocratie du pays ceux-ci, « de petites gens de tout âge, aux burnous salis par la terre, mais de mine intelligente et passionnée », représentent l'élite des classes moyennes. Les premiers étaient réunis dans une des salles du bordj les seconds au nombre de huit cents, attendaient dans la grande cour.

C'est à eux que s'adressa d'abord l'orateur. Des applaudissements éclatèrent quand il annonça que nos écoles seraient « ouvertes à tous, aux pauvres comme aux riches ». Ils devinrent plus vifs quand il leur dit qu'on n'y prononcerait « pas un mot de religion, ni chrétienne, ni musulmane » quand il énuméra, parmi les matières du programme, « des métiers manuels pour que leurs enfants trouvent à vivre dans le monde ». Ils furent invités à voter par assis et levé sur sa proposition et il ne se révéla qu'une dizaine d'opposants. L'assemblée des amin fut un peu plus partagée. Certains essayèrent d'éluder la question en répondant qu'ils cc exécuteraient les ordres du gouvernement ». D'autres formulèrent nettement l'objection que beaucoup avaient dans l'esprit: Les Kabyles sont pauvres ils ont besoin de leurs enfants pour garder leurs troupeaux, ou même pour nourrir leurs familles. De très jeunes gens, en grand nombre, sont envoyés comme colporteurs dans le pays arabe et reviennent tous les ans avec un petit pécule. Gomment iraient-ils à l'école?

N'est-il pas curieux de retrouver, chez ces paysans de l'Atlas, exprimées presque dans les mêmes termes, les répugnances et les préventions de certains paysans français d'autrefois?

Ceux-ci étaient même plus platement prosaïques. Aux inspecteurs de M. Guizot, qui préparaient les matériaux de l'enquête préliminaire à la grande loi de 1832, ils repondaient « Il y a les oies à garder et les champs à glaner. » Ou bien « C'est de pain que nos enfants ont besoin, et non de livres. » Ou, mieux encore « Plutôt que d'aller à l'école, ils feraientbien mieux d'allercurer le fossé. » Parmi les amin de M. Masqueray, les utilitaires à outrance se trouvèrent en minorité. Lorsqu'on en vint au vote, sur 67 villages représentés à ce meeting, il y eut 51 oui et seulement 16 non. Notre collaborateur obtint le même succès dans les réunions qu'il provoqua sur d'autres points du pays la plus intéressante fut celle qui se tint chez les belliqueux Ittouragh et Ilhten, auprès de ces mêmes frênes de Someur, sous les ombrages desquels laprophétesse LallaFatma, en 1857, avait prêché la guerre sainte contre les Français.

Les résultats de cette enquête encouragèrent le ministre. Pour couper court aux lenteurs administratives, il fit une chose inouïe il ordonnança l'acquisition de terrains et fit procéder à la construction des écoles.

On avait projeté d'en bâtir quinze, on dut se borner à quatre, dont trois seule-

ment subsistent aujourd'hui. Elles ont coûté plus cher qu'on ne l'avait prévu il a fallu hisser les matériaux quelquefois sur des hauteurs de quatre cents mètres, faire porter les briques, les pierres, les bois, même la chaux, à dos de bourricot.

Les trois écoles des Beni-Yenni, de Djemâa-Sahridj et de Tizi-Rached, qu'on appelle encore dans le pays écoles ministérielles, nous sont revenues en moyenne à quarante-cinq mille francs. Elles sont belles, très grandes, comprenant plusieurs classes et des logis spacieux. Elles sont vraiment, surtout en comparaison des masures indigènes qui les entourent, des « palais scolaires ».

Je crois que ce luxe relatif n'a pas été inutile. C'est un premier enseignement donné aux indigènes que ces confortables maisons à la française. Elles contribuent à leur donner une idée du prix que nous attachons et qu'ils doivent attacher à l'instruction. Elles les avertissent que c'est chose grande et noble une chose impériale, comme disait Luther une chose beylikale, comme ils disent. Et ils voient le drapeau de la France flotter sur la façade.

