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Titre : Le Temps

Éditeur : [s.n.] (Paris)

Date d'édition : 1895-01-04

Contributeur : Nefftzer, Auguste (1820-1876). Fondateur de la publication. Directeur de publication

Contributeur : Hébrard, Adrien (1833-1914). Directeur de publication

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34431794k

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34431794k/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 04 janvier 1895

Description : 1895/01/04 (Numéro 12273).

Description : Collection numérique : BIPFPIG33

Description : Collection numérique : BIPFPIG63

Description : Collection numérique : BIPFPIG69

Description : Collection numérique : France-Japon

Description : Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine commune

Description : Collection numérique : La Commune de Paris

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k234343n

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 15/10/2007

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BULL ETIN DU JOUR UNE ANNÉE QUI COMMENCE MAL

Si l'Italie ne peut garder un souvenir bien favorable de l'année qui vient de disparaître, elle ne peut davantage envisager avec beaucoup de confiance l'année qui vient. L'incertitude qui pèse sur l'avenir est aussi grande que jamais. Il ne suflit pas, pour la dissiper, des réceptions du jour de l'An et des paroles courtoises, flatteuses, mais peu significatives qui s'échangent à cette occasion.

Pour le moment, le point sur lequel se concentre la curiosité ou, si le terme paraît trop faible, l'anxiété du public, c'est la disposition du roi à l'égard de la dissolution de la Chambre. Trois partis sont ouverts à Humbert II. Il peut ou convoquer à nouveau le Parlement en session ordinaire, ou le dissoudre en confiant à M. Crispi le soin de présider aux élections générales ou charger de l'appel au pays un homme d'Etat moins compromis que le premier ministre actuel.

A en juger parle langage de la presse de toute nuance, on ne sait absolument pas encore à quelle résolution le roi donnera suite et il est plus que probable que cette ignorance tient tout simplement à ce que le souverain lui-même n'a point encore arrêté sa décision.

C'est qu'en effet le choix est redoutable et chacune des solutions qui s'offre à l'esprit présente des difficultés ou des périls bien propres à faire hésiter la volonté la plus ferme. Convoquer la Chambre c'est infliger à M. Crispi une telle humiliation que la signature de ce décret équivaudrait à un renvoi pur et simple. Dissoudre en donnant à M. Crispi la mission de faire les élections générales, c'est, d'une part, lancer une provocation sans égale à tous les groupes de l'opposition depuis la droite du marquis di Rudini jusqu'à l'extrême gauche de M. Cavallotti. C'est, d'autre part, engager la lutte et quelle lutte sur le pire des terrains, poser au pays une question sans netteté, rendre la monarchie et l'ordre public solidaires des comptes plus ou moins apurés de M. Crispi avec la Banque romaine, compromettre les intérêts les plus essentiels du pays pour épargner à un client de Tanlongo l'ennui de comparaître devant ses pairs. Ce serait enfin, à ce qu'affirment ceux qui connaissent à la fois les pratiques électorales de l'Italie contemporaine et la lourdeur de main du président du conseil, déchaîner une pression gouvernementale et une candidature officielle comme on n'en a jamais vu, même dans la péninsule.

Reste l'expédient juste milieu dissoudre, mais en renvoyant M. Crispi. Assurément, ce parti est séduisant. Il semble de nature à réduire au minimum les dangers d'une crise qui ne peut plus être évitée. On assure que le roi aurait fait un effort pour saisir cette planche de salut.Il aurait mandé M. Saracco, qui est ministre dans le cabinet Crispi, mais qui n'a point subordonné entièrement sa vigoureuse personnalité à celle du premier ministre et qui passe pour avoir conservé quelque indépendance. Par malheur, cet homme politique, tout en protestant avec effusion de son dévouement à fa dynastie et au pays, aurait déclaré se sentir hors d'état d'assumer une charge aussi écrasante. Il aurait décliné poliment, mais irrévoca- blement, les offres du roi. S'il en est ainsi, voilà le fils de Victor-Emmanuel acculé à ce dilemme redoutable dont l'un et l'autre terme sont également gros de conséquences périlleuses pour le trône et pour la patrie.

Ce qui empêche le roi de rompre avec son ministre et de faire appel à <el ou tel groupe d'une opposition où il compte beaucoup de fidèles et ioyaux sujets, ce n'est pas, tout le monde le sent, on ne sait quel goût malsain pour une réputation endommagée. Humbert Ier n'a aucun penchant pour les sordides spéculations sur lesquelles le procès Tanlongo et le dossier Giolitti ont fait un jour si cruel.

Ce qui l'arrête, c'est d'abord que le président du conseil a eu l'art de le persuader que sa cause, à lui Crispi, est indissolublement liée à celle de l'ordre monarchique et que, sous le couvert d'un assaut contre sa probité financière, c'est une attaque à fond contre sa politique antisocialiste et antirépublicaine que l'on tente. Ensuite le roi désapprouve le ton des manifestes opposants, en particulier de cette lettre Cavallotti, qui aurait été plus éloquente et dont les accablantes révélations auraient fait plus d'effet si l'auteur avait su en modérer le style.

Il serait regrettable toutefois que des considérations de ce genre engageassent définitivement le roi d'Italie dans la voie où le pousse un ministre aventureux et égoïste et au bout de laquelle les esprits indépendants entrevoient avec une patriotique angoisse l'éventualité d'un conflit -•sntre la monarchie et le pays.

DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES

DES CORRESPONDANTS PARTICULIERS DU Temps Berlin, 3 janvier, 8 h. 15.

