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Title : Encyclopédie des sciences religieuses. Tome 7 (1880) / publiée sous la direction de F. Lichtenberger, ...
Publisher : Librairie Sandoz et Fischbacher (Paris)
Publication date : 1877-1882
Contributor : Lichtenberger, Frédéric (1832-1899). Éditeur scientifique
Set notice : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30816870s
Type : text
Type : printed monograph
Language : french
Format : 13 vol. ; in-8
Description : Appartient à l’ensemble documentaire : CentSev001
Description : Contient une table des matières
Rights : Consultable en ligne
Rights : Public domain
Identifier : ark:/12148/bpt6k220808c
Source : Bibliothèque nationale de France
Provenance : Bibliothèque nationale de France
Online date : 27/10/2008
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ENCYCLOPÉDIE
<
DES
SCIENCES RELIGIEUSES
IMPRIMERIE D. BARDIN, A S AINT GERMAIN
SCIENCES RELIGIEUSES PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION
DOYEN DE LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE PROTESTANTE DE PARIS
LIBRAIRIE SANDOZ ET FISCHBACHER G. FISCHBACHER, SUCCESSEUR
t 33, RUE DE SEINE, 33
ENCYCLOPÉDIE
DES
DE
F. LICHTENBERGER
TOME VII
IRENE LASAULX
PARIS
1880
ENCYCLOPÉDIE
SCIENCES RELIGIEUSES
IRÈNE, impératrice de Constantinople, née à Athènes vers 73:2, morte dans l'île de Lesbos en 803. Elle épousa en 76y Léon, héritier •de la pourpre et fils de Constantin Copronyme, qui lui témoigna beaucoup de tendresse jusqu'au jour où il découvrit chez elle deux images saintes qu'elle avait conservées crime irrémissible à cette cour iconoclaste. 11 aurait même pris à son égard des résolutions plus rigoureuses, s'il n'était mort peu de temps après (780), laissant un fils âgé de dix ans, Constantin IV, Porphyrogénète. Chargée du gouvernement pendant la minorité de son fils, Irène l'exerça avec une habileté remarquable, mais avec une énergie qui ne recula pas devant le crime. Elle rétablit dans tout l'empire le culte des images, ayant convoqué en 786 un concile à Constantinople. Elle rassembla l'année suivante à Nicée un nouveau concile (septième général), qui rétablit le culte des images, déclara faux et hérétique le concile tenu sous Constantin Copronyme, frappa d'anathème les prélats iconoclastes et donna au jeune empereur le titre de nouveau Constantin et à Irène celui de nouvelle Hélène. Pour conserver le trône, elle avait fait crever les yeux à son fils Constantin, qui échappait à sa tutelle, puis aux quatre fils de Constantin Copronyme qui conspiraient contre elle, et dont trois avaient eu précédemment la langue arrachée. Les intrigues de ses favoris, Stauratius et Aétius, avaient déjà ébranlé son pouvoir, lorsqu'elle fut renversée par son grand logothète (trésorier), Nicéphore, qui la relégua dans l'île des Lesbos (803), où elle vécut encore pendant quelques mois, obligée de filer pour vivre. Malgré son crime, les Grecs, ne se rappelant que la protection accordée au culte des images, l'ont placée au nombre des saintes.
IRÉNÉE, évêque de Lyon vers la fin du second siècle, est un des Pères de l'Eglise les plus universellement vantés. Catholiques et protestants font appel a son témoignage, les uns pour prouver que l'institution de l'épiscopat et la primauté de l'évoque de Rome remontent jusqu'aux apôtres, les autres pour justifier leurs vues sur le canon du Nouveau Testament, et tous ensemble pour démontrer que le dogme de leur Eglise est aussi celui de l'Eglise primitive. C'est dire que les écrits d'Irénée touchent à la plupart des questions controver-
DES
sées et -qu'aucun parti de la chrétienté n'est fondé ù le revendiquer exclusivement. Irénée en effet marque la limite entre deux âges de l'histoire de l'Eglise d'une part il résume dans sa doctrine le développement normal de la pensée chrétienne dans l'époque précédente, ce qui le recommande à la faveur des protestants, de l'autre il pose le principe que son développement ultérieur, pour être légitime, doit se conformer à la tradition et ils devient de la sorte une des plus hautes autorités du catholicisme. On ne connaît ni l'année ni le lieu de la naissance d'Irénée. Il est certain seulement qu'il fut grec d'origine et d'éducation et qu'il passa sa première jeunesse à Smyrne où il fut disciple de Polycarpe. Dans son âge mûr nous le trouvons à Lyon. 11 y était presbytre au moment de la grande persécution de l'an 177 et fut porteur en cette qualité d'une lettre que les confesseurs de cette ville écrivirent à Eleuthérus, évêque de Rome. Les termes élogieux dans lesquels il y est recommandé aux chrétiens de la capitale prouvent lahaute considération dont il jouissait à Lyon. Revenu dans la Gaule il fut élevé au siège épiscopal de cette ville en remplacement de Photin qui venait de subir le martyre (178). Comme évêque,si l'on peut ajouter foi à des traditions beaucoup plus récentes, il réussit par ses prédications à amener au christianisme la plus grande partie des habitants de Lyon, et il acquit une influence prépondérante dans toutes les Eglises de la Gaule. Ce qui est sûr, c'est qu'il intervint dans le différend qui survint entre l'Eglise de Home et les communautés de l'Asie au sujet de la célébration de la fète de Pâques, et que son opinion fut d'un grand poids pour préserver la paix de l'Eglise gravement compromise par la prétention de l'évoque Victor.à imposer à la chrétienté entière la coutume qui avait prévalu à Home. Comme son prédécesseur il fut martyr en 202 pendant la persécution ordonnée par Septime Sévère. – Le principal ouvrage d'Irénée fut composé vers 100. Ecrit en grec sous le titre 'EXsyyou xat àvoexfo^ç t5jç ^evSwvoVou. -pcôffEtoç piêXia tovte, il est parvenu jusqu'à nous dans une ancienne' traduction latine d'un style barbare, mais d'autant plus précieuse qu'elle est plus littérale. Quelques parties du texte grec ont été conservées par les hérésiologues du quatrième et du cinquième siècles, Epiphanius et Théodoret. L'évèque de Lyon est en outre l'auteur d'une lettre à Florinus, qui avait été avec lui disciple de Polycarpe et plus tard avait embrassé des opinions gnostiques (Eusèbe, Hiti. eccl., V, 20), d'une lettre à Victor, évoque de Rome à l'occasion des controverses sur la fête de Pâques (Eusèbe, V, 24), d'un traité intitulé lapl axiapamç contre un certain Blastus sur le même sujet, de discours sur la foi (rapt mWto; Ifyi) adressés à un diacre de Vienne (Maximus,Il, p. 152). Tous ces écrits et peut-être d'autres encore sont perdus. Le peu de fragments qui en restent ont été publiés par les éditeurs de l'ouvrage contre les hérésies, parmi lesquels nous citons Ern. Grabe (Lond., 1702), le bénédictin René Massuet (Par., 1712) et surtout M. Ad. Stieren (Leipz., 1853, vol. in-8°). Ce dernier donne le texte le mieux revisé et a eu soin de réimprimer aussi les études de ses prédécesseurs sur la vie, les écrits e tla doctrine d'Iré-
née, parmi lesquelles celles de Massuet tiennent le rang le plus distingué. -Le volumineux traité contre les gnostiques renferme dans un premier livre l'exposition de leurs doctrines, notamment des systèmes de Valentin et de ses disciples qui avaient trouvé un nombre considérable d'adhérents dans les contrées voisines du Rhône. La réfutation est contenue dans les quatre livres suivants. Les gnostiques n'avaient pas l'intention de combattre le christianisme ils le présentent au contraire comme la vérité complète et définitive révélée, selon les uns, après des ébauches imparfaites de la science selon les autres, pour remplacer des religions absolument erronées. Mais la méthode qu'ils suivaient pour prouver cette thèse les mettait en contradiction avec les croyances de l'Eglise non moins que l'idée philosophique dont ils font le point de départ de leurs théories. Celleci était le dualisme, l'opposition absolue entre l'infini et le fini, entre l'esprit et la matière. Sur ce fondement emprunté à la philosophie païenne ils élevaient des systèmes où l'histoire du monde et des religions était l'histoire de Dieu même. La substance divine, à les entendre, à la suite d'une série de dégradations s'oblitérait dans la matière, pour se retrouver enfin dans Jésus, et Jésus est le sauveur, parce qu'il dégage les éléments spirituels enfermés dans le monde matériel. Jrénée a deviné avec un sûr instinct l'incompatibilité de la foi chrétienne avec ce panthéisme à base dualiste qui transforme les progrès de la pensée humaine en autant de phases dans l'évolution de la substance divine, et il met en pleine lumière que les gnostiques, au lieu de démontrer comme ils le pensent la vérité du christianisme, en détruisent en réalité les dogmes fondamentaux, la monarchie divine, la rédemption et les espérances des chrétiens. Ainsi, dit-il, en rapportant, comme le dualisme l'exige, la création du monde à un être inférieur au Dieu suprême et séparé de lui par une série d'émanations toujours moins parfaites, ils ne font que ressusciter le polythéisme et la mythologie païenne sans résoudre les difficultés qu'ils cherchent à éviter, et sans sauvegarder l'absoluité deDieu. Lesimperfections du monde, le mal physique et moral/en effet, pour être l'œuvre d'un éon subalterne n'en dérivent pas moins du Dieu suprême, et celui-ci n'est pas l'absolu, si en dehors de sa substance il y a une matière rebelle à son action. Les principes gnostiques conduisent ensuite à nier la rédemption. Si Jésus n'a pas eu un corps matériel comme le nôtre, mais seulement l'apparence d'un corps humain (et tous les gnostiques sont docètes à quelque degré), alors étranger à l'humanité il n'en peut être le sauveur, et tous les faits sur lesquels la chrétienté fonde sa rédemption ne sont plus que des mythes. En partageant le genre humain en natures charnelles, psychiques et spirituelles et en limitant l'action de Jésus à ces dernières qui sont seules capables d'entrer dans la communion du Dieu suprême, les gnostiques détruisent du même coup et la liberté de l'homme et l'universalité du salut. En niant enfin la résurrection des corps, ils suppriment une bonne partie de l'espérance des chrétiens. – Irénée, comme on le voit par ces exemples, dans la critique qu'il fait des systèmes
gnostiques, signale moins leurs contradictions internes, qu'il ne fait ressortir leur caractère incompatible avec la conscience chrétienne. Ils sont faux et condamnables à ses yeux parce qu'ils heurtent toutes les idées reçues aussi aux écarts de la spéculation individuelle, Irénée opposa la foi de l'Eglise catholique. Mais cette foi où se trouve-telle énoncée catégoriquement et quels en sont les témoins attitrés? L'Ecriture, œuvre des prophètes et des apôtres inspirés de Dieu, larenferme sans doute, et quand il s'agit de prendre la défense de l'Ancien Testament contre les attaques de Marcion, l'évêque1 de Lyon déclare que le même Dieu a fondé les deux alliances, et qu'il a révélé graduellement la vérité religieuse en dispensant à ses organes, depuis les patriarches jusqu'aux apôtres, avec une mesure croissante de son esprit, la connaissance de plus en plus complète de sa personne et de sa volonté. Mais l'Ecriture n'était qu'un fondement vacillant pour y asseoir le dogme. Les partis les plus divers invoquaient son témoignage et,l'interprétant allégoriquement chacun à sa guise, la faisaient parler en faveur de leurs doctrines. Le sentiment était général que les discussions théologiques ne pouvaient pas se vider sur le terrain de l'exégèse, qu'en outre du code révélé il fallait encore être en possession de son interprétation authentique. Irénée, qui partage cette manière de voir de ses contemporains, corrige comme il suit les défectuosités de l'argumentation scripturaire. Les apôtres, auteurs du Nouveau Testament, dit-il, ont confié la tradition sur le sens véritable de leurs écrits, aux évoques leurs successeurs, munis d'un don spécial, du charisme de la vérité, pour conserver intact le précieux dépôt. C'est donc aux Eglises notoirement fondées par les apôtres et à leurs évoques qu'il faut recourir pour connaître la vérité chrétienne, en particulier à celle de Rome où Pierre et Paul ont enseigné. Le système catholique tout entier est impliqué dans cette thèse et Irénée passe à bon droit pour un de ses promoteurs les plus éminents. La tradition doctrinale des apôtres, où la foi commune des Eglises est résumée dans la règle de foi (xavwv xr^ akrfiitat ou nwmwç). Elle comprend (Ir., I, 10, 1) la croyance à un seul Dieu tout-puissant créateur du monde, à un seul Christ, le fils de Dieu incarné pour le salut de l'humanité, Jésus, né d'une vierge,mort pour nos péchés,ressuscité et monté au ciel dans un corps de chair (eviapxo;) et devant revenir sur laterre pour ressusciter et juger tous les hommes, enfin à l'esprit saint qui par les prophètes a annoncé toute l'économie du salut. Tout enseignement qui concorde avec cette foi est chrétien, toute doctrine contraire en quelque point est intolérable dans l'Eglise. La règle de foi d'Irénée, bien que posant des bornes à la spéculation individuelle, est encore assez large pour ne pas entraver l'essor de la pensée. Irénée lui-même, que généralement on se plait à représenter comme un penseur médiocre, plus préoccupé de trouver le juste milieu entre les opinions extrêmes que de pénétrer an fond des questions dogmatiques, se meut avec une grande liberté dans le cercle tracé par la règle de foi, et il se distingue assez de ses contemporains pour permettre de reconnaître l'originalité de ses
conceptions. Il n'expose, il est vrai, nulle part dans son ensemble le système théologique qu'il a élevé sur la base de la règle de foi, et nous n'essayerons pas de le reconstruire, en en rassemblant les pièces éparses dans sa polémique contre les gnostiques. Il suffira d'esquisser quelques-unes de ses pensées pour montrer la vigueur philosophique de son esprit. La christologie d'Irénée mérite à ce point de vue une mention particulière. L'homme, dit-il, est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Le premier Adam ne possédait que l'image, la puissance de ressembler à Dieu. La virtualité est devenue une réalité dans Jésus, le second Adam. La manifestation de Dieu, qui n'était qu'indiquée dans Adam, s'achève en lui et l'idée de l'homme, ébauchée seulement dans Adam, arrive en sa personne à son expression adéquate à la pensée divine. Entre Adam et Jésus il n'y a que la différence de l'idée à la réalité. Il s'ensuit que les deux natures en Jésus ne sont pas juxtaposées seulement, elles se sollicitent au contraire mutuellement et l'une est le complément de l'autre: la nature divine aspire à se réaliser dans la nature humaine, la nature humaine aspire à arriver à son développement définitif en s'assimilant la nature divine l'union à laquelle elles tendent l'une et l'autre est prévue et voulue par Dieu de toute éternité. On voit que pour Irénée le point essentiel de la christologie était l'union de la divinité avec l'humanité; on comprend qu'il n'avait nul intérêt à la personnalité du Logos et au mode de son origine, a accentuer sa position entre les monarchiens et les subordinatiens, et l'on peut regretter que l'Eglise, au lieu de suivre la voie qu'il lui avait tracée, se soit engagée dans d'interminables débats sur la différence et les rapports des hypostases divines et la manière dont s'est effectuée l'union des deux natures en Jésus-Christ pour aboutir finalement à l'impasse du Symbolum Quicumque. La doctrine d'Irénée sur la rédemption présente un caractère trop juridique pour trouver des imitateurs, mais elle se recommande à l'attention par son originalité. La mort de Jésus y joue le rôle essentiel; mais cette mort n'est pas comme dans le dogme orthodoxe une satisfaction donnée à Dieu pour les péchés de l'humanité; elle est au contraire l'effet d'une méprise du diable par suite de laquelle celui-ci se voit légitimement privé de ses droits sur le genre humain. En induisant Adam à désobéir à son créateur, le diable avait acquis sur lui et ses descendants pécheurs comme lui un pouvoir souverain, dont la mort physique est le signe et la sanction. Mais ce droit il ne l'exerce que sur les pécheurs. Il outrepassait ses pouvoirs en faisant mourir le saint sans reconnaître en lui le Logos incarné. Jésus, vainqueur du diable par son obéissance à la volonté divine, s'est acquis en retour le droit d'arracher à son empire l'humanité qu'il détenait captive. On voit aussitôt la conu0xiun de ce dogme avec celui de la double nature du Christ. Le Fils de Dieu seul était capable d'une sainteté parfaite mais pour que cette sainteté profitât au genre humain, il fallait qu'il fût homme. Le diable perd son empire sur l'humanité, parce que dans le Fils de
l'homme il n'a pas reconnu le Fils de Dieu. La façon juridique de concevoir la rédemption se maintint depuis Irénée, à la différence près qu'aux deux puissances se disputant l'empire sur l'humanité, on substitua plus tard les deux attributs divins de la justice et de l'amour, ce dernier ne pouvant se manifester qu'autant que la justice était satisfaite. Nous terminons par un mot sur l'eschatologie. De même qu'Irénée ne voit pas dans la création du monde une œuvre indigne du Dieu suprême, ni dans la matière une substance impénétrable à son esprit, il laisse subsister aussi l'élément matériel dans le monde futur. Jésus entre muni de son corps dans la communion de son Père, et comme lui les fidèles ressuscitent corporellement pour entrer dans la gloire éternelle. La substance du monde et de l'homme persiste, la figure seule change et revêt l'impérissabilité. Comme le verbe premier-né de Dieu est descendu dans la créature et la remplit, la créature à son tour remplie du verbe et faisant un seul corps avec lui s'élèvera jusqu'à lui par delà les anges et ne portera plus seulementl'image de Dieu, mais sera transfigurée à sa ressemblance. On peut trouver que l'évoque de Lyon attache une importance excessive à la persistance des corps il suffit pour l'excuser de dire que l'antiquité en général concevait la personnalité seulement comme circonscrite dans un espace déterminé. L'essentiel est encore ici la ressemblance parfaite avec Dieu, destination de l'homme depuis la création, préfigurée dans le verbe incarné, s'accomplissant par son esprit, et consommée dans l'éternité. – La théologie d'Irénée a été de notre temps exposée, soit dans ses détails soit dans son ensemble, par Baur, Geschichle der Lehre von der Versœhnung, et Geschichie der Trinltœtslehre; Dorner, Enlwlckluiigs Geschichte der Lehre von der Person Ckrisii Denker, Die Chrislologie deslrenxus im Zzcsayn~nenJva~~g mit dessev theolog. u. anihrop. Grundlehren, 1843; Bœhringer, Die chrîslliche Kircheunclihre Zeugen,l" vol.; Ziegler, Irenœus der Bischof von Lyon, 1871. Malgré la valeur incontestable de ces travaux, elle mériterait une étude nouvelle, qui mît mieux en relief l'idée mère du système et la cohésion de toutes ses parties.. A. Kavser. IRÉNÉE, évêque de Tyr, vivait au cinquième siècle. En 431 il représenta Théodose II au concile d'Ephèse et embrassa le parti des nestoriens puis, se rendant à Constantinople, il essaya de s'emparer de l'esprit de l'empereur; mais ce prince se prononça contre les nestoriens et bannit Irénée de la cour. L'an 444, ce dernier fut nommé évêque par les prélats orientaux qui partageaient ses opinions mais un décret impérial le déposa de l'épiscopat, et le priva du caractère ecclésiastique (448). Dans sa retraite, Irénée écrivit une histoire de la controverse nestorienne intitulée Tragœdia, seu commentarii de rebus in syiudo Ephesix ac in Oriente gestis; il n'en reste que des fragments qui ont paru sous ce titre Variorum Patrum Êpistolse ad concilium Ephesium pertinentes, Louvain, 1082. -Voyez Mansi, Sacr. concil. nova et amplissima collectio, V, 417-731 Tillemont, Jlémoireç, XIV.
IRÉNIQUE ou HÉNOTIQUE. On appelle de ce nom une science qui a
pour but de compléter la Polèmiqne dont elle est pour ainsi dire la contre-partie. Tandis que la polémique s'applique à découvrir les erreurs de chaque système ou de chaque Eglise, en les ramenant à leur principe fondamental, l'irénique, au contraire, prend pour tâche de rechercher les éléments communs de vérité que renferment des systèmes opposés ou des Eglises rivales, afin de les déterminer à se. rapprocher, à s'unir par le aûvosop-oç 1% dp-far^ dont parle l'apôtre saint Paul (Eph. IV, 3). L'irénique, comme science, se distingue des essais ou tentatives pratiques d'union, qu'elle est destinée à préparer, à éclairer, à féconder. Ce qui, en effet, à diverses époques, a discrédité les tentatives de rapprochement soit entre l'Eglise catholique et l'Eglise grecque, soit entre l'Eglise catholique romaine et les Eglises protestantes, soit entre les diverses branches du protestantisme lui-même, c'est l'absence de principes ou de règles nettement déterminées qui auraient dû y présider. Sans parler des essais d'union ou de fusion qui cachaient un dessein déloyal, comme certains projets préconisés par les jésuites, on ne peut que s'applaudir d'avoir vu échouer les tentatives de pacification qui ne s'inspiraient que d'une pensée politique (centralisation administrative ou despotisme gouvernemental) ou celles qui émanaient d'individus ou de groupes d'individus, qui n'ayant qu'une idée vague ou incomplète des divergences de doctrine, d'organisation, de pratiques religieuses qui séparent les diverses Eglises, risquaient de sacrifier la vérité à la charité, le devoir de la fidélité au désir de la paix. Les services que l'irénique, comme science, est appelée à rendre ressortent suffisamment des considérations qui précèdent. On comprend aussi que cette science, de date toute récente, a pour mission principale de combattre l'esprit d'étroitesse dogmatique et d'intolérance ecclésiastique, et qu'elle reconnaît comme ses représentants ou du moins ses précurseurs les théologiens qui étaient animés du véritable esprit de largeur chrétienne, tels que Mélanchthon, Hugo Grotius, George Calixte, Spener, Leibnitz, Schleiermacher, Sam. Vincent, etc. Sources Durants, Irenicorum tractatuum Prodromus, Amstelod., 1662; Kœcker, Bibliotheca Iheologise irenicœ, Iéna, 1761; Winer, Handb. der theol. Literatur, 1838, I, p. 336 ss. Stark, Theoduls Gastmahl, 1828; Buohme, Chrisil. Henatikon, Halle, 1827; D. v. Cœlln, Ideen ùb.den iunern Zusammenhang von Glaubenseinigung u. Glaubensreinigungin derevang. Kirche, Leipz., 1823; L. Schmid, Der Geist des Kalholicismus od. Grundlegung der christl. Irenik, 1848 J. P. Lange, Christl. Dogmatik, Heidelb., 1852, t. III J. Millier, Dieevang. Union, Bresl., 1854; Schenkel, Unionsheruf des evang. Protesi., Heidelb., 1855; Martensen, Katholie. u. Proiesiani., Giitersloh, 1874; Danz, dans VEncycl. d'Ersch et Gruber, II, 23 ss.; Pelt, dans la Heal-Encykl, de Ilerzog, VII, GO ss., ainsi que l'article Union. F. Lichtfvrrrgkr. IRLANDE (Histoire religieuse). L'histoire religieuse de l'Irlande se divise assez naturellement en cinq périodes. La première va des origines à l'invasion anglo-normande la seconde se termine à la Réformation la troisième conduit jusqu'à l'avènement de la dynastie
d'Orange et est remplie par la persécution violente la quatrièmeest l'époque de la persécution légale et des lois pénales; la cinquième enfin est l'ère de la réparation, et elle dure encore. 1 (430-1169). L'Irlande n'avait pas suhi le joug de fer de l'empireromain. Le génie celtique avait pu s'y développer librement, et « il y avait créé, dit M. de Montalcmbert, une langue, une poésie, un culte,. un enseignement, une hiérarchie sociale, en un mot une civilisation égale et même supérieure à celle de la plupart des autres peuples- païens» » (~lloines d'Occ., t. 111, p. 80). Les premiers missionnaires de la foi chrétienne y furent Albe, Declan, Iber et Kirian, dont la tradition n'a guère fait que conserver les noms. Palladius, envoyé par le pape Célestin, arriva dans la troisième année du règne deLéogaire (Lae-ra). Il fonda trois églises, mais dut s'enfuir devant les mauvaises dispositions des insulaires. Ce fut Patrick (387-403) qui. fut le véritable apôtre des Irlandais. Il avait étudié dans les monastères de îlarmoutier et de Lérins et avait accompagné Germain d'Auxerre dans sa mission en Grande-Bretagne. Une captivité de six ans en Irlande l'avait familiarisé avec la langue et les mœurs du peuple. Envoyé par Célestin pour renouveler la tentative avortée à& Palladius, il partit accompagné de vingt auxiliaires, qui s'élevèrent à trente-deux en traversant l'Angletcrre. Ils faillirent être massacrés en débarquant. Patrick ne se laissa pas décourager. Il convertit le chef du district d'Ulster avec sa famille et, l'année suivante, Léogaire, le principal roi de l'île. La supériorité morale et intellectuelle du missionnaire breton et de ses compagnons frappa vivement les indigènes qui se laissèrent baptiser sans trop de résistance. Des. monastères et des églises furent fondés en grand nombre; la plus. célèbre de ces fondations fut Armagh, où accoururent de loin de nombreux étudiants. Patrick fut législateur en même temps quemissionnaire, et sa participation au Sanchus Mor, ce recueil des vieilles lois celtiques que l'on a republié de nos jours (1805) paraît incontestable. La Confession de saint Patrick (publiée pour la première fois par sir James Ware, Lond., 1656, réimp. dans GaUundii- Bibl. Pair., vol. X, et dans la Patrologia de .Aligne, vol. LIII, p. 802),. est un écrit de sa vieillesse, souvent obscur et emphatique, mais d'une authenticité généralement admise. Cet écrit est très évangélique et se tait sur la suprématie du siège de Rome et sur les doctrines spécialement romaines. Brigitte, qui est demeurée la patronne de l'Irlande comme Patrick en est le patron, propagea comme lui l'institution monastique. Ce germe planté par eux fut fécond. Nulle contrée n'eut autant de monastères que l'Irlande quelques-uns, comme Bangor et Clonfert, renfermaient plus de trois mille cénobites. C'étaient de vrais clans organisés sous une forme religieuse. C'étaient en même temps des foyers do vie studieuse, où accouraient des élèves de la Grande-Bretagne et du continent. On y cultivait, outre les lettres anciennes, la musique, la calligraphie et l'art de la miniature. Là se formait aussi toute une armée de missionnaires qui se répandirent dans toute l'Europe. Columba fonde le célèbre mo--
nastère d'Iona, d'où la lumière et la vie se répandent sur l'Occident. Aidan, Finan, Colman évangélisent la Grande-Bretagne. Colomban parcourt la Gaule, y fonde Luxeuil, et va finir sa vie en Lombardie, dans le couvent de Bobbio qu'il a aussi fondé. Argobast s'en va prêcher l'Evangile en Alsace, Hillairc et Gall en Helvétie, Kilian en Thuringe. Au huitième siècle, un Irlandais, Sedulius, est évêque en Espagne, et un autre, Ferghal ou Vergelius, occupe le siège de Salzbourg. Ilne faudrait pas toutefois prendre trop à la lettre ce surnom d'île des saints que porte l'Irlande d'alors. Les mœurs du peuple n'avaient pas cessé d'être rudes et. sauvages, et les clans guerroyaient entre eux avec un acharnement et des cruautés dignes de l'époque païenne. L'organisation ecclésiastique était à peine ébauchée. Il y avait des prêtres et des évoques, mais non des paroisses et des diocèses. L'harmonie entre les chefs et les évoques était souvent troublée, et ces rivalités aboutirent plus d'une fois au pillage des églises et au bannissement des évoques. Il y eut également des luttes fort vives entre le clergé irlandais et les prêtres bretons. L'Eglise d'Irlande défendait avec un soin jaloux ses coutumes et son autonomie contre ses voisins et contre le siège de Rome. Son illustre missionnaire Colomban revendiquait avec énergie contre les évoques des Gaules et d'Italie, et contre le pape lui-même, la liberté chrétienne de ses compatriotes sur la question de la Pàque et sur d'autres points importants, et ce Celte mettait une franchise pleine de rudesse dans les admonestations qu'iladressait aux prélats latins. Rome supportait impatiemment de telles résistances. Elle essaya d'intéresser à sa cause les envahisseurs danois. Le premier légat romain en Irlande fut l'évoque danois Gilbert, de Limerick (1108). En 11 51, le pape envoie le pallium et le titre d'archevêques aux évoques d'Armagh, de Gashel, de Dublin et de Tuam. L'année suivante, le synode de Kclls, sous la direction de l'évêque Papiron, reconnaît formellement la suprématie de Home. Ce fut sans doute pour se mieux assurer de la fidélité de l'Irlande que le pape Adrien IV, Anglais lui-même d'origine (Nicolas Breakspeare) la livra aux Anglais, alors fervents catholiques. La bulle adressée, en 1156, au roi d'Angleterre Henri II, montre avec quelle facilité le saint-siège croyait pouvoir disposer des royaumes de la terre. Il y est dit que toutes les îles lui ont été données de Dieu pour en disposer son gré [Hiberniamelomnes insulas, quibus Sol juslitix Christus illuxit, ad jusbeali Pétri et sacrosanclx Ecclesix non est dubium perlinere). Adrien IV, usant de ce prétendu droit, donne en toute propriété l'Irlande au roi d'Angleterre. à condition que le denier de saint Pierre soit régulièrement versé dans le trésor pontifical (De singulis ejus c!ornibus annuom ejus denarii beato Petro solvere pensionnent) (Mathieu Paris, Grande chronique, t. I). II (1109-1333). La première invasion des Anglo Normands sur le sol do l'Irlande remonte à 1169. La conquête, qui mit quatre siècles à s'achever, fut favorisée par l'état de morcellement de la contrée, divisée en une foule de petits Etats rivaux. Elle eut aussi, dès l'origine, le concours des prélats irlandais qui, obéissant aux ordres de Rome, reconnurent les droits du roi
d'Angleterre. En i 172, le concile de Cashel plaça l'Eglise d'Irlande sous la suprématie du primat d'Angleterre et modifia dans un sens romain les particularités de son culte. En 1173, Henri II écrit au pape Alexandre III « Le royaume d'Angleterre est sous ta juridiction; et, quant au droit féodal, je ne relève que de toi seul. » Le pape récompensa l'obséquiosité du roi en confirmant la donation faite par son prédécesseur. « L'Angleterre, dit fort justement Wordswoith, fit de la papauté son instrument pour subjuguer l'Irlande, et, par une rétribution méritée, l'Irlande a servi d'instrument a la papauté contre l'Angleterre. » Les évoques ralliés mirent.les foudres ecclésiastiques au service de leur nouvelle foi politique, mais ils rencontrèrent une vive résistance chez les populations et au sein du bas clergé. Deux documents peuvent donner quelque idée de la situation faite au clergé indigène par la conquête. L'un est la Remonstrance oflhe Irish Chieftains adressée en 1318 au pape Jean XXII les chefs irlandais s'y plaignent des outrages auxquels le clergé national est en butte de la part des envahisseurs étrangers, qui emprisonnent et bannissent les. prêtres qui leur résistent. L'autre document est le Statut deKilkenny, œuvre du parlement irlandais de 1367. Il y est ordonné qu'aucun Irlandais ne sera admis à exercer de fonctions ecclésiastiques parmi les populations d'origine anglaise établies en Irlande. A cette interdiction s'en joignirent d'autres aussi impolitiques que tyranniques. Il fut interdit aux Anglais de contracter mariage avec des Irlandais, de parler leur langue, de se vêtir comme eux, de les admettre dans les emplois publics, etc. Une pareille politique cLait faite pour exaspérer les vaincus et les maintenir en état de perpétuelle hostilité. Aussi, quatre siècles après l'invasion, la conquête restait précaire et contestée. Il y avait une colonie anglaise en Irlande, mais des provinces entières conservaient leur autonomie. III (1535-1088). L'Angleterre, devenue protestante, acheva la conquête matérielle de l'Irlande, mais se rendit impossible la conquête morale d'un peuple qui se refusa à la suivre dans son évolution religieuse. L'opposition qui s'établit alors entre la religion des conquérants et celle du peuple conquis éleva une nouvelle barrière entre les deux races. Il arriva même, par un étrange renversement des rôles, que, tandis que l'Angleterre, jusqu'alors aveuglément soumise au siège pontifical, rompait,avec lui, l'Irlande, longtemps indépendante et novatrice dans sa foi, devenait la nation la plus catholique de l'Europe. En essayant de l'entraîner après elle dans les voies de la Réforme, l'Angleterre agissait encore plus par politique que par zèle religieux. L' Irlande allait en effet devenir « le point de mire de tous les pays catholiques qui voulaient renverser le protestantisme en Angleterre; elle allait être l'espoir de la cour de Rome et le centre où aboutissaient toutes les intrigues des papes, de l'Espagne et de la France » (L'Irlande, par G. de Beaumont, t. I, p. 48). Henri VIII put croire un moment que ses innovations seraient acceptées aussi facilement en Irlande qu'en Angleterre. Le parlement sanctionna avec une servilité absolue l'Acte de suprématie qui faisait passer du pape au roi l'autorité reli-
IRLANDE il n~ -_t 1._ __1.t .7.
gieuse il interdit l'appel à Rome et supprima la plupart des monastères. Le haut clergé, dès longtemps formé à l'obéissance, consentit à tout ce qu'on lui. demanda; l'archevêque de Dublin trouva dans les pères de l'Eglise des arguments pour justifier son évolution. Le bas clergé ne se soumit pas aussi facilement que ses chefs. Il se mit à la tête d'une résistance qui s'appuyait sur le réveil de l'esprit national. L'Irlande repoussait la Réforme, dès la première heure, parce qu'elle s'offrait à elle avec le patronage suspect de l'Angleterre. Une tentative de soulèvement, dirigée par O'Neill, fut écrasée par lord Grey, et les chefs firent leur soumission. Sous le règne d'Edouard VI la plupart des évoques adoptèrent la liturgie en langue anglaise l'archevêque d'Armagh fut chassé de son siège pour avoir résisté. Le règne de Marie ramena naturellement au catholicisme la plupart de ceux qui l'avaient abandonné. Avec Elisabeth se consomma la conquête définitive del'Irlande, pour laquelle elle dépensa quatre-vingt-six millionsde francs. Un synode d'évêques irlandais fit acte d'adhésion à la Réforme, et tous prêtèrentle serment de suprématie, à l'exception des évoques deMeath et de Kildare, dont la résistance entraîna la révocation. Les vastes domaines de l'Eglise romaine, les édifices consacrés à son culte, les dîmes qu'elle prélevait, furent en grande partie attribués à la nouvelle Eglise, qui fut surtout à l'origine un instrument de gouvernement. Le secrétaire du gouvernement irlandais en 15-44, Waterhouse, comprenait si bien ainsi le rôle de l'Eglise établie, qu'il demandait à Elisabeth de conférer les évêchés vacants à des soldats expérimentés, « n'y ayant ni signe de religion ni place pour la justice jusqu'à ce que le sabre ait ouvert le chemin à la loi. » La masse de la nation se refusa plus que jamais à suivre ses chefs, et l'Eglise catholique se réorganisa en dehors de la tutelle du pouvoir civil. Sous Elisabeth d'ailleurs, il n'y eut pas de persécution violente; on se borna à interdire la célébration du culte catholique. Ce fut sous Jacques Ie1', fils de la catholique Marie Stuart, que la persécution prit un caractère de violence. La protestantisation de l'Irlande paraissait toujours plus au gouvernement anglais une nécessité politique absolue, mais tous les efforts faits dans ce but devaient échouer contre l'obstination d'un peuple qui faisait de sa religion le dernier boulevard de sa nationalité. Le vice-roi dépeignait à Jacques l'état du pays en lui disant que l'atmosphère et le sol même étaient infectés de papisme. Avec les dispositions respectives des partis en présence, la lutte devenait inévitable. Trois princes irlandais, Tyrone, Tyrconnell et Dogerthy, levèrent l'étendard de la révolte. Jacques châtia cette révolte en confisquant les six comtés du Nord où elle avait pris naissance, et en en distribuant les terres à des colons anglais et écossais. C'est ce qu'on appela la plantation de l'Ulster. Le roi justifiait par l'intérêt religieux cette expropriation en masse de toute une population « Attendu, disait-il, que la province d'Ulster, dans notre royaume d'Irlande, s'est grandement écartée, pendant ces dernières années, de la vraie religion du Christ et de sa divine grâce pour s'abandonner aux superstitions, et que, par suite, elle a été accablée et dévastée par des luttes intestines et par les
armées étrangères; nous sentant plein de compassion pour le misérable état où cette province a été réduite par la superstition, la rébellion, la calamité et la pauvreté qui y ont fait d'horribles ravages, nous avons estimé que c'était une œuvre digne d'un prince chrétien et de notre royal office de ramener cette province à la religion; à l'obéissance et à la prospérité. » Ce furent surtout les Ecossais presbytériens qui vinrent occuper les terres confisquées, et c'est de cette époque que date l'établissement d'une forte colonie presbytérienne dans le Nord. Les expropriations se continuèrent sous Charles Ier, qui ne songea aménager les Irlandais que lorsque sa. situation devint désespérée en Angleterre; il fit alors avec les insurgés d'Irlande un traité secret dont la découverte acheva de le perdre. Dès octobre 1611, l'Irlande avait essayé de profiter des querelles du roi et du parlement pour secouer le joug anglais. Une insurrection formidable avait éclaté trente mille insurgés s'étaient jetés sur les colons anglais qu'ils massacrèrent sans pitié « On voyait dit Leland, des prêtres irlandais encourager le carnage. Les femmes, oubliant la retenue de leur sexe, accablaient les Anglais de leur exécration, et plongeaient leurs mains dans le sang. Les enfants euxmêmes essayaient le fer contre la poitrine de malheureux sans défense. » En peu de temps douze mille protestants, d'après l'évaluation la plus faible, cent mille, selon l'évaluation la plus forte, périrent égorgés. Les représailles furent terribles. Mais ce fut surtout quand la tête de Charles Ier fut tombée, et que l'Irlande eut pris parti pour Charles II contre la République, que celle-ci, lihre enfin de ses mouvements, entreprit de vaincre et d'anéantir d'un coup le catholicisme et la réaction royaliste. L'armée anglaise, commandée par Cromwell, porta partout avec elle le carnage et l'incendie. L'Irlande terrorisée déposa les armes. Alors recommencèrent les expropriations et les transportations en masse. Dans l'impossibilité d'exiler d'Irlande tous les Irlandais, on voulut parquer les catholiques dans une province spéciale, le Connaught. Toutes ces injustices et toutes ces cruautés ne servirent qu'à démontrer l'impuissance de la violence à dompter les âmes; les catholiques vaincus demeuraient plus attachés que jamais à leur culte, et ils étaient encore dans la proportion de huit contre un protestant. La restauration des Stuarts n'améliora pas sensiblement la condition des catholiques irlandais. On accorda à l'Irlande la réunion de son parlement, mais on en exclut les catholiques en exigeant des membres le serment de suprématie; la Chambre des lords alla même jusqu'à décider que chacun de ses membres devrait recevoir la communion, selon le rite anglican, des mains de l'archevêque d'Armagh. Charles II, qui essayait de favoriser les catholiques anglais, ne fit rien pour ceux d'Irlande et prit même sa part de leurs dépouilles. Il ne leur restait, à la chute des Stuarts, qu'un onzième du sol du pays, et encore cette faible portion du domaine national était concentrée aux mains de quelques familles nobles. IV (1G88-177G). Avec l'avènement de la maison d'Orange cesse pour le catholicisme irlandais la persécution violente et commence
la persécution légale. C'est l'époque des fameuses lois pénales, décrétées par le parlement asservi d'Irlande et mises en vigueur par l'Angleterre. Le culte catholique est toléré, les prêtres ne sont plus bannis, mais une législation draconienne gêne l'exercice publjc du culte et rend presque impossible le recrutement du clergé. Le sol de l'Irlande est interdit, non seulement aux ordres monastiques, mais même aux évoques. Ceux qui auraient tenté de revenir étaient passibles de la peine de mort. Les prêtres séculiers admis à séjourner dans le pays étaient placés sous une stricte surveillance, tenus de payer caution et de ne pas s'éloigner de leur comté. Défense leur était faite de porter un costume particulier. Leurs églises ne devaient • avoir ni cloches ni clochers. Une pension allant de vingt à quarante livres sterling récompensait le prêtre qui> abjurait sa foi. Un catholique ne-pouvait être instituteur sans encourir la peine du bannissement. Les parents, qui ne pouvaient pas faire instruire leurs enfants par des maîtres ayant leur confiance, n'avaient pas même le droit de les envoyer à l'étranger. Les catholiques étaient exclus de tous les emplois publics armée, marine, magistrature, administration; ils n'étaient ni éligibles ni électeurs. La plupart des professions libérales leur étaient fermées. Ils pouvaient prendre à bail des terres, mais non en acheter. Les restrictions et les entraves qui les attendaient dans les carrières industrielles et commerciales équivalaient à-une prohibition. La. loi ne respectait pas même la famille; elle interdisait les mariages mixtes, donnait des tuteurs protestants aux orphelins catholiques et favorisait abusivement, dans le partage des biens paternels, l'héritier qui avait renoncé au catholicisme. Telles étaient ces lois pénales dont Edmond Burke disait que « c'était le plus habile et le plus puissant instrument d'oppression qui ait jamais été inventé par le génie pervers de l'homme pour ruiner, avilir, dépraver une nation, et corrompre en elle jusqu'aux sources les plus inaltérables de la nature humaine. » Il est certain que le caractère extrême de cette législation en rendait impossible l'application constante et uniforme; en même temps que les passions religieuses se refroidirent, un grand nombre de restrictions tyranniques tombèrent en désuétude. La persécution fut d'ailleurs aussi impuissante sous sa forme légale que sous sa forme violente l'Irlande se refusait à changer de culte. Il y avait, vers le milieu du siècle dernier, outre les chapelles particulières, huit cent quatre-vingt-douze lieux de culte publics appartenant au catholicisme. Quant à l'Eglise anglicane, elle fut, pendant cette longue et sombre période, une institution encore plus politique que religieuse. Elle n'avait de force que celle qu'elle puisait dans sa situation privilégiée et c'était cette force même qui la rendait irrémédiablement faible. Plus on la comblait de bienfaits et plus on la discréditait. On lui imputait a crime, comme si elle les eût commis elle-même, les abus de la forre et de la légalité qui étaient commis en sa faveur. Elle ne faisait rien d'ailleurs pour se faire pardonner les immenses privilèges dont elle jouissait. Ses ministres, entretenus au moyen des dîmes et des rede-
vances levées sur les catholiques comme sur les protestants, étaient souvent des hommes sans piété, adonnés à une vie de plaisir et incapables de relever le niveau moral du pays. Les presbytériens du Nord, envahis par l'arianisme et l'indifférence, étaient également incapables d'accomplir une mission de relèvement religieux. Cette mission échut à Wesley et à ses disciples qui, dès 1746, commencèrent en Irlande une œuvre d'évangélisation qui fit connaître à ce malheureux pays une forme du protestantisme dégagée de toute compromission politique. Le méthodisme remporta des succès nombreux, tant parmi les catholiques que parmi les protestants. Il compta toute une succession d'intrépides évangélistes, Walsh, Averill, Ouseley, pour n'en ̃ nommerque quelques-uns. Son influence s'étendit sur l'Eglise établie elle-même, dans laquelle 'se produisit un commencement de réveil. Y (1776-1879). L'Irlande avait dormi près d'un siècle, sous le dur régime des lois pénales. Elle se réveilla au bruit des revendications énergiques des colonies américaines, dont le retentissemnet arrivait jusqu'à elle à travers l'Atlantique, et elle se souvint qu'elle avait, elle aussi, de justes griefs. Les Anglais, rendus sages par la perte de leurs colonies, accordèrent une première satisfaction à l'Irlande en adoucissant les lois pénales. Mais le branle était donné aux esprits, et de nouvelles réclamations amenèrent de nouvelles concessions Le parlement. irlandais éleva la voix; les volontaires réunis en armes demandèrent des réformes. Les protestants irlandais étaient à la tête du mouvement les presbytériens surtout, en qui se réveillaient de vieux instincts républicains, se remuaient. L'écho retentissant de la révolution française de 1789 vint achever d'enflammer les âmes. L'Angleterre, en présence de ce flot montant qui la menaçait, abolit en 1793 les derniers restes des lois pénales. Mais elle profita peu après du mouvement de réaction que produisaient les excès révolutionnaires de la France pour dissoudre les corps de volontaires et occuper militairement le pays. L'insurrection de 1798 amena de terribles répressions. L'Angleterre victorieuse châtia une révolte toute politique par une mesure politique; par l'Acte d'union (1800) elle abolit le parlement irlandais, qui n'avait été qu'un instrument de tyrannie, et décida que l'Irlande enverrait désormais ses représentants siéger au Parlement commun du royaume. Après l'insurrection avortée de 1803, l'ordre se rétablit. Mais bientôt s'élèvent les voix de plus en plus nombreuses de patriotes qui demandent l'émancipation parlementaire des catholiques. Ces revendications donnent naissance à l'Association catholique, qui a pour chef et organe Daniel O'Connell, dont l'audace n'est égalée que par la sagesse. L'Angleterre s'obstinant à refuser l'émancipation, le comité de Clara tente de forcer les portes du parlement britannique en nommant O'Connell, bien que sa qualité de catholique le rendît inéligible. Le 13 avril 1829 enfin, est voté le bill qui ouvre le parlement aux catholiques. On était entré dans la voie des grandes réformes et des réparations équitables, et la conscience publique exigeait qu'on allât jusqu'au bout. En 1833, le gouvernement fonda un système d'éducation populaire qui réunissait
sur les mêmes bancs, dans des écoles dites nationales, les enfants de toutes les communions. Dans ces écoles des maîtres communs enseignent les connaissances générales, tandis que l'enseignement religieux est réservé aux ministres de chaque culte. A la tête de l'institution est placé un comité composé en nombre égal de catholiques et de protestants. Le système a bien fonctionné à l'origine, grâce surtout à la présence simultanée à Dublin d'un évêque anglican et d'un évêque catholique également éclairés et tolérants. Depuis lors l'institution a été attaquée des deux côtés le clergé anglican l'a combattue par la fondation de la Church Education Society, qui ne lui a pas fait une concurrence sérieuse; et, d'un autre côté, le docteur Cullen et la partie la plus remuante du clergé catholique ont dirigé contre les écoles nationales leurs plus virulentes attaques, sous prétexte que les évoques seuls ont reçu de Jésus-Christ la mission d'enseigner. La question de la dîme ecclésiastique appelait aussi une réforme. Les catholiques irlandais opposaient une résistance de plus en plus vive à cet impôt injuste qu'on exigeait d'eux pour faire vivre une Eglise rivale. Le parlement dut à diverses reprises voter de larges crédits pour suppléer au déficit créé par ces résistances dans les revenus ecclésiastiques. Il adopta, en 1833, le Church Reform Act, qui supprimait deux sièges archiépiscopaux et huit sièges épiscopaux, abolissait les non-cures (paroisses sans paroissiens), réduisait de 25 pour cent les dîmes et les mettait à la charge du propriétaire foncier. Malgré les atténuations apportées à ses privilèges, l'Eglise établie demeurait debout comme le témoin et le complice de la tentative avortée de faire violence à la conscience d'un peuple. Il fallait que sa situation privilégiée cessât, pour que la réconciliation put être complète entre l'Angleterre et l'Irlande. Un homme d'Etat libéral, M. Gladstone, le comprit et voua son talent à faire réussir la cause du disestablishment de l'Eglise d'Irlande. Cette Eglise comptait 12 évêques, 622 vicaires et 1,510 ministres, avec un revenu net de 11,191,750 fr., pour une population qui ne s'élevait pas à 700,000 âmes, soit l'i pour cent de la population totale de l'île. Les ressources de l'Eglise établie provenaient du revenu de ses terres, du produit de la dime et d'un certain nombre de rentes. Les évoques étaient pairs d'Irlande et, depuis l'Acte d'union, quatre d'entr'eux siégeaient tour à tour à la Chambre des Lords. La situation privilégiée du clergé anglican contrastait avec la situation plus que modeste du clergé catholique soutenu par l'obole de ses fidèles c'était, pour employer la comparaison de M. Lovvo, Lazare à côté du riche, avec cette différence que le Lazare irlandais n'avait pas même les miettes qui tombaient de la table du riche. L'Etat anglais bornait ses faveurs envers les catholiques irlandais à l'octroi de la liberté religieuse qu'ils avaient conquise de haute lutte et à un subside aimuel de 750,000 fr., que l'itt avait cru de bonne politique d'accorder au séminaire de Maynooth, afin d'empêcher les aspirants à la prêtrise d'aller faire leurs études en France. Malgré cette situation d'infériorité, le clergé avait trouvé dans le dévouement des fidèles des
ressources assez considérables pour fonder une université catholique et plusieurs collèges, sans parler de fondations pieuses et charitables qui s'élevaient au chiffre de 137 millions et demi de fr. depuis le commencement du siècle. Nous ne pouvons raconter ici les luttesparlementaires auxquelles a donné lieu la question du disestublishmenl dans les sessions de 1868 et 1869 elles comptent parmi les plus belles qui aient passionné l'Angleterre moderne. Après de longs débats la cause de la justice l'emporta sur les résistances de l'esprit de routine. Le bill de M. Gladstone fut voté à une grande majorité dans les deux Chambres, et, le lEr janvier 1871, l'Eglise épiscopale d'Irlande cessa d'être une Eglise d'Etat. Cette révolution pacifique, rendue plus facile par des mesures transitoires qui tinrent compte de tous les droits acquis, a été salutaire pour l'Eglise protestante épiscopale d'Irlande. Cette Eglise avait largement participé au réveil religieux de ce siècle et compté plusieurs hommes de valeur comme prédicateurs ou comme écrivains sa propagande avait porté des fruits surtout depuis la fondation en 1849 de sa société de Missions. Toutefois il lui manquait ce stimulant que donnent aux associations comme aux individus la liberté d'action et la nécessité de se suffire par leurs seuls efforts. Affranchie désormais de la tutelle de l'Etat, cette Eglise s'est réorganisée sur des bases libérales. Elle s'est donné des synodes généraux et diocésains, où les laïques délibèrent avec les pasteurs. Les uns et les autres prennent part, dans les synodes, à l'élection des évoques. Les traitements des dignitaires ecclésiastiques ont été considérablement réduits, et ceux de beaucoup de ministres ont été élevés. Le Frayer-Book a été remanié dans un sens protestant. L'Eglise, qui se mourait dans les bras de l'Etat, a repris vie et force depuis qu'elle est libre. Ses pasteurs ont plus de zèle depuis qu'ils ne sont plus fonctionnaires, et ses laïques sont plus généreux et plus dévoués depuis qu'ils ont une part dans l'administration de l'Eglise. Le protestantisme irlandais en général ne manque ni de vie ni d'activité. En 1806, il fondait la Société Biblique (Hibernian Bible Society) en 1809 la Société des Ecoles du Dimanche. D'autres fondations religieuses et charitables se sont multipliées depuis lors. L'Eglise presbytérienne a vu se produire une scission dans son sein. Elle institua, en 1828, une commission pour s'assurer de la foi évangélique des candidats au ministère. Cette mesure amena une scission dès l'année suivante. L'élément unitaire, qui s'était formé au sein de l'Eglise, en sortit et forma le Synode remontrant de l'Ulster, qui comptait, en 1871, 140 congrégations et 9,373 membres. Le synode général de l'Eglise presbytérienne a rendu obligatoire depuis lors l'adhésion explicite à la confession de Westminster. Les méthodistes se sont fortifiés, pendant ces dernières années, en faisant cesser des schismes peu justifiés qui s'étaient produits parmi eux. Le nombre des catholiques romains qui était en 1834 de 6,427,712, était tombé en 1871 à 4,141, 933, par suite de l'émigration qui a suivi la terrible famine de 1846-1847. Les protestants ont moins souffert, et, tandis qu'ils étaient en 1834 dans la proportion de 1 contre 4 catholiques, il sont actuellement 1
contre 3. Le catholicisme longtemps affaissé en Irlande a relevé la tête. Il est à regretter que, sous l'influence de son fougueux archevêque Paul Cullen, il se soit laissé entraîner en plein ultramontanisme. Un synode, convoqué à Thurles, a développé dans ce sens la discipline ecclésiastique, et a marqué ses tendances rétrogrades en mettant à l'interdit l'Université nationale. Cet esprit de réaction aveugle et haineuse peut susciter encore de graves embarras au gouvernement anglais, mais il ne réussira pas à arrêter le mouvement d'unification qui se poursuit et qui peut seul assurer le complet relèvement d'une race exceptionnellement douée et qui a été exceptionnellement malheureuse. -Sources: On peut consulter sur l'histoire religieuse de l'Irlande les ouvrages généraux tels que Augustin Thierry, Bist. de la Conquête de l'Angl. Montalembert, Hisl. des Moines d'Occident; Guizot, Hist. de la Rép. d'Angl., etc les diverses histoires de l'Irlande, de Mac Geoghan, Gordon, Leland, Musgrave, etc.; les ouvrages spéciaux suivants: Lanigan, Ecelesiaslical Hisiorij of Ireland, Dublin, 1829; O'Donovan, Annals oflhe four Maslers, Dublin, 1862; Todd, Life of Saint Patrick, Dublin, 1864; articles sur les antiquités chrétiennes d'Irlande par Petrie dans les bulletins de la Royal Irish Academy Killen, Ecclesiastical History of Ireland, Londres, 1875; Moran, Early Irish Church, Dublin, 1864; Moran, Episcopal Succession in Ireland, Dublin 1866 Kelly, Dissertations on Irislt, Church History, Dublin, 1864; Maut, Hist. of the Church of Ireland, London, 1840; King, Irish Church Hist., Dublin, 1845; Brady, State Papers concerning the Irish Church, London, 1868; Froude, The Englisli in Ireland, London, 1872; Reid, Hist. of the Presb. Church in Ireland, Belfast, 1867; Wordsworth, Hist. oflhe Church of Ireland, London, 1869; G. de Beaumont, L'Irlande sociale, politique et religieuse, Paris, 1863; divers articles dans l'Encycl. britan., la Revue des Deux Mondes, etc. Mattii. Lelièvhe. IRRÉGULARITÉ, empêchement canonique, c'est-à-dire établi par les canons de l'Eglise, qui provient de certains défauts ou de certains crimes, et qui fait qu'on ne peut licitement recevoir les ordres qu'on n'a pas, ni exercer les fonctions, tant de ceux qu'on a reçus que de la juridiction ecclésiastique attachée àses ordres, ni enfin être pourvu validement d'un bénéfice ecclésiastique sans avoir obtenu une dispense. On distingue les irrégularités qui proviennent d'un péché, ex delicto, et celles qui viennent d'un défaut, ex defeclu. Il y a cinq péchés qui produisent l'irrégularité ex delicto 1° l'homicide volontaire; 2° la réitération du baptême; 3° la mauvaise réception des ordres; 4° le mauvais exercice de ces mêmes ordres; 5° l'hérésie. Il y a huit sortes de défauts qui produisent l'irrégularité ex defeclu 1° Le défaut de naissance; 2» le défaut de raison; 3° le défaut du corps; 4° le défaut d'âge; 5° le défaut de liberté; 6° le défaut de réputation; 7° la bigamie 8° le défaut do douceur. L'ouhli, l'inadvertance, la légèreté, et généralement tout ce qui excuse de péché mortel, empêche l'irrégularité ex deliclo, parce qu'on ne peut encourir une peine si grave que pour une faute mortelle. Mais pour ri' irrégularité ex defeclu,
elle s'encourt par le défaut seul, indépendamment de toute faute. Voyez les Dictionnaires et les Traités de droit ecclésiastique. IRVING (Edward), naquit à Annan (Ecosse), en 1792, d'une famille d'humble condition. Il fit de bonnes études à l'université d'Edimbourg. Après quelques années passées dans l'enseignement, il fut appelé, en 1819, à seconder le docteur Chalmers dans la direction de la paroisse de Saint-John à Glasgow. Il se montra dès lors prédicateur distingué et pasteur accompli. Chalmers, dontla supériorité éclipsait nécessairement les talents de son jeune collègue, disait de lui: « La prédication d'Irving est comme la musique italienne, qui n'est bien appréciée que parles connaisseurs. » En 1822, il reçut vocation d'une petite Eglise presbytérienne de Londres, qui se réunissait dans un modeste édifice connu sous le nom de « Caledonian Chapel. » Installé par Chalmers, loué en pleine Chambre des communes par Can ning, le jeune ministre conquit en peu de temps une immense popularité. Sa prédication charmait les esprits cultivés par son caractère profond et original, et elle édifiait les âmes pieuses par sa mysticité et par son onction. Esprit indépendant, Irving ne se ralliait à aucune coterie et ne craignait pas de rompre en visière à tout ce qu'il considérait comme la routine et le préjugé. Un sermon, qui lui avait été demandé par la Société des missions de Londres et ou il crut devoir attaquer les méthodes en usage dans les missions modernes, fit scandale et souleva contre lui une vraie tempête. Cette indépendance, en l'isolant des hommes qui étaient à cette époque à la tête du mouvement religieux, l'exposa sans défense à des influences vers lesquelles son tempérament religieux l'entraînait. Il existait dès lors en Angleterre un petit groupe d'hommes qui se livraient avec ardeur aux études prophétiques, en essayant d'y trouver la clef de ce drame de gloire et de sang qui avait eu sa conclusion à Waterloo. Initié par l'un de ces hommes à ces recherches, Irving s'y jeta avec toute l'ardeur do sa nature et devint bientôt le chef reconnu de l'école il publia dès 1825 son livre Babylon and Infidelity Foredoomed, que d'autres publications du même genre suivirent. Des conférences annuelles réunirent à Albury les hommes qui, comme lui, prenaient intérêt à ces recherches. Persuadés que la seconde venue de Jésus-Christ était prochaine, Irving et ses amis se mirent à l'annoncer par la parole et par la presse. L'Eglise, qui s'était considérablement développée depuis qu'Irving était à sa tête, venait de lui faire construire la magnifique chapelle de Régent-Square, dans laquelle le prédicateur continuait à attirer la foule; les sujets qu'il abordait désormais appartenaient depréférence à la haute spéculation théologique ou prophétique mais il savait les draper d'un si riche vêtement oratoireque son succès se maintenait. Ses convictions étaientempreintos de sacerdotalisme il relevait à une hauteur exagérée la charge pastorale et croyait à la régénération baptismale. A ces particularités vint s'ajouter, relativement à l'humanité du Christ, un point de vue qui l'engagea dans des discussions interminables et lui valut à la fin un procès de doctrine. Il enseignait que Jésus est venu au monde dans une chair déchue et
pécheresse comme la nôtre, et que son anamarthésie fut, non le résultat de sa nature propre, mais l'effet de la présence du Saint-Esprit en lui. Mais ce furent ses vues sur les charismes dans l'Eglise qui l'entraînèrent dans une voie pleine de périls, et l'amenèrent à rompre avec l'Eglise dans laquelle il était né et à se poser en chef de secte. De bonne heure, dans ses rêveries eschatologiques, Irving avait salué avec enthousiasme la restitution à l'Eglise des dons miraculeux comme l'un des signes qui devaient accompagner le prochain avènement du Christ. L'influencede son collègue, Alexandre Scott, l'amena à penser que ces charismes n'avaient disparu qu'à cause du manque de foi de l'Eglise et qu'ils lui seraient restitués dès qu'elle les demanderait avec foi. Scott, qui était Ecossais, porta ses idées dans son pays natal, où elles trouvèrent un terrain tout préparé. Deux familles d'une piété ardente, les Campbell, de Row, et les Macdonald, de PortGlasgow, les adoptèrent et vécurent dans l'attente des dons extraordinaires. Mary Campbell, jeune personne qui semblait se mourir de la consomption, se mit, un jour qu'elle était en prières avec quelques amis, à parler dans un langage inconnu. Peu après, l'un des frères Macdonald commença à exercer le don de guérir, et l'une de ses cures les plus merveilleuses eut Mary Campbell pour sujet. Ces faits, qu'il était impossible d'attribuer à la supercherie, produisirent une très vive impression en Ecosse et confirmèrent Irving dans ses convictions les plus chères. Il convoqua une réunion de prières quotidienne à six heures du matin pour demander à Dieu d'étendre jusqu'à Londres la bénédiction accordée à l'Ecosse. Dans ce milieu préparé dès longtemps, les mêmes phénomènes se produisirent bientôt. En juillet 1831, il pouvait écrire « Deux membres de mon troupeau ont reçu le don des langues et de prophétie. » La contagion gagna de proche en proche; les inspirés accomplissaient d'abord leurs exercices à huis clos, ou au milieu de petits rassemblements de fidèles. Irving eût désiré éviter la publicité dont il redoutait les dangers. Mais devant le flot montant de l'enthousiasme, toutes les digues devaient céder, et il envisagea bientôt ses scrupules comme un acte de faiblesse. Il laissa donc se produire les utterances (c'est ainsi que l'on désigna ces révélations) dans les réunions du matin. Mais cette concession ne pouvait pas suffire aux inspirés. Le dimanche 16 octobre 1831, au culte officiel du matin, miss Hall, pressée par l'impulsion intérieure et ne voulant pourtant pas interrompre le service, courut de la chapelle dans la sacristie et de là s'écria, de manière à être entendue de toute l'assemblée « Comment osez-vous supprimer la voix du Seigneur? » Une autre inspirée la suivit, et l'une et l'autre conjurèrent l'Eglise de ne plus contrister l'esprit de Dieu par de vains scrupules. A partir de ce jour, l'église de Regent-Square fut ouverte à toutes les élucubrations des prophètes et des prophétesses, parlant « en langues » ou d'une façon intelligible. Les prophéties n'avaient rien de remarquable que les gestes étranges qui les accompagnaient et le ton qui s'élevait au diapason de l'exaltation. Miss Hall, à qui l'un des membres de l'Eglise conseillait de modérer les éclats de
sa voix, répondait « Savez-vous ce que c'est que d'avoir la parole de Dieu comme un feu dans ses os? Irving donna toute liberté à ces manifestations, auxquelles il fit une place régulière dans le culte public. Elles ne pouvaient manquer d'attirer de nombreux curieux, qui plus d'une fois témoignèrent bruyamment leur désapprobation. Le conseil de l'Eglise, qui avait précédemment pris la défense de son pasteur accusé d'hérésie, le supplia vainement de mettre fin à un scandale intolérable. Devant le refus formel d'Irving, il se vit contraint de le traduire devant le presbytère de Londres pour infractions nombreuses à la discipline de l'Eglise d'Ecosse. Ce procès ne pouvait aboutir qu'à la révocation d'Irving, qui se défendit avec une grande élévation de sentiments, mais en refusant de faire aucune concession. Une partie de l'Eglise le suivit dans le nouveau lieu de culte qu'il ouvrit dans Newmann-Street. Affranchi désormais du lien qui le rattachait au presbytérianisme, il organisa « l'Eglise catholique apostolique », comme il l'appela, d'après un type fourni par les inspirations de ses prophètes, et conformément aux tendances sacerdotales de son propre esprit. L'Eglise se donna un cérémonial fort compliqué, emprunté en partie à l'ancienne alliance; elle eut douze apôtres, soixante évangélistes, des prophètes et des prophétesses en nombre indéterminé. Irving, déposé de la charge pastorale par l'Eglise d'Ecosse, dut recevoir une nouvelle consécration pour être proclamé l'ange de l'Eglise. Quand tout fut organisé de la sorte, on déclara que le tabernacle était dressé et que la gloire du Seigneur allait le remplir. Non seulement cette manifestation extraordinaire ne se produisit pas, mais d'autres déceptions survinrent; beaucoup de prédictions faites à la légère ne furent pas suivies d'effet, la division se mit entre les prophètes, quelques-uns durent être exclus. Le mieux doué, celui en faveur de qui on avait relevé l'apostolat, Robert Baxter, reconnut son erreur et publia une rétractation qui forme le document le plus précieux sur les commencements de l'irvingisme. D'autre part, des accessions nouvelles, quelques-unesconsidérables, vinrent fortifier la nouvelle communauté. Edward Irving, prématurément usé par les fatigues et les émotions, ne paraît pas avoir éprouvé de doutes au sujet de sa mission spéciale. Appelé par la voix de ses prophètes à aller évangéliser l'Ecosse, il s'y rendit, mais pour y mourir le 7 décembre 1834, âgé seulement de quarantedeux ans. Ses compatriotes voulurent honorer ses talents et son caractère, que n'avaient pas réussi à voiler les erreurs dans lesquelles il s'était laissé entraîner, et ils déposèrent sa dépouille mortelle dans la crypte de la cathédrale de Glasgow. L'irvingisme a survécu à Irving, et il a même obtenu quelques succès dans la Grande-Bretagne, en Allemagne, en Suisse et en Amérique. Il a exercé une sorte de fascination sur des âmes éprises, comme Irving lui-même, du grand passé héroïque du christianisme et qui ont cru que l'Eglise pouvait le ressusciter, avec ses éléments merveilleux et transitoires. Cette communauté, qui a glissé toujours plus avant sur la pente du sacerdotalismeetdu ritualisme, ne survivra sans doute pas beaucoup à son
dernier apôtre, mort récemment (1879). Sources Mrs Oliphant, Life of Edward Irving, 2 vol., Londres, 1862; Robert Baxter, Narrative offacis, etc., Londres, 1833; Baxter, Irvingism in ils Rise, Londres, 1836; L'Eglise de Jésus-Christ, Londres, 1836; Guers, L'Irvingisme et le Mormonisme, Genève, 1853; W.W. Andrews, The Catholic Apostolic Church, itsHistory, Organisation, Doctrine and Worship, London, 1877. Matth. LELIÈVRE.
ISAAC (Yiçekhàk ou Yisekhâk; 'Iaaâx, 'Isaxoc), fils delavieillesse d'Abraham et de Sarah. L'étymologie du nom est douteuse. Le mot Isaac signifie probablement le rieur, le joyeux, mais la tradition le rapporte tantôt au rire incrédule d'Abraham quand Dieu lui promet un fils (Gen. XVII, 17), tantôt à celui de Sarah (XVIII, 12), tantôt encore à celui des voisins à l'ouïe de la nouvelle de sa naissance (Gen. XXI, 6). Nous possédons, sur l'histoire des événements les plus importants de la vie d'Isaac, une tradition plus ancienne, renfermée dans de courtes notices éparses dans la Genèse (XVII, 16; XXI, 2-5; XXV, 9-19; XXVI, 26-34; XXVIII, 1-9; XXXV, 27-29; 14,31). A part l'histoire bien connue de l'annonciation de sa naissance et du sacrifice "projeté par Abraham, la narration n'offre aucun trait -saillant. Il y est caractérisé comme l'héritier des promesses de Dieu, dès avant sa naissance; il est marié à Rebecca, la fille de son cousin araméen Béthuel et meurt à Hébron à l'âge de 180 ans (Gen. XXV, 9; XXXV, 27). Les traditions plus récentes, en tant qu'elles ne font pas partie de l'histoire d'Abraham, n'ajoutent aucun détail important. Le mariage d'Isaac est représenté comme l'œuvre de Dieu, ainsi que la naissance de ses deux fils, survenue après la longue stérilité de Rebecca (XXV, 21). La bénédiction divine se révèle encore dans l'alliance que les voisins recherchent avec Isaac (XXVI, 21; XXI, 28). Tout le reste de l'histoire du patriarche tourne autour de la proclamation de Jacob, comme l'héritier des promesses de Dieu, au détriment de son frère aîné. La narration n'est pas la même dans la relation plus ancienne. Sans doute Isaac y est encore représenté comme le serviteur de Jéhovah (Exode XXXII, 13), entièrement soumis à la volonté divine (XXVI, 2); il est l'objet de révélations divines, sa prière est exaucée (XXV, 21), et, malgré la parole de bénédiction que le mensonge de Jacob, incité par Rebecca, a su lui soustraire,il reste le porte-voix des dispensations de Dieu. D'un caractère faible, dominé absolument par Rebecca, il est, malgré toute sa soumission théorique à Dieu, en opposition avec les plans divins; cette opposition se montre par sa tendance au mensonge vis-à-vis des gens d'autres tribus (Gen. XXVI, 7), par sa prédilection pour Esaü et par ses appétits sensuels (Gen. XXV, 28 etc.). Son opposition inconsciente aux plans de Dieu montre, une fois de plus, que l'Ecriture n'a nullement envie de diviniser les personnages dont elle raconte l'histoire. En ne pas cachant leurs faiblesses et leurs péchés, elle veut nous faire comprendre que Dieu sait tout faire tourner à la réalisation de ses desseins. E. Scherdlix. ISAAC LE PARTHE (Saint), patriarche d'Arménie, né à Constanti-
nople en 390, mort en 4M). Il traduisitles saintes Ecritures en langue arménienne et composa des Canons et des Hymnes.
ISAGOGIQUE. -On nomme isagogique(du grec ifaor((ayr\, introductio) ou introduction aux livres de l'Ancien ou du Nouveau Testament,la portion de la science théologique qui a pour but de fournir aux lecteurs des écrits sacrés les connaissances préliminaires indispensables ou du moins fort utiles à l'intelligence de ces écrits. Pour bien comprendre unlivre, il est très utile,parfois même absolument nécessaire de savoir où, à quelle époque, par qui, en quelle langue il a été composé. S'il s'agit d'une collection d'écrits, il est intéressant de savoir comment cette collection s'est formée, si elle a été faite en une seule fois ou peu à peu à plusieurs époques différentes, quels hommes et quels principes ont présidé à sa formation. S'il s'agit de livres écrits dans une langue morte, il n'est guère moins important, pour celui qui veut les étudier dans leur texte original, de connaître l'histoire dé cette langue, de savoir à quelle famille elle appartient, comment le texte de ces livres s'est conservé jusqu'à nous, en quelles autres langues ils ont été traduits et en général ce qu'on a fait pour leur interprétation. Tous ces sujets et peut-être quelques autres encore rentrent plus ou moins directement ou plus ou moins indirectement dans l'isagogique, car il est difficile d'en tracer les limites avec- précision. Elle se divise naturellement en deux parties, celle qui concerne l'Ancien Testament et celle qui concerne le Nouveau. Nous n'avons à nous occuper que de la première. On la divise ordinairement en introduction générale et introduction spéciale. Dans l'introduction générale, qu'on met habituellement en premier lieu, rentrent l'histoire de la langue et de l'écriture hébraïques, quelques notions sur les autres dialectes sémitiques, l'histoire de la formation du recueil sacré ou Canon, l'histoire des versions de l'Ancien Testament, l'histoire de l'interprétation des livres de l'Ancien Testament et les principes de l'herméneutique, l'histoire du texte et la théorie de la critique du texte. Dans l'introduction spéciale on étudie successivement les livres de l'Ancien Testament, soit dans l'ordre où ils se trouvent dans le texte hébreu, soit plutôt en les. rangeant par ordre de matières et, autant que possible, dans l'ordre chronologique de leur composition. On traitera donc d'abord des livres historiques dans l'ordre chronologique des événements qu'ils racontent, puis des livres prophétiques dansl'ordre de leur composition, enfin des livres poétiques et moraux. Les livres de Jonas et de Daniel, qui ne rentrent pas naturellement dans l'une de ces trois catégories, pourraient être étudiés à la suite des prophètes, en quelque sorte en appendice. L'ordre chronologique se recommande surtout pour les prophètes, dont l'intelligence dépend si essentiellement de la connaissance du milieu historique où ils ont exercé leur activité. La division en introduction générale et introduction spéciale ne nous paraît pas justifiée, d'abord parce que le lien qui unit les différents sujets traités dans l'introduction générale est beaucoup trop lâche, ensuite et surtout parce qu'il n'est pas naturel déparier de la formation d'un recueil,
des traductions, do l'interprétation, de la conservation du texte des livres qui le composent, avant d'avoir parlé de ces livres eux-mêmes. L'ordre naturel d'une introduction à l'Ancien Testament nous paraît être l'ordre historique. Après quelques notions sur les langues sémitiques et particulièrement sur la langue et l'écriture hébraïques, on doit aborder immédiatement l'introduction spéciale ou l'étude des livres sacrés dans l'ordre que nous venons d'indiquer (livres historiques, prophétiques et poétiques), rechercher ensuite comment ils ont été réunis (histoire du canon), comment leur texte s'est conservé jusqu'à nos jours (histoire du texte), comment ils ont été traduits en grec, en araméen, en latin, en syriaque, etc. (histoire des versions et, à propos de la version des Septante, introduction aux livres apocryphes), enfin comment ils ont été successivement interprétés par les docteurs juifs et chrétiens jusqu'à nos jours (histoire de l'exégèse). La théorie de la critique du texte et l'exposition des principes de l'herméneutique apparaissent comme le couronnement naturel, la première, de l'histoire du texte et des versions, la seconde, de l'histoire de l'exégèse. Peut-être vaudrait-il mieux réunir ces quatre histoires, celles du canon, du texte, des versions et de l'exégèse, en une seule. Comme on le voit par son contenu, l'Introduction serait mieux nommée Histoire critique des livres de l'Ancien (et du Nouveau) Testament. Une telle histoire se divise naturellement en deux parties principales, celle qui traite des livres en eux-mêmes, de leur contenu, de leurs auteurs, de l'époque et dubut de leur composition, etc.,et celle qui traite de leur réunion en recueil et de leurs destinées à partir de cette époque. La première résume les résultats de l'exégèse la seconde est purement historique. L'histoire de l'Ancien Testament et celle du Nouveau se confondant presque complètement à partir de l'époque où ces deux portions de la Bible furent réunies par l'Eglise chrétienne, il serait bon, dans les ouvrages d'introduction à la Bible entière ou, pour mieux dire, dans les histoires de la Bible, de ne pousser l'histoire de l'Ancien Testament dans l'Eglise chrétienne que jusqu'à cette époque et de n'exposer ses destinées ultérieures, en même temps que celles du Nouveau Testament, qu'après avoir fait l'histoire des livres et du canon du Nouveau Testament jusqu'à la même époque. Il faudrait seulement poursuivre dans la première partie l'histoire de l'Ancien Testament comme recueil séparé, c'est-à-dire, chez les Juifs, jusqu'à nos jours. – L'histoire de l'Ancien (ou du Nouveau) Testament, telle que nous l'avons définie, se distingue nettement de l'exégèse, de l'archéologie et de la théologie bibliques, quoiqu'elle emprunte ou fournisse à ces sciences voisines plusieurs éléments importants. Nous avons déjà vu qu'elle emprunte à l'exégèse les matériaux de sa première partie, je veux dire de l'histoire de la littérature hébraïque mais elle lui fournit à son tour des éléments précieux par l'histoire du canon, du texte, des versions et de l'exégèse. De même, la connaissance de l'archéologie biblique, c'est-à-direde l'histoiredu peuple d'Israël, de la géographie, de l'ethnographie de la Palestine, etc, est indispensable à la critique
littéraire; mais d'autre part, la critique des documents où l'archéologie biblique puise la plupart de ses renseignements n'est pas moins nécessaire à celle-ci. De même enfin la connaissance de la théologie biblique, c'est-à-dire du développement des idées religieuses au sein du peuple d'Israël, peut fournir des données importantes dans la discussion des problèmes de critique sacrée; mais l'histoire de ce développement dépend à son tour essentiellement de l'âge et de l'authenticité des écrits de l'Ancien (ou du Nouveau) Testament. Il y a là un cercle dont nous n'essaierons pas de sortir: il faut connaître l'exégèse, l'archéologie et la théologie bibliques pour pouvoir écrire l'histoire critique des livres de l'Ancien (ou du Nouveau) Testament, mais il n'est pas moins indispensable de connaître les résultats de la critique sacrée pour composer des ouvrages d'exégèse, d'archéologie ou de théologie bibliques. Tout se tient et s'enchaîne dans la science comme dans la vie. La science isagogique est d'origine récente. Ce qui a été fait avant la Réformation et même au seizième siècle pour la critique des livres ou du texte de l'Ancien Testament en particulier est fort peu de chose. Quand, au second siècle, quelques gnostiques et le philosophe épicurien Celse mirent en doute l'origine mosaïque du Pentateuque, et Porphyre l'authenticité du livre de Daniel, les Pères de l'Eglise se contentèrent d'affirmer la vérité des opinions traditionnelles, sans se donner la peine d'examiner par euxmêmes ces questions. Origène fit cependant dans ses Hexaples un travail fort important pour la critique du texte et les préfaces de Jérôme aux livres de la Bible, ainsi que le De. doctrina christiana d'Augustin, contiennent quelques observations sur l'origine des livres de l'Ancien Testament. Mais en général les Pères de l'Eglise firent plus pour l'interprétation que pour la critique des livres sacrés. Un grec nommé Adrien composa, probablement vers le milieu du cinquième siècle, le premier ouvrage d'isagogique: Eluxyoi-fii e1ç tocçôsix; ypacpâç (édité pour la première fois à Augsbourg en 1602). Mais il ne s'occupe guère que du style des écrivains sacrés, des expressions anthropomorphiques ou anthropopathiques de l'Ecriture sainte. L'ouvrage de l'évêque africain Junilius Departibus legis divinœ libri duo, écrit un siècle plus tard, est beaucoup plus important; il ne traite pas seulement du style de la Bible, mais aussi des auteurs de ses livres, de leur division, du canon, des divers degrés decanonicité, etc. Il cite en faveur de ses opinions un certain prêtre Paul, qui avait été instruit dans l'école syrienne de Nisibis, où l'Ecriture sainte était étudiée d'une manière plus approfondie et plus indépendante, ainsi que dans l'Eglise syrienne en général, comme le prouve, entre autres faits, l'opinion de Théodore de Mopsueste sur le Cantique des cantiques. Vers la même époque, Cassiodoro écrivit son De institutions divinarum litlerarum, où il a résumé les opinions des Pères de l'Eglise, surtout do Jérôme et d'Augustin, sur l'origine des livres bibliques et sur leur réunion en canon. Ce fut la source principale où le clergé du moyen âge puisa ses connaissances sur ce sujet. L'étude do l'hébreu, complètement abandonnée par les chrétiens, fut culti-
vée au contraire assidument par les rabbins du moyen âge, dont quelques-uns écrivirent des commentaires importants sur les livres de l'Ancien Testament, où ils soulevèrent même, en passant et à demi-mot, des problèmes considérables de critique sacrée, comme ceux de l'authenticité du Pentateuque et de la seconde partied'Esaïe. Au quinzième siècle, un juif converti, Nicolas de Lyre, professeur de théologie à Paris (f 1340), profitant de ses connaissances rabbiniques, composa sa Postilla perpetua sivebrevis commentarius inuniversa biblia. Dans ses observations préliminaires sur les livres canoniques et non canoniques, il s'en tient aux idées reçues. La Réformation, en opposant l'autorité de l'Ecriture sainte a celle de l'Eglise, ranima l'intérêt pour l'étude de la Bible. Mais en ce qui concerne l'Ancien Testament, les réformateurs demeurèrent en général fidèles aux opinions traditionnelles. Seul, Carlstadt douta que Moïse fût l'auteur des cinq livres qui lui sont attribués. Le catholique Masius, dans son commentaire sur le livre de Josué (1374), exprima plus résolument la même pensée, qui demeura du reste sans écho. Chose étonnante, ce furent deux catholiques italiens, les moines dominicains Santes Pagninus (Isagoge ad sacras Hueras, Lyon, 1536) et Sixte de Sienne (Bibliolheca sancla, Venise, 1566) qui publièrent les premiers ouvrages complets sur les matières de l'isagogique. Le second de ces ouvrages surtout obtint un grand et légitime succès. Mais au dix-septième siècle plusieurs théologiens protestants, le hollandais André Rivet en 1627, les allemands Michael Walther en 163G, et Calov en 1643, le suisse J. H. Heidegger en 1681, publièrent des introductions complètes à l'Ecriture sainte. D'autres, comme les Buxtorf, Hottinger, Louis Cappel, Leusden, Brian Walton, le célèbre éditeur do la Polyglotte de Londres, Pfeiffer, Humphrey Hody, etc, publièrent des travaux plus ou moins importants sur quelques portions de l'isagogique, sur la critique du texte, sur la llasore, sur les anciennes versions, etc. De tous ces ouvrages le -plus remarquable est sans contredit la Crilica sacra de Louis Cappel, professeur à Saumur, publiée en 1650. Dans ce livre, où il a résumé le travail critique de toute sa vie, et dans quelques autres traités moins considérables, Louis Cappel soutint, en opposition avec les Buxtorf père et fils, et en conformité d'idées avec le Père de l'Oratoire JeanMorin, l'origine récente des points-voyelles, leur inexactitude en certains endroits et en général la corruption partielle du texte hébreu. A la même époque l'origine mosaïque du Pentateuque fut attaquée par Thomas Hobbes (Levialfian, Londres, 1651), Isaac Lapeyrère (Systeiiia Iheologicum ex Praiadamitarum hypothesi, 1655) et Spinoza (Traclatus theologico-politicus, 1670). Peu après, le Père de l'Oratoire Richard Simon publia sa célèbre Histoire critique du Vieux Testament (Paris, 1678), dans laquelle il traite, en trois livres, u du texte hébreu depuis Moyse jusqu'à notre temps, desprincipales versions de la Bible » et « dos meilleurs Autheurs, tant Juifs que Chrestiens, qui ont écrit sur la Bible ». Il embrasse donc la plupart des sujets qui rentrent dans l'introduction générale ou dans l'histoire de l'Ancien Testament depuis la formation du canon, mais
il néglige à peu près complètement l'introduction spéciale ou l'histoire critique de la littérature hébraïque. De tous les livres de l'Ancien Testament, il ne parle un peu en détail que du Pentateuque, et il affirme que sous sa forme actuelle il ne peut provenir de Moïse. Sur la question de l'intégrité du texte, il tient le milieu entre Louis Cappel et les Buxtorf. On sait que Bossuet, alors évoque de Condom et précepteur du dauphin, fit supprimer la première édition de l'ouvrage, dontil ne resta que cinq ou six exemplaires. Mais il fut immédiatement réimprimé en Hollande par Elzévir. La meilleure édition est celle de Rotterdam, 1685. Le livre de Richard Simon provoqua la publication de plusieurs écrits en sens divers, dont le plus important est celui de Jean Leclerc,pi'ofesseur à Amsterdam '.Sentiments de quelques théologiens de Hollande sur l'histoire critique du Vieux Testament composée par le P. Richard Simon, 1685. Peu après, Ellies du Pin publia ses Prolégomènes sur la Bible, comme introduction à son grand ouvrage, Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, et dom Calmet ses Dissertations qui peuvent servir de prolégomènes de l'Ecriture sainte, extraites de son Commentaire littéral sur tous les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. En Allemagne Carpzov publia son Introduclio ad libros canonicos V. T. (1721) et sa Critica sacra Y. T. (1728), où il combat énergiqucmcnt les idées de Louis Gappol, de Richard Simon, de Leclerc, etc. On dirait que les problèmes de critique sacrée soulevés dans la seconde moitié du dix-septième siècle sommeillèrent pendant toute la première partie du dix-huitième. Mais au milieu du dixhuitième siècle parut un petit ouvrage qui sembla les réveiller; ce sont les Conjectures dont il paraît que Moyse s'est servi pour composer le livre de la Genèse (1733), du médecin Astruc, lils d'un pasteur protestant qui avait abjuré à la révocation de l'Edit de Nantes. Dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, les idées agitées depuis plus de cent ans principalement par des hébraïsAnts français et protestants ou sous l'influence protestante, pénétrèrent enfin en Allemagne avec Semler (Apparatus ad liberalem V. T. inierprelationem, Halle, 1773), Herder, Eichhorn, etc, et y produisirent le puissant mouvement critique dont nous sommes encore les témoins. Semler se rattache à Richard Simon Eichhorn, pour la question du Pentateuque, ne fit guère que développer et motiver plus fortement les idées d'Astruc. Mais plusieurs questions critiques qui n'avaient été que peu ou point traitées précédemment commencèrent alors à être discutées en sens divers l'authenticité de la dernière partie d'Esaïe (ch. XL-LXVI), celle des chap. IX-XIV du livre de Zacharie, celle du livre de Daniel, le caractère historique du livre de Jonas et de celui d'Esther, l'autorité du livre des Chroniques, etc., etc. Toutes ces questions et bien d'autres ont été traitées depuis lors, principalement pour ne pas dire presque exclusivement en Allemagne, dans une multitude d'ouvrages spéciaux que nous ne pouvons songer à énumérer ici. Les principales introductions à l'Ancien Testament sont après celle d'Eichhorn (Einleilung in's A.T., 1780-83; A' éd. 182326; Einleitung in die apocryphischen Schriften des A.-T,, 1793), celle du
professeur catholique Jahn (Vienne, 1793; 2" éd. considérablement augmentée, 1802-3), celle d'Auguste (1806 et 1827), celles de Bertholdt (1812-19, 6vol.) et de do Wette {Lehrbuch der hist.-krit. fiinleitung in die Bibel A.-T., 1817; 8e éd., remaniée, par E. Schrader,18G9) qui embrassent la Bible entière, celles de Hœvernick (1837-49 2e éd. 1834-56),et de Keil (1833;3' éd.,1873) qui défendent les opinions traditionnelles, celle de Bleek (1860; -4e éd., remaniée, par Wellhausen, 1878), l'introduction spéciale de Stœhelin (1862), etc. Il faut citer en outre, en français, les ouvrages de Cellérier (Inirod. à la lecture dos livres saints, A.T., Genève, 1832, 1 vol.), de l'abbé Glaire [Introd. hist. et crit. aux livres de l'Ane, et du Nouv. Testament, Paris, 1839 ss., 4 vol.) et de M. Gaussen (Le Canon des saintes Ecritures au double point de, vue de la science et de la foi, Lausanne, 1860, 2 vol.), ouvrages qui appartiennent à la tendance conservatrice en hollandais, celui de Kuenen (Leyde, 1861 ss., 3 vol.), qui a été traduit en partie en français par Pierson CHist. crit. des livres de l'A. T., 1. 1. Livres historiques, 1866) en anglais, celui de Home (Introd. ofihe critical study and knowledge of the holy scriptures, Londres, 1818; 10e éd., 1856, 4 vol.), et surtout celui de S. Davidson (Introcl. to the Old Testament, Londres, 1862-63, 3 vol.). Les questions critiques relatives aux livres de l'Ancien Testament sont traitées aussi, et généralement d'une manière plus détaillée, dans les introductions placées dans les ouvrages d'exégèse en tête de chacun des livres interprétés. Citons en particulier le Kwzgefassies exegeliches Handbuch zum A.-T., le Bibelwerk de Bunsen, et en français la Bible de M. Reuss, qui appartiennent à la tendance critique, le commentaire de Keil et Delitzsch sur l'A. T., et le Bibekverk de Lange, dans le sens conservateur. La plupart de ces questions sont traitées aussi par Ewald dans son Histoire du peuple d'Israël (Geschichte des Volkes Israël) et dans sa traduction des livres poétiques et prophétiques de l'A. T. (Die Prophetcn des allen Bandes, 2e éd., 1867-68, 3 vol; Die Dichier des allen Blindes, 2» éd., 1866-67, 3 vol.). Cu. Bruston. ISAGOGIQUE du Nouveau Testament (Eï<raYwy}i £^ T«? ^£a? yfïçaç. Adrianus f 580? Introduclorii libri, introduclio, Cassiodore, 562 Einkitung in die gœlllichen Schriften, Michaèlis, -]- 1791 Hisiotrecritique de l'A. T., Rich. Simon, -J- 1712). Sous ces noms divers, on désigne une science tliéologique qui s'est singulièrement transformée à travers les siècles et dont l'objet, aujourd'hui bien déterminé, est l'étude critique, historique et littéraire du canon du Nouveau Testament et des livres qui le composent. Comme elle n'est arrivée que lentement à se constituer dans son indépendance et dans son unité, à circonscrire exactement son objet en rejetant hors d'elle-même tout ce qui ne lui appartient pas, a définir sa méthode et arrêter sa forme définitive, le meilleur moyeu de la faire connaître, c'est de raconter les évolutions et transformations par lesquelles elle est passée pour devenir enfin ce qu'elle est de nos jours.
I. Un livre ancien, pour être bien compris, a besoin de certaines explications préliminaires qui renseignent le lecteur sur ses origines
historiques, sur l'auteur, sur la nature et la conservation du texte. Aussi les éditeurs des documents de l'antiquité ne manquent jamais de les faire précéder de ces prolégomènes indispensables dont l'unique but est d'en faciliter l'intelligence. Quelque populaires et lumineux que soient les écrits bibliques, ils n'échappent point à ces conditions et, de très bonne heure, on éprouva le besoin de munir ceux qui veulent les étudier d'explications dogmatiques, historiques, géographiques, morales ou littéraires c'est ce qu'ont fait, par exemple, Jérôme en écrivant ses Prologues, ou Luther en écrivant ses Préfaces. Mais de telles introductions sont un agglomérat de fragments de plusieurs sciences; elles ne constituent pas une science indépendante et particulière. Tant que l'isagogique ne visait que ce but pratique, elle se confondait plus ou moins avec l'herméneutique. C'est ce que nous constatons durant tout le moyen âge. Non seulement on ne séparait point, dans les manuels de cette époque, l'Ancien et le Nouveau Testament, mais encore on en abordait l'étude sans aucune préoccupation historique ou critique; on ne mettait point en doute les données de la tradition officielle; on n'avait que le désir de pénétrer dans les profondeurs de la révélation divine au moyen des procédés ingénieux qui ouvraient les mystères du quadruple sens de l'Ecriture. Cette première période qui va de la mort de Jérôme à la réforme de Luther, peut donc être appelée la période de l'herméneutique. Tous les travaux qui nous en ont été conservés, quel que soit d'ailleurs le nom qu'ils portent, rentrent dans cette catégorie. Ainsi les écrits de Tychonius, cité déjà par Augustin (Regulx VII, ad investi gandam el inveniendam S. S.), d'Euchere de Lyon, -J- 434 (Formularum spiritalis intelligetttix liber ad Veranium), d'Adrianus (ûavyivfît £'1? T"? ÔE'aî Yfacpaç), de Cassiodore (De inslkutione D. S. S.), de Photius, f 891 ('Afiçi^ô/ta, -r\ Xôywv Upôjv ffuXXoY'/]', éditée par Angelo Mai, Scripiorum Yeterum nova Collectio, I, 1825), ne renferment guère que des règles d'herméneutique ou du moins tout le reste y est subordonné. L'ouvrage de Junilius, évoque africain du vic siècle (De partibus legis divinx libri II, Maxim. Biblioth. V. Patrum, t. VI) entre davantage dans ce qui fait l'objet spécial de l'isagogique. Junilius avait recueilli d'un Perse, nommé Paulus, la tradition sientifiquo de l'école deNisibe et d'Edesse. De là la supériorité relative de son livre. C'est une sorte de catéchisme biblique en forme de dialogue, où l'auteur traite du style des écrits sacrés, de leurs auteurs, de leur autorité, des traditions des Pères, des titres que portent les livres canoniques il les range encore en trois classes au point de vue do la canonicité les livres unanimement reçus, les livres contestés et les livres rejetés. Il y avait là quelques lueurs de véritable science biblique; mais ce n'est pas une aurore, c'est la dernière clarté d'une science qui va s'éteindre. Nous ne rencontrons plus en effet à partir de ce moment que des compilateurs ou des abréviateurs sans originalité, dont tout l'effort se réduit à commenter les prologues de saint Jérôme. Guillaume le Breton, -[- 123G, dans son Vocabularium Biblix, Nicolas de Lyre, -j- 13 iG, dans les prologues de ses Poslilles, ne font pas autre
chose. Sanctc Pagninus, de Lucques, -{- 1541, ne nous mène pas hors de cette période. Ses deux ouvrages (Isagoqex ad sacras Hueras, liber unicus; et Isagogew ad mysticos sacrx scripturx sensus, libri XVIII, Lugd.,1536 et Colon., 1540), sont conçus d'après le même point de vue. L'introduction biblique est encore tout entière dans l'herméneutique. Elle ne distingue pas entre l'Ancien et le Nouveau Testament et s'arrête au texte de la Vulgate.
Il. Avec la Réformation commence une nouvelle période qu'on pourrait appeler dogmatico-polémique, parce qu'elle est dominée tout entière par le conflit de la théorie catholique et de la théorie protestante. Pour le catholicisme, l'Ecriture ne pouvait être que la tradition écrite des enseignements du Christ et des apôtres, tradition dont l'Eglise restait la gardienne et l'interprète. L'autorité de la Bible n'avait d'autre point d'appui que le témoignage et l'autorité de l'Eglise qui l'avait conservée et déterminée. Les premiers réformateurs repoussèrent énergiquement cette prétention et mirent hardiment l'Ecriture au-dessus de l'Eglise. -Loin de pouvoir juger la première, celle-ci doit être jugée par elle, et c'est au nom de la Bible qu'ils entreprirent de la réformer. Mais alors où est la base de l'autorité de la Bible ? Luther, Calvin parlèrent de son évidence, de sa majesté devant laquelle tous doivent se courber. Elle a en elle-même de quoi se faire reconnaître et obéir, comme les choses douces et amères ont de quoi faire sentir leur amertume ou leur douceur. Le plus logique, Calvin, ramena sans crainte le critère suprême, au témoignage intérieur du Saint-Esprit dans l'âme de chaque fidèle. Luther vit la puissance de l'Ecriture dans celle du Christ. D'objective l'autorité devenait ainsi subjective. Le rôle que réclamait l'Eglise était pris par la conscience chrétienne. Mais du même coup la critique pénétrait dans le canon. Ce témoignage du Saint-Esprit dont parlait Calvin, ou ce dogme de la justification par la foi auquel Luther ramenait tout le reste, devenait un principe et un moyen de critique d'autant plus libre qu'il était tout individuel et subjectif. De là ces jugements, dont la hardiesse nous étonne encore, exprimés par Luther sur le compte de certains livres (Apocalypse, épître de Jacques, épître aux Hébreux) dans ses préfaces à la traduction de la Bible (1522). Calvin, de son côté, niait que l' épître aux Hébreux fût de Paul et doutait fort que la seconde de Pierre fût authentique, ainsi que les 2e et 3e épitres de Jean. On comprend que les questions historiques et critiques supprimées par la dogmatique du moyen âge allaient se poser et être vivement et largement débattues dans la période nouvelle. La Réforme avait ouvert la porte par où la critique historique allait entrer dans l'isagogique et la transformer entièrement. Erasme et Ximénès, d'un autre côté, en recherchant et en comparant les manuscrits pour leurs éditions imprimées du nouveau Testament, créaient la critique verbale que développeront les Colines, lesEstienne.les de Bèze. L'histoire du texte duNouveau Testament deviendra une partie essentielle de l'isagogique. Le monument le plus curieux de notre, science à cette époque est le petit livre de
A. Carlstadt, réédité de nos jours par Credner (Zur Gescltichie des Canons, 1847) et qui a pour titre De canonicis scripluris libellus. Wittemb., 1520. L'auteur part bien du principe de la Réforme, à savoir de la souveraineté absolue de l'Ecriture, devant laquelle doivent se courber et les laïques et les prêtres, les évêques et les savants, les empereurs et les papes. Mais qui déterminera le canon ? Dans la solution de cette question brûlante où se heurtaient de front le principe protestant et le principe catholique, Carlstadt ouvre une voie nouvelle. Il enlève la décision suprême aussi bien à l'Eglise qu'à la conscience, pour la réserver au jugement de l'histoire. Toujours l'adversaire du réformateur allemand, il prit contre lui la défense de l'épître de Jacques. « Comment la foi, disait-il, pourrait-elle juger l'Ecriture, puisque vous ne puisez cette foi que dans l'Ecriture ellemême ? » Se rattachant à Jérôme, Carlstadt en arrivait à établir des classes parmi les livres canoniques suivant le degré de leur attestation dans l'antiquité chrétienne ou de leur dignité reconnue. Les antilôgomènes restaient canoniques, mais à une place inférieure. Le concile de Trente, dans sa quatrième session du 8 avril 1546, arrêta le canon de l'Eglise catholique et fixa la théorie d'où cette dernière ne s'est point départie. Sixte de Sienne, dans sa savante Bibliotheca sancla (Venet., 1860), défendit les décisions du concile à la fois contre la critique du protestantisme qui diminuait le canon, et les velléités de ceux qui, par superstition, étaient tentés d'y ajouter. En fait, le canon apostolique fut accepté par l'orthodoxie protestante du dixseptième siècle qui, sans renier les principes de Luther et de Calvin, s'était hâtée d'échapper aux conséquences de leur critique subjective en s'attachant aux témoignages externes de la tradition chrétienne. Tous les essais de cette époque se contentent d'établir l'inspiration etl'autheiiLicité du canon ecclésiastique. Ces deux questions font tout le fond de notre science: André Rivet, -f- 1651, Isagogeseu introduclio gerteralis ad S. S. V. el N. Test.; Heidegger,-}- 1698, Enchiridion biblicum Michaël Walther, Officina biblica (Lips. 163G) A. Calow, Criticus sacer biblicus (1673); A. Pfeiffer, Crilica sacra (1680), etc. La seule inspection de ces livres montre combien la notion de notre science était encore confuse. Sans méthode précise, sans contours définis, sans indépendance, elle n'était qu'un appendice à la dogmatique officielle, ou un répertoire pour la polémique. Le dogme de l'autorité absolue et partout égale de l'Ecriture et celui de l'inspiration littérale de tous les livres l'écrasaient. Le catholicisme, reposant sur une autre base que celle du canon, laissait en fait plus de liberté; aussi est-ce à un catholique, Richard Simon, que revient la gloire d'avoir inauguré la période moderne en faisant entrer notre science dans la voie de l'histoire, où elle pouvait seulement trouver, avec son indépendance, une méthode positive et précise.
III. Les Allemands, qui fontdater cette période historique de Semler, commettent un oubli et une injustice. Ils oublient que Semler, érudit sans génie, ne fut que le disciple de Richard Simon et de Jean Leclerc. Voilà les deux noms qui ouvrent la période moderne. La révo-
lution qui a fait de l'isagogique une science purement historique est nettement annoncée par le titre même que Richard Simon donna à ses ouvrages sur les différentes parties de la Bible Histoire critique de l'A. T., 1678; Histoire critique du texte du N. T., 1689; Histoire critique des Versions, 1690; Histoire critique des commentateurs, 1694. Le savant prêtre de l'Oratoire a fait plus que de trouver le véritable nom de notre science; il en a traité avec une étonnante supériorité les diverses parties surtout il a mis le premier en pratique la méthode qui lui est propre. On a pu faire plus et mieux que lui, mais en marchant dans la même voie. Le premier il a séparé l'Ancien et le Nouveau Testament pour les considérer l'un et l'autre d'après leurs origines particulières. L'histoire triomphait de la dogmatique et émancipait notre science en lui donnant son vrai caractère, sa méthode et son objet. Depuis Richard Simon, en effet, l'isagogique est devenue un chapitre d'histoire littéraire. Est-il étonnant qu'il n'ait pas épuisé la tâche du premier coup, que ses hypothèses soient vaincues et oubliées ? Il est évident qu'il a trop pris l'histoire de la Bible comme l'histoire extérieure de son texte. Leclerta eu raison de le lui reprocher. Les problèmes des origines spéciales de chacun des livres du recueil n'ont pas été bien aperçus ou discutés. Voilà ce qui rend insuffisante son Histoire critique du texte du N.T. A côté do Richard Simon, il faut placer Jean Leclerc, qui, par ses ouvrages de critique et d'histoire, surtout par son appréciationdes travaux du savant oratorien dans les Sentiments de quelques théologiens de Hollande (1685) et la Défense de ces mêmes sentiments, deux chefs-d'œuvre de science, de pénétration et d'ironie, enfin, par son llistoria ecclesiastica duorum sœculorum primorum (1617) n'a guère moins contribué que son émule a renouveler l'isagogique et à faire triompher la méthode et le point de vue historiques. Après ces deux hommes, à peine pouvons-nous citer les Prolégomènes de la Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques d'Ellies Dupin et les ouvrages si indigestes et si médiocres de Dom Calmet sur la Bible où le dix-huitième siècle et Voltaire puisèrent toute leur science. A ce moment, de France et de Hollande la direction du mouvement théologique passe en Allemagne où l'œuvre de Richard Simon et de Leclerc trouve un héritier et un continuateur dans J. S. Semler dont les Abhandlungen von freier Unlersuchung des Canons (1771-76) exercèrent une si profonde influence. De lui àdeWette, l'isagogique lutte pour s'affranchir complètement du joug de la dogmatique et en particulier de la doctrine de l'inspiration littérale et de la divinité du canon. C'est un moment de critique essentiellement négative, nécessaire sans doute pour déblayer le terrain et préparer une construction nouvelle sur la base de l'histoire. Plus ou moins radical ce travail de dissolution se poursuit dans les éditions successives du livre de Michaëlis, Einleitung in die gœlllivhen Schriften des N. Bundes, (1™ éd., 1750; 4"" éd., 1788) de Ch. Sdnnidt, Histor. krilische Einleitung in die N. testamentlichen Schriften (1804-1803), d'Eichhorn, Einleitung in das N. T. (1804 et 1827), de Berthold Histor. kritische Einleitung in die sxmmsllichen kanonischen und apocryphischen
Sehrifien des A. und N. T. (1812-1819), et atteint son terme dans le Lehrbuch der hist. kritischen Einleitung in das A. und N. T. de Wette Ire éd., 1826; ô"0 éd., 1848; 6°"" éd., pour le N. T., revue parMessner et Lünemam, 1860). Cette critique négative suscita une critique conservatrice qui s'attachait à sauvegarder autant que possible l'inspiration et la crédibilité des documents sacrés. Tels sont les ouvrages de Hœnlein, Handbuch der Einleitung in die Scliriften des N. T. (17941800), de Hug, Einleilung in die Sehrifien des N. T. (1" éd., 1808 4me éd., 1827), de F. Guericke, Histor. kritische Einleit. in das N. T., 1843, complètement renouvelée dans la forme à partir de la 3° éd., 1834) etc.-Ilfaut nous arrêter un instant à l'œuvre de de Wette qui marque un point d'arrêt, pour nous demander ce qu'étaient devenus la notion et la forme de l'isagogique, après ce grand travail critique accompli. Le programme de Richard Simon semblait oublié; tandis qu'on avait fait des progrès considérables dans la discussion scientifique des questions particulières, on avait reculé en ce'qui concerne la constitution même de notre science. Tout se réduisait à la lutte de la tradition et de la critique subjective. L'élément historique était sacrifié à l'élément critique. Rien ne montre mieux l'état de désorganisation où se trouvait l'isagogique que la définition qu'en donne de Wette et le plan qu'il a suivi et que suivaient à peu près tous les théologiens de son temps. « Sous le nom d'introduction ou d'isagogique, dit-il, on a trouvé bon de réunir certaines connaissances préliminaires indispensables à une intelligence saine de la Bible, et d'en former un ensemble qui ne repose sans doute sur aucun principe scientifique, et reste sans liaison organique interne, mais qui a l'avantage de présenter à la fois les rapports historiques et les caractères propres, tant de la collection canonique en général, que de chacun des livres qui la composent, en particulier (voyez Lehrbuch, § 1). En conséquence de Wette divise l'isagogique en deux parties: une introduction générale au canon, qui traite de la langue originale, des arrciennes traductions et de l'histoire du texte, et une introduction spéciale à chaque livre en suivant l'ordre même qu'ils ont dans le Nouveau Testament. Le fond est renouvelé sans doute mais les vieux cadres restent les mêmes. On a perdu l'ancienne base dogmatique on n'a pas encore reconquis une base nouvelle dans l'histoire. Les éléments de notre science ne sont point logiquement coordonnés et se présentent à nous comme des membra disjecta. Schleiermacher essaya,sans trop y réussir,de réorganiser notre science. Dans ses leçons de 1819-1831 et 1832, sur le Nouveau Testament, publiées en 1845 avec une introduction remarquable de Lûcke, son disciple, il définit la tâche de l'isagogique comme l'effort de transporterle lecteur actuel duNouveauTestamentà la placeetdans le milieu historique du lecteur primitif à qui les écrits apostoliques étaient adressés. Cela ne suffisait pas pour reconstituer logiquement l'isagogique. Aussi retrouvons-nous, dans l'Introduction au Nouveau Testament de Schleiermacher, la division traditionnelle en introduction générale et introduction spéciale. La seule nouveauté dans cette seconde partie
̃où se fasse jour la préoccupation du point de vue historique, a été de traiter des livres apostoliques dans l'ordre chronologique de leur admission dans le canon. C'est de cette façon que Schleiermacher établit la série suivante qui ne saurait contenter personne: 1° les Epîtres de Paul, 2° les Evangiles et les Actes, 3° les Epîtres catholiques, 4° l'Apocalypse. Pourquoi celle-ci arrive-t-elle la dernière? n'a-t-elle pas précédé dans le canon la plupart des epîtres catholiques ? Le manuel de C. G. Neudecker, Lehrbuch der hist. kritisch. Einleitung in das N.T. (18Ï0), si bourré de notes et de documents, ne marque aucun progrès sérieux. Tout autres sont les mérites des travaux de K. A. Credner qui sont une transition et une préparation à une forme nouvelle de l'isagogique Beitrxge zur Einleitung in die biblischen Schriflen (1832-1838), Einleilung in das N. T. (1836), Zur Geschichte des Canons, (1847), Geschichle des N. T. Canons (édité par Volkmar, 1860). Credner revenait au programme de Richard Simon avec toutes les ressources de la science moderne. Ce qu'il voulait écrire, c'est une histoire complète du Nouveau Testament dans laquelle il distinguait cinq parties principales: 1° histoire des origines des livres particuliers du canon (introduction spéciale), 2° histoire de la collection entière ou du canon (introduction générale), 3" histoire des versions ou de la diffusion du Nouveau Testament, 4° histoire de la conservation du texte, 5° histoire de l'interprétation. C'était, on le voit, un grand chapitre d'histoire littéraire que se proposait de raconter Credner. Il n'a pas eu le temps de remplir ce plan trop étendu et n'a donné au public que les deux premières parties. Les travaux de Baur et de l'école de Tubingue ont exercé une influence décisive sur la constitution définitive de l'isagogique en lui imposant exclusivement la forme et la méthode historique, en y fai-'sant pénétrer la vie, le mouvement de l'histoire elle-même. Considérés strictement à ce point de vue, les livres du Nouveau Testament ne sont plus que les documents des premières évolutions du christianisme. Il s'agit de les classer dans leur ordre de succession et d'après les tendances contraires qu'ils représentent. La science ne doit plus s'arrêter à la critique purement négative des idées du passé; elle doit reconstruire positivement l'édifice historique du premier âge chrétien en assignant à chacun de nos livres sa vraie physionomie, son origine historique et sa place logique dans l'ensemble. A ce point de vue on peut considérer comme appartenant à l'histoire de notre science le livre de A. Schwegler Das nachaposlolùche Zeitaller(1845) où se trouve exposée la série et la genèse historique des livres qui composent le canon du Nouveau Testament. Il est remarquable cependant de constater que l'école de Tubingue n'a laissé aucune Introduction critique proprement dite. C'est que l'isagogique pour elle se dissolvait et se perdait dans le grand courant de l'histoire générale. La préoccupation dogmatique, exclusive rejetait dans l'ombre la critique du texte et l'histoire littéraire. Aussi ce système d'une construction dialectique de l'histoire s'est-il effondré. Néanmoins dès ce moment, la méthode historique triomphe sur vu 3
toute la ligne et un cadre tout nouveau surgit pour notre science.L'isagogique apparaissait de plus en plus, affranchie de la dogmatique et de l'intérêt pratique de l'exégèse, comme l'histoire Iittérairedu christianisme primitif et un chapitre particulier de l'histoire générale. L'isagogique, d'abord simple préface composée d'éléments divers uniquement reliés entre eux par le lien extérieur d'un intérêt pratique, est devenue une histoire dont l'importance se mesure a celle de l'objet qu'elle embrasse. En tant qu'histoire, elle a retrouvé son indépendance et son unité. Elle n'est plus sous le joug d'aucun système théologique; elle n'a plus son but hors d'ellemême. Sans doute ses résultats ne sont indifférents ni à l'apologétique ni à la dogmatique ni à la polémique mais quel que soit l'usage qu'on en puisse faire, ils subsistent par eux-mêmes et gardent leur valeur en tant que vérités historiques. En même temps elle s'est débarrassée de tous les éléments qui ne lui appartenaient pas. Jadis les théories de l'inspiration, de l'autorité du canon v tenaient une grande place; elles en ont disparu avec raison pour rentrer dans la dogmatique à laquelle elles ressortissent. Encore une fois l'isagogique n'est plus que la constatation et l'exposition suivie desfaits littéraires qui concernent le canon biblique et les livres qui le composent. Le premier livre où cette science apparut comme une science purement historique avec une pleine conscience de son principe et une forme logiquement déduite de sa nature estl'ouvrage de M. Reuss, qui porte précisément à son frontispice le titre d'Histoire trouvé par Richard Simon: Die GeschiclUe der heilig. Schriften des N. T. (1" éd., 1842; A" éd., 1861). « Le livre que je soumets à l'examen du public, disait l'auteur, doit moins justifier son apparition par son contenu que par sa méthode. A une science qui manquait, même dans les meilleurs traités qu'on en avait faits, d'un principe générateur et de cohésion organique, j'ai essayé de donner l'un et l'autre. » A l'exemple et à la suite de Credner, M. Reuss développait avec une parfaite logique et. dans un ensemble harmonieux l'histoire critique du Nouveau Testament dans les cinq grandes parties de son manuel histoire des, origines des livres particuliers, histoire du canon, histoire du texte, histoire des versions, histoire de l'exégèse. Quelque arrondi et spécieux que soit ce plan, on peut se demander cependant s'il n'est pas trop vaste, si l'isagogique doit se confondre avec l'histoire générale de la Bible, si l'histoire de la diffusion de la Bible, des versions et de l'herméneutique y sont bien à leur place. Il y a de ce côté de l'indétermination et l'on court le risque de voir notre science se transformer dans ce sens en quelque chose qui n'est plus elle. En quoi, par exemple, les versions modernes en langue vulgaire appartiennentelles au domaine de l'isagogique ? Les versions anciennes a'y tiennent elles-mêmes qu'autant qu'elles servent à la critique du texte, et doivent rentrer par conséquent dans l'histoire du texte. Enfin, puisque l'herméneutique existe comme discipline théologique indépendante, pourquoi mettre son histoire dans l'isagogique, alors que sa vraie place est dans la théorie de l'herméneutique elle-même
(voyez l'art. Herméneutique)? Aussi devons-nous donner raison à Fréd. Bleek, Einleilung in das N. T. (1862) et à Hilgenfeld, Hislorischkristiche Einleilung in das N. T. (1875), qui, tout en maintenant la forme historique de notre science l'ont réduite à ces trois parties essentielles histoire des livres particuliers, du canon et du texte. IV. Dans la critique que nous venons de faire du plan de Credner et de Reuss, il y a toutefois autre chose encore qu'une question de limites. Il s'agit au fond de la notion même de notre science il s'agit de savoir jusqu'à quel point elle garde son caractère théologique. Il devient évident qu'avec Credner, Reuss, auxquels il faut joindre le nom de Hupfeld, Ueber Begriffund Melhode der sogenannten biblischen Einleitung (1844), l'isagogique se détache du rameau des sciences théologiques pour devenir un chapitre de l'histoire littéraire générale. C'est l'histoire littéraire du christianisme à son premier âge. Les limites mêmes du canon ecclésiastique sont franchies et brisées et il n'y a plus de raison de distinguer entre les livres canoniques et apocryphes. Le but change; il ne s'agit plus d'expliquer le fait littéraire du Nouveau Testament, mais de faire un tableau vivant et complet d'une époque donnée de la religion chrétienne. A ce point, l'isagogique doit perdre son nom car elle ne mène et n'introduit plus à rien; elle n'a plus d'objet déterminé, hi de limites précises. C'est la dissolution d'une science théologique dans l'encyclopédie générale des sciences humaines. Si ce mouvement qui a emporté ainsi l'isagogique et l'a dissoute sous le prétexte de l'émanciper, était absolument légitime, on ne voit point pourquoi toutes les autres sciences théologiques ne suivraient pas la même voie et n'auraient pas le même sort. La dogmatique s'évanouirait dans la philosophie, l'homilétique dans la rhétorique et ainsi de toutes les autres. Il n'y aurait plus de théologie. Qui est-ce qui donne à la science théologique en général et à chaque discipline particulière leur caractère spécial, sinon l'intérêt pratiqué de l'Eglisa qu'elles doivent servir? Donc, tant qu'il y aura sur la terre une Eglise, il y aura une science théologique qui se distinguera de la science en général par le but particulier et l'intérêt pratique qu'elle poursuit et doit poursuivre sous peine de se suicider. Si nous appliquons ce principe mis en évidence par Schleicrmacher, à l'isagogique, on voit qu'elle ne peut subsister dans l'enceinte de la théologie, qu'à la condition de maintenir la notion du canon biblique qui lui est fournie par l'Eglise et sans laquelle il est impossible de lui tracer des limites qui ne soient pas arbitraires. Baur, réagissant contre les conséquences de son propre système, l'a prouvé avec une grande force de démonstration dans une série d'articles des Tubing. Jahrbucher, 1850,. IV et 1851, 1, II, III, Die Einleitung in das N. T. als theologische Wissenchaft. Il a montré que l'isagogique n'avait pas seulement à faire 1 histoire littéraire du siècle apostolique, mais qu'elle avait un objet détermiaé, l'étude du canon biblique et que dès lors, elle avait à faire aussi bien la critique des. idées traditionnelles sur ce sujet qu'à raconter et à reconstituer la genèse historique des livres particuliers et du recueil où ils ont été
admis. C'est à ce prix que notre science conserve une physionomie particulière, a des limites arrêtées, une tâche définie et reste une science théologique. Nous pouvons donc conclure et donner une définition juste et complète de l'isagogique. C'est une science qui emprunte sa méthode et sa forme a l'histoire littéraire générale, mais reçoit son objet de l'Eglise. Elle a pour but l'étude historique et critique du canon du Nouveau Testament et des livres qui le composent. A. Sabatier. ISAIE. Voyez Esaïe.