Elles leur donnent encore d'autres leçons. Connaissez-vous la maison kabyle ? Elle est construite en pierres, comme les nôtres elle est couverte, comme elles, d'une toiture en tuiles mais là s'arrête la ressemblance entre les demeures des sédentaires de là-bas et celles des sédentaires de France. Au seuiLde la maison kabyle se hérjs-. sent les pointes de roches ou les feuilles tranchantes des schistes, se creusent des trous, s,'étyalent lçs flaques de boue et d'argile glissante.

Si vous franchissez le seuil, prenez garde; car la maîtresse poutre de la porte est basse et, si vous n'êtes pas averti, vous allez vous faire une bosse au front.

S'il y a une cour intérieure, c'est un marais. S'il y a un escalier, c'est un casse-cou, aux marches étroites, inégales, usées, glissantes. Allez doucement et serrez-vous bien contre le mur il n'y a pas de garde-fou. J'ai vu un de mes compagnons de route descendre bien plus vite qu'il n'était monté, car il descendait sur ses reins.

Les pièces de l'habitation semblent des antres, tant il y fait sombre. A la vérité, il y a des ouvertures, mais on ne peut leur donner le nom de fenêtres. Elles ne sont fermées ni de vitres, ni de volets, et les courants d'air sont là comme chez eux. Elles sont toujours petites, mais jamais de la même grandeur, jamais à la même hauteur, jamais de forme géométrique.

Le montagnard ne sait ce que c'est que la ligne droite ou la symétrie les flancs des murs inclinés, surplombants, vallonnés, disent son peu de familiarité avec le fil à plomb.

Ne cherchez pas de lit: on couche sur des banquettes irlandaises de maçonnerie ou de terre battue. Sur le sol inégal vous trébuchez vous vous heurtez contre les poutres mal équarries, noueuses, tordues, gibbeuses, qui se dressent çà et là pour soutenir le toit.

Pas de foyer devant lequel vous puissiez étendre vos vêtements trempés par les orages de montagne mais un brasier dans un coin ou simplement au milieu de la pièce, et une âcre fumée qui flâne longtemps sous les poutrelles noircies et luisantes de suie, avant de trouver quelque trou du toit.

Il y a douze ans, le montagnard ne voyait guère autour de soi, en fait d'édifice européen, que le bordj du commandant militaire ou les maisons des colons, rarement fortunés. Et là il ne se sentait pas chez lui. Dans l'école., au contraire, bâtie tout exprès pour lui, où son ftls est si bien accueilli, il cesse d'être dépaysé :l'instituteurapour luiles égards qu'on doit aux parents d'élèves, le faisant entrer partout, lui montrant et lui expliquant tout.

Et le montagnard réfléchit. Les mérites de la ligne droite se révèlent à son intellect; il commence à comprendre ce que c'est qu'un seuil, une porte, une fenêtre, un tuyau de cheminée. J'ai visité la Kabylie à dix ans d'intervalle, revoyant les mêmes demeures et les mêmes gens. J'ai été frappé du progrès accompli. J'ai trouvé de vraies cheminées, des fenêtres avec des vitres, des lits à l'européenne, des tables sur lesquelles une nappe à peu près blanche était étendue, et sur les murs en pisé le portrait de M. Eiffel et le profil de sa tour.

Pour inculquer à n'importe quel peuple ce que nous appelons notre civilisation, il faut commencer par lui donner les mêmes besoins matériels que nous, éveiller en lui les mêmes idées de bienêtre, de confort, de propreté, et de lignes régulières.

C'est par là, d'abord, que nous ferons de. l'indigèçie un, no.mbre .utile ,de[ notre communauté, un consommateur de^nos produits et un producteur. Avec le désir du mieux, nous lui donnerons le goût du travail. Nous vaincrons son apathie nous lui apprendrons qu'il y a cent façons autres que la guerre sainte d'occuper son activité; nous lui créerons des solidarités avec nous.

L'école « ministérielle », le « palais scolaire » aura son rôle dans la lente transformation des mœurs indigènes. C'est une maison qui prêche.

Depuis que le ministère de l'instruction publique a dû renoncer à doter la Kabylie d'écoles toutes bâties, les communes mixtes de ce pays, auxquelles des lois nouvelles en faisaient l'obligation, se sont mises à en construire.