Quelles paroles l'empereur Guillaume a-t-il prononcées à la réception des généraux à l'Arsenal? 'l

FJEUIIL.ILEI'C&JSJ B>TLJ f&CWtyB DU 4 JANVIER 1895 (20)

DON RAPHAEL AVENTURES ESPAGNOLES (18O7-1SO8)

DEUXIÈME PARTIE

K Madrid, T'automne commençait et y ramenaitla société aristocratique qu'en avait chassée l'été. Depuis le mois de juillet, la famille royale résidait au palais de TÈscurial, qui est encore plus proche de la capitale que celui d'Aranjuez. A la faveur de ce voisinage, Raphaël d'Osorio, quand son service ne le retenait pas auprès du prince des Asturies, abandonnait cette résidence maussade, si triste dans le morne paysage qui l'environne. A l'exemple de la plupart de ses camarades, il regagnait Madrid. Mais, tandis qu'ils y étaient surtoutt attirés par le naturel désir d'y rechercher les distractions chères à la jeunesse, il obéissait, en y venant, à d'autres motifs, à la nécessité de préparer librement l'exécution des projets auxquels l'avait associé la confiance de l'infant et au besoin de se rapprocher de Béatrix Nébral, la fille de Borostidi.

Après un séjour de quelques semaines aux environs de Tolède où elle avait accompagné son père, Béatrix venait de rentrer à Madrid avec lui. Dès son retour, Raphaël s'était présenté pour la voir. Les relations affectueuses nouées entre eux avant ce voyage n'avaient pas torde à reprendre un caractère d'intimité et de Reproduction et traduction interdites.

Personne n'en sait rien. Les officiers croient savoir qu'on n'a parlé que des futures grandes manœuvres- Le Lokalanzeiger prétend que l'empereur a recommandé aux généraux d'imposer une stricto économie à leurs officiers et d'empêcher les fêtes coûteuses dans les casinos militaires. Guillaume II aurait aussi fait l'éloge des Japonais, dont l'armée, soigneusement préparée à la guerre contre la Chine, a provoqué l'admiration du vieux monde.

Enfin, d'autre part, on attribue au souverain les paroles suivantes « De mème qu'en 1870, nous nous trouvons aujourd'hui en face de graves événements. Cependant, nos ennemis ne sont plus à l'étranger, mais chez nous. Dieu, néanmoins, nous aidera à triompher d'eux, et, pour cela, notre puissante armée sera notre meilleur appui. »

Berlin, 3 janvier, 8 h. 35.

Comme s'il tenait à protester contre les symptômes particularistes qui se produisent dans les Etats du Sud de l'Allemagne, le roi de Wurtemberg a adressé à l'empereur Guillaume 11 une dépêche de félicitations très cordiales à l'occasion du nouvel an. Il exprime l'espoir qu'il se rencontrera encore dans la nouvelle année avec l'empereur sur le champ de manœuvres. Guillaume II n'a pas manqué de répondre avec empressement.

L'ordre de l'Aigle-Noir a été conféré au général comte de Waldersee. C'est une rentrée en grâce. Rome, 3 janvier, 10 h. 15.

J'ai eu occasion de parler avec un ministre sur la situation et j'ai rapporté de cette conversation la conviction intime que tous les ministres sans exception ont considéré comme un 'devoir de ne pas abandonner M. Crispi et qu'ils se sont engagés à le soutenir de toutes leurs forces. M. Saracco, qu'on disait appelé à remplacer M. Crispi à la présidence du conseil, donne une nouvelle preuve do sa solidarité avec son collègue en acceptant d'être témoin de Mlle Crispi à son prochain mariage.

Le comte Ignatief et le prince Lobanof, les deux envoyés russes chargés de notifier au roi et à Léon XIII l'avénement au trône du tsar Nicolas, sont encore à Rome. L'un et l'autre ont cherché toutes les occasions favorables pour manifester leurs sentiments de sympathie aux deux représentants de la France à Rome. Le prince Lobanof dine ce soir à l'ambassade de France auprès du Saint-Siège avec le cardinal Rampolla. Budapest, 3 janvier, 8 h. 25. La solution de la crise parait depuis hier devoir se faire attendre quelque temps encore. L'empereurroi n'arrivera, dit on,que demain, et le comte KhuenHodervary, bien que se ralliant entièrement au programme du parti libéral, ne réussirait pas jusqu'ici à trouver les éléments nécessaires à la formation d'un ministère au sein de ce parti.

On m'assure qu'en cas d'insuccès de M. Khuen Hedervary c'est M. de Kallay, le ministre des finances commun à l'Autriche et à la Hongrie, qui serait probablement chargé de former le nouveau cabinet plutôt que le baron Banffy, regardé comme libéral trop exclusif.

Budapest, 3 janvier, 8 h. 10.

Le ministre de l'intérieur Hieronymi a adressé dernièrement une lettre confidentielle à Yobergespan (préfet) d'Hermannstadt, lui ordonnant d'empêcher, par des mesures de rigueur que le parti national roumain nouvellement constitué n'entrât en action. Tout individu assistant à une réunion du parti ou organisant une de ces réunions, sera passible d'une amende de 100 florins et d'un emprisonnement de quinze jours.

Belgrade, 3 janvier, 8 heures.

Le fameux chef de haïdouks Stefan Baschtovan a fait, hier, sa déposition dans le procès d'empoisonnement. Il a juré de dire la vérité. Voici le résumé de sa déclaration

« Sima Giakovitch et Milosch Miskovitch m'ont poussé à verser du poison dans le breuvage du roi Alexandre, mais je m'y suis refusé au dernier moment, en voyant le roi dont la jeunesse m'a touché. »

Dans une réunion tenue dimanche par le parti radical, il a été décidé de prendre part aux élections prochaines, mais sans que cette participation implique une reconnaissance des faits accomplis et de changement arbitraire de Constitution.

Les radicaux songent plutôt à faire une démonstration publique en paraissant à la Skouptchina pour se retirer immédiatement.

Londres, 3 janvier, 1 h. 25.

Une agence d'informations communique aux journaux un câble do Shanghaï portant que le gouvernement chinois a décidé de ne céder aucune parcelle de son territoire aux Japonais il leur offrira de racheter Port-Arthur. Pour l'empêcher d'avoir le bénéfice des conseils de M. Foster, l'ex-secrétaire d'Etat américain récemment embarqué à Vancouver, le gouvernement mikadonal a exprimé son désir d'ouvrir les négociations de paix immédiatement de manière que, si les Chinois s'obstinent à attendre l'arrivée de ce politicien, ils pourraient fort bien se heurter alors à un refus de négocier.