ISBOSETH [Isch Bosèth; 'hfioaQél, fils de Saiil qui, après la mort de son père, fut proclamé roi d'Israël par Abner, son général, et reconnu par toutes les tribus, à l'exception de celle de Juda. Une tentative de soumettre cette dernière ayant échoué (2 Sam. II) et Abner ayant abandonné Isboseth qui lui .avait reproché ses relations avec une concubine de son père (2 Sam. 111, 7), pour passer à son rival David (2 Sam. III, 13 ss.), le fils de Saiil se vit, après deux années seulement de règne (2 Sam. IV, S ss.), lâchement assassiné pendant son sommeil à Machanaïm, sa résidence (2 Sam. II, 8), par deux de ses officiers qui s'attendaient sans doute à une grande récompense de la part de David (2 Sam. IV,8; cf. Josèphe, Aniiq., 7,2. 1). Le Isboseth désigné 1 Chron. VIII, 33 et IX, 39, comme fils cadet de Saiil, est sans doute le même que celui dont l'histoire est racontée dans le deuxième livre de Samuel.
ISELIN (Jacques-Christophe) [1681-1737], helléniste bàlois célèbre. Il professa à Marbourg l'histoire et l'éloquence, puis il retourna à Baie, où il eut la chaire d'histoire et d'antiquités, et plus tard celle d'exégèse du Nouveau Testament. Parmi ses nombreux écrits, nous citerons 1° Insenlentiam J.-B. Bossuet de Babylone bestiisque et mereirice Apocalypseos, Bâlo, 1701, in-4°; 2° De canone Novi Testamenli, inséré dans les Miscellanea Groningana, t. III ;30 Vindicatio Erasmi ab accusatione aucloris Prolegomenorum in Nouum Tesiamentum, dans Gerdes, Miscellanea Duisburgensia t. I; 4° de curieuses Dissertations sur le projet de l'empereur Tibère de mettre Jésus-Christ au nombre des dieux de Rome, insérées dans la Biblioth. German., t. XXXII et XXXIII. ISIDORE DE PÉLUSE, écrivain ecclésiastique, né, croit-on, à Alexandrie vers 370, mort en 450. Il abandonna le monde, où sa famille tenait un rang considérable, pour embrasser la vie monastique et se retirer dans un couvent de Péluse. Isidore était lié avec les personnages les plus éminents de l'époque, saint Cyrille, Chrysostome, dont il fut le constant défenseur contre les attaques de ses ennemis, les patriarches Théophile et Cyrille d'Alexandrie. Il avait écrit contre lés gentils un grand ouvrage qui est perdu; mais on a de lui un grand nombre de lettres, presque toutes consacrées à l'interprétation de l'Ecriture sainte, et remarquables par la piété et le savoir. Ces lettres, au nombres do deux mille treize, mais qui ne sont peut-être pas toutes d'Isidore, forment cinq livres. Les trois premiers furent imprimés avec une traduction latine et des notes par J. de Billy, Paris, 1385, in-f°, et réimprimés avec addition du quatrième livre par
Conrad Rittershausen, Heidelberg, 1605, in-f°; le premier livre fut publié pour la première fois, 'd'après un manuscrit du Vatican, par André Schott, Anvers, 1623, in-8° et réimprimé avec une traduction latine et des notes, Francfort-sur-Mein, 1629, in-f". Enfin une édition complète parut à Paris, 1638, in-f°. Voyez Heumann, Disserlalio de Is. l'clus. ejusque epislolis, Gœttingue, 1731, in-i°.
ISIDORE DE SÉVILLE, san Isidoro, l'un des plus savants docteurs de l'Eglise chrétienne, naquit en 560 environ à Garthagène, où son père Sévéricn exerçait les fonctions de préfet. A la mort de ses parents, il fut élevé par son frère Léandçe, évêque de Séville, et fit sous son austère direction les études requises pour l'état ecclésiastique. Remarquable par son éloquence et son étonnante fécondité, il travailla à répandre au sein du clergé espagnol les doctrines et les traditions romaines qui, depuis la conversion de Réccared au catholicisme (587) et le célèbre troisième concile de Tolède (589), triomphaient partout des résistances de l'arianisme. En l'an 600 environ, Isidore succéda à son frère. Lié d'amitié avec Grégoire le Grand, il entretint des rapports fréquents avec Rome, avec sa sœur Florentina qui était religieuse, son frère sanFulgencio, évêque d'Astigi (610-619), et san jBraulio, évêque de Saragosse (631-651). Tout à la science, Isidore composa de nombreux ouvrages et exerça une influence décisive sur les destinées de l'Eglise espagnole, en présidant, en 619, le deuxième concile de Séville et, en 633, le quatrième concile national de Tolède qui donna à l'Eglise une constitution nouvelle. C'est à cette circonstance qu'il dut l'honneur d'être considéré dans son pays et bientôt par la chrétienté tout entière comme l'auteur de la législation ecclésiastique. Il est probable que l'exemplaire de la collection espagnole des canons, qui servit de base aux travaux du célèbre faussaire du neuvième siècle, portait le nom d'Isidore; car il est prouvé que la préface de la collection se retrouve presque textuellement dans le livre des Etymologies (Elymol., lib. VI, cap. xvi, De canon. conciliorum), et l'on est porté à admettre qu'Isidore l'ernprunta au code alors en usage dans l'Eglise et l'inséra lui-même dans son livre. D'autres pensent qu'elle passa du livre des Etymologies dans celui des canons. Les deux hypothèses expliquent comment le nom d'Isidore a pu figurer dans la collection des canons et servir d'égide aux fausses décrétales (voyez Carol. de la Serna Santander, Prsefatio in collecl. veur. canon. Eccl. Ilisp., Brux., 1800; et cette collection elle-même dans J.-P. l'ligne, Pairologiœ cursus, LXXXIV, Paris, 1850; P.-B. Gams, Die Kircheng. von Spanien, II, 2° part.; Regensb., 1874. Ap. I, Das all-spanische Kirchswechl, 462, et Vie. de La Fuente, Hist. eccl. de Esp., II, § 90, p. 265, Madr., 1873). Le 4 avril 636, Isidore mourut, après avoir donné à son Eglise des témoignages touchants de sa piété et de son humilité. Voyez pour les détails assez incertains do sa vie et les diverses biographies F. Arevalo (S. Isidori hispal. episc., Opéra omnia, Romœ, 1797-1803, 7 vol. in-4° reprod. dans la Patrologie de Migne, LXXXI-LXXXIII), Isidoriann, sive in edit. oper. S. Isid. Prolegom., I-II [Migne, Patiol.,
LXXXI]. Cf. Acln sanctorum, ad. 1 apr.; H. Florez, Esp. Sagr., IX, 216 394 Bourret, L'école chrétienne de Séville, Paris, 1855. -Les œuvres, d'Isidore peuvent se diviser en quatre classes (voyez Fabricius, Bibl. Latina, II, 437; Nic. Antonio, Bibl. Hisp. vel., I, cap. m-iv). La première classe embrasse les écrits concernant les saintes Ecritures 1° Une paraphrase assez étendue de la Genèse et de courtes notes sur les autres livres historiques de l'Ancien Testament, sous le titre de Quxstiones in Velus Tesiamentum, seu m ysticorum expositiones sacramentor wn. Ces notes sont puisées chez Origène, Victorin, Ambroise, Jérôme, Gassien, Augustin, Fulgence, et Grégoire; 2° un catéchisme de la Bible en quarante-et-une questions De feleri et Novo Testamento qwesliones 3° de courtes notices sur les livres saints In libros Veleris ac Novi Teslamenti proœmia 4° une petite histoire biblique d'une authenticité douteuse De ortu, el obilu patrum o° un commentaire sur le sens mystique des noms de l'Ecriture et des nombres qui s'y rencontrent: Allegorix quxdam script. sacr. et Liber numerorum, qui in sancl. script, eccurrunt; 6° un traité mystique, qui porte divers titres Synonyma, de lameniatione animse peccalricis ou Soliloquia, ou Dialogus inter ralionem et appelilum L'auteur retrace les angoisses d'une âme travaillée par les peines du péché et arrivant à la consolation par la considération des devoirs que lui impose la morale chrétienne. Le titre s'explique par le fait que l'auteur exprime la même pensée sous des formes différentes (Prol. prior Synonyma id est mulla verba in unant sïgnificationem coeuntia. Ex. Lib. Il, 3; serva, reclam fidern, tene sinceram fidem, cuslodi iiitemeratant /idem, maneat in le reela fides). – La deuxième classe contient les œuvres dogmatiques 10 ° De fide calholica ex Veteri et Novo Testamento contra Judxos. Ad Florentin om sororem. Isidore traite des prophéties relatives à la divinité de Jésus-Christ et des témoignages de l'Ecriture concernant la vocation des païens, l'abolition des cérémonies, le rejet temporaire et l'adoption finale du peuple juif; 2° Sententiarum libri tres. Ces trois livres de Sentences tirées de saint Augustin et de Grégoire forment un cours complet de dogme et de morale chrétiennes. La théologie proprement dite, la description des vertus chrétiennes et du développement de la vie au sein des épreuves et des tentations et les devoirs des prêtres, des juges et des seigneurs, tel est le contenu de cet ouvrage qui n'a pas été sans influence sur l'œuvre de Pierre Lombard; 3° De Ecelesiasticis Offîciis. Ce livre, qui traite des offices ecclésiastiques, a été composé à la prière de l'évèque Fulgence. L'auteur ne parle pas des origines des offices et du ministère ecclésiastique, comme le titre des deux livres dont le traité se compose semble l'indiquer (De origine officiorum, De origine minislrorum); mais il donne une description des usages et des coutumes de l'Eglise de son temps et un exposé des devoirs du clergé. A cet ouvrage se rattache 4° Regula monachorum une règle de la vie monacale, qui se distingue par son manque de rigueur. On peut ranger dans la troisième classe les écrits historiques 1° Lne chronique (Chronicon), basée sur les travaux de Julius Africanus, d'Eusèbe de Césarée et de
Victor évoque de Tunnunum une ville du nord de l'Afrique (sixième siècle), et embrassant l'histoire du monde jusqu'au règne d'Héraclius et du roi Sisebut; mais au lieu de s'en tenir à la série des années, l'auteur groupe les faits en six grandes périodes ou âges du monde et suit l'ordre des règnes; 2° le livre Historia de regibus Golhorum, Wandalorum et Suevorum, n'est qu'un court résumé, sans importance, de l'histoire de ces peuplades composé d'après les mêmes principes que la chronique; 3° les biographies de quarantesix personnages illustres de l'Eglise chrétienne renferment des détails précieux pour l'histoire de cette période et portent le titre Liber de viris illustribus ou De scr'vptoribus ecclesiasticis ou Addilio ad libros S. IJieronymi et Gennadii de script, ceci. Mais celui que les Pères du huitième concile de Tolède (G53) ont appelé le plus grand savant de son siècle, ne s'est pas arrêté aux limites de la théologie, il a embrassé l'universalité des sciences humaines. – Dans la quatrième classe figurent les ouvrages suivants 1° Differenliarum seu de proprietate sevmonum libri duo. S'inspirant de l'exemple de Caton, l'auteur rend compte de l'analogie des mots et des choses en suivant l'ordre alphabétique, ex. Diff. inler aptum et utile, avarum et cupidum, bellum et proelium, ou Deum et Dominum, Trinitalem et Unitatem; 2° De ordine crealurarum, une cosmologie embrassant Dieu, le monde, l'hiérarchie angélique, les espaces célestes, la terre, le genre humain et les choses finales; 3° De naiura rerum ad Sisebuium regem. Ce traité d'astronomie et de météorologie a été composé à la demande du roi Sisehut; 4° l'oeuvre capitale du savant évêque, la dernière qui soit sortie de sa plume et qui, embrassant toutes les connaissances de l'époque, peut être nommée une encyclopédie ou un dictionnaire des sciences naturelles et morales, porte le titre de Originum seu Etyrnologiarum libri XX. Après avoir parcouru les sciences comprises dans le cycle du trivium et du quaJrivium la grammaire, la rhétorique, la dialectique l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie, l'auteur traite des sciences pratiques, de la médecirie, de la jurisprudence, de l'histoire et de la théologie scripturaire et ecclésiastique (lib. I-Vl). Ensuite il donne un cours complet de la doctrine chrétienne, et parle de Dieu, des choses divines et de l'Eglise (lib. VII-YIII). Puis l'humanité fixe ses regards, les peuples dont elle se compose, les langues qu'elle parle, les rapports des peuples entre eux, et le sens des mots (lib. IX-X). De là, il passe à l'anthropologie, à la zoologie, à la cosmologie, à la géographie et à la minéralogie, et complète son livre par un aperçu des termes relatifs à l'agriculture, à la guerre, aux jeux, à la navigation, aux vêtements et aux instruments de labour et autres. Citons encore quelques lettres. Quant aux autres ouvrages attribués à Isidore, comme De norma vivendi, exhorlalio pœnitendi, li.ber glossarum, explait. in ranlic., etc., ils sont ou iuaullicntiques ou de moindre importance. –Isidore n'est remarquable ni par la profondeur de sa science, ni par l'originalité de ses vues. Il manque de méthode et dépend entièrement des sources qu'il imite ou qu'il reproduit avec une conscience
scrupuleuse et parfois même servile (voyez la liste des auteurs consultés par Isidore dans son livre des Etymologies, hidoriana, pars 11, cap. lui, Migne, vol. LXXXI, 337 ss.). Il ne domine pas son sujet, et n'arrive pas à grouper les divers éléments de son prodigieux savoir d'après les règles d'une logique vigoureuse et serrée. L'esprit systématique lui fait défaut. Son style, quelquefois lourd et embarrassé, manque d'énergie et de saveur et n'a rien de jjersonncl. Mais l'Eglise vénère avec raison en lui l'un de ses plus grands docteurs, car c'est a sa source que se sont inspirées les générations qui vinrent après lui, c'est grâce à ses efforts que l'Eglise d'Espagne a inauguré au septième siècle une ère de prospérité qui a duré jusqu'à l'invasion des Arabes; et pendant tout le cours du moyen âge, c'est dans ses ouvrages que la jeunesse studieuse a appris à connaître les sciences de l'antiquité et l'histoire du passé. Aujourd'hui encore, ceux qui veulent se rendre compte de l'état des esprits et des connaissances humaines aux cinquième, sixième et septième siècles de notre ère, n'ont pas de meilleur guide que les œuvres de l'illustre évoque de Séville. On connaît quatre éditions de ses œuvres 1° Celle de Marg delaBigne, Paris, 1580, in-f°; 2° celle de J.-B. Perez et J. Grial, Matriti, 1599, in-f°, et 1778, 2 vol. 3" celle de Jacob. duBreul, Par., 1601, in-f°, et Colon., 1617, in-f°; enfin 4° celle do F. Arevalo, reproduite par J.-P. Migne. Eug. Sterx. ISLAMISME. Voyez JUahomèlisme.
ISLANDE (Le christianisme en). L'Islande, aussi remarquable par la douceur relative de son climat et la beauté de sa verdure que par ses geysers et ses volcans, paraît être, au témoignage de M. Vivien de Saint-Martin et de quelques géographes éminents, cette UltimaThulé dont parle le voyageur grec Pythéas. Si l'on en croit le traité de géographie de Dicuil, moine irlandais, qui vivait vers 823 (voir Letronne, Recherches géographiques et critiques sur le trailè: De mensura orbis, Paris, 181-4, in-8°), des moines culdécns firent vers 750 un séjour assez prolongé dans cette île lointaine, y laissèrent des livres de prières et des vivres et en tracèrent des peintures lamentables, commentées et grossies par toute la tradition du moyen âge. Et pourtant, si le ciel était sombre et triste, dix jours de navigation séparaient seuls l'Islande de la Norvège avec deux haltes aux îles Shetland et Perœ. En tous cas cette première apparition du christianisme ne laissa que fort peu de traces et ce ne fut que plus d'un siècle après que l'Islande fut définitivement connue et rattachée au monde occidental. Ce fut en 860 que le Northmann Radd-Odd fit le tour de l'Islande, dont il reconnut le caractère insulaire et à laquelle il donna le nom de Sneeland, ou pays de la neige, qui fut remplacé un siècle après par son nom actuel. Vers la fin du neuvième siècle l'établissement du pouvoir absolu en Norvège, par llarald Harfager, chassa du pays de nombreux mécontents et des proscrits, qui fondèrent en Islande une république aristocratique et encore païenne. Cette colonie, dont on a retrouvé les traces jusqu'au soixante-treizième degré de latitude, découvrit le Groenland, le Labrador et l'Amérique.
qu'elle appela Vinland (ou pays de la vigne), quatre siècles avant Christophe Colomb par l'expédition de Bijorn en 1001. Les légendes et les Sagas du cycle mythologique scandinave jouèrent un grand rôle dans la vie intellectuelle et nationale de l'Islande, dont l'Edda était comme la Bible. Les scaldes ou chantres nationaux en conservaient précieusement le souvenir, et cet ensemble de faits, joint à l'esprit d'indépendance, à l'isolement et à l'origine de ces populations mélangées, nous explique la résistance acharnée qu'elles opposèrent pendant longtemps à toutes les tentatives de prosélytisme venues du dehors. Ce fut un évoque allemand, Frédéric, qui annonça le premier l'Evangile en Islande. Il avait converti l'Islandais Thirwald, qu'il avait appris à connaître sur les côtes de la Baltique, et il se rendit avec lui en Islande en 981, mais ne put parvenir à détacher du paganisme son père, Codran, qui plaçait toute sa confiance dans la pierre sacrée de Thor, aérolithe tombé près de sa demeure. Ce fut en vain que, sur la prière de l'évoque, la pierre se fendit en deux, en vain que deux sorciers, qui avaient voulu subir l'épreuve du feu, périrent victimes de leur fanatisme les scaldes conservèrent leur ascendant et le peuple, furieux de l'atteinte portée à ses antiques superstitions nationales, mit en 984 le feu à la première église chrétienne construite dans l'île. Nous ne devons pourtant pas considérer les efforts de Frédéric comme entièrement stériles et nous voyons le chef Thorkil, converti par lui, offrir sa maison comme le lieu de culte de la religion nouvelle. Quelques années plus lard Olaf ou Olaus Ier Trygvœson, roi de Norvège, après avoir reçu le baptême, résolut d'introduire le christianisme dans tous les Etats soumis à sa domination. Parmi les personnes attachées à sa cour se trouvaient plusieurs Islandais appartenant aux plus nobles familles et professant, comme lui, le christianisme. Son premier missionnaire, Stefner, se rendit odieux par ses violences et dut abandonner son œuvre en 996. Thangbrand, qui lui succéda, le dépassa encore en cruauté, joignit à la persécution les spoliations les plus éhontées et se vit ignominieusement chassé après un meurtre commis à son instigation par l'un de ses serviteurs sur un habitant du pays. Olaf II, le saint, qui avait continué l'œuvre d'Olaf Ier, périt victime d'une conspiration soutenue par la Suède, et l'Islande, après quelques années d'indépendance, tomba sous Waldemar Ier au pouvoir du Danemark, qui profita de ses discordes intestines pour s'en emparer et qui l'a conservée jusqu'à nos jours. Revenons maintenant aux efforts tentés par Olaf Ier. Excité par les plaintes amères de Thangbrand et résolu à tirer de ses sujets une vengeance éclatante, il se préparait à diriger contre l'Islande païenne une expédition militaire; mais il se laissa apaiser par les sages conseils de deux nobles islandais chrétiens, Hialti et Gissur, qui avaient dû abandonner leur patrie pour rester fidèles à leur foi. Ils firent remarquer au roi ce qu'avait d'excusable la résistance de leurs compatriotes attachés aux traditions des ancêtres ils lui prouvèrent que les violences de Thangbrand avaient provoqué de légitimes représailles et ils s'offrirent pour aller repren-
dre l'œuvre interrompue. Ils s'embarquèrent en l'an mil sur des navires fournis par le roi avec des vivres et des bois de construction et emmenèrent avec eux quelques prêtres chargés de la direction de la future Eglise. A leur arrivée, les chrétiens échappés à la persécution, tous ceux qui avaient conservé au fond du cujur quelque attachement pour le christianisme et ceux qui redoutaient la puissance royale se joignirent à eux. L'opposition n'en persista pas moins avec violence et une guerre civile semblait inévitable quand le juge, Sido Hallr, partisan de Hialti, soutenu par le prêtre païen Thorgeir, qui était presque gagné à la religion nouvelle, réussit à faire voter parle peuple, réuni en assemblée générale, trois lois, qui devinrent le code de la nation et qui déclaraient le baptême obligatoire pour tous les Islandais, ordonnaient la destruction des idoles et défendaient l'usage de la viande de cheval et l'exposition des enfants nouveaux-nés. A partir de ce moment l'on peut considérer le christianisme comme définitivement implanté en Islande, mais il n'est pas difficile de comprendre combien une conversion semblable présentait peu de garantie et de solidité. Les historiens relèvent l'ignorance des néophytes, qui savaient à peine réciter un pater et un ave, la persistance des usages païens mal déguisés sous un léger vernis de christianisme, la position précaire des prêtres, réduits pour vivre à vagabonder, à exercer tous les états, même à porter les armes et demeurant sans instruction et sans autorité. Gissur voulut remédier, dans la mesure du possible, à cette triste situation et envoya son fils Isleif faire ses études en Europe. Celui-ci, après avoir achevé son éducation à Erfurt, se vit, à son retour en Islande en 1051, nommé évêque et établit son séjour à Skalholt, qui fut pendant des siècles la résidence du premier évèque du pays. Isleif substitua le premier l'alphabet latin aux caractères runiques et traduisit plusieurs ouvrages d'édification pour le peuple. En 1 f 07 un second évêché fut fondé à Holum. Ce fut vers cette dernière date que le denier de saint Pierre fut établi dans toute l'île. Les Islandais conservèrent toujours le goût de leurs ancêtres pour les expéditions lointaines et aventureuses. Nous les avons suivis au Labrador, aux Shetland, aux Ferœ et jusque dans la mystérieuse Amérique. En l'an mil l'Islandais Leif,fils d'Eric le Rouge', qui dans le cours de ses expéditions, avait épousé aux Hébrides la chrétienne Thorunna, s'établit dans le Groenland et y introduisit la foi chrétienne. Le christianisme y domina à partir de 1100, mais les affreux ravages de la peste noire mirent un terme aux relations de l'Europe avec cette contrée lointaine, qu'Egède (voir Egèdt) dut évangéliser de nouveau dans le courant du dix-huitième siècle. Nous voyons l'Eglise d'Islande offrir pendant tout le moyen âge le même spectacle que les Eglises du continent. Les usages païens ne cèdent qu'à la longue à l'influence de la prédication chrétienne, car comment un clergé pauvre et ignorant aurait-il pu exercer sur les esprits une action décisive? Toutefois l'ascendant des hauts dignitaires, appartenant pour la plupart aux premières familles du pays, put contrebalancer dans une certaine mesure ces ferments de superstition. Pen-
dant deux ou trois siècles les prêtres continuèrent à se marier et résistèrent avec quelque succès aux prétentions de la curie romaine. Si toutes les erreurs du catholicisme trouvèrent en Islande comme ailleurs un terrain favorable, le haut clergé, relevant à l'origine de l'archevêché de Brème-Hambourg (831), puis successivement des archevêchés de Lund (1103) et de Nidaros (1152), lutta avec énergie pour la défense de ses droits contre les prétentions du pouvoir royal. De son côté le clergé se vit exposé aux attaques d'une population impétueuse, indisciplinée, jalouse de ses prérogatives. Ces luttes intestines qui amenèrent plus d'une fois l'effusion du sang, permirent à la royauté danoise d'établir, avec le concours des moines, son autorité sur des bases solides. L'épisode le plus saillant de ces discordes obscures est le conflit qui s'éleva en 1269 entre l'archevêque Thorlakson et le peuple au sujet du patronat laïque et que seule l'intervention du roi Magnus parvint à apaiser. -La Réforme pénétra du Danemark en Islande dans la seconde moitié du seizième siècle. Dès 1540 Oddr Gottschalkson avait traduit le Nouveau Testament imprimé à Rœskilde. La première édition de la Bible entière est postérieure de quarante ans. En 1339 l'évêque catholique OEgmund Pallson, las de lutter contre le courant des idées nouvelles et les prétentions du pouvoir royal, désigna pour son successeur Gizur, élève distingué de l'Université de Wittemberg, prêtre marié et gagné aux idées évangéliques. L'évoque Ion Aruson, défenseur obstiné de la religion catholique, engagea l'évêque démissionnaire OEgmund à reprendre la lutte contre Gizur, mais OEgmund, accusé d'avoir pris part au meurtre d'un fonctionnaire royal, fut déporté en Danemark dès 1541. Gizur, premier évêque protestant de l'Islande, mourut en 1 5 48 après avoir rencontré sur son chemin mille obstacles, qui provenaient de l'attachement du peuple pour les vieilles coutumes, de l'ignorance générale et de la confiscation des biens du clergé par le gouvernement, mesure arbitraire qui plongea le nouveau clergé dans la plus profonde détresse. Ion reprit la lutte contre le nouvel évêque, Martin Einarson, qu'il mit en prison. Il ne craignit pas de faire jeter à la voirie le corps de l'évêque Gizur et de persécuter les fonctionnaires du roi, mais ses menées secrètes avec les ennemis de l'Etat amenèrent son arrestation et son supplice en 1550. Depuis cette époque l'archevêché d'Islande a été aboli et la Réforme a rencontré les mêmes obstacles que naguère le catholicisme: l'ignorance, les préjugés invétérés, le petit nombre et la pauvreté des membres inférieurs du clergé et la persistance de l'usage du latin dans une partie du culte pendant plus d'un siècle. Toutefois nous devons constater que l'évêque Thollakon avait dès 1574 établi une imprimerie à Hollur et ouvert de nombreuses écoles. Depuis le commencement du siècle on signale des progrès manifestes dans l'Eglise évangélique d'Islande. Le roi, summus episcopus, y est représenté par des surintendants auprès de cette population, actuellement tombée de cent mille à cinquante mille âmes. Les voyageurs modernes l'ont trouvée pure, simple, foncièrement hospitalière et des catholiques ont su rendre hommage à la
science éclairée et aux. vertus évangéliques d'un clergé plein de dévouement et de zèle, mais toujours pauvre et insuffisant. En esquissant cette histoire religieuse de l'Islande nous avions présentes à l'esprit ces deux antiques prophéties: « Les îles espéreront en moi, » dit l'Eternel (Esaïe LI, 5); « Chacun se prosternera devant l'Eternel dans son pays, dans toutes les îles des nations »(Soph. II, 11). – Sources Finnus Johanneus, Historia ecclesiaslica hlandise, 4 vol., Havniae, 1772-1778 Langebek, SS. Dan., II, 504-519 VIII, 552-568; Miinter, Gesch. der Einfiïhrung d. Chrisl. in Deenemark, 2 vol Marner, Bckehrung der Norm. Slxmme, vol., et l'article Island dans Herzogs TiealKncycl. Scripta hisloricalslandorum, Havniae, 1828, 12 vol. Neander, Kirch. Gesch., VI, 34. 47.' A. Paumier. ISMAEL (Ysmâêl; 'IsjW.X, c'est-à-dire Dieu entend). – 1° Fils d'Abraham et de sa concubine Agar(Gen. XVI, 11. 16). La vue du jeune Ismaël excite la jalousie de Sarah, lors de la fête célébrée en l'honneur du sevrage d'Isaac, et elle exige d'Abraham la répudiation du fils et de la mère. Une tradition juive postérieure (Gal. IV, 29) attribue cette cruauté de Sarah à des sévices qu'Ismael aurait exercés sur son jeune frère. D'après le sens littéral de Gen. XXI, 9, Ismaël était encore très jeune à cette époque; ce passage suit donc une autre chronologie que Gen. XVI, 16, d'après lequel Ismaël avait à peu près quinze ans lors de son expulsion de la maison paternelle. Sauvé miraculeusement de la mort dans le désert de BeerSçebah, Ismaël grandit dans le désert de Paran, et sa mère le marie plus tard à une Egyptienne (Gen. XX, 20). D'après Gen. XXV, 17, Ismaël mourut à l'âge de cent trente-sept ans. Si les Israélites conservèrent le souvenir de leur proche parenté avec les Ismaélites (Gen. XVII, 23), la mère égyptienne et la femme d'Ismaël semblent indiquer une alliance de sa race avec les Egyptiens, tout comme le mariage de sa fille avec Esaü indique une alliance avec les Edomites. A cela correspond l'indication des demeures occupées par les peuples qui descendaient des douze fils d'Ismaël (Gen. XXV, 12). Ils habitaient tout le désert situé entre la frontière est de l'Egypte et le golfe persique. Aussi le nom d'Ismaélites fut-il donné plus tard à tous les Bédouins habitant le nord de l'Arabie et comprenait même les Madianites (Gen. XXXVII, 25 Juges VIII, 2'1). Les écrivains "arabes, toutefois, distinguent entre les Arabes ismaélites et les Arabes au. tochtones (joctanides). Voir Hottinger, Hisl. oriental., 210; Herbelot, Biblioth. oriental., II, 343 ss.).- 2° Fils de Methanjah, petit-fils d'Elisamah, de race royale, est l'assassin de Gédaljah, qu'il tua sur l'instigation du roi ammonite Baalis (Jérém. XL, 14). Ce meurtre fut commis, deux mois après la destruction de Jérusalem, à l'occasion d'un festin que Gédaljah donna aux conjurés. Ismaël parvint à se soustraire par la fuite à la vengeance de ses persécuteurs et trouva asile auprès des Ammonites (2 Rois XXV, 25; Jérém. XL, 13; XLI, 18). ISMAÉLIENS, secte musulmane. Voyez Mahométisme.
ISRAEL (Histoire du peuple d'). Nous placerons en tête do l'esquisse, nécessairement très incomplète, que nous allons donner ici
de l'histoire juive quelques indications chronologiques. Comme l'établissement des dates des principaux événements qui marquent la destinée des peuples de l'antiquité, la fixation de la chronologie israélite présente de grandes difficultés; mais ces difficultés sont singulièrement aggravées par le préjugé qu'on y apporte d'ordiuaire et qui n'a cédé la place à une vue plus rationnelle que depuis un petit nombre d'années. Aujourd'hui il est devenu possible, sinon de dater avec précision les principaux faits de l'histoire d'Israël, au moins d'indiquer le degré approximatif de certitude que l'on peut obtenir à l'égard de telle ou telle des époques dans lesquelles se divise cette histoire.-La plupart des auteurs qui se sont occupés de la chronologie de la partie la plus ancienne de l'histoire du peuple israélite ont commis la faute de considérer comme des documents historiques des récits légendaires ou mythiques dont le cadre est absolument factice et artificiel, tels que ceux que contient la Genèse. Dans cette période elle-même il faut distinguer deux parties, la première qui se rapporte à l'histoire du genre humain jusqu'à Abraham, la seconde qui s'étend d'Abraham jusqu'à l'établissement de ses descendants en Egypte. Pour la première partie, on peut se reporter à ce qui est dit dans notre article Histoire primitive de l'humanité d'après la Bible l'on pourra consulter aussi l'analyse critique que nous avons donnée des divers documents dont la combinaison forme le premier livre de la Bible, dans l'article Genèse. Du moment où le caractère artificiel de tous les chiffres en question a été élevé audessus de toute espèce de doute, il est regrettable de voir dépenser de grands efforts d'érudition pour examiner si les chiffres du texte hébreu doivent être préférés à ceux du texte samaritain ou grec, s'il est possible de faire rentrer la chronologie de l'Egypte et de la Chine dans les limites assignées par la date biblique du déluge, etc. Tous ces essais d'ailleurs, se rapportant à l'époque antérieure au patriarche considéré comme l'ancêtre même du peuple israélite, peuvent être envisagés comme étrangers à l'objet actuel de nos recherches. La chronologie de l'époque patriarcale, à son tour, ne saurait pas davantage être regardée comme pouvant fournir les éléments d'un calcul quelconque les chiffres très précis, trop précis, qu'elle nous présente révèlent en effet leur origine purement artificielle à l'examen critique. Les doutes soulevés par l'historien à l'égard de l'existence même d'un Abraham, d'un Isaac et d'un Jacob, seraient jugés excessifs, que les dates exactes des principaux événements de leur vie n'en prendraient pas davantage le caractère d'une chronologie digne de foi. Nous arrivons ainsi à l'époque qui voit l'établissement de la famille de Jacob sur la terre d'Egypte. Des synchronismes ont été tentés ici à l'aide de la reconstruction des annales égyptiennes par le moyen des monuments; mais aucune des hypothèses proposées n'a ̃ obtenu l'assentiment général, et il demeure établi que cet événement capital dans l'histoire du développement israélite ne saurait servir de point de départ à la chronologie juive. Peut-on fixer au moins les limites du séjour des Israélites en Egypte? Un texte de l'Exode
(XII, 40) dit quatre cent trente ans, mais ce chiffre trouve sa réfutation dans d'autres indications contenues aux livres sacrés euxmêmes, entre autres dans la table généalogique des Lévites (Exode VI, 15-2o) qui suppose un intervalle beaucoup moins considérable.- On devrait toutefois s'estimer heureux si le synchronisme de l'histoire égyptienne permettait d'établir sans contestation la date de la sortie d'Egypte. Mais ici encore le terrain solide fait défaut; les historiens qui s'occupent plus spécialement de l'histoire juive et les égyptologues ont proposé, chacun de leur côté, une série de dates qui n'ont jamais fait taire les objections et levé les difficultés aussitôt soulevées. Quand même on voudrait ne pas tenir compte du synchronisme égyptien et établir la date de la sortie d'Egypte à l'aide des seules données bibliques, l'on n'échapperait point à l'embarras. En effet, les chiffres que nous trouvons dans le livre des Juges et dans le premier livre de Samuel nous donnent, depuis la mort de Josué jusqu'au commencement du règne de Saiil, une somme de cinq cents ans, somme qui doit elle-même être considérée comme incomplète puisque ni l'époque de Samgar (Juges III, 31), ni l'anarchie qui précède -la troisième servitude, sous Jabin (IV, 1), ni les époques de trouble qui suivirent la mort de Gédéon et celle de Jaïr (VIII, 33-33 et X, 6) ne sont exactement déterminées. Si l'on ajoute à ces indications, le temps du séjour au désert et celui du gouvernement de Josué, on arrive à près de six cents ans. D'autre part, les livres des Rois (1 Rois VI, 1) ne comptent que quatre cent quatre-vingts ans depuis la sortie d'Egypte jusqu'à la fondation du temple de Salomon, passablement postérieure à Saiil. Aucun artifice ne saurait combler une pareille contradiction. D'ailleurs l'examen interne des chiffres donnés depuis la sortie d'Egypte jusqu'à Samuel montre qu'on ne saurait leur attribuer aucun crédit ce sont pour la plupart des chiffres ronds, quarante, quatre-vingts, etc. Il résulte de ces observations, que la date de la sortie d'Egypte et de l'établissement des Israélites dans le pays de Canaan ne saurait pas être établie à l'aide des données bibliques; la meilleure preuve en est dans l'écart des différentes supputations, qui vont des environs de l'an 1600 jusqu'à ceux de l'an 1300 avant l'ère chrétienne. Le plus sage sera d'adopter, sous bénéfice d'inventaire, la dernière date, de toutes la moins ambitieuse. – Nous venons d'indiquer que les bases manquaient pour l'établissement de la chronologie de l'époque dite des Juges. Mais nous devons faire planer cette même incertitude sur les dates généralement adoptées pour Saül, David et Salomon. Ici les divergences qui étaient le fait des époques précédentes s'atténuent sensiblement, et l'on se contente volontiers des dates suivantes Règne de Saül 1075 (environ)-1055, David 1055-1015, Salomon 1015-975, schisme des dix tribus 975. Nous ne dissimulons pas que les chiffres admis pour la durée des règnes de David et de Salomon nous semblent eux aussi sujets à caution; cette répétition du nombre rond de quarante trahit plutôt l'artifice de l'écrivain qu'un souvenir précis. Ici encore nous faisons nos réserves. A partir du schisme des dix tribus, les indi-
cations chronologiques sont infiniment plus dignes de confiance; nous les possédons en effet en une double série, l'une correspondant à la succession des rois en Juda, l'autre à la succession en Israël.. Grâce au soin du rédacteur qui établit une relation entre l'accession au trône dans les deux royaumes et l'année correspondante du roi contemporain de la dynastie voisine, on, peut espérer se trouver sur un terrain absolument solide, d'autant plus que les chiffres ronds, trop volontiers recherchés dans les époques précédentes, font place à une variété qui a tout le cachet de l'exactitude historique. Cet espoir est cependant déçu à son tour, tout au moins pour ceux qui s'imaginent pouvoir obtenir des indications absolument précises et ne se contentent pas d'une approximation raisonnable. M. Munk expose ce nouvel embarras en fort bons termes (Palestine, p. 29*)) « La chronologie de cette période présente de graves difficultés. Le royaume d'Israël dura jusqu'à la sixième année du règne d'Ezéchias, roi de Juda or, en additionnant les années de règne que les livres des Hois donnent aux dix-neuf rois d'Israël, on trouve un total de deux cent quarante-et-un ans, sept mois et sept jours, tandis que pour les rois de Juda, jusqu'àla sixième année d'Exéchias, ontrouve,jtantdans les livres des Rois que dans les Chroniques, le nombre total de deux cent soixante ans. Une autre difficulté est celle-ci l'auteur des livres des Rois, non content de marquer les années de règne de chaque roi de Juda et d'Israël, dit presque toujours qu'un tcl roi de Juda commença à régner dans telle année de tel roi d'Israël et vice '))efM, sans que ces données puissent toujours se mettre d'accord avec celles que nous trouvons sur la durée des différents règnes. Ces difficultés ont occupé de tout temps les commentateurs de la Bible et les chronologistcs, et, pour les résoudre, chacun a fait ses hypothèses. Les uns ont supposé des fautes dans les chiffres, les autres, dédaignant ce' moyen commode, ont supposé des corégences' dans Juda ou des interrègnes dans Israël. En outre, il est évident que les années de règne qu'on attribue aux différents rois ne sont pas toutes des années complètes, soit qu'on ait compté les fractions d'années, à la fin des règnes, pour des années complètes, soit qu'en prenant pour point de départ l'ère de la sortie d'Egypte, on ait attribué à tel roi toute l'année au milieu de laquelle il monta sur le trône, ainsi que toute l'année au milieu de laquelle il mourut, et qu'on ait ainsi prolongé son règne d'une année ou de plus. » En partant de ces données, on est arrivé à établir différents synchronismes; nous reproduisons celui de Munk~ non parce que nous le croyons définitif, mais parce qu'il est commode d'avoir un tableau sous les yeux
Royaume de Judn. Royaume il'Israël.
Roboam, 975 Jéroboam, 975 Abiam, 958
Asa, 955
Josaphat, 914
Joram, 889
Achazia, 885
Mort d'Achazia, 884 Mort de Joram, 884 Athalie, 884 Jéhu, 881 Joas. 878
Amasia, 838
Ouxia, 809
Jothans, 758 Pékah, 758 Achas, 741
'Ezêchtaa, 726
6' année d'Ezéchias, 721 Chute d'Israël, 721
Ces différentes données chronologiques, qui embrassent près de quatre siècles et qui sont du plus haut prix tant pour l'histoire juive quepour l'histoire ancienne générale, viennent d'être ébranlées par les découvertes des assyriologues. Ces découvertes et l'influence qu'elles doivent exercer sur la fixation de la chronologie judaïque ont été particulièrement exposées dans l'ouvrage bien connu de Schrader (Die Xot~KMA~t/e~ M!M! f<<M A~ r~fatM~n~). Mettant à profit le précieux Canon des éponymes assyriens, M. Schrader établit un certain nombre de synchronismes entre les monuments assyriens et les textes bibliques (ouv. cité, p. 2U9) et constate des écarts très
Après la chute du royaume d'Israël, la série des rois de Juda s'établira comme il suit (Munk)
Suite du règne d'Ezéchias, 7.21-697 Joachaz, 610 Manassé, 697-642 Joïakim, 610-599 Amon, 642-640 Joïachin, 599 Josias, 640-610 Sédecias, 599-588
Nadab, 954
Baésa, 952
Êla. 930
Zimri, ?8
Omri, 928
Achab, 917
Achazia, 897
Joram, 896
Joachaz, ?6
Joas, 840
Jéroboam II, 825
Interrègne, 78x'-77~
Zacharie, 772
Sallum, 771
Menahem, 771
Pékahia, 760
Interrègne, 738-729
Hosée, 729
sensibles, qui portent tantôt sur une période de quarante ou cinquante ans, tantôt sur un chiffre d'une vingtaine d'années ou moins. Ainsi les documents assyriens nous font constater l'existence en 854 d'Achab qui, d'après la chronologie biblique, serait mort en 897, en 842 de Jéhu en désaccord avec le texte sacré, etc. M. Schrader a conclu que les chiffres de la chronologie biblique devaient subir un redressement correspondant aux données de la chronologie assyrienne, redressement qui, dans certains cas, atteindrait près d'un demisiècle. II a maintenu ses résultats contre différentes attaques, entre autres contre M. Oppert dans un ouvrage récemment paru (Keilinsc~n/Mn Mna! GMC~c/t~/bt'MAMH~, 1878). M. Oppert, de son côté, a repris le problème à un point de vue nouveau dans un travailintitulé Salomon et ses successeurs (i877 voyez sur cet ouvrage la ~ectfe critique, numéro du 5 janvier 1878, art. de M. Maspero). M. Oppert s'oppose à la conclusion de M. Schrader qui réduit d'environ cinquante ans la somme totale des années de règne des rois de Juda et d'Israël. En effet, si l'on admet la série des rois assyriens telle qu'elle résulte du canon des éponymes, on obtient l'ordre suivant Salmanasar III (857-833), Samsi-Bin III (832-809), Binnirari 111 (809-780), Salmanasar IV (780-770), Asonrdanit II (770-752), Asournirari (752-745), Toukiat-habal-asar 11 (745-726), ce qui oblige à placer la mort d'Ackab vers 861 au lieu des environs de l'an 900, et par suite le schisme des dix tribus vers l'an 930 au lieu de 975. M. Oppert assure qu'une certaine éclipse de soleil correspondant à l'un des éponymes et que M. Schrader place en 763 doit être reportée à l'année 809. C'est sur ce phénomène astronomique qu'il se fonde pour affirmer, à défaut de tout indice tiré du document même, que le canon des éponymes renferme une lacune de quarante-sept ans, correspondant à la distance des deux dates auxquelles serait assignée l'éclipse contestée. Cette lacune étant placée entre Asournirari et Touklathabal-asar (TigIath-Piléser) on a le double avantage de combler la différence entre les deux chronologies assyrienne et judaïque et de trouver une place pour Phul, dont parle la Bible, lequel ne se retrouve pas dans le canon assyrien et que M. Schrader assimile à Tiglat Piléser. M. Schrader a fait remarquer que l'hypothèse de li. Oppert aggravait, au lieu de la lever, la contradiction entre la chronologie biblique et la liste des rois assyriens. En effet, il ne s'agit pas de supprimer un écart unique s'élevant à une cinquantaine d'années, mais une série de divergences qui varient entre dix ans et un demi-siècle. Il semble donc qu'il faille s'en tenir à l'opinion de Schrader, jusqu'à ce qu'elle ait été ébranlée par des preuves plus décisives. Quoiqu'il en soit, voici les principaux chiffres proposés par M. Oppert et qui se rapprochent beaucoup de la chronologie la plus généralement adoptée mort de Salomon, 978 av. J.-C.; règne d'Achab, 920 mort d'Achab, octobre 900 règne de Jéhu, avril 887 chute de Samarie, juin 721 expédition de Sennachérih, 700 règne de Nabuchodonosor, août 605 destruction de Jérusalem, août 587. Dans son excellente .H~oM'eanc:ne des Peuples de l'Orient, M. Maspero
a adopté la manière de voir de Schrader et placé en 929 le schisme des dix tribus (voyez la note de la p. 368). M. Duncker soumet à son tour à la discussion toutes ces dates dans une note importante de la 4" édition de sa Geschichte des ~ertAunM (il, 66-69). Adoptant les résultats de Schrader, etc., il prétend seulement les corriger au moyen de l'inscription de Mésa, d'après une expression de laquelle il estime que les temps de règne d'Omri et d'Achab ont été abrégés dans le texte biblique il arrive à placer ainsi la séparation du royaume qui fut le résultat de la mort de Salomon à l'an 733 av. J.-C. De l'ensemble de ces témoignages il résulte que la chronologie hébraïque ne peut être établie avec quelque approximation qu'à partir du schisme des dix tribus, que depuis ce moment les variations sont restreintes dans des limites raisonnables, que par les ressources combinées des textes de l'Ancien Testament et des monuments ou documents étrangers, on peut arriver ainsi à une certitude très satisfaisante pour la période qui embrasse les trois siècles et demi qui ont précédé la destruction définitive du royaume juif. Pour la période qui court à partir de cet événement, les mêmes difficultés n'existent pas, et les documents profanes ont permis depuis longtemps déjà. d'établir les principales dates. Il n'y a donc pas lieu d'y insister. La chronologie biblique a donné lieu à d'innombrables publications, trop souvent dépourvues de l'esprit critique le plus élémentaire. Parmi les essais faits pour concilier les données de la Bible soit entre elles, soit avec les monuments et documents étrangers, on pourra consulter avec curiosité le livre tout récemment paru de J. Raska (Die Chronologie der Bibel inz Einklange mit der Ze~rec/MMn~ dsr~t/ptM' und Assyrier, Vienne, 1878). -Voyez sur cet ouvrage notre article dans la Revue critique, numéro du 12 juillet 1879. L'histoire du peuple d'Israël a pour principaux documents les livres de l'Ancien Testament; elle dépend donc de l'appréciation qui sera portée sur l'origine, la composition et la valeur historique des différentes sources bibliques. Nous devons pour notre présente étude considérer ces résultats comme connus et renvoyer à cet égard aux articles qui en traitent particulièrement. Cette histoire peut se diviser en quatre parties, correspondant à quatre périodes bien distinctes: 1° Période de formation de la nationalité israélite (depuis les origines jusqu'à Samuel); 2° période de la royauté nationale (de Saül à la ruine du royaume de Juda) 3° période de la suzeraineté chaldécnne, persane et grecque (depuis l'exil jusqu'à la révolte des Macchabées) 4° période de la dynastie hasmonéenne et de la domination romaine (jusqu'à la destruction définitive de l'Etat juif sous Hadrien). I. FORMATION DE LA NATIONALITÉ ISRAÉLITE. « Mon père était un Araméen nomade; il descendit en Egypte avec peu de gens, et il y fixa son séjour; là ildevint une nation grande, puissante et nombreuse. Les Egyptiens nous maltraitèrent et nous opprimèrent, et ils nous soumirent à une dure servitude. Nous criâmes à Jahveh, Dieu de nos pères. Jahveh entendit notre voix; il vit notre oppression, nos peines et nos misères. Jahveh nous fit sortir d'Egypte à main forte et à bras
-étendu, avec des prodiges de terreur, avec des signes et des miracles. Il nous a conduits dans ce lieu (le pays de Canaan) et il nous a donné ce pays, où coulent le lait et le miel. » Voilà le résumé de l'histoire des origines israélites que le Deutéronome (XXYI, 5-9) place dans la bouche du fidèle au moment où il dépose ~on offrande devant l'autel de Jahveh, et ce résumé contient la substance de ce que les Juifs savaient raconter des commencements de leur nation. Une famille syrienne, amenée par une cause inconnue en Egypte, s'y développant grâce à des circonstances favorables, puis échappant par un concours d'événements où l'on vit de bonne heure l'intervention du dieu national, à l'oppression que l'on voulait faire peser sur elle et s'établissant dans la terre de Canaan, voilà tout ce qu'il est permis d'affirmer des commencements d'une nation qui devait jouer dans l'histoire du monde un rôle singulièrement supérieur à son modeste territoire. Le Pentateuque développe ce même thème avec une grande variété et une grande abondance de détails, mais ses récits, souvent contradictoires, 'trahissent à l'examen beaucoup moins des souvenirs antiques que l'oeuvre d'écrivains habiles à orner du brillant vêtement de la fantaisie un passé trop maigre. Dans l'état actuel des études relatives à l'antiquité, il nous semble difficile de dépasser ce qui est dit plus haut, dans la citation empruntée au Deutéronome, relativement aux origines de la race israélite elle-même; les rapports de parenté que les textes de la Genèse établissent entre les descendants d'Abraham et les peuples voisins sont confirmés en une grande mesure par l'étude des langues et des religions de l'Asie occidentale. Il ne semble pas que la tradition primitive dût remonter au delà de Jacob ou Israël, du personnage mythique qui donne son nom à la nation, ou plutôt dont la figure et le nom sont empruntés au caractère et à la désignation habituelle de celle-ci. L'on doit donc penser que les ngures d'Isaac et d'Abraham no sont venues que postérieurement à celle d'Israël-Jacob. Si l'on voulait à toute force retrouver dans les légendes de la Genèse quelque événement historique, on pourrait supposer quelque réalité au conflit qui divisa Esaü et Jacob, les Edomites et les Israélites, mais de pareilles suppositions sont toujours sujettes à caution. Nous avons donc connaissance d'un groupe depopulation syrienne, connu de bonne heure sous le nom collectif d'Israël, apparenté avec un grand nombre de nations voisines et qui fixa son séjour dans la région occidentale de l'isthme de Suez. Les annales égyptiennes nous permettent-elles de retrouver la trace de cette installation ? C'est un problème dont beaucoup d'érudits ont cru pouvoir offrir une solution; mais la plupart de ces essais sont viciés par une appréciation très insuffisante des documents hébraïques eux-mêmes. Quel rapport a-t-il pu y avoir entre les immigrants israélites et les Hycsos ou telles autres peuplades venues de l'Asie en Egypte, ou ne saurait le dire. On n'est pas armé à des résultats plus solides, nous l'avons dit, en ce qui concerne soit la durée du séjour de la petite peuplade en Egypte, soit le moment de sa sortie, La tradition la plus accréditée place l'Exode sous le règne de
Ménephtah. « Mais, dit M. Maspero, a. tenir compte des monuments jusqu'à présent connus, rien encore dans l'état de l'Egypte sous Ménephtah n'indique une décomposition assez profonde pour que la révolte et la fuite d'une tribu considérable aient pu se produire heureusement. C'est seulement pendant les années qui précédèrent et suivirent la mort de Séti II que se trouvent réunies les conditions favorables à l'Exode décomposition et démembrement de la monarchie égyptienne, invasion étrangère, guerre contre les envahisseurs, qui s'étendirent sur tout le Delta et durèrent longtemps. On comprend aisément qu'au milieu du désordre général une tribu étrangère persécutée par les Egyptiens et lasse de la persécution ait pu quitter ses cantonnements et prendre le chemin du désert sans être énergiquement combattue par ses anciens maîtres, trop menacés dans leur propre existence pour s'inquiéter beaucoup de la fuite d'une bande d'esclaves. » On peut juger par ces lignes de la réserve extrême qu'il convient d'apporter en ces questions. Le souvenir d'une dure oppression est resté tellement vivace dans la tradition israélite qu'il semble difficile de lui contester tout fondement, mais il y aurait beaucoup de présomption à vouloir retrouver des événements historiques dans tout l'entourage merveilleux dont l'Exode accompagne la sortie d'Egypte. La personne de Moïse semble acquise à l'histoire, mais nullement le détail qui nous est donné de sa vie. Les renseignements précis sur l'événement merveilleux qui l'arracha tout jeune à la mort et qui, par une cruelle ironie, l'aurait rapproché de la famille royale, doivent être tout spécialement écartés comme un ornement de date relativement récente. La question se pose donc ainsi A-t-il existé un homme du nom de Moïse qui, après avoir déterminé la peuplade israélite à quitter le territoire égyptien, s'est mis à sa tête, lui a donné les éléments d'une organisation sociale, et, après d'infructueux efforts pour faire pénétrer ses compatriotes dans le territoire proprement dit de Canaan, les a laissés établis sur la rive gauche du Jourdain, dans le territoire de Galaad? -Toutes réserves faites sur le sens précis des différents termes employés, nous croyons pouvoir répondre affirmativement. Nous supposons donc qu'un ensemble de circonstances a provoqué l'émigration de la peuplade des «fils d'Israël a et qu'après différents incidents impossibles à restituer, ce groupe s'est trouvé en état d'affronter les populations sédentaires qui occupaient les régions montagneuses de la Syrie méridionale, régions au milieu desquelles s'ouvre la profonde dépression de la vallée du Jourdain.Quelle foi ajouter, d'autre part, soit à la durée du séjour dans to désert, soit aux indications qui nous sont fournies sur l'itinéraire suivi, soit même à la nature de la législation dont la mise en vigueur aurait eu lieu dans les environs du massif montagneux de la péninsule arabique, au pied du Sinaï ou du IIoreb? Tandis que l'Exode place à ce moment tout un développement religieux, qui est certainement l'oeuvre de plusieurs siècles et tout particulièrement do l'époque de restauration qui suivit l'exil à Babylone, le Deutéronome donne une importance extraordinaire aux discours que Moïse aurait
prononcés dans les plaines de Moab, au moment même de l'invasion du pays de Canaan proprement dit. On verra à l'article Loi ~o~a~Mc quels sont les différents éléments dont la réunion a donné naissance à la législation hébraïque et à quelle époque on en peut faire remonter les diverses parties. Le livre de Josué. qui se charge de nous faire assister à la conquête de la Palestine et nous en indique le partage, est malheureusement de tous les livres historiques de l'Ancien Testament celui qui trahit le plus des vues systématiques, absolument inconciliables avec les faits, tels qu'on peut se les représenter soit par une sage induction, soit, ce qui vaut mieux encore, à l'aide d'autres documents plus sincères et moins remaniés.D'après le livre de Josué, le pays de Canaan aurait été une proie facile, et la victoire aurait été rapidement déterminée par quelques succès éclatants. Toutefois le livre des Juges montre combien il faut rabattre de ces tableaux, construits après coup. Les critiques sont aujourd'hui d'accord sur ce point capital, que les premiers documents vraiment historiques que nous possédions sur l'établissement des Israélites en Palestine sont ceux que nous fournit le livre des Juges et qui peuvent être rapportés aux événements des treizième et douzième siècles avant notre ère. « En général, dit M. Reuss, le succès de l'entreprise fut loin d'être complet. Il est vrai que la légende, telle qu'elle s'est formée dans la suite des temps (livre de Josué) parle de la soumission du pays entier dans ses limites naturelles, de l'extermination de ses anciens habitants, d'une répartition paisible, rationnelle, cadastrale même du territoire entre les tribus définitivement victorieuses. Mais les textes les plus anciens, les souvenirs précis des générations les plus rapprochées de l'événement (livre des Juges) et surtout l'état des choses dûment constaté pour une série de siècles, antérieurs à la rédaction de l'histoire dans sa forme devenue populaire et traditionnelle, nous montrent clairement que les choses ne se sont pas passées ainsi. D'abord il est certain qneJa partie la plus importante du pays, celle qui aurait le mieux pu aider les conquérants à faire des progrès rapides dans la voie de la civilisation, la côte de la Méditerranée, n'est jamais tombée en leur pouvoir. La supériorité incontestable des Phéniciens et des Philistins qui, a eux deux, occupaient presque tout le littoral, opposait une barrière infranchissable aux envahisseurs. Mais, dans l'intérieur même des terres, les Cananéens se maintinrent dans un bon nombre de positions, surtout dans les places fortes, dont les étrangers qui, en fait d'art militaire, ne connaissaient que le pillage par surprise, ne savaient pas se rendre maîtres. Il en résulta tout naturellement un mélange des deux races, dont les effets se firent sentir dans l'unification du langage, dans l'adoption lente mais progressive de la vie sédentaire et dans le syncrétisme des idées religieuses. Pour longtemps entore la situation des Israélites resta précaire. et la lutte dut continuer sans cesse. Ainsi continuellement aux prises avec les uns et avec les autres, les Israélites durent longtemps -combattre pour leur existence même et, de leur propre aveu, la -conservation de leur nationalité était sérieusement compromise. »
A dire vrai, il s'agissait moins alors pour les Benè-Israel de co)tserver leur nationalité que de la former. Entre les différentes tribus momentanément groupées pour s'emparer d'un territoire ardemment convoité, la lutte éclate sans cesse et pour toute espèce de prétextes. Ces tribus elles-mêmes n'ont pas toutes une existence bien déterminée, et l'histoire y a introduit par la suite une régularité qui n'était certainement pas originelle. La nationalité israélite ne sera fondée définitivement que lorsque le sentiment de la défense contre les ennemis communs arrivera à imposer une organisation politique centrale aux groupes rivaux, révolution heureuse qui devait être précédée par bien des désordres, dont le souvenir se retrouve dans une partie des récits qui remplissent le livre des Juges. – Sans une vue claire de l'époque dite des Juges le développement historique d'Israël reste une énigme indéchiffrable. Si l'on admet en effet, avec une tradition d'origine relativement récente, que les descendants de Jacob aient joui pendant soixante années, sous Moïse et sous son successeur Josué, d'une direction précise jointe à tout un ensemble de prescriptions concernant la vie civile, politique et religieuse, la période qui sépare la mort de Josué de l'établissement de la royauté pourra passer pour une crise inexplicable et sans motifs. Si l'on se place au contraire au point de vue moderne, si l'on se représente un groupe de peuplades, momentanément placées sous une impulsion unique, s'emparant d un territoire riche et abondant en productions de toute espèce, on comprendra sans peine que l'association temporaire qui avait la conquête pour but, s'étant rompue, chaque tribu, chaque clan ait repris la liberté de ses mouvements. L'époque des Juges est donc le véritable début de l'histoire israélite; elle nous montre les différents éléments dont le groupement formera plus tard la nationalité israélite, prenant peu à peu possession d'eux-mêmes jusqu'à ce qu'ils sentent le besoin de reserrer les liens de la vie commune. L'apparente unification qui aurait régné au temps de Josué doit otre*miso sur le compte d'une construction théorique, plus accommodée aux goûts du temps de l'écrivain que n'avait été la réalité. La personne même de Josué semble devoir être réduite aux proportions d'un hardi chef de tribu, nullement du chef avoué de la confédération conquérante. La plume qui a donné la dernière forme au livre des Juges a cédé, à son tour, au désir d'établir l'ordre et la régularité là où tout les excluait. Ainsi est née cette série factice d'une suite de rébellions contre Jahveh auxquelles succèdent tout autant de délivrances merveilleuses. L'examen des détails montre combien ce cadre est artificiel. Il s'agit en réalité d'épisodes relatifs tantôt à une tribu, tantôt à plusieurs,, le plus souvent indépendants, avec lesquels il est impossible d'établir une histoire, mais au moyen desquels on peut esquisser un tableau de l'état générât qui caractérisa les deux premiers siècles, treizième et deuxième approximativement, de la présence des tribus israélites dans la région jordaniqne. Il est question entre autres d'un roi de Moab qui aurait fait sentir le poids de sa puissance aux tribus du
Sud et dont un hardi aventurier, Ehud, les aurait délivrées par l'assassinat. L'histoire de Débora et de Barak offre un intérêt tout particulier parce qu'elle nous montre les tribus du Nord coalisées pour une attaque commune contre un prince cananéen. L'épisode de Gédéon semble avoir été de bonne heure l'objet de l'attention des littérateurs. La partie véritablement antique du récit se dérobe sous des ornements dont il est assez difficile de le débarrasser à moins de le réduire à fort peu de chose, sans compter que le rédacteur a emmêlé deux récits qui racontent les mêmes faits avec de graves divergences. L'histoire du fils de Gédéon, Abimélek, offre un résidu plus solide. Aux luttes contre les ennemis du dehors, cananéens, madianites, amalécites, moabites, ammonites, philistins, se mêlent des guerres entre tribus, entre les habitants du Galaad et les Ephraïmites, entre la tribu de Benjamin et une prétendue coalition des autres tribus. Au milieu de ces luttes se détache la figure énigmatique de Samson, qui nous est représenté non pas même comme un chef de bandes, encore moins un juge des tribus d'Israël, mais comme une sorte de héros mythologique, dont les exploits n'ont aucun caractère marqué de religion ou même de patriotisme. Tel qu'il est cependant, avec ses graves imperfections, le livre des Juges est d'une haute valeur pour nous, en ce qu'il nous permet d'entrevoir l'état social et politique qui marque le début de l'histoire israélite. Les remaniements dont il a été l'objet laissent subsister des renseignements d'un grand prix; nous avons dit plus haut que l'époque à laquelle se rapporte son contenu ne supportait aucune désignation chronologique nous demandons seulement qu'on ne répartisse pas sur une trop longue 'période des épisodes qui, ayant pour théâtre différentes régions de laPalestine, ont pu être, sinon simultanés, au moins très rapprochés. –On voudrait se sentir sur le terrain solide de l'histoire avec le personnage de Samuel (1" livre de Samuel); malheureusement cela est impossible malgré toute la bonne volonté du monde. Qu'était-ce en effet que Samuel ? Si l'on en croit les récits relatifs à sa naissance et à son enfance, il fut destiné à succéder au grand-prêtre Eli dans ses fonctions auprès du sanctuaire de Silo. Puis, sans transition aucune, nous le voyons remplissant les fonctions de prophète, qui, à cette époque, ne représentent aucune idée précise « Tout Israël, depuis Dan jusqu'à Réer-Schéba, reconnut que Samuel était établi prophète de Jahveh. Jahveh continuait à apparaître dans Silo car Jahveh se révélait à Samuel dans Silo, par la parole de Jahveh. La parole de Samuel s'adressait à tout Israël a (1 Sam. III, 20-IV, 1). Cette caractéristique est inconciliable avec un tableau du rôle et de l'action de Samuel que nous trouvons à quelques pages de distance H Samuel fut juge en Israël pendant toute sa vie. Il allait chaque année faire le tour de Béthel, de Guilgal et de Mispa, et il jugeait Israël dans tous ces lieux. Puis il revenait à Rama, où était sa maison, et là il jugeait Israël. » (ibid. VU, la-17). D'après le second de ces passages, Samuel aurait exercé une sorte de judicature, fort différente de celle des juges de l'époque précédente. Sa fonction
aurait bien été celle que nous associons d'ordinaire ce nom, à savoir celle d'arbitre écouté et vénéré, dont les décisions tranchaient les causes civiles dans un rayon qui devait s'étendre avec la réputation grandissante de sa sagesse et de son intégrité. Si nous admettons ce point de vue, qui nous semble conciliable avec les mœurs et les conditions générales de l'époque, nous n'en serons que plus étonnés de voir ce même Samuel consulté comme un vulgaire devin auquel on va demander ce que sont devenues les ânesses de Kis, père de Saiil. C'est qu'avec ce récit nous entrons dans le cycle singulièrement obscur des épisodes que la légende et l'imagination populaires ont groupés autour de l'origine de la royauté en Israël. D'après la version qui nous paraît la plus digne de croyance, Saül aurait été un guerrier vaillant de la tribu de Benjamin, qui, s'étant distingué dans mainte circonstance, aurait fini par être mis a la tête d'une sorte de troupe régulière et investi d'une manière de commandement général sur l'ensemble des tribus d'Israël. Il nous- est en effet parlé de menaces de toute nature qui inquiétaient les tribus dans la paisible possession du sol cananéen; aux attaques venues de l'Ouest, du côté des Philistins, succèdent celles des Ammonites, redoutables surtout au groupe de la nation qui avait fixé ses demeures sur les plateaux du Galaad. Mais quelle a pu être la relation entre le vieux juge dépositaire d'une sorte d'hégémonie morale et civile et le jeune chef des milices? Une tradition, assurément peu admissible, prétend que les Israélites, mécontents de la conduite des fils de Samuel, qui semblent avoir été appelés à recueillir l'héritage de leur père, auraient invité le vieillard a. leur donner un roi, que Samuel aurait fort mal pris leur demande, où il aurait vu l'idée · de « rejeter Jahveh, » qu'après avoir vainement cherché à dissuader ses interlocuteurs par le sinistre tableau des excès inséparables de la royauté, il aurait fini par condescendre à leur vœu. Dans ces lignes respire l'esprit d'une époque singulièrement plus récente. Ce qui est plus étrange encore, c'est de voir Samuel choisir tous les prétextes pour rompre avec celui qu'il a donné pour chef a Israël sur l'expresse désignation de Jahveh. Il y a dans les textes historiques de l'Ancien Testament un effort fait pour rattacher l'institution de la royauté à l'organisation précédente; mais cet effort est incohérent. -Autant qu'on peut se représenter à l'aide de documents tronqués, remaniés, interpolés, la physionomie d'un peuple et d'un pays lointains, nous pensons pouvoir dire que l'époque qui sépare .Moïse de Saut et que clôt la grande, mais malheureusement trop mystérieuse figure de Samuel, a été une période d'organisalion locale en l'absence d'une centralisation nationale. Les groupes urbains et ruraux se constituaient sans doute d'une façon durable, les tribus israélites mettaient leurs mœurs, leurs habitudes en rapport avec leur nouveau mode de vivre. Cette Palestine féodale n'attendait que le choc des événements du dehors pour mettre à sa tête un chef, qui fût avant tout un défenseur contre des voisins nombreux et acharnés.
H.L\ nOYAUrË XATtOXALE. LES DEUX ttOYAUMES ))'Isf<AEL ETDEjUitA.
L'histoire de l'antiquité n'offre pas de sujet d'un intérêt plus vif que celui de rétablissement du royaume de Saül, David et Salomon. Pourquoi ce royaume s'est-il constitué, dans quelles conditions, en quoi consistait le pouvoir central, quelle en a été ce que nous appelons aujourd'hui la politique intérieure et la politique étrangère? Tout autant de questions que les textes des livres de Samuel, des Rois et des Chroniques devraient nous mettre à même de résoudre si l'on s'en fiait à l'abondance relative de leurs renseignements. Malheureusement l'apparence est trompeuse les contradictions, les difficultés internes, toute espèce d'irrégularités littéraires viennent nous mettre en garde contre un tableau qui n'aurait pas été précédé par une sévère étude critique des documents. Il est clair, déjà, après un examen sommaire des textes, que la tradition s'est attachée, avec une prédilection bien naturelle d'ailleurs, aux épisodes qui ont le moins de prix pour l'histoire pragmatique, à des anecdotes qu'elle a reprises et amplifiées au gré de sa fantaisie. Le premier fait de guerre do Saül, celui où il aurait, pour la première fois, marché à la tête de contingents fournis par les différentes tribus, concerne une invasion d'Ammonites dont le danger se faisait surtout sentir dans la région transjordanique. Mais le narrateur abandonne trop tôt à notre gré le terrain de la réalité pour se lancer dans des exagérations absolument inadmissibles « La terreur de Jahveh s'empara du peuple, qui se mit en marche comme un seul homme. Saul en fit la revue à Bézck; les enfants d'Israël étaient trois cent mille et les hommes de Juda trente mille. » Quand, deux pages plus loin, il sera question d'une guerre avec les Philistins, de cette troupe comparable aux plus grandes armées modernes, il ne restera plus que trois t?tt<~ hommes, chiffre infiniment plus vraisemblable, et ces hommes, nous est-il dit, ne disposaient que d'un très petit nombre d'armes, les Philistins ayant pris soin d'interdire en Israël le métier de forgeron et d'armurier. Si l'on voulait s'en tenir à ce que les textes les moins suspects permettent d'affirmer,on ne dépasserait guère les limites du résumé, d'ailleurs flatteur, que nous trouvons (1 Sam. XIV, ~47-48) avant la longue histoire des démêlés de Saul avec Samuel et avec David « Après que Saül eut pris possession de la royauté sur Israël, il fit de tous côtés la guerre à tous ses ennemis, à Moab, aux enfants d'Ammon, àEdom, aux rois de Tsobaet aux Philistins, et, partout où il se tournait, il était vainqueur. Il manifesta sa force, battit Amalek et délivra Israël de la main de ceux qui le pillaient. » En admettant comme vraie dans son fond cettecaractéristique.le rôle de Saül paraîtra important et digne de considération cette impression ne pourra que s'accroître, si l'on envisage comme le produit de la légende tout ce qui se rapporte à la jeunesse de David. La royauté de Saül n'était pas en effet si bien affermie qu'elle ne suscitât des jalousies. Un jeune chef de bandes, du nom de David, qui a pu servir pendant quelque temps dans les rangs des milices royales, se constitua une sorte de véritable parti et battit en brèche ce que nous hésitons à nommer déjà le trône israélite. Quels étaient ses motifs? L'ambition, le ressentiment d'un ou de
plusieurs outrages? Il est impossible de le dire en présence de textes remplis des plus évidentes contradictions. En tout cas l'on doit rejeter dans le domaine de la pure légende et l'onction que le jeune David aurait reçue de Samuel (invention dont la portée saute aux yeux et qui devait justifier la révolte de l'écuyer de Saiil, et la défaite du géant Goliath, qu'un texte plus sobre attribue à un autre guerrier (2 Sam. XXI, 19), et la double circonstance dans laquelle David aurait épargné les jours de son roi, etc. Ces différents traits, que la rédaction actuelle nous offre dans le plus grand désordre, dissimulent quelque peu le scandale du futur fondateur de la dynastie judéenne devenu l'allié des pires ennemis de son peuple, des Philistins. Quoiqu'il en soit, au moment où Saül succombe sous les coups des Philistins sur la montagne de Guilboa, David, qui semble avoir possédé des appuis solides dans le sud du pays, continue la lutte contre le fils de Saül, Ischboseth (Ischbaal) héritier naturel de la royauté paternelle. Cette guerre civile, poursuivie au milieu des dangers créés par de redoutables voisins, finit par aboutir, à la suite d'une série de trahisons et d'assassinats: David est enfinle seul roi d'Israël. L'écrivain manifeste sa satisfaction du résultat obtenu avec une grande candeur: « Toutes les tribus d'Israël vinrent auprès de David à Hébron etdirent: Voici, nous sommes tes os et ta chair. Autrefois déjà, lorsque Saül était notre roi, c'est toi qui conduisais et qui ramenais Israël. Jahveh t'a dit Tu paîtras mon peuple d'Israël et tu serasle chef d'Israël.–Ainsi tous les anciensd'Israëlvinrentaupres du roi à Hébron, et le roi David fit alliance avec eux à Hébron devant Jahveh. Ils oignirent David pour roi sur Israël)) (2 Sam. Y, 1-3). Ces anciens d'Israël sont en vérité bien naïfs car illeura fallu sept ans(ibid.,v. 5) depuis lamort de Saiiipour s'apercevoir que David était l'héritier que Jahveh lui avait destiné, et ils s'imaginent que le secours qu'ils ont donné pendant ces sept années à Ischboseth et qui lui a permis de tenir tête à David, est resté inconnu du roi auquel ils apportent leurs hommages empressés, ou va être immédiatement effacé par leur tardive adhésion. –Bref, David, assuré de l'hégémonie sur l'ensemble des tribus par la mort de son rival, débute par un coup de maître. qui est la prise de Jébus, depuis Jérusalem. Cette forte situation était un gage d'avenir il se hâte d'y élever des remparts et des constructions. Après une victoire sur ses anciens amis les Philistins, nous le voyons préoccupé de doter sa nouvelle capitale d'un sanctuaire religieux.A cet effet il va rechercher ce coffre mystérieux,cette « arche de Dieu qui avait fait la réputation du vieux sanctuaire de Silo et qui, à la suite de différentes circonstances, était restée échouée dans une misérable bourgade. Le récitbiblique entoure cette translation de circonstances émouvantes qui assurent à la cérémonie d'installation un intérêt exceptionnel. Il n'est d'ailleurs point question de prêtres attitrés. « Après qu'on eut amené l'arche de Jahveh, on la mit à sa place au milieu de la tente que David avait dressée pour elle et David offrit devant Jahveh des holocaustes et des sacrifices d'actions de grâces, etc. )) (2 Sarn. VI, d7 ss.). Une tradition postérieure
s'est scandalisée de ce que David eût logé l'arche de Dieu sous une simple tente et a voulu expliquer ce fait, qui n'avait nul besoin d'explication, par un ordre spécial de la divinité. La puissance de David s'affirme par de nombreuses-expéditions dirigées contre les Philistins, les Moabites, les Syriens de Damas et de Tsoba, les Edomites, les Ammonites. Ces guerres extérieures sont mêlées d'incidents de la vie privée, d'une intrigue avec celle qui devait donner le jour à Salomon, de scènes scandaleuses ou violentes qui troublent l'entourage du roi. Il ne faut pas d'ailleurs se représenter les mœurs d'un David sur le modèle de l'organisation européenne de la famille, mais sur.le patron des usages orientaux,où la polygamie est à la fois le privilège et la plaie des hautes situations. Cette polygamie, en créant des familles très nombreuses, y introduit en même temps des rivalités et bien souvent des attentats contre les personnes.Un des fils de David, Absalom, crut le moment venu de se substituer à son père déjà vieilli, voyant sans doute dans cette prise d'armes le meilleur moyen de devancer les entreprises qu'il pouvait redouter de la part de ses frères.Couronnée de succès dans son début, la tentative du fils rebelle, qui semble avoir rallié de nombreuses sympathies, d'abord dans le sud du pays, puis auprès des tribus du Nord. échoua par la mort misérable de son chef. David put espérer rentrer à Jérusalem, qu'il avait dû quitter au milieu des manifestations non équivoques de la malveillance populaire. Toutefois son pouvoir semble avoir été fortement ébranlé, si l'on en juge par la mauvaise volonté et l'impatience dont témoigne son entourage même et par l'hésitation des anciens de Juda à l'engager à reprendre possession de Jérusalem, alors que celui sur lequel ils avaient fondé leurs espérances avait péri. La paix intérieure, une fois troublée, sembla impossible à rétablir, sans que nous arrivions à nous rendre un compte exact des injures personnelles ou des besoins d'indépendance des différentes tribus, qui servent à alimenter cette instabilité. Les traces d'une rivalité entre la tribu de Juda et les tribus du Nord ou d'Israël se font toucher au doigt dès le moment de la reprise de possession de son trône par le fils d'Isaï. Le prétexte de la rupture est indiqué d'une façon assez singulière dans le texte de Samuel (2 Samuel XIX, 41-43). Les hommes d'Israël auraient reproché à ceux de Juda d'avoir voulu en quelque sorte accaparer David en manifestant un empressement particulier à l'aller chercher au delà du Jourdain après la défaite d'Absalom. Un « méchant homme, ~) s'exprime l'écrivain sacré, du nom de Schéba, « sonna de la trompette et dit: Point de part pour nous avec David, point d'héritage pour nous avec le fils d'Isaï Chacun à sa tente, Israël – Et tous les hommes d'Israël s'éloignèrent de David, et suivirent Schéba, fils de Bikri. Mais les hommes de Juda restèrent fidèles à leur roi et l'accompagnèrent depuis le Jourdain jusqu'à Jérusalem (Ibid. XX, dss.).L'énergie de Joab, chef des milices royales, vint à bout de cette tentative de sécession, qui semble avoir été fort sérieuse si l'on en juge par les paroles suivantes placées dans la bouche de David « Schéba, fils de Bikri, va nous faire maintenant plus de mal qu'Absalom » (Ibid. v. C).
Une famine, une peste, des escarmouches avec les Philistins, des actes de cruauté superstitieuse ou de faiblesse marquent lesdernieres années du règne deDavid, heureux si les compétitions domestiques n'avaient pas une fois encore compromis sa succession. Une intrigue hardie fit proclamer roi Salomon avant la mort de son père et avec son consentement cette solution ne fut pas acceptée sans résistance, et le nouveau roi sacrifia à ses ressentiments l'homme même auquel la dynastie davidique avait dû son salut, l'illustre Joab. On remarquera que, dans cette rapide esquisse du règne de David, nous avons systématiquement écarté les renseignements fournis par les livres des Chroniques; c'est là notre règle en tout ce qui concerne les compléments que cet ouvrage, de date beaucoup plus récente que la rédaction des livres de Samuel et des Rois, a cru devoir joindre aux renseignements donnés par les seules sources dignes de foi qu'il eût entre les mains. Les modifications que l'auteur des Chroniques a fait subir à la tradition ont constamment pour objet des institutions et des pratiques religieuses, dont il veut faire remonter l'origine à des époques qui n'en soupçonnaient ni l'existence ni l'utilité. Ainsi en est-il de prétendus préparatifs de David pour la construction du temple, du dénombrement des lévites et de la fixation de leurs fonctions, de la distribution des prêtres et des chantres en classes, etc. On trouvera la justification de notre point de vue à l'article PetraHpomMM. Il est bien difficile de porter un jugement d'ensemble sur le règne et sur le caractère de David ce qui nous étonne, aussi bien chez ceux qui se déclarent ses admirateurs sans réserve que chez ses détracteurs passionnés, c'est qu'ils osent fonder un jugement précis sur des textes incertains et sujets à caution nous croyons donc agir avec un respect plus vrai des sources par lesquelles nous possédons quelque idée de cette époque lointaine, en n'acceptant de nous ranger ni parmi les uns ni parmi les autres, ni parmi ceux qui voient en David un organisateur de premier ordre toujours dirigé par les motifs de l'ordre le plus élevé, ni parmi ceux qui en font le type du petit despote oriental, féroce et intéressé, subordonnant tout à ses instincts d'ambition et de vengeance. Si étrange que puisse paraître la première partie de la vie de David, cette lutte soutenue contre Saiil et contre son fils Ischboseth, au milieu de circonstances extérieures qui recommandaient l'union nationale comme le premier devoir, il ne semble pas douteux que le royaume israélite n'ait pris sous son sceptre une importance, une cohésion qui résistera pendant des siècles au dualisme même de son gouvernement. La figure de Salomon se dégage avec peine des anecdotes qui surchargent l'histoire qui nous est parvenue de son règne (1 Rois) quand on les écarte on se trouve en présence d'un résidu très insuffisant pour nous donner l'idée de son gouvernement. Il est question du don de la sagesse que ce roi aurait reçu de Jahveh à la suite d'un sacrifice solennel offert (chose étrange!) sur le haut-lieu de Gabaon, que l'auteur déclare « le principal des hauts-lieux,)) de l'usage queSalomon fait de sa sagesse pour trancher des causes civiles délicates, de la visite de la reine de Séba, etc.
Ce qui est plus intéressant, ce sont les détails relatifs à l'entretien de la maison royale; il y était pourvu au moyen d'intendances réparties sur les différents points du territoire. C'étaient là d'onéreux tributs, analogues à ceux qu'entrainent la conquête. L'écrivain veut bien cependant nous apprendre que le luxe royal ne nuisait pas à la bonne chère dans le reste du pays. « Juda et Israël étaient 1res nombreux, pareils au sable qui est sur bord de la mer. Ils mangeaient,-buvaient et se réjouissaient. » Le même document ajoute que « Salomondominait encore sur tous les royaumes depuis le fleuve (d'Euphrate) jusqu'au pays des Philistins et jusqu'à la frontière d'Egypte ils apportaient des présents et ils furent assujettis à Salomon tout le temps de sa vie. » La même assurance est reproduite dans les termes, suivants « Il dominait sur tout le pays de l'autre côté du fleuve depuis Thipsaque jusqu'à Gaza, sur tous les rois de l'autre côté du fleuve. Et il avait la paix de tous les côtés à l'entour. Judaet Israël, depuis Dan jusqu'à Béer-Schéba, habitèrent en sécurité, chacun sous sa vigne et sous son figuier, tout le temps de Salomon )) (IV° chap du I" livre des Rois). Il faut évidemment rabattre, nous en aurons plus loin la preuve, de ce tableau flatteur. En attendant, toute l'attention de l'auteur se porte sur les travaux relatifs à la construction du temple somptueux que Salomon veut substituer au modeste abri sous lequel demeurait jusqu'alors l'arche sainte. Il est difficile de ne pas voir dans cette résolution l'influence des cultes phéniciens, et le temple de Jérusalem, tcl que l'a érigé Salomon, a dû être construit sur le modèle des sanctuaires de Tyr ou de Sidon. Les textes l'indiquent d'ailleurs suffisamment en mentionnant l'alliance avec Hiram, roi de Tyr, la présence d'artistes et d'ouvriers phéniciens. Toutefois nous faisons nos réserves les plus expresses sur l'historicité des détails la fameuse prière que Salomon est censé avoir prononcée lors de l'inauguration solennelle du temple trahit trop la manière de voir d'une époque beaucoup plus récente, pour que le doute ne s'étende pas sur toutes les parties environnantes. Il est aussi question d'expéditions maritimes dont les ports du golfe élanitique de la mer Rouge auraient été le point de départ il n'est pas prouvé qu'il y eût là autre chose que des entreprises de luxe. A l'appui des plans « commerciaux » du fils de David on a fait aussi valoir la prétendue construction de Palmyre, sorte de pont jeté entre la Syrie et la vallée de l'Euphrate; mais il n'y faut voir, selon une sage critique, qu'une erreur de nom trop facilement admise par une tradition bienveillante. En dépit des soupçons éveillés par maint détail de la narration sacrée, la personne de Salomon resterait entourée d'une auréole d'opulence et de majesté paisible, rehaussée par l'éclat d'une sagesse passée en proverbe, si l'auteur des livres des Rois, à la suite d'une sorte de dithyrambe, où il nous montre ce roi « plus grand que tous les rois de la terre par les richesses et la sagesse a (t Rois X, 23), n'avait conservé un document écrit dans un esprit évident de malveillance et où les choses se présentent sous un jour beaucoup moins favorable. D'après ce document (1 Rois XI) Salomon aurait rassemblé dans son harem un grand
nombre de femmes étrangères, qui l'auraient détourné du culte de Jahveh. « A l'époque de la vieillesse de Salomon, ses femmes inclinèrent son cœur vers d'autres dieux, et son cœur ne fut point tout entier à Jahveh son Dieu, comme l'avait été le cœur de David son père. Salomon alla après Astarté, la divinité des Sidoniens, après Milcom, etc. » Le même écrivain nous parle d'une révolte des Iduméens ou Edomites asservis par David, d'hostilités permanentes avec les Syriens, des menaces de rébellion d'un certain Jéroboam qui ne devaient attendre, pour ruiner l'unité Israélite, que la mort de Salomon. On peut voir, par le contraste' de ces deux sources, combien il est difficile d'asseoir une opinion raisonnée sur un personnage tel que celui qui recueillit le trône de David. Toutefois l'opinion générale, en même temps qu'elle est portée à grandir l'image de David, malgré ses côtés regrettables, parce qu'elle voit en lui le fondateur suprême de la nationalité juive, se montre volontiers sévère pour Salomon, en remarquant avec quelle facilité se rompit l'unité du royaume après sa mort on le rend responsable de la sorte de dislocation intérieure qui se manifeste lors de l'ouverture de sa succession.-Les livres sacrés donnent a Salomon quarante ans de règne comme à David; ces chiffres ronds, nous l'avons dit, sont suspects; les règnes de David et de Salomon doivent se placer, selon toutes les apparences,dans la première moitié du dixième siècle,c'est tout ce que nous en pouvons dire, la première date solide que nous rencontrions étant celle de la séparation du royaume en deux fractions, date qui d'après le calcul des assyriologues, doit tomber dans la seconde moitié du même siècle.- Les inconvénients et les charges d'une centralisation onéreuse ne suffisent pas à expliquer la prompte rupture du lien fédératif entre les différentes tribus cette dissociation fâcheuse se comprend beaucoup mieux quand on voit que deux tribus se disputaient l'hégémonie sur les groupes divers dont la tradition a fait autant de tribus parfaitement distinctes, possédant chacune son individualité ces deux tribus étaient celles d'Ephraïm et de Juda. Si l'on en juge par le nom collectif d'Israël que les livres sacrés donnent aux tribus du Nord groupées autour d'Ephraïm (ou Joseph), on imaginera que là était le centre le plus naturel d'attraction et que la tribu de Juda n'a dû qu'à des circonstances exceptionnellement favorables, entre autres à la conquête de Jérusalem, l'honneur d'avoir pu à elle seule tenir tête à ses rivales. Il résulte de cette réflexion que l'hégémonie attribuée au temps de David et de Salomon la tribu de Juda sur l'ensemble de la nation n'était supportée qu'avec impatience à plusieurs reprises nous avons vu l'unité Israélite mise en péril, maintenant nous l'allons voir brisée d'une manière irrémédiable. Malheureusement les circonstances où éclata cette rupture nous sont rapportées sous une forme'peu digne de créance (1 Hois XII) « Tout Israël )' se serait réuni à Sichem (pourquoi à Sichem, qui d'ailleurs d'après le v. 25 du même chapitre, ne sera bâtie que plus tard ?) là, bien qu'on fût venu « pour faire Roboam roi, on aurait fait ses conditions au fils de Salomon, lui demandant d'alléger « le joug pesant)
de ce dernier. Une insolente réponse de Roboam aurait décidé la rupture. L'assemblée, reprenant le cri de Schéba, fils de Bikri, auteur d'une tentative de sécession qui eut lieu du temps de David même, déclare qu'elle ne veut plus rien avoir de commun avec la famille de David « A tes tentes, Israël Maintenant, pourvois à ta maison, David » Roboam, repoussé, gagne précipitamment Jérusalem. Nous préférons à cette mise en scène dramatique cette simple mention « Tout Israël ayant appris que Jéroboam était de retour, ils l'envoyèrent appeler dans l'assemblée, et ils le firent roi sur tout Israël. La tribu'de Juda fut la seule qui suivit la maison de David. » Roboam eut-il la pensée de reprendre par les armes la position qui lui échappait? Il est question d'une armée de cent quatre-vingt nn~g hommes d'élite réunie à cet effet, mais qu'on ne jugea pas à propos de mettre en marche. On fit bien, car la suite du récit montre que cette armée n'a jamais existé que dans l'imagination du narrateur, et que le petit royaume du Sud n'était pas en mesure de causer d'embarras de longtemps à son voisin du Nord, beaucoup plus puissant que lui. Il serait un peu puéril, à la distance où nous sommes des événements et avec la connaissance très incomplète que nous en avons, de vouloir dire à qui reviennent les torts dans cette funeste division. Il semble que le royaume d'Israël, resté uni et placé sous une direction habile, aurait pu prendre dans le monde oriental la place que lui assignaient sa position exceptionnelle et les aptitudes si remarquables de sa population. On imagine un développement matériel des Bene-Israël moins disproportionné à cet admirable développement intellectuel et religieux, dont les monuments sont supérieurs à tout ce que nous a laissé le monde ancien. Il sera donc sage d'exprimer un regret plutôt qu'un jugement. Toutefois, nous n'admettrions pas qu'on fit retomber tout le blâme sur les tribus du Nord; l'expression usuelle de schisme des dix tribus contribue à cet égard à fausser l'opinion. Le nom de Jéroboam est resté presque plus fameux encore par le souvenir d'un culte idolâtre qu'il aurait institué à Dan et à Béthel, que par la sécession a~ la tête de laquelle il se plaça. « Le péché de Jéroboam, fils de Nebath, » est une expression devenue courante dans la littérature sacrée pour désigner les taureaux d'or, qui étaient l'objet de l'adoration du peuple dans ces deux sanctuaires. Reste à savoir qui représentaient ces taureaux les critiques modernes sont unanimes à dire qu'ils étaient les images de Jahveh. Ils n'y voient pas non plus une invention particulière à Jéroboam, mais une antique tradition. Nous ne remonterons point pour cela jusqu'au « veau d'or o du désert de Sinaï, qui nous semble beaucoup plutôt avoir été créé par la tradition à l'image du culte très réel pratiqué dans le royaume du Nord. Ce qu'il y a de plus curieux dans l'histoire de ce culte du veau d'or, dans cette adoration de Jahveh sous forme animale, c'est que les rois qui poursuivirent avec le plus d'ardeur les cultes étrangers ne songèrent jamais à le proscrire. Ce n'~st pas ici le lieu d'insister sur la réflexion qui se dégage de cette observation, sur le jour très nouveau qu'un pareil fait, at-
testé par de nombreux et unanimes témoignages, jette sur l'histoire du culte israélite.–H est permis de regretter que les annales Israélites se montrent si pauvres à partir de l'époque de la division en deux royaumes, ou, ce qui revientau même, présentent en certains points, à côté de leur sécheresse générale, une abondance stérile dont l'historien peut difficilement faire son profit. L'histoire de Jéroboam se trouve ainsi composée d'anecdotes relatives à des menaces prophétiques qui ne nous instruisent. nullement sur son gouvernement. Son contemporain Roboam mérite les sévérités de l'écrivain pour sa propension vers les cultes étrangers. Son règne est signalé par une expédition du roi d'Egypte Sésac (Sésbonq) le souverain étranger fit main basse sur les trésors du temple et du palais royal. Les rapports entre les deux royaumes furent mauvais pendant toute la durée du règne de Roboam. Son fils Abijam, après un règne très court, signalé également par le syncrétisme religieux cher aux Jérusalémites, laissa la place à Asa. L'écrivain sacré attribue à ce prince, dont le règne devait être fort long, une première tentative de réforme religieuse, réforme qui, d'après sa mention expresse, porta sur les cultes étrangers, mais non pas sur les hauts-lieux « bien que le cœur d'Asa fût en entier avec Jahveh pendant toute sa vie. » Nous savons, en effet, que ces hauts-lieux étaient de tout temps le sanctuaire consacré à Jahveh, et que l'idée de centraliser le culte de celui-ci dans un temple unique n'appartient qu'à une époque postérieure. Au temps d'Asa, la sourde rivalité des deux royaumes frères dégénère en une lutte ouverte<.Asa, menacé de près par Baésa d'Israël, invoque en sa faveur la diversion du roi de la Syrie damascène, et oblige ainsi son ennemi à faire front du côté du Nord à un nouvel adversaire. Baésa avait fait périr Nadab, fils de Jéroboam, pendant une expédition dirigée contre les Philistins. La capitale du royaume d'Israël était alors Thirtsa. Le fils de Baésa, Ela, devait à son tour succomber à l'assassinat. Des compétitions personnelles éclatèrent pour sa succession elle échut finalement à un personnage du nom d'Omri, dont la famille était appelée à un rôle considérable. Omri transféra la capitale à Samarie et eut pour successeur Achab. Ce prince semble avoir favorisé l'idolâtrie étrangère plus encore que ses prédécesseurs. Non seulement le culte des taureaux d'or subsistait, mais Baal et Astarté eurent leurs autels. La sèche monotonie du récit est ici rompue par un développement très remarquable malgré ses longueurs, ses répétitions, ses inconvénients de différente nature c'est une sorte d'épopée consacrée à la gloire des deux grands prophètes Elle et Elisée. Du milieu de cette poésie, souvent élevée, trop mélangée toutefois du merveilleux populaire, se dégagent malheureusement bien peu de faits dont l'histoire puisse faire son profit. Elie, simple prophète, mais favorisé de l'assistance divine, aurait pris en main, contre l'impie Achab et contre sa femme Jésabel, la cause de Jahveh et égorgé quatre cent cinquante prophètes de Baal et d'Astarté sur le mont Carmel, après une éclatante manifestation de la puissance divine. A ces scènes succèdent les incidents des diffé-
rentes campagnes contre la Syrie. Dans l'une d'entre elles, Josaphat, roi de Juda, figure comme allié d'Achab, et ils vont conjointement prendre part au siège de la vilie de Ramoth en Galaad, dont les Syriens s'étaient emparés. Achab y trouva la mort, et laissa le trône à son fils Achazia. Les relations d'amitié continuèrent entre les deux royaumes; et cependant Josaphat reçoit le témoignage d'avoir suivi les bons exemples religieux de son père Asa. Achazia, au bout de deux ans, est remplacé par Joram. Ce Joram passe pour avoir combattu les cultes étrangers, tout en maintenant l'idolâtrie de Dan et de Béthcl. Il s'allie avec Josaphat, de Juda, et avec le roi d'Edom pour une expédition commune contre les Moabites, dont le résultat dernier n'apparaît pas clairement les renseignements des textes hébraïques sont ici utilement complétés par la remarquable inscription de Dhibân, récemment découverte. Le roi de Juda, Josaphat, laisse le trône à son fils, du nom de Joram, comme le roi d Israël. Ce Joram, qui avait pour femme une fille d'Achab, est accusé d'avoir imité les cultes du royaume du Nord; sous son règne, les Edomites secouent un joug détesté. Les alliances de famille entre les deux dynasties régnantes devaient exercer leurs plus funestes effets sous son fils Achazia, dont la mère était la fameuse Athalie. La lutte entre le royaume d'Israël et la Syrie semble avoir été incessante; Achazia accompagne devant Ramoth de Galaad, objectif une fois encore de cette nouvelle expédition, le roi Joram d'Israël. Ce dernier, blessé, va se faire soigner à Jizréel, où le roi de Juda ne tarde pas à. lui rendre visite. Cependant, un nommé Jéhu profite de l'absence du roi à l'armée pour se faire proclamer roi d'Israël son coup de main est le débutd'uno véritable boucherie, dans laquelle succombe outre Joram, d'Israël et Achazia, de Juda, son ami et parent, toute « la maison d'Achab. » Le récit hébraïque, qui manifeste une haine violente contre la descendance d'Achab, fait voir dans Jéhu l'élu des prophètes. Nous n'en sommes que plus frappés de voir le nouveau venu, après avoir extirpé les cultes de Baal etd'Astarté, respecter l'adoration de Jahveh sous la forme du taureau d'or. Le rédacteur dernier du livre s'en étonne, mais le poème ne semble pas avoir éprouvé d'embarras à cet égard (cette partie se rattache encore à l'épopée prophétique dont nous avons signalé le caractère tout particulier). Aucune nuance de blâme n'est contenue dans cette parole « adressée par Jahveh » à Jéhu « Parce que tu as bien exécuté ce qui était droit à mes yeux, et que tu as fait à la maison d'Achab tout ce qui était couforme à ma volonté, tes fils jusque la quatrième génération seront assis sur le trône d'Israël » (2 RoisX, 30). Toutefois, la Syrie damascène devient de jour en jour un péril plus grand pour le royaume d'Iraël; sous le règne de Jéhu, le territoire transjordanique, le Galaad, est l'objet de ses convoitises que le succès couronne. Jéhu a pour successeur son fils Joachaz. A Jérusalem, Athalie, mère du roi Achazia, assassiné par Jéhu, se venge, on ne sait trop pourquoi, sur ses propres petits-enfants; l'auteur raconte avec complaisance la destinée aventureuse de Joas. Il est question sons son règne de répara-
tions faites au temple et d'une invasion syrienne qu'on détourna par de riches et onéreux présents. Amatsia, son fils, lui succéda. Les Syriens avaient d'autre part porté des coups funestes à la monarchie du Nord, sous le règne de Joachaz. Son fils Joas reprit l'avantage son petit-fils Jéroboam, deuxième du nom, devait jeter un grand éclat sur le trône de Samarie, menacé d'une dissolution plus prochaine qu'on n'aurait pu le supposer. Amatsia, de Juda, fils de Joas, après avoir vengé le meurtre de son père et battu les Edomites, avait provoqué imprudemment Joas, d'Israël. La lutte avait eu un résultat funeste pour l'agresseur: Jérusalem prise et pillée par le roi de Samarie. Jéroboam, héritier d'un père illustre, étendit à son tour la domination d'Israël « depuis l'entrée de Hamath jusqu'à la mer de la plaine (mer Morte) » il semble même s'être emparé de Damas, momentanément affaiblie. Pendant ce temps Ozias (Azaria) de Juda, fils d'Amatsia, reprenait quelque autorité sur l'Humée. Atteint de lèpre, il fut suppléé par son fils, bientôt son successeur, Jotharn.Xacharie, fils de Jéroboam, ayant été assassiné au bout de quelques mois, ScbeUum lui succède et éprouve à son tour le même sort de la part de Menahem. Sous le règne de ce dernier apparaît une puissance autrement redoutable que celle de Damas, la puissance assyrienne. Menahem apaise cet ennemi redoutable au moyen d'un énorme tribut c'était le roi Paul, que l'on identifie avec TiglatPiiéser.Pékahia,fils de Menahem, succéda à son père pour un temps fort court; il est assassiné parPékah, une nouvelle invasion assyrienne met le pays à deux doigts de sa perte c'est la date de la première déportation qui frappa les Israélites. Pour la première fois ils étaient victimes de ce procédé, cher aux despotes de l'Asie et devant lequel toute résistance nationale devenait bientôt impossible. Jotham, qui avait succédé à Ozias sur le trône de Jérusalem, est loué pour son zèle religieux, bien que l'écrivain marque expressément qu'aucune tentative de centraliser le culte de Jahveh, en abolissant l'usage des hauts-lieux, ne fut encore faite. Sous son fils et successeur, Achaz, les cultes étrangers furent au contraire l'objet de la faveur royale, et les rois conjurés de Syrie et d'Israël, Retsin et Pékan, vinrent menacer Jérusalem. Achaz sollicita le secours du roi d'Assyrie TigIat-PHéser et se rendit à cet effet auprès de lui à Damas; l'écrivain sacré l'accuse en outre d'avoir, pour se rendre plus agréable à son tout-puissant protecteur, transporté immédiatement dans le temple même de Jérusalem les formes de ce culte absolument nouveau pour la Judée. Osée, fils d'Ela, avait ourdi une conspiration contre le roi Pékah. usurpateur lui-même; il ne semble pas cependant que le trône de Samarie dût être un objet d'envie depuis la chute de la dynastie de Jéhu et surtout depuis l'effroyable menace que faisait pendre sur Israël le redoutable voisinage dp l'Assyrie. Obligé de faire sa soumission au roi d'Assyrie, Salmanasar, Osée tenta de secouer le joug par une altiance avec l'Egypte. Prévenu de ces menées, le roi d'Assyrie se saisit de la personne d'Osée, mit le siège devant la forteresse de Samarie et s'en empara au bout de trois ans. Les termes laconiques
dans lesquels l'écrivain annonce ce terrible événement, sont lugubres dans leur briéveté « La neuvième année d'Osée, le roi d'Assyrie prit Samarie et emmena Israël captif en Assyrie. Il le fit habiter à Chalach et sur le Chaboras, fleuve de Gozan, et dans les villes des Mèdes. » Ainsi finit le royaume du Nord, lettépositaire autorisé du grand nom d'Israël. Les transportés furent remplacés par des individus venus de l'intérieur du pays, et le territoire du royaume du Nord devint le siège du syncrétisme religieux le plus singulier (2 Rois XVII). -Cependant, à Jérusalem, Ezéchias, fils d'Achaz, entreprenait de réagir vigoureusement non seulement contre l'introductiondes cultes étrangers favorisée par son père et par nombre denses prédécesseurs, mais encore contre quelques pratiques idolatriques conservées dans le culte de Jahveh et qui semblent avoir fait le pendant des fameux taureaux d'or du royaume d'Israël et surtout contre la multiplication des lieux de culte. C'était la première fois qu'on entreprenait de restreindre les cérémonies religieuses au seul sanctuaire de Jérusalem, avec lequel beaucoup de.« hauts-lieux » provinciaux se disputaient l'honneur d'attirer une importance clientèle. La tentative était d'autant plus hardie que les circonstances extérieures étaient plus graves. C'était le moment où Salmanasar mettait fin au royaume d'Israël. Ezéchias, menacé de près, quelques années après, par l'armée de Sanchérib, n'échappa à la prise de sa capitale que par une chance inouïe nous voyons enfin une ambassade échangée entre Babylone et Jérusalem. Malgré les violentes émotions qui le signalèrent, le règne d'Ezéchias devait laisser le souvenir de réformes importantes et de travaux publics considérables. Sous ses successeurs Manassé et Amon, éclate une vive réaction religieuse, qui donnerait à croire qu'Ezéchias avait dépassé ce qu'il était permis de tenter en fait de centralisation et de réformes du culte. Non seulement les hauts-lieux sont rebâtis, mais les cultes syriens de Baal et d'Astarté sont mis sur le même pied que celui de Jahveh; on voit apparaître aussi la nouvelle idolâtrie de l' « armée céleste ». Amon est assassiné, mais son fils Josias recouvre le trône. Reprenant d'une part. les travaux que semble avoir nécessité l'état fâcheux des constructions du temple et de l'autre la réforme tentée par son arrièregrand-père Ezéchias, Josias semble s'être appuyé sur un texte écrit pour donner plus d'autorité à son essai restaurateur. On s'imagine généralement que ce texte n'était autre que le Deutéronome, dont l'esprit est en effet le même que celui qui inspira la tentative de Josias. Après avoir détruit tous les symboles des cultes étrangers, après avoir démoli tous les hauts-lieux qui se trouvaient non seulement en Judée, mais en Samarie, sur laquelle il parait avoir étendu son pouvoir, le pieux roi fait célébrer solennellement la pâque à Jérusalem. Il resulte des expressions dont se sert le récit sacré, que cette cérémonie était absolument nouvelle. « Aucune pâque pareille n'avait été célébrée depuis le temps où les juges jugeaient Israël, et pendant tous les jours des rois d'Israël et des rois de Juda » (2 Rois XX!II,22).Des textes tels que celui-ci sont de nature à nous faire voir
qu'il n'est pas possible d'adopter sans réserve le point de vue de l'époque postérieure, qui a vu la rédaction des annales Israélites: là où elles parlent du retour à une loi antique, négligée depuis des siècles, nous voyons une innovation hardie, la rupture avec l'ordre de choses consacré par un long u~age. Peu de révolutions religieuses ont été plus audacieuses que celle qui a prétendu substituer à de nombreuses cérémonies locales, trop facilement mélangées de coutumes idolatriques et de rites étrangers, une. centralisation rigide, rendue plus attrayante par des solennités populaires revenant à époques fixes. Josias devait avoir une fin tragique. S'étant opposé au passage de l'armée de Néchao, roi d'Egypte, qui dirigeait une expédition contre l'Assyrie, il futbatFu et tué à Mégiddo. Son fils Joachaz lui succéda. Dépossédé par le pharaon Néchao, il fut remplacé, par ordre du même souverain, par son frère Eliakim, plus tard Joïakim. Il appartenait aux Chaldéens d'achever la ruine du malheureux petit pays dont l'indépendance n'était plus guère que nominale, et qui cherchait en vain un point d'appui en Egypte contre -la puissance babylonienne de jour en jour grandissante. Après plusieurs péripéties, Nébucadnézar contraignit Joïachin, successeur de Joïaldm, à faire sa soumission et l'emmena captif en même temps qu'il déportait l'élite de la population judéenne et jérusalémite. Il devait bientôt reparaître devant les murailles de la cité insurgée de nouveau sous le gouvernement du prince qu'il lui avait donné, Sédécias; cette fois-là la ville rebelle fut brûlée et pillée, et ses fortifications démantelées. Le royaume de Juda avait cessé d'exister (588). C'est dans le livre de Jérémie qu'il faut suivre les angoisses de la pénible agonie de l'indépendance judéenne.
Ht. LES JUIFS SOUS LES CitALDËEXS, LES PERSES ET LES GnECS. A partir de la destruction de Jérusalem, le cadre de l'histoire extérieure est fourni par les documents profanes ou par Josèphe, tandis que la série des évolutions de l'organisation civile et religieuse n'est racontée nulle part d'une manière suivie. Pour ce qui touche la restauration, les livres d'Esdras et de Néhémie nous.fournissent de précieux documents.- La série des souverains babyloniens s'établit ainsi Nébu.cadnézar, 604-562; EviI-Mérodach, 562-560; Nériglissor, 560-556; Laborosoarchod, 556-555; Nabonnedus, 555-538. La liste desrois dePerse est la suivante Cyrus (jusqu'à la prise de Babylone), 538-538; Cyrus (depuis' la prise de Babylone) 538-529; Cambyse, 529-522; Darius, 521-485; Xerxès (Assuérus, Esdras IV, 6), 485-465; Artaxerxès Longue-main, 463-424; Xerxès H et Sogdianus, 421; Darius Nothus, 424-405; Artaxerxès Mnémon, 403-35'J Ochus, 359-338 Arses, 338-336 Darius Codoman, 336-330. Pour la période grecque, les indications chronologiques principales s'établissent ainsi Alexandre le Grand (depuis la défaite de Darius), 330-323 division doTempiro d'Alexandre, 323-301.
On peut enfin donner la suite des principaux événements qui touchent directement la Judée, comme il suit Retour sous la direction de Zorobabel, 537; commencement de la construction du temple et interruption des travaux jusqu'à la seconde année de Darius, 319; achèvement du temple dans la sixième année de Darius (Esdras VI, 15), 513; arrivée d'Esdras dans la septième année d'Artaxerxès Longuemain (Esdras VII, 7),4a8; restauration d'Esdras (Esdras VIII-X) et nouvelle interruption apportée aux travaux de la colonie (Esdras IV, 23), 458-443; arrivée de Néhémie (Néhémio I, 1), 443; son retour en Perse (Néhémie V, 14 et XIII, 6), 433; son second voyage en Palestine, ?; Ptolémée s'empare de Jérusalem, 330; Antigone s'empare de la Palestine et de la Phénicie, 314; Ptolémée reprend la Palestine, 301; établissement de colonies juives en Egypte, après 300 développement paisible du judaïsme tant à Alexandrie qu'en Palestine, après 300; guerre entre Antiochus II et Ptolémée II sur le territoire judécn. 260; Antiochus le Grand prend la Palestine, 218; il est battu à Raphia, '217; les hostilités reprennent après, 204; les Juifs tombent au pouvoir d'Antiochus (voyez Daniel XI, 1.4), 202; la Palestine revient à l'Egypte, 199; Antiochus la récupère par la bataille de Panéas, 198; Ptolémée V la reçoit en dot, 193; Séleucus IV Philopator lève un tribut en Palestine (Daniel XI, 20), Onias grand-prêtre, ? Jésus (Jason) grand-prêtre de par Antiochus Epiphane, progrès de l'hellénisme à Jérusalem, 173; Ménélas (Onias) s'empare du sacerdoce en place de Jason, qui prend la fuite, 172; coup de main de Jason contre Jérusalem la ville est pillée par Epiphane, 169; Jérusalem occupée par Apollonius, 168; Jérusalem fortifiée, le temple pillé, le culte renversé le 23 kisleu, 167; persécution religieuse, 167; révolte des Macchabées, )67.–La période de plus de quatre cents ans dont nous venons de donner les principales dates est capitale pour la formation du judaïsme. A son début, nous assistons à la transportation violente de l'élite de la nation israélite sur un sol étranger à son terme, nous sommes témoins d'une tentative, non moins violente, d'hellénisation des Juifs palestiniens; mais dans l'intervalle s'est constitué ce type indestructible de la foi juive, devenue capable do braver pendant vingt siècles toutes les causes d'aufantissfmpnt. Comment cela s'est-il fait? Nous reconstruisons ce développement à l'aide d'hypothèses, qui peuvent prétendre tout au moins à la vraisemblance, en l'absence de renseignements suffisamment précis et authentiques. Tout d'abord, il paraît hors de doute que la Babylonie
Les Ptolémées. Les Séleucides.