Pas toutes 1 Carbien que l'Administrateur de la commune mixte, avec sa Commission municipale composée presque entièrement de chefs de Kbila avec de rares délégués français, ait ladisposition très libre de ses ressources, sur les 73 communes mixtes de l'Algérie, 35 n'ont pas une école indigène or la population musulmane de chacune des communes mixtes varie de 25,000 à 80,000 âmes. Pas toutes! Car sur les 38 autres, on n'en peut citer plus de six où l'on ait fait un effort un peu sérieux celles de Fort-National, Djurdjura, Dra-el-Mizan, Soummam, Akbou, Guergours.

Et, bien entendu, pas avec le même luxe que le ministère. Souvent on s'est contenté d'aménager quelque édicule religieux, et nous avons l'école-mosquée on s'est borné à élever un simple rez-dechaussée avec une salle de classe et deux petites pièces pour le maître, et nous avons l'école-gourbi on a utilisé un ancien baraquement, et nous avons

l'école-chalet. Il y en a de tous les types et pour tous les goûts.

Il y en a d'importantes, à plusieurs classes, et où le personnel enseignant se compose d'un instituteur-directeur, d'un adjoint français, d'un adjoint et d'un moniteur indigènes.

Il y en a de médiocres, à une seule classe, où l'unique maître est un indigène en burnous.

Comme grades, il a tantôt simplement le certificat d'études, tantôt le brevet. Les plus savants ont étudié aux Cours normaux d'Alger ou de Constantine.

Visitons une de ces écoles.

Prenons, par exemple, celle de Djemâa-Sahridj, une des plus grandes. Elle est située près de ce joli village kabyle où gazouillent de toutes parts les sources, où sous les pierres des fontaines se mussent de grosses anguilles, dont la vie est sacrée pour tous, héritières de la vénération qui s'attachait, dans Carthage, aux lottes de Salammbô..

Djemâa-Sahridj est dans le pays une manière de centre intellectuel. Outre notre école, il y a celle qu'ont fondée les jésuites, qu'ont reprise les Pères Blancs, qu'ils ont ensuite repassée aux Sœurs de leur ordre.

Le chef de la tribu des Aït-Fraoucen, le vieux Cheikh-Mohand,est un lettré, un marabout. Il a été professeur d'arabe dans un de nos établissements, lit le Koran et même le comprend, a toujours manifesté la plus vive sollicitude pour l'instruction européenne et pour notre école indigène qu'il a vu bâtir. Le village possède une assez jolie mosquée, à l'ombre de palmiers stériles qui sont les seuls de la Kabylie. Sur la grande place du marché, çà et là, on distingue des squelettes humains à fleur de terre c'est qu'on a mal enterré les ancêtres ou que les orages ont lavé les terres. Les Kabyles ne s'en inquiètent pas autrement. Leurs sépultures sont très simples un trou pratiqué dans une berge ou creusé dans le chemin à trente centimètres de profondeur, et revêtu de lames de schiste. Jamais d'inscription. Aucun culte. Ils n'ont pas sur cet objet les mêmes idées que nous.

L'école est en bas du village. Deux étages pour les logements du personnel. Au rez-de-chaussée, quatre classes. Le costume des écoliers est celui de leurs pères une gandoura de laine qui descend jusqu'au genou et un burnous à capuchon; sur la tête une chéchia ou calotte de feutre rouge. C'est tout. Ce ne sont que les riches qui ont des chaussures à l'arabe, et les mirliflors qui portent des culottes. Les pieds nus reposent sur la dalle nue.

Des têtes éveillées, de grands yeux noirs ou bleus des types de chez nous çà et là, très rarement, de fins visages arabes et d'autres qui révèlent un mélange de sang noir.

Dans mes tournées j'ai vu de ces écoliers qui semblaient bien pauvres. Le burnous n'avait plus de couleur, ou plutôt les avaient toutes; troué, rapiécé, effiloché. La chemise de laine usée, élimée, ajourée, réduite à une sorte de charpie, ne tenait plus ensemble que par la persuasion et par des reprises de fil gros comme un câble, laissant, par endroits, la poitrine et les flancs nus. De la dignité dans cette gueuserie. Des hidalgos 1 Les plus misérables n'étaient pas les moins intelligents. L'instruction' que nous leur donnons leur sera quelque jour un patrimoine, le seul.