Le général chinois Sung, qui a été rejoint sur le fleuve mandchou Liao par les généraux Tchong et Yoh avec 12,000 hommes de troupes, a envoyé un message à Pékin pour demander des renforts qui lui permettent d'empêcher les Japonais de franchir en masse le fleuve, dont ils occupent déjà les rives à la hauteur de Niou-Tcho«ang.

C'est le général chinois King-Ordin qui défendra King-Tchûfou, à l'angle septentrional du golfe de Liao-Tuong contre les envahisseurs. lia 7,000 hommes sous ses ordres.

confiance. L'absence, loin d'apaiser l'ardeur des sentiments de Raphaël, l'avait surexcitée. Depuis, il revenait tous les jours et, souvent, plusieurs fois par jour.

Borostidi l'accueillait ainsi qu'un ami. Sincères autant que chaleureux étaient les témoignages d'affection qu'il lui prodiguait. Ne lui devait-il pas le salut de sa fille? Et puis, le comte d'Osorio voulait arracher l'Espagne au joug détesté de Godoï. Mis au courant de ce qui se préparait dans ce but, Borostidi s'était dévoué lui aussi à cette patriotique entreprise. Sa popularité dans Madrid, son influence sur les ouvriers de la capitale, l'estime en laquelle le tenaient bourgeois et nobles, son intrépidité, son crédit, sa fortune, il avait tout apporté à la cause que défendait Raphaël.

Sa boutique était devenue le centre d'action du complot. Raphaël pouvait y recevoir en toute sécurité les personnages avec qui il était tenu de se concerter et dont les allées et venues autour de sa maison auraient fini par éveiller les soupçons de la police. C'est là qu'il donnait ses rendez-vous aux partisans du prince des Asturies, de là que partaient les lettres qui allaient ranimer dans les provinces le zèle et l'activité des ennemis de Godoï.

Ces circonstances favorisaient les assiduités de Raphaël, lui fournissaient des prétextes pour se rapprocher de Béatrix. 11 l'aimait avec passion et, comme un cœur ardemment épris a vite fait de communiquer son ardeur au cœur qu'il brûle de posséder, il avait conquis celui de la jeune femme, victoire silencieuse dont le vainqueur se gardait de triompher, que la vaincue n'avouait pas, contenus l'un et l'autre par les obstacles qui se dressaient entre eux. A cette époque plus encore qu'aujourd'hui, les préjugés de caste en Espagne étaient puissants, les privilégiés du nom et de la naissance fiers et jaloux de leurs privilèges. Raphaël d'Osorio étant d'une noble race, ne pouvait épouser la fille de Borostidi sans soulever dans la haute société un blâme unanime, sans encourir la disgrâce du roi. Blâme et disgrâce, il était prêt à tout braver. Suivre l'exemple de son père, renoncer au brillant avenir qui s'ouvrait devant ses pas, le sacrifier à son amour, se retirer à Cordoue avec sa femme, n'y vivre que pour elle ne lui eût rien coûté. Mais Béatrix voudraitelle de cette destinée obscure? Son orgueil de Castiiiane ne se révolterait-il pas à la pensée d'entrer dans la famille d'Osorio par une porte basse, comme frappée d'indignité, et de se condamner à une retraite éternelle pour expier le crime d'avoir épousé un gentilhomme?

(Service Havas)

Saint-Pétersbourg, 3 janvier.

Hier a eu lieu, à l'ambassade de France, un dîner en l'honneur de Fuad pacha, envoyé extraordinaire du sultan.

Parmi les convives se trouvaient Kiamil bey, le général Youssouf-Izzet pacha et Hassan-bey, membres de la mission extraordinaire.

Berlin, 3 janvier.

La Gazette nationale déplore que M. de Levetzow, président du Reichstag, ne se soit pas abstenu dans le scrutin qui a eu lieu sur la demande de poursuite contre M. Liebknecht, se mettant ainsi en conflit avec l'immense majorité du Parlement, soucieuse de maintenir ses prérogatives..

La Gazette nationale redoute l'élection d'un président par le centre catholique.

Le Vorwxrts publie une circulaire confidentielle du président de la circonscription de Potsdam invitant les autorités à surveiller particulièrement les meetings socialistes dans lesquels on proteste contre le projet de loi sur les menées subversives.

Les agents de police devront noter littéralement les discours intéressants et réprimer très énergiquement les tentatives de désordre.

LA CONDITION DES RÉFORMES

Le Radical voit avec raison dans les paroles prononcées le 1er janvier par le président de la République, à la réception du corps diplomatique, l'indication d'une politique essentiellement démocratique et conforme aux aspirations du pays. Dire que la volonté de la nation est de se consacrer tout entière à des œuvres a de liberté, de justice et de fraternité sooiale » c'est, d'après M. Sigismond Lacroix, donner une formule qui « résume parfaitement les sentiments et les espérances de la France prise dans son ensemble ».