Ptotëméel.Lagus. 301-285 SeIeucuaI.Nic-~tor. 301-28g Ptolémée II, Philadelphe, 285-24C Antiochus I, Soter, 288-261 PtotémëeI]I,Evergète, S4G-221 Antiocbt)s!I,ThÉos, 2C1-246 G Ptolémée IV, Philopota, 22i-205 Sëleucis II. Callinique, 246-226 Ptol6méeV,Epiphane, 205-181 SëIeucisîI!,Këraunos, 226-224 Ptolémée VI, Philométor, 181-146 Antiochus III, le Grand, 224-187 Séleucis IV, Philopator, 187-175
Antiochus IV, Epiphane, 175-164
est devenue le siège d'un mouvement intellectuel et religieux des plus importants, où se mêlèrent dans une remarquable proportion l'inspiration prophétique la plus haute et le souci d'une organisation cérémonielle, rituelle et civile, telle que celle dont le Deutéronome nous fournit le premier exemple. A côté du grand anonyme auquel revient la seconde partie du livre d'Esaïe, se place Ezéchiel, avec ses plans de restauration. Nous imaginons plus encore à savoir que, dans les circonstances favorables où se trouvèrent les exilés à partir de l'avènement de Cyrus, il se forma un groupe de légistes auquel revient la plus grande part dans la confection de la loi que les soins combinés d'Esdras et de Néhémie devaient introduire en Judée, dans le courant du cinquième siècle. On sait que la première restauration tentée par Josué et Zorobabel n'avait pas produit les résultats espérés celle que vint favoriser Néhémie aboutit à une organisation stable. A partir de ce moment, le judaïsme comptait deux centres d'élaboration législative et religieuse, Jésusalem et Babylone, entre lesquels l'échange a du être constant et fructueux. Nous croyons donc pouvoir attribuer aux sixième, cinquième et quatrième siècles une activité intellectuelle féconde, et c'est à cette époque, sur laquelle l'histoire a fait le silence, que nous attribuons la rédaction définitive du code mosaïque, la composition d'un grand nombre de morceaux prophétiques, l'institution de tous les organes qui assurent le fonctionnement normal et la durée d'une société. De la sorte, quand arriva la conquête d'Alexandre, quand la Judée, disputée pendant quelque temps entre les héritiers du héros macédonien, devint pour un demi-siècle une dépendance paisible de l'Egypte, la civilisation juive était admirablement préparée pour emprunter à la Grèce tous les éléments capables d'alimenter son génie ouvert, en même temps qu'elle commençait en. Egypte et en différents lieux une propagande intellectuelle et religieuse des plus fécondes. Dans cette vue, chaque siècle aurait sa part de la grande œuvre qui devait assurer au judaïsme son indestructible vitalité. Dans le sixième siècle (époque de l'exil), la pensée prophétique aurait atteint son plus haut degré de précision et de fermeté; pendant le cinquième, l'organisation législative aurait été tracée par les légistes de Babylone et appliquée au groupe jérusalémite. Dans le quatrième, cette organisation serait passée dans les mœurs en même temps que son influence s'établissait sur tout l'ancien territoire israélite. Dans le troisième, l'esprit juif qu'on se représente à tort comme incapable de s'assimiler la pensée étrangère, aurait commencé cette œuvre étonnante de propagande sans laquelle les succès du christianisme resteraient une énigme. Ces heureux développements ne semblent pas avoir été contrariés par le vasselage où se trouvait la Judée. Le besoin de l'indépendance politique ne devait se faire sentir avec énergie que lorsqu'un pouvoir téméraire porterait atteinte aux principes mêmes de la religion traditionnelle. Toutefois, les compétitions de l'Egypte et de la Syrie jettent une ombre sur l'évolution jusque-là suffisamment paisible do
la Judée. Elles n'étaient que le prélude des odieux attentats d'Antiochus Epiphane qui provoquèrent la révolte des Macchabées. -Une des plus intéressantes sources pour cette histoire est le livre de Daniel écrit précisément à la fin de cette période (voyez les articles Exil, Esdras, Ecoles juives, Daniel).
IV. LES MACCHABÉES ET LA DOAUNATIOX ROMAINE (voyez Surtout 1 Macchabées, Josèphe; voyez aussi notre article Asmonéens et Hérodes (les) par Ed. Stapfer). Depuis la révolte des Macchabées jusqu'à la fondation d'~Elia Capitolina sur les ruines de Jérusalem, il s'étend trois siècles singulièrement agités: d'abord l'établissement de l'indépendance nationale sous une dynastie indigène, puis, sous la haute tutelle de Rome, différentes administrations impatiemment supportées, enfin une terrible révolte écrasée dans le sang et une dernière agitation, dont la répression marque, sous Hadrien, la fin suprême de la nationalité juive. Cette époque est marquée par différents phénomènes intellectuels d'une part, l'établissement d'une tradition juridique dont le développement devait aboutir aux Talmuds; de l'autre, l'éclosion de la littérature apocalyptique et philosophique; enfin, et tout principalement, la naissance du christianisme. Nous donnons la liste des principaux événements: Les .Macc/taMM. Révolte des Macchabées, 167; mort de Jfa~afAt'a~, 166;Victoiresde Jtf~ax Macchabée, 166; Défaite de Lysias à Beth-Sour, 165: le temple reconquis et consacré le 25 kisleu, 164 Judas Macchabée assiège inutilement la citadelle de Jérusalem occupée par une garnison syrienne; il est vaincu à Beth-Zacharia, 163 Judas invoque l'alliance des Romains, 162; Judas succombe a Beth'Zat en combattant contre Bacchidès, 161; Jonathan en lutte contre Bacchidès; la paix conclue, 159; Jonathan s'allie au prétendant Alexandre Balas et devient grand-prêtre, 152; il bat le fils de Démétrius, Démétrius H, à Ptolémaïs, 148 Jonathan s'allie à Démétrius II, 145 ne recevant pas le prix de so~ promesses, il passe à Tryphon qui le retient traîtreusement a Ptolémaïs et l'assassine, 144-143; Simon se retourne du côté de Démétrius il reçoit le titre de grand-prêtre et d'ami dit roi, 143; Simon s'empare de Jérusalem, 142; il devient prince héréditaire par la voix populaire, 141; il obtient d'Antiochus Sidétès le droit de frapper monnaie, 140. Simon meurt assassiné par son beau-frère Ptolémée, 135; Jean Hyrcan, grand prêtre et prince des Juifs, 135-106; après de longues luttes, il rompt entièrement les liens de la domination syrienne, s'empare do la Pérée, de la Samarie et de l'Idumée; ~lt'M<o&M!e, 106-105; Alexandre Ja?:)t6C, il conquiert la Philistio jusqu'à Raphia, 105-78; Alexandra occupe le pouvoir avec l'appui du parti pharisien, 78-6D; rivalités entre les deux frères Aristobule et Hyrcan. Hyrcan s'attache l'IduméenAntipater, père d'Hérode. Scaurus tranche le conflit au profit d'~fM/o&u~, 64; Pompée se prononce en faveur d'H~can, 63; Hyrcan, graud-pretre et prince ("M!) le pays, partagé par Gabinius en cinq districts (Jérusalem, Gadara, Amathus, Jéricho, Séphoris); ~rassus pille le temple, 54; César, après la bataille de Pharsale, as-
sure aux Juifs des privilèges, 48 après l'empoisonnement d'Aristobule, Hyrcan est reconnu par César, 47-40 Antipater (Antipas) empoisonné, 44 son fils Hérode épouse Mariamne, princesse asmonéenne, et devient tétrarque sous Hyrcan en même temps que Phasaël les Parthes envahissent la Palestine, donnent la couronne à ~nh'~one, fils d'Aristobule; Hyrcan est envoyé en captivité; Antigone se maintient, 40-37; Hérode est déclaré par le sénat roi de Judée, 40. Les jMuMcefM. ~ero~e le Grand, 40 4 av. J.-C; il appuie Marc Antoine dans sa guerre contre les Parthes, 39; il assiège Jérusalem et s'en empare, 37; il est confirmé dans ses pouvoirs après la bataille d'Actium, 31; il rebâtit le temple, 20-18; il meurt à Kallirhoé, 4 av. J.-C.; son fils Archélaüs obtient, avec le titre d'ethnarque, la Judée, la Samarie et l'Idumée Hérode Antipas avec celui de te~'ar~fe,. la Galilée et la Pérée (4 av. J.-C. 39 ap. J.-C.) Philippe, :<;M'a)''j'tte de la Batanée, de la Gaulonitide et de la Trachonitide Salomé reçoit la Philistie et Jéricho le proconsul Quirinus, 4 après J.-C. Archélatis déposé, 6; recensement de Quirinus, institution de procurateurs: révolte de Juda le Gaulonite; procuratorat de Coponius, de Marcus Ambisius et d'Annius Rufus, 7-14; sous le règne de Tibère, Valerius Gratus reste procurateurpendant onze ans Ismaël ben Phabi, grandprêtre bientôt après, Éléazar bon Anan, un an plus tard Simon, fils de Camithos, puis Joseph et Caïphe, 14-36; Pontius-Pilatus, 25-36; Marcellus, 36; le territoire d'Hérode Antipas (Galilée et Pérée), revient à Ilérode Agrippa 7", déjà possesseur des territoires qu'avaient administrés Philippe et Lysanias, 39-40; Claude y ajoute la Judée et la Samarie, de façon qu'il domine sur toute la Palestine, 41-44; révolte de Theudas, étouffée par Cuspius Fadus Cumanus, procural.teur,48; Hérode Agrippa II reçoit avec la principauté de Chalcédoine la surveillance du temple de Jérusalem, 48 il obtient la tétrarchie de Philippe et de Lysanias ainsi que le titre de roi, 52; Félix, procurateur, S2; Néron lui donne une partie de la Galilée, S3; Festus, procurateur, 60; Albinus, procurateur, 63; Gessius Florus, 64; Agrippa II achève le temple, 64; commencement des troubles, 64; Vespasien envoyé par Néron, 66-69; Titus achève la guerre, en prenant et brûlant Jérusalem, 70; révolte de Barcochébas (voyez notre article ), 132-135.
SOURCES. Le nombre des ouvrages auxquels il conviendrait de renvoyer pour l'histoire du peuple d'Israël est illimité. Nous nous bornerons à citer ceux qui ont fait époque dans la science depuis le renouvellement de cette branche de l'histoire du monde antique par l'application des procédés critiques et dont on est obligé de tenir compte, ainsi que quelques œuvres récentes. Herzfeld, CMc/M'c~e des t~ot/tM Israël, 1855-57; Grœtz, Geschiclate der Juden roM ~'t a'~M~t .MeHAMaM/'<~e(?~)!MM)'f (III, 2° éd., 1863); Jost, GMe/n'c/t<e des jM~X/tMm~MKd seiner Sec~): (1857, Impartie); Ewald, 6'McAt'c~~M fo~MT~-ac~l' éd.,Gœttingue,1843ss.,3voI.; 3'éd., 7 vol., 1864);: Weber et Holtxmann, GMc/nc/Ke des 1~/CM Israël Mna! der EM~~Aun~ des C/nntent/tUMt~, 1807; Hitzig, Geschichte des Fo/M Israël, 1869~ f
Seinecke, Gesclaichte des ro~M Israël, 187G. L'histoire d'Israël (GMcAtcA~ 7~'raë~) de Wellhausen, dont la première partie (1 vol.) a seule paru (Berlin, 1878), est tout particulièrement remarquable par sa critique approfondie des sources et la rigueur de son plan; cf. la partie consacrée aux livres historiques de la Bible dans la 4* éd. de I'<?'oduc<:on à r~nc~H-T'M~MeMt de Bleek, due au même savant (Berlin, 1878). Voyez aussi Die ~MC/~e/~Hc~eM Biicher des a~en 7'M<<ments de C.-H. Graf, 1866. La Hollande a vu paraître une histoire complète de la religion d'Israël (De Cod~dt~Mt van Israël toi den Onder~a! tan der yood~c/K?t ~Mi), par Kuenen, de Leyde, 2 vol., 1869-1870; c'est un ouvrage capital. Citons encore en hollandais De <daMeeM!ue?t ManV~'oë~o~&Mtaan (les derniers siècles de l'existence du peuple juif), 2 vol., La Haye, 1877-1878, par le D'H. Oort. Pour la France nous citerons en première ligne la Bible, par Ed. Reuss, particulièrement le volume consacré aux livres des Juges, de Samuel et des Rois, intituFé Histoire des Israélites depuis la conquête de la Pa~!t!t6~'u~tt'a l'exil, qui renferme un Résume de l'histoire des Israélites jusqu'à la destruction de Jérusalem (p. 3-75). On consultera également avec profit la compilation si exacte et si soignée de S. Munk (La Palestine, 184S), bien que le point de vue critique en soit arriéré. L'ouvrage de M. Derenbourg (Essai sur l'histoire et la ~eo~rap/ti'e de la Palestine, Paris. 1867) mérite une mention spéciale. L'historien Josèphe, dont les ouvrages complètent les renseignements fournis par l'Ancien Testament, a été publié à Paris chez Didot .F~HK JtMep/M opera, ~r~ce et ~;M!e, etc., 2 vol., 1865. M. de Saulcy en a tiré parti dans ses ouvrages intitulés Les do'Mter~ jours de Jérusalem, 1866 Histoire d'TTerode, 1867, et Sept siècles de l'histoire Judaïque, 1874. Voyez encore pour l'époque du second temple les chap. iv et vm-xt du Judaïsme, par E. Havet, Paris, 1878. – La partie ancienne de l'histoire d'Israël est traitée d'une façon remarquable dans l'77M<oM'e ancten~e des peuples de rOrM~t, de Maspero (2' éd., Paris, 1876), et dans la Gesc/ttc/~e des .4~ct'</ntnM (Histoire de l'antiquité) de Max Duncker (4° éd., vol. 1-IV, 1874-1877). Nommons enfin la publication toute récente, mais médiocre, de M. Ledrain Histoire d~raë~ (première partie), Paris, 1879. MAUMCE VEUXES. ISSACHAR [Issàkàr; I~of/.ap], cinquième fils de Jacob et dont la mère fut Lia (Gen. XXX, 17 ss. XLVI, 13); il est le chef de la tribu du même nom (Nombr. XXVI, 25; cf. I, 29), qui occupait le district en deçà du Jourdain, entreles tribus de Manassé, d'Ephraïm, d'Asser et de Zahulon (Jos. XIX, 17 ss.). Montagneux à l'Est et au Sud, ce territoire était fertile et très propice à l'agriculture (Gen. XLIX, H; Deut. XXXIII, 18; cf, Joscphe,~)ttt9.,15,1.22).H comprenait la riche plaine d'Ësdrélon (voyez cet article). Les habitants avaient la réputation d'être des hommes prudents, avisés et pratiques (1 Chron. XII, 32).
ITALA. Voyez ~r~tons bibliques.
ITALIE (La Réforme en). Observons avant tout que les nombreux documents qui devraient éclairer notre étude commencent à peine
à être connus (Venise, Milan, Florence, Londres, Dublin dans le Bristish Museum et le Trinity Collège), que les archives de Rome sont inabordables et qu'à l'exception des récents travaux de MM. K. Benrath, De Leva, E. Comba, E. Bôhmer, J. Bonnet, il règne dans les ouvrages protestants et catholiques sur la réforme italienne beaucoup de confusion, beaucoup d'arbitraire et de passion confessionnelle dont on a tous les droits de se défier. D'autre part les comptes rendus des procès du sainl-office, qui nous sont connus et qui sont déjà nombreux, sont hérissés de contradictions, d'interrogations captieuses, de suppositions, de soupçons gratuits de la part des inquisiteurs; et de réticences, de réponses double ou à demi-sens, de négations généreuses, de fausses révélations arrachées par les tortures, de la part des hérétiques sous procès (voyez procès de Carnesecchi,;)/MceH. di Storia 7<c<taMa, t. X, 1870; les procès de P. P. Vergerio, B. Lupetino, publiés par M. Comba, Rivisla cAt-tOM<7, 1873-75; le procès de Morone, Eretici d'Italia de C. Cantù, 1.1!). Les données sur la vie des réformateurs et des réformés italiens sont souvent enveloppées dans des ténèbres que les faits généraux et connus de l'histoire ne réussissent pas à dissiper. L'activité des principaux réformés italiens est mieux et plus sûrement connue après leur exil ou aux approches de leur martyre, malgré les insipides déclamations de leurs détracteurs, de C. Cantù surtout. -Les causes qui auraient dû faire naître et favoriser la Réforme en Italie furent pour la plupart précisément celles qui l'anéantirent avec les violences du bras séculier. La corruption multiforme de la cour de Rome vers la fin du quinzième siècle et au commencement du seizième, l'opprobre du ministère catholique qui indignaient les chrétiens du Nord étaient un spectacle trop ordinaire en Italie, pour y produire un mouvement sérieux. Plusieurs hommes de cœur et de génie (Arnaldo de Brescia, Dante, Pétrarque, Valla, Bracciolini, F. Battista di Mantova, Savonarola, Egidius de Viterbe, Pic de la Mirandola) et les conciles de Pise et de Latran avaient demandé la réforme de l'Eglise, mais en vain, comme on le vit trop bien sous le court pontificat d'Adrien VI (1521-22). Accablé par les outrages et l'opposition des créatures de Léon X il renonça successivement à tous ses projets de réforme qu'il avait rêvés pour attirer les luthériens. La renaissance des lettres, plus vivace en Italie que partout ailleurs, qui aurait dû conduire à la renaissance du dogme évangélique l'exégèse sacrée, bien qu'elle ait produit cet effet chez plusieurs pieux érudits qui publièrent des traductions de la Bible et des commentaires (Malermi, Manetti, Giustiniami, Bruccioli, Sancte Pagnini, Sadolet, Clario, Marmocchini Teof. Massimo. Filippo Rustici, etc.) fut au contraire, dans les lettres et dans le clergé italien, la renaissance d'un paganisme incrédule et cynique, railleur et lâche, qui s'installait sans vergogne jusque sur le trône pontifical et qui adorait- publiquement parcraiute ce qu'il brûlait tous les jours dans ses orgies. La cour de Léon X, « créé pape par les dieux immortels, » ses débauches, ses propos profanes dans lesquels le Christ est appelé Minerve, le Saint-Esprit
Zéphir; où l'astrologie a beaucoup plus d'autorité que l'Ecriture les luttes des écoles platonicienne, aristotélique et alexandrine suivies avec intérêt par le pape qui excommuniait Luther, en sont un exemple frappant. Le biographe de Paul IV (A. Caracciolo) affirme qu'il n'y avait personne àla cour de Rome qui no crût devoir, pour suivre la mode, faire parade de quelque opinion hérétique. Il en fut ainsi sous Clément VII et au commencement du pontificat de Paul III. Pendant le règne violent du saint-office les afficheurs d'hérésie et les méchants philosophes surent sagement se taire. Les grands, dépendant du saint-siège après que leurs libertés eurent été détruites par Alexandre VI, le clergé, les hommes de lettres étaient liés par une foule d'intérêts à la religion romaine. Le bas peuple, la bourgeoisie dépendant de la noblesse et plongée dans une ignorance qui n'a'd'égale que celle qui distingue aujourd'hui encore certaines populations catholiques, se trouvaient dans la même position. De là, un abîme entre la conscience et la foi de là, la mort du sentiment religieux que les cendres de Savonarole n'avaient pu réchauffer de là, en un mot, ce manque de convictions, ce scepticisme railleur, hypocrite, bigot, poltron et rusé qui défie toute analyse morale et que nous voyons personnifié dans Boccace, dans l'Arétin, l'Arioste, Léon X, les cardinaux Bembo, della Casa, Bibbiena, et même dans les grands historiens Guicciardini et MachiaveUi. Si nous ajoutons à ces vices originels de l'éducation romaine les cruelles fureurs de l'inquisition nous comprendrons aisément que la Réforme n'ait pu s'établir solidement en Italie.
I.T'enhMtfM de Réforme dans l'Eglise romaine. La corruption de Rome qui avait soulevé de si vives protestations blessait profondément plusieurs âmes pieuses, sincèrement attachées à Rome et à ses traditions et qui, avec plus de délicatesse et d'à propos qu'Adrien VI, essayèrent d'y porter remède. Ce ne sont pas les prélats français qui attaquent Rome au concile de Pise pour aider à la politique de Louis XII, ni les prélats italiens de Latran (i513-i5t7) complètement soumis au pape; ce ne sont ni les vaines demandes de Chierigato à la diète de Nuremberg, ni les fallacieuses promesses de Campeggio, qui à Cologne voulait diviser la Réforme pour l'anéantir. Ce sont d'abord des tentatives individuelles, puis un vénérable conseil approuvé par le pape Paul III, qui travaillent à la réforme de l'Église MtHt~m&rM pour faire place bientôt (1542) au bras sanglant du saintoffice, lorsque toujours plus effrayé des conquêtes de l'empereur, Paul 111 abandonne ses faux penchants vers certaines réformes réclamées par les protestants et les catholiques. Lorsque les écrits des réformateurs commencèrent à circuler en Italie, et même à y être imprimés, sous des pseudonymes où sous le nom de prélats catholiques (en 1519, F. Calvin de Menaggin introduisit fn Italie des lettres de Luther et des ouvrages latins des réformateurs allemands. De 1520-1523 les ouvrages de Luther, les Loctcomn~nMdeMéIanchthon sous le nom d'Hippophile de Terra Negra et plus tard ceux de Bucer Arezio Felino », de Zwingle, ~yf~wu~ Corellus e: Coriccio Co~tp;
etc., etc.), les besoins et les idées de réforme furent plus pressants même au sein du clergé attaché a Rome. Ga'etano Thiene, homme pieux et fanatique, fonde à Sainte-Dorothée l'oratoire del'AmourDivin, avec cinquante amis, pour résister à la corruption de Léon X; puis des unions semblables à Venise, à Vérone, à Brescia. Il s'unit à l'ambitieux et inquiet Caraffa (Paul IV en 1535) pour créer l'ordre des théatins avec Colle et Consiglieri, sur le Monte Pincio. Leur but est de convertir les hérétiques, de rendre au culte sa simplicité et sa décence évangéliques, d'abolir les abus des ordres mendiants, de redonner à la Rome papale sa puissance et sa splendeur. Admirables pendant le sac de Rome (1327), les théatins s'établirent à Venise, à Milan, à Naples où ils furent les plus zélés dénonciateurs et persécuteurs des hérétiques et prirent le nom de c/ti~ux, de Chieti, évêché de J. P. Caraffa. L'ordre eut des imitateurs dans les somaschi, les barnabites, les prêtres mineurs, les ministres des infirmes, etc. Tous ces moines voulaient la réforme des mœurs, mais leur fanatisme romain les rendit les plus grands adversaires de la Réforme. Plusieurs viDos italiennes désiraient un concile pour la réforme de t'J~tM dans ~A'~Me, comme le prouve une lettre écrite de Bologne à Jean Planitz, ambassadeur saxon auprès de Charles-Quint, (1533). Nous en détachons un fragment important « Nous vous supplions et vous conjurons au nom de Jésus d'employer tous les moyens auprès de l'empereur pour hâter cette convocation tant désirée et si nécessaire et il est presque impossible que vous ne réussissiez pas puisque S. M. sait que le concile est désiré, attendu, « soupiré ') par les villes les plus religieuses de l'Italie et par Rome elle-même, Nous verrons comment le concile répondra aux vœux des Bolognais.- Les ardents souhaits de la meilleure partie du clergé italien sont en outre clairement exprimés dans le célèbre Co~'tHu~ de ~tcn~an~s Ecclesia. Paul lit, assailli parles demandes des peuples chrétiens au sujet du concile, menacé par ses courtisans, effrayé par les rapides victoires de l'empereur, plongé dans un népotisme scandaleux, oscillait entre la réforme et l'empereur et choisit pour temporiser une voie mitoyenne dans laquelle il se garda bien de s'engager définitivement. Quoi qu'en disent les historiens catholiques (card. Quirini et C. Cantù surtout), Paul III n'avait qu'un désir apparent de réformer l'Eglise, et une lettre devais (?) écrite par Ochinus selon les uns, par P. P. Vergérius selon les autres, bien qu'exagérée, nous en donne le motif, avoué d'ailleurs par le pontife lui-même lorsqu'il disait vers la fin de sa vie Si met non /MMM< domt?M<i, <M)!C tmntact~attM essenz. Son amour pour P. Louis Farncse l'entraîna à des actes infàmes, mais cet amour paternel ne peut l'excuser un pape incestueux, astrologue, simoniaque comme lui, n'a jamais pu désirer la réforme de l'Eglise, comme il le laissait croire au Cot!~tt:Mt MuentUM'a/e chargé par lui d'étudier la question, sous la présidence du pieux Contarini qu'on l'accuse même d'avoir fait empoisonner (voyez Lettre de F. Bernardino a P. P. Paulo 111' 7Jtt)M~ C;'M<i'(Mta, août t8"~). Ses abus étaient si connus que Pasquin afficha à son adresse ce distique « <7<eane''en!
da<a)MM~<to!ttK ~u)!tua<ttm~)'a. Ut <ac60tn,</tM!)!uHt<umt/tf,Pau~, dabis ? et sur son népotisme Zelus ~onu~ <ua! comedit !~Mm G. Contarini, estimable tous égards et qui connaissait mieux que les modernes apologètes du catholicisme les causes morales de la Réforme allemande, nourrissait l'illusion de la possibilité d'une réforme catholique in capite etmembris (voyez art. Co)!<arMtt).Sous son influence et celle de Sadolet on parla de réformes à introduire dans la chancellerie, l'épiscopat, les mœurs du clergé, la pénitencerie, la daterie, la juridiction de la rote, etc., dans un consistoire de janvier 1536, et le pape nomma un conseil de quatre cardinaux et de cinq prélats pour les étudier et en rapporter (Contarini, Polo, J. P. Caraua, Sadolet, Fregoso, Giberti, Badia, Cortese, Àléandre). Le coH~Humqui dut faire e son rapport en 1337 fut publié à Rome en 1538, et bien que Quirini affirme qu'il n'a été mis & l'index que parce que les luthériens l'avaient publié avec commentaires, il nous suffit de savoir que Paul III n'en tint aucun compte, que Paul IV le condamna, bien qu'il en eût fait partie et que les réformes proposées ne s'effectuèrent jamais. Le Con~tHttm. invitait le pape à détruire les abus de sa cour, à arrêter les progrès de l'hérésie en donnant l'exemple d'une vie pure et d'un culte chrétien; il attaquait vivement les scandaleuses collations et accumulations de bénéfices, la simonie, le népotisme, l'ambition démesurée des papes et des cardinaux, l'ignorance du bas clergé, les livres d'Erasme lus et commentés dans des « écoles d'impiété. » Nous trouvons pour le moins dix-huit sévères remontrances, commençant avec les mots « alius abusus H et qui devaient pénétrer comme un aiguillon dans la chair même du pape (voyez Co!M. c~~ctorum ca~'d. et o<K~ prêtât. de e?)MH~aMf<a ecclesia S. D. N. D. Paulo 777° ipso ju&eK<e co?iscriptum et exhibilum, Roma~, 1538; Schelhorn, De coiasilio de enwtdtMK~t Mc~ta. ad Emin. Rev. A. M. card. Quirinum, Tiguri, 1748). – L'illusion de ces hommes, animés de bonnes intentions, fut bientôt dissipée, malgré les sévères avertissements de Contarini qui. osait écrire: « Quoi de plus contraire à la loi du Christ, loi de liberté, que de dire les chrétiens esclaves du pape, comme s'il pouvait, suivant sa volonté et ses caprices abroger, proclamer et promulguer des lois! un tel gouvernement ne pourrait convenir ni à des chrétiens, ni à des hommes libres. L'autorité du pape doit être dirigée par la Parole de Dieu, la raison et la charité. » Tous les prélats du ConM~MHt,à l'exception d'Aléandre, plus tard persécuteur dans les Pays-Bas, et du terrible Caraffa, admettaient dans le sens d'un luthéranisme mitigé la doctrine de la justification par la foi et presque tous furent plus tard suspects, comme hérétiques, à leur bouillant collègue (Paul IV). Fregoso chérissait le .BcMe/:c:'o di CMM Cristo; Polo fut souvent sous imputation d'hérésie, bien que sa conduite dùt l'en dispenser Giberti désirait que « Jésus crucifié fut prêché dans son diocèse et fit publier en 1541 les Actes du concile de Cologne, œuvre de Vied, plus tard luthérien. Ami de Fregoso et de Polo, il eut sur ce dernier une grande influence et favorisa la prédication de l'Evangile à Bergame, à Modène, à Brescia et à Vérone. Tous ces personnages
admettaient la doctrine chrétienne de la justification par la foi, mais sans oser en faire découler les mêmes conséquences doctrinales et ecclésiastiques comme le faisait la Réforme proprement dite. Dans le procès de Carnesecchi, Giberti est souvent cité comme très suspect avec plusieurs antres personnages qui n'appartinrent toutefois jamais à la Réforme italienne. Contarini même, après tes avortements de la diète de Ratisbonne, après ses publications sur la justification, sur la puissance du pape in usu clavium, après son ingérence conciliante dans les débats de Modene et la tournure dogmatique de Trente, aurait été emprisonné si la mort ne l'eût enlevé, pur et sans reproche, en 1542. Reconnaissons toutefois que ce n'est que par « trop de zèle » que Paul III et surtout ses successeurs persécutèrent des cardinaux et des éveques suspects. Sous Paul IV et après lui, l'animosité d'un cardinal contre l'hérésie était la voie la plus sûre pour arriver à la tiare aussi jusques à Paul V (1603) voyons-nous peu à peu disparaître les vestiges de la foi chrétienne. Les prélats italiens qui caressaient quelques désirs de réforme les abandonnèrent après le concile (1545-1563), et sous le pontificat rigide de Ghislieri (Pie V) ils n'en gardaient, apparemment, pas même le souvenir. Il n'est pas exact de dire (Cantù, Quirini, etc.,) que le protestantisme revendique comme sien le cardinal Rcginald Polus; il connait trop bien ses fluctuations politiques et doctrinales pour vouloir s'honorer d'un tel personnage. Ses ouvrages sont strictement catholiques et toute sa gloire l'est aussi. Suspect et même sous procès parce qu'il avait retenu auprès de lui à Viterbe les principaux réformés toscans'et napolitains et qu'il leur permettait la lecture des livres hérétiques, bien qu'il ait admis avec Contarini (voyez ~pM<o~ R. Poli, III, 23-53) la doctrine de la justification, il fut réellement un des plus grands ennemis de la réforme italienne en persuadant à ses amis, à Flaminius surtout, de cacher hypocritement leur foi. Sa conduite après l'ouverture du concile et sa légation en Angleterre prouvent éloquemment que ses premières opinions réformées n'étaient qu'un jeu politique et que Paul IV aurait pu se dispenser de le mettre sous procès et de le soupçonner. Le CfMKpendtMHt Jn~UMttorMnt et l'extrait du procès de Carnesecchi le notent toutefois comme fort dangereux, le dernier laissant voir que Pie V en 1566 doutait fort de la sincérité du testament de Polo, écrit dans un esprit tout à fait catholique romain. Les amis de Polo, Aloïs Priuli et Donato Rullo, que nous voyons toujours avec lui, partagèrent ses opinions, mais ne manifestèrent jamais ouvertement leur foi. Polo fut également le directeur spirituel d'une femme célèbre dans les lettres et par l'amour pur que lui voua le plus grand génie artistique du siècle, Michel-Ange. Vittoria Colonna, que A. Caracciolo place parmi les hérétiques, n'a jamais songé à se séparer de l'Eglise. Après la mort de son mari elle se dédia aux lettres et aux œuvres pieuses, mais comprenantque les macérations ne pouvaient la sauver, sous l'influence de Carnesecchi, de M. A. Flaminius, Polo, etc. elle étudia l'Ecriture et le livre du Beneficio dt GMM C~o. Une brise légère de protestantisme s'échappe mystiquement de ses sonnets religieux, mais pour
elle comme pour son amant platonique Michel-Ange, l'Eglise et la papauté n'avaient rien perdu, en principe, de, leur autorité. Leur âme était toute prête pour la Réforme elle en goûtait les grandes doctrines, l'autorité de la Bible, la justification sans les œuvres mais une foule de motifs extérieurs très avouables, puisqu'ils ne se doutaient pas de leur importance antireligieuse, nous empêchent de pouvoir les mettre loyalement parmi les réformés italiens (voyez dans les ~itme di ~o)'MCo<OKn<t éditées par P. E. Visconti, Rome, 1840, les sonnets Il cieco amor del mo;tdo. ~e~t'o<ra~a e di /'<M:~o. et surtout celui qui commence « Qui jamais, à l'heure suprême, craindra le coup mortel et cruel de la mort, s'il dirige, avec une foi parfaite, ses regards à l'âpre douleur du Christ sur la Croix? a). Elle avait connu Valdez en 1533 et de 1536-1539 les prédications de P. Martyr et d'Ochinus mais après la fuite de ce dernier (1542), sous l'influence de son « o~'aeo~o » le card. Polo, elle ne voulut plus en entendre parler et remit à Cervini (Marcel II en 1555) une lettre du capucin fugitif. Laissant de côté, dans cette rapide revue, Cortese, Folengo, Buonarici, Grimani d'Aquilée, qui furent suspects, Fregoso qui avait écrit sur le libre arbitre et sur la prédestination dans le sens réformé, jetons un coup d'oeil sur le procès de Jean Morone, cardinal, évêque et légat il nous donnera une idée exacte de la valeur de ces soupçons d'hérésie qui pesèrent sur la vie de plusieurs dignitaires de l'Eglise romaine et qui les ont fait nommer protestants par des historiens peu consciencieux ou mal renseignés. La première cause du procès de Morone fut qu'il avait été impérialiste (il était fils du célèbre Girolamo Morone) de là la haine de Paul III et de Caraffa, de là aussi les nombreux témoins intéressés qui déposèrent contre lui. Lié à Polo, Cortese, Contarini, etc., il nourrissait les mêmes opinions qu'eux sur la doctrine de la justification et sur le besoin d'une réforme dans l'Eglise il fut toujours tolérant et bienveillant envers les hérétiques de Modène et de Bologne. Plusieurs fois accusé d'hérésie sous Jules 111 et Marcel II, il fut emprisonné au château Saint-Ange avec della Cava et Foscarari sous Paul IV. Aloïs Priuli fut alors privé de l'évêché de Brescia et Polo de sa légation en Angleterre. Ce dernier en écrivit au pape en ces termes significatifs Quid aliud nunc S. V. parat nisi ut MM/n vitam eripial, cum /amam M~ T~det eripere conatur. Morone, accusé d'avoir admis la justification par la foi, d'avoir parlé contre le mérite des œuvres, la messe, les reliques, etc., d'avoir lu et fait imprimer à Modène (par A. Gadaldino) le .6et!e/?cK' di J. C., d'avoir protégé les prédicateurs hérétiques (Pergola et Pontremolo), d'avoir toléré et môme averti les hérétiques des dangers de la persécution, etc., etc., Morone se défendit dans une apologie écrite en prison, reconnut les erreurs qu'il avait pu commettre par ignorance, se repentit dûment et sagement et après avoir été en prison jusqu'à la mort de Paul IV, fut réhabilité en plein conclave par t'inquisiteuc Ghislieri et reçut comme dédommagement la présidence du concile. Foscarari, emprisonné comme Morone, fut relâché en 1558 et déclaré innocent en 1560 parce que ses délateurs n'avaient pas osé soutenir
leurs accusations. Plusieurs personnes d'ailleurs, avant les grandes persécutions et les décrets d'anathème de Trente, étudient l'Ecriture et les œuvres des réformateurs, discutant librement sur la réforme et sa nécessité; mais après l'établissement définitif du saint-office (1S42) il ne resta plus, comme nous allons le voir, à ceux qui professaient courageusement l'Evangile que l'alternative d'Ochinus l'exil ou la mort; et à ceux que cette alternative terrifiait, que le silence ou l'abjuration.
Il. La Réforme dans <'7<ctHe du Nord. On pourrait grouper tous les faits de la Réforme dans le midi de l'Italie autour des deux personnages importants, Valdez et Carnesecchi, qui la rendirent célèbre mais non pas autour de A. Paleario (comme l'a fait M. Young), qui ne se déclara hérétique que vers la fin de sa vie. La Réforme dans le Nord, à Venise surtout, est indépendante de celle de Valdez, bien qu'elle en ait subi plus tard l'influence. Les oeuvres des réformateurs allemands pénétrèrent de bonne heure dans Venise et y répandirent la connaissance de l'Evangile dans toutes les classes de la société. Avant même que la voix de Luther se fît entendre nous y trouvons, au commencement du siècle, une réunion de personnes nobles et parmi elles la mère du cardinal Bembo, autour d'un docteur J. Marie de Bologne, qui expliquaitl'Evangile en langue vulgaire. Dénoncé par un moine, le docteur fut emprisonné et la réunion dissoute. En 1520 les premiers livres de Luther, vendus et distribués dans la ville, furent saisis et brûlés par le patriarche Contarini, ce qui n'empêcha pas qu'on ne les y imprimât en cachette et qu'on ne pût écrire « Le nom de Luther est ici dans toutes les bouches. » La politique et les relations commerciales de la république favorisaient l'introduction de la Réforme à Venise; son gouvernement, oscillant entre les papes et les Césars, ne considéra jamais son intolérance contre les réformés que comme une mesure politique, comme le faisait cyniquement comprendre, plus tard, l'ambassadeur Tiepolo à Pie V. En effet, la république concède parfois à Rome et aux nonces les pouvoirs inquisitoriaux qu'ils réclament, mais souvent elle les leur refuse, suivant la marche des événements de ce siècle de luttes sans fin; et ces refus amènent des ruptures sérieuses et des combats diplomatiques acharnés entre la fourberie vénitienne et la ruse romaine. Malgré l'indépendance dont elle se vante, malgré la pénétration qu'on lui attribue dans la distinction des deux pouvoirs, politique et religieux, nous ne pouvons toutefois partager l'admiration des historiens et surtout dol'archivistcBartolomeo Cecchetti, pour la politique religieuse de Venise. Le respect de la vie des citoyens et la liberté de conscience qu'elle aurait dû proclamer à la face de Rome furent méprisés par elle, grâce à ses lâches et serviles condescendances envers l'inquisition. Luther en 1528 se réjouit de ce que les Vénitiens reçoivent la parole de Dieu et il est, en 1529; en correspondance suivie avec I. Ziegler qui favorisait la Réforme à Venise. En 1830 Ips frères de Venise, écrivant à Mélanchthonparle moyen de L. P. ltosselli di Padoue, exhortaient le réformateur demeurer ferme dans la foi pendant les débats de la diètc d'Augsbourg qui allait s'ouvrir. Il est inexact
toutefois que Mélanchthon ait écritp'tus tard au sénatdeVenise (1538) pour l'inviter à la tolérance. Une dépêche de F. Contarini démontre que le réformateur, tout en approuvant les pensées de cette lettre apocryphe, affirmait de ne l'avoir jamais écrite (cette prétendue lettre de Mélanchthon est citée presque in M'~Mo par Mac Crie, C. Cantù et J. Bonnet). Le nombre des réformés vénitiens augmenta considérablement de 1330-~343, grâce aux prédications de quelques moines, grâce à l'infatigable activité de Baldassare Altieri, secrétaire de l'ambassade anglaise et correspondant de plusieurs princes allemands, grâce aux efforts de C. S. Curione et aux prédications d'Ochinus. L'Informatio de l'évêque de Chieti, présentée à Clément VII, jette les hauts cris, constatant que l'hérésie infecte même le clergé et les personnes notables, et Gerdès (Specimen J~cB 7!e/brtna~, p. 37) affirme que les réformés vénitiens, peu molestés à cette époque, avaient de nombreuses réunions et voulaient même s'organiser en congrégations publiques.-Pendant cette époque de paix relative nous trouvons déjà cependant quelques procès d'hérésie qu'il faut noter, car on ne fait dater en général les rigueurs du saint-office que de 1543. Gérôme Galateo, dont parlent I'7n/b)'M)a<M du cardinal théatin, Gerdès, Curione, les dtam mss. de Sanudo et dont Eus. Salarino écrivit la vie qui se trouve dans la Bibliothèque royale de Munich (polémique h° 1086 voyez 7!tUM/N Cristiana, janvier 1873 Gu'o/aMo Ga<a;eo par E.Comba), franciscain, maître de théologie, prêcha l'Evangile dans le Padouan avant 1530, date à laquelle, sur l'ordre de J. P. Caraffa, il fut emprisonné à Venise et condamné au feu par le légat. Le Conseil des Dixne consentit ni à sa dégradation ni à sa mort; mais G. Galateo demeura en prison sept années, au bout desquelles il obtint la liberté sous caution. Pendant trois ans de liberté il écrivit son apologie qui le fit de nouveau incarcérer et en 1541 le courageux martyr mourut de privations dans les prisons ducales. Il fut enseveli au Lido avec les juifs et les scélérats. Son Apologia <; <o 7~M~n.M:mo Senato di t~i~m est remarquable parce qu'elle expose avec clarté et simplicité les doctrines principales de la Réforme la prédestination qui ne nie pas le libre arbitre sanctifié par Dieu pour le bien. les bonnes ceuvres comme fruits de la foi qui justifie, etc. Il répudie les sacrements non scripturaires, le purgatoire, le sacrifice de la messe, laconfession auriculaire, le culte des saints, etc. Son apologie estun excellent traité de polémique, fait dans un esprit de charité. Il méritait bien la mort 1 Deux autres moines hérétiques étaient détenus avec Galateo. L'un d'eux, fra Bartolomeo dont parle une lettre de Francesco Negri de Bassano, en 1530 et dont l'Infornaatio déplore la fuite est certainement Bartolomeo Fonzio dont nous verrons bientôt le martyre. Les doctrines qui causèrent la mort de Galateo firent emprisonner en 1541 Giulio di Mitano (son procès est le premier dans les archives de Venise) souvent confondu avec Giulio Forenziano, l'ami et le compagnon de P. Martyr. De 133G-38 il prêcha de Tortone à Trieste et fut accusé d'hérésie; on lui reprochait entre autres points de controverse Quod !t<Mtt~u~tM t't-S. Script. quod AM'e<iCt <~&ea)M coMt&urt~ 1
Son premier procès se fit à Bologne condamné par Campeggio, il fut absous par Paul III qui hésitait encore, en 1540. En 1341, accusé par quelques moines envieux, pendant qu'il prêchait à Venise et qu'il vivait avec Curione, il fut emprisonné et mis sous procès. Dans les interrogatoires de juillet 1541, Giulio expose ses croyances, qui se rapprochent du calvinisme, et en août il se voit condamné à la réclusion. Il tenta de s'évader, mais repris il faiblit et lut en 1342 une abjuration publique qui réduisit sa peine à un an de prison et à quatre d'exil. Il se retira dans les Grisons, où il fut un pasteur des plus zélés contre les antitrinitaires il mourut à Poschiavo en 1572 et eut pour successeur César Gaffori de Plaisance. Ses sermons furent imprimés à Venise sous le nom de Girolamo Savonese. C'est à lui que faisait allusion la célèbre apostrophe d'Ochimus: Che /accMmo, o nomMM t)me<avec laquelle il se déclarait pour la Réforme et, se faisait citer à Rome. Un écrivain fort calomnié par les auteurs catholiques (Fontanimi, Tiraboschi, Cantù), parce qu'il a été très malheureux, s'efforçait alors aussi de répandre les doctrines réformées par le moyen de la Bible. Né vers la fin du quinzième siècle, A. Bruccioli, Florentin, disciple de Savonarole, conspirateur avec Alamanni contre les Médicis, après de cruelles vicissitudes se retira à Venise en 1339. De 1830-1346 il publia successivement la traduction de la Bible et un commentaire de tous ses livres dédié à Renée de France. Accusé d'hérésie en 1544 par fra Catarino Polito Senese, pour avoir transcrit, dans ses commentaires, de verbo ad <;ef6t<Mt, plusieurs fragments des réformateurs et répandu ainsi le venin de l'hérésie; accusé d'avoir déposé chez le libraire Centarii plusieurs livres des réformateurs (tous ces livres furent brûlés), Bruccioli, alors absent de Venise, fut condamné à cinquante ducats d'amende et a deux ans d'exil. Accusé une seconde fois en 1353,Bruccioli abjura les doctrines qu'il avait exposées dans ses livres et en 1558 et 59, dans un troisième procès, il s'abaissa plus encore, accablé par l'âge, les infirmités et la misère. Il mourut en 1566 ses ouvrages eurent beaucoup d'influence, l'homme n'en eut pas. En 1542, l'influence de J'école valdésienne de Naples se fit sentir à Venise par le moyen du célèbre traité du Bf?M~cM di G. C., longtemps attribué à A. Paleario mais dû à la plume d'un moine de Sicile, fra Benedetto di Mantova et revu, pour la forme, par M. A. Flaminius. Publié à plusieurs reprises Venise, on en répandit plus de quarante mille exemplaires qui furent presque tous détruits par le saint-office. Ce traité, par la douceur et la suavité évangélique qui inspirent toutes ses pages, dut amener plusieurs âmes pieuses à la connaissance de la vérité. Nous devrons encore en parler plus loin.En 1543 Luther est en èorrespondance avec les Vénitiens parle moyen d'Altieri. En 15461e nonce J. della Casa enrage parce que les luthériens de Venise font beaucoup de bruit, protégés par la Sérénissime et parcé que celle-ci ne veut pas livrer à Rome un hérétique obstiné, F. Strozzi. En 1547 le même nonce parle de l'abjuration d'un certain fra Angelico et regrette de n'avoir pu lui infliger une peine « digne du saint-office. » Le gouvernement ducal ne tenait aucun compte de
la bulle de Paul III, Licet a6 tn~to, qui avait inauguré les persécutions en 1542, mais il nommait lui-même dans toutes ses villes des commissaires laïques et des docteurs chargés de poursuivre sévèrement les hérétiques (1547). Jean de la Casa est tristément célèbre encore par le procès qu'il intenta au chef de la réforme istriote, P. P. Vergérius. L'Istrie, soumise alors à la république, connut de bonne heure les doctrines de la Réforme; c'est Vergérius lui-même qui le dit. Légat en Allemagne, en 1534, il prie le Sénat de Venise d'empêcher la distribution d'un opuscule séditieux et hérétique, de 100 p. in-8°. publié en 1533 pour les réformés italiens, intitulé Correltion del ~~o cristiano et composé trës probablement par Bartolomeo Fonzio. Il lui annonçait aussi que l'Istrie et en particulier le village de Piran étaient infectés par le luthéranisme qu'il se promettait de détruire à son retour. Ses légations, ses voyages, ses entrevues avec Luther, qu'il méprisait d'abord souverainement, ses relations avec la reine de Navarre, eurent beaucoup d'influence sur ses idées religieuses et au colloque de Worms, au nom du roi de France, il plaidait la cause d'un concile général (De C)K<o<e et Pace Fcc~Mt~, Venise, 1542) sans songer encore à se séparer de l'Eglise. Découragé par l'avortement de ses projets d'union, déjà soupçonné en 1541, il se retira dans son diocèse de Capo d'Istria et commença un travail adversus apostalas C~'Mant' Les œuvres des réformateurs qu'il voulait réfuter lui ouvrirent les yeux, et il embrassa la Réforme avec son frère Battista, évêque de Pola, se promettant d'évangéliser l'Istrie et Venise. Accusés en 1544 les deux frères ne tinrent aucun compte des sommations à comparaître de della Casa. Battista mourut chrétiennement peu de temps après et en 1546 P. Paul, protégé par le gouvernement, fit annuler son premier procès par des procureurs, à la grande confusion de délia Casa. Il avait été accusé de considérer les rites romains comme KuMftM UCtto~M, quia salus J. C. MH~MM ad tM~MM M~MM!M SM~t'Ct! et de répandre des traités hérétiques. Ce premier procès, publié dans la Rivista Cristiana de 1873 par E. Comba, contient quelques notes sur d'autres Istriotes accusés d'hérésie. En 1547 et 48 P. Paolo voyagea librement, bien que surveillé, dans le territoire de la république il assiste aux derniers moments de l'apostat SpieradeCittadella dont le désespoir lui fit une salutaire impression, et il prêche l'Evangile à Padoue. Chassé de Trente malgré la protection des cardinaux Gonzaga etMadruxxo, accusé et persécuté par della Casa et T.Stella qui détruisaient son œuvre dans l'Istrie, déclaré contumace et hérétique en 1549 et comme tel dégradé et privé de son évêché qui fut donné à son persécuteur T. Stella; P. P.Vergérius, en 1549, parles montagnes de Bergame, s'enfuit dans la Valtellina. Reçu à bras ouverts par plus de deux cents Italiens qui s'étaient déjà réfugiés dans les Grisons il prêcha la Réforme à Poschiavo, à Rogoledo, à Ponteresina, à Vico-Soprano il lutta contre les autitr'uitaires etles anabaptistes desGrisons, et son orgueil d'ancien éveque lui procura des ennemis même parmi les orthodoxes. Après plusieurs voyages dont nous ne devons pas nous occuper, il mourut à Tubingue en 1565. Les historiens catholi-
ques qui le font abjurer avant de mourir n'en ont jamais fourni les preuves (H. Sixt, P.-P. Vergérius, Braunsweig, 1835). Après son départ, l'Istrie, sous le dominicain T. Stella, fut purgée de son venin hérétique, malgré les prières que Vergérius adressait au sénat de Venise. Avec lui, B. Altieri se plaint des persécutions violentes dirigées contre les frères de Venise et de l'Istrie; il voit venir le moment où sa vie ne sera plus en sûreté. Il avait demandé aux Etats suisses des lettres officielles pour réprimer les fureurs du saint-office; elles lui furent refusées (1345). Malgré la haine de ses ennemis, Altiéri eut le courage de venir des Grisons à Venise, d'où il fut définitivement exilé n'ayant pas voulu se rétracter, et en 1549, après avoir été à Ferrare et à Florence, nous perdons ses traces sans savoir s'il a eu la gloire du martyre. Dès cette époque, la Sérénissime ne s'oppose que faiblement aux empiétements de Rome et c'est avec complaisance qu'elle lui prête son bras séculier. Le saint-office invitait les fidèles à dénoncer les hérétiques. Quand la dénonciation était prouvée par témoins l'accusé était cité à comparaître pour sa défense (B. Cecchetti, La republica di Venezia e la corte di Roma, oet rapporli della religione, Venezia, 1873), mais sa défense n'était qu'une pure formalité. Le saint-office, lié par la tolérance politique du sénat, avant 1548, ne mit ensuite plus de bornes à ses rigueurs il s'agissait d'anéantir l'hérésie. Baldo Lupetino, provincial des franciscains, né en 1502, entré dans l'ordre en 1533, et accusé d'hérésie en 1541 avec sept personnes de Cherso, demeura en prison jusqu'en 1543. Ayant alors refusé d'abjurer, il fut condamné à la prison perpétuelle et à cent ducats d'amende, pour l'arsenal de Venise, malgré la généreuse intervention du duc de Saxe et d'autres princes réformés. Lupetino évangélisa alors ses compagnons de captivité et fut soumis en 1547 à un nouvel interrogatoire il protestait ne vouloir croire que ce qui est approuvé et commandé par l'Ecriture. Les interrogations sur l'Eucharistie furent les plus pressantes et celles qui le firent condamner. Inébranlable devant les promesses et les menaces des inquisiteurs, il répondait sans cesse « Convainquezmoi per el verbo di Dio. H L'argument du saint-office fut de le condamner à être décapité entre les deux colonnes de la pMz.zeHa, à avoir le corps brûlé et ses cendres jetées à la mer, o< honor et gloria dtJMM CArMio~ Un bref apostolique de Paul III avait, pour ainsi dire, dicté ce verdict; mais le conseil des Dix en prohiba l'exécution et Lupetino fut reconduit à son cachot. C'est alors que Pierre de Cittadella publia ses réponses et quelques vers composés en prison qui parurent comme corps de délit dans le troisième procès que Lupetino subit en 1556. L'impression n'avait pas été faite Venise. Lupetino, en 1551, écrivit aussi un traité intitulé ~morta ~ertM pMMtM~ ducissx Fen'arta'. Soumis à un troisième interrogatoire, il répondit invariablement avec la Bible et fut condamné à la dégradation et à être noyé, occupe, secrete sine sonitu et sine sirepitu. Le procès de B. Lupetino, publié par le prof. E. Comba (Florence, 1875), est un de ceux qu'on peut consulter avec le plus grand profit et l'un des
plus complets au point de vue biographique et dramatique. Les Vénitiens A. Riccetto, Fsco Sega de Kovigo, Giulio Ghirlanda de Treviso et Francesco Spinola de Milan subirent tous le même supplice, après une longue captivité et un courage apostolique, de 1562-1565; plusieurs autres s'enfuirent et les plus faibles abjurèrent. On peut voir dans la liste des accusés d'hérésie auprès du saint-office de Venise, de 1541-1592, à Venise seulement deux cent quarante-trois accusés dont vingt-six ecclésiastiques. Plusieurs accusés appartiennent aux plus célèbres familles les Giustiniani, Mocenigo, Falier, Vénier, Dandolo, Polo, etc. Nous y trouvons aussi avec plaisir les noms de Jean et de Pierre Longo, arrêtés pour livres prohibés. Ce sont vraisemblablement des colporteurs vaudois.-Pendant la terreur des persécutions, les réformés vénitiens, traqués cemme des animaux malfaisants, tenaient leurs réunions de culte sur terre ferme ou au Lido dans des lieux cachés. Les protestants allemands jouirent d'une liberté très limitée jusqu'en 1643, époque où ils eurent la liberté du culte privé sans propagande. Ce n'est qu'après la domination autrichienne (1866) qu'ils ne souffrirent plus des mille vexations du clergé catholique. La persécution détruisit la Réforme non seulement dans la métropole, mais dans toutes les villes de la République Vicence, Padoue, Brescia, Bergame, Cittadella, Treviso, Udine, Rovigo, Bassano, etc. La liste d'accusés d'hérésie de toute la partie orientale de l'Italie septentrionale donne quatre cent quarante-six individus, qui sont pour la plupart inconnus et accusés de luthéranisme; plusieurs noms restés à l'histoire n'y sont pas, quelquefois les indications sont inexactes et réclament beaucoup d'attention et un peu de défiance. Le bourg de Cittadella compte quatorze hérétiques dont deux seulement, Ag. Tealdo (-j- 1555) et Bartolomeo Fonzio demeurèrent fermes dans la foi, et furent martyrs. Un savant doux, timide, pieux mais faible, Pierre Spetiale, né en 1478, avait, trente ans avant que Luther fût connu, soutenu la doctrine de la justification dans un livre, De Dei gratia, et attiré sur lui la colère des moines. Il y disait entre autres vérités remises en honneur par la Réforme ~~c /MM (celle qui justifie) sola esse non po<M<. 77~6 V[!'<Mhtm ca~njam secum ducil; A~f: sperat, /M;c j'tMt~M;)), /bt'it<f6H)te?7!mperem<MtK /t<;<M et comites habel. Fides e~ant/c~ca, non otiosa. sive de<M!' ea, sive no)~ d~u?', non intpediri liberum ar&ttnunt; imo si delur, perfeci et consu9Ka)'! et ideo )tf I~et quident tolli ac MMHdt yusit<MMt (1. I, ch. v). P<t0<! de gratia dtCt';M)' ~&M'o at'&ttno no?! rcpugnare sed ~en pER GHATiAM longe pr:Mta)!<tus(l. V, ch. n'; le traité De Dei gratia de Spetiale, qu'il ne faut pas confondre avec celui de G. Velliculi, inconnu, et publié en 1530, se trouve inédit dans la bibliothèque civile de Padoue; voyez De Leva, Storia di CarloV doctf)ne?)<<!<a III, 310 ss. CM eretici di Cittadella, Venise, 1873). Bien que contraire au luthéranisme, au sujet du libre arbitre, Spctiale sut faire décoder de la doctrine de la grâce des négations sérieuses (confession, purgatoire, culte des saints, etc.) qui le firent condamner à la confiscation de tous ses biens et à la pr.son jusqu'à complète rétractation de ses erreurs ()543). Le pri-
sonnier croyait pouvoir demeurer ferme dans sa foi et disait avec complaisance Merilo j'am Ct~a~eHa occo'; mais après huit ans de captivité il abjura et, remis en possession de ses biens, il mourut en 1354. Ses doctrines eurent beaucoup d'influence sur le célèbre et infortuné F. Spiera et sur son neveu Gir. Faccio. Fervents évangéliques, Us remplirent leur ville et ses environs de la connaissance de la vérité; mais arrêtés par Della Casa, ils eurent peur de l'exil et de la mort et abjurèrent en 1548, après un procès honteux. Pou de temps après, malgré les prières de P.-P. Vcrgérius et des frères de Padoue, Spiera mourut dans des spasmes affreux, poursuivi de remords, obsédé par des visions sataniques et répondant à ceux qui l'encourageaient à se confier en Dieu Ego rcpM~i'attM ~KM, nec ullo modo possuni Mrua! -Bartolomeo Fonzio, mineur vénitien et érudit célèbre, fut accusé d'hérésie des 1529. La même année, devant J.-P. Caraffa et &. Contarini, il déclarait nul le mariage d'Henri VIII et de Catherine d'Aragon, et dès lors Caraifalui ~oua une haine mortelle. En 1330, Fonzio, muni des instructions secrètes de Clément VII, cherchait à réunir les partis religieux en Allemagne et était en correspondance avec Bucer (Bartolomeus Fontu~, 3f. Bucero. De sacrameri<M eectesiasticis in Com. Aug, agitatis, 1531 Bt&!to! ~arcts~a, <<ï<. e<<tM.14, codi 201 d'après De Leva, passini). Accusé parCampeggi, Aléandre et Cocleius, d'avoir ~o~Mm ~M~o'MMtMmentre absconditum, il n'ose revenir en Italie, et ce n'est que de 1537-1541 que nous l'y revoyons se conduisant en hon catholique. Il prêcha à Padoue en 1548; puis, toujours persécuté par Caraffa, après quelques voyages à l'étranger, il vint en 1530 s'établir incognito à Cittadella et y fit le maître d'école. Reconnu et arrêté, il fut absous après un ridicule' procès; mais en 1555 Caraffa est pape sous le nom de Paul IV, et sa haine doit être assouvie. L'archiprêtre de Cittadella trouva quarantequatre passages hérétiques dans les œuvres de Fonzio, les fit imprimer, et en 1558 l'inquisiteur Félix Montalto fit emprisonner l'accusé à Venise. Fonzio subit huit interrogatoires de 1558-1561. Convaincu d'hérésie sur douze articles, on lui donna deux jours pour répondre s'il les abjurait, oui ou non. II répondit en lettres majuscules Non et il fut condamné à être étranglé en prison, puis brûlé entre les deux colonnes, ne dum ad ~ut et ~Montm ~6mert<orM?K pecHan:, sed ad a!MfU!H M'emphtm et S. M. ~cc!MM° 6< F. N. gloriam et e.M~atKXMXt pMtBario!oMe)M accentavit ET GRATtAS E&iT. Craignant une émeute, on fit noyer Fonzio occulte et secrete en 1562. Il est incompréhensible que des hommes comme Fonzio et ses compagnons de martyre aient pu être méprisés par des historiens qui ont des prétentions à l'impartialité, comme C. Cantti. Si Fonzio louvoyait en Allemagne c'est qu'il n'avait pas encore complètement accepté la Réforme, mais plus tard sa mort servit de témoignage à la vérité. « Que Vos Seigneuries me pardonnent, écrit-il en répondant non, si lorsqu'il s'agit du salut de l'âme, je parais faire plus de cas de Celui qui peut détruire le corps et l'Ame que de ceux qui ne peuvent sévir cruellement que contre mon corps. » Venise, tout en se piquant d'in-
dépendance, devenait toujours plus le servile instrument de Rome. En 154'! et 48 deux delibérations établissaient partout l'inquisition et le Sénat se réjouissait de la destruction desconventicules réformés. En 1555 il nerougit pas delivrer à Paul IV un jeune étudiant de Padoue, le napolitain P. Algieri qui avaitrépandu l'Evangile dans sa patrie et à Padoue, parmi les étudiants. Venise l'avait condamné aux galères; en le livrant à Rome elle signa sa condamnation à mort et sa propre infamie. Rome en effet, au moyen de bénéfices habilement distribués, possédait les chefs de la noblesse vénitienne qui appartenaient, au clergé et qui avaient de l'influence dans le gouvernement. Même les étrangers qui se rendaient dans les ports de l'Adriatique pour leurs affaires commerciales étaient arrêtés (1357) et en 1560 Hercule de Salis dut déployer une énergie qui aurait pu lui être fatale, pour arracher des prisons ducales un marchand grison réformé. En guise de hochet, le pape, pour remercier la Sérénissime de ses cruautés, lui avait aussi concédé en 1559 l'élection perpétuelle du patriarche. Malgré les persécutions les frères de Venise ne cachaient pas leur foi, entretenant des relations avec Calvin (1560) et cherchant à établir une Eglise sur le modèle des Eglises réformées de Genève. Les plus faibles, ceux qui ne voulaient ni fuir ni mourir abjurèrent ou se cachèrent, disant avec le célèbre Crémonih de Padoue /;tiiM ut libel, /brM ut ?)M?' Dans les villes de terre ferme, appartenant à la République, la Réforme fut également anéantie, avec les mêmes procès et les mêmes supplices. Vicence, célèbre par son académie, où se distinguèrent L. Socin, Alciat, Blandrata, Gribaldo et Paruta qui s'enfuirent tous à l'approche des persécutions, connut dès 1535 la prédication de l'Evangile et possédait une réunion de réformés qu'il ne faut pas confondre avec l'Académie, dès 1545. Les académiciens s'enfuirent, les réformés demeurèrent, et nous en voyons les procès jusqu'en 1592 ils étaient même nombreux en 1585 et entretenaient des relations avec leurs frères réfugiés à Lyon. De 1347-1592 la liste des accusés d'hérésie auprès du saint-office de Venise donne pour Vicence soixante-deux procès, la plupart pour luthéranisme. Le plus grand nombre de procès se fit en 1568 sous le pontificat de Ghislieri. Notons parmi les accusés les familles Trissino, Thiene et Pelizzari qui se retirèrent à l'étranger, Antonio Ricetto ou Rizzetto, vaillant évangéliste qui « tomba au sépulcre de la mer » a Venise en 1565, François Borroni sous procès en 1568 et martyrisé en 1580, et J. B. Trenta qui s'enfuit en Angleterre. En 1559 un moine augustin de Cittadella mourut dans les prisons de Vicence sous imputation d'hérésie, et son corps fut brûlé en public. Les environs de Vicence furent évangélisés et servaient de lieux de réunion pour les réformés de Venise. Parmi les réformés de Bassano citons Francesco Negri, célèbre polémiste, qui avait quitté l'Italie avant de connaître la Réforme et qui la professa pendant toute sa vie avec fidélité Dumenico Casablanca, qui avait connu la Réforme en Allemagne et qui, âgé de 30 ans seulement, fut martyrisé à Plaisance (1550). – La Réforme dut être connue à Padoue avant 1530 puisque L. l'. Rossello, sous procès en 1553, était le
correspondant de Métanchthon pour les réformés vénitiens lorsqu'on annonçait la diète d'Augsbourg. Dans )'Mt/brtMa<to de Caraffa nous voyons qu'en 1532 un moine, Aless. da Pieve di Sacco, est arrêté à Padoue pour hérésie. Acceptée par plusieurs étudiants de l'université et par quelques professeurs, la Réforme fut maintenue par eux malgré les persécutions et en 1564 Pie IV pouvait s'en plaindre auprès du Sénat de Venise. De 1550-1588 vingt-quatre procès furent intentés à Venise contre des Padouans. Nous y remarquons ceux de P. L. Rossello et ceux de Nicolo Buccella. Ce dernier, arrêté avec les martyrs Riccetto et Sega dont nous avons parlé, céda devant les menaces en 1565 et fut libéré. Il essaya même de persuader ses amis à abjurer: toutefois, pour le réhabiliter, nous faisons observer qu'en 1574 il est nouvellement sous procès et que la peine contre les relaps était terrible et irrévocable. Citons encore parmi les hérétiques de Padoue Geloo, Martin Borrao et Gribaldo qui avait été aussi chassé de Vicence (Compew/tMM /!t<yuMi<o)'um). A Udine, dans le Frioul, dans le Trévisan, à Chioggia, àConegliano. à Cividale et à Belluno, à Rovigo, à Vérone, partout l'Evangile fut prêché et embrassé par plusieurs personnes dont quelques-unes seulement ont leur procès enregistré au saint-office deVenise(del548-l 600). L'évêque de Chioggia était suspect, Ghirlanda de Treviso et Sega de Rovigo furent noyés et P. Lacisio do Vérone s'enfuit en 1542 avec I'. Martyr. En 1328 Clément VII écrivit aux autorités de Brescia, les félicitant de ce qu'elles poursuivaient énergiquement l'hérésie luthérienne et un f/ut't/a'n nommé Pallavicino qui l'y avait semée. Il les invitait à châtier sévèrement les délinquants. De 1543-1592 plusieurs habitants de Brescia et de la Province furent cités à Venise pour hérésie. La liste du saint-office donne trente-trois procès dont sept contre des ecclésiastiques; un de ces derniers, fra Pomponio fut jugé (155(j) par fra F. Peretti (Sixte V en 1585). Le plus célèbre réformé de Brescia est Celse Martinengo; professeur avec P. Martyr à Lucques ~1541) il se réfugia à Milan au commencement des persécutions. Poursuivi ici encore par le célèbre pourfendeur d'hérétiques, Muzio de Capo d'Istria, en 1550 il s'enfuit dans la Valtelline et de là à Baie et à Genève où il fut le premier pasteur de l'Eglise italienne. La ville de Bergame dans la première moitié du seizième siècle, comme plusieurs autres villes, appartint successivement aux Vénitiens, aux Français, aux Allemands et aux Espagnols. Les luttes politiques y favorisèrent l'établissement de la Réforme dès 1528, et malgré les colères des papes elle n'y fut pas sérieusement persécutée avant 1518. Mais après cette époque et l'édit du doge F. Donato qui établissait à Bergame une commission inquisitoriale, après les fureurs de l'inquisiteur Ghislieri contre Soranzo et ses amis, la Réforme en fut extirpée comme ailleurs. Outre Medolago de Vavassori qui fut plusieurs fois en prison et qui y mourut comme hérétique, mais dont on ne connaît ni les opinions ni la foi, Bergame a donné au protestantisme plusieurs personnages célèbres Guglielmo Grattaroli, médecin très riche, sous procès en 1551, se réfugia à Baie; Girolamo Xanchi, qui avait connu P. Martyr a Lucquos et avec lui
l'Evangile, abandonna sa patrie en 1550, fut professeur à Strasbourg de 1553-1563 et y épousa une des filles de Curione. Il était chanoine régulier et fut l'un des plus nobles caractères de la Réforme italienne. Ses frères Basile et Cristoforo, célèbres dans les lettres, embrassèrent aussi la Réforme, et le premier fut martyrisé par Paul IV en 1559. Un homme d'une grande piété qui a été diversement jugé et calomnié, V. Soranzo, suffragant de Bembo puis évêque de Bergame en 1547, ami des plus grands dignitaires de l'Eglise et de Morone qui le dénonça sans scrupules dans son procès, fut accusé d'hérésie et était en effet hérétique pour Rome. Très irrité contre « les novateurs », il les avait d'abord poursuivis, eux et leurs livres, surtout le .SuMmat'K) della Sa))c<6[ .Scrtp~rat et les sermons d'Ochino; il avait même instruit le procès d'un pauvre prêtre hérétique de Poscanto, mais en lisant les livres hérétiques, comme Vergérius il devint hérétique lui-même et adora ce qu'il avait brûlé. Il prêcha dès lors la Réforme avec son vicaire Assonica et dut soutenir une lutte terrible contre Ghislieri qui s'était rendu à Bergame pour le mettre dans les fers. Ghislieri dut fuir, mais il emportait en guise de bagage te procès de l'évêque, rédigé sur des rapports extorqués par des menaces, car Soranzo était aimé du peuple et des autorités. Déclaré hérétique (co~ndtM~ Inquis.) il fut enfermé à Saint-Ange, privé de son évêché et finit misérablement ses jours à Venise. Avait-il abjuré? Nous ne pouvous l'assurer. Son vicaire Assonica eut le même sort. Ghislieri, à l'occasion du procès de Soranzo et de quelques chanoines de Côme qui avaient méconnu son autorité quand il avait séquestré des balles délivres prohibés, alla pour la première fois à Rome,'vers 1550. Il s'y lia avec Caraffa dont il fut le bourreau avant d'être le successeur. Laissant les débris épars de la Réforme vénitienne et visitantles principales villes de!a Lombardie nous découvrons que la Réforme s'y était également répandue avec succès dans la première moitié du seizième siècle. Mantoue donna au protestantisme Alph. Corrado (Baie), Stancarius ( Pologne ) et l'infortuné F. Cellarius, mineur observantin. qui après avoir été sous procès en 1557 et 58 et s'être réfugié dans les Grisons, fut par un acte de violence inouïe arrêté près de Chiavenna par les sbires de P. Angelo de Crémone et de C. Borromée, en 15(i8, incarcéré par Octave Farnèse, et après un troisième procès très rapide, brûlé à Rome en 1569. La Réforme fut anéantie à Crème et à Crémone par le féroce P. Angelo en 1569, mais dès le commencement du siècle elle y avait eu plusieurs adhérents. En 1528 le prieur des dominicains, Bartolomeo Maturo, s'enfuit en Valtelline avec son compatriote Bartolomeo Silvio et y prêcha, le. premier, dit-on, l'Evangile et la Réforme. Un franciscain de Crémone s'établit quelques années après à Locarno dans le même but. En 1338, deux lettres de Girolamu Vida (évoque d'AIba) adressées au cardinal Contarini et au secrétaire du cardinal Cervino (Marcel II en 1555) nous apprennent que l'hérésie se dilate dans le Crémonais, grâce aux prédictions d'un servite apostat. Haynatdus (année 1536) cite aussi un bref dans lequel le pape se plaint de ce que plusieurs conventicules hérétiques se
forment en Lombardie, sous la direction d'un certain Battista de Crème, et il invite les évêques à procéder rigoureusement contre eux. De 1547-1587 les archives de Venise donnent pour Crème et Crémone quinze procès pour luthéranisme mais nous faisons observer que plusieurs Crémonais furent sous procès à Milan et que la plus grande partie des réformés se retira en Suisse. Seulement de 1350-1332, dix-sept personnes se réfugièrent à Genève; les Grisons, plus rapprochés, durent en accueillir un nombre bien plus considérable. Côme, ville de frontière, connut facilement la Réforme et ses premiërespub!ications.Enl323,sonévêque,quiencraignaitl'introduction dans son diocèse, envoya dans la Valtcline un moine missionnaire, mais il en fut expulsé. En 1325, un moine augustin, Egidius DellaPorta écrivait à Zwingle, reconnaissant d'avoir jusqu'alors prêché par ignorance le salut par les œuvres, mais d'avoir récemment connu la vérité par la lecture assidue de ses écrits. Zwingle,qui écrivait en latin, eut en effet en Lombardie plus d'influencc que Luther. A peu près à la même époque, un moine de Locarno, qui fut plus tard remarquable de fermeté évangélique, Bartolomeo Fontana, écrivait dans le même sens aux Eglises réformées de la Suisse, leur demandant les secours de leur science et de leur foi. En 1349, M. Ghislieri découvrit plusieurs balles de livres hérétiques provenant de Poschiavo, et les séquestra. Ces livres devaient être distribuées à Côme et dans d'autres villes de la Lombardie et de la Vénitie. L'évoque, les chanoines et le gouverneur Gonzaga protégèrent le libraire incriminé qui réclamait la restitution de ses livres, et Ghislieri fut violemment chassé de la ville par le peuple ameuté. C'est alors (1349-1350) que Ghislieri alla pour la première fois à Rome et qu'il fit introduire dans le saint-office des laïques (Odescalchi à Côme, Muzio a Milan, etc.), parce que plusieurs membres de l'inquisition elle-même étaient hérétiques. Le seul martyr bien connu de Côme est F. Gamba, arrêté, sous procès, et brûlé parce qu'il avait pris la cène avec les réformés de Genève et parce qu'il était en relation avec les principaux d'entre eux. Confinant au Nord avec la Rhétie, a l'Ouest avec le Piémont, le Milanais se trouva dë~ le commencement du siècle entre deux feux hérétiques et il en aurait sans doute été embrasé sans le zèle sanglant des inquisiteurs et de C. Borromée. En 1521, des vers en l'honneur de Luther étaient répandus à Milan et Gerdès affirme qu'en 1324 la Réforme y était prêchée avec succès. En 1530, Curione, déjà converti à la Réforme, se réfugia à Milan, y épousa une demoiselle ïsaici et, protégé par le Sénat, y fut célèbre dans l'enseignement des belles-lettres. Après les ravages de la guerre du Milanais (1535), il retourna en Piémont où nous le retrouverons. Zélé témoin de la foi, il conduisit plusieurs personnes à la connaissance de l'Evangile: entre autres Galeazzo Frezio, son élève, qui avait été d'abord évangélisé parle PiémontaisA.Mainardi.périt sur le bûcher en 1331. De 1534-1536 les chroniques milanaises parlent vaguement de quelques procès d'hérésie. De 1541-1386 le saint-office de Venise fit le procès de vingt Milanais déférés à son tribunal et accusés presque tous de luthéranisme.
En 1354, l'archevêque Arcimboldo défendit rigoureusement la lecture des saintes Ecritures, en vue des hérétiques, et promit une partie des biens confisqués aux dénonciateurs et aux espions du saintoffice. A. Paleario professa à Milan dès 1555, honoré et protégé par le Sénat, très couru par les étudiants. Il y attendait de la part de Ferdinand I" le salut de la république chrétienne déçue depuis la diète de Ratisbonne. Il y composa même une harangue (Oratio de Pace)pour une éventuelle réunion des souverains catholiques fixée à Milan mais la politique de Philippe II. l'incurie de Henri II, l'intraitraitable Paul IV, et la tournure de Trente auraient dû dissiper ses généreuses rêveries. Paleario écrivit aussi à Milan son Actio in Pontifices .Romance, où il déclare sans hésitation sa foi, où il attaque avec force la corruption papale et se dit prêt à supporter le martyre après avoir fait un appel suprême aux souverains. Toutefois, il n'était pas inquiété dans les grandes persécutions de ces années néfastes (13351566) et ce n'est que sous Pie V, après la mort glorieuse de Carnesecchi (1567), qu'un procès sérieux d'hérésie lui fut intenté par Pier Angelo de Crémone. En 1568, après un procès d'un an, il quitta Milan pour Rome et le bûcher. Malgré la belle biographie de J. Bonnet, il ne paraît pas qu'avant cette époque Paleario ait ouvertement professé en Italie des opinions évangéliques qui pouvaient le faire condamner. Sous le gouvernement du duc d'Albe, après 1555, la persécution déploya tautes ses rigueurs à Milan. En 1558 et 59 il ne se passait pas de semaine sans supplices et sans d'affreuses .tortures. Plusieurs réformés se crurent forcés d'abjurer.–Pendant ces années 1556-1565, l'Espagne aurait voulu établir dans le Milanais sa propre inquisition mais ilne paraît pas qu'elle ait réussi à le faire. Lasociété de la Croix, composée de gentilshommes et souvent de sbires, faisait très bien son devoir, puisque ses vaillants ch'evaliers savaient même flairer l'odeur des cuisines, les jours de maigre, et que l'un d'eux put avec les amendes infligées aux hérétiques acheter des fonds pour le saint-office. Charles Borromée, sincèrement attaché a Rome, surtout à Pie IV et à Pie V, tout en désirant la réforme du clergé et des ordres monastiques, fut un violent et implacable persécuteur. Il fit un procès sévère à G. San Severino de Parme et dans six synodes diocésains célèbres il publia de rigoureux édits contre les lecteurs de la Bible en vulgaire et des écrits des réformateurs, et contre ceux qui avaient des relations avec les hérétiques des Alpes rhétiennes. Avant d'être archevêque de Milan (1563-85), il avait obtenu comme légat pour les cantons catholiques suisses que des peines sévères fussent décrétées contre les partisans de la Réforme (1552). L'Evangile, qui avait été, à Locarno, prêché de 1540-1551 et qui même avait eu un martyr, Nicolas il Greco, décapité eu 1554, en fut alors expulsé dans la personnf des nobles exilés qui établirent à Zurich une Eglise italienne dont Ochinus fut le pasteur jusqu'en 1363. L'exil des Locarnais (1535-56), la mort ou la captivité de plusieurs habitants de la Valcamonica, delà Valtellina et de la Mesolcina sont dus au zèle aveugle de saint Charles. En 1567 une lettre d'Eglino à Bullinger affirme
qu'à Milan les suspects d'hérésie sont mis à mort; toutes les communications avec les Suisses sont interdites et ce n'est qu'en 1579 que les émigrés locarnais peuvent trafiquer dans la ville. Toutefois en 1583 et en 1588 quelques jeunes gens suisses furent arrêtés et en 1594 et 1598 le grand inquisiteur mit de nouveau des entraves au commerce en ordonnant aux sicaires du saint-office de visiter les individus et les bagages qui arrivaient à Milan. C'était une véritable douane on la contrebande de l'hérésie était punie de mort. Ces violences d'ailleurs étaient ordinaires sur les frontières suisses où depuis 1559 le gouvernement avait construit des fortins pour protéger les croisades des moines et des sbires. Du Milanais au Piémont il n'y a qu'un pas et bien que les vaudois y aient eu longtemps, avant et pendant la Réforme, une influence religieuse plus étendue que dans les autres provinces de la péninsule et qu'ils soient Italiens depuis une antiquité reculée, nous ne parlerons d'eux qu'incidemment, renvoyant le lecteur à l'article qui doit s'en occuper. Au. quinzième et au seizième siècles, répandus dans toute l'Italie, ils souffraient patiemment les avant-coureurs des grandes persécutions; ils donnèrent le plus grand nombre de martyrs lorsque celles-ci sévirent et, lorsque la Réforme fut étouffée dans le sang de ses enfants, eux seuls demeurèrent fermes et furent pour cela persécutés incessamment jusqu'en 18!.8. On peut dire d'eux sanspartialité qu'ils furcntfermes dans la foi, avant, pendant et après le siècle de la Réforme. Ils sont pour cela nombreux dans la FfM ~ar~rH)H.Occupons-nous de quelques Piémontais sortis du catholicisme et célèbres dans la prédication de l'Evangile. C. S. Curione (voyez ce nom) que nous avons vu à Venise et à Milan, était de Chiéri (Ciriè) petite ville célèbre par ses hérétiques, dont quelques-uns furent les ancêtres des Balbo et des Cavour (E. Comba, R. CfM< 1876, juin), sous la direction de quelques augustins il connut à Turin la Bible et la Réforme et, comme il voulait se rendre en Suisse pour mieux les étudier, il fut arrêté parl'évêque d'Ivrée. De hautes protections ecclésiastiques le sauvèrent, mais bientôt après, pour avoir fait connaître l'Evangile aux moines de S. Benigno où il s'était retiré, Curione dut fuir dans le Milanais. Dans un voyage très périlleux qu'il fit en Piémont, il fut arrêté de nouveau parce quepubliquementil convainquit de fausseté un prédicateur catholique qui avait versé son encrier sur les réformateurs. Mis en prison et dans les ceps il s'évada cependant d'une manière très ingénieuse et après avoir été de nouveau dans le Milanais, à Pavie, Venise, sur la rivière de Garde et à Ferrare, il abandonna l'Italie muni de bonnes recommandationsde Ronce d'Este. Professeur à Lausanne en 1547, il se fixa ensuite définitivement à Bà!o oit il refusa l'offre exceptionnelle du pape, qui lui proposait de venir professer librement en Italie, mais sans parler de la Réforme. Un des meilleurs amis de Curione, supérieur à P. P. Vergérius.Ie piémontais Agost. Mainardi fut d'abord pour cause d'hérésie emprisonné à Asti et bientôt après relâché, on ne sait ni pourquoi ni comment, car il continua à prêcher l'Kvangile en Italie, à l'avio surtout, où il convertit quelques étudiants. Poursuivi comme hérétique obs-
tiné, vers 1342, au commencement des persécutions il se réfugia dans la Suisse italienne, fonda l'Eglise de Chiavenna, et combattit avec beaucoup de bon sens les doctrines antitrinitaires qui causèrent tant de luttes dans les Grisons et retardèrent l'influence de la Réforme. Mainardi s'opposa toujours avec fermeté aux orgueilleuses prétentions épiscopales deVergérius, et l'on peut le considérer comme l'homme le plus estimable et le plus sensé de la Réforme italienne en Suisse. Goffredo Varaglia et L. Pasquale supportèrent tous les deux le martyre après avoir été pasteurs vaudois en Piémont et dans les Calabres. Le premier fut tué à Turin en 1558, le second fut brûlé à Rome en 1560 après d'horribles souffrances. Le martyre de ces deux grands serviteurs de Dieu est une des gloires les plus pures de l'Eglise vaudoise italienne. Dans les villes principales du Piémont et de la Ligurie nous trouvons déjà au commencement du siècle des congrégations évangéliques soutenues par des Vaudois et composées d'habitants italiens. Il y en avait dans la vallée d'Aoste, à Turin, à Vercelli, à Chivasso, à Asti et dans d'autres parties du Piémont, puis à Gênes, à Ventimiglia, etc. En 1532 on expliquait publiquement à Turin les épîtres de saint Paul pour répondre aux hérétiques qui y étaient nombreux, pendant l'occupation française. A Vercelli un courtisan huguenot fut pendu parce qu'il ne croyait pas à l'influence de la Vierge. Le sénateur Joly, qui avait fondé une Eglise évangélique à Chambéry et qui invitait E. Philibert à la fondation d'un règne allObroge, indépendant de la France et soutenu par les protestants, fut mis sous procès et peu de temps après son prince, si glorieux sous d'autres rapports, persécutait les Vaudois pour obtenir l'amitié du pape et de l'Espagne. Nicolas Sartorio, qui avait embrassé et répandu l'Evangile dans le val d'Aoste, y fut torturé et brûlé vif la même année que G. Varaglia. Il était de Chieri comme Curione. A Saluces où les membres de l'aristocratie s'associèrent au culte réformé et dans toutes les villes qui s'élèvent dans la plaine qui sépare Turin des vallées vaudoises, les doctrines de la Réforme furent répandues avec beaucoup de succès. C'est de Turin queGiac.Cornelio et Francesco Guarino, plus tard pasteurs, étaient partis pour l'Allemagne avec Curione. En'1336 Turin vit le supplice de Bartolomeo Actor et en 1560 on disait même tout bas que la princesse Marguerite et plusieurs personnes de la cour étaient secrètement évangéliques. En 1569-70 Pie V demandait par lettre au comte de Tende, à Em. Philibert de lui livrer plusieurs hérétiques obstinés. A Carignano, où se trouvaient plusieurs réformés français et vaudois. le bras de fer d'Em. Philibert se fit sentir et un certain Mathurin avec sa femme fut brûlé pour hérésie (1560). La Réforme avait eu de courageux témoins dans le val d'Aoste, déjà en 1529. C'étaient des gentilshommes; inculpés d'hérésie ils furent tous cruellement décapités. En 1536, lorsque Calvin pénétra dans la vallée il trouva plusieurs adhérents sincères qui l'accompagnèrent dans sa fuite dans le Valais, pour échapper à la colère de Gazzini et de son clergé. Dans les montagnes de la Savoie comme partout ailleurs l'hérésie calviniste fut détruite par le fer et la prison. Les enfants étaient
arrachés des bras de leurs parents suspects et enfermés dans lescouvents. On connait fort peu la Réforme à Gênes et dans la Ligurie, Mac Crie,Young, Cantù disent qu'elle y est répandue et dissipée par le fer et l'exil. En 1563 C. Borromée demandait au doge de Gênes d'incarcérer fra Antonio di Cortemiglia, hérétique dangereux. C'est à Gênes que fut arrêté (1367) le bienheureux Bartolomeo Bartoccio de Spoleto, brûlé vif à Rome (1569), qui mourut en criant: FtMonayt)t«ofM/ Il paraît, d'après ce fait, que l'orgueilleuse Gênes aussi se courbait devant le fanatisme de Pie V. Nous ne trouvons pas, au commencement du siècle, à la cour de Ferrare, des réformés italiens bien convaincus. Ce refuge des protestants français, la haute position de Renée, des Soubise, des Parthenai, de Marot, de Jamet, de Hubert Languet, de Calvin lui-même n'eurent pas d'influence sensible sur la population italienne. C'està Ferrare surtout que la Réforme fut d'abord une affaire de goût littéraire, une indépendance de l'esprit, un fruit de la renaissance plutôt que de la conscience religieuse. Les plus sérieux, les Morata, les Sinapi, M. A. Flaminius ne manifestèrent pas ouvertement leur foi avant 1543, époque des premières persécutions et de l'accord du pape avec le ducde Ferrare. Curione après sa fuite miraculeuse des prisons de Turin contribua à Ferrare à la conversion de Pelleg. Morata et de sa célèbre fille Olympia. Elle eut beaucoup de peine à transporter son amourdu grec de Platon à celui de saint Paul, si méprisé par le cardinal Bembo; mais elle le fit pourtant et fut pendant toute sa vie en relation d'amitié avec Lavinia della Rovere et Maddalena Orsini qui avaient comme Renée embrassé la Réforme. Elle eut le courage de visiter, avec Lavinia, Fannio Faentino qui fut brûlé à Ferrare, pour hérésie, en 1550, sur l'ordre du corrompu Jules III. Mariée à A. Grunthler en 1550, elle dut bientôt souffrir la persécution, qui la sépara de son mari et des Sinapi qui s'enfuirent en Allemagne. Grunthler vint la chercher peu après et tous les deux se réfugièrent en Allemagne où nous ne pouvons les suivre. Quant à Renée, les papes de 1545-1559 la firent persécuter, quoique ce ne soit qu'en France, après cette époque, qu'elle ait ouvertement professé le calvinisme à la grande joie de son maître Calvin. Ce n'est donc pas à la cour, ni dans les sociétés lettrées que nous trouvons les vrais réformés de Ferrare, déjà nombreux en 1528; c'est dans le peuple. Le chroniqueur Lancillotto (CfOMara ~fode~Me) parle souvent des hérétiques qui sont si obstinés à Ferrare. En 1545 l'inquisition y fit ses premiers procès qu'elle tint secrets; mais ses rigueurs avaient déjà frappé Em. Cremellio' qui s'était enfui avec P. Martyr et qui de juif s'était fait catholique et ensuite réformé. En 1550 l'Eglise de Ferrare et ses prédicateurs furent détruits, comme nous le voyons par une lettre d'Olympia à G. Sinapi, dans laquelle elle affirme que sa mère est demeurée ferme pendant la persécution. En 1551 un certain Giorgio Sieulo (Sicilien) fut pendu pour hérésie; on 1568, seize personnes furent condamnées par l'inquisition aux galères et à la mort; et en 1571, quinze moines suspects de luthéranisme furent également tués pendant que le duc, dégoûté de ces cruautés protes-
tait vainement et était accusé par le pape de connivence avec les hérétiques. En outre, dans les archives du saint-office de Venise, de 1364-1S91, nous voyons huit Ferrarais sous procès pour hérésie. A Modène, d'après A. Caracciolo (Co?np. 7nguM(~.), les Réformés firent «plus d'affaires') que partout ailleurs (voyez C/tt'e~.EutM~ février, mars, 1878 Etudes sur la Re/brme à ~odeHe au seizième siècle par P. Long). Outre Morone et son vicaire, dont nous avons parlé, et qui avaient fait imprimer et répandu le livre, Del Beneficio t~ C<'M<o, outre une académie de novateurs capricieux qui signèrent presque tous une soumission humiliante, plusieurs membres du clergé et un grand peuple étaient fermement attachés à la Réforme. Morone, Polo, A. Priuli, sans le vouloir envoyèrent souvent à Modëne des prédicateurs hérétiques (Bertoli, fra Bernardo, Pergola, Pontremolo) qui furent tous emprisonnés et qui abjurèrent presque tous. Avant le Beneficio di Cristo, le .StMMmano della Santa ~cW~ttra. etc., avait été vendu, distribué et peut-être imprimé par le libraire Gadaldino. Ce traité, attribué à l'Académie, mais, selon nous d'origine étrangère, dénoncé par un prédicateur de carême, avait mis en émoi la ville. Les poltrons remirent leurs exemplaires aux dominicains et il fut trouvé hérétique et digne du feu sur vingt-cinq points. Les académiciens modénais se contentèrent alors de se moquer publiquement du malencontreux prédicateur. En 1540 Paolo Riccio (Lisia Fileno), mineur conventuel, prêcha l'Evangile à Modène avec l'approbation de l'Académie et surtout du peuple qu'il allait évangéliser même dans les environs. Arrêté, convaincu d'hérésie par un chapitre de moines de son ordre, il fut condamné à mort et n'obtint la prison perpétuelle que par une grâce spéciale du duc de Ferrare (Lancillotto, CfOHNca ~ocfenMe). En 1542 Morone, de retour de Ratisbonne, se plaint amèrement des troubles religieux de son diocèse avec Contarini, Sadolet et Cortese il essaya de reconduire au bercail les académiciens égarés et leur fit signer une confession de foi équivoque après quelques puériles discussions de forme. L'académicien F. Porto s'enfuit avant la signature de l'ignoble contrat et plus tard il revint à Ferrare sous la protection du duc. Pendant les grandes persécutions il se retira à Chiavenna et de la à Genève où il mourut. Bèze composa son épitaphe. Après 1543 et la visite de Paul III, célébrée à la cour par la récitation des Ad~tde Térence, l'inquisition anéantit l'Eglise réformée de Modène et celles du duché. Le courageux libraire A. Gadaldino, qui avait vendu le -SMmmarto, imprimé lc.Be))6/iCK), de mandato dorent (comp. JoguM.) et un traité de Valdoz sur l'éducation chrétienne de la jeunesse, fut arrête avec le prêtre Bonif. Valentini, sous Paul IV. Mis sous procès par Ghislieri, B. Valentini abjura d'une manière solennelle mais Gadaldino, comme le dit le chroniqueur Tassoni, ~MaMsit 7!oM~ in carceribus inquisitionis. Philippe Valentini, neveu du précédent, détenteur do livres hérétiques, membre de l'académie et chef de l'opposition anticléricale, objetd'unbrefd'arrêt de Paul 111 en 1345, parce qu'un académicien modénais l'avait dénoncé à Rome comme hérétique, s'enfuit à Trente. Retourné dans sa patrie en 1331,
il y fut de nouveau persécuté par le duc et par l'inquisition, sans que nous puissions connaître ce qu'il est devenu plus tard. Son caractère inflexible nous laisse croire qu'il mourut en prison ou en exil. Ludovic Castelvetro, autre académicien, emprisonné à Rome en 1565, croyait pouvoir se disculper du crime d'hérésie; sa conscience lui défendant cet espoir il s'enfuit avec son frère, et mourut en 1571 à Chiavenna, après avoir été brûlé en effigie à Rome. Les catholiques accueillirent avec une joie trop hyperbolique la nouvelle de sa mort (Laderchi, ~n~M, 1571). On attribua la condamnation et les poursuites dont il fut l'objet à la haine du poëte A. Caro, par lui critiqué sans pitié, mais Fontanini se chargea de convaincre les incrédules que Castelvetro ayant traduit un opuscule de Mélanchthon, ayant eu des livres prohibés, etc. était bien dûment hérétique. Le Comp. Inquisitorum nomme plusieurs prêtres et plusieurs moines hérétiques dont l'histoire n'est pas connue et qu'il fait abjurer avec beaucoup de désinvolture; il ajoute que les réformés de Modene étaient si nombreux et si puissants qu'ils pouvaient même envoyer des secours à leurs frères d'Allemagne. Gerdès affirme que ce sont les Modénais qui les premiers en Italie se sont mis en relation avec les réformateurs étrangers.
111. Quant à la Réforme dans le centre de l'Italie, comme l'influence de Valdès s'y fait directement ou indirectement toujours sentir, nous commencerons par~Napl&s, c'est-à-dire par le Midi, où se trouvait la société religieuse célèbre dont les membres divers semèrent l'hérésie en Toscane et dans les Etats de l'Eglise. Cette division do l'histoire de la Réforme est la seule compatible avec les connaissances que l'on a sur le sujet; si elle prête facilement le flanc à la critique, cette dernière ne saurait être ici acceptée que si elle a la forme et la valeur d'un éclaircissement ou d'un fait nouveau. Si l'on peut dire, sans trop de preuves, que l'hérésie fut portée àNaples par les soldats allemands après le sac de Rome (1527) on peut, sans craindre d'être démenti, affirmer que J. Valdès ou Valdez ou Valdesso, fut choisi par Dieu pour former à l'Evangile les grandes intelligences de la réforme italienne, Ochinus, Martyr, Carnesecchi, Flaminius, l'auteur du Bene/Mto et G. Caracciolo. L'influence de cet homme qui vécut et qui mourut obscur fut considérable, et A. Caracciolo, son détracteur dit bien « Il tua à lui seul plus d'âmes que les soldats allemands n'avaient tué de corps. » Jean Valdès, qu'il ne faut plus confondre avec son frère Alphonse, après les savantes recherches de E. Bôhmer (Cenni bibliografici ~Mt/ra~Mt Valdesso, Halle, 1861) dut quitter l'Espagne pour échapper à l'inquisition, après la composition d'undialogue satirique sur les mœursduclerge. Il s'occupa de lettres à Rome vers 1533 et à Naples, où il s'établit vers 1535 et mourut en 1540. ïl n'est pas prouvé qu'il ait été jurisperitus et surtout secrétaire du vice-roi. Il parait qu'après avoir été attaché à César il le quitta pour le service du Christ. Valdès composa plusieurs ouvrages de piété les cent dix Considérations, des commentaires sur les épîtres de saint Paul, un traité intitulé De quelle maMtcrs les hommes sont conduits par ces trois esprits: l'Esprit de Dieu, le
propre esprit, ï Esprit diabolique; un autre traité: De quelle manière faut-il instruire les enfants des chrétiens dans la religion chrétienne, fut publié à Modène par le brave A. Gadaldino. Les cent dix Considérations furent plusieurs fois imprimées et traduites en latin, en italien et en français. L'hérésie fleurissait à Naples avant 1533, puisque pour la combattre Gaetano Thiene y établit alors une branche de son ordre. En 1536 Charles V publia un écrit sévère contre les hérétiques, ordonnant au vice-roi Tolède de les détruire; mais à la même époque Ochino (né 1486) prêchait à Naples devant l'empereur, auquel il arrachait des larmes de repentance. Bernardin Ochino de Sienne, d'abord franciscain, puis capucin en 1525, après avoir cherché le salut dans les privations de la chair, commençait alors à connaître la vérité par le moyen de Valdès et des auteurs réformés qu'il put lire dans sa société et dans celle des hommes qui la fréquentaient. Il prêcha dès lors la justification par la foi aux mérites du Christ, mais d'une manière couverte, l'ensevelissant sous la prolixité et la rhétorique de ses discours. Toutefois lorsqu'il laissa Naples pour prêcher à Venise, à Florence, à Sienne, à Perugia et pour "être nommé général de son ordre, il n'avait pas encore la plus petite idée d'une séparation violente d'avec Rome. Son ami Pierre Martyr Vermigli (né en 1500) était à Naples depuis 1531. Plus savant, plus profondément pieux, il fut gagné par les écrits de la Réforme suisse qu'il suivit pendant toute sa vie. Il expliquait à Naples, publiquement, les épîtres de saint Paul, avec le lecteur de san Lorenzo, Mollio de Montalcino et B. Cusano qui mourut avant les persécutions. Ces réformés et leurs nombreux adhérents étaient cependant surveillésparla*haine pieuse et jalouse des théatins. Ochino lui-même, qui était revenu à Naples en 1539, était épié par eux.P. Martyr ayant écarté, dans une explication sur 1 Cor. III, 13-15, la doctrine romaine du purgatoire, fut privé de sa chaire par le viceroi, mais bientôt réhabilité par l'intervention de Polo, Gonzaga, Bembo, Fregoso et Contarini. Ochinus publia alors aussi sept dialogues beaucoup plus explicites que ses prédications de 1538. Les théatins l'accusaient de « trop parler du Christ » et pas assez des saints. Valdès et ses amis, Flaminio, Caserta, Caracciolo, Merenda, Carnesecchi, Folegno, Giulia Gonzaga, Isabella Brisegna di Manriquez qui s'exila plus tard, Caterina Cibo de Camerino et même Vitt. Colonna se réjouissaient des succès des deux prédicateurs et espéraient. « Tout le monde dans la ville, dit un contemporain, après ces prédications, s'occupe de choses religieuses, parlant avec beaucoup de liberté de l'Evangile, de la justification par la foi et les œuvres, do pouvoir papal, du purgatoire, etc. » II ajoute avec indignation « que même certains corroyeurs osent, sur le marché, s'occuper des épîtres de saint Paul et des passages difficiles. » Plusieurs prêtres avaient eu outre des réunions secrètos de réformés. C'est alors aussi que travaillait Lorenzo Hom.ino, qui avait connu la Réforme en Alle- magne et qui abjura plus tard. Le procès de Carnesecchi (Miscellanea, di slor. liai., t. X) déjà cité, nous fait voir à chaque page la puissance vu 7
de l'œuvre de Valdès à cette époque et les appréhensions de ses adversaires. C'est alors encore que le célèbre traité Del beneficio di Crisio, si longtemps attribué à Paleario et dû aux plumes réunies de fra Benedetto di Mantova, moine de San Severino, et de M.-A. Flaminius, fut connu et lu pour la première fois dans la société d'élite de Valdès. Sur ces entrefaites, ce dernier mourut (1540-41) avant la fureur des persécutions qui devaient détruire son oeuvre. Valdès était pieux, modeste et peut-être trop timide il ne fut pas antitrinitaire comme l'affirment Sand,Walch, Bock, Blandrata, Bèze, J. Baumgarten, Moreri et Bayle sa considération CIX"18 et d'autres passages de ses œuvres le prouvent clairement. Lorsque Paul III établit l'inquisition romaine (21 juin 1542), Ochinus et Martyrdevaient en être les premières victimes; le premier parce qu'il avait ouvertement flétri la persécution contre Giulio di Milano et prêché la Réforme à ses moines à Vérone le second parce qu'il faisait, comme nous le verrons, une propagande active à Lucques. Ochinus, invité à se rendre à Rome, prévit le danger; et après avoir vu Contarini mourant à Bologne, P. Martyr, Carnesecchi et Flaminio à Florence, approuvé par eux, il s'enfuit (23 août 1542), protégé par Ascanio Colonna et Renée de France, et se retira d'abord à Genève. Une lettre inédite de Ochino, conservée dans la bibliothèque publique de Guastalla, nous fait connaître d'une manière assez naïve les motifs qui poussèrent le célèbre capucin à la fuite et éclairent son entrevue à Bologne avec le pieux G. Contarini. Cette lettre, datée de Morbegno surl'Adda, nous laisse supposerquela route de Bormio, Tirano, Glurns, moins suivie alors que celle de Chiavenna et de la vallée du Rhin, a été prise par Ochino dans sa fuite précipifle et périlleuse. Bien que la date soit indéchiffrable, on peut sans crainte d'erreur fixer 1542. Voici la lettre « Bien que, comme Paul l'écrivit aux Corinthiens (2 Cor. I, 18), la souveraine vérité ne soit pas oui et non, toutefois dans nos affaires particulières nous sommes changeants et quant à moi j'ai fait un pas si périlleux que les difficultés que j'y ai rencontrées me font penser que Dieu lui-même m'a fait prendre ce parti surtout parce que allant à Rome je n'aurais plus eu la possibilité de prêcher; j'aurais dû prêcher Christ en masque et parler en jargon et satis stipergue datuna est hypocrisi et super ̃stitionibus; imo il m'aurait fallu ou renier Christ et le persécuter ou exposer ma vie. La première alternative est une impiété, la seconde une sottise, car je ne m'y sentais pas poussé; d'ailleurs Dieu saura bien me trouver lorsqu'il le trouvera bon. Christ par son exemple et ses paroles m'a enseigné à fuir; il a dit que n'étant pas reçus dans une ville nous devons fuir dans une autre; lui-même, enfant, s'enfuit en Egypte et plus tard en Samarie et en Galilée lorsqu'il apprit que saint Jean avait été mis en prison. Le très rév. mons. Contarino ne m'a pas dit de ne pas aller (à Rome), mais il m'en fit le signe. Je puis dire ceci puisqu'il est mort et que mes paroles ne peuvent plus lui nuire; j'aurais volontiers suivi son conseil, mais si tu eusses été à Bologne peut-être aurais tu été d'un autre avis et tu prierais
le Seigneur que cette mutation soit d'autant plus à sa gloire qu'elle m'a été âpre et difficile. Dieu connaît mon désir; quand je serai arrivé au terme je vous écrirai. Saluez tous les amis en Christ et priez Dieu pour moi. Da Morbegno, l'ultimo di Agosto., 1342. Fr. Bng. Sens. » Cette lettre familière, adressée à un ami fidèle de Bernardin Ochinus et tracée dans la hâte d'une fuite dangereuse, nous fait voir que si Contarini approuvait intimement les doctrines qui faisaient citer Ochino à Rome, il n'osait toutefois se déclarer ouvertement contre l'autorité papale.- Après la fuite de son général, l'ordre des capucins faillit être dissous; plusieurs amis d'Ochino, Bartolomeo de Cuneo, Girolamo de Melfls, le vicaire de Milan, etc., furent persécutés. Les écrits d'Ochinus firent longtemps encore retentir sa voix en Italie, mais néanmoins il n'y eut pas l'influence du savant et doux P. Martyr sa vie errante l'empêchait de pouvoir fonder des congrégations. Lorsque l'inquisition fondit sur les réformés de Naples, elle en découvrit trois mille, grâce aux dénonciations de deux apostats, Gualante et Cappone. Les chefs s'enfuirent ou se cachèrent, et les amis de Valdès, Carnesecchi, Flaminius, Priuli, B. Stella, D. Rullo et d'autres familiers de Polo devisaient paisiblement à Viterbe, chez lui, sur les questions religieuses du jour, pendant que l'astucieux Anglais leur faisait croire qu'on pouvait secrètement embrasser la Réforme sans être obligé de le manifester (voyez Flaminius). Le vice-roi fit tous ses efforts pour détruire l'hérésie; il brûla les livres infestés, il ferma plusieurs académies suspectes (1544-46), il voulut même en 1342 établir l'inquisition espagnole. Tout le monde connaît la célèbre révolution populaire dirigée par Tommaso Aniello, qui obtint le maintien de l'inquisition par voie ordinaire les hérétiques étaient livrés à Rome qui instruisait leur procès. C'est ainsi que Mario Galeota, littérateur napolitain, fut trois fois sous procès à Rome de 1552-1567. C'est de ce Mario que parle toujours le procès s de Carnesecchi. Malheureusement la troisième partie de son procès fut close par son abjuration (K.Benrath, Rivista Crist., février 1878), Isabella Brisegna échappa à l'inquisition en se réfugiant en Suisse. Giulia Gonzaga, bien qu'appelée perversissima dans le procès de Carnesecchi et bien qu'interrogée avec T. Colonna sur ses relations valdésiennes, ne se sépara jamais de l'Eglise romaine. Tout son cœur était pourtant avec les hérétiques. Voici ce que dit l'extrait du procès de Carnesecchi eadem domina Julia eidem Dom. Isabella (Brisegna) existenti in partibus hxreticorum pecunias ministrabat; nec non eosdem Dom. Isabellam et Galealium (Caracciolo) cupibal ut permânerent in eisdem partibus apud hxrclicos lum eliam dicta Dom. Julia dimisit Yenturam et Paulum Cola:, familiares suos, qui Iransfugerunt ad hxrelicos de suis et, ipsius constituti (c'est-à-dire Carnesecchi) scientia; tum denique quia dicta Dom. Julia non solum improbavii indicem libr prohib.S. R. Inq. se.d eliatn calholicam fideîconfes&ionem ab IilusL D. Card\ Polo in ejus lestamento. – En 1551, Galéas Caracciolo ce nom), fidèle à l'Evangile et à sa conscience, avait quitté Naples et la cour de Charles-Quintpour Genève, où il fut le fondateur de l'Eglise italienne,
Les rigueurs de l'inquisition frappèrent en 1561 deux nobles napolitains, Fsco d'Aloïs de Caserta et J. Bernard Gargano d'Aversa, qui lurent décapités comme luthériens après d'importantes révélations. Leur supplice remplit d'effroi les derniers réformés de Naples qui s'enfuirent. Les environs de Naples, les Calabres, la Pouille, la terre d'Otrante, avaient été évangélisés par Flaminius, par Apoll.Merenda, plus tard secrétaire de Polo, par Ludovic Manna « très mauvais hérétique. » par J. Paul Castroffiano, maître d'école, par un certain (îiannetto qui s'enfuit ensuite à Genève, et par Odone da Monopoli, maître d'école dans la Pouille. Plusieurs prélats encore furent suspects dans ces contrées Pierre Antoine de Capoue, archevêque d'Otrante, et son auditeur Ladislas avaient secrètement embrassé la Réforme et protégeaient l'apostolat de L. Manna. Il prêchait luimême l'Evangile et était en correspondance avec Bucer (?). L'évoque de Chironia, san Felice, emprisonné avec Morone en 1557, et chassé il concile, les évoques de Catane, de Sorrente, d'Isola, de Caiazzo, de Mola, de Civita di Penna, de Policastro, de Reggio, étaient plus ou moins luthériens et lisaient avidement les ouvrages de la Réforme et de Valdès. Celui de Policastro, Missanelli, fut puni par Pie V en 1567 et suspendu de ses fonctions pendant dix ans. Les vaudois établis dans la Calabre citérieure depuis 1315, et. qui avaient occupé plusieurs villages: la Guardia, San Sisto, Vaccarizzo, Rosa, Argentina, San Vincenzo, Montalto, furent détruits par le fer et le feu ou jetés dans les prisons de Naples. Mille six cents vaudois furent alors arrêtés et tous ceux qui n'abjuraient pas durent passer par la main du bourreau ou aller sur les galères espagnoles et même être vendus comme'esclaves (1558-1560). C'est alors que Lud. Pascale fut arrêté et conduit à Rome avec Negrino qui mourut de faim dans sa prison. En un seul jour, raconte un témoin oculaire catholique, quatre-vingt-huit hommes furent égorgés par un seul bourreau et avec le même couteau! En Sicile, l'inquisition établie vers 152i lit aussi son infâme office, mais on ne peut connaître ni le nom des accusés ni leur procès. L'inquisition demeura en Sicile jusqu'en 1782, contre les hérétiques et les sorciers. M. E. Bohmer, qui a visité les archives de Palerme, y a trouvé des dénonciations contre quelques luthériens du dix-septième siècle. Dans l'interrogatoirede F. Caserta, l'évoque de Catane, N. M. Caracciolo, est accusé d'avoir lu et approuvé les écrits des réformateurs napolitains. Cet homme avait été cependant un des meilleurs amis de Paul IV – Rome elle-même et les feudes de l'Eglise connurent la Réforme et les doctrines de l'école de Valdès. Velletri, Viterbo, Orvicto, les duchés de Spoleto et de Camerino, Urbino, Ancona, Imola, Faenza, Bologne, l'erugia, Fano, etc., avaient des hérétiques. Avant d'aller à Naples, le mineur .Mollio de Montalcino avait lu et expliqué l'Evangile à Bologne, aux étudiants surtout, et avait même été accusé d'hérésie par un confrère jaloux. Il se fit absoudre à Rome par Paul III; mais ayant repris ses prédications évangéliqucs, il fut chassé de l'université, se retira ïi Naples et devint complètement réformé dans la société de Valdès. Il
prêcha dès lors courageusement la Réforme; mais arrêté à Ravenne, après un procès éclatant dans lequel on fit abjurer devant lui, pour l'ébranler, quinze hérétiques, Mollio demeuré ferme, avec un certain Tisserando, de Perugia, fut pendu et brûlé sur le Campo de' Fiori, à Rome, le 5 septembre 1553. En 1541, Bologne était remplie de réformés, et en 1545, Altieri affirmait qu'un seigneur de. la ville voulait lever un régiment de réformés pour marcher contre Paul III dans sa guerre impie de Camerino. Le Compend. Inquisii. indique encore J.-B. Scoto qui était en relation avec les cardinaux Polo et Morone, avec Carnesecchi avant 1558, et qui distribuait beaucoup d'argent aux réformés pauvres de Bologne. 11 répandait et faisait peut-être même imprimer les œuvres de Valdès, puisqu'on 1544 Carnesecchi lui envoya un quadernetio de ce dernier. L'extrait du procès de Carnesecchi confirme qu'il y avait à Bologne plusieurs frères in Domino. Malheureusement J.-B. Scoto abjura devant le péril. Les plus célèbres hérétiques des environs de Bologne furent Fannio de Faenza, brûlé à Ferrare en 1550, M. A. Flaminius de Imola qui ne manifesta jamais ouvertement sa foi et qui mourut de maladie la même année, DidimoFaventino (pseudonyme?) qui déjà en 1521 avait publié une Oratio pro M. Lulhero Theologo, Guido Zanetti de Fano qui avait répandu à Venise et à Rome la connaissance de l'Evangile au moyen du Beneficio diG. C. et qui fut condamné à la prison perpétuelle (1569) et non à la mort, parce qu'il possédait plusieurs secrets précieux pour le saint-office. Dans Rome même donc, la Réforme avait pénétré, non par le moyen des soldats de Bourbon (1527), comme l'affirment les historiens catholiques, mais par celui des membres du clergé romain et des livres des réformateurs. Tous les papes du seizième siècle à partir de Léon X furent persécuteurs et recevaient à Rome, comme un gracieux hommage, les martyrs enchaînés que leur envoyaient les villes de l'Italie. En 1539, lorsque Paul IV mourut, la populace irritée contre les dominicains les chassa de Rome, brisa la statue du. pape et délivra soixante-deux hérétiques, parmi lesquels étaient Mario Galeota, B. Stella et le célèbre auteur du Covenant, l'Ecossais Craig. C'est à Rome que furent instruits les procès des deux grands martyrs P. Carnesecchi et A. Palcario. Carnesecchi, que nous avons vu à Naples, à Viterbe, à Venise, en 1544, avait été secrétaire de Clément VII. La connaissance des intrigues et de la corruption de Rome l'avait de bonne heure convaincu de la nécessité de la Réforme. Absous dans un premier procès en 1546, il voyagea en France jusqu'en 1556, et fut en relation avec les hérétiques de Lyon et de Genève. De retour à Venise, il s'y préparait à mourir chrétiennement lorsqu'un second procès fut instruit contre lui à Rome, grâce aux dénonciations d'anciens faux amis et à la séquestration d'une partie de sa correspondance. N'ayant pas comparu en 1559, il fut condamné par contumace à la confiscation de ses biens et à être saisi par le bras séculier. Protégé par Oosme de Médicis, il obtint de Pie IV la révocation de la sentence et vécut dès lors à Florence, sa ville natale, en grande intimité avec le duc.