Qui croirait que des gens sans culottes puissent avoir des parapluies? Ils en ont D'énormes pépins en grosse cotonnade, une espèce qui tend à disparaître dans les campagnes de France. Quand on pense que Louis XIV n'a pas connu le parapluie 1

Entrons dans les classes et" commençons par les tout petits.

Ici l'enseignement est bien simple ce sont des leçons de choses et d'images. On leur apprend les mots français usuels pour désigner les parties du corps, les pièces du vêtement, les animaux domestiques ou sauvages. Puis de petites phrases « As-tu une chéchia? Oui, j'en ai une. Qui a tissé ton burnous ? C'est ma mère. Le maître a-t-il une culotte ? II en a une. »

Oui bien, il en a une, le maître kabyle 1 Etil en est fier et il l'exhibe. Car, depuis qu'il est adjoint ou moniteur, il est devenu une manière de sidi, c'est-à-dire de monsieur.

Si l'on passe aux classes supérieures, on est surpris du progrès accompli en moins de deux ans. Les écoliers parlent français facilement, correctement, presque sans accent. Ou s'ils en ont, c'est parce que» beaucoup. des .instituteur^ algériens sont originaires de notre Midi et que l'Algérie elle-même est un Midi. Il est curieux d'entendre ces gosses en burnous Vous parler' d'Armibal*, de Carthage, des guerres puniques. Ils connaissent Vercingétorix, Jeanne d'Arc, et le maître ne manque jamais de leur faire remarquer combien nous nous sommes mieux conduits avec Abd-elKader où Lalla-Fatma que les Romains ou les Anglais avec nos héros malheureux.

Le calcul, le système métrique n'ont plus de secrets pour eux, et je les ai vus résoudre des problèmes dont je ne me serais point tiré aussi prestement. Le vieux Cheikh-Mohand et le garde champêtre en burnous bleu assistent tout attendris à ces exercices.

La sortie de la classe s'opère en rang, au chant des airs patriotiques, français bien entendu, comme Le Drapeau de la France ou Nos vaillants soldats.

J'ai dit qu'il y avait des élèves indigènes dans les écoles bâties pour les Européens. La réciproque est vraie pas une école kabyle où je n'aie vu sur les bancs, mêlés aux têtes à chéchia, des fils de colons ou de petits fonctionnaires. J'avais des préventions contre ce mélange des deux races, et, en outre, je doutais qu'il fût possible aux indigènes d'aller du même pas que leurs camarades français. Eh bien 1 j'en suis revenu.

Les femmes d'instituteurs français laissent leurs fils et même leurs fillettes s'asseoir parmi les petits musulmans de leur âge toutes m'ont assuré, qu'elles n'y avaient jamais entrevu l'ombre d'un inconvénient.

D'autre part, j'ai collectionné des compositions à.Técole de Fort-National ni

en style, ni en orthographe, ni en calcul, les petits Kabyles ne le cèdent à leurs camarades français. Parfois on voit quatre ou cinq noms musulmans s'aligner en tête de liste.

Le jour de la distribution des prix, on est surpris de voir combien de Mohamed et de Belcassem sont proclamés parmi les lauréats. Au commencement on distribuait, comme prix, des livres dorés aux Européens et des vêtements aux indigènes..Eh bien 1 les élèves musulmans s'en sont offensés. Ces va-nupieds préfèrent un volume de Jules Verne à une paire de souliers.

Assurément il entre dans leur ardeur pour l'instruction des calculs utilitaires. Ils rêvent, quand ils auront conquis leur certificat d'études, de devenir moniteurs dans quelque école,Mofif/aou interprètes, chaouch ou huissiers auprès d'une justice de paix, au besoin facteurs ruraux ou cantonniers. N'oublions pas que « les Kabyles sont pauvres ».

Et puis, est-ce qu'en France nous recherchons toujours et uniquement la science pour la science ? 7

CHUES D'UN VIEUX PARISIEN

L'EAU A PARIS

Aujourd'hui, 25 juillet 189 1, à l'heure même où vous commencerez à lire votre Figaro, les Ediles que vous payez si cher viennent, il y a quelques minutes, de donner l'ordre impératif de vous empoisonner, vous, votre femme, vos enfants, votre belle-mère, et votre petite bonne Catherine 1

En effet, ne font-ils pas afficher partout, avec le cynisme qui les fait reconnaître « L'eau de rivière sera substituée à l'eau de source, pendant une durée de vingt jours dans le VIII°, le XVIe, le XVII0 arrondissement. Chacun aura son tour »? Or, non seulement cette eau de Seine est détestable, mais elle encrasse les conduits, et quand la bonne, claire, fraîche, sapide eau de la Dhuys vous sera rendue, elle trouvera son logis c'est-à-dire ses tuyaux- contaminé, sali, par les souillures de toute sorte que l'étrangère .vagabonde et mal famée, laisse derrière elle pour tout souvenir.