Mais c'est en même temps, suivant notre confrère, faire la critique la plus vive du gouvernement actuel, car celui-ci s'occupe de tout autre chose. Et cependant, si l'on y réfléchit un peu, ne découvre-t-on pas, sous les trois mots de l'allocution présidentielle, une foule de questions qui pourraient être utilement examinées et fournir matière à des propositions de loi. « Rien qu'en prenant les points les moins sujets à contestation, il serait facile, dit M. Sigismond Lacroix, de dresser une liste suffisante de réformes rentrant dans la formule de M. CasimirPerier, formant un programme pratique d'œuvres de liberté, de justice et de fraternité sociale. Mais ce programme, il reste à le faire passer dans les faits. »

Sans aucun doute. Mais ce programme, dépend-il uniquement du gouvernement de le faire aboutir? N'est-il pas évident qu'une réforme quelconque, si modeste qu'on la suppose, exige la collaboration de tous les pouvoirs publics ? Or, durant l'année qui vient de s'écouler, pourquoi semble-t-il que la machine parlementaire ait, pour ainsi dire, fonctionné à vide et cherche-t-on en vain le profit positif et pratique ? N'est-ce point parce qu'un très grand nombre de séances ont été consacrées à des interpellations où se dépensaient, sans bénéfice pour le pays, les efforts de tous? Au lieu de s'appliquer à une besogne sérieuse et d'y faire participer la Chambre, les ministres étaient presque toujours employés soit à répondre aux attaques du jour, soit à préparer les réponses du lendemain. De son côté, l'opposition s'ingéniait à faire sans cesse renaître les discussions stériles, dans l'espérance de provoquer une crise. Les révolutionnaires n'hésitaient pas d'ailleurs à se glorifier d'un système d'obstruction qui, en paralysant le gouvernement et la majorité, pouvait user et discréditer le régime parlementaire luimême.

Qu'en est-il résulté ? C'est que l'on n'a pu accomplir la tâche la plus urgente, la plus indispensable, celle qui apparaît comme le prélude et la condition de toutes les autres le vote du budget. Primo vivere, deinde philosophai'}, disaient les anciens. Ce qui pourrait, dans la langue politique, se traduire ainsi « Faites d'abord un budget, établissez l'équilibre des recettes et des dépenses, assurez le fonctionnement de ces innombrables services dont dépend la vie nationale, et puis vous pourrez aborder des réformes, étudier les progrès réalisables, vous efforcer de donner à l'ensemble des citoyens plus de bien-être matériel et moral. »

Voilà, notre confrère en conviendra, la seule méthode rationnelle. Toutes les questions, selon le mot de Gambetta, cemandent à être « sérées ». Mais ce qui ne peut attendre, ce qui s'impose avant tout au législateur, c'est la loi de finances. Or, par une fâcheuse ironie, il semble, depuis quelques années, que ce soit précisément la chose à laquelle on pense le moins. Non seulement on ne commence pas par là, mais on n'arrive même plus à finir par là. Et l'on s'étonne que de vastes projets ne puissent être abordés et réalisés I

La vérité, nous ne saurions trop le répéter, c'est que toute séance absorbée par une ou plusieurs interpellations est une séance perdue pour les réformes parce que c'est une séance perdue pour ls budget et que l'examen des réformes du genre de celles que signale le Radical ne peut venir qu'après le vote du budgat. Or, si l'année tout entière ne suffit pas au budget, que restera-t-il pour les réformes? Rien. Voilà un syllogisme qui, pour n'être pas mis en forme, n'en est pas moins rigoureux. Puisse-t-il avoir dans l'avenir, sur l'esprit de nos hommes

Il la jugeait mal. N'attachant de prix qu'au bonheur qui résulte d'un amour partagé, peutêtre Béatrix se fût-elle résignée à acheter le sien au prix des plus grands sacrifices. Mais, tandis que Raphaël reculait devant la nécessité de les lui imposer, elle-même s'effrayait de la part qu'il devait en assumer sa carrière brisée à cause d'elle, les jugements que provoquerait son mariage, considéré comme une mésalliance. Elle redoutait les regrets qui s'empareraient de lui si, les ivresses de l'amour dissipées, il s'avisait de penser qu'en leur immolant ses rêves ambitieux, il les avait payées trop cher.

Pas plus dans l'âme de Béatrix que dans celle de Raphaël, ces considérations., si puissantes qu'elles fussent, n'étouffaient d'amour, n'en ralentissaient la marche. Maintenant qu'après l'épreuve décisive d'une séparation ils s'étaient retrouvés, ils ne pouvaient plus douter de leurs sentiments réciproques. Raphaël se livrait aux siens sans regarder au delà de l'heure présente. Il fermait les yeux pour ne pas voir dans l'avenir. Il s'enivrait du charme de Béatrix, partagé entre le désir de lui confesser sa tendresse et la crainte de lui déplaire en la lui confessant. Quant à elle, plus grandissait cet amour, plus elle s'en alarmait, convaincue qu'olle allait à une situation sans issue. Baphacl présent, elle s'abandonnait à la douceur de le voir et de l'entendre elle subissait la magie de son regard et de ses paroles, ayant bientôt deviné ce qu'il n'avouait pas. Mais, des qu'il était parti, ses inquiétudes renaissaient; il s'y mêlait des remords. Elle s'en voulait de sa faiblesse, de son impuissance à réagir contre elle-même. C'est en cet état d'angoisse qu'elle se trouvait vers la fin de cet après-midi du mois d'octobre, à l'heure où Raphaël, quand il était à Madrid, avait l'habitude de venir. Seule dans son appartement, elle l'attendait. Le jour baissait. La tristesse du crépuscule montait autour d'elle, dans la rumeur du vent d'automne qui soufflait avec violence sur la Puerta del Sol.

Cette tristesse pénétrait jusqu'à son cœur, assombrissait ses rêveries, rendait plus douloureux les doutes qui la torturaient, depuis qu'aimant et se sachant aimée, elle avait dû reconnaître que le bonheur entrevu courait risque de ne se réaliser jamais. Elle passait par un de ces instants où la vie apparaît lourde, obscure, sans soleil, dure jusqu'à la cruauté.

Et cependant, si tout était ténèbres en son cœur, en sa conscience tout était lumière. Elle voyait clairement son devoir. Le danger. con-

politiques, plus d'action qu'il n'en a eu dans le passé Sans doute, il appartient au gouvernement et à la majorité de. se tracer un programme de travail mais ce travail ne peut s'exécuter que si l'on en donne ou plutôt si on en laisse Je temps. Or sous ce rapport tout le monde a, croyons-nous, quelques reproches à se faire et de fermes résolutions à prendre. et surtout à tenir.