Cosme n'était pas l'ami de l'inquisition, il résista longtemps à la bulle In cœna Domini et aux sollicitations de Paul IV, tant que sa politique le lui conseillait; mais lorsque Ghislieri devint pape en 1566, Cosme, désireux de son appui et d'obtenir le titre de grand duc de Toscane, livra sans hésitation son ami à la haine fanatique de Pie Y. Après un procès qui ne fut que la reproduction du premier (1566-1567) accusé et convaincu d'avoir professé toutes les erreurs de la Réforme, d'avoir assisté lcs hérétiques italiens de l'étranger, Carnesecchi fut décapité et brûlé à Rome avec un moine mineur conventuel de Cividale (Belluno), hérétique relaps: En 1506, dans un autodafé contre quinze hérétiques, sept d'entre eux abjurèrent, sept furent condamnés aux galères et un noble relaps, Pompeo de' Monti, fut remis au bras séculier. Lors du supplice de Carnesecchi, dix-sept condamnés abjurèrent et furent envoyés aux galères ou en prison parmi eux se trouvaient sept gentilshommes bolognais. En 1568, le zèle de Pie V ne laissait pas se passer un jour sans supplice et l'on dut bâtir de nouvelles prisons pour y enfermer l'affl,uence des hérétiques. En 1569, en présence de vingt-deux cardinaux, quatre hérétiques furent brûlés, dix abjurèrent et Guido Zanetti condamné à la réclusion perpétuelle. En 1569, le célèbre professeur de Sienne et de Milan, A. Paleario, qui dans sa ville natale (Sienne) avait déjà dû se défendre du crime d'hérésie, avec un éloquent discours Pro se ipso où il osait faire l'apologie d'Ochino et des réformateurs allemands, fut, après un procès inique commencé à Milan par l'inquisiteur P. Angelo de Crémone, transféré à Rome dans la Torre di Noua. Le grief le plus sérieux contre Paleario était la publication de ses lettres et de ses discours faite à Bâle en 1566 par T. Guarini et non, comme l'affirme J. Bonnet, la composition du traité Del Beneficio di G. C. Paleario demeura ferme dans sa foi pendant les longs interrogatoires des cardinaux inquisiteurs: Reviva, Pacheco, Gambara, les mêmes qui avaient signé la condamnation de Carnesecchi; puis, trouvé « digne du plus rigoureux châtiment » il fut exécuté en juillet 1570 (voyez le beau livre de J. Bonnet, A. Paieario. Paris, 1863). En 1585, dans un nouvel autodafé, devant les cardinaux, un hérétique fut brûlé « au feu lent, » un autre étranglé avant d'être brûlé et plusieurs reconduits morts de frayeur, dans les prisons. Jusqu'au jour où les troupes piémontaises entrèrent dans Rome par la brèche de Porta Pia, suivies des vaudois qui apportaient l'Evangile, on n'entendit plus parler de Réforme dans la ville des papes. -Disons encore deux mots d'un homme plus célèbre aujourd'hui que de son temps et qui appartient à San Ginesio, dans les Etats de l'Eglise (les Marches). Alberico Gentili, né en 1551, étudia le droit à Perugia, fut lauréat en 1572, avocat en 1575. Il connut la Réforme chez lui certainement puisqu'en 1540 les livres séquestrés à Côme par Ghislieri étaient aussi destinés à San Ginesio et qu'en 1568 San Ginesio était rempli d'hérétiques. En outre, son père Matteo était hérétique il s'enfuit avec lui en 1573, mais laissa Alberico en Italie jusqu'en 1579. La persécution avait sévi d'ailleurs dès 1573 à San
Ginesio et plusieurs de ses habitants s'étaient enfuis avec les Gentili. Si Alberico et son frère Scipion n'étaient pas réformés comme leur père, lors de leur fuite, ils le furent plus tard, comme on peut le voir dans l'étude étendue qu'a faite sur ce sujet M. E. Comba (Riv. Crist., 1876-1877). Nous avons été souvent, dans cette étude, appelés à nous occuper des réformés toscans. Les principaux d'entre eux, P. Martyr, P. Carnesecchi, A. Paleario, Mollio, Ochino même, ont parlé de l'Evangile dans leur patrie, autant que le leur permettaient leurs pérégrinations. Sienne, ville libre jusqu'en 1535, connut l'Evangile avant 1540 par les disciples de Valdès. Le livre de Paleario sur La plénitude, la suffisance et la satisfaction de la passion du Christ devait y être connu vers cette époque, surtout si on ne veut pas le confondre avec le traité célèbre Del Benefiziô di G. C. crocifisso verso i Cristiani composé, quoi qu'en aient dit MM. J. Bonnet et avant lui Churchill Babington, qui ne connaissaient pas l'existence du premier traité de Paleario. Florence, dès 1525, connaissait la Réforme. Patrie de P. Martyr et de Carnesecchi, elle n'eut que rarement l'occasion de les voir et de les entendre; la maison des Médicis, surtout sous les papes de sa famille et quand sa politique l'y poussait, persécuta avec fureur res hérétiques. Les livres hérétiques y firent toutefois plus souvent que les réformés les frais des autodafés (1359). Lucques, avant l'œuvre de P. Martyr, qui en fit en 1540-41 une des plus importantes villes réformées, connaissait déjà les « idées nouvelles » par les livres qui venaient de Suisse et d'Allemagne. En 1523, un édit du « Magnifique Conseil » y ordonnait la séquestration des livres hérétiques peine cinquante ducats. Vers 1540, P. Martyr Vermigli s'établit à Lucques, prieur de San Frediano, après s'être attiré la haine des augustins dont il avait puni sévèrement les abus, avec le cardinal Gonzaga il y fonda pour les familles patriciennes et pour ses moines un collège célèbre où enseignaient C. nlartinengo, Em. Tremellio, Paolo Lacisio, Curione et Zanchi; A. Paleario n'y était pas encore, il n'y vint qu'en 1546. Les prédications de Martyr y étaient courues, puisqu'en 1341, dans l'entrevue célèbre de Charles-Quint et de Paul III, ils s'entretinrent sérieusement de la suppression de l'hérésie dans cette ville. Caraffa avait l'œil sur Vermigli depuis les débats de Naples, et il fut en effet cité à Gênes devant le chapitre de son ordre. C'était une vengeance des augustins. P. Martyr s'enfuit alors après avoir visité les Eglises de Pise et de Florence (quelques jours après OchinusJ avec Lacisio, Tremellio et Giulio Terenziano. Un mois avant la proclamation de la bulle Licet ab iniiio (juin 1542), Bartolomeo Guidiccioni, ami de Paul III, avait écrit au sénat de Lucques une lettre menaçante pour l'engager à poursuivre les hérétiques C. S. Curione et le prieur des augustins, « qui avait donné la communion zwinglienne à plusieurs personnes (P. Martyr). 11 demandait en plus l'arrestation du prieur de Fregionara et d'un moine augustin, qui s'enfuirent alors. Les menaces de l'Espagne provoquaient de sévères mesures, et de 1545-70 plusieurs édits défendent sous peine d'amende, de confiscation et de mort, en cas de récidive, la lecture, l'introduction des
livres prohibés et toute relation avec les émigrés pour cause d'hérésie. L'inquisition était exercée par les citoyens timorés et le gonfalon de justice.- Tout le monde était obligé de faire publiquement ses dévotions, et nous ne pouvons comprendre que A. Paleario, nourrissant des opinions hérétiques, ait pu demeurer si longtemps à Lucques (1546-1454) sans être inquiété. En 1549, 1554, 1558, 1561, 1562, 1566, 1568, 1570, une foule de décrets furent promulgués pour interdire les relations avec les fugitifs dont la tête était mise à prix. Bien que Lucques n'ait jamais voulu dans ses murs l'inquisition romaine, son évêque et son gouvernement furent assez inquisiteurs pour y détruire la Réforme, puisque Pie V leur envoya, pour les récompenser de leur zèle, la fameuse rose d'or. La congrégation de P. Martyr fut anéantie par l'emprisonnement des uns, la fuite ou l'abjuration des autres. De 1558 à 1597, quarante-un Lucquois furent condamnés et punis comme hérétiques. Les familles les plus distinguées émigrèrent en France et en Suisse, et donnèrent à leur pays d'adoption des hommes éminents (Rustici, Perna, Liena, Calandrini, Balbani, Turettini, Minutoli, Micheli, Burlamacchi, Diodati, etc.). En 1679, les Lucquois de Genève furent invités par l'évêque Spinola à rentrer dans leur patrie et dans la mère Eglise ils répondirent qu'ils ne pouvaient désobéir à leur conscience de chrétiens. La politique frauduleuse de Cosme de Médicis ne favorisa en aucune manière la Réforme à Florence et en Toscane. S'il chassa les dominicains qu'il croyait fidèles à la mémoire de Savonarole, il donna le pouvoir inquisitorial aux mineurs conventuels. En 1551, en 1561, il livra à Rome les hérétiques avant de lui livrer lâchement, violant l'hospitalité, le martyr P. Carnesecchi. Malgré son apparente tolérance, son machiavélisme le tint sans cesse en correspondance avec les persécuteurs Pucci (card.), Guidiccioni (évêque), et Farnèse (card. pape). Nous laissons ici encore au catholicisme romain toute la gloire du personnage. 'Les réformés italiens se trouvèrent souvent à Florence (Martyr, Carnesecchi, Ochino), mais il ne paraît pas que l'inquisition y ait sévi contre les personnes comme ailleurs. Après le martyre de Savonarole, jusqu'en 1630 on n'y voit que des autodafés de livres. Bien que Mac Crie affirme que plusieurs avaient embrassé la Réforme dans leur ville même, les sources connues ne permettent aucune certitude; nous croyons que les réformés florentins cherchèrent de bonne heure, comme leur concitoyen P. Martyr, leur salut dans la fuite. En 1542, il y avait une congrégation réformée à Pise, puisque Martyr y administra la sainte cène avant de partir pour l'exil. Vers 1542, Curione y prêcha l'Evangile sous le nom de professeur de lettres latines, et en 1567, plusieurs étudiants y furent sous procès avec quelques prêtres qui leur avaient annoncé l'Evangile. Nous sommes persuadés, et l'histoire nous le laisse entrevoir, que la Réforme était prêchée avec succès, avant la persécution, dans plusieurs autres localités toscanes, niais nous ne pouvons rien affirmer, car les données exactes nous font défaut. Sans nous arrêter aux grands réformés de Sienne, que nous avons vu fuir ou mourir, notons en 1558 dix accusés avec la
famille Sozini; les uns abjurèrent, les autres s'enfuirent. Lattanzio Ragnone s'enfuit de bonne heure, comme Ochinus; Mino Celsi, esprit libéral supérieur, Benvoglienti et P. Spanvecchi s'enfuirent également. Sienne a l'honneur, après avoir donné Ochinus et Paleario au protestantisme italien, d'être la patrie des Sozini, dont le nom est aujonrd'hui bien moins connu que ne l'est leur système théologique. Le protestantisme libéral moderne a une de ses sources dans le socinianisme (voyez ce nom), qui se rattache à son tour aux théories de Servet, répandues en Italie après 1538. Fausto, Camillo, Celso, Maria, Lelio Sozini (ou Socini) avaient tous plus ou moins ouvertement embrassé la Réforme. Lélius Sozini, le plus célèbre, n'exprima ses opinions que longtemps après son exil volontaire. Dans ses rapports avec les hérétiques de Venise et de Vicence il ne manifesta pas ses doctrines sur le Christ et la Trinité. Il quitta l'Italie avec ses frères Cornélius et Camille en 1548, et pendant son séjour à Zurich, il communia toujours avec les italiens orthodoxes. Les Sozini n'eurent d'influence en Italie que par écho et lorsque la Réforme y était déjà supprimée. Fausto Socin, pendant son séjour en Toscane, ne fit pas connaître ses doctrines antitrinitaires, quoiqu'il y fût protégé par le duc; ce n'est qu'en Pologne qu'elles firent du bruit et qu'elles le firent persécuter (voyez art. Socinianisme). Les faits qui précèdent prouvent dans leur brièveté désespérante que le bras sanglant de l'inquisition romaine a eu la plus large part dans l'anéantissement de la réforme italienne. Les luttes confessionnelles y eurent leur part, à Venise surtout, où elles furent allumées par Luther et adoncies par les sages et chrétiens conseils de Bucer; mais ces luttes haineuses et odieuses se développèrent surtout à l'étranger (dans les Grisons), et nous ne croyons pas, avec les historiens catholiques, qu'elles aient signé, elles seules, la condamnation de la Réforme italienne. Pendant la persécution les luthériens, les calvinistes, les zwingliens furent fermes dans leur foi, et aucun des martyrs italiens n'est mort pour sa foi à un homme ils ont tous été témoins du Christ. D'ailleurs la symbolique n'a pas eu le temps de se développer en Italie s'il est vrai que les réformés italiens eurent à l'étranger des doctrines différentes, il n'en fut pas ainsi pendant leur séjour dans le pays natal. Persécutés par Rome et poussés par le devoir, ils ne perdaient pas leur temps en de vaines disputes, et si, parlant des plus célèbres, nous savons que Ochinus fut plus tard presque antitrinitaire, Martyr du parti de la conciliation, Curione orthodoxe zwinglien, P. P. Vergerius luthérien, nous pouvons toutefois affirmer avec joie qu'ils furent en Italie des témoins courageux et désintéressés du Christ (voyez Antilrinilaires). Sans donc nous arrêter aux disputes théologiques qui troublèrent les esprits et les consciences au seizième siècle, surtout dans les pays appelés protestants, nous dirons quelques mots sur la prédication moderne de l'Evangile en Italie. L'Evangile y fut connu dans le courant du siècle, de 1819 à nos jours, par les communautés protestantes; mais elles n'eurent qu'une influence très indirecte sur la population italienne. En 1831
plusieurs exemplaires de la Bible étaient introduits dans les Etats de l'Eglise et dans les autres provinces, en sorte que les premières personnes qui embrassèrent la Réforme y furent presque toutes conduites par la simple lecture de la Bible. Le comte Guicciardini, les D's De Sanctis et T. Chiesi, etc., connurent aussi l'Evangile dans lequel les voyages dans les pays protestants et la prédication évangélique les confirmèrent plus tard. En 1846, De Sanctis et quelques amis fondèrent à Malte le journal Ylndicatore et lors de la révolution qui chassa Pie IX à Gaëte (1848), un certain Achilli tint à Rome même des conférences religieuses privées. Quand la force revint, elle remit le pape dans sa ville et Aclu'lli naturellement en prison, d'où il ne fut tiré que grâce aux instances de l'ambassade anglaise et de l'Alliance évangélique. En 1848, lorsque le grand duc accorda la Constitution à la Toscane, l'Evangile y fut aussi annoncé par l'ex-amiral Packenham et quelques candidats en théologie,vaudois. Lors de la réaction ils en furent chassés, mais ils avaient laissé à Florence plusieurs évangéliques italiens et en 1850, MM. B. Malan et P. Geymonat prêchèrent l'Evangile à Florence même, dans la chapelle suisse. Poursuivis par la police jusque dans les réunions privées, la prédication en langue italienne fut interdite B. Malan s'enfuit, M. Geymonat, emprisonné, fut conduit à la frontière (1831) et sept Florentins furent condamnés à six mois de travaux forcés dans les Maremmes. La même année les époux Madiaj furent condamnés à la prison. L'Eglise vaudoise de Turin, fondée en 1848, eut dès 1850 un pasteur zélé dans la personne de M. J.-P. Meille, qui prêchait l'Evangile en langue italienne, et qui s'occupait d'évangéliser la ville et ses environs. Cette oeuvre, continuée aujourd'hui encore, donne chaque année à la paroisse de nouveaux membres sortis du catholicisme. En 1852 une congrégation fut fondée à Gênes grâce à l'activité de de MM. Geymonat et Mazzarellaet des exilés toscans. Dans plusieurs autres localités du Piémont et de la Ligurie l'Evangile était connu et prêché. Bientôt les congrégations de Gênes et une partie de celle de Turin se séparèrent de l'Eglise vaudoise et furent la souche de l'Eglise libre d'Italie qui s'étendit à côté de l'Eglise vaudoise dans les principales villes de la péninsule. Le DrDe Sanctis, qui s'était séparé àTurin, retourna à l'Eglise vaudoise et fut professeur à l'école de théologie de Florence. Il y mourut en 1869. Plusieurs autres dénominations vinrent ensuite semer dans le même champ; les plus importantes sont la méthodiste wesleyenne, l'Eglise des Frères (fragment séparé de l'Eglise libre et qui se rapproche du plymouthisme), la méthodiste épiscopale et la baptiste étroite et larges. Toutes les divergences ecclésiastiques et doctrinales sont venues en peu de temps dresser leurs pavillons en Italie, et elles y entravent plus que toute autre chose l'œuvre antisectaire de l'évangélisation commencée par les vaudois. (voyez pour cette dernière partie, L. Witte, Das Evangelium in Italien et R. Crisliana, 1878). Presque toutes les dénominations ont leur journal et leurs publications religieuses dans lesquels ces dernières notices se trouvent développées et commentées (voyez Biografia di L. JDesanctis,
anonyme, Florence, typ. Claudiana, et ses œuvres de polémique, publiées par la même typographie). L'Eglise vaudoise possède aujourd'hui (synode de 1879) en Italie, 16 paroisses, 39 églises, 32 stations et visite en outre, pour les évangéliser, 78 localités.
Sources pour l'histoire de la Réforme en Italie au seizième siècle LesArchives du saint-office de Venise, conservées dans la bibliothèque de l'église des Frari; A. Caracciolo, Vila di Paolo 1 V et le Compendium Inquisilorum mss. du British Muséum et de la Casatanense Le Vergeriane del' Mulio jusiino polilano, Venise, 1330; Schelhorn, Amœnilales liist. ecclesiaslic. et lia., I-XIV, Francfort et Leipzig, 1738. Les ouvrages de P. Martyr Vermigli avec ÏOratio de vita et obitu P. M. V. de I. Simler, Amsterdam et Francfort, 1656; Genève, 1624, etc. De Leva, Storia di Carlo V documenta, vol. I et 111, 1873; Gli Ereiici di Cilladella, Venezia, 1873; dans l'Archivio veneto, VII, 1874; Giulio di Milano E. Comba, Baldo Lupelino, Rome et Florence, 1875; Historia della vila di G. Caracciolo de Nicolào Balbani, Rome et Florence, 1873 La Rivislx Crisliana (années 1873-1878) diretta del prof. E. Comba, Florence T. Mac Crie, Istoria della liif or ma in Italia ml s. sedicesimo, Genova, 1838; anonymes, I. Riformatori italiani, La Ri forma in Jlalia, Florence, 1868-70 (ce sont des reproductions de Me Crie) C. Cantù, Gli ereoeci cTItalia, Torino, 18G6, I, II, III, ouvrage désordonné et fanatique, rempli de renseignements précieux et de jugements faux, on ne peut s'y fier qu'avec beaucoup de prudence; M. Young, The life and Urnes o/ A. Paleario or a history. London, 1860; H. Laemmerj, Monumenla Vaticana, Friburg in B., 1870; B. Cecchetti, La Republica di Venezia e la Corle di Rorna nei rapporti della Religione, .Venezia, 1873; Miscellaneadi storia italianaper laR. Dep. di slor. patria, t. X, 1870; G. Manzoni, Eslratto del processo di P. Carnestcclii; ce document est des plus importants; E. Bohmer, Cenni bibliografici sui fralelli Giovanni a Alfonso di Valdesso, Halle, 1861, publiés après la traduction italienne des cent dix Consïderazioni Letieredi alcuni nobilissimiuomini, Venise, 1864; card. Quirini, R.Poli Epistolse, vol. I"-V; L'Archivio S lorico ilaliuno; Allie memorie délie RR. Dej^utazioni di Sla palria per le provincie Modenesi e Parmensi, t. VII et la Chronique de Lancillotto de' Bianchi. Tiraboschi, Fontanini, Muratori et les chroniqueurs romains doivent être consultés avec beaucoup de circonspection; J. Bonnet, A. Paleario, Paris, 1863; Derniers Récits du seizième siècle, Paris, 1876; C. Eynard, Lucques et les Burlamacchi, Taris, 1848, etc., etc. Les ouvrages les plus utiles à consulter sont ceux de De Leva et les cinq années de la Rivisla crisliana. V. Long.
ITALIE (Statistique ecclésiastique). Après avoir été séparées pendant de longs siècles, les diverses parties de la Péninsule des Apennins su trouvent Je nouveau depuis 1870 réunies en un seul état, auquel le recensement de 1876 donne une population de 27,769,475 habitants. Seule, la petite république de Saint-Marin est restée indépendante du royaume d'Italie et comptait en 1874, 7,816 habitants. Les dénombrements officiels ne contiennentplus de rubrique Cultes,
depuis 1871. Le recensement de cette année 1871 compte en Italie 26,658,679 catholiques, 58,651 protestants, 35,356 israclites et 48,468 personnes d'un autre culte et personnes ne professant aucune foi religieuse. A ces quelques chiffres se bornent les renseignement que les statistiques officielles nous fournissent sur l'état religieux de l'Italie. Le budget de 1878 nous donnera encore quelques indications financières. Dans les recettes nous voyons figurer pour ̃1,450,000 lires les rentes des biens ecclésiastiques, pour 9,000,000 les intérêts sur le prix de vente des biens ecclésiastiques, pour 18,480,000 la vente des biens ecclésiastiques, pour 15,453,000 l'aliénation d'obligations ecclésiastiques, pour 7,326,801 les intérêts des obligations ecclésiastiques non vendues. Comme dépenses, nous voyons une somme de 27,744,866 attribuée au ministère de la justice et des cultes; mais nous ne connaissons pas la part de ce crédit spécialement affectée aux cultes. Pour connaître un peu les différentes communions qui se partagent le royaume, il nous faudra donc puiser nos renseignements à des sources non officielles.A l'Eglise catholique se rattache nominalement la presque unanimité du peuple italien (plus 99 pour cent de la population en 1871) mais ce qui donne au catholicisme en Italie une importance unique, c'est la présence dans la capitale du royaume du souverain pontife et de sa cour. Avant donc d'étudier ce qui parmi les catholiques italiens est spécifiquement italien, nous croyons utile de nous arrêter un moment à la cour de Rome et d'en exposer l'organisation. La hiérarchie catholique a pour chef le pape dont le titre officiel complet est « évoque de Rome et vicaire de Jésus-Christ, successeur du prince dos apôtres, souverain pontife de l'Eglise universelle, patriarche d'Occident, primat d'Italie, archevêque et métropolitain de la province romaine, souverain du domaine temporel de la sainte Eglise romaine. Immédiatement au-dessous du pape, est le •< sacré collège des cardinaux de la sainte Eglise romaine, collatéraux et coadjuteurs du souverain pontife. » Une bulle do Sixte:Quint a fixé à 70 le nombre de ces dignitaires. Le sacré collège est divisé en trois ordres, les évêques, les prêtres et les diacres. Les cardinaux évêques, au nombre de 6 occupent les six sièges épiscopaux, dits suburbicaires, savoir: 1. Ostie et Velletri, dont le titulaire est de droit doyen du sacré collège; 2. Porto et Sainte-HuPine, dont le titulaire est sousdoyen 3. Albano 4. Frascati; 5. Palestine 6. Sabine (pour ces quatre derniers sièges, la préséance est réglée par le rang d'ancienneté qu'ont entre eux les cardinaux qui en sont titulaires). Les cardinaux prêtres sont au nombre de 50, et les cardinaux diacres, au nombre de 14. Les cardinaux de ces deux derniers ordres portent chacun le titre d'une église de la ville de Itome; à 51 églises est attaché un titre de prêtre, à 16 un titre de diacre, ce qui élève à 73 le nombre des titres cardinalices mais le nombre des cardinaux étant fixé à 70, il y a toujours au moins trois titres vacants le nombre des vacances est du reste presque toujours beaucoup plus considérable. Au 31 décembre dci'ii^r, le sacré collège ne comptait que 58 cardi-
naux. Au-dessous des cardinaux figurent les patriarches au nombre de 12, G du rit latin et 6 du rit oriental. Puis viennent 172 archevêques, savoir: 146 du rit latin, 6 du rit arménien, 1 du rit grécorumène, 1 du rit grcco-ruthène, 4 du rit gréco-melchite, 4 du rit syrien, 4 du rit syro-chaldéen, G du rit syro-maronite; les évêques au nombre de 705, savoir: 655 du rit latin, 12 du rit arménien, 3 du rit gréco-rumône, 7 du rit grcco-ruthène, 10 du rit gréco-melchite, 8 du rit syrien, 7 du rit syro-chaldéen, 3 du rit syro-maronite puis 18 prélats nullius dioceseos, savoir 13 abbés, 1 archimandrite, 1 archiprêtre, 1 prieur et 2 prélats et enfin 14G prélats dépendants de la Propagande, savoir: 6 délégués apostoliques, 111 vicaires apostoliques et 29 préfets apostoliques. La hiérarchie romaine comprend en tout 1127 titres; 1027 seulement étaient occupés au 31 juillet 1878 mais le nombre des membres de la hiérarchie s'élevait à 1149. grâce aux prélats retirés, aux coadjuteurs et aux évêques in partibus infidelium. A la cour de Rome sont encore rattachés d'un manière immédiate les ordres religieux suivants: Chanoines réguliers: 1. De Latran, avec un vicaire général et un procureur général; 2. Prémontrés, avec un abbé général et un procureur général 3. De la Sainte Croix, avec un maître général. Clercs réguliers 1. Théatins, avec un vicaire général et un procureur général 2. Barnabites, avec un préposé général et un procureur général; 3. Somasques 4. Jésuites; 5. Clercs mineurs, tous trois avec un préposé général et un procureur général 6. Serviteurs des pauvres, avec unvicaire général et un procureur général; 7. De la Mère de Dieu, avec un recteur général et un procureur général 8. Des écoles chrétiennes, avec un préposé général, un procureur général, et un pro-procureur général. Congrégations religieuses: 1. Passionistes, avec un préposé général et un procureur général; 2. Du Très-Saint Rédempteur, avec un grand recteur et un procureur général 3. Des Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie, avec un supérieur général et un procureur général. Congrégations ecclésiastiques: 1. Doctrinariens, avec un vicaire général et un procureur général 2. De la Mission, avec un supérieur général et un procureur général 3. Des Œuvres pies, avec un préposé général et un procureur général 4. Du Saint-Esprit et du Cœur Immaculé de Marie, avec un supérieur général et un procureur général; ô. Du précieux sang, avec un directeur général et un procureur •général 6. De Marie Immaculée, avec un supérieur général et un procureur général 7. Institution de la Charité; 8: Maristes, tous deux avec un préposé général et un procureur général 9. De la Sainte Croix; 10. De la Résurrection; 11. Salôsiens 12. Société pour les missions étrangères, tous quatre avec un supérieur général et un procureur général; 13. Petits frères des écoles chrétiennes, avec un supérieur général, un procureur général et un vicaire général 14. Petits frères de la miséricorde, avec un supérieur général et un procureur général. Ordres monastiques 1. Basiliens. avec un visitateur général et un procureur général 2. Bénédictins formant les 9 congrégations suivantes: 1° du Mont-Cassin d'Italie, 2° du Monl-Cas-
sin de la Primitive Observance, 3° de Hongrie, 4° de France, 5° de Suisse, 6° d'Angleterre, 7° de l'Amérique du Nord, 8° de Bavière, 9° du Brésil. La congrégation du Mont-Cassinde la Primitive Observance a àsa tête un abbé général, les huit autres ont chacune un président 3. Congrégation des Camaldules, avec un abbé général; 4. Ermites camaldules, avec un major; 5. Ermites réformés de Monte Corona avec un supérieur major; 6. Ermites de Vallombreuse, avec un général 7. Cisterciens, avec un supérieur général; 8. Cisterciens réformés, formant deux congrégations, 1" trappistes de la Grande Trappe; 2° trappistes de la Réforme de Rancé, avec chacune un ou deux vicaires généraux; 9. Bénédictins de Monte Vergine; 10. Silvestrins, les uns et les autres avec un abbé général 11. Olivétains, avec un vicaire général; 12. Certosiniens, avec un prieur général; 13. Antoniens, 5 congrégations avec des abbés généraux, 1° chaldéens de Saint-Hormisdas, 2° maronites d'Alep, 3° maronites du mont Liban, ̃4° maronites de Saint-Esaïe, 5° arméniens du mont Liban; 14. Bénédictins arméniens, 2 congrégations avec des abbés généraux, 1° mékhitaristes de Venise, 2° mékhitaristes de Vienne lo.Basiliens grecsmelchites, 3 congrégations avec des abbés généraux, 1° du SaintSauveur, 2°Soarita Aleppina, 3°Soarita Baladita.-Ordres mendiants 1. Dominicains, avec un vicaire général; 2. Mineurs de l'Observance avec un ministre général (et deux congrégations séparées, les mineurs réformés de l'observance, et les mineurs récollets d'Alcantara avec des procureurs généraux ); 3. Mineurs conventuels, avec un vicaire général; 4. Mineurs capucins, avec un ministre général; 5. Tiers ordre de saint François, avec un vicaire général 6. Augustins, avec un prieur général 7. Augustins déchaussés, avec un vicaire général; 8, Carmes de la primitive observance, avec un vicaire général 9. Carmes déchaussés, avec un préposé général; 10. Serfs de Marie, avec un prieur général; 11. Minimes, avec un correcteur général; 12. Mercedarions, avec un vicaire général; 13. Trinitaires congrégations, 1° de l'ordre primitif, avec un vicaire général, 2° réformés, avec un ministre général; 14. Iliéronimites de la congrégation du bienheureux Pierre de Pise, avec un prieur général 15. Hospitaliers de saint Jean de Dieu, avec un général; 16. Pères déchaussés de la pénitence, avec un général. La cour romaine comprend, outre la hiérarchie et les ordres religieux, la famille pontificale, composée: 1. Des cardinaux palatins, 6 charges, dont plusieurs sont souvent réunies sur la même tête le pro-dataire, les secrétaires des brefs, le secrétaire d'Etat, le préfet des sacrés palais apostoliques, l'administrateur des biens du saint-siège et le secrétaire des mémoriaux 2. Les prélats palatins, au nombre de 4 le majordome, le maître de la chambre, l'auditeur, le maître du sacré palais apostolique 3. Les 9 camériers secrets participants; Le pasteur du sacré palais apostolique. A la famille pontificale se rattachent encore les prélats assistants du trône pontifical (358 au 31 juillet 1878, savoir 9 patriarches, 107 archevêques et 2i2 évêques) les prélats domestiques de Sa Sainteté (379), les protonotaires apostoliques (7
en fonctions, 2 émérites, 186 surnuméraires), les prélatscomposant la sainte Rote romaine (11), les prélats de la signature papale de justice (8 en fonctions, 83 référendaires), les camériers secrets de Sa Sainteté (5 en fonctions, 7 surnuméraires en fonctions, 97 surnuméraires, 5 camériers secrets participants de cape et d'épée, 35 camériers secrets de cape et d'épée attachés à la garde noble, 124 camériers secrets de cape et d'épée surnuméraires, 90 camériers d'honneur in abito paonazzo, 23 camériers d'honneur extra urbem, 6 camériers d'honneur de cape et d'épée, 41 camériers d'honneur surnuméraires de cape et d'épée), le collège des avocats du saint consistoire (9), les chapelains secrets (4 en fonctions, 17 d'honneur, 7 d'honneur extra urbem), les clercs secrets (2), les chapelains communs (6 en fonctions, 16 surnuméraires), le prédicateur apostolique, le confesseur de la famille pontificale, le sous-sacristain des sacrés palais apostoliques, les 2 adjudants de la chambre, l'écuyer secret, les bussolanti (18 en fonctions, 27 surnuméraires). Pour achever le tableau de la cour de Rome, il faut encore parler des congrégations: 1. La congrégation de la sainte inquisition romaine et universelle, le pape préfet, 14 cardinaux membres, 26 consulteurs, 6 qualificateurs, 6 officiers 2. La congrégation du consistoire, le pape préfet, 5 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 1 substitut; 3. La congrégation de la visite apostolique, le pape préfet, 1 cardinal président, 6 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 1 consulteur, 4 officiers 4. La congrégation des évêques et réguliers, 1 cardinal préfet, 37 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 27 consulteurs, 10 officiers; 5. La congrégation du concile, 1 cardinal préfet, 36 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 5 officiers, 11 prélats adjoints 5 bis. Congrégation spéciale pour la révision des conciles provinciaux, 1 cardinal préfet, 8 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 16 consulteurs adjoints; 6. La congrégation de la résidence des évêques, 1 cardinal préfet, 1 prélat secrétaire 7. La congrégation de l'état des réguliers, 4 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire; 8. La congrégation de l'immunité ecclésiastique, 1 cardinal préfet, 15 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 5 prélats consulteurs, 1 substitut 9. La congrégation de propaganda ~rle, 1 cardinal préfet général, 1 cardinal préfet de l'économie, 25 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 23 consulteurs, 13 officiers 10. La congrégation de propaganda fide pour les affaires du rit oriental, 1 cardinal préfet, 17 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 21 consulteurs, 3 officiers 10 bis. La commission de la révision et de la correction des livres de l'Eglise orientale, 6 cardinaux membres, 1 secrétaire; 11. La congrégation de l'index; 1 cardinal préfet, 32 cardinaux membres, 1 assistant perpétuel, 1 .secrétaire, 46 consulteurs, 5 rapporteurs 12. La congrégation des rites, 1 cardinal préfet, 23 cardinaux membres, 9 prélats officiels, 27 consulteurs 13. La cungrégatiun des cérémonies, 1 cardinal préfet, 10 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, les maîtres des cérémonies pontificales font fonctions de consulteurs 14. La congrégation de la discipline des réguliers, 1 cardinal préfet, 16 cardinaux membres,
un prélat secrétaire, 4 consulteurs; 15. La congrégation des indulgences et des saintes reliques, l cardinal préfet, 28 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 2iconsulteurs,l officier; 16. La congrégation de l'examen des évêqùes pour la théologie, 3 cardinaux, 2 prélats, 3 religieux; pour les saints canons, 3 cardinaux, 2 prélats ;17. La congrégation de la fabrique de Saint-Pierre, 1 cardinal préfet, 7 cardinaux membres, 1 prélat économe et secrétaire, 10 officiers; 18. La congrégation de Lorette, 1 cardinal préfet, 2 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 1 officier; 19. La congrégation des affaires ecclésiastiques extraordinaires, 22 cardinaux membres, 1 prélat secrétaire, 20 consulteurs, 6 officiers; 20. La congrégation des études, 1 cardinal propréfet, 16 cardinaux membres, 1 prélat membre, 2 officiers. 11 nous reste à parler encore de quelques institutions annexes de la cour de Rome 1. La grande pénitencerie, composée du cardinal grand pénitencier, d'un régent, d'un théologien, d'un dataire, d'un correcteur, d'un sigillateur, d'un canoniste, de deux secrétaires, d'unarchiviste et de quelques fonctionnaires d'ordre inférieur; 2. La chancellerie apostolique, composée du cardinal vice-chancelier et sommiste, d'un régent, d'un sous-sommistc, etc.; à la chancellerie se rattache le collège des prélats abréviateurs (4 ordinaires, 14 surnuméraires, 6 substituts, et 3 substituts surnuméraires); 3. La daterie apostolique, composée du cardinal pro-dataire, d'un sous-dataire, d'un préfet dell'Ofjîcio, d'un préfet del Concessum et d'un grand nombre de fonc-'tionnaires d'un rang moins élevé; 4. La chambre apostolique, avec un cardinal camerlingue de la sainte Eglise romaine, un prélat vicecamerlingue, 1 prélat auditeur général de la chambre, 1 prélat trésorier général, 7 prélats clercs de la chambre, etc.; 5. Les secrétaireries du palais; les trois principales, la secrétairerie d'Etat, celle des brefs et celle des mémoires ont pour chefs des cardinaux, les autres sont dirigées par des prélats; 6. Le vicariat de Rome, dirigé par le cardinal vicaire général de Sa Sainteté, assisté d'un grand nombre de prélats 7. Les établissements pontificaux d'instruction, dont les principaux sont l'académie pontificale des nobles ecclésiastiques les séminaires au nombre de 5, pontifical romain, pontifical provincial de Pie, des apôtres saint Pierre et saint Paul, du Vatican, des Français; les 7 collèges apostoliques, urbain de la propagation de la foi, germanica-hongrois, grec-ruthène, anglais, irlandais, écossais, et américain des Etats-Unis les 8 collèges ecclésiastiques; les 3 collèges des réguliers. Si des institutions communes au catholicisme entier, nous passons à ce qui est spécial à l'Italie, nous trouvons dans le royaume 45 archevêchés et 108 évechés. Ce sont les 6 évêchés suburbicaires (voyez ci-dessus) puis les archevêchés et évêchés soumis immédiatement au saint-siège, savoir: dans les anciens états romains, 3 archevêchés, Camerino, Ferrare et Spolète, et 37 évêchés, Acquapendente, Alatri, Amélia, Anagni, Ancône, Ascoli, Assise, Bagnorea, Citta di Castello, Civita Castellana, Citta della Pieve, Corneto et Civita-Vecchia, Fabriano et Matelica, Fano, Fcrentino, Foligno, Gubbid, Jesi, ;llontefiascone, Narni, Nocera, Norcia, Orvieto, Osimo
-et Cingoli, Perugia, Poggio Mirteto, Recanati et Loreto, Rieti. Segni. Sutri et Nepi, Terracine, Terni, Tivoli, Todi, Treja, Verdi, Viterbe; en Toscane et dans l'Emilie, les sedes exemlu sont l'archevêché de Lucques, et les 7 évechés d'Arezzo, de Borgo San-Domœo de Coilona, de Montalcino, de Montepulciano, de Parme et de Plaisance dans la Vénétie l'archevêché d'Udine seul relève directement du SaintSiège dans l'ancien royaume de Naples, les sedes exemtx sont les 6 archevêchés d'Amalfi, d'Aquila, de Catane, de Cosenza, de Gaëte et i\o Rossano et les 16 évèchcs d'Aci-Reale, d'Aversa, de Cava et Sarno, de Gravina et Montepeloso, de San Marco et Bisignano, de Marsi, de .Melfi et Rapolla, de Mileto, de Molfetta, Terlizzi etGiovenazzo, de.AIonopoli, de Nardo, de Penne et Atri, de Tcramo, de Trivento, de Troia, et de Valva et Stilmona. Enfin un éveché piémontais, celui de LuniSarzana est placé dans la même situation. Les autres diocèses italiens forment les provinces ecclésiastiques suivantes Acerenza <t Matera, évêchés suffragants Angiona et Tursi, Potenza, Tricarico, Venosa; Bari, suffragants Conversano, Ruvo et Bitonto; Béncvent, suffragants S. Agata dei Goti, Alife, Ariano, Ascoli et Cerignola, Avellino, Bojano, Bovino, Larino, Lucera, S. Severo, Telese, Ter. moli Bologne, suffragants Faënza, Imola; Brindisi, suffragant: ̃Ostuni Cagliari, suffragants Gai tell i-Nuoro Iglesias, Ogliostra Capoue, suffragants Caiozzo, Calvi et Teano, Caserta, Isernia et Yenafro, Sessa; Chieti, suffragant Vasto; Conza, suffragants S. Angelo dei Lombardi et Bisaccia, Campagna, Lacedonia, Muro; Fermo, sufiragants Macerata et Tolentino, Montalto, Ripatransone, San Severino; Florence, suffragants Borgo S. Sepolcro, Colle, Fiesole, S. Miniato, illodigliana, Pistoie et Prato; Gênes, suffragants AlLenga, Bobbio, Brugnato, Savone et Noli, Tortone, Vintimille; Lanciano, suffragant Ortona Manfredonia, suffragant Viesti Messine, suffragants Lipari, Nicosie, Patti; Milan, suffragants Bergame, Brescia, Côme, Crema, Crémone, Lodi, Mantoue, l'avie; Modène, sutfragants Carpi, Guastalla, Massa de Carrare, Reggio; Monreale, suffragants Caltanisetta, Girgenti Naples, suffragants Acerra, Ischia, Noie, Pouzzoles; Orislano, suffragant Aies et Terralba Oirante, suffragants Gallipoli, Lecce, Ugento; Païenne, suffragants Cefalu, Mazzara, Trapani; Pise, suffragants Livourne, Pescia, Pontremoli, Volterre; Ravenne, suffragants Bertinore, Cervia, Cesène, Comacchio, Forli, Rimini, Sarsena; Reggio, suffragants: Bova, Cassanu, Catanzaro, Cotrone, Gerace, Nicastro, Oppido, Squillace, Nicotera et Tropea Salerne, suffragants Acerno, Capaccio Valle, Diano, Marsico Nuovo, Nocera dei Pagani, Xusco, Policastro; Sassari, suffragants Alghero, Ampurias et Tcmpio, Bisarchio, Bosa; S. Severina, suffragant Cariati Sienne, suffragants Chiusi et Pienza, Grosseto, Massa Marittima, Sovana et Pittigliano Syracuse, suffragants: Caltagirone, Noto, Piazza; Sorrente, suffragant Castellamare Tarente, suffragants Castellaneta, Oeta; Turin, suffragants Acqui, Alba, Aoste, Asti, Coni, Fossano, Ivrée, Mondovi, Pignerol, Saluées, Suzù: Trani, Nazareth et Badelta, suffragants Andria, Bisceglia; Urbin
suffragants San Angelo in Vado et Urbinia, Cagli et Pergola, Fossombronc, llontefeltro, Pesaro, Sinigaglia Venise (patriarchat), suffragants Adria, Bellune et Fcltre, Ceneda, Chioggia, Concordia, Padoue, Trévise, Vérone, Vicence; Verceil, suffragants Alexandriede la Paille, Biella, Casai, Novare, Vigevano. L'Eglise catholique romaine est nominalement l'Eglise d'Etat du royaume mais les lois assurent une pleine liberté 1 l'exercice de tous les autres cultes. Les évoques sont nommés par le pape, sur l'avis de la congrégation de la propagande. Mais l'autorisation royale est nécessaire à leur installation, et comme la plupart des prélats refusent de demander cette autorisation, le nombre des sièges vacants est très considérable. A la mort ou à la démission d'un évoque, le clergé élit un vicaire capitulaire qui exerce la juridiction spirituelle du diocèse pendant la vacance. Le temporel de chaque diocèse est administré par un conseil composé de l'évoque, président, et de deux chanoines élus par le chapitre. Les privilèges du clergé, fort considérables naguère, ont été réduits en Piémont en 1850 par la loi Siccardi, qui a été étendue, en 1861, à tout le royaume. Le nombre des prêtres et religieux est très considérable; il résulte d'un rapport présenté en mai 1869 à la Chambre des députés, que le clergé forme plus de 7 pour 1000 de la population. – En 1803, il y avait en Italie (rapport officiel à la Chambre) 2382 maisons religieuses (1506 d'hommes, 876 de femmes) habitées par 28,901 personnes (14,807 hommes, 14,184 femmes). Les ordres mendiants comptaient 8,229 membres. Une loi de 1866 a prononcé la dissolution de toutes les congrégations et la confiscation de leurs biens, en attribuant des pensions leurs membres. L'application de cette loi a suscité au gouvernement des difficultés dont il est loin d'être sorti. – Les protestants italiens, peu nombreux encore, appartiennent à plusieurs dénominations. 1. L'Eglise évangélique vaudoise, la plus ancienne, se compose de deux branches bien distinctes, les anciennes Eglises des vallées vaudoises, et la mission dans tout le reste de l'Italie. A la tête de l'Eglise se trouve la table vaudoise, composée d'un modérateur, d'un vice-modérateur, d'un secrétaire, tous trois ecclésiastiques, et de deux membres laïques et le synode, qui se réunit annuellement. Les vallées forment 17 paroisses, avec 18 pasteurs, 10 pasteurs émérites ou en congé, 196 écoles de jour, 60 écoles du dimanche, 9 professeurs, 12,130 membres, 4.622 élèves des écoles de jour, 2,620 élèves des écoles du dimanche. Les contributions pour divers objets se sont élevées en 1878 (rapport de la table au synode) à 38,836 livres. 66 c. De l'Eglise dépendent un collège, une école normale, une école supérieure de filles, une école latine, trois hôpitaux, etc. Les pasteurs font leurs études à l'école vaudoise de théologie de Florence qui comptait en 1878 3 professeurs et 17 élèves. La mission vaudoise, dirigée par le comité d'évangélisation, avait en 1878, 39 églises, 24 stations, 62 « localités visitées » réparties en 5 districts (Piémont et Ligurie, Lombardie et Vénétie, Toscane, Rome et Naples, Sicile). La mission entretient 32 ministres consacrés, 15 évangélistes, 52 instituteurs et 7 colporteurs. On compte 4,203 assistants
au culte, 2,530 communiants, 393 catéchumènes, 57 écoles de jour avec 1840 élèves, 103 écoles du dimanche avec 1749 élèves. Les membres de l'Eglise vaudoise publient 4 journaux, 1 en français, 3 en italien. 2. L'Eglise chrétienne libre (dei Fratelli) 8 paroisses, 10 pas- teurs, 41 stations. 3. L'Eglise libre italienne 20 paroisses et stations, 10 ministres consacrés, 11 évangélistes, 3 colporteurs, 20-instituteurs, 1,649 communiants, 200 catéchumènes, 1,203 élèves des écoles de jour, 606 élèves des écoles du dimanche. Budget (1877) Recettes, 142,417 liv.; dépenses, 130,4281iv. 4. L'Eglise mélhodisce weslcyenne. District nord 27 églises et stations, 15 ministres consacrés, 2 ministres « à l'épreuve », 2 évangélistes, 11 instituteurs, 2 colporteurs, 1270 assistants au culte, 753 communiants, 63 catéchumènes, 473 élèves des écoles du jour, 510 élèves des écoles du dimanche. District sud 16 églises et stations, 8 ministres, 4 ministres assistants, 4 évangélistes, 523 communiants, 124 catéchumènes, 231 élèves des écoles de jour, 152 élèves des écoles du dimanche. 5. L'Eglise mêihodisle épiscopale 15 églises et stations, 9 évangélistes, 1 colporteur, de 900 à 1,500 assistants au culte, 437 communiants, 215 catéchumènes, 160 élèves des écoles du dimanche. – 6. L'Eglise baptisle 9 églises et stations, 9 ministres, 155 baptisés, 71 catéchumènes, 360 auditeurs (en moyenne), 2 écoles diurnes, 5 écoles du dimanche. -7. L'Eglise chrétienne apostolique (baptistes de lalibre communion): 7 églises et stations, Il ministres et évangélistes; environ 500 personnes placées sous leur influence. 8. Eglises et œuvres d'évangélisation indépendantes. 9. Eglises étrangères diverses Eglise réformée française, 5 postes; Eglise réformée allemande, 6 postes; Eglise libre d'Ecosse, 5 postes; Eglise anglicane, 12 postes, 14 chapelains Eglise presbytérienne américaine, 1 poste Eglise épiscopale américaine, 2 postes. Sociétés principales Agences de la Société biblique britannique et étrangère et de la Société des Traités religieux de Londres, Société biblique italienne fondée à Rome en 1873, etc. Bibliographie La Gerarchia caltolica e la famiglia poniificia (10 août 1878, 2e éd.); Vade Mecum ad uso dei pastori e minislri delle Chiese evangeliche d'Ilalia, 1869 Martin, The Statesman's Yearbook, 1879, Correnti c Maestri, Annuario Stalistico Ilaliano, 1878; S. Muzzi, Vocabolario geografico slorico-statistico dell'Italia, 1873-1874, etc. E. Vaucher.
ITURÉEj'lToupocHï, district au N.-E. de la Palestine qui faisait partie de la tétrarchie du roi Philippe (Luc III, 1). C'était un pays de montagnes, situé dans le voisinage de la Trachonite, de la Batanic et de l'Auran. Ses habitants, disséminés dans les gorges et dans les cavernes de ce pays sauvage, vivaient de brigandage; favorisés par la nature du terrain, ils pillaient les caravanes qui se rendaient à Damas. Ils avaient la réputation d'être les meilleurs tireurs d'arc. Environ cent ans avant Jésus-Christ, le roi Aristobule conquit la plus grande partie de l'Iturée et l'annexa à la Judée; il força les habitants à se circoncire. Pompée les soumit à son tour, mais. leur laissa leurs princes indigènes. Sous l'empereur Claude, l'Iturée fut réunie à la
province de Syrie. Voyez Strabon, 16, 733 ss.; Pline, a, 19 Ptolémée, 16, 753; Virgile, Géorgiques, II, -4i8; Lucain, VII, 230,514; Josèphe, Aniiq., 13, Il. 3; Tacite, Annales, 12, 23; Miinter, De rébus llitrxorum, Havn., 1824; Rcland, Palxslina, 105.
IZEDS, génies bienfaisants dans la religion de Zoroastre. Voyez Perse.
J
JABEL flàbâl; °Iw6^X], fils de Lamech et d'Ada fut, d'après Gen. IV, 20, l'ancêtre « de ceux qui vivent sous des tentes. » JABÈS [Iàbès; 'MsXç ou 'I«6î?; chez Josèphe {A ni., 6, 14.8) 'laêwsoç], ville de la demi-tribu de Manassé située au delà du Jourdain, au pied des montagnes deGalaad (Juges XXI, 8. 10; 1 Sam. XI, .1. 3; 2 Sam. II, 4; XXI, 12), près d'une rivière qui s'appelle encore maintenant Wadi Jabes (Burckhardt, lleise, 451) et se jette dans le Jourdain près de Baisan (Bethsan ou Scythopolis). Jabès fut saccagée par les Israélites, parce qu'elle n'avait pas voulu joindre ses armes aux leurs dans la guerre qu'ils firent aux Benjamites, en punition de l'outrage fait à la femme du lévite dans la ville de Gabaa. JABIN [Iâbin], nom de deux rois d'Asor, dans la partie septentrionale de Canaan, dont le premier fut vaincu et tué par Josué, près du lac Méroni (Jos. XI), et dont le second opprima les Israélites pendant vingt ans, jusqu'à ce que Dieu, touché de leurs pleurs, suscita la prophétesse Débora et le schophet Barach qui vainquit Sisara, général des troupes de Jabin, au pied du mont Carmel (Juges IV, 2 ss.; cf. Ps. LXXXIII, 10).
JABLONSKI (Daniel-Ernest), orientaliste distingué, né à Dantzig en 1660, mort à Berlin l'an 1741. Son père, évoque des frères moraves, était originaire de Jablunka en Silésie et avait pris ce nom lorsque, fuyant les persécutions, il avait trouvé un asile en Prusse. Du côté maternel, Jablonski descendait du célèbre Amos Comenius. Après avoir fait ses études à l'université de Francfort-sur-l'Oder et visité les écoles savantes de la Hollande et de l'Angleterre, il devint successivement pasteur de l'Eglise réformée de Magdebourg, recteur dit gymnase de Lissa, prédicateur de la cour à Kœnigsberg et à Berlin, conseiller du consistoire et président de l'Académie royale de Berlin. On lui doit 1° une édition de la Bible hébraïque, publiée.sous le titre de Biblia liebraïa punclis, vocalibus et accentibus juxla Masoretharum leges debite instrucla; subjungilur Jo. Leusdenii catalogus 2294 sdeclorumversiuimquibusomncsvoc.es V. T. conlinenlur, Berol., 1099; 2" une édition du Talmud, Berl., 1713-1721 3° plusieurs-volumes de
Sermons chrétiens, Berl., 1716 ss.; i" Historia consensus Sandomiriensis inter evangelicos regni Polonix et Liilmnix, in synodo générait evangelicorum utriusque parlis, Berl., 1731; 5° une traduction latine des huit Discours de Rich. Bentley contre l'athéisme, du Traité de Jos. Woodward sur les sociétés pieuses de Londres et de celui de Burnet sur la prédestination et la grâce. Jablonski a été activement mêlé aux essais infructueux d'unir les luthériens et les réformés auxquels Leibnitz et plusieurs théologiens émiiiciils s'intéressaient. Son fils, Paul-Ernest (1G93-1757), professeur do philosophie et de théologie à l'université de Francfort-sur-l'Oder, se consacra spécialement à l'étude de la langue copte. Il publia un grand nombre d'ouvrages, parmi lesquels nous relèverons 1° Exercitatio hislorico-theologica de Nestorianisrno, etc., Berl., 1724; trad. alleni., Magdeb., 17o2; 2° Remphan, /Egyptiorum Deus, ab hraelitis in deserlo eufto, Francf.-sur-1'O., 1731 3° Dissevlatio cxeg.-hislor. de Sinapi parabolico, 1730; 4° De ullimis Pauli apostoli labonbus a beato Luca prxlermissis, Berl.. 1716; 5° Panthéon xgyptianum, 1750-52, 3 vol., excellent traité sur la religion des Egyptiens; 6" Instituliones hisiorix chrisUanx, 176(i ss.; 7° Opuscula quibus lingua et antiquilas JEqijptiorum diffteilia sacrorum librorum loca et hisl r.ccles. capita illuslrnnlur, Leyde, 1804-16, 3 vol. JABOK [labok; .'la&âjr; chez Josèphe [Ant., 4, 5. 3) 'lâêax/oç], rivière ou torrent situé au delà du Jourdain, et qui a sa source dans les montagnes de Galaad. Il servait de limite entre les Ammonites et les Hébreux, et se jette dans le Jourdain en face de Sichem. Il s'appelle aujourd'hui Serka, le bleu. Son lit est profondément encaissé et ses bords couverts de roseaux. C'est sur le Jabok que la légende place la rencontre de Jacob et de l'ange qui lutta contre lui (Gen. XXXII. 1 ss.; cf. Nombr. XXI, 2i; Jos. XII, 2; Juges XI, 13).
JACHIN, nom [donné à l'une des deux colonnes qui se trouvaient des deux côtés du vestibule du temple de Salomon. L'autre colonne s'appelait Booz (voyez ce mot).
JACOB [lakob, 'iaxwê], second fils d'Isaac, patriarche comblé de louanges par les Israélites (Ex. XIX, 3; Ps. XXII, 24; CV, 6; Es.XLY, 10; Ez. XX, 5; 1 Mach. V,2). Sa mère Rébecca l'aida à tromper son père pour lui arracher la bénédiction promise à Esaii (Gen. XXYI), alors que déjà il avait acheté à celui-ci sondroitd'aînessepour unplat de lentilles (Gen. XXV, 29 ss.). Jacob, pour échapper à la vengeance de son frère, s'enfuit en Mésopotamie, auprès de son parent Laban (Gen. XXVII, 43-XXIX), obtint, a la suite d'un service de quatorze années la main de ses deux filles Lia et Hachel, et se rendit par ruse propriétaire d'une partie considérable des troupeaux de son beau-père (Gen. XXX, 32 ss.). Il retourna dans le pays de Canaan, se réconcilia en route avec Esaii [Gen. XXXIII), mena une vie nomade dans les pâturages de la Palestine, et se rendit, dans sa vieillesse, en Egypte sur la prière de son fils Joseph, grand vizir du pharaon régnant (Gen. XLV, 9.16 XLVI, 31 ss.). Jacob mourut dans la terre de Gosen (voyez ce mot) à l'âge de cent quarante-sept ans (Gen. XLIX). Lia lui avait donné six fils (Huben, SLméon, Lévi, Juda, Issachar et
Zabulon); de Rachel il en avait eu deux (Joseph et Benjamin), de sa concubine Bilha deux (Dan et Nephtali) et de sa concubine Silpa également deux (Gad et Asser). De plus, Lia l'avait rendu père d'une fille appelée Dina (Gen. XXX, 21). C'est en vain que l'on a cherché à défendre le caractère moral du patriarche Jacob par des raisons théocratiques; tout au plus pourrait-on essayer de soutenir avec Herder (Geist der hebr. Poésie, I, 204) et avec Niemeyer (Charakter., II, 260 ss.) qu'il s'est corrigé dans la suite de ses défauts, qui étaient la défiance, la ruse, l'intérêt personnel. Il sera question des visions de Jacob et de sa lutte avec un inconnu (Jéhova) sur le chemin de Mésopotamie en Palestine (Gen. XXXII, 24 ss.), qui lui valut le surnom d'Israël (Gen. XXXV, 9 ss.), le combattant avec Dieu, à l'article Théophanie.
JACOB (Louis), de l'ordre des carmes, né à Chalon-sur-Saône en 1608, mort l'an 1070, fut conseiller et aumônier du roi. En prenant l'habit religieux, il changea son nom de famille Jacob en celui de Louis de Saint-Charles. On lui doit un grand nombre d'écrits, mais son érudition manque de profondeur et de sens critique. Nous citerons parmi eux 1° Bibliotheca ponli/icia, duobus libris distincla, Lyon, 1G43, in-4"; 2° Elogium venerabilis sororis Joannx de Cambri, Tomacensis monialis S. Auguslini, Paris, 164 'i 3° Bibliotheca parisina, etc., 1645; 4° Bibliographia cjallica universalis, etc., 1646; 5° De claris scriptoribus Cabilortensibus libri 1res, 1052 6° Calulogus abbatum et abbatissarum Benediclionis Dei, ordinis Cislerciensis, diœcesis Lxigdixnensis 7" Catalogus abbatum Caroli Loci, ordinis Cislerciensis in diœcesi Silvaneciensi ces deux derniers ouvrages ont été insérés dans le Gallia christiana, IV. -Voyez le P. Cosme de Saint-Etienne, Mémoire- sur le P. Louis de Sainl-Charles Nicéron, Mémoires, XL, p. 81 ss., etc. JACOBI (Henri-Frédéric) naquit à Dusseldorf en 1743. Pendant son apprentissage de commerce à Genève, il se prit d'une vive admiration pour les écrits de J.-J. Rousseau. Aussi, tout en dirigeant une maison de commerce considérable et en exerçant les fonctions de conseiller des finances pour les duchés de Berg et de Julicrs, il suivit avec intérêt le mouvement philosophique et littéraire de l'Allemagne, et sa maison de campagne de Pempelfort était devenue un lieu de réunion pour les esprits les plus distingués. Deux romans, Woldemar, 1779, et la Correspondance d'Allwill, 1781; des Lettres à Mendelssohn sur la philosophie de Spinoza, 1783; un dialogue, D. Hume ou l'Idéalisme el le Rén,lisme, 1787, et quelques écrits polémiques contre la philosophie de Kant et de Fichte le firent nommer membre de l'Académie des sciences de Munich, 1804, et président de cette compagnie, 1807; il mourut en 1819. En 1811 il avait publié son écrit principal, le livre Sur les choses divines (Von den giilll. Dingen), oit il combattait la doctrine de Schelling, et en 1812 il donna une édition complète de ses œuvres, en six volumes, dont le deuxième renferme un exposé général de ses idées, fort précieux, nécessaire même; car Jacobi était plutôt un ami de la philosophie qu'un philosophe de profession, et il avait plutôt indiqué sa pensée sur divers sujets que traité d'une ma-
nière didactique une branche quelconque de la science. Il voulait même réagir contre la philosophie de l'école, telle qu'elle était alors représentée par Kant, Fichte et Schelling, et soustraire à la discussion les convictions les plus chères à l'humanité. Il serait insensé de prétendre tout prouver, car une preuve doit s'appuyer sur quelque vérité déjà certaine; il faut donc à notre science un point de départ, une connaissance première, incontestable et indémontrable, connaissance obtenue par une expérience personnelle, par une intuition immédiate, par une impression que reçoit notre sentiment. Contester la vérité de notre sensibilité, c'est nous condamner à ce nihilisme auquel la Critique de fa raison pure nous fait savamment aboutir. Or, de même que nos cinq sens correspondent aux réalités du monde visible, de même un sens intime nous met en rapport avec les réalités du monde invisible ce sens intime, c'est la raison (Vernunfi) ce qu'elle atteste de Dieu, de la liberté, de la vertu, est aussi certain que le témoignage des sens au sujet des objets physiques. Le rôle ultérieur de l'entendement (Verstand) est d'élaborer, de transformer en notions ces cleux sortes de données premières et de chercher à les relier entre elles. Toutefois ces deux domaines du naturel et du surnaturel, de la nécessité et de la liberté, sont radicalement distincts; il n'y a pas d'association à établir entre les sciences et la foi; nous ne pourrions nous élever du fini, du passager, à ce qui est vraiment éternel et infini; la nature nous cache Dieu en nous offrant partout le spectacle d'un enchaînement fatal, tandis que l'homme révèle Dieu, quand par sa vie spirituelle il s'élève au-dessus de la nature. Cette vie spirituelle est essentiellement liberté, c'est-à-dire capacité de vouloir le bien; la raison est surtout raison pratique. Notre liberté est'progressive, aspirant à dominer la nature, n'y parvenant pas encore mais elle a son point d'appui en une liberté absolue, en Dieu, qui s'atteste, s'affirme directement en notre esprit. Dieu vit en nous. Avoir une raison et savoir que Dieu est, c'est un même fait. Puisque Dieu nous a conçus à son image, nous le concevons à notre ressemblance tel que je me pense, tel je le pense. Si nous n'avions pas ce sentiment immédiat de Dieu, aucun enseignement ne pourrait éveiller en nous l'idée de Dieu. De même le beau se révèle à moi par l'admiration qu'il m'inspire; le bon par le respect qu'il provoque. Mon immortalité n'est pas non plus l'objet d'une démonstration dès maintenant nous nous sentons impérissables. Les arguments, l'analyse et la dialectique ne peuvent qu'ébranler ces données immédiates de la vie spirituelle. -On a objecté, avec beaucoup de raison, à cette doctrine que, tout en combattant l'idéalisme de Kant, elle n'en diffère pas au fond; car les données premières de Jacobi sont à peu près identiques aux postulats de La liaison pratique. On a de plus reproché à l'auteur le vague dans lequel il a laissé les termes fondamentaux (Uemtiili,i'ernunlï, Glaube, etc.), et le manque d'une étude approfnndie des puissances de l'âme. Mais la critique la plus forte, c'est Jacobi lui même qui, à son insu, l'a fournie lié avec de pieux chrétiens, tels que Claudius, il regrettait de ne pouvoir s'associer à leur
vie religieuse, s'écriant « De cœur je suis un chrétien, mais d'esprit un païen. » L'expression était paradoxal, mais elle traduisait d'une manière saisissante l'inconvénient qu'offre le dualisme de la foi et de la science. Jacobi n'était-il pas obligé d'avouer que, si nous savons que Dieu est, cependant nous ne savons qui il est? Dès lors, que deviennent cette foi et cette religion qu'on prétendait préserver des investigations de la pensée? – Voyez, outre les histoires de la philosophie moderne F. Harms, Ueber die Lehre von Jacobi, mémoire lu à l'Académie de Berlin, 187G; 0. Pflciderer, Jacobi, dans les Jahrb. f. proi. Iheologie, 1876, IV. A. Matteii. JACOBINS. On appelait ainsi, en France, les religieux et les religieuses de l'ordre de Saint-Dominique, parce que le premier couvent qu'ils eurent à Paris, près de la porte Saint-Jacques, était devenu un hôpital des pèlerins de Saint-Jacques, lorsqu'à la prière du pape Honorius III il leur fut donné, en 1218, par le docteur Jean, doyen deSaint-Quentin, et par l'université de Paris (voyez Dominicains). JACOBITES. Voyez Monophysiiwne.
JACOPONE. Jacopo Benedetti de Todi, en Ombrie, docteur en droit et avocat fort connu dans sa ville natale, y perdit sa jeune femme en 12G8, d'une manière tragique. Une estrade élevée pour une fête publique s'écroula, et la femme de Jacopo, avec plusieurs autres matrones, fut écrasée sous les madriers. Lorsqu'il put l'en retirer et la dépouiller, il trouva sur sa poitrine un ciliée cruel. Saisi par cette mort et à la vue de cet instrument de supplice, d'une douleur profonde et du sentiment de la vanité des choses d'ici-bas, .il vendit tous ses biens, les distribua aux pauvres et, poussé par une étrange folie, se mit à parcourir les rues et les églises de Todi, poursuivi par les gamins qui l'appelaient Jacopone. Déjà affilié alors au tiers-ordre de Saint-François, ce n'est qu'en 1278 qu'il fut reçu comme frère, après avoir prouvé dans deux poésies, l'une en latin, l'autre en langue vulgaire, qu'il était tout à fait dans son bon sens. Il étudia dès lors, pendant plusieurs années, les Ecritures et la théologie scolastique, mais ne pouvant y trouver la paix, il se fit passer comme ignorant, dépourvu de sens, « fou de la folie de la croix. » Il parcourait les campagnes, commettant mille extravagances, prêchant en langue vulgaire et pleurant parce que, disait-il, « l'amour n'est pas aimé. » Dans ses laude ou canlici il attaquait les mœurs du clergé et fut pour cela considéré comme un des fondateurs des [raliceUi. Le mépris de soi-même comme source de l'amour de Dieu et des hommes, l'amour du Christ, ses souffrances, son avilissement pris comme exemples, voilà le sujet de la plupart de ses laude. Les unes sont remarquables. malgré la grossièreté du langage, par la pureté de la doctrine et l'analyse du cœur humain, surtout pour ce qui concerne « la guerre cruelle » des deux hommes que nous sentons en nous (voyez Gant., 3, 12, 20, 23, 24, 27, 43); les autres sont simplement ridicules (c. -48) comme celle où il implore toutes les maladies dont M. Purgon menaçait le malade imaginaire. Ayant eu une grande part dans la lutte entre les franciscains conventuels et les franciscains spirituels
sous le court pontificat de Célestin V (1295), il entra, comme spirituel, dans la conjuration des cardinaux Colonna contre Boniface VIII. et fut avec eux excommunié et pris au siège de Palestrina. 11 avait adressé au pape une satire, qui ne se trouve pas dans la plupart des éditions de ses cantici, et qui commence 0 papa Boni fado, quant o liai giocalo al mondo. Emprisonné par le pape, il lui demanda souvent en vain non la liberté, mais l'absolution, et ne fut délivré qu'après la prise d'Anagni et les violences de Sciârra Colonna (1303). Il mourut en 1306 dans le couvent de Collazone, faisant cette confession de foi (le symbole apostolique), la première en langue vulgaire, et en vers Io credo in Dio Padre Onnipotenie Et tre ̃persone in un essersolo – • E che fe l'universo di niente Et credo in Jcsu Cristo suo ftjliuolo Et nalo di Maria et cnœifisso – Mono et sepolio con tormento e duolo. Béatifié par la tradition populaire plutôt que par l'Eglise, Jacopone est un des plus célèbres précurseurs du Dante. 11 est immortel comme autour du Stabat Mater dolorosa et d'un autre Stabat moins connu: Stabat Maler speciosa juxta fœnum gaudiosa – Dumjucebai parvulus. Sources Le Lait de del b. fraie Jacopone dcl sacro ordine de' frnti minori de Observ. stampale ne lia mngnifica cilla di Eressa per Bernardino de' Misunli di Paira, 1495; cette édition n'est citée ni par Waddingus ni parA.-F. Ozanam; les mêmes, Scoriggio-Napoli, 1615; Waddingus, Annales ord. minorum, V, Romae, 1733; A.-F. Ozanam, Les pviites franciscains en Iialic au treizième siècle, Paris, 1852; Opus ou liber conformitaiumviix B. Franchci ad vilain D. N. J. C., Mediolani, 1513; L. Tosti Cassinese, Storia di Eonifacio VIII e dei suoi lempi, 2 vol., Jlilano, 1S-48. Il y a quelques erreurs dans la notice de Villemain sur Jacopone, Cours de lilt. en franc, moyen-âge, treizième leçon. P. Long.
JACQUEMONT (François), prêtre, né en '1757 à Boën, dans le diocèse de Lyon, mort à Saint-Etienne l'an 1833, fut élevé dans les principes du jansénisme. Lors de la révolution de 1789, Jacquemont prêta le serment, mais il ne tarda pas à le rétracter et il resta caché dans les montagnes du Lyonnais et du Forez, encourageant les prêtres et les fidèles de son parti. Il refusa en 1802 de signer le formulaire qui lui fut présenté par 5F. de Mérinville, évoque de Chambéry, chargé de réorganiser le diocèse de Lyon. Il se tint coi sous l'empire, mais, à partir de 181 il rompit le silence en publiant plusieurs ouvrages qui sont d'éloquents plaidoyers en faveur du jansénisme tels que les Maximes de l'FJglue gallicane victorieuse des attaques des modernes uhramonlains,par un curé de campagne, Lyon, 1818. Parmi ses écrits antérieurs nous signalerons Instruction sur les avantages et les vérités de la religion chrétienne, 1795, et Avis aux fidèles sur la conduite qu'ils doivent tenir dans les disputes qui affligent VEglise, 1796. JACQUES. Dans le cercle des premiers chrétiens et dans l'histoire de l'Eglise apostolique, se rencontrent plusieurs personnages de ce nom qu'il n'est pas facile de bien distinguer. Certains critiques les réduisent à deux; d'autres en comptent trois; d'autres, quatre. On ne peut arriver à une solution vraisemblable, sinon certaine, qu'en
procédant par ordre et en partant des textes les plus autorisés. Le Nouveau Testament connaît en tout état de cause et sans discussion possible, deux Jacques dont la figure est en pleine lumière: 1° Jacques, fils de Zébédée, apôtre et frère de Jean (Matth. IV, 21 Actes XII, 2) 2° Jacques, frère du Seigneur (Gal. I, 19; II, 8, 12), qui fut le chef de la communauté chrétienne de Jérusalem avant la ruine de cette ville en l'an 70. A ces deux vient s'en ajouter un troisième, Jacques, fils d'Alphée, dont le nom figure dans les quatre listes des douze apôtres (Matth. X, 3; Marc III, :18; Luc VI, 12; Actes I, 13) et à propos duquel on s'est demandé s'il doit être ou non identifié avec Jacques le frère du Seigneur. Mais ce n'est pas tout. Dans Marc XV, 40, il est question d'un Jacques surnommé le Petit, & [Awpbç, fils d'une femme nommée Marie, qui est la même sans doute que cette Marie, désignée par Jean (XIX, -45) comme sœur de la mère de Jésus et femme de Klopas. Ce Jacques le Petit aurait été alors un cousin de Jésus. Habituellement on a identifié ce quatrième avec le précédent en identifiant Klopas avec Alphée, deux noms qui paraissent en effet très voisins, rapprochés surtout du nom hébreu d'Alphée, Khalipaï. Nous mêmes avons admis déjà cette identification (voyez art. Alphée). Il est vrai qu'on objecte que Klopas n'est pas un nom hébreu, ni une transcription grecque d'un mot hébreu, mais une contraction d'un nom grec bien connu, Ktéopatre. En distinguant ainsi Alphée et Klopas, on est amené à admettre quatre Jacques dans l'histoire apostolique 1° Jacques, fils de Zébédée Jacques, fils de Joseph, frère du Seigneur; Jacques, fils d'Alphée, apôtre, et Jacques, fils de Klopas et de Marie et cousin germain par sa mère de Jésus (voyez Renan, Les Evangiles, p. 458). Nous persistons à croire cependant que les deux derniers ne sont qu'un seul et même personnage. Dùt-on renoncer à prendre Klopas pour une transcription grecque de Khalipaï, Alphéc, il est toujours permis et vraisemblable d'admettre que, vu la coutume des Juifs de époque de se donner deux noms, un hébreu et un grec, de mêmeconsonnance (Saulos, Paulos), Klopas fut le nom grec porté par Alphée. Dès lors, les quatre Jacques distingués plus haut se réduisent à trois. Mais n'est-il pas possible de faire la même opération d'identification entre Jacques, fils d'Alphée, et Jacques, le frère du Seigneur, et de réduire encore ce nombre de trois? Bien que ces deux derniers personnages paraissent en effet tout autrement distincts que les précédents, voici quelques difficultés qu'il n'est pas aisé de résoudre 1" Après la mort de Jacques, fils de Zébédée (Act. XII, 2), le livre des Actes ne disant rien de Jacques, fils d'Alphéo, l'apôtre du même nom, et parlant du rôle de Jacques le chef de la communauté de Jérusalem (Act. XV), semble les identitifier aux yeux de ses lecteurs qu'il aurait eu le tort de ne pas prévenir dans la supposition contraire; 2" Clément d'Alexandrie (d'après Eusèbe, JI. £., II, 1) regardait Jacques le Juste, le frère du Seigneur, comme un des douze apôtres, et ne distinguait que deux Jacques, un précipité du faîte du temple, l'autre décapité 3° en maintenant distincts ces deux Jacques, on arrive à constituer deux familles
parentes, celle de Joseph et celle de Klopas, qui auraient été beaufrères d'une façon bien surprenante et où l'identité des noms aurait été de règle. Non seulement les deux femmes de Joseph et de Klopas, les deux soeurs, auraient porté le même nom de Marie, mais encore dans les deux maisons il y aurait eu quatre enfants du même nom Jacques, Jose ou Joseph, Juda et Simon (cf. Marc VI, 3, etMatth. XIII, 55, avec Marc XIV, 40 et les données d'Hégésippe et d'Eusèbe sur la famille de Klopas, H. E., III). Les deux premières raisons Isont les moins fortes et peuvent facilement être écartées. La troisième difficulté est inextricable si l'on admet l'historicité parfaite de tous les textes avec lesquels on reconstruit ainsi les deux familles parallèles de Joseph et de Klopas. Mais tous ces textes ont-ils la même valeur et ne faut-il pas en tenir un grand nombre en suspicion ? Dès lors, la conclusion qu'on en tire peut-elle prévaloir contre d'autres affirmations qui paraissent bien autrement documentées? Or il en est deux qui sont décisives d'abord, celle de Paul, qui considère bien Jacques le chef de l'Eglise de Jérusalem comme le frère de Jésus et, malgré Gai'. I, 19, le distingue nettement des Douze. En second lieu, la plus ancienne tradition évangélique est unanime sur ce point que, durant la vie terrestre du Seigneur, aucun de ses frères ne crut en lui. Cela ressort très nettement, non seulement de Jean VII, 5, mais aussi de la scène racontée par Marc 111, 21-34. Or, à ce moment, Jésus avait choisi ses douze apôtres et l'évangéliste certainement ne compte point parmi eux un frère de Jésus. Donc Jacques, fils d'Alphée et Jacques frère de Jésus sont distincts. Ajoutons qu'ils sont encore distincts d'après Actes 1, 12-14, où les frères du Seigneur devenus croyants, sont mentionnés après les Douze. Enfin la première tradition apostolique représentée par Hégésippe à toujours distingué nettement entre les frères et les cousins de Jésus. Nous concluons donc à l'existence de trois Jacques. Mais comme Jacques, fils d'Alphée, n'a laissé absolument aucune trace dans l'histoire, celle-ci en définitive n'a à s'occuper que de deux, du fils de Zébédée et du frère du Seigneur. I. JACQUES, FILS DE Zébéfiée, riche pêcheur des bords du lac de Galilée et de Salomé, l'une des femmes qui soutenaient Jésus de leurs subsides, frère de Jean, auquel il reste toujours associé dans les Evangiles synoptiques. Son seul titre de gloire particulier est d'avoir mérité le premier parmi les Douze la couronne du martyre. Il fut mis à mort l'an Ai, sur l'ordre d'Hérode Agrippa, qui cherchait à gagner ainsi les bonnes grâces des Juifs (Act. XII, 2-3). Dans la première tradition ecclésiastique, son souvenir s'efface, éclipsé par la gloire de son frère Jean. Plus tard, quand les diverses Eglises nationales, pour se donner une origine apostolique, se choisirent un patron parmi les Douze, l'Eglise d'Espagne réclama Jacques, fils de Zébédée, pour le sien. Une légende qui ne remonte pas au delà du sixième siècle, racontait que Jacques était venu, avant son martyre, prêcher l'Evangile dans la péninsule ibérique. On en doutait si peu durant la longue lutte contre les Sarrasins que les chevaliers espagnols affirmaient l'avoir souvent vu apparaître tout
armé dans les combats et mettre en déroute les infidèles. Peu à peu se forma la croyance, malgré Actes XII, 2, que San Yago devait avoir son tombeau caché quelque part en Espagne. En 829, on le découvrit près de la ville d'Iria en Gallicie. Sur un monticule du voisinage, on apercevait la nuit des feux mystérieux qui semblaient sortir de terre. Ayant fait creuser à l'endroit indiqué, l'évêquc Theodomir y trouva un squelette qui fut démontré de saint Jacques par de nombreux miracles. Le roi de Castille, Alphonse le Sage, fit bâtir à l'endroit même une splendide cathédrale et, dès ce moment, le pèlerinage à San-Yago di Compostella fut le plus célèbre après celui de Rome dans toute la chrétienté (voyez Acla sanclorum, mois de juillet, eLM'tlaft-ied Strabo, l'oe ma de XII ap.), – II. JACQUES le Juste, frère du Seigneur. Ce frère de Jésus devait être l'aîné de la famille, car il est toujours nommé le premier (Marc VI, Setparall.). Si même l'indication de la tradition patristique devait être admise, il serait mort en 62 ou 03 Agé de 90 ans. ce qui lui donnerait 34 ans de plus qu'à Jésus. On peut réduire ces chiffres, si l'on veut; il n'en reste pas moins très vraisemblable qu'il était le fils aîné de Joseph, probablement issu d'un premier mariage, ce qui fit de lui le représentant de la famille après la mort de Joseph et ce qui explique l'espèce de tutelle et de surveillance qu'il exerce sur Jésus, son plus jeune frère, dont les premières prétentions lui parurent des actes de folie (Marc III, 21 combiné avec Marc VI, 5). Non seulement Jacques ne crut pas à la vocation messianique de son frère pendant la vie terrestre de celui-ci, mais encore il semble avoir eu toujours un genre de piété et un esprit religieux au fond différent et indépendant de celui de Jésus. Saconversion, après la résurrection, consista uniquementàreconnaître et à attendre, dans le Ressuscité, le Messie glorieux des pharisiens. Mais il serait difficile de signaler chez lui, même en admettant que notre épître de Jacques lui appartienne, une seule doctrine spécifiquement chrétienne. Sans Jésus, Jacques le Juste aurait toujours été ce qu'il a étc^et aurait mérité la mention qu'en a faite Josèphe (An! XX, 9.1) comme d'une illustration singulière et importante des derniers temps du judaïsme. Non moins que sa parenté avec Jésus, cette importance personnelle explique l'influence dominante qu'il prit à Jérusalem après la mort de son frère. Il avait eu une vision particulière du Seigneur ressuscité (1 Cor. XX, 7), ce qui probablement l'avait fait entrer dans le cercle des disciples. Il y prit bientôt la première place. Dans son épître aux Galates, Panl le nomme avant Pierre lui-même parmi les trois « colonnes de l'Eglise » (Gal. II, 7). Il présidait la conférence de Jérusalem où il fit prévaloir son avis. Défenseur rigoureux do la loi et de tous les privilèges juifs, aussi fidèle au temple qu'à la synagogue chrétienne, il n'était guère moins populaire parmi les juifs que parmi les disciples de Jésus. Pierre et Barnabas semblent obéir à ses ordres à Antioche (Gal. II, 12 ss.). Paul lui-même se montre docile à ses directions (Actes XXI, 18). 11 avait reçu le surnom de Juste d'après Josèphe et celui d'obliam d'après Hégésippe, qui semble vouloir dire « colonne du peuple »
(cf. le mot de Paul, Gal. II, 7 o-ctloi). Peu après le départ do Paul pour Rome, il mourut martyr à Jérusalem. La famille sacerdotale de Hannah qui était déjà chargée du meurtre de Jésus, profita de l'interrègne qui sépara la mort de ?estus de l'arrivée en Syrie de son successeur Albinus, pour faire exécuter celui qui était le chef populaire de la secte des Nazaréens. Jacques fut en effet lapidé près du temple. Comme on avait peine à l'achever, un foulon lui cassa la tête avec la barre qui lui servait à apprêter les étoffes (voyez Josèphe, Anl., XX, 9, 1; Hégésippe dans Eusèbe, II. E., II, 23 et IV, 22). Ce qui confirme bien le caractère rigoureusement juif de la piété de Jacques le Juste, c'est que les pharisiens de Jérusalem déplorèrent sa mort autant que les chrétiens. Ils firent plus, ils dénoncèrent le grand prêtre Hannah auprès d'Albinus et d'Agrippa, l'accusèrent de violence illégale et d'usurpation de pouvoir et finirent par le faire destituer. La légende judéo-chrétienne devait s'emparer bientôt d'un tel personnage et en accuser plus fortement encore le trait caractéristique. Hégésippe, vers le milieu du second siècle, nous le présente comme un idéal de l'ascétisme ébionite fortement teinté d'essénisme. « Il était, nous dit-il, saint dès le ventre de sa mère; il ne but jamais ni vin ni liqueur fermentée et ne mangea durant toute sa vie que des légumes. Jamais le rasoir ne passa sur sa tête, il ne s'oignait point d'huile et ne se baignait jamais. A lui seul, il était permis d'entrer dans le lieu saint; il était vêtu de lin. On le rencontrait seul dans le temple, à genoux, priant Dieu pour les péchés du peuple. Il restait si longtemps à genoux priant Dieu pour le salut des siens, que ses genoux étaient devenus calleux et bossus comme ceux des chameaux. Sa sainteté extraordinaire l'avait fait nommer le Juste et Obliam, rempart du peuple (Eus., H. E., II, 23). Ce tableau, inspiré par des préoccupations ascétiques et sacerdotales, est évidemment. légendaire. Il en faut dire autant de l'image que nous présente la littérature pseudo-clémentine, et des autres traditions recueillies par Epiphane (Adv. hxr., XXX, 16), par les autres pèrcs ainsi que par les nombreux apocryphes mis sous le nom de Jacques AiotixapTupi'a 'Iaxwëou, âvaëaOjjioî 'Iaxioêou, Protévangile dd Jacques, etc. Dans le Nouveau Testament, nous avons une épître de Jacques. Voir l'article suivant. A. Sabatier. JACQUES (Epîtrc de). Cette lettre, qui se présente en tête des épîtres catholiques, a eu la plus singulière fortune et présente encore aujourd'hui à la critique une énigme impénétrable. Date et lieu d'origine, nom de l'auteur, son attitude vis-à-vis de saint Paul, le but de la lettre, le cercle des lecteurs auquel elle est adressée, son droit à la canonicité tout autant de questions sur lesquelles la discussion est toujours ouverte et dont on a donné dans tous les temps les solutions les plus variées. Dans la première antiquité chrétienne, il est déjà surprenant que ni Papias, ni Justin Martyr, ni Hégésippe ne semblent l'avoir connue. C'est à Rome qu'on en trouve les premières traces. Clément Romain paraît l'avoir lue (1 lîp. ad Cor.,c, X: cf. avec Jacques II, 22. 23). Il y a peut-être une allusion dans Hermas
{Mand., XII, 5; cf. Jac. IV, 7). Tertullien ne la connaît pas. Elle manque dans le canon dit de Muratori il est douteux qu'Irénée s'en soit servi. Clément d'Alexandrie est le premier auteur ecclésiastique qui l'ait admise; il la'commentait, semble-t-il, dans ses Hypolyposes (Euseb., H. E., VI, 14 et Cassiodore, Insiitutio cliv. Script., c. VIII). Mais Origène ne la mentionne qu'avec des scrupules, comme une lettre circulant dans les églises de son temps sous le nom de Jacques (•?! <psfô;j.Ew, 'IaxojÊou imaToXv]; Comment, in Joan., IV, p. 136). Aux yeux d'Eusèbe, elle reste suspecte (H. E., II, 23. 24. 25). Théodore de Mopsueste, Kosmas Indicopleuste l'ont repoussée. Enfin voici le jugement de Jérôme qui jamais ne s'est montré plus hardi. Jacobus, qui appellatur fraler Domini, unam tantum scripsit epistolam qux de seplem calhollcis est, qux et ipsa ab alio quodam sub nomine ejus edita asserùur, licet paulatim tcmpore procedente oblinueril auctoritatem (Vir. ill., II). On sait comment Luther, par des raisons dogmatiques, traitait cette épître de Jacques qu'il appelait une « épître de paille. » Il faut reconnaître que la critique moderne en général lui a été plus favorable que l'ancienne Eglise ou l'époque de la Réforme. Si la question d'authenticité reste aussi obscure que jamais, les théologiens de notre temps, libres de toute prévention dogmatique, ont su comprendre le genre de piété que représente notre épître, justifier sa place à côté des lettres de Paul, et mettre en lumière la valeur d'un écrit qui, dans toute supposition, demeure un joyau rare dans la littérature apostolique. Rien de plus simple, nous dirions volontiers de plus primitif, que le type doctrinal ou la conception chrétienne que nous offre cette épître. L'Evangile y est présenté comme l'accomplissement de la loi, mais de la loi morale sans aucun souci des rites mosaïques. Cette loi morale (et c'est ici qu'est le trait spécifiquement chrétien de cette conception) est considérée comme la parole de Dieu implantée dans le cœur de l'homme (Xo^ov I[açutov I, 21) qui, étant intérieure, devient en même temps une loi de liberté (vo'^oç IXEuôcpiocç, Il, 12). Cet intérêt purement moral et pratique est partout dominant. Ce ne sont point des idées qu'il discute, ce sont des vices qu'il combat, comme l'avarice, l'orgueil, l'amour du monde. Ce sont les vertus effectives et non la croyance qui font le vrai chrétien, « l'homme accompli. » Aucune trace de la mysticité de saint Paul aucune théorie sur la rédemption par le Christ. Celui-ci est à peine nommé deux ou trois fois. C'est l'Ancien Testament et en particulier la prédication des prophètes, les psaumes et les moralistes juifs comme Jésus, fils de Sirach, qui ont formé la première base de sa conscience religieuse qu'est venue compléter naturellement et cou1"ronner la prédication orale de Jésus de Nazareth. Aucune autre lettre apostolique ne renferme plus de réminiscences spontanées des discours évangéliques. Le sermon sur la montagne en particulier est passé presque en entier dans notre épître qui semble le commenter et le continuer dans le fond purement moral et la forme sententieuse (I. 2. 4. 5. 9. 14. 20. 22. 23. 23; II, 13-16; III, 17. 18; IV, 4 V, 2. 10. 12. 15. i&). Ce qu'il y a de remarquable, c'esfrque l'auteur
ne puise pas ces éléments dans les synoptiques, mais dans la tradition toute fraîche et vivante encore, et qu'on peut se demander à deux ou trois endroits, s'il ne nous a pas conservé les paroles de Jésus sous une forme plus concise et plus authentique que nos évangiles eux-mêmes. Il y a là un fait dont il faut tenir compte et qui doit nous empêcher de faire descendre trop bas la composition de cette épître. Bien d'autres traits nous ramèncnt en Palestine et nous replacent dans la vie intérieure de la première communauté de Jérusalem. Le pur et simple judéo-christianisme que représente notre épitre n'a pas été encore pénétré ni même atteint par les éléments théosophiques qui caractérisent l'ébionitisme du second siècle. L'auteur dédaigne toute spéculation et toute discussion. Beaucoup de paroles ne vont pas, à ses yeux, sans beaucoup de péchés. L'aristocratie du savoir lui est aussi antipathique que toute autre aristocratie. Il reste dans les antithèses qui dominent également l'enseignement de Jésus, des pauvres et des riches, des amis de Dieu et des amis du monde. Être pauvre et être saint, être riche et être pécheur ne sont pas loin d'être synonymes dans sa pensée. C'est toujours la vieille lutte des Chassidim et des Reschahim persistant durant toute l'histoire du judaïsme des derniers temps qui se continue ici. Quand il fait le portrait du riche orgueilleux et oppresseur, il est bien difficile de ne pas songer à ces familles sacerdotales, à ces sadducéens, à ces descendants de Hannah, qui avaient fait périr Jésus (V, 3) et qui feront périr Jacques lui-même. « A votre tour, riches, pleurez et lamentez-vous au milieu des malheurs qui vont fondre sur vous (ceci n'a-t-il pas été écrit avant la ruine de Jérusalem?). Votre richesse est pourrie; vos vêtements sont devenus la proie des vers; votre or et votre argent sont mangés par la rouille qui s'élève en témoignage contre vous et qui aussi dévorera vos membres comme un feu consumant. Quels trésors vous avez amassés pour les derniers jours? Voici, le salaire dont vous avez frustré vos ouvriers qui moissonnaient vos champs, crie contre vous; les cris de vos vendangeurs sont venus aux oreilles du seigneur i, Sebaoth. Vous n'avez songé qu'à jouir sur la terre, vous vous êtes vautrés dans les voluptés vos cœurs se sont délectés au jour du meurtre; vous avez condamné, vous avez assassiné le Juste; il ne vous a point résisté. » Dans l'hypothèse de l'authenticité de l'épître, de tels discours tenus à Jérusalem en face des sadducéens n'cxpliqueraient-ils pas la condamnation et le meurtre de Jacques le Juste tels qu'llégésippe et Josèphe les ont racontés. Nous arrivons à un point plus grave et plus délicat: Dans quel rapport se trouve notre épître avec la prédication de saint Paul? Ce rapport est fixé dans le fameux passage II, li-26, objet de tant de commentaires depuis la violente critique de Luther. La contradiction semble bien être éclatante; le verset 24 qui est la conclusion du raisonnement de Jacques, est même la négation formelle d'une affirmation contraire de Paul, dont Jacques a soin de garder tous les termes. Paul avait dit « l'homme est justifié par la foi sans les œuvres de
la loi » (Rom. III, 28). Jacques réplique « Vous voyez bien que l'homme est justifié par les oeuvres et non par la foi seulement. » Paul avait cité l'exemple d'Abraham à qui sa foi avait été imputée à justice (Rom. IV); Jacques le reprend en y ajoutant celui de Ilahab cité par l'épitre aux Hébreux, pour en tirer précisément une preuve contraire. Et cependant l'opposition entre les deux écrivains n'est pas aussi absolue qu'il pourrait le sembler au premier abord car ni l'un ne parle pas d'une foi sans œuvres, ni l'autre d'oeuvres sans foi. Mais le contraste de leur manière de penser éclate en ceci que pour Paul, la foi est le principe générateur, l'âme des bonnes œuvres, tandis que Jacques, par un renversement de point de vue, fait de l'obéissance, l'âme intérieure de la foi, qui sans elle est morte. On le voit donc; l'opposition porte moins sur le fait moral du salut que sur la manière de le comprendre et de l'expliquer. Quand on y regarde d'un peu près en effet, on s'aperçoit bien vite que les deux auteurs, en se servant des mêmes mots, ne les entendent pas de la même façon et qu'ainsi, tout en ayant l'air de se contredire, au fond leurs pensées ne se rencontent pas. Examinons à ce point de vue les trois termes de leur proposition iriVtiç, epy*, Sixaîwaiî. Dans la notion de la foi justifiante, d'après Paul, est comprise la grâce rédemptrice et génératrice de Dieu et par conséquent aussi l'obéissance du cœur, en sorte qu'il peut définir la vie chrétienne « l'obéissance de la foi » (Rom. I, 5). Pour Jacques, au contraire, le contenu de la foi est le simple monothéisme de l'Ancien Testament, joint à l'attente du Messie glorieux, en sorte qu'il peut la trouver même chez les démons (II, 19 et II, 1); il est donc évident que la justification par cette seule foi, que Jacques nie, Paul la nierait non moins énergiquement. La différence est encore plus grande dans la notion des « œuvres ». Ce que Paul repousse ce sont les œuvres extérieures de la loi, faites sans rapport ni liaison avec la foi du cœur. Ce que Jacques réclame ce sont au contraire les œuvres de la foi, qui montrent cette foi active et efficace. Mais ni Paul ne sépare des œuvres chrétiennes le principe de la foi qui les contient toutes en germe, ni Jacques ne sépare de la foi les œuvres qui viennent au contraire la réaliser et la porter ù. perfection (cf. Gal. V, 6 et Jacques II, 22). L'un dit irûmç Si' à^tÎTr^ ivîfY0U!A£'VYl- L'autre ajoute -J| itiariç ouvvipysi toïç ep-pi;, x«i èx twv Ipycov ItcXeiwOti On voit qu'ils ne sont pas loin au fond de dire la même chose. Même remarque sur le terme de Sixaioû<i6oii. Quand Paul parle île la justification par la foi, il désigne l'acte actuel et intérieur de Dieu donnant la paix et la vie à la conscience par l'effusion du SaintEsprit. Jacques au contraire songe au résultat final, au jugement rendu au dernier jour sur chaque homme par la justice de Dieu. Mais quand Paul parle de ce jugement suprême, il parle absolument comme Jacques et déclare que chacun sera jugé suivant ses œuvres (2 Cor. V, 10). On comprend donc qu'en présence de cette différence de langage et de notions en jeu, on ait pu nier toute contradiction réelle entre Jacques et Paul. Mais il n'en est pas moins vrai que ces différences de langage et de raisonnement dénoncent deux concep-
lions opposées, deux genres d'esprits contraires. Où l'un regarde aux faits intérieurs, l'autre s'attache aux actes extérieurs. Paul est un esprit mystique idéaliste et systématique qui voit les effets dans leur cause et s'attache à celle-ci, comme à la chose essentielle, comme à la racine d'où tout doit sortir organiquement. Jacques ne sait voir ni -si loin ni si profond il laisse dans leur opposition vulgaire la foi simple savoir et la pratique morale il ne voit pas de lien organique •entre la foi et la volonté aussi additionne-t-il purement et simplement la foi et les œuvres pour faire sortir du total, la justification parfaite. C'est donc au fond, entre les deux apôtres, l'antithèse du mysticisme et de la morale pratique, de l'idéalisme philosophique ̃et de l'empirisme populaire. Tout n'est pas encore dit par-là. Sans doute la polémique de Jacques n'atteint pas la doctrine de saint Paul elle frappe à côté sur ce qui n'est pas elle. Mais tout en la manquant, ne voulait-elle pas l'atteindre? Jacques connaîtlesépîtres de Paul qui ont laissé des traces dans le développement de sa propre pensée et dans le style de son épître. De plus les thèses de Jacques, ses raisonnements, ses exemples sont empruntés à l'exposition de saint Paul. Il ne veut pas seulement dissiper un malentendu dans l'esprit de ses lecteurs, prévenir une méprise. C'est bien lui qui semble ne pas avoir compris l'apôtre des gentils et qui, pour cette raison, croit devoir le combattre avec une grande vivacité. En tout cas, de cette discussion il résulte que notre épître suppose l'entier développement de la doctrine paulinienne, que sa polémique directe ou indirecte, comme on voudra l'appeler, ne se comprendrait pas avant l'épître aux Galates et l'épître aux Romains, et qu'il y a là pour fixer la date de notre épître un terminus a quo, au delà duquel il est interdit de remonter. La polémique.dont nous venons de parler n'est pas le seul point de contact entre notre épître et les lettres de saint Paul dont l'influence positive se trahit en plusieurs endroits: 2. 3; cf.avec Rom. V, 3 et 4 1, 13 avec 1 Cor. X, 13; 1, 18 avec Rom. VIII, 23; I, 22 av. Rom. II, 13; II, 14-26 avec Rom. III et IV; II, 19 avec 1 Cor. VIII, 4; II, 21 avec Gal. III, 6 et Rom. IV, 3; IV, 1 avec Rom. VII, 23 IV, 4 avec Rom. VIII, 7 IV, 12 avec Rom. II, 1, XIV, 4. Nous pouvons en outre citer un certain nombre de termes empruntés à la langue de l'apôtre des païens vdpioç IXeudeptaç, êtxcuoûaâa! è/. msTsw; ou l\ ÉpYwv, •jtp o<K»iroXï]u.i|/£a xapîtoç tvjç Sixato<jûvr,ç, xapaë<XT7]i; vôfiou, xxpa^oYiÇeaOat, 6).oxXr,po;, (xr) TrXavSaÔE aXk'lçti ttç, etc. Saint Paul a été vraiment le créateur de la langue de la piété et de la théologie chrétiennes; il est remarquable de voir combien on subissait son influence dans les milieux mêmes où ses idées étaient si mal comprises. En tout cas, il résulte des observations que nous venons de faire qu'il ne saurait être question d'une opposition absolue et d'une inimitié radicale entre l'auteur de notre épître et l'apôtre des Gentils. Ce qui ressort maintenant c'est au contraire une certaine sympathie mêlée de quelque défiance à l'égard des conséquences de sa doctrine et de la hardiesse de sa logique. Les grandes épîtres de Paul (ce sont les seules que Jacques paraisse avoir lues) ne vu 9
sont pas les seuls écrits du Nouveau Testament avec lesquels notreépître est en contact; il faut citer aussi la première épître de Pierre. Mais ici le rapport est renversé, et vis-à-vis de ce nouveau document, Jacques garde la priorité et l'originalité. D'où nous pouvons conclure avec une entière certitude que notre épître a été écrite après l'épître aux Romains et avant la lettre de Pierre. On a voulu trouver aussi une dépendance de Jacques à l'égard de l'Apocalypse. Les preuves qu'oTi en a fournies sont illusoires, et tout porte à croire que notreauteur n'a pas connu ce livre. Il paraîtrait plutôt avoir connu l'épîtreaux Hébreux. Mais avant d'essayer une détermination plus précise de la date de notre épître, il convient d'examiner la question des lecteurs auxquels elle était adressée. La suscription porte « aux douze tribus de la dispersion » (I, 1). Ces mots sont bien en harmonie avec le caractère judéo-chrétien de toute l'épître. Mais que signifient-ils ? faut-il les prendre à la lettre ou dans un sens métaphorique,? A la lettre, l'épître serait adressée aux Juifs de la dispersion. Mais évidemment l'auteur parle à des juifs chrétiens, lesquels n'avaient pas cessé d'être juifs. D'un autre côté, les pagano-chrétiens sont complètement passés sous silence; l'auteur reste fidèle au programme arrêté à la conférence de Jérusalem (Gal. Il, 8) et agit exclusivement en apôtre de la circoncision. 11 n'admet pas encore de rupture entre le judaïsme et le christianisme et ne suppose pas que les nations païennes puissent entrer dans l'Eglise, avant le peuple d'Israël comme peuple. Voilà pourquoi il s'adresse aux douze tribus héritières de la promesse faite aux ancêtres. Il faut ajouter qu'il s'adresse à ces judéo-chrétiens dispersés, non pas comme à des membres d'autres Eglises étrangères, mais il les considère comme des membres de l'Israël racheté, dont.le centre est toujours à Jérusalem, comme faisant partie de l'Eglise même de cette ville sainte et relevant par conséquent de son épiscopat. On s'est donc complètement trompé quand on a voulu découvrir, par le genre de vices et d'écarts réprimandés dans l'épître, les Eglises particulières auxquelles écrivait l'auteur. Les uns ont indiqué les Eglises de Syrie, d'autres les Eglises de la Pérée. Tout cela est gratuit. Nous avons ici une lettre épiscopale que son auteur adresse à son église et à son diocèse; il est vrai que ce diocèse s'étend aussi loin que la dispersion elle-même des douze tribus d'Israël. Quant aux désordres qu'il blâme, il ne faut pas les chercher ailleurs qu'à Jérusalem même; ils sont en effet décrits comme se passant sous les yeux de l'écrivain sacré. Ainsi éclaircis, les termes de l'adresse de notre lettre, Taïç Scioixa <pu\ai{ Iv tîj Ssaoitopa, nous laissent très bien deviner le lieu d'où la lettre est partie. C'est du centre que l'auteur regarde à la circonférence de la mission judéo-chrétienne. Nous ne nous trompons donc pas en affirmant qu'adressée aux juifs de la dispersion devenus ou pouvant devenir chrétiens, notre lettre est datée de la Palestine et de Jérusalem. Sous le prétexte que les premières traces de l'existence de cette épître se rencontrent dans des écrits d'origine romaine (première lettre dc Pierre, Clément de Rome,
Hermas) certains critiques ont voulu placer sa composition à Rome. Non seulement une telle hypothèse est aventureuse, mais il faut dire qu'à aucun moment de l'histoire de l'Eglise de Rome, notre lettre ne peut se comprendre. Est-il donc étonnant qu'une lettre palestinienne soit allée promptement de Syrie à Rome? On ne comprendrait pas non plus qu'un écrit romain antérieur à la première lettre de Pierre, et portant le nom vénéré de Jacques, n'eût pas obtenu tout de suite et partout une fortune et une autorité égale. Si la lettre de Jacques est entrée tard dans le canon du Nouveau Testament, elle paraît avoir une vieille existence en Syrie. La Peschito la possède et Saint-Ephrem ne l'a pas mise en doute. Tout s'explique mieux dans la supposition que cette lettre est restée longtemps enfermée dans les cercles nazaréens considérés bientôt comme hérétiques, et que, sortie de ce milieu obscur et suspect, elle a eu beaucoup de peine à se frayer son chemin dans l'Eglise catholique de la fin du second siècle. Nous pouvons aborder maintenant avec quelques chances de succès la question de date. Notre épître, avons-nous dit, représente un judéo-christianisme très pur, avant aucun mélange d'éléments théosophiques; elle n'appartient donc pas au second siècle, mais au premier. L'auteur puise encore dans la tradition orale non seulement vivante et fraîche, mais pure de toute altération grave et de toute légende; il écrit certainement avant la rédaction de nos évangiles synoptiques actuels, c'està-dire avant 80 ou 85. Elle porte en elle-même bien d'autres traces d'antiquité. L'auteur'attend à bref délai la parousie du Messie glorieux, qui forme la base de toutes ses exhortations et de toutes ses menaces. 11 appelle encore l'assemblée des chrétiens cuva-fû-fn, du même nom que les assemblées des juifs le passage V, 1-7 ss. que nous avons examiné plus haut nous a paru s'adresser aux sadducéens de Jérusalem; il rappelle les menaces et les promesses analogues de Jésus, prédisant les mêmes catastrophes pour les uns et le même triomphe pour les autres. Ajoutons que si l'épître est partie de Jérusalem et s'expjique tout entière par le tableau religieux et moral de cette cité, elle a été écrite avant la destruction de l'an 70. Nous arrivons ainsi à l'enfermer de la manière la plus vraisemblable dans cette dernière dizaine d'années, 60-70, qui vit mourir Paul, Pierre, Jacques, et vit apparaître l'Apocalypse. Dès lors, pourquoi ne pas en admettre l'authenticité? Le Jacques de la suscription ne se nomme pas « le frère du Seigneur », ni « l'évêque des évêques », comme dans la littérature clémentine, mais simplement « serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ ». Cela n'est-il pas naturel? Un écrivain du second siècle mettant un écrit sous le nom de ce grand personnage de Jacques, se serait-il contenté de ce titre qui pouvait être celui du plus humble fidèle? Nous ne voyons qu'une objection grave à l'hypothèse de l'authenticité, c'est le caractère même de la langue de notre épîlre. Cette langue est d'une grécité excellente; sauf l'épître aux Hébreux, il n'est aucun autre écrit du Nouveau Testament écrit d'une façon plus pure et plus correcte. Jacques, le chef de l'Eglise de Jérusalem, n'a pas dû posséder le grec à ce degré.
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Mais ne peut-on pas supposer qu'il s'est servi d'un interprète ou d'un secrétaire qui aura rédigé la lettre dans la forme sous laquelle nous la possédons. Sans doute c'est une hypothèse que nous venons de développer. Mais dans l'absence de tout renseignement historique, que peut faire la critique que de chercher l'hypothèse qui explique le mieux le caractère et les particularités d'un écrit comme celui-ci?On en fait d'autres, mais qui viennent se briser contre quelque fait bien constaté. Certains critiques, comme Thiersch Schneckenburger, Néander, Hofmann, Huthcr, Bunsen, Weiss la font remonter à une vingtaine d'années plus haut, avant la conférence de Jérusalem et la tiennent pour le plus ancien écrit du Nouveau Testament. Mais cette opinion se heurte au fait littéraire que nous avons signalé, de la relation et de la dépendance de notre épître à l'égard de celles de saint Paul. D'un autre côté plusieurs autres savants la font descendre trente ans plus tard jusque sous le règne de Domitien. Hilgenfeld, Zeller la croient postérieure à l'Apocalypse, y signalent des traces d'idées esséniennes et orphiques (111, 6) et expliquent parce qui se passait à Rome sous les derniers Flaviens le chapitre V. Dans cette hypothèse, tout se brouille, tout se confond. Notre épître perd tout caractère particulier et original pour devenir une simple amplification morale sans lien avec aucun milieu historique. Voilà pourquoi nous écartons ces deux hypothèses extrêmes pour la maintenir dans l'époque et dans le cercle historique où seulement elle peut s'expliquer d'elle-même. – Littérature: Introductions critiques générales auN. T. (art. Isagogique) Commentaires généraux sur tous les livres du N. T. de deWette, Meyer, Bunsen, Hofmann; Bible de Ed. Reuss, etc.; Théologies bibliques du N. T., de Schmidt, Baur, B. Weiss, Immer (1878) Hist. de la théol. aposiol., de Reuss, etc. C. C. Storr, Diss. exegei. in ep. Jacobi, Tiib., 1784; C. Rosenmiiller, Der Brief Jacob. iibers. und erlxut.,L., 1787; Herder, Briefe sweener Briider Jesu L., 1775; Schneckenburger, Annotatio ad. ep. Jac., Stuttg., 1832; F. H. Kern, Der Brief Jacobi unters. und erki, Tüb., 1838; J. Celjérier, Elude et commentaire sur l'épître de S. Jacq., Gen., 1850; A. Néander, Explicat. prat. de l'ép. de S. J., traduit par Monod, Paris, 1851; H. Bouman, Comm. perpeluus in Jac. epist.. Traj., 1865; A. Boon, De Jac. Epislol. cwn Siracidx libro convenientia, Gron., 1860; Gaup, Ueber den Leserkreis des B. Jacob., Br., 1861; Renan, L'Antéchrist, Paris, 1875; Ilolzmann, Bibel-lexicon voit Schenkel, 1871, etc. A. Sabatier. JACQUES DE NISIBE (Saint), surnommé le Grand, né à Nisibe, sur la frontière de Perse, mort vers 330. 11 menait depuis longtemps la vie d'ascète lorsqu'il fut appelé au siège épiscopal de Nisibe. Il n'en continua pas moins ses excessives austérités, eut à souffrir de la persécution de Dioclétien, assista au concile de Nicée (325) et à celui d'Antioche (341) et, lors du siège de Nisibe par Sapor II, roi de Perse, encouragea par sa fermeté les habitants à la résistance. On ignore l'époque exacte de sa mort on sait seulement qu'elle eut lieu sous le règne de l'empereur Constance. Telle est la vie de ce personnage, dégagée du tissu de faits incroyables dont les écrivains légen-
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daires se sont plu à l'embellir. L'Eglise romaine célèbre la fête de ce saint le 15 juillet. On a sous le nom dc saint Jacques de Nisibe un volume intitulé S. Jacobi, episcopi Nisibeni Sermones, armenice et latine, cu?n prxfatione, notis et dissertalione de ascetis. Omnia nunc priinum in lucem prodierunl, Rome, 1756, in-f°. Le texte arménien avec la traduction latine a été inséré dans la Bibliotheca Patrum de Galland, Venise, 1765; le texte a été réimprimé à Constantinople en 1824. JACQUES DE VITRY, Jacobus Vitriacus, cardinal, né à Vitry-surSeine, mort à Rome en 12-4-4, fut d'abord curé d'Argenteuil, près Paris, où il se rendit célèbre par son érudition et son éloquence, puis chanoine régulier d'Oignies, dans le diocèse de Namur. Après avoir prêché la croisade contre les albigeois, il accompagna les croisés dans la Palestine, devint évèque de Saint-Jean-d'Acre et s'occupa activement du baptême et de l'éducation des enfants des Sarrazins faits prisonniers par les chrétiens. Il assista en 1219 au siège et à la prise de Damiette, et retourna en Europe en 1225. Grégoire IX le nomma en 1229 cardinal et évêque de Frascati plus tard il fut chargé des fonctions de légat en France, en Brabant et dans la Terre-Sainte. On a de lui 1° des Sermons, Anvers, 1575, in-f°. 2° des Lettres, qui ont été insérées dans Martene, Thesaur. Anecdot., t. III; dans d'Achéry, Spicilegium, t. VIII, p. 373, et dans Bongars, Getia dei per Francos, t. I; 3° Liber de mulieribus Leodiensibus, dans le Spéculum hisloriale, t. XXX; 4° lita B. Marix, Oignacensis beghinx, Arras, 1660, in-8° 5° Hisioria orieiitalis et Iluioria occidenlalis, Douai, 1597, in-8°, son ouvrage principal, en 3 livres, très important pour l'histoire des croisades et la description des lieux saints. Voyez Elogium Jacobi de Vilriaio a Francisco iioscho, in /ronle Ilislorix orientalis; Rivet, Hist. littér. de la France, XVIII; Ciaconius, Yitx Pontifie, et Cardin., t. II. JACQUES DE VORAGINE, Jacopo di Voragine, ainsi appelé de Varazze (Varagium), petite ville de la Ligurie où il naquit en 1230, fut dès sa jeunesse dominicain, prédicateur zélé et savant. Nommé en 1267 provincial de l'ordre en Lombardie, il s'y maintint pendant vingt ans grâce à sa bonté et à son éloquence. En 1287 il fut envoyé à Gênes par Honorius IV pour délivrer cette ville de l'interdit prononcé contre elle, lorsqu'elle s'était unie aux rebelles siciliens pour secouer le joug de Charles d'Anjou (1282). Sa douceur, sa condescendance gagnèrent le cœur des Génois et lui valurent le titre d'archevêque de Gênes en 1292. Après avoir réformé le clergé de la Ligurie dans des synodes diocésains et éteint les haines de parti qui ravageaient la ville, il mourut en odeur de sainteté en 1298 et ne fut béatifié qu'en 1810 par Pie VII. 11 composa plusieurs volumes de sermons chargés de sentences empruntées aux auteurs grecs et latins bien plus qu'à l'Ecriture, quoiqu'on lui attribue une traduction de la Bible en langue vulgaire dont la date est fixée en 1270. Bayle (art. Balbus Jnh. Jannemis) le donne comme certain, mais Le Long, et tout dernièrement M. E. Combâ (Rivista Christ., novembre 1878) prouvèrent l'inexactitude de cette assertion. L' Ilistoria flenuensis du P. Voragine, terminée en 1293, ne mentionne, dans le catalogue de ses œuvres,
aucune espèce de traduction. Jacopo mourut en 1298 et il est difficile de penser qu'il ait pu dans les trois dernières années de sa vie traduire toute la Bible dans une langue inculte. La traduction a d'ailleurs la date de 1270. Jacopo de Voragine est célèbre comme auteur de l'Aurea Legenda Sanctorum où les écrivains catholiques eux-mêmes remarquent une absence totale de sens historique et critique et où nous ne saurions voir qu'un grand désordrede faits ettoutes les idées superstitieuses du moyen âge. Sources Waddingus, Annales ord. min., t. V, 170; Bullarium Magnum, 1816 Sermones dominicales de temp., etc.. eximii docloris fratris Jacobi de Voragine ord. pred. quondam archiep. Janennsis, Papie, 1499-1550; Lombardica Iïisl. qux a plerisque aurea Legenda sanclorum appellaiur, Argentins A. D., 1485. P. Long.