#%

Je vous vois déjà, gonflé d'un trop juste courroux, prêt à réunir vos amis les plus sûrs, pour former avec eux un syndicat contre la Compagnie des Eaux. N'en faites rien croyez-moi, contentez-vous de votre lot,et dites-vous bien qu'il n'est pas le pire de tous que si par ordre vous êtes empoisonnés vingt jours durant, au petit bonheur, vos aïeux parisiens l'étaient du 1" janvier à la Saint-Sylvestre. Ils n'en ont pas moins procréé cette belle lignée, à laquelle nous sommes fiers d'appartenir, vous et moi

Que si mon optimisme vous laissait encore un peu soupçonneux, n'hésitez pas à aller trouver votre député, le désopilant docteur Armand Després, et il vous démontrera, avec sa verve étourdissante, qu'il n'y a rien de plus hygiénique, au milieu d'une table bien servie, qu'une bonne carafe de vieille eau de Seine, puisée pieusement auprès de quelque chien crevé 1

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Au premier siècle avant l'ère chrétienne, les Parisii, très peu nombreux encore, eurent les prémices de la toute jeune Seine virgo intacta ils la buvaient, s'y baignaient, la polluaient, lui élevaient des statues. Impassible,la belle déesse Sequana coulait, coulait toujours.

Quand.au commencement de l'ère chrétienne, Lutèce prit tout à coup un accroissement assez considérable pour être comptée comme l'une des soixante cités de la Gaule quand sa propre statue figura dans le temple élevé à Lyon, au confluent de la Saône et du Rhône, par Drusus, en l'honneur de Rome et Auguste quand elle eut un temple de Jupiter à l'orient -de son île principale un temple de Mars sur sa colline septentrionale un palais dans la Cité un autre sur la rive gau.che des Thermes, des Arènes, un camp prétorien, et partout, çà et là, sur les deux rives, des villas, des tombeaux luxueux, des arcs-de-triomphe quelques-uns des Césars qui faisaient leur séjour à Paris, ne purent souffrir davantage de boire les eaux la Seine corrompues par les déjections de Meaux, de Melun, de Montereau, de Sens, et ils entreprirent une œuvre colossale amener à leur palais des Thermes, par le gigantesque aqueduc d'Arcueil, les eaux des sources captées à près de quatre lieues de là, dans la petite vallée de Rungis.

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Que reste-t-il de ces étonnants témoignages de la puissance romaine ? Les Thermes, bien minime partie des bains; jugez de ce que devait être le reste 1 -les Arènes une arcade de l'aqueduc d'Arcueil, et mieux que tout cela une évocation magique de la Lutèce gallo-romaine, publiée dans le Paris à travers les Ages de Didot, et due au crayon de l'archéologue Hoffbauer, le décorateur le plus merveilleux que je connaisse 1 Ces ouvrages gigantesques, ces machines étranges d'une civilisation qui cherchait à se survivre à elle-même, n'eurent pas une longue durée. Les maîtres euxmêmes n'étaient plus capables d'entretenir ce qu'ils avaient fondé! Chaque génération y porta la pioche avec une sorte de rage les Chrétiens d'abord puis les Barbares, puis les Normands. 11

Alfred Rambaud.

Voilà comment les Mérovingiens ne burent jamais une goutte de l'eau de Rungis, l'aqueduc d'Arcueil n'étant plus, sous le poids des siècles, qu'une ruine énorme, incomprise des populations étonnées. Les habitants de la rive gauche n'eurent même pas la ressource de creuser facilement des puits. Pour 'trouver l'eau dans la rue Saint-Jacques, il faut percer jusqu'à près de trente mètres. Aussi cette région ne prit-elle presque aucune extension, de Philippe-Auguste à Henri IV.