AVANT TOUT RÉVOLUTIONNAIRES

On croyait que les socialistes, qui se piquent d'être des savants, accepteraient volontiers d'expérimenter dans une terre vierge les théories et les systèmes qu'ils veulent nous faire adorer de force; et l'on a quelquefois proposé de livrer aux réformateurs du monde quelque île ou quelque parcelle du continent où ils pourraient vivre à leur guise eux et leurs amis. La Petite République nous signifie ce matin que les socialistes se refusent à nous donner la preuve expérimentale c'est-à-dire vraiment scientifique et décisive de leurs affirmations de tous les jours. Non, ils n'iront pas ailleurs mettre en pratique leur conception do la société. Et ils essayent de colorer leur retraite de prétexte spécieux.

D'abord, ils prétendent que, dans une terre vierge, les conditions ne seraient pas bonnes. Il faut à ces messieurs les complications de la vie contemporaine. Le socialisme est la fleur poussée sur le fumier des civilisations superposées. Or, on n'emporte pas tout cet humus dans ses bagages Le prétexte est curieux; mais il ne convaincra personne. S'il fallait aux réformateurs de bonne foi qui partiraient pour une ile déserte toutes les ressources contemporaines de la science et de l'industrie, on les leur donnerait volontiers. On mettrait à leur disposition outils perfectionnés et machines supc-rioures on ferait en un mot de leur nouvelle patrie un laboratoire parfait, un microcosme complet, une réduction sincère d'univers et d'humanité. Ce n'est donc pas là qu'il faut chercher la vraie raison des socialistes pour ne pas se prêter à une démonstration expérimentale. Ils noits la livrent un peu plus loin quand ils disent que, s'ils partaient pour une terre vierge, ils diminueraient forcément ici l'effectif de l'armée révolutionnaire pour le grand jour de l'émeute 1 Voilà l'aveu que nous attendions! Les socialistes n'ont qu'une préoccupation la révolution à préparer. Quant à toutes les occasions qui leur seraient offertes de mettre leurs théories à l'épreuve et de forcer par l'évidence la conviction des adversaires ou des hésitants, -il ne faut pas leur en parler. Ils se targuent d'être des réformateurs ils sont surtout des révolutionnaires; et rien ne les gône autant que d'être mis au pied du mur.

«

UNE FORME NOUVELLE DE L'ASSISTANCE PAR LE TRAVAIL On nous signale une forme particulièrement intéressante de l'assistance par le travail. C'est à Sedan qu'elle fonctionne. Une société s'est formée dans cette ville pour lutter contre la mendicité professionnelle, et voici le moyen qu'elle a imaginé de mettre en expérience. Cette société loue à bas prix un certain nombre d'hectares de terrains mauvais ou médiocres aux alentours de la ville. Elle achète une certaine quantité d'engrais et de semences. Puis, elle choisit des familles pauvres et leur distribue, en proportion du nombre des membres qu'elles contiennent, terrain, engrais et semences. Les familles choisies cultivent, en dehors des heures d'atelier, le jardin dont elles ont obtenu la jouissance et en retirent une provision de. légumes, pommes de terre, navets, carottes, choux, etc., sur laquelle elles vivent durant des mois. Ainsi se trouve résolue l'une des difficultés les plus grandes que comporte le principe de l'assistance par le travail la difficulté d'écouler les produits. A Sedan, ce n'est pas le public qui est convié à utiliser le travail des assistés: ceux-ci le consomment eux-mêmes.

La société qui nous occupe a commencé petitement. Pendant l'été de 1893, elle a mis à la disposition de vingt et un ménages, comprenant 145 personnes, une surface de 14,000 mètres carrés. J'ai sous les yeux le rapport dressé par un professeur du collège de Sedan et par le secrétaire de la société d'horticulture de cette ville, et j'y trouve les détails suivants Le travail a été pénible, car le champ qu'il s'agissait de cultiver en jardin n'avait servi jusqu'alors qu'à la culture des céréales. Il était rempli de chiendent. Tout a dû être trié, nettoyé à la main. En septembre, une visite a été faite par le comité de l'œuvre. Parmi les vingt et un lots, il n'y en a qu'un où le rapport constate que les légumes sont « un peu moins beaux ». Tous les autres sont notés bonne récolte, très bonne récolte, récolte extraordinaire, culture très bien entendue. Voilà une famille de six personnes (n° 17) qui a obtenu une récolte « suffisante pour passer l'hiver ». Une autre, composée de quatre personnes (n° 18), « ne savait pas cultiver la terre », mais les voisins ont donné des conseils et de l'aide somme toute, cette famille a « récolté comme les autres ».

La dépense a été minime 580 francs seulemont pour la location du terrain, l'achat de l'engrais et des graines. Après la récolte, j'emprunte encore ce détail au rapport déjà cité, un questionnaire a été remis à chaque famille

staté, sa conscience lui commandait de l'éloi- gner ou de le fuir. Par malheur, le fuir était aussi difficile que de l'éloigner. Sous quel pré- texte fermer sa porte à Raphaël? Quel voyage entreprendre pour ne plus le rencontrer? Peut-être aurait-elle pu retourner à la Havane, mettre l'Océan entre elle et l'homme adoré, devenu dans sa vie au même degré un instrument de douleur et un instrument de joie. Quand elle cesserait de se trouver en sa présence, ne parviendrait-elle pas à l'oublier? Mais elle avait promis à son père de ne plus quitter Madrid, de se consacrer désormais à sa vieillesse. Comment enfreindre cet engagement? Et puis, il ne suffirait pas d'être résolue à partir, encore serait-il nécessaire d'en trouver le prétexte. Le seul qu'il eût été possible d'invoquer, c'est-à-dire le règlement de la succession de son mari, entravé par divers procès, les circonstances le lui refusaient. Elle n'avait pu obtenir pour ses juges, malgré ses démarches, les recommandations qu'elle était venue quérir en Espagne.