JACQUES DE SARUG est l'un des représentants distingués de l'âge d'or de la littérature syriaque, dont l'un des plus illustres chefs fut Ephrem, l'étoile de l'école d'Edesse qui, se rattachant à celle d'Antiochc, s'appliquait surtout à l'étude des saintes Ecritures. Il naquit à Kurkam sur l'Euphrate en 432, fut ordonné prêtre en 503 et ne devint qu'en 519 évêque de Batnam dans le territoire de Sarug, où il mourut en 521 le 29 novembre. Les Orientaux l'ont surnommé la flûte du saint Esprit, le docteur par excellence. Les Jacobites monophysites le regardent comme un de leurs saints, et c'est ce qui a fait croire que Jacques de Sarug avait professé ces doctrines répandues de si bonne heure dans toute la Syrie. Mais l'ensemble de ses écrits montre clairement que sa doctrine est orthodoxe, bien que l'expression tout orientale de ses pensées s'écarte parfois du moule officiel. Il admet les deux natures unies en une seule personne pour lui l'Esprit saint procède du Père et reçoit du Fils. Un a de lui sept cent soixante-trois homélies ou discours en vers modelés sur la forme jacobite, des explications de l'Ecriture sainte, des hymnes, des chants et des lettres contre les nestoriens et les juifs. Les hymnes et explications de l'Ecriture sont encore en usage dans les églises syriennes on les lit après l'Evangile. Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en arabe. Son éloge poétique de Siméon le Stylite, dans lequel il raconte avec emphase sa guérison merveilleuse, a été traduit en allemand par Zingerlé Leben des heiligen Simeon Slylites, Innsbruck, 1853. Sources Rœdiger dans Herzog's Real. Eue, VI, 397; Assemeni, Bibliotheca Orientalis, Rome, 1719, 28, 1, 290; Renaudot, Liturgiarum 0 rienlalium Colleclio, II, 350. A. Paumiek. JACQUES DE MIES. Le rite grec de la sainte cène, autorisé pendant plusieurs siècles par le saint-siège, qui voyait avec effroi les progrès du rite oriental dans les provinces slaves, avait jeté de profondes racines en Bohême ainsi que l'usage de la langue vulgaire dans le culte. On peut même observer que, tandis que la noblesse et la bourgeoisie se soumettaient définitivement à la communion latine sous une seule espèce, les paysans et le peuple restaient attachés en secret aux vieilles pratiques nationales. Au moment où les idées nouvelles émises par Jean Huss plongeaient le pays dans une agitatiou fébrile et pro-
voquaient les scènes tragiques et douloureuses du concile de Constance, un de ses disciples prenait en main la question de la coupe et la défendait avec autant de succès que d'énergie. Jacques de Mies, ainsi nommé de la ville de Bohême où il naquit, plus connu sous le nom de Jacobellus ou le petit Jacques, à cause de sa petite taille, était né vers le milieu du quatorzième siècle. Il fit ses études à l'université de Prague en même temps que Huss, et y prit le degré de maître èsarts. Nommé en dernier lieu, après plusieurs postes moins importants, curé de Saint-Michel de Prague, il commença à exposer ses vues particulières sur la sainte cène. La plupart des historiens attribuent ce changement dans ses idées à l'influence d'un certain Pierre de Dresde, qui aurait professé en Bohême des vues empruntées aux vaudois. Mais, outre que ce personnage n'a qu'une existence problématique, il est bien plus naturel de rappeler l'influence du célèbre Mathias de Janow, dont Jacques de Mies aurait pu être le disciple et l'auditeur. Le 6 février 1413, au concile de Prague, réuni pour ramener la paix dans l'Eglise de Bohême, nous le voyons demander à Jean de Fer, évêque de Litomissel, si la paix qu'il propose est la paix de Dieu ou cette paix du monde qui n'est pas véritable. Il engagea bientôt une polémique ardente avec le clergé, démontrant, par de nombreux passages de l'Ecriture, parmi lesquels il cite souvent saint Jean, YI, 33, et par les témoignages des Pères, que la suppression de la coupe est une invention papale, qui ne remonte pas même à deux siècles. L' évoque de LitomisseL invoque à son tour, outre l'autorité de la sainte Eglise romaine, un miracle rapporté pour la première fois par Alexandre de Halès. Un prêtre ayant voulu communier d'après l'ancien usage, aurait vu le sang du Christ jaillir de l'hostie rompue pour y rentrer, quand les deux parties se furent rejointes. En 1415 il publia un traité pour démontrer d'après les témoignages de l'Ecriture que l'octroi du calice au peuple chrétien est nécessaire. Attaqué avec violence par un anonyme et par André Boda, mais soutenu par l'autorité de son maître bien-aimé, Jean Huss, qui écrivit en sa faveur du fond de son cachot, après avoir semblé au début désapprouver sa conduite, Jacques de Mies, dans une réplique énergique, s'en prit à la transsubstantiation elle-même, soutint que le pain et le vin ne changeaient pas de substance et fit dépendre l'efficace du sacrement des dispositions intérieures du communiant. Condamné formellement par les Pères de Constance dans la session du 15 juin 1415, pris partie par le plus redoutable défenseur dc l'idée catholique, Jean Gerson, Jacques de Mies publia son apologie pour la communion sous les deux espèces. Du reste, en dehors de ces points principaux, il ne s'écarta pas de l'enseignement de l'Eglise, et défendit contre les vaudois les dogmes romains du purgatoire et des prières pour les morts. Il échappa aux persécutions et aux luttes de ces temps douloureux et mourut en paix en 1429. Le docteur Von der Hardi, dans le troisième volume de son Magnum Œcum, Constantiense concilium, Francoforti, 1700, a publié les principaux traités de notre auteur. Sources -J. C. Martini, Disseriatio de Jacobo de Misa, Altdorf, 1753; Lenfant, Con,
cile de Constance, 2 vol. in-l", Amsterdam, 1711 et 1717 E. de Bonnechose, Les Réformateurs avant la Réforme, 1845, II; Falacky, Geschichte vonBœhmen, Prague, 1836-68. A. Paumier. JACQUES Ier. L'histoire offre rarement d'aussi grands contrastes que ceux qui nous sont fournis par le règne de Jacques I" d'Angleterre (qui s'appela Jacques VI tant qu'il ne fut que roi d'Ecosse^. On est surpris d'une si grande fortune unie à un si rare mérite, d'une intelligence aussi étroite jointe à une lâcheté aussi notoire. Aspirant à posséder le pouvoir par droit divin, il est incapable de l'exercer un seul jour; théologien passionné, il aime le plaisir, s'enivre souvent et se livre à d'indignes favoris. Sa triste enfance explique en partie son triste règne. Fils de Henry Darnley et de Marie Stuart, Jacques naquit au château d'Edimbourg le 19 juin 1566. Dès l'année suivante,. Marie Stuart faisait périr son époux pour se venger du meurtre deRizzio et, par son mariage avec l'assassin Bothwell, provoquait une révolution qui la forçait à chercher auprès d'Elisabeth un refuge, dont on connaît les douloureuses péripéties et la tragique issue. Proclamé roi dès le 29 juillet 1567 sous le nom de Jacques VI, Jacques fut confié aux soins de Georges Buchanan, puritain étroit et pédant, qui lui apprit la théologie et l'hébreu, mais négligea son éducation morale et ne chercha en rien à développer en lui les qualités nécessaires à un roi. L'Ecosse était alors profondément troublée par les passions politiques et religieuses; d'un côté les rares partisans de Marie Stuart appuyés par les grands seigneurs des Highlands; del'autre le parti presbytérien obéissant i la voix puissante de John Knox, défenseur intrépide des libertés chrétiennes, mais arrogant, dominateur du pouvoir civil et sans égards pour la royauté. Jacques VI ne retint de sa première éducation, en dehors d'un pédantisme outré, que la haine des superstitions de sa mère et surtout l'horreur pour un parti religieux étroit, intolérant et austère. Ce jeune homme craintif, qui se trouvait mal à la vue d'une épée nue, fut entouré de scènes sanglantes. L'assassinat de lord Murray par les Hamilton (23 janvier 1570), amena des représailles cruelles, et Ilamilton, archevêque de Saint-André, mourut sur l'échafaud. Le régent Morton, tout en accordant aux presbytériens le Book of Policy, qui est demeuré le livre de loi de la Kirk d'Ecosse jusqu'à ce jour, et en fondant avec les biens du clergé de nombreuses écoles dans tout leroyaume, inculqua au jeune roi des prétentions à l'absolutisme, qui lui firent prendre de plus en plus en horreur un presbytérianisme intolérant, dont le plus illustre défenseur était André Melvil, et qui nelui épargnait ni les censures ni les insolences. Jacques VI, qui aimait le plaisir et la chasse, donna sa confiance à deux favoris indignes, Esme Stuart et Jacques Stuart, nommés par lui comte de Lennox et duc d'Arran, et qui, tout en corrompant ses mœurs et en flattant ses vues ambitieuses, favorisèrent en secret le parti catholique et laissèrent les jésuites pénétrer jusqu'à la cour. Les nobles protestants, réunis au château de ltuthven, réussirent à y attirer le roi dans une journée d'août 15s2, qui a pris dans l'histoire le nom de Raid de
Ilulhven, et le retinrent prisonnier, tout en letraitant extérieurement avec respect. Echappé de sa captivité, le roi se vengea en faisant déclarer ses geôliers coupables de lèse-majesté et en faisant rétablir par un parlement docile l'épiscopat dans cinq articles qui portent le nom des « Cinq articles noirs » (1584). Après' l'exécution de sa mère (1387), Jacques VI, tout en protestant officiellement contre ce crime, resta l'allié d'Elisabeth, qui lui faisait espérer la couronne d'Angleterre. Lui-même avait, pris comme devise cette maxime Qtti non scit dissimulare nescil regnàre, et il lui fut fidèle jusqu'en 1603, comblant en public d'éloges l'Eglise presbytérienne, qu'il déclarait la plus pure de toute la chrétienté, tandis que pour lui il n'y avait pas d'existence possible pour la royauté sans l'épiscopat No bishops, no k'mg. C'est vers cette époque que se place le seul acte romanesque de ce triste règne. Elisabeth, qui aurait voulu que Jacques VI épousai Catherine de Navarre, sœur d'Henri IV, avait fait échouer ses négociations pour obtenir la main de la fille aînée du roi de Danemark. En 1589 le roi s'embarqua pour les Etats du Nord et en revint l'année suivante avec son épouse Anna. Il confirma en 1592 les prérogatives du clergé presbytérien, mais le peuple, indigné de l'indulgence avec laquelle il traita en 1593 les seigneurs catholiques révoltés contre lui, excita à Edimbourg un tumulte (1596) bientôt suivi d'une répression sévère, à laquelle les principaux prédicateurs n'échappèrent que par la fuite. Le roi, entré à Edimbourg à la tète de ses troupes en 1597, abolit plusieurs des privilèges du clergé presbytérien au profit de l'épiscopat. Devenu roi d'Angleterre le 24 mars 1603, Jacques I" leva le masque, favorisa les prétentions de la haute Eglise, força les pasteurs dissidents à reconnaître le Prayer-book et nomma treize évoques pour l'Ecosse. Si la marine continue à se signaler sous son règne par les découvertes de Davis, d'Hudson et de Baffin, sir Walter Haleigh fut exécuté le 29 octobre 1618 sur les menaces de l'Espagne, avec laquelle le roi conclut la paix. On le vit abandonner sans appui sa fille devenue reine de Bohême, laisser aux Hollandafs l'empire des mers, et mendier l'appui de l'Espagne. La conspiration des poudres (5 novembre 1605) dans laquelle furent inculpés, outre Guy Fawkes, de nombreux catholiques, fit voter en janvier 1600 par le parlement le serment d'allégeance, que le pape défendit aux catholiques de prêter, ce qui amena une polémique entre le roi et Bellarmin. En 1607, l'insurrection de l'Irlande sous Tyrone fut comprimée. Maître Jacques, comme l'appelait Henri IV, se consola de son impuissance extérieure par sa polémique avec la Hollande au sujet de l'arminien Vorstius, qu'il poursuivit de sa haine, tout en interdisant la publication dans sou royaume des canons de Dordrecht, ce qui ouvrit les voies à ce latitudinarisme qu'il détestait. Pauvre poète dans sa jeunesse, il composa dans son ago mûr le lWiXmov Sopav ou De inslilulione principis, et un traité absurde sur les sorcières, qu'il livra par centaines au supplice. S'il s'honore par le choix de Bacon de Verulam comme chancelier, il accorda sa faveur à d'indignes favoris l'Ecossais Robert Carr, duc de Somerset, et Georges Villiers, duc de
Buckingham. Les puritains, persécutés i outrance, se réfugièrent en 1620 en Amérique; les pères pèlerins y jetèrent les premières assises de la grande république des Etats-Unis. Les dernières années de ce triste règne, qui se termina le 8 avril 1625, furent remplies par les négociations pour le mariage espagnol, par le mariage du prince de Galles avec Henriette de France, 12 décembre 1624, et par des luttes avec le parlement, qui faisaient déjà présager les agitations de la révolution. Les œuvres du roi ont été publiées par l'évêque Montacuti, à Londres en 1619; l'édition la plus complète est celle de 1689. On y trouve aussi The book of sports dirigé contre le sabbatisme écossais; une paraphrase de l'Apocalypse, où le pape est traité durement un ouvrage sur l'abus du tabac. Sources Outre les histoires générales de Rapin Thoyras, Lingard, Hume, A. Wilsons, History of Great Brilain being the life and reign of king James, London, 1653; G. Weber, .Zur Geschichte des ReformalionszeUallers Leipzig, 1874,11. A. Palmier.
JACQUES II. Le règne de Jacques Ier avait causé les malheurs de Charles Ier; le despotisme de Jacques n a fait perdre aux Stuarts la couronne d'Angleterre. Jacques II, troisième fils de l'infortuné Charles Ier, reçut à sa naissance (24 octobre 1633) le titre de duc d'York. Tombé en 1646 au pouvoir des troupes de Fairfax et enfermé avec son frère Henri et sa sœur Elisabeth dans le palais de SaintJames, il réussit en avril 1648 à échapper à ses geôliers, se retira auprès de sa mère Henriette à Paris et servit sous Turenne dans les armées françaises, où il se fit remarquer par son intrépidité et atteignit bientôt un grade élevé. Pénétré d'une admiration profonde pour le grand roi et gagné à ses idées de pouvoir absolu et de dévotion à la cour de Rome, il préparait une descente en Angleterre quand s'accomplit la restauration. Nommé en 1062 grand amiral, il se signala par son courage dans le combat naval de Solebay (1664), et se rattacha en secret dès 1668 à l'Eglise romaine. Profondément corrompu dans ses mœurs* étroit et obstiné dans ses idées, implacable à l'égard de ses adversaires, ennemi juré des libertés de son pays, il fit preuve pendant sa vice-royauté en Ecosse de la plus grande cruauté à l'égard des Covenantaires. En 1670 il gagna sa femme, Anna Hyde, à sa foi nouvelle sans oser s'opposer à l'éducation protestante de ses deux filles Marie et Anne, qui régnèrent toutes deux après lui et qui épousèrent, l'aînée Guillaume, prince d'Orange, et la seconde le prince de Danemark. Après avoir perdu en 1672 toutes ses dignités lors de la publication de l'acte du 'Test, le duc d'York, marié en secondes noces à Marie de Modènc, sut regagner la faveur de son frère et lui succéda sans opposition en 168.Ï à l'âge de cinquante-deux ans. Au début de son règne les tories et l'Eglise anglicane, qui professaient sans réserve le dogme du droit divin des rois et le devoir de l'obéissance passive, les universités ardentes dans leur loyalisme, le parlement, instrument docile de ses volontés, lui prodiguèrent les témoignages enthousiastes de leur fidélité; mais il mit bientôt tout en œuvre pour détruire le respect et la confiance dans le cœur de ses
sujets. Il célébra publiquement la messe dans son palais, fit infliger la torture à Oatès et Dangerfield, les deux derniers témoins survivants contre le complot catholique, et noua des relations étroites avec la cour de Versailles, par l'intermédiaire de l'intrigant John Churchill, frère de l'une de ses maîtresses et si célèbre plus tard sous le nom de Malborough. Plus tard il accueillit avec admiration la nouvelle de la révocation de l'édit de Nantes, et ses dragons, sous les ordres du sauvage Graham de Claverhouse, dépassèrent à l'égard des covenantaires d'Ecosse les cruautés des missionnaires bottés du grand roi. Au mois de juillet de cette même année 1685, les mécontents prirent les armes en Ecosse et en Angleterre. Deux expéditions, parties presque en même temps des côtes de Hollande, sous les ordres du duc d'Argyle et du duc de Mommouth, fils naturel de Charles II, eurent le même sort. Argyle périt sur l'échafaud à Edimbourg Mommouth, proclamé roi à Taunton, se vit enfermé à la Tour après avoir perdu la bataille de Sedgmoor, près de Bristol, et subit le dernier supplice. Sir Jeffreys, grand juge d'Angleterre, l'un des plus affreux scélérats dont parle l'histoire, promena dans les provinces révoltées ses assises sanglantes, dont Macaulay a tracé une peinture saisissante. Les ambassadeurs étrangers pâlirent en entendant le roi raconter ces forfaits, plus froid, disait Churchill, que le marbre de sa chem'inec. Le roi, la reine, les courtisans s'enrichirent à l'envi avec les dépouilles des proscrits. Arrivé dans l'automne de 1685, à l'apogée de son éphémère puissance, Jacques II s'appuya sur une camarilla de gens indignes, dont l'apostat Sunderland, l'infâme Jeffreys et le jésuite Petre étaient les chefs. Il résolut de recourir aux quakers et aux dissidents pour renverser l'Eglise anglicane et gagna un moment à ses idées William Penn, séduit par un masque de tolérance qui cachait les plus noirs desseins. Infatué de sa prérogative, il considérait comme faciles et réalisables les plans les plus téméraires, et il alla si loin que les cardinaux en vinrent à répéter qu'il faudrait frapper d'excommunication nn roi assez aveugle pour détruire par sa folie les faibles restes du catholicisme en Angleterre. Convaincu de la puissance de l'exemple, Jacques II mit tout en œuvre pour gagner au catholicisme les hommes les plus éminents, permit à l'ambassadeur de l'électeur palatin d'ouvrir une chapelle catholique à Londres, et laissa les moines couvrir l'Angleterre de couvents. S'il n'osa pas persécuter ouvertement les réfugiés protestants, il fit brûler par le bourreau un livre de Claude et suspendit le parlement de 1685 pour avoir osé refuser d'abolir la loi du Test. Il fit juger et suspendre par une haute commission ecclésiastique l'évêque de Londres, Crompton, un des chefs de la résistance. Une armée de treize mille hommes campée à Hounslow avait pour but de tenir le peuple en respect, mais l'agitation protestante prit bientôt des proportions formidables malgré les châtiments infligés à de fidèles témoins de la vérité. En Ecosse le roi ne fut pas plus heureux et vit se» projets entravés par le sentiment protestant si vivace dans ce royaume. Clarendon refusa de jouer en Irlande le rôle odieux de destructeur des libertés évangé
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liques et se retira devant Tyrconnol qui, animé des passions de la race celtique contre ses vainqueurs, chercha à détruire le pouvoir des nombreux colons protestants. Rochester suivit bientôt son frère Clarendon dans la retraite et, à partir de 1687, Jacques II, abritant ses desseins sous le voile de la tolérance religieuse, travailla ouvertement à ranger l'Angleterre sous l'autorité du saint-siège, auquel il avait envoyé une ambassade au mépris des lois du royaume. En 1687, le 17 février, il fit publier à Edimbourg le bill d'indulgence, en vertu duquel tous les partis, sauf les covenantaires, avaient accès aux emplois civils et militaires. En juillet .il reçut en grande pompe le nonce à Whitehàll, et fit même dans son aveuglement sonder les intentions de son gendre, Guillaume d'Orange. La résistance prit dès lors le caractère d'une révolution. Les universités ne voulurent pas donner des grades aux catholiques, les évoques refusèrent de faire lire l'acte d'indulgence dans les églises, et furent conduits le 8 juin 1688 à la Tour, au milieu des acclamations de la foule, qui voyait en eux des martyrs. Appelé par les vœux de toute l'Angleterre, Guillaume mit à la voile le 1er novembre, portant sur son vaisseau amiral un drapeau avec cette devise Les libertés de l'Angleterre et la religion protestante. Jacques 11 reconnut trop tard le péril et fit inutilement des concessions auxquelles on ne croyait plus. Trahi, abandonné de tous, arrêté dans sa fuite, il trouva enfin un refuge à Saint-Germain auprès de Louis XIV, qui l'accueillit avec respect. En le voyant, l'archevêque de Reims dit à son entourage « Voici un brave homme qui a perdu trois royaumes pour une messe. » La défaite de la Boyne en Irlande anéantit d'un coup ses dernières espérances, et, jusqu'à sa mort (16 septembre 1701) il vécut dans une retraite pieuse et austère. Sources Macaulay, History of England from the accession of James II; J.-S. Clarke, Hislory of ihe reign of James II, London, 1816, 2 vol. in-4°. A. Paumier. JAHEL (Iâél; 'lo^X), femme d'Haber ou Heber, le Cinéen, qui, poussée par son patriotisme aveugle, assassina Sisara, le général des troupes de Jabin, roi d'Asor, qui s'était réfugié dans sa tente, en lui enfonçant un clou dans la tempe (Juges IV, 17 ss. cf. V, 6.24), au mépris des lois de l'hospitalité, doublement sévères lorsqu'il s'agissait d'une tente de femme ou harem (Pococke, Morgenlaml II, 5). JAHN (Jean), théologien catholique, né à Taswitz, en Moravie, l'an 1750, mort à Vienne en 181G, orientaliste et exégète distingué. Il professa à Bruck d'abord, à Vienne ensuite, les langues orientales, l'archéologie et l'herméneutique biblique, la dogmatique. Dénoncé pour la hardiesse de ses opinions critiques, il dut échanger sa chaire de professeur contre un canonicat à l'église de Saint-Etienne. Outre de bons ouvrages de lexicographie et de grammaire, et des articles insérés dans les Archives théologiques de Bengel, Jahn a laissé 1° Introduction aux saintes Ecritures de l'Ancien Testament, Vienne, 1793, 2 vol.; 2° éd., 1802-1803, 4 vol.; Archéologie biblique, 1797-1805; 2e éd., 1817-1823, 5 vol.; 3" Biblia leebraïca, 1800, 4 vol. in-8°; 4° Introductio in libros sacros Veteris Fœieris in compendium redacta, 1804.;
5° Archasologia biblica in compendium rcdacla, 1804; 2" éd.. 1814; 6° Enchiridion hermeneulicx generalis labularum Veleris et Novi Teslamenti, 1812; 7" Appendix Hermeneulicm seu exercitationes exegeticœ (ValiciniadeMessia), fasc. I, 1813; fasc. II, 1813.
JAIR (làir; 'Iaïp, 'Iâetpoç). l°Fils, c'est-à-dire descendant de Manassé (Nombr. XXXII, 41 cf. 1 Chron. II, 21 ss.), qui donna son nom à un district du pays de Galaad, avec une soixantaine (ou 23) de villages habités par des bergers (Jos. XIII, 30; cf. Deut. III, 4; 1 Rois IV, 13). D'après Juges X, 3 ss., ce fut le schophet Jaïr qui donna ce nom à 30 villages à l'est du Jourdain. Tous les essais de concilier ces deux légendes ont échoué (Kanne, Bibi. Untersuch. u. Ausleg., Il, 112 ss.; Rosenmûller, Alterthùmer, II, 282 ss.; Jahn, Einleitung, II, 63 ss.; Vater, Comment, ûb. den Pentat., III, 635 ss.). 2° Jaïr, de Galaad, succéda à Thola dans la magistrature suprême d'Israël, et eut pour successeur Jephté. Il gouverna pendant vingt-deux ans (Juges X, 3 ss.). 3° Jaïr, père de Mardochée (Esther II, 5). 4° Jaïr ou Jaïrus, chefde la synagogue deCapernaiim, dont Jésus-Christ ressuscita la fille (Marc V, 22; Luc VIII, 41 cf. Matth. IX, 18). JALAGUIER (Prosper-Frédéric), professeur de théologie à la faculté de Montauban, né à Quinac (Gard), le 21 août 1795, mort à Montauban le 22 mars 1864. Après avoir fait à la faculté de Montauban de solides études, il obtint en juillet 1817 son diplôme de bachelier en théologie et fut appelé peu de temps après comme pasteur suffragant de l'église de Menoblet (Gard). Nommé ensuite pasteur à Sancerre en 1821, il consacra à cette Eglise douze ans d'une activité pastorale .qui a laissé des traces bénies. Tout en préparant soigneusement ses sermons et visitant ses paroissiens, qui étaient pour la plupart de modestes vignerons, P. Jalaguier continuait ses études théologiques aussi fut-il désigné par la voix de plusieurs de ses collègues et de ses anciens professeurs à l'attention du ministre de l'instruction publique qui l'appela, le 31 décembre 1833, à remplir provisoirement la chaire de morale vacante à la faculté de Montauban. Chargé deux ans après de la suppléance de la chaire de dogmatique, il fut bientôt nommé définitivement à cette chaire qu'il occupa pendant vingt-huit ans, de 1836 à 1884. C'est pendant cette époque que Jalaguier exerça par son enseignement et par son caractère une influence profonde sur plusieurs générations d'étudiants devenus, dans la suite, des conducteurs de nos Eglises.- Le point de vue théologique auquel il se plaça dès l'entrée fut nettement biblique et supranaturaliste. Le christianisme était pour lui une révélation surnaturelle et historique, donnée à l'humanité déchue par la grâce d'un Dieu saint et miséricordieux; Jésus-Christ, centre vivant de cette révélation, lui apparaissait comme le Fils unique et éternel du Tout-Puissant, Dieu manifesté en chair; à ses yeux,' la Bible, divinement inspirer, était la seule règle de la foi et de la vie, pour le théologien comme pour le fidèle. Ajoutons seulement que l'orthodoxie du professeur n'avait pas sur ce point et sur quelques autres la rigueur excessive qu'elle avait revêtue chez
plusieurs représentants du réveil religieux qui se manifestait alors au sein des Eglises protestantes de langue française avec des formes et des idées empruntées à l'Angleterre ou à l'Ecosse. Tout en faisant reposer sa foi sur le témoignage de Dieu contenu dans les Ecritures, Jalaguier ne croyait pas à l'inspiration littérale des livres sacrés il reconnaissait les droits de la critique, il repoussait l'idée d'un canon divin, il proclamait la présence de l'élément humain et personnel chez les auteurs sacrés, il accordait qu'il y avait même dans la Bible des erreurs de science et de raisonnement; il aimait d'ailleurs à rappeler le mot de Bengel « Mange en paix le pur froment des Ecritures sans t'inquiéter du grain de sable qui peut s'y mêler. » Tels sont les principes et les sentiments qu'il exposa pendant trois années (1840-1842) dans la Revue thèologique de Alonlauban, qu'il avait fondée avec le concours de son collègue et ami Encontre, fils du célèbre professeur et doyen Daniel Encontre. Aussi durant cette première époque l'enseignement du professeur de dogmatique fut-il plus d'une fois accusé de manquer de fermeté doctrinale. L'excellent Jalaguier, dont l'esprit sérieux et sagace voyait venir de loin la crise théologique qui allait éclater, se contentait de répondre par un sourire aux critiques ou aux insinuations parties des rangs de l'orthodoxie; il savait bien, comme il aimait à le dire, qu'il apparaîtrait bientôt aux yeux de tous comme remontant le courant auquel on lui reprochait décéder. C'est bien ainsi qu'on le jugea à partir du jour où, à la suite de la lettre de démission de M. E. Scherer comme professeur de l'Ecole de théologie de Genève, éclata la crise qu'il avait prévue, et où la Revue théologique de Strasbourg commença à paraître. En présence des attaques toutes nouvelles dont, à ses yeux, la révélation chrétienne et l'Ecriture qui la contient étaient devenues l'objet, P. Jalaguier prit résolument la plume. Il fallait bien toute la conscience du péril et tout le sentiment du devoir pour l'arracher à ses méditations solitaires et lui mettre en main l'épée de combat le professeur de Montauban était un de ces esprits modestes et recueillis qui aiment mieux lire, méditer, écrire pour eux-mêmes que de se livrer au public. De 1851 à 1835, il fit paraître cinq brochures dont voici les titres Le Témoignage de Dieu, base de la foi chrétienne (1831); Authenticité du Nouveau Testament (1851); Inspiration du Nouveau Testament (1831); Simple exposé de la question chrétienne jugée par le bon sens (1832); Du principe chrétien et ducalholicisme, du rationalisme et du protestantisme (1855). Enfin, peu de temps avant sa mort il publia une brochure d'un caractère plus populaire auquel il donna ce titre un peu singulier Une vue de la question scripturaire (18G3). Dans ces divers opuscules il défendit avec une grande fermeté, mais sans la moindre acrimonie, la réalité d'une révélation surnaturelle et l'autorité religieuse de l'Ecriture contre les écrivains de la Revue de Strasbourg, qui après avoir, dès le début,. affirmé la prétention de s'élever par une synthèse supérieure au-dessus des deux systèmes contraires, le vieux rationalisme et la vieille orthodoxie, allaient toujours plus à la dérive et finissaient par verser dans le sein d'un rationalisme nou-
veau, plus logique et plus radical que ses prédécesseurs. Les adversaires du professeur de Montauban furent tous contraints de rendre hommage à la sagacité de son esprit et la loyauté de ses sentiments, mais ils mirent aisément en relief les points faibles de sa méthode théologique, qui étaient aussi ceux de son enseignement. Par ses études comme par son tempérament, P. Jalaguier était resté réfractaire, sinon étranger aux recherches et aux allures de la critique moderne; il ne connaissait les produits de la science théologiqne d'outre-Rhin que par des traductions en français ou en anglais; il préférait les méditations philosophiques et religieuses aux études historiques; il aimait à traiter les questions en bloc plus que par les détails; il manquait enfin de cet esprit créateur et organisateur qui fait sortir d'un principe fondamental tout un système théologiqne fortement lié et valan.t à lui seul tout une apologétique. Malgré ces lacunes, les leçons et les écrits de M. Jalaguier ont laissé au sein de l'Eglise réformée des traces sérieuses et durables, et il est permis d'affirmer que, dans une certaine mesure, elles ont contribué à préparer au milieu d'elle l'avènement et les progrès de l'orthodoxie biblique. Ce qui n'a pas moins concouru à ce résultat, c'est le caractère moral qui distinguait le pieux professeur. Chez lui, la bonté du cœur s'unissait à la fidélité aux principes la vie intérieure correspondait à la profession extérieure l'esprit de prière pénétrait et sanctifiait le travail de la méditation en lui surtout on sentait vivre et régner souverainement le sentiment du devoir. Peu d'heures avant sa fin, il disait encore « Le secret du bonheur est dans l'accomplissement du devoir sous le regard de Dieu. Tous ceux de ses anciens élèves qui lui ont survécu, quelle que soit la diversité de leurs tendences actuelles, restent encore unis dans un même sentiment de pieuse vénération pour le serviteur de Dieu qui sut parler la langue des choses divines avec un cœur d'homme et de chrétien. N. Recolin.
JAMBLIQUE, nom de deux philosophes platoniciens, dont l'un, disciple d'Anatolius et de Porphyre, était de Chalcide, et l'autre, d'Apamée en Syrie. Plusieurs ouvrages ont été publiés sous le nom de Jamblique, sans qu'on sache lequel des deux en est l'auteur. Nous citerons seulement un écrit contre la Lettre de Porphyre sur les mystères des Egyptiens, Oxford, 1618, in-f°., dans laquelle le platonisme est ajusté sur le christianisme et se pare de ses lumières. G. E. Hebenstreit a publié en 1764 contre cet ouvrage une dissertation intitulée De Jamblici. doctrina christianx religioni, quamimitarisludet, noxia.
JAMES (Thomas), théologien anglais, né en 1571, à Newport, dans l'île de Wight, mort en 1629. Il commença ses études à Winchester et les acheva à Oxford. Vers 1602, il fut nommé premier bibliothécaire dp la bibliothèque publique de cette ville et consacra la majeure partie de son temps à écrire des ouvrages de controverse contre le catholicisme. Membre de la convocation d'Oxford dans la première année du règne de Charles Ier, il proposa de former une commission
chargée de collationner les manuscrits des Pères de l'Eglise répandus dans toutes les bibliothèques de l'Angleterre, avec les éditions données par les catholiques afin de signaler les falsifications introduites dans ces dernières. Son projet n'étant pas adopté, il résolut d'exécuter lui-même cet immense travail; mais la mort ne lui permit pas de l'achever. La liste de ses écrits est considérable. Voyez la Biographie britannique et le Dictionnaire général de biographie, de Chalmers. JAMESON (William), historien écossais, professeur d'histoire à l'académie de Glasgow dans la première moitié du dix-huitième siècle. Il est surtout connu par l'ouvrage suivant Spicilegia antiquilalum /Egypli aique vicinarum Gentium, dans lequel il s'efforce de faire concorder la Bible et l'histoire profane. On lui attribue encore Sum of the episcopal coniroversy
JAMNIA ou Jabnia (la a b n è h; 'Ietxvaî, 'la^vj»'), ancienne ville des Philistins, située entre Joppe et Asdod, dont le roi Ozias détruisit les murs (2Chron. XXVI, 6; cf. Jos. XV, 46). Josèphe la connaît sous le nom de 'IajAvia ou 'Iscpvsia (De bello jud., 1,7. 7), comme une bourgade florissante habitée par des Juifs et par des païens, avec un bon port (1 Mach. IV, 15 V, 58 X, 69 2 Mach. XII, 8; cf. Ptolémée, S, 16). Pompée l'enleva aux Juifs pour l'annexer à la Syrie (Josèphe, De bello jud., 1, 7. 7). Après la destruction de Jérusalem, le sanhédrin se réunit à Jamnia, qui fut aussi le siège d'une célèbre académie juive (Misch. rosch hasschana, i,i;Sanhedr. 11, 4;cf. Sperbach, Dissert, de acadelnia Jabnensi e jusque rectoribus Viteb., 1740; Lightfoot Academ. Jabn. hislor., dans ses Opera, II, 87 ss.). Au quatrième siècle, elle fut érigée en évêché, ressortissant au diocèse de Jérusalem, sous la métropole de Césarée. Elle a eu six évêques, dont le premier, Macrin, siégeait lorsque Arius commença à répandre son hérésie. Voyez Volney, Reise, II, 281; Reland, Palxitina, 171, 370, 408, 436, 460, 608, 822; Lequien, Orient Christ., III, 587 ss. JANOW (Matthias de), l'un des précurseurs de Jean Huss. Fils d'un chevalier. bohémien, il étudia aux universités de Prague et de Paris où il acquit le grade de mngister. En 1381, après un voyage à Rome, il fut nommé chanoine à Prague et exerça jusqu'à sa mort (1394) les fonctions de confesseur à l'église cathédrale. Il réunit dans un grand ouvrage, De Regulis Veleris et Novi Testamenti, en cinq livres (1388-1392), dont quelques fragments seulement ont été publiés, les expériences de son ministère, s'appliquant avec une rare pénétration à démêler le vrai christianisme du faux. Il s'élève avec une grande fermeté contre les abus du temps et signale comme l'une des principales causes de la décadence de l'Eglise et de la corruption des mœurs chrétiennes la fâcheuse distinction introduite entre les laïques et le clergé. Janow plaida également en faveur de la communion des laiques, et cela sub utraque specie. Voyez Neander, Kirchengesch., VI, 365 ss.; Palacky, Gesch. v. Bœhmen, III, 173 ss. Jordan, Die Vorleeufer des Husiienihums in Boehmen, Leipz., 1846.
JANSÉNISME. On désigne par ce nom un système théologique sur la grâce, le libre arbitre et d'autres doctrines religieuses
ou ecclésiatiques, contenu dans un ouvrage célèbre intitulé Augiisiinus, où son autcur, Cornelius Jansénius, évoque d'Ypres, le présenta comme l'expression fidèle des enseignements de saint Augustin. Nous ne traiterons ici que de l'histoire du jansénisme; pour l'étude critique de ses doctrines, nous renvoyons aux articles spéciaux de cette Encyclopédie. L'origine du jansénisme remonte à Baïus (voir ce nom), professeur à l'université de Louvain, qui, dans ses leçons et dans ses écrits combattant les modernes scolastiques, enseignait, ainsi que Hessels, son ami, et professeur à la même université, l'entière corruption de l'homme, son impuissance totale à faire le bien et la souveraineté de la grâce dans l'œuvre du salut. Versé dans la connaissance des Pères et en particulier de saint Augustin qu'il avait lu neuf fois en entier, dit-on, il puisa dans les ouvrages de ce docteur des vues qui lui attirèrent les censures du parti opposé dont les jésuites étaient les chefs. Malgré les différentes bulles de condamnation dont elles furent l'objet, les doctrines de Baïus lui survécurent. Reprises, après lui, par Jacques Janson (voyez l'article Janson), également professeur de théologie à Louvain, elles furent enseignées par ce dernier avec tant de force, de science et d'onction qu'ellesse répandirent de nouveau. Au nombre des élèves qui entouraient sa chaire, Janson en avait distingué un, dont le regard vif 'f et pénétrant, le teint pâle, le front haut et méditatif indiquaient un homme supérieur; cet élève qui devait être son disciple le plus illustre et l'interprète de ses pensées les plus chères, était Cornelius Jansénius. Ce dernier quitta bientôt Louvain pour se rendre à Paris afin d'y suivre les leçons des maîtres de la Sorbonne où il fut remarqué par plusieurs d'entre eux. Pendant son séjour à Paris, Jansénius vécut dans l'intimité d'un homme qui devait avoir sur lui une influence décisive, nous voulons parler du jeune Du Vergier de Hauranne qui fut plus tard l'abbé de Saint-Cyran. Les deux jeunes théologiens, devenus amis, semblent désormais confondre leurs pensées dans une tendance commune qu'ils ne formulent pas encore, mais dont ils ne tarderont pas à préciser l'objet. Tous deux éprouvent le besoin de se recueillir et d'approfondir par de sérieuses études les idées qu'ils n'ont fait qu'entrevoir, mais dont les germes sont déjà profondément enracinés dans leur esprit. Vers 1611, ils quittèrent Paris pour se rendre aux environs de Bayonne, dans une terre appartenant à Mme de Hauranne. Là, les deux amis se plongèrent dans un travail sans relâche; ayant pour objet l'étude de l'antiquité chrétienne, notamment de saint Augustin. « II s'agissait de retrouver à l'origine la doctrine perdue, de ressaisir la vraie science intérieure des sacrements et de la pénitence, de vérifier en un mot ce qu'ils concevaient et pressentaient, et de le rendre démontrable par des autorités à tons les catholiques. Que le dessein fut vague encore pour eux-mêmes, il flottait au moins dans leur esprit. » Les deux amis passèrent cinq années dans cette retraite, après lesquelles on les retrouve à Paris où ils ne séjournèrent que peu de temps, puis ils se séparèrent. De Hauranne se rendit à Poitiers auprès de M. de la Rochevu 10
posai, évoque de cette ville, et Jansénius retourna à Louvain. C'était en 1617 deux ans après, en 1019, il fut reçu docteur, fut nommé principal du collège de Sainte-Pulchérie et obtint une chaire d'Ecriture sainte à l'université de Louvain. Nommé le 28 octobre 1635 par Philippe IV à l'évèché d'Ypres, il fut sacré en 1636 et mourut de la peste en 1638. De tous les ouvrages sortis de sa plume, nous ne par- lerons que de celui qui a été comme le point de départ du jansénisme et l'objet des discussions les plus ardentes, c'est-à-dire du livre intitulé Augusiinus. Les rudes travaux de Bayonne n'avaient point été interrompus, et l'infatigable théologien, ayant poursuivi ses recherches, les résuma daus un livre qui ne devait paraître qu'après sa mort, Y Augusiinus. Comme Baïus, comme Janson et les autres grands théologiens de cette époque, l'évêque d'Ypres était un lecteur passionné de saint Augustin. Lancelot nous dit dans ses Mémoires que Jansénius « avait lu plus de dix fois saint Augustin, sans parler des autres Pères, et plus de trente fois ses ouvrages de la grâce contre les pélagiens. Il avait travaillé plus de vingt ans à son ouvrage de la gràce » (Lancelot, Mém., 1, loi). Ce sont les ardentes discussions dont cet ouvrage fut l'objet qui donnèrent naissance au système dont il devint pour ainsi dire le code. Le nom de Jansénius a toujours servi depuis àdésigner le mouvement de doctrine augustinienne qui s'est produit au sein du catholicisme à des époques différentes. Son livre parut pour la première fois à Louvain en 1640; on en a donné trois éditions in-fo, la première à Louvain, la seconde à Paris, la troisième à Rouen en 1652. L'ouvrage était intitulé: Augusiinus Cornelu Jansenii Lpiscopi, seu doclrina sancti Augltstini de humanx naîurx sauitale, tegritadine, medicind adversus Pelaç/ianos et ilassiliensestribus tomis comprehensa. A l'époque où parut V Augusiinus, de singulières doctrines s'étaient introduites dans l'enseignement théologique les plus étranges assertions avaient été mises en avant, et les casuistes remplissaient les chaires et les livres de leur morale relâchée. Lessius en Hollande et Molina en Espagne, tous deux jésuites, étaient devenus les oracles de l'école sous l'influence des religieux de leur compagnie. C'est pour réagir contre leur doctrine pélagienne et subtile que Jansénius composa son Augusiinus où, s'appuyant sur l'autorité du saint évoque d'Hippone, il combattait les propositions téméraires de ces nouveaux scolastiques. Le crédit de ces derniers était grand, soit auprès des princes, soit à la cour de Rome, et ils le prouvèrent par les condamnations, les prohibitions et autres mesures de rigueur qu'ils surent obtenir contre les partisans de Jansénius. En 1642, Urbain Vlll rendit une sentence contre l'Augusiinus, déclarant que ce livre renfermait des propositions déjà condamnées par ses prédécesseurs et qu'il renouvelait les erreurs du baïanisme. Les choses auraient pu en rester là, lorsque, en 1049, le 1" juillet, le docteur Cornet présenta à la faculté de la Sorbonne, dont il était alors syndic, cinq propositions rédigées par lui et qui lui semblaient résumer la doctrine de YAuguslinus. La Sorbonne les condamna. A partir de ce moment, la lutte devient ardente, serrée,
passionnée. Elle durera un siècle, elle engendrera des divisions profondes et fera couler bien des larmes. Sujet de tristesse pour les chrétiens, elle servira les calculs de l'incrédulité en discréditant les doctrines de la foi. Toute une époque va être agitée par cette question les ciuq propositions du docteur Cornet sont-elles dans le livre (le Jansénius, ou n'y sont-elles pas? Ceux qui affirment que Jes cinq propositions ne se trouvent pas dans le livre de l'évêque d'Yprcs seront désignés, non sans amertume; sous le nom de jansénistes; tandis que ceux qui affirment le contraire s'appelleront dédaigneusement des molinistes dans le langage de leurs adversaires. Voici maintenant ces cinq propositions si fameuses, et dont l'histoire est pour ainsi dire tout le jansénisme 1. Quelques commandements de Dieu sont impossibles à des hommes justes qui veulent les accomplir et qui font à cet effet des efforts selon les forces présentes qu'ils ont la grâce qui les leur rendrait possibles leur manque. 3. Dans l'état de nature tombée, on ne résiste jamais à la grâce intérieure. 3. Dans l'état de nature tombée, pour mériter ou démériter, l'on n'a pas besoin d'une nature exempte de nécessité; il suffit d'avoir une liberté exempte de coaction ou de contrainte. 4. Les semipélagiens admettaient la nécessité d'une grâce prévenante pour toutes les bonnes œuvres, mêmes pour le commencement de la foi mais ils étaient hérétiques en ce qu'ils pensaient que la volonté de l'homme pouvait s'y soumettre ou y résister. S. C'est une erreur semi-pélagienne de dire que Jésus-Christ est mort et a répandu son sang pour tous les hommes. Quatre ans après, le 31 mai 1653, le pape Innocent X lit paraître une Constitution dans laquelle il condamnait ces cinq propositions. Les partisans du livre de Jansénius se soumirent à cette constitution; car, même avant sa promulgation, ils avaient reconnu, Arnauld le tout premier, que ces cinq propositions étaient erronées, mais ils se hâtaient d'ajouter qu'elles ne se trouvaient pas dans Jansénius. Cette soumission des jansénistes ne faisait pas l'affaire des jésuites; aussi travaillèrent-ils activement à faire décréter par les évêqucs de France que ces cinq propositions condamnées étaient dans Jansénius. On intrigua à la Cour, on effraya Anne d'Autriche et le cardinal Mazarin sur les tendances qu'on prêtait aux partisans de l'tf~M~mM.s. Finalement, on obtint en mai t6o5, de quinze prélats réunis à cet effet, une résolution d'engager tous les évêques de France à recevoir la Constitution d'une manière officielle et authentique, en la faisant signer par tous les membres de leur clergé respectif. A partir de ce moment, il fallut que tous les ecclésiastiques, religieux, religieuses, signassent la Constitution, c'est-à-dire qu'ils reconnussent que les cinq propositions étaient erronnées, et de plus, qu'elles étaient dans les pages de Jansénius, encore bien qu'ils n'eussent peut-être jamais lu ni les unes ni les autres. Voici la formule d'acceptation arrêtée par ces quinze évoques « Je N. reconnais être obligé en conscience de condamner de cœur et de bouche la doctrine des V propositions de Cornelius Jansénius contenue dans son livre intitulé ~4ufyM~M~, que le pape et les
évoques ont condamnée,*laquellG doctrine n'est point celle de saintAugustin, que Janséniusamal expliquée contre le vrai sens de ce saint docteur. » Tel fut le premier « formulaire », on en fit d'autres l'année suivante et plus tard, mais toujours dans le sens de celui que nous venons de transcrire et qui avait été rédigé par M. de Marca, archevêque de Toulouse, Le pape Alexandre VU, successeur d'Innocent X, accentua les sentences défavorables aux jansénistes, il déclara nettement que les cinq propositions du docteur Cornet étaient dans l'~t;<ym~)!tis, et qu'en les condamnant, Home avait entendu condamner la doctrine de l'évoque d'Ypres. Son prédécesseur avait dit tout le contraire, mais il faut s'accoutumer à ces contradictions dans cette guerre terrible qu'on nommait alors les « affaires de la grâce »; les procédés souvent iniques, les intrigues, les diatribes passionnées et les violences se succèdent et s'entrecroisent avec une rapidité dont on n'a pas la moindre idée aujourd'hui. Nous ne pouvons entrer dans les détails de cette lutte qui a duré plus d'un siècle; les bulles, les brefs, les ordonnances synodales, les mandements, les pamphlets, leslettres, tes dissertations sont comme les projectiles de ce champ de bataille; toutes ces pièces, au nombre de plusieurs mille, forment la vraie chaîne de l'histoire du jansénisme; presque toutes faisaient événement à leur apparition. On comprend que les bornes de cet article ne nous permettent pas d'entrer dans les péripéties de ce combat sans merci, malgré tout l'intérêt qu'elles présentent d'ailleurs; nous indi(luerons seulement les faits généraux en les parcourant à tire d'aile. Lorsqu'on étudie attentivement cette histoire du jansénisme, on découvre bien vite le vrai motif que les jésuites eurent pour susciter cette guerre dans laquelle, il faut bien le reconnaître, ils se montrèrent aussi habiles qu'impitoyables. Maîtres, depuis un certain temps, de la direction des études, par le grand nombre de collèges qu'ils possédaient dans les diverses provinces de France, ils s'alarmèrent en voyant grandir la maison de Port-Royal où l'art de l'éducation et de la pédagogie atteignit une perfection inconnue jusqu'alors. Les Arnauld, les Sacy, les Lancelot, et tous les autres solitaires qui étaient venus se grouper autour du célèbre monastère, menaçaient d'éclipser par leur science et leur méthode large, la réputation des établissements de la Compagnie de Jésus; aussi voyons-nous, à partir de ce moment, la redoutable société travailler à la ruine de Port-Royal, en employant tous les moyens possibles, et en particulier celui de l'accusation d'hérésie janséniste. C'est ainsi qu'a l'occasion de deux lettres publiées en 1()55 par le docteur Antoine Arnauld, sur la conduite d'un prêtre de la paroisse Saint-Sulpice, qui avait refusé l'absolution a M. le duc de Liancourt, les jésuites obtinrent de la Sorbonne une condamnation de ces lettres, et peu de temps après l'exclusion de leur auteur du sein de la faculté, ainsi que la suppression des écoles <te Port-Royal des Champs. C'est cette condamnation d'Arnauld qui donna lieu à la composition des fameuses Lettres -ProutMCM~M de Pascal. Ici apparaît une question autour de laquelle tous les événements gravitent, question centrale qui soulèvera des tempêtes, qui
engendrera des mesures de la dernière violence, c'est la question du /a!'< et du dt'Ot't. Nous ne sommes plus habitués à ces passions ardentes pour des questions de ce genre; elles ne nous apparaissent plus que comme de vaines subtilités, mais alors, à la cour comme à la ville, en haut comme en bas, on ne parlait que de la distinction du fait et du droit. Ce que l'on appelait le droit, c'était de savoir et de déterminer si les cinq propositions étaient hérétiques. Ce que l'on appelait le fait, c'était de connaître et de démontrer si ces cinq propositions étaient dans le livre de Jansénius, si, en tout cas, dans ce livre. elles avaient un sens hérétique.–C'estapartirde 1660 et de 1661 que les ordres de la cour deviennent pressants, inéluctables au sujet du formulaire. Le Père Annat, jésuite, était alors confesseur du roi, il .ne lui fut pas difficile d'amener son auguste pénitent à favoriser les desseins de sa compagnie; or ces desseins n'avaient pas d'autre but que l'anéantissement de Port-HoyaI. Sous l'influence de son confes'seur, le roi ordonna que le formulaire serait signé par tous les ecclésiastiques, et même par les religieuses; on le présenta donc aux religieuses de Port-Royal qui, après avoir signé d'abord avec des restrictions écrites de leur main, refusèrent ensuite de mettre leur signature aux formulaires successifs qu'on leur présenta. Plusieurs 'de ces religieuses moururent d'appréhension ou de douleur par la crainte où elles étaient de blesser leur conscience (voir l'art. Po)'<Royal). C'est vers cette époque qu'eut lieu le miracle de la .sainte f~t)te, qui s'opéra sur une nicce de Pascal, la jeune Marguerite l'errier, pensionnaire de Port-Royal. Mais le récit de cet événement appartient plutôt à l'histoire de ce monastère, qu'a celle du jansénisme. Les religieuses ne furent pas les seules à résister aux ordres de la cour; quatre prélats, MM. Pavillon, évoque d'Alet, Caulet, évêque de Pamiers, Buzanval, évoque de Beauvais, Arnauld, évoque -d'Angers, refusèrent de se soumettre au formulaire. La cour était résolue aux mesures les plus rigoureuses à l'égard de ces derniers, lorsque dix-neuf archevêques et évêqucs écrivirent au roi et au pape Clément IX qui avait succédé a Alexandre VII, pour prend'e la défense de ces prélats; des négociations furent entamées et elles amenèrent un rapprochement entre les deux partis. En septembre 1668 ~les quatre évoques signèrent le formulaire pour la question de droit, promettant seulement de garder un silence respectueux sur la question de fait. C'est ce qui amena ce (lue l'on a appelé depuis « la paix de Clément IX. » Cette paix fut donnée en janvier I6G9, au moyen d'un bref dans lequel le pape déclarait qu'on n'était pas obligé de croire que les cinq propositions fussent dans le livre de Jansenius. Cette paix s'était négociée à l'insu des jésuites'dont elle entravait les projets. Le Père Annat. interprète des sentiments de sa compagnie, laissa échapper ce mot terrible en parlant au nonce, que « par une faiblesse d'un quart d'heure, il avait ruiné l'ouvrage de vingt ans. » Aussi, voyons-nous ces Pères travailler sourdement dès lors à amoindrir les effets de cette paix, jusqu'au moment où ils parviendront à les anéantir complètement. Il y eut toutefois, après cet événement.
une période de tranquillité relative, pendant laquelle de grands travaux furent accomplis; tels sont les ouvrages de pure édification comme la traduction de la Bible, avec les notes, par deSacy.DuFossé et Tourneux; et ceux de controverse comme la Perpéluilé de la ~t, par Arnauld et Nicole. Ce dernier travail, véritable monument d'érudition et de patience, avait été composé pour combattre les protestants. C'est ici le moment de relever ce fait que les jansénistes, qui étaient protestants par plus d'un côté de leurs doctrines et de leurs sentiments, se sont toujours montrés hostiles aux protestants pourlesquels ils eussent dû éprouver, semble-t-il, une certaine sympathie. Ils voulaient racheter leur dissidence aux yeux de Rome en combattant ceux dont. ils étaient plus rapprochés que de Rome elle-m&mo leur zèle à poursuivre sans relâche et sans pitié ces protestants qui avaient déjà tant a souffrir d'un autre côté, est une tache ineffaçable dans l'histoire des jansénistes. Ces hommes, si grands d'ailleurs, si intéressants dans leur christianisme austère et vraiment élevé, ces hommes ont frappé à terre des adversaires qu'ils auraient dû tout au moins estimer, sinon aimer. Les jansénistes, c'est un des traits qui les ont toujours distingués, ont eu le triste courage de réserver leurs coups les plus rndes, leurs paroles les plus amères et leurs outrages les plus sanglants pour ces protestants dont ils ont été en tout temps les plus aimés! Cette paix fut soudainement troublée en 1702 par la publication d'une décision de quarante docteurs de la Sorbonne et qu'on appela « le cas de conscience )). C'est à cette occasion que la guerre se ralluma. Il s'agissait de savoir si on pouvait donner l'absolution à une personne qui, tout en condamnant les cinq propositions comme étant hérétiques, refusait d'admettre qu'elles fussent dans l'ouvrage de Jansénius. et qui signait néanmoins le formulaire sans mentionner cette restriction. Le « cas de conscience x fut condamné par un bref de Clément XI en février 1703. Ce bref n'ayant pas été bien accueilli en France, on engagea Louis XIV a demander au pape une bulle sur la question do savoir si le silence respectueux suffisait sur le fait de Jansénius. Clément XI donna eu conséquence le 13 juillet 1705 la bulle t~neam DoHtuM où il est dit que le silence respectueux ne suffit pas pour obéir aux constitutions données précédemment sur cette affaire; la bulle se termine par une nouvelle condamnation de Jansénius dans les termes les plus énergiques, qui vont jusqu'à fulminer l'anathème. Toutefois, les choses auraient encore pu se pacifier par le besoin de repos qu'éprouvaient les deux partis après tant de luttes et de contestations, si tes jésuites, toujours à l'affût d'un sujet. de discorde pour anéantir leurs adversaires, n'eussent tout à coup suscité la dispute et appelé les foudres de Rome sur un livre plein de piété qu'on lisait partout avec admiration depuis plus de trente ans. Nous voulons parler des ~eflexions MtOt'aiM sur le Nouveau 7'es!ame)X, par le père Quesnel, ouvrage sur lequel il est indispensable de donner quelques détails rétrospectifs pour l'intelligence de ce qui suit. Le père QuesncI avait fait paraître ces .Re/~a't'OM pour la première fois en 167), mais alors elles étaient loin
de revêtir les proportions qu'elles devaient avoir plus tard. L'ouvrage, à sa première apparition de 1671, était intitulé ~n~e de la morale de l'Evangile, ou pensées cAT'e<t6!t)!e~ sur le texte des quatre évangélistes, pour en rendre la lecture et la méditation plus faciles à ceux qui commencent à s'y appliquer. C'était un petit volume in-12, renfermant une traduction des quatre évangiles, accompagnée de très courtes réflexions sur chaque verset; ce volume était revêtu de l'approbation dcM. Félix Vialart de Herse, alors évêque de Chalons-sur-Marne. En 1679, c'està-dire huit ans après, parurent en un volume in-12 des réflexions très courtes aussi sur les autres parties du Nouveau Testament. Une autre édition augmentée d'un volume parut en 1687. Toutefois, ce ne fut qu'en 1693 que l'ouvrage presque doublé d'étendue parut en quatre forts volumes in-8". Il serait superflu de noter toutes les éditions qui se succédèrent dès lors avec rapidité. Le successeur de M. Vialart à l'évêché de Chàlons, M. Louis-Antoine de Noailles qui fut plus tard archevêque de Paris et cardinal, approuva l'édition de 1693 et eut une grande part à celle de 1609 qui parut sous ce titre Le Nouveau Trament en /t'a?)caM, avec des )'<?M'to)M nto'e~M sur chaque verset, pour en ~e):</re la ~c<tH'6p!Mt<~e et la méditation plus aisée. Dans son mandement pour l'édition de 1693, le cardinal de Noailles avait invité son clergé à lire les ~<0!M qu'il qualifiait de « saintes et savantes », et comme renfermant « ce que les saints Pères avaient écrit de plus beau et de plus touchant sur le Nouveau Testament. » Le prélat ajoutait qu'en offrant ce livre à son clergé, il lui donnait un ouvrage « plein d'onction et de lumière, ou les vérités de la religion étaient traitées avec cette force et cette douceur du saint Esprit qui les fait goûter aux cœurs les plus durs. Vous y trouverez, disait l'évoque à ses prêtres, de quoi vous instruire et vous édifier. ce livre vous tiendra lieu d'une bibliothèque entière. ? » C'est ce livre, approuve par deux évoques, par plusieurs docteurs de Sorbonne, et surtout sanctionné par l'usage qu'en faisaient les âmes pieuses depuis plus de vingt ans, c'est ce livre, disons-nous, que l'animosité des jésuites attaqua avec la dernière violence. Des pamphlets parurent où il était dénoncé comme une production hérétique, fausse, dangereuse et condamnable; aussi voyons-nous paraître, le m juillet 1708, un bref de Clément XI qui le frappe d'anathème et qui le condamne au feu. A partir de ce moment les prohibitions et les condamnations pleuvent sur les T~M'to'M ~no~M; supprimées par arrêt du Conseil en 1711, proscrites par le cardinal de Noailles en 1713, elles sont irrévocablement condamnées le 8 septembre de la même année par la trop fameuse bulle Unigenitus. Dans cette bulle. étaient cent et une propositions tirées de l'ouvrage de Quesnel, et chacune de ces propositions était flétrie et condamnée comme fausse, pernicieuse, renfermant un « venin très caché, semblable à un abcès dont la pourriture ne peut sortir qu'après qu'on y a fait des incisions H; or la bulle, on le comprend, était le scalpel salutaire opérant l'incision. La bulle qualifie les cent-une propositions extraites des~teflexions mo''a/e~ de « captieuses, malsonnantes, téméraires, capables
de blesser les oreilles pieuses, scandaleuses, injurieuses à l'Eglise et à ses usages, outrageantes, séditieuses, impies, blasphématoires, suspectes d'hérésie, sentant l'hérésie, erronées, approchant de l'hérésie, souvent condamnées et hérétiques. » Or, veut-on savoir quelles étaient ces propositions stigmatisées avec tant de violence, nous n'en citerons que quelques-unes qui permettront de juger des autres. 2° propM;<!0)! co)!t<a')))!fe: « La grâce de Jésus-Christ, principe efficace de toute sorte de bien, est nécessaire pour toute bonne action. Sans elle non seulement on ne fait rien, mais on ne peut rien faire." –26""propo~f<oMM))da)H))M« Point de grâces que par la foi, 27°p!'oposition coodootttfe.' « La foi est la première grâce et la source de toutes les autres, n 7')''pfopo~o;< CM!t/am;]ee « « )! est ulile et nécessaire en tout temps, en tous lieux et, à toutes sortes de personnes d'étudier l'Ecriture sainte, et d'en connaître l'esprit, la piété et les mystères, » 80" ~rujoM~OH cc'!(/oM)))M « La lecture de l'Ecriture sainte .est pour tout le monde. » 81° p)'opo~<oH cojtfon~M L'obscurité sainte de la Parole de Dieu n'est pas aux laïques une raison pour se dispenser de la tire. )) 82'' p)'f)p<M~fon cc)!~a))t))c'6 « Le dimanche doit être sanctifié par des lectures de piété, et surtout des saintes Ecritures. C'est le lait du chrétien, et que Dieu même qui connaît son œuvre lui a donné. Il est dangereux de l'en vouloir sevrer, x 8i* proposition coi;dam)!M » C'est fermer aux chrétiens la bouche de Jésus-Christ, que de leur arracher des mains le Livre saint du Nouveau Testament, ou de le leur tenir fermé, enicur ôtant le moyen de l'entendre. )) 85° propo~/o): con<f«)))))M « Interdire la lecture de l'Ecriture sainte, et particulièrement de l'Evangile aux chrétiens. c'est interdire l'usage de la lumière aux enfants do la lumière, et leur faire souffrir une espèce d'excommunication. » TeUes sont ces propositions qualifiées de fausses et de scandaleuses et contre lesquelles, comme on l'a vu plus haut, la bulle entasse les flétrissures et les condamnations. – Cependant la bulle n'en fut pas moins acceptée par les évoques et enregistrée en Sorhonne. Quelques prélats refusèrent pourtant de s'y soumettre, parmi lesquels les plus célèbres étaient La Broue, évoque deMirepoix; de Langlc, évoque de Boulogne Colbert, év&que de Ilontpellier; Soanen, évCquede Sencz. Ces évoques en appelèrent delabulfe au prochain concile, et, avec eux, un grand nombre d'ecclésiastiques, tant du clergé séculier que du clergé régulier; de là le nom d'~tppe/a))~ qui leur fut donné. Le cardinal de Noailles et quelques autres évoques qui avaient d'abord refusé de se soumettre a la constitution ~t'~nt~, l'acceptèrent plus tard. Une minorité assez forte persista dans sa résistance jusqu'en 17~0, époqueà laquelle un accommodement eut lieu entre les deux partis, par suite des négociations entamées entre la cour de Rome et les opposants, sous les auspices de l'abbé Dubois, premier ministre du Régeut et archevêque de Cambrai. Les ruses et les intrigues de ce dernier obtinrent ce résultat dont le chapeau de cardinal futia récompense. Néanmoins, une dernière fraction de cette minorité refusade se soumettre a ta « constitution)),etpcrsistadanssonappel;
elle compose pour ainsi dire le bataillon sacré et comme la dernière réserve du jansénisme agonisant. Et à mesure que le nombre de ces « appelants )) inébranlables diminuait, leur foi dans la justice de leur cause augmentait; ils étaient opprimés, et cependant ils ne cédaient pas ils s'exaltaient en raison même de leur sincérité en face de l'opposition qu'on leur faisait. Mourir sans s'être soumis à la huile, persévérer dans « l'appel » jusqu'au dernier soupir, devint dès lors pour cette minorité ardente et convaincue, un signe de piété exceptionnelle, une preuve qu'on était mort en odeur de sainteté. Parmi ces fidèles « confesseurs de la vérité », fut ~e diacre Paris qui mourut en 1727 et qui fut enterré dans le cimetière de Saint-Médard son tombeau, où les « appelants se rendirent en foule, fut témoin de guérisons qu'on déclara miraculeuses. L'exaltation était arrivée il son comble et les convulsions des pèlerins au tombeau du pieux diacre achevèrent de compromettre le parti de « l'appel », et consommèrent la ruine du jansénisme.–Depuis cette époque, le jansénisme a cessé d'être un parti proprement dit; pourtant, il est demeuré a l'état d'esprit et de tendance qui se sont fait longtemps sentir dans t'Kghse gallicane dans le domaine des institutions liturgiques et des habitudes religieuses. Ce n'est plus qu'en Hollande qu'on le retrouve, quoique très affaibli, sous une forme ofticielle et organisée. Nous voulons parler de l'Eglise d'Utrecht. Tandis qu'en France, le jansénisme était traqué jusque dans ses derniers retranchements et qu'il succombait sous les coups réitérés d'une cruelle oppression, il allait, chose remarquable, trouver uu refuge dans le pays même où il avait pris naissance, dans les Pays-Bas. En 1699, l'archevêque d'Utrecht, Pierre Codde, dont le titre canonique était celui d'archevêque de Sébaste, fut accusé de jansénisme. Le pape Innocent XH établit une congrégation de dix cardinaux pour examiner sa doctrine; l'archevêque fut mandé à Rome ou il fut sommé de se justifier. L'affaire traîna pendant près de trois ans, puis, le 7 mai 1702, la congrégation le condamna, prononça sa suspension, et nomma pour le remplacer un certain Cock, à qui elle conféra le titre de vicaire par intérim. Mais l'autorité civile de la Hollande défendit au nouveau vicaire d'exercer ses fonctions. Le clergé et les fidèles soutinrent leur archevêque, et, lorsque ce dernier fut déposé par décret du pape Clément XI, le 3 avril 1704, ils résistèrent à la décision papale c'est ainsi que, quoique entièrement catholiques en toutes choses, ils se trouvèrent dès lors indépendants du siège de Rome. L'Eglise janséniste d'Utrecht ne compte plus que 5.000 personnes environ au nombre de ses membres; elle est gouvernée par trois prélats, l'archevêque d'Utrecht, l'évêque de Harlem et l'évoque de Uoventer elle a un séminaire à Amersfoort où son clergé est préparé avec soin dans l'esprit de l'Eglise qu'il doit servir. Les jansénistes de Hollande se distinguent encore aujourd'hui par des mncurs austères, une piété rigide et une intelligence profonde des saintes Ecritures, pour lesquelles ils ont un attachement plein de respect et d'amour. En France, depuis l'époque du concordat, )e jansénisme n'nppa-
rait plus que comme un faible courant d'idées qui coule, il est vrai, dans le même lit qne le flot ultramontain, mais qui ne se mêle jamais avec lui. C'est ainsi que, complètement anéanti comme force militante et ostensible, il est demeure dans le sein même de l'Eglise qui le repoussait, à l'état de principe latent qui s'est plus d'une fois manifesté par une sourde résistance aux envahissements de la curie romaine. Jusqu'à ces dernièrss années, il a eu des représentants dans l'épiscopat, dans les hautes régions ecclésiastiques et dans le clergé nombreux des villes et des campagnes. Formant ainsi une petite Eglise dans la grande, sa minorité timide constituait une sorte de confrérie occulte dont les membres se recherchaient avec un soin jaloux et une sollicitude touchante, se sentant frères dans le sentiment d'une communauté de convictions et d'infortunes. Ceux qui faisaient partie decettefamille religieuse avaient leurs prêtres, leurs confesseurs particuliers, leurs livres spéciaux, toujours dus àiaplumo autorisée de quelque docteur janséniste. Les ruines de Port-Royal étaient le lieu favori où leur piété aimait à se retremper par la méditation et la prière. Opposés à toutes les dévotions nouvelles, sobres dans celles qui ont la vierge Marie pour objet, ils s'efforçaient d'échapper aux regards de la hiérarchie ecclésiastique et de se soustraire à ses rigueurs. Il est encore à l'heure présente dans plus d'une paroisse et dans plus d'un presbytère des âmes qui gémissent sur ce qu'elles appellent « les maux de l'Eglise M, et s'il est difficile de les compter, il est peut-être plus aisé de les reconnaître aux signes caractéristiques qui les distinguent, la vertu, la science, une religion exacte, une austérité allant parfois jusqu'au rigorisme, et une piété un peu sombre, mais devant le sérieux de laquelle on ne peut éprouver que du respect. Outre les dix mille ouvrages de polémique sur les cinq propositions et sur la bulle P)!<Mt;M~, le jansénisme a produit toute une littérature religieuse de la plus grande richesse. Commentaires, traductions des Pères, histoire ecclésiastique, théologie pratique et ouvrages ascétiques abondent dans les productions de cette école savante et profondément chrétienne. Depuis la grande Bible de Port-Hoyal jusqu'aux lettres de Duguet, il y a là pour l'étude et la méditation, une source d'enseignement aussi précieuse que féconde et trop peu fréquentée. Le jansénisme a eu le tempérament didactique, ce que l'on nomme l'onction semble lui avoir fait défaut un écrivain de nos jours, l'abbé Gerbet a pu dire « le don de la prière lui a manqué. La note.tendre du mysticisme dont il a été l'ennemi, est absente de la phrase correcte de son rigide langage; sous ce rapport, il a été incomplet, il faut l'avouer, mais il a été si grand, si sérieux sous tant d'autres, qu'il reste une des formes les plus vraies et les plus augustes de la piété chrétienne. Sources (dom Gerberon) ~t'OM'e d~ ./aH~tMme (l'abbé Racine) Hist. ecc~M.; llecueil de plusieurs pièces pour servir à l'hist. de Po~Hoyat; (Besoigne) -H't~. de l'abb. de Porf-~o~/aJ; ~VoMt~HM eccM~a~ques J/emoM'M de l'abbé /.eye~dff Recueil de ptMM qui n'oK pas encore paru sur le /b)'Mu<ai'rc; les bulles et constitutions dMpapM;
(Cerveau) A~'o'o~g (et ~MppJc'Msnt) des plus célèbres d~?M~M~ et confesseurs de la Mr<~ (Colonia) Biblioth, ~aTMeH. (Guilbert) Mémoires; MemoM'MpoM!'M!'DM'<[ <n' ecc<. pendant le d~'a'tHt'~te s:ec/e;(PIuquet) Dtc' des Hérés.; (dom Clémencet)~ gert. de PortRoyal (Gudver)~aCo<M~M<tOK t/H~6)MftM;(leP.LabeIIe) Nicrologe des Appelants et Opposants à la bulle ~tt~n~us; (Barrai) Les Appelants célèbres; (Le Bas) Dict. c<tct/c!oped. de~Frcmce; ~4.H)i<!<Mpou)'serutt' d'étrennes aux amis de la vérité; ~it)'f~e c~ro)to<o</t~ue cfMprMio'ps!~)!' événements ~ut o?t< precédé la co!ts<t<M<to~ Unigenitus; jE'a;p<«'a<~H otre'~M des prHtCtpa~M çue~ttL))u qui o!t< ra~por~ aux affaires préseliM.! (s. 1., J732); (Bossuet) Averlissenaerct sur le livre des ~~a'. M!f" (éd. Bcauce-Husand, t. XXV); (Fouilloux) IIéxaples, ou les six cotomes de la Co~Mt:/tt<tOH; (Quesnel) Histoire dit formu~atre; (le P. Sf'rry ~i'stof! co~e~a<t0)!gnt de ~tta"~t'M; Histoire de la congrégation Unigenitus ~t6d6~f.PdrM,d:acr6du diocèse de Paris (Montgeron, Carré de) Ga vérité des miracles opérés rt'K~'ceM:o)i~e..V. dePafM~ autres Appellans (Gauthier) La Vie de messire Jea~ ,So<mfn, cuf~ue de 'S'MM~. A, MAULVAU~T. JANSENS ELINGA (François), dominicain, né à Bruges, mort en i7t5, fut un des plus célèbres canonistes de son temps. I) professa la phi)osophie à Louvain, devint, premier régent des études à Anvers, et fut trois fois provincial de la basse Germanie. On a de lui un grand nombre d'écrits, parmi lesquels nous citerons 1° .')M;o)'MD. 77tO))Mt j4~M:'tatM, etc., Gand. 1604; 2" CeriM~~mum ~utd ceriiMMD~uen~tOs p!'odoci7'tnadcc<o)'Ma)~e!t'cr, 3''Co!)<ot)e~ in /ta°)'6<tcos opuscu!t')7t, Anvers, t673; 4° Suprema Romani Pot!tf/ Au;o)'t<os, e/u.s~Me extra 60!t'c:<tM!K ~eH<t'a<e d~t~~ntMM)/<t6'~<a~, Bruges, 1689; S" Summa totius doc~'MttS de .RonMnt pontificis at~or~a/e et i')t/t!~<&t<t<a~, 13 artictalis comp)'c/M;!M, Bruges, tS90; /</r?Ha et Esse ece~cp C/M«, qux di;M ~s< est apud ro?itaHO-ca/Ao~'co~, 170~; Dissertatiortes ~eo~o~~ M~c/~ de ~'H:<a~'on6!M ~u~ott&i~ /toe :ËH!po)'e t)t scolis dt.s'ptttatis, 1707.
JANSON ou Jansonnius (Jacques) naquit à Amsterdam en l'an 1M'?, et mourut Louvain le 20 juillet d625, âgé de soixante-dix-huit ans. Un sait peu de chose de sa vie qui se résume dans les ouvrages qu'il a laissés. Docteur de l'université de Louvain, il y devint professeur en théologie et doyen de l'église collégiale de Saint-Pierre. Ses ouvrages, oubliés aujourd'hui, sont les suivants 77!Mc~M C'a.tû~'f! ~CC/MM. FMrro«0 faM!'0)!M; ~MCt'!<Ht ~/M.M? C~HOH<'M; CtWiMM!<<M ~M)' les ~st<??! in- CcMtHie~xatre sur le C~t!<~tt6 des Cf!n!tç~s.<, in-8"; Commen~ttre ~nr Job, in-f° Commentaires sur l'Evangile de saint Jean, in-8°; tous ces Commentaires sont faibles et manquent de science. Janson a aussi laissé quelques Oraiions /t/t)e&res dépourvues des qualités que demande ce genre de discours.
JANSSENS (Jc:ui-U'*)'man), prot'esscur d'cxégëse et de dogmatique au séminaire de Leyde, né à Maeseyk, province de Limbourg, en 1783, mort l'an )8.'i5. Outre son Histoire des Pays-Bas, écrite au point de vue orangiste, Janssens a laissé une .m~Mt MCM seu :')i<o-
duc<M M!o?H)!e! c< singulos !t~rM sacros ~<e!'M ac ~Vouj: Fo'~rtf!, Liège, 1818, 2 vol. in-8"; 2' éd., Paris, t8ot, en 1 vol.; 3" éd. (<f€t-eo!upa, mot~M :)MtM!)~rM M'pur~a), Turin, 1858, en 1 vol., qui lui valut, dans les divers pays catholiques, une certaine réputation. Lorsque l'abbé Janssens publia cet ouvrage, il y eut de vives réclamations dans une partie du clergé belge, qui ne le trouva pas suffisamment orthodoxe. Il a été tenu compte de ses critiques dans la troisième édition; les éditeurs fiançais (J. J. Blaise, traduction avec notes de J. J. Pacaud, Paris, 1827 et 1833, 3 vol., in-8" et in-12 l'abbé Sionnet, Paris, 1830) n'ont également publié I'/7~?'tHe)!et<<~e de Janssens qu'avec des additions et des retranchements considérables dont quelques-uns ne paraissent nullement fondés et qui sont d'ailleurs insuffisants à le mettre au niveau de la science biblique actuelle.
JAPHET (Yapëth; 'J~S), fils de Noé (Genèse V, 32; VII, 13: IX, 18), est cité comme l'ancêtre des nations répandues dans l'Ouest (Europe) et dans le Nord (Asie). Chez les anciens Hébreux, Japhet passait pour le troisième tlls de Xoé et, dans l'énumération de la Genèse, il occupe, en effet, toujours la même place (Gen. VI, 10: VII, t3; IX, i8, etc.). Dans un seul passage (Gen. X, 21), Sem est nommé le frère de Japhet le grand, c'est-à-dire de 1 a!né. Toutes les interprétations ne changeront pas cette expression qui indique une conception différente de l'ordre chronologique primitif. Les peuples qui, d'après les tables généalogiques de la Genèse, descendent de Japhet, appartiennent pour la plupart an cycle des peuples indo-germaniques. Néanmoins quelques-uns d'entre eux appartiennent indubitablement a une autre race, par exemple les Mescech et les Tubal (Tibaréniens) qui habitaient au sud-est de la mer~oire. En tout cas ce n'est pas une parenté linguistique que l'auteur n'était pas en état de contrôler, mais des rapports géographiques qui caractérisent, l'unité de ces peuples. Voir pour les détails les articles concernant les différents fils de Japhet. L'étymologie du nom de Japhet est incertaine. Malgré la ressemblance du nom avec Japeter, le père de Prométhée, on ne saurait en inféror une origine grecque. Sources Pach,CoM!Kf~<~t)'M~M)'~ C~x'.M; Knobel, Tables <~tM~M~cs</c la Genèse, 1830; Kiepert, Mwr ~M~go~rap~Mc/M -S'<<u~ der tturd~'c/te;: Z.f~e)' !j( t/~ ~))~teA-/tf&r~Mc/'eH ~'<iit~<!tt(.it}tia/M ~Mt/enttc des Sciences do Berlin, 1859).
JAPON (Statistique ecclésiastique). Après avoir été longtemps pour l'Europe la terre du mystère, l'archipel japonais, ouvert depuis quelques années au commerce et à l'influence de l'Occident, livre peu à peu ses secrets aux explorateurs. Le Japon adopte rapidement, trop rapidement peut-être, les mncurs et les institutions européeuncs, et dans quelques années, le statisticien possédera sur les diverses branches (le la vie nationale tous les renseignements capables de l'éclaircr. .\)ais on n'est pas encore parvenu ce point, et les chiffres officiels font défaut notamment pour tout ce qui touche a l'état religieux du pays. La population était, d'après le recensement de 18' de :!3,m~.37i) .unes, dont 33,3)3,162 pour les îles japonaises propre-
mentditcs, et3H,217 pour les îles tributaires, Kouriles, Bonin, etc. Le peuple japonais paraît être un des moins religieux du monde, et son culte se réduit le plus souvent à des cérémonies et des formes, dont l'élément vraiment religieux semble complètement absent et que l'on a pu non sans raison appeler une politesse pour les ancêtres et le monde inconnu plutôt qu'une religion véritable. Les Japonais appartiennent à trois groupes religieux principaux, le shintoïsme, le bouddhisme et la doctrine de Confucius.–1. Le shintoïsme ou culte des A'cmu's ou génies est l'ancienne religion du Japon. Les adhérents du culte adressent leurs hommages aux ancêtres et aux esprits qui président à toutes les choses visibles et invisibles. Mais il ne semble pas que ce culte repose sur des croyances arrêtées. Les témoignages les plus sérieux ne sont pas d'accord, même sur des questions fondamentales. Est-ce seulement le souvenir d'êtres anéantis que l'on révère, ou bien à des êtres existant actuellement que s'adressent les hommages? Les rapports des voyageurs diffèrent sur ce point, cependant la majorité des témoignages semble établir que Icsshmtoïstes croient à l'existence de l'âme après la mort. Le souverain du Japon, le daïri ou wy/ta~o est en même temps le grand pontife du shintoïsme, et passe pour le descendant de la première des déesses, de T~t-ttodaï-sia. Les prêtres étaient en 1874 au nombre de 8,804. Pour honorer les esprits, on leur élève des mn/t ou temples de bois, dont le nombre est de 27,000 environ. Ces temples ne contiennent point d'idoles, mais des symboles de la divinité ces symboles consistent en bandes de papier attachées à des bâtons de bois de thuya. Les sacrifices offerts à ces symboles se composent surtout de comestibles, riz, gâteaux, etc. Le shintoïsme est la seule religion qui figure au budget de. l'Etat japonais. Nous y trouvons, sous la rubrique « clergé et sanctuaires )) 180,600 yens en 1875-76, 220,000 yens en 1876-1877, 180,600 yens en 1877-78, (le yen vaut un peu plus de 5 francs). 2. Le &ou(<f</tMnt6 a été apporté de Corée au Japon, vers l'an 543 de notre ère; il y fit de rapides progrès tout en se mélangeant plus ou moins au sbintoïsmc. Il y a vingt ans encore, la religion née de ce syncrétisme était celle de la majorité des Japonais. Les révolutions qui ont rendu au daïri l'intégrité de son pouvoir politique, ont été le point de départ d'une réaction en faveur de l'ancien culte national et d'un mouvement de recul du bouddhisme. Néanmoins les adhérents de cette religion se comptent encore par millions au Japon on évalue le nombre de leurs temples à 122,280, et le recensement de 1874 a constaté l'existence de 198,363 bonzes et de 7,680 religieuses bouddhistes. 3. La doc~rme C'o;MCt(M est professée par un assez grand nombre de membres des classes élevées; mais, même parmi eux, elle est le plus souvent mélangée d'éléments empruntés au shintoïsme ou au bouddhisme.–Enfin, dans les districts montagneux du Nord, les populations, presque sauvages, croient à une sorte de fétichisme dualiste, sur lequel on ne possède encore que fort peu de renseignements. Quant au christianisme, il a jusqu'à présent fort peu pénétré au Japon. Cependant, il y a un certain nombre d'adhérents,
tant européens qu'indigènes convertis. Les étrangers chrétiens sont au nombre de 1,838 (1871) tant catholiques que'protestants. Quant aux convertis des missions, il est difficile d'en apprécier le nombre. -Les missions catholiques furent entreprises en 1549, par des jésuites sous la conduite de François-Xavier. D'abord assez bien vus par le gouvernement, ils réussirent il convertir un grand nombre de personnes et, vers la fin du siècle, on évaluait à 150,000 le nombre des catholiques japonais. Mais les dispositions bienveillantes du pouvoir ne tardèrent pas à se modifier, les jésuites furent expulsés en 1633 et de terribles persécutions firent presque disparaître le catholicisme du Japon. Cependant l'œuvren'ajamais été complètement interrompue, et depuis que le pays est ouvert aux étrangers, la mission a repris une certaine activité. Dans la hiérarchie catholique, la contrée forme deux diocèses, les vicariats apostoliques du Japon méridional et du Japon septentrional. Le nombre des convertis est encore fort minime. Moindre encore est celui des missions protestantes. Seuls admis pendant longtemps à commercer avec le Japon, les Hollandais ne tentèrent rien pour y répandre leur foi. Les missions n'ont vraiment commencé que dans ces dernières années plusieurs sociétés sont a F œuvre, et l'on peut espérer que les fruits répondront aux efforts tentés. Bibliographie -4<manacA de Go<Aa, 1879 M. Du Pin, Le Japon, Paris, 1868 C. H. Eden, Japan. /fM<c)'!ca< and Descriptive, Londres, 1877 Wm. Ellist. Griffis, 7/M .M~ado'~ Empire, NewYork, 1876; B. Taylor, J&jMM !)t our day, New-York, 1871, etc. E. VAUCHEH.
JAPON (Religions du). Voyez Or!<'H< (Religions de l'extrême-). JAQUELOT (Isaac), pasteur et publiciste protestant, né a Vassy, le 16 décembre 1649. Il fit de fortes études, reçut de son père, pasteur a Vassy, une éducation très distinguée et très sérieuse, et acquit tout jeune une grande réputation oratoire. 11 fut le collègue de son père à Vassy. A la révocation de l'édit de Nantes il se réfugia d'abord a Hcidelberg, puis à La Haye, où il fut nommé pasteur en 1686 par le corps des nobles. Le roi de Prusse, Frédéric I", le désira pour chapelain. Jaquelot, à la suite de démêlés pénibles avec Jurieu, quitta volontiers la Hollande, et, après un séjour à Bâle, il se rendit à Berlin en 170:2 et demeura jusqu'à sa mort (1708), prédicateur de la cour.-On peut ranger sous ces quatre chefs les écrits de Jaquelot:les traités philosophiques, les traités polémiques, les sermons, les écrits apologétiques. Les traités, philosophiques sont D!Mer<a<tO)t sur l'existence de Dteu, où l'on de~on~'e cette vérité par ~tM~OM'e uKt'oer~eMe de <a preMi'ere a)!~M~edMm.O!!de, pat'~)'e/M<a<tO)tdns~<em6 d'~ptCMt'c et'de Spinoza, par les ca)'ae<et'Mdediu:M~gut~'ffn)at'~u<Mtda)Mf<t religion des juifs et dans l'établissement dit c/M't'~tfMtMme, La Haye, 1697 Examen d'UM Mrj<<yMt6tpoMr titre jMdtCtMMde argumento Csr<Mtt pro M;t'~eMna -Dei.petito ab ejus idea, Basil., 1690. Jaquclot exposait et défendait le spiritualisme au milieu des tendances contraires du moment. Le scepticisme avait son représentant brillant et infatigable dans l'illustre Bayle. Le dogmatisme sincère, violent, rigide de Jurieu
ne dédaignait pas d'emprunter certains arguments du scepticisme, en particulier sur la corruption radicale de la conscience et de la raison et sur la nécessité logique du don surnaturel de la foi. Le sensualisme naissait avec Locke qui s'efforçait de ruiner le spiritualisme et la doctrine de Descartes. Jaquelot lutta contre ces tendances extrêmes. Ses écrits philosophiques, auxquels on peut reprocher un étalage fatigant d'érudition, furent particulièrement estimés, placés même au-dessus des traités de Fénelon sur la matière et même exaltés par les catholiques. Les écrits polémiques occupent une grande place dans l'oeuvre de Jaquelot. Il eut. à se défendre contre Jurieu et contre Bayle. Jaquelot est arminien et, comme tel, il eut des démêlés avec Jurieu, l'intraitable calviniste. Il fut cité par Jurieu au synode de Leyde (1691), comme suspect de tendances modérées et universalistes. D'un autre côté Jaquelot eut avec Bayle une longue polémique. Bayle avec son scepticisme prétendait confirmer la religion, en démontrant l'absolue impuissance de la raison. Jaquelot au contraire considérait la religion comme répondant aux besoins de la raison et de la conscience et ruiner la raison et la conscience c'était, pour le théologien arminien, ruiner la religion. Contre Jurieu Avis ~M' le tableau du MCMUanMme de ~f. Jurieu; De Jésus-Christ, qu'il est <e.MeM!ee<!ef)'atDteu, 1692, La Haye; quatre sermons pour effacer l'impression que les attaques de Jurieu avaient faite dans les esprits. Contre Bayle Con/orMtKe de la foi et de la raison ou défense de la religion contre les /M'M!c~a~ d~cu~M répandues dans le Dtc~oMaH'e critique de J/. Bayle, Amsterdam, 1705; ~Mmen de la ~eo~ooMde ~Ba~e répandue dans son Dictionnaire critique, dcmsdM Pensées sur les comètes, etdansses Réponses' à ~n pt'ot~/tcM~, où ~'on défend la conformité de la foi et de la raison contre la réponse, Amsterd., 1706; et enfin Réponse aux entretiens comyM~ par Bayle contre sa c~/b}'tMt<ë de la foi et de la raison et r~ameK de sa théulogie, Amsterd., 1707. Jaquelot est surtout célèbre comme orateur. « II parlait en maître, » dit Nicéron. En dédiant à la reine de Prusse l'ouvrage d'apologétique de son mari, sa veuve dit « J'ose espérer que ma témérité me sera pardonnée en considération de l'honneur qu'a eu feu mon mari de prêcher, avec une approbation générale, pendant plusieurs années dans la chapelle du roi. « Jaquelot appartient à l'école nouvelle qui se dégage de la vieille méthode, de l'interprétation purement littérale du texte, pour saisir la pensée même et l'exposer en ses traits généraux. « Il prenait un plus haut vol, dit Basnage de Beauval, et réduisait le sens de son texte à ce qui était plus propre à instruire et à édifier. Il parait que les moyens oratoires extérieurs, la voix au moins, lui faisaient défaut. Ses sermons sont divisés avec soin, mais non pas suivant une méthode rigoureuse. Ils sont réunis en deux volumes in-12, sous ce titre Sermons sur divers textes de rAcrt<M!'e sainte, Amsterdam, 1710. Le second volume est composé surtout de sermons de solennités chrétiennes, le premier volume s'occupe de sujets essentiellement pratiques De l'utilité des afflic-
fions, de l'humilité du cœur. de l'utilité des bonnes œuvres, une suite de sermons sur la parabole des vierges. La tendance pratique, modérée, arminienne de l'orateur se montre dans tous ses discours, mais en particulier dans le discours intitulé Co~/brntt~'de la morale évangélique avec les lois na~ur~M, le douzième du tome premier. Tous ces discours furent prêchés avec un grand succès devant le roi, dans la chapelle de la cour de Berlin. L'œuvre apologétique de Jaquelot doit être avant tout étudiée dans le livre intitulé Traité de la vérité et (/c~i~ptra~'oM <<M livres du Vieux et du Nouveau 7'M<ament, Rotterdam, 1715, réimprimé souvent. Ce n'est pas du tout nne introduction aux Livres saints, comme le titre pourrait le faire croire, c'est une apologétique complète. Tous les critiques regardent ce traité comme le chef-d'œuvre de Jacquelot. La mort le surprit au moment où il achevait ces études, qui, nous dit son éditeur « faisaient le plaisir de M. Jaquelot et pour ainsi dire son sort. Il y travaillait avec joie et effusion de cœur, comme il l'a écrit à un de ses amis peu de temps avant sa mort. » L'apologétique de Jacquelot est toute pénétrée de vie chrétienne, d'ardente foi. La méthode est essentiellemeut éthique, interne, subjective. On croirait entendre un apologète de notre école moderne en lisant cette conclusion si ferme, si décisive de Jaquelot «Il ne reste plus qu'à conclure que l'Evangile pui'te en soi les preuves de sa divinité, dans l'excellence de ses promesses, dans la sainteté de ses préceptes, dans la pureté de son culte et dans toutes les maximes qui doivent régler la sanctification et la piété des chrétiens (Traité, II, 72). Voyez l'analyse et l'appréciation de l'apologétique de Jaquelot dans mon Histoire de l'apologétique n'/brmM. A. ViGum. JARCHI, plus connu dans le monde savant sous le nom de Raschi, célèbre rabbin du onzième siècle (1040-ilOa), s'appelait proprement Salomon-ben-Jarchi. Il vécut et mourut à Troyes (Champagne), où il avait suivi les leçons de R. Jacob-ben-Jakar et de R. Gerschom. Savant modeste et studieux tout à la fois, il fut peu connu et apprécié de son vivant. Après sa mort, la légende s'attacha à son nom. D'après les uns, il parcourut pendant sept ans le monde, pour expier les péchés de son père. D'après les autres, il fut un kabbaliste si habile que, consulté par Godefroy de Bouillon sur l'issue de sa croisade, il sut, en se rendant invisible, différer sa réponse jusqu'après l'obtention d'un sauf-conduit. D'autres enfin, par une hérésie chronologique inconcevable, le mettent en rapport avec Maimonidës. La notoriété de Jarchi date du jour où ses gendres publièrent ses ouvrages qui, aujourd'hui encore, sont classés parmi les plus importants de la littérature rabbinique. Jarchi est le type du véritable savant juif; étranger au monde qui l'entourait, sans connaissances scientifiques aucunes, il sut s'assimiler a un degré singulier la science rabbinique de l'époque. Les critiques juifs ne lui attribuent pas un esprit transcendant, mais ils sont unanimes à reconnaître l'honnêteté de ses recherches scientifiques. Eloigné de toute polémique et de toute idée d'innovation, Jarchi voulait remonter a la source de la religion et
expliquer, commenter et critiquer les doctrines antérieures à son époque. C'est dans ce but qu'il entreprit un commentaire de L'Ecriture sainte et du Talmud, en expliquant grammaticalement ou par des paraphrases, parfois même au moyen de la langue française, le contenu de ces deux ouvrages. Son but unique est de reconnaître le sens que ses prédécesseurs attachaient à tel ou tel passage la vérité du texte ne lui importait que fort peu. C'est là le caractère distinctif de l'école talmudico-française qu'il représente et dont les tendances furent poursuivies, après lui, par les juifs de Franco, et tout particulièrement ses petits-fils R. SamueI-ben-Meir et R. Jacob-ben-Mëir (Rabbenu Tham). Toutes ces annotations furent réunies définitivement sous le nom de Thosapath (additions) et se trouvent en marge de tous les bons textes du Talmud. E. ScuERDLlN. JAROUSSEAU (Jean), fils d'Isaac Jarousseau et de Jeanne Raby, petit-fils de Samuel Jarousseau et arrière petit-fils de Benjamin, tous les deux ministres du saint Evangile et morts à la tâche du Seigneur, naquit & Mainxe (Angoumois) en 1729, et embrassa la périlleuse carrière pastorale. Après avoir rapidement étudié à Lausanne, il fut consacré dans les Cévennes par Paul Rabaut. Il arrivait, le 21 septembre 1761, à Saint-Georges de Didonne, pour y exercer le ministère, sous la protection du maréchal de Senneterre, gouverneur de la province, qui s'efforçait de ne pas voir les assemblées, et pour lequel les protestants priaient publiquement (voir le très curieux Psautier imprimé à la Rochelle en 1768). Le colloque de Saintonge et d'Angoumois, tenu les 16 et 17 décembre 1761, lui assigna pour paroisse Royan, Did&nne, Meschers, Coze, Mortagne, Saint-Fort, Gémoxac et Pons. Ses collègues Sollier, Dugas, Martin, avaient des paroisses à peu près de la même étendue. Seul Louis Gibert, dit le grand Gibert, restaurateur des Eglises saintongeoises, n'avait pas de poste fixe et circulait dans toutes les paroisses. Le colloque le désigna pour aller faire une tournée dans l'Agenais qui demandait du secours. Il fut tué, l'année suivante, d'une balle reçue en pleine poitrine, pendant qu'il prêchait à la Combe de la Bataille, sur la lisière de laforêt de Valeret. Jarousseau, qui allait lui succéder comme apôtre de la Saintonge, l'assistait dans cette assemblée. Au mois de novembre 1761, il visita a son tour les Eglises de l'Agenais, et notamment celles de Tonneins-Dessous, qui étaient le quartier des schismatiques. Pour les ramener, Jarousseau fit preuve d'une grande tolérance, et alla jusqu'à bénir le mariage du pasteur dissident, infraction à la.discipline sur laquelle le synode provincial du haut et~bas Agenais et du Périgord.tenu au mois d'août 1765, demanda des explications à la province de Saintonge. Le temple de Pons, dans lequel Jarousseau avait prêché à plusieurs reprises, fut fermé en 1763 la tannerie dans laquelle il prêcha ensuite fut également interdite en 1788. En 1774, un crut pouvoir rouvrir les temples mais, deux ans plus tard, arriva l'ordre (du reste inexécuté) de les démolir. Jarousseau parait avoir été blessé et fait prisonnier dans une assemblée qu'il tenait au !?'ter7'6iu, sur le bord de la forêt de Suzac. En 1780, il se rendit à Versailles, et vu < B
appuyé par Malesherbes, il osa demander à Louis XVI la liberté de conscience, dont l'heure n'avait pas encore sonné. Ce pasteur du Désert, qui avait vu la Révolution et la Restauration, s'éteignit, le 18 juin 1819, au village de Chenaumoine, dans sa quatre-vingtdixième année. Son petit-Ris, qui habite sa maison de SaintGeorges, queMiehoIet appelait « un temple de l'humanité », l'écrivain sénateur Eugène Pelletan (qui descend aussi sans doute des galériens huguenots de ce nom), a fait revivre sa mémoire dans un admirable petit livre, récemment couronné par l'Académie française: Le pasteur du Désert, Paris, 1835 et 1877, in-12. Voir aussi le Bullet. de t'/H~otre du ~rot. 0. DouEN.. JASON. Quatre personnages de ce nom sont mentionnés dans la Bible 1° Jason, fils d'Eléazar qui fut envoyé à Rome, avec Eupolème, par Judas Machabée, pour renouveler l'alliance des Juifs avec les Romains (1 Mach. VIII, 17). 2" Jason, juif natif de Cyrène, qui écrivit, en cinq livres, l'Histoire des Juifs sous Séleucus Philopator, Antiochus Epiphane et Eupator, et dont la deuxième partie du II" livre des Machabées est, en grande partie, un extrait (2 Mach. H, 24). 3" Jason (proprement Jésus, Josèphe, -4nt., 12, 5. 1), fils du grand prêtre Simon II et frère du grand prêtre Onias III, qui acheta la charge de grand prêtre des mains d'Antiochus Epiphane pour une somme importante (2 Mach. IV,7 ss.) et s'appliqua avec ardeur à familiariser ses compatriotes avec les mœurs et la religion grecques. H fonda, dans ce but, un gymnase à Jérusalem, non loin du temple, envoya des ambassadeurs aux jeux de Tyr et fit un don en argent à l'Hercule syrien. Au bout de trois ans (172 av. J. C.), Jason se vit obligé de déposer son pontificat et fut remplacé par Mênélaus, frère de Simon (2 Mach. V, 23) ou bien son propre frère (Josèphe, ~M< 12, 3. 1). Il tenta, mais en vain, de rentrer en possession de ses fonctions sacerdotales, et il se réfugia chez Arétas, roi des Arabes, qui l'expulsa de ses Etats, puis en Egypte, où il éprouva le même sort. Il mourut misérablement à Lacédémone. 4° Jason, chef de la synagogue à Thessalonique, qui hébergea l'apôtre Paul et ses compagnons, lors de leur passage par cette ville (Actes XVII, 5 ss.; cf. Rom. XVI, 21), ce qui causa une grande sédition parmi les Juifs, qui traînèrent Jason devant les magistrats et exposèrent la vie de Paul au plus grand péril. L'Eglise a fait de Jason un parent de l'apôtre des gentils et l'a canonisé. Les Grecs célèbrent sa fête le 29 avril et les Latins le 12 juillet.
JAUCOURT (De), illustre famille de Bourgogne, fondée en 1463, divisée en sept branches (De Villarnoul, De Vau, de Ménétreux, D'Ëspeuilles, De la Vaiserie, De Chazelles et De Bonnesson), et alliée aux Turquet de Mayerne, aux Du Cayla, aux De Vivans, aux D'Angennes, aux La Trémoille, aux Sully, aux Mornay. Elle embrassa la Réforme de bonne heure, prit une part brillante aux guerres de religion, à la lutte contre la Ligue, et servit ensuite le protestantisme non seulement sur tous les champs de bataille de l'Europe, mais dans les synodes, les assemblées politiques, et les fonctions difficiles de com-
missaire de l'Edit et de député-général. Jean de Villarnoul, gendre deDuPlessis-Mornay, représentait les Eglises réformées près de Henri IV, qui le combla de faveurs. A la révocation de l'Edit de Nantes, la plus grande partie de la famille émigra en Brandebourg, en Hollande, et y occupa des positions élevées dans l'armée. M°" de Villarnoul et ses filles, mises à la Bastille et au Nouvelles Catholiques, entre les mains du convertisseur Fénelon, donnèrent un bel exemple d'inflexible fidélité à leurs convictions religieuses il fallut les expulser du royaume, en 1688, comme inconvertissables. François de Jaucourt, marquis d'Ausson, était revenu de Hollande, déguisé, pour soustraire sa mère et ses sœurs à la persécution; mais il avait échoué dans sa périlleuse tentative, et avait ensuite gagné le Brandebourg, où il était devenu lieutenant-colonel de cavalerie. Voulant revoir la France avant de mourir, il en demanda et en obtint la permission., mais à des conditions trop humiliantes .pour être acceptées aussi répondit-il au ministre qui la lui avait accordée « Les pays d'inquisition ne sont pas de mon goût, M. le comte de Saint-Florentin en serait persuadé, s'il me connaissait sous un autre titre que celui de réfugié, titre fort méprisé du pays où il est, et que je préfère pourtant à son secrétariat d'Etat. » Bien qu'ils eussent abjuré lors des dragonnades, et qu'il se soumissent dans les cas indispensables à la religion officielle, les De Jaucourt restés en France conservaient précieusement dans leurs cœurs la foi persécutée. Leur hôtel de la rue de Grenelle Saint-Germain à Paris, était comme une sorte de refuge, à la porte duquel tous les malheureux, et surtout les protestants, allaient frapper. On l'appelait la maison des ~M~neno~. C'est dans cette maison fréquentée par Malesherbes, que le grand citoyen se con-vainquit de l'impérieuse nécessité de rendre un état-civil aux réformés, et qu'il puisa l'énergie nécessaire pour faire signer à Louis XVI l'édit de 1787. C'est là qu'était né, en 1737, l'ami de Mâlesherbes, Arnail-François, marquis de Jaucourt, qui fut baptisé le jour de sa naissance par le curé de Saint-Eustache, et n'en devint pas moins l'un des plus glorieux soutiens de notre Eglise. Il n'avait pas seize ans lorsqu'il fit ses premières armes sous le prince de Condé (depuis la Ligue, le premier gentilhomme des Condé était toujours un Jaucourt) en 1789, il était colonel. Deux ans plus tard, le département de Seine-et-Marne l'envoya à l'assemblée législative. Après le premier août, il fut jeté dans les prisons de l'Abbaye, d'où M°"' de Staël le fit sortir la veille des massacres de septembre. Il s'enfuit en Angleterre, puis en Suisse, et ne revint qu'en 1799, pour être aussitôt nommé membre du Tribunat, dont il devint le président. En 1802, il fut chargé avec Lucien Bonaparte de soutenir, devant le corps législatif, la partie afférente aux Eglises protestantes du projet de loi sur le rétablissement des cultes. Sénateur et commandeur de la Légion d'honneur, en 1804, il accompagna Joseph Bonaparte à Naples, en qualité de premier chambellan. Louis XVIII le fit pair de France et ministre intérimaire des affaires étrangères, pendant que Talleyrand était au congrès de Vienne. Il suivit le roi à Gand dans les Cent jours,
et fut mis hors la loi p!u- l'empereur. La seconde restauration lui valut le ministère de la marine, la lieutenance-générale du royaume et la grand-croix de la Légion d'honneur. Il avait passé à l'opposition avant la révolution de juillet, et se retira de la vie politique, sous le règne de la branche cadette, pour se consacrer tout entier au développement et à la prospérité des deux œuvres importantes qu'il avait contribué à fonder la Société biblique protestante de Paris et la Société pour l'encouragement de l'instruction primaire. Sa mort, arrivée en 1852, fut un deuil pour toute la France protestante. Les Eglises des environs de Meaux, qui lui doivent leurs temples et leurs écoles, conservent précieusement la mémoire de cet homme de bien, en qui la fortune et les plus hautes dignités n'avaient altéré ni les sentiments religieux, ni la bienveillance active et dévouée à l'égard de ses coreligionnaires. Son grand-oncle, le chevalier de Jaucourt, qui embrass.a toutes les sciences, avait été l'ami de Tronchin et de Necker, et le seul encyclopédiste dont la piété fût connue et respectée de tous. Voir la France prot., le Bullet. de l'hist. du prot., J, 399, et l'Encyclopédie des gens du monde. 0. DouEx. JAUFFRET (Gaspard-Jean-André-Joseph), archevêque d'Aix, né à la Roque-Brussane, en Provence, l'an 1759, mort à Paris en 1823. En 1791, il fonda les Annàles de la religion et du sentiment, journal dans lequel il se prononça contre la constitution civile du clergé et, après la Révolution, il était un des principaux rédacteurs des /)HM<M religieuses. En l'absence du cardinal Fesch, il administra le diocèse de Lyon; et c'est sous son administration que les séminaires de Lyon furent établis, et qu'on y réorganisa les frères des écoles chrétiennes et les sœurs de Saint-Charles. Appelé à Paris comme secrétaire de la grande aumônerio, il fit autoriser les missions étrangères, les sœurs hospitalières et institutrices et d'autres établissements catholiques. Il déploya le même zèle en qualité d'évêque de Metz (1806) et d'archevêque d'Aix (1811'). Parmi ses nombreux ouvrages nous citerons: 1" .Mdt<t:(tO)M sur les souffrances de la croix de Notre-Seigneur JésusChrist, 1800; 2° Entretiens sur le sacrement de la coo/it'Mc~on, 1809; 3° Du cu~puottc, 1795,2 vol.; 3" éd., 1815. Son frère, Joseph (17891836), secrétaire général au ministère des cultes et maître des requêtes au conseil d'Etat, a laissé des écrits empreints d'un grand esprit de modération sur les rapports entre l'Eglise et l'Etat. Nous signalerons, entres 'autres 1° Examen des articles organiques publiés à la suite du concorda! de 1801, Paris, 1817; 2° .Ea-MMM du projet de loi relatif au nouveau concordat, 1817 3° Mémoires /tM<ort<?u& sur les affaires ecclésiastiques ds. France pendant les premières attneM ditAVA'' siècle, 1819-1824, 3 vol., qui contiennent un grand éloge de Portails; 4° Des missions en France, 1820 5° Des nouvelles o//tci's~M; 6° Dgî recoure au Conseil d'Etat dans les c<M d'o&!M en matières ecclésiastiques, 1825 7° Du M~ dMpreO'M, 1828.