Tout autre était la situation sur la rive droite. Là, il suffisait de gratter le sol pour rencontrerl'eaudepuits presqueàfleur de terre. Aussi les maisons s'y élevèrent avec une rapidité prodigieuse, chacune ayant son puits, ou au moins un puits creusé dans le mur mitoyen de la propriété voisine.

On découve encore aujourd'hui dans plusieurs de nos vieilles rues quelquesuns de ces anciens puits avec leurs margelles sculptées un à l'hôtel Cluny; un autre, rue du Figuier, près l'hôtel de Sens enfin, dans le passage de Rouen, celui de l'hôtel que s'était fait construire, en cet endroit, Jacques Coictier, le médecin, le confident, le compère et l'astrologue du roi Louis XI.

N'est-il pas curieux, après avoir considéré d'abord l'eau comme le facteur le plus important de la santé, de la propreté et de l'alimentation, de la retrouver maintenant l'un des facteurs qui ont contribué le plus énergiquement à la poussée de la capitale vers le nord-ouest ? y

[3]

**«

Ainsi nos ancêtres de la rive droite auraient pu dire eux aussi Que d'eau {Que d'eau f mais quelle eau 1 Les malheureux eurent la quantité, ils ne connurent jamais la qualité. Rien de plus saumâtre, de plus nauséabond, que cette eau chargée de matières organiques, impropre au savonnage et à la cuisson des légumes 1 Ce n'en fut pas moins, à peu près, la seule ressource de nos ménagères jusqu'au commencement de ce siècle. Quelle cuisine l

Au treizième siècle, grâce à Philippe Auguste et à saint Louis, une assez grande amélioration fut apportée au sort de nos tristes buveurs d'eau.

Du plateau compris entre Pantin, Nogent, Montreuil, Bagnolet et Charonne, ruisselaient sur les pentes une multitude de petites sources. Les religieux de SaintLazare, et ceux du Prieuré de Saint-Martindes-Champs les captèrent avec des soins infinis, en amenèrent les eaux à des fontaines publiques, chose alors toute nouvelle la fontaine des Halles celle des Filles-Dieu celle du Ponceau celle de la Reine et celle des Innocents, dans la rue Saint-Denis celle du Trahoir, dans la rue Saint-Honoré les fontaines du Vertbois, Maubuée, de Saint-Julien-des-Ménestriers, dans la rue Saint-Martin celle deMarle, des Cinq-Diamants, de Baudoyer, de Sainte-Avoie et de la Barre-du-Bec. Ces petits édifices, dont-plusieurs subsistent encore,répandaientunpeu de fraîcheur, et surtoutbeaucoup de gaîté dans ces vieux carrefours. La fontaine, c'est le lieu où l'on se rassemble, où l'on débite les nouvelles. Quand le condamné à mort, se rendant à Montfaucon, passait devant la fontaine des Filles-Dieu, les religieuses lui offraient trois soupes trempées de vin.Quand leRoi, après le sacre, faisait son entrée dans sa capitale, les fontaines du Ponceau, de la Reine, des Innocents versaient, jour et nuit, au peuple,du lait, du vin vermeil, du vin blanc et de l'hypocras. Ce dernier divertissement aurait encore son succès un quatorze juillet.

Voilà la part du peuple faite il fallut, sans tarder, faire celle des communautés, deshôtels desGrands,et même des maisons de bourgeois. Il n'y avait pas un échevin qui ne sollicitât sa concession, c'est-à-dire un tuyau, lui amenant l'eau à domicile, et l'énumération nous fournit les adresses d'importants personnages du XVIe siècle « La grosseur d'un pois d'eau à Philibert Babou de La Bourdaisière, demeurant à l'Hôtel Clisson la grosseur d'un pois à Jean Luillier de Boulencourt, prévôt des marchands, rue Barre-du-Bec Monseigneur de Montmorency de La Rochepot, gouverneur de Paris, rue Saint-Antoine, en face Sainte-Catherine Mme Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, à l'hôtel Barbette, rue Barbette le chancelier de Bellièvre, rue Béthizy Mme Diane de France, duchesse d'Angoulême, rue Pavée; Philibert de l'Orme, arqultecte, rue de la Cerisaie, » etc.