Ainsi, à quelque solution qu'elle tentât de se rattacher, toutes craquaient sous sa main. Le péril était là elle le voyait surtout quand Raphaël, assis près d'elle, trahissait son trouble et ses ardeurs. Mais elle ne savait que faire pour s'y dérober, trop pure pour céder à l'amour en dehors du mariage, trop faible pour le sacrifier.

Un bruit la tira soudain de ses réflexions douloureuses. Sur l'escalier intérieur qui de l'atelier .de son père conduisait à son appartement, des pas se faisaient entendre. Elle crut que c'était Raphaël. Ce ne pouvait être que lui. Elle n'attendait pas d'autres visiteurs et Borostidi venait de sortir.

Comme un brouillard sous le soleil, ses alarmes en un clin d'œil se dissipèrent. En ce cœur de femme, impressionnable et mobile, à la tristesse subitement effacée succédaient la joie et la confiance. En hâte Béatrix se compo- sait un maintien, essuyait ses yeux d'où tout à l'heure roulaient sur ses joues des larmes brûlantes, se levait, allait vers la porte, poussée par l'impatience de la voir s'ouvrir.

La voix de sa duègne annonçant le visiteur la cloua au sol, pétrifiée. Ce n'était pas Raphaël d'Osorio, mais Juan Morera.

Juan Morera 1 Que venait-il faire? Que voulait-il ? N'était-ce pas assez qu'il se mêlât presque tous les jours aux visiteurs dont s'emplissait chaque matin l'atelier? A quel titre maintenant s'arrogeait-il le droit de pénétrer dans l'intimité du foyer domestique où jamais il n'avait

assistée. Les réponses sont, paraît-il, touchan- tes ces pauvres gens s'étendent sur la qualité, la quantité des légumes récoltés, et avouent hautement qu'ils ont été payés de leurs peines. Avec les réponses reçues, on a estimé le rendement approximatif de la première récolte à 2,100 francs et même 2,400 francs en comptant les légumes d'été, consommés à mesure. Durant la deuxième année 1894, la société a fait davantage. Elle a mis 30,880 mètres carrés de terrain loué à la disposition de 56 famil'es représentant 240 personnes. Le rapport con- state de nouveau que « tous se mir^t à l'œuvre avec ardeur, que pas un poucp de terrain ne fut perdu, qu'il n'y eut pas 'un reproche à faire aux assistés etque, m&igré les dernières pluies les récoltes ont été rès bonnes, le rendement aussi satisfaisait que l'année précédente ». Les dépenses se sont élevées pour 1894 à l,005francs, ce qui est fort peu, en considération du résultat obtenu. Car ces 56 familles, ces 240 personnes ont, d'abord, vécu toute l'année en grande partie du fruit de ce travail: elles ont même pu vendre une partie de la récolte et se procurer ainsi quelques ressources.

Ce n'est pas tout la même société a choisi dans les familles qu'elle assiste quinze jeunes gens, de seize à dix-sept ans, et les a mis en mesure de former entre eux une association mutuelle. Ils donnent chacun 1 franc par mois. Avec ces 180 francs par an, on loue un terrain. La société mère fournit l'engrais et les semences. Les produits récoltés sont vendus au profit des associés; les sommes recueillies, placées à la Caisse d'épargne. Pour encourager ses pupilles, la société a fait un premier versement, à leur nom et à titre de récompense. Cette œuvre de mutualité est surtout un exemple donné à tous les assistés on leur montre ce que peuvent la prévoyance, l'entente, l'épargne. Je n'ai pas encore dit le nom de cette société elle s'appelle la « Reconstitution de la famille ». Elle a été fondée par une femme, Mme Hervieu, qui a rencontré d'abord, nous écrit-on, beaucoup d'incrédulité autour d'elle, mais qui a fini par entraîner son monde, et tout mettre en bonne voie. Pourquoi la « Reconstitution de la famille »? Parce que, dans la pensée des personnes qui s'occupent de cette œuvre, il y a là un moyen de retenir en province les malheureux ou, en tout cas, de limiter la migration vers les grandes villes. La fondatrice de l'œuvre nourrit môme d'autres espérances plus vastes, dont témoigne un Appel aux pères et mères des classes laborieuses. Elle croit qu'il est possible de créer une société plus vaste, qui ne serait plus locataire, mais propriétaire du sol, qui se chargerait des enfants, etc. Il y a dans toute cette partie du programme quelque chose d'aventuré, peut-être môme d'utopique; mais il n'est pas besoin de s'en occuper. Ce que nous tenons à signaler, ce n'est pas ce que médite de faire, c'est ce qu'a déjà fait la société; ce ne sont pas ses espérances d'avenir, ce sont les résultats acquis.

Intéressante, l'expérience de Sedan l'est à plus d'un titre. D'abord, comme je l'ai indiqué déjà, elle simplifie singulièrement la question dès débouchés à ouvrir au travail des assistés. Puis, elle est le fait d'une initiative locale, qui ne paraît pas avoir emprunté quoi que ce soit à Paris ou aux grandes villes voilà donc de la décentralisation en matière d'assistance, et c'est là d'excellente décentralisation. Ne trouvezvous pas également que cette expérience est très suggestive? On peut la reproduire telle quelle dans d'autres villes, ou les terrains abondent. Mais surtout, on peut s'en inspirerailleurs pour faire autrement, dans la même vue et dans le môme dessein.

Ceux qui préconisent le principe de l'assistance par le travail n'ont jamais pensé qu'il n'y eût qu'une manière de le mettre en pratique, et que les faciles besognes offertes aux indigents des grandes villes, comme Paris, Marseille ou Lyon, fussent la formule ne varielur qu'il y a lieu d'appliquer partout. Lyon, Marseille et Paris fabriquent le « petit fagot ». Voici Sedan qui fait des pommes de terre. Ailleurs, on trouvera autre chose. L'essentiel est de s'enquérir, de s'ingénier, et qu'on nous permette, en terminant, ce conseil, d'appliquer de préférence les libéralités que l'on a dessein de faire aux œuvres qui, sortant des chemins battus, relèvent les misères qu'elles soulagent; aux œuvres qui les relèvent moralement et môme physiquement. A la déchéance morale qui fait le mendiant s'ajoute, en effet, lo plus souvent la dégénérescence physique. Lutter contre l'une, c'est lutter du môme coup contre l'autre, et, dans l'individu, sauvegarder la race.