JAVAN(Yâvân).–l° D'après la table chronologique de la Genèse (Gen. X, 1 et 4; cf. 1 Chron. V, 5 et 7), Javan est l'un des sept fils de Japhet et l'ancêtre des peuples Elam, Tarsis, Chittîm et Doddamm~
c''est-à-dire le représentant des Japhétites du Sud-Ouest. Les Grecs d,ésignaient par le nom de Javan les Grecs en général (asiatiques et européens), car, Esaie LXVI, 19 et Daniel VIII, 21, Alexandre est appelé « roi de Javan ». Tout d'abord le nom de Javan se rattachait particulièrement aux Grecs de l'Asie Mineure, mais plus tard il passa de ces Ioniens d'Asie ('Ixo~ voyez Homère, Illiade, XVI, 685) au peuple grec tout entier. La table généalogique de la Genèse ramène toutes les races grecques et leurs colonies à cet ancêtre unique Javan (Jon). D'accord avec elle, Josèphe (An~< 1,6. 1) fait descendre les Grecs et les Hellènes de Javan et le scholiaste d'Aristophane (~e~arn., 104) remarque que « les barbares appelaient Ioniens tous les Grecs ') (cf. Eschyle, Les Perses, v. 178, 563). 2° Ville de l'Arabie heureuse (Ezéchiel XXVII, 19), qui expédiait ses produits manufacturés (épées) sur le marché de Tyr. Tuch (Co'H.~MntaH'e.sur la Genèse, p. 210) a pensé que cette ville était une colonie grecque, mais comme il n'a fourni aucune preuve scientifique à l'appui de cette hypothèse, les commentateurs modernes l'ont rejetée a juste titre. Voyez Knobel,~o~r<a/~(1850); Pott, A'~nM~Mf/te For~M~n; Schrader, Dte~~t)McArt/i'en, et tous les commentaires modernes sur la Genèse. JAY, nom d'une famille rochelloise qui a donné aux Etats-Unis d'Amérique un de leurs plus illustres citoyens. A la révocation'de l'édit de Nantes,Pierre Jay, armateur, aprè savoirsubi les violences des dragons et avoiréte jeté en prison, sans que ces vexations l'aient détourné de sa foi, se rendit en Angleterre au prix de mille dangers, pendant que tous ses biens étaient confisquésenFrance.Deson mariage avecJudith François, il eut entre autres enfants Auguste, qui se réfugia à NewYork où il mourut en 1751, âgé de 86 ans, laissant de son union avec Anne-Marie Bayard, trois filles et un fils nommé Pierre, marié avec Marie van Courtland, laquelle lui donna dix enfants. Le huitième, Jean Jay, avocat distingué, fut élu par ses concitoyens au congrès de Philadelphie, 5 septembre 1774, puis au congrès de 1775. Il fut chargé avec Jefferson et Franklin de correspondre avec les amis de la cause américaine en Europe, présida le comité chargé de rédiger la constitution de la jeune république, fut nommé membre de l'assemblée législative, c/Me/'Ju~tce ou président de la Cour suprême de l'Etat de New-York, enfin président du congrès de 1778, ce qui était la plus haute magistrature américaine. Il renonça à cette dignité pour accepter le poste de ministre plénipotentiaire en Espagne, dans lequel il espérait rendre plus de services à ses compatriotes. Chargé de la négociation du traité avec la Grande-Bretagne, il fut l'objet de la haine de la populace et brûlé en effigie. Mais on ne tarda pas à lui rendre justice, il fut nommé secrétaire des affaires étrangères, reprit, à l'élection de Washington, la charge de chief justice, et fut nommé gouverneur de l'Etat de New-York. Retiré à Bedfort, il termina sa vie en 1829, entre la culture des terres, l'étude et la méditation des choses saintes, justifiant la chrétienne devise de, ses ancêtres Deo dMceperMuerandttm/ Patriote ardent, dévoué à la cause de la liberté, jusqu'à lui sacrifier ses plus chères affections et sa fortune, inflexible
dans l'accomplissement du devoir, d'une probité puritaine, d'un dévouement sans bornes au pays, orateur et écrivain éminent, Jay fut un noble et loyal caractère. Chrétien fervent et charitable, il présidai longtemps la Société biblique américaine et eut pour successeurs dans cette noble tâche de la propagation de l'Evangile, son fils William, président de la Société des amis de la paix et son petit-fils. John qui lutta en faveur de la cause de l'émancipation des noirs et devint ministre plénipotentiaire des Etats-Unis d'Amérique à Vienne. Il est rare de voir une succession de tels hommes pendant trois générations consacrer leurs forces et leur zèle à l'œuvre du Seigneur, et démontrer parleur exemple que la Bible est le rempart des nations et la base des institutions durables.-La vie de l'honorable JohnJay a été écrite par son fils William. On peut consulter également Lives o~ t~ec/n~'M~ttce~ of the ~n~ Stales by FIanders, N.-Y., 1875, et lanotice lue à la séance publique de l'académie de la Rochelle le 21 décembre 1878 par le signataire de ceslignes. L. DE RiciiEMOND. JEAN-BAPTISTE (Johannan, 'tMMv/ grâce de Jahveh), surnommé le Baptiste ou le baptiseur, à cause du rite qu'il pratiqua et pour le distinguer entre plusieurs autres personnages qui ont porté le même nom, est considéré par la tradition chrétienne comme le précurseur de Jésus-Christ, à l'histoire duquel sa propre histoire reste intimement liée. En tout cas, cet ascète du désert de Judée, ce prophète de la repentance garde une valeur indépendante'et une physionomie bien originale. Pour apprécier l'une et reconstruire l'autre, nous possédons deux classes de sources des sources juives et des sources chrétiennes. Les premières se réduisent à Josèphe (~Ktt., XVIII, 5, 2) et à quelques traditions rabbiniques qui n'ont pas grande valeur, tandis que le récit de Josèphe au contraire est du plus grand prix. Les sources chrétiennes sont toutes enfermées dans l'enceinte du Nouveau Testament. Le troisième évangile nous a conservé une tradition populaire sur la naissance de Jean-Baptiste (Luc I,Sss.). Les trois synoptiques et le quatrième évangile racontent ou peignent avec plus de sûreté son activité religieuse et sa mort-violente (Matth. I, 1-17; XIV, 1-12; Marc, 1,1-8; VI, 14 ss.; Lnc 111, 1-20; IX, 7-9; Jean, 1, 5 ss., 19-37 et III, 22-36); à quoi il faut joindre quelques indications éparses dans les Actes des Apôtres (Actes I, 5; X, 37; XIII, 25; XIX, 4.). Mais au-dessus de tous ces documents, il faut mettre un témoignage plus ancien et plus sûr, je veux dire les discours de Jésus sur le Baptiste, discours dont l'authenticité n'a pas besoin de démonstration et qui renferment de cette figure historique une image forte, lumineuse et précise (Matth. XI, 2-19; XVII, 12-13; XXI, 23. 32). La concordance de ces indications diverses, de Jésus, des Evangiles et de Josèphe donne une base absolument certaine sur laquelle la critique peut essayer de reconstruire la vie publique de JeanBaptiste. Les commencements de la vie de Jean restent dans une grande obsnrité. On ne saurait prendre pour de l'histoire positive le premier chapitre de l'évangile de Luc. C'est une a~acMaaraméenne, c'est-à-dire un de ces récits édifiants qu'affectionnait la piété juive
et où se mêlent quelques données de la tradition aux fictions symboliques de l'imagination chrétienne. Dans la parenté des deux saintes familles de Jean et de Jésus et dans ce rapprochement de leurs ber'ceaux, il ne faut voir sans doute qu'un refletpoétique de leur rencontre historique qui eut lieu plus tard. Toute cette narration est composée avec. des réminiscences de l'Ancien Testament et des traits de détails empruntés'aux enfances et naissances célèbres d'Isaac,de Samson et de Samuel. Peut-on dégager les quelques données traditionnelles renfermées dans ce récit de cette poétique et merveilleuse enveloppe? C'est un trait bien remarquable que Jean-Baptiste est présenté comme un Judéen et comme le fils d'une famille sacerdotale. Ce n'est pas à cela qui devaient conduire naturellement son rôle de prophète et ses rapports avec Jésus de Galilée. Nous pouvons donc retenir le nom de son pèreZachariah et celui de sa mère Elischeba, tous deux de la race d'Aaron et appartenant à l'une des classes inférieures du sacerdoce. Mais il n'est plus possible de préciser ni le temps ni le lieu de sa naissance. Habituellement on lui donne l'âge de Jésus. Cette indication ne paraît pas vraisemblable. Son activité prophétique aux bords du Jourdain, l'autorité de ses actes et de ses discours, le respect, la vénération même avec laquelle Jésus parle de lui semblent indiquer un homme d'âge plus avancé. Quant à sa patrie, Luc désigne vaguement « le pays montagneux H et « une ville de Juda » ('e!; 'no\[v 'louox). Cette opposition est assez étrange, et l'on a conjecturé une faute :'touox mis au lieu de 'tou-m. Ce serait alors la ville de Jutta qui se trouverait indiquée. D'autres ont vu dans cette ville anonyme de Judala ville sacerdotale de Hébron. Dans tous les cas, ce nepeut être Jérusalem. Rien n'est plus admissible que l'éducation théocratique de Jean au sein d'une famille pieuse, rattachée au parti des pharisiens plutôt qu'à celui des sadducéens, où se sera formée sous de saintes influences la conscience religieuse qui le poussera d'abord dans le désert et la conscience prophétique qui lui fera élever sa voix sévère au milieu d'Israël (Luc I, 80).-Avant d'être prophète, Jean fut donc un anachorète du désert de Judée. Ce n'est point là une apparition extraordinaire ou exceptionnelle en Palestine à cette époque. Les ascètes et les anachorètes abondaient. Sans nous arrêter aux esséniens, Josèphe, dans sa biographie (Vil. 2) nous parle d'un autre ermite nommé Banus, qui fut son maître pendant quelques années et s'était acquis par son genre de vie tout à fait analogue à celui du Baptiste, un grand renom de sainteté et de sagesse. M y a pourtant, sous la ressemblance du costume et des habitudes, cette différence entre Jean et Banus, que celui-ci ne poursuit-qu'un but de sanctification personnelle par des ablutions et des privations volontaires et que celui-là est surtout préoccupé des péchés et du salut de son peuple. Aussi le premier n'est-il qu'un moine assez parent des esséniens, tandis que le second se rapproche des anciens prophètes. Entre l'essénisme et Jean-Baptiste, il n'y a pas eu de lien, car, outre que l'idéal et l'activité du prédicateur du Jourdain sont d'une .nature essentiellement différente, nous rencontrons chez lui une indépendance de caractère et d'attitude, et le sentiment
jaloux d'une mission spéciale qu'il tient de Dieu seul et que seul il doit remplir au sein du peuple, qui rendent absolument invraisemblables son affiliation et sa soumission à un ordre ou à une secte quelconque. C'est vers la quinzième année du règne de Tibère, s'il faut admettre la chronologie de Luc III, 1, que commence son activité prophétique, peu de temps avant les débuts mêmes de Jés'us. Les trois premiers évangiles nous donnent un vivant et fidèle résumé de sa prédication dans ces solitudes qui s'étendent entre Jérusalem à l'Ouest et le Jourdain et la mer Morte à l'Est. « Convertissez-vous, car le royaumedescieux est proche. » Autour de luil'aflluence étaitgrande; on venait de Judée, de Galilée, de la Pérée pour l'entendre. Cette action de Jean est d'autant plus remarquable que sa parole n'était accompagnée d'aucun miracle (Jean X, 41). De ceux qui désiraient une régénération morale, il exigeait d'abord la confession de leurs péchés, puis il les conduisait dans les eaux du Jourdain, d'où ils sortaient avec l'engagement de mener une nouvelle vie. Ces deux idées de la conversion d'Israël et de la prochaine venuedu règne dcDieu étaient certainement liées et solidaires dans la pensée~du Baptiste. La secondedevaitêtre la conséquence de la première. Mais d'un autre côté, il ne faut pas douter qu'il ne se fit de la venue du règne de Jehovah, l'idée que s'en étaient faite les anciens prophètes. Ce règne devait commencer par un terrible jugement. <f La cognée est déjà à la racine de l'arbre. Il a son van dans la main, il nettoiera parfaitement son aire. ramassera le froment dans ses greniers et brûlera la balle et la paille à un feu que rien ne pourra éteindre. » Les circonstances politiques et religieuses du temps, les sacrilèges de l'administration'romaine, le désespoir des âmes pieuses, les progrès mêmes de l'impiété, tout devait concourir à affermir dans la pensée du sévère prédicateur que l'heure si longtemps attendue; l'heure solennelle du triomphe de Jehovah allait sonner. Ce qui étonne davantage, c'est l'adjonction du rite du baptême à cette prédication. Il ne faut point l'expliquer par le baptême des prosélytes qui probablement n'existait pas encore, ni comme un emprunt à l'essénisme, dont les ablutions devaient être répétées plusieurs fois le jour et la nuit. tandis que le baptême de Jean certainement n'avait lieu qu'une fois pour chacun. C'est ici une création originale du prophète, inspirée peut-être par certains passages de l'Ancien Testament (bain de Naaman le lépreux dans le Jourdain, 2 Rois V, 10 et Ps. LI, 4; Ezéch. XXXVI, 22; Es. XLIV, 3, etc.). Le mérite de Jean, en tout cas. a été de donner à une forme peut-être connue, un contenu tout nouveau. Ce baptême n'était pas seulement. à ses yeux, un symbole de la purification morale, c'était une purification morale et physique tout ensemble, une préparation et une consécration, une mise à part, pour le règne de Dieu imminent. C'était une manière de recruter dans l'Israël déchu,, un Israël nouveau et fidèle à qui seul étaient faites les antiques promesses. Aussi faut-il y voir, outre un symbole, un lien d'association religieuse au moins .provisoire entre tous ceux qui le recevaient. C'est ce que prouvent 1° le fait qu'il a
eu comme Jésus un cercle de disciples 2° que jusqu'à la fin.du premier siècle il y a eu des communautés religieuses se rattachant à son nom (Actes XIX, 3); 3° les expressions de Josèphe 8oniT[o[j.M suvte/Mt qui semblent bien faire allusion à un lien moral entre les baptisés. Jusqu'ici, l'harmonie essentielle entre les données de Josèphe et celles de la tradition évangélique, permet de se faire une idée claire et sûre de l'activité prophétique du Baptiste. Mais quand on en vient à ses rapports avec Jésus, le contrôle de Josèphe manque à la critique, et les données des évangiles sont à la fois obscures et contradictoires. Pour éclaircir cette question, le plus sûr est de partir ici des discours de Jésus sur Jean-Baptiste. Quand on les lit avec attention, il en ressort avec une entière évidence que Jésus a connu personnellement et entendu directement le prédicateur du Jourdain, que cette parole dans laquelle il a reconnu l'accent et la voix des anciens prophètes, que cette personnalité qui lui a fait l'impression d'un second Elie ont excité dans son âme une vive admiration et un grand ébranlement. Ce contact n'a pas été d'un seul moment, mais s'est prolongé un certain temps. Cela ne ressort pas seulement de Jean III, 22, où nous voyons Jésus et ses disciples prêcher et baptiser à côté de Jean; mais aussi des récits synoptiques. Non seulement Jésus y apparaît particulièrement instruit des habitudes ascétiques de Jean, des causes de sa mort, mais encore il est en relations privées avec les disciples du Baptiste qui viennent lui annoncer la mort de leur maître. L'ambassade du prisonnier racontée Matth. XI, 1 ss. suppose ces rapports particuliers. Enfin Jésus commence son ministère en répétant exactement la prédication de Jean « Convertissez-vous, car le royaume des cieux est proche. [I n'y a pas lieu davantage de mettre en doute le baptême de Jésus par Jean, que tous nos Evangiles racontent ou supposent. Plus tard, avec l'idée qu'on se faisait de la divinité du Christ, on ne pouvait imaginer un tel fait. Loin de pouvoir l'inventer, on en était plutôt embarrassé et l'on cherchaitdos explications plus ou moins ingénieuses pour lui enlever ce qu'il avait de scandaleux, comme le prouvent le récit de Matthieu et celui de l'évangile des Hébreux. Ce baptême fut un événement décisif dans la vie de Jésus et marque l'éveil de sa conscience messianique. A toutes ces données positives, si nous ajoutons les restrictions que Jésus a jointes à ses éloges et la critique qu'il fait de l'ascétisme de Jean et de l'étroitesse de son point de vue (Matth. XI, il et IX, 14), nous pouvons nous faire une idée fort nette de ce que Jésus a pensé du Baptiste. Mais qu'est-ce que celui-ci a pensé de Jésus ?YoiH le point réellement obscur. Tous les récits de nos Evangiles, à des degrés diverf,.sont dominés par l'idée dogmatique que Jean avait été envoyé de Dieu pour préparer la voie au Christ et pour lui rendre témoignage, et dès lors ils nous présentent sa mission comme trouvant son point culminant et son terme dans le baptême de Jésus et la manifestation éclatante de sa messianité. Mais n'est-ce pas là une idée postérieure qui est venue s'imposer apre's coup aux événements et leur donner une signification précise que peut-être ils n'avaient
pas ? Le fait est qu'à ce point de vue se présentent d'insolubles difficultés 1" Comment Jésus peut-il s'exprimer si sévèrement sur le compte de son précurseur, si celui-ci a aussi bien rempli sa mission que la tradition se plaît à le dire ? Comment le met-il au-dessuus du plus petit de ceux qui ont su le reconnaître (Matth. XI, 11 et IX, 14.) ? Comment dit-il à propos de Jean-Baptiste '< Heureux celui qui ne trouvera pas en moi un sujet de scandale? a 2° Pourquoi JeanBaptiste, s'il a eu le sentiment d'être le précurseur de Jésus, refuset-il le titre de second Elie, au lieu d'en remplir la mission, en proclamantlamessianité de Jésus solennellement devant tout le peuple? `.' Comment continue-t-il à baptiser, après avoir reconnu le Christ, comme s'il ne s'était rien passé d'extraordinaire ? Pourquoi le corps de ses disciples reste-t-il opposé à la personne et aux disciples de Jésus, non seulement du vivant de leur maître (Matth. IX,14; Marc H, t8 Luc V, 33 XI, 1 ;Jean IH, 25), mais aussi aprèssa mort (Matth. XIV, 12; Act. XVIII, 24 XIX, 2)? De tous ces faits, il résulte que Jean n'a pas eu la christologie si spirituelle et si profonde que lui attribue le quatrième évangile, ce que l'on concède généralement aujourd'hui, mais aussi que la scène du baptême de Jésus n'a pas dû être accompagnée de l'éclatante révélation que racontent les synoptiques. Quand du fond de sa prison il fait demander à Jésus s'il est «celui qui doit venir »,'ou s'il faut en attendre un autre, il est bien remarquable que Jésus, au lieu de lui rappeler cette scène du Jourdain pourdissiper ses doutes, le renvoie au contraire simplement aux miracles qu'il fait actuellement en Galilée. Sil'on ne veut pas se perdre en vaines suppositions, il faut sotenir, sur le degré de connaissance et de foi du Baptiste, à l'appréciation même de Jésus. Le Seigneur exalte sans doute la connaissance prophétique de Jean il reconnaît en lui le plus grand des prophètes, l'Eue des derniers temps mais il fait également sentir la limite qu'il n'a pas franchie le prophète messianique n'a pas su reconnaître sous l'humilité de son apparence la personne du Messie; il est v~nu jusqu'aux frontières du pays de la promesse, il n'y est pas entré. H reste dans Fancianne alliance, alors que la nouvelle a déjà commencé (Matth. XI-9, 14). Mais si l'on ne peut prendre de l'attitude de Jean vis-à-vis de Jésus l'idée que les auteurs de nos Evangiles ont voulu nous en donner, suit-il de là que le prophète du Jourdain n'ait ri&n attendu ni rien pressenti en Jésus de Nazareth qu'il venait de baptiser? Son attention était éveillée. Il attendait la prochaine manifestation du règne de Dieu. De plus il avait le sentiment très net que son oeuvre n'était que préparatoire; il ne regardait pas son baptême comme l'incorporation directe au royaume de Dieu, mais comme quelque chose de provisoire. Ce n'est pas lui qui était chargé d'ouvrir cette porte; il devait seulement annoncer qu'elle allait s'ouvrir. « Voici, il en vient un après moi qui est plus fort que moi et dont je ne suis pas digne de délier les sandales. Je baptise d'eau il vous baptisera d'esprit et de feu. » Voilà bien nettement annoncé « celui qui doit venir » (o Ep'/o~vo;). Dans ces dispositions que dut-il éprouver en se trouvant en présence de ce néophyte de Naza-
reth qui venait lui demander le baptême? Il put lire au fond de son âme dans l'entretien qu'il eut avec lui avant de le baptiser. Est-il étrange de supposer que Jésus dut produire sur lui l'impression qu'il faisait sur tontes les âmes droites? Le héraut de la repentance n'entrevit-il pas alors le prince de la justice, et ne se demanda-t-il pas si ce n'était pas là celui que Dieu réservait pour la délivrance d'Israël et l'accomplissement des promesses ? Ne put-il pas même le désigner en sa qualité de prophète à quelques-uns de ses disciples intimes comme l'agneau de Dieu, le fidèle serviteur de Jehovah ainsi que le raconte le quatrième évangile? Ce n'est pas là une gratuite hypothèse. Sans ce pressentiment antérieur, il est impossible de comprendre comment, du fond de sa prison, il songe précisément à Jésus pour lui poser la question qu'il lui adresse « Es-tu celui qui doit venir? » Car cette question prouve évidemment deux choses, d'abord que Jean n'avait pas reconnu en Jésus le Messie d'Israël, et d'autre part, qu'il n'avait pu se défaire de l'impression qu'il en avait reçue sur les bords du Jourdain et qui lui avait fait concevoir de lui de grandes espérances. Où se trouvait donc l'obstacle qui arrêtait Jean Baptiste ? Non ailleurs que dans l'idée traditionnelle qu'il se faisait du Messie. Il attendait un Messie glorieux, et les commencements du ministère de Jésus ne répondaient nullement à cette attente. Voilà la pierre du scandale contre laquelle il trébucha. N'oublions pas que Jésus lui-même hésita longtemps devant cette idée messianique, qu'il la repoussa tout d'abord, qu'il lutta contre elle et ne l'accepta qu'après l'avoir transformée. C'est cette dernière victoire de l'esprit sur la lettre et sur la chair que le prophète du Jourdain ne sut pas remporter; aussi Jésus a-t-il eu raison de dire qu'il était resté hors du royaume et que le plus petit de ses vrais disciples' était plus grand que lui. Les derniers jours du prophète du Jourdain sont mieux éclairés. C'est qu'ici le récit de Josèphe revient compléter et confirmer ceux des Evangiles. Tous s'accordent à dire que c'est Hérode Antipas qui arracha le Baptiste à son mimstëre public. Ils diffèrent sur la nature des motifs. La tradition évangéliquo fait valoir des motifs personnels Josèphe des motifs politiques. On connaît le récit de nos Evangiles (Matth. IV, 12, et XIV, i ss. et par.). Jean aurait reproché à Hérode son union avec Hérodias la femme de'son frère. Voici le récit de Josèphe, moins connu:« Redoutant l'éloquence et la popularité de Jean, car les Juifs étaient prêts à suivre tous ses conseils, Hérode trouva bien meilleur de prévenir tout mouvement populaire qu'il risquait de susciter et de le faire périr, que d'avoir, une fois la révolution déchaînée, à gémir sur la catastrophe ') (~tK: XVIII, 5. 2). Ce motif politique esttrop naturel, est trop en situation, pour ne pas s'imposer. Mais il n'exclut pas absolument le motif personnel mis en avant par les Evangiles. Le premier explique l'emprisonnement du Baptiste: le second s'applique à sa décapitation. Il n'est pas vraisemblable en effet qu'Hérode se soit rencontré avec Jean sur les bords du Jourdain. S'il a eu des entretiens avec lui, ce n'est qu'après son emprisonnement. Il s'écoula en effet un certain temps entre cet emprisonnement et l'exé-
cution qui y mit un terme. Les sadducéens de Jérusalem furent les complices d'Hérode. Livré par eux (Matth. IV, 12, ~s~) Jean fut enfermé dans la citadelle de llackerus (voyez ce mot) située à l'orient de ta mer Morte, sur les frontières méridionales de la Pérée: Cette captivité semble avoir été assez douce dans les commencements. Hérode ne tenait pas à exaspérer le sentiment populaire; il subissait, par moments, l'ascendant moral de son prisonnier (Marc VI, 20) Jean pouvait recevoir parfois la visite de quelques-uns de ses disciples; il faisait parvenir un message à Jésus. II fallut donc un nouveau motif pour amener sa mort. Ce fut la haine d'Hérodias. Le prophète de la justice reprocha sans ménagement à Hérode son adultère. Ainsi atteinte la reine se vengea et, durant une fête, le meurtre du prophète et sa tête sanglante servirent d'assaisonnement et de décoration à une scène d'orgie royale. Ses disciples vinrent réclamer son corps et l'ensevelirent pieusement (Matth. XIV, 1-12). La date de la mort de Jean-Baptiste ne saurait être précisée. Cette question chronologique reste liée à la chronologie même de la vie de Jésus. Le résultat des calculs varie entre les années 27 et 34. Ce qui est certain c'est que Jean mourut avant Jésus et lui montra la voie du martyre. On est habitué à faire aboutir toute l'œnvre de JeanBaptiste à celle de Jésus comme à son but et à son terme, et à l'y absorber entièrement. L'histoire nous présente autrement les choses. Elle nous a montré Jean-Baptiste gardant son indépendance et poursuivant sa mission parallèlement à celle de Jésus. Elle no.us montre ses disciples gardant la même attitude vis-à-vis des disciples du Christ, assez longtemps encore après sa. mort. Le livre des Actes mentionne un groupe de douze disciples de Jean à Ephèse, qui ne savaient pas encore qu'il y eût un baptême d'esprit et que Paul fait entrer définitivement dans l'Eglise (Act. XIX, 1-9, cf. XVIII, 25). Le quatrième évangile, sans pouvoir être expliqué tout entier par une intention polémique contre des disciples de Jean, vise pourtant bien dans plusieurs passages, des groupes où l'on était tenté de voir, dans Jean, le Messie lui-même (1,8.20 ss.; l'intention intime des morceaux 1,35 etIII, 22-36, n'est pas moins évidente). Epiphane mentionne parmi les ~ept hérésies juives et après celle des pharisiens, celle deshéméro-bapfistesqui paraît s'être rattachée à Jean. Du moins celui-ci apparaît comme un héméro-baptiste dans les -Nowe~'M cMm~MM (II, 23). Les Recogni<MnM nous parlent d'une secte qui le tenait pour le Messie (I, 34, 60). Est-ce à cette même lignée que se rattachent les mendéens, découverts au dix-septième siècle à l'embouchure du Tigre et de l'Euphrate par le missionnaire carme du nom d'Ignace (Narratio originis 1'it'uum et errorum cArt~MHtoruM) Mnc~t JoAawtM, Rom., 1652) et introduits dans l'histoire depuis cette époque sous ce nom singulier de chrétiens de SaintJean ? S'il en était ainsi, il faudrait alors admettre que l'œuvre du prophète du Jourdain s'est continuée jusqu'à nos jours sans avoir encore été absorbée tout entière par celle du prophète de Nazareth. En tout cas, le livre sacré des mendéens, tout pénétre de gnosticisme grec et chrétien, regarde Jean-Baptiste comme l'unique prophète. le
révélateur et le restaurateur de la pure religion primitive (voyez l'article tMen6fMtM). Ce qui n'a pas empêché l'Kglise catholique de lui faire une place parmi ses saints. Elle célèbre sa fête le 24 juin. – La littérature sur Jean-Baptiste se trouve en grande partie dans les Vies de Jésus. On trouvera dans Winer.~eaM~~ertMc~, toute une série de monographies; voir aussi Hausrath, A~H~~amenth'c/te ~et~Mc/nc~!e, I, 1868, et Schürer, idem. A. SABA'riER. JEAN (lohann,an, 'iMo~wi;,) apôtre de Jésus-Christ, frère puînéde Jacques et fils d'un pêcheur aisé du .lac de Génézareth, Zébédée, et de Salomé, que l'on trouve parmi les femmes qui entouraient Jésus et le soutenaient de leurs subsides (Luc VIII,. 2. 3 Marc XV, 40; Matth. XXVII, 56 Marc XVI, 1). C'est la mère sans doute qui, dans la famille entretenant la tradition de piété et d'espérance qui animait tout israélite fidèle, avait de bonne heure préparé ses enfants à l'appel de Jean-Baptiste et de Jésus de Nazareth. Un jour même, d'après Matth. XX, 20, elle serait venue demander au Christ pour ses fils les deux premières dignités dans son royaume. Cette prière, en tout cas, nous introduit dans le cercle d'idées et d'images qui hantaient les imaginations pieuses de ce temps-la.' Jacques et Jean semblent avoir eu le même genre de piété. Jésus les appela et se les attacha immédiatement après un autre couple de frères, Pierre et André, qui formèrent avec eux le cercle intime du Maître (Marc 19. 20; Matth. IV, 21. 22; Luc V, 9. 11 ). Entre leurs condisciples, Jacques eL Jean se distinguaient par leur nature ard'ente, ambitieuse, passionnée, qui les fit surnommer 6e)M!r~ec~, «Bis du tonnerre ))(Marc III, 17). Ce sont eux que l'on soupçonne surtout d'avoir occasionné, dans le cercle des disciples, les disputes et les rivalités touchant les premiers rangs dans le règne du Messie, rivalités et disputes qui affligèrent le coeur de Jésus dans les derniers jours (Marc X, 35. 43). Plus d'une fois, Jean s'attira de ce chef ;de sévères réprimandes. Il ne pouvait supporter que quelqu'un prêchât ou fit des miracles au nom du Christ sans le suivre (Marc IX, 38; Lue IX, 49). Une autre fois, il demande que le feu du ciel descende sur une bourgade samaritaine qui a refusé de le recevoir (Luc IX, 54). Il est digne de remarque que le nom de Jean ne revient dans les synoptiques qu'avec des reproches que les rédacteurs necherchentpas à atténuerparle souvenir de ce que le même apôtre serait devenu plus tard. Il y a là surtout un singulier contraste avec l'image du .disciple bien-aimé, qui se penche sur la poitrine de Jésus, reçoit ses confidences intimes, semble seul le comprendre, quand tous les autres se méprennent, de ce disciple idéal enfin qui se cache et se dévoile en même temps dans le quatrième évangile. Cependant les Actes des Apôtres nous montrent Jean à côté de Pierre. Il est vrai qu'il l'accompagne et ne prononce aucun discours mais dans le quatrième évangile « le disciple bicn-aimé » ne parle pas davantage. Quoi qu'il en soit, Paul le rencontra encore à Jérusalem, et il nous confirme le rôle prééminent de Jean à cette époque danslapremicrecommunauté chrétienne (Gai. II,9). Il était le troisième
membre du triumvirat apostolique. A partir de ce moment, il disparaîtpournous dans le nuage mystérieux de la tradition ecclésiastique, sous lequel il est bien difficile de le reconnaître et de constater son identité. Nous retrouvons, en l'an 69, à la veille de la destruction de Jérusalem, le nom de Jean à la tète de l'Apocalypse ou Révélation, adressée sous forme épistolaire, aux sept Eglises d'Asie Mineure. L'antiquité chrétienne a reconnu dans le Voyant de Patmos, le fils de Zébédée. Le fait est qu'on ne voit pas de sérieuses raisons de penser autrement. Un tel livre répond assez bien au tempérament de celui que Jésus appelait l'enfant du .tonnerre. L~ seul argument qu'on fait valoir contre cette opinion est que, d'après Apocal. XXI, H, les Douze semblent morts à ce moment. C'est une induction que rien ne justifie. Si l'Apocalypse a été écrite par Jean, l'apôtre de Jésus-Christ, elle établirait, d'une manière inébranlable la tradition d'après laquelle Jean se serait établi en Asie Mineure, et aurait dirigé avec une autorité suprême les Eglises de ce pays. Il est vrai que cette tradition attaquée d'abord par Vogel (1801), puis par Reuterdahl (/)c/bn<6M.! historix McMcM~tM? .ËMM~MMa*, 1826), et ensuite par Lützelberger (Die kirchliche Tmdition über cfen ~Lp. Joh., 1840) a semblé récemment près de succomber sous la critique plus pénétrante et plus hardie de Keim, Scholten et Wittichen qu'ont suivie Hausrath, Holzmann.Schenkel.Il est vraisemblable cependant qu'elle triomphera encore de ce nouvel assaut. A la fin du second siècle, elle est unanimement acceptée et particulièrement défendue par les évêques mêmes de l'Asie Mineure (Ïrénée, d'après Eusèbe, H. E., 111, 23, 3 Adv. /t.sr.,II,22, 5; cf. 111, 1; 1, 3,4 V, 30,1; voyez en outre les deux lettres d'Irénée citées par Eusèbe, l'une à Florinus, H. E., V, 24 l'autre à Victor, évêque de Rome, à l'occasion de la controverse pascale, V, 28). Nous possédons encore une lettre officielle émanant des évêques d'Asie vers l'an 190, et que Polycrate d'Ephèse adressa au mêmeVictordeRomeausujetde la mêmecontroverse,et dans laquelle les évêques justifient leur célébration du Unisan, par l'exemple de Jean dont le tombeau est, disent-ils, à Ephèse. A ces témoignages, il faut joindre celui de Clément d'Alexandrie (pttMdtUM, cap. xm; cf. Eusëb.,111,24). Il est vrai que les plus anciens Pères de l'Eglise, Papias, Clément de Rome, Ignace, Polycarpe dans sa lettre aux Philippiens, Justin martyr, ne disent rien de ce séjour de Jean à Ephèse. Mais leurs ouvrages sont trop rares, trop vides d'indications historiques, trop suspects, pour qu'on puisse rien baser de certain sur leurs affirmations, encore moins sur leur silence. Ceux qni exploitent Ce silence et le changent en preuve, nous paraissent se méprendre complètement sur le caractère de cette littérature. D'ailleurs, Justin martyr reconnaît Jean l'apôtre comme l'auteur de l'Apocalypse, et, dès lors, confirme le séjour de Jean en Asie Mineure. Polycarpe, s'il ne parle pas de Jean dans son épître, invoquait son exemple et sa tradition devant Anicet, éveque de Rome. Enfin, les fragments de Papias, conservés par Eusèbe, sont plutôt favorables que contraires au fait de ce séjour. H est vrai qu'on a fait quelque
bruit d'un passage publié en 1862 (Theol. OMarfo~c/m/'t., Tubing.) de la Chronique de George Hamortolos (neuvième siècle) où se lisaient ces mots « Après Domitien, Nerva régna pendant un an, lequel, ayant rappelé Jean de l'île, lui permit de demeurer à Ephèse. Resté seul survivant entre les douze disciples, après avoir composé son évangile, il fut jugé digne du martyre car Papias, évëque de Hiérapolis qui fut témoin du fait, raconte dans le second livre des Discours du Seigneur qu'il fut tué par les Juifs, accomplissant ainsi aussi bien que son frère, la parole que le Christ avait prononcée sur eux. » Que faut-il penser de cette indication ? La citation de Papias a paru à bon droit suspecte. En tout cas, il est absolument arbitraire de ne retenir de ce morceau que les mots: « fut tué par les Juifs x et en second lieu plus:arbitraire encore d'en conclure que, d'après Papias, Jean aurait été tué à Jérusalem. Si Jean n'a pas été en Asie Mineure, il reste à expliquer la naissance de la tradition qui l'y fait venir. Elle n'aurait d'autre cause, d'après les uns, qu'une erreur moitié involontaire, moitié voulue d'Irénée, qui aurait confondu dans ses souvenirs Jean le presbytre et Jean l'apôtre, erreur déjà signalée par Eusèbe. Malheureusement cette erreur qu'Irénée semble bien avoir commise n'explique point l'origine de la tradition ecclésiastique qui existait avant lui et indépendamment de lui, comme le prouvent le témoignage de Clément d'Alexandrie, celui de Polycrate, celui de~Justin Martyr et de ceux qui attribuaient, comme Papias, l'Apocalypse à saint Jean, ou de Polycarpe alléguant l'autorité de Jean devant Anicet. Obligé de convenir du fait que la tradition existait avant Irénée,M. Scholten a pensé qu'elle avait sa racine dans l'Apocalypse, dont on prit de bonne heure l'auteur pour le fils même de Zébédée, et qui paraissait avoir été composée en Asie. De cette façon la question du séjour de Jean en Asie Mineure revient à celle de l'auteur de l'Apocalypse mais nous avons vu qu'il n'est rien de moins sûr que de la lui refuser. Qu'Jrénée ait confondu Jean l'apôtre et Jean le presbytre, il n'y a là rien d'étonnant mais encore faut-il songer que cette confusion n'a été possible que si déjà la tradition faisait vivre Jean à Ephèse. Irénée nous dit en effet avoir connu plusieurs presbytres qui, en raison de leurs relations avec l'apôtre Jean, témoignaient de l'authenticité du chiffre 666 dans l'Apocalypse, en opposition avec la variante 6i6. La coutume spéciale aux Eglises d'Asie Mineure de célébrer le 14 nisan, toute la controverse pascale que ces Eglises soutiennent avec acharnement pendant plus d'un siècle contre Rome au nom de l'apôtre Jean, le mouvement du montanisme, qui se rattache à ce même nom, enfin le fait qu'on lui a attribué à tort ou à raison l'Apocalypse, les lettres johanniques, le quatrième évangile (joignez le témoignage de l'appendice, ch. XXI) sont autant d'arguments non affaiblis d'un séjour prolongé de Jean en Asie Mineure. C'est là que la légende nous le montre tantôt en lutte avec Cerinthe, tantôt courant après un jeune homme égaré qu'il arrache à sa vie de brigand et qu'il ramène à l'Eglise; tantôt, vieillard affaibli, se faisant porter dans les assemblées chrétiennes et y répé-
tantjusqu'au bout sa touchante prédication « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres M (Irén., 111, 3, 4 Clément d'Alex., Quis dives, 42 Jérôme, Epît. aux Gal., vi, 10). Jean a bien dû avoir une longue existence,puisqu'on avait fini par croire qu'il ne mourrait pas à propos d'une parole que Jésus lui aurait dite (Jean XXI, 22) «Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe » paroles que les auteurs de l'appendice du quatrième évangile, qui avaientvu mourir l'apôtre, éprouventle besoin d'expliquer autrement. Tout cela ne fit pas disparaître cette étrange croyance que Jean n'était pas réellement mort. Augustin, dans son traité 124 sur l'évangile de Jean, rapporte qu'au dire de plusieurs, l'apôtre vivait encore, dormant paisiblement dans son tombeau d'Ephèse, où l'on voyait la terre doucement agitée par son haleine. Isidore de Séville (De ortu et o6t<M patrum, 71) raconte à son tour que Jean, sentant sa fin prochaine, fit creuser son sépulcre et, disant adieu à ses frères, s'y coucha comme dans un lit, ce qui fait que plusieurs prétendent qu'il vit encore. On a été plus loin d'après les Acta ~o/taKHM, il aurait été enlevé au ciel, sans passer par la mort comme Enoch et Elie. Les dates'diverses de la mort de Jean que l'on recueille dans les Pères de l'Eglise n'ont pas plus de valeur historique que ces légendes. D'après Jérôme,ilserait mort 68 ans après la passion du Christ, c'est-à-dire vers l'an 100 d'après Irénée et Georges Hamartolos, il aurait atteint le règne de Trajan (98). Suidas affirme de son côté qu'il aurait vécu 120 ans, ce qui nous porterait jusqu'au règne d'Adrien. Il vaut mieux renoncer à un calcul dont les éléments manquent absolument. Dans la tradition de l'Eglise chrétienne l'image de Jean, formée de tous les traits que nous venons de passer en revue .apparaît imposante. Elle est à côté de .celle de Pierre et de Paul et les domine même par un air de douce lumière et de sereine grandeur. Ils sont les apôtres du passé ou du présent. Lui est l'apôtre de l'avenir, du millenium triomphant, de l'Eglise invisible se reposant dans la paix et la joie de la victoire parfaite' II a l'aigle pour symbole et sa parole est la fin des révélations divines sur la terre. Mais on ne peut se dissimuler que cette séduisante figurq, plus idéale que celle de Pierre et de Paul, est par cela même moins historique et qu'on cherche vainement à la retrouver dans le siècle apostolique. En l'examinant avec attention, on s'aperçoit bien vite que l'imagination chrétienne y a réuni et fondu en les émoussant des traits fort contradictoires et fort divers d'origine; traits pris tour à tour aux évangiles synoptiques, aux Actes, à l'Apocalypse, au quatrième évangile, aux épîtres johanniques, à la légende. Or, bien de ces données semblent s'exclure. S'appliquent-elles à un seul personnage ou à plusieurs? De l'enfant du tonnerre que grondait Jésus a l'apôtre de l'amour, à la figure du Jean ecclésiastique en passant par le voyant de Patmos, il y a une telle distance que si une seule âme d'homme l'a parcourue tout entière même pendant une vie de cent ans, nous nous trouverions en présence du plus prodigieux développement psychologique dont l'histoire humaine fasse mention. Aussi le doute s'impose-t-il à l'esprit et nous devons recon-
naître que la vie de Jean, l'apôtre de Jésus-Christ, comme l'origine de la littérature qui porte son nom, reste encore un mystère non éclairci. A.SABATiER. JEAN (EpîtresetEvangile de).Aunom deJean, apôtre de Jésus-Christ, sont rattachés par la tradition outre l'Apocalypse, quatre livres du Nouveau Testament trois courtes épîtres et l'évangile. L'identité d'auteur de ces quatre derniers écrits est généralement admise ils forment une famille intime, un groupe original au sein de la littérature apostolique. Le christianisme y apparaît élevé au-dessus des. antithèses judéo-chrétiennes et pauliniennes, à un& hauteur où tous les contrastes et toutes [es oppositions se fondent dans l'unité d'un spiritualisme et d'un mysticisme d'une incomparable sérénité. Venus après tons les autres livres du Nouveau Testament, ils en sont comme la conclusion magnifique ils couronnent à la fois les écrits historiques et les écrits épistolaircs ou théologiques, faisant la conciliation suprême du fait et de l'idée, portant l'histoire au niveau d'une doctrine et posant les premières assises de la dogmatique édifiée par les âges suivants. Un second caractère de cette littérature dite johannique est d'être anonyme et mystérieuse. La première épître est sans adresse ni signature. Dans les deux autres, l'auteur se nomme du nom indéterminé de ~pMËu-Mpo;. On discute pour savoir ce que cache le nom de « la Dame élue » à. qui la seconde est adressée. Les manières mystérieuses de parler ne manquent pas non plus dans la troisième (v. 7 et 9). Dans le quatrième évangile, l'auteur, présentpartout, reste toujours invisible et impénétrable. Tout en se montrant, il se cache et s'envel'oppe de voiles. Enfin le XXI" chapitre, qui est un appendice à l'évangile, offre le même caractère. Les témoins qui doivent garantir le récit de leur maître ne se nomment pas et ne se laissent pas deviner. On remarquera que cet anonymat persistant n'est pas un simple accident, mais un système; comme dans toutes tes écoles mystiques, le mystère semble être ici un devoir de piété. Si nous consultons la tradition ecclésiastique, nous n'obtenons pas beaucoup plus de lumière. En partant des témoignages d'Origène et de Tertullien (200) et remontant avec Clément d'Alexandrie, Irénée, Polycrate d'Ephèse et Théophile d'Antioche (180), puis avec'Celse, le fragment de Muratori, Athénagore, Tatien, Héracléon et les Valentiniens(170),rious atteignous aisément l'époque de Justin Martyr et des Homélies clémentines qui attestent égalementlaprésence du quatrième évangile vers l'an (150). A ce moment, la tradition devient plus incertaine et plus contestée. Cependant Papias et Polycarpe, qui ont connu la première épître de saint Jean, Basilide et Valentin qui ont cherché des appuis à leur spéculation dans l'épître et le prologue de l'évangile, le Testament des douze Pa<fMrc/tM,'écrit avant la guerre juive d'Adrien et qui suppose nos écrits johanniques, sans parler des lettres d'Ignace, nous permettent de faire un pas de plus et d'arriver jusqu'en l'an 130, comme date où nos écrits sont pleinement connus et adoptés par l'Eglise. N'existent-ils que de ce moment? Le témoignage du chapitre XXP remonte sansnul douteplus haut encore. Cet Vt! i2
appendice de !'évangile se trouve dans les plus anciens manuscrits, il -a toujours fait corps avec l'ouvrage lui-même, et, dès-lors, nous permet de remonter au moins dix ou quinze ans plus haut. C'est ainsi qu'on peut atteindre approximativement le règne de Trajan (voyez pour cette discussion des témoignages externes du quatrième évangile Zeller, Die xusseren Zeugnisse M&er <&M Dasein und den Ursprung des vierten Ev. Theol. JaArM).,184Set 18-47 Riggenbach, DM~M~nMM ~Mf das Ev., Jo/M?tnM untersucht, programme de 1866; Godet, Jn!roc!Mc~'on au Comment. sur l'Ev. selon saint Jean, 2' éd., 1876, etc.). Tous ces anciens témoignages, aussi bien que le caractère de la littérature johannique, nous conduisent à Ephèse comme à son berceau. Bien que les quatre documents qui la composent respirent le même esprit et soient écrits d'un même style, est-il absolument certain qu'une seule main y a travaillé ? L'appendice du quatrième évangile nous montre un cercle de disciples entourant et appuyant le maître principal et ajoutant pour les Eglises leur garantie à ses affirmations. Il faut donc supposer à Ephèse, vers les premières années du second siècle, un cénacle mystique, une école johannique d'où nos écrits sont issus. Il est remarquable que c'est de cette même région qu'était partie l'Apocalypse trente ans auparavant. Nous persistons à affirmer que ce livre et le quatrième évangile ne sont pas sans relations intimes. C'est une autre question de savoir s'ils ont été rédigés par le même auteur. On ne pourrait le soutenir qu'en supposant dans la vie de Jean, le voyant de Patmos, une révolution si radicale et si entière qu'elle ne pourrait guère tenir dans le cadre psychologique d'une seule existence humaine. On trouve dans l'Apocalypse le germe de la piété mystique qui s'est développée plus tard à Ephèse; mais une fois ce point réservé, il faut reconnaître que le style, les idées, le point de vue général, tout le reste enfin décèle un autre horizon religieux, cn<; autre éducation et une autre époque. Que l'auteur ou les auteurs de la seconde littérature johannique à Ephèse aient été en rap-' port avec l'apôtre Jean qui paraît bien être l'auteur de l'Apocalypse; que celui-ci même, prolongeant sa vie en Asie Mineure, leur ait servi de patron et leur ait apporté une tradition évangélique indépendante des synoptiques, c'est l'hypothèse qui nous paraît la plus vraisemblable et le mieux expliquer tous les faits. Mais elle doit être éprouvée par l'examen interne du quatrième évangile lui-même. Chose étrange et singulière, nous rencontrons dans la tradition une donnée nouvelle qui vient compliquer encore ce problème déjà si obscur. Nous rappellerons, en effet, que la tradition ecclésiastique des premiers siècles connaît à Ephèse, vers la fin ou au commencement du second siècle, deux personnages du nom de Jean l'apûtre et lepresbytre. Plusieurs Pères, comme Jérôme. les ont confondus d'autres, comme Eusèbe, les ont distingués. Il sera toujours bien difficile d& faire la part qui peut revenir à chacun d'eux dans ce dernier chapitre de la littérature du Nouveau Testament.
I. EPITRES. Les épîtres, la première en particulier, rappellent la théologie du quatrième évangile dont elles ne sont que l'application
pratique. Maïs est-il permis d'en conclure qu'elles sont postérieures ? Il ne faut pas oublier que l'auteur a prêché assez longtemps sa doctrine avant de la résumer et fixer dans son grand ouvrage, où seulement elle apparaît complète, arrondie et mûre. C'est en effet une doctrine prêchée, non écrite, que rappelle l'auteur de la première ép!tre(t('n!t-)'YeUo{j!.Ev,I,3). Aussi a-t-elle ici quelquechose deplusuottant et de moins développé que dans l'évangile. On peut relever quelques différences dans la nuance de la pensée qui confirment cette impression générale. L'espérance de la parousie imminente du Christ est plus accentuée dans l'épître, moins idéale et plus voisine de l'espérance primitive des apûtres. Nous y surprenons la notion de l'Ante'christ en transformation. Elle n'a pas encore disparu comme dans l'évangile; mais ce n'est plus celle de l'Apocalypse. Elle n'est plus qu'une. abstraction désignant essentiellement l'erreur ou l'hérésie en opposition avec la vraie foi. La doctrine de l'expiation y a une forme plus juive que dans le quatrième évangile et s'exprime par le terme !Ax<~o; qui manque à ce dernier. Le jugement et la résurrection y sont conçus plus extérieurs et d'une façon moins exclusivement psychologique et morale. L'auteur semble donc ici faire son évolution suprême, se dégager de l'eschatologie judéo-chrétienne et monter vers les. hauteurs de son idéalisme mystique. Nul écrit du Nouveau Testament ne se prête moins à l'analyse que celui-là. On peut même se demander si nous sommes en présence d'une lettre s'adressant à des lecteurs particufiers avec un but spécial. On dirait plutôt une homélie familière, pleine sans doute d'une idée dominante, mais où les pensées de détail se succèdent sans ordre logique, appelées par les incidents du discours, parle dernier mot qui vient d'être écrit. Aussi renonceronsnous à les distribuer ici dans un cadre quelconque. Il suffira de noter l'idée inspiratrice et le sentiment particulier qui résonnent sous toutes les lignes et en font l'unité. pour ne pas dire la monotonie.Cette idée, exprimée dans le premier verset, c'est la réalité et l'incarnation de la parole de vie dans la personne du Christ, qui se communique et se propage par la foi dans tous les croyants. D'un autre côté, toute la richesse de cette communion et de cette foi vivante se manifeste dans l'amour, le commandement nouveau qui résume et accomplit tous les autres. C'est cette prédication répétée qui a valu à son auteur le surnom d'apôtre de l'amour. A quels lecteurs l'épître est-elle adressée ? Ils restent aussi mystérieux que l'auteur lui-même. Aucune circonstance historique ou géographique ne permet de les deviner. On les a cherchés un peu partout jusqu'au pays des Parthes. Les manuscrits latins depuis Augustin renferment en effet la suscription ad Parthos qui n'est peut-être qu'une mauvaise forme de ~po; ~e~out, suscription qu'au dire de Clément d'Alexandrie portait la seconde épître et qui aura été transportée à la première. On sait que Jean avait aussi reçu dans la tradition le titre de notp~ot. On peut donner une autre explication: la lettre, sans nul doute, est encyclique, adressée aux membres dispersés de l'Eglise, ad dispersos, comme l'épître de
Jacques, qui, précisément, porte cette Indication chez Victor de Capoue. C'est peut-être de là, par corruption et par la faute des copistes, que sont venues les leçons postérieures et latines, ad Parthos ou ad Spartos, comme le porte encore un manuscrit de Genève. Le seul point un peu plus clair, c'est la tendance hérétique combattue par l'auteur. Deux erreurs, qui sans doute dérivaient de la même source, sont signalées et condamnées avec énergie. La première est un libertinisme mystique qui, croyant posséder par l'extase gnostique, le Père et le Fils, n'avait plus aucun scrupule moral, et prétendait ne plus connaître le péché (I, 8.10). La seconde est le docétisme qui niait le Christ venu en chair et que l'auteur déclare être proprement la doctrine de l'Antechrist. A cette polémique se rapportent non seulement les versets II, 23; IV, 2 2" Epit., 7 mais aussi la déclaration solennelle qui ouvrera lettre. « Ce que nous avons entendu dès le commencement, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nos mains ont touché de la parole de vie, nous vous l'annonçons » déclaration qui est moins celle d'un témoin historique de Jésus, que celle d'un croyant et de tous les croyants, ayant l'assurance de la réalité de cette manifestation, non seulement dans leur foi, mais aussi dans la tradition apostolique. Ces deux erreurs combattues nous placent en présence d'un gnosticisme chrétien qui avait déjà pénétré dans l'intérieur de l'Eglise et menaçait d'en dissoudre le fondement. Plusieurs critiques ont cru reconnaître ici l'hérésie de Cerinthe; les preuves ne sont pourtant pas suffisantes. Tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'il faut descendre jusqu'à la fin du premier siècle ou au commencement du second pour rencontrer le milieu que la lettre suppose. Plusieurs théologiens, surtout l'école de Tubingue, ont voulu l'attribuer à un autre auteur que le quatrième évangile c'est là de l'hypercritique au plus haut degré, que le bon sens et la première et naïve inspection des faits suffisent à réfuter. On pourrait aussi aisément inventer des auteurs différents pour les deux petites épîtres attribuées à Jean et écrites par l'Ancien à des amis. La conclusion n'en serait pas moins excessive. Le style trahit sinon une plume identique, du moins un même cercle intime. Il est vrai qu'on hésite devant ce titre de Trps<y6uTMo; que se donne l'auteur, ne sachant s'il faut l'expliquer par l'âge ou par la dignité ecclésiastique. Dans ce dernier sens, on serait amené à penser à Jean le presbytre, cette ombre de Jean l'apôtre, qu'il est aussi difficile de bannir de l'histoire que de bien discerner. Mais ce n'est là sans doute qu'un rapprochement fortuit. De ces deux billets, le dernier est le plus clair il est adressé à uri certain Gaius, ami de l'auteur. Il fait allusion à un Diotréphe qui tyrannise une communauté chrétienne et que l'Ancien se prépare à châtier comme il le mérite. Il est question aussi d'un Démétrius, disciple fidèle, également inconnu. La seconde épître est plus qu'une énigme. Dans cette phrase, & ~pMëuT~o; ~exïvi xuefa, on se demande où est le nom propre et même s'il y en a un; on peut traduire en effet de trois manières: « L'Ancien à l'élue Kyria», ou encore ~'Ancien à la dame Eclectéo, ou enfin « l'Ancien à la dame élue sans autre désigna-
tion. Tout cela importe peu, car ce qui parait certain, c'est que le billet n'est pas adressé à une personne particulière, mais à une communauté cachée sous cette personnification, comme Jérôme et Clément d'Alexandrie l'avaient déjà indiqué. C'est à l'épouse du seigneur (xusMt féminin de xupto;) qu'écrit l'Ancien. De cette manière sculement 'on comprend qu'il puisse lui dire que ses enfants sont connus et aimés de tous, et faire entendre en même temps qu'il en est qui sont tombés dans une grave hérésie. Ne serait-il pas dès lors possible de relier intimement cette seconde épitre à la troisième, et de voir dans cette Eglise, l'Eglise même de Gaius ou de Diotréphe, en rapportant àla seconde les mots de la troisième :« J'ai écrit à l'Eglise? H (v. 9). Nous aurions alors deux billets envoyés dans la même localité où existaient des troubles intimes; l'un public et l'antre privé. Quoiqu'il en soit, ces'deux dernières épîtres n'ont pas eu dans l'Eglise la même bonne fortune que la première tandis que celle-ci est connue dès la plus'haute antiquité (Papias, Polycarpe) et reste toujours un homologoumène, c'est-à-dire un livre incontesté, les deux autres demeurent longtemps inconnues (ce qu'explique aisément leur petitesse), n'apparaissent qu'à la fin du second siècle, et n'ont cessé d'être suspectées jusqu'à Jérôme. Le canon dit de Muratori leur est certainement défavorable la Pcschito ne les a pas reçues. Tertullien, Cyprien, Irénée ne semblent connaître qu'une lettre de Jean. Origène oppose les deux dernières comme contestées à la première qui est généralement admise. Denys d'Alexandrie ne se prononce point. Eusèbe les place parmi les antilégomènes et Jérôme le suit. Aujourd'hui, la critique plus indépendante des circonstances extérieures et plus large ne porte pas sur elles un autre jugement que sur leur aînée. II. EvAXGiLE. L'évangile selon saint Jean devrait son origine, d'après la tradition, à la prière que les disciples du vieil apôtre lui auraient adressée de mettre par écrit la vie du Seigneur, pour réfuter les erreurs naissantes au sein de l'Eglise (canon de Muratori, Clément d'Alexandrie, chez Eusèbe,/7. VI, t4;Eusëb.,I!I, 24; Irénée, ~du..H~r., HI, 11 Jérôme, 7n .Ma~/t. pfoastMtUMt). Aux yeux de l'école d'Alexandrie, les trois premiers évangiles paraissaient insuffisants. Ils n'avaient donné que le corps matériel, l'écorce extérieure de l'histoire. Jean écrivit l'histoire spirituelle et en donna la vérité idéale et profonde; dès lors, son évangile fut opposé aux trois autres comme lo~eTu.M au TM~ct (Clément d'Alexandrie, dans le passage d'Eusèbe cité plus haut). Origène, qui voyait dans les évangiles la couronne de toute l'Ecriture, faisait du quatrième la couronne de l'histoire évangélique ellemême. Les autres Pères de l'Eglise ont une vue moins profonde. Ils se contentent de dire que notre écrit a eu pour effet de combler les lacunes historiques des trois premiers. En général et sauf Jérôme (~ec~M illust., 9), les Pères font composer le quatrième évangile par Jean, en Asie, après l'Apocalypse. Cette tradition du second au quatrième siècle, n'a guère rencontré que l'opposition obscure des marcionites et des aloges, qu'il est permis de négliger. Ce n'est que de notre temps que l'authenticité de cet évangile est devenue une grosse
question, la plus grosse et la plus discutée de tout le Nouveau Testament. En Angleterre, dès 1792, elle est posée ouvertement par Evanson (The ~tMomance of the four generally recived j~'s<t~M~ and the evidence of </Mtr respective aM~en~C!'<)/ ea'aMMMd). Les objections du critique anglais furent accueillies et fortifiées en Allemagne par Erkmann (1798), Cludius, Schmidt et surtout par Vogel qui'assigna au tribunal du jugement dernier, l'évangéliste Jean et ses commentateurs (Der Ev. Johannes und seine ~M.!<~ef vor dem jüngsten Gericht, 1801). A cette première attaque répondirent si bien Priestley et Simpson en Angleterre, Storr, Süskind, Wegscheider, Eichhorn en Allemagne, que Eckermann et Schmidt rétractèrent leurs objections. La lutte recommença en 1820 par le petit livre de Bretschneider, intitulé .Pn~Mttt de cuaK~t/M ept~<o~.7o/!atHnM apo~<.M!do/e et origine (1820). Ici, la critique était supérieure, les observations plus riches et plus fines, les causes de doute plus nombreuses et plus graves. De Wette ébranlé, déclara que l'authenticité de l'évangile n'était plus chose évidente. Cependant, la défense conduite par Lücke, dont le riche commentaire date de cette époque, fut si forte et si complète, que le quatrième évangile triompha encore de ses adversaires et que Bretschneider lui-même se déclara satisfait. Schleiermacher et son école firent de cet écrit leur évangile préféré; ils lui sacrifiaient volontiers les trois autres et y appuyaient presque exclusivement leurs travaux historiques aussi bien que leurs spéculations. Cependant ce triomphe n'était qu'apparent; les opposants ne manquaient pas et la mêlée allait recommencer plus acharnée et plus grave. Conservateurs et rationalistes devaient se battre sur cet évangile, comme autrefois les Grecs et les Troyens autour du corps de Patrocle. Les nouvelles attaques de Strauss et de Lützelberger (1835 et 1840), furent le signal de cette troisième lutte. Strauss un instant hésita, douta de ses doutes et laissa voir qu'il y avait dans le système de la négation de l'authenticité plus de part) pris que de véritable conviction historique (3e éd. de la Vie de Jésus, préface). C'est qu'on n'avait encore étudié cet évangile que du dehors, pour ainsi parler, et qu'on n'en avait pas pénétré la nature intime. La critique négative ne le comprenait pas. Baur se mit à l'œuvra. Le premier, il fit voir que la question d'authenticité n'était pas ici la chose essentielle ni le point décisif; qu'il s'agissait surtout d'en apprécier le caractère et la valeur historique. Par une analyse rigoureuse de l'organisme interne et des parties constitutives de cet écrit, il en mit en pleine lumière la nature dogmatique. Ce qu'on avait pris pour de l'histoire n'était plus qu'une construction métaphysique, une spéculation où venaient se concilier et se fondre les antithèses et les conflits de l'Eglise primitive (Kritische ~it~Mchungen über die /MnoMMC/MH~'t)an~t847). M. Reuss arrivait à peu près à la même conclusion. Moins systématique, son exégèse était peut-être plus capable de convaincre. Aussi depuis lors, malgré toutes les réfutations, il n'a plus été permis de méconnaître le caractère théologique de l'évangile. Ce fait a mis fin & tous les essais d'harmonistique tentés entre. les trois premiers et le quatrième,
car il n'est pas possible de réunir dans un' même cadre ou même de comparer ce qui n'est pas do même nature. Cependant tout n'était pas dit. Les origines de cet évangile n'étaient point expliquées. L'authenticité niée par l'école de Tubingue. fut défendue non seulement par Ebrard (Dus Ev. Joh. und die neueste Hypothese über seine Entstehung, 1845), par Bleek, Fromann, Luthardt, Meyer, mais encore par Hase, Reuss, Ewald, qui montraient par là que l'origine apostolique de l'écrit n'était pas inconciliable avec la négation de son caractère historique. Baur et Zeller en avaient placé la composition vers l'an 170. Il fallut abandonner cette position et reconnaître l'existence de l'évangile vingt ou trente ans plus tôt. Hilgenfeld essaya d'en expliquer l'origine en le faisant sortir du gnosticisme et en particulier de l'école valentinienne il a dû renoncer en grande partie à cette hypothèse (Hist. Kritische EtnM. in das N. T., 1873). Keim en avait d'abord reporté la. date au règne de Tfajan: il est plus tard descendu à celui d'Adrien. C'est ainsi qu'après avoir triomphé sur le fait du caractère théologique de l'ouvrage, la critique de l'école de Tubingue était vaincue dans ses hypothèses diverses sur ses origines historiques. Les opinions extrêmes soutiraient tour à tour d'éclatantes défaites. Il était impossible qu'on ne tentât pas dès lors une voie moyenne en .essayant de faire la part de tous les faits dûment constatés. Déjà Weisse (Die evangeliche Geschichte krilischund pM<MOp7tMcA bearbeiled, 1838; Die Evangelienfrage, 1856), Alexandre Schweizer (Das Eu..7b/t. nach s. Mner~ Werthe Ay~MC/t MtMer~Mc~t, 1841), à des points de vue divers, avaient essayé de distinguer dans l'évangile un noyau apostolique et primitif et une amplification postérieure. Ces essais de séparer l'authentique de l'inauthentique ne pouvaient réussir, condamnés à l'avance par la vivante et profonde unité de la composition. Y tracer à l'intérieur une ligne de démarcation, c'était vouloir déchirer la robe sans couture du Seigneur. Et cependant ces critiques ne se trompaient pas tout à fait. Il est~ certain que le quatrième évangile n'a pas qu'une s'eule face. Après en avoir nettement constaté le caractère dogmatique,'Weizssecker n'a pas moins réussi à en démontrer le côté et la valeur historiques (CnteMMc/tMn~n über die eran~MC~c Geschichte, 1864), seulement il s'est gardé de séparer le fait de l'idée, l'histoire de la doctrine qui se pénètrent et se reflètent réciproquement d'un bout à l'autre. Depuis lors, la plupart des nouveaux critiques à des degrés différents reconnaissent.dans le quatrième évangile une tradition positive et originale sur la vie de Jésus. MM. Renan, Holzmann, Michel Nicolas, auxquels est venu se joindre M. Reuss (LtMératufe joAatumjfue..BtMe, 1879) ont développé une manière de voir analogue, tandis que M. Godet dans son Commentafe (2' éd., 1876) défend encore énergiquement l'opinion traditionnelle. Ceux qui font valoir le double caractère de l'évangile devaient aussi aboutir à une opinion intermédiaire sur la question d'authenticité et faire écrire l'ouvrage par un disciple qui aurait développé et systématisé ce qu'il avait pu entendre raconter à l'apôtre de Jésus. M. Renan a fini par s'arrêter à Jean le presbytre (Ort~. du C~)'MttNt)Mme,YI,1879). Il n'y ·
qu'une difficulté dans cette conclusion c'est qu'il faut alors avouer que le disciple inconnu, quel qu'il soit, reste infiniment plus grand que celui qui lui a servi de patron. Ce qui frappe en effet tout d'abord c'est Impuissance véritablement magistrale avec laquelle l'auteur domine et traite la matière de son récit. Sa réflexion religieuse l'a pénétrée de part en part et la façonne avec une aisance incomparable au but religieux qu'il se propose. Ce but est nettement indiqué dans le dernier verset de l'évangile « Ces choses (entre beaucoup d'autres) ont été écrites pour que vous croyiez que Jésus est le fils de Dieu et que par cette foi vous ayez la vie » (XX, 31). Sans doute le récit synoptique n'est point désintéressé. Matthieu, Marc et Luc veulent aussi produire la foi chez leurs lecteurs. Mais ce dessein chez eux plane en quelque sorte au dessus de l'histoire sans la pénétrer ni l'organiser. Il en est tout autrement dans le quatrième évangile. L'auteur a longtemps considéré en elle-même cette idée de la divinité de Jésus et l'a formulée dans le théorème philosophique du logos elle devient l'âme intérieure du récit qui n'en est plus que l'explication et l'épanouissement dans la sphère des réalités sensibles. De là, ce simple et admirable prologue qui domine tout l'évangile. Jésus n'est plus seulement le Messie attendu de son peuple. Toute son histoire est arrachée au cadre géographique et national qui l'enfermait d'abord pour prendre une signification absolue et universelle. Elle est pour les hommes de tous les temps et de tous les pays la révélation suprême de la « vérité a, le rayonnement de la « lumière, » la source et l'épanchement de la « vie ». Les réalités contingentes, les événements historiques du ministère de Jésus, sans disparaître, se transforment et se transfigurent dans cette doctrine du Verbe fait chair. Le personnage de Jean-Baptiste n'a plus rien de son originalité, de son indépendance, de son caractère si pittoresque. Son rôle est réduit à celui d'un témoin, et son témoignage déposé, il n'a plus rien à 'faire dans l'histoire et s'évanouit. Les miracles sont moins nombreux que dans les synoptiques; mais ils sont autrement importants et significatifs. Là c'étaient des actes de charité que Jésus se laissait arracher par la pitié ou la prière des malheureux. Ici ce sont des actes révélateurs préparés, réfléchis, j'ai presque dit calculés pour manifester progressivement la gloire toujours plus haute du Fils de Dieu.Ce sont des c~!K, c'est-à-dire des signes d'une idée particulière qui s'y voile sous une enveloppe matérielle. N'y voir que le-fait extérieur ce n'est pas les comprendre. L'auteur en a fait autant de symboles ou de mythes théologiquos dont la foi doit pénétrer et retenir le contenu spirituel et éternel. Qu'est, par exemple, dans la pensée de l'évangéliste, lé miracle de la multiplication des pains, sinon la manifestation concrète de la vérité dont Jésus développe ensuite dans son discours sur le pain de vie, ou la guérison de l'aveugle-né et la résurection de Lazare, sinon la mise en scène de ces autres vérités de la foi « Je suis la lumière du monde; je suis la résurrection et la vie? "Une faut plus s'étonner des lors de la prédominance des discours sur les miracles. Non seulementils tiennent une plus large place, mais ils sont autreme~
importants. La foi que le miracle seul produit n'est pas encore la foi véritable. Jésus en fait peu de cas. La foi supérieure vient de la parole. C'est la réception du logos de Dieu dans l'âme qui aime la lumière et vient à elle. Dans les discours le Fils de Dieu se révèle entièrementet sans voile. On a beaucoup discuté sur leur fidélité historique. Il suffit de les comparer d'un côté aux discoufj~ authentiques de Jésus dans les trois premiers évangiles et de l'autre au style de la première épître de Jean pour se convaincre que la rédaction au moins en appartient à l'évangélist.e. Dans leur suite logique et leur progrès calculé, ces discours particuliers de Jésus ne forment en réalité qu'un seul discours où se développe une seule idée: « Je suis le chemin, la vérité, la vie. » Aussi Jésus, en parlant, renvoie-t-il parfois à ce qu'il a dit plus haut, comme si ses auditeurs n'avaient pas changé. Au lieu de brèves sentences frappées en médailles d'un relief extraordinaire, nous n'avons ici que des développements souvent monotones de la même pensée. On dirait une spirale où la pensée s'enroule en s'élevant. La parabole, si originale dans la bouche du Maître, devient allégorie. Le mot de circonstance ou paradoxal, même quand il est conservé intact, comme Il, 19 ou Ht, 3, perd son caractère d'actualité concrète ou pittoresque dans l'interprétation théologique de l'auteur. Un de ses procédés habituels correspondant fort bien au dualisme fondamental de l'évangile où se heurtent la lumière et les ténèbres, c'est de présenter les interlocuteurs de Jésus comme incapables de comprendre sa pensée spirituelle et s'achoppant toujours au sens matériel et extérieur de ses paroles (Nicodème, la Samaritaine ou les juifs de Capernaüm, etc.). Quelquefois les allocutions de Jésus ne sont pas même motivées. Tel discours, comme celui du chapitre XII, 44, n'est que le résumé des précédents, la formule générale de toute une période. On sent très bien, au peu de souci que l'auteur a des interlocuteurs de Jésus ou de ses auditeurs, qu'il songe beaucoup moins à eux, en rédigeant ces discours, qu'à ceux qui les liront et qui doivent en profiter. La même raison explique sans doute aussi le caractère des personnages mis en scène dans l'histoire évangélique. Ce ne sont pas seulement des acteurs individuels ce sont des types représentant des classes particulières. Nicodème, la Samaritaine, Simon Pierre, Thomas marquent les échelons gradués d'une foi toujours plus lumineuse et plus haute. Enfin la même idée mère de l'évangile en explique seule la composition et le plan profondément réfléchi. Deux principes opposés, la lumière et les ténèbres, indiqués nettement dès le prologue, dominent l'histoire qui n'est plus que le développement tragique de leurs conflits. D'où l'idée si profonde et si neuve de la y~; ou jugement (III, 16-22) qui n'est plus, comme dans les synoptiques, le jugement dernier, mais la séparation progressive accomplie dans le monde par la revélation du logos entre les enfants de lumière et les enfants des ténèbres, chacun retournant au principe même de sa nature. A mesure que la 'foi d'un côté se développe et grandit, l'incrédulité, de l'autre, se prononce, devient de l'hostilité, et amène logiquement la catastrophe
finale. A ce point de vue, notre évangile est un drame admirable d'unité profonde et de conséquence fatale; il se divise de luimême en trois actes bien distincts. Le premier, qui comprend les six premiers chapitres, est la révélation du logos; il amène la séparation entre les juifs hostiles et les disciples fidèles et trouve sa conclusion dans la déclaration de saint Pierre « A q'ui irions-nous qu'à toi? Tu as seul les paroles de la vie éternelle nous avons cru et nous avons connu que tu es le Saint de Dieu » (YI, 69). Le second acte qui va de VII, 1 à XII, 50, nous présente la lutte morale et dialectique du Christ, lumière et vie du monde, contre l'incrédulité représentée d'abord par les frères mêmes de Jésus et personnifiée plus généralement dans le peuple juif tout entier. Le Christ réfute toutes lesobjections, dissipe lesmalentendus, lesprétexteshypocrites,les raisonnements spécieux et met à nu la racine première de cette opposition, qui est une pensée diabolique, la haine de la vérité et de la lumière. Le troisième acte enfin amène le dénouement. Tout entretien avec les adversaires cesse et serait désormais inutile. L'incrédulité démasquée et vaincue n'a plus de recours qu'à la violence, a cette pensée de meurtre qu'elle portait en elle dès le commencement. Par contre, Jésus se rapproche de ses disciples, s'épanche en effusions touchantes, les console, leur donne sa paix et sa joie, sa lumière et sa force pour qu'ils puissent le remplacer et continuer son œuvre. Enfin le dénouement arrive. La condamnation portée par Caïphe sur Jésus, trouve un exécuteur malgré lui dans Pilate, le gouverneur romain. Mais la violence accomplit une œuvre qui la trompe. La croix qui devait être la honte et la défaite du Christ est, au contraire, son exaltation et son triomphe. Il ressuscite pour les croyants plus glorieux et plus fort, tandis qu'il semble rester mort pour les incrédules. Ce dernier acte à la fois du supplice et de la glorification va du chap. XIII à la fin du chap. XX. On sait que le chap. XXI est un appendice et n'appartient pas au corps même de l'évangile. Tel est le plan organique de cet écrit où l'équilibre littéraire, l'harmonie savante de toutes les parties ne sont pas moins étonnants que la profondeur de la pensée et la richesse du sentiment. -Nous n'avun. vu cependant qu'une face de l'évangile, la face théologique; il en a une autre qu'il faut également décrire pour avoir une caractéristique exacte et complète. L'idée pénétre et transfigure le récit, mais elle ne l'explique pas, car elle ne l'a pas enfanté. La logique de l'historien se plie aux faits et ne les crée pas. En voici une preuve remarquable Si l'auteur a transporté en Judée et à Jérusalem le théâtre de l'activité de Jésus, c'est, dit-on, que la logique de son idée dogmatique le voulait ainsi. Le porteur de la lumière devait apparaître au centre, des ténèbres, dans la capitale théocra tique du judaïsme. Qu'on se mette un instant à ce point de vue On sera bien surpris de voir commencer en Galilée, dans la synagogue de Capernaüm (VI) la « crise') dont le dénouement viendra à Jérusalem. On ne peut expliquer une telle dérogation au système de l'auteur que par le souvenir très net qu'il avait de la crise galiléenne. En effet son récit, à ce point, concorde au fond avec celui
des synoptiques qui placent également après la multiplication des pains l'abandon de Jésus, un changement grave dans les sentiments du peuple et de l'autorité politique et la confession solennelle que Pierre fait au nom des Douze. Nous venons de toucher au cadre géographique et chronologique de la vie du Christ. Celui que dresse le quatrième évangile est profondément différent de celui des synoptiques; mais il est aussi beaucoup plus vraisemblable. Il faut rappeler que ceux-ci ne donnent en réalité aucune indication précise. Les faits y sont agglomérés sans aucune distribution chronologique. C'est se méprendre et les interpréter grossièrement que d'affirmer que, suivant eux, le ministère de Jésus n'a duré qu'un an. Rien absolument no l'indique. L'action si profonde et si méthodique du Maître, l'éducation si laborieuse de ses apôtres, les changements et les variations de l'opinion publique à son sujet, la circonspection des autorités juives, le progrès de l'opposition qu'il soulève, tout empêche d'enfermer sa vie active dans de si étroites limites. Les synoptiques ne mentionnent expressément qu'un seul voyage à Jérusalem. Mais encore ici leur récit n'est pas vraisemblable et se dément lui-même par plusieurs détails. Dès les premières prédications de Jésus en Galilée, nous voyons à sa suite des gens et même des scribes et des pharisiens de Jérusalem et de la Judée (Matth. IV, 25 Marc 111,7 Luc VI, 17). Dans ce qu'on appelle « le récit de voyage H de l'évangile de Luc (IX, 51-XVIII), se trouvent des faits qui se sont passés en Judée et des paraboles prononcées à Jérusalem, comme par exemple la visite à Marthe et à Marie et les paraboles du bon samaritain, du pharisien et du péager, etc. Comment en entrant solennellement dans la capitale, Jésus pouvait-il s'écrier: «Jérusalem, cont&t<°)t de fois j'ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous son aile! tu ne l'as pas voulu] » s'il visitait la ville pour la première fois,.alors qu'il ne s'y est pas mêmefait entendre? Les autorités juives semblent bien connaître Jésus et depuis assez longtemps. Enfin il a ici des amis et des disciples comme le maître de l'âne qui lui sert de monture, comme celui de la maison où il fait préparer la Pâque~comme Joseph d'Arimathée qui viendra réclamer son corps à Pilate. La fondation de l'Eglise à Jérusalem et les premiers succès de la parole de Pierre ne rendent pas moins indispensable une assez longue activité de Jésus en Judée. La tradition dont les synoptiques sont l'écho a dû, par un procédé naturel de concentration, condenser en deux groupes les faits de la vie de Jésus, le groupe galiléen et le groupe judéen, sans établir entre eux aucune transition. Mais la réalité a été moins simple, comme le prouve le résultat même des recherches de Luc et sa manière de présenter la vie de Jésus qui brise le cadre de Marc et de Matthieu et s'achemine obscurément vers celui du quatrième évangile. Il faut donc affirmer que sur tous ces points, ce dernier ne s'écarte des synoptiques que pour rester plus fidèle à l'histoire. Son cadre chronologique est très net et très fixe, très indépendant même du plan logique du récit il offre de larges lacunes (entre le chapitre VI et le chapitre VII par
exemple encore les derniers~mois du séjour deJésusenPerée et dans les montagnes d'Ephraïm) où trouvent place les récits des synoptiques qu'il connaît mais qu'il ne veut pas redire. Si l'auteur avait inventé ce cadre, comment aurait-il néglige de le remplir? Sur d'autres points particuliers, il corrige hardiment les données de la tradition antérieure avec non moins de bonheur. Pour l'époque de l'emprisonnement du Baptiste, il corrige par exempIeMatth. IV, 12 et nous apprend que Jésus a quelque temps exercé son ministère à côté de son précurseur, et pratiqué au moins par ses disciples le baptême de repentance. De môme, avec toute vraisemblance, il place le dernier souper de Jésus non plus au soir du 14 nisan; mais du 13 et avance sa mort de vingt-quatre heures. N'est-ce pas un singulier contraste que ce souci minutieux des circonstances de temps et de lieu, à côté du caractère dogmatique et idéaliste de cet évangile? Ce n'est pas tout. L'auteur, quel qu'il soit d'ailleurs, est juif d'origine. Il y a dans le Nouveau Testament des styles plus marqués d'hébraïsmes; il n'en est pas de plus hébraïque de caractère. Sous la forme grecque assez pure et facile,vous saisissez encore le parallélisme (antithèse ou répétition) qui est, chez les auteurs hébreux, la forme constante du développement littéraire. L'idée même qui fait le fond de l'évangile, la reconnaissance du Messie par quelques-uns et son rejet par la masse du peuple, est une idée juive. L'Ancien Testament, lu dans sa langue originale, est souvent cité et plus souvent encore paraphrasé ou imité d'un bout à l'autre. Toutes les narrations évangéliques ont comme leurmotif et leur type dans l'histoire sacrée d'Israël. Les plus subtiles discussions rabbiniques sont familières à l'auteur. Ce juif est encore d'origine palestinienne. On en est bientôt convaincu par la connaissance exacte des coutumes, dés préoccupations nationales, des localités précises dont il fait preuve dans son récit. Il détermine très bien et nomme les lieux où Jean baptisait. II sait que Bethsaïda était le village natal de Pierre, d'André etdePhIIippe.commeBéthanie celui de Marthe et de Marie. Ses indications surBéthesda, Siloam, le torrent du Cédron, Gethsémané, sur la vallée du puits de Jacob, etc., décèlent un homme qui a longtemps vécu et voyagé en Palestine. Il faudrait relever également ce qu'il dit sur l'époque de la construction du temple, sur le portique de Salomon, sur le lieu du trésor, etc., etc. Mille traits de détails et sans rapport aucun'avec l'idée dogmatique qui le préoccupe, illustrent sa narration et prouvent une tradition sûre autant qu'indépendante sur la vie de Jésus « C'était la dixième heure; c'était l'hiver: il était nuit; cet homme s'appelait' Malchus; sa tuniqueétaitsans couture;)) etc., etc. Toute l'histoire de la Passion, si neuve encore après le récit synoptique et si concordante avec lui au fond, est semée de ces souvenirs personnels qu'il est impossible de méconnaitre. On peut discuter sur la valeur de quelques-uns, comme on discute sur les données des autres évangiles, mais on ne peut nier qu'il y a ici une narration parallèle digne d'attention. En analysant les discours mis dans la bouche de Jésus, on fait une série d'observations semblables. L'auteur se garde de
mettre sur ses lèvres le terme théologique de logos, et plusieurs des assertions de Jésus ne cadrent point avec la doctrine que ce mot exprime. Entre les Juifs et le Seigneur, e n'est point la question du !o~, c'est la question messianique qui est incessamment débattue. Mais ce qui prouve mieux encore que l'auteur met en œuvre des paroles historiques fournies par la mémoire, .c'est qu'il s'arrête sQuvent à les commenter, et que son commentaire est loin de pouvoir être accepté sans contestation (II, 19-21; IV,3S-38; VI1,38-39; XI.50, etc., etc.). Ce phénomène précieux à recueillir revient plus de dix fois. On y sent bien la différence entre la parole de Jésus recueillie par la mémoire et la méthode d'exégèse allégorique familière à l'auteur comme à tous ses contemporains. Enfin on peut noter en tête de presque tous les discours des paroles qu'à leur caractère paradoxal et profond, à leur accent particulier on n'hésite pas à reconnaître pour des sentences authentiques de Jésus « Abattez ce temple et je le relèverai dans trois jours. Si quelqu'un ne naît de nouveau, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Le grain ne porte du fruit que s'il est jeté en terre et meurt. H etc., etc. Ce sont là des clous d'or qui supportent les tentures du discours, des textes qui font la matière et la richesse des méditations religieuses de l'auteur. Que l'on compare à ce point de vue les discours de l'évangile avec la première épître où l'auteur est seul et parle uniquement de son propre fonds, celle-ci paraîtra singulièrement pauvre; elle tourne dans une seule idée. On voit bien que les paroles du Maître ne le soutiennent plus. Si dans l'Evangile, en effet, malgré les retardements et les piétinements sur place, la pensée marche cependant, les crises arrivent et les périodes se marquent distinctes, sous le vernis uniforme du style; si les discours d'adieu, par exemple, ressemblent si peu aux discours de polémique, ce mouvement et cette variété sont uniquement dus, chacun peut s'en convaincre, àquelquesunes de ces paroles de Jésus qui arrivent successivement, changent la scène, posent un nouveau problème, ouvrent de nouvelles perspectives. Une comparaison de ces discours avec ceux des synoptiques, prouve qu'au fond la distance est moins grande qu'il ne le semble au premier abord. Des deux parts, vous rencontrez trois classes de discours, correspondant à trois phases distinctes du ministère de Jésus les discours d'appel, les ~MCMMMM~po~n~MM, les~McoMMd'adtfM. Le fond de ces discours est le même, dans les situations .paratièfes seulement notre évangile ne donne que le contenu abstrait, la quintessence des diverses situations dont les synoptiques rendent la vie et le relief. Les paroles adressées à Nicodème et à la Samaritaine sont elfes autre chose que le résumé théologique de la période que signalent, dans les synoptiques, le sermon sur la montagne et les paraboles? Que de scènes de discussion, dans le quatrième évangile, reproduisent la dialectiquc~dont se sert Jésus pour repousser l'accusation d'être inspiré parBeelzébut! Dans les discours d'adieu, on retrouve l'annonce des futures persécutions, les conseils à l'humilité, la promesse du Saint-Esprit, les consolations que Jésus donnait à ses
apôtres dans les derniers jours, d'après les premiers récits évangéliques. Les différences de la forme ne rendent que plus étonnante l'identité religieuse du fond. Clément d'Alexandrie avait raison de dire que les premiers évangélistes nous ayant donné la lettre de l'histoire, saint Jean en avait exprimé l'esprit. Mais la lettre n'est pas niée pour cela; elle est partout sous-entendue. Il y a sans doute quelque difficulté à concevoir comment ont pu se joindre dans une si harmonieuse unité deux caractères si différents, le caractère historique et le caractère dogmatique. Mais ils s'imposent l'un et l'autre avec une égale force à l'observateur attentif. De là vient que tour à tour les théologiens comme Baur ont pu le représenter comme un traité dogmatique, et d'autres, Credner et Bleek,Néander et Schleiermacher le prendre pour le document le plus exact de la vie de Jésus. Les uns et les autres ne voulaient voir que la face de l'écrit qui leur agréait le mieux. Il faut en faire le tour pour en bien juger. L'histoire s'idéalise dans la foi, et la foi s'incarne dans l'histoire. Cette unité du réel et de l'idéa! dans cette exposition en est présisément le trait distinctif et éminent.- Un point non moins essentiel que ceux que nous avons touchés jusqu'ici, estle rapport littéraire de cet évangile avec les trois premiers. Nous ne parlons pas de la difficulté plus ou moins grande de concilier ses récits avec les leurs c'est un problème qui appartient à la vie de Jésus nous voulons parler de la position réfléchie et voulue que l'auteur a prise à l'égard de ses devanciers. Non seulement il suppose d'un bout à l'autre la tradition synoptique, sans laquelle sa propre narration resterait souvent une énigme; mais il la suppose écrite et fixée dans l'Eglise sous une forme à peu près semblable à celle que nous possédons encore. Tout ce qu'il dit de Jean-Baptiste n'est concevable qu'en lisant son récit après celui des autres évangélistes. Il raisonne sur le baptême de Jésus et oublie de le raconter; de même il ne mentionne pas l'institution de la cène, et le discours sur le pain de vie n'est qu'une dissertation sur ce rite. Il parle couramment des Douze et jamais il n'a indiqué l'institution de l'apostolat. Au commencement du chapitre VII, il résume en un mot le ministère de Jésus en Galilée que ses prédécesseurs avaient raconté tout au long. Le quatrième évangile n'est pas fait pour être lu isolément. C'est un large commentaire dont l'histoire synoptique reste le texte. Parfois celle-ci est citée positivement (IV, 44) parfois elle est contredite et corrigée avec intention marquée. La remarque de III, 24 « car Jean n'avait pas encore été mis en prison », est une correction sensible de Matth. IV, 12. Une intention semblable a sans doute dicté l'observation que le miracle de Cana fut le premier miracle de Jésus en Galilée. Une allusion se retrouve encore, XVIII, 13, où le mot ~pSirov est mis en vedette pour faire sentir sur ce point l'omission des premiers évangiles. Ces détails' sont importants comme ils sont absolument désintéressés, quelle qu'en soit la justesse, ils prouvent que l'auteur avait par devers lui l'autorité d'une tradition indépendante qui lui donnait le droit et le pouvoir de contredire celle de ses prédécesseurs. Il a donc connu un évangile de
Matthieu rédigé en grec, car c'est lui que visent surtout ses corrections. Il est encore plus certain qu'il a connu celui de Luc. Il suffit de comparer Luc X, 37 avec Jean XI, 1. La forme de la phrase de Jean ne se conçoit que s'il avait le récit de Luc sous les yeux comparez encore Luc XXI, 37, avec Jean XVIII, 2. Dans les scènes de la passion les deux récits se côtoient et ont des traits communs qui manquent chez Marc et Matthieu La flagellation de Jésus considérée comme une concession de Pilate, l'inscription en trois langues mise à la croix, la course de Pierre au sépulcre, l'attouchement des plaies après la résurrection. Ajoutez encore les parallèles Luc XXII, 3, et Jean XIII, 27; Luc XXII, 33, Jean XIII, 37, etc. La relation avec Marc est peut-être plus évidente et devient même en quelques points une dépendance littéraire. L'auteur du quatrième évangile emprunte à celui du second de petits tableaux, des expressions pittoresques et caractéristiques qui lui étaient, dirait-on, restées dans la mémoire Voici les parallèles
Marc. Jean. Marc. Jean. II. 9-12. V, 8 et ss. XIV. 64, 65. XVIII, 15, 18, 22. VI, 37 et 39. VI, 7-10. XV. 8. XVIII, 39. XI, 9. X!I.t3. XV.16,<9',22.XIX,1.3,17. XIV, 3, 5, 6. XII, 3-7. XVI,9. XX, 14. IX. 18-21. XIII, 21.
Le fait littéraire que nous menons de constater a une double face d'où sortent d'importantes conséquences pour l'origine du quatrième évangile. D'un côté, l'auteur prouve son indépendance par les corrections si libres et si hardies qu'il fait à des récits déjà consacrés par la piété. De l'autre il laisse voir une dépendance littéraire peu admissible chez un apôtre qui aurait été témoin oculaire de la vie de Jésus et d'une inspiration si originale. Au moment où il écrivait, les synoptiques étaient déjà adoptés par l'Eglise sans ôtre encore considérés comme supérieurs à la tradition. Un auteur comme Papias pouvait les critiquer librement au nom de données orales authentiques. Telle a été, semble-t-il, la position de l'auteur du quatrième évangile qui, tout à la fois, subit les synoptiques et les critique au nom d'une autorité mystérieuse qu'il s'agirait enfin de découvrir.–II nous reste en effet à interroger l'évangile lui-même sur son origine. On sait quel rôle y joue le disciple partout présent et partout anonyme, « le disciple que Jésus aimait. » Il se voile de telle façon que rien n'est plus facile que de le désigner. Il faut d'un côté le chercher parmi les Douze, puisqu'il assistait au dernier repas do Jésus et se penchait sur sa poitrine comme jouissant d'une intimité particulière. D'un autre, il ne peut être aucun de ceux nommés dans le cours du récit, car on sent chez I)n la volonté bien arrêtée de ne pas se nommer. Il faut donc écarter Nathanaël en qui des critiques ont voulu le reconnaître, non moins résolument que Pierre, André, Philippe, Thomas. Serait-ce un disciple idéal, le disciple spirituel et immortel (XXI, 22) qui comprend
et dégage la vérité que'les autres n'ont saisie que d'une façon grossière. Certains traits, comme le témoignage précis des auteurs de l'appendice, sa course au sépulcre plus rapide que celle de Pierre, la parole de Jésus qui lui confie sa mère, et l'observation que ce disciple en effet la recueillit chez lui dès ce jour-là, etc., etc., empêchent absolument d'entrer dans cette hypothèse ingénieuse de M. Scholten. Bien plus, le mot du Seigneur rappelé XXI, 22, loin de prouver qu'il s'agit d'un disciple immortel,laisse à penser au contraire qu'il est mort au moment où ses garants mettent leur témoignage au bas de son écrit, et veulent arrêter une légende superstitieuse qu'avait pu faire naître la grande vieillesse de l'apôtre bienaimé et qui reprit son cours et fit fortune malgré eux dans l'Eglise. Il faut donc revenir au cercle des Douze. N'est-il pas bien étonnant que parmi les apôtres qui ne sont pas nommés, se trouvent les deux Zébédaïdes? Il faut écarter Jacques, mort de très bonne heure. La tradition ecclésiastique ne s'est donc pas trompée en s'arrêtant à son frère Jean. S'il était constant que ce disciple bien-aimé et le rédacteur de l'évangile ne sont qu'une seule et même personne, il ne faudrait point mettre en doute l'origine johannique de cet ouvrage. Mais c'est précisément le point douteux que la critique conservatrice a eu le tort de regarder comme démontré. Si Jean lui-même avait tenu la plume, on pourrait s'étonner à bon droit du rôle qu'il se donne dans sa narration, de la supériorité d'intelligence et de foi qu'il s'attribue sur tous ses compagnons. Il serait difficile de mettre l'humilité parmi ses vertus. Ses prétentions mêmes ne seraient pas historiquement exactes. Chez les trois premiers évangélistes, Jean est mentionné trois fois et trois fois pour être blâmé sérieusement et justement par Jésus à. cause de sa conception grossière du royaume de Dieu et de sa méconnaissance de l'esprit évangélique. Or, dans notre récit, seul il semble pénétrer à fond les paroles de Jésus Pierre ne vient jamais qu'après lui, et a même besoin de passer par son intermédiaire pour arriver au maître (I, 4t; XIII, 24). Le disciple bien-aimé non seulement distance Pierre par la rapidité de.sa course, mais aussi par celle de sa foi (XX, 4-8); sur le bord du lac de Galilée, c'est encore lui qui reconnaît Jésus le premier et le signale à Pierre (XXI, 7). Il est très remarquable que dans l'appendice se retrouve bien accusée cette rivalité entre les deux apôtres qui frappe à la lecture de l'évangile. Non, Jean ne s'est pas donné lui-même un tel rôle. C'est le fait de disciples préoccupés de montrer la supériorité de leur maître. D'un autre côté il faut noter que nous ne sommes point en présence d'un cas de pseudépigraphie comme il s'en présente alors de si nombreux. Ceux qui mettaient leur composition sous l'autorité d'un grand nom d'autrefois, y allaient plus franchement, ils n'usaient pas de ces raffinements. Ce. qu'il faut dire, c'est que le rédacteur de notre écrit, sans usurper le nom. de Jean en disciple fidèle et jaloux, a voulu rehausser. l'autorité de celui dont il recueillait les récits et les leçons. Il s'est caché derrière lui, sans pourtant s'identifier avec lui absolument.
En quelques endroits, perce la dualité de personnes que nous cherchons à établir. Cette dualité est sensible dans le chapitre XXI, dans cet appendice qui ne rentre pas dans le plan de l'évangile, mais qui fait bien corps avec lui et sans doute a été écrit par la même plume. Il nous semble évident qu'au verset 24, la distinction est formelle entre le disciple témoin fidèle de l'histoire et le rédacteur qui parle ici, comme ailleurs (I, 14 1 JeanI, 1) a la première personne du pluriel. Il est un passage dans le cours de l'évangile où cette distinction apparaît un peu plus obscure (XIX, 35) mais le passage est d'une teneur trop semblable à celui de l'appendice que nous venons de rappeler, pour ne pas en tirer la même conclusion. Si l'on objecte enfin que d'après I, 14 et 1 Jean I, 1, le rédacteur lui-même affirme qu'il a été témoin oculaire de la vie de Jésus, il faut se demander si ces passages ne peuvent pas recevoir une explication moins stricte que celle qu'on leur donne souvent. La phrase « le logos a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, » a un sens général et affirme seulement la certitude de la révélation du logos parmi les chrétiens. Quant aux paroles qui ouvrent la première épître, nous croyons qu'il faut les expliquer non par le désir de déposer un témoignage historique au sens moderne, mais par la préoccupation de combattre le docétisme Dès lors, il n'y a plus que l'affirmation positive de la réalité de la chair de Jésus-Christ. On dira donc pour conclure que le quatrième évangile peut et doit être ramené à l'apôtre Jean, mais d'une façon médiate et indirecte. Il représente la forme qu'avait revêtue l'histoire évangéhque en Asie Mineure dans les cercles où s'était exercé son long ministère. C'est une solution moyenne résultant du double caractère de cet écrit où il est aussi difficile de méconnaître la préoccupation du théologien et du commentateur que la tradition positive et précieuse d'un témoin de Jésus. En prenant cette origine johannique dans ce sens large, on échappe aux arguments tirés de l'Apocalypse ou de la controverse pascale que nous pouvons par conséquent négliger. Rien ne nous empêche d'admettre que Jean ait rédigél'Apocalypse et que de cette forme judéo-chrétienne primitive et grossière se soit dégagée à la seconde génération la forme idéale du christianisme que nous rencontrons dans un écrit qu'on pourrait appeler l'Apocalypse de FE~pt'K. Nous sommes en effet persuadé que les racines de la pensée du quatrième évangile se trouvent dans l'Apocalypse et en général dans la théologie judéo-chrétienne, non dans le paulinisme. De l'enseignement de Jésus à la théologie johannique, le développement s'est fait naturellement et sans cassure; c'est ce qui en explique l'incomparable sérénité.–Nous avons cité trop d'auteurs dans le courant de cet article pour qu'il ne soit pas superflu de donner ici la ~Hero/Mro du sujet. Un la trouvera à peu près complète à la fin du volume de la Bible de M. Reuss, consacré à la y/!eo~f6 7uAannt~M<. A. SAttATIEM. JEAN L'ANCIEN ('tMawTx & ~psTËuTtpot). Dans la plus ancienne tradition ecclésiastique, en Asie Mineure, à côté de Jean l'apôtre apparaît, voilée d'ombre et douteuse encore aux yeux de bien des critiques, 1~ vu 13
figure d'un autre Jean, connu sous le nom de Jean le presbytre. Guericke, Hengstenberg, Riggenbach et d'autres en ont même nié l'existence, ne voulant point le distinguer de l'apôtre. Non seulement Eusèbe a parlé de deux Jean en Asie Mineure, et attribuait au second, au presbytre, tantôt l'Apocalypse, tantôt les petites lettres johanniques(H. E., III, 25, 39), mais. avant lui, Denys d'Alexandrie avait mentionne deux tombeaux élevés à Ephèse aux deux personnages. H est vrai que Jérôme (De vir. illust., 9) explique les deux tombeaux comme deux monuments également consacrés au seul apôtre Jean. Outre que cette explication a quelque chose de forcé, les CoutttMtMM apostoliques mentionnent les deux Jean et de telle sorte que le second aurait été le successeur du premier au siège épiscopal d'Ephèse (VIII, 46). Il faut bien avouer que ces vagues traditions postérieures où la légende tient la plus grande place, n'auraient pas suffi aux yeux d'une critique sévère pour enrichir l'histoire de l'Eglise d'une figure de plus. Mais l'existence d'un presbytre du nom de Jean vivant en Asie Mineure au commencement du second siècle est constatée d'une façon indubitable par les fragments qu'Eusèbe nous a conservés de Papias, évoque de Hiorapolis (120-150? Eusèb., E., 111, 39). On sait qu'Irénéo (Adv. ~r.,V, 33, 4) nomme Papias « l'auditeur de Jean et le compagnon de Polycarpe » ('iMc~vou KoxucT~, IIo).u x~p~ou h~pot). Or Eusèbe, 'citant ce mot d'Irénée et commentant le texte de Papias, fait remarquer que des paroles de ce dernier il ressort clairement qu'Irénée s'est trompé et que Papias lui-même fait entendre qu'il n'a pas été en relation avec l'apôtre Jean, mais tout au plus avec un autre Jean nommé le presbytre. Eusèbe a raison. Papias nous dit qu'il ne négligeait aucune occasion de recueillir avec soin la tradition « des anciens. » Il s'informait auprès de ceux qui les avaient connus; en première ligne, de ce qu'avaient dit les apôtres, André, Pierre, Philippe, Thomas, Jacques, Jean, Matthieu; en seconde ligne, de ce que ~Me~t Aristion et le presbytre Jean, on voit clairement, par la forme de la phrase et le temps différent des verbes, que Papias établit deux séries distinctes dont l'une, celle des apôtres, est éteinte, et dont l'autre, celle des presbytres, a encore, au moment où vivait Papias, deux représentants, Aristion et Jean. Le nom de Jean revient dans les deux séries mais il est impossible que ce soit le même personnage mentionné deux fois. C'est d'abord l'apôtre nommé entre Jacques et Matthieu et mort depuis longtemps; c'est ensuite un autre Jean nommé après Aristion et accompagné de l'épithëte de presbytre pour marquer sa charge dans l'Eglise et le distinguer sans doute de son homonyme. De la bouche de ce dernier, Papias a recueilli deux jugements fort curieux sur les premiers évangiles de Matthieu et de Marc. On voit qu'il n'y a pas moyen de les confondre, et que les tours de force exégétiques des défenseurs d'un Jean unique, Fapôtce, fils de Zébédée, ne pourront plus compromettre l'existence du second. Malheureusement, après avoir constaté cette existence, nous n'apprenons plus rien sur lui, sinon qu'il aurait été en même temps qu'Aristion un disciple immédiat du Seigneur et qu'il jugeait assez librement les
écrits de Marc et de Matthieu. Tout le reste n'est qu'hypothèses. On voulu lui attribuer l'Apocalypse, et le caractère de cet écrit semble assez bien répondre aux préoccupations millénaires que Papias lui attribue. Mais est-ce une raison pour l'enlever à l'apôtre qui a pour lui des titres plus sérieux encore ? D'autre part, on songé à lui attribuer les lettres johanniques dont l'auteur, au moins dans les deux dernières, se nomme lui-même « le presbytre », et par conséquent aussi le quatrième évangile. Mais à cela s'oppose invinciblement sa tournure d'esprit vouée aux espérances messianiques les plus matérielles. Il faut savoir ignorer ce que l'histoire ne nous apprend point et se garder de deux préoccupations contraires qui entraînent aujourd'hui la critique. Les théologiens conservateurs ont voulu absorber cette personnalité secondaire dans celle de Jean l'apôtre pour mieux sauvegarder l'authenticité du quatrième évangile et le long séjour du fils de Zébédée dans l'Asie Mineure. On a vu qu'ils avaient tort. Leurs adversaires, pour trancher cette question du quatrième évangile, ont nié ce ministère de l'apôtre en cette, contrée, et ont voulu expliquer la tradition de l'Eglise sur ce point en la ramenant à Jean le presbytre d'Ephèse, qu'elle aurait de bonne heure confondue avec l'apôtre. C'est ce qu'aurait fait Irénée, non seulement à propos de Papias, mais encore à propos de Polycarpe dans sa lettre si précise et si explicite à Florinus. Mais une illusion de la mémoire d'Irénée n'explique rien, car il faudrait supposer qu'avant lui Polycrate, Polycarpe, Clément d'Alexandrie, et tous les évoques d'Asie ont été dupes d'une méprise semblable. Les uns et les autres ne veulent admettre qu'un Jean en Asie, les premiers absorbant le presbytre dans l'apôtre, les seconds substituant celui-là à celui-ci. Qu'y a-t-il donc d'inadmissible dans le fait de deux hommes appartenant à deux générations différentes et portant en Asie ce nom juif aussi commun que celui de Simon ou celui de Jacques. Ne rencontre-t-on pas deux ou trois ou même quatre Jacques dans l'entourage de Jésus? Ce qui est vrai, c'est que ce second ne nous est d'aucun secours pour résoudre la question toujours obscure de la littérature johannique et que, sans l'effacer de l'histoire, il faut le laisser dans l'ombre et au rang secondaire où les documents nous le montrent. On peut lire Riggenbach, Ya/n-Mc/~r f. d. TVteof., XIII; Zahn, &M~Mn und ~-t<t/c., 1866;Klostermann, Marcusevangelium, 1867; Steitz, ~Mcften MM~t< 1868; Herzog, Real e'icyc~op., XI, p. 79; Holzmann, BM~e.McoH de Schenkel, III, p. 352.Weiuenbach a donné une exégèse rigoureuse et sûre des fragments de Papias, Papias Fragmente un<~uc~,1874eti878. 'A. SABATIER.
JEANI", pape (523-526), succéda à Hormisdas. Théodoric favorisait les Ariens; Jean fut contraint par lui de se rendre à Constantinople pour remplir une ambassade en faveur de ces hérétiques. L'empereur Justin le reçut en grande pompe. il paraît avoir mal rempli sa mission, car, à son retour à Ravenne, Théodoric le fit enfermer avec ses compagnons, et il mourut en prison, le 18 mai S26. L'Eglise en a fait un martyr. Félix IV lui succéda, Saint Grégoire le Grand
raconte dans ses Dialogues que quand ,Thêodoric fut mort, un ermite de l'île Lipari vit son âme entraînée à travers les airs par les esprits du pape Jean et du patrice Symmaque, et précipitée dans le volcan de Lipari. Voyez I&L~erPo~t~catM; l'Historia miscella; l'~Ho~me de Valois; Baronius et Pagi Gregorovius, t. I.
JEAN II (532-535) s'appelait Mercure, et avait été prêtre à SaintClément. C'est, dit-on, le premier pape qui ait changé son nom. En effet, une inscription de l'an 532, qui se trouve à Saint-Pierre-ësliens (Grüter, 1059, 3 et Liber Pon!< éd. Bianchini, H!, [p. 254), est ainsi Conçue SALBO PAPA. N. lOHA~E. CO&NOME(N)TO. MEMCURIO. EX. SCE. ECCL. ROM. PRESBYTERIS. ORDIXATO. EX. TIT. SCI. CLEMENTIS. AD. GLORIAM. PONTIFICALEM. PROMOTO. Deux autres inscriptions, à Saint-Clément, nous ont conservé le souvenir de son administration la première est sur l'autel ALTARE T[BI DS (DeMs) SALYO nORMtSDA PAPA MERCVRIVS PB CUM SOCIIS OF (/er<) l'autre sur un chapiteau MERCVRIVS PB SCE Ec(c<M~ rontana'Mt'UM)s Dxi (de Rossi/B~M., octobre 1870). Jean 11 promulgua un décret contre la-simonie, devenue usuelle. Sous Félix IV, le Sénat avait déjà, par un décret, interdit la vente de la papauté après l'élection de Jean II, Athalaric confirma ce sénatus-consulte, et ordonna de graver son décret sur le marbre, dans l'atrium de SaintPierre (Cassiodore, Variarum, IX, 15 ss.). Boniface 11 avait précédé JeanII, Agapet 1" lui succéda.–Voyez le Lt&er Pontif., Gregorovius, 1; Hefele, II; Baronius et Pagi.
JEAN 111. Catelinus (560-573), succéda à Pélage et régna avant Benoît 1~; il acheva l'église des Apôtres Philippe et Jacques, eec~Mant apfM~orMm.
JEAN IV (640-642) était dalmate et avait été diacre de l'Eglise romaine. Son règne fut agité par les querelles relatives au monothélisme. Il avait succédé à Séverin. Théodore I" lui succéda. Une inscription relative à lui,se trouve au baptistère du Latran (Ciampini, Fe<e)'a MMM)MM)!:a, II, cbap. xv).
'JEAN V (685-686) régna après Benoît II. Il était Syrien, d'Antioche, et avait été nonce à Byzance. Avec lui commence la série des papes syriens ou grecs. Conon fut son successeur.
JEAN VI (701-705) succéda à Sergius f après une vacance de deux mois. Il était grec.
JEAN VU, grec lui-même (705-707) lui succéda. Jnstinien II ordonna à Jean VII de signer les actes du concile du ~'M~M~; Jean refusa, mais il n'eut pas le courage de blâmer les articles du concile trullanum, et son biographe (dans Anastase, Z.t&e!' Pontif.) avance que cette faiblesse futla cause de sa prompte mort. Sisinnius vint après lui. JEAN VIII, papesse. Voyez Jeanne (la papesse).
JEAN VIII (872-882) était romain, il succéda à Adrien II. Il régna au milieu des quérelles de la papauté contre le siège de Constantinople représenté par Photius. A la mort du patriarche Ignace, Jean VI II envoya à Constantinople plusieurs lettres que Photius afalsifiées enles traduisant; le texte original du plus grand nombre existe encore; il est dans Mansi, vol. XVI, et dans Baronius, ainsi que dans le
tome CXXYI de la Palrologie de Migne. Le nouveau pape quitta les voies de Nicolas II et d'Adrien II, et, par un grand acte de faiblesse (tel est du moins le jugement des historiens), il fit la paix avec Photius (voyez l'article Phoiius), et se réconcilia entièrement avec lui. Photius, enhardi, tint, en 879 et 880, un synode qui osa s'élever contre le huitième concile œcuménique. Il existe une lettre de1 Jean VIII à Photius, datée de 880, contre le mot Filioque; elle trahit, dit M. de Hefele, un si parfait oubli de ce qui convenait à un pape, qu'elle ne peut être authentique du reste les témoignages'extérieurs ne nous en ont point conservé la trace. Il est vrai qu'au concile de 880 les légats avaient signé le symbole sans le filioque mais bientôt le pape, assuré que Photius avait corrompu ses légats, prononça de nouveau l'anathème contre lui. Les affaires politiques remplirent le règne de Jean VIII. Louis II était mort en 875 sans enfants, et ses deux oncles, Charles le Chauve et Louis le Germanique se disputaient la couronne impériale. JeanYIII; favorable à Charles le Chauve, réunit un synode à Rome et un autre à Pavie (876), pour reconnaître ses droits. Charles fut couronné à Rome, à la Noël de 875. Formose, évêque de Porto (voyez Formose), fut mêlé à ces débats. Il avait été chargé d'importantes missions par Nicolas Ier et par Jean VIII luimême, et M. de Hefele n'est pas éloigné d'admettre que le pape ait été animé à son égard d'une passion haineuse. Il fut accusé des crimes les plus divers, et condamné à Rome enâ76. On sait que le successeur de Jean VIII, Marin, le rétablit dans ses honneurs, et qu'en 891 il fut élu pape. Charles le Chauve convoqua pour juin 876 le grand concile de Ponthion qui se réunit en présence du roi et des légats. C'est là qu'Anségise fut déclaré, par lettre du pape, vicaire apostolique de France et de Germanie. Mais Hincmar, à -la tête du clergé franc, opposa au pape et à l'empereur une résistance passive qui fut invincible. Louis le Germanique mourut le 28 août 876, et Charles le Chauve courut se faire battre par Louis le Jeune, fils de Louis le Germanique. Carloman, frère de Louis le Jeune, soutenu sans doute par Formose et par les siens, se disposa aussitôt à se faire couronner à Rome à la place de son oncle Charles le Chauve. Ces faits appartiennent avant tout à l'histoire politique. Nous dirons seulement que le clergé italien se réunit à Ravenne en 877 et se déclara pour Charles le Chauve. Mais Charles le Chauve et le pape sont inquiétés par l'armée de Carloman. Charles le Chauve s'enfuit et meurt (878), et Carloman est couronné roi des Lombards. Il demande la couronne impériale, mais le pape évite de répondre, et temporise jusqu'à la mort de Carloman (879). Cependant, le pape est insulté dans Rome même par Lambert de Spolète et par Formose. Pour chercher un appui auprès des Carolingiens, Jean VIII se retire en France, arrive en 878 à Arles et vient tenir à Troyes, le 11 août, un grand synode contre ses ennemis. Le clergé franc soutint énergiquement le pape. De Troyes le pape rentre en Italie à la fin de 878, et il se dispose à mettre un autre roi d'Italie à la place de Carloman malade, car, ditil (épître 155), « l'empereur doit être surtout et avant tout appelé et
élu par nous. » Carloman cède alors ses droits à Charles le Gros, son frère, qui se fit reconnaître comme roi; le pape le couronna en 881. Divers synodes tenus à Rome et qui ne firent que condàmner les ennemis de la politique papale, les archevêques de Milan et de Naples, ne sauraient nous occuper. Marinus succéda à Jean VIII. Les Annales de FuMe, document contemporain, racontent que « d'abord abreuvé de venin par son prochain, comme les complices de ce crime le voyaient vivre plus longtemps que n'aurait désiré leur cupidité, avide de ses richesses et de son trône, il eut ensuite la tête brisée d'un coup de marteau. » Jean VIII fut enterré à Saint-Pierre, et son inscription, recueillie au douzième siècle par Pierre Mallius, nous est conservée. – La Vie de ce pape, dans le recueil d'Anastase, trahit comme auteur le bibliothécaire de Saint-Gilles, Pierre Guillaume. Il faut lire les auteurs dans le vol. Ier de Watterich, Vitx Pontif, les Annales" d'Hincmar dites Bertiniennes, dans l'édition de M. Deshaines, Paris, 1871; les lettres et ce qui a trait aux conciles de Ponthion,. de Ravenne, etc., dans Mansi, tome XVII, et'Migne, vol. CXXVI, en comparant l'Hist. des Conciles, d'Hefele, IV, 2e éd., 1879. Voyez aussi Baronius et Pagi et après les histoires de Gregorovius et de Reumont, et la Politik der Pxpste, de Baxmann Hergenrôther, Photius vol. II. Ratisb., 1867; l'abbé Jager, Hist. de Photius, 2° éd., P., 1854; von Noorden, Hinkmar, Bonn,, 1863; Dümmler, Gesch. d. ostfrànk. Reichs, H, 1864; "Wiistenfeld (sur les Spolète), Forsch.z. deulsch. Gesch., III sur Formose, le livre de M. Dümmler, Auxilius u. Vulgarius, L., 1866.
JEAN IX (898-900) était de Tibur ou Tivoli. Il régna entre Théodore II et Benoît IV. Il tint en 898 à Saint-Pierre un synode sur l'élection des papes « Que le pape soit élu de l'accord des évoques et de tout le clergé, sur la demande du sénat et du peuple, et que l'élu soit ensuite consacré solennellement par tous, en présence des ambassadeurs impériaux » (Gratien, I, LVIII, 28). Ce décret, dit M. Hefele (t. IV), n'est que la répétition d'une constitution d'Etienne V. Le même synode réhabilita la mémoire de Formose. Jean IX fut, au témoignage des meilleurs historiens, un homme de bien. Les sources sont dans Mansi, vol. XVIII, et dans Watterich, I. Voyez, après Baronius, Pagi et les historiens de Rome, Damberger, Synchron. Gesch. der Kirche und Welt, IV, Ratisb., 1832.