La lutte, par des moyens insuffisants,extravagants, plus coûteux que productifs la Samaritaine, la Pompe Notre-Dame, la pompe à feu de Chaillot et du Gros-Caillou, s'est continuée, de siècle en siècle, jusqu'à hier, dans des conditions qui ne pouvaient amener aucune solution satisfaisante.

Je parlerai un autre jour du système admirablement conçu de l'adduction des eaux de la Dhuys, de la Vanne et de l'Avre. Il nous donnera toute la quantité désirable d'eau fraîche et saine, le jour où nous saurons faire résolument des sacrifices en rapport avec nos agences.

POÈMES

LE VOYAGEUR

Pluie oblique, vent serpentin,

Et bruit grondant sur la bruyère De grands flamboiements au lointain. > Or, les ténèbres ont atteint

Et noyé la campagne entière.

Tout est moite, informe et déteint: C'est l'opaque après l'indistinctl I Là, le cavalier solitaire

S'avance et recule incertain.

Il sent le danger clandestin

De ce limoneux coin de terre

Où l'a conduit, fourbe et mutin, Un Farfadet mauvais Lutin.

Certe 1 il est homme à caractère, Il. a le cœur ferme et hautain 1 Mais un pas de plus 1 son destin, Pourra bien être qu'il s'enterre La sangsue attend son festin

Dans ce marais qui's'est éteint Sans avoir fini de se taire,

Car plein d'horreur et de venin, Par ce temps noir, si p eu bénin, Il renforce au fond du mystère Ses voix de sorcière et de nain.

L'homme égaré frémit d'instinct, Il entend battre son artère.

Quoi rester là, jusqu'au matin I

La Peur donne un son souterrain A ses appels qu'il réitère.

Et sa jument mâche son frein

Elle s'agite, elle se plaint,

Et d'une stridentemanière,

Par instants, hurle à son poulain. Il crie encor. toujours en vain 1 Tout à coup un fil de lumière

Luit là-bas, mais si fin, si fin! Il s'en guide et près d'un ravin Rencontre une auberge-chaumière^ Comme il a plus sommeil que faim Il prend à peine un doigt de vin, Ronfle un peu le front sur son verre Et monte se coucher enfin 1

Mais chez cet engourdi, soudain, Un réveil anxieux s'opère

« Pas d'armes pas même un gourdin' » L'hôtelier a l'air d'un gredin » Et sa femme d'une vipère,

» Malgré leur langage badin! 1

» Le fils ? un sournois patelin! 1 » L'aubergiste et lui font la paire. 2> Et quel gaillard herculéen! » Un avertissement divin

Lui dit qu'il est dans un repaire. Vite, avec un œil de devin,

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Leteint couleur de parchemin, Il s'en va droit au lit qu'il flaire Et dessous trouve un corps humain, Un mort, comme il sera demain, Tout à l'heure même I Que faire?. Il l'arrache par une main,

Met au lit l'affreux mannequin Qui devra biénle contrefaire

Et prend sa place.- « Cré coquin 1 a Grince en bas le vieux, âpre au gain: « Encor cette nuit, bonne affaire! » Et montrant ses dents de requin, Il ricane « Pas de voisins 1

» Rien que les trois croix du calvaire » Pour dénoncer les assassins 1 » Au dehors, lugubre et malsain, L'orage humide pe rsëvère

Le ciel est d'un noir de fusain. Minuit tinte,comme un tocsin

A l'horloge oblongue et sévère Ils vont accomplir leur dessein. Rampant à genoux, sur les poings, Ils montent l'escalier de pierreDevant la porte aux ais mal joints, Avec un falot très ancien,

Le couple attend. Le gars compère A peine entré, ressort «aEh biéni Çayestl J'ai mis peu de temps ,heint Et V Hache? demande le père. Elle est 14, sur h traversin. » Mais quelqu'un, rompant l'entretien, Apparaît vêtu d'un suàire.

C'est le premier mort qui revient i Et voici le second Il tient

Et brandit l'arme meurtrière Trois coups sourds, trois cris, puis j plus rien.

Et, sous le ciel toujours chagrin, Le cavalier fend l'atmosphère, Tant elle accélère son train.

La grande jument poulinière t Maurice Rollinat.

E. de Ménorval.