LA CHINE ET LE JAPON

(De notre envoyé spécial)

De Nagasaki à Chemulpo

Il est aussi malaisé d'aller en Corée aujourd'hui qu'il l'était autrefois de pénétrer dans Corinthe. Avant la guerre, une compagnie de navigation japonaise, la « Nippon Yuson Kaisha », avait un service régulier entre Yokohama, Kobô, Nagasaki et Chemulpo, fait par do bons paquebots, bien construits, bons marcheurs et fort bien aménagés pour

été admis, le logis privé de Borostidi ne s'ouvrant qu'aux amis de celui-ci ou à ceux de sa fille ? Elle se faisait violence pour cacher sa colère, etdu.regard interrogeait le docteur, tout en donnant l'ordre d'apporter des lampes. De l'entrée où il s'était arrêté, pliant l'échiné et feignant de n'oser avancer, il saluait très bas, confus, souriant et disait

Que Votre Grâce daigne excuser ma témérité, dofia Béatrix. Je venais voir votre père. Il est absent. Mais on m'a appris que vous étiez là et j'ai demandé à vous présenter mes hommages.

Veuillez entrer, seilor, répondit-elle, et soyez le bienvenu.

Elle lui montrait un visage accueillant sous sa froideur un peu hautaine et voulue. Je suis heureux de vous rencontrer seule, reprit-il quand il se fut assis. Bien des fois j'ai regretté de ne vous voir que confondu dans la foule de vos admirateurs, et j'ai envié don Raphaël qui, plus heureux que moi.

Il ne put achever. Béatrix l'interrompait Don Raphaël est l'ami de mon père, le mien. Si je suis vivante, c'est à lui que nous le devons. Le service qu'il nous a rendu lui donne les mêmes droits qu'au parent le plus cher.

Obi je ne me plains pas, protesta Juan Morera, en soulignant ses paroles d'un geste d'excuse. Je sais par quel acte héroïque il a mérité sa faveur. Et puis, il a pour lui la jeunesse, l'esprit, un nom illustre. C'est un brillant caballero.

A cet éloge de son ami, dont le but lui échappait, Béatrix sentait s'empourprer ses joues. Et, souriant, pour cacher son embarras, elle dit:

Laissons là don Raphaël, senor. Je ne suppose pas que ce soit pour me parler de lui que vous êtes venu.

Il se jeta sur cette réponse comme sur une occasion qui lui permettait d'exprimer sa pensée en toute franchise.

Non, ce n'est pas pour vous parler de lui, senora; c'est pour vous parler de moi. Surprise et déconcertée par l'accent, par l'attitude, par la fixité du dur regard qui s'attachait sur elle, elle ne put que balbutier.

-De vousl Qu'avez-vous donc à m'en dire? Il ne répondit pas sur-le-champ. Peut-être hésitaivil à se déclarer; peut-être cherchait-il ses mots, tandis que Béatrix, craintive et le cœur serré, attendait, pressentant-un péril. Ecoutez-mol, dofia Béatrix, reprit résolument Juan Morera, et quelque surprise que

les passagers comme pour les marchandises. Quelques-uns, le Saïkyo-Maru, le Kobé-Maru, le Tokio* Maru, le Tagasako-Maru étaient d'aussi fort ôchan* tillon que l'Océanien, le Melbourne, le Yarra, le Na.tal, le Saghalien, de nos Messageries maritimes. Mais depuis la guerre, le gouvernement japonais a mobilisé tous ces navires pour le transport des troupes ou les a transformés en croiseurs. Il faut s(j contenter des cargos allemands ou anglais affrétés quand on ne peut pas prendre le Bigo-Maru qui seul continue à faire la navette comme autrefois. Et on y perd. sérieusement j'en ai fait l'expérience. J'ai dû m'embarquer, quand le gouvernement japonais m'a eu accordé l'autorisation de suivre les opérations de son armée, sur un tout petit cargo, un vrai « raffiot », attaché au fort allemand de Flensbourg. Nous devions partir le 27 octobre à quatre heures. J'arrive à bord.' Jamais spectacle pareil ne m'avait été donné. Le navire, enfoncé audessus de la flottaison, était si mal chargé qu'à l'ancre il penchait sur tribord et que le passage de tribord à bâbord était une ascension aussi raide que la montée de la rue Notre-Dame-de-Lorette! Le pont était couvert de ballots de toute nature, empilés jusqu'à un mètre de haut, noyant les chaînes du gouvernail, les treuils, les boucles, etc., etc., et perchés sur tous ces tonneaux do saké, couffee de riz, d'orge, balles de paille, de foin, bottes de bambous, ballots d'ôtofie, rouleaux de poisson séché et de légumes, une cinquantaine deJaponais accroupis sur leurs nattes ou couchés dans leurs « phtous » comme Micromegas sur les Alpes: les uns mangeant avec leurs petites baguettes, à grosses bouchées, des bols de riz ou buvant du saké dans des tassettes, ou fumant leurs minuscules pipettes, les autres causant ou dormant déjà, pendant que quelques autres échangeaient des plaisanteries ou des souhaits avec les passagers d'une nuée de sampans qui dansaient sur l'eau tout le long du navire. Une heure, deux heures passent, nous ne partons toujours pas; enfin le capitaine me dit qu'on no peut pas su mettre en route dans des contitions aussidangereuses, qu'on va décharger lo navire, l'équilibrer et qu'on ne partira que le lendemain, dimanche, à quatre heures. J'en profite pour retourner coucher à terre et, le lendemain, revoir le temple de Soua; à l'heure dite, j'étais sur le pont. En route pour Chemulpo Toute la rade si charmante de Nagasaki défile devant nous, la passe est franchie derrière le pilote sans déranger de leur sommeil les torpilles, et nous dépassions Takasima au moment où le soleil tombait comme un boulet d'or derrière les cimes des ilea Goto.