JEAN X (914-929) successeur de Lando, et romain, a été longtemps maltraité par l'histoire, mais l'histoire lui a enfin rendu justice. Baronius l'appelle Pscudopapa. Un auteur de parti pris, Luitprand ou Liudprand, qui fut évêque de Crémone en 962, et qui a intitulé son livre Antapodosis c'est-à-dire Rétribution ou Vengeance (Pertz, Scr., III) a accumulé contre lui les accusations les plus graves Jean X est le premier héros de la pornocratie; élu, par la faveur de Théodora l'aînée, archevêque de Bologne, puis de Ravenne, puis pape, il n'a mérité que le mépris. Mais depuis un travail publié en 1854 par M. Duret dans les Geschicklsblxlter aus der Schweiz (I, 3,) la faveur lui est revenue, et aujourd'hui M. Gregorovius (vol. III, éd. de 1876)
l'appelle « un homme intelligent et même un grand homme », et « le bienfaiteur de Rome. Il est certain que l'histoire de son élection n'est pas vraie, il se peutque ses rapports avec la vicieuse Théodora s'expliquent par la parenté, et les chroniqueurs contemporains n'ont pas pour lui la sévérité de Luitprand. Le Pan~gyrique de Bérenger loue son caractère officio affatim clarussophiaque repletus. Jean X combattit au Garigliano contre les Sarrasins qui ravageaient l'Italie, il remporta sur eux une éclatante victoire (916) et les repoussa. Il fit tenir, la même année, h Altheim, en présence de ses légats, un important synode pour le rétablissement de la discipline en Allemagne. Luitprand, Flodoard, les annales de Bénévent, nous disent qu'il mourut au château Saint-Ange où Marozia le tenait enfermé, et peut-être de mort violente. Etienne VII vint après lui. – Voyez Watterich, 1 les historiens de Rome Hefele, IV; Gesta Berengarii Imp., publiés par Dummlcr, Halle, 1871.
JEAN XI (931-936) régna entre Etienne VII et Léon VII. Il était frère d'Albéric le jeune. Luitprand, dont l'autorité est pour nous douteuse, a fait de lui le fils du pape Sergius III; il est certain qu'il était fils de Marozia. Nous n'osons suivre les historiens de la pornocratie, qu'on trouvera discutés dans Grégorovius (III, 3" éd., 1876) et énumérés dans de Reumont (II, p. 1182), dans l'examen de la généalogie légitime ou naturelle des Crescentius et des descendants de Théophylacte. Au reste, ce n'estpas ici le lieu de semblables recherches.
JEAN XII – XVIII. Il devrait être permis, dans un ouvrage qui traite, d'histoire religieuse, d'ignorer les tristes annales de la papauté au dixième siècle. Cette histoire n'a rien de religieux, elle est la honte de l'Eglise et l'ennui de ceux qui n'en ont pas, par une étude personnelle, débrouillé tous les fils. Avant la mort d'Agapet 11 (955), et se sentant mourir, Albéric, prince et sénateur de Rome, profita de l'absence d'Othon Ier pour faire élire par avance par le peuple et le clergé son fils Octavien, âgé alors de seize ans. On dit que Jean XII fut le premier pape qui ait changé de nom; nous avons déjà vu, en 532, Jean II quitter son nom et Jean XII, dans les affaires mondaines, garda le nom d'Octavien. Benoît;'de Soracte, dont au reste nous n'épouserons point les haines, peint trop fidèlement les mœurs de l'élu en disant dans son latin diligebat collectio fœminarum. Le pape couronna Othon Ier en 962, et l'empereur prêta au pape un serment, dont trois formules existent, et qui a été contesté mais les bons auteurs en jugent l'authenticité probable. De son côté, le pape jura, ainsi que les Romains, de ne rien entreprendre contre Othon. Par un célèbre privilège ou pactum confirmationis, daté du 13 février 962, Othon confirma les donations de Pépin et de Charlemagne, en exigeant que tout pape soit élu cannniquement, et ne soit confirmé qu'après avoir donné satisfaction à l'empereur ou à ses ambassadeurs. L'authenticité de cette confirmation été mise en doute depuis Muratori. M. Waitz (Jahrb. d. d. Reichs, I, 3), Pertz (Legrs, II, append.) et Giesebrecht (Kaiserzeit, 1) la jugent interpolée ou trompeuse. Hefele, qui croit à l'interpolation, estime que la question n'est pas digne de tout
le bruit qui a été fait autour d'elle. Jean XII ne croyait pas avoir évoqué en Othon un héritier de la politique de Charlemagne, un maître de l'Etat pontifical. Plus qu'aucun de ses prédécesseurs l'héritier d'Albéric réunissait en sa personne l'une et l'autre dignité, et son esprit peu religieux lui faisait ressentir bien plus douloureusement une atteinte à son autorité temporelle; bientôt le pape intrigue contre l'empereur, et Othon (c'est le récit de Luitprand) se borne à répondre: « Ce n'est qu'un enfant, je le ferai châtier paternellement, pauma applicatione. » Le pape s'excuse tout en récriminant, et en même temps il reçoit dans Rome l'ennemi mortel d'Othon, le fils du roi Bérenger. Mais en vain il revêt le heaume et la cuirasse, il est battu par l'empereur et s'enfuit (novembre 963), et les Romains sont obligés de jurer « de ne jamais élire ni consacrer un pape, sinon avec l'agrément de l'empereur et de son fils et d'après le propre choix de l'un et de l'autre. » Othon réclamait les droits que la pornocratie avait donnés à l'aristocratie romaine; il croyait pouvoir disposer de la papauté comme il faisait des sièges allemands, et comme les empereurs grecs dispensaient celui de Constantinople (voyez Floss, Die Papslivahlunter denOltonen, Fribourg, 1858). Luitprand est encore l'historien du synode romain de 963, où il fut le porte-voix de l'empereur, et qui fut tenu par Othon, sans le pape. « Le pape, dit le concile, pratique publiquement ses procédés diaboliques. » C'est un débordement d'accusations violentes on accuse le pape absent d'avoir consacré un diacre dans une écurie, d'avoir fait du sacré palais un mauvais lieu, d'avoir commis des meurtres et des crimes, d'avoir bu à la santé du diable, diaboli vos in amorem vinum bibisse, d'avoir invoqué aux dés Jupiter et les démons. Le synode cite le pape, qui en excommunie tous les membres, s'ils se permettent d'élire un antipape. Le synode s'enhardit jusqu'à se moquer des solécismes du pape, et.lui renvoie son excommunication « Judas n'a pu lier que lui-même, et d'une corde quem ligare potuit, nisi se ipsum, quem infdicissimo laqueo sirangulavit ? » » Le protoscriniaire (protus) Léon est élu, ce fut Léon VIII. Othon s'étant retiré, les maîtresses du pape, dit Luitprand, soulèvent le peuple, et Jean XII rentre au milieu d'affreuses horreurs. Il réunit un synode qui proclame que la précédente réunion n'a été qu'un lieu de débauche, proslibulum, et renverse Léon VIII. Mais Jean XII meurt le 14 mai 964, peut-être d'apoplexie. Luitprand raconte que sa mort fut comme avait été sa vie. Après lui, les Romains essaient d'élire Benoît le grammairien, qui avait été l'accusateur de Jean XII, mais Othon prétend restaurer Léon VIII, et Benoît V (voyez son nom) se soumet sans nulle dignité et rend les insignes du pouvoir à Léon VIII, pour s'en aller en exil Hambourg. Léon, alors, proclame que l'empereur a le droit d'élire le roi, le patrice et le pape, et par là tous les évoques, et de les investir. Les historiens niaient l'authenticité de ce décret (Gratien, I, LXIII, 23: Pertz, Leges, II), quand M. Floss pensa en découvrir le texte plus complet (Leonis VIII privil. de invcstituris, Frib., 1838)- M. Bernheim au contraire paraît avoir démontré (Forsch. s. deutschen Gesch., 187G) que ni l'un ni l'autre texte n'est authentique; le texte de
la bulle qui excluait sans doute le peuple de l'élection, au bénéfice du patrice, c'est-à-dire de l'empereur, est perdu. Léon VIII mourut à'Rome en 965. Jean XIII (965-972) fut mis à la place de Léon VIII, par ordre d'Othon, par le peuple et le clergé. C'était l'évêque Jean de Narni, accusateur de Jean XII, mais qui s'était réconcilié avec lui. Jean XIII veut bientôt user d'autorité, mais il est saisi par la noblesse et enfermé dans le château Saint-Ange, d'où il est délivré par le fils de Crescentius. Ici encore nous nous trouvons embarrassés par les ̃ délicates questions de la généalogie romaine. Il paraît (la chose est obscure) que Jean XIII avait une soeur, Stéphanie, qui porta comme Théodora II et la célébre Marozia, le titre de sénatrice de Rome; le fils de. cette sénatrice avait épousé Théodoranda, la fille ou la sœur de Jean Crescentius, seigneur de Nomentum, descendant de Théodora et fils de Crescentius du cheval de marbre. Jean XIII mourut le 6 septembre 972. Benoît VI, qui lui succéda, fut étranglé en 974. Le criminel Boniface VII (Franco, fils de Ferrucius) et Benoît VII ont trouvé en d'autres articles de ce recueil leur histoire. Jean XIV (Pierre, évêque de Pavie, 983-984), était originaire de Pavie et chancelier d'Othon II. Enfermé après huit mois de règne au château Saint-Ange, il y fut empoisonné ou condamné à mourir de faim par Franco, qui ne prit sa place que pour mourir lui-même, après six mois, de mort violente. Jean XV (985-996), fils du prêtre Léon de la région ad gallinas albas, lui succéda, c'est sous son règne que l'on entendit au célèbre synode de Saint-Basle (991), la terrible invective de l'évêque d'Orléans, Arnoul, contre la papauté, ce discours accusateur qu'on a appelé la catilinaire du dixième siècle. Car en ce moment il y avait dans le clergé franc de la liberté de penser et de la fermeté de parole « Cet homme, demandait Arnoul aux évêques, qui est assis sur le siège suprême, vêtu de pourpre, étincelant d'or, qu'est-il, dites-le? S'il est sans charité, enflé de science, c'est l'antechrist qui siège dans le temple de Dieu, et se montre comme Dieu. Mais s'il n'a ni charité ni science, c'est une idole élevée dans le temple divin, et le consulter, c'est interroger un marbre » (voyez ce discours dans le récit de Gerbert, qui fut le pape Silvestre II, Pertz, Scr., III). A cet endroit la chronologie elle-même des papes du nom de Jean, qui se succèdent de si près, devient difficile et obscure. On place avant Jean XV un autre pape du même nom, qui n'est pas compté. M. Willmans (Jahrb. d. d. Reichs, II, 2)et Jaffé paraissent avoir prouvé qu'il n'a jamais régné. M. de Reumont donne encore le nom de Jean XV à ce pape problématique. Cette incertitude trouble la série des papes; elle est compliquée encore d'une autre difficulté relative à Jean XVII, Jean XVI n'étant que l'antipape de Grégoire V, et conservant néanmoins son rang; enfin Jean XX n'existe point, et le pape qui aurait dû porter ce nom s'est appelé Jean XXI (1276) on prétend (la chose n'est pas prouvée) qu'il considérait la papesse Jeanne comme son prédécesseur. Bref, Crescentius de Nomentum, patrice et consul, chassa Jean XV à une époque qui n'est pas certaine, et se réconcilia avec lui. Le vertueux Abbon (voyez sa vie, par Aimoin, citée à l'article
Abbon) déclare Jean XV « cupide d'un gain déshonnête, et vénal en toutes ses actions. » Après lui, Grégoire V (voyez ce nom), le premier pape allemand, monta sur le siège papal; à son tour, il est chassé par Crescentius, qui met Jean XVI à sa place c'était le Grec Philagathus. On sait sa misérable fin (996-998),! Crescentius fut décapité sur les créneaux de Saint-Ange et son cadavre pendu au Monte Mario, Nous. n'avons rien à dire de Jean XVII (Sico), le successeur de Silvestre II (1003), et de Jean XVIII (Fasanus, id est gallus), fils du prêtre Ursus, qui régna après lui (100^-1009) et eut pour successeur Serge IV. Aux environs de l'an 1000, l'histoire est presque muette. Nous ne pouvons énumérer ici les sources de l'histoire de la pornocratie. Nous avons suivi, dans le résuméjqui précède, les plus récents historiens, Hefele (Conciliengeschichle, IV, 2° éd., 1879), Gregorovius (III, 3° éd., 1876), et Alfred de Reumont'(II, 1867), mais il faut en revenir sans cesse aux extraits des chroniques et des catalogues que donne M.Watterich dans son t. I. La chronique de Benoît de Soracte, « dont la grossièreté de pensée et de style est sans égale » (Pertz, scr. III), le livre de Luitprand De Ottonisrebusin urbe ttoma gestis (ibidem), œuvre de parti, mais œuvre d'un témoin, sont nos principaux documents, mais ils ne suffisent pas à répandre la lumière sur ces tristes temps. Les historiens des Othons sont énumérés dans de Reumont, II, p. 1185; il faut naturellement citer d'abord les Jahrbucher des deulschen Reichs unter dem Sxchs. Hause, 1-111, et l'Histoire des empereurs (Gesch. d. Kaiserzeit, I) de Giesebrech Kœpke et Dümmler, Otto der Grosse, L., 1876.
JEAN XIX (1024-1033) s'appelait Romanus, il était laïque, issu des comtes de Tusculum, c'est-à-dire des Crescentius, et frère de son prédécesseur Benoît VIII, dont il ne possédait point les vertus; on l'appelait, avant qu'il ne fût pape, duc et consul, et il était comte palatin. Son neveu, nommé Théophylacte comme Benoît VIII, lui succéda il était presque un enfant et se nomma Benoît IX. JEAN XXI (1276-1277). Pierre Juliani, Petrus Hispanus, portugais, archevêque de Braga, fils d'un médecin, lui-même connaisseur de la médecine, bon aristotélicien, succéda à Adrien V. On lui attribue un certain nombre d'écrits médicaux et scolastiques (voyez Fabricius, Bibl. Lalina). Les chroniqueurs ignorants n'ont que mépris pour lui Martin le Polonais parle de lui en ces termes Johannes papa, magus in omnibus disciplinis inslructus, religiosis infestus, contemnens décréta concilii generalis. On l'a représenté, ainei que Silvestre II, comme un sorcier. Il mourut à Viterbe, le 16 mai 1277, écrasé par la chute du plafond de sa chambre, Bernard Gui parle ainsi de sa mort de cujus morte modicum ecclesix darnnum fuit. Nicolas III lui succéda. Le Registre de Jean XXI est au Vatican, Raynaldi en a donné des extraits. Voyez, outre les auteurs ordinaires, \Koehler, Vollst.Nachricht v. papst loh. XXI, Goett., 1760. Ciacconni(1601) a fait remarquer que ce pape aurait dû s'appeler Jean XX, et prit le nom de Jean XXI à cause de la légende, alors naissante, de la papesse Jeanne. La chode
n'est rien moins que certaine. En 1276 la légende n'était encore ni dans Anastase, ni dans Martinus Polonus.
JEAN XXII (1314-1334). Clément V était mort à Roquemaure en Languedoc, le 20 avril 1314. Carpentras était le siège de sa cour, c'est là que devait se tenir le conclave,mais l'assemblée fut troublée par les violences des neveux de Bertrand de Got; deux rois de France étaient morts avant qu'un pape eût été élu. Un gascon, un Cahorsin, fut enfin choisi le 7 août 1316, par l'influence de Robert d'Anjou. Jean Villani, et après lui tous les historiens, font de Jacques Duèse le fils d'un savetier, et Voltaire en dit, dans l'Essai sur les moeurs « Il faut avoir beaucoup de mérite pour parvenir de la profession de savetier au rang dans lequel on se fait baiser les pieds.» Les historiens de Cahors ont au contraire établi qu'en 1271, son père, Arnaud Duèse (et non d'Euse ni d'Ossa) était de tous les bourgeois de la ville un des plus hauts taxés (voyez Bertrandy, Rech. hist.sur l'orig., l'élection et le couronn. de J. XXII, 1854 cf. Tamizey de Larroque, Corr. Litt., 5 juil. 1858). Jacques de Cahors, évêque de Fréjus, puis d'Avignon, avait été le conseiller de Philippe le Bel dans l'affaire des Templiers; il était l'homme du roi de Naples Robert d'Anjou. Jean XXII, consacré à Lyon dans la cathédrale de Saint-Jean, s'établit à Avignon, et aussitôt commença pour lui la querelle contre Louis de Bavière qui remplit sa vie. Dès octobre 1314, Louis de Bavière et Frédéric d'Autriche avaient été élus parallèlement par les électeurs partagés. Tandis que le pape temporisait sans reconnaître aucun des élus, le Bavarois était peu à peu reconnu en Allemagne; la prudence commandait d'accepter le fait accompli, mais le 8 octobre 1323 le pape interdit de reconnaître Louis de Bavière comme roi des Romains. Louis alors s'entoure des théologiens et des docteurs de Paris et de Bologne, et fait appel à l'esprit d'indépendance de la science naissante. Un élément nouveau s'ajouta à l'antique débat de la monarchie et du sacerdoce, c'est la protestation des franciscains spirituels, des fratricelles et de beghards, contre la richesse de la cour d'Avignon. Jean XXII avait condamné en 1318 la doctrine de la pauvreté évangélique, et les bûchers se multipliaient. En 1322, les franciscains soutinrent hautement, contre les frères prêcheurs, que Jésus n'avait rien possédé, et de nouveau le pape condamna les franciscains. Louis de Bavière put désormais invoquer Jésus, les apôtres, saint François et son ordre comme alliés. Quant aux anciennes doctrines de la souveraineté papale, elles avaient perdu leur aiguillon par leur triomphe même, triomphebien ébranlé par l'insulte d'Anagni et les événements d'Avignon.La doctrine de l'empire, doctrine mystiqueet plutôt religieuse, avaitsuccombé; la doctrine de la monarchie fut le credo laïque des juristes et des hommes d'état du quatorzième siècle. Occam et Jean de Paris, Marsile de Paduue (son nom était de Raymundis), Jean de Jandun et Lupold de Bamberg prêtèrent leur parole et leur autorité à cette revendication, à laquelle Dante consacra le traité De monarchia. En 1327, Louis de Bavière entre triomphant en Italie. Las d'en-
gager le pape au retour, les Romains s'emparèrent de la ville, et Sciarra Colonna à leur tête repousse les guelfes intravil gens foresteria inurbe et fuit debellala a populo roma.no, dit une inscription de la porte Saint-Sébastien. Le 7 janvier 1328, Louis de Bavière entre dans Rome et prend domicile au Vatican. Le clergé des grandes églises, les dominicains de la Minerve et de Sainte-Sabine, le plus grand nombre même des franciscains d'Araceli avaient quitté laville. Louis se fait couronner par la démocratie, il établit Marsile de Padoue vicaire spirituel pour Rome Marsile et Jean de Jandun accusent publiquement le pape qui est déposé le 18 avril 1328 par le peuple réuni en parlement. On trouve un antipape, c'était un frère mineur d'Araceli, Pietro Rainalucci de Corvara, originaire des environs du Monte Murrone, célèbre par l'ermitage de Célestin V il s'appela Nicolas V. Mais, ceci fait, Louis de Bavière, incapable de se maintenir à Rome, quitte la ville et l'Italie (décembre/1329), moralement vaincu; en 1330, l'antipape. est livré à Jacques de Cahors, et rampe à ses pieds; on le laissa mourir à Avignon. Le peuple se soumet au roi Robert, qui gouverna l'Eglise par ses vicaires. Le triomphe du pape était complet, mais l'ennemi veillait, et le pape, qui était théologien plus pointilleux que profond, eut le malheur de prêter le flanc à une accusation d'hérésie, et pour bien peu. Le premier dimanche de l'Avent de l'an 1331, d'après le continuateur de Nangis, Jean XXII avait prêché « que les âmes de ceux qui sont décédés en état de grâce ne voient pas Dieu en essence, et ne sont pas parfaitement heureuses, sinon après la résurrection du corps ». Cette doctrine n'est pas autre chose que celle des anciens Pères, de Tertullien en particulier, mais l'Eglise y avait renoncé depuis le cinquième siècle et l'université de Paris l'avait condamnée en 1240 (d'Argentré, I, 186). Dès le 27 décembre, un dominicain anglais s'élève à Avignon même contre le pape il est jeté en prison. Le pape fait défendre sa doctrine à Paris, en 1332, par deux moines mendiants, mais le roi demande un avis à la faculté de théologie, qui le 2 janvier 1333 (d'Argentré, 1,316) déclare « que les âmes des bienheureux sont élevées à la vision nue et claire, béatifique, intuitive et immédiate de la divineessenceetdelaSainte Trinité, que l'apôtre appelle visionem facie adfaciem. » La Sorbonne insinue, par un reste d'égards, que le pape n'a émis l'opinion contraire que recitandb,non determinando,asserendo seu etiam opinando.Lc roicommunique ce jugement au pape, le priant d'y souscrire, et Pierre d'Ailly, cité par du Boulay (IV, 238) avance que le roi lui fit dire, « qu'il se révoquast, ou qu'il le ferait ardre ». La réponse du pape (18 novembre 1333, dans Raynaldi) est hautaine. La rétractation du 3 décembre 1334, veille de la mort du pape, qui n'a été publiée que le 17 mars 1335 par Benoît XII, a été mise en doute parles contemporains. Le Continuateur de Nangis dit « Il rétracta en. mourant l'erreur qu'il avait longtemps soutenue, mais il la rétracta insuffisamment, à ce que disent quelques-uns. » Il fallut que, le 29 janvier 1336, Benoît XII émit un long jugement sur ce point de sco-
lastique. On lira dans Raynaldi les termes de la rétracation papale, telle qu'elle nous a été conservée. Ils n'établissent pas la certitude. Le successeur de Jean XXII prend soin de nous informer que le pape fut empêché par la mort de sceller la bulle qu'il avait préparée. Jean XXII est enterré dans la cathédrale d'Avignon. Un autre gascon, Jacques Nouveau, ou Jacques Fournier (il était fils d'un fournier de Saverdun), lui succéda ce fut Benoît XII. -Parmi les historiens, de Reumont a traité le règne de Jean XXII avec un soin particulier et avec amour le jugement de Gregorovius, au contraire, est sévère pour l'empereur comme pour le pape. Voyez aussi Christophe, La Papauté au quatorzième siècle, 1853 Ficker, Urkunden zur Gesch. d. Rœmerzuges K. L. d. B., Innsbr., 1865 Schreiber, Die polit. w. relig. Docirinen unter L. d. B., Landsh:, 1858 YHisloire Lill. de la Fr., XXIV (Leclerc); P. Meyer, Marsite de P.. Strasb., 1870. Les traités de Marsile (le ms. en est au Vatican) Defensor pacis, et d'Occam Super potestate summi Pontificis, sont dans Goldast. Monarchia S. R. 2 vol.' in- f\ Hanau, 1612 ss. autres écrits dans Goldast, Poiuica Imperialia, Francf., 1614 in-f°, et Schardius, Sylloge hisl. Polit, eccl., Arg., 1618. in-f°. Les principales chroniques sont celle de Jean Villani et le continuateur de Nangis. Voyez surtout les Vies de Jean XXII, etc., dans Baluze Vila Lud. IV, dans les Fontes de Boehmer; Herwart, Lud. IV defensus, Munich, 1618, 3 vol. in-4°; Gieseler et surtout Raynaldi Les actes du pape, dans Potthast. S. BERGER. JEAN CLIMAQUE (Saint), surnommé Sinaïte et Scolastique, vivait au sixième siècle. Il entra, dès l'âge de seize ans, dans le monastère du mont Sinaï et en devint ensuite l'abbé. Un de ses ouvrages, intitulé Climax ou Echelle, fit ensuite donner à Jean le surnom de Climaque, sous lequel il est connu. Il est mort, dit-on, à l'âge d'environ cent ans, en 606. On a de Climaque 1° Scala Paradisi, qui est divisé en xxx chapitres et traite des moyens d'atteindre le plus haut degré possible de perfection religieuse. Il a été traduit en latin, Venise, 1331 ibid., 1569; Cologne, 1583; ibid., 1593, avec un commentaire de Denys, moine chartreux; ibid., 1601, in-8°. Le texte grec, avec la traduction latine et des commentaires, fut publié avec l'ouvrage de Climaque cité plus bas par Matthieu Rader (Paris, 1633, in-f); 2» Liber ad paslorem; qui contient une comparaison entre le directeur d'un couvent et un berger, capitaine, médecin et professeur, édité par Ed. Rader, Paris, 1633, in-f, dansMigne, ser. gr.,v. LXXXVIII. Danielis Monachi vita Johanms Climaci.
JEAN DAMASCÈNE (Saint), le plus célèbre théologien de l'Eglise grecque au huitième siècle. Il était natif de Damas et appartenait à '• une famille d'un rang élevé. Il était surnommé Chrysorrhoas, à cause de son talent oratoire. Ses ennemis lui attribuèrent le sobriquet de Mansour. 11 embrassa la vie ecclésiastique et entra dans le monastère de Saint-Sabas à Jérusalem, où il passa le reste de ses jours, uccupé de travaux littéraires et d'études théologiques. Il mourut vers 780, suivant les témoignages les moins suspects. Telle est la vie de Damascène, dégagée de faits très peu constatés, que raconte son biographe
Jean, patriarche de Jérusalem. Le principal ouvrage, qui valut à Damascène une grande réputation dans l'Eglise grecque, est le livre intitulé ir»)Y^ ïv"(7SWî (source de connaissance). La, première partie de cet ouvrage (Sommaires philosophiques) forme l'instruction dialectique la seconde (Sur les hérésies) l'introduction historique; une troisième ou principale partie, Exposition de la foi orthodoxe, contient un assemblage systématique des dogmes d'après les conciles et les enseignements des anciens Pères de l'Eglise. Les Saints Parallèles contiennent une comparaison des maximes des Pères avec celles de l'Ecriture sur des questions dogmatiques et morales. Damascène a écrit en outre ̃ Trois discours sur les images; De la sainte doctrine, contre les monophysites Dispute contre les Sarrasins et dialogue contre les manichéens; Sur les dragons et les Sorcières; De la Trinité et lettre à Jourdain sur le Trisagion Lettre sur le jeûne du carême Des huit vices capitaux un Traité de la vertu et du vice De la nature composée (celle de Jésus-Christ); Traité des deux volontés, contre les monothélètes et Traité contre les nestoriens; Commentaires sur les épîtres de saint Paul, et enfin des Homélies, des Proses, des Odes, des Hymnes restées dans le rituel de l'Eglise grecque. On lui attribue encore un roman ascétique intitulé Histoire du saint ermite Barlaam et de Josaphat, fils d'un roi des Indes, imprimé à Spire en 1470, 1 vol. in-f°. La meilleure édition de Damascène est celle de Le Quien, Paris, 1712, 2 vol. in-f\ I. Moshakis. JEAN DE DIEU, san Juan de Dios, naquit en Portugal à Montemayor la Nueva en 1495, dans le diocèse de Evora. Agé de neuf ans, il s'échappa de la maison paternelle et vint en Espagne. Valet, et ensuite soldat au. service du comte d'Oropesa, il mena une vie aventureuse, pleine de péripéties et de dangers. II assista au siège de Fuenterrabia, où il faillit perdre la vie et suivit son seigneur en Hongrie, dans une campagne contre les Turcs. Fatigué de ce genre de vie rude et périlleux pour l'âme et pour le corps, il rentra en Espagne et, après un voyage en Afrique, où il se dévoua au service d'une famille qu'il avait rencontrée à Gibraltar, il se fixa à Grenade. Là, il se livra au commerce de livres de dévotion. Ces sermons de Juan d'Avila décidèrent sa conversion. Dans les premiers temps, son exaltation alla jusqu'à la folie et provoqua les risées et les persécutions de la populace mais les visites d'Avila lui rendirent le sain usage de la raison et ouvrirent une sphère nouvelle à son activité dévorante. Il se voua tout entier au service des pauvres et des malades qu'il reçut dans sa maison et soigna de ses propres mains (1540). Protégé par l'archevêque de Grenade, il trouva des disciples et des imitateurs.Rodrigue de Sigüenza ̃et Sébastien Arias suivirent l'exemple de son dévouement; Pedro Pecador fonda l'hospice de Séville, et Anton Martin celui de Madrid. La charité de Jean de Dieu ne connut pas de bornes le matin, il se livrait au commerce, et le soir, il distribuait aux indigents ce qu'il avait gagné pendant le jour. Quand il mourut, le 8 mars 1550, le peuple le pleura et le vénéra comme un saint. Urbain VIII prononça sa béatification et Alexandre VIII le reçut, en 1690, au nombre des saints. L'œuvre qu'il avait fondée lui survécut. Les frères de la charité appelés
en Espagne aussi Hospitalarios de San Juan de Dios, en Allemagne, Barmherzige Brüder, en Italie, Benfralelli, reçurent de Pie V, en 1572, la règle de saint Augustin, et furent dotés de nombreux privilèges par les papes Grégoire 'XIII, Sixte Vêt Grégoire XIV. Traitant les malades sans distinction de culte, l'ordre fitpreuve sans cesse de l'esprit de fervente charité qui avait animé son humble mais héroïque fondateur. Voyez les biographies de Franz. de Castro, et de Fr. Ant. Govea, évêque deCirène, 1623, dans Acta Sanct. Mariii, I, VIII Martii, p. 809; cf. celle de G. de Villethierry, Paris, 1691, et Vie de laFuente, Hist. ecles. de Espana, V, 298. EUG. STERN. JEAN L'AUMONIER (Saint), patriarche d'Alexandrie, né Amathonte, dans l'île de Chypre, vers le milieu du sixième siècle, mort vers 615. D'après les hagiographes, il était fils du gouverneur d'Amathonte et possesseur d'une grande fortune. Ayant perdu sa femme et ses enfants, il distribua ses biens aux pauvres, se retira dans une solitude et acquit une réputation de piété et de charité qui lui valut d'être élevé, malgré lui, sur le siège patriarcal d'Alexandrie, vers 608. Jean, qui dut son surnom à son inépuisable charité, employa les immenses revenus de son siége à racheter les chrétiens captifs, à soulager lés indigents; quant à lui, il se refusait le strict nécessaire. Il pourvut aux besoins de sept mille pauvres qu'il appelait « ses maîtres » et « ses seigneurs, » et lorsque Jérusalem eut été pillée par les barbares, il y envoya des vivres et des ouvriers. Les Perses ayant fait une invasion en Egypte, il partit pour Constantinople avec Nicétas, gouverneur d'Alexandrie, afin de demander des secours à l'empereur; mais, arrivé à Chypre, il tomba malade et mourut dans le lieu même de sa naissance. Les Grecs célèbrent sa fête le 12 novembre, et les Latins le 23 janvier. C'est de lui que l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem tire son nom.
JEAN DE PARIS, docteur de l'université de Paris, dans les dernières années du treizième siècle, mort à Bordeaux en 1306, mérite le sobriquet de Pungens asinum ou Pique âne, grâce à son talent de tenir en éveil les intelligences les plus rebelles par la vivacité de ses réparties. Son nom a échappé à l'oubli, grâce au rôle qu'il a joué dans les controverses sur la sainte cène et dans la lutte entre Philippe le Bel et Boniface VIII. Dans cette dernière question, Jean de Paris prit ouvertementle parti du roi de France. Dans son traité « De polestate regia et papali », il voit dans Hérode le premier représentant des prétentions papales, rappelle que Jésus a déclaré son royaume spirituel et flétri les pharisiens, nie la donation de Constantin et établit qu'il y a dans l'homme deux éléments distincts, l'un appartenant à la vie présente et réclamant la pratique des vertus naturelles, l'autre concernant l'âme et tombant dans le domaine de la grâce. Sa conception de la sainte cène se rapproche de celle de Luther et a été adoptée en partie par Occam. Moins grandiose et aussi grosse de difficultés que la transsubstantiation, elle a été repoussée également par la cour de Rome et par Wycleff. Dans son traité intitulé « Determinalio de modo existendi corporis Christi in sacramenio », édité en 1686, à Londres, par
Pierre Allix, il enseigne que le corps de Christ et le pain se réunissent en un seul sujet par la communion des natures, et il s'appuie sur l'analogie de la communion des deux natures en Christ. Il ne veut pas, comme Bérenger, que le corps soit simplement couvert par le pain, mais enseigne le panem factum impanatum, c'est-à-dire l'union de la corporeitas panis ou paneitas à la corporeitas Christi. Innocent III avait exposé la transsubstantiation dans toute sa crudité Jean de Paris montra qu'elle ne saurait se justifier par l'Ecriture sainte et chercha un terme moyen qui ne pouvait plaire à personne. Menacé d'une condamnation, Jean de Paris en appela à Rome et mourut avant la fin du procès. Sources Rettberg, Occam und Luther, dans les Studien und Kriliken, 1839, 1; Neander, 'Kirchenqeschichte, 4e édit;, IX, 13; Goldast, Monarchia sacri imperii, Francf., 1668, II. JEAN DE SALERNE, dominicain, né à Salerne en 1191, mort en 1242, appartenait à l'illustre famille des Quarna, issue des anciens Normands qui s'étaient établis dans la Pouille au onzième siècle. Il s'attacha à Bologne à saint Dominique et devint supérieur de la maison des frères prêcheurs à Florence, où ses prédications étaient fort goûtées. Le pape Grégoire IX le chargea de combattre les patarins qui cherchaient à introduire leurs doctrines manichéennes dans la république florentine. Le pape Pie IV le canonisa le 2 avril 1783. JEAN LE JEUNEUR, ainsi appelé à cause de sa vie excessivement austère, fut élu patriarche de Constantinople en 585. Jean le Jeûneur est le premier qui se donna le titre de patriarche œcuménique dans un synode en 587. Les papes Pélage II (578-590) et Grégoire le Grand (590-604) protestèrent en vain contre ce titre. Jean mourut en 595 et fut placé entre les saints. On a de lui 1° Ordre de ceux qui se confessent; 2° Instruction des confesseurs, ces deux traités se trouvent dans Morinus, De disciplina in aclministratione sacramenti pœnitentiss, Paris, 1651. On conteste leur authenticité; 3° Discours sur lapénitence, r abstinence et la virginité; 4° Sur lespseudoprophèles et pseudodidascales, et sur les athées; 5° Sur le baptême 6° Lettres qui sont perdues. JEAN PHILOPONUS, grammairien et philosophe grec, vivait à Alexandrie au sixième siècle. Son unique mérite consiste dans la dialectique en théologie, il n'était pas bien estimé, car il enseignait le trithéisme et répandait des erreurs sur la résurrection c'est pourquoi le sixième concile généralTanathématisa. Néanmoins, il défendit le dogme chrétien de la création dans ses ouvrages De l'éternité du monde centre Proclus, Venise, 1535, in-f°., et Sept livres sur la cosmogonie de Moïse, Vienne, IQ30, édit. Conderius, et après dans Galland, Bibl., XII, p. 473.On a aussi de lui une Disputalio de Paschale. – Voyez J.-G. Scharfenberg, De Johanne Philopono, Lips., 1768; Trechsel, dans les Slud.u.Krit., 1835, p. 95 les articles de Noack, dans Ersch u.Gruber et de Gass dans Herzog.
JEAN DE SALISBURY. Jean, surnommé le Petit, ou plus souvent du lieu de sa naissance, Jean de Salisbury, naquit en 1110 dans cette ville, de parents pauvres. En 1136, déjà entré dans les ordres, il se rendit en France pour continuer ses études, devint un auditeur
assidu et un disciple indépendant d'Abélard, vécut pendant quelques années dans l'abbaye deMoutier-la-Celle, et ne rentra en Angleterre qu'assez tard, précédé par une grande réputation d'érudition et de prudence. Conseiller de l'archevêque de Cantorbéry, Théobald, envoyé en 1150 à Rome, par Henri II, il s'acquitta de sa mission avec talent, sachant unir à un profond respect pour la papauté une franchise qui le poussait à censurer énergiquement ses vices. Son rôle prend une grande importance avec l'avènement de Thomas Becket au siège archiépiscopal de Cantorbéry. Confident de ses pensées, instrument dévoué de ses résolutions, compagnon de son exil, son interprète auprès du pape, qui lui accorda le pallinm, politique passionné qui unit à une haine ardente pour les empereurs allemands et Henri II un dévouement sans réserve pour les droits de la hiérarchie, défenseur convaincu du pape Alexandre III contre l'antipape Victor, il reçut aux côtés de l'archevêque martyr des blessures, qui mirent sa vie en danger. Poursuivant jusqu'au bout son œuvre d'amitié et de dévouement, il écrivit une vie de Becket et obtint sa canonisation. Dans les dernières années de sa vie, il se retira en France et fut élevé à la dignité d'évêque de Chartres, où il laissa un souvenir béni et fécond de son court épiscopat. Il put encore prendre part au concile de Latran et mourut le 24 octobre 1180 (des auteurs admettent 81 bu 82). L'un des auteurs les plus spirituels et les plus instruits de son temps, connaissant à fond les auteurs profanes et les divers systèmes de la philosophie antique et contemporaine, admirateur passionné de Cicéron, prenant avec tout son siècle Sénèquc pour un chrétien, Jean de Salisbury a laissé un recueil de plus de trois cents lettres, publiées avec celles de Gerbert (Paris, 1611), quelques-unes écrites pendant l'exil sous des noms supposés et qui tracent un tableau piquant et varié de l'époque. Ses écrits philosophiques, le Polieraticus et leMetalogicus (Lugd. Bat., 1659), nous montrent en lui un disciple du scepticisme de l'académie, un empirique de l'école de Bacon, homme pratique, ennemi né des spéculations vides et creuses de son temps, n'admettant que les doctrines aux applications usuelles, voyant dans la foi en l'Eglise un refuge contre un probabilisme qui ne peut pas même affirmer la liberté de l'âme. Défenseur intrépide de la hiérarchie, il vise pourtant à l'impartialité. Le trait le plus remarquable de son esprit est un caractère encyclopédique ouvert sur tous les domaines, assez large pour comprendre et pour étudier toutes les idées. Sources Gallia, VIII; Hist. litt. de France, XIV; Ritter; Gesch. der christl. Phil., I, 529 Dupin, Nouv. Bibl., IX, 127; H. Reuter, Joh. vonSalisb., Berlin, 1842. La plus récente édition de ses œuvres est celle de Giles en 2 vol., 1848. A. Paumier. JEAN PETIT. Les passions politiques ont souvent pénétré dans l'Eglise, dont les représentants officiels ont plus d'une fois compromis la dignité par des actes aussi coupables qu'indignes de la chaire chrétienne. Jean Petit, cordelier suivant les uns, franciscain suivant d'autres, doit sa triste réputation à un discours aussi diffus que criVII 14
minel, qui semble comme une préface de la ligue et ne trouve de point de comparaison que dans les excès sanglants de la Terreur. Originaire de la Normandie, l'un des professeurs les plus goûtés de l'université de Paris, ayant joué un^certain rôle dans la grave question du schisme qui passionnait alors l'Etat et l'Eglise, Jean Petit se déshonora en prostituant sa science scolastique et son éloquence virulente par l'apologie d'un crime sans nom. Jean, duc de Bourgogne, protecteur comme son père de l'Université, avait fait assassiner son rival, le duc d'Orléans. Rentré à Paris après une 'fuite temporaire, à la tête de troupes considérables, il fit présenter sa défense le 8 mars 1408 par son avocat Jean Petit qui, dans un discours long et diffus, invoque à l'appui de sa thèse l'Ecriture sainte, les anciens, les Pères et jusqu'à saint Thomas d'Aquin. Gerson, lui, avec un noble courage, avait prononcé l'oraison funèbre de la victime. Si le duc de Bourgogne, moitié par séduction, moitié par terreur, réduisit un moment ses adversaires au silence, la thèse de l'assassinat légitime d'un tyran ne pouvait subsister devant l'opinion publique. Gerson, contraint de prendre la fuite, composa dans son exil un pamphlet énergique contre les flatteurs des princes; en 1409 le bénédictin Sérisi réfuta Jean Petit dans un long discours, également très diffus, mais honnête et loyal. L'avocat de Valentine d'Orléans, Guillaume Cousinot, présenta des conclusions sévères contre l'assassin et contre son avocat, qui mourut comblé d'honneurs par son maître le 15 juillet 1411 à Hesdin. Le 3 septembre 1413 l'université de Paris fit brûler par le bourreau l'ouvrage de Jean Petit; au concile de Constance, en 1413, après une discussion passionnée entre les prélats bourguignons et français, la majorité du concile adopta les conclusions de d'Ailly et de Gerson contre Jean Petit. Bayle voit en lui un sceptique, .Uicheletun fanatique sincère. Sources Monstrelet, Chronique, c. xxxvii, dans la collection des Chroniques de Buchon de Barante, Histoire des ducs de Bourgogne, 1824, 111, 108.
JEAN-BAPTISTE DE SALERNE [1670-1729], jésuite, cardinal de San Stéfano al Monte Celio, ami et protégé de Clément XI, accompagna en Allemagne et en Pologne (1709) Albani, neveu du pape, en qualité de théologien, pour y arrêter les progrès de l'hérésie. Il y convertit au catholicisme Frédéric-Auguste de Saxe, fils de Fréd.-Auguste Il, roi de Pologne, et réussit à le marier avec une fille de l'empereur Charles VI. Cet exploit le fit nommer cardinal et lui valut une pension de mille florins par mois. Il a écrit un ouvrage historique important Specimen Orientalis Ecclesise a concilio Nicxno primo usque ad Constantinop. Generale secundum, Rom., 4706..
JEAN DE LEYDE, Johannes Deukelszoon, en allemand Johann Dockhold, le prophète-roi de Munster, naquit à La Haye vers 1505 de parents obscurs. Il paraît que sa mère était originaire de Munster ou des environs. Il voyagea beaucoup comme ouvrier tailleur en Angleterre, en Portugal, à Lubeck. On ne sait rien de plus de sa jeunesse. Il avait, dans son enfance, été élevé eu partie à Leyde chez des parents. C'est là qu'il revint se fixer pour y exercer sa profession. Mais
bientôt il ouvrit une auberge, qui était en même temps un rendezvous de plaisir et un centre de réunions musicales. Lui-même se distingua comme poète joyeux et comme acteur. Il semble avoir été enclin à la révolte contre toutes les autorités. Il aimait les prédications radicales, et c'est dans le désir d'en entendre qu'il alla dans le pays de sa mère, à Munster, en 1533. La doctrine anabaptiste y comptait déjà de nombreux partisans. La même année il se lia avec le boulanger Matthiesen, de Harlem, ardent apôtre de l'anabaptisme,* adopta ses idées avec passion et le suivit à Munster, où de concert avec lui il révolutionna la ville. Bientôt la mort de Matthiesen fit de lui le chef unique du parti, et il en profita pour établir une théocratie terroriste à son profit. Il doit avoir possédé un grand talent naturel de parole, une belle prestance, de beaux traits et l'art d'imposer à la multitude. On ne comprendrait pas autrement comment il serait parvenu à établir aussi solidement un pouvoir souillé par des débauches éhontées et ne reposant que sur le prestige de sa prétendue mission divine. Comme chez d'autres fanatiques, il est bien difficile de discerner en lui le point où finissait le délire de son orgueil et où commençait le calcul hypocrite et plein de ruses. On sait que les deux dispositions peuvent coexister chez le même homme plus facilement que ne le croirait un observateur superficiel. Quant aux détails de son gouvernement et de ses folies à Munster, du siège de cette ville, du supplice du prophète-roi, voir l'article Anabaptistes. A. RÉVILLE. JEAN LE CONSTANT, électeur de Saxe, frère et successeur de Frédéric le Sage, naquit à Meissen le 30 juin 1468 (selon Spalatin, selon d'autres en 1467). Comme Frédéric, il fut élevé avec beaucoup de soin et reçut une excellente instruction. Etant encore mineur, lorsque son père mourut, il fut envoyé, pour achever son éducation, à la cour de l'empereur Frédéric III, son cousin par sa mère il prit part, sous MaximilienI", à la guerre de Hongrie, où il se distingua par sa valeur. EnlSOO.il épousa Sophie, fille du duc Magnus de Mecklembourg, dont est né son successeur Jean Frédéric. Cette princesse étant morte en couches, il se remaria en 1513 avec Marguerite d'Anhalt, dont il eut deux filles et deux fils Marguerite mourut en 1521. Jean arriva au pouvoir à un moment fort difficile la guerre des Paysans s'étendait d'une manière fort inquiétante les affaires de la religion se compliquaient chaque jour et devenaient de plus en plus menaçantes. Jean n'avait pa? l'esprit fin et délié de son frère et ne jouissait pas de sa grande autorité dans l'empire cependant il ne se montra pas au-dessous de sa tâche. Il était d'un caractère ouvert, bienveillant, droit, sans fiel, comme dit Luther nature sérieuse et essentiellement morale, il n'avait aucun goût pour les plaisirs de la cour et eut toujours une conduite irréprochable. Dès les premiers jours, il se sentit attiré vers Luther, dont il devint l'ami personnel, et il s'attacha de tout cœur à l'Evangile pour lequel il était prêt à sacrifier ses biens et sa vie. Chef avoué des luthériens, il se plaçait à leur tête dans toutes les diètes et portait la parole en leur nom, modé-
rant la fougue du landgrave de Hesse et opposant à l'empereur làrésistance la plus ferme. En 1526, à la diète de Spire, il fit prêcher la doctrine évangélique dans son hôtel, et obtint, par son énergie, une résolution favorable à la Réforme il en profita aussitôt pour organiser plus fortement l'Eglise dans la Saxe, en faisant faire une inspection des églises (Kirchenvisilation), pour laquelle Mélanchthon écrivit une instruction approuvée par Luther. En 1529, il fut à la tête de la protestation de,Spire l'empereur était fort irrité contre lui, mais il n'en fut pas moins le premier à se rendre à la diète d'Augsbourg (1530), disant à ses théologiens « Moi aussi, je veux confesser avec vous mon Seigneur Jésus-Christ. » II montra à cette diète un grand courage et ne se laissa intimider par aucune menace. L'empereur lui fit témoigner tout son mécontentement, lui donnant à entendre qu'il pourrait bien lui enlever ses Etats et donner son électorat au duc Georges: « II s'agit, dit l'électeur", de renier Dieu ou le monde. Qui pourrait hésiter un instant? Dieu m'afait électeur de l'empire, ce dont je ne me suis jamais rendu digne. Qu'il fasse aussi à l'avenir de moi ce qu'il jugera bon. » Cependant à son retour d'Augsbourg, il s'occupa aussitôt à se mettre en état de défense déjà en 1525 à Torgau, en 1526 à Gotha, il avait fait alliance avec le landgrave de Hesse maintenant il renforça et organisa définitivement cette ligue, en y faisant entrer d'autres princes et Etats, à Smalcalde, en décembre 1530. On reproche à l'électeur Jean d'avoir trop subil'influence des théologiens de Wittemberg et en particulier de Luther, et d'avoir, à cause de cela, manqué bien souvent de résolution au moment où il eût fallu agir. Au point de vue politique, ce reproche ne manque pas de fondement; Jean laissa sans doute passer plus d'une occasion favorable, où les protestants eussent pu combattre avec succès leurs adversaires, et il négligea plus d'une alliance utile mais on sait que Luther était absolument opposé à la guerre et ne voulait point que la cause de l'Evangile fût soutenue par les armes. « Par la guerre, disait-il, on risque tout, on gagne peu, on perd certainement par la douceur, on ne perd rien, on risque peu, on gagne tout.» Luther réussit à faire partager cette conviction à l'électeur. Jean le Constant avait une piété vivante quand il savait que la justice et la religion étaient de son côté, il ne craignait rien et répétait volontiers cet adage Grad aus maclit die gulen Renner. Quand la guerre des Paysans prit une tournure dangereuse, il dit « Je pourrai, s'il le faut, me contenter de quelques chevaux et être un homme comme un autre. » Chaque soir il se faisait lire l'Ecriture sainte s'il lui arrivait de s'endormir, il répétait, en se réveillant, les dernières paroles qu'il avait entendues et faisait continuer la lecture. Bien souvent il écrivait les sermons de Luther, et on a conservé un petit catéchisme écrit entièrement de sa main. Malgré les passions religieuses, ses adversaires môme le respectaient. Dans une lettre à Jean Frédéric, le comte de Nuënar portait sur lui le jugement suivant Dénn Wir haben leyder Keynen mynschen, den wir fur ein vater des duytschen valerlandes in golllichen und menelhichen sachen achtenmogen,denn alleinunserer furstlichen Gnaden
Herr Vaier. Il mourut à Schweinitz, d'un coup d'apoplexie, le 16 août Spalatin a écrit sa biographie comme celle de son frère Frédéric le Sage.- Voyez Ranke, Deulsche Geschichte im Zeitalierdcr Réf., Leipz., 1873. Gh. Pfender.. JEAN-FRÉDÉRIC Ier LE MAGNANIME, électeur de Saxe, fils et successeur du précédent, naquit à Torgau le 30 juin 1503. C'est Spalatin qui fut chargé de son éducation. Comme son père, il fut très attaché à la doctrine évangélique dès 1520, à dix-sept ans, il était un admirateur enthousiaste de Luther (Lettre de Luther à l'électeur Jean DeWette, Luthers Briefe, I, p. 518); il prit part à toutes les conférences sur les affaires de l'empire sous la direction de son oncle Frédéric le Sage d'abord, puis de son père, et assista à toutes les diètes importantes (Worms, 1521; Spire, 1529; Augsbourg, 1530). Il se faisait des illusions généreuses sur les dispositions de l'empereur Charles-Quint, dont il eût désiré qu'on cherchàt à se rapprocher il eût voulu aller le trouver à Inspruck, espérant lui démontrer qu'il aurait tout intérêt à s'allier aux protestants. C'est en 1532 qu'il succéda à son père et prit le gouvernement, non seulement pour lui-même, mais aussi poui son frère Jean-Ernest, qui était encore mineur.Il faut dire qu'il n'a pas été à la hauteur delà situation, qui du reste eût exigé un talent et une sagesse peu ordinaires. Cependant il avait de grandes qualités. Il se distingua de tous ses contemporains par son caractère foncièrement honnête et moral. Sa cour était un modèle de bonne tenue et de bonnes mœurs même dans les camps il ne permettait aucune licence. Jamais il n'a prononcé une parole déshonnête à aucun prix il n'eût dit un mensonge on pouvait compter sur sa parole. Non seulement il ne disait rien qu'il ne pensât, mais il ne pensait rien qu'il ne pût dire les nombreux papiers secrets qu'on a trouvés après sa mort, en font foi. Il croyait avec la conviction la plus sincère à la vérité de la doctrine luthérienne, et se moquait de ceux qui l'accusaient lui et ses devanciers, de n'avoir entrepris la réforme que pour s'emparer des biens de l'Eglise « C'eût été, disait-il, casser l'écuelle pour s'emparer de la cuiller. » Il travaillait et écrivait beaucoup. Mélanchthon dit un jour que l'électeur lisait et écrivait plus que lui etAurifaber, quipassaient pourtant pour être les professeurs les plus laborieux de Wittemberg. Il subit beaucoup moins que son père, l'influence de Luther et des théologiens. Il vénérait Luther, déclarait qu'il aimait mieux lire une seule page de lui qu'un volume d'un autre, que sa parole le remuait jusqu'au fond de l'âme mais dans les affaires politiques il ne le consultait pas, bien qu'il eût souvent mieux fait d'écouter ses conseils. Luther était fort mécontent de sa politique. Jean-Frédéric était jaloux de ses droits jusqu'à l'excès, et par suite susceptible, défiant et obstiné ce fut un trait malheureux de son caractère et la cause de bien des mésintelligences dans le camp protestant. En 1532 il eut un différend avec le landgrave de Hesse cependant leurs conseillers parvinrent à l'arranger. Il s'efforça d'affermir la ligue de Smalcalde, et fit opposition à l'élection du roi Ferdinand jusqu'en 1534, où il se rapprocha de l'empereur et
alla à Vienne pour être solennellement investi de l'électorat. Mais il l'irrita de nouveau, en refusant, contre l'avis de ses conseillers, de prendre part au concile qui devait s'ouvrir à Mantoue. Il essaya ensuite de le regagner en lui offrant l'alliance des princes protestants, à condition qu'il reconnaîtrait l'Eglise évangélique puis revenant à ses craintes, il fit entrer de nouveaux membres dans la ligue de Smalcalde, se prépara à la guerre et négocia avec la France et l'Angleterre; mais la désunion se mit dans la ligue et l'on ne put qu'avec peine décider Jean-Frédéric à en conserver le commandement. En 1541 il refusa, avec l'approbation de Luther, d'aller à la diète de Ratisbonne; il y fitsurveiller Mélanchthon par Amsdorf et s'opposa aux concessions qui y étaient faites aux adversaires. Il compliqua encore la situation en nommant Amsdorf à l'évêché de Naumbourg, contre Jules de Pflug, soutenu par l'empereur. Il eut ensuite un procès (1541), puis une guerre (1542) avec son cousin Maurice de Saxe le landgrave de Hesse apaisa l'affaire. En 1542 il aida le landgrave à chasser de ses Etats Henri de Brunswick mais après la diète de Nuremberg (1543), il retomba dans les irrésolutions et les défiances et chercha à se rapprocher de l'empereur dont il fut la dupe à la diète de Spire (1 544); se voyant joué, il n'alla pas à la diète de Ratisbonne (1346), mais quand l'empereur eut déclaré la guerre à la ligue de Smalcalde, sa résolution revint. Maurice ayant envahi ses Etats, il l'en chassa, s'empara même de ses Etats à lui, mais il fut battu par l'empereur à Muhlberg et fait prisonnier, le 24 avril 1547. Condamné à mort le 10 mai, puis gracié, mais privé de ses Etats le 18, il resta prisonnier et fut traité de la manière la plus dure et la plus indigne. Il se montra grand dans son malheur. Comme on voulait le contraindre d'accepter l'Intérim, il s'y refusa, quoique prisonnier il savait bien, disait-il, que l'Intérim contenait beaucoup d'articles contraires à la parole de Dieu l'approuver, ce serait tenter de tromper la majesté céleste de Dieu aussi bien que l'autorité séculière. Comme l'empereur lui offrait la liberté à la condition de faire certaines concessions religieuses, il refusa de la manière la plus absolue, déclarant qu'il resterait fidèle à la confession d'Augsbourg jusqu'à la tombe. Comme on lui enleva sa Bible et ses livres luthériens, il dit qu'on ne pourrait lui ôter ce qu'il en avait appris. Ses ennemis même durent respecter tant de constance quant aux siens, ils le vénérèrent comme un saint et un martyr. Il recouvra la liberté en 1532, lorsque Maurice se tourna contre l'empereur. Ses sujets le reçurent avec un enthousiasme indescriptible et lui témoignèrent l'affection la plus touchante; il resta cependant privé de l'électorat. Il mourut le 3 mars 1554. En 1548, étant prisonnier, il avait fondé l'université d'Iéna, pour en faire le boulevard du vrai luthéranisme. Il avait été un prince excellent pour ses propres Etats, un ami de la science, un protecteur fidèle et dévoué de l'Eglise.- Voyez J.G. Nu\leT,Geschichte Johann Friedrich des Grossmuihigen, Iena, 1763; Ranke, Deutsche Geschichle i;n Zeitalter der Beformation, Leipz.,1873 Neudecker, Joh. Fr. der Grossmùth. dans Herzog, Real Encyclopédie. Cn. PFENDER.
JEAN DE JÉRUSALEM (Ordre de Saint-). Voyez Hospitaliers. JEAN-BON-SAINT-ANDRÉ, ministre protestant qui fit partie de la Convention et fut ensuite préfet à Mayence. Son véritable nom était Jeanbon (André); celui de Saint-André, sous lequel il est généralement connu, est une sorte de nom de guerre, qu'il j>rit quand il était pasteur, conformément à un usage des pasteurs du Désert, qui pensaient dérouter par là les poursuites de leurs persécuteurs. Il naquit à Montauban, le 25 février 1749, d'Antoine Jeanbon, petit négociant du quartier de Villenouvelle. Après quelque tempspassédansla marine marchande, il alla étudier la théologie à Lausanne, et fut ensuite pasteur à Castres (1774-1788), et à Montauban (1788-1792). Elu à la Convention nationale par le département du Lot, il alla s'asseoir à côté d'Alba La Source et Rabaut Saint-Etienne, qui appartenaient au parti girondin; mais il trouva bientôt les opinions de ce parti au-dessous des circonstances politiques, et passa à la Montagne. Au renouvellement du Comité de salut public (10 juillet 1793). son nom se trouva le premier sur la liste. Il fut chargé des affaires de la marine. Dans ces fonctions, il rendit des services, et après le 9 thermidor, on le laissa poursuivre cette oeuvre. Mais lorsque, en 1795, la réaction •qui suivit l'insurrection de prairial, décréta l'arrestation de tous les membres des anciens comités, il fut compris dans cette mesure. On le traita cependant avec une mansuétude extraordinaire; il fut autorisé à rester dans son logement sous la garde d'un seul soldat, preuve jnanifeste qu'il n'y avait rien de sérieux à lui reprocher. Il fut rendu à la liberté par l'amnistie du 26 octobre suivant. Le Directoire, à peine installé, l'envoya à Alger en qualité de consul, puis à Smyrne en 1798. Il arrivait à peine dans cette ville, que la Turquie, rompant avec la France, le fit saisir comme otage et enfermer dans le château des Sept-Tours, d'où il fut transféré à Trébizonde, sur la mer Noire. Il ne fut relâché que le 15 septembre 1801, après une captivité de trois ans. A son retour en France, le premier consul le nomma commissaire des quatre. départements de la rive gauche du Rhin. Ces fonctions cessèrent le 23 septembre 1802, et il resta seulement, à partir de ce moment, préfet du Mont-Tonnerre. Le 10 décembre 1813, il mourut du typhus à Mayence il en avait été atteint en donnant des soins aux nombreux soldats qui, à la suite de la retraite de Russie, étaient entassés dans les hôpitaux de cette ville. On a de Jean-Bon-SaintAndré quelques sermons, un grand nombre de discours et de rapports à la Convention nationale, plusieurs écrits relatifs aux affaires publiques et en particulier à la marine, et un Discours prononcé le 16 germinal an XII, à la première séance publique de la Société des sciences et arts du département du Mont- Tonnerre à Mayence, Mayence, Théod. Zabern, in-8°, de 44 p. Ce discours fort remarquable et devenu fort rare a été inséré dans La vie et les écrits de Jean-Oon-Saint-Andrè, Paris, 1848, in-12, avec deux autres de ses écrits qui étaient restés inédits Récit cie ma oaptivité sur les bords de la mer Noire, et Considérations sur V organisation civile des protestants. Cette dernière pièce, écrite pendant qu'il était pasteur et antérieurement à la promulga-
tion de l'édit de novembre 1787, est curieuse sous plusieurs rapports. Elle nous fait connaître entre autres combien étaient modérées les prétentions des réformés français sous le règne de Louis XVI; elles n'allaient pas au delà de ce qui leur fut accordé par cet édit. On en a la preuve dans les paroles suivantes Après avoir indiqué que la persécution avait cessé et que le culte s'exerçait librement, JeanBon-Saint-André continue en ces termes « Dans cet état de choses, que manquerait-il donc aux protestants pour n'avoir plus des réclamations à. porter aux pieds du trône? C'est qu'on voulût leur accorder dans le droit à peu près les mêmes choses dont dans le fait on leur permet de jouir; c'est que la loi renversât à jamais ces barrières odieuses interposées entre le monarque et une partie de ses sujets c'est qu'il voulût bien les reconnaître pour ses enfants, comme ils se font un devoir et un honneur de le reconnaître pour leur père. En effet, les lois pénales ne frappent plus sur la tête des protestants; mais ces lois existent encore, et, toutes muettes qu'elles sont, leur existence n'en est pas moins un très grand mal. Les protestants mariés suivant leurs rites jouissent dans la société de la qualification honorable d'époux; mais la loi la leur refuse, et, l'on osé le dire, c'est par une sorte de subtilité dictée par la justice et l'humanité que les tribunaux leur font à cet égard un droit de la possession. Enfin, les enfants succèdent à l'état et aux biens de leurs pères; mais cet état n'est point assuré pour eux, puisqu'on peut ou le leur ravir, ou tout au moins le leur contester. Un règlement sage et modéré, qui statuerait sur ces trois objets de manière à inspirer aux protestants une juste confiance, sans les enhardir à concevoir des espérances présomptueuses, serait de la part de la législation uri bienfait pour eux, et peut-être une opération politique utile à l'Etat. » M. Nicolas. JEANNE (la papesse). La légende de la papesse Jeanne, propagée au treizième siècle par l'ordre des dominicains, et déjà rayée de l'histoire parle protestant Blondel, a été définitivement écartée par Doellinger (Blondel, Familier esclaircissement de la question si une femme a esté assise au siège papal de Ronte entre Léon I V et Benoît 111, Amst., 1648, in-8° 2e éd. plus correcte, Amst., 1649, in-8° le même, De Joanna Papissa àvocxpiutç, Amst., 1637, in-8°, publ. par Courcelles; Dœllinger, Die Papst-Fàbeln des MitielaUers, Munich, 1863, et trad. fr.). En vain certains auteurs protestants ont essayé de défendre cette fable, si humiliante pour la papauté (Des Marets, Joh. Pap. restituia, Gron., 1658, in-4°; Spanheim, De Papa fœmina, Leyde, 1681,2 vol. in-8°; (Lenfant) Hist. de la Papesse Jeanne, Cologne (Amst.), 1694, in-12; 2Ô éd. par des Vignolles, La Haye, 1720, 2 vol. in-8"; Kist, dans YArchief de Kist et Royaards, 1844, II). L'histoire de la papesse Jeanne n'a plus aujourd'hui à être réfutée, mais à être expliquée. Au reste, la dissertation si complète du savant Dœllinger ayant été, sur plusieurs points, dépassée par l'histoire, on nous pardonnera de nous étendre quelque peu sur cet intéressant et curieux sujet. Le premier auteur chez lequel nous trouvions la légende depuis si célèbre, est le dominicain auxe roi Jean de
Mailly, auteur papalin, qui en place le récit à l'an 1087, ou, plus exactement, à la fin du onzième siècle dans sa chronique, encore manuscrite, et écrite en 1230 (L. Weiland, Archiv de Pertz, XII, 1874, p. 469). Voici dans quels termes il la raconte « En ces temps (après Victor III) il y eut un pape ou plutôt une papesse qui n'est point admise dans le catalogue des papes, parce qu'elle était femme et feignait d'être un homme. Par ses talents, elle devint notaire de la curie, cardinal et pape. Comme un jour elle montait à cheval, elle accoucha d'un enfant, et, livrée aussitôt à la justice romaine, les pieds liés à la queue d'un cheval, elle fut ainsi traînée et lapidée par le peuple l'espace d'une demi-lieue, et au lieu où elle mourut elle fut enterrée, et en ce lieu sont écrits ces mots Petre, patêr patrum, papissœ prodito partutn. C'est sous son règne que fut établi le jeûne des quatre-temps, qu'on appelle le jeûne de la papesse. » Le récit de Jean de Mailly est presque aussitôt répété dans le livre Des sept dons de l'esprit, du dominicain Etienne de Bourbon (f 1261), qui place le fait vers l'an 1100, en reproduisant ainsi l'inscription Parce, pater patrum, papissx prodere partum (cité par Gieseler, Kirchengcschichle, 4e éd., 1846, p. 20). Nous le retrouvons, en 1277, dans un des textes de la célèbre chronique du dominicain Martin de Troppau, dit Martin le Polonais, qui fut, dit M. Wattenbach, « presque le seul maître d'histoire du monde catholique » il était chapelain et pénitencier du pape. C'est Martin le Polonais qui appelle la papesse, par une singulière contradiction, « Jean l'Anglais, Mayen.çais de sa nation » il la place en 853, après Léon IV, et un manuscrit de la chronique nous informe que le fils de la papesse fit enterrer sa mère honorablement dans la cathédrale d'Ostie, où elle opère des miracles (Pertz, Scr., XXII, 1872, p. 428). De Martin le Polonais, l'histoire recueillie déjà par Bernard Gui, dominicain, passa, au quatorzième siècle, dans un célèbre manuscrit du Livre des papes du prétendu Anastase (Duchcsne, Et. sur le Liber Ponlif., 1877, p. 95), et dès lors, quoique parfois encore contredite, elle fut officiellement admise. On assure que ce fut parce qu'il tenait la chose pour vraie que Jean XX, en 1276, prit le nom de Jean XXI. Au commencement du quinzième siècle, le buste de la papesse fut mis dans la cathédrale de Sienne parmi ceux des papes, et il y resta deux cents ans. Martin le Franc, prévôt de Lausanne vers 1450 et secrétaire de deux papes, se demandait Comment endura Dieu, comment,
Que femme ribaulde et prestresse
Eut l'Eglise en gouvernement?
L'histoire ne s'explique point comment il se fait que ce soit précisément parmi les dominicains, dans les rangs de cette fidèle milice du saint-siège, que se rencontrent les propagateurs les plus naïfs d'une histoire si injurieuse à la papauté. Nous ne démontrerons pas longuement que, entre Léon IV et Benoît XII, il n'y a pas place pour un pape. Léon était mort le 17 juillet 855, et Benoît fut sacré
le 29 septembre, le lendemain de la mort de l'empereur Lothaire (voyez Garampi, De nummo argenteo Ben. III, R., 1749, in-4°, et Gieseler), et une lettre d'Hincmar, datée de 867, nous apprend que ses ambassadeurs, qui avaient reçu en route la nouvelle de la mort de Léon, furent reçus à Rome par Benoît. Au reste, nous n'en sommes plus à la date de 855, mais à celle de 1087 ou 1100. Pour expliquer la formation de la légende, on a invoqué une inscription, une statue, un usage étrange pratiqué à l'intronisation des papes. L'histoire de la chaise curule, ubi dicitur probari papa an sit liomo (Robert d'Usez, dominicain, 1296 à Metz), n'est qu'un tissu de malentendus et d'erreurs; on a confondu le siège stercoraire, dont le nom provient d'un mot du rituel (Ps. CXIII, 7), avec les sièges de porphyre, restes probables d'un bain romain, et qui étaient particulièrement conformés (voyez Watterich, Vitx Pontif., I, vie de Pascal II, 1099, consécr. de Célestin III, 1191); mais la coutume qui s'y rapporte n'a jamais été pratiquée, et le fait que des témoins oculaires l'attestent, est une preuve de plus de l'insuffisance du témoignage. La statue, pour la première fois mentionnée par le chroniqueur Kœnigshofcn, entre 1400 et 1415 (éd. Hegel, p. 543), n'a rien à faire avec notre histoire. L'inscription conservée ou interprétée par Jean de Mailly peut être assez facilement expliquée. Pater patrum était le titre des prêtres de Mithra, et il est probable qu'il se trouvait à Rome un marbre portant ces mots p. PATER. patrvm. p. p. P., ce qui peut se lire ainsi (vir) perfectissimus, pater ̃patrum, propria pecunia posuit (voyez les inscriptions mithriaques conservées par Orelli). Rien de ce qui précède ne nous a expliqué la formation de la légende insolente de la papesse; voici qui va nous rapprocher de l'origine de ce faux bruit la Chronique de Salerne, recueil du dixième siècle, rapporte qu'au temps d'Arégise (f 787), un patriarche de Constantinople, homme bon, mais rempli d'un amour terrestre, recommanda en mourant à son clergé sa nièce, qui demeurait auprès de lui en habits d'homme; et cette femme, élue unanimement, dirigea l'Eglise pendant un an et demi (Pertz, Scr., III, p. 481). Dans une lettre écrite en 1054 à sou rival Michel Cérularius, le pape Léon IX déclare ne pas vouloir croire que l'Eglise de Constantinople, ainsi que le bruit public ne craint pas de le prétendre, ait élevé des eunuques ou des femmes au siège patriarcal. Une histoire semblable à celle qui nous occupe a donc couru dans Rome, relativement aux ennemis de la papauté. Quand a-t-on eu l'idée de l'appliquer à 1» papauté même? Il semble que ce soit à la fin du onzième siècle et dans les luttes affreuses de la papauté, de l'empire et des Normands. L'année 1054 nous fournit le terminus a quo, la fin du onzième siècle probablement le terminus ad quem. Le peuple de Rome était toujours prêt à accueillir les bruits les plus injurieux à l'Eglise, et la crédulité des chroniqueurs a accueilli comme un fait d'histoire ce qui n'était qu'une malice du, populaire à laquelle une épigraphie enfantine avait bientôt donné une apparence de fondement. Il nous reste à retrouver l'ancienne chronique qui a servi de
source aux auteurs dominicains. Il est à désirer pour cela que nous soyons mieux édifiés sur la Chronique de Jean de Mailly, qui est conservée à Berne. S. BERGER. JEANNE D'ARC. Les épreuves nationales, quand elles semblent irréparables au point de vue des hommes, font souvent naître, à côté d'un immense désespoir, un sentiment religieux intense et une confiance absolue en Dieu. Nous voyons dans notre patrie, à l'avènement de Charles VII, quand la prise imminente d'Orléans va ruiner pour jamais les espérances du petit roi de Bourges, comme l'appelaient ironiquement les Parisiens, se multiplier les attentes d'une action miraculeuse, les prophéties et les voyantes. Les pays frontières, chez lesquels la lutte pour l'existence et l'incertitude de la vie exaltent les esprits et les prédisposent à une poésie grandiose, sont particulièrement favorables aux grandes manifestations de la vie patriotique et religieuse. Un théologien allemand, Lange, a d'ailleurs relevé avec Michelet le rôle considérable joué par les femmes dans les destinées de la France. Nous aussi, nous croyons fermement que Dieu a voulu sauver notre patrie par une vierge, qui n'est pas seulement l'une des gloires les plus saintes denotre histoire,mais encore un type admirable de ces purs de cœur, dont parle Jésus-Christ, et qui véritablement voient Dieu et reçoivent ses révélations. -Sur les frontières de la Champagne et de la Lorraine, et baignée par la Meuse, s'étendait ^au quinzième siècle', une langue de terre rattachée politiquement à la France depuis peu d'années, et religieusement à l'Allemagne. Jusqu'en 1335, Vaucouleurs avait appartenu aux sires de Joinville. Le nom du village où naquit Jeanne d'Arc, Domremy, nom porté par quatre autres communes dans un rayon de dix lieues, atteste que le pays dépendait naguère de la puissante abbaye de Saint-Remi de Reims. Quoiqu'on ignore la date précise de la naissance de Jeanne, comme elle a déclaré lors de son procès avoir environ dix-neuf ans, on doit la faire naître vers 1410. Troisième enfant du laboureur Jacques d'Arc et d'Isabelle Romée, elle se distingua de bonne heure par sa modestie, son amour des pauvres et la puissance de sa vie intérieure. Fille obéissante et dévouée, chérie et respectée de tous, si elle ne savait ni lire ni écrire, elle avait appris à filer et à coudre aussi bien qu'aucune fille de France. Près de la maison de son père était le Bois Chenu, auquel la voixdu peuple rapportait les anciennes prophéties de Merlin, et non loin se trouvait l'Arbre des Dames ou des Fées, « le beau mai », auprès duquel Jeanne allait tresser des couronnes pour Notre-Dame de Domremy. Enfant religieuse et austère, elle possédait, en dépit de son ignorance relative, cette intelligence à part, que l'on retrouve chez les êtres supérieurs des sociétés primitives, et dans laquelle l'intuition joue le principal rôle. Jeanne avait appris de sa mère le Pater, l'Ave Maria, le Credo; elle se confessait tous les ans à son curé, et deux ou trois fois, elle s'était confessée à des moines mendiants à Neufchâteau elle recevait l'eucharistie à la fête de Pâques. Dès son enfance, elle avait assisté aux luttes sanglantes des partisans de France et de Bourgogne, et
déjà elle ne pouvait voir sans frémir couler le sang français. Les traditions populaires, l'espoir d'une prochaine délivrance par une vierge sortie du Bois Chenu, espoir tiré des anciennes prophéties de Merlin, avaient promptement pris possession de son cœur patriote et se fondaient avec les aspirations ardentes de sa piété. « Lorsqu'elle avait treize ans, elle entendit une voix, [vers l'heure de midi, pendant la saison d'été, dans le jardin de son père. Elle avait jeûné la veille. Elle entendit cette voix du côté droit, vers l'église elle l'entendit rarement sans qu'elle vît une grande clarté, du même côté où' elle entendait la voix. Quand elle était dans un bois, elle entendait clairement les voix qui venaient à elle. La voix lui disait de se bien conduire, de fréquenter l'église; elle lui disait qu'il fallait qu'elle vînt en France et fit lever le siège d'Orléans, et, dès lors, elle ne pouvait plus rester où elle était » (Procès de condamnation, I, p. 32). C'était la voix de sainte Catherine et de sainte Marguerite. La première voix qu'elle avait entendu à l'âge de treize ans, était celle de saint Michel et des anges: «. Je l'ai vu, disait Jeanne, des yeux de mon corps, aussi bien que je vous vois! » Quand on lui demandait comment lui apparaissait saint Michel, elle répondait: « en la formed'un très vrai prud'homme »; et « de l'habit et d'autres choses, elle n'en dira pas davantage» (ibid., p. 73 et 173). On a cherché à expliquer les visions de Jeanne d'Arc d'une manière naturelle. Le critique le plus sévère, M. Quicherat, formulé ainsi, sur ce point, le jugement de l'histoire « J'entrevois de grands périls pour ceux qui voudront classer le fait de la Pucelle parmi les faits pathologiques. Mais que la science y trouve ou non son compte, il n'en faudra pas moins admettre les visions et d'étranges perceptions d'esprit issues des visions. On ne peut rejeter les révélations de Jeanne d'Arc sans rejeter les fondements mêmes de l'histoire. » Il est certain que les visions célestes se manifestent aux croyants selon leur éducation, leur foi, leurs impressions subjectives. La puissance de prophétie de Jeanne nous est attestée par un ensemble de faits aussi nombreux qu'authentiques le secret qu'elle révèle à Charles VII, la découverte de l'épée dans l'église de Sainte-Catherine de Fierbois, la prescience de l'embûche qui lui est dressée près de Chinon, de la sortie qui s'effectue à Orléans sans son aveu, de la blessure qu'elle va bientôt recevoir.Pendant trois ans, Jeanne lutta en vain contre ses voix. Convaincue de la divinité de sa mission, elle gagna à sa cause un de ses oncles. Arrivée à Vaucouleurs, elle parvint à toucher le coeur du vieux soudard Baudricourt et partit pour accomplir sa destinée et son œuvre magnifique. La petite cour de Bourges fut elle-même entraînée par le courant irrésistible de l'opinion et par la nécessité impérieuse des circonstances. Quand, après un long et périlleux voyage, Jeanne d'Arc arriva en Berry, les adversaires de son œuvre, Renaud III de Chartres, archevêque de Reims, l'infâme favori La Trémouille, nombre d'esprits sceptiques furent réduits au silence. Ses réparties pleines de sève et parfois d'ironie eurent raison des scolastiques et des ergoteurs. A l'objection sérieuse d'un dominicain « que Dieu n'avait
pas besoin de gens d'armes, » elle répondit « Les hommes d'armes batailleront et Dieu donnera la victoire.» Tous ces héroïques pillards, grands jureurs et débauchés, rougissaient devant elle et renonçaient à leurs débordements. Et telle était alors la conviction générale que sa mission était sainte, que les Anglais commençaient à trembler et, tout en repoussant avec injures la lettre naïvement sublime que Jeanne leur avait adressée, ils songeaient déjà à brûler la sorcière. Quelle était donc la mission de Jeanne? Un contemporain nous en instruit. Le 21 juin 1429, Perceval de Boulainvilliers écrivait au duc de Milan « Elle dit que les Anglais n'ont aucun droit en France, et qu'elle est envoyée par Dieu pour les en chasser. » Il importe peu de nous demander si Jeanne a accompli jusqu'au bout sa mission. L'épopée héroïque de la délivrance d'Orléans est gravée dans toutes les mémoires vraiment françaises. Entraînés comme par un souffle de Dieu, les politiques et les vils courtisans suivent la sainte jeune fille qui a déjà lu dans le cœur de tous ces pharisiens et qui sait qu'ils la trahiront. Vainqueurs comme malgré eux à Patay (28 juin 1429), maîtres de Troyes en un jour, les Français sont accueillis à Reims par une population enthousiaste, aux chants des cantiques, et le 17 juillet, un dimanche, le roi est sacré par l'archevêque Renaud dans l'antique cathédrale. Jeanne revit ses parents avec joie, mais déjà une immense tristesse s'emparait de son âme, agitée par de 'sombres pressentiments. Elle aurait peut-être voulu reprendre alors sa vie accoutumée, mais elle se vit retenue à la cour par l'insistance du roi. Un moment arraché à son indolence, Charles VII retombe sous le joug de ses tristes conseillers, pour lesquels Jeanne est un fardeau. Schiller l'a montrée mourant sur le champ de bataille; mais Dieu lui réservait une destinée plus glorieuse. Comme le Maître, elle a suivi sa voie«douloureuse,et le bûcher de son martyre a imm ortalisé son pur et saint souvenir. Malgré son conseil, on marche sans précaution contre Paris, et, blessée grièvement, Jeanne s'éloigne, abandonnée de tous. Quelques mois après, à Compiègne, dans une sortie, elle tombait entre les mains de l'ennemi, peut-être par trahison. Si Flavy, gouverneur de Compiègne, résista à toutes les tentatives de corruption, La Trémouille prépara par des voies lâches et détournées la chute de Jeanne. Il fallait un échec pour montrer que sa mission était finie. RenautdeChartres.Jannonçantauxgensde Reims sa capture à Compiègne, accumula contre elle les accusations les plus odieuses (Varin, Arch., législ. de la ville de R., 2e partie; statut, 1664). Ce qui est certain, c'est que, sauf une expédition de Xaintrailles, la France ne tenta rien pour la sauver et que la trêve conclue avec le duc de Bourgogne fut précisément ce qui la perdit devant Paris.-P endant plus de six mois, Jeanne, traînée de prison en prison, et qui manqua périr dans une tentative d'évasion, fut l'objet d'un hideux trafic. Jean de Lagny la vendit au bon duc de Bourgogne, et les Anglais l'arrachùrent aux mains de celui-ci au prix du libre commerce entre leur île et les Flandres. Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, créature de Winchester, s'est déshonoré à jamais ainsi que l'infâme chanoine Nicolas de
Vendères, qui abusa de l'ignorance de Jeanne pour lui faire signer une formule d'abjuration autre que celle qu'il lui.'avaiOue. Il faut lire, dans les Actes publiés par M. Quicherat et dans le livre de Michelet le récit de ce procès douloureux, flétrissure ineffaçable pour l'université de Paris, pour l'Angleterre et pour le parti de Bourgogne. Nous voyons Jeanne résister à ses bourreaux avec autant de fermeté que de douceur. Ses voix lui disaient dans sa prison « Prends tout en gré, ne te chaille de ton martyre. Tu t'en viendras enfin au royaume de Paradis » (Procès, I,p. 155). Elle maintient la sainteté de ses révélations, elle résiste à la privation si cruelle du culte, aux tourments les plus odieux. Quand on lui demande si elle est en état de grâce « Si je n'y suis, répond-elle, Dieu m'y mette; si j'y suis, Dieu m'y conserve » (ib., p. 65). Interrogée si Dieu hait les Anglais, elle répond « que de l'amour ou de la haine que Dieu a aux Anglais, et de ce que Dieu fera à leurs âmes, elle ne sait rien mais elle sait bien qu'ils seront boutés hors de France, excepté ceux qui y mourront, et que Dieu enverra victoire aux Français et contre les Anglais. » Interrogée si Dieu était pour les Anglais, quand ils étaient en prospérité en France, elle répond « qu'elle ne sait si Dieu hait les Français, mais qu'elle croit qu'il voulait permettre de les laisser battre pour leurs péchés, s'ils y étaient » (p. 178). Interrogée si elle ne croit point qu'elle soit sujette à l'Eglise qui est en terre, c'est asçavoir, à Notre Saint-Père le Pape, aux cardinaux, archevêques, évêques et' autres prélats d'Eglise, elle répond « que oui, notre Sire premier servi. Je m'attends à Dieu, mon Créateur, de tout; je l'aime de tout mon cœur. » Interrogée si elle veut se soumettre à Notre SaintPère le Pape, elle répond « Menez m'y, et je lui répondrai » (p. 324. 385. 393). Le procès de la Pucelle, dit l'historien des deux procès, fut fait selon le droit inquisitorial, qui était un assemblage assez confus des lois ordinaires, de décrets spéciaux et de pratiques sanctionnées seulement par l'approbation des docteurs dominicains. Malgré ses emprunts au droit commun, il s'en éloignait absolument par les principes. Ainsi la décrétale sur les hérétiques laissait aux juges la faculté de procéder « d'une manière simplifiée et directe, sans vacarme d'avocats ni figure de jugement » (Dêcr. 1. VI, t. I, c. xx). On sait que Jeanne fut déclarée hérétique, relapse et sorcière, grâce à une ignoble manœuvre de Cauchon, qui fit enlever ses vêtements de femme pendant son sommeil, et brûlée vive le 30 mai 1431 sur la place du marché à Rouen. Sa mort fut celle d'une sainte. Le prêtre Loi^eleur, qui l'avait trahie, implora son pardon. Condamnée par l'Eglise, Jeanne n'a pas voulu renier l'inspiration directe de Dieu, et elle est morte, sans le savoir, pour le principe de la liberté chrétienne.– La conscience publique réagit contre l'indifférence de la cour, la honte de l'université de Paris et de l'Eglise et la rage folle des Anglais. Quand Cauchon mourut, son corps fut jeté à la voirie par un peuple en fureur; plusieurs des ^bourreaux de Jeanne périrent misérablement. Lors du procès de réhabilitation, arraché à Charles VII par un remords tardif, des centaines de témoins rendirent hommage à la pu-
reté et à l'inspiration de Jeanne. Les historiens de Jeanne d'Arc ont remarqué que la réhabilitation de la Pucelle semble avoir été d'une grande conséquence pour les destinées de l'inquisition dans notre pays. De là, ont-ils dit, l'immense discrédit où cettej uridiction tomba en France, quoiqu'au contraire la fin du quinzième siècle ait été pour elle une époque de recrudescence dans la presque totalité de l'Europe. Gerson, Christine de Pisan l'avaient louée de son vivant; Henri de Gorcum, un clerc du diocèse de Spire, dans sa Sibylla francica (1429), l'archevêque d'Embrun, Gélu, proclamèrent son rôle providentiel. Le 7 juillet 1456, un arrêt de la Cour, réunie à Rouen, cassa la sentence de 1431. La France n'a pas toujours su rendre justice à sa libératrice. Oubliée dans les deux siècles suivants, elle dut subir au dix-huitième siècle l'ignoble outrage de Voltaire. Mais notre époque l'ajustement appréciée. En Allemagne et en France, Goerres, K. Hase, Lange, Michelet, H. Martin, J. Quicherat, Gui/ot, Wallon ont glorifié la sainte fille de Domremy, chantée par Schiller et rendue vivante par les marbres de la princesse Marie d'Orléans, de Rude, de Chapu et par le bronze de Fremiet. On sait que la canonisation de Jeanne d'Arc, poursuivie par Mgr Dupanloup, n'a pu réussir auprès de la curie romaine. Nous ne pouvons mieux terminer cet article que par les nobles paroles de M. Quicherat « La sainte du moyen -âge, que le moyen âge a rejetée, doit devenir celle des temps modernes. Elle a confessé par sa mort bien des sentiments, pour lesquels il convient qu'il y ait encore des martyrs. Sortie des derniers rangs du peuple, elle vint faire valoir, non pas sa personne, mais le dessein qu'elle n'osait s'attribuer à elle-même, de relever un grand peuple abattu. Moins embarrassée de l'ennemi que de ceux dont il avait fallu qu'elle fit ses auxiliaires, contrecarrée tout le temps par la mauvaise foi, par l'envie, par l'incapacité raisonneuse et parleuse, abreuvée de peines et de dégoûts, elle immola ses douleurs à sa conscience d'avoir bien fait et de pouvoir faire mieux encore. Forcée enfin de s'arrêter dans l'accomplissement de son ouvrage, elle ne crut pas qu'il vaudrait moins parce que d'autres auraient l'honneur de l'achever, et elle légua ses victoires à ses persécuteurs, comme gage de celles qu'ils y ajouteraient par la force du destin. Aussi, du dernier regard qu'elle jeta sur la terre, elle vit la France reconquise et consolée sérénité admirable de l'espérance enfantée par une conviction vraie, abnégation dont il faut prier Dieu que les cœurs se pénètrent toutes les fois quechercheront à se réunir les forces divisées de la patrie.»-Sources: les Histoires de France de Guizot, d'H. Martin et surtout de J. Michelet le livre de M. Wallon, Jeanne d'Arc, Paris, 1876, gr. in-8°, admirablement illustré Jules Quicherat, Les deux Procès de Jeanne d'Arc, 5 vol,, Paris, 1841-1849; le même, Aperçus nouveaux sur l'hist. de J. d'A., Paris, 1850; Goerres, Die Jungfrauv. Orl., Ratisb., 1834, et traduction française; K. Hase, Neue Prophelen, Leipz., 1851 Lange, article Jungfr.v. Orl., dans la Real-Encycl. de Herzog; B. de Beauregard, Hist. de J. d'A., 1847 Vallet de Viriville, Nouvelles Recherches, 1854; Le Mystère du siège d'Orl., publié par MM. Guessard et Certain, 1862,
in-i"; Collin et Desnoyers, Procès de l'ordinaire relatif à la béatification et à la canonisation de J. d'A., par les postulateurs de la cause, Orl., 1 1874, in-8°, cité par M. Chevalier. La bibliographie relative à Jeanne d'Arc se trouve complètement énumérée dans le Répertoire de l'abbé Chevalier. A. Paumier. JEANNE D'ALBRET, reine de Navarre, fille et unique héritière de Henri, duc d'Albret, roi de Navarre, prince de Béarn, et de Marguerite d'Orléans-Angoulême, sœur de François Ier, naquit le 7 janvier 1528, et mourut à l'âge de quarante-quatre ans, deux mois avant la SaintBarthélemy. Selon le témoignage de l'Italien Davila, « c'était une princesse d'un courage héroïque, d'un esprit très élevé et d'un mérite bien au-dessus de son sexe. » L'historien catholique trouve une seule chose à redire dans sa vie qui fut sans tache c'est qu'elle avait « embrassé opiniâtrement la doctrine de Calvin, en voulant, sans les lumières acquises par l'étude, pénétrer [et même expliquer les plus profonds mystères de la théologie. » Pour nous, au contraire, cet attachement invincible et raisonné de Jeanne à la Réforme est un des plus beaux fleurons de sa couronne. Elle continua sous ce rapport les glorieuses traditions maternelles, en couvrant de sa protection les évangéliques de France si misérablement persécutés. Nous n'avons qu'un regret,- c'est que cet exemple de persévérance dans la foi n'ait pas été suivi jusqu'au bout par son fils Henri IV, qui, sur le conseil de Sully, pour faire tomber l'opposition des Ligueurs, fit plus tard si lestement ce qu'il appela lui-même « le saut périlleux ». Dès sa plus tendre enfance, Jeanne, élevée à Plessis-lez-Tours, eut les maîtres les plus habiles et les plus vertueux. Elle répondit merveilleusement à leur sollicitude. En outre du français, du béarnais et de l'espagnol, elle apprit le latin et le grec. A l'imitation de sa gracieuse mère, la savante «Marguerite des Marguerites, » elle s'amusait parfois à « composer en rime françoise. » On trouve dans un petit poème de Joachim du Bellay « Sonnets à la royne de Navarre aux quels cette royne fait elle mesme response, » quatre pièces de ce genre qui ne sont pas parmi les moins bonnes du livre. Quand elle eut à peine atteint l'âge de douze ans, François Ier, dans un intérêt politique, pour s'assurer une alliance contre Charles-Quint, la fiança malgré elle et malgré ses parents à Guillaume, duc de Clèves (15 juillet 1540); mais huit ans plus tard, après la défection de ce prince et avant que le mariage fût consommé, sa main fut donnée par Henri II à Antoine de Bour• bon, duc de Vendôme, bien que ses parents eussent préféré l'accorder à Charles-Quint pour son fils Philippe II. Le mariage fut célébré à Moulins, le 20 octobre 1548. Antoine était attaché au parti de la Réforme et si nous en croyons Brantôme, Jeanne aurait conseillé à son époux « de ne point s'embarrasser de toutes ces nouvelles opinions. » Les rôles changèrent plus tard. Elle l'avait suivi, en 1353, au camp de Picardie, dont il était gouverneur et où il commandait une armée contre l'empereur; mais elle fut rappelée par son père dans le Béarn pour faire ses couches; et c'est là que, neuf jours après son arrivée à Pau, elle mit au monde celui qui fut Henri IV, le 13 décem-
bre 1553. Au moment de la délivrance, paraît-il, elle chanta, selon la promesse que son père avait exigée d'elle, une ronde béarnaise, qui pourrait bien être celle dont les couplets se trouvent joints à un paquet de lettres adressées à la reine (Bibl. nat. mss. fr. 8746), et qui commence ainsi
Très hilhas l'aute mati,
Soletamen,
Anan prene hens un bosq.
Esbatemen.
Jeanne perdit sa mère en 1549, et son père, le 25 mai 1555. Elle n'était « encores pas du tout gagnée à Dieu, » dit Th. de Bèze (Hist. ecclés., Anvers, 1580, I, p. 107). Mais le roi de Navarre envoya en Béarn, en 1556, le pasteur Jean Henri, autrefois jacobin, qui avait étudié à Lausanne « où il avoit très bien profité, » et qui « prescha purement et rondement la vérité. « « Ce ministre, dit encore Bèze, posa les fondemens de l'église de Pau, instruisant tellement ce peuple grossier, et qui à grand peine auoit iamais ouï parler de. Iesus Christ à bon escient, qu'vn tres grand fruict s'en est ensuiuy depuis aiant esté aussi par luy premierement persuadee la Royne de faire ouverte profession de l'Euangile. »-Elle ne se prononça toutefois ouvertement qu'un peu plus tard. Mais elle laissa pleine liberté d'évangélisationdans ses Etats aux ministres venus de Genève et d'ailleurs. Henri Barran fut de ce nombre et parmi les plus ardents. Pendant l'absence du roi et de la reine qui avaient fait un voyage à la cour de France, les jurats ou consuls de Pau, poussés parle clergé, écrivirent en langue béarnaise à leurs souverains (2 mai 1558) pour qu'ils imposassent silence aux novateurs. Ils se plaignent vivement que « mestre Henric » en particulier prêche 'publiquement contre le dogme de la présence réelle, contre l'invocation de Notre-Dame et des saints, contre le purgatoire et le carême qu'il injurie le pape du. haut de la chaire et traite d'idolâtrie les processions en l'honneur de Dieu. Au reste, des seigneurs en grand nombre l'accompagnent dans les églises, armés d'épées et de dagues, restent là tant que dure sa prédication et sortent incontinent après, sans se soucier d'entendre la messe. Plusieurs livres de Calvin et « autres papiers imprimés à Genève et suspects d'hérésie » sont exposés en vente dans les rues. Et les jurats supplient leurs souverains de faire cesser ces scandales qui peuvent déshonorer leur ville (podin aporlar mal renom a vostre dilte ville de Pau). Jeanne ne tint pas compte de cette pressante requête. Bientôt même elle résista victorieusement au grand inquisiteur, le cardinal Georges d'Armagnac, qui se flattait, avec l'appui du pape et de Henri II, d'introduire l'inquisition dans le Béarn, comme en Espagne et en France, et de couvrir le petit royaume de sanglants bûchers. Elle fit remettre en liberté Henri Barran, qui avait été incarcéré par ordre du cardinal, et refusa noblement de livrer au gouvernement français plusieurs ministres, parmi lesquels était Th. de Bèze, qui vn 15
s'étaient retirés dans ses domaines. Après la déplorable issue de la conjuration d'Amboise (13 mars 1560) et l'arrestation du prince de Condé, le roi de Navarre, qui avait accompagné son frère à la cour, courut les plus grands dangers. Jeanne, menacée dans ses propres Etats, pourvoit elle-même à leur défense, et s'enferme avec ses enfants dans la place de Navarreins. La mort de François II (5 décembre 1560) ayant changé les dispositions de la cour de France, Antoine fut nommé lieutenant général du royaume, et Jeanne le rejoignit à Paris. Catherine de Médicis essaya vainement de la détacher du parti réformé. Un jour qu'elle la pressait plus vivement que d'habitude en invoquant le bien de son fils et de son royaume, Jeanne lit cette réponse que « plus tôt que d'aller à la messe, si elle avoit son roiaume et son fils en la main elle les jetteroittous deux au fond de la mer, pour ne luy estre empeschement. » On fut plus heureux avec le roi de Navarre. On lui tendit « tous les filetz par lesquels un homme adonné aux femmes qu'il estoit, pouvoit estre surpris. La reine cependant taschoit de le réduire supportant tout ce qu'elle pouvoit et luy remontrant ce qu'il devoit à Dieu et aux siens, mais ce fut en vain tant il y estoit avant. Elle recouroit aux larmes et aux prières qui faisoient pitié à tous fors qu'à luy roi de Navarre » (note manuscrite au bas d'un portrait de Jeanne). La reine se vit tout à coup exposée à de nouveaux périls, qu'elle ne put conjurer qu'en fuyant de cette cour corrompue. L'indigne Antoine, oubliant toute pudeur, s'était laissé persuader qu'il devait répudier sa noble et vaillante femme. Il poussa même l'infamie jusqu'à donner au terriblè Blaise de Montluc, qui commandait aux environs de Nérac, l'ordre de l'arrêter au passage. Jeanne fit appel à ses fidèles Navarrais qui, « soubs la conduite du sieur d'Audaux, l'allèrent accueillir au rivage de Garonne. » Elle n'eut plus dès lors de ménagements à garder. En 1561, elle abjura solennellement à Pau la religion romaine, et après avoir fait confession de sa foi, elle prit la cène aux fêtes de Noël. Quelques mois plus tard, la mort d'Antoine au siège de Rouen (17 novembre 1562) lui donna pleine liberté d'agir selon son cœur. Elle s'adressa à Calvin qui la soutenait et l'encourageait par ses austères conseils, et qui lui envoya le pasteur Raymond Merlin pour la seconder et la diriger dans sa lutte contre la papauté (1563); elle rappela une vingtaine de ministres béarnais pour prêcher en la langue du pays et le monitoire lancé, le 29 septembre 1563, par le pape Pie IV, qui l'appelait à coin- paraître Rome pour qu'elle se justifiât du crime d'hérésie sous peine de se voir dépouillée de son royaume, ne fit que redoubler son énergie. Elle fut obligée, pour éviter de plus grands troubles, de défendre absolument dans ses Etats l'exercice de la religion romaine; elle fit abattre les images et les autels, et promulgua un corps de discipline ecclésiastique dressé par un synode, à l'instar de Genève. Elle institua, en 1566, l'académie protestante d'Orthez, qu'elle installa dans les vastes locaux du couvent des jacobins appropriés à cette nouvelle destination. Une inscription en latin fut gravée sur le fronton du grand portail comme « témoignage de l'affection et de la munificence
de la reine qui, la première, avait fondé une nouvelle Athènes et illustré sa patrie. » Nous citons les quatre derniers vers Sic Jana Orthesii notas Athemas
Dans l'ordonnance qui institua cette académie, se révèle le caractère essentiellement religieux et protestant qu'elle voulut imprimer à la nouvelle institution. Aux professeurs des langues hébraïque, grecque et latine, était joint un maître, de chant, qui devait populariser dans le pays les psaumes de Clément Marot et de Théod. de Bèze. Deux ans après sa fondation, l'académie fut entretenue au moyen des biens ecclésiastiques que Jeanne fit saisir, en 1568, pour punir le clergé d'avoir conspiré contre elle avec les Espagnols. Ces biens étaient administrés par un « sénat ecclésiastique » dont les membres, au nombre de neuf, dont deux ministres, étaient réélus ̃chaque année par le synode. Cette académie, érigée en université par Henri de Navarre, en 1583, jeta un vif éclat dans le pays des maîtres illustres, parmi lesquels Pierre Viret et Lambert Daneau, y enseignèrent les belles-lettres et la piété. Elle prit fin en 1620, lors de la réunion forcée du Béarn à la couronne de France. Cependant la guerre civile qui, depuis le massacre de Vassy (1er mars 1562), ne s'apaisait un instant en France que pour recommencer plus furieuse, était une menace continuelle pour la Navarre dont toutes les sympathies, tous les vœux étaient en faveur du parti réformé. Il fallait en finir avec ce petit royaume qui servait de refuge et d'appui aux hé.rétiques condamnés. Montluc allait franchir la frontière lorsque Jeanne, le prévenant, partit secrètement de Nérac, le 6 septembre 1568, accompagnée de cinquante gentilshommes, fut rejointe en route par quelques milliers de troupes protestantes et après avoir traversé heureusement Bergerac et Mussidan, arriva à Archiac, où elle eut une entrevue avec Condé. Elle lui présenta son fils, qu'elle voua, tout jeune qu'il était, à la défense de la cause. Elle fit son entrée à la Rochelle le 29 septembre, et publia un manifeste pour justifier sa conduite. Les chefs des confédérés étaient réunis dans cette ville forte; Condé prit le commandement militaire; Jeanne accepta le gouvernement civil, et bientôt elle se rendit à Tonnay-Charente, où elle revêtit elle-même son fils de ses armes: « Le contentement de soutenir une si belle cause, dit-elle, surmontoit en moi le sexe, en lui l'âge. » La Navarre fut envahie par les troupes royales, et il était impossible à Jeanne de la secourir. La funeste bataille de Jarnac, où fut assassiné le prince de Condé (13 mars 1569) sembla devoir tout compromettre. Jeanne releva les courages abattus elle quitta La Rochelle et rejoignit à Tonnay-Charente les débris de l'armée huguenote. C'estlà qu'elle présenta son fils au gros de la cavalerie d'abord, puis à celui de l'infanterie, dit d'Aubigné; Henri « après.avoir presté un serment notable sur son ame, honneur et vie, de n'aban-
Princeps instituit, decurque avorum
Auget, sic patriam nilere curât,
jElernumque meret perita nomen.
donner jamais la cause, en receut un réciproque, et quant-et-quant fut proclamé chef avec cris et exaltations; les cœurs estant merveilleusement esmeus par une harangue de la Roine, qui mesla d'une belle grace les pleurs et les soupirs avec les résolutions; cette princesse ayant par les tressauts de courage effacé les termes des regrets, l'armée après un grand salve se sépara. » La Navarre était perdue, sauf Navarreins où s'étaient jetés quelques vaillants soldats et qui résista à tous les assauts. Jeanne mit à profit les secours en munitions et en argent qu'elle reçut de la reine Elisabeth; et bientôt, sous la conduite de Montgommery, l'armée huguenote reconquit le pays de Foix, la Bigorre, le Béarn,* et le 23 août 1569, Pau capitula. Le désastre de llontcontour (3 octobre) remit tout en question. Mais l'héroïsme de Jeanne s'éleva ici encore à la hauteur du péril. Elle part de La Rochelle, « pour tendre la main aux affligés et aux affairés, » rejoint Coligny, harangue le soldat, préside aux délibérations et après avoir associé son fils et le jeune prince de Condé aux dangers des chefs, elle retourne à La Rochelle où elle enflamme aussi les courages; elle recrute une nouvelle armée dans les provinces de l'ouest elle équipe et arme en guerre une quantité de vaisseaux qui font sur merdes prises considérables et fournissent au trésor commun de précieuses ressources; elle visite les hôpitaux; elle soigne les blessés. D'heureux faits d'armes en plusieurs rencontres et dans plusieurs provinces forcèrent bientôt la cour de France à demander la paix elle fut publiée en août 1570. Médicis et les Guises voulaient se donner le temps de tendre un piège et d'y faire tomber ceux qu'ils n'avaient pu vaincre les armes à la main. Ils proposèrent pour gage d'une réconciliation éternelle, le mariage du jeune Henri de Navarre avec Marguerite de Valois, sœur de Charles IX. Jeanne hésita longtemps. A force d'hypocrisie, de mensonges, de perfides démonstrations de tendresse, on battit en brèche toutes les objections qu'elle souleva. Dressé par l'astucieuse Italienne, Charles IX joua aussi fort bien son « rollet. » On endormit toutes les défiances en promettant qu'une fois le mariage accompli, on déclarerait la guerre à l'Espagne au sujet de la Flandre. C'aurait été là, en effet, la bonne politique, car elle aurait été le salut, la gloire de la France. Le grand cœur de Coligny se laissa prendre à cette patriotique amorce. Jeanne s'achemina lentement vers Paris où les fiançailles devaient se faire. Elle y arriva au milieu du mois de mai 1572. Elle s'occupait des préparatifs du mapiage, lorsque le 4 juin, un mercredi soir, elle fut saisie tout d'un coup d'une fièvre ardente. Cinq jours après, le lundi matin, elle était morte. On la crut empoisonnée avec une paire de gants, qu'un Italien de la cour de Catherine lui avait vendus, et qui auraient été parfumés avec un mélange de poison subtil. Le roi se crut forcé d'ordonner l'ouverture du corps. Les gens de l'art n'y trouvèrent aucune trace de poison, et attribuèrent la véritable cause de sa mort à un abcès qui s'était formé au côté. La question est restée indécise. Le doute est permis, quand il s'agit des assassins de la Saint-Barthélemy. Que pouvait coûter à de telles consciences le meurtre d'une
personne, quand elles n'ont pas reculé devant des fleuves de sang ? A part les lettres originales de la reine Jeanne qui sont conservées à la Bibliothèque nationale de Paris, collection Du Puy, vol. 211 et 253, signalons son Code de procédure qu'elle publia sous le titre de Stil de la reine Jelianne et qui est un chef-d'œuvre de raison et de sagesse. Elle avait fait traduire en langue basque le Nouveau Testament, ainsi que le catéchisme et la liturgie de Genève. La traduction, due à Jean de Liçarrague, parut à La Rochelle, en 1571. Voyez la France protestante, 2e éd., I, 95-114; Bullel., passim; Biogr. univ. de Michaud, XXI, 6-7; Hist. de J. d'Albret par M"0 Vauvilliers, Paris, 1818, 3 vol. in-8° Hist. de Béarn et Navarre, par Nic. de Bordenave, publiée par P. Raymond, 1873, in-8°; Les Portraits des hommes illustres qui ont le plus contribué au restablissement des belles lettres et de la vraye religion, Genève, Pierre Chouët, 1673, in-i°, note manuscrite accompagnant le portrait de Jeanne, lequel est parmi les plus fidèles. Charles Dardier.
JEANNIN (Pierre) [1540-1622], né à Autun, appelé en 1569, après avoir terminé les études de droit sous Cujas, à intervenir dans les luttes de la politique au temps de la Ligue pour donner aux combattants des avis utiles et des conseils écoutés, chargé par Henri IV d'importantes missions diplomatiques et nommé après la mort de ce roi contrôleur général des finances pendant la régence de Marie de Médicis, dut à l'époque où il vivait et au milieu dans lequel il se. trouva placé, non d'avoir un rôle tout à fait important dans les querelles religieuses, mais de ne pouvoir rester étranger à ces querelles ̃ et à ces questions. Son Eloge a été prononcé maintes fois, dans les académies et aux séances solennelles des cours et tribunaux. On a conservé, on répète beaucoup de sages maximes et de mots, soit sur Jeannin, soit du président lui-même. Mais on va trop loin quand on lui prête la sagesse supérieure, par exemple, les larges vues et la tolérance d'un chancelier de l'Hospital. C'était un homme modéré comme on est heureux d'en rencontrer assez souvent dans l'histoire, et surtout dans l'histoire particulière de nos parlements, l'un des plus utiles au pays et des plus instruits parmi ces gens de robe quelquefois sortis du peuple, fils de leurs oeuvres (le mot est de Jeannin, et loin de le regretter, il rappelait à l'occasion avec quelque fierté que son père était tanneur), qui se laissent, sans parti pris et sans grands préjugés, diriger par la raison, et qui puisent dans l'étude approfondie du droit, sinon la vue ou le pressentiment toujours rares des progrès que réalisera l'avenir, du moins le goût de la vérité et de la justice, le besoin même d'une indispensable équité, et, sans rien abandonner des idées ou des croyances de leur temps, un éloignement instinctif pour les rigueurs et les violences inutiles. Il est entré dans la Ligue encore jeune,il donne habituellementses conseils au duc deMayenne, et cependant, le 26 août 1572, lorsque Charles IX veut qu'on étende aux provinces les massacres de la Saint-Barthélémy, il rappelle l'antiquité (une faiblesse du bon président, qui en abuse), Théodose et saint Ambroise, et déclare qu'on doit attendre que
l'ordre soit confirmé, « parce qu'il faut obéir lentement au souverain lorsqu'il.commande en colère. » Deux jours après un ordre contraire arrivait. Député du Tiers aux Etats de Blois, en 1576, et voyant MM. de Guise pousser à la guerre contre les huguenots, il dit qu'il est temps pour l'Eglise catholique de revenir aux moyens de conversion ordinaires; quand son collègue chargé de porter la parole au nom de la province de Bourgogne ose parler en sens contraire, il l'accuse de trahison. Envoyé du roi dans les Pays-Bas, il éloigne pour toujours les Espagnols, donnant une paix durable, des années heureuses de liberté, les premières, aux Provinces-Unies et, à son retour, chargé par Henri IV d'écrire cette histoire du règne dont on ne trouve que la préface dans ses œuvres, il dit avec cette force, ce bonheur d'expressions qui rendent les écrivains de notre seizième siècle inimitables « Ce n'est plus le temps d'aiguiser son style pour aigrir et ulcérer les esprits. Mais nous devons considérer qu'en passant trop rudement par-dessus les plaies que la calamité publique a faites, les haines qui nous ont fait sucer le sang et la vie les uns des autres se renouvellent.» Pour tempérer l'éloge il reste d'ailleurs à tenir compte du peu de succès qu'il eut, lui qui dirigeait avec tant d'habileté les affaires des autres, dans l'éducation de son propre fils, le baron de Montjeu, sans mérite, débauché, tué fort jeune en duel; du mot un peu dédaigneux de Tallemant des Réaux « Ce bonhomme a bâti et rebâti je ne sais combien de fois ses maisons »; et de l'accusation portée contre lui à la vérité dans une heure de disgrâce et de mauvaise humeur,. mais qui a sa gravité, venant de Sully, « d'avoir intrigué à la mort du roi Henri IV pour devenir contrôleur, et pour enrichir sa propre maison, surtout en faisant vivre dans l'opulence son gendre Castille, d'avoir épuisé les finances du roi. » Il faut remarquer toutefois que ces critiques, quoique vigoureusement exprimées dans les Mémoires d'Etat, ne portent sur aucun fait précis, et laisser au bon président ce qui lui appartient bien, l'habileté dans la politique, un bon style d'écrivain d'affaires grâce auquel ses Négociations ont mérité de remplir tout un volume de notre Panthéon littéraire, et, en religion, sans vues bien larges et bien personnelles, une réelle modération. – Voyez Eloge du Présiclent Jeannin, par Pierre Saumaise, Dijon, 1623, 1 vol. in-4°; Sully, Mémoires des sages et royales (économies d' Estât, 2 vol. in-fol. Amsterdam, 1620 Tallemant des Réaux, Historiettes, Ed. Monmerqué et Taschereau, 6 vol. in-8\ Paris, 183i, t. II; Michaud et Poujoulat, Mémoires relatifs à l'Histoire de France, t. IV, 2e série, Paris, 1837; Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, 1855, t. X. JULES ARBoux. JÉBUSIENS (Yebousî), nom d'une population cananéenne (Genèse X, 16; 1 Chroniq. I, 14) qui habitait la montagne de Juda, ce qui doit vraisemblablement se restreindre uniquement à Jérusalem même (Nomb. XIII, 30; Josué XI, 3). En effet l'ancien nom de Jérusalem est Jébus (Josué XV, 8; XVIII, 28). Dans les quinze passages de l'Ancien Testament qui mentionnent les populations cananéennes, les Jébusiens sont toujours cités en dernier lieu, cequi prouve le peu d'étendue de leur territoire. Lors de la conquête
du pays par Josué, le roi des Jébusiens, Adonizedek (seigneur de la justice) fut vaincu (Josué X, 1) et son territoire distribué à' la tribu de Benjamin. Celle-ci, toutefois, n'en put jamais faire la conquête définitive. La prise même de la ville par les Juifs (Juges I, 8) n'a dû être que passagère, car le même livre des Juges (XIX, 10) raconte que Jébus n'était pas habitée par les Israélites. Il en faut conclure que la cohabitation des Jébusiens avec les Juifs et les Benjaminites (Josué XV, 63) doit se rapporter à une époque postérieure. Ce n'est que sous le règne de David que les Jébusiens furent définitivement chassés de la montagne de Sion; jusque-là ils s'appelaient toujours les habitants du pays (2 Sam. V, 6). Leurs débris furent rendus tributaires par Salomon (1 Rois IX, 20), mais, d'après Zacharie IX, 7, il faut songer plutôt à une fusion avec les Juifs, car Esdras (IX, 1) suppose encore l'existence des Jébusiens.