Le navire était plus exactement droit, quoiqu'il louchât encore du côté tribord. Le pont était la partie praticable mais sur les deux panneaux d'avant et d'arrière, sur la plate-forme de la machine, sur le gaillard d'arrière, c'était le môme amoncellement de couvertures, de nattes, de « phtous », les mêmes dinettes et causettes, le même pôle-môle d'hommes et de femmes serrés pour se tenir chaud. La moindre embardée les aurait semés sur l'eau comme les ba!les d'une vannette. Heureusement, ni vents, ni lames. La mer était d'opale et lisse comme une pièce d'eau de parc.

Une seule cabine, et si petite que mes bagages la remplissaient exactement, sans compter ceux d'un Japonais, passager de première comme moi. Et pourtant, j'étais réduit au strict nécessaire Comment faire ? `t

Le capitaine vint à mon secours. Il parlait l'anglais outre son allemand. Il a été aussi prévenant, aussi aimable qu'un do nos compatriotes eût pu l'être. Il m'a donné sa propre cabine dont il n'usait pas, pour coucher dans la salle à manger, plus près de la passerelle. Grâce à cette délicatesse, à noter d'un Allemand à l'égard d'un Français, j'ai pu dormir tranquillement. De plus, j'ai pris mes repas à sa table avec lui, le second et le chef mécanicien, qui tous parlaient l'anglais j'ai passé mes journées avec eux sur la passerelle, voyant parfaitement sur leurs cartes et avec leurs explications tout le paysage que nous traversions, et oubliant parfaitement tous les inconvénients qui, sans ces bons procédés, auraient été insupportables. Si ces lignes tombent sous leurs yeux, ils verront que leur obligeance ne s'est pas égarée sur un ingrat et que je leur en reste reconnaissant.

Le 29 au matin, le capitaine venait me réveiller pour voir l'lle Quelpaort, à dix milles sur bâbord, assez visible pour que j'aie pu en prendre plusieurs croquis. Elle offre une ligne d'îles et de rochers en avant de falaises interrompues ça et là par des plages peu étendues, et continuées, vers l'intérieur, par un mamelonnement de collines à profil très accidenté, étagées l'une derrière l'autre jusqu'à une montagne conique, dont le sommet, haut do 6,000 pieds, dépassait comme une coupole bleuâtre, une épaisse ouate do nuages gris. Sur tribord, Port-Hamilton, mais trop éloigné pour se profiler au-dessus de l'horizon.

Vers midi, nous croisions quantité de jonques montées par des pécheurs coréens et traînant leurs filets toutes voiles dehors sous une jolie brise qui ridait l'eau sans nous secouer et nous rangions l'ile Montravel. C'est une montagne, à flancs largement vallonnés, couverte de villages coréens, avec un très bon port, sur la face est, que nous ne voyions pas. Je le dessine ainsi que Maisonneuve, détachée comme elle, en avant de la côte coréenne dont les montagnes lointaines moutonnaiont en silhouettes vagues jusqu'aux limites do l'horizon. Nous filions au milieu d'une paix délicieuse, sous un soleil éclatant qui me rappelait les belles journées et les buées claires du temps de nos vendanges. Et, malgré la

5 novembre.

vous causent mes confidences, soyez attentive et patiente jusqu'au bout. Mon dessein, comme vous allez le voir, n'est point de vous offenser. De tout autre, un tel langage ne l'eût pas effrayée. Mais, de lui 1 Elle le connaissait bien. Elle n'ignorait pas ce qu'en pensaient son père et Raphaël. Elle le savait audacieux, redoutable autant que méprisé. Elle eut la sensation soudaine et précise qu'elle allait avoir à se défendre, et, se redressant

Trêve de préambule, sefior, dit-elle avec fermeté. Allez au fait. Expliquez-vous. Soit, puisque vous m'y encouragez, répondit-il. Je vous aime, dofia Béatrix.

Elle se levait d'un bond, avec, dans les yeux, plus de colère que de surprise.

Seilor, ce langage me blesse!

Mais il lui prenait la main, l'obligeait à so rasseoir.

Je vous ai demandé attention et patience et vous devez m'écouter. Je vous aime avec toute l'ardeur d'un jeune homme. Avant votre départ pour la Havane, je vous avais à peine entrevue chez votre père; vous étiez une enfant. Mais, dès votre retour, je fus ébloui par votre beauté, et, depuis, je suis hanté par le désir de vous consacrer ma vie, oui, hanté jusqu'à en perdrcla raison. Peut-être m'objecterezvous que je suis bien vieux pour vous dont la radieuse jeunesse est dans sa fleur. Mais je ne suis vieux quepar l'âge, sefiora, je suis jeune par le cœur, tout aussi jeune que si j'avais vingt ans. Je n'ai jamais aimé et, plus qu'aucun homme, je le dis avec orgueil, je peux offrir à celle que j'aime aujourd'hui des trésors de tendresse longuement accumulés et demeurés intacts. Je lui apporte aussi une immense fortune, des biens considérables, un crédit à la cour dont j'ai dédaigné jusqu'ici de faire usage, mais qui me portera, à mon jour, à mon heure, au gré de ma volonté, là où il me plaira d'atteindre, en un mot de quoi lui assurer jusqu'à la fin de sa vie une existence royale. J'ai l'honneur de vous demander d'être ma femme, dofia. Béatrix.

C'était net et formel. Il fallait répondre. Béatrix n'hésita pas. Elle était incapable de feindre. Elle avait l'horreur des bas calculs, des habiletés, des perfidies. Elle le regarda bien en factf et répondit

Votre femme, moi 1 Jamais: l

ERNEST DAUDET.

suivi eJ.