JÉCHONIAS ou Jojachin [Iehoiâkin, Ioiâkin, Iekoniah, Koniâhou], fils de Joachim, roi de Juda. Il monta sur le trône en l'an 600 av. J.-C., âgé de dix-huit ans, mais il ne l'occupa que trois mois et dix jours (2 Chron. XXXVI, 9; cf. Rois XXIV, 8). Jérusalem ayant été assiégée et prise par l'armée deNabuchodonosor,Jéchonias se rendit à discrétion (2 Rois XXIV, 12) et fut conduit en exil avec un grand nombre de Juifs (2 Rois XXIV, 14 ss. Jérém. XXII, 24 ss. Ezéch. I, 2). Evilmérodach, le successeur de Nabuchodonosor, remit Jéchonias en liberté, aussitôt après son avènement (2 Rois XXV. 27; cf. Jérém. XXVIII, 4). Jérémie parle de ce prince comme d'un homme méchant qui, par ses crimes, avait attiré la colère de Dieu sur lui et sur son peuple (XXII, 24).
JÉFOVAH, nom que le texte masorétique de l'Ancien Testament attribue au Dieu d'Israël. Il n'a, sous. cette forme, aucune valeur historique. En associant aux quatre consonnes J h v h, les pointsvoyelles qui donnent Jehovah, les auteurs de la Masore n'ont pas voulu indiquer la prononciation du nom; pour rappeler que le mot Adonaï devait être lu à sa place, ils ont écritles voyelles de celui-ci. Quand Adonaï, parce qu'il se trouvait à côté du tétragramme, ne pouvait lui être substitué sans donner lieu à une répétition choquante, les points-voyelles figurés ont été ceux d'Elohim. Nous reconnaissons ici la trace d'un préjugé qui, sans remonter jusqu'au temps de la captivité de Babylone, est de beaucoup antérieur à l'ère chrétienne le nom par excellence du Très-Haut ne devait pas être prononcé. La traduction des Septante consacre cette opinion; elle nous apprend par quelle erreur d'interprétation on lui donnait un fondement scripturaire; dans le passage Lév. XXIV, 16, elle fait tomber la peine de mort, non plus sur le blasphémateur, mais sur tout homme « ôvo^aÇiov tô ôvouaxupiou. Elle-même remplace constamment le nom qui nous occupe par xup toç, traduction d'Adonaï, ou par Osoç, traduction d'Elohim.-Comment l'appellation divine, dissimulée sous cette forme Jehovah, doit-elle être prononcée? L'auteur du troisième chapitre de l'Exode, qui écrivait en un temps où le nom était usuel, nous fournit sur ce point une indication précieuse, à notre avis
décisive. Il donne l'appellation comme étant, dans la bouche des hommes, l'équivalent de la forme éhj éh que Dieu emploie en parlant de lui-même; or celle-ci est la première personne du futur kal de havah, «je suis »; le nom sonnait donc à l'oreille.hébraïque comme la troisième personne du même temps, c'est-à-dire se prononçait Jahvéh ou Jéhvéh. Jahvéh a pour lui le témoignage de Théodoret (de son temps les Samaritains disaient encore Iaës) de plus cette forme rend compte des abréviations usitées et de l'orthographe des noms dans lesquels le tétragramme entre comme racine; elle est à peu près universellement adoptée aujourd'hui. On n'hésite pas non plus sur l'usage du mot. Il estjle nom propre du Dieu de l'alliance. En règle générale l'Ancien Testament l'attribue à la divinité lorsque celle-ci apparaît dans son rapport spécial avec Israël. Il semble naturel de penser qu'un nom d'un usage exclusivement national n'a pas eu une origine étrangère; on a fait toutefois les plus grands efforts pour établir qu'il n'appartient pas aux Hébreux. La signifi- cation toute métaphysique que, sur la foi des Judéo-Alexandrins, on s'est obstiné à donner à l'antique tétragramme, a poussé les esprits dans ces recherches infructueuses, parce qu'elle est en complet désaccord avec le génie concret et pratique du peuple élu. Mais le rapport étroit de Jahveh avec le verbe hébreu havah, ne permet pas d'attribuer la formation du nom à une race d'hommes qui n'aurait point parlé la même langue, aux Egyptiens par exemple. Tous les rapprochements que l'on a tentés, et qui portent uniquement sur la consonance, sont superficiels et laissent de côté ce qui fait la valeur particulière et l'essence même du nom. Quant à l'inscription que Plutarque raconte avoir lue au frontispice du temple de la déesse Neith, elle rappelle certainement les spéculations des Judéo-Alexandrins à propos de l'antique tétragramme, elle est due vraisemblablement au même courant philosophique que ces spéculations, mais il faut un certain courage pour la donner comme antérieure aux pensées et aux travaux d'un Moïse. D'ailleurs elle n'indique pas cette relation entre le nom de la divinité et le verbe être, qui constitue toute l'originalité du mot qui nous occupe. Il eût été plus naturel de supposer que le nom avait été fourni aux Hébreux par les tribus chananéennes qui leur ont donné leur langage; mais la grossièreté intellectuelle et religieuse de ces peuplades a détourné les recherches de cette voie d'ailleurs ce n'est pas dans le pays de Chanaan que l'appellation semble avoir pris naissance. Cette circonstance remarquable qu'un nom essentiellement chananéen au point de vue étymologique est apparu sur le sol égyptien, affirme avec beaucoup de force son origine essentiellement hébraïque, car elle contraint en quelque sorte de la rapporter aux hommes qui ont parlé la langue chananéenne en Egypte, c'est-à-dire aux Hébreux. Nous venons de dire que l'appellation « Jahveh est apparue en Israël tandis que le peuple était captif des Pharaons. L'opinion en effet d'après laquelle on aurait invoqué la divinité sous ce nom dès le temps de Seth (Gen. IV, 2G), est inadmissible par elle-même il
faudrait supposer que, dès son berceau, l'humanité posséda une langue achevée et que cette langue était l'hébreu. Elle est du reste en contradiction avec le témoignage de l'Ancien Testament dans son ensemble. Non seulement deux récits de l'Exode (III et VI, 2-8) présentent le nom comme ayant été révélé à Moïse (l'un d'eux dit expressément qu'il n'était pas connu des patriarches), mais une tradition constante en Israël rattache étroitement son apparition à la grande délivrance, et confirme cette déclaration d'Osée (XII, 10 et XIII, 4) « je suis Jahveh, ton Dieu, depuis le pays d'Egypte. Les trois noms formés de Jahveh, que les généalogies des Chroniques, si sujettes à caution, donnent à des personnages antérieurs à Moïse, nous paraissent peser bien peu contre un témoignage aussi général et quand au nom Jochebed, « celle dont Jahveh fait la gloire », attribué à la mère de Moïse, il semble confirmer ce témoignage plutôt que le combattre. Nous croyons qu'il ne faut pas hésiter jci à suivre les indications si claires et les déclarations si explicites de l'Exode Jahveh devint en Israël le nom du Dieu de l'alliance au moment du soulèvement contre le joug des Pharaons, et il fut comme le mot d'ordre de cet événement. II nous reste à déterminer la signification que le nom sacré portait avec lui et qui fit sa puissance. Il ne faut pas oublier qu'en ces temps reculés un nouveau nom apparaissait comme la formule nette et précise d'une notion nouvelle. A ne prendre que la signification touteMittérale, Jahveh yeut dire « il est, » non' pas « il fait être » en supposant que le tétragramme représentait l'hiphil de havah. Cette opinion est en désaccord avec le texte Exode III et avec toute la tradition antique « il est ». Prendrat-on cette affirmation telle quelle, dans le sens de «il existe »? Jahveh signifierait alors le vrai Dieu par opposition aux autres divinités qui seraient sans existence réelle; mais cette pensée a été étrangère à l'hébraïsme; les faux dieux étaient des divinités impuissantes, vaines, perfides les Hébreux, non plus que les Juifs après eux, ne leur déniaient pas l'existence. L'expression « il est » doit être complétée par un attribut, et chacun le fait selon ses habitudes intellectuelles. Les Judéo-Alexandrins, et toute la théologie chrétienne à leur' suite, ont usé du procédé d'analyse qui leur était familier; retournant sur le verbe être, ils en ont comme extrait l'idée essentielle pour l'affirmer d'une manière spéciale dans le sujet, « il est celui qui est dans toute la force du terme », et ils sont arrivés ainsi aux notions d'aséïté et d'absoluité divines. Les Hébreux, à en croire un témoignage contemporain, qui comme tel, indépendamment des idées qu'on peut avoir sur l'auteur et sur l'inspiration des livres sacrés, mérite une entière confiance, faisaient spontanément une opération un peu différente, beaucoup plus simple et plus grossière, parallèle cependant. Eux aussi, pour trouver la détermination qui faisait défaut, retournaient vers le mot lui-même, seulement ils le prenaient d'une façon extérieure et matérielle, sans l'analyser, sans change? sa forme grammaticale. C'est ainsi que le troisième chapitre de l'Exode donne e h j e h, je suis, comme l'équivalent de e h j e h
ascher ehjeh, «je suis qui je suis. » Que signifie cette expression «Je suis qui je suis, je suis ce que je suis » qui contient l'explication du tétragramme? Quelques auteurs y voient une fin de non recevoir opposée par Dieu à la curiosité humaine. Nous pensons que c'est à tort; Dieu ne se révèle pas pour dire qu'il ne peut être connu. Cette interprétation est sans lien avec le contexte; le nom Jahveh est enseigné à Moïse comme une ressource contre l'incrédulité du peuple s'il opposait aux ordres communiqués par le prophète cette question: « quel est-il, ce Dieu qui t'envoie? quel est son nom? En pressant le passage hébreu ehjeh ascher r ehjeh et en cherchant à rendre la nuance exprimée par l'aoriste e h j e h, on arrive à traduire «je suis ce que je suis, en quelque temps que ce soit; » ce sens est confirmé par le passage Ex. XXXIII, 19, véritable commentaire de notre expression. Dieu, annonçant luimême qu'il va proclamer son nom Jahveh, c'est-à-dire expliquer toute sa valeur, l'interprète ainsi « je fais grâce à qui je fais grâce » ce qui doit se comprendre en ayant égard à la différence des temps «je fais grâce en tel cas particulier (parfait), à qui j'ai fait grâce d'une manière générale et éternelle (aoriste). » L'étude de ces passages et du contexte nous semble démontrer que la révélation contenue dans le nom de Jahveh, la révélation dont Moïse s'est fait le porteur en proclamant ce nouveau nom, a été celle-ci «Je demeure le même,' je suis le Dieu constant et fidèle, les promesses que j'ai faites à vos pères, s'accompliront sur vous. » – Cette interprétation du nom Jahveh est appuyée par un grand nombre de textes; l'expression « Jahveh qui garde son alliance » est on ne peut plus fréquente; s'agit-il d'ajouter à sa parole une confirmation solennelle ? « Je suis Jahveh, » dit le Seigneur. C'est sur ce nom que s'appuie toute exhortation à la confiance « Ceux qui connaissent ton nom, se confient en toi, Jahveh» (Ps. IX, 14). «Les uns s'appuient sur leurs chars, les autres sur leurs chevaux; quant à nous, nous rappelons (n a s k i r) le nom Jahveh de notre Dieu » (Ps. XX, 8). « Confiezvous en Jahveh à perpétuité, s'écrie Esaïe, car en tant que Jahveh, Jahveh est le rocher des siècles » (Es. XXVI, 4). « Son nom est Jahveh, dit Osée (XII, 6 et 7), toi donc. espère en ton Dieu constamment. » On pourrait établir par bien d'autres citations que Malachie, en un temps où la signification du nom se perdait sans doute, l'a bien expliquée par ces mots « Je suis Jaltveh, je ne change pas. » D'ailleurs ce point de vue de la fidélité du Dieu de l'alliance domine toute l'histoire du peuple d'Israël, telle qu'elle est écrite par les auteurs de l'Ancien Testament. On remarquera le rapport étroit qui existe entre cette constance et la ténacité indomptable qui est devenue peu à peu le caractère le plus frappant de la nationalité juive. Plus tard, en raison de l'indétermination même du mot, la notion qu'on y rapportait a pu s'étendre, la signification s'enrichir; l'idée de la constance a passé du domaine purement moral dans le domaine métaphysique des spéculations tout à fait indépendantes du sens primitif, se sont greffées sur celui-ci ainsi le nom Javeh en est venu à
rendre cet ensemble un peu vague de notions Complexes qu'exprime notre traduction française « l'Eternel » mais en premier lieu et chez un peuple encore enfant il a dû désigner une notion simple, concrète, pratique, telle qu'est celle de la fidélité divine, qui s'adaptait si bien d'ailleurs à la forme même qu'avait empruntée l'idée de la religion, celle d'un contrat et d'une alliance. Sources Decas exercitationum philologicarum de vera pronuntiatione nominis Jehova, rassemblées par Reland, Strasbourg, 1707; Hengstenberg, Beiirkge zur Einleitung ins Aile Testament, Berlin, 1831-39, II; Tholuck, Vermischte Schriften, 1839, I, 376 ss.; Hôlemann, Ueber die Bedeutung und Aussprache von !Tj ni. Bibelsludien, 1. Abth., 1859, II; Kôhler, De pronunciatione ac vi sacrosancti tetragrammatis, Erlangen, 1867; dans cette dissertation Kôhler soutient la prononciation Jahawah proposée par Delitzsch (Commentaire sur les Psaumes, Leipzig, 185960), mais que Delitzsch lui-même a abandonnée pour se rattacher à Yahvé; Ebrard, Das Aller des Jehovananiens dans la Hisior. -Theol. Zeitschrifl de Niedner, 1849, IV; J. P. N. Laud, Over den Godsnaam n\ni; Theol. Tijdschrift, II, 159-170; le même, Nog ieis over den Godsnaam n]ni, Theol. Tijdschrifi, III, 347-362; Schrader, article Jahve dans le Bibellexicon de Schenkel, Leipzig, 1871, III, 167-171 Hitzig, dans la Zeitschrifl für wissmschUftliche Theologie, 1875, 1er cahier; de Lagarde, dans la Zeilschrift der deutschen morgenlxndischen Gesellschafi, XXII, 329-331 (reproduit dans les Symmicla de de Lagarde); le même, Psalterium juxta Hebrxos Hieronynis, corollarium, p. 153-158, Leipzig, 1874; Baudissin, Der Usprung des Gottesnamens 'lâtù dans ses Siudien zur semitischen Religionsgesckichie, I, art. 3, Leipzig, 1876; Smith (W. Robertson), On the Name Jehovah (Jahve) and the doctrine of Exodus, III, 14, dans la Brilish and Foreign Evangelical /tetneio, janvier 1876, p. 153-165; Delitzsch (Franz), Die neue Mode der Herleitung des Goltesvamens n\T\i, dans la Ztitschrift fur luth. Theologie, 1877, IV, p. 593-599; Nestle (Eberhard), Die israelitischen Eigennamen nach ihrer religionsgeschichtlichen Bedeutung, p. 66-101, Haarlem, 1876; le même, Zur Frage, ob 7\] m Iliphil sein kOnne? dans les Ja'ir bûcher fur deutsche Theologie, XXIII, 126-128, 1878. Nous nous permettons de mentionner en outre notre Elude historique sur la signification primitive du nom. Jehovah, Genève, 1874. On pourra consulter encore dans des ouvrages généraux Œhler, Theologie des Allen Testaments, I, p. 139-152, Tubingue, 1873; le même, article Jehova dans Herzog; Schultz (Hermann), Altleslamentliche Théologie, I, 290-295; Ewald, Geschichte der Volkes Israel, III, 221-224; le même, Lehre der Bibel von Gott, I, 335-337; Kuenen, Het Godsdienst van Israël, 397-401. E. Schulz. JÉHU [léhou; 'loû, 'irpZ, 'li\oZt], fils de Josaphat et petit-fils de Nimsi, général des troupes de Joram, roi d'Israël (2 Rois IX, 5), destiné à venger les crimes de la maison d'Achab. Il fut sacré roi par Elisée (2 Rois IX, 2 ss., cf. 1 Rois XIX, 16), ouvrit en cette qualité la cinquième dynastie et régna de 884 à 856 av. J.-C. Acclamé par l'armée, il courut à Jesreël, tua le roi Juram, fit jeter son corps dans le
champ de Naboth, fit périr les enfants, les parents et les amis d'Achab, roi de Juda, ainsi que ce dernier lui-même; il condamna à mort les ministres de Baal dont il brûla la statue et détruisit le temple (2 Rois. X. 18 ss.; 2 Chron. XXII, 7 ss.). Il maintint toutefois le culte des taureaux à Dan et à Béthel (2 Rois X, 29. 31). Les Syriens, profitant de la faiblesse du royaume d'Israël privé de l'alliance de celui de Juda, enlevèrent à Jéhu tout le pays à l'est du Jourdain (2- Rois X, 32). Il mourut à Samarie après un règne de vingt-huit ans. – Le nom de Jéhu est aussi porté par un prophète, fils d'Hanani, qui fut envoyé vers Basa, roi d'Israël, pour lui prédire l'extinction de sa postérité, et que ce prince fit périr (1 Rois XVI, 1. 7. 12; cf. 2 Chron. XX, 34).
JEPHTÉ [Yipettâh, c'est-à-dire celui que Dieu délivre] était fils de Galaad et d'une concubine. Chassé plus tard, pour des motifs d'héritage, par les fils légitimes de son père, il se.réfugia dans le pays de Job, situé au delà du Jourdain, au nord-est de la Palestine. Là, des gens « sans aveu » (Juges XI, 4) se joignirent à lui pour faire, sous son commandement, des incursions en pays ennemi. La valeur personnelle de Jephté lui valut le nom d'un vaillant héros (Juges XI, 1). Plus tard, les anciens de Galàad le choisirent pour leur chef dans une guerre contre les Ammonites. Jephté n'accepta qu'à la condition d'être nommé chef de la tribu tout entière. Avant d'entrer en campagne, il fait le vœu d'offrir en holocauste à Dieu, ce qui sortirait de sa maison au moment de son retour victorieux. La victoire couronne ses efforts mais, au retour, sa joie se change en douleur profonde, car sa fille unique vient, en dansant, à sa rencontre, à la tête de ses compagnes. Néanmoins, et malgré ses angoisses, Jephté ne songe pas un seul instant à la possibilité d'annuler le vœu prononcé. Enflammée d'un saint héroïsme, la fille, quand son père lui annonce ce qu'il a promis, se soumet humblement et ne demande que deux mois de sursis, pour pouvoir pleurer, avec ses compagnes, sa virginité. Après son retour, le sanglant sacrifice s'accomplit et une fête annuelle de quatre jours est instituée, pour perpétuer parmi les filles d'Israël, le souvenir de cette admirable abnégation filiale. Il n'est besoin de songer ici ni au vœu prononcé par Idoménée, roi de Crète, ni à celui d'Agamemnon,- qui, tous deux, promettent de sacrifier leurs enfants aux dieux. Mais il nous sera permis de déplorer cette monstrueuse aberration morale qui peut trouver son explication dans les mœurs barbares du temps, mais qui constitue, à nos yeux, une déplorable interprétation de l'irrévocabilité d'un vœu prononcé àla légère. E. Scuehdlin. JÉRÉMIE [Yirmyahou], prophète qui a joué un rôle considérable dans les dernières années de l'existence du royaume de Juda, et sous le nom duquel nous possédons un important recueil, classé dans l'Ancien Testament à la suite du livre d'Esaïe. Les indications que nous possédons sur sa personne nous sont fournies uniquement par l'écrit en question elles s'y présentent avec une abondance et une précision exceptionnelles. Jérémie appartenait à une famille sacerdo-
tale et était originaire du bourg d'Anathot, situé dans la banlieue de Jérusalem, Son père s'appelait Hilkija, comme le grand-prêtre qui joua un si grand rôle lors de la découverte de la loi sous Josias (2 Rois XXII, 4). Sa vocation prophétique se déclara dès la treizième année du règne de ce même prince, et eut désormais pour théâtre, pendant une période de quarante ans, Jérusalem, où il adressait ses discours au peuple rassemblé dans le voisinage du Temple. Nous n'avons malheureusement aucun renseignement sur la part qu'il a pu prendre à la tentative réformatrice de Josias. Les allusions à ce grand acte que l'on a voulu retrouver dans ses discours, n'offrent aucun caractère de précision; on n'y peut pas signaler autre chose qu'une tendance analogue à celle qui dut provoquer l'effort vigoureux tenté par Josias pour centraliser le culte à Jérusalem. Si, selon l'opinion la plus généralement adoptée, le code législatif qui servit de programme à la réforme de Josias doit être retrouvé dans le Deutéronome, on pourra en revanche montrer des ressemblances frappantes entre ce livre et les écrits du prophète (voyez notre article Deutéronome) si satisfaisants que puissent paraître ces rapprochements, ils n'équivalent cependant point à un témoignage direct,. et c'est pour la critique un sujet d'étonnement que le silence gardé par un Jérémie sur la révolution religieuse dont il fut contemporain, et à laquelle le livre des Rois attribue une si grande importance. Sous le successeur de Josias, Jojakim, le rôle de Jérémie se dessine mieux. Sa persistance à annoncer au peuple les terribles châtiments qui seront la peine de son idolâtrie et de sa dépravation lui attire d'incessantes persécutions et jusqu'aux plus graves dangers. C'est dans son livre qu'il faut chercher le détail des périls auxquels il n'échappe momentanément que pour en courir de nouveaux, que lui valent ses protestations véhémentes. Convaincu de l'inutilité de toute résistance, il décourage la défense avec une opiniâtreté qui devait soulever d'ardentes colères et lui donne les apparences de la défection. Mais convaincu de la vérité de sa mission, il poursuitjusqu'au bout sa tâche ingrate. Il fait lire solennellement par son secrétaire Baruch le recueil de ses prophéties, où il a résumé tous les désastres qui attendent le peuple et la ville s'ils ne font pasleur soumission au conquérant étranger. Le rouleau, détruit par ordre supérieur, est bientôt reconstitué, et Jérémie ne cesse de dénoncer la fausseté des encouragements flatteurs que des prophètes de mensonge prodiguent au peuple. Une fois la domination chaldéenne établie, il veut qu'on. s'y soumette et qu'on en prenne son parti, préférant un paisible vasselage à un anéantissement certain. Une nouvelle révolte le trouve dans les mêmes dispositions, et, lors du dernier siège, nous le retrouvons aussi découragé pour lui-même et désespéré pour les autres. Resté à Jérusalem après la ruine suprême de la cité, il fut entraîné en Egypte dans le mouvement tumultuaire qui suivitle meurtre du gouverneur Guédalia il y mourut sans doute. Le livre du prophète Jérémie offre donc un intérêt d'une nature toute particulière. Il est, dit M. Reuss, « de tous ceux qui ont été compris dans la collec-
tion, le plus intéressant pour l'histoire. C'est que nous n'y rencontrons pas seulement des discours. une partie notable du volume contient ce que nous appellerions aujourd'hui des mémoires, soit une relation de faits, composée par un témoin oculaire. Aucun des prophètes dont il nous est parvenu des écrits ne paraît avoir été mêlé aux affaires publiques au même degré que le fils du prêtre Hilkija et si nous ne craignions pas de donner une fausse couleur aux choses, en ne tenant pas assez compte de la différence des conditions sociales et politiques, nous dirions volontiers qu'il nous apparaît comme un orateur de l'opposition dans les graves conflits intérieurs, qui précédèrent et hâtèrent la ruine de la ville et de la dynastie. » On a vu plus haut qu'il était question d'une collection de discours de Jérémie faite par ses soins (vers l'an 604) et qui dut être refaite, l'exemplaireprimitif ayant éte saisi et détruit par ordre du roi Jojakim. Peut-on retrouver cette collection dans le livre actuel, indépendamment des additions qui ont pu être apportées à ce noyau primitif, composé au milieu même de l'activité prophétique de l'auteur? C'est ce qu'il est fort difficile de dire. Tel qu'il se présente à nous, le livre de Jérémie ne nous offre rien moins qu'un tout bien agencé. « De Taveu de tous les critiques modernes, dit encore M. Reuss, le livre, dans sa forme définitive, n'est arrangé, ni d'après l'ordre chronologique des faits en vue desquels les discours peuvent avoir été prononcés ou écrits, ni d'après une combinaison basée sur le contenu, bien que ces deux points de vue ne paraissent pas avoir été absolument négligés dans la rédaction que nous avons sous les yeux. » II convient d'éclaircir cette appréciation générale par une rapide analyse. On doit distinguer « d'abord une série de morceaux qui forment ensemble à peu près le premier tiers du volume et qui ne contiennent presque aucune note historique ou chronologique, ni des allusions à des faits particuliers telles qu'il serait possible d'en préciser la date avec quelque certitude. Les discours restent dans les généralités et expriment tous, quoique sous des formes différentes, les pensées et les prévisions auxquelles on doit s'attendre, eu égard aux circonstances. Cette première masse de textes comprend, après le titre général de l'ouvrage, les chapitres I, -4-XIX, 13. En treize endroits différents, le texte indique explicitement qu'un nouveau morceau commence. Rien ne s'oppose à ce qu'on considère cette première série de textes comme ayant formé soit la première rédaction elle-même, telle qu'elle tomba entre les mains du roi Jojakim, soit au moins le noyau de cette première édition. Car il y a eu quelques autres morceaux qui pourraient bien appartenir à la même époque et qui sont séparés aujourd'hui des premiers par des 'intercalations évidemment postérieures. Seulement il serait difficile de dire si nous devons les considérer comme ayant déjà été compris dans la rédaction primitive détruite en 601, ou comme ayant été ajoutés lorsque Jérémie refit son livre pour la seconde fois, dans lequel cas on admettrait que cette seconde composition suivit de près la première. Ces additions seraient de deux espèces d'abord quatre discours en partie des plus
intéressants, s'adressant également aux Israélites (XXII, 1. 10 XXIII, 9. 40; XXV et XXX, XXXI) et tous munis d'inscriptions particulières qui ne laissent aucun doute sur les coupes à faire; ensuite neuf autres oracles (chap. XLVI-XLIX) la plupart de moindre dimension et concernant les peuples étrangers. Nous serons autorisé à croire que le reste du livre date d'une époque plus récente que celle de la première rédaction. En effet, nous y trouvons une série de pièces qui se rapportent au règne du dernier roi Sédécias. Mais non seulement ces pièces ne sont pas rangées dans un strict ordre chronologique, elles sont entremêlées d'autres qui nous reportent aux temps de Jojakim et de Jékonia, les prédécesseurs du dernier roi; enfin, il y en a qui ne datent que de l'époque de l'exil (chap. XLXLV). Les inscriptions pourraient n'être pas toutes absolument sûres. Dans toute cette seconde partie du texte (XIX, 14-XXI; XXII, 20-XXIII, 8; XXIV; XXVI-XXIX; XXXII-XLW les discours proprement dits sont rares; nous n'en comptons que six (XXI; XXIV; XXXII XXXIII XXXIV, 1-7. 8-22), tous parfaitement distingués les uns des autres par des inscriptions, et de plus quelques fragments isolés. Nous n'hésitons pas à nous servir du terme de Mémoires pour caractériser cette portion notable du livre, et nous sommes assez porté à penser que c'est Baruch qui les aura rédigés. Dans la plupart des morceaux de la première partie ou rédaction que Baruch dit avoir écrite sous la dictée de son maître, Jérémie parle à la première personne dans cette partie historique, au contraire, il est toujours question de lui à la troisième personne et le tout se termine par ce qui forme aujourd'hui le chapitre XLV, lequel est une espèce de post-scriptum, dans lequel le rédacteur rapporte une parole que Jérémie autrefois lui avait adressée à lui-même. -Le volume a reçu plus tard deux compléments, que la critique a des motifs sérieux de détacher de l'ouvrage authentique. Il y a d'abord le chapitre final (LII) qui contient une relation historique du dernier siège et de la prise de Jérusalem par les Chaldéens elle est purement et simplement empruntée, avec quelques légères modifications, au livre dit des Rois, dont elle forme la dernière page, et qui a été composé longtemps après Jérémie et Baruch. » M. Reuss, auquel nous avons emprunté l'analyse qui précède, sacrifie également l'authenticité de l'oracle étendu contre Babylone qui forme les chapitres'L-LI.- La traduction des Septante nous offre le livre de Jérémie en une disposition assez différente de celle du texte hébreu. La divergence commence au v. 13 du chapitre XXV, où la version grecque intercale les oracles prononcés contre les peuples étrangers, en les plaçant, pardessus le marché, dans un ordre tout autre que ne fait l'original. Le reste du chapitre XXV hébreu forme le chapitre XXXII, et le grec reprend la série hébraïque, sauf le changement de chiffres nécessité par cette intercalation. On remarque aussi que la version grecque est en général plus courte que l'autre et que, à côté d'additions peu nombreuses, elle compte des lacunes et des abréviations. Ces différences ont vivement intrigué les critiques, dont plusieurs ont supposé l'exis-
tence de deux textes hébreux; on préfère penser aujourd'hui que le traducteur grec possédait bien en effet le même texte que nous avons sous les yeux, et qu'il a seulement usé d'une liberté très grande dans l'arrangement des morceaux et dans leur reproduction. « Ce n'est que dans des cas très rares, dit M. Reuss, que la traduction paraît avoir conservé une leçon qui mérite d'être préférée à celle du texte reçu. » La relation intime où se place le livre de Jérémie à l'égard des faits contemporains en fait une source importante de renseignements pour l'histoire du peuple juif. C'est à lui qu'on s'adressera de préférence pour se rendre compte de l'état religieux et moral du peuple israélite dans le demi-siècle qui a précédé l'exil de Babylone. Il fournit ainsi une précieuse illustration aux sèches notices du IIe livre des Rois. Son importance a d'ailleurs grandi à mesure que l'authenticité du livre d'Esaïe devenait moins défendable, et que, par là, la contribution des écrivains prophétiques antérieurs à la chute du royaume de Juda perdait en étendue. Malgré ses redondances, le style de Jérémie est celui d'une grande époque littéraire et religieuse. Son témoignage serait intéressant pour apprécier l'état de la législation écrite existant à l'époque qui précède la chute de Jérusalem; on a cité plusieurs passages, qui sont loin d'être décisifs. Le plus certain est celui qui nie l'existence d'une loi cérémonielle (VII, 22-23). Jérémie annonce la restauration d'Israël après un exil d'une certaine durée il y joint le rétablissement de la famille davidique. Dans la peinture de l'avenir, il se montre très dédaigneux de toutes les institutions matérielles, arche, tables de la loi, etc. – Jérémie a été l'objet d'un très grand nombre de travaux exégétiques et critiques, parmi lesquels nous citerons Dahler, Jérémie traduit sur le texte original, accompagné de notes explicatives, historiques et critiques, Strasbourg, 1823, 2 vol.; les commentaires de Hitzig, de Graf et de Keil Reuss, Les Prophètes (dans la Bible, traduction nouvelle, etc.). Les bibles françaises nous offrent, sous le nom de Lamentations (threni) de Jérémie, un court recueil d'élégies que le texte hébreu a recueillies dans la troisième partie du canon biblique, sans aucun nom d'auteur. Ces poésies se rap portent à un même événement, qui est la ruine de la ville de e Jérusalem détruite par Nébucadnétsar. Elles sont au nombre de cinq et se distinguent par un procédé de versification spécial. La traduction des Septante a été la première à les attribuer à Jérémie on ne peut y voir que des compositions littéraires d'une facture distinguée, écrites à une époque passablement plus récente. Voyez Reuss, Poésie lyrique, 5" partie de l'Ancien Testament. M. VERNES. JÉRÉMIE II, patriarche de Constantinople [1336-1594]. Elevé au patriarcat en 1572, chassé. de son siège, où il remonta en 1580, fut emprisonné bientôt après sous l'inculpation du crime de lèse-majesté, rendu à la liberté par le sultan, grâce à l'intervention des ambassadeurs de France et de Venise, exilé à Rhodes (1585) et réintégré deux ans plus tard. Sous ce patriarche eurent lieu des négociatiens pour l'union des Eglises grecque et protestante. Les théologiens luthériens
Jacob Andréœ elMartin Chrusius écrivirent à Jérémie une lettre, où ils exposaient !es principes de la réformation et proposaient la communion ecclésiastique des protestants et des grecs ils envoyèrent en même temps une traduction de la confession augusianienne (1574). Jérémie y répondit en 1575 en montrant les enseignements protestants contraires aux dogmes de l'Eglise grecque. Au patriarche répondirent les théologiens Chrusius et Osiander en 1577 pour défendre leurs enseignements. Par une seconde lettre Jérémie essaya à réfuter les arguments de Crusius et Osiander et proposa à mettre fin à des disputations inutiles, en recommandant les dispositions amicales mutuelles. A une troisième et quatrième lettre Jérémie ne répondit pas. Voyez Sathus, Jérémie II, Athènes 1872 (en grec). JÉRICHO (Yerîkhô, Yerekhô, Yerîkhôh; LXX "kP7ti; Josèphe 'lepi^oûç; Strabon 'kptiwîiç), ville en deçà du Jourdain, à environ soixante stades de Jérusalem, qui était à une altitude plus élevée et dont elle était séparée par une contrée sauvage et déserte. Les environs de Jéricho s'élevaient comme une oasis du milieu de ]a plaine sablonneuse; limités à l'ouest par des montagnes calcaires et bien arrosés, ils étaient extraordinairement fertiles. On y trouvait des palmiers en grand nombre, des roses, du baume (ryakh, sentir; de là peut-être le nom de la ville) et du miel en abondance. L'admirable climat de la ville en eût fait un véritable paradis terrestre, si elle n'avait été infestée par des serpents venimeux. Bâtie dès avant l'arrivée des Hébreux en Palestine, Jéricho fut conquise miraculeusement par Josué (voir cet article), détruite de fond en comble et ses habitants furent mis à mort à l'exception de Rahab et de sa famille (Josué VI, 25 ss.). La défense que fit Josué de rebâtir la ville se rapporte probablement à la reconstruction des fortifications, car elle fut cédée à la tribu de Benjamin. Fortifiée de nouveau sous Achab (1 Rois XVI, 31), elle devint plus tard le siège d'une école de prophètes (2 Rois II, 4). Après l'exil elle n'est que rarement mentionnée (Néhémie VII, 36; 1 Macchab. IX, 50), mais les Apocryphes rapportent que Jonathan la fortifia de nouveau, parce que sa situation topographique en faisait une position stratégique de la plus haute importance pour la défense du pays. Embellie plus tard par le roi Hérode et ornée d'un splendide palais, Jéricho redevint riche et puissante, à cause de son commerce d'onguents (Josèphe, Antiq., 14. 15, 3). Aujourd'hui l'emplacement de Jéricho est occupé par un misérable village d'à peine 200 habitants (Robinson, II, 323 ss.). La Jéricho dont parle le Nouveau Testament paraît avoir été plus rapprochée de la montagne, près du Wadi Kelt, où l'on en trouve encore quelques ruines isolées la ville détruite par Josué doit, d'après les indications de Robinson (II, 526), s'être trouvée vers la source de la rivière Elisa (A'in-el-Sultan), mais, au douzième siècle déjà, il n'en existait plus de traces. L'ancienne fertilité a disparu en partie, parce que l'eau y manque aujourd hui, et le élimat très chaud est devenu extrêmement malsain. Sources Reland, Antiquilates sacra velerum Hebrxorum p. 383 Lightfoot, Horse vu 16
hebraicx, p. 83 et particulièrement Rosenmiiller, Dos alie u. neue Morgenland et Robinson, Voyage en Palestine, II. E. Scherdlix. JÉROBOAM Ier (Yàrôbeâm; "hpoS^ fils de Nébath, de la tribu d'Ephraïm, premier roi du royaume d'Israël (975-954 av. J. Ch.). Après avoir été au service de Salomon, comme intendant des corvéables de la tribu de Joseph (1 Rois XI, 28), Jéroboam s'enfuit en Egypte pour échapper aux poursuites du roi, parce que le prophète Ahia, outré de l'idolâtrie de la cour, l'avait désigné comme devant régner sur dix tribus du royaume (1 Rois XI, 39). Le soulèvement populaire qui éclata à cette occasion, fut promptement étouffé et Jéroboam dut rester en Egypte jusqu'après la mort de Salomon. Alors ses compatriotes, qui avaient gardé un bon souvenir de son administration, le rappelèrent et, grâce à la pusillanimité de Roboam, fils de Salomon, il fut acclamé roi par dix tribus (1 Rois XII, 2-20). A peine sur le trône, il fortifia Sichem et Pnuel, avantageusement située au confluent du Jabbok et du Jourdain (1 Rois XII, 25). Après avoir définitivement établi sa résidence à Thirza, il défendit, par des raisons politiques, à ses sujets de faire des pèlerinages, au sanctuaire central de Jérusalem et éleva, dans les deux villes frontières de Béthel et de Dan, déjà consacrées antérieurement comme lieux de culte, des temples où, d'après l'ancien culte sensuel du peuple (Exode XXXII), Jéhovah était adoré sous la forme d'un veau (taureau) d'or. Pour assurer le service de ce culte, il organisa une caste de prêtres non lévitiques (1 Rois XII, 31), les autres ayant quitté le pays ainsi qu'une foule de Juifs orthodoxes, et institua pour le quinzième jour du huitième mois une fête solennelle (1 Rois XIV, 30). D'après le livre des Rois, Jéroboam vécut en guerre continuelle avec les Juifs le narrateur des Chroniques au contraire ne mentionne qu'une seule guerre, intentée par Roboam à Jéroboam, mais qui fut empêchée par l'intervention d'un prophète, mais il parle d'une guerre malheureuse pour les Israélites sous Abia, le successeur de Roboam (2 Chron. XI, 1 ss.). Etant demeuré, malgré toutes les exhortations des prophètes, fidèle au culte du veau d'or, Jéroboam eut la douleur de voir son fils Abia succomber à une grave maladie, et mourut luimême après un règne de vingt-deux ans. Son successeur Nadab périt, après un court règne, avec tous les siens, sous la main homicide de l'usurpateur Baësa (i Rois XV, 25 ss.).
JÉROBOAM II, fils et successeur deJoas (Jeohasch), roi d'Israël de 823-874 ou, selon d'autres, de 833-874 (2 Rois XIV, 23), quatrième roi de la maison de Jéhu, fut incontestablement le plus glorieux de tous les monarques du royaume des dix tribus. Il reconquit, avec un rare bonheur, sur les Syriens les .territoires qu'ils avaient enlevés à son père, rendit tributaires Damas au nord et Moab au sud (2 Rois XIV) et gouverna avec beaucoup de fermeté et d'ordre son royaume. Malheureusement le luxe et la démoralisation des grands d'un côté, l'idolâtrie toujours croissante venue du dehors, de l'autre, faisaient entrevoir, comme le racontent Amos et Osée, les contemporains de
Jéroboam, la ruine du royaume, que menaçait alors déjà la puissance toujours plus grande des Assyriens. E. SCHERDLIN. JÉROME (Sophronius-Eusebius-Hieronymus), était né à Stridon, petite ville située sur les confins de la Dalmatie et de laPannonie, et détruite depuis par les Goths. L'époque de sa naissance est fixée par les uns à l'an 331, par d'autres avec plus de probabilité à dix ou quinze ans plus tard. Ses parents étaient chrétiens et jouissaient d'une certaine aisance aussi pour lui faire donner une instruction plus soignée que ne le permettaient les entourages barbares qui l'avaient vu naître, ils l'envoyèrent de bonne heure à Rome, où il put faire ses études sous les deux maîtres les plus célèbres d'alors, le grammairien Jîlius Donatus et le rhéteur Caius Victorinus l'Africain, qui lui enseignèrent cette latinité par laquelle il se distingua plus tard parmi tous les Pères de l'Eglise. Il apprit aussi avec fruit la philosophie grecque et la jurisprudence. Du reste, il.ne se contenta pas de lire les auteurs classiques de la littérature devenus l'objet de ses études favorites, il n'épargna ni peine, ni argent à en réunir une bibliothèque qui devint la compagne de sa vie et de toutes ses pérégrinations. Mais l'ardeur pour les études ne put pas le garantir des séductions qui l'entouraient dans la capitale corrompue de l'empire. Les penchants naturels de son caractère impétueux et passionné l'entraînèrent à toutes sortes de dérèglements. Néanmoins, sa foi n'y fit pas naufrage, et il se fit baptiser avant de rentrer dans sa patrie. Il séjourna d'abord à Aquilée, principale ville de cette contrée, ensuite il alla avec Bonosus, un ami qu'il y trouva, visiter les Gaules, où il s'arrêta surtout à Trèves, alors la ville la plus florissante de cette province et résidence de l'empereur Valentinien. On sait peu sur le temps qui suivit son retour à Aquilée, où la société de quelques jeunes religieux, parmi lesquels Rufin gagna sur lui un empire particulier, paraît avoir allumé en lui les germes de ce penchant vers l'ascétisme qui décida de sa vie future. II parle ensuite en termes obscurs d'un tourbillon qui l'arracha à ce cercle d'amis et le porta à visiter les monastères de l'Asie Mineure et de la Syrie. Il tomba malade à Antioche d'une fièvre maligne qui lui enleva deux compagnons chéris. Vainement il chercha par la lecture de ses classiques favoris, de Plaute et de Cicéron, à oublier sa tristesse, ses remords du passé et l'inquiétude d'une imagination troublée. Un rêve où il se vit menacé des terreurs de l'enfer, le poussa à renoncer à ces études profanes et à chercher la paix dans une vie de contemplation et à étouffer le démon de la chair dans l'abstinence et les pratiques ascétiques. Il se retira parmi les anachorètes du désert de Chalcide (374). Après avoir cherché à Réchapper aux troubles de sa conscience et aux images voluptueuses qui le hantaient, tantôt par les jeûnes et les flagellations; tantôt par des travaux manuels, il réussit mieux en s'appliquant à l'étude de l'hébreu, qui, comme il dit lui-même, devint pour lui un nouvel exercice ascétique. Un juif converti qu'il rencontra parmi ces solitaires, lui servit de maître. Son enthousiasme pour cette vie d'anachorète lui mit aussi la plume à la main pour
écrire, à côté de quelques lettres adressées à ses amis, la vie de saint Paul de Thèbes, un des modèles de ce genre de sainteté, qu'il, fit encore suivre plus tard d'autres de ce genre, telles que la vie de Malchus et celle d'Hilarion. Mais la paix n'habitait pas dans ces solitudes de Chalcide les querelles religieuses de l'époque divisaient. aussi ces moines. Le schisme de Mélétius qui troublait l'Eglise d'Antioche, vint chasser Jérôme de sa cellule, après un séjour de près de quatre ans. Il rentra à Antioche (379) où il reprit sa carrière théologique, par un écrit dirigé contre les lucifériens qui refusaient d'admettre à la communion les ariens même après qu'ils eussent signé une confession orthodoxe. Revenu ainsi à ses occupations littéraires, il se mit avec ardeur à étudier les principaux auteurs de l'Eglise grecque et surtout Origène qui, plus que tout autre, devint l'objet de son admiration et dont il traduisit un nombre d'ouvrages. Un autre fruit de ces travaux fut la traduction et la continuation de la Chronique d'Eusèbe. En 380, il alla à Constantinople y continuer ses études exégéliques sous la direction de Grégoire de Nazianze. La mort de Mélétius ne mit pas fin au schisme qui divisait l'Eglise d'Antioche, Flavien et Paulin s'y disputaient le siège épiscopal; le pape Damase s'érigeant en arbitre du litige, convoqua un concile à Rome. Jérôme s'empressa d'y suivre son ami Paulin. Une sphère nouvelle s'ouvrit à son activité. Le pape lui accorda aussitôt sa confiance et utilisa ses services, non seulement pour la correspondance et les travaux du synode, mais aussi pour d'autres travaux par lesquels il chercha à mettre au service de l'Eglise les grandes connaissances exégétiques du savant renommé. Il l'engagea, ù. cet effet, d'entreprendre la révision de la vieille traduction latine de la Bible, dont se servaient les Eglises d'Occident, et dont les exemplaires différaient à l'infini. Quelle que fût la circonspection que Jérôme apporta à ses corrections par lesquelles il ne chercha à éloigner que les fautes les plus frappantes, il ne put éviter de heurter des préjugés profondément enracinés. Quelles que fussent les défectuosités de son œuvre et quelle que fut la méfiance avec laquelle elle fut d'abord accueillie, elle devint le fond de la version admise depuis dans l'Eglise sous le nom de la Vulgate (Ziegler, Die latein. Bibeliiberseteungcn vor Iliero~iymus u. die 7t< Munich, 1879). Les pratiques ascétiques et le monachisme de l'Orient n'étaient encore que peu connus dans l'Eglise occidentale, et le nom môme de moine y éveillait le plus souvent de la répugnance par les idées d'habitude cyniques qu'on y attachait. On y voyait au contraire les jeunes ecclésiastiques le plus souvent se distinguer par leur vie mondaine et leurs mœurs efféminées. Jérôme se crut appelé à exercer tous ses efforts et à faire valoir toute l'influence que lui procurait la considération dont il jouissait comme savant et comme littérateur, pour faire accueillir le genre de piété qu'il regardait comme l'idéal de la vie chrétienne. Quelques veuves appartenant aux familles les plus élevées de Rome avaient cependant déjà été gagnées à ces idées par Athanase quand il s'y était réfugié pour échapper aux persécutions des ariens. C'est ainsi qu'on voyait Marcella, qui avait t'rans-
formé son palais du mont Aventin en un cloître où, avec sa mère et sa sœur, elle réunissait autour d'elle un petit cercle de personnes gagnées à ces principes pour réaliser au milieu des richesses les pratiques de sainteté d'une vie monacale. Avec elle rivalisait Paula, qui 1 comptait les Scipions parmi ses ancêtres maternels, en compagnie de ses filles Blésilla et Eustochium. Une autre de ces dames, Mélanie, fille d'un consul, avait cru mieux faire encore en allant voir dans les déserts de la Nitrie et.de la Thébaïde les modèles de cette vie religieuse. Rien de plus naturel que l'empressement avec lequel ces dames reçurent un prêtre tel que Jérôme qui, jouissant de l'amitié et de la confiance du pape, après avoir lui-même vécu en anachorète, mettait maintenant tous ses efforts et son talent à prêcher aux Romains le renoncement aux choses de ce monde et les austérités des cénobites de l'Orient. Mais aussi la renommée de sa science ne le faisait pas moins rechercher par ces dames. Marcella surtout, à côté de ses exercices de piété, se livrait avec ses jeunes compagnes à une étude sérieuse des textes sacrés dans les langues originales. Quel meilleur guide pouvait-elle trouver dans ces occupations que le docte interprète des saintes Ecritures? 11 s'établit entre eux une correspondance par laquelle Jérôme eut à lui résoudre toutes sortes de difficultés exégétiques de l'Ancien Testament. Telles sont les lettres qu'il lui adressa sur les dix noms de Jéhova, sur les mots Alléluia, Amen, Maran-Atha, Ephod, Sélah et autres. Une amitié plus intime encore l'unissait à Paula et ses deux jeunes filles rivalisant en beauté. De petits cadeaux témoignaient de leurs sentiments envers le saint docteur, qui par contre cherchait dans ses lettres à affermir Eustochium dans les projets de virginité qu'elle avait conçus (Libellus de cuslodia virgiviiatis), et à prémunir Blésilla, devenue veuve à vingt ans, contre les persuasions par lesquelles on l'assaillait pour qu'elle renouât de nouveaux liens. Les pratiques auxquelles elle se livrait et auxquelles Jérôme l'encourageait, étaient tellement excessives que bientôt elles finirent par conduire la jeune femme délicate à une fin prématurée. Ces égarements d'une piété monastique' et les exagérations auxquelles Jérôme s'était laissé aller en médisant du mariage pour recommander la sainteté du célibat, ne laissèrent pas que de provoquer une opposition très vive dans toutes les classes de la société. Un laïque, Helvidius, attaqua cette nouvelle morale monacale dans un écrit dans lequel, en se fondant sur le témoignage de l'Ecriture même qui parlait de frères et de sœurs de Jésus, il nia la virginité dans laquelle Marie aurait vécu après la naissance du Seigneur. Blessé au vif dans ses idées les plus chéries, Jérôme répondit à son antagoniste, qu'il ne connaissait même pas, par des personnalités blessantes et par des emportements où il se laissait aller à représenter la vie conjugale comme empêchant toute vraie piété et comme n'étant même qu'une prostitution couverte. Le scandale de pareils propos provoqua une émotion générale. La médisance n'épargna pas ses rapports avec Paula et les dames du mont Aventin. De plus, la mort de l'évêque Damase priva Jérôme de son plus puissant soutien
et il prit le parti de se soustraire à l'indignation publique. Il quitta Rome après un séjour de trois ans, pour chercher une retraite en Palestine (385). Paula, ne croyant pouvoir vivre que sous la direction de son ami et de son guide spirituel, depuis longtemps animée du désir de faire le pèlerinage des lieux saints, sourde aux prières et aux reproches de ses jeunes enfants, accompagnée seulement de sa fille Eustochium qui partageait son pieux enthousiasme, et de plusieurs autres jeunes personnes également vouées à la virginité, se hâta de suivre Jérôme. Elle le rejoignit à Salamine, en Chypre, où le vieil évêque Epiphane les accueillit. Mais on ne s'y arrêta que peu de jours, ainsi qu'à Antioche; la Palestine était l'objet de leurs vœux. Là on visita avec une émotion dévote tous les endroits consacrés par les souvenirs de l'histoire sainte. Bethléem, le berceau du Christ plus encore que le Calvaire, captiva l'âme de la femme enthousiaste. C'est là qu'elle résolut de fixer sa demeure. Seulement elle crut devoir encore visiter d'abord les monastères de l'Egypte et surtout de la Nitrie, le séjour des saints anachorètes dont la vie, au milieu des privations et des terreurs du désert, lui paraissait l'idéal de la sainteté chrétienne. De retour en Judée (386) on s'établit d'abord dans quelques cellules provisoires qui plus tard firent place à deux couvents, l'un destiné aux moines, l'autre aux compagnes de Paula, mais reliés entre eux par une église commune. D'autres constructions vinrent peu à peu s'y joindre, le tout aux frais de lariche romaine. Là s'écoulèrent pour Jérôme les dernières années de sa vie dans les exercices de piété et la retraite qu'il prisait tant, mais en même temps dans les études qui n'étaient pas moins un besoin de son esprit. Les travaux qu'il consacra à l'interprétation de la Bible, mais tout particulièrement de l'Ancien Testament, lui firent obtenir sans contestation le titre du plus savant des Pères de l'Eglise latine. Par suite de la place que sa science lui fit tenir dans la considération de ses contemporains, mais plus encore par l'effet de son caractère, il se vit mêlé à presque toutes les controverses qui agitèrent l'Eglise de ce temps, mais sans qu'il contribuât d'une manière quelque peu marquante et réelle au développement de la doctrine. Aussi, à cet égard, il ne saurait nullement être comparé à Augustin son supérieur de beaucoup comme penseur profond et indépendant. A Bethléem, son premier soin fut de mettre en ordre la collection de ses manuscrits et de l'augmenter constamment. Il reprit avec une nouvelle ardeur l'étude de l'hébreu, avec l'assistance d'un savant juif de Lydda, Baranina. Aussi il ne se fit plus de scrupule de se remettre à la lecture de ses auteurs classiques. A la prière de Paula et d'Eustochium, il leur expliqua différents livres de la Bible et rédigea pour elles plusieurs commentaires, pour lesquels il s'aida toujours encore des explications d'Origène. Quelques traités, l'un sûr les noms propres des Hébreux, un autre sur l'emplacement d'une série d'endroits cités dans l'Ancien Testament, n'ont que peu d'importance. Il traduisit encore un nombre d'homélies et de traités exégétiques d'Origène, et ce furent encore les travaux du grand docteur d'Alexandrie dont il
tira le'secours le plus efficace quand il reprit la continuation de sa révision de la Bible latine, quelque peu qu'il s'en montrât reconnaissant dans la suite. Enfin, à la prière d'un ami, il compulsa, en 392, un catalogue des écrivains ecclésiastiques les plus notables (De viris illustribus ou plutôt De Mrtp<ort&M ecclesiaslicis), et quelque maigres et souvent superficielles que fussent ces notices, elles ne laissent pas que d'avoir une certaine valeur; avec les renseignements de ce genre qu'Eusèbe avait déjà réunis dans son Histoire ecclésiastique, elles constituent le premier essai d'une histoire littéraire dans le domaine de l'Eglise. Mais ces travaux paisibles et de pure science furent interrompus par de violentes distractions des luttes et des controverses dans lesquelles ne se révéla que trop le caractère passionné en même temps que faible du prêtre de Bcthléem.~Spn éloignement de Rome n'y avait pas fait taire l'opposition et l'animosité contre les partisans de la vie monacale. Aussi ceux-ci ne se lassaient pas de chercher à gagner toujours plus de prosélytes au célibat ils se montraient agressifs au point que Jovinien. qui lui-même autrefois s'était voué à la vie contemplative et au célibat, se vit amené à leur adresser quelques petits traités dans lesquels il combattait la doctrine que ces abstinences pouvaient protéger le coeur humain contre les tentations de la chair, et que la virginité assurait un mérite quelconque et une pureté particulière devant Dieu. Jérôme répondit par une réfutation d'une virulence telle que même ses amis eussent voulu la supprimer ou du moins engager l'auteur à en corriger l'effet fâcheux par des explicacations atténuantes. Mais l'apologie qu'il dédia à son ami Pammachius ne produisit qu'une impression médiocre. Ces emportements pouvaient encore s'expliquer en ce qu'il s'agissait, dans cette polémique, de points de doctrine qui touchaient aux convictions les plus chères du pieux solitaire de Bethléem. Mais d'autres querelles, dans lesquelles il se vit entraîné, jettent sur son caractère un jour encore plus défavorable et paraissent trahir chez lui un manque de principes moraux bien regrettable. Il avait toujours professé la plus grande admiration pour Origène il s'était appliqué à traduire un nombre de ses ouvrages pour les faire connaître en Occident, jusqu'au moment où Epiphane, le disciple des deux grands patrons du monachisme égyptien, Antoine et Pachomius, et animé de la même aversion qu'eux contre l'esprit philosophique d'Alexandrie, crut devoir déclarer la guerre aux hérésies du chef de cette école. En Palestine, l'origénisme avait alors pour principaux représentants, outre Jérôme, Jean, le métropolitain de Jérusalem, et Rufin d'Aquilée qui, depuis des années, s'était retiré à Jérusalem et y dirigeait une communauté de moines, établie sur le mont des Oliviers. Dès 393, un des antagonistes les plus fanatiques des doctrines d'Origène était venu à Jérusalem, et, ayant sommé les théologiens de cette Eglise de répudier les hérésies du docteur d'Alexandrie, Jérôme, toujours inquiet de ne pas compromettre son orthodoxie, se résigna à donner la déclaration qu'on lui demandait et que Jean et Rufin n'hésitèrent pas de refuser. Toutefois, leurs rapports n'en furent pas troublés. Mais les choses
changèrent de face quand Epiphane lui-même arriva. Des contestations publiques ne tardèrent pas à éclater entre le métropolitain de Jérusalem et l'évéque de Salamis, surtout quand ce dernier, sans avoir égard aux droits diocésains de Jean, conféra la prêtrise à Bethlécm. à Paulinien, le frère de Jérôme. Jean rompit la communauté ecclésiastique avec les couvents de Bethtéem. Ftufin, malgré l'ancienne amitié qui t'unissait à Jérôme, prit le parti de Jean et signala les inconséquences dogmatiques de Jérôme. Une polémique longue et passionnée s'ensuivit, dans laquelle Hufin, bien plus que son antagoniste, sut ménager les convenances dues aux rapports intimes qui, jusqu'alors, avaient existé entre eux. Un accommodement passager no fit qu'ajouter à l'amertume de la discussion qui se réveilla à propos de la traduction que Rufin, retiré depuis en Italie, avait publiée de l'ouvrage fondamental de la théologie d'Origene, M~ ap~Mv. La mort de Rufin ne put pas même apaiser l'implacable colère dont Jérôme le poursuivait, qui, ligué au patriarche d'Alexandrie et à Epiphane, continua en même temps la guerre qui ne devait cesser que par l'anéantissement du système d'Origène. Une autre discussion, non moins caractéristique et non moins intéressante, fut celle qui, dans ces entrefaites, surgit entre Jérôme et Augustin. Elle fut provoquée par l'explication par laquelle le premier, en se laissant guider par Origène avait essayé d'atténuer les difficultés que présente le récit de Paul, Gal. Il, sur sa contestation avec Pierre à Antioche. Jérôme ne voulut voir dans cette rencontre qu'une scène jouée entre les deux apôtres dans le but de mettre à la raison l'intolérance du parti des chrétiens judaïsants. Augustin, choqué au point de vue moral d'une pareille interprétation, avait cru devoir exposer ses doutes à l'exégète de Bethléem. Celui-ci, blessé de ces observations, y répondit avec une froideur qui ne trahissait que trop ses sentiments. Des maladresses survenues de la part de ceux qui servaient d'intermédiaire à la correspondance, vinrent encore embrouiller la difficulté qui toutefois, finalement, s'aplanit sans conduire à un éclat. Jérôme sentit trop bien la nécessité d'imposer une certaine contrainte à son amour-propre froissé vis-à-vis de son correspondant dont il reconnaissait malgré lui la supériorité, et Augustin, dans ses lettres, témoignait la plus humble déférence pour la science et les lumières du vieillard dont il n'ignorait pas l'extrême susceptibilité. Un prêtre espagnol, Vigilantius, qui antérieurement déjà, choqué de l'ignorance et de la piété mêlée de superstition idolâtre des moines qu'il avait appris à connaître en Syrie et en Egypte, avait osé attaquer le culte des saints et des reliques tel qu'ils le pratiquaient, en même temps que le célibat; un second écrit, dans lequel il mêla quelques insinuations touchant l'origénisme de Jérôme, lui attira de la part de celui-ci une réponse où les personnalités les plus grossières et les sarcasmes les plus sanglants montraient combien Firritabilité du vieux solitaire augmentait encore avec l'âge. Les opinions que Yigilantius s'était permis d'avancer étaient traitées de crimes dignes du dernier supplice. Des épreuves plus douloureuses vinrent s'ajouter
aux préoccupations constantes de toutes ces luttes littéraires. Après qu'une irruption des Huns en Syrie eut aussi menacé la Palestine et eut obligé Les religieuses dont les soins et l'attachement faisaient la consolation de ses vieux jours, de fuir pour quelque temps la retraite de Bethléom, la mort vint lui enlever celle qui avait été la compagne la plus fidèle de sa vie, Paula (404). Le panégyrique qu'il consacra à sa mémoire ne put que passagèrement distraire sa douleur. Eustochium prit la place de la défunte dans la direction des monastères. De nouvelles religieuses furent amenées en Palestine, chassées de l'Italie par l'incursion successive des Goths, des Vandales, des Suèves et par le sac de Rome sous Alaric. La continuation de ses travaux bibliques, parmi lesquels la traduction de l'Ancien Testament tenait le premier rang, ne pouvait que difficilement soulager l'esprit du savant dans son accablement, que lui causaient les malheurs publics. Une dernière controverse théologique l'appela encore une fois sur la scène des débats de l'Eglise. Ce fut la grande question du pélagianisme. Il est difficile de dire si c'étaient des motifs personnels ou le besoin de se poser en défenseur du principe de l'autorité catholique qui le décidèrent à se mêler encore dans ces discussions et à entrer de nouveau en lice. Pélage s'était déjà hasardé à critiquer quelquesunes de ses explications du texte hébreu. Jérôme le soupçonnait de plus d'avoir puisé chez liufin quelques observations qu'il fit sur le commentaire de Jérôme sur l'épître aux Hphésicns; mais il avait en outre aussi invoqué l'autorité de ce dernier en faveur de quelquesunes de ses propositions dirigées contre le péché originel, et Jérôme pouvait craindre de se voir compromis par le nouvel hérésiarque. C'est ainsi qu'il se crut appelé à se déclarer ouvertement contre ces erreurs. Pélage comptait, il est vrai, de nombreux partisans dans le clergé de la Palestine, et deux synodes s'y prononcèrent en sa faveur. Mais Jérôme, mis en demeure par Augustin, outre plusieurs lettres qu'il écrivit, publia un long dialogue pour réfuter les erreurs du sectaire, tout en professant sur le péché originel des vues qui étaient loin d'être conformes à la théorie d'Augustin. Néanmoins la haine des partisans de Pélage se surexcita contre lui à ce point qu'une tourbe ameutée vint attaquer et mettre en feu les couvents de Bethléem et forcer Jérôme de chercher un refuge dans une tour voisine. La polémique contiriua encore pendant les dernières années de la vie du vieillard fatigué de ces constantes 'agitations. Un dernier coup vint encore le frapper par la mort de sa fidèle amie, Eustochium. Deux ans plus tard, il s'éteignit lui-même à quatre-vingt-neuf ans (420). –Parmi tous les nombreux écrits qui remplissent les volumes de ses œuvres, il n'y a que ceux qui se rapportent à l'exégèse qui aient une valeur réelle pour la science. Son interprétation se fonde du moins jusque un certain point sur une appréciation critique et philologique des textes, sans cependant pouvoir se défaire des préjugés de l'époque en faveur de l'allégorie et des spéculations mystiques comme moyens de découvrir le sens profond caché sous la lettre. Quelle que fût l'importance de ses travaux en vue de la révision de la version latine
existante, Jérôme ne sut pas profiter de ses connaissances littéraires pour doter l'Eglise d'une traduction capable d'ouvrir l'intelligence des saintes Ecritures. Ses écrits polémiques ne présentent de l'intérêt qu'en ce qu'ils font connaître avant tout le caractère de l'auteur et l'esprit de son siècle. Ce ne sont réellement que ses nombreuses lettres que nous possédons encore qui conservent une importance incontestable en nous présentant un tableau riche et varié de l'histoire de l'humanité et de l'Eglise à cette époque de transition entre l'antiquité classique qui disparaissait et un nouvel état de choses qui devait sortir de la ruine de l'ancien monde. – La première édition des œuvres de Jérôme fut publiée par Erasme àBàio (1516) en 9 vol.; d'autres suivirent par les soins de Mar. Victorius, Rome, 1366, 9 vol. in-f"; par Ad. Pribbechovius, Francf., 1684, 13 vol. in-f"; par les bénédictins J. illartianay et Ant. Pouget, Paris, 1706, 3 vo!. in-f enfin, la meilleure, de dom Vallars etScip. Manei. à Vérone, 1734, 11 vol. in-f', 2e éd., Venise, 1762, 11 vol. in-4". Biographies Martianay, la vie de S. Jér., Par., 1706, in-4"; Reb. Dolci, 7/(eron)/)?:M~ u:M* ~MeE scriptor., Ancon., 1750, in-4°; Jo. Stilling dans les ~4c<a .S'ancrer., t. VIII, in-f, Antw., 1762; Vallarsius, dans son éd. des Œuvres; Le Nain de Tillemont, Mémoires. t. XIII; Engelstoft, F~roHt/mM~ .Strt~OM. ~'tt~rpfM, criticus, exegela, apologela, AM~ortCMx, c!oc<o?',nMMac/tM~,Havn.,1798; von Cœlin, .EtMt/MopaMttewt ~rM/nt~d G)'M~e)'; Baum, Hieronymi M~, Arg., 1835, in-4°; Collombet, Ft~fMfB de S. Jérôme, 1846; Xœckler, ~terotM~MM,MMtjMMu. Wtr/t'e?!, Gotha, 1865; Aug. Thierry, Saint ~'r~Me, 2 vol., Par., 1867; Luebeck, ~<M'o)M/mM!~M<M noverit MrtptOt'M e< ex ~Mt&s hauserit., Leipz., 1872 Schœne, Cu~~<MnM!M hieronym. capila, Leipz., 1864. E. CuNiTz. JÉROME DE PRA&DN. – I. Sa vie. L'un des promoteurs de la Réformation religieuse en Bohême, né à Prague vers l'année 1374, mort à Constance le 30 mai 1416, martyr de la foi évangélique, une année après son ami Jean Huss. Jérôme était issu d'une famille noble et riche de la capitale; il eut pour père Nicolas de Faulf)sch, qui lui fit donnerune éducation très soignée.Destinéàla carrière ecclésiastique, il fit des études très brillantes aux universités de Heidelberg et de Cologne, et prit le grade de bachelier en théologie à Prague (1398), mais ne fut jamais ordonné prêtre. Jérôme conserva jusqu'à sa mort le caractère et l'habit d'un laïque. L'année suivante, ayant été dispensé du stage de deux ans que tout nouveau bachelier en théologie devait faire dans les écoles de la ville ou de la campagne (voyez $M<M< de C/toWe~)~), il partit pour Paris, où il prit le grade de maître ès-arts; mais il se rendit déjà suspect d'hérésie, par ses discussions hardies sur la Trinité et sur les limites de la puissance divine. De là, il se rendit à Oxford, où il passa deux ans (1400-01) et où il s'adonna à l'étude des œuvres de John Wyclef. Revenu en 1402 à Prague, il y propagea avec ardeur les écrits théologiques du recteur de Lutterworth, entre autres son Dialogus et son Trialogus, qu'il avait copiés de sa main et queHuss ne connaissait pas encore. L'année suivante, au moment où le chapitre métropolitain de Prague condamna pour la pro-
mière fois les écrits de Wyclef, Jérôme se trouvait à Jérusalem, entraîné par sa passion pour la vérité vers les sources mêmes de la foi chrétienne, et'il en revenait plus pénétré que jamais d'enthousiasme pour la religion de l'Evangile, et d'indignation contre les abus qu'en faisait l'Eglise romaine. En 1407, après avoir achevé ses études à Prague, Jérôme fut promu maître-ès-arts et se rendit pour la deuxième fois à l'université d'Oxford; mais là, il était déjà signalé comme partisan de Wyclef; on voulut l'arrêter et il fallut l'intervention de l'université de Prague pour qu'on le laissât partir. En 1408, il était de nouveau à Prague, auprès de son maître Jean Huss, et prit une part active aux luttes entre l'élément tchèque et l'élément germanique dans l'université, luttes qui aboutirent à l'exode en masse des professeurs et étudiants allemands (janvier 1409). En 1410, il fut invité par Sigismond, roi de Hongrie, à prêcher devant la cour de Pesth, ce qu'il fit avec grand succès; mais à Vienne, en septembre de la même année, il fut moins heureux, on le mit aux arrêts dans la prison de l'université, malgré une requête de l'université dePrague aux consuls de Vienne; heureusement, il réussit à s'échapper et déclara, plus tard, n'avoir pas même ou connaissance de l'acte d'excommunication qui avait été lancé contre lui par André de Grillemperg, official du diocèse de Padoue (30 septembre 1410). Il passa les deux années suivantes à Prague, où il assista son maître et ami Huss, dans sa controverse contre les fauteurs d'indulgences; c'est à cette époque qu'il eut avec les moines quelques démêlés violents, qui plus tard lui furent imputés à crime par le concile de Constance; entre autres, il paraît bien, par ses relations intimes avec le seigneur Vok de Waldstein, que Jérôme fut l'un des instigateurs de la cavalcade satirique de juin 1412, où le pape Jean XXIII était représenté dans le costume d'une courtisane ornée de clochettes d'argent et portant les bulles .d'indulgence, lesquelles furent brûlées solennellement. La réponse de l'archevêque Zbyniek ne se fit pas attendre le 11 juillet 1412, trois jeunes gens, Martin, Jean et Stasek furent décapités sur la grand'place de Prague. Jérôme se mit à la tête des étudiants, qui emmenèrent les corps des martyrs en chantant le cantique M sunt xsnct!, qui pro lamente Dei sua corpora tfadt~M'tiHt ad ~tpp~'cM et leur rendirent les honneurs religieux à la chapelle de Bethléem. Dès cette époque, sans doute, il composa en vers tchèques ces cantiques sur des textes bibliques, et sur les paroles de l'Eucharistie, qui inaugurèrent le'recueil des psaumes de la Réforme bohème. En 1413, Jérôme, préoccupé de trouver à cette Réforme des alliés parmi les nations congénères, se rendit chez les Slaves de Lithuanie et de Pologne. Il fut reçu avec les plus grands honneurs par Witold, duc de Lithuanie, dans les villes de Witepsk et de Pleskow, où il. assista avec respect et sympathie aux offices du culte grec-orthodoxe et déclara, au grand scandale des catholiques, que « les Ruthènes étaient de bons chrétiens. » Le roi de Pologne, Wladislas, le chargea même d'organiser l'université de Cracovie, récemment fondée, et, de l'aveu de l'évêque catholique de cette ville, Jérôme produisit par
sa prédication éloquente, « dans les rangs du clergé et du peuple, un mouvement religieux tel qu'on n'en avait pas vu de mémoire d'homme, En 1414, Jérôme revint à Prague, assister Jean Huss dans les résolutions suprêmes et ne quitta sa ville natale que pour rejoindre son maître à Constance, la ville de mort (4 avril 1415). -II. Ses idées et son caractère. Jérôme de Prague n'ayant rien écrit que quelques discours académiques, il n'est pas facile de savoir précisément quelles étaient ses croyances. Or, s'il a peu écrit, en revanche il a beaucoup agi, voyagé, parlé. Jérôme a été, par~jexcellence, un grand remueur <'idées. En philosophie, il était réaliste comme ses maîtres Wyclef et Huss; en religion, il était spiritualiste et apostolique. D'après ses réponses à l'acte d'accusation du concile,nous voyons qu'il s'était élevé très vivement, non seulement contre le trafic des indulgences, mais encore contre la vénération des images et des reliques. Sur les deux sacrements, il pensait, conformément à la doctrine de l'ancienne Eglise catholique, que le baptême administré par les hérétiques est valable, donc qu'il ne faut pas rebaptiser les Grecs; et, dans l'Eucharistie, il admettait une sorte de transsubstantiation spirituelle, analogue à la doctrine deBérenger de Tours et à celle de Calvin. Mais au quinzième siècle, l'Eglise catholique avait déjà tellement déformé sa dogmatique, que c'en était assez pour être déclaré hérétique. Quant à son caractère, on ne peut imaginer deux natures aussi opposées que celles des deux amis, Huss et Jérôme. Huss était humble, modéré, défiant de ses propres forces, mais patient et inébranlable au milieu des plus terribles épreuves. Jérôme, au contraire, était ardent et fier, impétueux et provoquant, mais sujet aux défaillances, sous le coup de la persécution. Huss, par sa doctrine et par ses lettres, nous rappelle à beaucoup d'égards saint Paul; Jérôme, au contraire, reflète le caractère de Simon-Pierre. III. Son martyre. D'ailleurs, nul trait de sa vie ne peint mieux le caractère de Jérôme de Prague que le récit de sa captivité et de sa mort. Rien ne l'obligeait à venir à Constance, et Jean Huss, dans une de ses lettres de janvier 1415, recommandait formellement « que ni Jérôme, ni aucun de ses disciples'ne se rendît au concile. » Jérôme lui-même ne se dissimulait nullement le danger de mort qu'il courait en y allant, car il avait dit en propres termes à Huss « Si je vais au concile, j'estime que je n'en reviendrai point! » Mais à Prague son cœur frémissait au dedans de lui, en songeant que son meilleur ami était là-bas sans défenseur attitré, sous les verrous des dominicains. Jérôme partit avec un seul disciple et arriva à Constance (4 avril 1415). Après avoir demandé en vain au concile un sauf-conduit complet et sans équivoque, il reprit le chemin de la Bohême, triste et déconcerté, mais fut reconnu et arrêté à Hirsau, par le duc de Bavière, et ramené à Constance, chargé de chaînes. Jérôme subit son premier interrogatoire le 23 mai 1415, dans le réfectoire du couvent des frères mineurs (franciscains), devant le chancelier Gerson; et ensuite fut jeté dans les cachots de la tour Saint-Paul, où il souffrit toutes sortes de mauvais traitements. Cependant, son maître Huss, qui le savait en prison,
mais sans pouvoir communiquer avec lui, priait et intercédait pour lui. Jérôme, de son côté, demandait à Dieu la grâce de partager le supplice de son ami. Cette faveur lui fut refusée et ce contre-temps lui fut fatal; après la mort de Huss, Jérôme parut ébranlé, comme s'il avait perdu son bon génie; le 19 juillet, il souscrivit au dogme de la présence réelle et matérielle, et même le 23 septembre, il eut la faiblesse de signer une rétractation en règle et de désavouer ses maîtres Wyclef et Huss. Ceux des juges qui lui étaient favorables, Pierre d'Ailly et l'archevêque de Florence, se déclarèrent satisfaits et insistèrent pour qu'on le rendît à la liberté. Mais ils avaient compté sans l'acharnement des moines tchèques, ses mortels ennemis, et (faut-il le dire aussi) sans la rancune impitoyable de Gerson, le chancelier de l'université de Paris. On reprit d'un bout à l'autre le procès de Jérôme de Prague; maître Jean de Rocha dressa un nouvel acte d'accusation en cent sept articles; et après vingt-quatre mois de dure captivité, Jérôme de Prague comparut de nouveau devant le concile (23 et 26 mai i4i6). Cette fois-là Jérôme se montra digne de son maître. Dans son premier discours, il. réfuta un à un les cent sept chefs d'accusation et répliqua aux diverses apostrophes, tantôt avec une ironie, tantôt avec une hardiesse qui déconcerta ses adversaires. Trois jours après, il prononça son plaidoyer suprême, qui, d'après Le Pogge, témoin oculaire, se rapprocha des plus beaux modèles de l'éloquence classique. Il rappela les exemples de tant de saints et de martyrs, qui avaient souffert injustement pour la cause de' la vérité; déclara qu'il était absolument inique qu'un laïque fût condamné par des prêtres, et termina par un magnifique éloge de Jean Huss, disant que « le plus grand péché qu'il eût à se reprocher, c'était de l'avoir renié sous le coup de la maladie et de la persécution et que, certainement, son maître et ami avait été mis à mort, non pas qu'il eût rien prêché contre l'ordre établi de l'Eglise, mais parce qu'il s'était élevé contre les abus des clercs et-des prélats. H se tenait debout, (dit le témoin cité plus haut) sans peur et sans effroi, comme quelqu'un qui non seulement méprise la mort, mais qui la désire. On aurait dit un second Caton d'Utique. » Le 30 mai, il comparut pour la dernière fois devant le concile, on lui lut la sentence qui le condamnait, comme hérétique et relaps et qui, suivant l'atroce euphémisme des juges ecclésiastiques, le recommandait à l'indulgence du pouvoir séculier. Au moment où on l'affublait de la mitre en papier, peinte de diables rouges, insigne des hérétiques, Jérôme s'écria « Le Seigneur Jésus, au moment de mourir pour moi, eut sur la tête une couronne d'épines, et moi, au lieu:de cette couronne,je veux, par amour pour lui, porter avec joie cette mitre! » On le conduisit, le jour même, au lieu du supplice, et en arrivant à la place même où son maître Huss avait été brûlé un an auparavant, il se mit à genoux et pria d'une voix mélancolique. Puis, pondant qu'on le dépouillait de ses vêtements et qu'on l'attachait, à demi nu, au poteau d'infamie, avec des chaînes et des cordes mouillées, il se mit à chanter le C)'e(/o et, après avoir fini, il dit en allemand au peuple qui't'environnait: « Chers
enfants, ainsi j'ai chanté, ainsi je crois. Ce symbole est ma foi. Et pourtant, je meurs aujourd'hui, parce que je n'ai pas voulu accorder au concile que Jean Huss ait été justement condamné par lui; car je sais qu'il était un fidèle prédicateur de l'Evangile de Jésus-Christ. » Encore un trait d'héroïsme! Comme le bourreau voulait, par un reste de pitié, allumer le feu par derrière « Viens ici, s'écria-t-il, et allume devant moi. 0 pauvre homme si j'avais craint ce feu, je ne serais pas venu ici, pouvant échapper. » Enfin, au moment où il sentit les premières cuissons du feu mortel, il prononça en tchèque ces dernières paroles « Seigneur Dieu tout-puissant! aie pitié de moi et pardonne-moi mes péchés, car tu sais que j'ai sincèrement aimé la vérité! Ainsi périt, à l'âge de quarante-deux ans, cet héroïque témoin de la vérité, cet ardent apôtre de l'Evangile de JésusChrist. En effet, suivant le témoignage duPogge.Mucius Scœvolane livra pas sa main au feu avec plus de sang-froid que Jérôme n'y livra tout son corps, et Socrate ne but pas le poison avec plus de spontanéité que Jérôme n'en mit à subir les atteintes de la flamme.-Bibliographie Von der Hardt,Corpus acfot-uM~ decretorum concilii Constantiensis, Francfort et Leipzig, 1699; le même, Historia M monMmen~ Joantu 7/tM e< Fi~oHt/HM Pt'c~)MM, coM/eMOfMM Christi, Nuremberg, 1715; Po~jfK~ot'en~'nt opéra, FpMto~N ad Leonardum /ire<înMm ~e M. ~MroKyM! Pragensis supplicia, Lyon, 1513; Palacky, DocMn!e):<o, magistri JoAcHKM Huss vitam, <~oe<rttMnt, causam in Co?M<aM<!<'?:.H' concilio actam, etcontroversias de religione in Bohemia, <MMM 1-403-1418, motas illustrantia, Prague, 1866. G. BoxET-MAURY. JÉRUSALEM. I. HisTomE. La Bible ne nous fait pas connaître l'origine et le nom primitif de Jérusalem. On a essayé, mais sans preuves suffisantes, d'identifier la capitale de la Judée avec Salem, résidence de Melohisedec (Gen. XIV, 17-20). Avant David, elle portait le nom de Yebous à cause des Jébusites, descendants de Canaan, qui occupaient à cette époque le mont où s'éleva plus tard la « ville supérieure ». Elle paraît aussi avoir reçu, dès une haute antiquité, l'épithète de Kadischa ou la Sainte, dont on retrouve le souvenir dans le nom de Kouds, que lui donnent aujourd'hui les musulmans, et, dans cette hypothèse, c'est à Jérusalem même qu'il faudrait appliquer le passage d'Hérodote (liv. H, ch. cxxxix) où il est fait mention de la conquête de Cadytis, grande ville de Syrie, par le roi d'Egypte Nékao. Quant au nom même de Jérusalem (héritage de la paix), il est difficile de dire à quel moment il fut substitué aux appellations plus anciennes de la ville. Ce fut dans la septième année de son règne (vers 1049 av. J.-C.), que David s'empara de la citadelle des Jébusites (1 Chron. XI, 4-8). Cette forteresse, agrandie et fortifiée, devint la résidence du roi et la capitale du royaume d'Israël. Aussi est-elle désignée depuis ce moment sous le nom de « Cité de David ». Elle est aussi appelée Sion (2 Chron. V, 2). Par la construction du temple ou maison de Dieu et du palais royal, Salomon voulut faire de Jérusalem le centre religieux et politique de sa nation. Il consacra vingt années de son règne et toutes les ressources de son royaume à cette
œuvre gigantesque. La ville fut ornée de palais, tels que la maison de la fille de Pharaon, située en dehors de la Cité de David, et la maison du parc du Liban. Le roi fit combler le creux de la Cité de David et acheva la construction d'un fort nommé MiMo, dont la position n'est pas déterminée. En même temps, il fit commencer une grande muraille destinée à enfermer le temple et la Cité de David dans la même enceinte. Grâce a ces ouvrages et aux débouchés nouveaux ouverts au commerce, Jérusalem devint pendant quelque temps le centre de la civilisation dans l'Asie occidentale.-Le schisme des dix tribus porta un coup funeste à la capitale des Hébreux. Cinq ans après la mort de Salomon, Sçiçak (Shashank) s'empara de Jérusalem, sans éprouver la moindre résistance (2 Chron. XII, 1-9). La grande muraille, commencée par Salomon, fut probablement achevée par les rois Assa et Josaphat. Sous le roi Moram, les Philistins, 'alliés aux Arabes du Sud, s'emparèrent de la cité (2 Chron. XXI, 17). Soixante ans plus tard, Joas, roi d'Israël, ayant défait Amasias, roi de Juda, fit une large brèche dans la muraille, du côté nord, et entra en triomphe dans la ville. Le temple et les palais furent livrés au pillage (2 Rois, XIV, 13-14). Sous le long règne d'Hosias, la brèche fut réparée, le commerce refleurit, quelques portes furent fortifiées de tours et les murailles reçurent des machines de guerre, « pour lancer des flèches et de grosses pierres') (2 Chron. XXVI, 1-K!). Jotham, fils d'Hosias, «bâtit beaucoup en la muraille d'Ophel au sud du temple, et il construisit la plus haute porte de la maison de l'Eternel (2 Chron. XXVII, 3). La prospérité de la ville, gravement compromise sous Achaz, qui «ferma les portes de la maison de l'Eternel)'(2 Chron. XXXIII), fut rétablie parEzêchias, qui répara les fortifications à l'approche de Sennachérib (2 Chron. XXXII, 5). Ce prince assura à la capitale de grands approvisionnements d'eau par la construction d'aqueducs et de réservoirs.. Manassé, de retour de la captivité, compléta les fortifications de Jérusalem. Il « bâtit la muraille du dehors pour la cité de David, vers l'occident de Gihon, dans la vallée. )' et il « environna Ophel qu'il éleva fort (2 Chron. XXXIII, 14). Mais au moment où la ville semblait pourvue de tous ses moyens de défense, elle manqua de défenseurs, sans doute par suite de dissensions intestines et du découragement survenus après la mort tragique de Josias.-Le pharaon Nékao, puis Nebucadnetsar nous apparaissent alors comme les vrais maîtres de Jérusalem. Sédécias ayant essayé de secouer le joug, Jérusalem succomba après avoir vaillamment soutenu un siège de deux ans contre les troupes du roi de Babylone (587 av. J.-C.). Le temple, les palais; les maisons des grands furent entièrement démolis et les murailles renversées. Après l'édit de Cyrus (530 environ) Josué et Zorobabel rétablirent l'autel et posèrent les fondements du temple, mais l'édifice sacré ne fut achevé que sous Darius. Quant aux murailles, elles furent relevées sous Artaxerxès Longue-Main, par Néhémie. Traitée avec humanité par Alexandre le Grand, qui lui accorda d'heureux privilèges, Jérusalem devint après la mort du conquérant, la ligne frontière entre la Syrie et l'Egypte. Elle dut d'abord
à la protection des Ptolémêes et, plus tard, des Séleucides, une période de calme et semblait sur le point de reprendre une vie nouvelle, lorsque l'odieuse tyrannie d'Autiochus Epiphanela fit retomber l' dans de nouveaux troubles (t73 av. J.-C.). Apollonius, général d'Antiochus, ayant pénétré dans la ville, sans coup férir et en feignant de vouloir la paix, massacra tous les hommes valides et s'empara des femmes et des enfants, pour les vendre comme esclaves. Une citadelle redoutable, destinée à surveiller les approches du temple, s'éleva dans la basse ville, qui reçut de là le nom d'Acra. Le temple fut conservé, mais pour être profané. A côté du grand autel du parvis, on construisit un autel plus petit, pour y offrir des sacrifices à Jupiter olympien. «Il n'était plus permis, dit Munck (Palestine, p. 4M), de s'avouer Juif, et l'on punissait de mort ceux qui se livraient aux pratiques de la religion mosaïque. M Jérusalem devint de nouveau à peu près déserte. Judas Maccabée, pendant son triomphe éphémère, rétablit le culte mosaïque et construisit sur la montagne du temple un mur élevé, protégé par de fortes tours, afin de mettre les visiteurs du temple à l'abri des attaques de la garnison d'Acra. Ce mur, renversé par un des généraux d'Antiochus Eupator, fut relevé par Jonathan, frère de Judas Maccabée. Enfin, sous Simon Maccabée, la garnison syrienne de la citadelle demanda & capituler (141 av. J.-C.). La citadelle fut rasée et on se mit aussitôt à aplanir la hauteur sur laquelle elle avait été élevée Siméon établit sa résidence sur la hauteur du temple, probablement à l'angle nord-ouest, là où ses successeurs élevèrent une forteresse appelée Baris, qui fut appelée plus tard Antonia. Un autre siège; conduit par Antiochus Sidètes et soutenu très vaillamment par Jean Hyrcan(134), se termina par une capitulation honorable. Les dissensions intestines qui désolèrent Jérusalem et la Judée sous les derniers Asmonéens, amenèrent enfin l'intervention des Romains. Pompée assiégea la ville (63 av. J.-C.), et concentra ses attaques contre l'enceinte du temple, les partisans d'Ilyrcan II lui ayant ouvert les portes de la ville. Ayant fait venir de Tyr des machines de guerre, il parvint à renverser, après trois mois d'efforts, la plus haute tour de la muraille (probablement une des tours d'Antonia), dont les ruines, comblant le fossé, donnèrent passage aux Romains qui ~montèrent à l'assaut. Au grand scandale des Juifs, Pompée pénétra avec sa suite dans le Saint des Saints, mais il ne toucha pas aux trésors du temple et, le lendemain, il ordonna de purifier le sanctuaire et d'y offrir les sacrifices usuels Les intrigues des derniers princes maccabéens facilitèrent la prise de Jérusalem par les Parthes. Hérode, soutenu par les Romains, se rendit maître de la ville, en l'an 37, après cinq mois d'un siège laborieux. Le temple fut pris d'assaut et le carnage fut aussi effroyable que lors de la première invasion des Romains. Le vainqueur, devenu maître absolu, rebâtit le temple avec une magnificence dont on retrouve le témoignage dans l'Evangile (Jean, II, 20). Il agrandit et fortifia le château de Baris qui reçut le nom d'Antonia, en l'honneur d'Antoine. Au nord du palais royal, il éleva trois tours de défense nommées
Hippicus, Phasaël et ~arta~Hc. Il dota sa capitale d'édifices dans le goût des Romains, théâtre, jeux, forum, etc. La ville s'étendait alors au delà des anciennes enceintes sur le vaste plateau situé au nord, où s'élevaient de nombreuses villas, au milieu des jardins.–Agrippa I"' commença la construction de la troisième enceinte. L'insurrection des Juifs, provoquée par la tyrannie de Gessius Florus, étouffée dans le sang malgré des prodiges de valeur, eut pour dernier acte le siège de Jérusalem, par Titus. Nous ne pouvons que reproduire ici les principaux traits de ce siège célèbre, d'après l'historien Josèphe qui joua le rôle de parlementaire entre les deux armées. Au moment où le général romain vint camper devant la ville, à la tête de 70,000 hommes environ, trois partis rivaux étaient en présence dans les murs de la cité. Les zélotes, sous Jean de Giscala, occupaient Antonia et le péribole extérieur du temple, tandis que le parti d'Eléazar s'était retranché dans la cour des Juifs et dans le temple. La haute ville était au pouvoir de Simon de Gerasa. Jean de Giscala étant parvenu a chasser Eléazar de la cour intérieure du temple, construisit du côté de la ville, quatre grandes tours, garnies de scorpions et de balistes, pour mieux se défendre contre les attaques de Simon. Ces deux partis acharnés l'un contre l'autre couvrirent de ruines tout l'espace compris entre le temple et la ville haute. Tous les grands amas de blé conservés dans les salles voûtées dont on a retrouvé probablement les restes au-dessous des viaducs qui aboutissaient au temple, furent brûlés et la famine commençait déjà à sévir, lorsque Titus établit ses batteries contre les tours Psephina et Hippicus, au nord et à l'ouest de la ville. Les deux partis ennemis, réunis enfin par le danger commun, essayèrent vainement de s'opposer aux efforts des assiégeants. La première enceinte fut prise le 31 mars, quinzième jour du siège. Cinq jours après, la seconde enceinte fut forcée et, malgré quelques retours offensifs des assiégés, cette partie de la ville fut fortement, occupée parles Romains. Les Juifs, repoussés dans la troisième enceinte et sur la montagne du temple, se préparèrent à une résistance acharnée, malgré les ravages de la famine qui faisait des victimes par milliers. La plupart de ceux qui, fuyant l'implacable cruauté des soldats de Simon, essayaient de se dérober à une mort imminente en quittant la ville, étaient pris par les Romains et crucifiés. Rien ne peut dépeindre les horreurs d'un tel siège. Pour réduire les assiégés, Titus entoura la ville d'un mur de circonvallation, garni de tours et ayant trente-neuf stades de longueur. En même temps il élevait ses aggeres et ses tours de bois, bardées de fer, devant Antonia et devant la tour Hippicus. En vain les assiégés parvinrentils, à plusieurs reprises, à ruiner par la mine ou par des attaques directes les travaux formidables des assiégeants. Le 30 mai, pendant la nuit, la forteresse d'Antonia fut enlevée par surprise et le temple se trouva découvert du côté nord. Les portiques ayant été incendiés par degrés, la première enceinte intérieure du temple, la plus forte, fut forcée le 5 juillet. Le 8 du même mois, un soldat romain mit le vu i7
feu au temple, malgré les ordres de Titus. Le carnage fut horrible. Nulle part on ne pouvait apercevoir le sol caché sous les cadavres. On vit des prêtres arracher les pointes qui garnissaient la crête du toit du naos et les lancer sur les ennemis, en guise de projectiles. La colline du temple paraissait tout en flammes. Un parti de zélotes s'était ouvert un passage vers la ville haute, où la lutte se concentra. Mais le courage des assiégés avait enfin molli et les Romains s'emparèrent, dès les premiers jours d'août, des tours formidables qui défendaient ce quartier. En voyant la force de ces constructions, Titus se serait écrié « Nous avons combattu avec la faveur de Dieu c'est un Dieu seul qui a pu chasser les Juifs d'ouvrages pareils, car que pouvaient ]a main de l'homme et la puissance des machines contre de semblables tours? » Le carnage ne finit que lorsque les soldats furent fatigués de tuer. Parmi les survivants, on réserva pour le triomphe les hommes jeunes et remarquables pour leur taille et pour leur beauté. Le reste fut vendu, envoyé aux mines, ou distribué dans les provinces pour être livré aux bêtes. On évalue à six cent mille le nombre des malheureux qui périrent dans cette épouvantable catastrophe. Jean et Simon, qui s'étaient réfugiés dans les souterrains de la ville, en sortirent chassés par la faim. Simon fut réservé pour le triomphe deTitus et Jean, condamné à la prison perpétuelle. Titus donna l'ordrede détruire la ville entière et le temple, qui furent rasés. On respecta seulement les trois tours Phasaël, Hippicus et Mariamne, ainsi que la partie occidentale de l'enceinte. Jérusalem présenta, après cette catastrophe, l'aspect d'un désert occupé par une petite garnison romaine. Peu à peu quelques Juifs revinrent s'établir au milieu de ces ruines. On ne sait pas au juste à quel moment les chrétiens rentrèrent dans la cité. Soixante ans après sa destruction, Jérusalem fut rebâtie, au moins en partie, par Adrien, qui lui donna le nom d'~Mt elle fut aussi nommée Capitolina, en l'honneur de Jupiter Capitolin, dont le temple s'éleva sur l'emplacement du sanctuaire juif. Adrien releva les murailles, en suivant en partie le tracé des anciennes enceintes. Le nouveau mur laissa en dehors de la ville au sud, la partie sud de la cité de David et toute la colline d'Ophel, et, du côté nord, tout le plateau autrefois habité. Les mesures que prit cet empereur pour détruire les institutions mosaïques soulevèrent encore l'indignation générale et amenèrent une insurrection formidable, dont Bar Cocheba fut l'instigateur et l'âme. Jérusalem fut occupée par Bar Cocheba et~ bientôt reprise par Jules Sévère, général d'Adrien. Il fut défendu aux Juifs sous peine de mort, de reparaître dans la cité. Un temple de Vénus s'éleva sur l'emplacement du saint Sépulcre. Les chrétiens, pour mieux séparer leur cause de celle des Juifs, élurent pour évêque un gentil converti, nommé Marc. L'histoire de la ville, dans les cent années suivantes, ne présente aucun fait saillant. Les Juifs obtinrent à prix d'argent le droit de venir pleurer sur les ruines de leur ancienne métropole. En 362, ils essayèrent vainement de reconstruire le temple, tandis que la pieuse sollicitude de Constantin et d'HéIëne consacrait par denom-
breuses constructions les plus chers souvenirs du christianisme. Constantin fit abattre le temple de Venus et construisit à sa place la basilique célèbre du Saint-Sépulcre. Erigée en patriarcat par le concile de Chalcédoine, Jérusalem fut bientôt après pillée par l'armée de Chosroès II, qui ne respecta ni le clergé ni le Saint-Sépulcre. En G36, elle fut assiégée par les Arabes, et, après une résistance de quatre mois, elle se rendit par capitulation à Omar, accouru tout exprès de Médine. Les chrétiens obtinrent pleine sécurité pour leurs personnes et leurs biens, pour la possession de leurs églises et la liberté de leur culte, à la seule condition d'ouvrir leurs églises à toute heure du jour ou de la nuit, sur la première réquisition des autorités musulmanes. Il leur était interdit d'élever de nouveaux édifices religieux, Enfin ils étaient soumis à de minutieuses règles de police pour leur costume, leurs cérémonies, etc. Pendant quatre siècles environ, la ville obéit aux khalifes de Damas et de Bagdad, qui ne cherchèrent pas à inquiéter les habitants. Omar fit construire une mosquée trèsspacieuse sur l'emplacement du temple. La mosquée actuelle a été élevée par AbdeI-Melik ibn Merouan. Jérusalem eut à souffrir de l'inquiète tyrannie des Fatimites et en particulier du khalife Hakem, par l'ordre duquel l'église du Saint-Sépulcre fut incendiée. Les Seldjoucides, qui leur succédèrent au onzième siècle, ne se montrèrent pas plus tolérants, et bientôt la voix éloquente de Pierre l'Ermite appela les croisés à la conquête de la Terre sainte. Ce fut le 7 juin 1099 que les croisés arrivèrent devant Jérusalem, sous la conduite de Godefroy de Bouillon. Ce général et Tancrède établirent leur camp à l'ouest de la ville Raymond de Saint-Gilles investit le midi les comtes de Flandre et de Normandie assiégèrent le côté nord. Pendant un mois, ils se préparèrent à donner l'assaut et souffrirent, sous un ciel ardent, toutes les horreurs de la soif. Le 14 juillet, ils tentèrent une première attaque générale, et furent repoussés avec de grandes pertes. Enfin, le lendemain, vendredi i5 juillet, tandis que le clergé marchait en procession autour de la ville, les assaillants revinrent à la charge avec fureur. Après ~une heure de combat, Letholde de Tournay s'élança le premier sur la brèche ouverte à l'orient, et il fut suivi par Engelbert et Godefroy. Les chrétiens, ayant envahi toute la ville, poursuivirent les troupes musulmanes jusque dans la mosquée d'Omar qui fut inondée de sang. Après une courte prière devant le Saint-Sépulcre, ils reprirent leur œuvre d'extermination. En moins d'une semaine, soixante-dix mille musulmans furent massacrés et plusieurs milliers de Juifs périrent dans les décombres de leurs synagogues. Maîtres de Jérusalem, les croisés rebâtirent à grands frais l'église du Saint-Sépulcre, mais leur royauté éphémère fut brisée par Saladin, qui reprit Jérusalem en il87 et y rétablit le culte musulman. Un instant rendue à l'empereur Frédéric 11 (1229), elle fut investie deux ans après par l'armée du sultan de Karezm, et reprise presque aussitôt par le soudan d'Egypte. Cette malheureuse ville fut le théâtre de nouvelles profanations sous les derniers khalifes Eyoubites et durant le règne anarchique des Mamelouks, jusqu'à ce qu'elle passât
avec toute la Syrie sous la domination du sultan ottoman Sélim 1I (1517) elle subit alors toutes les vicissitudes de cet empire. Annexéf pendant longtemps au pachalik de Damas, Jérusalem est aujourd'hui le chef-lieu d'une province qui relève directement de Constantinople. II. TOPOGRAPHIE MODEREE, ASi'ECT &HKËRAL, CUMAT. Jérusalem (31°46' lat. N. et 33° long. E) est située sur un plateau calcaire, qui s'élève sensiblement vers le nord, où il se relie à la chaîne de montagnes de la Palestine. Des trois autres côtés, elle est entourée de ravins profonds bordés eux-mimes par de hautes collines qui dominent la ville et ne permettent pas de l'apercevoir de loin. Le ravin de l'est, nommé autrefois fcHee~e&'dfOH (Cédron), et aujourd'hui vallée dr Josaphat, sépare la ville de la montagne des Oliviers. Tournant vers le sud, il rejoint au-dessous de la fontaine de Siloé, le ravin qui borde la ville au sud et à l'ouest et qui portait le nom de t'c~Mc de ~MtKOtM eniin, au nord-ouest, est un vallon moins profond, qui est peut-être la vallée de Gihon. C'est dans le trapèze irrégulier formé par les deux vallées de Josaphat et de Hinnom, que s'élève la ville moderne. Celle-ci est bâtie sur deux rangées parallèles de collines séparées par une vallée qui court du nord-nord-ouest au sud-sud-est, de la porte de Damas à 1~ fontaine de Siloé. La rangée orientale forme trois plateaux qui s'abaissent rapidement du nord au sud et que n'eus nommerons provisoirement BMet/M, Aloriah et Ophel. Bézétha (767 mètres d'altitude au-dessus du niveau de la mer) est situé au nord-est, entre la porte de Damas et le Haram ech-Chérif. Le plateau de Moriah, en grande partie artificiel (742 mètres d'altitude), est limité à l'est par la vallée du Cédron, à l'ouest par la vallée centrale de la ville, au nord par Bézétha, au sud par Ophel. C'est ce plateau qui supporte le Haram ech-Chérif et la mosquée d'Omar. La colline de Ophel affecte la forme d'un triangle irrégulier dont la base serait au coté sud de l'enceinte du temple, et la pointe sud vers la fontaine de Siloé. Les deux cotés sont resserrés entre la 'vallée du Cédron et le ravin intérieur. Plane à sa partie supérieure, elle s'incline rapidement au sud par une série d'étages et se termine à pic au-dessus de Siloé. Elle est longue de 300 mètres environ. Le ravin central de la ville s'élargit et se creuse profondément dans sa partie inférieure, à partir du point où il reçoit un autre ravin marqué par une dépression qui vient de l'ouest. C'est, au moins dans sa partie inférieure, le yyfopQ'o! de Josëphe. La rangée occidentale est formée de deux parties l'une, au-dessous du ravin, est une haute colline (775 mètres d'altitude), longue de 900 mètres sur 6 à 700 mètres de largeur moyenne et que nous désignerons provisoirement sous le nom de ~)on; elle a son point culminant vers le milieu à l'ouest, et descend en pentes raides dans la vallée de Hinnom et dans la vallée du Tyropœon elle porte la tour dite de David, le couvent arménien, la tombe de David, le quartier juif; l'autre partie, au nord, s'élève rapidement au nord-ouest, oit. elle forme le point culminant de la ville (781 mètres) elle porte le Saint-Sépulcre, l'ancien couvent des chevàUcrs de Saint-Jean, et nombre de couvents et d'établissements chré-
tiens.–L'enceinte actuelle deJérusalemfut élevée parIosuItanSoIeïman, en 1334, et parait répondre assez exactement aux murailles qui la défendaient à l'époque des croisades. Elle a 13 mètres de hauteur moyenne sur 1 mètre environ de largeur. Elle est fortifiée de tours et de bastions et décrit plusieurs sinuosités. Le côté qui longe la vallée de Josaphatà l'est décrit une ligne assez régulière jusqu'au côté nordouest où le mur repose sur des rochers taillés à pic. C'est le point le plus élevé de la ville. A l'ouest, en se dirigeant vers le sud, du côté de la porte de Jaffa, se trouvent les tours massives et les travaux de défense les plus importants, d'ailleurs fort délabrés et incapables de résister au feu d'une batterie européenne. Sept portes, dont deux sont condamnées, s'ouvrent dans le mur d'enceinte. Ce sont 1° Au nord, la porte de Damas (Bàb el-Amoud ou porte de la Colonne), sur la route de Naplouse, Nazareth et Damas, la mieux fortifiée de toutes. Construite ou plutôt restaurée par Soliman, en l'an 944 de l'hégire, elle offre un beau spécimen de l'architecture arabe au seizième siècle. Elle s'élève sur l'emplacement d'une porte plus ancienne dont les soubassements étaient formés de gros blocs à bossage. 2" Au nord, la porte d'Hérode (Bâb el-Zaheri), fermée depuis une cinquantaine d'années. 3° Sur la face orientale du mur, la porte de Saint-Etienne, ainsi nommée en souvenir du martyre d'Etienne, qui aurait été lapidé en cet endroit. Une tradition ancienne paraît avoir placé le lieu de ce martyre près de la porte actuelle de Damas,où s'élevait autrefois l'église de Saint-Etienne. Les Arabes nomment cette porte Bàb Sitti Mariam ou porte de Notre-Dame-Marie, parce qu'elle conduit au tombeau de la Vierge. 4° Un peu plus au sud, dans l'enceinte du Haram, la porte Dorée, la plus remarquable de toutes par la profusion de ses ornements. Elle est murée depuis longtemps, sans doute à cause d'une croyance populaire, d'après laquelle la ville sera prise un jour par cette porte. 5° La porte des Barbaresques (Bâb eI-Mogharibeh ou, selon les chrétiens, porte des Ordures, située au-dessus de la fontaine de Siloé, à peu près au centre de l'ancienne vallée du Tyropœon. 6" La porte de Sion (Bàb en-Nebi Daoud, ou porte du prophète David), à l'angle sud-est de la ville. Elle tire son nom arabe du voisinage d'une petite mosquée bâtie sur l'emplacement du tombeau de David. D'après une inscription, elle a été construite (probablement restaurée) en l'an 947 de l'hégire (1539-1540). 7° La porte do Jaffa, en arabe Bàb el-Khalîl ou porte d'Hébron, sur la face occidentale. Elle mène, en effet, à Hébron parBethIéem.–~oec~ M:<en'eM)' de la ville. Jérusalem forme une espèce de trapèze irrégulier dont les côtés les plus longs sont au nord et au midi, environ 1,200 mètres au midi et 13 à 1,400 mètres au nord, d'après le plan de Pierrotti. Le côté de l'est a 900 mètres et le côté ouest 7 à 800 mètres. Le pourtour est de 4,200 à 4,300 mètres. La ville est coupée par trois artères principales. L'une, appelée rue de David du temps des croisades, et nommée en arabe Haret el-Bizar (rue des Bazars), part de la porte de Jaffa, à l'ouest, longe la citadelle, laisse à gauche le vaste emplacement de l'ancien hôpital des chevaliers de Saint-Jean (Moristân), passe
près d'une ancienne arche où quelques auteurs ont voulu reconnaître l'ancienne porte Gennath, mentionnée par Josèphe, suit le principal bazar, formé de trois rues couvertes, traversées par des ruelles latérales, longe le quartier juif et aboutit à l'une des portes du Haram, nommé Bàb es-Silsileh. La seconde rue, allant du nord au sud, part de la porte de Damas, passe derrière le Saint-Sépulcre, longe le Moristàn au sud, croise la rue de David, près de l'arc dit porte de Gennath et, séparant le quartier juif du quartier arménien, se termine près 'de la porte de Sion, au sud. La troisième rue part de la porte Bâb Sitti Mariam, laisse à gauche les casernes turques et le Haram ech-Chérif, à droite le couvent des sœurs de Notre-Dame de Sion, et aboutit au Saint-Sépulcre. C'est sur son parcours que se trouve la Voie douloureuse. Citons encore la rue Chrétienne, qui s'étend de la rue deDavidauSaint-Sépulcre,entreJe ltoristân, à droite, et la piscine d'Ezéchias, à gauche.–La ville se divise en quatre quartiers 1° le quartier des chrétiens ou des Francs, au nord-ouest, qui renferme les principaux couvents, parmi lesquels nous citerons le couvent franciscain de Saint-Sauveur ou Casa nuova, les couvents grecs de Saint-Basile, de Saint-Georges, de Saint-Michel, de Saint-Jean-Baptiste, le Patriarcat latin, l'église du Saint-Sépulcre, dont le dôme domine cette partie de la ville, plusieurs consulats, une église et une école allemandes, et la chapelle anglaise dont le style gothique contraste avec l'architecture générale de- la ville 2° le quartier arménien au sud-ouest, où l'on remarque le vaste couvent des Arméniens, situé sur un des sommets du mont Sion 3° le quartier juif, au sud du quartier arménien, sur le penchant du mont Sion et dans l'ancienne vallée du Tyropœon c'est la partie la plus sombre et la plus fétide de toute la ville; on y trouve cependant quelques rues assez propres et plusieurs synagogues nouvelles au dôme lourd et écrasé 4" le quartier musulman, au nord-est, qui renferme le Sera), résidence du gouverneur, le mg/t/t/t~M/t ou tribunal, la célèbre mosquée d'Omar, l'église de Sainte-Anne, au nord du Haram, l'établissement des sneurs de Notre-Dame de Sion, quelques hospices, des casernes, etc. L'intérieur de la ville, bien qu'offrant l'aspect général des villes de l'Orient, est loin de présenter l'animation et cette vive couleur locale qui charme tant le voyageur au Caire ou à Damas les rues sont étroites et irrégulieres, mal pavées les bazars voûtés ne reçoivent le jour que par de minces lucarnes et n'offrent, du reste, rien de remarquable les maisons, percées de quelques portes basses ou de rares fenêtres discrètement grillées, supportent des terrasses où s'arrondissent de petits dômes, le tout dominé par les imposantes coupoles du Saint-Sépulcre et de ]a mosquée d'Omar. Climat. La température de Jérusalem n'est pas soumise aux brusques variations qui se remarquent dans nos régions occidentales. Depuis le mois d'avril jusqu'à la fin de septembre, le ciel est toujours pur et brillant: la chaleur est excessive pendant le jour à cause des montagnes voisines qui interceptent les courants d'air. Cependant le climat, même pendant cette période, ne serait pas malsain si l'autorité turque veillait
avec plus de soin à l'entretien des rues et des marchés. Les nombreuses citernes ou magasins qui se voient dans tous les quartiers, l'insalubrité des maisons, toujours imparfaitement ventilées, peutêtre aussi la mauvaise qualité de l'eau qui sert à l'alimentation déterminent, pendant l'été et l'automne, de violents accès de Bèvre. Dès le mois d'octobre, la température se rafraîchit et bientôt commencent les pluies, qui durent presque sans interruption jusqu'au mois d'avril, Par suite de la position élevée de la ville, l'hiver y est quelquefois rigoureux, et il n'est pas rare d'y voir de la neige et du givre.
III. PopULATio~ ET SECTES REu&iEUSES. Suivant les calculs les plus probables, la population de Jérusalem est évaluée à 24,000 habitants environ (21,000, d'après le frère Liévin). Dans ce nombre les Juifs entrent pour 6,000, les chrétiens pour 5,000, les musulmans pour 13,000. Les statistiques turques donnent, pour l'année 1871, les nombres suivants par familles 1025 pour les Musulmans, 630 pour les Juifs, 300 pour les Grecs orthodoxes, 179 pour les Latins, 17a pour les Arméniens, 44 pour les Coptes, 18 pour les Grecs unis, 16 pour les protestants et 7 pour les Syriens, en tout 2,393 familles. Mais ces nombres paraissent trop faibles. CommMMOtM c/M'ftMMM. 1° Les catholiques romains ou latins, au nombre de 1,600 environ, sont soumis a un patriarche délégué du saint-siëge et au gardien de Terre sainte, dont la résidence est le couvent de Saint-Sauveur. Ce dernier a sous sa juridiction les moines italiens ou espagnols de l'ordre mineur de saint François, qui font en Syrie l'office de missionnaires. Cet ordre avait fondé au quatorzième siècle un monastère sur le mont Sion. Il en fut dépouillé en 1561 et prit alors possession du couvent actuel. Outre une école attachée au couvent de Saint-Sauveur et qui reçoit 170 enfants, les Latins possèdent à Jérusalem une école industrielle, un hôpital pour les deux sexes, et deux écoles de filles, celle des sœurs de Sion, avec 120 enfants et celledes sœurs de Saint-Joseph, avec 200 enfants, dont quelques-uns sont logés dans l'établissement. Les Eglises orientafes, plus ou moins unies aux Latins, sont l'Eglise grecque unie (30 membres) et l'Eglise arménienne unie (i6 membres). 2° L'Eglise grecque orthodoxe (2,800 âmes) est. dirigée par un patriarche qui réside dans un couvent voisin du Saint-Sépulcre. Cette communion, la plus puissante de toutes, grâce à la protecLion de la Russie, possède à Jérusalem huit couvents d'hommes dont le principal est le grand couvent de Constantin, cinq couvents de femmes et, dans les environs, les grands couvents de la Croix, deBethtéem, de Saint-Elie et de Saint-Saba. Elle possède en outre une école de garçons, avec 120 enfants, une école de filles et un hôpital. 3° L'Eglise arménienne est bien représentée à Jérusalem. Le patriarche arménien de Jérusalem, soumis d'ailleurs au catholicos d'Echmiaxiu, a sous ses ordres la Syrie et Chypre. Il réside dans le large et riche couvent bâti sur le mont Sion, qui renferme 180 moines ou frères et peut recevoir, dit-on, un millier de pèlerins. Cette communauté possède un petit
couvent de femmes et ne compte pas plus de 5 à 600 Bdeles.4" Les Coptes, très peu nombreux, ont deux couvents, dont l'un, le Deïr es-Soultân, est situé près de l'église du Saint-Sépulcre, et l'autre, le couvent de Saint-Georges, au nord-ouest de la piscine d'Ezéchias. Ils possèdent aussi une chapelle dans l'église du SaintSépulcre. 5* Les Abyssiniens ont un couvent à l'est du Saint-Sépulcre. 6° Les Syriens de l'ancienne Eglise (jacobites), soumis à un évêque, vivent au nombre de 150 environ sur le mont Sion. Ils possèdent une chapelle dans le Saint-Sépulcre. 7° Les protestants, établis à Jérusalem depuis 1824 sous les auspices de la Société de Londres for proMO<M:~ c~rM;MHH~ among Jews, n'ont aucune prétention à la possession du Saint-Sépulcre leur but est la conversion des Juifs. L'éveché protestant, fondé par Frédéric Guillaume IV de Prusse, est soutenu moitié par la Prusse; moitié par l'Angleterre. Le second titulaire de l'évêché, M. Gobat, qui s'était consacré avec le plus grand zèle à l'évangélisation de la Palestine, est mort en 1879 et a